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Full text of "Mémoires"

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MÉMOIRES 


L)K  LA 


SOCIÉTÉ    ACADÉMIQUE 


DE  L'OISE. 


te  (S. 


MEMOroE  S 


DE  LA 


m  w 


SOCIETE  ACADEHIOII 

d'Archéologie ,  Sciences  &  Arts 


DU 


DÉPARTIRENT  DE  L'OISÇ.  (fcft<sJUu^H^uc^ 


•3é4««te. 


TOME  VIII. 


Wv»J 


BEAUVAIS, 

Imprimerie  de  D.  PERE,  rue  Saint-Jean 

1871. 


l& 


1^^ 


LISTE 


DES 


MEMBRKS  m  L4  SOCIÉTÉ  AGAUÉHIOUK  DE  L'OISE 


au  1*^  janvier  1871. 


MEMBRES     HONORAIRES. 

M.  le  Préfet  du  déparlement  de  TOise. 

Mg"*  TKvÉQUK  de  Beauvaîs,  Noyon  et  Senlis. 

S.  K.  Mk'  le  Cardinal  Mathiku,  Archevêque  de  Besançon. 
MM.Ek^hoff  ^,  Membre  correspondant  de  rinstitut,  Inspecteur 
honoraire  de  l'Académie  de  Paris. 

CosTE^,  Membre  de  rinstitut,  Professeur  d'embriogénie 
comparée  au  collège  de  France. 

le  vicomte  de  Caumont  *,  Directeur  de  rinstitut  des  pro- 
vinces de  France  et  de  la  Société  française  d'Archéologie 
pour  la  conservation  des  monuments  historiques,  à  Caen. 

MiLNR  KmvARDS  C.  ^  ,  Membre  de  iinstitut,  etc.,  à  Paris. 

VriLLKPROY  C.  ^,  Membre  du  Conseil  général  de  roise. 


LISTE  DES  MEMBRES. 


MEMBRES  TITULAIRES. 


MM.  ANSELiN  (Jules)  #,  Docteur  en  médecine ,  à  Songeons. 
AUTRUiL  (le  comte  <10,  à  Auteuil. 
Auxcousteàux  ((.éon),  Architecte  à  Beauvais. 
AvoNDE,  Notaire  à  Beauvais. 
Baillière  (Jean-Baptiste)  ^f^^  Libraire  de  l'Acadt'^mie  de  mt'- 

decine,  me  Hautefeuille,  19,  à  Paris. 
Baldy,  ancien  Principal,  Officier  de  l'Instruction  publique, 

à  Beauvais. 
Harraud  (VAbbé),  Chanoine  de  la  cathédrale  de  Beauvais , 

Correspondant  du  ministère  de  l'instruction  publique 

pour  les  travaux  historiques ,  à  Beauvais. 
Barré,  ancien  Greffier  de  justice  de  paix,  à  lieauvais. 
Baudon,  Docteur  en  médecine  à  Mouy.  > 
BiLLA  (l'Abbé),  Supérieur  du  petit-séminaire  de  Noyon. 
BORDiER  (Henri),  Archiviste  paléograpbe,  rue  Jouberl,  'i\, 

à  Paris. 
BOULLANGER,  Fabricant  de  carreaux  mosaïques  si  Beauvais. 
BouRÉ,  Avocat,  Juge  suppléant  à  Beauvais. 
Brispot  (Eugène;,  à  Beauvais. 
Buée  (l'Abbé),  Curé-Doyen  de  Crèvecœur. 
Caffet  (l'Abbé),  Aumônier  du  Sacré-Cœur,  à  Beauvais. 
Caron,  principal  Clerc  de  Notaire,  àNotre-l)ame-du-Tbil. 
Caron  (Charles),  Propriétaire.  Membre  du  Conseil  municipal 

de  Beauvais. 
Caron  (Ferdinand),  à  Beauvais. 
Caron  (Henri),  Propriétaire  à  Bulles. 
Carpentier  (l'Abbé)  ^,  Officier  de  l'instruction  publique, 

ancien  Bégeut  de  philosophie,  à  Beauvais. 
Cavrel-Bourgeois,  Manufacturier  à  Beauvais. 
Chartier  Duraincy,  Propriétaire  à  Cauvigny. 
Charvet  (Krnesl),  à  Beauvais. 
COLSON,  Docteur  en  médecine  à  Beauvais,  Médecin  en  chef 

des  Hospices. 
CONDÉ  (le  baron  de.  0.  *,  Membre  du  Conseil  général,  à 

Montataire. 
CoiiCET  (l'Abbé),  Curé  de  Millv. 


LISTE  D8S  MEMBRES.  7 

MH.GoRBEROif  (Charles)  (le  vicomte  ûe)^,  à  Troissereux. 

Courtois,  Juge  suppléant  à  Beauvais. 

CousTURE ,  Propriétaire  à  Beauvais. 

DAMiEr^s  (Charles),  Officier  de  rinstruction  publique ,  Secré- 
taire honoraire  d'Acactémie,  à  Beauvais. 

Danjou  0.  #,  Officier  de  l'instruction  publique,  Président 
honoraire  du  tribunal  de  Beauvais,  Membre  du  Conseil 
général. 

Danse  (Charles),  Chef  d'escadron  en  retraite,  à  Beauvais. 

Delagovr  (Charles)  ^,  Juge  honoraire  &  Béarnais. 

Deladreue  (l'Abbé),  Curé  de  saint'Paul. 

Delaherghe  (Alexandre),  Négociant  à  Beauvais,  Membre  du 
Conseil  municipal.  Correspondant  du  ministère  de  rins- 
truction publique. 

f)EM.4RTHE,  Bcceveur  du  timbre  &  Beauvais. 

De  Sàiin't-Gèrmain  ,  Juge  de  paix  à  Beauvais. 

Des  Cloizeaux  ^Alfred)  ^,  Membre  de  l'Académie  des 
sciences,  Minéralogiste,  rue  Oudinol,  à  Paris. 

Desjardins  (Arthur),  premier  Avocat  général  &  Aix. 

Dësjardins  (Albert,  l»rofesseur  agrégé  â  la  Faculté  de  droit 
de  Paris. 

Desmaretz,  Avocat  à  Paris,  rue  de  Coudé,  "îH. 

Devimelx  ,  Avoué  à  Beauvais. 

Detrolles,  Professeur  de  dessin  à  Beauvais. 

DuLAC,  Juge  suppléant  à  Compiègne. 

Di'MONT,  Tablelier  à  Abbecourt. 

DupoRCQ  U'Abljé;,  Directeur  au  grand-séminaire,  à  Beau- 
vais. 

Dt'puis,  Docteur  eu  médecine  à  Beauvais. 

Du  VAL,  ancien  Pharmacien  à  Beauvais. 

DuviviER  ^ ,  Maire  de  Clermont. 

Fenet,  Artiste  à  la  Manufacture  de  tapisseries  de  Beauvais. 

Ferdinand  ,  Phdrinacien  à  Méru. 

Fleury,  Notaire  à  Beauvais. 

Flocrt  (Auguste),  Greffier  du  tribunal  civil  de  Beauvais. 

Frion  ^ ,  ancien  Juge  de  paix ,  Maire  de  Chaumont. 

Gaudecharî  (Albéric)  (le  comte  dé),  à  l'Épine. 

GouiLLARDON,  Conductéur  des  ponts-et-chaussées ,  à  Chau- 
mont. 


8  LISTE    ims   MKMBRK8. 

MM.Cromard  (lilugène),  Banquier  à  Beauvais,  Membre  du  Conseil 
municipal. 

(lAGUËT,  Notaire  à  Beauvais. 

Hamel,  Juge  honoraire  à  Beauvais. 

IUrdivillers  (le  vicomte  d*),  à  Monceaux. 

IIÉRiCART  DE  Thury  (Io  vicomle),  à  Thury-en- Valois. 

Laffineur  (Jules),  Agent-Voyer,  à  Beauvais. 

Lafpineijr-Houssël,  ancien  Négociant  à  Beauvais. 

Lagaghe  (Célestin)  * ,  Membre  du  Conseil  général ,  à  Cour- 
celles-Epay  elles. 

Le  Canu  ii^,  Chimiste,  Membre  de  l'Académie  de  médecine, 
rue  Charles  V,  à  Paris. 

Le  Caron  de  Trousslres  (Ludovic),  à  Troussures. 

Le  Chevallier  ,  Notaire  à  Beauvais. 

Leclerg,  Agent  d'assurances  à  Beauvais. 

Lefèvre  irAbbé},  Aumônier  des  Sœurs  de  Saint-Joseph ,  à 
Beauvais. 

Legoix  (l'Abbé),  Secrétaire  de  Tévèché,  à  Beauvais. 

LEHEC  (Alfred),  à  Beauvais. 

Le  Maresghal  (Alexandre),  Propriétaire  et  Maire  à  Warluis. 

L'Epine,  Juge  honoraire  à  Beauvais. 

Leroy  ij^.  Docteur  en  médecine  à  Beauvais. 

Lethel'X  ,  Greffier  à  Beauvais. 

Levasseur,  Juge  à  Beauvais,  Membre  du  Conseil  muni- 
cipal. 

LuçAY  (vicomte  de)  *ftj.  Maître  des  requêtes,  au  chi\teau  de 
Saint-Aignan  (Ilondainvillc). 

LhL'ILLIER  (Victor),  Architecte-Voyer  de  la  ville  de  Beauvais. 

Marette  (l'Abbé),  Curé-Doyen  de  Songeons. 

Maksy  (Arthur  de).  Archiviste  paléographe,  à  Paris. 

MAS.S0N,  Percepteur  au  Meux. 

Mathon,  ancien  Pharmacien,  Correspondant  du  ministre  de 
l'Instruction  publique  pour  les  travaux  historiques,  Offi- 
cier d'Académie,  à  Beauvais. 

Meneust  (Georges),  à  Beauvais,  Officier  d'infanterie. 

Mergier  ,  Avoué  à  Beauvais. 

Merlemont  (le  comte  de)  ^,  au  château  de  Merlemont. 

MiGHEL  CLéon),  Propriétaire  à  Clermont. 

MiLLiÈRE  'l'Abbé),  Curé  de  la  cathédrale  de  Beauvais. 


LKSTR   DRS   MEMBHES.  {) 

MM.MiLLON  DE  MONTHERLANT  (Camille ,  rue  de  Champagny.  0, 
à  Paris. 

MoiSAND  (Constant)  #,  Imprimeur  à  Beauvais. 

MORiN  (Théodore),  au  clu\(eau  de  Marguerle. 

MORNAY  (le  marquis  de),  Député  à  l'Assemblée  nationale. 
Membre  du  Conseil  général,  au  château  deMonrhevreull. 

Paillard,  Etudiant  h  Heauvais. 

Peigné- Delacourt  ^,  au  château  de  Ribécourl. 
'  PERE  ^,  Imprimeur  à  Beauvais. 

Plessier,  Receveur  de  Tenregislrement  à  Tillé. 

PoNTHiEU,  Fabricant  de  carreaux  mosaïques  :ï  Beauvais. 

Potier  (l'Abbé),  Curé  de  Saint-Etienne  de  Beauvais. 

Ql'esnot,  Juge  de  paix  à  Beauvais. 

QuESTE(rAbbé),  Curé  de  RueSaint-Pierre. 

Ui'ESTiER  (rAbbé),  Curé  de  Thury-en-ValoIs. 

BENET  (PAbbé),  Directeur  au  grand-séminaire  de  Beauvais. 

BiCHARD  rPAbbé\  à  Beauvais. 

BiCHARD  (Achille),  ancien  Entrepreneur  à  Beauvais. 

BODiN  (Hippolyte),  MaUre  de  pension  à  Beauvais. 

Salis  (le  comte  dey#,  Membre  du  Conseil  général,  à  Beauvais. 

SoREL  (Alexandre),  Avocat  à  Paris,  rue  des  r.rands-Augus- 
tins,  19. 

Tartigny  (de)  0.  ^,  Membre  du  Conseil  général .  au  chAleau 
de  Tartigny. 

VÉRITÉ  ^,  Horloger-Mécanicien  si  Beauvais. 

Yi'ATRiN  (Auguste),  Propriétaire  à  Beauvais. 

Weil,  Architecte  à  Beauvais. 

Yanville  (le  comte  Cousiant  d'),  Chef  d'escadron  au  3*  régi- 
ment de  lanciers,  au  château  du  Tillet(Cires-lesMello\ 

YvART,  Suppléant  de  la  justice  de  paix,  à  Formerie. 

MEMBRES    CORRESPONDANTS. 

Badin  0.  ^,  Administrateur  des  Manufactures  des  Gobelins 

et  de  Beauvais. 
Baecker  (de)  #,  Inspecteur  des  monuments  historiques,  à 

Xorpeen  (Nord). 
Bosc,  Intendant  militaire. 
Cochet  (rAbbé^  ili^.  Inspecteur  des  monuments  historiques 

de  la  Seine- Inférieure. 


10  LISTE   DES   MEMBRES. 

MM. Constantin,  Professeur  d'Iiisloire  au  lycée  de  Salnt-Omer. 
Drouet,  Naturaliste  à  Troyes. 
DusuzEAU,   Directeur  de  la  ferme-école  du  Mesnil-Saint- 

Firmin. 
GÉRiN  (rAbbé),  à  Paris. 

(lOMART,  Correspondant  du  ministère  de  l'instruction  pu- 
blique, Directeur  du  comice  agricole  de  Saint-Quentin. 
Hersan,  ancien  Instituteur  communal  de  Bourj,  à  Gisors. 
Hette,  Directeur  de  la  sucrerie  de  Bresles. 
JoRRY  (rAbbé),  Curé  de  TAbbaye-sous-Plancy  (Aube\  Membre 

de  plusieurs  Sociétés  savantes. 
Laboissière  ,  Avocat  à  Paris. 

Lecot  (l'Abbé),  Vicaire  à  Noyon,  Directeur  de  la  Foi  picarde. 
Lemoine  (Gustave),  Homme  de  lettres,  à  Paris. 
UBMONNiËR  (Céran),  Docteur  en  médecine,  Inspecteur  des 

eaux  thermales  de  Bagnères. 
Maindreville  (Gaston  de).  Officier  de  la  marine  militaire. 
Malhéné  (Jules),  Conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Bouen. 
Moreau  (François),  Professeur  de  mathémathiques  et  de 

sciences  naturelles  au  collège  d'Avallon. 
Peaugblle  ,  Employé  à  la  conservation  des  hypothèques  de 

Beauvais ,  à  Voisinlieu. 
POQUET  (l'Abbé),  Secrétaire  de  la  Société  Académique  de 

Soissons,  Directeur  de  l'établissement  de  Saint-Médard. 
Rebouleau,  Docteur  en  médecine.  Médecin   en  chef  des 

établissements  hospitaliers  de  Constantine. 
Rey  (Jules),  Conservateur  du  musée ,  à  Troyes. 
Sachot  (Octave),  Avocat,  Rédacteur  de  VAihénéiun  français 

et  de  la  Revue  britannique ^  à  Paris,  rue  du  Dragon,  i(». 
SoLAND  (le  comte  Aimé  de).  Directeur  de  la  Société  Linnéenne 

de  Maine-et-Loire ,  à  Angers. 
Véret,  ancien  Chirurgien  militaire,  à  Péronne. 


■ 
t 


SECTION  D'ARCHÉOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 


NOTICE 


SIR 


L'ABBAYE     DE     FROIDMÔNT 


ORUHE   DE  CITEAUX) 


REVRNIS  BT  PROPRIfiTfiS  DU  MONASTÈRE. 


Après  avoir  étudié  la  vie  intérieure  de  cette  communauté  cis- 
tercienne y  énuméré  les  ac^tes  principaux  de  Tadministration  de 
ses  abl)és,  il  nous  parait  convenable  de  dire  un  mot  de  ses 
revenus  et  des  propriétés  territoriales  qui  en  ont  été  la  source. 

Les  revenus  du  monastère  de  Froidmont,  quoique  moins  ex- 
posés auK  variations  que  ceux  des  particuliers,  ont  cependant 
subi  bien  des  fluctuations  suivant  les  temps  ou  les  circonstances. 
Leur  destination  ne  les  a  pas  toujours  rois  à  l'abri  des  événe- 
ments, ni  des  déprédations,  et  plus  d'une  fois  on  les  a  vus 
passer  subitement  de  l'état  le  plus  florissant  à  la  situation  la 
plus  précaire.  En  laissant  de  côté  les  années  exceptionnelles , 
citons,  pour  établir  une  position  normale  et  ordinaire,  un 
compte  de  cellerier  de  1501.  Ce  compte  portait  les  rexîettes  à 


12  NOTICE 

l,88i  livres  10  sois  11  deniers,  2,836  mines  de  blé,  1,67()  mines 
d'avoine ,  32  mines  de  pois,  27  porcs  et  GO  chapons. 

Lors  du  partage  des  biens  de  1617,  l'évaluation  qui  lui  servit 
de  base  donnait  à  Tabbaye  un  revenu  total  de  13,n0()  livres, 
a,60i  mines  de  blé,  870  mines  d'avoine,  "ii  mines  de  pois, 
715  livres  de  cire,  44  chapons,  1,200  de  fourrage,  200  botles 
de  chaume  et  100  cordeS  de  bois. 

^  Un  état  des  revenus  de  la  mense  conventuelle ,  remis  en  1716 
aux  syndics  du  clergé  du  diocèse  de  Beauvais,  les  évaluait  à 
13,096  livres  19  sols  4  deniers;  comme  celte  mense  n'avait 
que  le  tiers  du  revenu  total  des  biens  du  monastère ,  celui-ci 
devait  s'élever  à  près  de  40,000  livres. 

L'état  dressé  par  les  officiers  municipaux  de  Hermès,  en  171H), 
des  revenus  de  cette  même  mense  conventuelle,  montait  à 
1i,338  livres  6  sols  8  deniers,  ce  qui  donnait  pour  le  revenu 
total  plus  de  43,000  livres. 

Ces  chiffres  suffisent  pour  nous  donner  une  idée  de  la  situation 
financière  de  l'abbaye.  Voyons  maintenant  d'où  provenait  ce 
revenu,  et  examinons  les  divers  éléments  qui  le  composaient. 
Le  monastère  étant  situé  à  l'extrémité  septentrionale  du  terri- 
toire de  Hermès,  et  au  point  de  jonction  pour  ainsi  dire  des 
trois  territoires  de  Hernies,  de  Bailleul-sur-ïhérain  et  Bresles, 
son  domaine  rayonnait  autour  de  lui  sur  chacun  d'eux. 

Kermès.  — D'abord  sur  Hermès,  H  possédait  l'enclos  sur 
lequel  s'élevaient  le  logis  abbatial  et  les  bâtiments  claustraux 
avec  leurs  dépendances,  les  vergers  et  les  jardins  à  l'usage 
personnel  de  Tabbé  et  des  religieux,  le  tout  entouré  de  murs;  — 
"ip  la  ferme  de  la  basse  cour  qui  était  attenante.  Celle-ci  fut  vendue 
par  la  nation  ,  le  28  mai  17;H  ,  avec  251  mines  de  terre ,  pré  et 
herbage  en  dépendant,  à  M.  Jean-Marie-Ktienne-Edme  HivauU 
de  Champfleury ,  ancien  conseiller  à  la  Cour  des  Aides  de  Paris, 
pour  la  somme  de  56,400  livres;  elle  appartient  aujourd'hui  à 
M.  Devimeux,  avoué  à  Beauvais;  —  3*  la  ferme  du  Mont  de 
Hermès,  donnée  en  1136,  par  Adélaïde  de  Dammartin,  dame  de 
Bulles,  et  vendue  par  la  nation,  avec  272  mines  de  terre,  à 
M.  Marguerite-Adrien  Auxcousleaux  de  Marguerie ,  pour  18,875 
livres;  —  4*  188  mines  de  terre  et  pré,  vendues  à  divers  parli- 
cuHers  pour  56,210  Uvres;  —  5'  le  moulin  à  blé  acquis ,  en  1205. 
de  ^Vallon  de  Grandville  et  Renaud  de  Balagny,  et  le  moulin  à 


svn  l'abbayk  dk  fuoiumom.  13 

riiuilo  cousli'uit  par  les  religioux ,  vendus,  le  î)  murs  ITiil ,  avec 
7  mines  et  demie  de  pré  y  attenant ,  à  M.  Nicolas  Jloroy .  qui  en 
était  fermier,  pour  18,300  livres;  —O*  le  bois  de  Froidmont  jadis 
dpnné  par  la  dame  de  Balles,  Raoul,  comte  de  Clermont,  et  le 
roi  Philippe- Auguste,  contenant  i88  arpents.  L'administration 
ilu  district  ne  Taliéna  pas,  mais  le  conserva  pour  faire  partie  du 
domaine  de  TEtat,  du  groupe  forestier  de  Hez;  —  7*  les  droits 
de  justice  et  de  seigneurie  sur  la  plus  grande  partie  du  terri- 
toire, par  donation  de  la  dame  de  Huiles  en  1136.  d'Evrard  de 
Saint-Mard  en  1330,  et  de  Louis  de  Bourbon,  comte  de  Clermont, 
en  1t04  (1). 


1;  La  seigneurie  de  Hermès,  (|ui  relevait  à  foi  et  hommage  da  coiiit<^ 
de  Clermont  pour  la  plus  grande  partie ,  et  du  comté  de  Beauvais  pour 
une  portion  moindre,  était  divisée  en  plusieurs  grands  Ilefs,  qui  en  avaient 
d'autres  moins  grands  dans  leur  mouvance.  L'un  d'eux  appartenait  à  la 
maison  seigneuriale  de  Bulles,  et  Adélaïde  de  Dammartin,  dame  de  Bulles, 
le  donna  à  l'abbaye  de  Froidmont  lors  de  sa  fondation,  en  1136.  Un  autre 
ôtait  en  la  possession  de  la  maison  de  Saint-Mard  ou  Saint-Médard ,  et  l'un 
de  ses  membres ,  Evrard  de  Saint-Mard ,  le  céda  par  échange,  en  l;)50,  au 
même  monastère.  Un  autre  vint  en  la  maison  de  Barbancon.  Jean  de  Bar- 
bancon  et  Yolande  de  Gavre,  sa  femme,  le  donnèrent  en  dot,  au  xiv*  siècle, 
à  Eustacbe  de  Barbanron,  leur  seconde  fille,  en  la  mariant  avec  Jean  II, 
baron  de  Ligne,  seigneur  de  Montreuil-sur-Aisne.  Ceux-ci  le  vendirent, 
vers  1390.  à  Louis,  duc  de  Bourbonnais,  comte  de  Forest  et  de  Clermont, 
qui  le  donna ,  en  li02 ,  à  l'abbaye  de  Froidmont.  De  la  sorte ,  cette  ab- 
baye avait  la  seigneurie  de  presque  tout  le  territoire  de  Hermès. 

Le  fief  de  Granville ,  qui  eut  pour  possesseurs  Drogon  de  Granville, 
chevalier,  en  1100,  Adam  de  Granville  (l^lO},  Robert  et  Jean  de  Granville 
J^HO),  vint  à  la  maison  de  Trie,  seigneur  de  Mouchy,  et  déjà  possesseur 
des  liefs  de  Friencourt,  Nainval  et  Carvlile.  Enguerran  de  Trie  fd'or,  à  la 
baiiâe  à^azur)  devint  possesseur  de  ces  fiefs,  au  xii*  siècle,  en  épousant 
Odévie  de  Mouchy,  veuve  de  Nivelon  de  Pierrefonds  et  fille  de  Drogon 
(!e  Mouchy.  Il  les  donna  à  Jean  I*'  de  Trie ,  son  fils  aîné ,  seigneur  de 
Trie  et  Mouchy;  puis  ils  passèrent  successivement,  et  de  père  en  fils,  à 
Jean  II  de  Trie,  qui  fut  tué  à  la  bataille  de  Bonvines,  en  l^li  ;  à  Mathieu 
de  Trié,  comte  de  Dammartin  (1234);  à  Jean  III  de  Trie,  marié,  en  1277,  à 
Yolande ,  dont  il  eut  Renaud ,  Charles,  Mathieu ,  Jean ,  Yolande  et  Léonore. 
Jean  de  Trie  transigea  avec  Renaud  de  Trie,  seigneur  du  Plessis-Bilbaut, 
son  neveu ,  et  lai  abandonna  ses  fiefs  de  Friencourt  et  de  Granville,  tout 


14  NOTICE 

Bailleul-sur-T/iérain.  —  L'abbaye  possédail  sur  son  terri- 
toire, en  1791  :  —  i"  la  ferme  de  la  Vieille-Abbaye  provenant  des 
donations  de  la  dame  de  Bulles  et  de  ses  fils ,  de  Pierre  ,  Haoul 
et  Grégoire  de  Bailleul,  et  de  Raoul,  maire  de  Bresles,  en  1136, 
11R4,  liaG;  elle  fut  vendue  par  la  nation ,  le  l»**  mars  1791 ,  avec 
iH  mines  de  terre  et  pré  en  dépendant,  30,000  livres,  à  Pierre- 
André  Salle,  négociant  à  Beauvais;  —  â'  la  ferme  de  la  Maison- 
Bouge  ,  sise  à  Bailleul ,  donnée  par  Grégoire  de  Campremy  et 
Alix  de  Bailleul ,  sa  femme,  enl!23i,  vendue  avec  0ii8  mines 
de  terre  et  pré,  175,045  livres,  à  divers  particuliers,  et  no- 


en  les  conservant  dans  la  moavance  de  sa  seignearie  de  Moucliy.  Renaud 
de  Trie  servit  dans  les  guerres  de  Flandre  de  1296-1-2^.  Il  épousa  Mar- 
guerite de  Courtenay,  dame  de  Gloyes ,  dont  il  eut  Renaud  et  Philippe. 

Renaud  II  de  Trie ,  seigneur  du  Plessis-Billebaut ,  de  Friencourt  et  de 
GranvUle ,  marécbal  de  France ,  épousa  Isabelle  de  Heilly ,  qui  lui  donna  : 
1*  PhUippe ,  seigneur  de  Hareuil  ;  2^  Jean ,  seigneur  du  Plessis-Billebaut  ; 
3*  Renaud  \  dit  Billebaut ,  seigneur  de  Fresnes ,  Quévremont  et  du  Ques- 
nel  ;  !•  Alix ,  qui  épousa  Thomas  de  Coucy  ;  5*  Jeanne ,  qui  s'allia  à  Phi- 
lippe de  Cbambly,  seigneur  de  Uvry. 

Jean  de  Trie,  dit  BUlebaut,  seigneur  du  Plessis,  de  Friencourt  et  de 
GranviHe ,  confirma ,  en  1345 ,  les  donations  faites  par  ses  prédécesseurs 
à  l'abbaye  de  Proidmont.  Il  laissa  ses  terres  et  seigneivies  k  son  fils 
unique  Renaud ,  dit  Patrouillart ,  issu  de  son  mariage  avec  Clémence  de 
Joigoy. 

Renaud  lU  de  Trie ,  dit  Patrouillart ,  seigneur  du  Plessis  et  de  Moucby , 
par  donation,  en  1362,  de  Jean  de  Trie,  archidincre  de  Ch^ons,  son 
cousin ,  épousa  Jeanne  de  Fosseuse ,  dont  il  eut  Renaud  IV  de  Trie ,  dit 
aussi  Patrouillart ,  qui  fut  tué  à  l'attaque  du  château  d'HarUort ,  eu  I40H. 
Ce  chevalier  laissa  trois  enfants  de  son  mariage  avec  Marie  de  Nesle,  Jean. 
Pierre  et  Jeanne ,  qui  aliénèrent  les  fiefs  de  Friencourt  et  de  Granville  an 
profit  de  Colard  de  Groisettes. 

Golard  de  Groisettes  (4'azur,  à  la  fasce  d'argent,  chargée  de  trois  mer' 
kUes  de  sable,  l'écu  semé  de  croisette^  d'arj  vivait ,  en  1420,  avec  Mar- 
guerite Mauchevalier,  sa  femme ,  et  laissa  ses  fiefs  de  Granville ,  Frien- 
court ,  Nainvai  et  Carvilie  à  Jean ,  son  ftls  unique. 

Jean  P'  de  Groisettes ,  seigneur  de  Granville ,  Friencourt ,  Nainvai  et 
Carvilie,  puis  de  Saint^Rimault ,  par  donation,  en  1464,  d'IsabeUe  d'Aî- 
rioo ,  épousa  Colette  Saiiguin ,  dont  il  eut  Jean  et  Jacques. 

Jean  il  de  Groisettes ,  avocat  du  roi  au  gouvernement  de  Pêrolme. 


StjR   l'abbaye   de  FROlDMOTtT.  15 

tarament  à  MM.  Ticquet  (172  mines),  Rivault  de  Champfleury 
(127  mines),  Auxcoqsleaux  de  Marguerie  (100  mines);  —  3*  le 
moulin  de  Bailleul  acquis ,  en  1526 ,  de  Jean  de  Bailleul ,  écuyer , 
seigneur  de  Bailleul,  Saint-Léger,  le  Mont-Saint-A^rien,  etc.,  et 
vendu,  le  18  février  1791 ,  à  Antoine  Fasquelle ,  meunier ,  avec 
3  arpents  de  pré ,  pour  la  somme  de  U,72o  livres  ;  —  i*  le  Vieux- 


Montdidier  et  Roye,  époasa,  en  lun,  Jeanne  Malet,  dont  II  eut  Antoine 
et  Claude. 

Antoine  de  Croisettes,  seigneur  de  Granville,  etc.,  avocat  au  bailliage 
de  Montdidier,  épousa  Isabeau  Ctiariet ,  dont  François  et  Marie. 

François  de  Croisettes ,  seigneur  de  Granville,  etc.;  homme  d armes 
des  ordonnances  du  roi  en  1.582 ,  mourut  en  1.587.  laissant  de  Marie  Col- 
lesson  de  Béronne ,  sa  femme ,  Florent  et  Gabriel. 

Florent  de  Croisettes ,  seigneur  de  GranviUe ,  Friencourt ,  etc. ,  liomme 
d'armes  des  ordonnances  du  roi ,  mourut  en  1616,  laissant  de  Nicole  de 
Piennes ,  qu'il  avait  épousée  en  1608,  René  ,  Louise  et  Charlotte. 

René  de  Croisettes ,  seigneur  de  Granville ,  etc. ,  homme  d'armes  de  la 
compagnie  du  cardinal  de  Richelieu ,  fut  maintenu  dans  la  noblesse  par 
arrêt  du  Conseil ,  le  3  août  1668.  Il  avait  épousé ,  en  1634 ,  Madeleine  de 
La  Motte ,  dont  il  n'eut  qu'un  fils  nommé  Pierre. 

Pierre  de  Croisettes,  seigneur  de  Granville,  etc.,  mourut  en  I78â.  H 
épousa  en  premières  noces  Geneviève  Maurin  de  Pardaillan ,  dont  il  n'eut 
pas  d'enfants;  en  secondes  nocs  Françoise  de  Vuitasse,  dont  il  eut 
Claude-Hubert ,  qui  fut  chanoine  régulier,  Marie  et  Madeleine. 

Marie  de  Croisettes,  dame  de  GranviUe,  Friencourt,  etc.,  épousa,  le 
3n  août  1709,  Louis  Ladvocat ,  seigneur  de  Sauveterî'e ,  conseiller  au  Par- 
lement, et  laissa  ses  Qefs  de  Granville  et  Friencourt  à  N.  Ladvocat,  son 
fils ,  qui  fut  en  même  temps  seigneur  de  Sanveterre  et  conseiller  au  Par- 
lement ,  comme  son  père . 

Les  autres  flefs ,  de  moins  grande  importance ,  qui  étaient  au  territoire 
de  Hermès ,  et  qui  relevaient ,  pour  la  plupart  au  xvv  siècle ,  de  la  sei- 
gneurie appartenant  à  l'abbaye  de  Froidmont ,  étaient  :  V  le  fief  de  Fon- 
taines, à  Méhécourt.  U  appartenait,  en  1180,  à  Regnault  de  Fontaines,  et 
vhit  ensuite  à  Marie  de  Fontaines ,  femme  de  Pierre  d'Kanvoiles .  qui  le 
vendit,  vers  1191,  à  Pierre  Ponlain.  Celui-ci  le  donna  à  Jean  de  Bresche. 
chanoine  de  Beauvals ,  son  neveu ,  vers  1.590,  avec  le  fief  de  Marguerie, 
dont  il  suivit  le  sort;  —  3*  le  Aef  Le  Maire,  tenu,  en  1450,  par  Antoine  Le 
Maire ,  et  en  1.521  par  Jean  ie  Maire ,  écuyer,  seigneur  de  Parisifbntaine  : 
—  8*  le  tlef  d'Abeocourt ,  tenu ,  en  liôo,  par  Jean  Bacouel  ;  —  4*  le  Uef 
AUard  Chaudron,  réuni,  en  1150,  à  la  seigneurie  de  Hermès,  et  donné  de 


1(>  NOTICE 

Château,  sis  à  Froidinont,  en  la  rue  (|ui  conduit  au  Mont-César, 
avec  une  chapelle  du  xvt*  siècle,  donné,  en  M6;{,  par  Pierre  et 
Sigaude  de  Railleul ,  et  vendu ,  le  23  mars  1791,  avec  3  arpents 
de  pré,  à  Louis  Vuillemin,  ancien  boulanger,  pour  1(),()7:i  livres;  — 
o«  les  bois  de  la  Vieille- Abbaye  ,  contenant  2i  arpents,  donnés  , 
en  I18(),  par  Grégoire  de  Baillcul;  -  O"  le  bois  de  la  lloussiére , 
contenant  2G  arpents,  donné  par  Raoul,  comte  de  Clermont, 
Nivelon  du  Plessier  (1490),  Robert  de  la  Tournelle  (1223}  et  Simon 


nouveau  en  tenure  à  Jean  Bacouel  ;  —  ô"  le  llef  Saint-Vincent ,  sis  k  Krian- 
court ,  que  tint  de  tout  temps  IVglise  de  Hermès  ;  —  h*  le  flef  Bellin,  tenu, 
en  140;),  par  Jean  de  Bellin,  écuyer  ;  en  1510,  par  Antoine  de  Bellin,  dit  de 
Lignières,  seigneur  de  Câtillon  ;  en  1520,  par  Charles  et  Marie  de  Lignièrcs. 
ses  enfants ,  qui  le  vendirent  en  15*20  et  Vrl:i,  à  l'abbaye  de  Froidmont  :  — 
7«  le  nef  Bouchon,  tenu,  en  1150,  par  Calinot  Bouchon ,  et  en  l'rZi  par 
Pierre  Bouchon;  —  8*  le  flef  de  Wabecourl,  tenu,  en  1521,  par  Colin  Lhoier; 
en  l(>Oî,  par  Nicolas  de  Saint-Omer;  en  1095,  par  Pierre  Bizet;  en  mm, 
par  Antoine  Bizet  ;  en  1700,  par  Bertin  Brisot  et  Madeleine  Brlsot,  ^a  (llle; 
en  170G,  par  Nicolas  Dubus  ;  en  17ll,  par  Renii  Pupille  ;  en  1718,  par  Louis- 
Antoine  Clabault  et  Marie-Anne  Dubus ,  sa  femme  ;  —  i)«  le  (ief  André 
Dirson,  tenu,  en  1450,  par  André  Dirson  ;  —  10»  le  flef  lïennequin,  vendu, 
en  150(),  par  Louis  de  Hélencourt  et  Marie  de  Fontaine,  sa  femme,  à  Jean 
Louvet,  et  retiré  féodalement  par  l'abbaye  ;  —  il»  le  flef  de  Quévremont, 
tenu  par  l'abbaye  elle-même  en  1450  ;  — 12*  le  flef  Balastre,  tenu,  en  1350, 
par  Pierre  Malponne  ;  en  1360,  par  Jeanne  Malponne,  sa  flile,  (épouse  de 
Guillaume  de  Saint-Remy;  leurs  enfants,  Pierre,  Jeanne  et  Geneviève  de 
Saint-Remy,  le  vendirent,  en  1395,  à  Raoul  de  Balastre,  écuyer,  qui  le 
donna  à  Catherine  de  Balastre,  sa  fl Ile  ;  elle  le  tenait,  en  1150,  avec  Golard 
Denoyelle,  son  mari  ;  leur  flls,  Pierre  Denoyelle,  écuyer,  le  tenait,  en  l  nw, 
et  Livoire  Denoyelle  et  Jeanne  Raonlquln  le  vendirent  à  l'abbaye  en  1 183; 
—  13*  le  flef  Jean  Roussel,  donné  par  Robert  Le  Boucher  à  Jean  Roussel, 
qui  le  vendit  k  l'abbaye  en  1520  ;  —  ll«  les  flefs  Saînt-Len  et  Yignemont, 
sis  à  Caillouel,  et  mouvants  de  la  seigneurie  de  Mouy,  saisis .  pour  les 
deux  tiers,  en  15 lo,  sur  les  héritiers  de  Jean  de  La  Marre,  et  adjugés  par 
décret  à  l'abbaye  ;  elle  avait  acquis  l'autre  tiers,  en  1511,  de  Jean  de  Henu, 
marchand  et  bourgeois  de  Beauvais  ;  —  15"  le  flef  Francastel,  tenu,  en  1380, 
par  Golard  de  Francastel-,  en  1450,  par  Sicard  de  La  Ganel,  et  en  14(>9  par 
Jean  Thiebault,  son  héritier;  —  10«  le  flef  Dubus,  si%à  Caillouel,  tenu, 
en  1348,  par  Henri  de  Paris ,  et  en  1353  par  Pierre  Dubus ,  écuyer  ;  — 
17«  le  flef  de  la  prévôté  de  Hermès,  qui  fut  possédé,  en  111 1,  par  Raoul 


SUR    l'aBBAYK    de    FROlDMOiNT.  17 

de  Clermont,  seigneur  d'Ailly(i237);  -  7*  le  bois  de  la  Brochette, 
contenant  4  arpents;  —  8*  ie  bois  d'Elincourt  ou  de  Mélicourt, 
contenant  7  arpents ,  donné  par  Jean ,  fils  de  Sigaude  de  Bailleui , 
en  1170;  —  9'  le  bois  d*Auneau,  contenant  20  arpents;  —  iO*  le 
quart  des  dîmes  de  Bailleui,  donné  par  Odon  de  Mouchy,  Pierre 
et  Marguerite  de  Bailleui,  Hugues  de  la  Chaussée,  le  Chapitre  de 
Mouchy ,  celui  de  Saint-Michel  de  Beauvais  et  le  prieuré  de 
Villers-Saint-Sépulcro;  —  iV  la  seigneurie  du  Petit-Froidmont, 
par  donation  de  la  dame  de  Bulles ,  de  Pierre  et  Grégoire  de 


de  Hermès  ;  en  1136,  par  ses  Dis  Adam ,  Gamier  et  Jean  de  Hermès  ; 
en  1165,  par  Guillaume  de  Hermcs  ;  en  1200,  par  Odon  de  Hermès,  père 
d'Odon  II  de  Hermès  et  de  Jean  de  Hermès ,  cbevalier  ;  en  1282,  par 
Pierre  de  Hermès ,  chevalier  ;  en  1335,  par  Nicolas  de  Hermès  ;  —  18*  le 
Qef  de  Hargaerie,  que  possédait,  en  1400,  Philippe  d'Abbecourt,  fut  vendu, 
en  1459,  par  Richard  d'Abbecourt  à  Pierre  Bacouel,  qui  le  laissa  à  Nicolas 
Bacouel  (1482).  Louis  Poulain  le  possédait  en  1500,  et  le  donna  à  Jean  de 
Bresche,  son  neveu,  qui  le  laissa  à  Antoine  Papin,  son  cousin  (1533).  Il 
était,  en  1584,  à  Jean  Le  Comte,  seigneur  de  Yoislnlieu,  comme  héritier  de 
Jean  Le  Comte,  son  père.  Il  le  laissa  à  François  Le  Comte,  son  Ûls,  qui  le 
possédait  en  1002.  Jeanne  de  Venise,  dame  de  Marguerie  et  veuve  de  Jean 
de  Berthelemy,  donna  ce  flef  à  Charles  de  Berthelemy,  son  fils,  en  1614. 
Ce  dernier  étant  mort  sans  enfants,  Louise  de  Berthelemy,  sa  sœur,  mariée 
à  Jean  dé  Roissin,  écuyer,  en  hérita  (1632).  Charles  du  Frest,  seigneur  de 
Bresson,  le  possédait  en  1660.  François  Vigneron  fttargerU,  à  la  fasce  de 
sable  frettée  d^or,  accofnpagnée  de  trois  merleUes  de  sable  rangées  en  chef), 
président  au  Présidial  et  maire  de  Beauvais  de  1693-1703,  Tacquit  en  1681 
de  Charles  de  Ligniôres  et  d'Isabelle  de  Just,  sa  femme.  Il  mourut  en  1714, 
laissant  de  Marie  Dollet,  dame  d'Hucqueville,  sa  femme  :  l*  Marie,  dame 
d'Hucqueville ,  morte  en  1748  ;  2*  Françoise,  dame  de  Marguerie,  morte 
en  1742  ;  3*  Anne,  religieuse  à  Saint-Paul;  4*  Thérèse,  religieuse  de  Saint- 
François  ;  5*  N.,  dame  de  Breteuil;  6*  François,  seigneur  d'Hucqueville; 
7«  Claude,  seigneur  de  Breteuil;  8*  N.  Vigneron  de  La  Tour,  officier. 

Claude  Vigneron,  seigneur  de  Breteuil  et  Marguerie,  capitaine  d'infan- 
terie, n'eut  qu'un  ûls,  Claude-François,  de  Marie-Antoinette  de  LaVacquerie, 
sa  première  femme  ;  N.  Baurio,  sa  seconde  femme,  et  Marie-Anne  Behagle, 
sa  troisième,  moururent  sans  enfants. 

Claude-François  Vigneron  était  seigneur  de  Breteuil  et  de  Marguerie, 
en  1745,  quand  il  transigea  avec  l'abbaye  de  Froidmont  pour  le  cantonne- 
ment des  chasses. 

T.  vni.  i 


18  .NOTICK 

Bailleul ,  et  celle  de  la  plus  grande  partie  du  territoire  par  di- 
verses acquisitions  .1). 

Aynetz.  —  L'abbaye  avait,  au  xvi«  siècle,  une  rente  de  six 


vi)  Le  territoire  de  Bailleul  était  aassi  divisé  en  un  certain  nombre  de 
liefs.  Le  plus  important  était  celai  que  tenait  Pierre  de  Bailleul^  en  1136. 
Ce  chevaUer  en  donna  une  partie  à  l'abbaye  de  Froidmont,  et  la  dame  de 
Bulles  en  fit  autant  de  son  llef  du  Mont-César  et  de  Froldmonl  (Uho). 
Grégoire  setnar  de  BaiUeul ,  Gautier  et  Marguerite ,  ses  frère  et  sœur , 
donnèrent  une  autre  portion  de  cette  seigneurie ,  en  1186 ,  et  Grégoire  de 
Gampremy,  du  consentement  d'Alix  de  BaiUeul,  sa  femme,  les  imita 
en  13S2. 

Grégoire  de  BaUleul ,  chevaUer,  eut  d'Eméline ,  sa  femme ,  plusieurs 
enfants ,  entre  autres  Aymeric,  Raoul,  Gautier,  Hugues  î*'  et  Hugues  II. 
Aymeric  de  Bailleul,  donna  un  muid  de  blé  de  rente  à  l'abbaye  de  Froid- 
mont,  en  1186. 

Raoul  de  Bailleul,  cbevaUer,  eut  d'Isabelle,  entre  autres  enfants. 
Aimée,  Henri,  Hersende,  Beatrix,  Marguerite,  Alix,  qui  épousa  Grégoire 
de  Gampremy ,  Agnès  et  Isabelle. 

Une  fiUe  de  cette  maison  de  BaiUeul,  Marguerite  de  BaiUeul,  apporta 
une  partie  de  la  seigneurie  de  ce  lieu  dans  la  famUle  de  Mercastel ,  en 
épousant,  en  1305,  Robin  de  Mercastel  {d argent,  à  s  croissants  de 
gueules),  chevalier,  seigneur  dudit  lieu,  qui  périt  à  la  bataille  de 
Bngenais. 

Robert,  baron  de  Mercastel,  leur  Ûls,  qui  fut  blessé  k  la  bataille 
d'Azincourt  (U15) ,  épousa ,  en  1404 ,  N.  de  Milly ,  dont  vint  : 

Jean  l*' ,  baron  de  Mercastel ,  seigneur  de  Yillers-Vermont ,  Bailleul  en 
partie,  qui  épousa,  en  1449,  Marie  de  Belleval,  dame  de  Bonviilers,  dont: 

Jean  II,  baron  de  Mercastel,  capitaine  d'hommes  d'armes  des  ordon- 
nances du  roi.  Il  épousa,  en  1474,  Jeanne  d'Abancourt.  dont  il  eut 
Etienne ,  Adrien  et  André ,  chevaUers  de  Malte ,  Blanche  et  Isabeau  qui 
épousa  GuiUaume  de  Morienne,  et  vendit,  en  1484,  le  flef ,  qui  lui  était 
échu  à  Bailleul ,  k  Jean  Aubert ,  seigneur  de  Gondé. 

Blanche  de  Mercastel ,  dame  de  Bailleul ,  épousa ,  vers  1497,  Jean  du 
Mesnil  {d'azur  à  trois  cygnes  d'argent ,  couronnés  et  colletés  d'or  posés 
S  et  4) ,  seigneur  du  Mesnil ,  en  Normandie ,  donna ,  en  1534 ,  à  l'abbaye 
de  Froidmont  deux  fiefs ,  sis  à  Bailleul  et  Froidmont ,  et  lui  vendit ,  en 
1537,  le  fief  de  la  Sablonoière  tenu  en  plein  ûef  de  celui  de  la  Motelette. 
De  leur  mariage  naquirent  Jacques  et  Charles  du  Mesnil ,  écuyers ,  sei- 
gneurs en  partie  de  BaiUeul  et  Montreuil-sur-Thérahi. 

Guillaume  du  Mesnil,  leur  héritier,  se  disait  seigneur  de  BaiUeul,  en  15H7. 


SUR  l'abbaye  ])E  froidmont.  \9 

deniers  parisis  sur  cinq  verges  de  vignes,  sises  près  de  l'église , 
et  Jean  de  Brie  en  passa  titre  nouvel  en  1550. 


et  eut  deux  fils  Charles  et  Claude  qui  fut  archer  des  ordonnances  du  roi. 

Charles  du  Hesnil ,  écuyer ,  seigneur  du  Hesnil,  Bailieul  et  la  Motelette , 
épousa  Isabeau  Courtin ,  dont  il  eut  un  fils  nommé  Jacques. 

Jacques  du  Mesnil ,  écuyer ,  seigneur  de  Bailieul  en  partie ,  épousa 
Jacqueline  de  La  Rue,  dont  il  eut  Philippe,  David  et  Charles. 

Philippe  du  Mesnil ,  écuyer ,  seigneur  de  Bailieul  et  de  Montrenil-sur- 
Thérain ,  épousa  Charlotte-Gabrielle  de  Yendeuil ,  dont  il  eut  :  l*  Jean  ; 
i*  Claude ,  chevalier ,  seigneur  de  Montreuil ,  capitaine  de  dragons ,  qui 
épousa  en  premières  noces  (1670)  Marthe  de  Boufflers ,  dont  II  n*eut  qu'une 
fllle ,  Marie-Anne  du  Mesnil ,  morte  jeune ,  et  en  secondes  noces  (1680) 
Anne-Marguerite  de  Templeux,  morte  sans  enfants }  3*  Claude,  qui  épousa 
en  premières  noces  Félix  de  Rieux ,  dont  elle  eut  Mai*ie  de  Rieux ,  mariée 
à  François  de  Pasté ,  seigneur  du  Taillis ,  et  en  secondes  noces  Thimoléon 
de  Lespinay ,  seigneur  de  Bracheux. 

Jean  du  Mesnil,  écuyer,  seignem*  de  Bailieul,  fut  père  de  René  du 
Mesnil ,  écuyer ,  seigneur  de  Bailieul  et  Montreuil ,  qui  épousa  Jeanne  Du 
Verger,  dont  il  eut: 

Charles-François  du  Mesnil,  chevalier,  seigneur  de  Bailieul.  Celui-ci 
épousa,  en  169*2,  Madeleine  de  Catheux ,  dont  il  eut  : 

François-René-Michel  du  Mesnil ,  seigneur  de  Bailieul  «  Montreuil ,  Cai- 
gneux,  la  Motelette,  qui  épousa  en  premières  noces  (I72i)  Anne-Gabrielle 
Fombert ,  morte  sans  enfants ,  et  en  secondes  noces  (Vii)  Thérèse  de 
Gaudechart.  Après  lui  la  terre  de  Bailieul  vint  à  René-François  de  Gaude- 
chart ,  seigneur  de  Mattencourt ,  L'Epine ,  neveu  de  sa  seconde  femme. 

René-François  de  Gaudechart  (d'argent ,  h  9  merUttes  de  gueules  en 
orle;  4,  2,  %  et  4) ,  épousa ,  vers  1786  ,  Anne-Louise-Marie  de  Trie  de 
Pillavohie ,  dont  il  eut  :  l*  René-Ferdinand  ;  ^»  René-Auguste  ;  s*  Jules 
4*  Anne-Aspasie. 

Le  flef  de  Sains ,  sis  à  Froidmont ,.  fut  apporté  en  dot  à  Girard  de  Sains  , 
par  une  fllle  de  Raoul  de  Bailieul ,  vers  123C  ,  et  resta  dans  cette  famille 
jusqu'à  ce  que  saisi  sur  Enguerran  de  Sains ,  il  fut  vendu ,  le  23  juin  1429, 
à  l'abbaye  de  Froidmont. 

Le  fief  de  Heilly ,  mouvant  de  la  châtellenie  de  Bulles ,  qui  fut  à  la 
maison  de  Heilly ,  vint  en  la  possession  d'un  bâtard  de  cette  maison ,  de 
Pierre  de  Bailieul»  qui  se  qualillait,  en  1460 ,  seigneur  de  Saint-Léger,  en 
Normandie ,  du  Mont-Saint-Adrien  et  de  Bailieul.  Ce  chevalier  épousa 
Marie  d'Uyancourt,  veuve  de  Jean  de  Conti ,  et  en  eut  Jean  et  Marie, 
dame  du  Mont-Sahit-Adrien ,  qui  épousa  Pierre  de  Pimont. 

Jean  de  Bailieul,  écuyer,  seigneur  de  Bailieul  en  partie,  Saint-Léger, 


20  NOTICB 


Anyirillers.  — Neuf  mines  de  blé  de  rente  sur  la  terre  et 
seigneurie  de  ce  lieu,  et  le  lief  de  la  Sengle  qui  en  fait  partie.  Six 
mines  avaient  été  données,  en  1231 ,  par  Jean  deCampdavoine, 


Becquerel,  etc.,  vendit,  en  1526,  le  moulin  de  BaiUeoi  à  i abbaye  de 
Froidmont.  Après  lui ,  son  flef  vint  à  Adrien  de  Pisseleu ,  chevalier,  sei- 
gneur de  Fontaine-Lavaganne  et  Heilly ,  qui  en  fit  les  foi  et  hommage  en 
1540.  Adrien  de  Pisseleu,  mourut  en  1558,  laissant  de  Charlotte  d'Ailly, 
sa  femme  :  l°  Jean  ;  î*  Jeanne ,  mariée  à  Louis  de  Coësmes  ;  S*  Jossine, 
qui  épousa  en  premières  noces  (1543)  Robert  de  Lénoncourt,  et  en 
secondes  noces  Nicolas  Des  Lions ,  seigneur  d'Epaux. 

Jean  de  Pisseleu ,  chevalier ,  seigneur  d'Heilly ,  Fontabie-Lavaganne , 
Pisseleu ,  Oudeuil ,  Bailleul  en  partie ,  épousa  en  premières  noces  Fran- 
çoise de  Scepeaux  qui  mourut  sans  enfants ,  et  en  secondes  noces  Fran- 
çoise de  Pellevé,  dont  il  eut  :  l*  Léonor,  seigneur  de  Fontaine-Lavaganne  ; 
2»  Charlotte  qui  épousa  Jean  Maillard  ,  seigneur  de  La  Bolsslère  ;  3*  Fran- 
çoise ,  mariée  à  Samson  de  Gourlay. 

Jean  de  Pisseleu  vendit  son  fief  de  Heilly.  sis  à  BaiUeul,  le  8  août  1580, 
à  Guillaume  de  Damplerre,  marchand  drapier  à  Beauvaia,  et  à  Yves  de 
Dampierre ,  son  frère ,  orfèvre  au  même  Heu. 

En  1609 ,  le  dénombrement  de  ce  fief  fut  donné ,  pour  une  moitié ,  par 
Suzanne  Binet ,  veuve  d'Yves  de  Damplerre ,  seigneur  d'Heilly ,  comme 
tutrice  de  Claude ,  Pierre ,  Françoise ,  Marie ,  Marguerite  et  Suzanne  de 
Dampierre ,  ses  enfants ,  et ,  pour  l'autre  moitié  ,  par  les  enfants  de  Guil- 
laume de  Damplerre ,  seigneur  d'Heilly ,  mort  le  13  août  1587 ,  et  de 
CoUechon  Mallet ,  sa  femme ,  c'est-à-dire  par  Marie  de  Dampierre ,  femme 
de  Jean  Paumart ,  au  nom  de  Jean ,  Pierre ,  Nicolas ,  Guillaume  et  Anne 
Paumart ,  ses  enfants  ;  par  Pierre  de  Damplerre ,  qui  fut  mahre  de  Beauvais 
de  16:26-1628  ;  Anne  de  Dampierre  ,  femme  de  Mathieu  Brocard  ;  et  Agnès 
de  Dampierre ,  femme  de  Nicolas  Carclreux. 

Les  Damplerre  vendirent  ce  fief ,  vers  1640 ,  à  Jacques  du  Mesnll ,  sei- 
gneur de  Bailleul ,  qui  en  donna  la  moitié ,  en  1660,  à  Philippe  du  Mesnll, 
son  fils  aîné ,  et  l'autre  moitié  à  Hélène  d'Hédouvllle ,  jadis  femme  et 
veuve  de  David  du  Mesnll ,  son  second  fils ,  et  alors  mariée  en  secondes 
noces  à  Pierre  Caron. 

Philippe  du  Mesnil  céda  sa  part  à  Louis  de  Vendeull,  son  beau-frère , 
en  môme  temps  que  le  fief  de  la  Motelettn ,  et  ce  dernier  l'échangea  contre 
une  partie  de  la  seigneurie  de  Cormeilles  avec  l'abbaye,  le  31  oâars  1656. 

Jean  Caron ,  fils  de  Pierre  et  d'Hélène  d'Hédouvllle ,  possédait  l'autre 
moitié  en  16K0 ,  et  la  laissa  à  Rolln-Pierre  Caron ,  son  fils ,  qui  la  céda 
par  échange,  en  17-iO,  à  Madeleine  de  Catheux ,  veuve  de  Charles-François 


SUR  l'abbate  de  froidnont.  21 

chevalier,  pour  avoir  sa  sépulture  dans  ra))1)aye,  et  les  trois 
autres  mines  par  ses  successeurs  (l.\ 


da  Mesnil ,  seigneur  de  Baiileal.  Cette  portion  du  llef  de  Helliy  resta  dans 
cette  maison ,  et  suivit  le  sort  de  la  seigneurie  de  Bailleul. 

Le  nef  de  la  Motelette,  que  tenait  Jean  d'Agombert  en  1536,  Arthus 
d'Agombert  en  I5i0,  Louis  d'Agombert  en  1559,  vint  à  Charles  du 
Mesnil  t  seigneur  de  Bailleul ,  sur  la  lin  du  xvp  siècle ,  qui  le  donna  à 
Jacques  du  Mesnil ,  son  tUs.  Philippe  et  David  du  Mesnil ,  enfants  de 
Jacques ,  le  vendirent  à  Nicolas  et  Antoine  Gallopin ,  bourgeois  de  Beau- 
vais ,  qui  le  cédèrent ,  en  169:^ ,  à  Charles-François  du  Mesnil ,  seigneur  de 
Bailleul.  Il  resta  depuis  dans  cette  famille. 

La  maison  de  Mello  possédait  flef  à  Bailleul ,  au  xir  siècle  ;  Guillaume 
de  Mello  ,  confirmait ,  en  1190 ,  les  donations  et  les  fï'ancbises  accordées 
par  ses  prédécesseurs  à  l'abbaye  de  Froidmont ,  dans  l'étendue  de  son 
flef,  et  Benaud  de  Mello  y  Ut  élever  une  forteresse,  en  1303,  dont  Tévéque 
de  Beauvais,  Philippe  de  Dreux ,  s'empara  en  1313. 

Le  manoir  seigneurial  de  l'abbaye  de  Froidmont  était  au  Gravier  ;  c'est 
là  que  résidaient  jadis  les  seigneurs  de  Bailleul. 

(1)  Les  divers  procès  et  transactions  auxquels  cette  rente  donna  lieu, 
nous  font  connaître  les  possessions  de  cette  seigneurie. 

Bernard  et  Odon  d'Angivlllers ,  étaient  qualifiés  chevaliers  en  1150. 
Bemier  d'Angivillers  donna  la  dîme  de  Breuil  à  l'abbaye  de  Saint-Germer 
en  1194.  Odon  et  Rorigon  d'Angivillers  étaient  seigneurs  d'Angivillers 
en  1301.  Florent  d'Angivillers  vivait  en  1319.  Jean,  dit  Campdavoine,  tenait 
flef  à  Angivillers ,  en  1300 ,  et  il  le  donna  à  Jean  et  Raoul  ses  enfants. 

En  1353 ,  Aubry  d'Angivillers,  dit  Paris ,  tenait  la  maison  du  flef  de  la 
Sengle  sur  laquelle  était  constituée  une  partie  de  la  rente  de  neuf  mines 
de  blé  donnée  à  l'abbaye  de  Froidmont ,  et  en  passa  titre  nouvel. 

Jean,  dit  Campdavoine,  écuyer,  passe  titre  nouvel  pour  une  autre  partie 
en  1S56. 

En  1463 ,  Audry  Sausson  vend  son  flef  d'Angivillers  à  Jean  Le  Toillier, 
dit  Guillebon  (d'azur ,  à  une  bande  d'or ,  acœmjyagnée  de  S  besants  de 
même,  i  en  chef  et  4  en  pointe)^  qui  en  obtint  saisine  de  Gilles  d'Amerval, 
seigneur  dudit  lieu ,  et  le  laissa  à  Jean  Le  Toillier ,  son  flls  atné. 

Philippe  Le  Toillier,  dit  Guillebon,  docteur  en  théologie  et  ecclésias- 
tique ,  son  autre  flls,  acquit ,  en  149A ,  la  seigneurie  d'Angivillers  de  Gilles 
d'Amerval ,  et  ki  laissa  en  mourant  (U97)  à  Jean ,  son  frère  aîné. 

Jean  11  Le  Toillier,  dit  Guillebon,  écuyer,  seigneur  d'Angivillers ,  épousa 
en  premières  noces  Marie  Guien<irt,  dont  il  eut  Philippe,  Antoine  ;  Isabeau, 
mariée  à  Jean  Gayant  ;  Antoinette ,  qui  épousa  Jean  Pajot ,  seigneur  de 


22  NOTICE 

Angy.  —  Trente  sols  parisis  de  surcens  donnés,  en  i47r),  par 
Pierre  Lemattre,  à  prendre  sur  une  maison  sise  à  Angy,  en  la 
rue  Margot-rAnglaise. 

Avrechij.  —  Deux  muids  de  blé  et  un  muid  d'avoine  de  renie 
à  prendre  sur  les  grosses  dîmes  d'Âvrechy,  par  donation  du 
chevalier  Odon  d'Argenlieu,  en  1202. 

Balagnij.  —  Deux  muids  de  vin  de  rente  à  prendre  sur  le 
vignoble  du  seigneur  de  Balagny,  par  donation  de  Haoul  de 
Balagny ,  chevalier,  seigneur  dudil  lieu ,  en  iiOi. 

Beaupuits  (Grandrillers-aux-Bois).  —  Quarante  sols  de  rente 
sur  l'Avouerie  de  Beaupuits,  donnés,  en  1210,  par  Manassès  de 
Mello ,  frère  de  Guillaume ,  seigneur  de  Mello. 

Heauvaù.  —  Unemaison, appelée Thôtel  de Froidmont,  sise 
en  la  rue  Saint- Jean ,  joignant  d'un  bout  à  cette  rue ,  d'autre  bout 
au  cimetière  de  Saint-Etienne,  et  par  le  côté  du  midi  à  la  rue 


l'Equipée ,  le  Plouy-Louvel  ;  Jeanne ,  femme  de  Pierre  Hierosme  ;  autre 
Jeanne .  femme  d'Adam  d'Encre  ;  et  Catherine ,  qai  épousa  Simon  Le  Plat, 
bourgeois  de  Compiègne.  Jean  Le  ToiUier  mourut  en  1520 ,  sans  laisser 
d'enfants  de  Marguerite  de  Piennes,  sa  seconde  femme. 

Philippe  Le  ToilUep ,  dit  Gulllebon ,  écuyer ,  seigneur  d'Angivillers , 
Ravenel  et  la  Rue-Saint-Pierre  en  partie ,  épousa  Gabrielle  de  Ghasserate, 
dont  il  eut  François ,  Jean.  Nicolas ,  Hargaerite  et  Marie. 

François  Le  Tollller,  dit  de  Guillebon ,  écuyer,  seigneur  d'Angivillers , 
épousa  en  1541,  Gabrielle  de  Gomer,  dont  il  eut  Sébastien,  Charles, 
Hector,  Jeanne,  Suzanne,  Marie.  Adrlenne  et  Charlotte. 

Sébastien  Le  ToUlier,  dit  de  Gulllebon,  écuyer,  seigneur  d'Angivillers, 
épousa  Jeanne  de  Garges ,  dame  de  Tiverny ,  dont  il  eut  Nicolas ,  mort 
jeune,  et  Jeanne. 

Jeanne  Le  ToiUier,  dite  de  Gulllebon ,  dame  d'Angivillers  et  Tiverny, 
épousa  en  premières  noces  (1603)  Antoine  de  Corble,  dont  vinrent  Antoine, 
mort  sans  alliance ,  Charles ,  François  et  Marie  de  Corble ,  et  en  secondes 
noces  aeii^  Antoine  de  Monchy,  chevalier,  seigneur  de  Saint-Martin, 
dont  elle  eut  Robert  de  Monchy ,  seigneur  en  partie  d'Angivillers. 

Charles  de  Corbie ,  seigneur  d'Angivillers ,  épousa  Marie  de  Baudreuil , 
dont  il  eut  Denise  et  Marie. 

Denise  de  Côrbie ,  dame  d'Angi\1liers,  apporta  cette  terre  dans  la  maison 
de  Bruck ,  en  épousant  René  de  Brock ,  marquis  de  Montplaisir ,  en  1655. 
Leur  flite ,  Henriette-Jeanne-Rosalie  de  Bruck ,  la  porta  en  dot  à^Louls  de 


SUR   L*ABBAYE  DE  PROIDMONT.  23 

qui  est  en  face  le  grand  portail  de  cette  église.  Klle  avait  été 
donnée ,  au  \ii«  siècle ,  par  Girard  Mahommes.  Aliénée  en  i507, 
elle  fut  rachetée  par  Tabbaye ,  qui  la  donna  dans  la  suite  à  bail 
à  cens  perpétuel.  Cet  hôtel ,  d'abord  habitation  peu  considérable, 
avait  été  agrandi  par  l'adjonction  d'une  maison  voisine  donnée 
par  Geneviève  de  Gerberoy ,  vers  4210 ,  et  d'une  masure  et  de 
divers  bâtiments ,  qui  furent  convertis  en  cour  et  écuries,  acquis, 
en  1i?38,  des  frères  Jean ,  Guy  et  Joscelin  Le  Roux  ,  bourgeois  de 
Beauvais ,  et  de  Jean,  Renaud  et  Eméline  de  Bourgulllemont, 
enfants  du  chevalier  Philippe  Baudoin  de  Bourguillemonl. 

L'ne  maison,  en  la  rue  Saint-André,  avec  deux  chambres  y 
attenant,  donnée,  en  122â  ,  par  Vivien  Le  Tanneur,  à  la  condi* 
tion  que  Targentqui  proviendrait  de  sa  location  serait  employé 
k  augmenter  l'ordinaire  des  religieux  le  samedi-saint. 

quatre  ciiambres  au  faubourg  Saint-Jean,  données,  en  lâ3:{, 
par  Nicolas  de  Chambly,  chanoine  de  Beauvais. 


Cœuret ,  marquis  de  Nesle.  De  ce  mariage  naquit  une  fille ,  OdUe-Thérèse 
Cœuret  de  Nesle,  qui  épousa  César-Charles  de  Flahaut,  seigneur  de  la 
Billarderie. 

Jérôme-François  de  Flabaut,  comte  de  la  Billarderie,  leur  flls  et  sei- 
gneur d'Angivillers,  était  grand-bailU  et  goavemear  de  Ctermonten  1751. 

Auguste-Ctiarles-César  de  Fiabaut,  marquis  de  la  Billarderie,  son  flls, 
se  qualiQait,  en  1782 ,  maréchal  des  camps  et  armées  du  roi ,  gouverneur 
de  Saint-Quentin ,  grand-bailli  et  gouverneur  de  Glermont ,  seigneur  d'An- 
givillers,  Saint-Remi-en-l'Eau ,  le  Quesnel,  la  Gioriette,  Id  Malleborgne, 
HoUbéqaet,  etc. 

Le  flef  do  la  Mairie  et  la  moitié  de  celui  de  Blancfossé .  sis  à  Angivillers, 
furent  donnés  par  Jean  II  Le  Toillier ,  à  Antoine  Le  Toilller ,  son  second  flls. 

Antoine  I''  Le  Toillier ,  dit  Gulllebon ,  seigneur  de  Blancfossé  et  de  la 
Mairie  d' Angivillers ,  épousa  Jeanne  Tristan  de  la  Rue-Prévost,  dont  il 
eût  :  1*  Antoine  ;  2*  Marie,  qui  épousa  Jean  Le  Page ,  seigneur  de  Douy  ; 
3*  Marguerite ,  mariée  à  Eloi  Secoulx .  avocat  ;  4*  Jeanne ,  femme  de 
Claude  Wyon. 

Antoine  II  Le  Toilller,  dit  Guillebon ,  écuyer,  seigneur  d'Angivillers , 
Blancfossé  et  Beauvoir,  mort  k  la  bataille  de  Dreux,  avait  épousé  Marie 
Auxcousteaux  de  Vendeuil,  dont  il  eut  Claude,  seigneur  de  Beauvoir, 
Aaron,  Marie  qui  épousa  Pierre  Le  Clercq,  seigneur  des  Toumelles  ; 
Antoinette ,  femme  de  Claude  Boileau  et  Philippe ,  morte  jeune. 

Lors  (lu  partage  des  biens  de  son  père,  qui  eut  lieu  en  1585,  Aaron  Le 


24  NOTICE 

Une  maison  et  une  pièce  de  pré ,  en  la  paroisse  Saint-Gilles  , 
au  Chaudfour  (apiêd  Caftdnm  furnum)^  auprès  du  Thérain  et  du 
fossé  de  la  ville,  acquises,  en  1:243,  de  Nicolas  de  Luzarches. 

Une  maison ,  sise  en  la  rue  de  Lannoy  (in  vico  de  Alneto), 
donnée,  vers  12o6,  par  Jean  de  Longvillers  et  Agnès  d'Auvillers. 

Treize  livres  douze  sols  deux  deniers  parisis  de  rente  sur  les 
étaux  à  poisson  du  marché,  et  sur  diverses  habitations. 

Une  pièce  de  vigne  à  Voisinlieu. 

Becquerel  {Fitz- James),  —  Le  moulin,  par  donation  de  Re- 
naud de  Bérone,  partant  pour  la  croisade,  en  120i. 

Bernes  {Seine  et-Oise).  —  La  ferme  de  la  Maison-Blanche,  sise 
à  Bernes,  et  cinquante-neuf  arpents  et  demi  de  terres  et  prés 
en  dépendant ,  assis  aux  territoires  de  Bernes  ,  Bruyères  et  le 
Mesnil*Saint-Denis.  La  maison  et  les  terres  provenaient  de  la 
donation  d'Adam  de  Bernes,  prêtre,  en  1209 ,  de  celles  de  Simon 
de  Gouvieux  ce  arpents)  en  1220.  de  Pierre  de  Blaincourl  et  Gillette 


ToiiUer,  dit  Guillebon,  écuyer,  eut  les  ûefs  de  la  Mairie  et  de  Biancfossé. 
Il  avait  épousé,  en  1582,  Marie  Dupais,  dont  il  eut  Claude,  Louise,  Antoine. 
Cattierine  et  Barbe. 

Claude  Le  Toillier,  dit  Guillebon ,  seigneur  de  la  Mairie,  Biancfossé  et 
du  lier  de  Bethencourt .  sis  au  même  lieu ,  épousa  en  premières  noces 
(1610)  Françoise  de  Cbesnu,  dont  il  n'eût  pas  d'enfants ,  et  en  secondes 
noces  (1624)  Louise  de  Morel,  dont  il  n'eut  qu'une  fille ,  nommée  Louise. 

Louise  Le  Toillier,  dite  de  Guillebon,  dame  de  la  Mairie,  de  Biancfossé, 
Belhencourt,  Blzancourt  (Berneuil),  épousa  en  premières  noces  (1650^ 
Antoine  de  Monchy,  seigneur  de  Noroy,  Haraville,  dont  Antoine,  et  en 
secondes  noces  (166^^  Laurent  de  la  Cbaussée-d'Eu 

Antoine  II  de  Moncby,  seigneur  de  Noroy,  la  Mairie,  Biancfossé  ,  épousa 
Renée-Louise  du  Boullet  de  la  Broue ,  dont  il  eut  Gabriel-Louis-Aynard , 
Jean-Thomas ,  Loul.se-Antoinelte  et  Anloine-René  de  Monchy,  qui  ven- 
dirent ,  en  i73d  .  leurs  flefs  de  la  Mairie  ,  de  Biancfossé  et  d'Auvergne  .  à 
No^l-Françols  Blerye  ,  officier  de  la  maison  du  roi. 

L'autre  moiUé  du  fief  de  Biancfossé,  qui  relevait  dans  son  entier  de  la 
seigneurie  de  Léglantier .  était  possédée ,  en  loW ,  ainsi  que  le  fief  d'Au- 
vergne ,  sis  au  même  lieu ,  par  Jean  d'Auvergne ,  marchand  bourgeois  de 
Beauvais  ,  qui  la  laissa,  en  l')28,  à  Jean .  François,  Philippe  et  Catherine 
d'Auvergne .  s^s  enfants.  Ceux-ci  se  la  partagèrent  et  la  transmirent  î\ 
leurs  descendants. 


Sl'R    l'abbaye   de  PROIDMONT.  25 

(le  Berne,  sa  femme  (1428) ,  de  Pierre  de  Triaignel,  seigneur  de 
Bruyères  :i237),  de  Robert  de  Triaignel,  chevalier  (1231  ,  de 
Kenold  de  Bernes  (1249;  et  autres;  de  diverses  acquisitions  et 
d'échanges.  Ainsi  Philippe  de  Bruyères,  chevalier,  et  Renaud, 
son  frère,  avaient  vendu  plusieurs  pièces  de  terre  à  l'abbaje  en 
1237, 1238, 1239;  Pierre  de  la  Masure,  de  Bernes  (1238) ,  Jean  de 
Boran  (1239),  Noël  Puians,  de  Bernes  (1242),  Adamde  la  Masure 
(12tô),  Jean  Berger  (12.%),  Bouchard  de  Bernes  (12r)7),  Thiard 
de  Chambly  (12o7),  Joubert  Berger  (125S) ,  Renaud  de  Luzarches 
(1258),  en  firent  autant. 

Rérone  [Fitz- James).  -  Neuf  mines  de  blé,  autant  d*avoine, 
et  20  sols  parisis  de  rente  sur  la  seigneurie  de  Bérone ,  donnés, 
en  1295,  par  Renaud  de  Bérone,  chevalier,  seigneur  dudit  lieu. 
Titre  nouvel  en  fut  passé,  en  1332,  par  Guillaume  de  Bérone, 
chevalier,  seigneur  dudit  lieu  et  de  Yalescourt ,  et  en  1338  par 
Jean  de  Bérone ,  son  fils. 

Berthecourt.  —  Vingt-deux  mines  de  blé  de  rente  sur  le 
moulin  et  sur  divers  autres  immeubles,  provenant  tant  de  la 
donation  d'Isabelle  du  Fayel  (1230)  que  de  plusieurs  accense- 
ments. 

Quelques  pièces  de  pré. 

Bresles,  —  Une  maison  et  quarante-quatre  mines  de  terre , 
prés  et  bois ,  provenant  tant  des  donations  de  Richelde  de  Hermès 
(1136)  que  de  celles  de  Jean  r.eCaron  (4162),  de  Nicolas  Gueullard 
(1538). 

Rreuil-Sec.  —  Deux  pièces  de  pré  données,  en  1248,  par 
Hugues  de  Creil. 

Rreta'l-Vert,  —  Dix  mines  de  terre  de  même  provenance. 

Rrunvillers,  —  La  ferme  d'ivry ,  maison  et  dépendances,  se 
composant  de  150  journaux  de  terre  qui  furent  vendus,  en  1791 , 
8.^>,100  livres  à  Jean-Baptiste  Denizart.  Cette  ferme  doit  son  origine 
au  défrichement  des  bois  d'Ivry  et  de  Légnivilers ,  que  Raoul , 
Mathieu ,  Âscelin  et  Hescie  de  la  Gengle ,  seigneurs  de  Gannes , 
les  chevaliers  Simon  et  Osmond  de  Gannes,  Pierre  et  Raoul 
d'AnseauviHers ,  et  AsceHn  de  Plainval,  donnèrent,  en  1179, 
1182 ,  1187 ,  1190  ,  1193 ,  aux  religieux  de  Froidmont.  Ceux-ci  se 
mirent  aussitôt  à  les  défricher  et  y  fondèrent  une  grange  qui  fût 
dans  la  suite  donnée  à  ferme. 


26  NOTICE 

Les  (limes  de  Brunvillers .  par  donation  de  Valon  de  Brun- 
vHlers  en  11,%. 

Bulles,  —  Vingt  sols  de  rente  donnés ,  en  1201 ,  par  Gertrude, 
veuve  de  Ilenaud  de  Mello,  sur  ses  cens  de  Bulles,  pour  Tentre- 
tien  d'une  iampe  ardente  durant  la  nuit  devant  le  tombeau  de 
son  mari ,  inbumé  dans  Téglise  de  Tabbaye.  Cette  rente  n'était 
plus  servie  en  15:21. 

Quarante  sols  parisis  de  rente  sur  Tessart  de  Houssoy,  donnés, 
en  1202,  par  Robert  de  Conti ,  châtelain  de  Bulles ,  pour  rentre- 
tien  du  luminaire  de  l'église. 

Trois  muids  de  blé  de  rente  sur  le  moulin  de  Bulles,  donnés, 
deux  muids,  en  1222 ,  par  Guillaume  de  Mello,  et  un  muid ,  en 
1266,  par  Beatrix  de  Saint-Rimault. 

Cambronne-les-Clermont,  —  Le  droit  de  reâlme  sur  les 
grosses  dîmes  de  Cambronne,  à  raison  d'une  mine  par  muid  ou 
d'une  mine  sur  douze  du  pix)duit  des  dîmes. 

Canettecourt  (Breuil-Vtri),  —  Une  maison  et  deux  mines  de 
terre. 

Cardonnoia  [Le),  —  Deux  muids  de  blé  de  rente  sur  la  sei- 
gneurie du  Cardonnois,  donnés,  en  1181),  par  Jean,  dit  Rage, 
seigneur  du  lieu. 

Carrière  {Saint-Félix,)  —  Un  muid  de  vin  de  rente  sur  le 
tief  de  Carrière,  donné,  en  1221 ,  par  Guillaume  de  Mello. 

Carville  (flermes),  —  Les  fiefs  Philippe  et  Richepeyne,  et 
quatre  mines  de  terre,  provenant  d'acquisitions  faites  en  1516 
et  1520,  de  Jean  Roussel ,  Jean  Regnault  et  Tassin  Falluel. 

Cernoy,  —  Deux  muids  de  blé  de  rente  sur  la  terre  et  sei- 
gneurie de  Cernoy .  donnés,  en  1222,  par  Albert  et  Bernard  de 
Cernoy  (1). 


(1)  La  seigneurie  de  Cernoy  (canton  de  Saint-iust-en-Cbaussée)  était 
possédée ,  en  1200 ,  par  Godefroi  de  Cernoy ,  chevalier  ;  en  13^2 ,  par 
Albert  et  Bernard  de  Cernoy ,  ses  (lis.  Hs  avalent  pour  swars  Ada  de 
Cernoy,  mariée  à  Jean  d'Estrées,  et  Agnès,  mariée  à  Jean  de  Monliers. 
Jean  de  Cernoy,  écayer ,  vivait  en  1325 ,  et  Simon  de  Cernoy .  chevalier , 
seigneur  dudit  lieu ,  en  1395.  Thomas  de  Cernoy  passa  titre  nouvel  à 
l'abbaye  de  Froidmont  <le  la  rente  de  deux  muids  de  bl<^  sur  sa  seigneurie 


SUR   l'abbaye   de  fROIDMONT.  2? 

Clennont,  —  Une  maison  dile  de  la  Sirène  et  portant  plus 
tard  renseigne  du  Grand-Cerf,  en  la  rue  Saint-André,  à  côté  de 
la  maison  des  Trinitaires,  donnée,  en  1201,  par  Catherine, 
comtesse  de  Clermont. 

Une  autre  maison  à  côté  de  la  précédente,  acquise ,  en  1192, 
de  THÔtel-Dieu  de  Clermont. 

Une  maison  donnée ,  en  1210,  par  Raoul  de  Henu. 

Une  maison  donnée,  en  1214,  par  Renaud  et  Régnier  Vil- 
lain. 

Une  autre  maison  située  près  du  pont  dormant  du  château, 
donnée,  en  1236,  par  Anselme  Morpan ,  prévôt  de  Clermont. 

Dix  arpents  et  demi  de  vignes  et  vingt-une  mines  de  terre 
labourable,  provenant  de  diverses  donations  et  acquisitions,  et 
notamment  des  donations  de  Girard,  clerc  de  Clermont  (1189), 
Eméline  Morvilain  (120-i),  Raoul  de  Henu  (1210),  Renaud  et 
Régnier  Villain  (1211),  Gorrède,  chapelain  de  Saint-André  (12IG), 
Jean  Buler  (1216),  Quentin  Alutarius  (1221),  Jean  Le  Changier 
(1246),  Clément  de  Clermont  (1268),  Pierre  de  Saint-Just  (1251), 
Jean  de  Fay  (1251),  Jean  des  Maisons  (1209),  Laurent  de  Saint- 
Lazare  (1274),  Pierre  Floris  (1275),  Jean  Leroy  f1289). 

Un  canonicat  dans  la  collégiale  de  Saint-André  de  Clermont , 
donné,  versi:r)0,  par  Louis,  duc  de  Bourbonnais,  comle  de 
Clermont. 


de  Cemoy,  en  IdOO-,  et  Mathieu  de  Cernoy,  seigneur  de  Cernoy  et  Erquin- 
vllters ,  et  Gérard  d'Àthies ,  coseigneur  de  Cemoy  et  sire  de  Hoyencourt, 
en  1457.  Foalqnes  de  Paille  et  Gaillaume  Petit,  coseigneurs  de  Cemoy,  en 
firent  autant  en  1467.  Cette  seigneurie  vint  peu  à  près  à  Henri  Lefèvre , 
qui  la  vendit ,  vers  1477,  à  Anlolne  Dysome ,  secrétaire  du  roi.  EUe  Ait 
possédée  plus  tard  par  la  famille  Doria,  et  Pierre  Doria,  seigneur  de  Cemoy, 
la  légua ,  en  1631,  à  son  neveu  François  Des  Friches ,  flts  cadet  d^Arthus 
Des  Friches ,  chevalier,  seigneur  de  Brassease ,  et  de  Catherine  Doria , 
à  la  condition ,  pour  lui  et  ses  descendants ,  de  porter  son  nom  et  ses 
armes. 

François  Des  Frîches-Doria,  chevalier,  seigneur  de  Cemoy,  Noei- 
Saint-Nartin,  Cayeax-en-Santerre,  épousa,  en  1646,  Anne  deNoreuil, 
dont  il  eut  François  II  Des  Friches-Doria ,  écuyer,  seigneur  do  Cayeux  et 
Cemoy.  En  1780,  cette  terre  était  possédée  par  Ifarie-Margaerite-Franeois- 
Flrmln  Des  Friches ,  comte  Doria. 


28  NOTICE 

Comlé,  —  Cinq  mines  (1)  de  blé  de  rente  sur  la  seigneurie 
de  Condé ,  données^  vers  1230,  par  Renaud  de  Condé  (i\ 

Contoire  (Somme),  —  Trois  muids  de  blé  de  rente  sur  la  terre 
et  seigneurie  de  Contoire  et  Héronval,  donnés,  au  xnp  siècle, 
par  Adam  du  Cardonnois. 

Conneille,  —  Le  Crocq,  —  Malanme.  —  La  ferme  de 
Cormeille  et  celle  de  Malassise ,  maisons  et  terres  de  la  conte- 
nance de  sept  cent  vingt-six  arpents ,  sis  aux  territoires  de 
Cormeille  et  du  Crocq,  et  cent  quatre-vingts  arpents  de  bois  au 
même  lieu.  Telle  était,  en  ifiSI,  retendue  des  possessions  de 
rabbaye  en  cet  endroit. 


(1)  Ces  cinq  mines,  mesure  de  Beauvais,  faisaient  trois  mines  trois, 
quartiers  à  la  mesure  de  Clermont ,  ce  qui  explique  les  différences  que  l'on 
remarque  dans  les  registres  de  comptes  des  cellerlers  qui  inscrivaient 
tantôt  à  une  mesure ,  tantôt  à  l'autre. 

(2)  La  seigneurie  de  Condé  était  possédée ,  en  liTO ,  par  Bède  de  Condé  ; 
en  l?20,  par  Pierre  de  Condé,  qui  donna  à  l'abbaye  de  Froldmont  Unit 
mines  de  blé  de  rente  sur  ses  terres  de  Coquesale  ;  Renaud  de  Condé ,  son 
frère ,  qui  donna  semblabiement  cinq  mines  de  blé  de  rente  sur  sa  terre 
de  Condé,  et  Hugues  de  Condé.  Henri  de  Condé ,  llls  de  Pierre  ,lratifla  ces 
donations  en  li44 ,  et  vendit  sa  terre  de  Condé  à  Jean  de  la  Fromenterie, 
bourgeois  de  Beauvais ,  qui  passa  litre  nouvel  de  la  rente  de  cinq  mines 
de  blé  en  1254  ;  mais  Jean .  Robert  et  Pierre  de  Condé ,  Ûls  d'Henri  et  de 
Jeanne  de  Galonnel ,  flrent  le  retrait  lignager  de  cette  terre  et  rentrèrent 
en  possession  de  sa  seigneurie.  Jean  de  Condé  est  qualifié  chevalier ,  sei- 
gneur de  Condé  ,  en  1^78,  et  Robert,  de  même  en  1315.  Renaud  de  Condé, 
éeuyer,  seigneur  dudit  lieu ,  vivait  en  1448  et  1459 ,  quand  Marguerite  de 
Côndé ,  sa  sœur ,  épouse  sans  enfants  de  Guy  Boulate ,  éeuyer,  partagea 
ses.biens  entre  lui  et  Gilles  de  Gaudecbart ,  éeuyer ,  seigneur  de  Bacbi- 
villers,  Villotran.  Il  donna  sa  terre  de  Condé,  vers  U75,  à  Nicole  de 
Condé ,  sa  fllle  unique ,  qui  la  vendit ,  en  1484 ,  avec  l'assenUment  de  Guy 
de  Micault,  son  mari,  à  Jean  III  Aubert,  éeuyer,  seigneur  de  Bury, 
Fresnoy,  Hincourt,  Grocourt,  Doudeauville ,  Boulavent  et  Molagnies, 
bailli  de  Beauvais ,  et  Guiliemette  de  Passeliers  ,  sa  femme. 

Jean  III  Auberl  mourut  le  8  mai  I50i,  laissant  deux  enfants  :  Jean  et 
Péronne ,  dame  de  Boutavent ,  qui  épousa  en  premières  noces  Jean  de 
la  Place ,  avocat  à  Senlis ,  et  en  secondes  noces  No^l  Le  Bel ,  éeuyer, 
seigneur  de  Fresnoy-en-Thelle. 

Jean  IV  Aubert,  éeuyer,  seigneur  de  Condé,  Hincourt,  Renicourt, 


SUR  l'abbaye  de  froidmont.  29 

En  1^00,  Catlierine,  comtesse  de  Clermont,  et  Louis  de  Cham- 
pagne, comte  de  Blois,  son  mari,  avaient  donné  ]a  forêt  de 
Cormeille ,  terre  et  seigneurie ,  qui  s'étendait  entre  Gormeille  et 
Le  Grocq.  Hugues  d'OUancourt ,  Jean  et  Albin  de  Cormeille , 
Hanassès  de  Bulles ,  Thibault ,  comte  de  Clermont ,  Âmicie  de 


Molagnies ,  etc. ,  servit  aa  siège  de  Thérouanne ,  fit  les  gaerres  da  Mila- 
nais ,  sous  François  I*' ,  et  moarut  le  21  février  1531 ,  après  avoir  eu  sept 
enfants  de  Jeanne  de  Caulatncoart ,  ^qa'il  avait  époasée  en  1501  :  Pierre  ; 
Guillaume,  écuyer»  seigneur  de  Choqueuse,  Gremévillers,  Polbay,  Goulan- 
court;  Jean  ;  Marie ,  morte  Jeune  ;  autre  Marie  y  morte  aussi  jeune  -,  Marie , 
dame  de  Molagnies ,  Saint-Mannevieux ,  mariée  en  premières  noces  (1538} 
à  Antoine  Mauquet,  écuyer ,  seigneur  d'Auteuil  et  du  Melz ,  et  en  secondes 
noces  (1546)  à  Jean  de  la  Roquette;  N.,  mort  jeune. 

Pierre  l"  Aubert ,  écuyer ,  seigneur  de  Gondé ,  Hincourt  et  de  Rocby , 
par  acquisiUon  en  1567,  fut  maire  de  Beauvais.  Il  épousa  en  premières 
noces  (1531)  Adrienne  Boileau ,  morte  sans  enfants  en  1535  ;  en  secondes 
noces  (1536)  Marguerite  de  Feuquières,  qui  mourut  le  2^  août  1557, 
après  avoir  eu  quinze  enfants  :  Claude ,  David ,  Marguerite ,  Marie ,  Fran- 
çois, Pierre ,  Jérôme ,  Eustache,  Marie,  N.,  Nicolas,  Marie,  Françoise, 
Marie  et  Antoinette  ;  et  en  troisièmes  noces  (1560)  Jeanne  Le  Page  ,  dont 
il  eut  Pierre  ;  autre  Pierre ,  seigneur  de  Rocby  ;  Anne ,  mariée  à  Toussaint 
Poy  ;  et  Jeanne  qui  épousa  Jean  de  BiUery ,  seigneur  de  Monvault. 

Claude  Aubert ,  écuyer ,  seigneur  de  Gondé ,  mourut  le  ^  août  1592 , 
après  avoir  eu  vingt  enfants  de  Geneviève  Le  Bel ,  qu'il  avait  épousée 
en  1565.  Douze  moururent  jeunes,  et  ceux  qui  survécurent  furent  Pierre , 
Philippe,  qui  fut  chanoine  de  Saint- Jean  de  la  Rochelle  ;  Claude,  religieux 
à  Froidmont;  Jean,  qui  épousa  (1616)  Agnès  de  Mazille,  dame  de  Rochy; 
Daniel  ;  Louise,  religieuse  de  Saint-François,  à  Beauvais  ;  Elisabeth,  mariée 
d*abord  (1596)  à  François  de  ITsIe ,  puis  (1611)  à  Antoine  des  Mulots  ; 
Geneviève,  mariée  (1608)  à  François  deYendeuil,  chevalier,  seigneur 
d'Aubigny,  du  Grocq  et  de  Ronquerolles. 

Pierre  II  Aubert,  écuyer,  seigneur  de  Gondé,  Rochy,  épousa,  le 
30  octobre  I60d ,  Claude  de  Mailly. 

Pierre  II  Aubert,  écuyer,  seigneur  de  Rochy,  fils  de  Pierre  I*' Aubert 
et  oncle  du  précédent,  épousa  en  premières  noces  (1590)  Antoinette 
LeulUer,  qui  ne  lui  donna  qu'un  fils  mort  en  naissant ,  et  en  secondes 
noces  (1^03)  Blanche  Auxcousteaux ,  dont  il  eut:  Pierre,  Charles,  Elisa- 
beth ,  mariée  à  Toussaint  LeulUer ,  Anne ,  Pierre ,  Antoine ,  Claude , 
François ,  Catherine,  et  deux  autres  enfanls  morts  en  naissant 

Pierre  III  Aubert ,  écuyer ,  seigneur  de  Rochy,  lieutenant^générai  de 


30  Notice 

Breleuil,  Godefroi  du  Chàlei,  augmenlèrent  considérablement  ce 
domaine  par  leurs  donations,  en  1206 ,  1208 ,  1218 ,  1221 ,  1227. 
Hugues  de  Dargies  vendit  à  Tabbaye,  en  1237,  le  bois  dit  de 
Tessart  Chrétien  {essartum  Christiani)^  sis  entre  le  bois  du 
Gantel  et  la  baie  anglaise,  vers  Blancfossé,  et,  en  1239,  le  bois 


Ger^eroy,  moarat  le  10  septembre  1663 ,  marié  (1621)  à  Marie  Ricard , 
dont  il  eat:  Pierre,  chanoine  de  Gerberoy,  de  Beauvai$,  pais  religieux 
bénédictin  et  enûn  trappiste  ;  Madeleine ,  Raoul ,  François ,  Raoul ,  Jean- 
yarie ,  tous  morts  en  bas  âge  ;  Louis ,  avocat ,  mort  en  1663  ;  Henri , 
chanoine,  mort  en  odeur  de  sainteté;  Marie,  qui  épousa  (1656)  Louis 
Fomberl  ;  Marie-Anne  ;  Elisabeth. 

Pierre  II  Aubert ,  seigneur  de  Condé  ,  étant  mort  en  1631 ,  sans  enfants 
de  Claude  de  Mailly  ;  Philippe  Aubert ,  son  frère ,  hérita  de  la  seigneurie 
de  Condé  et  la  donna ,  en  I6iî ,  à  Charles  de  Vendeuil ,  son  neveu ,  issu 
du  mariage  de  Geneviève  Aubert  avec  François  de  Vendeuil ,  seigneur  du 
Crocq. 

Charles  de  Vendeuil ,  écuyer,  seigneur  du  Crocq  et  de  Coi\dé ,  épousa 
Marie  de  Carvoisin  et  la  laissa  veuve  avec  deux  garçons ,  Thimoléon  et 
Alexandre,  qui  fut  seigneur  de  Torcy  et  lieutenant  de  cavalerie.  Elle  se  re- 
maria avec  François  du  Mesnil-Jourdain ,  écuyer.  seigneur  de  Bercagny; 
qui  fut  condamné ,  avec  sa  femme ,  à  passer  titre  nouvel  à  l'abbaye  de 
Froidmont  de  ia  rente  de  cinq  mines  de  t>lé  de  rente ,  en  166^. 

Thimoléon  de  Vendeuil,  seigneur  de  Gondé,  en  passa  titre  nouvel  en 
166.5  ;  il  venait  d'atteindre  sa  majorité.  Il  vendit  sa  terre  de  Condé ,  vers 
1680,  à  Louis  de  Béchameil,  seigneur  de  Nolntel. 

Louis  de  Béchameil ,  seigneur  de  Nolntel  et  Condé ,  mourut  en  1703 , 
laissant  quatre  enfants  de  Marguerite  Colbert,  sa  femme  :  Louis,  Adrien, 
Madeleine  et  Marie-Louise. 

Louis  II  de  Béchameil,  marquis  de  Nolntel,  seigneur  de  Condé,  conseiller 
d'Etat,  mourut  en  1758,  après  avoir  épousé ,  en  1679,  Madeleine-Hyacinthe 
Le  Ragois  de  Bretonvillers ,  dont  il  eut  :  l*  Louis-Claude  ;  s*  Hyacinthe- 
Louis  ,  seigneur  de  NoyeUes ,  mort  en  1748  -,  3«  Hyacinthe-Sophie,  mariée, 
en  1708,  à  Charles-Auguste  d'AUonvilte ;  4*  Anne-Julie,  mariée,  en  1718, 
à  Louis-Joseph ,  comte  de  Madaiilan  ;  5*  Rose-Elisabeth  ;  6*  Françoise- 
Martine  ;  7»  Thérèse-Emilie  ;  8»  Claire-Eugénie ,  toutes  quatre  reli- 
gieuses. 

Louis-Claude  de  Béchameil,  marquis  de  Nointel,  seigneur  de  Condé. 
NoyeUes,  intendant  de  Clermont,  puis  de  Soissons,  épousa,  en  1710, 
Angélique-Elisabeth  Rouillé ,  d«nt  :  Louis-Claude ,  capitaine  au  régiment , 
colonet-général-cavalerie ,  Catherme,  Marguerite  et  Louise-Elisabelb. 


SUR  l'abbaye  de  ^roidmont.  31 

de  laKoselière  (Rosière)  et  trenle-un  journaux  de  Cerre.  Albin  de 
Gormelile  lui  vendit  aussi ,  en  1^6 ,  1237, 1212 ,  plusieurs  pièces 
de  terre,  sises  au  puit  des  Loges  du  Val  beauvolsin ,  au  champ 
Saint-Martin  et  au  vallon  du  Ply ,  et  Godefroi  de  la  Gliapello 
vingt-six  journaux  au  même  territoire. 

Le  21  mars  1656,  Tabbaye  céda,  par  échange,  contre  diverses 
portions  de  la  seigneurie  de  Bailleul-sur-Thérain ,  la  majeure 
partie  de  sa  terre  et  seigneurie  de  Gormeiiles ,  à  Louis  de  Ven- 
deuil ,  seigneur  en  partie  de  Heiily  et  la  Motelette  (Bailleul-sur- 
Thérain),  et  en  4660,  elle  vendit  la  ferme  de  Malassise  au  prési- 
dent de  Barentin ,  seigneur  dliardivillers.  Ge  dernier  échangea 
aussitôt  (4  juillet  1660)  cette  ferme  avec  M.  de  Vendeuil,  à  la 
réserve  de  38  journaux  de  terre. 

Louis  de  Vendeuil,  qui  venait  encore  d'acquérir  la  ferme  de  la 
Quennotaye  de  Tabbaye  de  Breteuil,  construisit  un  chÀteau  dans 
le  village  du  Grocq,  qui  n'était  alors  qu'un  hameau  de  la  pa- 
roisse de  Gormeille,  y  fit  édifier  une  chapelle  et  obtint,  en  1661, 
son  érection  en  cure.  Louis  de  Vendeuil,  maréchal  de  (^amp 
et  lieutenant  pour  le  roi  à  Doullens,  seigneur  de  Gormeille  et  du 
Grocq,  laissa  ces  terres  à  Thimoléon  de  Vendeuil,  seigneur  de 
Condé,  son  neveu,  qui  les  vendit  à  Philippe-Antoine  de  Gueuluy 
de  Rumigny. 

M.  de  Rumigny,  seigneur  ainsi  de  Gormeille  et  du  Grocq,  donna 
ses  terres  aux  trois  fils  issus  de  son  mariage  avec  Marie-Made- 
leine de  Bragelongne  :  Philippe-Maximilien  de  Gueuluy  de  Ru- 
migny, qui  fut  qualité  seigneur  du  Crocq  et  de  Gormeille;  Louis 
de  Gueuluy  de  Malassise ,  lieutenant  au  régiment  de  Poitou ,  et 
Philippe  de  Gueuluy  de  La  Quennotaye,  lieutenant  au  corps  royal 
d'artillerie;  mais  M^^**  de  Lussan ,  abbé  commendataire  de  Froid- 
mont,  racheta,  en  1765,  les  deux  tiers  de  la  seigneurie  de  Gor- 
meille avec  les  bois  de  la  Roselière,  de  Malassise,  du  Gantel  et 
du  Planton. 

Quand  la  nation  vendit,  en  1701,  les  biens  ecclésiastiques, 
l'abbaye  de  Froidmont  possédait  à  Gormeille  un  moulin  à  vent, 
un  pressoir  et  256  journaux  de  terre. 

Cyoudun,  —  Douze  livres  parisis  de  rente  sur  les  cens  ûe 
Goudun,  données,  en  1233,  par  Jean,  chevalier,  seigneur  de 
Goudun.  Gette  rente  n'existait  plus  en  1521. 

Dom front,  —  Un  muid  de  blé  de  rente  sur  la  terre  de  Dom- 


32  NOTICE 

front,  donné,  en  Jââ4,  par  Mathieu,  chevalier,  seigneur  de 
Morisel  et  Domfront  (J). 

Ebeillaux  ei  m\tu\  Béliaux  [Breteuil),  —  La  terre  et  sei- 
gneurie d'Ëbeillaux  se  composait  d'un  corps  de  logis  et  dépen- 
dances de  70  arpents  de  terre  labourable  et  40  arpents  de  bois , 
et  de  divers  cens. 

En  1210,  Amicie,  dame  de  Breteuil,  avait  donné  à  Fabbayede 
Froidmont  la  terre  d'Ëbeillaux  et  son  bois  de  la  Commune. 
Renaud  de  Dargies  lui  donna  20  arpents  de  bois  en  1246  ;  Simon 
de  Dargies ,  son  père  (1246),  0  arpents  de  terre  au  même  lieu,  et 
Guillaume  de  Beausault,  seigneur  de  Breteuil,  20  journaux  de 
bois,  en  1247.  Ce  domaine,  accru  par  diverses  acquisitions,  fut 
vendu  par  Tabbaye,  en  1660,  avec  la  ferme  de  Malassise,  à 
Jacques-Honoré  de  Barentin ,  seigneur  d'Hardivillers. 

Erquinvillers.  = —  Un  muid  de  blé  de  rente  sur  la  terre  d'Er- 
quinvillers,  donné,  en  1244,  par  Jean  de  Valescourt ,  cheva- 
lier. 

Fay-sous-Bois  (Saint-Félix),  —  Deux  maisons,  dont  une 
acquise,  en  1243,  d'Odon  de  Buisencourt,  et  l'autre,  en  1306,  de 
l'Hôtel-Dieu  de  Beauvais.  —  Douze  arpents  de  terre  et  bois,  pro- 
venant entre  autres  des  donations  de  Pierre  de  Milly  (1200) ,  de 
Jean  de  Villers  (1229),  d'Alelme,  maire  de  Saint-Félix  (1231),  de 


(1)  Les  possessears  de  la  seigneurie  de  Donirront  qui  servirent  cette 
rente  furent,  en  1441,  Guillaume  de  Lignières ,  marié  à  Jeanne  de  Lameth  ; 
en  1501 ,  Antoine  de  Lignières ,  puis  Pierre  de  Lignières ,  chanoine  de 
Noyon ,  qui  donna  sa  seigneurie  de  Domfronl  à  François  de  W^alon  ,  son 
neveu.  Celui-ci  étant  mort  sans  enfant  la  légua  à  Marguerite  de  Walon , 
sa  sœur,  qui  avait  épousé ,  en  1512,  Claude  d'Ainval  (d'argent ,  au  chef 
emmanché  de  gueules ,  à  la  bande  d'azur  accompagnée  de  deux  coHces 
de  même  brochant  si^r  le  tout).  Elle  eut  de  son  mariage  Pierre ,  Jérôme 
et  Adrien.  —  Pierre  d'Ain  val ,  seigneur  de  Domfront ,  Langle  et  Filescamp, 
épousa,  en  1537,  Jeanne  Le  Forestier,  dont  il  eut  Robert,  Gilles,  Isabeau, 
Marguerite ,  Marie  et  autre  Marguerite ,  et  en  secondes  noces  ,  Madeleine 
d'Amerval ,  dont  il  eut  Barbe  d'Ainval.  —  Robert  d'Ainval ,  seigneur  de 
Domfront ,  épousa ,  en  1570 ,  Anne  de  Hangest ,  dont  il  eut  Lazare,  Gilles , 
Françoise ,  Marthe ,  Jacqueline  et  Isabeau  d'Ainval.  —  Une  autre  partie  de 
la  seigneurie  de  Domfront  était  possédée  par  la  maison  de  Hangest , 
seigneur  de  Dompierre. 


iiUR   L  ABBAYE   DE  FROIDMOM.  55 

Bealrix  de  Buisencourt  (J239;,  de  Pierre  Floris  HiiO) ,  de  Marie 
de  Warty  (1280),  et  de  diverses  acquisitions.  —  La  seigneurie 
d'une  partie  du  territoire  de  Fay,  par  donation  de  Pierre  et 
Gervais  de  Milly  (ifOO,  1230;,  de  Guy  et  Jean  d'A  tain  ville  (1213, 
12i3,  (I).  ~  Le  tief  de  Buisencourt,  acquis,  en  12i3,  d'Odon  de 
Buisencourt.  —  Le  fief  de  la  Mairie,  auquis  par  échange,  en  1519, 
de  Jean  de  Maricourl ,  seigneur  de  Mouchy-le-Chàtel.  —  Des 
cens. 

Filer  val  i^Tàury-  soius-Clermont,  —  Un  muid  de  vin  de  rente 
sur  la  terre  et  seigneurie  de  Filerval ,  donné  par  le  seigneur 
dudlt  lieu.  Guillaume  deCramoisy,  seigneur  deFilerval^  en  passa 


(i)  La  seigneurie  de  Fay-sous-Bois  appartenait ,  aa  commencement  du 
xiir  siècle,  à  Pierre  de  Miliy  et  Guy  d'Atainville ,  qui  en  donnèrent  une 
partie  à  l'abbaye  de  Froidmont ,  tout  en  s'en  réservant  une  portion.  Guy 
d'ACainville  eut  pour  successeur  Jean  d'Atainville ,  son  flls.  —  Pierre  de 
Milly  eut  pour  flls  et  successeur  Gervais  de  Milly,  qui  céda ,  en  1935  ,  à 
l'abbaye  de  Froidmont  la  seigneurie  des  terres  qu'elle  avait  acquises 
d'Ansold  et  V^Targnier  de  Mellain ,  d'Ernault  Mainfroid  et  d'Eremburge  la 
Bouchère.  Le  flls  de  Gervais ,  Pierre  II  de  Milly,  conflrma,  en  1269,  avec 
Catherine,  sa  femme ,  les  terres  acquises  par  l'abbaye  dans  retendue  de 
son  Uef  de  Fay-sous-Bois.  Adrien  de  Milly,  chevalier,  seigneur  du  Fay, 
mourut  avant  1906 ,  époque  à  laquelle  Marie  de  V^arty ,  se  disant  sa 
veuve ,  avec  Jean  et  Guillaume  de  Milly ,  ses  enfants ,  donna  à  l'abbaye 
deux  mines  de  vignes ,  sises  à  Fay-sous-Bois. 

En  1(178 ,  N.  Le  Bossu  de  BrunvlUers  et  Gilles  de  Fay,  seigneur  de 
Fercourt  et  Châteaurouge ,  donnèrent  saisine  à  Tabbaye  de  Froidmont, 
comme  possesseurs  d'une  partie  de  la  seigneurie  de  Fay-sous-Bois. 

Gilles  Luillier  et  Jean  du  Mesnil  en  faisaient  autant  en  1464  et  1500. 
Jeanne  Luillier,  lllle  de  Gilles  et  de  Catherine  de  Brathecourt,  sa  première 
femme ,  apporta  sa  portion  de  la  seigneurie  de  Fay  à  Guillaume  Danvet , 
seigneur  de  Clagny ,  son  époux.  Leur  fllle ,  Geneviève  Dauvet ,  Teut  en 
dot  eh  épousant ,  en  1516  ,  Jean  III  de  Monceaux .  seigneur  d'Hodenc-en- 
Bray.  Jean  de  Monceaux  la  donna  à  François  de  Monceaux ,  son  troisième 
flls ,  chevalier ,  seigneur  d'Hanvoiles  et  de  Saint-Samson.  Guy  de  Mon- 
ceaux ,  flls  de  ce  dernier ,  la  laissa  à  Gabriel  de  Monceaux ,  son  chiquième 
flls ,  qui  épousa  Adrienne  de  Yillepoix  ,  fllle  d'Anne ,  seigneur  de  Saint- 
FéUx.  En  1637,  Gabriel  de  Monceaux  partagea  sa  terre  de  Fay  entre  Louis 
et  Henri,  ses  deux  premiers  enfants  ;  mais  Louis  étant  mort  en  1673,  sans 
laisser  de  postérité,  Henri,  son  frère,  hérita  de  lui  et  devint  seul  pos- 
T.  VIII.  3 


34  NOTICE 

titre  nouvel  en  i30;i;  HegnauU  de  Corbie,  en  1468;  Jean  de 
Noyon,  en  1508  ;  Jean  de  Durand  ,  en  1558  (1). 

FitZ'James.  —  Dix-sept  arpents  de  pré,  donnés  par  les 
seigneurs  de  Warty  et  par  Jean  Desviers.  La  nation  les  vendit, 
en  1790,  8,350  livres. 

FournivaL  —  Trois  muids  de  grains  de  rente  sur  la  terre  et 


sesseur  de  ce  aom  de  leur  seigneorie  de  Fay.  Il  la  vendit ,  en  1688 ,  à 
Adrien  Fromentin ,  receveur  du  grenier  à  sel  de  Beauvais ,  et  celui-ci  la 
céda,  vers  I7i5,  à  David  de  Seton.  Louis  de  Seton ,  son  fils,  la  laissa  en 
héritage  à  Simon  Chaperon  de  Saint-André  de  Femanville ,  son  neveu , 
vers  1750. 

Indépendamment  de  ces  fiefs,  il  en  existait  encore  plusieurs  autres 
possédés  par  divers  seigneurs  ;  puisque  nous  trouvons  des  saisines 
données  à  l'abbaye,  en  1519 ,  par  Guillaume  du  Mast  ;  en  1530,  par  Robert 
de  Mailly,  seigneur  de  Siliy,  Auxmarais  ;  en  1530 ,  par  Jean  de  Gouy, 
seigneur  de  Ponceaux ,  Nonlreuil-sur-Brôche ,  qui  se  qualifient  seigneurs 
de  Fay-sous-Bois  dans  ces  actes. 

(1)  La  seigneurie  de  FUerval  était  possédée ,  en  136H  ,  par  Guillaume  de 
Cramoisy.  et  celle  de  Thury,  en  1380 ,  par  Barthélémy  de  Tbury  ;  en  1316, 
par  GuiUaume  de  Thury  ;  en  1363 ,  par  Gosset  de  Thury.  Arnaud  de  Gorbie, 
chancelier  de  France  en  1388 ,  et  seigneur  de  Joigny,  acquit  les  terres 
de  Thury ,  Filerval ,  Auneuil  et  du  Becquet-Saint-Paul ,  sur  la  fin  du 
XIV*  siècle ,  et  les  donna  en  mourant  a4l3)  à  Jean  et  Arnaud  de  Corbie , 
ses  neveux ,  fils  de  Thomas  de  Gorbie  et  de  Marguerite  de  Grésecques. 
Arnaud  II  de  Gorbie  eut  Auneuil ,  Thury  et  Filerval.  Il  fut  grand  panetier 
du  roi  Charles  YI  etn'eut  pas  d'enfants  de  N.  de  Groy,  qu  il  épousa  en  1409. 
Il  eut  cependant  un  fils  naturel,  Regnault  de  Gorbie,  à  qui  il  laissa  toutes 
ses  terres ,  et  que  Jean  de  Corbie ,  évéque  d'Auxerre ,  son  frère ,  insUtua 
son  héritier.  Regnault  I*'  de  Gorbie,  seigneur  de  Filerval ,  GourceUes ,  le 
Becqnet,  donna  ces  seigneuries  à  Regnault  II  de  Corbie,  son  fils,  en  1461. 
Celui-ci  épousa  Jeanne  de  Saint-Gler ,  dont  il  eut  trois  filles  :  Jeanne  , 
qui  épousa  Louis  du  Plessis ,  seigneur  de  Foines  ;  autre  Jeanne ,  mariée 
à  Jean  de  L'Esptaïay,  et  Marguerite,  femme  de  Jean  de  Noyon.  Elles  firent 
toutes  trois  les  fol  et  hommage  pour  le  fief  de  Filerval ,  au  comte  de 
Glermont ,  le  8  décembre  1483  ;  mais  Marguerite  et  Jean  de  Noyon  ,  son 
mari ,  en  restèrent  seuls  possesseurs  et  le  vendirent ,  vers  1530 ,  à  Claude 
de  Durand ,  chevalier ,  favori  du  roi  François  I*',  auprès  duquel  il  fut  fait 
prisonnier  à  la  bataille  de  Pavie. 

Claude  de  Durand  (de  sable,  à  s  chevrons  (targent,  à  la  fasce  de  mimei, 


SUR   L'aBBAYB  DB  FROIDMONT.  35 

seigneurie  de  FourDival,  donnés,  en  118»,  par  Barthélémy  de 
Fournival,  sénéchal  de  Bulles,  et  ratifiés,  en  1190,  par  Drogon 
de  Bulles ,  fils  du  donateur. 

Francastel.  —  Quatorze  mines  de  blé  de  rente  sur  42  jour- 
naux de  terre ,  sis  au  terroir  de  Francastel ,  données ,  en  1246 , 
par  Pierre ,  chevalier,  seigneur  de  Jumelles. 

Gieticourt  {BrevÂl-le-Vert.  —  Deux  muids  de  vin  de  rente 
sur  les  fiefs  de  Fouquerolles  et  de  Garbonnel ,  sis  à  Giencourt. 


seigneur  de  Filervai  et  Thury ,  avait  épousé,  en  1521,  Anne  de  la  Fontaine, 
dont  il  eut  Jean  de  Durand ,  qui  épousa,  en  1567 ,  Charlotte  de  Meaune , 
et  mourut  en  1580 ,  après  avoir  eu  quatre  enfants  :  Odet ,  Isaac,  seigneur 
de  Dury-Saint-Ciaude ,  Anne  et  Marie. 

Odet  de  Durand ,  seigneur  de  Thury  et  Filervai ,  capitaine  d*hommes 
d'armes  sous  les  ordres  du  prince  de  Condé ,  épousa ,  en  1589 ,  Marie 
Le  Père,  dont  il  eut .  François ,  Claude,  seigneur  de  Dury»Saint*Glaude , 
Marie,  Espérance ,  Louise  et  Marthe.  • 

François  de  Durand,  seigneur  de  Thury,  Filervai,  lieutenant  de  la 
compagnie  des  gardes  du  prince  de  Condé  et  capitaine  de  ses  véneries , 
épousa,  vers  1621 ,  Madeleine  de  Vignole,  dont  U  eut  :  Henri,  Louis  , 
autre  Louis  ,  Louise,  Marie,  Madeleine. 

Henri  de  Durand ,  maréchal-général  de  la  cavalerie  légère  de  l'armée  de 
Catalogne ,  épousa ,  en  1661 ,  Françoise  Le  Rouge  et  mourut  en  1680 ,  ne 
laissant  qu'un  flls,  Joseph  de  Durand ,  qui  fut  capitaine  au  régiment  de 
Champagne.  Françoise  Le  Rouge  vendit  la  terre  de  Thury ,  pendant  la 
minorité  de  son  flls ,  en  1681,  à  Jacques  Delhommeau. 

Le  fils  du  nouveau  soigneur  de  Thury ,  François  Delhommeau,  qui  était 
avocat  général  des  eaux  et  forêts  de  France ,  vendit  sa  seigneurie  de 
Thury  et  Filervai  à  Jean-Dominique  Gassini ,  astronome  célèbre ,  appelé 
en  France  par  Louis  XIV.  Il  avait  épousé ,  en  1673 ,  Geneviève  DeUttre 
qui  lui  donna  un  fils ,  Jacques  Cassini ,  astronome  non  moins  distingué 
que  son  père.  Jacques  Gassini ,  seigneur  de  Thury  et  Filervai ,  mourut  le 
15  avril  1756 ,  laissant  ses  seigneuries  à  César-François  Cassini  de  Thury, 
son  flls ,  membre  de  l'académie  des  Sciences,  qui  commença  les  premiers 
travaux  de  hi  carte  de  France  dite  de  Gassini,  et  mourut  en  1784.  Jacques- 
Dominique  ,  comte  de  Cassini ,  directeur  générai  de  l'Observatoire  de 
Paris ,  membre  de  1  Académie  des  Sciences ,  son  fils,  termina  la  carte  de 
France ,  commencée  par  son  père ,  et  mourut  en  1845.  Il  avait  eu  pour 
flls  Henri  GassUdi ,  botaniste  distingué ,  membre  aussi  de  l'Académie  des 
Sciences ,  mort  du  choléra  en  1832. 


56  NOTIGB 

Kegnauld  de  Soisy  en  passa  titre  nouvel  en  135a,  et  sa  veuve, 
Jeanne  de  RonqueroUes .  dame  de  Sailleville,  en  1364. 

Godenvillers.  —  Un  muid  de  blé  de  rente  sur  les  dîmes  du 
lieu ,  donné  par  Raoul  de  Ferrières  en  1200. 

Gouy  {NoyerS'Saint-Martin).  —  Une  ferme,  avec  chapelle  et 
5^2  journaux  de  terre.  La  nation  la  vendit ,  en  1790 ,  292,100 
livres,  à  Pierre  de  Fiers  et  Pierre  Pillon.  Cette  ferme  doit  son 
origine  à  la  donation  du  territoire  de  Gouy  par  Baudoin  de 
Fournival  (1134)  ;  Ugerius  de  Noyers  et  Payen,  son  frère  (lir)6); 
Ascelin  de  la  Cengle  (1180).  Bérenger  de  Noyers  y  ajouta  12  mines 
devant  la  porte  de  la  ferme,  en  1189;  Pierre  de  Montataire,  une 
autre  pièce,  en  1202;  Jean  de  la  Cengle,  chevalier,  seigneur  de 
Thieux,  les  60  mines  du  Champ- André,  en  1208.  Diverses  acqui- 
sitions raugmentèrent  encore;  ainsi  l'abbaye  acquit,  en  1238, 
de  Guillaume,  maire  de  Quèvremont,  trois  mines  et  demie  de 
terre;  quatre  mines  sous  le  bois  de  Parmont,  de  Robert,  Gautier 
et  Eremburge  de  Quëvremont;  cinq  mines,  sous  le  bois  Rohard, 
de  Garnier  de  Quèvremont  ;  cinq  mines ,  au  même  lieu ,  de 
Pierre  Caigne;  cinq  mines,  au  même  lieu,  d'Houdiard  de  Què- 
vremont;  trois  mines,  au  même  lieu,  d'Odeline  de  Quèvremont 
et  Pierre ,  son  fils  ;  neuf  mines ,  au  même  lieu ,  de  Pierre  Brunel, 
de  t^uèvremont  ;  en  1239 ,  quatre  mines  et  demie,  de  Raoul  de 
Brunvillers  et  Odeline  de  Quèvremont,  sa  femme;  le  bois  Rohard 
contenant  20  arpents  et  demi,  et  vingt-quatre  mines  de  la  terre 
des  Landes,  de  Pierre  de  Quèvremont ,  écuyer;  trois  arpents  de 
bois  contigus  au  bois  Rohard  et  vingt-quatre  mines  de  la  terre 
des  Landes  ;  de  Mathieu  et  Eustache  de  la  Motte,  neveux  de 
Werre  de  Quèvremont,  et  d'Isabelle  de  Quèvremont,  leur  mère; 
quatre  mines  ;  lieudit  la  vallée  Corneloie ,  de  Jean  Brunel ,  de 
Noyers  ;  —  en  1242,  le  bois  de  Parmout,  contenant  32  arpents , 
de  Mathieu  et  Eustache  de  la  Motte;  —  en  1264,  40  arpents  du 
bois  dit  du  Champ  au  Puit  {campus  ad  puteum),  sis  entre  Gouy 
et  Quèvremont,  d'Ada  de  Quèvremont,  veuve  d'Arnoult  du 
Quesnel. 

iirand vallée  {Not/ers-Saint- Martin}.  —  Une  ferme,  conte- 
nant 381  mines  de  terre  labourable.  Cette  ferme,  située  entre 
celle  de  Gouy  et  celle  de  la  Borde-Mauregard ,  fut  formée  à 
leurs  dépens.  Elle  doit  son  origine  aux  mêmes  donations  ou 
acquisitions  qu'elles. 


SUR   L  ABBAYE    DE   FBOtDMONT.  37 

En  outre  de  ces  deux  grandes  fermes,  Tabbaye  de  Froldmont 
possédait,  au  territoire  de  Noyers,  le  bois  des  Landes,  sis  au 
sud  de  Gouy  et  contenant  43  arpents  ;  le  bois  de  la  Vallée  Cor- 
nette, contenant  18  arpents ,  et  le  bois  des  Cailloux ,  contenant 
28  arpents ,  tous  deux  situés  au  midi  de  la  ferme  de  Grand  vallée  ; 
le  bois  du  Grand-Perreux,  contenant  27  arpents  et  le  bois  du  Petit- 
Ferreux,  contenant  22  arpents,  sis  entre  Grandvallée  et  Gouy. 

De  plus  elle  avait  la  seigneurie  de  la  plupart  de  ses  terres , 
donnée  par  Baudouin  de  Fournival  en  113i;  Robert  et  Jean  de 
Conti ,  seigneurs  de  Bulles,  en  1208  et  1229  ;  Pierre  de  Quèvre- 
mont,  Mathieu  de  la  Motte,  Baudoin  de  Fleuil  et  Guillaume  de 
Valescourt,  en  1238,  1239,  1242;  Raoul  de  Gaudechart  pour 
Helvide ,  sa  femme ,  en  126i. 

Grandmesnil  autrefois  Grosmesnil  (Campremy).  —  Une 
ferme,  qui  fut  vendue,  par  la  nation  en  1790,  avec  700  journaux 
de  terre  en  dépendant ,  à  Charles  Meurine,  pour  503,600  livres. 

Les  religieux  de  Froidmont  fondèrent  celte  Grange^  en  1142, 
aussitôt  que  le  chevalier  Odon  de  Gromesnil  leur  eut  donné  toute 
sa  terre  de  ce  lieu.  Aymond  Faget  ajouta  une  autre  partie  du 
territoire ,  et  Oger  de  Wavignies ,  Pierre  de  la  Tournelle,  Raoul 
de  Bucamp  et  ses  frères,  et  Arnoult  de  Campremy  abandonnèrent 
tous  les  droits  de  seigneurie  et  autres  qu'ils  pouvaient  avoir  sur 
ce  territoire ,  en  12.')<>.  Ce  domaine  déjà  considérable  s'accrut 
encore  par  la  donation  du  bois  de  Yesomesnil ,  en  1179,  par 
Gautier  le  jeune ,  seigneur  de  Mouy  ;  d'un  demi-muid  de  terre 
par  Goscion  et  Contran  de  Gromesnil  (1181);  de  quatre  muids  de 
terre  par  Foulques  du  Quesnel  (1186);  des  bois  de  Grosselve  et 
du  Cornillet  par  Hugues  de  Wavignies  et  Aubry,  seigneur  du 
Quesnel  (1191);  de  la  terre  de  Beaufay  par  Ermengarde  de  Bre- 
teuil  (1193);  des  terres  sises  entre  Grandmesnil  et  la  vallée,  vers 
Wavignies ,  par  Odon  Faget  (1193)  ;  de  quatre  mines  de  terre  par 
Hugues  de  Gournay  (1197)  ;  des  bois  de  Beaufay ,  de  Bus  Mesnart, 
et  Grosselve  en  partie,  par  Baudoin,  chevalier,  seigneur  de 
VVavignies  (1202);  de  26  mines  déterre,  lieudit  Vesomesnil,  par 
Hugues,  clerc  de  Sauqueuses  (1203)  ;  de  la  vallée  de  Saint-Nicolas 
par  Raoul  de  Campremy  (1205);  des  droits  seigneuriaux  du  terri- 
toire de  Vesomesnil  par  Drogon  de  Mouy,  et  Ansold,  seigneur  de 
Ronquerolles  (1208);  des  terres  du  Bois  dame  Ermain,  du  Bois 
Nicholet  et  du  Bois  Richard,  dans  la  vallée  Saint- Nicolas,  par 


38  IfOTIGB 

Thoma»  de  Wavignies,  Odon  de  Bury  Houdiarde,  sa  femme,  et 
Werric  de  Wavignies,  soq  fils ,  (i227, 1230, 1235 .  ;  du  bois  Bouvète 
et  des  terres  adjacentes  par  Pierre  de  Brunvillers,  TliibauUFaget 
et  Werric,  seigneur  de  Wavignies  (1214-1235);  des  terres  du 
Mont-Tiilo)'  par  Pierre  Sorel  de  Paillart ,  Erard  de  Campremy 
(1232-1236)  ;  de  plusieurs  terres  par  Jean  ,  Grégoire  et  Golard  de 
Campremy  (1232,  1243,  1251).  Tous  les  seigneurs  du  voisinage 
rivalisaient  de  générosité  pour  doter  la  grange  de  Grand- 
mesnil 

Haudivillers,  —  Quarante-six  mines  de  terre,  faisant  partie 
de  la  ferme  de  Mauregard,  étaient  sur  le  territoire  d'Haudi- 
villers. 

Hondainville.  —  Quatre  mines  de  blé  de  rente  sur  le  moulin 
d'Hondainville.  —  Deux  muidsde  vin  sur  des  vignes  à  Hondain- 
ville, donnés,  en  12i8,  par  Eustache  de  Hez,  partant  pour  la 
croisade. 

La  Borde-Hérelle  (Sains-MorainviUers),  —  Une  ferme,  cons- 
truite sur  un  enclos  de  deux  arpents,  faisait  valoir  2i6  journaux 
de  terre  labourable  et  10  journaux  de  bois  en  1521.  La  nation 
la  vendit,  en  1790,  pour  30i  journaux  de  terre  et  bois,  la  somme 
de  58,200  livres,  à  Henri-Charles-Antoine  Rousselin,  receveur 
de  l'enregistrement  à  Breteuil. 

En  1189  et  1190,  Ascelin  de  la  Cengle,  chevalier,  seigneur  de 
Gannes,  et  Arnoult,  chevalier,  seigneur  deMontigny,  donnèrent 
à  Tabbaye  de  Froidmont  leur  bois  d'Alovller,  sis  entre  Longbus, 
Morainvillers  et  Laliérelle,  pour  le  défricher  {ad  dirumpendmn). 
Les  religieux  se  mirent  à  Tœuvre  et  y  fondèrent  un  établissement 
agricole,  une  grange.  Hugues  de  Longbus,  Jean  ,  avoué  d'Haris- 
sart,  et  Raoul  de  Montigny,  tous  chevaliers ,  renoncèrent  à  tous 
leurs  droits  de  seigneurie  sur  les  terres  de  cette  grange  par  actes 
de  1229, 1251  et  1253.  Arnoult  de  Longbus,  fils  de  Hugues,  donna 
à  son  tour,  en  1248,  tout  le  bois  Fourrais,  sis  entre  les  terres  de 
la  grange  de  La  Borde  et  le  bols  Borrel ,  et  ses  sœurs  Marie  et 
Gila  de  Longbus,  108  mines  de  terre  entre  Longbus  et  Gannes, 
en  1250 ,  pour  augmenter  le  domaine  de  cette  ferme.  Ce  devait 
être  une  belle  exploitation. 

La  Borde-Manregard  {ReuH -sur- Brèche).  —  Une  ferme  con- 
tenant, en  1521,  480  mines  de  terre  et  vendue  par  la  nation, 
enITîM),  pour  la  même  contenance,  102,300  livres,  à  Pierre- 


SDB  l'abbatk  de  froidmont.  39 

Claude  Plllon ,  laboureur  à  Rémérangles.  Elle  doit  son  origine  à 
la  donation  de  la  terre  du  Mesnil  par  Mathieu  de  Thérines  (1157), 
Garnier,  Hugues  et  Henri  de  Braichoil  (Bracheux)  (4193),  et  Adé- 
laïde, Marguerite  et  Mathilde,  filles  de  Barthélémy  de  Fournival 
(1200). 

En  outre  l'abbaye  possédait ,  au  même  Heu ,  le  bois  du  Puit- 
du-Festel ,  contenant  62  arpents;  le  bols  de  la  Corne ,  contenant 
106  arpents;  le  bois  de  la  Chaussée,  contenant  47  arpents;  le 
bols  du  Souillard  ou  du  chemin  d'Habert,  contenant  32  arpents 
et  demi,  et  le  bois  du  Mesnil,  contenant  36  arpents  22  verges. 

Mauregard  (RmU-sur- Brèche),  —  La  terre  et  seigneurie  de 
Mauregard  consistant,  en  11521,  en  une  maison,  chapelle  et  bâ- 
timentè  d'exploitation ,  assis  sur  14  arpents  d'herbage,  600  ar- 
pents de  terre  labourable  et  larris ,  80  arpents  de  bois  taillis  et 
24  arpents  de  haute  futaie  du  bois  de  la  Forestelle  ou  de  la  Petite 
Forêt.  Quand  la  nation  Taliéna,  en  1790,  elle  fut  vendue  pour 
600  mines  de  terre  labourable  et  300  mines  de  friches,  avec  un 
moulin  k  vent  bâti  dessus,  150,600  livres. 

C'était  jadis  une  des  plus  belles  granges  du  monastère.  Elle 
doit  son  origine  à  la  donation  du  territoire  de  Mauregard  , 
en  1147,  par  Sagalon  de  Gerberoy  et  Simon  de  Sailly.  Mathieu 
de  la  Cengle  y  ajouta ,  en  1151 ,  la  terre  de  la  Péreuse  ;  Galeran 
de  Breteuil ,  en  1153 ,  la  terre  du  Champ-Saint-Martin;  Haimeric 
de  Reuil  (1159)  tout  ce  qui  lui  appartenait  en  terre  et  bois  entre 
Gouy,  Mauregard  et  La  Borde,  et  le  bois  situé  de  l'autre  côté  de 
la  Brèche;  Baudoin  de  Saint- Just  (1150)  sa  part  dans  les  mêmes 
terres;  Gautier  de  Noirémont  (1173)  trente-deux  mines  de  terre; 
Renaud  Waignart  de  Noyers  et  Mabilie,  sa  sœur  (1234)  20  mines  ; 
Henri  Tricherie  de  Ponceaux  (1239)  24  mines  entre  Mauregard  et 
Gouy.  En  1265,  Pétronille  de  Songeons,  du  consentement  de 
Pierre ,  dit  Kanivet  de  Fouquerolles ,  écuyer ,  son  mari ,  et  de 
Gautier  de  Songeons,  son  frère,  vendit  au  monastère  son  bois 
de  Klemui ,  contenant  55  arpents ,  sis  auprès  du  Haut-Bois  de 
Mauregard  ;  Guillaume  Boivin,  de  Reuil,  et  Pierre  DoHer  vendirent 
aussi  plusieurs  pièces  de  terre  au  même  lieu  en  1268. 

Cette  grande  ferme  fut  amoindrie,  en  4497 ,  par  la  distraction 
de  102  mines  de  terre  labourable ,  42  arpents  de  bois  et  3  mines 
de  pré.  L'abbaye  les  céda  avec  une  masure  tenant  au  corps  de 
ferme  de  Mauregard ,  sur  laquelle  elle  lit  édifier  une  maison  et 


40  NOTICE 

des  bâtiments  d'exploitation,  à  Jean  du  Mesnil  et  Blanche  de 
Mercastel,  sa  femme,  seigneurs  de  Bailleul-sur-Thérain ,  en 
échange  du  fief  de  la  Motte ,  sis  audit  Bailleul. 

Dès  1458,  celte  ferme  paraissant  trop  vaste  à  exploiter,  les  re- 
ligieux l'avaient  divisée  en  deux  parties.  Tune  dite  ferme  deMau- 
regard ,  l'autre  dite  du  Camp-Coutant.  Cette  dernière  eut  d'abord 
ses  bâtiments  d'exploitation  à  Mauregard  même,  dans  la  ferme 
dudit  lieu;  mais  ce  voisinage  suscitant  souvent  des  difficultés  , 
les  religieux  firent  construire  la  ferme  du  Camp-Coutant  entre 
F*a  Borde  et  Mauregard,  au  commencement  du  xvi«  siècle.  Un 
incendie  la  détruisit  le  16  mai  1682  et  le  fermier  résida  depuis, 
comme  autrefois,  à  Mauregard. 

Il  est  intéressant  de  remarquer  comme  les  propriétés  des  mo- 
nastères étaient  réunies  pour  former  de  grands  groupes  agricoles, 
de  surveillance  facile  et  favorables  à  la  bonne  administration. 
Ainsi  l'abbaye  de  Froidmont  possédait  entre  Reuil,  Montreuil- 
sur-Brèche,  Noyers  et  Noirémont  les  fermes  de  Mauregard ,  du 
Camp-Coutant,  de  La  Borde,  de  Grandvallée,  de  Gouy  et  de 
Moimont.  Toutes  se  touchaient  et  formaient  une  immense  exploi- 
tation ,  divisée  jadis  en  deux  vastes  granges,  la  grange  de  Gouy 
et  la  grange  de  Mauregard,  où  séjournaient  les  religieux  et  les 
convers,  et  plus  récemment  subdivisée  en  six  fermes ,  quand 
l'abbaye  ne  pût  plus  la  faire  valoir  par  elle-même. 

Un  autre  groupe  se  composant  des  fermes  d'Ivry,  de  LaBorde- 
Hérelle  et  de  La  Fosse-Thibault,  était  situé  entre  Morainvillers, 
Cannes ,  Brunvillers  et  Plainval. 

La  Fosse- Thibault  p/ainval),  —  L'ne  ferme  consistant,  en 
iri21 ,  en  une  maison,  chapelle  et  bâtiments,  assis  sur  18  jour- 
naux d'enclos  et  918  journaux  de  terre,  bois  et  friches. 

Celle  ferme  doit  son  origine  h  la  donation  par  Ascelin  de  la 
Cengle,  seigneur  deGannes,  delà  terre  d'Hombleneuse  en  11  iO. 
Elle  prit  un  accroissement  considérable  par  les  donations  d'Odon, 
dit  Gauche  de  Leu,  de  Montigny  (1i84);  d'Odon  de  Brunvillers  , 
chevalier  (1186);  d'Ascelin  de  Plainval  (1187);  de  Renaud,  Pierre 
et  Ebroïn  d'Ansauvillers  (1186);  d'Holdeburge  de  Catillon,  sœur 
d'Ascelin  de  Plainval,  et  Renaud  Hinart ,  son  fils  (1192)  ;  d'Yves 
de  Brunvillers  (1200);  de  Robert  de  Sains  (1220);  de  Claire  de 
Ouinquempoix  (1228);  de  Raoul,  Guy  et  Énguerran  de  Brun- 
villers (1237),  et  par  une  foule  d'acquisitions. 


SUR    l'aRBAVR    de    PROIDMOM.  41 

Les  seigneurs  de  Cannes  ,i),  de  Brunvillers  râ),  de  Plainval  f3) 


(1)  La  seigneurie  de  Cannes  était  possédée,  en  1130,  par  Hugues  de  la 
Cengle,  qui  fut  père  d'Ascelin,  Raoul,  Mathieu,  Odon,  Habert,  Hugues 
et  Hescie. 

Ascelin  de  la  Cengle ,  chevalier,  seigneur  de  Gannes ,  flt  de  nombreuses 
donations  à  l'abbaye  de  Froidmont ,  et  fut  père  de  Jean ,  Simon  ,  Hugues , 
Pierre,  Osmond,  Hubert,  Odon,  Marie,  Em^line  et  Agnès. 

Raoul  de  la  Cengle ,  qui  donna ,  à  l'abbaye  de  Beaupré ,  sa  terre  et  son 
bols  de  Marseille  en  1168,  eut  pour  enfants  MHon,  Baudoin,  Yerric , 
Marie,  qui  épousa  Robert  de  Gernoy,  Agnès ,  mariée  à  Jean  de  Fontaines. 
Helvide  et  Alix.  * 

Odon  de  la  Cengle  fut  père  de  Hugues  et  Godefroi. 

Hubert  fut  père  de  Mathieu,  qui  donna  à  l'abbaye  de  Froidmont  la  tprre 
de  la  Pereuse  et  la  justice  de  Mauregard ,  et  d'Ada. 

Odon  de  la  Cengle  de  Gannes ,  fils  d'Ascelin,  fut  père  de  Simon ,  Guil- 
laume ..  Hervée  et  Odon. 

Jean  de  la  Cengle,  nis  aîné  d'Ascelin,  se  quaiiflait  seigneur  de  Gannes 
en  Iîa7. 

Jean,  dit  Hervils,  est  aussi  quallflé  seigneur  de  Gannes  en  i2^l,  ainsi 
que  Dreux  et  Oudard  de  Gannes  en  1320.  Peu  après,  en  1140,  la  sei- 
gneurie de  Gannes  appartenait  a  Surian  d'Esquennes ,  troisième  (Ils  de 
Mathieu  d'Esquennes.  Il  épousa  Peronne  de  Prestes ,  dont  il  n'eut  pas 
d'enfants,  et  donna  sa  terre  de  Gannes  à  Pierre  d'Esquennes ,  son  neveu, 
fils  de  Robert  et  de  Marie  de  Sains.  Pierre  d'Esquennes,  seigneur  de  Gannes, 
était  frère  de  Robert  d'Esquennes,  abbé  de  Saint-Lucien.  Il  épousa 
Marie  de  Qninquempoix,  dont  il  n'eut  pas  d'enfants,  et  vivait  avec  elle 
en  1411. 

Leur  château  était  situé  près  de  Blin,  et  dans  la  suite  leurs  successeurs 
prirent  la  qualincation  de  seigneur  de  Blln. 

(2)  Les  seigneurs  de  Brunvillers  furent,  en  IPO,  Haimard  de  Brun- 
villers ,  qui  fut  père  de  Pierre ,  Odon ,  Walon ,  Jean  ,  Raoul  et  Yves. 

Pierre  de  Brunvillers ,  chevalier ,  seigneur  dudit  lieu ,  qui  flt  plusieurs 
donations  à  l'abbaye  de  Froidmont,  fut  père  d'Enguerran  de  Brunvillers 
qui  vendit  deux  pièces  de  terre,  en  1344,  à  la  même  abbaye.  Il  était 
mort ,  en  lM9 ,  quand  ses  flls  Pierre  et  Raoul  donnèrent  à  cette  abbaye 
leur  terre,  sise  auprès  du  bois  de  Gonastre.  Ses  autres  flls  étaient  Jean, 
Guy  et  Enguerran. 

(3)  Les  seigneurs  de  Plainval ,  à  cette  môme  époque ,  étaient  :  Godefroi 
de  Plainval,  vivant  en  1119;  Haimeric  de  Plainval,  chevalier,  en  1156. 
qui  fut  père  d'Ascelin.  Gautier,  Odon,  Baudoin,  Raoul,  seigneur  de  Sains-, 


42  NOTICE 

et  de  Sains  (1)  firent  l'abandon  de  leura  droits  seigneuriaux  sur 
ces  terres ,  et  l'abbaye  en  eut  ainsi  la  justice  et  la  seigneurie. 

La  Fraye,  —  La  seigneurie  du  lieu  et  iâO  arpents  de  terre , 
faisant  partie  de  la  ferme  de  Mauregard ,  par  donation  de  Sagalon 
de  Gerberoy  et  des  vidâmes  Pierre  et  Hélye. 

La  Neuville-en-Hez.  —  En  outre  de  la  partie  de  la  forêt  de 
Hez,  que  Raoul ,  comte  de  Clermont,  et  le  roi  Pbiiippe-Auguste 
avaient  donnée,  et  dont  nous  avons  parlé  èi  Hermès,  l'abbaye 
de  Froidmont  possédait  jadis  à  La  Neuville-en-Hez  quelques 
cens  et  droits  féodaux  que  lui  avait  donnés  Baudoin  de  Fournival 
en  t22i ,  et  une  maison  donnée,  en  4457 ,  par  Gautier,  chapelain 
dudit  lieu.  Cette  maison  était  déjà  aliénée  en  ^lOi. 

/.a  Rue-Saint-Pierre,  —  La  moitié  de  la  dîme  des  fiefs 
Courlieu  et  Niquet,  donnée,  en  122i,  par  Baudoin  de  Fournival 
et  Jean  d'Aux  Marais,  de  qui  ces  fiefs  étaient  tenus  en  mouvance, 
et  douze  mines  de  terre ,  acquises  par  échange ,  en  i533 ,  de 
Pierre  de  la  Brelonnière ,  chevalier,  seigneur  de  Warty. 

La  Verrière  {Saint-Félix),  —  L-ne  ferme,  jadis  grange,  ayant 


et  Holdeburge,  qui  épousa  Ursion  de  CatUion,  dont  Renaud,  ditHtnart, 
Mathieu  e^  Matbiide. 

Ascelin  de  Plainval,  cDevalier,  donna  une  parUe  du  bois  de  Légniviler 
à  l'abbaye  de  Froidmont  en  1187. 

Gautier  de  Plainval,  chevalier,  se  croisa  en  1236.  Il  avait  épousé 
Elvide ,  dont  il  eut  Jacques ,  seigneur  de  Plainval ,  qui  se  cfoisa  en  1U8 
et  mourut  en  Terre-Sainte  ;  Raoul ,  religieux  à  Froidmont  ;  Nivelon ,  sei- 
gneur de  Quini|uempoix  et  Saint-Reml-en-l'Eau,  qui  épousa  Eméllne,  dont 
il  eut  Raoul ,  Pierre ,  Jean  et  Marguerite ,  et  Walon,  qui  se  croisa  aussi. 

Odon  de  Plainval  était  mort  en  1200. 

Baudoin  de  Plainval  {domicellus)  fut  père  de  Barthélémy,  GauUer  et 
Jacques. 

(I)  La  seigneurie  de  Sains  (^tait  posst^iiée,  en  1183,  par  Osmond  de 
Sains,  qui  donna  deux  muids  de  blé  de  rente  sur  sa  grange  de  Sains  à 
l'abbaye  de  Froidmont.  Il  eut  de  Cécile ,  sa  femme,  entre  autres  enfants, 
Raoul,  seigneur  de  Sains,  en  1283;  Guillaume,  qui  se  croisa  en  1^04  ; 
Girard ,  Jean  et  Robert ,  qui  donna  quatre  mines  de  terre  à  Froidmont 
en  1226. 

Raoul ,  chevalier ,  seigneur  de  Sains ,  fut  père  de  Raoul  et  de  Girard  . 
vivant  en  1295. 


SUR  l'abbatb  bb  froidmont.  43 

chapelle,  maison  et  b&timents  d'exploitation,  avec  91  arpents 
de  terre  et  bois,  et  la  seigneurie  du  lieu.  Cette  ferme,  dont 
les  b&timents  furent  démolis  en  1760,  par  ordre  de  l'abbé  de 
Lussan,  était  située  sur  remplacement  d'une  ancienne  verrerie, 
ainsi  que  son  nom  l'indique,  et  à  l'extrémité  septentrionale  du 
territoire  de  Saint-Félix,  dans  lé  vallon  qui  passe  entre  Filerval 
et  Fay-sous-Bois.  Elle  dut  son  origine  à  la  donation  de  la  vallée 
de  La  Verrière,  en  1151,  par  Alelme,  seigneur  de  Balagny,  et  par 
Hersende  de  Cressonsacq.  Elle  s'accrut  successivement  par  les 
libéralités  d'Odevie  de  Mouchy  et  de  Basilie  de  Mello ,  sa  sœur 
(1 177),  de  Baudoin  et  Pierre  de  Montiers  (1191 ,  1237),  et  de  Pierre, 
maire  de  Thury  (1191). 

L'abbaye  la  vendit,  en  156i,  à  Louis  de  Vauldray,  chevalier, 
seigneur  de  Mouy.  Isaac  de  Vauldray,  son  fils,  la  vendit  à  son 
tour,  en  1585,  à  François  de  Fransures,  seigneur  de  Villers. 
Anne  de  Chypre ,  veuve  de  Gabriel  de  Fransures ,  la  céda  à  Louis 
Le  Clerc,  président  à  la  cour  des  monnaies,  de  qui  l'abbaye  en 
fit  le  rachat  en  1647.  M.  de-Lussan  en  fit  démolir  les  bâtiments 
d'exploitation  et  planter  toutes  les  terres  en  bois  en  1760.  C'est 
aujourd'hui  un  canton  de  la  forêt  de  Hez. 

Laversines.  —  Vingt-quatre  arpents  de  terre  donnés  par 
Sigaude  de  Baîlleul  et  Jean,  son  fils,  (1153);  Pierre  de  Laver- 
sines (1228);  Grégoire  de  Campremy  (lâi'i);  Barthélémy  Testard, 
bourgeois  de  Clermont  (1^248),  et  Isaac  de  la  Chaussée  (1476).  — 
Ciuatre  mines  de  blé  de  rente  sur  le  champart  de  Laversines, 
données,  en  1245,  par  Hersende,  dame  de  Ballleul-sur-Thérain. 

IJEpine  (irartuis).  —  Une  mine  de  Lié  de  rente  sur  la  terre 
de  l'Epine,  donnée,  en  12i8,  par  Pierre  de  l'Epine,  partant 
pour  la  croisade.  Reconnaissance  en  fut  faite  par  Alix  de  l'Epine 
en  12G3,  Jacques  Davesnes  en  1462,  Antoine  de  la  Place  en 
1501  (1). 


;i)  La  terre  de  L'Epine ,  qae  possédait  Pierre  de  L'Bpine  en  1248 ,  Alix 
de  l'Epine  en  1364,  était,  en  1390,  à  Guillaume  de  Tbère  et  Margaerite 
d'Hanvoiie ,  sa  femme,  qui  la  vendirent,  en  1402,  à  Jean  Davesnes.  Ce 
dernier  épousa  d'abord  Jeanne  Le  Goix ,  dont  il  eut  Jacques ,  Jean  et 
Nlcaise,  et  en  secondes  noees  Colaye  de  Gancourt,  qui  lui  donna  Jean, 
Marie  et  Margaerite. 

Jacques  Davesnes  était  seigneur  de  l'Epine  en  1463  ;  après  lui ,  cette 


t 


44  NOTICE 

].e  Plessier-sur-Saint'JitsL  — rne  partie  de  la  dîme  du  lieu, 
donnée,  en  iâ3S,  par  Jean  de  la  Tournelle. 

Le  Plessùs-Billebaut  [Ansac^).  —  Une  ferme  avec  chapelle 
dédiée  à  Saint  Nicaise,  â^6  mines  de  (erre,  ii  arpents  de  bois  et 
la  seigneurie  de  ces  terres. 

En  1263,  Jean  de  Hez  avait  vendu  à  Tabbaye  une  maison  au 
Plessis ,  30  arpents  de  bois  et  37  mines  de  terre;  ce  fut  le  com- 
mencement de  cette  ferme.  Jean  et  Thomas  d'Hondainville  cé- 
dèrent à  leur  tour,  en  i26i,  38  arpents  de  bois  au  même  lieu  , 
et ,  en  i265,  Jean  de  Hez  vendit  de  nouveau  19  arpents  de  bois  et 
neuf  mines  de  terre,  et  Robert  Faillolet  deux  pièces.  Cette  culture 


terre  vint  à  Antoine  de  la  Place  et  Nicole  de  Condé ,  sa  femme  ,  qui  la 
possédaient  en  1501 ,  et  la  laissèrent  à  Polixène  de  la  Place ,  leur  fllle, 
qui  époQsa  Antoine  de  Micault.  De  ce  mariage  naquirent  Jean  ,  François , 
Antoinette  «  Françoise  et  Annette. 

Jean  de  Blicault,  seigneur  de  TEpine,  étant  mort  en  1.57*2,  sans  enfants, 
ses  terres  de  l'Epine  et  d'Eury  furent  partagées  entre  ses  nièces.  Claude  de 
Micault ,  fille  de  François ,  et  Françoise  de  Wignacourt ,  qui  était  alors 
mariée  à  Claude  Le  Scellier ,  seigneur  de  Saint-Amand. 

Claude  de  Micault ,  dame  en  partie  de  l'Epine ,  épousa  Yves  de  Mailly , 
dont  elle  eut  douze  garçons  et  douze  filles ,  entre  autres  Nicolas  de 
Mailly,  vicomte  d'Hannaches  et  Louis-Henri  de  Mailly,  dit  le  marquis  de 
Mailly,  seigneur  de  Warluis,  l'Epine  et  Mattencourt,  qui  vendit,  en  I6îl. 
tous  ces  flefs  à  Nicolas  de  Gaudecbart,  seigneur  déjà  de  l'autre  moitié  de 
l'Epine. 

Françoise  de  Wignacourt,  dame  de  l'autre  partie  de  L'Epine,  Eury. 
donna  toutes  ces  terres  à  Françoise  Le  Scellier,  sa  ûlle,  qui  épousa,  en 
1581 ,  Robert  de  Gaudechart,  seigneur  du  Fayel.  De  ce  mariage  naquirent 
Nicolas ,  René  et  Marie.  Après  la  mort  de  Françoise  Le  Scellier ,  Robert 
de  Gaudechart  se  remaria,  en  1596 ,  avec  Gabrielle  de  Saveuse ,  dame  de 
Querrleu  et  en  eut  Charles ,  Gaspard  ,  François ,  Georges  et  Claude  de 
Gaudechart. 

Nicolas  de  Gaudechart ,  chevalier ,  seigneur  de  Bachivillers ,  le  Fayel , 
Courcelles ,  l'Epine ,  Eury,  qui  acquit  en  1621 ,  de  Louis-Henri  de  Mailly, 
le  reste  de  la  seigneurie  de  l'Epine  et  de  Mattencourt ,  épousa ,  en  1C18 , 
Anne  des  Landes,  et  en  1648  Marie  de  Monceaux  d'Auxy,  et  mourut 
en  1651 ,  sans  en  avoir  d'enfants. 

René  I"  de  Gaudechart ,  son  frère ,  hérita  de  toutes  ses  seigneuries.  Il 
avait  épousé,  en  1631,  Elisabeth  d'Hangest,  dont  il  eut  René,  Louis, 


SUR    l'abbaye  de    FROIDMONT.  45 

prit  ainsi  de  Textenfion.  De  son  côté,  Guillaume  d'Uoudainville 
renonçait  à  tous  ses  droits  seigneuriaux  sur  ces  diverses  pro- 
priétés et  en  abandonnait  la  seigneurie  à  Tabbaye,  ainsi  que 
Jean  de  Trie,  dit  Billebaut ,  seigneur  du  lieu. 

Le  Quesnel'Auhry,  —  Dix-huit  mines  de  blé  de  rente  sur  la 
seigneurie  du  Quesnel,  données,  en  iââO  et  iâ59  ,  par  Arnoult 
du  Quesnel  et  Baudoin  ,  son  ûis ,  et  douze  mines  sur  le  moulin 
Taperel,  données,  en  i29i,  par  le  même  Baudoin  du  Quesnel. 
Reconnaissance  en  furent  faites  par  les  divers  seigneurs  du 
lieu  (1). 


seigneur  du  Fayel  et  de  Bactiivillers ,  Anne,  Louise ,  Marie  et  Madeleine 
de  Gaudechart. 

René  II  de  Gaudechart ,  chevalier ,  seignear  de  Mattencourt ,  Eary, 
l'Epine,  Coorcelles,  Fresnoy ,  la  Yieuville,  Roye ,  époasa,  en  1675 ,  Marie 
de  Yion  d'Hérouval^  dont  il  eut  René-Antoine,  François,  Louis  dit  l'abbé 
de  Mattencourt ,  Antohie-Loais ,  Alexandre ,  Robert-Jean-Baptiste ,  Marie- 
Louise,  nrtariée,  en  1707,  à  Gédéon-René  de  Sailly  de  Pommereail,  Claude, 
Elisabeth ,  Tbècle  et  Angélique-Henriette. 

René-Antoine  de  Gaudechart ,  seigneur  de  Mattencourt ,  l'Epine,  épousa, 
en  1702,  Madeleine  de  Ligniëres ,  dont  vinrent  Louis-René  ,  Jean,  Pierre- 
Bernard  ,  Pierre-Antoine ,  Marie-Madeleine  et  Thérèse. 

Louis-René  de  Gaudechart,  seigneur  de  l'Epine,  etc  ,  épousa,  en  1743 , 
Elisabeth-Françoise-Renée  de  Yion  de  Tessancourt ,  qui  lui  donna  René- 
François,  Alexandre-Louis,  Marie-Marguerite  et  Adolphe-Renée-Françoise. 

René-François  de  Gaudechart ,  seigneur  de  VEpïne ,  épousa ,  vers  1786, 
Anne-Louise- Marie  de  Trie-Piilavoine ,  dont  il  eut  René-Ferdinand ,  René- 
Auguste  ,  Jules ,  tous  les  trois  morts  sans  postérité ,  et  Anne-Aspasie. 
René-Ferdinand  a  laissé  la  terre  de  l'Epine  à  Albéric ,  comte  de  Gaude- 
chart, son  cousin. 

(1)  Les  seigneurs  du  Quesnel  furent  Robert  du  Quesnel ,  chevalier ,  en 
1165,  Aubry  du  Quesnel  et  Baudoin  ,  ses  iils,  en  1194;  en  1214,  Robert 
du  Quesnel ,  flls  d' Aubry,  et  Arnoult ,  fils  de  Baudoin. 

Robert  du  Quesnel  eut  d'Alix ,  sa  femme ,  Renaud  et  Pierre  du  Quesnei. 

Arnoult  du  Quesnel ,  qui  donna  douze  mines  de  blé  de  rente  sur  sa 
seigneurie  du  Quesnel ,  en  1229 ,  à  l'abbaye  de  Froidmont,  fut  père  de 
Baudoin  II  du  Quesnel ,  qui  fit  aussi  plusieurs  donations  à  la  même  abbaye 
en  1259  et  J294.  Ce  dernier  fut  père  de  Manassès  du  Quesnel  qui  vivait 
en  \3^\* ,  en  même  temps  qu' Aubry  et  Mathieu  du  Quesnel. 

En  1351 ,  la  seigneurie  du  Quesnel  appartenait  à  Renaud  III  de  Trie ,  dit 


46  NOTICE 

VHéraule,  —  Une  partie  delà  dlme,  par  donation  d'Ascelin 
de  La  Cengle,  seigneur  de  Cannes  et  de  L'Héraule,  vers  1150. 

Ueuvillers.  —  Vingt  et  une  mines  de  blé  de  rente  sur  la  terre 
de  Lieuvillers.  Reconnaissance  en  fut  faite  par  André  de  Lieu- 
villers  en  1270,  par  Bertrand  de  Lieuvillers  en  1294,  et  par  Jean 
de  Wignacourt,  seigneur  d'Avrigny  et  Lieuvillers,  en  151'3. 

Longbus  {Sains-Morainvillers).  —  Un  muld  de  blé  et  40  sols 


Billebaat,  troisième  Ûls  de  Renaad  II  de  Trie ,  seigneur  du  Plessis-Bille- 
baut ,  Friencoort-les-Hermes ,  et  maréclial  de  France.  Le  seigneur  du 
Quesnel  épousa  Isabelle  La  Gourlée ,  dame  de  Fressins  ou  de  Fresnes , 
veuve  de  Jean  Foumier,  et  il  n'en  eut  qu'une  fllle,  Isabean  de  Trie,  qui 
fut  mariée  d'abord  à  Jean  de  Cbastilion ,  seigneur  de  Bonneuil  et  de 
Loisy-sur-Marne ,  et  en  secondes  noces  (1386)  à  Jean  de  Ploisy.  Elle  eut 
de  son  premier  mariage  Charles  de  ChastUlon ,  seigneur  de  Bonneuil , 
Guillaume  qui  fut  d'église,  et  Marie,  dame  de  Loisy. 

Jean  de  Trie,  dit  Billebaut ,  frère  de  Renaud,  seigneur  du  Plessis-BiUe- 
baut,  se  quaUûait  aussi  seigneur  du  Quesnel,  et  confirma,  en  1345,  les 
donations  que  ses  prédécesseurs  avalent  faites  à  Tabbaye  de  Froidmont. 
Nous  avons  donné  ci-dessus  sa  généalogie  à  Hermès. 

Pierre  Du  Bois,  dit  Morelet ,  seigneur  de  Ralncheval ,  acquit,  vers  1420, 
la  seigneurie  du  Quesnel ,  et ,  en  1446 ,  celle  de  Saint-Remy-en-l'Eau.  Il 
avait  épousé  Isabeau  de  Férancourt ,  dont  il  eut  Pbilippe ,  Marguerite , 
dame  de  Maurepas ,  mariée  à  Louis  de  la  Yief ville,  seigneur  de  Sains,  et 
Cbarlotte ,  dame  de  Valescourt ,  qui  épousa  Gilles  d'Amerval ,  seigneur 
d'AngivUlers. 

PhiUppe  Du  Bois  {d'argent ,  au  lion  de  sable) ,  seigneur  de  Raincheval , 
le  Quesnel,  Sa'mt-Remy-en-rEau ,  Valescourt,  mourut  en  1481,  après 
avoir  épousé  Isabeau  de  la  VlefviUe ,  dont  il  eut  : 

GUlejt  Du  Bois ,  seigneur  du  Quesnel ,  etc. ,  qui  fut  père  de  Guy,  Pbilippe, 
seigneur  de  Villers-sur-Àulbie ,  et  Louise,  mariée  à  N.  de  Garlache, 
seigneur  de  Berlancourt,  MaimbeviUe  ; 

Guy  Du  Bois,  seigneur  du  Quesnel,  etc ,  épousa,  en  I5d0,  Anne  de 
Borselle ,  dont  il  eut  Louise  et  Michelle ,  et  en  secondes  noces ,  vers  1547, 
Suzanne  de  Llgny,  dont  il  n'eut  pas  d'enfants  ; 

Louise  Du  Bols,  dame  du  Quesnel,  etc.,  n'ayant  pas  eu  d'enfants  de 
son  mariage  avec  Hector  de  Moyencourt ,  légua  toutes  ses  terres  à  Michelle 
Du  Bois,  sa  sœur,  qai  épousa,  en  1557,  Antoine  Damiette,  seigneur  de 
Betbencourt-Rivière ,  dont  elle  n'eut  qu'un  flls ,  Pierre  Damiette.  EUe 
n'eut  pas  d'enfants  de  Claude  de  Launay,  son  second  mari  ;  mais  elle  eut 


SUA  l'aBBAYB  DB   FBOIDMOI^T.  47 

parisis  de  rente  sur  la  terre  de  Longbus ,  donnés  en  1232  par 
Jean  de  Ferrières,  seigneur  de  Morainviliers. 

Longvillers  (NoaHlea),  —  Deux  mines  de  blé  de  rente  sur  le 
champart  de  Longvillers,  données  en  1230  par  Julienne  du  Fayel, 
veuve  de  Mauassès  de  L'Epine. 

MarisseL  —  Un  arpent  et  demi  de  terre. 

Marquéglise.  —  Huit  mines  de  blé  de  rente  sur  la  dlme  du 
lieu,  données,  en  1271,  par  Marie  de  Gampremy.  Pierre  de  Gam- 


une  flUe  de  Denis  de  Faassart,  son  troisième  mari.  Amie  de  Faussart , 
qui  épousa  Antoine  de  Remets ,  seigneur  du  Bout>du-Bois. 

Pierre  Damiette  {df argent,  à  une  épie  de  gueules,  surmontée  d"u/n 
chevron  de  même) ,  seigneur  du  Quesnel ,  Bethencourt-Rivière ,  Saint- 
Remy-en^l'Eau ,  fat  père  de  Claude  et  Marguerite,  qui  épousa  Charles 
Cbarlet.  Ces  deux  enfants  passèrent  titre  nouvel ,  en  ie58 ,  de  la  rente  de 
trente  mines  de  blé  due  à  l'abbaye  de  Froidmont,  et  Marguerite  vendU 
peu  après  sa  part  de  cette  seigneurie  à  César  de  Flabaut  de  la  Riliarderie, 
seigneur  d'Angivillers. 

Claude  Damiette ,  seigneur  de  SainURemy-en-l'Eau  et  du  Quesnel ,  en 
partie ,  épousa  Suzanne  du  Mesnil ,  dont  il.eut  Antoine  Damiette .  seigneur 
de  Saint-Remy  et  du  Quesnel ,  mort  sans  enfants ,  et  Suzanne  Damiette , 
qui  épousa  Louis  TIercelin,  seigneur  de  Biencourt.  Etienne  Tierceiin .  leur 
fils ,  hérita  de  son  oncle ,  et  vendit  ses  terres  du  Quesnel  et  de  Saint- 
Remy  en  1731. 

En  1691 ,  Jean-Baptiste  Pocholle ,  seigneur  d'Andebus ,  acquit  par^décret 
une  partie  de  la  seigneurie  du  Quesnel.  Il  était  alors  marié  à  Catherine 
Derebergues,  dont  ileutMarie-Catherine-Elisabeth,  morte  sans  postérité 
en  1704,  et  Jeanne-Agnès-Thérèse  Pocholle,  qui  hérita  des  terres  du 
Quesnel ,  Bucamps  et  Malvoisine  à  la  mort  de  son  père ,  arrivée  en  1714. 
Elle  était  alors  mariée  à  Louis  du  Bouchet ,  comte  de  Montsoreau.  De 
leur  mariage  naquit  Louis  II  du  Bouchet,  comte  de  Montsoreau,  seigneur 
en  partie  du  Quesnel ,  qui  épousa ,  en  I7â0 ,  Charlotte-Antonhie  de  Gon- 
taut-Biron,  dont  il  eut  Lonise-Antonine ,  mariée,  en  1745,' à  Philippe- 
Alexandre  Le  Quieu  de  Guerneval,  marquis  d'EsquelbeciL  ;  Armande- Ursule, 
mariée,  en  17.59 ,  à  Louis-François-René ,  comte  de  Yirieu;  Judith,  mariée 
(1755)  à  Anne-Joachim-Annibai ,  comte  de  Rocbemore  ;  GabrieUe-Louise- 
Geneviève  et  Marie-Louise-Victoire.  De  son  second  mariage  (1741)  avec 
Marguerite-Henriette  Des  Maretsde  MaUlebois,  il  eut  Louis-Emmanuel , 
dit  le  marquis  de  Tourzei ,  Louis-François ,  Yves-Marie ,  Jeanne-Made- 
leine et  Marie-Louise-Henriette. 


E*i. 


48  NOTICE 

premy,  seigneur  de  Fournival,  en  passa  titre  nouvel  en  13.^7. 

Mello,  —  Une  maison  avec  un  arpent  et  demi  de  terre,  lieudit 
le  Clos-Ferrand ,  donnée,  en  1216,  par  Manassès,  seigneur  de 
lielio. 

Quatorze  muids  de  blé  sur  les  moulins  de  Mello,  donnés, 
eu  1:^0],  par  Renaud  de  Mello,  chevalier,  seigneur  dudit  lieu,  et 
réduits  à  quatre  par  suite  d'une  transaction  passée  avec  Guy  de 
Nesle,  seigneur  d'Offémont  et  de  Mello,  en  4468.  Titre  nouvel  en 
avait  été  passé,  en  1344 ,  par  Jean  de  Nesle,  seigneur  d'Offémont 
et  de  Mello  (1). 

Moimont  [Sainte-Eu^oye],  —  Une  ferme  avec  soixante  mines 
de  terre  y  attenant.  Cette  ferme  doit  son  origine  à  la  donation 
du  bois  de  Moimont  par  Mathieu  de  Thérines,  Frédelinde,  sa 
femme,  Girard,  Àrooult  et  Meissende,  ses  enfants,  en  1157. 

Montdidier,  —  60  sols  parisis  de  rente  sur  la  ville  de  Mont- 
didieretsur  plusieurs  maisons  audit  lieu,  donnés  par  Adam 


(1]  La  terre  de  Mello  était  possédée,  en  llOO,  par  Drogon  oa  Dreux  I" 
de  Mello,  dont  le  frère,  Martin  de  Mello,  chanoine  de  Paris,  fonda,  en  1103, 
la  collégiale  de  Notre-Dame  de'Mello.  Drogon  de  Mello  épousa  N.  de  Beau- 
mont  ,  dont  il  eut  Drogon ,  Yves  et  Gaillaome. 

Drogon  II  de  Mello ,  mort  après  1136,  avait  eu  de  Richelde  de  Clermont . 
Drogon,  Renaud,  Raoul,  tué  à  Tripoli,  et  Guillaume,  abbé  de  Vezelay. 

Drogon  III  de  Mello,  qui  vivait  encore  en  1153,  fat  père  de  Galllaume, 
Hugues,  chanoine  de  Saint -Quentin  de  Beauvais,  Renaud  II,  religieux  de 
Vezelay,  qui  fonda  le  prieuré  de  Sainte«Madeleine  de  Mello,  Drogon, 
Basilic  et  Odévie. 

Guillaume  de  Melio  se  croisa  avec  Philippe- Auguste ,  et  épousa  Ermen- 
trude  de  Bulles,  dont  il  eut  Renaud,  Pierre,  Manassès,  Guillaume,  cha- 
noine de  Beauvais. 

Renaud  de  Mello ,  qui  donna  quatorze  maids  de  blé  de  rente  à  l'abbaye 
de  Froidmont  en  1201,  eut  une  fille,  Isabeau  de  Mello,  qui  épousa  Simon 
de  Dargies.  A  sa  mort ,  Manassès  prit  le  titre  de  seigneur  de  Mello ,  et 
donna  la  vigne  du  Clos-Ferrand ,  en  1^16,  à  l'abbaye  de  Froidmont. 

Guillaume  de  Mello  ,  fils  de  Pierre ,  lui  succéda  ;  il  épousa  Ade ,  dont  il 
eut  Marguerite  de  Mello ,  qui  apporta  la  terre  de  Mello ,  en  13^6,  dans  la 
maison  de  Clermont  de  Nesle  par  son  mariage  avec  Jean  de  Clermont  de 
Nesle,  seigneur  d'Offémont.  De  leur  mariage  naquirent  Guy,  Guillaume, 
Âmaury,  Isabeau ,  dame  du  Piessis-Cacheleu ,  et  Jean. 

Guy  II  de  Nesle,  seigneur  d'Offémont  et  de  Mello,  maréchal  de  France 


SI  H  l'akbaye  dk  froiumo.m  19 

Aspec  en  1 188,  et  Jean  Rage,  chevalier,  seigneur  du  CardonnoLs^ 
en  1246  et  \tii. 

Montreuil-sur-Hréche.  —  Les  fiefs,  terres  et  seigneuries  de 
Ouévremonl  et  de  La  Motte,  avec  quatre-vingt-dix  mines  de  terre 
et  bois  en  dépendant,  acquis  en  1301  de  Bernard  de  La  Motte 
de  Uuévremont. 

La  mouvance  du  fief  de  Bois-Liebaut,  qui  relevait  à  foi  et 
hommage  de  la  seigneurie  de  Mauregard.  Ce  lief  était  tenu, 
en  1347,  par  Eméline  de  Pouceaux ,  femme  de  Thomas  de  Ver- 
berie;  elle  le  vendit  à  Pierre  de  Brunvillers.  Uoger  Haynel  le 
tenait  en  154o,  Joachim  Le  Paige  en  1700,  Philippe  Le  Paige 
en  1747. 

Moiœhy.  —  12  livres  7  sols  parisis  et  trois  muids  de  vin  de 
rente  sur  la  terre  de  Mouchy,  donnés  par  Odévie  de  Moucliy  (1207), 
Mathieu  de  Trie  (123 &),  et  Jean  de  Trie,  comte  de  Dammartin  et 


en  1:U5.  avait  épousé,  en  131-2,  Jeanne  de  Bruyères-ie-Chûtel ,  dont  il 
eut  Jean ,  Robert,  Marie  et  Yolande ,  et  en  secondes  noces  (13)1),  Isabeau 
de  Tbouars ,  dont  il  n'eut  pas  d'enfants.  Il  fat  tué  à  la  bataiHe  de  Moron, 
en  135-2. 

Jean  II  de  Nesie ,  qui  mourut  en  1388 ,  eut  d'Ade  de  Mailly,  dame  d  A- 
cheu ,  sa  femme  :  Guy,  Louis ,  Blanche  et  Marie. 

Guy  m  de  Nesie ,  conseiller  et  chambellan  du  roi ,  tué  à  la  bataille 
d'Aziocourt,  en  1115,  avait  épousé,  en  1389,  Marguerite  de  Goucy,  dont 
il  eut  Jean,  seigneur  d'Offémont ,  Guy,  seigneur  de  Mello,  N.,  Blanche  et 
Jeanne. 

Guy  IV  de  Nesle ,  seigneur  de  Mello ,  puis  d'Offémont  après  ia  mort  de 
son  rrère ,  mourut ,  lui  aussi  en  1473,  laissant  de  Jeanne  de  Saluées ,  qu'il 
avait  épousé  en  14*29,  Jean ,  Jeanne ,  Jacqueline  et  Blanche. 

Jean  III  de  Nesle  épousa  (1463)  Jacqueluie  de  Croy,  dont  il  n'eut  que 
deux  enfants  :  Guy  et  Louise.  Guy  mourut  jeime,  et  Louise  de  Nesle ,  sa 
sœur,  hérita  des  terres  de  Mello  et  d'Offémont  N'ayant  pas  d'enfants  de 
Jean  de  Bruges ,  seigneur  de  La  Gruthuse ,  qu'elle  avait  épousé ,  elle 
donna  ses  terres  de  Mello  et  d'Offémont,  en  1524,  à  François  de  Mont- 
morency, seigneur  de  La  Rochepot  et  gouverneur  de  l'Ile  de  France,  en 
faveur  de  son  mariage  avec  Charlotte  d'Humlères.  François  de  Montmo- 
rency Diourut  en  1551,  sans  laisser  de  postérité,  et  Anne  de  Montmorency, 
son  frère,  hérita  de  ses  terres  de  Mello  et  d'Offémont  Elles  restèrent  dans 
cette  famille  Jusqu'en  1769. 

T.  VIII.  4 


50  NOTICE 

seigaeur  de  Mouchy  (12«J  .  Cette  rente  fut  réduite,  vers  U72,  en 
faveur  de  Philippe  de  Trie  (i). 

Sept  mines  ou  environ  de  terre  données,  en  iâ60,  par  Gautier 
Lescot. 

yiouy,  —  Cinq  muids  de  vin  blanc  sur  les  dîmes  des  vignes 


(!)  Odérie  de  Moactiy,  dame  de  Moucby,  apporta  cette  terre  de  Moactiy 
dans  la  maison  de  Trie  en  épousant»  vers  1167,  Enguerran  de  Trie;  elle 
était  fille  de  Drogon  de  Mouchy  et  veuve  alors  de  Nivelon  de  Pierrefonds. 
Elle  eut  de  son  second  mariage  Jean,  Enguerran ,  Pierre,  Guillaume,  cha- 
noine de  Rouen ,  et  Elisabeth  de  Trie ,  qui  épousa  Guy  de  Sentis,  seigneur 
de  Chantilly  et  ErmenonviUe. 

Jean  I«  de  Trie ,  chevalier,  seigneur  de  Trie  et  de  Mouchy,  eut  d'Alix, 
Jean  et  Elisabeth. 

Jean  II  de  Trie ,  qui  (ut  à  iabataUle  de  Bouvines ,  en  1214 ,  épousa  Alix 
de  Dammartin,  qui  lui  donna  Mathieu,  Enguerran,  Renaud,  auteur  des 
seigneurs  de  Fontenay,  Bernard,  Catherine,  mariée  k  Guillaume  Le 
Jeune ,  seigneur  de  Garenton ,  et  Jeaime,  mariée  à  Robert  Bertrand,  baron 
de  Bricquebec. 

Mathieu  I*'  de  Trie,  comte  de  Dammartin ,  seigneur  de  Trie  et  de  Mouchy, 
transigea,  en  1^4,  avec  L'abbaye  de  Froidmont.  Il  épousa  MarsiUe  de 
Montmorency,  dont  il  eut  Philippe ,  Jean ,  seigneur  de  Mouchy,  Thibault, 
seigneur  de  Sérilontaine-,  et  Simon ,  seigneur  de  Gouvieux. 

Jean  III  de  Trie ,  qui  donna  7  Uvres  parisis  de  rente  sur  sa  terre  de 
Mouchy  à  l'abbaye  de  Froidmont ,  en  li28l,  épousa  d'abord  Ermengarde, 
puis  Yolande  de  Dreqx ,  dont  il  eut  Renaud,  Philippe ,  trésorier  de  l'église 
de  Bayeux,  Jean ,  seigneur  de  Mouchy,  et  Mahaud.  qui  épousa  (1296^  Henri 
de  Vergy. 

Jean  IV  de  Trie ,  seigneur  de  Mouchy  par  l'acquisition  qu'il  fit  de  la  part 
de  ses  frères,  en  lâio,  mourut  en  1327,  après  avoir  épousé  N.  de  Chambly. 
dont  il  eut  Mathieu ,  Renaud ,  Jean ,  Yolande  et  Eléonore. 

Mathieu  II  de  Trie ,  seigneur  de  Mouchy,  étant  moit  en  1360,  sans  laisser 
de  postérité ,  Renaud  étant  mort  aussi  en  1350  sans  postérité ,  Jean  V  de 
Trie ,  chanohie  de  Mouchy,  puis  archidiacre  de  Châlons ,  leur  frère,  hérita 
de  la  terre  de  Mouchy,  et  la  donna,  en  1360,  à  Renaud  de  Trie,  dit  Pa- 
trouillart ,  seigneur  du  Plessls-BlUebaut ,  son  cousin ,  à  condition  que,  si 
lui  ou  ses  descendants  venaient  à  décéder  sans  enfants ,  cette  terre  pas- 
serait aux  Trie ,  seigneurs  de  Sérifontaine. 

Renaud  l"  de  Trie,  dit  Pairouiliart,  épousa  Jeanne  de  Fosseuse,  dont 
Ueut: 

Renaud  II  de  Trie,  dit  Patrouillart ,  capitaine  de  Beauvais ,  qui  épousa 


SUR    L*ABBÀY1£   DE   FROIDMONT.  51 

de  Mouy,  donnée  par  Gautier  et  Jean ,  seigneurs  de  Mouy,  en  1100 
et  i:U9,  et  par  Guillaume  d'Allonnète,  chevalier,  en  1220.  Cette 
rente  fut  rachetée,  en  1482,  par  Jacques  de  Vaux,  écuyer,  sei- 
gneur des  dîmes  de  Mouy,  par  la  cession  des  fiefs  Picotiq  ^t 
Dubus,  àCaiilouel. 

ISogent-les-  Vierge;;.  —  une  masure  et  trois  arpents  de  terre. 

Noyers,  —  Soixante-treize  mines  de  terre,  données  par  Pierre 


Marie  de  Nesle  de  Mello ,  dont  il  eat  Jean ,  Pierre  et  Jeanne.  A  sa  mort. 
Charles  VU  confisqua  la  ch&teUenie  de  Moachy  et  la  donna,  en  1430,  à 
Jean  de  Brosse ,  maréchal  de  France  ;  mais  en  USi  elle  était  déjà  rendue 
à  Pierre  de  Trie,  second  iUs  de  Renaud.  Pierre  mourut  en  USB,  sans 
laisser  de  postérité  de  Jeanne  Des  Crosnes.  Ce  défaut  d'héritier  fit  passer 
la  terre  de  Mouchy  dans  la  famille  des  Trie  de  Sérifontaine.  Jacques  de 
Trie,  seigneur  de  Sérifontaine ,  RoUebolse,  etc.,  en  hérita;  mais  U  n'en 
jouit  pas  longtemps,  puisqu'il  mourut  la  même  année,  le  5  octobre  14^, 
laissant  neuf  enfants  de  Catherine  de  Fleurigny,  sa  femme  :  Jean,  Philippe, 
Catherine ,  mariée  à  Gérard  Raoulin ,  seigneur  de  La  Grange  ;  Jeanne, 
mariée  à  Martin  de  Trie ,  dit  Pillavoine  ;  Marguerite,  mariée  à  Pierre,  sei- 
gneur de  Nouyers  -,  Mahiette ,  mariée  à  Jean  Le  Clerc  ;  Jeanne ,  dame  de 
Montreuil,  mariée  à  Charles  de  Momay;  Robine,  mariée  à  Thibault  de 
Maricourt,  et  Marie,  qui  épousa  Vincent  de  La  Roche-sous-Yitry. 

Jean  YI  de  Trie  ,  seigneur  de  Sérifontaine  et  Mouchy,  mourut  en  1441, 
sans  postérité ,  en  laissant  ses  terres  à  Philippe  de  Trie ,  son  frère ,  sei- 
gneur de  RoUeboise ,  qui  mourut  aussi  sans  enfants  de  Jeanne  de  Havart, 
sa  femme ,  en  1487.  Alors  la  terre  de  Mouchy  fut  dévolue  à  Robine  de 
Trie,  Tune  de  leurs  sœurs,  et  par  elle  à  la  maison  de  Maricourt,  dont 
était  son  mari ,  Thibault  de  Maricourt ,  alors  défunt. 

Jean  de  Maricourt,  leur  Uls,  fut  donc  seigneur  de  Mouchy  et  de  Sérifon- 
taine. C'était  un  vaUlant  capitaine  d'arbalétriers.  Il  épousa ,  en  1498,  Jac- 
queline 4'Àunoy,  dont  il  eut  Louis  et  Jean. 

Louis  de  Maricourt  étant  mort,  en  1531,  sans  enfants  de  son  mariage 
avec  Antomette  de  MaiUy,  Jean  de  Maricourt ,  son  frère,  lui  succéda  dans 
tous  SAS  biens  ;  U  épousa  (1533)  Renée  du  Quesnel,  et  mourut  en  1583.  * 

François  de  Maricourt ,  son  fils ,  baron  de  Mouchy,  seigneur  de  Séri- 
fontaine et  gouverneur  de  Pont-de-l'Arche ,  épousa ,  en  1559 ,  MicbeUe 
Robertet,  dont  il  eut  René  et  Jacqueline ,  mariée  à  Nicolas  de  Presteval. 

René  de  Maricourt,  seigneur  de  Mouchy,  mourant  sans  enfants  de  Louise 
de  Combault,  légua  sa  seigneurie  de  Mouchy  à  Jacqueline  de  Presteval, 
sa  nièce,  qui  épousa,  en  1623,  Jean  de  Boutillac,  baron  d'Arson,  et  en 
secondes  noces  (1639;  Robert  Aubéry,  président  à  U  Chambre  des  Comptes. 


52  NÛTIGB 

de  Montataire  (de  Mo-me  Thane)  et  Jean,  Guillaume,  Yves,  Marie, 
Alix,  Helvide,  ses  frères  et  sœurs,  en  1202. 

Parfondeval  ou  Saint- Arnouli  [n  arluis).  —  Une  ferme 
avec  162  arpents  de  terre,  pré  et  bois. 

Cette  exploitation  agricole,  qui  fut  jadis  une  grange,  doit  son 
origine  à  la  donation  d'une  vigne  appelée  le  Clos  de  Merlemont, 


Elle  eut  de  son  second  mariage  Claude,  Françoise,  Dorothée,  Henriette 
et  Luce ,  mariée  a  Gaston  de  Lancy,  marquis  de  Raray. 

Claude  Aabery,  baron  de  Moucby  et  marquis  de  Va  tan,  vendit  Mouchy 
à  Anne,  duc  de  Noailles. 

Anne,  duc  de  Noailles,  premier  capUaine  des  gardes-du-corps,  mourut 
en  1678,  après  avoir  eu  de  Louise  Boyer  :  Anne-Jules ,  Louis-Antoine, 
archevêque  de  Paris  ;  Jacques ,  chevalier  de  Halte  et  lieutenant-général 
des  galères  du  roi  ;  Jean-François ,  Jean-Gaston ,  évoque  de  Chalons ,  et 
Louise-Anne,  mariée  à  Henri  de  Beaumanolr,  marquis  de  Lavardin. 

Anne-Jules,  duc  de  Noailles,  maréchal  de  France,  épousa,  en  1671, 
Marie-Françoise  de  Boumonville ,  ('.ont  il  eut  vingt  et  un  enfants ,  entre 
autres  Adrien-^Maurice ,  Jean-Anne ,  Emmanuel- Jules,  Jules-Adrien,  Jean- 
Emmanuel^  Marie- Christine,  Marie- Charlotte ,  Anne-Louise,  Julie-Fran- 
çoise, Lucie-Félicité.  Marie-Thérèse,  Marie-Françoise,  Marie-Victoire, 
Marie-Emilie ,  Marie- Uranie  et  Anne-Louise. 

Adrien-Maurice ,  duc  de  Noailles ,  maréchal  de  France,  épousa,'  en  169(^, 
Françolse-Charlotte-Amable  d'Aubigné,  dont  il  eut  :  Louis,  Philippe,  Fran- 
çoise-Adélaïde, mariée  à  Charles  de  Lorraine,  comte  d'Armagnac  ;  Amabie- 
Gabrielle.  mariée  (1721)  à  Honoré-Armand  de  Villars  ;  Marie-Louise,  mariée 
(1730)  à  Jacques-Nompar  de  Caumont-La-Force ,  et  Marie- Anne ,  mariée 
(I7d4^  à  Louis-Angilbert  de  La  Marck. 

Philippe  de  NoaiUes.  marquis,  puis  duc  de  Moucby,  maréchal  de  France, 
épousa,  en  1741,  Anne-Claudine-Louise  d'Arpajon,  dont  il  eut  N.,  dit  le 
prince  de  Poix,  mort  en  1717;  Daniel-François,  mort  en  1751,  Philippe- 
Louls-Marc- Antoine,  Louis-Marc- Antoine,  Louis-Marie,  Louise-Henriette. 

Philippe-Louis-Marc-Antoine  de  Noailles,  duc  de  Mouchy,  prince  de  Poix, 
épousa .  en  1767,  Anne-Louise-Marie  de  Beauvan ,  dont  II  eut  Charies- 
Arthor-Jean-Tristan,  Athalie-Luce-Léontine  et  Rosalie-Chariotle-Antoinette- 
Léontine ,  duchesse  de  Mouchy,  qui  épousa ,  en  1809,  Aifred-Louis-Domi- 
nique-Vlncent-de-Paule  de  Noailles,  son  cousin,  tué  à  la  bataille  de  la 
Moskowa.  De  ce  mariage  naquit  Anne-Marie-Céclle  de  Noailles,  qui  épousa 
Charles-Philippe-Henri  de  Noailles ,  son  cousin  germain ,  duc  de  Mouchy. 
député  de  l'Oise  en  1849,  sénateur  en  1852,  mort  en  1854,  dont  deux  flis  : 
François  et  Antoine ,  duc  de  Mouchy,  qui  a  épousé  Anna  Murât. 


SUR  l'abbatb  db  froidmont.  53 

par  Drogon  de  Merlemont»  Foulques,  Drogon,  Inga,  Eméline 
et  Valorie,  ses  enfants,  en  115o,  et  à  celle  des  terres  voisines  et 
de  la  seigneurie ,  par  Hugues  de  Bracheux ,  chevalier,  seigneur 
du  lieu,  en  la  même  année.  Elle  s'accrut,  en  1197,  par  Tacqui- 
sition  du  clos  Kaalon,  sis  à  Hez,  vendu  par  Thôpital  de  Saint- 
Lazare,  et  de  divers  champs,  prés  et  bois,  sis  aux  lieudits  Orbe- 
fontaine,  Belinchamp  et  le  Clos-Kaalon,  qui  portent  encore  ce 
nom,  donnés  ou  vendus,  de  i20â  à  1^08,  par  Gérard  Boschet, 
Girard  de  Reuil,  Garin  de  La  Rue,  Girard  de  Kobelot,  Pierre  de 
La  Rue,  Girard  du  Val,  Hervée  de  La  Rue ,  Adam  de  Hez  et  Simon 
de  Hez  dit  le  Prévôl.  A  son  retour  de  la  croisade  (4200),  Pierre 
de  Bracheux  donna  son  bois  de  La  Chaîne,  avec  le  droit  de  pâ- 
turage dans  les  marais  communs  dépendants  de  sa  seigneurie  ; 
Henri,  seigneur  de  Condé,  donn^  les  mêmes  droits  dans  ceux 
deCondé  (1209).  En  4217,  les  religieux  achetèrent  diverses  pièces 
de  terre  de  Mathilde  de  Mattencourt,  un  bois  d'Hervée  de  Mer- 
lemont,  et  un  autre  bois,  vers  li2r>,  de  Renold  de  Merlemont. 
En  1230,  Hugues  de  BoisAubert  et  Marie,  sa  femme,  cédèrent 
le  droit  de  pâturage  sur  le  quart  de  leur  fief  de  Merlemont,  et 
Odon  de  Therdonne  un  bois  voisin  du  bois  Hervée  et  du  chemin 
de  Moyen-Aunoi.  En  1239,  Jean  de  Chypre  vendit  à  la  grange  de 
Parfondeval  vingt-huit  arpents  de  bois  au  lieudit  Orbefontaine, 
et  six  masures  à  Merlemont,  que  Pierre  de  Bracheux,  seigneur 
de  Merlemont,  lui  avait  légués  en  mourant  pour  le  récompenser 
de  ses  longs  et  fidèles  services  comme  écuyer.  Quelques  dona- 
tions et  un  grand  nombre  de  ventes  vinrent  encore  dans  la  suite 
augmenter  cette  propriété.  Ainsi,  Marie  de  Merlemont ,  veuve 
du  chevalier  Pierre  de  Bracheux,  pour  avoir  sa  sépulture  à 
Froidmont,  donna  la  moitié  de  tout  ce  qu'elle  possédait  à  Mer- 
lemont, en  124!2,  et  Roger  Drouart  une  maison  sise  aussi  à  Mer- 
lemont, en  12  iO. 

Le  monastère  avait  droit  de  justice  et  de  seigneurie  sur  la  plu- 
part de  ses  terres  et  sur  une  partie  du  territoire,  par  donation 
des  seigneurs  de  Mattencourt  e(  de  Merlemont.  en  1209  et  1218. 

m 

Le  reste  relevait  des  seigneurs  de  Mattencourt  et  de  Merlemont  (1). 


(I)  La  seigneurie  de  MaUencourt  (Âbbecourt)  était  possédée,  au  xii*  siècle, 
par  nne  ramille  de  ce  nom ,  et  Matbllde  de  Mattencourt  nt  plusieurs  ventes 


54  NOTICE 

Il  y  avait  une  chapelle  desservie  par  les  religieux.  A  rintérîeur 
est  la  tombe  de  saint  Arnoult,  ermite  et  martyr.  Cette  tombe, 
recouverte  d'une  pierre  élevée  de  trois  pieds  et  soutenue  par 
quatre  piliers,  porte  cette  inscription,  entourant  Teffigie  du 
saint  : 

Hic  jacet  Sanctus  Àrnulphus  Martyr  et  Eremita 
fundator  hujus  capellœ. 

m 

D'après  celte  inscription,  la  chapelle  aurait  été  fondée  par  ce 
saint  martyr    Nous  ne  le  contestons  pas.  C'est  un  édifice  à 


à  rabbayé  de  Froidinoht ,  vers  l'an  1200.  En  B18,  elle  était  partagée  entre 
Odon,  lean ,  Guillaume  et  Pétronflle  de  Tourly,  et  Pierre  de  Goincoarl. 
cheralier.  En  1375,  elle  était  à  Henri  de  Lihus,  comme  époux  de  N.  de 
Goincourt ,  et  en  1353  à  Henri  de  Lihus ,  son  fils.  Elle  fut  pea  après  réunie 
à  celle  de  L'Epine,  dont  elle  suivit  le  sort. 

La  seigneurie  de  Merlemont  était  possédée,  en  llîO,  en  partie,  par 
Guillaume  de  Braciieux,  et,  en  1155,  par  Hugues  et  Henri,  ses  fils.  Hugues 
de  Bracbeux,  chevalier,  seigneur  de  Bracbeux,  Merlemont,  Oudeull, 
qui  eut  plusieurs  démêlés  avec  l'abbaye  de  Froidmont  en  1180,  au  sujet 
de  ses  terres  de  Parfondeval,  fut  père  de  Pierre,  Hugues,  Alix,  mariée 
à  Pierre  de  Laversines ,  Isabelle  et  Marguerite. 

Pierre  de  Bracbeux  se  croisa,  en  KOi,  avec  Guillaume  de  Bracbeux  ; 
il  se  distingua  dans  cette  expédition  (Vilbardouin),  et  à  son  retour  fit 
plusieurs  donations  à  l'abbaye  de  Froidmont.  Après  lui,  son  neveu, 
Pierre  U  de  Bracbeux,  (Ils  de  Hugues,  fut  seigneur  de  Merlemont  et 
conllrma ,  en  cette  qualité ,  plusieurs  ventes  faites  à  Froidmont  en  l'233. 
Il  mourut  en  12:^9 ,  et  Marie  de  Merlemont ,  sa  veuve ,  Ht  plusieurs  dona- 
tions k  Froidmont  en  1212. 

Ë'n  1360,  le  second  jour  d'octobre ,  Jehan  de  Cb:\tillon ,  seigneur  de 
Damplerre ,  l'était  aussi  de  Merlemont ,  et  Marie ,  dame  de  Rollaincoiirt, 
en  Artois ,  était  sa  femme.  Il  transigea  avec  dom  Jehan  de  Villiers,  maître 
de  Parfondeval. 

En  1880,  Antoinette  de  Ch&tillon ,  suivant  tonte  apparence  fille  de  Jehan, 
ci-dessus ,  avait  recueilli  partie  de  la  terre  de  Merlemont  dans  la  succes- 
sion de  son  père,  et  avait  épouse  Guy  Malet,  seigneur  de  Graville,  qui, 
cette  même  année .  donna ,  tant  en  son  nom  qu'en  celui  de  sa  femme, 
dame  de  Merlemont ,  l'aveu  et  dénombrement  de  ladite  partie  de  la  terre 
et  seigneurie  à  Guy  de  Nesle ,  seigneur  d'OlTémont  et  de  Mello.  à  cause 
de  sa  chAtetlenie  de  Mello. 

Sur  la  On  du  xv«  siècle ,  celte  seigneurie  était  en  la  possession  de  la 


SUR   l'abbaye   de   FKOIDMOIVT.  55 

rhreur  polygone,  qui  paraît  être  du  xi«  siècle,  'à\ec.  ses  longues 
fenêtres  à  pielncintre,  dépourvues  d'ornements  extérieurs,  et 
celle  du  chevet  garnie  de  deux  colonnettes  à  petits  chapiteaux 
romans.  11  résulterait  de  là  que  ce  solitaire  aurait  vécu  au 
XF  siècle.  Son  existence,  à  celle  époque,  nous  parait  du  reste 
peu  contestable.  Il  est  certain,  en  eflFet,  qu'il  y  avait  des  er- 
mites vivant ,  enll'.U,  au  Mont-César,  quand  le  monastère  de 
Froidmont  fut  provisoirement  fondé  dans  le  local  qu'ils  habi- 
taient, dans  ce  lieu  qu'on  appelle  encore  aujourd'hui  Vieille- 
Abbaye.  Ces  ermites  cédèrent  la  place  aux  moines  de  Citeaux 
pour  aller  se  flxer  à  Parfondeval,  auprès  du  tombeau  de  saint 


famille  de  Turgis.  Arnaud  de  Turgis,  vivait  en  I49i.  Pierre  de  Turgis, 
son  (ils,  seigneur  de  Merlemont ,  FouqueroUes  ,  Laversines ,  Crécy ,  Fra- 
niiconrt ,  eut  deux  tilles  de  Marie  de  Marigny  •  Catherine,  dame  en  partie 
lie  Merteinont ,  qui  ôpoiisa,  en  151*2,  Louis  Des  Courtits,  cbMelaln  de 
Gerberoy  et  seigneur  de  Gréméviliers  -,  Anne ,  dame  de  l'autre  partie  de 
Merlemont ,  qui  épousa  d'abord  Pierre  de  Cauliëres,  dont  elle  eut  Antoine, 
et  en  secondes  noces ,  Adrien  de  la  Motte ,  dont  elle  eut  Roland,  François 
et  Madeleine. 

Antohie  de  Caullères  céda ,  en  1560 ,  sa  part  de  la  terre  de  Merlemont  à 
Jean  Des  Courtils ,  son  cousin. 

François  de  la  Motte ,  qui  était  marié  à  N.  de  la  Brelonnière ,  dite  de 
Warty ,  et  Madeleine  de  la  Motte ,  sa  sœur ,  qui  avait  épousé  Christophe 
Le  Caron ,  seigneur  de  Bemieulles,  vendirent  aussi  leur  part,  en  1586 ,  à 
Louis  n  Des  Courtils ,  qui  se  trouva  ainsi  possesseur  de  toute  la  seigneurie 
de  Merlemont. 

Louis  Des  Courtils ,  seigneur  de  Gréméviliers  et  Merlemont ,  eut  de  son 
mariage  avec  Catherine  de  Turgis,  Jean,  Beaugeois,  Adam,  François, 
autre  François  ,  Guillaume ,  autre  François ,  Marie ,  Françoise  et  Jeanne. 

Jean  1"  Des  Courtils  ,  seigneur  de  Merlemont ,  embrassa  la  religion 
réformée  et  ût  de  son  château  le  rendez-vous  des  huguenots  du  Beau- 
vaisis.  Il  épousa ,  en  1548 ,  Françoise  Des  Champs ,  dit  More! ,  dont  il  eut 
Louis,  Isaïe ,  Jeanne ,  Françoise  ,  Adrienne  et  Hélène. 

Louis  Dés  Courtils ,  seigneur  de  Merlemont ,  Framiconrt ,  Frétoy ,  Gré- 
méviliers ,  épousa ,  en  1575 ,  Anne  de  Boulainvllliers  Saint-Saire ,  dont 
il  eut  Jean  ,  Judith ,  Suzanne  et  Marie. 

Jean  II  Des  Courtils,  seigneur  de  Merlemont,  Therdonne,  Àllonne , 
Frainlcourt,  Roye,  Houssoy ,  qui  mourut  en  1649,  épousa,  en  1618, 
Catherine  de  lluyart .  dont  il  eut  treize  enfants,  entre  autres  Philippe, 


56  NOTICE 

ArnouU.  Peut-être  les  plus  vieux  d'entre  eux  avaient-ils  connu 
ce  solitaire  et  pratiqué  la  vertu  sous  sa  direction.  Peut-être  aussi 
ce  motif  influa-t-il  sur  le  choix  qu'ils  firent  de  la  localité  pour 
s'y  retirer.  Ne  serait-ce  pas  eux  qui  auraient  fait  graver  Tinscrip- 
tion  qui  est  sur  son  tombeau?  Mais  ce  saint  solitaire,  qui  élait- 
il  ?  Tous  les  documents  manquent  à  ce  sujet,  et  nous  ne  saurions 
donner  une  réponse  satisfaisante  à  cette  question.  Des  hagio- 
graphes,  même  sérieux,  ont  essayé  de  nous  en  donner  une  Vie; 
mais  les  détails  par  eux  relatés  nous  semblent  appuyés  sur  des 


Anne  ,  Madeleine  ,  Françoise ,  Jeanne ,  Augustin  ,  Suzanne ,  Marie ,  Jean  , 
Suzanne,  religieuse  à  Saint-Paul. 

Philippe  et  Augustin  Des  CourUls  étant  morts  à  la  guerre,  en  lOlo.  sans 
être  mariés ,  Jean  III  Des  CourUls ,  leur  frère ,  hérita  des  terres  et  sei- 
gneuries de  Herlemont ,  Therdonne ,  Allonne .  Bruneval ,  Framicourt. 

Jean  m  Des  CourUls  épousa,  en  1660,  Louise  Des  Champs,  dit  Morel, 
dont  il  eut  Cbarles ,  Jean-Cbarles ,  René ,  Louis ,  Elisabeth ,  mariée  à 
René  de  Boufllers ,  Marie-Madeleine  et  trois  Qlles  mortes  religieuses. 

Charles  I**^  Des  Courtils ,  seigneur  de  Merlemont,  etc.,  capitaine  dt' 
dragons ,  épousa  ,  en  1702 ,  Catherine  Macaire ,  qui  lai  donna  Charles  et 
René-Louis. 

Charles  II  Des  Courtils ,  seigneur  de  Merlemont ,  Allonne ,  Bruneval , 
le  Val  et  Saint-Auhin-le-Guichard ,  épousa,  en  1736,  Catherine-Charlotte 
de  Mahiel ,  dont  il  eut  Charles-Louis ,  Augustin  et  François. 

Charles-Louis  Des  Courtils  ,  chevalier,  seigneur  de  Merlemont,  etc.,  né 
en  17,39,  épousa,  en  1771,  Adolphe-Françoise  de  Gaudechart,  dont  il  eut 
Charles-René  et  Adolphe. 

Charles-René  Des  Courtils,  comte  de  Merlemont ,  né  en  1777,  épousa, 
en  1705 ,  Vlctorine-Lucie  de  Mahiel ,  dont  il  eut  Alfred-Charies ,  mort 
jeune ,  René-Adolphe ,  Charles-  Gustave  ,  René-Louis  Léon  ,  comte  Des 
Courtil.<ï ,  au  Ply-Thérines. 

René-Adolphe  Des  Courtils,  comte  de  Merlemont,  ancien  capitaine  de 
cuirassiers .  épousa  en  premières  noces  (1831),  Louise-Marie-Edmée  de  la 
Houssaye  ,  dont  il  eut  Lucie-Marie-Marthe .  qui  épousa ,  en  1853 ,  René- 
Marie- François,  comte  de  Grasse;  Victorine-Stéphanie-Mathilde ,  mariée, 
en  1853 ,  à  Félix-Edmond-Hyacinlhe  Lambrecht ,  ministre  du  commerce 
et  dcp:Ué  du  Nord  en  1871  II  épousa  en  secondes  noces  (ia38)  Alexan- 
drine- Louise- Françoise  de  Paule  de  Virieu,  dont  il  eut  Louis,  qui  épousa, 
en  juillet  1868,  Louise  de  BoutbUlier-Chavigny  ;  Françoise-Alexandrine- 
Jeanne,'marlée  à  Paul ,  comte  de  Muyssart  ;  Ferdinande-Charlotte ,  mariée 
à  Charges,  comte  de  Moucheron  ,  et  Charlotte-Léonie-Suzanne. 


SUR    L*ABBAYK   OB   PROIDMONT.  57 

documents  si  peu  authentiques,  que,  sans  les  rejeter  complète- 
ment,  nous  pensons  qu'il  faut  se  tenir  fortement  en  garde  contre 
eux.  Tout  ce  que  Fon  peut  en  dire,  c'est  qu'il  a  vécu  en  cet  en- 
droit, au  xr  siècle,  un  saint  ermite  nommé  Arnoull.  l/éclat  de 
ses  vertus  lui  attirait  la  vénération  de  tous  les  environs;  ses 
avis  et  ses  conseils  étaient  partout  recherchés.  Un  jour  on  Taura 
trouvé  massacré  auprès  de  la  chapelle  qu'il  avait  édifiée  pour 
y  prier  le  Seigneur  et  y  instruire  les  gens  qui  venaient  le  consul- 
ter, et  les  peuples,  remplis  d'admiration  pour  ses  vertus,  ses 
exemples  et  la  sainteté  de  sa  vie,  l'auront  inhumé  dans  son 
humble  chapelle  et  auront  continué  de  venir  prier  à  son  tom- 
beau celui  qu'ils  consultaient  avec  tant  de  vénération.  Ainsi  aura 
commencé  son  culte,  que  des  miracles  auront  probablement 
rendu  plus  célèbre  encore.  Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  que 
pendant  tout  le  moyen  âge,  et  jusqu'à  nos  jours,  on  y  vint  en 
pèlerinage  de  toutes  parts  pour  obtenir  la  guérison  de  la  fièvre. 
Le  jour  où  Taffluence  était  plus  grande  était  le  24  octobre,  jour 
où  les  religieux  de  Froidmont  célébraient  la  fête  de  saint  Ar- 
noult,  et  portaient  solennellement  la  statue  du  saint  jusqu'à  la 
fontaine  dite  de  Saint-Arnoult ,  éloignée  de  cinq  cents  pas,  sur 
le  chemin  de  Merlemont.  Cette  statue  était  en  cuivre  doré  du 
milieu  du  xiv«  siècle,  et  M.  le  comte  de  Merlemont  la  conserve 
avec  un  religieux  respect  dans  l'oratoire  du  château  de  Merle- 
mont. Quoique  la  chapelle  soit  aujourd'hui  affectée  à  des  usages 
profanes ,  la  pierre  tumulaire  de  saint  Arnoult  est  restée  dans 
le  sanctuaire,  et  quelques  pèlerins  ne  laissent  pas  que  de  la  vi 
siter  encore. 

De  graves  historiens  ont  dit  que  cette  chapelle  avait  été  érigée 
en  l'honneur  du  saint  ermite  et  dédiée  sous  son  nom.  Nous 
pensons  qu'ils  se  sont  trompés,  et  nous  soutenons  d'autant  plus 
notre  assertion  que  la  bulle  du  pape  Alexandre  IV,  donnée  à 
Viterbe,  le  xvi  d'avant  les  calendes  de  mai  de  l'an  i258,  dit 
positivement  que  cette  chapelle  était  dédiée  à  la  Vierge  Marie, 
et  que  les  cent  jours  d'indulgence  qu'elle  accorde  à  ceux  qui 
visiteront  cette  chapelle,  elle  les  accorde  à  deux  fêtes  de  la  Sainte- 
Vierge  :  à  son  Assomption  et  à  sa  Nativité.  Voici,  du  reste,  le 
texte  même  de  la  bulle  :  «  Cum  igiiur,  sicut  iecia  nobis,  vestra 
petitio  continebat  :  ad  capellam  béate  Marie  de  Profondavalle,  ad 
resirum  monasterium  periinentem ,  Befracensis  diocesis ,  fidelium 


58  NOTIGB 

ilia  pûrtium  muititvdo  coricurrat.  Nos  cupienies  ut  iidem  fidffes 
capellam  ipsam  eo  libentius  adeant ,  quo  ex  Inde  potioribus  donis 
senserint  se  refecios ,  oynnibus  vere  penitentibus  et  confessis^  qui 
eamdem  cape l tant ,  in  Àssumptione  et  in  Natiritate ,  gloriose  fir- 
ginis  Marie  festivitatibus ,  cujus  est  insignita  vocabulo^  nec  mm 
et  infra  ocfaras  festivHatiun  ipsarum  annuatim  venerabiliter  visi- 
ta rini ,  de  Ontnipotentis  Dei  misericordia  et  beatorum  Pétri  et 
Pauii  apostolorum  ejus  auctoritate  cmifisi,  centum  dies  de  injuncta 
sibi  pénitent ia  misericorditer  relaxamus,  Datum  Viterbii^  xvi  Acf- 
iendas  maii,  pontiflcatxis  nostri  anno  quarto. 

Comme  od  venait  invoquer  saint  Aruoult  dans  cette  chapelle, 
les  populations  auront  peu  à  peu  substitué  le  vocable  de  saint 
Aruoult  au  vocable  véritable  dans  Tappellation  commune ,  et 
c'est  ce  qui  aura  induit  ces  historiens  en  erreur. 

Paris,  —  Une  maison,  rue  Saint-Jacques,  près  de  Saint- 
Benoit  et  une  autre  au  bout  de  la  rue  du  clos  Brunot,  données , 
en  126i ,  par  Guillaume  Le  Barbier. 

Deux  maisons ,  sur  le  mont  de  Sainte-Geneviève,  données, 
en  1250,  par  Pierre  Lombard. 

Pierrepont.  —  Deux  muids  de  blé  de  rente  sur  la  terre  de 
Pierrepont ,  donnés,  en  i207,  par  Knguerran  du  Cardonnois. 

PlainvaL  —  Une  partie  des  dîmes,  donnée  par  Payen  Gambon 
(lji3),  les  chanoines  de  Saint-Amand  de  Noyon  (lâriO),  Pierre 
d'Haudivillers,  chevalier  (1205),  et  Gautier  de  Plainval ,  chevalier 
(1221). 

Rantiyny.  —  Une  maison  assise  sur  un  arpent  de  terre,  en 
la  me  de  Greil,  donnée,  en  1200,  par  Gautier  de  Vlllers-Sainl- 
Paul,  chevalier ,  et  Marie  de  Plainval,  sa  femme. 
La  dlme  du  lieu ,  par  donation  de  Simon  Liziard ,  en  12:^0. 

Heuil'Sur-Hréche.  —  Une  maison  et  ses  dépendances,  sise 
auprès  du  cimetière,  données,  en  USM  ,  par  Miquelol  Le 
Boucher  (1). 


(I)  L'abbaye  de  Froidmont  avait  en  oatre  à  Reuil ,  ses  trois  grandes 
fermes  de  Mauregard ,  du  Camp-Coutant  et  de  la  Borde-Mauregard ,  et 
une  grande  partie  de  la  seigneurie  du  territoire ,  à  coté  de  la  seigneurie 
laïque  de  Reuil.  Celle  (iernière  était  possédée  par  la  famille  de  Reuil . 


SUR   L  ABBAYE   i)fi   FROIDMONT.  f>9 

Rochy-Condé.  —  Deux  mines  de  blé  de  rente  sur  le  presby- 
tère du  lieu. 

Saim,  —  Deux  muids  de  blé  de  rente  sur  la  terre  de  Sains, 
donnés ,  en  119i ,  par  Osmond  de  Sains ,  chevalier. 

Saint-Denis.  —  Une  maison ,  avec  masure  et  vigne,  donnée, 
en  1207  ,  par  Alelme  de  Poix. 

Saint- Jus t'des-Marais.  —  Quatre  mines  de  terre ,  lieudil  la 


qui  donna  le  jour  à  Oadard  de  Reuil,  vivant  en  1145  (Tit.  de  l'abbaye  de 
SaiDt-Paal)  ;  Pierre  de  Reail,  en  1164  (Tit  Lannoy)  ;  Hugues  et  Thibault  de 
Reuil,  eh  1187  (tit.  Chaalisi.  Bernard  de  Reuil,  chevalier,  abandonna  à 
l'abbaye  de  Froidmont ,  en  U90,  deux  muids  de  blé  qu'elle  lui  devait  sur 
sa  grange  de  Mauregard,  du  consentement  de  Pétronille,  sa  femme,  Marie, 
Alix,  Martine  et  Leudgarde,  ses  filles,  Gautier  et  Yermond,  ses  frères, 
et  Jean ,  fils  de  Gautier,  son  neveu. 

En  12*25,  Simon  de  Reuil,  chevalier,  transige  avec  Froidmont.  Il  eut 
entre  autres  enfants  d'Aveline,  sa  femhie ,  Baudoin  ,  Giton ,  Jean ,  Aveline, 
mariée  à  Sinlon  de  Nolntel ,  Euphémie ,  Prieure. 

Baudoin  de  Reuil,  chevalier,  seigneur  dudit  lieu,  transige  avec  Froid- 
mont ,  en  L2tô ,  1230.  Il  était  alors  marié  à  Ermengarde ,  dont  il  eut  Jean 
de  Reuil,  chevalier,  seigneur  de  Reuil,  en  1350  (Tit.  de  l'HôleUDieu  de 
Beauvais).  Le  flts  de  ce  dernier ,  Baudoin  de  Reuil,  écuyer ,  et  Jeanne ,  sa 
femme .  transigèrent,  en  1302,  avec  l'abbaye  de  Froidmont.  il  avait  pour 
frère  Guillaume  de  Reuil ,  écuyer. 

En  liOO ,  la  seigneurie  de  Reuil  était  à  Jean  de  Gouy,  qui  épousa  Rôbine 
de  Bacquencourt ,  dont  11  eut  Guillaume  de  Gouy,  seighenr  de  ReuiUsur- 
Brêche,  vivant  en  1425;  Louis  de  Goùy,  dis  de  ce  dernier,  seigneuh  de 
ReuU,  après  la  mort  de  son  père  (1471),  moiirut  sans  enfants,  H  Jean  l"* 
de  Gouy,  son  frère,  hérita  de  la  terre  de  Reuil,  vers  14^2.  Jean  II  de 
Gouy,  son  Uls ,  vivant  en  1518 ,  fut  père  d'Antoine  I*'  de  Gouy,  seigneur 
de  Reuil.  Celui-ci  eut  pour  flls  Antoine  II  de  Gouy  ,  seigneur  de  Montreuil- 
sar-Brécbe  et  Ponceaux. 

Cette  terre  de  Reuil  alors  vendue ,  fut  partagée  entre  la  famille  de 
Formé  et  celle  de  Torcy.  Raoul  Formé  était  encore  dit  seigneur  en  partie 
de  tieuil  en  1551 .  Antoine  de  Torcy,  seigneur  en  partie  de  Renll ,  fut 
père  de  Charles ,  David ,  chanoine  de  Beauvais ,  Robert ,  seigneur  de 
Bosroconrt. 

Charles  dé  Torcy,  chevalier,  seigneur  en  partie  de  Renll,  épousa  Louise 
Formé,  rillé  de  Raoul,  dame  de  l'autre  partie  de  Reuil,  et  en  eut  : 

Robert  de  Torcy ,  seigneur  de  Reuil .  Vendeuil ,  Noyers ,  qui  épousa 


CO  NOTICE 

Trupioière ,  données ,  vers  1  ^Or»,  par  Jean  de  Caigneux ,  seigneur 
dudit  lieu. 

Saint-Just-en-Chamsoe.  —  Quatorze  sols,  six  deniers  de 
cens  sur  une  maison  et  une  masure. 

Saint-Remy-en-rEan.  —  La  dîme  de  la  partie  du  territoire, 
sise  entre  Erquinvillers,  Cuignicres  et  Argenlieu,  donnée,  au 
xiii«  siècle,  par  Guy,  curé  de  Saint-Remy,  qui  l'avait  achetée, 
en  1«35,  des  héritiers  de  Baudoin  Morel. 

Savigny,  Aulnay-les-Bondy  {Setne-et-Oùe  .  —  In  muid  de  blé 
de  rente  sur  la  terre  de  Savigny,  donné,  en  1191  ,  par  Adéline, 
dame  d' Aulnay-les-Bondy. 

Seneeourt  {Baiifeva/'.  —  Deux  muids  de  vin  de  renie  sur 


Françoise  de  Sainte-Beuve,  dont  11  eut  Louise ,  mariée  ix  Tbomas  d'Anglos, 
seigneur  en  partie  de  Vendeuil  et  de  Froissy ,  Antoine  et  Jeanne*  marit^e 
à  Robert  de  Crény. 

Antoine  de  Torcy,  seigneur  de  Reuil,  Vendeuil ,  Rouvroy- les- Merles  . 
épousa  en  premières  noces  Françoise  Cbuperel ,  veuve  de  Raoul  Formé  , 
et  en  secondes  noces  Catherine  d'Istres ,  dont  II  eut  Louis  et  Françoise. 

Louis  de  Torcy ,  chevalier ,  seigneur  de  Reuil ,  Bonneval ,  Montigny, 
Hardivillers ,  capitaine  de  cent  hommes  d'armes ,  mourut  en  1661  ,  après 
avoir  épousé  Susanne  de  BoulalnvtUers-Saint-Salre ,  sœur  d'Anne  de  Bon- 
iainviliers ,  dame  de  Merlemont ,  dont  il  eut  Charles,  Philippe ,  gouver- 
neur d'Arras ,  qui  fit  les  seigneurs  de  la  Tour  (Monligny),  Louis ,  seigneur 
de  Bonneval ,  tué  au  siège  de  Hontauban  (1G21),  Cbarlotte  ,  religieuse  à 
Pentbemont,  Marie,  Elisabetb,  Madeleine  et  Claude.  ' 

Cbarles  de  Torcy ,  seigneur  de  Reuil ,  mourut  en  1642 ,  laissant  de  ^ 

Françoise  de  Rouvroy ,  Susanne ,  François  ,    Louis  ,  seigneur  du   Qef  ^ 

Viveret ,  qui  épousa  Marie-Oertrude  Fouquet .    dont   il    eut  Charles  ,  i 

seigneur  du  Viveret  et  Marie- Françoise.  i 

François  de  Torcy,  chevalier,  seigneur  de  Reuil,  Rouvroy,  épousa,  ,{ 

en  1663 ,  Ursule  d'Amfrevltle  ,  dont  il  eut  Jacques-Honoré  ,  Marie-Catbe-  , 

rine  et  Cbarles.  ^ 

Jacques-Honoré  de  Torcy ,  chevalier ,  capitaine  de  cavalerie ,  fut  tué 
devant  Barcelone  en  1714.  Il  avait  épousé  Anne  Laleau ,  dont  il  eut  Jean- 
Clément-Victor  de  Torcy.  ' 

Kn  1674 ,  la  terre  de  Reuil  saisie  sur  François  de  Torcy ,  fut  adjugée  à  i 

Kiisabeth  de  Sermoise,  veuve  de  Philippe  Ghesnel,  marquis  du  Meux  ;  1 

eile  avait  eu  de  son  mariage  Hiérôme-Pbilippe  Chesnel ,  seigneur  de  ^ 

Reuil  et  Charles,  seigneur  de  Ponceaux. 


SUR  L  abbaye;  de  froiumont  61 

le  clos  de  Senecourt,  donnés,  en  1201,  par  Basilie,  sœur  de 
Guillaume  de  Mello.  Celte  rente  fut  convertie  en  une  rente  de 
vingt-cinq  livres  tournois,  à  la  demande  de  François,  duc  de 
La  Rochefoucauld  ,  prince  de  Marcillac ,  seigneur  de  Liancourt 
et  Senecourt,  en  1687. 

Therdonne.  —  Le  flef  de  Goumal,  à  Bourguillemont ,  que  le 
monastère  possédait  déjà  en  i2U. 

Tromsencourt.  —  six  mines  de  blé  de  rente  sur  la  ferme 
de  Troussencourt ,  données  ,  en  1218  ,  par  Raoul  de  Granville , 
chevalier. 

rily-Saint-Georges,  —  Ln  muid  de  blé  de  rente  sur  la 
seigneurie  du  Bols-Morel. 

Valescourt,  —  Trois  mines  de  blé  et  trois  mines  d'avoine 
sur  la  terre  de  Valescourt,  données,  en  1248,  par  (Guillaume  de 
Valescourt,  chevalier,  seigneur  de  Berone,  à  son  départ  pour 
la  croisade.  » 

VillerS'Sur-Thère  (Allanne.)  —  Une  maison  et  quarante  mines 
de  terre,  données,  en  1414,  par  Agnès Moinette,  sœur  de  Robert 
d'Hardivillers. 

Villotran.  —  Les  grosses  et  menues  dîmes  de  Mesanguy,  et 
d'une  partie  de  Villotran. 

On  a  pu  remarquer,  dans  cette  longue  énumération ,  que 
presque  toutes  les  propriétés  du  monastère  devaient  leur  origine 
à  la  pieuse  muniUcence  de  nobles  chevaliers  ou  de  riches  pro- 
priétaires fonciers.  Presque  toujours  ces  biens  étaient  venus  j)ar 
des  donations,  et  les  acquisitions  n'apparaissent  guère  avant  la 
moitié  du  xiii«  siècle.  C'est  qu'aussi  les  constitutions  primitives 
de  l'ordre,  qui  permettaient  d'accepter  les  donations,  défen- 
daient d'acheter  aucun  immeuble  à  titre  onéreux.  Les  chapitres 
généraux  de  1191  et  de  1205  renouvelèrent  cette  interdiction,  et 
si  celui  de  1216  la  leva,  celui  de  1240  la  confirma.  Dans  la  suite 
des  âges,  quand  la  générosité  des  grands  seigneurs  prit  un  autre 
cours,  l'usage  contraire  prévalut.  Ainsi,  en  fut-il  aussi  de  cet 
article  de  la  Charte  de  Charité,  qui  interdisait  aux  religieux  cis- 
terciens la  collation  des  églises,  la  possession  des  villages,  des 
serfs,  des  fours  et  moulins  banaux.  Le  relâchement  introduisit 
des  modifications  que  les  temps  firent  juger  utiles,  et  même 


62  >OTIC|i:  SUR  l^bbàyk  uk  froiumont. 

nécessaires;  mais  ils  ne  furent  pas  toujours  à  l'avantage  de  la 
vie  régulière. 

On  a  pu  dire  que  la  vaste  étendue  de  ces  propriétés ,  en  cons- 
tit^ant  une  immeqse  richesse  territoriale,  fut  un  al}us  qui  causa 
un  grave  préjudice  aux  ordres  religieux.  Ce  ne  flit  pas  vrai  tant 
que  ces  communautés  cultivèirent  leurs  biens  par  elles-mêmes; 
mais  quand  elles  les  firent  exploiter  par  des  merccMaires  ou  des 
fermiers,  quand  elles  se  furent  soustraites  au  rude  labeur  des 
champs,  pour  mener  une  vie  moins  durement  occupée,  le  relâ- 
chement s'introduisit  dans  la  pratique  des  observances  reli- 
gieuses, et  alors  leur  richesse  devint  un  danger  pour  elles.  L'ab- 
baye de  Froidmont  n'échappa  pas  plus  que  les  autres  à  ce  fâcheux 
résultat,  et  sa  large  bienfaisance  ne  fut  pas  toujours  un  dérivatif 
suffisant.  Elle  devint  une  riche  proie  que  la  noblesse  convoita, 
et  sur  laquelle  s'abattirent  ses  enfants,  sous  le  titre  d'abbés 
commendataires  /  pour  sucer  la  plus  belle  partie  de  ses  revenus, 
en  attendant  que  les  envieux  et  les  déshérités  du  tiers  vinssent 
la  mettre  en  lambeaux.  Les  idées  de  iTM>  et  leurs  adeptes  brisè- 
rent cette  fortune  et  en  jetèrent  les  morceaux  épars  aux  mains 
avides  de  gens  qui  ne  remplacèrent  pas,  pour  les  pauvres,  ses 
anciens  et  légitimes  possesseurs.  On  avait  bien  pu,  avec  ses  dé- 
pouilles, enrichir  des  prolétaires  ;  mais  on  ne  sut  pas  leur  donner 
en  même  temps  des  sentiments  généreux. 

On  pariait  alors  beaucoup  trop  des  droits  de  l'homme  pour  ne 
pas  faire  oublier  ses  devoirs.  La  morgue  et  l'égolsme  du  parvenu 
éteignirent  la  bonté  et  la  délicatesse  du  cœur,  et  ces  biens,  qu'une 
bienveillante  générosité  avaient  donnés,  qu'une  compatissante 
charité  avait  administrés,  devinrent  enfin  la  possession  de  gens 
qui ,  trop  souvent,  ne  connurent  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  qua- 
lités. 


L.-E.  DELADKEUE. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 


L  ■ '     .  '  JJ 


Clarté  d'Odon  il.  éréque  de  Beaurais.  coifirmant  l'abaDdon.  par  le  chapitre  de  Saint- 
Nichel  de  Beaurais,  de  sa  part  do  dime  sor  les  terres  donoées  par  llix  de  Balles 
ponr  la  foidatieo  de  l'abbaye  de  Freidnont. 

Kn  1184. 

In  nomine  sancte  et  indJvidue  Trinitatis.  Ego  Odo  Dei  gratia  Belvacensis 
episcopas .  notam  volo  fleri  tam  presentibas  qaam  fataris ,  quod  domina 
Aelidis  de  Baglis  et  fllii  ejas ,  Lancelinus  videlicet  et  Manasses  et  eoram 
soror  Beatrix ,  terram  HIam ,  qaam  in  dominio  possidebant  m  territorio 
Harmaram.  ecclesie  Béate  Marie  de  Tria  dedenint  pro  remedio  animarnm 
suanim.  Hojas  siqaidem  terre  tertiam  partem  décime  majoris,  que  est 
inter  ecclesiam  beati  Micbaelis  et  ecelesiam  sancti  Sepalcbri  de  VHlari, 
dominas  Ursio  ejosdem  ecclesie,  videlicet  sancti  Micbaelis,  decanus, 
nostro  et  quampioriam  rogatu  et  totias  capital!  sai  assensa ,  bi  presentia 
nostra  prefate  ecclesie  Béate  Marie ,  sob  dominicali  censu  quatuor  mina- 
ram  frumenti ,  bénigne  concesslt.  Minutam  vero  decimam  totam ,  que  ad 
altare  pertinet ,  quod  proprium  est  sancti  HicbaeUs ,  censualiter  pro  sex 
minis  avene  eidem  supradicte  ecclesie  perpetao  jure ,  possidendam  capi- 
tuli  sui  auctoritate  flrmavit.  Hic  vero  censas ,  videlicet  quatuor  minarum 
framenti  et  sex  mbiarum  avene  persolvendus  est  in  festivitate  sancti 
Remigi  ad  grangiam  suam  apad  Karmas.  Ne  vero  casa  aliqao  impediente 
possit  inflrmari,  vel  temporum  diatamitate  oblitterari ,  hoc  cyrographum 
rogata  ejas  factum ,  sigUli  nostri  impressione  dignam  daxtmas  conflrmari 
et  testium  suppositoram  presentiali  testlmonio  corroborari.  Signa  cano- 
nicoram  sancti  Pétri  :  Sign.  Rogeri  decani.  Sign.  Yalerannl  arcbidiaconi. 
Sign.  ArnuiA  canonici.  Sign.  Radulâ  canonici.  Sign.  Ursionis  decani  sancti 
Micbaelis.  Sign.  Odonis  thesaurarii.  Sign.  Erchangeri  prepositi.  Sign.  Odonis 
canonici.  Sign.  Jobannis  canonici.  Signa  laTcorum  :  Sign.  Engerberti  mo- 
netarii.  Sign.  Bemeri  fllii  Roberti.  Sign.  Engulgeri  fllii  Gamelini.  Actam 


64  NOTICE   SUH   l'abbaye   DE    FHOtDMONT. 

Belvaco  aiiiio  ab  incarnatione  Doniini  m  <:xxiliv,  indictione  ii'.  epacta  iv, 
Ludovico  rege  Francorum  régnante  (l). 


Confirmation  par  Odon,  évéquede  Brauvais.  des  donations  d'âdélaïde  de  Bulles,  de  Pierre 
el  Baool  de  Bailleol,  des  maires  Pierre  et  Warnier,  el  de  Bickelde  de  Bresles. 

An   1136. 

lu  nomine  Patris  et  Filii  et  Spiritas  sancll.  Amen.  Odo  Dei  volunUte 
Beivacensis  episcopus,  Trie  monasterio  et  fratribus  qui  in  eo  sont  tempore 
tam  presenti  quam  futuro  in  etemum  substîtaendis.  Cbarilatis  opus  est 
fratres  fratribas ,  religîosos  religiosis  condescendere  votis.  Ea  propter 
fratris  nostrt  Galerani ,  abbatis  de  Ursicampo ,  piis  precibus  annueiites, 
Trie  frâtibus  presentibus  et  faturis,  assensu  et  concessione  tôt  lus  capituli 
nostri,  quicqaid  de  feodo  noslro  in  terris,  in  nemoribus,  in  pascuis,  in 
pratis ,  in  aqais ,  vel  etiam  in  decimis  acquisierunt  vel  acqairere  poterunt 
et  omnia  usuaria  in  territorio  de  Braele,  jore  perpetao  possidendam  con- 
cedimus. 

Porro  domina  Adelidis  de  Buglis  et  tllii  ejus  Lancelinus  videlicet,  Ma- 
nasses  et  Rainaldus ,  sororqae  eorum  Beatrix  et  ejusdem  Beatricis  fllie 
Hildeburgis  et  Mathiidis ,  quicqaid  in  montana  terra  Harmarum  in  dominio 
possidebant ,  tam  in  planis  qaam  in  fratetis  usque  ad  magnum  nemus, 
quod  vocatur  Heiz,  et  quamdam  partem  ipsias  nemoris,  quicqaid  videiicet 
continetur  inter  assignatas  metas  in  iongum ,  iu  iatam  vero  qaicqaid  con- 
linetur  a  supra  dicta  montana  terra  usque  ad  marescum ,  et  de  ipso  ma- 
resco  quicqaid  babebant  inter  aquam  et  nemus  de  Heiz,  a  principio  vide 
licet  ipsias  nemoris  usque  ad  flnem  ;  et  etiam  quicquid  in  ipsa  aqua  babe- 
bant ,  in  elemosinam  iisdem  supradictis  fratribus  per  manum  nostram  in 
perpetuurn  libère  possidendum  contradiderunt ,  et  de  feodo  suo  quicquid 
acquisierunt  vei  acqairere  poterunt  similiter  concesserunt.  Omnia  vero 
usuaria  nemorum  suorum  supradictorum  videiicet  Heiz  et  Hasoi  et  alio- 
rum  tam  in  alendis  pecoribus  omnimodis ,  quam  in  lignis  comburendis  et 
ediflciis  construendis ,  sine  aliqua  redditione  sive  pasnagii  sive  cujus- 
cumque  alterius  consuetudinis ,  saepedictis  Trie  fratribus  contuierunt. . 

In  biis  omnibus  supradictis  Petrus  et  Wamerus  majores  quicquid  ad 


(1)  Celle  cliarte  est  citée  par  Loovet,  l<  i,  p.  575,  et  par  le  Oallia  Ckristiana,  édit. 
nova ,  t.  z,  Instrum.  ecci.  Bellov.  n.  xviii. 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  65 

ftuum  Jus  pertinebat,  sine  reclamatione  alicajos  consaetadinis ,  eisdem 
supradictis  fratribus  llberom  concesserunt.  Homines  aatem  Harmaram 
omnia  usoaria  qae  in  sapra  nominata  parte  nemoris  et  etiam  in  montanis 
fratetts  babebant ,  pro  escambio  quod  a  dominis  de  Baglis  acceperunt 
nibli  sibi  retinentes  sœpedictis  fratribos  libéra  concesserunt. 

Prelerea  omuem  possessionein  Heremitarum  apud  Fresmont  commo- 
rantiuni,  quam  nobis  reddiderunt,  petitione  ipsorum  beremitarum  et 
concessione  Pétri  de  Balioco,  in  cajus  elemosina  commanebant,  Thrien- 
sibus  fratribus  sine  ulla  contradictione  etemaliter  possidenduiu  Iradi- 
dimus. 

Idem  vero  Petrus  de  Balioco  terram ,  quam  babebat  prope  domum  be- 
remitarum, et  dimidiam  partem  abieti,  unde  major  de  Braeie  aliam  dlmi- 
diam  partem  possidebat,  et  dimidiam  partem  pratorum  in  quibus  idem 
major  similiter  dimidietatem  babebat,  et  dimidietatem  totius  terre,  que 
est  inter  fontem  Alerici  et  terram  Rogerîi  ei  a  iatere  moutis  usque  ad  ma- 
rescum ,  cujus  terre  aiteram  dimidietatem  Radulpbus  de  Balioco  possi- 
débat ,  prefatis  fratribus  dédit  pro  cambio  quod  a  dominis  de  Buglis  in 
monte  super  Baliocum  accepit. 

Insuper  et  ipse  Radulpbus  de  Balioco  suam  dimidietatem  prefate  terre 
eisdem  fratribus  censualiler  contuiit  pro  novem  denariis  singulis  annis  in 
sanctl  Remigil  festivitate  persolvendis. 

Uuia  etiam  uxor  Odonis ,  Ricbeldis  videlicet ,  terram  quam  pater  suus 
Uerfridus  major  de  Braeie  dedit  ei  nubenti  apud  Glarummontem ,  jacen- 
tem  inter  marescum  ex  parte  Braeie  et  montem  de  Fresmont,  concessione 
patris  sut  et  virl  sut  Odonis  et  beredum  suorum ,  Tbriensibus  fratribus  tn 
elemosinam  tradidit 

Quod  vero  totum  ut  ratum  et  omnino  inconvulsum  permaneat  divina 
anctoritate  precipimus  et  sigilli  nostri  impressione  contirmamus.  Âctum 
anno  ab  incamatione  Domini  miilesimo  centesimo  tric€simo  sexto ,  indlc- 
tione  décima  quarta,  epacta  décima  quinta.  Hli  testes  interfuerunt  Henricus 
arcbidiaconus ,  Joannes  fliius  castellani ,  magister  Willelmus ,  Drogo  de 
Merlo  et  fllii  ejus  Drogo  et  Rainaldus ,  Guido  de  Yaliibns. 

fAreh.  de  l'Oise.  —  Cartul  de  FfoidmoîU.J 

Uifirsalioi  de  l'abbaye  de  heidneot  par  lovis  fi,  dit  le  Grès. 

An  1187. 

Ludovicus  Dei  gratta  Francorum  rex ,  Trie  monasterio  et  omnibus  fra- 
tribus qui  in  eo  sunt  tempore  tam  presenti  quam  futuro  in  etemum  subs- 
Ulnendis.  Honumentis  ecclesiarum  et  religlosls  maxime  locis  regia  manus 

T.  vm.  5 


66  NOTICE   SUA    l'abbaye   DE   FROIDMONT. 

apponi  débet,  sane  eleiiiosinc  et  orationes  lidelium  redemptio  nostra  est 
et  pereiines  divitie.  Siqaideni  in  pago  et  episcopata  Belvacensi  monaste- 
rium  Trie .  qaod  a  domino  abbale  Ursicampi  Galeranno  ad  ordinem  cif- 
tercii  ediflcatum  est ,  régie  majestatis  precepto  monientes ,  locnm  ipsam 
cam  appenditiis  suis  ab  omni  potestate  secalari  deinceps  emancipatum 
plena  llbertate  donamus  et  presentis  pagine  testimonio  (^onfl^namus. 
Porro  quicumqae  ipsi  loco  et  eisdem  fratribus  de  feodo  et  possessione 
regni  nostri  et  bonoris  Jam  collata ,  sive  in  posterom  jaste  conferanda 
sunt,  nos  laadamos,  et  yenerabilis  regine  Adeialdis  nostriqne  fllii  Ludovic! 
juniorls  régis  assensu,  perpétua  et  inconcussa  llbertate  tenenda  concedi- 
mus.  Acium  publiée  Parisiis,  anno  dominice  incamalionis  millesimo  cen- 
tesimo  tricesimo  septimo.  S.  Rodolphi  Viromandorum  comitis  et  dapiferi 
nostri.  S.  Guillelmi  cubicularii.  S.  Hugonis  constabularii.  S.  Hugonis  ca- 
merarii.  Data  per  manum  Stephani  cancellarii. 

Confirmation  de  l'ibbaje  de  FroidBOit  par  le  pape  hgèBelll. 

Ao  1147. 

Eugenius  servus  servorum  Dei,  dilectis  tiliis  Manassi  abbati  ecciesie 
béate  Marie  de  Fresmont  ejusque  fratribus  tam  presenlibus  quam  fuluris 
regularem  vitam  professis  in  perpetuum.  Quociens  iilud  a  nobis  petltor 
qnod  religioni  et  bonestati  convenire  dinoscitur,  animo  libenti  nos  decet 
concedere  et  potentiam  desideriis  congruum  impertiri  suffragium.  Qua 
propter,  dilecti  in  Domino  ûlii ,  vestris  justis  postuiationibus  clementer 
annuimus  et  prefatam  ecclesiam  in  qua  divino  mancipati  estis  obsequio, 
sub  beati  Pétri  et  nostra  protectione  suscipimus  et  presentis  scripti  pri- 
vilegio  communimus,  statuentes  ut  quascumque  possessiones,  quecumque 
bona  in  presentiarum  juste  et  canonice  possidetis,  aut  in  futurum  con- 
cessione  pontiflctim ,  largitione  regum  vel  principum ,  oblatione  lidelium 
seu  aliis  justis  modis ,  Deo  propitio ,  poteritis  adipisci ,  ûrma  vobis  ves- 
trisque  successoribus  et  illibata  permaneant,  in  quibus  bec  propriis  duxi- 
mus  exprimenda  :  locum  ipsum  de  Fresmont  et  circumadjacentia,  que  ad 
idem  monasterium  pertinent ,  videlicet  terras ,  décimas ,  aquas ,  prata , 
nemora  et  vineas,  Goi,  Brinviller,  Grossimainil  et  Malreward.  et  quicquid 
ad  terri torium  barum  grangiarum  pertinet,  et  décimas  minutas  et  magnas 
territoril  earumdem  grangiarum.  Sane  laborum  vestroriim  quos  propriis 
manibos  aut  snmptibus  colitis ,  seu  de  nutrimentis  vestrorum  animalium 
nuHus  omnino  bominum  decimam  a  vobis  exigere  présumât.  Decernimus 
ergo  ut  nulii  omnino  bominum  liceat  prefatum  locum  temere  pertnrbare 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  67 

aal  ejus  grangias  infringere  vel  eVadere  seu  ejnsdem  aaferre ,  vel  ablatas 
retinere,  minoere,  aat  aliquibus  vexationibas  fatigare,  sed  omnia  intégra 
conserventar  eoram  pro'quoram  gobernatione  et  sastentatione  concessa 
sunt,  asibus  omnimodis  profalura,  salva  sedis  apostoiice  auctoritate  et 
diocesani  episcopi  canonica  jasUtia.  Si  qua  igitur  m  futarum  ecclesiastica 
secularisve  persona  banc  nostre  constitationis  paginam  sciens  contra 
eam  temere  venire  temptaverit  seconde,  tertio  commonita,  sinon  satis- 
factione  congrua  emendaveril,  potestatis  bonorisque  sai  dignitate  careat, 
reamqne  se  divino  judicio  existere  de  perpetrata  iniquitate  cognoscat ,  et. 
a  sacratissimo  corpore  ac  sanguine  Dei  ac  Domini  nostri  Jhesa  Cbristi 
aliéna  Ûat ,  atque  in  extremo  examine  districte  ultioni  sobjaceat.  Gunctis 
autem  eidem  loco  jasta  servantibas  sit  pax  Dombii  nostri  Jbesu  Cbristi 
et  bic  fructam  bone  actionls  percipiant  et  apud  districtum  jadicem  premia 
eteme  pacis  inventant.  Amen.  Amen. 

Ego  Eugenias  catbolice  eccl.  episcopas. 

Ego  Albericas  Ostiensis  episcopus. 

Ego  Vinarus  Tascalanensis  episcopas. 

Ego  Humbaldos  presb.  card.  SS.  Joannis  et  Paaii. 

Ego  Jobannes  Paparo ,  card.  diac.  S^  Adriani. 

Ego  Hugo  presb.  card.  S''  Laarentii  in  Lucinâ. 

Ego  jQlias  presb.  card.  ecclesie  S"^  Marcelli. 

Ego  Goido  presb.  card.  ecclesie  Pastoris. 

Ego  Jobannes  presb.  card.  ecclesie  sancte  Sasanne. 

Acta  AUissiodori  per  manum  Gaidonis  sancte  romane  ecclesie  diaconi 

eardlnalis  et  cancellarii,  un  kalendas  Augusli ,  indictione  décima ,  Incar- 

nationis  dominice  anno  m*  c  xlvii%  Pontiflcatus  vero  domini  Eagenii 

pape  lU,  anno  m*. 

.  (Àrch.  de  VOise.  —  Cartul.  de  Froidmont.J 

Stalnta  siogolaria  pro  Dooasterio  Frigidinontis. 

DE  SPECIALIBUS  CONSUBTUDINIBUS. 

1*  Ad  vigilias  albsB  cacailse  habeantar  usque  ad  Primam  in  byeme ,  in 
sBstate  asqae  post  Landes. 

3*  Intervallam  byemale  flet  xxx  psalmorum  maxime  per  Adventum  : 
qoadragesiraale  autem  vu  psalmorum. 

3*  Exiena  de  majori  missa  et  qui  non  interfuit  repetltioni  Introitus 
miss»  etSabbato  principio  mandati  et  vigiliia  pro  defunctis,  veniam  inde 
peut 


68  NOTICE   SUR   l'abbaye   DE   KHOIUMONT. 

4*  DomiDica  reclpiens  benedictionem  faciat  coqainam  et  légat  ad  men- 
sam ,  iicet  alias  Sabbato  fuerit  intitula  tus. 

5"  Missa  pro  uno  nostro  presenti  defuncto  ad  citius  post  unam  ordi- 
nem  missarum  celebratur. 

6*  Gonversi  intersint  Yesperls  vlgiliarum  solemnium,  exceptis  adventus, 
S*^  Benedicti,  sanctœ  Trinitatis  et  Dedicationis. 

7*  Cereus  paschalis  sit  librarum  xi  vel  xii. 

8*  Ascendunt  et  implent  per  se  Juniores  alterius  chori  superiora  stalia 
per  dlem. 

9*  Sacrista  perdit  orationes  et  benedictionem  coUationis. 

10"  Gantus  horologii  non  mutetur. 

11"  Pulsetur  major  campana  modice  ante  Yigilias  post  casum  horologii. 

12*  Finnt  hosti»  inter  Pascba  et  Pentecosten ,  et  candeise  inter  S.  Jo- 
hannem  et  Magdaienam. 

DORHITORIUH. 

13*  Lectus  non  mutatur  nisi  per  priorem  et  vestiarium,  absente  procul 
abbate. 

14*  Meridiana  vel  post  Gompletorium  nullus  ibi  iegit ,  nisi  sermocina- 
tores  et  aliqui  spiritales  rotolos  et  rudes  psalteria. 

15*  Jaceant  cooperti  usque  ad  cingulum ,  nec  diu  sint  sine  babitu  dum 
se  exuant. 

CAPITULUH. 

16*  Nullus  ibi  loquetur  nisi  in  v  casibus  in  Usibus  prseter  quinque  spe- 
cialiter  assignatos.  De  guta  aulem  et  remlssione  nullus.  In  modico  trans- 
gressor  vapulet  :  in  multo ,  ad  minus  vino  careat.  Inobediens  quoque 
perlinaciter  gravius  puniatur  et  gradum  intérim  non  ascendat. 

17*  Fugitivus  morans  per  vu  dies  recipitur  ad  gravem  culpam. 

18*  Hospiti  defuncto  redditur  collecta  vel  vu  psalmi. 

19*  Gonstituti  extra  terminos  intersint  capituiis ,  nisi  necessariis  oc  ïu- 
pati. 

20*  Sententiœ  in  Ramis  Palmarum  intersint  conversi ,  novitii  et  fami- 
iiares ,  nec  dicttur  in  fine  niât  resipuerit. 

31*  Gonfessores  omnes  quos  crediderint  aliquatenus  excommunicatos, 
vel  alium  mendaciter  diffamasse,  vel  mnltum  gravasse,  disseminatores 
discordise  et  mentitos  publiée  abbati  ad  Ipsum  remittant ,  nisi  in  articuio 
mortis.  Similiter  frangentes  silentium  maxime  ad  mensam  vel  eis  pœnam 
Usuum  imponant. 

22*  Nolentes  detegere  a  quo  audierent  aliquld  ponderosum  ad  grava- 
men  alterius  maxime ,  pro  meudacibus  et  ad  inventoribus  habeantur  et 
confltentes  non  absolvantur. 


PIEGBS  JUSTIFICATIVES.  69 

^*  Offlciales  aotem  excedentes  sammam  sibi  ab  abbate  concessam  ultra 
VI  denarios,  prior  etiam  non  absolvat,  alii  vero  confessores  ultra  triam 
âenariorom. 

^*  CriniiDosi  occnlti  a  grada  altaris  prius  consHio,  postea  prœcepto 
abbatis  arceantar. 

CLAUSTRUM. 

95*  Syllabicantes  scribentes  creta,  carbonibas ,  vel  bujosmodi  aliis,  nisl 
occasione  sui  offlcii ,  ponentes  manum  saper  alios  per  apertam  iram  vel 
dfssolatam  ludam ,  proclanientur,  et  acriter  punlantur  :  qui  postqnam 
potuit  httjusmodi  proclamare  et  scienter  non  proclamaverit ,  altaris  gra- 
dum  non  ascendat,  donec  proclamaverit.  Simillter  syllabicans,  scribens 
et  ponens  per  dissolutum  iudnm  super  allum  abstineat  donec  recognoscat. 

26*  Signiflcans  in  ecclesia ,  dormitorio ,  refectorio ,  ad  collationem 
absque  util! taie,  etjuniores,  oratiouem  propter  colloquium  perdentes, 
fere  omnes  vapulent. 

RBFEGTORIUH. 

â7<>  Perdit  versum  qui  non  interest  nisi  pro  ludere  necessario  vei  pro 
gravissima  inârmitate,  ille  etiam  qui  non  est  anteJusUtiam  suam  occa- 
sione ministrandi. 

d8*  Festis  transpositia  et  solemnibus ,  sextœ  feriae  quadragesimse  con- 
sueta  pitantia  flat  cnm  altero  pulmentorum  tantnm,  qnod  subtrahitnr  sem* 
per  cum  ait  pitantia  generalis  et  solemnis  ;  mixtantibus  ex  consuetudbie 
nibil  datur,  neque  mutatur  pitantia  ei ,  qui  allquando  ex  ea ,  aliqnando 
non ,  quando  mittitur  pitantia  a  Priore  ex  parte  abbatis  prœsentis  flat 
signum  :  quo  absente ,  Prior  ultra  très  pitantias  non  faciat  fleri.  Qui  cum 
fuerlt  coquinarius  poterit  dare  conventui  aiiqoid  prseter  pisces.  Quod 
nuUus  alius  fleri  faciat  »  neque  propter  pitantias  aliquis  capiatur,  Hostias 
tamen  Tacientibus  aliquid  detur  diebus  quibns  nlhil  datur  conventui. 

29*  In  visitatione,  mane  ultra  duo  fercula  piscium  abbatibus  non  detur, 
nec  monachis  bospitibus  ultra  nnum ,  neque  ultra  dnas  justitlas  vini, 
prœter  primam  singulis  abbatibus  apponitur,  excepte  visitatore.  In  cœna 
autem  unum  solum  ferculum  piscium  soiis  abbatibus  apponitur,  unum 
posait  bospitibus  et  quibusdam  provlderl. 

INFIRMITORIUH. 

36*  Ibl  nullus  legit  prœter  divinum  offlcium  providendum  et  qui  assidue 
inflrmatur. 

SI»  Sabbato  tanlummodo  post  mandatum ,  conventus  iavet  pedes ,  qui 
voluerit  et  potiierit  breviter  et  in  publico. 


70  NOTICE   SUR  L'ABBATE  DE  PROIDMOIIT. 

82*  In  coqaina  prsesente  inflrmario  cœteri  sflent.  excepto  converso  co- 
qoinario.  Sirolliter  prœ^ente  subinfirinario.  Utroque  ab'^ente ,  cœteri  se- 
condum  prioralus  soos  cum  coqainario  vel  silenter  loquuntor. 

dd*  Eôdem  modo  cum  inflrmario  breviter,  ubi  et  quando  pitantiœ  divi- 
dantar,  et  in  dispensaria  vel  loco  ad  hoc  specialiter  assignato.  SubinQr- 
marias  autem  ciim  inflrmo  non  loqiiitar  présente  mini»lro  ejus.  Carnes 
anserinœ  et  anaticœ  et  bovinœ  non  edantar  et  siive^tres  non  emantur. 

34*  Assidui  ministri  non  dormiant  super  culcitras,  msi  jacueriut  circa 
infirmum  super  terram. 

35*  In  cameriSf  exceplis  grayibus  inflrmis ,  nallus  sit,  nisi  cum  abbate  : 
quo  absente ,  nec  minister  cum  ministro ,  nec  minister  cum  inflrmo ,  nec 
inflrmus  cum  alio  loquatur. 

36*  Ante  signum  Tertlœ  non  comedont  tempore  byemis. 

37*  Hedici  non  nisi  pro  valde  necessariis  personis  adducantnr. 

38*  Prior  non  det  licentiam  utendi  electuariis  et  cseteris  speciebas  ma- 
xime odoriferis ,  exceptis  etintibere  et  liquerieia.  De  seminibas  autem 
fenicuU ,  petrosilis ,  seieris  montani  et  hujusmodi  potus ,  licentiam  gene- 
ralem  non  det  :  nec  equitandi ,  nisi  urgente  utilitate  evidenti ,  et  ex  con- 
silio  eorum  per  quos  domus  regitur.  Eorumdemque  consilio  potest  dare 
usque  ad  valorem  v  solidorum  eadem  de  causa.  Aliàs  vero  potest  dare 
usque  ad  valorem  xii  denariorum ,  sed  sœcularibus ,  absente  dumtaxat 
ceiierario  et  medio  cellerario.  Nec  ingrediatur  inflrmitorium ,  nec  de  la- 
bore  remaneat  pro  soiatio  hospitis ,  nisi  aoctentici. 

39*  Subprior  nullo  modo  prsesomat  exceptis  donis  modicis  et  de  majo- 
ribus  cum  prsedicto  consilio,  et  qui  in  claustro  et  alibi  conventui  studeat 
interesse. 

40.  Ceilerarius  non  mutuet  ultra  xx  solidos,  nec  mutuo  accipiat  ultra 
c  soiidos ,  nisi  personis  et  a  personis  ordinis  ssBcularis  et  auctenticis.  Do- 
nare  potest  secundum  quod  sibi  constitutum  fuerit  ab  abbate.  Circa  quem 
et  alios  sic  abbas  dispenset ,  ne  ejus  vUescat  auctoritas.  Omnes  bestias 
etiam  sllvestres  et  nostras  ter  in  anno  adminus  per  se  vel  per  alium  faciat 
computari. 

4L"  Sutcelierarius  sotaiares ,  corrigias  et  bujusmodi  non  dat ,  nec  de 
bis  quœ  custodit  nisi  conventui  et  famitiariis  et  hospitibas  in  abbatia, 
extra  vero  non  mittit  nisi  de  iicenlia  speciaii. 

42*  Hercator  cellerario  sobjectus  sit.  Dare  tamen  poterit  usque  ad  va- 
lorem xti  demariorum ,  ubi  necesse  fuerit.  Pênes  se  tamen  pecuniam  non 
servet,  nisi  viaticum  modicum  ad  vivendum. 

43*  Yestlarius  pannos  spéciales  ad  acceptionem  personarum  non  faciat, 
nec  alicui  très  cucullas  sive  vandiquet  sustineat.  Caputia  conversorum 
cum  dantur  sœcularibus  deformentur.  Studeat  autem  ut  vestfmenta,  cal- 
ceamenta .  corriglse  et  cntelli  et  alla  sint  absque  superfluitate  et  curiosi- 
tate  et  maxime  de  cappis  et  vestibus  conversorum.  Botae ,  calig»,  quam 


PIECES  JUSTIPItÀTlVES.  71 

rarias  poterit,  dentur  sœcularibus  :  cappœ  vero  et  Thabar  nonquam.  Vestes 
novitioram  in  receptam  cellerarii  convertaDtar. 

44*  Portarius  societatem  cuni  sœcularibus  in  animalibus  et  aliis  liabeat. 
Mappas  et  alia  necessaria  ibi  comedentibus  et  jacentibus  Inventât  et  oon- 
servet.  Nibil  emat ,  ut  carius  vendat.  Porcos  per  curiam  non  habeat,  sicat 
neclnArmariaspauperum  altro  xx  solidos  Paristenses  pênes  se  non  servet  : 
nec  uitra  duos  famnlos  ad  portam  habeat  ;  nec  ultra  xx  ribaldos  ho^pites, 
nec  eosdem  infra  quindenain  scienter.  Mulieres  lascivas  et  connptas  re- 
pellat.  Fugitivis  nibil  det ,  vel  dari  faciat  antequam  ab  abbale  licentiam 
babeant  expectandi ,  nec  postea  nisi  de  reliqaiis  pauperum ,  si  tamen  se 
tenuennt  in  loco  ab  abbate  constitnto. 

4ô*  Leprosos  prœbendarios  solus  abbas  augmentet.  Panes  etiam  inte- 
gros  in  parasceve  recipiat  et  partem  vint  concessam. 

46*  Hagister  conversoruni  infirroos  et  officinas  visitet  singuUs  sept!- 
manis  uno  vel  pluribus  diebus. 

GRANGIA. 

47*  Ibi  vitra  urinatia  non  habeantur  et  botœ.  Magister  potest  dare  ali- 
qaando  nsque  ad  vi  denarios.  Ad  valorem  aotem  xii  denariorum  raris- 
sime ,  et  boc  quasi  compaliente  necessitate.  Non  equitet  extra  territonum 
grangise  suœ ,  nisi  m  issus  a  superiore  vel  absque  pernecessaria  causa  ali- 
<{Uibus  de  sociis  intimata.  Aliis  vero  equitandi  licentiam  non  concédât. 

-iH*  Conversus  abbatis  et  hospitalis  soli  abbati  in  refectorio  loquatur. 

(Extrait  du  Voyage  littéraire  de  deux  religieux  bihnédic^ 
tins  de  la  congrégation  de  Sain^Maur.J 

Bille  d'AlexaiJre  III  csBlirinait  Tabbaje  de  Fnidmil  et  tes  petiesiisii/ 

An  1164. 

Alexander  episcopus  servus  servorum  Dei  dilectis  ûlils  Manassl  abbati 
sancte  Marie  de  Fresmont,  ejasque  fratribns  tam  presentibus  quam  faturis 
regularem  vitam  professis  In  perpetnum.  Quotiens  illad  a  nobis  petitur 
qnod  religioni  et  bonestati  noscitur  convenire ,  animo  nos  decet  libenti 
concedere  et  potentium  desiderifs  congruum  soffragium  impertiri  ea- 
propter,  dilecti  in  Domino  filii ,  vestris  justis  postulationibus  clementer 
annuimus  et  prefatum  monasteriium,  in  quo  divino  mancipati  estls  obse- 
quio,  sub  beati  Pétri  et  nostra  protectione  suscipimus,  et  presentis  scripti 
privilegio  communimus.  In  flrmis  siquidem  statnentes  ut  ordo  monas- 


72  NOTICE   SUR    L*ABBAYE   DE   FROIMONT. 

ticus,  qui  secondam  Del  timorem  et  beati  Benedicti  regalam,  atqae  Gis- 
terciensiam  fratram  institotionem ,  in  ipso  manasterio  insUtatos  esse 
dinoscitar,  perpetais  ibidem  temporibas  inviolabiliter  obseryetur  ;  sta- 
taentes  nt  quoscamqae  possessiones,  qaecQmqae  bona  idem  monasteriom 
in  presentiarom  joste  et  canonice  possidet  aat  in  futaram  concessione 
pontincam,  largitione  regam  vel  prineipam,  oblatione  lldeliaro ,  seu  aliis 
jastis  modis,  permittente  Domino,  poterit  adipisci,  firma  yobis  vestrisque 
successoribos  et  illibata  perroaneant ,  in  qaibas  bec  propriis  daximus 
exprimenda  vocabulls  Qoicquid  babetis  in  Hontiniaco  (MorUigny,  canton 
de  MaignelayJ,  in  Friencart  (Friancourt,  hameau  de  HermesJ,  in  Fai 
(Fay-souS'Bois,  hameau  dAgnetzJ,  in  Vilera  fYiUers-Saint'Sépulcre),  in 
Mesiemont  fMerlemont,  hameau  de  Warluis),  in  Deiimont,  HeudU  près  de 
Laversmes,  apad  Sanctam  Felicem  {Saint-Félix)  et  in  Armas  (Hermès),  in 
Mosteroi   (Montreuil-sur-Thérain) ,  in  Fresmont  fFroidmont)  et  qnic- 
qoid  a  monacbis  Sancti  Luciani  Belvacensis  (Abbaye  de  Saint- Lucien-tèS' 
Béarnais)  ralionabiliter  recepistis.  Grangiam  de  Goy  (Gouy,  hameau  de 
NayerS'Saini'Martin)  corn  omnibas  ad  eam  pertinentibus  ;  grangiam  de 
Malrewart  (Mauregard,  hameau  de  ReuH-sur-Brêche)  cam  omnibas  per- 
tinentiis  suis  ;  grangiam  de  Grosmenii  (Grandmesnil,  hameau  de  Cam- 
premy)  cum  omnibus  perlinentiis  ;  grangiam  de  Brunviier  (BrtmvUlers) 
cum  omnibus  pertinentiis   suis  »  decimam  de  Plena  valie  (Plainvalj 
quantum  ad  vos  pertinet;  decimam  de  Levresmont  {levremont,  ha^ 
meau  de  Plainval) ,  deciman  de  Brunviier;    medietatem  nemoris  de 
Fomisvai  (Foumival)  ;    grangiam   de  Verreria    (La  Verrière -Saint - 
Féiix)  cum  omnibus  pertinentiis  suis  ;  grangiam  Yeteris  Abbatie ,  cum 
omnibus  pertinentiis  suis  ;  grangiam  de  Profunda  vaile  (Parfondeval, 
hameau  de  Warluis)  cum  omnibus  pertinentiis  suis.    Sane  laborum 
vestrorum  quos  propriis  manibus  aut  sumptibus  coiitis ,  sive  de  nutri- 
mentis  vestrorum  animaiium,  décimas  a  vobis  nullus  présumât  exigere. 
Si  qua  vero  iib^ra  et  absoluta  persona,  pro  redemplione  anime  sue,  vestro 
monasterio  se  conferre  voluerit,  suscipiendi  eam  facuitatem  iiberam  ba- 
beatis.  Adjicientes  etiam  auctoritate  apostolica,  interdicimus  nequis 
fratres  vestros  clericos  sive  laïcos,  post  factam  in  vestro  monasterio  pro- 
fessionem,  absque  vestra  iiceniia ,  suscipere  audeat ,  vet  retinere.  Paci 
quoque  et  tranquiiiitaii  vesire  paterna  soiiicitudine  providentes ,  aucto- 
ritate apostoiica  probibemus  ut  infra  clausturam  locorum  sive  grangiarum 
vestrarum  nuilus  violentiam,  vei  rapinam,  sive  furtum  facere,  vel  bomi- 
nem  capere  audeat.  Decernimns  ergo  ut  nuiii  omnino  bominum  iiceat  prefa- 
tum  monasterium  temere  perturbare ,  aut  ejus  possessiones  auTerre ,  vei 
abiatas  retinere  ,  mlnuere  aut  aliquibus  vexationibus  fatigare,  sed  omnla 
intégra  conserventur  eorum  pro  quorum  gubernatione  et  sustentatione 
ronccssa  sunt,  iisibus  omnioiodis  profutura ,  salva  sedis  apostolice  auc- 
inrice.  Si  qin  igiliir  pcrlesiasllca  ««ecnlarlsve  persona  banc  nostre  cona- 


PIRGBS  JUSTIFICATIVES.  73 

tltutlonls  paginam  sclens  contra  eam  temere  venire  tentaverit,  secundo 
tertlove  commonita,  si  non  satisfactione  congraa  emendavit,  potestatis, 
honorisqae  sai  dignitate  careat ,  reamque  se  divino  judicio  existere  de 
perpetrata  iniqaitate  cognoscat ,  et  a  sacratissimo  corpore  ac  sangnine 
Del  et  Domini  Redemptoris  nostri  Jeso  Christi  aliéna  flat ,  atque  in  ex- 
Iremo  examine  dlstricte  ollloni  subjaceat.  Ganctis  autem  eidem  ioco  sua 
jara  servantibus  sit  pax  Domini  Nostri  Jesn  Christi  quatinus  et  hic  fructum 
booe  actionis  perciplat ,  et  apud  districtnm  judlcem  premia  eteme  pacis 
inveniat.  Amen.  Amen. 

LOGVS  siçilli.         Ego  Alexatcdeh  catbolice  ecclesie  episcopus  SS. 

t  Ego  Hubaidus,  Hostiensis  episcopus  SS. 

t  Ego  fiemardns,  Portuensis  et  sancte  Ruilne  episcopus  SS. 

t  Ego  Guaiterus,  Albanensis  episcopus  SS. 

-^  Ego  Hnbaldus  presbiter  cardin.  tit.  S**  Cruels  in  Jérusalem  SS. 

t  Ego  Henricns,  presb.  cardin.  tIt.  SS.  Nerei  et  Achille  SS. 

t  Ego  Aibertus,  presb.  cardin.  tit.  S*^  Laurentii  in  Lucina  SS. 

t  Ego  Guiiielmus,  tit  S"  Pétri  ad  vincula  presb.  cardinalis  SS. 

t  Ego  Jacintus,  diae.  card.  S*"  Marie  in  Cosmedin  SS. 

t  Ego  Oddo,  diac  card.  S*^  Nicolai  SS. 

t  Ego  Eustachins,  diac.  card.  S^  Adriani  SS. 

t  Ego  Manfridus,  diac.  card.  S^  Georgii  ad  vélum  aureum  SS. 

Datum  Senonis  per  manum  Hermantii  s*'  romane  ecclesie  subdiaconi  et 
notarii  XIIII  Icalendas  novembris.  indictione  XIIls  Incarnationis  dominice 
anno  H*  G*  LXIII»,  Pontiflcatus  vero  Domini  Alexandri  pape  HI  anno  VI. 

(Arch.  de  VOise.  —  Cart.  de  Froidmont.) 

m*  r. 

PriTiléfe  de  Philippe-Aogii»le. 

An  1190  (jain). 

Philippns  Del  gratia  Francorum  rex,  preposltis  et  bail! vis  suis  omnibus 
ad  quos  présentes  litteras  pervenerint  salutem.  Universos  qui  de  Gyster- 
tiensi  ordlne  snnt  quodam  speciail  privilegio  amoris  preceterls,  qui  reli- 
glonis  habitum  assumpserunt,  fovere  intendimus.  Inter  eos  tamen  quos- 
dam  familiarius  diligentes  preciptmus  vobis  universis  et  singulis  quatinus 
abbates  monachos  et  fratres  Yallls  Sancte  Marie ,  Curie  Dei ,  Lorreis, 
Sacre  cellfe  ,  Sancti  Portus  ,  Karoli  loci,  Longipontis,  Oardi,  Ursi  campi, 
Valences,  Alneti,  Belli  Prati,  Fresmont,  cum  universis  rébus  ad  jam  dicta 
monasterfa  perlinentibus  in  nostra  custodia  et  protectione  susceptis,  ii> 


74  NOTICE   SUR   L* ABBAYE  DE  FROIBMOIfT. 

pace  et  quiète  liberatos  ab  incarea  malignantiam  manere  laciatis;  hoc 
autem  dicimas  de  rébus  que  in  nostro  dominfo  constitute  sunt.  Si  qnis 
vero  de  rébus  fratrum  predictoram  monasterium  in  potestatibns  restris 
aliquid  sine  clamore  ceperit,  tantum  de  rébus  malefactoris  capiatis,  ex 
precepto  nostro,  quod  res  eisdem  sine  mora  restitnantur,  et  foris  factum 
emendetur.  Si  quis  antem  de  baronibns  nostris,  vel  aiiqnis  de  servis  eorum 
aliquid  injurie  jamdictis  fratribus ,  vel  rébus  eorum  inrerre  presumpserit, 
voiumus  ut  ipsi  vei  eorum  justiciarii,  super  emendacione  injurie,  vel  fore- 
facti,  quantocius  conveniantur,  ut  eis  res  que  ablale  fuerint  restiiuantur  et 
forefactum  emendetur,  attendentes  quod  si  quis  vestrum.  quod  non  cre- 
dimus,  precepli  nostri  transgressor  extiterit,  tociens  nobis  cenlum  solidos 
parisienses  pro  emendatione  dabit,  qnociens  ab  bujus  precepli  nostri  exe- 
cutione,  ab  abbatibns  vel  fratribus  predictis  requisitus,  defecerit.  Quod  ut 
perpetuum  robur  obtineat  sigilio  nostro  conflrmamus.  Actum  Parisiis, 
anno  Yerbi  incarnati  H*  G*  XC  Hense  Jnnio. 

Saint  Louis,  par  lettres  données  à  Paris ,  au  mois  de  septembre  1^258, 
confirma  ces  lettres  de  sauvegarde,  à  la  prière  de  l'abbé  et  du  couvent 

de  Beaupré. .  . .  precipientes  universis  baliivis  et  prepositis  nostris 

ut  abbatem  et  monacbos  ac  fratres  ejusdem  monasterii  ab  incursu  maii- 
gnantium  liberatos  faciant  in  pace  ac  quiète  manere  et  eosdem  ae  bona 
ipsorum  in  suis  potestatibus  constituta  custodiant  et  défendant ,  prout  in 
predictis  avi  nostri  litteris  continetur,  non  permittentes  Ipsos  super 
bonis  suis  ab  aiiquibus  sîbi  subditis  indebite  moiestari. 

fCartui  de  Beaupré.) 

Bulle  do  pape  lacini  III  coDfirmant  la  jonation  par  Gérard  de  Beauvais 

d'nne  maison  siu  à  Beaavais. 

(Sans  date,  de  1181-1186.) 

Luclus  episcopus  servns  servorum  Dei  dilectis  fiiiis  abbati  et  fratribus 
de  Fresmont  salntem  et  apostolicam  benediclionem.  Justis  petentium  de- 
siderlis  facilem  nos  convenit  prebere  consensum  et  ea  que  a  rationift 
tramite  non  discordant ,  eftectu  prosequente  complere.  Ba  propter,  di- 
iecti  in  Domino  fllii ,  vestris  justis  postulationibns  grato  concurrentes 
assensu,  domum  qnam  Gerardus  Belvacensis  in  elemosinam  monasterio 
vestro,  in  ipsa  Belvacensl  civitate,  concessit,  nos  vobis  et  monasterio 
vestro,  sicut  eam  juste  et  paciftce  possidetis,  auctoritate  aposlolica  con- 
flrmamus et  presentis  scripti  patrocinio  communimus.  Nulli  ergo  omnino 
bominum  liceat  banc  paginain  noslre  conflrmationis  infringere  vel  ei 


PIBGBS  JUSTIFICATIVES.  75 

aasa  temerario  contraire.  SI  quis  autem  hoc  attentare  presampserit,  in- 
dignationem  Omnipotentis  Dei  et  Beatoram  Pétri  et  Paoli  apostoiorum 
ejas  $e  noveritincarsuram.  Datum Anagnie  IIII  Kalendis  novembris. 
(Scellé  en  plomb.) 

(Arch.  de  VOise.  —  Cariul.  de  FroidmonLJ 

IV  », 

Bille  d'iBBoeeit  III  presait  les  religieex  de  Froidnont  sens  sa  proleetion . 
et  coailnBaRt  leor  abbaye  et  ses  possessiois. 

An  1203. 

Innocentias  episcopus  servua  servoram  Dei,  Dilectis  filiis  Salicio  abbati 
de  Fresmont  ejasque  fratribus  tam  presentibos  quam  fotaris  religiosam 
yitam  professis  in  perpetaam.  Religiosam  vitam  eligentibus  apoatolicum 
convenu  dare  presidiam  ne  forte  cujus  libet  temeritatls  motus  aut  eos  a 
proposito  revocet  aat  robur,  qnod  absit ,  sancte  religionis  infringatur. 
Ea  propter,  dilecti  in  Domino  fllii,  vestris  jastis  postulationibus  clementer 
annuimus  et  prefatum  monasterium  sancte  Dei  Genitricis  et  Virginis 
Marie  de  Fresmont ,  in  quo  divino  mancipati  estis  obsequio  ,  sub  beati 
Petrl  et  nostra  protectione  accipimos,  et  presentis  scripti  privilegio  com- 
manimus.  Imprimis  siquidem  stataentes  ut  ordo  manasticus ,  qui  secun- 
dum  Deum  et  beati  Benedicti  regalam  atque  institutionèm  Clsterciensium 
fratrum ,  in  eodem  monasterio  constitutus  esse  dignoscitur,  perpetuis 
ibidem  temporibus  inviolablliler  observetur.  Preterea  quascumque  pos- 
sessiones ,  quecumque  bona  ,  que  idem  monasterium  in  presentlaram 
juste  et  canonice  possidet,  aut  in  futurum  concessione  pontiflcum ,  lar- 
gitione  regum  vel  principum  ,  oblatione  fidelium  seu  aliis  justis  modis, 
prestante  Domino  poterit  adipisci  ;  firma  vobis  vestrisque  successoribus 
et  iilibata  permaneant.  In  quibus  bec  propriis  duximus  exprimi  voca- 
balis,  locum  Ipsum  in  quo  prefatum  monasterium  situm  est  cum  omnibus 
pertinences  suis.  Partem  in  foresta  de  Hez  in  dominio  possidendum,  et  in 
tota  foresta  usuaria ,  et  quidquid  habetis  in  bosco  ,  piano  ,  pascuis ,  que 
domini  de  Bulis  et  de  Clermont  vobis  in  elemoslnam  contulerunt.  Gran- 
giam  de  Malregard  cum  omnibus  pertinences  suis.  Boscum  et  terram  de 
Mesnil  de  Malle  Regard.  Vivarium  ,  piscariam  et  cursum  aqne  llberum  de 
Brèches  àd  molendinum  vestrum.  Grangiam  de  Goy,  cum  omnibus  perti- 
nenciis  suis.  Boscum  de  Ferreux.  Grangiam  de  Mesnil,  cum  omnibus  per- 
tinentiis  suis.  Grangiam  de  Fossa  Theobaldi,  cam  omnibus  suis  pertinenciis. 
Grangiam  de  Cormeilles ,  cum  omnibus  pertinenciis  suis.  Grangiam  de 
Verreria,  de  Profunda  valle  et  de  Veteri  abbatia.  ciim  omnibus  petinenciis 


76  NOTICE   SUR   l'aBBAYK   DE   PROIDMONT. 

sois.  Qaidquid  habetU  in  montibas  Armaram  et  de  Fresmont  et  quidquid 
babetls  in  boscls  de  Husiere  et  Ailincoart  Quidquid  babetis  in  villis  de 
Fresmont,  de  Breia,  de  Balllol ,  de  Harmes,  de  Sançto  Felice,  de  Goldreio, 
de  Calioe,  de  Farnival,  de  Mestemont,  de  duobus  Honsterol,  de  Yilers,  de 
Hodiviters,  de  Noiers,  de  Lits,  de  Campo  Remigll,  de  Hontigny,  de  Ya- 
Yenies,  de  Plena  Yalle,  de  BrunYiler,  de  Galnis ,  de  Montiniaco  et  in  ter- 
ritorio  earumdem.  Quidquid  habetis  in  ciYitate  Belvacensi  et  in  castris  de 
Glaromonte,  de  Beliomonte,  de  Honte  Desiderii  et  in  territoriis  eoramdem 
et  quidquid  etiam  in  supra  dictis  babetis,  sive  in  Yineis ,  in  decimis,  viis, 
semltis,  pascuis,  usuagiis  et  omnibus  aliis  libertatibus  et  immunitaiibus 
vestris.  Sane  laborum  veslrorum  quos  propriis  manibus  aut  sumptibus 
colitls  tam  de  terris  cultis  quam  Incultls,  sive  de  ortis  et  virgultis  et  pis- 
cationibus  vestris,  vei  de  nutrimentis  animalium  vestrorum  nullus  a  Yobis 
décimas  exigere  vel  extorquere  présumât.  Liceat  quoque  YObis  clericos, 
yel  lat^os  liberos  et  absolulos,  a  seculo  fugientes,  ad  conversionem  reci- 
pere,  et  eos  absque  contradictione  aliqua  retinere.  Probibentes  insuper 
ut  nulii  fratrum  Yestrorum  post  factam  in  monasterio  Yestro  profes- 
sionem  fas  sit  sine  abbatis  licenlia  de  eodem  loco  discedere,  discedentem 
vero ,  absque  communium  iitterarum  vestrarum  cautione ,  nutlus  audeat 
relinere.  Quod  si  quis  retinere  lorle  presumpserit ,  licitum  sit  Yobis  in 
ipsos  monacbos  vel  conversos  regularem  sententiam  promulgare.  Illud 
districtius  inbibentes  ne  terras  seu  quodlibet  beneflcium  ecclesie  vestre 
coliatum  liceat  alicui  personaliter  dare  seu  alio  modo  alienare  absque 
consensu  totius  capituli  vel  majoris  aut  sanloris  partis  ipsius.  Si  que 
vero  donationes  vel  aliénation  es  aliter  quam  dictum  est  facte  fuerint. 
eas  Irritas  esse  censemus.  Ad  bec  etiam  probibemus  ne  aliquis  monacbuà 
sive  con versus  sub  professione  vestre  domus ,  sine  consensu  et  iicentia 
abbatis  et  majoris  partis  capituli  vestri ,  pro  aliquo  ûde  jubeat ,  vel  ab 
aliquo  pecuniam  mutuo  accipiat  ultra  pretium  capituli  vestri  providentia 
constitutum ,  nisi  propter  manifestam  domus  vesire  utiiitatem.  Quod  si 
fecerit  vel  receperit,  non  teneatur  conventus  pro  biis  aliquatenus  respon- 
dere.  Licitum  preterea  sit  vobis  in  causis  propriis  ,  sive  civilem  sive  cri- 
minalem  contineant  questionem  ,  fratrum  vestroram  testimoniis  uti ,  ne 
pro  defectu  testimonii ,  jus  vestrum  in  aliquo  valeat  deperire.  Insuper 
auctoritate  apostoiica  inbibemus  ne  uUus  episcopus  vel  alta  quelibet  per- 
sona  ad  siuodos  vel  conventus  foreuses  vos  ire ,  vel  judicio  secuiari  de 
propria  substantia  vel  possesslonibus  vestris  subjacere  compellat,  nec  ad 
domos  vestras ,  causa  ordines  celebrandi  vel  conventus  aliquos  publicos 
convocandi ,  venire  présumât ,  nec  regularem  abbatis  vestri  electionem 
impediat ,  aut  de  instituendo  vel  removendo  eo  qui  pro  tempore  fuerit 
contra  statuta  Cysterciensis  ordinis  ,  se  aliquatenus  intromitlat.  Si  vero 
episcopus  in  cujus  parocbia  domus  vestra  fundataest,  cum  bumiiitate 
ac  devotione  qua  convenit  requisilus ,  substitutum  abbatem  benedicere. 


PIECES   JUSTIFICATIVES.  77 

et  alia  que  ad  offlciam  episcopale  pertinent ,  vobis  conferre  reuuerit,  11- 
cituni  sit  abbati ,  si  tamen  sacerdos  faerit ,  proprios  novitios  benedicere 
et  alia  que  ad  offlcium  ejus  pertinent  exercera ,  et  vobis  omnia  ab  alio 
episcopo  percipere,  que  a  vestro  fuerint  indebite  denegata,  illad  adji- 
cientes  ut  in  recipiendis  professionibus,  que  a  benedictis  vel  benedicendis 
abbatibus  exhibentur,  ea  sint  episcopl  forma  et  expressione  contenu,  que 
ab  origine  or Jinis  noscitur  instituta ,  ut  scilicet  abbates  ipsi  salvo  ordine 
suo  profiter!  debeaiit  et  conti*a  statnta  ordinis  sui  nullatenus  prores- 
slonem  facere  compellantur.  Pro  consecratione  vera  altarium  vel  eccle- 
siarum ,  sive  pro  oleo  sanoto ,  voi  quolibet  alio  ecclesiastico  sacramento, 
nallos  a  vobis  sub  obtentu  consuetudinis ,  vel  alio  quolibet  modo  quid- 
quam  audeat  extorquere,  sed  bec  omnia  gratis  vobis  episcopus  diocesanus 
impendat.  Alioquin  llceat  vobis  quemcumque  malueritls  catbolicnm  adiré 
antlstitem  gratiam  et  communionem  apostolice  sedis  babentem,  qui  nostra 
fretus  auctorltate  vobis  quod  postulatis  impendat.  Quod  si  sedes  diocesani 
episcopi  forte  vacaverit,  intérim  omnia  ecclesiastica  sacramenta  a  vicinis 
episcopis  accipere  libère  et  absque  contradictione  possitis  »  sic  tamen  ut 
ex  bis  in  posterum  propriis  episcopis  nullum  prejudicium  generetur.  Quia 
yero  interdum  propriorum  episcoporum  copiam  non  babetis ,  si  quem 
episcopum  Romane  sedis ,  ut  dixlmus ,  communionem  babentem  et  de 
quo  pienam  noticiara  habeatis,  per  vos  transire  contigerit,  ab  eo  bene- 
dictionem  vasomm  et  vestium,  consecrationes  altarium,  ordinationes  mo- 
nacborum ,  anctoritate  apostolice  sedis ,  recipere  valeatis.  Porro  si  epis- 
copi vel  alii  ecclesiarum  redores,  in  monasterium  vestrnm  vel  personas 
in  ibi  constitutas,  suspenslonis,  excommunicationis  vel  interdicti  senten- 
tiam  promulgaverint,  sive  etiam  in  mercenarios  vestros,  pro  eo  quod  dé- 
cimas non  soivitis,  sive  aliqua  occasione  eorum,  que  ab  apostoiica  beni- 
gnitate  vobis  indulta  sunt ,  sive  benefactores  vestros,  pro  eo  quod  aliqua 
vobis  bénéficia  vel  obsequia  ex  caritate  presUterint ,  vel  ad  laborandum 
adjuverint  in  iilis  diebus,  in  quibus  vos  laboratis,  et  alii  ferlantur,  eamdem 
sententian  protulerint ,  ipsam  tanquam  contra  sedis  apostolice  indulta 
prolatam  duximns  irritandam.  Nec  iittere  iste  flrmitatem  habeant ,  quos 
tacito  nomine  Cisterciensis  ordinis  et  contra  tenorem  apostoiicorum  pri- 
viiegiorum  constiterit  impertiri.  Paci  quoque  et  tranquilitati  vestre  pa- 
tenta soUicitudine  providere  voientes,  auctoritate  apostoiica,  probibemus, 
at  infra  clausnras  locorum  seu  grangiarum  vestrarum  nulius  rapinam 
seu  furtum  facere,  ignem  apponere,  sangninem  fundere,  bominem  tenere, 
capere  vel  interficere ,  seu  violenliam  audeat  exercere.  Preterea  omnes 
libertates  et  immunitates  a  predecessoribus  nostris  Romanis  pontiflcibus 
ordini  vestro  concessas ,  nec  non  et  libertates  et  exemptiones  secularium 
exactlonum  a  regibus  et  principibns  vel  aliis  fldelibus  rationabiliter  vobis 
indulta^,  auctoritate  apostoiica  confirmamus,  et  presentls  scripti  privilégie 
communimus.  Decernimus  ergo  ut  nnlli  omnino  bominum  liceat  prefatum 


78  NOTICE  SUR  l'abbaye  de  froidmont. 

iiianasteriain  temere  perturbare  aut  ejus  possessiones  auferre  vel  ablatas 
retinere  ,  minu6re  seu  quibusiibet  vexationibus  fatigare ,  sed  orania  in- 
tégra conserventur  pro  quorum  gobernatione  et  sustentatione  concassa 
sunt  usibus  omnimodis  profutura ,  salva  sedis  apostolice  aucloritate.  Si 
qu8B  igitur  ecclesiastica  secularisve  persona ,  banc  nostre  constitutionis 
paginam  sciens,  contra  eam  temere  venire  lemptaverit,  secundo  terciove 
commonita,  nisi  reatum  suum  congrua  satisfactione  correxerit,  potestatis 
bonorisque  sui  dignitate  careat ,  reamque  se  divino  judicio  existere  de 
perpetrata  iniquitate  cognoscat  et  a  sacratissimo  corpore  et  sanguine  Dei 
et  Domini  Redemptoris  nostri  Jesu  CbrisU  aliéna  fiat,  atque  in  extremo 
examine  districte  ultioni  subjaceat.  Gunctis  aulem  eidem  ioco  sua  jura 
servantlbus  sit  pax  Domini  nostri  Jesu  Cbristi  et  bic  fructum  bone  ac- 
tionis  percipiat  et  apud  districtum  judicem  premia  eterne  pacis  inveniat. 

Amen. 

Locus  sigilli. 

Ego  iNNOCBNTius ,  ecclesie  catbolice  episcopus  SS. 
Ego  Joannes  Albanensis,  episcopus  SS. ,  etc. 

Datum  AnagniaB  per  manum  Joannis  sancte  romane  ecclesie  subdia- 

coni Indictione  VII.  Incamationis  anno  M*.  CC».  III.  Pontiflcatus  vero 

Domini  Innocenlii  pape  III  anno  qulnto. 

(Àrch.  de  fOise.  —  Cart.  de  Froidmont.) 


LES 


POÉSIES  DE  BEAUMANOIR 


Le  maouscrit  (fr.  76(>9.')  où  sont  réunies  toutes  les  œuvres 
poétiques  de  Philippe  de  Rémi,  sire  de  Beaumanoir^  et  qui  seul 
nous  les  a  conservées ,  avec  un  texte  également  unique  du  roman 
de  Han  par  Sarrasin,  entra,  en  l'année  1715,  dans  la  biblio- 
thèque du  roi  (Louis  XIV)  par  un  don  relaté  en  ces  termes  au 
bas  du  deuxième  feuillet  : 

Donné  â  la  bibliothèque  du  Roy  par  M.  JVatcanSj  chanoine  de 
Tourna  y,  le  26  janvier  1715. 

On  ignore  comment  l'honorable  chanoine  avait  lui-même  ac- 
quis l'ouvrage;  mais  on  sait  où  se  trouvait  ce  dernier  vers  le 
commencement  du  xvi'*  siècle,  car  une  inscription  de  cette 
époque ,  placée  un  peu  au-dessus  de  celle  qui  vient  d'être  rap- 
portée, le  dit  en  ces  termes  : 

C'est  le  romant  de  Hen  appartenant  à  Monseigneur  Charles  de 
Croy^  prince  de  Chimay,  seigneur  WAvesnes^  H^aurin,  Ulliers, 

Cette  mention  de  Charles  de  Croy,  prince  de  Chimay  et  sire 
d'Avesnes,  s'éclaircit  à  merveille  lorsqu'on  la  rapproche  des 
renseignements  fournis  sur  ce  personnage  et  sa  famille  par 
le  père  Anselme,  au  tome  v  (p.  631-H61  et  surtout  p.  G53)  de  son 
histoire  généalogique  de  la  Maison  de  France.  Croy,  dit-il,  est  une 


80  LES    POÉSIE»   DE   BEAUMAMOIR. 

terre  située  sous  Picquigny,  ao  bord  de  la  Somme,  et  la  famille 
qui  tenait  cette  seigneurie  depuis  le  xiii*  siècle  au  moins ,  était  re- 
présentée au  milieu  du  xv^"  par  Philippe  de  Croy,  comte  de  Ghi- 
may,  baron  de  Quiévrain,  qui  mourut  à  Bruges  en  1481.  Son  fils 
aîné,  Charles  de  Croy,  avait  été  armé  chevalier  en  1479,  à  la 
bataille  de  Guinegate;  il  fut  créé  prince  de  Chimay  par  l'empe- 
reur Maximilien  en  i486,  et  désigné  par  l'archiduc  Philippe  pour 
tenir  sur  les  fonts  baptismaux  l'enfant  qui  devait  être  Charles- 
Uuint;  il  mourut  en  1527,  couvert  d'honneurs  et  de  richesses. 
;  De  Philippe  de  Waurain ,  son  oncle,  il  avait  acheté  les  terres  de 

j  ff^aurain^  Lillers  et  Saint-Venant;  enfin  il  avait  épousé,  en  d495, 

I  Louise  d'Âlbret,  sœur  du  roi  de  Navarre,  vicomtesse  de  Limoges, 

dame  ù.\4vesiieB  et  de  iMndrecies. 

Lorsqu'on  se  rappelle  ce  qui  a  été  dit  ci-dessus  (t.  vu,  p.  64)  de 
Girard  de  Rémi,  lorsqu'on  songe  que  ce  frère  aîné  de  Beaumanoir  * 
tenait  par  sa  femme,  Béatrice  d'Ypres,  à  la  proche  parenté  de 
Baudoin  d'Avesnes  (1  Si 3  1289),  fils  de  Marguerite,  comtesse  de 
Flandres  et  de  Hainaut  (i),  et  lorsqu'on  retrouve  plus  tard  un 
riche  manuscrit  des  œuvres  littéraires  de  Beaumanoir  entre  les 
mains  d'un  autre  descendant  de  ces  grandes  familles  picardes 
et  flamandes,  lequel  était  aussi,  par  sa  femme,  seigneur  d'A- 
vesnes,  il  est  superflu  de  développer  l'idée  qui  surgit  et  d'insister 
sui*  la  supposition  qui  naît  d'elle-même  :  à  savoir  que  ce  manus- 
crit était  un  héritage  de  famille  tombé  de  manière  ou  d'autre, 
par  succession,  en  la  possession  de  Charles  de  Croy .  La  remarque 
est  importante  non  seulement  pour  la  curiosité  du  fait ,  mais 
parce  qu'il  en  résulte  nécessairement  pour  ce  volume,  généreu- 
sement donné  par  le  chanoine  Watcans,  un  droit  de  plus  à  l'at- 
tention et  au  respect.  Il  a  été  exécuté  sinon  sous  les  yeux  de 
l'auteur,  du  moins  par  les  ordres  de  quelqu'un  qui  lui  était  atta- 
ché de  fort  près. 

Il  est,  en  effet,  décoré  avec  un  assez  grand  luxe  et  contient, 
outre  la  miniature,  plus  grande  que  les  autres,  placée  en  tête, 
trente  autres  miniatures  plus  petites,  savoir  quinze  disséminées 
dans  le  texte  de  la  Manekine,  six  dans  le  texte  de  Jean  et  Blonde, 


(1)  Sur  la  chronique  écrite  par  Baudoin  d'Avesnes  ou  plutôt  par  son 
ordre  et  sous  son  nom,  voy.  ÏHist.  UUér  de  la  France,  t.  xxi,  p.  753-764. 


LK8   POÉSIES»  DE   BEAUMAMOIU.  81 

et  le  reste  de  façon  à  ce  que  les  petites  pièces  aient  chacune  au 
moins  une  image.  Le  roman  du  Han ,  au  contraire,  n'en  a  $iu- 
cune.  Ces  petites  peintures,  tracées  rapidement  au  pinceau,  et 
reprises  à  Tcncre  par-dessus  la  couleur  au  moyen  d'une  plume 
extrêmement  fine,  étaient  de  pur  gothique,  maigre  et  grima- 
çant, agréable  toutefois  par  les  gestes,  les  costumes  et  par  les 
intentions  marquées  de  l'artiste  ;  mais  elles  ont  beaucoup  souf- 
fert du  temps,  et  leur  état  de  détérioration,  souvent  même  d'ef- 
facement ,  annonce  à  lui  seul  que  le  volume  a  été  beaucoup 
feuilleté  par  des  amateurs  de  vers  et  beaucoup  lu.  D'autres  in- 
dices l'annoncent  aussi  :  principalement  certaines  corrections 
ajoutées  entre  les  ligues,  des  annotations  mises  sur  les  marges 
et  au  f>  96  v",  une  copie  de  quelques  vers  du  roman  de  Renart. 
Le  tout  atteste  un  grand  nombre  de  lecteurs  vivement  intéressés. 
On  y  trouve  aussi  ces  deux  notes,  la  première  tout  à  fait  en  tête 
du  volume  : 

i:e  le  Manekine  l'un  des  boins  c*on  sache. 

Et  la  seconde  tout  à  la  fin  : 

Euxplicit  le  roumant  du  flan  (1),  a  sauoir  un  des  estoires  achi 
en  cest  roumant.  Il  i  est.proumiers  H  romans  de  le  Mankineet  don 
œnte  de  Damartin, 

Le  scribe,  auquel  est  dû  notre  manuscrit,  était  picard,  comme 
le  prouvent  les  formes  de  son  dialecte,  principalement  la  per- 
mutation de  la  en  le^  et  de  ce  ou  que  en  che;  il  avait  la  main  belle, 
facile  et  claire,  quoi  qu'il  se  soit  un  peu  trop  hâté  par  endroits; 
mais  il  était  ignorant  ou  léger,  il  écrivait  trop  vite  et  il  a  fait 
beaucoup  de  fautes.  Ainsi ,  pour  en  donner  quelques  exemples 
recueillis  dans  un  intervalle  de  très-peu  de  pages  ^  il  écrit  pra- 
nieistes  pour  prameistes  (v.  563),  ce  qu'ils  ne  voudront  faire  faire 
pour  ce  qu'ils  me  (v.  604),  riquete  pour  riquece  (v.  619),  son  point 
destre  au  lieu  de  point  senestre  (v.  722),  etc.  Ce  n'est  ainsi  qu'un 
copiste,  et  peu  attentif,  à  qui  nous  devons  cette  transcription; 
il  ne  faut  donc  pas  en  imputer  les  défectuosités  à  l'auteur. 


(1)  Sar  le  roman  du  Han,  voyez  V Histoire  littéraire  de  la  France, 

IXIII,  4^9. 

T.  VIU.  6 


'     2, 

r. 

au^56. 

57, 

r. 

au  ^96. 

97, 

r. 

103, 

V. 

107, 

r. 

109, 

V. 

110, 

V. 

112, 

V. 

113, 

V. 

lli, 

V. 

113, 

r.  1 

aiuM43etdern. 

82  LBS   POÉSIES    DE    BEAUMANOIB 

Voici  commeQt  le  texte  est  dislribué  : 

1 .  La  Manekine du  f' 

â.  Jehan  et  Blonde 

:i.  Salut  d'amour 

i.  Complainte  d'amour 

:>.  Le  dit  de  folle  largesse 

G.  En  grand  éveil  suis  (Fatrasie). 

7.  Nul  ne  peut  sans  bonne  amour 

8.  Âve  Maria  glosé 

9.  Le  chant  d'une  raine  (Fatrasie) 

10.  Autre  Salut  d'amour  (non  ter- 

miné)  

11.  Le  roman  de  Han 

Du  dernier  Salut  d'amour  on  n'a  que  les  premiers  vers ,  et  la 
fin  de  l'œuvre  poétique  de  Beaumanoir  nous  échappe  ainsi  mal- 
heureusement, parce  qu'entre  les  feuillets  11  i  et  115  existe  une 
lacune  qui  nous  a  privés  également  du  début  de  l'œuvre  de 
Sarrasin,  le  roman  de  Han. 

En  revanche,  le  premier  feuillet  de  garde  du  volume,  coté  ^  1, 
est  couvert  d'une  fine  écriture  du  xiii«  siècle,  plus  ancienne  par 
conséquent  que  celle  du  manuscrit  lui-même,  et  contenant  deux 
pièces  de  vers,  dont  la  première  et  la  plus  longue,  intitulée  La 
riuhote  OU  ruihote^  c'est-à-dire  la  La  Hôte  (ou  querelle)  delmonde^ 
est  une  complainte  sur  la  difficulté  de  satisfaire  aux  exigences 
du  monde  et  aux  embarras  ou  Rixes  (1)  qu'il  nous  suscite  à 
chaque  instant  de  la  vie.  H.  Francisque  Michel  a  publié  cette 
pelite  moralité  dans  la  préface  de  son  édition  de  la  Manekine.  11 
a  omis  et  dédaigné  la  seconde  pièce  de  vers  inscrite  sur  la  garde 
du  manuscrit  7609.%  non  sans  raison,  car  c'est  un  insipide 
assemblage  de  jeux  de  mots  sur  les  tristes  idées  de  chair  morte, 
d'ossements  et  de  charnier.  Mais  pourquoi  négliger  l'occasion 
de  la  recueillir  quand  elle  a  si  bien  son  caractère  ?  C'est  de  la 
poésie  chrétienne  du  moyen-âge,  toute  pure,  et  d'ailleurs  il  est 
probable  que  l'auteur  pouvait  invoquer  une  circonstance  atté- 


;l)  Rixa  et  rixaiio;  rioUa. 


LES   POESIES   DE   BEAUMAMOIR  83 

nuante  :  c'est  qu'il  n'avait  pas  agencé  ces  pauvres  rimes  pour 
l'amour  seul  de  l'art,  mais  pour  une  inscription  qu'il  fallait 
graver  à  rentrée  de  quelque  cimetière.  Voici  la  pièce  : 

Chios  qui  le  mieus  se  char  enchame  (1) 
Mire  soi,  con  mors  char  descharne  ! 
Si  con,  darriens,  sunt  deschamé 
Tout  chil  qoi  forent  de  char  né  : 
Que  mors  si  a  fait  descbarna[tz] 
Que  su  les  os  cuir  ne  char  n'a. 
Che  voit  ou  entrant  maint  charniers. 
Hée!  Hors  de  descharne  char  n'i  ers  (9)? 
Ja  iase  !  S'aoras  décharnée 
Toute  riens  d'umaine  char  née  ! 
Trop  nous  despis  et  eschamis, 
Tous  et  tontes  de  coi  char  nis , 
Char  de  i'an  en  l'autre  rencharnes 
Pour  descharner,  et  tout  descharnes  : 
Et  de  si  vix  descharneare 
Qui  n'est  si  bêle  charnenre 
D'onme  ne  de  fenme  charnel 
K'après  ton  cors  si  encharne  el 
Que  li  ver  qoi  de  le  char  naissent 
De  chil  je  n..is  p(ar)  descharnaissent 
Autre  ver  n'entraissent  eschars 
Ne  des  larges  ne  des  es  chars 
Qui  vaorroit  contre  mort  chamins 
Ne  encontre  les  vers  chamins 
En  escapii  hons  de  char  nus 
Nennil  voir  maigres  ne  charnus 
Ne  femme  maigre  ne  charnue 
Que  mors  tant  ne  morge  :  char  nue 
Qui  trestout  descharne  de  char 
Ne  mesroient  cent  mille  char. 
Le  char  que  mors  a  deschamée 
Contre  mort  n'est  chars  si  chamée 


(1)  Cdui  dont  U  chair  est  le  mieoi  façooDéc,  qu'il  se  reiiaitle  (ici)  et  qu'il  foye  combien 
la  Bort  déflfore.  Comme  \  la  fin  sont  décharnés  tons  ceax  qoi  sont  nés  de  la  chair. 

(S)  Hé  Bort!  squelette  toi-même,  que  n'est-to  aussi  Ans  le  tombeau? 


84  LES    rOËSIKS  DK   BKAUMANOIR. 

Uue  riens  i  vaillent  chamement 
Se  chias  qui  flst  ne  hait  ne  ment. 

it  choD  qui  est  dit 

a  Ridel 

S'il  rien  n'en  ra  ne  bien  ne  bel 
S'il  ne  preste  che  roumant  chi 

A  Willaome  qal  escrissi 
Les  vers  devant  qui  snnt  nonmé. 
Dix  doint  Ridel  boinne  santé 
Et  du  bon  vin  boire  a  plenté. 
0  dives ,  dives  non  omni  tenore — 
Fac  bene  dum  vivis  post  moriem 


Il  me  semble  avoir  complètement  décrit  le  manuscrit  français 
de  Paris  7609.^  J'ai  encore  à  expliquer  ce  que  j'en  ai  fait  comme 
éditeur. 

Pour  ce  qui  concerne  le  texte,  j'ai  tenu  à  reproduire  intégra- 
lement toutes  les  petites  pièces  de  vers  de  Beaumanoir  dont  on 
a  parlé  souvent,  dont  on  a  cité  divers  fragments,  mais  dont  on 
n'a  jamais  fait  connaître,  je  crois ,  une  seule  en  entier.  Quant  à 
ses  deux  grands  poèmes ,  la  Manekine  et  Jehan  de  Dammartin, 
ils  ont  au  contraire  été  complètement  et  bien  publiés  en  Angle- 
terre, par  M.  Fr.  Michel  et  M.  Thomas  Wright ,  mais  dans  les 
conditions  de  cette  publicité  restreinte  qui  fait  d'un  livre  une 
sorte  de  délassement  aristocratique  réservé  à  un  petit  nombre 
de  souscripteurs,  en  même  temps  que  peu  accessible  au  gros 
des  lecteurs.  Aussi ,  j'eusse  voulu  les  reproduire  à  mon  tour  sans 
y  rien  retrancher;  mais  comme  ils  forment  plus  de  quinze  mille 
vers,  et  qu'ils  remplissent  chacun  un  volume  in-4<'  dans  l'im- 
pression anglaise,  je  n'ai  pas  cru  pouvoir  user  jusqu'à  un  tel 
excès  du  bienveillant  patronage  que  m'accorde  la  Société  Acadé- 
mique de  roise.  Il  m'a  semblé  qu'en  supprimant  les  monologues, 
les  redites,  et  çà  ou  là  quelques  inutilités,  je  pourrais  donner 
trés-sufûsamment  l'ensemble  des  deux  longs  romans  composés 
par  Beaumanoir.  Dans  mes  extraits,  qui  sont  fort  étendus,  j'ai 
pris  à  tâche  de  réunir  tout  ce  que  ces  deux  récits  contiennent 
de  notions  sur  la  géographie,  les  institutions  et  les  mœurs.  Il 
n'est  personne  qui  ne  puisse  les  lire  et  même  les  goûter  par 
le  moyen  de  l'analyse  continue  que  j'ai  placée  dans  le  haut 
des  pages  pour  escorter  les  vers,  et  aussi  par  les  notes  pla- 


LES   POrisiES   DE   BEAUMAMOIR.  85 

cées  au-dessous  des  vers  pour  en  expliquer  les  mots  obscurs. 
A  l'adresse  des  lecteurs  difficiles,  c'est-à-dire  de  mes  confrères 
les  amateurs  ou  éditeurs  de  poésies  du  moyen  âge,  je  dois  faire 
cette  confession  que  mes  notes  philologiques  sont  parfois  un  peu 
hasardées.  J'ai  lieu  de  craindre  que  ce  ne  soit  le  résultat  d'une 
idée  systématique.  Etant  donnée  une  langue ,  sortie  presqu'en 
entier  d'éléments  défigurés  et  corrompus  dont  la  substance  pri- 
mitive était  du  latin ,  c'est  une  séduction  à  laquelle  je  me  suis 
abandonné  avec  contentement  que  de  chercher  à  distinguer,  à 
reconnaître  et  à  pénétrer  la  raison  d'être  de  toute  forme  bizarre 
qui  se  présente  dans  le  vieux  français,  quand  même  les  exemples 
manquent  et  par  conséquent  la  pure  certitude.  C'est  un  chemin 
glissant,  mais  une  promenade  charmante  où  l'on  peut  rencontrer 
par  hasard  quelques  varfétés  encore  inobservées  des  botanistes. 


INTRODUCTION  A  LA  MANEKINE 


On  a  dit  plus  haut ,  en  deux  mots  ,-ce  que  c'est  que  la  Mane- 
kine  (1)  :  une  jeune  fille,  aussi  belle  que  pure,  injustement  per- 
sécutée. Pour  échapper  aux  poursuites  du  roi  de  Hongrie,  son 
père ,  qui  veut  Tépouser  à  cause  de  sa  ressemblance  avec  sa 
mère  qui  n'est  plus,  elle  se  tranche  à  elle-même  la  main  gauche. 
Le  père  veut  la  faire  brûler  pour  la  punir;  mais  on  se  contente 
de  l'abandonner  à  la  mer  sur  un  batelet.  Elle  aborde  en  Ecosse  (2). 
Le  roi  de  ce  pays  la  voit,  l'aime  et  l'épouse  malgré  la  reine-mère, 
qui,  bientôt  en  haine  de  sa  bru,  fait  croire  au  roi ,  par  le  moyen 
de  fausses  lettres,  que  sa  jeune  femme  est  accouchée  d'un 
monstre.  Ce  complot  a  pour  résultat  de  faire  abandonner  de 
nouveau  la  Manekine  à  la  merci  des  flots,  seule  avec  son  (ils.  La 
grftce  divine  la  conduit  à  Rome  où  y  après  sept  années  d'attente, 
elle  retrouve  et  son  père  et  son  mari ,  pardonne  à  tous  deux, 
et  jouit  enfin  du  bonheur  qu'elle  a  mérité  par  sa  douce  résigna- 
tion dans  la  souffrance. 

J'ai  montré  Beaumanoir  chantant  sur  cette  donnée  les  tradi- 
tions généalogiques  de  quelques  seigneurs  picards  ainsi  que  les 
exploits  qui  s'accomplissaient  dans  les  tournois  à  Creil,  Sentis, 
Ressons  et  autres  lieux  de  son  pays.  Le  poète  l'avait  donc  accom- 
modée à  TusÂge  de  ses  compatriotes;  mais  Tavait-il  inventée? 
Nullement. 


(1)  Mém.  de  la  Soc,  Àcad.  de  l'Oise,  t.  vu ,  p.  77. 

(3;  Par  inadvertance  on  a  mis  ci-dessus  «  en  Angleterre.  > 


I2«TR0DUGT10N  A   LA   MANEKIIVB.  87 

Peu  de  fables  ont  été  aussi  populaires,  aussi  universellement 
accueillies  que  celle  des  ciniautés  exercées  contre  une  innocente 
beauté  par  ses  proches  et  ceux  qui  semblaient  devoir  le  plus  la 
défendre.  Le  nom  de  la  victime  change  suivant  les  pays  :  c'est 
Geneviève  de  Brabant,  c'est  Gendrillon ,  c'est  Sainte-Olive,  c'est 
Crescenzia;  mais  c'est  toujours  la  jeune  et  belle  infortunée  haïe 
par  sa  famille.  La  scène,  les  événements,  les  lieux,  les  com- 
parses, changent  de  même  à  l'infini;  mais  il  n'y  a  presque  pas 
de  contrée  qui  n'ait  ce  mythe.  Et  il  est  inutile  d'en  chercher 
l'origine,  d'en  vouloir  déterminer  l'antiquité,  car  il  n'est  autre 
chose  que  l'expression  de  la  douleur  arrachée  aux  âmes  tendres 
et  poétiques  par  le  souvenir,  et  encore  un  peu  par  le  spectacle  , 
de  l'oppression  barbare  où  vit  femme  dans  les  sociétés  peu  civi- 
lisées. 

Suivant  Tune  des  versions  italiennes  de  cette  légende,,  le  persé- 
cuteur est  un  empereur  de  Rome  (i  ) Iqui  tourmente  sa  fllle,  Uliva; 
la  pousse  à  se  faire  trancher,  par  désespoir,  les  deux  mains,  et 
outré  de  sa  rébellion ,  ordonne  qu'elle  soit  conduite  dans  le 
royaume.de  Bretagne  pour  y  recevoir  la  mort.  Les  serviteurs  se 
bornent  à  l'abandonner  dans  une  forêt ,  où  le  roi  du  pays  la 
rencontre  un  jour  en  chassant.  11  l'emmène  et  en  fait  la  gouver- 
nante de  son  fils;  mais  un  seigneur  breton,  amoureux  d'elle  et 
dépité  de  ses  refus,  la  calomnie,  l'accuse  d'avoir  fait  à  l'enfant 
un  mal  qu'il  a  fait  lui-même,  et  obtient  qu'on  la  reconduise  au 
fond  des  bois.  Là  elle  trouve  la  Vierge  Marie,  accompagnée  de 
deux  anges ,  qui  lui  rend  ses  mains  et  la  mène  dans  un  monas- 
tère du  voisinage.  Par  malheur,  dans  ce  monastère  de  religieuses 
était  un  prêtre  qui  agit  exactement  comme  le  baron  breton,  si 
ce  n'est  qu'il  finit  par  faire  lancer  Uliva  sur  la  mer  dans  un 
batelet.  Deux  marchands  la  retirent  et  la  conduisent  au  roi  de 
Castille  auquel  ils  font  présent  de  cette  belle  personne.  Le  roi  ne 
tarde  pas  à  l'aimer  et  à  l'épouser.  La  reine-mère,  courroucée  d'a- 
voir une  telle  bru,  fait  croire  au  roi  par  de  fausses  lettres,  pendant 
qu'il  guerroyait  en  Navarre,  que  sa  jeune  femme  est  accouchée 
d'un  monstre,  et  fait  croire  ensuite  aux  officiers  royaux  que  son 
fils  ordonne  de  brûler  Uliva  et  l'enfant.  Le  bourreau  se  contente 


I^  L  empereur  Octavien,  suivant  on  ms.  de  Tarin. 


88  LRS   POESIES    DE    BBATMANOIR. 

de  rabandonner  encore  une  fois  en  bateau  sur  TOcéan ,  et  la 
Providence  la  fait  aborder  à  Rome,  où  plus  tard  elle  retrouve 
son  époux  venu  pour  implorer  son  pardon  d'avoir  fait  brûler  sa 
propre  mère  lorsqu'il  eut  découvert  la  trahison  qu'elle  avait 
commise.  Uliva ,  le  roi  de  Bretagne ,  leur  jeune  fils  et  l'empereur 
lui-même  s'unissent  en  un  commun  embrassement. 

(Jne  autre  version  Italienne  remplace  l'empereur  de  Rome  par 
Imbert,  roi  de  Dacie.  Sa  femme  est  la  reine  Bellandia,  sa  fille  la 
belle  Ëilisa,  la  duègne  qui  garde  celle-ci ,  Bellotta,  et  le  prince 
qui  s'éprend  d'amour  pour  la  manchotte  est  le  duc  d'Autriche, 
Apardo.  Dans  ce  texte,  en  prose,  tous  les  traits  durs  sont 
émousséset  comme  corrompus  par  la  plume,  onctueusement 
et  niaisement  dévote  de  l'auteur,  probablement  un  prêtre  atta- 
ché au  Vatican,  lequel  termine  son  récit  en  le  disant  tiré  «  des 
antiques  histoires  de  Rome.  » 

La  forme  germanique  de  la  légende  est  dans  le  recueil  des 
frères  Grimm  (1).  Un  pauvre  meunier,  traversant  les  bois,  ren- 
contre un  inconnu  qui  promet  de  le  rendre  à  jamais  richissime 
pourvu  que  le  meunier  lui  donne  ce  qui  se  trouve ,  à  l'heure 
même,  derrière  son  moulin.  Le  bonhomme,  sachant  bien  qu'il 
n'y  avait  derrière  son  moulin  qu'un  pommier,  le  donne  sans 
peine  ;  mais  seus  le  pommier  passait  en  ce  moment  sa  tille. 
L'Inconnu  était  le  diable ,  et  dans  trois  ans  juste  il  devait  venir 
chercher  son  dû.  Le  terme  fatal  arrivé,  la  jeune  fille  prévenue, 
et  préparée  par  la  prière  et  le  jeûne,  se  lava  avec  un  soin 
extrême  et  traça  un  cercle  à  la  craie  autour  d'elle.  En  la  voyant 
si  propre  et  limpide,  le  diable  commanda  au  père  de  lui  reti- 
rer l'eau,  dissolvant  du  pouvoir  infernal.  Alors  la  fillette  com- 
mence à  se  lamenter  et  à  verser  un  flot  de  larmes  dont  elle  se 
frotte  avec  ses  mains.  Le  diable  oblige  le  père  à  lui  couper  les 
mains  ;  les  larmes  n'en  coulent  que  plus  fort  et  ne  cessent  d'i- 
nonder la  victime.  Enfin  le  diable  ne  pouvant  venir  à  bout  de 
l'avoir,  sinon  toute  mouillée,  abandonne  la  partie.  Mais  la  jeune 
fille  s'enfuit  du  moulin ,  quoique  son  père  lui  puisse  dire  pour 
faire  briller  à  ses  yeux  l'avantage  d'avoir  attrapé  le  diable  et  de 
rester  riche.  Elle  arrive  la  nuit,  mourant  de  faim,  devant  un 


r  Au  n»  ;U  :  Das  Mnedchen  ohne  Haendc 


INTRODUCTION  A  LA  MANERINB  89 

jardin  royal  défendu  par  un  fossé  plein  d'eau.  Un  ange  vient  à 
8on  aide  pour  lui  faire  traverser  le  fossé  et  manger  une  poire 
prise  à  un  poirier  du  jardin  qui  avait  tous  ses  fruits  numérotés. 
Le  jardinier  aperçoit  les  deux  pillards,  mais  n'ose  approcher,  et 
revient  la  nuit  suivante  avec  le  roi  qu'il  avait  informé  du  fait 
et  un  prêtre,  parce  qu'il  se  doutait  d'avoir  affaire  à  des  esprits. 
A  la  première  vue  de  la  jeune  fille,  le  roi,  transporté  d'admira- 
tion, l'emmène  à  la  cour,  lui  fait  fabriquer  des  mains  d'argent 
et  l'épouse.  C'est  alors  qu'intervient  la  reine-mère  avec  sa  haine, 
ses  ruses,  ses  fausses  lettres,  et  qu'elle  obtient  l'expulsion  de  la 
jeune  mère,  qui  vit  pendant  sept  ans  au  fond  d'une  forêt,  où 
son  ange  vient  lui  rendre  les  mains  et  la  servir,  tandis  que  le 
roi  son  mari,  après  avoir  reconnu  son  innocence,  la  cherche 
de  son  côté  sept  ans 'durant,  jusqu'à  ce  qu'une  rencontre  for- 
tuite, dans  les  bois  où  elle  est  cachée,  les  réunisse  à  jamais. 

11  y  a  aussi  la  légende  russe  (1).  Un  roi  avait  un  fils  et  une 
fille.  Lorsqu'il  eut  cessé  de  vivre,  le  frère  se  mit  à  poursuivre 
sa  sœur  en  la  pressant  de  se  marier,  et  elle,  sagement,  répon- 
dait en  le  priant  de  commencer  par  se  marier  lui-même.  Il  le 
fit,  mais  il  n'en  continua  pas  moins  de  l'aimer,  ce  qui  alluma 
chez  son  épouse  une  jalousie  brûlante.  Pendant  une  absence 
qu'il  fit,  sa  femme  imagina  de  couper  les  pieds  d'un  de  ses  che- 
vaux, le  meilleur  qu'il  eût,  celui  qu'on  couvrait,  à  l'écurie,  d'un 
caparaçon  d'or.  A  son  retour,  le  mari  voit  sa  femme  en  pleurs. 
«  Pourquoi  pleures- tu,  »  dit-il.  Elle  lui  conte  le  malheur  du 
cheval  en  accusant  la  sœur  de  l'avoir  fait.  Il  lui  répond  seule- 
ment :  «  Laisse  aux  loups  le  soin  de  manger  la  carogne  !  »  Un 
autre  jour  ce  fut  le  faucon  du  Russe  que  la  mauvaise  femme  fit 
périr  ;  et  n'ayant  pas  mieux  réussi  qu'avec  le  cheval ,  elle  osa 
porter  atteinte  aux  jours  de  son  propre  fils  pour  charger  du 
crime  son  innocente  rivale.  Cette  fois,  le  frère,  exaspéré,  em- 
mena sa  sœur  dans  les  bois  avec  le  dessein  de  lui  couper  la 
tête;  mais,  ému  par  ses  prières,  il  se  contenta  de  lui  trancher 


(1}  CollecUon  des  contes  populaires  russes ,  par  Afanassieff.  Je  Ure  toa» 
ces  détails  d'une  exceiienle  préface  insérée  par  M.  Alessandro  Wesse- 
lofsky  en  l»He  de  sa  NweUa  deUa  figUa  Mredi  Dada.  Pisa,  Nlslrl,  IftfiC. 
In-ftr 


90  LBS  POESIES  DE  BEAUMAlfOIR. 

les  deux  mains  et  de  l'abandonner.  Elle  s'était  réfugiée  dans  le 
creux  d'un  arbre,  quand  un  prince  l'aperçoit  en  passant  et  la 
trouve  si  belle  qu'il  la  fait  venir  à  la  cour.  Pendant  la  nuit  le 
prince  entendit  une  voix  secrète  qui  lui  persuadait  d'épouser 
cette  jeune  fille,  qui  lui  donnerait  «  un  fils  dont  les  bras  seraient 
d'argent  jusqu'au  coude  et  les  jambes  d'argent  jusqu'au  genou, 
avec  un  soleil  sur  le  front  et  une  étoile  sur  la  nuque  (1).  »  Le 
songe  revient  jusqu'à  trois  fois,  et  le  prince  épouse,  malgré  les 
conseils  de  sa  mère,  la  femme  qui  devait  lui  donner  ce  miracu- 
leux fils  (â).  Mais  l'accouchement  ayant  eu  lieu  pendant  qu'il 
était  en  voyage,  la  belle- sœur  eut  l'aride  soustraire  la  lettre 
annonçant  l'heureuse  nouvelle  et  d'y  substituer  un  avis  portant 
que  le  nouveau  né  était  un  chien.  Le  prince,  furieux ,  r'écrit 
aussitôt  qu'on  chasse  sa  femme  du  pays,  et  que  s'il  la  retrouve 
à  la  maison  il  lui  fera  couper  les  pieds.  On  expulse  donc  la  jeune 
mère ,  qui  s'en  va  au  hasard  après  qu'on  lui  eût  lié  son  bambin 
sur  les  épaules.  Chemin  faisant,  pressée  par  la  soif,  elle  s'ap- 
proche d'une  citerne,  et  comme  elle  se  penchait  pour  boire , 
son  enfant  glisse  malheureusement  dans  l'eau.  Voilà  cette  pauvre 
femme  au  désespoir.  «  Pourquoi  cries-tu,  lui  dit  un  vieux  qui 
passait?  —Ah ,  papa!  j'ai  laissé  tomber  mon  fils  dans  la  citerne! 
—  Tire  le  dehors.  —  Je  le  ferais ,  mais  je  n'ai  pas  de  mains.  ^ 
Baisse-toi  toujours  et  tends  tes  bras.  »  Elle  le  fit,  et  aussitôt  ses 
mains  lui  revenant  elle  rattrapa  l'enfant.  «  Vas  au  nom  de  Dieu, 
reprit  le  vieillard,  et  fuis.  »  Le  soir  même  on  la  recevait  par 
charité  dans  une  maison  où  elle  racontait  ses  malheurs  sans 


(1)  Je  reproduis  textueUement  ici  la  note  de  M.  Wesselofsky  sur  cette 
curieuse  supersUtion  :  c  E  questa  una  noUssima  espressîone  epica  dei 
raconU  popolari  russi.  Vedasia  proposito  :  vuk  karadzig,  srhskepripo- 
vijedke  (Il  bambino  dalle  braccia  ed  1  capelli  d'oro  ;  —  La  fanciuUa  colla 
Stella  sut  ginoccbio  destro.);  Grimm,  Deutsche  Mythol.  i  364  et  Kinder 
und  Bausmaerchen  i ,  56.  (La  flglia  colla  Stella.);  Schott,  Valach.  Maei\ 
n»  16,  23;  —  ScHLBiCHKR,  LUt.  M.  p.  10;  —  T.  w.  WOLF  raccolsc  moltissîme 
notizie  ai  fanciulli  d'oro  del  raconlo  popolare  nei  Beitrag.  Deutsche  Mythol. ^ 
Goettingen  1857,  p.  127.  » 

f2)  Encore  aujourd'hui,  à  ce  qu'on  m'assure,  la  mèrp  nis.se  caresse 
son  enfant  en  lui  disant  :  «  Mayo  zoeloto  »  (mon  or  !  . 


INTRODUCTION   A  Lk   MANBKINB.  91 

nommer  personne;  mais  elle  fut  bientôt  reconnue,  car  c'était  la 
maison  de  son  frère  et  son  mari  s'y  trouvait.  Son  innocence 
éclata  pleinement  et  sa  méchante  belle-soeur  fut  mise  à  mort, 
attachée  à  la  queue  d'un  cheval.  «  Là  où  tomba  sa  tète  il  vint 
une  colline,  et  là  où  était  son  dos  une  vallée  profonde.  » 

On  peut  citer  encore  la  légende  Serbe,  où  c'est  une  marâtre 
qui  amène  son  mari  à  ordonner  le  supplice  d'une  fille  du  pre- 
mier lit.  On  l'entraîne  dans  un  bois  pour  lui  amputer  les  mains 
et  lui  arracher  le  cœur;  mais  les  esclaves  chargés  de  l'exécution 
n'en  accomplissent  que  la  première  partie  et  s'excusent  auprès 
de  la  marâtre  en  disant  qu'ils  ont  perdu  le  cœur  en  chemin.  Le 
père  est  averti  par  un  songe  de  la  scélératesse  de  sa  femme  et 
en  même  temps  d'un  moyen  de  réparer  le  mal  fait  à  sa  illle.  Il 
s'agit  de  prendre  un  étalon  noir  sans  tache  qui  n'ait  pas  encore 
porté  la  selle  et  une  cavale  pleine  qui  soit  blanche,  également 
sans  tache,  puis  de  leur  enlever  à  chacun  trois  crins  de  la  queue, 
de  les  faire  brûler  et  d'appliquer  la  cendre  sur  les  blessures. 
Cette  prescription  ayant  été  fidèlement  suivie,  l'heureuse  jeune 
fille  se  voit  instantanément  pourvue  de  deux  mains  d'or. 

Il  existe,  enfin,  une  légende  grecque  dont  le  texte  a  été  conservé 
par  un  moine  du  mont  Athos,  nommé  Agapios,  lequel  vivait  au 
xvi«  ou  xvii«  «iècle,  et  dont  un  docte  professeur  de  Paris, 
M.  Gidel,  donne  (i;  l'analyse  que  voici  : 

«  Un  roLde  France  était  demeuré  veuf  avec  une  fille.  Il  se  re- 
maria, et  prit  pour  épouse  une  princesse  d'une  beauté  accomplie, 
mais  d'un  cœur  aussi  pervers  que  son  visage  était  aimable.  Elle 
avait  surtout  la  vanité  de  se  croire  la  plus  belle  personne  qui 
fut  au  monde ,  et  elle  ne  pouvait  souffrir  la  pensée  qu'elle  put 
jamais  avoir  une  rivale.  Quand  elle  vit  la  princesse  qui  devenait 
sa  belle- fille,  elle  conçut  une  si  vive  jalousie  de  sa  beauté,  qu'elle 
résolut  de  se  débarrasser  de  cette  vue  Importune.  Profitant  d'une 
absence  que  le  roi  avait  faite,  elle  séduisit  un  officier  de  sa  cour, 
et,  à  force  de  promesses ,  elle  l'amena  à  vouloir  servir  sa  haine. 
11  devait  enlever,  en  secret,  la  princesse,  la  conduire  en  quelque 


(1)  Dans  l'ouvrage  intitulé  :  Etudes  sur  la  littérature  grecque  moderne. 
Imilalioti  en  grec  de  nos  romans  de  chevalerie  depuis  le  xii*  siècle ,  par 
A.-Ch.  Gidel.  —  Paris.  I86fi.  In-8r  p.  290. 


92  LES   POESIES   DE   BEAUMANOIR. 

endroit  éloigné  et  désert,  et  là  lui  donner  la  mort.  Gomme  preuve 
du  crime  accompli,  il  devait  rapporter  à  la  reine  les  deux  mains 
de  la  victime.  L'officier  conduisit  en  effet  la  jeune  fille  dans 
une  solitude  lointaine;  il  allait  la  mettre  à  mort,  mais  ses 
plaintes  le  touchèrent,  et  il  se  contenta  de  lui  couper  les  deux 
mains. 

«  Grâce  à  la  protection  de  la  sainte  Vierge ,  la  princesse  ne 
souffrit  presque  pas  de  cette  cruelle  mutilation.  Bientôt  le  fils 
d'un  duc  la  rencontra  pendant  qu'il  était  à  la  chasse,  et  la  ra- 
mena avec  lui  dans  la  demeure  de  son  père.  La  grâce  de  la 
princesse,  sa  piété,  ses  vertus,  remplirent  d'amour  le  cœur  du 
jeune  homme ,  qui  ne  craignit  pas  de  l'épouser  malgré  son  in- 
firmité, ^n  vain  son  père  lui  représentait  qu'on  ignorait  et  la 
naissance  et  la  vie  passée  de  l'étrangère.  Il  ne  voulut  pas  chan- 
ger de  volonté,  et  bientôt  elle  devint  son  épouse. 

«  Gependaut  le  roi ,  à  qui  la  méchante  reine  avait  expliqué 
par  un  mensonge  la  disparition  de  sa  fille ,  passait  ses  jours 
dans  la  douleur.  Pour  dissiper  son  ennui,  il  fit  convoquer  à  un 
tournoi  tous  les  seigneurs  et  les  chevaliers  de  son  royaume.  La 
nouvelle  en  vint  chez  le  duc.  Le  vieillard  voulait  d'abord  se 
rendre  à  Tinvitation  de  son  roi;  mais  il  renonça  à  sou  projet, 
sur  les  conseils  de  son  fils ,  qui  se  chargea  d'aller  y  soutenir  lui- 
même  la  gloire  du  nom  paternel.  Il  quitta  donc  sa  jeune  femme 
en  la  recommandant  à  son  père.  Il  le  pria  de  lui  annoncer  sa 
délivrance  aussitôt  qu'elle  aurait  eu  lieu  :  la  duchesse  était  sur 
le  point  d'accoucher. 

«  Au  tournoi,  le  jeune  homme  se  fit  remarquer  par  sa  vail- 
lance et  ses  succès.  La  méchante  reine  se  sentait  prise  d'intérêt 
pour  lui;  elle  l'appela  près  d'elle,  le  questionna  sur  sa  patrie, 
sa  famille,  et  apprenant  qu'il  avait  pour  épouse  une  femme  dont 
les  deux  mains  avaient  été  coupées,  elle  reconnut  la  belle-fille 
qu'elle  avait  donné  ordre  de  tuer.  Sa  haine  se  réveilla  aussi 
forte  qu'au  premier  jour,  et  elle  résolut  de  se  venger  d'une  ma- 
nière terrible.  Le  chevalier,  cependant,  reçut  une  lettre  de  son 
père.  Il  lui  annonçait  la  naissance  de  deux  enfants  à  qui  sa 
femme  avait  donné  le  jour.  A  la  réponse  que  faisait  le  jeune 
époux  la  reine  en  substitua  une  autre.  Il  y  était  dit  :  a  Sachez, 
mou  père,  que  ma  femme  est  la  fille  d'un  criminel;  qu'on  lui  a 
coupé  les  deux  mains  pour  la  punir  elle-même  de  ses  crimes; 


INTRODUCTION    A   LA   MANBKINK.  93 

sachez  aussi  que  ces  enfants  ne  sont  pas  les  miens  ;  faites-les 
mourir  avec  leur  mère ,  que  cet  ordre  soit  accompli  avant  que 
je  retourne  chez  moi.  »  Le  vieux  duc  obéit  à  cet  ordre  prétendu 
de  son  ûls.  La  jeune  femme  et  les  enfants  furent  menés  dans 
une  forêt  pour  y  recevoir  la  mort.  Les  ministres  de  cet  ordre  se 
disposaient  à  l'exécuter  quand ,  touchés  des  larmes  de  la  mal- 
heureuse duchesse ,  ils  convinrent  de  la  laisser  à  l'endroit  même 
où  son  mari  l'avait  jadis  rencontrée. 

«  La  pauvre  abandonnée  s'en  remit  encore  à  la  protection  de 
la  sainte  vierge,  et,  prenant  un  sentier  qui  s'offrait  à  elle,  elle 
arriva  bientôt  dans  la  cellule  d'un  solitaire  qui  lui  donna  asile 
auprès  de  lui.  Une  nuit  la  jeune  femme  vit  en  songe  la  sainte 
Vierge  :  elle  lui  rendait  ses  deux  mains.  La  princesse  se  réveille; 
ô  surprise ,  ce  n'était  pas  une  vaine  illusion  :  elle  avait  retrouvé 
ses  mains!  Quand  le  jour  fut  venu,  elle  entendit  des  voix 
d'hommes  qui  s'entretenaient  au  dehors;  elle  sortit  et  reconnut 
son  époux.  En  la  voyant,  le  jeune  duc  pleura  de  joie.  Il  apprit 
d'elle  ce  qui  s'était  passé,  et  tous  les  deux  rendirent  grâces  au 
Seigneur.  La  Manekine  fit  connaître  sa  naissance,  qu'elle  avait 
tenue  cachée  jusque-là.  On  écrivit  à  son  père.  Cinq  jours  après, 
les  époux  se  rendirent  à  la  cour  du  roi.  La  méchante  reine  s'é- 
tait enfuie  et  se  tenait  cachée.  On  la  chercha,  on  finit  par  la 
saisir,  et  elle  fut  jetée  dans  un  grand  bûcher,  qui  la  consuma. 
Le  lendemain,  le  roi  fit  couronner  son  gendre.  Le  couple  royal 
vécut  désormais  dans  la  joie  et  dans  la  reconnaissance  pour  les 
bontés  de  la  reine  du  ciel.  » 

J'ai  reproduis  cette  longue  analyse  sans  en  omettre  un  mot, 
parce  que  son  auteur,  M.  Gidel,  la  présente  comme  preuve  de 
son  opinion,  à  savoir  que  notre  Manekine  aurait  servi  de  modèle 
au  roman  grec.  Je  crois  que  cette  citation  prouve  précisément 
le  contraire,  et  que  de  toutes  les  diverses  légendes  ci-dessus 
mentionnées ,  il  n'en  est  pas  qui  soit  plus  loin  de  la  picarde 
que  n'est  la  grecque  (i).  Mais  M.  Gidel  s'est  laissé  emporter  au- 
delà  de  la  vérité  par  cette  pensée,  très-française  d'ailleurs»  que 
la  littérature  de  notre  France  du  moyen-âge  a  été  la  nourrice  et 


(1)  Voyez  d'aiiiears  les  antres  argamcnts  fournis  contre  cette  idée  de 
l'auteur  dans  la  Revue  critique,  décembre  1866,  p.  393. 


94  LES    POESIES   DE    BEAUMÀNOIR. 

le  modèle  initiateur  de  toute  l'Europe  littéraire ,  laquelle  n'au- 
rait fait,  à  l'origine,  que  copier  et  traduire  nos  trouvères  et 
nos  troubadour».  C'est  une  exagération  dont  il  y  a  beaucoup  à 
rabattre.  On  oublie  trop  qu'avant  de  voir  paraître  la  littérature 
française  à  l'horizon ,  l'Occident  avait  vécu  pendant  mille  ans 
du  résidu  des  littératures  antiques,  et  qu'il  y  avait  là  un  fonds 
commun  à  l'usage  de  tous.  Les  textes  français  sont  en  plus 
grand  nombre  que  les  autres,  et  plus  anciens  il  est  vrai;  mais 
cela  provient-il  de  ce  que  l'esprit  français  a  devancé  toute  l'Eu- 
rope? Qu'il  ait  devancé  les  populations  germaniques  à  puiser 
aux  sources  latines,  cela  est  bien  naturel;  mais  aurait-il  été 
plus  vif,  plus  inventif,  plus  avancé  que  le  Provençal  ou  l'Italien? 
C'est  chose  peu  vraisemblable ,  et  cette  prépondérance  du  Fran- 
çais dans  la  littérature  du  moyen-àge,  est  plutôt  le  résultat 
d'une  situation  matérielle  et  indépendante  de  toute  qualité 
d'esprit.  En  effet,  pour  se  récréer  aux  légendes  latines,  le  lec- 
teur italien,  provençal,  espagnol,  n'avaient  pas  besoin  de  tra- 
duction ;  c'est  pour  cela  qu'ils  n'en  ont  point  fait.  Mais  le  public 
frank  ou  français  a  fait  ou  fait  faire  des  traductions  et  des  imi- 
tations par  la  raison  qu'étant  beaucoup  moins  proche  du  latin 
il  en  avait  besoin  pour  comprendre.  Et  l'on  peut  ajouter  qu'une 
fois  constitué  imitateur  il  était  plus  apte  à  devenir  créateur. 
C'est  par  ce  motif  accidentel  que  les  textes  français  abondent, 
et  non  parce  qu'il  y  aurait  eu  chez  les  habitants  de  la  Gaule 
quelque  don  particulièrement  divin,  comme  on  le  croirait,  si 
l'on  en  croyait  nos  auteurs. 

Quoiqu'il  en  soit,  Beaumanoir  n'a  donc  pas  du  tout  inventé  sa 
Manekine;  mais  autant  ces  développements  divers  d'une  donnée 
unique  ont  tous  leur  physionomie  distincte,  leur  aspect  natignal, 
autant  le  poème  picard  porte  aussi  dans  le  détail  son  cachet  de 
terroir  qui  est  la  discipline  féodale,  l'assujettissement  aux  règles 
hiérarchiques  et  la  recherche  du  flonflon  guerrier,  des  tournois  et 
des  bagarres.  Y  a-t-11  du  moins  quelque  talent  dans  les  broderies 
ajoutées  par  sa  main  au  sujet  ?  Il  me  le  semble,  et  le  lecteur  va 
pouvoir  en  juger.  Il  l'a  semblé  aussi  à  ses  contemporains,  puisque 
l'un  d'eux  tenait  ce  roman  de  la  Manekine  pour  un  des  beaux 
que  Ton  connût.  Enfin ,  ce  contemporain  n'était  pas  seul  de  son 
opinion ,  puisqu'un  poète  du  xiv«  siècle  a  tiré  de  ce  roman  un 
drame  en  vers  conservé  dans  le  ms.  fr.  (gr.  biblioth.  de  Paris), 


INTRODUCTION   A    LA   MA^EKINE  95 

n»  7208.  i  B,  f»  8i  (1),  sous  cette  rubrique  :  «  Cy  coramence 
«  un  miracle  deNostre  Dame,  comment  la  fille  duroy  de  Hongrie 
«  se  copa  la  main  pour  ce  que  son  père  la  vouloit  espouser  et  un 
«  esturgon  la  garda  vij  ans  en  sa  mulette.  »  M.  Francisque  Michel 
a  publié  ce  drame  dans  son  Théâtre  français  au  vioyen-dge^  et 
il  a  aussi  donné,  du  premier  roman  de  Beaumanoir,  Tédition 
suivante  :  Roman  de  la  Manekine,  par  Philippe  de  Reimes,  trou- 
vère  du  xïw  siècle.  Imprimé  à  Paris  pour  le  Bannatyne  Club 
de  Londres;  1840,  in-4<',  xx  et 294  pages. 

11  est  presque  superflu  d'ajouter  que,  dans  les  textes  qui  sui- 
vent, réditeur  s'est  efforcé  de  reproduire  le  manuscrit  original 
avec  la  plus  grande  exactitude. 


H.-L.  BORDIER. 


(1)  N«  8i0  du  numérotage  administratif  de  la  bibliottièque. 


LA    MANEKINE 


Phelippes  de  \\\m  (lisez  de  Hemi)  veut  dicter  uu  roman  où  se 
pourront  délecter  tous  ceux  qui  l'entendront,  et  qui  doivent 
savoir  qu'ils  auront  à  y  entendre  et  prendre  assez  de  bonnes 
choses  s'ils  sont  disposés  à  le  comprendre.  Mais  quelqu'un  ici 


Phelippes  4e  Rim  (1)  ditier 
Veut  un  roumans ,  ù  delilier 
Se  porront  tuit  cil  qui  rorront; 
El  bien  sacent  qu'il  i  porront 
Assés  de  bien  oïr  et  prendre 
Se  il ,  a  chou .  voelent  entendre  ; 
Mais  s'aucuns  est  ci  qui  se  dueille 
De  bien  oïr,  pour  Dieu  !  ne  voelle 
Ci  demorer,  anchois  (2)  volst  s'en. 

10.  Ce  n'est  courtoizie  ne  sen  (3) 
De  nul  conteur  destourber. 
Autant  ameroie  tourber 
En  I  mares,  comme  riens  dire 
Devant  aucune  gent  qui  d'ire . 
D'envie ,  d'orgueU  sont  si  plain 
Que  tenu  en  sont  pour  vilain. 
Par  tel  gent  sont  tuit  révélé 
Lï  mal  qui  amont  sont  levé , 
Car  du  bien  qu'il  sevent  se  taisent, 

'20.  Et  pour  çou  que  il  poi  me  plaisent, 
Leur  voel,  ançois  que  je  (4)  commans 
La  matere  de  mon  roumans , 


30. 


Priier  de  ci  que  il  s'en  voisent 

On  qu'il  ne  tencent  ne  ne  noisent  ; 

Car  biaus  contes  si  est  perdus 

Quant  il  n'est  de  cuer  entendus, 

Meismement  a  chiaus  qui  loent  : 

Pour  çou  leur  requier-jou  qu'il  oent 

Ce  conte  que  je  met  en  rime. 

Et  se  je  ne  sui  léonime  (5), 

MerveilUer  ne  s'en  doit  mie  ; 

Car  molt  peUt  sal  de  clergie 

Ne  onques  mais  rime  ne  fis  ((>;  ; 

Mais  ore  m'en  sui  entremis 

Pour  çou  que  vraie  est  la  matère 

Dont  je  voel  ceste  rime  fère , 

N'il  n'est  mie  drois  c'on  se  taise 

De  ramembrer  cose  qui  plaise. 

Des  or  voel-jou  a  Dieu  priier 

Que  il  me  doiust  bien  deflner  40. 

Ce  conte  que  j'ai  ci  empris 

Et  par  moi  est  en  rime  mis , 

Et  a  trestous  chiaus  grans  biens  doignc 

Qui  loeront  ceste  besoigne. 


(l)  La  mesure,  autant  que  la  géographie,  eut  voulu  Jl^mt.  —  (2)  àntea.  —  (8)  Ni  sens 
*  (4)  Le  copiste  a  mis  :  que  le.  —  (5)  Si  je  ne  sais  écrire  en  vers  léonins.  —  (6)  Ce 
roman  est  donc  le  premier  ouvrage  en  vers  composé  par  Deaumanoir. 


L\  mânbkink.  97 

s'eiinuie-l-H  d'écouler?  pour  Dieu  qu'il  ne  demeure,  et  plutôt 
qu'il  s'en  aille.  Ce  n'est  ni  courtoisie  ni  bon  sens  que  de  trou- 
bler un  conteur.  11  aimerait  mieux  travailler  à  extraire  la  tourbe 
dans  un  marais  que  rien  dire  devant  telles  gens.  Donc  il  corn- 


Dès  or  mais  voas  commencerai, 
Que  ja  de  mot  n'en  mentirai , 
Se  n'est  par  ma  rime  alongier 
Si  droit  com  je  porrai  lignier. 
Jadis  avint  qa'il  ert  1  rois 

50.  Qui  molt  fa  sages  et  coartois  ; 
Toate  Hongrie  ot  en  demaine. 
Feme  avoit  qui  n'ert  pas  vilaine  : 
Fille  estoit  au  roi  d'Ermenie. 
De  grant  biaalé  iert  si  garnie 
Bt  de  bonté ,  si  com  j'entens , 
Que  on  errast  avant ,  lonc  tans , 
Que  sa  parelle  fust  trouvée. 
A  li  deviser,  demeurée 
Ne  voel  faire  :  trop  demourroie 

60.  Aller  m'en  voeil  la  droite  voie      « 
Ainsi  comme  je  truis  ou  conte , 
Qui  ainsi  me  retrait  et  conte 
Qu'il  furent  ensanle  x  ans, 
Qu'avoir  ne  purent  nus  enfans 
Fors  une  fltle  seulement: 
Mais  celé ,  au  mien  ensclent 
Fu  la  plus  bêle  qui  ains  fust 
Qui  d'homme  conceue  fust. 
La  damoisiele  ot  nom  Joïe, 

70.  Por  mainte  gent  qui  esjoïe 
Fu ,  ou  pals ,  pour  sa  naissance. 
Bt  diex  qui  tous  les  biens  avance 
Mlst  en  11  quanque  (1)  mettre  1  dut. 
Nature ,  qui  pas  n'ere  crut  (3), 


Ançois  l  mit  tout  a  devise  : 
Biauté,  bonté,  sens  et  francisée. 
Onques  feme  de  son  eage 
Ne  fu  tenue  pour  si  sage. 
Dont  vint  la  mors,  qui  jà  n'ert  lasse 

De  muer  haute  cose  en  basse 80. 

Devant  li  est ,  partir  n'en  puet  ;       99. 
De  pleurer  tenir  ne  se  puet 
Quant  ne  troeve  fusiciien 
Qui  sace  du  garir  rien. 

Vous  pri  que  me  donés  un  don  119. 

De  tous  mes  biens  en  gherredon  (3). 
—  «  Certes,  dame,  Il  rois  respont 
Il  n'est  nule  riens  en  cest  mont 
Que  nus  hom  puist  faire  pour  femme 
Que  je  ne  face  pour  vous ,  dame. 
Mais  dites  vostre  volenté  : 
Du  faire ,  sut  en  volenté. 
Sur  ma  loialté  le  vous  jur.  >» 


Enfoïe  fu  noblement ,  161. 

Sa  tombe  fu  faite  d'argent 

D'or  et  de  pieres  précieuses , 

Boines ,  cieres  et  précieuses. 

Li  duc,  li  prélat,  sans  mentir, 

Qui  furent  a  li  enfoïr 

I  furent  d'yvoire  entaillet 

Merveilleusement  soutiiliet  (4}  ; 

Deus  et  ij.  ensanle  parolent 

Et  sanle  que  de  doel  s'affolent  (5).    170. 


(1)  Chose  quelconque,  qnantumeumgue.  —  (2)  Qai  n'avait  pas  éiô  rade  :  eruda^  crudita, 
^  (8)  En  récompense;  aiiàs  werredon,  ^ider-donum.  —(4)  Ciselés,  dirions-nons.  Ici 
c'est  taillés  ou  lissés  fiHblcxtitiati,  barbar.  pour  texiij.  —  (5)  Cette  bière  royale,  du 
xfii*  siècle ,  aurait  donc  été  ornée  d'or,  de  pierreries  et  d'intaiiles  en  ivoire  représentant 
deux  k  deux  les  prélats  qui  avaient  assisté  k  la  cérémonie  funéraire.  Aucun  souvenir  sem- 
blable de  cette  époque  ne  nous  a  été  conservé }  mais  l'auteur  avait  pu  le  voir  en  reliquaire. 

T.  VIII.  7 


98 


LA    MANBKINE. 


menée,  priant  Dieu  de  lui  donner  de  bien  finir.  —  In  roi,  sage 
et  courtois,  qui  avait  toute  la  Hongrie  pour  domaine,  avait  épousé 
la  fille  au  roi  d'Arménie,  qui,  après  dix  ans  de  mariage,  ne  lui 
avait  donné  qu'une  fille.  On  avait  nommé  celle-ci  Joie,  à  cause  de 
lajoiequesa  naissance  répapditdans  le  pays;  mais  la  mort,  qui 


Quant  on  ot  canté  le  service 
Retorné  s'en  sont  del  Egllze. 
De  teus  i  ot  qui  s'en  alerent; 
Mais  li  grant  slgneor  demourerent 
Pour  reconforter  lor  signour 
Qui  le  caer  a  platn  de  doloor. 

Tontes  mors  oublier  convient. 
Li  rois  le  convenent  bien  tient 
Que  il  avolt  a  la  roine. 

180.  Apres  sa  mort  fa,  lonc  termine , 
Àvoeqaes  sa  fille  Joie , 
Qu'il  a  moult  amée  et  cierie 
Pour  l'amor  qu'il  ot  a  sa  mère  ; 
Ne  li  monstra  pas  vie  amère 
Et  moit  rama  de  grant  amour. 
La  damoisiele  cascun  Jour 
Crut  en  sens  et  en  grant  biauté 
En  valour  et  en  loialté. 
XVI  ans  ot;  molt  fu  bêle  et  gente. 

190.  En  la  virge  Marie  entente 
Mist  de  servir  et  d'onnourer. 
Tous  les  jours  l'aloit  aourer, 
D'orisons  que  ele  savoit , 
A  une  ymage  qu'ele  avolt, 
Qui  en  sa  sanlance  ert  pourtraite  (1). 
Ensi  se  deduist  et  affaite. 

Le  conte  de  li  vous  lairrai  : 
Des  barons  du  païs  dirai , 
Qui  ensanle  ont  pris  pallement. 
Moult  rassanla  de  grant  gent 


De  celé  feme  n'a  nul  boir  319. 

Fors  une  fllle ,  an  dire  voir, 
Qui  est  molt  bone  et  moit  courtoise  ; 
Et  nonpourquant  en  briquetoize  ()) 
Ert  li  roialmes  de  Hongrie  ; 

Se  feme  l'avoit  en  bailUie 

A  un  Noël  troevent  le  roy  279. 

Et  tous  ses  barons  avoec  soi 
Ou  11  tenoit  grant  court  plenière. 
Gent  i  ot  de  mainte  manière , 
Dames  et  mainte  damoisiele 
Qui  cuidoit  estre  la  plus  bêle. 
Au  disner  vinrent  II  message  ; 
S'ont  an  roi  conté  leur  musage  (3) 
Et  11  baron  quant  il  i'oïrent 
De  çou  mie  ne  s'esjoïrent. 
Mais  11  message  n'i  ont  coupes  (4). 
Ne  furent  pas  paie  d'estoupes  :         290. 
Blanc  argent  orent  et  rouge  or. 
Dont  cascuns  pnet  faire  trésor. 
D'ans  vous  tairai.  Dirai  du  roy 
Et  des  barons  qui  sont  od  soy  : 
Od  li  furent  maint  arcbevesque 
Et  maint  abbé  et  maint  evesque. 
Laiens  estoit  bêle  JoYe  ; 
Mainte  dame  en  sa  compaignie. 
Al  mengier  séoit  la  dansele  ; 
Vn  des  barons,  de  l'escuele  300. 

Le  servi ,  cui  Dieus  destourbier 
Doinst!  qu'il  avint  grant  encombrier 


(l)  La  seconde  fois,  en  trente  vers,  qa'apparatt  l'idée,  neavelle  alors,  du  portrait  renda 
par  la  scolptore.  Voy.  encore  v.  1370.  —  (2)  Raptnre  de  ligne  :  brecbendes-erbe,  on  plut6t 
(toujours  de  brechen)  :  britchiata  (Cangii  Gloss.)  -  œtas.  —  (3)  Temps  perdn ,  mé-usagc, 
muter,  que  d'ordinaire  on  tire  péniblement  de  l'idée  d'oisiveté  fdie  Mu$ie}.  —  (4)  Faute, 
culpa$. 


Là   MANEKINB. 


99 


ne  prend  rançon  d'aucun  qu'elle  ail  en  prison,  vint  visiter  cette 
famille,  et  la  reine,  dont  elle  n'a  pas  attendu  la  vieillesse,  devient 
pâle  d'abord,  puis  ne  peut  plus  quitter  le  lit.  Son  époux  pleure  (99) 
et  se  désole.  C'est  la  malade  qui  le  reconforte  en  faisant  appel  à 
l'obéissance  due  aux  volontés  de  Dieu.  Elle  requiert  seulement  de 


A  la  damoisele  par  lai 
Ainsi  comme  voas  orrés  ancui. 
A  ce  barun  forment  pesoit 
De  çoa  que  ii  rois  fil  n'avoit. 
Les  messages  avolt  oïs 
Dont  il  n'estoit  mie  esjoïs. 
La  damoisele  a  regardée 

310.  Qui  ert  biance  et  encoalourée  : 
Avis  li  est  ce  soit  sa  mère 
Fors  qae  de  tant  que  plus  jone  ère. 
Quant  par  laiens  ont  tait  mengié. 
A  conseil  se  sont  luit  rengié 
Tout  li  baron  de  la  contrée  ; 
Et  li  quens  qui  avoit  portée 
L'escueie  bêle  Joïe 
Lor  dist  :  «  Si  Diex  me  béneie , 
Signeur,  li  rois  jamais  n'aura 

3-20.  Femme ,  n'on  ne  le  trouvera 
Telô  comme  il  le  veut  avoir 
S'oD  ne  fait  tant ,  an  dire  voir, 
Que  il  puist  sa  fille  espouser. 
Ou  monde  n'a  fors  U  son  per; 
Mais  se  ii  prélat  qui  ci  sont 
Qui  en  grant  orfenté  (1)  seront 
Si  maivais  sires  vient  sor  aus 
Voioient  faire  que  loiaus 
Fust  li  mariages  d'auls  deus , 

330.  Je  crois  que  ce  seroit  ii  preus  {i) 
A  tous  chiaus  de  ceste  contrée.  » 
A  tant  a  sa  raison  finée , 
De  tex  i  a  qui  s'i  acordent 
Et  de  tex  qui  molt  s'en  descordent. 


Longuement  entr'ens  disputèrent. 

En  la  fin  li  clerc  s'acorderent 

Que  il  le  roy  en  prieroient 

Et  sur  aus  le  pecié  penroient  : 

A  l'apostole  monterront 

Le  grand  pourfit  pour  quoi  fait  l'ont   340. 

A  tant  en  sont  au  roi  venu 
Se  Font  a  un  consei  tenu , 
Et  li  dient  :  «  Biaus  sire  ciers , 
Pour  çou  que  vous  nous  tenés  ciers, 
Vaudriiens  nous  de  vous  avoir 
Hoir  qui  ce  règne  doie  avoir. 
Mais  vous  avés  fait  serement  : 
Feme  n'aurés,  fors  d'un  sanlant 
A  celé  qu'ôustes  première  : 
Bien  véés  qu'en  nule  manière  350. 

N'en  poet  on  nisune  (â)  trouver  ; 
Fors  une  que  devés  amer  : 
Çou  est  vostre  ûlie  la  sage. 
Ci  vous  prions  qu'en  mariage 
Le  prendés  ;  nous  le  vous  loons  (4) 
Et  sur  nous  l'affaire  prendons. 
Prions  vous,  ne  vous  en  soit  grief 
Car  .on  doit  bien  faire  un  mescbief 
Petit ,  pour  plus  grant  remanoir.  » 

—  «  Signeur,  ce  dist  li  rois,  pour  voir,  360. 
Saciés  pour  riens  ne  le  feroie  ; 

Trop  durement  me  mefferoie.  > 

—  «  Si  ferés ,  Sire  :  vos  clergies 
Velt  que  ensl  vous  le  faciès  ; 

Et  &e  vous  ne  le  volés  faire 

Yo  bomme  vous  seront  contraire.  » 


(1)  Orfanitas.  bartrar.  de  orpkantu,  orphelin.  —  (2)  Profecltu,  profit;  cf.  840.  — 
(8)  Aoevne,  n$$$%nA  iUl.»  (4)  Approavons,  louons* 


lUO 


LA    MAMEKlNt:. 


lui  un  dou  avant  de  mourir  (119),  savoir  qu'il  lui  promelte  de  ue 
se  remarier,  s'il  se  remarie,  qu'avec  une  femme  qui  lui  rappelle 
parfaitement  par  sa  ressemblance  les  traits  de  la  première.  Le  roi 
le  promet;  elle  demande  «  ses  droitures  »  (c'est-à-dire  les  sacre- 
ments, V.  149),  et  bientôt  Ton  fait  ses  funérailles  (161).  —  Cepen- 


Qaant  li  rois  voit  que  si  baron 
Yoelent  qu'il  face  dusqa'en  son  (1) 
Tout  lor  bon  et  lor  volenté , 

370.  Si  leur  a  respit  demandé , 
Sans  plus  dasc'a  la  Candelier. 
Âdonc ,  si  reviegnent  arrier 
Si  lor  dira  qu'il  voira  faire 
U  de  l'escondire  ou  du  faire. 
Il  li  otroient  tout  ensi  -, 
Du  consel  se  sont  départi , 
A  l'endemain  se  départirent 
Vont  sent  et  au  roi  congié  prirent. 
Li  rois  od  sa  ilUe  demeure; 

380.  Holt  le  oierist  et  molt  l'ouneure. 
Vn  jor  vint  li  rois  en  sa  cambre, 
Qui  estoit  pavée  de  iambre  (2)  -, 
La  damoisiele  se  pinoit  (3), 
Ele  se  regarde ,  si  voit 
Son  père  qui  est  d'alès  11  ; 
De  la  honte  que  ele  a ,  rougi  : 
«  Sire,  dist-ele,  bien  vigniés.  > 
—  «  Fille ,  fait-il ,  boin  jour  ailés.  >^ 
Li  pères  a  sa  fille  prise 

390.  Par  le  main  et  lès  lui  assise  ; 
Holt  le  regarde  ententievement 
Et  voit  c  onques  plus  soutilment 
Nature  feme  ne  fourma 
-  Fors  Joie ,  qu'ele  aouma 
De  plus  grant  biauté  que  Elayne 
Dont  as  Troiiens  crut  tel  paine 
Qu'il  en  furent  tout  periUié 
Mort  et  vaincu  et  escillié  : 


Dont  ce  fu  tristeur  et  dolors. 

Mais  avenu  est  as  pluisours  400. 

Que  par  feme  ont  esté  destruit  ! 

Li  plus  sage  et  li  miex  estruit. 

Et  tel  qui  coupes  (i)  n'i  avoient. 

Les  femmes  pour  qui  i'emprenoient 

Les  folles  et  les  outrages 

S'en  tournoi!  sur  euls  li  damages 

Et  sur  eles  tout  ensement  ; 

Car  on  retrait  et  dist  souvent  : 

«  Souvent  compère  (5)  autrui  pecié 

Teuls  qui  n'i  a  de  riens  pecié.  »       410. 

Ausi  âst  Joïe  la  bêle  ; 

Car  ses  pères  de  l'estincele 

Dont  Amors  seit  si  les  siens  batre 

Les  fait  en  son  cemin  embatre 

Si  soutilment  qu'il  ne  s'en  garde 

Fors  que  de  tant  que  il  l'esgarde 

Plus  volenUers  c'ainc  mais  ne  fist. 

Raisons ,  qui  d'autre  part  se  mist 

Li  dist  que  il  d'iloec  s'en  voise 

Qu'il  ne  chiée  en  briquetoise.  420. 

Issi  a  fait ,  congié  demande  ; 

Et  ele  a  Jhesu  le  commande. 

Atant,  de  sa  fille  se  part; 

Mais  od  lui  emporte  le  dart 

D'Amours ,  qui  grant  anui  li  fait  ; 

Car  si  soutilment  li  a  trait 

Parmi  les  iex  que  dusc'al  cuer 

Le  feri  ;  mais  ains  puis  a  nul  fuer 

N'en  pot  trouver  la  garison , 

S'en  eut  mainte  grant  marison  (6).    430. 


(1)  /»  êttum,  en  ce  qui  le  regarde  le  plus  comme  sien.  —  (2)  Lambris,  planche;  par- 
queiee,  —  (8)  Se  peignait.  —  (4)  Voy.  p.  98 ,  note  4.  >-  (5)  Compartilur;  il  faudrait 
comperre.  —  (6)  Tristesse. 


LA  iHANEKINE 


101 


dant  les  barons  du  pays  s'assemblent  et  déclarent  entre  eux  que 
pour  le  bien  du  royaume  de  Hongrie,  il  ne  faut  pas  qu'il  tombe  en 
quenouille  ;2I  9)  quoique  la  fille  du  roi  soit  bien  bonne  et  courtoise. 
Ils  se  rendent  donc,  trois  jours  après,  vers  le  roi  qui  leur  fait 
connaître  son  serment  et  sa  ferme  volonté  d'y  obéir.  Les  barons 


510.  «  Bêle  fille,  or  ne  voas  desplace, 
Fait  U  rois,  çou  que  vous  voeil  dire 
Ne  ja  n'en  aies  au  caer  ire.  n 

—  «  Certes,  Sire,  de  vo  voloir 
OYr  ne  me  doi  pas  doloir  ; 
Dites  moi  ce  que  boin  vous  ert. 
Car  ma  volentés  me  requiert 
De  tout  qnanque  fllie  doit  faire 
Pour  père  ne  soie  contraire.  » 

—  «  Ma  nile,  VOUS  respondés  bien, 
5^.  Et  je  ne  vous  dirai  ja  rien 

Que  ne  doiês  faire  pour  moi  ; 
Car  par  le  gré  et  par  l'otroi 
De  mes  barons,  baron  vous  doing 
Qui  n'est  mie  de  vous  trop  loing. 
J'euch  a  vostre  mère  en  convant 
Que  jamais  jour  de  mon  vivant 
Femme  après  li  n'espouseroie 
Se  jou  son  parel  ne  trouvoie  ; 
Mais  el  ne  pnet  estre  trovée 

530.  Fors  vous.  N'i  a  mesUer  celée. 
Et  mi  baron  ne  voelent  mie 
Que  ii  roialmes  de  Hongrie 
Demeart  sans  hoir  malle  après  moi. 
Por  ce  ai  du  clergié  l'otroi 
Que  de  moi  sciés  espousée. 
Roloe  serés  couronnée. 
Au  Noël  ne  rvauch  otroier, 
Ains  ior  dis  que  a  la  Candeiier  (1) 
Qui  vient,  ior  en  responderoie 

640.  Selonc  ce  que  consel  aroie. 


fit  J'ai  or  bien  consel  du  faire 
Mais  que  il,  a  vous,  voeiile  plaire.  » 

La  dimoiziele  ot  et  entant 
Çou  que  ses  pères  va  contant  ; 
Mais  en  Dieu  a  mise  s'eatente  : 
Se  ne  li  plaist  ne  atalente 
çou  dont  ses  pèrs  ii  parole, 
Ains  i  dist  :  «  Pères ,  tel  parole , 
S'il  vous  plaist,  poés  bien  laissier; 
Car  ce  ne  me  porroit  plaisier  550. 

Nus  ;  que  ce  me  sanlast  droiture 
Que  nus  tiom  péust  sen  gereure  (2) 
Espouser,  selont|no8tre  loy 
Et  tout  cil  sont  plain  de  derroy  (3) 
Qui  contre  Dieu  consel  vous  dounent 
Et  de  tel  cose  vous  semounent. 
Pour  riens  ne  m'i  acorderoie  ; 
La  mort  avant  en  soufferroie  : 
Ne  sui  mie  tenue  à  faire 
Ce  qu'a  m'ame  seroit  contraire.        560. 
Miex  vous  vaut  prendre  penitance 
Du  convent  et  de  la  fiance 
Que  vous  a  ma  dame  féistes , 
Car  fol  convent  li  praméistes. 
Se  prenès  feme  a  vostre  los. 
U  monde  n'a  bome  si  os 
Se  vous  volés  sa  fille  avoir 
Qui  n'en  soit  liés  (4),  an  dire  voir  : 
Si  vous  pri  qu'en  pais  me  iaissiés. 
Mes  cuers  n'ert  ja  a  çou  Iaissiés       570. 
Pour  nului  que  prenge  mon  père  ; 
Car  qui  s'ame  pert,  trop  compère.  » 


(1)  I.a  Chandeleur.   —  (2)  Genifuram,  generaturam.  —  (3)  Derogatio  f  derogilio  ? 
PfuMire  detrhnentum  ;  v.  2068  rfi*  pour  df.  Trouble.  —  (4)  Lœttix. 


103 


LA  MANEKINB. 


choisissent  alors  douze  messagers,  courtois  et  sages,  qu'ils  en- 
voyent  en  recherche  par  toute  la  terre.  Recherche  vaine.  Au  bout 
d'un  an,  ceux-ci  reviennent  sans  avoir  rencontré  aucune  femme 
ressemblant  à  la  feue  reine;  et  les  barons  commençaient  à  s'as- 


Qaant  li  rois  ot  qae  riens  n'esploite 
De  la  riens  que  il  plus  convoite, 
Plus  engrans  en  est  que  devant  ;  * 
Se  U  respont  iréeraent  : 
4c  Certes,  û Ile,  je  le  ferai. 
Puisque  je  le  congié  en  ai. 
Folemeut  respondu  m'avés  ; 

580.  Mais  bien  sai  que  miex  ne  savés. 
Se  mon  voloir  ne  volés  faire 
Tost  vous  tournera  à  contraire  ; 
Ne  vous  em  prierai  jamais. 
La  Gandelier  est  assés  près 
Que  tuit  mi  baron  revenront 
Et  bien  sai  qu'il  me  prieront  : 
A  donques  vous  espouserai 
Devant  la  plus  ne  vous  dirai.  > 
Ains  qu'ele  plus  li  respondist 

590.  Li  rois  hors  de  la  cambre  en  ist; 
Onques  congié  n'i  demanda. 
La  damoisiele  demoura 
En  sa  cambre ,  plaine  de  duel  ; 
Morte  voldroit  estre  son  voel  : 
«  Lasse  !  dist  ele ,  mar  fui  née , 
Quant  je  sui  ore  a  ce  menée 
Que  mes  pères  m'espousera. 
Ja  pour  raison  ne  le  laira , 
Puisque  il  l'a  si  en  gros  pris 

600.  Et  que  si  homme  l'ont  empris. 
Mais  miex  ameroie  morte  estre , 
Car  c'est  contre  le  Roy  celestre 
Ne  par  raison  nus  ne  puet  faire 
Ce  qu'il  me  voldront  faire  faire. 
Bien  pens'  faire  le  me  feront  ; 
Ja  pour  mon  dit  ne  le  lairont , 


S'aucune  chose  en  moi  ne  voient 
Par  quoi  de  ce  voloir  recroient.  > 
En  tels  voiob*8,  ex  tex  pensers, 
Est  li  tans  si  avant  passés  610. 

Que  venue  est  la  Candelier. 
Si  baron  et  si  chevalier 
Et  11  prélat  de  la  contrée 
Sans  plus  faire  de  demourée 
Sont  très  tout  à  court  revenu  ; 
A  joie  furent  retenu 
Du  roi,  qui  grant  gent  assambla 
Et  tant  que  il  a  tous  sambla 
Qu'ainques  mais  ne  tint  si  grant  court. 
Tous  biens ,  toute  riquece  i  sourt.     690. 
Gascuns  taht  comme  il  veut  en  a. 
Li  rois  ainsi  le  commanda, 
Qui  bien  quide  lues  acomplir 
Le  volenté  de  son  désir. 
Del  escondit  ne  li  calolt  (3) 
Que  sa  mie  faitliavoit, 
Car  U  metoit  en  son  pourpens 
Que  pensés  de  feme  c'est  vens. 
Bien  11  cuide  oster  son  courage 
A  la  requeste  du  barnage  630. 

Et  des  prelas  qu'ilueques  sont 
Qui  au  roi  sont  venu;  si  l'ont 
Requis  que  il  Joïe  pregrie 
Et  que  leur  consel  ne  desdaigne 
Li  rois  leur  respont  :  volentiers 
Le  fera,  puisqu'il  est  mestiers 
Et  que  communalment  li  loent. 
Molt  en  sont  lié  tout  cU  que  Toent 
Que  li  rois  est  entalentés 
De  faire  les  lor  volontés,  640. 


(1)  Cballait;  ne  lof  importait. 


LÀ   MANBKINI. 


103 


sorobrir  quand  l'un  d'eux  conçut  une  horrible  pensée,  celle  de 
marier  le  roi  avec  sa  propre  fille  (270).  Il  allègue  la  nécessité  po- 
litique. Convaincu  de  cette  nécessité,  le  clergé  y  donne  les  mains 
et  prend  le  péché  sur  lui.  r.e  roi  repousse  d'abord  cette  idée  bien 


Si  li  dient  qu'il  iront  querre 
Joie  :  Ne  nul  respit  querre 
Ne  volons  de  ces  espousailles, 
Que  eles  ne  tournent  à  failles.  > 
Or  qutdent  bien  tenir  ou  poing 
Tel  eose  dont  il  sontmolt  loing; 
Joïe  ot  illoeques  tramis 
Une  espie  qui  embramis 
Fu  de  tout  lor  conseil  aprendre  ; 

(>50.  Et  si  tost  com  il  pot  entendre 
Le  conseil  qu'il  orent  eu , 
Es-le  vous  ariere  venu 
A  Joïe;  si  li  reconte 
Ainsi  com  li  rois  et  li  conte 
Le  vienent  querre  pour  le  roy. 
Quant  ele  l'ot,  en  tel  eflTroi 
Est  qu'ele  ne  set  qu'ele  (ace; 
En  petit  d'eure  fu  sa  faice 
Des  larmes  de  ses  iex  couverte. 

660.  Or  est-ele  séure  et  certe , 
Se  ele  ne  troeve  occolson. 
Petit  U  vaurra  sa  raison  ; 
Mais  ele  ne  s'atendra  mie  : 
El  n'a  soig  de  leur  compaignie. 
De  ses  puceies  se  départ , 
Nule  d'eles  n'en  prist  regart, 
Et  ele  s'est  d'eles  emblée , 
De  cambre  en  cambre  en  est  alée  ; 
Ains  ne  flna  dus  [qu'ele]  vint 

670.  En  une  quisine  qui  tint 

D'une  part  au  mur  de  le  sale , 
Et  del  autre  partie  avale 
Lis  eaus  en  une  rivière 
Qui  ert  rade  de  grant  manière  ; 


De  la  mer  estoit  assés  près. 

Tuit  li  quisinier  ou  paies 

Estoient  aie ,  pour  véir 

Leur  signeur  sa  illle  plevir, 

Si  que  toute  seule  estoit  Joie, 

Deseur  tous  triste  et  esbahle.  680. 

Un  grant  coutel  a  qutsinier, 

Qui  sert  de  la  car  despicter  (l), 

A  sour  le  dreceoir  trouvé  ; 

Par  maintes  fois  l'ont  esprouvé 

Ses  maistres  pour  bon  et  taillant  : 

D'un  cisne  merveilious  et  grant 

En  colpast  à  .1.  colp  l'esquine. 

En  sa  main  le  prent  la  meschine , 

Et  pense  que  elle  colpera 

Son  puing,  et  caoir  le  laira  690. 

Et  l'iawe  qui  est  apelée 

Yse  la  parfonde  et  la  lée  (î). 

Dont  se  commence  à  dementer  : 

«  Lasse  !  or  me  puis-je  bien  vanter 

C'a  malvais  port  sui  arrivée  ; 

Car  se  ]ou  ai  ma  main  colpée , 

De  moi  nule  pitié  n'aura 

Li  rois,  car  vraiement  saura 

Que  colpée  Tarai  pour  lui 

Escondire.  Lasse  t  mar  fui  !  700. 

Bien  sal  qu'il  me  fera  ardoir  ; 

Antre  trezor  n'en  aurai ,  voir. 

Bien  sui  foie,  qui  moi  ocirre 

Yoei  a  dolor  et  k  martire  ; 

Et  se  me  puis  bien  respiter 

De  ceste  dolour  escbiever. 

Comment?  par  espouser  mon  père. 

Mon  père  !  lasse  !  vie  amere 


(l)  A  dépccrr  la  eliair.  —  (9)  Oise  la  profonde  et  la  large  (aux  jreox  d'un  Pic^rri}. 


104 


LA   MANBKINR. 


loin  ;  puis  en  réfléchissant  et  en  regardant  sa  fllle,  il  laisse  TA- 
mour  lui  enfoncer  son  dard,  par  les  yeux,  jusqu'au  cœur.  Raison 
lui  fait  bien  honte  d'une  passion  aussi  vilaine;  mais  Amour  lui 
met  bientôt  Raison  et  Sens  à  néant.  Il  se  rend  de  nouveau  en  la 


Avoir,  pour  peur  de  m'ame  ! 
710.  Yirge  Marie ,  douce  dame , 

Gonsea  vous  demant  et  requier; 

Voelliés-ent  vostre  fil  proier. 

Puisque  de  cuer  requier  aïe, 

Bien  sai  que  je  n'i  faurrai  mie.  > 

En  si  se  demaine  et  tourmente 

Joïe  la  bêle  jouvente  ; 

En  cel  pensé  a  atendu 

Tant  qa'ele  a  oï  le  hu 

De  chiaus  qui  en  sa  cambre  estoient, 
7î0.  Qui  au  roy  mener  la  voloient  : 

Or  voit  bien  n'i  a  plus  caloigne  (2)  ; 

Son  puing  senestre  tant  alongne 

Qu'ele  le  met  seur  la  fenestre, 

Le  coutel  tint  en  sa  main  destre  -. 

Onques  mais  feme  ce  ne  flst; 

Car  le  coutel  bien  amont  mist  ; 

S'en  flert  si  son  senestre  puing 

Qu'ele  l'a  fait  voler  bien  loing 

En  la  rivière  là  aval. 
730.  De  la  grant  dolor  et  du  mal 

Que  ele  senti  s'est  pasmée. 

Ains  que  ele  se  fust  relevée , 

Englouti  sa  main  .j.  poissons 

Qui  est  apelés  esturjons  ; 

Molt  en  estoit  liés  par  saniant. 

Aval  l'ewe  s'en  va  Jouant. 

Del  esturjon  ci  vous  lairai , 

Et  a  Joie  revenrai, 

Qui  de  pasmisons  releva. 
740  Son  moignon ,  qui  molt  li  greva, 

Entortillie  d'un  coevre-cblef 

A  l'autre  main  à  grant  mescblef. 


Sa  coulor,  qui  estoit  vermeille, 

Pâli  :  ce  ne  fu  pas  merveille. 

De  la  quisine  en  est  issue , 

En  sa  cambre  en  est  revenue , 

Où  .iiij.  conte  l'atendoient; 

Molt  en  sont  lié  quant  il  le  voient, 

Si  ii  dient  :  «  Ma  damoisele, 

Une  nouvele  boine  et  bêle  75o. 

Vous  aportons  ;  mais  soies  Ile  : 

Rolne  serés  de  Hongrie. 

Li  rois  ou  palais  vous  atent  ; 

Par  nous  vous  mande  qu'errammenl 

Yenés  à  lui ,  n'i  demorés. 

Bien  doi  de  vous  estre  honnourés 

Li  rois  et  tout  cil  du  pals, 

Que  tant  ont  pourcacié  et  quis 

Que  d'or  aurés  u  cief  couronne  : 

Qui  ce  vous  fait,  biau  don  vous  donne  ;  760. 

Or  en  venés,  car  tnit  vous  mandent 

Li  prélat  qui  là  vous  atendent 

Ce  lignage  départiront , 

Vous  et  le  roy  marieront.  » 

La  pucele  respont  briement 

Qa'ele  ira  olr  le  talent 

Du  roy,  puis  que  il  l'a  mandée. 

Pale,  tainte,  descoaloorée, 

Od  les  .iiij.  contes  s'en  va 

Dusqnes  là  où  le  roy  trouva  ;  770. 

Avoeques  11  ala  puceles 

Et  assés  de  graits  damoisleles. 

Li  conte  Joie  adestrerent, 

Ens  u  grant  palais  le  menèrent 

U  estoient  tuit  U  baron 

Et  maint  chevalier  environ, 


(l)  Qa'il  n'y  a  pins  b  plaider  :  ealnmnia. 


LA   MANRKINE. 


105 


chambre  de  sa  fille  et  lui  explique  ce  qui  se  passe  (510).  Bref, 
il  est  le  roi;  il  ordonne.  C'est  alors  que  Joie  mérite  son  nom 
héroïque  ixi  ManeMne,  Elle  court  à  une  fenêtre,  et  d'un  coup  de 
couperet,  appliqué  de  sa  main  droite,  elle  fait  voler  bien  loin, 
dans  la  rivière  qui  coule  au  pied  du  chi\teau ,  sa  main  gauche, 


Qai  la  pucele  molt  amoient 
Pour  le  grant  bien  qu'il  i  savoient. 
Tout  furent  lié  de  sa  venue  ; 

780.  Li  rois  boinement  le  salue. 
La  puce  le  respont  à  point 
Qae  dame  Diex  boin  jor  lor  doinst. 
Li  rois  Joie  par  la  main  prent , 
Pais  si  racole  boinement 
Et  garde  si  coisi  son  moignon  ; 
Pais  nomma  Joie  par  non  : 
<c  Fille,  fait-il,  que  n'avès  trait 
Gel  mal  qui  si  grief  vous  fait  ?  i> 
Ce  c'on  li  a  dit  et  conté 

790.  Li  a  trestoat  dist  et  monstre  ; 
Mais  petit  U  plaist  li  parole , 
Et  de  quanques  il  l'aparole 
Li  a  à  bries  mos  respondu  : 
«  Sire,  bien  vous  ai  entendu , 
Mais  roine  ne  doi  pas  estre , 
Car  Je  n'ai  point  de  main  senestre. 
Et  rois  ne  doit  pas  penre  famé 
Qui  n'ait  tous  ses  membres.par  m'ame  !» 
Donques  a  trait  hors  s(3n  moignon 

800.  Loié  (1;  d'an  coevrechief  en  son  (2). 
Quant  li  rois  et  cil  qai  la  farent 
Virent  le  bras  et  apercburent 
Que  la  mains  en  estoit  ostée , 
En  petit  d'eare  fa  troublée 
La  Joie  en  ire  et  en  tristour. 
Onqaes  mais  en  si  peu  de  jour 
Joie  en  tel  dolour  ne  tourna 
Car  en  ce  point  les  atouma 


Pitiés,  qu'il  leurcaoit  de  lermes 

Tant  qu'il  n'en  ert  ne  fins  ne  termes.  810. 

LI  rois  qui  molt  bien  set  et  voit 

Qu'ele  tout  da  gré  fet  l'avoit 

Pour  escbiever  sa  volenté , 

N'esgardoit  pas  saloialté. 

Pour  qui  ele  s'ert  mebaignie  ; 

Ains  est  en  si  grant  feionnie 

Pour  çou  qu'il  perdoit  son  désir 

Qu'a  les  bediaus  l'a  fait  saisir 

Et  mettre  en  une  cartre  dure  ci;. 

En  maint  lia  estoit  obscare  8^0. 

Et  jure  Dieu  c'arse  sera 


1168. 


Au  noeme  (4)  coisist  (5/  une  tere 

Qui  est  par  devers  Engleterre, 

Escoce,  ce  est  U  siens  nons.  1170. 

Trestoat  droit  le  jour  des  brandons 

Les  gens  de  Bervicb  estoient 

Sur  la  mer,  ou  il  se  Jouoient. 

Li  un  trèpent,  li  autre  salent  (6), 

Trestoat  déjouer  se  travaillent. 

Ainsi  l'avoient  maintenu; 

Maint  an  i  estoient  veoa. 

Avoec  auls  estoit  U  prevos 

Por  çoa  que  il  ne  fuissent  tant  os 

Qae  il  entr'aas  éust  meliée. 

Devers  la  mer  a  retournée 

Sa  cbiere  (7),  et  voit  la  nef  venir. 

D'esgarder  ne  se  puet  tenir 

Por  çoa  qae  si  tost  vient  vers  lui 

Et  si  ne  volt  dedens  nului 


1180. 


(1)  Uifatuê.  —  (a)  Poorpre,  tidoninn  f  oa  en  soie,  seta  serica,  tetonent  f  —  (3)  Careere 
Uhro.  —  (4)  Neuvième  (jour).  —  ,6)  Quœxivit.  gagesi?  ou  aperçut  (mol  gurm.)  — 
(6)  Trfpittanf,  mtiiHnt.  —  (7)  Le  prévoit  retourne  m  rhaise. 


106 


LA   NAPTBKINE. 


qu'un  esturgeon  engloutit  aussitôt  ;  puis  elle  s'écrie,  en  mon- 
trant aux  barons  son  moignon  sanglant  :  «  Je  ne  puis  plus  être 
reine,  car  roi  ne  peut  prendre  femme  dilTorme.  »  Le  roi  son 
père,  indigné  de  l'outrage  fait  à  ses  volontés,  ordonne  sans 
pitié  qu'on  l'emprisonne  et  que  dans  trois  jours  on  la  brûle  sur 


Qui  la  conduie  ne  ne  maine 

Les  gens  qai  iloec  sont  açainé 

SI  lor  a  le  batel  monstre 

Qui  si  vient  sans  voile  et  sans  tré  a). 
1190.  Ill'esgardent  tait  volentiers. 

Ll  batiaus  vient  endementiers 

Dnsc'al  rivage  n'arresta. 

Li  prevos  et  cii  qui  sont  la 

S'en  sont  dusc'al  batel  venu 

A  la  terre  sont  retenu. 

En  la  nef  ont  celi  coisie 

Qui  venue  ert  sans  compaignie. 
Li  prevos  molt  bel  le  salue 

Qui  moût  avoit  lange  esmolue 
1*200.  A  palier  bel  et  sagement  : 

«  Pucele,  cil  Diex  qui  ne  ment 

Vous  doinst  boin  aventure  et  Joie  !  » 

—  «  Sire,  fail-ele,  cil  vous  oie 
Que  vous  en  avés  apelé  !  » 

—  <  Pucele,  or  ne  nous  soit  celé 
Dont  vous  estes  ;  et  vostre  non , 
Se  il  vous  plalst  savoir  volon.  % 

—  «  Sire ,  je  sui  une  caitive 
Ici  endroit  venue  a  rive. 

1210.  S'il  vous  plaist  si  me  sauverés  ; 
Saciés»  par  moi  plus  n'en  sarés.  » 

—  K  Certes  bêle,  bien  m'i  acort. 
Je  crol  c'aucuns  vous  a  fait  tort, 
C'a  boin  port  estes  arrivée , 

C'a  mon  signeur  serés  menée , 
Qui  rois  est  de  tout  cest  paYs , 
Bacelers  jounes  et  jolis. 


Avoec  sa  mère  serés  bien , 

Là  ne  vous  faurra-il  jà  rien.  * 

—  «  Grans  mercis,  sire,  »  ele  responl.  12S0. 

A  joie  retenue  l'ont 

Et  dedens  la  cité  menée. 

Assés  fu  le  jour  esgardée 

La  bêle  faiture  [i]  de  li , 

S'avoit-ele  le  vis  pâli 

Du  grant  duel  qu'eie  avoit  en. 

Es-vous  à  son  hostel  venu 

Le  prevost  et  avoec  lui  celé 

Qui  du  tout  son  convine  (3)  ceie  : 

Assés  tout  le  jour  l'en  enquist  -,        1*230. 

Mais  ele  onques  riens  ne  l'en  dist  : 

Se  le  laisse  ester  par  anul . 

Assés  de  bien  pensa  en  lui. 

Celé  nuit  moût  bien  Taiesa 

Avoec  deus  dlles  que  il  a. 

L'en  demain,  quant  il  vit  le  jour, 

N'i  vaut  faire  plus  lonc  séjour  ; 

Deseure  un  palefroi  ambiant 

Fist  monter  Joïe  erramment  ; 

Droit  à  Dondieu  au  roi  i'emmaine,  1340. 

Où  II  tient  son  bostel  demaine, 

Et  sa  mère  o  ses  damoiseles , 

Dont  II  i  a  assés  de  bêles, 

Es-les-vous  à  la  court  venus. 

Droit  au  perron  sont  descendus. 

Au  disner  se  séoit  li  rois , 
0  lui  grans  signeurs  xxiij. 
Li  prevos  devant  lui  s'en  vient. 
Qui  la  bêle  par  le  main  tient. 


(l)  Trabe»,  ni<t.  -^  (2)  Forme,  traits.  —  (3)  Son  eut,  ceqn'i  la  regarde;  conrenienm^f 
Voy.  V.  1J«9. 


LA  MANBKINI 


107 


un  bûcher.  Le  sénéchal,  à  qui  la  charge  incombe  d'exécuter 
cet  ordre  cruel,  sait  qu'il  sera  brûlé  lui-même  s'il  n'obéit  pas; 
mais  il  sait  aussi  qu'il  perd  son  &me  s'il  obéit.  Il  s'arrête  à  un 
moyen  terme  et  décide,  de  concert  avec  le  cartrier  (geûlier), 


1350.  Premiers  a  salué  le  roy, 

Pals  les  barons  qui  sont  o  soy  : 
€  Sire,  dist^ii,  un  biau  gaatng 
A  rostre  court  bui  vous  amaing. 
Je  et  vos  gens  estiiens  bier 
Soor  la  mer  pour  esbanoiier; 
Lues  arrivoit  une  nacele , 
U  n'avoit  fors  ceste  pucele. 
Je  croi  k'ele  est  de  hau  parage, 
Car  ele  est  mont  courtoise  et  sage  ; 

1960.  Mais  eie  a  une  main  colpée , 
Dont  ele  est  bêlement  fanée. 
De  son  couvine  (l)  plus  ne  sai  ; 
Ne  pour  quant  demandé  l'en  ai , 
Nule  riens  dire  ne  m'en  veut  ; 
Mais  je  sai  bien  qu'ele  se  deut 
De  s'aventure  et  de  son  grief. 
S'ele  n'éust  eu  meschlef , 
Je  cuic  (3)  que  si  bêle  ne  fust 
Faite  de  piere  ne  de  fust. 

1370.  Or  est  vostre,  s'en  poés  faire 

Du  tout  vostre  bon  sans  contraire, 
Qu'elo  est  d'Espaigne  cbi  venues 
Se  vous  plaist,  si  soit  recéue; 
Av(o}ec  ma  dame  bien  sera , 
Et ,  se  Dieu  plaist ,  ele  fera 
Tant ,  c'amée  sera  de  ii.  •» 
Au  roi  durement  embell 
Çoa  que  ses  prevos  a  conté, 
Car  moût  est  plains  de  grant  bonté. 

1380.  Joie  a  lés  li  apariée 

El  courtoisement  apelée. 

c  Bêle,  falt^U,  de  vostre  terre 
Vous  vaudroie-ge  moût  enquerre, 


Se  ii  vous  venoit  à  talent , 

Dont  vous  estes  et  de  quel  gent; 

Dites-le-moi,  et  saciés  bien 

Ce  ne  vous  grèvera  jà  rien , 

Car  vous  aurés  k  vo  talent 

Quanques  vous  verra  à  talent.  » 

La  damoisele  U  respont  :  1390. 

c  Sire,  tout  cil  que  bien  me  font 

I  pueent  grant  aumosne  avoir: 

Car  povre  sui ,  sans  nul  avoir, 

Venue  d'estrange  contrée 

Toute  seule  par  mer  salée , 

Gomme  une  dolente  caitive 

Et  la  plus  iasse  riens  qui  vive , 

Gomme  celé  qui  ne  voidroit  estre , 

Se  U  plaisoit  au  Roy  celestre  ; 

Ne  jà  plus  nus  hom  ne  m'enquire  :  ISOO. 

J'ameroie  mix  estre  en  bière 

Que  je  mon  anui  racontasse, 

Je  morroie  ains  que  le  contaisse.  » 

En  çou  que  ele  ensi  parioit , 

Li  rois  le  regarde ,  si  voit 

Les  larmes  des  ix  qui  li  ciéent  : 

Por  çou  que  eles  li  dessiéent. 

L'a  à  la  rolne  en  voile; 

Si  U  mande  qu'el  ne  laist  mie 

Qu'il  ne  U  face  son  voloir,  isio. 

Ne  son  cuer  ne  face  doloir 

D'enquerre  cose  qui  11  nuise , 

Duskes  à  tant  que  ele  truise 

Plus  lie  qu'el  n'est  maintenant. 

La  rolne  te  mandement 

Son  fll  flst ,  mie  ne'i  laissa, 

Et  ses  damoiseles  plaissa  (S) 


(l)  Voy.  eÎHiestos  vers  1229.  —  (2)  Jf  pensais,  cofitari  et  même  eofilwic.  — 
(a)  Forma,  plutMêwU;  iiXaovfiv. 


108 


LA    MANEKINE. 


de  la  conduire  à  la  mer,  qui  n'est  pas  loin  (dusqu'à  la  mer  n'a  pas 
gramment),  et  de  Tabandonner  seule  sur  un  batelet,  avec  des 
vivres  pour  huit  jours ,  à  la  grâce  de  Dieu.  Joïe  est  ballottée  sur 
les  flots  pendant  toute  une  terrible  semaine,  et  le  neuvièmejour 


A  çoa  qae  eles  ronourerent 
Et  conjoïrent  et  amerent. 

1S20.  Li  provos  treslout  celi  jor 
Avoec  son  signour  assejor 
Fu,  et  al  demain  s'en  parti 
Et  revint  là  dont  il  parti. 

Joïe  est  à  court  demouréo 
Moût  joïe  et  moût  amée , 
Mais  il  ne  la  sevent  nommer 
N'a  ce  ne  la  pueent  donter 
Qu'ele  voelle  dire  son  non, 
Son  pals  et  sa  région. 

1330.  Un  jour  l'estoit  aies  veoir 
Li  rois  pour  oïr  et  savoir 
Son  coavine,  se  11  péast  : 
Molt  volontiers  apris  réust; 
Mes  à  çou  mètre  ne  la  puet. 
Dont  dist  U  rois  :  «  Il  nous  estuet  (l), 
Puis  que  vostre  non  ne  savons, 
Que  nous  aucun  non  vous  metons. 
Or  soit  ensi.  je  vous  destine 
Que  vous  ailés  non  :  Menekine.  » 

1340.  Ce  non  ot  puis  assés  Ion  tans. 
Si  com  vous  orrés  ou  rommans. 
Ele  nommer  ne  se  voloit 
Pour  çou  que  li  cuers  li  doloit 
De  la  vilenie  son  père, 
Qu'ele  en  mainte  guise  compère. 

Or  est  la  Manequlne  à  aise, 
Selonc  ranui  et  le  mesaise 
Que  ele  avoit  devant  eue  ; 
En  peu  de  tans  s'est  maintenue 

1350.  Si  courtoisement  et  si  bel 
Que  il  estoit  à  cascun  bel 


De  li  veoir  et  esgarder  ; 

Et  ele  se  seut  bien  garder 

De  ciaus  qui  servent  de  mesdire  : 

Car  de  li  ne  péust  nus  dire , 

Fors  bien,  s'il  ne  ^olsist  mentir. 

L'aisse  que  on  li  fait  sentir 

Li  flst  revenir  sa  biautë, 

Car  11  rois  a  sa  volenté 

Li  flst  avoir  à  son  plaisir  1360. 

Puceles  pour  son  cors  servir, 

Et  quanques  il  li  fu  mestier 

Et  sans  dangier  et  volentiers. 

Ele  se  fait  a  tons  amer, 

Gai'  en  son  cuer  n'a  point  d'amer  ; 

Tout  cil  qui  de  li  parler  oent 

Moût  le  prisent  et  moût  le  loent. 

Dient  que  de  bon  cuer  U  vient 

Que  si  sagement  se  maintient 

En  autre  païs  que  ou  sien  :  3170. 

Tuit  li  atournent  à  grant  bien. 

Tant  en  est  la  parole  alée, 

Que  nets  cil  de  la  contrée, 

Qui  aine  véne  ne  l'avoient , 

L'aimment  et  bon  gré  li  savoient 

Des  biens  que  disoient  de  li 

eu  et  celés  qui  sont  o  li. 

Nls  li  rois  durement  l'amoit  ; 

Toutes  les  fois  qu'il  sejornolt 

A  Dondeu ,  ù  il  ert  manans ,  1880. 

Vers  la  Manequlne  ert  tornans  ; 

A  U  jonoit  courtoisement  : 

Des  eskès  savoUele  tant 

Que  nus  mater  ne  l'en  péust 

Jà  tant  de  ce  jeu  ne  sénst. 


(1)  a/alnii  nobir. 


LA    MANEKlMi: 


mu 


s;il<>8;  aborde  en  Ecosse;  où  elle  gagne,  sans  tarder  beaucouj), 
la  faveur  du  roi,  puis  sa  tendre  affection.  Au  bout  d'une  année, 
c'était  un  grand  amour,  et  partagé.  Mais  la  reine,  mère  du  coi, 
ne  tarda  pas  à  connaître  leur  cœur,  et  elle  fit  à  Joïe  de  terribles 
menaces  3^01).  Le  jeune  roi  n'en  devient  que  plus  épris  et  dé- 


Des  eskès  savoit  et  des  tables  (i;, 
D'assés  d'autres  jeas  delitables , 
Dont  ele  se  joaoit  aa  roy 
Sans  felonnie  et  sant  desroi. 

13U0.     Tant  1  ala  li  rois  et  vint 

Qae  maint  joor  puis  por  fol  se  tint; 
Car  qaant  sajete  est  descochie , 
Ne  puet  estre  arrière  sachie 
Devant  qa'ele  a  fait  sa  volée. 
Anlsint  qaant  Amours  est  volée 
Par  mi  les  ex  duskes  au  cuer, 
N'en  puet  issir  à  nesun  fuer 
Devant  que  ele  a  fait  s'empainte  (2i. 
S'en  a  souvent,  et  mainte  et  mainte. 

1801 Mais  la  roïne  s'en  perçut, 

La  mère  au  roi  leur  cuer  connut  : 
Diex  maldie  son  cors  et  s'àme  ! 
U  monde  n'ot  si  maie  dame 
Ne  de  mal  si  escienteuse  ; 
Moût  fu  en  son  cuer  engigneuse 
De  çou  que  mie  ne  la  het 
Ses  flx ,  et  certainement  set 
Qu'il  s'entraiment  plus  que  riens  née; 
Mais  par  lui  sera  destornée 

1810.  Geste  amour,  se  ele  puet  onques. 
La  Manekine  mande  donques. 
Ele  vient  a  11  sans  demeure 
Car  ele  le  crient  et  tionneure. 
La  roïne  erramment  11  dist  : 
<  Manekine ,  se  Dix  m'aït 
Il  me  samble  que  volentiers 
Se  met  mes  Ûx  en  vos  sentiers 


Et  que  il  vous  aime  de  cuer. 
Si ,  vous  defenc  que  a  nul  fuer  (3; 
Ne  tenés  plus  sa  compaignie  1820. 

Se  plus  amés  le  vostre  vie. 
Mauvaise  garce  !  A  vous  que  monte? 
Ne  quels  voloirs  a  ce  vous  donte 
Que  volés  corapaignier  mon  111  ? 
Vous  en  serés  mise  en  escil. 
S'il  vous  avient  mais  a  nul  jour 
Vous  en  serés  arse  en  un  four. 
Or,  gardés  plus  ne  vous  aviegne 
Se  ne  volés  quemaus  vous  viengne.7/ 

La  damoisele  li  respont  :  1830. 

c  Dame ,  par  le  signeur  du  mont , 
Onques  me  sires  ne  me  quist 
Dont  vilenie  me  venist. 
Pecbié  faites  qui  me  blasmés 
Et  kl  malvaise  me  clamés 
Car,  voir,  desservi  ne  l'ai  mie. 
Se  me  sires,  par  courtoisie, 
Quequanquesmestiers  m'est  me  donne, 
De  jouer  a  li  m'arraisonne? 
Ne  li  ai  pas  bel,  escondire.  v  1840. 

Adont  fu  la  roïne  en  ire, 
Si  li  dist  :  c  Vous  vous  en  tenrés  (  i) 
U  a  mort  prochaine  venrés.  » 
—  c  Dame,  ce  seroit  cruex  mes. 
Je  m'en  tenral  donc  dès  or  mes.  » 
A  dont  s'en  part  tout  en  plourant. 

Atendi  duskes  au  tierc  jour    1870. 

Que  li  rois  revint  en  sa  cambre 
Qui  estoit  pavée  de  lambre. 


(1)  Le  jeu  de  dames.  —  (3)  Substaut.  barb.  de  impinyere,  lancer  radement,  impinctioP 
—  (3)  A  aucun  prix;  forium,  foragium^  estimation.  —  (4)  Abstiendrez. 


110 


Lk   MANEKINE 


clare  à  la  jeune  étrangère  qu'il  Taime  et  qu'elle  sera  reine  d'E- 
cosse. Il  fait  aussitôt  venir  son  chapelain,  et  avant  même  que 
sa  inère  pût  en  être  informée,  il  fait  bénir  le  mariage  (2040).  Il 
ordonne  ensuite  pour  la  Pentecôte,  qui  devait  arriver  dans 


Les  autres  dames  li  fon(l)  voie , 
Et  la  Manekine  bontoie 
Plus  que  ne  sont,  pour  la  deffense 
Dont  ele  a  au  caer  grant  pesance. 
De  la  paoar  qu'ele  ot  trambla. 
Li  rois  la  volt,  si  U  sambla 
QQ'ele  n'avoit  pas  le  cuer  a  aisse. 
1880.  Or  ne  cuidiés  pas  qu'il  li  plaise. 
Il  11  a  dit  :  €  Ma  douce  amie , 
Pour  quoy  estes  vous  si  rougie? 
Par  celé  foi  que  me  devés 
Vous  pri  que  ne  le  me  celés.  » 

—  «  Sire ,  TOUS  m'avés  conjurée  : 
Se  ne  vous  sera  plus  celée 

La  raisons  pour  quoi  j'ai  paour. 
Ma  dame  me  dist  qu'en  un  four 
Fera  mon  cors  ardolr  en  cendre, 
1890.  Se  ele  puet  jamais  entendre 
Que  vous  me  tenés  compaignie  : 
C'est  çou  dont  sui  espeuerie.  » 

—  «  Voire,  amie,  a  ele  ce  dit?  > 

—  «  OU,  sire,  se  Dix  m'alst.  » 

—  <c  Amie ,  or  ne  vous  esmaiiés  (1), 
Et  le  vostre  coer  apaiiés; 

Car  bien  de  li  voas  garderai 
Ne  dès  or  ne  vous  cèlerai 
Ce  que  vous  ai  lonc  tans  celé. 
1900.  Bien  voi,  mi  samblent  révélé 
Sont  a  ma  dame  et  a  aatrui , 
N'ainc  mais  ne  le  vous  dis  fors  hui  ; 
Bien  voi  tant  atendre  poroie 
Que  le  désir  que  j'ai  perdroie  : 


Si  vous  pri  que  vous  m'escoutés 
Et  en  mon  dit  vo  cuer  bontés.  > 

«  Saclés  de  voir,  ma  douce  amie, 
Que  vous  estes  mes  cuers,  ma  vie. 
Mes  biens,  ma  santés  et  ma  joie 
Gelé  a  qui  mes  cuers  s'otroie  ;         1910. 
Tous  les  jours  mais  que  je  vivrai. 
Gelé  a  qui  je  sul  et  serai  ; 
Geie,  s'il  il  plaist  a  délivre, 
Pour  qui  je  voel  morlr  et  vivre  ; 
Gelé  estes  pour  qui  je  voel  faire 
Quanques  11  plaira,  sans  contraire  ; 
Gelé  qui  j'ame  (2)  an  bone  foy 
Autant  ou  plus  que  je  facb  moi  ; 
Gelé  a  qui  je  pense  tous  jours 
Dont  j'ai  eu  maintes  dolours ,  1920. 

Gelé  dont  je  pleur  et  souspir: 
Gelé  dont  ne  me  laist  dormir 
Le  desiers  ne  II  pensers  ; 
Dont  mes  cuers  n'ert  ja  jor  tensés  (3^ 
Se  par  vous  n'est.  Vous  êtes  celé 
Dont  m'est  venue  l'estincele 
Qui  me  fait  penser  et  frémir, 
Bien  espérer,  et  puis  cremir. 
En  tel  voloir  m'a  mis  amors 
Que  dedens  mon  cuer  fait  son  cors  1930. 
Dous  desirierspour  vous  me  point. 
Lonc  tans  ai  esté  en  tel  point. 
Pour  désirer  vo  compaignie 
Demaine  mes  cœurs  aspre  vie , 
Riens  ne  convoite  fors  que  vous; 
Et  saciés  bien  tout  a  estrous  (4) 


(1)  Ne  perdez  pas  courage«  Go  dérive  le  sobsU  esmêi  de  riUlîen  smagare,  par  le  pro- 
vençal etmaiar.  Toos  viennent  plutôt  de  la  forme  barb.  ex^maclare,  comme  esmoi,  émoi, 
de  exmovere,  —  (9)  Le  copiste  a  mis  :  qui  tainc,  —  (3)  Blâmé.  —  (4)  Ad  evlrusum^ 
tout  en  dehors,  c'est-k-dire  loal  franchement^ 


LA   MANEKINB. 


!ll 


quinze  jours,  la  célél)ration  des  noces  et  du  couronnement  par 
de  grandes  fêtes  f2153].  Sa  mère  seule,  retirée  à  Perth,  n'y 
prend  aucune  part,  et  comme  la  haine  de  la  vieille  dame  ne 
s'apaisait  pas,  il  lui  propose  de  choisir  ou  de  pardonner  à  Joie 


Ce  que  jo  vous  reqaier  et  prie  ; 
çou  e«t  sans  penser  yilonnie  : 
Je  vous  aim  de  bonne  amour  vraie. 

1940.  Se  il  vous  plaist  que  je  vous  aie 
De  cuer  bonement  vous  otroi 
Que  vous  serés  dame  de  moi. 
S'aurés  en  vostre  cief  couronne. 
Tous  U  pals  qui  environne, 
Sscoce,  Yrlande,  Comouaille 
Sera  vostre  sans  nuie  faille. 
Sires  en  serai  et  vous  dame 
Si  n'aurés  garde  de  ma  dame , 
Ne  de  nului  qui  mal  vous  face  : 

19Ô0.  Âins  vous  donne  Amours  ma  grâce  ; 
Mais  or  ne  le  refusés  mie 
Car  vous  fériés  grant  folie.  » 
La  damoiseie  entent  et  ot 
Ce  dont  forment  sescuerss'esgot  (1). 

1976.  «  De  grant  orgner  seroit  tenus 
Mes  cners  se  de  vous  s'escusoit 
Et  si  grant  honeur  refusott  ; 
Mais  s*il  vous  plaist  que  me  prenés 

1980.  Sn  ioialté  me  maintenés.  > 

—  «  En  non  Din,  bêle,  ensi  ert  il 
Si  gart  Dix  men  cors  de  péril  ; 
Trestous  les  jours  que  je  vivrai 
De  loial  cuer  vous  amerai.  » 

Adont  l'a  par  le  menton  prise 
Gomme  cil  qui  moult  l'aime  et  prise; 
SI  Ta  plus  de  vingt  fols  baisie 
Et  dist  :  «  Ne  vous  esmaués  mie , 
Douce  amie ,  de  nule  riens  : 

1990.  Desor  vous  vient  bonenrs  et  biens. 


A  baisier  n'estes  pas  vilaine 

Car  mont  avés  souef  (S)  alaine. 

Or  serai-Je  liés  (3)  soir  et  main. 

Or  en  venés  :  je  vous  enmain 

Ou  palais .  la  ù  mes  gens  sont 

Qui  par  maintes  fois  requis  m*ont 

Que  J'envoiaisse  en  Engleterre 

Vne  des  Ûlles  le  roi  querre. 

Mats  saciés  bien  tout  a  estrons 

Qae  mes  cuers  se  tient  si  a  vous    sooo. 

Que  je  ne  vols  puis  autre  avoir 

Que  j'aperçin  vostre  savoir. 

VoQs  êtes  celé  ù  je  m'atens 

De  joie  avoir  à  tout  mon  tens.  » 

A  dont  l'a  prise  par  le  main 

SI  i'enmaine  o  lui,  main  à  main. 

Tautost  fu  la  messe  cantée.  )040. 

Ce  fn  fait  si  privéement, 

Fors  sa  maisnle  seulement 

N'avoit  Mais  si  menant  1  erent 

Qui  durement  se  merviliierent 

De  ce  que  li  rois  avoil  fait 

Tost  fu  à  sa  mère  retrait; 

Se  l'en  prist  une  teie  envie 

Que  ainques  puis  jor  de  sa  vie 

Ne  Ûst  fors  que  s'entente  mètre 

A  la  Manequine  demetre  9050. 

De  toute  boneur,  s'ele  séust 

Et  qu'ele  faire  le  péust. 

Li  rois  le  manda  an  disner  ; 

Mais  seur  son  lit  s'ala  ciiner 

Et  dist  qu'ele  n'ira  ja. 

<  Bonis  soit  il  quant  prise  l'a , 


(1)  Bxgauditt  s'esjoait.  ^  (3)  SuavU*  —  (3)  Lœius,  jojeuz  soir  et  matin. 


\V1 


LA    MANKkIxNK. 


OU  (Je  prendre  8ou  douaire,  c'esl-à-dire  de  se  retirer 'de  la  cour 
en  recevant  en  propriété  le  cbàteau  d'Evoline.  Dès  le  lendemain, 
elle  s'établissait  à  Evoline.  Plus  tranquille  désormais  sur  le  sort 
de  Joîe,  qui  devait  lui  donner  un  héritier  dans  peu  de  mois,  le 
roi  cède  à  Tenvie  qu'il  avait  depuis  longtemps  d'aller  se  mêler 


Ne  qui  le  tenra  mats  pour  roi  ! 
Or  a- il  fait  trop  grant  desroy 
Qui  a  ci  prise  ane  esgarée , 

•20(i0.  Une  chaitive ,  une  avolée  (1} 
Une  femme  o  tout  une  main. 
Car  fust  il  orc  u  flun  Jourdain  !  » 
Li  chevalier  qui  ce  entendirent 
Errant  de  li  se  départirent. 
Si  revindrent  an  roi  arrière 
Et  redirent  en  tel  manière 
Qu'ele  leur  respondi,  briement. 
Hais  11  rois  n*en  fit  nul  samblant  : 
«  S'ele  veut ,  fait  il ,  si  i  viegne  ; 

-2070.  Et  s'ele  ne  veut,  si  remaingne 

2153.  Ce  fu  en  la  douce  saison 
Que  li  roussignol  ont  raison 
De  chanter  pour  le  tans  joli , 
Que  U  pré  sont  vert  et  flouri 
Et  11  vergié  cargié  de  fruit  ; 
Que  la  bêle  rose  est  enbruit  (2) 
Dont  les  dames  font  les  capiaus 

-2i(K).  Dont  li  amant  font  leur  aviaus  (3)  ; 
Que  l'herbe  vert  est  revenue 
Qui  par  la  froidure  ert  perdue  : 
Gascuns  oisiaus  en  son  latin 
Gante  doucement  au  mathi 
Pour  la  ssdson  qui  est  novele. 
Toute  riens  adont  se  révèle  ; 
Que  la  joie  maintenir  doivent. 
Li  canel  les  iauwes  reçoivent , 


Qui  en  yver  erent  esparses. 

Où  keurent  karoler  (4)  ces  garces  ?   2170. 

Beatris,  Harot,  Margueçon? 

Avoec  eies  ont  Robeçon 

Et  Collnet  et  Jehanet  ; 

Puis  s'en  vont  au  bois  au  niuget , 

Capiaus  font  de  mainte  manière 

Ançois  que  reviegnent  arrière. 

Bêles  sont  les  nuits  et  li  jour 

A  ciaus  qui  mainUenent  amor. 

En  itel  tans  corn  je  devise 

Est  celé  pentecouste  assise  2130. 

Dont  toutes  gens  demainent  feste 

Droit  la  veille  de  celé  feste 

Assambia  a  Dondeu  la  cours. 

Maintbuef,  maint  pourcel  et  maint  ours 

I  eut  tué  pour  car  avoir 

Tant  que  n'en  puis  nombre  savoir. 

Qui  dont  véist  dames  venir, 
Chevaliers  par  les  mains  tenir  ; 
De  dus ,  de  contes ,  de  barons 
Emplirent  tous  les  pavillons.  2MK). 

Le  soir  quant  li  eurent  soupe 
Trestuit  s'atinerent  u  pré 
Gomme  s'il  fust  en  plain  midi  ; 
Car  tout  certainement  vous  di 
Qu'il  i  avoit  tnertins  (5)  ardans, 
Onques  nus  hom  ne  vit  plus  grans. 
Ne  vin,  ne  viande,  ne  cire 
Ne  vaurrent  nului  escondire  : 


(1)  Àdvolata,  une  coareose.  —  (2)  EpaDoaie,  tmbricataf  Les  pétales  étages  Tnii  sur 
l'autre;  mais  j'avoue  celte  pensée  bien  élégante  pour  le  moyen  4ge.  Peut-être  y  a-t-11  : 
en  bruit,  in  bruilHeio  (brolium ,  broletum ,  bruiUiuiii  :  Cang.  gioss.)»  «  La  rose  est 
aux  buissons.  »  —  (8)  Adjuvaminaf  II  faudrait  adjuvalia.  Peut-être  doit-on  lire  apiaus, 
appeaux.  —  (4)  Danser  au  son  des  iostruments  ;  ckoraulet?  —  (5)  Torches. 


LA    MANEKINE 


115 


aux  brillants  tournois  de  la  France  et  d'y  conquérir  la  gloire.  11 
s'embarque  à  Berwick,  après  avoir  secrètement  confléàson  sé- 
néchal et  à  deux  autres  chevaliers,  ses  hommes  de  confiance,  le 
soin  de  veiller  sur  sa  femme.  Débarqué  le  jour  suivant  sur  le? 


Tant  en  ol  cascuns  comme  il  veut 

-2200.  Ainsi  bel  cascuns  les  akeat. 
Quant  il  orent  toute  la  nuit 
Démené  karoles  et  brait 
Et  M  jours  devoit  ajourner. 
Vn  petit  se  vont  reposer 
Pour  estre  plus  froit  l'endemain. 
La  rolne  se  leva  main 
Bien  acesmée  (i)  et  bien  parée  : 
D'un  gros  ûl  d'or  ert  galonée , 
A  cascun  plain  doit  ij  rubis  ;     ' 

3210.  Ja  n'iert  il  tans  si  anublis  (9) 
Que  on  assés  cler  n'i  véist 
De  la  grant  clarté  qui  en  ist 
D'une  cotele  d'or  tissue 
Toutes  par  mi  pelés  (3)  cousue 
Avoit  le  sien  biau  cors  vestu. 
A  paines  porai  le  tissu 
Deviser  dont  ele  estoit  çainte  : 
D'or  i  avolt  platine  mainte 
Qui  s'entre  tienent  a  carnieres 

'iiW.  D'esmeraudes  bonnes  et  cleres  : 
Vn  saflr  avoit  u  morgant  (i) 
Qui  valolt  bien  c  mars  d'2û*gant. 
En  son  pis  avoit  une  aflque 
D'or  et  de  mainte  piere  riche  ; 
De  drap  d'or  ot  a  col  mantel 
Âinqaes  nus  hom  ne  vit  si  bel  ; 
Entour  son  col  l'eut  acolé. 
Ne  fu  mie  de  vair  pelé 
La  fouréure,  ains  fu  de  sable  (n) 

2^30.  Qui  moult  fait  la  gent  delitable. 


A  son  çaint  a  une  omosniere  ; 

Ou  monde  n'a  nule  pins  ciere  ; 

Sour  son  clef  eut  une  couronne 

TaQt  com  li  siècles  avironne 

Ne  fust  trouvée  sa  pareille  : 

De  Tesgarder  ert  grant  merveUle 

Des  bonnes  pierres  ki  i  sont 

Et  des  vertus  que  eles  ont. 

Esmeraudes,  saflrs  luisans, 

Rubis ,  j«gonces  (6),  dyamans ,         2240. 

De  çou  erent  li  carnel  fait  ; 

Àinc  plus  bel  ne  furent  pourtret. 

La  couronne  de  sous  ert  d'or  ; 

Mais  si  kavel  (T  erent  encor 

Plus  cler,  plus  bel  et  plus  luisant 

Que  11  ors  (8)  n'ert,  mien  essiant. 

Bêle  ert  et  s'eut  si  bel  atour, 

Aine  femme  n'eut  plus  bel  nul  Jor. 

En  tel  atour,  en  tel  couroy 
Fu  celui  jour  U  femme  al  roy.  -ZibO. 

Li  parement  le  roy  refurent 
Si  bel,  si  gent  comme  estre  durent  ; 
Des  siens  ne  voel  faire  devise. 
Quant  eurent  oi  le  servise 
Es  pavillons  sont  retomés 
Ou  li  disners  ert  aprestés. 
Biaus  fu  11  apparillemens  : 
Tables  i  eut  plus  de  v  cens 
Pour  grans  signeurs  et  pour  barons 
Dont  je  ne  sai  mie  les  nons,  2260. 

Ne  du  savoir  n*est  nus  mestiers. 
Qui  dont  véist  ces  escuiers 


(l)  Parée,  ûdseemari,  ax?i|xoc.  Vers  qoe  le  copiste  avait  passé  et  qu'il  a  reporté 
au  bas  de  la  colonne.  —  f2)  Nnageuz.  —  (3)  Perles.  —  (4)  Oa  mordait*  agrafe.  — 
(S)  Sêbelum,  tabeUna  peiiis ,  libeiine.  —  (6)  Agathes.  — >  (7)  CavUia,  chevilles,  vis 
d*acier.  —  (8)  Non  pas  «ttr«w,  mais  aureut  (clavicnlus). 

T.  VIII.  8 


il4 


LA  manekim:. 


terres  de  Flandre  a\\,\.^  il  se  livre  aussilOt  à  sa  passion  pour 
les  combats,  remporte  te  prix  au  tournois  de  Bassons,  près 
Compiègne,  puis  va  chercher,  à  Epernay  et  ailleurs,  d'autres 
occasions  de  rompre  des  lances.  —  Pendant  ce  temps ,  la  jeune 
reine  d'Ecosse  séjournait,  assez  tristement,  à  Dundee.  Un  beau 


Pour  biau  servir  apparillier  : 
Li  uns  leqr  coatiaos  aguisier 
Pour  taillier  devant  lear  signeurs. 
Et  il  aatre  a  mestier  pluisears 
Ainsi  com  devisé  estoit 
A  quel  rené  cascuns  serviroit; 
Portent  pain  et  vin  a  plenté 

2270.  Cascuns  en  eut  sa  volenté  : 
Gel  jour  ne  fu  riens  espargnlé. 
Li  pavillon  erent  joncbié 
De  mnget  et  de  violetes 
Et  de  maintes  autres  floaretes. 
Qaant  11  seijant  le  commandèrent, 
Li  trompéar  i'iawe  cornèrent  (1). 
Li  rois  est  assis  premerains, 
Rt  pais  li  autre  qui  ains  ains  ; 
De  table  en  table  a  leur  talent 

3980.  S'assisent  toit  commanalment 
Dames  et  chevaliers  ensamble, 
Si  qu'avoec  aus  vilains  n'assamble. 
Se  je  devisoie  leur  mes 
Ici  n'arresteroie  bui  mes  (3) 
Tant  ne  si  bons  ne  autres  tex 
Ne  donna  mais  nus  hom  mortex  ; 
Cascuns  en  eut  a  son  voloir 
Et  de  tex  com  il  volt  avoir  : 
Cars  et  volilles ,  venisons, 

'2290.  Ou  en  maintes  guises  poisons. 

Quant  mengié  eurent,  si  lavèrent. 
Li  ménestrel  dont  en  alerent 
Cascuns  a  son  mestier  servir 
Pour  leur  soudées  (S)  desservir. 


Nus  ne  querrolt  la  mélodie 

Qui  fu  loeques  (4)  en  droit  oïe  : 

Vielles,  estives,  fretiaus, 

Muses ,  barpes  et  moyniaus , 

Cytoles  et  psalterions , 

Trompes ,  buisines  environ.  3300. 

Tait  cil  i  font  tant  de  mervelles 

Que  ne  furent  mais  leur  pareilles. 

Quant  un  poi  escouté  les  eurent , 

Esroment  (5)  au  caroler  keurent. 

Tel  carole  ne  fu  véue  ; 

Près  du  quart  dure  d'une  lieue. 

Par  les  caroles  s'en  aloient 

Chevaliers ,  dames  qui  cantoient , 

Parés  de  dras  d'or  et  de  sole. 

Gascons  et  cascunes  fait  joie  2310. 

Fors  que  sans  plus  la  maie  dame 

(Dix  maudie  son  cors  et  s'ame  !) 

Car  ele  n'i  volt  onqnes  estre. 

Si  dolante  est,  plus  ne  puet  estre. 

A  vij  lieues  d'illuec  estoit, 

A  une  cité  c'on  clamolt 

Pert ,  ensi  com  j'oï  retraire  ; 

Hais  de  lui  me  voel  ore  taire 

Et  a  la  feste  revenir 

Ou  tuit  se  sevent  blau  tenir  2330. 

Les  dames  et  li  chevalier 

Alerent  maintes  fols  changier 

Ce  jour  leur  apparillement  ; 

Puis  s'en  revenoient  cantant , 

Et  prenoient  a  la  carole. 

Cascuns  samble  que  ses  cuers  vole. 


(l;  La  trompette  annonce  le  repas,  qai  coniuience  par  l'raa  poar  les  uaius.  ~  (2)  Je  iic 
m'^hrèterais  plus  d'aujourd'hui ,  hodié  magis.  —  (3)  Soldait^,  solidos  ;  pour  gagner 
jpur  argent»  —  (4)  tlluc,  —  (&)  Pour  «  erRimraent,  >  é  rapida  mente. 


LA    MANEKINE. 


115 


jour,  le  seneschal,  sou  protecteur,  «  qui  savoit  romans  et  latin, 
fait  un  parchemin  »  pour  envoyer  au  roi  la  nouvelle  qu'elle 
venait  de  mettre  au  monde  un  fils  le  plus  beau  du  monde.  Mal- 
heureusement, le  messager  chargé  de  porter  la  lettre  eu  France 
(3169)  pensa  bien  faire  en  s'arrêtant,  tant  à  Taller  qu'au  retour, 
à  Evolîne  pour  saluer  la  reine-mère.  La  veille  dame,  dont  il 
ignorait  les  haines,  Thébergea  chaque  fois,  le  charma  de  pa- 


Se  ne  fust,  sans  plus,  le  mehain 
Que  la  rolne  a  de  sa  main, 
Autre  cose  en  li  ne  set  dire 

2330.  Nus  hom  qui  sa  bianté  ne  mire  ; 
Mais  de  ce  durement  anoie 
Tous  cians  qui  de  s'oneur  ont  joie. 
MoQt  fu  celui  jour  etigardée 
La  bêle ,  la  bien  acesmée  ; 
Quant  plus  l'esgardent,  plus  leur  plest; 
De  L'esgarder  cascuns  se  paist. 
Sa  biauté  et  sa  conlenaDce 
Les  a  tous  mis  en  tel  balance 
K'entr*au8  dient  :  «  Li  rois  fait  bien, 

2340.  Plus  ne  l*ea  demanderons  riens.  » 
Bnsi  dIent  et  cil  et  celés , 
Chevalier,  dames,  damolseles; 
Mais  quant  il  mix  connisteront 
Sa  manière ,  mix  l'ameront. 
La  feste,  ainsi  com  je  devis 
Dura  trois  jours  tous  acompUs , 
Aussi  grant  et  aussi  pleniere 
Con  je  vous  ai  retrait  arrière  ; 
Et  quant  il  s'en  vaurrent  partir 

'2350.  Li  rois  flst  cascun  départir 

Hanas  d'or,  de  madré  et  d'argent 
Selonc  çoa  qu'estoient  la  gent. 
Tout  ensement  la  Manequine 
En  qui  toute  bontés  affine. 
Par  le  commandement  le  roy 
Donne  as  dames  moût  biau  conroi, 
Mainte  cainture  et  maint  anel 
Et  maint  fremal  d'or  bon  et  bel , 
Dont  tousjour  fa  puis  molt  amée. 

3360.  A  tant  est  la  cours  deflnée. 


Est  tout  drois  arrivés  au  Dam.         ^18. 

Ses  cevax  des  nés  ou  rivage 

Fist  mettre,  qu'il  n'i  eut  damage  ;     96?0. 

Puis  est  en  la  vile  venus 

Ou  ses  ostex  fu  retenus. 

Du  conte  de  Flandres  enquiert, 

Où  sera  trovés  s'on  le  quiert. 

On  li  a  dit  quil  est  a  Gant , 

Où  fait  son  apparillement 

D'aler  au  tomol  a  Ressons  ; 

Mou  plaist  au  roi  ceste  ressons. 

L'endemain  quant  il  vit  le  jour 

N'i  vaut  faire  plus  lonc  sejor,  3630. 

Vers  Gant  a  sa  voie  accueille. 

Li  quens  de  Flandres  ot  oXe 

La  novele  du  roi  d'Escoche  : 

D'aler  encontre  lui  s'esforce, 

Se  le  salue  et  le  conjoie 

Et  li  dist  :  «  Sire,  j'ai  grant  joie 

Quant  il  vos  pleut  ci  a  venir; 

Bien  poés  a  vostre  plaisir. 

Faire  de  moi  et  de  ma  gent 

Quanques  vous  venra  a  talent.  >       3640. 

Li  rois  grans  mercis  li  respont. 

EnsI  tout  parlant  venu  sont 

A  Gant,  et  furent  celé  nuit 

Avoeques  le  conte  a  déduit  ; 

Et  li  rois  si  li  a  enqnis 

Du  tournoi,  ù  il  est  empris  : 

Li  quens  li  a  dit  a  Ressons. 

Dont  dist  li  rois  :  «  Nous  i  irons; 

Et  d'une  cose  vous  requier 

Que  vous  me  voelliés  otroiier  3650. 


116 


LA    MA.NRKirXË. 


rôles  et  de  présents,  Tenivra  de  Lon  vîd,  et  pendant  la  nuit  fit 
substituer  d'autres  lettres  à  celles  dont  il  était  porteur.  Ces 
fausses  lettres  disaient  au  roi  sa  femme  accouchée  d'un  monstre 
à  quatre  pieds,  tout  velu.  Dans  sa  douleur,  il  avait  répondu 
avec  prudence  qu'on  eut  soin  de  la  mère  et  de  l'enfant,  quel 
qu'il  fût,  jusqu'à  son  retour.  Mais  la  vieille  dame  avait  de  nou- 


Qae  vous  soiiés  de  ma  menie  (l).  » 
Li  quens  bonnement  il  otrie. 

Celé  naît  furent  molt  a  aise 
Gose  ne  leur  faut  qui  leur  plaise  ; 
A  lendemain  bien  très  matin 
Se  sont  très  tous  mis  au  cemin. 
Geie  nuit  vinrent  dusk'a  Lille  ; 
A  aïe  i  furent ,  car  la  vile 
Lt  iert  au  conte  ;  mais  Tendemain 

2660.  Se  metent  au  cemin  bien  main. 
À  destre  laissierent  Artois , 
Puis  sont  entré  en  Vermandois, 
Par  Roie  ont  leur  cemin  tenu 
Tant  qu'il  son(t)  a  Ressons  v^nu. 
Ou  castel  descend!  li  roys  ; 
0  lui  Fiamens  et  Escotois. 
Dont  commencent  gens  a  venir 
Et  les  hostex  penre  et  saisir. 
Boulenisien  et  Artisien , 

2670.  Brebençon  et  Vermendisien, 

Fiamenc  et  Normant  et  Pouhier  (-2), 
Alemant ,  Tbiois  et  Baivier, 
Tout  cil  a  Ressons  descendirent 
Et  par  les  fenestres  hors  mirent 
Maint  escii  et  mainte  baniere 
De  mainte  diverse  manière. 
De  l'autre  part  devers  Gornay 
Vinrent  Biauvoisin ,  bien  le  say, 
Berruier.  Breton  et  François 

2680.  Et  Poitevin  et  Hurepols 

Et  Champenois  tout  ensement  ; 
Cist  vinrent  au  tournoiement. 


A  Goniay  sont  cist  descendu 

Ainsi  ont  le  jour  atendu 

Que  devoit  estre  li  tournois  ; 

Et  quant  il  vindrent  de  manois 

La  messe  cirent;  si  s'armereiit, 

Et  dessus  leur  destriers  montèrent  ; 

As  cans  vinrent  pour  tournoiier  ; 

Ce  puet  as  couars  anoiier.  2690 

Li  rois  d'Escoche  issi  premiers, 
En  sa  route  mit  chevaliers 
Qu'il  a  tous  retenus  o  11. 
Avoir  par  avoit  si  joli 
Ne  fn  mais  véus  ses  paraus. 
Ses  chevaus,  qui  est  grans  et  haus 
Ert  couvert  d*un  drap  d'or  batu  ; 
Onques  mais  si  rices  ne  fu  ; 
Et  il  qui  ert  et  biaus  et  grans 
Ert  deseure  moût  bien  parans ,       2700. 
Si  bien  armés  comme  adevise. 
En  ce  j or  n'ot  autre  devise 
En  ses  armes,  fors  que  d'or  furent 
Si  bien  faites  comme  estre  durent  : 
Ce  flst  il  en  seneflance 
Qu'acomplie  ert  sa  desirance. 
Car  ses  droites  armes  si  erent 
A  trois  lyonciaus  d'or  qui  erent 
Rampans  et  coulourés  de  noir  (3). 
Teles  armes  déust  avoir;  2710 

Mais  les  lyonciaus  en  osta , 
Toutes  pures  d'or  les  porta. 
Li  quens  de  Flandres  ert  lès  lui , 
Qui  celjour  molt  bien  le  servi. 


(l)  Maison ,  compagnie.  —  (2)  Us  gens  du  Ponihieu.  —  (3)  Il  ne  dît  point  de  sable. 


LA    MANRKINE. 


117 


veau  changé  le  message  et  feint  un  ordre  du  roi  qui  comman- 
dait au  sénéchal  de  brûler  immédiatement  le  monstre  et  celle 
qui  lui  avait  donné  le  jour,  sous  peine  d'être  lui-même  livré  au 
supplice.  Désespoir  de  la  Manekine.  Le  sénéchal  et  ses  assistants, 
émus  de  pitié,  firent  le  complot  de  ne  la  brûler,  avec  son  fils, 


3735.  . . .A dont  prist  cascans  son  conroy(l}, 
Son  escu  prist  cascans  lès  soy 
Et  si  mist  son  hiaume  en  sa  teste. 
Li  rois  a  sa  gent  manifeste 
Qae  il  li  baUient  son  esca  : 

2740.  Uns  chevaliers  li  a  tendu; 
Puis  11  fn  li  hiaumes  iachiés 
Qui  n*estoit  mie  enruiUiés 
Ains  estoit  d'or  clers  et  lyisans 
Et,  à  regarder,  deduisans. 
Quant  il  U  fu  laciés  u  chief 
De  tout  se  met  el  premier  cief  ; 
D'amours  et  d'armes  bien  apris 
A  près  de  lui  son  escu  mis, 
En  son  puing  une  grosse  lance 

2750.  Son  cbeval  point  (2;  et  il  li  lance  ; 
Alns  ne  ûna  d*esperoner 
Desst  k'jl  vint  as  cols  (3)  donner. 
Un  chevalier  de  France  ataint 
Qui  au  partir  de  lui  se  plaint 
Car  si  radement  l'a  fera 
Que  duske  a  tere  a  abatu 
Le  chevalier  et  le  cheval. 

3855.  Ensi  cei  Jour  se  démenèrent, 
Duskes  a  la  nuit  ne  flnerent; 
Mais  la  nuit  viens,  kl  les  départ. 
Vont  s'ent  Si  font  autre  regart 
Non  ainsi  comme  erent  venu  : 

2860.  N'i  eut  tel  noise  ne  tel  hu. 

Li  plulsour  eurent  les  cors  pers  (4) 
Des  grans  cox  qu'Us  orent  souffers. 


Tant  vont  a  cev^l  et  aplé 

C'a  leur  ostex  sont  repairié. 

Li  rois  est  venus  a  Ressens 

Et  avoec  lui  ses  compaignons  : 

Tout  droit  ert  venus  au  castel. 

Quant  illifuce  Ufubel; 

Car  moût  durement  fu  lassés 

Des  cox  don  ot  eu  assés.  $870 

Desarmés  est  isnelement  ; 

Li  quens  de  Flandres  ensement, 

Qui  ce  jour  la  avoit  molt  fait. 

Encore  ne  l'aie  jou  retrait  ; 

Se  jou  de  cascun  devisoie 

Çou  que  il  flst,  trop  demourroie 

A  revenir  a  ma  matere. 

Autre  mention  convient  querre 

Fors  que  de  tant  que  bien  le  flst; 

Et  li  rois  commandement  flst  3880. 

Que  tuit  soupaissent  avoec  lui. 

Si  firent  il.  Il  n'eut  nulul, 

De  chevaliers,  part  a  Ressens 

Qui  0  lui  ne  fuissent  semons. 

Assés  orent  viandes,  vins; 

Quant  soupe  orent,  li  matins 

Parut  :  A  dont  se  vont  couchier, 

Qu'il  en  avoient  bien  mestier. 

Duskes  a  tierce  se  dormirent 

Puis  se  levurent  et  vestlrent,  3890. 

Se  râlèrent  trestout  a  court, 

LI  rois  ne  leur  flst  pas  le  sourt  ; 

Moût  les  honeure ,  molt  les  aimme. 

Amis  et  compagnons  les  claime  ; 


(I)  Rang,  rangi^e,  éonredtum.  —  (a)   Rperonne,  pungii.  —  (8)  Cop»?  conps.  — 
(4)  Bleus. 


118 


LA   MANBKI^'E. 


qu'en  effigie;  et  de  fait  la  ramenant  à  Berwick,  ils  l'abandon- 
nèrent, comme  elle  était  venue,  dans  un  batelet  qu'on  livra  à 
la  mer.  Cependant  le  roi,  plein  d'inquiétude,  laisse  les  tournois 
pour  ne  plus  aspirer  qu'à  l'Ecosse  (4034),  et  bientôt  il  débarque 
à  Berwick.  Le  sénéchal  l'y  attendait.  Son  épouvante  lorsque  le 
roi  lui  demande  où  est  sa  femme.  Désespoir  du  roi  non  moindre 


Leurs  pertes  rendi  a  pluiseurs 
Et  0  lui  retint  les  milieurs. 
Âssés  leur  donna  de  biaus  dons  ; 
Tant  ilst ,  et  ce  fa  bien  raisons , 
Qu'il  eut  ie  pris  de  ce  tournoy. 
3900.  Cascuns  li  olrie  endroit  soy. 
Àssés  i  eut  de  bien  faisans 
D'une  part  et  d'autre  perdans  ; 
A  peine  puet  on  assener 
Quel  pals  s'en  doit  miex  loer. 
Lî  rois  ains  que  d'illuec  partist 
Un  antre  tournoiement  prist 
Par  i'assens  de  ciaus  de  Gournay 
A  quinze  jours ,  a  Esparnay. 

3169.  En  une  nef  a  marceans 

3170.  Qui  doit  aler  vers  les  Flamans 
Entra,  et  ii  eurent  bon  vant, 
Par  m\  la  mer  vont  tant  siglant 
Qu'a  Gravelighes  sont  venu. 

Le  messagler  n'ont  retenu  ; 
D'aus  a  pris  congié ,  si  s'en  tome 
busk'a  Sainl-Omer  ne  sejorne  ; 
Demande  ou  li  tournois  est  pris  ? 
Droit  entre  Creel  et  Saint  Lis  :i), 
Doit  estre  a  joedi  ki  vient. 
3180.  Quant  il  Tentent,  plus  ne  se  tient; 
Ains  oirre  tant  parmi  Artois 
Et  après  parmi  Vermandois , 
Qu'il  est  en  Biauvlsis  venus. 
Dusk'a  Clermont  ne  s'est  tenus. 


Lueques  demanda  et  enquist 
Ou  li  rois  est  ;  et  on  li  dist 
Que  il  séjourne  a  Creel 
Ou  fait  laire  bel  appareil 
Pour  tournoiier.  Quant  ce  entent 
Lueques  ne  se  va  alentant  ;  3190. 

Tout  droit  au  cemin  se  ravoie. 
N'i  a  que.  trois  lieues  de  voie  : 
Tost  les  ala,  a  Greeil  vint  ; 
Dusk'al  cajtel  ne  se  retint 
Ou  a  hostel  estoit  li  rois, 
0  lui  Flamens  et  chiaus  d'Artois; 
Assés  ot  0  lui  de  barons. 
Qui  il  ot  donné  de  biaus  dons. 
A  tant  estes  vous  le  message. 
Le  roi  salue  en  son  langage  :  3300. 

«  Sire ,  dist  il ,  li  senesca(u)x 
Qui  moût  est  preudons  et  loians 
Vous  tramet  par  moi  ceste  lettre  ; 
Faites  garder  qu'il  i  fist  mètre.  > 
Puis  si  li  lent.  Li  rois  les  prent , 
La  cire  brise ,  et  puis  estent 
Le  parkemin  qui  ert  dedens 
Il  savoit  bien  lire  rommans  ; 
En  sa  joenece  l'eut  apris  ; 
Car  son  maistre  ot  o  lui  tous  dis  (2)  3310. 
Qui  tant  Taprist  qu'il  seut  escrire 
Et  le  romans  et  latin  lire. 
....  Or  n'a  talent  que  plus  sejorne   4084. 
Li  quens  de  Flandres  ie  convoie 
Car  aussi  estoit  cou  savoie. 


1)  Sfiilis   —  (2)  Il  avait  un  maîlre  too«  les  jours. 


LA    MANBKINE 


119 


que  celui  dont  Joie  avait  été  frappée  quelques  jours  auparavant. 
On  fait  venir  le  messager;  le  crime  se  découvre,  et  le  roi,  dans 
sa  juste  colère,  fait  construire  exprès  une  tour  (4463)  où  11  or- 
donne que  sa  mère  soit  mise,  pour  le  reste  de  sa  vie,  au  pain 
et  à  l'eau.  Quant  à  lui-même,  il  fait  appareiller  un  navire  et  se 


Parmi  Vermendois  g'aceminent 
Et  par  lear  jornées  cheminent 
Tant  qae  il  ont  Artois  passé, 

4040.  Ne  se  tinrent  a  si  lassé. 

Contre  ne  voisent  sans  demour. 
En  Flandres  vinrent  au  tierc  jor 
De  Créel  dont  erent  méu. 
Aa  roi  a  durement  pieu 
Li  samblans  que  ii  [qaens]  (1)  li  iisl  : 
Moat  voientiers  le  retenist 
En  Flandres  xv  jours  ou  viij 
Pour  estre  en  joie  et  en  déduit  ; 
Mais  il  n'en  puet  venir  a  cief, 

1050.  Car  encore  estoit  ii  moût  grier 
Au  lOi  de  cou  que  tant  demeure, 
Il  ne  quide  ja  véir  l'eure 
Que  il  ia  Manekine  voie  : 
Et  se  s'est  voirs  dont  il  s'esfroie 
Las  !  a'est  pas  ainsi  comme  il  coide. 
Fait  11  a  sa  mère  une  wide  (2> 
Dont  il  garde  ne  se  donnoit. 
Quant  li  quens  de  Flandres  perçoit 
Que  riens  ne  li  vaut  sa  prooiere 

lOAO.  Trois  jours  li  flst  moût  bêle  ciere 
Tant  que  sa  nés  fu  aprestée  : 
A  Dan  lueques  ert  aancrée. 
Dosques  la  fa  il  convoités 
Du  conte,  qui  n'ert  mie  liés 
De  ce  ke  si  tost  se  départ. 
Offert  li  a  et  tost  et  tart 
Son  pooir  et  sa  signerie. 
Li  rois  boinement  l'en  mercie  ; 
Quatre  destriers  donner  ii  flst  : 


N'en  ni  eut  nul  qui  ne  vausist        4070. 
Cent  livres  d'estrelins  u  plus. 
Li  quens  n'en  flst  mie  refus. 
Ains  li  redonna  des  oisiaus , 
Faucons  et  ostoirs ,  girfaus 
Bien  afaitiés  ou  vij  ou  viij. 
Mais  ii  en  eut  pau  de  déduit  : 
Autre  besoigne  a  l'uel  li  peut 

Dont  encor  garde  ne  se  prent 

Erramment  (3)  a  maçons  mandés  ;    44as. 

Bien  v  cens  en  a  assemblés. 

Si  ies  maine  en  une  faioise 

Vers  ia  mer,  ou  vile  n'adoise  (4). 

Adont  le  plus  maistre  apela , 

Tex  paroles  ii  redist  là  : 

«  Maistres ,  fait  il ,  je  vous  requier 

Que  de  piere  et  de  bon  mortier      4470. 

Me  faites  ci  une  grant  tour 

Qui  soit  reonde  tout  entour  ; 

Les  murs  faites  bons  et  espès 

De  XV  pies  ou  plus  d'espès  ; 

Faites  la  moi  et  haute  et  lée. 

En  bas  ne  faites  nule  entrée  ; 

Bien  haut  faites  une  fenestre 

Par  où  on  verra  dedens  l'estre 

Et  si  gardés  qu'en  xxx  jours 

Soit  toute  parfaite  ia  tours.  y>         4480. 

Li  maistres  respondi  briement 

Que  la  tours  ert  faite  erroment. 

Qui  donques-  véist  macbonner  : 

Les  uns  les  pieres  tronçonner 

Les  autres  taillier  au  martel 

Et  les  autres  tost  et  isnel 


l>  r«  mpiisle  a  mis  ti  roh.  —  (2)  Une  paye.  —  (3)  V«y.  p.  114,  n.  5,  —  (4)  Afitit. 


120 


LA    xMANRKINE. 


met  à  la  recherche  de  la  pauvre  ahandonnée.  —  La  Manekine, 
u  qui  de  pleurer  ne  fine,  »  après  neuf  jours  passés  en  mer, 
seule  avec  son  enfant,  mais  gardée  par  la  Vierge  Marie,  sa  seule 
espérance,  arrive  en  vue  d'une  côte,  au  pays  de  Rommenie  (4763). 
Trois  pauvres  pêcheurs,  qui,  au  point  du  jour,  naviguaient 
pour  aller  tendre  leurs  rels,  la  recueillirent  non  par  un  esprit 


» 


Faire  le  bon  mortier  de  caucli 
Les  autres  drecier  escafaos 
Pour  le  mortier  faire  millor 

4490.  Les  antres  conimenchier  là  tour, 
Le  fondement  pour  la  tour  faire. 
Et  ces  mâchons  crier  et  braire  : 
«  Ça  de  la  pierre  !  Or  ça  morUer 
Il  deist  bien  :  Sans  espargnier 
Pensent  de  celé  tour  parfaire  ! 
Tant  se  bastercnt  tuit  du  faire 
Et  tant  firent  qu'en  xxx  jours 
Fu  toute  parfaite  la  tours. 
Dont  s'en  vint  li  maistres  au  roi . 

4500.  Si  ii  a  dit  :  «  Sire ,  par  foy, 

Faite  est  la  tour  que  vous  déistes  ; 
De  son  grant  (l)  plusfort  ne véistes.» 
Respont  11  rois  :  «  Çou  est  bien  fait.  » 
De  son  argent  paiier  a  fait 
Le  maistre,  tant  qu'il  enfn  rices; 
Ne  li  convint  puis  estre  niches. 
Après  çou  que  ta  tour  fu  faite 
Se  mère  qui  pas  ne  s'en  gatte 
A  mandée  privéement. 

4510.  Ghe  fu  fait  si  celéement 

Qu'ele  nule  riens  n'en  savoit, 

Duskes  a  tant  que  ele  voit 

Le  senescal  qui  la  vient  querre  ; 

0  ii ,  les  barons  de  la  tere  : 

«  Montés,  font  11, 11  rois  vous  mande.  » 

Et  eie  pour  coi  leur  demande  ; 

Mais  ii  ne  li  ont  mie  dit , 

Ains  le  font  monter  sans  respit. 


A  l'eure  que  leur  dist  li  rois 
Vinrent  a  la  tor  demanois.  45^. 

Li  rois  iiluecques  les  atant  ; 
Estes-les-vous  venus  bâtant. 

Quant  11  rois  sa  mère  a  véue , 
Moût  en  a  grant  pitié  eue  ; 
Mais  tant  11  nuist  sa  tratsons 
G'ore  est  venue  la  saisons 
Que  ele  en  aura  son  loiier. 
Mal  vais  fait  son  cuer  apoiier 
A  traïson,  qu'en  la  parfln 
N'en  aura-on  ja  bone  fin  4630. 

E  Ira.ljteur  et  traïsoa 
Het  Dix  plus  qu'autre  mesproison  ; 
Et  puisque  Dix  traUeur  het , 
Qui  quanques  on  fat  volt  et  set , 
Moût  est  cis  fax  qui  s'i  embat  ; 
De  son  tor  méismes  s'abat. 
Lonc  tans  en  puet  on  bien  autrui 
Grever  et  faire  moût  d'anui  ; 
Mais  quant  plus  en  fait  on  des  mans, 
Plus  crnelment  torne  sour  ciaus      4540. 
Qui  ont  pourcacié  le  malisce. 
I  fait  bon  eschiver  tel  vlsce  ; 
Gelé  mte  ne  l'eschiva , 
Dont  a  malvais  port  arriva  ; 
Car  li  rois  l'a  fait  emmurer 
Dedens  la  tour  ù  endurer 
L'en  convint  lonc  tans  maie  vie  ; 
Gar  onques  puis  Jour  de  sa  vie 
N'issi  hors  de  celé  tourele  ; 
Ne  n'eut  viande  qui  fust  bêle  4550. 


(1)  i*laff  forte  pour  m  grandcar. 


LA    MANEKINE. 


121 


de  générosité  pure,  mais  pour  faire  une  bonne  prise  (4791). 
Après  l'avoir  vainement  interrogée,  le  plus  sage  d'entre  eux  la 
reconnaissant  à  ses  liabits  de  soie  pour  une  grande  dame,  lui 
proposa  de  la  mettre  à  Rome,  chez  sa  femme,  et  de  vendre  les 
beaux  habits  et  la  nacelle  pour  fournir  à  sa  subsistance  jusqu'à 


Fors,  sans  plus,  de  Viauwd  et  du  pain 
Que  OD  ii  portoit  cascun  main 
Et  avaloit  par  la  fenestre. 
niueques  le  flst  li  rois  estre , 
Ou  bel  li  soit  ou  ii  desplaise. 
N'aura  mie  seule  mesaise 
La  Manekine  ne  ses  Ax 
Qui  sont  en  mer  en  grant  perlx  ; 
Ains  en  a  tout  son  col  cargié 

4560.  Celé  qui  ii  a  pourcacbié. 

Quant  il  rois  Teut  mise  en  la  (or 
Et  eut  devisé  quel  atour 
Il  voioit  que  on  li  portast 
Et  par  une  corde  avalast 
Et  il  eut  fait  commandement 
A  ciaus  qui  ii  vint  a  talent 
Que  ii  icele  tour  gardaissent 
Et  dessour  leur  vies  gardassent 
Que  nus  ne  l'ostast  de  laiens 

4570.  Qui  ne  calsl  en  mais  liions , 
Il  ne  volt  dont  plus  demorer  ; 
Jours  n'ajourne  que  de  pleurer 
Ne  soit  saous  ij  fois  u  lij 
Pour  celé  dont  il  est  destrois. 
Pour  aier  le  querre  et  cerkier 
Fist  une  uef  apparilller, 
La  plus  isiiele  et  la  plus  fort 
Conques  mais  Tust  véue  a  port  ; 
Et  dist  qu'avoeques  lui  iront 

4580.  Ses  senescax  et  cil  qui  l'ont 

Mise  en  la  mer  pour  ce|qu'il  crurent 
Les  lettres  dont  decéa  furent. 
Se  veut  qu'il  en  aient  anni  : 
Pour  çou  les  merra  avoec  lui. 


Mais  de  lui  qui  son  oirre  alorne 
Se  taist  mes  contes,  et  retorne 
A  parler  de  la  Manekine 
Qui  en  mer  de  pleurer  ne  fine. 

Droit  en  une;.riviere  vint     4763. 

Qui  par  mi  Romme  son  cours  tint  : 

Le  Far  le  doit  on  apeler  ; 

De  Romme  va  droit  à  la  mer. 

Ou  Far  droit  a  sa  nef  tournée 

Par  nuit,  et  quant  vint  la  jornée, 

III  povres  pécheurs  de  Romme 

Qui  n'avoit  mie  grant  somme  4770. 

D'or,  ne  d'argent  ne  de  vilaille 

Se  levèrent  malin  sans  faille  : 

Leur  hostieus  prenent  et  leur  rois 

SI  entrent  ou  Far  (i)  de  manois. . . . 

. . . .  LI  uns  ses  compaignons  apele  :  4791 . 

«  Signeur,  fait  il,  gaaigne  bêle 

Nous  a  hul  cest  jour  Dix  tramise  : 

Pesclé  avons  en  ceste  prise  : 

Une  nef  gaaignié  avons 

Et  çou  que  nous  dedans  véons. 

Il  m'est  avis  que  femme  i  voi  : 

Or  l  alons  veolr  tout  trol  ; 

Se ,  saisissons  ceste  gaaingne  ; 

NI  a mestier  autre bargaigne.  »       4«00. 

— Il  respondent  :  «  Ce  nous  est  bel.  * 

Autant  ont  tourné  le  batel 

Et  tant  nagent  qu'il  sont  venu 

Et  à  crox  pris  et  retenu 

Le  batel  ou  la  Maneqnine 

Estoit,  qui  de  pleurer  ne  flne 

Durement  mervlllé  se  sont 

Quant  en  son  giron  véu  ont 


(i)  u  Far,  (leove.  L'fxpjicalion,  un  peu  longue,  sera  donnée  anx  ÀëttUiont, 


122 


LA    MANBKINE. 


ce  qu'elle  trouvât  comment  «  son  pain  guerre.  »  —  «  Biau  si- 
gneur,  »  dit-elle  au  l)ateller,  «  grant  mercis  vous  rent;  n  et  elle 
se  laisse  conduire.  Tous  ignoraient  la  bonne  fortune  qu'ils  al- 
laient rencontrer.  Un  riche  et  puissant  sénateur  de  Rome,  homme 
veuf  vivant  avec  ses  deux  filles,  aperçut,  comme  il  se  promenait 
à  cheval  sur  la  rive  du  Far,  les  deux  bateaux  qui  portaient  les 


L'enfant  qa'ele  porté  aroit 
4810.  Qai  encor  pas  ij  mois  n*avoit , 
Et  doit  oa  giron  sa  mère 
Qui  ponr  ii  avoit  vie  amère. 

5309 Li  sénateurs  (l)  les  pescéours 

5910.  Apele;  si  leurdist:  «  Signears, 
Pour  combien,  se  il  vous  est  bel, 
Aurai  la  dame  et  son  anei  {i) 
Et  L'enfant  qui  est  avoec  lui  ? 
Or  ne  me  faites  ionc  anui.  7> 

—  «  Sire,  vous  l'avérés  pour  c.  mars, 
Que  nous  meterons  en  iij  pars  ; 

SI  en  aura  cascuns  le  tierc. 
Et  sachiés  que  li  desirlers 
Ne  fust  de  lui  mètre  a  bonour, 
bno.  Pour  cou  c'on  vous  tient  au  millour 
De  toute  la  vile  de  Romme 
Disons  nous  si  petite  somme  ; 
Mais  bien  savons  qui  erl  a  eise 
Se  de  son  cuer  n  a  la  mesaise 
Et  de  cou  sommes  nous  tuit  lié  ^S).  % 

—  «  Voir  ;  ja  n'i  aura  bargignié , 
Dist  li  sénateurs,  longuement. 
Venés  en  maison  pour  l'argent 
Et  se  me  délivrés  l'avoir 

r\'iiO.  Que  je  doi  pour  l'argent  avoir.  -» 
A  donques ,  sans  plus  estriver, 
S'en  vont  droit  vers  lui  arriver. 
Si  ont  mise  celui  a  tere 
A  qui  li  quers  de  dolour  sere; 


Encor  ii  est  bien  avenu 
Selonc  le  mal  qu'ele  ot  eu. 

De  son  ce  val  est  descendus 
Et  dusques  a  la  nef  venus  ; 
Entre  ses  bras  celi  requeut 
Ki  d'errer  par  la  mer  se  deut  (4\     5î40. 
Pitiés  tant  le  sien  cuer  donta 
Que  sour  son  cheval  de  monta 
Et  ii  prist  le  sen  escuier  ; 
Si  est  sus  montés  par  l'est  rier. 
Tant  fu  courtois  qu'en  son  devant 
Porla  il  méismes  l'enfant. 
Le  peut  pas  ensi  l'enmaine 
Par  mi  Homme ,  ki  estoit  plaine 
De  bourgois,  si  comme  estre  doit 
Romme ,  qui  si  grant  vile  estoit.      5250. 
Avant  qu'a  son  ostel  venist 
Fu  d'aucuns  priié  qu'il  déist 
Cul  li  enfës  est  et  la  dame , 
Et  il  respont  :  «  Ne  sai  par  m'ame  ! 
Ne  sai  dont  vient  ne  dont  est  née. 
Par  aventure  l'ai  trouvée-  » 
Ainsi  respont  as  demandans 
Tant  qu'a  l'ostei  esl  descendans  : 
A  son  hostel  vient ,  si  desceiil. 
Assés  fu  qui  rechut  l'enfant.  5^60. 

Li  senators  la  Manekine 
Mena  en  la  sale  perrine  (5;  : 
Ses  filles  vinrent  contre  liii 
A  qui  durement  abeli 


(I)  Li  seniitear«,  li  senator«,  l'est  pas  le  membre  da  sénat,  mais  l'homme  de  famille 
si'n.itoridic ,  le  senalorinn  —  (2)  Une  bagae  d'or  qui,  avec  sa  robe  de  soie  et  le  prix  de  sa 
narelle.  ilonnait   à  Va  Msinekine  une  valeur.  —  (3^  ivti.  —  (4)  Dolei.  —  (5^  De  pierre 


LA   MANBK1NE. 


123 


pêcheurs  et  la  princesse.  Etonné  de  ce  mélange,  il  entre  en 
pourparlers  et  finit  par  emmener  la  Manekine  à  son  hôtel ,  non 
pas  qu'il  substitue  simplement  son  hospitalité  somptueuse  à 
celle  des  pêcheurs,  mais  il  achète  à  ceux-ci  leur  prise  par  un 
contrat  en  forme  (5209).  Tandis  qu'elle  savoure  le  repos  en  ce  doux 


La  venae  la  Manequine  ; 
Et  cascans  Tonnear  U  destine 
Et  H  pères  se  leur  sermone 
Et  de  teas  mos  les  arraisonne  : 
«  Bêles  filles,  je  vous  reqaier 

5970.  Ainsi  comme  vous  m'avez  obier 
Que  vous  ceste  dame  bonnerés 
Et  H  faites  ses  voalentés  ; 
Faites  il  de  tout  son  voloir 
Se  vous  volés  mon  gré  avoir.  > 
Eles  repondent  bonement  : 
«  sire,  vostre  commandement 
Volons  faire  de  cbief  en  cbief; 
Du  faire  ne  nous  sera  grief. 
Que  bien  puist  eie  eslre  venue  !  >^ 

5280.  A  grant  joie  l'on  recbéue 
De  leur  père;  si,  l'ont  menée 
En  une  chambre  arecbelée  : 
Illuec  la  servent  et  confortent, 
Et  son  este  voir  (i)  U  aportent. 
Mengier  la  font  ;  mais  petit  fn. 
Ses  lis  apparilliés  ii  fa  ; 
Se,  la  firent  aler  dormb*, 
Dont  ele  avoit  moût  grant  désir  ; 
Et  si  li  ont,  pour  son  enfant, 

'»i9ù.  Mandé  tost  et  isnelement 
Une  nourice ,  et  ele  vient 

5.399.  Li  rois  a  Beruic  s'entome 
5400.  Moût  ii  poise  que  tant  sejome. 
Sa  nef  a  faite  appariUier, 
De  becuit  et  de  vin  cargier, 


Tuit  11  baron  d'Escocbe  sont 

Avoec  lai,  qal  moat  dolant  sont 

De  çoa  que  il  ainsi  se  part  : 

De  pilé  eurent  bien  leur  part 

Qae  pour  leur  dame,  que  pour  lai, 

Qui  par  traïson  ont  anai  ; 

Et  li  rois  si  leur  devisa 

Et  ciaus  qae  il  vaut  avisa  5ilo. 

A  garder  ses  gens  et  sa  tere 

Que  nas  ne  les  grieve  de  gaerre  ; 

Si  fait  laissier  par  ses  castias 

Serjans ,  arbalestes ,  qaariaus 

Et  chevaliers  a  grant  plenté , 

Tant  com  lui  vint  a  volenté. 

Quant  il  ot  sa  cose  atornée 

Et  sa  nef  fu  coume  (2)  atornée 

De  pain ,  de  vin  et  de  viande 

Tele  comme  la  mer  demande ,        54i0. 

A  ses  barons  a  congié  près 

Comme  courtois  et  bien  apris. 

Mainte  tanne  i  ot  dont  plorée 

Et  mainte  robe  descirée. 

Moat  sont  dolant  de  lear  signeur 

Qui  faite  leur  eut  mainte  honnour. 

Jamais  ne  caident  qo'il  reviegne  : 

Poar  cbe  ni  a  nul  qui  se  tiegne 

De  plourer  et  de  grant  duel  faire 

Et  li  rois ,  qui  vit  leur  contraire,     54S0. 

Lui  disime  de  compaignons 

Entre  ou  batel  as  avirons 

Dusk'a  tant  qa'il  vint  a  la  nef 

Oa  il  ne  faut  (3)  voille  ne  tref. 


(1)  Sttoverium,  le  vivre,  le  manger:  dérivé  d'pn  radieil  latin  compagnon  des  forme» 
fdere,  efum  on  eslum,  entur,  ^strir.  —  (2)  Tourne?  ou  rourne?  Penl-flre  coroni. 
foiil  aiitrtor.  —  (3)  Ne  manque ,  fatiit. 


124 


LA   MANEKINR 


Séjour,  la  Manekine  voit  bientôt  les  années  s'écouler  et  son  flls 
Jehanuet  grandir.  Cependant  le  roi  son  époux  s'était  embarqué 
pour  la  chercher.  Il  la  chercha  sur  toutes  les  mers  du  monde 
(5399),  depuis  la  Frise  jusqu'aux  grandes  Indes,  «  Tlnde  major,  » 
et  au  bout  de  sept  années  de  navigation  et  d'investigations  en 


Son  senescal  mena  o  lai 
Et  X  cbevallers ,  qai  anui 
Maint  dael,  mainte  paine,  maint  grief 
Auront  alns  que  vient  a  cief 
De  la  queste  qu'il  ont  aqiTise. 

5140.  Mais  de  CDU  durement  les  prise 
Qu'il  portèrent  or  et  argent 
Tant  c'onqnes  mais  si  peu  de  gent 
N'enporterent  itant  d'avoir  : 
Ce  leur  peut  grant  mestler  avoir. 
Li  maronnier  tost  s'adrecierent  ; 
Leur  voiles  croisies  au  vent  misent 
Et  li  vens  dedens  se  feri 
Qui  les  maine  tost  et  sert  (1\ 
Li  baron  furent  au  rivage 

5550.  Et  regardent  leur  signerage 
Qui  s'en  va  aventures  querre  ; 
Maint  en  i  a  qui  ii  cuers  serre 
De  cou  qn'ensi  aler  l'en  voient. 
Âu  plus  qu'il  pueent  le  convoient 
Des  ix  et  au  viser  s'aerdent. 
Tant  que  de  lui  le  véoir  perdent  ; 
Car  eslongiés  fu  en  peu  deure. 
A  dont  s'en  revont  sans  demeure , 
Plain  de  courons,  en  leur  ostex. 


Quant  il  seul  que  à  Homme  fu   ■ 
5800.  Selonc  son  anui  liés  en  fu. 
Son  senescal  a  apelé , 
.Son  voloir  lui  a  révélé  : 
«  Senescans ,  dist  il ,  blaus  amis , 
Puisque  Dlex  ici  nous  a  mis 


Un  petit  i  sejorneron. 

La  semaine  passer  lairon 

Que  Dix  reçut  pour  nous  la  mort. 

(î)  ' 

S'irons  le  Joedi  absolu 

De  nos  pécbiés  estre  absolu  5810. 

La  ou  l'apostoile  sera 

Car  moult  très  bon  estre  i  fera. 

Aies  tost  et  isnelement 

Querre  ostel  ou  nous  bêlement 

Puissons  estre  contre  cel  jour.  » 

—  «  Sire,  volontiers,  sans  séjour.  » 

A  tant  sans  faire  plus  lonc  conte 

Son  cheval  fait  traire,  si  monte 

Et  cbevauce  par  la  cyté, 

Ou  il  vit  mainte  riceté.  ismo. 

Hout  li  avint  bêle  aventure  : 

Tant  a  chevauchié  Tambléure 

Que  U  vint  devant  la  maison 

Ou  cele  ert  que  longue  saison 

A  voit  li  rois  cerkié  et  quise. 

Li  senescaus  Fostel  avise 

Et  voit  le  sanatour  séant 

À  une  fenestre  devant 

Par  où  en  la  vile  regarde  ; 

Et  li  senescans  le  regarde.  riS  )0. 

Moût  ressamble  bien  preudom 

Pour  ce  si  l'a  mis  a  raison. 

«  Sire,  dist  il,  li  rois  des  cix 

Qui  est  en  tere  apelés  Dix 

Vous  doinst  joie ,  par  tel  couvent 

Com  je  vous  metral  en  couvent , 


(1)  Serià,  9erié,  activenifnl  et  sérieaiteincnt  ;  non  pas  seren^,  nfreniU^,  dooceiucn'.. 
—  (^)  Un  ven  passé. 


LA    MANEKINË. 


125 


tout  pa>s,  H  ne  l'avait  pas  encore  trouvée,  lorsqu'un  vent  favo- 
rable le  conduisit  à  Temboucliure  du  Far.  H  est  donc  à  Rome 
(:hiK))  où,  à  peine  arrivé,  le  hasard  ramène  à  prendre  logis 
dans  riiôlel  même  du  sénateur.  Jo!e  apprend  que  son  mari  e.«t 
sous  le  même  toit  qu'elle,  et  sa  première  impression  est  la  ter- 


Uae  vous  cel  ostel  que  je  vol 
Prestes  a  mon  signeor  le  roy, 
Qui  rois  est  d'Escoce  et  d'IUande  : 

5840.  Fors  que  l'ostel  ne  vous  demande 
Àssés  aura  son  esta  voir  (l) 
Mais  que  la  maison  puist  avoir. 

Li  senatoors  a  respondu  : 
«  Sire  y  bien  vous  ai  entendu. 
Saciés  ce  ne  sont  mi  parant 
Ou  mi  voisin  ou  mi  amant 
Ou  povre  genl  qui  ont  besoigne 
QaejepourDieudnmien  leurdoigne; 
Autre  gent  cet  ostel  ne  prendent , 

5850.  Mais  icele  gent  du  mien  prendent. 
Et  nepourquant ,  quant  il  est  rois 
Ne  seroie  mie  courtois 
Se  l'ostel  U  escondissoie  ; 
Si  m'ait  Dix  mix  ameroie 
Que  ma  maison  fust  arsse  en  cendre. 
A  vostre  voloir  poés  prendre 
Sales  et  chambres  et  estavles, 
Vins,  viandes  et  bans  et  tavles  : 
Quanques  il  il  sera  mesUers 

5860.  Li  ferai  avoir  voienliers.  » 
Li  senescaus  mercbi  l'en  rent, 
Arrière  est  retornés  errant 
A  son  signeur  qui  au  rivage 
L'atent  ;  si  li  dist  son  message 
Que  il  li  a  pris  tel  hostel 
Qu'en  toute  Romme  n'ot  autel. 
«  Moût  me  samble  de  bone  vie 
Cil  qui  l'ostel  a  en  baillle 
On  nous  nous  devons  berbegier.  » 


5880. 


Li  rois  est  montés  sans  targier         5870. 

Quant  il  sot  ses  hostex  lu  pris  ; 

D'aler  là  ont  lonr  conseil  pris. 

Li  sanatours  qui  otria 

L'ostel  au  roi,  ne  detria  ; 

Ançois  apela  sa  menle 

Qui  ert  bêle  et  bien  ensignie  ; 

Si  leur  fait  les  maisons  niier 

Deseure  et  desous  netlier. 

Puis  va  vestir  sa  bêle  robe 

En  une  cambre  beie  et  noble 

U  la  Manequine  a  trouvée 

Et  ses  filles  qui  ont  ouvrée 

Une  omosniere  bêle  et  riche; 

Tele  n'eut  li  dus  d'Oterriche. 

Et  11  sénateurs  les  salue; 

Puis  leur  dit  que  plus  ne  delue  : 

«c  Mes  belles  filles ,  erroment 

Soient  pris  vostre  parement, 

Car  Dix  un  boste  nous  envoie 

A  qui  je  voel  faire  grant  joie  ;         5890. 

Car  bien  doit  on  cex  honerer 

Cui  Dius  vent  de  tant  honerer 

Que  il  soient  roi  apelé 

Com  cil  ert ,  ne  vous  soit  celé , 

Qui  ma  maison  veut  et  demande  : 

Il  est  rois  d'Escoche  et  d'D'lande.  » 

Quant  la  Manequine  l'entent 
A  peu  que  II  cuers  ne  H  fent  ; 
Tel  doleur  la  destraint  et  sere 
Que  chéue  est  pasmée  a  tere.         5900. 
Et  li  sénateurs  le  regarde 
Qui  de  cou  ne  se  donnoit  garde. 


(1)  Voyez  ri-dessas,  p.  123,  vers  5984. 


1^20 


LA    MANEKINli:. 


reur  :  elle  se  souvient  qu'il  avait  donné  Tordre  de  la  faire  mou- 
rir, et  supplie  son  hôte  de  ne  pas  la  trahir.  Mais  c'est  son  fils  qui 
la  trahit.  A  la  vue  de  cet  enfant,  le  roi  se  sent  ému,  troublé,  en- 
traîné, sans  en  comprendre  la  raison;  il  croit  reconnaître  une 
bague  avec  laquelle  cet  enfant  joue;  enfin,  dans  cette  scène 


Si  le  relieve  et  l'a  tenae 
Tant  que  ele  fa  revenae. 
Et  si  tost  comme  ele  revint 
De  dolour  faire  ne  se  tint; 
Qa'iluec  la  deust  devourer 
Ne  86  tenist  pas  de  ploarer. 
Li  sénateurs,  qui  se  mervelle 
5910.  Durement  de  ceste  mervelle , 
Le  conforte  et  si  11  requiert 
Qu'ele  li  die  çou  qui  l  ert, 
Pourquoi  souspire.  pour  col  pleure, 
Pour  coi  de  tel  duel  se  deveure. 
Quant  parler  puet,  si  li  dist  :  «  Sire 
Or  me  convient  il  a  vous  dire 
Une  parUe  de  Tanui 
Que  onques  mais  ne  dis  nului. 
Sachiés ,  se  cis  rois  qui  ci  vient 
5990.  Me  puet  véoir  et  il  me  tient 
Et  il  en  a  lieu  ne  pooir 
Je  croi  qu'il  me  fera  ardoir, 
Non  mie  certes  pour  meffet 
Que  je  H  aie  onques  jour  fait  -, 
Mais  il  avient  souvent  a  court 
Que  tex  ne  pèche  qui  encort. 
Une  fois  en  sa  court  manui  (1) 
Et  moût  de  bien  trouvai  en  lui; 
Mais  par  mesdisans  fui  grevée 
5030.  Et  si  très  durement  mellée 
Qu'il  me  commanda  k  ardoir. 
Mais  Diex  flst  tel  pitié  avoir 
Gelai  cul  il  le  commanda 
Que  de  cest  tourment  me  jeta 
Et  me  mist  par  nuit  en  la  mer 
Dont  Dix  me  laissa  escaper 


Et  venir  en  vostre  maison 

U  j'ai  esté  longue  saison. 

Or  vous  ai  dit  une  partie 

De  ma  grieté  qui  m'est  partie  5940. 

Et  encor  tant  vous  en  dirai 

Que  ja  de  mot  n'en  menUrai  : 

Je  l'aim  plus  que  ne  fas  riens  née 

Car  moût  grant  amour  m'ot  mostrée 

Avant  qu'il  onques  tenist  conte 

De  moi  faire  torment  ne  honte  ; 

Mais ,  se  il  vous  plaist  que  ma  vie 

Soit  dès  ore  mais  alongie , 

Je  vous  pri  que  il  ne  me  voie 

Car,  se  il  me  voit ,  je  morroie.  »    5950. 

Li  senators.  a  que  qu'il  monte 
S'esmervelle  moût  de  ce  conte. 
Se  li  respont  :  «  Or  vous  taisiés . 
Bêle ,  et  vostre  cuer  apaisiés  : 
Pais  que  vous  estes  en  ma  garde, 
Vous  n'avés  çaiens  de  lui  garde. 
Si  je  cuidaisse  cest  a  faire 
N'eust  pas  çaiens  son  repaire , 
Mais  puis  que  je  l'ai  en  convent 
J'en  aquiterai  mon  convent  5960. 

Et  vous  ne  vous  mouvrés  de  chi. 
Mes  ij  filles  que  je  voi  chi 
Cl  en  droit  vous  compaigneront 
Et  a  Yostre  talent  feront 
Se  volés  faire  mon  voloir 
Confortés  vous  de  ce  doloir 
Qu'en  duel  ne  puet  on  gaaignier 
Fors  son  cors  de  mal  aengnier.  » 
—  «  Sire,  volentiers  m'i  tenrai  ; 
A  vostre  conseil  ml  tenrai.  5970* 


(1)  Je  demeurai. 


LA    MANEKINK 


127 


touchante,  il  adjure  si  passionnément  son  liù(e  île  lui  dire  la 
vérité,  que  la  vérité  se  découvre  et  met  les  deux  époux  aux  bras 
l'un  de  l'autre.  La  joie  emplit  la  maison  du  bon  sénateur;  mais 
intervient  resj)rit  religieux,  Tesprit  de  l'école  de  saint  Louis, 
qui  parle  aux  deux  époux  par  la  voix  du  vieux  sénéchal  d'Ecosse, 


se  je  lai  véoir  ne  cremisse 
Riens  plus  volentiers  ne  véisse  ; 
Mais  assés  m'en  vient  mieus  tenir 
Qae  a  grignear  torment  venir.  » 

À  tant  le  sénateur  esconte 
Et  et  le  roi ,  lui  et  sa  route 
Qai  ja  dedens  sa  court  desceot  ; 
A  tant  de  sa  chambre  descent, 
On  il  laissa  la  Manekine 

5080.  Et  ala  tant  que  il  ne  fine 
Devant  que  il  conat  le  roy. 
Si  le  salue  sans  derroy  ; 
Et  11  rois  son  sala  li  rent. 
En  la  sale  entrent  a  itant 
Ou  les  tavles  estoient  mises 
Et  deseur  les  bestaux  assises. 
Si  tost  com  11  rois  i  entra , 
Jebanet  son  Ql  encontra, 
Qui  en  la  sale  se  jouoit 

5990.  Gomme  cil  qui  y\]  ans  avoit. 
MoQt  ert  biaus  enfés  et  apris. 
Vers  son  père  le  cours  a  pris , 
Se  li  dist  :  «  Sire ,  bien  viegniés  !  » 
Ensi  comme  il  fa  ensigniés. 
«  Dous  enrés,  ce  respont  li  rois, 
Li  sires  qui  est  rois  des  rois 
Vous  doinst  vie  et  amendement, 
Car  moût  a  en  vons  bel  enfant.  > 
Li  rois  moit  durement  Tesgarde 

6000.  Et  quant  il  plas  s'en  donne  garde 
Plus  l'aime  et  plus  11  embelist. 
Son  hoste  apeie,  si  U  dist: 
'<  Or  me  dites  voir,  biaus  doas  osles, 
Se  cis  enfès  icbi  est  vostres  ?  t» 
—  «  Oil ,  sire ,  voir  il  est  miens  ; 
Je  l'aim  plas  que  je  ne  Tas  riens.  » 
Adont  ne  seut  li  rois  que  dire  ; 
De  sa  grieté  ses  cuers  sospire. 


Li  senatoars  bien  s'en  perçoit, 

Qui  parmi  ses  ex  issir  voit  (5010. 

Les  larmes  chéoir  sur  sa  face 

Plas  cleres  assés  que  n'est  glace. 

Si  U  a  dit  :  «  G'avés  voas ,  sire  ? 

Vostres  cuers  me  samble  plains  dire  > 

—  «i  Biaus  ostes,  je  le  vous  dirai 
Pour  coi  a  mon  cuer  tele  ire  ai  : 
Quant  je  regardai  cest  enfant 
D'an  mien  fit  m'alai  a  pensant 
Que  j'euc ,  bien  a  passé  vij  ans. 

Ja  péast  bien  estre  aussi  grans        60^. 

Gomme  est  cis  cbi,  se  il  fast  vis  ; 

Mais  si  jouenes  me  fu  ravis 

Par  traïson,  c'onques  ne  l'vi. 

L'enfant  et  sa  mère  perdl  : 

Dont  j'ai  au  cuer  duel  et  anui. 

Or  ains ,  quant  j'esgardai  cestat , 

Se  me  sovint  de  celé  perte , 

Dont  la  vérité  ai  ouverte  : 

C'est  la  raison  pour  coi  plourai 

Quant  jou  cest  enfant  esgardai.  >    6030. 

—  <L  Sire ,  dist  il ,  ce  croi  je  bien, 
Je  ne  vous  en  mescroi  de  rien. 
Avenu  est  a  maint  prodome 

Que  d'ire  et  d'anui  ontgrant  somme  : 
Ainsi  esprueve  Dix  sa  gent 
Tant  comme  il  li  vient  a  talent.  » 

Entre  tex  paroles  fu  près 
Li  disners ,  et  li  premiers  mes 
Estoit  ja  sur  les  estaviies 
Et  les  escueles  drecies  :  6040. 

Se  lievent  et  puis  vont  séir. 
Li  rois  le  sénateur  séir 
Fist  de  iès  lui  et  a  sa  table. 
Maint  mes  de  poison  delitable 
Eurent ,  dont  je  ne  fac  devise 
Gar  aillours  ai  m'ent«nte  mise. 


128 


LA    MANfiKINE 


el  leur  défend  l'amour  jusqu'à  ce  que  la  semaine  sainte  soit 
passée  (66H).  ils  restent  donc  à  Rome  pour  obtenir  la  bénédic- 
tion du  Pape  au  jour  de  Pâques.  —  Pendant  ce  long  temps  qui 
s'était  écoulé  depuis  les  premiers  malheurs  de  la  Jo!e,  qu'é- 
tait devenu  le  roi  de  Hongrie,  son  père?  Dévoré  de  remords  et 


Li  enfës  de  laiens  s'en  tourne , 
Dusk'a  sa  mère  ne  séjourne  : 
Trislre  la  Irueve ,  et  esplourée  ; 
6050.  Mais  a  l'enfant  mie  n'agrée. 
De  cel  sens  comme  il  en  lui  a 
Erroment  demandé  II  a. 
«.  Ma  dame,  pour  col  plçares  tu? 
Vien  véoir  le  roi  qu'est  venu  ; 
Il  a  bêle  gent  la  aval. 
Vous  plourés,  si  faites  trop  mal.  > 
La  mère  ne  11  respont  mie  ; 
Si  durement  est  courechie 
Que  les  filles  le  sénateur 
6060.  Qui  l'amoient  de  grant  amonr 
Ne  li  paeent  donner  confort. 
Ele  pleure  et  pense  si  fort 
Que  ele  a  nuli  n'enlendoit. 
Li  enfès ,  qui  petitf  pensoit 
A  son  anui  n'a  son  tourment  ; 
Begarde  l'anelet  luisant 
Ou  li  dyamans  ert  assis 
Qu'ele  avoit  en  son  doit  assis. 
Cel  anel  li  rois  II  donna 
6070.  Le  jour  que  il  le  couronna  ; 
Et  quant  li  enfès  le  coisi  (1] 
Convoitiél'a,  si  le  saisi 
Par  la  main  et  l'anelet  prent  ; 
Ne  l'donnast  pour  c  mars  d'argent. 
La  Manekine  nul  regart 
N'en  prist ,  et  Jehanet  s'en  part. 
De  la  cbambre  errant  (2)  s*en  avale  ; 
Ne  flna ,  se  vint  en  la  sale 
Ou  11  sénateurs  et  11  rois 
6080.  Se  séoient  al  plus  baut  dois  (â). 


La  sale  ert  nete  et  baloie , 
De  qnariaus  de  tieule  entaillie 

Bien  ouvrée  par  escekiers  ; 

Et  li  enfès  qui  fu  legiers 

Jeté  deseur  le  pavement 

L'anel ,  et  pais  si  le  reprent. 

Une  eure  avant  et  autre  arrière 

S'en  va  jouant  en  tel  manière  ; 

Tant  le  jeta  de  toi  en  moi 

Qu'il  est  venus  devant  le  roy  6030 

Que  seur  la  nape  le  jeta  ; 

Et  11  rois  la  main  i  geta. 

Si  le  prent  et  si  le  regarde 

Et  moût  ententievment  l'esgarde. 

Tant  l'esgarde  es  le  vous  cheu 

En  ceu  ki  l'ait  ailleurs  véa. 

Li  senatours  s'en  aperçoit 

Que  il  tout  son  meugler  laissoit 

Pour  l'anelet  et  pour  l'enfant. 

Si  a  dit  a  l'enfant  :  «  Va  t'ant.  y>      6100. 

Mais  li  rois  li  requiert  et  prie 

Que  U  enfès  ne  s'en  voist  mie 

Ains  le  laist  iltuec  de  lès  lai , 

Car  il  ne  li  fait  nul  anui. 

Tant  li  pria  qu'il  fu  lalssiés 

Et  li  enfès  en  fu  moût  liés  ; 

De  l'anel  plas  ne  li  souvint 

Que  11  rois  dedens  sa  main  tint  ; 

AIns  ne  le  flna  d'esgarder 

Dnskes  a  tant  q'il  dut  laver;  6110. 

Et  pour  un  peu  qu'il  ne  l'avise 

Bien  pense  qae  d'autele  guise 

El  11  aniaus  que  il  donna 

Celi  qu'a  bonear  couronna  ; 


(i)  Le  désira,  çuœsivit,  —  (2)  Rapide  :  voyez  ci-dessus,  p.  114.  —  (3)  Dais. 


LA   MANEKINB 


129 


détesté  de  ses  sujets,  il  s'était  décidé  à  faire  pénitence,  et  il 
était  parti  à  la  tète  de  trente  compagnons,  riches  hommes  de 
son  domaine,  pour  aller  à  Rome  demander  le  pardon  du  Pape, 
«  Tapostoiles  Urbains  »  (v.  0875,  6947).  Donc,  tous  les  person- 
nages du  roman  étaient,  le  jour  des  Pâques,  au  Vatican,  que 


Hais  d'autre  part  le  fet  mescroire 
Çou  qu'il  ne  puet  caidier  ne  croire  (1) 
Que  il  ftist  iltueques  venus. 
Tant  fa  de  ce  penser  tenus 
Que  de  sa  bouce  n'ist  parole. 

6130.  À  chief  de  pièce  la  parole 
Li  sénateurs ,  ki  s'esmervelle 
Et  de  son  grant  penser  resveille. 
Si  li  dist  :  <ic  Sire,  s'il  vous  plest, 
Yolenliers  sauroie  que  c'est 
Que  vous  si  très  ententivement 
Regardés  i'anel  a  l'enfant 
Que  vous  le  mengier  en  laissiés; 
Et  vis  (2)  m'est,  vous  vous  abaissiés. 
Moût  volontiers  savoir  voldroie 

6130.  Dontcevientquisi  vous  asproie  (3).» 
—  «Biaus  ostes,  je  n'en  puis  nolant, 
Se  vous  ne  m'aies  avoiant 
De  cest  anel  que  je  voi  cbi 
Ne  quant  ne  comment  il  vint  chl, 
Je  ne  serai  mais  hui  (i^  a  aise 
Ne  n'aurai  cose  qui  me  plaise  ; 
Et  de  l'enfant  vaurroie  oïr 
Se  vous  me  volés  esjoïr 
Se  il  est  fin:  de  vostre  famé.  » 

6li0.  Li  sénateurs  respont  :  «  Par  m'ame  ! 
Ma  feme  en  ses  flans  le  porta 
Et  11  aniaus  qu'il  aporta 
Est  sa  mère,  n'en  doutés  mie  ; 
Le  voir  (5;  ne  vous  en  çoile  mie.  » 


Pour  femme  et  pour  fit  les  tenoit 
Pour  çou  c'achetés  les  avolt  (6). 

Or  ne  set  mais  U  rois  que  dire  ; 
De  bien  parfont  ses  cuers  sonspire. 
Les  tavles  furent  ja  ostées 
Et  si  eurent  ses  mains  lavées  ;         6150. 
Hais  son  boste  ancor  enquerra 
À  tant  mie  ne  le  laira; 
Car  li  aniaus  si  U  ensegne 
De  s'amie  la  vraie  ensegne. 
L'anel  ne  set  comment  mescroire 
Ne  la  veiite  comment  croire , 
Se  ses  bostes  ne  l'en  avoie, 
Ja  n'en  enterra  7)  en  la  voie. 
Pour  çou  l'apele  et  si  li  dist  : 
«  Biaus  bostes,  de  par  Jesu  Crist     6160. 
Qui  est  sires  de  paradis, 
Et  de  par  tous  les  siens  amis 
Et  de  par  sa  très  douce  mère 
Qui  n'est  escarse  (8)  ne  avère 
De  sa  pité  ne  de  sa  grasce 
Vous  requier  jon  que  il  vous  place 
A  moi  dire  sans  couverture 
La  vérité  et  l'aventure 
De  l'enfant  et  de  cest  anel 
Que  je  regart ,  luisant  et  bel.  6170. 

Il  m'est  tout  vraiement  avis 
Que  li  aniaus  fu  miens  jadis 
Et  que  je  le  donnai  m'amie 
Dont  j'ai  trait,  lonc  tans,  maie  vie  : 


(l)  Cogitare  neque  credere.  —  (2)  Avis?—  (3)  Exaspère,  asperilat,  —  (4)  Voyez 
ci-dessos,  pag.  114,  o.  2.  —  (5)  Verum.  —  (6)  Réflexion  qui  suppose  l'auteur  et  le 
lecteur  quelque  peu  versés  dans  le  droit  romain.  —  (7)  Entrera.  —  (8)  Parcimonieuse; 
eicarpsus^  excarpere ,  excerpere  (Maratori  et  Diei). 

T.  VIII.  « 


15(1  LA    MAXEKINB. 

rauteur  appelle  seulement  cf  le  moustier,  qui  moult  estoil  graus 
et  pléniers,  »>  quand  le  roi  de  Hongrie  se  lève  et,  pour  s'humi- 
lier davantage,  fait  à  haute  voix  sa  confession  devant  la  foule. 
LaBfanekine,  Ten tendant,  court  se  jeteir  dans  ses  bras ,  le  roi 
d'Ecosse  la  suit;  tous  tombent  dans  des  transports  d'allégresse; 


Pour  cou  vous  conjur  que  le  voir 
Me  diiés ,  car  je  quic  savoir 
Que  de  mon  duel  ou  de  ma  joie 
Savés  le  sentier  et  la  voie.  » 
Li  senators  ot  et  entant 

6180.  Ghe  dont  il  se  va  mervillant; 
Car  la  Maneqnine  se  deut 
Et  tant  se  crient  qu'ele  ne  veut 
Que  11  rois  le  sace  en  Tostel , 
Qu'ele  n'éust  pleur  (i;  hostel  ; 
Carele  quide  qu'il  le  bée 
Plus  que  nuie  riens  qui  soit  née , 
Et  pour  çou  li  sénateurs  n'ose 
Dire  le  voir  de  ceste  cose. 
D'autre  part  entent  que  li  rois 

6190.  Est  de  sa  demande  destrois  {%. 
Si  ne  set  que  ce  senetle  ; 
Ne  seit  se  U  le  voir  en  die , 
ne  ne  le  set  comment  celer  ; 
Pour  cou  que  il  s'ot  conjurer, 
Une  grant  pièce  a  çou  pensa, 
Tant  que  en  le  lin  s'apensa 
Que  tout  le  voir  en  jehiroit  ;ji)  ; 
Laiens  (i)  bien  le  garandiroit 
Se  il  li  voloit  nul  mal  faire. 

6d00.  A  dont  li  a  pris  a  rctraire  : 
«  Sire  vous  m'avez  conjuré 
D'oïr  noveies  ;  mes  juré 
M'aurés  avant  que  je  vous  conte, 
Que  anui  ne  tourment  ne  bonté. 
Duel  f  ne  tourment  ne  vilonnie 


Ne  ferés ,  pour  riens  que  je  die , 

Nului  et  tel  don  me  donrés , 

Que  vous  vostre  ire  pardonrés 

Celui  dont  je  vous  conterai  ; 

Autrement ,  riens  ne  vous  dirai.  »  6210. 

Et  U  rois  errant  (5  li  fiance , 

Gom  cil  qui  est  en  desirance 

De  savoir  dont  vient  li  aniaus 

Et  U  enfès,  qui  est  tant  biaus. 

Le  sénateur  asséura 

Et  tout  quanqu'il  vaut  li  jura  ; 

Et  quant  li  rois  juré  li  ot 

Du  dire  nul  detri  n'i  ot. 

<c  Sire ,  dist  il ,  en  cest  quaresme 

A  vij  ans ,  ensi  com  je  l'eesme  (6    6220. 

Qui  je  m'aloie  esbanoiier  (7) 

Et  deseur  le  Far  rivoiier  ; 

Si  vi  amont  l'iauwe  venir 

iij  povres  bommes  et  tenir 

Lès  leur  batel  une  nacele 

Et  dedens  une  femme  bêle  ; 

Bel  atour  et  biau  vestement 

Avoit,  et  0  soi  un  enfant, 

C'est  cls  enfès  que  vous  veés. 

Quant  li  rois  ceste  aventure  ot,  6331 

De  la  très  grant  joie  qu'il  ot 
Et  de  la  pitié  de  s'amie 
Qui  cuide  que  il  l'ait  baie  , 
A  si  le  cuer  estroit  liié , 
Qu'ançois  que  il  l'ait  desliié 
En  manière  qu'il  puist  parler, 


il)  Pejor,  —  (i)  Destrictus,  destruclui,  disirit us  ?  diSch'iré ,  délruil ,  broy^.  —  (3)  Ja- 
vularef.^  (1)  Cf.  y.  C445.  —  (5)  C'est-à-dire  «  erramment,  »  aussitôt;  xuy.  p.  119,  n.  3. 
^  (6)  Comme  j'eslimc.  —  (7)  ?  On  trouve  aussi  ambanoner. 


Là   MAMfiKlNE. 


131 


la  joie  gagne  jusqu'aux  Romains,  «  qui  la  merveille  regardoient.  » 
La  fête  n'eut  pas  été  complète,  ni  pour  le  poète  ni  pour  ses  au- 
diteurs, sans  un  miracle. 4)eux  clercs  de  Téglise  où  officiait  le 
Pape,  chargés  d'aller  à  une  fontaine  voisine  remplir  d'eau  pure 
un  seau  d'argent  pour  les  fonts  baptismaux,  ne  peuvent  empè- 


Péast  j  tiom  a  piet  aler 
De  tere  vj  arbaletrées. 

6340.  Du  cuer  li  sont  amont  montées 
Les  larmes ,  si  pleure  de  joie 
Et  de  la  piUé  ki  l'asproie  (1)  ; 
Hais  au  plus  tost  qu'il  peut  parla 
Et  le  sanatour  apela. 
Avant  que  il  s'en  fast  gaitiés  '2) 
S'est  devant  lui  ajenoilliés  : 
Dont  li  senators  ot  grant  honte 
Oui  ne  set  encor  que  ce  monte. 
K  Sire ,  dist  il ,  pour  Dieu  merchi  ! 

6350.  Que  faites  vous?  Levés  de  chi. 
Il  n'avint  onqaes  mais  a  roy 
Que  il  féist  si  grant  derroi  (3) 
Ne  que  il  de  tant  s'avillast 
Que  devant  moi  s'agenoillast.  y> 
Au  plus  tost  qall  pot  l'a  levé. 
«  Hostes ,  or  ne  vous  ait  grevé , 
Dist  li  rois ,  içou  que  j'ai  fait  ; 
Car  tel  service  m'avés  fait  ; 
Que  ne  l'auroie  desservi 

6360.  S(e;  je  vous  avoie  servi 
Un  an  de  vos  sollers  oster  ; 
Car  Dix  me  veut  par  vous  oster 
Le  grignour  duel,  lagrignourpaine 
Qui  onqaes  fust  en  car  humaine, 


Conmient  et  par  quel  traïson 

Ele  eut  eu  tel  desraison ,  6370. 

Comment  il  Tavoit  espousée 

Et  comment  ele  fu  trouvée  ; 

L'ama  tant  qu'il  en  Ast  rolne 

Et  che  fu  de  bonne  amor  fine  ; 

Comment  il  s'en  ala  en  France 

Pour  enquerre  los  et  vaillance  ; 

Comment  elle  li  fu  ravie 

Par  sa  mère  qui  l'ot  haïe  ; 

Comment  il  l'a  quise  vij  ans. 

Dont  U  a  eu  tant  d'ahans  (4).  6380. 

Trestout  U  a  dit  et  conté 

Et  sa  valeur  et  sa  bonté 

Et  comment  de  vrai  cuer  i'amoit; 

Et  se  ne  set  qui  ele  estoit 

Ne  comment  eut  la  main  perdue  ; 

Qui  fille  ert,  ne  dont  ert  venue, 

De  cou  la  vérité  ne  set. 

Trestout  a  dit  quan  qu'U  en  set 

A  sénateur  qui  se  mervelle 

Durement  de  ceste  mervefie.  6390. 

Se  li  dist  :  «  Se  de  veoir  séusse , 

Sire ,  que  je  roïne  eusse 

Et  fil  de  roi  en  mon  manoir, 

De  quanques  je  péusse  avoir 

Les  eusse  fais  honnerer 


Sans  mort.»—*  Sire,  dist  il,  comment?»  Si  me  voefie  Dix  bien  doner  ; 
—  «:  Je  Tvoas  dirai,  faitil  briement.  »     Hais  ele  onqaes  riens  ne  m'en  dist; 

Dont  li  commence  a  raconter         De  tant ,  durement  me  mesflst. 
Çou  que  m'avés  oï  conter,  Se  jou  ceste  cose  séusse 


(l)  Voy.  V.  6180.  —  (2)  Gaeltc,  gardé.  —  (3)  Voy.  p.  179,  n.  3.  —  (4)  Ital.  affanno, 
pdne;  gaeliqoe  :  fainne,  fann^  fatigue;  kyinr.  gwan  (Dift)?  Goof.  ptntôt  êHheians, 
•nkelUt. 


132 


LA  MANfiKINE. 


Cher,  malgré  tous  leurs  efforls ,  une  main  fraîchement  coupée 
d'entrer  d'elle-même  dans  le  seau.  C'était  la  main  de  Joie  que  le 
Pape  rajuste  à  son  bras,  et  le  ciel,  qui  ne  peut  manquer  de  jouer 
un  r61e  direct  en  cette  affaire  (v.  7587),  avertit  l'assemblée  d'aller 
à  la  fontaine,  de  prendre  un  esturgeon  qu'on  y  verra,  et  qui  était 


ôiOO.  Meut  a  envis  sousfert  eusse 
Qu'ele  ne  fust  de  çaiens  dame  ; 
Et  neporquant  saciés,  par  m'ame  ! 
Tout  a  son  voloir  a  esté 
Et  en  yver  et  en  esté  : 
Mais  puisqu'ainsl  va  la  besoingne 
Dire  11  irai  sans  aloigne 
Çou  qui  h  plaira  durement. 
A  vous  l'amenrai  maintenant  ; 
Et  se  vous  avoec  moi  veniés 

6110.  Tout  maintenant  le  verriés 

Pasmer,  quant  ele  vous  verroiti 
Pour  çou  qu'ele  vous  douteroit. 
Se  convient  c'en  avant  11  die 
Comment  ele  vous  fu  ravie 
Et  comment  vous  i'avés  lonc  tens 
Quise  a  dolour  et  a  tourmens.  » 
Li  roîs  à  son  dit  bien  s'acorde 
Ne  riens  son  oste  oe  descorde. 
Si  demeure  dedens  la  sale 

6120.  0  ses  compaignons ,  qui  ot  pale 
La  couleur  des  mans  c*ot  soiîert  ; 
Mais  par  tans  seront  aouverl 
Leur  cuer  de  çou  qui  leur  plaira 
Car  leur  sires  les  apela 
Si  leur  dist  qu  il  ot  achevé 
Çou  qui  tant  les  aura  pené. 
Adont  leur  conta  tout  ainsi 
Com  vous  avés  devant  o\  : 
Dont  cascuns  a  si  liés  se  tint 

643).  Que  de  leur  maus  ne  leur  souvint. 
Moût  désirent  que  il  la  voient, 
Car  lonc  tans  tendu  i  avoient  ; 


Tant  la  désirent  que  il  croire 
Ne  pueent  que  soit  cose  voire , 
Dient  ke  ja  ne  le  kerront 
Dusk'a  tant  que  il  le  verront  : 
Entre  tex  paroles  Tatendent 
Et  au  roy  escouter  entendent. 
Li  bons  senators  ne  demeure 
Ains  vient  liés  a  celé  qui  pleure.     6140. 
Se ,  li  dist  :  «  Dame  Manequlne 
Ne  Savoie  mot  que  rolne 
Eust  vij  ans  mes  clés  portées. 
Tant  sont  les  noveles  alées 
Que  li  rois  vous  set  bien  çaiens  (l)  : 
Des  ore  est  du  celer  noiens  : 
Mais  son  maltalent  vous  pardone 
Et  bonnement  congié  vous  donc 
Que  vous  venés  parler  a  lui  : 
Je  croi  peu  vous  feroit  d'anui.  »      6450. 
Adont  li  commence  k  conter 
Si  com  m'avés  oï  conter 
Ainsi  com  II  rois  s'aperçut 
Par  l'anelet  que  il  connut 
Que  II  enfès  porté  Uot; 
Encor  ne  savoit  ele  mot 
Que  il  li  fust  ostés  du  doit. 
Sa  main  regarde  et  si  voit 
Que  11  aniaus  mie  ni  fu  : 
Merveile  soi  comment  II  fu  6460. 

Ostés  ;  mais  ele  n'en  tient  conte 
Alns  escoute  çou  que  li  conte 
Li  sénateurs ,  de  son  signeur. 
Bien  H  aconta  la  doleur 
Qu'il  eut  eue  de  11  querre 


(1)  Ccans.  Voy.  v.  6198  et  6401. 


LA    MANBKINE. 


133 


le  poisson  par  qui  la  main  avait  été  conservée  pendant  neuf  ans, 
de  tuer  ranimai  et  de  le  faire  manger  par  tout  le  peuple  dans 
une  grande  fête  publique.  Après  la  célébration  de  cette  fête ,  les 
deux  rois,  la  Hanekine  et  leur  suite,  parmi  laquelle  figurent  les 
filles  du  sénateur,  que  Jo!e  fait  «  comtesses  et  dames  de  deux 


En  tante  mer,  en  tante  terre , 
Et  couiment  il  l'avoit  perdae , 
Tout  li  conta,  qa'ii  n'i  delae, 
Comment  sa  dame  la  traï 

6470.  Et  si  cruelment  le  baï. 
Tout  11  a  dit  et  révélé  ; 
Qae  il  ne  li  a  riens  celé 
De  quanques  li  rois  li  aprist 
Trestout  il  a  conté  et  dist  ; 
«  £t  tex  noveies  vos  aport 
Bien  vous  doivent  doner  confort.  » 

Quant  ele  ol  ceste  novele , 
De  joie  U  caers  li  sauteie  ! 
Qaant  ele  a  oï  qae  ses  sires 

5480.  A  pour  11  souiTert  tantes  ires. 
Et  que  par  cruel  tralâon 
Ot  eue  tel  desraison 
Dont  Diex  l'a  ore  assouagle  (l) , 
Ne  quidiés  que  plus  soit  irle. 
Sa  doleurs  fuit  ;  joie  li  \  lent 
Erroment  que  plus  ne  s'en  tient. 
S'est  mis  en  un  plus  bel  alour  ; 
Car  les  filles  au  senatour 
Orent  robes  de  mainte  guise  ; 

6i$K).  Se  l'ont  en  la  plus  beie  mise. 
El  eles  pour  la  sieue  amour 
Se  misent  en  plus  bel  atour 
Car  moût  sont  lies  de  sonneur. 
A  tant  es  vous  le  sénateur 
La  Manequine  par  la  main 
Emmaine  lès  lui  main  a  main , 
Et  ses  ij  filles  de  leur  grés 
S'en  vont  après  tous  les  degrés  : 


Tant  sont  avalé  que  il  vienent 

Là  ou  d'aus  la  parole  tienent  0500. 

Quant  li  rois  voit  venir  s'amie 

Dont  il  eut  souffert  aspre  vie, 

Et  ele  revoit  son  signeur, 

Qui  faite  li  eut  mainte  boneur, 

Mont  en  fust  li  departirs  gries  ; 

Li  rois  keurt  vers  fi  eslaissiés , 

Se  Ta  plus  de  cent  fois  baisie 

Ançois  k'il  11  puist  dire  :  «  Amie  !  » 

Et  ele  lui  tout  ensement. 

Bras  a  bras  forent  longuement         6510. 

Avant  que  il  parier  péussent. 

Li  senescax  s'en  vint  au  roy  6611. 

Qui  s'amie  avoit  delès  soi 

Et  entre  ses  bras  son  enfant 

Qu'il  baisse  menu  et  souvent. 

Ambedeus  les  arraisonna 

Et  un  (el  conseil  leur  donna 

Qui  leur  atourna  à  grant  bien  : 

Moût  se  fait  bon  tenir  au  bien. 

Or  escoutés  du  bon  preudom 

De  quoy  il  les  mist  a  raison  :  60S0. 

«  Rois  d'Escoce ,  grant  gré  savoir 

De\*és  Dieu  qui  joie  ravoir 

Vous  fait  à  vostre  volenté 

De  grant  grieté  en  grant  santé  : 

Dous  amis  si  en  devés  faire 

Tel  cose  qui  li  moelle  plaire. 

Yés  icbi  la  sainte  semaine 

Que  il  hOuBtï  pour  nous  tel  pabie 

Et  de  fer  en  v  lleus  percblés 

Et  si  fu  en  la  crois  flcblës.     '       6630. 


(t)  Barb.  assH/leiatam ;  Cangii  Gloss.  t*>  inffleientie. 


134 


LA   MANEKINK. 


duchés,  «  prennent,  par  mer,  le  chemin  de  la  Hongrie (v.  7017). 
Le  pays  tout  entier  se  met  en  liesse  pour  les  recevoir  (7061); 
bientôt  appelés  par  TArménie ,  où  Joie  avait  hérité  de  sa  mère, 
ils  vont  aussi  chez  les  Arméniens  recevoir,  en  grande  fête,  les 


S'il  voas  a  fait  vostre  talent 
Voas  ne  devés  mie  avoir  lent 
Le  caer,  de  faire  pénitance  ; 
Car  c'est  une  riens  qui  avance 
Ceiai  qui  le  fait.  De  rameur 
Dont  nus  ne  puet  faire  clameur, 
Tenu  vous  estes  ambedoi , 
Maugré  vostre,  si  corn  je  croi, 
Que  vous  ensamble  ne  jéustes 

6610.  Mais  c'ert  pour  çou  jiue  ne  péustes. 
Mais  dès  or  i  poés  jesir 
Se  ii  vous  en  vient  a  plaisir  ; 
Hais  par  mon  los  la  consirèce  (l) 
En  ferés ,  tant  que  soit  passée 
La  Passions  Nostre  Signeur 
Pour  çou  qu'ii  voustiegne  en  boneur. 
Vés  chi  le  joedi  absolu 
Que  de  leur  maus  sont  absolu 
Tuit  cil  qui  sont  vrai  repentant 

6650.  Et  de  leur  pechiés  jeblssant  (2), 
En  ceste  vile  icelui  jour 
lert  l'apostolies  ;a)  a  séjour 
Et  fera  la  benéicon. 
S'il  vous  plest,  ce  jour  i  eron , 
De  nos  pecbiés  serons  confès. 
Car  trop  par  est  cruex  tes  fès , 


Si  se  fait  moût  bon  descargier 
De  çou  que  lame  puet  cargier.  » 

La  où  li  roi  venir  dévoient    7961. 

Les  caucbiés  encortinoient 

De  dras  d'or  et  de  soie  d'Inde  : 

Li  un  sont  blanc  et  li  autre  inde. 

Li  pavement  erent  jonkié. 

Ne  vous  poroit  estre  noncié 

La  joie ,  la  feste ,  Teneur 

Que  il  font  leur  novel  signeur 

Et  leur  dame  la  retrouvée 

Qui  Dius  leur  avoit  retornée  7970. 

Dont  il  erent  tuit  si  joiant 

Et  a  fester  si  manoiant 

Qu'en  cascune  vile  en  c  lieus 

Véissiés  manières  de  jeus 

Biaus  et  plaisans  et  bonerabies 

Et  a  regarder  delitables 

Tous  maltalens  s'entrepardonnent   8155. 
Et  d'aus  gouverner  pooir  donnent 
Le  roi  d'Escocbe  ;  et  sans  outrage 
Li  firent  de  leur  fiés  bornage. 
Là  fu  la  roïne  Joïe 

Durement  amée  et  joie  8160. 

Et  il  bien  amer  la  dévoient 
Car  en  li  bonne  dame  avoient  ; 


(1)  Conseerationtm.  -^  (2)  Gemiicentâtt  -^  (3)  En  plusieurs  antres  endroits,  l'au- 
teur appelle  Tapostoiles  par  son  nom;  il  le  nomme  «  pape  Urbain.  »  Oit  pourrait  croire 
que  e'est  le  pape  régnant  du  temps  qu'il  écrivait,  c'est-à-dire  Urbain  IV,  qui  gouverna 
l'Eglise  d'août  1961  à  octobre  1264,  Urbain  III  étant  mort  en  1187  et  Urbain  V  n'ayant 
pris  h  tiare  qu'en  1362.  Mais  outre  qu'il  y  a  une  petite  difficulté  en  ce  que  Beaumanoir 
n'avait  que  dix-sept  ans  en  1264,  je  pense  qu'il  ne  s'agii  d'aucun  autre  Urbain  que  de 
Urbain  II,  qui  régna  de  1088  à  1099,  et  dont  le  souvenir  était  encore  populaire,  à  ce 
qu'il  paraît,  dans  le  Beauvaisis  parce  que  c'était  un  pape  beauvaisin.  C'était  un  Eudes 
de  Gbastillon,  de  la  maison  de  Gaucher  de  Chaslillon,  gendre  du  comte  deClermont; 
par  conséquent  une  gloire  de  la  famille  et  du  pays. 


LA    MANBKINE. 


1S5 


aveux  et  hommages  de  Leurs  villes  et  cMteaux  (8ir>S);  puis,  après 
une  année  passée  à  réjouir  les  populatigns  par  leur  présence,  ils 
songent  à  passer  en  Ecosse.  Ils  prennent  la  mer;  ils  arrivent  à 
Berwick  (8347)  ;  barons,  dames  et  peuple  les  accueillent  avec 


Et  il  si  font.  Tant  l'aiment  tait 
Que  par  les  viles  a  tel  brait 
De  la  feste  que  chascons  fait 
Que  ne  poroit  estre  retrait. 
Les  rues  sont  encortinées 
Et  daskes  vers  terre  clinées 
Les  courtines  d'ambedeas  pars. 

8170.  Se  la  fuissiés,  de  toutes  pars 
Véissiés  dras  d'or  estendas 
Et  as  fenestres  poartendus 
De  soie,  de  vair  et  de  gris  ; 
Riens  n'i  pert  fors  cou  que  devis. 
Tant  divers  jus  i  véissiés 
Qae  moût  vous  esmervillissiés. 
Par  tous  les  liex  ù  li  roi  vont 
Tex  jus  et  tex  apparaus  font  : 
Tout  i'iver  en  tel  joie  farent 

8180.  Dask'aa  quaresme  ne  recrurent  {l). 
Demi  an  furent  en  Hongrie 
Et  demi  an  en  Hermenie  ; 
Mais  des  or  mais  vient  en  corage 
Au  roi  de  véoir  le  bamage 
Que  dedens  Escoctie  laissa. 

84.37.  Dask'en  la  vile  ensi  s'en  vont, 
Où  tant  d'apparaas  véa  ont. 
Tante  grant  courtine  de  lin , 

8410.  Tant  drap  de  sole  alixandrin , 
Tant  couvertoir  et  tant  drap  d'or, 
Tant  vair,  tant  gris  et  tant  trésor, 
Tante  douce  herbe  par  les  rues 
Sour  les  chaucies  estendues. 
Ll  rois  de  Hongrie  qui  voit 
Comment  sa  fille  amée  estoit 


A  paine  pooit  nului  croire  ; 

Mais  or  voit  que  la  cose  est  voire  ; 

Si  se  merveUe  moult  comment 

Li  sires  de  tel  tenement  8150. 

Le  volt  prendre  et  si  ne  savoit 

Qui  ele  ert  ne  dont  ele  estoit. 

Mont  durement  Dieu  mercia 

De  1  onnear  que  faite  il  a 

Quant  II  roi  eurent  le  païs  8505. 

Véu  et  a  leur  voloir  mis , 
Séjourner  vinrent  à  Dondieu , 
Car  c'estoit  d'Escoce  le  lieu 
U  Joie  amoil  miex  manoir. 
Pour  ce  i  vaurrent  souvent  manoir,  8510. 
Et  quant  il  voelient  ailleurs  vont 
Comme  cil  qui  maint  manoir  ont. 
Cesle  vie  lonc  tans  menèrent 
Et  ensamble  lour  vie  usèrent. 
Li  roi  et  la  roïne  ensamble, 
Et  U  senescax ,  ce  me  sambie , 
Et  les  filles  au  senatour. 
Toit  cil  s'entramèrent  d'amor. 
Et  la  roïne  eut  puis  enfans 
Pluiseurs,  si  com  je  sui  lisans  :       8530. 
ij  ailes  eurent  et  iij  flx 
Envers  qui  Dix  fu  moût  bontix  : 
Car  les  filles  furent  romes 
Et  tous  jours  vers  Dieu  entérines  (3), 
Et  li  troi  malle  furent  roy  ; 
Puis  essaucierent  bien  la  loy  ; 
Ensi  com  j'ai  dit  se  condinrent  (8) 
En  bien,  tant  c'a  bonne  fin  vinrent. 
Par  ce  rommans  poés  savoir. 


(l)  necreaveruHt,  ne  prirent  de  répit,  ne  s'arrêtèrent.  —  (2)  Peat-être  «  antennes  >, 
antêriofif ,  anierinœ.  Peut-Ctre  inlegerrimœ,  —  (3)  Continrent  ?  ..j 


136 


LA   MANEKINE. 


entliousiasme  ;  ils  vivent  paisiblement  désormais  dans  leur  châ- 
teau préféré ,  celui  de  Dundee ,  et  le  poète  achève  en  adressant 
une  admonestation  pieuse  aux  affligés  qui  doutent  trop  aisément 
de  la  compassion  divine. 


8530.  Vous  ki  le  sens  devés  avoir, 
Que  cascune  nécessité 
G'on  a  en  sa  carnalité 
Ne  se  doit  on  pas  desperer 
Mais  toas  jours  en  bien  espérer 
Que  de  çou  qai  griefmenl  nous  point 
Nous  remetra  Dix  en  bon  point. 
Anemi  sont  niout  engi^^neus 
Et  de  nous  avoir  convoiteus  ; 
Si  fait  sen  pooir  de  nous  mettre 

85d0.  En  desespoir,  pour  nous  demetre 
Hors  de  priiere  et  d'espérance 
Que  Dius  nous  ost  nostre  grevance. 
Se  vous  tenlaUon  avés 
Ou  aucun  grief  en  vous  savés , 
Prendés  garde  h  la  Manequine 
Qui  en  tant  d  anuis  fu  si  fine 
Que  par  deus  fois  fu  si  tentée 
N'onques  puis  n'eut  cuer  ne  pensée 
De  cbéoir  en  nui  desespoir. 

8550.  Ains  ert  tous  jors  en  Dieu  espoir 
Et  en  sa  benéoite  mère 
Qui  de  piUé  n'est  mie  avère. 
Tant  se  tint  en  bien,  tant  pria 
Qu'assés  plus  qu'ele  ne  pria 
Li  rendi  Dix  en  petit  d'eure. 
Pour  cou  lo  que  cbascun  iabeure 
A  soi  tous  jors  en  bien  tenir  ; 
Car  si  grans  biens  en  puet  venir 
Qu'il  n'est  nus  qui  le  séust  dire 

a560.  Ne  clers  qui  le  séust  descrire. 


N'il  n'est  riens  que  Dix  bée  tant 

Comme  le  fol  désespérant  : 

Car  icil  qui  se  desespoire 

Il  samble  qu'il  ne  voelle  croire 

Que  Diex  n'ait  pas  tant  de  pooir. 

Moût  est  fox  qui  en  a  redout 

Qu'il  puist  alégier  son  doioir 

Car  Dix  puet  bien  restorer  tout, 

Toutes  pertes  et  tous  tormens, 

Et  tous  pechiés  petis  et  grans  8570. 

Puet  bien  Dix  et  veut  pardonner  ; 

Mais  que  on  li  voelle  donner 

Le  cuer  et  c'on  se  lie  en  lui 

Et  que  on  croie  que  sans  lui 

Ne  puet  venir  biens  en  ce  monde  : 

Nus  biens  n'esl  se  Dix  ne  l'abondé. 

Il  fait  bon  tel  maître  servir 

El  sa  volenté  poursivir. 

Se  li  prions  que  tex  nous  face 

Qu'il  nous  voelle  doner  sa  grasce, 

Et  que  de  desespoir  nous  gart  85H0. 

Que  nous  n'aillons  a  maie  part. 

Et  vous ,  priiés  Dieu  qui  tout  voit 

Que  il  celui  grant  joie  otroit 

Qui  de  penser  se  vaut  limer 

Pour  la  Manequine  rimer. 

Dix  li  doinst  joie  et  bone  vie  -, 

Àm^n  cascuns  de  vous  en  die. 

Ici  en  droit  Pbelippes  flne 

Le  rommant  de  la  Manekine. 


ExplicU  le  romani  de  lo  Manekine, 


JEHAN  DE  DAMMÀRTIN  ET  BLONDE  D'OXFORD 


Le  second  roman  versifié  par  Beaumanoir  ne  contient  pas, 
comme  le  premier,  une  histoire  merveilleuse  répandue  en  d'au- 
tres contrées  de  l'Europe  et  qu'il  faille  tâcher  de  dégager^  pour 
le  lecteur,  de  sa  généralité.  C'est  seulement  l'histoire  banale, 
mise  au  mode  beauvaisin ,  d'un  jeune  gentilhomme  qui  va  courir 
les  aventuresi  et  ramène  au  pays  une  jeune  lady  qu'il  a  enlevée 
d'Angleterre  à  force  d'adresse,  de  séductions  et  de  violences.  Il 
l'épouse  dans  son  manoir  patrimonial  situé  à  Dammartin,  et  le 
roi  de  France  lui-même,  s'associant  à  la  joie  grossière  qu'exci- 
tent chez  les  parents,  amis  et  voisins  du  ravisseur  ses  exploits 
de  pirate,  gratiûe  le  jeune  couple  de  toutes  ses  faveurs.  Il  fait 
présent  à  Jehan  de  la  terre  et  comté  de  Dammartin.  On  est 
affligé  d'entendre  faire  un  tel  récit  par  un  grand  bailli  de 
France,  un  austère  contemporain  du  saint  roi  Louis.  A  ses  pre- 
miers pas  sur  le  sol  anglais,  le  jeune  écuyer  avait  eu  la  fortune 
de  rencontrer  un  très-grand  seigneur,  le  comte  d'Oxford,  et 
d'être  accueilli  par  lui  comme  un  llls,  sans  autre  garant  que  son 
joli  langage  et  sa  bonne  mine.  Le  comte  l'attache  sur  l'heure  à 
son  service,  l'emmène  h  son  château,  le  présente  à  sa  femme, 
en  fait  Técuyer  servant  de  sa  fille,  et  le  Français,  au  bout  de 
quelques  mois ,  avait  trompé  les  débonnaires  parents,  bafoué 
tous  les  naïfs  Anglais  et  enlevé  la  belle  personne  dont  il  était  le 
serviteur,  sans  que  l'auteur  voie  autre  chose,  dans  cette  série 


138  JEHAN   DB  DAMMARTIN    ET   BLONDE   D'OXFORU. 

(le  mauvaises  actions,  qu'un  intarissable  sujet  d'éloges.  Kt  c'est 
le  même  écrivain  qui  ne  peut  ni  prendre  ni  poser  la  plume 
qu'abîmé  à  deux  genoux  et  à  mains  jointes  dans  les  excès  de 
la  dévotion  la  plus  précieuse.  Il  est  bien  de  son  temps.  Ce  n'est 
qu'un  exemple  de  plus  de  cette  observation  qu'on  a  souvent  faite 
et  dans  la  prose  et  dans  les  vers  des  temps  les  plus  chrétiens 
du  moyen-àge,  à  savoir  qu'un  mauvais  entendement  de  la  vie 
s'allie  très-bien  avec  les  plus  religieuses  pratiques. 

Le  prénom  Jehan  s'est  trouvé  porté  par  le  comte  de  Dammartin 
qui  régna  depuis  l'an  127i  jusqu'à  la  fin  du  xm«  siècle  (l);  sauf 
ce  détail,  rien  dans  le  roman  n'est  d'accord  avec  l'histoire  et 
ne  lui  apporte  le  bénéfice  d'aucun  renseignement  sérieux. 

Quant  à  l'œuvre  littéraire,  aux  vers  mêmes  de  Reaumanoir, 
le  lecteur  se  joindra  peut-être  à  ceux  qui  en  ont  jugé  assez  favo- 
rablement pour  les  imprimer  ou  réimprimer.  On  peut  s'assurer, 
en  tout  cas,  dans  le  grand  Dictiminaire  de  la  langue  française 
par  M.  Littré,  que  les  deux  romans  en  vers  de  Beaumanoir  ont 
fourni  de  nombreux  et  bons  exemples  de  notre  vieux  langage  à 
ce  juge  éminent  qui  les  a  su  mettre  à  profit. 


(1)  Voy.  la  Notice  sur  les  comtes  de  DammarUn  par  M.  Léop.  Delisle. 
dans  les  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  France,  t.  xxxi. 


JEHAN  DE  DAMMARTIN  ET  BLONDE  D'OXFORD 


Philippe  de  Rémi  gourmande  ceux  de  ses  contemporains  qui 
viveut  confinés  dans  leurs  terres,  et  homme  de  progrès,  du 
moins  à  cet  égard,  il  veut  que  la  jeunesse  aille  voir  du  pays  et 
chercher  fortune  au  loin.  C'est  ce  qu'avait  fait  Jehan  de  Dam- 


Je  retral  (l)  qa'U  avient  à  maint  : 
Qui  honear  cace ,  bonear  ataint  ; 
Et  qui  à  peu  bée  (H)  à  peu  vient. 
De  ce  retraire  me  souvient 
Pour  aucune  gens  si  pereceuse 
Qu'au  mont  ne  sevent  fors  d'oiseuse, 
Ne  ne  béent  a  monter  point 
N'aus  a  lever  de  povre  point. 
Tex  bom  demeure  à  son  bostel 
10.  Qui  à  grant  paines  a  du  sel, 
Qui,  s'U  aloit  en  autre  tère, 
Il  sauroit  assés  pour  aquerre 
Honneur  et  amis  et  richece  ; 
Et  kl  ce  pert ,  par  sa  perece , 
n  en  doit  estre  mains  pristés 
Et  des  preudommes  desprisiés. 
Vous  avez  maint  homme  véu , 
S  il  ne  se  fuissent  esméu 


Hors  de  leur  lieu,  que  jà  ne  fuissent 

Si  honeré ,  ne  tant  n'eussent  30. 

De  sens,  de  richesse,  d'avoh*; 

Car  cascuns  monstre  son  savoir 

Miex  en  autre  païs  qu'el  sien , 

Et  plus  tost  en  vient  à  grant  bien. 

Quant  povres  jentiex  bom  demeure 

En  son  pals  une  seule  heure. 

On  li  devroit  les  iex  crever  ; 

Car  il  ne  fait  fors  que  grever 

Lui  et  tous  ses  parens,  qui  l'aiment  ; 

Et  U  autre  caitif  le  claiment,  30. 

Et  eskievent  sa  compaignle. 

Li  bomm ,  qui  demeure  en  tel  vie. 

Est  d'oneur  aquerre  pricheus 

Et  chaitis  et  inaleureus  ; 

Ou  pour  s'ame  sauver  se  rende , 

Ou  à  boneur  conquerre  entende. 


(1)  Je  réfléchis ,  retraetavi,  —  (2)  On  *  pen  abée  :  »  abtyer,  ad-haubêti. 


140 


JEHAN   DE  DAMMARTIN 


martin,  le  héros  de  ce  roman.  Jeune  gars  de  vingt  ans,  fils  aine 
d'un  honnête  gentilhomme,  Jehan  part  un  jour  pour  TAngleterre 
avec  Robin,  son  valet.  Il  traverse  de  Boulogne  à  Douvre,  et  en 


S'il  dist  :  «E  Je  ne  sai  ù  aler.  » 
De  çou  le  doil-on  mont  blasmer, 
Car  cascun  jor  ot-on  retraire 

40.  G'on  a  de  bone  gens  afaire 
Outre  mer  ou  en  le  Môurée , 
Ou  en  mainte  e^ange  contrée. 
Et  cist  dont  je  ce  conte  fas 
Si  preceas  estre  ne  vost  pas . 
Ains  ala  en  estrange  terre 
Pour  preu  et  pourhonnoar  conquerre, 
Honeor  cacha ,  à  tioneur  vint  ; 
Or  vous  dirai  comlnent  c'avint. 
li  ot  un  cbevalier  en  France , 

50.  Qui  ot  esté  de  grànt  vaillance 
Tant  comme  il  les  armes  maintint; 
Mais  par  aage  kl  U  vint 
Fu  à  son  tiostel  demourés , 
De  ses  voisins  fu  lionerés 
Por  le  bon  ostel  qu'il  tenoit. 
Moût  bonne  dame  à  famé  avoit , 
Dont  11  eût  enfans  dusk'à  .vl., 
.ij.  ailes  et  .iiij.  flz  vis. 
Tere  avoit  bien  cinq  cens  livrées , 

00.  Se  toutes  fuissent  délivrées 
De  detes  et  d'assenemens. 
En  sa  jonèche  a  fait  despous 
Pour  les  tournois  k'il  malntenoit, 
Dont  or  volenliers  s'aquitoK. 
Sa  tere  estoit  à  Dant  Martin  ; 
Illuec  estoit  soir  et  matin. 
Ses  ainsnés  flex  ot  non  Jebans , 
Sages ,  courtois  et  blaus  et  grans, 
Son  éage  à  .xx.  ans  puis  prendre. 

70.  Cil  Jeiians  vaut  à  bonour  tendre  : 


Sa  mère  que  envillir  voit 

Et  son  père  qui  moot  devoit; 

Ses  sereurs ,  ses  frères  aussi , 

Voit  que  tuit  sont  avoeques  li. 

Un  jour  pensa  que  son  tans  pert  : 

Assés  ert  ki  son  père  sert 

Sans  lui;  si  li  vint  en  talent, 

Gom  cil  qui  n'eut  pas  le  cuer  lent, 

Qu'il  s'en  iroit  en  Engletere. 

Ne  veut  pas  despendre  la  1ère ,        80. 

Que  ses  pères  tient,  folement, 

Ains  conquerra,  s'il  puet,  plus  grant. 

Ainsi  comme  il  pensa  le  fist. 
A  son  père  et  a  sa  mère  dist 
L'emprise  que  il  voloit  faire. 
Onques  ne  l'en  porent  retraire 
Pour  riens  qu'il  II  seussent  dire , 
Dont  il  eurent  al  cuer  grant  iré. 
Jebans  à  tant  son  oirre  (1)  atome 
Il  li  samblc  que  trop  sejome  ;  00. 

Un  cheval ,  sans  plus ,  bien  portant 
El  XX  (sous)  pri  tant  seulement , 
Et  .j.  garçon  qui  le  sivra 
Tant ,  sans  plus ,  mener  en  voira. 
S'il  volsisl  plus,  éust  assés  ; 
Mais  il  dist  que  trop  est  d'assés. 
Puis  a  parlé  à  ses  amis 
Et  a  à  aus  tous  congië  pris  ; 
Ses  frères,  ses  sereurs  baissa, 
Que  il  pour  lui  plourant  laissa.        100. 
Atant  s'en  part  o  son  varlet , 
Que  on  apelolt  Robinet. 
Sa  mère  et  son  père  a  laisslés 
Plourant  et  de  courous  plaissiés  (i); 


(1)  Son  erre,  soo  voyage,  errare;  ou  plutôt,  ici,  ilare  (ilUerare),  ittuerem  barb. 
pour  f>f .  —  (9)  Pticati,  plies,  abattoi;  iiXéxb),  et  le  <  plaissœ.  >  Manek.  :  v.  1317. 


ET   BLONDE   D'OXFORD. 


141 


cheminant  vers  Londres  il  fait  rencontre  d'un  seigneur  anglais, 
le  comte  d'Oxfort,  qui,  sur  sa  bonne  mine,  rengage  à  son 
service  comme  écuyer.  Arrivé  à  son  château ,  le  comte  le  pré- 
sente à  sa  femme,  et,  voyant  ce  jeune  homme  intelligent  et  bien 


Et  il  de  son  pals  s'eslonge , 
Com  cil  qui  le  repos  ne  songe. 
Ne  flna  ains  vint  à  Bonloigne  ; 
Illaec  poorcacha  sa  besolgne 
Tant  que  il  eat  quis  .j.  valssel 

110.  Sar  coi  il  passa  le  missel. 
En  tme  nef  as  marceans 
Arriva  au  Doavre.  Jehans 
Cane  nuit  n'i  vaut  sejomer, 
Ains  fa  montés  à  l'ajoamer. 
Vers  Londres  son  chemin  alceat  (l) 
Car  c*est  la  vile  ù  aler  veat. 

Un  joar,  si  comme  il  cemiDoit, 
Ataint  un  conte  ki  venoit 
De  besoigner  devers  la  mer 

liO.  Et  devoit  à  Londres  aier, 
Ou  ert  d'EDgles  H  parlemens. 
A  sa  maisnie  enqoist  Jehans 
Qai  il  ert,  et  il  U  contèrent  : 
La  vérité  n'i  oublièrent , 
Que  c'ert  li  quens  du  Senefort, 
D'an  riche  «pastel  bel  et  fort 
Et  quant  Jehans  l'a  entendu , 
A  lui  vient,  plus  n'a  atendu  : 
En  son  françois  l'a  salué , 

130.  Et  li  qaens  n'i  a  delué , 

Qui  le  françois  seut  bien  entendre  -, 
En  France  eut  esté  pour  aprendre. 
Ains  le  bienvlegne  et  il  enquiert 
Quant  il  de  France  partis  si  ert, 
Et  quel  besolgne  est  venus  querre, 
Por  coi  il  parti  de  sa  terre. 
Jehans  11  dist  :  «  Sires ,  pour  voir, 


c  De  mol  vous  conterai  le  voir  : 

X  Je  sui  uns  povre  Jentlex  hom 

«  Qui  n'a  nul  maistre  se  Dlu  non.    140. 

«  Si  passai  la  mer  pour  savoir 

«  se  je  poroie  un  maistre  avoir 

c  Qai  le  mien  service  apréist , 

ce  Et  ki  selonc  cou  me  félst 

«c  Qae  il  verrolt  en  mon  servlse.  » 

«  —  Par  fol  ce  vous  vient  de  franchise, 

«  Fait  11  quens,  que  maistre  querés  I 

«  Se  11  vous  plaist  à  mol  serés , 

«  Mes  esculers  de  mon  hostel. 

«  —  Gransmercis,slre,nevoelel(2).  150. 

«  Moût  me  faites  grant  courtoisie 

«:  Qui  me  retenés  de  maisnie. 

«  —  Gomment  avés  non,  blans  amis? 

«  —  Sire,  Jehans  me  fu  nons  mis. 

«  —  Jehan,  dist  U  quens,  amis  ciers, 

c  Je  vous  retleng  roout  volentiers 

c  Des  maintenant  comme  escuier.  » 

Jehans  l'en  prist  à  merciier. 

Ensi  fu  Jehans  retenus. 
Et  il  s'est  si  blau  maintenus  160. 

Qu'ançois  que  à  Londres  venlssent 
Tait  si  compaignoD  le  chlerissent. 
A  Londres  vinrent  .j.  mardi  ; 
.].  hostel  bel  et  bien  garni 
Eurent,  ù  11  quens  sejoma 
Tant  que  11  Parlemens  dura. 
LI  quens  menga  avoec  le  roi , 
Et  Jehans  servi  devant  sol , 
Qui  moût  bel  acohitier  (3)  se  sot , 
Ne  se  flst  pas  tenir  pour  sot.  170 


(1)  Aceolligit,  prend  (  v.  2764.  —  (8)  Aliudf  —  (3)  irf-çowi/ifln  H»arb.  (comem  esse, 
comiter  utij;  cf.  cuens.  On  le  dérive  conmonément  de  l'iUlien  eonto,  ami  feognitusjf 


142 


JUIIAN   DK   DAMMARTIN 


fait,  il  croit  tout  naturel  de  rattacher  spécialement  au  service 
de  sa  lille,  charmante  personne  appelée  Dlonde.  Jehan  est  d'a- 
bord un  écuyer  parfait.  Ce  n'était  pas  difficile.  Sa  grande  besogne 
était  de  servir  sa  demoiselle  à  table  et  de  découper  pour  elle. 


De  servir  devant  grant  segnour 
Ne  troavast  on  servant  miilor, 
Plus  courtois  ne  plus  avenant , 
N*en  toutes  coses  plus  servant. 
Quant  li  parlemens  départis 
Fa,  si  s'en  est  li  quens  partis 
Pour  aler  vers  Osenefort , 
A  grant  joie  et  à  grant  déport. 
Cevaucierent  tant  qu'il  i  vinrsnt , 
180.  Duskes  là  petit  sejor  Unrent. 
La  contesse  bel  les  reçut, 
Qui  son  segnour  ama  et  crut. 
Et  li  quens  si  U  a  conté 
Li  sens ,  la  valour,  la  bonté 
De  Jeban ,  son  servant  nouvel. 
La  dame  Tôt ,  moût  l'en  est  bel , 
Et  dist  :  «  Sire ,  se  il  est  tex 
«Que  Yout  dites,  si  m'aït  Dex, 
«  Requerre  et  priier  vous  vaurroie 
100.  «c  Qa'à  votre  ûlle  et  la  mole 
«  Le  méissiés  pour  li  servir, 
«  Se  il  li  venoit  à  plaisir. 
«  Car  nous  dui  n'avons  plus  d'enfans 
c  Et  s'est  desore  mais  bien  tans 
c  Qu'ele  ait  o  li  un  escuier 
<c  Qui  sacbe  devant  li  trenchier. 
«  —  Certes,  dame,  respont  11  quens, 
c  Cis  consax  me  sanle  moût  boens, 
<c  Se  il  H  plaist  qu'il  i  voelle  estre 
300.  r  Miex  m'en  embelira  son  estre , 
«  Et  je  le  saurai  en  peu  d'eure.  » 
Dont  apèle ,  sans  demeure, 
Jehan,  qui  n'estoit  mie  loing, 
Car  il  n'avoit  pensé  ne  soing 


Fors  à  son  signor  près  sivir 

Pour  sa  volenté  poursievir. 

Quant  il  lot  celé  part  ala. 

Et  li  quens  adonl  l'aparla 

De  çou  qu'il  orent  devisé. 

c  Jehan ,  dist-il ,  entr'avisé  210. 

«:  Nous  sommes,  la  contesse  et  moi, 

a  Que,  s'il  vous  plaist,  priier  vous  doi 

«  Que  vous  à  ma  Ulle  soilés. 

«  Et  sachiés ,  se  vous  empioiiés 

«:  Vostre  sens  en  li  bien  servir 

c  Mon  gré  en  poriés  desservir, 

c  Ensement  la  gré  la  contesse. 

«  Mais  or  n'aiiés  al  cuer  destrèce 

«  De  faire  çou  que  je  vous  di , 

«  Car  pour  vostre  preu  le  vous  pri.  220. 

«c  —  Sire,  Jehans  a respondu , 
«  Vostre  gré  ai  bien  entendu  ; 
«  De  faire  vostre  volenté 
«  Ves-mol  prest  et  entalenté  ; 
«  Et  moût  me  plaist,  et  bien  me  balte  (i) 
«  Que  moût  grant  boneur  m'avés  faite 
(C  Sans  plus  de  la  requeste  faire. 
«  Or  me  dolnst  Dix  service  faire 
<c  De  coi  je  puisse  avoir  vos  grés.  » 
Dist  la  dame  :  «  Bien  dit  avés.  »      2ao. 
Et  II  quens  forment  l'en  mercie , 
Et  de  11  bien  servir  li  prie. 
Puis  l'ont  mené  devant  leur  fille , 
Qui  nature  mie  n'a  ville , 
Et  h  dlent  qu'à  escuier 
Li  voelent  ce  francois  baillier. 
La  damoisele  bien  l'ottroie 
El  moût  en  a  au  cuer  grant  joie. 


(1)  Me  fait  aise.  Voir  Addilions. 


ET    BLONDE  D  OXFORD. 


143 


Mais  bientôt  il  devient  rêveur,  distrait;  il  s'oublie  à  regarder  la 
jeune  fille;  11  ne  voit  plus  qu'elle,  et  en  découpant  un  rôti  il 
s'entaille  deux  doigls.  L'émotion,  non  la  douleur,  le  met  hors 
de  lui;  il  court  s'enfermer  dans  sa  chambre,  exhale  ses  dou- 


Or  a  Jehans  en  itel  guise 

340.  GaDgié  son  premerain  servise 
  tant  forent  les  tables  mises 
Et  dessus  les  hestols  assises  ; 
Si  s'assist  li  quens  premerains 
Et  puis  li  autre  qui  ains  ains. 
Et  Jehans  servi  de  trencier 
Sa  damolsele  au  cors  legier. 

La  damoisele  ot  à  non  Blonde , 
Ce  fu  bien  drois  qu'en  tout  le  monde 
Ne  porta  famé  si  bel  chief. 

250.  Or  ne  vous  soit  d'escouter  grief 
Se  je  de  li  un  poi  paroU. 
Il  samble  que  tout  si  chevoil 
Soient  de  fin  or  reluisant , 
Et  si  lonc  sont,  qu'en  déduisant, 
Li  vont  .ii.  tours  entor  la  teste. 
Bien  devrolent  mener  grant  feste 
Les  oreilles  qui  ce  soustienent  ! 
Si  font-eles ,  qu'eles  se  tienent 
De  U  servir  apparillies , 

d60.  Belles  et  blances  et  délies. 

Après  de  son  front  vous  renonce 
Qu'il  est  blans,  onnis  (1)  et  sans  fronce. 
Desous  le  front  sont  si  sorcil 
Brunet  et  estroit  et  soutii. 
D'entre  les  sorcix,  à  compas. 
Muet  ses  nés,  trop  haut  ne  trop  bas. 
N'est  pas  camuse  ne  bekue 
De  che  l'a  ses  nés  desfendue  ; 
Par  entre  ses  biaus  ex  descent 

£70.  Du^k'à  son  droit  avenanment. 
Et  de  ses  iex  que  vous  dlroie  ? 
Trop  de  mon  tans  i  meteroie 


Se  tout  voloie  deviser 

çou  que  on  i  puet  aviser. 

Il  sont  vair  et  cler  et  luisant 

Et  plain  d'un  regart  atraiant, 

SI  souUi  et  si  englgneus 

Qu'il  n'est  nus,  tant  fust  malineus, 

Santés  ne  li  fust  revenue 

S'il  apercevoit  sa  véue.  S80. 

A  près  tex  ex  avûit  la  factie , 

Qui  sa  biauté  mie  n'esface , 

Plus  vermelle  que  nule  rose  ; 

Et  en  sa  vermill^e  close 

Avoit  une  couleur  plus  blance 

Que  n'est  la  noif  deseur  la  brance, 

Quant  eie  est  nouvele  chéue. 

Si  soutilment  entr*abatue 

S'est  l'une  couleurs  dedens  l'autre 

Que  on  ne  set  de  Tune  à  l'autre        ^90. 

La  quele  à  la  millonr  parUe. 

Aingalment  a  Dix  deparUe, 

La  face  al  blanc  et  al  vermeil. 

De  sa  bouce  me  resmerveil. 

Se  Dix  meismes  ne  la  flst , 

Comment  nature  s'entremist 

De  nule  tel  coso  pourlralre. 

Mont  fu  sages  qui  la  sot  faire , 

Car  ele  est  peUte  à  compas. 

Ses  deux  levretes  ne  sont  pas        300. 

Tenuenes,  mais  par  raison  grossètes 

Et  plus  que  graine  vermilletes. 

Quant  ele  les  oevre  .j.  petit 

Au  mengië,  u  quant  ele  rit, 

U  quant  il  li  plaist  à  parler, 

Si  puet  on  par  mi  esgardre 


(1)  Uuiius,  DJii. 


144 


JEHAN   DE  DAMHARTIN 


leurs  dans  un  long  monologue  et  finit  par  tomber  dangereu- 
sement malade.  On  vient  le  voir  (578),  on  le  soigne,  on  le 
cajole;  mais  Blonde  seule  le  guérit  en  lui  laissant  concevoir 


Uns  peUs  dens  qai  s'enlretienent 
Et  8i  d'an  acort  s'entremènent . 
Que  li  uns  l'autre  point  ne  passe, 

310.  Et  la  coalors  d'aus  argent  passe. 
Quant  ele  dist  aucune  cose 
Par  quoi  sa  bouchèle  est  desclose, 
De  s'alaine  ist  si  douce  odeur 
Que  de  bosme  ne  vient  grigneur. 
Jamais  nul  courous  cil  n'auroit 
Qui  une  fois  le  baiseroit. 
Desous  sa  bouce  a  un  menton , 
Onques  si  bel  ne  vit  nus  bom , 
Un  peu  fourcié  et  est  plus  blans 

320.  Que  li  solaus  en  esté  tans. 
Gorge  ot  bêle  et  bien  agensie , 
Que  Dix  meismes  lot  taillie , 
Tenre  et  blance.  longue,  classëte  (l), 
Ains  mais  ne  Tu  tel  gorge  faite. 
Ne  quidiés  que  vaine  ne  os 
I  perent  (-2)  ;  jà  n'erent  si  os  (3). 
Qui  de  bien  près  Tesgarderoit , 
Quant  ele  vin  rouge  buvroit 
On  il  verroit  bien  avaler, 

330.  Et  par  mi  la  gorge  couler. 
Le  coi  dusk'à  chevex  derrière 
A  tout  d'aussi  faite  manière 
Comme  sa  gorge  par  devant. 
De  son  cors  mie  ne  me  vaut 
Que  tout  le  puisse  deviser  ; 
Mais  cou  que  J*en  puis  aviser 


Vous  retrairai-ge  volenUers  ; 
Car  uns.  ne  doit  estre  ianiers  (l) 
De  loer  bone  femme  et  bêle. 
Li  bras  de  celé  damoisele 
Estoient  lonc  et  bien  assis  ; 
Si  beles  mains  comme  à  devis 
Avoit ,  et  mervelles  biaus  dois 
Longues  et  déliés  et  drois. 
Graille  (5)  ertpar  costes  et  par  flans; 
Vous  l'enclosissiés  en  .ij.  gans. 
Plus  largete  ert  parmi  le  pis  (6), 
N'en  vatoit  pas  sa  biauté  pis. 
Des  mameletes  qui  U  poignent 
La  cote  un  peUt  li  aioignent, 
Dont  ele  li  est  miex  séans  ; 
Duretés  furent  de  printans. 
Longue  fa  et  droite  et  greslete 
De  pies  et  de  gambe  bien  faite. 
Ne  fu  trop  crasse  ne  trop  magre , 
Ne  de  folemenl  parler  aigre  ; 
Que  .xviij.  ans  n'avoit  d'âge. 
Un  peu  parroit  à  son  langage 
Que  ne  fu  pas  née  à  Pontoise  (7). 
Si  fu  sage  simple  et  courtoise , 
Que  nus  qui  au  main  la  véist 
Le  jour  puis  ne  U  meskéist  (8) 
Se  ne  (9)  fust  sans  plus  par  pensée. 
Tel  vertu  li  ot  Dix  donée. 
A  tel  maistre  est  JebaQs  remés  (10). 
Or  se  gart  qu'il  n'en  ait  griettés  (U) 


3i0 


350. 


300. 


(1)  Probablement  pour  crassète ,  diminut.  de  crassa ,  grasse.  —  (2)  Appareant*  — 
(3)  Àun,  osés..  —  M)  Paresseux,  languidw ,  ianguidiorf  —  (5)  Graeilis,  gr£le*  — 
(6)  Poitrine,  ptctui,  —  (7)  Ces  deux  vers  semblent  faire  allusion  k  une  chanson  célèbre 
de  Qoesnes  de  Déthnne.  —  (8)  Mescûdistet,  mal  (^chût.  —  (9)  Il  faot,  je  crois,  S'ele 
fust»  Celui  qui  la  voyait  le  matin  avait  du  bonheur  pour  tout  le  jour,  rien  qa*en  pensant 
k  elle.  —  (10)  Remanens,  ou  plutôt  un  participe  passé  formé  de  remanere  :  manant,  serf. 
—  (11)  Chagrins,  gravitâtes. 


£T    BLONDE  D'OXFORD. 


145 


quelque  vague  espérance.  Jehan,  bientôt  remis  sur  pied,  s'aper- 
çoit que  c'est  par  pure  bonté  qu'on  l'a  flatté  d'une  illusion,  et  sa 
demoiselle  ne  lui  cache  pas  que  donner  à  lui  son  amour  serait, 
pour  elle,  trop  s'abaisser.  Le  pauvre  Jehan  retombe tiussitôt plus 


Certes  je  caic  que  non  fera  ; 
Jà  si  bien  ne  si  gardera 
Qu'il  n'en  ait  assés  à  souffrir 

370.  Tant  com  ses  cuers  pora  souffrir. 
Tant  et  plus  beie  que  ne  conte 
Fu  Blonde ,  la  fille  le  conte. 
Au  mengier  siet  :  Jehans  la  sert , 
Qui  le  cors  a  gent  et  apert. 
Moût  se  paine  de  biau  servir 
Pour  le  gré  de  tous  desse[r]vir. 
Ne  sert  pas  sa  dame  sans  plus , 
Mais  chà  et  là  et  sus  et  jus , 
Chevalier,  dames ,  escuiers , 

380.  Vallès ,  garçons  et  messagiers , 
Et  cascnn  veut  faire  son  gré  -, 
Ainsi  conquiert  de  tons  le  gré. 
Il  set  moût  bien  espiier  l'eure 
Qu'il  chascun  serve  et  honeure  ; 
En  tel  point  que  jà  pis  servie 
N'en  ert  Blonde  la  bien  tailiie. 
Après  manger  lavent  leur  mains , 
Puis  s'en  vont  juer,  qui  ains  ains, 
Ou  en  forés  ou  en  rivières , 

390.  On  en  déduis  d'autres  manières. 
Jehans  au  quel  que  il  veut  va 
Et  quant  il  revent  souvent  va 
Jouer  es  chambres  la  contesse, 
0  les  dames ,  qui  en  destrèce 
Le  tienent  d'aprendre  françois. 
Et  il  fait  et  dist  com  courtois 
Quanqu'eles  11  voelent  priler, 
Com  cil  qui  bien  s'en  seut  aiJier. 
De  jus  de  cambres  seut  assés , 


D'esches,  de  tables  et  de  dés  (1),       400. 
Dont  il  sa  damoisele  esbat, 
Souvent  li  dist  eschek  et  mat. 
De  maint  jeu  à  juer  laprist, 
Et  en  miUeur  françois  le  mist 
Qu'ele  n'estoit  quant  à  li  vint , 
Par  quoi  ele  moût  chier  le  tint 
Car  il  met  son  pooir  de  faire 
Quanqu'il  cuide  qu'il  li  puist  plaire. 
.L  peu  de  tans  fn  moût  à  aise . 
Qu'avis  H  est  c'a  chascun  plaise      410. 
çou  qu'il  fait,  qu'il  dist  et  qu'il  veut. 
Mais  pour  çou  pas  en  lui  ne  kent 
Desdaing ,  orguel ,  il  n'en  a  cure  ; 
Mais  en  mix  servir  met  sa  cure. 
Si  néis  (2)  as  [tous?]  en  viens , 
Qui  sont  félon  et  anieus , 
Tolt-il  par  son  sens  le  parler, 
Que  il  ne  le  puissent  blasmer. 
Se  lontans  tel  vie  menast 
Ses  afaires  moût  bien  alast  ;  420. 

Mais  amours  li  mua  son  siège , 
Plus  court  le  tmt  que  leu  à  piège. 
Onques  n'en  souffrit  tant  Tristans 
Comme  il  flst  en  un  peu  de  tans. 

Un  jour  séoit  Blonde  an  mengier, 
Jehans  dut  devant  li  trenchier 
Gomme  il  avoit  eu  a  coustnme. 
Mais  tex  cuide  salir  qui  tume  (3}  : 
Par  aventure  sa  véue 
Jeté  à  celi  qu'il  ot  véue  430. 

Passé  ot  .xviij.  semaines  ; 
Mais  onques  mais  à  si  grant  paines 


(1)  V07.  La  Manekine,  v.  1366.  —  (2)  Nequitivusf  barb.  formé  sur  nequitia  :  mali- 
cieux, rosé.  —  (3)  Tumer  on  Ihumer  pour  tomber;  voy.  DocaDge,  ▼"  tombare, 

T.  VllI.  iO 


U6 


JKliAIS    DK    UAMMARTIN 


malade  que  jamais,  eu  sorte  que  Blonde,  touchée  et  le  voyant 
prêt  à  mourir,  consent  à  lui  promettre  sa  foi.  Le  poète  introduit 
auprès  d'elle  plusieurs  personnes  fort  à  la  mode  alors  et  depuië  : 


Ses  ex  arrière  ne  saca , 

C'a  (1)  par  force  à  li  les  saclia  i2) 

La  grant  biauté  sa  damoisele. 

Tant  entend!  à  tel  qaerele 

Que  le  trencbier  en  oublia 

Si  longuement  qa'ele  11  a 

Dit:  «  Jeban  trenchiés,voas  pensés.  » 

440.  A  dont  s'est  Jehans  repensés  ; 
Si  trence ,  et  fu  moat  abaabis 
Des  mos  qa'ele  li  avoit  dis  ; 
Car  onques  mais  de  servement 
Tfe  li  convint  faire  commant. 
Si  se  mervelie  dont  ce  vint 
G'orendroit  ensi  li  avint. 
Ses  ex  pais  ce  mot  reposa , 
Que  plus  regai'der  ne  l'osa 
Tant  comme  dura  cis  niengieis. 

4^.  Si  i'esgardast  il  volentiers 
Plus  que  il  ne  flst  onques  mais , 
Car  il  est  de  Tare  d'amours  trais 
Gaus  (3)  est  en  tel  désirier 
Dont  il  eut  maint  grant  encombrier. 

Cel  jour  puis  ne  la  regarda , 
Dusk'à  l'en  demain  s'en  garda 
Qu'ele  fu  au  disner  assise. 
Àdonc  r'a  Jebaiis  paine  mise 
À  U  servir  si  comme  il  seut 

460.  Mais  U  désirs,  dont  U  se  deut» 
Li  fait  jeter  les  ex  à  celé 
Dont  il  esprent  de  l'estinceLe. 
Si  ententivmenl  le  regarde 
Que  de  riens  ne  se  donne  garde 


Fors  sans  plus  de  li  esgarder. 

Là  seat-il  son  sens  mal  garder, 

Car  par  cel  fol  regardement 

Dut  morir  sans  recouvrement. 

Du  regart  en  tel  penser  vint 

Que  de  trencier  ne  li  souvint.  470. 

Blonde ,  qui  si  le  voit  penser, 

De  (c)el  penser  le  veut  tenser  ; 

Si  li  dist  que  il  pense  test , 

Mais  il  ne  l'entent  pas  si  tost. 

Puis  li  redist  :  «  Jeban,  trenchiés  ! 

«  Dormés-vouscbijOuvoussongiés? 

«  S'il  vous  plaist,  donésm'àmengier; 

«c  Ne  ve  welliés  or  plus  songier.  » 

A  cel  mot  Jehans  l'entendi  ; 

S'est  tressalis  tout  autressi  480. 

Com  cil  qui  en  soursaut  s'esveille. 

De  s'aventure  s'esmerveille. 

Tous  abaubis  tint  son  coûte! , 

Et  quida  trencbier  bien  et  bel  ; 

Mais  de  penser  est  si  destrois  (4) 

Que  il  s'est  trenciés  en  .ij.  dois  ; 

Li  sans  en  saut  et  i!  se  liève. 

Blonde  le  voit  forment  li  griève. 

Jebans ,  à  un  autre  escuier, 

Fist  devant  sa  dame  trencbier,        490. 

Puis  s'en  est  en  la  cbambre  aies 

De  son  premier  sens  tresalés  (5). 

D'un  cuevrecief  ses  dois  lia 

Une  damoisele  qui  a 

Gourous  de  çou  qu'il  est  bleciés, 

A  tant  s'est  sur  un  lit  coudés 


(1)  u  faudrait  Que,  —  (2)  Saccare  est  passer  au  saccus,  filtrer;  en  lias  latiu  :  mettre 
en  sac.  Le  mot  roman  si  commun  :  sacqnier,  sacliier  (tirer,  lancer),  n'y  a  aucun  rapport  ; 
il  est  le  prodoit  de  sagittare.  Je  n'ose  croire  que  l'auteur,  en  mettant  saca  et  sacha,  ait 
voulu  dire  saccavit  et  sagiitovii  :  il  semblerait.  —  (3)  Calidus,  —  f4)  Distraetus»  — 
(5)  TraHS'  êtiiltUf  santé  bars  de  sens  ;  ajout*  v.  480. 


BT    BLONOK   D  OXPORD. 


147 


Pitiés,  Franchise,  Raisons,  Monstrance,  Amours,  dont  les 
conseils  la  décident.  Elle  finit  par  aller  consoler  son  jeune  écuyer, 
et  de  jour  et  de  nuit,  sans  consentir  pourtant  à  se  déshonorer 
par  Toubli  total  de  ses  devoirs.  Derechef,  Jehan  se  porte  mieux 


R'aler  n'ose  là  où  on  sert. 
Blonde ,  pour  che  qa'ii  ainsi  pert 
Toat  son  seos  et  sa  contenance , 

500.  Mont  a  le  cuer  en  grant  balance. 
Or  a  Jchans  d'amours  j.  saing, 
Ce  fa  son  premerain  gaaing. 
Sur  .j.  lit  se  prent  à  complaindre 
D'amours  qui  H  fait  coulear  taindre. 
— Quant  on  eut  mengié  par  léans, 
Et  il  eurent  lour  mains  lavées , 

580.  SI  se  sont  les  dames  levées, 
Puis  vont  en  leur  cambres  seoir. 
Hais  Blonde  va  Jeban  veoir  ; 
Ele  le  trouva  sur  .j.  lit. 
Mais  si  tost  com  Jebans  le  vit 
En  peu  d*eure  se  fa  dréciés  : 
«  Jehan ,  estes-vous  moût  bléciés, 
«  Fait-ele,  comment  vous  est- il? 
«  —  Certes  »  dame ,  fait-il ,  oil. 
«  Ne  sai  comment  fui  atrapés , 

590.  «  Je  me  sut  dusk'à  l'os  colpés. 
«  Mais  ne  me  caut  de  eele  plaie , 
«  Je  croi  c'autre  maladie  aie , 
4c  Car  Irestous  descoragiés  sui , 
«  Ne  pauc  mengier  ne  hier  ne  hui. 
«  Si  senc,  à  mon  cuer,  grant  contraire 
«  Que  ne  sai  que  je  doie  faire. 
«  —  Certes  Jehan  de  çou  me  poise, 
c  Fait  Blonde,  qui  moût  fu  cortoise-, 
«  De  viandes  bien  vous  gardés 

600.  «  Et  vostre  voloir  demandés 
«  Tant  que  vous  serés  bien  garis. 
t  — Dame,  dist  Jebans,  grant  mercis.  » 


Puis  dist  entre  ses  dens,  souef  : 
«  Dame  vous  enportês  le  clef 
c  De  ma  vie  et  de  ma  santé 
«  Dont  je  sui  en  tel  orfenté  (l;i  » 
Mais  Blonde  n'oY  pas  ces  mos , 
Car  entre  ses  dens  les  tint  clos. 

Atant  a  pris  congié  à  lui 
Gelé  pour  qui  il  a  anui,  610. 

Puis  s'est  issue  de  la  chambre. 
Mais  cil  à  cui  doelent  ii  membre, 
La  convoie  de  sa  véue 
Tapt  qu'ele  est  de  la  cambre  issue. 
Et  quant  la  parois  les  départ 
Et  dessoivre  (i)  de  son  esgart, 
Pasmés  est  cbéus  sur  le  Ht, 
Si  ke  ses  garçons  qui  le  vit 
Guide  qu'il  se  doive  morir. 
Mais,  à  chief  de  pièce,  un  souspir      620. 
Jeta  du  cuer,  de  mult  parfont 
A  tant  dames  venues  sont , 
Que  Blonde  ot  à  li  envoiiés , 
De  lui  servir  apparilliés. 
D'un  capon  atorné  moût  bel 
De  chières  herbes  au  caudei  (3), 
Li  cuidiërent  faire  mengier  ; 
Mais  ains  ne  s'en  peut  aengier  (4), 
Dont  as  dames  pesa  forment. 
Blonde  le  disent  erroment  6â0. 

Que  Jehans  ne  puet  mengier  mes  : 
«  Certes,  fait-ele,  n'ea  puis  mes, 
«  Moult  m'anuie  sa  maladie , 
€  Garmervelles  bien  m'a  servie  (5).» 
Et  Jehans ,  qui  amours  demainne. 


(1)  Pag.  99,  0.  1.  —  (S)  Disseporot,  barb.  —  (3)  A  l'étovée ,  par  an  diminit.  de  coh 
4arium.  —  (4)  àd-éngere;  adingerere  couTiendrait  mieni  an  sent*  —  (6)  Le  copiste  a 
mis  tervite. 


148 


JEHAN   DE   DAMMARTiN 


que  jamais.  —  Ils  vivaient  ainsi  lorsqu'arrive  ua  jour,  pendant  le 
diner,  un  message  de  France  (1631)  pour  annoncer  à  Jehan  que 
son  père  est  à  Tarticle  de  la  mort,  et  qu'il  faut  à  l'instant  re- 
tourner. Douleur  des  deux  amants;  adieux  pleins  de  promesses; 


Fu  et  ]or  et  nuit  en  tel  paine 
Que  sur  pies  mais  ester  ne  paet  ; 
Du  tout  à  cboaeier  U  esluet , 
Tant  est  ses  caers  en  grant  malaise 

640.  Qu'il  ne  voit  cose  qui  \i  plaise. 
Amours  si  crnelment  l'assaut 
Que  ore  à  froit  et  ore  à  chaut  ; 
Une  heure  pense,  autre  se  plaint. 
Amers  il  fait  faire  tor  maint  : 
PeUtmengue,  petit  dort, 
Peut  espolre  de  confort , 
Petit  mais  son  afaire  prise, 
Petit  cuide  avoir  de  s'emprise , 
Petit  prise  mais  son  afaire , 

(>'>0.  Petit  cuide  mais  son  bon  faire. 
Ne  puet  mengier  vin  ne  viande , 
Fors  quant  sa  dame  U  commande. 
Tant  comme  ele  lés  lui  se  tient , 
Tant  un  peu  de  joie  il  vient  ; 
Et  quant  ele  s'en  est  tournée 
S'est  sa  joie  en  dolor  tournée. 
Li  qnens  et  o  li  la  contesse 
Oïrent  conter  sa  destrèce , 
Dont  11  ne  furent  mie  Ué. 

060.  Veoir  le  vout  moût  courecié , 
Se  li  demandent  qae  il  a , 
Mais  il  mie  dit  ne  leur  a 
Tout  le  voir  de  sa  maladie. 
Sans  plus  U  dlst  que  son  cuer  lie 
Ne  sai  quel  goûte  que  U  sent 
Qui  moût  le  destralnt  durement. 
Li  qnens  son  fùsessien  mande  : 
Si  11  prie  et  si  li  commande 


Que  il  de  li  garde  prélat 

Et  en  garison  le  méist.  670. 

Li  maistres  dist  que  bonement 

Fera  le  sien  commandement  ; 

Puis  U  taste ,  qu'il  n'i  arreste , 

An  pous  du  bras ,  puis  U  arreste , 

Puis  a  regardée  s'orine  (i); 

Mais  il  ne  set ,  s'il  n'adevine , 

Nule  riens  de  sa  maladie  ; 

Ains  dist  qu'il  ne  s'i  connoist  mie. 

A  tant  se  partirent  de  lui 

Cil  qui  de  son  mal  ont  anul ,  680. 

Et  il  demeura  en  son  lit 

U  il  avoit  peu  de  délit. 

En  tel  paine  fa  .v.  semaines , 

Tant  eut  de  torment  et  de  paines  {%, 

Qu'il  n'eût  fors  le  cuir  et  les  os  ; 

A  paine  fourme  mais  ses  mos. 

Il  n'atent  mais  fors  que  la  mort, 

Dont  jà  ne  quide  avoir  confort. 

Blonde ,  qui  en  tel  point  le  voit, 
Se  mervelle  moût  que  ce  doit  (8),     690. 
Qu'ele  ne  voit  fisiciien 
Qui  sace  de  son  garir  rien. 
Un  jour  li  souvint  du  regart 
Dont  ele  le  tint  à  musart  (i), 
Le  jour  que  il  ses  dois  trencha 
Quant  de  son  penier  l'estança. 
Après  çou  s'est  apercéue 
Que,  quant  devant  li  est  venue , 
Si  volentiers  vers  li  esgarde 
Que  d'autre  rien  ne  se  prent  garde.  700. 
Pour  che,  se  d'amours  riens  séust, 


(I)  Son  urine.  —  (2)  Le  scribe  a  mis  :  de  paine  et  de  tormeul.  -^  (3)  Quid  hoc  ducat. 
—  (4)  Voy.  p.  98,  n.  3. 


ET    BLONDE   D  OXFORD. 


149 


bonté  du  comte  qui  assure  Jehan,  s'il  veut  revenir,  qu'il  le 
prendra  pour  sénéchal  d'Oxfort.  Les  deux  amants  se  font  leurs 
adieux  pendant  la  nuit,  sous  un  arbre,  probablement  le  plus 
touffu  qu'il  y  eut  autour  du  château ,  mais  qui  n'était  qu'un 


Sa  maladie  connéost; 
Ne  poQrqaant  on  petit  s'avise 
Qu'il  ait  en  lai  s'enteote  mise  ; 
Mais  ne  quide  pas  qae  d'amors 
Puist  nas  soailirlr  si  grans  doiors, 
Si  est  en  malt  grant  de  savoir 
Qael  maladie  il  puet  avoir. 
Un  jour  le  vint  seule  véoir, 

710.  Et  dessar  s'esponde  vD  seoir, 
Et  il,  dapooir  que  lia, 
Moat  dorement  la  bien  viegna. 
«  Jeban,  fait-ele.  biaus  amis, 
«  Car  me  dites  qai  vous  a  mis 
«  En  tel  point  com  je  clii  voas  vol? 
«  Savoir  le  voel ,  dites-le  moi. 
«  Pour  celé  foi  qae  me  devés 
<c  Vous  pri  qae  ne  le  me  celés, 
c  Dites-le  moi  hardiemenl  ; 

7-20.  «  Car  je  vous  créant  Loial  ment, 
«  Se  garison  qoerre  vons  pais, 
c  Jà  malades  ne  serés  pals.  r> 

Qaant  Jebans  oï  la  raison 
Qa'ele  il  qaerroit  garison 
Se  ele  en  avoit  le  pooir, 
Un  peu  il  revint  d'espooir, 
Car  il  set  bien,  s'il  11  plaisoit, 
Encor  garison  ii  qaerroit. 
Mais  si  grant  doute  a  de  fallr 

l:iO.  Dask  an  dire  n'ose  salir, 

Ains  dist  :  «  Grant  mercis,  dame  doace, 
«  Moat  est  vostre  parole  douce. 
«  Mais  sacbiés  qae  je  ne  voi  voie 
«  Par  coi  de  cest  mal  garir  doie  ; 
«  Ne  tant  n'ai  bardement  ne  sens 


«  Que  j'osaisse  dire,  en  nul  sens, 

«  Qaele  seroit  la  médecine 

4c  Qui  m'osteroit  ceste  gesine. 

«  Non  pourqaant  médecine  i  a; 

«  se  il  plaisoit  à  tele  jà  740. 

«  Qu'ele  me  volsist  racheter, 

<c  Bien  me  poroit  de  mal  jeter  ; 

«  Mais  jà  dire  ne  l'oserai , 

«  Par  fol  sens  mort' en  recevrai. 

«  —  Jehan,  biaos  amis,  non  ferés, 
c  Vostre  afaire  me  jéhirés  (2). 
«  'Ains  mais  ne  voas  priai  de  rien, 
c  Or  voas  pri  de  çoa  pour  vo  bien  : 
K  Dites- moi  vostre  maladie 
«  Et  je  voas  jar,  dessur  ma  vie ,     750. 
«  Que  je  métrai  au  garir  paine , 
«(  Sejesaiquexmaxvoasdemaine. 
c  —  Ferés,  dame?—  Oil  vraiement; 
«  Mais  or  dites  délivrement. 
«  -^  Dame,  je  n'os.  -  -  Si  ferés,  voir; 
«  En  toutes  Ans  le  voel  savoir, 
c  —  Yoiés,  dame?  et  voas  le  sarés  : 
«  G'estpourvoasquejesainavrés.» 

Aussitost  comme  il  ot  çoa  dit 
Se  pasme ,  sans  plus  lonc  respit.     76a. 
Grant  pièce  fu  en  pamissons. 
Or  set  Blonde  les  occoisons 
De  son  mal  et  de  son  méhaing. 
Bien  voit,  se  le  tient  en  desdaing 
Par  parole  che  qu'il  il  dist , 
Qu'il  en  morra  sans  nui  respit  ; 
SI  commence  à  penser  comment 
Il  aura  de  mort  saovement. 
Entre  ses  bêles  mains  le  tint 


(1)  Sponda,  ho\ê  de  lit.  —  (9)  Géhfr,  avoufr  ptr  foreê,  gêkennari  fCêngii  gi,j. 


150 


JEHAN   DE   DAMMARTIN 


poirier,  •  sous  le  plus  bel  périer  du  monde  ^JSOi;,  »»  et  convien- 
nent que  dans  un  an ,  jour  pour  jour,  Jehan  viendra  frapper  à 
la  petite  porte  du  parc,  qu'elle  lui  ouvrira  et  qu'elle  s'en  ira 
avec  lui,  n'importe  où.  Bref,  il  part.  Il  arrive  à  temps  pour  en- 


770.  Tant  que  de  pamisons  revint. 

Dont  commença  à  soaspirer  ; 

Vers  mort  le  convenist  tirer 

S'on  petit  éu8t  atenda 

Qa'ele  riens  n'éast  responda. 

Maisele  11  a  dit:  «  Amis! 

c  Puis  que  pour  moi  vous  estes  mis 

«  En  si  grant  péril  com  de  mort, 

«  Je  vous  en  voel  donner  conrort. 

<  Mais  or  soiiés  bien  apensés , 
780.  «  Et  tost  de  revenir  pensés  ; 

«  Car  si  tosl  com  garis  serés 

«  Sacbiés  mes  bons  amis  serés. 

«  —  Serai  !  Dame  dites- vous  voir  ? 

«  —  Oii,  amis,  sacbiés  de  vob:. 

«  —  Certes,  dame,  don  garrai-gie  (l), 

«  Autre  max  ne  m*avoil  toucbie. 

«  —  Or  menglés  dont,  biaus  dous  amis  ! 

«  Ensi  soit  vos  cners  en  pais  mis. 

«  —  Dame  vostre  plaisir  ferai , 
790.  '*.  Quant  il  VOUS  piaistjemengerai.» 

Adont  s'en  est  Blonde  tornée  ; 

Mais  assés  tost  fu  retournée. 

A  mengier  aporter  li  Ûst , 

Et  Jebans  au  mengier  se  prist. 
Quant  Jebans  oï  le  confort 

Par  coi  il  a  respit  de  mort , 

En  peu  de  tans  fu  tous  garis. 

N'en  fu  mie  li  qnens  maris  ; 

La  contesse  et  l'antre  maisnie 
800.  En  fu  mult  très  durement  lie. 

Et  Blonde  biau  sanblant  li  ûst 

Par  coi  tost  en  santé  le  mlst. 

Devens  les  .viij.  jors  fu  levés, 


Si  ot-U  mult  esté  grevés. 

Mais  il  espoirs  d'amie  avoir 

Li  fist  tost  sa  santé  ravoir. 

Si  tost  comme  il  se  pot  aidier 

Prist  devant  sa  dame  à  trencier  ; 

Et  ele  tant  le  conforta , 

Sans  cbou  que  plus  il  n'en  porla ,    810. 

Que  ele  en  santé  le  remist. 

Blonde ,  la  beie ,  tout  cbe  Ûst 

Pour  çou  qu'ele  ne  voloit  mie 

Que  il  perdist  pour  çou  la  vie  ; 

Mais  quant  ele  en  santé  le  vit 

Ele  se  taist ,  riens  ne  li  dist. 

Mis  le  cnide  avoir  en  tel  point 

Que  de  soi  mais  se  tiegne  à  point  : 

S'en  laissa  ester  la  parole. 

Ne  veut  pas  c'en  la  tiegne  à  foie.     820. 

Encor  n'iert  par  d'amours  toucie. 

Quant  Jebans  l'ot  un  mois  servie, 

Et  il  voit  qufe)  ele  se  taist, 

Ne  d'amours  parler  ne  li  piaist, 

Si  ne  set  que  çou  est  à  dire  ; 

Des  ex  pleure ,  du  cuer  souspire. 

Ne  set  que  dirt  ne  que  faire , 

N'en  quel  point  tenir  son  afaire  : 

«  Las  !  fait-il ,  met  en  oubliance 

«  Las  !  ma  dame ,  la  convenance    830. 

«  Qu'ele  meut  en  ma  maladie. 

«  En  ne  me  dist-ele  qu'amie 

«c  Me  seroit,  se  je  garissoie? 

<!c  011  voir,  et  de  ceste  joie 

«  Me  r'est  venue  garison. 

«  Ne  sai  se  ce  f  u  tratson , 

«  Car  mal  me  tient  men  convenant. 


(1)  Ponr  iùni  garirai  ge. 


ET   BLONDE   D  OXFORD. 


151 


tendre  les  dernières  paroles  de  son  père,  lui  rend  les  derniers 
devoirs,  donne  quelques  soins  à  ses  jeunes  frères  et  sœurs, 
s'acquitte  aussi  de  ce  qu'il  doit  faire  comme  vassal  envers  le  roi 
de  France,  et  se  prépare  à  reprendre  le  chemin  de  l'Angleterre. 


c  Espoir  qa(e)  ele  se  repent, 
c  Oq  espoir  ele  le  me  dist 

840.  «  Ponr  çou  que  santé  me  venist.  * 
«  Si  qui  de  c'atant  soie  en  pais , 
«  Ce  ne  vaut  rieas  ;  tant  sui  puis  près 
«  Qu'il  me  convient  en  fin  savoir 
«  Se  je  s'amour  porai  avoir, 
c  N'est  mie  drois  qu'elle  m'en  prit. 
«  Espoir  qu'elle  m'a  en  despit, 
c  Pour  çou  que  je  n'en  os  parler. 
«  Maintenant  voel  à  lui  aler 
«  Por  demander  ma  convenance.  » 

850.  Adont  de  la  chambre  s'avance , 
De  la  ie  vit  en  .j.  prael 
U  ele  falsoit  un  capiel. 
Jebans  est  venus  dusk'à  lui , 
Puis  lui  dist  que  bon  jour  ait  hui  ; 
Et  ele  li  respont  à  point 
Dix  bonne  aventure  li  doint. 
Atant  se  turent  abedoi  (1); 
Si  est  abaubis  devant  sol 
Jebans  qu'il  n'ose  tentir  mot. 

860.  Nepourquant  il  se  tint  à  sot 
Pense  maintenant  lidira  (f 
Se  son  convenant  li  dira  : 
Sa  bouce  pour  Je  jébir  oevre 
Puis  le  reclot ,  car  de  celé  beure 
Sont  tout  li  fin  amant  couart. 
Nepourquant  en  la  fin  li  part, 
Parmi  la  bouce ,  une  parole 
Plaine  de  sonspirs ,  hors  11  vole  : 
«  Dame ,  dist-il ,  d'un  convenant 

870,  «  Vousalés-vouspointramembrant. 
«  Que  vous  en  grieté  me  felstes, 


c  Dont  ec  santé  me  remeistes? 
«  —  OU,  Jehan,  certes  mult  bien, 
«  Mais  ce  fis  jou  pour  vostre  bien  ; 
«  Vous  vous  mortes  par  folie. 
«  Or  ne  vous  i  rembatés  mie , 
«  De  VOUS  garlr  eus  volenté . 
«  Par  çou  vous  remis  en  santé , 
«c  Car  vous  estiiés  hors  du  sens. 
«  Or  vous  tenés  miex  en  vo  sens    PrM). 
«  Se  de  moi  servir  vous  penés  \ 
«  Bien  en  poriés  estre  assenés 
«  En  tel  lieu,  dont  vous  venra  biens. 
«  Mais  or  ne  p^sés  plus,  pour  riens, 
«  Quejem'amour  donner  vous  doie. 
«  Trop  durement  m'abaisseroie.  » 
Or  ot  (3)  Jebans  çou  qui  11  grieve 
A  peu  que  li  cuers  ne  li  crieve 
De  la  grant  grieté  qu'il  en  prist, 
Et  en  plorant  itant  li  dist  :  890. 

«  Dame ,  ce  savoie  je  bien , 
«  C'a  vous  n'aferoie  (4)  de  rien  ; 
«  Et  pour  çou  se  par  vous  ne  fust 
«  Parole  jehie  n'en  fust  ; 
«  Ains  eusse  mort  recéue , 
«  Si  fust  m'emprise  à  fin  venue, 
«  Dont  or  sui  au  recommencier. 
«  Ne  voel  or  mie  à  vous  tencier 
«  Et  de  doners  et  d'escondis, 
«  Detoutievonsrentgransmercis.   900. 
c  Voir,j'aimmixavoirpourvou8mort 
c  Que  de  nule  autre  avoir  confort 
c  Je  ne  vous  ore  [voel]  plus  dire 
c  Fors  tant  qu'en  plus  grevensmartire 
c  serai,  ains  que  passent  jour  .viij. 


(1)  Tous  deux.  —  (2)  ÎJKderet,  (3)  Audit,  —  (4)  Afferebam. 


152 


JEHAN   DE   DAHMARTIN 


•--Blonde,  durant  ce  temps,  était  tombée  dans  les  chagrins. 
Après  le  départ  de  Jehan ,  elle  a  perdu  sa  mère,  et  son  père  veut 
la  marier  :  le  comte  de  Glocester  a  demandé  sa  main.  A  grand'- 
peine  obtient  elle,  en  alléguant  la  récente  mort  de  la  comtesse, 


«  Qae  devant  n'ére  en  .xxviij. 
c  Car  plus  est  griés  il  rencheis 
«  Que  n'est  11  premiers  encheis  (1).  » 
Après  cex  mox  plorant  s'en  part, 

910.  Et  Blonde  s'en  va  d'autre  part. 
Et  Jehans  s'en  vint  en  sa  chambre  ; 
Si  fort  li  tramblent  tout  11  membre 
Que  maintenant  coucier  l'estuet  (d). 
Ne  boire  ne  mengier  ne  poet , 
Ains  se  démente  et  se  complaint. 
Tous  jours,  quant  nus  ne  l'ot,  se  plaint 
Et  dist  :  «  Las  !  pourquoi  mè  garl 
«  Cele  qui  si  me  r'a  mari  (3)  ? 
«  Ne  comment  la  vols  onques  croire 

9^.  «  Qu'ele  me  déist  cose  voire? 
«  S'ele  s'en  consillasl  à  moi 
c  Ne  li  loaisse  pas,  je  croi, 
«  Que  ele  de  tant  s'avillast 
«  Que  en  tel  lieu  s'amour  donnast. 
X  Mort!  or  vien  tost  et  si  te  haste, 
«  Car  je  vol  bien  que  mon  tans  gaste. 
4c  Quant  la  poarmesse  m'est  rompue 
c  Dont  santés  m'estoit  revenue  ! 
«  Ele  me  pramist  sans  donner, 

930.  «  Ensi  puet  on  fui  conforter. 
«  Or  n'i  a  plus ,  fors  que  je  voei 
«  Morir,  car  de  vivre  me  duel  ; 
«  Car  du  tout  sui  en  désespoir, 
«  Je  n'ai  mais  de  nul  bon  espoir. 
«  Amie ,  oel  vous  m'avés  tral 
c  Et  en  tel  amour  envaï 


«  Dont  mort  me  convenra  sentir, 
c  A  !  Amour  quant  vous  consentir 
<!c  Volés  la  mort  de  vostre  amant 
«  Mains  en  valés,  par  saint  Amant  !  »  940. 

Ainsi  est  Jebans  renchéus , 
Si  par  est  ses  cuers  esméus 
Que  de  riens  nule  ne  li  chaut  ; 
Ne  puet  mengier  comment  qu'il  aut  (4). 
Si  le  set  amours  estourmir  (5) 
Que  nuit  ne  jour  ne  puet  dormir. 
Li  quens  en  oï  les  noveles , 
Sine  li  furent  mie  bêles  ; 
Mais  il  ne  le  puet  amender. 
Et  la  contesse  commander  950. 

Fist  que  on  le  servist  si  bien 
Que  il  ne  li  fausist  jà  rien*; 
Hais  il  est  à  servirs  légiers 
Car  moût  est  petis  ses  mengiers. 
Tant  l'a  ses  grans  courons  mené, 
Tant  la  destruit ,  tant  l'a  pené . 
Qu'il  a  la  parole  perdue. 
Par  laiens  est  tost  espandue 
La  noveles  que  Jehans  muert. 
Ses  vallès  ses  puins  en  détuer t  (6),  960. 
Et  cil  de  l'ostel  ensement , 
Qui  moût  l'amoient  durement. 
En  ce  point  ert  Blonde  couchie  ; 
Le  garçon  Jehan  ot  qui  crie , 
Forment  regretoit  son  signeur, 
Nus  hom  ne  mena  duel  grigneur. 
Blonde  une  pucele  apela  : 


(1)  tncasus  cl  reincanu»  {ratiHus)  ?  formés  comme  reincessus,  incmutt.  mais  de  eadere, 
cheoir.  —  (2)  Pag.  108,  n.  1.  —  (3)  Pag  100,  n.  6.  —  (4^  Habeat.  —  (6)  On  invoqne 
ponr  étymologie  ritalien  siormo,  Tallemand  stuermen,  faire  tempête ,  combattre.  Qooi  de 
plas  nécessaire  cependant  qne  de  voir  ici  exturbaref  tronbler.  —  (B)  Voy.  969. 


ET    BLONDE   D  OXFORD 


153 


un  délai  de  quatre  mois,  pas  un  jour  de  plus.  Ce  jour  fixé  était 
précisément  celui  où  Jehan  lui  avait  promis  de  revenir.  Le  terme 
approchait,  et  de  Jehan  point  de  nouvelle.  Il  ne  restait  que  huit 
jours  avant  le  délai  fatal.  Cependant  Jehan  était  parti,  avait 


«  Qu'est-ce,  fait  aie,  que  j'oi  là? 
«  —Dame  c'est  Robins  qui  déluert  (l) 
970.  «  Ses  puins  pour  Jehan  qui  se  muert; 
«  Jà  a  la  parole  perdue.  ^ 
Blonde  l'ot  ;  s'en  est  esperdae. 
Qa'ele  set  bien ,  en  son  requoy 
De  quel  mal  il  muert  et  pour  coi. 

1131 Ainsi  demaine  Blonde  amours. 

Bien  a  trouvé  le  tans  rebours 
De  tel  comme  ele  avoit  hier  main, 
Plourant,  souspirant  à  cuer  vain. 
L'a  tant  amours  ou  li  grevée 
Qa'ele  s'est  coïement  levée  ; 
Vest  soi  d'un  peliçon  d'ermlne 
Laiens  n'ot  dame  ne  mescine 
Qui  ne  dormlst  à  icele  heure. 

1140.  Et  Blonde,  sans  plus  de  demeure. 
De  la  cambre ,  où  ses  lis  ert ,  ist 
Et  entre  en  celé  où  Jebans  gist. 
Une  lampe  en  une  verrière 
Li  rendoit  un  peu  de  lumière  ; 
Fors  que  Robin  léans  n'avoit. 
Quant  il  sa  dame  venir  voit , 
Lieve  soi  et  si  le  saiue. 
Bien  ot  Robins  apercéue 
L'amour  as  complaintes  Jehan  ; 

1150.  Bien  sol  que  tout  son  grant  ahan  ^2) 
Ne  li  venoit  se  d'amours  non. 
Blonde  l'apiele  par  son  non , 
Se  li  demande  de  son  estre , 


Quel  mal  il  a  et  que  puet  estre? 

«  Dame .  dist-il ,  bien  le  savés  ; 

«  Pour  noiant  enquis  le  m'avés , 

«  Bien  savés  la  mort  kl  le  touce  ; 

«c  Je  criem  Dix  ne  le  vous  reproche. 

«  Ne  pourquant  ce  vous  puis  bien  dire, 

«i  Onques  ne  me  disl  son  martyre.     1160. 

c  Mais  j'entent  bien  à  ses  souspirs 

<c  Pour  vostre  amour  sera  martlrs, 

«  Car  il  est  jà  si  engressés  (3) 

<c  Que  près  de  mort  est  apressés  (4}.» 

Adont  pleure  et  ele  s'entoume , 

Dusk'al  lit  Jehan  ne  séjome. 

Deseur  l'esponde  s'est  assise , 

S'a  desur  son  front  sa  main  mise, 

Et  puis  au  pous ,  si  sent  ses  vaines 

Qui  se  remuevent  mais  à  paines.    1170. 

Les  iex  ot  clox  et  le  cors  roide 

Et  en  pluiseurs  leus  la  car  froide. 

Un  peu  de  chaut  eut  sur  sen  cuer, 

Qui  en  vie  li  tient  le  cuer. 

Quant  ele  le  sent  en  cest  point , 

Si  grant  doleur  au  cuer  l'en  point 

C'a  paines  U  dist-ele  :  «  Amis  ! 

«  Je  sui  celé  qui  vous  a  mis 

4c  En  tel  point  par  mon  grant  orguel; 

<c  Mats  pour  cou  c'amender  vous  voel  1180. 

<c  Le  grant  outrage  et  le  mesfait 

«  Que  je ,  sans  raison,  vous  ai  fait, 

«  Vous  viengchiveoir à ceste heure; 


(1/  Dixiorquet,  tord.  —  (2)  Anhel9tionem'i  essonflleinent ,  peine.  —  (3)  Ingravatnn 
serait  probiiblemenl  engrieiés,  Qubiqu'on  ait  yn  ci-dessos  (v.  046)  grocilis  faire  graille. 
Cet  engressts  est  sans  doute  ingracililus,  barb.  de  gracUeseo  :  •  \\  est  jli  si  amaigri.  » 
Ce  serait  donc  juste  le  contraire  de  *  engraissé  »;  mais  il  n'y  a  pas  loin  ncn  pins 
entre  cra*»iludo  et  grocUUudo.  —  (4)  Approrimatus. 


154 


JEHAN   DE   DAMMARTIN 


touché  Douvres  (âi3i)  avec  le  fidèle  Robin,  et  après  avoir  engagé 
un  batelier  à  son  service  pour  l'attendre  huit  jours  pleins ,  il 
gagne  Londres ,  où  il  se  rencontre  avec  la  suite  du  comte  de 
Glocester  qui ,  comme  lui ,  faisait  hàle  pour  arriver  à  Oxfort.  il 


«  Mais  parlés  à  moi  sans  demeure.  y> 
Jehans  a  s'amie  entendae, 
Mais  la  parole  avoil  perdue  ; 
Si  l'eut  sa  garant  grieté  fait  fondre 
Que  si  tost  ne  li  pot  respondre. 
Quant  Blonde  voit  qu'il  ne  parole 

1190.  Si  grant  courous  au  cner  11  vole. 
Tant  fu  tristre  et  abosmée  (1) 
Que  deseur  le  lit  chiet  pasmée, 
Sa  teste  sur  le  pis  Jehan, 
Dont  ele  li  âst  grant  ahan  ; 
Car  son  afaire  bien  entent 
Et  si  n'a  pas  de  pooir  tant 
Qu'il  die  .j.  seul  mot  de  sa  bouce. 
Dont  grant  doleur  au  cuer  li  toace. 
Car  volentiers,  se  il  péust, 

1200.  A  s'amie  parlé  éust; 

Mais  11  ne  puet  encor»  n'encore  (2), 
Par  quoi  le  cuer  s'amie  acore  (.s^  ; 
Car  quant  ele  fu  revenue 
Plus  de  .V".  fois  s'est  tenue 
Pour  maleurese  caitive, 
Pour  la  plus  lasse  riens  qui  vive. 

1249 De  la  dolour  qu'ele  demaine 

1250.  Perdi  .iij.  fois  pous  et  alaine, 
Si  ke  se  Robinés  ne  fnst , 
Je  croi  k'ilueques  morte  fust. 
Il  l'esventolt  d  un  cuevrecbier. 
Et  se  11  soustenoit  le  chief 
Quant  ele  se  cllnoit  vers  terre  ; 


Puis  en  ot  Robins  bonne  terre. 

Jebans  entend!  bien  s'amie, 

Qui  de  plaindre  ne  se  falnt  mie; 

Si  entendi  à  sa  complainte 

Qu'ele  n'est  pas  fausse  ne  fainte.      1260. 

Encor  par  fust-il  si  atains , 

Ses  cuers  en  est  un  peu  plus  sains  ; 

Un  souspir  jeté  et  les  ex  oevre. 

Blonde ,  qui  aperçut  ceste  oevre , 

Se  taist  et  près  de  li  se  trait 

Si  li  donna  .j.  tel  entrait 

Que  la  parole  11  rendi  : 

Sa  garison  pas  n'atendi 

A  lui  baisier,  mais  tout  malade 

Le  baisa  de  sa  bonce  sade  (4).      1270. 

Dont  tel  douceur  au  cuer  l'en  vint 

Que  la  parole  l'en  revint. 

Cil  baislers  fu  de  si  grant  force, 

Qui  le  cuer  Jehan  tant  efforce 

Qu'il  dist  :  «  Grans  mercis,  douce  dame, 

«  El  cors  m'avés  remise  l'ame, 

4c  Qui  pour  vous  est  si  très  atains  ; 

<c  Mervelle  est  quant  il  n'est  estains. 

«  — Biausdous  amis,  ce  respont  Blonde, 

«  Pores  vous  mains,  por  riens  du     1280. 

«  Revenir  en  vostre  santé  ;  [monde,] 

«  Par  tel  couvent  que  volenté 

«  Aurai ,  tons  les  jours  de  ma  vie, 

«  D'estre  vostre  loiai  amie  ? 

«  >-  Douce  dame  !  voir  je  ne  sal  ; 


0)  Ne  peut  venir  ni  A^abyssus,  ni  û'obominosus,  Pent-être  esUce  un  verbe  fait  sur 
obosatio  {vid.  Cangii  gtoss.J,  qni  signifie  <  destruction,  rupture,  >  et  semble  venir 
directCMent  de  abusus,  —  (2)  Non  ineurrit,  ne  quidguam  agit,  —  (3)  Abeordei  ou 
excordet,  barb.  :  écœure,  dans  le  sens  de  «  percer  le  cœur.  >  —  (4)  Sapida,  ayant 
(douce)  saveur;  cr  v.  1326;  opposé  de  maussade. 


ET   BLONDB  D  OXFORD. 


155 


se  mêle  à  la  cavalcade,  pousse  jusqu'au  comte  et  entame  avec 
lui  une  conversation  piquante  où  le  comte  de  Glocester  prête  à 
rire,  à  ce  qu'il  paraît,  en  parlant  le  français  avec  un  accent  et 
des  idiotismes  britanniques  ^2611).  Jehan  contrefait  le  niais  pour 


«  Tant  m'avés  mis  en  grief  essai 
«  Que  moat  est  ou  retoamer  fort. 
«c  Et  nepoarqnant  tant  tieng  à  fort 
«  Vostre  pooir,  que  s'il  vous  plaist, 

1290.  «  Encor  croi  que  ois  max  me  laist. 
«  Mais  pour  pitié ,  se  garir  puis, 
4c  A  mort  ne  me  remeiés  puis. 
«  Non  poorqaant  à  vostre  voioir 
«  Me  voel  esjoïr  ou  doloir. 
«  —  Mais,  dous  amis,  de  la  doleur 
«  N'aies  desore  mais  crémeor  ; 
«  Pitié  ai  de  vostre  besoing, 
«  Dès  maintenant  à  vous  me  doing. 
«  Par  ce  baisier  qae  je  vous  fas 

1300.  «  A  tous  Jours  de  moi  don  vous  fas. 
«  En  tel  manière,  comme  orrés, 
c  Que  jà  de  mon  cors  ne  jorrés, 
«  Fors  d'acoler  et  de  baisier. 
«  De  tant  vous  voei  bien  aaisier  ; 
c  Mais  n'en  aurés  autre  avantage 
«  Devant  que  nous,  par  mariage, 
«  Nous  porons  ensamble  acorder  ; 
«  Bien  vous  1  devés  acorder.  a 
De  tex*mos  n'est  mie  noircis 

1310.  Jehans.ainsrespont:  «Grantmercis! 
«  Dame,  grant  mercis  vous  en  rant; 
c  Trop  avoire  cuer  m'es  errant 
c  Se  je  plus  vous  en  demandoie  ; 
c  Mais  c'autres  avoir  ne  vous  doie. 
«  Bien  devrai  atendre  le  point 
«  Que  ceste  cose  viegne  à  point. 
«  — Biausdousamisnenaijésdonte; 
c  Car  si  me  doing  à  vous  trestoute, 
«  Que  Jamais  autres,  à  nul  fuer, 

18^.  c  N'aura  ne  mon  cors  ne  mon  cuer. 
c  Mais  metés  vostre  cuer  à  aise.  » 
A  ce  mot  doucement  le  baise. 
Ce  n'a  mie  grevé  Jehan, 


Ains  oste  moût  de  son  aban. 
S'alaine ,  qui  tant  est  très  douce, 
Jehan  si  sadement  adouce , 
Qu'il  en  a  cachié  désespoir 
Et  conforté  de  doue  espoir. 
Du  cuer  toute  grieté  11  oste  ; 
Près  du  cuer  li  herberge  .j.  oste       1330. 
Que  on  apèie  vrai  confort. 
Icii  dous  estes  desconfort, 
Gries  penser  et  desespérance 
Tout  hors  du  cuer  Jehan  balance  : 
Vrais  confors  s'est  en  son  iiu  mis. 
Après  çou  li  dist  Blonde  :  «  Amis  ! 
c  Prendre  vous  convient  al  mengier, 
c<  Pour  vostre  santé  raengier. 
«  —  Dame  à  vostre  commandement.  » 
A  tant  estendent  erroment  1.H40. 

fiobins  et  sa  dame  une  nape  : 
Au  vert  Jus  de  nouvèle  grape 
Li  donna  Blonde  un  froit  poulet. 
Ne  à  Robin  touchier  n'i  iet  ; 
Mais  Blonde  à  ses  très  bêles  mains 
Le  sert,  dont  il  fu  plus  tost  sains. 
Et  Jehans ,  qui  il  fu  mestiers, 
Se  prist  au  mengier  volentlers. 
Quant  il  du  poulet  mengié  eut 
Tant  comme  il  à  s'amie  pleut,         1350. 
S'osta  la  nape  et  dusk'au  Jour 
Flst  Blonde  avoeques  lui  séjour 
Pour  lui  tost  remetre  en  santé. 
Fu  ilnec ,  par  sa  volenté 
Duskes  à  tant  que  li  Jors  vint , 
Mais  adont  partir  l'en  convint. 
SI  dist  :  «  Jehan  I  Biaus  dous  amis, 
«  Pour  le  jour  qui  çaiens  s'est  mis, 
«  Convient  que  Je  de  vous  me  part; 
«  Car  se  nus  venoit  ceste  part,        1360. 
c  Qui  apercéast  nostre  afalre. 


156 


JEHAN   DE  DAMMARTIN 


mieux  tromper  ses  compagnons  de  voyage  ;  mais  comme  on 
approchait  du  château  d'Oxfort,  il  les  abandonne  pour  se  jeter 
dans  des  chemins  de  traverse  qu'il  connaissait  parfaitement,  et 
au  jour  dit,  ou  plutôt  à  la  nuit  qui  lui  avait  été  marquée  à  Ta- 


«  Avoir  en  porions  contraire. 
«  En  nostre  amoar  celer  asens, 
c  Car  en  bien  celer  a  grant  sens, 
c  Et  nous  aurons  bel  avantage 
«  De  bien  celer  nostre  corage  ; 
«  Car,  si  tost  que  levés  serés, 
«  Assés  souvent  o  moi  serés , 
c  Par  l'occoison  qu'estes  à  moi  ; 

1370.  «  Pores  souvent  estre  avoec  mol, 
«  Si  porons ,  à  nostre  plaisir, 
«  L'on  de  nous  .ij.  l'autre  saisir 
«  De  çou  que  faire  nous  plaira  ; 
«  Ne  jk  nus  vivans  n'el  sara. 
«  Et  quant  nous  verrons  nostre  point, 
«  Bien  métrons  le  surplus  à  point 
«  DeiçoQ  que  encourent  vous  ai. 
c  Onqnes  n'en  soiiés  en  esmai  ; 
«  Mais  or  pensés  d'estre  garis, 

1380.  t  Ne  ne  soiiés  plus  esmaris. 
«  Souvent  véoir  vous  revenrai 
c  Au  mains  que  porai  remanrai. 
c  —  Dame,  dist  Jebans,  vostre  gré 
«  Et  vos  dis  recuel  en  bon  gré.  » 

A  tant  Blonde  de  lai  se  part. 
Doucement  le  baise  au  départ, 
Puis  s'est  levée  de  lès  lui. 
Mont  le  laisse  en  meneur  anoi 
Qu'èie ,  au  venir,  ne  le  trova. 

1890.  Tant  ala  qu'ele  retrouva 
Le  Ht  dont  ele  estoit  lev<^e, 
Par  amours,  qui  tant  l'ont  grevée. 
Toute  nue  se  fest  couchie 
Et  de  joie  plaine  endormie. 
Et  Jebans,  qui  fn  confortés, 


Se  r'est  de  joie  déportés. 

Viij.  jours  ot  que  dormi  n'avoit , 

Dont  il  disète(s)  en  avoit  ; 

Ma*s  or  s'ert-il  pris  au  repos, 

Car  11  confors ,  qui  ert  repos,         1400. 

En  lui  sa  garison  11  haste 

Et  qnanqu'il  puet  ses  max  1i  baste. 

Quant  à  tierce  fu  esviUiés 

Ses  mangiers  fa  apparllliés. 

Ij.  damoisèles  le  servirent. 

Qui  de  ce  mont  grant  joie  firent. 

Qui  voient  que  il  menjut  bien 

Et  qu'il  se  tient  assés  plus  bien 

Qu'a  ne  soloit  ;  qa'eles  cuidoient, 

Quant  lueques  venues  estoient,        1410. 

Que  êtes  le  trouvaissent  mort. 

Or  le  truevent  de  biau  confort 

Et  leur  samble  qu'il  est  haitlés  (P. 

Fors  tant  qu'il  est  afebioiiés. 

Mult  en  sont  lies  durement 

Et  moût  le  servent  bonement. 

Et  novele  pas  n'alendi, 

Mais  tost  par  l'ostel  s'espandi 

Que  Jebans  estoit  terminés  ; 

Dont  s'est  11  quens  acheminés  1490. 

Et  la  contesse  et  ses  puceles, 

Dont  ele  avoit  assés  de  bêles. 

Mais  toutes  les  binutés  du  monde 

Ne  valent  riens  envers  la  blonde, 

Qui  avoec  sa  mère  s'aroute 

Ne  n'enlaidi  mie  la  route. 

Icll  vont  tout  Jehan  véoir 

Et  leur  mainie ,  pour  savoir 

Se  c'erl  voirs  qu'il  fust  terminés. 


(1)  Voy.  ci-des8D8,  y.  220. 


BT   BLONDE  D'OXFORD  157 

vance,  Jehan  frappe  à  la  poterne.  Son  amanle  avait  presque 
perdu  tout  espoir,  mais  Adèle,  se  tenait  sous  le  poirier,  son 
coffret  de  bijoux  à  la  main,  prête  à  partir.  A  peine  entré,  Jehan 


lidO.  Qui  d'aus  tooB  estoit  meut  amés. 
Bn  son  lit  séant  le  trovèrent, 
Goartoisement  à  lui  parlèrent; 
Jetians  et  la  contess'  eosamble. 
«  Jeban,font-ii,qaeyoa8en8ainble, 
«  Gaidiés-YOQS  que  cis  max  vous  laist? 
«c  ~  Sire,  oil ,  dist-il,  se  Diu  plaist, 
c  Li  max  s'est  de  moi  destomôs, 
«  Je  sai  en  santé  retomér.  » 
Toit  cil  qal  l'aiment  malt  lie  sont 

1410.  Be  sa  response  qae  il  ont  (1)  ; 
Car  ier  soir  nas  bom  ne  qaidast 
Que  il  jamais  .j.  mot  sonnast. 
Blonde,  qai  le  vit  en  tel  point, 
N'en  eut  au  cuer  de  dolonr  point. 
Quant  il  eurent  lueqnes  esté, 
Tont  com  leur  vint  à  volenté, 
A  Jehan  conglé  demandèrent 
El  de  la  chambre  s'entomërent 
Et  Jehans  remest  (3)  en  son  lit 

1450.  Où  désormais  sera  petit 

Hout  monstra  bien  soir  et  matin 
Amours  Jehan  de  Dant  Martin 
De  quel  jeu  ele  sert  as  siens. 
Moût  en  ot  de  max  et  de  biens  : 
Les  max  pour  doute  de  falir, 
Les  biens  pour  espoir  de  saisir 
Ce  k'amours  11  fait  désirer, 
Si  k'il  ne  s'en  puet  consirer  (3) 
Après  le  confort  de  s'amle. 

1460.  Santés  ne  11  demoura  mie, 
Ains  11  revint  grant  aléure  ; 
Car  Blonde  souvent  i'asséure 
De  çou  qu'ele  11  eut  convent, 


Revéoir  le  venoit  souvent 

Seule  et  par  nuit  (pour  mesdisans 

Qui  de  tous  max  sont  atisans), 

Venoit  Jehan  reconforter 

Et  soulacier  et  déporter. 

Tant  1  ala  et  tant  i  vint 

Que  Jehans  en  santé  revint ,  1470. 

En  plus  grant  qu'il  ne  fu  aine  mais. 

Liève  soi,  jéhir  ne  veut  mais, 

Revenus  est  à  son  mesiier, 

Pour  riens  ne  le  volsist  cangier. 

Al  mengier  sert  devant  s'amle  ; 

Tex  mestiers  ne  U  desplait  mie. 

Li  quens  et  tout  cil  de  l'ostel 

Sont  lie  quant  il  le  voient  tel 

Et  il  à  son  pooir  les  sert. 

Par  quoi  le  gré  de  tous  dessert.       1480. 

Et  il  est  si  biaus  et  si  gens. 

Si  gratieus  à  toutes  gens, 

Que  chascuns  l'oneure  et  conjoie. 

Moût  en  a  s'amle  grant  ]oie, 

Qui  voit  c'amer  se  fait  de  tous. 

De  déboinaires  et  d'eslous  (4). 

Moût  l'encrnt  d'amour  en  son  cuer, 

Tant  l'ama  que  puis ,  à  nul  fuer. 

Ne  se  vaut  d'amours  repentir, 

Ains  volt  bonement  consentir         1490. 

De  son  ami  la  volenlé. 

Moût  sont  tenu  de  grant  sauté  (5) 

Quant  il  se  pueent  dessambler 

B'autres  gens  et  entrassambler. 

Nus  ne  querroit  (6)  leur  douce  vie  : 

Quant  par  laiens  est  endormie 

La  gent  dont  il  gaitier  se  voelent, 


(l)  Àudiunt»  —  (3)  Bemansit,  —  (8)  Consislere,  se  tenir.  ^  (4)  ExloUitus^  superbe, 
participe  barb.  de  extoliere.  —  (5)  SubtilUas,  —  (6)  Imparf.  de  caider,  cogUaret* 


158 


JEHAN    DE   DAMMAHTl^i 


lui  donne  un  seul  baiser  eu  disant  :  «  Mon  doux  cœur,  soyez  la 
bien  trouvée,  »  puis  l'assied  sur  un  palefroi  que  Robin  tenait  en 
laisse,  et  les  voilà  tous  trois  à  travers  champs.  Grands  furent, 


De  leur  dormir  petit  se  daelent  ; 
Car  lors  ont  il  et  ilea  et  tans 

1500.  De  maintenir  iear  joli  tans. 

1631 Un  joar  séoient  ai  niengier, 

Atant  es-Yous  .j.  messagier 
Qai  est  venus  devant  le  conte, 
Et  commence  en  françois  son  conte  : 
«  SirCi  dist-il ,  j'ai  tant  cerkié 
«  Un  varlet ,  que  on  m'a  nonchié 
«  Qu'à  vostre  ûlle  est  remanans  ; 
«  Cil  valiës  est  nommés  Jehans. 
«  Une  noaveles  li  aport 

1640.  c  Pour  ce  arrivai  de  mer  au  port. 
«  S'il  vout  plaist,  faites-le  mander, 
«  Si  ke  je  paisse  à  lui  parler.  » 
Li  qaens  respondi  :  «c  Yolentiers.  » 
Aies  i  est  uns  esquiers. 
Trouvé  l'a  séant  devant  Blonde, 
Qui  est  la  plus  bêle  du  monde  : 
«  Jeban,  dist-il,  je  vous  vlengqaerre. 
c  .j.  messagiers  de  vostre  terre 
c  Vous  demande  devant  le  conte  ; 

1650.  «  Or  i  venés ,  s'orrés  sop  conte.  > 
jebans  l'entent ,  forment  se  crient 
De  Blonde  perdre  ;  au  conte  vient. 
Quant  11  messagiers  l'a  véu 
Assés  tost  l'a  reconnéu  : 
«  Jehan ,  dist-il ,  à  vous  m'envoie 
«  Vostre  pères ,  qui  Dix  doinst  joie 
«  Plus  grant  qu'il  n'avolt  au  départ. 
4c  Quant  mai  (l)  pour  venir  ceste  part 
«  Malades  ert ,  ce  vous  di  bien . 

1660.  «  Et  disoient  si  fussiien 

«  Qa'il  estoit  en  péril  de  mort. 


c  Hout  laissai  en  grant  desconfort 

«  Vosdeuxsereursetvos.iij.  frères; 

«  Car  unes  noaveles  amères, 

«  Dont  il  me  polse ,  vous  aporte 

c  De  vostre  mère ,  qui  est  morte. 

«  Si  vous  mandent  vostre  parant 

c  Que  vous  en  venés  errant  {-2), 

€  Ou  vous  i  ares  grant  damage. 

c  Au  roi  vous  convientfaire  hommage  1670 

c  De  la  tère  de  Dant  Martin  : 

c  Moavoir  vous  convidot  le  matin.  » 

Or  entent  Jehans  les  novëles. 
Qui  ne  li  furent  gaires  bèies  ; 
En  plourant  d'Uluec  se  départ. 
Il  fa  assés  qui  prist  regart 
Du  message  qui  fu  de  France. 
Tout  contreval  l'ostel  se  lance 
La  novèle  qa'a  aportée  ; 
Li  uns  l'a  à  l'autre  contée  :  1680. 

Tant  ala  que  Blonde  le  seat . 
Qui  pour  sen  ami  duel  en  eut 
Li  Quens  en  fu  mont  coureciés 
Et  la  contesse ,  ce  sachiés , 
Et  tuit  11  aatre  par  léans  ; 
Cor  voient  bien  que  c'est  noians 
Désormais  de  son  demeurer. 
Et  Jehans ,  pour  soi  dolouser. 
S'en  est  venus  denens  sa  chambre. 
De  couroas  li  daelent  li  membre  ;     1690. 
Si  s'est  séur  son  lit  acoutés  (3), 
De  sol  complaindre  est  acoutés  (4). 
Grant  duel  a  de  la  mort  sa  mère 
Et  de  l'enfermeté  son  père  ; 
Mais  ne  li  est  fors  que  rousée 


(1)  Mutavû  —  (2)  Pour  erramment;  voy.  La  Manekine,  v.  4463.  <— (3)  Coacfaé,  aa-u- 
bitattu.  —  (4)  Entendu,  otucultotus. 


KT    BLONDI  d'oxford. 


159 


comme  on  pense,  Tétonnement  et  la  colère  des  deux  comtes 
lorsqu'on  s'aperçut  que  la  flancée  s'était  enfuie  au  moment  où 
sou  père  donnait  l'ordre  de  la  faire  venir  pour  être  présentée  à 


Yers  le  duel  de  la  dessevrée 
Qa'il  fera  de  sa  douce  amie. 
Li  deus  de  cbe  ne  il  est  mie 
A  nul  des  aatres  deos  samblans  ; 

1700.  Car  unes  peurs  si  tremblans 
Le  prendent  de  perdre  s'amie 
Que  conforter  ne  s'en  set  mie, 
Et  dist  :  «  Las  !  las  !  que  porai  faire? 
«  Or  m'est  joie  en  tous  sens  contraire 
c  Quant  de  ceii  partir  m'estuet 
«  Sans  qui  mes  cners  estre  ne  poet. 
«  Départir!  las!  est-cou acertes? 

1969 Li  jours  apert,  U  solaus  Uève. 

1070.  Jehans,  comment  que  il  ii  griève, 
Se  vest  et  hnese  et  appareille; 
Robins,  ki  pour  lui  servir  veille, 
Li  avoit  jà  sa  sèle  mise. 
Bt  li  quens,  qui  mult  Taime  et  prise, 
Se  leva  ;  car  bien  set  sa  voie , 
Dont  mult  durement  li  anoie  ; 
Bien  set  priiëre  n'i  vaut  rien. 
Si  a  fait  d'une  cose  bien 
Car  .y.  palefrois  biaus  et  grans, 

1980.  A  fait  chargier  d'estrelins  blans, 
Si  les  fist  à  Jehan  donner. 
Bt  puis  le  vint  arraisoner 
E(  abandonner  sa  poissance. 
c  Jehan,  dist-ii,  se  vous,  de  France, 
c  Retomés  plus  en  Bngletère 
c  senescax  serés  de  ma  tère, 
c  Btde  mon  ho^tel  trestous  maistres; 
«  Car  durement  me  plaist  vos  estres. 
«  Del  tout  le  mien  vous  abandoing 

1990.  c  Et  del  prendre  poolr  vous  doing. 
«  ~  Sire,  dist  Jehans,  grans  mercis. 


c  En  bon  gré  rechois  itex  dis. 
c  Se  Diu  plaist,  partans  revenrai 
c  Et  encor  du  vostre  penrai. 
c  —Certes,  dist  liQuens,multme  plaît!» 
N'entent  mie  bien  que  chou  est 
Que  Jehans  dist  que  il  penra, 
Mais  ça  avant  miex  l'apenra. 

A  tant  a  pris  congié  au  conte 
Puis  est  venus,  ançois  qu'il  monte,  3000. 
A  la  contesse  congié  prendre. 
Se  je  voloie  à  tout  entendre 
Comment  à  chacun  prist  congié, 
Je  ne  l'aroie  hul  mais  nunchié. 
Ne  voel  pas  de  cascnn  reiraire, 
Mais  de  celui  ne  voel  taire 
Qui  est  dolente  de  sa  voie  : 
Si  sagement  son  cuer  navole  (l) 
Que  on  ne  puist  apercevoir 
Que  dolente  est  de  son  mouvoh*.     3010. 
Mais  cascuns  quide  que  ce  soit 
Pour  çou  que  il  à  lui  estoit  ; 
Et  à  lui  estoit  il ,  sans  faille. 
Et  ert  encore ,  où  que  il  aille. 
Blonde  li  a  donné  joiax, 
Gahitures,  fremax,  et  aniaus, 
Que  il  donra  à  ses  amis  ; 
Puis  a  en  plourant  congiet  pris. 
Ses  chevax  as  degrés  ratent, 
Puis  i  va  et  si  monte  à  tant.         3030. 
Si  s'en  va  mais  ses  cuers  remaint, 
Qui  de  cest  oirre  (3)  moût  se  plaint. 
Robins  enmena  .j.  sommier 
Et  .j.  autre  li  messagiers, 
Qui  U  eut  dites  les  novèles 
Qui  ne  li  furent  mie  bêles. 


(1)  Nûpigatf   «  (3)  Iter,  ilinerare;  voy.  cj-<l068as,  p.  140,  n.  1. 


160 


JEHAN   UE  DAMMARTIN 


son  futur  époux.  Le  comte  deGlocester  commence  à  comprendre 
qu'il  a  été  dupe  de  son  compagnon  de  voyage  (308o\  et  le  comte 
d'Oxiort  lui  donnant  Tassurance  qu'on  l'a  en  effet  bafoué,  sa 


À  tant  leur  cemin  acaellirent 
Tant  que  dou  Senefort  issirent; 
Blonde  est  à  l'ostel  demourée, 

S030.  Pour  son  hoste  (l)  mont  abosmée  (2). 
Àins  aura  doate|de  lai  perdre 
Que  ele  le  paist  mais  aerdre  (3). 
Et  Jebans  doute  de  faillir 
Ayant  qu'il  la  puist  mais  saisir. 
A  tant  de  Blonde  vous  lairons 
.1.  peu ,  et  de  Jehan  dirons. 

Puis  que  Jebans  du  Senefort 
Se  fu  partis,  tant  erra  fort 
Par  montaignes  et  par  valées , 

2040  Et  par  forés  longues  et  lées , 
Que  il  est  à  Douvre  venus. 
A  son  hostel  est  descendus , 
Mais  ni  flst  mie  lonc  séjour. 
Lendemain ,  droit  au  point  du  jor, 
En  une  nef  en  mer  montèrent . 
Àins  nonne  (4)  à  Huissant  arrivèrent. 
D'iluecques  demeurer  n'ont  cure , 
Tant  cbevaucërent  l'ambléure 
Qu'à  Dant  Martin  vinrent  j.  soir. 

S050.  Jebans  descend!  ou  manoir 
Où  ses  pères  encore  gist. 
Tost  fu  qai  les  novèles  dist 
Que  Jebans  estoit  descendus, 
si  frères  «  qui  ont  entendus 
Tex  mox ,  encontre  H  alèrent 
pt  durement  le  bien  viegnèrent, 
Ensement  les  .vij.  (5)  damoiseles 
Ses  sereurs ,  qui  erent  moût  bêles, 
Fisent  grant  joie  de  leur  frère. 


Mais  Jebans  pleure  de  son  père     2060. 

Qui  gist  malades  durement. 

N'i  eut  point  de  recouvrement, 

Mais  encor  parlant  le  trouva 

Jebans ,  qui  vers  lui  se  prouva  (fi;, 

Car  il  11  flst  faire  tex  lais 

Dont  s'âme  fu  en  vraie  pais. 

Mais  ençols  k'  la  mort  traisist  {7) 

Son  fll  de  son  afaire  enquist, 

Et  il  l'en  dist  une  partie. 

Bien  H  a  dist  que  grant  partie  2070. 

Qulde  de  son  vololr  aquerre, 

outre  la  mer,  en  Engleterre. 

Quant  ses  pères  cou  entendl 
Le  vrai  Dieu  grasces  en  rendi  ; 
Puis  mist  sur  lui  son  testament, 
Dont  Jebans  ouvra  lolalment 
A  la  partie  de  ses  frères. 
Après  cou  vesqul  pau  11  pères, 
Du  mortel  siècle  trespassa, 
Ll  dex  (1)  de  lui  Jehan  laasa.  2080. 

Ses  deus  sereurs  et  si  troi  frère 
Démenèrent  duel  pour  leur  père 
Enfoïs  fu,  sans  demeurée, 
Quant  la  grant  messe  fu  cantée. 
Ll  enfant  arrler  retournèrent, 
Tuit  le  voisin  les  confortèrent 
Et  leur  parens ,  qui  i  estoient  ; 
Car  le  plus  grant  lingage  avolent 
Que  on  séust  en  la  contrée. 
Tant  on  leur  dolour  démenée         2090. 
Qu'il  leur  convint  à  el  entendre. 
En  dael  ne  peut  on  noient  prendre 


(1)  Le  scribe  a  mis  hostêU  —  (2)  Voy.  ci-dessDs,  v.  1191.  —  (3)  Adhœrere.  —  (4)  Avant 
neaf  heures.  —  (&)  Les  deux,  d'après  les  vers  2061,  2195.  —  (6)  Pronavit ^  proximavit, 
—  (7)  Transisset.  —  (8)  Pour  c  debts  »  peut-être.  Voy.  v.  2141. 


IT   BLONDE  DOXFOID. 


161 


douleur  fait  explosion ,  toujours  en  son  mauvais  français  (3340). 
Le  lendemain ,  au  point  du  jour,  il  part  à  la  tète  d'une  nom- 
breuse troupe  de  cavaliers  pour  rejoindre  les  fugitifs.  Il  cherche 


Fors  dolour  et  maie  aventure. 
Del  inonde  est  tele  Taventare 
Que  tuit  morront ,  et  un  et  autre, 
Li  nos  n'en  doit  jà  gaber  l'autre. 
Pièça,  dist-on,  ce  m'est  avis, 
Les  mors  as  mors ,  les  vis  as  vis , 
Tant  comme  cascuns  porra  vivre 

2100.  Àa  mix  qu'il  pora  se  délivre, 
Et  en  tel  loiallé  se  tiengne 
Que  pour  s'âme  à  bone  tin  viegne. 
Quant  Jebans  voit  son  père  mors 
Il  convint  que  il  s'en  déport, 
Par  le  conseil  de  ses  amis 
S'en  aia  an  roy,  à  Paris, 
Pour  l'ommage  qu'il  li  dut  faire. 
Li  rois  enquist  de  son  afaire, 
Tant  en  aprist  que  moût  l'ama  ; 

3110.  Son  relief  (1)  quite  11  clama. 
Si  Jebans  servir  le  vausist 
Hout  volontiers  le  retenist  ; 
Hais  à  autre  besoigne  entant, 
Nepourqnant  il  besongna  tant 
Qn'U  mist  ses  .1^.  frères  au  roy, 
Qui  furent  bel  et  sans  derroy. 
Tant  le  servirent  volentiers 
Qu'il  les  fist  puis  chevaliers, 
Et  leur  donna  femmes  et  terre  -, 

'^190.  Ainsi  doit  cascuns  son  bon  querre. 
Quant  Jebans  eut  çon  besoignié 
Del  roi  se  part,  par  son  congié. 
Et  de  la  roine  ensement, 
Qui  moût  retenist  bonement 
Ses  .ij.  sereurs,  se  il  volslst, 
Mais  il  ne  U  pleut  ne  ne  flst  ; 


Âvoec  lui  les  vaut  retenir. 

Mais  il  pense ,  s'il  peut  tenir 

À  Dant  Martin  sa  douce  amie, 

Que  lès  li  tenront  compaignie.        3130 

Jebans  à  Dant  Martin  s'en  vint. 

Mais  mont  petit  séjour  i  tint; 

Àins  cbevauçoit  par  le  pals 

Par  tout  va  véoir  ses  amis. 

Pour  aus  connoistre  et  acointier, 

Va  les  mUlors  acompaignier. 

0  lui  à  Dant  Martin  les  maine 

Et  d'aus  moût  bonerer  se  paine. 

Deniers  ot  aporté  assés, 

Mais  U  les  eut  tost  desmassés.        3110. 

Les  dettes  son  père  paia, 

Ses  detteurs  trestous  apaia. 

Ses  sereurs  tienent  son  boslel, 

Si  bel  qo'ens  u  pals  n'ot  el  (3). 

Et  il  se  paine ,  à  son  pooir, 

Del  amour  del  païs  avoir! 

Tant  ûst  par  manière  et  par  sens 

Que ,  de  la  mer  duskes  à  Sens, 

N'eût  nul  escuier  miex  amé, 

Ne  de  bonté  plus  reclamé.  3150. 

Mais  quelque  vie  que  il  maint  (3) 

Amours  tous  jors  u  cuer  U  maint  (4)  ; 

Ne  cuidiés  pas  que  il  oublie 

Le  jour  qu'il  eut  mis  à  s'amie. 

En  celé  anée  n'eut  jours  trois 

Qu'il  ne  li  samblaissent  .j.  mois. 

Onques  mais  ne  vit  si  lonc  an, 

De  li  atendre  out  grant  ahan, 

Mais  toutes  voies,  à  grant  p&ines, 

Laissa  passer  tant  de  semaines       3160. 


(1)  Les  droits  de  mntation.  —  (2)  Ponr  «  n'ot  /el.  >  —  (8)  Mimt,  de  minâre,  oondilrt* 
—  (i)  Maneut, 

T.  Vin.  li 


1G2 


JËHA>'    DE    DAMMARTIK 


déjà  (laus  son  eâ])rit  de  quelle  mort  il  fera  mourir  Jehan  si  on 
ralleinl.  Au  lieu  de  fouiller  les  environs  d*Oxfort,  il  court 
droit  à  la  mer  et  place  quatre  hommes  à  lui,  bien  armés,  la 


Que  par  tans  ert  (ans  del  errer. 
A  dont  llst  Jehans  aprester 
Un  palefroi  si  bien  ambiant 
Qu'en  tout  le  mont  n'ot  son  samblant, 
Une  sambae,  a  cours  (l)  pesans, 
Emplie  de  coton  dedans, 
Fist  venir  de  Paris  un  main. 
Et  de  soie  un  rice  lorain  (3). 
Ne  nus  ne  set  qu'il  en  veut  faire, 

3170.  Fors  Robins  qui  set  son  afaire. 
Mais  son  maistre  si  bien  cela 
Qu'à  nulni  ne  le  révéla. 
Quant  Jehans  eut  tous  ses  ators 
Si  n'atent  fors  tant  que  li  jors 
Yiegne  que  de  mouvoir  ert  tans  ; 
Il  set  bien  en  combien  de  tans 
Il  pora  venir  duskes  à  lui. 
Mais  atant  vous  lairons  de  lui. 

24dd Duskes  au  Douvre  n'arrestèrenl. 

Dont  parla  à  son  maronnier  : 
«  Amis,  volés -vous  gaaignier? 
«  —  ou  voir,  Sire,  volontiers. 
«  —  Vous  anrés,  fait-il,  tant  deniers 
«  Comme  vous  de  moi  vaurrés  prendre, 

2440.  «  Mais  que  vous  me  voelliésatendre 
«  A  ceste  rive ,  nuit  et  jour. 
€  Ne  ferai  pas  trop  Ion  séjour  : 
«  Dedens  .viij.  jours  revenrai  chi. 
«  Tenés  .:c.  Ib.  que  j'ai  chi, 
«  Pour  le  damage  de  i'atente. 
Clens  les  prent,  cui  il  atalente, 
Et  puis  son  voloir  li  flan  ce. 
Or  en  est  Jehans  en  ilance  ; 
Del  maronler  se  part  atant. 


Et  cbfevauça ,  jour  et  nuit ,  tant        2450. 
Que  il  est  a  Londres  venus. 
En  un  hostel  est  descendus , 
Qui  estoit  aaisiés  et  biaus. 
Robins ,  qui  est  preus  et  isniaus  (8), 
En  i'estable  ses  chevaus  mist, 
Et  Jehans  del  ostel  s'en  ist. 
Devant  lui ,  d'autre  part  la  rue, 
Voi^  une  grani  gent  descendue, 
Escuiers ,  sergans ,  chevaliers, 
Clers,  prestres,  garçons  et  somiers.  !^60. 
Jehans  veut  savoir  qui  il  sont. 
Qu'il  quièrent,  qu'il  voelent,  où  vont? 
Devant  un  escuier  s'avance. 
Qui  seut  del  langage  de  France  : 
(a  Quipueent,  dist-il,  ces  gens  estre? 
«  —  C'est,  dist-cil,  li  quens  de  Clocestre 
«  -  Qui  à  Londres  vient  besoignier, 
«  Et  demain .  sans  plus  alongier, 
<c  S'en  tournera  pour  plevir  feme, 
«  La  plus  bêle  de  cest  roiame.         2^X70. 
ce  Jà  en  a  esté  jours  pièça, 
<£  Mais  ses  pères  le  dépêcha  ; 
«:  Manda  ii  que  il  atendist 
«  Quatre  mois ,  et  adont  venist 
<ic  En  sa  maison ,  si  Teumenroit, 
«  Et  sa  tere  li  partiroit  : 
«  Ore  cbiet  à  joesdi  11  jours 
«  Si  n'i  vaut  mais  nus  Ions  sejors. 
«:  Il  n'a  que  demain  entredeus, 
'  Bien  poroit  estre  si  preceus  2480 

«  Qu'il  perdroit  la  biauté  du  monde. 
«  —Comment  a  non?— Eleanon  Blonde.» 
Quant  Jehans  ot  Blonde  nomer 


(1)  Une  litière  à  marche  pesante,  c'est-4i-dire  douce.  —  (2)  Loramentum,  rênes,  har^ 
nais.  —  {,1)  Ajout,  v.  2G14.  Voir  aux  Additions. 


ET    BLONDE   D  OXFORD. 


163 


hache  au  poiug,  dans  chaque  port  ou  crique  du  sud,  et  lui- 
même,  avec  un  gros  de  chevaliers,  se  tient  à  Douvre  prêt  à  se 
porter  où  ii  faudra.  Précisément,  Jehan  était  arrivé  à  une  lieue 


En  peu  d'eure  prist  alarmer. 
De  l'escuier  où  il  vint  liés 
S'est  départis  moat  coureclés; 
Moût  dolans  à  son  hostei  va 
Où  Robin ,  son  varlet,  trouva. 
En  pldurant  li  a  dit  :  «  Robin, 

2490.  c  Perdu  avons  nostre  cbemin. 
c  Cbéas  sai  de  si  baut  si  bas  : 
«  Je  soi  li  plus  très  cbétis ,  las 
«  Qui  puisse  ne  morir  ne  vivre. 

3611 Multfudesagentgrantiaroute: 

Et  Jehans  entr'ax  tost  se  boute  ; 
Ne  ponrquant  s'amoar  n'ont  ii  pas. 
Tant  chevaucent,  isnel  le  pas, 
Que  bors  de  Londres  sont  venu. 
Li  quens  de  Clocestre  a  véu 
Jeban  ;  mais  pas  ne  V  connoissoit, 
Conques  mais  véu  ne  Tavoit. 
Si  a  talent  qu'il  li  demant 

2620.  Où  il  va,  dont  vient ,  et  commant. 
Pour  sa  robe  qu'U  vit  françoise, 
Li  sambla  nés  devers  Ponloise. 
Si  vaut  à  lui  parler  françois, 
Hais  sa  langue  tome  en  englois. 
Jebans  premiers  le  salua 
Et  Jebans  tost  respondu  a. 
c  Amis,  bien  fustes  vous  vené, 
c  Cornent  fu  vostre  non  pelé? 
«  —  Sire ,  dist-il ,  j'ai  non  Gautier  ; 

^6i0.  «  Je  sois  nés  devers  Mondidier. 
«  —  Gautier  I  diable  !  ce  fu  non  sot. 
«  Et  ou  vole  vous  aler  tôt? 
«  Cil  varlet  fou  il  vostre  gent. 
«  Coi  fù  munté  seul  cbeval  gent? 
c  —  OU  voir,  Sire,  il  est  à  moi, 


«  Il  me  garde  ce  palefroy. 

«  — Voel  le  vous  vendre  ?  Je  cater, 

«  Si  vous  vol  à  raison  donner. 

«  Il  fout  moût  b*l  pien  de  deniers. 

«  —  Sire  je  '1  vendrai  volentiers,     3640. 

«  Fait  Jehans ,  car  marcheans  sui. 

«  Se  vous  volés  avoir  cestnl 

«  Prendre  voirai  de  vostre  avoir 

«  Itant  com  J'en  vaurrai  avobr  : 

«  Autrement  point  n'en  venderai. 

c  —  Nai,  par  la  goisse  bin,  nai,  nai  ! 

«  Qao  deble?  ce  sera  trop  cbère; 

«  En  vous  a  bone  fote  entère  (i). 

«  N'en  voelle  plus,  tiene-vous  pès. 

«  —  Sire,  dist-il  ne  n'en  puis  mais.  »  3650. 

Assés  rist  li  quens  et  gaba 

De  l'avoir  qu'il  11  demanda  ; 

Nepourquant  s'il  11  déUvrast 

Et  tout  quanque  avoit  U  donast, 

N'eust-ll  pas  le  palefroi. 

Car  Jehans  l'aime  autant  com  soi. 

Car  il  bée  sur  lui  à  mettre 

Blonde  pour  santé  en  lui  mètre. 

A  tant  le  laissièrent  ester, 

Si  entendirent  al  errer.  3660. 

Vers  prime  chai  une  pluie 

Qui  au  conte  forment  anuie, 

Car  vestus  ert,  sur  son  ceval. 

D'une  robe  de  vert  cendal. 

SI  fu  moût  durement  moillie 

Ains  que  la  pluie  fust  faillie. 

Ne  onques ,  pour  lui  garandir. 

Ne  séat  riens  desenre  vestir. 

Ne  il  ne  fu  qui  li  tendlst 

Jehans  l'esgarde ,  si  s'en  rist  ;        S670. 


(1)  Bon  fon  enUer. 


164 


JEHAN   DE  DAMMARTIN 


de  Douvre,  dans  une  épaisse  forêt,  où  prévoyant  bien  le  dan- 
ger, il  se  cache  avec  Blonde,  et  tous  deux  achèvent  de  manger 
les  pâtés  qu'Us  avaient  en  provision,  taudis  que  Robin  se  glisse 


El  li  quens,  qui  bien  le  vit  rire, 
U  prie  qa'il  li  voelle  dire, 
Par  de  foi  qu'il  doit  tous  franchis, 
€  Por  quel  cos  fate  ]eté  ris.  » 
Jehans  dist  :  «  Je  le  vous  dirai, 
«  De  mot  06  vous  en  mentirai  : 
«  Se  j'estoie  aussi  rices  hom 
€  Corn  vous  esteb,  une  maissn 
«  Tous  jours  0  moi  emporteroie, 

ÎG80.  «  En  quoi  mon  cors  e8Con8erole(l). 
c  Si  ne  seroie  pas  soiiliés, 
«  N'aussi  com  vous  estes,  moilliés.  » 
De  ceste  parole  se  rist 
Li  quens,  et  ses  compaignons  dist  : 
«  Gompainons,  avas  vous  oïs 
«  Toute  le  melor  sot  francis 
«  Que  vous  péussiés  mai'sgarder? 
«  Qui  me  vola  pour  moi  conser 
«  Fëre  0  moi  porter  mon  meson  ? 

2690.  «  Avas  vous  tendu  bon  briçon  (2)  ? 
«  —  Sire,  cbascuns  d*aus  li  respont, 
«  saciés-vous,  tout  voir  francis  sunt 
«  Plus  sole  c'un  nice  brebis.  » 
Jehans  entendi  bien  leur  dis , 
Hais  il  n'en  ûst  onques  sanlant. 
Tuit  li  Englës  le  vont  moquant, 
Dient  moût  a  en  lui  bon  sot  ; 
Jehans  se  talst ,  ne  respont  mot. 
Entre  lex  gabois  chevauchèrent 

2700.  Tant  c'une  rivière  aprochlerent, 
Où  il  convint  passer  à  gué. 
Et  11  quens ,  cui  il  vint  à  gré , 
S'embati  el  gué  tout  premiers. 
Mais  ne  seul  pas  les  droits  sentiers  ; 


Dou  droit  cemln  se  fourvoia 

Si  que  par  peu  qu'il  ne  noia. . 

En  une  fosse  s'embati 

Si  que  del  cheval  Tabatl 

LI  auwe,  qui  le  sousprist  par  force  ; 

Si  but,  de  çou  ne  fai  ge  force.        2710. 

Illuec  eust  esté  noiiés , 

Se  tost  ne  s'i  fust  avoiiés 

Uns  peschlères  en  .j.  batel 

Que  ses  jens  hukiërent  Isnel  ; 

Car  lui  secourre  aler  n'osèrent 

Pour  U  auwe  que  forment  doutèrent; 

Mais  li  peschlères .  à  esploit. 

S'en  vint  au  conte  qui  buvoit 

Mais  mie  ne  s'eny verra, 

Plus  d'iauwe  que  de  vin  i  a.  2720. 

Li  peschières  en  son  batel 

Le  mlst,  dont  il  li  fu  moût  bel. 

Puis  s'en  vont  querre  le  cheval. 

Qui  aloit  noant  (3)  contreval; 

Du  croc  le  prendent  par  les  règnes, 

Puis  nagent  tant  qu'à  quelque  palnes 

Issent  de  l'autre  part  à  terre. 

Et  les  jens  si  alèrent  querre 

Le  gué ,  tant  que  il  le  trouvèrent  ; 

Tout  souavet  (4}  outre  passèrent.     27 JO. 

Jehans  et  Robins  ensement 
Passèrent  le  gué  sagement , 
De  l'autre  part  vienent  au  conte , 
Qui  assés  ol  eu  de  honte , 
Car  sa  cainlure  et  sa  chemise 
Et  sa  cote  est  en  tel  point  mise, 
Jamais  ne  li  aura  mestier. 
Derrière  estoient  si  sonunier 


(l)  Àbseonderem.  —  (2)  liai,  briccone,  bas-lalin  brkosut,  allem.  ver-hrecher  :  fripoDi 
(S)  NatâHi,  —  (4)  Salvi/icûtû 


BT   BLONDE    D'oX^ORD. 


165 


à  la  découverte  du  marinier,  qui  attendait ,  et  de  son  iiateau. 
Jehan  avait  préalablement  frotté  le  visage  de  son  valet  avec 
«  rherbe  qui  pâlit,  »  en  sorte  que  le  pauvre  Robin,  devenu  tout 


Où  ses  antres  robes  estoient  ; 

3740.  De  si  loing  après  ans  venoient 
Que  se  il  les  vansist  atendre , 
Sans  autre  robe  sèche  prendre, 
li  pèast  bien  de  froit  trembler. 
Si  a  tost  fait  desafabler 
Un  de  ses  chevaliers  Englès 
De  chemise  et  de  cote  après, 
Pals  s'en  vesti  isnelemant. 
Et  chil  va  la  robe  tordant 
Qui  entor  le  conte  ot  esté  ; 

2750.  Pais  la  vest,  n'i  a  arresté, 
Ne  devra  pas  avoir  trop  caat, 
Car  froide  robe  ne  II  faut* 
A  tant  remontent ,  si  en  vont 
Loar  voie  errant  acaeillle  o[n]t. 
Li  qaens  n'a  pas  lonc  plaît  tenu 
De  çoQ  qui  il  fu  avenu  : 
Pour  oublier  sa  meseslance 
  Jehan  moquier  recomence, 
Pour  la  maison  dont  il  parla  ; 

2760.  Mais  partans  plus  le  moquera, 
Car  Jehans  maintenans  li  dist 
Tel  cose ,  dont  rire  le  flst  : 
«  sire,  dist- il,  encor  voel  gie , 
«  Se  vous  m'en  donds  ie  congle, 
«  A  vous  aprendre  un  de  mes  sens? 
«  —  011,  respont  li  quens  tous  tens, 
«  Disa  vous  çou  que  vous  vola.  » 
Jehans  adont  ainsi  parla  : 
«  Sire,  dist-il,  sachiés  sans  doute, 

2770.  «  Se  mener  pooie  tel  route , 

c  Com  vous  faites,  par  vostre  avoir, 
«  Jà  périlleuse  iauwe,  pour  voir, 
<c  Sans  pont,  pour  riens  ne  passeroie; 


«  Mon  pont  avoeqaes  mof  merroie, 

«  Que  j'auroie  bon  et  séur, 

€  Adont  passeroie  asséor.  » 

Tult  li  Englès ,  qui  l'on  ol, 

Durement  s'en  sunt  esjoL 

Mais  11  quens  en  a  mult  grant  joie, 

Qui  cuide  que  Jehans  foloie ,  2780. 

Moût  le  tienent  toit  a  bon  sot  ; 

Et  Jehans,  qui  lui  moquier  ot, 

Se  taist ,  ne  nui  mot  ne  respont. 

En  lui  gabant  chevaucié  ont 

Tant  c'au  Senefort  aprocièrent  ; 

Car  d'aler  forment  se  coiUèrent. 

Moût  avoient  fait  grant  Jomée, 

Car  n'erent  fait  point  d'arrestée 

Pour  disner  ne  pour  autre  cose. 

Car  li  quens  Tenre  passer  n'ose,      S7^. 

Car  il  cuidoit  avoir  s'amie. 

Pour  ce  ne  vot  arrester  mie. 

Alns  erra  toute  jour  si  fort 

Qu'ains  la  nuit  vint  Osenefort , 

Où  li  pères  Blonte  (i)  l'atant. 

Auqoes  (2)  aioit  ]à  anultant 

Jehans,  qui  les  sentiers  savoit. 

Quant  du  Senefort  se  dont  (?) 

Au  conte  erramment  congié  prent 

Et  H  quens  forment  l'en  reprent,     2800 

Et  dist,  s'il  veut/  qu'il  ert  à  lui  ; 

Jehans  dist  que  ce  n'ert  mais  hui. 

Car  ailleurs  le  convient  aler. 

«  Et  où  vola  vous  dont  tourner? 

«  Puisse  veoir  qu'il  fu  jà  nuit, 

c  Viene  vous  haubergier  mais  huit. 

«  Où  vous  me  conta  vo  l>esoing, 

«  Ou  nul  tourner  vous  Je  ne  doing. 


•v^ 


(1)  Cf.  Y,  3M.  —  (2)  AliqnêlenU,  «n  pea  {  Yoy.  8611, 


166 


jbhàn  de  dammartin 


pâle  comme  s'il  avait  la  fièvre,  même  ridé,  et  se  courbant  comme 
un  vieillard  sur  un  bâton  de  pommier,  passe  sans  être  reconnu 
parmi  les  gardes  du  comte  de  Glocester;  il  en  reçoit  même  de 


«  —  Sire,  dist-11,  ains  que  demour 
S810.  «  Ycasdiraipoor  coi  jem'ento[ajr, 
«  Antan  (l)  et  auqaes  près  de  chi 
«  .j.  trop  bel  espervier  coisi  (3), 
«  Del  avoir  soi  en  tel  bretesce 
«  Que  je  i  tendi  ma  proueche  (3). 
«  Or  vois  véoir  se  je  Tai  pris.  » 
Toit  li  Englès ,  qui  l'entendirent, 
Moût  l'en  moquièrentp  malt  en  rirent. 
En  li  qaens  11  dist  :  «  Amis  doai, 
«c  Vous  seras  fol,  par  saint  Badoul  ! 
^M  «  Yostre  tendre  fa  toat  pour!  ; 
«  Ne  paisse  durer  daskes  chi, 
«  Ne  bretescbe  ne  oiselète. 
«  Laisse  vous  pès,  viene  voas  fête 
«  Garder  de  le  plus  bel  porcel  (4) 
«  Dont  puisse  bomnebaisier  mosel. 
«  Demain  la  pues  veoir  bouser  (5), 
4c  A  moi  se  ta  voeles  aler. 
«  —  Sire,  dist'il,  sans  autre  atente, 
«  Avant  irai  veoir  ma  tente. 
9830.  c  Se  Dieu  plaist,  bien  venrai  a  point 
«  Asnoecbes,  ains  c'on  la  voasdolnt.  » 
Dist  li  quens  :  «  Alé-vous  dont  to^t 
«  De  mouser  {6}  plas  je  ne  vous  ost.  » 
Adont  ist  Jebans  de  la  route  (7), 
Qui  de  lui  mokier  fa  estoute  (8). 


Mais  tex  gabe  à  le  fols  (9)  autrui 

Qui  11  gabois  (10)  revient  sour  lui. 

Ainsi  Ûst-il  deseur  le  conte , 

Car  aussi  com  le  tmis  el  conte 

Le  sens  de  lui  de  tant  widoit  2840* 

Que  si  tost  Blonde  avoir  caidoit. 

Ele  n'avoit  c'un  cuer  en  lui  ; 

Si  i'ot  donné  autrui  que  lui 

Bien  i  parut  car  à  grant  paine 

Fa  de  penser  mainte  semaine. 

Blonde  la  vraie  «  l'amoareuse, 

Moût  fadoutans,  moût  fu  soingneuse 

Que  ne  la  perdist  ses  amis 

En  qui  ele  avoit  son  cuer  mis. 

Hais  quant  ce  vint  au  parestroit,     3850. 

Qu'ele  seut  que  li  quens  venoit, 

Et  que  ses  pères  ot  mandés 

Tous  ses  parens  et  assamblés, 

Adont  ert  ses  cuers  en  balance  -, 

Mais  un  petit  a  d'espérance 

De  cou  qu'ele  voit  qu  il  ert  tans 

Que  ses  amis  viegne.  Partans 

Por  çou  s'est  des  dames  emblée  (il), 

Dont  laiens  est  grant  l'assamblée. 

.j.  forgler  empli  de  joiaus  (13),        3860. 

N'en  vaut  porter  autres  torsiaus  (13). 

Le  forgier  (U;  prent,  seule  s'entome. 


(l)  Àntequàm.  —  (9)  Quœtii,  —  (3)  Il  fiaut  lire  :  Ii'n  tel  proueche^  que  je  y  tendis  ma 
bretesche  (engin  de  guerre  ou  de  cbasse).  —  (4)  La  plus  belle  pucclle.  Après  avoir  fait 
dire  il  son  Anglais  «  pourceau  »  pour  pucelle ,  il  joue  encore  sur  le  sens  sale  de  «  bouse.  » 
—  (6)  Epouser.  Voyez  encore  les  vers  3161  et  3346.  —  (6)  Muser,  perdre  le  temps.  — 
(7)  Compagnie  de  routiers.  Cangii  giosi.  ▼•  routa,  —  (8)  Erslulta.  insensée.  —  (9)  Ad 
illam  vieem,  parfois.  —  (10)  Gaber,  gabois,  gabeis,  se  moquer  ;  du  Scandinave  gabba, 
ditoni  Je  suppose  un  radical  latin  perdu  d'où  venait  aussi  gavittu,  —  (11)  Eloignée, 
ambttiata  ou  involala  —  (IS)  II  devait  y  avoir  au  moins  deux  vers  avant  celui-ci  expli- 
quant que  Blonde  se  dirigeait  vers  ce  forgier,  et  que  le  copiste  aura  santés.  —  (13)  Trons- 
seau.  —  (U)  Forgier  on  forrier,  coffre  ferré  ou  onffre-fort. 


ET   BLONDB  D  OXFORD. 


167 


larges  aumônes.  Le  comte  lui  donne  douze  esterlins,  ses  chevaliers 
six  deniers  chacun,  et  il  gagna  bien  quarante  sols.  Le  marinier, 
auquel  il  renouvelle  la  promesse  qui  lui  avait  été  faite  par  Jehan, 


Basques  au  périer  ne  «ejome 
Où  leur  coDgiés  eat  esté  pris, 
Et  li  jours  del  revenir  mis. 
Hais  encor  ni  ert  pas  Jehans, 
Dont  Blonde  eut  au  caergransabans. 
Le  postis  est  alée  oavrir 
Par  où  Jehans  devoit  venir  ; 

3870.  S'escoute  et  oreille ,  et  regarde 
S'ele  l'orroit,  car  moût  li  tarde. 
Mais  encor  pas  Jelians  ne  vient 

3085 Si  se  siéent  en  dementlers  (i) 

Li  dui  conte ,  et  chii  de  Glocestre 
LI  commence  à  conter  de  l'estre 
Jelian ,  que  il  avoit  véu , 
Hais  ne  l'avoit  pas  connéu. 

S090.  Dont  li  conte  et  dist  :  «  Sire  quens, 
«  Onques  mes  ne  ta  sot  si  boens 
«  Comme  .j.  francis  qui  bul  vena 
«  0  mol  j  et  mervelles  disa. 
«  Il  plouvina  bien  par  matin 
«  SI  que  bien  fui  moulllié  en  fin 
«  Hon  cote ,  que  j'ava  vestu. 
«  Pour  çou  me  disa ,  se  il  fu 
4c  SI  riche ,  que  fera  porter 
«  Une  maison  pour  soi  conser. 

3100.  «  Et  plus  me  disa  il  encor  : 
«  Je  vols  cbater  (-2)  palefroi  sor, 
«  Qui  fu  par  devers  lui  mené, 
«  Bêle  lorain ,  bêle  selé. 
«  Quant  il  fu  demandé  pour  vendre 
«  Si  me  disa  qu'il  voira  prendre 
«  Son  volonté  d'avoir  que  j'ai  ; 


4c  Hais  je  li  fis  respondu  nai. 

c  Assés  fa  ganes  (3)  de  tex  mox  ; 

«  Hais  par  la  golsse  bien  plus  sox 

«  Sera  pais  d'un  autre  busoiog        silO. 

«  Que jechevauchai, pour grantsoing 

«  Que  j'ava  de  celui  prochier. 

«  Se  cevauça  devant  premier, 

«  Tant  qu'en  un  rivier  me  bati  ; 

«  Hais  en  .j.  grant  fossé  flati. 

«  Hon  cheval ,  si  sera  chéu, 

«  Par  peu  je  n'ara  trop  béa. 

«  Une  pécheurs  me  rivela 

«  Tout  outre  le  rivier  de  la , 

«  Et  mon  palefroi  griolé  ;  3130. 

«  Dont  vinrent  mon  gent  tôt  dolé 

«  Pour  çou  k'ii  me  sera  venu. 

«  Tout  mon  drap  fu  tost  devestu, 

«  Pris  plus  seces  d'un  cbevalier 

«  Qui  commença  les  miens  saler, 

«  Puis  fui  monté,  sans  plos  demoar; 

«  Dont  parla  le  bon  sot  françor 

«  A  moi ,  et  disa  tel  merveii  : 

«  SI  sera  d'avoir  ml  pareil , 

«  Tous  tens,  quant  voira  ceminer,    3180. 

«  Fera ,  pour  son  cors,  pont  mener 

«  Puis  sera  passés  sans  redout. 

«  Âdont  le  ganames  trestout 

«  Et  moût  en  eusmes  bon  feste, 

«  Dont  m'en  va  Tamblée  sans  areste. 

«  Tout  ria  de  cest  sot  francis, 

«  Hais  partans  aura  je  plus  pris. 

€  Quant  près  ceste  vile  vena 


(1)  Pendant  ce  temps.  On  troave  aassi  endementre»,  detnentre;  ital.  mentré.  C'est 
in^dûm-ittterea,  comme  le  lendemain,  qui  devrait  être  et  avait  été  d'abord  l'endemain 
est  in^e-manè  {proximo).  On  trouve  encore  «  entrementiers ,  »  interdum  infère».  — 
(2)  Acheter;  voy.  v.  2637.  —  (3)  Trompé?  Voy,  v.  3133. 


168 


JBHATV   DE  MMMABTIN 


de  Tenrichir  pour  toute  sa  vie  s'il  pouvait  le  passer  en  France, 
se  montre  tout  dévoué.  11  promet  une  chaude  assistance,  fournit 
Robin  de  bonnes  armes,  enivre  les  espions  du  comte  avec  un 


«  Partement  de  moi  demanda  ; 

3140.  «  Mais  je  ne  li  vola  donner 
«  S'il  ne  me  disa  son  aler. 
«  Dont  me  disa  on  bon  sotie  : 
«  Qa'ii  fa  an  an  toate  compile 
«  Qa'ava  tendu  en  un  vergier, 
«  U  bel  brechesse  k  un  pervier, 
«  S'ira  veoir  s'il  sera  pris. 
«  Sacés-vouft  bien  que  dont  fui  ris  ; 
«  Et  se  ii  disa:  bel  ami, 
«  Ton  tendre  fu  Irestoat  pouri. 

3150.  «  Hais  vlene  vous  o  moi  jouer 
€  Si  verras  bel  pourcel  pouser. 
«  Onques  ne  se  vola  venir, 
«  Àins  se  fu  partis  grant  air  ; 
«  Ne  sara  plos  que  il  devint, 
«  Or  savas  comment  tout  avint.  » 

3340   ...  .Or  entent  11  quens  de  Ciocestre 
Que  ii  ne  paet  autrement  estre. 
Si  U  fait  ire  le  cuer  fondre 
Qu'en  grant  piecenepuetrespondre; 
Mais  en  la  fin  a  respondu  : 
«  Lasse  !  dolant,  j'a  tout  perdu, 
«  Mon  douce  amie,  bel  pourcel  (l)  ! 
«  Mais  je  le  siurrai  si  isnel 
«  Que  je  la  prendrai  en  la  mer. 
«  Toutes  les  pors  fera  garder, 

33^.  c  Ainsi  porront  estre  trapés. 


«  Puis  fera  pendre  sur  .1j.  pés 

«  La  mauvaise  laron  franchis , 

«  Qui  si  dolent  a  men  cuer  mis. 

«  Puis  fera  Blonde  repentir 

«  De  mal  que  me  faisa  sentir. 

€  Convient  faire  grant  pénitance 

«  Pour  mon  dolor,  pour  mon  pesance 

«  Avant  que  moi  se  puist  corder 

c  Convient  qu'ele  voist  fermer 

€  La  bart  entor  cor  son  ami ,  3360. 

«  Don  sera  bien  venglé  de  li. 

«  Pois  en  fort  prison  le  metra , 

«  Tant  que  bien  comparé  ara 

«  Son  grant  soti  et  son  méfiait  ; 

«  Bien  saurai  moi  vengier  du  fait  » 

Blonde,  qui  ne  l'ose  desdire,  3976. 

Ses  armeures  U  atire  (2). 

Primes  vest  unes  espaulières 

De  boure  de  soie  mult  chières. 

En  son  cbief  mist  un  bacinet  3980. 

Fort  et  tenant ,  et  bel  et  net. 

Après  a  vestu  .j.  hauberc , 

Il  n'ot  .j.  milleur  dusk'à  Merc  (3). 

Bien  le  cbaint  Bionte  d'un  tissu 

Qu'ele  meismes  ot  tissu. 

En  son  chief  une  galandescbe  (4), 

Qui  estoit  de  l'uevre  galesce  (5;, 

Li  lâcha  sa  très  douce  amie. 


(1)  On  voit  bien  ici  qot*  la  {.Uisanlerie  consiste  2i  (aire  confondre  par  l'anglais  pucelie 
et  pourcel.  ~~-  (2)  Arrange;  atiramentum,  attirail;  tirare,  dans  le  sens  de  trahere, 
est  très-nsilé  en  bas  latin.  Atire  et  attire  sont  donc  le  même  mot  dont  la  Torce  a  aug- 
■enté  avec  le  temps.  —  (3)  Maroc?  ~  (4)  Diminoiif  de  gallanda,  garlanda,  ital. 
^At'r/antfa,  guirlande,  qoe  les  anciens  étymologisles  tiraient  simplement  et  naturellement 
du  latin  et  bas  latin  gyrus,  gyrare,  girulare.  Diez  s*y  oppose  parce  que  l'accent  ne  repose 
pas  sur  la  même  syllablc  dans  les  deux  ordres  de  mots ,  et  propose  l'ancien  haut  germain 
yfiûru,  eoaronne!  Littré  le  suit,  toalen  acceptant  gyrare  pour  girandole,  girouette  ,  et 
en  le  méconnaissant  dans  giron.  —  (5)  De  Galice. 


ET   BLONDE  D  OXFORD. 


169 


baril  de  vin  du  Rhin  pour  qu'ils  ne  Tarrèfent  point  au  passage, 
et  garnit  sa  barque  de  vingt  jeunes  bacheliers  résolus  à  la  bien 
défendre.  En  apprenant  les  nouvelles  que  son  valet  lui  apporte, 


Ses  bêles  mains  n'espargne  mie 
S990.  À  lai  servir.  Tant  bêlement 
Le  sert  que  se  tout  son  vivant 
Bust  usé  de  tel  mestier 
Si  s'en  seat  ele  bien  aidier. 
Ne  doit  estre  de  cuer  faillis 
Qui  de  tel  servant  est  servis. 
Seor  son  haubert  vest  .j.  pnuî'polnt 
De  nul  mineur,  ne  deiranc  point. 
Par  deseure  a  cbairle  s'espée, 
Qui  fu  trencans  et  amourée  (i). 
i"it9  ftcole  s'am'e  et  baise , 
Et  dist  :  X  Or  jioiiés  tout  aaise, 
«  Amie  y  et  ne  doutés  rien  ; 
«  Car  de  tant  vous  asséur  bien 


AfiOfi 


Si  qu'entour  aus  assés  clere  voient.  1020. 
La  grant  ambléure  s'avoient  (5) 
Duskes  adont  que  au  port  vinrent. 
Blonde  et  Robin  joignant  se  tinrent 
DeJeban,  qui  estoit  entr'aus. 
Tant  ont  erré  quil  virent  ciaus, 
Qui  pour  bien  mie  ne's  atendent. 
Quant  les  espies  les  entendent, 
Il  salent  (6)  sus  isnelement. 
Li  uns  des  .iiij.  Blonde  prent 
Par  le  lorain,  et  U  dist  :  «  Dame,     4030 
«  Vous  arresterés  chi ,  par  m'amel 
«  Fols  fu  qui  vous  prist  en  conduit, 
«  De  maie  mort  morra  anuit  (7).  » 
Jehans  11  a  dit  :  «  Vous  mentes. 


«  Se  nous  trouvons  qui  mal  nous  voelie,«  Se  vous  m*espée  ne  sentes 
«  Se  m'espée  u  cors  ne  U  moelle  (2)     «  Jamais  ne  me  pris  (8) .  j  denier.  » 
«  Jamais  ne  quier,  à  nesun  jour.         Atant  l'a  traist  sans  atargier  ; 
«  Avoir  joie  de  vostre  amour.  S'en  flert  celui  parmi  la  teste 

«  — Mesdousamis,cberespontBlonde,sl  grant  cop  que  11  bras  n'arreste 
«  Or  nous  consaut  (3)  li  rois  du  monde.»  Devant  quHl  11  vient  au  menton. 


4040. 


4010.  A  tant  se  fu  armés  Robins 

D'un  pourpoint,  qui  fu  doubientins  ; 
De  fer  eut  ou  cief  capelier, 
Et  à  son  cbaint  coutel  d'acbier. 
Puis  a  les  chevax  effrénés 
Et  devant  Jeban  amenés. 

Jebans  a  s'amie  montée , 
Puis  est  montés  sans  demonrée. 
A  tant  acuellent  à  esploit 
Leur  oirre  (4) .  La  lune  luisoit 


Puis  li  a  dit  :  «  Outre ,  glouton, 
«  Trop  paréus  le  cuer  vilain 
«  Quant  à  m'amie  méis  main.  » 
Quant  li  autre  troi  celui  virent 
Froit  mort,  Jehan  fort  assalirent. 
Et  Jehans  pour  leur  cox  guencist  (9) 
Si  ke  les  .ij.  falir  en  flst, 
Et  11  tiers  a  tel  cop  féru 
Que  dei  hauberc  mailllé  menu 
Li  a  .j.  pan  desons  osté. 


4050. 


(1)  Aiguisée.  L'amure  est  le  tranehani  et  par  extension  la  lame.  Le  baron  empoignant 
son  épée  «  contre  le  fiel  valt  l'amare  tarnant  »  (ch.  de  Roland,  str.  89).  C'est  ampu 
Utiorum.  —  (2}  Verbe  paraissant  formé  sor  nn  diminutif  de  mopere,  —  (8)  Cùniiliet 
poor  eomilietur.  —  (4)  Se  adcolligunt  ad  explicilum  fefflciendumj  illorum  ilerare.  — 
(6)  Barb.  adviaticant.  —  (6)  Voy.  Manek,,  v.  1174.  —  (T)  Ad  noctem,  tantAt,  avant 
demain.  —  (8)  Qu'on  ne  me  prise.  —  (9)  Voir  aux  Addition». 


170 


JEHAN  DS  DAMMARTIN 


Jehan ,  malgré  le  tendre  efhroi  de  son  amie,  s'apprête  au  combat 
et  commence  par  fondre  sur  les  quatre  sentinelles  du  comte; 
aidé  de  Robin,  puis  du  marinier,  il  les  met  toutes  quatre  à  mort; 


Lé  jenoail  li  east  colpé 
Se  il  n'éust  banque  (l)  de  fer, 
Ensi  coin  deables  d'enfer. 
Aia  la  hace  jusqu'en  terre  ; 
Jehans  le  voit ,  li  cuers  li  sëre. 
Par  si  grant  maitalent  le  fiert 
De  Tespée ,  qui  trencans  ert , 
Ke  le  bras ,  o  (2)  toute  la  bâche , 
Li  abati  emmi  le  place. 

4060.  Quant  li  ribaus  ainsi  se  voit , 
Que  l'un  des  bras  perdu  avoit , 
Fuis  s'en  est  de  la  mellée, 
Et  prent  son  cor,  sans  demort^e  ; 
Si  corne  de  si  grant  aïr 
Qu'il  se  ûst  à  i'ostôl  oïr, 
Où  li  quens  ert ,  qui  ne  dort  mie. 
Quant  il  entendi  la  bondie  (3) 
Bien  set  que  Jehans  est  au  port, 
Si  a  crié  as  armes,  fort. 

4070.  A  dont  s'arment  sans  longue  alente, 
Et  Jehans  a  au  port  entente. 
Des  .ij.  qui  encore  erent  sain 
Robins,  le  coutel  en  sa  mam, 
En  vient  à  l'un,  si  le  feri 
Si  k'il  l'abat  mort  si  seri  (4) 
C'après  le  cop  ne  se  plaint , 
Car  del  coutel  au  cuer  le  point, 
A  tant  li  maroniers  oï 
Le  cor,  dont  pas  ne  s'esjoï. 


Bien  set  Jehans  est  assalis  ;  40A0. 

Hors  de  sa  nef  est  tost  salis , 

Au  corneur  le  cours  (5)  en  vient, 

De  la  gise  arme  que  il  tient 

Li  a  fait  la  teste  voler  : 

«  Ribaus,  dist-ii,  or  pues  corner  ; 

«  Coment  que  Jehans  en  avlegne 

«  Necroimaisquenusbienteviegne.  » 

Quant  li  quart,  qui  encor  fu  vis. 
Vit  tous  ses  compaignons  ocis, 
Enfuianl,  ou  qu'il  puet  randonne  (6),  4090. 
Et  en  fuiant,  .j.  court  mot  sonne 
Del  cor  que  11  avoit  au  col. 
Hais  or  se  tient  Jehans  à  fol 
S'il  ne  li  vent  bien  son  corner. 
Dont  commence  à  esperonner, 
Quanqu'il  puet  courre  après  lui, 
En  peu  d'eure  Ta  consivi  *. 
Si  le  flert  si  el  haterel  (7) 
Que  par  le  milieu  del  cervel 
Li  mist  s'espée  dusk'as  dens ,  4100. 

Et  il  est  mort  chéus  as  dens  ; 
Puis  est  acourus  vers  s  amie. 
Et  li  maroniers  ne  detrie  (8), 
Ains  vieut  à  aos ,  si  les  salue. 
Puis  dist  :  «  Jehan,  en  vostre  ajuwe 
«  Sui  ci  venus  pour  vous  aidier. 
«  Bien  l'avés  fait  au  commencier, 
«  Mais  ore  en  venés  sans  demeure, 


(8)  La  hanche ,  anca,  ancha,  hancha,  ayxoç.  —  (2)  Le  scribe  a  mis  ot,  »  (3)  Reten- 
tissement; de  bombus,  bombitare,  dit-on.  —  (4)  Ci-desKas  ,  p.  124,  n.  1.  —  (5)  Cursus, 
il  court  i  lai.  —  (6)  Verbe  formé  snr  l'expression  «  randonée,  randonnée,  conrir  k  ran- 
don.  »  C'est  :  ad  redditionem  on  ad  renitionem  (barb.  de  renuer^f,  renutare,  renitil), 
courir  jusqu'à  ce  qu'on  n'en  puisse  ou  n'en  veuille  plus.  —  (7)  La  nuque ,  le  cou.  On  ne 
sait  d'où  vient  ce  hasterrl;  toutefois  on  peut  lui  supposer  une  parenté  avec  hanstus, 
et  y  voir  l'appareil  servant  ii  puiser  ce  qni  est  nécessaire  à  la  vie  —  (8)  De-trirat, 
tricatur. 


BT   BLONDS  D'OXFORP. 


171 


mais  Tune  d'elles  a  eu  le  temps  de  sonner  du  cor  pour  avertir 
le  comte  de  Glocester,  et  celui-ci  accourt  avec  tous  ses  cheva- 
liers (3976).  Gr&ce  a  son  excellent  cheval  anglais,  Morel,  le  comte 


€  Ça  vous  ne  garderés  jà  l'eare 

4110.  «  Que  li  qaens  et  sa  gent  venrront, 
«  Car  leor  cornés  bien  oïs  ont.  » 
El  Jehans  moat  le  mercia 
De  l'aide  que  de  11  a. 
Aassi  flst  Blonde  dorement, 
Puis  8*arroatent  isnelement, 
Hais  ains  qu'à  la  nef  paissent  estre 
Vint  poignant  (l)  li  qaens  de  Clocestre 
Sur  Morel  son  poignant  (2)  destrier, 
El  pals  n'ot  millour  coursier 

4458.  Hout  fu  li  quens  plains  de  grant  ire, 
Si  grant  nus  ne  le  poroit  dire, 

4460.  Quant  voit  qu'il  a  Bionde  perdue, 
Et  se  jeut  morte  et  confondue, 
Bt  lui  aussi  navré  el  cors. 
As  vis  (3)  a  fait  cargier  les  mors 
Et  dedens  le  moustier  porter, 
Pour  aus  a  fait  messe  canter, 
Après  les  a  fait  enfouir. 
Pour  lui  et  les  navrés  garir 
Manda  mires ,  sans  nule  faute  (4). 
La  plaie  qii'il  ot  en  i'espanle 

4470.  Fist  tenter  et  apparillier, 
Car  il  en  avoit  grant  mestier. 
Puis  s'en  llst  porter  en  iilière 
Duskes  en  son  pals  arrière  -, 
Car  il  n'eut  qui  li  consillast 
C'après  Jehan  en  France  alast  : 
«  Quant  tant  avons  perdu  de  chà 
«  Assés  tost  perdrions  de  là. 
«  Ce  sont  debles  et  anemis 
«  En  combatre  de  par  Francis. 

4480.  «  Deble  puissent  vers  aus  aier  ! 


«  Lesse  vous  vo  pourcei  pouser 

«  Vous  trouvera  pourcei  plenté  ; 

c  N'as  plus  vers  ceste  volenté. 

«  Vous  disa  bien,  dist  U  quens,  nai  ; 

«  Mauvais  sont  et  que  faire  n'ai.  » 

Aussi  n'eut  des  meures  Renars 

Quant  failli  eut  de  toutes  pars 

Et  U  vit  nule  n'en  auroit , 

Dont  dist  que  cure  n'en  avoit 

Aussi  flst  li  quens  de  Clocestre,        UM. 

Quant  vU  qu'  autrement  ne  poet  estre, 

Il  dist  que  il  n'en  aroit  cure. 

Tant  ot  à  ester  mise  cure, 

Dolans  et  mas  et  esbabis , 

Qu'il  revinrent  en  leur  pals  ; 

Ensi  li  quens  Blonde  perdi. 

De  lui  desor  mais  plus  ne  di , 

Ains  vous  conterai  des  amans 

Qui  en  la  nef  furent  joians 

De  çou  k'il  sont  escapé  vis  4500. 

Des  assaus  de  leur  anemis. 

Or  dist  li  contes  :  sans  targier 
Vinrent  de  Bouloige  el  gravier. 
Li  dui  amant  issirent  fors , 
En  la  vile  en  entrèrent  lors 
El  mineur  ostei  qu'il  séussent. 
Or  ne  cuidiés  pas  qu'il  n'eussent 
Avoec  aus  le  bon  maronier, 
Qui  leur  eut  en  tel  mestier. 
Si  eurent ,  et  tant  le  mercient         4510. 
Que  plus  de  V"  fois  li  dient 
Que  moût  très  bien  U  meriront  (5;. 
Mais  pour  leur  plaies  mandé  ont 
Un  mire ,  qui  en  Boloigne  ert. 


(1)  Pungens.  —  (2)  Pugnans.  —  (3)  Aax  vivaots.  —  (4)  Sans  d^lai,  (alla  est  latii. 
mais  avec  le  sons  de  fausseté,  —  (6)  UN  mernerunt,  mertnt. 


173 


JEHAN   DB  DAMMARTIN 


était  fort  en  avant  de  sa  troupe.  Jehan  profite  habilement  de 
celte  chance,  attaque  son  adversaire,  le  renverse,  le  démonte, 
et  quand  les  autres  arrivent  il  caracolait  déjà  sur  Morel.  Mais 


Jcil  iear  plaies  cerice  et  quiert 
Puis  dist  que  nul  péril  ni  a, 
Tex  emplastres  dessus  lia 
Qu'en  .ili].  jours  qae  Jehans  fa 
A  Bouloigne ,  tous  garis  fa. 

4Î30.  Si  qae  il  peut  bien  chevaucier 
Dont  n'i  eut  point  del  atargier. 
A  son  yoloir  paia  le  mire, 
Et  au  maronnier  prist  à  dire 
Qa'll  li  renvoleroit  deniers 
Procbainement ,  .ilij.  sestiers; 
Li  maroniers  moat  Ten  Diercie. 
Un  matin,  à  l'aube  esclarcie, 
Se  fu  Jebans  apparilliés , 
N'ot  mie  vestu  robe  vies , 

4530.  Car  )l  l'avoit  noeve  achetée, 
Blonde  r'est  erroment  montée. 
Tuit  troi  montent,  Iear  voie  acuellent, 
Or  n'est-ii  riens  dont  ii  se  duellent. 
Li  maroniers  demeure  arriers 
Et  avoec  lai  ses  batilllers. 
Li  doi  amant  la  nuit  coitierent  (i) 
Que  droit  à  Hedin  herbegierent, 
C'est  ans  biaus  castiaus  en  Artois. 
Jehans  qui  tondis  fu  courtois, 

4540.  Servi  8*amie  bel  et  bien, 
Celé  nuit  ne  leur  failli  rien 
Lendemain,  quant  le  Jor  parçurent, 
Errèrent  tant  que  la  nuit  jurent 
A  Corbie ,  un  noble  castel. 
Et  lendemain ,  tost  et  isnel , 
Le  droit  chemin  racueilll  ont 
Tant  qu'au  soir  vinrent  à  Glermont. 
Là  furent  à  aise  la  nuit. 
Tant  avolent  joie  et  déduit 


Li  un  de  l'autre  compaignier  4550. 

D'entr'acoler  et  de  baisier 

Que  la  disme  n'en  conteroie 

Quant  lonc  tans  pensé  j'aroie. 

Car  et  poisson  eurent  plenté 

Et  bon  vin  à  leur  volenté. 

Si  tost  com  la  nuis  fu  passée 

Et  U  parçurent  la  journée , 

Jehans  commanda  à  Robin 

Que  lost  s'en  volst  à  Dant  Martin 

Pour  dire  ses  sereurs  noveles        4560. 

Et  pour  faire  les  maisons  bêles. 

A  tex  paroles  sont  monté 
A  saniour;  a  Jehans  douté  (2} 
Son  oste  pour  lui  bien  palier. 
De  Clermont  issent  sans  targier 
Et  Robins  d'aus  à  tant  se  part. 
Bien  fu  montés  deseur  Liart , 
Et  Jehans  sist  deseur  Morel. 
Tant  se  pena  d'aler  innel 
Robins,  qu'à  Dant  Martin  s'en  vint,  4570. 
Ne  d'esplditier  ne  se  retint 
Devant  qu'il  trova  les  .ij.  suers  (3), 
Qui  grant  joie  eurent  à  leur  cuers, 
Quant  Robins  leur  eut  aconté 
Le  sens ,  le  blauté ,  le  bonté 
De  Blonde  qu'amaine  Jehans. 
Tant  sont  les  puceles  jolans 
De  ces  noveles  c'ont  oies , 
Onques  mais  ne  furent  si  lies. 
Les  maisons  Usent  baloijer,  4580 

Deseure  et  desous  netoijer, 
Pois  mandent  parens  et  coushis, 
Ensement  leur  prochains  voisins, 
Ensi  l'eut  Jehans  commandé. 


(l)  Quietarunt,  —  (2)  Doié.  —  ^3)  Le  copiste  a  mis  :  Iw  deox  sues. 


ET   BLONDE  D  OXFORD. 


17S 


ses  deux  compagnons  et  lui  sont  bientôt  accablés  par  le  nombre; 
peu  s*en  faut  que  Blonde  ne  soit  prise,  et  ce  n'est  que  criblés 
de  blessures,  grâce  encore  à  l'assistance  des  mariniers,  qu'ils 


Ses  .iij.  frères  ot  toas  mandé, 
Qai  à  Paris  o  le  roi  sont; 
Demain  ains  qu'il  soitjors  venront. 
Robins  ne  fa  lens  ne  escars  (i) , 
Ains  use  venir  poissons  et  cars 
4590.  Et  Tins  d'Ançoirre  et  d'Orlenois, 
Qui  sont  bon  à  boire  en  tous  mois. 
Après  revolt  à  el  entendre. 


(2) 


Bien  se  sent  de  tout  entremettre  : 
Sur  les  hestous  {$)  list  taules  mettre, 
Pain  flst  venir  ou  boulengier, 
Panetier  flst  et  boutillier. 
Ainsi  comme  il  vit  faire  à  court 
Après  à  la  quisine  court 

4600.  U  il  avoit  à  planté  keus , 
Qui  avoient  aguisié  alLeus  (4) 
Leur  couliaus,  pour  faire  hastiers  (5). 
Et  gens  vinrent  endementiers, 
Selonc  çou  que  il  près  manoient, 
Et  à  Robin  tuit  demandoient 
Des  noveles.  l\  leur  en  dist 
Tant  qu'en  moût  grantjoie  les  mist, 
Car  del  bien  Jehan  moût  lie  sont 
Et  les  .ij.  suers  Jehan,  que  font? 

4610.  Leur  cors  appareillent  et  vestent; 
Au  plus  tost  que  pueent  s'aprestent 
Pour  recuellir  Blonde  à  honeur. 
Et  feurent  mandé ,  sans  demeur, 
A  un  mercier  .xxx.  cendaus , 
Et  les  tailleurs  avoec  aus , 
Robes  font  faire  sans  délai. 


Ensl  tout  joiant ,  k  cuer  gai, 

Atendent  Jehan  et  s'amle , 

Qui  trop  ne  se  coitièrent  (6)  mie 

D'errer,  pour  çou  que  il  voloient     4620. 

Trouver  tout  prest  quant  il  venroient. 

Si  feront  il,  tout  est  jà  prest. 

Contre  ie  vespre ,  sans  arrest 

Issirent  hors,  cil  de  la  vile, 

Mien  essient ,  plus  de  troi  mile 

Pour  aus  veoir  et  bien  vegnitr. 

Cil  à  cheval ,  sans  atargler, 

Jehan  et  s'amle  encontrerent  ; 

Hout  hautement  les  bien  vignierent. 

Cascnns  disoit  :  «  Li  rois  del  monde  4630. 

«  Doinst  à  Jehan  joie  et  à  Blonde  ! 

«  Bien  devons  amer  et  chierir 

«  Qui  en  cest  paï4  fait  venir 

«  Damoisele  à  si  grant  biauté  ; 

«  Miex  en  vaurra  la  roialté.  » 

Ainsi  disoient  tuit  et  toutes. 

Et  Blonde  respondoit  as  routes  (7) 

Que  Dix  leur  doinst  bone  aventure. 

Ensl  la  petite  ambléure 

Vont  tant  saluant  et  parlant  4640. 

C'a  rostel  vinrent  à  itant 

Plus  de  vint  chevalier  vont  tendre 

Lour  bras  pour  la  bêle  descendre. 

Au  descendre  n'eut  nul  ahan. 

Es  vous  les  .y.  sereurs  Jehan 

Qui  le  bien  viegnent^ans  arreste. 

Moutsontlor  cuerpUdn  de  grant  feste, 

Si  bêle  fu  leur  acointance 


(1)  Avare;  Yoy.  Uanek,^  t,  6164.  Noos  aTons  plus  loin ,  v.  4910,  4  etcêri,  k  l'éconoasie» 
—  (S)  Un  vers  passé.  —  (3)  Extoltû,  barb.  de  extollere;  on  pou  les  tables  sar  lears  pieds 
mobiles.  .Ce  n*est  pas  ettâus.  »  (4)  ÀcuUt.  —  (5)  Ponr  mettre  à  la  broehe.  —  (6)  Le 
sens  iei  serait  att  contraire  c  tnqaietaTeront  i>  Yoyes  v.  4536.  —  (7)  Anx  fonles. 


174 


JEHAIS*    DE   DA  MM  ART  IN 


parvieDneni  à  s'embarquer.  Ils  laissent  le  comte  gisant  sur  la 
grève,  blessé,  furieux  et  désolé,  tandis  qu'ils  gagnent  la  côte 
française  (4 i58),  Boulogne,  puisHesdin,  Corbie,  Clermont,  et 


Qae  bien  doit  estre  en  ramenbrance. 

d^50.    '  Atant  entrèrent  en  la  sale, 
Qui  n'estoit  mie  orde  ne  sale  ; 
Hais  bêle  et  nete  et  balolé. 
Mainte  taule  i  avoit  drecié. 
Les  .ij.  seroursBlonde  emmenèrent, 
Qui  de  li  servir  se  penerent 
Es  cbambres,  pour  cangier  sa  robe. 
Une  en  resti ,  qui  mont  fu  noble, 
D'une  escarlate  tainte  en  grainne  (i). 
Puis  revint  en  la  sale  plaine 

4660.  Des  chevaliers  et  des  serjans. 
Entr'aus  ert  la  parole  grans 
De  la  biauté  dont  virent  Blonde  ; 
Tuit  dient  n'a  pareil  u  monde. 
Atant  s'assisent  au  souper  : 
Qui  vaurroit  lor  mes  acouter 
Il  feroit  trop  longbe  demeure. 
Jehans  les  sert  tous  et  boneure, 
Qui  bel  entre  mettre  se  sot, 
Car  tontes  boneurs  apris  ot. 

4670.  Tant  vbi  leur  donna  et  tant  mes 
Que  de  tant  n'eut  servi  ains  mes. 
Quant  soupe  orent  si  fu  nuis  ; 
Toute  nuit  carolèrent  puis 
Dusk'à  tant  qu'il  dut  ajourner. 
Adont  s'aierent  reposer 
Dnskes  à  tant  qu'il  fu  grans  jors, 
Or  n'i  eut  mais  plus  lonc  sejor 
Jebans ,  que  s'amie  ne  pregne. 
Si  frère,  dont  la  joie  engraigne  (2), 

4680.  Vinrent  bien  matin  de  Paris. 
Ne  furent  pas  leur  cuer  maris 
Quant  il  ot  Blonde  saluée 


Et  il  ot  si  beie  esgardée; 

Hout  en  furent  joiant  et  lie. 

A  tant  eut  l'on  apparillie 

L'autel  pour  la  messe  canter 

Je  ne  sai  qui  ala  conter 

As  menestreus  celé  feste  ; 

Car  plus  de  trente ,  sans  arreste, 

En  i  vinrent,  mien  escient.  4690 

Chevaliers  i  eut  plus  de  cent. 

Et  bien  .ij''.  de  dames  bêles 

Que  puceles  que  damoiseles; 

Et  encor  plus  en  i  eust 

Se  la  feste  atargié  fust, 

Jebans  ne  l'osa  plus  targier, 

Tous  jors  se  doutoit  d'encombrier. 

A  tant  fu  Blonde  apparillie 
Cote  de  drap  d'or  bien  taillie 
Avoit,  et  à  son  col  mantel  4700. 

Bien  en  vaioient  11  tassel  (3) , 
Mien  escient,  .xiiij.  mars. 
Si  biau  cevel  erent  espars 
Lascement  mis  à  une  trece. 
Ne  fu  mie  plains  de  perece 
Qui  teus  les  iist  -,  car  dusk'au  çaint  (4) 
S'estoient  jà  tout  entrataint  (5), 
Plus  biaus  que  je  ne  devisai 
Au  premier  quant  de  li  pariai  (6)  r 
Autre  devise  n'en  voel  faire ,  4710. 

Fors  tant  que  sa  biautés  esclaire 
Treslous  les  Ueus  où  ele  vient. 
Uns  capeles  ses  cbevex  tient 
Qui  ert  de  fin  or  reluisant. 
Un  frumal  eut  el  pis  devant 
De  chiaus  qu'el  aporté  avoit. 


(1)  Cramoisi ,  grenat.  —  (2)  tn^grandescif.  —  (3)  Les  franges.  —  (i)  Ceintare.  — 
(5j  InterattinetU  barb.  pour  âttacti.  —  (6)  A«  vers  252. 


BT   BLONDE   d'OXFORD. 


175 


bieutôt  Dammartin.  Les  sœurs  de  Jehan,  foule  la  parenté,  toul  le 
voisinage  les  reçoivent  pompeusement,  et  quelques  jours  après 
les  marient  de  même.  Félicité  des  deux  jeunes  époux.  Cependant 


Li  rois  nul  plas  rice  n'avoit. 
Ele  eat  aumosniere  et  çaintore, 
Entant  comme  li  siècles  dure 

4730.  Ne  fost  sa  pareille  trouvée. 
D'or  et  de  pieres  ert  ouvrée 
Et  de  pelles  gros  comme  pois  ; 
Qui  la  flst  plus  i  mist  d'un  mois, 
C.  livres  mien  essient  vaut 
À  tant  es  vous  venu  en  haut 
Le  prestre  dedens  la  capele. 
Par  non  Jehan  et  Blonde  apele , 
Puis  demanda,  chascun  par  soi, 
S'il  voellent  estre  ensamble ,  à  loy. 

4730.  S'ainsi  dire  ne  convenist, 
Gascuns  d'eus  .y.  à  sot  tenist 
Le  prestre  de  cel  demant  faire , 
Qu'il  n'est  riens  qui  tant  leur  pust  plaire, 
Ne  dont  aient  tel  desirier  ; 
Si  ont  respondu ,  sans  targier, 
Que  de  cuer  bonnement  le  voellent, 
De  ce  dire  point  ne  se  duelent. 
Âlant  a  prise  la  fiance 
Gascuns  d'aus  de  ceste  aliance  (1). 

4740.     Bspousé  sunt,  au  moustierVont, 
Et  le  service  escoutô  ont 
Après  la  messe  s'en  retornént, 
Rt  pour  disner  leur  cors  atoment. 
Li  chevalier  Blonde  arresterent, 
Pour  mengier  seoir  la  menèrent. 
Lour  mes  ne  vous  vol  deviser 
Fors  tant  qu'il  orent  biau  disner. 
Après  disner  1  eut  vieles , 
Muses  et  harpes  et  freteles , 

4750.  Qui  font  si  douces  mélodies , 


Plus  douces  ne  furent  oïes. 

Après  coururent  as  caroles 

Où  eut  canté  mainte  paroles  ; 

Selonc  çou  que  Jehans  eut  gent 

Se  contint  cel  jor  bel  et  gent 

Par  tans  s'il  puet  plus  en  aura, 

Gar  chevaliers  estre  voira 

De  la  main  au  roi  Loéis , 

Qui  n'estoit  mie  loéis  (2). 

Noeces  ki  furent  si  hastées  4760. 

Ne  furent  ains  miex  devisées  ; 

Qui  i  fu  il  eut  son  voloir 

Ne  ne  fist  riens  son  cuer  doloir. 

Joie  eut  toute  jour  démenée , 

Mainte  canchon  i  eut  cantée. 

Quant  il  ta  vespres  si  souperent , 

Après  souper  recarolerent 

Tant  qu'il  fu  de  nuit  une  pièce. 

A  tant  la  carole  depiece  ; 

Si  burent  et  puis  vont  jeslr,  4770. 

Dont  Jehans  avoit  grant  désir. 

Le  jour  ont  bêle  compaignie  4876. 

Et  les  nuis  r'ont  si  douce  vie 
Qu'il  n'est  nus  qui  le  séust  dire. 
Ne  clers  qui  le  séust  descrire. 
Il  n'est  nus  ki  leur  nuise  mes ,        4880. 
Fors,  sans  plus,  con voilier  la  pès 
Dou  bon  conte  de  Senefort , 
Mais  moût  s'en  vaurront  pener  fort; 
D'autre  part  d'estre  chevaliers 
K'avoit  Jehans  grant  desiriers. 
Quant  il  eut  séjourné  .viij.  jours 
Avoec  celé  où  sont  ses  amours, 
Si  dist  Jehans  qu'il  veut  aier, 


(1)  Ce  fers  est  écrit  deux  fols.  —  (2)  Minime  laudatus  oa  laudabilis,  non  appronvé, 
c'est-Mire  qni  n^arait  pas  k  demander  la  permission  d'on  soserain  pour  passer  nn  aete. 


176 


JEHAN   DE  DAMMARTIN 


Jehan  part  au  bout  de  huit  jours  (4870)  ;  il  veut  aller  trouver  le 
roliLois  pour  implorer  sa  médiation  auprès  du  comte  d'Oxfort, 
et  aussi  pour  Tinviter  à  venir  honorer  de  sa  présence  une  fête 


Se  il  li  plest ,  au  roi  parler  : 

4890.  «  Car  je  le  voel  de  cuer  requerra 
«  Que  il  envoit  en  Engleterre, 
«  À  vostre  père ,  et  qu'il  li  mant 
<c  Pour  Diu  k'il  face  acordement 
«  À  vous  et  ensement  à  moi. 
«  Se  li  rois  l'em  prie ,  je  croi , 
«  Il  est  si  bons  et  si  preudom , 
4c  Que  tost  auron  de  lui  pardom. 
«  Apres,  combien  que  il  me  couste, 
«  Li  prierai  c'a  pentecouste 

4900.  «  Me  viegne  faire  honour  et  feste. 
«  Ce  jour  vaurrâi  faire  grant  feste, 
«  Car  il  me  fera  chevalier 
«  Et  mes  frères  que  j'ai  tant  cbier.  » 
Blonde  l'entent,  moût  bien  l'otroie; 
À  tant  aqueut  (D  Jehans  sa  voie. 
Congié  prent .  à  Paris  s'en  va , 
Où  le  roi  Loeis  trouva  ; 
A  son  ostel  est  descendus 
Puis  s'en  est  à  la  court  venus. 

4910.  Ne  vint  pas  si  à  escari  (2) , 
X.  chevaliers'nôust  o  lui, 
Et  ses  frères  que  moût  amoit. 
Dusques  au  Roi  en  vint  tôt  droit , 
Si  le  salua  erroment, 
Et  li  rois  deboinairement 
Li  a  dit  :  «  Jehan ,  bien  viegnies, 
«  De  vostre  aventure  sui  lies. 
«  La  novele  m'a  l'en  contée  ; 
«  Vostre  amie  avés  espousée 

4930.  «  Qui  au  premier  fu  vostre  dame. 
«  —Sire,  on  vous  dist  voir  par  m'arae; 
«  Par  sa  grant  deboinaireté 
«  M'a  geté  hors  de  la  durté 


«  Qui  en  moi  éust  la  mort  mise 

«  Se  pilé  n'éust  pour  moi  prise. 

«  Hais  à  vous  vieng,  comme  à  signeur 

«  A  qui  je  doi  foi  et  honneur  ; 

«  Si  vous  pri  que  vous  envoies 

«  A  Oseneforl,  et  proiiés 

«  Mon  signeur,  se  mal  cuer  nous  porte,  4930. 

«  Pour  pitié,  que  il  s'en  déporte; 

«c  Se  fait  li  ai  desavenant 

«  Je  l'ai  fait  sur  moi  desfendant. 

....  «  Or  vous  pri  que  vous  11  priiés  4950. 

«  Que  s'il  en  est  vers  moi  iriés, 

«  Que  son  maltalent  nous  pardoinst 

c  Et  sa  grasce  et  s'amour  nous  doinst. 

«  Après  vous  pri  c'a  pentecouste, 

«  Où  mainte  grant  feste  s'ajouste, 

«  Voeillés  à  Dant  Martin  venir. 

«  Cel  jour  vaurrai  fesle  tenir, 

«  Se  il  vous  plaist,  itant  vous  quier 

€  Que  vous  me  faites  chevalier 

«  Et  mes  trois  frères,  qui  ci  sont,    4960. 

«  Qui  moût  grant  convoitise  en  ont. 

c  Se  il  vous  plaist,  rois  deboinaires, 

«  Voelle  vous  plaire  cis  afaires.  » 

Li  Rois  respont  :  «  Jehan ,  amis, 

€  Tant  a  Dix  en  vous  de  bien  mis 

«  Que  de  vostre  honour  ne  (3}  me  duel. 

«  Vostre  requeste  faire  voel, 

«  Et  encor,  pour  vostre  avantage, 

«  Vous  doing  à  tous  jors  en  hommage 

«  La  vile  dont  portés  le  non  4970. 

c  Dammartin  aurés  de  mon  don. 

«  Or  voel  que  vous  en  soilés  quens 

«  Pailli  aurés,  qui  vous  ert  buens, 

«  Et  Monmeliant  de  desus  ; 


(1)  Voj.  V,  116.  ~  (â)  Voy.  V.  4688.  —  (3)  Lisex  Je  me  diel. 


BT   BLONDI  D  OXFORD. 


177 


qu'il  veut  donner,  le  jour  de  la  Pentecôte  >  à  Dammartin.  Il  re- 
quiert aussi  le  roi  de  l'armer  chevalier,  ainsi  que  ses  trois  frères. 
Le  bon  roi  Louis,  comme  le  poète  l'appelle,  c'est-à-dire  saint 


«  Vj.  mile  livres  vaut  et  plas, 

€  La  tere  que  J'ai  chi  nommée 

€  En  la  lettre  sera  dltée 

«  Ki  en  Engleterre  en  ira. 

«  Mes  séaos  U  tiemoignera 
4980.  «  Que  de  Dammartin  estes  sires. 

«  Jà  puis  ne  devra  avoir  ires 

c  Se  voas  avés  sa  flUe  prise , 

c  Car  ele  s'est  en  bon  lien  mise.  » 
Jehans  Tentent,  tant  en  est  liés 

Qa'à  Jenous  H  va  dusk'as  pies  ; 

Le  soller  li  east  baisié , 

Hais  U  rois  Ta  amont  drecié. 

Errant  son  homage  pris  a 

De  la  tere  qu'il  devisa; 
4990.  Et  en  après  l'en  a  saisi 

D'an  gant,  dont  il  se  dessaisi; 

Folie  Jeban  demenast 

Se  il  le  roi  n'en  merciast. 

Li  sens  que  Dieos  ent  en  li  mis 

Li  ûst  avoir  des  bons  amis. 

Li  rois  a  apelé  isnel 

Celai  qui  portoi  son  seel , 

Si  U  dist  iL'il  seelera 

Tex  leUres  com  Jehans  voira  ; 
5000.  Une  chartre  de  la  conté, 

Dont  il  li  a  faite  bonté  ; 

Et  une  lettres  de  priiere 

Vers  le  père  à  s'amle  cbiere. 

Fait  fa  puis  ke  li  rois  lot  dit, 

Tost  fil  seelé  et  escrit  ; 

Pais  apela  .ij.  chevaliers , 


Qal  erent  de  ses  consllliers , 

SI  leur  a  dit  qu'il  s'en  iront 

Vers  Engletere ,  et  porteront 

Ses  lettres  à  Osenefort;  5010. 

Le  conte  dient  c'àjbon  port 

Est  sa  ûlle  en  France  venae , 

Car  des  bons  ert  plas  chier  tenaa; 

Et  s'est  de  Dammartin  contesse. 

c  Dites  li  bien  qu'U  s'esleeche  (1), 

c  Que  sa  fille  est  bien  assenée.  » 

Li  chevaliers  qui  il  agrée 

Dient  que  deboinalremeot 

Feront  le  sien  commandement, 

Car  de  l'onoor  Jehan  sont  lie.         5090. 

Or  VOUS  seront  U  non  noncle 

De  chiaus  qui  i  forent  tramis  : 

Li  uns  ot  non  mesire  Gois , 

LI  secons  mesire  Guillaames  ; 

N'en  avoit  pas  trois  el  roiaume 

Qui  un  message  miex  féissent 

Pour  paine  que  11  i  méissent. 

Leur  oirre  (2)  apparellent  le  soir, 

Car  au  matin  vaurront  mouvoir. 

A  tant  ala  soaper  11  rois,  5030. 

Qui  mont  fa  sages  et  cortois. 
Jehans,  qui  ot  le  cors  metable  (3) 
Servi  devant  lui  à  le  table  ; 
Et  si  frères ,  qui  au  roi  sont , 
Reservent  aval  et  amont. 
Âssés  eurent  à  grant  faison 
Bons  vins,  bone  chars,  bons  poissons. 
Après  soaper  dusk'à  la  nuit 


(1)  Se  exuUet.  Ao  lit.  I  des  Rois  (I ,  eh.  2)  on  a  :  <  Mis  qners  est  nlêexciis  et 
mis  Hz  en  des  eshaieUz  »  pour  :  SxuUavU  cor  mevm  in  domino  et  exaltatum  est 
coma  meam  in  deo  meo.  —  (2)  Itinerem,  —  (8)  On  pevt  hardiment  proposer  le 
haibarisme  metabilis,  mesuré ,  proportionné. 

T.  VIII.  12 


178 


JEHAN   DE   DAMMARTIN 


Louis,  exauce  toutes  ces  prières  et  les  outrepasse  même  de  beau- 
coup,  car  sur  les  bons  rapports  qu'on  lui  a  faits  de  Jeban,  dit-il, 
il  commence  par  lui  donner  la  ville  et  seigneurie  de  Dammartin 


Alerent  sur  Saine  en  déduit. 

5040.  En  Jeban  n'eat  qae  ensîgnier, 

Mont  seut  la  nuit  bel  compaignier 
Les  chevaliers  Guillaume  et  Gui , 
Qui  en  message  iront  pour  lui. 
Quant  il  fu  tans  couchier  alerent  ; 
Au  matin  plus  ne  sejomerent 
Guillaume  et  Gais,  ançois  s'esvellent, 
Si  se  hachent  (l)  et  appareillent. 
Leur  garçon  et  lear  escuiers 
Sans  arrest  troussent  lor  sommiers; 

5050.  Et  Jehans  et  ses  compaignons 
Furent  Jk  montés  es  arçons  (2). 
Car  aler  veut  un  peu  leur  voie 
Pour  faire  compaignie  et  joie. 
À  tant  acuellent  leur  cemin  : 
De  Paris  issirent  matin , 
Parmi  Saint  Denis  chevaucerent 
Dusk'à  Luisarces  ne  finerent , 
Où  leur  disners  estoit  jà  quis  (3). 
Car  .j.  !eur  keu,  qui  en  ert  duis  (4), 

5060.  Avoicnt  devant  envoiié , 
Qui  leur  eut  tout  apparillié. 
Disner  eurent  à  leur  talent 
Après  disner  ne  furent  lent , 
Ançois  acueiUirent  leur  voie. 
Et  Jehans  encor  le\ir  convoie 
Tant  que  de  Luisarces  issirent, 
Tantost  com  furenthors,  dont  dirent 
A  Jehan,  U  dui  chevaUer, 
Par  anours,  qu'U  s'en  voist  arrier. 

5070.  Jehans  leur  dist  :  quant  U  leur  plest 
D'ans  se  partira  sans  arrest. 
Atant  a  Robin  apelé , 


Qui  eut  cheval  bien  enselé , 

Si  li  dist  que  sans  arrester 

Voist  avoec  ans  doslc'a  la  mer. 

Et  die  au  maronier  loial 

Que  il  les  passe  outre  sans  mal, 

Et  râpasse  à  leur  revenir, 

Et  puis  voelie  avoec  aus  venir 

A  Dant  Martin  à  pentecouste,  5080. 

Et  ne  le  laist,  pour  riens  qu'il  couste. 

Robins  respont  bien  li  dira , 

Volontiers  avoec  aus  ira. 

Atant  prist  Jehans  le  congié. 

Mais  ançois  lour  ot  mont  priié 

Son  signour  dient  de  par  lui , 

Que  il  U  prie,  pour  Dieu,  merci; 

Il  dient  que  bien  li  diront. 

Atant  départent ,  si  s'en  vont 

Li  dui  chevalier  vers  la  mer,  5090. 

Et  Jehans  où  il  doit  amer. 

De  Dant  Martin  prendent  la  voie. 

Mais  ses  frères  devant  envoie 

Pour  apparUlier  le  doignon 

Dont  11  rois  li  avoit  fait  don. 

De  chevaucer  se  bastent  tant 

C'a  Blonde  sont  venu  bâtant. 

Si  li  ont  tout  dit  et  conté 

L'amour,  l'onnour  et  la  bonté 

Que  li  rois  ot  faite  Jehan.  5ioo. 

Ne  li  firent  par  grant  ahan 

Quant  il  li  dient  que  contesse 

Ert  de  Dammartin ,  sans  promesse, 

Et  que  li  rois  en  Engleterre 

A  envoiiet  pour  sa  pais  querre , 

Et  qu'à  pentecouste  venroit 


(1)  S'appellent,  hûc  vocare,  -«  (2)  Diruinulif  de  arc,  courbure  de  la  selle.  —  (3)  Com- 
mandé, quo'titum.  •-  (4)  Ductus,  qui  était  de  Lusarclias. 


ET    BLONDE  D  OXFORD. 


179 


avec  le  titre  de  comte.  Puis  il  envoyé  deux  de  ses  chevaliers  en 
Angleterre  (5196).  Voyant  dans  Jeban,  qui  était  devenu  malgré 
lui  son  gendre,  un  seigneur  si  avant  dans  la  faveur  du  roi  de 


Et  tous  chevaliers  les  feroit. 
Qaant  Blonde  entendi  ces  noveles, 
Saciés  que  moat  H  furent  bêles  : 

5110.  Hout  doucement  Dieu  en  mercie, 
Car  bien  set  qu'il  U  fait  aïe. 
Ele  a  si  grant  joie  à  son  cuer 
Que  tous  anuis  a  jeté  fuer, 
Et  U  frère  Jeban  alerent 
El  chastel ,  et  si  saloerent 
Celui  qui  1  ert  pour  le  roy  ; 
Courtoisement  et  sans  desroi 
Ll  ot  de  par  le  roi  baUlie 
Une  lettre  ;  et  cil  l'a  saisie, 

5120.  Et  voit  dedens  que  H  rois  mande 
Qu'à  Jehan  de  Dammartin  rende 
Toute  la  vile  et  le  castel , 
Et  il  si  flst  qu'il  l'en  est  bel. 
Tost  fu  la  nouvele  espandue 
Et  parmi  la  vile  séue 
Que  la  vile  est  Jehan  donnée , 
Moût  leur  plaist  à  tous  et  agrée , 
Car  il  estoit  de  tous  amés» 
Partans  sera  sb-es  clamés. 

5130.     A  tant  vbit  el  chastel  Jehans, 
Qui  estoit  biaus  et  nës  (1)  et  grans. 
S'amie  à  rencontre  U  court 
Quant  le  vit  venir  en  la  court. 
Et  Jehans  de  ses  bras  le  lie , 
Plus  de  .XXX.  fois  l'a  baisie. 

5196 Li  contes  dist  que  la  journée 

Que  Jehans  flst  d'aus  dessevrée 
Dusques  à  Clermont  cevauchièrent 
Et  celé  nuit  i  herbegierent. 

5200.  Lendemain  jurent  à  Gorbie, 


Une  vile  bien  aaisle. 

À  Heding  jurent  au  Uers  jour, 

Mais  n'i  Usent  pas  lonc  séjour  ; 

Tant  esploilierent  leur  besoingne 

Au  quart  jour  vinrent  à  Bouloingne: 

En  l'ostel  Jehan  descendirent 

Pour  çou  que  nul  miUeur  n'i  virent 

Et  Robins  à  la  mer  ala, 

Tant  a  quis ,  dechà  et  de  là , 

Qu'il  a  le  maronier  véu ,  5310. 

Qui  grant  mestier  leur  ot  eu. 

Moût  fu  lies  quant  il  le  perçut, 

Li  maroniers  tost  le  connut  ; 

Li  uns  de  l'autre  a  joie  eue. 

De  par  son  maistre  le  salue 

Robins ,  et  puis  11  a  retrait 

La  requeste  que  il  li  fait , 

Qu'il  soit  a  sa  chevalerie , 

Et  que  U  past,  à  sa  navie , 

Les  .ij.  messages  chevaUers.  5220. 

Atantes-vousles.ij.  messages:  5289. 

Mesire  GuiUaumes  fu  sages , 

SI  prist  la  parole  sur  lui  : 

«  Sire ,  dist  il ,  de  par  celui 

c  Qui  est  sires  poesteis  (-2) 

«  Vous  mande  salus  Loeys , 

«  Qui  de  France  est  sires  clamés  ; 

c  Et  cil  dont  vous  estes  amés  : 

c  Tostre  genrens  et  vostre  Ûlle 

«  Qui  nostre  pals  pas  n'a  vUle 

«  Pour  çou  se  dedens  est  entrée, 

«  Car  au  tesmoing  de  la  contrée      5â00. 

«  Ele  a  tant  biauté  et  bonté 

«  Que  ne  poroit  estre  conté , 


(1)  On  regarde  avec  raison  net  comme  Tenant  de  nilidus;  mais  ici  nés  est  peut-être 
la  tradacUon  de  nexut,  serré  dans  ses  babits.  —  (2)  Foieslativus,  Dieo. 


180 


JEHAN  DE  DAHMAHTIN 


France,  et  d'ailleurs  un  si  vaillant  personnage  qu'il  avait  tué  dix- 
huit  hommes  de  sa  main  pendant  la  fameuse  nuit  où  il  s'était 


«  Et  Jebans  par  est  si  courtois 
€  Qa'il  n'i  a  son  per  en  Artois. 
«  Tant  set  11  rois  en  aos  de  bien 
«  Que  il  ne  veut  souffrir  pour  rien 
«  Que  vous  aiiés  vers  aus  descort. 
«  Se  Jehaus  a  sans  vostre  acort 
«  Prise  celé  dont  est  amés 

5310.  «  Par  droit  n*en  doit  estreblasmés; 
«  Ce  leur  a  fait  force  d'amour 
c  Dont  ont  éae  grant  ardour. 
€  Or  vous  mandent,  par  amistié , 
c  Que  vous  aiiés  d'aus  deus  pitié. 
«  Et  li  rois  de  France  vous  mande 
«  Que  il  a  fait  à  aus  offrande 
«  De  la  conlé  de  Dant  Martin. 
«  Foi  que  doi  Dieu  et  saint  Martin, 
«  Saisir  l'en  vi  et  faire  bommage 

5320.  «  Et  encor  de  tant  vous  fas  sage, 
c  Tant  a  li  bons  rois  Jeban  cbier 
«  Que  il  le  fera  cbevaUer 
«  A  pentecouste ,  ù  U  n'a  gueres , 
c  Et  avoecques  lui  ses  .iij.  frères. 
«  Or  vous  mandent  il  et  li  rois 
«  Que  vous  aiiés  cuer  si  courtois 
«  Que  vous  ne  portés  maltalent 
«  Giaus  qui  de  bien  faire  ont  talent 
«  Et  pour  vous  faire  plus  certain 

Ô330.  «  Yés  ci  les  lettres  en  ma  main 
«  Que  mesires  à  vous  envoie.  » 
Li  quens  les  prent ,  si  les  desploie 
Lire  set  bien ,  les  a  léues. 
Toutes  teles  les  a  véues 
Com  li  chevalier  ont  conté , 
Es-ie  vous  en  joie  monté. 

Or  ot  li  quens  cou  VA  ii  piest, 
Si  a  respondu  sans  arrest  : 
«  Sfgnour  moût  avés  courtois  Roi  ; 

5340.  «  Ne  me  mande  mie  desroi , 


«  Mais  moût  grant  deboinaireté 

c  Et  je  ferai  sa  volenté. 

«  Puisque  ma  fille  est  esponsée 

«c  Gruex  seroit  la  dessevrée. 

«  Grant  amour  lour  a  ce  fait  fabre. 

«  En  grant  péril  lour  convint  trabre 

«  Hors  du  païs ,  si  com  j'entans, 

«  A  la  mer  en  ot  grant  abans. 

«  Si  si  prouva,  col  conter 

«  Que  lui  tierc  en  ûst  .c.  douter,     5350. 

«  Ses  cors  tous  sens ,  en  une  nuit, 

«  En  tua  plus  de  .xviij. 

€  Bien  li  doit  valoir,  ce  me  samble, 

«  Ses  sens  et  sa  prouece  ensamble. 

Entre  tex  mox  tant  nagié  ont  £47e. 

Que  à  Bouloigne  arrivé  sont. 

De  la  mer  issent  au  rivage 

Sans  encombrier  et  sans  damage  ; 

Firent  bors  trave  leur  cbevaus 

Et  l'autre  hamas  avoec  aus. 

Li  keu,  sans  plus  lonc  respit prendre, 

Vont  en  la  vUe  l'ostel  prendre  ; 

Pris  l'ont  si  bel,  il  ni  ot  el  5480. 

Qu'après  celui  n'i  ot  autel. 

Li  quens  i  vint  et  sa  gent  toute , 

Dont  moût  estoit  bêle  la  route  ; 

Mains  bom  en  laissa  sa  besoigne 

Pour  aus  véoir  parmi  Bouloigne, 

Et  li  quens  à  l'ostel  descent  : 

A  son  descendre  plus  de  cent , 

Les  .ij.  chevaliers  avoec  lui, 

Mesire  Guillaume ,  o  U  Gui. 

IcU  dui  près  le  compaignoient ,       5490. 

Car  du  conte  moût  bien  estoient, 

Que  pour  Jehan ,  que  pour  le  roi , 

Les  honeroit  autant  con  soi. 

Quant  leur  hueses  (i)  furent  hostées, 

Leur  tables  furent  aprestées , 


(1)  Bottes. 


ET   BLONDE  d'OXFORD. 


181 


échappé  du  port  de  Douvre,  le  comte  d'Oxfort  accorde  son  par- 
don (5290),  et  de  plus  se  met  en  route,  avec  une  suite  nombreuse, 
pour  assister,  lui  aussi,  aux  fêtes  qu'on  doit  célébrer  à  Dammar- 


Si  souperent  à  grant  délit  (1), 
Après  CDU  furent  fait  leur  lit , 
Endementiers  qu'il  escoulerent 
Henesterex,  qui  vlelerent, 

5500.  Car  sans  tel  jent  mie  n'estoient. 
Demie  doosaine  en  avoient, 
Qui  moût  leur  firent  de  déduis , 
Tant  se  déduisent  qu'il  fu  nuls. 
Dont  vont  coucher  dnsqu'ai  demain 
Que  il  se  levèrent  bien  matin. 

Cele  nuit  moût  à  aise  furent, 
Mais  au  matin  ne  se  recrurent  (2)  ; 
Âinçois  au  cemin  se  remirent, 
Et  le  maronier  monter  firent 

5510.  Sur  .j.  palefroi  que  li  quens 

Li  eut  donné,  qui  moût  ert  bons. 
Là  u  volt  il  avoit  jà  mis 
L'argent  qui  en  mer  fu  pramis. 
Âins  puis  ce  jour  ne  fu  fors  rlces, 
Ne  li  convient  puis  estre  ciliches. 
Nainques  puis  ne  fu  maroniers 
Fors  quant  ses  signeurs  droituriers, 
Li  quens  u  Jehans  vaut  passer  ; 
Si  bien  seut  leur  amour  brasser 

5520.  Que  pais  tous  les  jours  de  sa  vie 
Fu ,  en  lour  ostel ,  de  maisnle. 
Son  avoir  mist  en  bonnes  mains. 
Si  s'en  parti  qu'il  ne  pot  ains. 
Ains  disner  le  conte  rataint , 
Qui  de  cevauchier  ne  se  faint. 
A  Honsterael  cel  jour  disnerent 
Et  puis  dusk'à  Heding  aierent; 
A  lendemain ,  au  point  du  jour 


Remontèrent  tout  sans  séjour. 

Adont  vinrent  li  dui  message  5530. 

Au  conte  et  de  çou  li  font  sage  : 

€  Sire,  distmesire  Gnillaumes, 

€  Tous  estes  entrés  ou  roiame 

«  Dont  vous  ferés  mainte  gent  lies  ; 

€  Dusqu'à  Clermont  n'a ,  ce  savés , 

«  Que  deus  journées  bien  aisieues , 

«  Et  se  n'a  de  là  que  .x.  lieues 

«  Dq^ques  là  ou  sera  la  feste. 

€  Venredi  venrés.sans  arreste 

«  A  Clermont  tout  droit  à  la  nuit,     5540. 

«  Ejt  lendemain ,  si  ert  la  nuit 

«  De  pentecouste ,  et  tant  vous  di 

«  Que  che  jour,  ains  de  miedi, 

c  Porrés  veoir  Jehan  et  Blonde , 

AT  Qui  seront  li  plus  lie  del  monde 

€  Quant  li  sauront  vostre  venue. 

«  Ne  puet  trop  tost  estre  séue 

«  Novele  dont  puet  venir  joie. 

«  Si  vous  prions  que  ceste  voie 

«  Nous  laissiés  devant  vous  coitier  (3)  5.S50. 

«  Pour  vostre  fille  rehaiUer(4) 

«  Et  Jehan  ;  car  grant  joie  aront 

«  Quant  vostre  venue  saront.  »  ' 

Li  quens  respont  que  moût  li  plest. 

Dont  prendent  congié  sans  arrest 

Li  dui  chevalier  maintenant, 

Puis  s'en  partent  esperonnant 

Avoec  aus  va  11  maroniers , 

A  envis  demonrast  arrier  ; 

Escuiers  pour  aus  servir  mainent.  5560. 

Cele  journée  tant  se  painent 


(1)  Deliciœ.  —  (2)  Beerearunt,  —  (3)  Semble  être  ici  EquUare  (Voy.  encore  t.  5667, 
5571);  mais  est  le  pins  sooveDt  eoaetare  :  «  Car  sa  natore  k  ce  le  eoite,  que  pins  a  et 
il  plDS  cODTOite  •  fCangii  Glost.J.  —  (4)  Voy.  ci-dessas  hûU  et  dehait. 


182 


JEHAN   DB  OAMMARTIN 


tin  pour  la  Pentecôte.  Les  deux  messagers  font  leur  retour  dans  le 
même  ordre  que  Tallée;  le  comte  d'Oxfort  les  accompagne  (5472), 
etarrivéàDammartin  il  accueille paternellementlesjeunesépoux, 


Et  tant  alerent  mens  et  vaus, 
N'espargnièrent  par  loar  cevax , 
Qae  de  deus  journées  font  une. 
Ains  qu'à  la  nuit  levast  la  lune 
Vinrent  à  Tostel  à  Clermont , 
Dont  li  chasUaus  siet  en  .j.  mont. 
Cele  nuit  illuec  reposèrent 
Et  len  demain  matin  levèrent. 

5570.  Si  chevaucent  grant  aléure  ; 
Tant  ont  coitié  l'ambléure 
Qu'il  sont  venu,  ains  bonne  pieche 
A  Dant  Mai  tin ,  que  il  fnst  Uerce. 
El  castel  au  perron  descendent 
Et  à  aler  amont  attendent. 

5686 Quant  il  eut  le  roi  conjoï 

Si  ot  de  la  roïne  oï 

Qn'ele  venoit  à  mult  grant  route; 

A  itant  del  roi  se  desroute 

5690.  Jehans  et  Blonde ,  et  vont  à  cele 
Qui  0  11  ot  mainte  pucele  ; 
En  sa  route  ot  cars  plus  de  .xx. 
Atant  es-vous  Blonde  qui  vint. 
La  roïne  le  voit  venir, 
Son  careton  fait  coi  tenir; 
Blonde  flst  avoec  li  entrer. 
Je  ne  vous  saro&e  conter 
Des  femmes  la  beie  acointance , 
Moût  furent  tost  d*une  voeliance; 

5700,  Et  Jebans  de  chà  et  de  la , 
De  route  en  route  s'en  ala. 
Dames  et  chevaliers  salue , 
Et  cil  qui  avoient  tenue 
La  route  au  conte  [i),  en  Engleterre, 
Vinrent  au  roi  sans  respit  querre  ; 
Si  U  contèrent ,  sans  délai , 


Tout  ainsi  com  je  conté  l'ai , 

La  response  qu'il  respondi 

Et  que  il  venroit  ains  midi. 

Li  rois  en  fu  lies  durement;  5710. 

Jehan  apela  erramment 

Et  dist  qu'il  Ira  contre  lui 

Et  tous  les  autres  avoec  lui  ; 

Jehans  durement  l'emmercie. 

Adont  ont  la  vile  laissie , 

Et  la  Roïne  qui  le  seut 

Du  père  Blonde  grant  joie  eut. 

Ses  cars  a  fait  tous  retomer, 

Car  contre  lui  vaurra  aler. 

Qui  dont  véist  par  les  conrois  57^0. 

Tourner  chevax  et  palefrois 

Où  chevalier  ert  séant , 

Il  deist  bien,  ce  vous  créant, 

Que  de  chevaliers  sont  .ij.  mile, 

Estre  (2)  les  bourgois  de  la  vile , 

Qui  tuit  estoient  issu  hors. 

Par  le  congié  sa  dame  lors 

Blonde  sur  son  palefroi  monte  ; 

Plus  de  .XXX.  dames ,  par  conte , 

Pour  sa  compaignie  montèrent  ;       5730. 

En  cevaucant  cancons  canterent 

Et  li  chevalier  respondoient  ; 

Ainsi  le  petit  pas  aloient 

Contre  celui  qui  ne  demeure. 

Car  jà  ne  cuide  veolr  l'eure 

Qu'il  soit  venus  à  Dant  Martin. 

De  Clermont  fu  mus  au  matin  ; 

Si  chevaucha  la  matin(^e. 

Un  pau  devant  tierce  passée 

A  preceues  les  grans  routes  5740. 

Qui  contre  lui  vendent  toutes. 


(1)  Par  errear,  le  scribe  a  mis  «  la  roote  aa  roi.  »  —  (8)  Bxtra^  outre. 


BT   BLONDE  D  OXFORD. 


183 


qui  courent  se  jeter  à  ses  pieds.  Le  roi  arrive  de  son  côté,  suivi 
de  la  reine;  Jelian  et  Blonde  s'empressent  au  devant  d'eux  (5686); 
les  gens  de  Dammartin  et  de  tous  les  environs  se  mettent  de  la 


De  la  joie  qu'il  demenoient 
Trestait  li  plain  (1)  retenUssoient  ; 
Li  quens  les  voit,  à  ses  jens  dit 
Qn'alDc  mais  si  bêle  gent  ne  vit. 
Ses  gens  mie  ne  sen  descordent  : 
Hais  à  son  dit  moat  bien  s'acordent. 
Bien  set  li  quens  qa'en  ceste  voie 
Vienent  tait  pour  lui  faire  joie. 

5820 Atant  les  chevaus  remontèrent 

Ne  de  chevaachier  ne  finèrent 
Devant  qu'il  entrent  en  la  vile 
Ou  ii  avoit  plus  de  .x.  miie 
De  bourgoises  bien  acesmées 
Qui  les  routes  ont  saluées 
Le  roi ,  leur  signeur,  la  roîne. 
Là  oissiez  mainte  buissine 
Maint  moinei  et  maint  tabour 
Et  maint  grant  cor  sarrazinour, 

5830.  Mainte  cytole  et  mainte  muse  ; 
N'est  mervelle  se  on  i  muse. 

5865 Li  rois  Ûst  le  conle  mengier 

A  sa  table,  et  Blonde  lès  lui. 
Et  la  roYne ,  sans  anui , 
Rapela  chiaus  qui  mix  ii  sirent; 
Après  communalment  s'assirent. 

5870.  Adont  aporta  on  les  mes , 
A  un  disner  tant  n'en  vi  mes. 
Plus  en  i  eut  de  .xij.  paire , 
Autre  mention  n'en  voel  faire. 
JeUans  et  si  frère  servirent; 
Partout  servent,  partout  porvirent 
Qo'U  ne  fausist  riens  à  nului, 
Avant  leur  tourna  à  anui 
Que  les  napes  fuissent  ostées, 
Ne  qu'eussent  leur  mains  lavées; 


Mais  quant  ii  lavées  les  eurent        5880. 
Li  ménestrel  vieier  keorent. 
Et  Jebans  pour  chevaliers  estre 
S'ala  en  un  peu  d'euwe  mètre  ; 
Et  ses  frères  et  autres  vint, 
Et  ki  vaut  chevaliers  devint. 
Ensi  pleut  au  roi  et  au  conte , 
.xxiiij.  furent  par  conte, 

Quant  un  petit  lavé  se  sont , 
D'unes  cotes  vestn  se  sont. 
Après  les  robes  linges  blanques,     5890.^ 
Li  quens  cousi  Jehan  ses  mances. 
Pois  mist  à  son  col  un  mantel, 
Bt  Blonde  s'entremist  moût  bel , 
De  ses  frères  apparUlier. 
A  la  nuit  alèrent  villier, 
Si  corn  drois  fù.  à  sainte  églize , 
Où  il  eut  en  parement  mise 
Mainte  courtine  bonne  et  bêle. 
Devant  tous  les  nouviaus  viele 
Uns  menestereus  toute  nuit  5900. 

Pour  çon  que  ii  ne  leur  Bxafii. 
Li  rois  et  toute  l'autre  gent 
A  qui  ii  estoit  bel  et  gent, 
BU  biaus  lis  bien  fais  se  coudèrent; 
Et  cil  qui  vandrent  compaignierent 
La  nuit  les  nouviaus  chevaliers. 
Moût  fn  li  luminaires  chiers , 
Qui  toute  nuit  art  devant  aus. 
Li  quens  ne  se  mut  d'avoec  aus , 
Ne  sa  fille.  Duskes  au  jour  5910. 

Firent  avoec  Jehan  séjour; 
Et  Jehans  Dieu  moût  mercia 
De  ronnour  que  faite  li  a. 
De  tant  corn  croist  sa  signourie, 


(1)  Les  pliines. 


184 


JEHAN   DE  DAMMARTIN 


fête  par  Vaccueil  qu'ils  font  à  leur  nouveau  seigneur  et  à  tant 
de  grands  personnages.  Les  cérémonies  de  la  chevalerie  de  Jehan 
(5865),  de  ses  trois  frères  et  de  vingt  autres,  augmentèrent  la 


De  tant  Jehans  plas  s'omelie. 
Si  tost  com  la  nais  fu  passée , 
Et  il  perçurent  la  joarnée, 
Une  messe  firent  canter. 
Pais  se  vont  tantost  reposer, 

5920.  Poar  ce  k'il  soient  mains  grevés. 
Tant  dormirent  qae  fa  levés 
Li  solaas ,  qai  maine  le  jour, 
Dont  se  levèrent ,  sans  demoor 
Li  rois  et  tuit  li  ctievalier  ; 
Se  relevèrent  sans  targier. 
Jà  fa  tans  de  la  messe  olr  : 
Et  Blonde ,  qui  fait  esjoïr 
Ciaus  qui  en  U  metent  leur  ex , 
Quant  il  ne  pueent  avoir  mex . 

5930.  S'est  celui  jour  si  bel  parée , 
Et  de  si  grant  biauté  pueplée  ^1), 
Que  tout  aussi  com  li  solax 
Quant  il  lieve  au  matin  vermax 
Et  il  esclarcist  Tair  ombrage , 
Tout  aussi  la  beie ,  la  sage 
Esclarcist  les  lix  entour  li. 
Tant  sauroie  dire  de  li , 
De  sa  biauté ,  de  sa  bonté 
Que  jamais  n'aroie  conté. 

5940.  Ne  doit  mais  estre  nnlai  grief 
Se  ma  matère  maine  à  cief  : 
Tuit  et  toutes  vont  al  servuise 
G*on  fait  cel  jour  en  sainte  egllze. 
Quant  on  eut  la  messe  cantée 
A  Jehan  a  cbainte  l'espée 
Li  rois ,  qui  chevalier  le  flst  ; 
Et  après  el  col  li  asslst 
Une  colée  ;  et  ensement 
Fist  à  ses  frères  erramment. 


Onques  mais  ne  vous  dis  ior  nons?  5950. 

Or  les  dirai  car  c'est  raisons. 

Li  premiers  après  Jehan  nés 

Fu  tous  jours  sages  et  sénés , 

Et  fors ,  et  legiers ,  et  apers , 

Et  8*eut  non  me  sire  Robers. 

LI  autres  ne  fu  pas  si  grans , 

Qui  eut  non  me  sire  Tristans. 

Li  mainsnés  fu  et  fors  et  fiers 

S'eut  non  me  sire  Manessiers. 

Ciaus  a  fait  chevaliers  li  rois ,        5960. 

Qui  moût  fu  sages  et  courtois  ; 

Et  pour  leur  amour  plus  de  .xx. 

Tout  leur  donna  qaanqu'il  convint. 

Puis  retournent  es  pavillons , 

Car  de  disner  estoit  saisons. 

Si  s'assisent ,  après  laver  : 

Nus  ne  tint  celui  à  aver 

Qui  tel  disner  leur  ot  fait  faire. 

De  char  i  avoit  tante  paire 

Que  je  n'en  sai  dire  le  nombre  ;       5970. 

La  muUitude  m'en  encombre 

De  pors  t  de  bues ,  de  venoisons , 

De  voleilles,  de  poissons, 

Et  voient  mes  à  grant  plenté 

Et  bons  vins  à  leur  volenté. 

Me  sire  Jehan  lès  le  roi 
Sist  cel  jour  et  si  frère  o  soi. 
Et  o  la  rolne  sist  Blonde , 
Qui  ert  la  plus  bêle  du  monde. 
Li  servant  par  laiens  randonnent,     5960. 
A  chascun  mes  les  trompes  sonnent. 
Dames  i  avoit ,  qui  servolent  ; 
De  dras  d'or  parées  estoient, 
Devant  cascun  mes  vont  cantant. 


(1)  Papulatà,  papiflata*  eouTerte,  comme  une  fleiy  se  coovre  de  bontoos. 


TT   BLONBE  D  OXFORD. 


185 


pompe  de  cette  assemblée,  et  l'allégresse  fut  universelle.  Le  roi 
Louis  passe  quatre  jours  àDammartin  et  s'en  retourne  à  Corbeil. 
Le  sire  d'Oxfort  quitte,  à  son  tour,  sa  fille  et  son  gendre,  mais 


Partout ayoit  de  joie  tant, 
Qu'il  estoit  à  cascan  avis 
Tel  joie  ne  vit  mais  tiom  vis. 
Hais  ce  fa  encore  noiens, 
Quant  on  eut  m6ngiô  par  laiens 

5990.  Si  commença  tel  mélodie 
Que  plus  bêle  ne  fa  oïe  : 
Li  paviUon  retenUssoient 
D38  estrumens  qui  i  estoient 
Quant  un  peu  escouté  les  eurent 
Les  dames  à  caroler  quenrent  : 
Là  eut  mainte  dame  parée , 
Là  eut  mainte  cançon  cantée , 
Là  eut,  à  grans  remuemens , 
Gangié  mains  apparillemens. 

6000.  Plus  bêle  carole  ne  fu. 
Quant  ele  flna  vespres  fu , 
Si  les  alërent  escouter. 
Après  vespres  revont  souper, 
Après  souper  dusk'à  la  nuit 
Remenèrent  joie  et  déduit. 
Qui  dont  véist  les  tors  de  cire 
Par  les  pavillon  tire  à  tire  (l), 
Ne  quidast  mie  par  samblance 
C'en  pesast  la  cire  à  balance , 

6010.  Ains  sambioit  que  pour  noent  fUst  ; 
Comment  que  la  nois  orbe  fnst 
Entour  au  (2)  véoient  bien  cler. 
Avant  fu  près  de  l'ajourner 
Que  les  caroles  derompissent , 
Mais  en  la  fin  se  départissent 
Ne  peurent  pas  durer  tous  jours , 
Tuit  vont  jesir  tant  qu'il  fu  jors. 

Celé  nuit  flst  Jehans  de  celé 
Dame,  qui  estoit  damoisele; 


De  tous  déduis  sont  à  la  voie,         6030. 

Tous  jors  plus  et  plus  sont  en  joie. 

Comment  qu'il  leur  déust  grever 

Les  conviot  au  matin  lever 

Pour  chiaus  qui  volrent  conglé  prendre; 

Mesire  Jehans  volt  moût  tendre 

A  aus  priier,  mais  ne  poet  estre  ; 

Cbascuns  volt  r'aler  en  son  estre. 

A  grant  paine  retint  le  roy 

Et  la  roine  avoeques  soi. 

Et  U  quens  à  ciaus  qui  s'en  vont ,     6030. 

Selonc  chou  qui  valent  et  sont, 

Donne  joiaus  de  mainte  guise , 

Dont  cascuns  l'aime  moût  et  prise. 

Le  roi  retinrent  .iiîj.  jors  : 

Hout  fu  dednisans  leur  sejors , 

Es  rivières  vont  as  faucons 

Et  es  forés  as  venoisons. 

Au  bon  conte  de  Senefort 

Pria  il  rois  qu'il  se  déport 

En  ses  forés ,  en  ses  castiaus  ;        6040. 

De  tout  veut  qu'il  soit  damoisiaus. 

Li  quens  durement  l'en  mercie , 

Et  dist  que  jamais  en  sa  vie 

De  son  genre  ne  parth^  ; 

D'aaige  est,  avoec  lui  sera 

Quant  il  vaurra  en  ceste  tere , 

Quant  il  vaurra  en  Engleterre  ; 

Moût  fu  lies  mesire  Jehans 

Quant  il  de  çou  fu  entendans. 

Et Dieus!  que  Biondeen otgrantjole,  6050. 

Qui  voit  que  ses  pères  s'otroie 

A  tout  quanques  il  vaurront  faire, 

Riens  ne  li  péust  autant  plaire. 

Au  chiunquime  jour,  au  matin. 


(1)  L'OD  après  Tantre.  —  (9)  Aui,  «ntoor  d'en. 


186 


JBHAN  DB  DAMMARTIN. 


assuré  de  leur  affection  tendre  et  comptant  sur  les  prochaines 
visites  de  ceux  qui  doivent  être  un  jour  comte  et  comtesse 


Se  départi  de  Dant  Martin 
Li  rois  Loeys  el  sa  gent 
Ce  ne  fa  mie  bel  ne  gent 
Â8  .ij.  contes,  car  s'il  peïssent 
Moat  voientiers  le  retenissent. 

6060.  Trois  neuves  loing  le  convoiièrent  ; 
Li  novel  chevalier,  qui  erent 
Frère  la  conte ,  o  lui  s'en  vont , 
Car  de  sa  menie  esté  ont 
Tant  comme  il  furent  escuier; 
Aussi  furent  il,  chevalier, 
Tant  que  bien  leur  gaerredonna; 
Femmes  et  terc  leur  donna , 
Dont  il  furent  riche  et  manant . 
Et  tous  jours  à  leur  frère  aidant. 

6070.  Li  âlii  conte  et  avoec  aus  Blonde 
Au  miUeur  roi  k\  fusl  u  monde 
Prendent  congié,  et  il  ieur  done, 
En  son  pooir  leur  abandonne. 
A  tant  départent ,  si  s'en  vont , 
A  Dant  Martin  revenu  sont , 
Et  li  rois  s'en  va  à  Corbuel. 
Mais  de  lui  parler  plus  ne  voei , 
As  .ij.  amans  voel  retorner, 
Qui  ont  loisir  de  séjorner 

6080.  En  feste ,  en  déduit  et  en  joie  ; 
Nus  ne  les  bet  ne  ne  gerroie. 

A  Dant  Martin  sunt  li  dui  comte , 
D'un  ostel  sont  et  d'un  seul  conte, 
Ce  que  l'un  plaist  et  atalente 
Li  autres  tantost  li  présente. 
Bonne  vie  et  honeste  mainent , 
Et  de  Diu  honerer  se  painent. 
Meismement  la  bêle  Blonde 
Fu  de  tous  mauvais  visces  monde. 

6090.  Ains  de  mauvaistié  n'eut  envie  ; 
Tours  jors  se  tient  en  bonne  vie 
Avoeques  son  ami  loial , 
Plain  de  tous  biens  et  voit  de  mal. 
An  chief  de  l'an  ses  ij.  sereurs 


Maria  à  ij.  grans  slgneurs  -, 

L'ains  née  au  conte  de  Saint  Foi, 

Que  on  ne  tenolt  mie  à  fol; 

Uns  siens  frères  prist  la  mainsnée. 

Qui  ricement  fu  mariée. 

Robin  et  son  bon  maronnier  6100. 

Se  vaut  ensement  marier. 

A  Dant  Martin  eut  .ij.  bourgoises, 

Qui  furent  rices  et  courtoises; 

N'estoient  pas  de  cuer  vilaines , 

Disnes  sont  d'estre  castelaines  ; 

Suers  germaines  andeus  esloient, 

Multgranttereetgrantmuebleavoient 

De  ces  .ij.  ûst  le  mariage, 

De  rainée  à  Robin  le  sage , 

Et  la  maint^e  au  maronnier,  6U0. 

Du  sien  leur  donna  maint  denier  ; 

Et  maistre  de  son  ostei  furent , 

Qu'ains  de  servir  ne  se  recrurent. 

Puis  ot  li  quens  de  bêle  Blonde 

Quatre  enfans  les  plus  biaus  du  monde. 

Dont  il  vint  puis  grant  avantage 

Et  grant  honour  à  leur  lignage. 

Quant  il  eurent  à  Dant  Martin 

Esté  .ij.  ans  soir  et  matin , 

SI  râlèrent  veoir  leur  tere  6130. 

D'Osenefort  en  Engleterre; 

A  joie  i  furent  requeUi. 

Li  quens  d'Osenefort  vesqui 

Avoec  sa  fille  bien  .x.  ans, 

Com  preudom  et  de  cuer  joians. 

Et  bien  .xxx.  ans,  après  sa  mort, 

Fu  Jehans  quens  du  Senefort 

Et  de  Dant  Martin  en  Gouele. 

.ij.  contés  out  et  femme  bêle  ; 

Moût  de  bien  furent  entr'aus  deas,  6130. 

Onques  ne  seurent  estre  sens. 

Tons  jours  eurent  bêle  maisnie , 

Et  selon  Diu  bien  ensignie. 

Les  povres  nonains  relevèrent . 


ET   BLONDE  D  OXFORD 


187 


d'Oxfort  et  Dammartin.  Le  poète  indique  en  quelque  mots  ce 
que  l'avenir  réserve  à  chacune  de  ses  figurines,  les  subalternes 


Les  povres  femes  marièrent  ; 
As  bons  kl  vaarrent  honour  quere 
Donèrent  et  deniers  et  tere  ; 
HoQt  honourèrent  sainte  eglize. 
Ne  feissent  en  une  guise 

6140.  Vilenie  n*outrecaidance , 

Tous  jors  farent  d'une  acordance. 
Tant  ieur  otria  Dix  de  biens , 
Que  leur  amours ,  poar  nule  riens, 
N'amenuisa  ne  ne  descrut , 
Âinçois  mouteplia  et  crut. 
Tant  s'entramerent  de  bon  cuer 
Quainques  li  uns  l'autre  à  nul  fuer 
Ne  flst  l'autre  que  li  grevast  ; 
Et  s'uns  anuis  lour  alevast 

6150.  Li  autres  si  le  confortoit 
Que  soaef  son  anui  portoit. 
Bien  furent  des  rots  dont  il  tinrent, 
Loialment  vers  ans  se  maintinrent. 
De  tout  le  commun  amé  furent , 
Vers  aus  firent  ce  que  il  durent  ; 
Pitex  farent  vers  povre  gent , 
Del  leur  donèrent  larguement. 
Quant  en  France  manoir  venoient 
Tout  le  pals  lie  en  faisoient , 

Aieo.  Et  Engletere  ensement. 

En  ce  point  farent  longuement, 
Tant  que  Dix ,  qoi  sera  sans  fin , 
Les  flst  venir  à  bone  fin. 

Par  ce  romans  poront  entendre 
Toit  cil  qui  lor  cuer  vaurront  tendre 
A  honeur,  et  honte  iaissier, 
Que  cascuns  se  devrait  plaissier  (1) 
Et  travillier  et  cors  et  cuer 
A  cou  que  il  vigne  en  haut  faer  (S). 


Entendes  bien  en  quel  manière ,      6170. 

J'entens  que  cascuns  honeur  quiere  : 

Je  n'entens  pas  par  usurer, 

Hais  par  son  sens  à  mesurer 

Et  servir  deboinairement , 

Et  à  soi  tenir  loialment , 

Et  à  estre  courtois  et  dons , 

Et  à  savoir  estre  avoec  tous , 

Et  à  porter  bonne  parole  ; 

Car  cil ,  à  escient ,  s'afole , 

On  li  mauvaise  corages  tire  6180. 

Tant  qu'il  s'entremet  de  médire. 

Tant  a  mauvaise  compaignie 

En  homme ,  qui  est  de  tel  vie , 

Qui  tel  langue  a,  li  maas  feus  Tarde 

Que  plus  est  poignans  que  laisarde  (3); 

Après  qui  veut  en  haut  monter, 

Son  cors  et  son  cuer  doit  douter 

A  estre  atempres  (4)  de  soi  taire 

Duskes  à  tant  qu'il  doie  plaire , 

Et  si  doit  deboinaires  estre.  6190. 

Et  se  il  avient  qu'il  ait  mestre, 

Il  doit  aprendre  son  corage , 

Car  ensi  le  font  tuit  li  sage. 

S'il  voit  son  maistre  bon  et  fin, 

Bien  le  sive  dusk'en  la  fin  ; 

Et  s'il  le  voit  trop  mescréant, 

Saciés  pour  voir,  le  vous  créant , 

Ke  sagement  s'en  doit  retraire 

Et  sol  garder  de  son  afaire. 

Ne  pour  service  ne  laist  nus  6300. 

Ice  dont  il  est  plus  tenus  : 

C'est  à  Dieu  cremir  et  amer, 

Et  à  haïr  le  mal  amer, 

Qui  laisseroit  Diu  pour  nului , 


(l)  Voy.  cl-de««08,  y.  104.  —  (»)  Marché,  taleur,  estimation.  —  (9)  Le  léiard?  — 
(4)  Modéré,  aâtemperattu. 


188 


JEHAN   DE  DAMMARTIN   ET   BLONDE  D'OXFORD. 


aussi  bien  que  les  principales,  et  termine,  comme  il  a  com- 
mencé, par  une  petite  morale  à  l'adresse  de  ses  auditeurs. 


Trop  fol  serjant  aroit  en  lai  : 
Car  nus  ne  poet  venir  pour  rien 
Se  Dix  ne  li  consent  à  bien. 
Toutes  amours  fait  bon  tenir 
Dont  on  puet  à  bon  cief  venir  ; 

6910.  Et  s'on  aquiert  aucune  cose 
On  doit  avoir  en  son  cuer  close 
La  volenté  de  bien  despendre. 
CarcascunSp  pour  voir,  doit  entendre 
Que  riens  del  mont  n'est  biretages. 
Bien  le  puet  aquerre  ii  sages , 
Et  après  bien  mètre  le  doit  (1). 
Autrement  ne  mete  le  doit  (2) 
  cose  ki  soit  à  cbe  monde. 
Car  ii  en  carroit  (3)  en  tel  monde 

62-20.  Qu'en  infer  enseroit  Jetés, 
Où  ii  aroit  sans  fin  durtés. 
Jebans  conquist  par  son  savoir 
S'amie  et  grant  plenté  d'avoir, 
Hais  en  tere  riens  n'emportèrent 
Fors  çou  que  pour  Dieu  en  donnèrent  (4) 


Il  ouvrèrent  si  comme  U  durent 
Qu'aine  de  bien  faire  ne  recrurent. 
Or  sipregnent  garde  11  sage, 
Car  à  bon  port  vient  qui  bien  nage  ; 
C'est  pechiés  d'estre  trop  oisseus.    6-230. 
Or  soit  donques  cascuns  viseus 
De  bien  despendre  et  bien  aquerre, 
Qu'anemis  ne  nou8  mete  en  serre. 
Mal  prie  cii  qui  iui  oublie. 
Pour  çou  n'oblicrai  ge  mie 
Que  je  ne  vous  pri  et  requler 
Que  vous  voelliés  à  Dieu  priier 
Que  Phelippe  de  Rémi  gart 
El  de  paradis  li  doinst  part. 
Car  ce  fu  cil  qui  s'eniima  6240. 

Tant  que  ii  ce  conte  trouva. 
Ci  faut  de  Jeban  et  de  Blonde. 
Âins  Q'eut  plus  vrais  amans  el  monde, 
Ne  jà  n'aura,  si  corn  j'espoir. 
Je  n'en  sai  plus,  au  dire  voir. 


(1)  Débet,  —  (2)  Digitum,  —  (3)   Caderel.  —  (4)  Ils  n'emportèrent  hors  de  ce 
monde  qoe  ce  dont  ils  avaient  fait  donation  k  l'Eglise. 


SECTION    DES  SCIENCES. 


MËMOIRE 


SUR 


m  umm  ou  d^partemëi  de  l'oise. 


La  famille  des  Limaciens  a  été  généralement  peu  étudiée,  [.es 
ouvrages  de  Mûller,  Draparnaud,  Fénissac,  Moquin -Tandon 
donnent  des  descriptions  souvent  excellentes;  mais  ces  auteurs 
ont  été  arrêtés  par  la  difficulté  de  bien  connaître  toutes  les  es- 
pèces qu'ils  ont  signalées.  Alors  les  diagnoses  de  plusieurs  d'en- 
tr'elles  sont  incomplètes  et  laissent  des  doutes  à  l'esprit.  Les 
planches,  en  général,  manquent  ou  sont  défectueuses.  C'est  ce- 
pendant un  point  capital,  pour  les  mollusques  nus  principale- 
ment, d'avoir  au  moins  des  dessins  exacts  et  aussi  des  couleurs 
vraies.  En  bien  observant  ceux  qui  vivent  sous  les  yeux ,  il  sera 
possible  seulement  d'apprécier  la  valeur  réelle  des  espèces ,  et 
surtout  en  les  reproduisant^  d'après  nature,  par  de  bonnes 
figures;  car  l'animal  conservé  dans  l'alcool  est  déformé,  déco- 
loré^ et  l'individu  devient  méconnaissable. 

Si  l'on  poussait  les  investigations  avec  soin,  l'on  trouverait 
beaucoup  de  formes  nouvelles.  Le  sol  de  notre  pays  est  telle- 


190  MEMOIRE  SUR   LES   LIMAGIENS 

ment  varié  qu'il  est  impossible  de  ne  pas  rencontrer  des  Lima- 
ciens  entièrement  inédits,  et  qui  n'ont  pas  été  remarqués  parce 
que  ces  animaux  sont  trop  peu  recherchés.  Mon  ami,  M.  J.  Ha- 
bille, dans  ses  Archives  malacologiques,  en  publia  un  certain 
nombre  qui  vivent  dans  nos  contrés,  et  qui  m'étaient  connus 
depuis  fort  longtemps. 

Ce  Mémoire  a  pour  but  de  donner  des  détails  sur  des  espèces 
dont  la  description  a  toujours  été  simplement  esquissée,  et  que 
Ton  n'a  jamais  figurées  dans  aucun  travail.  J'y  ajoute  une 
limace  nouvelle  de  la  forêt  de  Hez.  Je  rappellerai  les  noms  de 
tous  les  Limaciens  du  département,  sur  lesquels  je  n'aurai  aucun 
détail  à  donner. 

FAMILLE    DES    ARIOrVID/E* 
G.  ARION,  FER. 

1<>  ^.  rufùs,  LIN. 

Varietates  : 

jo  rubra  {A,  ntJber^  Fer.). 

'i«  aurantia,  Nob.  (Cat.  moll.,  Oise;  1862,  p,  5). 

S**  succinéa  (Cat.  moll.,  Oise;  1862,  p.  5),  non  A.suc- 

cineus^  Mûll. 
4»  rufula^  Nob.  —  Taille  médiocre,  stries  du  dos  fines; 

brun  roux  très-pàle.  —  Coteaux  de  la  forêt  de 

Hez. 
5°  nigrescens  (Cat.  moll.,  Oise;  1862). 
e»»  atra  (L.  ater,  Lin.),  (Cat.  moll.,  Oise;  186i). 


2o  A.  rubl^lnosus  (pi.  i,  fig.  1-3). 
1867.  Baadon  in  Drouet  (Moll.  terr.  fluv  de  la  Gôte-d'Or,  p.  26). 

Animal  subnitidum,  flavum,  succineo  colore  intento  praeser- 
Um  an  te  et  posterius  indutum;  fascia  angusta,  violacescens, 


DU   DEPARTEMENT   DE   L*OISE.  191 

pallida  in  utroque  latere  clypei  et  abdominis;  solea  albida; 
margine  latissima  in  extremo. 

ywt*  nigricans.  —  Rarior,  fere  typo  similis;  flava  sed  non 
succinea,  nitida.  Tentaculis  et  fasciis  brunneis. 

Longit. . .  0.05  cent.;  0.05  i/2  in  entensione  maximâ. 

Lat 0.004  millim.;  0.004  1/2  millim. 

Animal  paraissant  gros,  court,  trapu,  mais  assez  étroit  et  svelte 
quand  il  est  en  marcbe;  luisant,  d'un  beau  jaune  rougeâtre  suc- 
ciné,  très-prononcé  à  la  partie  antérieure  seulement,  bande  mince, 
à  peine  violacé  de  chaque  cçté,  &'un  bout  à  l'autre  du  corps  (1). 
—  Tentacules  supérieurs,  peu  longs,  cylindriques,  violets,  rous- 
sÀtre  pale,  maculés  de  taches  de  même  nuance  plus  marquées; 
bouton  arrondi,  non  saillant;  yeux  gros  et  noirs.  —  Tenta- 
cules  inférieurs  très-courts,  transparents,  sans  macules;  cou 
brunâtre.  —  Cuirasse  à  granulations  fines,  coupées  carrément  en 
avant  et  en  arrière.  La  région  supérieure  est  plus  foncée  que  les 
latérales.  Les  deux  bandes  se  terminent  en  arrière  sans  se  réunir  : 
la  droite  passant  au-dessus  d'un  orifice  respiratoire  rond,  à  peine 
ouvert  et  situé  au  tiers  antérieur.  —  Corps  arrondi ,  à  rugosités 
de  forme  polygonale  pendant  la  contraction,  non  saillantes, 
fines,  à  peine  distinctes  dans  l'extension.  La  partie  supérieure 
du  dos  présente  une  teinte  semblable  à  celle  de  la  cuirasse;  elle 
s'efface  insensiblement,  et  le  reste  du  corps  devient  jaune  pâle 
jusqu'à  la  marge,  dont  la  coloration  est  analogue,  sauf  autour 
du  pore  muqueux  où  elle  augmente  d'intensité.  —  La  marge^ 
arrivée  au  niveau  de  cet  organe,  s'élargit,  prend  une  forme  an- 
guleuse à  ses  bords  terminaux ,  ce  qui  donne  un  aspect  brus- 
quement tronqué  à  la  queue  lorsque  l'animal  s'étend.  On  y  re- 
marque quelques  raies  irrégulières  plus  foncées.  —  Pore  muqueux 
allongé,  grisâtre.  —  Sole  grise.  Son  pourtout  est  coloré  en  jaune 
par  le  mucus;  celui  de  la  sole  proprement  dite  est  blanchâtre, 
à  peine  coloré.  Le  mucus  des  autres  parties  du  corps  est  épais, 
d'un  jaune  d'or  foncé.  —  Mâchoire  petite,  flexible,  à  courbure 
prononcée.  Une  plaque  médiane,  trois  latérales  de  chaque  côté, 
suivies  chacune  de  deux  ou  trois  autres  fort  exiguës,  étroites, 


(1)  Trop  prononcé  sur  la  figure. 


192  MéMOIRB  SUR   LBS  LIMAGIENS 

serrées.  Toutes  sont  terminées  par  des  pointes  aiguës  d'un  beau 
jaune.  Une  bande  brune  les  recouvre  à  leur  naissance.  Cette  ma- 
ctioire  représente  une  scie  microscopique;  elle  a  au  plus  i  milli- 
mètre de  large. 

Variété  noirâtre.  Elle  diffère  du  type  par  une  coloration  brune 
des  tentacules ,  des  bandes  et  du  milieu  de  la  cuirasse.  La  con  • 
vexité  du  dos,  ses  bandes  latérales  offrent  la  même  distinction. 
Le  jaune,  au  lieu  d'être  ambré,  se  rapproche  de  celui  de  la 
gomme  gutte,  ainsi  que  le  mucus.  Les  dimensions  sont  les 
mêmes.  Elle  est  plus  rare. 

Gomme  la  plupart  des  arionsf  celui-ci  est  lent,  timide,  lourd; 
il  se  montre  principalement  en  octobre,  sous  les  feuilles  sèches, 
sur  les  petites  plantes  des  collines  de  la  forêt  de  Hez,  sur  les 
champignons.  Drouet  le  rencontra  aux  environs  de  Dijon. 

Observations,  Cette  espèce  semble  se  rapprocher  de  Limax 
dnctus^  Mûll.  (Verm.  lerr.  fluv.,  etc.,  p.  9,  n»  205,  vol.  ii);  mais 
la  diagnose  de  cet  auteur  est  tellement  succincte  qu'il  est  im- 
possible de  la  rapporter  à  la  forme  dont  je  viens  de  parler  plus 
qu'à  toute  autre.  Il  signale  l'absence  de  toute  macule  supérieu- 
rement ,  tandis  qu'ici  la  partie  supérieure^  du  bouclier  et  du 
corps  est  colorée  par  une  teinte  plus  intense.  Les  dimensions 
diffèrent  aussi. 

En  présence  des  caractères  à  peine  indiqués  par  Mûller,  j'ai 
cru  devoir  faire  connaître  ce  Limacien,  dont  je  n'ai  vu  nulle  part 
la  description. 


30  A.  hortensli».  Fer.  (Hist.  moll.,  p.  65,  fig.  4-6;  18i9). 

Varietates  : 

1»  fasciatus,  Moquin-Tandon.  —  Gris  foncé  à  bandes 

noires. 
2«  limbatus,  Moquln-Tandon.  —  Noir&tre,  à  bords 

orangés  ou  vermillon. 
3«  lutetis.  —  Jaune  pâle  uniformément,  avec  bandes 

latérales  peu  prononcées. 


DU   DiiPARTIilMENT    DK   LOISË.  195 

40  A.  tenellu0,Millet(J/o//.  Maine-el-Loire,p.  i1;1859). 

(Pi.i,  ng.  4-7.; 

1805.  Draparnaud  (Hist.  nat  moll.  France,  p.  127,  n*  IQ). 

1831.  Michaud  (Complément,  p.  6,  n*  7). 

1817.  Paton  (Ess.  sur  moll.  des  Vosges,  p.  27,  n*  8). 

1851.  Ray  et  Drou6t  (Cat.  moll.  Champagne  mér.,  p.  15,  n*  6) 

1851.  P.  de  Cessac  (Supplément  au  cat.  moll.  de  la  Creuse,  p.  1). 

1855.  Drouét  (Enumér.  moll.  France  cont,  p.  il,  n* 9). 

1855.  Grateloup  et  Raulin  (Cat.  moll.  ylr.  et  foss.  de  France,  p.  1,  n*  13 

A.  virescem^  Mill.,  et  À.  tenellus,  MUIL). 
1855.  Grateloup  (Dlstrib.  géogr.  fam.  des  LImaciens ,  p.  il). 
1855.  Moquin-Tandon  (Hist.  nat  moll.  France,  t  11,  p.  32,  n*  lO). 
1858.  Grateloup  (Ess.  sur  dlstrib.  géogr.  moll.  viv.  de  la  Gironde). 

1862.  Baudon  (Nouveau  cat.  moll.  dép.  Oise,  p.  7,  n*  4). 

1863.  Dubreuil  (Cat  moll.  terr.  fluv.  Hérault,  p.  4,  n*  8). 

Tous  les  auteurs  précités  ont  attribué  au  Limax  tenellus  de 
Mûller  Tarion  qui  va  être  décrit.  Voici  la  diagaose  de  Mûller,  qui 
De  coDcorde  pas  fort  exactement  avec  notre  arion,  dont,  au  reste, 
la  taille  est  bien  inférieure  :  «  Long.  10  une.  Glypeus  in  luteum, 
«  abdomen  in  virescentem  colorem  aliquantum  vergif  ;  ille  mar- 
«  gine  postico ,  hoc  apice  supra  nigricat.  »  Ces  deux  derniers 
caractères  surtout  ne  se  retrouvent  pas  ici ,  et  la  description  du 
naturaliste  danois  se  borne  à  mentionner  uniquement  la  colo- 
ration de  son  Limacien  :  «  Ârion  subpellucidum ,  tenue,  vires- 
cens,  capite  tentaculis  que  nigris;  utrinque  fascia  grisea,  saepe 
pulviformiSi  » 
Varietas  :  À.  albida,  —  Vix  griseola. 

Longit 0.030  millim 

Lat 0.003    — 

Animal  assez  transparent,  mince,  mou,  délicat,  paraissant 
quelquefois  opalin,  vert  pMe.  —  Tentacules  d'un  noir  violacé, 
coniques,  assez  gros  à  la  base;  boutons  peu  proéminents.  — 
Points  oculaires  saillants,  très-noirs  —  Cou  court,  violet  clair, 
avec  nombreuses  taches  foncées  qui,  à  première  vue,  font  pa- 
raître cette  partie  d'un  noir  pur.  —  Cuirasse  comprenant  au 
moins  le  tiers  de  la  longueur  totale,  mince,  bien  arrondie  en 
arrière,  à  granulations  fines.  —  Orifice  respiratoire  petit,  à 
T.  vui.  13 


194  UKMOIRE   SUR   LiîS  LlMAClENS 

droite,  au  tiers  antérieur.  Souvent  la  coloration  est  peu  appa- 
rente. I^  cuirasse  est  à  peine  jaunâtre,  le  milieu  gris  pàfe.  Des 
points  pulviformes  simulent  une  bande  latérale.  —  Dos  arrondi. 
RingoHtés  sans  fortes  saillies.  Quand  l'animal  s'élend,  les  inter- 
valles situés  entre  les  anastomoses  sont  d'un  jaune  tendre,  cou- 
leur de  soufre,  et  les  stries  anastomotiques  sont  gris  foncé,  de 
sorte  que  la  teinte  générale  du  corps  parait  d'une  nuance  plus 
intense  que  celle  du  bouclier.  On  remarque  à  la  loupe  que  la 
peau  molle  est  couverte  de  petits  points  glaaduleux.  Une  bande 
grisâtre  s'étend  sur  les  côtés.  Le  reste  du  corps,  jusqu'à  la  marge, 
est  faiblement  verdàti^e.  —  Marge  d'un  jaune  citrin  extrêmement 
p&le,  ainsi  que  le  pore  muqueux  dont  la  forme  est  triangulaire. 
—  Sole  jaune  tendre  au  pourtour  à  cause  du  mucus  sécrété  par 
cette  partie.  Le  milieu  est  blanchâtre,  transparent,  et  laisse  en- 
trevoir les  viscères.  Région  postérieure  du  corps  souvent  entiè- 
rement transparente.  —  Mucm  blanc,  assez  abondant.  —  Mâchoire 
mince,  étroite,  courbe  trois  quarts  de  millimètre  à  un  d'étendue, 
composée  de  huit  à  dix  plaques  terminées  par  des  pointes  su- 
baiguês  d'un  brun  clair. 

Quoique  cette  espèce  ne  varie  guère,  j'ai  cependant  rencontré 
quelques  individus  blancs  sur  lesquels  on  entrevoyait  une  teinte 
grise  ou  verdâtre  peu  appréciable. 

Un  animal  si  mou,  si  délicat,  ne  peut  vivre  que  dans  les  en- 
droits frais,  humides  et  très-sombres.  Au  printemps,  on  ne  le 
recueille  qu'au  matin,  de  bonne  lieure,  ou  pendant  les  pluies 
douces.  En  automne,  il  ronge  les  gros  champignons  et  loge  à 
l'inférieur  jusqu'à  ce  que  le  végétal  soit  tombé  en  décomposi- 
tion. Sa  robe,  à  cette  dernière  saison,  n'est  pas  aussi  belle.  Âu 
lieu  du  vert  pomme  qui  le  rend  si  attrayant ,  la  nuance  de  son 
corps  parait  toujours  grisâtre  et  fanée.  Au  printemps,  il  mange 
les  mousses.  £n  été,  c'est  à  peine  s'il  apparaît.  J'ai  trouvé  des 
individus  tout  à  fait  décolorés,  rares  il  est  vrai,  jusqu'en  no- 
vembre, au  milieu  des  tiges  des  oronges.  Cet  état  d'albinisme 
est  dû  à  l'absence  totale  de  la  lumière  qui  ne  pouvait  pénétrer 
jusqu'à  eux  ;  mais  je  crois  que  la  nature  de  l'aliment  doit  y 
contribuer  pour  une  large  part. 

Localités,  —  Forêt  de  Hez  (Oise);  environs  de  Mouy,  dans  les 
vallons  très- boisés. 

Observations.  —  C'est  à  tort  que  M.  M oquin-Tandon  a  rejeté  cet 


DU   DÉPARTEMENT    DE   l'OISË.  195 

arion  parmi  les  espèces  douteuses  de  limaces.  D'abord,  c'est  bien 
nn  arion  parfaitement  caractérisé,  et  ensuite  c'est  une  espèce 
distincte,  tellement  même  qu'elle  sera  toujours  reconnue  facile- 
ment. Probablement,  ce  savant  n'a  jamais  été  à  même  de  l'exa- 
miner, car,  sans  doute  aucun,  il  l'aurait  appréciée  &  sa  juste 
valeur. 


5»  A.  Bourg^ulgnatl  (pi.  m,  fig.6-9)  (1). 
Mabille  (Archiv.  malacoL,  3«  fascicule,  p.  24;  Paris,  1*'  mars  1868). 

Var»  minor,  —  Grisea ,  Nob. 

rpi.  iii,ng.  10  11.) 

Animal  crassum,  obtusum,  pallide  griseo-rufùlum ,  durum, 
tentaculîs  fére  nigris;  in  clypeo  et  abdomine  fascia  lateralis  ni- 
gresceus,  duplex  in  utroque  latere;  linea  tennis,  dorsualis, 
média,  pallida,  carenam  simulans;  in  corpore  toto,  praesertim 
in  clypeo,  minimis  glandulis;  striis  mediocris;  margine  griseola; 
solea  largiter  explicata  et  adhaerens. 

Longit 0.036  millim. 

Lat 0.006     - 

Varietas  minor,  —  Grisea. 

Animal  coriace,  épais,  obtus,  déprimé,  aplati  principalement 
en  arrière,  d'un  gris  pâle  à  peine  roussàtre;  bande  plus  foncée 
de  chaque  côté  de  la  cuirasse  et  du  corps,  double  à  la  cuirasse. 
—  Tête  assez  grosse.  —  Tentacules  supérieurs  gros  ^  massifs,  cy- 
lindriques, gris  foncé  légèrement  ardoisé,  brlllantii.  —  Points 
oculaires  petits,  situés  au  sommet  un  peu  postérieurement;  les 
inférieurs  très-courts,  pâles,  transparents.  —  Cou  court,  gri- 
sâtre. —  Cuirasse  arrondie  en  arrière,  gris  jaunâtre,  très-pMe, 
maculée  de  taches  gris  foncé  plus  prononcé  en  dessus.  Vue  à  la 
loupe,  elle  parait  recouverte  d'éminences  molles,  au  milieu  des* 


(1)  L'arion  Boarguignati  de  notre  contrée  n'est  pas  jipsolament  sem- 
blable au  type  de  Habille.  Les  Individus  que  j'ai  étudiés  ont,  en  général, 
une  plus  forte  taillé.  -^  (La  ligure  est  trop  ombrée.) 


196  M^^IOIRE   SUR   LBS  LIMACIENS 

quelles  on  aperçoit  des  myriades  de  points  blanchâtres  qui  sont 
autant  de  glandules  destinées  à  sécréter  la  viscosité.  —  Orifice 
respiratoire  exigu,  blanchâtre,  antérieur.  Deux  bandes  latérales. 
—  Dos  plus  foncé  supérieurement  avec  une  teinte  violâtre  à  peine 
appréciable,  confondue  dans  la  nuance  générale;  côtés  de  Tab- 
domen  pâles.  Une  ligne  très-line,  blanchâtre,  s'étend  depuis  le 
bord  postérieur  du  bouclier  jusqu'à  l'extrémité.  Cette  raie,  qui 
n'est  pas  toujours  continue,  simule  une  carène;  mais  c'est  sur- 
tout une  simple  différence  de  couleur.  La  saillie  est  plus  évidente 
dans  le  jeune  âge.  Les  bandes  latérales,  simples  de  chaque  c6té, 
sont  plus  ou  moins  foncées ,  suivant  les  individus.  —  Rtigosités 
assez  saillantes  ;  anastomosées  régulièrement.  —  G land\(^les  plus 
grosses,  moins  circonscrites ,  plus  diffuses  que  sur  les  autres 
régions.  —  Marge  grisâtre ,  criblée  d'émînences  molles.  —  Pore 
muqueux  cordiforme,  pâle,  à  peine  jaunâtre.  —  Sole  bien  plate, 
étalée,  adhérent  fortement,  blanc  sale,  un  peu  jaune  antérieu- 
rement et  sur  les  bords.  —  Mucus  blanc,  presqu'incolore ,  pois- 
seux, brillant,  pas  fort  abondant.  —  Mâchoire'^*\m  millimètre 
environ,  enchâssée  dans  une  membrane  très-dense,  mince, 
étroite,  légèrement  courbée,  souple,  jaune  terre  de  Sienne  claire, 
brunisî>ant  à  l'air,  composée  de  douze  à  quatorze  pièces  séparées 
par  un  sillon  d'autant  plus  profond  qu'il  s'approche  du  bord 
libre,  aiguës,  mais  pas  extrêmement  dures.  Quelquefois  les  pièces 
latérales  offrent,  à  leur  milieu,  des  sillons  secondaires  (chez  la 
variété  petite,  surtout)  qui  feraient  croire  tout  d'abord  à  un  plus 
grand  nombre  de  dents. 

Cette  espèce  est  assez  commune  sous  les  troncs  d'arbres 
pourris,  sous  les  feuilles  tombées,  dans  la  tige  et  le  chapiteau 
des  gros  champignons.  Je  l'ai  recueillie  quelquefois,  en  hiver, 
sur  les  routes ,  par  les  temps  humides.  A  la  un  de  novembre  1864 
surtout  elle  était  fort  abondante  dans  nos  environs,  et  elle  se 
promenait  en  bande  au  milieu  des  chemins,  en  compagnie  de 
Liinax  agrestis  et  Arion  hortensis.  On  la  trouve  ordinairement 
sous  les  pierres  et  les  souches  le  long  des  haies,  au  printemps 
et  en  automne.  C'est  un  Limacien  trèsinactif,  lent,  se  roulant 
en  boule  en  étalant  largement  sa  marge  et  restant  comme  plongé 
dans  la  torpeur;  il  se  colle  aux  bois  et  aux  pierres  sans  chercher 
à  sortir  de  l'endroit  où  il  s'est  fixé.  Souvent  j'ai  remarqué  qu'il 
creusait  en  terre  de  petites  galeries  sous  les  vieux  troncs,  galeries 


DU   DEPARTEMENT   DE  L*OI$E.  197 

qui  lui  servent  de  denneure  quand  la  température  est  trop  basse 
ou  trop  élevée.  11  m'est  arrivé  de  prendre  ainsi  plusieurs  indi- 
vidus à  demi-enfouis  dans  la  même  cavité.  Les  œufs  sont  très- 
petits,  sphériques,  opalins,  isolés ,  déposés  sans  ordre  les  uns 
près  des  autres. 

J'aurais  à  signaler  toutes  nos  localités  s'il  me  fallait  spécifier 
les  lieux  d'habitation  de  cette  espèce. 

On  rencontre  assez  souvent  la  petite  variété,  qui  diffère  peu 
du  type  (pi.  III,  fig.  lO-ii). 


G.  OEOMALACUS,  allman. 
i<»  O.  mabilli,  Baudon. 

■PI.  I,  fig.  8-1-3).  1). 

1868  II  concb.,  vol.    XVI,    p.  112. 

Variétales  : 

A.  paliida. 

B.  cineresccns. 

C.  rosea. 

Depuis  bien  des  années,  ce  mollusque  m'était  connu.  J'avais 
remarqué  qu'il  était  pourvu  d'une  limacelle,  caractère  spécial 
aux  Limacidae^  et  d'un  pore  muqueux  qui  existe  constamment 
chez  rarion.  Son  aspect  général,  ses  allures  le  rapprochaient 
des  animaux  de  ce  dernier  genre.  Aussi  l'avais-je  nommé  provi- 
soirement Jrion  pseudolimax^  me  réservant  de  modifier  cette 
épithète  peu  orthodoxe ,  et  je  l'avais  adressé  à  quelques-uns  de 
mes  correspondants  sous  cette  désignation.  Lorsque  J.  Mabille 
publia  son  travail  sur  le  genre  Geomalacus^  je  vis  que  mon  es- 
pèce devait  s'y  rapporter.  Drouêt,  sur  ces  entrefaites,  me  com- 
muniqua, vivant,  un  Limacien  que  j'affirmai  être  une  variété 
de  mon  Geomalacus  psetidolimax.  11  le  décrivit  sous  le  nom  de 


(1)  La  flgare  8  a  les  bandes  latérales  trop  accentuées  ;  elles  sont  beau- 
coup plus  pflles  chez  l'animal. 


198  MÉMOIRE  SUR  LES  LIMACIENS 

Geomalacus  hiemalis.  Je  n'hésitai  pas,  malgré  tout,  à  faire 
connaître  celui  que  j'avais  observé  depuis  si  longieipps,  et  qui, 
du  reste,  offre  des  différences  que  je  constatai  après  l'examen 
de  beaucoup  d'exemplaires. 


2o  G.  blemalia,  Drouêt. 

fPi.ii,ng.9-6.) 

1867.  Mon.  terr.  et  flav.  de  la  Côte-d'Or,  p.  27. 

Je  cite  cette  espèce,  qui  ne  diffère  de  la  précédente  que  par 
l'absence  des  bandes  et  par  une  coloration  jaunAlre  extrêmement 
pâle.  J'ai  eu  sous  les  yeux  le  type  vivant  de  Tauleur,  qui  me 
radressa.  Depuis,  je  l'ai  recueilli  dans  nos  environs,  à  Hury  et 
à  Morainval. 


FAMILLE  DES  LIMACIDAE. 

G.  KRYNICHILLUS,  kaleniezrnko. 
K.  brunncus,  Drap. 

(PI.  II,fig.fi-10.) 

1805.  Hist.  moU.  France,  p.  128  (LimaxJ. 

1852.  Normand  ^Descript.  de  six  limaces  noav.  observ.  aux  environs  de 

Valenclennes ,  p.  8,  n»  6  :  Umax  parvulusj. 
1855.  Gratcloup  et  Raulin  (Cat.  moll.  terr.  fluv.  de  France  conlin.  et  inf., 

p.  2 ,  n»  14  :  Limax  parvuhis). 

1855.  Grateloap  et  Raulin  (Bistrib.  géogr.  fam.  Limaciens,  p.  10). 

1856.  DroQët  (Enumér.  moll.  terr.  fluv.  viv.  France  contin.,  p.  12,  n*  21 . 

Limax  parvulusj. 
1855.  Moqnin-Tandon  (Hist.  nat.  moll.  France,  p.  32 ,  n*  13.  Rangée  parmi 

les  espèces  douteases  :  Limax  parvulusj. 
1855.  Limax  brunneus,  Drap.,  p.  31,  n*  9. 

1858.  Grateloap  (Faune  malac  girondine,  p.  70,  n*8  :  Limax parvuh^s?) . 
1868.  Mabille  (Arch.  malac,  p.  17  :  Krynichillus  bninneusj. 


DU   DEPARTEMENT   DE   L'OISE.  199 

Animal  elongatum,  tenue ,  angustum,  molle,  glutinosum,  lae- 
vigatum,  subpellucidum ,  brunneo-violacescens;  caput  et  col- 
lum  maxime  ex  tend  i  possunt;  caréna  fere  nulla. 

Longit 0.020  millim. 

Lat 0.002     -     0.003. 

Animal  très-allongé,  mince,  grêle,  étroit,  mou,  gluant,  un 
peu  transparent,  brun,  marron  très-foncé  même  à  la  sole,  qui 
est  h  peine  plus  pâle ,  grisâtre  et  lisse.  —  Tentacules  supérieurs 
courts,  massifs,  cylindriques,  noirs,  terminés  par  un  renfle- 
ment à  peine  appréciable.  —  Points  oculaires  très-noirs,  situés 
un  peu  en  arrière.  —  Tentacules  inférieurs  courts ,  transparents, 
brunâtres,  bien  cylindriques.  —  Tête  et  cou  noirs,  partagés  par 
un  sillon  médian.  Cou  extrêmement  allongé  pendant  la  marche, 
à  replis  transversaux;  son  extensibilité  est  telle  que  l'animal 
présente  de  l'analogie  avec  la  sangsue  quand  elle  cherche  à  s'at- 
tacher. >-  Cuirasse  grande,  longue,  se  relevant  beaucoup  à  vo- 
lonté, arrondie  en  arrière,  gihbeuse  à  la  région  delà  limacellc, 
comprenant  dans  Tex tension  un  peu  plus  de  la  moitié  de  la  lon- 
gueur totale,  et  constituant,  au  niveau  de  son  extrémité  posté- 
rieure, la  partie  la  plus  large  du  corps.  —  Orifice  respiratoire 
exigu,  presque  jamais  entièrement  ouvert,  situé  à  droite,  en 
arrière,  sur  le  bord  de  la  cuirasse.  —  Linéoles rermicellées  très- 
fines,  à  peine  visibles,  même  à  la  loupe.  —  Fentre  cylindroldei 
aigu  à  l'extrémité  avec  une  carène  presque  nulle,  à  peine  indi- 
quée, pourvue  de  stries  longitudinales  peu  régulières,  non  sail- 
lantes. —  Umacelle  de  trois  millimètres  et  demi  au  plus  de  long 
sur  deux  à  deux  et  demi  de  large ,  assez  grande  relativement  à 
la  taille,  faiblement  convexe  en  dessus,  presque  plane  en-des- 
sous, ovalaire,  subaigufi  au  sommet,  mince,  cristalline,  assez 
transparente.  Bords  longitudinaux  parallèles.  —  Mâchoire  d*un 
millimètre  de  large,  brun  foncé ,  luisante,  à  rostre  médian  peu 
saillant;  stries  longitudinales  si  délicates  qu'à  peine  si  Ton  peut 
les  apercevoir  avec  un  fort  grossissement. 

Cette  espèce  n'offre  aucune  variation  dans  sa  teinte  ni  dans  sa 
forme;  elle  sécrète  une  viscosité  extrêmement  épaisse  et  collante 
qui  Tenveloppe  et  l'isole.  Cette  consistance  est  indispensable  à 
l'animal  puisqu'il  habite  des  endroits  tres-Iiumioes,  même  sub' 
merges  ia  plupart  du  temps.  Vivant  constamment  dans  l'obscu- 


200  MÉMOIRE  SUR   LES  LIMAGIENS 

rite,  elle  ne  supporte  pas  la  lumière,  et  elle  cherche  avec  viva- 
cité, quand  on  l'y  expose,  à  s'introduire  dans  les  cavités  qui 
puissent  Ten  mettre  à  Vabri. 

Localités.  —  Bois  de  Mérard,  aux  endroits  fangeux,  sous  les 
écorces  pourries  gisant  sur  le  sol,  sous  les  copeaux  d'abattage, 
les  bois  morts.  Mois  de  mai.  Espèce  peu  répandue. 

Observations,  —Ne  serait-ce  pas  le  Limax  laeris  de  Mûller? 
(Verra,  lerr.  et  fluv.  succinct,  hist,,  tome  ii,  p.  1-2,  n«  199).  Sa 
description  et  les  notes  qui  suivent  se  rapportent  assez  à  notre 
Limacien. 


Varietas  : 


G.   LIMAX,   LIN. 

\^  ILi.  clQereus,  Drap. 

L.  dnereoniger,  Sturm.  — Limax  antiquorum ^  Fer. 
L.  lineatus^  Dum.  et  Mort. 


Je  cite  seulement  cette  remarquable  variété,  décrite  dans  le 
Catalogue  des  mollusques  de  TOise,  p.  -9.  n°  2  ;  1862.  Les  autres 
se  rapprochent  toujours  du  type  sans  n  différer  d'une  façon 
très-sensible. 


2o  Lt.  criapatua,  Nobis. 

(PI.   III,  flg.  1-5.) 

Animal  subventricosum  ;  tentaculis  elongatis,  conicis,  vinosis 
nigro  puncticulalis  ;  clypeo  rufo-violaceo  absque  maculis;  striis 
parum  conspicuis.  Abdomine  violaceo,  rugoso,  4  fasciis  fere 
aequatibus,  subnigris;  caréna  prominula,  crispata  praeserlim 
in  extremo. 

Longit 0.05  centim. 

lat 0.006  roillim. 

Varietas  :  obscura.  —  Fusca;  fasciis  brunneis  lalis. 

Animal  allongé,  un  peu  ventru,  brun  rougeâtre,  avec  quatre 
bandes  sur  le  dos  et  Tabdomen;  carène,  très-saillante ,  plissée. 


Mem  delà  Soc.Acad.de l'Oise.  Tome  VIE, 


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^smt^ 


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âSffOXti, 


12 


11 


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8 


PL.I, 


11' 

'  0 


A.Banâon  aduat.  pinx.  Txnp.B«c<|p&«t. 

1  _5.  ArioTi  Hubiqinosus  ,  ^BaudoTi 

4  _  7.  A tenellus  ,  Millet. 

8  _i2 .  Geomalacus   Matilli ,  Baudon  . 


Dalahay*  lith 


Mém.  de  la  Soc.  Acad.  de  l'Oise. Toiae  Vil. 


PL  .  IL 


l   - 


A.Ba.xidon  ad-natpinx, 

1. 

6-10. 


inrp  ■  £  ttconct . 

Limax  ajrestis.var?  L.  Saxorum^Baudon 
Geomalacus  hiemalis  ,  Drou«t. 
Krvni'^iiiîliu:    Bruimeus  DraT>. 


Méro.  de  laSoc.Acad.de  l'Oise 

T.m.VlI. 

PL  IV 

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C^'^i^ 

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,4^^^W 

r^^fc'"^ 

',  _  t.    liraax    flllvus  ,   Normand. 

5-9-   L arborum,  Boucliard. 

io   la.  T. artorum  var?  Nemoroaa.Baudon. 


Mem  deUSoc  Acad  de  l'Oise.  Tome  VIL 


1_5.  l.imax  cnspalus  ,  "BaudûTi 
6_9.  Arion  "Bourguiqnati ,  Mal). 
10  _u.    k vat,^  miiior. 


Delihïvs  lith. 


DU   DEPARTEMENT   DE   L'OISE.  20i 

crépue  à  rextrémilé.  —  Tentacules  supérieurs  déliés,  longs,  co- 
niques, demi-transparents,  vineux,  couverts  de  petits  points 
noirs.  —  Tentacules  inférieurs  courts,  moins  foncés,  à  peine 
piquetés.  —  Cou  arrondi ,  assez  long;  une  ligne  brune  médiane, 
deux  latérales  allant  jusqu'au  sommet  des  tentacules.  —  Yeux 
très>noirs.  —  Cuirasse  arrondie  eu  avant,  légèrement  aiguë  en 
arrière,  brune  lie  de  vin,  plus  pâle  à  la  région  de  la  limacelle, 
sans  taches  ni  points.  —  Stries  fines,  demi-efifacées.  —  Orifice 
pulmonaire  petit,  aux  deux  tiers  postérieurs  du  bord,  plissé 
souvent  à  son  ouverture.  —  Dos  arrondi ,  à  rugosités  médiocre- 
ment saillantes,  violet  rougeâtre  plus  intense  qu'à  la  cuirasse, 
orné  de  quatre  bandes  larges,  foncées.  —  Carène  pâle,  peu 
sensible  à  l'origine,  crépue  à  partir  de  la  région  moyenne,  tran- 
chante, plissée,  onduleuse,  saillante  d'autant  plus  qu'elle  ap- 
proche de  sa  terminaison.  —  5o/é' grisâtre.  —  Mucus  poisseux, 
incolore.  —  Lj'moce//^  mince,  substransparente,  à  peine  convexe, 
ovalaire.  Sommet  à  peine  appréciable,  au  microscope,  elle  parait 
composée  de  petits  grains  calcaires  transparents,  d'inégale  gros- 
seur, disséminés  dans  une  substance  presque  friable,  demi- 
opaque,  formant  des  saillies  qui  afiTectent  l'aspect  de  stries  irré- 
gulières. Elle  a  quatre  à  cinq  millimètres  de  long  sur  trois  de 
large.  —  Mâchoire  roussâtre,  à  rostre  mousse,  peu  saillant.  Vn 
millimètre  et  demi  de  long  sur  trois  de  large. 

Variété  obscure.  —  D'un  brun  plus  foncé,  moins  rougeâtre  que 
le  type,  à  fascies  plus  larges.  Rare. 

Localité.  —  Je  ne  l'ai  jamais  recueillie  ailleurs  qu'aux  endroits 
très-sombres  de  la  forêt  de  Hez,  vers  octobre  et  novembre,  sur 
la  fausse  oronge  et  sur  les  autres  grosses  espèces  de  champi- 
gnons. Elle  n'est  pas  commune. 

Observations.  —  J'ai  étudié  cette  limace  pendant  plusieurs  an- 
nées, au  moment  de  sa  saison;  mais  tout  d'abord,  avec  un 
examen  superficiel,  j'étais  disposé  à  la  prendre  pour  un  jeune 
âge  de  Limax  cinereus.  Les  individus  que  je  recueillais  avaient 
toujours  la  même  taille,  et  la  confusion  est  devenue  impossible 
en  analysant  les  caractères.  Les  tentacules  piquetés  de  noir,  l'ab- 
sence de  taches  sur  la  cuirasse,  la  conformation  spéciale  de  la 
limacelle,  la  carène  plissée  et  sa  coloration  particulière  sont 
autant  de  différences  que  je  n'ai  vues  sur  aucune  de  ses  congé- 
nères. 


^02  MÉMOIRE  SUR   LES  LIMACIBNS 

3<>  I^.  af^restl»,  Lin. 

Varielates  : 

io  albidus  (Picard,  moll.  delaSommej.  —  Blanc  gri- 
sâtre ou  jaunâtre,  uniforme;  bandes  à  peine 
appréciables 

2«  obscurus.  — •  Roux  avec  taches  brunes. 

3°  saxoruniy  Nob.  (Moll.  du  département  de  TOise, 
p.  10;  pi.  II,  fig.  1;  1862).  —  Fond  roussàtre 
avec  taches  et  ban4es  nettes,  parfaitement  ré- 
gulières. 

Je  cite  les  variétés  principales  que  j'ai  remarquées;  mais  il  en 
existe  beaucoup  d'autres  intermédiaires. 


é*"  I^.  variegatus,  Drap. 

Très-peu  variable  dans  nos  contrées.  Robe  d'un  jaune  pâle 
roussàtre,  plus  ou  moins  intense,  suivant  le  degré  d'obscurité 
où  vit  l'animal. 


5<>  I^.  fulvus,  Normand. 

(PI.  IV,  flg.  1-4.) 

1853.  (Descrip.  de  six  limaces  nouvelles  observées  aux  environs  de  Valen- 

ciennes ,  p.  7,  n»  1). 
1855.  Drouët  (Enamér.  des  moll.  terr.  Oav.  viv.  de  la  France  continent., 

p  12 ,  n»  17). 
1855.  Grateloup  et  Raaiin  (Gat.  moll.  terr.  flav.  de  la  France  continent. 

et  insul.,  p.  2,  n*  ]0). 
1855.  Grateloup  (Distrib.  géogr.  de  la  Tamille  des  Limaciens,  p.  9). 
1855.  Moqain-Tandon  (Hist.  nat.  moll.  terr.  fluv.  de  France,  p.  32,  n*  11, 

pi.  IV,  ilg.  1-1).  Rangé  parmi  les  espèces  incertaines. 

Animal  fulvum,  a  latere  vix  rufo-violaceum  vel  oleaginum, 
molle,  mucoâum,  laevigatum  ,  elongatulum,  posterius  subacu- 
tum;  ultimacauda  dcsinet  in  appendicem  speclem  cordis  simu- 
lantem. 

Longit 0.06  centim.  in  extensione  maxima^ 

Lat o.oor»  —  o.oof)  millim. 


DU  DÉPARTEMENT   DE   L*OISE.  203 

Animai  allongé,  un  peu  plus  ventru  à  sa  partie  moyenne,  su- 
baigu en  arrière,  extrêmement  mou,  lisse,  subtransparent, 
gonflé  par  un  mucus  très-liquide,  incolore;  jaune  gomme  gutte 
et  rouss&tre  par  places,  teinté  de  roux  violacé  pâle  ou  oliv&tre 
latéralement.  —  Tête  légèrement  arrondie.  —  Tentacuiet^ supé- 
rieurs assez  longs,  brillants,  finement  rugueux,  d'un  brun  vineux 
clair.  —  Tentacules  inférieurs  petits ,  moins  fonças.  —  Points 
oculaires  situés  en  arrière  du  bouton  terminal.  —  Cou  arrondi, 
brun  roux  supérieurement,  à  rugosités  délicates.  On  y  remarque 
une  ligne  brune  médiane  et  les  cordons  rétracteurs  âes  tenta- 
cules. —  Cmra««e  ample, -mince,  ovale  en  avant,  pouvant  se 
relever,  recouvrant  le  cou  sans  y  adhérer  et  s'avançant  libre- 
ment sur  lui,  à  linéoles  très-tenues,  arrondie  en  arrière.  Elle 
est  paie  en  dessous ,  jaune  avec  teinte  légèrement  violacée  en 
avant.  Deux  bandes  peu  marquées  plus  accentuées  de  chaque 
côté  de  la  limacelle.  Un  point  brun&tre,  à  peine  appréciable, 
existe  juste  au-dessus  de  cette  concrétion,  dont  l'étendue  semble 
circonscrire  la  région.  La  partie  supérieure  de  la  cuirasse  est  co- 
lorée par  un  beau  jaune  pâlissant  et  s'efïaçant  latéralement.  — 
Orifice  respiratoire  petit,  ovale,  situé  au  tiers  postérieur  du  bord. 
—  Abdomen  arrondi,  à  rugosités  superficielles,  molles,  plus  ap- 
préciables en  arrière,  olivâtre  ou  roux  violacé  au  dessus,  gris 
p&le  fondu  doucement  sur  les  côtés,  jaunâtre  antérieurement, 
vert  tendre  assez  souvent  quand  l'animal  vient  de  manger.  — 
Carène  jaune  très-p&ie,  à  peine  sensible  à  son  origine,  où  elle 
n'est  indiquée  que  par  sa  nuance,  devenant  plus  aiguë  vers  sa 
terminaison.  Le  dessous  du  pied  se  compose  d'un  tissu  fort  dé- 
licat, à  peine  coloré,  translucide  au  milieu.  La  transparence 
laisse  apercevoir  les  viscères  d'un  violet  rougeàtre.  Il  existe  une 
ligne  médiane  fine  et  deux  latérales  qui  entourent  complètement 
cette  partie  et  s'arrêtent  à  la  naissance  de  Vappendice  caxtdaL  On 
en  distingue  d'autres  qui  sont  transversales,  bien  visibles  pen- 
dant la  marche  Y  à  peine  appréciables  au  repos.  Quand  le  mou- 
vement de  progression  a  lieu,  ces  portions  divisées  du  pied 
forment  autant  de  segments  qui  s'agitent  et  se  contractent  suc- 
cessivement. Cette  observation  est  facile  à  faire  quand  la  limace 
rampe  le  long  dos  parois  d'un  bocal  en  verre.  Les  lignes  latérales 
et  médianes,  dont  j'ai  parlé  tout  à  l'heure,  s'arrêtent,  sans  y 
pénétrer,  à  la  naissance  de  Vapi»e7idfee  caiulal^  organe  entière- 


204  MEMOIRE  SUR  LES  LIMACIBNS 

ment  isolé  du  reste  du  corps  (en  dessous  du  moins),  mais  cor- 
respondant avec  les  bords  latéraux.  Cetappendice  est  cordiforme, 
un  peu  transparent,  pâle  jaunâtre,  parsemé  de  points  spongieux 
inégaux ,  gris.  Un  linéament  brun  accompagne  quelquefois  une 
parliez  de  son  pourtour  ;  il  a  quelque  analogie  avec  le  pores  mu- 
queux  des  arions.  La  viscosité  du  corps  et  du  dessous  du  pied 
est  à  peine  blanchâtre,  assez  gluante.  Le  mucus  des  parties  su- 
périeures seulement  est  d'un  beau  jaune  gomme  gutte;  il  est 
déposé  à  leur  surface  comme  chez  beaucoup  d'arions.  Cette  hu- 
meur s'écoule  sur  la  cuirasse  par  une  infînité  de  petits  pores 
dont  elle' est  criblée.  L'animal  se  décolore  quand  il  la  perd,  et  il 
la  perd  avec  une  grande  facilité.  C'est  une  couleur  solide,  car 
après  ravoir  laissée  pendaot  plus  d'un  an  sur  du  papier,  elle 
n'était  nullement  altérée.  —  Limacelle  mince,  fragile,  ovale, 
presque  plate ,  transparente  étant  fraîche.  Rudiment  de  spire  k 
peine  apparent.  Six  millimètres  de  haut  sur  quatre  de  large.  — 
Mâchoire  cornée,  bien  arquée,  à  rostre  aigu  et  à  stries  d'accrois- 
sement accentuées.  Jaune  pâle.  Un  millimètre  au  plus  de  large. 

Cette  espèce  n'est  nullement  craintive  comme  la  plupart  de  ses 
congénères.  On  peut  la  toucher  sans  qu'elle  se  rétracte.  On  la 
renverse,  on  la  change  de  place,  et  elle  ne  rentre  même  pas  ses 
tentacules.  Son  allure  est  vive,  sa  marche  rapide.  Elle  fuit  le 
soleil  et  la  chaleur,  dont  son  corps  mou  ne  s'accommode  pas , 
car  aussitôt  que  le  mucus  tend  à  se  dessécher,  elle  diminue  ra- 
pidement et  succombe. 

M.  Rétout  l'a  recueillie  à  Paris,  au  Luxembourg,  dans  une  haie 
de  ti'oêne.  Il  l'acclimata  dans  une  caisse,  sur  une  terrasse,  pen- 
dant quatre  années,  et  elle  s'y  reproduisit;  mais  les  descendants 
devinrent  entièrement  blancs,  l^eur  abâtardissement  avait  eu 
lieu  sous  l'influence  de  la  sécheresse  et  du  grand  air.  Ses  varia- 
tions en  taille  et  en  coloration  sont  nombreuses.  J'ai  vu  des 
individus  d'un  jaune  plus  ou  moins  foncé.  Il  en  est  qui  sont  à 
peine  teintés,  d'autres  sont  vert  pâle.  Ces  états  sont  dûs  aux 
différences  des  milieux  où  vit  momentanément  l'animal. 

Localités,  —  J'ai  trouvé  la  limace  jaune ,  vers  la  mi-octobre , 
dans  la  forêt  de  Uez ,  sous  plusieurs  espèces  de  champignons 
vénéneux ,  principalement  dans  l'intérieur  de  la  fausse  oronge, 
où  elle  creuse  des  galeries  en  famille  ;  sous  des  feuilles  tombées, 
mais  plus  rarement.  M.  Drouêt  me  l'adressa  des  environs  de  Dijon. 


DU   DÉPARTEMENT  DE   L  OISE  205 

Obaermtims.  —  Moquin-Tandon  n'avait  certainement  jamais 
vu  cette  excellente  espèce ,  qu'il  relègue  parmi  les  limaces  dou- 
teuses. 


6^  Li.  arborum,  Bouch. 

(PI.  IV,  flg.  5-9.) 

Var»  :  nemorosa,  —  Nobis. 

(PI.  IV,  flg.  10-12.) 

1838.  (Cat.  moU.  terr.  et  flav.,  observ.  à  Tétat  vivant  dans  le  département 

du  Pas-de-Calais,  p.  l&l  à  166,  n*  6). 
1852.  Normand  (Descript  de  six  limaces  noaveUes  des  environs  de  Valen- 

ciennes ,  p.  6,  n*  3  :  I.  scandensj. 
1852.  Baudon  (Cat.  moU  da  département  de  l'Oise ,  p.  6,  n*  5,  et  Descript 

dans  Hém.  Soc.  Acad.  de  l'Oise,  t.  ii,  1852,  l*'ball.,  p.  128,  n*5  : 

I.  marginaius,  Drap.}. 

1854.  P.  de  Cessac  (Cat.  esp.  et  princip.  var.  de  mollusques  terr.  et  d'eau 

douce  du  département  de  la  Creuse  ;  Extr.  du  4*  bull.  du  t  ii  de 
la  Soc.  des  Sciences  nat.  et  arcb.  de  la  Creuse  ;  Supp.  au  cat  des 
moU  viv.,  p.  2  :  L.  scandensj. 

1855.  Grateloup  et  Rauiin  (Catal  moli.  terr.  fluv.-viv.  foss.  de  ia  France 

contin.  et  Int.,  p.  2,  n*  18  :  L.  scandensj. 
1855  Grateloup  (Distribution  géogr.  des  LImaciens,  p.  lO:  I.  scandens; 

L.  arboruim?  affinis  £.  marginali,  HOil.) 
1855.  Drouët  (Enumér.  moli.  terr.  fluv.  de  France  contin.,  p.  li,  nU2: 

I.  arborumj, 
1855.  Moquin-Tandon  (Hist.  nat.  moli.  terr.  fluv.  de  France,  etc.,  p.  24, 

n»  4  :  I.  arborumj. 
1862.  Baudon  (nouv.  Cat.  moU.  du  département  de  l'Oise,  p.  lO-ll,  n*  10  : 

£.  sylvaticus;  varietas  caeruUa. 

Animal  plerumque  crassum,  compactum;  elongatum,  angus- 
tum  per  gressum,  molle,  subpellucidum ,  griseo  subcaeruleum; 
tentaculis  roseo  vinosis;  caréna  pallida;  abdomine  macuiis 
albidis  sparso. 

Longit 0.050  -  0.000  millim. 

Lat 0.007  —  0.008     - 

Varietas  nemorosa.  —  Griseo  rufa,  perfasciata  in  clypeo  et  in 

utroque  latere  carenae. 
Animal  très-allongé ,  mince ,  étroit  pendant  la  marche;  gros, 


206  MÛIOIHË   SLU    LKS    LIMACll^.NS 

court,  Irapu,  ramassé  à  l'étal  de  repos;  gluant,  uii  peu  trans- 
parent, arrondi  en  avant,  terminé  en  pointe  aiguë,  gris  bleu&tre; 
tête  et  tentacules  d'une  teinte  vineuse  très  claire.  —  Tentacules 
supérieurs  délicats,  longs,  effilés,  transparents,  terminés  par 
un  petit  bouton  qui  porte  un  œil  noir  postérieurement.  —  Ten- 
iacules  inférieurs  (^o\xx\&^  aplatis  à  Textrémité,  translucides,  à 
peine  colorés.  —  Cou  mince,  lie  de  vin  claire.  Des  taches  brunes 
pulviformes  le  séparent  en  deux.  —  Rugosités  délicates.  —  Cui- 
rasse  arrondie  antérieurement,  aiguë  en  arrière ,  mince,  humide, 
molle,  se  déchirant  facilement,  ornée  de  stries  vermicellées  fines, 
d'une  teinte  assez  indécise,  mais  semblant  être  plutôt  d'un 
bleu&tre  légèrement  violacé,  mêlé  au  roux  p&le.  Deux  bandes 
latérales  foncées,  fondues  sur  leur  bord;  souvent  une  médiane 
moins  prononcée.  Région  de  la  limacelle  gibbeuse  et  jaun&tre. 
La  bande  droite  passe  au-dessus  du  trou  pulmonaire ,  qui  s'en- 
tr'ouvre  aux  deux  tiers  postérieurs  du  bord  de  la  cuirasse.  Cet 
orifice  est  entouré  par  une  bordure  pâte,  épaisse,  au  fond  de 
laquelle  on  le  distingue.  —  Corps  gris  bleu  ardoisé,  plus  intense  de 
chaque  côté  de  la  ligne  médiane,  coloration  qui  a  l'apparence 
d'une  bande  mal  déterminée,  avec  macules  ou  points  blanc  sale, 
grisâtres,  disséminés  çàet  là,  sans  ordre,  principalement  sur  les 
côtés  du  ventre.  Une  ligne  pâle  prend  naissance  à  la  pointe  de  la 
cuirasse,  partage  le  corps  en  deux  et  diminue  de  largeur  à  l'extré- 
mité; elle  semble  être  une  carène;  mais  celle-ci  n'est  réellement 
bien  prononcée  qu'à  la  queue.  —  Stries  fines,  superficielles, 
marquées  en  violet  foncé  dans  le  creux  des  anastomoses.  —  Plan 
locomoteur  transparent,  pdle,  jaunâtre  en  avant,  laissant  entre- 
voir les  viscères.  On  remarque,  à  la  loupe,  des  lignos  transver- 
sales qui  divisent  la  sole  en  segments.  Elle  sécrète  une  viscosité 
incolore,  épaisse,  très-adhérente.  Le  mucus  aqueux,  que  laisse 
transsuder  l'animal  si  abondamment  quand  on  le  touche,  n'est 
pas  de  même  nature,  et  a  la  plus  grande  analogie  avec  de  l'eau 
faiblement  gommée.  Au  plus  léger  contact,  il  se  contracte,  se 
met  en  boule  et  s'inonde  de  ce  liquide  que  l'on  voit  couler  de 
l'enveloppe  tégumentaire.  Plongé  dans  l'alcool,  il  laisse  échapper 
presque  tout  son  mucus  et  il  diminue  énormément  de  volume. 
Les  bandes  de  la  cuirasse  apparaissent  alors  nettement.  Lima- 
celle :  quatre  à  cinq  millimètres  de  long  sur  trois  de  large,  ovale, 
aiguë,  fragile,  deml«opaque,  légèrement  convexe  en  dessus, 
concave  à  peine  en  dessous,  dilatée  en  avant,  aiguë  en  arrière 


DU   DEPARTEMENT   DE  l'uISS  207 

munie  parfois  d'une  apopliyse  saillante,  à  stries  d'accroissement 
.fines  9  assez  mal  limitée,  dépassée  par  une  pellicule  diapliane 
qui  se  dessèche  rapidement.  J'ai  rencontré,  exceptionnellement, 
l'épaisseur  signalée  par  Bouchard.  •—  Mâchoire  de  trois  milli- 
mètres de  large,  mince,  molle,  souple,  jaune,  sauf  au  bord 
libre,  qui  est  brun.  Rostre  à  peine  saillant,  mousse.  Stries  rayon- 
nantes, obliques  de  chaque  côté,  à  peine  appréciables.  Cette 
m&choire,  fort  remarquable,  diffère  complètement  des  autres, 
qui ,  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas ,  sont  solides,  épaisses, 
fortement  rostrées. 

Cette  limace,  lourde,  inerte,  timide,  lente  dans  ses  mouve- 
ments, le  plus  souvent  repliée  sur  elle-même,  ne  montre  guère 
d'activité  qu'au  moment  des  pluies  ou  du  brouillard.  La  rapidité 
avec  laquelle  rampent  les  jeunes  individus  est  singulière.  C'est 
une  espèce  essentiellement  hygrométrique.  Quand  l'air  est  chargé 
de  vapeurs ,  son  corps  se  gonfle  et  devient  demi-transparent. 
C'est  à  ce  moment  qu'elle  change  de  place ,  grimpe  activement 
et  s'élève  quelquefois  jusqu'à  deux  mètres  et  plus,  ou  bien  elle 
reste  immobile  pendant  de  longues  heures,  et  absorbe,  en  cet 
état,  une  telle  quantité  d'humidité  que  son  volume  augmente  du 
double  dans  l'espace  d'une  journée.  L'abdomen ,  distendu ,  de- 
vient opalin  et  permet  de  voir  les  viscères.  Au  contraire ,  pen- 
dant les  sécheresses,  elle  perd  considérablement  par  l'évapora- 
tion  :  elle  se  rapetisse,  se  rétracte,  et  alors  le  mucus  prend  une 
consistance  poisseuse. 

Elle  habite  les  bois  très-ombragés  et  se  tient  au  voisinage  des 
ruisseaux,  fossés  ou  rivières,  sur  les  arbres,  sous  leurs  vieilles 
écorces  crevassées  ou  sous  les  feuilles  de  lierre  qui  s'y  attachent. 
Ces  animaux  forment  là  de  véritables  familles,  comprenant 
quelquefois  une  douzaine  d'individus  agglomérés ,  pressés  les 
uns  contre  les  autres.  C'est  le  nid  de  la  limace.  Souvent  c'est  à 
cet  endroit  que  Tceuf  d'où  elle  est  sortie  s'est  développé ,  car 
entre  les  fissures  des  trous,  sous  les  rameaux  entrelacés  du  lierre, 
existe  un  terreau  léger  dans  lequel  la  ponte  est  déposée.  Il  est 
donc  fort  naturel  de  rencontrer  au  même  endroit  plusieurs 
groupes  voisins. 

Le  mode  d'habitation  est  en  rapport  avec  ses  besoins.  En  effet, 
un  liquide  abondant  lui  étant  indispensable  pour  entretenir  la 
souplesse  de  la  peau ,  elle  serait  rapidement  épuisée  si  elle  rece- 
vait l'impression  d'un  air  trop  vif.  Aussi,  on  ne  la  trouve  jamais 


208   MEMOIRE  SUR  LES  LIMAGIENS  DU  DEPARTEMENT  DE  L*018Ë. 

que  dans  le  voisinage  de  l'eau  ou  aux  places  ombragées.  Je  ne  la 
rencontre  pas  pendant  les  saisons  sèches,  mais  toujours  au  prin- 
temps ,  puis  en  septembre ,  octobre  et  novembre.  Sa  nourriture 
consiste  principalement  en  détritus  ligneux  des  vieux  bols  ra- 
mollis. Elle  recherche  également  les  petites  mousses  croissant  à 
leur  surface.  La  mâchoire  esi  si  molle  qu'il  ne  lui  serait  pas  pos- 
sible d'entamer  une  substance  un  peu  dure.  La  langue  indique 
par  sa  faible  consistance  qu'elle  n'est  pas  destinée  à  recevoir  des 
molécules  très-coriaces.  Je  crois  que  l'absorption  de  l'humidité 
contribue  pour  sa  part  à  son  alimentation. 

Localités,  —  Bois  de  Mérard,  de  Perelles,  du  Bury  (Oise),  le 
long  de  la  rivière. 

Yarietis  nemorosa,  Nob.  —  Forme  à  peu  près  semblable  à  celle 
du  type,  quoique  moins  svelle.  Gris  roussàtre  mêlé  de  brun,  avec 
une  teinte  générale  bleuâtre  à  peine  indiquée.  Bande  bien  mar- 
quée latéralement  sur  la  cuirasse,  deux  de  chaque  côté  du  dos; 
celle  qui  suit  la  carène  est  d'un  brun  plus  foncé;  bande  carini- 
forme  café  au  lait  jusqu'à  l'extrémité  de  la  queue;  taches  blan- 
châtres, surtout  au  ventre;  ori.^ce  pulmonaire  entouré  d'un 
cercle  roux  pâle;  mâchoire  molle,  plus  grande  quecliez  le  type. 

Je  l'ai  trouvée  en  octobre  et  novembre,  grimpant  encore  sur 
les  arbres  dans  la  forêt  de  Hez.  En  novembre,  après  une  forte 
gelée,  et  avec  une  température  très- basse,  je  l'ai  recueillie  dans 
le  creux  d'un  gros  hêtre  àdemi-rempli  d'eau.  Plusieurs  individus 
étaient  enfoncés  très-avant;  d'autres,  sortis  à  moitié  du  trou,  se 
préparaient  à  hiverner.  Au  reste,  au  milieu  de  la  forêt,  le  froid 
étant  moins  vif,  l'hibernation  a  lieu  plus  tardivement. 

Observations.  —  Le  Umax  arborum  serait-il  \e  Limax  sa/icium^ 
Bouillet  (Cat.  des  espèces  et  var.  de  moll.  terr.  fluv.,  etc.,  de  la 
haute  et  basse  Auvergne;  1836,  p.  18,  n«  10)?  Le  court  aperçu 
donné  par  cet  auteur  est  trop  insufûsant  pour  qu'il  soit  permis 
de  l'affirmer.  Cependant  l'on  pourrait,  jusqu'à  un  certain  point, 
soupçonner  son  identité,  surtout  avec  la  var»  nemorosa.  Je 
crois  qu'il  serait  utile  de  laisser  complètement  dans  l'oubli,  jus- 
qu'à nouvel  ordre,  une  espèce  aussi  peu  déterminée,  puisqu'elle 
met  sans  cesse  les  malacologistes  dans  le  doute. 

AUG.  BAUDON. 
Mouy  (Oise:.  1868 


NÉCROLOGIE. 


LE  DOCTEUR  DANIEL  —  LE  PROFESSEUR  Z0Ë6A. 


Daus  le  cours  de  l'année  qui  vient  de  s'écouler,  et  qui  laisse 
dans  tous  les  cœurs  français  de  si  douloureux  souvenirs  »  la 
Société  Académique  a  fait  deux  perles  qu'elle  ressentira  long- 
temps. La  mort  de  M.  le  docteur  Daniel  et  celle  de  M.  le  profes- 
seur Zoéga  ont  fait  dans  nos  rangs  un  vide  considérable,  et  nous 
ne  répondrions  pas  au  sentiment  public  si  nous  ne  rendions 
pas  à  la  mémoire  de  nos  regrettés  confrères  le  juste  tribut 
d'hommage  auquel  ils  ont  droit.  Pour  faire  apprécier  l'étendue 
de  cette  double  perte  et  la  légitimité  de  nos  regrets,  il  nous 
suffira  de  rappeler  avec  simplicité  le  souvenir  de  ce  qu'ils  onè 
été  et  de  ce  qu'ils  ont  fait.  Rappeler  avec  exactitude  et  sincérité 
ce  dont  nous  avons  tous  été  témoins,  sera  le  plus  bel  éloge 
qu'on  puisse  faire  de  ces  deux  hommes  de  bien. 

Issu  d'une  ancienne  famille  beauvaisinej  qui  a  fourni  plu- 
sieurs de  ses  membres  à  l'autorité  municipale  et  au  tribunal  de 
commerce,  le  docteur  Daniel  est  né,  en  1776,  dans  notre  ville, 
pour  laquelle  il  ne  cessa  d'avoir  et  de  professer  un  attachement 
passionné.  Il  était  petit-fils  d'un  médecin,  et,  Adèle  aux  tradi- 
tions qu'il  trouvait  dans  sa  famille,  il  embrassa  avec  ardeur 
cette  noble  profession. 

Il  entra  dans  la  carrière  sous  les  auspices  d'un  grand  méde- 
cin, M.  Lenglet^  que  son  talent  et  son  noble  caractère  rendirent 

T.  VIII.  14 


210  NÉCROLOGIE. 

l'objet  du  respect  universel  pendant  la  sinistre  année  1793,  dont 
îl  traversa  la  tourmente  de  la  manière  la  plus  honorable. 

Le  jeune  Daniel  avait  à  peine  commencé  ses  études  prélimi- 
naires lorsqu'il  fut  appelé  sous  les  drapeaux  par  les  dangers 
de  la  patrie.  H  fît  partie  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse,  alors 
commandée  par  Jourdan,  et  à  qui  la  France  a  dû  tant  d'illustres 
généraux.  11  y  fut  employé  dans  le  service  de  santé  pendant  la 
campagne  de  1794. 

Revenu  à  Paris  pour  y  continuer  ses  études  médicales,  il  fut, 
peu  de  temps  après,  renvoyé  à  Beauvais,  à  l'époque  des  troubles 
qui  agitèrent  l'année  1795,  où  il  fut  attaché  à  rbOpital  militaire. 

C'est  alors  que,  après  un  brillant  examen ,  il  obtint  le  titre 
d'aide-major,  avec  lequel  il  refourna  à  l'armée  où  il  fit  plusieurs 
campagnes. 

Après  avoir  ainsi  payé  sa  dette  à  son  pays ,  M.  Daniel ,  alors 
âgé  de  vingt-cinq  ans,  revint  pour  toujours  à  Beauvais,  où  il 
se  fixa  définitivement  en  1800,  après  avoir  obtenu,  d'une  ma- 
nière très-honorable,  le  titre  de  docteur. 

Depuis  cette  époque  jusqu'à  un  âge  très- avancé,  Il  ne  cessa 
de  se  livrer  à  l'exercice  de  la  médecine  avec  un  zèle  et  un  dé- 
sintéressement qui  ne  se  démentirent  jamais ,  et  la  reconnais- 
sance des  nombreux  habitants  de  la  ville  et  des  environs,  dans 
toutes  les  classes,  auxquels  il  a  toujours  prodigué  les  soins  les 
plus  assidus,  et  quelquefois  les  plus  généreux,  atteste  l'élévation 
du  sentiment  avec  laquelle  il  comprenait  les  devoirs  de  sa  noble 
profession. 

^Âu  milieu  d'une  vie  si  laborieuse  et  si  utilement  employée ,  il 
savait  trouver  le  moyen  de  cultiver  la  science,  non  seulement 
dans  ses  rapports  avec  l'art  de  guérir,  mais  même  dans  les 
branches  étrangères  à  la  médecine.  La  conchyliologie,  la  nu- 
mismatique, et  surtout  l'histoire  locale,  furent  l'objet  de  ses 
études  de  prédilection.  Souvent  nous  avons  mis  à  contribution, 
dans  l'Intérêt  de  nos  travaux,  l'expérience  qu'il  avait  acquise 
dans  ces  différentes  sciences.  Hais  ce  qui  doit  surtout  le  recom- 
mander à  nos  yeux,  c'est  le  sincère  et  profond  attachement  qu'il 
portait  à  sa  ville  natale  et  à  la  Société  Académique,  qu'il  regar- 
dait comme  le  plus  fidèle  organe  de  notre  patriotisme  local. 
C'est  sous  l'influence  de  ce  sentiment  honorable  qu'il  s'était  voué 
tout  particulièrement  à  l'histoire  de  notre  cité,  et  qu'il  a  consacré 


.NECROLOGIE.  211  I 

un  travail  important  à  la  constatation  de  Tétat  de  notre  ville 
en  1789,  époque  heureusement  choisie  pour  recueillir  les  souve- 
nirs d'un  contemporain  sur  un  état  de  choses  qui  allait  dispa- 
raître avec  ses  institutions  et  ses  monuments. 

Vous  avez  encore  présents  à  la  mémoire  les  consciencieuses 
descriptions  et  les  intéressants  détails  qu'il  nous  a  donnés  sur 
les  uns  et  sur  les  autres,  ainsi  que  sur  plusieurs  usages  spéciaux 
à  notre  ville,  qui  nous  ont  fait  connaître  un  des  aspects  les  plus 
frappants  de  la  société  fraDçaise  avant  la  grande  révolution 
de  1789.  Nous  lui  devons  également  une  étude  sur  le^  souterrains 
dont  la  ville  était  sillonnée,  et  qui  entraient  dans  le  vaste  sys- 
tème des  fortifications  de  la  place. 

La  Société  n'a  pas  oublié  les  utiles  dissertations  qu'il  lut  à  ses 
séances  ou  qu'il  inséra  dans  nos  Mémoires  sur  différents  points 
de  l'histoire  locale,  sur  les  monuments  et  les  anciens  usages  de 
notre  ville,  et  sur  les  anciennes  institutions  qui  y  existaient 
autrefois,  notamment  celles  sur  remplacement  si  controversé 
de  Bratuspantium ,  sur  le  temple  de  Bacchus,  au  mont  Gapron, 
sur  les  tours  de  l'ancien  évêché ,  sur  le  chapitre  cathédral  de 
Beauvais  et  sur  la  curieuse  crypte  de  l'ancien  cloître  canonial, 
devenue  depuis,  malgré  son  insuffisance,  l'asile  nécessaire  de 
notre  musée. 

Nous  nous  rappelons  encore  que ,  ami  de  tous  les  progrès ,  le 
docteur  Daniel  ne  bornait  pas  ses  travaux  aux  recherches  de 
l'histoire  et  aux  investigations  de  l'archéologie ,  et  que  dans  son 
zèle  pour  toutes  les  améliorations  morales,  et  même  matériellesi, 
il  faisait  d'utiles  excursions  sur  le  terrain  de  la  physiologie ,  de 
l'hygiène  et  de  la  morale,  qui  ont  entre  elles  tant  d'affinités  se- 
crètes, dont  ne  pouvait  manquer  d'être  touché  l'esprit  philoso- 
phique et  sagement  pratique  de  notre  excellent  confrère. 

Ces  travaux  nombreux,  qui  étaient  pour  lui  une  source  de  no- 
bles jouissances,  ne  le  détournèrent  pas  de  l'exercice  de  sa  pro- 
fession, et  on  pouvait,  à  bon  droit,  le  citer  comme  un  des  plus 
zélés  médecins  de  la  contrée,  et  lors  que,  sur  la  proposition  de 
M.  Baudouin,  alors  préfet  de  l'Oise,  il  fût  nommé  chevalier  de 
la  Légion- d'Honneur  en  1859  (i),  ses  confrères  regardèrent  cette 


(1)  Décret  da  13  décembre  1859. 


212  NÉCROLOGIE. 

nomjnarion  comme  un  hommage  pour  ie  corps  médical  tout 
entier,  si  bien  représenté  par  le  plus  âgé  de  ses  membres. 

La  longue  carrière  du  docteur  Daniel ,  honorée  par  la  science 
et  le  travail  et  par  les  services  de  tout  genre  rendus  tant  à  la 
population  qu'à  la  Société  Académique,  était  entourée  du  respect 
qu'elle  méritait. 

Aussi,  n'est-ce  pas  sans  un  vif  regret  que  nous  avons  vu, 
dans  les  dernières  années,  le  docteur  Daniel,  vaincu  par  l'âge 
et  les  infirmités,  renoncer  à  venir  à  nos  séances.  Nous  aurions 
voulu  posséder  encore  dans  notre  sein  ce  vieillard  aimable  et 
laborieux,  dont  la  présence  était  pour  nous  un  modèle  et 
un  encouragement.  L'âge,  qui  avait  épargné  les  lumières  de 
son  intelligence  et  la  chaleur  du  cœur,  avait  altéré  chez  lui  le 
sens  de  l'oule,  et  il  ne  pouvait  plus  prendre  part  à  nos  réunions 
tout  en  restant  attaché  d'affection  à  notre  Société.  Mais  vous 
n'avez  pas  voulu  que  son  nom  disparût  de  nos  registres  de  notre 
Société,  et  le  titre  de  membre  honoraire,  que  vous  lui  avez  conféré 
à  l'unanimité,  atteste  les  liens  d'amitié  qui  n'ont  cessé  de  nous 
unir  au  vénérable  doyen  qui  était  un  des  fondateurs  de  notre 
association. 

Il  est  mort  avec  le  calme  du  juste,  soutenu  jusqu'à  la  fin  par 
une  foi  vive  et  pénétré  du  sentiment  d'une  profonde  reconnais- 
sance pour  les  grâces  dont  la  Providence  l'avait  comblé,  en- 
touré d'une  famille  qui  le  vénérait  et  lui  prodiguait  les  soins  de 
la  plus  affectueuse  tendresse ,  à  laquelle  il  a  légué  le  souvenir 
de  ses  travaux  et  de  ses  vertus. 

La  Société  Académique,  à  la  fondation  de  laquelle  il  a  pris 
une  si  grande  part,  conservera  religieusement  la  mémoire  de 
cet  homme  de  bien  qui  avait  pour  notre  réunion  un  attachement 
qui  lui  donne  droit  à  tous  nos  regrets  et  à  nos  plus  sympathiques 
souvenirs. 

Nous  venons  de  vous  rappeler  les  titres  nombreux  qu'avait, 
à  vos  justes  regrets,  un  vénérable  confrère,  qu'on  pouvait,  à 
bon  droit,  considérer  comme  le  type  de  cette  fidélité  au  sol 
natal,  qui  lui  avait  permis  de  terminera  Beauvais  une  existence 
de  près  d'un  siècle,  illustrée  par  d'honorables  travaux.  Nous 
avons  maintenant  à  vous  entretenir  de  la  perte  d'un  savant  dis- 
tingué ,  né  loin  de  nous  sur  une  terre  qui  n'était  pas  sa  patrie, 


NECROLOGIE.  213 

et  à  qui  son  mérite  personnel  avait  conquis  le  droit  de  cité  en 
France,  des  fonctions  honorables  et  de  nombreuses  amitiés  dans 
sa  patrie  d'adoption,  et  que  les  malheurs  de  la  France  ont  ré- 
duit à  rendre  le  dernier  soupir  sur  la  terre  étrangère  pendant 
que  la  guerre  désolait  notre  contrée.  Destinées  bien  différentes 
de  deux  hommes  dont  la  mémoire  nous  est  également  chère, 
et  dont  notre  ville  porte  le  deuil  avec  la  même  unanimité. 

M.  Frédéric-Salvator  Zoéga,  qui  était  un  des  vice-présidents  de 
la  Société,  était  né  à  Rome  en  1798.  Son  père,  le  chevalier  Zoéga, 
antiquaire  renommé ,  était  alors  consul  général  du  Danemark  à 
Rome,  où  il  a  fait  de  beaux  travaux  sur  les  monuments  de  l'an- 
tiquité, et  spécialement  sur  les  obélisques.  Il  était  lié  d'une 
amitié  intime  avec  le  célèbre  sculpteur  Thorroaldsen ,  qui  tint 
son  fils  sur  les  fonts  du  baptême ,  et  les  liens  de  cette  parenté 
spirituelle  avaient  établi  entre  Téminent  artiste  et  notre  confrère 
des  relations  d'affection  réciproque  qui  ont  subsisté  jusqu'à  la 
mort  du  premier,  arrivée  eu  1844. 

Après  la  mort  de  son  père,  M.  Zoéga,  qui  se  destinait  à  la 
carrière  de  renseignement ,  quitta  Rome  pour  la  Suisse ,  et  il 
professa  les  mathématiques,  pendant  plusieurs  années,  dans 
l'institution  de  Hoffwille.  Plus  tard ,  ayant  fait  la  connaissance 
de  plusieurs  Français  de  distinction,  qui  appréciaient  son  mérite, 
il  entra,  par  leur  conseil,  à  l'Université  de  France  après  avoir 
obtenu  sa  naturalisation. 

C'est  alors  qu'il  fllt  attaché  au  collège  de  Beauvals  comme  pro- 
fesseur de  mathématiques  et  de  sciences  physiques.  Il  ne  tarda 
pas  à  prouver  une  rare  aptitude  pour  ses  fonctions  et  à  se  conci- 
lier l'affection  de  ses  élèves  par  l'intérêt  qu'il  prenait  à  leurs 
progrès,  non  moins  que  par  l'afTectueuse  douceur  de  ses  procé- 
dés. Nous  avons  tous  été  témoins  du  tendre  attachement  qu'après 
vingt  ans  et  plus  ses  élèves  portaient  à  leur  ancien  professeur, 
et  plus  d'une  fois  la  Société  recueillit  les  heureux  résultats  de 
ces  bons  souvenirs  dans  d'utiles  recrues  fournies  par  les  anciens 
élèves  de  M.  Zoéga. 

Sans  négliger  les  connaissances  archéologiques ,  qui  avaient, 
aux  yeux  de  notre  excellent  confrère ,  la  consécration  du  zèle 
avec  lequel  son  père  les  avait  cultivées,  M.  Zoéga  répandait  sur- 
tout les  lumières  de  sa  vaste  science  sur  la  science  naturelle,  et 
particulièrement  sur  les  questions  intéressant  la  physique  et  la 


214  NÉCROLOGIE. 

chimie .  qui  étaient  devenues  l'objet  spécial  de  son  enseignement. 
Il  s'occupait  aussi  avec  soin  des  questions  soulevées  dans  le 
domaine  des  sciences  naturelles,  et  notamment  de  l'astronomie. 
Tout  le  monde  se  rappelle,  à  Beauvais,  les  belles  conférences 
qu'il  institua  en  1850,  à  l'imitation  de  M.  Léon  Foucault,  pour 
constater  le  mouvement  de  la  terre  autour  du  soleil,  au  moyen 
du  pendule  suspendu  dans  la  tour  de  l'église  de  Saint-£tienne. 
Il  n'est  pas  une  personne  éclairée  et  s'intéressant  à  la  science,  à 
Beauvais ,  qui  ne  soit  venue  assister  aux  curieuses  expériences 
et  aux  lumineuses  démonstrations  de  M.  Zoéga.  M.  Randouin, 
alors  préfet  de  l'Oise,  suivait  ces  séances  avec  un  vif  intérêt,  et 
M.  Iléricart  de  Thury,  membre  de  l'Académie  des  sciences,  alors 
dans  notre  ville,  félicita  chaleureusement  l'habile  professeur  de 
la  manière  dont  il  avait  popularisé  la  belle  expérience  de  Léon 
Foucault  à  Beauvais,  et  rendit  à  l'Académie  un  compte  très- 
honorable  du  talent  que  M.  Zoéga  avait  montré  dans  redc  cir- 
constance. 

Malheureusement,  les  occupations  de  M.  Zoega,  comme  pro- 
fesseur, ne  lui  permirent  pas  de  nous  faire  jouir  de  sa  rare  expé- 
rience comme  nous  l'aurions  désiré  ;  mais  il  concourait  toujours 
à  élucider  les  questions  qui  s'élevaient  sur  des  matières  de  sa 
compétence,  notamment  sur  des  questions  astronomiques,  et 
en  particulier  sur  celles  des  étoiles  filantes  et  des  bolides,  sur 
lesquelles  il  s'éleva  plusieurs  discussions  dans  la  Société. 

Tant  de  titres  marquaient  la  place  de  M.  Zoéga  à  la  tète  de 
notre  compagnie.  Aussi ,  quand  la  vice-présidence  de  la  section 
des  sciences  naturelles  se  trouva  disponible,  il  n'y  eut  pas  un 
instant  d'hésitation,  et  M.  Zoéga  y  fut  promu  à  l'unanimité. 

L'assemblée  savait  qu'en  élevant  ce  savant  à  sa  tète,  elle  ho- 
norait en  même  temps  un  lettré  distingué.  M.  Zoéga,  déjA  agrégé 
aux  sciences  mathématiques,  avait  également  conquis  le  double 
titre  d'agrégé  pour  les  langues  allemande  et  italienne. 

Il  était  officier  de  l'Instruction  publique,  et,  sans  doute,  s'il 
eût  vécu  quelques  années  de  plus,  la  décoration  de  la  Légion- 
d'Honneur  serait  venue  couronner  sa  brillante  carrière  scienti- 
fique. 

Nous  touchions  à  une  époque  fatale  qui  donna  à  notre  excel- 
lent confrère  une  dernière  et  suprême  occasion  de  montrer  com- 
bien son  àme  était  ouverte  aux  sentiments  les  plus  généreux  et 


NECROLOGIE  215 

les  plus  patriotiques.  Une  guerre  funeste,  dont  je  n'ai  ici  à  re- 
chercher ni  les  origines,  ni  les  navrants  détails,  avait  livré  la 
France  désarmée  à  un  farouche  vainqueur.  Zoéga,  fidèle  à  sa 
patrie  d'adoption,  que  ses  nialheui;^  ne  lui  rendaient  que  plus 
chère,  ne  pouvait  supporter  de  voir  son  sol  envahi  et  de  penser 
que  peut-être  sa  connaissance  de  la  langue  allemande  pourrait 
l'exposer  à  servir  d'interprète  à  nos  vainqueurs.  Peut-être  le 
souvenir  de  son  ancienne  patrie  et  la  manière  inique  dont  les 
deux  plus  grandes  nations  allemandes  avaient  abusé  de  leur 
force  pour  accabler  un  héroïque  petit  peuple,  ajoutait-il  à  l'hor- 
reur que  lui  inspirait  leur  insolent  rriomphe.  Il  ne  put  consentir 
à  les  voir  en  France,  et  au  moment  où  les  armées  allemandes 
approchaient  de  Beauvais  il  s'exila  volontairement  pour  ne  pas 
les  voir  et,  dans  la  circonstance,  subir  l'humiliation  de  servir 
et  faciliter  leurs  rapports  avec  les  Français. 

De  France  il  passa  en  Belgique,  où  sa  fille  aînée  s'était  mariée 
et  où  une  autre  de  ses  filles  était  retenue  par  un  mal  cruel  qui 
avait  résisté  à  tous  les  efforts  de  la  science.  Cl  venait  à  peine  d'y 
arriver,  que  la  plus  jeune  de  ses  filles  succomba  à  la  maladie 
qui  la  minait  depuis  longtemps.  Ce  dernier  coup  acheva  de  briser 
les  forces  de  Zoéga,  déjà  épuisées  par  tant  d'épreuves,  et  il 
expira,  peu  de  jours  après  sa  fille  chérie,  loin  des  amis  qu'il 
s'était  faits  en  France  et  des  compagnons  de  ses  travaux. 

Ainsi  mourut,  sur  la  terre  étrangère,  cet  homme  de  bien,  ce 
savant  distingué ,  qui ,  à  défaut  d'une  patrie ,  trouva  du  moins , 
dans  la  catholique  Belgique ,  les  secours  de  sa  religion  ,  et  les 
consolations  de  sa  famille. 


DANJOU 


DE  LA 


VÉGÉTATION  DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OISE. 


DEUXIÈME  PARTIE. 


STATISTIIIUE  BOTÂMQl  DU  DJPÂRTn  DE  « 


ou 


CATALOGUE  DES  PLANTES 


OBSERVÉES  DANS  L'ÉTENDUE  DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OISE, 


Par  L.  GRAVES, 


Révisé,  ANNOTé  BT  AUGMENTÉ 


Par  UFFOLTTE  ROBUV, 


■SQ0IS8B  DB  LA  vifiATATION  D»  DJPARTBMBNT  DB  L'OISB     217 


Soiiaote-diiième  Famille.  —  OROBANGHiES,  iassieo. 

{Nom  tiré  du  genre  OrobancHE.) 

f  Fleurs  munies  inférieurement  d'une 

bractée  et  en  outre  de  2  bractéoles 

latérales P/ielipcea^  G.  A.  Mey. 

^    I  Meurs  munies  iuférieurement  d'une 

bractée  mais  dépourvues  de  brac- 

\    téoles  latérales 2 

Calice  bilabié;  stigmate  profondé* 

ment  bilobé Orobanehe^  Lin. 

^Calice  campanule;  stigmate  entier  ou 

à  peine  échancré tMthrcea ,  Lin. 


I.  Fleurs  munies  inférieurement  d'une  bractée  et  en  outre 

de  2  bractéoles  latérales, 

Ptaellpœa,  C.  A.  Mey.  (in  Ledeb.  il.  Alt.  n,  459).  —  Pliéllpée. 

Btym.  —  Dédié  k  L.  Phdipeaox  de  PoDlehartraio ,  marin  fnnçaiii,  en  17». 

Tige  simple; corollelubuleuseàlobes 
aigus  ;  fleurs  bleues Ph.  cœrulea^  C.  A.  Mey. 

Tige  rameuse  ;  corolle  à  tube  plus  ou 
^  moins  dilaté  dans  sa  partie  supé- 
rieure ,  à  lobes  obtus  ;  fleurs  jau- 
nâtres   P/i.  ramosa^  C.  A.  Mey. 

a.  Tiges  simples. 

874.  PheUpœa  cœrulea ,  c.  A.  Mey.  —  PAélipée  bleue. 

Sur  le  Genista  scoparia.  —  Forêt  de  Laigue.  Bois  de  Taux , 
canton  de  Cbaumont.  Noyon  !  Bulles  !  Gh&vres. 

Sur  VAchillosa  mille folium.  —  Beau  vais;  Clermont;  Passel; 
Mondescourt;  Bulles;  Chaumont,  bois  de  Labrosse;  au  mont 
Plaisant. 


218  BSQIHSSB   DE   LA   VÉGliTATIOPr 

T.  R.  *¥»  Juillet-août. — Bords  des  chemins,  des  prés ,  des  bois. 
—  Corolle  bleu  d'acier;  stigmate  blanc. 

b.  Tiges  rameuses, 

875.  Phel.  ramosa,  c.  A.  Mey.  —  Pàélipée  rameuse^  Tue- 
chanvre ,  Canada ,  Orobanche  de  chanvre. 

a.  cannabicola,  —  Ctiaumont!  Pouilly  !  Sacy-le-Grand  ! 
Béthisy  ;  Aiguisy  !  Remy  !  Clalroix  !  Trosly-  Breuil  !  Plessis- 
Brion!  Salency  !  Trémonvillers;  LaNeuville-en-Hez;  Senlis; 
Senéfontaine;  Mareuil-sur-Ourcq  ;  CoUinance;  Nointel. 

b.  simplex.  —  Béthisy  !  Yerneuil-sur-Oise  !  Montmacq  ! 
Breuil-le-Vert  ;  CoUinance  !  Liancourt. 

C.  napicola.  —  CoUinance!  mais  dans  un  champ  où  Ton 
avait  cultivé  antérieurement  du  chanvre, 
d.  apiicola,  —  Sur  le  céleri.  Chaumont! 
A.  R.  ®.  Eté.  —  Terrains  calcaires ,  chenevières ,  jardins. 
Corolle  d'un  blanc-jaunâtre^  plus  souvent  lavée  de  violet,  dans  sa 
partie  supérieure;  stigmate  blanchâtre. 

Nota.  —  Ses  graines  peuvent  se  conserver  en  terre  plusieurs 
années  sans  germer,  mais  dès  qu'elles  viennent  à  se  trouver  en 
contact  avec  des  racines  du  chanvre  vivant,  elles  s'y  attachent 
immédiatement  et  développent  une  radicule  qui  s'y  enfonce. 
Cette  plante  arrête  le  développement  des  tiges  du  chanvre.  On 
a  remarqué  dans  notre  département  qu'elle  pousse  rarement  sur 
le  Chanvre  de  Tours  ^  qui  est  plus  vigoureux. 

II.  Fleurs  munies  infërieurement  d'une  bractée  ^  mais  dépourvues 
de  bractéoles  latérales.  Stigmate  bilobé. 

Orotoancbe,  Lfn.  (geii.  779,  part.).  —  Oroliaiiolie. 

Etym.  —  Da  grec  orobos,  plante  légamineose ,  anehô,  étrangler;  allosion  au  parasitisme 

de  ces  plantes  sur  plusieurs  légnmineoses, 

/  Filets  des  étamines  velus  à  leur 

l    base 2 

i  <  Filets  des  étamines  glabres  à  leur 
/  base;  corolle  à  lobes  obscuré- 
l     ment  dentés Orobanche  rapum ,  Thuil. 


DU  DéPARTBMBNT   DE   L'OISK.  219 

Corolle  d'un  rouge  de  sang  inté- 

1    rieur  ;  stigmate  jaune Oroh.  crventa ,  Bert. 

Corolle  non    roug^  intérieur; 

stigmate  pourpre  ou  violacé...  3 

Lèvre  supérieure  de  la  corolle 

j    entière s 

I  Lèvre  supérieure  de  la  corolle 

éciiancrée  ou  découpée A 

Filets  des  étamines  très-velus...  fi 

4  \  Filets  des  étamines  chargés  seu- 
lement de  quelques  poils  épars.  G 
Stigmate  d'un  rouge  foncé;  co- 
rolle à  tube  très- ample  dans  sa 

partie  supérieure Orob,  gafii ,  Duby. 

Stigmate  Jaune Orob,  rubens ,  Wallr. 

Etamines  insérées  à  la  base  de  la 

corolle Orob.  epithymum  ,  D.  C. 

Etamines  insérées  vers  le  milieu 

de  la  corolle 7 

.'Corolle  à  tube  coudé;  bractées 

\    bien  plus  longues  que  la  fleur.  Orob.amethysten^lhM. 
^Corolle  à  tube  arqué;  bractées  à 
^    peine  aussi  longues  que  la  fleur.  Orob,  minor^  Suit. 
Etamines  insérées  près  la  base  de 

la  corolle Orob.  feucrii,  llol.  et  Sch. 

^Etamines  insérées  presque  au 

milieu  du  tube  de  la  corolle.  0 

Corolle  arquée;  étamines   peu 

.    velues  à  la  base 10 

iCorollecampanulée,  non  arquée; 

étamines  très-velues  à  la  base.  Orob,  picridis ,  Schultz. 

( Etamines  peu  velues Orob,  hederœ^  Vauch. 

(  Etamines  laineuses Orob.  elatior^  Sutt. 

a.  stigmate  jaune. 

876.  Orobanche  rapum ,  Thuil.  —  Orobanehe  rare. 
T.  C.  ^^.  Eté.  —  Sur  les  racines  du  Genêt  à  balais. 

b.  bracteosa ,  Reut.  —  Bractées  plus  longues  et  formant 
une  houppe  au  sommet  de  Tépi. 


220  BSQUISSB   DK   LA   VÉGÉTATION 

Avrechy  ;  Le  Metz ,  près  Argenlieu  ;  bois  de  Vellennes  ;  Bonge- 
nouU;  Tremonvillers. 

c.  trifoliicola.  —  Noyon  sur  le  Trèfle  des  prés.  —  Stigmate 
Wun  jaune  citron  et  rougedtre  à  la  base. 

877.  Or  oh.  cruenla,  Bert.  —  Orobanche  sanglante.  Oro- 
hanche  du  genêt ,  des  Teinturiers, 

Forêt  âe  Chantilly,  vers  Montgrésin  !  parc  de  Compiègne ,  sur 
une  pelouse. 

T.  R.  ^.  Eté.  —  Pelouses,  coteaux  herbeux ,  terrains  calcaires, 
parasite  sur  les  légumineuses  herbacées.  —  Corolle  à  gorg^i  rouge 
de  sang;  filets  des  étamines  velues;  stigmate  d^un  jaune  citron, 
entouré  d^une  ligne  pourprée. 

878.  Oro6.  ruhens,yf^\\r.  {Orob.medicaginis^^\va\\i,.) 
T.  B.  ?.  Mai-juin.  —  Medicago  saliva  et  falcata  des  terrains 

calcaires;  légère  odeur  de  Muguet.  —  Corolle purpuresceiue ,  ou 
jaune  violacé;  stigmate  jaune  de  cire.  (Malgré  Wallrolh  et  Duby 
qui  le  disent  pourpre.) 

879.  Orob.  hederœ.  Vauch.  —  Orobanche  du  lierre. 

T.  R.  ?.  Eté.  —  Pied  de  lierre  à  Balagny-sur-Théraln.  —  Corolle 
faute ,  à  stries  pourpres  ;  stigmate  d'un  beau  jaune. 

880.  Oro6.  elalior ,  Sutt.  —  Orolmnche  élevée. 
Neuvillebosc  !  butte  d'Âumont ,  prés  Senlis  !  forêt  de  Halatte  I 

Fleurines;  LIancourt;  Noyon. 

T.  R.  ?.  Eté.  —  Parasite  sur  le  Centaurea  scabiosa  et  YHelian- 
themum  vulgare.  —  Corolle  d'un  violet-ochracé ;  stigmate  faune  ^ 
sur  VEryngium. 

b.  Stigmate  purpurescent  violacé  ou  amarante. 

881.  Oro6.  flfa/jï,  Duby.  —  Orobanche  du  gaillet. 

Sur  le  Galium  verum.  —  LIancourt  !  Sacy-le-Grand  !  Gauelon  , 
vIs-à-vIs  de  Blenville  !  Margny-les-Gomplègne  ! 

Sur  le  Galium  Bocconi.  —  Entre  Plerrefonds  et  Batigny  ! 

Sur  le  Galium  mollugo.  —  Bois  de  Goudun  ;  Gompiègne;  route 
de  Hermès,  à  Friancourt. 


DU   DÉPART KMBNT    DK   L'oISB.  ^21 

K.  9^.  Mai-juin.  —  Pelouses,  odeur  de  girofle;  stigmate  presque 
foncé;  étamines  \elues  comme  VO.  cruenta.  Elle  en  dlifëre  par  sa 
corolle  plus  longue ,  mais  non  ventrue  à  la  base  et  par  sa  cou- 
leur plus  p&le.  —  Corolle  violacée, 

882.  Or  oh.  minor,  Suir. -^  Orobanche  mineure. 
BeauvaisI  Giermont!  Saint-Sauveur!  bois  Bateau,  près  Sené- 

fontaine;  forêt  du  Parc,  vers  Goincourt ,  sur  VHelianthemum 
vulgare, 

A.  R.  ®.  Eté.  —  Ordinairement  sur  le  Ttifolium  pratense.  La 
plus  petite  espèce  (1-2  déc).  ^  Corolle  jaune  violacée. 

883.  Orob.  picridiSj  Schultz.  —  Orobanche  de  la  picride. 
Forêt  de  Gompiègne  !  Sur  le  Picris  hieracioîdes. 

T.  R.  d).  Eté.  —  Calcaires ,  coteaux  pierreux.  —  Corolle  blanc- 
Jatmâtre  à  veines  purpurescentes;  stigmate  granuleux  violacé. 

884.  Orob.  amethysiea,  Thuil.  —  Orobanche  améthyste. 
Mont-Ouin ,  près  Trie-Gh&teau  I  entre  Bulles  et  le  bois  de  la 

Truie  !  Heilles  et  Morainval. 

T.  R.  y-  Eté.  —  Sur  les  racines  ù'Eryngium  campestre.  —  Fleurs 
blanches ,  à  veines  bleu-Hlas;  stigmate  d^un  brun  pourpré. 

885.  Orob.  epilhymum ,  DG.  —  Orobanche  du  thym. 

Beauvals  !  Senéfontaine;  Bracheux  ;  mont  de  Hermès;  Fontaine- 
Saint- Lucien  ;  Uancourt;  bois  de  La  Grange;  Angy ;  Breteuil  I 
Thury-sous-Glermont!  Dury-Saint-Claude  !  Fleurlnes!  mont  Sain t- 
Siméon,  prèsNoyon!  Glairoix!  forêt  de  Gompiègne,  au  Rond 
royal  !  La  Ghapelle-aux-Pots  ;  Agnetz.  Lisière  de  la  forêt  de  Hez , 
vers  Ronquerolles ;  Gbaumont,  bois  du  Vivray;  Bulles,  vers 
Monceaux;  Bailleval,  bois  de  la  Montagne;  Tillé;  Giermont. 

A.  G.  ^.  Eté.  —  Sur  la  craie  :  racines  du  Thymus  serpyllum  — 
pubescence  visqueuse  de  ses  parties.  —  Fleurs  d'un  rouge-pdle^ 
fleurs  à  odeur  d'œillet;  stigmate  d'un  pourpre  foncé. 

886.  Orob.  teucrii,  Hoi.  et  Sch.  —  Orobanche  de  la  ger- 
mandrée. 

Sur  le  Teucriumchamcedrys.  —  Beauvals  !  Auneuil!  Pontpoint! 
Sur  le  Teuerium  montanum.  —  Saint-Sauveur  !  Vaumoise  ! 


222  KSQUISSE   DE   LA    VÉGÉTATION 

R.  ?.  Eté.  —  Collines,  pelouses  calcaires.  —  Corolle  rouge- 
brun^  un  peu  violacé;  stigmate  d^un  violet  noirâtre.  Plante  à  odeur 
de  girofle. 

Les  Orobanchées  ont  de  l'analogie  avec  les  Scrophulartacées  dont 
elleô  diffèrent  par  rovaireuniloculaire,  la  position  deTembryon 
et  le  port  des  plantes.  Elles  sont  parasites  pendant  une  partie 
de  leur  vie  et  ont  des  racines  à  la  fois  libres  et  adhérentes.  Il 
faut  avoir  soin  de  bien  rechercher  la  plante  nourricière  de 
rorobanche  et  s'efforcer  de  poursuivre  les  fibres  radicales  qui 
rattachent  l'espèce  parasite  à  la  plante  qui  lui  fournit  les 
sucs. 

Toumefort  a  réuni  quelques  belles  espèces  parmi  les  Oro- 
banches^  sous  le  nom  de  PheHpcea\  il  en  a  fait  un  genre  parti- 
culier, consacré  à  la  mémoire  de  Phelipeaux  de  Pontchartrain , 
ministre  de  la  marine  sous  Louis  XIV ,  auquel  Toumefort  devait 
l'entreprise  de  son  voyage  dans  le  Levant. 

III.  Fleurs  munies  inférieurement  d'une  bractée,  mais  dépourvue 

de  bractéoles.  Stigmate  entier, 

lAllircea,  Lîd.  (gen.  745 ,  part.}.  —  I^aitarée. 

Ëtym.  —  Do  grec  iatkraios ,  caché  ;  allusion  à  la  tigo  souterraine. 

887.  Laihrœa  squammaria,  Lin,  —  Lathrée  ëcailleuse. 
Clandestine, 

Bois  de  Formerie.,  sur  le  chêne.  Le  bois  est  maintenant  dé- 
friché. 

T.  R.  ?^.  Printemps,  —  Parasite  sur  les  racines  de  chêne,  parmi 
les  feuilles  mortes. 


ou    DÉPARTEMEM   DE   L'oISB.  223 

Soixante  el  ouièm'  Famille.  —  LABIfiES,  Jossien. 

{Nom  tiré  du  latin  Labium  ,  lèvre;  allusion  à  la  forme  de  la  corolle 
qui  est  divisée  en  deux  lobes  simulant  deux  lèvres,) 


4  Etamines  munies  d'anthères 3 

(  2  Etamines  munies  d'anthères 2 

i  Corolle  à  lobes  à  peu  près  égaux. . . .  Lycopus ,  Lin. 
(  Corolle  à  2  lèvres  très-distinctes Salvia,  Lin. 

i Corolle  à  2  lèvres  très-distinctes 6 

Corolle  à  divisions  presque  égales  ou 
à  lèvre  supérieure  très-courte 4 

C  Corolle  à  4  lobes  presque  égaux Mentàa^  Lin. 

(  Corolle  à  lèvre  inférieure  prononcée.  5 

Lèvre  supérieure  très-courte,  bilobée, 

\    lèvre  inférieure  3-lobée 4Juga ,  Lin. 

Lèvre  supérieure  à  2  divisions  reje- 
tées vers  la  lèvre  inférieure Teucrium^  Lin. 

Calice  surmonté  d'une  bosse  com- 

g   .    primée,  saillante Scutellaria,  Lin. 

^Calice  non  surmonté  d'une  bosse 

saillante 7 

^  C  Calice  évidemment  bilabié 8 

1  Calice  à  dents  non  dirigéesenî  lèvres.  14 

i  Fleurs    verticillées  à   l'aisselle  des 
feuilles 9 

Fleurs  en  tètes  ou  épis  terminaux...  H 

[  Calicelarge,  veiné;  fleurs  très-grandos  Melittis ,  Lin. 
9  j Calice  sillonné  ou  anguleux;  fleurs 

(    petites  ou  moyennes iO 

Calice  à  5  angles;  anthères  à  con- 

nectif  étroit  ;  fleurs  blanches Melissa ,  Mœnch. 

iCaliceà  stries  nombreuses;  anthères 
à  lobes  séparés  par  un  connectif 
ovoïde  ou  presque  triangulaire; 
fleurs  roses  ou  bleuâtres Calamintha,  Mœnch. 


224  fcSi^UlSSB  UE  LA  viGiTATlOR 

Filets  des  étamines  présentant  une 

.    .    dent  au  sommet Brunella ,  Tournef. 

Vilets  des  étamines  sans  dent  termi* 

nale 12 

i  Fleurs  en  tètes  terminales Thymus^  Lin. 

(  Fleurs  en  corymbe  ou  en  épi 13 

Epillets  tétragones  rapprochés  en  co- 

,    rymbe  ;  fleurs  roses Origanum ,  Un. 

1  Fleurs  dirigées  d'un  même  côté  en 

long  épi  ;  fleurs  bleues ffyssopus,  Lin. 

c  Calice  sillonné  de  stries  nombreuses.  15 

(  Calice  non  strié  ou  à  côtes  espacées.  18 

Ç  Fleurs  placées  à  Taisselle  des  feuilles.  16 

(  Fleurs  en  épis  ou  en  grappes i\ei)eta  ,  Lin. 

(  Fleurs  en  verlicilles  fournis 17 

(Fleursl-3danslesaissellosde8 feuilles  Giechoma^  Lin. 

(  Calice  à  10  dents Marrubium  ^  Un. 

'  (  Calice  à  8  dents Bailota,  Lin. 

/Feuillesdécoupéesen  lobes  profonds.  Leonurus^  Lin. 
18  ]  Feuilles  non  découpées  en  lobes  pro- 

(    fonds 19 

Tube  de  la  corolle  cylindrique,  à 

.    peine  évasé  au  sommet Betonica ,  Lin. 

Tube  de  la  corolle  dilaté  et  évasé  au 

sommet î20 

/Lèvre  inférieure  à  3  lobes;  les  laté- 

5    ^^^^  petits  ou  peu  apparents Lamium  ,  Lin. 

i  Lèvre  inférieure  à  3  lobes  très  dis- 

(    tincts 21 

Lèvre  inférieure  pourvue  de  2  dents 

.    ou  plis  à  sa  naissance Galeopsis ,  Lin. 

Lèvre  inférieure  sans  dents  ou  plis 

saillants Stachys ,  Lin. 

Nota.  —  Dans  cette  famille  les  auteurs  ont  négligé  Tétude  des 
bractées. 


DU    DÉPARTEMENT    DE   L*OISE.  225 


PREMIERE    TRIBU.    —  MI^IVl*H4^IDl!)!^ 

(Noifi  tiré  dit  genre  llENTHA). 

Corolle  presque  régulière  infundibuliforme ,  à  1-5  lobes  presque 
égaux  et  non  disposés  en  deux  lèvres;  étamines  4 ,  presque  égales, 
écartées  les  unes  des  autres;  anthères  toutes  à  deux  loges  paral- 
lèles. 

Mentlia,1Lln.  (gen.  n"  713).  —  Mentlie. 


Etvn.  ^  Be  Minthé,  nymphe ,  en  grec ,  fille  da  Cocyte ,  que  Proserpine,  dtns 
DD  moDvemeot  de  jalonsie ,  métamorphosa  en  plante. 


.  Fleurs  en  épis  ou  en  capitules  ter- 

1   <    mlnaux ,  non  feuilles 2 

f  Fleursenvertlcillesfeuillés,  écartés  G 

I  Fleurs  en  épis  pointus 3 

Fleurs  en  capitules  arrondis-obtus; 
feuilles  pétiolées Mentha  aquatica ,  Lin. 

[  Feuilles  glabres  ou  presque  glabres.  5 

3  I  Feuilles  velues-blanchàtres  surtout 

(    en  dessous 4 

(  Feuilles  lancéolées,  pointues;  brac- 

,    tées  linéairessubulées Ment,  sylvestris,  Lin. 

Feuilles  ovales-ridéesobtuses;  brac- 
tées ovales  ou  lancéolées Ment,  rotundifolia ,  Lin. 

C  Feuilles  pétiolées Ment,  piperita ,  lluds. 

\  Feuilles  sessiles  ou  subsessiles. . . .  Ment,  viridis,  Lin. 
[  Calice  fructifère  à  gorge  fermée  par 

T)  I    un  anneau  de  poils Ment,  pulegium ,  Lin. 

\  Calice  fructifère  à  gorge  nue 7 

Calice  campanulé-urcéolé  ^  dents 

.    triangulaires Ment,  arvensis ,  Lin. 

Calice  cylindracé  à  dents  lancéo^ 
lées ,  acuroinées Ment,  satii  a ,  Lin. 

T.  VIII.  15 


226  BSQDISSB  DB   LA  VEGETATION 

PREMIÈRE  SECTION.  -  ELMEiMIlA,  GR.  —  MENTHASTRUM. 

a.  Menthes  en  épis  terminaux  ou  en  glomérules  simulant  un  épi 
conique,  non  surmontés  d'un  faisceau  de  feuilles;  feuUiles 
sessiles  ou  subsessifes. 

Calice  fructifère  à  gorge  nue  non  fermée  par  des  poils, 

888.  lUeniha  rolundifolia.  Lin.  —  Menthe  à  feuilles 
rondes,  Coq  bâtard,  Baume,  Menthe  sauvage ^  Baume  sauvage^ 
Baume  d'eau  ridé,  Baume  sauvage  blanc,  Mentastre^  Menthe 
crépue.  Herbe  du  mort, 

b.  crispa,  L.  —  Feuilles  fortement  dentées  en  scie-,  éta- 
mines  renfermées  dans  la  corolle.  —  Therdonne;  Ons-en- 
Bray;  Saint-Uartin-le-Nœud ;  marais  de  Savoie,  près 
Beauvais;  Néry  !  Noyon;  Montagny.  —  C'est  cette  variété 
qui  est  cultivée  dans  les  jardins  médicinaux. 

c.  rosea,  -  Bresles;  Montmille;  Saint-Just-en-Ghaussée; 
prairie  de  Laillerie,  près  Glermont  —  Les  bractées  sont 
plus  longues  que  dans  l'espèce  suivante,  et  presque  lan- 
céolées; étamines  exsertes  ;  feuilles  plutôt  crénelées  que 
dentées  en  scie. 

G.  ^,  Juillet-septembre.  -—  Lieux  frais,  bord  des  eaux,  champs 
pierreux. 
Sa  présence  dénote  l'existence  d'une  nappe  d'eau  souterraine. 

889.  Nieni.  sylvestris^  Lin.  —  Menthe  sauvage,  Menthe 
des  bois ,  Herbe  aux  pyramides. 

Plante  diurétique  et  polymorphe. 

Saint-Jean,  près  Beauvais;  Bainvillers;  Saint-Léger-en-Bray; 
Gompiègne!  étangs  de  Sain  t- Pierre  ;  Noyon!  Pont-Sainte- 
Maxence!  Glermont;  Thury-en-Valois 

a.  vuigariSy  Goss.  —  Feuilles  opposées,  d'un  vert  blan- 
châtre en  dessus,  blanches  et  cotonneuses  en  dessous; 
bractées  subulées  plus  longues  que  le  calice. 

b.  nemorosa^  Willd.  —  Feuilles  lancéolées,  pointues,  à 
dents  égales  ;  étamines  incluses. 


DU   DÉPAHTEMBNT   DE  L'OISB.  227 

c.  latifolia,  —  Feuilles  larges ,  ovales ,  un  peu  ondulées 
sur  les  bords. 

Dans  le  type,  les  dents  sont  inégales  et  les  élamines 
exsertes.  —  Thury -en  Valois! 
c.  forma  spids  gracilibus, 
Â.  C.  i*  ?.  Juillet-septembre.  —  Autour  des  habitations,  prés 
humides,  bords  des  eaux. 

890.  Meni,  viridis,  Lin.  —  Menthe  verte,  Menthe  de  Notre- 
Dame,  Menthe  romaine. 

Noyon!  mont  Renaud;  pré  Martinet,  à  Beauvais;  Goincourt; 
Liancourt!  marais  de  Bresl es  !  Senlis,  àla  porte  Bellone  1  bos- 
quets près  Margny  les-Compiègne!  murs  à  Betz  et  Cuvergnon! 
Maignelay. 

a.  vulgarisy  Goss.  —  Gette  plante  paratt  être  une  variété 
de  la  précédente,  répandue  par  la  culture.  Elle  est  verte  et 
glabre  ou  presque  glabre.  Ses  tiges,  dressées,  fermes^ 
sont  rameuses  au  sommet ,  couvertes  de  feuilles  sessiles 
plus  étroites,  lancéolées,  inégalement  dentées  en  scie,  à 
dents  plus  saillantes  et  plus  aiguës.  Les  fleurs,  d'un  rose 
pâle  ou  blanches,  sont  en  glomérules  disposés  en  épis 
terminaux.  Odeur  très-pénétrante. 

b.  brevi  folia.  —  Feuilles  beaucoup  plus  courtes,  ovales, 
lancéolées. 

c.  genmna  ou  glabra.  —  Feuilles  vertes  et  glabres,  or- 
dinairement planes  et  simplement  dentées,  plus  rarement 
onduleuses  et  Incisées  aux  bords. 

d.  pubeêcens,  —  Feuilles  vertes ,  mais  finement  pubes- 
centes  sur  les  deux  faces. 

A.  R.  ?.  Juillet-août.  —  Bois  et  lieux  frais. 

891.  Meni.  piperiia,  Huds.  —  Menthe  poivrée,  Menthe 
d'Angleterre. 

Fréquemment  cultivée. 

Tourbières  de  Goincourt  ;  Mortefontaine.  Subspontanée.  Odeur 
camphrée ,  aromatique. 

f.  T.  R.  ^.  Juillet-septembre.  —  Lieux  aquatiques.  -—  Sert  à 
aromatiser  les  bonbons  et  les  liqueurs. 

Gette  espèce  diffère  de  la  précédente,  à  laquelle  elle  ressemble 


2%8  ESQUISSE    DE   LA   VEGETATION 

beaucoup  par  ses  feuilles  pétiolées  plus  allongées ,  ses  épis  jilus 
obtus,  ses  pédicelles  et  ses  calices  glabres,  et  V extrémité  des  dents 
du  calice  un  peu  hérissée, 

La  Mentàa  rotundifolio-sylvestris ,  Wirtg.,  à  feuilles  presque 
elliptiques,  obtuses,  à  odeur  de  Mentha  rotundifolia^  et  la  Mentha 
sylvestri-rotundifolia,  Wirtg.,  foliis  longe  ellipticis  acuie  serra- 
tis ,  spicis  longissimis ,  sont  à  rechercher  dans  l'Oise.  Une  étude 
attentive  fera  probablement  découvrir  ces  deux  hybrides. 

b.  Menthes  en  têtes  ou  en  glomérules  terminava  arrondis  en  sphère; 

feuilles  assez  longuement  pétiolées, 

892.  Ment,  aquatica,  Lin.  —  Menthe  aguatique ,  Menthe 
d'eau ^  Menthe  rouge.  Baume  d'eau  à  feuilles  rondes^  Menthe  à 
grenouilles. 

Stomachique,  antispasmodique. 

a.  hirsuta.  —  Tiges  et  feuilles  couvertes  de  poils  blancs 
laineux  sur  les  pétioles  et  le  haut  des  entre-nœuds;  fleurs 
plus  petites.  T.  C. 

b.  glabrescens,  —  Hondainville ;  Ons-en-Bray;  Saint- 
Martin-le-Nœud  ;  Goincourt.  A.  B. 

c.  alba,  —  Marais  de  Bresles. 

La  longueur  des  feuilles  ne  dépasse  pas  deux  fois  leur  largeur. 

T.  C*  ?.  Eté.  —  Bord  des  eaux. 

Il  serait  intéressant  et  utile  de  rechercher  la  Mentha  nepetoides, 
Lej.,  ou  Mentha  sylvestri-aquatica,  Mey.  Cette  hybride  a  le  feuil- 
lage de  la  Mentha  aquatica ,  l'épi  de  la  Mentha  sylvestris,  mais 
plus  épais,  ovoidéo -conique.  Une  variété  de  cette  hybride  a  les 
feuilles  ovales,  un  peu  en  cœur  à  la  base  (Mentha  nemoroso-hir 
suta)\  une  deuxième  variété  [Mentha  nemorosa-aquatica)  aie 
tube  de  la  corolle  glabre  à  Tintérieur,  les  fruits  verruqueux, 
rinflorescence  en  épis  serrés,  les  feuilles  ovales,  se  rétrécissant 
vers  le  pétiole. 

c.  Menthes  verticillées  en  glomérules  verticilliformes  assez  espacés, 

893.  iM ettf .  sativa,  Lin.  —  Menthe  cultivée,  Menthe^Baume^ 
Baume  des  Jardins, 


DU   DÉPARTEMENT    DE   L'OISE.  229 

a.  ruhroy  Smith.  —  Plante  à  odeur  très-pénétrante, 
glabre  ou  ne  présentant  que  quelques  poils  épars  sur  les 
nervures  des  feuilles.  Tige  raide ,  rougeàtre.  Feuilles  lui- 
santes y  d'un  vert  foncé.  Subspontanée. 

Forêt  de  Gompiègne,  sur  les  routes  de  La  Lande-Blin, 
de  Morienval,  de  Crépy,  prèsla  Bréviaire,  et  au  marais 
des  Planchettes  !  coteau  de  Verberie  ! 

b.  procumbens,  Thuil.  —  Saint-Martin -le-Nœud  ;  Llan- 
court!  Senlis!  Mortefontaine.  —  Plante  velue,  hérissée, 
peu  odorante  ;  pédicelles  hérissés. 

A.  R.  ^.  Eté.  —  Bords  des  eaux ,  forêts  sombres  ;  elle  a  le  feuil- 
lage de  la  Mentha  aguatica.  Elle  sert  à  aromatiser  les  bonbons 
et  les  liqueurs. 

894.  Mewti.  arvemiSy  Lin.  —  Menthe  desckampSy  Calament 
des  champs^  Pouliot. —  Thym, 

b.  glaàrescens,  —  Tige  rougeàtre  :  base  du  calice  et  pé- 
dicelles glabres  ou  pourvus  de  quelques  poils  épars. 
T.  G.  9^.  Juillet-septembre.  —  Champs  humides  :  très-voisine 
de  la  précédente.  On  l'en  distingue  au  tube  calicinal  en  cloche 
avant  et  après  Vanthèse. 

DEUXIÈME  SECTION.  —  PULEGIUM,  MILL. 

Calice  à  gorge  fermée  par  un  anneau  de  poils  connivents, 

895.  Ment,  pulegium,  Lin.  —  Menthe  pouliot^  Pouliot 
commun ,  Herbe  aux  puces ^  Herbe  de  Saint- Laurent, 

b.  flore  albo,  —  Ghoisy  au-Bac! 

c.  villosa,  Benth.  —Plante  velue,  blanchâtre;  corolle 
velue.  —  Villers-Saint^enest;  Greil;  Montagny. 

T.  C.  ?.  Août.  ~  Lieux  souvent  inondés  Thiver.  Odeur  très- 
forte.  Cette  plante  est  employée  contre  Tasthme. 

Le  genre  Mentha  donne  naissance  à  des  hybrides  et  varie  par 
rapport  à  la  pubescence,  à  l'odeur,  à  la  couleur  de  la  tige,  à  la 
forme  des  feuilles ,  à  la  position  des  étamines. 

Nota.  —  Dans  les  Menthes,  la  plante  glabre  est  toujours  plus 
odorante  que  la  plante  velue.  Les  feuilles  crispées  se  rencontrent 
surtout  dans  les  terrains  cultivés. 


»  _  ». 


250  ESQUISSE  DE  LA  VEGETATION 

Ijycopa*»  Lin.  {ç;en,  n«  15).  —  l^ycope. 
Etym.  —  Dd  grec  Lueos ,  lonp ,  pous ,  pied  ;  allasion  k  Ui  forme  des  feuilles. 

896.  ijycopum  Europœus^  Lin.  —  Lycope  d'Europe,  Mar- 
Tvbe  aquatique^  Pied  de  loup  y  Tjxnce  du  Christ ^  Chanvre  d*eau. 
h,  incanus.  —  Lieux  moins  humides.  Un  peu  cotonneux. 

T.  C.  ?.  Eté.  —  Bord  des  eaux ,  haies. 

Les  Lycopes  ne  diffèrent  des  Menthes  que  parce  qu'ils  ont  deux 
étamines  qui  avortent;  ils  sont  privés  de  l'odeur  aromatique 
des  Menthes. 


DEUXIÈME  TRIBU.   —  TKDCRIEKS. 

Corolle  en  apparence  urdlabièe^  la  lèvre  supérieure  étant  très  courte 
et  peu  distincte  ou  étant  bipartite;  étamines  4,  parallèles,  les 
inférieures  plus  longues, 

AjD8;a«  Lin.  (gen.  d**  785).  —  Dogle. 

Rtym.  —  Altératiou  (Vabigo,  en  latin,  je  cbasse;  allusion  ii  do  pr^lendaes  propriétés 

•mménagogaes  ? 

Feuilles  caulinaires,  tripartites, 
à  divisions  linéaires yijuga  chamœpitys,  Schrel). 

Feuilles  caulinaires  entières,  si- 
nuées  ou  crénelées â 

l  Tige  munie,  à  sa  base,  de  longs 

,    rejets  stériles ///it.  reptans,  Lin. 

Tige  n'ayant  point,  à  sa  base, 
de  rejets  stériles ^ju.  generensis^  Lin. 

897.  AJuga  reptans^  Lin.  —  Bv^le  rampante,  Bugule^  petite 
Consolide,  Consoude  moyenne, 

b.  alba,  —  Saint-Martin  le-Nœud;  L'Italienne. 

c.  rosea.  -  Beauvais;  Allonne;  bois  montueux. 
Plante  vulnéraire.  Les  feuilles,  appliquées  en  cataplasmes. 


DU  DÉPARTEMENT   DE  L*OISE.  231 

sont  recommandées  contre  les  cancers.  Le^  feuilles  sont  rare- 
ment velues;  les  bractées  de  Tépi  supérieur  sont  souvent  colo- 
rées en  bleu. 
T.  G.  ?.  Mai-juillet.  —  Prés  et  bois  flrais. 

898.  Aju,  genevensiSy  Lin.  —  Bugle  de  Genève. 

Bois  de  Troissereux  !  de  Savignies  ;  lisières  des  bosquets  dé- 
couverts du  mont  de  Hermès;  bois  de  Bailleval;  bois  d'Eper- 
mont;  Laversines;  Petit-Fercourt  ;  mont  Saint-Siméon ,  près 
Noyon;  Pâmes!  Liancourt  !  forêt  de  Chantilly!  Orry-la- Ville! 
coteaux  de  Cuts;  montagne  de  Clairoix;  friches  à  Haudivillers  ; 
forêt  de  Pontarmé!  Hondainville!  Mouchy-le-Chàtel  !  Vemeuil- 
sur  Oise!  forêts  de  Hez,  d'Ermenonville,  deCompiègne,  à  la 
Faisanderie!  Saint-Sauveur!  bois  du  Parc-aux -Dames  et  du 
Tillet!  Thury-en  Valois!  Saint-Maur,  canton  de  Ressons!  bois  de 
Béhéricourt  et  de  Courcelles  !  Champlieu  !  forêt  de  la  Haute- 
Pommeraye;  Bulles;  Le  Plessis-sur-Bulles;  Airion;  Etouy; 
Agnetz;  Essuiles;  Fournival;  Le  Mesnil-sur-Bulles;  Haudivil- 
lers; bois  de  Mont. 

b.  flore  albo.  —  Bois  des  Brays ,  canton  de  Crépy  ! 

c.  rosea.  —  Troissereux. 

d.  longibracteata  {^jugapyramid7lU)^L,  ^fe\x\\\tèfLO' 
raies,  entières,  ou  sinuées,  toutes  une  fois  plus  longues 
que  les  fleurs;  tige  dépassant  peu  la  rosette  de  feuilles 
radicales;  sans  doute  développement  tardif.  T.  R.  —  Pâmes 
et  llalincourt;  forêt  de  Chantilly;  Noyon. 

Cette  espèce  diffère  de  la  précédente  par  Tabsence  de  rejets 
rampants,  et  de  la  variété  d.  par  ses  feuilles  inférieures,  qui 
ne  dépassent  point  les  autres  en  grandeur;  elle  est  plus  coton- 
neuse. 

A.  R.  '^.  Mai-juillet.  -  Prés ,  bois  et  champs  sablonneux  des 
terrains  calcaires. 


899,  AJu.  chamœpifys,  Schreb.  —  Bugle  petit-pin,  Yvette, 
faux  Pin. 

Craie  à  La  MIauroy;  Notre-Dame-du-Thil;  forêt  du  Parc.  Dans 
ces  trois  localités,  il  était  déjà  signalé  comme  très-abondant 
en  1780.  Bois  de  la  Ferme-Rouge,  près  Beauvais;  Hermès;  Bail- 
leul-sur-Thérain ;  Mouchy-le-Châtel ;   bois  des  Longues-Eaux, 


232  ESQUISSE   DE   LA   ViIgÉTATION 

à  Fontaine-Saint- Lucien!  Novales  d'Abbecourt!  parc  de  Mor- 
tefontaine  !  coteaux  de  Liancourt,  sur  le  chemin  de  Villers  ! 
Moncby-Humières  !  Ganelon!  Verueuil;  Saint- Vaast-de-Long- 
mont  ;  Beaulieu  I  Chevincourt  ;  Yandelicourt  !  forêt  de  La  Hérelle  1 
Acy-en-Multieii  !  Verberîe!  Breuil-le-Sec!  Vieuxmoulin,  dans  la 
forêt  de  Compiègne!  Bulles;  Agnelz;  La  Hérelle;  mont  César; 
montagnes  deTarlefesse  et  de  Larbroye;  Gesvres;  Le  Metz,  près 
Avrechy;  Cuignières;  Balagny-sur-Thérain;  Ully-Saint-Georges. 
A.  G.  d).  Eté.  —  Lieux  cultivés  sablonneux,  terrains  calcaires, 
champs  après  la  moisson. 

Teacrlum,  Lin.  (gen.  n"*  706).  —  Germandrée. 

Elym.  —  De  Teueer,  roi  de  Trofe ,  qoi ,  le  premivr,  en  découvrit  les  propriiHés  médirinates. 

Feuilles  entières;  fleurs  en  têtes 

terminales Tettcrium  montanum.  Lin. 

Feuilles  dentées  ou  découpées; 

fleurs  axillaires  ou  en  grappes.  2 
Fleurs  jaunâtres,  en  grappes  al- 
longées    Teuc.  Scorodonia,  Lin. 

Fleurs  axillaires ,  purpurines  ou 

blanches 3 

(  Feuilles  multifldes Teuc.  Bofrys,  Lin. 

3  I  Feuilles  simplement  dentées  ou 

f    crénelées 4 

,   C  Feuilles  sessiles Teuc.  Scordium,  Lin. 

(  Feuilles  pétiolées Teuc.  Chamœdnjs,  Lin. 

900.  TeuetnuMn  ScoiodonU,  Lin.  —  Germandrée  Scoro- 
doïne^  Sauge  des  bois^  faux  Scordium,  Cermaridrée  saura ge, 
Sauge  sauvage^  Sauge  des  montagnes ,  Germandrée  à  feuilles  de 
sauge. 

T.  C.  ?.  Eté.  -  Bois  et  coteaux  pierreux. 

Feuilles  sudoriflques ,  diurétiques,  bonnes  contre  Thydropisie. 

901.  Teuc  Scordium,  Lin.  —  Germandrée  scordium^  Scor- 
dium ^  Chamarras^  Germandrée  d'eau  ^  Germandrée  aquatique  y 
Herbe  à  lait. 


DU   DÉPARTBMBNT   DB   L  OISE.  233 

Auxmarais;  Villembray;  Bresles  et  Sacy-le-Grand  ;  Valécourl 
et  Parties  !  Chevrîères  !  Rosoy  et  Ginqueux  !  Chevincourt  et  Vau- 
genlieuî  forêt  de  Compiègne,  au  Vîvier-Corax,  au  pont  des 
Planchettes,  sur  la  route  d'Aumont!  ruisseau  de  la  Bréviaire; 
Verneuil-sur-Oise  !  Pont-Lévèque:  Mortefontaine  !  Noyon. 

R.  '^,  Août-septembre.  —  Marais  humides  et  tourbeux.  — 
Plante  antiputride. 

902.  Teue,  Botrys,  Lin.  —  Germandrée  hotryde^  German- 
drée  femelle, 

G.  d).  Juin-août.  —  Ghamps  pierreux  des  terrains  calcaires, 
b.  flore albo,  —Noyon:  Tarlefesse;  Ully-Saint-Georges; 
Bulles;  Montplaîson  ,  près  le  bois  Guesnet  (1849). 

903.  Teue.  Chamœdrys,  Lin.  —  Germandrée  petit-chêne , 
Chasse-Fièvre,  Calamandrée,  Chenette,  petit  Chêne^  Germandrée^ 
Germandrée  officinale^  Sauge  a  mère ,  Thériaque  d'Angleterre. 

b.  flore  albo,  —  R.  Saint-Paul  ;  plateau  du  mont  Gésar. 
G.  ?.  Eté.  —  Goteaux  stériles  et  bois  découverts  des  terrains 
calcaires ,  talus  des  routes. 

904.  Teue.  montanum.  Lin.  —  Germandrée  des  montagnes^ 
Pouliot  des  montagnes. 

Monts  Gésar  et  de  Hermès;  Troissereux;  larris  de  Houssoye, 
de  Warluis,  de  Fontaine-Saint-Lucien;  la  Gloriette,  près  Four- 
nival;  Canneville,  près  Gliantilly;  vallon  de  Montchavert;  Ga- 
nelon;  Dieudonné;  Fulaisnes;  Marolles;  Verberie;  Vaumoise; 
Russy;  Verderonne;  Mareuil-sur-Ourcq;  forêt  de  Gomplègne; 
bois  de  Labrosse;  Saint-Leu-d'Esserent  entre  La  Morlaye  e^ 
Gouvieux;  Sentis;  Gompiègne:  Saint-Gervais ;  Bulles,  le  long 
du  bois  de  Blémont,  côté  de  Wari ville,  et  au-dessous  du  bois 
de  la  bame,  vers  Monceaux;  Ghaumont,  bois  du  Vivray;  marais 
de  Bresles ,  sur  une  butte. 

a.  supinum,  —  Porquéricourt  ;  mont  Saint-Siméon.  — 
Feuilles  très-étroites,  linéaires. 

b.  foliis  latioribus. 
A.  G.  ?.  Eté.  —  Goteaux  secs  et  pelouses  des  terrains  calcaires 

exposés  au  soleil.  > 


I 


234  ESQUISSE  DE   LA  VÉGÉTATION 

TROISIÈME  TRIBU.  —  LAMIEES  OU  BILABIÉE8* 

Elamines  2,  parallèles  et  placées  sous  la  lèvre  supérieure 
de  la  corolle;  corolle  évidemment  bilabiée, 

Salvla,  LiD.  (gen.  n*  39).  —  Nau^e. 
Etym.  —  De  aalvare,  Movcr  ;  allasion  aox  propriétés  médicinales  de  qoeiqoes  espèces. 

Feuilles  échancrées  en  cœur  à  la  base.  2 

i  { Feuilles  non  échancrées  en  cœur  à  la 

base Salvia  verbenaca,  Lin. 

Bractées  vertes,  plus  courtes  que  les 

1    calices Sal,  pratenHs,  Lin. 

Bractées  colorées,  plus  longues  que 
les  calices. 5a/.  Sclarea,  Lin. 

905.  Salvia  Sclarea,  Lin  —  Sauge  sclarée,  Orvale^  Toute- 
Bonne  ^  Sclarèe, 

Ponchon!  Monlagny!  Loconville!  Hénonville!  coteau  de  Lian- 
court!  bois  de  Mermont,  près  Saint-Just-en-Chaussée  !  Jaux! 
Varenval  !  anciens  remparts  de  Gerberoy  I  cbemin  de  Rebetz  à 
Chaumont;  Margnyles  Compiègne!  Précy-sur-Oise,  chemin  du 
moulin!  carrières  entre  Gou vieux  et  Chantilly!  Senlis!  Mello; 
Balagny-surThérain;  Cinqueux;  Varenval!  Rebetz;  Montépilloy, 
près  Senlis;  pelouses  du  parc  de  Puiseux-le-IIautberger. 

R.  V,  Eté.  —  Coteaux  secs,  plutôt  subspontanée  qu'indigène, 
provenant  alors  des  jardins  et  des  grandes  cultures  du  moyen 
&ge;  voisinage  des  vieux  châteaux;  coteaux  calcaires,  carrières. 

Infusée  à  froid  dans  du  vin  blanc,  cette  plante  lui  commu- 
nique un  goût  de  vin  muscat. 

Plante  estimée  dans  les  maladies  utérines. 

906.  Sal.  pratensis.  Lin.  —  Sauge  des  prés.  Sauge  sauvage. 
Beauvais!  Bongenoult  et  les  Landes;  Avrechy;  cimetière  de 

Nointel  ;  Grillon  ;  pré  Martinet,  près  Beauvais  ;  marais  de  Choisy 
au-Bac;  Mello;  Erquery;  Angy;  Bury;  Croissy;  Chantoiseaux 
Le  Metz,  près  Frocourt;  Omécourt;  Heilles  et  Mouchy-le-Châtel 
rJeuvillers;  Liancourt;  Compiègne!  Le  Ganelon  !  Le  Francport 
Cinqueux!  Mogneville!   Rieux!   Boubiers!   Agnelz;   Montmille; 


DU   DÉPARTSMKNT   DB   L'OISB.  235 

Noyon;  Cannes;  Glermont,  près  le  Pont-de-Pierre;  pelouses  de 
Puiseux-le-Hautberger. 

b.  foliis  incisU.  -  Feuilles  radicales,  si  nuées,  ou  presque 
pinnatifides. 

c.  ro$ea,  —  Friches  de  Montmille  ! 

d.  alha.  —  Noyon!  Ognon! 

e.  rotundifolia. 

Â.  G.  ?.  Eté.  —  Prés  et  bords  des  chemins  des  terrains  calcaires. 

De  La  Fons  a  trouvé  à  Sempigny  une  tige  de  celte  espèce,  dont 
les  feuilles  caulinaires,  au  lieu  d'être  lancéolées-acuminécs , 
étaient  orbiculaires  et  surmontées  d'une  longue  pointe. 

907.  Sal.  verbenaca.  Lin.  -  Sauge  à  feuilles  de  verveine, 

Guts;  Hénonville. 

T.  R.  ?^.  Eté.  —  Goteaux  secs  et  herbeux  des  terrains  calcaires. 

La  Salvia  verticillata^  Lin.,  a  été  trouvée  sur  la  montagne  de 
Lîancourl;  elle  était  probablement  semée. 

Le  RosmariniLs  offidnaUs^  Lin.  {Romarin)^  originaire  de  l'Eu- 
rope méridionale,  est  universellement  cultivé. 


QUATRIEME   TRIBU.    —  STACllYDEŒ,    BENTH. 

Corolle  bilahiée;  éiamines  4 ,  parallèles  et  rapprochées  sous  la  lèvre 
supérieure  de  la  corolle;  les  éiamines  postérieures  lesplus  longues. 

SECTION  A. 

CALICE  NI  ENFLé,   NI   BILABIÉ,  OUVERT  ET  A  DENTS  ÉTALÉES 

A  LA  BIATURITé. 

i .  Eiamines  exsertes. 

■jamluin,  Lin.  (gen.  ri*716).  *—  Ijamler. 

Btym.  —  De  Lamium,  ortie,  en  latin  :  ressemblance  do  feuillage  et  des  tiges  de  certaines 
c^ipèces  de  ce  genre  avec  ceux  dos  orties;  ou  bien  i\c  iamion,  en  grec,  tKaen\e  ouverte; 
Mllosion  à  la  rormc  de  la  fleur. 

/  Fleurs  jaunes ramiumgaleoàdolon  ,  Grantz. 

1  )  Fleurs  purpurines  ou  blan- 
f     ches 2 


236  B8QU1SSB  DS   LA  V^GÉTATIGN 

[  Feuilles  plus  ou  moins  pétio- 

^  ,    lées •  3 

Teuilles  supérieures  sessîles 

et  amplexicaules Lam,  amplexicaulty  Lin. 

/^Tube  de  la  corolle  courbé  et 
V    beaucoup  plus  long  que  le 

3  }    calice Lam,  album,  Lin. 

/Tube  de  la  corolle  droit,  dé- 
passant peu  le  calice 4 

/  Feuilles  irrégulièrement  inci- 

4  <     sées iMm.  incisum,  Willd. 

Feuilles  dentées  ou  crénelées,  Lam.  purpureum,  Lin. 

908.  Lawnium  galeobdolon^  Grantz.  —  Lamier  gaieob- 
doioriy  Lamier  jaune,  Ortie  jaune, 

T.  G.  ?.  Printemps.  —  Bois  et  prés  ombragés. 

909.  Mjam.  album.  Lin.  —  Lamier  blanc,  Ortie  blanche» 
Ortie  morte,  Lamier  archangélique, 

T.  G.  ?.  Mai-septembre.  —  Haies  et  lieux  incultes.  On  la  re- 
commande contre  les  hémorrhagies  utérines,  les  fleurs  blanches 
et  les  maladies  des  poumons, 
b.  purpureum. 

910.  Mjam.  purpureum^  Lin.   —  Lamier  pourpre.  Ortie 
morte  des  champs,  Ortie  rouge, 

b.  roseum. 
T.  G.  ®  ou  (§).  Mai-juin.  —  Lieux  cultivés.  Gette  plante  exhale 
une  odeur  fétide. 

911.  Lam.  incisum,  Willd.  —  Lamier  découpé. 

Senlis  !  bois  de  Liancourt!  Ermenonville!  Varenne!  Beauvais 
même. 
R.  d).  Eté,  quelquefois  automne.  —  Lieux  cultivés. 

912.  JLatii   amplexicaule,   Lin.  —   Lamier  amplexicaule^ 
Pas  de  poule. 

s.  v.  6r«?</!oruiw.  —  Gorolle  presque  avortée,  à  tube 
plus  court  que  le  calice. 


DU   DBFARTBMENT   DE   L'oISE.  237 

G.  d).  Mai-septembre.  —  Lieux  cultivés.  Nuisible  aux  vignobles. 

Les  Ijimium  sont  remarquables  par  leurs  feuilles  supérieures, 
qui,  dans  la  plupart  des  espèces,  sont  distinguées  par  deux  pe- 
tites dépressions  que  Ton  observe  sous  leur  pétiole,  dans  le 
voisinage  de  leur  insertion. 

Ils  veulent  des  stations  azotées. 

l^eonara*,  Lîu.  (geuc  u*  722).  —  Jk^ripaiiBie. 

litym.  —  De  Lion  ,  lion,  oura  ,  queae,  en  grec  :  allusion  k  la  forme  de  l'épi. 

913.  JLeonurus  eardiaca,  Lin.  —  Agripaume  cardiaque^ 
Queue  de  lion  à  cause  des  verticilles  nombreux  qui  forment  les 
épis  de  ce  genre  de  plantes,  dont  plusieurs  espèces  sont  cu- 
rieuses ,  Herbe  avoB  tonnelliers.  Bonne  dans  les  cas  de  douleurs 
cardiargiques  (d'où  cardiaca), 

Hanvoile;  La  Neuville-en-Hez  ;  haies  entre  Beauvais  et  Tillé! 
Narissel;  marais  de  Rue-Saint-Pierre;  Mouy;  Goincourt;  Le 
Béquet;  Bruneval;  Troissereux;  forêt  de  Hez;  Bemeuil;  Notre- 
Dame-du-Thil  ;  Méru  ;  Beaurepaire  ;  Saint-Just-en- Ghaussée  ! 
Noyon!  GaufTry!  Machemont!  Le  Plessis!  Glermont!  LeMeuxl 
Royalieu  et  Vieux-Moulin  !  à  la  Faisanderie,  forêt  deGompiègnc; 
Borest!  Gondreville!  Macqueline!  Tbury-en- Valois  I  Feigneux! 
Gilocourtl  Néry!  Ghàvres!  Aulmont  et  la  Victoire!  Tracyle- 
Mont!  Bailleul-sur-Thérain ;  Merlemont;  Saint-Germer. 

A.  G.  ?.  Eté.  —  Haies ,  bords  des  chemins. 

OaleopslM*  Lin.  (gen.  ri*  717.  —  €)aléop«ide. 

Etyiu.  —  De  GûUû  ,  casqoe  en  latin ,  et  A'opsis,  figure  en  grée  :  allusion  ii  la  forme 

de  la  lèvre  supérieure  de  la  corolle. 

Tige  renflée  sur  les  nœuds,  héris- 

sée  de  soies  piquantes Galeopsis  TetrahU,  Lin. 

iTige  peu  ou  point  renflée,  pubes- 

cente Galeop.  Ladanum^  Lin. 

914.  Oaleapmim  Ladanum,  Lin.  —  Gatéopside  iadanum, 
Chatnbreule^  Cherbe^  Gueule  de  chat.  Ortie  rouge. 

Nuisible  aux  bestiaux.  Geux  qui  en  mangent  le  vomissent ,  au 
témoignage  de  plusieurs  fermiers  de  nos  environs. 


ti38  ESQUISSE  DE   LA   V^GéTATlON 

a.  tatifolia.  —  Feuilles  oblongues-elliptiques ,  dentées 
en  scie;  corolle  purpurine,  rarement  blanche,  plus  ou 
moins  grande. 

b.  alba,  —  Tillé;  Hermès;  Notre- Dame-du-Tliil;  Ully- 
Saint-Georges  ;  Thury-en-Valois  ;  Le  Mesnil-sur-BuUes  ; 
Bulles;  Âgnetz. 

c.  rosea.  —  Hermès;  Ully-Saint-Georges. 

d.  flore  rvJbro  margine  luteo,  —  Champs  de  Bulles  (i8-49). 

e.  angustifolia.  —  Feuilles  oblongues,  lancéolées,  li- 
néaires; fleurs  petites  à  tubes  inclus. 

f.  parviflora,  —  Troissereux!  Liancourt!  Compiègne.  — 
FeuiHes  plus  larges,  plus  régulièrement  dentées;  verti- 
celles  plus  écartés;  calices  hérissés  et  non  velus;  corolles 
de  moitié  plus  petites,  à  tube  inclus. 

T.  G.  ®.  Juillet-septembre.  —  Moissons. 

915.  Galeop.  Telrahil,  Lin.  -  Gaieopside  tetrahit,  Ga- 
leopse  chanvrin.  Chanvre  sauvage j  Ortie  royale,  Cramois. 
Graines  oléagineuses. 

b.  alba.—  Ons-en-Bray;  Le  Vivier-d'Angers;  forêt  de 
Hez;  bosquets  du  mont  César;  Troissereux;  marais  de 
Belloy  ;  Auxmarais  ;  ferme  de  Penthemont. 

c.  rosea.  —  Lieux  humides  et  ombragés. 

d.  nigricans.  —  Calices  noirâtres,  munis  de  très-longues 
dents. 

e.  flore  termina li  guadrifido  hypocrateri forma,  —  Fleur 
terminale,  régulière,  4  lobes  ouverts,  A  étamines  égales. 

f.  bifida.  -—  Lobe  moyen  de  la  lèvre  inférieure  échan- 
cré-biiide. 

T.  C.  ®.  Eté.  —  Moissons ,  bois  découverts. 

Le  Galeopsis  dubia^  Leers.,  a  été  trouvé  par  nous,  en  i855,  à 
Saint-Paul;  nous  ne  savons  s'il  s'y  est  maintenu. 

Les  Galeopsis  ont  les  bractées  subulées  presque  sous  chaque 
feuille. 

Stacby«,  Lin.  (gen.  u*  719).  —  Bplaire. 

Etym.  —  De  stackuSf  épi ,  en  grec  :  alIusioD  à  la  disposition  des  plantes. 

.  (  Fleurs  roses  ou  purpurines â 

(  Fleurs  d'un  blanc  jaun&tre 6 


DU  DEPARTEMENT   DE  L*OISE.  239 

Tiges  et  feuilles  couvertes  d'une 

laine  épaisse  et  blanche Stacfnjs germanica^  Lin. 

2  ^  Tiges  et  feuilles  plus  ou  moins  ve- 
lues, non  cotonneuses  et  blan- 
ches    3 

Plante  vivaee;  feuilles  longues  de 

o  1    plus  de  3  centimètres 4 

Plante  annuelle;  feuilles  longues 

de  2  centimètres  au  plus Stac,  arvensis^  Lin. 

Feuilles  sessiles  ou  à  pétiole  très- 
court  Stac,  palustris,  Lin. 

I  Feuilles  pétiolées,  surtout  les  infé- 
rieures   5 

IVerticilles  accompagnés  de  feuilles,  Stac,  alpina,  Lin. 
Verticilles  rapprochés  en  épis  non 
feuilles Stac,  sylvatica,  Lin. 

i  Plante  vivaee  à  feuilles  velues. . . .  StaAi.  recta,  Lin. 
Plante  annuelle  à  feuilles  à  peu 
près  glabres Stac,  annua,  Lin. 

A.  Fleurs  purpurines  ou  roses. 

a.  FavM  verticilles  denses^  multi flores. 

916.  Siaehym  alpina.  Lin.  —  Epiaire  des  Alpes. 

Forêt  du  Parc  l  Montmille;  Goincourt;  Saint-Jean ,  près  Beau- 
vais;  Savignies;  bois  de  Méru,  de  Jaméricourt,  de  Pouilly,  de 
la  Maladrerie ,  à  Liancourt,  de  Carlepont,  de  Lagny  !  Les  Horgnes, 
au  bois  Berger;  bois  de  Pérelles,  canton  d'Auneuil;  Wariville; 
Essuilles;  Hontreuil  sur-Thérain  ;  Gerberoy;  LeMesnil-Théribus; 
Villepoix;  Ghaumont;  Rou ville;  Betz;  Goyolles;  parc  de  Rebetz; 
Oudeuil;  Saint'Sauveur;Bertichères;  Beausseré;  forêt  de  Thelle: 
forêt  de  Remy!  bois  de  la  Dame  et  prairies,  à  Bulles;  bois  du 
Plessier,  à  Roquencourt  !  Roberval  et  bois  de  Saint- Vaast-de- 
Longmont,  au-dessus  de  Gappy  !  Saint-Nicolas  de  Gourson;  Retz; 
Gandor;  Saint-Âubin-en-Bray  ;  forêt  de  Gompiègne ,  aux  Grands- 
Monts,  autour  du  Four-d'en-Haut;  bordures  du  bois  de  MontroUe; 
taillis  d'Yvors;  bois  du  Tillet;  garenne  Saint-André,  à  Autheuil- 
en-Valois  !  parc  de  Gondreville  ;  garenne  de  Vaumoise  ;  Rocque- 


240  ESQUISSE   DE   LA   VÉGÉTATION 

mont!  Balagny-sur-Onettel  Verberie!  Les  Forges,  près  Hilly; 
bois  de  Caumont;  Bourmont;  Ressons-sur-Malz  ;  Cuigy-en-Bray  ; 
bois  de  Labrosse,  près  Liancourt-Saint-Pierre  ;  Saiut-(;eriner  et 
Saint-Pierre  ès-Champs  ;  Talmontiers  ;  Lalandelle;  Senantes; 
Glaligny;  Puiseux-le-Hautberger  (bois). 

a.  flore  pallidissinio,  —  Bois  de  Uoussoy,  à  Bulles. 

A.  C.  ?.  Eté.  —  Bois  découverts  :  pays  de  Bray,  terrain  juras- 
sique. Plante  calciphile. 

L'abbé  IlaCiy,  auteur  du  discours  qui  sert  de  préface  à  ht  pre- 
mière édition  de  la  Flore  française  de  Lamark,  avait  remarqué, 
en  1770,  cette  plante  aux  carrières  de  la  Montagne-Blanche,  près 
Valescourt.  Lamark  fut  étonné  de  cette  anomalie  apparente  ! 

b.  Faiix  verticilles ,  3-6  fleurs. 

917.  Sîae.  sylvatica,  Lin.  —  Epiaire  des  bois ,  Epiaire 
piui7ite ,  Ortie  puante  j  grande  Epiaire  des  bois. 

Feuilles  opposées,  velues.  Odeur  félide. 

T.  G.  ^.  Ëté.  —  Bois  et  lieux  ombragés.  Emménagogue. 

918.  Siae.  palvslris^  Lin.  --  Epiaire  des  marais^  Bou- 
trouille^  Ortie  morte,  Ortie  rouge,  —  Tige  rougeâlre. 

b.  latifolia.  —  Cavée-aux-Loiips ,  à  Saint-Jacques,  près 
Beauvais;  pré  Martinet,  près  Beauvais. 

c.  agglonierata ,  Nobis.       .\unaies  de  Marissel. 

s.  V.  purpurea. 
s.  V.  rosea. 

d.  hirsuta,  —  Tige  très-velue,  petite,  2-'3  décimètres; 
feuilles  d'un  vert  jaunâtre  très-pàle  ;  épis  fort  courts, 
composés  de  3-i  verticilles  tout  au  plus.  —  Lieux  secs  et 
montagneux. 

T.  C.  ?.  Eté.  —  Bords  des  eaux  et  champs  humides.  Les  jeunes 
pousses  peuvent  être  mangées  comme  des  asperges. 

919.  Sîae,  palustri-sylvaiicay  Schied.,  Stachys  ambigua^ 
Sm.  —  Epiaire  hybride,  (N'est  pas  dans  le  tableau.) 

Il  se  distingue  du  Stachys  palustris  par  ses  ît\i\\\Q%  pétioiées^ 
acuminées,  ses  corolles  d'un  rouge  plus  foncé;  du  Stachys  sylnja- 
tica  par  ses  feuilles  jamais  ovales  en  cœur. 

T.  G.  Juillet-août.  -  Moisson,  à  Saint- Lucien  et  à  Tillé. 


DU    DÉPARTBMBNT   DB  L'OISB.  241 

Feuilles  molles ,  couvertes  d'un  duvet  brillant,  surtout  à  la 
surface  Inférieure,  étroites,  pétiolées,  cordiformes  à  la  base, 
fortement  dentées,  lancéolées-acuminées;  les  corolles  sont  d'un 
rose  pâle,  deux  fois  plus  longues  que  le  calice;  la  lèvre  supé- 
rieure voûtée. 

Cette  hybride,  qui  tient  à  la  fois  du  Stachys  palustris  et  du 
Stachy»  sylvatica^  se  rencontre  principalement  dans  les  champs. 

Plaine  de  Tillé,  du  côté  de  Marissel  !  Saint- Lucien  !  Chaumont; 
Trie-Chàteau.  R. 

Nous  n'avons  pas  fait  entrer  cette  hybride  dans  le  tableau 
synoptique,  parce  qu'elle  n'a  pas  de  fixité  dans  les  stations. 

920.  Siae.  arvensis.  Lin.  —  Epiaire  des  champs. 
T.  G.  d).  Juin.  —  Dans  les  champs  après  la  moisson. 

b.  Tiges  et  feuilles  très-laineuses^  tomenteuses  et  cotonneuses. 

921.  Siac.  germanica^  Lin.  —  Epiaire  d'Allemagne^  Sauge 
des  montagnes,  Sauge  molle,  Epi  fleuri. 

Bulles,  près  Lorteil,  autour  du  calvaire  de  Bulles;  Essuiles; 
Litz,  vers  le  clos  Fayel;  La  Miauroy  ;  Plouy-Saint-Lucien;  Tillé; 
Saint-Lucien!  Saint-Omer;  Milly;  Le  Quesnel-Aubry;  LePlessier- 
sur-Saint-Just  !  Boulaine!  Genvry!  Compiègne!  le  Parc-aux- 
Dames  et  le  lieudit  le  Ghftteau-à-Bouillancy  1  Balagny-sur-Onette, 
sur  la  chaussée  Brunehaut;  Houssoye;  Noyon;  Varinfroy;  Rou- 
ville!  Duvy!  Saint-Ghristophe,  en  Halatte!  Morancyl  Fontaine- 
les-Gornu  !  Borest  !  Reilly  ;  Paillart  ! 

Â.  R.  ?.  Juin-août.  —  Bord  des  routes  et  des  bois,  terrains 
calcaires  :  exposition  du  midi. 

B.  Corolle  d'un  blanc-Jaundtre, 

922.  Siae.  recla,  Lin.  —  Epiaire  droite. 

T.  G.  ?.  Juin-août.  —  Lieux  gramineux,  arides,  boisés  ou 
rocailleux. 
Plante  xérophile.  Plante  utile  contre  le  carreau  des  enfants. 

923.  Siae.  annua,  Lin.  — -  Epiaire  annuelle,  Crapaudine. 
Nuisible  aux  vignobles. 

T.  viii.  16 


242  BSQUISSB  DB   LA   V^G^TATIOff 

b.  longibracteata.  —  Verticlllcs  accompagnés  de  feuilles 
allongées  entière». 
T.  G.  0.  Août-octobre.  —  Terrains  calcaires ,  moissons;  par 
hasard  hors  des  champs ,  mais  par  Teifet  de  la  diffusion  des 
graines,  car  c'est  une  plante  essentiellement  arvicole. 

Betonlca*  Lin.  (:^eD.  n"*  718).  >-  Bélolne. 

Etym.  —  DimioBtif  do  mot  celUqne  bouianot,  pelu» ,  tabûe;  allasioa  aox  propriétés 

(Te  respèce  principale. 

924.  Beioniea  officinalis,  Lin.  —  BéMne  officinale,  Bel- 
lëte^  Bétoine  (corrompue  de  Vétonica,  du  nom  d'un  peuple  qui 
habitait  la  partie  sud-ouest  de  l'Afrique,  qvia  Vetones  eatn  inoe- 
nerum  (Pline,  liV.  25,  ch.  8). 

a.  vulgaris.  —  Epi  longuement  interrompu  à  la  base  ; 
dents  calicinales  égalant  le  tiers  de  la  longueur  du  tube, 
hitpides  de  poils  étalés. 

b.  alba.  —  Villers-Saint-Barthélemy  !  Choisy-au-Bac  I 
forêt  de  Compiègne  !  Genvry  !  bois  de  Quesmy»  canton  de 
Guiscard  ;  Chantoiseaux,  près  Beaumont-les-Nonains  ;  bois 
de  Houssoye,  à  Bulles. 

c.  stridOy  Mérat.  —  Bois  de  l'Italienne.  —  Calice  velu  ; 
bractées  ciliées  ;  corolle  à  tube  plus  court;  corolle  pubes- 
cente  en  dehors,  même  sur  le  limbe  ;  feuilles  toutes  plus 
larges  et  plus  velues. 

d.  rosea.  •-  Forêts  de  Hez  et  de  Compiègne  ! 

s.  V.  glabrescens. 
T.  C.  9^.  Eté.  —  Bois  et  landes.  —  Plante  bonne  contre  les  ma- 
ladies catarrhales. 

Ballota»  Lio.  (gen.  u*  720).  —  Ballole. 
Etym.  •»  De  Bûllô,  en  grec ,  jo  rejette;  k  caoso  de  son  odeqr  repoussante. 

925.  Ballola  fœiida.  Un.—  Ballote fétide,  Marrubenoir^ 
Marrube  puant. 

Bractées  étroites;  fleurs  sessiles  ou  pédonculées.  Odeur  fétide, 
a.  alba.  —  Terrains  vagues  à  la  porte  de  Paris,  à  Beau- 
vais  (R.);  Bailleul-sur-Thérain. 
T.  C.  ?^Eté.  —  Haies,  buissons,  bords  des  sentiers. 


DU   DÉPARTEMENT   DB   L'OISB.  243 

La  plupart  des  auteurs  l'appellent  Ballotanigray  Lin.  Il  parait 
que  ce  n'est  point  le  Oallota  nigra^  Lin.,  qui  a  les  divisions  du 
calice  lancéolées ,  terminées  par  une  arête  aussi  longue  qu'elles. 

2.  Etamines  incluses, 

ilarralilaiii ,  Lin.  (geo.  n*  721).  —  Marrabe. 
Etym.  —  De  Thébreu ,  mar  rob ,  sac  amer. 

926.  Mairrubiutn  vulgare.  Lin.  —  Marrube  commun, 
Herbe  aux  croix,  Marrube  blanc,  Marrube  (d'un  mot  hébreu  qui 
signifie  suc  amer\  Mariclin,  Mariochemin, 

Bractées  linéaires,  nombreuses.  Employée  comme  emména- 
gogue. 

Â.  C.  ?.  Juillet-septembre.  —  Bords  des  chemins,  décombres, 
terrains  calcaires. 

Les  Lavandula  vera,  DC,  Lavandula  spica,  DC,  originaires 
de  TEurope  méridionale ,  sont  cultivées  dans  tous  les  jardins  et 
se  trouvent  quelquefois  subspontanées. 

SECTION  B. 

CALICB  ENFLÉ ,  BILABIÉ ,  A  8-4  LOBES ,  OUVERT  A  LA  MATURITÉ. 

BlellUl»,  LiD.  (gei).  li"  731).  —  fliélltto. 

Etym.  —  De  melittu,  abeille;  c'est-îi-dire ,  plante  attiraDt  les  abeilles. 

927.  MeliUim  melissophyllum^  Lin.  —  Meliête  à  feuillet  de 
fnélisse,  Mélisse  des  bois  ^  Mélisse  bâtarde,  Mélinot^  Mélisse  puante, 
Herbe  sacrée.  Mélisse  sauvage,  Herbe  saine ,  Mélisse  des  montagnes. 

Pas  de  bractées. 

Bois  au-dessus  de  la  route  de  Notre  Dame-du-Thil  à  Troisse- 
reux;  bois  de  Moimont;  bois  de  Labrosse,  près  Liancourt-Saint- 
Pierre;  Tartigny;  Rocquencourt  ;  forêts  de  La  llérelle,  de  Uez, 
de  Chantilly;  parc  d'Offémont;  forêt  de  Laigue;  forêt  de  Gom- 
piègne ,  au  carrefour  de  Diane  ;  bois  de  Trémonvillers  ;  étangs 
de  Comelle;  bois  de  Puiseux-ie  Hautberger. 

A.  R.  ?.  Mai-juillet.  —  Bois  des  coteaux  calcaires.  —  La  plus 
belle  de  nos  labiées.  Bonne  contre  la  suppression  d'urine  et  les 
maladies  de  poitrine. 


244  BSQUI8SB   DB  LA   VBGBTATlOIf 

SECTION  C. 
CALICE  BILABIÉ  ,  A  LÈVRES  FERMÉES  A  LA  MATURITÉ. 

Scafellarla*  Lio.  (gen.  u»  734).  —  Scatellalre. 

Etym.  ~~  Diminotir  de  tcuta,  écaelie ,  oo  de  scuium,  boaclier,  de  l«  forme  do  calice. 

Feuilles  dentées  dans  toute 

leur  longueur Scutellariagalerieuiata^  Lin. 

I  Feuilles  seulement  dentées  h 

la  base Scutel.  minor^  Lin. 

928.  Seuiellaria  galericulaiaj  Lin.  —  SctUellaire  toque 
(de  Scutum^  à  cause  de  l'écuelie  en  forme  de  bouclier  qui  accom 
pagne  le  calice),  Toque  ^  Tertianaire,  Toque  bleue  ^  Toque  des 
marais. 

Odeur  d'ail.  Employée  autrefois  contre  les  fièvres  tierces. 

b.  simplex,  —  Noyon. 
T.  C.  9^.  Eté.  —  Lieux  marécageux ,  fentes  des  murs  baignés 
par  les  eaux,  le  long  des  rivières. 

929.  <Seufel.  minor^  Lin.  —  ScuUllaire  mineure. 
Saint-Paul  !  Villers-Saint-Barthéiemy  !  étangs  de  la  Rouge-Eau  ; 

ritalienne;  Champ  du-Taillis;  Saint-Germer  !  Coye!  Mortefon- 
taine!  Thiers;  forêt  de  Compiègne,  au  carrefour  de  l'Embras- 
sade !  Ognon  !  molière  de  Serans  !  Ermenonville. 

La  lèvre  inférieure  de  la  corolle  est  d'une  eouleur  pâle  et 
chargée  communément  de  petits  points  bruns, 
b.  simplex.  —  Noyon. 

A.  R.  ?.  Eté.  —  Lieux  marécageux  et  tourbeux. 

Rranella*  Toarnef.  (Inst.  f.  84).  —  Bmnelleo 

Etyoï.  —  De  raUemjDd  Braune ,  esqaioancie;  les  propriétés  Tiilnéiaires  et  astringentes 
de  Tespèce  principale  l'avaient  fait  employer  contre  cette  maladie. 

Epi  muni  à  la  base  de  deux  feuilles 

1    allongées Brunella  alba^  Pall. 

]Epi  nu  à  la  base  ou  muni  de  deux 

feuilles  courtes 2 


DU  DéPARTBMBNT   DB  L'OISK.  945 

Corolle  à  peine  double  du  calice, 

lèvre  supérieure  droite Brun,  rulgaris,  Mœnch. 

ICorolle  3-4  fois  plus  longue  que  le 

calice,  lèvre  supérieure  voûtée.  Brun,  grandi fiora,J9icq. 

930.  Bmnella  vulgarù,  Ifœncli.  —  Brvnelle  commune, 
Bonnette,  Prunelle,  Brunette,  Charbonnière. 

s.  V.  integrifolia.  —  Feuilles  entières,  sinuées  ou 
dentées.  A.  R.    * 

b.  longifolia.  —  Forêt  de  Gompiègne  ! 

c.  pinnatifida.  —  Feuilles  pinnatifides  ou  pinnatipartites. 

d.  interrupta.  —  Epis  très-allongés,  interrompus  à  la 
base,  non  accompagnés  de  feuilles. 

T.  C.  ?.  Ëté.  —  Prés  et  pelouses.  Employée  contre  les  maladies 
de  la  gorge. 

931.  Jirun.  alba,  Pall.  —  Brunelle  blanche. 
BeauvaisIMortefontaine!  Troissereux;  Houssoye;  mont  César; 

bois  de  La  Brosse-,  coteaux  de  Lassigny  !  La  Morlaye  !  Cuverguon  ! 

b.  integrifolia.  -—  Forêt  de  La  Neuville-en-Hez ,  près 
d'Ansacq ,  route  de  Mouy  à  Clermont. 

c.  pinnatifida. 

A.  R.  ^.  Eté.  —  Pelouses  sèches  des  terrains  calcaires.  Feuilles 
pinnatiJSdes. 

Corolle  d'un  blanc  jaun&tre;  appendice  des  filets  des  étamines 
ordinairement  arqués. 

932.  JSrun.  grandiflora,  Jacq.  —  Brunelle  à  grandes 
fleurs. 

Monfgrésin;  Gompiègne;  Grand viiliers;  Boury ;  Noyon;  Thiers; 
usages  de  Guise  et  de  La  Ghenaye  !  bois  d'Anserville  !  forêt  de 
Chantilly,  vers  Gomelle  !  la  chaussée  de  Gouvieux  !  Senlis  !  Ver- 
berie  I  Thiers  et  Mortefontaine. 

l^es  filaments  des  étamines  sont  terminés  par  deux  dents,  dont 
Tune  nue,  l'autre  anthérifère.  Stigmate  bifide,  rarement  qua- 
drifide. 

b.  minor.  —  Collines  de  Saint-Siméon ,  près  Noyon ,  de 
Trosly-Breuil  ! 

c.  pinnatifida^  Pers.  —  Monts  César  et  de  Hermès;  larris 
de  Houssoye;  bois  de  Bulles;  Rieux;  bois  de  Brûlet;  bois 


246  ESQUISSE  DE  LA  viG^TATION 

de  Labrosse;  forèl  de  La  Hautc-Pommeraye  !  Liancourt! 
colline  de  Saint-Siméon  !  Le  Ganelon  ;  bois  du  Clos-Fayel, 
près  Wariville;  Essuiles;  forêts  de  Chantilly,  du  Parc,  près 
Beauvais!  forêt  de  Gompiègne ,  sur  le  chemin  de  Bergeron, 
vers  Saint-Sauveur;  à  Genancourt,  entre  Saint- Jean  et 
Saint-Nicolas  de  Gourson  !  Roquencourt  !    . 

d.  rosea.  —  Thury-en- Valois. 

e.  purpurea,  —  Troissereux. 

Â.R.  ^.  Juillet-septembre.  —  Pelouses  et  coteaux  des  terrains 
calcaires. 


CINQUIÈME  TRIBU.    —  NEPETEŒ,   BENTH. 

Corolle  bilabiée;  4  étamines  rapprochées^  les  postérieures  plus 
longues  que  les  antérieures;  étamines  placées  sous  la  lèvre 
supérieure  de  la  corolle. 

IVepeta,  Lia.  gen.  n*  710.  •—  IVépéta. 

Etym.  —  De  Ifepet ,  nom  d'one  ville  de  Toscane,  où  l'espèce  principale 

croît  spontanément. 

933.  I\fepeta  cataria.  Lin.  —  Népéia  cataire,  Herbe  aux 
chats,  Menthe  de  chat ,  Cataire,  grande  Cataire. 

Le  Metz,  canton  d'Âuneuil;  Anseauvillers;  Morvillers;  Saint- 
Martin -le-Nœud!  Bailleul-sur-Thérain;  Therdonnel  Berlhecourt! 
Ponchon;  bosquets  de  la  ferme  de  l'HOtelDleu,  à  Tillé;  Agni- 
court;  Ghaumont;  Méru!  Mouchy-Saint-Eloi  !  Estrées-Salnt- 
Denis!  Gompiègne!  La Groix-Saint-Ouen !  Jonquières!  Noyon! 
Ermenonville!  Glermont!  Betz!  Vaumoîse!  Marolle;  Autheuil- 
en- Valois  ;  Saint-Just-en-Ghaussée. 

A.  G.  ?^.  Eté.  —  Lieux  pierreux  et  arides.  Odeur  forte.  Gonlre 
les  coups  et  contusions.  Antihystérique.  Espèce  des  lieux  azotés. 

Gleclioma,-Lin.  (gen.  h"  714).  —  Gléeliome. 

Etym.  "  Da  grec  Gléchon ,  nom  grec  d'ane  sorte  de  Ponliot. 

934.  QleehoMna  hederacea,  Lin.  —  Gléchome  -  Lierre 
terrestre,  Terrette^    Viondotte ,    Herbe   de  Saint-Jean,   fJerret, 


DU   DiPARTKNBNT   DB   L'OISB.  247 

Lierrette^  Couronne  de  terre ^  Gondole,  Courroie  de  Saint- Jean. 
Les  anthères  sont  rapprochées  par  paire,  en  forme  de  croix 
double,  avant  rémission  du  pollen.  Plante  cordiaque  etbéchique. 
a.  major. 

h.  minor.  —  Feuilles  petites,  un  peu  cordiformes;  fleurs 
purpurines  une  fois  plus  longues  que  le  calice. 

c.  villom,  Koch.  —  Tiges  et  feuilles  velues-hérissées. 

d.  foliis  variegatis.  —  Pont  du  Berne,  sur  la  route  de 
Compiègne  à  Soissons  ! 

T.  G.  ?.  Mai-août.  —  Haies  et  bords  des  chemins. 


SIXIEME   TRIBU.    --   THYiHEŒ^   BENTH. 

Corolle  bilabiée;  étamines  4,  droites,  écartées  les  unes  des  autres  ; 
les  étamines  antérieures  plus  longues, 

HjmmopwM.  Lin.  (gen.  u*  709}.  •—  Hy^sope. 
Etym.  —  De  Ustâpos,  nom  grée  de  la  plante. 

935.  Hymmopu9  officinalis,  Lin.  —  Hyssope  of/icinaL 

Hénonville!  Margny-les-Compiègne  !  bosquet  à  l'embranche- 
ment de  la  route  nationale  de  Saint  Quentin  avec  la  route  de 
Compiègne  à  Roye!  Mortefontaine  I 

Cette  plante,  originaire  du  Midi,  est  conservée  des  cultures  du 
moyen  &ge!  Plante  médicinale. 

f.  A.  R.  ?.  Eté.  —  Coteaux  pierreux,  bois. 

La  Saturcia  hortensis^  Lin.  {Sarriète}^  est  naturalisée  dans  tous 
les  jardins.  Ingrédient  aromatique  des  boudins. 

Orlffanam  •  Mœoch  (U^tb  ,  157).  —  Orlffan. 
Etym.  ~~  Da  giecorot,  montagne,  ganos;  ornement  de  la  montagne. 

956.  Ofigwnuwn  vulgare,  Mœnch.  —  Origan  commun^ 
Marjolaine  bâtarde^  Marjolaine  sauvage,  Marjolaine  d'Angleterre, 
grand  Orégan, 

Rractées  ovales,  imbriquées,  colorées. 


248  ESQUISSE  DE   LA   VÉGliTATlOrf 

b.  pallescens.  —  Bractées  non  colorées;  fleurs  d'un  rose 
pâle  ou  blanches.  A.  C. 

Cette  plante  tient  le  milieu  entre  les  C.  officinalis  et 
nepeta. 

c.  Myiw^/ïorwwi,  Reich.  —  Plante  basse,  très-rameuse, 
couverte  de  poils  blancs. 

T.  C.  ?^.  Juillet-octobre.  —  Lieux  herbeux  incultes ,  arides  et 
pierreux. 

Vliyma»,  BeDtb.   (lob.   340).    --  Tliym. 

Etym.  —  Da  grec  thumoi^  coorage  ;  plante  foniflante. 

Rameaux  munis  de  2-4  rangées 
de  poils Thymus  chatnœdrys,  Fries. 

Rameaux  pubescents,  sans  li- 
gnes marquées  de  poils Thym,  serpyllum,  Lin. 


1 


937.  Thytnum  serpyllum.  Lin.  —  Thym  serpolet,  Pouilleu 
bâtard,  Pouliot  bâtard.  Thym  bâtard.  Thym  sauvage^  Serpolet  y 
Pillolet. 

Thym  signifie  courage  en  grec.  Cette  plante  aromatique,  to- 
nique ^  cordiale,  ranime  les  esprits  vitaux. 

a.  albus.  —  Compiègoe!  carrefour  Royal!  plaine  de  la 
Justice  !  Lévignen  ! 

b.  lanuginosuSf  IJnl£.  —  Tiges  hérissées;  feuilles  plus 
petites,  plus  arrondies,  toutes  hérissées  sur  leurs  deux 
faces  de  poils  blancs  et  laineux.  —  Forêt  de  Compiègne, 
route  des  nymphes!  sommet  du  Canelon!  Trie-Ch&teau  ! 
Le  Plessis-Brion  !  Saint-Martin-aux-Bois! 

c.  nervosus.  —  Tiges  appliquées  sur  la  terre ,  très-radi- 
cantes,  présentant,  sur  toute  leur  périphérie ,  de  petits  poils 
réfiéch\s\  feuilles  petites,  atténuées  à  la  base,  à  nervures 
très- saillantes;  glomérules  des  fleurs  rapprochées  en  têtes, 
globîileu^es  ou  ovoïdes  j  ordinairement  compactes. 

A.  C.  —  Pelouses  sèches,  sables  arides.  —  Houssoye, 
près  Troissereux  ;  Cuvergnon  !  Mortefontaine. 

d.  morbosusy  Spenn.^  Capitules  lanugineux  très-velou- 
tés. Cette  forme,  assez  commune,  est  une  altération  pro- 
duite par  la  pipûre  d'un  insecte. 


DU   DÉPARTEMENT   DE  L*OtSE.  249 

e.  citriodorus.  -  Feuilles  à  odeur  de  citron,  ovales, 
ciliées  vers  la  base  ;  tiges  érigées  ou  ascendantes,  longues 
de  3  à  4  décimètres. 

f.  angustifoiius.  —  Feuilles  oblongues,  linéaires. 

C.  ?.  Juillet-septembre.  -  Pelouses ,  prés  secs ,  lieux  incultes. 

938.  Thytn.  chamœdrys,  Fries.  —  Thym  petit-chêne. 

Diffère  de  l'espèce  précédente  par  ses  tiges  plus  longues ,  re- 
dressées, couchées  seulement  à  la  base^  par  ses  rameaux  munis 
de  î  à  4  rangées  de  poils  blancs ,  par  ses  feuilles  plus  larges, 
ovales ,  atténuées  en  un  pétiole  assez  long ,  et  ponctuées  en  des- 
sous. —  Forêt  de  Compiègne  ! 

R.  ^.  Juillet-septembre.  —  Bois  découverts. 

On  cultive  dans  presque  tous  les  jardins  le  Thymus  vulgaris,  Lin. 


SEPTIEME  TRIBU.    —    MELISSEŒ,   BENTH. 

Corolle  bilcUfiée;  étamines  4,  arquées- ascendantes ,  convergentes 
au  sommet;  sous  la  lèvre  su})érieure  de  la  corolle  les  étamines 
antérieures  plus  languies, 

Calamlntlfta ,   Mœncb.  (Metb.,  408).  --  Calament. 

Etym.  —  l)a  grec  Calé,  belle,  Mimké ,  Menthe. 

Plante  annuelle  :  pédicelles  sim- 
ples, uniflores  et  axillaires. .  Calamintha  acinos,  Clair. 
IPIante  vivace  :  pédicelles  dicho- 
tomes  et  multiflores  portés 
sur  un  pédoncule  commun 

axillaires 2 

Fleurs  accompagnées  delongues 

\    brac(ées,8étacées,nombreuses  Calam.clinopodium, Benth. 
^Bractées  courtes,  moins  nom- 

(    breuses  que  les  fleurs 3 

Feuilles  petites,  grisâtres;  dents 

du  calice  presque  égales  —  Calam,  nepeta,  Link. 
Feuilles  vertes,  élargies;  dents 
du  calice  très-inégales 4 


4 


250  BSQUISSB  DB  LÀ  VÉGÉTATION 

Corolle  grande;  dents  supérieu- 
res du  calice  courbées  en  de- 
hors     Calam.officinalis,Mœncïi, 

IGorolle  petite;  dents  supé- 
rieures du  calice  ascendautes, 
droites Calam.  fn€nthœfolia,liost 

A.  Fleurs  à  pédoncules  rameux. 

939.  Calawniniha  clinopodium^  Benth.  —  Calament 
cHnopode,  Clinopode,  grand  Origan ^  grand  Basilic  sauvage, 
Roulette,  Pied  de  lit. 

Stigmate  simple;  bractées  sétacées  formant  involucre. 

b.  album.  —  Lisière  de  la  forêt  du  Parc;   Noyon; 
Pouilly  ! 
T.  C.  ?.  Eté.  —  Bois  découverts  et  bords  des  chemins. 

940.  Calait»,  officinalis^  Ifœnch.  —  Calament  officinal, 
Calament  des  montagnes,  Menthe  des  montagnes. 

Mont  Renaud  et  Larbroye,  près  Noyon!  Sentis!  Attichy! 
forêt  de  Gompiègne ,  au  carrefour  des ,  Peupliers ,  à  Saint- 
Jean,  à  Saint-Nicolas  de  Courson,  au  mont  Saint-Marc!  Creilt 
Crépy ! 

b.  parviflora.  —  Odeur  très-forte  ;  tige  plus  faible,  moins 
droite;  feuilies  florales  plus  courtes  que  les  pédoncules; 
les  5  dents  du  calice  sensiblement  égales  entre  elles  ;  les 
2  supérieures  redressées;  poils  de  Tintérieur  du  calice  un 
peu  saillants;  corolle  blanche,  un  peu  tachetée  de  pourpre; 
anthères  violettes.  —  Clairoix ,  près  Gompiègne  ! 

A.  G.  9^.  Juillet-septembre.  —  Goteaux  arides,  lieux  secs 
pierreux. 

c.  sylvatica,  Benth.  —  Beaux-Monts  et  mont  du  Tremble, 
dans  la  forêt  de  Gompiègne!  T.  R. 

941 .  Calam.  menlhœfolia,  Hort.  —  Calament  à  feuilles  de 
menthe. 

Feuilles  plus  ou  moins  obtuses ,  à  dents  presque  Muses^  les 
supérieures  quelquefois  entières  (dans  le  type,  les  feuilles  sont 
aiguës^  à  dents  aiguës)  \  calice  tubuleux-campanulé;  corolle  une 


DU  DÉpIRTBMBNT   IIB  L*0I8K.  251 

fois  plus  longue  que  le  calice  ou  en  dépassant  peu  les  dents  in- 
férieures, à  lobe  moyen  de  la  lèvre  inférieure  émarginé;  pédon- 
cule commun  portant  des  fascicules  de  Heurs  plus  courts  que  les 
pétioles^  presque  nuls  dans  les  verticiiles  supérieurs.  (C'est  le 
Calamintha  ascendens  de  Jordan.) 

T.  R.  ^.  Juillet-septembre.  —  Talus  arides  et  pierreux  de  la 
route ,  à  Marissel. 

942.  Calawn.  nepela^  Llnk.  —  Calament  népétUy  Petit 
Calament. 

Noybn!  forêt  de  Laigue,  àOfiPémont!  Liancourt!  Saint-Firmin, 
près  Chantilly!  forêt  de  Compiègne!  Senlis,  à  la  porte Bellone! 

R.  9^.  Juillet-septembre.  —  Lieux  secs  et  pierreux  des  terrains 
calcaires. 

B.  Fleurs  asilaires  portées  sur  des  pédicelles  simples, 

943.  Calant,  acinos,  clair.  —  Calament  acinos^  Thym 
basilic. 

T.  C.  3).  Juillet-septembre.  —  Lieux  incultes,  arides  et  pier- 
reux. Herbe  d'un  usage  populaire  comme  tonique,  stomachique, 
emménagogue. 

b.  canescens,  —  Plante  velue  blanch&tre.  — -Saint-Martin- 
aux-bois;  Clairoix;  Saint-Jean,  près  Beauvais;  mamelons 
de  Senéfontaine;  Nointel;  Rieux;  Notre- Dame-du-Thil; 
Breteuii;  Le  Metz,  près  Frocourt;  Liancourt. 

A.  R.  0.  Eté.  —  Lieux  secs  et  incultes,  champs  pier- 
reux des  terrains  calcaires.  Odeur  de  basilic. 

c.  album.  —  Le  Mesnilsur-BuUes  (bois  de  la  Truie); 
mont  Saint-Siméon  (Â.  B.);  La  Neuville-en-Hez;  Bulles, 
bois  de  Fourdraine. 

d.  Thymiflorumy  Reich.  —  Plante  basse  très-rameuse, 
couverte  de  poils  blancs.  —  Bois  de  Houssoye.  R. 

Le  Calamintha  alpiiui  ^  Un.  (Thymus)^  a  été  cueillie  autrefois 
sur  la  montagne  de  Liancourt,  du  côté  de  Nointel.  Il  avait  été 
semé. 

La  Marjolaine  {Marjorana  vulgaris^  T.),  originaire  de  l'Europe 
méridionale,  est  assez  généralement  cultivée  dans  tous  les  jar- 
dins. 


252  BSQUISSB  DE   LA   véGÂTÂTlOfr 

MellSMit  Lin.  (gen.  n*718).  —  MéllWM. 

Ktym.  —  De  Méliae,  abtille,  en  grec;  pbiDte  bviiaée  par  les  abeilles. 

Etaminet  4,  exserte»  à  filets  arqués  en  dehors  Jusqu'au  milieu, 

944.  Melimma  officinalis.  Lin.  —  Mélisse  officinale^  Citro- 
nelle^  Herbe  de  citron^  Mélisse  citronnée,  Citronnade^  Poncirade^ 
Piment  des  ruches,  Mélisse  traie ^  Herbe  aux  mouches. 

Bulles,  prairies  (T.  R.);  forêt  de  Hez,  près  La  Neuville- en-Hez! 
Wari  ville,  haies  en  face  des  fermes!  Mont-Renaud,  près  Noyont 
Montplaisir!  Crépy;  Cuvergnon;  Etavigny!  LévignenI  Ormoy- 
ie-Davien  !  LIancourt  !  Sentis  ;  Pont-Lévèque  ;  Attichy  ;  forêt  de 
Compiègne ,  près  Saint-Jean  I 

f.  A.  B.  ^.  Eté.  —  Haies  et  bords  des  chemins.  Cette  espèce 
est  adventice.  Cultivée  en  grand  au  moyen-Âge ,  elle  s'est  ré- 
pandue à  peu  près  partout  et  disparaît  par  suite  de  la  variation 
du  climat.  Originaire  de  l'Europe  méridionale,  elle  est  cultivée 
dans  la  plupart  des  jardins. 


SoixaDte-douiième  Famille.  —  VERBfiNACÊBS,  Joss. 

{Nom  tiré  du  genre  Verbena). 

Verliena ,  Tournef.  (Inst.  t.  94  )  —  Verveine* 

Ktym.  —  De  ftffU%^  oom  celtique  de  la  Verfdne  officinale. 

945.   f^erfrtftia   officinnHx^  Lin.    —   Verveine  officinale^ 
Verveine^  Herbe  sacrée, 

a.  prostrata.  —  Tige  étalée ,  couchée. 

T.  C.  (D  ou  ?.  Juinroctohre.  —  Bords  des  chemins,  fossés, 
villages ,  lieux  incultes. 


DU  DEPARTEMENT  DE  L*0I8B.  253 

SoiiaDtc-treizième  Famille.  —  PLANTA6INÊES,  Joss. 

{Noin  tiré  du  genre  PlamtaGO.) 

I  Fleurs  hermaphrodites  en  épis Planta  go,  Lin. 
Fleurs    monoïques;    pédoncule    radical 
portant  une  fleur  m&le  solitaire Littorella ,  Lin. 

Plantayo,  Lin.  (geo.  n*  89k  >-  Plantain* 

EtTm.  —  Plûntû  agens,  en  latin?  Plante  efflaoeY 

ITige  feuillée Plantago  arenarto, Waldrt. 
Tige  nue  ;  feuilles  toutes  radi- 
cales   2 

Feuilles  ovales  ou  ovales^oblon- 

2  j    gués 3 

^Feuilles  lancéolées ,  linéaires 

ou  pinnatifides 4 

Epi  cylindrique  allongé,  à  fleurs 
.un  peu  écartées  dans  le  bas..  Plant,  major  ^  Lin. 
lEpi  oblong,  cylindrique,  com- 
pact    Plant,  média ,  Lin. 

i  Feuilles  pinnatifides Plant,  coranopus^  Lin. 
Feuilles  lancéolées,  non  char- 
nues; épi  ovoïde Plant,  lanceolata^  Lin. 

PREMIÈRE  SECTION.  —  EUPLANTAGO. 

Plantes  aeaules;  corolle  à  tube  glabre;  capsule  à  2  loges. 

946.  PUss/Uago  major.  Lin.  —  Plantain  à  larges  feuilles, 
rond  Plantain ,  Plintin,  grand  Plantain,  Plantain  rouge,  Plan- 
tain ordinaire. 
G.  ?.  Eté.  —  Pâturages ,  bords  des  champs  et  des  chemins, 
b.  phyllantha  (braeteis  foliaeeis\  Lamk.  —  Les  bractées 
se  prolongent  en  folioles  oblongues.  —  Goincourt;  Le 
Béquet ,  marais  de  Belloy. 


254  ESQUISSE   DE  LA  VÉGÉTATION 

c.  maxima.  — -  Individus  très-vigoureux,  hauts  de  près 
d'un  mètre.  —  Goîncourt. 

d.  pedunculaia.  —  Au  lieu  d'épis  simples,  des  panicules 
pyramidales  formées  de  la  réunion  de  petits  épis  nom- 
breux pédoncules.  —  L'Italienne  ;  Le  Béquet. 

e.  rrUnima^  DC.  —  Feuilles  molles,  trinerviées,  étalées 
en  rosettes;  hampes  complètement  couchées  dans  leur 
jeunesse;  plus  tard  elles  sont  ascendantes,  et  l'épi  pauci- 
flore  qui  les  termine  dépasse  à  peine  les  feuilles;  pédon- 
cules 1-3  décimètres.  Plante  naine.  Ce  n'est  qu'une  variété 
des  lieux  sablonneux  et  argileux,  au  bord  des  rivières, 
des  étangs.  Elle  retourne  au  type  primitif,  dès  la  seconde 
année,  dans  un  terrain  plus  gras.  —  Champs  humides, 
allée  des  bois. 

Etavigny;  Bargny;  Brégies;  Therdonne;  fontaine  Saint-Jean, 
dans  la  forêt  de  Compiègne!  Foumival. 

947.  Plant,  média.  Lin.  —  Plantain  moyen.  Plantain, 
Plantain  bâtard,  Langue  d'agneau, 

T.  C.  ^.  Eté.  —  Pelouses  sèches,  bords  des  chemins,  terrains 
calcaires.  Odeur  douce  et  agréable. 

948.  Plani,  lanceolata^  Lin.  —  Plantain  lancéolé,  Plan- 
tain long.  Herbe  aux  cinq  coutures. 

T.  C.  ?^;  Eté.  —  Prés. 

b.  dentata,  —  Champs  sablonneux  à  Thury-en- Valois. 

c.  augustifolia ^  Poir.  —  Feuilles  étroites,  très-velues 
inférieurement;  épis  globuleux.  —  Beauvais,  chemins 
arides. 

d.  lanuginosa,  Koch.  —  Feuilles  couvertes  de  longs  poils 
blancs  soyeux,  surtout  sur  les  pétioles;  feuilles  étalées. 
—  Lieux  très- arides  :  Bulles;  Compiègne. 

e.  spica  apice  foliosa.  —  Collerette  de  feuilles  au  sommet 
de  l'épi. 

f.  ^4cis  digitatis.  —  Epis  bifides. 

g.  sylvatica, 

h.  polystachia.  -—  Epis  surmonté  d'un  bouquet  de  feuilles, 
i.  prolifer,  —  Plaine  de  Saint-Jean,  près  Beauvais  (1853); 
porte  de  Paris,  à  Beauvais  (1852). 


DU  DEPARTEMENT  DB  L*OISB.  255 

DEUXIÈME  SECTION.  -  CORONOPIS. 

Plantes  acaules;  corolle  à  tube  velu;  capsule  à  deux  loges, 
subdivisées  cliacune  en  deux  loges  secimdaires, 

949.  Plani.  coronopus^  Lin.  —  Plantain  corne  de  cerf. 

T.  G.  ®.  Mai-septembre.  —  Pelouses  sèches  et  sablonneuses  : 
Bongenoult;  Le  Béquet;  L'Italienne;  La  Chapelle-aux-Pots;  Sa- 
vignies;  Lévignen;  MaroUe;  Macquelines;Ormoy-Villers;  Chau- 
mont;  Allonne;  Rouville;  sablonnière  de  Gondé;  Le  Bray  en  générai. 

b.  brevifolia,  Gouan.  —  Feuilles  larges,  courtes,  garnies 
de  découpures  peu  profondes. 

c.  latifolia,  Gouan.  —  Feuilles  très-grandes,  un  peu 
difiPéremment  découpées.  Les  feuilles  sont  glabres,  velues 
ou  ciliées. 

TROISIÈME  SECTION.  -~  PSYLLIUM. 

Plante  caulescente ,  à  tige  feuillée;  corolle  à  tube  glabre; 

capsule  à  deux  loges. 

950.  Plani.  arenaria,  Waldst.  —  Plantain  des  sables. 
Herbe  aux  puces. 

Âmblainville  !  Liancourt,  sur  le  chemin  de  Mogneviile  à Villers  ! 
autour  de  LaGroix-Saint-Ouen  et  deGompiègne!  Saint-Sauveur! 
forêt  d'Ourscamps  I  forêt  de  Gompiègne,  sur  les  routes  du  moulin 
et  de  Marigny!  butte  d'Aumont,  près  Greill  Gouvieux;  Le  Lys; 
Goyel  Thiers!  Saint-Yaast-de-Longmont;  forêt  de  Gompiègne, 
côté  de  Saint-Germain. 

A.  G.  ®.  Eté.  —  Lieux  arides  et  sablonneux. 

l4Utorella  »  Lin.  (geD.  n*  328).  —  Lltlorelle. 

Etym.  —  De  LiUut ,  rifage.  en  latin  ;  allnsion  k  la  station  do  la  plante, 

951.  EiiUof^eUa  lacustris^  Lin.  —  LUtorelle  des  étangs. 
Sables  de  la  vallée  de  Thève  !  Mortefontaine  !  désert  d'Erme- 
nonville ! 

T.  B.  9^.  Eté.  —  Bords  des  étangs. 

(A  continuer.) 


DE  LA 

SOCIÉTÉ  ACADÉKQDE  D'ARCHÉOLOGIE.  SCIUCES  ET  ARTS 

DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OISE, 

PeDdant  l'amiée  1871. 


Président M.  DANJOU  (0.  *). 

Fiée  Président  pour  \9.  section  d'Archéologie  M.  HAMEL. 
Fice- Président  pour  la  section  des  Sciences 

•  naturelles M.Ch.DELACOUR  *. 

Secrétaire  perpétuel M.  QUESNOT. 

Secrétaire  pour  la  section  d'Archéologie...  M.  AuG.  FLOURY. 
Secrétaire  pour  la  section  des  Sciences  na- 
turelles  M.  HiP.  RODIN. 

Trésorier M.  Al.  DELAHERCHE 

Bibliothécaire-. 4rchivUte M.  DAMIENS. 

Bibliothécaire-adjoint M.  AUG.  FLOURY. 

Conservateur  du  Musée M.  Al.  DELAHERCHE 

^.  ^  .  (M.  Alf.  LEHEC. 

Conservateurs-adjoints \       ^,^^^,  ^^^^^^^^^ 


MEMBRES  ADMIS  PENDANT  L'ANNEE  1871. 

TITULAIRES   : 

M.  Gborgbs  gaillard  ,  Substitut. 
H.  GOTBLLE  ^  ,  Président  du  Tribunal  civil  de  Beauvais. 
M.  NEZ  *^,  Procarear  de  la  Répabliqae ,  à  Beaavais. 
M.  l'abbé  LAFFINEUR ,  Caré-Doyen  de  Mouy. 
M.  A.  RENDU ,  Archiviste  de  la  Préfecture  du  département  de  l'Oise. 
M.  DE  MALHERBE  ^ ,  Maire  de  Beauvais ,  Membre  du  Conseil  général 
de  l'Oise. 

HONORAIRE  : 

M.  l'abbé  BARRAUD ,  Chanoine  de  la  Cathédrale  de  Beauvais 


i 


^ 


VUE  DE  L'ABBAYE 

d'après  un  plan  «xecuLé  en  1673, pai 


;)E  SAINT-LUCIEN 

;. -rdre  de  BossiieL,  abbé  commendataire 


SECTION  D'AKGHÉOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 


HISTOIRE 


DE 


L'ABBAYE  ROYALE  DE  SAINT-LUCIEN 


(pï(.DÏlE    DE    ^AïK^T-pEI^OIT). 


Le  cloitrc  fut,  pendant  toute  la  durée  des 
âges  chrétiens,  l'école  permanente  des  grands 
caractères. 

(Le9  Moines  d'Occident,  introd.  p.  xlvi). 

Aux  portes  de  Beauvais,  h  quelques  centaines  de  mèlres  h 
peine  au  nord  de  ses  murs,  s'élevait  encore,  il  n'y  a  pas  un 
siècle,  Tun  des  plus  célèbres  et  des  plus  opulents  monastères 
du  Beauvaisis,  Tabbaye  royale  de  Saint-Lucien  {Monosterium 
Sancli  Luciani  Bch'acenais].  Ses  constructions  régulières,  majes- 
tueusement assises  sur  la  déclivité  occidentale  du  coteau  du 
Tbil,  dominaient  toute  la  vallée.  Le  Tliérain  coulait  à  ses  pieds, 
et  ses  ondes  paisibles,  avec  le  rù  de  Calais,  arrosaient  ses  prai- 
ries, alimentaient  ses  viviers  et  donnaient  la  fraîcheur  à  ses 
splerdides  jardins.  Bàlie  dans  un  site  charmant,  cette  abbaye 
offrait  une  des  plus  agréables  résidences.  Des  fenêtres  de  ses 
monuments,  de  ses  esplanades  en  terrasse,  de  ses  ombreuses 
charmilles,  Tœilse  reposait  délicieusement  sur  la  douce  verdure 
des  prairies  du  vallon,  s'étendait  sur  les  hauteurs  boisées  de  la 
forêt  du  Parc,  ou  s'égarait  dans  les  horizons  lointains  du  sud- 
T.  Vlli.  17 


2^S         HISTOIRB  DE   l'ABDAYK   ROYALE  DK   SAINT-LUCIEN. 

ouest,  à  travers  Téchancrure  béante  qui  sépare  les  côtes  de  Saint- 
Jean  du  mont  de  La  Trupinière.  La  beauté  du  paysage  n'a  guère 
changé;  mais  des  riches  constructions  du  monastère  que  reste- 
t-il?  Bien  peu  de  choses  :  une  tour  imposante  encore,  malgré 
son  isolement,  des  murs  arrachés  ou  remaniés  et  les  restes 
d'une  porte  s'ouvrant  vers  le  village. 

Pourtant  ce  monastère  avait  eu  un  rôle  important  dans  l'his- 
toire du  Beauvaisis,  et  ses  destinées,  sa  grandeur  et  sa  déca- 
dence plus  d'une  fois  furent  intimement  liées  à  celles  de  la  ville 
qu'il  avoisinait.  Son  influence  et  sa  gloire  rejaillirent  sur  la  cité; 
mais  tout  cela  ne  sut  trouver  grâce  devant  les  vandales  de  93.  Il 
abritait  des  hommes  inoffensifs,  vertueux  et  charitables,  et 
c'était  un  crime  aux  yeux  de  ceux  qui  gouvernaient  alors.  Il  fut 
condamné  à  périr,  et  la  sentence  ne  fut  que  trop  bien  exécutée. 

La  grande  abbaye  de  Saint-Lucien,  qui  jadis  faisait  l'honneur 
de  nos  contrées,  a  vécu,  ses  monuments  sont  détruits,  tous 
ses  membres  ont  disparu.  L'herbe  croit  dans  son  enceinte,  qu'une 
modeste  ferme  occupe  en  partie.  Ses  derniers  restes  seront  bien- 
tôt dispersés.  Encore  quelques  années ,  et  les  érudits  seuls  sau- 
ront que  là  fût  une  opulente  abbaye.  Le  soc  acéré  de  la  charrue 
retournera  bien  encore  quelquefois,  en  grinçant,  les  dernières 
assises  de  ses  fondations,  mais  ce  sera  l'agonie  suprême,  après 
laquelle  planera  le  silence  de  la  mort  et  de  l'oubli.  Et  personne 
ne  se  lëvera-t-il  pour  raconter  les  origines  de  cet  établissement, 
pour  retracer  les  diverses  péripéties  de  son  existence  si  acci- 
dentée, et  pour  redire  aux  contemporains  ce  qu'ont  été  ces 
moines  qui  l'ont  habité?  Nous  oserons  essayer  de  le  faire,  mal- 
gré notre  faiblesse  ;  puissent  d'autres  conduire  l'œuvre  à  meil- 
leure fin. 

Notre  plan  sera  fort  simple.  Dans  une  première  partie,  nous 
parlerons  des  origines  de  ce  monastère  et  de  saint  Lucien,  sur 
le  tombeau  duquel  il  fut  élevé.  Dans  une  seconde  partie ,  nous 
retracerons  l'historique  de  son  existence,  en  suivant  l'adminis- 
tration de  ses  abbés.  Dans  une  troisième,  nous  étudierons  ses 
constitutions  particulières,  ses  rites  et  ses  coutumes.  Entin,  dans 
la  quatrième,  nous  décrirons  ses  monuments  et  donnerons  l'état 
de  ses  propriétés  et  de  ses  revenus. 

Nous  indiquerons,  chemin  faisaut,  les  sources  auxquelles 
nous  avons  puisé. 


PREMIÈRE   PARTIE. 


LES  ORIGINES  DE  L'ABBAYE  DE  SAINT-LUCIEN, 


L'abbaye  de  Saint-Lucien,  suivant  le  sentiment  le  plus  géné- 
ralement adopté,  doit  son  origine  à  la  libéralité  du  roi  de 
France  Chilpéric  ^'^  Elle  fut  par  lui  fondée,  vers  Tan  583,  sur 
le  tombeau  du  glorieux  martyr  saint  Lucien  et  sur  remplacement 
d'une  ancienne  église  dédiée  à  saint  Pierre  et  saint  Lucien,  que 
les  invasions  des  barbares  avaient  ruinée.  Ceci  ressort  de  la 
cliarle  même  de  fondation  donnée  par  Chilpéric  la  vingt-deuxième 
année  de  son  règne. 

Avant  d'entrer  dans  le  détail  des  faits  qui  ont  accompagné  cet 
acte  de  munificence  chrétienne  de  Tun  de  nos  rois ,  nous  de- 
mandons la  permission  de  jeter  un  coup-d'œil  rétrospectif  sur 
les  temps  qui  l'ont  précédé,  afin  de  mieux  faire  saisir  les  cir- 
constances qui  l'ont  amené.  Nous  dirons  aussi  un  mot  de  l'apos- 
tolat du  saint  martyr  qui  donna  son  nom  à  ce  monastère, 
destiné  à  conserver  ses  restes  vénérés.  L'exposé  de  ces  faits  pré- 
liminaires ne  nous  semble  pas  devoir  être  une  digression  intem- 
pestive; on  en  verra  plus  tard  ressortir  Tutilité,  nous  dirions 
presque  la  nécessité,  quand  nous  aurons  à  raconter  les  divers 
événements  qui  ont  marqué  l'existence  à  travers  les  âges  de  ce 
grand  établissement. 

Après  les  mémorables  paroles  du  Sauveur  :  «  Allez  dans  tout 
l'univers  et  prêchez  l'Evangile  à  toutes  les  créatures  »  (1),  les 
apôtres  étaient  partis  pour  exécuter  l'ordre  de  leur  divin  maître. 


(1)  Marc,  XVI,  15. 


260  HISTOIRE 

Se  partageant  le  monde  connu,  ils  allèrent  dans  toutes  les  direc- 
tions, prêchant  partout  sur  leur  passage  la  religion  de  Jésus 
crucifié  (1).  Pierre,  le  chef  de  ce  collège  apostolique,  vint  à 
Rome,  dans  la  capitale  du  vaste  empire  qui  occupait  alors  la 
plus  grande  place  dans  Tunivers  exploré.  De  ce  centre  partait 
la  vie  militaire,  administrative,  intellectuelle  et  civile,  pour  les 
diverses  parties  de  ce  corps  gigantesque  que  l'on  appelait  empire 
romain.  C'était  là  que  Pierre  prêchait  en  public  et  en  secret,  et 
se  formait  des  disciples  pour  le  seconder  dans  la  diffusion  de 
la  doctrine  qu'il  avait  mission  d'enseigner.  Eux  aussi  partirent 
dans  toutes  les  directions,  à  la  suite  des  armées,  à  la  suite  des 
colons  et  des  commerçants,  et  portèrent  l'Evangile  sur  tous  les 
points  de  l'empire.  Cette  diffusion  fut  si  rapide  que  Senèque 
lui-même  nous  dit  u  qu'une  nouvelle  religion,  qui  avait  pris 
naissance  sous  Tibère,  avait  déjà  gagné  toutes  les  parties  de  l'em- 
pire sous  Néron.  »  L'Espagne,  la  Germanie,  la  Grande-Bretagne 
furent  évangélisées  dès  les  premiers  siècles  de  l'Eglise. 

La  Gaule,  qu'Auguste  et  ses  successeurs  immédiats  dotèrent  de 
tant  de  voies  stratégiques,  de  tant  d'institutions  et  d'écoles  for- 
mées sur  le  modèle  de  celles  de  la  mère-patrie,  ne  put  évidem- 
ment rester  en  dehors  de  cette  vaste  irradiation  de  l'Evangile. 
Elle  eut  aussi  ses  missionnaires  et  ses  apôtres  du  Christ  dès  les 
premiers  siècles  du  christianisme,  quoiqu'en  dise  une  certaine 
école  de  critiques  née  au  xvip  siècle  avec  Jean  de  Launoy,  et  qui 
n'a  pour  tout  appui  que  deux  pauvres  textes  de  Sulpice  Sévère 
et  de  Grégoire  de  Tours,  cent  fois  discutés  et  cent  fois  réfutés  (2). 


(l)  Marc,  XVI,  20. 

{2}  Nous  n'entrerons  pas  dans  la  polémique  engagée  entre  les  historiens 
à  propos  de  Tépoqae  de  révangélisation  des  Gaules.  Nous  déclarons  ce- 
pendant qae  nous  adhérons  complètement  à  l'opinion  qui  la  maintient, 
conformément  à  toutes  les  tradiUons ,  aux  deux  premiers  siècles  de  l'ère 
chrétienne  Cette  opinion ,  contraire  à  celle  de  Launoy,  nous  parait  ap- 
puyée  sur  des  documents  et  des  raisons  véritablement  indiscutables  et 
péremptoires  Pour  ceux  qui  voudraient  s'en  rendre  compte ,  nous  ren- 
voyons aux  travaux  tout  à  fait  remarquables  de  MH.  l'abbé  Corblbt  : 
Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  t.  ii,  p.  55-1G2;  A.  Lepklletieh  de 
LÀ  Sarthe  :  Défense  du  christianisme;  l'abbé  Richard  :  Origines  chré- 
tiennes de  la  Gaule;  l'abbé  Darras  :  Histoire  générale  de  V Eglise,  etc. 


DE    l'abbaye   BOVALE   DE   SAINT-LUCIEN.  261 

Dès  le i**" siècle,  vers  Tan  M  de  notre  ère,  c*est-à-dire  quatorze 
ans  après  l'ascension  île  Jésus-Christ,  saint  Lazare,  saint  Maxi- 
min,  sainte  Marie-Madeleine,  sainte  Marthe,  partis  de  la  Judée, 
apportèrent  en  Provence  les  lumières  de  la  foi  (i).  Vers  la  même 
époque,  sept  missionnaires,  envoyés  par  saint  Pierre,  évangéll- 
sèrent  plusieurs  de  nos  provinces  saint  Trophime  s'arrêta  à 
Arles,  saint  Martial  ù  Limoges  (!^),  saint  Ausiremoine  àClermont, 
saint  Paul  Serge  à  Narbonne  (3),  saint  Saturnin  à  Toulouse  (4), 
saint  Galien  à  Tours  (5),  saint  Valère  à  Trêves.  Plus  tard,  mais 
à  peu  de  distance  pourtant,  le  pape  saint  Clément  envoya  dans 
les  Gaules  une  nouvelle  colonie  d'apôtres  :  saint  Denis  se  fixa  à 
Lutèce  (6),  saint  Julien  an  Mans  (7),  saint  Lucien  alla  à  Beau- 
vais  (8),  saint  Saintin  à  Meaux,  saint  Taurin  à  Evreux,  saint 
Rieul  à  Senlis  (9),  et  les  autres  ailleurs. 

Saint  Lucien,  qui  évangélisa  le  Beauvaisis,  naquit  à  Rome 
d'une  famille  consulaire.  Il  porta  d'abord  le  même  nom  que  le 
consul  Lucius,  son  père,  et  prit  celui  de  Lucien  en  recevant  le 
baptême.  Suivant  la  tradition  la  plus  accréditée,  il  fut  converti 
par  saint  Pierre,  qui  l'admit  au  nombre  de  ses  disciples,  et  le 
chargea  plusieurs  fois  d'aller  catéchiser  les  fidèles  et  annoncer 
l'Evangile  aux  payens  des  environs  de  Rome.  Lucien  mit  tant  de 
dévouement  et  de  zèle  dans  l'accomplissement  des  missions  qui 


vl)  L'abbé  Faillon  :  Monuments  inédits  stir  l'apostolat  de  sainte  Marie- 
Madeleine  en  Provence j  etc.,  deux  volumes. 

(3)  L'abbé  Arbbllot  :  Dissertation  sur  l'apostolat  de  saint  Martial,  etc. 

(3)  L'abbé  Robitaille  :  Vie  de  saint  Paul  Serge,  etc. 

[i)  L'abbé  Maxime  Latou  :  Vie  de  saint  Saturnin  ^  disciple  de  saint 
Pierre. 

('))  L'iibbé  Roland  :  Disserlalion  sur  l'apostolat  de  saint  Gatien ,  et 
Jehan  dk  Saint-Clavirn  :  Saint  Gatim  et  les  origines  de  iVglise  de 
Tours j  etc. 

[iV]  L'abbé  Darras  :  Saint  Denis,  Varéopagite;  Etudes  sur  les  origines 
chrétiennes  des  Gaules. 

1)  Doni  PiOLiN  :  Histoire  de  l'église  du  Mans. 

8)  L'abbé  Richard  :  Origines  chrétiennes  de  la  Gaule. 

:9^  L'abbé  Blo>'d  :  Recherches  .sur  la  date  de  l'apostolat  de  saint  Rieul. 


262  HISTOIRE 

lui  étaient  confiées  que  le  pape  saint  Clément,  l'un  des  succes- 
seurs de  saint  Pierre,  le  sacra  évèque  et  l'envoya  dans  les  Gaules 
avec  saint  Denis,  saint  Julien,  saint  Taurin,  saint  Rieul,  saint 
Saintin  et  plusieurs  autres  généreux  apôtres,  pour  y  porter  la 
lumière  de  la  foi. 

Chemin  faisant,  Lucien  et  ses  compagnons  évangéjisaient 
les  peuples,  aux  environs  de  Parme,  il  fut  arrêté,  comme  il 
prêchait,  et  jeté  dans  une  prison  après  avoir  été  accablé  de  mau- 
vais traitements.  La  nuit,  des  chrétiens  le  délivrèrent  et  lui  per- 
mirent de  continuer  sa  route.  A  Pavie,  où  nos  courageux  apôtres 
séjournèrent  pendant  quelque  temps,  ils  convertirent  un  grand 
nombre  de  paysans,  puis  ils  s'embarquèrent  pour  les  Gaules.  Us 
abordèrent  à  Arles,  où  les  fidèles,  convertis  par  saint  Trophime, 
les  reçurent  avec  joie.  Ils  choisirent  même  Tun  d'eux ,  Kieul, 
pour  remplacer  saint  Tjrophime,  qui  venait  de  mourir.  Après 
quelque  temps  d'arrêt,  nos  apôtres  poussèrent  plus  avant  et  se 
dirigèrent  vers  le  nord  des  Gaules,  où  Rieul  devait  les  rejoindre 
plus  tard.  Denis  s'arrêta  à  Lutèce,  Julien  s'en  fut  chez  les  Céno- 
mans,  Taurin  chez  les  Ebroices,  Saintin  chez  les  Meldes,  et 
Lucien  chez  les  Beilovaques. 

Nos  pères,  les  Beilovaques,  étaient  la  peuplade  belge  la  plus 
belliqueuse  et  la  plus  remuante.  Comme  ils  essayaient  sans 
cesse  de  secouer  le  joug  de  la  domination  romaine,  les  vain- 
queurs entretenaient  dans  Beauvaîs,  sa  capitale,  une  forte  gar- 
nison destinée  à  comprimer  les  soulèvements,  et  une  adminis- 
tration civile  calquée  sur  celle  de  la  mère-patrie  pour  travailler 
à  romaniser  le  pays.  Quand  Lucien  y  pénétra,  il  se  trouva  en 
rapport  avec  des  compatriotes,  la  plupart  idolâtres,  et  avec  un 
peuple  qui  détestait  sa  nation.  De  graves  difficultés  se  dressaient 
ainsi  devant  lui  pour  entraver  sa  mission.  Pour  parler  aux  Ro- 
mains de  la  religion  nouvelle,  que  les  édits  des  empereurs 
prescrivaient,  il  fallait  user  d'une  extrême  circonspection.  FI 
n'en  fallait  pas  moins  pour  la  faire  embrasser  par  un  peuple  qui 
abhorrait  tout  ce  qui  venait  du  pays  de  ses  vainqueurs.  A  force 
de  patience,  de  douceur,  d'abnégation,  par  la  pratique  de  toutes 
les  vertus  et  avec  l'aide  de  Dieu,  Lucien  sut  triompher  de  tous 
les  obstacles.  A  ses  exemples  et  à  sa  parole,  des  Romains  et  des 
Beilovaques  se  convertirent. 

Son  action  ne  se  borna  pas  à  la  ville  ;  elle  produisit  aussi  ses 


DK   L  ABBAYE   ROYALE  DE  8AINT- LUCIEN.  263 

effets  dans  les  campagnes,  r/apôtre,  quittant  les  murs  de  Beauvais, 
allait  souvent  cliercber  les  peuplades  errantes  au  milieu  de  leurs 
forêts  épaisses  et  reculées ,  où  elles  s'étaient  réfugiées  pour 
conserver  leur  indépendance  et  se  soustraire  à  la  domination 
étrangère.  Quand  il  les  avait  rencontrées,  assis  à  leur  misé- 
rable foyer,  il  leur  parlait  avec  tant  de  bonté  de  ce  Jésus  si 
doux,  si  bienfaisant,  que  les  Juifs  avaient  crucifié,  que  les 
pauvres  gens  se  jetaient  à  ses  pieds  pour  le  conjurer  de  conti- 
nuer à  les  instruire.  11  parcourut  ainsi  les  forêts  marécageuses 
du  Bray  jusqu'à  Espaubourg,  celles  du  Thérain  jusqu'à  Escames, 
les  hauteurs  qui  couvrent  !3eauvais,  au  nord,  jusqu'à  Ourcel- 
maison  et  Breteuil.  Partout  il  faisait  des  prosélytes,  les  conver- 
sions se  multipliaient,  et  de  petites  chrétientés  se  formaient. 

Pour  l'aider  dans  les  travaux  de  son  apostolat,  Lucien  se 
choisit  deux  fidèles  ministres,  du  milieu  de  ce  peuple  qu'il  avait 
converti.  Maxien  et  Julien  étaient  leurs  noms.  Il  les  forma  à  la 
grande  œuvre  de  l'évangélisation,  leur  conféra  les  ordres  sacrés 
et  se  fit  suppléer  par  eux  dans  la  diffusion  de  la  parole  sainte. 
Il  vécut  de  longues  années,  et  il  avait  la  consolation  de  voir  les 
rudes  fatigues  de  son  ministère  récompensées  par  la  multitude 
des  fidèles  qui  avaient  abandonné  les  faux  dieux  pour  Jésus- 
Christ. 

Les  prêtres  des  idoles  s'émurent  de  cette  désertion  de  leur 
culte;  ils  portèrent  plainte  au  préfet  Julien  et  appelèrent  les 
sévérités  des  édîts  impériaux  sur  la  tête  du  novateur  qui  prêchait 
la  destruction  des  dieux  de  l'empire.  Julien  détestait  le  christia- 
nisme et  n'était  pas  sans  ambition.  Il  savait  que  Fescennius 
avait  su  augmenter  son  crédit  auprès  de  l'empereur  en  persé- 
cutant la  religion  du  crucifié  à  Lutèce,  et  en  faisant  mettre  à 
mort  ses  plus  ardents  propagateur^  :  Denis,  Bustique  et  Eleu- 
thère,  et  il  était  prêt  à  saisir  l'occasion  d'en  faire  autant.  La 
dénonciation  des  prêtres  des  idoles  lui  en  fournissait  le  prétexte. 
Il  envoya  donc  de  ses  satellites  à  là  recherche  de  Lucien,  avec 
ordre  de  le  faire  apostasier  et  sacrifier  aux  dieux  de  l'empire, 
ou  de  le  mettre  à  mort  s'il  refusait. 

Lucien,  averti  de  ses  desseins,  fit  ses  adieux  aux  chrétiens 
de  la  ville,  les  exhorta  à  rester  fermes  dans  leur  foi  et  se  retira 
avec  ses  deux  compagnons  sur  une  colline  boisée  appelée  au- 
jourd'hui Monimille ,  à  une  heure  de  marche  environ  de  Beau- 


264  HISTOIRE 

vais.  Un  grand  nombre  de  fidèles  ne  tarda  pas  h  Ty  rejoindre 
pour  entendre  encore  sa  parole.  Ce  concours  de  peuple,  et  peut- 
être  la  perfidie  d'un  faux  frère  eurent  bientôt  mis  les  émissaires 
sur  la  trace  de  Tapôtre.  Ils  gravirent  la  côte  de  Montmille  et  y 
trouvèrent  Lucien  évangélisant  la  foule. 

Les  soldats  arrêtèrent  d'abord  ses  deux  fidèles  compagnons, 
Maxien  et  Julien ,  et  les  menacèrent  de  la  mort  s'ils  ne  sacrifiaient 
incontinent  aux  idoles.  Les  deux  généreux  confesseurs  refusè- 
rent énergiquement ,  et  leurs  têtes  tombèrent  sous  le  glaive  de 
ces  bourreaux. 

Cette  inique  exécution,  loin  d'intimider  Lucien,  ne  fit  que  le 
fortifier  dans  sa  résolution  de  souflrir  le  martyre  plutôl  que  de 
renier  son  Dieu.  Il  répondit  avec  fermeté  à  toutes  les  sollicita- 
tions des  sicaires  de  Julien.  Les  mauvais  traitements,  qu'on  lui 
fit  subir,  le  trouvèrent  inébranlable  dans  sa  foi.  Las ,  enfin  ,  de 
ne  rien  gagner  auprès  de  lui,  et  irrités  de  sa  constance  à  dé- 
fendre la  religion  du  Christ,  les  soldats,  pour  en  finir,  lui  tran- 
chèrent aussi  la  tête  (1). 

Une  pieuse  légende  rapporte  qu'aussitôt  après,  le  saint  mar- 
tyr ramassa  sa  tète  et,  la  tenant  dans  ses  mains,  se  mit  en 
marche  vers  la  ville  de  Beauvais.  Il  traversa  le  Thérain  à  Miau- 
roy  (2),  et  s'arrêta  sur  la  colline  opposée,  à  un  quart  de  lieue 
environ  de  la  ville.  De  charitables  fidèles  lui  donnèrent,  en  cet 
endroit^  une  honorable  sépulture,  tandis  que  les  mêmes  devoirs 


(1)  Les  trois  martyrs  eurent  la  tête  Irancbée ,  croit-on ,  au  milieu  même 
du  vfilage  de  Montmille,  dans  un  endroit  voisin  de  la  mare  actuelle  et  où 
Ton  fit  bâtir  plus  tard  une  chapelle  dite  de  la  Rosière.  Cette  cbapeile  a 
été  démolie  lors  de  la  Révolution.  Elle  portait  la  dénomination  de  la 
Rosière  p^rce  que,  suivant  une  tradition  locale,  mentionnée  par  Louvet 
{Hist.  et  Antiq.  de  Beauvais,  t.  i ,  p.  387),  des  rosiers  aux  roses  vermeilles 
poussèrent  sur  la  terre  qui  reçut  le  sang  de  saint  Lucien. 

1,2;  La  croyance  locale  assure  que  la  fontaine  de  Hiauroy  jaillit  aussitôt 
que  saint  Lucien,  traversant  le  Thérain ,  eut  mis  le  pied  sur  la  rive,  et  qu'il 
lai  donna  une  vertu  merveilleuse.  Elle  devint  bientôt  le  but  i)'"n  piMé- 
rinage  q:n  s'est  perpétué  à  travers  les  siècles.  On  bftlit,  ft  côté ,  i:ne  cha- 
pelle dédiée  a  l:i  Vierge  3Iarie ;  elle  existe  encore  aujourd'hui;  mais, 
vendue  par  la  nation  en  1792 ,  elle  est  convertie  en  grange. 


DE   L' ABBAYE   ROYALE  DE   SAINT-LUCIEX.  265 

étaient  rendus  à  ses  glorieux  compagnons  sur  la  montagne 
même  de  Monlmille,  à  quelques  pas  du  lieu  du  martyre  (i). 

Nous  n'entrerons  dans  aucvine  discussion  sur  la  valeur  hiato- 
rique  de  celte  légende.  Le  fait  qu'elle  raconte,  tout  extraordi- 
naire qu'il  soit,  n'est  pas  impossible  à  la  toute-puissance  de 
Dieu;  mais  a-t-il  véritablement  existé?  C'est  là  la  question.  Plu- 
sieurs Vies  du  saint,  imprimées  dans  les  Bollandistes  {die  wwja- 
nuarii),  le  rapportent,  le  martyrologe  du  diacre  Florus  {w  siècle) 
l'admet ,  et  Lonvet  {'/isfoire  et  antiquitfs  du  diocèse  de  Beaxivnis^ 
t.  I,  p.  3S())  le  cite;  pour  nous,  nous  l'abandonnons  à  la  légende. 
Seulement  il  est  bon  de  le  citer  pour  faire  comprendre  l'icono- 
graphie du  saint  pendant  tout  le  moyen-ftge  jusqu  à  nos  jours, 
puisque  la  sculpture  comme  la  peinture  représentent  générale- 
ment saint  Lucien  tenant  sa  tête  coupée  entre  les  mains.  Quoi- 
qu'il en  soit  de  ce  fait  extraordinaire  et  miraculeux ,  il  est  une 
chose  certaine,  c'est  qu'après  avoir  été  martyrisé  à  Monlmille  le 
corps  de  saint  Lucien  fut  Inhumé  par  les  fidèles  sur  la  colline 
du  Thîl,  à  l'endroit  où  fut  depuis  bâtie  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien  (2). 

Les  chrétiens  qu'il  avait  baptisés  se  faisaient  un  devoir  de 


(l)  Les  corps  do  saint  Haxien  et  de  saint  Julien  ont  été  inbumés  à  quel- 
ques centaines  de  pas  au  midi  de  l'endroit  où  ils  avaient  été  décapiti^s, 
dans  une  excavation  qui  est  aujourd'tiui  la  crypte  de  l'église  de  MontmUle. 
Cette  église  fut  construite  plus  tard  sur  leur  tombeau,  lors  de  la  fonda- 
tion du  prieuré  de  saint  Haxien. 

[2\  Quelques  historiens ^  après  Louvet,  ont  prétendu  que  saint  Lucien 
fut  intiumé  au  lieu  où  fut  depuis  construite  l'église  de  Notre-Dame-du- 
Thil.  Cette  asserUon  nous  parait  trop  peu  fondée  pour  être  admise.  En' 
effet,  il  est  de  fait  constant,  d'après  les  plus  anciennes  chartes  et  les  plus 
vieux  pouMlés,  que  cette;,égiise  a  toujours  porté  le  titre  de  Notre-Dame. 
Ceci  indique  qu'elle  a  été  dédiée  sous  ce  vocable.  Or,  il  est  certain 
qu'on  n'eut  pas  manqué  de  la  dédier  sous  le  vocable  de  saint  Lucien,  si 
elle  eut  été  construite  sur  son  tombeau.  D'ailleurs,  la  charte  de  Chil- 
péric  l",  relative  à  la  fondation  de  labbaye.  dit  clairement  que  l'église 
bâtie  sur  le  tombean  de  saint  Lucien  élail  dédiée  à  saint  Pierre  et  saint 
Lucien;  ce  n'était  donc  pas  celle  d^  Noire-Dame.  Celle-ci,  fort  ancienne 
du  reste,  aura  été  construite  pour  le  service  de  la  paroisse  formée  auprès 
de  ce  tombeau. 


266  niSToiRB 

visiler  son  tombeau  pour  vénérer  sa  mémoire.  Souvent  ils  ne 
pouvaient  le  faire  qu'en  secret;  mais  quand  la  persécution  se 
fut  ralentie,  ils  y  érigèrent  un  oratoire  pour  y  prier  en  commun. 
Le  grand  apôtre  du  Beauvaisis  et  son  premier  évèque  eut  dès 
lors  un  culte  (i). 

Plus  tard,  quand  les  édils  de  Constantin  eurent  rendu  la  paix 
à  l'Eglise,  un  édifice  plus  vaste  fut  construit  en  cet  endroit  et 
dédié  à  saint  Pierre  et  à  saint  Lucien.  Cette  église  était  desservie 
par  les  prêtres  et  les  diacres  qui  assistaient  Tévèque  de  Beauvais 
dans  l'exercice  de  son  ministère.  Ils  y  vivaient  en  communauté 
et  se  répandaient  dans  les  campagnes  pour  y  prêcher  la  parole 
de  Dieu.  C'était  le  prélude  de  la  grande  institution  monastique 
qui  devait  se  fonder  en  ces  lieux.  Leur  existence  fut  bien  des 
fois  troublée  par  les  continuelles  commotions  qui  agitèrent  la 
dernière  période  de  la  domination  romaine  dans  les  Gaules ,  et 
un  jour  ils  virent  fondre  sur  eux  des  hordes  de  barbares  qui 
pillèrent  leur  église  et  la  ruinèrent.  On  était  alors  au  v«  siècle. 
L'irruption  des  Vandales  (406-416)  avait  commencé  à  leur  causer 
les  plus  graves  dommages  en  dévastant  leur  petit  établissement, 
et  l'invasion  des  Huns,  sous  la  conduite  d'Attila,  y  mit  le  comble 
en  le  détruisant  complètement  (451). 

Les  ruines  de  cette  église  restèrent  abandonnées  pendant  bien 
des  années.  On  ne  pouvait  songer  à  les  relever.  Le  pays  était 


{V  Consulter  pour  la  vie  de  saint  Lucien  :  les  Bollandisles  :  Acta  sanc- 
torum,  die  yiujanuarii,  où  sont  citées,  avec  annotaUons,  deux  Vies  du 
saint,  l'une  écrito  par  un  moine  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  et  t'autre 
par  Odon,  évéque  de  Beauvais  de  802  à  881.  —Vincent  de  Beauvais: 
Spéculum  histor.,  lib.  x,  cap  25  et  26.  —  Louvet  :  Hist.  et  Antiq.  du 
Beauvaisis,  t.  i,  p.  372  etsuiv.;  t.  ii,  p.  130  —  Loisel  :  Mémoires  des 
pays,  villes,  etc.  du  BeauvaUiSf  p,  51  et  suiv.  —  Hermant  :  Histoire  de 
Beauvais,  liv.  il.  —  D.  Percheron  :  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien, 
mss.  c.  1".  —  Gallin  Christ.,  t  ix,  col.  69J.  —  Deletlrc  :  Hist.  du  dioe. 
de  Beauvais,  t.  i,  p.  22,  111  et  suiv  —  De  La  Fontaine  :  Hist.  de  Beauvais, 
t.  1 ,  p.  141.  —  A.  Sabatier  :  Vie  des  saints  du  diocèse  de  Beauvais,  p.  5.  — 
Corblet  :  Hagiographie  du  diocèse  d* Amiens  —  Baillet  :  Vie  des  saints.  — 
Giry  :  Vie  des  saints,  8  janv.  —  Ch.  Brainne  :  Les  hommes  illustres  du  dé- 
partement de  l'Oise,  t.  m ,  p.  185.  —  La  légende  du  bréviaire  de  Beauvais 
(VIII  januarii},  etc. 


DE   L*ABBATE   ROYALE  DE   SAINT-LUCIEN.  267 

trop  bouleversé»  et  la  sécurité  n'était  pas  asse7.  grande  en  dehors 
des  murs  de  la  ville  :  ce  n'était  sans  cesse  que  luttes  à  mains 
armées.  Les  Francs  faisaient  tous  leurs  efforts  pour  s'implanter 
dans  le  pays.  Ghildéric  I*"*,  leur  roi,  s'emparait  de  Beauvais 
vers  '477,  et  les  Gallo-Romains  résistaient.  Clovis  seul  put  se  les 
attacher  définitivement  par  sa  conversion  au  catholicisme  (496). 
La  paix  se  fit  alors ,  et  l'on  put  espérer»des  jours  plus  calmes. 

La  tranquillité  fut  de  courte  durée  :  la  mésintelligence  qui 
s'établit  entre  les  enfants  de  Clovis  ensanglanta  de  nouveau  le 
pays  et  le  livra  aux  horreurs  de  la  guerre  civile.  Au  milieu  de 
ces  luttes  fratricides,  les  évoques  successeurs  de  saint  Lucien 
songeaient  à  faire  sortir  de  ses  ruines  l'église  jadis  construite  à 
son  tombeau,  et  les  événements  sans  cesse  les  arrêtaient.  Pour- 
tant l'un  d'eux ,  Constantin ,  qui  administra  l'église  de  Beauvais 
de  l'an  55î>  à  l'an  560  (1),  résolut  d'en  finir.  Il  ne  voulait  pas  se 
contenter  d'une  réédification  plus  ou  moins  belle  d'un  monu- 
ment; il  avait  des  idées  plus  grandes  et  plus  élevées.  Il  forma 
le  projet  d'attacher,  à  cette  réédification,  une  institution  destinée 
à  continuer  l'œuvre  du  grand  apôtre  par  l'apostolat  de  l'exemple, 
par  la  vie  régulière,  mortifiée  et  véritablement  chrétienne  :  il 
eut  la  pensée  d'y  fonder  un  monastère. 

La  société  de  son  diocèse,  comme  celle  de  toute  la  Gaule,  était 
corrompue,  pervertie,  par  suite  de  l'occupation  romaine  et  des 
invasions  des  barbares;  la  férocité  et  la  débauche  se  donnaient 
partout  la  imain,  et  Constantin  voulait  y  remédier.  La  vie  mo- 
nastique, introduite  dans  ce  diocèse,  lui  paraissait  devoir  être 
le  moyen  le  plus  efficace  pour  obtenir  le  résultat  qu'il  déôirait. 
Il  avait  été  témoin  lui-même  ailleurs  des  heureux  effets  de  cette 
Institution,  et  il  espérait  que  son  influence  pourrait  contribuer 
à  réformer  les  mœurs  et  à  ranimer  les  quelques  étincelles  de 
probité,  d'intelligence  et  de  vertu  qui  se  trouvaient  encore  dans 
ses  diocésains.  11  voyait,  du  reste,  des  établissements  de  ce  genre 
se  multiplier  de  toutes  parts  (2). 


(1)  Delettre  :  Hist.  du  dioc.  de  Beauvais,  t.  i ,  p.  195  et  suiv. 

i%  Les  abbaye3  de  Saint-Basle  et  Saint-Tbierry,  au  diocèse  de  Reims  ; 
de  Saint-Pierre-le-Vif,  à  Sens;  de  Saint-Ouen,  à  Rouen  ;  de  Sainte-Gene- 
viève et  de  Saint-Germain-i'Auxerrois ,  à  Paris ,  venaient  d'être  fondées, 
et  Cbildebert  faisait  alors  bAtir  celle  de  SaInt-Germain-des-Prés. 


268  HISTOIRE 

Avant  de  mettre  son  projet  k  exécution,  Constantin  tint  à  s'as- 
surer l'agrément  et  le  concours  des  fils  de  Clovis.  Il  fenta  une 
démarche  auprès  de  Childebert  qui  régnait  à  Paris,  et  de  Clotaire 
qui  était  roi  de  Soissons.  Ces  princes,  malgré  l'étrange  et  odieux 
mélange  de  ruse  et  de  férocité,  d'incontinence  outrée  et  de  sau- 
vage orgueil,  qui  les  caractérisait  comme  tous  ceux  de  leur  race, 
avaient  parfois  des  sentiments  de  foi  et  de  dévouement  à  TEglise 
si  sincères  qu'il  fallait  savoir  en  profiter.  L'évêque  de  Beauvais 
sut  se  les  rendre  favorables.  Childebert  surtout,  ce  roi  monas- 
tique par  excellence,  comme  l'appelle  un  grand  écrivain  (i),  qui 
se  faisait  un  plaisir  de  fonder  des  monastères  au  retour  de  ses 
expéditions,  accueillit  Constantin  avec  la  plus  grande  bienveil- 
lance. Il  entra  complètement  dans  ses  vues,  l'encouragea  dans 
son  projet  et  lui  fit  don,  pour  l'aider,  de  plusieurs  terres  en 
Beauvaisis,  et  notamment  de  celle  de  Bulles  (2). 

Constantin  put  donc  se  mettre  à  l'œuvre.  Il  avait  à  peine  com- 
mencé quand  la  mort  l'enleva  subitement.  Childebert,  son  plus 
ferme  appui,  était  lui-même  décédé  quelque  temps  auparavant. 
L'entreprise  restait  inachevée.  Il  est  vrai  qu'un  successeur  allait 
être  donné  à  Constantin,  et  Hincbert  aurait  pu  continuer  l'oeuvre 
commencée.  Ce  n'étaient  ni  les  fonds,  ni  l'emplacement  qui 
manquaient;  mais  le  nouvel  évêque  avait  d'autres  vues  et  d'au- 
tres projets  que  son  prédécesseur,  et  la  fondation  du  monastère 
fut  abandonnée,  au  moins  momentanément.  Nous  verrons  plus 
lard  le  roi  Chllpérîc  blâmer  sévèrement  cette  négligence  (3). 

Quoique  le  premier  projet  n'eut  pas  eu  alors  son  effet,  les 
religieux  de  Saint-Lucien  n'ont  jamais  manqué  de  considérer 
ses  auteurs  comme  les  premiers  fondateurs  de  leur  monastère. 
L'ancien  obituaire  de  l'abbaye  le  disait  formellement  à  l'égard 


;l)  Montalemberl  :  Les  moines  d'Occident,  t.  ii,  p.  295. 

(2)  Simon  :  Svppl.  à  l'IIist.  du  Beauvaisis,  p.  îOl  des  fondaliuiis  Dos 
hii^toriens  ont  aUhliiK^  à  tort,  pensons-nous,  cetlo  donation  h  Childe- 
bert Ilï,  qui  vivait  du  temps  de  Constantin  H,  Ovr'quc  de  Beauvais, 
vers  ()0.">. 

(.l)  Et  ejusmodi  negotii  providentiam  supra  nominatœ  ui^bis  Episcopis 
committentes  fgenilorcs  noslrij  crediderunt,  sedilli  alia  cupientes  corn- 
mvistkm  hoc  neglcctum  reliquerunt.  —  (Cari.  Cliilpér.) 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAINT-LUCIEN  269 

de  Childeberl  :  «  KaL  januarii  obiit  Childebertus  rexy  filins 
Clodovei  régis,  et  primus  fundator  hujus  cceiwàii  (i).  »  S'il  ne 
l'ait  pas  une  mention  spéciale  de  Constantin,  c'est  que  Ton  fai- 
sait ga  mémoire  avec  celle  des  autres  évêques  do  Beauvais. 

Les  choses  restèrent  en  cet  état  juique  vers  Tan  580.  Dodon 
était  alors  sur  le  siège  de  Beauvais,  et  un  saint  religieux  nommé 
Ëvrost,  originaire  de  cette  même  ville,  gouvernait  le  monastère 
de  Saint-Fuscien ,  près  d'Amiens. 

Ce  pieux  moine,  qui  déjà  avait  fondé  une  petite  communauté 
régulière  à  peu  de  distance  de  Beauvais,  à  Oroêr,  croit-on  {t)y 
avait  une  grande  dévotion  envers  saint  Lucien ,  le  protecteur  de 
sa  ville  natale.  Dans  sa  solitude  de  Saint-Fuscien,  souvent  il 
songeait  à  ces  souvenirs  légendaires,  qui  avaient  si  vivement 
impressionné  son  enfance,  à  ces  promenades  solitaires  qu'il 
aimait  tant  à  faire  au  tombeau  désolé  du  glorieux  martyr,  à  ces 
larmes  versées,  à  ces  prières  si  ardentes,  au  milieu  de  ces  dé- 
combres, alors  qu'il  méditait  sa  retraite  du  monde,  et  ces  rémi- 
niscences lui  faisaient  se  demander  s'il  n'y  aurait  pas  moyen  de 
faire  honorer  plus  dignement  ce  tombeau ,  qui  lui  était  si  cher. 
Pourquoi,  se  disait-il,  ne  pas  reprendre  l'œuvre  tentée  par 
Constantin  ?  Il  avait  l'estime  et  la  confiance  de  Frédégonde,  la 
femme  du  roi  Chilpéric,  puisque  c'était-elle  qui  l'avait  fait  pla- 
cer à  la  tète  de  Saint-Fuscien  (3),  et  il  pouvait  espérer  son  appui 
et  son  concours.  Pourquoi  ne  pas  en  profiter  ? 

Un  soir,  que  ces  pensées  le  préoccupaient  plus  que  d'habitude 
et  qu'il  cherchait  à  prendre  un  peu  de  repos  sur  sa  rude  couche 
monacale,  saint  Lucien,  nous  dit  l'auteur  de  sa  vie,  lui  apparaît 
et  lui  ordonne  d'aller  rechercher  les  corps  des  compagnons  de 
son  martyre  (4),  qui  reposent  ignorés  et  sans  respect  sur  la  col- 


(1)  Deletlre  :  Hist  du  dioc.  de  Beauvais,  t.  i,  p.  196. 

{i)  Ibidem,  p.  212 ,  et  Graves  :  Statisl.  du  canton  de  Nivillers. 

{'Y)  Annal  bénédicL,  t.  i ,  p.  189. 

(1)  L'aatear  de  la  légende  insérée  dans  les  BoUandisleâ  fdie  xw  juliij 
ne  parle  que  du  corps  de  saint  Maxien  ;  mais  on  doit  supposer  que  le  corps 
de  saint  Julien,  qui  se  trouvait  avec  lui,  a  été  transporté  en  même  temps. 
Aucun  document  n'indique ,  du  reste ,  une  autre  translation. 


270  HISTOIRE 

Hue  de  Montmille,  pour  les  réunir  au  sien.  Evrost  obéit.  11  va 
trouver  Tévèque  de  Beauvais  et  lui  fait  part  de  l'ordre  miracu- 
leux qu'il  a  reçu.  Dodon  est  d'avis  de  commencer  aussitôt  les 
recherches.  Ils  se  mettent  en  prière  et  puis  ils  se  rendent  à 
Montmille.  La  tradition  locale  leur  fournit  des  indications;  ils 
font  creuser  la  terre,  et  bientôt  apparaissent  au  jour  les  corps 
des  deux  martyrs  (1).  Le  cœur  rempli  de  joie,  ils  bénissent  le 
Seigneur,  lèvent  de  terre  les  saintes  reliques  et  les  transportent 
solennellement  au  tombeau  de  saint  Lucien.  Les  miracles  qui 
s'opérèrent  en  cette  circonstance  ranimèrent  tellement  la  piété 
des  fldèles,  que  ce  ne  fut  qu'un  cri  dans  tout  Beauvais  pour  de- 
mander la  reconstruction  d'une  église  destinée  à  protéger  ces 
restes  vénérés. 

L'évoque  de  Beauvais  et  l'abbé  de  Saint-Fuscien  voient  dans 
cet  élan  du  peuple  le  moyen  de  conduire  à  bonne  fin  le  projet 
depuis  si  longtemps  en  souffrance,  ils  vont  trouver  le  roi  Cliil- 
péric,  lui  rappellent  ce  que  ses  prédécesseurs  ont  déjà  fait  pour 
cette  église  et  lui  demandent  de  confirmer  les  actes  émanés  de 
leur  autorité  à  ce  sujet,  et  d'ordonner  qu'il  soit  donné  suite  à 
l'entreprise.  Chilpéric,  qu'une  grave  maladie  et  la  perte  de  deux 
de  ses  enfants  venaient  d^  rappeler  à  des  sentiments  plus  chré- 
tiens que  ceux  qui  ranimaient  d'habitude,  se  montra  favorable 
au  projet  et  tinta  honneur  d'y  attacher  son  nom.  Pour  que  per- 
sonne ne  pût  douter  de  ses  intentions,  il  fit  ausssitôt  délivrer 
un  diplôme  royal  signé  de  sa  main.  Evrost  et  Dodon  voyaient 
enfin  leurs  vœux  près  d'être  réalisés. 

Cette  pièce  a  été  fort  contestée,  et  nous  en  examinerons  plus 
loin  l'authenticité  et  la  valeur.  En  voici  la  traduction  (â)  : 

u  Chilpéric,  roi  des  Francs,  homme  illustre.  Comme  nous  de- 


(1;  Les  deux  corps  saints  étaient  inhumés  on  peu  en  avant  et  sous  la 
pierre  qui  sert  de  palier  à  l'autel  de  la  crypte  de  l'église  de  Montmille.  Le 
carrelage  exécuté  en  1859  a  permis  de  constater  l'existence  de  l'excavation 
faite  pour  recevoir  les  corps. 

(2)  Chilpericus  Rex  Francorum  vir  illuster.  Cûm  et  in  hoc  vitâ  brevi 
lempore  maneamtis  et  ad  mortem  ineffugabiliter  properemws,  oportet  ut 
volunlalem  Domini  faciamus,  et  Ecclesias  vel  sanctorum  venerabilium 
loca  devotè  construt^nits ,  ut  inperpetuvm  cu/m  ipsis  gaudere  valeamus  : 


DB   l'abbaye  royale  DE   SAINT- LUCIEN.  271 

a  meurons  peu  de  temps  en  cette  vie,  et  que  nous  avançons  ra- 
a  pidement  vers  la  mort,  sans  pouvoir  l'éviter,  nous  devons 
a  faire  la  volonté  du  Seigneur  et  construire  des  églises  aux  lieux 
«  où  sont  honorés  les  saints,  pour  mériter  de  partager  avec  eux 
a  les  joies  de  l'éternité.  En  remplissant  ce  devoir  de  piété,  nous 
a  ne  pouvons  douter  que  nous  ne  soyons  agréables  à  Dieu  et  ne 
<c  méritions  de  régner  éternellement  avec  les  saints. 

tt  En  conséquence,  que  tous  présents  et  à  venir,  que  tous 
«  les  agents  de  notre  royaume  sachent  qu'autrefois,  lors  des 
«  irruptions  des  païens  sur  les  terres  des  Francs,  des  églises  ont 
«  été  détruites,  et  un  grand  nombre  de  monastères  dépeuplés  et 
«  ravagés.  Notre  intention  bien  arrêtée  était  de  réparer  ces 
«  ruines,  aussitôt  que  nous  le  pourrions,  quand  le  vénérable 
«  évèque  de  Beau  vais,  le  seigneur  Dodon,  et  notre  bien-aimé 
«  Evrost ,  abbé,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  nos  fidèles  sujets, 
«  sont  venus  vers  notre  sérénité,  et  nous  ont  supplié,  pour  notre 
«  salut  et  pour  la  conservation  de  notre  royaume,  d'user  des 
a  largesses  de  notre  munificence  royale  pour  faire  réédifier  une 
«  église,  qui  avait  été  jadis  construite  près  des  murs  de  Beau- 
«  vais,  en  l'honneur  du  bienheureux  Pierre,  prince  des  apôtres, 
a  et  de  saint  Lucien,  martyr,  que  les  païens  avaient  pillée  et 
«  détruite,  et  de  la  placer  à  perpétuité  sous  notre  protection  et 


hcBC  enim  facientes,  Deo  veto  sint  dubio  placere  poterimus,  et  cum  sanctis 
inperpetuum  regnare.  Igitur  notum  fnt  prœsentibus  et  futuriSt  omnibtts 
sciliceLagentibtbS  regni  noslri,  quod  oUm  paganis  irruentibus  in  Fraii- 
corum  terras,  eccUsiœ' desiructœ  nionasteria  quamplurima  depopulata 
atque  vastata  8\Mt,  ad  quœ  reœdificanda  cum  noster  animuSf  si  facuUas 
assit,  prompttbs  omnino  fuerit,  domnus  Dodo  Bellovacensium  venerabiUs 
episcopitSt  atque  carissimus  noster  Ebrulfus  abbas,  cum  aliis  quamplu- 
rimis  fidelibus  nostri  regni,  adierv/nt  serenitatem  noslram ,  obsecrantes 
ut  quamdam  eeclesiam,  quœ  ab  antiquis  in  honore  beati  Pétri  apostolo- 
rum  principis  et  sancti  Luciani  martyris ,  prope  muros  Bellovacœ  urbis 
fuerat  constr'acta,  sed  postea  quâdam  paganorum  irruptione  vastata  at- 
que destructa  est,  pro  sainte  nostrâ  et  totius  regni  nostri  conservations , 
nostrû  munificentia  et  largitate  reosdi/icare  juberemus,  et  eam  nostrâ 
dUione  nos  et  no$tri  suceessores  imperpetuum  tueremw.  Et  ideo  mnximèt 
quoniam  hanc  eamdem  eccUsiani  genitores  nostri  dalis  quarumdam  sua- 
rum  possessionum  reddUibus  ad  meliorem  statum  quondam  reducere  tfo- 


272  IIISTOIBE 

«  SOUS  celle  de  nos  successeurs.  Nous  avons  d'autant  plus  volon- 
«  tiers  accédé  à  cette  requête,  que  déjà  nos  ancêtres  avaient 
«'  affecté  les  revenus  de  quelques-unes  de  leurs  propriétés  pour 
«  remettre  cette  église  en  meilleur  état.  Ils  avaient  laissé  le  soin 
«  d'exécuter  leurs  intentions  aux  évèques  de  ladite  ville;  mais 
«  ceux-ci  avaient  d'autres  désirs  et  d'autres  vues,  et  négligèrent 
«  l'œuvre  dont  ils  étaient  chargés.  Ce  qui  nous  excite  le  plus 
«  vivement  à  exécuter  cette  restauration,  c'est  le  récit  qui  nous 
«  a  été  fait  dernièrement  que  le  glorieux  martyr  saint  Lucien 
«  est  apparu  à  Evrost  et  l'a  pressé  de  retirer  de  Montmille,  où  il 
«  gisait  ignoré,  le  corps  de  saint  Maxien,  qui  avait  partagé  la 
«  gloire  de  son  martyre ,  et  de  le  déposer  à  côté  de  lui  dans  la 
«  même  église;  et  que,  depuis  l'exécution  tle  cet  ordre,  beau- 
«  coup  de  miracles  éclatants  se  sont  opérés  par  l'intercession 
«  de  ces  saints  martyrs.  C'est  pourquoi,  vu  la  justice  et  l'utilité 
«  de  la  requête  qui  nous  a  été  présentée,  en  vertu  de  notre  au- 
«  torité  royale,  nous  ordonnons,  par  la  teneur  de  ces  présentes, 
«  que  l'église,  autrefois  bâtie  près  des  murs  de  Beauvais,  en 
<•  l'honneur  du  bienheureux  Pierre,  prince  des  apôtres,  et  du 
«  martyr  saint  Lucien,  dont  le  corps  y  repose,  soit  réédiflée  par 
«  la  munificence  de  notre  libéralité  et  appropriée  au  service  du 
c(  Dieu  tout-puissant,  et  qu'une  communauté  de  cénobites  y  soit 


lueruntf  et  hujusmodi  negotii  providentiam  jam  supra  nominatœ  urbis 
ejnscopis  conimiltentes  crediderunt,  sed  illi  aWi  cupientes  cômmissum 
hoc  neglectum  reliquerunt.  Nos  itaque  ad  id  peragendum  invitât  perma^ 
ûcimè  quod  hiis  diebus  noslris  sanctus  Lucia7ius  martyr  Domini  gloriosus 
jam  superius  dicto  Ebrutfo  abbati  per  visionem  apparuit,  et  ut  sariclum 
Maxianum ,  qui  adhuc  in  Monte  Milio  la,tebat ,  et  illius  conwrtio  pro 
Christo  cœsum  de  abdito  sublevaret,  et  secum  in  eâdeni  ecclesiâ  conderetf 
rogavit;  ubi  ex  eâ  die  quâjussio  istaprracla  est,  multaet  prœclara  inira- 
cula  per  sanctos  illos  martyres  inillo  loco  demonstrantur  îgiiur  quia 
petitio  justa  et  utilis  existit.  nos  nostram  auctoriiatern  prœHantes ,  per 
hanc  decreti  nostrx  pagtnam  dectrnimus  atqve  robommus,  ut  ecdesia  in 
honore  beati  PetH  apostolorum  prinn^iis  et  sancli  Luciard  martyris,  ubi 
ipse  sanctus  in  corpore  quiesàt.  qvœ  est  propè  mtiros  Bellovacœ  urbis, 
nostr-œ  Uberalitatis  munifiventiâ  reœdificetur,  et  ut  famulatibus  omnipo- 
tenlis  Domini  aptetur,  atque  cœnobitœ  Deo  famulanles  ibi  congrtgenturt 
ita  tamen  ut  in  perpetuwn  sub  nostrâ  noslrorumque  successorum,  regun 


DE   L*ABBATE   ROYALE   DE   SAINT-LUCIEN.  273 

«  établie  pour  vaquer  au  service  divin,  de  telle  manière  cepen- 
•  dant  que  ce  lieu  et  Téglise  qui  y  sera  construite  soient  et  de- 
«  meurent  à  toujours  sous  notre  protection  et  sous  celle  des  rois 
u  des  Francs  nos  successeurs,  et  qu'il  ne  soit  permis  à  personne 
tt  de  jamais  la  confier  ni  la  soumettre  à  aucune  autre  puissance 
«  séculière.  Si  quelqu'un,  ce  que  nous  ne  pouvons  croire,  osait 
«  agir  contrairement  à  ce  présent  décret,  et  violer  ces  disposi- 
«  tions  que  nous  avons  édictées  au  nom  et  pour  l'amour  de  Dieu, 
«  qu'il  encoure  la  colère  du  souverain  juge,  qu'il  soit  dépouillé 
tt  de  tous  ses  biens  et  banni  du  royaume.  Et  afin  de  donner  plus 
a  de  force  à  ce  décret  de  notre  sérénité,  nous  l'avons  faitmar- 
«  quer  du  sceau  de  notre  anneau  royal  et  l'avons  signé  de  notre 
«  main.  » 

Puis  suivent  les  signatures  de  Chilpéric,  glorieux  roi,  et  d'Ellri- 
tus,  écrivain  du  palais,  et  la  date  de  l'an  de  l'incarnation  dcvi, 
indiction  ix,  avec  la  mention  la  xxip  année  du  règne  de  Chil- 
péric, à  Rouen,  en  assemblée  générale,  le  m  des  nones  du  mois 
de  mai. 

Cette  charte,  l'une  des  plus  importantes  de  celles  concernant 
l'abbaye  de  Saint-Lucien,  parce  qu'elle  constate  sa  fondation 
royale,  a  vivement  exercé  la  sagacité  des  savants.  Un  certain 


videlicet  Francorum^  ipse  locus  et  ecelesia  œnsistat  jurisdictione  ^  nec 
eam  aliquis  alicui  aliquâ  pole&taU  seculari  prœdUo  credal  vel  subdat. 
Si  quis  autem^  quod  minime  credimtis,  contra  hoc  noslrœ  sanciionis 
decretum  aliter,  quàm  à  nobis  dictatum  est  y  agere  voluerit  et  hoc  prœ- 
cepium  nostrum  temerè  attemptaveril  ^  iram  summi  Juditis,  pro  cvjus 
nomine  et  amore  nos  ista  roboravimus ,  incurrat,  et  quantamcumque 
possessiomm  habere  videtur,  legibus  amiltett  et  insuper  exul  et  pro- 
fugus  a  potestate  totius  regni  no$tri  fugiens  recédât,  Quodquidem  sereni- 
tatis  nostrœ  decretum,  ut  pleniorem  vigorem  obtineat^  annuH  nostri  im- 
pressione  astipulari  fedmus ,  alque  manu  propriâ  subsignantes  robora^ 
vimus. 

t  Signum  Chilperici  gloriosi  régis. 

Ego  EUritus  Palatinus  scriptor  recognovi 

Datum   anno  Dominicœ  incamationis  dcvi,  indiclione  ix, 
regni  Chilperici  régis  xxn. 

Actum  Rotomagi  in  generali  conventu,  m  nonas  mensis  maU, 
T.  VIII.  iS 


274  HISTOIRE 

nombre  d'entre  eux,  avec  le  P.  Papebroch  et  God.  Hermant  (1), 
ont  contesté  son  authenticité  sur  l'inspection  de  la  mention  in- 
diquant la  date.  Elle  marque,  disent-ils,  les  années  à  partir  de 
rincarnation,  et  les  rois  mérovingiens  n'employaient  pas  cette 
manière  de  supputer  le  temps,  mais  comptaient  les  dates  par 
les  années  de  leur  règne.  En  outre,  elle  donne  Tan  G06,  indiction 
neuvième ,  comme  étant  la  vingt-deuxième  année  du  règne  de 
Ghilpéric.  Or,  Chilpéric  ayant  commencé  à  régner  en  r^l,  la 
vingt-deuxième  année  de  son  règne  concorde  avec  Tan  583,  in- 
diction première,  et  non  avec  Tan  G06;  d'ailleurs,  Chilpéric  mou- 
rut en  o8i,  et  ne  pouvait  délivrer  de  diplôme  en  606.  Ces  objec- 
tions sont  graves  assurément  et  de  nature  à  faire  douter  de  l'au- 
thenticité de  la  pièce.  Dom  Mabillon  et  dom  Ruinart  ne  dédai- 
gnèrent pas  de  venir  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien  pour  examiner 
cette  charte  et  se  rendre  bien  compte  de  la  difficulté  (2). 

A  la  première  inspection,  les  deux  savants  bénédictins  recon- 
nurent que  l'encre  et  récriture  de  la  date  dcvi  indict,  ix%  étaient 
bien  moins  anciennes  que  celle  du  corps  de  l'acte,  et  leur  opi- 
nion fut  qu'il  en  était  de  cette  charte  comme  de  beaucoup  d'au- 
tres qu'ils  avaient  eues  à  examiner,  la  date  manquant,  ou  étant 
devenue  illisible  pour  une  cause  quelconque,  une  main  malavisée 
et  plus  récente  l'avait  datée  ou  avait  essayé  de  restituer  la  date 
pour  en  faciliter  le  classement.  Mais  à  leurs  >eux,  cette  addition 
maladroite  ne  constituait  pas  un  motif  suffisant  pour  rejeter  cette 
pièce  comme  fausse,  attendu  qu'elle  présentait  d'ailleurs  tous 
les  caractères  d'authenticité  les  plus  incontestables.  Nous  ne  se- 
rons pas  plus  sévères  qu'eux  (3). 

Au  surplus,  cette  charte  futvidimée  et  confirmée,  en  1283,  par 
le  roi  Philippe  le  Hardi,  qui  en  admit  la  véracité  sans  conteste. 

Forts  de  cette  approbation  publique  du  roi  Chilpéric ,  Dodon 


(1)  God.  Hermant:  Hist.  deBeauvais,  liv.  ii,  ch.  32*. 

(2)  Cet  examen  eut  lieu  le  16  septembre  1707,  en  présence  des  chanoines 
Le  Gat  et  Le  Magnier,  et  de  M.  Le  Sceilier,  élu  de  Beau  vais. 

(3)  Voir  sur  cette  question  :  D.  Percheron  :  Histoire  de  l'abbaye  de 
Saint-Lucien  y  ch.  iv.  —  Annales  benedict.,  l.  i,  p.  189.  —  Delellre  :  Hist. 
du  diocèse  de  Beauvais,  i ,  220.  —  Simon  :  Correct ,  p.  2.  —  Le  Cointe  : 
Annales  —  BoUand.  :  Acta  sanctorum,  die  xxv  juUi,  S.  Ebrulfus. 


DE   l'abbaye  royale  DE   SAINT-LUCIEN.  275 

et  Evrost  n'avaient  plus  qu'à  mettre  la  main  à  l'œuvre.  Le  peuple 
était  excité  par  les  nombreux  miracles  qui  s'opéraient  au  tom- 
beau des  saints  martyrs,  et  l'on  était  certain  d'avoir  son  concours. 
Il  n'y  avait  plus  à  hésiter.  Les  travaux  sont  donc  ordonnés,  le 
peuple  enthousiasmé  les  pousse  avec  activité;  les  ruines  sont 
déblayées,  les  murs  sortent  de  terre,  et  bientôt  une  église  im- 
posante s'élève ,  tandis  qu'autour  d'elle  se  groupent  les  bâti- 
ments claustraux  nécessaires  à  l'existence  d'une  communauté 
religieuse.  Quand  tout  fut  préparé,  Evrost,  choisissant  les  moines 
les  plus  fervents  de  Saint- Fuscien  et  de  l'Oratoire,  s'envient 
avec  eux  trouver  l'évéque  de  Beauvais  et  le  prie  de  les  bénir. 
Dodon  était  au  comble  de  la  joie,  ses  vœux  allaient  être  accom- 
plis. Il  bénit  avec  effusion  le  saint  abbé  et  son  petit  troupeau, 
et,  l'accompagnant  avec  son  clergé  et  tout  le  peuple  qui  le  suit, 
il  conduit  la  pieuse  colonie  jusqu'à  l'établissement  où  elle  va 
désormais  se  consacrer  au  service  du  Seigneur.  Il  fait  solennel- 
lement la  dédicace  de  l'église.  Les  tombeaux  des  saints  martyrs, 
de  saint  Lucien  et  de  ses  compagnons,  sont  visités;  leurs  restes 
vénérés  sont  levés  du  lieu  où  ils  reposaient  et  transportés,  avec 
toute  la  pompe  que  l'enthousiasme  d'un  peuple  peut  déployer, 
jusque  dans  la  nouvelle  église,  où  l'évéque  les  dépose  sous  le 
maltre-autel.  Puis  Dodon  bénit  les  autres  édifices,  où  la  vie  mo- 
nastique va  désormais  s'écouler,  et  met  les  moines  en  possession 
de  leurs  cellules.  Ceci  se  passait  le  xvii  des  calendes  de  novembre 
(16  octobre).  Les  annales  de  l'abbaye,  ni  l'ancien  martyrologe 
de  Beauvais,  qui  relatent  le  fait,  ne  nous  indiquent  l'année; 
mais  ou  pense  que  ce  fut  vers  l'an  585;  ce  ne  put  pas  être  du 
moins  à  une  date  postérieure. 

Louvet  {HUt,  et  Antiq,  du  BeauvaisU,  1. 1,  p.  75)  attribue  le  plan 
des  constructions  à  un  moine  nommé  Gautier,  et  l'exécution  de 
l'œuvre  à  un  maître  maçon  du  nom  de  Yirembolde.  Il  cite  à 
l'appui  de  son  assertion  le  texte  suivant  des  anciennes  annales  de 
l'abbaye  :  Hi  reges  eccleHam  irruptione  paganorum  destructam, 
idest  Hunnorum ,  sumptibus  propriis  repardrunt,  Vuirmboldi  ce- 
mentarii  construotoris  opère,  et  Galteri  monachi  professi  edifica- 
toris.  C'est  une  erreur;  ces  hommes  ont  été  seulement  les  auteurs 
de  la  reconstruction  faite  en  1090 ,  comme  nous  le  dirons  plus 
tard.  C'est  un  détail ,  d'ailleurs ,  auquel  nous  n'accordons  pas 
une  excessive  importance. 


276  HISTOIRE 

Après  des  essais  infructueux,  le  monastère  était  enfin  fondé. 
Il  prit  le  nom  de  Saint-Lucien,  le  nom  du  glorieux  martyr  en 
riionneur  duquel  il  était  élevé. 

Le  nouvel  institut  fut  soumis  à  la  règle  de  saint  Benoit,  que 
saint  Maur,  l'un  des  disciples  du  grand  patriarche  de  la  vie  mo- 
nastique, venait  d'introduire  dans  les  Gaules.  Le  fut-il  dès  le 
premier  instant  de  son  existence?  Nous  n'oserions  l'affirmer,  car 
un  certain  nombre  de  monastères  de  cette  époque  n'adoptèrent 
pas  immédiatement  celte  règle.  Les  auteurs  de  la  vie  de  saint 
Maur  disent  bien  qu'il  vit  avant  sa  mort  (^81)  plus  de  cent  vingt 
monastères  embrasser  la  règle  qu'il  avait  apportée.  L'abbaye  de 
Saint-Lucien  pourrait  être  de  ce  nombre;  c'est  même  très-pro- 
bable, quoique  les  documents  positifs  nous  fassent  défaut  pour 
le  prouver.  Mais  le  fut-il  véritablement?  Nous  n'oserions  l'affir- 
mer absolument,  quoique  pourtant  nous  soyions  assez  porté  à 
le  croire.  11  est  certain,  en  effet,  que  la  règle  bénédictine  fut  en 
vigueur  à  Saint-Lucien  bien  avant  le  xp  siècle,  et  il  n'est  pas 
probable,  d'ailleurs,  que  Dodon  et  Evrost,  qui  avaient  vu  défi 
monastères  régis  par  cette  règle,  se  fussent  complètement  sous- 
traits à  l'enthousiasme  qui  portait  vers  elle.  Aussitôt  après  son 
apparition  à  Glanfeuil,  presque  tous  les  monastères  nouvelle- 
ment fondés  l'adoptaient;  pourquoi  celui  de  Saint-Lucien  ne 
l'aurait-il  pas  fait? 

Suivons  maintenant,  pas  à  pas,  la  vie  de  ce  grand  établisse- 
ment et  racontons  les  divers  événements  qui  ont  émaillé  sou 
existence  pendant  les  douze  siècles  qui  se  sont  écoulés  depuis 
sa  fondation  jusqu'à  sa  ruine  et  à  sa  suppression.  Nous  savons 
à  Tavance  que  bien  des  obscurités  et  des  lacunes  nous  attendent; 
nous  tâcherons  d'cclaircir  les  unes  et  de  suppléer  aux  autres  le 
moins  mal  que  nous  pourrons. 


•z. 


DEUXIÈME   PARTIE. 


ANNALES    DU   Ay^NASTÈRË   DE   SAINT-LUCIEN 

t=îo\iB    l'Rclministration   cln   î=;e53  (\i>yyô^. 


Une  communauté  religieuse  était  fixée  à  Saiftt-Lucien;  de  pieux 
cénobites  y  consacraient,  dans  la  retraite,  leurs  journées  et  leurs 
veilles  au  service  de  Dieu  par  la  prière,  et  à  rédificatlon  de  leurs 
frères  par  la  pratique  de  la  vertu.  A  la  lète  de  ces  hommes,  il 
fallait  un  chef,  il  fallait  un  supérieur,  qui  eût  la  haute  direction 
des  exercices  et  des  consciences,  pour  fermer  tout  accès  à  la  fan- 
taisie et  à  Tarbitraire.  Il  y  en  eut  un  assurément,  mais  quel  fut- 
il?  Quel  fut  le  premier  abbé  de  Saint-Lucien?  L'histoire  reste 
muette.  La  plupart  des  documents  concernant  les  premiers  temps 
de  cette  abbaye  ont  disparu  dès  avant  le  w"  siècle,  par  suite  des 
invasions  et  des  guerres,  et  il  n'est  pas  facile  aujourd'hui  d'é- 
claircir  l'obscurité  qui  en  résulte. 

Des  historiens  recommandables  (1)  pensent  que  ce  premier 
abbé  fut  Evrost.  Il  ne  quitta  pas  pour  cela,  disent-ils,  le  gouver- 
nement de  roratoire  ni  celui  de  Saint-Fusclen  :  l'activité  de  son 
xèle  lui  permettait  de  remplir,  avec  exactitude  et  succès,  la  triple 
charge  qui  lui  était  dévolue.  Nous  aimerions  assez  partager  cette 
opinion,  si  elle  était  d'accord  avec  la  tradition  de  l'abbaye  de 


;l)  Delettre  :  Hift.  du  dioc,  de  Beauvais,  l.  i,  p.  Ï2l.  —  Sabatier  -.  Vie 
dei  saints  du  dioc.  de  Bcantais,  p.  '2.51.  —  L'abbé  Corblet  :  Hagiographie 
du  dioc.  d'Amiens,  t.  i ,  p.  601.  —  Les  aulears  da  Propre  do  Bréviaire  de 
Beaavais,  Imprimé  en  IR55. 


278  HISTOIRE 

Saint-Lucien.  Le  cumul  des  emplois  ne  nous  arrêterait  pas;  il  était 
ordinaire,  à  cette  époque.  Nous  comprendrions  aisément  que  l'in- 
térêt, la  reconnaissance  et  une  quasi-justice  eussent  appelé  Evrost 
à  la  tête  de  cette  maison,  après  tout  ce  qu'il  avait  fait  pour  sa 
fondation  et  pour  la  peupler  de  religieux.  La  considération  dont 
il  jouissait  auprès  de  Frédégonde,  la  femme  de  Chilpéric,  recom- 
mandait d'ailleurs  ce  choix.  Mais  pourquoi  la  tradition  du  mo- 
nastère ne  ra-t-elle  jamais  mis  au  catalogue  de  ses  abbés?  On 
lui  rendait  un  culte  public,  mais  on  ne  le  considérait  pas  comme 
le  premier  abbé.  Cette  abstention  parut  suffisante  à  l'historien  de 
cette  abbaye  (1)  pour  rejeter  son  gouvernement,  et  aux  auteurs 
du  Gai  fia  Chrisiiana  (t.  ix,  p.  780)  pour  ne  pas  l'admetlre  au 
nombre  des  abbés.  Pourtant,  la  tradition  de  l'église  de  Beauvais 
était,  dit-on,  que  saint  Evrost  avait  été  le  premier  abbé  de  Saint- 
Lucien,  et  les  savants  membres  de  la  commission  chargée  de 
l'élaboration  du  Propre  du  Bréviaire  de  Beauvais,  imprimé  en  185r> 
par  ordre  de  Msi*  Gignoux,  n'ont  pas  hésité  à  lui  donner  celte 
qualification.  On  peut  l'admettre  certainement,  mais  nous  avoue- 
rons que  le  doute  est  aussi  permis. 

Il  est  incontestable  que  saint  Evrost  est  le  fondateur  de  la  vie 
monastique  dans  le  diocèse  de  Beauvais.  Le  premier,  il  avait 
réuni ,  à  Oroër,  un  certain  nombre  de  pieux  cénobites  et  y  avait 
fondé  l'Oratoire,  où  ses  restes  reposèrent  après  sa  mort.  11  con- 
tribua plus  que  personne  à  la  fondation  de  Saint-Lucien,  et, 
s'il  n'eut  pas  en  main  l'administration  supérieure  du  monastère, 
il  a  dû  puissamment  l'aider  des  conseils  de  son  expérience.  Les 
premiers  progrès  de  cette  communauté  peuvent  bien  lui  être 
attribués  :  il  ne  serait  pas  naturel  que  l'enfant  de  ses  œuvres 
eût  échappé  à  son  influence;  mais  cela  ne  tranche  pas  la  ques- 
tion, que  nous  laissons  indécise. 

Après  la  mort  de  saint  Evrost,  qui  arriva  vers  l'an  598,  le 
25  juillet,  M.  Delettre  (2)  dit  que  la  direction  de  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien  fut  confiée  à  Marin  ou  Maurin.  Cet  historien  appuie  son 
assertion  sur  Louvet  (3) ,  qui  cite  un  passage  de  Pierre  de  Ve- 


(1)  D.  Percheron  :  EisL  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  mss.,  ch.  5 

(2)  Delettre  :  Hist.  du  dioc.  de  Beauvais,  t.  i ,  p.  224. 

(3)  Louvet  :  Hist.  et  Ànt.  de  Bea^wais,  t.  ii ,  p.  13-2. 


DB   L'ABBAYB   royale  DE   SAINT-LUCIEN.  279 

Dise  (1),  où  il  est  fait  mention  d'un  certain  Marinus,  abbasBoba» 
c€7}sis,  Louvet,  corrigeant  le  texte,  suppose  qu'il  doit  y  avoir 
abbas  Behacensis,  La  correction  de  ce  texte  est  nécessaire,  il  est 
vrai  ;  mais  l'auteur  des  Jntiguitês  du  pays  de  Beauvais  n'a  pas 
été  heureux  en  la  faisant,  comme  le  remarque  D.  Porcheron  (2), 
attendu  qu'il  n'existait  pas  d'abbaye  de  Beauvais,  et  que  celle  de 
Saint-Lucien  n'a  jamais  eu  cette  dénomination.  C'est  abbas  Bo- 
danensis,  abbé  de  Bévon,  au  diocèse  de  Sisteron,  qu'il  faut  lire-, 
le  Gallia  Christiana  (3)  le  corrige  ainsi.  Ce  Marinus^  d'ailleurs, 
vivait  en  Tan  509.  et  Louvet  le  reconnaît;  mais  alors  il  est  im- 
possible qu'il  ait  pu  être  abbé  de  Saint- Lucien  en  598;  il  eut  été 
trop  vieux.  Nous  ne  parlons  pas  de  lui  pour  Saint-Lucien  en 
Tan  509,  puisque  le  monastère  n'existait  pas  encore  à  cette 
époque.  Louvet  aurait  dû  prévoir  cette  difficulté.  En  598,  il  au- 
rait été  beaucoup  plus  que  centenaire,  et  M.  Delettre  aurait  dû 
voir  cela.  L'existence  de  Marin,  comme  abbé  de  Saint-Lucien, 
nous  parait  ainsi  plus  incertaine  encore  que  celle  de  saint  Evrost. 
Le  catalogue  des  abbés  dressé  dans  ce  monastère  n'en  fait  du 
reste  aucune  mention. 

Mais  qui  donc  alors  a  gouverné  cette  abbaye?  Sont-ce  lesévè- 
ques  de  Beauvais,  comme  l'a  prétendu  Louvet  (4)?  Nous  savons 
que  plusieurs  historiens  sérieux  ont  soulenu  cette  opinion  (5); 
mais  leur  autorité  ne  nous  paraît  pas  suffisante  pour  la  faire 
admettre,  quand  des  documents  certains  militent  contre  elle. 

M.  Delettre,  après  avoir  dit  qu'originairement  ce  monastère 
avait  été  administré  par  des  abbés,  avait  trouvé  un  moyen  assez 
ingénieux  pour  passer  à  l'opinion  qui  le  fait  gouverner  par  les 
évèques.  Il  fait  devenir  son  abbé  Marin,  évèque  de  Beauvais, 


m  Pierre  de  Venise  :  Db  naialibus  Scmctar. 

(2)  Hist.  de  l'abb.  de  Saint-Lucien^  mss.,  c.  5. 

(3)  Gall.  Christ,  y  l.  i,  col.  506. 

(4)  T.  I ,  p.  417.   . 

i5)  Voir  :  De  La  Fontaine  :  Hist.  de  Beauvais,  t.  i ,  p.  320.  —  Delettre  : 
Hist.  du  dioc.  de  Beawj.y  t.  i,  p.  326.  —  Le  docteur  Daniel  :  NoUee  sur 
l'ancienne  abbaye  de  Saint-Lucien  (X,  viii  des  Hémoires  de  la  Société  des 
Antiquaires  de  Picardie). 


280  HISTOIRE 

vers  Tan  GIO,  après  la  mort  de  Dodon.  Citons  le  textuellement  : 
«  Marin  réunit  le  siège  abbatial  à  la  chaire  épiscopale;  il  devint 
«  évoque  de  Beauvaîs  sans  cesser  d'être  abbé  de  Saint-Lucien, 
«  de  sorte  que  Tabbaye  ne  s'aperçut  point  qu'elle  eût  ri«n  perdu, 
«  tandis  que  le  diocèse  se  réjouissait  d'être  gouverné  par  un  si 
tt  digne  évoque.  Cette  union,  que  la  reconnaissance  et  Taffection 
0  avaient  opérée,  fut  ensuite  maintenue  par  les  successeurs  de 
«  Marin,  et  l'abbaye  de  Saint-Lucien  ne  fut  replacée  sous  Tau- 
«  torité  d'un  abbé  distinct  de  Tévêque  que  vers  le  milieu  du 
«  XI*  siècle.  Jusque  là,  nous  verrons  les  évèques  s'occuper  direc- 
M  tement  des  intérêts  de  ce  monastère,  n 

Ce  raisonnement  nous  parait  supposer  des  faits  qui  sont  loin 
d'être  prouvés.  Quoiqu'il  y  ait  eu,  à  celte  époque,  un  évêque  de 
Reauvais  du  nom  de  Marin,  il  ne  s'en  suit  pas  qu'il  ait  éfé  au- 
paravant abbé  de  Saint-Lucien,  surtout  lorsqu'aucun  document 
certain  ne  le  démontre.  Les  évêques  de  Reauvais  ont  bien  pu 
porter  un  très- vif  intérêt  à  cet  établissement,  le  protéger  et  user 
de  leur  influence  pour  améliorer  sa  situation  temporelle;  ils  ont 
pu  même  parfois  fixer  leur  résidence  dans  son  enceinte,  et  nous 
admettons  qu'il  en  a  été  ainsi;  mais  il  n'en  faut  pas  conclure 
qu'ils  aient  pris  le  gouvernement  de  la  maison  en  leurs  mains. 
Ce  fait,  ainsi  que  le  font  remarquer  les  auteurs  du  GalUa  Chris 
tiana  (i),  eut  été  tout-à-fait  contraire  à  la  discipline  de  l'époque, 
et  n'a  pas  eu  lieu  puisque  l'on  retrouve  des  noms  d'abbés  qui 
administraient  alors  le  monastère.  Nous  rejetterons  donc  «ivec 
eux,  comme  avec  D.  Porcheron,  l'opinion  qui  voudrait  que 
Saint-Lucien  ait  été  gouverné  par  les  évoques  de  Reauvais  pen- 
dant les  six  premiers  siècles  de  son  existence. 

Notre  sentiment  est  que  le  monastère  de  Saint-Lucien,  comme 
presque  tous  les  autres  établissements  de  ce  genre,  a  été  primi- 
tivement administré  par  des  abbés.  Les  documents  qui  consta- 
taient les  divers  actes  de  leur  administration  ayant  été  détruits 
lors  des  invasions  normandes,  nous  sommes  dans  l'impossibi- 
lité de  retracer  leur  vie,  même  de  citer  leurs  noms  à  tous  et 
l'époque  à  laquelle  ils  ont  vécu;  mais  le  silence  ne  s'est  pas  fait 
pourtant  tout-à-fait  autour  d'eux.  D'anciens  nécrologes  ont  sauvé 


(1)  T.  IX,  col  779. 


DE  l'àBBAYE  royale  DE   SAINT-LUCIEN.  281 

de  Toubli  quelques-uns  de  ces  noms.  Ainsi,  on  voyait  cité  dans 
un  très-ancien  nécrologe  de  l'abbaye ,  au  m  des  nones  de  jan- 
vier, un  Warin,  ai)bé;  Antelme,  au  vu  des  ides  du  même  mois; 
Waston,  au  xii  des  calendes  de  mars;  Robert,  au  ix  des  calendes 
d'avril,  et  l'ancien  nécrologe  de  Saint-Denis  faisait  aussi  mention 
de  lui  comme  abbé  de  Saint-Lucien;  Ricard,  au  viii  des  ides  de 
juin;  Wernerus,  au  vu  des  ides  du  même  mois;  Guntbarius,  au 
VI  des  ides  de  juillet;  Bavon ,  au  xiii  des  calendes  d'août;  Her- 
beronius,  au  iv  des  nones  du  même  mois;  et  Wido,  au  ix  des 
calendes  de  septembre.  On  ne  sait  pas  au  juste  à  quelle  époque 
ils  ont  vécu,  c'est  regrettable;  mais  on  peut  affirmer  qu'ils  ont 
administré  le  monastère  avant  le  xi«  siècle,  car  depuis  lors  on 
a  la  liste  exacte  des  abbés.  Comment  pourrait-on  concilier  main- 
tenant ces  dix  noms  d'abbés  qui  ont  régi  Saint-Lucien  avant  le 
XF  siècle,  avec  l'opinion  qui  soutient  que  Tadministration  appar- 
tenait aux  évoques?  Ce  n'est  guère  possible. 

Des  faits  qui  se  sont  passés  dans  l'abbaye  depuis  sa  fondation 
jusqu'au  xi«  siècle,  nous  ne  dirons  que  bien  peu  de  choses.  Et, 
en  efifet,  si  la  nomenclature  exacte  des  abbés  de  cette  époque  n'a 
pu  nous  parvenir,  comment  espérer  rompre  le  silence  qui  s'est 
fait  autour  des  événements.  Nous  essayerons  de  glaner,  de  côté 
et  d'autre,  quelques  petits  faits,  pour  ne  pas  rester  muet  complè- 
tement; mais  nous  tenons  à  dire  à  l'avance  que  la  récolte  ne 
sera  guère  abondante 

Depuis  la  construction  du  monastère,  le  concours  des  fidèles 
au  tombeau  de  saint  Lucien  était  devenu  plus  fréquent,  et  l'his- 
toire nous  rapporte  que  sainte  Angadresme,  Tabbesse  de  TOra* 
foire,  s'arrachait  souvent  aux  occupations  de  sa  charge  pour 
venir  prier  auprès  des  restes  du  glorieux  apôtre  du  Beauvaisis. 
Elle  y  passait  des  nuits  entières,  nous  disent  les  auteurs  qui  ont 
écrit  sa  vie;  mais  le  jour  la  retrouvait  toujours  à  son  poste,  ré- 
confortée par  la  prière  et  prête  ^  donner  l'exemple  des  plus  hé- 
roïques vertus. 

De  nombreux  miracles,  racontent  les  légendaires,  venaient 
souvent  récompenser  la  foi  des  pieux  pèlerins ,  et  la  reconnais- 
sance de  ceux-ci  se  faisaient  un  devoir  d'en  témoigner  au  mo- 
nastère toute  sa  gratitude  par  des  largesses  considérables  :  c'é- 
taient des  terres,  c'étaient  des  bois  et  des  prairies,  tantôt  des 
revenus,  et  quelquefois  même  des  villages  entiers  que  l'on  don- 


282  HISTOIBE 

naît;  et  la  fortune  du  monastère  allait  toujours  en  s'augmentant. 

Les  évèques  de  Beauvais,  les  chanoines  et  les  personnages  de 
distinction  tenaient  à  honneur  de  se  faire  inhumer  dans  l'église 
de  Tabbaye. 

Les  évèques  aimaient  à  s*y  retirer,  dans  la  retraite,  pour  s'y 
retremper  dans  la  pratique  des  vertus ,  quand  les  occupations 
de  leur  ministère  leur  laissaient  quelques  loisirs.  Plusieurs  même 
y  fixèrent  leur  demeure. 

Un  ancien  abbé  de  Saint-Germer,  saint  Anségise,  qui  mourut 
abbé  de  Fontenelle,  laissa,  par  son  testament,  2  livres  à  l'abbaye 
de  Saint-Lucien,  en  83i.  Les  monastères  de  Saint-Germer,  de 
Fontenay,  de  l'Ile  et  de  l'Oratoire  éprouvaient  en  même  temps 
les  effets  de  sa  libéralité  (1).  Le  legs  parait  bien  minime,  mais 
n'oublions  pas  qu'il  représenterait  plus  de  .500  francs  aujour- 
d'hui. Saint  Anségise  avait  choisi  saint  Hildeman,  évèque  de 
Beauvais,  pour  son  exécuteur  testamentaire.  Ce  pieux  prélat 
mourut  le  8  décembre  de  l'an  8ii,  et  reçut  la  sépulture,  comme 
ses  prédécesseurs,  en  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  Les  religieux 
avaient  inscrit  son  nom  dans  leur  nécrologe  et  faisaient  tous 
les  ans  son  service  anniversaire.  Les  miracles  se  multi|)Iièrent 
tellement  à  son  tombeau  qu'on  ne  tarda  pas  à  lui  rendre  un 
culte  public.  Son  nom,  etfacé  du  nécrologe,  fut  dès  lors  inscrit 
au  martyrologe  du  monastère  (2). 

Les  pèlerinages  au  tombeau  de  saint  Lucien  se  faisaient  sou- 
vent pour  obtenir  laguérlson  des  maladies.  La  tradition  rapporte 
que  l'on  y  venait  surtout  pour  les  possessions  du  démon,  la  folie 
et  l'épilepsie.  Une  légende  assez  curieuse,  que  nous  trouvons 
dans  les  Bollandistes  (3),  en  la  vie  de  saint  Vaast  d'Arras,  vient 
confirmer  ce  fait.  Nous  la  citons  dans  toute  sa  naïveté;  on  peut 
la  voir  dans  Louvet  (4),  God.  Hermant(5)  et  D.  Porcheron  fO). 


(1)  Delettre:  Hist.  dudioc  de  Beauvais,  t.  i,  p.  338. 

(2)  D.  Porcheron  :  Hist.  de  l'ahb.  de  Saint-Lucien,  c.  8. 

(3)  Àcta  Sanctor.  die  xxii  februarii. 

(4)  Hist.  et  Ànt.  de  Beauvais,  t.  ii ,  p.  1.S9  et  suivante.*. 

(5)  Hist.  de  Beauvais,  liv.  m ,  c.  10. 

(6i  Hist.  de  Vahb.  de  Saint-Lucien,  n.  10. 


DE   l'aBBATE  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  283 

C'était  au  ix«  siècle,  du  temps  de  révoque  Hermenfride  (8  46-861). 
Le  domestique  d'un  chanoine  était  devenu  possédé  du  démon  à 
la  suite  d'une  punition  publique  qui  lui  avait  été  infligée  à  cause 
de  sa  vie  scandaleuse.  Ses  parents  y  pour  obtenir  sa  guérison, 
l'avaient  conduit  dans  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  Ils  avaient  eu 
bien  de  la  peine  à  le  faire,  et  avaient  été  obligés  de  le  garotter 
pour  vaincre  sa  résistance.  L'évoque  s'y  rendit  avec  son  clergé 
et  une  grande  affluence  de  monde  pour  y  procéder  aux  prières 
et  aux  exorcismes  en  usage;  mais  rien  n'y  fit.  Alors  Hermenfride 
ordonna  de  remplir  d'eau  bénite  les  fonts  baptismaux  qui  se  trou- 
vaient à  l'entrée  de  l'église  pour  le  baptême  des  catéchumènes, 
et  d'y  plonger  le  malheureux  possédé.  «  Quand  on  se  mit  en  état 
d'exécuter  cet  ordre,  dit  God.  Hermant,  le  possédé,  posant  les 
deux  pieds  sur  les  deux  bords  des  fonts,  y  demeura  si  ferme  et 
si  immobile  que  non  seulement  il  fut  impossible  de  l'y  plonger, 
mais  même  qu'avec  de  violents  efforts  on  ne  put  le  faire  changer 
de  place.  Le  démon  ne  se  contenta  pas  de  lui  donner  cette  force, 
mais  il  se  mit  à  rallier  l'évèque  et  à  l'insulter,  en  lui  disant  : 
«  Pourquoi  te  donnes-tu  tant  de  mal  si  inutilement.  Ne  sais-tu 
•  pas  quelle  est  notre  puissance  et  notre  force?  Je  suis  celui 
«  dont  Jésus-Christ  demandant  le  nom ,  répondit  :  Je  m'appelle 
n  légion,  parce  que  nous  sommes  plusieurs.  Ma  puissance  est  si 
«  grande  qu'elle  est  universellement  répandue  par  toutes  les 
u  nations.  J'ai  été  aujourd'hui  à  Constantinople  et  j'y  ai  fait  un 
u  grand  carnage.  Mais  tout  fraîchement  j'ai  semé  une  si  grande 
tt  matière  de  querelle  entre  tes  gens  et  ceux  du  comte,  qu'ils 
«  sont  sur  le  point  de  s'entretuer  dans  la  prairie,  tu  ferais  bien 
«  mieux  d'aller  les  apaiser  que  de  rester  ici  inutilement  à  vou- 
«  loir  me  chasser.  » 

L'évèque  envoya  sur  le  champ  dans  la  prairie  et  l'on  trouva 
effectivement  ses  gens  sur  le  point  d'en  venir  aux  mains  avec 
ceux  du  comte.  Sa  prompte  intervention  parvint  à  calmer  le 
différend. 

Cependant  le  soir  était  venu,  et  l'évèque  avait  été  forcé  de 
regagner  sa  demeure  sans  avoir  chassé  le  démon.  Le  possédé 
resta  dans  le  monastère  et  fut  confié  à  la  garde  des  religieux  en 
attendant  sa  délivrance.  Elle  ne  tarda  pas  à  s'effectuer.  L'un  des 
moines  eut  la  révélation  qu'il  fallait  le  conduire  auprès  des  re- 
liques de  saint  Vaast,  si  on  voulait  obtenir  sa  guérison.  Elles 


284  HISTOIRE 

reposaient  alors  dans  l'église  de  Sainf-Etienne  de  Beauvais ,  où 
les  religieux  de  Saint-Vaast  d'Arras  les  avaient  apportées  pour 
les  soustraire  à  la  fureur  des  Normands.  On  l'y  conduisit  donc, 
et  il  y  obtint  sa  délivrance  avec  des  circonstances  extraordi- 
naires et  horribles,  que  Ton  trouve  racontées  tout  au  long  dans 
les  Bollandistes,  dans  Louvet  et  dans  God.  Hermaut.  Une  an- 
cienne tapisserie,  qui  ornait,  avant  la  Révolution,  le  chœur  de 
la  collégiale  de  Saint-Vaast,  reproduisait  le  fait.  Nous  ne  le  ju- 
geons pas;  on  en  prendra  ce  que  l'on  voudra;  nous  le  citons 
seulement  à  titre  de  légende  concernant  notre  monastère. 

L'abbaye  de  Saint-Lucien  avait  été  florissante,  et  de  beaux 
jours  avaient  lui  pour  elle  sous  Gharlemagne  et  sous  ses  prédé- 
cesseurs. La  prospérité  et  la  régularité  s'étaient  maintenues  pen- 
dant la  vie  de  Louis-le-Débonnaire;  mais  après  la  mort  de  ce 
prince,  au  milieu  des  discordes  qui  éclatèrent  entre  ses  fils,  des 
maux  de  toutes  sortes  vinrent  fondre  sur  elle.  Ce  fut  d'abord  la 
spoliation  de  ses  biens  par  ceux  qui  devaient  être  ses  protec- 
teurs. Les  fils  du  roi,  obligés  de  se  procurer,  à  tout  prix,  des 
partisans  et  de  se  créer  des  ressources  pour  soutenir  leurs  lut(es 
fratricides,  s'emparaient  des  domaines  des  églises  pour  les  dis- 
tribuer h  leurs  créatures,  se  saisissaient  des  revenus  pour  les 
attribuer  à  leurs  besoins  personnels,  el  même  parfois  dispo- 
saient des  abbayes  elles-mêmes  et  les  donnaient  en  gage  ou  en 
garantie.  Sainf-Lucien  vit  ainsi  ses  plus  belles  propriélés  saisies 
et  données  à  des  seigneurs  dont  on  voulait  avoir  le  concours. 
Bulles,  entre  autres,  lui  fut  ravie. 

L'invasion  normande  vint  encore  ajouter  ses  déprédations. 
Une  première  fois,  quand  le  monastère  de  Saint-Germer  avait 
été  pillé  et  incendie  par  ces  hardis  pirates,  Saint- Lucien  avait 
tremblé  pour  son  existence;  mais  la  retraite  de  ces  envahisseurs 
l'avait  laissé  respirer.  Ce  ne  fut  pas  pour  longtemps.  Une  nouvelle 
irruption  ravageait  le  Noyonnais  en  8C1,  se  jetait  ensuite  sur  le 
Reauvaisis  et  semait  partout  la  dévastation.  Les  abbayes  de  Mon- 
tiers,  de  Rreteuil,  d'ilardivillers,  de  l'Oratoire  sont  livrées  aux 
flammes.  Saint-Lucien  voit  tous  ses  bâtiments  dévastés;  Reauvais 
est  pris  et  saccagé;  Hermenfride,  son  évoque,  est  massacré.  Les 
ruines  étaient  nombreuses.  L'abbaye  de  Saint-Lucien  pourtant, 
malgré  ses  désastres,  n'était  pas  complètement  détruite  :  son  église 
et  quelques  bâtiments  avaient  échappé  à  l'incendie.  Klle  avait 


DE   l'/LBBAYS   royale  DE  SAIMT-LUGIEM.  285 

perdu  tous  ses  troupeaux  et  presque  tous  ses  biens,  et  se  trouvait 
réduite  à  l'état  le  plus  précaire.  L'évèque  Guy  pourra  dire  d'elle, 
lorsqu'il  s'agira  de  la  restitution  de  la  terre  de  Bulles,  en  1075, 
et  en  faisant  allusion  à  cette  épouvantable  dévastation  :  «  Bar- 
barorum  incursione  et  impiorum ,  idest  Hastingorum ,  pervasione 
ctcneta  perdiderat.  »  Un  certain  nombre  de  ses  religieux  cepen- 
dant parvint  à  se  soustraire  à  la  fureur  des  Normands,  et  re- 
vint, aussitôt  après  leur  départ ,  demander  un  abri  à  ces 
murs  que  la  violence  leur  avait  fait  quitter.  Leur  dénûment  était 
complet;  il  n'y  avait  plus  de  vivres  :  les  cultures,  les  jardins, 
tout  était  dévasté.  Ils  n'avaient  même  plus  de  quoi  se  procurer 
des  vêtements  de  rechange,  et  l'église  était  sans  ornements  et 
sans  vases  sacrés. 

Heureusement  pour  eux  qu'un  religieux  fût  alors  élevé  sur  le 
siège  de  Beauvais.  Odon  était  abbé  de  Corbie  quand  l'élection  du 
peuple  et  du  clergé  l'appela  dans  nos  murs.  Il  portait  intérêt 
tout  naturellement  aux  institutions  monastiques.  L'abbaye  de 
Saint-Lucien,  par  son  voisinage  de  la  ville  épiscopale,  s'attira 
la  première  les  sympathies  de  l'évèque.  Elle  eut  toute  son  affec- 
tion, et  il  s'en  constitua  le  défenseur  et  le  protecteur  spécial 
{advocatus).  C'était  d'ailleurs  un  prélat  fort  distingué,  ayant 
l'estime  et  la  confiance  du  roi  et  des  évêques,  ses  collègues,  et 
qui  fut  plusieurs  fois  choisi  pour  remplir  des  missions  impor- 
tantes auprès  du  Souverain-Pontife.  Odon  usa  de  son  crédit  à  la 
cour  pour  réclamer  du  roi  la  restitution  des  biens  des  monas- 
tères de  son  diocèse,  que  les  leudes  détenaient  injustement,  au 
mépris  des  constitutions  de  l'église.  Il  fit  valoir  la  pénurie  dans 
laquelle  ces  établissements  se  trouvaient,  et  le  conjura  d'y  mettre 
un  terme.  Gharles-le- Chauve  était  sensible  à  ses  remontrances 
et  voulait  le  satisfaire;  mais  pour  cela  il  fallait  dépouiller  des 
vassaux  dont  il  avait  besoin  et  qu'il  redoutait  dans  leur  mécon- 
tentement. Il  ne  se  sentit  pas  la  force  de  les  braver.  Il  attermoya, 
puis  il  fit  quelques  restitutions  ou  donna  d'autres  biens  pour 
indemniser  de  la  perte  de  ceux  qu'il  n'osait  faire  rendre;  il  tran- 
sigea tant  qu'il  put.  Ainsi,  il  restitua  les  monastères  de  Saint-Ger- 
mer  et  de  l'Oratoire,  dont  ses  hommes  s'étaient  emparés,  et  il 
n'osa  contraindre  à  la  restitution  le  possesseur  de  celui  de  Fon- 
tenay.  Quanta  l'abbaye  de  Saint-Lucien ,  ne  pouvant  lui  faire 
rendre  sa  terre  de  Bulles,  ni  les  autres  biens  que  ses  puissants 


286  HISTOIRE 

vassaux  détenaient,  11  lui  donna,  par  compensation,  la  moitié 
de  la  terre  de  Luchy  (1),  qu'occupait  précédemment  Rodingue, 
son  chapelain,  et  il  alTecta  tout  particulièrement  cette  donation 
au  vestiaire  des  religieux. 

L'indemnité  ne  parut  pas  suffisante  à  Tévêque;  il  demanda  la 
terre  de  Luchy  dans  sa  totalité.  Le  roi  la  lui  promit  et  le  pria 
d'attendre  que  Sigefroi,  son  vassal,  qui  tenait  l'autre  partie  en 
bénéfice,  fut  mort.  Odon  patienta ,  et  aussitôt  après  la  mort  de  ce 
vassal  le  prince  mit  l'abbaye  de  Saint-Lucien  en  possession  de 
cette  seconde  moitié  de  la  terre  de  Luchy.  Il  y  ajouta  celle  d'.Arcy, 
près  de  Bury  (2),  qu'un  autre  vassal,  nommé  Guy,  venait  de 
laisser  vacante  aussi  par  sa  mort  (3). 

Charles-le-Ghauve  stipula  toutefois  quelques  conditions  :  il 
demanda  que  Ton  célébrât  tous  les  ans,  le  22  juin,  dans  le 
monastère,  un  service  solennel  d'anniversaire  pour  le  repos  de 
l'àme  de  Guy,  son  vassal  bien-aimé,  et  que  l'on  fit  mémoire  de 
lui  aux  messes  et  aux  prières  publiques,  comme  on  a  Tusage  de 
le  faire  pour  les  religieux  de  la  raiuson.  Il  spécifia  en  outre  que 
la  moitié  du  revenu  de  cette  terre  serait  employée  à  fournir  la 
table  des  religieux^  le  jour  où  l'on  célébrerait  cet  anniversaire, 
et  que  l'autre  moitié  serait  destinée  à  entretenir  la  communauté 
de  vêtements. 

La  charte  qui  confirme  cette  donation  est  datée  du  m  des  ca- 
lendes de  juillet  (29  juin)  de  l'an  trentième  du  règne  du  roi 
Charles-le-Chauve. 

Elle  est  citée  par  Loisel  et  Louvet. 

L'avenir  du  monastère  paraissait  désormais  moins  sombre,  et 


(1)  Loisel  :  Mémoires  des  pays  et  vilU  de  BeauvaiSt  p.  244. 

(2)  D.  Bouquet,  t.  VIII,  p.  617. 

(3)  Àlieram  medUtatem suprafatœ  villœ  fLudatiJ,  cum  omniintegritate, 
cum  ecclesiis,  domibus,  œdificiis;  cum  viis,  curtiferis,  viridariis,  hortiSy 
vineis,  in  villa  ÀrsiUo  sitis,  ad  ipsam  juste  pertinentibus  terris ^  sylvis^ 
pratis,  pascuiSj  aquarum  decursibus  perviis  adjacentihus ,  exitibus  et 
regressUms,  mancipUs  utriusque  sexûs  desuper  commanentibus,  velad 
eamdem  villani  juste  legalUerque  pertinentibus. 

(Loisel  :  Mém.  du  pays  de  Beauv. ,  p.  244). 


DE  l'aBBATB   royale  DE  SAINT* LUCIEN.  287 

avec  le  revenu  de  ces  terres,  on  espérait  pouvoir  se  procurer  les 
choses  les  plus  nécessaires  à  la  vie. 

En  866,  le  prévôt  ou  prieur,  nommé  Hilmérade,  demanda  à 
révèque  de  Beauvais  de  venir  détacher  une  portion  du  corps  de 
saint  Lucien  pour  la  remettre  à  Odulphe,  trésorier  de  Saint- 
Riquier.  Cette  faveur,  disent  les  annales  de  ce  monastère,  res- 
serra l'amitié  qui  unissait  déjà  les  deux  communautés. 

La  vie  régulière  avait  repris  son  train  accoutumé  à  Saint- 
Lucien,  quand  une  nouvelle  invasion  la  troubla.  En  877,  les 
Normands  reparurent  et  vinrent  assiéger  Beauvais.  Les  religieux, 
contraints  d'abandonner  leur  monastère,  se  réfugièrent  dans  la 
ville.  La  tourmente  fut  de  courte  durée.  Les  Normands,  trou- 
vant de  la  résistance,  passèrent  outre  et  marchèrent  sur  Com- 
piègne,  qu'ils  brûlèrent  avec  une  partie  de  l'abbaye  de  Saint- 
Corneille.  Pour  Saint-Lucien  ,  les  dégâts  furent  peu  considéra- 
bles, et  les  religieux  purent  s'y  réinstaller  aussitôt  que  l'en- 
nemi fut  parti.  La  tranquillité  ne  dura  guère  :  en  883,  les  Nor- 
mands revinrent  devant  Beauvais,  s'en  emparèrent  et  en  brû- 
lèrent une  partie.  Ils  y  établirent  leur  quartier  d'hiver,  et  ne 
s'éloignèrent  qu'après  avoir  pillé  les  environs.  L'histoire  ne  dit 
pas  que  Saint-Lucien  fut  saccagé  ;  mais  il  est  probable  qu'H 
n'aura  pas  été  sans  souffrir  du  voisinage  de  ces  pillards  enva- 
hisseurs. 

La  régularité  se  maintenait  néanmoins  dans  le  monastère , 
malgré  tous  ces  troubles.  Il  produisit  même  des  hommes  assez 
remarquables  pour  attirer  l'attention  du  clergé  et  du  peuple, 
au  point  qu'après  la  mort  de  l'évèque  Herluin  on  choisit  Bovon, 
l'un  deux,  pour  l'élever  sur  le  siège  de  Beauvais  (922).  Le  nou- 
veau prélat  n'oublia  pas  son  monastère;  il  se  souvint  de  sa 
pauvreté,  et  lui  Ht  don  de  l'église  de  Saint-Just-des-Marais,  du 
village  de  Fouquenies  ainsi  que  deladtme  du  lieu.  Le  nécrologe 
de  l'abbaye  en  fait  mention  en  ces  termes  :  Die  xxiv  maii  obiit 
Bovo,  episcopus  Beltacensis,  qui  dédit  Sancto  Luciano  ecclesiam 
Sancti  Justi  de  Marisco ,  decimam  et  villam  siib  Sancto  Maxiaiw^ 
Fu/gentias  notnine.  Une  autre  partie  du  territoire  de  Fouquenies 
fut  donnée  par  une  dame  nommée  Odéline  ;  l'obituaire  en  fait 
mention  le  30  janvier. 

Le  successeur  .de  Bovon ,  Hiidégaire ,  fut  inhumé ,  comme  ses 
prédécesseurs,  dans  l'église  de  l'abbaye,  et  M.  Barraud,  le  père 


288  HISTOIRE 

du  savant  chanoine,  trouva,  en  1815,  la  plaque  de  plomb  qui 
était  sur  son  cercueil.  Elle  portait  cette  inscription  : 

HIC  REQUIESCIT  HILDEGARIUS  EPS. 

Sur  la  tin  du  x«  siècle,  vers  Tan  981,  les  religieux  de  Sainl- 
Lucîen  furent  choisis  pour  réformer  Tabbaye  de  Sainl-Valery,  au 
diocèse  d'Amiens.  Ce  monastère  avait  perdu  son  ancienne  régu- 
larité, et  n'était  plus  occupé  que  par  des  clercs  qui  menaient 
une  vie  fort  dissolue.  On  avait  tenté  plusieurs  fois  de  les  réfor- 
mer sans  y  parvenir,  quand  le  comte  Hugues  prit  le  parti  de 
substituer  une  communauté  fervente  et  animée  de  Tesprit  de  sa 
vocation ,  à  celle  qui  s'y  trouvait  et  qui  n'avait  plus  rien  des 
habitudes  monastiques.  Il  s'adressa,  à  cet  effet,  à  l'abbaye  de 
Saint-Lucien ,  qui  jouissait  d'une  juste  renommée  de  régularité. 
L'abbé  accueillit  sa  demande  avec  bienveillance.  Il  choisit  un 
certain  nombre  de  ses  religieux ,  les  plus  distingués  par  la  vertu 
et  le  talent,  et  les  envoya  sous  la  conduite  de  Tun  d'entre  eux, 
nommé  Restold.  Ils  prirent  possession  du  monastère  de  Saint- 
Valéry,  et  s'appliquèrent  à  y  faire  revivre,  dans  toute  leur  per- 
fection, les  anciennes  observances  monastiques.  Restold  fut 
choisi  par  ses  frères  pour  avoir  la  direction  de  la  communauté, 
et  il  l'administra  avec  une  grande  sagesse. 

L'abbaye  de  Saint-Lucien  avait  plusieurs  cures  en  sa  posses- 
sion, et  devait  pourvoir  à  ce  qu'elles  fussent  desservies  par  des 
prêtres  chargés  d'y  remplir  toutes  les  fonctions  du  ministère, 
si  elle  ne  pouvait  les  faire  desservir  par  ses  moines.  A  chaque 
mutation  de  desservant,  elle  payait  un  droit  à  l'évéque  pour 
obtenir  leur  institution  canonique.  Cette  charge  était  assez 
lourde,  et  le  monastère  parfois  s'en  plaignait  aux  évèques.  L'un 
d'eux,  Hugues,  qui  gouvernait  l'église  de  Beauvais  en  998,  crut 
devoir  mettre  un  terme  à  cet  usage,  et  un  jour,  qu'il  était  à  l'ab- 
baye, il  déclara  solennellement  qu'il  renonçait  à  cette  redevance 
pour  lui  et  pour  ses  successeurs,  et  qu'il  en  affranchissait  la 
communauté  à  toujours.  Le  nécrologe  du  monastère  faisait  men- 
tion de  cette  exemption  en  ces  termes  :  xni  oprilis  obiit  Hugo 
Belvacensis  Episcopus,  qui  nostra  altaria  libéra  fecit  à  personis. 
L'abbaye  put  dès  lors  présenter  à  l'approbation  de  l'évéque  des 
titulaires  pour  ses  cures  sans  être  obligée  de  payer  aucun  droit. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  pu  grouper  les  faits  concernant  notre 


DE   L*ABBAYE    ROYALE  DE   SAINT-LUCIEN.  S89 

monastère  sous  le  nom  de  ses  abbés,  parce  que  nous  n'en  avions 
pas  la  suite  exacte,  et  que  l'époque  précise  de  l'existence  de 
ceux  que  nous  possédions  nous  faisait  défaut.  Nous  nous  sommes 
contentés  de  suivre  chronologiquement  l'ordre  des  faits,  sans 
nous  préoccuper  d'eux.  Maintenant,  que  nous  croyons  en  pos- 
séder une  suite  assez  complète,  nous  allons  raconter  les  événe- 
ments en  les  coordonnant  sous  le  nom  de  chacun  d'eux.  Aupa- 
ravant citons,  sans  date,  les  noms  des  quelques  abbés  antérieurs 
au  xp  siècle,  que  l'histoire  a  pu  sauver  de  l'oubli. 

ABBÉS     RÉGULIERS. 

I.  —  Warlix. 

II.  —  Aixtliolme. 

III.  —  WaHton. 

IV.  —  lioTl>ort. 

V.  —  nicar'd. 

VI.  —  WomoT'us. 

VIT.  —  Oiiiitliai:*iiis. 

VIII.  —  IJavon. 

IX.  —  IIorTl>or'oiiln.s. 

X.  —  Ouy  OU  Wldo. 

XI,  —  liognioz-  (1002). 

Régnier  (Haineritis)  était  abbé  de  Saint-Lucien,  en  l'an  J002, 
quand  on  découvrit,  cachés  en  terre,  les  vêlements  du  saint 
martyr.  Voici  comment  un  ancien  manuscrit  du  monastère  ra- 
conte le  fait.  La  seconde  année  du  xp  siècle,  sous  le  règne  du 
roi  Robert  et  durant  l'épiscopat  de  Roger  de  Champagne,  évèque 
T.  vin.  iî^ 


290  HISTOlkK 

de  Beauvais,  un  religieux  nommé  Giraud  était  en  prière  dans 
l'église  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  la  nuit  du  vendredi  avant  la 
Pentecôte.  Pendant  qu'il  est  absorbé  par  la  ferveur  de  son  orai- 
son, une  vive  lumière  environne  soudain  le  tombeau  du  glorieux 
apôtre,  et  un  vieillard  vénérable  lui  apparaît,  et,  lui  montrant 
des  vêtements  cachés  sous  terre,  à  une  certaine  profondeur,  lui 
ordonne  d'aller  dire  à  l'abbé  de  les  tirer  de  cet  endroit.  L'humble 
religieux,  s'eslimant  indigne  d'être  favorisé  d'une  révélation,  et 
craignant  d'être  le  jouet  d'une  illusion,  n'ose  rien  dire,  et  ne 
parle  à  personne  de  sa  vision  ni  de  l'ordre  qu'il  a  reçu.  11  tombe 
tout-à-coup  malade,  et,  sentant  son  état  empirer,  il  fait  part  à 
son  confesseur  de  ce  qu'il  a  vu.  Celui-ci  lui  conseille  de  patienter  v 
encore  avant  de  rien  découvrir.  Cependant  sa  santé  s'étant amé- 
liorée, il  se  rendit  de  nouveau  à  l'église  pour  y  prier.  A  peine  y 
est-il  que  la  même  vision  lui  apparaît  et  lui  recommande  encore 
avec  les  plus  vives  instances  d'aller  dire  à  l'abbé  ou  à  l'évêque 
de  faire  rechercher  les  vêtements  de  saint  Lucien  à  l'endroit  qu'il 
lui  indique.  Après  quelques  nouvelles  hésitations,  le  pieux 
moine  se  décide  à  tout  révéler  à  son  abbé,  et  il  lui  donne  des 
détails  si  clairs  et  si  précis,  que  celui-ci  croit  devoir  en  référer  à 
révêque.  Hoger  de  Champagne  se  transporte  aussitôt  au  monas- 
tère avec  plusieurs  ecclésiastiques,  interroge  Giraud,  et  ordonne 
que  la  terre  soit  creusée  à  l'endroit  qu'il  désigne.  On  se  met  à 
l'œuvre,  en  présence  de  la  communauté  anxieuse;  ou  creuse, 
on  creuse  encore;  entin ,  au  grand  élonnement  de  tous,  la  pioche 
atteint  un  petit  coffre  en  plomb;  on  l'exhume,  il  présente  exac- 
tement la  forme  et  les  dimensions  que  le  religieux  avait  dési- 
gnées. L'évêque  le  fit  ouvrir  et  y  trouve  une  partie  des  vêtements 
que  saint  Lucien  portait  au  moment  de  son  martyre  :  des  san- 
dales et  une  aube  teinte  de  sang.  Ces  objets  avaient  dû  être  enfer- 
més dans  cette  caisse  et  déposés  en  terre  pour  les  soustraire  à  la 
profanation.  Mais  à  quelle  époque  et  par  qui?  M.  Delettre  (1)  veut 
que  ce  soient  les  fidèles  contemporains  de  la  mort  de  saint  Lucien 
qui  les  aient  placés  dans  la  même  tombe  que  son  corps,  ou  au 
moins  tout  à  côté.  Nous  avons  de  la  peine  à  le  croire.  D'abord 
parce  qu'il  n'est  pas  certain  que  ce  soit  précisément  en  cet  en- 


(1)  Hiêt.  du  dinc.  de  Beauvais,  t.  i ,  p.  431. 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAINT -LUGIEÏ^.  291 

droit  que  le  corps  de  saint  Lucien  ait  été  inhumé.  Ëu  outre,  lors 
de  l'élévation  du  corps  du  saint  martyr,  à  l'époque  de  la  consé- 
cration de  réglise  de  Tabbaye,  vers  385,  on  n'aurait  pas  manqué 
d'exhumer  ces  reliques  vénérables  avec  le  corps  du  martyr.  Nous 
croyons  plutôt  qu'elles  ont  été  cachées  plus  tard  par  quelque 
moine  trésorier,  peut-être  lors  des  premières  invasions  nor- 
mandes, pour  les  soustraire  à  la  profanation.  La  longue  durée 
des  troubles  et  la  mort  du  moine  auront  fait  perdre  le  souvenir 
de  l'endroit  où  elles  étaient  déposées»  et  elles  seront  ainsi  res- 
tées ignorées. 

quoiqu'il  en  soit,  l'évèque  les  ilt  lever  avec  respect,  rendit  de 
solennelles  actions  de  grâces  au  Seigneur  pour  la  découverte  de 
ce  trésor,  et  permit  à  l'abbé  Régnier  de  les  exposer  à  la  vénéra- 
tion publique.  La  nouvelle  de  cette  découverte  se  répandit  au 
dehors  :  on  y  accourut  de  tous  les  environs ,  et  de  nombreux 
miracles  s'y  opérèrent,  dit  D^Porcheron.  L'abbaye  célébra  chaque 
année,  depuis  cette  époque,  la  fêle  commémorative  de  l'inven- 
tion de  ces  reliques.  Elles  furent  religieusement  conservées  dans 
une  belle  châsse  en  bois,  et  elles  existaient  encore,  en  1628, 
'  quand  Augustin  Potier  en  fit  la  reconnaissance  (i). 

Le  nécrologe  de  l'abbaye  fait  mémoire  de  l'abbé  Régnier,  le 
VI  des  calendes  d'octobre.  On  suppose  qu'il  est  mort  le  26  sep- 
tembre 1003. 

i 

XLII.  —  Koixl^Tixes  (1003). 

Le  catalogue  des  abbés ,  qui  était  conservé  dans  l'abbaye  de 
Suint-Lucien,  donne  pour  successeur  à  Régnier  le  moine  Foul- 
ques. Il  n'aurait  administré  que  quelques  mois  ce  monastère 
|)0ur  passer  sur  le  siège  épiscopal  d'Orléans,  où  l'appelait  la  voix 
des  fidèles.  Le  Gallia  ChrisHana^  n'osant  pas  être  aussi  afilr- 
matlf ,  émet  un  doute  sur  l'existence  de  cet  abbé  au  commence- 
ment du  xp  siècle,  et  pense  que  ce  Foulques,  cité  dans  le  nécro- 
loge, pourrait  bien  être  le  même  que  Foulques  de  Chanac,  qui 


[i)  Louvet  :  Hisi.  et  AnUq.  de  Beauv.,  t.  ii,  p.  176.  —  D.  Poreheron, 
cb.  13.  —  Delettre  :  Hist.  du  dioc.  de  Beaav.,  t.  i,  p.  4ao. 


292  HISTOIRE 

vécut  au  xiv«  siècle,  et  dont  nous  parlerons  plus  tard.  Nous  ne 
partageons  pas  l'avis  de  ces  savants  auteurs,  et  nous  croyons 
devoir  le  maintenir  avec  D.  Porcheron,  Du  Caurroy  et  D.  de 
Noroy,  comme  successeur  de  Régnier. 

Le  nécrologe  de  Saint-Lucien  fait  mention  de  lui  en  ces  termes  : 
«  Pridie  kalendas  maii,  obiit  D.  Fulco,  episcopus  Aurelianensis , 
quondam  abbas  hujus  ecciesiœ  Sancti  Luciani,  prope  Bellovacum, 
Fundavit  anniversarium  suum  quolibet  anno  soletnniter  bis  celé- 
brandum,  inprimd  die  maii  et  iv«  die  decembris,  Quatridiù  rixerit 
in  /nimaniSj  videlicet  prima  die  maii  de  Sanctd  Marid,  et  quartd 
die  decembris  de  Sancto  Spirilu  missx  fient;  etpost  decessum,  qua- 
libet  nominatarum  dierum,  fiât  totum  servUium  de  defunctis  cum 
vigiliis  et  misais,  etc.  Ad  qux  prœmissa  faclenda  egoprior  et  con- 
vent  us  tenebimur  in  perpetmnn,  Ktpropter  hoc  dédit  nobis  ce ntum 
libras  parisienses  ad  utilitatem  nosiram  et  dictx  eccfesix  nostrx 
convertendas,  » 

Foulques  fut  promu  k  Tépiscopat  et  élevé  sur  le  siège  d'Orléans 
dans  Tannée  lOOi,  après  la  mort  d'ArnoulL  II  se  souvint,  dans 
sa  nouvelle  position,  de  son  ancienne  patrie,  et  le  moine  Hel- 
gaud  rapporte,  dans  son  histoire  du  roi  Robert,  que  ce  prélat 
ciioisit  pour  avoué  ou  protecteur  de  son  église  d'Orléans  un 
puissant  chevalier  du  Beauvaisis,  nommé  Hugues  de  Beauvais, 
dont  il  avait  fait  connaissance  lorsqu'il  était  abbé  de  Saint- 
Lucien. 

Ce  fait  donne  le  motif  pour  lequel  nous  l'avons  maintenu 
comme  successeur  de  Régnier. 

XLIII.  —  Hul>ert  (1004). 

Après  le  départ  de  Foulques ,  les  religieux  de  Saint-Lucien 
choisirent  le  moine  Hubert  pour  lui  succéder. 

Cet  abbé  fut  avec  l'évèque  de  Beauvais,  Guérin,  à  l'assem- 
blée des  grands  du  royaume,  convoquée  par  le  roi  Robert  à 
Compiègne,  en  1023,  pour  la  réception  de  l'ambassade  en- 
voyée par  Henri,  empereur  de  Germanie.  Il  prit  part  aux  affaires 
qui  y  furent  traitées,  et  signa,  comme  témoin,  le  \^^  mai, 
à  racle  de  confraternité  et  d'association  spirituelle  entre  l'ab- 
baye de  Saint- Vaast  d'Arras  et  l'église  de  Beauvais,  que  l'évèque 


DE   l'abbaye   royale   DE   SAINT-LUCIEN.  293 

conclut  avec  Vabbé  Leduin,  en  présence  de  loute  la  cour  (1). 

Peu  après  son  retour,  l'abbé  Hubert  obtint  de  Tévêque  Taffran- 
chissement  de  son  abbaye  de  toute  avouerie,  Sanctum  Lucianum 
liberum  fecit  ab  advocatoria,  dit  l'ancien  nécrologe.  Les  évoques 
de  Reauvais  étaient  les  avoués  ou  protecteurs  du  monastère  de- 
puis bien  longtemps.  Ils  faisaient  remplir  à  son  acquit,  parleurs 
vassaux,  les  fonctions  militaires  auxquelles  ses  terres  pouvaient 
être  tenues,  et  en  récompense  ils  s'attribuaient  une  partie  de  ses 
revenus.  L'avouerie  était  ainsi  une  charge  assez  lourde,  et  elle 
devenait  bien  inutile  en  temps  de  paix.  En  général ,  du  reste, 
le  service  rendu  par  Tavoué  coûtait  beaucoup  plus  quil  ne  valait. 
Aussi ,  quand  le  C8lme  se  fut  rétabli  et  que  la  tranquillité  parut 
durable,  l'abbé  de  Saint-Lucien  ne  tarda  pas  à  demander  d'être 
affranchi  de  cette  charge.  L'évêque  y  consentit  de  bonne  grâce, 
par  estime  pour  les  hautes  qualités  de  l'abbé  et  par  affection 
pour  son  monastère;  seulement  il  retint  qu'on  lui  paierait  tous 
les  ans,  à  la  Toussaint,  en  souvenir  de  cette  exemption,  une/jafre 
de  bottes  de  Cordouen^  à  doubles  semelles,  feustrées  jusqu'aux  ge- 
noux^  et  une  pelluce  de  fins  agneaux. 

L'évêque  Guérin  étant  mort  le  8  novembre  1033,  son  corps  fut 
inhumé  dans  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  et  Godefroi  Hermant 
rapporte  (2)  que  de  son  temps  on  voyait,  dans  un  passage  au- 
dessous  du  dortoir,  et  encadrée  dans  la  muraille  où  elle  avait 
été  transférée,  la  pierre  tombale  de  cet  évêque.  Elle  portait, 
gravée  en  grandes  lettres  romanes,  l'inscription  suivante  :  If^a- 
rinus  episcopus  Belvacensis,  qui  obiit  vi  idm  notembris. 

Drogon,  son  successeur,  que  l'on  peut  appeler  le  restaurateur 
monastique,  à  cause  des  monastères  qu'il  fonda  ou  Jlt  sortir  de 
leurs  ruines  (3),  fit  d'importanles  donations  à  notre  abbaye.  11 
lui  donna,  vers  10X",  l'église  de  Bonnîères  et  la  seigneurie  de 
Warluîs.  Elle  possédait  déjà,  depuis  un  certain  temps,  le  village 
de  Warluis;  mais  elle  n'avait  ni  la  justice  ni  la  seigneurie,  qui 


.1)  Louvet,  t.  II,  p.  186.  —  Deleltre,  1. 1,  p.  AU. 

(3)  ïïist.  de  Beauv.,  mss.,  liv.  iv,  c.  8. 

(3)  Drogon  rétablit  les  abbayes  de  Bretenil  et  de  Saint-Gfrmer,  et  fonda 
les  abbayes  de  Salnt-Sympborien  et  de  Saint-Paul. 


294  HISTQ]BI 

appartenaient  à  révêque-comte  de  Beauvais.  Le^  officiers  de  ce 
dernier,  en  rendant  la  justice  ou  en  percevant  les  droits  seigneu- 
riaux, vexaient,  autant  qu'ils  pouvaient,  les  tenanciers  de  Tab- 
baye  par  des  exactions  arbitraires.  L'abbé  s'en  plaignit  à  plu- 
sieurs reprises,  et  Drogon,  pour  mettra  fin  à  ces  contestations, 
abandonna  tous  ses  droits  sur  le  village  au  monastère,  et  l'en 
coi)3titu^  seigneur  et  maître  (1  ). 

Les  roîB  de  France  ne  manquaient  pas  non  plus  de  témoigner 
leur  bienveillance  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien  toutes  les  fois  qu'ils 
ep  trouvaient  l'occasion.  Ainsi,  plusieurs  terres  à  Cinqueux,  Ro- 
zoy  et  Verderonne  lui  avaient  été  données.  Ces  terres  étaient  d'un 
grand  rapport;  mais  leur  valeur  était  diminuée  par  certains 
droits  coutumiers  et  féodaux,  tels  que  droits  de  justice  (bannum), 
de  chasse  (falconatium)^  de  rouage  {rotatium\  que  les  donateurs 
s'étaient,  réservés.  Le  roi  Robert  les  en  affranchit  par  lettres  pa- 
tentes (â;.  Il  exempta,  en  outre,  le  monastère  de  tout  droit  de 
travers  sur  l'Authie  pour  le  passage  de  ses  voitures  ou  de  ses 
bêtes  de  somme ,  au  bac  de  Nampont,  quand  ils  allaient  ou  ve- 
naient de  par  Montreuil-sur-Mer. 

Le  roi  Philippe  I«%  par  lettres  données  à  Senlis,  en  1060,  réi- 
téra cette  exemption  et  la  confirma  solennellement.  Il  frappa  de 


;i)  CorUulimus  Sancto  Ltieiano  et  monachis  ejus  comitatum  et  vicariam, 
quam  tenebamw  in  viUd  eorvm,  quœ  dicUur  Vuarlosus,  quia  Bœpè  que- 
rimoniam  apud  nos  faciebant  de  miwistrU  et  vicariis  nostria,  quod  ruslicoft 
eorum  maU  tractarent  et  injuslis  exactùmibus  et  placiHs  gravarent. 

(Louvet  :  Hi8t.  et  Ànt.  de  Beauvais,  t  ii,  p.  190 } 

(3)  Rotbertus  gratiâ  Dei  amminiculante  Francorum  rex....  Quapropter 
notum  volumus  esse  cunctis  tam  presentibus  quàm  futuris,  quod  ob  re- 
medium  animœ  nostrœ,  conjugis  ac  filiorum  salutem ,  cedimus  et  jure 
perpétua  condonamus  cœnobio  marlyris  sancti  Ludani  et  monachis  inibi 
monasticè  degentibus,  omnes  consuetudines  j  quœ  in  terris  eorum  sitis 
Senquaiio  et  Roseto  et  VerderonÂ,  ab  antecessoribus  iwstris  constilutœ 
sunt,  ut  deinceps  non  aliquis  nostrûm,  sive  regnvm  nostrum  inhabUan- 
tium  audeat  ibi  accipere  latronem,  neque  bannum  et  falconaiium,  neque 
rotatium,  et  quicquid  ibi  ad  nos  pertinere  videtur^  loco  prœdicti  martyris 
Ludani  in  perpetv/um  dimittimus.  Concedimus  autem  eis  Nempontis  trans- 
curswni  super  Àtteiam  fluvium^  ut  carri  et  summarU  eorum  Uberam  po- 
testatem  habeant  ev/ndi  et  redeundi,  et  transeant  etredeant^  qvarhdocumque 


DE   l'aBBATE  royale  DE   SAINT-LUCIEN.  295 

100  livres  d'or  d'amende  quiconque  violerait  ce  privilège  (1). 

Le  comte  Odon  de  Champagne,  le  frère  de  l'évéque  Roger, 
avait  aussi  donné,  quelque  temps  auparavant,  la  moitié  d'une 
terre  et  d'une  vigne  sises  au  faubourg  de  Beauvals  (2). 

L'abbaye  de  Saint-Lucien  était  florissante;  elle  avait  de  nom- 
breux religieux,  et  parmi  eux  on  remarquait  des  hommes  émi- 
nents  Lu  second  abbé  de  Saint-Symphorien,  Warin  ou  Warnier 
1036-f0f)0),  avait  été  pris  dans  son  sein,  ainsi  que  Robert  (1057), 
son  quatrième  abbé. 

on  ne  connaît  pas  l'année  de  la  mort  d'Hubert. 

XTV.  —  "Tliinault  (10o0?-1077). 

On  ne  saurait  dire  à  quelle  époque  précise  cet  abbé  ftit  élu; 
on  pense  qu'il  le  fut  vers  lOriO.  La  première  fois  qu'il  est  fait 
mention  de  lui  dans  l'histoire,  c'est  en  1072,  quand  il  signe 
comme  témoin  à  Tacte  de  fondation  de  la  collégiale  de  Sainl- 
Vaast  de  Beau  vais  (3). 

Thibault  jouissait  d'une  haute  réputation  de  vertu  :  aussi,  de 
toutes  parts,  recherchait-on  son  amitié.  L'évéque  de  Beauvais 
ne  dédaignait  pas  de  prendre  ses  conseils,  et  l'emmenait  avec 


voluefintj  absque  ullo  débita  et  sine  ullâ  inquieludine  et  injuria;  prcBciffi" 
mus  et  prœcfpto  nostro  imperamus  et  regiâ  auctoritate  nostrâ  isla  tnt;io- 
labilUer  sancimu^,  adjiàenles  ut  nemo  extra  et  inira  Monasteriolum  cas- 
trum  prœsumat  aliquid  ex  carri^  aui  summariis  eorum  9uscipe^e  vel 
qiwdcumque  prœtium  subripere.  lia  tamen  hoc  concedimus ,  ut  monachi 
prœdicti  loci  Chrisli  martyris  semel  in  hebdomadâ,  quartâ  feriâ,  omnes  in 
nnum  generaliter  missam  unam  concélèbrent  pro  nostrâ,  conjugis  et  filio- 
rt*/n  nostrorum  salule,  et  mut  in  vitâ,  ita  agant  post  nostri  corporis  dis- 
soluiionem. 

S.    ROBERT!. 

Franco  cancellariua  palatii  subscripsit. 

(Extrait  de  D.  Grenier,  198.  p.  125.) 

(1)  La  charte  de  Pliilippe  I"  se  trouve  dans  la  collection  de  D.  Grenier, 

198.  p.  126- 

(3;  D.  Percheron,  ch.  li. 
(3)  Louvet ,  t.  I ,  p.  fi94. 


296  HISTOIRE 

lui  quand  il  avait  des  afîaires  épineuses  à  traiter.  Un  jour,  que 
Guy  était  à  Montdidier,  et  Tliibault  avec  lui,  on  apprit  que  Gos- 
celiii  de  Bulles,  surnommé  ri<:nfant,  était  dangereusement  ma- 
lade en  son  Ch&teau  de  Bulles,  et  que  Ton  craignait  pour  ses 
jours.  L'évêque  portait  beaucoup  d'intérêt  à  cet  illustre  malade, 
qui  avait  toujours  été  comme  Ascelinus,  son  père,  un  des  plus 
fermes  soutiens  de  Téglise  de  Beauvais.  Il  suspendit  aussitôt  ses 
affaires  et  partit  avec  Tabbé  de  Saint-Lucien  pour  aller  lui  offrir 
les  secours  et  les  consolations  de  la  religion.  Cette  visite  inat- 
tendue causa  la  plus  grande  joie  au  noble  chevalier;  la  présence 
de  l'abbé  de  Saint-Lucien,  surtout,  qu'il  atrectionnait  particuliè- 
rement, lui  fit  un  sensible  plaisir.  Il  s'entretint  avec  lui,  puis, 
voulant  lui  témoigner  sa  reconnaissance  pour  sa  visite,  il  Ht 
signe  au  prélat  de  s'approcher  de  son  lit,  cl  lui  dit  :  «  Je  remets 
entre  les  mains  de  Votre  Sainteté,  au  proilt  de  l'oljbaye  de  Saint- 
Lucien  ,  j'offre,  livre  et  concède,  h  litre  de  donation,  d'offrande 
et  d'aumône,  pour  le  soulagement  de  mon  î\me  et  de  celles  de 
mes  parents,  la  moitié  du  fief  que  je  possède  à  Haucourt  par 
droit  de  succession,  avec  ses  hôtes,  ses  terres,  ses  bois,  le  droit 
de  justice  et  autres  privilèges  qui  y  sont  attachés,  à  la  charge 
par  les  religieux  de  célébrer  chaque  année  mon  service  anniver- 
saire et  de  se  souvenir  de  moi  dans  leurs  prières,  après  que  mon 
corps  aura  reçu  la  sépulture  en  leur  abbaye.  »>  L'évêque  Guy, 
profondément  touché  de  la  dévotion  et  de  la  piété  du  malade., 
rédigea  par  écrit  ses  dernières  volontés,  en  présence  de  Mathieu 
de  Bulles  et  de  Hugues  de  Dammartin,  oncles  du  testateur;  après 
quoi  le  testament,  revêtu  des  formalités  requises,  et  signé  par 
Boger,  archidiacre,  Gautier,  trésorier  de  la  cathédrale,  et  par 
les  membres  de  la  famille,  fut  déposé  entre  les  mains  de  Thi- 
bault, abbé  de  Saint-Lucien.  Le  malade  exposa  ensuite  à  ses 
oncles  et  à  l'évêque  les  scrupules  qu'il  avait  sur  la  licite  de  la 
possession  de  sa  terre  de  Bulles.  Il  savait  bien  que  le  roi  ChiN 
debert  l'avait  jadis  donnée  à  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  e\  que  ses 
ancêtres  se  l'étaient  appropriée  par  usurpation.  Il  venait,  par 
son  testament,  d'essayer  d'indemniser  l'abbaye,  mais  cela  suf- 
fisait-il? f^a  mort  l'enleva  avant  qu'on  eût  pu  donner  une  solution 
à  ses  doutes.  Le  jour  de  la  sépulture  de  Goscelin  dans  l'église  du 
monastère,  Hugues  de  Dammartin,  Mathieu  et  Payen  de  Bulles, 
ses  oncles,  déposèrent  solennellement  sur  l'autel  le  testament 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAINT-LUCIEN.  297 

du  défunt,  en  présence  de  toute  la  communauté  et  d'une  nom- 
breuse assistance,  et  ratifièrent  ses  dispositions  (1).  Celait 
vers  1075. 

Par  la  mort  de  Goscelin  de  Bulles,  Hugues  de  Dammartin,  qui 
avait  épousé  Raïde  ou  Roliarde  de  Bulles,  sœur  d'Ascelînus,  de- 
vint possesseur  de  la  terre  de  Bulles.  Les  scrupules  qui  avaient 
agité  son  neveu  sur  son  lit  de  mort,  au  sujet  de  la  légitimité  de 
cette  possession,  Tagitèrent  à  son  tour.  Il  en  conféra  plusieurs 
fois  avec  Tévèque,  et  le  pressa  de  lui  manifester  clairement  son 
sentiment.  Guy  lui  répondit  que  les  droifs  de  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien  sur  les  églises  et  sur  une  partie  de  la  seigneurie  de  Bulles 
lui  paraissaient  incontestables,  vu  la  donation  que  le  roi  avait 
faite.  «  Vous  ne  pouvez  pas,  lui  dit-il,  continuer  à  jouir  de  ces 
biens  en  sûreté  de  conscience,  et  l'emploi  que  vos  prédécesseurs 
ont  fait  d'une  partie  de  cette  propriété,  pour  fonder  un  chapitre 
destiné  au  service  des  églises  qui  y  sont  situées,  ne  peut  être  un 
motif  suffisant  pour  priver  l'abbaye  de  Saint-Lucien  de  ses  droits. 
Vous  êtes  obligé  de  réintégrer  cette  abbaye  dans  la  jouissance  de 
ce  qui  lui  appartient  légitimement.  »  Le  comte  de  Dammartin, 
convaincu,  s'en  fut  aussitôt  trouver  l'abbé  de  Saint-Lucien ,  lui 
remit  les  églises  de  Bulles  avec  leurs  dépendances,  et  le  pressa 
d'en  aller  prendre  possession.  L'abbé  ne  voulait  point  faire  va- 
loir ses  droits  auprès  des  chanoines  établis  dans  les  églises  res- 
tituées avant  d'avoir  obtenu  un  acte  en  bonne  forme;  il  pria 
l'évèque,  qui  avait  connaissance  de  toute  l'affaire,  de  le  faire 
rédiger.  Guy,  cependant,  insistait.  Alors  Thibault,  sur  ces  ins- 
tances réitérées,  alla  prendre  possession  des  églises  de  Bulles 
avec  plusieurs  de  ses  religieux.  L'évèque  lui  délivra  ensuite  l'acte 
authentique  qu'il  désirait;  il  est  daté  de  l'an  1075  (2). 

Il  y  avait  alors  à  Bulles  un  chapitre  de  prêtres  séculiers.  La 
piété  des  seigneurs  du  lieu  l'avait  fondé  pour  que  le  service  re- 
ligieux y  fCit  fait  avec  plus  de  régularité,  et  pour  donner  plus 
d'éclat  aux  cérémonies  du  culte.  L'institution  était  excellente  et 
ne  portait  préjudice  &  aucune  communauté  monastique.  Son 


(1)  Diplomatie. r  t.  i,  p.  586  —  Deiettre,  1. 1,  p.  503. 

(2)  Lofsel,  p.  260. 


298  HISTOIlJi 

existence  ne  poiivait  être  mise  en  péril  par  la  restitution  de» 
églises  de  Bulles  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien.  Aussi,  les  cha- 
noines étaient-ils  persuadés  q.ue  les  religieux  les  verraient  de 
bon  œil.  Ils  firent  donc  le  plus  cordial  accueil  à  Tabbé  Thibault 
et  à  ses  moines,  quand  ils  vinrent  prendre  possession  de  Bulles. 
L'abbjô  ne  manqua  pas  de  les  assurer  de  sa  sympathie,  et  Ton 
se  quitta  convaincu  que  les  rapports  seraient  toujours  em- 
preints de  la  même  bienveillance.  Et  pourtant  cela  ne  devait 
guère  durer. 

Hugues  de  Dammarlin  s'était  tout-à-coup  épris  d'un  beau  zèle 
pour  les  fondations  pieuses,  et  surtout  pour  les  institutions  mo- 
nastiques. Ces  dernières  lui  paraissaient  préférables  aux  insti- 
tutions canoniales  parce  qu'elles  offraient  plus  de  garantie  de 
stabilité.  II  résolut  d'en  établir  une  à  Bulles,  à  la  place  du  cha- 
pitre qui  y  existait.  11  communiqua  son  projet  à  Tabbé  de  Saint- 
r^ucien,  et  lui  demanda  de  lui  envoyer  quelques  religieux  pour 
donner  suite  à  ses  intentions.  11  promettait,  du  reste,  de  leur 
assurer  une  bonne  dotation.  L'abbé  était  dans  d'excellents  termes 
avec  les  chanoines  de  Bulles,  et  ne  voulait  pas  les  froisser. 
Sachant  que  le  projet  du  comte  de  Dammartin  leur  déplaisait, 
il  traîna  en  longueur  tant  qu'il  pût,  donnant  diverses  raisons  au 
comte  pour  pallier  le  retard  qu'il  mettait  aie  satisfaire.  La  situa- 
tion, dès  lors,  se  tendit  :  le  comte  accusait  Tabbé  de  négligence, 
et  les  chanoines,  se  persuadant  qu'il  était  pour  quelque  chose 
dans  le  changement,  se  brouillèrent  avec  lui.  Thibault,  par  trop 
de  condescendance,  ne  réussit  qu'à  se  mettre  mal  avec  les  deux 
partis. 

Le  comte,  à  la  fln,  crut  s'apercevoir  des  véritables  motifs  qui 
faisaient  agir  l'abbé;  son  caractère  bouillant  s'en  irrita,  et,  sans 
plus  lui  en  parler,  sans  môme  consulter  l'évèque  de  Beauvais, 
ni  obtenir  son  agrément,  il  fit  venir  des  moines  deVezelay; 
expulsa  les  chanoines  de  leur  église,  sans  autres  forn^alltés;  ins- 
talla les  moines  à  leur  place,  et  les  mit  en  possession  de  la  terre 
de  pulles,  leifr  promettant  de  les  protéger  contre  tout  trouble  et 
contre  toute  éviction. 

Le  procédé  était  peu  courtois,  et  le  comte  de  Dammartin  s'em- 
parait sans  façon  des  droits  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  pour  les 
transférer  à  une  autre  communauté.  C'était  une  injustice  fla- 
grante, et  elle  n'était  malheureusement  que  trpp  commune  à 


DE  l'abbaye  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  ^§ 

cette  époque,  où  la  féodalité  et  la  force  brutale  étaient  tqqtes 
puîssaotes. 
Thibault  mourut  sur  ces  entrefaites,  le  18  juillet  de  l'an  1077. 

XV.  —  F^ierr^  I"  (1077-1094). 

Le  cartulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Germer  fait  mention  de  Tabbé 
Pierre  dans  la  charte  de  fondation  du  prieuré  de  Villers-Saint- 
Sépulcre  (1).  Comme  cette  charte  est  fort  postérieure  à  la  fonda- 
tion ,  et  sans  date ,  elle  ne  peut  préciser  Tépoque  à  laquelle  cet 
abbé  y  souscrivit  pour  confirmer  la  donation  faite  par  Lancelin 
de  Beauvais,  de  la  maison  d'flémelin  de  Saint-Lucien. 

Pierre  apparaît  plus  certainement  le  jour  de  Noël  de  Tan  1078, 
quand  il  signa  comme  témoin  Tacte  de  fondation  du  prieuré  de 
Bury,  et  la  donation  au  chapitre  de  Beauvais  de  la  collégiale  de 
Saint-Nicolas  (2). 

Devenu  abbé  de  Sainl-Lucien ,  Pierre  prit  en  mains  les  intérêts 
de  son  monastère  et  revendiqua  énergiquement  la  terre  de  Bulles, 
dont  il  avait  été  si  inopinément  dépouillé.  Ses  réclamations  de- 
meurant sans  effet ,  il  porta  l'affaire  pardevant  le  légat  du  pape 
et  les  évoques  réunis  au  concile  d'issoudun ,  en  1081 ,  et  demanda 
justice.  Les  pères  du  cbncile  ^  soit  qu'ils  ne  fussent  pas  suffisam- 
ment renseignés,  soit  qu'ils  eussent  subi  l'influence  de  l'abbé  de 
Vezelay  ou  du  comte  de  Dammartin ,  se  prononcèrent  provisoi- 
rement contre  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  Ils  donnaient  gain  de 
cause  aux  religieux  de  Vezelay,  par  la  raison  qu'ils  étaient  en 
possession,  depuis  plusieurs  années,  de  l'église  de  Bulles  et  de 
ses  dépendances.  La  sentence  n'était  pas  définitive,  il  est  vrai; 
mais  telle  qu'elle  était,  elle  attribuait  néanmoins  la  jouissance 
de  la  terre  de  Bulles  à  des  religieux  qui  n'avaient  pour  eux  que 
la  simple  occupation,  et  privait  de  ses  biens  un  monastère  qui 
avait  des  droits  certains  et  légitimes.  L'injustice  paraissait  si 
notoire  qu'lves  de  Chartres  (3)  crut  devoir  en  écrire  au  légat 


(1)  LOQVet ,  t.  I ,  p.  643. 

(3)  Loavet,  t.  I,  p.  689. 
(3)  Bpist.  18L 


300  HISTOIRK 

Richard,  évèque  d'Albe,  pour  le  prier  de  faire  revenir  sur  cette 
décision.  Il  lui  exposa  clairement  toute  l'afTaire  et  fit  valoir  les 
droits  incontestables  de  Saint-Lucien  (i);  mais  quelques  efforts 
qu'il  fit,  il  ne  parait  pas  qu'on  ait  rendu  justice  à  notre  abbaye. 
Les  religieux  de  Vezelay  restèrent  en  possession  de  l'église  de 
Bulles. 

Nous  avons  à  revenir  maintenant  sur  la  fondation  de  la  collé- 
giale de  Saint-Nicolas  de  Beauvais,  que  nous  n'avons  fait  qu'in- 
diquer en  passant  afin  de  ne  pas  trop  interrompre  le  récit  du 
différend  relatif  à  Bulles. 

Il  y  avait,  dans  Tintérieur  de  la  ville,  une  ancienne  chapelle 
en  bois,  bâtie  dès  les  premiers  temps  du  christianisme,  auprès 
de  la  demeure  que  Ton  disait  avoir  été  habitée  jadis  par  saint 
Lucien.  Les  évèques  de  Beauvais  l'avaient  donnée  à  Tabbaye  de 
saint-Lucien,  avec  le  fief  sur  lequel  elle  était  construite.  Klle  tom- 
bait de  vétusté  quand  un  pieux  sénéchal  de  Tévèque  de  Keauvais, 
nommé  Raoul,  entreprit  de  la  rebâtir.  C'était  un  des  plus  riches 
feudalalres  du  comté.  Il  sollicita  et  obtint  de  l'abbé  de  Saint- 
Lucien  la  propriété  de  l'emplacement  où  elle  était  située,  et  fit 
bâtir  â  sa  place  une  vaste  église  en  pierres,  la  dota  de  revenus 
assez  considérables,  et  y  établit  un  chapitre  qui  fut  sous  la  juri- 
diction de  l'abbaye.  L'évêque  dédia  l'édifice  sous  l'invocation  de 
saint  Lucien  et  de  saint  Nicolas.  Kn  échange  du  terrain,  Raoul 
avait  donné  à  l'abbaye  de  Sainl-Lucien  les  églises  de  Méry  et  de 
Mortemer,  et  celle  de  Saint- Laurent,  en  Angleterre.  L'obituaire 
du  monastère  en  fait  mention  en  ces  termes  :  Obiit  Radulphu^ 
miles  j  qui  dédit  nobis  ecclesiom  Maris  et  de  Mortuo  Mari  cum  his 
qux  ad  eam  pertinent,  in  Jnglia,  ecctesiam  Sancti  iMurentii, 
L'abbaye  perdit  ou  échangea  elle-même  plus  tard  ces  églises. 
Klle  n'en  était  plus  en  possession  au  xiv*"  siècle. 

Raoul,  craignant  que  son  établissement  ne  vint  à  éprouver 
des  troubles  ou  des  vexations  après  son  décès,  prit  le  parti  de 
le  céder  au  chapitre  cathédral  de  Beauvais.  M  l'abbé  de  Saint- 
Lucien,  ni  l'évoque  ne  s'y  opposèrent,  et  la  donation  eut  lieu  le 
jour  de  NoëH078.  Pierre  signa  l'acte  avec  trois  de  ses  religieux, 
Âdélulphe,  Hugues  et  Thibault,  et  obtint  qu'en  souvenir  de  la 


(1)  Loavet,  1. 1,  p.  634. 


OB  L*ABBAYE  ROYALE  DE  SAINT-LUCIEN.  301 

juridiction  qu'il  abandonnait,  la  collégiale  lui  fournirait  annuel- 
lement une  livre  d'encens  (1).  . 

L'abbé  de  Saint-Lucien ,  Pierre ,  accompagna  l'évoque  Ursion 
au  concile  de  Compiègne,  tenu  en  1085,  et  fut  entendu  avec  ses 
collègues  de  Breteuil  et  de  Saint-Symphorien  dans  une  question 
litigieuse  entre  l'abbaye  de  Saint-Corneille  de  Compiègne  et  Hil- 
got,  évèque  de  Soissons.  Leurs  dires  firent  maintenir  les  privi- 
lèges de  l'abbaye  et  son  exemption  de  la  juridiction  épiscopale. 

Cette  afiTaire  décida  Pierre  à  demander  à  son  évèque  la  confir- 
mation de  tous  les  biens  et  de  tous  les  privilèges  de  son  abba>-e. 
Ursion  y  consentit  de  bonne  grâce  et  lui  accorda  aussitôt  des 
lettres  de  confirmation  (1085).  Pierre  en  obtint  de  nouvelles 
quelques  années  plus  tard  (1090)  de  Foulques  de  Dammartin, 
son  successeur  (2). 

Cependant  l'abbé  de  Saint-Lucien  voyait  partout,  autour  de 
lui,  s'élever  des  constructions  plus  majestueuses  que  celles  des 
siècles  précédents.  Jusque-là  on  n'avait  guère  bâti  qu'en  bois, 
et  cette  matière,  outre  qu'elle  ne  permettait  pas  de  donner  au- 
tant d'ampleur  aux  édifices,  offrait  sans  cesse  une  proie  facile 
aux  incendies.  Partout  on  cherchait  à  remplacer  le  bois  par  la 
pierre,  depuis  que  les  terreurs  de  Tan  1000  étaient  passées;  c'é- 
tait aussi  plus  solide  et  plus  imposant.  Pierre  souffrait  de  voir 
l'église  de  son  monastère  dans  un  état  de  vétusté  qui  nécessitait 
de  continuelles  réparations ,  et  il  eut  la  pensée  d'en  construire 
une  nouvelle,  plus  vaste  et  plus  en  rapport  avec  les  besoins  de  la 
communauté.  Il  communiqua  son  projet  à  ses  religieux,  qui  tous 
l'approuvèrent.  L'un  d'eux  même,  un  nommé  Qautier,  qui  avait 
certaines  connaissances  en  cette  matière ,  s'offrit  d'en  dresser 
les  plans  et  d'en  surveiller  les  travaux.  L'offre  fut  acceptée;  on 
fit  appel  à  la  libéralité  des  âmes  généreuses  et  l'on  se  mit  réso- 
lument h  l'œuvre.  Un  maître  maçon  {C3smm(ariu8\  nommé  Virem- 
bolde,  entreprit  la  construction  et  la  poussa  avec  activité,  mais 
pas  assez  pourtant  pour  que  Pierre  pût  voir  la  dédicace  de  son 
œuvre.  Cette  satisfaction  devait  être  réservée  àcirold,  son  se- 
cond successeur.  Le  cartulaire  du  monastère  a  conservé  le  sou- 


1)  Louvet,  r.  I,  p.  687. 
i2)  Gallia  Chmtiana,  t.  ix,  col.  781. 


302  HISTOIRE 

venir  d'un  nommé  Gautier,  qui  donna,  avec  Videla,  sa  femme, 
le  quart  d'une  maison,  d'un  jardin,  d'une  vigne  et  d'un  pré 
pour  la  construction  de  la  nouvelle  église. 

Une  autre  donation,  beaucoup  plus  importante,  eut  lieu  sur 
ces  entrefaites I  c'est  celle  de  la  terre  de  Grand villiers.  Roricon, 
évèque  d'Amiens,  possédait  la  moitié  de  cet  alleu,  et  Arenburge, 
mère  de  Saint-Hugues,  moine  de  Cluny,  l'autre  moitié.  Poussés 
par  une  pensée  généreuse,  ils  firent,  l'un  et  l'autre,  abandon 
de  cette  propriété  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien  vers  1090,  pour 
avoir  part  aux  prières  de  ses  religieux.  Une  lettre  du  moine 
Hugues,  adressée  à  Gervin  ou  Godefroy,  évèque  d'Amiens,  nous 
donne  les  détails  de  cette  donation  (1). 

Uueiques  temps  avant  sa  mort,  Herre  donna  une  dent  de  saint 
Lucien  à  Lancelin,  le  fondateur  du  prieuré  de  Villers- Saint- 
Sépulcre  (2J. 

Pierre  mourut  en  1094. 

XLVI.  —  Olltoert  (1094-1099). 

Un  des  actes  les  plus  importants  de  l'administration  de  cet 
abbé  est  la  fondation,  sous  la  dépendance  de  l'abbaye  de  Saint- 


[Vl  LBTrRB  DE  HUGOKS .   MOINE  DE  CLUNY,  CONCERNANT  LA  DONATION 

DE  LA  TERRE  DE  GRANDYILLIERS. 

Reverendo  Pàtri  et  Domino  G.  episcopo  et  omnibus  Àmbianen$i8  ecele- 
siw  fiUis  ftater  Btigo  Cluniaeensis  uUimris,  servus  vester  humiUimus  in 
Domino  salulem.  Notum  sit  vestrœ  eharitati  quod  alodium  illud  de  Gran- 
vUer,  quod  prcedecessoris  vestri  domini  Rorigonis  episcopi  et  tnatris  meœ 
atUiquitùs  fuerat,  ipse  dominais  Rorigo  et  mater  mea  beato  Luciatw  Belr 
vcLcensi,  pro  animabus  suis  et  parentum  suorum  légitime  concesserunl, 
Hà  videlicet  ut  eis  viventibus  aliquantula  annui  censûs  distributio  ex 
eodem  alodio  solveretur.  Decedenle  ilaque  domino  Rorigone  episcopo  mé- 
dia pars  ipsius  alodii  quitta  et  sine  censu  ecclesiœ  sancti  Luciani  omninb 
Ubera  remansit.  Po$tquàm  vero  mater  mea  mundo  mortua,  pro  t)omino 
se  monacham  fecerit,  quicquid  ad  ipsum  de  prœdicto  alodio  pertinuit, 
possessioni  beati  Luciani  martyris  absque  censu  aUquo  et  penitus  absolu^ 
twn  devenu.  Vestrœ  Sanctitati  veritatem  scribere  vohti.  Valete. 

(D.  Porcheron,  cb.  17}. 
(9)  Loovet,  1. 1,  p.  643. 


DB   L'aBBATE  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  StiS 

Lucien,  du  prieuré  de  Saint-Martiu  d'Âuchy,  près  d'Âumale,  par 
Etienne,  comte  d'Aumale. 

Guérinfroid,  premier  comte  d'Aumale,  avait  fondé,  vers 
Tan  iOOO,  une  collégiale  dans  la  campagne  appelée  Auchy,  au- 
près de  la  ville,  et  l'avait  dédiée  sous  le  vocable  de  Notre-Dame 
et  de  Saint-Martin.  Le  second  nom  seul  prévalut.  Un  de  ses  suc- 
cesseurs, nommé  Etienne,  conçut  le  projet  de  la  soumettre  à 
là  régularité  et  d'en  faire  un  établissement  monastique.  El  lit 
part  de  son  dessein  à  Gilbert,  abbé  de  Saint-Lucien ,  et  lui  de- 
manda ses  conseils.  L'abbé  l'approuva  et  lui  proposa  même  d'en 
prendre  la  direction,  s'il  le  trouvait  bon.  C'était  ce  que  désirait 

Etienne. 

Un  jour  donc,  qu'une  nombreuse  assemblée  se  tenait  à  Rouen, 
sous  la  présidence  de  l'archevêque  Guillaume,  c'était  le  ii  dés 
ides  de  juillet  U4  juillet  1096),  le  comte  d'Aumale  s'y  rendit  avec 
plusieurs  de  ses  barons,  et  déclara  solennellement  qu'il  donnait 
à  perpétuité  l'église  de  Saint-Martin  d'Auciiy,  avec  tous  les  biens 
qui  en  dépendaient,  au  monastère  de  Saint-Lucien ,  afin  que  les 
moines  priassent  toujours  pour  lui,  pour  la  rémission  de  ses  pé- 
chés et  pour  l'àme  de  Guillaume ,  roi  d'Angleterre,  son  oncle; 
pour  celle  d'Adélise,  sa  mère,  et  pour  celles  de  tous  ses  autres 
parents  défunts.  Il  en  fit  aussitôt  dresser  acte  (1),  et  il  y  spécifia 
que  les  chanoines ,  qui  étaient  actuellement  en  possession  de  la 
collégiale,  conserveraient  pendant  leur  vie  la  jouissance  des 
biens  de  ladite  collégiale ,  et  que  les  ornements  de  régli»e  et 
tout  ce  qui  lui  avait  été  donné  resteraient  exclusivement  affectés 
au  service  de  cette  église ,  sans  que  rien  pût  en  être  distrait  pour 
une  autre  destination.  L'archevêque  et  toute  l'illustre  assemblée 
apposèrent  leur  seing  au  bas  de  cet  acte.  On  y  voyait  les  noms 
de  Robert,  comte  de  Normandie,  de  Gilbert,  évêque  d'Evreux, 
de  Gilbert,  évêque  de  Lisieux,  de  Serlon,  évêque  deSéez,  d'Heî- 
got,  abbé  de  Saint-Ouen,  de  Robert,  comte  de  Flandre»  d'Eus- 
tache,  comte  de  Boulogne,  de  Manassès,  comte  de  Gévrodie, 
d'Enguerrand ,  comte  de  Saint-Paul,  de  Mathieu,  comte  de 
Beaumont,  et  de  bien  d'autres  (â). 


(1)  GalUa  Christiana,  t.  xi ,  Instrum  ,  col.  19. 

{2)  Semichon:  Histoire  de  la  tille  d'Aumale,  t.  i,  p.  300. 


304  HISTOIRE 

Cet  établissement  prospéra,  et  les  comtes  d'Aumale  le  dotèrent 
si  richement  qu'il  ne  tarda  pas  à  être  érigé  en  abbaye.  Gilbert 
ne  vit  pas  ce  changement,  la  mort  Tenlevale  4  novembre  1099. 


XVII.  —  Oirold  (ilOO-H28). 

Girold,  que  Ton  trouve  aussi  appelé  Gérard,  succéda  immé- 
diatement à  Gilbert.  Il  s'occupa  activement  de  faire  terminer  les 
travaux  entrepris  par  Pierre,  Tun  de  ses  prédécesseurs,  pour  la 
reconstruction  de  son  église  ^  et  il  eut  la  joie  d'en  voir  faire  la 
dédicace  solennelle  par  Tévêque  Godefroi  de  Pisseleu,  en  1109. 
On  avait  levé  les  corps  des  abbés,  des  évèques  et  des  autres 
personnages  inhumés  dans  l'ancienne  église,  et  on  les  avait 
transportés  dans  les  caveaux  creusés  sous  le  nouvel  édifice.  Un 
plomb,  trouvé  en  1815  dans  une  tombe  placée  sous  le  côté  droit 
du  chœur,  et  possédé  par  M.  le  chanoine  Barraud ,  fait  ainsi 
mention  de  la  translation  du  corps  de  l'évêque  Honorât  :  »  ii  idus 

MAll,  ANNO  INCARNATI  VERBI  M®  C°  Vlllio,  INDICTIONE  II,  ANNÔ  1« 
LUDOVICI  REGIS,  TEMPORE  PAPE  PASGHALIS  11  ET  GALSFRIDI  BEL- 
VACENSIS  EPISCOPI.  TRANSLATUM  EST  CORPUS  HONORATI  EPISCOPI, 
ET  HIC  REPOSITUM  SUB  GIROLDO  ABBATE  ;  EODEM  AP^NO  FUIT  ULTI- 
MUM  PASGHA.  » 

On  tenait  beaucoup,  à  cette  époque,  à  être  inhumé  dans  les 
cloîtres  ou  dans  les  églises  des  monastères,  afin  d'avoir  part 
aux  prières  et  aux  bonnes  œuvres  des  religieux,  et  pour  obtenir 
cette  faveur  on  s'empressait  de  faire  des  legs  ou  des  donations 
aux  communautés.  Ainsi  avait  fait  Goscelin  de  Bulles  pour  avoir 
sa  sépulture  dans  l'église  de  Saint-Lucien. 

En  1109,  Henri,  comte  d'Eu,  confirme  les  donations  faites  par 
t\obert,  son  aïeul,  et  Guillaume,  son  père,  et  en  ajoute  lui-même 
de  nouveHes,  à  la  condition  que  les  religieux  prieront  Dieu  pour 
lui ,  pour  le  repos  des  âmes  de  ses  ancêtres,  de  celle  de  sa  femme, 
récemment  décédée,  et  pour  la  sienne  quand  il  aura  cessé  de 
Vivre.  Robert  avait  donné  cinq  masures  sises  au  Tréport,  sur  la 
grève  (m  ripd  et  arerul  UlteriusPortûs)^  Guillaume  avait  exempté 
l'abbaye  de  tout  droit  de  travers  et  de  tonlleu,  pour  les  vivres 
et  les  marchandises  qu'elle  pouvait  faire  venir  de  ce  port.  Henri 
ajouta  deux  nouvelles  masures  sur  la  grève,  et  eoncéda  le  tout 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAINT-LllGlEN.  305 

franc  et  libre  de  fous  droits  et  de  toutes  couiixmes  {concéda  vobis 
xeptem  mansuras  cum  omnibus  consuetudinibus  suis,  ita  libéras 
sicuti  Pntlelmxis  pater  meus  et  Rotbertus  avus  meus  tenuerunl 
et  ego  ieneo  (i). 

Un  seigneur  de  ces  parages,  Raoul  de  Mortemer,  effrayé  des 
excommunications  que  les  conciles  et  les  papes  fulminaient 
contre  les  détenteurs  de  biens  ecclésiastiques,  se  dessaisissait, 
en  cette  même  année  11U9,  du  droit  qu'il  s'était  arrogé  sur  les 
oblations  {altare)  de  l'église  de  Maisnières,  au  diocèse  d'Amiens, 
et  le  remettait  entre  les  mains  de  l'évèque  Godefroi,  pour  être 
donné  à  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  L'évèque  accepta  le  mandat  et 
le  remplit  incontinent.  Plus  tard,  Saint-Lucien  céda  ce  droit  à 
l'abbaye  de  Corbie  (S). 

Kn  iMi,  l'abbé  Girold  traita  avec  le  sire  de  Ciiemnel  pour 
racheter  la  moitié  du  droit  d'avouerie  sur  la  terre  de  Itaulers, 
et,  l'étole  au  cou,  dit  la  cliarte  qui  rapporte  ce  traité,  il  pro- 
nonça l'anathème  contre  quiconque  oserait  le  violer.  H  était  ac- 
compagné de  Thibault,  prieur,  et  de  Jean,  trésorier  de  l'abbaye. 
Cette  terre  de  Maulers  avait  été  précédemment  donnée  par  un 
comte  nommé  Thibault  (Tetbofdus  comes\  mais  on  ne  sait  pas 
en  quelle  année.  Les  renseignements  concernant  le  donateur 
font  aussi  défaut. 

Cet  abbé,  qu'une  étroite  amitié  liait  avec  l*ierre-le-Vénérab!e, 
jouissait  d'une  haute  considération,  et  au  synode  de  Beauvais, 
tenu  en  illi,  il  fut  l'un  des  juges  délégués,  avec  le  légat  Conon, 
pour  prononcer  dans  le  différend  survenu  entre  l'abbaye  de 
Saint-Paul  et  les  chanoines  de  Milly,  au  sujet  du  droit  de  nomi- 
nation h  la  cure  d'Hannaches  (3). 

Si  Girold  avait  pour  lui  l'expérience  et  la  prudente  sagacité 
qui  sont  tant  recherchées  dans  l'expédition  des  affaires,  il  y  joi- 
gnait aussi  une  bonté  toujours  juste,  qui  se  fait  aimer  des  infé- 
rieurs, et  un  zèle  actif  qui  sait  profiter  des  occasions  pour  en- 
treprendre des  choses  utiles.  Aimé  des  siens,  estimé  par  tous,  il 


(1)  Ctiarie  originale  dans  le  cabinet  de  M.  Hathon ,  de  Beau  rais. 

;2)  D.  PorctieroD,  cb.  23 

'3)  Louvet»  t.  I,  p.  620. 

T.  viii.  iO 


306  Histoire 

avait  lasatisfaclion  de  se  voira  la  (èle  d'une  coiuinuuauté  uoin- 
breuse  et  des  plus  régulières.  Il  dcsirait  répandre  autour  de  lui 
cette  exubérance  de  vie  monastique  qui  était  renfermée  dans  son 
abbaye.  La  fondation  des  prieurés  lui  souriait.  Fonder,  dans  les 
localités  où  il  possédait  quelques  biens,  des  établissements  ha- 
bités par  un  certain  nombre  de  moines,  obligés  de  remplir  tous 
les  devoirs  de  la  vie  religieuse  et  chargés  d'exploiter  ces  terres 
ou  d'en  surveiller  Texploitation ,  lui  paraissait  devoir  être  une 
œuvre  excellente.  Ces  prieurés,  ou  espèces  de  petits  monastères, 
gouvernés  par  un  prieur  qui  resterait  soumis  à  la  maison-mère 
et  à  son  abbé,  déchargeraient  Tabbaye  de  son  excédent  de  per- 
sonnel, en  môme  temps  qu'ils  assureraient  la  bonne  adminis- 
tration des  biens,  et  édifieraient  les  peuples  par  la  vie  simple, 
pieuse  et  mortifiée  de  ses  membres.  Il  avait  déjà  un  établisse- 
ment de  ce  genre  dans  le  prieuré  de  Saint-Martin  d'Auchyi  près 
d'Aumale;  mais  cela  ne  lui  sufflsait  pas  :  il  voulait  en  établir 
d'autres,  et  avec  d'autant  plus  d'empressement  que  celui-ci 
était  sur  le  point  de  lui  échapper. 

En  effet,  le  prieuré  de  Saint-Martin  d'Auchy  avait  pris  tant 
d'extension,  son  personnel  était  devenu  si  nombreux,  que  le 
comte  d'Aumale,  son  fondateur,  n'avait  pas  craint  de  demander 
à  l'abbé  Girold  l'autorisation  de  l'ériger  en  monastère  indépen- 
dant. C'était  priver  l'abbaye  de  Saint-Lucien  d'un  membre  bien 
Important,  et  la  séparation  ne  pouvait  s'effectuer  sans  le  consen- 
tement de  son  abbé,  qui  avait  juridiction  pleineet  entière  sur  cette 
église  depuis  l'union  faite  en  1096..  Néanmoins,  Girold  ne  crut  pas 
devoir  refuser  ce  consentement;  il  le  donna  publiquement  en  y 
mettant  toutefois  la  condition  que  le  nouvel  établissement  serait 
pourvu  de  revenus  sufQsants  pour  que  ses  membres  n'eussent 
pas  à  végéter  misérablement  (1).  Etienne,  comte  d'Aumale,  avait 
cette  érection  à  cœur,  et  il  fit  tout  ce  qui  dépeadaM  de  lui  pour 
satisfaire  aux  conditions  posées  par  Girold.  Aux  possessions  d^à 
fort  nombreuses  du  prieuré,  il  en  ajouta  de  nouvelles  (1115)  :  la 
dlme  et  les  églises  dePreston,  d'Eschechilingua,  deWiforhennic, 
de  Unagla,  de  Frohingheham ,  d'Aldebourg,  de  Mapellona,  de 


(1)  L'acte  de  consenlement  est  cité  on  entier  par  le  GalUa  Chrvtliana, 
t.  XI ,  col.  20. 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAIiNT-LUGIËN.  S07 

Doneslal,  d'Erlisefona,  de  Rereslal,  de  Cliinlesaî,  deCeingbebam, 
de  Wifornesel.  d'V'nlindesia,  deCarlenton  et  deBaroie,  au  oomté 
d'Holderness ,  en  Angleterre;  la  dlme  et  les  églises  de  Villers, 
d'Haudricourt,  de  Saint-Valéry,  deBeaufrêne,  deSaiot-SaturniD, 
d'Ailecourt,  de  Flomlnès,  de  Hillais,  de  Vîller8-sous*Foucar- 
mont,  au  comté  d'Aumale,  en  France;  toutes  les  dîmes  de  sa  sei- 
gneurie, un  hôte  près  de  la  rivière  d^£aulne ,  les  foires  des  deux 
fèies  de  Saint-Martin ,  la  dtme  Oe  ses  moulins,  la  dlme  des  porcs 
h  Bloaseville,  la  forêt  de  Mouflers,  etc.,  etc.  (i).  Ualgré  cea  do- 
nations, le  comte  Etienne  ne  put  voir  Térection  en  abbaye  du 
prieuré  d'Auchy,  Girold  non  plus  :  tous  deux  étaient  morts  quand 
cela  eut  lieu. 

En  1430,  à  la  prière  du  comte  (juiltaume,  fila  d'Etienne,  el 
avec  Tassentiment  de  Serlon,  abbé  de  Saint- Lucien ,  Vérectio» 
en  abbaye  du  prieuré  de  Saint-Martin  d'Aucby  fut  faite  en  pré- 
sence d'Hugues,  archevêque  de  Rouen,  et  de  son  chapitre  catbé- 
dral.  Il  fut  statué  (2;^  toutefois  que  le  premier  abbé  d'Aumale  se- 
rait pris  dans  Tabbaye  de  Saint-Lucien,  el  que,  pour  l'avenir, 
on  pourrait  prendre  Vabbé  dans  le  sein  du  nouveau  monastère. 


(1)  Archives  de  la  Seine-Inférieure  :  abbaye  d'Aacby. 

{^)  E{  koc  or(b'na^Km  est  conditione  quod  primum  abbaUnjL 

ail  eccUda  S.ancli  luciani  Relvacensis  adducanl;  omnes  verb  subseqttenUs 
ahbates  in  ecdesia  Sancti  Martini,  si  ibi  idoneum  invenire  poterant.  omm 
o/fensacnlo  remoto,  eligantur.  Et  si  in  ecdesia  Sancti  Martini  aliquis 
iionetis  invcniri  non  poterit,  ab  ecdesia  Sancti  Luciani  reqmrat%»r,  si 
veto  nec  in  ilia  idoneiim  invenirent ,  a  qualibet  eccksia,  assensu  abbafi» 
Sancti  Luciani,  requiratur;  et  quoniam  in  eceksia  Sancti  Lueiofd  exoT" 
(Hum  sumpsiùj  statulwn  es^  eoram  cmnibits  svpradicHs  personis  oéi  ipso 
cornu  (WiUelinoJ  prefatO'  et  ab  omnibus  hereé^uA  stâà  ptrsokfmikt»  dstaê 
marcoê  afgmUi  ssqumUi  die  festi  Sancài  9fim^  per  singnl^fi  «mum  #d- 
desie  Sanfili  Ludani,  pro  animabus  patris  il  mairi$  sue  ac  çj»jh9|9»  an(^ 
tecessorwn  et  successorum  suorum.  El  monachi  Sancti  Martini  acdpient 
eas  tt  reddenl  ecdesie  SoTicti  Ludani  :  quo(i  si  red'iite  et  solvte  non  fae- 
rint  infra  xv  dies  post  festum  Sancti  Remigii,  decanus  Àlbemarle,  sicut 
stat^tum  et  decretum  est  eoram  archiepiscopum  Rothomagensem,  did- 
num  offiduminparochia  et  in  castello  Albemarle  fieri  prohibeat,  qnousque 
ecdesie  Sandi  Ludani  pr édicté  marce  reddentwr. 

(Archiv.  de  l'Oise  :  abb.  de^  Saial  hnoïtm ,  Annale.) 


S08  UIStOIR£ 

si  on  y  trouvait  un  sujet  capable.  Au  cas  contraire,  ou  devrait 
le  choisir  parmi  les  moines  de  Saint-Lucien ,  à  moins  que  leur 
abbé  ne  voulût  pas  y  consentir,  ou  que  l'on  n'y  trouvât  pas  non 
plus  de  sujet  capable,  alors  on  pourrait  le  prendre  ailleurs  avec 
le  consentement  de  Tabbé  de  Saint- Lucien. 

Le  comte,  pour  témoigner  sa  reconnaissance  à  Tabbaye  de 
Saint-Lucien,  de  ce  qu'elle  avait  consenti  à  cette  érection ,  et 
pour  attester  à  travers  les  siècles  la  juridiction  primitive  de  cette 
abbaye  sur  Saint-Martin  d'Aucby,  régla  qu'à  l'avenir  les  moines 
d'Auchy  prendraient  chaque  année,  à  la  Saint-Remy,  sur  le  cens 
de  la  seigneurie  d'Aumale,  deux  marcs  d'argent  et  les  donne- 
raient incontinent  à  l'abbayo.  de  Saint  Lucien.  Faute  de  paie- 
ment, après  quinze  jours  de  délai ,  le  doyen  d'Aumale  devrait 
faire  cesser  le  service  divin  dans  la  paroisse  de  Saint-Martin  et 
dans  le  château  jusqu'à  ce  que  le  paiement  fût  effectué. 

Cette  somme  fut,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  payée  au 
chantre  de  l'abbaye  de  Saint- Lucien  (i). 

Le  premier  abbé  d'Auchy  fut  pris  dans  l'abbaye  de  Saint-Lucien; 
il  était  prieur  de  cette  abbaye  et  se  nommait  Noël.  Il  conserva 
ses  relations  d'amitié  avec  son  ancienne  maison ,  et  les  rapports 
des  deux  monastères  se  continuèrent  dans  les  meilleurs  termes 
pendant  bien  des  siècles.  En  Tan  1âi!2,  un  abbé  d'Aumale,  nommé 
Martin,  voulut  encore  resserrer,  d'une  manière  plus  étroite,  l'u- 
nion déjà  existante  entre  les  deux  établissements,  et,  d'un  com- 
mun accord  avec  ses  moines,  il  statua  qu'à  l'avenir  son  monas- 
tère serait  intimement  associé  à  celui  de  Saint-Lucien,  tant  au 
temporel  qu'au  spirituel ,  et  que  l'abbé  de  Saint-Lucien  pourrait 
faire  venir  des  moines  de  la  communauté  d'Aumale  et  les  garder 
chez  lui  autant  de  temps  que  leur  présence  lui  serait  utile.  «  Fo- 
lumtu  ac  stcUuimus  ut  tnonasterium  nostrum  monasterio  Sancii 
Ludani  Belvacensts  cohereat  et  in  perpetuum  uniatur  tam  in  teni- 

poralibus  guam  in  spiritualibus ,  ut  abbas  Sancfi  Luciani 

de  fratribus  nostris  et  monachis  aliquos,  quos  sibi  necessarios  et 
tcdfes,  si  l'ofuerit,  per  abbatis  Ucentiam,  ad  se  vocet  in  suo  mo' 
nasteriOy  quctmdiu  voluerit  vioraturos  (2). 


(1:  Semicbon  :  Hist.  d'Aumale,  t.  i ,  cb.  xvi. 
(-2)  D.  Porcberon ,  cb.  19. 


DE  L*ABBAYE   ROYALE   DE   SAINT-LUCIEN.  309 

Quoiqu'il  en  fût  de  cette  uniou  morale.  Térection  du  prieuré 
de  Saint-Martin  d'Auchy  en  abbaye  n'en  séparait  pas  moins  de 
Saint-Lucien  un  de  ses  membres  les  plus  importants;  mais  Vabhé 
Gilbert  Teut  bientôt  remplacé  en  fondant  d'autres  prieurés. 

Saint-Maxien  fut  le  premier  établi.  Saint  Lucien,  saint  Julien 
et  saint  Maxien  avaient  été  martyrisés  sur  le  coteau  de  Montmille, 
et  les  corps  des  deux  compagnons  du  grand  apôtre  avaient  été 
inbumés  sur  le  bord  de  la  colline,  à  quelques  pas  du  lieu  du 
martyre.  Ces  restes  vénérables  avaient  été  transportés  et  réunis, 
vers  la  fin  du  vi«  siècle,  k  ceux  de  saint  Lucien,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit.  Les  fidèles,  malgré  cette  translation,  continuaient 
de  se  rendre  à  Montmille  pour  y  prier  sur  cette  terre  arrosée  du 
sang  des  martyrs.  Alors  Girold  résolut  d'y  établir  un  prieuré. 
Sur  le  lieu  où  avaient  été  inhumés  saint  Julien  et  saint  Maxien, 
il  fit  construire  une  église  (1),  y  adjoignit  des  cloîtres  et  les  bâ- 
timents nécessaires  au  logement  d'une  petite  communauté  et  à 
l'exploitation  des  terres  qu'il  attacha  à  cet  établissement.  Quand 
tout  fut  prêt,  il  y  envoya  quatre  religieux  sous  la  conduite  d'un 
prieur.  Les  premiers  dont  les  noms  nous  soient  parvenus  sont 
cités  dans  une  charte  de  donation  de  six  mines  de  blé  de  rente 
faite  par  Adèle,  femme  d'Albert  Tinel,  sous  l'épiscopat  de  Gode- 
froi  de  Pisseleu  liiOi  11U),  peu  de  temps  par  conséquent  après 
la  fondation  du  prieuré.  Le  prieur  s'appelait  Adéline,  et  les  re- 
ligieux Manassès,  Robert,  Barthélémy  et  Rainai  (â).  L'église  fût 
dédiée  sous  le  vocable  de  saint  Maxien,  l'un  des  deux  martyrs 
inhumés  dans  son  enceinte,  et  le  prieuré  porta  le  nom  de  prieuré 
de  Saint-Maxien. 

L'établissement  de  cette  église  offrait  aux  pèlerins  plus  de  fa- 
cilité pour  y  faire  leurs  dévotions  :  aussi,  le  concours  des  fidèles 
devint-il  plus  nombreux  de  jour  en  jour,  f.es  aumônes  faites  au 
religieux  augmentaient  en  proportion.  Pour  témoigner  leur  re- 
connaissance et  pour  donner  plus  d'extension  encore  à  la  pieuse 
affluenc^,  les  bons  moines  demandèrent  à  l'évèque  de  Beauvais 


(L)  Celle  qal  existe  encore  aujourd'hui ,  et  qal  sert  d'église  paroissiale 
à  Foaqaenies,  étant  du  commencement  da  xii*  siècle  ou  de  la  fln  du  xi% 
doit  être  l'église  primitive  du  prieuré  de  Saint-Maxien. 

{2)  LOQVet,  t.  I,  p.  CkW. 


310  H18T0IBIS 

de  vouloir  bien  accorder  à  ceux  qui  visilcraient  celle  église  quel- 
ques-unes des  faveurs  spirituelles  qu'obtenaient  ceux  qui  faisaient 
le  voyage  d'outre-mer  pour  visiter  les  saints  lieux.  Godefroi  de 
Pisseleu,  condescendant  à  leur  pieuse  requèle,  leur  accorda, 
en  1112,  une  indulgence  remettant  le  quart  de  la  pénitence  ca- 
nonique aux  fidèles  qui,  s'étant  confessés,  visiteraient  Téglise 
de  Sainl-Maxien  le  dimanche  de  ia  micarême,  où  Ton  chante 
rintroït  Lœiare  cl).  L'évêque  Odon  renouvela  cette  indulgence 
en  1138,  et  Philippe  de  Dreux ,  en  1211,  prolongea  le  temps  pour 
la  gagner  jusqu'à  Toctave  de  Pàquos.  Nous  en  ])arlerons  plus 
tard. 

L'abbé  de  Saint-Lucien  ne  se  contenta  pas  de  celle  fondation, 
il  établit  encore  un  prieuré  à  Sénari)ont,  au  diocèse  d'Amiens, 
et  l'église  fut  dédiée  à  saint  Denis.  Les  seigneurs  du  lieu,  ainsi 
que  ceux  d'Aplaincourt  et  de  Bernapré,  le  dotèrent  largement. 

Au  môme  temps  apparaissent  les  prieurés  de  Pernois,  de  Fil- 
tecourt,  de  Notre-Dame-sur-le-Mont,  à  Picquigny,  au  même 
diocèse ,  et  celui  de  Lesseville. 

Il  fallait  que  les  entrées  en  religion  fussent  bien  nombreuses 
pour  que  Girold  pût  effectuer  toutes  ces  fondations  sans  dépeu- 
pler son  monastère.  C'était  aussi  la  grande  époque  monastique; 
l'époque  de  saint  Bernard  et  des  croisades,  et  plus  d'un  grand 
seigneur  alors  se  faisait  une  gloire  de  quitter  la  cuirctsse  pour  le 
froc. 

L'abbaye  de  Saint-Quentin  florissait  ù  côté  de  celle  de  Saint- 
Lucien,  et  les  rapports  entre  les  deux  communautés  étaient 
excellents;  pourtant  une  difficulté  s'éleva  entre  elles.  L'histoire 
ne  nous  dit  pas  quelle  en  fut  la  cause,  mais  l'objet  du  différend 
fut  assez  grave  pour  que  l'affaire  fut  portée  pardevant  le  concile 
de  Reims,  tenu  en  1118.  La  sentence  fi:t  contraire  à  l'abbaye  âe 
Saint-f^ucien. 

Girold  était  encore  abbé  de  Saint-Lucien  quand  un  riche  che- 
valier du  Beauvaisis,  Girard  d'Hanvoite,  seigneur  de  Noirémont, 
étant  tombé  dangereusement  malade,  se  fil  transporter  dans 
l'abbaye,  espérant  y  trouver  la  guérison  par  Tintercession  de 
saint  Lucien.  Il  donna,  dès  son  entrée,  le  quart  de  sa  terre  de 


1}  Loavel,  t  i,  p.  659. 


DB   L'aBBAY£   ROTALB  lik   SAINT-LUCIEN.  311 

Noirémonten  perpéluelle  aumône,  et  promit  de  prendre  Tliablt 
religieux  si  la  santé  lui  était  rendue.  II  guérit,  mais  îl  ne  tint  pas 
si  sa  pdrole,  et  retourna  dans  le  monde,  à  la  sollicitation  «le 
ses  amis  et  de  sa  famille.  La  donation  fut  maintenue;  nous  di- 
rons comment  il  l'augmenta  plus  tard. 

Le  dernier  acte  où  nous  voyons  apparaître  le  nom  de  Girold 
est  la  donation  d'une  prébende  en  l'église  cathédrale  de  Beau- 
vais,  faite  en  4i26  par  l'évoque  Pierre  de  Dammartin  à  Tabbaye 
de  Saint-Quentin. 

Il  mourut  le  â8  juillet;  on  ne  sait  pas  au  juste  de  quelle  an- 
née; iious  serions  assez  porté  h  croire  que  ce  fut  en  i128. 


II ï.  —  Kex'loriL  I"  (fi28-4U7). 


Quelques  chroniqueurs  ont  voulu  donner  pour  successeur  à 
r.Irold  un  abbé  nommé  Odon.  Ils  s'appuient,  pour  soutenir  leur 
opinion,  sur  IjI  suscription  d'une  lettre  de  Pierre-lè- Vénérable, 
abbé  de  Cluny,  ainsi  conçue  :  .</d  rirum  Dti  Odonem  ofim  cbba- 
teni  Delvacensem,  et  ils  en  concluent  que  ce  texte  doit  s'entendre 
d'un  abbé  de  Saint-Lucien,  de  Tabbé  du  principal  monastère 
de  Beailvals.  Nous  pensons  que  celle  conclusion  est  plus  qu« 
hasardée  :  il  s'agit  tout  simplement  d'ddon,  abbé  de  Saint- 
Symphorien ,  qui  se  démît  de  sa  charge  pour  se  retirer  dans 
Tabbaye  de  Saint-Germer.  Nous  ne  Tadmeltrons  donc  pas  dans 
la  liste  de  nos  abbés 

Le  successeur  de  Girold  futSerlon,  un  moine  remarquable  par 
sa  science  et  sa  vertu.  Il  avait  à  peine  pris  possession  de  sa  charge 
que  l'estime  publique  le  faisait  prendre  de  foutes  parts  comme 
témoin  des  transactions  ou  comme  arbitre  des  différends.  Dès 
1129,  il  apparaît  comme  témoin  dans  une  charte  du  monastère 
de  la  Grande-Sauve,  au  diocèse  de  Bordeaux. 

Les  intérêts  de  son  abbaye  lui  étaient  si  chers,  qu'il  n'était  pas 
de  moyens  qu'il  n'employât,  pour  faire  disparaître  tout  ce  qui 
pouvait  leur  porter  préjudice,  et  pour  favoriser  tout  ce  qui  pou- 
vait leur  être  utile.  Nous  allons  voir  comme  il  savait  s'y  prendre. 

II  existait  depuis  longtemps  un  usage  qui  devenait  de  jour  en 
jour  plus  dispendieux  pour  l'abbaye.  Le  chapitre  de  Beauvals 
avait  l'habitude  de  s\v  rendre  processîonnellement  tous  les  ans 


312  HISTOIBE 

aux  deux  principales  fêtes  de  Saint-Lucien  el  les  lendemains  de 
Noël  et  de  Pâques,  pour  y  célébrer  solennellement  Toffice  avec 
les  religieux.  Là  n'était  pas  le  mal.  Par  reconnaissance  et  par 
amitié,  la  communauté  offrit  d'abord  une  collation,  puis  un  dîner 
aux  chanoines;  rien  de  mieux  tant  que  cela  ne  dégénéra  pas  en 
abus.  Le  monastère  offrait  librement  et  cordialement;  mais  le 
chapitre  s'accoutuma  insensiblement  à  considérer  ce  repas 
comme  un  privilège  et  comme  un  droit,  il  en  vint  même  à  l'exi- 
ger avec  rigueur;  il  en  prescrivit  l'ordinaire,  et  y  mit  tant  de 
recherche  et  de  somptuosité  que  la  communauté  se  lassa  et  pro- 
testa contre  les  folles  dépenses  que  cela  lui  occasionnait.  L*abbé 
Serlon,  qui  avait  à  cœur  de  défendre  partout  les  intérêts  de  son 
monastère,  ne  manqua  pas  de  faire  des  représentations  au  cha- 
pitre pour  s'affranchir  de  cette  servitude.  Sa  voix  ne  fut  pas 
écoutée.  Serlon  prit  alors  le  parti  de  porter  plainte  au  Souverain- 
Pontife,  qui  était  à  Provins. 

Innocent  II  prit  l'affaire  en  mains  :  il  écrivit  à  l'évêque  de  Beau- 
vais(1}  d'interposer  sa  médiation,  pour  empêcher  les  chanoines 
de  son  église  d'inquiéter  mal  à  propos  les  religieux  de  Saint- 
Lucien  et  de  faire  cesser  les  repas,  en  attendant  que  lui-même 
se  rCndlt  à  Beauvais  pour  juger  le  différend. 

Pierre  de  Bammartln  ne  jugea  pas  à  propos  d'attendre  l'arri- 
vée du  pape,  il  manda*pardevantlui  les  deux  parties  intéressées, 
et,  après  maintes  exhortations,  les  détermina  à  faire  l'arrange- 
mont  suivant  :  les  chanoines  continueront  d'aller  en  procession 
comme  parle  passé;  mais  le  banquet  sera  remplacé  par  une 


'1/  InnoceiUius  episcopus  servus  Mrvorum  Deivenerabili  Petro 

Ea  propter  umcersitnli  veMre  precipitnus,  qualenus  tam  prefatum  Ser- 
lonem ,  ahbaicm.  quam  nwnaslerium  sibi  commUsum,  donec  ad  partes 
veslras,  procurante  Domino,  veniamm,  in  pace  dimitteUis.  Cum  autem 
preseiiles  fuerimus,  anditis  ulriusque  partis  rationibus^  quodjusium 
faerit  inter  vos,  suffragante  divina  gratia,  stalvemtis  :  ai  xero  fer  opem 
quoties  ab  abbale  et  fratribui  predicti  monasterii  adversus  parochianos 
tuas  queretam  acceperis,  postqiMm  a  te  commonili  ftierint  et  non  ren- 
puerint,  debit<im  de  eis  justiliam  fadas,  neque  occasione  pastiUontm, 
quos  ab  eis  exigiiis ,  usque  dum  in  nostra  termineiur  presentia,  ullam 
eis  molestiatn  rnferatis.  Datum  Provini  vi ,  knl.  Februarii. 


DE  L*ABBAYB   ROYALE   DE   SAINT-LUCIEN.  313 

somme  de  âO  sols ,  monnaie  beauvaisine,  que  Tabbaye  paiera 
au  chapitre  huit  jours  avant  chaque  procession.  En  cas  de  re- 
lard de  paiement,  l'abbaye  donnera  25  sols.  L'accord  fut  signé 
de  part  et  d'autre,  à  Beauvais,  en  1i30  (i).  La  contesiation  était 
éteinte. 

Serlon,  dans  son  voyage  à  Provins,  avait  accompagné  Inno- 
cent il  à  la  dédicace  solennelle  de  l'autel  de  Saint- Laurent,  dans 
l'église  de  l'abbaye  de  Morigny,  qui  eut  lieu  le  20  janvier  1130. 
Douze  cardinaux  ou  évoques  s'y  trouvaient,  et  notre  abbé  tenait 
place  à  côté  de  Pierre  Abailard  et  du  grand  saint  Bernard.  Il  y 
séjourna  deux  jours  avec  le  pontife  et  fut  avec  lui  h  Provins. 

Il  souscrivit,  eu  1131,  à  la  charte  de  fondation  de  Tabbaye  de 
Sélincourt,  au  diocèse  d'Amiens,  et,  en  li3i,  aux  lettres  de 
Garin  deChatilion-Saint-Paul,  évèque  d'Amiens,  pour  le  monas- 
tère de  Marmoutiers.  Il  parait  avoir  eu  de  fréquents  rapports 
avec  cet  évèque ,  car  nous  le  voyons  souvent  signer  comme  té- 
moin dans  les  Chartres  qu'il  délivra. 

En  1132,  il  reçut  la  donation  de  l'église  de  Froissy.  Cette  église, 
par  un  abus  qui  avait  pris  naissance  avec  la  féodalité,  était  dé- 
tenue par  un  seigneur  laïc,  par  Wlbert  de  Guiencourt.  Eustache 
de  Heilly  la  lui  avait  donnée  en  fief;  il  en  jouissait  comme  d'une 
propriété  féodale,  en  percevait  les  revenus  et  la  faisait  adminis- 
trer par  un  ecclésiastique  désigné  par  lui.  Le  service  religieux, 
souvent  interrompu,  était  en  souffrance;  c'était  un  abus  contre 
lequel  l'Eglise  s'élevait  sans  cesse  et  qu'elle  frappait  de  ses 
foudres.  Wibert  de  Guiencourt ,  cédant  aux  remontrances  de  Té- 
véque  de  Beauvais,  ne  voulut  pas  rester  plus  longtemps  dans 
cette  situation  anathématisée  par  l'Eglise,  il  s'en  fut  trouver 
l'archidiacre  Henri  et  se  démit  entre  ses  mains  de  la  possession 
de  l'église  de  Froissy  et  des  deux  tiers  des  dîmes  du  lieu  (2), 
pour  qu'il  les  remit  à  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  L'archidiacre 
exécuta  fidèlement  la  remise,  et  Eustache  de  Heilly  la  ratifia  (3). 

La  même  année,  Serlon  assi8t<iit,  avec  les  abbés  de  Saint- 


(1)  LOQVet,  t.  I  ,  p.  393. 

(2)  L'autre  tiers  fat  donné  à  Saint-Lucien  par  Nivelon  de  Rotangy. 
(8)  Louvet,  t.  I,  p.  139. 


314  HIStOlRE 

Quentin,  de  Hreteull  et  de  Saint-Germer,  à  la  solennelle  transla- 
tion des  reliques  de  saint  iust  et  de  saint  Germer,  que  fit  révêqtio 
de  Beauvais  pour  les  mettre  dans  des  reliquaires  nouveaux  et 
plus  riches  (1). 

En  1i35,  II  siégeait  au  synode  de  Beauvais,  et  le  cartulaire  de 
Beaupré  tious  apprend  qùll  donna,  en  cette  même  année,  à 
l'abbaye  de  Beaupré  tout  ce  que  son  monastère  possédait  entre 
Acliy  et  ifarseille.  L'état  florissant  des  finances  de  Saltlt-Luclen 
permettait,  dit  la  charte  de  donation,  de  faire  cette  jlbérallté  h 
un  monastère  qui  venait  d'être  fondé  et  qui  ne  jouissait  encore 
que  de  revenus  fort  restreints. 

Saint-Lucien  possédait  alors  une  partie  du  territoire  de  Grez, 
que  lui  avait  donné  un  certain  ^(ivard,  quand  Godefroi  de  La 
Chapelle  l'Inquiéta  ej  prétendit  avoir  des  droits  sur  ce  bien.  Le 
moine  Rihuin,  qui  s'occupait  de  faire  valoir  les  terres  de  Grez 
(Rthutnus  monachus  procurator  terra rinn  heati  Luriani,  r/ue  snnf 
circa  villam  de  Gress  in  montants)^  fut  trouver  le  remuant  che- 
valier et  l'amena  à  se  désister  de  ses  prétentions.  Godefroi  re- 
nonça donc  à  loules  ses  réclamations  et  abandonna  en  perpé- 
tuelle aumône,  à  l'abbaye,  tous  les  droits  qu'il  pouvait  avoir  sur 
le  quart  de  la  (erre  de  Grez,  en  présence  de  Nicolas,  fils  de  Hufeues 
Salet  (le  Cempuis  [de  Cnnctioppido),  de  Clair  de  Grez,  de  Gautier, 
fils  de  lingues  Tlrel,  et  d'autres  témoins.  C'était  en  H36  ;2}. 

i:n  1137,  Serlon  était  témoin  de  l'accord  Intervenu  dans  un 
différend  qui  divîsaîtThîbault,  prieur  de  Saint-Martin-d es-Champs, 
et  Gautier,  chanoine  de  Meaux  (3). 

Vers  Id  même  époque,  Hugues,  seigneur  de  la  rehaussée,  fils 
du  vicomte  Bobert  d'Eu,  donna  à  l'abbaye  de  Saint-Lucien  urié 
ferre  sise  auprès  de  la  Chaussée  d'Eu,  pour  y  édifier  une  église 
et  établir  un  prieuré  [terram  jaxta  Cntceiam  de  .4nga,  ad  cnns- 
truendam  ecdesiam,  ubi  ipsi  moiwchi  Deojugiter  desserrirenf ,  ei 
pro  me  et  pro  anteccssoribtcs  meix  Detim  asàidue  eccorar^ttty^  et 
pour  assurer  l'existence  des  religieux  II  y  ajouta  uh  pré  sis  à 


(R/Wd  ,  t.  I,  p.  50-2. 
(-2)  ï).  firenier,  171,  p.  :\. 
3)  Gaim  CfiriMiiiw,  t.  ix ,  col    781 ,  K. 


DE  l'aBBATE  BQHtk  dE   SAINT-LUCIEN.  3)5 

(îôlê,  deiix  pîéceé  de  terré  et  une  mélaïrlfe  [qmddam  prctium, 
sciiieet  quodprope  eàmdem  est  etdesiani,  qùamdam  mlturam  (nter 
viam  transversam  et  aguosam  terram  positam,  preierea  terrant 
dimîdie  carrure  sufjftcientem  et  quamdam  mansfonetn  ad  aîe^dd 
pecora  sua  et  alia  que  sibi  erani  necessarta).  L'acte  fut  dressé  eit 
présence  de  Tabbé  de  Saint-Lucien,  dfe  PIferre,  son  priedr,  et 
de^  moines  Pierre,  Gilbert  et  Anselme. 

Serlon  se  mit  aussitôt  àTceuvre,  et  Vannée  1138  n'était  t)cis 
écoulée  que  des  religieux  habitaient  le  prieuré  de  la  Tritiité,  à 
Là  Chaussée  d'Eu.  Henri  I'%  comte  d'Ëu,  raliflalt  la  donation  et 
confirmait  la  fondation  du  prieuré.  Les  biehs  de  cet  établisse- 
ment s'augmentèreiit  rapidemeht,  grftce  à  sa  libéralité.  Son  suc- 
cesseur, Jean ,  comte  d'Eu ,  y  ajohf a  la  dltrie  de  ses  bibulins  de 
La  Chaussée,  le  droit  de  pêche  daris  la  rivière,  et  établit  tttie 
foire  à  l'octave  de  là  Pentecôte.  Guillaume  et  Jean  Straboti,  flis 
de  Hugues  de  La  Chaussée,  firent  d'autres  donations  (et  hbtàm- 
ment  celle  de  la  paroisse  de  La  Chaussée,  eh  1137)  (1). 

Sur  ces  entrefaites,  un  seigneur,  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
Girard  d'Hanvoile,  qui  avait  donné  le  quart  de  sa  terre  de  Noiré- 
mont,  désirait  faire  16  voyagé  de  la  Terre-Sainte,  que  nos  croisés 
venaient  de  conquérir.  H  vendit  à  Tabbaye  de  saint-Lucien 
le  reste  de  sa  terre  de  Noirémontëtla  forêt  qui  en  faisait  partie, 
pour  se  procurer  l'argent  nécessaire  à  ce  lointain  pèlerinage,  et 
partit.  Espérait-il  revenir,  l'histoire  n'en  dit  rien;  mais  il  devait 
s'attendre,  après  cette  vente,  que  s'il  efTecluait  hcuretisement 
son  retour,  il  trouverait  sa  fortune  coiisidérablemeht  amoindrie. 
Le  voyage  se  fit,  et  le  sire  d'Hanvoile  revint  èh  son  castel.  L'aî- 
sance  n'y  était  plus  comme  autrefois,  et  chacun  sait  que  la  gène 
est  souvent  mauvaise  conseillère.  Aussi ,  ndtrè  sire  d'Hanvoile 
ne  tarda  pas  à  chercher  noise  aux  bons  moines  de  Saitit-Luclen, 
et  il  espérait  que  ceux-ci,  par  amour  de  la  paix,  le  laisseraient 
tranquillement  rentrer  en  possession  de  sa  terre  de  Noirémont. 
Il  s'en  empara  même  sans  plus  de  façon.  Les  moines  n'étaient 
pas  guerriers ,  ni  en  état  de  repousser  la  violence  par  la  force  ; 
mais  ils  eurent  recours  aux  armes  de  l'Eglise,  et  un  jour  le  sire 
Girard  s*entendU  publiquement  excommunier  et  retrancher  de 


r  L»'lîfidf  :  la  rillè  d'Eu,  p.  n,  70. 


316  HISTOIRE 

la  communion  chrétienne  jusqu'à  ce  qu'il  eût  rétabli  Tabbaye 
dans  la  ])leine  jouissance  de  ses  droits.  Le  fier  chevalier  s'en 
moqua  et  continua  d'occuper  Noirémont.  Cependant  il  voyait 
que  la  sentence  ecclésiastique  lui  (iésafTeclionnait  ses  vas.«aux 
et  ses  voisins.  Son  irritation  lui  fil  tenir  bon  pendant  trois 
ans;  mais  au  bout  de  ce  temps,  vaincu  par  la  déconsidération 
qui  l'environnait,  il  céda,  et  pour  obtenir  la  levée  de  l'excom- 
munication, il  vint  au  monastère  de  Saint-Lucien  et  déclara,  de- 
vant une  nombreuse  assistance,  qu'il  lui  donnait  en  perpétuelle 
aumône  la  terre  et  la  forêt  de  Noirémont,  sans  en  rien  retenir, 
et  qu'il  renonçait  à  tous  les  droits  qu'il  pouvait  avoir  sur  elles 
{terram  et  siltam  de  Noiresmant,  pro  anime  sue  reniedio,  patrisque 
8ui  Girardi  et  truttrissiie  JgneSy  in  elemosinam  largitussit,  totum 
quidem  absoiufe  quod  in  eadem  terra  rel  siiva  et  in  dowinio  pos- 
sidebat  et  in  feodo  al  H  tendant  ab  eo,  Sancto  Luciano  divtisit  et 
concessity  doniim  proinde  super  altare  posuit),  Isabelle,  sa  femme, 
son  fils  Henri  et  Nicolas  d'Iianvoile,  son  frère,  ratifièrent  tout 
ce  qui  avait  été  fait.  Un  acte  public  et  authentique  en  fut  dressé, 
et  Girard  le  déposa  sur  l'autel  de  l'abbaye,  en  présence  deSerlon, 
de  toute  sa  communauté  et  d'un  grand  nombre  de  témoins  (J\ 

Vers  la  même  époque,  Hélye,  l'un  des  vidâmes  de  Gerberoy, 
vint  à  tomber  malade,  et  si  dangereusement  que  les  médecins 
se  déclarèrent  impuissants  à  combattre  le  mal.  Abandonné  par 
la  médecine,  l'illustre  malade  vit  bien  qu'il  ne  pouvait  plus 
avoir  recours  qu'en  Dieu,  le  souverain  médecin',  comme  il  le  dit 
lui-même  dans  une  charte  (2),  et  il  se  mit  à  faire  d'abondantes 
aumônes  aux  pauvres  et  aux  communautés  religieuses,  pour  ob- 
tenir le  secours  de  leurs  prières.  L'abbé  de  Saint  Lucien  fut  le 
voir  aussitôt  qu'il  apprit  son  état  désespéré.  Il  n'avait  pas  tou- 
jours eu  à  se  louer  de  ses  agissemenis  à  l'égard  de  son  monas- 
tère, puisqu'un  jour,  abusant  de  sa  puissance,  il  l'avait  contraint 


(1)  D.  Grenier,  174,  p.  :\. 

(3)  In  iilà  quidem  infirmilate  graviter  afflicttis,  et  omni  spe  medicorum 
destilutus,  medicum  ad  supernum  mente  conversus  est.  Confidens  igitur 
se  citius  elemosinarum  largilione  quam  medicorum  curationef  prislinam 

recuperare  posse  sanitatem 

(PiUet  :  Hiitt.  de  Gerberoy,  p.  95.; 


DE   L*ABBAYE  ROYALE   DE   SAINT  LUCIEN.  317 

à  lui  engager,  pour  une  modique  somme  d'argent,  le  quart  de 
la  voirie  (vîcaria)  de  Pothofs  et  la  moitié  de  celle  de  Courcelies; 
mais  oubliant  charitablement  ces  griefs,  il  lui  lit  plusieurs  visites 
pour  lui  prodiguer  les  consolations  les  plus  amicales  et  lui  of- 
frir les  secours  de  la  religion ,  de  ses  prières  et  de  celles  de  ses 
moines.  Une  aussi  généreuse  attention  toucha  vivement  le  ma- 
lade; il  demanda  pardon  à  Serlon  des  mauvais  procédés  dont 
il  avait  usé  envers  son  abbaye,  et  lui  rendit  non  seulement  ce 
qu'il  lui  avait  jadis  fait  engager  [invadiaverat)  à  Rothois  et  à 
Courcelies,  mais  il  y  ajouta  le  reste  de  la  voirie  qui  lui  apparte- 
nait dans  ces  localités,  et  qu'il  avait  acquis  d'Anselme,  frère 
d'Henneric  Cocus,  et  de  la  femme  d'Arnoult  Le  Roy.  Hélye  re- 
couvra peu  à  peu  la  santé,  et  aussitôt  qu'il  se  vit  rétabli,  il  fut 
en  pèlerinage  à  Saint-Lucien  pour  y  remercier  le  Seigneur  de  sa 
guérison.  Là,  en  présence  de  toute  la  commimauté  assemblée 
dans  la  salle  capitulaire,  et  de  la  noble  assistance  qui  l'avait  ac- 
compagné, de  Rorigon,  son  frère,  de  Simon  de  Saint-Samson, 
du  maire  Gautier,  d'Etienne,  fils  de  Gautier  Le  Normand,  d'Hu- 
bert Le  Maréchal,  d'Hugues  Du  Four,  d'Henneric  Cocus  et  d'Ysem- 
bard,  il  ratifia  la  restitution  et  la  donation  qu'il  avait  faites  pen- 
dant sa  maladie.  Peu  après,  un  jour  que  l'évoque  Odon  était  à 
Gerberoy,  avec  Serlon  et  Godefroi,  abbé  de  SainlQuenlin ,  la 
femme  d'Hélye,  Martine,  et  Guillaume,  son  fils  aîné,  sur  les 
instances  du  vidame,  ratifièrent  aussi  ce  qu'il  avait  fait,  et  ju- 
rèrent dans  les  mains  du  prélat  de  ne  jamais  venir  à  rencontre. 
Pierre  de  Gerberoy,  Godetroy  de  La  Chapelle,  Nicolas  d'Hanvoile, 
Hugues  de  Troussures,  Rorigon,  frère  du  vidame,  Sagalon,  son 
neveu,  Hugues  de  Cempuis,  Gautier  Wagan,  Joscelin  et  Hubert, 
en  furent  témoins  (1). 

En  H40,  le  roi  de  France,  Louis  VII,  traversant  le  Reauvaisis, 
reçut  l'hospitalité  dans  l'une  des  terres  de  Tabbaje,  à  Warluis,  et 
logea  dans  la  métairie  qu'elle  avait  en  ce  lieu.  Le  roi,  fort  satis- 
fait de  la  généreuse  réception  qui  lui  fut  faite,  en  fit  témoigner 
toute  sa  reconnaissance  à  Tabbé  de  Saint  Lucien;  mais  ne  vou- 
lant pas  que  cette  réception  toute  bénévole  pût  porter  préjudice 


(1)  Pillet  :  Hisi.  de  Gerberoy,  p.  95  et  96. 


s  18  WROIHB 

(lans  la  huile  au  ^loi^ustère ,  il  lui  oclro^a  une  ciiarle(l),  \^\y 
laquelle  il  reconnais:$ail  que ,  s'il  é(a!t  venu  loge^  à  Warluis,  c'é- 
Isiit  forluitementet  non  en  verlu  d'un  droit,  que  l'abbaye  ne  lui 
devail  aucune  hospitalité  sur  ses  terres,  et  il  faisait  défense^  à 
ses  successeurs  de  se  prévaloir  de  ce  fait,  pouv  exiger  (yeMe 
aucun  droit  de  gUe. 

Serlon  souscrivit,  en  1144,  une  cbarte  de  Hugues,  arclievc^^e 
de  Rouen,  pour  l'abba>e  du  Bec,  et  assista,  comme  (éqpoiii, 
en  11 4a,  à  l^  foindation  du  mquastère  de  Saint-Martin-aux-iu- 
mei^ux ,  au  diocèse  ^'Amiens. 

Çç  fut  V^!^#  Qç^e  époque  qu/Evrard  de  Breteuil  restilua  à  Saint 
Lucien  la  terre  de  Bosdeseu,  dont  il  s'était  eoiparé.  Il  ne  voulait 
pas  le  faire,  mais  l'excommunication  fulminée  contre  lui  le  dé- 
cida à  s'exécuter.  U  donna  en  outre  la  dlme  d'Ansauvillers  (â). 

Un  démêlé  surgit,  sur  ces  entrefaites,  entre  Tabbaye  de  Saint- 
Luçien  et  cellç  de  Corbiç  :  chacune  d'elles  revendiquait  Téglise 
de  MaUuières,  au  diocèse  d'Amiens,  comm^.  lui  appartenant.  On 
ne  pouvait  s'entendre,  et  Vaffaire  fut  portée  pardevaut  le  çoncilç 
de  Reims,  tenu  en  ii47,  pour  être  décidée  arhitralcment.  Un  ac 
cQir4  lalervint  :  ^erlon,  au  aooi  de  son  mouastère,  abandonna 
à  l's^t^bé  de  Corbie  l'autel  et  le  patronage  de  l'église  de  Malsnières 
et  le  tiecs  lui  appartenait  dan^  les  dîmes  du  village,  et  Nicolas 


{1}   CHARTE  DE  LOUIS  VII  ,  A  L^OCCASION  DE  SA  RÉCEPTION  A  WARLCIS. 

Ego  Iwioviciis  mixericordia  Dti  Francorum  reos  et  iux  AquiUtmi%w^ 
pr^si^UÀJilus  et  fubêxia  signi^ari  volui,  quod  casu  accedente,  quibusdai/i 
Mgotiis  nostris  exigentibus ,  in  quadam  vUki  beali  Lucioni  Belvacensis, 
nomine  ÇarluiSt  hospiUum  semel  habuimus,  sed  ne  forte  aliquis  regum 
acprincipum,  quasi  usuale  et  consuetudinarium  hofpUalionem  hujusmodi 
in  posterum  usurpare  sibi  présumât,  per  présentes  litteras  certum  fieri 
volumm,  qiiod  nulla  prorsus  consuetudine  hoc  a  nobis  factum  est ,  nec 
in  tota  terra  prefati  martyris  exactionem  aliquam  reclamamys;  sed  om- 
nia  quieta  et  libéra,  qnejuris  ejus  sunt,  in  perpetuum  fore  confirmamus. 
Factum  est  koc  Ofino  ad  incarnaUonA  Bomini  ic*  c  xv,  Jkaiooentio  Bpr 
mane  ecclesie  presidçUe,  Odone  Delvacensi  hir>  ponti/icante.  Data  per 
manutti  HaitUis.  cancéUarii^  presenU  Sugem  bisati  IHonisii  abbcute,  et 
Radulfo  comité  Viromandensi.  (D.  Grenier,  22^,  p.  208.) 

'2)  D.  Porcheron ,  ch.  25. 


bB   L*ABBAYE   ROYAUX   DB   SAINT*LUC1KN.  o|U 

(le  Moreviil,  abbé  de  Corbie,  s'engagea  de  sou  côté  i\  pa^er  an- 
{fucUcmenl  et  à  perpétuité,  à  l'abbaye  de  Saint- Lucien ,  i  marcs 
(l^rgent ,  ^u  poids  fort,  et  30  sols  amiennois  de  cens.  {Stcà  cetim 
quatuor  marcarum  ad  magnum  pondus  et  triginta  solidorum 
^màianensis  vionete)  (1). 

^  pape  Eugène  1^  estioi^U  singulièrement  Serlon  ;  il  avait  été 
^  même  d'apprécier  ses  hautes  qualités  dans  un  voyage  qu'il 
avait  fait  à  Home,  et  il  ne  manquait  pas  de  lui  témoigner  soq 
affection  en  toute  occasion.  Il  l'employa  même  dans  des  missions 
assez  difficiles.  En  1147,  il  le  délégua  au  synode  d'Arras,  pour  y 
travailler  à  la  réforme  du  monastère  de  Saint-Vaast,  dont  la  ré- 
gularité laissait  beaucoup  à  désirer.  Ses  conseils  et  ses  remon- 
trances furent  mal  accueillis  par  Içs  religieux,  qui  préféraient 
\e\xT  vie  licencieuse  à  un  régime  austère.  Ils  s'insurgèrent  contre 
\}jii\  l'up  d'eux  même,  portant  la  main  sur  lui,  le  renversa  par 
terrç.  ses  compagnons  le  foulèrent  aux  pieds  avec  brutalité. 
Slerlon  échappa  néanmoins  à  la  mort;  mais  il  dut  quitter  bien 
yite,  peurtri  et  contusionné,  ce  monastère  inliospitaiier;  il  re- 
prit le  chemin  de  sa  paisible  abbaye,  sans  avoir  pu  remplir  sa 
mission.  Les  mauvais  traitements  qu'il  avait  reçus  le  contrai- 
gnirent à  se  mettre  au  lit  aussitôt  après  son  arrivée,  et  il  ne  s'en 
releva  plus.  Le  â5  septembre  1147,  il  rendait  son  àme  à  Dieu  (2). 

C'était  un  grand  et  saint  abbé  de  moins,  qui  mourait  victime 
du  de\oir  et  de  sou  zèle.  S'il  n'avait  pu  réformer  les  désordres 
4e  Saint- Vaast  d'Arras,  il  emportait  du  moins  dans  la  tombe  la 
consolation  de  laisser  dans  sa  propre  abbaye  des  moines  régu- 
liers et  exemplaires ,  des  moines  dignes  de  leur  vocation. 

Ses  religieux  Vaffectionnaient;  ils  le  pleurèrent  longtemps  et 
lui  firent  de  pompeuses  funérailles ,  auxquelles  assista  l'évêque 
de  Bea.uvais. 

::j{:ix.  —  movi'e  ^i  (1147-1^71). 

h'errç,  secojç^^  ^u  noQ;i,  f^t immédiatement  élu  pour  succéder 
à  l'abbé  Serlon.  C'était  un  homme  d'une  haute  piété  et  d'une 


U)  Arcb.  de  la  Somme  :  Abbaye  de  Corbie. 
{'2)  GalUa  Christiana,  t.  ix,  col.  784. 


320  HISTOIRE 

capacité  administrative  tout-à-fait  exceptionnelle.  II  avait  pris 
rhabît  religieux  à  Cluny,  puis  était  venu  à  Saint-Lucien,  où  il 
avait  rempli  avec  talent  la  charge  de  prieur.  Les  suffrages  des 
religieux  ne  pouvaient  manquer  de  se  porter  sur  lui. 

Dès  la  première  année  de  son  avènement,  au  mois  de  décembre 
de  Tan  i  147,  on  voit  apparaître  Tabbé  Pierre  comme  témoin  dans 
un  traité  par  lequel  Hugues  de  Goumay  engage  pour  dix  ans  l'un 
de  ses  fiefs  à  Tévêque  de  Beauvais  (1). 

Il  ne  craignait  pas  les  difficultés,  et  savait  les  tourner  avec 
tant  d'adresse  qu'il  parvenait  presque  toujours  à  les  faire  se 
terminer  à  l'avantage  de  son  abbaye  Son  prédécesseur  avait 
su,  par  un  accord,  exempter  son  monastère  des  repas  qu'il 
donnait  aux  chanoines  de  Saint-Pierre,  lorsqu'ils  y  venaient  eu 
procession  à  certaines  fêtes,  Pierre  voulut  l'affranchir  des  dîners 
qu'il  servait  aussi  <\  l'évèque  aux  deux  fêtes  de*saint  Lucien.  11 
avait  été  tant  de  fois  témoin  des  exigences  abusives  des  servi- 
teurs des  prélats  dans  ces  occasions,  lorsqu'il  était  prieur,  qu'il 
résolut  de  se  débarrasser  de  cette  charge  à  tout  prix.  Il  fut  voir 
l'évèque  Odon  et  lui  exposa  avec  habilefé  les  excès  auxquels  ces 
dîners  donnaient  lieu,  le  préjudice  qu'ils  causaient  à  l'abbaye, 
le  sacrilège  en  quelque  sorte  qu'ils  occasionnaient,  en  faisant 
dépenser,  en  folles  prodigalités,  des  biens  qui  n'avaient  été  don- 
nés que  pour  le  service  de  Dieu  et  l'entretien  des  religieux.  Odon, 
touché  et  ému  à  la  vue  d'un  si  grave  abus,  renonça  aussitôt  à 
ces  dîners,  et  fit  défense  à  qui  que  ce  fut  de  les  exiger,  sous 
peine  d'excommunication.  La  charte,  fort  explicite,  qui  fut 
dressée  à  ce  sujet,  est  de  l'an  4148  (2). 

Samson,  archevêque  de  Reims,  confirma  cette  renonciation  et 
la  rendit  obligatoire  pour  tous  les  évêques  de  Beauvais  qui  suc- 
céderaient à  Odon.  En  compensation,  il  chargea  l'abbaye  de 
faire  célébrer  tous  les  ans,  après  leur  mort,  un  anniversaire 
pour  Odon  et  ses  successeurs,  et  de  donner  à  dîner  à  treize 
pauvres  le  jour  de  cet  anniversaire. 

Plus  tard,  le  successeur  d'Odon,  Henri  de  France,  ratifia  cette 
décision  et  en  prescrivit  l'exécution. 


(1)  D  Porcheron,  ch.  ?6. 

(2)  Louve t,  t.  I,  p.  3»4. 


tum 


DE  L* ABBAYE  ROYALE  DE  SAINT-LUCIEN.  3il 

L'un  des  hauts  dignitaires  de  Téglise  de  Beauvais,  Tliibault  de 
Bulles,  arcliidiacre  de  Glermont,  donna,  vers  cette  époque,  la 
terre  et  seigneurie  du  MontdeFesq,  qu'il  possédait  au  territoire 
de  Verderel,  avec  les  hôtes  qui  Thabitaient  {terrant  totam  cjuam 
kabebat  in  monte  Fisco,  cum  hospitibus).  Il  se  réservait  toutefois, 
si  bon  lui  semblait,  la  moitié  des  revenus  jusqu'à  son  décès, 
mais  en  s'interdisant  le  droit  de  lever  aucune  taille  sur  elle  et 
de  la  grever  d'aucun  emprunt,  sans  le  consentement  de  l'abbé 
(decretum  etiam  fuit  qtu>d  si  domnus  Teobaldtts  in  predicta  terra 
tallam  vel  aliguid  precarium  favere  voliterit,  absque  assensu  ab- 
bâtis  non  fiet,  ipso  abbate  tnedieiatein  suam  in  omnibus  /lis  obti- 
nente).  Il  parait  que  les  donateurs  se  permettaient  quelquefois 
ces  levées  d'impôts  pour  so  procurer  des  ressources  au  détriment 
des  donataires. 

Thibault  autorisa  en  même  temps  les  habitants  de  Juvignies  à 
bàlir  une  église  dans  leur  village,  afin  de  n'être  pas  obligés  de 
parcourir  la  longue  et  mauvaise  roule  qui  condui:sait  à  Verderel, 
leur  paroisse,  et  il  confia  à  l'abbé  le  soin  de  la  faire  desservir. 
En  l'absence  de  l'évêque  de  Beauvais,  qui  était  en  Terre-t^ainïe, 
Thibault  fit  confirmer  sa  donation  par  les  itères  du  concile  pro- 
vincial de  Reims,  dans  sa  session  de  l'an  1 140  (H48  v.  st.).  L'acte 
d'approbation  porte  la  signature  de  Samson ,  archevêque  de 
Reims,  deBeaudoin,  évêque  de  Noyon ,  de  Gérard,  évèque  de 
Tournai ,  de  Milon ,  évèque  de  Thérouane,  et  d'un  grand  nombre 
d'autres  personnages  (1). 

L'abbé  Pierre  s'occupa  activement  de  la  construction  de  l'église 
de  Juvignies.  Le  curé  de  Verderel ,  atteint  dans  ses  droits  curiaux, 
fit  opposition  et  empêcha  que  cette  église  fût  érigée  en  cure;  elle 
lui  resta  soumise  comme  vicariat,  et  n'obtint  son  titre  que  bien 
plus  tard. 

La  terre  du  Mont  de  Fesq  donna  lieu  à  un  procès  quelques  an- 
nées après.  L'abbaye  de  Saint-Lucien  en  était  entrée  en  posses- 
sion et  en  jouissait  tranquillement  quand  le  neveu  du  donateur, 
Guillaume  deMello,  chevalier,  du  reste,  assez  remuant,  prétendit 
la  revendiquer  comme  un  bien  lui  appartenant  par  héritage.  Le 


;l)  Arch.  de  l'Oise  :  abbaye  de  Saint-Lucien  —  Louvet,  t.  i ,  p.  811.  — 
Delettre,  t.  ii,  p.  107 

T.  VIII.  âl 


522  histoIrë 

successeur  de  Pierre,  Guillaume,  flt  valoir  la  charte  de  douaUon 
qui  avait  été  remise  à  son  prédécesseur  pour  constater  ses  droits. 
Le  sire  de  Mello  n'en  tint  compte  et  s'empara  de  la  terre  sans 
autre  forme  de  procès.  Il  n'entendait  pas  la  résistance  et  prati- 
quait trop  bien  celle  maxime,  que  Ton  voit  reparaître  de  nos 
jours,  la  force  pritne  le  droit;  seulement  il  oubliait  qu'il  avait 
affaire  à  un  homme  tenace,  qui  n'était  pas  d'humeur  à  se  laisser 
dépouiller.  Guillaume,  que  l'arrogance  du  sire  de  Mello  n'inti- 
midait pas,  s'adressa  à  l'archevêque  de  Reims,  puis  au  pape,  et 
sollicita  les  censures  de  l'Eglise  contre  l'injuste  spoliateur  des 
biens  de  son  monastère.  Le  pape  Alexandre  111,  faisant  droit  à 
sa  demande,  lança  l'excommunication  contre  l'usurpateur,  et 
Guillaume  de  Mello  ne  put  en  obtenir  l'absolution  qu'en  1178, 
après  qu'il  eut  rendu  pleine  et  entière  satisfaction  à  l'abbaye  de 
Saint- Lucien. 

En  iiSO,  Pierre  avait  déjà  obtenu  les  m^.mes  censures  contre 
un  autre  gentilhomme,  nommé  Hugues  Havot,  qui  s'était  em- 
paré, au  mépris  de  tout  droit,  des  dîmes  de  Saint-Quentin,  et 
le  chevalier  avait  restitué. 

Il  est  de  mode,  dans  certaine  presse,  de  crier  à  l'abus  contre 
ces  sentences  d'excommunication  que  l'Eglise  fulminait  à  chaque 
instant;  mais  on  oublie  que  c'était  toujours  contre  les  oppres- 
seurs des  petits  et  du  peuple,  et  pour  faire  rendre  justice,  qu'elle 
les  lançait. 

Dans  ces  siècles  de  fer,  la  force  brutale  primait  partout  le  droit, 
et  la  noblesse  féodale  abusait  trop  souvent  de  son  autorité  pour 
écraser  le  pauvre,  se  moquait  de  toute  justice  et  ne  craignait, 
comme  elle  le  disait,  que  Dieu  et  le  diable,  il  était  heureux  que 
l'Eglise  ait  pu  avoir  assez  d'influence  pour  forcer,  par  ses  c«n- 
sures,  ces  hardis  chevaliers  à  réparer  les  torts  qu'ils  causaient. 
C'était,  du  reste,  à  peu  près  le  seul  moyen  efficace  de  faire  rendre 
justice,  et  c'était  un  moyen  bien  moins  coûteux  que  ceux  qui 
sont  venus  plus  tard  avec  les  procédures  judiciaires. 

Ters  celte  même  époque,  c'est-à-dire  de  1150  à  11(K),  Wernier 
de  La  Verrière  donna  les  dîmes  de  sa  terre  (1).  Nivelon  et  Gé- 
rard de  Rotangy  la  moitié  de  leur  fief  dudit  lieu,  du  consente- 


■1)  D.  Porcheron,  ch.  27. 


DE   l'abbaye   HOYALB  OB  SAINT-LUC) EN.  333 

menl  de  Pierre,  vidame  de  Gerberoy  (1  -,  Hugues  des  Prés  {de 
Pratelh),  la  seigneurie  de  Gaudecharl;  Gautier  Le  Normand,  les 
dîmes  de  Palllart;  Jean ,  comte  d'Ku,  diverses  terres  à  La  Chaus- 
sée. Les  lettres  de  confirmation  des  biens  de  Vabbaye,  d'Henri 
de  France,  évêque  de  Beauvais,  de  Samson,  archevêque  de  Reims« 
et  de  Thierri,  évêque  d'Amiens,  vont  nous  faire  connaître  d'au- 
tres donations. 

I/abbaye  de  Saint-Lucien  avait  eu  bien  des  fois  à  souffrir  du 
mauvais  vouloir  des  seigneurs  ses  voisins.  Ses  terres,  mieux 
aménagées  et  mieux  cultivées,  excitaient  leur  convoitise.  Plus 
d'un,  après  lui  avoir  donné  des  biens  dont  ils  ne  pouvaient  tirer 
aucun  parti,  après  lui  avoir  accensé  des  terres  jncultes  et  des 
bois  sans  valeur,  essayaient  de  les  reprendre  quand  les  travaux, 
les  soins  et  la  sage  administration  des  religieux  en  avaient  fait 
des  propriétés  de  rapport.  Pour  y  parvenir,  les  uns  employaient 
la  violence,  d'autres  la  ruse,  d'autres  proQtaient  de  la  dispari- 
tion des  titres,  et  d'autres  savaient  les  faire  disparaître.  Ces  cau- 
teleux chevaliers  n'étaient  pas  toujours  très-scrupuleux  sur  les 
moyens.  Le  mal,  du  reste,  était  devenu  si  général  dans  toute 
l'Eglise  que  les  conciles  s'en  émurent,  et  prescrivirent  aux  éta- 
bljssements  ecclésiastiques  et  religieux  d'avoir  soin  de  mettre 
leurs  titres  de  propriétés  en  règle,  de  les  faire  viser  et  confirmer 
par  les  évoques  et  par  le  pape.  Ces  formalités  remplies,  l'Eglise 
frappait  d'excommunication  les  contrevenants  et  les  spoliateurs, 
et  les  rois  s'en  portaient  les  garants.  Par  ce  moyen,  les  établis- 
sements se  trouvaient  sauvegardés  contre  la  violence  et  la  ruse. 

L'abbé  de  Saint-Lucien  ne  négligea  rien  pour  protéger  les  in- 
térêts qui  lui  étaient  confiés.  Il  dressa  l'état  des  propriétés  de 
son  monastère,  y  annexa  les  titres  ou  les  témoignages  à  l'ap- 
pui, et  se  présenta  d'abord  devant  l'évêque  de  Beauvais  pour 
obtenir  son  visa  et  la  confirmation  de  tous  les  biens,  que  soa 
abbaye  possédait  dans  Pétendue  de  son  diocèse.  Henri  de 
France,  qui  gouvernait  alors  l'église  de  Beauvais,  fit  exami- 
ner soigneusement  les  titres  et  la  valeur  des  témoignages  rem- 
plaçant les  titres  disparus.  Il  les  raMfia  et  confirma  ensuite  so- 
lennellement toutes  les  propriétés  du  monastèrCj  en  l'an  1i57, 


(1)  PiUet  :  Hi$L  d$  Gerlmoy,  p.  US. 


324  HISTOIRE 

en  présence  d'Yves ,  doyen  du  chapitre ,  des  archidiacres  Thi- 
bault et  Jean,  d'Odon,  chantre,  de  Simon,  sous  chantre,  d'Eli 
nand ,  son  chapelain ,  de  Déodat ,  son  chancelier,  de  Girard  de 
Gerberoy,  d'Odon,  neveu  de  Foulque,  de  Gautier,  abbé  de 
Çaint-Symphorien,  de  Gilbert,  abbé  d'Ourscamp,  de  Manassès, 
abbé  de  Froidmont,  et  de  Gautier,  abbé  de  Breteuil.  La  lettre 
patente  qu'il  fit  délivrer  pour  servir  de  témoignage  authentique 
va  nous  éclairer  sur  le  nombre,  la  nature  et  la  situation  de  ces 
propriétés  (1).  D'après  elle,  l'abbaye  de  Saint-Lucien  possédait 
alors  : 


;i}  L'original  de  celte  cbarte  est  dans  le  cabinet  de  H.  Uatbon.  —  D.  Gre- 
nier, idl,  p.  23,  en  donne  une  copie.  En  voici  le  texte  : 

CONFIRMATION  PAR  HENRI  DE  FRANGE,   RVÂQUE  DE  BBAUVAI8, 
URS  BIENS  DB  LABBAYE  DE  SAINT-LUCIEN. 

Jn  nomine  Palris  et  Filii  et  Spirilus  Sancli.  Amen.  Ego  Benricus  Dei 
miser atiinê  Belvacensis  episœpus  dilectis  filiis  Petto  abhati  monasterii 
Saneti  Lucianif  omnique  ejusdem  loci  conventui,  eternam  in  Domino  «o- 
lutem.  Effectui  justa  postulantium  acquiescere  et  vigor  equitcUis  et  ordo 
exigit  rationis,  ffrestrlim  quando  pelenlium  volunialem  et  jneUts  adjuvai 
et  Veritas  non  relinquit.  Ea  pr  opter  y  dUecU  in  Domino  fUU,  veslris  justis 
petitionibus  benigno  concurrentes  assensu,  prefatam  ecclesiam,  tn  qua 
divino  mancipati  eslis  offlcio,  snb  beati  Pelri  et  nostra  proteclione  susd- 
piinus,  et  preseniis  scripti  patrocinio  communimus,  predpientes  ut  quas- 
cumque  possessiones ,  quecumque  bona  infra  diocesim  nostram  eadem 
eccUsia  in  presenliarum  juste  et  canonice  possidet,  aut  in  futurum  cances- 
sione  episcoporum,  largitione  regum  vel  principum,  oblatione  fidelium, 
seu  aliisjustis  modis,  prestanU  Domino,  poterit  adipisâ,  firma  vobis,  ves- 
trisque  successoribus  et  iUibata  permaneant,  in  quibvs  hec  que  sequnlur 
propriis  duximus  vocabulis  exprimenda.  In  primis  vicum  ipsttm  in  quo 
becUarum  martyrum  Luciani,  Maxiani  et  Juliani  corpora  requiescunt, 
cum  omni  iivtegritate,  ab  uUima  parte  Malredi  usque  ad  uUimam  partem 
Villaris  et  bannum  et  infracturamt  omnemque  advocationem ,  atque  om- 
nem  omnino  justiciam  wque  Taram  fluvium.  ViUam  quoque  que  dicitur 
Luciacus,  cum  ecclesia  et  terra  arabiU,  nemoribus  atque  aliis  sUn  adja- 
cenJtibus.  Mallare  cum  ecclesia  et  omnibus  appendicOs  suis,  Terram  de 
Noeroimont  cum  nemoribus.  Usagium  quod  ab  antiquo  habetis  tn  silva 
que  dicitur  forest  de  Bray,  ad  ardendum  et  edificandwm.  Fontanas  cum 
ecclesia.  Abbatis  ViUam,  oum  capella  et  aUis  sUn  adgacentibus.  Juvenioeoê 


DE  l'aRBAYB   royale   DE   SAINT-LUCIEN.  325 

Le  territoire  de  Saint-Lucien,  y  compris  Miauroy  et  Villers, 
avec  tous  les  droits  de  haute,  moyenne  et  basse  justice  sur  les 
terres  de  cette  localité  situées  sur  la  rive  gauche  du  Thérain  ; 


cum  villa  Gahenni  et  Salcosas  cum  capella  et  hospitibus  de  Fisco.  Villam 
quê  dieitur  Odours  Saneti  iîartini,  cum  ecclesia  et  décima,  Rotuirs  cum 
ecclesia  et  décima  et  omnibus  ad  eam  pertinentibus.  Terram  de  Rotengio. 
Curcellas.  Villare  in  Brayo.  Medietatem  ville  que  dieitur  Fontenellas,  tam 
in  terris  quam  in  nemoribus.  Medietatem  terrarum  et  nemorum  que  per- 
tinent ad  Grès  et  Ruex,  et  très  partes  de  Grandivillari.  Bvxiacum  cum 
parte  décime  et  appendiciis  suis.  Montem  Oberii.  Bonerius  cum  ecclesia  et 
décima  et  omnibus  ad  illam  pertinentibus.  Ecclesiam  Sancte  Marie  de 
Miliaco,  cum  omnibus  ad  eam  pertinentibus.  Duas  partes  décime  de  Ha- 
naces.  Tolam  decimam  de  Walt  et  de  Eulsoi  et  ecclesiam  de  CandavUla 
cum  tota  décima.  Decimam  de  Colredo  et  de  Moiemont  Partem  quandam 
deeime  de  Villa  in  Brayo  et  de  Villari.  Froissiacum  cum  ecclesia  et  dedma. 
Terram  de  Mortmesons  cum  nemoribus  et  duabus  parlibvs  décime.  Très 
partes  de  Tilz  cum  duabus  parlibus  décime  et  Uni  et  canabi  et  waisdii, 
Ecclesiam  de  Freisneias  cum  décima.  Duas  partes  décime  bladii  de  Cham- 
premi,  et  Uni,  et  canabi  et  waisdii.  Terram  Hu^fonis  de  Escomechat. 
Villare  super  Tharam.  Warluis  cum  ecclesia  et  décima.  Rosetum  cum 
ecclesia  et  décima  et  gislwm  ejusdem  ville,  et  Senquez,  quem  vobis  per 
manum  nostram  remisit  Radnlfus  cornes  Clarimontis.  .ébbodicurtem  cum 
ecclesia  et  décima.  Decimam  de  clauso  vestro  de  Buri.  Quartam  partem 
décime  de  Uevecourt.  Jus  quod  habelif^  in  ecclesia  de  Chaigni,  et  medieta- 
tem décime  ijisius  loci.  Decimam  de  Villari  llugonis  de  Fumo.  Duas  partes 
décime  Ansoldi  villaris.  Decimam  et  altare  de  Maisnicurt,  et  decimam  de 
Andelicurt.  Ecclesiam  Sancli  Justi  des  Mares ,  cum  tota  décima  agrorum 
etpratorum  usque  ad  alveum  veteris  Thare,  et  decursum  aque  que  vo* 
caiur  Avelons  in  ipsum  Tharam  cadenlem,  Ecclesiam  Saneti  Maxiard  cum 
omnibus  rébus  et  decimis  ad  eamdem  pertinentibus.  Ecclesiam  de  Hardis 
cum  décima.  A  monachis  de  Alneto  censum  oclo  modiorumy  quatuor  fru- 
menUf  quatuor  avene  et  dimvJium  de  pois,  A  canonicis  Saneti  JusU,  qui 
tenent  terram  vestram  de  Thameisvilerf  annuum  censum  sex  modiorum 
très  frumenli,  très  avene.  Modium  frumenti,  qucm  vobis  annuaUm  solvU 
ecclesia  Saneti  Symphoriani  pro  Warino  Torel.  Ecclesiam  Saneti  Quintini 
de  Prato  cum  minuta  décima.  Ecclesiam  de  Leffreges  cum  décima.  Ca- 
pellam  de  Modio  Ordei  cum  décima.  Decem  solidos  quos  anniiatin  debetis 
redpere  a  canonicis  Saneti  Quintini.  Ecclesiam  Saneti  SupUdi  cum  dedma. 
Jus  quod  habetis  in  ecclesia  de  Marregni  cum  medietate  dedme  et  çensu 
tam  de  vino  quam  de  hospitibus.  Quartam  partem  dedme  de  Sitli.  Eccle- 


3136  R1ST0IRB 

Le  village,  l'église  et  la  dlme  de  Luchy,  avec  plusieurs  terres 
et  bois; 
Maulers,  son  église  et  ses  dépendances; 


8iam  de  Maisel  cum  decim€i.  Medietatem  décime  de  Marissel  Omnia  que 
ad  comUatum  seu  vicariam  atqtLe  theloncum  pertinent  in  burgo  SancH 
iHdani,  Malredo  et  Vilîari  et  amnibus  terris  ad  ipsas  perlinenlibHS.  Ex 
dono  Pétri  de  Milli  duos  servorum  familias,  Oisbertum  scilicet  de  Boneriis 
cum  uxore  fltiis  ac  flliabus  suis  et  uxorem  Walteri  de  Yillari  in  Brayo, 
cum  heredibxi>3  suis.  Et  ex  dono  Hugonis  de  Gomaco  advocariam  in  eadem 
villa  duorum  resticorum  per  quinque  minas  avene  et  duodecim  denariis 
quos  a  majore  ipsius  ville  recipiebal.  Sanclum  Felicem  cum  eccleHa  et 
dêdma,  cum  omnibus  appendiciis  suis.  Eccîesiam  de  Thoiri  cum  décima. 
Quicquid  habetis  apud  Balegni  tam  in  hospitibus  quam  in  pralis,  apud 
Bellum  puteum  tam  in  terris  quam  in  nemoribus,  et  apud  Spinosns. 
Eccîesiam  de  Maimboldi  villa  cum  tota  décima.  Terram  de  Gohout  essart 
cum  tola  décima  Eccîesiam  de  Sailli  cum  décima.  Mont  de  Vais.  Basin- 
curt.  Eccîesiam  de  Sains  cum  décima.  Decimam  de  Esoviler.  Decimam 
vestram  de  Remerangle.  (hiicquid  habetis  apud  Senqualum  et  ad  Bethen- 
curt,  et  ad  Sadacum  et  ad  Nogentellum.  Terre  vesire  partem  de  Eschuz 
cum  ntmore.  Prbcurationes  quas  hujus  sedis  epi^copi  in  duabus  sollenp- 
nitatibus  Sancli  Luciani,  passionis  videlicet  et  translationis  et  in  earum 
vigilvis  a^cipiebant,  a  pie  memorie  domno  Odone  episcopo  predecessore 
nostro  vobis  karitatis  intnitu  remissas,  710s  quoque  remittimus,  et  ut 
amodo  nec  dentur  nec  accipiantur  sub  anathemate  prohibemus.  Sane  in 
parrochialibus  ecclesiis  quas  tenetis,  presbitcri  per  vos  eligantur  et 
episcopo  presententury  quibus  si  idonei  fiierint  animarum  curam  corn- 
mittat,  ut  de  plebis  quidem  cura  ei  respondeant,  vobis  autem  pro  rébus 
temporalibus  ad  ecclesias  pertinentibus  debilam  suhjeciionem  impendant. 
Porro  canonici  Sancti  Pétri  et  casati  nosiri  cum  senHrntibiis  nostris  de- 
functi,  ut  consuetudo  est,  ad  eccîesiam  vestram  deferantur,  et  a  conventu 
eommuni  honorifice,  ut  decet.  sepeliantur.  Si  quis  autem  hanc  nostre 
confirmationis  paginam  sciens  contra  eam  venire  presumpserit  et  semel, 
secundo  terciove  commonitus  emendare  noluerit,  anathemate  perpetuo 
feriatur.  Acta  sunt  hec  his  Belvacensi*i  eccksie  cxistentibus  personis  : 
Ivone  decano,  Teobaldo  et  Johanne  archidiaconis,  Odone  precentore,  Sy- 
mone  succenlore,  Elinando  capellano,  Deodato  cancellario,  Girardo  de 
Gelberroi,  Odone  nepote  magisiri  Fulconis.  Waliero  abbate  Sancti  Sym- 
phoriani,  Gisleberto  abbate  de  Ursicampo,  Manasse  abbate  de  Fresmont, 
Waltero  abbate  de  Britolio.  Anno  incarnationis  domini  nostriJhesu  Christi 
«•  c»  L»  VII*.  Indictione  v%  non/)  episcopatus  nostri.  Régnante  Lodovico 
Lodovici  filio. 


DE   L'aBBAYK   ROTâLB   PB   SAINT-LUCIEN.  937 

La  terre  de  Noirémont  avec  la  forêt  adjacente; 

Le  droit  de  faire  couper,  dans  la  forêt  de  Hray,  le  bois  néces- 
saire au  chauffage  des  moines  et  à  la  construction  des  édifices; 

Fontaine-Saint- Lucien  et  son  église; 

Abbeviile-Saint- Lucien,  sa  chapelle  et  diverses  dépendances  ; 

Juvignies  et  le  village  deGuebengnies; 

Sauqueuse-Saint-Lucien,  sa  chapelle  et  les  hôtes  du  Mont  de 
Fesq  ; 

Le  village,  l'église  et  la  dîme  d'Oudeufl; 

Rothois,  régltse  et  la  dlme; 

La  terre  de  Rotangy  ; 

Courcelles; 

Villera-sur-Auchy  ; 

La  moitié  des  terres  et  des  bois  de  Fontenav; 

La  moitié  des  terres  et  des  bois  de  Grez  et  de  Rieux  ; 

Les  trois  quarts  de  Grandvilliers; 

Roissy,  près  Marseille,  avec  ses  dépendances  et  une  partie  de 
la  dfme; 

Montaubert,  près  Thérines; 

Ronnières,  Téglise  et  les  dîmes  avec  leurs  dépendances; 

L'église  de  Noire-Dame  de  Milly  avec  ce  qui  lui  appartient; 

Une  partie  de  la  dlme  d'Hannaches; 

La  dtme  du  Vault; 

La  dîme  de  Houssoy-le-Farci; 

L'église  de  Campdeville  et  la  dîme  ; 

Iji  dîme  de  Courroy  et  de  Moimont; 

Une  partie  de  la  dîme  de  Villembray  et  de  Yillers-sur-Bon- 
nières  ; 

Proissy,  l'église  et  les  dîmes; 

La  terre  dcMorlmaison ,  près  Gampremy,  avec  les  bois  y  atte- 
nant, et  une  partie  de  la  dlme; 

Les  trois  quarts  de  Thieux  avec  une  partie  de  la  dtme  du  lin, 
du  chanvre  et  de  la  guède; 

L'église  et  la  dlme  de  Fresneau,  près  Bucamp; 

Une  partie  des  dîmes  du  blé,  du  lin,  du  chanvre  et  de  la 
guède  de  Gampremy; 

La  terre  de  Hugues  d'Ecornechat; 

Villers-sur-Thère  ; 

Warluis,  l'église  et  la  dtme; 


338  HISTOIRE 

Rozoy,  l'église,  la  (lime  el  le  droit  de  gîte; 

Cinqueux,  que  Raoul,  comte  de  Clermont.  venait  de  lui  rendre; 

Abbecourt,  Téglise  el  la  dîme; 

La  dîme  d'un  clos  h  Bu  ri  ; 

Le  quart  de  la  dime  de  Haucourt; 

La  moitié  de  la  dîme  de  Caigny  (Grillon)  avec  certains  droits 
sur  l'église; 

La  dîme  de  Villers  de  Hugues  du  Kour; 

La  dîme  d'Anseauvillers; 

La  dîme  el  l'autel  de  Maisoncelle  cl  la  dîme  d'Àndelicurl; 

L'église  de  Sainl-Just-des-Marais,  avec  la  dîme  des  champs  et 
des  prés  situés  entre  l'ancien  lit  du  Thérain  et  TAvelon; 

L'église  de  Saint-Maxien  (Montmîlle)  avec  toutes  ses  apparte- 
nances; 

L'église  de  Herchîes  et  la  dîme; 

Quatre  muids  de  blé,  autant  d'avoine  et  un  demi-muid  de 
pois  de  cens  annuel,  dus  par  l'abbaye  de  Lannoy; 

Trois  muids  de  blé  et  trois  muids  d'avoine  de  cens  annuel, 
dûs  par  les  chanoines  régulii^rs  de  Saint-Just  pour  le  fermage  de 
la  terre  de  Trémonvillers,  appartenant  à  Saint-Lucien; 

Un  muid  de  blé,  payé  annuellement  par  Fabbnye  de  Sainl- 
Symphorien,  à  la  décharge  de  Warin  Torel: 

L'église  de  Saînt-Quenlin-des-Prés  el  les  menues  dîmes; 

L'église  de  La  Fraye  el  la  dîme; 

La  chapelle  de  Muidorge  el  la  dlme; 

Dix  sols  payables  annuellement  par  l'abbaye  de  Saint-Quenlin; 

L'église  de  Saint-Sulpice  et  la  dîme  ; 

L'église  de  Margny-les-Compiègnc,  avec  la  moitié  de  la  dlme 
el  divers  cens; 

Le  quart  de  la  dîme  de  Silly  ; 

L'église  de  Maysel  el  la  dîme; 

La  moitié  de  la  dlme  de  Marissel  ; 

Le  comté,  la  voirie  et  le  tonlieu  dans  toute  l'étendue  du  terri- 
toire de  Saint-Lucien ,  de  Miauroy  et  de  Villers; 

Deux  fiimilles  de  serfs  données  par  Pierre  de  Milly,  la  famille 
d'Oisberl  de  Honnières  el  celle  de  Gautier  de  Villers-sur  Auchy  ; 

Gertains  droits  d'avoucrie  dans  la  ville  deGournav,  consistant 
en  cinq  mines  d'avoine  el  douze  deniers  d'argent,  payables  par 
le  maire  dudit  lieu  ,  donnés  par  Hugues  de  Gournay  ; 


DE    l'abbaye   royale   DE   SAINT-LUfJEN.  329 

Saint  Félix,  l'église  et  la  dlme; 

L'églide  de  Thury-sous-Clermont  et  la  dtme; 

Des  hô(es  et  des  prés  à  Balagny-sur-Thérain  ; 

Des  terres  et  des  bois  à  Beaupuits  et  k  Epineuse; 

L'église  de  Maimbeville  et  la  dîme; 

La  terre  de  Gaudechart  et  la  dtme; 

L'église  de  Sailli,  près  Fumechon,  et  la  dtme; 

Mont  de  Vaux  et  Bazîcourt; 

L'église  de  Sains  et  la  dlme; 

La  dtme  de  Rémerangle  et  diverses  propriétés  à  Cinqueux, 
Bélhancourt,  Sacy,  Noinlel  et  à  La  Chausse-du-Bois-d'Ecu. 

Henri  de  France,  après  avoir  confirmé  toutes  ces  possessions, 
renouvelle  la  défense  faite  par  son  prédécesseur  de  donner  à 
dtner  aux  évèques  de  Beauvais ,  dans  Tabbaye ,  à  l'occasion  des 
deux  fêtes  de  saint  Lucien.  Il  reconnaît  à  Tabbé  le  droit  de  nom- 
mer aux  cures  qui  dépendent  de  son  monastère  et  recommande 
de  faire  un  bon  choix;  enfin  il  maintient  Tusage,  pour  les  cha- 
noines de  la  cathédrale,  pour  les  grands  vassaux  de  Tévèché  et 
pour  ses  serviteurs,  de  recevoir  la  sépulture  dans  Tabbaye. 

Cette  confirmation  publique  affirmait  les  droits  de  Saint- 
Lucien  et  devenait  une  garantie  pour  rétablissement.  Pierre, 
son  abbé,  ne  s'en  contenta  pas  cependant;  il  sollicita  une  nou- 
velle confirmation  du  métropolitain  pour  donner  plus  d'autorité 
à  la  première  :  c'était  un  surcroît  de  précaution,  et  on  n'en  pre- 
nait jamais  trop  alors.  D'ailleurs,  plusieurs  arlflCles  avaient  été 
oubliés  dans  la  charte  de  Tévêque  de  Beauvais,  et  il  était  urgent 
qu'ils  fussent  compris  dans  une  nouvelle  confirmation.  Samson 
de  Mauvoisin ,  archevêque  de  Reims,  se  prêta  volontiers  à  ce  que 
Ton  demandait  de  lui ,  et,  par  lettres-patentes  de  l'an  H57,  dé- 
clara confirmer  à  nouveau  tous  les  biens  de  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien.  Cette  charte ,  que  nous  ne  reproduisons  pas ,  parce 
qu'elle  est  publiée  tout  au  long  dans  Louvet  (I),  énumère.  en 
outre  des  propriétés  contenues  dans  la  charte  d'Henri  de  France, 
plusieurs  autres  biens  ou  redevances  qui  n'y  sont  pas  compris. 
Ainsi,  elle  confirme  la  redevance  annuelle  d'une  livre  de  cire 
par  le  chapitre  de  Saint-Nicolas,  la  propriété  de  la  moitié  des 


(1)  Hisi.  et  ÀnPiq  de  Beauvais,  t.  i ,  p.  438. 


530  HISTOIRB 

droits  de  voirie  pour  les  biens  de  l'abbaye  sis  k  Saint-Félix,  que 
Jean  Chotart  lui  avait  donnée;  une  partie  de  la  df me  de  Deuvilers 
{Duum  villare),  près  f.uchy ;  un  muid  de  grains  de  redevance,  dû 
par  Grégoire  de  Gampremy  sur  sa  terre  de  Vessommesnil  ;  la  foire 
que  Jean ,  comte  d'Eu,  leur  a  accordée  pour  avoir  lieu  le  lundi 
de  la  Trinité,  à  La  Ghaussée  d'Eu;  l'église  de  La  Ghaussée  d'Eu, 
avec  le  territoire  de  la  nouvelle  paroisse  et  celui  de  Tancienne; 
l'église  de  Senarpont  et  ses  dépendances;  l'église  du  Ifesnil- 
Eudin  et  la  dlme;  huit  livres  et  demie  à  recevoir  des  chanoines 
de  Selincourt;  la  dtme  d'Eremcourt;  quatre  marcs  d'argent  à 
recevoir  de  l'abbaye  de  Séry  ;  la  dlme  et  des  terres  à  fieauchamp; 
l'autel,  la  dîme  et  des  terres  à  Broutelle,  Flexicourt  et  ses  dé- 
pendances. 

L'ëvèque  d'Amiens,  Thierrj,  sollicité  à  son  tour  de  con Armer 
les  biens  de  Tabbaye  de  Saint-Lucien,  situés  dans  son  diocèse; 
le  fit  par  une  lettre  donnée  à  Amiens  en  1359.  Gette  lettre,  que 
l'on  peut  trouver  dans  D.  Grenier  (1),  nous  apprend  que  l'abbaye 
de  Saint-Lucien  possédait  alors  dans  ce  diocèse  :  l'église  de  Se- 
narpont, avec  la  dîme  et  des  terres;  des  dîmes  à  Nesle  ^Hôpital 
et  Foucaucourt;  une  redevance  sur  l'abbaye  de  Séry  ;  l'église  de 
Nesletfe,  qu'elle  donna  peu  après  à  l'abbaye  de  Séry  ;  l'église  du 
Mesnil-Eudin;  la  dîme  d'Eremcourt;  des  terres  à  Inval,  à  Waltier- 
Moulin;  une  redevance  de  huit  livres  sur  l'abbaye  de  Selincourt; 
huit  seliers  de  blé  et  huit  setiers  d'avoine,  dûs  par  l'abbaye  de 
Selincourt  sur  la  dîme  de  Sainl-Léger-Ie-Pauvre;  des  dîmes  h 
Krmericourt,  à  C/tarixnoi^  h,  Bouttencourt,  à  Beauchamp,  à  Brou- 
telle, à  Saint-Blimont;  l'église  et  les  dîmes  de  Mers;  une  redevance) 
sur  l'abbaye  de  SaintRiquier;  l'église  de  la  Trinité  d'Eu  et  le 
prieuré  de  La  Ghaussée  d'Eu  ;  le  prieuré  de  Saint-Léger  de  Flixe- 
coqrt  avec  ses  dépendances;  des  diases  à  Vlnacourt ,  à  Béthen- 
court,  à  Saint-Accart,  à  Hornoy,  à  Pernois,  à  Oîssy,  à  Somme- 
reux  ;  l'église  et  la  dtme  de  Gempuis,  de  Grand villiera ,  de  U 
Verrière,  de  Sarnoy,  d'Havernas,  de  Flesselles;  diverses  rede- 
vances àHargicourt,  Yillers-sur-Authie,  Saint-Remy,  Mailly  et 
Paillart. 

Après  ces  confirmations,  l'abbaye  de  Saint-Lucien  avait  moins 


(1)  D.  Grenier,  192,  p.  lOp. 


DE   l'abbaye  ROTAUi  DE   SAINT-LUCIEN  3^1 

à  craindre  les  contestations;  ses  droits  étaient  affirmés  d'une 
manière  indiscutable,  et  il  n'y  avait  plus  que  la  mauvaise  foi  la 
plus  éhontée  qui  pût  les  attaquer.  L'abbé  pouvait  être  désormais 
tranquille  sur  ses  vastes  propriétés  et  laisser  de  côté  toute  inquié- 
tude, s'il  avait  pu  en  concevoir,  sur  l'avenir  de  son  monastère. 
Les  revenus  ne  devaient  pas  lui  manquer  avec  des  sources  aussi 
nombreuses  et  aussi  variées  que  celles  données  par  les  lettres 
confirmatives  que  nous  venons  de  citer.  Les  largesses  des  bien- 
faiteurs lui  avalent  créé  une  situation  financière  des  plus  pros- 
père, et  elles  ne  devaient  pas  encore  s'arrêter  là. 

En  1161,  l'abbé  Pierre  fait  un  échange  avec  Thibault,  prieur 
de  Saint-Martin-des-Champs,  et  lui  cède  ce  que  son  abbaye  pos- 
sédait à  Puiseux  {apud  Puteolos)  et  à  Louvres,  contre  des  terres 
à  Saint-Omer,  la  dlmedu  péage  de  Milly  et  le  péage  deConty/1). 

En  1165,  un  chanoine  de  Saint-Pierre.  Henri  d'Eu,  lui  donne 
une  prébende  dans  l'église  de  la  Trinité  d'Eu  (2). 

Un  des  actes  les  plus  importants  des  dernières  années  de  l'ad- 
ministration de  Pierre  est  le  traité  qu'il  fit  avec  le  seigneur  de 
Milly,  pour  remplacer  les  chanoines  de  Notre-Dame  de  Milly,  par 
des  religieux  de  sa  maison,  et  transformer  la  collégiale  en  un 
prieuré  conventuel.  Depuis  longtemps  déjà,  et  dans  beaucoup  de 
localités,  les  évoques  et  les  prolecteurs  de  ces  chapitres  parti- 
culiers tendaient  à  les  supprimer,  parce  qu'ils  n'offraient  pas 
assez  de  garanties  de  stabilité,  et  substituaient  à  leur  place  des 
communautés  régulières.  C'est  ce  que  nous  avons  déjà  fait  re- 
marquer-ailleurs.  Or,  il  y  avait  à  Milly  une  collégiale  dédiée  à 
Notre-Dame,  et  elle  était  desservie  par  huit  chanoines  et  six  cha- 
pelains. Elle  avait  été  fondée  en  l'honneur  de  saint  Dinault, 
martyrisé  en  ces  lieux,  dans  le  courant  du  v«  siècle.  Les  pré- 
bendes étaient  à  la  nomination  du  seigneur  de  Milly. 

En  11f>4,  Hugues  de  Milly,  chanoine  de  Beauvais,  décida  Sa- 
galon  de  Milly,  son  frère,  à  céder  ce  droit  à  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien  ,  et  quelques  années  plus  tard ,  en  1 1 67,  ce  même  seigneur 
entra  en  pourparler  avec  l'abbé  de  Saint  Lucien  pour  faire  rem- 
placer par  des  religieux  de  son  monastère,  les  chanoines  de 


{V  D.  Grenier,  199,  p.  27. 

(2)  Gai.  Christ.,  t.  ix,  CoL  788. 


352  HISTOIRE 

Milly,  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  mourraienL  L'évèque,  consulté, 
donna  son  acquiescement  k  cette  transformation,  et  l'abbé  de 
Saint-Lucien  y  consentit  volontiers.  Il  se  mit  même  aussitôt  en 
mesure  de  remplir  les  prébendes  vacantes,  en  >  envoyant  des  re- 
ligieux sous  la  conduite  d'un  prieur.  Ce  fut  d'abord  une  commu- 
nauté mixte  composée  de  chanoines  et  de  religieux  ;  mais  les 
chanoines  ne  tardèrent  pas  à  disparaître,  les  uns  par  décès,  les 
autres  en  demandant  des  postes  dans  les  rangs  du  clergé  sécu- 
lier, et  le  prieuré  devint  exclusivement  régulier,  ayant  douze  re- 
ligieux dirigés  par  un  prieur  (1). 

Les  hautes  qualités  de  l'abbé  Pierre  était  justement  appréciées 
parle  pape  Alexandre  IH;  aussi  le  délégua-t-il,  eu  1170,  avec 
Henri  de  France,  alors  archevêque  de  Reims,  pour  dirimer  les 
difAcultés  soulevées  pour  le  mariage  d'un  grand  personnage 
nommé  Âdelelme  (3). 

Pierre  mourut  l'année  suivante,  en  iili. 


—  O^iilllairnxe  I"  (\il\-\\SO). 


Tous  les  historiens  et  chronologisles  donnent,  pour  successeur 
immédiat  à  Pierre,  le  prieur  du  monastère,  nommé  Guillaume. 
Ainsi  l'indiquent  Louvet,  D.  Porcheron,  D.  de  Noroy  (3),  Du 
Caurroy  (4),  les  auteurs  du  Gal/ia  C/tristiana,  un  ancien  manus- 
crit cité  par  D.  Grenier,  et  le  pouillé  du  diocèse  de  tieauvais, 
de  1707  (5).  Cependant  une  charte,  provenant  de  l'abbaye  de 
Saint- Lucien  et  conservée  aux  archives  de  l'Oise  (6),  fait  mention, 
en  1173,  d'un  abbé  nommé  Gautier,  qui  avait  Guillaume  pour 
prieur.  Cette  charte  contient  un  accord  terminant  un  différend 
survenu  entre  Saint-Lucien  et  Renaud  de  Mello,  au  sujet  d'un 


(1)  Loavet ,  1. 1 ,  p.  636. 

(2)  Gall.  Christ,  t.  ix»  col.  182. 

(3)  Mss.  des  bib.  de  M.  Borel  de  Brétizel  cl  de  M.  le  comte  de  Merlemont. 
(i)  Mss.  de  la  bibl.  de  H.  Le  Caron  de  Troussares. 

(5)  Mss.  de  la  bibl.  de  H.  Matbon. 

^6)  Arch.  de  TOise:  abb.  de  Saint-Laden,  Villers-sur-Thère 


DE   L*ABBAYB   ROYALE  DE  SAINT-LUGIKN.  333 

moulin  sis  à  ViUers  sur-Thère.  Le  sire  de  Hello  permet  aux  reli- 
gieux de  faire  édifier  toutes  les  constructions  qu'ils  jugeront 
utiles  à  leur  moulin,  soit  sur  le  cours  d'eau,  soit  même  dans 
le  courant,  sans  que,  ni  lui  ni  ses  successeurs,  à  qui  appartient 
la  seigneurie  de  la  rivière,  puissent  s'y  opposer,  et  il  termine  en 
disant  :  Hanc  itaque  donationem  feci  coram  tesfibus  infra  scriptis 
per  manum  domni  Barthoiomei  BelvacenHs  episcopi,  qui  me  pré- 
sente de  ea  statim  domnum  IValterum  abbatem  sancti  Luciani 
investivit.  Parmi  les  témoins,  il  cite  :  pyillelmus  prior  Sancti 
Luciani^  avec  Robert,  abbé  de  Saint- Symphorien,  Drogon,  abbé 
de  Saint-Quentin,  Jean,  archidiacre,  Joscelin,  chantre,  et  d'au- 
tres, et  il  date  de  Tan  de  Tincarnation  de  Jésus-Christ  1173 

(M"  C*>  LXX"  lll"). 

Cette  charte,  si  elle  est  authentique,  donnerait  donc  un  nommé 
Gautier  pour  successeur  immédiat  à  Pierre.  Mais  comment  se 
fait-il  que  les  écrivains  que  nous  avons  cités  ci-dessus  ne  l'ont 
pas  fait  aussi?  Il  n'est  pas  possible  que  D.  Porcheron,  D.  de  No- 
roy  et  les  bénédictins  auteurs  du  Galtia  Christiana^  n'aient  pas 
eu  connaissance  de  cette  pièce;  ils  ont  trop  bien  examiné  toutes 
les  chartes  des  archives  de  l'abbaye  pour  que  celle-ci  leur  soit 
échappée.  S'ils  n'en  ont  pas  tenu  compte,  c'est  probablement 
parce  que  son  authenticité  leur  a  paru  contestable,  et,  de  fait, 
quoique  l'écriture  et  les  témoins  paraissent  bien  être  de  cette 
époque,  la  construction  des  phrases  ne  le  paratt  pas  autant  et 
laisse  à  douter.  Le  sceau  n'existe  plus,  et  son  absence  enlève  un 
moyen  de  contrôle.  Le  rédacteur  de  l'inventaire  des  titres  du 
monastère,  de  1G69,  devait  avoir  aussi  peu  de  confiance  en  Tau- 
thenticité  de  la  date  de  cette  pièce.  Il  la  mentionne ,  il  est  vrai, 
à  la  page  307,  cote  3;  mais  il  l'indique  sans  date,  contrairement 
à  ce  qu'il  fait  pour  toutes  les  autres  pièces. 

Conclure,  d'après  cette  charte  assez  contestable,  à  l'existence 
d'un  abbé  du  nom  de  Gautier,  en  H 73,  nous  parait  un  peu  ha- 
sardé, d'autant  plus  qu'aucun  autre  document  n'en  fait  mention. 
Cependant  on  ne  peut  pas  le  rejeter  absolument,  attendu  qu'au- 
cun acte  ne  cite  non  plus  Guillaume  comme  abbé,  de  il7i  à  la 
seconde  moitié  de  1173.  Ce  silence  constitue  une  lacune  de  près 
de  deux  ans,  et  permettrait  d'y  placer  la  courte  administration 
d'un  abbé.  Cet  abbé,  s'il  a  existé ,  pourrait  bien  être  le  Gautier 
de  la  charte  de  Renaud  de  Mello.  Nous  avons  indiqué  la  diffl- 


334  HiSTOlDIfi 

culte,  sans  pouvoir  la  résoudfe;  puissent  d'autres  être  plus  heu 
reux  et  parvenir  à  réclaircîr. 

Quoiqu'il  en  soit,  il  est  liors  de  doute  que  Guillaume  était  abbé 
de  Saint-Lucien  sur  la  fin  de  1173;  plusieurs  titres  en  font  foi. 
Il  était  auparavant  prieur  du  monastère,  et  il  avait  occupé  celte 
charge  avec  distinction  depuis  que  le  moine  Foulque  Tavall 
qnittée  pour  devenir  abbé  de  Saint-Martin  d'Auchy-les  Aumale. 
Ùéclal  de  ses  vertus,  la  bonté  et  la  fermeté  de  son  caractère, 
jointes  à  une  grande  prudence,  le  désignèrent  tout  natul^lle- 
ment  au  choix  de  ses  frères  pour  lui  confier  la  première  dignité 
de  la  communauté. 

En  ï  175,  il  fait  un  échange,  avec  les  religieux  de  Lannoy,  d'un 
courtil  et  d'un  pré  sis  à  Villers-Saint-Lucien.  Hugues  de  Gournay 
avait  ta  mouvance  de  ces  immeubles,  et  il  confirma  l'échange 
en  1178  (1). 

En  H77,  Guillaume  traite  avec  l'abbé  de  Froidmonl,  et  convient 
avec  lui  qu'ils  partageront  chacun  par  moitié  les  dîmes  de  Saint- 
Félix  et  du  mont  de  Thury,  ne  voulant  pas  que  la  paix  fut  trou- 
blée entre  leurs  communautés  pour  d'aussi  minimes  intérêts.  Il 
n'en  fut  pas  de  même  avec  Renaud  de  Mello.  Ce  turbulent  sei- 
gneur inquiétait  sans  cesse  le  monastère.  Fier  de  sa  puissance 
et  des  hommes  d'armes  qu'il  avait  à  son  service,  il  prenait  plaisir 
à  se  faire  craindre,  et  ne  se  gênait  pas  pour  vexer  les  pauvres 
religieux  qui  l'avoisinaient  ou  qui  avaient  des  propriétés  conti- 
gués  aux  siennes.  Ainsi  tourmentait-il  les  moines  de  Saint- Lucien 
pour  leur  moulin  et  leurs  biens  de  Villers-sur-Thère  et  pour  di- 
verses autres  terres  et  redevances.  Guillaume,  las  de  ces  vexa- 
tions ,  en  référa  à  l'archevêque  de  Reims.  L'évêque  de  Beauvafs, 
Philippe  de  Dreux,  était  alors  en  Palestine  et  ne  pouvait  lui  faire 
rendre  justice;  mais  Guillaume  de  Champagne,  le  métropolitain, 
cita  pardevant  lui  le  cauteleux  sire  de  Mello,  et  le  menaça  des 
censures  de  l'Eglise,  s'il  ne  cessait  à  l'instant  ses  mauvais  procé* 
dés  à  l'égard  des  religieux,  et  s'il  ne  faisait  réparation  à  l'abbaye 
de  Saint-Luclen.  Renaud  céda  et  promit  de  donner  pleine  et  en* 
tière  satisfaction.  Il  le  fit,  du  reste,  de  si  bonne  grâce  qu'il  ob* 
tint  des  religieux  la  permission  de  bâtir  des  moulins  à  fbuler  te 


i*^ 


(1)  Arcti.  de  l  Oise  :  abb  de  Saint^Ltiofsn. 


DB  l'abbaye   ROVaLB  dé  SAINT  LUCIEN  335 

drap  auprès  de  leur  moulin  de  Villers-sur-Thère  ;  ces  dtofnes 
posèrent  toutefois  la  condition  que  ces  usines  ne  porteraient 
auctln  préjudice  à  la  leur.  Le  sire  de  Melto  projetait  cet  établis- 
sement depuis  longtemps,  et  la  résistance  des  religieux,  qui  ne 
voulaient  pas  le  laisser  faire,  par  crainte  d'inconvénient  pour 
leur  moulin,  avait  été  pour  beaucoup  dans  les  vexations  qu'il 
leur  avait  fait  subir.  tJn  accord  tei^mina  tout,  et  Renaud,  satis- 
fait, s^engagea  de  payer  tous  ies  ans  à  Tabbaye  une  redevance 
de  i3  deniers  (1). 

En  ii78,  nous  retrouvons  ce  même  abbé  traitant  avec  un  sire 
de  Cayeu,  et  lui  cédant  tout  ce  que  son  abbaye  possédait  à  Brou- 
telle,  contre  cinq  muids  de  blé  de  redevance  annuelle  sur  Tabbaye 
de  Sery  ;  et  avec  Simon  de  Bcaucamp ,  qui  lui  abandonne  quatre 
muids  et  demi  de  rente  sur  la. grange  de  Mortemer,  et  iG  sols  de 
cens  sur  plusieurs  maisons  de  Beauvais,  contre  tous  les  droits 
que  le  monastère  avait  sur  la  terre  de  Beaucamp ,  à  rexceptîon 
de  la  dtmé  qui  reste  réservée  au  prieuré  de  Sénarpont,  et  de  la 
forêt  que  les  templiers  tenaient  de  Saint-Lucien,  à  â5  sols  de 
rente  perpétuelle  (2). 

L'année  suivante,  le  comte  de  Glermont,  pour  témoigner  sa 
bienveillance  à  l'abbé  Guillaume,  renonçait,  en  faveur  de  son 
abbaye,  à  tous  les  droits  qu'il  pouvait  avoir  sur  la  terre  de  Mort- 
maison  et  sur  Rozoy,  et  lui-même  faisait  un  accord  avec  les  reli- 
gieux du  monastère  de  Saint-Victor  en  Caux,  au  sujet  de  la  dlme 
de  Mers. 

Guillaume  mourut  peu  de  temps  après,  le  13  juin,  d'autres 
disent  le  15  octobre  1180. 

x:XI.  —  flu^ue»  de  Oler*xiioiit  (1180-1183). 

Les  frères  de  Sainte  Martbe  donnent,  pour  successeur  à  Guil- 
laume, un  nommé  Thibault,  qui  fut  abbé  de  Saint-Basie,  puis  de 
Gluny,  et  enfin  cardinal  et  évêque  d'Ostie.  G'est  une  erreur  que 


(1)  Arch  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 
(S)  Ilrid ,  invent,  de  1669. 


336  HISTOIRE 

combattent  D.  Porcheron  et  les  bénédictins  auteurs  du  Gallia 
Christiana  et  du  Monasficum  benedictinum  (i),  et  qui  ne  repose 
sur  aucun  fondement  tiré  des  archives,  ni  des  traditions  du  mo- 
nastère- Il  faudrait  d'ailleurs  que  ce  Thibault  eût  été  bien  peu  de 
temps  à  la  tète  de  Tabbaye,  puisque,  Guillaume  étant  mort  au 
plus  tôt  le  13  juin  1180,  le  charlrier  contient  des  actes  de  la 
même  année  où  Hugues  y  comparait  comme  abbé.  Il  n'aurait 
donc  administré  tout  au  plus  que  pendant  quelques  mois;  mais 
encore  cela  parait  invraisemblable,  si  l'on  examine  les  docu- 
ments relatifs  à  son  gouvernement  dans  les  abbayes  de  Saint- 
Basle  et  de  Cluny  ;  leurs  dates  sont  trop  précises  pour  permettre 
même  celte  supposition. 

Le  successeur  de  Guillaume  fut,  d'après  les  documents  les  plus 
certains,  Hugues  deClermont.  Ce  religieux  était  issu  de  Tillustre 
famille  des  comtes  de  Clermout  en  Beauvaisis.  H  était  fils  de 
Renaud  II,  comte  de  Glermont,  et  de  Clémence  de  Bar,  sa  se- 
conde femme,  et  frère  du  fameux  comte  Raoul  »  qui  accompagna 
le  roi  Philippe-Auguste  à  la  croisade  en  qualité  de  connétable 
de  France,  et  fut  tué  au  siège  de  Saint-Jean  d'Acre,  en  liOl.  De 
bonne  heure,  il  avait  embrassé  la  carrière  ecclésiastique  ;  une 
prébende  lui  avait  été  donnée  dans  le  chapitre  cathédral  de  Metz, 
et  il  l'abandonna  pour  entrer  dans  Tordre  de  Grammont.  Il  quitta 
cet  ordre  peu  après  pour  prendre  la  direction  d'un  monastère  cis- 
tercien. Le  continuateur  de  la  clironique  de  Robert  du  Hont-Saint- 
Michel,  qui  nous  apprend  ce  détail ,  n'indique  pas  quel  était  ce 
monastère.  Il  devint  abbé  de  Saint  Germer  en  117â,  et  régit  cette 
abbaye  jusqu'en  1180.  Puis,  certaines  diflicul tés  s'étant  élevées 
entre  lui  et  sa  communauté ,  il  profita  de  l'estime  et  des  bonnes 
dispositions  que  les  religieux  de  Saint-Lucien  manifestaient  à  son 
égard,  pour  se  faire  nommer  leur  abbé  aussitôt  après  la  mort  de 
(;uillaume  (â). 

Les  seuls  actes  de  son  administration  qui  nous  soient  parvenus 
sont  une  cession  qui  lui  fut  faite  par  Guillaume  de  Mello  des  droits 
de  voirie  qu'il  avait  àBeaupuits,  et  des  redevances  en  dépen- 


(1)  M88.  de  la  biblioth.  nationale ,  l,  n*  1023,  t.  iii ,  p.  ^265-378. 
(3)  GaU,  Christ ,  t.  ix,  col.  782  et  792. 


DE    l'abbaye    royale   DE   SALNT-LUGIEN.  337 

dant  (i),  et  la  prise  à  ferme  du  moulin  de  Tolsac,  que  lui  louaient 
Odon  Haladrius  et  Guy  d'Âchy  (2). 

Hugues  de  Glermont,  du  reste,  demeura  peu  de  temps  à  la  tête 
de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  :  ses  vertus  et  ses  hautes  qualités  ne 
tardèrent  pas  à  le  désigner  au  choix  des  religieux  de  Gluny,  et  il 
fut  élu  abbé  de  ce  monastère  en  11S3.  Il  quitta  donc  Saint-Lucien 
pour  aller  prendre  la  direction  d«  ce  célèbre  établissement.  La 
sagesse  qu'il  déploya  dans  tous  ses  actes,  pendant  les  cinq  an- 
nées qu'il  gouverna  Gluny,  le  fit  vivement  regretter  après  sa  mort 
arrivée  le  8,  d'autres  disent  le  29  avril  1188.  On  grava  sur  sa 
tombe  l'inscription  suivante  : 

Sanguine  regali  benè  tut  tus  et  imperiali, 

De  Claromonte  clarissimus  extitit  iste, 

Abbas  dam  vixit  Cluniacus  in  alta  refuUit, 

Dam  rexit  plaustrutn^  mamit  sine  murmure clausirum  (3). 


I.  —  Oaixtlox'  (H 83-1 494). 


Gautier  {fralterus,  Gualterus,  ^'albertus)é{eL\i  prieur  de  Saint- 
Lucien  quand  Hugues  de  Glermont  fut  appelé  à  diriger  Gluny. 
Ses  frères  le  désignèrent  aussitôt  pour  succéder  à  Hugues. 

Un  des  premiers  actes  de  son  administration  fut  de  traiter  avec 
le  seigneur  de  Milly  pour  exempter  les  habitants  de  Kothois  de 
l'obligation  d'aller  moudre  leurs  grains  au  moulin  de  Milly  et  d'y 
payer  la  redevance  qui  leur  était  imposée.  Sagalon  de  Milly  avait 
jadis  donné  cette  terre  à  l'abbaye  de  Saint-Lucien  et  s'était  ré- 
servé certains  droits  sur  les  habitants,  et  entre  autres  celui  de 
mouture.  L'abbé  de  Saint-Lucien  portait  intérêt  à  ses  tenanciers, 
et  il  travaiUait  tant  qu'il  pouvait  à  les  affranchir  des  charges 
onéreuses,  et  surtout  de  celles  exigées  par  les  seigneurs  laïques, 
parce  qu'elles  étaient  trop  souvent  exactoires.  Il  délivra  donc  ses 


(1)  invent,  de  1669. 

(2)  Pillet  :  Histoire  de  Gerberoy,  p.  dC7. 

(3)  D.  Percheron.  —  Monast.  bénédict. 

T.  Ylll  22 


388  H1ST018K 

vassaux  de  Rothois  de  l'obligation  d'aller  moudre  à  Milly,  moyen- 
nant un  muid  de  grain ,  dont  il  cbargea  son  monastère  au  proHt 
du  sire  de  Milly,  et  il  obtint  d'Hélie,  vidame  de  Gerberoy,  la  ces- 
sion des  droits  de  voirie  en  ce  lieu.  Quelques  années  plus  tard. 
en  iiWJ,  Robert  de  Conty  lui  abandonnait  aussi  ses  droits  de 
voirie  à  Beaupuits.  De  la  sorte,  la  justice  vo>ère  appartenait  au 
monastère  dans  la  plupart  des  localités  où  elle  avait  des  hôtes 
ou  tenanciers;  les  efforts  de  son  abbé  tendaient  du  moins  à  cela. 
Les  populations  le  préféraient  aussi ,  car  la  justice  monacale  était 
infiniment  plus  douce  dans  ses  agissements  que  celle  des  sei- 
gneurs laïques. 

Une  difficulté  s'éleva  sur  ces  entrefaites  entre  Tabbave  de 
Saint-Lucien  et  celle  de  Notre-Dame  d'Eu.  Il  s'agissait  de  certains 
droits  sur  le  village  de  La  Chaussée  d'Eu.  Gautier  défendait  éner- 
giquement  les  droits  du  prieuré  qu'il  avait  en  ce  lieu.  Le  débat 
s'irritait  assez  pour  que  Ton  fdt  obligé  de  s'en  remettre  à  l'arbi- 
trage d'Etienne ,  abbé  de  Sainte-Geneviève,  de  Pierre,  chantre 
de  l'église  de  Paris,  et  du  prieur  de  Foucarmonf.  Un  accord  in- 
tervint pourtant  en  i185,  et  la  paix  fut  rétablie. 

Cette  même  année,  l'évêque  Philippe  de  Dreux ,  étant  en  Tab- 
baye  de  Saint-Lucien ,  fit  don  de  l'église  d'Orvillers-Sorel ,  au 
prieuré  de  Lihons  en  Santerre. 

Une  question  passablement  épineuse  divisait  alors  Saint-Lucien 
et  le  chapitre  de  Beauvais.  Elle  avait  pris  naissance  à  propos 
d'une  coutume  qui  avait  commencé  bénévolement  et  qui  conti- 
nuait de  même  sans  qu'on  eût  jamais  eu  l'intention  d'en  faire 
ni  une  obligation,  ni  un  droit.  Voici  le  fait.  Jadis,  à  une  époque 
bien  ancienne  et  peut-être  contemporaine  des  premières  années 
du  monastère,  lesévêquesde  Beauvais  avaient  sollicité  pour  eux, 
pour  les  membres  de  leur  chapitre,  pour  les  fieffés  et  pour  les 
officiers  de  leur  église,  l'honneur  d'être  inhumés  dans  l'abbaye, 
auprès  du  tombeau  de  saint  Lucien.  Cette  faveur  leur  avait  été 
accordée  avec  empressement,  et  ils  en  usèrent  paisiblement  pen- 
dant des  siècles.  L'abbaye,  du  reste,  n'avait  qu'à  y  gagner  :  les 
évêques  et  les  chanoines  avaient  toujours  l'attention  de  témoi- 
gner leur  reconnaissance  par  des  donations  ou  des  legs  souvent 
fort  considérables.  Cette  générosité  toute  spontanée  excita  la  cu- 
pidité des  moines,  et,  dans  la  crainte  d'en  être  privés  dans  la 
suite  des  temps,  ils  tentèrent  de  la  rendre  obligatoire.  Ils  préten- 


DE   L*ABBAYI£   AOYALK  DE   SAINT-LUCIEN  339 

dirent  que  les  évèques  et  les  chanoines  étalent  obligés,  en  toutes 
circonstances,  de  se  faire  inhumer  dans  Tabb^ye,  et  qu'il  ne 
leur  était  pas  loisible  de  choisir  ailleurs  leur  sépulture.  Ils  trans* 
formaient  ainsi  en  obligation  stricte,  ce  qui  n'avait  jamais  été 
qu'un  pieux  usage  introduit,  et  continué  uniquement  par  dévo- 
tion. Le  chapitre  de  Beauvais  s'éleva  contre  la  prétention  des 
moines,  et  en  référa  au  pape  en  se  plaignant  fortement  de  leur 
manière  d'agir,  yrbain  111,  qui  occupait  alors  le  siège  de  saint 
Pierre,  chargea  Hugues,  doyen  du  chapitre  de  Paris,  et  l'abbé 
de  Saint-Germain-des-Près  de  prendre  connaissance  de  l'affaire. 
Comme  les  religieux  n'avaient  aucun  titre  à  faire  valoir,  et  ne 
pouvaient  invoquer  que  l'usage  librement  suivi  par  les  chanoines, 
les  commissaires  les  condamnèrent  à  se  désister  de  leurs  préten- 
tions, lis  ne  suivaient  en  cela,  du  reste,  que  les  instructions  du 
pape.  Urbain  leur  avait  ordonné  de  suivre  le  droit  commun  et  de 
prononcer  contre  les  moines,  s'ils  ne  pouvaient  produii*e  aucune 
convention  authentique  contraire.  Le  chapitre  cessa,  dès  lors, 
de  prendre  sa  sépulture  dans  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  et  ainsi, 
pour  vouloir  trop  avoir,  les  religieux  se  privèrent,  par  leur  faute, 
d'une  source  de  bien-être  qui  ne  devait  pas  leur  manquer  de 
sitôt.  La  sentence  est  de  l'an  liS5  ou  1186  (1). 

Cet  incident,  désagréable  pour  l'abbé  Gautier,  fut  quelque  peu 
compensé  les  années  suivantes  par  la  générosité  de  divers  sei- 
gneurs. Jean  d'ilétomesnil  lui  fit  don  de  la  terre  qu'il  possédait 
entre  Sarnois  et  Grand villiers.  In  autre  chevalier,  Sagalon ,  sire 
de  Miily,  renonça,  à  la  réserve  qu'il  s'était  faîte  dans  la  donation 
des  bois  d'Oudeuil.  Il  avait  spécifié  que  les  religieux  conserve- 
raient huit  mines  de  ces  bois  sans  les  défricher,  afin  qu'il  pût  y 
trouver  les  matériaux  nécessaires  à  la  défense  de  son  castel  d'Ou- 
deuil  {ad  ^nnnUionem  castri],  et  il  leur  permit,  en  1183,  de  les 
mettre  en  culture  (2). 

Bernard,  seigneur  deFrancières,  ne  montrait  pas  des  disposi- 
tions moins  favorables.  Depuis  longtemps,  ce  pieux  gentilhomme 


(I)  Loavet,  t.  I,  p.  390.  —  D.  Porciieron ,  cb.  30.  —  Delettre  :  Eist,  du 
diocèse  de  Beauvais,  t.  ii,  p.  168. 

{:i)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


340  uisiK^ias 

désirait  embrasser  la  vie  religieuse;  mais^  retenu  dans  le  monde, 
il  sollicitait  au.  moins  la  faveur  d'être  admis  à  la  participation 
des  prières  et  des  bonnes  œuvres  du  couvent,  et  il  mettait,  en 
revanche,  sa  personne  et  ses  biens  au  service  du  monastère. 
Gautier  Taffilia  avec  plaisir  et  l'admit  dans  la  communauté  au 
titre  de  frère  servant  {concessit  moruichatum  ad  sticcurrendtm). 
Comme  il  restait  dans  le  siècle,  on  lui  donna  à  fief  tous  les  biens 
que  l'abbaye  possédait  au  Mesnil-Sagalon ,  4  condition  que, 
deux  fois  l'an,  il  accompagnerait  les  religieux  de  la  communauté, 
qui  iraient  en  Ponthleu  et  dans  le  Vimeu,  pour  les  affaires  de  la 
maison,  et  qu'il  leur  donnerait  aide  et  protection  en  toutes  cir- 
constances (i). 

En  4189,  Thomas  de  Marseille  et  son  frère  renonçaient,  en  fa- 
veur de  Saint-Lucien,  à  tous  leurs  droits  sur  la  terre  de  Noire- 
mont. 

L'année  suivante,  Robert  de  Marseille  et  Foulque  de  Feu- 
quières  donnèrent  la  terre  de  Gourcelles ,  près  Grandvilliers, 
avec  les  bois  adjacents,  et  Pierre,  vidame  deGerberoy,  les  droits 
de  voirie  et  la  justice  {viariam  cum  redditu  etjusticia)  lui  appar- 
tenant, entre  Plsseleu  et  Fontaine,  Guehengnies  et  Lucby  (â). 

L'abbé  Gautier  nous  apparaît  encore  transigeant,  en  1196, 
avec  l'abbaye  de  Saint-Denis;  c'est  le  dernier  acte  que  l'on  pos- 
sède de  lui,  et  il  est  probable  qu'il  ne  lui  survécut  guère.  L'obi- 
tuaire  de  Saint-Lucien  rapporte  sa  mort  au  xi  des  calendes  de 
mars  (19  février).  Nous  pensons  que  ce  pourrait  bien  être  de 
ran  il97. 

XXLIII.  —  Jeajx  l«^  (1197-1202). 

Jean,  le  successeur  de  Gautier,  fut  trouver  l'évèque  de  Beauvais, 
à  son  retour  de  la  captivité,  et  lui  promit  obéissance  et  fidélité, 
selon  l'usage;  cette  attention  lui  valut  les  sympathies  du  pon- 
tife. Elles  allaient  lui  être  utiles  et  l'aider  à  supporter  les  contra- 
riétés qui  le  menaçaient  à  son  tour. 


(1)  D.  Porcberon,  cti.  30.  —  GaU,  Christ,,  t.  ix. 
2)  Arcb.  de  FOise  :  ilrid. 


DE   L'aBBATE   BOTAUC  DE  SAINT-LUCIEN.  34i 

(Guillaume  de  Mello  venait  de  lui  donner,  en  i2(M,  les^  bois  de 
Tilloy  et  de  La  Cuntiot,  près  Maysel ,  quand  des  difficultés  assez 
sérieuses  surgirent  pour  lui  dans  son  monastère.  L'histoire  ne 
dit  pas  quel  en  fut  le  motif;  mais  toujours  est-il  qu'elles  prirent 
les  proportions  d'une  révolution  intérieure.  La  voix  de  Tabbé 
ne  flit  plus  écoutée,  et  ses  religieux  s'élevèrent  contre  lui,  de- 
mandant sa  démission.  Le  légat  du  pape,  en  France,  Pierre  de 
Gapoue ,  informé  de  la  dissension  et  prié  d'intervenir,  délégua 
l'évèque  de  Beau  vais,  Philippe  de  Dreux,  Eustache,  abbé  de 
Saint-Germer,  et  Richard  de  Gerberoy,  doyen  de  l'église  d'Amiens, 
pour  rétablir  la  paix.  Les  commissaires,  quelques  efforts  qu'ils 
firent,  ne  gagnèrent  rien,  et  la  discorde  devint  de  plus  en  plus 
violente.  L'évèque  de  Beauvais  estimait  Jean;  voyant  son  auto- 
rité fortement  compromise,  et  sa  position  devenue  presque  im- 
possible, il  lui  conseilla  amicalement  de  donner  sa  démission. 
Eustache  de  Saint- Germer  insistait  aussi  dans  ce  sens.  Jean  ob- 
tempéra aussitôt  à  leurs  avis,  ètie  démit  purement  et  simple- 
ment de  sa  charge,  ôtant  ainsi  tout  prétexte  au  désordre.  C'était 
en  1202. 


TV.  —  RoiiaïKl  (1202-1210). 


Les  religieux  voyaient  ladiffloulté  se  terminer  à  leur  avantage; 
ils  triomphaient,  et  leur  abbé  avait  succombé  en  donnant  sa 
démisssion.  Dans  la  crainte  que  leur  succès  ne  fût  compromis 
par  une  réaction  ou  par  un  revirement  dans  les  idées  de  l'abbé 
ou  des  commissaires,  ils  n'eurent  garde  d'attendre  pour  se  don- 
ner un  nouveau  supérieur,  et  se  hâtèrent  de  procéder  à  une 
élection.  Seulement,  pour  éviter  de  laisser  croire  à  une  joie  trop 
Immodérée  de  leur  part  et  ne  pas  paraître  agir  trop  subreptice- 
ment, ils  affectèrent  de  demander  une  autorisation  à  l'évèque 
de  Beauvais;  ils  le  prièrent  même  de  vouloir  les  aider  et  les 
éclairer  dans  leur  choix,  afin  de  terminer  promptement,  di- 
saient-ils, une  affaire  qui  ne  pouvait  souffrir  aucun  retard.  De 
droit  commun,  ils  n'avaient  pas  besoin  de  cette  autorisation, 
puisque  les  élections  monastiques  ne  relevaient  que  de  la  vo- 
lonté libre  des  religieux  composant  le  monastère.  Aussi,  l'évèque 
consentit-il  facilement  à  la  donner  et  même  k  s'immiscer  dans 


312  HïSToinE 

rélecllon.  Mais  aussitôt  que  le  clioix  fut  fait,  IVîleclfon  validée 
et  le  nouvel  abbé  canoniquemenl  institué  et  mis  en  charge,  les 
religieux  se  ravisèrent  et  s*aperçurent  que  les  évoques  pourraient 
bien  se  prévaloir  de  ce  précédent  qui  venait  d*étre  posé,  pour 
revendiquer  le  droit  de  se  mêler  de  Téleclion  des  abbés  et  obli- 
ger la  communauté  h  demander  son  autorisation  avant  d'y  pro- 
céder, fl  fallait  s*y  opposer,  et  lis  ne  manquèrent  pas  de  le  faire; 
ils  pressèrent  révèque  de  reconnaître,  par  écrit,  que  ce  qui  venait 
d'avoir  lieu  ne  pourrait  tirer  à  conséquence  pour  Tavenîr.  Phi- 
lippe de  Dreux  y  consentit  de  bonne  grâce,  et  il  leur  délivra  à 
cet  effet  des  lettres- païen  tes  où  il  affirmait  que  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien  avait  toujours  joui  de  la  libre  élection  de  ses  abbés,  et 
que  le  fait,  auquel  11  venait  de  prendre  part,  ne  pouvait  porter 
aucun  préjudice  à  ce  droit  :  «  Quia  cum  Ecclesia  5.  Luciani  ah 
antique  semper  habxœrit  et  axlhuc  habeat  liberam  electionis  facul- 
latent j  prœsenti  scripto  testificamur;  et  ego  ipse  firœdictus  Philip- 
pus  Episcopus  pontificali  anihoritate  confirmo  quia  vec  Episcopus 
née  Ecclesia  Belvacensis  quicquid  juHs  in  posferum  in  sœpe  dictd 
Ecclesid  occasione  hujus  facti  vel  alid,  quoad  electiwiem^  sibi  po- 
terunt  vindirare,  Sed  ipsa  Ecclesia  suis  omnîno  dignitatibxts  et  ii- 
bertatibuSj  et  précipite  suk  electionis  piend  in  perpetuum  gaudeat 
lihertate  (1).  » 

Le  nouvel  élu  laissa  bien  peu  de  traces  dans  l'histoire  du  mo- 
nastère et  ne  se  distingua  guère  par  la  supériorité  de  son  admi- 
nistration, puisque  son  nom  même  est  à  peu  près  inconnu.  On 
ne  le  trouve  mentionné  dans  aucun  acte,  et  le  silence  s'est  si 
bien  fait  autour  de  lui  que  Louvet,  les  frères  de  Sainte-Marthe, 
les  auteurs  de  la  seconde  édition  du  Gallîa  Cliristlana ,  D.  de 
Noroy  et  D.  Porcheron  ne  l'indiquent  que  par  Tinitiale  R.  Ces 
derniers  pourtant  pensent,  avec  D.  Mabiilon,  qu'il  a  dû  s'appeler 
Renaud,  et  que  ce  ne  peut  être  que  le  Reginaldus  abbas  dont  le 
nécrologe  ordonne  l'anniversaire  au  10  juin;  d'autant  plus  que 
cette  mention  du  nécrologe  ne  peut  s'appliquer  à  aucun  autre 
abbé  connu.  Nous  partageons  ce  sentiment,  et  c'est  le  motif 
qui  nous  a  fait  désigner,  sous  le  nom  de  Renaud,  Tabbé  nommé 
après  la  démission  de  Jean. 


l)  Loiivet,  t  I,  p.  120. 


DE   L*ABBAYR   ROTALK   DK   SAINT-LUGIBN.  S4S 

Les  quelques  arfes  passés  sous  son  administration,  et  qui  nous 
sont  parvenus,  sont  des  transactions  entre  Tabbaye  et  Roux  de 
La  Cengle,  seigneur  de  Thieux,  au  sujet  de  la  délimitation  des 
terres  de  Thieux,  en  i203,  et  une  conflrmation  par  Philippe  de 
Dreux ,  évèque  de  Beauvais,  de  la  donation  par  Guy,  dit  Le  Gomu 
d'Airion  (de  Àri(yne\  du  droit  d'usage  et  de  pâturage  dans  son 
bois  de  Savignies ,  pour  Tabbaye  et  le  prieuré  de  Saint-Maxien 
(i207j  (i).  Ge  gentiliomme  tenait  ces  terres  à  fief  de  Tévèque- 
comte  de  Beauvais,  et  venait  de  lui  en  vendre  trois  cents  arpents 
sis  entre  Savignies  et  Beauvais. 

On  ne  sait  pas  au  juste  à  quelle  époque  finit  Tabbatiat  de  Re- 
naud; on  pense  qu'il  régit  son  abbaye  jusqu'en  12i0.  Il  mourut 
le  iO  juin. 

:xx:v.  —  Kvi?ai?cl  cle  MonoUy  (<2<0-1237). 

Evrard,  qui  succéda  à  Renaud,  était  frère  de  Baudoin  de 
Moncby  et  issu  de  la  noble  famille  qui  tenait  la  terre  de  Mouchy, 
et  dont  un  des  membres,  Drogon  de  Moncby,  s'était  distingué  à 
ta  croisade,  en  1148.  Son  élection  suivit  immédiatement  la  mort 
de  Renaud,  et  dès  1210  on  le  voit  apparaître  comme  abbé  dans 
la  donation  par  Jean  de  La  Cengle,  seigneur  de  Thieux,  de  deux 
iierboges  sis  audit  village  de  Tbieux,  et  attenant  à  la  maison  et 
aux  terres  que  les  religieux  y  possédaient  déjà. 

L'année  suivante,  pour  défendre  les  intérêts  de  son  monas- 
tère, il  intenta  une  action  contre  Gatherine  de  Blois,  comtesse 
de  Clermont ,  qui  lui  contestait  la  propriété  du  bois  dit  de  Saint- 
Lucien,  sis  à  Saint-Félix.  L'affaire  prit  des  proportions  assez 
considérables  et  fut  portée  pardevant  le  pape,  qui  délégua  le 
doyen  de  Téglise  de  Paris  et  deux  chanoines  du  même  lieu  pour 
l'examiner.  Leur  décision,  en  adjugeant  le  bois  à  l'abbaye,  ter- 
minale différend  (2).  Le  roi  Phiiipe-Auguste  fixa  en  même  temps, 
par  lettres-patentes,  la  règle  à  suivre  pour  l'exploitation  de  ce 
bois  (3). 


1)  D.  Grenier  lW,p.  119. 
(?)  D.  Grenier,  175,  p.  64. 
3}  Ibidem,  17r>,  p.  75. 


344  HISTOIRE 

Evrard  prenait  tous  les  moyens  pour  améliorer  la  situation 
de  son  monastère  et  celle  de  ses  biens.  Pour  leur  donner  plus 
d'importance,  il  entreprenait  même  la  création  de  bourgades 
destinées  à  les  mettre  en  valeur.  C'est  ainsi  qu'il  fonda  Grand- 
villiers.  Depuis  plus  d'un  siècle  son  abbaye  possédait  celle  terre, 
où  jadis  avait  existé  un  village  assez  consi'.lérable,  comme  in- 
dique son  nom.  Les  invasions  barbares  l'avaient  détruit.  Evrard 
eut  la  pensée  de  le  rétablir  et  de  lui  donner  des  proportions  en 
rapport  avec  son  appellation.  L'œuvre,  cependant,  lui  parais- 
sait assez  difficile  pour  qu'il  n'osât  l'entreprendre  tout  seul.  !l 
se  concerta,  à  cet  effet,  avec  l'évéque  de  Beauvais,  quoique  la 
terre  ne  fût  pas  dans  l'étendue  de  son  diocèse ,  mais  fût  dans 
celui  d'Amiens,  et  lui  demanda  son  concours.  La  valeur  de  Phi- 
lippe de  Dreux,  qui  régissait  alors  le  diocèse  de  Beauvais,  son 
caractère  audacieux  et  entreprenant,  son  autorité  incontestable 
dans  tout  le  Beauvaisis,  et  la  force  militaire  dont  il  savait  dis- 
poser pour  protéger  ses  entreprises,  avait  inspiré  ce  choix.  Les 
droits  de  l'évoque  d'Amiens  devaient  être,  du  reste,  en  tout 
sauvegardés  dans  cet  établissement.  Philippe  de  Dreux  fut  visiter 
les  lieux,  en  1212,  avec  l'abbé  Evrard ,  acquiesça  complètement 
à  ses  projets,  et  se  mit  de  commun  avec  lui  dans  les  efforts  et 
dans  la  dépense.  Des  ouvriers  furent  aussitôt  envoyés,  des  habi- 
tations se  construisirent,  on  accorda  des  franchises  à  ceux  qui 
vinrent  les  occuper,  on  régla  leurs  droits  et  leurs  devoirs,  et  le 
bourg  de  Grandvîlliers  fut  fondé.  Le  concordat,  rédigé  par  ordre 
de  l'évéque,  au  mois  de  mai  de  l'an  1212,  et  signé  par  Philippe 
de  Dreux  et  Evrard,  stipulait  que  pour  indemniser  Tévêque  de 
ses  dépenses  et  de  sa  protection,  l'abbaye  lui  accordait,  pendant 
toute  sa  vie,  la  jouissance  de  la  moitié  de  la  seigneurie  du  lieu 
et  de  tous  les  revenus  qui  pourraient  en  venir.  Quant  à  la  popu- 
lation du  nouveau  village,  il  fut  statué  (1)  que  quiconque  vien- 


(I)  Untisquisqiie  hospes,  qui  venerit  ad  manendum,  reddet  antittatim  de 
reddUu  sex  minas  avenœ,  et  tex  denarios,  ad  festum  S.  Rtmigii  :  et  ad 
Natale  Domim  duos  capoiies  et  duos  panes.  Hospites  omnes  ejusdem  villœ 
erunt  quitti  et  immunes  à  taillid,  ab  exercitUt  eqnitatione  et  omnimodâ 
exactione.  De  emendis  et  forefaclis  erunt  ad  consuetudinem  de  Angi 
Sciendum  autem  quod  in  prœdictâ  villa  non  polerit  recipi  ad  mnnendum 


DE  l'abbaye   ROTALB  DE  SAINT-LUCIEN.  345 

drait  B'y  établir  serait  exempt,  à  toujours,  de  la  taille,  du  ser- 
vice militaire  et  de  toute  exaction  féodale,  et  ne  serait  tenu  de 
payer,  ious  les  ans,  que  six  mines  d'avoine  et  six  deniers  d'argent, 
k  la  Saint-Remy,  et  deux  chapons  et  deux  pains  h  Noël.  Défense, 
cependant,  fut  faite  d'y  admettre  des  vassaux  du  seigneur  évêque- 
comle,  des  hommes  lui  devaut  le  service  militaire  et  de  ses 
cômmunicrs;  défense  pareillement  fut  faiie  d'y  recevoir  des  vas- 
saux ou  des  serviteurs  de  l'abbave  de  Saint-Lucien  et  des  vassaux 
du  chapitre  de  Saint  Pierre  de  Beauvais.  Les  règles  de  la  com- 
mune d'Angy  devaient  y  être  suivies  pour  les  amendes  et  les 
forfaitures.  Les  religieux  y  conservèrent  la  jouissance  exclusive 
de  leur  métairie  appelée  Le  Ply,  ainsi  que  celle  des  grosses  et 
menues  dîmes  du  lieu  et  lesoblations  des  églises  qui  pourraient 
y  être  fondées.  On  stipula,  en  outre,  que  pour  la  mouture  des 
grains,  les  habitants  du  village  iraient  au  moulin  de  Boissy, 
appartenant  à  Saint-Lucien ,  et  que  le  tonlieu  du  marché,  qu'on 
établissait  dans  la  localité,  serait  à  l'évéque  sa  vie  durante.  Au  cas 
où  l'entreprise  échouerait,  la  terre  redevenait  propriété  exclu- 
sive du  monastère.  Elle  ne  devait  pas  échouer.  La  bourgade  prit 
même  une  telle  importance,  aussitôt  après  sa  fondation,  qu'on 
en  fit  le  siège  d'une  juridiction  royale  considérable,  connue 
sous  le  nom  de  prévôté  royale  du  Beauvaisis.  On  lui  subordonna 
la  principauté  de  Poix.  le  vidamé  de  Gerberoy,  les  justices  des 
abbayes  de  Saint- Lucien  ,  Saint- Germer,  Saint- Paul,   Saint- 


ihi  atiquis  hospitûm  nostrorum,  et  hominum  quinobis  debent  exercUum^ 
née  aliqtùs  de  communiU  nostris,  nec  aliquis  de  hospUibus  S.  Lttciani 
aut  servis,  nec  aliquis  de  hospitibus  S.  Pétri.  Prœlerea  Àbbas  et  monachi 
S.  Luciani  mansionem  suam  cum  totâ  clauswrâ  et  nemore  parvo,  quod 
Piœis  antiquitus  appellatum  est,  cum  altaribtts  et  decimis  magnis  et  mi- 
nutis  tam  prœsentibus  quàm  fuluris,  si  terra  ibi  de  navo  excoli  coniigerit, 
de  consensu  nostro  sibi  intégré  relinuerunt  :  hospites  eliam  et  hamines 
ejusdem  vitlœper  bannum  venient  ad  molendina  monachorum  de  Duxiaco, 
Yerum  sœpenominati  abbas  et  monachi  totum  reddUum  thelonei  dictimer- 
eati  apud  Grandvillarc  colligendum  nobis  ad  vitam  nostranh  absque  ullâ 
participatione  ipsorum  monachorum  concesserunt  ;  ita  quod  ipsum  the- 
loneum  cum  omni  jure  suo  et  villa  cum  appenditiis  suis,  post  decessum 

nostrwm,  ad  scppediclam  ecclesiam  quietè  et  Uberè  revertatur 

(Lonvet ,  t.  II .  p.  109.) 


346  HiSTOIBB 

Quentin,  l^nnoy,  Beanpré,  et  relies  de  ceni  trenteneiif  vil- 
lage» (i). 

Tout  en  s'occupant  de  ramélioratîon  des  propriétés  de  son 
monastère,  Evrard  ne  négligeait  rien  de  ce  qui  pouvait  contri- 
buer au  bien  sj)irituel  des  religieux  dont  ii  avait  la  charge. 
Il  entrait  en  association  de  prières  et  de  bonnes  œuvres  avec 
toutes  les  communautés  qui  voulaient  bien  accepter  cette  union 
réciproque  de  bons  procédés.  Ainsi  fit-il,  en  1ia;>,  avec  Tabbaje 
de  Fécamp.  Le  texte  de  cette  association,  cité  par  D.  Porche- 
ron  (i),  nous  apprend  que  chacune  des  deux  abbayes  s'engageait 
à  faire  célébrer  une  messe  conventuelle  pour  les  religieux  défunts 
de  son  associée,  aussitôt  qu'elle  avait  reçu  nolification  de  leur 
mort.  Pour  Tabbé,  on  devait  un  tricenaire.  Les  religieux  vivants 
étaient  reçus  comme  frères  de  même  communauté.  En  cas  de 
difficultés  dans  son  monastère,  tout  religieux  pouvait  se  retirer 
dans  l'autre  abbaye,  et  y  rester  jusqu'à  ce  que  les  circonstances, 
étant  changées,  lut  permissent  de  rentrer.  Ainsi  pouvait-il  faire, 
s'il  arrivait  qu'il  fût  en  mésintelligence  avec  son  abbé.  Les  abbés 
agissaient  l'un  die/,  l'autre  comme  dans  Jeur  propre  commu- 
nauté, et  pouvaient  assister  et  présider  aux  chapitres  conven- 
tuels. Enfin,  tous  les  rapports  devaient  être  empreints  de  la  plus 
cordiale  confraternité. 

En  lîir»,  Pierre  deCempuîs,  chevalier,  seigneur  dudit  lieu,  don- 
nait h  Saint-Lucien  une  maison  i^  Cempuis  cl  la  terre  de  Fayaux. 

En  1217,  l'ahbii  Evrard  transigeait  avec  le  chevalier  Thibault 
de  Cressonsacq ,  au  sujet  de  certains  droits  que  celui-ci  préten- 
dait avoir  sur  les  habitants  d*Ilondainville,  où  il  avait  un  fief. 
L'accord  régla  qu'à  l'avenir  les  vassaux  du  chevalier,  haiiilant 
Hondainvilie,  paieraient  G  sols,  pour  tout  droit  de  mutation, 
lorsqu'ils  se  marieraient  (3). 

La  môme  année ,  Evrard  recevait  un  magnifique  évangéliaire 
doré  cl  l'un  des  plus  beaux  tapis  du  palais  épiscopal,  que  Phi- 
lippe de  Dreux  lui  laissait  par  testament. 


(1)  Graves  :  Stalistique  du  canton  de  GrnndciHien ,  p.  45. 

(•2)  D.  Percheron,  cliap.  3-2. 

:\^  ArrJi.  do  lOiso.  Invenl.  de  ior.9. 


DE   l'aBBATE   ROYAtB   DE   SAINT-LUCIEN.  347 

Il  assistait,  peu  après,  j\  Tenlrée  solennelle  dans  sa  bonne  ville 
(le  neauvais,  deMllon  deNanfenil,  évèque  noiivellemenl  élu,  et 
siguait,  avec  les  évèques  de  Laon  et  de  Senlis,  les  abbés  de  Saînt- 
Syttiphorien  et  de  Saint-Quentin ,  et  ies  dignitaires  de  Téglise  de 
Beauvais,  au  procès  verbal  de  sa  prestation  de  sernoent  (i). 

En  4218,  il  s'affranchissait  des  droits  que  Guérin  de  Lucby 
prétendait  avoir  dans  ses  bois  de  Lucliy,  en  lui  payant  une 
somme  de  60  livres. 

Une  lettre  de  confirmation  du  roi  Philippe-Àugusfe  nous  le 
montre  transigeant,  en  4-220,  avec  ïlugues  et  Renaud,  seigneurs 
de  Juvignies.  Ces  chevaliers,  paratt-il,  avaient  causé  de  graves 
dommages  à  l'abbaye,  en  s'eraparant  d'une  partie  de  ses  biens 
et  en  les  ravageant,  et  l'abbé  les  avait  poursuivis  en  réparation, 
pardevant  les  officiers  de  la  justice  du  comté  et  pardevant  le  roi. 
Les  sires  de  Juvignies,  malgré  leur  audace,  demandèrent  à  tran- 
siger aussitôt  qu'ils  se  virent  sous  la  menace  d'une  sentence 
royale.  Pour  Indemniser  l'abbaye ,  ils  lui  abandonnèrent  tout  ce 
qu'ils  possédaient  h  Juvignies,  à  Lucby  et  aux  environs,  et  s'en- 
gagèrent, sous  peine  de  confiscation,  à  n'acquérir  aucune  terre 
dans  le  voisinage  de  celles  de  l'abbaye,  h  moins  d'une  lieue  de 
distance.  L'abbé,  en  revanche,  leur  donna  h  fief  tenu  de  son 
monastère,  20  muids  de  terre  sis  au  territoire  de  Fouquerolles, 
et  la  paix  fut  rétablie  (2). 

L'année  422i  fut  marquée  par  diverses  donations.  Reaudoin 
Maire,  donnait  à  l'abbaye  tout  ce  qu'il  possédait  à  Fontaine- 
Saint-Lucien;  —  Jean  de  Mouy  et  Agnès,  sa  femme,  donnaient 
un  hôte  (3),  nommé  Robert  Malépée,  avec  son  hostise,  ses  dé- 
pendances et  tout  ce  qu'il  tenait  d'eux ,  ainsi  que  tout  ce  qu'ils 
possédaient  eux-mêmes,  àAbbecourt  {V.  L'abbé  acquérait  on 


{1)  LOQvet,  t    I,  p.  353. 

(•?)  D.  Porcheron,  ch.  39.  —  Arch.  de  l'Oise.  Inv.  de  1609,  p.  2*»5. 

(3)  L'hôte  fhospesj  était  un  colon  ou  métayer,  entièrement  lihrc  de 
tout  service  arbitraire,  qui  caltivait  les  terres  des  cticvaiiers  on  antres, 
à  la  charge  d'un  cens  annuel,  d'où  le  nom  de  censé  donm^.  quelquefois  à 
leur  ferme ,  manage  ou  h  >sUse. 

(4^  Arch.  de  l'Oise  :  Fonds  de  Tabhave  de  Sainl-Lnelen. 


348  HISTOIBB 

même  temps ,  de  Thomas  de  Marseille ,  toutes  les  dîmes  et  les 
droHs  de  terrage  qu'il  avait  à  Cempuis  Tl  acquit  plus  tard, 
en  1231,  le  reste  de  la  dlme  de  ce  lieu,  d'un  nommé  Warnier. 

En  1225,  Jean  de  La  Cengle,  seigneur  de  Thieux,  donna  divers 
droits  de  justice  et  de  champart  sur  des  terres  sises  à  Thieux,  et 
un  muid  de  blé  de  redevance  annuelle  snr  son  moulin  dudit  lieu; 
—  et  le  prévôt  de  l'évèque  autorisa  l'abbaye  à  posséder,  dans 
Beauvais,  une  maison  située  près  des  étaux  qui  sont  devant  Saint- 
Laurent  (1). 

L'année  suivante,  Evrard  traite  avec  le  seigneur  de  Flixecourt, 
et  obtient  de  lui  la  cession  de  GO  journaux  de  bois,  à  l'avoir  du 
prieuré  de  Flixecourt,  pour  tenir  lieu  des  droits  de  mort-bois  et 
de  bois  mort  que  ce  prieuré  avait  dans  ses  bois,  et  30  sols  de 
rente  annuelle,  en  place  du  droit  de  pèche  dans  les  eaux  dépen- 
dant de  la  seigneurie,  la  veille  et  le  jour  de  la  fête  de  Saint-Léger, 
patron  de  la  paroisse  et  du  prieuré. 

Une  difficulté,  survenue  avec  l'abbesse  de  Bival,  au  diocèse 
de  Rouen,  au  sujet  du  droit  de  nomination  à  la  cure  de  Caigny, 
aujourd'hui  Grillon  (Oise),  se  termina,  en  1229,  par  une  transac- 
tion qui  reconnut,  à  chacune  des  deux  parties,  le  droit  d'y 
nommer  alternativement.  L'abbé  de  Saint-Lucien  présenta  aus- 
sitôt un  titulaire,  et  l'abbesse  dut  présenter  ensuite,  à  son  tour, 
un  curé ,  quand  le  bénéfice  devint  vacant. 

La  même  année,  l'abbé  Evrard  autorisait  le  prieur  de  Milly  à 
céder  au  curé  de  Saint-Omer,  nommé  Lambert,  les  deux  tiers 
des  menues  dtmes  de  sa  paroisse  et  les  deux  tiers  des  tourteaux 
qui  se  donnaient  le  jour  de  Noël,  afin  d'augmenter  son  traite- 
ment, qui  était  par  trop  insuffisant. 

En  môme  temps,  il  traitait  avec  Guérin  de  r  uchy,  qui  lui  aban- 
donnait tout  ce  qu'il  tenait  de  l'abbaye,  au  territoire  de  Muidorge, 
contre  la  terre  de  Fresneaux,  qu'Evrard  lui  donnait  à  foi  et  hom- 
mage, à  la  réserve  toutefois  des  grosses  et  menues  dîmes;  —  ii 
acquérait,  de  Nicolas  de  Juvignies,  14  mines  de  terre  audit  Ju- 
vignies;  —  et  de  la  veuve  du  seigneur  de  Frocourt,  tous  les  droits 
qu'elle  avait  sur  la  mairie  de  ce  lieu. 

L'année  suivante,  Guy  Gotins  lui  donnait  2i  mines  de  terre  et 


(1)  Arcti.  de  l'Oise  :  Fonds  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien. 


DE  l'abbaye   BOYALB  DE   SAINT  LUCIEN.  349 

des  champarts  à  Oudeuil.  U  les  tenait  à  fief  de  Drogon  d'Aufay, 
et  celui-ci  les  tenait  de  Jean  de  Bourguiiiemont,  qui  les  tenait, 
à  son  tour,  de  Pierre  de  Monsures.  Tous  ces  seigneurs  renoncè- 
rent, en  faveur  de  Tabbaye,  à  tous  les  droits  seigneuriaux  et 
autres  qu'ils  avaient  sur  ces  terres  (1). 

En  1^31,  Evrard  obtenait,  pour  le  prieuré  de  La  Chaussée  d'Eu, 
les  dtmes  de  Mers,  de  l'abbé  de  Saint-Victor-en-Caux,  moyennant 
une  rente  de  60  sols,  que  son  abbaye  devait  lui  servir,  et  affran- 
chissait son  prieuré  de  Saint-liaxien  du  droit  d'usage  que  Pierre 
Maire  de  Fouquenies,  avait  dans  son  bois  de  Saint-Maxien. 

Cet  abbé,  comme  on  le  voit,  veillait  avec  le  plus  grand  soin 
non  seulement  sur  les  intérêts  de  son  monastère,  mais  aussi 
sur  ceux  des  prieurés  qui  en  dépendaient.  En  habile  adminis- 
trateur, il  s'occupait  activement  de  tout  ce  qui  pouvait  améliorer 
la  situation  de  la  communauté  qui  lui  était  confiée.  Aucun  de 
ses  membres  ne  lui  était  IndifTérent;  il  pourvoyait  à  tout,  et  sa- 
vait ne  rien  laisser  en  souffrance. 

L'histoire  ne  nous  dit  pas  la  part  qu'il  a  prise  dans  le  fameux 
conflit  de  juridiction  qui  eut  lieu  entre  les  évoques  de  fieauvais 
et  saint  Louis,  roi  de  France,  de  1233  à  1248,  ni  la  conduite 
qu'il  tint  pendant  l'interdit  jeté  sur  le  diocèse,  à  cette  occasion, 
[l  est  probable  qu'il  n'y  prit  pas  une  part  très-active,  les  inté- 
rêts de  son  monastère  n'étant  pas  en  jeu.  Il  fut  pourtant  inter- 
rogé par  les  commissaires  délégués,  en  1235,  pour  connaître 
de  l'affaire;  on  ne  dit  pas  de  quel  poids  fut  sa  déposition. 

En  i233,  Hélie  de  Margny  lui  donna  la  moitié  de  la  mairie  de 
Margny;—  et  Drogon  de  Pierrefitte  et  Marguerite,  sa  femme, 
tout  ce  qu'ils  possédaient  audit  Pierrefitte,  pour  l'usage  du 
prieuré  de  Saint-Maxien,  à  condition  qu'on  leur  servirait,  du- 
rant toute  leur  vie,  une  pension  de  6  muids  de  blé  et  2  muids 
d'avoine. 

Evrard  assistait,  le  jour  de  Noël  1234,  à  la  consécration  épis- 
copale  de  Godefroi  de  Clermont  de  Nesle ,  qui  fut  faite,  en  l'église 
de  Beauvais,  par  Henri  de  Dreux,  archevêque  de  Reims. 

Il  acquit,  en  1235,  une  pièce  de  pré,  à  Saint-Lucien,  d'Odon 
de  Goumay,  et  une  mine  et  demie  de  terre,  à  Abbecourt,  de 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abbaye  de  Salnt-Lacieo. 


350  UiSTOtRIi 

Marie,  veuve  cliiuguos,  maire  d'Oiiy,  et  l'anuce  suivante  deux 
courlils,  sis  à  Saiiil-Yuiueval  de  Grei^.  Ce  sout  les  derniers  acles 
qui  nous  soieut  parvenus  de  lui. 
Il  mourut  le  2  février  1237. 


'I.  —  lioéçoi?  (1237-1256). 


Uoger  succéda  immédiatement  à  Evrard,  et  prit  soin  de  pour- 
voir à  la  célébration  de  Tanniversaire  de  son  prédécesseur,  ])our 
qui  il  avait  une  très-grande  estime.  Il  affecta,  à  celte  fm,  deux 
muids  de  blé  à  prendre  sur  la  terre  de  Grandvilliers.  Les  pre- 
miers actes  de  son  administration,  qui  nous  soient  parvenus, 
sont  une  acquisition  de  quatre  mines  de  (erre,  àOudeuil,  d'Adam 
Gains,  moyennant  47  sols,  en  1:^37,  et  une  cession  d'un  demi- 
muid  de  bois,  au  même  lieu ,  par  Bernard  de  Coquerel  3).  Pour 
affranchir  son  monastère  des  redevances  qui  grevaient  ses  biens, 
il  racheta,  en  1230,  trois  muids  de  blé  de  rente  qu'Odon  deMou- 
chy,  de  Longvillers,  et  Béatrix  de  Bonvillers  i>ercevaient  annuel- 
lement sur  sa  grange  d'Abbecourt.  Pendant  ce  temps,  le  sire  de 
Tliieux ,  Jean  de  La  Cengie  et  Guillaume  de  Gouy  lui  faisaient  di- 
verses donations  de  rentes,  tant  en  grains  qu'en  argent. 

En  1240,  Jean,  prévôt  de  Saint-Félix,  lui  donna  27  mines  de 
blé  de  rente,  à  prendre  dans  la  grange  de  Courroy,  sise  à  Saint- 
Félix,  et  Gautier  de  Paillart  un  fief  à  Puits-la- Vallée,  tandis  qu'il 
achetait,  de  Michel  La  Loe  et  de  Philippe  de  Neuville,  le  cham- 
part  de  la  terre  de  Beauchamp,  sise  au  territoire  de  Luchy. 

En  12i(,  Evrard  de  Beaupuits  lui  cède  la  plus  grande  partie  de 
ses  biens,  et,  l'année  suivante,  l'aumônier  de  la  comtesse  de 
Clermont  lui  donne  un  lief  à  Avrechy. 

Quelques  acquisitions  de  terre,  à  Reu il- su r-Brêche,  à  Saint- 
Lucien,  à  Oudeuil,  marquent  les  années  1247,  1248  et  12^U 
En  12:54,  le  clievalier  Simon  de  Poissy  cède  à  l'abbaye,  moyen- 
nant GO  livres  tournois,  tous  les  serfs  {/iomines  de  corporé)  qui 
lui  appartenaient  au  village  d'Abbecourt.  L'année  suivante,  Jean 
deGrosserve  lui  donnait,  par  échange,  sa  terre  de  Halloy  contre 


(1)  Arch.  de  lOise  :  abbaye  de  Saint^Luolen. 


DE   l'âBBAYE   R0Y4LB  OE   SAINT-LUGIEN.  351 

i(i  muids  de  grains  de  rente  annuelle  sur  la  grange  de  Grand* 
vJlliers,  —  et  Drogon  de  Juvignies  renonçait,  en  sa  faveur,  à 
toutes  les  possessions  qu'il  avait  au  terroir  de  Saint-Lucien, 
moyennant  i5  mines  de  blé  de  rente  sur  la.  grange  de  Juvi- 
gnies (1). 

Roger,  rempli  de  vénération  pour  les  reliques  des  saints  mar- 
tyrs Lucien ,  Maxien  et  Julien ,  eut  la  pensée  de  les  placer  en  évi- 
dence et  de  les  exposer  dans  des  ch&sses  plus  en  rapport  avec 
le  respect  qu'on  leur  portait.  Il  demanda,  à  cet  elTet,  une  auto- 
risation au  Souverain-Pontife.  Innocent  IV  la  lui  accorda  aus- 
sitôt. Sa  bulle  est  datée  des  nones  d'octobre  de  la  première  année 
de  son  pontificat,  ce  qui  revient  au  7  octobre  1243.  Que  fit  Roger 
pour  donner  suite  à  son  dessein?  Nous  ne  le  saurions  dire  :  les 
annales  du  monastère  sont  restées  muettes  i\  ce  sujet.  Peut-être 
des  circonstances ,  indépendantes  de  sa  volonté,  l'ont- elles  ar- 
rêté, ou  bien  Ta-t-il  exécuté,  mais  d'une  manière  qui  n'aurait 
pas  paru  suffisante  à  son  successeur,  car  nous  verrons ,  sous 
lui ,  une  solennelle  translation  de  ces  reliques  dans  de  nouvelles 
châsses;  ou  bien  encore  se  serait-il  contenté  de  les  changer  de 
place  et  de  les  mettre  dans  un  lieu  plus  décent  que  celui  ou  elles 
reposaient.  D.  Porcheron  partageait  assez  ce  sentiment  (2). 

Roger  mourut  le  31  juillet  1256. 

X.:X.VII.  —  Jean  il  d.e  Tolrao  ou  do  Tliiii-y 

(4256,  VERS  1265]. 

Jean  de  Toirac,  ou  mieux  de  Toiry  et  de  Thury,  fut  choisi  pour 
succéder  à  Roger.  Il  était  vraisemblablement  de  la  noble  famille 
des  seigneurs  de  Thury-sous-Clermont,  et  peut-être  le  fils  ou  le 
frère  du  chevalier  Barthélémy  de  Toiry  (Thury);  mentionné, 
en  1230,  dans  le  cartulaire  de  Froidmont.  Quelques  donations 
de  biens,  sis  à  Saint-Lucien  et  à  Poix,  et  l'acquisition  d'un  fief 
à  Ginqueux  et  de  diverses  terres  à  Oudeuil  (3)  sont  les  seuls  actes 


(1)  Arcb.  de  10130  :  abbayç  de  Saint-Lucien. 

('2)  D.  Porcheron,  cli.  33. 

(3)  Arch.  de  l'Oise  :  abbaye  de  Saint-Lucien. 


352  HISTOIRE 

qui  nous  soient  parvenus  des  premières  années  de  son  adminis- 
tration; mais  deux  faits  plus  importants  Tont  rendue  assez  re- 
marquable sans  cela. 

Jean  de  Thury  n'avait  pas  perdu,  en  entrant  dans  le  cloître, 
le  goût  du  luxe  et  de  la  magnificence,  qu'il  avait  pris  au  manoir 
de  ses  pères.  Il  aimait  le  faste  et  les  honneurs,  et,  sans  recher- 
cher précisément  Tostentation,  il  se  plaisait  dans  les  dignités  et 
affectionnait  les  cérémonies  pompeuses  et  les  réceptions  d'appa- 
rat. Fier  d'être  à  la  tète  de  l'une  des  plus  célèbres  et  des  plus 
riches  abbayes  du  Beauvaisis ,  il  voulut  se  distinguer  en  sollici- 
tant, pour  lui  et  pour  ses  successeurs,  l'usage  de  la  mitre,  de  la 
crosse  et  de  l'anneau,  et  le  pouvoir  de  bénir  les  ornements  sa- 
cerdotaux, et  de  conférer  la  tonsure  et  les  ordres  mineurs  à  ses 
religieux  et  aux  clercs  qui  dépendaient  de  lui.  C'était,  du  reste, 
un  homme  de  grand  mérite  et  parfaitement  considéré  en  cour  de 
Rome  et  pour  ses  talents  et  pour  son  dévouement  bien  connu  à 
la  cause  du  Saint-Siège  ;  le  pape  le  dit  lui-même  dans  le  préam- 
bule de  sa  lettre  de  concession  (4).  Alexandre  lY,  pour  lui  témoi- 
gner sa  bienveillance  y  lui  accorda  aussitôt  ce  qu'il  demandait  (â). 
La  bulle  pontificale  fut  donnée  à  Ânagni ,  le  xu  des  calendes 
d'août  (!2i  juillet)  1260.  Le  pape  Grégoire  XI  renouvela  plus  tard 
ce  privilège,  le  25  août  i37i,  à  la  prière  de  Godefroi  de  Billy, 
non  pas  qu'alors  on  le  contestât,  mais  parce  que  les  premières 
lettres  tombaient  de  vétusté  (3). 

Cette  faveur  spéciale  ne  pouvait  donner  qu'un  plus  grand 
crédit  à  l'abbé  de  Saint-Lucien  et  plus  d'éclat  à  sa  dignité.  Une 
cérémonie  imposante,  qu'il  ménagea  l'année  suivante,  vint 


(0  Devotionis  vestrœ  nierita  exigunt,  et  affeclwm,  quem  ad  Nos  et 
Romanam  Ecclesiam  habere  nosdmini,  promereturt  ut  votis  vestris  favo- 
ralnliter  annuentes  faciamns  vobis  grcUiam  specialem. 

(Louvet,  t  I,  p.  431.) 

(2)  In  perpeluum  utendi  milrâ  et  annulo  et  baculo  pa4ttoraH,  benedi- 
cendi  quoque  pallas  aUaris  et  alia  omanumta  eccUsiastica ,  et  dandi 
pHfnoân  tomuram  et  quatitar  minores  ordines  monachis  vestris  et  ckricis 
sœcularibus  voMs  subjecUs  planam  concedimttë  facuUatem. 

(Leavet»  1. 1,  p.  421.) 

(3)  Indpit  vetustate  cansumi.  (Louvet ,  1. 1 ,  p.  421.) 


I-TOMBEAU  DE  JEAN  DE  VILLERS  SAINT  PAUL  DERNIER  ABBE  REGULIER 


IIJAS-RELIEFENCUIBE  DORE  REPRESENTANT  S' LUCIEN  ET  SES  COMPAGNONS  MARTYRS 

''ragineiil  provenant  de  la  grande  chasse  exécutée  en  126ljiâr  ordre  de  LabbéJsandeThury 


DE    L'ABUAYE   royale    DE   SAlNT-LUCIEiN.  353 

encore  ajouter  à  sa  gloire  et  à  celle  de  son  monastère,  par  la 
grandeur  des  personnages  qui  y  assistèrent. 

Nous  avons  vu  l'abbé  Roger  demander  au  pape  la  permission 
de  mettre  en  places  plus  convenables  (in  locis  dignioribus  coilo- 
tare)  les  reliques  des  saints  martyrs,  dont  son  église  avait  le 
dépôt.  N'eût-il  pas  le  temps  ni  les  moyens  de  le  faire-,  ou  ne 
Texécuta-t-il  pas  d'une  manière  qui  parût  convenable  à  son  suc- 
cesseur, c'est  probable ,  puisque  celui-ci  flt  une  semblable  de- 
mande au  pape  Alexandre  IV  {ut  in  capsis  pretiosîs  argenteis  ad 
hoc  miro  opère  paratis  honorificentius  sanctorum  corpora  pone- 
ren(ur)  (i)  aussitôt  qu'il  eut  pris  le  gouvernement  de  l'abbaye. 
11  fit  confectionner  trois  magnifiques  châsses,  véritables  chefs- 
d'œuvre  d'art.  Elles  étaient,  toutes  trois,  de  cuivre  doré  et 
émaillé.  Deux  étaient  plus  petites;  mais  celle  destinée  à  renfer- 
mer les  restes  vénérés  de  saint  Lucien  était  beaucoup  plus  grande 
et  plus  riche.  Sa  forme  était  celle  d'une  église  soutenue  par  des 
arcs-bûutants  et  surmontée  d'une  flèche  pyramidale.  Elle  avait 
six  pieds  de  long,  deux  de  large  et  trois  de  haut;  la  pyramide 
s'élevait  de  trois  pieds  au  dessus  du  faite  de  l'édifice.  Cette  flèche 
était  évidée  et  ciselée  avec  une  extrême  délicatesse.  Sur  chacun 
des  deux  côtés  du  corps  de  la  châsse  étaient  ménagées,  entre 
les  arcs- boutants,  six  niches,  contenant  chacune  une  statue 
d'apôtre;  à  chaque  bout,  une  niche  contenait,  l'une  une  statue 
du  Sauveur,  et  l'autre  une  statue  de  la  Vierge  Marie.  Ces  quatorze 
statues  étaient  en  argent  doré  ("1).  La  toiture  était  recouverte  de 
lames  en  bossage,  et  l'un  de  ces  bas-reliefs  représentait  saint 
Lucien  en  habits  pontificaux  (3).  Tout  ce  que  l'art  de  l'orfèvrerie 
et  de  l'émaillerle  pouvait  faire  de  plus  riche,  s'y  trouvait  admi- 
rablement exécuté. 

Pour  supporter  ces  châsses,  Jean  de  Thury  flt  construire  un 
splendide  édicule.  Douze  colonnes,  d'environ  huit  pieds  de  haut, 
soutenaient  une  plate-forme  que  surmontait  un  baldaquin  ou 


(D  Loavet,  t.  i,  p.  121. 

(3)  Ces  statues  n'existaient  plus  au  xviii*  siècle,  et  D.  Porcheron  dit 
qu'elles  avaient  dispara  par  suite  d'un  vol  :  il  n'indique  pas  l'époque  de 
ce  môfait. 

(3)  Simon,  p.dbis—  0.  Porcheron,  cb.  31.  —  Delettre,  t.  ii,  p.  815. 
T.  VllI.  23 


354  HISTOIRE 

^oHu?/»  porté  sur  huit  colonnes  taillées  en  losanges  fleurdelisés. 
Le  tout  était  eu  pierre  artistement  travaillée. 

Ces  chefs-d'œuvre  avaient  dû  coûter  des  sommes  considé- 
rables; mais  pour  que  la  dépense  ne  pesât  pas  uniquement  sur 
F68  revenus  de  son  monastère,  Jean  de  Thury  avait  dû  y  inté- 
resser des  âmes  généreuses,  qui ,  pour  avoir  part  aux  prières  du 
glorieux  ap6fre  du  Beauvaisis,  s'empressèrent  de  lui  témoigner 
leur  munificence.  Ainsi,  Bernard,  chanoine  do  Téglîse  cathé- 
drale, donna,  pour  la  confection  des  châsses,  toute  sa  vaisselle 
d'argent  et  une  lasse  d'or;  Agnès,  femme  du  seigneur  de  Fari- 
viW«r»,  100  sols;  Jean,  seigneur  deWavignies,  un  muid  de  blé 
de  rente  à  prendre  sur  ses  terres,  et  d'autres  autre  chose.  Le 
nécroîoge  de  l'abbaye  parle  de  ces  divers  bienfaiteurs. 

Quand  tout  fut  préparé,  l'abbé  invita  l'évéque  de  Bcauvais  à 
venir  solennellement  transférer  dans  les  nouvelles  châsses  les 
corps  des  saints  martyrs,  et,  pour  donner  plus  d'éclat  à  cette 
(fi^anslatîon ,  il  y  convia  le  roi  de  France,  plusieurs  évèques  et 
un  grand  nombre  d'abbés  et  de  hauts  personnages.  La  solennité 
eut  lieu  le  dimanche  de  Quasifnodo  de  l'an  i26l .  Guillaume  de 
Grès,  évèque  de  Beauvais,  présidait,  assisté  de  Robert  de  Cres 
sonsacq,  évèque  de  Senlis,  et  de  Bernard  d'Abbeville ,  évèque 
d'Amiens.  Saint  Louis  y  assistait  avec  Thibault,  roi  de  Navarre, 
Philippe,  l'héritier  présomptif  de  la  couronne  de  France,  Phi- 
lippe, fils  aine  de  Beaudoin,  empereur  de  Constantinople,  Al- 
fouse,  comte  d'Eu,  et  Jean,  son  frère.  Jean  de  Thury  était  accom- 
pagné de  Pierre  de  Vessencourt,  abbé  de  Saint-Germer,  de  Gilbert, 
abbé  de  Lannoy,  d'Arnoult,  abbé  de  Beaupré,  d'Odon,  abbé  de 
Mortemer,  de  Robert,  abbé  de  Royaumont,  de  Gautier,  abbé  de 
Beaubec,  de  Jean,  abbé  de  Visigneul,  de  Jean,  abbé  de  Saint- 
Acl\eal,  et  de  Nicolas,  abbé  de  Saint-Ouen  de  Rouen.  La  béné- 
dictton  des  châsses  et  la  translation  des  reliques  furent  faites  par 
l'évéque  de  Beauvais,  en  présence  de  cette  auguste  assemblée.  Un 
acte  authentique,  constatant  cette  translation,  fui  rédigé  en  triple 
exemplaire  et  renfermé  dans  chacune  des  châsses  (i).  En  mé- 


(1)  L*aathentiqae  trouvé,  au  xrii«  siècle,  dans  la  cbâsse  de  saint  Julien, 
lorsqu'on  la  répara,  était  ainsi  conçu  : 

iAitno  Domini  h  gc  lxi  ,  Damimca  in  octavis  Pasche,  reposilwn  fuU  in 


BB  l'abbaye   ROTALB  DE   SAINT-LUCIEN.  955 

moire  de  cette  solennité,  Fabbaye  de  Saint-Lncien  a  toujours 
célébré  depuis  lors  la  fête  de  la  translation  le  premier  jour  de 
mai. 

La  pompe  déployée  en  cefte  circonstance ,  et  les  miracles  qui 
eurent  lieu  à  cette  occasion ,  disent  les  chroniqueurs,  rativèrent 
singulièrement  dans  le  peuple  la  dévotion  aux  saints  martyrs. 
Un  noble  chevalier  du  voisinage,  \ital  du  Vault,  pour  témoigner 
toute  sa  reconnaissance  d'une  faveur  reçue,  chargea  sa  terre  du 
Vault  de  Tobligation  perpétuelle  de  fournir,  tous  les  ans,  un 
cierge  de  cire  pesant  quatre  livres.  Ce  cierge  devait  être  apporté 
dans  l'église  du  monastère  le  dernier  dimanche  d'avril,  pour 
brûler  continuellement,  devant  les  corps  des  saints,  la  nuit  et 
le  jour  de  la  fête  de  la  translation ,  en  mai  (1). 

Le  goût  prononcé  de  Tabbé  Jean  de  Thury  pour  la  magniti- 
cence  l'engagea  à  renouveler  le  mobilier  et  les  ornements  de  son 
église;  il  fit  exécuter  de  jolies  boiseries  et  dota  la  sacristie  de 
riches  ornements  en  drap  d'or. 

Le  monastère  de  Saint-Lucien  jouissait  d'une  telle  renommée, 
que  l'archevêque  de  Rouen,  le  célèbre  Eudes  Bigault,  y  vint 
passer  quelques  jours,  pendant  l'hiver  (17  janvier)  de  1260  pour 
s'y  reposer  d'un  rhume  violent  qu'il  avait  contracté  dans  le  cours 


presenti  theca,  per  venerabiks  Patres  Guilklmum  Belvacensem,  Rober- 
tum  SUvaiiectensem ,  Bernardum  Amhianensem  episcopos,  corpus  beati 
tiUirlyris  Ckrisli  Julianif  et  in  aliis  duabus  thecis  corpora  beatorum  mar- 
tynim  Luciani  et  Maxiani,  sociorum  ey'usdem,  presentHym  iUwttri  Rege 
Francorum  LudovicOj  et  Tfieobaldo,  ilhistri  Rege  Navarre,  Campame 
ac  Brie  Comité  palatino,  ipsius  Regù  francorum  genero,  Philippo  etiam 
primogenito  filiorum  svperstitum  ejusdem  Régis  Francorum,  ac  Philippo 
Balduimillustris  Imperatoris  Constantinopolitani  primogenito,  et  Àlfonso 
Comité  Àugi  camerario,  ac  Joanne  fratre  suo  Francie  buticulario,  et 
Gilberto  de  Àlneto,  Àrnulfo  de  Prato,  Odone  de  Mortuo  mari,  Roberto  de 
Regali  monte,  Waltera  de  Bello  Becco,  Cisterctensis  ordùUs,  Johanne  de 
Viseignolio ,  Johanne  de  S*«  Àcheolo ,  Ordinis  ^  ÀugustM,  Nicholao  de 
^  Àudoeno  Rothomageneip  Petro  de  9»  Geremaro  de  FUaco,  et  Johanne 
de  S**  lucia/no  Belvacensi,  ordinis  S^  Benedicti,  abbalibus,  ac  phtrihus 
ams, 
Louvet  (t.  I,  p.  415)  cite  celte  pièce,  mais  d^one  manière  inexacte. 

(1)  D.  Porcheron ,  ch.  84. 


556  HISTOIRE 

de  ses  visites  pastorales;  c'est  lui-même  qui  nous  rapprend  dans 
son  registre  des  visites. 

Jean  de  Tlmry  mourut  vers  iSOo;  on  ne  sait  pas  au  juste  en 
quelle  année,  mais  ce  fut  le  23  mars;  Tobituaire  du  monastère 
l'indique  ainsi. 


x:?iLVllI.   —  Ocloxi  l«^  Oliolot  <lo  îVolixtol 

(4265-1288). 

Odon  Cliolet  de  Nointel,  que  la  voi^  des  religieux  de  Saint- 
Lucien  appela  à  succédera  Jean  de  Thury,  était  issu  d'une  noble 
famille  du  Beauvaisis.  Son  père,  Oudard  Cliolet,  originaire d'Ab- 
beville,  en  Picardie,  était  seigneur  de  Noinlel  et  qualifié  cheva- 
lier (miles).  Odon,  jeune  encore,  avait  embrassé  la  carrière  ec- 
clésiastique, à  l'exemple  de  Jean  Cliolet,  son  frère  aîné,  qui 
devait  briller  plus  ,tard  sous  la  pourpre  romaine  et  devenir  le 
cardinal  Cbolet;  et  puis  il  avait  été  demander  à  l'abbé  de  Saint- 
Lucien  de  le  revêtir  de  l'habit  de  saint  Benoît.  Ses  vertus  et  les 
talents  qu'il  déploya  dans  la  gestion  des  divers  offices  monas- 
tiques dont  il  fut  chargé,  le  désignèrent  aussitôt  au  choix  de 
ses  frères,  quand  il  fut  question  de  donner  un  successeur  à 
l'abbé  Jean.  L'histoire,  cependant,  ne  nous  a  conservé  que  quel- 
ques faits  saillants  relatifs  à  son  administration. 

En  1271 ,  il  entre  en  association  de  prières  et  de  bonnes  œuvres 
ainsi  que  tout  son  couvent,  avec  l'abbaye  de  Saint-Germer  (1).  ' 

La  même  année,  pour  améliorer  la  position  de  ses  vassaux  de 
Grandvilliers,  il  rachète  du  maire  du  lieu  certains  droits  que 
celui-ci  percevait  sur  eux.  Ainsi,  il  obtient  qu'ils  ne  lui  donne- 
ront plus,  à  l'avenir,  trois  gerbes  de  blé  par  chaque  cheval  em- 
ployé à  la  culture  de  leurs  terres.  Ce  maire  était  lui-même  vassal 
de  l'abbaye,  et  tenait  d'elle  sa  mairie  en  fief. 

En  1274,  Michel  de  Saint-Quentin  lui  donne  la  terre  et  la 
mairie  de  Villers  sur-Auchy. 

Un  différend,  qui  menaçait  d'avoir  des  suites  graves,  surgit, 


l)  GaU.  GhrisL,  ix,  col.  784. 


DE   l'aBBAYK    RuVALE   DE   SAINT-LUCIEN.  357 

h  quelque  temps  de  là,  entre  Tabbaye  et  les  habitants  de  Grand- 
villiers.  La  justice  du  bourg  appartenant  à  Saint-Lucien,  les  offi- 
ciers du  monastère  étaient  dans  Tusage  de  requérir  les  habitants, 
toutes  les  fois  qu'ils  en  avaient  besoin,  pour  arrêter  les  malfai- 
teurs, pour  les  conduire  dans  les  prisons  de  l'abbaye,  et  même 
pour  les  escorter  jusqu'au  lieu  du  supplice,  afin  d'empêcher 
toute  violence  et  tout  désordre.  Ils  exigeaient  quelquefois  ce 
service  avec  des  procédés  qui  irritaient  la  population.  D'abord, 
on  les  nourrissait  et  on  les  défrayait  convenablement  de  leur 
déplacement,  et  puis  on  le  flt  de  mauvaise  grâce,  et  on  finit 
presque  par  exiger  d'eux  qu'ils  s'entretinssent  à  leurs  frais.  Les 
habitants  de  Grand villiers,  indisposés  par  ces  vexations,  se  plai- 
gnirent hautement  et  refusèrent  tout  service.  Tous  les  efforts 
faits  pour  les  contraindre  ne  firent  que  rendre  la  position  plus 
critique,  et  une  révolte  ouverte  était  imminente.  Alors  l'abbé 

m 

les  cita  pardevant  les  grandes  assises  des  hauts  fieffés  do  son 
monastère.  Les  chevaliers  Richard  de  Breteuil ,  Raoul  de  Gaude- 
chart,  Drogon  de  Sauqucuses  et  Pierre  de  Savignies  y  siégeaient; 
maison  ne  put  s'entendre.  Odon,  inquiet  de  la  tournure  que 
prenaient  les  choses,  consulta  Jean  Cholet  de  Nointel,  son  frère, 
qui  était  alors  archidiacre  de  Caux,  au  diocèse  de  Rouen,  et  le 
pria  de  venir  Tassister  des  lumières  de  son  expérience.  Jean 
Cholet  se  rendit  à  Saint-Lucien  et  réussit  à  déterminer  les  deux 
parh'es  à  s'en  remettre  à  son  arbitrage  Un  compromis  fut  signé 
dans  ce  sens,  le  vendredi  après  la  Saint-Michel  de  l'an  1278, 
avec  un  dédit  de  200  marcs  d'argent  pour  la  partie  qui  refuserait 
de  se  soumettre  à  son  jugement. 

L'archidiacre,  après  avoir  scrupuleusement  pris  toutes  les  in- 
formations nécessaires,  et  entendu  les  parties  et  leurs  témoins, 
décida  que  l'abbaye  était  bien  dans  son  droit  en  exigeant  que 
les  habitants  de  Grandvilliers ,  ses  vassaux,  conduisissent  les 
malfaiteurs  arrêtés  sur  leur  territoire  jusqu'aux  prisons  de  l'ab- 
baye, et  qu'ils  les  escortassent  jusqu'au  lieu  du  supplice  :  mais 
qu'en  revanche  celle-ci  était  tenue  de  les  indemniser  de  leur  dé- 
placement en  leur  donnant  «  autant  de  vin  de  sa  panneterie, 
et  de  potage  de  sa  cuisine  qu'il  faudrait,  selon  qu'il  avait  été 
pratiqué  par  le  passé,  »  et  de  faire  les  exécutions  sur  les  terres  de 
l'ancien  fief.  Les  parties  se  soumirent  à  cette  décision  et  la  paix 
fut  rétablie.  La  sentence  fut  prononcée,  le  huitième  jour  d'or- 


856  HISTOIBB 

tobre  4278,  en  présence  de  Robert,  abbé  de  Saint- Symphorien, 
des  cbevallers  Drogon  ,  seigneur  de  MIHy,  Eustache  de  Wavî- 
gnies,  Pierre  et  Raoul  de  Léglantier,  Jean  de  Caigny,  Drogon  le 
jeune  de  Milly,  Etienne  dellilly,  et  de  Manassès,  bailli  de  Beau- 
vais ,  qui  tous  scellèrent  l'acte  de  leur  sceau ,  avec  l'arcbi- 
diacre  (1). 

En  128i,  Odon  de  Nointel  nous  apparaît  traitant  avec  Robert, 
comte  de  Clermont,  et  faisant  avec  lui  divers  échanges.  Par  ce 
traité,  le  comte  accordait  que  toutes  les  propriétés  de  l'abbaye 
de  Saint-Lucien ,  situées  dans  l'étendue  de  son  comté ,  ainsi  que 
le  village  de  Thieux  et  son  territoire,  ne  relèveraient  plus  dé 
sonnais  du  comté  de  Clermont,  mais  ressortiraient  directement 
du  roi,  k  l'exception  ,  pourtant,  du  bois  du  Val  de  [^Verrière, 
près  Saint-Félix,  qui  était  trop  voisin  de  Clermont  pour  être  dis- 
trait de  la  juridiction  coratale.  Puis  il  lui  cédait ,  avec  l'agré- 
ment du  roi ,  son  frère,  cent  vingt-sept  arpents  de  bois  et  friches 
dans  la  forêt  de  liez.  L'abbé,  de  son  côté,  lui  abandonnait  deux 
h6tes  à  Epineuse,  tout  ce  que  son  abbaye  possédait  à  Sacy-le- 
Grand,  à  l'exception  du  bois  de  Favière,  et  le  bois  dit  de  Saint- 
Lucien  qu'elle  avait  en  la  forêt  de  Hez.  Le  roi  Philippe-le-Hardi 
confirma  ce  traité  par  lettres-patentes  du  mois  d'août  4^81  (2). 

Odon  de  Nointel  siégeait,  avec  l'évêque  de  Beauvais,  au  par- 
lement de  la  Toussaint  de  l'an  iâ83 ,  et  il  signa ,  comme  membre 
de  l'auguste  assemblée,  au  traité  qui  adjugeait  au  roi  de  France 
les  comtés  d'Auvergne  et  de  Poitou,  malgré  les  revendications 
du  roi  de  Sicile.  A  quel  titre  l'abbé  de  Saint-Lucien  faisait-il 
partie  de  ce  parlement?  Nous  ne  le  saurions  dire  (3). 

Le  seigneur  de  La  Chaussée  d'Eu  lui  donnait ,  en  cette  même 
année ,  trois  maisons  sises  à  La  Chaussée ,  et ,  l'année  suivante, 
notre  abbé  transigeait  avec  le  chapitre  de  Beauvais,  au  sujet  du 
village  d'Allonne,  et  achetait  du  chevalier  Jean  de  Nouvion  toutes 
les  terres,  champarts  et  droits  seigneuriaux  qu'il  possédait  à 
Poix. 


(1)  6.  Hermant,  1.  vu,  eb.  16. 

(9)  D.  Grenier,  S17.  p.  5. 

(S)  LoQvet,  t.  I,  p.  429.  —  D.  Porcheron,  cti.  35. 


TOMBEAU  DU  CARDINAL  CHOLET 
dans  le  chœur  de  l'église  de  l'abbaye  de  S  Lucien. 


DB   L'ABBAYB   ROVAI^B  DB  SAINT  LUCIBIf  3(9 

En  1i86,  il  transigeait  avec  Tabbaye  de  Séry,  et  terminait  amia- 
blenient  un  différend  survenu  entre  les  ofQciers  du  comte  de 
Clermont  et  les  habitants  de  Saint-Félix,  tenanciers  de  son  mo* 
nastère,  au  sujet  de  l'exercice  de  la  justice.  L'accord  intervenu 
portait  que  les  officiers  du  comte  ne  pourraient  exercer  aucun 
droit  de  justice  dans  l'intérieur  du  village,  mais  qu'ils  pourraient 
poursuivre  et  saisir  les  habitants  qu'ils  trouveraient  commettant 
des  délits  dans  les  bois  du  comte. 

Pendant  qu'Odon  de  Nointel  administrait  ainsi  l'abbaye  de 
Saint-Lucien,  et  sauvegardait  ses  intérêts,  Jean  Cholet,  son 
frère,  venait  d'être  promu  au  cardinalat.  Cette  haute  dignité 
n'altéra  en  rien  l'afTection  qu'il  avait  toujours  portée  à  noire 
monastère;  tout  au  contraire,  il  lui  fit  don  de  plusieurs  maisons 
aussitôt  après  sa  promotion,  et,  en  1286,  il  lui  donna  toutes  les 
propriétés  qu'il  avait  à  Maysel  et  à  Foulangues.  On  nous  per- 
mettra de  dire  un  mot  de  cet  illustre  bienfaiteur.  Son  nom,  sans 
doute,  appartient  à  l'histoire  de  France  par  la  part  qu'il  prit 
aux  affaires  publiques;  mais  nous  ne  saurions  oublier  que  ses 
alTections  les  plus  vives  ont  toujours  été  pour  Saint-Lucien,  qu'il 
a  ciioisi,  du  reste,  pour  être  le  lieu  de  sa  sépulture. 

Jean  Cholet  était  né  au  cii&leau  de  Nointel,  quelques  années 
avant  Odon.  Ne  se  sentant  aucun  goût  pour  les  armes,  il  allu 
étudier  à  l'Université  de  Paris  et  se  fit  d'église.  Il  fut  d'abord 
chanoine  de  Notre-Dame-du-Chàtel,  puis  de  Saint-Pierre  de 
Beauvais.  Le  célèbre  archevêque  de  Rouen,  Eudes  Rigault,  qui 
avait  apprécié  ses  talents,  dans  un  de  ses  voyages  à  Beauvais, 
le  fit  venir  près  de  lui  et  le  nomma  archidiacre  de  Caux  ,  dans 
son  église  métropolitaine.  Ce  fut  là  qu'il  se  lia  d'amitié  avec  un 
autre  archidiacre  de  la  même  église,  avec  Simon  de  Brion ,  qui 
devait  faire  sa  fortune.  Simon  de  Brion  étant  devenu  cardinal 
puis  pape,  le  22  février  1281,  sous  le  nom  de  Martin  IV,  il  éleva 
aussitôt  (23  mars  1281)  son  ami  au  cardinalat,  et  lui  donna  le 
titre  de  Sainte-Cécile  qu'il  avait  porté  lui-même.  Comptant  sur 
les  services  que  pouvait  lui  rendre  sa  haute  capacité,  il  lui  confia 
les  difficiles  emplois  qui  l'ont  rendu  l'un  des  hommes  les  plus 
célèbres  de  son  siècle. 

Après  les  vêpres  siciliennes,  qui  coûtèrent  tant  de  sang  à  la 
France  et  dépouillèrent  Charles  d'Anjou  de  la  Sicile  (1282),  le 
pape,  indisposé  contre  Pierre  d'Arragon,  qui  les  avait  conseil- 


360  HISTOIRE 

lées  pour  en  profiter,  chargea  le  cardinal  «"bolet  d'une  mission 
auprès  d'Edouard,  roi  d'Angleterre.  L'année  suivante  (1283),  il 
vint  en  France,  comme  légat  du  Saint-Siège,  et  prêcha  la  croi- 
sade contre  Pierre  d'Arragon.  Au  concile  de  Paris,  tenu  en  1284, 
il  décida  Philippe  IH  le  Hardi  fi  prendre  les  armes  pour  venger 
le  sang  français,  et  l'accompagna  dans  son  expédition.  Il  fut 
ensuite  mêlé  à  toutes  les  négociations  qui  la  suivirent,  et  les 
dirigea  avec  une  rare  habileté.  La  mort  de  Martin  IV,  son  pro- 
tecteur, ne  lui  fit  rien  perdre  de  son  crédit.  Ilonorius  IV  et  Ni- 
colas IV  continuèrent  de  l'employer  dans  les  missions  les  plus 
difficiles.  Ce  fut  lui  encore  qui  fut  député  pour  amener  un  traité 
entre  Philippe-le-Bel,  roi  de  France,  et  Sancbe,  roi  de  Castille, 
et  il  y  réussît  avec  un  véritable  succès  (^^ 

Cependant  Odon  deNoîntel,  l'abbé  de  Saint-Lucien,  son  frère, 
venait  de  mourir  (1288).  Ce  coup,  le  frappant  dans  ses  affections 
les  plus  chères,  l'avertit  qu'il  était  temps  de  mettre  ordre  à  ses 
affaires.  Comme  il  possédait  une  très-grande  fortune,  et  voulait 
répandre  ses  bienfaits  autour  de  lui  et  surtout  dans  le  pays  qui 
l'avait  vu  naître  et  dans  les  établissements  qu'il  aimait  le  plus, 
il  se  hâta  de  faire  son  testament.  Il  le  rédigea  en  l'abbaye  de 
Moutier-la-Celle,  près  deTroyes,  et  le  scella  le  premier  dimanche 
de  l'Avent  de  l'an  1280.  Ce  testament  contenait  plus  de  deux  cents 
articles,  et  distribuait  sa  fortune  en  une  foule  de  mains.  Ainsi, 
il  donnait  à  l'abbaye  de  .Saint-Lucien,  où  il  choisissait  sa  sépul- 
ture, 2,i00  livres  d'argent,  sa  grande  bible  glosée  en  huit  vo- 
lumes, et  tous  ses  autres  livres  glosés  de  théologie,  à  condition 
qu'on  célébrerait,  tous  les  mois,  un  service  solennel  pour  le 
repos  de  son  âme.  et  qu'on  augmenterait,  en  ce  jour,  l'ordi- 
naire des  repas  du  monastère  ;  à  l'abbaye  de  Breteuîl ,  200  livres 
parisis;  à  celle  de  Saint-Germer,  200  livres;  à  celle  de  Saint- 
Quentin  deBeauvals,  60;  à  celle  de  Beaupré,  100;  à  celle  de 
Lannoy,  30;  à  celle  de  Saint-Martîn-aux-Bois,  60;  à  celle  de 
Saint-Just-en- Chaussée,  tJO;  h  celle  de  Penthemont,  20;  à  celle 
de  Saint -Paul,  50;  à  celle  de  Boyaumont,  300;  à  celle  de  Go- 
merfonlaine,  100  sous;  à  celle  de  Monchy-Humières ,  10  livres; 


(l)  G.  Hermant  :  Hist.  de  B^mwais,  liv.  vif,  ch.  15. 


DE   l'abbaye   royale   DE   SAINT-LUCIEN.  561 

à  celle  de  Saint-Symphorien  de  Beauvais,  30;  à  celle  du  Paraclet 
d'Amiens,  300;  à  celle  de  Saînt-Vaast  d'Arras,  100;  à  celle  de 
Notre-Dame  de  Soissons,  SO;  à  celle  de  Saint-Corneille  de  Com- 
piègne,  40;  à  celle  de  Morienval ,  100;  à  celle  de  Saint-Vincent 
de  Senlis,  100;  à  celle  du  Parc-aux-Dames,  30;  à  celle  de  Saint- 
Remi  de  Senlis,  20;  à  celle  de  Chaalis,  100;  à  celle  de  la  Vic- 
toire, 20;  à  celle  d'Ourscamps,  00;  au  prieuré  de  Variville,  30; 
à  celui  de  Boran,  iO;  h  celui  de  Breuille-Sec,  20;  à  l'église  de 
Beauvais  et  à  celle  de  Rouen,  pour  fonder  deux  chapelles, 
1,000  livres;  à  THÔtel-Dieu  de  Beauvais ,  60  livres  pour  acheter 
de  la  nourriture  aux  pauvres  malades;  aux  Frères  Mineurs  de 
Beauvais,  iO  livres;  aux  Frères  Prêcheurs  du  même  lieu,  iO;  à 
la  collégiale  de  Notre-Dame  du-Châtel ,  00;  k  chacune  des  autres 
collégiales  du  même  lieu,  100  sous;  aux  Béguines,  iOO  sous;  à  la 
maison  de  Saint-Thomas  des  Pauvres  Clercs,  100  sous  ;  à  l'église 
cathédrale,  100  livres;  aux  pauvres  natifs  de  ladite  ville  de  Beau- 
vais, 10  livres;  à  la  léproserie  de  Saint-Lazare  de  Beauvais,  30; 
à  la  léproserie  de  Saint-Antoine  de  Marissel,  100  sous;  au  curé 
de  Saint-Lucien,  40  sous,  et  aux  pauvres  de  ce  lieu,  10  livres; 
au  curé  de  Maulers ,  iO  sous,  et  aux  pauvres  de  ce  lieu,  10  livres; 
au  curé  et  aux  pauvres  de  Maysel ,  40  livres;  au  curé  de  Nointel, 
40  sous ,  et  aux  pauvres  de  ce  lieu,  20  livres  le  jour  de  ses  obsè- 
ques, et  GO  livres  pour  son  anniversaire;  au  curé  et  aux  pauvres 
de  Saint-Félix,  60  livres;  au  curé  de  Cempuis,  40  sous,  et  aux 
pauvres  de  ce  lieu  10  livres;  à  l'hOpital  de  Beaumont-surOise, 
100  sous;  àrilOtel-Dieu  deClermout,  20  livres;  à TIIÔtel-Dieu  de 
Compiègne,  40;  à  rHôtel-DleudeSenlis,  10;  aux  Frères  Mineurs 
de  Senlis,  20;  à  chaque  prêtre  du  diocèse  de  Beauvais,  le  jour 
de  ses  obsèques,  10  sous;  à  soixante  églises  pauvres  du  diocèse 
de  Rouen  et  à  quarante  églises  pauvres  du  diocèse  de  Beauvais, 
un  calice  d'argent  doré,  avec  sa  patène,  du  poids  de  deux  marcs; 
à  trente  pauvres  filles  nobles  du  diocèse  de  Beauvais,  20  livres 
à  chacune  pour  aider  à  les  marier,  et  à  trente  pauvres  filles  du 
peuple  du  même  diocèse,  h  chacune  10  livres  ;  à  chacune  des  ma- 
ladreries  du  même  diocèse,  auxquelles  il  n'avait  encore  rien  légué, 
20  sous;  aux  chanoines  et  aux  pauvres  de  Mello,  60  livres;  au 
curé  de  Calenoy,  40  sous,  et  aux  pauvres  du  même  lieu,  20  livres; 
àla cathédrale  de  Rouen,  100  livres;  à  chacun  des  couvents  des 
Frères  Mineurs  et  Prêcheurs  de  Rouen,  ^0  livres;  à  chacun  des 


34S  HISTPIEK 

curés  du  diocèse  de  Rou^n,  10  sous;  aux  pauvres  de  son  archî- 
dtaconé  de  Caux,  400  livres;  à  Tabbaye  de  Saint-Oueo  de  Rouen, 
100  livres  et  sa  mitre  à  émaux;  k  celle  de  Saiat-Amand,  lOû  livres; 
A  celle  de  Sainte-Catherine,  50;  au  prieuré  de  Saint-Lû,  âO;  apx 
sœurs  de  Saint-Matiiieu  de  Rouen,  10;  aux  Filles-Dieu,  100  sols; 
k  l'hôpital  de  la  Madeleine,  SO  livres;  au  prieuré  du  Mont-aux* 
Malades,  SO;  h  l'abbaye  de  Saint-Georges  de  Bocherville,  20;  à 
celle  de  Jumièges,  100;  à  celle  de  Saint-Vandrille,  00;  à  celle 
de  Notre-Dame-duVœu,  30;  à  celle  de  Fécamp,  40;  à  celle  da 
Montivilliers,  10;  h  celle  de  TIsle-Dieu,  20;  à  celle  de  Valmont,  10; 
à  celle  deCornéville,  10;  à  celle  de  Beaubec,  60;  à  celle  de  Fon- 
taine-Guérard,  100  sous;  à  chacun  des  couvenis  des  Frères  Mi- 
neurs et  Prêcheurs  du  diocèse  de  Rouen  »  10  livres;  à  l'hôpital 
de  Pontûise,  100  sols;  à  chacun  des  hôpitaux  du  diocèse  de 
Rouen,  iOsous;  àchacune  des  autres  maladreries  ayant  chapelle, 
40 sous;  au  prieuré  deSaint-Laurent-en-Lyons,  20  livres;  à  celui 
du  Bourg- Achard ,  10;  à  celui  de  Longueville,  20;  à  celui  de 
Beaulieu,  10;  à  l'église  de  Paris,  100;  à  rilôtelDieu  de  Par)B,r)0; 
aux  Frères  Mineurs,  200;  aux  Frères  Prêcheurs,  200;  à  l'abbaye 
de  Sainte-Geneviève,  60;  à  celle  de  Saint  Victor,  GO;  à  celle  du 
Val-des- Ecoliers,  60;  à  celle  de  Saint-Germain-des-Prés,  300;  à 
celle  de  Saint-Antoine,  60;  à  celle  de  Saint-Denis,  300;  aux 
Bons-flufaDts,  60;  aux  écoliers  de  la  Sorbonne,  100;  aux  écoliers 
de  Saint-Thomas  du  Louvre,  20;  aux  Frères  de  Montrouge,  10; 
aux  Frères  Guillemins,  30;  aux  Frères  Saccarions,  20;  aux  Ma- 
Ihurins,  40;  aux  Frères  Barrés,  20;  aux  Chartreux  de  Paris,  20; 
&  chacun  des  couvenis  des  Frères  Mineurs  et  Prêcheurs  des  pro- 
vinces de  Rouen,  Reims  et  Sens,  dont  il  n'avait  pas  encore  été 
fait  mention,  10  livres;  à  Thôpital  de  Saint-Jean-de-Jérusa- 
leni,  100;  aux  Templiers,  100;  en  subside  pour  la  Terre-Sainte, 
1,000;  au  roi  Charles,  s'il  fait  la  guerre  contre  l'Arragon,  6,000, 
et  si  l'expédition  n'avait  pas  lieu,  cette  somme  serait  distribuée 
aux  pauvres  du  diocèse  de  Beauvais;  à  l'église  de  Rome,  200  livres; 
aqx  pauvres  prêtres  du  diocèse  de  Narbonne,  1,C0i);  d'Auch,  MOO; 
de  Bordeaux,  1,000;  de  la  province  do  Tours,  1,f:00;  de  la  pro- 
vince de  Lyon,  1,000;  de  celle  de  Bourges,  1,000;  à  chacun  de 
ses  cinq  exécuteurs  testamentaires,  100  livres.  Ces  exécuteurs 
testamentaires  étaient  Jean  de  Bulles,  archidiacre  de  Caux,  Evrard 
de  Nointel  et  Jean  de  Saint-Just,  chanoines  de  Beauvais,  Jean  de 


DE  L'ABBAYB  ROTALB  DB  SAINT-LUCIEN.  363 

Nointe],  chanoine  de  Thérouane,  et  Aubin  de  Cempuis,  cha- 
noine d'Arras. 

Il  partageait  ensuite  les  livres  eomposant  sa  bibliothèque  :  il 
donnait  à  Tabbaye  de  Saint  Lucien  sa  grande  Bible  et  ses  livres 
de  théologie;  à  Pierre  de  SouUons,  son  chapelain  et  son  péni- 
tencier, ses  livres  de  philosophie,  de  logique  et  de  physique, 
pour  retourner,  après  sa  mort ,  aux  Frères  Mineurs  de  Paris  ;  aux 
Cordeliers  de  Paris,  ses  œuvres  de  saint  Augustin  et  de  saint 
Ifilaire;  à  Pierre  dit  Mulot,  son  médecin,  son  Avicenne;  à  Jean 
de  Bulles,  archidiacre  de  Caux,  ses  sermons  de  frère  Guibert,  sa 
Somme  des  Cas  et  son  petit  Papias;  à  Jean  Vivien  de  Nointel, 
son  clerc,  ses  Etymologies  d'Isidore;  à  Evrard  de  Nointel,  son 
Priscien.  Il  ordonnait  de  vendre  ses  autres  livres,  et  surtout  ceux 
de  droit,  pour  le  prix  en  être  distribué  aux  pauvres  écoliers  stu- 
dieux de  laSorbonne.  Enfîn,il  recommandait  de  restituer  à  leurs 
propriétaires  les  livres  qu'il  avait  empruntés,  c'est-à-dire  :  deux 
volumes  de  la  FlierarMaf  à  Tabbaye  de  Saint-Denis;  Senèque  et 
d'autres  livres,  à  Tabbaye  de  Saint-Germer;  un  Archiacemds^  au 
monastère  de  Mortemer,  et  les  Epitres  de  saint  Bernard^  à  Tab- 
baye  de  Froidmont  (i). 

Ce  testament  dénotait,  chez  son  auteur,  une  fortune  colossale 
et  une  bienfaisance  dont  on  peut  à  peine  se  faire  l'idée.  Personnie 
n'est  oublié ,  les  pauvres  et  les  malades  y  trouvent  aussi  bien 
leur  place  que  les  grands  établissements;  mais,  plein  de  l'amour 
de  son  pays  aussi  bien  que  de  celui  de  ses  frères ,  il  lègue  la 
somme  la  plus  considérable,  6,000  livres,  pour  la  guerre  d'Ar- 
ragon;  c'est  pour  venger  les  Français,  ses  compatriotes,  massa- 
crés en  Sicile  par  les  conseils  du  roi  d'Arragon.  Ce  grand  homme 
se  souvenait  de  ses  qualités  de  chrétien,  de  prêtre,  de  prince 
de  l'Eglise  et  de  Français,  et  il  avait  à  cœur  de  se  montrer  bon 
et  généreux  partout  et  envers  tous. 

Odon  de  Nointel,  son  noble  frère,  l'abbé  de  Saint-Lucien,  au- 
rait tressailli  d'aise  s'il  avait  pu  connaître  la  teneur  de  ce  testa- 
ment, si  la  mort  ne  l'avait  pas  déjà  couché  dans  la  tombe  depuis 
un  an.  Le  cardinal  Cholet  vécut  encore  trois  ans  après  avoir  ainsi 
fait  rédiger  ses  dernières  volontés. 


(1)  Arch.  de  l'Oise,  chap.  de  Bpaov.  G.  773. 


364  HISTOIRE 


ÏX.  —  Oulllaumo  II  (1288-1293). 


Guillaume,  le  succesHeur  d'Odon  de  Nointel,  tint  à  conserver 
les  bonnes  grâces  du  cardinal ,  et  les  avances  quMl  fit  à  ce  sujet, 
en  toutes  occasions,  valurent  à  son  monastère  la  clause  de  son 
testament,  que  nous  avons  citée  plus  haut,  et  une  protection 
généreuse  qui  lui  fut  plusieurs  fois  utile  dans  des  difficultés  sur- 
venues entre  lui  et  des  seigneurs  mauvais  voisins.  Nous  ne  nous 
appesantirons  pas  sur  ces  querelles;  elles  offrent  trop  peu  d'in- 
térêts; ce  sont  des  difficultés  au  sujet  de  droits  territoriaux  ou 
de  justice.  J'en  cite  une  au  hasard.  Le  chevalier  Renaud  d'Au- 
teuil  veut  s'opposer  à  la  jeconslruclion  d'une  écluse  sur  le  Thé- 
rai  n  ,  au  moulin  de  Villers-sur-Thère;  il  prétend,  en  outre, 
«  fere  trère  son  bastel  hors  de  Tlaue  du  Thérain  pardevers  les 
a  rives  d'icèle  iaue,  et  de  le  mellre  de  une  iaue  en  autre  par- 
tt  dessus  les  rives  dessus  dites  par  la  terre  des  devandis  reli- 
a  gieus,  »  et  il  a  fait  arrêter  un  homme  dans  l'étendue  de  la 
seigneurie  de  l'abbaye ,  sur  les  Patis  de  Villers,  «  vers  SaintOien 
a  de  les  le  pont  ou  lieu  où  les  gens  se  assanlent  a  festoier  le  jour 
A  de  feste  de  la  Nativité  saint  Jehan-Baptiste.  »  Le  procès  prend 
de  l'importance,  enfin,  un  arbitrage  est  nommé:  Colard  de 
Morlaine,  chevalier,  tonloyer  de  Beauvais,  et  le  clianoine  Gué- 
rard  de  Saint-Just,  sont  désignés  comme  arbitres ,  et  le  sire 
d'Auteuil  est  débouté  de  ses  prétentions  (1). 

Si  Guillaume  était  tourmenté  par  des  voisins  querelleurs,  il 
rencontrait  aus.si  de  bonnes  iïmes  :  témoins  Bernard  de  Gam- 
premy,  qui  lui  donne,  en  1290,  cinq  mines  de  terre  h  Thieux, 
pour  avoir  un  anniversaire  en  l'église  de  l'abbaye;  Marie  de  Mor- 
villers,  qui  cède  un  fief  à  Fumechon,  en  1292,  et  Mabilie  de  Bove, 
fille  du  noble  chevalier  Enguerran  de  Bove,  qui  vend  à  Saint- 
Lucien,  pour  la  somme  de  1,G0Û  livres,  toute  sa  terre,  manoir, 
biens,  droits  et  rentes  d'Héricourt,  en  1292  (2). 

Cette  année  1292  allait  être  marquée  au  monastère  par  une 


(1)  Arcb.  de  l'Oise  :  abt).  de  Sainf.-Lucien. 
-2)  Ibidem. 


DE  l'aBBAYB   royale   DE   SAINT-LUCIEN.  565 

triste  solennité,  l'ami  et  le  protecteur  de  la  maison,  le  cardinal 
Cholet,  venait  de  mourir,  le  2  août,  et  on  rapportait  son  corps, 
suivant  ses  dernières  volontés ,  pour  être  inhumé  dans  Téglise 
de  Tabbaye.  Guillaume  lui  fit  rendre  tous  les  honneurs  dûs  à  son 
rang  et  à  son  immense  bienfaisance.  L'évèque  de  Beauvais ,  Thi- 
baud  de  Nanteuil ,  y  assistait  avec  tous  les  ecclésiastiques  de  sa 
ville  épiscopale,  et  un  grand  nombre  d'abbés  accourus  de  toutes 
parts  pour  rendre  leurs  derniers  devoirs  à  ce  généreux  bienfai- 
teur. Le  corps  de  Tillustre  défunt  ftit  déposé  en  terre,  au  c6lé 
gauche  du  maltre-autel  de  Téglise  du  monastère,  et  Tabbé,  de 
concert  avec  ses  religieux,  lui  fit  élever  un  splendide  mausolée. 
Sous  une  gracieuse  arcature  ogivale ,  supportée  par  des  colon- 
nettes,  s'élevait  une  tombe  en  cuivre  doré  et  émaillé,  sur  laquelle 
reposait  une  statue  d'argent,  de  grandeur  naturelle,  à  Teffigie 
du  cardinal.  Autour  du  tombeau  et  sur  le  bord  supérieur,  était 
inscrite  l'épilaphe.  Elle  était  en  émail,  à  lettres  d'or,  sur  fond 
rouge ,  ainsi  disposée  : 
Du  côté  de  l'autel  : 

Hic  vir  compoaUus,  vir  verax,  vircfue  peritus, 
Justus,  muni  ficus,  regum  specialis  amicuSy 
Ergo  necem  plores,  prceciari  palris  et  ores 
Ut  post  lias  flores  (1)  fructus  copiai  meiiores. 

Du  côté  opposé  : 

tiac  in  copsella  latet  or  bis  fulgida  Stella , 
Cujus  fulgore  regio  fuit  hec  in  honore, 
Francia  Légat um  suscipit  cum  sibi  gratum, 
Firmam  virtutum,  Francorum  nohile  scutum. 

Au-dessous  de  Tinscription  régnait,  tout  autour  du  monument, 
une  bordure  cloisonnée  en  losange,  sur  laquelle  se  répétaient, 
alternativement,  les  armoiries  suivantes  :  d'a:iurj  à  quatre  fleurs 
de  lis  d'or  posées  j^  2  6/  1,  et  d^ argent  à  la  croix  de  gueules,  can- 
tonnée de  quatre  clefs  du  même  pesées  en  pal.  Ce  devait  être  celles 
du  cardinal. 


(1)  Le  poète  fait  aUasion  aux  fleurs  (}ae  l'on  plaçait  sur  la  tombe  dans 
des  trous  percés  pour  cet  usage. 


366  BlSTOllUfi 

Ce  mausolée  perdit,  dans  la  suite,  ses  plus  beaux  ornements 
et  sa  statue  ;  nous  dirons  à  quelle  occasion. 

Aussitôt  après  la  mort  du  cardinal,  chacun  des  légataires  fut 
mis  en  possession  de  ce  qui  lui  revenait,  d'après  le  testament. 
Seulement,  les  6,000  livres  destinées  à  la  guerre  d'Arragon  re- 
çurent un  autre  emploi.  La  paix  était  faite,  et  il  n'y  avait  plus 
lieu  de  lui  donner  sa  destination  primitive.  Cette  somme  devait 
être  distribuée  aux  pauvres  du  diocèse  de  Beauvais ,  si  l'on  s'en 
tenait  à  la  lettre  du  testament;  mais  les  exécuteurs  testamen- 
taires ne  virent  dans  cette  clause  qu'un  moyen  comminatoire 
imaginé  pour  déterminer  Charles  à  venger  les  Français  massa- 
crés à  Palerme,  et  ils  crurent  mieux  répondre  à  l'intention  du 
testateur  en  l'employant  à  fonder  un  collège,  en  l'Université  de 
Paris ,  en  faveur  d'un  nombre  déterminé  d'écoliers  des  diocèses 
de  Beauvais  et  d'Amiens.  Le  cardinal  avait  maintes  fois  mani- 
festé l'intention  de  cette  création;  il  avait  même  rédigé  un  projet 
de  statuts  pour  en  régler  la  vie  intérieure  et  l'admini&tratton. 
En  fondant,  en  iâ9j,  cet  utile  établissement,  ses  exécuteurs 
testamentaires  ne  firent  donc  que  réaliser  l'œuvre  qui  avait  été 
sa  pensée  de  tous  les  temps.  Cette  institution  porta  le  nom  de 
collège  des  Cbolets,  nom  de  celui  qui  l'avait  doté. 

Indépendamment  des  bienfaits  dont  nous  avons  parlé,  le  car- 
dinal avait  encore  donné  au  monastère  de  Saint-Lucien  des  re- 
liques de  sainte  Cécile,  qu'il  avait  rapportées  de  Rome,  avec  la 
châsse  en  cuivre  doré  qui  les  contenait. 

Guillaume  survécut  peu  au  cardinal  Cholet.  Il  paraîtrait  qu'il 
serait  mort  l'année  suivante,  le  3  août  1213.  On  pense  que  la  tombe 
en  marbre  noir,  qui  était  entre  celle  du  cardinal  et  la  chapelle  de 
Sainte-Catherine,  était  la  sienne.  Le  nom  du  défunt  était  effacé; 
mais,  comme  cette  tombe  portait  la  date  du  3  août  1293,  on  a  cru 
que  ce  devait  être  celle  de  Guillaume.  On  ne  trouve,  du  reste, 
aucun  document  faisant  mention  de  lui  après  cette  époque. 

ycxysi,  —  Jean  ïlï  U^  Boulleusl^n 

(4293-4297). 

Le  successeur  de  Guillaume,  Jean  Le  Boullensien,  a  laissé  peu 
de  traces  de  son  passage  dans  l'histoire  de  son  monastère.  On  a 


DB  l'abbaye  royale  DB   SAINT-LUCIKN.  367 

de  lui  le  serment  de  fidélité  et  d'obéissance  qu'il  prêta  à  Thibault 
deNanteuil,  é\êque  de  Beauvais,  aussitôt  après  sa  promotion 
à  l'abbatlat.  Trois  actes  seulement  nous  sont  parvenus  comme 
ayant  été  passés  sous  son  administration ,  Vxxn  est  une  acqui- 
sition d'une  Yigne  à  Rosoy,  vendue  par  Jean  d'Hondain ville, 
en  1295;  le  second,  de  la  même  année,  est  un  échange  par  le- 
quel Jean  cède  à  Févêque  d'Amiens  la  dîme  et  60  sols  de  rente 
à  Pernois,  contre  la  seigneurie  de  la  terre  dePissy;  enfin,  le 
troisième,  de  l'an  i297,  est  une  donation  faite  à  l'ablmye  d'ijine 
vigne  à  Margny,  près  Gompiègne. 

En  cette  année  d297,  Jean  Le  BouUensien  eut  une  contestation 
assez  vive  avec  Tofficial  de  l'évêque.  Ce  dernier  lui  avait  intimé 
Tordre  de  se  rendre,  avec  sa  communauté,  à  la  procession  gé- 
nérale qui  devait  avoir  lieu  dans  la  ville,  le  dimanche  suivant, 
pour  rheureux  succès  des  armes  de  Philippe-le-  Bel ,  dans  la 
campagne  par  lui  entreprise  contre  le  comte  de  Flandre  et  ses 
aillé».  Jean,  tronvant  qne  cet  ordre  portait  atteinte  aux  privilèges 
de  son  monastère,  refusa  d'y  obtempérer.  Ce  n'était  pas  défaut 
de  patriotisme,  il  le  prouva  par  les  subsides  qu'il  fit  passer  au 
roi  ;  mais  il  ne  voulait  pas  souffrir  que  les  officiers  de  l'évêque 
empiétassent  sur  ses  immunités.  11  fut  donc  trouver  Thibault  de 
Nanteull,  à  sa  résidence  de  Bresles ,  et  protesta  énergiquement 
contre  l'ordre  qui  lui  avait  été  signifié.  «  Si  on  m'avait  prié,  dit- 
il,  d'assjster  h  cette  procession,  nous  y  serions  venus  tous,  et 
de  grand  cœur,  parce  que  j'aime  mon  pays  et  mon  roi;  mais 
sur  l'intimation  d'un  ordre,  nous  n'y  viendrons  pas.  Nous  ferons 
la  procession  dans  l'intérieur  de  notre  monastère.  »  L'histoire 
ne  nous  dit  pas  qu'elle  fût  l'issue  du  différend;  il  est  probable 
que  l'abbé  ne  céda  pas.  Quoiqu'il  en  soit,  ce  trait  nous  montre 
le  soin  avec  lequel  Jean  Le  BouUensien  savait  défendre  les  pri- 
vilèges de  son  monastère. 

Il  mourut  le  5  septembre  suivant,  laissant,  par  testament,  à 
sa  communauté,  une  terre  à  Fouquenies,  pour  subvenir  aux  frais 
d'un  anniversaire  pour  le  repos  de  son  ftme. 

XXXI.  —  Jacques  de  CHamtoly  (1297-1300). 

Jacques  de  Chambly,  qui  succéda  immédiateihent  à  Jean  Le 
BouUensien,  a  laissé  moins  de  traces  encore  de  son  administra- 


308  HiSTOlKE 

(ion.  Toul  ce  que  Ton  sait  de  lui  c'est  qu'il  était  llls  de  Pierre  de 
Chambly,  chambellan  des  rois  Philippe-le-Uardi  et  Pliifippe-Ie- 
Bel,  et  d'Isabelle  de  Kosny.  La  faveur  dont  son  père  jouissait  à 
la  cour  contribua  pour  beaucoup  à  sa  nomination.  On  espérait 
que  son  crédit  ne  serait  pas  inutile  auprès  du  roi,  et  de  fait,  il 
attira  les  bonnes  grâces  du  roi  sur  son  monastère.  Son  admi- 
nistration fut  de  courte  durée  :  il  mourut  le  ±À  février  i300. 

:x:xx:il.  —  JPlorro  m  do  Samols 

(1300-1336). 

Après  la  mort  de  Jacques  de  Chambly,  les  suffrages  des  reli- 
gieux de  Saint-Lucien  se  réunirent  pour  porter  sur  le  siège  ab- 
batial un  autre  gentilhomme  nommé  Pierre  de  Sarnois.  Il  était 
issu  d'une  noble  famille  de  l'Amiennois,  habitant  la  terre  de 
Sarnois ,  près  Grandvilliers.  Ses  talents  et  ses  vertus  avaient  dicté 
ce  choix  ;  mais  le  moment  allait  venir  où  les  intrigues  de  toutes 
sortes  ne  manqueraient  pas  d'avoir  part  à  ces  élections.  Les  beaux 
temps  de  la  régularité  monastique  étaient  passés,  et  la  décadence 
commençait.  Sans  doute,  les  sujets  affluaient  dans  les  cloîtres 
et  la  noblesse  leur  donnait  encore,  et  plus  que  jamais,  ses  en- 
fants, et  cela  n'empêchait  pas  le  relâchement  de  la  discipline  de 
se  faire  partout  sentir;  c'en  était  peut-être  une  cause.  La  ferveur 
n'était  plus  la  même;  ce  n'était  plus,  comme  autrefois,  par 
amour  de  la  pénitence  et  des  vertus  austères,  que  l'on  entrait  en 
religion;  trop  souvent  alors,  c'était  avec  l'espoir  d'y  trouver  la 
tranquillité  que  l'on  ne  rencontrait  plus  dans  le  monde,  et  par- 
fois même  c'était  par  ambition.  La  jeune  noblesse,  surtout,  ne 
savait  plus  assez  se  soustraire  à  l'influence  de  l'esprit  du  siècle, 
qu'elle  avait,  pour  ainsi  dire,  sucé  avec  le  lait  au  manoir  de  ses 
pères,  et  elle  l'apportait  dans  le  cloître.  A  ces  causes  intérieures 
venaient  s'en  joindre  d'autres  produites  par  les  guerres  et  les 
dissensions  civiles  et  religieuses.  La  lutte  engagée  entre  Philippe- 
leBel  et  Boniface  VllI  divisait  les  esprits  et  ne  manquait  pas 
d'avoir  un  retentissement  fâcheux  dans  les  communautés.  Toutes 
ces  causes  tendaient  évidemment  à  relâcher  les  liens  des  obser- 
vances monastiques,  et  les  abbés  allaient  avoir  beaucoup  à  faire 
pour  conserver  une  régularité  suffisante.  Malheureusement,  ils 


DE  l'abbaye   royale   DE  SAII^T-LUCIEN.  369 

ne  surent  pas  tous  réagir  assez  énergiquement  contre  le  torrent 
qui  entraînait  à  la  dérive;  plusieurs  se  laissèrent  aller  avec  lui, 
et  quelques-uns  même  le  secondèrent  par  leur  conduite  trop 
mondaine.  Nous  le  dirons  plus  loin. 

Au  dehors  non  plus,  Télat  des  esprits  n'était  plus  le  même  que 
celui  du  commencement  du  xiip  siècle.  Les  croisades  avaient 
produit  leur  effet.  Les  idées  avaient  pris  de  Texlension  et  les  es- 
prits de  rindépendance.  Une  espèce  d'effervescence  libérale  tra- 
vaillait les  serfs  et  les  hommes  du  peuple;  elle  les  poussait  à 
s'affranchir  du  servage  et  de  cette  étroite  tutelle  dans  laquelle 
les  détenaient  les  nobles  et  le  clergé,  et  à  conquérir  cette  liberté 
individuelle  qui  leur  était  refusée.  Les  communes  défendaient 
énergiquement  leurs  privilèges  et  ne  se  montraient  plus  endu- 
rantes. Les  tenanciers  et  vassaux  contestaient  les  devoirs  qu'on 
leur  imposait  et  refusaient  souvent  de  les  remplir.  Le  tiers,  enfin, 
tendait  de  tout  son  pouvoir  à  se  faire  une  place  au  soleil. 

Telles  étaient  les  dispositions  des  esjirils,  fuand  Pierre  de 
Sarnois  prit  la  direction  de  Tabbaye  de  Saint-Lucien.  Sa  com- 
munauté, convenablement  régulière,  ne  lui  créa  cependant  pas 
de  difficulté.  Ses  moines  aimaient  Tétude  et  s'y  livraient  avec 
ardeur.  Mais  au  dehors  ce  n'était  pas  le  même  calme.  Une  lutte 
acharnée  divisait  PhilIppe-le-Rel  et  le  pape  Boniface  VIII.  Il  était 
difficile,  pour  l'abbaye  de  Saint-Lucien ,  de  s'en  tenir  complè- 
tement en  dehors,  surtout  lorsque  l'évèque  de  Reauvais,  Simon 
de  Clermont  de  Nesle,  y  prenait  une  part  si  active.  Pourtant, 
Pierre  de  Sarnois  et  ses  moines  ne  se  passionnèrent  pas  trop 
aux  débals;  ils  adhérèrent  à  la  lettre  que  les  évèques  de  France 
adressèrent  au  pape  pour  le  disposer  à  la  conciliation,  mais  en 
même  temps  Ils  firent  parvenir  au  roi  l'assurance  de  leur  fidélité. 
Philippe-le-Bel  se  montra  reconnaissant,  et  leur  témoigna  sa  sa- 
tisfaction en  leur  accordant,  en  130i,  la  remise  de  tous  les  droits 
qu'ils  pouvaient  lui  devoir,  à  raison  des  acquisitions  de  biens 
qu'ils  avaient  faites,  et  cela,  dit-il,  à  cause  de  leur  fidélité  à  sa 
personne  et  en  faveur  des  bons  services  qu'il  avait  reçus  d'eux 
pendant  la  guerre  de  Flandre  (i)  lis  lui  avaient,  en  effet,  été 
utiles  en  lui  envoyant  des  vivres  et  de  l'argent  pour  ses  troupes, 


(1)  D.  PorcheroD,  ch.  36. 

T.  VUI.  U 


370 

eC  ils  aTaient  pre)^  deai  rheraux  et  une  Toiîure,  eo  i^•i.  au  bel- 
licfomi  é%èque  de  Beauvai».  qui  conduirait  iul-nii-iiie  ^e^  %a»saai 
â  la  oiaJIieureiue  journée  de  Coartrai   I  . 

fj&fe  liODoes  gràees  du  roi  leorseirireot  avanUgeus^^nenl  dans 
tea  conteitations  qu'ils  eurent  à  soutenir.  b'at>ord  ce  f'jt  un  Lan- 
oelot  de  Sainl-Harc,  seigneur,  en  partie.  d'AJ>t>ecourt.  qui  leur 
déniait  la  baote  et  baMe  justice  de  ce  lieu  :  il  fut  déboâlé  de  ses 
prétentions.  Ailleurs,  dans  le  Tîllage  même  de  Saint  Ludeo,  c'é- 
taient des  faiêatti  hosjniesi  qui  soutenaient  que  Tabbaye  n'avait 
sur  eui  aucun  droit  réel  ou  personnel  de  capitage,  de  mainmorte, 
de  fomariage  e(  de  taille  pour  joyeux  aTènenKnt  d'abbé.  Le  roi 
nomma  deoi  commissaires .  Robert  de  Fooilloy,  chanoine  d'A- 
miens, et  Thibault  de  Cbepolx.  cheTalier,  pour  juger  l'alEure. 
Après  avoir  entendu  les  procureurs  des  parties,  et,  du  côté  de 
Tabtiaye.  c'élaient  deuz  de  ses  religieux,  Andiéde  Saint-^nentin 
et  Pierre  deUbus,  les  commissaires  jugèrent  prudent,  pour  ôler 
toute  cause  de  contestation  àTavenir^  de  décharger  les  hôlesou 
vassaux  de  ces  droits,  à  condition  qu'ils  procureraient,  à  leurs 
frais,  à  Tabbaye ,  une  rente  de  îîoo  livres ,  assise  sur  des  terres 
ou  bois  qui  ne  pourraient  pas  être  éloignés  de  Beauvais  de  plus 
de  dix-huit  lieues.  Les  parties  acceptèrent  cette  décision,  et  c'est 
de  là  que  sont  venus  à  Tabbaye  les  droits  d'entrée  sur  les  mar- 
chandises et  denrées  importées  dans  Ro>e,  Péronne  et  Montai- 
dier  (ij.  La  contestation  avait  duré  trois  ans  ;i3oa-i306). 

Pendant  que  l'on  s'accordait  ainsi,  des  fûts  plus  graves  se 
passaient  aux  portes  du  monastère  et  rejaillissaient  sur  lui,  sans 
qu'il  y  eût  eu  la  moindre  part.  Les  bourgeois  de  Beauvais,  obli- 
gés de  se  servir  des  moulins  et  des  fours  banaux  de  l'évoque, 
et  fatigués  des  vexations  que  ses  officiers  leur  faisaient  subir  à 
cette  occasion ,  se  révoltèrent  et  pillèrent  le  palais  épiscopal. 
L'évéque,  Simon  de  ClermontdeNesIe,  fut  contraint  de  s'enfiiir 
et  de  se  retirer  à  Saini-Just-en-€haussée.  Exaspéré  de  cette  dé- 
faite, des  dégâts  commis  dans  ses  propriétés,  et  surtout  des 
railleries  de  ses  vainqueurs,  qui  l'appelaient  Simon  le  dévêtu,  il 


(1)  Areta.  de  l'Oise  :  inveni.  de  lees,  p.  ito. 
"À)  D.  Porcberon ,  cb.  37. 


t>B  L*ABBAYK   ROYAL!  DS   SAINT-LUCIEN.  571 

fit  appel  à  ses  hommes  de  fief  et  les  envoya  contre  sa  ville  épis- 
copale,  avec  ordre  d'Incendier  les  faubourgs  et  de  passer  parles 
armes  tous  les  bourgeois  qu'ils  prendraient  Ce  fougueux  prélat 
oubliait  qu'il  était  évèque,  pour  ne  se  ressouvenir  que  des  idées 
hautaines  que  sa  noble  extraction  lui  avait  données,  et  il  ne  Ait 
que  trop  bien  servi.  Ses  feudatalres,  tous  belliqueux  chevaliers, 
exécutèrent  à  l'envi  les  ordres  qu'ils  avaient  reçus  ;  ils  pillèrent 
et  saccagèrent  tous  les  environs  de  Beauvais.  Les  propriétés  de 
rabt)aye  de  Saint- Lucien  ne  furent  pas  plus  respectées  que  les 
autres,  quoique  pourtant,  ni  ses  moines,  ni  ses  tenanciers 
n'eussent  pris  part  à  l'émeute.  L'abbé  Pierre  de  Samois  ne  jugea 
pas  à  propos  de  lutter  par  la  force ,  mais  il  se  plaignit  vivement 
à  l'évêque  du  préjudice  dont  son  monastère  était  victime,  et  en 
demanda  réparation.  Simon  de  Nesle  avait  intérêt  à  le  ménager, 
dans  la  crainte  qu'il  ne  fit  cause  commune  avec  les  habitants  de 
Beauvais,  et  il  s'empressa  de  lui  faire  tenir  une  lettre  dans  la- 
quelle il  lui  disait  :  «  qu'en  l'an  1305,  vers  les  fêtes  de  la  Pente- 
tt  côte,  à  l'occasion  de  la  dissension ,  qui  était  arrivée  entre  lui 
•  et  les  maire  et  pairs,  conseillers  et  toute  la  commune  de  Beau- 
«  vais,  ses  officiers  avaient  commis  des  incendies  et  d'autres 
w  excès  dans  la  terre  et  juridiction  de  ses  chers  et  religieux  fils 
a  en  Jésus-Christ  l'abbé  et  couvent  du  monastère  de  Saint-Lucien, 
a  et  avaient  fait  des  actions,  qui  tenaient  de  l'injustice,  et  leur 
tt  étaient  fort  préjudiciables,  mais  que  sa  volonté  n'était  pas  que 
«*  ces  religieux  en  souffrissent  à  l'avenir  aucun  préjudice  dans 
«  leur  droit  et  leur  juridiction,  ni  que  lui,  ni  ses  successeurs 
tt  évèques  de  Beauvais  acquissent  par  là  aucun  droit  (1).  «  Il 
s'agissait  bien  de  compétition  de  juridiction  et  de  droit  à  acqué- 
rir, il  fallait  réparer  le  dommage  causé,  et  il  n'en  dit  mot.  L'abbé 
de  Saint-Lucien  s'en  contenta  cependant;  il  faut  croire  qu'il  était 
de  facile  composition. 

L'évêque  ne  s'était  pas  contenté  d'user  de  représailles  à  mains 
armées  contre  les  communiers  de  sa  ville;  par  une  ordonnance, 
donnée  à  Saiut-Just- en-Chaussée,  le  8  juillet  1305,  il  avait  dé- 
claré excommuniés  tous  ceux  qui  avaient  pillé  son  hôtel  et  sa 


'^1'  I* 


(1)  God.  Hermant,  1.  vu,  c.  19,  p.  878.  —  Louvet,  t  ii,  p.  494,  cite 
le  texte  mèm»  de  oette  lettre. 


572  HISTOIRE 

chapelle,  et  cité  les  maire  et  pairs  à  comparaître  devant  lui,  à 
Saint-Just,  le  samedi  avant  la  Madeleine,  17  juillet  de  la  même 
année,  pour  s'entendre  condamner  à  réparer  tous  les  dommages 
causés,  avec  menace  d'excommunication  s'ils  ne  se  présentaient 
pas.  Par  suite  de  circonstances  restées  jusqu'à  ce  jour  inexpli- 
quées, l'assignation  à  comparaître  ne  fut  remise  aux  intéressés 
que  le  jour  même  où  ils  étaient  cités.  Force  leur  fut  de  ne  pas 
se  présenter;  alors  l'évéque  excommunia  tous  les  habitants  de 
la  ville  et  jette  l'interdit  sur  elle.  Il  fit  signifier  la  sentence  aux 
abbés  de  Saint-Lucien,  de  Sain t-guen tin,  de  Sain t-Sympho rien, 
à  l'abbesse  de  Penthemont  et  à  tous  les  ecclésiastiques  et  reli- 
gieux de  la  ville,  pour  qu'ils  eussent  à  s'y  conformer  et  à  la  faire 
exécuter. 

Le  maire  et  les  pairs  .s'attendaient  à  quelques  mesures  sem- 
blables; aussi,  pour  échapper  aux  suites  delà  sentence  qui  pou- 
vait les  frapper,  s'étaient-ils  rendus  à  l'abbaye  de  Saint  Lucien, 
avec  les  principaux  habitants  de  la  ville,  pour  prendre  conseil. 
Ils  savaient  parfaitement  que  l'abbé  Pierre  de  Sarnois  n'était  pas 
des  plus  chauds  partisans  de  l'évéque ,  après  les  déprédations 
dont  son  monastère  avait  été  victime,  et  que  la  haute  considé- 
ration dont  il  jouissait  le  mettait  à  l'abri  de  ses  entreprises.  On 
avait  tenu  conseil  dans  l'église  de  Tabbaye ,  et,  après  une  longue 
délibération,  les  maire  et  pairs  avaient  fait  rédiger  un  ac(e 
d'appel  au  Saint-Siège  de  tout  ce  que  l'évéque  pourrait  ordonner 
contre  eux  et  contre  les  habitants  de  la  ville.  L'acte  avait  été 
signifié  à  Simon  de  Nesle,  le  12  juillet,  par  Gerbaud  de  La  Fon- 
taine. Cet  appel  avait  tellement  irrité  le  hautain  prélat,  qu'il 
avait  lancé  l'excommunication  et  l'interdit,  nonobstant  son 
existence,  et  avait  fait  défendre,  sous  les  peines  les  plus  graves, 
à  tous  les  villages  circonvoisins ,  d'apporter  des  provisions  en 
la  ville  interdite. 

On  commençait  à  se  trouver  mal  à  l'aise,  quand  le  roi,  Philippe- 
le-Bel ,  informé  de  ce  qui  se  passait ,  délégua  le  bailli  de  Senlis 
pour  calmer  le  différend  et  amener  les  parties  à  composition. 
Sa  voix  ne  fut  pas  entendue  ;  au  contraire ,  une  nouvelle  collision 
s'en  suivit,  et  l'on  en  vint,  de  rechef,  aux  excès  les  plus  regret- 
tables. Le  commissaire  du  roi  fit  alors  arrêter  et  mettre  en  pri- 
son le  maire  de  la  ville,  et  le  bailli  de  l'évéque,  saisit  le  temporel 
de  l'évèché  et  prit  en  main  l'administration  de  la  justice.  Pen- 


DB  L'ABBAYB   ROYALB   DB   8AINT-LUCIBN.  373 

dant  que  le  roi  faisait  fous  ses  efforts  pour  rétablir  la  paix,  le 
pape  Clément  V,  qui  venait  d'être  élu,  et  qui  avait  reçu  l'appel 
des  communiers  de  Beauvais,  avait  délégué  les  abbés  de  Saint- 
Lucien,  de  Saint-Quentin  et  de  Saint-Symphorien  pour  concilier 
les  esprits.  Leur  intervention  n'eut  pas  plus  de  succès  que  celle 
du  bailli  de  Sentis.  Â  la  lin,  cependant,  les  parties  se  décidèrent 
à  comparaître  devant  le  pape  lui-même,  qui  était  alors  h  Lyon, 
et  où  se  trouvait  aussi  le  roi,  et,  après  bien  des  pourparlers, 
un  accord  intervint  le  0  décembre  i305,  et  la  paix  et  la  tran- 
quillité commencèrent  à  renaître  (1).  L'évêque  fit  alors  cons- 
truire, à  rentrée  de  son  hôtel ,  les  deux  grosses  tours  que  Ton 
y  voit  encore,  pour  se  protéger  contre  de  nouvelles  émeutes. 
Les  conclusions  de  raccord  avaient  été,  du  reste,  complètement 
à  son  avantage. 

Le  calme  rétabli,  Pierre  de  Sarnols  ne  discontinua  pas  de 
veiller  à  la  sauvegarde  des  intérêts  de  son  monastère  et  de  ses 
tenanciers.  Actif  au  possible,  il  saisissait  toutes  les  occasions 
d'augmenter  la  valeur  de  ses  biens  et  de  favoriser  les  villages 
ou  les  établissements  qui  dépendaient  de  lui ,  en  obtenant  pour 
eux  tous  les  avantages  qui  pouvaient  leur  être  utiles.  Ainsi, 
pour  donner  plus  d'accroissement  au  marché  de  son  bourg  de 
GrandvilUers,  il  amène,  en  130G,  les  religieux  de  Lannoy  h  lui 
accorder  que  tous  les  gens,  qui  s'y  rendront,  ne  paieront  aucun 
droit  de  travers  en  passant  par  leur  seigneurie  de  Thieuloy.  Il 
obtint  aussi  d'eux,  pour  son  fermier  de  Viilers-sur-Âuchy,  la 
permission  de  mener  paître  ses  troupeaux  dans  les  prés  de  leur 
grange  d'Orsimont,  après  la  première  coupe  récoltée. 

L'année  suivante  (1307),  il  achète  de  Guy  de  Beaumont,  che- 
valier, seigneur  de  Neufchàlel  et  d'Onsen-Bray,  moyennant 
2,3i2  livres  18  sols  i  deniers  parisis,  le  bois  des  Calenge^-d'Ons, 
contenant  cent  cinq  arpents,  le  bois  des  Domaines,  contenant 
six  cent  soixante-quatre  arpents,  six  muids  de  blé  de  rente  à 
prendre  sur  la  grange  des  religieux  de  Morlemer,  sise  au  Ques- 
neger,  paroisse  du  Vauroux,  la  justice  de  la  terre  du  Quesneger 


(l)  Louvet,  t.  II,  p.  i-^O-sao.  —  I-oisel,  p.  301  et  suiv.  —  G.  Hermant. 
I.  VII,  ch.  19.  —  D.  Porcheron.  -  Delellre.  t.  ii,  p.  :)8i-;»3.  —  Doyen, 
t.  I.  p.  4-15 


5*74  ttlSTOiRB 

et  quarante  mines  d'avoine  de  rente  annuelle  sur  les  hommes 
et  hôtes  de  Vhôpital  de  La  Landelle,  pour  le  droit  d^isage  dont 
Ils  jouissent  dans  le  bois  des  Domaines.  Cette  vente  fut  ratifiée  par 
Jeanne  de  Saint-Cler,  mère  du  vendeur,  et  par  Guillaume,  Pierre 
et  Isabelle  deBeaumont,  ses  frères  et  sœur,  et  confirmée,  en 
1309,  par  Louis,  comte  de  Glermont,  petit-fils  de  saint  Louis  (1). 

En  i309,  il  acquiert  de  Guillaume  Des  Marest  une  maison  avec 
ses  dépendances,  à  Villerssur-Thère.  —  Plus  tard,  en  1313,  il 
défend  les  intérêts  de  son  monastère  contre  les  empiétements 
des  chevaliers  Jean  de  Sains  et  Guyart  deMoimont.  qui  s'étaient 
permis  d'exercer  la  justice  en  une  terre  relevant  de  lui ,  de 
hrîAer  un  bordel  à  Bonnières,  «  pour  une  combustion  que  il 
«  avoient  faite  en  un  bordel  séant  au  dehors  de  la  ville  de  Bon- 
ce  nières,  ou  grant  quemin  d'entre  Milly  et  Gieberroy,  au-dessus 
«  du  moustier,  par  manière  de  justiche ,  sans  nous ,  ne  nos  gens 
tt  appeler.  »  L'arbitrage  de  Guillaume  de  Morlaine ,  chanoine  de 
Noyon,  «t  d'Adrien  de  Saint-Quentin,  religieux  de  Saint-Lucien, 
termina  le  différend  en  sauvegardant  les  intérêts  du  monas- 
tère (2).  —  La  même  année,  Pierre  de  Sarnois  s'entend  avec 
l'abbé  de  Saint-Germer  pour  séparer,  par  des  bornes,  les  terres 
de  Grez,  dont  ils  jouissaient  par  indivis,  afin  de  mettre  une  fin 
à  toutes  les  discussions  qui  surgissaient  sans  cesse. 

En  1314,  il  paie  240  livres  au  seigneur  de  Breteuil,  Evrard  de 
Montmorency,  pour  le  rachat  d'une  rente  de  dix-huit  mines  d'a- 
voine, de  20  deniers  et  d'une  poule,  sur  la  terre  de  Froissy,  et 
obtient  de  ce  seigneur  la  cession  des  droits  de  justice  qu'il  avait 
ou  pouvait  avoir  sur  cette  terre  de  Froissy,  et  en  même  temps 
l'exemption,  pour  tous  les  habitants  de  ce  lieu,  de  l'obligation 
d'aller  faire  moudre  leurs  grains  aux  moulins  de  Breteuil  (3). 

En  1315»  il  transige  avec  l'abbaye  de  Saint-Quentin  pour  dé- 
terminer les  limites  de  leurs  justices  respectives  sur  les  terres 
et  cours  d'eau  sis  entre  les  deux  établissements.  La  rivière  du 
Thérain  et  le  chemin  entre  cette  rivière  et  l'abbaye  de  Saint- 


(1)  Arch.  de  roise  :  Abbaye  de  Saint-Lucien. 

(9)  im. 

(3)  JMd.,  invent,  de  1669,  p.  347. 


DE   l'abbaye   ROYAtE  ttB   SAINT  tUGIEN.  S15 

Quentin  sont  en  la  Justice  de  Saint-Lucien;  au-delà,  le  tout  ap- 
partient à  Saint-Quentin.  En  même  temps,  les  religieux  de  Saint- 
Quentin  cèdent  h  Saint-Lucien  le  vivier  qui  est  au  bout  de  leur 
jardin,  contre  un  pré  avoisinant  l'abbaye. 

Pierre  de  Sarnois  n'aimait  décidément  pas  les  situations  am- 
biguës et  litigieuses ,  et  tenait  à  les  faire  disparaître  à  tout  prix. 
En  1316,  nous  le  voyons  encore  entrer  en  accommodement  avec 
le  curé  de  Foulangues;  il  lui  concède  la  justice  moyenne  et  basse 
dans  toutes  les  maisons  de  son  village ,  avec  les  corvées  et  autres 
droits  d'usage,  mais  se  réserve  expressément  la  haute  justice.  — 
I^es  années  1318  et  1320  sont  marquées  par  de  nouvelles  transac- 
tions avec  l'abbaye  de  Lannoy.  —  En  1322,  il  achète  le  fief  de 
Bernapré,  près  de  }{omescamps,  de  Jean  de  Lieurembronne  et 
consorts.  —  En  1327,  il  donne  à  cens,  moyennant  32  sols  de 
rente  et  une  corvée,  à  Guillaume  de  Luchy,  une  maison  située 
en  face  la  grande  porte  de  Tabbaye ,  à  côté  de  la  rue  de  la  Mai- 
resse. 

Pierre  de  Sarnois  mourut  le  4  octobre  1336. 


II.  —  Odon  II  do  Ooxxvleux. 

(1336-1339). 


Odon  de  Gouvieux  administra  peu  de  temps  Tabbaye,  pourtant 
il  y  fut  encore  assez  de  temps  pour  lui  faire  beaucoup  de  bien 
et  lui  donner,  entre  autres  choses,  une  vigne  située  en  la  pa- 
roisse de  Notre-Dame-du-Thil,  auprès  du  bois  de  Brulet.  Après 
sa  mort,  qui  arriva  le  14  mars  1339,  sa  mémoire  resta  en  véné- 
ration dans  son  monastère.  Le  nécrologe  de  Tabbaye  faisait  men- 
tion de  lui  en  ces  termes  :  Piœ  mémorise  D.  Odo  de  Gouvieux, 
abhas  hujusecciesim,  qui  obiit  pHdie  idus  Martii,  anno  1339;  dédit 
nobii  vineam  unam  sitamjuxia  nemus  de  Bruleto  et  multa  bona 
fecit. 

Un  procès,  dont  nous  avons  retrouvé  les  pièces  dans  les  pa- 
piers'de  son  administration,  mais  qu'il  ne  faut  pas  lui  imputer, 
car  il  était  trop  pacifique  pour  cela,  va  nous  faire  voir  à  quels 
degrés  d'exigence  descendaient  les  seigneurs  voyers.  En  1338,  le 
bailli  de  Sentis  condamna  à  une  amende  très-forte  un  malheu- 
reux habitant  de  Saint-Félix,  nommé  Philippe  Dubus,  pour  avoir 


376  HISTOIRE 

relevé  des  charreltes  qu'il  avait  trouvées  versées  dans  la  voirie 
de  Saint-Félix,  sans  en  avoir  été  demander  la  permission  au  sei- 
gneur du  lieu.  C'était  une  exigence  bien  incommode,  et  les  char- 
retiers devaient  veiller  à  leurs  voitures.  Il  n'est  jamais  agréable 
de  verser;  mais  à  celte  époque,  c'était  encore  [)lus  désagréable, 
puisque  Ton  ne  pouvait  relever  ni  sa  voiture  ni  son  cheval,  sans 
avoir  obtenu,  au  préalable,  Tassentiment  du  seigneur  à  qui 
appartenait  la  voirie. 


x:iv.  —  F^lorre  IV  do  Oampclovlllo 

(1339-<340). 


Pierre  de  Gampdeville,  issu  d'une  noble  famille  du  Beauvaisis, 
qui  possédait  la  (erre  de  Gampdeville,  en  la  paroisse  de  Milly, 
était  vraisemblablement  le  frère  de  €olarl  de  Gampdeville,  sei- 
gneur de  Gampdeville  au  commencement  du  \w  siècle.  Il  ne 
gouverna  guère  l'abbaye  de  Saint-Lucien  plus  d'une  année.  Il 
mourut  le  16  septembre  13i0.  Nous  n'avons  pu  trouver  aucun 
acte  passé  sous  sa  courte  administration. 

?CX:XV.  —  Jean  IV  do  Boran  (1340  1353). 

Les  premiers  actes  de  l'administration  de  Jean  de  Boran  sont 
peu  importants;  ils  font  voir  pourtant  le  soin  qu'il  prenait  des 
affaires  de  son  monastère.  En  13 H,  pour  mettre  fin  à  plusieurs 
procès  occasionnés  par  des  arreslalions  d'hommes,  des  bois 
coupés  et  des  droits  sur  des  terres  en  litige,  entre  son  abbaye 
et  les  chevaliers  de  Saint  Jean  de  Jérusalem,  résidant  au  Bois- 
d'Ecn,  il  transige  avec  Pierre  de  Franoasiel,  leur  commandeur, 
et  fait  déterminer,  d'une  manière  précise,  les  limites  de  la  justice 
de  chaque  maison  0).  —  En  13ii,  le  chevalier  Guillaume  d'Ho- 
denc  lui  fait  don  de  tout  ce  qu'il  possédait  à  Villers  sur-Auchy. 


(1)  Arcti.  lie  roise  :  abb.  de  Saint-Lucien.  —  L'accord  porte  encore  pen< 
dant  le  sceau  de  Tahbaye  de  Saint-Lucien  avec  lo  conlrescel  de  Jean  de 
Boran. 


DE   l'ABBATB  ROYALR  DE  SAINT-LIIGIEM.  377 

—  En  1315,  Jean  de  Boran  fait  une  transaction  assez  curieuse 
avec  l'abbaye  de  Lannoy.  11  y  est  dit  que  le  procureur  de  ce 
monastère  sera  tenu  de  venir  tous  les  ans,  au  premier  jour 
d'août  ou  dans  la  huitaine,  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien  pour  de- 
mander permission  aux  religieux  de  relever  les  cbevaux  et  les 
voitures  de  son  couvent  qui  viendraient  à  verser,  pendant  l'an- 
née, sur  les  terres  dépendant  de  Saint-Lucien.  L'année  suivante, 
ledit  procureur,  avant  de  demander  une  nouvelle  permission, 
devra  afflrmer,  même  par  serment  sur  les  saints  évangiles,  le 
nombre  de  fois  que  l'accident  sera  arrivé,  et  payer  2  deniers 
pour  chaque  fois. 

L'année  1346  allait  être  marquée  par  des  faits  bien  autrement 
tristes.  Edouard  III,  roi  d'Angleterre,  venait  de  débarquer  à 
Harfleur  et  de  ravager  la  Normandie,  en  mettant  tout  à  feu  et 
à  sang.  Les  ruines  fumantes  de  Vernon ,  de  Mantes,  de  Meulan 
annonçaient  tout  ce  que  l'on  pouvait  attendre  d'un  tel  vainqueur. 
Arrêté  dans  sa  marche  sur  Paris  par  les  troupes  du  roi  de  France, 
il  se  jeta  sur  le  Beauvaisis  et  se  dirigea  sur  son  chef-lieu.  «  Si 
«  chevaucha  le  roi  avant,  dit  Froissart,  et  entra  au  pays  Beau- 
«  voisin,  ardant  et  exiliant  le  plat  pays,  ainsi  qu'il  avoit  fait 
«  en  Normandie,  et  chevaucha  tant  en  telle  manière,  qu'il  s'en 
«  vint  loger  en  une  moult  belle  et  riche  abbaye,  que  on  appelle 
«  Saint-Lucien,  et  sied  assez  près  de  la  cité  de  Beauvais.  Si  y  geul 
«  le  roi  une  nuit.  • 

Edouard  III  choisit  l'abbaye  de  Saint-Lucien  pour  y  passer  la 
nuit  du  20  au  21  août.  Le  monastère  dût  se  soumettre  à  toutes 
ses  exigences.  Le  roi  cependant  voulait  lui  épargner  bien  des 
désastres;  soit  religion,  soit  politique,  peut-être  parce  que  Saint- 
Lucien  possédait  un  riche  prieuré  en  Angleterre,  le  prieuré  de 
Wedon,  ou  parce  qu'on  y  faisait  tous  les  ans  un  service  anniver- 
saire pour  le  roi  Guillaume  et  la  reine  Mathilde,  ses  prédéces- 
seurs, il  fit  défense  d'y  commettre  aucun  dégât. 

Le  lendemain ,  Edouard  111  quitta  Saint-Lucien  et  s'en  fut  loger 
à  Milly.  Jean  de  Boran  se  réjouissait  de  ce  départ,  et  s'apprêtait 
déjà  à  remercier  le  Seigneur  d'avoir  été  ainsi  préservé  de  l'in- 
cendie et  de  la  ruine ,  quand  il  vit  les  flammes  s'élever  au-dessus 
des  bâtiments.  Les  traînards  de  l'armée  anglaise  y  avait  mis  le 
feu,  au  mépris  de  la  parole  royale,  a  Lendemain,  sitôt  qu'il 
«  (Edouard  111)  s'en  fut  parti ,  dit  encore  Froissart,  il  regarda 


37B  HISTOIM 

a  derrière  lui  et  vit  que  i'abbaye  était  tout  enflammée  :  de  ce  fbl- 
«  il  moult  courroucé  et  s'arrêta  sur  les  champs,  et  dit  que  ceux 
«  qui  avoieut  fait  cet  outrage  contre  sa  défense,  le  comparroient 
«  ctièrement,  car  le  roi  avoit  défendu  sur  la  liart  que  nul  ne 
A  viol&t  l'église,  ne  boutât  feu  en  abbaye,  ni  en  moutier.  Si  en 
H  Qt  prendre  vingt  de  ceux  qui  le  feu  y  avoient  bouté ,  et  les  fit 
«  tantôt  et  sans  délai  pendre,  afin  que  les  autres  y  prissent 
«  exemple.  » 

Le  roi  n'avait  pas  attaqué  Ja  ville,  peut-être  ne  Tavait-il  pas 
osé.  Ses  généraux,  Godefroy  d'Harcourt  et  le  comte  de  Warwich, 
furent  plus  audacieux  et  en  tentèrent  inutilement  Tassaut. -Les 
milices  bourgeoises,  commandées  par  Tévèque  Jean  de  Marigny, 
les  repoussèrent  vaillamment,  et  leur  firent  subir  de  si  grandes 
pertes  qu'ils  furent  contraints  de  se  retirer.  Voici  comment 
Froissart  le  raconte  :  «  Après  que  le  roi  d'Angleterre  se  fut  parti 
«  de  Saint- Lucien ,  il  chevaucha  avant  au  pays  de  Beauvoisin  et 
«  passa  outre  par  de  lez  la  cité  de  Deauvais,  et  n'y  voulut  point 
«  assaillir,  arrêter,  ni  assiéger;  car  il  ne  vouloit  mie  travailler 
a  ses  gens,  ni  allouer  son  artillerie  sans  raison,  et  s'en  vint  ce 
«  jour  loger  de  haute  heure,  en  une  ville  qu'on  appelle  Mllly  en 
«  Beauvoisin.  Les  deux  maréchaux  de  l'ost  passèrent  si  près  de 
«  la  cité  de  Beauvais,  qu'ils  ne  se  purent  tenir  qu'ils  n'allassent 
•(  assaillir  et  escarmouclier  à  ceux  des  barrières;  et  partirent 
«  leurs  gens  en  trois  batailles,  et  assaillirent  à  trois  portes,  et 
«  dura  cet  assaut  jusqu'à  remontée;  mais  petit  y  gagnèrent,  car 
«  la  cité  de  Beauvais  est  forte  et  bien  fermée,  et  étoit  adonc 
«  gardée  de  bonnes  gens  d'armes  et  de  bons  arbalétriers;  et  si 
tt  y  étoit  révêque  dont  la  besongne  valoit  mieux.  Quand  les  An- 
tt  glais  aperçurent  qu'ils  n'y  pouvoient  rien  conquester,  ils  s'en 
<c  partirent;  mais  ils  ardirent  tous  les  faubourgs  rez  à  rez  des 
(c  portes,  et  puis  vinrent  au  soir  là  où  le  roi  était  logé.  » 

De  Milly,  Edouard  IIl  et  ses  troupes  se  dirigèrent  vers  le  Pon- 
thleu,  parGrandvilliers,  Dargîes  et  Poix,  ravageant  tous  les  pays 
qu'ils  traversaient  et  allumant  partout  l'incendie. 

L'abbaye  de  Saiut-I^ucien  avait  éprouvé  des  pertes  considé- 
rables :  la  plus  grande  partie  de  ses  bâtiments  était  incendiée, 
plusieurs  de  ses  fermes  étaient  ruinées,  la  plupart  de  ses  tenan- 
ciers étaient  dans  l'impossibilité  de  payer  les  rentes  ou  les  rens 
qu'ils  devaient.  La  communauté  se  trouvait  ainsi  réduite!  à  la 


DB  L'âBBAYB  royale  t)B  SAIIf T-LUGIBlf .  379 

plus  grande  péhurie.  Jean  de  Boran  ne  se  laissait  pas  facilement 
abattre  par  Tadversité,  et  il  se  mit  aussitôt  à  remédier  au  désastre. 
Le  logement  de  ses  moines  étant  le  plus  pressé,  il  déploya  toute 
son  activité  pour  faire  rapidement  réparer  les  bâtiments  qui 
n'étaient  pas  complètement  détruits,  afin  de  trouver  un  abri  en 
attendant  que  des  constructions  nouvelles  pussent  s'élever.  Res- 
tait à  trouver  la  nourriture  de  cbaque  Jour,  et  ce  n'était  pas  le 
plus  facile  dans  un  pays  ravagé  par  la  guerre.  Alors  Jean  de 
Boran  fut  contraint  de  vendre  plusieurs  propriétés  de  son  mo- 
nastère pour  subvenir  aux  besoins  les  plus  pressants.  Il  com- 
mença par  aliéner  le  prieuré  de  Wédon,  en  Angleterre,  puis  il 
demanda  Tautorisalion  de  diminuer  le  personnel  de  sa  commu- 
nauté. Guillaume  Bertrand,  qui  venait  d'être  promu  au  siège  de 
Beauvais,  lui  permit,  en  1347,  de  réduire  à  trente-six  le  nombre 
de  ses  religieux,  et  le  pape  Clément  VI  ratifia  celte  diminution 
deux  ans  plus  tard. 

De  bonnes  âmes,  cependant,  venaient  à  son  aide.  L'évèque 
Jean  de  Marigny,  avant  de  quitter  son  siège  de  Beauvais  pour 
celui  de  Rouen,  lui  avait  fait  divers  dons,  tant  en  argent  qu'en 
bois,  pour  l'aider  à  reconstruire  son  monastère.  Le  seigneur  de 
Mouchy,  Philippe  de  Trie,  lui  donna,  en  1330,  tout  ce  qu'il  pos- 
sédait à  Foulangues. 

Les  préoccupations  occasionnées  par  cette  restauration  n'em- 
pècbaient  pas  Jean  de  Boran  de  veiller  à  la  sauvegarde  des  droits 
de  son  monastère ,  et  nous  le  trouvons  tran.sigeant ,  en  1249, 
avec  Martin,  abbé  de  Lannoy,  pour  conserver  à  ses  hôtes  de 
Montaubert  le  droit  de  mener  pattro  leurs  troupeaux  sur  les 
friches  qui  sont  entre  Montaubert  et  l'abbaye  de  Lannoy  (1). 

Jean  de  Boran  travaillait  encore  à  la  reconstruction  de  son 
abbaye,  quand  la  mort  l'enleva  le  21  mai  13!!l3. 

XXXVI.  —  Almei*y  F'uloant  (1353-1362). 

Le  successeur  de  Jean  de  Boran,  Aimery  Fuloant,  se  fit  bénir 
par  l'évoque  de  Beauvais  aussitôt  après  son  élection ,  et  prêta 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


380  HISTOIRE 

serment  à  l'église  de  Beauvais.  Oa  conservait  encore,  eu  1780, 
dans  le  chartrier  du  chapitre  de  Beauvais,  la  formule  de  son 
serment,  signée  de  lui. 

Le  premier  acte  passé  sous  son  administration  est  une  dona- 
tion de  deux  pièces  de  terre,  sises  entre  Thieux  et  ^Vavignies,  à 
lui  faite,  en  1353,  pour  Taider  à  réédifier  son  monastère. 

L'année  i357  vit  se  renouveler  le  cérémonial  usité  lors  de  la 
prise  de  possession  de  leur  siège  par  les  évèques  de  Beauvais. 
Philippe  d'Alençon  venait  d'être  nommé  à  révèclié  de  Beauvais 
et  devait  se  rendre  en  l'abbaye,  suivant  l'antique  tradition, 
avant  d'en  aller  prendre  possession.  C'était  de  là  qu'il  devait 
partir  pour  faire  son  entrée  solennelle  en  sa  ville  épiscopale.  Ce 
prélat  aimait  peu  le  faste  et  ne  tenait  pas  à  l'éclat.  Au  lieu  d'ar- 
river la  veille ,  comme  le  prescrivait  l'usage ,  il  fit  savoir  à  l'abbé 
qu'il  n'arriverait  que  le  jour  même  de  la  cérémonie,  afin,  disait- 
il,  d'Imiter  rimmilité  de  Jésus-Christ  et  d'être  le  moins  possible 
à  charge  à  l'abbaye,  qui  était  obligée  de  le  défrayer  pendant 
tout  ce  jour.  C'était  aimable,  de  sa  part,  pour  le  pauvre  monas- 
tère si  éprouvé.  Mais  comme  on  était  alors  d'une  singulière  dé- 
flance  les  uns  contre  les  autres ,  et  que  les  obligés  ne  manquaient 
pas  de  saisir  toutes  les  occasions  pour  se  soustraire  à  leurs  obli- 
gations ,  Philippe  d'Alençon  fit  signer  par  l'abbé  de  Saint-Lucien, 
par  Godefroy  de  Billy,  son  prieur,  Gervais  de  Fresnoy,  son  grand 
prévôt ,  Gautier  de  Sommerville,  son  trésorier,  et  Renaud  de 
Senlis,  chapelain  de  l'abbé,  une  déclaration  portant  que  les  re- 
ligieux ne  pourraient  arguer  de  son  fait  pour  reftiser  de  recevoir 
ses  successeurs,  à  l'avenir,  la  veille  de  leur  entrée  solennelle. 
Il  ne  vint  donc  au  monastère  que  le  25  mars,  au  matin,  mais  de 
si  bonne  heure,  dit  l'annaliste  de  l'abbaye  (i),  «  qu'il  surprit 
«  les  religieux,  qui  ne  purent  être  prêts  pour  le  recevoir  comme 
«  ils  devaient.  Ce  qui  fut  cause  qu'il  retourna  jusques  à  la  cha- 
«  pelle  qui  est  à  l'exlrémilé  du  cimetière  de  Nolre-Dame-du-TItll, 
«  d'où  il  vint  à  pied  avec  toute  sa  suite  jusques  à  la  porte  du 
«  monastère.  Quand  il  eut  baisé  l'autel,  l'abbé  et  sacommu- 
tt  nauté  se  mirent  à  genoux  et  lui  demandèrent  pardon  de  ce 
«  qu'ils  ne  s'étaient  point  trouvés  prêts  pour  le  recevoir,  pro- 


(1)  D.  Porcberon ,  cb.  39. 


DE   L'ABBAYK  royale  DE   SAINT-LUCIEN.  381 

u  testant  que  cela  s'était  fait  sans  dessein  et  par  la  seule  faute 
«  de  ceux  qui  étaient  obligés  de  les  avertir  de  son  approche. 
«  L'évèque  se  contenta  de  cette  satisfaction.  Quand  il  fut  sur  le 
«  point  de  partir,  Tabbé  et  quelques-uns  de  ses  religieux  vinrent 
«  le  prier  honnêtement  de  faire  serinent,  suivant  la  coutume, 
«  de  conserver  et  de  défendre  tes  droits,  libertés  et  biens  du 
»  monastère,  autant  qu'il  serait  en  son  possible.  »  Cette  requête 
surprit  le  prélat,  et  il  fit  remarquer  qu'on  ne  l'en  avait  pas 
averti  auparavant,  et  qu'il  n'avait  jamais  entendu  parler  de  cette 
obligation.  Pour  ne  froisser  personne,  il  déclara  consentir  à 
faire  ce  serment,  si  on  lui  prouvait  que  ses  prédécesseurs  l'avait 
aussi  fait,  et  l'abbé  de  demander  acte  aussitôt  de  cette  réponse. 
On  était  méticuleux  à  cette  époque,  et  notre  abbé  savait  tirer 
parti  de  toutes  les  circonstances  en  faveur  de  son  abbaye.  I/in- 
cident,  cependant,  n'eut  pas  d'autre  suite. 

De  nouveaux  malheurs  attendaient  ce  monastère.  La  Jacquerie, 
celte  sanglante  insurrection  du  peuple  des  campagnes  contre  la 
noblesse  et  les  riches  propriétaires ,  semait  le  Beauvaisis  de 
ruines  et  allait  piller,  sinon  l'abbaye,  du  moins  plusieurs  de  ses 
fermes.  Ces  dévastations,  loin  d'améliorer  la  situation  de  la 
communauté,  ne  firent  que  la  rendre  plus  précaire,  et  bientôt 
les  religieux  manquèrent  des  choses  les  plus  nécessaires  à  la  vie. 
L'abbé  était  absent.  Ses  religieux  lui  écrivirent  pour  lui  faire 
part  de  leur  pénurie ,  et  il  les  autorisa  à  vendre  les  ornements 
du  tombeau  du  cardinal  Cholet  pour  subvenir  à  leurs  besoins  (1). 
Ils  vendirent  alors  la  statue  d'argent  du  cardinal.  Il  fallait  vrai- 
ment que  la  nécessité  fut  grande  pour  en  venir  à  cette  extrémité. 
Avec  l'argent  qu'on  en  obtint,  on  put  parer  aux  premiers  besoins. 

Aimery  Fulcant  faisait  tout  ce  qui  dépendait  de  lui  pour  adou- 
cir les  maux  qui  accablaient  son  monastère.  En  1359,  nous  le 


(1)  Aymericus  miseralione  diwna  abbas  monaslerU  S.  luciani  . . .  Cwn 
nobis  scripseritis  per  vestras  liUeras  quod  tmde  slatwn  vestrwn  monas- 
terii  nostri  et  convenlus  ejusdtm,  pr opter  temdUUem  reddUwum  nostri 
monasteriiprcBdicli  et  devaslationes  bonormn  nostrorwn  et  eeckfiœnoi- 
trœ  et  pr opter  guerras  agere  et  gubemare  non  Kabetis  de  proBsenti  nisi 
fiai  vendUio  cujusdam  jocalis  argentei  in  nostrâ  eccluiâ  sUwtti,  et  ad 
eamdem  pertinenlU,  quod  vulgarUer  nuncupatur  tomba  cairdinalis  Cha» 


3S9  iii8TQiaB 

voyons  suspendra  les  poursuites  contre  les  religieux  de  Saint- 
Quentin,  qui  refusaient  de  lui  payer  une  rente  de  iO  sols  pariais, 
parce  qu'il  craignait  de  n'avoir  pas  de  quoi  subvenir  aux  frais 
du  procès,  et  il  succomba  avant  d'avoir  pu  rétablir  la  prospérité 
dans  sa  maison.  Le  chagrin  avait  abrégé  ses  jours,  et  il  mourut 
le  7  juillet  i  362. 

XXXVII.  —  cmillaixme  III  Dix  Bols 

(<  362- 1364). 

La  succession  d'Aimery  Fulcant  n'était  pas  agréable  à  recueil- 
lir; le  monastère  de  Saint- Lucien  sortait  h  peine  de  ses  ruines, 
et  ses  fmances  étaient  dans  le  plus  déplorable  état.  Ses  fermes 
étaient  dévastées,  la  plupart  de  ses  rentes  n'étaient  plus  payées, 
et  presque  partout  ses  droits  étaient  contestés.  Un  grand  nombre 
de  débiteurs  et  de  tenanciers  se  réjouissaient  de  Tincendie  qui 
avait  détruit  bien  des  titres ,  espérant  être  ainsi  libérés  de  leurs 
redevances.  Plusieurs  parvinrent,  grà^e  à  ce  désastre,  à  se  sous- 
traire aux  recherches  ;  mais  tous  n'y  réussirent  pas.  Guillaume 
Du  Bois,  en  acceptant  la  charge  d'abbé,  était  bien  résolu  à  tout 
faire  pour  remettre  son  abbaye  dans  une  situation  plus  prospère, 
et  il  commença  par  travailler  à  faire  rentrer  les  redevances  et  à 
poursuivre  les  récalcitrants;  en  même  temps,  il  fit  respecter  ses 
droits. 

Les  religieux  de  Saint-Quentin ,  profitant  du  désarroi  de  l'ad- 
ministration de  Saint-Lucien,  avaient  fait  élever  diverses  cons- 
tructions sur  le  Thérain  et  creuser  des  réservoirs  au  préjudice 
de  ses  droits.  Guillaume  Du  Bois  fit  démolir  les  unes  et  remplir 
les  autres,  aussitôt  aprè9  sa  prise  de  possession. 


ML  Signifieamus  vohU  qtkod  si  hoc  fieri  conliingat,  importuné  tolerahimus: 
vervmkLinm  arUequam  vos  «I  alii  fraêres  et  eonvmoïKichi  nostri  inctua^ 
Ubm  indigeads,  si  vobis  videatwr  expedieM,  et  oUimAè  pro  viUuaUbm 
akumtikm  poaiUii»  habere,  hoc  est  fUri  eanonice  pos^t  vewManem  e^us- 
modi,  quankwh  t»  nolris  est ,  m  patwnUd  tolerabmus  et  eidm  conieii(i- 

«MM.  In  4M^  rH JMtm  mno  Domm  k*  gcg"  v  viu  iMma  41$ 

nmgiê  éMêmkris^  ((fQHvet,  1. 1 ,  p.  m») 


DB  l'abbaye  rovalb  db  saint«lucien.  388 

La  même  abbaye  était  tenue  de  payer  iO  sols  parîsis  de  rente 
le  jour  de  l'Epiphanie ,  avec  un  certain  cérémonial ,  comme 
droit  seigneurial  pour  la  terre  sur  laquelle  elle  était  construite. 
Le  cérémonial  lui  déplaisait,  et  elle  tenta  de  s'y  soustraire,  ainsi 
qu'à  la  redevance.  Suivant  l'usage  établi ,  cette  rente  devait  être 
portée,  le  jour  de  l'Epiphanie,  par  un  religieux  en  habit  de 
chœur,  et  11  devait  entrer  pendant  le  Magnificat  des  vêpres,  faire 
sa  prière  au  milieu  du  chœur,  aller  déposer  ses  10  sols  sur  le 
maltre-autel  et  se  retirer  dans  une  stalle  basse  du  chœur  jusqu'à 
la  fin  du  Magnificat.  Gela  paraissait  humiliant  à  ces  chanoines 
réguliers,  et  ils  firent  tout  ce  qu'ils  purent  pour  s'en  exempter. 
Guillaume  Du  Bois  leur  résista  de  toutes  ses  forces ,  et  déféra 
la  cause  pardevant  la  cour  du  roi ,  qui  condamna  les  cha- 
noines de  Saint-Quentin  à  continuer  l'usage  établi,  sous  peine 
de  40  livres  d'amende.  La  sentence  mécontenta  la  communauté 
de  Saint-Quentin,  mais  il  fallut  s'y  soumettre.  Plus  tard,  ils 
essayèrent  encore  de  se  soustraire  à  cette  obligation ,  sans  être 
plus  heureux.  Les  arrêts  de  la  cour,  de  1455, 1559, 157i,  1593, 
furent  toujours  aussi  impitoyables. 

La  sentence  de  la  cour,  de  1363,  tranchait  encore  une  autre 
question  qui  entretenait  la  zizanie  entre  ces  deux  grands  établis- 
sements ,  c'était  celle  de  la  préséance  dans  les  processions  pu- 
bliques. Elle  régla  qu'à  l'avenir,  toutes  les  fois  que  les  deux 
communautés  assisteraient  aune  procession,  les  religieux  de 
Saint  Lucien  conserveraient  la  droite  et  les  chanoines  de  Saint- 
Quentin  marcheraient  au  rang  de  gauche.  L'avantage  était  encore 
à  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  et  ainsi  en  fut-il  pour  les  diverses 
autres  questions  de  moindre  importance  dont  la  cour  fut  saisie  (1). 
Les  malheurs  de  Saint-Lucien  avaient  intéressé  en  sa  faveur;  il 
ne  faisait  aussi  que  défendre  son  droit  et  ses  prérogatives. 

Ailleurs,  à  Foulangues,  Guillaume  Du  Bois  transige  avec  les 
tuteurs  de  Jean  de  Saint-Gler,  héritier  d'Aliénor  de  Trie,  au  sujet 
de  la  seigneurie  du  lieu ,  et  se  libère  de  plusieurs  redevances  en 
même  temps  qu'il  en  fait  reconnaître  d'autres  à  son  profit. 

La  mort,  qui  le  surprit  en  1304,  mit  une  borne  à  son  acti- 
vité, et  l'empêcha  de  réaliser  les  projets  qu'il  avait  conçus. 


(1)  D.  Porcheron,  eh.  40.  —  ircb.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-LuaieD. 


384  HISTOIRE 

X:XXVIII.  —  Gotlofrol  ao  EJllly  (1364-1371). 

Godefroi  de  Billy  était  prieur  de  l'abbaye,  quand  le  choix  de 
ses  frères  l'éleva  à  la  première  dignité.  Comme  ses  prédéces- 
seurs, il  s'employa  tout  entier  à  la  restauration  monumentale 
et  flnancière  de  la  maison  qui  lui  était  confiée.  Aussi  le  voit-on, 
dès  l'année  même  de  sa  promotion,  faire  passer  titre  nouvel  à 
Golard  de  Brunvillers ,  dit  Le  brun,  écuyer,  d'une  rente  de  treize 
mines  de  blé ,  sur  son  fief  de  Laverslnes  ;  obtenir  de  Pierre  de 
Milly,  chevalier,  seigneur  de  Moimont,  la  reconnaissance  de  plu- 
sieurs rentes  sur  son  fief  et  son  moulin  de  Bonnières  et  sur  sa 
terre  de  Moimont;  traiter,  l'année  suivante,  avec  Golard  de 
Mauchevalier,  au  sujet  de  deux  fours  banaux  que  leurs  gens  de 
Beaupuits  avaient  démolis  dans  un  moment  d'effervescence,  et 
faire  un  échange  avec  le  seigneur  de  Provinlieu,  qui  renonce  à 
son  droit  de  past  sur  la  terre  de  Froissy,  contre  la  dlme  d'une 
vigne  sise  à  Provinlieu,  que  lui  cède  l'abbé.  Continuant  toujours 
sa  même  œuvre,  il  fait  reconnaître,  au  ministre  de  l'Hôtel-Dieu 
de  Beauvais,  une  rente  de  12  deniers  et  d'un  chapon,  assise  sur 
une  terre  près  de  sa  grange  de  Tillé,  en  i3GG,  et  obtient  du  sei- 
gneur de  Balagny  la  cession  de  tous  ses  droits  de  justice  sur  la 
maison  de  Foulangues,  appartenant  à  son  abbaye  (1). 

En  i3G7,  il  transige  avec  l'évèque  de  Beauvais,  à  l'occasion  du 
cours  du  Thérain,  et  poursuit  pardevant  Regnault  Le  Gharon, 
lieutenant  général  du  bailli  de  Senlis,  Jean  de  Sains,  chevalier, 
seigneur  de  Galgny,  qui  refuse  de  servir  la  rente  de  dix-huit 
mines  de  blé,  de  7  deniers  obole  d'argent  et  d'un  gâteau  de  fine 
fleur  de  farine  pour  la  fête  des  Rois ,  constituée  sur  son  moulin 
de  Bonnières.  Il  fait  passer  titre  nouvel,  au  chevalier  Regnault 
Poly,  d'une  rente  d'un  muid  de  blé,  de  2  deniers,  d'une  demi- 
mine  d'avoine  et  d'un  chapoh ,  assise  sur  le  moulin  k  eau  de 
Gourcelles,  prèsBlacourt,  qu'il  avait  acheté  de  Guérard,  cheva- 
lier, seigneur  de  Lonclieu  (2).  Jean  Poly,  chevalier,  seigneur  de 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 
(9)  Ibid. 


DE    L  ABBAYE   ROYALE   DE  SAINT-LUGIEN.  385 

La  Bosse,  frère  et  héritier  de  Regnault,  Ht  une  reconnaissaDce 
de  cette  rente  en  1374. 

Le  10  février  1369,  Jean  d'Augérant,  évèque  de  Chartres,  venail 
demander  Thospitalité  à  l'abhé  de  Saint-Lucien.  Il  quittait  son 
église  pour  venir  prendre  possession  de  celle  de  Beauvais,  laissée 
vacante  par  la  démission  du  cardinal  Jean  de  Dormans.  La  fa- 
veur du  roi  lui  avait  obtenu,  d'Urbain  V,  ce  siège  plus  important 
que  le  sien,  et  la  veille  de  sa  prise  de  possession  il  venait,  sui- 
vant Tantique  tradition,  faire  sa  veillée  d'armes,  si  Ton  peut 
s'exprimer  de  la  sorte ,  au  tombeau  de  Tapôtre  martyr,  auquel 
il  allait  succéder. 

Godefroi  de  Billy  profita  des  bonnes  dispositions  dans  les- 
quelles il  le  vit,  en  cette  circonstance,  pour  lui  présenter  une 
requête  en  faveur  de  ses  vassaux  de  Villers-sur-Auchy.  Le  capi- 
taine du  chàteau-fort  de  Goulancourt  voulait  les  contraindre  à 
monter  la  garde  à  sa  forteresse,  quoiqu'ils  ne  fussent  pas  vas- 
saux de  révêque-,  mais  Jean  d'Augérant  les  déclara  exempts  de 
ce  service.  Après  cette  faveur,  on  dut  bien  augurer,  à  Saint-Lu- 
cien, de  l'épiscopat  du  nouvel  évoque. 

Godefroi  de  Billy  mourut  le  8  décembre  1371 ,  il  laissait  tout 
ce  qu'il  avait  acquis,  en  son  nom  personnel,  de  Pierre  Aubry, 
à  Villers-sur-Thèrc,  pour  la  fondation  de  deux  anniversaires. 


L.-E.  DKLADHEUE  et  MATHON. 


{A  continuer.) 


T.  VIII.  25 


]-iES  poéSIES  DE  pEAUMANOïR 


LES    SALUTS   D'AMOUR 


Plus  heureux  pour  les  poésies  légères  de  notre  auteur  que 
pour  ses  longs  romans ,  nous  pourrons  les  donner  en  entier  et 
sans  en  perdre  un  vers. 

Cette  gentille  locution,  Salut  d'amour,  désigne  une  lettre  ou 
requête  en  vers  adressée  par  un  amoureux  à  la  dame  de  ses 
pensées,  ou,  suivant  une  définition  plus  stricte  (1)  :  «  C'était  une 
pièce  qui  commençait  par  une  salutation  à  la  dame  dont  le  poète 
faisait  l'éloge.  »  On  peut  être  assuré  que  partout  où  Ton  a  su  et 
pu  écrire,  les  dames  ont  reçu  des  saints  d'amour;  mais  la  galan- 
terie du  moyen  &ge  a  spécialement  fait  usage  et  de  la  chose  et 
du  mot.  Cependant  nous  n'avons  conservé  qu'un  nombre  sin- 
gulièrement minime  de  ces  petites  poésies.  Un  critique  très- 
compétent  (!2)  les  a  recherchées  avec  soin  et  il  en  a  compté  sept 
en  langue  provençale,  douze  en  langue  d'oïl.  Disons  qu'on  en 
a  vingt  en  tout,  car  Beaumanoir,  auquel  il  n'attribue  qu'un  seul 
Salut,  nous  en  a  laissé  deux.  Mais  vingt,  c'est  à  peine  la  vingtième 
partie  de  ce  que  nous  devrions  posséder  quand  il  s'agit  d'un 
genre  de  composition  qui  fut  très-goûté  aux  xii«  et  xiip  siècles, 
et  très-répandu. 


(1)  Donnée  par  Raynouard ,  Choix  des  poésies  des  troubadours,  ii,  358. 

(2)  M.  Panl  Meyer  :  Le  Salut  d'amour  dans  les  littératures  proveiiçale 
et  française,  mémoire  suivi  de  hait  saints  inédits.  Paris ,  Franck ,  1867. 
47  pages  in-8*  ;  primitivement  para  dans  la  Bibliothèque  de  VEcole  des 
Chartes,     xxviii. 


LKS   PO^BS  Dtt  BBAUMANOnt.  387 

En  analysant  les  formes  du  genre,  on  a  distingué  jusqu'à  huit 
formes  différentes  pour  les  douze  saluts  cl-desâus  comptés  :  Tun 
est  en  vers  octo-syllabiques  à  rimes  plates  ;  l'autre  ajoute  une 
ritournelle  au  motet;  un  troisième  les  dîvJse  en  couplets;  un 
quatrième  en  strophes  de  douze  vers,  etc.  Autant  vaut  dire  que 
chaque  poète  suivait  son  inspiration  ou  sa  fentaisie,  sans  autre 
règle  que  de  s'efiFofcer  à  composer  des  vers  le  plus  agréablement 
possible,  afin  de  toucher  !e  cœur  de  celle  à  qui  s'adressait  sa 
prière. 

Le  premier  et  long  poème  d'amour  adressé  par  Beaumanof  r  à 
une  dame  que  nous  pouvons  supposer,  suivant  la  vraisemblance, 
avoir  été  l'une  des  deux  qu'il  épousa ,  est  le  plus  Important,  par 
son  étendue,  de  tous  ceux  que  Ton  connaisse  jusqu'à  ce  jour. 
Commençons  par  en  donner  l'analyse  : 

tt  Beaumanoir  dit  et  assure  que  beaux  et  sincères  discours, 
messages  d'amour,  ont  remis  en  bonne  voie  maint  amant,  l'ont 
ramené  du  mal  au  bien  et  du  deuil  à  la  joie.  L'amour,  qu'il  a 
dans  le  cœur,  lui  conseille  donc  d'adresser  un  Salut  à  celle  dont 
la  beauté  l'a  si  cruellement  frappé.  S'il  ne  l'a  vue  depuis  long- 
temps, c'est  qu'il  a  craint  de  laisser  deviner  sa  pensée  et  c'est 
pour  cela  qu'il  écrit.  Ecoutez  donc,  dit-il,  ma  douce  dame,  le 
salut  que  je  vous  envoyé  sans  penser  à  mal.  Lisez  le,  car  amour 
m'y  a  fait  mettre  comment  pour  vous  je  me  sens  attiré  en  deux 
sens  divers,  par  la  crainte  et  le  désir  (vers  45).  —  En  effet,  belle 
très-douce  aimée ,  cent  mille  fois  douce  acclamée,  Désir  me  prit 
dès  le  premier  moment  où  je  vous  aperçus.  Il  me  sembla  qu'autre 
ftfmme  jamais  ne  fut  si  belle  et  que  de  ma  peine  je  n'aurais  gué* 
rison  que  par  vous.  Amour  a  pris  mon  ccrar  en  sa  geôle  et  le 
mandat  d'incarcération  rédigé  par  Trahison  pour  me  perdre, 
c'est  vous  qui  le  tenez.  Il  est  en  dix  points  que  vous  allez  savoir 
(V.  95). 

«  L'autre  jour  je  m'en  fus  à  la  danse  et  là  je  me  pris  à  vous. 
C'est  alors  qu'Amour  me  lança,  frappant  à  travers  l'œil,  la  flèche 
qni  m'a  blessé.  Cette  flèche,  c'est  vosire  beauté  blonde,  au  corps 
blanc,  droit,  longuet,  et  vostre  visage  en  est  le  pennon.  Amour 
se  fait  aider  par  Orgueil,  Ruse  et  Trahison,  qui  me  cria  de  me 
rendre  puisque  j'avais  été  si  hardi  que  de  prendre  la  dame  par 
le  doigt  (V.  i6îî).  —  M'étant  rendu,  je  tùs  mené  devant  dame 
Amour  à  qui  je  dis  qu'un  de  ses  dards  m'avait  si  fort  blessé  que 
jamais  ne  serifs  guéri  k  moines  qu'elle  n'eut  eu  stt  eour  un  mé- 


588  LES   POÉSIES  DE    BBAUMANOIR. 

decin.  A  ce  mot  elle  se  prit  à  rire  et  me  dit  que  je  serais  jugé  se- 
lon ce  que  j'avais  méfait  à  la  belle  (v.  â03). 

tt  Donc,  bonne  Amour  mande  tous  ses  hommes  pour  composer 
sa  cour.  Ce  sont  Orgueil,  folle  Cointise,  Envie,  Félonie,  puis 
Trahison  qui  salue  tout  le  monde.  Un  messager  se  présente  au 
nom  de  Loyauté  qui  sollicite  un  délai;  Sens  ou  Sapience  est  le 
nom  de  ce  messager.  Amour  lui  propose  un  siège  à  sa  cour  (v.  306). 

tt  Mais  il  s'excuse  sur  ce  qu'il  ne  voit  pas  prendre  part  à  la  dé- 
libération les  conseillers  les  plus  nécessaires  :  Loyauté,  Débon- 
naireté,  Franchise,  et  il  se  retire.  Trahison  entame  alors  Taffaire 
en  s'écrianl  que  les  absents  n'ont  pas  droit  d'être  entendus;  à 
sa  réclamation  adhèrent  Orgueil,  Ruse,  Envie,  Félonie,  Médi- 
sance ;  et  toutes  s'en  remettent  à  Trahison  du  soin  d'obtenir 
prompt  jugement  avant  que  les  adversaires  n'ayent  le  temps  de 
se  présenter.  En  effet,  à  leur  vue,  dame  Amour  déclare  que  la 
cour  est  en  nombre  (v.  413). 

«  Il  n'y  a  plus  de  temps  à  perdre  en  paroles  oiseuses,  et  d'ail- 
leurs Loyauté  va  venir.  Trahison  demande  à  se  porter  caution 
pour  Philippe  qu'il  acceptera  la  sentence  et  se  rend  auprès  de  lui, 
dans  sa  prison.  Sur  ses  protestations  de  dévouement  et  ses  belles 
promesses,  Philippe  s'en  remet  entièrement  à  elle,  et  conduit  de- 
vant Amour,  qui  lui  demanda  s'il  acceptait  d'avance  le  jugement, 
il  répondit  en  pleurant  :  u  Oïl,  dame.  »  —  a  Commencez,  dit  alors 
Trahison,  par  livrer  votre  cœur.  »  —  a  Je  ne  l'ai  plus,  répond 
Philippe;  c'est  mon  amie  qui  l'a  pris,  et  vous  seule,  dame 
Amour,  pouvez  me  le  faire  rendre.  »  —  «  C'est  bien,  reprit  Tra- 
hison, je  vais  rédiger  les  conclusions.  »  Elle  revient  avec  un 
parchemin  au  bas  duquel  elle  exige  que  Philippe  appose  son  ca- 
chet (sa  bulle)  en  signe  de  la  promesse  qu'il  a  fait  d'obéir,  et  elle 
commence  sa  lecture  (v.  51  i)  : 

«  A  Philippe  je  déclare  qu'il  doit  à  titre  d'amende ,  pour  le 
meffait  d'avoir  pris  par  le  doigt  de  sa  belle,  à  savoir  dix  peines  : 
i»  Il  sera  emprisonné  dans  la  pensée  de  son  amour,  qui  ne  le 
quittera  plus;  S''  Chaque  jour  et  chaque  nuit  il  y  pensera  plus 
de  cinq  cent  fois  ;  3o  Sans  cesse  il  aura  devant  lui  l'idée  du  doute 
et  de  la  crainte;  i»  et  S^*  Chaque  nuit,  privé  de  sommeil,  il  veil- 
lera en  se  tordant  et  se  tordra  en  veillant;  6»  Il  n'osera  pas  se 
trouver  en  la  compagnie  de  sa  dame  ;  7"*  Il  portera  sans  cesse 
dans  son  cœur  l'image  de  sa  dame,  formée  par  sa  mémoire  comme 
celle  de  la  plus  belle  femme  qu'on  ait  jamais  sculptée;  8'  Il  sera 


LES  POJSIBS  DB    BEAUMANOIR.  389 

jaloux  ;  9«  11  tombera  sans  cesse  de  chaud  en  froid  et  de  froid 
en  chaud  ;  iO<>  Sa  dixième  et  dernière  peine  sera  dans  les  cruelles 
pensées  que  lui  suggérera  sans  cesse  Désespoir.  —  Orgueil,  Envie 
et  Médisance  font  éclater  leur  joie  (v.  G36). 

a  Philippe  eut  succombé  à  sa  consternation,  sans  un  aide  que 
Dieu  lui  envoyé  :  c'est  Loyauté  suivie  de  Débonaireté ,  Fran- 
chise, Espérance  et  autres  personnages.  A  cette  vue,  Amour 
s'incline  et  Trahison  se  dérobe,  avec  ses  compagnons,  sans 
prendre  congé.  Ils  s'en  vont  à  la  cour  de  France  où  ils  seront 
bien  reçus.  Philippe  se  jette  aux  pieds  de  ses  patrons  nouveau- 
venus»  et  le  plus  avisé  d'entre  eux,  Sapience,  adresse  à  dame 
Amour  un  discours  en  faveur  de  l'accusé,  pour  lui  obtenir  une 
diminution  de  peine  (v.  729). 

«  Sapience  et  ses  amis  concluent  en  s'agenouillant,  les  mains 
jointes.  Dame  Amour  répond  qu'on  ne  peut  revenir  sur  la  sen- 
tence puisqu'elle  est  prononcée,  mais  qu'elle  veut  bien  entendre 
ce  qu'on  pourra  dire  pour  en  alléger  Texécution.  Loyauté ,  s'é- 
tant  un  moment  retirée  à  part  pour  se  consulter  avec  les  siens, 
revient  devant  le  tribunal  et  dit  que  comme  il  faut  toujours  prê- 
ter obéissance  au  droit,  le  condamné  devra  subir  toutes  les 
peines  portées  contre  lui.  Seulement  elle  demande  qu'aux  maux 
'  qui  le  frappent  un  terme  soit  posé;  et  que  ce  terme,  ce  soit  celui 
qu'indiquera  sa  bien-aimée  lorsqu'elle  voudra  bien ,  au  lieu  de 
peines,  lui  donner  les  joies  souveraines  (v.  827).  •» 

Et  le  poète,  profitant  avec  adresse  de  ce  que  la  parole  est  à 
Loyauté,  Espérance  et  Débonaireté ,  leur  met  dans  la  bouche  des 
conseils  à  l'adresse  de  sa  dame  pour  la  disposer  à  la  clémence; 
Amour  aussi  s'engage  à  la  prier  pour  lui,  et  lui  permet,  en  at- 
tendant ,  de  séjourner  à  sa  cour  pour  y  faire  sa  pénitence  (v.  917). 
Pitié,  Jolieté  lui  promettent  aussi  leurs  bons  offices;  et  Doux 
Espoir,  par  dessus  tous ,  le  reconforte.  L'auteur  reprend  alors 
la  parole  pour  exposer  à  la  dame  qu'il  est  donc  tout  à  fait  en 
son  pouvoir  (v.  1007)  et  pour  lui  adresser  une  instante  prière 
qu'il  termine  ainsi  :  «  Belle  et  bonne  et  sage,  vous  avez  mon 
cœur  et  j'attendrai  votre  vouloir.  » 

Beaumanoir  écrivait  au  moment  où  la  galanterie  chevaleresque 
était  en  pleine  floraison  dans  la  France  du  Nord.  C'était  le  règne 
de  la  recherche  et  de  l'afféterie,  dans  la  conception  comme  dans 
l'expression.  Pour  quelques  tours  heureux  ou  d'une  airoanle  vi- 
vacité, que  de  lourdeurs,  de  platitudes,  que  de  pénibles  scènes 


390  LB8  P0I81IS  D«  BKAUMAlfOlB, 

dand  l'allégorie  perpétuelle  et  la  perBonnification  de  tous  les 
seDliments;  que  dlnflupportables  concetU,  à  Timitation  de  cette 
triste  pièce  de  vers  du  même  temps  :  «  Qui  le  mieux  sa  chair 
encharne,  admire  comme  mort  décharné,  »  que  nous  avons  citée 
plus  iiaut  (t.  Yiii,  p.  83).  C'est  dans  le  même  esprit  grossier,  con- 
sistant h  jouer  avec  les  mots,  que  Beaumanoir  ose,  dès  le  début 
(V.  7i),  dire  à  sa  belle  :  «  Qu'il  n'a  de  penser  nul  loisir,  —  que 
tout  ce  qu'il  perue  et  chaque  jour  veut  penser^  —  et  en  pensant 
veut  appenser,  —  c'est  comme  il  la  pourra  servir  (l).  » 

Du  moins  y  a-t-il,  À  défaut  d'esprit,  un  eiercice  utile  pour 
nous,  comme  il  fut  pour  lui,  dans  le  soin  qu'il  a  souvent  pris 
de  former  sa  rime  en  employant  justement  le  même  mot  deux 
fois  de  suite,  mais  chaque  fois  dans  un  sens  différent  (â).  Mal- 
heureusement, il  lui  arrive  plus  aisément  encore  d'employer  le 
môme  mot  pour  deux  rimes  consécutives,  exactement  dans  le 
même  sens  (3). 

Mais  le  caractère  principal  du  grand  Salut  d'amour  de  Beau- 
manoir c'est  d'être  sorti  du  cercle  d'idées  de  la  Baxoche  et  d'en 
porter  une  forte  empreinte.  Ce  poème  est  bien  l'œuvre  d'un  clerc 
ou  ancien  clerc  du  Parlement,  assez  jeune  pour  être  encore  très- 
sensible  aux  émotions  professionnelles,  et  n'imaginant  rien  de 
plus  propre  à  se  hausser  aux  yeux  de  sa  dame  que  de  lui  raconter 
les  gloires  de  son  métier.  H  l'introduit  dans  les  coulisses  d'un 
tribunal,  d'une  vraie  cour  d'amour,  et  lui  oflre  une  représenta- 
tion des  cérémonies  judiciaires.  L'amour,  avec  la  procédure  pour 
mise  en  scène,  tel  est  le  point  de  vue  de  notre  artiste  (i);  telles 
sont  la  grâce,  la  gaieté  du  xiii°  siècle.  Ce  serait  beaucoup  dire  que 
de  faire  valoir  l'utilité  de  cette  composition  pour  l'intelligence 
des  formes  judiciaires  du  temps.  Les  traits  qui  dominent  et  res- 
sortent  dans  ce  badinage  sérieux ,  ce  sont  un  respect  très-délicat 


(1)  Voy.  encore  vers  566-574. 

(2)  Voy.  vers  1-2,  17-18,  21-22.  23-2  i,  67-58,  67*08,  87-^,  elc. 

î3)  Voy.  vers  35-36,  es  86,  etc. 

(4)  Non  pas  que  ce  point  de  vue  lui  soit  particulier.  Le  plus  populaire 
des  romans  du  Moyen  Age ,  Renart,  est  composé  en  partie  do  scènes  de 
droit.  Voy.  dans  le  Romvart  de  Kcller,  p.  188,  la  série  :  «  Complainte  de 
l'amant  faite  par  Pitié ,  son  advocat.  »  —  «  Les  défen  $s  de  Naiet)oucti6  et 


LES   POESIES  DE    DEAUMANOIR.  391 

pour  la  femme,  du  moins  pour  la  grande  dame,  une  naïve  et 
profonde  admiration  des  préceptes  et  des  formes  du  droit,  enfm 
un  détail  particulier  relatif  à  la  vie  de  Beaumanoir.  Lorsque  son 
ennemie,  Trahison,  s'éloigne  accompagnée  d'Envie,  Médisance 
et  autres  acolytes  pareils,  on  a  remarqué  sans  doute  en  quels 
lieux  il  les  adresse  :  à  la  cour  de  France.  Ce  n'est  pas  une  simple 
allusion,  une  boutade;  c'est  un  petit  plaidoyer  en  douze  vers  : 
«  Et  si  l'on  veut  m'en  croire,  je  saurai  bien  dire  où  ils  sont  allés, 
lis  ne  se  sont  point  arrêtés  qu'ils  ne  fussent  à  la  cour  de  France. 
C'est  là  qu'il  leur  plaît  séjourner,  que  tout  le  monde  les  aime, 
qu'on  les  nomme  seigneur  et  cher  ami:  n'était  ma  crainte  du 
Roi ,  j'en  dirais  bien  d'autres  sur  celte  matière!  »  Ce  dépit  nulle- 
ment déguisé  contre  la  cour,  soit  dans  les  dernières  années  de 
la  vie  de  saint  Louis,  soit  au  commencement  du  règne  de  Phi- 
lippe-le-Hardi,  nous  apprend  que  Beaumanoir  avait  éprouvé 
des  mécomptes.  11  est  probable  que  quand  il  accepta,  vers  1278, 
le  très-modeste  bailliage  de  la  seigneurie  de  NanteuiMe-Haudouin 
(voy.  t.  VII,  p.  82  n.  i  et  88),  ce  n'était  qu'après  avoir  vu  sombrer 
les  espérances  plus  hautes,  qu'il  avait  conçues  lorsqu'il  suivait 
comme  clerc  ou  à  quelque  autre  titre  les  audiences  du  Parlement 
de  Paris. 

Dans  le  manuscrit  de  Beaumanoir,  son  grand  Salut  d'amour 
est  immédiatement  suivi  par  une  pièce  du  même  genre  qu'il  a 
intitulée  Confplainte  d'amour.  Ces  deux  titres,  Complainte  et 
Salut,  se  prenaient  presque  IndifTéremment  l'un  pour  l'autre 
chez  nos  vieux  poètes.  Sur  les  huit  Saints  que  M.  Paul  Meyer  a 
publiés,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  il  y  en  a  cinq  por- 
tant les  deux  titres  à  la  fois.  La  Complainte  de  Beaumanoir  se 
trouvera  donc  à  sa  place  en  venant  ici,  comme  dans  le  manus- 
crit, après  le  Salut.  Peut-être  est-elle  adressée  à  la  même  dame, 
et  elle  est  la  même  aussi  quant  à  Tintérêt  qu'elle  peut  nous  of- 
frir aujourd'hui.  On  y  remarque  seulement  un  style  plus  vif, 
parce  qu'il  est  plus  dialogué. 

Après  le  grand  Salut  et  la  Complainte,  nous  donnons  un  autre 
Salut  d'amour  qui  se  trouve  tout  au  bout  de  la  partie  du  manus- 


de  Danger,  proposées  par  Chagrin,  leur  advocat,  »  etc.  La  multiplicité  des 
cours  féodales  et  des  jugements  par  jurés  avaient  rendu  le  Moyen  Age  beau- 
coup plus  familier  que  nous  ne  le  sommes  avec  les  pratiques  judiciaires. 


392 


LES   POÉSIKS  DE    BRAUMANOIH. 


crit  7609*  consacrée  aux  œuvres  fie  Beaumanoir.  Peut-être  est-il 
achevé,  mais  il  ne  nous  sem!)le  pas  qu'il  le  soit.  Le  texte  lui-même 
n'offre  aucune  garantie  à  ce  sujet,  et  la  dernière  strophe  de  la 
pièce  arrive  à  la  fin  de  la  page,  au  bas  de  la  seconde  colonne,  sans 
être  close,  comme  le  sont  les  pièces  qui  précèdent,  par  le  mot 
Explicit.  Mnsi  nous  avons  malheureusement  perdu  les  dernières 
pages  de  la  copie  qu'on  avait  faite  des  œuvres  du  bailli  de  Cler- 
mont  et  nous  n'avons  pas  même  le  dernier  mot  de  son  copiste. 
Nous  terminons  ce  groupe  par  une  dernière  petite  pièce  ga- 
lante de  notre  auteur,  que  nous  avons  cru  pouvoir  intituler  : 
Lai  d* Amour, 


SALUT    D'AMOUR. 


Phelippes  de  blaa  manoir  dit 
Et  tiemoigne  que  biaa  voir  dit, 
Qui  sont  par  amours  envoiié . 
Ont  maint  vrai  amant  ravoiié 
De  mal  en  bien ,  de  duel  en  joie  ; 
Et  pour  ce  me  semont  et  proie 
Amours  qui  m'est  u  cuer  fremée  (l) 
Sans  estre  jamais  deffremée  (2), 
Et  ensengnc  que  saius  mant  (:|! 
A  celé  qui  si  duremant 
Me  navra  par  son  biau  maintieng. 
He,  las  !  trop  longuement  me  ticng 
De  vous  veoir,  très  douce  dame  ; 
Mais  c'est  pour  çou  (foi  que  doi  m'âme) 
Qu'on  ne  perçoive  mon  pensé. 
Pour  çou  m'a  mes  cuers  apensé 
Que  je  vous  mant  une  partie 
De  la  grieté  (4)  qui  m'est  partie. 
19  A  tant  orrés ,  ma  dame  douce , 


Çou  qui  me  destraint  et  atouce. 
Tant  de  salus,  com  ilns  amis. 
Puet  mander  celé  ou  il  a  mis 
Son  cuer,  son  cors  et  son  penser. 
Vous  mans  salus  sans  mal  penser, 
Et  si  vous  pri  que  vous  lisiés 
Mon  salu  ;  ne  le  despisiés  , 
Çou  que  vous  verres  en  la  lettre. 
Car  fine  amours  m'i  a  fait  mètre 
Comment  je  sui  pour  vous  deslrains. 
Comment  de  toutes  (5)  sui  eslrains, 
Comment  de  désir  sui  laciés. 
Pc  CCS  deux  est  entrelaciés 
Mes  cucrs,  et  en  trop  grant  contraire, 
Bien  me  peust  mes  désirs  plaire 
Se  doute  me  laissast  en  pais. 
Par  doute  ai  mal  par  desu  pais. 
Par  ces  deux  (6)  sui  en  tel  bataille 
Qu'i  jamais  jour  ne  prendra  faille. 
Se  vous  sur  vous  ne  le  prenés. 


39 


y\)  Formata,  —  (i)  Deformaia.  —  (:Vi  Mandem.  —  (4)  Cliagriii,  gravitas.  —  (5)  Sic; 
mais  il  faut  :  de  doutes.  Le  doute  (c'est-à-dire  la  crainte;  et  le  désir  sont  les  deux 
sentiments  dont  son  cœur  est  «  entrelnc*'».  »  -—  (0)  Lo  copiste  a  écrit  detat  en  double. 


SALUT    D  AMOUR. 


393 


Si .  vous  pri  que  vous  aprcncs 
Du  granl  descort  pour  la  pais  faire  ; 
Si  ouverrés  corn  deboinaire 
Et  comme  plaine  de  bonté. 
Des  or  mais  vous  sera  conté 
Comment  doute  et  désir  m'assalient 
46  Qui  jour  et  nuit  si  me  travaillent. 

A  tant,  bêle  très  douce  amée, 
Cent  mille  fois  douce  clamée, 
Vous  dirai  dont  vint  11  désirs 
Qui  soutilment  me  vint  saisir. 
Un  jour,  jetai  vers  vous  mes  iex , 
Si  me  sambla,  si  m'ait  diex  ! 
Et  samble  encore ,  que  si  bêle 
Ne  fu  ains  dame  ne  pucele. 
Apres  regardai  vo  maintien, 
Dont  trop  a  deceu  me  tien 
Quant  tous  jours  veoir  ne  le  puis, 
Qu'en  lui  veoir  troeve  on  le  puis  (l) 
Plain  de  très  douce  compaignie. 
Ce  que  g'i  vi ,  je  n'en  dout  mie , 
M'a  mis  mon  cuer  en  tel  désir 
Qu'il  ne  se  puet  dessaisir 
De  désirer  que  vos  acors 
Fast  tex^  que  de  cuer  et  de  cors 
Foissiés  m'amie  bonement  ; 
Car  je  sui  vostres  bonement. 
Tex  desiriers  si  fort  me  point 
Que  de  garison  ni  truis  point 
Se  par  vous  n'est.  Vous  estes  celé 
Dont  m'est  venue  l'estincele 
De  doute,  qui  el  cuer  dedens 
M'est  en  touspoins  caudeet  ardans; 
En  tel  point  m'a  mis  nuit  et  jour 
Que  de  penser  n'ai  nul  séjour. 
75  Tous  pe]is,  tous  jours  voel  penser 


Et  en  pensant  moi  apenser 
Comment  je  vous  porai  servir 
Pour  vostre  bon  gré  desservir. 
Mais  ne  puis  trouver  nule  voie 
Par  coi  le  bien  fait  avoir  doie 
Que  mes  fols  cuers  aime  et  convoite. 
Par  outrecuiderie  esploite 
Hescuers,  com  d'amours  desTOiiés. 
Comment  seroit  il  ravoiiés 
Quant  des  le  jour  que  je  vous  vi 
Amours ,  par  ses  ars ,  le  ravi 
Et  le  mena  dedens  sa  cartre  (*2;? 
Là,  li  flst  Tra'jsons  la  cartre  (3) 
Où  il  a  tant  de  dyvers  poins. 
Douce  dame ,  il  m'est  grant  besoins 
Que  vous,  qui  la  cartre  (4)  gardes , 
Piteusement  i  regardés  ; 
S'en  ostés,  pour  moi  alégier 
Dix  poins  qui  ne  sont  pas  léger  (5). 
Trestous  dix  nommer  les  vous  voel 
Car  du  plus  petit  trop  me  duel. 
Et  si  vous  conterai  comment 
Je  fui  assaillis  cruelment 
D'Amours  qui  en  flst  grant  effors  ; 
Gomment  je  ne  fui  pas  si  fors 
Qui  de  pais  faire  court  me  tînt  ; 
Et  le  meismes  flst  le  lettre 
U  tant  de  crualté  vaut  mettre 
Qu'il  n'est  nus  qui  le  peust  dire , 
Ne  clers  qui  le  séust  descrire. 
Ma  besolgne  mis  desseur  lui  ; 
Mais  tant  me  flst  que  a  nului 
Ne  me  lo  de  çou  que  le  flst , 
Car  a  son  plaisir  me  deflist. 
Tel  lettre  me  flst  créanter 
Dont  je  ne  me  puis  pas  vanter 
De  bien ,  se  je  ne  voel  mentir, 


112 


{1}  Podium;  l's  est  pour  la  rime.—  (i)  in  careere.  —  (3  et  4  charlula.  — 
(5;  Le  copiste  à  qui  est  dû  le  manuscrit  7609»  n'avait  pas  lu  ce  dernier  mot  et 
l'avait  laissé  en  blanc;  il  est  écrit  après  coup  d'une  autre  main,  presque  contem- 
poraine, 


394 


SALUT  D'AMOUB. 


Mes  maintes  gens  dolear  sentir. 
Et  si  sacbiés,  dame ,  sans  doute 
Tenir  m'estaet  la  lettre  toute 
Tele  comme  ele  me  fn  escrite. 
Dame  atant  vous  sera  descrite 
La  lettre  et  la  dure  bataille 
119  G'amours  me  flst  sans  deffiaille. 

Saciés ,  bêle  très  douce  amée 
Cent  mile  fois  douce  clamée  : 
L'autrier  jouer  aies  estole 
Aussi  com  je  faire  soloie , 
A  la  carote  entre  la  gent. 
A  vous  me  pris,  bêle  au  corps  gentî 
Bien  sal  c'Amours  en  eut  despit , 
Car  bien  trestout  sans  lonc  respil 
M'élança ,  dont  je  trop  me  duel . 
D'une  flece  d'amours  par  l'uel. 
Li  fers  de  celé  flece  ataint 
Mon  cuer,  dont  durement  se  plaint. 
La  flece  si  est  comparée 
Yostre  biauté  blonde,  acesmée  (li, 
Car  tout  aussi  comme  la  flece 
Est  sans  neu ,  sans  groisse  et  sans  teche 
De  blanc  bos  o  miu  délié , 
Trestout  aussi  regardai  go 
Vostrecors,  bêle,  tout  adroit 
Longtiet  et  délié  et  droit  ; 
Ll  empenons  (2)  c'est  voslrc  cliief. 
Car  par  lui  fu ,  bien  le  saciés , 
Ll  cos  en  mon  cueur  avisés  ; 
Or  vous  ressera  devises. 
Li  fers  acérés  et  trencbans 
145  Me  vint  ferir  en  décevant. 


Yostres  regars  (mus  je  me  vant 

Que  mais  tel  n'esgardal,  ni  el  (3)  mil.) 

Enflambés  estolt  d'une  ardour 

Qui  m'esprit  le  cueur  an  férir 

Atant  ne  se  vant  plus  tenir 

Amours  ;  ains  m'envoia  Orguel 

Et  Cointise ,  dont  trop  me  duel. 

Cil  dui  de  toutes  pars  me  prisent , 

Assés  de  cruex  tors  me  flsent. 

A  tant  estes  tous  sur  cbe  fet 

Traïsons,  qui  trop  set  de  gualt, 

N'en  seut  mot  devant  quel  vint 

Quant  cascuns  de  ces  iij  me  tint 

Avoec  le  dur  cop  de  la  flèche 

Miex  sai  tenus  que  bues  a  treche. 

c  Ren  toi,  tantost!  »  flst  Traïsons 

De  par  Amours  le  te  disons. 

Va  11  crier  merci  du  tort 

Que  fet  il  as,  cruex  et  fort, 

Qui  celé  de  la  court  presis 

Par  le  doit ,  n'ains  ne  11  fesis 

Service  dont  ele  se  lot. 

Je  cuit  tu  faisoies  le  sot. 

Ren  toi  a  lui  sans  delaiier. 

Ne  ne  te  caille  d*esmalier  (4)  ; 

Vers  lui  feras  legiere  amende 

Nus  ne  s'I  rent  qu'il  nen  amende.  »    172 

A  tant  bêle  très  douce  amée 

Cent  mile  fois  douce  clamée , 

VI  bien  que  la  force  n'ert  pas 

Mole  (f)).  Si  dis ,  isnel  le  pas  : 

«  Biau  signeur,  a  Amours  me  rent. 

Trop  arole  cueur  mesesrant  (6}        178 


(1)  Aiêtimata,  cidexiêtimata.  On  trouve  aetmer;  en  provençal  adetmar,  ageêmar. 
—  (-3)  Pcnon,  penne,  permis.  —  [li)  Ni  lui  nul  autre.  —  (4)  Nec  non  te  caleat  exmar^ 
eeâcere,  no  te  laisse  pas  lang\iir,  ou  exmaceseert,  appauvrir.  En  Dorry,  émeger  (Dietz). 
C'est  chercher  loin  que  voir  l'origine  do  ce  verbe  dans  l'ancion-haut-allemand 
amàhjan  l'schw.echcn ,  beunnihigon).  Cf.  elBrayer,  exfrige»eere.  Nous  avons  déjà  parlé 
(le  ce  mot  :  Manekhw,  v.  laoo.  —  (j-  is'nn  erat  mea.  —  (6)  Minut  errantem  :  hors  de  voie. 


SALUT    D'AMOVI. 


3M 


e  ne  TOlois  des  ilenB  estfB 
Paisqae  on  amende  en  son  estre. 
SI  craexment  en  sul  espris. 
Je  ne  pais  mix  ;  se  me  renc  pris.  » 
Dont  fal  menés  devant  Amora 
En  an  Jardin  joncbié  de  floars 
Le  trouvâmes  faisant  capel 
Dame  veschi  le  damoisei , 
Fait  Orgex,  que  noas  pris  avon. 
La  raison  que  nous  i  avons 
Est  11)  poar  cou  Icii  prist  par  le  doit 
^  Chele  qui  le  los  avoir  doit 
De  celés  de  vostre  couvent. 
Quant  J'entendi  qn'Orguex  me  vent, 
Si  dis  a  Amours  :  «  Bele  dame, 
Jen'i  pensai  nui  ma  (3),  par  m'ame. 
A  vostre  voioir  me  mes  chi  ; 
Si  vous  pri ,  jointes  mains,  merci 
Un  de  vos  dars  m'a  si  navré 
Que  jamais  garlson  n'auré 
S'en  vostre  courtne  trais  .j.  mire.  » 
A  ce  mot  prist  Amours  a  rire 
Et  me  dist  que  se  je  voloie 
Jugement  en  sa  court  auroie; 
Seré  (3/  juglés  selonc  le  fait 
Que  j'avoie  a  la  bele  fait. 
Tout  maintenant  sans  nul  reprendre 
M'otroiai  au  jugement  prendre-, 
Moncuer  (n'i  peut  mètre  autre  gage) 
Moi  convint  laissier  en  ostage , 
Que  je  penroie  en  sa  court  droit 
[Et  ele  pour  tant  (4)  me  tendroit] 
En  sa  plus  fort  prison  jurée. 
Gelé  prison  a  non  :  Pensée. 
Li  chârtriers  de  celé  prison 
A  non  :  Espoirs  ;  ce  vous  dison. 
S'il  ne  fust,  je  parfuisse  mors  ; 
216  Car  moût  m'a  doné  de  confors. 


A  tant  bele  très  douce  amée 

Cent  mile  fois  douce  clamée 

Boiie  amours  tous  ses  bommes  mande 

Nus  des  mauvais  ne  contremande 

Mais  cil  qui  moût  aidié  m'eussent 

A  men  besoing  se  venu  fuissent 

Et  nepourquant  H  bon  m'aidierent 

Mais  .1.  seul  petit  trop  targierent 

A  tant  orrés  qui  vint  premiers 

Qui  seeons  et  ki  derreniers 

Et  si  orrés ,  ma  dame  chière , 

Briement  de  cascun  la  manière. 

Premiers  i  est  Orgex  venus 

Qui  si  est  enflés  devenus 

Quant  mescuers  en  amours  s'cslieve 

Que  par  .1.  petit  quil  ne  crieve. 

Honis  soit  il  car  sa  coustume 

Est  trop  vilaine  et  trop  enfrune  (5). 

Avoec  U  vint  foie  Cointise 

Qui  en  son  malisce  l'atise. 

Tant  qaident  entr'aus  ij  valoir 

Que  d'autrui  ne  leur  quiert  caloir. 

Apres  vint  damoisele  Envie 

Et  sa  cousine  Félonie. 

Cil  eurent  les  cuers  très  félons  ; 

Pis  valent  ne  ûst  Guenelons  (6). 

Pour  peu  ne  se  vont  affronter 

Quant  leur  voisins  voient  monter 

En  signourie  n'en  bautece. 

Eles  béent  sens  et  prouece 

Sur  cascun  aiment  mescaance  ; 

En  des  n'ait  ja  nus  ilancc. 

Après  revint  a  court  mesdis  ; 

Ne  créés  pas ,  dame ,  ses  dis  ; 

Car  qui,  souvent,  les  ot  et  croit 

Sans  raison  maint  bomme  me8ci*oit. 

Si  est  sa  lange  envenimée  253 


(l)  Le  manuscrit  porte  Bt.  —  (S)  Nul  mal?  —  (8)  Seroio.  —  (4)  Vers  qui  manque  ; 
noua  lo  suppléons  par  conjecture.  —  (5)  infrunUa ,  insenséo.  ^  (0)  Gancion ,  le 
traître  dos  chansons  de  geste. 


396 


SALUT   D  AMOUR. 


Qu'ele  ocist  tout  a  la  volée; 
Par  li  devienent  li  ami 
Sans  raison  souvent  anemi. 
On  ne  li  flst  mie  le  souri; 
Orgex  et  Envie  li  sourt  (l). 
Cascuns  d'aus  forment  (2)  le  conjoie 
L'un  mauvais  fait  a  l'autre  joie. 
Après  est  Traïsons  venue 
Qui  l'un  après  l'autre  salue 
A  cascun  fait  si  bel  samblant 
Qu'eie  va  tous  lour  cuers  enblant 
Par  son  samblant  moût  de  bien  mostre 
Mais  de  mal  a  le  cuer  avoustre  (3). 
Mais  nus  connoistre  ne  le  peut 
368  Devant  que  comparer- le  sceut. 

A  tant  bêle  très  douce  amée 
Cent  mille  fois  douce  clamée 
Estes  vous  venu  .i.  message 
Devant  tout  le  félon  bamage. 
Devant  amours  s'ajenoilla 
Et  dist  :  «  Dame ,  grand  tovoili  (4)  a 
Loiautés,  s'assés  tost  ne  vient 
Une  besoigne  le  détient 
Que  il  a  pour  bien  faire  emprise 
Si  ne  voiroit  en  nule  gulso 
QUe  de  vous  fust  a  droit  blasmés. 
Se  vous  sa  compaignie  amés 
Atendés  le  ;  tantost  venra 
Et  avoeques  lui  amenra 
Tex  gens  qui  de  vous  leur  flx  tienent; 
Si  sage  sont  que  bien  avienent 
En  vostre  court  quant  il  î  sont. 
Or  vous  nomerai  qui  il  sont  : 
Ce  est  Pitiés  etLoialtés, 
Franchise  et  Deboinairetés 
289  Et  Espérance  la  courtoise 


Qui  en  tous  ses  anuis  s'envoise. 
Li  droit  qui  sont  fait  par  tel  gent 
Sont  a  tenir  et  bel  et  gent. 


292 


A  tant  bêle  très  douce  amée 

Gent  mille  fois  douce  clamée , 

Entendi  Amours  le  message  ; 

Moût  le  vit  bel  courtois  et  sage. 

Maintenant  de  jenous  le  liève 

Et  li  prie,  s'il  ne  li  griève, 

Son  non  il  die.  Et  il  respont  : 

«  Dame,  cil  qui  bien  le  desponl  (5) 

M'apelent  Sens  ou  Sapiance 

En  moi  ont,  mainte  gent,  (lance 

Loialtés  m'est  bien  près  cousine 

Je  sai  le  plus  de  son  couvine  (6).  » 

~«  Certes,  fait  Amours,  bien  pensoie 

G'autrefois ,  veu  vous  avoie. 

Or  demourés ,  car  je  vous  prie 

Que  vous  soiiés  de  ma  maisnie.  » 

—  «  Dame,  respont  Sens,  non  ferai; 

Ja  de  vostre  court  ne  serai 

Devant  que  mi  ami  venront 

Qui  moût  de  bien  apenront. 

Se  vous  créés  le  droit  conseil 

D'endroit  moi  pour  vous,  vous  conseil 

Que  vous  del  tout  le  voelliés  croire; 

Et  cex  que  je  cbi  voi  mescroire 

Je  n'i  voi  fors  mes  anemis. 

Deable  en  i  ont  tant  mis  ! 

Je  ne  voi  ame  en  vostre  court 

Qui  assés  ne  sage  de  hourt  ; 

Envie  bas  Orguel  ressoing  ; 

De  leur  compaignie  n'ai  soing. 

A  Diu  ;  ne  voel  plus  demourer. 

Ne  ûnerai  de  labourer 

Devant  que  venra  Loialtés,  3?5 


(1)  Surdum  et  iubridet.  —  (3)  Forli  mente,  —  (3)  Avoultro?  Advulnerattu.  — 
(4)  ?  Turbor,  turbula,  turbella  (capitul.  Car.  C);  Tourbel.  —  (5)  (/ui  (k  illo  apon- 
dent,  qui  le  cautionnent.  —  (6;  Do  son  état.  Convenientia?  Voy.  La  Manekine, 
V    1?8»,   I26tî 


SALUT   D'AMOUH. 


597 


Franchise ,  Deboinairetés 
Et  tant  de  vos  homes  loiaus 
Car  ci  ne  Roi  fors  desioiaas  ; 
Ja  par  aas  n'aurés  bon  jugié. 
Je  m'en  vois  a  vostre  congié. 
Qae  dirai-ge  chiaus  qui  chi  vienent 
Qui  en  vostre  hommage  se  tienent?  » 

—  «  Vous  leur  dires»  che  dist  Amor 
Qu'il  viegnent  ;  s'orront  la  clamor 
Que  je  voel  sur  Phelippe  faire. 
Puis  n^'aideront  a  lui  droit  faire. 
De  haster  les  ne  vous  dolôs. 
Aies  vous  ens  quand  vous  volés. 
Hout  vous  amaisse  (i)  a  retenir 
Mais  je  n'en  puis  a  chief  venir 
De  vous  consieurre  m'esteura 

342  Tant  c'aut  rement  estre  pora.  » 

A  tant  bêle  très  douce  amée 
Cent  mille  fois  douce  clamée, 
S'en  parti  ;  que  ains  a  Envie 
N'a  Orguel  n'a  sa  compaignie 
N'a  Traïson  congié  ne  prisl. 
A  son  cemin  tost  se  roprist. 
Hais  .i.  petit  de  U  vous  lais; 
De  chiaus  dirai  qui  ou  paies 
D'Amours  ja  assamblé  estoient. 
Le  contremant  oï  avoient 
Dont  de  duel  furent  aengié 
A  conseil  se  sont  arrengié  ; 
Première  parla  Traïsons. 
«  Segneur,  dist-il,  se  ne  faisons 
Que  cil  jugemens  par  nous  voist 
Maintenant  tant  que  il  voua  loist 
Et  nous  atendons  Loialté 
N'ert  pas  a  nostre  volenté  !  » 

—  «  Disons  Amours  que  ceste  cose 
,  ;362  Doit  bien  par  nous  estre  desclose. 


Dist  Orgeuls ,  dont  ainsi  le  voel. 
Tex  jens  atendre  pas  ne  voel 
Dehais  hait  ki  les  atendra 
Et  qui  vengance  n'en  prendra.  » 

—  «  De  ce  chetif  malettrex 
Qui  en  tel  lieu  est  amourex 
Dist  Cointise ,  je  m'i  acors  ; 

Du  tout  au  dit  d'Orguel  m'acors.  » 

—  Et  dist  Envie  :  «  Par  mes  ex  ! 
Se  j'en  sul  creue ,  ses  deus 
Croistra  ançois  qu'il  amenuise  ; 
Pescier  deust  a  la  menuise 
Non  pas  a  si  grosse  lamproie 
Certes  se  il  est  qui  m'encroie.  > 

—  «  U  s'est  en  tel  pièce  embatus 
0  il  sera  griement  batus, 

Dist  Felonnie  ;  mais  s'amende 
Soit  tele  que  tantost  le  pende 
D'endroit  moi;  voel  qu'il  soit  desfais 
Ou  que  de  travail  ait  tel  fais 
Que  mais  ne  s'en  voie  délivre  *. 
Pesée  li  soit  a  grant  livre 
Mort  ou  grant  paine  si  et  le  (S)  lie 
Ne  autrement  nel  voel  je  mie.  » 

—  c  Avons  m'acort,  respontMesdis; 
Se  vous  volés  croire  mes  dis, 
Paine  ne  li  est  pas  cheûe  ; 

Je  sai  toute  sa  convenue. 

Il  est  mauvais  et  surcuidiés  rsj, 

De  tous  biens  est  ses  cuers  vuidiés  ; 

Il  est  tex  que  11  ne  doit  estre 

Vers  Amours  ne  compains  ne  mestre.  » 

—  «  Or  m'ententés ,  fait  Traïson  ; 
Metés  sur  moi  ceste  raison 

Si  le  saurai  dèsui  corder 

Que  je  le  ferai  acorder 

A  quanques  je  vaurrai  traitier; 

Plus  ne  nous  convenra  gaitier         400 


(1)  Àma$9em,  —  (d)  Le  mss.  parait  porter  tiek  lie*  — >  (3)  Svrcvidiét,  surfait  :  outre- 
cuidant. 


SALUT   BAMOUft. 


De  Loialtû  no  de  Franoise 
Car  je  rendrai  ançoU  ma  mise 
Qa'ii  soient  a  court  venu.  »  ^ 
A  ce  conseil  se  sont  te&u; 
Sur  Tralson  ot  mis  l'affaire 
106  Qui  moQt  ot  le  cuer  de  malaire. 

  tant  bêle  très  douce  amée 
Cent  mille  fols  douce  clamée, 
Sont  venu  a  Amours  ensamble. 
«  Dame,  ditTralsons,  mol  samble 
Kt  a  ma  compaignie  tonte , 
Qui  vous  lioimenre  et  aime  et  doute, 
Que  (1)  pour  rendre  tel  jugement 
«  Ne  convient  atendre  grannient  » 

—  «  Pour  faire  le,  sommes  assés,  » 
Respont  Amours.  cYous,  vous  lassés 
De  dire  boiseuse  (2),  car  j'atant 
Loialté  qui  cbl  vient  bâtant.  » 
Dame  Traïsons  li  respont  : 

«  Et  qui  poroii  faire  le  pont 
Vers  Plielippe  le  prlsonier, 
Que  11  se  vausist  obligier 
Et  mètre  sur  moi  haut  et  bas , 
ia  ne  le  desvolrés  vous  pas 
Se  il  le  vent  dessar  moi  meire  ; 
De  duel  n'en  devés  pas  remetre 
Car  si  le  mettrai  entrepiés  (:)) 
Que  del  tout  ert  dessous  vos  plés.  » 

—  Amours  respont  :  «  Li  grans  a  faites 
Est  siens,  ne  ce  ne  me  nuist  gaires 
De  tant  comme  a  moi  pnei  monter 
He  voel  ie  bien  vers  vous  conter.  » 

—  Traïsons  respont  :  c  Et  je  vois 
434  Lui  querre  ;  cl  ert  a  me  (4)  vois.  » 

A  tant  l[>ele  ires  douce  amée 
Cent  mille  fols  douce  damée , 


vint  a  mol  parler  Tralson. 
Si  me  trouva  en  la  prison. 
Tant  jentilment  me  salua 
Et  de  tant  biaus  mox  m'englua 
Et  si  me  monstra  biau  sanlant 
Qu'avis  me  fut .  a  mon  sanlant , 
Qn'ele  m'amast  plus  que  riens  née  (ô) . 
Mont,  ce  me  dist,  s'estoit  penée 
Vers  Amours  pour  ma  pals  cachier  ; 
Car  moût  veut  mont  bien  (6)  pourcacier, 
Ce  dlst.  et  mont  est  mes  amis  ; 
Mais  que  sur  II  me  soie  mis 
Et  du  jugement  me  déport. 
Tant  me  pramlst  bien  et  de  port 
Que  mes  espoirs  qui  me  gardolt 
De  son  fel  cuer  ne  se  gardolt 
Andal  famés  si  dur  feos 
Que  je  11  dis  con  durs  feus  : 
Sur  vous  me  mes  ;  do  moi  pensés 
Comment  soie  de  mort  tensés 
Mais  comment  que  je  puis  m'esjole. 
A  ce  mot  eut  Traïsons  joie.  458 

A  tant  bêle  très  douce  amée 
Cent  mille  fois  douce  clamée , 
Me  flst  mener  devant  Amours 
Qui  de  moi  flst  ses  grans  clameurs. 

—  «  Dame,  dist  Traïsons,  merci 
Par  çou  qu'a  mesfaict  ;  vés  le  chi 
Il  est  sur  moi  de  ce  mesfait 
Que  vers  vous  et  vers  celé  a  fait 
Qui  pooir  a  en  vostre  court. 

A  mon  voloir  le  tenrès  court.  » 

—  c  Phelippe  en  est  cou  vous  acors 
Seur  vostre  cuer,  sur  vostre  cors , 
De  tenir  çou  que  vaurrai  dire.  »  — 
Il  respondi ,  pleurant,  sans  ire  : 

«  OU ,  dame.  De  vo  voloir  47a 


(1}  Le  mss.  porte  Et  pour.  —  ('i)  otioia.  —  (:3)  irUerpeditut,  empêché.  —  (4)  Le 
ms8.  porte  anêooit.  —  (S)  Fha  qtnm  re$  qwitntit09it,  —  (e^Caasser,  poorehasser, 
obtenir.  Mont  pour  mon  bien;  faute  de  copiste. 


SALUT   D  AMOUB. 


399 


Faire ,  moi  ne  quic  pas  doloir.  » 

—  «  Amours  respoûdi  bonement  : 
Et  je  le  revoel  enaemeot.  » 

—  «  Phelippe  je  voel  en  ostage , 
Dlst  Tralsons ,  sans  autre  gage 
Vostre  coer,  Amours  le  livrés  ; 
Après  si  serés  délivrés  »  ~ 

Je  respondi  :  «  Je  ne  l'ai  mie  ; 
Celé  que  convoite  a  amie 
Ja  dès  l'autre  an  que  je  la  vi 
Par  son  donc  regart  le  ravi; 
Ne  dou  ravoir  noient  ne  sai 
Se  par  vostre  dit  ne  le  r'ai.  » 

—  «  C'est  assés ,  ce  dist  TraKsons 
Or  est  des  ore  mais  saisons 

Que  je  voise  la  lettre  escrire 
De  tel  dit  com  je  voirai  dire.  » 
A  tant  de  nous  se  départi. 
A  peu  li  cuers  ne  me  parti. 
La  ou  il  est  secres  ala. 
Quant  vi  que  consiiller  sala 
A  Orguel  et  a  Feionnle 
Et  a  Hesdit  et  a  Envie , 
Adont  eut  de  moi  grant  peur. 
Tant  atendl  en  tel  (reOr 
Qu'ele  revint  et  en  sa  main 
Un  parkemin  de  leltre  plain  ; 
•Puis  dist  :  «  Vois  ci  mon  dit  escrlt. 
Phelippe ,  tout  quant  qu'il  descrist 
Tendres.  Ainsi  vous  rent  mainisc 
Quant  vostre  bulle  i  sera  mise 
Entendant  vous  (erai  la  lettre 
Que  je  pour  mon  dit  i  vols  mettre. 
La  bulle  c'ert  vostre  obligance 
Que  d'amors  tenrés  la  voellance. 
Volés  vous  çou  que  je  vous  ruis  ?  » 
--  Je  dis  Oil,  car  el  ne  puis. 
Ha  foi  en  prist ,  puis  list  la  leltre 
512  0  restoutes  qu'ele  i  (Ist  mettre  ; 


Ele  commence  et  on  se  teut. 

Dame,  or  orrés  qu'en  la  lettre  eut.  514 

A  tant  bêle  très  douce  amée 

Cent  mille  fois  douce  clamée, 

La  lettre  a  lire  commença 

Qui  en  main  torment  me  lança. 

Ele  fu  du  dire  (i)  manière. 

Si  commence  en  ceste  manière  : 

«  Phelippes  de  Biaumanoir  mande 

Qu'il  doit  amours  en  non  d'amende, 

Pour  le  meffait  que  il  mefflst 

Quant  la  bêle  par  le  doit  prist, 

Dix  paines.  Chascune  ert  nommée  : 

La  première  est  qu'en  (2)  grant  pensée 

Tenra  prison  et  nuit  et  jour 

Sans  avoir  repos  ne  séjour  ; 

Et  la  seconde  pafne  après 

Il  souiTerra  si  près  a  près 

Qu'il  ne  passera  jour  ne  nuit 

Qu'il  n'en  face  v  cens  et  viij. 

Après  sera  la  tierce  peine 

Que  vij  jours  chascune  semaine 

Aura  devant  lui  une  goûte 

Que  on  apele  très  grant  doute  ; 

Celé  doute  ert  de  meskaance 

Dont  il  aura  tous  jours  dontance. 

La  quarte  paine  ert  de  viilier, 

La  cuinquisme  d'estendililer  : 

Ces  ij  paines ,  cascune  nuit 

Aura,  comment  qu'il  li  anuit 

En  soi  estendant  viliera 

Et  en  viilant  s'eslendera. 

La  siste  paine  sera  grans 

Car  en  tous  poins  sera  engrans 

D'estre  en  la  compaignie  a  celé 

Pour  cui  cis  maus  li  renouvelé. 

Et  s'il  1  est  par  aventure 

Il  esprendra  de  tel  nature  550 


(1)  De  dure?  —  [*2)  Le  copiste  a  mis  quant. 


400 


SALUT   D  AMOUR. 


Que  riens  n'estaint  fors  grès  d'amie  ; 
Qui  tel  mai  a  santé  n'a  inu\ 
La  septime  paine  devis  : 
C'est  que  la  biauté  que  devis 
Et  son  maintien  et  sa  manière 
Soit  près  de  11  u  bien  arrière 
Aura  en  soi  en  liu  d'ymage 
D'ymagenier  lors  le  fas  sage 
Si  ert  en  son  cuer  enformée 
Sa  forme  que  ja  defformée 
Ne  sera  ;  ains  en  fourmera 
En  son  cuer  celé  k'i  fourme  a 
En  soi  de  la  plus  bêle  feme 
Qui  onques  fast  fourmée  en  fourme. 
Har,  vis  sa  fourme  fourmiant  (1), 
Souvent  s'en  ira  fourmiant. 
Or  redirai  la  paine  witisme  : 
Pour  lui  plus  confondre  en  abisme, 
Yoel  qu'il  soit  jalous  si  forment 
Que  tous  jours  en  soit  en  tourment. 
Tous  jours  quidera  en  son  cuer 
Qu'el  aint  autrui  (2),  et  lui  get  puer. 
Por  çou  ne  saura  il  que  dire 
Ce  li  courra  jouer  et  rire 
Co  le  fera  plourer  et  plaindre 
Ce  le  fera  en  dolour  maindre. 
La  noevime  paine  dirai  : 
A  ce  cop  le  mal  baillirai 
Car  par  froit  kiera  de  chaut  (8) 
Tantost  après  de  chaut  en  caut 
Retrembtera  par  grand  câline 
Ce  ne  li  sera  pas  mecine 
De  tost  venir  a  garison 
Ains  U  sera  grant  marison 
Ce  le  fera  taindre  et  oaiir 
Et  de  grant  grieté  tressalir. 
La  disime ,  la  derreniere 
588  Li  ert  de  crueuse  manière 


Car  désespérance  la  maie 

Qui  en  maint  cuer  grieté  enmafe 

Nuit  et  jor  le  desvoiera , 

Mainte  fois  le  desvoiera 

En  lui  ramembrant  sa  folie 

Qu'il  fist  par  sa  mélancolie  ; 

Quant  tele  amie  convoita 

Par  mélancolie  esploita. 

Mais  ceste  delTera  sen  conte 

Celé  dira  a  vous  que  monte 

De  convoitier  si  haute  cose 

Qui  de  tel  douceur  est  enclose. 

Trop  cangeroit  son  or  en  cendre 

S'ete  voloil  si  bas  descendre 

Qu'ele  te  daignast  amer. 

A  droit  te  pues  caitif  clamer 

Que  ja  ton  desirier  n'auras 

Pour  lui  con  fox  tant  ce  nauras  -, 

Or  laime  bien ,  que  ja  desserte 

N'en  prendras;  mais  mainte  grant  perte. 

A  tant  t'ai  les  pâmes  nommées 

Que  a  tenir  as  créantées  ; 

Mar  l'acointas ,  mar  la  véis 

Et  mar  par  la  main  le  préis, 

Des  or  m'en  tais  ;  or  tien  ta  voie 

Paiié  t'ai  ce  que  te  dévoie.  624 

A  tant  bêle  très  douce  amée 

Cent  mille  fois  douce  clamée , 

S'est  Tralsons  du  dit  téue. 

Moût  fu  de  grant  joie  esmeue 

Orgeus  et  Envie  et  Mesdis 

Quant  il  ont  entendu  ses  dis. 

«  Or  prengne  !  fait  cascuns.  Or  pregue. 

Une  autre  fois  une  n'en  prengne. 

Tel  fais ,  Se  de  cestui  escape , 

Bien  U  avons  taillié  cape; 

Car  par  nos  consans  tel  cape  a        635 


(1)  Mas  fculuij  visa  ejw  forma  formidante.  sospius  evadet  formidatuio.  —  (3)  Quod 
Ula  amet  alterum.  —  (3)  Par  la  froideur  de  sa  belle  il  tombera  en  fiè\Te  chaude , 
puis  après  en  défiance ,  ou  il  tremblera  de  nouveau. 


SALUT   D  AMOUR. 


401 


Dont ,  ce  cuidons ,  nuà  D'escapa.  » 
En  che  point  ne  fai  paè  a  aise 
Qoant  je  vi  que  de  ma  mesaise 
Rioient  cele  maie  gent  ; 
N'en  eac  pas  le  caer  alegant 
Hais  fui  tristres  et  esbabis 
Car  bien  vi  que  je  fui  traïs  ; 
Et  a  tous  jours  mais  trais  fuisse 
Se  je  secours  eu  n'eusse. 
Mais  Dix,  qui  trop  bet  traïson, 
Ne  vaut  souffrir  que  sa  reson 
Fust  tenue  de  cbief  en  cbief 
Qu'alegies  ne  fuisse  du  grief; 
Si  m'envoia  pour  mon  secours 
Loiallé  qui  i  vint ,  le  cours. 
Avoec  li ,  vint  si  beie  route 
Que  la  cours  en  resclarci  toute 
Lui  sisime  de  son  iinage. 
Trouvèrent  Amors  seur  Terbage  ; 
Si  le  saluèrent  tout  sis. 
Ce  n'a  mie  a  Amours  delis  ; 
Liement  leur  salu  leur  rant  ; 
Lès  li ,  les  Ûst  seoir  esrant  ; 
La  grant  joie  qu'ele  leur  fait 
A  mis  Traison  en  debait. 
Orgex.et  Mesdis  et  Envie 
N'ont  de  leur  compaignie  envie. 
Par  le  conseil  de  Traïson 
Qui  au  cuer  eut  grant  marison 
S'estrent  parti  sans  congié  prendre, 
Et  qui  a  moi  vaurrolt  entendre 
Je  li  diroie  ou  il  alèrent  : 
Sacent  tnit  que  il  ne  ûnèrent 
Se  vinrent  en  la  court  de  France. 
Lueques  ont  fait  lor  arrestance , 
Iluec  lor  piaist  a  demourer, 
Iluec  font  lor  bueus  savourer. 
Li  pins  de  la  cort  tant  les  aiment 
674  Signeur  et  compaignons  les  claiment, 


Et  se  il)  jou  le  roi  ne  doutaisse 
De  ceste  matere  parlaisse. 
Mais  n'en  dirai  ceste  fois  plus , 
Mes  cuers  le  me  met  en  refus 
Et  çou,  que  je  ne  voel  mesdire; 
Ains  revenrai  a  ma  matire 
Pour  l'amour  cele  a  qui  m'atens 
De  joie  avoir  a  tout  mon  tens. 


68$ 


A  tant  beie  très  douce  amée 
Cent  mille  fois  douce  clamée, 
Quant  j'en  vi  aler  cele  gent 
Il  me  fu  moût  bel  et  moût  gent, 
Et  si  me  remist  en  confort 
Qu'Amours  les  conjol  si  fort  ; 
Si  m'apensai  que  mon  besoing 
Leur  conteroie  et  mon  ressoing. 
La  ou  j'esgardai  Loialté 
Franchise  et  Deboinaireté, 
Sens  (2)  et  pitié  et  espérance. 
M'ajenoiilai  sans  arrestance 
De  plourer  ne  me  peu  tenir 
Exlermoians  me  pleut  venir 
Le  cuer  de  gries  souspirs  noirci 
Leur  vois  a  tous  crier  merci 
Men  grief  leur  conte  et  mon  anui 
Trop  vous  conteroit  a  anui 
Se  je  recordoie  les  plaintes 
Dont  je  Ûs  a  aus  les  complaintes. 
Toute  la  cbartre  leur  dit  ai 
Tele  com  cbl  devant  dite  ai  (3). 
Loialté  moult  s'esmervilla  ; 
Deboinaireté  consiila 
Que  Traïsons  m'avoit  traï. 
—  oc  A!  dist  Franchise,  ay!  ay! 
Traïson  ja  ne  seras  lasse 
De  muer  haute  cose  en  basse 
Pitiés  qui  de  mon  mebaing  pleure 
Et  dist  honnie  soit  cele  heure         7L2 


(1)  Le  copiste  a  ml»  fe.  —  (-2)  Je  sentis.  —  (3;  Le  copiste  a  mis  dit  a, 

T»  vin.  26 


402 


SALUT  UAMOUM. 


Quo  tex  jena  8on(  a  court  roial 
Oui  tous  tans  sont  si  de$ioial.  » 

—  «  T^isies  vous,  dist  Sens  a  Pitié; 
S' Amours  veut  croire  mon  ditié 

Il  metra  en  son  mal  mecine.  » 
— «  Cascuns  max  doit  avoir  termine, 
Dist  Espérance  ;  ne  s'esmaie  (i), 
Car  on  garist  bien  de  tel  plaie 
Et  s' Amours  pleust,  il  en  garra 
Et  nostre  aide  il  parra.  » 

—  «  Prions  Amors  cel  don  iidoigne 
Qui  assooage  sa  besoigne , 
Respont  cascuns  *,  je  m'I  acort.  » 
Adont  par  leur  quemun  acort 

Ont  mise  seur  sens  leur  parole 
728  Que  bel  et  sagemens  parole. 

A  tant  bêle  ires  douce  amée 
Cent  mille  fois  douce  clamée , 
Vint  devant  Amors  Sapience. 
Moût  bel  sa  parole  commence. 
Au  premier  mot  dist  :  «  Douce  dame 
Foi  que  doi  Diu  et  Nostre  Dame 
Je  vous  voel  tiemoignier  et  dire  : 
La  pleur  (2)  gent  de  vostre  empire 
Ont  decea  vostre  honmie  lige 
Dont ,  de  par  Loialté  vous  di-ge 
Et  de  par  tous  ses  compaignons, 
Que  de  som  mal  tout  nous  plaingnons 
Et  moût  seroit  grant  courtoisie 
Se  li  estoik  araenuisie 
La  paine  dont  morir  l'esluet 
S'ayde  valoir  ne  Lui  puet , 
Car  en  la  grieté  n'a  nul  terme 
Et  ou  poroit  il  tante  larme 
Comme  plourer  li  convenroit 
Nus  en  soi  ne  les  compenroit. 
Bien  savés  qaex  gens  l'ont  jugié. 
750  Tost  s'en  alereat  sans  conglé 


Quant  çaieui)  nous  virent  enlrer 

Car  dedens  aus  ne  puet  entrer 

Plus  de  malisse  qu'il  i  a. 

Bien  pert  a  çou  que  cis  chl  a 

Qui  pour  vous  servir  et  amer 

Se  puet  tante  fois  las  clamer. 

Qui  jugié  l'eust  par  raison 

Il  n'eust  eu  voslre  maison 

Nului  plus  de  vous  honoré 

Car  tout  vostre  bon  savouré 

Sont  en  lui  de  tele  atemprance 

Qu'il  n'en  peut  avoir  repentance. 

Si  vous  prions  vostre  merci 

G'ançois  qu'il  se  parte  de  chi 

Li  voeliiés  donner  tel  déport 

Dont  il  plus  legierement  port 

La  paine  que  li  est  cargie. 

Si  ferés  bien  et  courtoisie. 

Nous  vous  eu  prions  jointes  mains. 

Puis  s'agenoillent  qui  ains  ains.       770 

A  tant  bêle  très  douce  amée 

Cent  mille  fois  douce  clamée, 

Amours  de  genillons  les  iiève 

Et  dist  que  durement  li  griève 

Ce  qu'il  ont  a  Jendus  esté. 

«  Hais  çou  c'avés  manifesté, 

En  moi  priant  a  vous  ensamble, 

Responderai  çou  qu'il  m'en  samble. 

Je  croi  bien  selonc  son  mesfalt 

Ne  li  eust  pas  drois  ce  fait; 

Hais  trop  s'esprist  d'ardant  tison 

Quant  il  se  mist  sur  Tralson. 

S'en  est  enpensés  plus  dyvers 

Que  n'est  a  esté  11  yvers  ; 

Carpour  m'onneur  comment  qu'il  aille 

Voel  qu'il  tiegne  le  dit  sans  f&iile  (3). 

Hais  sauve  la  mise  tenue , 

Qui  porroit  sa  discoArenae  788 


iw^wuim 


(I)  voy.  \u  3«4.  0,  4.  —  (i)  P^or,  —  (8)  Fallatia, 


SALUT  D  AMOUR. 


403 


Âlegier,  biaus  vous  en  seroit 
Et  pour  voslre  bel  me  plairoit  ; 
Et  en  vous  tous»  a  assés  sens 
Si  me  devises  en  quel  sens 
Il  pora  avoir  alegance 
Sans  faire  autrut  tort  ne  grevance  ; 
Sur  LoiaUé  du  tout  me  met 
796  Car  par  li  nus  bien  ne  remet.  » 

A  tant  bêle  très  douce  amée 
Cent  mille  fols  douce  clamée. 
A  cesie  parole  s'apondent. 
Tuit  ensanle  si  11  respondent  : 
«  Dame,  de  çou  pas  ne  nous  poise. 
Vous  respondés  oomme  courtoise 
Et  eoœme  plaine  de  bonté  ; 
Or  vous  sera  briement  conté 
Debomalremenl  et  sans  ire 
Ce  que  Loialtés  voira  dire.  » 
A  conseit  sont  aie  atant 
Puis  s'en  sont  revenu  bâtant. 
Tost  fu  Loialtés  consillié 
Car  ele  est  sage  et  ensignié 
Bt  It  sages  tost  se  conseille 
De  çou  dont  los  (l)  se  despareille. 
Loiautéfl  son  dit  commença 
A  (2;  nul  des  autres  ne  tencha. 
«  Or  m'entendes ,  dist  il ,  Amour  : 
J'ai  entendue  la  clamour 
Que  PheHppes  II  esbahis 
Noos  fait  de  çou  qu'il  est  traïs. 
Hais  comment  qu'il  en  ait  contraire, 
Pour  çouc'on  doit  tous  Jors  droit  faire 
Il  teora  ledit  Tralson , 
Ja  son  ce  pour  pau  de  raison. 
Mais  en  ces  max  métrai  .j.  terme 
Dont  il  plourera  (3)  mainte  lerme 
825  Pour  désirer  l'eure  et  le  jour 


Qu'il  puist  de  paine  estre  assejour(4). 
Li  termes  ert  quant  plaira  cete 
Pour  qui  li  max  11  renouvelé 
Qu'ele  il  pulst  en  heu  des  pain  es 
Donner  des  joies  les  souvraines 
Et  abatre  tous  les  dix  poins  (5) 
Qui  sont  ou  dit  Traïson  polns  (6)  ; 
Car  drols  est  quant  pour  li  fu  pris  f7) 
Que  seur  li  soit  trestous  li  pris  (8) 
De  son  mal  et  de  sa  santé  ; 
SI  en  face  sa  volenté. 
Apres ,  pour  li  réconforter 
Je  voel  a  pitié  en  orter 
Que  plus  tost  qu'ele  pora  face 
Qu'il  ait  de  sa  dame  la  grâce, 
Et  que  souvent  li  amonneste 
La  grant  grieté  que  11  a  faite 
Se  riens  li  puet  avoir  mestier 
Tant  est  pitié  de  doue  mestier 
Que  par  le  conseil  de  Franchise 
Saura  par  tens  en  quele  guise 
On  pora  celé  convertir 
Que  son  amant  voelle  vertir 
De  s'amour  que  il  tant  convoite. 
Or  i  Dictent  tout  leur  emploite 
Si  que  par  defaute  ne  mulre  ; 
Et  en  dedens  pour  lui  déduire 
Yoel  que  ma  cousine  Espérance 
Le  confort  de  sa  mesestance  ; 
Hout  est  s'aide  douce  et  fort. 
Bien  li  saura  donner  confort  ; 
Pour  son  bien  avoec  lui  se  tiegne 
Et  en  boin  espoir  le  maintiegne. 
Hout  est  s'aide  aventureuse 
Et  vers  mains  amans  éureuse. 
Après ,  pri  Deboinaireté  , 
Qui  si  est  plaine  d'onesté , 
Qu'ele  soit  tous  jors  en  s'aide 


863 


(1)  Le  copiste  a  mis  8ot.  —  (S)  Le  copiste  :  À  nul.  —  (3)  Le  copiste  :  ploura.  — 
(4)  Àssecuritut,  cuiecurus?  —  (5)  iHtncta.  —  (6)  Ptmgentia.  —  (1)  /»rcA«f^m»  •— 
(8)  Pretium. 


404 


SALUT   d'amour. 


Car  honnis  est  s'il  n'a  aide. 
Apres ,  je  commans  a  Phelippe 
Ne  face  pas  de  courons  iipe 
Se  sa  desirance  il  large. 
Ponr  lai  assonagier  11  cai:ge 
Qu'il  soit  envoisiés  (l)  et  jolis , 
Mignos  et  cointes  et  polis , 
Sans  vilenie  et  sans  orguel  ; 
De  chiaus  11  defTens  jou  l'acuel 
Et  il  sour  tous  les  doit  haïr, 
Car  il  l'ont  aidiet  a  traïr. 
Gart  qu'en  U  n'ait  nule  tençons 
Ainçois  truist  ditiés  et  cançons; 
Et  tele  soit  tondis  sa  trueye , 
Se  la  dame  ses  dis  esprueve , 
Que  par  droit  ne  l'en  puist  reprendre 
Mais  s'i  alumer  et  esprendre. 
D*amours  k'ele  li  soit  amie. 
Le  trouver  ne  li  desfens  mie. 
Avanciô  se  sont  maint  amant 
De  biau  trouver  pour  son  amant  ; 
Car  ja  soit  çou  que  femme  n'aimt 
Quant  ete  set  c'on  ne  se  faint 
Et  c'on  trueve  ditiés  pour  li , 
Ne  puet  que  ne  pense  a  cell 
Qui  pour  li  sueflfire  si  grant  solng  ; 
Et  quant  ele  sait  son  besoing  ; 
Plus  tost  a  amer  l'entreprent 
Pour  les  biaus  dis  dont  ele  esprent. 
Apres  pour  çou  que  je  m'apens 
Que  riens  ne  vaurroit  ses  apens , 
Ne  que  ja  ne  venroit  a  chief 
De  son  anui  ne  de  son  grief. 
Si  celé  ne  savoit  son  estre 
Pour  qui  amour  il  Testuet  estre, 
Je  voel  qu'il  11  envoit  en  rime 
Pour  qui  amours  grletés  le  lime 
En  li  saluant  li  envoit  ; 
90d  Car  s'ele  son  grief  ne  savoit 


Doner  ne  H  sauroit  santé , 

Mais  s'ele  savoit  s'orfentô 

Plus  grant  poolr  ara  pitié 

De  li  priier  que  s'amitié 

Doinst  celui  qui  est  ses  amis 

Et  qui  en  lui  amer  a  mis , 

Et  cuer  et  cors  sans  repentir  ; 

Quel  grief  qu'il  l'en  estuet  sentir. 

A  tant  m'en  tais.  Dit  ai  comment 

Donné  li  ai  alegeroent 

De  son  anui ,  de  son  mehaing. 

Or  ne  tiengne  mie  a  desdaing 

Ce  que  j'ai  dit,  car  ses  malages 

Garlra  par  çou  s'il  e«t  sages. 

Or  voist  la  besoigne  caehier. 

Fox  est  qui  ne  veut  pourcachier 

A  avoir  grant  repos  pour  laste 

Teus  jens  sont  qui  n'ont  poing  ne  paste 

Qui  fussent  et  aaisé  et  riche 

Ne  fust  folle  qui  les  triche. 

Pour  11  le  di  maintenant  a 

Par  Traïson  qui  le  tenta 

Par  nous  et  soûlas  et  confors 

S'il  lesqulert  com preus  et comfors.  »  936 

A  tant  beie  très  douce  amée 

Cent  mille  fois  douce  clamée. 

Quant  Amours  et  sa  compaignie 

Orent  entendu  et  oie 

Le  grant  conseil  de  Lolaité, 

U  leur  vint  moût  a  volenté  ; 

Et  mol  ce  vous  puis  je  bien  dire 

Fui  plus  sonés  de  mon  martirè. 

Adonques ,  me  dist  bone  amour  : 

«  Blaus  dous  amis,  vostre  clamour 

Mousterrës  celé  qui  poissance 

A  d'alegler  vostre  grevance. 

Je  melsmes  l'en  prierai 

Et  par  maintes  fols  U  dirai  940 


(1)  invitabHfi9US?J,  attrayant. 


SALUT  D  AMOUR. 


405 


Qa'aotrai  de  yoqs  pour  bien  amer 
Ne  devra  son  ami  clamer. 
Or  soiiés  sages  et  serves 
Tant  que  son  bon  gré  desserves.  » 
Je  respondi  :  «  Il  n'i  ot  el. 
Yolentiers  dame  et  vostre  ostel 
Vous  requier,  car  ]'i  voei  manoir 
Tant  avés  delitex  manoir. 
Se  j'ai  de  vous  ceste  pitance 
MIx  soufferrai  ma  penitance.  » 
Amours  tantost  le  m'otria  ; 
Et  Pitiés  moût  pour  mol  pria 
Jolieté  et  Esperancbe 
Que  il  me  faisoient  aïdance. 
Il  respondirent  :  Yolentiers, 
Mais  or  en  voist,  qu'il  est  mestiers, 
A  la  bêle  et  savoir  11  face 
Quel  grief  le  tient,  quel  mal  le  lace, 
Et  puis  prierons  nuit  et  jour 
Sans  estre  a  repos  n'a  séjour 
De  gries  max  garisse  celui 
Qui  de  cuer  i'aime  plus  que  lui 
Et  endementlers  si  serons 
Avoec  lui  et  si  il  ferons 
Par  le  conseil  Joliete 
D'une  grant  part  sa  volenté.  » 
Ainsi  fui  d'Amours  simplement 
Retenus  deboinairement 
Moi  et  ma  compaignie  toute. 
Mais  dous  Espoirs  qui  riens  ne  doute 
Dessus  tous  autres  me  conforte 
Par  quoi  plus  legierement  porte 
Mes  cuers  le  dit  de  Traïson 
Ne  pourquant  grief  m'est  la  prison 
Si  est  tans  que  garison  quiere 
Et  que  je  il  face  proiière 
Qu'ele  piteusement  regart 
078  Les  max  dont  sui  a  son  esgart. 


A  tant  bêle  très  douce  amée 

Cent  mille  fois  douce  clamée. 

Empris  a  rimer  ce  salu 

Par  qai  tante  fois  vous  salu. 

Tantes  fleurs  sont ,  seront  et  furent 

Et  tantes  goûtes  d'yauwe  plurent 

Puis  que  Dix  vaut  crier  le  monde, 

Tant  poisson  noant(D  et  tante  onde 

Sont  en  douce  iauwe  et  en  mer, 

Tant  sousplr  sont  fait  pour  amer, 

Tantes  grietés  d'amors  souffertes 

Et  tantes  joies  a  ouliertes  (2), 

Tant  capiau  fait,  tantes  paroles, 

Tantes  cançons ,  tantes  caroles, 

Tant  ver,  tant  motet ,  tant  ditlé 

Et  t^mt  dy vers  cuer  afaitlé , 

Tant  soullas  et  tante  plaisance 

.Peut  estre  quant  amors  s'élance 

Si ,  d'un  point  qu'ele  soit  onnie 

En  cuer  d'ami ,  en  cuer  d'amie. 

Tante  fols  je  vous  fais  savoir 

Ce  qu'il  m'estuet  pour  vous  avoir 

Et  tante  fols  vous  fas  prilère 

Que  vous  voelliës,  ma  dame  cière. 

Mon  salut  oXr  et  entendre 

Et  la  cbartre  esgarder  et  prendre 

Qui  pour  moi  laidir  fu  ditée. 

Et  quant  vous  l'aurés  récitée 

Recordée  et  prouvée  a  vraie , 

Rien  saurés  que  vostre  manaie; 

Fui  et  serai,  de  mort,  de  vie. 

Mais  pour  çou  que  n'allés  envie 

Que  je  muire  sans  guerredon, 

Vous  requier  je  d'amors  le  don 

Et  pri  cent  mille  fois  merci 

De  tout  ce  que  vous  vaurriés  faire. 

Car,  douce  dame  deboinaire , 

Se  vous  mes  maus  volés  soufTrir     1016 


(1)  Natanteê,  —  (3)  A  ouvertes? 


406 


SAtllT   D  AMOUR. 


Daskes  a  mort  nie  voel  offrir  (l) 
Et  ne  pour  quant  en  seureté 
D'Espoir  et  de  JoUeté 
De  Lolalté  et  de  Franchise 
Qui  m'ont  grant  aïde  pramise 
Et  de  Pitié  qui  m'asseure 
Tieng  et  tenrai  m'envoiseure  ; 
Si  vous  pri  que  les  voelliés  croire 
1035  Ne  mes  dis  ne  voeiiiés  mescroire. 

A  tant  bêle  très  douce  amée 
Cent  mille  fois  douce  clamée  ; 
Courtoise  et  sage ,  pure  et  fine , 
Phelippes  son  salu  deffine 
En  vous  priant  c'a  bonne  fin 
Li  traiiés  ses  tourmens  à  fin  ; 
Par  si  que  ja  ne  finera 
De  vous  servir;  ains  finera 
Qu'en  son  cuer  puist  i'amour  finer 
1035  Qu'il  a  pour  vous  faite  aflner. 


Or  le  tenéa  a  fin  amant 

Si  que  dusque  a  sa  un  amant 

A  fin  sans  un  le  poés  mettre 

De  joie.  Atant  defln  la  lettre 

Que  jou  a  garder  vous  envoi  ; 

Or  gardés  c'on  ne  die  a  voi 

D'outrage  que  vous  me  faobiés 

Et  quant  vous  plaira  s'effachiés 

Les  X  points  qui  si  me  destraignent 

Qui  de  moi  laidir  ne  se  faignent. 

Et  i'atendral  joliement 

Dus]('a  vostre  commandement, 

En  chantant  :  «  Beie  et  bone  et  sage. 

Mon  cuer  avés  en  yretage. 

Si  j'atendrai  vostre  volotr 

De  bien ,  de  joie  o  de  doloir. 

Quant  TOUS  plaira  j'arai  salu  ; 

Atant  vous  defin  mon  salu.  » 

Ci  fine  li  sains  d'amours 

Et  de  TraXson  les  clamours.  1055 


COMPLAINTE    D'AMOUR 


Conter  me  plaist  une  mervelle, 
Ains  mais  nus  n'oî  sa  pareille , 
Qui  d'amours  m'avint  cruelment. 
Voir  se  cil  qui  bien  set  en  veille 
Et  pour  le  conter  se  iravellle , 
Amer  l'en  doivent  toute  gent  ; 
A  tout  le  mains  li  vrai  amant , 
Qui  d'amours  ont  paine  et  torment. 
1  metent  volontiers  l'orelile  ; 
Car  qui  son  preu  ot  et  entent 
Il  S'il  est  sages ,  mien  essient , 


En  icel  point  pas  ne  soumeille. 
Or  pri  amours  que  la  malere , 
Que  j'ai  chl  commencié  a  faire, 
Me  laist  faire  que  je  ni  faille; 
Car  de  li  voel  ma  rime  faire 
Que  n'en  poroie  a  nul  chief  traire 
S'ele  pour  mol  ne  se  travaille. 
Des  gries  qu'ele  m'a  fait  sans  faille 
Yaurrai  conter,  comment  qu'il  aille 
De  nia  joie  et  de  mon  contraire , 
Car  a  son  gré  amours  me  taille       22 


(1)  Le  copiste  a  mis  :  me  vœl  pour  offrir,  et  au  vers  suivant  teurté. 


C0)ilPLAl5rTÉ  b'AMt>Uft. 


40t 


Or  en  fel  et  or  en  haaille  (t). 
Pour  çon  al-ge  empris  cest  afaire  : 
Des  or  mais  vous  commenceraf. 
Il  ayint  par  arooars  :  amai. 
Et  aim ,  et  aimerai  tons  jours 
Celi  on  tant  biauté  trouvai 
Que  quant  de  premiers  Tesgardai 
Moût  en  eus  paines  et  dolours. 
LoDC  tans  soufTri  mon  cuer  en  ploi's 
Comme  Ans  et  vrais  amourous, 
Mats  toutes  voies  m'apensai 
Comme  ctietis  et  doterons 
Que  je  diroie  mes  dolours 
36  Celui  ou  je  peu  conquestai. 

A  II  vlng  et  il  dis  :  «  Amie 
Pour  Dieu  je  vous  requier  et  prie 
Que  vous  allés  de  moi  merchi  ; 
Du  tout  sui  en  vostre  baillie, 
Se  volés  je  perdrai  la  vie, 
Se  volés  j'aurai  joie  aussi. 
Très  le  premier  jour  que  vous  vi , 
Pour  voslre  biauté  m'assailli 
Amours ,  en  qui  je  mont  me  fle. 
Bêle  lenés  moi  a  ami  : 
Certes  se  pour  vous  muir  (2)  ainsi 
48  Jamais  tel  n'aurés  en  vo  vie. 

«  Douce  dame  en  qui  j'ai  flance , 
Par  vo  bonté  aiiés  voellance 
De  moi  alegler  le  torment 
Que  pour  vous  sueffre  en  atendant, 
Et  ferai  tous  jors  sans  faillance  ; 
Tant  me  plalst  le  max  que  je  sent 
Dont  amors  pour  vous  si  me  prent 
Que  je  n'en  voel  avoir  garant 
Par  la  force  d'oulre  quidance , 
Ains  sui  si  mis  en  vo  commant 


Qu'en  moi  poés  mettre  brîement 
Déduit,  doleur,  joie  u  pesance.      60 

«  Dame,  se  cuers  qui  ne  ment  mie 

Peut ,  pour  voir  dire ,  avoir  amie 

Li  miens  n'i  devia  pas  faillir 

Se  de  parole  a  vous  s'alle  ; 

Sa  voientés  ne  si  oublie , 

Ains  se  paine  del  obéir 

El  certes  j'aime  mîx  morir, 

On  atendre  vostre  plaisir, 

Que  j'en  face  ja  départie  ; 

Et  se  il  m'en  estuet  partir 

Que  vous  ne  me  voeiliés  oir 

Ains  que  m'en  part,  perdrai  la  vie.  72 

«  Dame ,  ne  sambiés  pas  celi 
Qui  jadis  ocist  son  ami 
Par  sa  deffaute ,  a  grant  marlire. 
Trestout  certainement  vous  di 
Puis  que  vrais  cuers  s'alie  ainsi 
N'est  pas  legiers  a  desconflre. 
Se  vous  estiés  del  mont  la  pire 
A  ce  qu'il  ne  puet  mix  eslire , 
Si  aime  il  mix  languir  ensl 
Que  d'une  autre  juer  et  rire. 
J'ai  grief  plaie  et  si  n'ai  nul  mire 
Fors  vous  a  qui  je  prl  merci.  84 

«  Dame,  en  la  mer  sans  rive  prendre 
Ai  tant  noé  que  luit  li  membre 
Me  duetent  del  doue  noement. 
La  mers  si  com  je  qult  entendre 
M'a  tant  pené  que  plus  atendre 
Ne  puis  se  je  n'en  ai  garant. 
En  ce  point  m'alai  regardant  : 
Si  ai  véu  une  nef  grant 
Au  bort  m'aiai  maintenant  prendre  ; 


(I)  Soit  que  la  taille  subsiste  co.ijointe  au  flef.  ou  qu'elle  en  nit  été  disjointe  pour 
être  alTermêe.  —  (?)  Morinr. 


408 


COMPLAINTE    D  AMOUR. 


Mais  dedens  vl  an  fler  sériant 
Qui  m'esbahi  si  daremant 
97  Qae  de  péar  m'i  laissai  pendre. 

«  Dame ,  la  clause  que  j'ai  dite 
Fu  es  secrès  d'amors  escrite  ; 
Les  mox  vous  ferai  entendant  : 
L'amers  (l)  qui  ainsi  me  labite  {%) 
Saciés  ele  n'est  pas  petite  ; 
Ainçois  est  si  douce  et  si  granl 
Quant  je  plus  i  vois  pensant 
Et  je  mains  en  sai  que  devant. 
C'est  vos  biautés,  or  vous  al  dite , 
La  douce  mer  u  vois  noant  ; 
Par  la  maistre  onde  irai  noiant 
108  Se  je  n'ai  de  mes  max  mérite. 

«  Dame ,  ia  nef  ou  je  me  pris 
Quant  je  me  senti  entrepris . 
Pour  avoir  respit  de  ia  mort, 
C'est  bons  Espoirs  ou  me  sui  mis  ; 
Honeur  et  joie  m'a  pramis , 
Ne  sai  se  il  a  droit  ou  tort. 
Por  çou  me  pris  devers  le  bort 
Car  autre  pensée  me  mort; 
Nepourquant  este  m'a  amis 
Et  moût  m'a  donné  de  confort. 
Mais  se  de  vous  ne  vient  déport 
130  Le  sien  a  faire  reltnquis. 

«  Dame ,  saciés  que  li  serjans 
Qui  ert  si  Oers  que  tout  dedans 
Espoir  ne  me  laissa  entrer 
çoa  est  Doutance  la  puans 
Qui  me  dist  que  par  mon  fol  sens 
Vous  entrepris  jou  a  amer. 
Mais  ele  ment ,  par  saint  Orner  ! 
Ce  n'est  pas  folie  d'amer, 
Ains  est  honeurs  et  joie  grans 


Quant  celé  s'I  veut  acorder 
Qui  eut  priière ,  sans  fausser. 
Vous  i'oés,  dame,  ailleurs  ne  pens.  132 

«  Dame ,  je  sui  on  une  mue 

Dont  mes  cuerspour  vostreamourmue, 

Dont  il  est  en  paine  et  en  piour. 

En  ta  mue  n'a  nule  issue , 

Fors  une  qui  m'est  defîendue  ; 

Et  vostre  biauté  qui  m'argtie. 

Vous  avés  ia  clef  de  la  tour 

Et  ia  mecine  de  l'ardour 

Dont  mes  cuers  art ,  frit  et  tressue.  141 

«  Douce  dame  de  cuer  amée , 

Je  vous  ai  dite  ma  pensée. 

Parti  vous  ai ,  si  prcnderés 

Se  il  vous  plaist;  mors  m'ert  privée 

On  la  plus  grand  joie  doublée 

Qui  onques  fust  ;  c'est  vérités. 

Lequel  que  volés  me  donnés 

Et  je  le  prendrai  en  bon  gré. 

Mais  voir  se  la  mors  m'est  donnée 

Pour  vers  vous  faire  lolautés , 

Apres  moi  sera  fox  clamés 

Par  qui  amie  ert  tant  amée.  ir>3 

«  Dame,  dites  vostre  plaisir; 

C'est  martires  de  trop  languir, 

Assés  vaut  miex  morir  briement, 

Je  sui  appariiliés  d'oïr 

Ma  dolour  ou  mon  esjoïr. 

Mon  bien,  ma  joie  ou  mon  torment. 

Respondés  moi  vostre  talent 

Se  vostre  cuers  a  mol  s'assent 

Ou  se  del  tout  me  veut  guerpir, 

Del  tout  sui  vostres  ligement. 

C'est  en  vostre  commandement 

De  Joie  avoir,  de  mort  sentir.  »       165 


(1)  Àmaritoê.  —  (3)  Ixtbefaeit,  barb.  lahesnl  ? 


COMPLAINTE    D  AMOUR. 


409 


Signeqr.  ce  est  ci  la  priière 
Qae  je  fls  a  ma  mie  chière , 
0  resgardés  se  par  nai  droit 
Devroit  avoir  tele  manière 
Qae  ele  se  fëist  plas  flere 
Pour  moi  mètre  en  grignour  destroit  ; 
Et  certes  cil  qai  çoa  diroit 
Je  croi  que  trop  grant  tort  aoroit. 
li  diroit  ce  devant  derrière. 
Qai  pour  bien  fait  max  me  donrolt 
Amors  bien  fausser  le  devroit 
177  A  qui  ia  quereie  est  entière. 

Sa  response  vous  conterai  : 
Dedens  ie  cuer  escrite  i'ai. 
Je  ne  ia  porole  oublier 
Quant  d'aucune  part  vient  esmai 
Ooblier  ne  ie  puet ,  bien  sai. 
Qui  del  contraire  a  desirier. 
Ele  me  dist  :  «  Traiiés  arrier  ! 
Si  ne  me  venés  plus  priier  ; 
Car  au  caer  que  maintenant  ai 
Vous  n'i  poriiés  gaagnier 
En  aulre  iiu  aies  briliier  ! 
D'amours  cbierir  que  faire  n'ai  (1). 
Tous  dites  (ensl  l'entend!) 
Que  pour  mol  avés  max  senti?  » 
~  «  Certes  dame ,  c'est  vérités. 
Ains  de  tex  max  parler  n'oi. 
Dout  et  amer  (sont  tout  ainsi) 
Ont  vers  vous  tornés  mes  pensés.  » 
—  «  Or  sai-ge  bien,  grant  tort  avés, 
Fist  eie,  qui  si  vous  clamés 
De  moi ,  si  ne  l'ai  desservi  ; 
AInques  pills  que  vous  fustes  nés 
Ne  fu  tele  ma  volentés 
301  Que  vous  eussiés  mal  par  mi. 


«  Mal  et  ainsi  me  doinst  Dix  joie 

Que  Je  moult  a  envis  vaurroie 

Que  vous  eussiés  mal  par  moi  ; 

Mais  se  vostre  cuers  se  desroie 

Et  il  vous  met  en  maie  voie, 

De  ce  n'aflert  noient  a  moi , 

Ne  Je  n'en  preng  noient  sur  moi. 

J'aim  mix  que  soliés  en  effroi 

Que  Je  ;  pour  coi  en  mentirole  ? 

Mal  gré  me  sauriés ,  Je  croi , 

Se  vous  disoie  en  maie  foi  : 

Je  vous  aim  ;  et  puis  en  mentoie.  %\S 

«  Puisque  mes  cuers  ne  s*i  assent, 
De  l'otrolier  n'ai  nul  talent; 
Si  ne  m'en  devroit  nus  blasmer 
Ains  .vous  io.  Tost  aies  vous  ent 
Car  je  vous  di  certainement  : 
Vous  n'i  poés  riens  conquester. 
Aussi  tost  auriés  la  mer 
Bspuisié ,  sans  iauwe  boster. 
Com  vous  me  donriés  talent 
D'amours  servir  ne  bonerer. 
De  IL  me  cuic  moult  bien  garder-, 
ie  ne  la  dons  ne  tant  ne  quant.       235 

«  On  dist  pieça,  tout  en  apert  : 

Mal  doit  avoir  qui  le  dessert. 

Se  je  laissoie  mon  usage 

Et  Je  me  metoie  ei  dessert 

Dont  on  le  cuer  et  le  cors  pert , 

Je  ne  seroie  mie  sage. 

Se  vous  avés  el  cuer  tel  rage, 

Ne  voel  pas  partir  ai  malage  ; 

Fax  est  qui  mauvais  mestre  sert 

Bon  fait  lalssier  le  signorage 

Ou  on  ne  conquiert  fors  damage. 

Qui  plus  l  met  et  plus  i  pert.  »        337 


.    (I)  Ce  vers  est  écrit  deux  fois  de  suite.  Il  y  avait  d'abord  :  «  D'amours  ciérir; 
qu'en  faire  n'ai.  » 


410 


GOMPIAINTB  D  AMOUB« 


«  Gertds  t  dame ,  bien  m'i  acort. 
De  ce  dire  n'avôs  nal  tort  ; 
Autrement  ne  vous  os'  desdire , 
Mais  n'ai  pas  desservie  mort 
Et  si  morrai  sans  nul  ressort 
Pais  qae  me  volés  escondire 
Las!  caitis,  dolerex,  plains  d'ire, 
De  mon  anai ,  de  mon  martire 
Caidai  en  vous  trouver  confort. 
Qaant  vous  plaira  moi  escondire, 
Ne  sai  que  faire  ne  ke  dire , 
249  Fors  tant  que  je  morrai  a  tort.  » 

—  «  Morrés  et  vous?  pour  coi morrés? 
Se  vostre  dis  est  vérités 
Que  vostre  cuers  soit  en  moi  mis , 
Congié  vous  doint  que  l'en  r'ostés 
Et  en  autre  lieu  le  metés  t 
La  on  il  soit  miex  recueillis. 
Ainsi  serés  de  mort  garis.  »  — 
«  Douce  dame ,  par  saint  Denis  I 
Amours ,  sans  falndre,  n'est  pas  tés.  • 
Qui  bien  aime ,  il  hait  a  envis  ; 
Pour  cou  n'ert  ja  mes  cuers  eschls  (1) 
361  De  vous ,  a  qui  il  s'est  donnés. 

«  Ne  samble  pas  drois  ne  raison 
Puis  que  j'ai  fait  de  mon  cuer  don 
Que  Je  le  doie  recuellir  ; 
Je  l'ai  mis  en  vostre  prison , 
Et  si  vous  dirai  l'occoison 
Pour  coi  je  le  vaus  consentir. 
Je  vei  en  vous  si  mon  plaisir 
Que  de  biaaté ,  de  bonté  d'oir 
Que  n'i  puis  se  gaaignier  non , 
Se  mi  oel  ne  me  font  mentir 
Qui ,  pour  vous ,  vinrent  assaillir 
273  Mon  cuer  et  mis  l'ont  en  prison.  » 


—  «  Or  avés  dit  trop  grant  folie 
Ains  mais  tele  ne  fu  oie 
Ne  si  graot  bourde  controovée. 
Vostre  oel  sont  en  vostre  bailiie  ; 
Si  dftes  que  dure  assaillie 
Ont  vostre  cuer  pour  moi  livrée  !  »  — 
«  Dame  c'est  vérités  prouvée.  ~ 
Par  foi ,  ains  est  bourde  trouvée 
Qae  par  moi  voir  ne  fu  ce  mie 
Bien  croi  que  par  vous  ne  fu  mie  > 

—  4c  Dame ,  ma  parole  escoulée 
N'avés  pas  bien ,  ne  recordée.        206 

Mais  pour  vous  fu.  »— Pour  moi?  Pour  coi 

Sont  dont  vostre  oel  si  dessous  moi  » 

Que  pour  moi  ont  le  cuer  navré?»— 

«  OU,  dame,  foi  que  vous  doi, 

Si  vous  dirai  raison  pour  coi 

Mi  oel  sont  consillier  privé 

A  mon  cuer,  or  ont  regardé 

Vostre  gent  cors  piain  de  biauté , 

Dont  11  l'ont  mis  en  tel  effroi 

Que  se  par  deboinaireté 

Ne  me  restorés  me  santé 

Je  morrai  par  ma  bone  foi  »  ^      297 

«  Par  vostre  bone  fol,  comment?  » — 

c  Dame ,  je  vous  dirai  briement 

Pour  col  j'ai  en  vous  mon  cuer  mis  : 

Vostre  cuer  non  avés  noient 

Dame ,  ma  volentés  autant 

Vaut  com  mes  cuers,  ce  m'est  avis; 

Mes  caers  et  mes  voloirs  tous  dis , 

De  nulai  n'en  serai  desdis 

Qui  ait  en  lui  entendement  ; 

Et  quant  j'ai  tout  mon  voloir  pris 

Et  mis  l'ai  en  vostre  devis , 

Ce  m'est  vis ,  loialtés  est  grant  »   309 


(1)  Bxihts. 


GOMPfcàllITB   D  AMOUR* 


4il 


«  Vous  vous  faites  moût  iofans  hom. 
Tex  paroles  bien  entendom , 
Hais  ]a  par  çoa  ni  ataindries. 
Se  vous  estes  en  ma  prison 
Si  i  soiiés  longue  saison 
Tant  comme  vous  estre  1  voldrots  ; 
Quant  assés  esté  i  aurés , 
S'il  ne  TOUS  siet  vous  en  irés , 
Si  pais6é-je  avoir  pardon , 
Que  Je  sace.  Pius  n'en  aurés. 
Faites  ie  mix  que  porois 
321  Que  ja  de  m'amour  n'aarés  don. 

«  Aies  vous  ent.  Sachiéssans  doute. 
Ce  est  la  eertaineté  toute 
Que  vous  n'aurés  point  de  m'aroor.  » 
«  Dame  dont  mestes  vous  la  goûte 
Ou  flsique;  n'a  mestier  toute. 
De  la  mort  n'a  mais  nul  retour  ; 
Or  morrai-ge  a  grant  dolour  ! 
Certes  çou  ert  grant  deshonour 
A  vous  ;  onques  n'en  aiiés  doute 
De  ma  lionte  ne  de  m'onour.  9  — 
«  Mais  aies  vous  ent  sans  demour; 
333  D'oir  sui  anuiô  toute. 

«  Ou  vous  de  ci  vous  en  irés 
Ou  jon ,  lequel  que  vous  vaurrés  ; 
Mais  que  ctie  sera  maintenant.  »  — 
«  Douce  dame,  quant  c'est  vos  grés 
Je  ne  sui  mie  si  osés. 
Je  ne  n'ai  tant  de  hardement 
Que  plus  alaisse  demourant. 
Ancois  dame  a  Dieu  vous  commant; 
De  vous  me  part  moût  esgarés  ; 
Esgarés  m'en  vois  volrement. 
Mes  cuers  cache  et  noient  ne  prent 
345  Fors  que  doleurs  pour  loialtés.  » 


Atant  de  ma  dame  parti 
A  peu  11  cuers  ne  me  parti 
Quant  de  U  me  convint  partir. 


Ja  couars  n'ara  bêle  amie  (i). 

Apres  ces  mos  je  m'esvillai  ; 

A  mervelle  me  mervUlal 

De  ce  que  je  pitié  oi. 

En  mon  cuer  ses  dis  avisai 

Et  mon  voloir  acertenai 

An  conseil  qu'ele  m'eut  basil. 

A  tant  del  bols  me  départi 

Et  d'espoir  mon  cuer  garandi , 

Tant  que  vint  l'issue  de  may. 

Quant  passés  fn  plus  n'atendi  ; 

Douteus  de  faute,  de  merci, 

Vers  ma  dame  m'en  retomal.  361 

Je  la  trouvai  en  une  place 

Qui  ert  clere  comme  une  glace 

De  la  grant  biauté  que  ele  a; 

Avoec  11  n'ot  qui  noise  face. 

Grant  peur  ot  ne  li  desplae 

La  venue  que  je  fls  la. 

Ainsi  com  mes  cuers  m*ensignai 

Qui  grant  pièce  servie  Fa, 

M'ajenoill^l  devant  sa  face 

Mais  ma  bouce  mot  ne  sonna. 

Bien  sai  pour  coi  :  Ele  n'osa  ; 

Trop  redoute  sa  maie  grasce.  373 

Ainsi  grant  pièce  fumes  coi. 
Ma  dame  si  regarda  moi 
Et  je  11 ,  peureusement. 
Mulaus  (2)  ressambliohs  andoi 
Tant  c'ains  me  fu  que  je  doi 
Dire  que  quier,  premièrement. 
Dont  dis  :  «  Dame,  cuers  qui  ne  ment, 


(1)  Le  vers  précédent  termine  le  feuillet  105,  et  celui-ci  commence  le  feuillet  106. 
11  y  a  certainement  entre  les  deux  une  liewie  d'un  ou  plusieurs  feuillets.  -^  (3)  Muets. 


412 


COMPLAINTE   D  AMOUR. 


Qai  a  vostre  commandement 
Est ,  et  sera  en  bonne  foi , 
Vient  de  rechief  merci  priant 
Pour  ce  qae  de  mort  ait  garant , 
385  Car  en  vous  gist;  n'aiilours  ne  voi.' 

«  Dame ,  toale  Joie  ai  perdue 
Ores,  dont  qae  me  fa  mal  solae 
Li  priiere  qae  je  vous  ûs  : 
Dame ,  pour  Dieu  caers  qui  ne  mue 
Et  qui  d'un  point  ne  se  remue 
Est  moût  ioiaus ,  ce  m'est  avis  ; 
Mes  cuers  m'est  si  tous  en  vous  mis 
Que  jamais  jour  n'en  ert  esctiis  ; 
Tout  adies  vous  sieut  et  salue. 
Se  le  jour  ai  mai ,  la  nuit  pis  ; 
El  cors  m'avés  le  tison  mis 
397  Qui  si  m'estendeille  et  remue.  » 

Puis  que  j'eu  commencié  a  dire , 
Bien  li  racontai  le  martire 
Et  le  torment  que  j'en  souffert. 
En  racontant  mes  cuers  souspire  ; 
Mi  oeil  n'eurent  talent  de  rire , 
De  larmes  furent  tout  (l)  couvert. 
Je  li  dis  trestout  en  apert 
Gomment  la  soie  amours  ne  sert , 
Que  or  mi  boute ,  or  mi  retire. 
«  Ainsi  ai  trouvé  tans  dyvert, 
Dame;  a  moi,  comme  a  vous  couvert, 
409  Av(^s  fait  souffrir  maint  martire.  » 

Madame  a  moi ,  bonement , 
Ne  fist  pas  si  cruel  samblant 
Com  je  li  vi  autre  fois  faire  ; 
Ançois  quant  j'euc  dit  mon  talent, 
Respondi  amiabiement  : 
«  Dous  amis ,  je  ne  sai  que  faire. 


Tans  vous  ai  veu  de  max  traire 
Pour  moi ,  que  je  plus  débonnaire 
Serai  vers  vous  d'ore  en  avant. 
Pitiés  m'a  moustré  vostre  afaire  ; 
Bien  sai,  de  voir,  sans  fainte  faire, 
Amée  m'avés  loiaiment.  421 

«  Amée  m'avés,  bien  le  sai, 
N'onques  mais  jor  ne  vous  amai , 
Fors  puis  que  cis  mois  fu  entrés. 
Des  grans  toumens  (%)  que  fais  vous  ai 
Tous  bail  amende ,  prenés  lai 
Tele  com  vous  deviserés  ; 
Bien  sai  que  cose  ne  fer<^s 
Dont  vous  doiiés  estre  biasmés , 
Puis  que  vous  m'amés  de  cuer  vrai. 
Ne  pour  quant  vostre  bon  ferés, 
Car  de  moi  estes  si  biasmés 
Que  tout  vostre  plaisir  ferai.  »  (:):) 

Quant  j'euc  entendu  ces  mos  dous, 

Qui  si  me  furent  saverous. 

Si  liés  fui .  nui  nei  doit  cuidier  ; 

Liés  si .  m'ait  le  dix  de  tous , 

Je  fui  si  liés  que  nus  courons 

Ne  peust  mie  aprocbier 

L'amende  que  me  vaut  baillier. 

Plus  mie  refuser  n'en  quier 

Puis  11  rendl  comme  amourous 

Et  dis  :  «  Dame ,  pour  i.  baisier 

Vous  quit  trestout  le  destorbier 

Quej  ai  lonclans  souffert  pour  vous,  j»  445 

—  «  Pouri.  baisier,  biaus  dous  amis. 
Voir  ja  ne  vous  ert  escondis , 
Ne  cist  ne  des  autres  v.  cens.  »  — 
A  dont  entre  mes  bras  le  pris 
Et  ele  entre  les  siens  m'a  mis  ; 


(1)  Il  y  a  trettout.  —  (3)  Sic,  pour  tormen$. 


COMPLAINTE  D  AMOUR. 


413 


De  ce  ne  sui-ge  pas  dolens , 
Que  je  vi  ses  biaus  iex  rians 
Qui  si  près  des  miens  sont  joignans, 
Et  bouce  a  boace  et  vis  a  vis  ! 
Dont  sui-ge  liés,  dont  sui  joians 
Joians  si ,  me  soit  Dla  aidans  ! 
457  Ne  volsisse  estre  en  paradis. 

Et  je ,  pour  coi  estre  1  volsisse 
Puis  que  en  un  me  partesise 
De  la  grant  joie  qui  me  lace? 
Pour  coi  la  joie  garpeslsse 
Qui  ma  doleur  si  apetise 
Par  sa  valeur  et  par  sa  grasce? 
Joie  m'a.  Pour,  si  me  manace, 
Jamais  ne  quic  que  mal  me  face  : 
Car  joie  s'est  en  son  lieu  mise, 
Qui  il  a  tolue  sa  place. 
Bien  doit  cascuns  sivir  la  trace 
469  D'amours  qui  ensi  rent  service. 

J'ose  bien  tiemoignier  par  droit 
Que  qui  tout  l'or  del  monde  auroit, 
Si  le  meist  a  une  part, 
D'autre  part  un  baisier  verroit 
De  celé  qui  il  ameroit 
Tant  corn  fas  celé  que  Dix  gart, 
Ja  alor  ne  prendrolt  regart 
Ançois  courroit  de  celé  part 
U  amours  11  ensegneroit. 
Amours  pas  ingalment  ne  part  ; 
L'un  donne  joie,  l'autre  bart; 
481  Un  flate  et  les  autres  déçoit. 

Qui  les  max  en  sent  bien  doit  croire 
Amors  n'est  mie  miex  adoire 
Ançois  estûx  et  amertume 


Car  aussi  amé-jou  espoire 
Entendant  fait  fable  pour  voire 
Les  uns  taint  palist  et  alume 
Moût  par  a  dy verse  coustume 
A  l'un  est  largue,  a  i  autre  enfrume 
Les  autres  fait  mençoigne  acroire 
Et  les  autres  de  leur  cuers  plume. 
Se  ne  fust  la  grant  souatume 
D'espoir  nus  n'en  eûst  victoire.       493 

Comment  c'aillent  11  autres  afaire 

D'endroit  moi  ne  voel  plainte  faire 

Vers  amours,  car  j'auroie  tort 

Quant  pitiés  a  fait  mon  afàire 

De  mes  max  me  doi  mais  bien  taire. 

SI  ferai-ge ,  Je  m'I  acort , 

Fors  tant  que  pour  doner  confort 

A  ciaus  qui  les  max  ont  a  tort 

Je  lo  tant  facent  qu'il  1  paire 

Par  lolalté  et  par  aport 

De  cuer  ainsi  atent  confort 

Qui  en  veut  a  bonne  fin  traire.         505 

De  sor  voel  Oner  m'aventure. 
Ll  rois  de  toute  créature 
Gart  cell  pour  qui  je  l'ai  faite. 
Si  com  nostre  amour  lonc  tans  dure, 
Garder  la  doit  bien  par  droiture 
Car  quant  ll  l'eut  a  ses  mains  iaile, 
Et  de  si  grant  biauté  pourtralte. 
En  grant  bonté  l'a  si  parfaite. 
Que  tous  biens  i  est  sans  mesure. 
Mais  s'ele  me  devoit  de  dete 
S'amour  ;  et  je  l'ai  a  mol  trete, 
Ce  n'est  mie  contre  nature.  517 

BXPLIGIT. 


AUTRE 


SALUT    D'AMOUR 


Doace  amie ,  salus  vous  mande 
Cil  qui  de  yoqs  aient  l'amande 
Des  grans  toarmens  qu'il  a  soaffers. 
Yos  hom  a  esté  el  vos  e ers , 
Et  sera  toas  jours  bonnement , 
Car  se  loialté  ne  ment 
Espoir  ai  d'estre  vos  amis. 
8  Ea  bone  amour  ai  mon  cuer  mis. 

Voiremftnt  l'ai  mfcs  en  amour, 
Si  boina  i|ae  ne  passe  jour 
Que  je  a'i  pens'  pbis  de  cent  fois; 
Hout  sui  angoiseua  et  destrois 
De  penser  et  de  souspirer, 
Et  de  sa  biauté  ramembrer, 
Quar  si  m'a  mis  en  graat  elbroi 
Bien  sai  qu'ele  morira 
17  Se  amours  ne  la  vaint  pour  moy. 

Se  amours  pour  moi  ne  la  vaint; 
Gellui  ressamble  qui  se  plainjt 
Tous  jours,  et  noient  n'assouage; 
Hais  ele  ne  seroit  pas  sage 
Se  son  serjant  faisoit  morir. 
En  ce  cbarU  que  pores  oïr 
▲i  grant  espérance  tous  jors  : 
25  De  deboinaireté  vient  amors. 

Amors  en  vient,  certes  c'est  voira. 
Estre  ne  puet  graindres  avoirs 
A  feçxe  qui  de  lui  avoir 
Et  le  croi  bien  de  li  savoir 
Que  ele  l'a  et  si  set  bien 
Que  je  l'aime  sur  toute  rien. 
Tous  jours  m'est  la  dolour  noveie  ; 
Ci  me  point  vive  estincele 
34  Au  cuer  desous  la  mamele. 


Desous  la  mamele  me  point 

Li  dous  maus  qui  mon  cuer  s^oint 

A  s'amour  que  je  tant  désir. 

Bêle ,  or  vous  viegne  a  plaisir 

De  moi  alogier  ma  dolour 

Que  je  sens  pour  vous  nuit  et  jour, 

Tant  que  toug  U  miens  cors  en  font 

Dix  !  pour  coi  la  regardai , 

Quant  si  vair  oel  tral  m'ont?  is 

Trail  Si,  m'aït  Dix,  je  ment 
Délivrer  les  en  voel  briement 
Se  mes  voloirs  a  çou  me  maine 
Qu'avoir  voelle  doleur  et  paine , 
En  cou  n'ont  si  oel  riens  mesfait. 
Non  voir  ;  mais  ce  dire  me  fait 
La  grant  amour  que  j'ai  a  U, 
Douce  dame  a  qui  je  sui, 

Pour  Dieu  merci.  52 

Pour  Dieu  merci ,  pia  douce  amie  ; 
Vous  pri  que  vous  n'ociés  mie 
Geli  qui  est  vos  liges  hom 
Et  qui  met  en  vostre  abandon 
Son  cuer,  son  cors,  tant  riens  ae  crient 
El,  pour  l'amour  qui  de  vous  vient, 
Demaine  souvent  joie  et  plours. 
Jolis  sui,  jolis  ce  me  font  amors.      60 

D'autre  part  r'ai  une  bataille. 
Jolis  me  font  amors  sans  faille 
Qui  moût  me  destraint  durement . 
Car  je  sai  bien  certainement 
Qu'en  trop  haut  lieu  ai  ma  main  mise(l}, 
Hais  il  a  tant  en  li  franchise 
Que,  s'il  li  plait,  merci  aurai. 
Se  pour  bien  amer  doit  nus  avoir 
Joie,  je  Tarai.  69 


(1)  C'était  une  trop  grande  dame  pour  lui. 


LAI    D'AMOUR 


Nus,  ue  puet ,  sans  boine  amour, 

GraDt  joie  avoir. 
Ses  grans  sens  me  fait  doloir» 

Et  sa  biauté. 
Plas  bêle  est  d'un  jor  d'esté , 

Ce  m'est  avis. 
Las  quant  je  regart  le  Ils 

Sous  le  vermeil, 
Yoi4  moût  souvent  men  esvel 

Pour  lui  ovrer. 
Corne  sait  moût  souspirer 

Que  n'a  une  mie 
Qui  voell  ja  estre  ma  mie  (l) 

Se  n'est  un  jour; 
Et,  Dix  dole,  verroit  la  flerour 

Tout  d'une  bee. 
Ele  m'a  la  mort  donnée 

S'ele  ne  m'aime. 
Sa  biauté  dont  mes  cuers  se  claime 

Yoel  deviser  : 
Ele  a  le  front  aussi  cler 

Gomme  cristal , 
SI  chevel  sont  de  un  métal 

D'or  erdordé. 
Si  sorcil  ne  sont  pas  pelé 

Ains  sont  brunet  ; 
Si  bien  sont  fait  au  lignoleit 

Comme  a  devise. 
Dix .  com  sont  de  bêle  assises 

Ses  oreilles  ! 
Je  me  merveil  a  mervelles 
De  son  [gens]  col; 
33  On  me  tenroit  bien  a  fol 


Se  l'oublloie  : 
Ele  l'a  lono  et  si  blancoie 

Comme  argent, 
Et  si  rit  si  très  doucement 

De  ses  biaus  iex 
Que  de  ses  deux  mains  les  flst  dix 

Pour  moi  grever  ; 
Il  sont  vair  et  riant  et  clair 

Et  blanc  entour 
Et  s'a  aussi  fresche  colour 

Com  rose  en  mai. 
Le  cors  joli  et  le  cuer  gai 

Tout  par  raison. 
Gomment  deviseroit  nus  bon 

Les  dens  qu'ele  a; 
Ains  nature  ne  les  fonrma 

Qu'ele  ne  seut. 
Mais  Dix  qui  bien  faire  le  seut 

Par  son  commant , 
Les  i  mist  si  sereement 

Qu  il  ne  pot  plus. 
Hont  sont  courtoisement  repus 

De  ses  levrëtes , 
Qui  sont  grosses  et  vermlUëtes 

Sur  la  bouce  ; 
La  douceur  dusk'au  cuer  m'entonce 

Nuit  et  jour, 
Et  si  ressont  de  tel  coulour 

Comme  d'argent. 

ri  le  a  le  nés  si  avenant 

Qu'il  n'I  faut  rien. 
Il  n'est  trop  cours ,  ce  sage  bien. 

N'il  n'est  trop  Iojqs.  6^ 


(1)  Le  texte  ici,  et  en  d'autres  endroits,  n'est  pas  bien  sûr.  L'écriture  étant  ef- 
faeée,  um  plume  moins  ancienne,  maiê  enoore  du  xiv*  siècle,  l'a  ropassée  et 
peut-être  a  dénaturé  tes  v«C8. 


416 


LAI    D  AMOUB. 


Si,  n'a  mie  trop  cours  talons 

Ce  m'est  avis. 
La  gorge  a  plus  blance  que  lis 

Sous  le  menton  ; 
Et  li  dous  plois ,  c'on  dlst  goitron , 

Li  avient  si , 
Que  li  jours  en  piain  miedi 

N'est  pas  si  blans. 
S'a  les  bras  Ions,  haingres  les  flans, 

S'est  longue  et  droite. 
L'amour  de  li  que  je  convoite 

M[e]  a  si  pris , 
Que  je  ne  puis  escaper  vis 

S'ele  ne  m'aime. 
S'a  Ions  les  dois  et  douce  aiaine 

Et  bêles  mains. 
S'est  crassète,  s'a  bêles  rains 

Et  s'est  courtoise 
Environ  li ,  n'a  une  toise , 

N'a  fors  bonté. 
Ici  m'a  amours  arresté  ; 

Du  sureplus 
Le  doue  trésor  qui  est  reclus  (l) 

Ne  vi-je  onques; 
Se  l'eusse  veu  adonqnes , 

Sous  les  dras, 
Confortés  fust  de  grant  soûlas 

Mes  dous  mehains. 
Mais  bien  vol  ne  puis  estre  sains 

De  ce  malage 
Se  ele  ne  m'oste  la  rage 

De  mon  cuer. 
Coment  ?  Le  saurés ,  douce  suer, 

Se  jeu  vous  conte. 
Tous  esbabis  serai  de  honte 

Aucommencier; 
Ne  pourquant  irai  vous  priier  ; 
104  Dix  m'en  doinst  Joie. 


<  Beie,  Amours  a  vous  m'envoie. 

Pour  Dieu  merci. 
Savës  vous  comment  je  ving  ei 

Com  prisonnier? 
Car  vous  m'avez  pris  tout  entier 

Et  cuér  et  cors , 
N'une  riens  n'en  lais  an  dehors 

Qui  me  chierisse 
Car  trestous  sui  en  vo  service 

Sans  fausser 
Et  si  ne  m'en  voel  destourner, 

Ne  ne  voldroie  ; 
Que  a  tous  jors  vostres  ne  soie. 

Douce  amie. 
Souvent  me  fait  dure  assaillie 

Yo  biautés  ; 
Car  nule  part  n'est  mes  pensés, 

Se  en  vous  non. 
Ne  puis  mengier  car  ne  poisson 

N'autre  viande, 
Nule  riens  mes  cuers  ne  demande 

Fors  que  vous. 
Or  vous  ai  dit,  tout  a  estrous 

Çou  que  pensoie. 
Si  me  poès  mettre  en  la  voie 

De  morir, 
Ou  de  grant  joie  recueillir 

A  tous  jors  mes  (2). 
Icist  dui  mes  sont  moul  divers 

• 

Li  un  de  l'autre  ; 
Or  me  donnés  u  un  ou  l'autre  : 
En  vous  en  est.  » 

<  Qu'est  ce,  dont  vient  ore  ce  plet 

Que  vous  me  dites 
Qne  vous  estes  trestous  miens  quites, 

Cuer  et  cors?  140 


(1)  Le  copiste  a  mis  rtpw.  —  (3)  Par  inadvertance,  le  copiste  a  répété  deux  fois 
ces  SIX  vers,  en  variant  :  Oe  que  pentoie À  tout  jour  tnait. 


LAI  OAMOUB. 


417 


Je  ne  vous  lis  onques  effors 

De  vo  service. 
Tous  me  dites  tout  par  faintise , 

Bien  le  sai  ; 
Mais  ja  jour  ne  vous  amerai 

Pour  tel  parole  ; 
Ce  n'est  mie  max  qui  m'affole 

Que  d'amer. 
Je  n'ai  nis  un  talent  d'amer, 

Vous  ne  autrui. 
Ja  ne  serai ,  n'onques  ne  fui 

En  son  dangier. 
Car  trop  i  a  grevex  meslier, 

Ce  m'a  on  dit. 
Si  aurés  de  moi  l'escondit  ; 

Bien  le  sachois. 
Car  vous  dites  tout  par  gabois , 

Pour  essaiier 
Se  vous  me  poriiés  ploiier 

En  tel  manière.  » 

—  «  Si  m'ait  Dix ,  amie  ctiière , 

N'est  pas  gabois 
Ce  que  vous  di,  ains  est  tous  voirs 

Bien  le  sachiés. 
Et  s'il  vous  plaist ,  si  essaiiés 

Se  vostres  sui. 
Vous  m'avés  mis  en  tel  estai 

Que  je  ne  puis . 
Ne  par  les  jours  ne  par  les  nais , 

Mou  cuers  ravoir. 
Pour  çou  m'estuet  par  est  a  voir 

Priier  merci  ; 
Se  je  vous  pri  comme  a  celui 

Qui  mon  cuer  a. 

—  Je  l'ai  !  voire?  Qui  l'esraça 

De  vostre  cors? 

—  Je  le  vous  dirai  :  Il  effors 

De  vo  biauté  ; 
Vostre  cors  H  bel  acesmés 
Et  vostre  sens. 

—  Mes  sens  qui  a  meffait?  Mes  sens 
l&i  Ne  mes  savoirs 

T.  VIII. 


Onques  ni  misent  leur  poolrs , 

Que  je  seusse  ; 
Et  se  je  vostre  cuer  eusse 

En  mon  pooir, 
Tantost  le  vous  rendisse  voir, 

Sans  détenir; 
Car  je  ne  vcel  riens  retenir 

Del  vostre  a  tort. 

—  «  Douce  dame  n'est  mie  a  tort, 

Ains  est  a  droit  r 
Car  quant  vostre  amours  l'enportoit, 

Ne'i  savlés  mie. 
Or  le  savés  vous ,  douce  amie  ; 

Se'l  me  rendes. 
SI  m'aurës  de  tous  max  jeté 

Par  vo  bonté. 

—  Ice  que  jou  ai  emporté 

Vous  renc  je  bien  ; 
Sans  nule  riens  mètre  du  mien 
Cors  ne  avoir. 

—  Je  ne  le  puis  mie  ravoir 

En  tel  manière 
Se  ne  m'amés ,  amie  chièrc  ; 

Nient  autrement. 
Jamais  n'aurai  herbegement 

Se  en  vous  non. 
Tous  jors  crt  en  vostre  abandon, 

Com  prlsoniers. 
Certes  mie  ravoir  n'en  quier 

Se  n'est  de  prest  ; 
Et  puis  que  de  servir  prest  est , 

Il  ne  pueteslre. 
S'il  sert  a  deboinaire  mestre , 

Que  guerredon 
Ne  lui  dolnst,  ou  face  aucun  don 

Dont  11  s'esjoisse. 
Bien  doit  amender  de  service 

Qui  bien  sert  ; 
Et  se  mes  cuers  son  servir  pert 

C'ert  vostre  honte. 

—  Ma  bonté?  Voire!  A  moi  que  monte 

S'ilsedeut?  221 

il 


4i8 


IJ^i  D  AMOUR. 


36i 


S'il  meismes  la  verge  quelt 

Dont  est  l)aku8  ? 
Nus  n'est  a  li  garir  tenus , 

Ce  m'est  avis. 
Se  folemenl  s'est  en  moi  mis . 

Je  n'en  puis  mes. 
Or  m'en  laissiés  ester  tiui  mes 

Je  vous  en  pri.  » 

—  «  Digne,  n'aûert  pas  a  ami 

.    Qu'il  escondie 
Pe  riens  la  yolonté  s'amie 

Ne  sa  requeste. 
Respondés  moi  a  une  enqueste 

Que  vous  demant  ; 
Et  puis  3i  me  tairai  a  tant. 

Quant  à  ceste  beure, 
Se  vous  savés  que  je  labeure 

Loiai[e]ment , 
Ainsi  com  font  li  vrai  amant , 

Et  je  vous  serf, 
Si  sougis  que  com  de  vo  serf 

En  poés  faire  ; 
Se  vous  yëés  mon  grant  contraire 

Et  mon  mescief , 
Yerrai-ge  ja  nul  jour  a  clef 

De  vostre  amour, 
Par  priière  ne  par  clamour? 

Dites  le  moi , 
Si  me  metés  en  grant  effroi , 

Ou  en  espoir 
D'ataindre  a  mon  très  doue  voloir? 

Il  ne  me  chaut 
Combien  j'en  aie  froit  ne  caut 

Ne  duel  ne  ire  ; 
Mais  que  j'en  puisse  en  la  un  rire 

Et  avoir  joie , 
Se  il  vous  plest  que  vostres  soie. 

Ains  mais  tel  vie 
Ne  f4  entr'ami  et  an)le 

Yraiement; 


Respondés  m'eut  vostru  talent 
De  çou  vous  pri.  » 

—  <  \  olentiers.  Se  vous  m'amés  si 

Com  vous  contés, 
Bien  en  pora  estre  doutés 

En  aucun  point, 
Mes  cuers,  se  il  voit  qu'en  tel  point 

Comme  vous  dites 
Soit  tous  jors  miens,  liges  et  quites 

Sans  fausser  ; 
Mais  bien  le  vaurrai  esprouver. 

Sachies  ançois 
Ne  voel  pas  que  vous  me  gabols 

De  foie  trueve, 
Ne  que  j'aie  d'amour  reprucvc 

S'ei  n'est  vraie. 
Car  11  avlent  qu'en  sa  manaie 

N'i  ait  amours. 
Je  voirai  poursivir  tous  jors 

Sa  volenté; 
Et  pour  cou  sui-ge  en  volenté 

De  bien  savoir 
Le  cuer  de  celi  qui  avoir 

Vourra  m'amour.  » 

—  «  Dame ,  ce  n'est  mie  dolour  ; 

Et  grant  mercis  ! 
Car  ou  croi  que  n'est  pas  péris. 

Mes  grans  travax 
De  sor  enduerrai  mes  max, 

En  bon  espoir. 
Quant  il  vous  plaira ,  mon  doloir . 

Metés  en  joie. 
Or  me  gar  que  je  ne  recroie 

De  vous  amer; 
Car  vous  m'en  porriés  clamer 

A  recréant.  » 

—  «  Non  ferai-je.  Je  vous  créant  ; 

N'en  doutés  ja.  » 

—  «  J'atendrai  tant  merchi,  dame, 

Qu'il  vous  plaira.  »  304 


DIT,  FÂTRÂSIES,  ÂME  MARIA. 


Nous  arrivons  aux  moindres  œuvres  de  notre  auteur. 

Le  Dit  de  Folle  Largesse  est  une  historiette  bourgeoise  dont 
rien  ne  rachète  la  trivialité.  Le  versificateur  prêche  contre  les 
prodigues.  Un  pauvre  homme  gagnait  sa  vie  en  allant  au  bord 
de  la  mer  chercher  du  sel  qu'il  rapportait  à  la  ville.  Il  se  marie, 
et  sa  femme,  mauvaise  économe,  donnait  le  sel  gratis  aux  voi- 
sines à  langue  flatteuse.  Le  saunier  s'en  aperçoit,  et  sous  pré- 
texte que  la  promenade  et  Tair  de  la  mer  la  feront  joliette,  il 
remiQène  avec  lui  e(  lui  donne,  ^n  retour,  une  part  d^  ^a 
charge  à  porter.  La  dame  copaprend  tout  le  mérite  de  son  ba- 
ron, comme  elle  le  nomme,  lorsqu'à  moitié  chemin  elle  se  sent 
près  de  succombera  la  fatigue;  elle  demande  pardon  et  devient 
si  bonne  ménagère  qu'au  bout  de  deux  ans  elle  a  économisé 
l'argent  nécessaire  pour  acheter  un  cheval  qui  épargne  au  sau- 
nier le  plus  gros  de  sa  peine. 

Suivent  deux  Fatrasies  de  Beaumanoir.  On  appelle  Fatras  et 
Fatrasies  ou  encore  Resveries,  des  pièces  de  vers  qui  présentent 
une  contexture  régulière,  le  nombre,  la  mesure  et  la  ripie,  mais 
auxquelles  on  ne  voit  pas  de  sens.  Ce  sont  des  mots  juxtaposés 
métriquement  de  manière  à  former  une  musique  pour  l'oreille, 
sans  offrir  d'autre  aliment  à  l'esprit  que  l'irritation  causée  par 
l'impossibilité  de  comprendre.  Du  moins  on  le  croit  ainsi.  Les 
auteurs  de  «  l'Histoire  littéraire  de  la  France  »  (xxiii ,  506)  disent 
à  ce  sujet  :  «  C'est,  dans  une  langue  qui  naît  à  peine,  le  parti 
pris  de  parler  sans  rien  dire;  c'est  lorsqu'il  y  aurait  tant  d'hono- 
rables travaux  à  faire  pour  perfectionner  cette  langue ,  de  hon- 
teux efforts  pour  la  flétrir  avant  le  temps  par  ce  misérable  abus 
de  la  parole  qui  ne  semble  plus  que  l'accent  des  brutes,  du  mo- 
ment où  elle  cesse  d'être  l'expression  de  la  pensée.  » 

Quelque  bas  qu'on  veuille  placer  le  niveau  intellectuel  du 
Moyen  Âge,  je  me  refuse  à  croire  qu'il  se  soit  amusé  ^ux  plates 
niaiseries  dont  on  l'accuse.  Ce  qui  est  vraisemblable,  c'est  que 


420  LES   POÉSIES   DE   BEAUMANOIR. 

les  Fatrasies  étaient  ou  des  essais  de  versification  dans  lesquels 
on  s'exerçait  à  des  difficultés  de  rime  ou  de  mémoire,  ou  bien 
c'étaient  des  jeux  de  société.  Et,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  le  ca- 
ractère de  ce  genre  d'ouvrage  était  l'improvisation.  La  seconde 
des  deux  Fatrasies  de  Beaumanoir  est  formée  de  couplets  de 
onze  vers  à  rimes  entremêlées  de  manière  à  présenter  quelque 
difficulté  à  celui  qui  aurait  été  chargé ,  sur  la  vue  d'un  de  ces 
couplets,  d'en  composer  immédiatement  de  pareils,  même  abs- 
traction faite  de  sens  et  de  raison.  Pour  ce  qui  est  de  la  Fatrasie 
n^*  I,  quand  même  nous  n'aurions  pas  le  titre  dont  elle  est  pré- 
cédée :  tt  En  grant  esveil  sui  d'un  conseil  que  vous  demant  »  et 
qui  annonce  un  jeu  de  société  analogue  au  jeu  bien  connu  : 

Je  vous  vends  mon  corbillon , 
Qu'y  met-on , 

quand  même  certaines  strophes  n'indiqueraient  pas  d'une  ma- 
nière expressive,  celle-ci  par  exemple  *. 

Sire  Robers , 
Faites  vos  vers , 
Qol  pensés  si 

que  la  pièce  toute  entière  est  une  sorte  de  conversation  par 
propos  interrompus;  quand  même  on  ne  serait  pas  frappé  de 
ce  mouvement  général  des  74  couplets  dont  elle  se  compose, 
chacun  formant  un  sens  achevé  et  renvoyant  la  parole,  avec  la 
rime,  au  couplet  qui  suit;  quand  même  toutes  ces  observations 
échapperaient,  le  manuscrit  de  Beaumanoir  nous  fournirait  une 
preuve  que  les  Fatrasies  ont  bien  le  caractère  que  nous  leur  at- 
tribuons :  c'est  qu'au  texte  est  jointe  une  miniature,  dans  laquelle 
on  voit  cinq  personnages  placés  debout  les  uns  en  face  des  autres 
et  parlant  avec  animation.  C'est  évidemment  cette  société  de 
joueurs  et  versificateurs  où  chacun  rime  à  son  tour  et  renvoyé 
la  rime  à  son  voisin. 

Loin  de  mériter  nos  mépris,  les  gens  qui  se  livraient  à  cet 
exercice  prouvaient  une  agilité  d'esprit  que  nous  n'égalerions 
pas  sans  peine,  et  ceux  qui  ont  pu  nous  conserver  par  écrit  quel- 
ques-unes de  ces  pièces  improvisées  avaient  certainement  une 
excellente  mémoire. 


LE   DIT  DE   FOLLE  LARGESSE 


De  foie  larguece  casti 
Tous  ciaos  qai  en  tont  aati  (1)  ; 
Car  nus  ne  la  puet  maintenir 
Qui  en  puist  a  bon  cief  venir. 
Je  ne  blasme  pas  le  donner, 
Ne  les  bontés  guerredoner; 
Mais  il  convient  manière  et  sens 
De  soi  tenir  ou  droit  assens 
Par  coi  on  paist  le  gré  avoir 
Des  bons ,  sans  perdre  son  avoir. 
An  fol  large  ne  chaot  de  rien 
Ou  ses  avoirs  voist  mal  ou  bien 
Qui  toutes  gens  mete  a  .1.  fuer 
Par  fol  sens  jele  le  sien  poer 

Maint homme  en  est  deceu 

Et tans  si  deceu 

Qui dans i  avoient 

Gii le  sien  en  avoient. 

Pour  cou,  dist  on  en  un  reclaim  : 
«  Tant  as,  tant  vaus  et  je  tant  faim.  » 
Li  sages  larges  n'est  pas  tex 
Ançois  regarde  combien  Deus 
Li  a  perte  de  son  avoir 
Et  puis  si  prent  garde  au  savoir 
Et  puis  au  povre  que  au  rice 
Car  je  tieng  a  sot  et  a  nice 
Qui  avoir  a,  se  larguement 
N'en  départ  a  la  povre  gent. 
Mais  au  fol  largue  point  ne  caut 
S'il  donne  ou  au  bas  u  au  baut  ; 
Et  une  gent  a ,  par  le  mont  ; 
Qui  souvent  perdent  ce  kil  ont 
Par  ce  ke  il  ne  sevent  mie 
La  grant  paine  ne  la  hascbie 
35  Qu'il  convient  au  povre  homme  avoir 


Ains  qu'il  puist  avoir  bon  avoir. 
Nus  ne  sait  que  bons  avoirs  vaut 
S'il  ne  set  qui  sont  11  assaut 
Et  li  travail  du  pourcacier. 
En  essample  voel  commencbier 
Un  conte  dont  savoir  pores 
Vous  qui  entendre  le  volrés 
Il  sait  mix  puis  conjoir  l'aiso. 
Qui  sueffre  aucune  fois  mesaise 
Or  oés  mais  que  nus  ne  tence 
Phelippes  son  conte  commence. 


40 


A  iiij  lleuwes  de  la  mer. 
Que  tous  li  mondes  doit  amer 
Pour  ce  que  bien  fait  à  mainte  ame, 
Manoit  un  preudom  et  sa  femme. 
Li  preudom  ne  manouvroit  el 
Lors  que  souvent  aioit  au  sel 
Assés  avoit  fait  sa  journée 
Quant  il  raportoit  sa  colée  (-2). 
Avant  ke  se  femme  eûst  prise 
Se  chevissoit  bien  en  tel  guise , 
Car  il  vendoit  son  sel  si  bien 
Que  il  n'i  perdoit  onques  rien. 
Si  estoit  cras  et  bien  peOs  (3) 
Et  bien  cauchiés ,  et  bien  vestus, 
Tant  qu'il  ne  seut  l'aisse  qu'il  eut. 
Famé  voit.  SI  flst  tant  qu'il  l'eut. 
Quant  les  noces  furent  passées 
Si  se  reprist  a  ses  j  ornées. 
A  la  mer  va ,  du  sel  aporte 
Et  a  sa  femme  bien  enorte 
Qu'ele  le  vende  et  l'argent  pregne 
Ele  respont  qu'il  ne  desdaingne 
Son  sens,  mais  au  sel  s'en  revoist  69 


(1)  Ccutigo atlacti.  J'instruis  sur  la  folio  largesse  tous  ceux  qui  en  sont 

atteints.  —  ("2)  Charge.  —  (3)  Pasttu. 


422 


LE  DIT    DE    POLLE   LARGESSE. 


Car  s'ele  puet  et  il  li  loist 
Si  sagement  le  venâera 
72  Qae  le  tiers  i  gaaignera. 

Li  preadons  en  fa  forment  lies. 
Au  sel  s'en  rera  moût  haitles 
Hui  et  demain  et  cascun  jour 
Gomme  chit  qui  n'a  nul  séjour. 
Le  jour  ovre  pour  sa  besoigne 
Mais  la  nuit  encor  pins  ressoigne 
Pour  le  grant  anul  c'on  li  fait  ; 
Car  sa  feme  lès  lui  se  trait 
Qui  demeure  a  Tostel  a  aise 
Et  ki  peu  sent  de  sa  mesaise. 
Si  resvoille  et  si  le  tastonne 
Tant  l'esmuet  et  tant  le  tisonne , 
Comment  que  au  preudome  anuit , 
Qu'il  veille  dusk'a  mienuit 
Pour  sa  femme  a  son  gré  servir. 
Et  vers  le  jour  quant  veut  dormir 
Si  11  dist  :  «  Or  sus ,  nul  ami , 
Souvent  vous  vol  trop  endormi. 
Foi  que  je  doi  au  roi  eelestre , 
Deus  iieues  loing  deussiés  estre 
Mais  bui  de  jours  ne  venrés  paâ 
94  Se  vous  n'aies  plus  que  le  pas.  » 

Adont  convient  que  tost  se  iieve. 
Au  sel  s'en  va  quoiqu'il  li  grieve 
Et  sa  femme  a  l'oslel  s'en  voise 
Qui  de  canter  pas  ne  s'acoise  ; 
Despent  et  cbante ,  il  ni  eut  el  ; 
Peu  entent  a  vendre  son  sel. 
Ses  voisines  et  ses  commères , 
Qui  virent  tost  a  ses  manières 
En  son  cuer  la  foie  larguece , 
L'une  après  l'autre  a  11  s'adrece, 
105  Et  la  vielle  qui  plus  set  bonté 


Si  li  atralt  de  loing  son  conte 
Et  dist  :  «  Dix  vous  gart,  roa  toisine 
c  Ou  est  li  sires?  »  ■—  «  Il  chemine, 
Respont  sa  femme ,  vers  la  mer.  » 

—  c  Certes,  moût  le  devons  amer,  » 
Fait  eele  qui  moût  la  losenge. 

«  Ainqaes  ne  le  trouvai  eslrange. 
«  Moût  souvent  quant  il  revenait 
«  Dou  sel  volentiers  me  donnoit  ; 
«  Et  vous  qui  estes  bonne  et  belc 
«  Vés  ci  ma  petite  foissele 
«  Qui  n'en  tenroil  mie  denrée 
«  Se  ele  estoil  tonte  comblée. 
«  SI  vous  pri  que  vous  m'en  donnée; 
«  Bien  vous  sera  guerredoiinés.  » 
Celé  respont .-  «  Moult  volentiers 
«  Tant  comme  il  vous  sera  mestiers. 
«  A  mes  voisins  et  as  voisines 
«  Et  as  vevcs  et  as  mescbines 
«c  Dites  qu'cles  en  vicgnent  querre. 
«  Ja  ne  sera  en  si  fort  serre 
«  Que  volentiers  ne  leur  en  doigne 
«  Ne  voel  qu'il  en  aient  besoingne. 
«  Revenés  quant  cis  chi  faurra.  » 

—  c  Dame,  adieu;  cismox  vous  vaurra.»  130 

Alant  la  vielle  s'en  relorne  ; 

Toutes  ses  voisines  aourne  (1)  ; 

Va  acontant  la  bone  chiere 

Que  11  flst  la  jone  saunierc. 

Gelés  qui  mestler  en  avoient 

Furent  lies  quant  elles  oient 

Que  la  sanni^re  est  si  courtoise  (2). 

Dist  Mehaus ,  Nicbaus  et  Hersens  : 

«  Mais  ouvrer  nous  co  vient  par  sens. 

«  Ne  seroit  par  bon  ce  me  samble,» 

Font  eles ,  «  c'allssons  ensamble. 

«  L'une  1  voist  demain  sans  sejor     142 


(1)  Àdjomat.  —  (9)  Ce  vers  termine  la  9«  colonne  du  f»  loi,  v»  ;  le  copiste ,  en 
passant |d'un  feuilleta  l'autre,  a  fait  une  omission. 


LB  DIT   DB   rOLLE   LÀRGBSSE. 


423 


«  Et  l'antre  après  dusk'al  tierc  jor.  » 
Ainsi  l'ont  fait  comme  dit  l'eurent 
Au  sel  apetichier  labenrent. 
Tant  11  dient  plantés  paroles , 
Peu  de  sages ,  assés  de  foies , 
Que  ses  avoirs  apetiça. 
Une  pièce  après  s'avisa 
Li  bons  bom  qui  au  sel  aloit 
Que  son  sel  plus  souvent  faloit 
Et  a  mains  d'argent  qu'il  ne  seut  ; 
Et  de  cou  durement  se  deut 
Qu'il  ne  set  d'ont  11  vint  la  perte 
Dusques  a  cel  jor  qu'il  vit  Berte 
Issir  dedens  sa  maison. 
Ll  preudons  la  mist  a  raison , 
Bemanda-li  qu'ele  avoit  quis  ; 
Et  ele  li  dlst  :  «  Dous  amis , 
c  N'i  alai  querre  fors  que  tant 
«  Que  jeu  alal  vir  Hermesent 
«  Vostre  femme  que  je  moût  aim. 
«  Si  m'a  donné  de  son  levain 
«  Fait  celé  qui  bien  set  mentir 
«  Pour  cou  qui  me  convienlpestrir.  » 
Li  preudon  l'ot,  qui  sel  et  pense 
Qu'eie  li  ment  en  sa  deffense. 
Si  il  a  son  giron  ouvert 
Et  a  veti  tout  en  apert 
De  son  sel  une  platelée  ; 
Or  ne  II  a  mestier  celée. 
Bien  set  comment  ses  sex  s'en  va  : 
Berte  laist  et  ele  s'en  va 
Moût  honteuse  et  moût  esbanbie , 
Et  li  sauniers  pas  ne  s'oublie 
Qui  est  de  sa  perte  doiens. 
Si  pense  comment,  n'en  quel  sens, 
II  puist  sa  femme  doner  cargo 
Par  coi  ne  soit  mie  si  large. 
Tant  pensa  avant  et  arrière 
181  Qu'il  devisa  n'en  fera  cbiere 


A  sa  femme ,  mais  a  la  mer 

Le  fera  avoec  li  aler 

Pour  li  castoiier  soutilment. 

Li  fera  aporter  briement 

Dou  sel  trestout  cargié  son  col  : 

Demain  saura  bien  se  je  vol 

Quant  j'ai  ma  carge  sur  ma  teste. 

Atant.  de  son  penser  s'arreste  ; 

Si  est  venus  en  sa  maison 

Sa  femme  le  mist  a  raison. 

«  Sire ,  fait  ele ,  nos  sex  faut 

Pau  cargastes,  se  Dix  me  saut, 

Devant  ter  quant  vous  en  venfstea  : 

Mais  or  en  soliés  clamés  quites 

Par  si ,  quant  demain  1  venrés 

Que  vous  plus  en  aporterés.  » 

— •  «Dame,  dlst  il,  moût  volentiers; 

Mais  il  nous  seroit  bien  mestiers 

Que  vous  avoec  moi  venissiés 

E  j.  fais  en  aportissiés. 

Ce  n'est  fors  uns  esbatemans  : 

Vous  verres  (1)  verdoiier  les  chans 

Et  s'orrës  cbanter  Taloete  ; 

Si  en  serés  plus  jollete.  » 

—  «  Sire ,  dlst  ele ,  je  l'otrol  ; 

Plus  aaise  en  serés ,  je  crol  ; 

Aussi  m'anuie  le  sejors  ; 

Demain  mouvrai  quant  il  ert  jors.  » 

Atant  la  parole  laissierent  ; 

Apres  souper  tost  se  coudèrent 

Et  aussi  tost  com  l'aube  crieve 

Cascuns  d'aus  ij.  errant  se  liere. 

Testa  se  sont  ;  a  la  mer  vont  ; 

Deu  wuls  paniers  portés  i  ont. 

La  famé  a  l'aler  se  renvoise 

De  son  cant  tentist  la  faloise. 

Li  preudom  n'en  fait  nule  cbiëre 

Bien  pense  quant  venra  arrière 

Qu'il  sera  bien  vendes  (2) 220 


(1)  Le  copiste  «i  mis  venrés.  —  {i)  Je  souligne  Ici  les  mots  doutejix  et  omets  les 
illisibles. 


424 


LE   DIT   DE   FOLLE   LARGESSE. 


Tant  tienent  leur  charge  andai 
Que  il  sont  a  la  mer  ver.u. 
Du  sel  ont  pris  et  retenu 
Tant  que  res  furent  leur  panier  ; 
Puis  si  s'en  relornenl  arrier. 
Huimais  orrés ,  corn  ailement 
227  Se  démena  dame  Ermesent  (l). 

Quant  11  falssiaus  11  apefa 
De  çou  qu'ele  vint,  lipesa; 
Si  se  commence  a  souffacbier 
Et  a  demourer  par  derrier. 
Ses  barons  aloit  par  devant , 
Et  bien  s'en  va  garde  prenant. 
Il  la  semont  d'aler  bon  pas. 
Ele  respont  :  «  En  es  le  pas  ? 
*  Sire ,  certainement  vous  di 
Il  n'est  mie  encore  miedi  ; 
Un  petitet  nous  reposons.  » 
Ll  preudom  dist  :  «  Âlons ,  alons  ; 
De  reposer  Irop  vous  bastés  ; 
Encor  ne  sommes  pas  aies 
Je  cuit  le  quart  de  nostre  voie.  » 
La  femme  lot  ;  peu  s'en  e.«joie  ; 
En  son  cuer  petit  le  déporte 
De  ce  faisiél  que  ele  porte. 
Se  ses  barons  o  li  ne  fust 
Hout  tost  délivrée  s'en  fust. 
Toute  voies  n'ose  prier  lui , 
Ançols  11  celle  son  anui 
Pour  çou  que  blasmer  le  soloit 
Quant  il  disoit  qu'il  se  doloit. 
SI  suelTre  au  mix  que  ele  puet  ; 
Grant  cose  en  faut ,  l'estuet. 
Tant  sueffre  celé  penitance 
Qu'ele  a  recreandir  commence. 
A  un  fossé  s'est  apoilé 
Tant  qu'ele  s'est  descarglé. 
358  Ses  barons  le  volt,  si  s'arresle, 


Son  fais  osle  de  sur  &a  teste. 

<c  Dame,  dict  il,  que  vous  en  samble? 

Mainte  fois  m'avés  ce  me  samble 

Pour  petit  faissel  laidenglé 

Aurai  ge  désormais  congié 

De  cargicr  si  peu  que  voldrai 

Par  tel  covent  que  je  prendrai 

Avoec  mon  sel  dcl  vostre  un  peu. 

Slrc ,  dist  ele ,  je  facb  veu 

Je  ne  vous  en  blasmerat  mais 

Car  trop  par  sont  grevex  tel  fais. 

A  tant  11  preudom  11  descarge 

Bien  le  tiers  ou  plus  de  sa  garge 

Si  l'a  desseur  sa  carge  mise 

Et  ne  pourquant  grant  paine  a  mise 

Que  d'ilueques  s'en  voisent  tost 

Qu'il  veut  que  petit  se  repost.        275 

Andui  recargent,  si  s'en  vont 
Mie  une  lieue  aie  ne  sont 
Quant  ele  reprent  a  lasser 
Or  m'estuet  mon  orguel  quasser 
Pense  celé  qu'avoir  solole 
Certes  bien  hors  del  sens  estoie 
Quant  je  créole  mes  voisines 
Pleust  a  Dieu  que  leur  eschincs 
Eussent  autrelant  d'anui 
Comme  la  mole  aura  ancui 
Pour  le  fais  qu'il  m'estuet  porter 
Ne  me  vienent  mais  en  orter 
Que  je  leur  doigne  folement 

El  or  que Dieu  qui  ne  ment 

Eles  souplieroienl  en  vain 
Lasse  comme  j'ai  le  cuer  vain 
Quant  mes  barons  -se  demanloit 
De  son  travail  peu  se  sentoit 
Mes  cuers  qui  ert  si  orgileus. 
Miex  s'est  vengiés,  se  m'ait  Dex, 
De  moi  que  s'il  m'eUst  batue.  296 


(1}  Le  copiste  a  écrit  KrmenKPt. 


LE  DIT   DE   FOLLE   LARGESSE. 


435 


Jamais  ne  serai  decéOe. 
.  Ne  viegne  mais  nul  a  i'ostel 
Pour  qaerre  demie  de  sel , 
Se  il  ne  m'aporte  l'argent. 
Il  est  moQlt  de  chetive  gent 
Qtti  folement  jelent  l'avoir 
303  Qu'a  lor  oes  devrolent  avoir. 

Atant  s'arreste;  aler  ne  puet. 
Par  force  reposer  l'estuet. 
Que  vous  iroie  je  aiongant 
Ne  ses  reposées  contant. 
Anals  del  escouter  seroit 
Qui  toutes  les  vous  conteroit. 
Par  tante  fois  se  reposèrent 
Que  quant  a  leur  maison  entrèrent 
Il  esloit  près  de  mienuit. 
Ne  quldiés  pas  que  il  anuit 
À  Ermesent  quant  fu  venue  : 
Couchié  s'est  (1)  trestoute  nue , 
Qu'eic  ne  se  pot  soustenir, 
Ou  preudome  n'ot  qu'esjoir. 
Il  soupa,  puis  s'ala  couchier. 
L'endemain  quant  vit  esclairier 
Dist  a  sa  feme  :  «  Levés  sus  ! 
Li  jours  est  pieça  apparus  ; 
Alons  au  sel  ;  mais  de  semaine , 
Bfcle  suer,  on  doit  avoir  paine 
Pour  avoir,  en  cesl  siècle ,  avoir  ; 
Car  avoirs  fait  souvent  avoir 
Ricesse ,  joie  et  signourie  : 
Que  povretés  ne  feroit  mie. 
Povretés  fait  mainte  ame  honte.  » 
A  sa  femme  plaist  peu  tel  conte  ; 
Si  li  respont  :  «  Sire ,  par  fol 
.  Aler  n'I  puis  ;  ce  poise  moi 
Mais  pour  Dieu  laissles  me  a  I'ostel 
El  je  vendrai  mix  vostre  sel. 
334  Saciés  que  se  je  (2)  fis  ains  mais 


N'avoie  pas  connus  le  fais 
Ne  les  grietés  de  Taporter. 
Se  vous  me  volés  déporter 
Que  je  plus  a  la  mer  ne  voise, 
Tous  jours  mais  Vous  serai  cortoise; 
De  çou  que  g'i  alai  me  duel. 
Si  contrai  mix  que  je  ne  suel 
Vostre  paine  et  vostre  grieté. 
Mais  se  Dieu  plaist  en  cest  esté 
Tendrai  tant  amont  et  aval 
Que  nous  achèterons  cheval 
Qui  aportera  vostre  fais. 
Dame  dist  et  je  m'en  tais 
Puis  que  m'avés  fait  convenance 
J'esgarderai  vostre  cbevance. 


319 


Atant  s'en  part.  Eie  demeure. 

En  son  Ht  fu  dusk'a  haute  heure 

Quant  asssés  se  fu  reposée 

Si  s'est  vers  miedi  levée. 

En  sa  maison  ja  l'atendoient 

Tex  quatre  qui  dou  sel  voloient. 

Ele  leur  dist  :  «  Volés  vous  sel?  » 

Eles  dient  :  «  Ne  volons  el. 

Bien  savons  vous  i  fustes  1er 

Or  en  aurons  nous  sans  dangier  ; 

Et  la  saunière  leur  respont  : 

«  Foi  que  je  doi  le  roi  du  mont 

Jamais  par  vos  paroles  fausses 

Ne  me  serviront  de  lex  sausses 

Gomme  pieça  m'avés  servie. 

Poitevine  ne  demie. 

N'en  ares  se  je  n'ai  l'argent. 

C'est  mervelie  d'entre  vous  gent  ; 

Vous  quldiés  pour  noient  l'aions 

Quant  a  la  mer  querre  Talons? 

Non  avons  hier.  Bien  m'i  parut; 

Pluiseur  fois  reposer  m'estut. 

On  ne  (8)  l'a  pas  si  comme  on  veut.  372 


(1)  Le  copiste  a  écrit  feit,  —  (9)  Le  copiste  :  que  je  ne  fis.  -^  (.S)  Le  copiste 
a  mis  ne  deux  fois. 


436 


LB  DIT  DB   PÔLLt  LARGtSSB. 


ToQs  li  cors  encore  tn'en  deut. 
Qai  on  denier  aura ,  denrée 
L'en  ert  maintenant  mesurée  ; 
Qal  denier  n'aora ,  si  laist  gage 
Par  Dien  qnl  me  flst  à  s'ymage. 
Aatrement  point  n'en  porterés  ; 
De  mol  mais  ne  voas  mokerés.  » 
Qaant  les  voisines  l'entendirent 
Teles  1  eut  qui  du  sel  prirent; 
Et  qui  argent  ou  gage  n'a 
De  son  sel  mie  n'emporta. 
Atant  s'en  sont  d'illuec  alées. 
Àins  que  passaissent  ij  jomées. 
Fu  de  foie  larguece  hors  ; 
Et  au  bien  vendre  se  prist  lors 
Quanques  ses  barons  aportoit. 
Si  1res  bien  et  si  cier  vendoit 
Qn'alns  que  passas  ij  estes 
Eurent  ij  kevax  acatés. 
Si  leva  il  preadom  carete  ; 
Desore  estnet,  qu'il  s'entremêle 
De  mener  sel  par  le  païs , 
Et  il  n'en  fu  mie  esbahls. 
Ains  flst  tant  qu'il  mouteplia. 
Ainsi  sa  femme  castoia 
Et  mlst  bors  de  foie  largueche. 
Si  flrent  tant  puis  sans  pereche 
Qu'il  furent  rice  et  aaisô 
401  Et  entre  leur  voisins  prislé. 


Par  ce  conte  poés  savoir 
Que  fox  larghes  pert  son  avoir 
El,  moût  souvent,  maint  tel  largece 
En  cuer  oiseus  plain  de  perece. 
Car  cuers  percceus  ne  veut  aquerre 
Et  11  pol  visex  le  desserre. 
L'escriture  dlsl  ce  me  samble 
Que  qui  a  oiseuse  s'asamble 
De  fourvoiier  est  en  péril 
Mainte  âme ,  et  menée  en  escil. 
Aussi  dist  ele  qu'a  délivre 
Devons  aquerre  com  pour  vivre 
Et  vivre  com  pour  lues  mourir  ; 
Car  on  ne  sait  quant  doit  venir 
A  cascun  l'cure  de  la  mort 
Pour  çou  a  tout  le  mont  enort 
Qu'il  sacenl  vivre  sagement 
Et  donner  ordeneement. 
Or  si  prions  que  Dix  nous  doingne 
Faire  a  tous  si  bone  besoigne 
Qu'après  nostre  mort  par  sa  grasce 
Le  puissons  veoir  en  sa  face. 
Amen.  Dix  nous  doinst  paradis. 
A  tant  est  tous  mes  contes  dis.        435 

BXPLIGIT  DB  FOIR  LARGCRCB. 


FATRASIES 


I 


En  grant  esveil  sui 

D'un  conseil  que  vous  damant  : 


1.  Au  parlement 
Eut  assés  gent 
De  maint  païs. 


2.  Di  mol  y  amis , 
Sont  ce  plais 
En  ce  panier? 


PilTHA0tfe9. 


4S7 


3.  Pour  on  denier, 
Eas  avan  ier 
Une  vendoise  (l). 

4.  Cil  se  renvoi8[e}  ; 
Peu  li  poise 

Du  froit  tans. 

5.  Quaresme  issans 
Et  hors  d'avans 
Aim  je  tous  jours. 

6.  Ribaus  en  four, 
Prison  en  tours 
Souvent  avient. 

7.  Qui  amours  tient 
Se  trop  l'escrient , 
Ce  estfolages. 

8.  Bons  est  froumages 
Et  compenages , 
Quant  il  yverne. 

0.  En  la  taverne 
Me  goiverne 
Volentiers. 

10.  Sire  Gautiers 
Me  doit  deniers  ; 
Ne's  puis  avoir. 

11.  Par  estavoir  (2), 
M'estuet  mouvoir 
A  la  journée. 

12.  Dame  Aubrée , 
Ou  est  alée 
Marions? 

13.  Trois  quarterons 
De  biaus  boutons 
Vous  venderoie. 


14.  Simple  et  coie, 
MoQt  mi  grérole 
Yostre  amour. 

15.  Li  arc  d'aubour  (3) 
Sont  li  millour, 
Ainsi  le  croi. 

16.  Fol  que  vous  doi, 
Lx  et  troi 

Sont  cil  dé  la. 

17.  Il  s'en  tourna , 
Car  il  n'osa 
Plus  demeurer 

18.  Je  voel  aler 
A  Saint  Orner. 
Au  matinet. 

19.  Hastevarlet, 
Tôt  ce  brouel 
Si  mengeron. 

20.  Par  saint  Symon  ! 
Car  et  poisson 

Ce  sont  bon  mes. 

21.  J'euc  a  Calais 
X  berens  frès 
Pour  un  tournois. 

22.  En  Aucerrois 
Cevauçans,  vois 
Tins  acheter. 

23.  Qui  veut  amer, 
Trop  a  d'amer 
S'il  n'est  amés. 

24.  Se  ne  vous  gardés ,, 
Vous  perdrés 
Tout  vostre  argent. 


(1)  Monnaie.  —  (-2)  Cf.  Hanekine,  v.  5284.  —  (3)  D'aubier. 


428 


PATRASIBS. 


25.  Bien  sai ,  argens  (i) 
Méat  mainte  gent 
En  convoitise. 

36.  Yostre  chemise 
Fu  gehni  mise 
Envers  l'envers. 

S7.  Sire  Robers, 
Faites  vos  vers 
Qai  pensés  si. 

28.  Je  vons  afl . 
La  Saint  Rémi 
Va  aproçant. 

20.  Je  sai  bien  le  cant 
D'Agoulant 
Et  de  Jaumont. 

30.  En  son  cemont, 
Aie  en  sont 
Atoat  les  ciens. 

31.  Sire  noient 
De  mes  ioiiens 
Qui  monte  a  vous. 

32.  Gaers  saverous , 
Ames  me  vous , 
Dites  le  moi. 

33.  De  par  le  roi , 
Je  vous  envoi 
En  cbastelet. 

3J.  Vallet,  vallet, 
Pren  ce  muilet; 
Il  s'en  ira. 


35.  Qui  s'en  fuira 
Couars  sera , 

Je  l'os  bien  dire. 

36.  Baissiés  vostre  ire  ; 
Saciés ,  biaus  sire, 
Peu  en  donroie. 

37.  Je  n'oseroie 
Aler  la  voie 
(De)  par  de  la. 

38.  Je  donrai  ja 
Ce  ribaut  la 

Du  poing  es  dens. 

39.  Trop  sont  prenans 
Et  gaaignans 

Ces  useriers. 

40.  Oncques  denier 
Me  meurent  chier; 
De  moi  s'en  vont. 

41.  Compaignon  sont 
Moult  bon  à  Pont 
Sainte  Messence  (2). 

42.  Grant  reparlance 
Est  de  l'enfance 
Lancelot  (3}. 

43.  Trop  grand  riot 
A  en  ce  sot  ; 
Ostés  le  moi. 

41    Foi  que  vous  doi , 
En  bone  foi . 
Vous  amerai. 


(1)  Seul  exemple  jusqu'ici  d'une  répétition  du  mot  précédent;  mais  le  nominatif 
est  toléré  comme  différant  de  raccusatif.  —  (9)  Pont-Sain te-Maxenco.  Co  mot  seul 
indiquerait  la  pièce  comme  faite  au  Mgncel,  chez  Beaumanoir.  —  (3)  Lancelot  du  Lac. 


FATRASIBS 


429 


45.  Quant  Je  porai , 
J'amenderai 
Yostre  estoatie  (i). 

d6.  DoQce  amie. 
Je  Yoas  prie 
Pour  Dieu  merci. 

47.  Par  saint  Rémi  ! 
Moat  a  en  li 
Bon  cuisinier. 

48.  En  se  soiier 

S'en  vont  mengter 
Li  compaignon. 

49.  Qui  sans  raison 
A  desraison , 

Il  n'est  pas  liés. 

50.  Se  vous  issiés , 
Si  toumoiiés 
Hardiement. 

51.  Ne  te  repent  ; 
Aporte  avant 
Ce  que  tu  tiens. 

52.  Dedens  Amiens, 
N'eu-j-onques  riens 
Se  je  n'i  fui. 

53.  Ne  menjai  hui , 
Ne  hui  ne  bui  ; 
Dont  il  me  poise. 

54.  Geste  poise 

De  çha  plus  poise 
Que  de  la. 

55.  Qui  te  n'aura , 
Pas  ne  t'ama 
De  bone  amor. 


56.  Hais  cascun  jor 
Yenront  du  four 
Gasteiet  cbaut. 

57.  Sire  Ribaut 

Et  que  me  caut 
De  vostre  ju? 

58.  Sejemengu, 
J'aurai  du  fu 

Lès  mon  cosié  (3). 

59.  Qui  a  osté 
Nostre  pasté 
Que  j'aportai? 

60.  Je  buverai, 
Saciés  de  vrai , 
Comment  qu'il  aille. 

61.  Quatre  vaille  ; 
11  ne  me  caille 
Se  tu  pers. 

62.  Plus  es  divers 
Que  n'est  un  vers 
Qu'on  veut  tuer. 

63.  Je  voel  ruer 
Sans  esluer 
A  ce  coulon. 

64.  Di)c  !  quel  laron 
Et  quel  glouton 
Il  a  en  vous  ! 

65.  Vous  êtes  cous 
Car  vostre  tous 
Va  en  dechié. 

66.  Qui  a  mengié, 
S'il  l'a  paiié 
Cuite  en  doit  estre. 


(1)  sltUlilia.  ~  (;>)  Fusi,  bâton;  je  serai  batlu. 


iSO 


PàTUASlES 


67.  Sire  raaistres , 
Estres  vous  prostrés? 
Couronne  avés. 

68.  Tost  a  portés 
Des  ans  pelés 
En  ce  mortier. 

69.  Aies  plaidler, 
Sans  atargier, 
Il  en  est  tans. 

70.  Moine  d'Oscans 
Sont  bones  jens  ; 
Ensi  le  cuit. 


71.  Vés  comme  il  fuit  : 
Alons  trestuit 
Après  courant. 

72.  Par  la  devant 
S'en  va  fuiant 

Un  grans  connins. 

73.  Cix  Jeolins 
Boit  si  fors  vins 
Que  il  se  noie. 

74.  Pour  riens  que  voie 
Plus  ne  diroie 

De  ces  oiseuses. 


II 


Li  chan  d'une  raine 
Saine  (l)  une  balaine 
Ou  fons  de  la  mer  ; 
Et  une  seraiqe  (2) 
Si  emportoit  saine 
De  seur  Saint  Omer. 
Uns  minau  i  vint  chanter, 
Sans  mot  dire  ;  a  tiaute  alaine  ; 
Se  ne  fust  Warnaviler  (3) 
Noie  fuissent  en  la  vaine 
11  D'une  teste  de  sengler. 

Li  pies  d'un  sueron 
Feri  un  lyon 
Si  k'il  le  navra. 
La  moitié  d'un  jon 
A  pris  un  limon 
Ki  s'en  courecba  ; 
Mauvais  iaron  le  olaraa. 


Es  vous  le  bech  d'un  frion 
Qui  si  bien  les  desinella 
Que  la  pêne  d'un  oison 
Trestout  P^ris  emporta.  22 

Je  vi  toute  mer 

Sur  terre  assambler  (4, 

Pour  faire  un  toui'uoi 

Et  pQîs  à  piler. 

Sur  un  chat  monter 

Firent  noslre  roi  ; 

A  tant  vint  Je  ne  sai  quoi 

Qui  Calais  et  Saint  Omer 

Prist  et  mist  en  un  espoi  ; 

SI  les  a  fait  reculer 

Deseur  le  Mont  Saint  Eloi  (5).     sa 

Yns  grans  herens  sors 
Eut  assis  (6)  Gisors 


(l)  Sanat  ou  saginat.  —  (•i)  Syrène.  Le  Chant  des  Seraines,  par  Est.  Forcadel  ; 
Paris,  1648.  —  (3)  Simple  ferme,  voisine  du  tlef  do  Beaumanoir.  —  (4)  Combattre. 
—  (5)  Monl-Saint-Eloi  (PasHle-Calais),  arrond.  d'Arfas.  «-^  (S)  Assiégé. 


F^TBASIS^. 


431 


D'une  part  et  d'autre  ; 
Et  ij  homes  mors 
Vinrent  a  ellors 
Portant  une  porte. 
Ne  fust  une  vielle  torte, 
Qui  ala  criant  :  a  hors  l 
Li  cris  d'qne  quaille  morte, 
Les  eust  pris  a  effors 
44  Desous  un  capel  de  fautre 

Li  cras  d'un  poulet 
Menja,  au  brouet, 
Pont  et  Yerberie. 
Li  bes  d'un  collet 
Emportoit  sans  plet 
Toute  Normandie  ; 
Et  une  pume  (1)  pourie , 
Qui  a  fera  d'un  maillet 
Paris  et  Rome  et  Surie , 
Si  enûst  un  gihelet; 
55  Nus  n'en  menjut  qui  ne  rie. 

Vns  des  estourdis 
Portoit  saint  Denis 
Parmi  Mondidier, 
Et  une  pertris 
Traïnoit  Paris 
De  seur  saint  Richier. 
Es  vous  le  piet  d'un  plouvier 
Sur  le  clokier  de  Saint  Lis  (2). 
Qui  si  haut  prist  a  crier 
Qu'il  a  tous  estourdis 
66  Les  hourgois  de  Monpeliier. 

Vne  grand  Yendoise 
Entraïnoit  Oise 
Deseure  un  haut  mont 
Et  une  vies  moise  (3) 
Deseure  une  toise 


Emporta  haut  mont. 

Une  espanc  de  roont 

Xi  mnis  de  blé  poise 

Sur  le  caste!  de  Gier  mont  ; 

Si  c'une  flestre  Jorroise 

En  sooula  tout  le  mont.  77 

Quatorze  vies  frains 

Âporterent  Rains 

Pour  faire  un  estour  (i) 

Encontre  ij  mains 

Qui  eurent  es  mains 

La  bouce  d'un  four  ; 

Si  en  eurent  le  millour 

Pour  cou  quQ  carbons  estains 

Leur  geterent  tout  entour 

Si  It'il  eurent  ars  les  mains 

Sur  le  pumel  (5)  d'une  tour.       88 

Li  chles  d'une  trelie 

Par  nuit  se  resvelle 

Pour  pestrir  pastés, 

Et  une  corneille 

Prist  une  corbelle  ; 

Ce  fu  foletés. 

Car  xix  vaissiaus  dés 

Coururent  a  la  mervelle. 

Ja  i  eust  cox  donnés 

Quant  une  chaloreiile , 

D'un  baston,  les  a  sevrés.        90 

Une  vies  Icemise 
Eut  sentence  mise 
À  savoir  plaidier. 
Et  une  cerise 
S'est  devant  li  mise 
Pour  li  iaidengier. 
Ne  fust  une  vies  cuillier 
Qui  Sa  laine  avoit  reprise 


(1)  Pomme.  —  {i)  Senlis.  -^  (3)  Moise,   pièoe  do  cliarponte.  Haut-Mont,   lieu 
d'Artois.  —  (4)  CombAt.  -^  (5)  Pumel  :  pommeau ,  boule  au  sommet  du  toit. 


VATKASlBii. 


SI  aportoit  un  vivier. 


Parmi  llj  tlaons 


Toute  II  -uwe  de  ça  mise  m  Mengierent  FraDçoIî. 

0  Fust  enlrée  en  uq  pailler,  *  t^'  '  v""'  Aacerrols 
Acourant  en  IJ  pocons. 

Somais  {i)  et  Ressons  SI  que  Cbaalons  el  Btoig 

Vinreat  à  SoUaons  S'en  rurejil  dusk'à  Kons 

Prendre  Boulenois;  En  Henau,  par  Oreloli. 
El  trol  mort  taons 


AVE   MARIA 


Ave  Maria,  o  très  doace  Marie, 

Fontaine  de  pitié  ! 

Qui  ja  jour  n'ert  torie , 

Qui  â  mains  peccoar 

Donnés  miséricorde. 

Je  vous  pri,  nostre  dame, 

Que  vous  ne  souffres  mie 

Que  deables  ait  m'ame 

En  sa  soie  baillie. 

Mais  a  bon  dous  fll ,  dame 

Merci  aie  et  racorde 

Ançois  que  la  Inors  viegne 

Ne  que  ele  me  morde 

Vous  pri lompés 

Du  deable  la  corde 
Qu'il  a  mise  en  tour  moi 
Par  sa  grant  félonnie , 
Pour  moi  traire  en  la  flamme 
Qui  est  puans  ci  orde. 
Ne  je  ne  sai  comment, 
Dame,  je  l'eu  reslorde, 
Se  vostre  grans  pitiés 
Leur  pooir  n'afeblie. 

Gratia  plena  ;  dame 
De  toute  grasse  plaine, 
Plus  assés  que  n'est  d'iauwe 
Rivière  ne  fontaine , 
Ne  la  mers  ensement 
Qui  est  grans  et  parfonde  ; 
Dame  qui  eslevé 
Fustes  pour  la  souvraine  ; 
En  qui  Dix  s'aombra 
Pour  nous  ester  de  paine  ; 
Se  n'el  nous  tant  pecbiô 
Dont  tant  a  par  le  monde 
Que  je  dout,  douce  vierge, 
Que  en  Enfer  ne  fonde , 
Se  vos  très  grans  pitiés 
39  Ne  me  fait  de  max  monde , 

T.  VIU. 


Et  vostre  grans  secours 

En  joie  ne  me  maine. 

Donques  puis  je  savoir 

Que  je  sui  en  la  fonde 

Dont  anemis  me  quide 

Jeter  en  mort  segonde 

N'atent  fors  le  passage 

De  ceste  premeraine.  47 

Dominas  tecum,  dame. 

Avocques  toi  est  Dix , 

Et  tu  avecques  lui  ; 

En  la  joie  des  ciex 

Qui  si  est  grans  et  bonne 

Nus  ne  le  poroit  dire, 

Qui  soit  en  tout  le  mont 

Tant  comme  il  soit  mortex. 

Douce  dame ,  estes  moi 

De  tous  péciés  mortex  ; 

Si  que  je  vostre  fll 

Et  vous,  es  ciex,  remire. 

Douce  dame  de  qui 

Pecheour  font  leur  mire. 

Yoelliés  destorner  m'arme 

De  la  ou  cil  la  tire 

Qui  de  H  tourmenter 

Parest  si  envieus. 

Sachiés  tant  a  ja  fait 

Qu'il  en  quide  estre  sire . 

Se  vostre  grant  pitiés 

Ne  11  veut  contredire. 

Dei  tout  m'a  ja  honni 

U  fei  malicieos.  71 

Benedicta  tu  in  maiieribus. 
Par  cest  mont  poons  bien 
Tuit  savoir  que  tu  fus 
Par  deseur  toutes  femmes 
Sainte  et  bonne  ôorée.  76 

S8 


434 


AVB   MARIA. 


Bien  le  nous  monstra  la 
Oa  tost  fa  secourus 
Par  ta  miséricorde 
Tes  clers  Tiieophilus , 
Qui  de  mettre  en  enfer 
S'ame  avoit  encarlrée , 
Et  de  son  sanc  meismes 
Fu  la  chartre  ditée. 
Puis  baisa  l'aneml 
Piain  de  maie  pensée  ; 
Ainsi  par  desespoir 
Se  f u  tous  confondus  » 
Hais  puis  se  ramembra 
De  s'ame  c'ot  dampnée  ; 
A  tant  connut  en  tous 
Force  et  pitiet  doublée , 
Que  ses  malvais  convens 
94  Fa  par  tous  derompus. 

Et  benedictus ,  Dame. 
Estre  doit  beneois 
97  Li  enfôs  et  pour  cui 


Fu  ce  dit  (Ja  l'orrois) 
Fructas  venlris  tui. 
De  ton  yentre  li  fruis 
Qui  tant  fu  debonaires , 
Simples,  dous  et  cortois. 
Qu'il  voit  pour  nous  morlr 
El  gibet  de  la  crois  ; 
Et  souffiri  tant  martires , 
Tant  tourmens,  tant  anvls. 
Plaiiés,  Grucifliés 
Fu  des  félons  inis, 
Qui  plain  erent  de  max 
Et  de  tous  les  biens  TUis. 
L'a  vaut  recevoir  mort 
Cil  qui  est  rqis  des  rois , 
Pour  ses  amis  oster 
D'infer  del  parfont  puis. 
Vierge  qui  le  portastes , 
Vierge  avant ,  vierge  puis, 
Gonduisiés  m'ame  là 
Ou  sont  les  douces  voies  ! 
Amen. 


127 


FIN, 


yiDDÏTIONS   ET  pORRECTïONS 


PHILOLOGIQUES 


Lorsque  je  commençai ,  dans  le  Recueil  de  mémoires  publié  par 
la  Société  Académique  de  TOise ,  Tédition  des  œuyres  poétiques  de 
Philippe  de  Beaumanoir  dont  on  Tient  d'avoir  les  derniers  vers,  il 
me  sembla  indispensable  d'aider  les  lecteurs  de  la  Société  en  expli- 
quant les  mots  les  plus  difficiles.  Faciliter,  à  des  personnes  inha- 
bituées peut-être  aux  obscurités  de  notre  ancien  langage,  l'intelli- 
gence du  texte  était  toute  mon  ambition ,  et  je  n'avais  aucun  des- 
sein d'entrer  sur  le  terrain  des  discussions  philologiques.  Je  croyais 
alors  n'aToir  à  faire  qu'une  roTue  rapide  et  superûclelle,  une  sorte 
d'agréable  promenade  dans  les  champs  du  vieux  langage.  Seule- 
ment ,  pour  être  à  la  fois  très-bref  et  très-complet ,  ma  louable  in- 
tention était  d'expliquer  chaque  mot  obscur  en  mettant  au-dessous, 
en  note,  le  mot  ancien,  latin  ou  autre,  dont  il  était  dérivé,  quand 
même  la  source  étymologique  n'eût  pas  été  prouvée,  mais  seule- 
ment vraisemblable.  ~  Ce  système  loyal  était  des  plus  dangereux. 

Nul  besoin  d^attendre  la  fin  de  l'impression  pour  s'apercevoir  do 
plusieurs  méprises  où  j'étais  tombé  et  pour  reconnaître  l'utilité  des 
systèmes  tout  différents  que  suivent  toujours  les  éditeurs  de  poésies 
et  autres  documents  du  moyen-âge^  lesquels  ou  ne  mettent  aucune 
note  explicative,  ou  n'expliquent  que  les  mots  parfaitement  sûrs, 
c'estrà-dire  parfaitement  connus ,  ou  ne  donnent  que  la  traduction 
française  du  mot  difficile,  ce  qui  leur  permet  de  se  contenter  d'un 
équivalent  et  par  conséquent  de  ne  pas  se  tromper.  Je  demande 
donc  au  lecteur  la  permission  de  reprendre  un  certain  nombre  de 
passages  des  vers  de  Beaumanoir,  que,  faute  d'attention  suffisante, 
j'ai  expliqués  d'une  manière  défectueuse  ou  tout  à  fait  fausse ,  et 
j'y  joindrai ,  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  se  présenteront,  les  quelques 
articles  que  j'avais  réservés  comme  trop  longs  pour  entrer  dans  les 
notes  placées  an  bas  des  pages. 


436  ADDITIONS  ET   CORRECTIONS 

La  pièce  de  vers  sur  la  chair,  et  les  os  charnas  ou  décharnés , 
que  nous  avons  Iranscrile  ci-dessas  dans  la  préface,  d'après  une 
copie  qui  se  IrouYe  sur  la  garde  du  manuscril  7609*,  se  trouve 
aussi  dans  d^autres  manuscrits.  Elle  est  d'un  trouvère  du  xui*  siècle, 
Baudouin  de  Gondé,  et  elle  a  été  publiée,  sous  Je  titre  lÀ  ver  de  la 
char,  par  M.  Âug.  Scheler  dans  l'ouvrage  :  DUset  Contes  de  Baudouin 
de  Condé  et  de  Jean  de  Condé,  son  fils;  Bruxelles,  4866,  2  vol.  in-8<> 
(I,  \M).  Les  dix  derniers  vers  de  notre  texte  ne  sont  pas  dans  les 
autres. 

Manekine  : 

Vers  4482  :  «  Devers  la  mer  a  retournée  sa  chiere  et  voit  la  nef 

venir.  »•  —  Sa  chière  est  «  son  visage,  »  caro,  cara; 
et  non  cathedra  y  sa  chaise.  Cette  expression  se  ren- 
contre fort  souvent,  depuis  Corippus  (vi*  siècle)  jus- 
qu'à la  farce  de  Patelin  (xv').  Voyez  par  exemple 
dans  le  fabliau  de  «  la  Houce  partie ,  •  vers  874  : 

Vers  son  père  torna  sa  chiere. 

—  4487  :  u  Les  gens  qui  iloec  sont  açaine.  »  —  C'est  tout  à  fait 

improprement  qu'on  a  proposé  ci-dessus  adcentenam 
ou  d'autres  équivalents  encore  pires.  L'explication 
vraie  est  adsignat,  il  fait  signe. 

—  2244  :  «  Si  kavel  erent.  »  —  Ce  n'est  nullement  cavilia,  se 

rapportant  à  la  couronne;  c*esi capilli,  ses  cheveux. 

—  4774  :  «  Si  entrent  ou  Far,  de  manois.  » 

En  plusieurs  endroits  de  la  Manekine  (vers  4765,  4995, 6828,  etc.), 
Beaumanoir  semble  donner  au  fleuve  qui  joint  Rome  à  la  mer,  c'est- 
à-dire  au  Tibre,  un  nom  inconnu  :  f^  Far,  Il  n'a  cependant  pas 
tout  à  fait  tort.  Le  Tibre  se  jette  à  la  mer  par  deux  bouches  :  l'une, 
la  grande,  garde  le  nom  du  fleuve  :  //  Tevere;  mais  la  petite  n'a  pas 
de  nom  et  on  rappelle  encore  aujourd'hui  «  le  petit  bras,  »  il  fith- 
midno.  Or,  un  phare  s'élève  à  l'entrée  de  ce  dernier  et  y  a  vrai- 
semblablement existé  de  tout  temps.  Le  Far  est  donc  probablement 
le  nom  doLné  par  les  matelots  à  la  passe  par  laquelle  ils  entraient. 
Seulement ,  cette  désignation  n'était  pas  particulière  au  petit  bras 
du  Tibre,  et  dans  la  géographie  peu  informée  du  moyen-âge  c'était, 
parattrait-il ,  le  nom  banal  donné  à  toute  passe  éclairée  la  nuit 


PHILOLOGIQUES.  437 

pour  les  navires.  Du  moins  jetrouTO  (sur  rindicalion  de  M.  Henri 
Michelanl)  un  fait  identique  dans  un  autre  roman  du  xui*  siècle , 
«  Guillaume  de  Palerme  »  (mss.  de  la  Biblioth.  de  TÂrsenal ,  aux 
Yers  '145  et  ^H).  Le  poêle,  après  avoir  raconté  Tenlèfement  d'un 
petit  enfant  par  un  loup-garou  près  de  Palerme,  ajoute  : 

Li  leus  atout  l'enfant  s'enfuit; 
Fuit  s'en  li  leus  et  cil  après 
Qui  de  l'ataindre  sont  engrès 
De  ci  au  far  le  vont  chaçant; 
II  sont  en  l'eve  atout  l'enfant. 
Le  far  tréspassé,  perdu  l'ont 
Li  rois  et  cil  qui  o  lui  sont. 

Vers  6i90  :  «  Est  de  sa  demande  destrois.  »  —  Non  destrictus  ni 

destruclus,  mais  districtus,  tiré  de  part  et  d'autre, 
perplexe. 

—  6198  :  «  Tout  IcToir  en^V/iro</.  »  —  Jaceret  ai  non  jamiarel, 

—  6613  :  «  La  consirrée.  »  —  Consideraiio  et  non  consecralio, 

—  6650  :  a  De  leur  péchiés  Jehissant.  »  —  La  proposition  do 

gemiseentes  n'est  pas  acceptable  à  cause  do  Vm.  Il 
s'agit  d'une  sorte  de  participe  formé  sur  l'idée  do 
gehennari,  Voy.  la  noto  sur  Jelian  et  Blonde,  v.  746. 

Jehan  et  Blonde  : 

Vers  225  :  «  Moût  me  plaist  et  bien  me  haite.  »  On  trouve  comme 

substantif:  hait,  haitement;  adjectif:  haistiéy  fém. 
haistie  on  haitie;  verbe  :  haiter,  enhaiter;  et  par 
opposition  :  deheiz  et  dehaict.  Les  glossaires,  en 
devinant  le  sens ,  traduisent  les  deux  mots  par 
«  dispos ,  gai ,  bien  portant ,  »  et  son  opposé  par 
«  chagrin,  malade.  »  Quant  à  l'étymobgie,  on  peut 
voir  dans  le  glossaire  de  Diez  la  peine  qu'il  prend 
pour  la  rechercher  dans  les  dialectes  saxon,  gaélique, 
comique,  breton,  basque,  allemand  et  celtique.  No 
faudrait-il  pas  la  chercher  plutôt  dans  le  bas-latin  ? 
ÂdgUtariy  adgistatus,  signifient  nourrir  ou  être 
nourri  aux  frais  d'autrui,  et  Vh  initial  peut  avoir  été 
ajouté  comme  dans  haut  (altus),  huile  (olenro),  etc. 
Quant  à  dehait,  on  ne  trouve  pas  degistatus^  mais 
on  a  d^ectus  et  peut-être  le  barb.  defactatus. 


438  ADDITIONS  BT   CORRECTIONS 

Vers  453  :  «  Caus  est  en  tel  desirier.  »  M.  Francisque  Michel ,  à 

qai  ce  chapitre  d'errata  doit  beaucoup,  suppose 
qu'au  lieu  de  caus  il  faut  lire  caiU,  chu,  tombé;  de 
même  qu'au  t.  5448  de  la  Manehine,  il  propose  de 
corriger  «  coume  atornée  »  en  totUe  atornée  \  mais 
le  manuscrit  porte  bien  caus  et  coume. 

—  4486  :  «  De  deboinaires  et  à'estous.  m  -^  Stultus. 

—  4492  :  «  Hout  sont  tenu  de  grand  sauté,  *  —  Satietas  plutôt 

que  subtilitas. 

—  4658  :  «  Quant  mui  peur  venir  ceste  part.  »  —  Movi  plutôt 

que  mutavi. 

—  4692  :  «  Sur  son  lit  acoutés.  »  —  C'est  hien  acmbitatus ,  mais 

la  traduction  doit-être  accoudé  et  non  couché, 

—  2008  :  Cl  Si  sagement  son  cœur  navoie,  n  —  Lisez  n'avoie, 

n'achemine j  ad-viet,  advocet. 

—  2067  :  u que  la  mort  traisist,  »  —  Traxlsset  et  non 

transisset. 

—  2454  :  «  Robins  qui  est  preus  et  isniaus.  n  —  Isnel,  isnelle' 

ment,  sont  des  mots  qui  se  présentent  sans  cesse 
dans  la  langue  française  du  moyen-Age,  pour  dire 
a  jeune,  Tif,  leste,  opposé  de  ce  qui  est  sénile.  » 
L'italien  a  de  même  snello.  Diei  et  son  école  n'hé- 
sitent pas  à  faire  tirer  ce  mot  par  la  France  et  l'Italie 
de  l'ancien-haut-allemand  snell,  schnell,  qui  a  le 
même  sens.  Contentons-nous  d'y  Toir  un  des  termes 
de  la  nombreuse  série  des  mots  français  provenant 
d'un  mot  latin  commençant  par  in,  lesquels  parfois 
perdent  l'n,  comme  i«o^,  dont  le  type  est  insulatus. 
Le  latin  antique  employait  le  mot  insenescibilis , 
a  celui  qui  ne  vieillit  pas.  •  Il  avait  aussi  peut-être^ 
ou  il  y  a  eu  depuis  :  insenilis,  type  dUsneL 
— -   4004  :  «  Si  m'espée  au  cors  ne  li  moelle,  »  —  Ne  lui  mouille^ 

mulceam  et  non  moveam. 

—  4046  :  «  Et  Jehans  pour  leur  cox  gueneist,  »  —  C'est-à-dire 

qu'il  gauchit,  se  jette  de  côté  et  se  dérobe  aux  coups 
par  une  feinte.  Le  mot  guenehir  est  d'un  emploi 
fréquent  chez  les  auteurs  du  xm*  siècle.  M.  Liltré 
démontre  {r>  gauche)  l'identité  de  guenche  ou 
ganche  avec  gauche,  qui  est  seulement  de  forma- 


PHILOLOGIQUES.  439 

lion  plus  réconte.  L'école  germaniste,  conduite  ici  par  Graff  (y^/f- 
koeh'd.  SprachsschatZj  4834),  fait  dériier  guenehe  de  l'ancien-haut* 
alleman  J  wenkjan,  céder,  chanceler,  par  la  raison  que  la  main 
gauche  est  la  main  faible  ;  et  M.  Brachet  {Dictionn,  étytn,),  abré- 
Yiateur  de  Liltré,  suppose  que  gauche  étant  une  forme  féminine ,  il 
7  a  eu  un  masculin  primitif  ^aitc,  à  l'origine  gale,  type  qui  est  d'ori- 
gine germanique  et  répond  à  l'ancien-haut-allemand  weik,  faible. 

Je  n'examine  pas  ces  hypothèses;  je  ne  demande  pas  pourquoi 
gauche,  la  main  gauche  par  exemple,  possède  une  étymologio  si 
compliquée  quand  la  main  droite  ou  die  rechte  Hand,  aussi  bien 
l'allemand  que  le  français,  tire  tout  bonnement  son  nom  du  latin 
tecta,  directa.  Je  me  borne  anx  observations  suivantes  : 

Le  nom  des  deux  mains,  durant  tout  notre  moyen-âge,  a  été 
Dextre  et  Seneslrc.  Lxvamanus,  iœva  pars,  ne  se  trouve  que  dans 
le  latin  lettré  et  recherché,  en  sorte  que  le  sobriquet  de  la  main 
gauche  qu'avait  créé  la  superstition  la>ino,  5ln/#^ra,  prévalut.  Mais 
d'autres  sobriquets  peuvent  avoir  coexisté  avec  celui  qui  avait  pris 
le  dessus  el  le  perdit  depuis.  Or,  en  songeant  que  le  nom  de  la  main 
droite,  dextra,  contient  unoaflinilé  sensible  avec  l'idée  de  mouve- 
ment et  de  direction,  ducere,  deduclor,  dexter,  on  est  conduit  nata- 
rellement  à  chercher  le  nom  de  l'autre  main  dans  l'idée  opposée. 
Gomment  Tidée  opposée  à  celle  du  mouvement  serait-elle  mieux 
rendue  que  par  guiescerej  et  n'y  a-t-il  pas  une  analogie  de  forme  et 
de  son  assez  séduisante  entre  guenche  et  quiescens?  Toutefois  Tn, 
au  milieu  du  mot  guenchir^  est  un  élément  dont  la  présence  ne 
s'expliquerait  pas  dans  la  transformation  de  quiescere,  et  il  nous 
semble  préférable  de  regarder  le  type  de  guenchir  et  gauchir 
comme  se  trouvant  dans  le  mol  parfaitement  bon  latin  vanëscere, 
La  main  guenche  est  la  main  défaillante^  évanouissante. 

Nous  avons  un  mot  toul  voisin  de  gauche  :  c'est  éclanche.  Il 
est  même  très-clairement  employé  pour  gauche  (4),  et  en  eifet  on 
va  voir  qu'il  a  exactement  le  même  sens,  mais  emprunté  d'un  aulre 
mot  latin.  Au  propre,  il  a  paru  signifier  une  épaule  d'animal,  un 
gigot  do  mouton.  Pour  l'éiymologie,  éclanche  a  résislé  à  la  péné- 
tration des  lexicographes.  «  Origine  inconnue  et  sens  mal  déler- 


(1)  Dans  l'Evangile  des  Quenouilles  (tv*  siècle),  on  dit  :  le  bras  esclenc 
pour  le  bras  gauche. 


440  ADDITIONS  IT  CORRECTIONS  PHILOLOGIQUES. 

miné,  »  dit  Littré.  Les  Germanistes  ne  sont  pas  en  peine,  il  est 
yrai,  avec  i'ancien-haat-aliemand,  de  proposer:  hlancha,  Ûanc; 
seinca,  jambe;  schinken,  jambon,  etc.  Ârrétons-nous  et  disons  au 
lectear,  qui  en  conviendra  de  suite  avec  nous,  sans  grande  science 
peut-être  mais  non  sans  plaisir,  que  le  bras  esclenc  cl  la  main 
esclenge,  c'est  le  membre  exlanguens  ou  exlangniescens.  Gomment 
mieux  peindre  que  ne  fait  celle  traduction,  pour  le  sens  du  vers 
suifant  dans  le  roman  de  Renart  : 

Renart  se  saigne  à  main  esclenge. 

Vers  4468  :  a  Sans  nule  faute,  »  —  Fabula, 

—  4601  :  •  Qui  avoient  Agmsïéakeus  leurcoutiaus.  n  ^  Acutot; 

lisez  :  a  à  keus,  »  adcautetl^Mv  la  pierre  à  aiguiser. 

—  5058  :  tt  Leur  disners  estoit  ja  quis,  »  —  Cactus ^  et  non  quxsitus. 

Terminons  par  un  dernier  retour  aux  vers  de  Beaumanoir. 

Dans  un  passage  des  amours  de  Jehan  et  Blonde,  qui  noils  ayait 
semblé  ne  point  contenir  de  détails  instruciifs,  se  trouvent  cepen- 
dant ces  jolis  vers  (4573  à  4590/^0  nous  regrettons  d'avoir  omis. 
Ils  demandent  d'être  conservés  au  nom  de  leur  gracieux  langage  et 
font  vraiment  honneur  au  talent  du  poète  : 

Souvent  juent  les  jors  as  tables 

Et  as  autres  jus  delitables. 

Ce  puet  il  bien  faire  en  apert 

Jehans.  En  che  noient  ne  pert; 

Mais  quant  la  gent  s'en  est  torncc 

Et  il  font  seul  le  demourcc, 

Errant  entr'acoler  se  qurent  (se  cherchent) 

Et  de  baisier  s'entr*a*avcurent. 

Quant  U  se  pueent  aaisier 

D'aus  entr'acoler  et  baisier, 

S'ont  une  \ie  si  très  douce 

Que  joie  leur  cuers  si  adouco, 

Que  nule  grieté  n'i  remaint. 

Souvent  se  tiôncnt  entreçaint, 

De  leur  biaus  bras  estroitement  ; 

Et  puis  tant  dcboinniremcnt 

Joignent  leur  visages  cnsambie. 

Que  vraiement  a  cascun  ssmblc 

Que  il  facent  de  lour  cuers  cange. 


y  } 


—  ». 


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^hnirdôleâ 


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^ilUlNfllli*lllî 


TOUX.Gréomèlre  a. 


M0NTI6NY-LES-MAI6NELAY  (OISE). 


Sur  le  (crritoire  de  Montigny-les-Maignelay  (Oise),  h  droite  de 
la  route  départementale  deBeauvais  àNoyôn,  dans  Tangle  formé 
par  cette  voie  et  le  cliemin  dit  de  rEcu-de-France,  il  existe  une 
enceinte  fortifico,  connue  sous  le  nom  de  Fort  Philippe,  Cette 
enceinte  a  été  jusqu'ici,  par  erreur,  considérée  comme  une  cons- 
truction militaire  de  Tépoque  féodale.  Loin  de  Ifi  :  c'est  un  cas- 
TELLUM  ROMANUM  STATIVLM  dcs  dcmiers  sièclcs  de  l'empire; 
la  démonstration  en  réside  dans  la  description  suivante. 

La  figure  de  la  forteresse  est  un  quadrilatère,  dont  les  angles 
sont  aux  quatre  points  cardinaux,  et  la  base  entre  le  Nord  et  TKst. 

Les  côtés  du  quadrilatère  sont  des  remparts  de  terre  continus, 
bordés  de  fossés  extérieur» ,  avec  talus  à  l'intérieur.  Les  quatre 
angles  ont  une  surélévation.  Il  y  a  deux  ouvertures,  Tune  entre 
les  points  Nord  et  Est,  l'autre  entre  les  points  Ouest  et  Sud.  Près 
de  celle-ci,  s'élève  une  motte  circulaire  entourée  d'un  fossé. 

La  superficie  intérieure  est  de  6  hectares  37  ares. 

Les  remparts  sont  formés  d'un  amas  de  pierres  crayeuses,  qui 
ont  dû  être  extraites  du  fond  des  fossés;  car  la  surface  du  terrain 
se  compose  d'argile  recouvrant  un  massif  de  craie,  qu'on  trouve  ù 
une  profondeur  de  4  à  5  mètres.  Au  pied  du  talus  intérieur,  le  long 
et  près  de  l'embasement  du  rempart,  on  aperçoit  quelques  pierres 
dures.  A  la  porte  Sud-Ouest ,  dans  la  partie  Ouest  de  la  levée  de 
terre  qui  la  flanque,  et  qui  a  été  tranchée  par  une  coupure  obli- 
que, perce  un  grès.  Sur  les  remparts  règne  une  plate-forme  ou 
chemin  de  ronde  ayant  en  moyenne  une  largeur  de  2  mètres. 

Les  côtés  du  quadrilatère  sont  chacun  d'étendue  et  de  conser- 
vation diverses.  Le  rempart  compris  entre  les  angles  Sud  et  Est  a 


442  d'un  gastbllum  romanum  stativum 

une  longueur  de  265  mètres ,  chaînée  sur  le  chemin  de  ronde.  11 
est  abîmé  dans  la  partie  médiane  ;  sur  une  étendue  de  190  mètres, 
la  plantation  d'arbres  fruitiers  Ta  détérioré,  dégradé;  et  la  cul- 
ture de  Jardins  établis  dans  Tenceinte,  a  porté  le  sol  au  niveau 
de  la  plateforme,  en  abolissant  le  talus  intérieur.  D'autre  part, 
Texploitation  des  terrains  de  la  plaine  fut  cause  d'empiétements 
successifs  qui  ont  réduit  la  largeur  du  fossé.  Toutefois,  cette 
réduction  a  été  restreinte,  en  sorte  que  ce  fossé,  qui  d'ailleurs 
n'est  déformé  par  le  parcours  d'aucun  chemin ,  peut  être  consi- 
déré comme  type  du  fossé  primitif.  Les  extrémités  de  ce  côté 
de  rempart  sont  mieux  conservées  que  son  milieu,  surtout  celle 
qui  avoisine  la  tour  Sud.  C'est  même  cet  endroit  de  la  forteresse 
qui  fait  le  mieux  voir  ce  que  dut  être  l'état  originaire  des  choses, 
grâce  à  la  conservation  simultanée  du  fossé  et  du  rempart.  Là, 
le  fossé  a  une  largeur  de  15  mètres,  son  fond  de  3  mètres;  son 
rebord  une  hauteur  de  2  mètres  75  c.  et  un  angle  de  45<>;  le  talus 
extérieur  du  rempart  une  hauteur  de  6  mètres  25  cent,  et  un 
angle  de  63<>;  son  talus  intérieur  une  hauteur  de  2  mètres  23  cent, 
et  un  angle  de  65»;  la  plate«forme  du  rempart  une  largeur  de 
2  mètres  50  cent,  et  sa  base  de  18  mètres  50  cent.  La  surface  plane 
de  l'intérieur  de  l'enceinte  se  trouve  plus  élevée  de  i  mètre  27  cent, 
que  les  terrains  existant  à  l'extérieur  du  fossé.  La  butte  de  terre 
sise  à  l'angle,  constituant  une  tour,  possède,  au-dessus  du  chemin 
de  ronde,  une  surélévation  d'environ  2  mètres  ;  sa  base  a  22  mètres 
de  large.  Elle  ne  fait  pas  saillie,  son  pied  étant  à  l'alignement  des 
remparts,  et  sa  plateforme  rentrant.  Son  profil  extérieur  est  ar- 
rondi ;  son  sommet  ovoïde.  Les  buttes  des  autres  angles  ont  même 
forme;  elles  sont  à  la  fois  tours  de  défense  et  de  guet. 

Le  côté  compris  entre  les  angles  Est  et  Nord,  la  base  du  qua- 
drilatère, a  une  longueur  de  270  mètres.  C'est  le  moins  consente. 
Sur  une  étendue  d'environ  GO  mètres,  à  80  mètres  de  l'angle  Est  et 
130  mètres  de  l'angle  Nord,  le  rempart  venant  des  deux  côtés  en 
déclinant,  a  complètement  disparu.  C'est  là  que  se  trouve  l'une 
des  issues  de  l'enceinte,  à  environ  80  mètres  de  l'angle  Est,  et 
190  mètres  de  l'angle  Nord.  L'espace  plane  étant  occupé  par  des 
constructions  )  on  ne  peut  déterminer  la  largeur  primitive  de  la 
porte.  Le  rebord  extérieur  du  fossé  a  disparu  sous  l'action  de  la 
culture.  Il  n'en  reste  qu'un  certain  renflement  de  terrain.  La  four 
de  l'angle  Est  a  une  largeur,  à  sa  base,  de  24  mètres ,  et  une  hau- 
teur de  4  mètres  au-dessus  du  rempart.  C'est  la  plus  élevée;  le  ter 
rain  vis-à-vis  étant  le  moins  plat  et  le  moins  soumis  à  la  vue. 


A  M01fTIG!fT-LB8-MAIGNBLAY  (oISB).  44  S 

Le  côté  antre  l'angle  Nord  et  l'angle  Ouest  a  une  longueur  de 
259  mètres.  Le  rempart  est  conservé  d'une  manière  continue. 
Le  rebord  extérieur  du  fossé  se  trouve  détérioré  par  suite  de  l'é- 
tablissement de  la  route  départementale  de  Beauvais  à  Noyon. 
La  largeur  de  cette  voie  a  dû  être  prise  partie  dans  le  talus,  partie 
dans  les  terres  voisines.  Il  ne  reste  de  ce  talus  que  la  base  lon- 
geant la  route,  sur  les  deux  tiers  de  son  parcours,  et  s'en  déta- 
chant ensuite  par  un  petit  angle  rentrant.  Le  rempart  a  une  lar- 
geur de  20  mètres  â5  cent,  à  sa  base,  et  de  2  mètres  25  cent,  à  sa 
plate-forme;  son  talus  extérieur  une  hauteur  de  6  mètres  34  cent, 
et  un  angle  de  .')r/>;  son  talus  intérieur  une  hauteur  de  2  mètres 
97  cent,  et  un  angle  de  50».  Le  rebord  extérieur  du  fossé  a  une 
hauteur  de  i  mètre  03  cent,  jusqu'au  niveau  de  la  route,  et  le 
talus  de  cette  route  est  élevé  de  i  mètre  48  cent.  Il  a  donc  en 
somme  une  hauteur  de  3  mètres  Ai  cent.;  l'élévation  de  la  plate- 
forme étant  de  6  mètres  3i  cent.,  ce  rebord  lui  est  inférieur  de 
2  mètres  93  cent.;  or,  le  talus  intérieur  du  camp  ayant  une  hau* 
teur  à  peu  près  pareille,  2  mètres  07  cent.,  il  s'ensuit  que  l'in- 
térieur de  l'enceinte,  au  pied  du  rempart,  est  au  même  niveau 
que  les  terres  existant  de  l'autre  côté  de  la  route.  La  tour  Nord  a 
une  hauteur  d'environ  3  mètres  au-dessus  du  chemin  de  ronde; 
sa  base  une  largeur  de  21  mètres. 

Le  côté  compris  entre  les  angles  Ouest  et  Sud  est  long  de 
206  mètres.  Le  rempart  a  une  largeur  de  16  mètres  50  cent,  à  sa 
base,  et  de  2  mètres  à  sa  plate-forme;  son  talus  extérieur  une 
hauteur  de  4  mètres  15  cent,  et  un  angle  de  65°;  son  talus  inté- 
rieur une  hauteur  de  2  mètres  40  cent,  et  un  angle  de  54«».  Le 
fossé  est  extrêraeraenf  large  :  il  a  25  mètres;  le  chemin  dit  de 
TEcu-de-France ,  ou  d'Amiens  à  Paris,  y  passe,  dans  la  partie 
la  plus  éloignée  du  rempart,  à  70  cent,  plus  bas  que  son  pied.  Le 
rebord  extérieur  du  fossé  a  une  hauteur  de  2  mètres  8-2  cent, 
avec  un  angle  de  58<»;  les  terres  cultivées  à  l'extérieur  de  ce  fossé 
sont  de  37  cent,  au-dessus  du  niveau  du  sol  de  Tenceinte.  Â 
80  mètres  de  la  tour  Sud,  et  à  126  mètres  de  la  tour  Ouest,  parait 
l'autre  issue  de  la  forteresse.  La  porte  a  environ  15  mètres  de 
large;  primitivement  elle  devait  être  plus  étroite;  le  rempart  du 
côté  Sud ,  qui  la  borde,  semble  intact,  mais  celui  de  TOuest  se 
trouve  obliquement  coupé.  Cette  entrée  n'est  pas  dans  le  prolonge- 
ment de  Taxe  de  l'autre ,  mais  il  n'y  a  guère  d'écart.  La  tour  Ouest 
n'excède  le  chemin  de  ronde  que  d'environ  1  mètre;  ce  peu  de 
surélévation  s'explique  par  la  facilité  que  Von  éprouve  à  explo- 


446  d'un  gastellum  romamum  stativuh 

le  camp  ne  devant  être  ni  dominé  par  des  hauteurs ,  ni  menacé 
d'une  immersion  (1)  ; 

L'élévation  aux  quatre  angles  des  tours  de  guet,  postes  de  vigi- 
lance si  conformes  aux  besoins  des  derniers  temps  de  l'empire  (2); 

La  perfection  de  l'œuvre,  qui,  par  cela  même,  ne  peut  appar- 
tenir qu'aux  Romains;  les  forteresses  en  terre  seule  étant  ou 
romaines  ou  carolingiennes,  et  ces  dernières  n'ayant  jamais  eu 
la  force,  rectitude,  symétrie  des  ouvrages  antiques,  dont  celui- 
ci  est  un  spécimen  parfait,  où  éclate  la  facture  des  ca^trorum 
metatoreê  et  travailleurs  légionnaires  (3); 

L'étendue  des  lignes  de  défense,  longs  remparts,  qui  ne  pu- 
rent être  construits  et  occupés  que  par  plusieurs  milliers  de 
soldats  ouvriers,  et  jamais  par  les  populations  grossières  et  peu 
nombreuses,  existant  aux  siècles  barbares  (4). 

A  ces  preuves ,  il  faut  ajouter  les  présomptions  suivantes  : 

Proximité,  à  environ  3  kilomètres,  d'une  chaussée  Brune- 
haut,  voie  romaine  authentique  de  Cœsaromagus  à  Bavacum; 


vel  oblonga  castra  constitue».  Végèce  :  1.  m,  c.  8.  —  Pulchriora  credim- 
twTy  qiiibv>ê  uU/ra  latUttdmis  spatiwn  ieriia  pars  addUwr  lon0tidmi. 
Végèce  :  I.  III,  c.  8. 

(1)  Cavendvm  etiam  ne  mons  sit  vicinus  aUior,  qvi  ah  adverso/nis 
captus  possU  offlcere.  Considera/ndum  etiam  ne  torrentibus  in/un4ari 
constieverit  camp%bs,  et  hoc  casu  vim  patiatur  exercUus.  \égècQ  :  1.  i, 
c.  22.  —  Ca^endwn  ne  circvfinsedentilms  adversariis,  difflcilis  prestetur 
egresstts;  ne  ex  sv/perioribus  lociSt  missa  ah  hostibus  in  eum  tela  perve- 
niant.  Végèce  :  1.  m,  c.  8.  —  Ne  mons  castrisimmineat,  per  quem  su- 
pervemre  hostes,  aut  prospicere  possint  quid  in  castris  agatvr.  Hyginus. 
—  Nunc  quod  attinet  ad  soH  eleeUonem  in  statuenda  metatione  :  prinvum 
locîm  habent,  qiKS  ex  campo  in  eminentiam  leniter  attolluntwr.  Hyginus. 

(3)  Castella  stabUi  mwro  et  firmissimis  turribits  erigantur.  NotUia  di- 
gnitatwn  imperO,  Caamont  :  t.  v,  p.  28.  —  Ne  latere  usqttam  hostis,  ad 
nostra  se  proripiens,  posset.  Ammien  MarcelUn  :  l  xxx,  e.  8.  —  Latronum 
caventur  incursus ,  si  explaratores  in  mûris,  in  Purribus  sint  locatif  ut 
desuper  spectent  pkma  regionum  in  qvibus  insidiœ  latronwm  latere  non 
possunt.  Commentaire  du  code  Thiodosien.  Balliot  :  p  25.  •—  Àngulos 
oastrorwn  cirdna/re  oportet,  et  quia  coxas  efflciunt  instabiHuntque  opus, 
propugnatione  tueri.  Hyginus.  —  Viollet^Leduc  :  Dictionnaire  d^archi- 
tecture,  t.  i,  p.  329. 

(3)  Végèce  :  1.  III,  c.  8.  —  Adam.  :  Antiquités  romaines,  X.  ii,  p.  152. 

(4)  YioUet-Ladue  :  Diotiomaire  dTarchéotogie,  t.  m,  p.  61. 


k  MONTieNT-LBfrifAIOlfBLAY   (oISB).  447 

PasMge ,  par  le  milieu  de  renceinte ,  d'une  rue  dite  rue  Veru  f 
aboutissant  à  un  chemin  appelé  Chemin  des  fauches  ^  dénomina* 
lions  significatives; 

Existence,  à  Tenfour,  de  lieuxdits  indiquant  l'établissement  de 
postes  avancés  du  castellum  :  l'un ,  le  f^ietix  Chatei  (1),  Chaê- 
tellet  (2),  Castelletum;  l'autre,  le  Clos  V Embarras  (3),  Les  Bar- 
rais (4)9  enclos  fortifié  (5),  annexe  du  camp. 

Enfin ,  joint  à  cet  ensemble  d'arguments ,  voici  qui  est  décisif  : 
au  prxtorium^  on  trouve  des  tuiles,  et  dans  l'enceinte,  des  po* 
teries  romaines. 

Ce  camp,  comme  toutes  les  constructions  militaires  antiques,  fUt 
utilisé  au  ix«  siècle,  lors  des  invasions  normandes.  La  preuve  c'est 
sa  dénomination  de  Fort.  Ce  mot  en  Picardie,  et  sur  les  confins, 
désignait  à  la  fois  la  forteresse  et  le  souterrain  reftjge  de  cette 
époque,  quelle  qu'en  fût  Torigine.  L.e  camp  romain  de  Tirancourt 
(Somme)  reçut  le  nom  de  Grand-Fort  (6).  Dans  l'endroit  qui  nous 
occupe,  il  y  eut  réunion  de  camp  et  de  souterrain.  L'enceinte, 
là  comme  ailleurs,  devint  le  chatei  des  seigneurs  du  lieu  (7). 

Ubs  archéologues  ont  pris  ce  camp  pour  une  œuvre  du  Moyen- 
Age,  un  fort  élevé  sous  un  roi,  Philippe-le-Bel.  Cette  opinion  ne 
peut  se  soutenir.  Ni  sous  Philippe-le-Bel ,  ni  sous  aucun  des  mo- 
narques de  ce  nom,  la  construction  militaire  n'eut  les  éléments 
et  caractères  de  la  forteresse  ci-dessus  décrite  : 

Sous  Philippe-le-6el,  et  ses  successeurs  Philippe  V,  Philippe  YI  ? 
Mais  c'est  précisément  k  cette  époque  que  le  donjon  est  aban* 


(1)  Atlas  cadastral  de  Hontigny. 

(2)  Archives  de  l'Oise,  6.  1161. 

(3)  Atlas*cadastral  de  Montigny. 

(4)  Archives  de  roise ,  G.  1161. 

(5)  Quemadmodum  se  mUUum  nwnerus  habett  Qastrorwmqw  ac  ctau- 
sularum  oura procédai.  Code  Justinianéen  :  1.  i,  t.  31.  —  Cluswiœ  cas- 
tris  jungwUur.  CommetUaire  du  code  Théodosien,  —  Bar^  obstacle,  nom 
porté  par  plusieurs  camps  Edaens.  BoUiot  :  p.  6. 

r6)  D'Allonville  :  Description  des  camps  romains  du  département  de  ta 
Somme,  p.  32. 

(7)  Archives  de  l'Oise,  série  H,  abbaye  de  Saint-Hartin-aux-Bois. 


448  Dljy   CASTBLtUM    ROMAlfUM   STATIVI'M. 

donné,  les  progrès  de  la  civilisation  faisant  trouver  ce  logis 
trop  incommode; 

Sous  Philippe  II,  Pliilippe  III?  Hais  il  n'y  a  plos  ni  motte  ni 
fossé  ,.celui-ci  étant  remplacé  par  la  chemise  crénelée ,  antemu- 
raie;  mais,  dès  Louis  VU,  toute  la  défense  est  de  pierre,  au  lieu 
d'être  de  terre,  de  palissade  ou  de  haie;  elle  est  fréquemment 
coupée  de  tours  en  saillie;  ses  fronts  ont  des  directions  diffé- 
rentes; il  y  a  un  porlaîl  à  rentrée  de  Tenceinte,  entre  deux 
tours  allongées; 

Sous  Philippe  K?  Mais,  même  en  prenant  cette  fortification  pour 
une  œuvre  du  Moyen-Age,  on  ne  pourrait  Tattribuer  à  ce  règne  de 
sécurité;  il  faudrait  la  dater  d'avant;  ces  vastes  enceintes  de 
talus  avec  fossés  remontent  à  la  guerre  des  Normands  (1). 

L'erreur  des  archéologues  a  eu  pour  cause  la  dénomination 
du  camp  :  Fort  Philippe.  Ce  nom  les  a  fait  croire  à  une  œuvre 
capétienne.  Ils  n'ont  pas  considéré  que  si  ce  terme  de  Philippe 
appartient  à  la  troisième  race,  celui  de  Fort  est  essentiellement 
des  temps  Karolingicns  ;  que  par  conséquent  l'œuvre  existait 
alors,  et  que  son  nom  reçut  plus  tard  pour  déterminatif  celui  d'un 
homme,  probablement  d'un  seigneur,  alliance  de  mots,  déno- 
mination caractéristique  des  enceintes  employées  au  ix«  siècle  .- 
Hayx  Regiiutldii  Les  Jlcujes  Renaud;  Plexitium  Brionis,  IjePlessis 
Brion;  Firmitas  Bernardi,  La  Ferté  Bernard  (2). 

La  construction  et  configuration  du  Fort  Philippe,  étrangères 
à  l'époque  Capétienne;  la  force  et  perfection  de  àes  défenses  qui 
l'excluent  des  temps  barbares;  l'ensemble  des  preuves  de  sa  na- 
ture antique,  quant  à  la  position,  la  forme,  les  éléments,  les 
dispositions,  les  matériaux,  et  les  objets  qu'on  y  trouve,  auto 
risent  donc  à  formuler  cette  proposition  : 

Le  Fort  Philippe  est  un  castellum  romanum  stativum. 

On  peut  ajouter  :  il  est  le  plus  régulier,  le  plus  complet,  le 
plus  typique  des  camps  romains  du  département  de  l'Oise. 

C'est  la  découverte  qu'il  fallait  signaler. 

Armand  RENDU. 


(1)  Jules  Qoicherat,  à  son  cours. 

(2)  Joies  Qoicherat,  à  son  cours. 


MÉMOIRE 


SCR 


LES    SILEX    TRAVAILLES 


DE  L'ATELIER  DU  CAMP -BARBET, 


èi   Jan ville,   cantxDii    do   Mou-y   (Oise). 


AVANT  -  PROPOS. 

Le  département  de  TOise  est  fort  riche  en  restes  de  Tàge  de 
pierre,  si  Ton  en  juge  par  la  fréquence  de  ceux  qui  sont  épars 
à  la  surface  du  sol.  Beaucoup  d'entre  eux  se  trouvent  en  frag- 
ments; mais,  dans  certaines  régions,  il  s'en  rencontre  d'intacts 
et  d'une  magnifique  exécution.  Les  plateaux  élevés,  d'où  l'on 
embrasse  les  pays  à  une  grande  distance,  environnés  de  vallons, 
recèlent  principalement  les  silex  travaillés.  En  parcourant  nos 
environs,  il  est  peu  d'endroits  où  je  n'eus  l'occasion  d'aperce- 
voir des  objets  variés,  disséminés  ça  et  là,  bien  ou  mal  conser- 
vés. Dans  les  vallées,  au  milieu  des  bois,  il  n'est  pas  très-rare 
de  découvrir  aussi  plusieurs  espèces  polies ,  même  à  une  pro- 
T.  viii.  29 


450  MÉMOIRE   SUR   LES    SILBX    TRAVAILLÉS 

fondeur  de  un  mèlre  et  demi.  Uelalivement,  c'est  une  exception, 
et  les  points  culminants  sont  privilégiés  :  c'étaient  les  lieux  pré- 
férés par  les  sauvages,  qui  naturellement  se  mettaient  en  garde 
contre  les  attaques,  et  qui  évitaient,  en  se  tenant  sur  les  hau- 
teurs, de  respirer  un  air  vicié  par  les  eaux  stagnantes  et  les  bois 
épais.  Ils  choisissaient,  sur  les  plaines ,  le  voisinage  des  ravins 
pourvus  de  sources.  C'est  donc  vers  ces  endroits,  qui  dénotent 
souvent  Tancien  emplacement  de  leur  demeure,  que  devront 
être  dirigées  les  invesh'gations.  L'étude  de  ces  époques  si  obs- 
cures* tendant  à  se  développer  chaque  jour,  il  est  probable  que 
Ton  signalera  des  gisements  nombreux  ignorés  jusqu'ici. 

Déjà,  depuis  la  découverte  de  l'atelier  qui  fait  l'objet  de  cette 
notice,  en  fouillant  un  terrain  pour  l'extraction  du  balaste, 
on  recueillit,  en  1870,  à  Montguillaiu  (Goincourt,  près  Beauvais), 
de  nombreux  et  superbes  cailloux  travaillés,  de  la  période  pa- 
léolithique. Ils  sont  à  une  profondeur  variable,  dans  un  gravier 
diluvien,  grisi\tre,  qui  recouvre  les  bancs  parmi  lesquels  gisent 
des  spécimens  ayant  subi  le  roulis  des  eaux,  et  paraissant  plus 
anciens.  De  nombreux  débris  de  poteries  très-grossières,  dont 
beaucoup  appartiennent  à  une  époque  moins  reculée,  se  super- 
posent à  cette  couche.  Les  pièces  sont  d'une  fraîcheur  remar- 
quable, d'assez  grandes  dimensions,  d'une  conservation  mer- 
veilleuse. Plusieurs  ont  des  rapports  frappants  avec  les  types 
de  Saint-Acheul. 

J'ai  trouvé  également,  au  milieu  du  diluvlum  qui  parcourut  le 
fond  de  la  vallée  du  Thérain,  en  y  laissant  d'immenses  dépôts, 
une  certaine  quantité  de  pointes  de  flèches  et  d'autres  pièces 
mutilées  indéterminables.  En  général,  les  angles  sont  émoussés 
parle  transport,  et,  malgré  tout,  les  signes  du  travail  sont  in- 
contestables. Quelques-uns  même  conservent  leur  intégrité.  Ces 
restes,  de  dimensions  exiguës,  légers,  ont  été  balayés,  entraînés 
par  les  eaux  plus  aisément  que  ceux  de  forte  taille,  qui  présen- 
taient du  poids,  et  dont  les  surfaces  ont  dû  subir  une  détério- 
ration presque  complète  sous  l'influence  du  mouvement  torren- 
tiel. Les  personnes  peu  versées  dans  l'examen  de  ces  débris  ob- 
jecteront peut-être  que  la  forme  est  due  au  hasard,  suivant  la 
direction  et  l'intensité  des  chocs.  Cet  argument  tombera  devant 
l'étude  des  détails.  Les  retouches  sont  constamment  la  preuve 
de  Taction  humaine.  En  donnant  au  silex  les  contours  appro* 


DB    L'aTBLIBR   du    CAMP-BARBET.  45i 

priés  au  service  que  Ton  demandait,  Il  se  produisait  une  série 
de  petits  éclats  réguliers  le  long  des  bords ,  éclats  non  calculés, 
mais  qui  avaient  lieu  naturellement  pendant  la  fabrication. 
Aucun  autre  agent  que  la  main  de  Tbomme  ne  pouvait  les 
créer  de  cette  façon.  Il  serait  trop  long  ici  d'en  accumuler  les 
preuves. 

Ces  divers  objets  appartiennent  encore  à  la  période  paléoli- 
thique ,  et  ils  prouvent,  par  leur  présence,  que  notre  espèce  exis- 
tait avant  le  phénomène  géologique  qui  donna  lieu  au  grand 
courant  diluvien  dont  nous  pouvons  suivre  le  parcours. 

  Foulangucs,  Cires-les-Mello »  jusqu'à  Tillé,  et  au-delà, 

tous  les  champs  des  plateaux  montrent,  par  endroits,  des  restes 
néolithiques  ou  de  transition ,  les  uns  beaux ,  intègres ,  les  autres 
grossiers  ou  détériorés.  J'en  rassemblai  une  collection  nombreuse 
qui  fera  le  sujet  d'une  autre  étude.  Je  cite  encore  d'autres  loca- 
liiés  :  Scrifontaine  (période  paléolithique  analogue  à  Hontguii- 
lain),  Mouchy-Chàtel  {néolithique)^  Fouquerolles.  Silex  contem- 
porains de  ceux  de  Foulangues  :  Hermès  et  plusieurs  régions 
voisines  de  Beauvais.  Le  gisement  de  Bracheux  se  rapproche 
singulièrement  de  Saint-Acheul. 

J'ai  vainement  cherché,  dans  les  auteurs  qui  ont  publié  des 
livres  ou  brochures  sur  le  département  de  l'Oise ,  des  renseigne- 
ments ayant  quelque  rapport  aux  stations  de  l'âge  de  la  pierre. 
J'ai  lu  seulement  des  indications  peu  précises,  données  parGraves 
dans  sa  Notice  archéologique.  Encore  ne  portaient-elles  que  sur 
des  exemples  isolés ,  déposés  dans  des  tumulus  ou  récoltés  for- 
tuitement. 

Ledicte-Duflos  (^'ot^ce  sur  le  mont  de  Catenoy,  dit  le  Camp  de 
César  :  Mémoires  de  la  Société  Académique  de  VOise,  !•«•  vol.,  \%VA  ) 
s'étend  assez  longuement  sur  ses  fouilles  intéressantes.  Au  mo- 
ment où  il  faisait  connaître  le  résultat  de  ses  recherches,  les 
notions  sur  les  temps  préliistoriques  étaient  peu  avancées,  et 
l'auteur  commettait  des  erreurs  fort  excusables. 

M.  Iloubigant  {Mémoires  de  la  Société  Académique  de  VOise^ 
t.  IV,  1859)  décrit  plusieurs  silex  de  son  cabinet,  sans  commen- 
taires sérieux. 

Je  rappelle  ma  courte  notice  sur  diverses  découvertes  archéo- 
logiques du  canton  de  Mouy  {Mémoires  de  la  Société  Académique 
de  VOise,  t.  vi,  p.  724;  1865).  J'y  signale  la  présence  de  silex 


452     MiMOIBB  SUB  LES  SILEX  TBAVAILLBS  DU  CAMP  BARBET. 

paléolithiques  qui,  jusqu'à  présent,  n'ont  été  trouvés  qu'excep- 
tionnellement dans  les  pays  cités.  Les  instruments  mentionnés 
appartiennent  tous  à  la  pierre  polie  ou  à  une  époque  intermé- 
diaire. 

Je  ne  connais  pas  d'autres  mémoires  dans  lesquels  on  aurait 
indiqué  des  localités  importantes ,  en  ce  qui  concerne  le  dépar- 
temet  de  l'Oise. 

C'est  à  M.  Buquet,  de  Cauvigny,  que  revient  en  entier  l'hon- 
neur de  la  découverte  d'un  véritable  et  riche  atelier  néoUthiqtie^ 
le  seul  que  nous  puissions  signaler  positivement  et  remarquable 
par  la  grande  variété  des  espèces.  Il  me  communiqua,  en  1869, 
les  objets  provenant  de  ses  investigations,  faites  dès  l'année  1868, 
et  il  me  conduisit  sur  les  lieux.  Non  seulement  j'ai  à  remercier 
cet  excellent  ami  de  m'avoir  fait  participer  à  sa  bonne  fortune, 
mais  je  le  prie  d'accepter  l'expression  de  ma  gratitude  pour  le 
rare  désintéressement  qu'il  a  montré  en  me  donnant  les  plus 
beaux  exemplaires  des  silex  ouvragés  de  nos  environs.  Il  s'em- 
pressa aussi,  en  toute  circonstance,  de  me  confier  ses  observa- 
tions, pleines  de  sagacité. 

H.  Al.  Desjardins,  de  Fercourt,  dont  le  nom  a  déjà  été  cité 
dans  une  publication  antérieure,  a  contribué  également,  par  ses 
recherches,  à  augmenter  le  nombre  des  types  curieux.  C'est  à 
sa  générosité  que  je  dois  quelques-uns  d'entre  eux.  Je  suis  heu- 
reux de  pouvoir  lui  témoigner  ici  ma  reconnaissance. 

Au  moment  de  la  présentation  de  ce  manuscrit ,  le  travail  de 
H.  Ponthieux,  sur  Catenoy,  n'était  pas  encore  publié.  Je  ne  pou- 
vais donc  le  mentionner. 


J'aurais  désiré  que  les  figures  représentant  les  diverses  pièces 
trouvées  au  camp  Barbet  fussent  plus  nombreuses,  mais  il  a 
fallu  les  restreindre  le  plus  possible,  à  cause  des  ressources  fort 
limitées  de  la  Société  Académique  de  l'Oise. 


PREMIERE    PARTIE. 


CHAPITRE  I". 


OiâNÉn  A.  L.ZTâ  s. 

• 

Janville,  écart  situé  sur  le  territoire  de  Mouy,  au  sud-ouest,  à 
deux  kilomètres  de  distance,  se  compose  d'une  ferme  et  de 
quelques  maisons  voisines ,  campées  au  milieu  d'une  plaine  in- 
terrompue par  des  brandies  latérales  de  la  vallée  du  Thérain. 
Ces  branches  se  subdivisent  et  forment  des  dépressions  d'une 
petite  étendue,  assez  profondes,  arrosées  par  des  sources  dont 
les  eaux  se  perdent  vers  des  endroits  fangeux.  Des  carrières 
souterraines  de  calcaire  grossier,  considérables  autrefois,  se  ra- 
miflent  à  de  grandes  distances,  et  les  entrées,  à  mi-côte,  regar- 
dent le  sud.  Dans  les  champs  voisins,  sur  les  hauteurs,  appa- 
raissent des  entonnoirs  à  ciel  ouvert,  des  trous  communiquant 
parfois  avec  les  galeries,  des  précipices  à  parois  abruptes,  au 
fond  desquels  gisent  pêle-mêle  d'énormes  pierres  presque  mas- 
quées sous  une  végétation  vigoureuse. 

Du  hameau,  Ton  descend  dans  un  étroit  vallon  qui  a  reçu, 
ainsi  que  la  colline  voisine,  le  nom  de  Camp-Barbet.  Je  n'ai  pu 
découvrir  Vorigine  de  cette  dénomination.  Les  silex  travaillés  se 
trouvent  sur  le  plateau,  qui  a  une  superficie  de  80  ares.  Le  point 
culminant  est  à  la  partie  moyenne,  et  de  là  le  regard  porte  au 
loin,  sur  les  contrées  environnantes.  Le  terrain  présente  la  dis- 
position d'un  fer  achevai ,  dont  l'ouverture  se  relie,  vers  Vouesf, 
à  la  plaine.  C'est  une  espèce  de  promontoire ,  fortifié  naturelle- 
ment, isolé  presque- partout  par  des  vallons  autrefois  remplis 
de  marécages  peu  accessibles  (1).  Il  donnait  de  la  sécurité  à  ses 


(1)  Il  y  a  près  de  vingt  ans,  on  creusa  des  fossés  afin  d'assainir  le  sol 
fangeux.  A  plus  d'uo  mètre  et  demi  de  profondeur,  je  rencontrai  des 
couches  de  JAmnaea  stagnaliB,  limnaea  paluslris,  Limnaea  limosa,  d'une 
taille  démesurée;  Dylhinia  tentaciilata,  Anodonla  celleniiSj  Cyclas  cor- 
nea,  etc.  Plusieurs  de  ces  mollusques  indiquent  un  niveau  d'eau  assez 


454  mAmoirb  sur  les  silex  travaillas 

habitants,  d'autant  mieux  que  les  flancs  sont  à  pic ,  très-boisés, 
et  qu'au  sud  la  source  du  Mesnîl  fournissait  une  eau  abondante. 
Cette  localité  n'a  guère  dû  changer  de  physionomie  depuis  l'é- 
poque à  laquelle  nos  prédécesseurs  y  séjournèrent;  seulement, 
le  paysage  était  plus  sauvage.  Les  croupes  verdoyantes  des  co- 
teaux, les  bois  épais,  les  horizons  bleuâtres  des  lointains,  tout 
ce  panorama  s'inondait  de  lumièj^e,  se  dorait  de  soleil,  se 
noyait  dans  une  vapeur  légère  comme  de  nos  jours  et  offrait 
un  aspect  ravissant  à  l'attrait  duquel  les  rudes  indigènes  ne 
pouvaient  échapper  à  leur  insu. 

il  est  certain  que  la  population  était  restreinte  et  clair-semée. 
Cependant,  quoique  l'agglomération  d'individus  soit  peu  consi- 
dérable, le  gibier,  qui  composait  la  base  de  la  nourriture,  deve< 
nait  plus  farouche  à  cause  du  voisinage  des  lieux  habités,  ou 
bien  il  venait  à  s'épuiser;  alors  les  peuplades  changeaient  d'en- 
droits. Des  fractions  de  groupes  se  détachaient  aussi  pour  chasser 
au  loin  une  proie  nouvelle,  ragriculture  à  l'état  d'enfance,  de- 
vant être  insuffisante  à  l'alimentation.  Des  familles  s'établissaient 
parfois  définitivement  sur  une  place  qui  leur  convenait.  Ce  fut 
la  cause  de  la  composition  de  villages  dont  les  habitants  conti- 
nuaient probablement  leurs  relations  avec  la  souche  primitive. 
La  similitude  des  instruments  dénote  une  origine  commune  et 
contemporaine.  La  tribu  du  Camp-Barbet  entrait  en  communi- 
cation fréquente  avec  celles  d'Ully- Saint-Georges ,  Foulangues, 
Chftteaurouge  et  autres.  Dans  les  champs  intermédiaires ,  entre 
ces  villages,  l'on  rencontre  fréquemment  des  formes  identiques, 
et  cette  région  a  été  longtemps  occupée.  A  Cauvigny,  au  lieudit 
Fontaine,  où  de  gros  blocs  siliceux  affleurent  le  sol,  M.  Bourré 
fils  découvrit,  dans  une  vaste  étendue,  de  nombreux  éclats  in- 
diquant des  essais  grossiers.  Je  ne  vis  aucun  exemplaire  qui  ait 
pu  servir.  Des  recherches  attentives  devront  amener  des  pièces 
plus  finies. 

Nous  n'avons  jamais  rencontré  d'ossements  travaillés.  Cepen- 


éldvé ,  sans  ôtre  toutefois  considérable ,  car  les  anodontes  vivent  dans 
les  étangs  ou  eaax  tranquilles,  bien  alimentées,  et  les  limnées  n'aUeignent 
de  fortes  proportions  que  dans  ces  conditions.  Ceci  prouve  que  le  fond 
de  oes  vallées  était  on  lac  ou  un  marais  très-noyé. 


DB   l'atelier  du  gamp-barbbt.  455 

dant,  jl  n'est  pas  possible  que  ces  parties  de  ranimai,  utilisées 
bien  antérieurement,  n'aient  pas  été  façonnées  au  Camp-Barbet. 
Cette  absence  nous  confirme  dans  cette  opinion  :  ou  que  des 
grottes  ont  été  habitées,  et  détruites  postérieurement  par  Texploi- 
tation  des  pierres  (1),  ou  que  l'on  dressait  des  tentes  avec  des 
branches  recouvertes  de  peaux.  Dans  ce  cas,  les  objets  en  os 
exposés  en  plein  air  se  sont  décomposés  sans  laisser  de  traces. 
Les  silex  ouvragés  de  Janville ,  d'une  belle  patine  blanche,  due 
à  leur  long  séjour  dans  un  milieu  argileux ,  sont  répandus  sur 
un  espace  d'environ  quinze  ares.  Ils  abondent  au  sud,  au  nord- 
est,  et  se  disséminent  davantage  dans  les  autres  directions. 
Vers  l'extrême  ouest,  c'est  à  peine  s'il  en  apparaît!  Tous  étaient 
enfouis  à  une  profondeur  ne  dépassant  guère  20  centimètres,  et 
ceux  qui  se  montrent  à  la  surface  furent  mis  au  jour  par  les  tra- 
vaux de  culture.  L'on  voit  communément  des  fragments  plus  ou 
moins  volumineux,  équarris,  éclatés  tout  autour.  L'on  a  eu  pour 
but  d'enlever  les  aspérités  afin  de  mieux  morceler  la  masse  qui 
se  rejetait  ordinairement  si  une  veine  semblait  trop  mauvaise 
ou  si  une  cavité  accidentelle  se  découvrait  à  la  cassure.  D'au* 
trefois,  ces  défauts  n'arrêtaient  pas  l'ouvrier,  qui  façonnait  en* 
core  un  outil  tant  bien  que  mal;  nous  en  avons  des  preuves 
fréquentes.  Beaucoup  d'entre  eux  sont  à  l'état  d'essai.  Ils  ont 
été  soumis  à  un  dégrossissement  préalable.  Une  intention  de 
grattoir,  de  tète  de  lance,  de  javelot,  se  reconnaît  facilement. 
Plusieurs  de  ces  ébauches,  malgré  leur  imperfection,  ont  des 
traces  d'usure.  D'autres  présentent  un  travail  fort  soigné.  Ces 
pauvres  cailloux,  dont  l'antique  blason  est  buriné  d'une  manière 
indélébile,  portent  sur  eux-mêmes  leur  titre  de  noblesse,  la  no* 
blesse  de  l'intelligence  humaine,  la  seule  vraie  et  impérissable. 
.Souvent  ils  ont  les  angles  émoussés,  sont  détériorés  par  des 
fractures  ou  souillés  par  des  lèpres  noires  insinuées  dans  la 
moindre  fente.  Depuis  des  milliers  de  siècles  qu'ils  subissent 


(l)  M.  Buqaet  fait  observer,  avec  raison ,  qae  s'il  existait  des  grottes, 
elles  devaient  être  tournées  aa  sud  et  recevoir  le  soleil.  Aujourd'hui,  eile;^ 
seraient  remplacées  par  les  nomi)reuses  ouvertures  des  carrières  situées 
à  mi-côte  au-dessus  du  vallon  profond  du  Camp-Barbet,  bien  abritées 
contre  le  vent  du  nord  et  continues  sur  un  long  espace. 


456  MiMOIRB  SUR  LES  SILEX   TRAVAILLÉS 

rinfluence  des  agents  atmosphériques,  qu'ils  ont  été  roulés  et 
heurtés,  il  est  étonnant  de  rencontrer  encore  des  individus  dont 
les  retouches  offrent  une  fraîcheur  admirable.  Quelques-uns, 
c'est  l'exception ,  échappent  à  toute  modification  de  la  subs- 
tance. 

Ces  matériaux  se  tiraient  probablement  des  bancs  crayeux  des 
environs  ;  ils  étaient  pris  au  fur  et  à  mesure  pour  être  taillés 
aussitôt,  l'opération  étant  plus  facile  quand  le  silex  est  frais  et 
qu'il  possède  son  eau  de  carrière.  D'après  la  quantité  de  pièces 
ébauchées  ou  terminées  et  celle  des  éclats,  l'on  peut  supposer 
que  cette  station  était  un  atelier  considérable  de  fabrication , 
ce  qui  n'exclut  en  rien  rétablissement  flxe  de  tribus  dans  des 
lieux  très-rapprochés. 

Parmi  ces  restes,  je  n'aperçus  guère  de  haches  polies  qu'à 
rétat  de  fragments,  et  les  individus  intègres  sont  rares.  Les 
formes  ont  positivement  le  cachet  d'une  période  avancée  de  l'é- 
poque néolithique.  Les  haches,  si  arlistement  exécutées,  deman- 
daient un  long  travail  avant  d'arriver  à  la  perfection ,  et  deve- 
naient par  conséquent  une  chose  précieuse.  Elles  étaient  alors 
recueillies  avec  soin,  au  lieu  de  les  laisser,  quand  une  localité 
était  abandonnée.  Aussi,  il  n'y  a  rien  de  surprenant  de  n'en  voir 
souvent  que  des  débris.  Dans  le  parc  de  la  ferme,  à  deux  pas  du 
camp,  on  met  parfois  la  main  sur  de  superbes  exemplaires  très- 
lisses,  irréprochables  de  contours,  et,  depuis  longtemps,  com- 
bien n'en  a-t-on  pas  ramassé  pour  empierrer  les  routes  voisines, 
sans  y  accorder  la  moindre  attention  ! 

Au  sud,  et  au  point  le  plus  élevé  principalement,  M.  Buquet 
et  moi  avons  trouvé  des  silex  calcinés,  les  uns  inachevés,  d'au- 
tres tout-à-fait  finis.  Dans  quel  but  avaient-ils  été  soumis  au 
feu?  Ëtaient-ce des  offrandes,  jetées  au  milieu  des  bûchers  des- 
tinés à  la  crémation  des  corps?  Celte  supposition  n'a  rien  d'ab- 
solument invraisemblable,  d'autant  plus  que  beaucoup  de  sta- 
tions présentent  le  même  fait,  et  qu'un  grand  nombre  de  peu- 
plades sauvages  observaient  celte  coutume  pendant  les  cérémo- 
nies funèbres. 

De  vagues  indications  de  la  personne  qui  cultive  le  territoire 
donneraient  à  penser  qu'un  foyer  existait  à  une  certaine  place, 
recouverte  aujourd'hui.  «  Les  blés  sont  plus  verts  à  cet  endroit, 
dit-elle;  j'y  ai  vu  comme  des  cendres  et  des  débris  de  char- 


DB    l'atelier   du   GAMP-BAnBET.  457 

bons.  •  La  charrue  a  passé  par  là,  et,  en  ce  moment,  aucun 
vestige  n'en  subsiste;  mais  Ton  doit  penser  que  ce  récit  est  exact, 
d'autant  plus  que  des  petits  morceaux  brûlés  de  poteries  ont  été 
recueillis  près  du  lieu  indiqué.  La  pâte  se  compose  d'une  terre 
noire,  compacte,  parsemée  de  grains  blancs,  avec  un  lissage, 
plutôt  qu'un  vernis,  au  dedans  et  au  dehors.  L'épaisseur  des 
fragments  a  f)  millimètres.  11  est  impossible  d'en  déterminer  la 
forme  à  cause  de  leur  exiguité. 


CHAPITRE   II. 


SILEX. 

Avant  de  commencer  la  description  particulière  des  instru- 
menls,  il  n'est  pas  inulile  de  connaître  les  variétés  de  silex  qui 
ont  été  amenés  au  Camp-Barbet ,  les  couches  géologiques  n'en 
renfermant  aucun,  et  de  mentionner  les  diverses  modifications 
qu'ils  ont  pu  subir. 

J'ai  dit  que  tous,  à  de  rares  exceptions  près,  étaient  revêtus 
d'un  cacholong  très- blanc,  laiteux,  analogue  à  la  porcelaine, 
d'un  millimètre  d'épaisseur,  de  deux  à  trois  quelquefois.  C'est 
une  modification  moléculaire  de  la  partie  extérieure,  occasionnée 
lentement  par  l'air,  la  chaleur,  l'humidité,  dépendant  beaucoup 
de  la  composition  du  terrain  et  aussi  de  celle  des  cailloux,  car, 
dans  certaines  localités,  ils  y  ont  échappé.  Ce  cacholong,  soumis 
aux  acides,  ne  se  décompose  pas.  C'est  encore  de  la  silice.  Il 
s'est  formé  depuis  la  fabrication  des  instruments,  puisque  les 
plus  fines  retouches  en  sont  recouvertes,  san^  que  la  forme  gé- 
nérale soit  altérée.  On  ne  peut  étudier  la  nature  minéralogfque 
de  la  masse  qu'en  produisant  des  éclats. 

Lorsque  le  feu  a  longtemps  agi  sur  les  diverses  formes  de  silex, 
leur  contexture  n'est  plus  la  môme.  La  substance  devient  cris- 
talline à  la  cassure;  elle  se  désagrège  plus  facilement,  comme 
si  la  cohésion  était  amoindrie.  Ce  n'est  plus  une  masse  compacte, 
homogène,  mais  un  assemblage  de  particules  agglomérées,  ayant 


458  MÉMOIRB   SUB   LES  SILIX   TRAVAILLÉS 

sonvent  l'aspect  résineux.  La  couleur  est  grise,  gris-bleufttre, 
roussâlre,  enfumée,  mate  ou  un  peu  transparente,  i'ai  vu  quel- 
quefois la  surface  noire,  polie.  Ces  changements  peuvent  être  ob- 
tenus en  mettant  dans  un  foyer  ordinaire  les  silex  non  altérés. 
J'en  fis  ressai ,  et  je  suis  convaincu  que  Ton  n'a  pas  donné  autre- 
fois une  température  plus  élevée  que  celle  de  mon  expérience. 

La  rouille,  qui  se  remarque  fréquemment,  est  généralement 
attribuée  au  frottement  des  outils  en  fer  contre  les  fragments 
siliceux.  11  est  possible  que ,  généralement,  cela  ait  eu  lieu  de 
celte  façon;  mais  s'il  en  était  toujours  ainsi,  comment  expliquer 
qu'un  instrument  de  fer  pût  passer  sur  une  arête  vive  en  aban- 
donnant des  fragments  métalliques  sur  toute  la  longueur,  sans 
y  apporter  le  moindre  dommage?  Comment  expliquer  aussi  la 
production  des  taches  rouillées,  à  intensités  diverses  de  tons, 
arrondies,  assez  larges,  empreintes  sur  les  faces  planes  ou  an- 
gulaires? 

Voici  une  solution  d'autant  plus  rationnelle,  je  pense,  qu'elle 
est  basée  sur  l'observation  :  le  sol  dans  lequel  gisent  ces  cailloux 
renferme  des  composés  de  fer  qui  se  déposent  sur  eux ,  y  adhè- 
rent, deviennent  solubles  sous  l'influence  de  l'humidité,  et, 
pénétrant  alors  la  superflcie,  donnent  lieu  aux  aréoles  jaunes 
d'étendue  variable.  J'ai  fréquemment  observé,  à  la  loupe,  des 
molécules  saillantes  d'oxyde  de  fer  gris,  soudées  au  silex,  pas- 
sant à  l'état  d'hydroxyde  en  dessous  et  au  pourtour.  Elles  s'é^ 
talent  évidemment  déposées,  et  n'avaient  aucun  rapport  avec 
une  traînée  légère ,  étalée  par  un  instrument.  Dans  l'intérieur 
du  silex,  il  existe  aussi  des  parcelles  de  fer  sulfuré  qui  produi- 
sent, par  leur  altération ,  les  macules  dont  il  est  question. 

11  est  donc  certain  que  les  taches  de  rouille,  attribuées  aux 
machines  aratoires,  n'ont  pas  toujours  pour  origine  le  frotte- 
ment attribué  au  soc  de  la  charrue 

Je  divise  en  trois  groupes  les  matières  employées.  Celles  du 
premier  entrent  pour  les  neuf  dixièmes  dans  la  fabrication  : 
4»  silex  pyromaque;  —  2«  diorite ;  —  3°  roche  grésoïde  très-dure, 
ou  même  (rarement)  grès  pur  diversement  coloré. 

PREMIER   GROUPE. 

Var.  1 .  Noir  brun,  transparente  quand  elle  est  en  lamelles  minces. 


DB  l'atelisr  du  cam p«b abbit .  459 

GacholODg  souvent  persillé  de  blçu  mat,  tout  blanc  ou 
jaune  ocreux. 

Sous-var.  Histrée  par  transparence,  enfumée;  éclat 
succiné;  cortex  noir  foncé. 
Var.  2.  Brun  grisâtre. 

Var.  3.  Brun  clair;  lamelles  très-transparentes. 
Var.  4.  Brun  verdàtre,  jaunâtre  clair,  mêlé  de  parties  rouges  ana- 
logues à  la  cornaline  ou  au  jaspe. 
Var.  5.  Roux  mêlé  de  gris,  persillé  de  taches  blanc  sale;  éclat 
gras. 

Sous-var.  a.  Persillée  de  blanc  et  rouge. 
Sous-var.  b.  Mùlée  de  gris  pâle. 
Sous-var.  c.  Brun  verdàtre,  jaune  ocreux  par  places. 
Var.  G.  Blond  Irès-pâle  avec  cacholong  bleu  foncé,  persillé  de 
blanc  bleuâtre  mat. 

Sous-var.  Mélange  de  quartz  opaque  café  au  lait. 
Var.  7.  Gris  roussàtre  très-paie,  subopaque,  à  éclat  gras;  cortex 

rouge.  Non  usitée. 
Var.  8.  Entièrement  rouge,  même  à  la  cassure,  analogue  &  la 

cornaline.  Non  usitée. 
Var.  9.  Jaune  rougeâtre  par  places.  Demi  transparente  à  ces  en- 
droits. Rare.  Non  usitée. 

DEUXIÈME  GROUPE. 

Diorlle  verdatre,*gris  verdlitre.  Rare.  Usitée  pour  les  petites 
haches  très-soignées.  Cette  substance  ne  provient  pas  des  bancs 
crayeux.  Je  ne  croîs  même  pas  qu'elle  se  rencontre  accidentelle- 
ment parmi  nos  cailloux  roulés. 

Fibrolite.  Un  seul  Individu. 

TROISIÈME  GROUPE. 

Var.  1.  Gris  mat,  plus  ou  moins  clair,  avec  places  plus  foncées; 
lamelles  mates. 

Sous-var.  Plus  pâle. 

Var.  2.  Gris  roussâtre .  veiné  de  fauve ,  maculé  de  blanc  sale. 
Souvent  des  nids  de  quartz  hyallen ,  à  cristaux  micros- 
copiques sur  couche  de  jaspe  rouge. 


k 

i 


460  MEMOIRE   SUR    LES   SILEX    TRAVAILLÉS 

Var.  3.  Gris  pur,  Irès-dur,  très-compacte;  blanc  nacré,  suscep- 
tible de  poli  ou  gris  p&ic ,  surtout  remarquable  à  la 
cassure.  (Grès  lustré.) 

Sous-var.  Colorée  en  rouge  par  le  fer  hydroxydé. 
Usitée  rarement. 


CHAPITRE  m. 

En  examinant  les  instruments  de  toutes  les  é|)oques  de  Tîlge 
de  pierre,  Ton  se  demande  comment  l'homme,  sans  autre  agent 
que  le  silex,  a  pu  arriver  à  une  telle  perfection  de  détails  et  de 
contours.  Le  hasard  Taidait  quelquefois,  sans  doute.  Ainsi,  il 
arrivait  que  des  fragments  accidentels  présentaient  une  configu- 
ration dont  on  profitait.  Il  n'y  avait  qu'à  ajouter  peu  de  chose 
pour  obtenir  le  fini.  De  Ifi  cette  diversité  si  fréquente  chez  les 
objets  d'un  usage  quotidien.  Il  n'en  était  pas  toujours  de  même, 
car  on  adoptait  le  plus  souvent  un  type  qui  se  perpétuait.  Des 
modèles  spéciaux  étalent  pour  ainsi  dire  reproduits  constam- 
ment. Une  fois  les  lames  débitées ,  quelle  que  soit  l'épaisseur, 
la  forme  se  donnait  aisément.  Il  siifflâait  de  tenir  le  cailloux, 
la  surface  plane  étant  placée  supérieurement,  et  de  frapper  sec 
avec  un  percuteur  quelconque;  alors  les  lamelles  se  détachaient 
aux  dépens  de  la  face  Inférieure,  et  produisaient,  par  cette  abla- 
tion, autant  de  facettes  assez  régulièrement  et  obliquement  dis- 
posées, sans  qu'où  les  ait  cherchées.  Si  l'ouvrier  voulait  avoir 
des  éclats  très- prolongés,  à  angle  très-aigu ,  il  frappait  sur  les 
limites  du  silex,  un  peu  obliquement.  En  percutant  verticale- 
ment, l'étendue  des  éclats  était  plus  restreinte.  Le  percuteur 
avait  un  certain  poids  pour  produire  des  résultats  exacts.  En 
quelques  minutes,  on  achevaltun  grattoir  ou  une  pointe.  Il  n'é- 
tait pas  absolument  besoin  que  le  silex  ait  son  eau  de  carrière, 
tant  les  éminences  inutiles  s'abattaient  sans  efforts.  Quant  aux 
détails,  que  l'on  croirait  avoir  été  exécutés  avec  des  peines  con- 
sidérables, ils  sont,  pour  la  plupart  du  moins,  dûs  à  une  opé- 


DE  l'atblibr  du  gamp-baebbt.  461 

ration  bien  simple.  Un  caillou  à  angle ,  à  tranchant  mousse , 
enlève  régulièrement  et  à  volonté  une  parcelle  minime  ou 
étendue.  Un  peu  d'habitude  et  de  dextérité  suffisent.  Il  n'est 
pas  question  ici  des  séries  de  retouches  multipliées  et  symétri- 
quement disposées  qui  voulaient  beaucoup  d'adresse.  Les  abla- 
tions nombreuses  de  lamelles ,  sur  les  surfaces  presque  planes 
principalement,  présentaient  des  difficultés  réelles.  Les  outils 
à  double  retouche  du  même  côté,  sur  chaque  bord,  exigeaient 
aussi  une  manœuvre  très-expérimentée. 

Ceci  n'est  pas  une  simple  théorie,  ie  rends  compte  du  résultat 
de  la  pratique.  De  fréquents  essais  furent  tentés,  et  j'ai  vu  dé- 
biter des  objets  aussi  beaux  et  presque  aussi  finis  que  beaucoup 
de  ceux  du  Camp-Barbet.  On  employa  des  percuteurs  préparés 
aussi  bien  que  des  fragments  anguleux.  Mes  fils  et  moi  nous 
sommes  arrivés  à  confectionner  plusieurs  pièces.  Biseaux,  pointes, 
flèches,  javelots,  grattoirs,  tout  se  fabrique  d'une  façon  à  peu 
près  semblable,  et  l'industrie  de  nos  aïeux  était  aussi  simple 
qu'intelligente  dans  son  exécution. 


DEUXIÈME    PARTIE. 

DESCRIPTION  DES  OBJETS  TRAVAILLÉS. 

Je  les  classe  en  trois  catégories  : 

i°  Instruments  adaptés  aux  besoins  domestiques. 
*!2o  Servant  d'armes. 
3*»  Indéterminés. 
Les  premiers  sont  usités  pour  la  fabrication  même  des  outils  : 
micleu$,  percuteur j  ou  pour  les  besoins  journaliers  :  /^^/on,  grat^ 
loir,  lame  y  couteau,  /tachette,  couperet,  jyerçoir,  polissoir. 

Les  armes  se  composent  de  :  hache,  poigimrd,  lance,  javelot, 
fll'che. 

Plusieurs  ont  un  emploi  encore  inconnu  ou  douteux.  11  est 
préférable  de  les  décrire  sans  leur  appliquer  positivement  une 
fonction  qui  serait  peut-être  loin  de  la  vérité. 


46S  MéNOIRI  SUR  LBS  SILBX   TRAVAILLÉS 


PREMIERE  DIVISION. 

INSTRUMENTS  ADAPTÉS  AUX  BESOINS  DOMESTIQUES. 

i«  NUCLEUS. 

Le  nucleus  est  une  masse  de  silex,  sans  forme  déterminée,  de 
laquelle  on  détachait  des  lames,  plus  ou  moins  épaisses,  qui 
servaient  ensuite  pour  la  confection  des  divers  objets.  Ces  masses, 
de  volumes  variables,  montrent,  à  leur  surface,  la  marque  de 
l'ablation  ordinairement  longitudinale  des  tranches.  Quelque- 
fois, on  obtenait  des  éclats  secondaires  employés  pour  les  pièces 
de  minime  dimension.  Le  reste  était  rejeté  seulement  lorsqu'on 
ne  pouvait  aller  plus  loin.  Le  silex  sq  tenait  d'une  main,  de 
l'autre  s'opérait  la  i»ercu8sion  au  moyen  d'un  second  silex  ^  et 
le  débit  avait  lieu  autour,  en  laissant  parfois  le  cortex  supérieu- 
rement ou  d'un  côté.  La  plupart  du  temps,  ces  rebuts  n'avaient 
pas  d'utilité.  C'était  le  travail  préalable  qui  ne  devenait  pas 
constamment  nécessaire,  si  le  caillou  présentait  une  bonne  dis- 
position naturelle;  mais  à  celui-ci  en  succédait  le  plus  souvent 
un  second,  moins  négligé,  qui  devait  produire  des  lames  et  la- 
melles, d'épaisseur  et  de  dimensions  à  peu  près  semblables.  Pour 
cela  il  fallait  frapper  sur  un  point  déterminé,  et  les  nucleij  bien 
pourvus  d'angles,  vers  l'extrémité  surtout,  devenaient  des  agents 
précis,  commodes.  L'on  peut  dire  que  beaucoup  de  nxiclei  s'em- 
ployaient comme  percuteurs  pour  produire  des  lames,  quand  ils 
étaient  devenus  impropres  à  en  fournir  par  eux-mêmes.  A  cette 
époque,  ce  travail,  engendré  parla  nécessité,  se  faisait  très- 
rapidement.  Les  hommes  connaissaient  tellement  le  caillou  qu'ils 
voyaient  de  suite  celui  qui  devait  rendre  convenablement.  Une 
opération  prompte  était,  du  reste,  indispensable,  car  certains 
instruments  venant  à  se  détériorer  assez  vite,  il  fallait  les  rem- 
placer souvent ,  ce  qui  explique  leur  abondance. 

PERCUTEURS. 

Ce  sont  des  cailloux  destiiiés  à  Péliminailon  de  portio&6  sili- 


r    Miirlcau  t!,ic:ïi 
V  !-rlit  Pilon 
S  Pilon 


'ly-'. 


Kr 


k.        .,;,..  de  T.,-Lf.l 


3'  riîrcide  tror.cui 


1.0' 


DE  l'atelibr  du  gampbarbkt.  465 

tudinales  au  pourtour  ou  sur  plusieurs  points  de  la  surface. 

A.  Polyédrique.  —  Convexe,  à  faces  larges  et  nombreuses.  Fis- 
sures aux  angles  d'intersection  très-souvent  émoussés  et  même 
arrondis.  Chez  plusieurs,  tout  est  polyédrique,  et  les  angles  seuls, 
extrêmement  étroits,  ont  percuté.  D'autres  ne  présentent  que 
des  facettes  d'une  médiocre  étendue  et  ont  frappé  par  beaucoup 
de  points.  —  Poids  et  dimensions  variables  :  3  centimètres  et 
demi  de  diamètre,  et  8  au  plus. 

B.  Déprimé.  —  Polyèdre  très-irrégulier,  convexe  des  deux  côtés 
et  déprimé,  taillé  grossièrement;  pourtour  plus  étroit,  arrondi, 
couvert  de  fissures.  —  6  à  8  centimètres  de  diamètre. 

Variété.  —  Déprimée,  allongée,  arrondie  au  pourtour  et  aux 
extrémités,  qui  sont  entièrement  étoilées. 

C.  En  disque.  —  Celte  forme  rare  semblerait  ne  pas  devoir  ap- 
partenir au  type  sphérique;  mais  on  arrive  à  elle  par  des  gra- 
dations d'épaisseur  insensibles.  C'est  un  disque  assez  épais,  en- 
tièrement plat  sur  les  deux  faces,  avec  un  dos  assez  élevé,  de 
sorte  que  Tune  des  faces  est  oblique;  pourtour  garni  de  fentes 
longitudinales.  —  5  centimètres  de  long  sur  4  au  moins  de  large, 
â  centimètres  d'épaisseur  au  dos  et  8  millimètres  au  tranchant. 

3°  Allongé.  —  Longueurs  diverses;  plusieurs  faces;  parties 
percutantes  aux  extrémités  et  souvent  sur  les  bords  longitunaux; 
en  général,  une  extrémité  plate,  tronquée  brusquement. 

D.  Conotde,  (PI.  i,  flg.  1.)  —  Trois  à  quatre  faces  larges;  petite 
extrémité  arrondie,  émoussée,  couverte  de  fissures  etd'étoilures; 
l'opposée  est  presque  toujours  tronquée ,  mais  elle  a  ses  angles 
qui  portent  les  mêmes  caractères  de  percussion.  Quelquefois 
aussi  lis  existent  le  long  des  bords  latéraux.  —  5  à  9  centimètres 
de  long. 

Var.  A.  Bitronquée.  —  Cinq  ou  six  faces,  séparées  par  des 
arêtes  vives;  angles  du  bout  inférieur  avec  fissures. 

Var.  B.  Gylindroïde.  —  Obscurément  cylindroïde,  arrondie  aux 
deux  extrémités. 

E.  Malléacé.  —  Lourd,  épais,  grossier;  plusieurs  larges  faces 
à  arêtes  vives,  peu  régulières.  Son  aspect  est  celui  de  notre 
marteau  actuel  coupé  verticalement  à  un  bout,  en  biseau  à 
l'autre;  à  peine  un  peu  plus  étroit  au  milieu.  Souvent  la  face 
inférieure  est  tout  à  fait  plane.  Les  exemplaires  recueillis  ne  por- 
tent que  de  faibles  traces  d'usage.  —  8  à  10  centimètres  de  long. 

T.  VIII.  30 


460  MéMOlM  MJft  LIS  8ILBX   TRAVAILLAS 

F.  En  fjwssue.  —  Très-allongé,  conolde»  mastlf ,  renflé  &  la 
grosse  •xtrémité^  qui  finit  en  biseau,  tronqué  net  k  Taulrc; 
contexo,  oial  taillé  en  «leMus ,  plus  plat  en  dessous  ;  bords  la- 
téraux vite  ou  arrondis.  Dans  ce  dernier  cas,  ils  sont  couverts 
d'étoilures  et  de  fissures. 

G.  ^  le  range  au  nombre  des  marteaux ,  quoique  avec  une 
certaine  réserve,  un  outil  un  peu  cunéiforme,  en  grès  gris  pAle^ 
long,  étroit,  î\  quatre  faces  et  deux  extrémités.  La  face  supé-* 
rieure,  légèrement  convexe  «  recouverte  de  cortex,  est  déclive 
jusqu'à  la  terminaison,  qui  présente  un  tranchant  Inégal;  rin* 
férleure,  aplatie,  a  des  éclats  grossiers,  ainsi  que  la  face  droite, 
qui  n'est  plutôt  qu'un  bord  épais;  la  gauche,  lisse,  égale,  a 
été  tranchée  nettement  dans  toute  son  étendue.  Quant  au  bout 
postérieur,  il  est  brusquement  coupé  comme  les  marteaux,  et  ses 
angles  portent  des  vestiges  obscurs  de  percussion,  de  même  que 
le  tranclumt  --  8  oentimètres  et  demi  de  long  sur  3  et  demi  de 
large. 

J'ai  remarqué,  dans- la  collection  de  &I.  Buquet,  un  gros  frag- 
nMDt  brut,  de  la  même  substance,  qui  portait  une  bande  lisse 
absolument  semblable  à  celle  que  je  viens  de  signaler.  Ne  se- 
rait-ce pas  une  espèce  de  queux  ?  D'après  sa  conformation,  l'objet 
que  je  mentionne  pourrait  servir  également  de  marteau. 

3«  SPHÉROÏDES. 

PILON. 

L'on  rencontre  coromuiiément  des  silex  sphéroldaux  (pi.  i, 
flg.  3],  allongés  ou  bien  arrondis,  subdéprimés ,  garnis  de  fa- 
cettes plus  ou  moins  étendues,  de  dimensions  variables,  pesant 
de  100  à  630  grammes.  Ils  sont  couverts  de  petits  éclats  inégaux, 
peu  profonds;  de  fendillés,  dont  chaque  portion  isolée  a  l'appa- 
rence d'une  figure  géométrique  irrégulière  ;  d'enfoncements  avec 
perte  de  substanoè,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  fissures 
des  percuteurs.  Plusieurs  ont  conservé  une  partie  du  C4)rfex. 

Ces  sphéroïdes  sont,  je  pense,  des  pilons,  et  l'on  a  dû  préa« 
lablemaut  frapper  la  surface  afin  de  produire  des  aspérités,  des 
inégaliiés  qui  faciiitenfcla  trituration  de  petits  corps  durs.  Lorsque 
ces  plloos  Ml  aervi  laQgtemps^  les  éminenc^  anguleiiMt  s'a» 


M  L'AftLlfiR  DU  GAMr<*BAllife¥.  467 

dottcissent ,  âiepariilssmit  tiièine  complètement ,  et  Id  &urfa(5e 
devient  d'un  îiiVeau  égal.  Sur  le  même  individu,  Von  remarque 
des  placée  presque  lisses ,  d'aufres  n'ayant  subi  qu'un  commen- 
cement d'usure  et  des  portions  entièrement  neuves.  Il  est  asssés 
rare  de  rencontrer  des  exemplaires  qui  n'ont  jamais  eu  d'emploi* 
J'en  possède  un  en  cet  éfaf.  L'on  ne  piquait  pas  toujours  toute 
la  convexité  du  sphéfôlde^  Quand  le  pourtour  était  très^largê 
cliet  certaines  masses  déprimées ^  il  recevait  seul  cette  prépara-* 
tioti,  et  chaque  fôce  était  embrassée  par  les  doigts. 

Il  existe  des  pilons  de  diverses  dimensions  (pi.  1$  flg.  i).  Les 
plus  petits  montrent  des  usures  uniformes  et  des  grandes  facettes 
pour  une  préhension  plus  coDliAiode.  Probablement,  ces  cailloux, 
de  dimensions  exiguës,  broyaient  d'autres  substances,  car  ce 
sont  de  simples  égrugeures  superficielles  que  l'on  trouve  (i)« 

En  étudiant  les  résultats  de  la  percussion  sur  le  marteau  et 
sur  le  pilon ,  il  est  facile  de  remarquer  cliez  l'un  des  fissures  as^ 
ses  étendues,  et  chez  le  second  de  véritables  étoiiures  faites 
exprès  avant  d'employer  l'instruihent  qui  broyait  beaucoup 
mieux  en  offrant  partout  des  sommets  anguleux,  lin  meunier, 
auquel  je  montrais  mes  pilons  neufs  ^  sans  l'instruire  de  ma  dé« 
termination,  me  dit  spontanément  :  •  Ces  boules  sont  travaillées 
«  comme  nos  meules.  «  L'hontme  du  métier  avait  été  frappé  de 
l'aspect  particulier  de  nos  sphéroïdes. 

Plusieurs  pensent  que  les  alternatives  des  gelées,  dégels^  expo* 
sition  au  soleil  ^  à  l'eau ^  ont,  peu  à  peu^  altéré  l'enveloppe  exté- 
rieure jusqu'à  une  eeftaine  profondeur.  C'est  une  opinion  qui  a 
été  déjà  émise.  Cette  prétendue  altération  n'aurait  donc  eu  lieu 
de  la  même  façon  qoe  sur  les  sphéroldee ,  et  non  sur  les  autres 
silex  f  Elle  n'aurait  done  respecté  que  les  facettes  «  qui  restent  si 
nettement  accentuées ,  lisses  et  limitées  ?  Ceci  ne  peut  être  son» 
tenablet  11  ne  faut  voir  ici  que  le  résultat  d'une  action  eontiniie 
conduite  par  la  molD  de  l'homme^ 

iesneotip  d'archéologues  déslgnaientf  et  dértgnent  eiieore^  ces 
corpe  arroftdis  sous  le  nom  de  pierrei  de  fronde.  Pourquoi  aurais* 
on  dépensé  autant  de  peine  afin  d'obtenir^  sans  néceeeité,  des 


(1)  t^lusfedfs  «smnts,  de  Mortltlet  entre  autres,  pétïient  qu'ils  servaient 
à  éeraief  le  kré  d«i  tatottagé. 


468  mImoirb  sur  lis  silix  tbavaillés 

séries  d'étoiiures  ?  Le  premier  projectile  venu ,  ayant  un  certain 
poids,  et  équarri  plus  ou  moins  bien,  devait  suffire. 

Les  spliéroldes  qui  sont  couverts,  sur  presque  tout  Textérieur, 
d'éioilures  dont  les  aspérités  sont  émoussées  au  point  de  pré- 
senter une  surface  à  peu  près  égale,  auraient  pu  sans  doute 
abattre  des  portions  de  caillou  ;  mais  ils  ont  eu  un  autre  mode 
d'emploi,  ils  ont  été  frappés  perpendiculairement  et  ont  écrasé 
à  leur  tour.  Le  choc  répété,  la  pression  exécutée  sans  cesse  pour 
broyer  ont  détruit  insensiblement  les  aspérités  et  ont  même 
quelquefois  presque  produit  le  poli. 

4°  GRATTOIR. 

Ces  instruments  servaient  principalement  à  la  préparation  des 
peaux.  Aucun  outil  n'est  plus  variable  dans  sa  forme  et  ses  di- 
mensions; ils  sont  minces,  épais,  allongés,  raccourcis,  bombés, 
déprimés,  étroits,  larges  ;  mais  ils  ont  des  caractères  communs  : 
une  fivce  inférieure  plane ,  le  bord  antérieur  adouci,  arrondi,  ou 
au  moins  sans  angle  latéral  afin  de  ne  pas  déchirer  la  peau.  On 
les  tenait  entre  les  doigts  par  l'extrémité  la  plus  étroite,  et  les 
bords  dirigés  obliquement  raclaient  les  surfaces. 

A  toutes  les  époques  de  Tâge  de  la  pierre,  on  usa  du  grattoir. 
En  effet,  depuis  les  temps  les  plus  reculés,  les  dépouilles  des 
animaux  ont  été,  chez  les  peuples,  d'une  importance  considé- 
rable. Il  fallait  se  vêtir  pour  résister  aux  intempéries;  il  fallait 
s'abriter  sous  des  tentes,  les  grottes  naturelles  ne  se  rencontrant 
pas  dans  chaque  contrée.  Après  s'être  nourri  avec  la  chair  de  la 
bète,  on  prenait  naturellement  son  enveloppe.  Alors ,  la  prépa- 
ration de  la  peau,  appliquée  si  fréquemment  aux  besoins  de  la 
vie ,  a  dû  être  constamment  une  industrie  vers  laquelle  Tintel* 
ligence  humaine  a  porté  ses  facultés,  et  les  agents  destinés  à 
cette  opération  sont  presque  aussi  antiques  que  l'homme. 

Aujourd'hui,  les  mégissiers  ont  des  lames  bien  disposées 
pour  enlever  les  parties  inutiles ,  pour  lisser  et  donner  la  sou- 
plesse; mais,  au  fond,  c'est  à  peu  près  le  même  système 
qu'autrefois.  Ainsi,  les  instruments  contemporains  se  réduisent 
à  ceux-ci  : 

40  Couteau  de  rivière.  —  Lame  en  acier,  convexe  d'un  côté, 
concave  de  l'autre;  tranchant  en  biseau  destiné  à  détacher  les 


DE  l'atkliir  du  camp-bâbbbt.  469 

chairs  adhérentes.  Double  manche  latéral  pris  par  chaque  main 
pour  faciliter  le  travail. 

2«  Couteau  de  fleur.  —  Lame  en  fer,  dont  Touvrier  se  sert  après 
la  première  opération.  Il  racle  les  couches  de  tissus  superflues 
jusqu'à  la  peau  elle-même.  Tranchant  mousse. 

y»  Queurse.  —  Reste  à  adoucir  le  cuir,  sans  produire  de  déchi- 
rure, à  rallonger  dans  le  même  sens  et  à  le  lisser.  C'est  ce  qui 
est  obtenu  au  moyen  d'une  lame  en  ardoise  nommée  queurse^ 
en  biseau,  arrondie  au  tranchant,  très-douce,  insérée  dans  un 
fort  dos  en  bois. 

En  analysant  les  grattoirs,  nous  trouvons,  le  plus  souvent,  un 
tranchant  plus  ou  moins  affilé,  parfois  épais,  une  surface  plane, 
une  extrémité  courbe,  taillée;  mais  les  facettes  résultant  de  la 
taille  ne  paraissent  pas  avoir  d'emploi;  elles  se  sont  produites, 
sans  qu'on  le  veuille,  en  arrondissant  le  caillou.  Il  y  a  donc 
beaucoup  de  similitude  avec  les  parties  principales  des  outils 
modernes. 

Cet  instrument  est  le  type  dominant  au  Camp-Barbet,  comme 
l'est  le  perçoir  dans  la  localité  de  Foulangues,  peu  éloignée  de 
celle-ci.  Nous  ne  devons  pas  être  surpris  de  la  grande  quantité 
des  variétés.  Les  grattoirs,  servant  à  chaque  instant,  se  fabri- 
quaient très-vite.  Ils  ne  pouvaient  être  semblables  à  cause  du 
service  particulier  auquel  on  les  adaptait,  ou  bien  en  raison  de 
la  facilité  qu'on  trouvait  à  les  façonner.  Â  cette  époque,  tout 
dépendait  un  peu  de  la  fan  taise  individuelle.  Je  ferai  remarquer 
cependant  que  certains  types  se  voient  à  tous  les  ftges  et  dans 
toutes  les  contrées. 

11  serait  inutile  de  décrire  les  innombrables  modifications  ren- 
contrées ici.  Fréquemment,  c'étaient  des  ébauches  à  peine  dé- 
grossies d'un  côté,  dont  l'usage  a  été  momentané,  et  que  l'on 
abandonnait  ensuite.  Mais  aussi  beaucoup  présentent  un  en- 
semble de  caractères  qui  montre  l'intention  arrêtée  de  préciser 
une  forme. 

Je  rapporte  à  onze  groupes  les  espèces  que  Ton  a  rassemblées, 
et  j'en  ajoute  un  douzième  pour  les  exceptions  qui  ne  peuvent 
rentrer  dans  les  précédents.  Les  variétés  seraient  très-nom- 
breuses. Il  suffira  d'indiquer  les  principales  : 


470  HâHOIRB  sut    LES    SItSX  TUVAilxAs 

Type».  Vtriétéi. 

^   ^     ,  .,  ,.  (Laminaire. 

10  Quadrilatère \^^^^ 

3»  Disque Nummulitique. 

/  Ecailleuse. 

,  \  Prolongée. 
40  Discoïde  tronqué,  jgp^^^^ 

V  Irrégulière. 

»o  Ovale. 

!  Raccourcie. 
Intermédiaire. 
Appendiculée. 
A  arête  latérale. 

70  Ovoïde ^  A  arête  médiane. 

Surbaissée. 
Dilatée. 

«  r,     x.i»  ,  Pesante. 

8*  Cunéiforme i^         .  ^ 

En  couteau. 

Lamelliforme. 

»-«p'^ -iSlX 

10»  Massif. 

(  Elevée. 

i^'f^onoMii JAplaUe. 

I  Sinueuse. 
Discoïde  à  manche* 
Pectinée. 
1»  Quadrilatère.  (PL  11,  flg.  1.)  —  Mince,  très-déprimé,  à 
peine  convexe  en  dessus,  plat  en  dessous;  quatre  côtés  à  tran^ 
chants  en  biseau,  et  coupants  à  divers  degrés.  Rare.  —  8  centi- 
mètres et  demi  sur  4  et  demi. 

Celte  lame  quadrilatère,  facilement  maniable,  coupait  surtout 
la  peau  de  ranimai  que  Ton  dépouillait. 

Var.  Elevée,  —  Elle  a  une  forme  moins  précise.  Assez  épaisse, 
arrondie  et  retouchée  sur  les  bords  et  aux  angles.  Moins  rare. 
—  6  centimètres  sur  3. 

Celle-ci  ne  pouvait  couper;  elle  était  probablement  employée 
à  lisser. 


M    L*ATBLm  DU   CAHr-BAMWT.  tH 

S*  Lavbllaiiiis.  —  Orale,  très-dépriioé ,  nlnoe  ou  un  peu 

épais;  souvent  un  côté  plu»  élevé,  formant  un  dos;  quelquefois 

^un  tranchant  adouci  sur  la  circonférence  toute  entière.  ^  5  een- 

timèlres  et  demi  à  9  et  demi  de  long  sur  4  à  7  et  demi  de  iâige. 

Var.  Semiiunaire.  ^  Grand  croissant  plat,  à  dos  un  peu  plus 
épais  que  la  partie  courbe,  dont  le  trancbant  est  retouclié  négli- 
gemment, face  supérieure  à  grands  éclats;  l'inférieure  plate. 
Très-rare.  —  Longueur  de  iO  ceniifflètres  sur  plus  de  4  de  lar- 
geur. 

3«  Disque.  (PI.  ii,  fig.  2.)  —  Arrondi  ou  irrégulièrement  ova* 
laire,  déprimé  en  dessus,  plat  en  dessous,  pourtour  plus  ou 
moins  épais ,  retouché  partout  sans  interruption.  —  4  à  5  cen- 
timètres de  diamètre. 

Var.  NumviulUigue.  ^  Un  peu  bomhéa  supérieurement.  -- 
3  centimètres  de  diamètre. 

4*'  Discoïde  tronqué.  —  Lamelleux  ou  épais;  partie  anté- 
rieure arrondie,  dilatée;  rétréci  vers  le  bas,  tronqué  brusque- 
ment. —  4  à  0  centimètres  et  demi  de  long  sur  3  et  demi  à  K  de 
large. 

Var.  A.  EcailUuse,  (PI.  ii,  flg.  3.)  —  Elle  ressemble  beaucoup 
à  un  disque.  Seulement  elle  est  très-mince,  et  elle  offre  une  tron* 
caturc  plus  ou  moins  large  en  un  point  de  la  circonférence. 

Var.  B.  Prolongée.  —  Mince,  allongée;  partie  antérieure  très* 
dilatée,  rétrécie  et  un  peu  prolongée  à  sa  terminaison. 

Var.  G.  Epaisse.  —  Ayant  presque  la  forme  d'un  disque  épais. 
Faces  plates. 

Var.  D.  Irrégulière,  —  Très-épaisse;  partie  antérieure  arrondie, 
élevée,  dilatée,  rétrécie  postérieurement  ;  face  supérieure  déclive 
de  haut  en  bas  et  d'avant  en  arrière.  Quelquefois  cette  variété 
présente  une  face  latérale  très-étroite,  un  bord  gauche  épais  et 
une  large  fac^  oblique.  Ges  parties  sont  nettement  limitées  i)ar 
des  arêtes  tranchantes. 

S^*  OVALB.  (PI.  n,  lig.  4.)  —  Kpais,  assez  convexe,  régulier; 
dilaté  en  avant  avec  une  petite  troncature  postérieure;  parfois 
une  arête  médiane  supérieurement.  —  5  à  6  centimètres  et  demi 
de  long  sur  3  et  demi  à  S  et  demi  de  large. 

6''  Obtus.  —  Type  caractérisé  par  une  extrémité  grosse,  ob- 
tuse, convexe,  élevée,  quels  que  soleni  rallongement  ou  la 
brièveté  postérieurs. 


472  MàfOIRB  SUR  LES  SILEX  TRAVAILLAS 

Var.  A.  Raccourcie.  (PI.  ii,  fig.  5.)  —  Très-courte,  presque  glo 
buleuse,  dilatée,  convexe,  rarement  subdéprimée  supérieure- 
ment; extrémité  postérieure  étroite,  tronquée  brusquement  ou 
entière  par  exception.  Le  cortex  est  assez  souvent  conservé.  Il  y 
a  des  individus  de  petites  dimensions.  —  3  centimètres  et  demi 
à  6  de  long  sur  3  à  5  environ  de  large. 

Var.  B.  Intermédiaire,  —  On  rencontre  plus  rarement  celte  va- 
riété ,  chez  laquelle  existe  une  légère  prolongation  postérieure  à 
section  terminale  nette. 

Var.  G.  Appendiculée.  —  Masse  antérieure  obtuse,  arrondie, 
subdéprimée,  s'effllant  ensuite  et  fînissant  en  une  sorte  d'appen- 
dice grêle,  étroit,  subaigu,  droit  ou  courbe,  semblable  à  un 
manche.  L'appendice,  dans  des  cas  fort  rares ,  est  large,  et  pa- 
rait d'autant  plus  plat  que  la  partie  antérieure  est  très-convexe 
et  développée.  —  7  centimètres  et  demi  de  long,  4  à  5  de  large 
et  jusqu'à  1  et  demi  d'épaisseur. 

Sous- var.  a.  Oblongtte,  —  Peu  convexe,  s'effllant  insensible- 
ment, ce  qui  lui  donne  une  forme  presque  ovalaire.  L'extrémité 
est  écourtée  au  lieu  de  se  prolonger. 

Sous-var.  b.  ^  queue.  —  Elle  s'éloigne  du  type  plus  que  la  pré- 
cédente. Allongée ,  obtuse,  arrondie  en  avant.  S'effllant  peu  à 
peu  jusqu'à  la  terminaison  postérieure,  qui  est  aiguë.  Face  supé- 
rieure convexe  en  avant  surtout,  taillée  grossièrement.  Rare.  -- 
Au  moins  1  centimètre  de  haut  à  la  partie  la  plus  élevée. 

T  OvolDE.  —  Allongé,  grosse  extrémité  élevée,  arrondie,  di- 
latée, obtuse;  rétréci  postérieurement.  Face  supérieure  ordinai- 
rement très-bombée;  troncature  petite;  arête  latérale  ou  médiane; 
si  elle  est  latérale ,  il  existe  seulement  un  dos  épais  ;  quand  elle 
est  médiane,  il  y  a  de  chaque  côté  un  plan  à  peu  près  égal ,  en 
forme  de  toit.  La  face  supérieure  est  rarement  déprimée.  —  5  à 
8  centimètres  de  long  sur  3  et  demi  à  4  et  demi  de  large,  et  2  à 
3  d'épaisseur. 

Var.  A.  j4  arête  latérale.  —  Grosse  extrémité  recourbée  d'un  côté. 

Var.  B.  ^  arête  médiane.  (PI.  ii ,  fig.  6.) 

Var.  G.  Surbaissée.  —  Face  supérieure  plate;  dos  épais. 

80  Cunéiforme.  —  Tranches  de  silex  à  dos  épais,  à  deux  faces 
obliques  disposées  en  couperet;  tranchant  acéré  ou  adouci ,  re- 
touché ou  non;  extrémité  supérieure  arrondie.  —  4  centimètres 
et  demi  à  7  de  long  sur  2  et  demi  à  5  et  demi  de  large. 


1°    CinWy.r  cMiruTcrme  Vsr    ijùs?r)r-  'j     5°    firaUoir  ânortnsl  Vanéfé  ainuGuse' 


''1 


r.gB.i-d 
pic. 


\\   A  Je  pro'i! . 


\  j 


© 


DB  l'atblier  du  camp-barbbt.  47S 

Var.  A.  Dilaiée.  —  Ovale,  à  larges  faces  et  à  dos  courbe,  épais. 

Var.  B.  Pesante,  (PI.  m,  flg.  4.)  —  Allongée,  obtuse;  dos  élevé, 
droit;  les  bords  sont  parallèles  dans  presque  toute  la  longueur. 

Var.  C.  En  couperet,  —  Dos  très-épais,  allongé;  faces  très- 
déclives;  tranchant  sans  retouches;  grosse  extrémité  adoucie; 
l'inférieure  étroite. 

Var.  D.  Lamelliforme,  —  Déprimé;  à  dos  peu  épais,  situé  à 
gauche  ou  adroite;  faces  assez  larges;  arrondie  supérieurement, 
tronquée  en  bas;  tranchant  acéré  ou  retouché. 

O^"  DÉPRIMÉ.  —  Plus  ou  moins  plat,  de  largeur  à  j>eu  près  égale 
dans  toute  l'étendue;  allongé;  extrémité  antérieure  arrondie, 
déprimée,  assez  mince,  retouchée;  tronqué  en  arrière.  Bords 
ordinairement  tranchants  au  pourtour;  le  contraire  n'a  lieu 
qu'exceptionnellement.  —  4  centimètres  à  7  un  quart  de  long  sur 
S  et  demi  à  quatre  et  demi  de  large. 

Var.  A.  Allongée. 

Var.  B.  Elargie.  (PI.  m,  flg.  2.) 

iO»  Massif.  (P1.  m,  fig.  3.)  —  Long,  gros,  lourd ,  convexe  en 
dessus,  plat  en  dessous,  arrondi  jen  avant,  parfois  un  peu  plus  . 
étroit  et  tronqué  en  arrière;  le  plus  souvent  d'égale  largeur. 
Bords  épais ,  rarement  amaincis.  —  ^  centimètres  et  demi  à  8  de 
long  sur  3  à  4  et  demi  de  large. 

110  CONOiDE.  (PL  III,  flg.  flg.  4.)  —  Allongé,  épais,  obtus;  arête 
presque  médiane  ou  latérale  supérieurement;  extrémité  anté- 
rieure plus  ou  moins  dilatée,  élevée,  retouchée;  l'autre  plus  étroite. 
Détails  continués  quelquefois  sur  les  tranchants  ou  sur  un  seul. 
—  .^  centimètres  à  8  et  demi  de  long  sur  3  à  4  et  demi  de  large. 

Var.  A.  —  Conique. 

Var.  B.  Aplatie,  —  Très-déprimée,  presque  lamellaire,  très- 
dilatée  antérieurement;  arête  latérale  ou  médiane;  retouches 
sur  presque  tous  les  bords. 

l2o  Anormal.  —  Nous  retrouvons  ici  les  caractères  indispen- 
sables du  grattoir,  mais  les  variétés  peuvent  se  multiplier  à  l'in- 
fini. Il  suffisait,  en  faisant  abstraction  de  la  forme  générale, 
d'arrondir  un  caillou  d'un  côté  pour  un  service  de  quelques  ins- 
tants. Cependant,  quelques-uns,  tout  à  fait  exceptionnels,  ont 
reçu  un  travail  soigné  dans  toutes  les  parties. 

Var.  A.  Sinueuse.  (PL  m,  flg.  fj.)  —  Longue,  étroite,  terminée 
en  spatule;  biseau  postérieur;  plate  sur  les  deux  faces,  la  supé- 


474  MàilllBI  «OR   LBH  6ILBK  tHATAaLBS 

rieure  étant  oblique  latéralement;  le  dos  épaf^,  largement 
concave  à  son  origine,  devient  convexe  ensuite.  Le  bord  op- 
posé, plus  mince,  oiTire  moins  de  courbure.  Retouches  sur  fout 
le  pourtour.  Est-ce  même  un  grattoir?  —  8  centimètres  et  demi 
de  long  sur  près  de  3  de  large,  et  i  centimètre  au  moins  de 
haut. 

Var.  B.  Discoïde  à  manche.  —  Assez  épais,  dilaté,  arrondi  à  la 
grosse  extrémité ,  avec  un  prolongement  basilaire  formant  une 
sorte  de  poignée.  C'est  le  disque  enté  sur  un  manche  court,  h 
bords  parallèles,  épais,  retouchés.  —  7  centimètres  de  long  sur 
4  et  demi  de  large  dans  la  partie  dilatée. 

Je  rapporte  à  cette  variété  une  forme  des  plus  singulières  : 
c'est  un  grattoir  renflé  à  la  grosse  extrémité,  que  supporte  un 
manche,  et  coupé  longitudinalement  dans  toute  son  étendue. 
Celle  section  n'est  pas  le  résultat  d'un  accident. 

Var.  C.  Pectinée,  —  Large  masse  représentant  à  peu  près  un 
triangle  dont  le  grand  côté  est  antérieur,  rectiligne,  elle  sommet 
postérieur;  face  supérieure  assez  élevée,  l'inférieur  plane.  Les 
bords  sont  retouchés  partout,  mais  avec  plus  de  soin  en  avant. 
Les  deux  angles  de  la  base  sont  très-adoucls.  Bords  latéraux 
creusés  de  chaque  côté.  L'extrémité,  peu  prolongée,  se  rétrécit 
de  plus  en  plus  jusqu'au  sommet,  et  peut  servir  de  perçoir.  Le 
bord  de  la  face  dilatée  était  surtout  la  portion  agissant  de  l'ins- 
trument, qui  devait  être  employé  à  deux  fins.  —  7  centimètres 
de  long  sur  7  centimètres  et  demi  de  large. 

«•  LAMES. 

Tranches  de  silex  abattues  du  micle^»y  façonnées  ensuite,  re- 
touchées ou  non ,  ou  employées  telles  quelles  sans  préparation  ; 
elles  sont  larges,  étroites,  longues,  courtes,  épaisses,  extrême- 
ment minces.  Quand  leurs  dimensions  sont  exiguës,  elles  cons- 
tituent des  lamelles. 

Il  en  est  dont  les  surfaces  sont  entièrement  planer.  La  plupart 
ont  une  arête  médiane  avec  deux  plans  obliques  latéraux.  D'au- 
tres, plus  rares,  pi'ésentent,  supérieurement  au  milieu,  une 
face  sur  toute  la  longueur  et  deux  arêtes  parallèles  qui  la  sépa- 
rent de  deux  plans  latéraux  inclinés.  D'autres  encore  sont  allon- 
gées, étroites,  triangulaires. 


IMI    L'ATBLIBt  BU   GAMP^BAllCT.  476 

i/fntrémUé  e;'t  afgiiê,  arrondie,  droite,  biseautée,  adoucie. 
Quelques-unes  portent,  sur  un  ou  plusieurs  côtés,  des  traces  de 
travail  préparatoire,  figuré  par  des  éclats  secondaires.  La  plupart 
montrent  un  ou  deux  tranchants  naturels.  Beaucoup ,  par  leur 
i>onne  configuration ,  n'ont  eu  besoin  de  recevoir  aucun  détail 
ultérieur.  Elles  sont  planes  à  la  face  inférieure,  sauf  au  bulbe 
de  percussion,  renflement  qui  se  produit  pendant  le  choc  au- 
dessous  du  point  frappé  ;  mats  11  n'en  est  pas  ainsi  à  la  face  su- 
périeure, sur  laquelle  on  remarque  assez  firéquemment  des  Iné- 
galités qui  obligeaient  souvent  à  une  retaille.  Quelquefois  les 
éclats  sont  petits  et  multipliés  de  façon  à  simuler  de  véritables 
retouches.  Une  observation  attentive  empêchera  toute  méprise. 
Ils  n'ont  jamais  la  symétrie  et  la  régularité  des  éclats  amenés 
par  le  travail.  Il  fallait  de  l'adresse  pour  détacher  de  longues 
tranches  étroites.  Si  le  hasard  aidait  l'ouvrier,  il  faut  croire  aussi 
que,  par  sa  grande  habitude,  il  manquait  rarement  son  point 
de  percussion  lorsqu'il  voulait  obtenir  une  certaine  épaisseur. 
L'on  admire  quelques  productions  qu'il  nous  serait  difficile  de 
fabriquer  maintenant.  Les  sépultures  de  Cromagnon,  aux  Eysies 
(Dordogne),  ont  fourni  des  lames  fort  remarquables  par  leur 
longueur.  J'en  trouvai  une  analogue  à  lanville.  Le  spécimen  de 
cette  dernière  localité,  d'une  époque  relativement  moderne,  est 
plus  beau,  mais  ne  peut  être  comparé,  pour  la  dimension,  à 
celles  que  je  viens  de  citer. 

Parmi  les  nôtres,  je  signalerai  une  pièce  étroite,  mince,  re* 
courbée,  plate  et  concave  en  dessous,  divisée  supérieurement 
par  une  carène,  dont  la  partie  antérieure,  arrondie,  est  à  peine 
dilatée.  L'autre  extrémité  est  cassée.  —  9  centimètres  de  long 
sur  19  millimètres  au  plus  de  large. 

J'en  possède  une  seconde,  brisée  au  sommet ,  qui  présente  trois 
faces  supérieures  :  une  médiane  et  deux  lalcrales  obliques.  —  Ce 
fragment  délicat  a  6  centimètres  et  demi  de  long  sur  2  de  large. 

Une  autre  lame  est  l'opposée  de  celles-ci.  Elle  est  courte,  ovale, 
tronquée  postérieuremenit,  arrondie  en  avant,  très-plate  et  d'une 
minceur  excessive.  Sur  la  face  supérieure,  l'ablation  peut  être 
fortuite  d'une  tranche  superficielle  forme  une  dépression  mé- 
diane. —  6  centimètres  de  long  sur  3  et  demi  de  large. 

Je  ne  pense  pas  que  ces  silex  aient  jamais  été  affeetés  à  aucun 
usage,  à  cause  de  leur  fragilité.  Les  lamelles  ne  sont  pas  toutes 


476  MÉMOIRB  SUR  LES  SILEX   TRATAlLLlis 

des  éclats  accidentels  résultant  de  la  fracture  des  blocs  ou  des 
nucleus.  Beaucoup  portent  des  retouches.  C'est  surtout  avec  elles 
que  se  fabriquaient  des  tètes  de  flèches  et  d'autres  petits  instru- 
ments dont  Tapplication  nous  échappe. 

Jusqu'ici,  il  n'a  été  mention  que  des  lames  brutes,  sans  usage 
déterminé;  mais  Ton  en  rencontre  également  qui  sont  des  outils 
complets  et  bien  confectionnés.  Quoiqu'il  ne  soit  pas  aisé  de  pré- 
ciser leur  emploi ,  Ton  peut  supposer  que  plusieurs  ont  été  des 
grattoirs  ou  des  couteaux.  J'ai  remarqué  quatre  types  marqués  : 

Types  :  Variétés  : 

io  Quadrangulaire...  Carénée. 

iOblongue. 
Ovale. 
En  grattoir. 

3^  Aigu Cordiforme. 

4<>  En  plaquette. 
\**  QUADRANGULAiRE.  —  Mince,  irrégulièrement  quadrilatère; 
allongé;  face  supérieure  presque  plane  ou  à  peine  convexe,  tail- 
lée à  grands  éclats;  face  inférieure  légèrement  concave;  dos 
peu  épais,  lorsqu'il  existe;  tranchant  délicatement  crénelé.  — 
7  à  10  centimètres  de  long  sur  5  à  5  et  demi  de  large. 

Var.  Carénée.  —  Arête  supérieure  presque  médiane,  de  laquelle 
partent  deux  faces  déclives,  lisses;  face  inférieure  plate;  biseau 
postérieur,  oblique,  assez  épais.  —  6  centimètres  de  long  sur 
4  de  large. 

2»  Dilaté.  —  Plat,  arrondi  et  dilaté  en  haut,  plus  ou  moins 
rétréci  du  bas;  tranchant  mince  ou  assez  épais,  retouché.  Mal- 
gré ces  caractères  communs,  cbaque  forme,  prise  isolément,  est 
fort  différente. 

Var.  A.  Oblongue.  —  Faces  planes;  dos  peu  épais;  extrémité 
antérieure  large,  arrondie;  la  postérieure  extrêmement  petite  à 
sa  terminaison,  et  coupée  par  un  petit  biseau  assez  élevé.  La  face 
supérieure  présente  une  dépression  causée  par  l'ablation  d'une 
lame  (1);  pourtour  arrondi  dans  une  grande  partie  de  sa  con- 


(1)  Celte  dépression  se  remontre  assez  souvent  sur  la  face  supérieure 
de  tôtes  de  lances ,  de  Javelots  ou  autres  instruments.  Elle  était  certai- 
nement intentionnelle,  et  sa  netteté  le  prouve;  son  but  était  de  faciliter 
un  enchâssement  plus  solide. 


DB    L'ATKLlBa  DU   GAMP-BARBBT.  477 

vexité,  et  devenant  plus  tranchant  en  s'avançant  vers  la  partie 
rétrécie.  —  7  centimètres  de  long  sur  3  et  demi  de  large. 

Var.  B.  Ovaie.  —hilnce^  très-déprimée,  ovale,  arrondie  en 
avant,  tronquée  en  arrière;  face  inférieure  avec  une  concavité 
dont  le  plan  n'est  interrompu  que  par  le  bulbe  de  percussion  ; 
dos  un  peu  plus  épais,  retouché  régulièrement;  bords  latéraux 
dilatés;  tranchant  adouci,  muni  de  petites  retouches  parfaite- 
ment régulières.  —  6  centimètres  et  demi  de  long  sur  4  et  demi 
de  large. 

Var.  C.  En  grattoir.  —  Celles!  est  une  véritable  lame,  lisse  sur 
chaque  face,  d'égale  épaisseur  dans  toutes  ses  parties,  convexe 
antérieurement^  avec  des  bords  arrondis,  retouchés.  —  5  centi- 
mètres de  long,  4  centimètres  de  large  et  5  millimètres  d'épais- 
seur partout. 

d^"  Aigu.  —  Tranches  minces,  plaies  sur  les  deux  faces,  de 
5  millimètres  environ  d'épaisseur,  presque  triangulaires,  sub- 
aiguës  au  sommet.  L'un  des  côtés,  plus  épais,  est  retouché;  le 
long  du  bord  opposé,  biseau  oblique  coupé  aux  dépens  de  la 
face  supérieure.  —  4  centimètres  -et  demi  à  6  de  long  sur  S  et 
demi  à  4  de  large. 

Var.  Cordiforme,  —  Face  supérieure  avec  arête  médiane  ;  bords 
latéraux  arrondis ,  dilatés;  tranchants  très-minces,  retouchés; 
sommet  épais. 

4°  En  plaquette.  —  Ce  sont  des  parallélogrammes  plus  ou 
moins  prolongés,  ressemblant  aux  pierres  à  fusil,  mais  beau- 
coup plus  minces  et  plats,  avec  un  biseau  étroit,  retouchés  sur 
un  ou  deux  bords;  plusieurs  ont  d'anciennes  ébréchures  pro- 
duites par  le  service.  Ces  pièces  ne  sont  pas  très-communes  ; 
elles  devaient  être  appliquées  au  grattage  dans  la  confection  des 
petits  objets  en  os.  —  3  à  4  centimètres  de  large,  2  et  demi  à 
4  de  haut,  5  à  6  millimètres  d'épaisseur. 

6«  COUTEAU. 

Le  couteau  consiste  en  une  lame  allongée ,  pourvue  presque 
constamment  d'un  dos  peu  épais  et  d'un  tranchant  retouché 
ou  non,  ayant  l'extrémité  supérieure  arrondie  ou  subaiguê. 

Une  lame  à  tranchant  simple  pouvait  sufQre  à  fendre  la  peau 


479  MEMaiM  SUS   LB8   glLM   TiAVAIU»BS 

de  raninial  q«e  Von  dépeçait,  ou  &  couper  des  os,  sans  recevoir 
le  moindre  fini ,  et  les  restes  de  ces  silex  ébréchés,  cassés  au 
milieu,  annoncent  môme  leur  mode  d'emploi;  mais  ces  instru- 
menU  n'étaient  pas  toujours  aussi  primitifs,  et  Ton  en  voit  d'ou- 
vrée soigneusement.  Si  la  plupart  des  espèces  ont  évidem- 
ment pour  but  de  produire  des  sections,  nous  en  trouvons 
d'autres  abords  asseK  épais,  retouchés,  et  paraissant  remplir 
l'office  de  grattoir*  Quelques  unes  ont  l'aspect  d'une  scie,  sans 
présenter  toutefois  une  conformation  de  crénelure  absolument 
identique. 

Des  lamelles  de  petites  dimensions  ont  le  dos  et  le  tranchant 
retouehés  en  partie  ou  en  totalité,  ou  l'un  de  ces  bords  seule- 
ment. A  quel  travail  spécial  étaient*elles  destinées?  il  est  ration- 
nel de  penser  qu'on  les  utilisait  pour  le  travail  des  os.  Ayant  à 
peine  de  la  prise ,  elles  ne  paraissent  guère  commodes ,  et  ce- 
pendant leur  nombre  Indique  qu'on  les  employait  fréquemment. 
Peut-être  étaient-elles  enchâssées  dans  un  manche?  On  trouve 
aussi  une  quantité  de  ces  lamelles  telles  qu'elles  ont  été  éclatées 
du  nucieuê,  La  dénomination  de  couteau ,  que  je  donne  à  tous, 
n'est  certainement  pas  très-exacte.  J'aurais  pu  les  classer  les  uns 
parmi  les  lames,"  les  autres  avec  les  grattoirs;  mais  j'ai  cru  de- 
voir rassembler,  dans  un  mémo  genre,  des  outils  qui  m'ont  paru 
conformés  de  façon  à  pouvoir  remplir  des  fonction»  à  peu  près 
semblables*  Je  les  divise  en  six  types  : 

i»  Dilaté. 

^  Etroit. 

a»  £n  lamelle. 

4»  Unciformte. 

50  Serratiforme. 
l*»  Dilaté.  —  Lame  simple,  dilatée,  à  deux  faces  planes  sem- 
blables, diminuant  d'épaisseur  depuis  le  dos  qui  est  incurvé, 
sinueux,  plus  ou  moins  élevé,  jusqu'au  tranchant  dont  le  fil 
est  mince;  bommet  arrondi,  retouché;  extrémité  inférieure 
brusquement  biseautée.  Le  coftex  de  la  partie  dorsale  est  ordi- 
nairement conservé.  Souvent,  le  tranchant  porte  des  retouches; 
mais  quelquefois  il  est  resté  à  l'état  naturel.  —  5  oentimètres  et 
demi  à  7  et  demi  de  long  sur  3  centimètres  et  demi  à  4  et  demi 
de  large, 
ip  fiTiioiTà  (M.  m,  flg*  6.)  -^  Lame  très-allongée^  droite^  étroite, 


I»B  L'àTBLIM  m  6AMP-BARUT.  479 

rétrécie  en  haut  et  vers  le  bas,  qui  est  tronqué;  face  supérieure 
déprimée;  dos  médiocrement  élevé,  tdiilé  à  petits  éclats;  bord 
opposé  retouché  obliquement  sur  Tépaisseur,  assez  tranchant; 
sommet  arrondi.  Un  exemplaire,  k  bords  parallèles,  ne  présente 
de  retouches  qu'à  la  face  inférieure.  (PI.  m,  flg.  7  bis,)  —  6  cen- 
timètres et  demi  à  7  et  demi  de  long  suf  2  à  2  et  demi  de  large. 

J'hésite  à  ranger  ce  type  parmi  les  couteaux.  C'est  la  forme 
générale  et  la  disposition  lamellaire  qui  m'y  engage  plus  que 
rexamen  des  détails.  L'étroitesse  ne  permet  pad  de  croire  qu'il 
ait  été  possible  d'en  user  comme  d'un  grattoir.  Le  fil  du  tran- 
chant montre  chez  quelques-uns  des  cassures,  de  rares  fissures 
longitudinales  analogues  à  celles  46s  percuteurs. 

3<>  EN  LAMELLE.  —Allongé,  plus  ou  moins  étroit,  mince  et 
déprimé ,  solide,  de  petite  taille;  dos  droit  ou  courbe,  peu  épais, 
taillé  à  fins  éclats  ou  conservant  le  cortex;  face  supérieure  dé- 
clive, l'inférieure  plane  ou  légèrement  concave;  tranchant  droit 
ou  courbe,  aigu  ou  adouci  par  des  retouches.  —  ^i  à  5  centimètres 
de  long,  i  centimètre  et  demi  à  ^  et  demi  de  large. 

4«  Uncifobme.  —  Dos  épais,  ordinairement  retouché,  convexe, 
recourbé  au  sommet  comme  une  serpette,  et  formant  une  pointe 
avancée  à  sa  terminaison;  faces  planes;  tranchant  droit  ou 
concave,  acéré  ou  adouci  par  une  bande  longitudinale  coupée 
obliquement  aux  dépens  de  la  face  supérieure,  et  retouché  tout 
du  long;  extrémité  Inférieure  subaiguê  ou  tronquée.  —  4  à  6  cen- 
timètres de  long  sur  i  centimètre  et  demi  à  3  de  large. 

5«  Serratiforme.  —  Quelquefois  sans  forme  bien  déterminée. 
Allongé,  déprimé,  obscurément  triangulaire,  subaigu  au  som- 
met; base  tronquée;  face  supérieure  à  arête  médiane  ou  plane 
chez  les  exemplaires  lamelliformes;  dos  assez  mince,  incurvé 
sans  précision;  cfénelur^  plUâ  ou  moins  espacées,  grossières. 
Toutes  sont  produites  aux  dépens  de  la  face  inférieure.  Leur 
échancrure,  rincllnaison,  la  direction,  établissent  autant  de 
rapports  avec  celles  de  la  scie  véritable;  mais  dans  cette  dernière 
les  denticulafions  sont  creusées  d'une  façon  scalariforme;  elles 
sont  plus  solides,  évidées  soigneusement  en  dessus,  et  chacune 
est  disposée  de  fagon  à  éviter,  le  mieux  possible,  les  fractures. 
—  5  centimètres  et  demi  sur  3. 

Cet  outil  est  intermédiaire  entre  le  couteau  et  la  soiOi  dont  je 
n'ai  pas  vu  de  représentants  au  Gadip- Barbet. 


MBMOIBB  SUR    LKS    SILBX  TRAVAILLAS  480 

7«  HACHETTE. 

Je  place  après  les  couteaux  une  série  d'instruments  qui  tien- 
nent, pour  la  plupart,  de  la  hache,  du  ciseau,  du  coin,  même 
du  javelot,  et  qui  probablement  étaient  destinés  à  couper  le  bois 
et  les  os  longs,  pour  les  détailler  ensuite.  En  général,  ils  ont  un 
biseau  à  tranchant  afûlé  et  une  troncature  terminale  en  arrière. 
Presque  tous  sont  déprimés  en  dessus  et  plats  en  dessous.  Leur 
partie  essentielle  git  dans  le  tranchant,  dont  le  fil  se  trouve  fré- 
quemment ébréché.  Il  peut  avoir  une  direction  horizontale, 
oblique,  irrégulière.  Il  est  mince  ou  parfois  épais.  Les  formes 
sont  variables ,  et  les  biseaux  diffèrent  dans  leur  inclinaison, 
tantôt  très  oblique,  et  plus  rarement  presque  droite.  Ils  sont  or- 
dinairement simples,  mais  quelquefois  ils  existent  sur  les  deux 
faces  et  forment  alors,  à  leur  point  de  réunion,  un  tranchant 
solide.  Le  ciseau  du  menuisier  montre  également,  suivant  l'es- 
pèce, des  différences  d'inclinaison  dont  l'analogie  avec  ces  silex 
est  évidente. 

La  hachette  se  fixait  verticalement  sur  un  manche  entaillé, 
auquel  on  l'attachait  fortement.  Etant  très-solidement  retenue, 
on  pouvait  en  user  de  diverses  façons,  en  frappant  sur  l'extré- 
mité opposée  de  la  tige  qui  la  supportait,  ou  pousser  avec  la 
main  comme  l'on  fait  habituellement.  La  région  postérieure  est 
presque  constamment  amincie  afin  de  mieux  l'adapter  à  la  coche 
pratiquée  au  support. 

Je  les  divise  en  dix  types,  qui  sont  assez  bien  earactérisés. 

Types  :  Variétés  : 

^  A  tranchant  droiL 
^^^^ I A  tranchant  courbe. 

i  Minime. 
Amincie. 
Epaisse. 
3°  Gibbeux. 

i''  Obèse. 

50  Lamelleux Aplatie. 

C«  Sécuriforme. 

IA  tranchant  concave. 
Biconvexe. 
En  parallélogramme. 


DE  l'atelier  du  gamp-barbbt.  481 

Types  :  Variétés  : 

8»  Etranglé. 

9°  Quadrangulaire . .  i ,  "      ^ 

(B.  SubcoDique. 

10°  En  ciseau [t' 

(B. 

i®  Large.  —  Hachette  courte,  très-plate  sur  les  deux  faces; 
tranchant  large,  courbe  ou  droit,  mince;  biseau  régulier,  très • 
oblique,  ordinairement  et  largement  étendu.  Elle  se  rétrécit 
peu  à  peu  vers  sa  terminaison,  et  Textrémité  est  tronquée  plus 
ou  moins  loin ,  de  sorte  qu'elle  ressemble  à  un  triangle  à  som- 
met coupé.  -<  3  centimètres  et  demi  à  4  de  long  sur  3  à  4  à  la 
largeur  du  tranchant. 

Var.  A.  —  Tranchant  droit. 

Var.  B.  —  Tranchant  un  peu  courbe. 

2»  Plan.  —Allongée;  face  supérieure  plane;  côtés  assez  épais, 
retouchés;  tranchant  large  ou  étroit;  biseau  plus  ou  moins 
oblique  et  prolongé;  troncature  postérieure  irrégulière;  échan- 
crures latérales  prononcées  à  divers  degrés.  —  4  à7  centimètres 
de  long  sur  2  à  4  centimètres  de  large. 

Var.  A.  Minime.  —  Très-petite,  plate,  irrégulière,  sinueuse 
d'un  côté,  obtuse  en  arrière. 

Var.  B.  Amincie,  —  Extrêmement  déprimée  et  presque  lamel- 
laire ,  large  ;  biseau  peu  élevé  ;  tranchant  irrégulier. 

Var.  C.  Epaisse.  —  La  section  qui  comprend  ces  trois  variétés 
n'est  pas  nettement  caractérisée,  et  les  formes  sont,  pour  ainsi 
dire ,  aussi  diverses  qu'il  y  a  d'individus. 

S**  GiBBEUX.  —  Ce  type  représente  deux  plans  inégalement  in- 
clinés, se  rencontrant  parleur  sommet  et  formant  à  cette  jonc- 
tion la  plus  grande  largeur  de  la  hachette ,  ou  bien ,  au  lieu 
d'un  angle  de  jonction ,  on  trouve  une  bosse  convexe,  arrondie. 
Les  extrémités  sont  assez  minces,  et  ordinairement  la  posté- 
rieure est  plus  étroite.  Dans  des  cas  fort  rares,  c'est  la  partie 
antérieure  dont  le  diamètre  transversal  se  rétrécit;  tranchant 
droit  ou  oblique;  côtés  retouchés  assez  régulièrement,  à  petits 
éclats.  f.e  biseau,  élevé  et  prolongé  presque  à  la  partie  moyenne 
donne  à  cette  forme  une  apparence  gibbeuse.  —  i  centimètres 
et  demi  à  6  de  long  sur  environ  3  de  large,  et  1  centimètre  au 
moins  de  haut  à  partir  du  point  d'intersection  des  deux  plans. 

T.  VIII.  31 


483  uÉMOiMK  sua  les  silex  travaillas 

4'>  Obèse.  —  Solide,  épaisse,  conoïde,  mal  dégrossie  laléra- 
lemenl;  face  supérieure  élevée,  très-convexe;  l'inférieure  plaie 
et  un  peu  bombée;  sommet  légèrement  arrondi  ;  très-large  biseau 
oblique;  tranchant  droit  ou  à  peine  courbe.  -  5  centimètres  et 
demi  de  long  sur  4  au  moins  de  haut. 

5«  Làmelleux.  —  Mince  ordinairement,  peu  soignée,  variable 
dans  sa  forme  qui  n'est  jamais  bien  précise;  déprimée,  trian- 
gulaire; faces  planes,  irrégulières;  tranchant  droit  à  biseau 
inégal,  grossièrement  taillé.  —  5  à  5  centimètres  et  demi  de  long 
sur  3  centimètres  de  large. 

Var.  Aplatie.  —  Elle  consiste  en  une  lame  amincie,  diminuant 
d'épaisseur  et  de  largeur  de  la  base  au  tranchant;  entièrement 
plate  en  dessous. 

G*'  SÉGL'RiFORME.  —  Elle  ressemble,  en  petit,  à  certaines 
haches  de  cette  époque.  Souvent  aussi  on  la  prendrait  pour  une 
tète  de  javelot  si  Textrémité  postérieure  était  plus  aiguë.  Elle 
est  allongée,  conique,  déprimée,  à  peine  convexe  en  dessus  et 
taillée  sans  délicatesse,  très-plate  en  dessous,  quelquefois  un 
peu  iMîmbée  sur  une  ou  sur  les  deux  faces;  biseau  court,  peu 
oblique,  à  peine  courbe,  presque  droit,  terminé  par  un  tran- 
chant médiocrement  afûlé;  extrémité  postérieure  mince,  étroite, 
plus  ou  moins  arrondie.  —  5  à  5  centimètres  et  demi  de  long 
sur  3  centimètres  de  large. 

7°  Tronqué.  —  Conoide,  très-déprimé  avec  une  légère  con- 
vexité médiane;  bords  minces;  tronqué  nettement  et  assez  lar- 
gement en  arrière;  biseau  à  angle  très-aigu;  faces  soigneusement 
retouchées  à  grands  éclats.  —  5  centimètres  et  demi  à  6  de- long 
sur  2  centimètres  et  demi  à  3  et  demi  de  large. 

Var,  A.  A  tranchant  coiicave,  ■—  Disposition  très-rare.  Face  in- 
férieure un  peu  concave;  bords  latéraux  épais ,  de  sorte  que, 
vue  de  proûl ,  elle  semble  être  biconvexe. 

Var.  B.  Biconvexe.  —  Biseau  à  angle  très-aigu  ;  tranchant  lé- 
gèrement courbe  ;  les  deux  faces  sont  de  convexité  presque  égale. 

Var.  C.  Enparalhélogramme.  —  Bords  latéraux  presque  paral- 
lèles, ce  qui  donne  aux  extrémités  une  largeur  à  peu  près  égale; 
faces  très- déprimées  :  la  supérieure  taillée  assez  soigneusen»e&t, 
l'inférieure  plane;  bords  minces,  retouchés. 

8p  Etran&lé.  —  Conolde,  assez  étroite,  resserrée  dans  le  tier» 
posèérieur  pfesqiie  suNtement,  et  formant,  h  partir  de  là,  une 


DE   l'atelier  du   CAMP-BARBET.  485 

espèce  de  mancne  rétréci,  plus  mince  que  le  corps;  petit  biseau 
terminal  oblique.  Le  grand  biseau  a  une  inclinaison  médiocre, 
et,  par  exception,  il  est  presque  à  angle  droit.  Les  deux  extré- 
mités de  cette  hachette  pouvaient  servir,  et  elle  ne  devait  pas 
être  emmanchée. 

9°  Quadrilatère.  —  Assez  étroite,  souvent  lamellaire;  partie 
antérieure  ayant  à  peine  plus  de  largeur;  troncature  postérieure 
brusque;  biseau  droit  ou  très-oblique;  tranchant  aigu;  face  su- 
périeure légèrement  subconvexe  ou  plane,  taillée  à  grands  éclats; 
l'inférieure  plate.  —  3  centimètres  et  demi  à  4  et  demi  de  long 
sur  3  à  i  centimètres  de  large. 

Var.  A.  —  Bords  latéraux  tout-à-fait  parallèles;  assez  épaisse. 

Var.  B.  Subconique,  —  Double  biseau  très-oblique,  à  tranchant 
afillé. 

40''  Ciseau  proprement  dit.  —  Quelques  individus  tiennent 
de  la  hachette  par  la  disposition  des  contours;  mais  ils  appar- 
tiennent plus  spécialement  au  ciseau  par  le  biseau  et  le  tran- 
chant, qui  sont  les  parties  principales.  En  général,  ils  sont  co- 
niques, étroits,  allongés,  à  double  concavité  latérale  plus  ou 
moins  sentie,  épais,  solides.  La  face  supérieure  est  élevée,  tail- 
lée grossièrement;  Tinférieure  toujours  plate.  Petite  extrémité 
tronquée;  biseau  oblique,  élevé;  tranchant  droit,  aigu.  ~  6  à7 
centimètres  de  long,  2  à  3  centimètres  de  large,  2  centimètres 
et  demi  de  haut  au  plus. 

Var.  A.  —  Conique,  déprimée,  grossièrement  taillée  à  la  face 
supérieure,  plate  en  dessous,  sans  retouches  latérales.  Elle  res- 
semble plus,  par  la  forme  seulement,  à  la  véritable  hachette.  Le 
biseau  seul  a  été  bien  soigné;  il  est  solide,  double,  à  tranchant 
fm,  acéré.  Le  supérieur  a  été  taillé  obliquement  dans  une  assez 
grande  étendue,  et  poli  ensuite.  Le  biseau  de  la  face  inférieure 
est  très-étroit,  légèrement  concave  dans  toute  sa  largeur,  sans 
trace  de  poli.  Cette  variété  présente  identiquement  la  terminai- 
son de  certains  ciseaux  en  fer  journellement  employés  dans  les 
arts. 

Var.  B.  —  Celle-ci,  quoique  différant  de  la  précédente,  n'a 
pas  moins  d'analogie  de  forme  avec  une  autre  espèce  de  ci- 
seau, et  le  corps  de  l'instrument,  surtout,  s'éloigne  des  t^pes 
que  j'ai  décrits.  Elle  se  compose  d'une  tranche  de  silex  étroite 
et  épaisse,  prfsmatique,  terminée  par  un  biseau  simple,  tran- 


484  MÉMOIRfi   SUR  LKS   SILEX    TBAVAILLés 

chant  à  son  extrémité,  recouverte  de  son  cortex  et  presque  ar- 
rondie en  arrière.  Une  arête  aiguë  divise  les  deux  faces  supé- 
rieures, dont  Tune  est  brute  et  Tautre  à  éclats  grossiers.  Face 
inférieure  lisse,  inégale,  sans  travail,  un  peu  plus  large.  A  peine 
remarque-ton  quelques  indices  de  relouches  sur  les  bords. 

Gomme  le  tranchant  seul  avait  de  Futilité,  Ton  s'était  dispensé 
de  soigner  les  autres  parties.  Cet  outil  se  poussait  directement 
par  la  main.  L'on  ne  frappait  pas  sur  Textrémité  non  biseautée, 
puisqu'elle  est  restée  avec  son  cortex  intact.  Néanmoins,  il  est 
possible  que  l'on  ait  fixé  ce  ciseau  à  un  manche. 

8»  COUPERET. 

Lorsque  l'on  avait  tué  un  animal  d'un  certain  volume,  il  n'é- 
tait pas  facile  de  le  diviser.  L'on  devait  user,  sans  doute,  des 
grandes  haches  dont  nous  rencontrons  encore  des  représentants; 
mais  on  façonnait  aussi  des  cailloux  de  manière  à  produire  un 
instrument  qui  avait  de  l'analogie  avec  notre  couperet  actuel. 
C'est  un  silex  très-grossier,  lourd,  épais,  irrégulièrement  qua- 
drilatère, arrondi  en  haut,  à  large  dos  coupé  brusquement.  Le 
tranchant  est  convexe,  et  les  deux  faces  sont  taillées  à  granos 
éclats.  Ceux  que  j'ai  recueillis  au  Camp-Barbet  ont  environ  7  cen- 
timètres de  long,  8  centimètres  de  large  et  3  centimètres  d'épais- 
seur. Un  bel  exemplaire  de  ce  genre,  parfaitement  caractérisé,  a 
été  trouvé  par  M.  Buquet,  à  Ully-Saint-Georges.  11  eut  l'excellente 
idée  de  rapporter  ces  formes  au  couperet,  et  je  crois  son  opinion 
incontestable. 

Il  est  cunéiforme,  plus  large,  plus  long,  et  beaucoup  plus  épais 
que  le  précédent.  Son  tranchant  convexe  est  couvert  de  retouches 
rendues  inégales  par  la  percussion  et  l'usure.  Il  est  difficile  de 
supposer  un  autre  emploi  à  ces  outils.  Ils  étaient  pesants,  et 
leur  dos  donnait  une  large  prise  à  la  main ,  qui  pouvait  au  be- 
soin en  faire  une  arme  comme  du  passe-tète.  —  12  centimètres 
et  demi  de  long  sur  9  centimètres  de  large;  dos  de  4  centimètres 
d'épaisseur. 

^  PERÇOIR. 

Le  poinçon  perce  par  pression,  le  perçoir  par  rotation.  Cette 
IfTérence  établit  la  distinction  dans  la  conformation  des  deux 


DE  l'ateliba  du  gamp-barbet.  485 

instiniments.  L'un  est  aigu,  arrondi,  très-efHlé;  l'autre  est  plus 
solide,  plus  épais,  conique,  court,  simplement  adouci  au  pour- 
tour et  taillé  à  facettes.  Nous  rencontrons  toujours  une  face  plus 
ou  moins  large  qui  se  prenait  entre  les  doigts,  et  une  extrémité 
étroite  qui  est  la  partie  agissante.  Si  Ton  se  sert  d'un  bout  de  silex 
à  angles  vifs,  tranchants,  il  casse  net  pendant  le  mouvement  de 
rotation,  sans  rien  percer.  Aussi,  cette  observation  n'ayant 
pas  échappé  aux  hommes  de  cette  époque,  ils  taillaient  le  perçoir 
en  divers  plans,  de  sorte  que  l'outil  avait  une  longue  durée  sans 
éprouver  d'autre  dommage  qu'une  perte  légère  de  substance  sur 
les  arêtes.  Un  autre  caractère,  presque  constant,  consiste  en  une 
échancrure  ordinairement  arrondie,  en  une  gorge  en  spirale, 
quelquefois  retouchée,  qui  existe  À  droite  ou  à  gauche,  sur  la 
partie  prolongée  et  rétrécie.  Elle  indique  évidemment  l'intention 
de  produire  les  mêmes  effets  que  ceux  de  la  vrille.  C'est  l'élé- 
ment primitif  de  la  vis! 

Aucun  poinçon  n'a  été  trouvé  au  Camp-Barbet.  C'est,  du  reste, 
avec  l'os  qu'il  devait  être  fabriqué.  Ici,  le  perçoir  est  assez  com- 
mun ,  de  dimensions  petites  ou  fortes.  Je  viens  de  dire  qu'il  pré- 
sentait toujours  une  portion  élargie  propre  à  être  tenue,  dimi- 
nuant brusquement^  terminée  en  pointe  subaiguê  ou  à  sommet 
arrondi.  La  face  inférieure  est  plate.  Les  exemplaires  de  Bruni- 
quel,  qui  datent  de  la  période  paléolithique,  ont  de  l'analogie 
avec  les  nôtres.  Le  mode  de  travail,  la  forme,  sont  ordinaire- 
ment les  mêmes,  à  cette  différence  près  que  ceux  de  laDordognc 
ont  des  proportions  plus  exiguës.  A  Cauvigny  (à  Fontaine),  j'ai 
vu  des  ébauches  d'une  grande  taille,  mais  extrêmement  gros- 
sières. Au  reste,  à  toutes  les  périodes  de  l'âge  de  pierre,  on 
trouve  cet  outil  indispensable.  Il  en  existe  d'énormes  et  de  très- 
délicats  à  la  station  de  Foulangues.  C'est  l'instrument  typique 
de  cette  localité.  J'ea  possède  de  toute  dimension  et  de  toute 
forme. 

Les  perçoirs  servaient  à  forer  les  os  et  k  faire  des  trous  dans 
le  cuir,  afln  d'y  passer  des  lanières  destinées  à  retenir  les  vête- 
ments et  les  chaussures.  En  quelques  tours,  avec  plusieurs  es- 
pèces d'entr'eux ,  j'ai  percé  des  semelles  de  cuir  d'un  demi-cen- 
timètre et  des  planches,  sans  endommager  le  silex. 

Je  les  groupe  en  quatre  sections  : 


486  MÉMOIRE   SUR   LES   SILEX  TRAVAILLÉS 

Types  : 

io  Dilaté. 

2«  Triangulaire. 

30  Quadrilatère.. 

40  Ailé. 
Cette  division  n^est  établie  que  sur  la  forme  de  la  partie  élargie. 
C'est  uniquement  aûn  de  donner  une  idée  de  Taspect  général  de 
l'outil. 

i»  Dilaté.  —  Ovale  assez  régulier,  dont  les  contours  sont  in- 
terrompus par  une  section  droite  à  la  base  et  par  une  tige  proé- 
minente quoique  courte.  Face  supérieure  déprimée,  grossière- 
ment taillée;  Tinférieure  lisse;  bords  amincis.  La  tige  ou  pointe, 
assez  forte,  subaiguë,  résulte  de  deux  échancrures  latérales  peu 
profondes.  Le  diamètre  transversal  semble  bien  plus  considérable 
que  le  vertical,  et  cependant  il  n'y  a  que  quelques  millimètres 
de  différence.  La  dilatation  horizontale  offre  la  disposition  la 
plus  avantageuse  pour  exécuter  les  mouvements  de  rotation.  — 
53  millimètres  de  haut  sur  5  centimètres  et  demi  de  large ,  et 
2  centimètres  d'épaisseur  à  la  base. 

î®  Triangulaire.  —  Faces  déprimées.  La  supérieure,  légère- 
ment convexe  lorsqu'existe  une  arête  longitudinale.  La  région 
dilatée  est  obscurément  triangulaire,  et  le  perçoir  se  termine  en 
une  grosse  pointe  mousse  ou  à  peine  effilée.  --  4  à  6  centimètres 
de  long  sur  2  à  4  centimètres  de  large. 

3*»  Quadrilatère.  —  Chez  celui-ci,  la  portion  dilatée  est  courte 
et  allongée  ;  quadrilatère,  mais  non  d'une  manière  très-marquée, 
presque  toujours  entièrement  plane  à  la  face  supérieure,  rare- 
ment séparée  par  une  éminence.  Lorsqu'elle  a  lieu,  elle  est  con- 
tinue sur  le  dos  même  de  la  pointe.  Extrémité  courte,  retouchée 
latéralement.  —  3  è  6  centimètres  de  long  sur  â  à  3  centimètres 
de  large. 

4°  Ailé.  —  La  partie  élargie  est  grosse,  élevée,  massive,  très- 
solide,  partagée  en  deux  faces  très-déclives,  dont  la  droite  se 
prolonge  en  aileron,  de  façon  à  y  appuyer  aisément  le  pouce; 
face  inférieure  plane;  pointe  subaiguê,  retouchée  de  chaque  côté. 
Quoique  cette  espèce  soit  peu  commune,  je  Tai  vue  plusieurs  fois 
avec  un  aileron,  plus  rarement  encore  avec  deux* semblables.  Il 
est  évident  que  ces  appendices  ne  sont  dûs  ni  au  caprice  ni  au 
hasard.  --  5  centimètres  de  long  sur  3  centimètres  de  large. 


DB   L'aTELIBR    du  GAMP-BAllBfeT.  487 

11  existe  aussi  des  pièces  servant  à  deux  fins.  L'on  voit  des 
grattoirs  plats  cassés  en  deux  avec  intention ,  dont  une  extré- 
mité est  transformée  en  perçoir  Cette  double  attribution  se  ren- 
contre parfois  au  Camp-Barbet.  A  Tarticle  grattoir,  je  mentionne 
une  forme  anormale  qui  est  munie  d'une  pointe  de  perçoir. 

IQo  POUSSOIR. 

Disque  très-épais ,  interrompu ,  au  point  le  plus  élevé  de  sa 
circonférence,  par  une  section  nette  presque  verticale.  Face  su- 
périeure déclive  depuis  la  section  jusqu'au  pourtour;  face  infé- 
rieure tout-à-fait  plane.  Toutes  les  parties  sont  usées  paV  le  frot- 
tement, sauf  la  face  supérieure  qui  est  un  peu  inégale.  Le  pour- 
tour en  entier,  y  compris  la  section,  présente  des  facettes  gros- 
sières. —  Poids  :  102  grammes;  hauteur  :  5  centimètres  et  demi; 
largeur:  7  centimètres;  épaisseur,  3  centimètres  à  la  section  et 
2  à  l'endroit  le  moins  épais,  en  avant. 

C'est  une  espèce  de  grès  rougeàtre ,  coloré  par  l'hydroxyde  de 
fer,  très-dur,  à  grains  fin^.  Je  trouvai  au  Camp-Barbet  un  seul 
individu  de  forme  régulière;  mais  j'en  rencontrai  d'autres,  très* 
bruts.  A  Foulangues,  je  recueillis  un  exemplaire  presque  sem- 
blable et  un  second  beaucoup  plus  curieux  par  sa  disposition  et 
ses  faces  parfaitement  lisses.  Tous  sont  de  même  matière.  Evi- 
demment, la  nature  de  la  roche  a  été  choisie  pour  le  même 
usage ,  et  les  traces  de  frottements,  répétés  sur  une  large  étendue, 
indiquent  que  C43  sont  des  polissoirs  (i). 


mm^mtm 


(1)  Il  y  a  une  analogie  frappante  entre  ces  outils  et  ceux  que  mentionne 
Cook,  dans  son  voyage  à  Otabiti.  Je  le  cite  d'après  la  traduction  de  sa 
relation  :  «  On  rencontre  également  des  bacbes  composées  d'une  sorte  de 
c  basalte  et  de  grès.  C'est  aussi  dans  cette  localité  que  j'ai  trouvé  des 
«  disques  épais ,  à  surfaces  planes ,  en  grès  rouge  ou  roux ,  et  qui  de- 
«  valent  servir  à  aiguiser  le  tranchant  des  haches.  » 

Et  aussi  : 

«  Comme  il  est  nécessaire  de  les  aiguiser  presque  à  chaque  instant, 
c  l'ouvrier  a  toujours  près  de  lui  pour  cela  une  pierre  et  une  noix  de 
«  coco  remplie  d'eau.  » 


488  NéNOIRB  SUB   LES    SILEX    TRAVAILLES 


DEUXIÈME  DIVISION. 

ARMES  DE  CHASSE  OU  DE  COMBAT. 

Nous  sommes  arrivés  à  la  deuxième  division  des  objets  en 
silex  du  Camp-Barbet.  Ce  sont  les  armes  de  combat  ou  de  chasse 
qui  pouvaient  également  s'appliquer  à  certains  travaux  domes- 
tiques. Dans  ces  temps,  comme  toujours,  le  génie  humain  montre 
principalement  ses  ressources  par  les  inventions  des  engins  de 
destruction.  Assurément ,  ici ,  Tart  de  tuer  est  encore  en  enfance, 
et  il  n'a  pris  que  plus  tard  un  grand  degré  de  perfection  avec  la 
découverte  de  l'emploi  des  métaux;  mais  il  faut  avouer  que, 
dès  le  principe,  l'homme  a  tiré  tout  le  parti  possible  du  caillou 
pour  arriver  à  la  suppression  fatalement  nécessaire  des  animaux 
ou  même  de  ses  voisins.  Ainsi,  le  poids,  la  forme,  l'évidement, 
l'amincissement  de  certaines  parties  d'objets,  même  peu  tra- 
vaillés, étaient  calculés  avec  discernement. 

Les  pointes  de  javelots  et  de  flèches,  brutes  ou  ouvragées,  se 
rencontrent  fréquemment,  tandis  que  les  lances,  haches,  ne  sont 
pas  abondantes.  Ces  silex  recevaient  des  dispositions  particulières 
qui  nécessitaient  des  modes  variés  d'insertion  à  une  tige  ou  à  un 
manche.  Il  n'est  pas  toujours  facile  de  les  préciser,  et  si  le  hasard 
n'avait  procuré  des  pièces  enchâssées,  soit  de  cette  époque,  soit 
des  peuplades  sauvages  contemporaines,  nous  pourrions  ignorer 
les  méthodes  adoptées  pour  quelques-unes  d'entre  elles. 

Les  haches,  lances,  tètes  de  javelots ,  etc.,  étaient  retenues  au 
manche  au  moyen  d'intestins  frais  qu'on  appliquait  autour  et 
qu'on  laissait  sécher  ensuite. 

Les  haches,  dont  la  situation  était  horizontale  par  rapport  à 
la  tige,  portaient  le  lien  vers  le  milieu  ou  s'inséraient  dans  la 
cavité  d'un  os  retenu  à  un  manche.  Les  autres  instruments,  ar- 
rondis au  pourtour,  plans  ou  inégaux,  toujours  placés  vertica- 
lement, s'appuyaient  sur  des  coches  pratiquées  dans  le  bois  et 
étaient  ensuite  assujettis  par  des  liens.  Plusieurs  sont  pourvus 
d'un  biseau.  L'extrémité  postérieure  diffère  suivant  les  espèces. 

1'>  Le  biseau  simple  ou  entaille,  oblique  d'un  seul  côté,  péné- 
trait dans  une  section  en  sifflet  pratiquée  dans  le  bois  indépcn- 


J 

fil 


h: 
/•i 


!  i'draïc  e/.ceptiinneile  coiiico  aiéuf 
.  .         vSc.-iee. 


Flêclie  pyi-iforme.   C      c°  :r:i' 
.     .  lubulaire  D  :,■. 

..    tar.eSeF./v'àrA.-E.'-i 


:^m" 


n. 


Ki^.  1.  Fler-'r.e  ecaiilevise. 

2  Spir.ifGrtr.e.  \ar.A  b,ssa'.r.ee. 

3.  Carresu, 

i.  Plarxlaire, 

5  Série  V"  SMVjiifoTifK 


o.Sène2'!^°ifLarrn;>ori?.ees. 
7.     13     prcni 


»  «. 


/:         I.      ,. 

M 


/AODES   D'ATTACHE     ■ 

DES  TÉTF.S  DE  LANCfc:s,  Javelots  et  Flèches  a  la  ha/"\pe, 

1°  Inserlion  de  biseau  simple.  S'iriseriion  des  'êtes  Ironquées 

2 de  bisea-j  aT'bl^  |     4'(lesiê1.es  à  appenàice  mèàiani, 

5°   Insertion  des  téUs  sans  prcloTigemenl, 


HaL:he''e    Ironquée, 


Hachelle  lypique 
du  Camp  Barbel. 


\i 


DE   l'aTELIBR  bu   CAMP -BARBET.  489 

damaient  de  la  coche.  (PI.  vu,  flg.  i.)  Il  y  a  des  exemples  plus 
rares  de  biseau  dirigé  en  sens  contraire. 

'i'^  Le  biseau  double  s'enfonçait,  à  la  manière  d'un  coin,  dans 
rintervalle  d'une  double  section  en  sifflet,  prolongée  souvent 
au-delà  de  retendue  du  biseau  afin  de  donner  une  grande  soli- 
dité en  appuyant  plus  loin  sur  les  deux  faces.  (PI.  vu,  fig.  2.)  Les 
tôles  de  lance ,  arrondies  au  pourtour,  avaient  le  même  mode 
d'enchâssement. 

3°  Les  tètes  tronquées,  très-épaisses  en  arrière  ou  coupées  net, 
asseyaient  leur  base  sur  une  section  horizontale.  (PI.  vu,  fig.  3.) 
Une  face  correspondait  toujours  à  la  coupe  verticale  de  la  tige* 

\°  Les  appendices  médians  de  javelot  ou  de  flèche  s'insinuaient 
dans  le  centre  d'une  tige.  (PI.  vu,  flg.  4.)  Quand  ces  prolonge- 
ments n'existaient  pas  ou  qu'ils  étaient  trop  courts,  la  partie 
élargie  était  pincée  au  milieu  d'une  fente  serrée  par  un  lien,  et 
la  hampe  s'avançait  sur  elle  de  chaque  côté.  (PI.  vu,  fig.  5.) 

i«  HACHE. 

J'ai  dit  précédemment  que  les  haches,  si  remarquables  par  la 
taille  et  le  fini,  étaient  extrêmement  rares  au  Camp>Barbet.  La 
plupart  se  trouvent  à  l'état  de  tronçons.  Souvent  il  n'existe  que 
l'une  des  extrémités.  Quelques-unes  sont  à  peine  ébauchées.  Il 
est  donc  probable  que  celles  dont  on  pouvait  user  encore  ont  été  ^ 
enlevées.  Néanmoins,  le  petit  nombre  de  pièces  intactes  et  de 
débris  donne  une  idée  nette  des  formes  usitées. 

1.  Hache  Simple....  jf««^^^ 

2°  Hache  à  pic. 
Les  espèces  minérales  ne  varient  guère.  C'est  ordinairement  le 
silex  pyromaque  que  l'on  travaillait,  mais  on  employait  aussi 
parfois  des  grès  blancs  ou  gris  très-compactes,  susceptibles  d'un 
beiiu  poli.  Quelques  rares  exemplaires  sont  composés  d'une  roche 
lourde,  cristalline,  à  grains  fins,  serrés,  gris  verdâtre.  Malgré 
son  aspect  homogène,  elle  renferme  des  particules  métalliques 
fort  tenues.  Sa  nature  parait  être  la  même  que  celle  de  certaines 
diorites  vertes,  dont  elle  semble  être  une  variété.  Cette  substance 
est  étrangère  à  notre  sol,  et  sa  qualité  acertainement  déterminé 
le  choix  pour  la  fabrication  de  pièces  très-soignées. 


492  HBMOIBB   SUR   LBS  SILEX    TBAVAILUs 

Je  me  borne  à  citer  une  ébauche  de  petite  hache,  plate  en 
dessous,  élevée  supérieurement,  très-dilatée  au  tranchant,  échan- 
crée  latéralement  et  rétrécie  en  arrière.  C'est  Tunique  exemplaire 
de  cette  forme  que  j'aie  vu,  et  encore  n'est-elle  qu'indiquée.  C'est 
cette  raison  qui  me  fait  hésiter  à  la  considérer  comme  un  type 
nouveau,  malgré  l'accentuation  des  caractères. 

2«  POIGNARD. 

Je  rapporte  à  cette  arme  des  silex  allongés,  conoïdes  ou  cylin- 
driques, tronqués  ou  amincis  à  la  plus  grosse  extrémité,  aigus 
à  divers  degrés  à  l'opposée ,  taillés  négligemment  sur  les  faces, 
et  assez  lourds.  La  plupart  ne  semblent  pas  avoir  été  faits  pour 
être  enchâssés.  Ils  devaient  se  tenir  les  uns  à  la  partie  moyenne, 
les  autres  à  pleine  main,  le  pouce  appuyé  sur  la  base.  Deux 
formes  caractérisées  se  rencontrent  ici  : 
1®  Conique. 
2«  En  pic. 

i*»  Conique.  (PI.  iv,  fig.  2.)  —  Malgré  sa  grossièreté  apparente 
et  le  cortex  qui  existe  encore  sur  quelques  parties,  il  est  fort  bien 
travaillé.  Sa  large  base  brute,  oblique ,  diminue  peu  à  peu.  Trois 
faces  semblables ,  à  peine  retouchées  quoique  régulières,  s'amin- 
cissent jusqu'à  l'extrémité,  et  sont  séparées  entre  elles  par  trois 
lignes  angulaires  tranchantes.  La  pointe  aiguë  annonce,  par  son 
fini,  l'importance  qu'on  y  attachait.  Cette  pièce,  solide,  est  d'un 
poids  convenable  pour  un  maniement  facile.  —  il  centimètres 
de  long  sur  A  centimètres  et  demi  de  large  à  la  base. 

Une  variété  de  ce  type  parait  semblable,  à  première  vue,  à 
cause  de  sa  configuration  conique  ;  mais  elle  en  diffère.  La  base 
est  coupée  verticalement,  et  sa  section  forme  une  facette  lisse. 
La  moitié  postérieure  est  grosse,  massive,  pesante,  carrée,  à 
éclats  distribués  ça  et  là;  puis  elle  s'atténue,  s'effile  et  finit  en 
pointe.  On  croirait  que  l'on  a  enté,  sur  un  gros  manche,  une 
tige  plus  déliée,  dont  la  face  inférieure  est  plate  par  suite  de 
l'enlèvement  d'un  long  éclat  lamellaire.  La  partie  supérieure , 
déprimée,  légèrement  convexe,  se  courbe  un  peu  antérieure- 
ment. Le  type  est  triangulaire.  Cette  variété  a  deux  faces  et  deux 
tranchants. 

J'ai  trouvé  plusieurs  extrémités  de  poignards ,  qui  peut  être 


DR  l'atblibr  du  gampbarbbt.  493 

ont  élé  brisées  et  utilisées  d'une  autre  façon,  ou  bien  il  se  pour- 
rait même  qu'elles  n'eussent  jamais  été  plus  longues. 

2«  En  pic.  (PI.  IV,  fig.  1.)  —  Très-allongé,  un  peu  recourbé  et 
aminci  aux  deux  bouts,  l'un  subaigu,  l'autre  aplati,  obscuré- 
ment cylindrique,  tortu,  dégrossi  à  larges  éclats  avec  conser- 
vation de  portions  corticales.  Les  surfaces  qui  en  sont  dépour- 
vues sont  dénudées  par  les  ablations  de  lames  à  cassures  sou- 
vent concholdes,  nettes,  irrégulières.  Il  devait  être  pris  ù  pleine 
main  par  le  milieu,  et  pouvait  également  servir  de  pic.  Ces 
armes  ont  13  à  13  centimètres  et  demi  de  long  ordinairement, 
mais  quelquefois  la  taille  a  jusqu'à  21  centimètres. 

3«  LANCE. 

Ce  sont  de  longs  silex  taillés  sur  le  pourtour,  obscurément 
prismatiques,  amincis  en  arrière  et  efûlés  antérieurement  ou 
arrondis  à  cette  extrémité,  assez  pesants,  sans  élégance,  quel- 
quefois tortus.  Quelques-uns ,  dont  les  arêtes  limitent  les  faces, 
montrent  des  fissures  longitudinales  ayant  une  certaine  ressem- 
blance avec  celles  des  percuteurs.  Ils  devaient  être  fixés  au  bout 
d'une  hampe  et  agissaient  surtout  comme  corps  contondants, 
car  leur  terminaison  n'était  pas  assez  aiguë  pour  pénétrer  les 
tissus  profondément.  Cependant,  les  blessures  qu'ils  produi- 
saient i)ouvaient  encore  être  violentes.  La  plupart  n'ont  aucun 
détail.  L'on  se  contentait  d'enlever  les  saillies  aûn  d'obtenir  la 
régularité  et  d'avoir  un  instrument  plus  commode,  mais  le  per^ 
fectionnement  n'était  pas  recherché  comme  sur  d'autres  pièces 
délicates. 

Premier  groiipe.  —  SUBAIGUBS. 
Types  : 

1»  Massif. 
2o  Prismatique. 
3<>  Comprimé. 
4<'  Ampullaire. 
5»  Aminci. 
6«  Sinueux. 


494  HiMOlBft  SUB    LES  SILKX   TBAVAUXÉS 

Deuxième  grou.pe.  —  EXTRÉMITÉ    ARRONDIE. 

Typea  : 

lo  Droit 
^  Recourbé. 

Premier  groipa. 

!">  Massif.  —  Cette  tête  de  lance,  lourde,  éclatée  sans  recherche^ 
a  beaucoup  de  rapports  avec  le  poignard  en  pic,  dont  elle  se 
distingue  aisément  par  sa  direction  rectiligne  et  par  Tabsence 
de  toute  incurvation.  Elle  n'a  que  pesanteur  et  solidité.  Ce  caillou 
est  épais,  arrondi  au  pourtour,  légèrement  renflé  au  milieu  avec 
une  face  inférieure  aplatie  obscurément,  à  cause  delà  négligence 
apportée  dans  l'ablation  des  éclats.  Les  extrémités  déclives  se 
terminent  l'une  par  une  pointe,  l'autre  par  un  biseau  adouci.  — 
12  centimètres  de  long  sur  4  centimètres  dé  large. 

2«  Prismatique.  —  Allongé,  assez  étroit,  solide;  les  deux  faces 
supérieures,  grossièrement  taillée?,  forment,  de  chaque  côté  de 
l'arête  médiane,  un  plan  très-incliné;  face  inférieure  plate  ou 
presque  complètement  plane.  Trois  arêtes  vives  limitent  les  trois 
faces  semblables.  Extrémités  amincies,  l'antérieure  aiguë.  Il 
semble  n'être  que  la  répétition  du  type  précédent,  plus  soigné, 
plus  net  dans  ses  contours,  à  angles  vifs,  continus  et  réguliers. 
—  9  à  iO  centimètres  de  long  sur  2  et  demi  à  3  centimètres  et 
demi  de  large. 

3*»  Comprimé.  —  Très-comprimé  de  chaque  côté,  élevé  de  façon 
que  les  faces  latérales  sont  presque  verticales.  Elles  viennent 
aboutir  à  une  face  supérieure  très-étroite,  longue,  déclive  d'avant 
en  arrière  ou  horizontale,  plat  en  dessous.  Le  tiers,  antérieur, 
est  échancré  à  droite  et  à  gauche.  Une  arête  médiane,  tranchante, 
sépare  ces  échancrures ,  et  son  extrémité  forme  une  pointe 
aiguë ,  allongée  en  rostre ,  inclinée  à  droite.  L'endroit  culmi- 
nant de  la  partie  supérieure  est  situé  à  son  point  de  jonction 
avec  l'arête;  biseau  postérieur.  —  7  à  8  centimètres  de  long,  2  à 
2  centimètres  et  demi  de  large,  1  et  demi  à  2  centimètres  et  demi 
de  haut. 

Variété  presque  semblable  au  type.  La  partie  postérieure ,  ré- 


DE  L'aTILIIB  bu   GAIIF'BARBBT .  496 

trécte,  devait  supporter  un  lien.  EUe  esl  distificte  du  eorps  et 
simule  un  manche. 

40  Ampullàirg.  —  11  se  distingue  de  tous  par  ses  deux  faces 
convexes.  IL  est  subitement  vMitru  au  milieu,  allongé,  délié, 
élancé,  et  subaigu  en  avant,  obtus  en  arrière.  Aucun  détail  sur 
les  faces.  --  9  centimètres  et  demi  de  long ,  3  centimètres  à  la 
partie  dilatée. 

5»  Aminci.  —  Cette  lance  droite,  robuste  dans  toutes  ses  parties, 
diminue  de  largeur  de  la  base  au  sommet  d'une  façon  peu  sen- 
sible. Ses  bords  latéraux  semblent  être  parallèles;  mais  arrivés 
vers  l'extrémité  antérieure ,  ils  forment ,  en  se  rapprochant,  une 
pointe  subaiguè.  Elle  est  tronquée  en  biseau  à  la  base,  qui  pré* 
sente  une  épaisseur  de  â  centimètres  environ  jusqu'à  la  moitié 
de  la  longueur  totale.  De  cet  endroit,  des  lames  inégales  ont  été 
enlevées  jusqu'à  la  pointe ,  ce  qui  rend  la  face  supérieure  dépri- 
mée et  plus  mince;  face  inférieure  faiblement  convexe  ;  taillée 
grossièrement  partout.  Forme  rare.  —  9  centimètres  et  demi  de 
long ,  3  centimètres  à  la  base  en  largeur. 

C^'  Sinueux.  —  Complètement  i r régulières ,  ces  lances  n'ont 
rien  de  commun  avec  les  autres,  à  un  tel  point  que  cette  dé- 
termination laisse  des  doutes.  Allongées,  déprimées,  s'effllant 
peu  à  peu,  elles  sont  creusées  au  milieu  par  des  échancrures 
latérales  qui  les  rendent  sinueuses;  puis  elles  se  recourbent  et 
se  terminent  en  pointe.  Non  seulement  elles  présentent  cette  dis- 
position anormale,  mais,  en  dessous,  la  face  est  un  peu  convexe, 
de  manière  que  les  extrémités  se  relèvent.  Les  côtés  sont  épais 
et  retouchés.  —  8  centimètres  et  demi  de  long  sur  2  et  demi  de 
large. 

Une  variété  a  la  face  supérieure  aplatie ,  limitée  par  des  angles 
vifs.  Elle  est  presque  lamellaire.  Une  autre  variété,  plus  épaisse, 
est  au  contraire  adoucie ,  arrondie  latéralement. 

Deuxième  groupe.  ~  A  extrimitd  arrondie,  oMose. 

Ces  tiges  étroites  et  effilées  ont  sans  doute  de  l'analogie  avec 
les  précédentes,  mais  elles  s'en  éloignent  par  la  terminaison 
antérieure,  qui  présente  un  bec  assez  large  et  plus  ou  moins  ar- 
rondi. Je  ne  puis  affirmer  qu'elles  aient  eu  absolument  le  même 
usago.  Certainement  qu'étant  projetées  avec  violence,  ces  armes 


496  MEMOIRE  SUR   LES  SILEX    TRAVAILLES 

sont  capables  de  produire  des  désordres,  moins  graves  toutefois 
que  les  extrémités  aiguës.  Il  en  est  de  ces  espèces  comme  de 
tant  d'autres.  Nous  connaissons  imparfaitement  la  manière  de 
vivre  des  premiers  habitants  de  aotre  sol,  par  l'étude  des  objets 
qu'iis  ont  laissés ,  et,  quelquefois,  la  meilleure  observation  n'ap- 
prend rien  faute  d'un  caractère  positif  qui  donne  l'explication 
de  leur  emploi. 
J'ai  trouvé  deux  formes  distinctes  : 

i»  Droite. 
2»  Recourbée. 

i""  Droite.  —  Très-étroite,  diminuant  insensiblement  de  lar- 
geur; déprimée  en  avant,  finissant  en  bec  rétréci;  convexe  et 
taillée  à  éclats  supérieurement,  plane  ou  presque  plane  en  des- 
sous. Plusieurs  d'entr'elles,  grêles,  élancées,  sont  tronquées  en 
petit  biseau  au  sommet.  La  netteté  de  ce  biseau  indique  une  dis- 
position réfléchie  et  non  une  fracture  accidentelle.  L'angle  ter- 
minal du  bord  annonce,  même  souvent,  des  fissures  et  une 
usure  qui  ont  lieu  après  la  production  du  biseau.  On  a  donc 
évidemment  cherclié  la  terminaison  presque  obtuse  que  je  si- 
gnale. ~  8  à  9  centimètres  de  long  sur  2  à  3  centimètres  de 
large. 

Quelquefois,  cette  lance  est  biconvexe  avec  une  dilatation  lé- 
gère au  milieu. 

2»  Recourbée.  —  Longues  tiges  étroites,  plus  ou  moins  con- 
vexes et  recourbées  en  dessus,  convexes  en  dessous,  grossière- 
ment travaillées,  allongées  en  rostre  déprimé  et  arrondi  en  avant, 
terminées  plus  largement  en  arrière.  Variables  dans  leur  taille. 
—  7  centimètres  et  demi  à  iO  de  long  sur  2  à  3  centimètres  de 
large. 

i»  JAVELOT. 

H  n'est  guère  possible  d'assigner  une  limite  exacte  entre  la 
lance  et  le  javelot.  La  première  ne  quittait  pas  la  main,  tandis 
que  le  second  était  une  arme  de  jet;  mais  cette  distinction  vraie, 
quant  à  l'usage,  ne  peut  s'employer  pour  établir,  au  moyen- des 
extrémités  qui  nous  restent,  une  démarcation  tranchée.  Souvent 
elles  se  ressemblent  à  peu  près  de  forme,  quelquefois  de  taille. 
En  général,  le  javelot  n'est  ni  aussi  grand,  ni  aussi  massif.  Il 


DE  l'atelier  du  camp-barbbt.  497 

» 

est  plus  aplati,  subaigu  et  amainci  sur  les  bords.  Il  y  a  des  es- 
pèces à  extiémilé  adoucie  ou  arrondie.  D'autres  sont  de  véri- 
tables lames;  d'autres  encore,  courtes,  obtuses,  biseautées, 
s'élargissent  à  la  base.  La  plupart  du  temps,  les  retouches  exis- 
tent à  la  face  supérieure  et  latéralement,  très-rarement  en  des- 
sous. 

La  lance  est  ordinairement  cylindroîde,  ou  bien  son  corps 
épais  a  les  faces  séparées  par  des  angles  longitudinaux  continus. 
Elle  est  longue,  atténuée  aux  extrémités,  d'un  poids  supérieur. 
Probablement,  certaines  d'entr'elles,  que  l'on  pourrait  attribuer 
BU  javelot,  ont  servi  h  la  main  au  lieu  d'être  lancées  lorsqu'il 
fallait  agir  de  près  et  réciproquement. 

La  plupart  de  ces  armes  n'ont  pas  reçu  une  taille  soignée.  Chez 
le  type  le  plus  commun ,  la  direction,  au  lieu  d'être  rectillgne, 
offre  de  la  déviation  et  les  surfaces  sont  inégales.  Quelques-unes 
présentent  des  côtés  parfaitement  semblables,  des  éclats  symé- 
triques et  de  belles  retouches  qui  n'ont  pas  été  exécutées  seule- 
ment en  donnant  la  forme  au  caillou,  mais  bien  intentionnelle- 
ment. Les  espèces  sont  très-variées,  et  afin  de  mettre,  autant 
que  possible,  de  l'ordre  parmi  ces  formes  si  éloignées  quelque- 
fois les  unes  des  autres,  j'ai  établi  une  division  répondant  à  peu 
près  à  leur  aspect  général.  Je  ferai  observer  que  plusieurs  peu- 
vent n'avoir  jamais  servi  comme  javelot,  et  que  c'est  uniquement 
par  analogie  que  je  les  range  dans  ce  genre. 

Types  :  Variétés  : 

/  Obèse. 

1.  Obtus Hr 

i  Bombée. 

VAngulaire. 

/  Epaisse. 

Icrêle. 

2»  Elancé ^Eehancrée. 

ÎMince. 

(  Incurvée. 
3*>  Irrégulier. 

i  Elliptique. 

4®  Dilaté ]  Fusiforme. 

(  Biconvexe, 
ri"  Comprimé. 

T.  viii.  32 


496  MBAtOIRte   SURS  LE  61LRX   TRAVAlLlis 

Types  :  Variétés  : 

6«  Lamelliforme L  *  ^^^ 

{ Squammeuse. 

/  Conico-Aigu. 

7»  Groupes  de  formes  \ Droite. 

exceptionnelles  .  )  Déviée. 

V  Courte. 

i°  Obtus.  —  Espèces  massives,  ramassées.  Face  supérieure 
convexe,  gibbeuse  chez  la  plupart. 

Var.  A.  Obèie,  —  Ventirue,  bombée,  épaisse,  atténuée  et  amincie 
en  avant  quoique  très-forte;  large  biseau  postérieur-,  face  infé- 
rieure convexe,  surtout  au  milieu;  éclats  grossiers  partout.  — 
4  et  demi  à  7  centimètres  et  demi  de  long  sur  i  centimètres  de 
large. 

Sous- var.  a.  —  Ue  même  forme ,  très-petite. 

Sous-var.  b.  —  Plane  en  dessous ,  très-convexe  en  dessus , 
aiguS. 

Var.  B.  Conique,  —  Elle  se  rapproche  de  la  lance  par  son  al- 
longement. Sa  base ,  large ,  diminue  insensiblement  jusqu'à 
Textrémité,  dont  la  pointe  est  subaiguë.  Face  supérieure  épaisse, 
bombée,  gibbeuse,  élevée  au  milieu;  Tinférieure plate;  grossière 
partout',  incurvation  d'arrière  en  avant,  et  déviation  légère  à 
droite  ou  à  gauche.  —  U  à  8  centimètres  de  long ,  3  à  4  centimètres 
et  demi  de  large  à  la  base ,  2  à  2  centimètres  et  demi  de  haut. 

"Var.  C.  Bombée.  —  Les  variétés  précédentes  sont  très-élevées 
à  leur  partie  moyenne,  mais  elles  n'ont  pas  cette  courbure  qui 
semble  donner  une  convexité  plus  considérable  à  la  face  supé- 
rieure. Celle-ci  est  ovalaire,  arrondie,  amincie  et  pointue  an- 
térieurement, rétrécie  en  arrière  avec  un  biseau  terminal,  di- 
latée au  milieu,  peu  régulière  dans  sa  direction  et  ses  contours; 
face  inférieure  à  peine  concave.  —  5  centimètres  et  demi  à 
7  et  demi  de  long,  3  à  4  centimètres  de  large,  3  centimètres  de 
haut. 

Var.  D.  Angulaire.  —  Allongée,  déprimée;  base  large  ou  ré- 
trécie; lames  détachées  net  et  hardiment  le  long  delà  face  supé- 
rieure et  sur  les  côtés,  de  façon  à  produire  des  arêtes  vives  et 
tranchantes;  aiguô  à  la  pointe.  —  6  à  7  centimètres  de  long  sur 
2  centimètre  et  demi  à  4  de  large. 

^  Elancé.  —  Etroit  et  allongé  à  divers  degrés.  Cette  série 


DB  l'atblibr  du  gahp-barbbt.  499 

comprend  des  tètes  de  javelot  très-diverses,  mais  ayant  ce  ca- 
ractère commun. 

Var.  A.  Epaisse.  —  Conique,  un  peu  renflée  au  milieu,  convexe 
en  dessus,  plate  en  dessous;  pointe  assez  aiguë;  biseau  posté- 
rieur large  ou  étroit;  éclats  multiples  supérieurement  et  latéra- 
lement. Type  assez  répandu.  —  5  centimètres  et  demi  à  7  de  long 
sur  â  à  2  centimètres  et  demi  de  large. 

Sous- var.  Biconvexe.  —  Double  biseau  aminci  et  arrondi  à  son 
bord. 

Var.  B.  Grêle.  —  Etroite  et  Irès-élancée ;  légère  dilatation  mé- 
diane; supérieurement,  tranches  longitudinales  régulières  con- 
tinues tout  le  long  de  la  face  ;  face  inférieure  à  peine  convexe 
ou  plate,  souvent  retouchée  à  petits  éclats;  extrémité  postérieure 
arrondie;  pointe  aiguë.  —  6  à  8  centimètres  de  long,  2  centi- 
mètres au  point  dilaté. 

Var.  G.  Echancrée.  —  Diminuant  de  la  base  au  sommet  de 
façon  à  former  un  angle  très-aigu  ;  face  supérieure  plate  ,  avec 
ou  sans  arête;  plusieurs  échancrures  latérales  régulières  sur  les 
deux  côtés,  ce  qui  la  rend  plus  svelte;  biseau  postérieur;  pointe 
aiguë  ou  adoucie.  —  5  centimètres  et  demi  à  7  de  long. 

Var.  D.  Mince,  —  Presque  lamellaire  et  de  même  largeur, 
étroite,  aplatie,  subaiguë  à  l'extrémité  antérieure,  plus  large, 
arrondie  et  biseautée  en  arrière;  face  supérieure  inégale;  l'in- 
férieure plate;  bords  tranchants.  —  6  centimètres  et  demi  à  8  de 
long  sur  2  centimètres  de  large. 

Var.  E.  Incurvée.  —  Cône  très-allongé ,  recourbé  d'arrière  en 
avant,  un  peu  lamellaire;  pointe  aiguë;  extrémité  postérieure 
assez  large  et  biseautée;  face  supérieure  légèrement  convexe, 
taillée  à  éclats  multiples  sans  délicatesse;  face  inférieure  faible- 
ment concave.  Très- rare.  —  8  centimètres  et  demi  de  long  sur 
3  centimètres  et  demi  de  large. 

3*»  Irrégulier.  —  Toutes  ces  pointes  sont  triangulaires,  con- 
vexes en  dessus ,  mais  souvent  aussi  très-déprimées  transversa- 
lement à  la  partie  moyenne,  et,  dans  ce  cas,  convexes  en  des- 
sous, à  la  région  correspondante,  ce  qui  fait  relever  les  extré- 
mités; biseau  en  arrière;  pointe  subaiguê.  Direction  quelquefois 
dextre  ou  sénestre  au  lieu  d'être  droite.  Parfois  elle  est  symé- 
trique, mais  en  général  elle  est  tortue,  couverte  de  creux  et  de 
saillies  plus  d'un  côté  que  de  l'autre.  Assez  commune^  —  5  cen- 


500  HéMOIRE   SUR    LES  SILEX    TRAVAILLES 

tirnètres  et  demi  à  8  de  long  sur  2  à  3  centimètres  et  demi  de 
large. 

4°  Dilaté.  -  Forme  élégante  ayant  pour  principal  caractère 
un  renflement  semblable  de  chaque  côlé,  à  la  partie  moyenne. 

Var.  A.  Elliptique,  —  Très-déprimée  supérieurement,  plate  en 
dessous;  ovalaire,  atténuée  en  avant  et  en  arrière;  bords  courbes. 
—  7  centimètres  et  demi  de  long  sur  3  centimètres  de  large. 

Var.  B.  Fîisiforme.  —  Bien  renflée  au  milieu  et  effilée  aux  deux 
extrémités,  qui  sont  presque  aiguës  ;  face  supérieure  subconvexe  ; 
Tinférieure  aplalie;  éclats  à  la  surface.  —  G  centimètres  et  demi 
de  long  sur  2  centimètres  et  demi  de  large. 

Var.  C.  Biconvexe.  —  Bombée  sur  les  deux  faces,  surtout  supé- 
rieurement; dilatation  médiane  peu  prononcée;  petit  biseau 
postérieur;  pointue  en  avant.  --  7  centimètres  de  long  sur  i  cen- 
timètre et  demi  au  moins  de  large. 

5<»  Comprimé.  -  Triangulaire,  élancé,  épai.-»,  élevé,  comprimé 
et  échancré  latéralement  vers  le* sommet;  large  base,  biseautée 
dans  toute  son  étendue;  pointe  subaiguë;  face  inférieure  plate. 
L'étranglement  latérîil  constitue  son  caractère  principal.  —  4  cen- 
timètres et  demi  à  7  et  demi  de  long  sur  3  à  4  centimètres  de 
large  à  la  base. 

G''  Lamelliforme.  —  Très-aplati;  minceur  plus  ou  moins  con- 
sidérable. 

Var.  A.  Triangulaire.  —  Aplalie  ou  déprimée  avec  une  conve- 
xité à  peine  sensible,  plate  en  dessons;  base  du  triangle  pourvue 
d'un  biseau  étroit,  parfois  double;  pointe  subaiguê.  Cette  forme 
renferme  des  sous-variétés  assez  nombreuses,  qui  toutes  pré- 
sentent les  caractères  qui  viennent  d'être  signalés.  --  4  à  8  cen- 
timètres de  long  sur  â  à  G  centimètres  et  demi  de  large. 

Sous-var.  a.  Jin  hachette.  —  Quoique  plate,  elle  est  un  peu 
épaisse;  un  grand  biseau  quelquefois  sur  les  deux  faces. 

Sous-var.  B.  Triangulaire  proprement  dite.  —  Très-plate,  même 
lamellaire;  rarement  une  légère  élévation  de  la  face  supérieure. 

Sous-var.  c.  Uastée.  —  Très-plane ,  d'égale  épaisseur,  légère- 
ment relevée  au  sommet;  base  large,  à  biseau  concave;  pointe 
subaiguë. 

Var.  B.  Squammeuse.  —  Plus  ou  moins  oblongue,  effilée,  in- 
clinée latéralement  et  non  symétrique  ordinairement,  composée 
d'une  lame  convexe  en  dessus,  concave  en  dessous,  très-rarement 


DB    L  ATELIER    DU    CAMP-DABBET.  501 

plate,  médiocrement  épaisse.  KWe  n'a  pas  toujours  la  régularité 
des  précédentes.  -  fî  à  7  centimètres  et  demi  de  long  sur  3  cen- 
timètres de  large. 

7«  Groupe  de  formes  exceptionnelles.  —  Jusqu'ici  il  a  été 
possible  de  grouper  les  têtes  de  javelots,  qui  portaient  des  carac- 
tères à  peu  près  semblables,  et  de  les  disposer  en  séries  allu  de 
faciliter  leur  étude;  mais  ou  rencontre  des  individus  uniques 
s'écartant  des  types  mentionnés  et  qui  méritent  une  description 
particulière.  Au  reste,  celte  même  section  se  représente  chez  les 
instruments  ix  formes  nombreuses  et  variées. 

Sous-var.  a.  Conico-^Hgu^.  (PI.  v,  fig.  i.)  —  Le  corps  n'a  rien 
de  remarquable.  Il  est  allongé,  dégrossi,  épais,  aminci  en  ar- 
rière, mais  très-soigné  à  Textrémité  antérieure.  Cette  partie  est 
un  gros  et  fort  bec  pointu,  arrondi  au  pourtour,  sauf  en  dessous, 
bien  poli  en  dessus  et  latéralement.  Le  poli  a  été  un  peu  pro- 
longé sur  les  parties  saillantes  de  la  face  supérieure.  C'est  un 
instrument  rare  et  inconnu  jusqu'ici.  —  8  centimètres  de  long 
sur  2  centimètres  et  demi  de  large. 

Var.  B.  Droite.  (PI.  v,  flg.  3.)  -  Face  supérieure  convexe  au 
milieu  et  inégalement  partagée  par  une  crête  oblique;  face  infé- 
rieure plate;  extrémité  antérieure  très-atténuée  à  sa  terminaison; 
en  arrière,  diminution  d'épaisseur.  —  8  centimètres  de  long, 
2  centimètres  et  demi  de  large,  1  centimètre  et  demi  de  liciut. 

Je  crois  devoir  considérer  comme  variété  de  cette  espèce  un 
individu  ayant  i^  peu  près  la  même  forme,  épais,  un  peu  plus 
étroit,  dont  la  partie  postérieure  se  rétrécit  comme  un  manche. 

Une  seconde,  mince  en  avant,  épaisse  au  talon,  déviée  h 
droite  et  tranchante  sur  le  côté,  rentre  également  dans  ce  type. 

Var.  C.  Déviée,  (PI.  v,  flg.  2.)  —  Espèce  dont  la  destination  est 
douteuse,  représentant  un  ovale  très-allongé  ;  extrémité  anté- 
rieure atténuée,  presque  arrondie;  la  postérieure  large,  oblique 
et  en  biseau;  face  supérieure  très-convexe,  lalilée  largement; 
bord  droit  recliligne;  le  gauche  courbe,  disposition  qui  donne 
l'aspect  d'une  déviation;  face  inférieure  divisée  en  deux  par  une 
saillie  continue  d'arrière  en  avant.  —  8  centimètres  de  long , 
2  centimètres  et  demi  de  large,  2  centimètres  de  haut. 

Var.  D.  Courte.  (PI.  v,  fig.  4.)  —  Difficile  à  préciser,  ayant  ob- 
scurément la  forme  d'une  pyramide  à  trois  faces.  Symétrique 
seulement  dans  la  moitié  antérieure,  élevée  à  la  partie  moyenne, 


S02  NiMOfBR    SUR  LB8  SILEX   TlAVAlLlés 

épaisse,  massive,  ramassée.  La  moitié  antérieure  consiste  en 
une  face  déclive  à  partir  du  sommet  jusqu'à  la  pointe,  qui  est 
robuste  quoique  aiguë.  En  arrière,  un  plan  brut  descend  en 
sens  inverse,  en  s'inclinant  à  gauche;  à  droite,  sur  toute  la 
longueur,  existe  un  autre  plan  légèrement  convexe  et  oblique, 
séparé  des  autres  par  une  arête  culminante;  face  inférieure  plate. 
—  4  centimètres  et  demi  de  long,  3  centimètres  et  demi  de  large, 
2  centimètres  de  haut. 

5»  FLÈCHE. 

S'il  n'est  pas  aisé  de  distinguer  la  lance  du  javelot ,  l'on  n'é< 
prouve  plus  le  même  embarras  pour  séparer  ce  dernier  d'avec 
la  flèche.  Le  volume ,  le  poids,  quoique  variables ,  donnent  des 
indices  suffisants,  à  peu  d'exceptions  près.  Quant  à  la  configu- 
ration, elle  est  parfois  identique;  mais  la  flèche,  en  ce  cas, 
semble  n'être  qu'un  diminutif.  La  forme,  très-diversifiée,  se  mul- 
tiplie autant  que  les  accidents  naturels  ou  le  goût  de  l'artiste. 
Des  lamelles  enlevées  d'un  nucleus,  suffisamment  symétriques, 
servaient  fréquemment  sans  préparation.  Celles  dont  la  confor- 
mation irrégulière  nécessitait  un  travail  subissaient  des  modifi- 
cations souvent  en  rapport  avec  leurs  contours  primitifs.  Chez 
les  uns,  on  laissait  le  tranchant  vif  et  l'on  taillait  la  surface  en 
larges  éclats;  d'autres  se  couvraient  de  retouches,  fines  et  déli- 
cates, distribuées  avec  élégance.  L'extrémité  antérieure,  partie 
si  essentielle,  recevait  des  soins  particuliers,  de  façon  à  ne  pas 
être  brisée  par  un  léger  choc,  tout  en  restant  acérée.  Des  échan- 
crures  sillonnaient  les  bords  de  quelques  rares  individus.  Plu- 
sieurs sont  barbelés:  les  côtés  se  prolongent,  finissent  en  pointe, 
et  le  milieu  de  la  base  porte  en  outre  un  appendice  d'insertion 
qui  la  dépasse. 

Les  espèces  pesantes,  allongées,  s'employaient  pour  la  chasse 
du  gros  gibier,  tandis  que  Ton  destinait  les  plus  minces  à  la  des- 
truction des  petits  animaux.  Nous  retrouvons  aussi  les  pointes 
qui  abattaient  les  oiseaux;  elles  sont  d'une  légèreté  et  d'une 
acuité  remarquables.  Leur  fragilité  est  telle  que  Texlrémité  a  subi 
la  plupart  du  temps  une  fracture.  Ces  silex,  si  fragiles,  se  fixaient 
au  bout  d'un  roseau  ou  d'un  bois  léger,  comme  certaines  peu- 
plades contemporaines  nous  l'ont  montré. 


DS    L'ATBtimi  DU  GAMP-BAIBIT.  508 

Cet  aperçu  peut  faire  comprendre  qu'il  n'est  pas  poMiblo  de 
rassembler  des  formes  aussi  multiples  dans  un  même  cadro,  et 
qu'il  est  indispensable  de  créer  des  groupes  afin  d'avoir  une  idée 
générale  des  formes  de  cette  localité. 

Types  :  Variétés  : 

Pyriforme. 

Laminaire. 

[Tabulaire. 
1«  Pédoncule < Trapézoîde. 

Tortue. 

Barbelée. 

Cruciforme. 

2°  Nucléiforme Bi-conique. , 

/  CucuUée. 
3*  Mitre )  Mucronée. 

(  Atténuée. 
4»  Lenticulaire. 

(  A  trois  pans. 

5»  Inégal I A  deux  faces. 

(  Plane. 
6°  Ecailleux. 

-«  c.  •  ip  \  Biseautée. 

7*>  Spiniforme \^, 

{ Planulaire. 

8.  Droit (En  carreau. 

(  Bursiforme. 

9»  En  couteau Ovale. 

iO*  Sinueux Crénelée. 

1<^  PÉDONCULE.  —  Base  prolongée  ou  terminée  par  un  appen- 
dice. 

Var.  A.  Pyriforme.  —  Base  assez  large  et  épaisse,  pourvue  d'un 
court  appendice  étroit ,  diminuant  insensiblement  jusqu'à  sa 
terminaison;  face  supérieure  plate,  amincie  à  l'extrémité  ou  bien 
convexe  et  taillée  longitudinalement;  face  inférieure  plate.  — 
4  et  demi  à  5  centimètres  et  demi  de  long  sur  â  centimètres  et 
demi  à  3  de  large. 

Var.  B.  Laminaire,  —  Mince,  triangulaire,  convexe,  recour- 
bée, taillée  en  longues  tranches  en  dessus,  un  peu  concave  en 
dessous;  pointue;  base  à  peine  prolongée.  —  8  à 0  centimètres 
de  long  sur  2  et  demi  à  3  centimètres  de  large. 


504  MEMOIRE    SUR    LES  JilLEX    TRAVAILLÉS 

Var.  C.  Tabulaire,  —  Assez  épaisse,  aplatie  ou  élevée,  dilatée 
au  milieu,  rétrécie  aux  extrémités,  subaiguê  en  avant;  Vexlré- 
mité  seule  est  soignée;  face  inférieure  irrégulièrement  taillée; 
base  légèrement  prolongée  et  amincie.  —  5  centimètres  de  long 
sur  2  à  2  centimètres  et  demi  de  large. 

Var.  D.  Trapézoïde.  -^  Elle  a  l'aspect  d'un  trapèze  dont  Tun 
des  angles  forme  le  sommet  de  la  flèche.  Elle  n'est  pas  symé- 
trique. La  partie  postérieure,  écliancrée  de  chaque  côté,  se  pro- 
longe en  une  hase  large,  assez  longue,  épaisse,  terminée  en  bi- 
seau. Face  supérieure  séparée  inégalement  par  une  saillie  aiguë 
longitudinale;  pointe  et  côtés  épais,  retouchés;  face  inférieure 
plane.  —  5  centimètres  de  long,  3  centimètres  d*un  angle  (1 
l'autre  en  largeur. 

Var.  E.  Tortue.  —  Très-irrégttlicre,  dirigée  de  travers,  allon- 
gée, un  peu  ventrue;  convexe  supérieurement,  taillée  sans  soin; 
arête  longitudinale  sans  direction  précise;  plate  en  dessous; 
pointe  mince,  déliée,  comprimée,  algue;  appendice  basiliaire 
long,  étroit.  —  6  centimètres  de  long  sur  2  centimètres  de  large. 

Var.  F.  Barbelée,  —  Aplatie,  triangulaire.  Les  côtés  se  rencon- 
trent au  sommet,  sous  un  angle  très-aigu,  et  se  prolongent  en 
arrière  et  latéralement  en  appendices  plus  ou  moins  développé.^. 
Face  supérieure  plate,  lisse  ou  finement  taillée  [i  petits  coups; 
retouches  latérales  bien  soignées  en  dessus  et  en  de.'^sous;  tran- 
chants subaigus.  Je  possède  deux*  formes  de  cette  belle  et  rare 
tête  de  flèche. 

Sous-var.  a.  (PL  v,  fig.  7.)  —  Assez  large  à  la  base,  qui  pré- 
sente un  appendice  médian  aigu  pour  l'insertion.  De  chaque  côté 
existe  une  échancrure  profonde,  limitée  par  les  appendices  laté- 
raux, formés  eux-mêmes  par  la  prolongation  des  bords  —  3  cen- 
timètres et  demi  de  long  du  sommet  à  l'extrémité  de  l'appendice 
médian,  2  centimètres  et  demi  de  large  à  la  base. 

Un  autre  exemplaire,  à  peine  faiblement  convexe  à  la  face  su- 
périeure, mince,  délicat,  est  couvert  de  petits  éclats  as.sez  ré- 
guliers et  superficiels  sur  les  deux  faces. 

Sous-var.  b.  —  Très-aiguë,  plus  épaisse.  Appendice  médian 
large  et  très-prolongé.  A  sa  naissance  de  la  base  se  trouvent  deux 
échancrures  peu  profondes  et  deux  barbelures  latérales  rudi- 
mentaires.  —  3  centimètres  et  demi  de  long  sur  2  centimètres  de 
large. 


DE   L*ATeLlBR   DU   CAMP-BARBBT.  505 

Var.  G.  Cruciforme.  —  Epaisse,  solide,  bombée  et  à  facettes 
irrégulières  en  dessus,  plate  en*dessous;  triangulaire,  aiguë  en 
avant  ;  êchancrée  latéralement,  biseautée  et  prolongée  en  arrière. 
Ailerons  latéraux  irréguliers,  qui  forment  la  traverse  d'une  croix 
et  qui  séj)arent  en  deux  parties  le  corps.  -  3  centimètres  et  demi 
•le  long  et  de  large. 

Klle  est  très-rare.  I/on  peut  douter  que  ce  soit  une  flèche. 
Peut-être  même  serait  ce  un  perçoir? 

2°  NucLÉiFORME.  —  Irrégulier,  ayant  Taspect  d*une  graine  ou 
d'un  noyau,  obscurément  triangulaire,  convexe  en  dessus,  quel- 
quefois gibbeux  ou  biconvexe;  sommet  aigu  ou  subaigu  ;  base 
inégale;  crénelures  fines  sur  les  côtés.  —  3  à  3  centimètres  et 
demi  de  long  sur  2  à  2  et  demi  de  large. 

Var.  Biconique.  —  Formée  de  deux  cônes  accolés  par  leur  sur- 
face basilaire. 

3«  MiTRÉ.  —  Toutes  ressemblent  à  la  mîlre,  mais  elles  ont  en- 
tr'elles  de  grandes  différences  d'épaisseur  et  d'élévation.  Les  unes 
sont  déprimées,  les  autres  Ijombées;  chez  celles-ci  nous  trou- 
vons un  biseau  extrêmement  épais,  tandis  que  les  autres  en  ont 
un  bas  et  étroit. 

Var.  A.  Cuculiée.  —  Trapue,  solide.  Face  supérieure  très-con- 
vexe à  sa  partie  médiane,  ou  séparée  également  par  une  carène 
tranchante  allant  du  sommet  du  biseau  jusqu'à  l'extrémité,  qui 
est  aiguë;  bords  latéraux  courbes:  biseau  ol)lique,  très-f^Jevé; 
face  inférieure  plane.  —  4 centimètres  de  long,  2  centimètres  et 
demi  de  large,  1  centimètre  et  demi  de  haut. 

Var.  B.  Mncronée,  —  Plate,  un  peu  épaisse,  retouchée  sur  les 
bords;  biseau  étroit,  oblique;  extrémité  en  pointe  Isolée.  — 
4  centimètres  de  long  sur  3  centimètres  de  large. 

Var.  C.  Atténuée.  —  Forme  presque  identique  à  la  précédente. 
Seulement,  au  lieu  d'être  mucroné,  lé  sommet  est  arrondi,  apla- 
tissement plus  marqué.  Moins  de  soin  et  de  régularité  dans  les 
contours.  Biseau  très-étroit.  —  Mêmes  dimensions. 

4*»  Lenticulaire.  —  Très-déprimé  et  très-mince,  retouché  ou 
écaillé  à  la  face  supérieure;  l'un  des  deux  bords  latéraux  ayant 
une  grande  courbure  dilatée;  sommet  mucroné  ou  simplement 
aigu;  large;  rétrécissement  basilaire;  tranchants  assez  vifs.  — 
3  à  4  centimètres  et  demi  de  long  sur  2  et  demi  à  3  centimètres 
de  large. 


506  MiiMoniB  sxm  LBS  SILKX  TRATAtlXis 

50  Inégal.  —  Face  supérieure  plate  ou  divisée  inégalement  en 
plusieurs  plans  par  une  caréné  ou  deux.  —  3  centimètres  et  demi 
à  5  de  long  sur  2  à  3  centimètres  de  large. 

Var.  A.  A  trois  pans  à  peu  près  égaux,  --  Mince,  plate  en  des* 
sous,  aiguë. 

Var.  B.  A  deux  faces,  —  Divisée  en  deux  inégalement. 

Var.  C.  Plane.  —  Face  supérieure  plate ,  peu  symétrique. 

6»  ËGAiLLEUx.  (PI.  V,  fig.  1.)  —  Lame  ovale,  triangulaire,  assez 
large,  très-plate,  sans  éclats  ou  c^  grands  éclats  longitudinaux 
peu  réguliers,  en  dessus;  plate  en  dessous;  assez  aiguë,  biseautée 
et  plus  épaisse  en  arrière;  bords  minces,  finement  retouchés.— 
3  centimètres  et  demi  à  4  de  long  sur  2  à  'i  centimètres  de  large. 

7°  Spimiforme.  —  Plat,  triangulaire,  très-pointu;  base  assez 
large. 

Var.  A.  Biseautée,  (PI.  v,  fig.  2.)  —  f^arge  biseau  oblique  s'avan- 
çant  plus  ou  moins  sur  la  face  supérieure.  L'ensemble  forme  un 
triangle  presque  équilatéra!  ;  retouches  sur  les  côtés.  —  2  centi- 
mètres et  demi  de  loftg,  presque  3  centimètres  de  large. 

Sous-Var.  —  Extrêmement  délicate,  allongée,  parfaitement  re- 
touchée sur  les  bords  jusqu'au  sommet;  biseau  étroit,  bien  net. 

Var.  B.  Plaimlaire.  (PI.  v,  fig.  ^4.)  —  Excessivement  mince,  et 
cependant  retouchée  sur  les  bords  avec  une  grande  finesse.  Quel- 
quefois même  les  retouches  ont  été  faites  sur  les  bords  des  deux 
faces.  —  2  centimètres  et  demi  à  4  de  long  sur  i  centimètre  et 
demi  à  3  et  demi  au  moins  de  large. 

8«  Droit.  —  Tiges  plus  ou  moins  droites. 

Var.  A.  En  carreau.  (I»l.  v,  fig.  3.)  —  L'on  désigne  sous  ce  nom 
une  têle  de  flèche  terminée  par  une  pyramide  à  quatre  faces. 
Nous  avons  ici  des  silex  qui  ont  les  plus  grands  rapports  avec 
cette  pointe,  c'est  ce  qui  m'engagea  h  leur  donner  ce  nom, 
quoique  la  similitude  ne  soit  pas  complète. 

Ils  sont  allonges,  à  trois  ou  quatre  faces  mal  limi^s.  Les 
extrémités  effilées,  amincies,  suhaiguës,  ontà4eur  sommet  une 
pyramide  à  trois  faces  assez  nettes,*  nombreux  éclats  superficiels. 
—  5  centimètres  et  demi  à  7  de  long  sur  1  centimètre  et  demi  de 
large;  poids  :  1  i  à  15  grammes. 

Sousvar.  —  Petite,  étroite,  recourbée  sur  le  dos,  présentant 
trois  faces  et  trois  arêtes.  Les  deux  faces  sont  lisses ,  et  le  dos 
porte  quelques  retouches.  Elle  est  pointue,  un  peu  rétrécie  et 


DB    l'âTBUKR  du    GAMP-IARBBT.  507 

biseautée  en  arrière.  -  4  centimètres  et  demi  de  long  sur  7  mil- 
limètres de  large. 

Var.  B.  Bursi forme,  —  Allongée;  partie  postérieure  dilatée, 
arrondie,  s'effilant  jusqu'au  sommet,  qui  est  mince,  étroit,  et 
tellement  aigu  primitivement  que  l'extrémité  se  trouve  presque 
toujours  cassée.  Face  supérieure  convexe,  taillée,  avec  des  arêtes 
résultant  de  Tablation  des  lamelles.  Ordinairement,  la  face  infé- 
rieure est  plate.  Une  seule  fois  je  Tai  vue  aussi  renflée  que  l'autre. 
Elle  s'écarte  beaucoup  des  variétés  de  cette  section.  —  4  à  S  cen- 
timètres et  demi  de  long  sur  i  à  2  centimètres  de  large.  Il  se 
pourrait  qu'elle  fût  un  perçoir, 

lOo  En  couteau.  —  Lamellaire  et  allongé;  face  supérieure  dé- 
primée ou  plate;  tranchants  latéraux  vifs  ou  à  retouches.  Ces 
silex  me  laissent  de  Tincertitude  quant  à  leur  usage  réel. 

Var.  Orale.  —  Régulière,  symétrique;  bords  latéraux  courbes, 
d'égale  longueur  ;  arête  médiane;  biseau  postérieur;  extrémité 
antérieure  amincie,  plus  épaisse  en  arrière.  -  5  centimètres  de 
long  sur  2  centimètres  et  demi  de  large. 

10°  Sinueux.  —  Bords  latéraux  avec  des  échancrures. 

Var.  Crénelée.  —  Très-allongée,  étroite,  déprimée,  quelquefois 
laminaire,  aiguë  ou  subaiguë,  mucronée,  coupée  net  en  arrière; 
bords  dentés  assez  largement.  Très-rare.  —  3  à  6  centimètres  de 
long  sur  i  à  '2  centimètres  et  demi  de  large. 


TROISIEME  PARTIE. 

IM'STfltJMSM'TS    1301X7T    X^A.    DBSTirO'A.TIOra' 

EST  douteuse:  ou  inconnue. 

Jusqu'à  présent  la  détermination  des  silex  travaillés  m'a  été 
possible,  sinon  très-rigoureusement,  du  moins  avec  beaucoup 
de  probabilités.  Il  n'en  sera  plus  de  même  de  ceux  qui  vont 
suivre,  et  nous  ne  pouvons  nous  livrer  qu'à  des  conjectures.  Si 
plusieurs  d'entr'eux  se  rapprochent  des  formes  décrites  antérieu- 
rement, ils  s'en  éloignent  par  des  dispositions  spéciales  aux- 
quelles il  est  presque  impossible,  en  ce  moment,  d'assigner  une 
fonction.  La  plupart  des  restes  des  temps  préhistoriques  mon- 


508  MÉMOIRE   SUR    LES    SILEX    TRAVAILLES 

trent  les  rudiments  d'instruments  usités  aujourdlmi.  On  y  re- 
trouve les  parties  essentielles  de  beaucoup  d'outils  modernes. 
Plus  on  les  examine,  plus  Ton  reste  convaincu  de  Texactilude 
de  celle  observation,  basée  sur  l'étude  d'une  foule  de  spécimens. 
Néanmoins,  les  hommes  de  cette  époque  avaient  des  usages  en 
rapport  avec  leur  genre  particulier  d'existence,  et  qui  n'ont  plus 
nécessairement  la  moindre  analogie  avec  nos  habitudes  actuelles, 
de  sorte  que,  dans  bien  des  cas,  l'on  se  borne  à  faire  des  sup- 
positions sur  l'emploi  de  telle  ou  telle  série  d'espèces.  Il  est  aisé, 
sans  doute,  de  leur  fournir  un  nom,  une  attribution;  l'imagina- 
tion s'en  charge  facilement-,  mais  souvent  aussi  une  analyse  mi- 
nutieuse, répétée,  détruit  ces  hypothèses  quand  elles  ne  s'ap- 
puyent  pas  sur  des  caractères  sérieux.  Il  est  préférable  alors  de 
rester  dans  le  doute,  de  ne  rien  affirmer  à  moins  de  preuves, 
sous  peine  de  tomber  dans  de  fréquentes  erreurs. 

I. 

BRIQUET  ? 

Je  pense  que  le  silex  qui  fait  l'objet  de  cette  description  a  été 
un  briquet,  d'après  l'examen  et  la  comparaison  de  toutes  ses 
parties.  Le  feu  pouvait  s'obtenir  par  le  choc  des  cailloux  bruts; 
mais  il  est  possible  que  Ton  ait  donné  aux  agents  percuteurs, 
une  disposition  commode  pour  tirer  beaucoup  d'étincelles. 

La  matière  est  grise  bleuâtre  et  roussâtre  par  places,  dure, 
compacte,  brillante,  h  éclats  gras,  d'un  joli  aspect,  sans  la 
moindre  trace  de  cacholong  blanc.  On  croirait  qu'elle  a  été  polie; 
mais  les  surfaces  étaient  lisses  primitivement.  Les  éclals  con- 
choldes,  distribués  superficiellement,  ont  respecté  les  saillies 
naturellement  unies.  C'est  un  ovale  très-allongé,  convexoïde, 
déprimé  en  dessus  et  en  dessous,  un  peu  épais,  dilaté  au  milieu, 
déclive  vers  les  bords.  Les  sommets,  obscurément  cirrnndis  par 
quelques  cassures  nettes,  n'ont  jamais  eu  pour  but  de  frapper. 
Les  bords  latéraux,  à  tranchant  mousse,  présentent  sur  toute  la 
longueur  des  séries  inégales  de  fractures  superficielles,  émous- 
sées,  indiquant  un  frottement  longtemps  continué  ou  un  choc 
léger  plutôt  qu'une  percussion  qui  détermine  des  fissures  |)ro- 
fondes  et  grossiores.  On  remarque  aussi ,  le  long  de  ces  bords 


DB  l'aibubr  du   camp-barbet.  509 

sur  les  deux  faces,  des  parties  plus  ou  moius  échancrées,  sui- 
vant le  degré  de  résistance  opposé  par  la  substance.  •—  7  centi- 
mètres de  long  sur  3  centimètres  de  large  au  milieu. 

Le  briquet  en  fer,  encore  usité,  n'offre  d'autre  différence  que 
révidement  intérieur  destiné  au  passage  des  doigts.  Le  nôtre  a 
des  dimensions  presque  semblables  et  un  allongement  disposé 
pour  une  prébension  commode.  Si  les  tranchants  étaient  plus 
aigus,  et  que  le  système  d'usure  de  cette  parlie  ne  fût  pas  aussi 
dissemblable,  Ton  supposerait  que  cet  outil  pouvait  s'employer 
aux  détails  et  aux  retouches;  mais  la  comparaison  des  divers 
percuteurs  avec  celui-ci  établit  suffisamment  leur  distinction. 

Je  ne  crois  pas  que  Ton  s'arrèle  à  l'idée  d'y  reconnaître  une 
tèle  de  lance,  de  javelot,  de  hachelte,  malgré  quelque  analogie 
de  contours,  puisque  les  deux  extrémités,  presque  arrondies, 
sont  restées  sans  usage.  Les  bords  latéraux  seuls  ont  frappé  et 
montrent,  par  leur  délérioralion  spéciale,  leur  mode  particulier 
d'action. 

Cet  instrument,  Irès-gracieux  malgré  la  sobriété  du  travail, 
est  le  seul  de  ce  genre  qui  ait  été  recueilli.  Du  reste,  l'on  re- 
marque souvent,  parmi  les  silex  ouvragés,  quelques  exemplaires 
chez  lesquels  existent  des  soins  plus  délicats  soit  à  cause  de  la 
beauté  de  la  matière,  soit  en  raison  de  l'intelligence  de  l'ouvrier. 

Le  marteau  en  diiqiœ,  décrit  au  chapitre  deuxième,  pourrait 
n'être  lui-même  qu'un  briquet  d'une  autre  forme. 

IL 

INSTRUMENTS  ALLONGÉS  AYANT  DE  L'ANALOGIE 
AVEC  LE  GRATTOIR,  LA  LANCE  ORTUSE  OU  LA  HACHETTE. 

Première  série. 
SPATULIFORMES. 

Silex  allongés,  assez  grossiers,  composés  d'une  partie  anté- 
rieure assez  effilée,  très-déprimée,  plus  ou  moins  large  et  ar- 
rondie à  Texlrémilé;  plats  ou  légèrement  convexes  en  dessous, 
biseautés  ou  non  postérieurement.  Quelquefois,  cette  partie  est 
presque  brute. 


510  MEMOIRK    SUn  LBS  SILEX    TRAVAILLES 

Premier  groupe.  (PI.  v,  fig.  5.)  —  Etroits,  allongés,  convexes, 
épais,  massifs,  grossièrement  taillés  en  larges  éclats  en  arrière; 
plus  minces ,  atténués  et  arrondis  en  avant  comme  une  spatule, 
souvent  déviés  dans  leur  direction  ;  parfois  des  retouches  supé- 
rieures, latérales,  et  même  supérieures.  L'extrémité  postérieure 
est  trop  irrégulière ,  trop  informe,  pour  qu'on  ait  pu  l'encliâsser. 
C'est  un  outil  qui  a  dû  servir  à  la  main.  —  5  centimètres  et  demi 
à  8  et  demi  de  long  sur  2  et  demi  à  3  centimètres  et  demi  de 
large. 

Deuxième  groupe.  -—  Gros,  élevés,  convexes  principalement  à 
la  partie  moyenne  et  supérieure,  avec  une  arête  culminante  très- 
îrrégulière;  trapus,  coupés  brusquement  en  biseau  postérieure- 
ment; atténués  et  terminés  en  large  bec  en  avant,  taillés  sur  les 
côtés ,  plats  en  dessous.  —  6  centimètres  et  demi  à  8  de  long, 
2  centimètres  et  demi  à  3  et  demi  de  large,  2  à  2  centimètres  et 
demi  de  haut. 

Troisième  groupe.  —  Ceux-ci  sont  ordinairement  des  tiges 
étroites,  dirigées  de  travers,  relevée*'  quelquefois  en  avant, 
convexes  et  retouchées  en  dessus,  lisses,  bombées  en  dessous, 
atténuées  et  arrondies  aux  deux  bouts.  —  6  à  8  centimètres  de 
long  sur  1  centimètre  et  demi  à  S  de  large. 

Denxièmo  série. 
MAMELONNÉS  M). 

Elliptiques,  allongés,  étroits,  déprimés  ou  légèrement  convexes 
en  dessus,  plats  en  dessous;  extrémités  arrondies  ou  tronquées 
nettement;  taillées  le  long  des  faces  supérieure  et  latérales;  un 
peu  plus  larges  en  arrière;  rarement  dans  Taxe,  ordinairement 
déjetés  à  droite  ou  à  gauche.  Un  caractère  commun  à  tous  les 
individus  de  ce  genre,  sauf  ceux  qui  ont  une  troncature,  est 
d'avoir  le  bout  antérieur  arrondi,  retouché  ou  avec  des  usures 
annonçant  un  frottement  prolongé.  Ces  usures  sont  mamelonnées 
ou  paraissent  polies  par  le  service.  Les  saillies  des  retouches  ont 


a)  Àa  musée  de  Saint-Germain,  on  les  désigne  sous  le  nom  ài'ierasewrB, 
Je  ne  fais  aucun  commentaire  sur  cette  détermination. 


DE  l'atelibr  du  gamp-barbbt.  511 

disparu,  ce  qui  n'empêche  pas  quelquefois  l'existence  d'une  très- 
petite  facette  au  point  le  plus  terminal. 

Premier  groupe  :  Crénelé,  —  Etroit,  un  peu  convexe,  allongé, 
à  bords  latéraux  presque  parallèles,  dévié  souvent  dans  l'axe  et 
dans  le  plan.  Partie  postérieure  un  peu  plus  large,  obtuse,  ar- 
rondie, relevée,  et  l'antérieure  abaissée;  face  inférieure  plate, 
suivant  les  courbures;  élévations  et  dépressions  de  la  face  supé- 
rieure. Tranches  longitudinales  enlevées  avec  une  certaine  régu- 
larité, formant  comme  des  crénelures  le  long  des  arêtes.  — 
7  centimètres  et  demi  de  long,  2  centimètres  et  demi  de  large. 

Variété  exceptionnelle  (pi.  vi,  flg.  6),  plus  étroite,  élevée,  gib- 
beuse  dans  toute  la  longueur  de  la  face  supérieure,  qui  est  re- 
couverte du  cortex,  très-plate  en  dessous,  ayant  uniquement 
servi  par  le  bout  antérieur,  qui  est  arrondi  par  l'usure. 

Deuxième  groupe.  —  Face  supérieure  déprimée  quoique  un 
peu  convexe,  retouchée  ou  avec  le  cortex;  plat  en  dessous.  Lé- 
ger renflement  médian;  aminci  aux  extrémités,  qui  sont  fort 
adoucies.  Retouches  à  petits  éclats  nombreux  en  dessus  et  sur 
les  côtes.  Usure  du  bout  antérieur,  très-prononcé  chez  quelques- 
uns.  —  5  à  6  centimètres  de  long  sur  2  à  2  centimètres  et  demi 
de  large. 

Variété  à  face  supérieure  complètement  plate.  Déviation  droite 
ou  gauche.  Le  plus  souvent  un  petit  biseau  postérieur. 

Troisième  groupe  :  Tronqua,  —  Aplatis ,  déprimés  ou  subcon- 
vexes ,  mais  assez  épais  ;  plats  en  dessous ,  taillés  à  grands 
éclats  sur  les  côtés,  droits  ou  déviés;  à  peine  une  diminution 
de  largeur  aux  extrémités,  qui  sont  tronquées  en  biseau  ou  ver- 
ticalement, ou  à  deux  facettes  très-petites.  Les  parties  latérales 
ont  dû  être  seules  la  partie  agissante  de  l'instrument  dans  toute 
leur  étendue.  Il  s'éloigne  beaucoup  de  ceux  des  autres  groupes. 
—  5  et  demi  à  8  centimètres  et  demi  de  long  sur  2  centimètres 
et  demi  à  3  de  large. 

Troisième  série. 
OBTUS. 

Courts,  obtus,  terminés  par  une  grosse  extrémité  assez  large, 
arrondie  et  amincie ,  coupée  en  arrière  par  un  biseau.  Face  au- 


512  MÉMOIRE   SUR  LES   SILEX    TRAVAILLES 

périeure  un  peu  convexe,  taillée  grossièrement;  Tinférieure 
plate,  parfois  légèrement  bombée.  Plusieurs  sont  déviés.  —  Tous 
ont  ^>  à6  centimètres  de  long  sur  2  centimètres  et  demi  de  large. 

Var.  Â.  —  Plate,  à  peine  faiblement  convexe,  sans  aucune  in- 
terruption dans  les  contours.  Elle  a  Taspect  d'un  fragment 
ccailleux  enlevé  d'un  nucleu.^. 

Var.  B.  —  Epaisse,  élevée,  présentant,  tout  le  long  d'une  crête 
de  la  face  supérieure,  des  usures  et  des  fissures  longitudinales. 

Quatrième  série. 
PSEUDOSÉGURIFOBMES. 

(PI.  VI,  (ig.  7.)  —  Ceux-ci  tiennent  des  précédents  et  de  la  ha- 
cliellc.  L'extrémité  anlérieure  est  plate,  amincie,  assez  large, 
arrondie;  la  postérieure  en  biseau.  Face  supérieure  très  dépri- 
mée, (aillée  par  éclats  superficiels ,  nombreux  ;  l'inférieure  plaie, 
retouchée  sur  les  bords.  —  5  à  ('»  centimètres  de  long  sur  :^  à 
3  centimètres  et  demi  de  largç. 

Cinquième  série. 
LAMINAIRES. 

Lames  plates,  allongées,  assez  étroites;  grandes  lames  longi- 
tudinales enlevées  de  la  face  supérieure;  plates  en  dessous,  ar- 
rondies en  avant,  étroites  ou  plus  larges,  plus  ou  moins  biseau- 
tées en  arrière.  Retouches  délicates,  quelquefois  sur  tous  les 
bords.  Elles  ont  beaucoup  de  relations  avec  les  grattoirs  lamel- 
laires. -  i  centimètres  et  demi  à  6  et  demi  de  long  sur  2  centi- 
mètres et  demi  à  3  de  large. 


III. 


COIN? 

Silex  assez  mal  dégrossis,  épais,  élevés,  plus  longs  que  larges, 
à  six  faces;  les  antérieure,  postérieure  et  latérales  obliques,  eu 
biseau  surtout  en  avant;  les  supérieure  et  inférieure  presque  pa- 


DE   l'atelier  bu    CAMP-BARBET.  513 

rallèles.  Le  bord  anléro-inférieur,  très-anguleux,  présente  seul 
des  traces  peu  appréciables  d'usage.  L'inclinaison  de  la  face  an- 
térieure e^l  presque  toujours  la  même.  lis  sont  tellement  bruts 
et  dépourvus  de  travail  que  Ton  peut  même  douter  qu'ils  ai<'nt 
été  taillés  pour  un  service.  Peu  communs.  —  4  à  8  cenlimèlres 
et  demi  de  long,  2  à  3  centimètres  et  demi  de  large,  2  à  4  cen- 
timètres de  haut. 


IV. 


CONK. 

J'ai  trouvé,  assez  souvent,  au  Camp-Barbet  et  sur  le  plateau 
de  Foulangues,  des  masses  coniques  ou  conoïdes  à  large  base 
plate,  circulaires,  allongées  ou  anguleuses  aux  bords,  souvent 
munies  d'une  partie  de  leur  cortex.  Ces  pièces  sont  grossières, 
mais  comme  elles  se  présentent  toujours  avec  la  même  confor- 
mation dans  diverses  localités,  il  faut  bien  admetre  qu'elles  ont 
eu  un  emploi.  Plusieurs  ont  de  la  ressemblance  avec  le  grattoir. 
Seulement,,  l'épaisseur  et  le  peu  de  commodité  pour  la  prise  les 
en  éloigne.  Quelques-unes  ont  l'aspect  de  nuclei,  desquels  on 
aurait  abattu  des  lamelles  latérales. 

Elles  offrent  de  nombreuses  variations  dans  leurs  contours  et 
leur  élévation.  Il  en  est  de  surbaissées,  d'anguleuses,  de  dépri- 
mées au  sommet.  Les  faces  sont  verticales  ou  obliques  à  divers 
degrés  et  largement  taillées.  Les  bords  montrent  de&  traces  d'u- 
sures ou  de  fissures  longitudinales  superficielles.  Ces  formes 
singulières,  quoique  dissemblables,  ont  un  air  de  famille  qui 
permet  de  les  grouper  facilement. 

Var.  A.  Conique,  —  Elevée,  circulaire.  Lamelles  longitudinales 
enlevées  sur  le  pourtour,  dont  un  côté  est  brut,  ou  bien  encore 
les  parties  inférieures  sont  retouchées  seules  et  le  cortex  recouvre 
presque  toute  la  surface. 

Var.  B.  Polygonale,  —  Elevée  ou  déprimée.  Lamelles. enlevées 
latéralement  du  sommet  à  la  base.  Ces  ablations  produisent,  sur 
le  bord,  des  échancrures  plus  ou  moins  profondes,  alternant 
avec  des  angles  vifs  prolongés  à  l'extrémité. 

T.  VIII.  33 


514  MBMOlilE  8UH    LKS   SILEX    THAVAILLES 


y. 


Tranches  de  silex  ayant  l'aspect  d'un  bout  de  grattoir  plat  que 
Ton  aurait  coupé  net;  allongées ^  élevées,  à  trois  faces,  aiguës 
aux  deux  extrémités.  Face  antérieure  courbe,  convexe,  retouchée 
par  petits  éclats;  l'inférieure  et  la  postérieure  lisses,  plates, 
concaves  d'une  façon  à  peine  appréciable.  Angles  de  séparation 
vifs.  Il  y  a  quelques  variations.  Ainsi ,  quelquefois ,  c'est  une 
ellypsoîde  aiguë  à  chaque  bout,  et  la  face  supérieure  est  parta- 
gée en  deux  par  une  crête  avec  un  seul  côté  retouché.  On  seul 
exemplaire  est  très-déprimé,  quoique  légèrement  convexe  supé- 
rieurement, et  les  deux  faces  lisses,  inégales,  sont  séparées  à 
angle  obtus  par  une  ligne  saillante.  —  3  à  près  de  5  centimètres 
de  long,  presque  2  centimètres  de  large,  6  millimètres  à  2  cen- 
timètres et  demi  de  haut. 

J'ai  longtemps  cru  que  ces  petits  instruments  étaient  des  frag- 
ments d'objets  travaillés,  mais  la  constance  de  leur  régularité, 
de  leurs  contours,  de  l'épaisseur,  prouve  qu'il  >  avait  une  forme 
recherchée.  Je  n'émets  aucune  conjecture  sur  leur  destination, 
que  je  ne  puis  m'expllquer. 


VI. 


Celui-ci  n'est  pas  moins  bizarre.  11  représente  assez  bien,  en 
miniature,  un  couperet  courbe,  dilaté  au  milieu,  aminci  et  re- 
touché sur  le  bord,  sauf  vers  le  bas.  Dos  coupé  obliquement 
dans  sa  longueur,  plus  épais,  à  peine  concave;  extrémités 
étroites;  subaiguês;  face  supérieure  plate,  inégale,  avec  le  cor- 
tex; l'inférieure  lisse  et  plate.  —  47  millimètres  de  long. 


VIL 


Espèce  de  crochet  diminuant  insensiblement  de  largeur  de  la 
base  au  sommet,  qui  est  subaigu.  Face  supérieure  épaisse,  sé- 
parée par  une  arête  qui  forme  deux  plans  inclinés;  biseau  pos- 


DB    l'atelier  du    GABfP-BARBET.  515 

térieur;  face  inférieure  plate;  relouches  sans  finesse  sur  les 
bords.  —  6  centimètres  et  demi  de  long  sur  2  centimètres  de 
large. 


Mil. 


Silex  symétrique  et  déprimé,  un  peu  épais,  convexoïde  en 
dessus,  ovalaire,  recourbé  en  avant,  légèrement  concave  en 
dessous ,  dilaté  presque  à  la  partie  médiane  vers  la  région  pos- 
térieure, aminci  à  plat  aux  deux  extrémités,  Tantérieure  étant 
plus  étroite;  grands  éclats  formant  une  bordure  assez  régulière, 
tout  autour  de  la  face  supérieure,  dont  une  partie  du  cortex  est 
conservée.  Fissures  longitudinales  profondes  sur  les  bords  laté- 
raux, demi  troncatures  terminales.  —  7  centimètres  de  long  sur 
4  centimètres  de  large. 

L'usage  de  cet  instrument  m'est  aussi  complètement  inconnu 
que  celui  des  précédents.  Il  représenterait  assez  une  tète  de  ja- 
velot, mais  il  n'est  pas  possible  qu'il  ail  eu  le  même  but. 


IX. 


Je  signalerai  des  petits  silex  de  formes  variées  et  indétermi- 
nées, retouchées  à  l'extrémité  ou  latéralement.  Il  y  en  a  d'étroits, 
allongés  et  subaigus.  Ils  ont  les  contours  irréguliers.  Souvent, 
ce  sont  des  lamelles  dont  le  bout  antérieur  ar  reçu  quelques  dé- 
tails. On  les  trouve  fréquemment,  et  tous  paraissent  être  des 
fragments  de  cailloux  qui  ont  servi  soit  comme  burins,  soit 
pour  tracer  des  sillons  dans  le»  os. 


GONCx^usiorir . 


Ici  se  terminent  les  considérations  générales  et  la  description 
des  objets  recueillis  au  Camp-Barbet.  W  est  probable  que  des  dé- 
couvertes ultérieures  amèneront  encore  de  nouvelles  formes, 
peut-être  même  des  sépultures  ou  des  emplacements  d'habita- 


516      MÉMOIRE  SUR  LES  SILEX  TRAVAILLES  DL'  CAMP-BARBET. 

tions.  Je  résume  atin  de  donner  une  idée  plus  succincte  de  l'exis- 
tence et  des  relations  de  cette  antique  tribu  : 

!»  Le  Camp-Barbet  était  un  atelier  d'une  époque  avancée  de  la 
période  néolithique  ; 

â*'  C'était  le  siège  de  riiabitalioii  d'une  peuplade; 

3"  Les  relations  entre  les  tribus  qui  peuplaient  cette  contrée 
étaient  très-fréquentes,  puisqu'elles  restaient  à  des  distances  fort 
rapprochées  ; 

i"*  La  quantité  d'instruments  complets  et  des  débris  indique 
que  la  population  a  été  assez  nombreuse  et  de  longue  durée; 

;)«  Probablement,  les  roches  calcaires  de  Janville,  prolongées 
à  mi-côte  et  tournées  vers  le  sud,  vis-à-vis  du  plateau  du  Camp- 
Barbet,  servaient  aussi  de  demeures,  ou  bien  des  tentes  servaient 
d'abris: 

n«  Le  grattoir  est  tellement  commun  qu'il  constitue  le  type 
dominant  de  cette  localité.  Sou  abondance  a  été  nécessitée  par 
la  préparation  des  peaux,  dont  la  grande  quantité  était  le  résul- 
tat de  chasses  continuelles  dans  un  pays  boisé  et  giboyeux.  L'on 
peut  en  déduire  que  la  tribu  se  composait  essentiellement  de 
rhasseurs. 


AtG.  BAUDON. 


Mouy  Oiseï,  1871 


SKCTTOX  mis  SCfKNCKS. 


KSRAI  SUR  LES  BOURDONS 


OBSERVKS 


AUX    ENVIRONS   DK   PARTS. 


I.a  famille  des  ipides  nu  Mellîfères^  de  l'ordre  des  Hyménop- 
tères, renferme  beaucoup  de  genres  qui  nous  offrent  les  instinels 
les  plus  variés  :  deux  surtout  sont  remarquables,  entre  tous,  par 
leurs  mœurs  sociables  :  ce  sont  l'Abeille  et  le  Bourdon.  C'est  ce 
dernier  que  nous  essayons  de  faire  connaître;  mais  disons  d'a- 
bord un  mot  de  TAbeilie. 

l.es  sociétés  d'Abeilles  se  composent  de  trois  sortes  d'indivi- 
dus :  des  ouvrières,  des  mâles  et  d'une  seule  femelle,  sur  la- 
quelle repose  tout  l'avenir  de  l'espèce.  Sa  mission  se  borne,  en 
etYel,  à  déposer  des  œufs  dans  les  alvéoles,  sans  avoir  à  s'o(!- 
cuper  des  petits  insectes  qui  en  proviendront.  Ceux-ci  sont  aban- 
donnés aux  soins  des  ouvrières.  Comme  elle  est  privée  des  ins- 
truments à  l'aide  desquels  ces  dernières  exécutent  les  travaux 
de  construction  et  d'approvisionnement  du  nid.  et  nourrissent 
les  jeunes  larves,  il  n'est  point  surprenant  qu'elle  n'exerce  au- 
cune autorité  dans  la  ruche.  Bien  au  contraire,  elle  y  subit  la 
loi  d'une  démocratie  nombreuse  et  puissante ,  qui  massacre  ses 
époux,  Tempéche  d'expulser  les  rivales  qui  se  produisent  dans 
la  rucbe,  et  la  force  enfin  à  émifçrer,  emmenant  avec  elle  un 


518  ESSAI   SUR   LBS  BOURDONS 

fort  délachement  d'ouvrières  pour  fonder  uue  nouvelle  colonie. 
Il  serait  donc  plus  juste  de  lui  donner  le  nom  de  Mère-Àbeilte, 
Si  nous  avions  à  rapporter  Torganisation  intérieure  de  la  ruche 
à  une  forme  quelconque  de  gouvernement,  nous  y  verrions 
plutôt  une  démocratie  avec  cette  différence  que  la  force,  la  puis 
sance,  seraient  aux  mains  du  sexe  féminin.  Remarquons  toute- 
fois que  lors  que  cette  mère-abeille  vient  à  périr  ou  à  quitter  la 
ruche,  sans  être  remplacée,  loute  la  colonie  se  dissout  comme 
si  elle  n'avait  plus  aucun  but  à  remplir.  Les  terres  qui  bordent 
la  Méditerranée  ont  été  le  berceau  de  notre  civilisation.  Dans  ces 
heureuses  contrées,  Tliiver  est  clément  et  les  plantes  aromatiques 
abondantes  :  ces  deux  conditions  sont  les  plus  favorables  à  la 
multiplication  de  Tabeille  comme  à  la  perfection  de  ses  produits. 
Aussi,  cet  utile  insecte  y  a-t-il  été  connu  dès  les  premiers  temps. 
Les  poètes  Tout  chanté,  et  le  gracieux  Virgile,  dans  son  beau 
poème  sur  Tagriculture ,  fait  une  large  part  à  réducation  de 
Tabeilie,  tout  en  y  mêlant  de  brillantes  fables.  C'est  à  elle  aussi 
qu'il  emprunte  les  comparaisons  les  plus  charmantes.  Le  doux 
langage  des  grands  écrivains  de  la  Grèce  et  de  l'Italie  est  assi- 
milé au  miel  qu'elle  produit,  et  la  légende  antique  veut  qu'un 
essaim  ait  déposé  son  doux  nectar  sur  les  lèvres  du  divin 
Platon. 

Beaucoup  de  naturalistes  se  sont  occupés  des  mœurs  de  l'a- 
beille; mais,  chose  étonnante,  les  notions  les  plus  positives  à 
cet  égard  sont  dues  à  l'illustre  aveugle  de  Genève,  qui  parvint, 
à  force  de  sagacité,  à  remplacer  l'organe  le  plus  nécessaire  pour 
l'observation. 

La  société  des  Bourdons  est  aussi  composée  d'ouvrières,  de 
mâles;  mais  l'existence  de  plusieurs  femelles  lui  donne  une 
forme  oligarchique,  et  sa  durée  ne  se  prolonge  pas  au-delà  d'une 
année.  Elle  est  renouvelée,  à  chaque  printemps,  par  une  femelle 
fécondée  dès  l'année  précédente,  el  qui,  abritée  dans  quelque 
retraite  favorable,  a  résisté  aux  rigueurs  de  l'hiver,  qui  a  détruit 
tout  le  reste  de  la  communauté. 

Le  bruit  particulier  qui  accompagne  le  vol  du  bourdon  a  dû 
aussi  être  connu  de  tout  temps,  puisqu'il  fixe  l'attention  de  l'en- 
fant le  plus  léger.  Le  peuple,  qui  souvent  donne  aux  èlres  un 
nom  caractéristique  par  une  onomatopée  que  l'on  rencontre 
dans  beaucoup  de  langues,  a  donné  à  notre  insecte  un  nom 


OESERVÉS   AUX   KPCVIRONS  DE  PARIS.  519 

qui  rappelle  !e  son  grave  et  monotone  qui  accompagne  son 
vol  (1). 

Toutefois,  ce  n'est  que  dans  les  temps  modernes  que  les  obser- 
vateurs se  sont  occupés  des  Bourdons.  Nous  citerons  pour  la 
France  Béaumur  et  Le  Pelletier  Saint-Fargeau,  Dalilboom  pour  la 
Suède,  Drewsen  pour  le  Danemark,  et  pour  TAngleterre  F.  Smith 
el  Suckard.  Malgré  tous  leurs  travaux,  une  monographie  des 
Bourdons  n'est  point  un  travail  sans  difficulté;  en  etTet,  la  cou- 
leur des  poils  qui  couvrent  leur  corps  varie  suivant  le  sexe,  et 
même  dans  les  individus  du  même  sexe.  D'un  autre  côté,  elle 
s'altère  et  change  avec  Tâge,  et  nous  voyons  dans  les  B.  îopl- 
dartuSf  subterra neus ^  hortorum  et  sylrarum,  etc.,  des  yeux  de 
colorations  considérables;  aussi,  cette  couleur  ne  peu)  donc 
nous  donner  de  bons  caractères  dilTérentlels  Nous  n'en  trouve- 
rons pas  non  plus  dans  l'examen  anatomique  des  diver>es  parties 
du  corps  qui  se  ressemblent  trop  par  le  nombre,  la  forme  et  la 
grandeur,  à  moins  que  Ton  ne  s'attache  à  l'examen,  assez  diffi- 
cile, des  organes  sexuels  des  mâles.  Ce  n'est  donc  qu'en  suivant 
avec  attention  l'insecte  jusqu'au  nid  où  il  se  dévelo|)pe  qu'on  est 
arrivé  à  la  suppression  de  plusieurs  espèces  admises  par  les  na- 
turalistes, et  à  reconnaître  qu'elles  ne  constituaient  que  des  sexes 
différents  ou  des  variétés  d'un  même  sexe.  Mais  la  présence  ou 
Tabsencedes  instruments  de  travail  a  servi  à  l'établissement  des 
deux  bonnes  coupes  génériques  qui  distinguent  les  vrais  Bour- 
dons des  Bourdons  non  récoltants  ou  parasites. 

CHAPITRE   P^ 

LES  VRAIS    BOURDONS. 

Comme  le  genre  yipis,  le  genre  Bombus  se  place  parmi  les  Hy- 
ménoptères récoltants,  et  il  se  compose,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  de  trois  sortes  d'individus  :  des  femelles,  des  ouvrières 
el  des  mÀles.  Les  deux  premières  sont  pourvues  de  ces  admira- 


(1)  Bomhos  vient  du  grec  Bcofxêoç.  Sonus,  dans  les  langues  du  nord. 
La  syllabe  Hum  (prononcez  Houno)  forme  la  racine  du  nom  qui  le  désigne. 


520  ESSAI   SUR   LES  BOURDONS 

bles  instruments  de  travail  qui  placent  l'abeille  à  un  si  haut  rang 
dans  riiisfolre  des  Insectes.  Leurs  tarses  sont  pourvus  de  brosses 
qui  servent  à  ramasser  le  pollen  dont  leur  corps  est  couvert , 
le  tibia  des  pâlies  postérieures  offre  une  surface  lisse  et  aplatie 
entourée  de  poils  courbés,  à  laquelle  on  donne  le  nom  de  cor- 
beille, et  dans  laquelle  l'insecte  dépose  la  récolte  qu'il  rapporte 
au  nid.  Au  premier  article  des  tarses  des  pattes  postérieures 
existe  un  prolongement  anguleux  connu  sous  le  nom  d'oreillette; 
il  sert  à  déiacher  la  cire  qui  se  dépose  sur  les  anneaux  de  l'ab- 
domen. C'est  enlre  le  genre  Anthophora  et  le  genre  Apis  que  se 
trouve  la  place  naturelle  des  Bourdons,  parmi  les  Hyménoptères 
indigènes. 

Ce  genre  se  compose  d'un  assez  grand  nombre  d'espèces  ré- 
parties dans  les  diverses  contrées  du  globe.  On  en  compte  une 
dizaine  aux  Indes,  à  Java  et  en  Chine;  mais  c'est  surtout  dans 
le  nord  de  l'Europe,  où  naissent  les  Amentacées,  les  Saules  au 
polleu  abondant,  qu'ils  se  trouvent  en  plus  grand  nombre.  Le 
nord  de  l'Amérique  en  compte  aussi  quelques  belles  espèces  très- 
voisines  de  celles  de  notre  Europe. 

Les  nids  des  Bourdons,  qui  renferment  de  40  à  50  individus, 
et  quelquefois  jusqu'à  300  dans  certaines  espèces,  sont  souvent 
enfoncés  dans  la  terre  et  ne  s'aperçoivent  point  facilement.  Lors- 
qu'ils sont  à  la  superficie,  ils  sont  cachés  par  des  amas  d'herbes 
et  de  feuilles  sèches  ou  par  un  tissu  de  mousse.  Si  Ton  déchire 
cette  première  enveloppe,  on  en  aperçoit  dessous  une  seconde 
toute  en  cire  et  d'une  forme  ovale,  entièrement  fermée,  à  l'ex- 
ception d'une  petite  ouverture  réservée  dans  le  bas  pour  faciliter 
l'entrée.  Celte  seconde  enveloppe  protège  avec  efficacité  la  popu- 
lation qui  Thabite  contre  les  intempéries  des  saisons.  En  la  rom- 
pant, on  voit,  dans  l'intérieur,  plusieurs  rayons  ou  étages  irré 
guliers  placés  les  uns  au-dessus  des  autres;  ils  sont  composés 
de  cellules  ovales,  rapprochées  entre  elles.  Les  unes  sont  ou- 
vertes et  renferment  du  pollen  ou  du  miel;  les  autres,  fermées, 
contiennent  des  œufs,  des  larves  et  des  nymphes.  Entre  les  cel- 
lules, on  remarque  certains  corps,  de  forme  irrégulière,  qui 
ressemblent  à  de  petites  truffes.  C'étaient  aussi,  dans  l'origine, 
des  cellules  que  l'accroissement  des  larves  a  fait  fendre  en  plu- 
sieurs endroits.  Les  ouvrières  ont  bouché  les  crevasses  avec  de 
la  cire,  ce  qui  explique  l'augmentation  de  leur  volume.  F.e  rayon 


OBSERVES   AUX    ENVIRONS   DE    PARIS.  521 

inférieur  repose  direclemenl  sur  un  litdlierbes,  de  mousse  et  de 
feuilles  dessécliées  ;  ceux  qui  s'élèvent  au-dessus  en  sont  séparés 
par  les  grosses  cellules  et  des  colonnelles  de  cire  qui  les  sou- 
tiennent. 

Tous  les  Bourdons  ne  naissent  point  à  la  même  époque  :  il  y 
a  plusieurs  générations  provenant  de  pontes  successives,  et  l'é 
closion  parait  répondre  aux  besoins  de  la  colonie  et  aux  travaux 
dont  l'exécution  devient  nécessaire.  Les  ouvrières  qui  doivent 
venir  en  aide  à  la  mère  naissent  en  mai;  plus  tard,  une  autre 
génération  a  lieu,  et  ce  n'est  qu'à  l'automne  que  paraissent 
les  mâles  et  les  grandes  femelles.  Après  la  fécondation ,  qui  a 
lieu  vers  le  milieu  de  Tautomne,  les  ouvrières,  c'est-à-dire  les 
femelles  non  développées,  meurent  les  unes  après  les  autres; 
mais  un  petit  nombre  de  grandes  femelles  qui  ont  été  fécon- 
dées quittent  le  nid  pour  se  réfugier  daqs  un  abri  sûr  qu'elles 
trouvent  en  terre  ou  dans  quelque  creux  d'arbre.  Là  elles 
passent  Tliiver  dans  un  engourdissement  léthargique  qui  dure 
jusqu'au  moment  où  le  soleil  de  mars  vient  réveiller  la  nature 
et  les  r(\nimer  par  sa  vivifiante  chaleur;  elles  quittent  alors 
leur  retraite,  et  après  s'être  restaurées  du  pollen  que  leur  offre 
les  fleurs  qui  s'épanouissent  ou  les  chatons  des  saules  entr'ou- 
verts;  chacune  d'elles  se  met  à  la  recherche  d'un  lieu  favorable 
pour  y  établir  le  nid  dans  lequel  elle  déposera  ses  œufs.  Rare- 
ment elle  creusera  le  trou  dans  lequel  il  sera  placé;  elle  don- 
nera la  préférence  à  quelque  excavation  faite  par  un  mulot  ou 
quelque  autre  petit  animal.  Après  l'avoir  nettoyé  et  approprié, 
elle  commence  par  y  faire  un  lit  de  mousse,  d'herbes  ou  de 
feuilles  sèches,  ou  encore  de  petites  bûchettes  ramassées  à  pro- 
ximité. Au  milieu  de  cette  aire ,  elle  construit  une  cellule  des- 
tinée à  contenir  le  miel.  A  côté,  elle  en  élève  une  autre  pour  le 
pollen  qu'elle  va  ramasser  sur  les  fleurs,  puis  elle  y  pond  de  r; 
à  8  œufs,  et  elle  la  ferme  ensuite  avec  de  la  cire.  A  côté,  elle 
en  établit  plusieurs  autres  semblables  et  destinées  aux  mêmes 
usages.  <:es  travaux,  exécutés  d'abord  par  la  mère  seule,  sont 
ensuite  continués  par  les  ouvrières,  qui  naissent  les  premières, 
jusqu'à  Tachèvement  complet  du  nid.  Quatre  ou  cinq  jours  après 
la  ponte,  les  œufs  éclosent  et  les  jeunes  larves  qui  en  provien- 
nent se  nourrissent  du  pollen  dont  la  mère  prévoyante  a  garni 
l'intérieur  de  la  cellule  ;  celte  provision  est  consommée  au  bout 


53S  ESSAI   SUR   LES   BOUBDOIfS 

de  quelques  jours.  Pour  s'en  assurer,  la  mère  déchire  îe  cou- 
vercle de  cire  qui  ferme  l'alvéole,  et  quand  elle  s'aperçoit  qu'elle 
est  vide,  elle  va  prendre  du  pollen  dans  les  cellules  où  il  a  été 
mis  en  réserve ,  puis  revient  et  introduisant  la  tête  par  l'ouver- 
ture delà  cellule  elle  y  dégorge  le  pollen  mêlé  d'un  peu  de  miel 
et  referme  ensuite  la  cellule  avec  de  la  cire.  Cependant  les  larves 
grossissent  et  remplissent  l'alvéole  au  point  de  le  faire  fendre  ; 
mais  aussitôt  les  ouvrières  ferment  les  crevasses  avec  de  la  cire. 
Ce  travail  est  renouvelé  toutes  les  fois  qu'il  devient  nécessaire  : 
c'est  par  suite  de  ces  soins  répétés  que  la  cellule  qui ,  dans  l'o» 
rigine,  était  grosse  comme  une  noisette,  acquiert  le  volume 
d'une  petite  noix. 

Lorsque  les  larves  ont  atteint  tout  leur  développement,  elles 
se  filent  un  cocon  dans  l'alvéole.  Chacun  d'eux  est  lié  par  des  fils 
de  soie  au  cocon  voisin  de  manière  à  ne  former  qu'une  seule 
masse;  lorsque  la  mère,  qui  vient  pour  renouveler  les  provi- 
sions, s'aperçoit  que  les  larves  se  sont  enfermées  dans  une 
coque  de  soie,  elle  ne  cherche  point  à  la  déchirer,  mais  elle 
agrandit  Touverlure  de  l'alvéole  en  enlevant  totalement  le  cou- 
vercle qui  la  fermait. 

Toutes  les  cellules  sont  liées  enlr'elles  et  finissent  par  former 
un  petit  gâteau  convexe  en  dessus  et  concave  en  dessous  :  plu- 
sieurs de  ces  petits  gâteaux  réunis  consdtuent  à  la  fin  un  grand 
rayon  d'une  seule  pièce;  un  second  élage  s'élève  au-dessus  de  ce 
rayon,  puis  un  troisième,  et  ainsi  de  suite.  Chacun  d'eux  est 
supporté  par  de  petites  colonnes  de  cire  qui  reposent  sur  le  gâ- 
teau inférieur;  elles  sont  élargies  par  le  haut  et  par  le  bas  mais 
le  milieu  laisse  un  vide  sulïisant  pour  le  passage  des  ouvrières. 
Le  petit  animal  reste  ^  jours  sous  la  forme  de  nymphe,  puis 
devenu  insecte  parfait,  il  se  met  à  ronger  le  cocon  dans  lequel 
il  est  emprisonné.  Ce  travail  est  accompagné  d'un  léger  bour- 
donnement qui  est  entendu  par  la  mère;  elle  arrive  aussitôt  et 
se  met  aussi  à  ronger  le  cocon  un  peu  au-dessus  du  milieu  jus- 
qu'à ce  que  la  partie  supérieure,  tombant  comme  une  calotte, 
donne  passage  au  jeune  bourdon  :  il  se  rend  de  suite  aux  cel- 
lules qui  renferment  le  pollen  afin  de  s'y  restaurer. 

Au  moment  de  leur  naissance,  les  jeunes  bourdons  ont  tous  les 
poils  d'une  couleur  grise  uniforme,  mais  bientôt  la  lumière  et  l'air 
chaud  qui  les  sèche  leur  donne  la  couleur  propre  à  chaque  espèce. 


OBSBRVBS  AUX   BNVIROHS  DB   PARIS.  523 

Les  premiers  Individus  qui  se  montrent  sont ,  comme  nous 
l'avons  dit,  des  ouvrières  qui  se  mettent  de  suite  à  l'ouvrage  en 
continuant  les  travaux  commencés  par  la  mère;  elles  s'employent 
d'abord  à  entourer  le  nid  d'une  enveloppe  de  cire  :  le  mur 
qu'elles  élèvent  à  cet  eifet  est  d'abord  perpendiculaire,  mais 
elles  le  font  rentrer  insensiblement  dans  le  haut  pour  le  fermer 
par  une  voûte.  Elles  ont  soin  de  laisser  entre  la  paroi  et  les 
rayons  un  espace  de  deux  ou  trois  centimètres  pour  la  circula- 
tion. Si  le  nid  n'est  point  suffisamment  caché  en  terre  pour  être 
bien  garanti,  les  ouvrières  y  apportent  de  nouveau  des  mousses, 
des  herbes  et  des  feuilles  sèches  pour  le  couvrir. 

Pendant  qu'une  partie  des  ouvrières  est  occupée  de  ces  soins, 
d'autres  ouvrières  s'emploient  à  construire  des  colonnes  de  cire 
ou  elles  vont  aux  champs  recueillir  les  provisions,  ou  bien  nour* 
rissent  les  larves  qui  éclosent  successivement.  Elles  nettoyent 
aussi  et  approprient  le  nid  :  elles  enlèvent  les  corps  étrangers 
pour  les  porter  dehors. 

Lorsque  le  nid  a  reçu  tous  ces  divers  perfectionnements,  et 
qu'il  est  suffisamment  approvisionné,  la  mère  fait  sa  seconde 
ponte;  mais  cette  fois  la  mère  n'aura  plus  à  pourvoir  d'aliments 
les  cellules  qui  recevront  les  œufs.  Elle  se  reposera  de  ce  soin 
sur  ses  jeunes  filles,  les  ouvrières.  Ce  n'est  qu'à  la  fin  d'août  ou 
en  septembre  qu'une  dernière  ponte  donne  naissance  k  ces 
grandes  femelles,  qui  doivent,  l'année  suivante,  créer  une 
nouvelle  colonie  sans  jamais  faire  servir  k  cet  usage  le  nid  où 
elle  est  née. 

Après  tous  ces  travaux ,  la  mère,  qui  atout  créé,  finit  par 
mourir.  Les  mâles  et  les  femelles  qui  n'ont  point  été  fécondées 
subissent  le  même  sort  à  l'approche  de  l'hiver. 

Telle  est,  en  résumé,  l'histoire  des  Bourdons.  Donnons  main- 
tenant des  détails  plus  circonstanciés  sur  les  travaux  et  les 
mœurs  des  espèces  qui  composent  ce  groupe  intéressant. 

RÉCOLTE  DU  POLLEN. 

Plusieurs  familles  de  Tordre  des  Hyménoptères  ont  la  faculté 
d'allonger  ou  de  contracter  l'abdomen,  et  peuvent  aussi  le  tour- 


5'24  essAi  SUR  les  bourdons 

ner  en  divers  sens  :  c'est  ce  que  fait  le  Bourdon  lorsqu'il  vient 
se  poser  sur  une  fleur.  Ce  mouvement,  en  agitant  les  étamines, 
fait  ouvrir  la  soupape  par  laquelle  s'échappe  le  pollen  dont  les 
anthères  sont  remplies.  Cette  poussière  s'attache  aux  nombreux 
poils  qui  couvrent  le  corps  du  Bourdon ,  et  ils  se  chargent  aussi 
de  celle  qui  est  déjà  sortie.  Pour  recueillir  le  pollen,  Tinsecte  fric- 
tionne son  corps  avec  les  brosses  qui  existent  aux  tarses  des  pattes 
postérieures.  Ce  pollen,  ainsi  ramassé,  est  enlevé  parles  pattes 
intermédiaires,  et  par  une  manœuvre  semblable  il  arrive  aux 
pattes  antérieures,  qui  le  portent  aux  mâchoires.  Celles-ci,  en  le 
pétrissant,  en  font  une  petite  pelote  qui  est  reprise  par  les  pattes 
antérieures  et  transmise  aux  intermédiaires  :  celles-ci  la  fixent 
dans  la  corbeille  qui  garnit  le  tibia  des  dernières  pattes.  Cette 
manœuvre  est  répétée  jusqu'à  ce  que  la  masse  atteigne  la  gros- 
seur d'une  petite  lentille-,  alors  le  Bourdon  la  rapporte  au  nid 
pour  la  déposer  dans  les  cellules  qui  doivent  la  conserver.  Pour 
y  parvenir,  il  s'accroche  avec  les  ongles  au  bord  de  l'alvéole  ; 
les  pattes  intermédiaires,  qui  sont  libres,  saisissent  le  globule 
qu'elles  font  tomber  dans  la  cellule  par  im  mouvement  de  bas 
en  haut ,  après  quoi  l'insecte  prend  son  vol  et  retourne  aux 
champs  faire  une  nouvelle  récolte.  Les  cocons  de  soie,  dans 
lesquels  s'est  opérée  la  métamorphose  des  nymphes,  servent 
aussi,  lorsqu'ils  sont  vides,  à  emmagasiner  le  pollen,  ce  qui 
permet,  âan&  un  espace  donné,  d'augmenter  l'approvisionne- 
ment destiné  à  la  nourriture  des  larves  et  en  même  temps  à  la 
préparation  de  la  cire;  mais  il  n'entre  en  rien  dans  la  composi- 
tion du  miel,  comme  Réaumur  l'avait  cru. 

PRÉPARATION  l)l'  MIEL. 

Les  Bourdons  tirent  ce  produit  des  fleurs-,  il  est  presque  aussi 
doux  que  celui  de  l'abeille,  mais  plus  liquide.  Lorsque  l'insecte 
se  pose  sur  la  corolle  d'une  fleur,  il  allonge  sa  langue,  qui, 
dans  quelques  espèces,  est  aussi  longue  que  le  corps.  Cet  or- 
gane, dont  l'extrémité  est  garnie  de  poils  formant  papilles,  est 
renfermé  entre  deux  pièces  creuses  d'une  nature  cornée,  qui, 
parleur  rapprochement,  forment  un  étui.  L'insecte,  en  ouvrant 


OBSERVÉS   AUX    ENVIRONS   DE   PARIS.  525 

les  deux  moitiés  de  cette  espèce  de  trompe ,  écarte  les  ctamiaes 
qui  pourraient  empêcher  la  langue  d'arriver  jusqu'aux  nectaires, 
afin  d'y  pomper  le  suc  qui,  passant  dans  l'œsophage,  arrive  au 
ventricule,  où  il  est  converti  en  miel.  Si  l'insecte  rencontre  de 
ces  plantes  à  fleur  fermée  ou  dont  la  corolle  étroite  et  longue 
ne  permet  pas  à  la  langue  de  parvenir  jusqu'aux  nectaires,  qui 
sont  toujours  au  fond,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  les  Belles  de 
Nuit  et  les  Mufliers,  ces  obstacles  n'arrêtent  point  l'insecte  qui 
pratique  avec  ses  mandibules ,  à  la  base  de  la  corolle ,  une  en- 
taille par  laquelle  il  introduit  sa  langue  pour  arriver  aux  nec- 
taires. Lorsqu'il  est  suffisamment  gorgé  il  revient  an  nid  pour 
déposer  le  miel  dans  les  alvéoles.  Il  les  examine  d'abord  comme 
s'il  voulait  s'assurer  qu'elles  peuvent  conserver  le  dépôt  qu'il  va 
leur  confier.  Après  cet  examen,  il  introduit  dans  la  cellule  la 
moitié  de  son  corps ,  contracte  les  anneaux  de  son  abdomen, 
et,  allongeant  la  langue,  il  dégorge  le  miel  qui  est  trop  liquide 
pour  servir  à  l'alimentation  des  larves,  mais  qui,  absorbé  de 
Jiouveau  par  le  Bourdon ,  donnera  naissance  à  la  cire  que  l'in- 
secte ne  peut  produire  lorsqu'il  est  nourri  exclusivement  de 
pollen. 

S  m. 

PRODUCTION   DE  LA  CIRE.  —  SON  IJSAGË. 

Celte  substance  provient  de  la  partie  saccarine  du  suc  enlevé 
aux  nectaires;  elle  est  d'un  jaune  brunâtre,  ne  s'amollit  point 
sous  les  doigts,  ne  se  liquéfie  point  au  feu,  où  elle  y  brûle  avec 
flamme  et  laisse  des  cendres  pour  résidu  ;  aussi  est-elle  loin  d'a- 
voir la  blancheur  et  les  autres  qualités  de  la  cire  de  l'abeille. 
L'insecte,  quand  il  esi  pour  la  produire,  s'approche  des  cellules 
qui  contiennent  le  miel,  en  avale  une  certaine  quantité  à  l'aide 
de  sa  langue.  Après  quarante-huit  heures  environ,  on  le  voit  se 
coucher  sur  le  côté,  se  frotter  l'abdomen  avec  ses  pattes  inter- 
médiaires et  postérieures,  surtout  à  la  jonction  des  divers  seg- 
ments où  la  peau  est  mince  et  membraneuse.  Puis,  se  relevant, 
il  continue  ses  frictions.  Pendant  ce  temps,  une  partie  du  miel 
s'est  convertie  en  cire  et  déposée  entre  les  anneaux  de  l'abdo- 
men, d'où  l'insecte  la  détache  à  l'aide  de  l'oreillette  qui  garnit 


5S6  8SSAI    St'R    L8S  BOURDONS 

le  .premier  article  des  pattes  postérieures.  Cette  cire,  la  seule 
substance  qui  entre  dans  la  construction  des  cellules,  est  bien 
plus  abondante  chez  les  femelles  et  les  ouvrières  que  chez  les 
mâles. 

§  IV. 

CONSTRUCTION  OBS  CELLULES. 

Pour  mettre  en  œuvre  une  substance  aussi  simple  et  aussi  fa- 
cile à  travailler  que  la  cire  qu'ils  emploient,  les  Bourdons  n'ont 
point  besoin  d'instruments  nombreux  et  variés,  leurs  mandi- 
bules et  leurs  pattes  y  suffisent.  La  femelle  qui  veut  construire  une 
cellule  prend  une  parcelle  de  cire ,  et  après  l'avoir  pétrie  avec 
sa  mandibule  elle  la  dépose  sur  Taire  du  nid.  Elle  en  apporte 
ensuite  d'autres ,  qu'elle  y  rattache ,  et  quand  la  masse  est  suffi- 
sante elle  la  creuse  en  l'arrondissant  en  forme  de  coupe;  sur  le 
bord,  elle  dépose  d'autres  parcelles  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  ainsi 
élevé  une  véritable  cellule.  Elle  en  égalise  les  bords,  les  lisse, 
afin  que  l'abdomen  puisse  y  entrer  facilement  au  moment  de  la 
ponte.  Les  ouvrières,  aussitôt  leur  naissance,  aident  la  mère 
dans  ce  travail. 

«  V. 

ACCOUPLEMENT  DES  BOURDONS. 

L'accouplement  a  lieu  ordinairement  du  15  septembre  au 
iS  octobre,  toujours  hors  du  nid.  Il  est  assez  difficile  de  l'ob- 
server, parce  que  le  couple  s'envole  dès  qu'on  en  approche.  La 
femelle  se  pose  en  plein  soleil,  sur  un  mur  ou  sur  un  tronc  d'ar- 
bre. Les  ailes,  entr'ouverles,  découvrent  l'abdomen.  Lorsqu'un 
mâle  aperçoit  une  femelle  de  son  espèce  dans  cette  position,  Il  se 
jette  sur  son  dos  avec  une  certaine  impétuosité,  et  l'accouple- 
ment s'effectue;  il  est  accompagné  d'un  frémissement  des  ailes 
qui  dure  quelques  secondes ,  mais  se  renouvelle  plusieurs  fois. 
Au  bout  d'environ  quinze  minutes,  il  s'afiTaiblit  chez  le  mftle, 
mais  persiste  encore  chez  la  femelle  ;  puis  celle-ci  ne  tarde  pas 
à  saisir  le  mâle  avec  ses  pattes  postérieures  el  à  le  refeter  forte- 


OBSERVÉS  AUX   BNVIHONS  PB  PARIS.  &27 

menL  Le  mâle,  ue  pouvant  plus  guère  faire  de  mouvement,  ne 
tarde  pas  à  mourir.  H  n'y  aurait  donc  point  de  nécessité,  chez 
les  Bourdons,  de  massacrer  les  mâles  comme  cela  a  lieu  dans  le 
genre  Abeille,  car  Taccouplement  sufût  pour  les  mettre  hors  d'é- 
tat de  consommer  les  provisions,  et  d'ailleurs  celles-ci  sont 
inutiles  pour  une  société  que  l'hiver  va  faire  disparaître. 

«    VI. 
PONTE  DES  OBUFS. 

Lorsque  la  cellule  est  terminée  et  qu'elle  est  garnie  à  l'intérieur 
d'une  suffisante  quantité  de  pollen  pour  la  première  alimenta- 
tion des  larves ,  la  femelle ,  qui  se  prépare  à  y  <léposer  ses  œufs, 
vient  se  placer  sur  le  bord  et  essaie  d'y  introduire  son  abdomen. 
Souvent  elle  ne  peui  y  parvenir  à  cause  du  peu  de  place  que 
laisse  l'ouverture  de  la  cellule.  Sans  persévérer  dans  ses  essais, 
elle  s'éloigne  pour  revenir  bientôt  les  renouveler,  sans  plus  de 
succès.  Elle  se  détermine  alors  à  ronger  la  cire  des  bords  pour 
agrandir  l'ouverture  et  essaye  d'y  pondre.  Cette  nouvelle  tenta- 
tive ne  donne  pas  plus  de  résultats.  Les  muscles  de  l'anus  sont 
trop  rigides  pour  que  ses  deux  lobes  puissent  s'écarter  assez 
pour  donner  passage  aux  œufs.  Alors,  pour  arriver  à  son  but, 
elle  darde  avec  force  son  aiguillon  de  manière  à  percer  là  paroi 
de  la  cellule.  Pour  plus  de  fixité,  elle  garnit  de  cire,  avec  ses 
pattes  postérieures,  la  portion  de  l'aiguillon  qui  sort  en  dehors* 
Quand  tout  est  assujetti ,  elle  appuie  sur  l'aiguillon  le  lobe  supé- 
rieur de  l'anus,  qui  s'ouvre  alors  de  manière  à  donner  passage 
à  5  ou  6  œufs.  Ceux-ci  tombent  successivement  dans  l'alvéole, 
et  la  femelle  la  ferme  ensuite  avec  de  la  cire. 

Après  la  naissance  des  premières  ouvrières  a  lieu  une  seconde 
ponte,  qui  donnera  des  ouvrières  d'une  taille  plus  grande  que 
celle  de  leurs  sœurs  aînées;  quelques  mÀles,  de  taille  moyenne, 
se  produiront  en  même  temps,  et  de  leur  accouplement  avec  ces 
ouvrières  naîtront  d'autres  mâles  plus  grands  :  ils  serviront  à  la 
fécondation  des  femelles ,  encore  plus  grandes  ,  qui  se  produi- 
ront à  la  troisième  génération  :  ce  sont  celles  qui  doivent  per- 
pétuer l'espèce  l'année  suivante.  Dahiboom,  certainement  le 
meilleur  observateur  des  Bourdons ,  n'a  point  remarqué  la  pré- 


528  ESSAI   SUR    LES   BOURDONS 

seiice  de  ces  mâles  à  la  seconde  génération,  et  il  pensait  que 
ces  secondes  femelles  donnaient  des  mâles  sans  accouplement, 
ainsi  qu'on  Ta  observé  chez  les  Pucerons:  mais  les  naturalistes 
ont  rejeté  cette  opinion. 

Signalons  ici  un  fait  remarquable  observé  par  le  docteur  Kerby. 
Lorsque  les  femelles  sont  sur  le  point  d'opérer  leur  seconde 
ponte,  les  ouvrières  déjà  nées,  obéissant  à  un  instinct  difficile 
à  expliquer,  cherchent,  en  vrais  disciples  de  Malthus,  à  mettre 
obstacle  au  développement  de  la  population  de  la  colonie  en 
essayant  de  dévorer  les  œufs  que  pond  leur  mère.  Celle-ci,  qui 
s'en  aperçoit,  les  chasse  au  loin,  puis  revient  déposer  ses  œufs 
dans  les  alvéoles ,  autour  desquelles  elle  fait  bonne  garde  jus- 
qu'à  la  naissance  des  larves;  mais  alors  les  ouvrières  ont  re- 
noncé à  leurs  instincts  cruels  et  donnent  aux  nouveaux-nés  tous 
les  soins  de  véritables  mères  en  leur  apportant  régulièrement 
du  pollen  et  du  miel,  quelles  introduisent  dans  les  cellules  en 
pratiquant  une  ouverture  dans  le  couvercle ,  qu'elles  fprmqnt 
ensuite  avec  soin. 

C'est  seulement  sur  la  lin  de  la  saison  qu'a  lieu  la  troisième 
ponte,  qui  produira,  en  petit  nombre,  ces  grandes  femelles,  des- 
tinées seules  avoir  l'année  suivante;  la  mort  de  la  femelle  qui  la 
première  a  créé  la  colonie  suit  de  près  cette  dernière  ponte.  Ces 
trois  générations  successives  sont  le  résultat  d'une  seule  fécon- 
dation opérée  à  l'automne  de  l'année  précédente,  et  qui  donne, 
à  chaque  fois,  des  embryons  de  taille  comme  de  sexes  différents. 
C'est  là  assurément  un  fait  des  plus  remarquables  en  histoire 
naturelle  ;  nous  en  devons  la  connaissance  à  F.  Huber  fils. 

Notons  toutefois  que  dans  le  genre  ffa/eofus,  également  de  la 
famille  des  MelUfères  récoltants,  on  voit  paraître,  au  premier 
printemps,  de  grandes  femelles  qui  produisent,  au  commence- 
ment de  l'été,  des  femelles  ordinaires  sans  le  concours  de  mâles, 
puisque  ceux-ci  ne  se  montrent  qu'au  mois  d'août.  Elles  ont  dû 
nécessairement  être  fécondées  dès  l'automne  précédent,  comme 
l'ont  été  les  femelles  de  Bourdons. 

g  VII. 

CONSïKt'CTION   h\l    N1I>. 

c'est  surtout  dans  l'exécution  de  ce  grand   travail  que  le^ 


OBSERVÉS  AUX  ENVIRONS  DE  PARIS.  529 

Bourdons  montrent  une  grande  adresse  et  une  sorte  d'intelli- 
gence. Ces  qualités  se  remarquent  spécialement  dans  un  groupe 
qui  environne  son  nid  de  mousse  déchiquetée  en  petites  la- 
nières, et  que,  pour  celte  raison,  on  nomme  Cardeur, 

Le  nid  est  d'abord  commencé  par  la  femelle,  qui  y  opère  sa 
première  ponte;  mais  lorsqu'une  première  génération  est  venue 
lui  donner  des  auxiliaires,  le  travail  se  développe  avec  activité  : 
les  jeunes  filles  aident  leur  mère  dans  la  construction  des  cel- 
lules destinées  aux  œufs  de  la  seconde  ponte;  elles  agrandiront 
et  perfectionneront  la  cité,  ainsi  que  le  passage  qui  y  conduit, 
et  termineront  l'enveloppe  extérieure.  Voici  comment  s'organise 
ce  travail  :  le  nid  est  toujours  placé  à  peu  de  dislance  des  maté- 
riaux  qui  doivent  servir  à  sa  ronstruction ,  une  ouvrière  va  se 
placer  près  de  la  mousse  à  exploiter,  à  quelque  distance  du  nid, 
auquel  elle  tourne  le  dos;  d'autres  ouvrières  viennent  se  placer 
à  la  suite,  dans  la  même  direction,  de  manière  à  former  une 
chaîne  continue  qui  s'étend  jusqu'au  nid.  Celle  qui  est  en  tête 
découpe  de  minces  lanières  de  mousse  qu'elle  roule  de  manière 
à  en  faire  une  petite  pelote  qu'elle  saisit  avec  les  pattes  anté- 
rieures; celles-ci  la  font  passer  aux  intermédiaires,  chargées  de 
l'envoyer  aux  pattes  postérieures.  Quand  ce  travail,  répété,  a 
fini  par  faire  un  amas  suffisant,  l'ouvrière  qui  suit  réunit  les 
diverses  parcelles,  leur  donne  une  nouvelle  forme  et  la  trans* 
met  à  la  troisième,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  ce  que  la  pelote  ar- 
rive au  nid.  Là,  une  ouvrière  la  prend  pour  la  mettre  en  place 
ou  la  transmettre  à  une  autre  chargée  de  ce  soin.  Toutes  les  pe- 
lotles  réunies  et  liées  entr'elles  forment  une  enveloppe  continue 
qui  est  surmontée  d'une  voûte  construite  de  la  même  façon;  de 
cette  manière,  le  nid,  déjà  protégé  par  sa  situation  en  terre,  se 
trouve  parfaitement  abrité.  C'est  ainsi  que  sont  faits  les  nids  des 
B.  mtiscoru7n,  B,  fragrans  et  autres. 

Mais  ces  soins,  ces  précautions  ne  paraissent  point  suffisants 
pour  conserver  à  l'intérieur  une  température  assez  élevée.  Les 
Bourdons  y  ajoutent  une  seconde  enveloppe  intérieure  toute  en 
cire.  Pour  ce  travail,  les  ouvrières  déposent,  avec  leurs  pattes 
antérieures,  de  petites  parcelles  de  cire  auprès  des  gâteaux;  elles 
en  apportent  d'autres,  les  assurent  en  les  liant  entr'elles  au 
moyen  de  leurs  mandibules  qui  font  Tofflce  de  truelles;  elles  y 
ajoutent  encore  d'autres  parcelles.  C'est  ainsi  que  s'élèvent,  sur 

T.  VIIL  34 


550  KSSAl    SUR    LfiS    BOURDONS 

(litTérents  points,  de  petites  constructions  plus  hautes  au  milieu 
que  sur  les  côtés  et  qui  unissent  par  se  réunir  en  un  mur  de 
circonvallallon  continu,  qui  rentre  légèrement  à  Hntérieur.  Une 
fois  qu'il  est  arrivé  à  une  certaine  élévation  et  qu'il  est  couronné 
par  une  voûte  semblable  :  pour  la  poser,  les  Bourdons  s'accro- 
chent avec  leurs  pattes  postérieures,  qui  sont  assez  écartées,  au 
mur  de  cire,  et,  dans  cette  difficile  position ,  parviennent  à  ter* 
miner  le  comble  qui  forme  une  espèce  de  cloche.  Souvent  des 
brins  de  mousse  se  trouvent  engagés  dans  le  mur  de  cire  et  ne 
peuvent  être  détachés  qu'en  brisant  cette  enveloppe  intérieure. 
D'autres  espèces  se  contentent  d'une  habitation  moins  soignée, 
s'installent  simplement  dans  un  trou,  en  terre,  et  n'emploient 
la  cire  que  pour  boucher  les  ouvertures  par  où  la  pluie  pourrait 
arriver.  Le  B.  lapidarius  s'établit  ordinairement  dans  des  tas 
de  pierres;  il  se  borne  à  y  apporter  des  mousses  et  des  feuilles 
sèches  pour  garnir  son  nid,  auquel  il  donne  la  forme  d'un  ovale 
assez  régulier.  Quant  à  la  disposition  des  rayons,  elle  est  la 
même  chez  toutes  les  espèces.  Les  mÀles  restent  toujours  étran- 
gers à  ces  travaux. 

8  vjii. 

EMPLOI  DES  COCONS  VIDES. 

Les  cocons  de  soie  qui  ont  servi  aux  métamorphoses  des  larves 
ont  la  forme  d'un  petit  œuf  tronqué  par  un  bout;  les  Bourdons 
s'en  servent  aussi  comme  de  magasins  supplémentaires  pour 
recevoir  le  pollen  et  le  miel.  Quand  les  cellules  deviennent  libres 
dans  les  étages  supérieurs ,  les  femelles  leur  donnent  la  préfé- 
rence pour  placer  les  jeunes  larves ,  qui  s'y  trouvent  plus  saine- 
ment et  moins  exposées  aux  attaques  des  nombreux  ennemis 
qui  les  dévorent  ainsi  que  le  miel  et  la  cire. 

Avant  de  se  servir  des  cocons ,  les  ouvrières  en  égalisent  les 
bords  et  étendent  à  l'intérieur  une  couche  de  cire  d'une  épais- 
seur suffisante  pour  retenir  les  matières  qui  y  seront  déposées. 
Cette  préparation  des  cocons  n^est  pas  la  même  dans  toutes  les 
espèces  :  les  unes  consolident  le  bord  au  moyen  d'un  anneau 
de  cire  placé  à  l'intérieur,  d'autres  élèvent  sur  ce  bord  une  es 
pèce  de  tube  terminé  par  un  entonnoir. 


OBSERVÉS   AUX   ENVIRONS   DE   PARIS.  551 

La  forme  ronde  des  cellules  qui  se  touchent  laisse  entre  elles 
des  espaces  vides  ayant  quatre  angles  aigus ,  les  ouvrières  trou- 
vent aussi  moyen  de  les  utiliser  en  fermant  le  bas  et  en  conso- 
lidant le  bord  par  un  anneau  de  cire.  Cette  cinquième  cellule 
ne  prend  pas  plus  de  place  que  les  quatre  qui  existaient  d'abord. 

C'est  seulement  pendant  les  mois  de  mai  et  de  juin  que  les 
cocons  de  l'étage  inférieur  contiennent  du  miel  et  du  pollen  ; 
mais  quand  ils  ont  été  vidés,  les  ouvrières  les  déchirent  pour 
en  employer  les  débris,  avec  la  mousse  et  l'herbe  sèche,  à  la 
consolidation  du  nid. 

g   IX. 

MÉTAMORPHOSES  DES  BOtRDONS. 

Les  œufs,  longs  d'un  millimètre,  sont  de  couleur  blanchâtre 
La  peau  qui  les  recouvre,  vue  au  microscope,  a  l'aspect  du  cuir. 
Ils  sont  placés  dans  la  cellule  les  uns  à  côté  des  autres,  ou  bien 
ils  sont  superposés.  Les  larves  qui  en  sortent  ressemblent  à  de 
petits  v6rs  d'un  blanc  jaunâtre,  sans  pattes,  et  courbés  en  demi- 
cercle  à  an  s  l'alvéole  ;  la  tète,  un  peu  allongée  et  de  couleur 
brunâtre,  est  d'une  consistance  plus  dure  que  la  peau  du  corps. 
Les  segments  sont  au  nombre  de  13  ou  li,  suivant  le  sexe.  Sous 
la  peau  membraneuse  et  transparente,  on  aperçoit  l'intestin 
droit  qui  court  de  la  tète  à  Tanus;  il  est  rempli  d'un  liquide 
doux  qui  entretient  la  vie  du  petit  animal.  Les  larves  des  fe- 
melles sont  beaucoup  plus  grandes;  toutes  sont  placées  dans  les 
cellules,  la  tète  en  haut,  le  corps  un  peu  courbé.  Elles  sortent 
du  cocon  par  Textrémité  supérieure,  qui  représente  ensuite 
la  coquille  d'un  œuf  dont  le  bout  a  été  tronqué.  Réaumur 
dit  que  les  nymphes  sortaient  par  le  bas  de  leur  loge  de  soie. 
Sur  son  autorité,  plusieurs  naturalistes,  notamment  Latreillo, 
onl  admis  cette  opinion  ;  mais  les  observateurs  postérieurs 
ont  bien  établi  le  contraire.  En  effet,  lorsque  l'on  renverse 
le  rayon  de  manière  à  ce  que  la  tète  soit  en  bas,  les  nymphes 
noircissent  et  meurent.  D'un  autre  côté ,  celles  du  rayon  infé- 
rieur qui  repose  sur  le  sol  ne  pourraient  jamais  sortir  du  cocon. 
Newport,  dans  un  travail  sur  la  température  des  insectes,  fait 
la  remarque  que  chez  l'Abeille  et  le  Bourdon  l'évolution  des 


532  ESSAI   SUR    LES  BOURDONS 

nymphes  demande  une  certaine  élévation  de  chaleur,  surtout 
pendant  les  dix  ou  douze  heures  qui  précèdent  leur  sortie  du 
cocon.  Elle  est  produite  par  Taccélération  volontaire  de  la  respi- 
ration des  ouvrières  qui  se  réunissent  sur  le  cocon.  Lente  d'a- 
bord, cette  respiration  s'accélère  promptement,  et  la  chaleur 
approche  de  SO*».  Souvent  une  ouvrière ,  toute  en  sueur,  quilte 
le  cocon  sur  lequel  elle  s'était  placée,  mais  alors  une  autre  prend 
sa  place.  I/observateur  a  constaté  que  le  là  juillet  la  température 
extérieure  était  de  21°  5  dixièmes;  au  sommet  du  cocon,  elle 
atteignait  26«,  et  le  thermomètre,  mis  en  contact  avec  le  corps, 
s'éleva  à  33o,  en  sorte  que  la  respiration  accélérée  d'une  seule 
ouvrière  suffit  pour  une  difTérence  de  température  de  plus  ùv. 

g  X. 

CARACTÈRE  DES  HOURDOMS.  —  LEUR  PIQURE. 

Les  Bourdons  sont  parmi  les  insectes  ce  qu'est  l'homme  des 
champs  dans  notre  société;  ils  sont  laborieux,  et  par  conséquent 
tranquilles  et  pacifiques.  Les  plus  inoffensifs  sont  ceux  qui  em- 
ploient la  mousse  pour  la  construction  de  leur  nid.  Jamais  ils 
n'attaquent,  et  quand  on  vient  à  les  troubler  ils  préfèrent  la  fuite 
au  combat.  Ils  n'abandonnent  pas  volontiers  leur  nid;  si  ou 
cherche  à  les  y  forcer,  ils  se  campent  fièrement  sur  leurs  pattes, 
regardent  en  face  l'ennemi,  puis,  levant  successivement  les  pattes 
d'un  même  côté,  ils  se  mettent  sur  le  dos,  position  qui  semble 
la  plus  favorable  pour  le  jeu  de  l'aiguillon.  Lorsqu'on  les  saisit 
ou  qu'on  les  irrite,  ils  font  une  piqûre  qui  cause  une  vive  dou- 
leur, parce  que  le  dard  porte  dans  la  plaie  un  venin  de  la  même 
nature  que  celui  de  l'Abeille,  mais  moins  dangereux,  car  cette 
arme,  qui  est  lisse,  ne  reste  point  dans  la  chair,  comme  cela  a 
lieu  lorsqu'on  a  été  piqué  par  l'aiguillon  bardelé  de  TAbeille, 
qui,  en  restant  dans  la  plaie,  occasionne  une  légère  suppura- 
tion. 

g  XL 

RESPIRATION.  —  BOURDONNEMENT. 

Les  belles  observations  anatomiques  de  Léon  Dufour  ont  ron- 


OBSBRVÉS    AUX    ENVIRONS   DE   PARIS.  533 

8laté  que  chez  les  Hyménoptères  les  organes  respiratoires  sont 
beaucoup  plus  développés  que  cliez  les  autres  insectes.  Au  lien 
lie  ces  trachées  étroites,  cylindriques,  que  Ton  rencontre  dans 
les  antres  ordres,  on  trouve  chez  les  Bourdons  de  larges  vési- 
cules qui  «admettent  et  conservent  une  grande  quantité  d'air; 
elles  sont  placées  des  deux  côtés  de  l'abdomen,  près  du  pétiole, 
d'une  couleur  blanchâtre  et  de  forme  ovale,  elles  se  divisent  en 
faisceau  de  trachées  qui  s'étendent  dans  les  intestins  voisins; 
c'est  aussi  à  ces  vésicules  que  se  rattache  l'organe  respiratoire 
qui  consiste  en  deux  tubes  minces,  d'où  partent  de  nombreux 
conduits  aériféres  qui  se  prolongent  jusqu'à  l'anus  d'un  côté, 
tandis  que  de  l'autre,  après  s'être  contractés,  ils  pénètrent  dans 
le  thorax;  1î\,  ils  s'élargissent  toujours,  sous  forme  de  tube,  et 
finissent  en  trachées  déliées  qui  arrivent  jusqu'au  cerveau. 
Lorsque  l'insecte  allonge  les  segments  de  l'abdomen ,  les  tra- 
chées s'ouvrent  et  l'air  s'y  précipite,  puis  un  mouvement  de 
contraction  vient  le  chasser.  Voilà  tout  le  système  de  leur  respi- 
ration. 

Chez  le  Bourdon  et  dans  le  genre  voisin,  Xylocopa^  il  existe,  à 
la  racine  de  l'aile,  deux  corps  cylindriques,  élastiques  et  de 
couleur  grisâtre;  ce  sont  eux  qui,  d'après  Léon  Dufour,  produi- 
sent le  bourdonnement.  Du  reste,  le  mouvement  de  Taile  ne 
contribue  en  rien  à  ce  bruit,  car  il  persiste  lorsque  l'aile  a  été 
coupée. 

i!  XII. 

QUELQUES  AUTRES  EXEMPLES  DE  L'LNSTINCT  DES  BOURDONS. 

Les  procédés  que  nous  venons  de  décrire  ne  sont  point  uni- 
formes :  les  Bourdons  savent  les  varier  suivant  les  lieux  et  les 
circonstances.  Ainsi,  F.  Smith  a  vu  un  Bourdon  s'Introduire,  à 
plusieurs  reprises ,  à  travers  le  grillage  d'une  écurie;  il  y  ve- 
nait ramasser  les  poils  que  l'étrille  avait  détachés,  afin  de  les 
employer  à  la  construction  de  son  nid.  Le  docteur  Bell  a  eu,  de 
son  côté,  l'occasion  d'observer  un  de  ces  Insectes  qui,  au  lieu 
de  construire  son  nid  dans  la  plaine,  l'avait  installé  dans  un 
nid  de  Rouge-Gorge  placé  dans  le  vestibule  d'une  maison  de 
campagne,  et  l'avait  approprié  aux  besoins  de  la  jeune  famille. 


5S4  RSSAl   SUR  LES  BOURDONS 

Mais  le  trait  d'instiDct  le  plus  remarquable  est  rapporté  par 
Huber  fils  (Transactions  de  la  Société  Linnéenne  de  LondreSj  vol.  vi, 
p.  217).  Cet  observateur,  voulant  connaître  les  soins  que  les  ou- 
vrières donnent  aux  nymphes,  avait  placé  sous  une  cloche  une 
douzaine  de  ces  ouvrières  avec  un  fragment  de  gâteau  contenant 
un  nombre  à  peu  près  égal  de  nymphes.  Comme  les  alvéoles  qui 
le  composaient  étaient  d'inégale  grandeur,  il  ne  posait  pas  so- 
lidement et  s'ébranlait  lorsque  les  ouvrières  se  posaient  dessus 
pour  le  réchauffer;  afin  de  parer  à  cet  Inconvénient,  voici  l'ex- 
pédient auquel  elles  eurent  recours  :  deux  ou  trois  d'entre  elles 
grimpèrent  sur  les  cocons  et  se  placèrent  sur  le  bord;  elles  s'a- 
baisseront afin  de  poser  solidement  leurs  pattes  antérieures  sur 
le  sol,  tandis  que  les  pattes  postérieures ,  qui  sont  les  plus  fortes, 
soutenaient  le  tout  dans  une  situation  droite.  Un  homme  qui 
aurait  eu  à  soutenir  un  corps  hors  d'équilibre  s'y  serait  pris  tout 
autrement;  mais  dans  ces  insectes,  la  force  est  dans  les  pattes 
postérieures.  Celle  position,  aussi  pénible  que  gênante,  persista 
plusieurs  jours;  mais  elles  se  relayaient  successivement.  Aussi, 
pendant  ce  temps,  d'autres  ouvrières  avaient  préparé  de  la  cire 
et  élevaient  des  contreforts  destinés  à  soutenir  l'édifice  chance- 
lant. Vn  accident  ayant  déplacé  les  points  d'appui,  elles  recom- 
mencèrent le  travail  ;  mais  Huber  leur  évita  la  peine  de  le  con- 
tinuer en  consolidant  les  cocons. 

L'n  fait  semblable  s'expliquera- t-il  par  l'impulsion  d'un  aveugle 
instinct,  et  ne  doit-on  pas  plutôt  admettre  que  ces  insectes  ont 
mis  en  pratique  des  procédés  ra(ionels.  Un  habile  architecte  au- 
rait-il su  mieux  adapter  les  moyens  au  but  h  atteindre?  Pour 
consolider  un  édifice  chancelant,  n'aurait-il  pas  sans  doute, 
par  des  moyens  différents ,  commencé  parle  maintenir  dans  son 
aplomb  jusqu'à  ce  qu'il  ait  terminé  la  construction  des  points 
cVappuI  destinés  à  le  consolider? 

g  Xlîl. 
knnrmis  dks  BOunnoNs. 

Dans  la  nature,  tout  est  opposition  de  forces  et  jeu  de  contre- 
poitls;  la  destmntion  y  entretient  la  vie.  Aussi,  les  Bourdons 
onl-ils  (le  nombreux  ennemis  qui  s'attaquent  soit  à  eux-mêmes, 


ObSBRVÉS  AUX  ENVIRONS  DE  PARIS.  535 

suit  aux  pruduits  de  leur  industrie.  Leur  corps  est  souvent  cou- 
vert A\Jcnrus  qui  les  épuisent  et  qui  s'attachent  aussi  à  la  cire. 
A  l'état  de  larves,  ils  sont  attaqués  par  quelques  ichneumons, 
et  surtout  par  des  Diptères  des  genres  Conops,  Mijopa  et  f^olu- 
cellii.  Il  est  sans  doute  difficile  d'expliquer  comment  elles  peu- 
vent parvenir  à  déposer  leurs  œufs  sur  des  larves  enfermées 
dans  une  alvéole  de  cire,  que  ces  mouches  n'ont  aucun  moyen 
de  percer.  Mais  ici,  comme  dans  bien  d'autres  cas,  la  nature  a 
de  ces  moyens  mystérieux  de  propagation  qui  peut-être  nous 
seront  toujours  cachés.  Le  Volti^eUa  homhylam,  que  Ton  est 
tout  surpris  de  trouver  dans  les  bottes  qui  renferment  des  Bour- 
dons, leur  ressemble  assez  par  la  coloration;  mais  son  volume 
est  tel  qu'on  ne  peut  guère  comprendre  qu'il  ait  été  enfermé 
dans  le  corps  des  Bourdons.  Notons  encore  quelques  insectes 
particuliers  trouvés  dans  les  cellules  :  le  Cryptophagus  lycoperdi, 
V Antherophagus glaber  j  VAnnobiumpuniceum,  deux  Lépidoptères, 
Tima  petionella  et  7'inea  sancitelia,  qui  se  trouvent  entre  les  co- 
cons et  paraissent  vivre  à  leurs  dépens.  On  sait  que  la  dernière 
espèce,  qui  est  très  abondante  dans  le  nid  du  B.  derhamellus^ 
se  nourrit  de  cire. 

Le  miel,  par  sa  douce  saveur,  attire  plusieurs  petits  mammi- 
fères, qui  le  recherchent  avec  avidité.  Pour  le  dévorer,  il  n'est 
pas  jusqu'à  l'écolier  destructeur,  par  défaut  de  réflexion,  qui  ne 
déchire  l'abdomen  de  l'insecte  pour  en  tirer  la  vésicule  de  miel 
qu'il  renferme,  et  l'on  rencontre  plusieurs  fois,  sur  les  fleurs, 
l'animal  survivant  longtemps  à  cette  horrible  mutilation. 

CHAPITRE   II. 

LES    BOURDONS    NON    RÉCOLTANTS    OU    PARASITES. 
(Psilhynis.  L.  P.  —  Aphalhas,  NewI.) 

On  a  longtemps  confondu  avec  les  vrais  Bourdons  un  groupe 
qui  leur  ressemble  à  beaucoup  d'égards.  Leur  corps  est,  en  effet, 
de  la  môme  taille  que  celui  des  Bourdons  ;  les  poils  du  corps 
offrent  la  même  coloration,  mais  ils  sont  moins  abondants  sur 
le  dos,  qui  est  en  partie  lisse,  et  leur  vol  fiait  entendre  le  même 


536  BSSAI    SUR   LES   BOURDONS 

son  que  celui  que  produit  le  l^ourdoo.  La  seule  différence  qui 
existe,  et  elle  est  des  plus  importantes,  car  elle  implique  des 
mœurs  et  un  mode  de  propagation  différents,  c'est  Tabsencedes 
instruments  à  Taide  desquels  les  Bourdons  exécutent  leurs  tra- 
vaux si  variés.  Ainsi  leurs  mandibules,  dépourvues  de  dents,  sont 
incapables  de  pétrir  et  de  façonner  les  petites  boules  de  pollen 
destinées  à  la  nourriture  des  jeunes  larves,  et  près  desquelles 
les  Bourdons  déposent  leurs  œufs.  Leurs  pattes  postérieures 
n'ont  point  non  plus  cette  corbeille  qui  sert  aux  Bourdons  à 
rapporter  au  nid  les  provisions  récoltées  sur  les  fleurs.  Les  tarses 
de  ces  mêmes  pattes  sont  encore  privées  de  cette  oreillette  an- 
gulaire, àTaide  de  laquelle  la  cire,  sécrétée  sous  les  anneaux  de 
TabdomeU;  est  détachée.  Il  n'est  donc  point  étonnant  que  ce 
groupe  n'offre  point  cette  classe  nombreuse  d'ouvrières  chargées 
de  la  construction  du  nid,  de  son  approvisionnement,  de  la 
nourriture  et  des  autres  soins  que  demandent  les  larves  et  les 
nymphes.  L'espèce  ne  pourrait  donc  se  perpétuer  si  elle  ue  vi- 
vait en  parasites  chez  les  véritables  Bourdons,  qui  les  soignent 
et  les  nourrissent.  D'ailleurs  nous  trouvons,  dans  cette  même 
famille  des  Apides,  plusieurs  genres  également  dépourvus  d'or- 
ganes de  récolte  qui  vivent  aux  dépens  des  espèces  laborieuses. 
On  sait  avec  quelle  espèce  d'acharnement  les  Bourdons  défen- 
dent leur  nid ,  et  cependant  on  ne  les  voit  mettre  aucun  obstacle 
à  l'entrée  et  à  la  sortie  de  ces  intrus  qui  ne  peuvent  exécuter 
aucun  travail.  Entre  eux  règne  la  meilleure  intelligence.  On  est 
donc  conduit  à  admettre  que  la  nature  leur  a  départi  quelque 
rôle  utile  à  la  communauté,  et  que  des  observations  ultérieures 
feront  sans  doute  connaître. 

Après  la  fécondation,  qui  a  lieu  en  automne  comme  chez  les 
Bourdons,  les  femelles  reviennent  ordinairement  au  nid  qui  les  a 
vues  naître,  et  y  passent  l'hiver  dans  un  état  complet  d'engour- 
dissement jusqu'à  ce  que  le  soleil  du  printemps  vienne  les  ré- 
veiller; elles  se  mettent  alors  en  quête  de  quelque  nid  nouvelle 
ment  construit  par  les  Bourdons  et  suffisamment  approvisionné, 
et  dès  qu'elles  l'ont  rencontré  elles  se  hâtent  d'aller  y  pondre 
leurs  œufs,  qui  éclosent  avant  ceux  des  Bourdons,  et  dévorent 
des  provisions  préparées  pour  d'autres.  Quelques  femelles  nais- 
sent pendant  l'été;  mais  ce  n'est  qu'à  l'automne,  au  moment 
de  la  floraison  des  Carduacées,  que  les  mâles  et  les  femelles  se 


OBSERVÉS  AUX  ENVIRONS   DE   PARIS.  537 

montrent  assez  nombreux.  C'est  aussi  sur  ces  fleurs  qu'a  lieu 
l'accouplement,  après  lequel  les  femelles  viennent  prendre  leurs 
quartiers  d'hiver.  Les  mâles  volent  encore  pendant  peu  de  temps 
sur  li!s  fleurs  et  Unissent  par  périr  de  froid  quand  ils  ne  devien- 
nent pas  la  proie  des  oiseaux. 

Les  Bourdons  parasites  paraissent  rechercher  de  préférence  le 
nid  des  Bourdons  auxquels  ils  ressemblent  par  la  coloration  : 
ainsi,  le  Psil/tyrvs  rupesMs  vit  dans  le  nid  du  B.  iapidarius, 
le  Ps.  vestalis  infeste  le  nid  du  B,  terrestris.  Quelques  natura- 
listes ont  voulu  y  voir  une  précaution  de  la  nature  pour  tromper 
lo  légitime  propriétaire  du  nid;  mais  si  cette  observation  avait 
(|uclque  chose  de  vrai,  elle  serait  loin  d'être  sans  exceptions , 
vAiv  l«f  Ps.  barbatei/us,  dont  l'abdomen  est  recouvert  à  son  extré- 
mité de  poils  blancs,  a  été  trouvé  dans  les  nids  des  B.pratorum 
et  Der/unneNus,  chez  lesquels  cette  partie  du  corps  oflTre  des  poils 
roux.  Le  naturaliste  anglais  Kirby  a  le  premier  signalé  la  diffé- 
rence qui  existait  dans  ces  deux  groupes;  mais  il  pensait  que 
chez  les  Bourdons  non  récoltants  il  y  avait  des  femelles,  et  qu'ils 
construisaient  leur  nid  en  terre.  Dahlboom,  qui  est  venu  après 
l'illustre  naturaliste  anglais,  a  fait  des  Bourdons  parasites  une 
subdivision  du  grand  genre  Bombus, 

v:w  1832,  Le  Pelletier  de  Saint  Fargeau,  dans  les  .innales  de  la 
Société  EntomologUfue ,  établit  qu'entre  les  deux  groupes  il  y  avait 
place  pour  un  genre,  et  désigna  les  derniers  sous  le  nom  de 
Psilhijrus,  Plus  tard,  s'attachaut  avant  tout  à  la  différence  des 
mœurs,  il  divisa  les  Apides  en  nidifiants  et  parasites;  mais  cette 
division  éloigne  beaucoup  trop  des  insectes  frès-rapprochés  par 
l'ensemble  de  l'organisation,  quoique  séparés  par  leshabitudei^. 

Deux  ans  après,  Newman,  méconnaissant  le  droit  de  ])riorité 
qui  appartenait  au  naturaliste  français,  ou  peut-être  Ignorant 
son  travail,  désigna  les  Faux- Bourdons  sous  le  nom  (WlpaUnis, 
(les  deux  mots  grecs  A,  privatif,  et  TiaXw;,  alîeclion,  faisant  allu- 
sion à  leur  indifférence  pour  leurs  petits  qu'ils  abandonnent  à 
(les  soins  étrangiers. 

CHARLKS  DELACOIK. 


T.  Vlll.  V,\ 


BUUSAIÎ 


DE  LA 


SMËTÉ  ACABÉKQDE  rABCHÉOLMHE.  SGIISCE8  R  ARTS 


nu  DÉPARTEMENT  DE  L'018E , 


Veadaat  tannée  M7t. 


Pre9idetii M.  4)ANiOli   O.  *;. 

rice  />rpf9^H/ pour  la  section  d'Arehéoiogie  M.  HAMEL. 

f  icB'PrésiJmt  pour  la  section  des  Sciences 

natureUes M.Cn.OËLAœiHK  *. 

Secrétaire  perpétuel M.  Ql  ESNOT, 

Secrétaire  pour  la  section  d'Archéologie. . .  M.  AUG.  FlidlKY. 

Secrétaire  pour  la  section  des  Sciences  na- 
turelles   M.  HIP.  KOWN. 

Trésorier M.  Ch.  CARON. 

mbHothéaiire-ArciiitiHe M.  DAMlEiNS. 

Bibliot/iécaire-adJoiiU M.  AUG.  FLODKY. 

Conservateur  du  Musée M.  Al.  DELAHERCHE 

.            ^.  .  .  (M.  Alf.  LEHEC. 

conservateur  s^adjoints (  ^    ^^^^^  ^^^^^ 


M 1.:  M 13 111^:^ 


AUMIS 


PENDANT     IVAXNlîE     Jrt72, 


M.  COIKLLK  *  |)ère,  à  Beauvais. 

M.  MILLOT,  Docteur  en  médecine  à  Mellu. 

M.  PACLUS,  Professeur  d'histoire  à  l'école  Turgot,  à  l»iiriij. 


ADDITIONS 


A  LA  LISTE  DES  MEMBRES  PUBLIÉE  EN  1871 


MEMBRES    TITULAIRES. 

MM.  BtQUET,  iM'opriétuire  à  Cauviguy. 
Cailliez,  Juge  de  paix  à  Liancourt. 
(iOTELLË  *,  Présideut  du  tribunal  de  première  instance  de 

Beauvais. 
CoTTRET  (l'abbé),  Curé  de  Sempign>. 
Desjaruins  (Gustave),  Archiviste  du  département  de  Seine- 

el-Oise,  à  Versailles. 
CAiLLARD(Georges),  Substitut  du  procureur  de  laHépublique, 

À  Beauvais. 
GÉRARD  (Ernest),  Docteur  en  médecine  à  Beauvais. 


540      ADDITlOiXS  A  LA  LISTE  DES  MEMBHBS  1*UULIëK  EN  1872. 

MM.  Lesimnois  (de),  Conservateur  des  hypollicques  ù  Houen. 
Malherbe  (le  comte  de)  #,  Maire  de  Beauvais,  membre  du 

Conseil  général  de  TOise. 
MiJLLER  (l'abbé),  Vicaire  à  Noyon. 
iNez  *,  Procureur  de  la  république,  à  Beauvais. 
PERE  (Léon',  Rédacteur  du  Journal  de  roUe^  à  Beauvais. 
PiLLON  (Adolphe),  Propriétaire  à  Beauvais. 
Plessiër  (Léon),  Conducteur  des  ponts  et  ciiausbécs,  à 

Maignelay. 
Hendl  Armand),  Archiviste  de  l'Oise,  à  Beauvais. 
Sabatier  (l'abbé),  Curé  d'Allonne. 


SECTION  D'ARCHÉOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 


HISTOIRE 


DE 


L'ABBAYE  ROYALE  DE  SAINT-LUCIEN 


(OI(.DI(E    DE     SAIH.T- BENOIT). 


(Suite). 


XXX-IX..  —  Foixlq.ixes  II  dLe  Oliaxiao 

(4372-4383). 

Le  successeur  de  Godefiroy  de  Billy,  Foulques  de  Cbanac  des- 
cendait d'une  noble* maison  originaire  du  Limousin.  Les  nom- 
breux rapports  que  cette  famille  eut  avec  le  Beauvoisis,  lui  firent 
donner  plusieurs  de  ses  membres  au  Gbapitre  de  Beauvais,  et  ce 
ne  furent  pas  des  moins  influents  :  six  furent  successivement 
doyens  et  premiers  dignitaires  de  ce  Gbapitre  :  Foulques  (1342), 
Robert  (i3l8),  Guillaume  (i375)  devenu  depuis  évèque  de 
Mende  et  cardinal,  Bertrand  !•'  (i379-i383),  Hélie  (1383-i395)  et 
Bertrand  II  de  Gbanac  (1).  La  dignité  que  les  religieux  de  Saint*^ 


(1)  Les  armes  de  Ghanac  étaient  :  burelé  (tardent  et  d^axwr,  ù/n  Uon  de 
gueuki  brochant  iwr  U  UaU. 

T.  Vlllé  36 


542  HISTOIRE 

Lucien  offraient  à  Foulques  ne  devait  pas  diminuer  la  considé- 
ration de  cette  famille. 

Le  premier  acte  où  nous  apparaît  cet  abbé,  est  une  transaction 
faite,  en  1372,  avec  le  seigneur  de  Reuil-sur-Brècbe  au  sujet  des 
fours  banaux  de  cette  localité. 

L'année  suivante  nous  le  voyons  assister  au  synode  d'Amiens 
et  siéger  à  côté  de  Tévêque.  Il  est  revêtu  d'une  chape  en  drap 
d'or,  mitre  en  tète  et  crosse  à  la  main  (i }.  Il  venait  représenter 
les  prieurés  de  son  obédience  situés  dans  le  diocèse  d'Amiens  et 
défendre  leurs  intérêts.  La  place  qu'il  occupait  à  ce  synode  nous 
montre  l'importance  de  l'abbé  dç  Saint-Lucien;  il  a  le  pas  sur 
tous  les  autres  abbés  et  tient  rang  aussitôt  après  l'évèque. 

En  4374,  Pierre  d'Aumont,  dit  le  Hutin,  chevalier  et  cham- 
bellan du  roi,  reconnaît,  par  acte  authentique,  qu'il  lui  doit  une 
paire  de  pigeons  de  rente  annuelle  pour  la  permission,  qui  lui 
a  été  accordée,  de  bÀtir  un  colombier  dans  sa  maison  de  Villers- 
sur-Thère,  en  la  seigneurie  de  ce  lieu  (2). 

Foulques  de  Chanac  eut  à  recevoir  en  son  abbaye  un  évèque 
de  Beauvais  venant  prendre  possession  de  son  siège.  Le  14  avril 
4375,  Milon  de  Dormans  tout  récemment  pourvu  de  l'évèché  de 
Beauvais,  venait  lui  demander  Thospitali té  d'usage,  avec  Jean 
de  Blandiac  d'Uzès ,  évèque  de  Nîmes,  son  ami.  Le  lendemain, 
l'abbé  de  Saint-Lucien  accompagnait  le  prélat  à  son  entrée  so- 
lennelle dans  la  ville. 

Quelques  années  plus  tard,  en  1383,  il  faisait  lui-même  une 
entrée  semblable,  dans  la  ville  d'Orléans.  Ses  hautes  qualités 
L'avaient  mis  en  évidence  et  fait  nommer  &  l'évèché  de  cette  ville 
on  remplacement  de  Jean  Nicot.  Il  quitta,  nous  dit  l'histoire, 
avec  un  grand  regret  sa  famille  bénédictine  de  Saint-Lucien 
pour  aller  exercer  son  zèle  sur  un  plus  vaste  terrain ,  emmo* 
nant  avec  lui  son  frère,  son  conseiller  dévoué»  Bertrand  de 
Chanac ,  doyen  du  chapitre  de  Beauvais.  Il  occupa  ce  siège  jus^ 
gi'en  1394. 

Nous  ne  parlerons  pas  ici  de  la  fondation  d'anniversaire  que 


(1)  loavet,  t.  I,p.  4S3. 

(3)  Arcb.  de  roise ,  abb.  de  Saint-Lucien. 


DE  l'abbaye  BOYALB  DE  SAINT-LUCIEN.  545 

semble  lui  attribuer  le  Gatlia  Christiana^  nous  avons  dit  ailleurs, 
qu'elle  nous  paraissait  devoir  se  reporter  à  Foulques ,  douzième 
abbé  de  Saint-Lucien ,  qui  ftit  aussi  évèque  d'Orléans. 

XL.  —  Raoul  de  Roye  (1383-4394). 

Un  prieur  de  Tabbaye  de  Bessons,  Raoul  de  Roye,  succéda  à 
Foulques  de  Chanac  au  monastère  de  Saint-Lucien.  Noble  aussi 
d'extraction  (i),  il  était  fils  de  Mathieu  de  Roye,  grand  mattre 
des  arbalétriers  de  France ,  et  de  Jeanne  de  Ghérisy ,  dame  de 
Muret.  C'était  une  des  familles  les  mieux  en  cour;  aussi,  voit-on 
Jean  de  Roye,  frère  de  Raoul,  devenir  chambellan  du  roi 
Charles  Y,  et  un  autre  frère,  Guy  de  Roye  être  successivement 
év^.que  de  Verdun  (1375),  de  Dol  (1381),  de  Castres  (1383),  arche- 
vêque de  Tours  (1383),  de  Sens  (1385),  et  finalement  de  Reims, 
en  1390. 

Raoul  de  Roye  avait  pris  Thabit  monastique  à  Saint-Médard 
de  Soissons,  puis  était  passé  dans  Tabbaye  de  Ressons,  dont  il 
devint  pfieur.  Les  qualités  qu'il  déploya  dans  la  gestion  des 
affaires  qui  lui  furent  confiées,  attirèrent  Tattention  des  moines 
dé  Saint- Luciep.  Leur  abbé  les  quittant,  ces  derniers  portèrent 
sur  lui  leurs  voix  et  rappelèrent  à  leur  tète.  Ils  n'eurent  pas  à 
s'en  repentir;  c'était  un  homme  énergique,  bon  administrateur^ 
et  il  le  fit  voir  en  donnant  tous  ses  soins  à  la  réparation  des  dé- 
sastres causés  jadis  dans  son  abbaye  par  les  troupes  anglaises. 

Rempli  d'un  zèle  apostolique  pour  la  sanctification  de  ses  re- 
ligieux et  pour  l'instruction  morale  des  peuples,  il  saisissait 
toutes  les  occasions  de  leur  adresser  la  parole,  et  ne  pouvait 
souffrir  la  moindre  négligence  à  cet  égard,  même  chez  les  autres. 
Un  procès  assez  curieux ,  qu'il  intenta  contre  l'évêque  de  Beau- 
vais,  va  nous  donner  la  mesure  de  ce  zèle.  Les  évèques  de  Beau- 
vais  venaient  tous  les  ans  avec  le  clergé  de  la  ville,  faire  la  bé- 
nédiction des  rameaux  dans  l'église  de  l'abbaye,  le  dimanche 
d'avant  Pâques,  et  c'était  une  ancienne  tradition  à  laquelle  le 
peuple  tenait  beaucoup.  Il  était  d'usage  dans  cette  occurrence, 


(1)  ses  armes  étaient  :  d$  gueuler,  à  ta  bande  (TargerU. 


544  HISTOIRK 

que  Févêque  adressât  lui-même  la  parole  à  la  foule,  lorsque 
Ton  était  arrivé  dans  le  cimetière  de  Notre -Dame- du -Thil, 
pour  exposer  les  grands  mystères  de  la  semaine  dans  laquelle 
on  allait  entrer,  et  ce  discours  attirait  les  masses,  heureuses 
d'entendre  la  parole  du  pontife.  Philippe  d'Alençon,  pour  divers 
motifs  que  nous  n'apprécierons  pas,  avait  cru  déjà  devoir  se 
faire  remplacer  dans  ce  ministère  par  un  religieux,  et  Milon  de 
Dormans  voulut  en  faire  autant.  On  n'entendait  plus  la  voix  du 
premier  pasteur,  et  cela  déplaisait,  nuisait  même  à  la  fréquen- 
tation de  la  cérémonie,  les  fidèles  n'y  venant  plus  avec  le 
même  entrain. 

L'abbé  de  Saint-Lucien,  avec  son  zèle  ardent,  en  fit  la  re- 
marque à  Milon  de  Dormans  dans  des  termes  un  peu  vifs,  et  lui 
représenta  que  c'était  un  devoir  d'instruire  lui-même  son 
peuple.  L'évêque,  blessé,  répondit  d'une  manière  assez  piquante, 
qu'il  savait  ce  qu'il  avait  à  faire.  Le  bouillant  abbé  prétendit 
avoir  gain  de  cause  et  dénonça  l'évêque  au  Parlement,  comme 
refusant  de  remplir  ses  obligations  de  pasteur  du  peuple,  dans 
une  circonstance  où  il  ne  pouvait  s'y  soustraire.  Milon  n'était 
plus  bien  en  cour,  tandis  que  Raoul  de  Roye  y  était  en  faveur, 
et  le  Parlement  condamna  l'évêque  à  continuer  l'usage  et  lui  fit 
défense  de  se  faire  remplacer  pour  adresser  la  parole  au  peuple. 
On  ne  comprendrait  plus  aujourd'hui  un  pareil  procès;  c'était 
alors  dans  les  mœurs  du  temps. 

Il  ne  nous  est  parvenu  que  très-peu  d'actes  concernant  l'admi- 
nistration temporelle  du  monastère  sous  Raoul  de  Roye.  Une 
charte  de  1384,  nous  fait  connaître  la  permission  donnée  aux 
moines,  par  Louis  de  Bourbonnais,  comte  de  Clermont,  de 
couper  des  échalas  dans  la  forêt  de  Hez  (1).  Une  autre  de  1388 
est  la  donation  par  Tabbé  lui-même ,  d'une  maison  et  de  plusieurs 
pièces  de  terre  à  Luchy,  pour  lui  assurer  quatre  services  solen- 
nels après  sa  mort  (2).  Cette  pièce  mentionne  les  noms  d'un 
certain  nombre  de  religieux  de  Saint-Lucien,  et  nous  les  citons  : 
Hugues  de  Ville ,  prieur,  Jean  de  Boisgarnier,  pannetier,  Jean 


(1)  D.  Grenier. 

i'i)  Àrch.  de  l'Oise,  abb.  de  Saint-Lucien. 


DB  L'ABBAyS  ROYALB  DE   SAINT-LUCIKN.  545 

Malagrène,  chantre,  Mathieu  de  Bantelu,  sous- prieur,  Robert 
d'Esquesnes,  grand  prévôt ,  Mathieu  Flori,  troisième  prieur,  Jean 
Héron  ^  Pierre  Goquel ,  Raoul  Garet ,  Drogon  de  ThibiYillers , 
Henri  de  Trie  et  Nicolas  Berlin. 

Raoul  de  Roye  ne  devait  pas  terminer  sa  carrière  à  Saint- 
Lucien,  il  avait  les  l)onnes  grâces  du  roi,  et  Charles  VI  usa  de 
son  influence  pour  le  faire  nommer,  en  i39i ,  abbé  de  Gorbie, 
au  diocèse  d'Amiens,  en-  remplacement  de  Jean  de  la  Goue  dé- 
missionnaire. Raoul  prit  possession  de  sa  nouvelle  dignité  le 
jour  de  la  Pentecôte  de  Tan  1391,  et  fut  Tun  des  plus  célèbres 
abbés  de  Gorbie.  La  mort  l'enleva,  le  11  août  1418,  et  il  fut 
inhumé  dans  la  chapelle  de  sainte  Bathilde,  qu'il  avait  richement 
fait  décorer,  en  son  monastère  (1). 

XLI.  —  Flol>ex*t  d'Esaiiesiî es  (i39l-U13). 

Les  religieux  de  Saint- Lucien ,  aussitôt  après  le  départ  de  Raoul 
de  Roye,  élurent  pour  lui  succéder  l'un  des  fonctionnaires  du 
monastère,  Robert  d'Esquesnes  ou  des  Quesnes ,  le  grand-prévôt. 
C'était  un  des  moines  les  plus  recommandables  de  la  commu- 
nauté. L'équité  et  la  profonde  connaissance  des  affaires  qu'il 
avait  toujours  déployées  dans  sa  difficile  charge  de  préposé  à  la 
justice,  firent  applaudir  tous  ses  justiciables  à  son  élévation. 

11  était  issu  d'une  noble  famille  propriétaire  de  grands  fiefs  aux 
environs  de  Beauvais,  et  fils  de  Robert  III  d'Esquesnes,  che- 
valier, vicomte  de  Poix ,  seigneur  de  Rogy,  et  de  Marie  de  Sens. 
Ses  armoiries  se  voyaient  jadis  en  plusieurs  endroits  de  l'abbaye 
de  Saint- Lucien,  et  notamment  à  la  grande  porte  d'entrée 
s'ouvrant  au  nord,  sur  la  grande  rue  du  village;  elles  por- 
taient :  d'argents  à  la  croix  de  gueules  f reliée  d'or^  accompagnée 
en  chef  de  qtuitre  Ullettes  d'azur  (2). 

Robert  d'Esquesnes  ne  négligea  rien  pour  rendre  à  son  mo- 
nastère son  ancienne  splendeur.  Il  continua  l'œuvre  de  restau- 


(1)  GùU,  Christ  t.  x ,  col.  IS&l. 

(2)  D.  Porcheron  :  ch.  42. 


546  HUTOiu 

ration  de  son  prédécesseur,  acheva  les  constructions  qu'il 
ayait  entreprises,  et  en  fit  élever  de  nouvelles  sur  de  vastes 
proportions.  Le  grand  bâtiment  de  la  porte  principale  était 
son  œuvre ,  ainsi  que  la  splendide  construction  ogivale  affectée 
à  l'usage  de  réfectoire.  Il  jetait  partout,  à  profusion,  la  pierre 
sculptée  et  finement  ouvragée.  Cette  pierre,  il  la  tirait  des  car- 
rières de  Saint- Lucien  appartenant  au  chapitre  de  Beauvais.  Les 
registres  de  cette  corporation  rapportent,  à  la  date  du  i  6  août  i406, 
une  permission  donnée  à  Tabhé  Robert  d'Esquennes  a  de  faire 
charrier,  un  an  durant,  de  la  pierre  prise  à  la  carrière  de  Saint- 
Lucien  (1).  > 

Il  fit  aussi  fondre  la  plus  grosse  cloche  qui  était  au  clocher  du 
monastère. 

Ces  occupations  ne  Tempèchaient  pas  de  transiger,  en  1392  et 
en  1394,  avec  Tévèque  de  Beauvais,  Thomas  d'Estouteville,  afin 
d'obtenir  la  reconnaissance,  en  faveur  de  son  abbaye,  des  droits 
de  justice  et  de  pèche  dans  la  rivière  du  Thérain,  depuis  le 
moulin  de  Miauroy  jusqu'au  pont  de  Saint-Quentin,  aujourd'hui 
des  Quatre-Vents;  —  de  se  faire  maintenir,  en  1400,  par  sen- 
tence du  bailliage,  dans  le  droit  de  percevoir  une  demi-mesure 
de  sel  par  chaque  charge  qui  passerait  par  sa  terre  de  Luchy, 
en  revenant  de  Beauvais;  —  et  de  revendiquer  le  droit  de  pré- 
séance sur  le  chapitre  cathédral.  Disons  un  mot  de  cet  incident. 

Il  était  d'usage ,  depuis  fort  longtemps,  ainsi  que  nous  l'avons 
fait  remarquer  ailleurs,  que  le  clergé  de  la  cathédrale  se  rendît 
processionnellement  en  l'abbaye  de  Saint-Lucien  pour  la  béné- 
diction des  rameaux.  L'évèque  faisait  cette  bénédiction  dans  l'é- 
glise conventuelle.  En  i 402,  l'évèque  étant  absent,  le  chapitre 
s'y  rendit  comme  de  coutume ,  et  la  bénédiction  fut  faite  par 
Tabbé  officiant  pontificalement.  Au  retour,  l'abbé  continuait  à 
présider  la  procession,  mais  Renaud  de  Chartres,  doyen  du 
chapitre,  prétendit  que  cette  présidence  lui  appartenait,  en  l'ab- 
sence de  l'évèque,  et  fit  tous  ses  efforts  pour  l'enlever  à  l'abbé. 
La  scène  était  moins  qu'édifiante.  L'année  suivante,  l'évèque 
étant  encore  absent,  le  chapitre  ne  se  rendit  point  à  l'abbaye 


(1)  Bibiiotb.  de  M.  Le  Garon  de  Trousstures.  —  Mélanges.  —  Ghap.  de 
Beauv.,  p.  167. 


DB  l'aBBATB  ROTALB  DB  SAINT-LUCIEN.  647 

6t  fût  faire  la  bénédiction  des  rameaux  dans  une  autre  éfflise , 
afin  d'éviter  toute  discussion.  Robert  d'Esquesnes  considéra 
cette  dérogation  à  l'antique  usage  comme  une  injure  et  un  pré- 
judice à  ses  droits,  intenta  un  procès  au  chapitre  et  porta  ia 
cause  pardeyant  le  Parlement.  Chacun  se  montrait  chatouilleux 
sur  ses  prérogatives  et  les  défendait  avec  acharnement.  Après  de 
longs  débats,  les  parties  pourtant  transigèrent.  On  convint  que 
cette  procession  serait  à  l'avenir  facultative,  et  que  le  chapitre 
et  les  autres  communautés  de  la  ville  ne  seraient  plus  obligés 
d'aller  faire  la  bénédiction  des  rameaux  à  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien;  mais  on  régla  que  s'ils  y  allaient,  l'évéque  absent,  la 
bénédiction  serait  faite  par  l'abbé,  le  doyen  ou  le  président  du 
chapitre  étant  à  droite.  A  la  procession,  ils  marcheraient  tous 
les  deux  de  front  :  Tabbé  à  droite,  tant  qu'ils  seraient  sur  les 
terres  de  l'abbaye,  et  le  président  du  chapitre  à  son  tour  à 
droite  quand  on  en  serait  dehors.  Pendant  la  vacance  du  siège 
épiscopal,  le  chapitre  et  son  président  auraient  la  préséance 
sur  l'abbé.  Cet  accord  fut  homologué  au  Parlement,  le 
13marsli08(l). 

Les  abbés  de  ce  temps  n'étalent  plus  les  humbles  moines 
d'autrefois,  quoiqu'ils  se  qualifiassent  A'humilis  abbas  dans  les 
actes  publics,  ce  n'était  plus  cette  simplicité  religieuse  des  an- 
ciens jours;  fils  de  grande  famille  ia  plupart  du  temps,  ils  ai- 
maient la  grandeur  et  le  faste,  et  tenaient  à  faire  respecter  leurs 
privilèges.  Leur  position  à  la  tète  d'une  abbaye  ordinairement 
riche  et  puissante  les  mettait  en  relief  et  en  faisait  de  grands 
personnages,  ils  marchaient  de  pair  avec  les  évèques  et  avaient 
un  certain  train  de  maison.  Leurs  rapports  avec  les  princes ,  la 
noblesse  et  leur  famille,  leur  en  faisaient  une  nécessité.  Aussi, 
n'est-on  pas  étonné  de  voir  dans  les  comptes  du  duc  d'Orléans, 
à  la  date  du  7  novembre  1397,  une  gratification  de  10  livres  ac- 
cordée, par  les  ordres  du  duo,  à  Jean  de  Gourville,  fauconnier 
de  l'abbé  de  Saint-Lucten ,  pour  le  remercier  de  l'apport  d'un 
faucon  dressé  que  lui  avait  envoyé  Robert  d'Esquesnes  (î).  Ce 
détail  fait  voir  que  l'abbé  avait  un  personnel  de  chasse. 


(1)  LOQVet  :  t.  I ,  p.  397. 

(-2)  De  Beauviller  :  docum.  sur  la  Picardie ,  1. 1 ,  p.  78. 


548  HI6T0IEB 

Robert  d'Esquesnes  mourut,  selon  toute  apparence,  le  ai  fé- 
vrier 1413.  Les  auteurs  du  Gallia  Christiana  le  font  mourir  le 
24  février  1415,  mais  cette  date  nous  parait  plus  que  contestable, 
attendu  que  nous  trouvons  son  successeur,  Pierre  de  Beauvoir, 
signant  comme  abbé  de  Saint-Lucien,  le  17  janvier  1414,  au 
procès-verbal  de  l'entrée  solennelle  de  Vévêque  Bernard  de  Ghe- 
venon,  dans  sa  ville  de  Beauvais  (1),  et  Ton  sait  que  Pierre  de 
Beauvoir  ne  fat  élu  abbé  de  Saint-  Lucien  qu'après  la  mort  de 
Robert  d'Esquesnes. 

X.IL1II.  —  r>lei?re  V  d.e  Beaixvoix* 

(1443-4443). 

Pierre  de  Beauvoir  était  issu  d'une  noble  famille  de  Picardie , 
qui  donna  un  évèque  à  l'église  d'Amiens.  D.  Porcheron  pense 
même  que  l'abbé  de  Saint- Lucien  était  l'oncle  de  ce  Ferry  de 
Bea,uvoir ,  qui  occupa  le  siège  de  Saint-Firmin  de  1457  à  1472. 

En  prenant  la  direction  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien ,  Pierre 
de  Beauvoir  ne  s'attendait  probablement  pas  aux  embarras  que 
les  troubles  civils  allaient  lui  susciter.  Les  luttes  intestines  du 
règne  de  Charles  VI ,  l'invasion  anglaise  venant  à  l'aide  du 
duc  de  Bourgogne,  contre  son  trop  faible  roi,  ne  purent  passer 
sans  laisser  des  traces  profondes  dans  l'administration  des  di- 
verses institutions  du  Beauvaisis.  Gomme  bien  d'autres  établis- 
sements, l'abbaye  de  Saint-Lucien  eut  ses  fermes  ravagées  par 
les  troupes  qui  sillonnaient  le  pays,  et  ses  finances  en  éprou- 
vèrent un  fâcheux  contre-coup.  Ses  fermiers,  ruinés  par  la 
guerre,  ne  pouvaient  plus  payer  leur  fermage;  les  débiteurs  cen- 
sitaires n'étaient  pas  dans  une  meilleure  condition  ;  presque  tous 
les  revenus  faisaient  défaut  à  la  fois.  Si  l'on  joint  à  cela  les 
troupes  qu'il  fallait  loger  et  héberger,  et  Dieu  sait  comment,  on 
pourra  se  faire  une  idée  de  la  gène  et  de  la  pénurie  dans  laquelle 
se  trouva  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  De  généreuses  et  larges  do- 
nations auraient  alors  été  bien  utiles,  mais  la  source  en  était 
tarie;  on  n'en  voit  plus  guère  apparaître.  En  1418,  cependant , 


il)  God.  Hermant  :  Ei»U  de  Beawfois,  1.  iz,  cb.  8. 


DB  L'aBBATB  BOTALB  DB  8AllfT-LUGIBN.  549 

un  bon  curé  d'Abbecourt ,  nommé  Andrieu  Hérenart,  «  pour 
«  les  grans  biens  que  lui  avoient  et  ont  fait  les  religieux  de 
«  l'église  Saint- Lucien  >»  leur  donna  deux  mines  de  terre  au 
territoire  de  Notre-Dame-du-Thil  (1). 

Que  faisait  Tabbé  de  Beauvoir,  pendant  ces  troubles?  Nous  ne 
le  saurions  dire.  Nous  aimons  à  croire  qu'il  veillait  aux  intérêts 
de  son  monastère  et  qu'il  s'occupait  des  moyens  de  pourvoir 
aux  besoins  de  sa  communauté,  comme  ledit  M.  Delettre  (i}, 
mais  ce  devait  être  de  loin.  Il  fut  en  effet  longtemps  absent  de 
son  abbaye.  Ainsi,  il  n'y  résidait  pas  le  22  mai  1420,  quand 
le  prieur  du  couvent  était  obligé  d'assister,  à  sa  place,  à  l'as- 
semblée synodale  tenue  à  Beauvais.  Il  n'y  était  pas  davantage, 
en  ii26,  quand  le  roi  donnait  des  pouvoirs  au  prieur  Jean  de 
Sarcus  pour  administrer  spirituellement  et  temporellement  l'ab- 
baye de  Saint-Lucien  (3),  ni  le  2i  décembre  ii28 ,  lorsqu'il  rem- 
plissait une  mission  que  Guillaume  de  Montjoie,  évèque  de  Be^ 
ziers,  lui  avait  donnée  pour  signifier  au  comte  de  Foix,  de  la  part 
du  roi,  qu'il  eût  à  faire  cesser  des  entreprises  préjudiciables  aux 
intérêts  de  l'église  de  Béziers.  Il  faut  croire  que  Pierre  de  Beau- 
voir ne  manquait  pas  de  talents  pour  être  chargé  d'une  mission 
aussi  délicate,  et  Tévêque  de  Béziers  devait  l'avoir  en  singulière 
estime. 

Pendant  que  la  ville  de  Beauvais  faisait  tous  ses  efforts  pour 
réparer  ses  fortifications,  les  religieux  de  Saint- Lucien  es- 
sayaient aussi  de  se  mettre  à  l'abri  des  attaques  des  coureurs 
armés  qui  ravageaient  les  campagnes.  Des  murs  de  défense 
furent  construits  autour  de  l'enclos ,  avec  des  tourelles  qui  les 
commandaient.  L'une  d'elles,  plus  importante  que  les  autres, 
armait  l'angle  sud-est.  Elle  montre  encore  aujourd'hui  ses  fortes 
assises ,  et  son  aspect  monumental  et  grandiose  inspire  le  res- 
pect. 

On  a  dit  que  Jeanne  d'Arc,  prisonnière  des  Anglais,  fut  dé- 
tenue dans  cetle  tour,  pendant  une  nuit,  durant  son  trajet  de 
Compiègne  à  Rouen.  Cette  assertion  nous  parait  trop  gratuite 


(1)  Arch.  de  roise ,  série  H  :  abbaye  de  Saint-Lucien. 

(2)  Delettre  :  Hist.  du  dioe,  de  Beauoaiis,  t.  ii ,  p.  55?. 

(3)  GaU.  Christ,  t  ix. 


550  ttistOlM 

et  8i  peu  vraisemblable ,  que  nous  ne  saurions  y  ajouter  fol. 
Beautais  tenait  alors  pour  le  roi  Charles  VII ,  et  se  montrait  si 
hostile  aux  Anglais ,  que  Pierre  Gauchon ,  son  évèque  et  leur 
partisan ,  avait  été  contraint  de  quitter  la  ville.  Comprend-on 
que  les  Anglais  fussent  venus  enfermer  une  prisonnière  aussi 
importante  aux  portes  d'une  ville  ennemie,  où  commandaient 
des  hommes  qui  cherchaient  toutes  les  occasions  de  leur  courir 
sus ,  tels  que  le  comte  de  Clermont  et  l'intrépide  Louis  de  Vau- 
court.  Ce  n'est  pas  probable  et  ce  ne  put  être  possible.  L'histoire 
dit,  du  reste,  que  l'héroïque  pucelle  fut  conduite  de  Compiègne 
au  château  de  Beaulieu,  d'où  elle  fût  dirigée  sur  Beaurevoir  et 
Rouen. 

Pierre  de  Beauvoir  ne  resta  pas  toujours  absent  de  son  mo- 
nastère ,  la  gravité  des  circonstances  l'avait  rappelé  auprès  de 
son  troupeau.  Il  n'avait  pas  cru  convenable  d'en  rester  éloigné, 
lorsque  la  guerre  était  à  ses  portes.  Il  y  était  de  retour  en  1432 , 
quand  le  nouvel  évèque  de  Beauvais,  Jean  Juvénal  des  Ursins, 
le  choisit  pour  son  procureur,  tant  au  spirituel  qu'au  temporel, 
et  le  délégua,  pour  aller  notifier  au  chapitre  les  bulles  pontifi- 
cales, qui  le  nommaient  au  siège  de  Beauvais,  et  pour  prendre 
possession  en  son  nom.  Les  vénérables  chanoines  étaient  heureux 
de  voir  Pierre  Cauchon  dépossédé  de  son  évèché  et  un  succes- 
seur lui  arriver;  cela  ne  les  empêcha  pourtant  pas  d'opposer  cer- 
taines difficultés  au  procureur  du  nouvel  évèque.  Peut-être  ap- 
préhendaient-ils que  l'abbé  de  Saint- Lucien  ne  s'attribuât,  dans 
la  suite,  le  privilège  de  représenter  les  évêques  en  leur  prise  de 
possession,  ou  avaient-ils  d'autres  mobiles  de  leur  conduite; 
l'histoire  ne  le  dit  pas ,  ce  que  l'on  sait,  c'est  qu'ils  firent  quel- 
ques difficultés.  L'abbé,  fondé  de  pouvoirs,  était  expert  en  né- 
gociation et  triompha,  sans  beaucoup  de  peine,  des  scrupules 
qu'il  rencontrait. 

A  l'entrée  solennelle  du  nouveau  prélat  dans  sa  ville  épisco- 
pale,  le  21  octobre  1432,  Pierre  de  Beauvoir  l'assistait,  et  ce  ftit 
lui  qui  rappela  le  maire,  Jean  d'Auchy,  au  respect  des  anciennes 
traditions,  alors  qu'il  s'en  écartait  pour  la  prestation  du  ser- 
ment d'obéissance. 

L'abbé  de  Saint-Lucien  était  un  homme  considérable,  et  il  fut 
plus  d'une  fois  mandé  aux  assemblées  générales  de  la  ville. 
Ainsi  il  donnait  son  avis  à  l'assemblée  tenue  au  cimetière  de 


DE  l'aBBAYB   ROTAUB  DE  SAINT-LUCIEN.  55| 

Saint-Etienne,  le  il  mai  1433,  pour  Télection  d'un  capitaine  de 
la  ville,  et  contribuait  à  faire  nommer  M.  de  Moustier-Aulet  (l). 

Tout  le  monde  se  prêtait  pour  résister  aux  continuelles  agres- 
sions des  Anglais,  et  il  le  fallait  aussi,  en  présence  des  nom«- 
breuses  embûches  qu'ils  dressaient  pour  surprendre  la  ville.  On 
s'environnait  de  mille  précautions  :  tous  les  jours  les  abbayes 
de  Saint-Lucien,  de  Saint-Quentin  et  de  Saint-Symphorien , 
étaient  visitées  par  une  patrouille  avant  que  Von  ouvrit  les 
portes  de  la  cité.  On  était  toujours  en  alerte,  escarmouchant 
sans  cesse,  mais  préservant  la  ville  de  toute  surprise. 

Dans  le  monastère  de  Saint-Lucien,  la  vie  régulière  en  était 
inévitablement  troublée;  les  moines  faisaient  le  guet  et  parfois 
même  combattaient  pour  protéger  leur  établissement.  Ils  eurent 
beaucoup  à  souffrir,  pas  autant  pourtant  que  bien  d'autres  ab* 
bayes;  les  rôdeurs  et  les  gens  armés  n'osaient  pas  toujours  s'ap<» 
procher  aussi  près  de  la  garnison  beauvaisine,  et  ce  fut  leur 
sauvegarde. 

Les  habitants  du  village  de  Notre- Dame-du-Thil  désertaient 
leurs  habitations  pour  se  retirer  à  l'abri  des  murailles  de  la 
ville  et  y  emportaient  leurs  récoltes.  Diverses  permissions  de 
vendanger,  accordées  par  l'abbé  de  Saint-Lucien  en  1431, 1433, 
mentionnent  que  les  vignerons  pourront  emporter  dans  la  ville 
le  produit  de  leur  vendange,  à  cause  de  la  crainte  des  gens  de 
guerre  (2). 

Pierre  de  Beauvoir  ne  devait  pas  voir  la  fin  de  ces  troubles; 
il  mourut  le  15  décembre  1443. 

XI^III.  —  Fiaoïxl  <ie  Vlllex*s-Salxit-Patil 

(1444-1467). 

Quelques  auteurs  ont  donné  pour  successeur  à  Pierre  de  Beau- 
voir, un  fils  de  Philippe  de  Corbie ,  écuyer,  seigneur  de  Mareuil , 
nommé  aussi  Philippe.  Le  P.  Anselme  (3)  et  André  Duchesne  (4) 


1)  Doyen  :  Bisi.  de  Beauvais,  t.  i ,  p.  73. 

(2)  Arch.  de  TOise  :  invent,  de  1669,  p.  23. 

(3)  Hist.  des  grands  officiers  de  la  couronne ,  art.  Corbie. 

(4)  Hist.  des  grands  chanceliers. 


55S  HISTOIBI 

faisant  la  généalogie  de  ce  seigneur,  qualifient  Philippe,  son  se- 
cond fils,  abbé  de  Saint-Lucien,  chantre  et  chanoine  de  l'église 
de  Beauvais.  Cette  assertion  nous  parait  bien  hasardée;  nous  ne 
savons  sur  quoi  l'appuient  ces  savants  auteurs;  mais  nous  ne 
croyons  pas  qu'on  puisse  l'admettre.  D'abord ,  il  ne  s'est  pas 
écoulé,  entre  la  mort  de  Pierre  (15  décembre  1443)  et  la  prise 
de  possession  de  Raoul  de  Villers-Saint-Paul  (2  février  1444)  un 
espace  de  temps  suffisant  pour  y  placer  l'abbatiat  d'un  person- 
nage quelconque.  L'obtention  des  bulles  pontificales  aurait  seule 
demandé  tout  ce  temps.  En  outre,  il  nous  semble  invraisemblable 
qu'un  chanoine  de  Beauvais,  un  ecclésiastique  séculier,  ait  pu 
se  faire  nommer  abbé  d'une  communauté  régulière.  Les  abus 
de  la  commende  n'étaient  pas  encore  introduits,  et  l'abbé  ne 
pouvait  encore  être  qu'un  moine  régulier.  Ce  n'était  pas  le  cas 
de  Philippe  de  Corbie  qui  était  clerc  séculier.  Il  est  possible  que 
cet  ecclésiastique  ait  voulu  profiter  des  troubles  des  temps  pour 
se  faire  élever  à  cette  dignité.  Pour  s'attirer  les  voix  des  reli- 
gieux, peut-être  encore  aura-t-il  manifesté  l'intention  de  prendre 
l'habit  et  fait  valoir,  auprès  d'eux,  l'influence  de  sa  famille  à  la 
cour.  Peut-être  même  aura-t-il  réussi  à  se  faire  élire;  c'était  un 
ecclésiastique  capable  d'employer  ces  moyens  pour  parvenir.  Il 
reste  sur  lui  des  documents  qui  le  laisseraient  croire  assez  faci- 
lement. Un  fait  pourtant  nous  parait  indubitable,  c'est  qu'il  n'a 
pas  été  confirmé  dans  ce  poste,  s'il  avait  réussi  à  l'obtenir.  Les 
registres  du  chapitre  de  Beauvais  nous  le  montrent  encore  cha- 
noine en  1471,  et  suspendu  à  divinis  à  cause  de  ses  mauvais 
déportements  et  des  dettes  qu'il  faisait  par  la  ville  (1).  Du  reste, 
à  la  date  du  27  janvier  1444,  les  registres  capitulaires  du  mo- 
nastère désignent  comme  abbé  Raoul  de  Villers-Saint-Paul. 

Le  nouvel  abbé  était  le  troisième  fils  de  Guillaume  de  Villers- 
Saint-Paul,  chevalier,  seigneur  de  Villers-Saint-Paul ,  Montigny, 
Rieux,  Verderonne,  La  Bruyère,  Rozoy  et  Liancourt  en  partie , 
sa  mère  était  Marguerite,  d'autres  disent  Marie  de  Mailly,  dame 
de  Dommart.  Sa  famille ,  l'une  des  plus  illustres  du  comté  de 
Clermont,  jouissait  alors  d'une  très-haute  considération  à  la 
cour  et  dans  le  pays.  Ses  armoiries  étaient  :  émargent,  à  la  bande 


(1}  Reg.  da  cbap.  p.  357  (BibL  de  M.  Le  Caron  de  Troussures). 


DE  l'abbaye  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  558 

de  sable  chargée  de  trois  fleurs  de  lys  d*or.  On  les  voyait  sur  plu- 
sieurs monuments  de  l'abbaye  de  Sainl-Lucien,  construits  ou 
réparés  par  Raoul  et  Jean  de  Villers-Saint-Paul  (1). 

Raoul  de  Yillers-Saint-Paul  prit  possession  de  sa  charge  le 
2  février  1444.  On  pense  qu'il  avait  été  précédemment  moine  de 
Tabbaye  de  Corbie,  d'où  il  était  venu  à  celle  de  Saint-Lucien. 
Quoi  qu'il  en  soit,  son  passage  à  Saint-Lucien  fut  marqué  par 
une  administration  sage  et  réparatrice.  Il  profita  de  l'apaise- 
ment des  troubles  produit  par  la  trêve  conclue  entre  la  France 
et  l'Angleterre ,  pour  réorganiser  les  finances  de  son  monastère 
et  rétablir  dans  sa  communauté  la  régularité  un  instant  com- 
promise. Possesseur  lui-même  d'une  grande  fortune  du  chef  de 
sa  famille,  il  s'en  servit  largement  pour  améliorer  la  situation 
de  ses  moines,  doter  l'église  de  riches  ornements,  et  faire  de 
nombreuses  réparations  à  ses  édifices.  A  l'église,  outre  des  or- 
nements en  drap  d'or  et  velours  de  soie,  il  donna  deux  grands 
bassins  en  argent  massif  avec  burettes  semblables,  et  fit  cons- 
truire de  magnifiques  orgues  pour  relever  l'éclat  des  solennités . 

Raoul  savait  se  montrer  généreux  quand  il  prenait  sur  ses 
deniers  particuliers  et  sa  libéralité  s'étendait  à  tout  et  sur  tout  : 
quand  il  s'agissait  des  biens  ou  des  intérêts  de  son  monastère , 
ce  n'était  plus  le  même  homme.  Sa  charge  lui  faisait  un  devoir 
de  les  sauvegarder  et  de  les  administrer  sagement,  et  il  y  tenait 
la  main  parfois  même  avec  une  vigueur  qui  contrastait  avec  son 
caractère.  La  maintenue  des  droits  surtout  le  trouvait  inflexible. 
Ainsi,  il  oblige  un  Jean  Fournier,  habitant  de  Notre- Dame-du- 
Thil,  à  reconnaître  par  écrit  qu'il  doit  payer  la  dlme  des  mouches 
à  miel,  enUI9(â).  Ailleurs,  enU45,  il  force  le  seigneur  de  Moucby 
à  déclarer,  aussi  par  écrit,  que  la  permission  à  lui  donnée  de 
suspendre  une  enseigne,  dans  Saint-Félix,  pour  le  paiement  de 
certains  droits  dûs  par  les  passants,  ne  pouvait  lui  conférer  au- 
cun droit  sur  la  localité  (3).  En  i452,  il  obtient  une  sentence  du 
bailli  de  Senlis  constatant  que  les  habitants  de  Saint-Félix  ne 


wmm 


(1)  D.  Porcberon ,  c.  43. 

(2)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 

(3)  Ibidmn. 


654  HISTOIBS 

peuvent  vendanger  leurs  vignes,  quoiqu'ils  prétendent ,  sans  en 
avoir  obtenu  de  lui  la  permission,  comme  représentant  son 
abbaye,  seigneur  du  lieu.  Cependant,  après  avoir  sauvegardé  le 
droit  de  son  monastère,  Raoul  de  Yillers,  condescendant  en 
cette  occasion  aux  besoins  de  ses  tenanciers,  leur  accorde  la  per- 
mission de  cueilliri  sans  demander  d'autorisation,  le  raisin  qui 
serait  mûr  à  la  saint  Félix  a  pour  faire  du  moût ,  dit-il,  pour  don- 
ner à  ceux  qui  les  viendront  visiter  le  jour  de  leur  fête  (i).  v 

£n  i4S8,  il  acquiert  de  Jean  Le  Tuilller  deux  arpents  et  demi 
de  vignes,  au  Mont  de  Villers-les-Saint-Lucien. 

£n  4459 ,  il  transige  avec  le  curé  de  Gampremy,  et  fixe  la  déli- 
mitation de  leur  dlmage  respectif  sur  les  terres  du  lieu. 

Il  repousse  les  prétentions  du  chapitre  de  Beauvais,  au  sujet  de 
diverses  dîmes  à  Froissy,  et  obtient  une  sentence,  en  i46i,  et 
la  reconnaissance  du  droit  de  son  monastère. 

L'an  1462  voit  une  discussion  entre  lui  et  les  religieux  de  Beau- 
pré, à  l'occasion  des  droits  et  redevances  grevant  le  clos  prûlé,  sis 
à  Saint-Lucien.  Les  moines  de  Beaupré  demandent  à  transiger, 
et  Ton  convient  qu'ils  paieront  annuellement  dix  sols  quatre 
deniers  parisis  pour  ladite  terre ,  et  la  dlme  d'une  pièce  adja- 
cente. 

£n  1463,  il  acquiert,  par  échange,  toutes  les  terres  que  Jean 
de  Pisseleu,  chevalier,  seigneur  de  Fontaine- Lavaganne,  possé- 
dait à  Roy-Boissy,  et  lui  cède,  en  contre  échange,  tout  ce  que 
son  abbaye  avait  au  territoire  de  Fontaine  (â). 

Quelques  années  auparavant,  Raoul  de  Villers  avait  vu  s'ac- 
complir, dans  son  monastère,  une  touchante  cérémonie.  Le 
i^  mai  1459,  l'évèque  de  Beauvais,  Guillaume  de  Hellande, 
était  venu  processionnellement  avec  le  corps  de  ville ,  le  clergé 
et  les  habitants  de  la  cité,  pour  implorer  saint  Lucien  et  lui  de- 
mander la  cessation  de  l'épidémie  meurtrière  qui  décimait  la 
population.  A  cette  occasion ,  l'évèque  fit  l'ouverture  de  la  petite 
châsse  de  saint  Lucien ,  où  se  trouvait  le  chef  du  saint  martyr 
enfermé  dans  un  globe  de  vermeil ,  en  tira  cette  relique  insigne 
et  l'exposa  à  la  vénération  des  fidèles.  Elle  resta  ainsi  exposée 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lacien. 
(9j  Ihidem. 


DE  l'abbaye  ROTAU  DE  SAINT-LUCIEN.  S55 

jusqu'au  27  du  même  mois ,  et  le  peuple  s'y  pressait  tous  les 
jours,  demandant  avec  instance  la  fin  du  fléau.  Une  décroissance 
notable  s'étant  fait  sentir  dans  la  mortalité,  Tévéque  s'y  rendit 
encore  le  27  pour  remercier  le  saint  martyr  et  replacer  son  chef 
dans  la  chasse  qui  l'attendait.  Une  noble  et  nombreuse  assis- 
tance accompagnait  le  prélat.  On  y  remarquait  Roger  de  Hel- 
lande,  frère  de  Tévèque;  le  baron  de  Clerc,  son  neveu;  Renaud- 
du  Quesnel,  Florimond  de  Villers,  frère  de  l'abbé. 

Guillaume  de  Hellando  afTectîonnalt  l'abbaye  de  Saint- Lucien; 
il  l'inscrivit  pour  une  somme  de  trois  livres  dans  son  testament 
et  demanda  que  ses  religieux  assistassent  à  ses  funérailles. 

Le  i2  avril  1465,  Raoul  de  Villers  prêtait  serment  de  fidélité 
tu  roi.  Il  était  bien  en  retard  dans  l'accomplissement  de  ce  de- 
voir. Déjà  il  avait  obtenu  des  lettres  de  répit  en  i4S0,  et  il  ne 
s'était  pas  hM  de  remplir  cette  obligation  envers  Charles  VII^ 
Mais  si  Charles  Vil  avait  usé  de  modération ,  Louis  XI  était  trop 
soupçonneux  pour  ne  pas  tenir  à  cette  garantie  de  la  fidélité  de 
l'un  de  ses  sujets ,  et  l'abbé  de  Saint-Luden  dut  s'y  soumettre. 

Raoul  de  Villers  mourut  au  mois  de  mai  de  Tan  i467. 

XLLIV.  —  Jean  V   de  Villers-Salnt-I^àril 

(4467-U92), 

Jean  de  Villers-Saint-Paul  recueillit  la  succession  do  son  oncle 
Raoul.  Il  était  fils  de  Jean  de  Villers-Saint*Paul ,  chevalier,  sei- 
gneur de  Villers-Saint-Paul ,  Verderonne ,  La  Bruyère  et  autres 
lieux ,  et  de  Marie  de  Mailly.  11  avait  fait  profession  dans  l'abbaye 
de  Saint- Vaast  d'Arras ,  et  y  avait  vécu  quelque  temps.  Nommé 
abbé  de  Saint-Lucien,  il  en  prit  résolument  en  main  l'adminis- 
tration, et  travailla  de  toutes  ses  forces  à  marcher  sur  les  traces 
de  son  oncle. 

Le  14  mars  1468,  nous  le  trouvons  à  l'assemblée  du  clergé  du 
diocèse  de  Beauvais,  réunie  en  la  salle  du  chapitre,  et  donnant  sa 
voix  à  Thibault  de  Caigneux,  chanoine,  pour  aller  représenter 
le  clergé  aux  Etats-Généraux  convoqués  en  la  ville  de  Tours  (1). 


(1)  6.  Hennant;  1.  x,  Ci  9. 


556  HISTOIRE 

L'année  suivante,  le  26  juillet  1469,  il  assiste,  avec  les  abbés 
de  Saint-Germer,  de  Saint-Symphorien  el  de  Saint-Quentin ,  à  la 
solennelle  translation  des  reliques  de  saint  Evrost,  conservées 
dans  l'église  cathédrale. 

En  1470,  nous  le  voyons  défendre  les  intérêts  de  son  abbaye; 
il  obtient  une  sentence  la  maintenant  dans  l'exercice  du  droit 
•  de  haute  justice  sur  ses  terres  de  Juvignies,  et  fait  passer  titre 
nouvel,  à  Colin  et  Pierre  Duclos,  de  Beauvais,  d'une  rente  de 
deux  écus  d'or  constituée  sur  une  maison  sise  en  la  rue  du 
Cellier-Saint-Ladre  (1). 

Des  jours  mauvais  allaient  venir  pour  lui  et  pour  son  établis- 
sement. Le  27  juin  1472,  Tavant-garde  de  l'armée  du  duc  de 
Bourgogne,  commandée  par  Philippe  de  Crèvecœur,  maréchal 
des  Querdes,  arrivait  sous  les  murs  de  Beauvais  et  tentait  de 
s'en  emparer  par  la  force.  La  cité,  fidèle  à  son  roi,  soutint  bra- 
vement l'attaque  et  refusa  d'ouvrir  ses  portes.  Le  duc ,  exaspéré 
d'une  résistance  à  laquelle  il  était  loin  de  s'attendre ,  s'avança 
avec  toute  son  armée,  bien  résolu  d'emporter  la  place  d'assaut. 
Il  jette  toutes  ses  troupes  dans  le  village  de  Marissel,  dans  les 
faubourgs  de  Saint- Lucien  et  de  Saint-Quentin,  et  fait  attaquer 
la  ville  sur  trois  points  à  la  fols  :  par  la  porte  Limaçon ,  par  la 
porte  de  l'Hôtel-Dieu  et  par  celle  de  Bresles.  De  furieux  assauts 
sont  livrés,  mais  inutilement  :  les  Beauvaisins  se  défendent  hé- 
roïquement. 

Obligé  de  camper,  pour  continuer  le  siège ,  le  duc  de  Bour- 
gogne cherche  un  poste  sûr,  pour  établir  son  quartier-général. 
L'abbayé  de  Saint-Lucien  semble  lui  présenter  ces  avantages, 
et  il  s'y  présente  avec  une  forte  escorte,  persuadé  que  les 
moines  n'oseront  lui  faire  une  sérieuse  résistance.  Il  se  trom- 
pait. La  défense,  là  aussi,  était  organisée  par  un  valeureux 
chevalier,  frère  de  l'abbé ,  par  Florimond  de  Villers-Saint-Paul, 
et  les  portes  restèrent  obstinément  fermées.  Le  duc,  furieux,  en 
ordonna  l'attaque.  Les  portes  et  les  murs  étaient  solides ,  et  il 
combattit  tout  un  jour  sans  pouvoir  s'en  emparer.  Les  moines, 
avec  leurs  domestiques  et  quelques  tenanciers ,  commandés  par 
Tabbé  et  son  frère,  faisaient  des  prodiges  de  bravoure.  La  lutte 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


DE  L'ABBAYB  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  557 

aurait  encore  duré  quelque  temps ,  si  Florimond  de  Villers  n'é- 
tait tombé  grièvement  blessé  en  défendant  la  porte  principale. 
Les  moines,  déconcertés,  mais  non  abattus,  voulaient  conti- 
nuer la  résistance.  Le  blessé  leur  conseilla  de  demander  à  traiter. 
Le  duc,  ignorant  la  blessure  du  chef,  et  heureux  d'en  finir  à  si 
bon  compte,  se  montra  conciliant.  Il  leur  accorda  la  vie  sauve 
et  promit  de  respecter  tout  ce  qui  était  dans  le  monastère ,  à 
condition  qu'on  le  laisserait  s'y  établir  commodément  avec  ses 
officiers.  On  se  résigna  à  subir  ce  que  l'on  ne  pouvait  plus  em- 
pêcher. 

Le  siège  de  la  ville  cependant  continuait  avec  des  phases  di- 
verses. Les  ruines  s'accumulaient  :  le  faubourg  de  Saint-Quentin 
avec  une  partie  de  l'abbaye  et  l'église  Saint-Hippolyte  étaient 
incendiés,  la  porte  de  Bresles  brûlait,  les  remparts  étaient  for- 
tement endommagés,  et  la  ville  tenait  toujours.  L'héroïsme  des 
hommes,  l'intrépidité  des  femmes,  l'acte  courageux  d'une 
humble  fille  du  peuple,  de  Jeanne  Laine,  dite  plus  tard  Jeanne- 
Hachette,  et  des  secours  arrivant  à  propos,  sauvèrent  la  place. 
Après  vingt-cinq  jours  d'un  siège  opiniâtre,  le  duc  de  Bourgogne 
avait  perdu  30,000  hommes  de  ses  meilleures  troupes  et  n'avait 
plus  l'espoir  de  prendre  Beauvais;  son  armée  se  démoralisait. 
Le  22  juillet,  au  matin,  ses  soldats  avaient  levé  le  camp  et  s'a- 
cheminaient vers  la  Normandie;  le  duc  les  suivait  honteux  de 
son  insuccès.  Beauvais  se  réjouissait,  fière  de  sa  bravoure  et 
ivre  de  sa  victoire.  Nous  laissons  aux  historiens  de  la  cité  le 
soin  de  raconter  les  différentes  péripéties  de  ce  siège  mémo- 
rable (1). 

L'abbaye  de  Saint-Lucien  pouvait  bien  se  réjouir  aussi  du  dé- 
part de  l'ennemi  \  son  séjour  dans  le  monastère  n'avait  pas  été 
sans  déprédations.  Le  duc  avait  fait  respecter  les  constructions 
et  les  religieux,  mais  le  mobilier  avait  souffert  et  les  soldats  y 
avaient  vécu  à  peu  près  en  pays  conquis.  L'abbé  eut  donc  de 
nombreuses  réparations  à  faire  après  leur  départ  :  c'était  quelque 
chose,  et  ce  ne  fut  pourtant  pas  encore  sa  plus  grande  peine. 
La  plus  pénible  fut  la  perte  de  son  vaillant  frère.  Florimond  de 


(1)  Gonsolter  G.  Hermant,  1.  x,  c.  il,  12,  13,  U,  15.  —  Delettre,  t.  itt, 
p.  68-81.  —  Doyen,  t.  i,  p.  94-110.  —  Discours  du  siège  de  Beauvais 

T.  VIII.  87 


558  HISTOIRE 

Yillers  mourut  quelque  temps  après  des  suites  de  la  blessure 
qu'il  avait  reçue  en  défendant  Tabbaye.  Ce  fut  un  deuil  général 
dans  la  communauté ,  et  on  tint  à  lui  rendre  les  bonneurs  funè* 
bres  de  la  manière  la  plus  solennelle.  Son  corps  fut  déposé  dans 
l'église  du  monastère,  et  inhumé  dans  Faile  à  droite  du  chœur, 
près  de  la  sacristie.  L'abbé,  son  frère ^  lui  fit  élever  un  superbe 
mausolée;  ce  tombeau  est  en  pierre.  Sous  une  splendide  double 
arcature  ogivale,  surmontée  d'une  espèce  de  triforium  aveuglé, 
repose,  couchée,  la  statue  du  chevalier.  Il  est  représenté  armé 
de  toutes  pièces,  à  l'exception  du  casque,  portant  une  chaîne  au 
cou  et  ses  armoiries  sur  la  cuirasse.  Au-dessous,  sur  la  façade 
formant  soubassement,  sont  sculptés  quatre  animaux  fantas- 
tiques représentant  les  emblèmes  des  quatre  évangélistes ,  et 
chacun  d'eux  porte  suspendu  au  cou,  par  une  chaîne,  un  écusson 
reproduisant  les  armoiries  du  chevalier  et  celles  des  alliances 
de  sa  famille.  Le  premier  écu  de  droite  est  blasonné  d'argent  à 
la  bande  de  sable,  chargée  de  trois  fleurs  de  lys  d'or,  ce  sont  les 
armes  de  \illers- Saint-Paul.  Les  deux  écus  du  milieu  portent  les 
armes  de  Mailly,  de  la  famille  de  la  mère  du  défunt  :  d^or,  à  trois 
maillets  de  gueulles,  et  le  quatrième  :  d'azur  au  chevron  d'or, 
accompagné  de  trois  mer/ettes  de  sable  posées  deux  et  un, 

Florimond  de  Villers,  avant  de  mourir,  avait  légué  cent  écus 
d'or  au  monastère  pour  faire  chanter  tous  les  ans,  le  9  mai,  un 
service  solennel  pour  le  repos  de  son  âme  et  dire  tous  les  jours 
un  Deprofundis  sur  sa  tombe.  Cette  somme  n'ayant  point  paru 
suffisante  à  ses  deux  frères  pour  l'acquit  de  la  charge,  Jean  de 
Villers-Saint-Paul,  seigneur  deVerderonne,  son  frère  aîné  et  son 
exécuteur  testamentaire,  constitua  en  place  une  rente  de  8  livres 
pariais,  qu'il  servit  quelque  temps.  Il  la  remboursa  vers  ii87,  et 
l'abbé  Jean  de  Villers,  pour  assurer  le  service  de  la  fondation, 
acquit,  avec  l'argent  en  provenant,  trois  fiefs  à  Monlaubert, 
paroisse  de  Thérlnes ,  de  Robert  de  Bonneval ,  Robert  Macquerez 
et  Jean  Le  Forestier  (i). 

De  son  côté,  l'abbé  faisait  d'abondantes  largesses  à  son  monas- 
tère, grâce  au  riche  patrimoine  dont  11  disposait.  Ainsi,  il  lui  fit 
don  d'une  croix  de  procession  en  argent,  de  deux  encensoirs,  de 


(1)  Hss.  du  cabinet  de  M.  le  comte  de  Merlemont. 


TOMBEAU  DU  CHEVALIER  FLORIMOND  DEVILLERS  S'' PAUL 

dans  l'aile  adroite  du  chœur  dans  lëdise  de  l'abbaye  de  SainL  Lucien 


DE  L  ABBAYE  ROYALE  DE  SAINT-LUCIEN.  559 

chandeliers  et  d'autres  Yases  sacrés  de  même  métal.  <«  En  1480, 
dit  Tannaliste  du  monastère,  il  lit  faire  la  grosse  cloche  et  celle 
qu'on  nomme  le  petit  moineau.  »  Ce  fut  aussi  lui  qui  rétahlit  le 
chapitre,  le  grand  cloître  et  le  Yaste  bâtiment  du  bout  du  cloî- 
tre (1).  Ses  armes  s'y  Yoyaient  partout  sculptée^  dans  la  pierre, 
aux  clefs  de  Yoûte  et  au-dessus  des  portes. 

En  i476,  il  traite  aYec  le  chapitre  de  BeauYais,  qui  reprenait 
l'ancien  usage  interrompu  par  les  guerres  d'aller  en  procession 
de  la  cathédrale  au  monastère,  et  reconnaît  qu'il  doit  lui  payer 
20  sols ,  toutes  les  fois  qu'il  y  Yiendra. 

En  1177,  Jean  de  Yillers  poursuit  en  justice  Jean  Clément,  dit 
SauYage,  écuyer,  seigneur  du  Yault,  pour  obtenir  le  paiement  de 
seize  années  d'arrérages  d'une  rente  sur  sa  terre  du  Vault.  Cette 
redcYance  consistait  en  l'apport  d'un  cierge  de  cire  pesant  quatre 
liYres,  qui  devait  être  fourni  le  dernier  dimanche  d'avril  «  pour 
«  ardoir  la  nuyt  et  le  jour  de  Monseigneur  saint  Lucien,  qui  est 
a  soUempnisé  par  chacun  an  le  premier  jour  de  may  (2).  »  Elle 
avait  été  constituée,  en  i2i0,  par  Vitassedu  Vault. 

Il  renouvelle,  en  1478,  la  transaction  jadis  conclue  avec  l'é- 
Yèque  de  Beau  vais,  et  par  laquelle ,  moyennant  âo  livres  de  cens 
annuel  et  la  cession  des  droits  de  justice  de  Catenoy,  l'abbaye 
jouira  en  toute  justice  de  la  rivière  du  Thérain,  depuis  le  moulin 
de  Miauroy  jusqu'au  pont  de  Saint-Quentin,  avec  le  droit  de 
pèche  jusqu'au  moulin  à  tan,  près  des  murs  de  la  ville  (3). 

En  1480,  l'abbé  de  Saint-Lucien  est  délégué  par  le  légat  du 
pape  pour  traiter  de  la  réunion  de  l'Hôpital  de  Saint-Thomas 
des  Pauvres-Clercs  à  la  prébende  des  enfants  de  chœur  de  la 
cathédrale. 

Cet  établissement,  fondé  dans  la  ville  de  Beauvais,  en  1189, 
pour  donner  l'hospitalité  à  tous  les  pauvres  prêtres  et  clercs  qui 
passeraient,  et  les  soigner  jusqu'à  parfaite  guérison ,  s'ils  étaient 
malades,  avait  été  donné,  en  1383,  àl'abbaye  de  Saint- Simphorien 
pour  en  surveiller  l'administration.  Cette  charge  pesant  au  mo- 


(1)  D.  Porcheron ,  ch»  44. 

(2;  Arch.  de  i*Oise  :  H.  abb.  de  Saint-Lucien. 

(3)  Ibidmn. 


560  HISTOIRE 

nastère,on  proposa  de  supprimer  l'institution  et  d'en  réunir 
les  revenus  à  la  prébende  des  enfants  de  chœur  du  chapitre 
cathedra!,  qui  se  chargerait  des  obligations.  Jean  de  Villers  exa- 
mina les  avantages  et  les  inconvénients  du  nouvel  état  de  choses, 
et  se  prononça  en  faveur  de  la  réunion,  qui  eut  lieu  (1). 

Pour  obéir  à  un  édît  du  roi  Louis  XI ,  l'abbé  flt  remettre  aux 
mains  de  ses  officiers,  en  1481,  la  déclaration  ou  dénombrement 
de  tous  les  flefs  ou  propriétés  du  monastère ,  situés  dans  Té- 
tendue  de  la  province  ecclésiastique  de  Reims ,  avec  l'état  de 
toutes  les  acquisitions  faites  depuis  soixante  ans  dans  la  même 
province  (2). 

Jean  de  Villers,  poursuivant  la  défense  des  intérêts  de  son 
abbaye,  obtient,  en  1482,  la  reconnaissance  par  les  officiers 
du  bailliage  de  Montdidier,  de  la  haute,  moyenne  et  basse  jus- 
tice de  Thieux,  comme  lui  appartenant  toute  entière;  —  une 
sentence  du  bailli  d'Eu ,  qui  adjuge  à  son  prieuré  de  La  Chaus- 
sée-d'Eu  les  deux  tiers  des  dîmes  de  la  paroisse  de  Saint-Mar- 
tin de  Mers,  avec  les  deux  tiers  de  la  cire  offerte  dans  cette 
église  le  jour  de  la  Purification  de  la  Vierge;  —  en  148!$,  une 
sentence  du  prévôt  de  Paris,  condamnant  les  habitants  de  Ver- 
derel  à  payer  un  muld  de  blé  de  rente  dû  à  raison  de  la  voirie 
du  lieu,  qui  appartenait  à  l'abbaye.  Cette  redevance  pesait  beau- 
coup ,  paratt-il ,  sur  les  habitants ,  car  nous  les  voyons  sans  cesse 
faire  des  difficultés  pour  la  payer,  et  la  justice  fut  plus  d'une 
fois  forcée  d'intervenir  pour  les  contraindre  à  le  faire,  témoins 
les  sentences  de  1540 ,  1587  et  1603. 

Le  20  mars  148G  (1487,  p.  s.),  l'abbé  de  Saint-Lucien,  faisant 
échange  avec  l'abbé  de  Lannoy,  lui  cédait  treize  muids  sept 
mines  de  grains  de  redevance  annuelle,  qu'il  avait  droit  de 
prendre  sur  sa  grange  d'Ëcorchevache  {Escorchevaqué)  contre 
les  grosses  dîmes  de  Boy-Boissy  et  du  Mesnil ,  dix  mines  de  pré 
à  Miauroy,  et  une  masure  et  lieu  nommés  l'hôtel  de  Lannoy,  sis 
en  la  paroisse  de  Notre-Dame-du-Thil,  «  près  du  hos  de  Brullet,  » 


(1)  LoQV.  :  Hist.  de  Beauv.,  1. 1 ,  p.  555.  —  Arch.  de  l'Oise  :  6.  chapitre 
catb. 

i2)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Salnt-Lacian. 


DB  L'ABBAYK  ROYALB  DB  SAINT-LUCIEN.  561 

avec  toutes  les  terres ,  vignes,  bois  et  jardins  appartenant  à Tal)- 
baye  de  Lannoy,  sis  au  même  lieu  (1). 

En  1489,  il  rachète,  de  Pierre  de  Pisseleu,  une  rente  annuelle 
de  sept  quartiers  de  blé ,  que  ce  chevalier  percevait  sur  la  grange 
de  l'abbaye ,  sise  à  CouUemogne. 

L'abbé  de  Saint-Lucien  et  son  monastère  n'étaient  pas  sans 
prendre  part  aux  événements  et  aux  affaires  qui  se  déroulaient 
autour  d'eux.  Nous  avons  dit  ce  qu'ils  ont  fait,  et  soufTert  pen- 
dant le  mémorable  siège  de  Beauvais  de  1472.  En  1478,  sur  la 
réquisition  des  maire  et  pairs  de  la  ville,  ils  contribuent  lar- 
gement à  la  réparation  des  fortifications  endommagées  par  le 
siège.  Plus  tard,  en  1488,  ils  se  mêlent  ardemment  aux  débats 
et  aux  troubles  qui  accompagnent  l'élection  du  successeur  de 
l'évêque  Jean  de  Bar.  Ils  se  prononcent  ouvertement  pour  An- 
toine Du  Bois,  le  candidat  patrôné  par  le  roi  et  la  cour  de  Rome, 
contre  Louis  de  Villiers  de  l'Ile-Adam ,  l'élu  de  la  majorité  du 
chapitre.  Antoine  Du  Bois  était  le  neveu  de  Philippe  de  Grève- 
cœur,  maréchal  des  Querdes,  et  les  Beauvaisins  n'avaient  pas 
encore  oublié  les  terribles  assauts,  que  cet  illustre  homme 
d'armes  avait  livrés  à  leur  ville  en  1472.  Il  est  vrai  qu'il  avait 
abandonné  le  parti  des  Bourguignons  et  qu'il  était  alors  un  des 
plus  fermes  soutiens  de  la  couronne  de  France;  mais  cela  n'em- 
pêchait pas  les  Beauvaisins  de  conserver  une  certaine  rancune 
contre  l'oncle;  et  le  neveu  s'en  ressentait.  D*un  autre  côté,  la  ma- 
nière dont  il  se  présentait  indisposait  le  chapitre.  Du  Bois  vou- 
lait s'imposer  en  quelque  sorte  par  la  violence ,  en  se  servant 
des  bulles  de  nomination  qu'il  avait  déjà  obtenues  du  pape  et  de 
la  faveur  du  roi,  pour  forcer  l'élection,  et  le  chapitre  réagissait 
contre  cette  pression  avec  d'autant  plus  de  fermeté  qu'il  voyait 
sa  liberté  et  ses  droits  compromis,  et  donnait  ses  voix  à  un  autre 
compétiteur,  à  Louis  de  Villiers. 

Le  roi,  vexé  de  la  résistance  du  chapitre,  mit  Antoine  Du  Bois 
en  possession  du  temporel  de  l'évêché,  et  celui-ci  s'empara  aussi- 
tôt de  l'administration  diocésaine.  Gomme  il  n'avait  que  dix-sept 
ans.  Du  Bois  prit  pour  son  vicaire-général  un  homme  d'ftge  et 
d'expérience  dont  il  connaissait  le  dévouement,  il  choisit  Jean  de 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  Abb.  de  Saint-Lucien. 


5M  HISTOIIB 

Villen-Saint-PaDl,  l'abbé  de  Saint-Lucien.  Sontenn  et  encouragé 
par  ce  granâ-ticaire,  il  se  croyait  en  droit  d'eiercer  la  jnridic- 
tioD  spirituelle ,  et  se  mit  à  faire  des  nominations  aux  bénéfices 
vacants.  Le  chapitre  résista  et  défendit  de  loi  obéir  sons  peine 
d'excommunication;  en  même  temps,  il  fit  administrer  le 
diocèse  par  des  Ticaires-généranx  capitnlaires,  en  attendant  la 
confirmation  de  l'élection  de  Louis  de  Villiers.  Mais  un  jour  que 
leurs  commissaires  voulurent  faire  la  visite  canonique  de  l'ab- 
baye de  Saint-Lucien,  l'abbé  Jean  de  Villers  leur  en  refusa  l'en- 
trée. On  devait  s'y  attendre  de  la  part  du  vicaire-général  de  celui 
qui  se  regardait  comme  l'évèque  véritable  de  par  le  pape  et  de 
par  le  roi.  Le  chapitre  avait  aussi  agi  de  la  sorte  pour  narguer 
l'abbé,  et  il  répondit  à  son  refus  en  l'excommuniant.  Ces  pro- 
cédés n'étaient  guère  propres  à  calmer  les  esprits,  ni  à  terminer 
le  différend.  La  lutte  durait  depuis  quatre  ans,  quand  le  plus 
ferme  appui  d'Antoine  Du  Bois ,  Jean  de  Villers  mourut  subite- 
ment le  17  juin  1492.  Le  chapitre  aussitôt  signifia  aux  reh'gieux 
qu'ils  eussent  à  lui  refuser  la  sépulture  ecclésiastique,  attendu 
qu'il  était  excommunié.  On  redoutait  tant  les  censures,  à  cette 
époque,  que  les  religieux  n'osèrent  passer  outre.  Le  20  juin,  le 
corps  de  l'abbé  n'était  pas  encore  inhumé ,  quand  Péronne  de 
Villers,  sa  sœur,  et  d'autres  parents,  déléguèrent  Laurent  Danse, 
procureur  db  roi,  Hugues  de  Lannoy  et  Jean  Chastellain,  notaires 
apostoliques,  par  devers  le  chapitre  pour  obtenir  l'absolution  de 
l'excommunication  et  la  permission  d'inhumer  l'abbé  en  terre 
sainte.  Ils  le  demandèrent  humblement,  disent  les  registres  du 
chapitre,  cités  par  God.  Hermant  (1),  en  considération  «  de  sa 
bonne  vie  précédente  et  des  grandes  marques  de  contrition 
qu'il  avoit  données  à  la  mort,  n'ayant  pu  demander  lui-même 
d'être  relevé  de  cette  censure,  parce  qu'il  avoit  été  prévenu  par 
une  maladie  si  violente,  qu'il  n'en  n'avait  pas  eu  le  temps.  •  Le 
chapitre  mit  la  demande  en  délibération  et  fut  d'avis  qu'on  ac- 
corderait l'absolution  de  la  censure  «  aux  larmes  des  parents  de 
l'abbé  et  aux  marques  de  repentir  qu'il  avoit  données  en  mou- 
rant. »  Mais  pour  prendre  la  revanche  du  refus  d'entrée,  qui  avait 
été  fait  auparavant,  il  délégua  les  deux  chanoines  qui  avaient 


(1)  G.  Hermant  :  Hist.  de  Beauv.,  I.  x ,  eh.  33. 


DE  L*ABBATB  ROTALB  DE   SAINT-LUOEN.  668 

essuyé  ce  reftis ,  Gilles  de  Berthaucourt  et  Jean  Bernard ,  pour 
aller  donner  cette  absolution  dans  Téglise  de  Tabbaye ,  et  statua 
qu'on  la  ferait  notifier  à  tous  les  fidèles  du  diocèse  par  mande- 
ment lu  en  chaire.  Le  chapitre  triomphait  sur  un  cercueil. 

Jean  de  Vlllers  put  dès  lors  être  inhumé;  son  corps  fût  placé 
dans  le  chœur  de  Téglise  de  son  abbaye,  à  droite,  du  côté  de 
répitre.  Il  reposait  enfin  en  paix.  Son  successeur  et  son  ami, 
celui-là  même,  pour  qui  11  avait  tant  lutté  et  s'était  attiré  tant 
de  désagréments,  Antoine  Du  Bois,  lui  fit  élever  un  magni- 
fique mausolée.  Ce  mausolée ,  que  nous  reproduisons  d'après 
les  dessins  de  Gaignières  (Bibl.  Bodl.,  à  Oxford),  le  représente  re- 
vêtu des  ornements  pontificaux ,  mitre  en  tète  et  les  pieds  ap- 
puyés sur  un  lion.  Le  tombeau  était  en  pierre  richement  sculp- 
tée, et  s'élevait  d'un  mètre  environ  au-dessus  du  sol. 

Jean  de  Viilers  fut  le  dernier  abbé  régulier  qui  régit  Saint- Lu- 
cien ;  après  lui  commença  la  triste  postérité  des  abbés  commen*^ 
dataires.  On  sait,  à  part  quelques-uns,  ce  qu'ils  valurent  pour 
les  établissements  qu'ils  eurent  à  leur  discrétion.  Mettre  trop 
souvent  le  trouble  dans  les  communautés,  les  exploiter  à  leur 
profit,  et  absorber  le  plus  clair  de  leurs  revenus,  c'est  là  ce 
q  l'ils  surent  le  mieux  faire.  On  peut  bien  dire  aussi  qu'avec  eux 
commença  la  décadence  la  plus  funeste  pour  les  ordres  religieux. 
Nous  allons  voir,  du  reste,  ce  que  fut  leur  administration  à 
Saint-Lucien,  et  il  sera  facile  de  se  convaincre  qu'ils  n'y  appor- 
tèrent pas  la  régénération  religieuse,  qui  pourtant  était  si  néces- 
saire. Les  troubles  civils  et  les  guerres  avaient  relâché  tous  les 
liens  de  la  vie  régulière,  et  c'étaient  d'austères  réformateurs 
plutôt  que  des  abbés  commendataires  qu'il  aurait  alors  fallu  »  et 
ces  réformateurs  ne  vinrent  que  bien  plus  tard. 

ABBÉS  COMMENDATAIRES. 

I.  —  Antoine  Dix  Bois  (U92-1637]. 

La  mort  de  Jean  de  Yillers  n'avait  pas  mis  fin  à  la  lutte 
engagée  au  sujet  du  siège  éplscopal  de  Beauvais.  Les  deux 
compétiteurs  continuaient  de  défendre  leurs  intérêts  et  faisaient 
tous  leurs  efforts  pour  s'implanter  définitivement  au  détriment 


564  HISTOIRE 

Tun  de  l'autre.  Le  pape  et  le  roi  protégeaient  toujours  Antoine 
Du  Bois,  et  Innocent  YTII,  pour  lui  témoigner  sa  bienveillance, 
le  pourvut  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  devenue  vacante  par  la 
mort  de  Jean  de  Villers.  La  bulle  de  provision  est  du  vu  des  ides 
de  juillet  (9  juillet)  4492.  Ce  fut  un  des  derniers  actes  de  ce  pon- 
tife, qui  mourut  le  25  juillet  suivant.  Si  l'évècbé  échappait,  l'ab- 
baye du  moins  resterait,  c'était  la  pensée  de  Du  Bois  et  de  ses 
protecteurs. 

Le  nouvel  abbé  de  Saint-Lucien  arrivait  à  la  tète  de  son  monas- 
tère d'une  manière  assez  peu  régulière.  Il  n'était  pas  religieux  et 
n'avait  pas  l'intention  d'en  prendre  l'babit,  et  de  plus  et  surtout, 
il  y  entrait  par  une  autre  voie  que  par  l'élection.  On  l'avait 
imposé  à  la  communauté,  sans  la  consulter,  on  avait  spolié  les 
religieux  du  plus  sacré  de  leurs  droits,  et  de  celui  auquel  ils 
tenaient  le  plus.  On  ne  leur  laissait  pas  le  droit  de  disposer 
d'eux-mêmes,  ni  la  liberté  de  se  donner  le  supérieur  qui  devait 
leur  commander  et  les  diriger,  et  dans  les  mains  duquel  ils 
devaient  remettre  tous  leurs  intérêts ,  aussi  bien  ceux  de  leur 
conscience,  que  ceux  du  temporel  de  leur  établissement.  L'ab- 
baye était  donnée  en  commende.  La  vieille  règle  canonique  de 
l'élection  était  supprimée.  Celui  qui  la  supprimait  était,  il  est 
vrai,  le  supérieur  ecclésiastique  et  hiérarchique,  et  il  en  avait  le 
droit;  mais  n'était-ce  pas  une  faute?  Ce  que  le  pape  faisait,  les 
rois  allaient  vouloir  le  faire,  comme  supérieurs  immédiats  du 
temporel.  Que  dis-je?  Ce  n'était  déjà  plus  à  faire.  Tous  les  jours 
les  rois,  en  s'immisçant  dans  les  élections  monastiques,  ne  ten- 
daient-ils pas  à  ce  but,  à  substituer  leur  volonté  à  celle  des  reli- 
gieux? Le  temps  n'était  plus  loin  où  les  papes,  après  avoir  en- 
levé à  leur  profit  la  nomination  des  abbés  aux  communautés 
religieuses,  seraient  obligés  de  la  céder  aux  rois  et  de  ne  con- 
server que  l'institution  canonique.  François  !«<'  n'allait  pas  tarder 
à  traiter  ce  sujet  avec  Léon  X,  et  le  concordat  de  i5l6  devait  en 
être  le  résultat.  L'élection  des  supérieurs  monastiques  par  les 
religieux  intéressés  au  choix  serait  abolie,  et  la  nomination 
des  abbés  dévolue  au  roi.  Le  nouvel  état  de  choses  ferait  des 
abbayes  des  sinécures  destinées  à  récompenser  les  favoris  des 
rois.  Si  l'ancienne  situation  avait  des  inconvénients  par  les  dis- 
sensions intérieures  qu'elle  suscitait  souvent  dans  les  monas- 
tères, la  nouvelle  devait  produire  des  effets  plus  déplorables  en- 


DB  L'aBBATK  EOTAUE  DE  SAIlfT-LUCIEN.  565 

core.  Un  antagonisme  continuel  allait  s'établir  entre  les  abbés 
et  les  communautés,  et  une  prompte  désorganisation  s'en  suivre. 
L'introduction  des  commendes  fut  le  coup  le  plus  terrible  porté 
à  Texistence  des  institutions  religieuses;  elles  ne  s'en  relevèrent 
jamais. 

Antoine  Du  Bois  inaugurait,  à  Saint-Lucien,  l'ère  des  abbés 
commendataires,  et  son  avènement  cependant  ne  déplut  pas  aux 
religieux.  Il  avait  d'avance  TafTection  de  ces  bons  moines;  ils 
s'étaient  jadis  compromis  avec  leur  abbé,  pour  faire  prévaloir  sa 
candidature  à  l'évèché  de  Beauvais,  et  ils  le  reçurent  avec  bon- 
neur,  lors  de  sa  prise  de  possession.  Il  leur  en  sût  aussi  gré ,  et 
toute  sa  vie,  il  tint  à  leur  donner  des  marques  de  sa  reconnais- 
sance. 

Le  nouvel  abbé  n'avait  que  vingt  et  un  ans ,  c'était  bien  jeune 
pour  prendre  la  direction  d'un  monastère  comme  celui  de  Saint- 
Lucien;  mais  alors  on  n'y  faisait  plus  attention.  Ceux  qui 
devaient  avoir  le  plus  à  cœur  la  régularité  et  la  prospérité 
des  ordres  religieux,  les  papes  eux-mêmes  se  prêtaient  à  ce 
désordre.  Antoine  Du  Bois  sentit  du  moins  son  insuffisance, 
pour  la  direction  spirituelle  de  la  communauté,  et  il  eut  le  bon 
esprit  de  la  confier  au  prieur  claustral,  religieux  doué  d'une 
baute  expérience.  Ce  religieux  se  nommait  Nicole  Le  Caron,  et 
il  dirigea  le  couvent  pendant  de  longues  années.  L'abbé  se 
contenta  d'administrer  le  temporel,  c'était  peut  être  ce  qu'il 
trouvait  de  plus  intéressant,  c'était  du  moins  ce  qu'il  savait 
être  le  plus  lucratif.  L'abbaye  n'eut  pas  du  reste  à  se  plaindre 
de  son  administration ,  car  à  peine  y  fut-il  entré  qu'il  donna 
tous  ses  soins  à  l'amélioration  de  ses  édifices  et  de  son  mobi- 
lier. Et  pourtant  il  avait  à  songer  à  bien  d'autres  affaires ,  qui 
devaient  le  préoccuper  fortement.  Il  était  déjà  chanoine  de  la 
Sainte  Chapelle  de  Paris;  mais  ce  bénéfice  ne  lui  donnait  guère 
de  soucis,  il  n'avait  qu'à  en  percevoir  les  revenus.  Il  n'en  était 
pas  de  même  de  l'évèché  de  Beauvais ,  dont  il  avait  été  pourvu 
quatre  ans  auparavant  par  lettres  apostoliques ,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit.  La  résistance  du  chapitre,  loin  de  diminuer,  ne  fai- 
sait qu'augmenter,  et  sa  résolution  de  n'accepter  pour  évêque 
que  Louis  deVilliers,  le  candidat  élu  par  lui,  s'accentuait  si 
bien ,  qu'Antoine  Du  Bois ,  malgré  toutes  ses  tentatives  et  l'appui 
du  roi,  dut  un  jour  s'avouer  vaincu,  il  essaya  encore,  pendant 


ft66  RISTOIM 

quelque  temps  de  lutter;  mais  sa  cause  et  les  moyens ,  qu'il  em«- 
ploya  pour  la  soutenir,  tombèrent  tellement  en  défaveur,  que 
le  Parlement  le  repoussa  définitivement,  en  1497. 

Il  n'avait  pas  été  plus  heureux  à  Beziers.  Cédant  aux  sollici- 
tations de  sa  famille,  le  roi  Charles  YIII  et  le  pape  Innocent  VIII 
l'avaient  nommé  à  lévèché  de  Beziers  en  1490.  Mais  là,  comme 
à  Beauvais,  le  chapitre,  tenant  à  ses  droits,  avait  élu  en  concur- 
rence Pierre  Javailhac,  et  le  soutint  si  bien,  qu'Antoine  Du  Bois 
dut  encore  se  retirer  devant  lui.  Les  sièges  épiscopaux  ne  lui  réus- 
sissaient pas,  et  il  fut  contraint  de  se  contenter  de  son  cano- 
nicat  de  la  Sainte-Chapelle  et  de  la  commeude  de  Saint-Lucien. 
Pourtant,  à  force  d'adresse,  il  parvint  à  s'insinuer  dans  les 
bonnes  grâces  de  Pierre  Javailhac ,  son  compétiteur  à  Tévèché 
de  Beziers;  il  lui  représenta  le  mécontentement  du  roi  de  le  voir 
préféré  à  un  candidat  de  son  choix,  et  parvint  tellement  à  lui 
faire  craindre  le  ressentiment  du  monarque,  que  le  trop  timide 
prélat  consentit  à  abdiquer  en  sa  faveur.  Antoine  Du  Bois  lui 
promettait  d'ailleurs  de  lui  céder  son  canonicat  de  la  Sainte* 
Chapelle.  Pierre  Javailhac  accepta  l'échange  :  il  fût  reçu  cha- 
noine de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris  le  2  février  1503,  et  Antoine 
Du  Bois,  au  comble  de  ses  vœux,  put  enfin  être  promu  à  un 
siège  épiscopal.  Il  ne  put  pas  encore  cependant  s'en  réjouir 
tranquillement;  le  chapitre  de  Beziers  le  voyait  arriver  de  mau- 
vais œil,  et  lui  suscita  un  nouveau  compétiteur  dans  la  personne 
de  Guy  de  Chateauneuf  de  Brétenous.  Cette  fois  le  succès  fut 
pour  Du  Bois  :  un  arrêt  du  Parlement  débouta  son  compétiteur, 
en  1S06.  Antoine  Du  Bois  était  enfin  parvenu  à  être  évèque  in- 
contesté  et  il  le  fut  jusqu'à  sa  mort,  jusqu'en  1537  (1). 

Malgré  tous  les  ennuis  et  les  préoccupations  causés  par  ces 
différentes  compétitions ,  Du  Bois  n'oubliait  point  son  abbaye  de 
Saint^Lucien,  si  dévouée  du  reste  à  ses  intérêts.  Longtemps  il 
en  fit  sa  demeure  affectionnée  et  privilégiée >  et  il  travaillait  de 
tout  son  pouvoir  à  l'embellir.  Il  en  était  à  peine  abbé  depuis  six 
mois,  que  déjà  il  avait  fait  commencer  le  splendide  jubé  en  bois 
sculpté  et  ces  admirables  stalles  aux  scènes  les  plus  fantastiques 
et  les  plus  variées,  qui  ont  inspiré  Callot  dans  sa  tentation  de 


(1)  GaU.  Chriêt,  t.  vi,  col.  364. 


DK  l'ABBAYB  ROTALB  DB  SAIIfT-LUGIBlf.  S67 

saint  Antoine,  et  qui  semblent  une  yéritable  débauche  de  la 
sculpture  sur  bois  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  spirituel  et  de  plus 
sarcastique,  en  même  temps  que  de  plus  finement  travaillé.  Nous 
en  donnons  plus  loin  la  description.  Cette  oeuvre,  commencée 
le  25  novembre  1402,  ne  ftit  achevée  qu'en  Tan  1500;  elle  avait 
demandé  huit  ans  d'un  travail  assidu  à  d'habiles  bahutiers; 
ce  fut  aussi  un  chef-d'œuvre  dont  on  regrettera  toujours  la  dis- 
parition. On  peut  en  juger  par  une  partie  des  stalles  conservée 
dans  l'église  collégiale  de  Saint-Denis,  près  Paris.  Antoine  Du 
Bois  fit  en  outre  placer  des  vitraux  peints,  d'un  excellent  style, 
dans  l'église,  restaurer  et  presque  reconsstruire  à  neuf  les  bâti- 
ments entre  l'église  et  la  tourelle  dite  de  Luchy,  pour  servir 
de  logis  abbatial,  et  construire  le  château  de  Saint-Félix  pour 
sa  résidence  de  campagne  (1). 

Cet  abbé,  qu'on  aurait  pu  surnommer  le  Magnifique^  avait  fait 
placer  partout  ses  armoiries  dans  son  monastère;  on  les  voyait 
au  jubé,  on  les  voyait  aux  vitraux;  elles  étaient  aux  fenêtres  du 
logis  abbatial  et  en  bien  d'autres  endroits.  Elles  portaient  :  d'ar- 
gent  au  lion  de  sable ^  écartelé  et  contrécartelé  d'or  et  de  sable  (2). 
Il  avait  un  sceau  particulier  pour  l'expédition  des  affaires  de 
son  abbaye;  ce  sceau  différait  de  celui  des  abbés  réguliers,  en 
ce  que,  au-dessous  des  effigies  des  saints  martys  Lucien,  Maxien 
et  Julien ,  l'abbé  avait  fait  graver  un  écusson  portant  ses  armes. 

Antoine  Du  Bois  fit  aussi  don  à  la  bibliothèque  de  son  abbaye 
d'un  grand  nombre  de  livres  de  droit  reliés  h  ses  armes  (3).  Il 
comblait  enHn  sa  communauté  de  ses  libéralités.  Devenu  évèque 
de  Béziers,  il  ne  cessa  pas  de  s'intéresser  à  son  monastère  de 
Saint-Lucien,  de  veiller  sur  lui  ni  de  le  protéger  en  toutes  cir- 
constances. Il  se  plaisait  à  y  venir  passer  quelques  semaines 
tous  les  ans,  au  milieu  de  ces  religieux  qui  l'affectionnaient  sin- 
gulièrement, et  il  voulut  qu'après  sa  mort  son  cœur  y  fût  rap* 
porté. 


(1)  D.  Percheron,  c.  45. 

(2)  G  est  à  tort  que  les  frères  de  Sainte-Marthe  les  ont  indiquées  comme 
portant  :  de  gueules^  à  troif  chevrons  d'or,  le  premier  brisé  d'un  croissant 
d'azur. 

(3)  D.  Porcheron  :  c.  45. 


568  HISTOIRE 

Antoine  Du  Bois  mourut  le  17  avril  1537,  et  son  cœur,  suivant 
le  désir  exprimé  dans  son  testament,  fût  rapporté  à  Saint- 
Lucien.  Ses  religieux  le  firent  solennellement  inhumer  au  côté 
droit  du  grand  autel  de  leur  église  et  placèrent  sur  sa  tombe  un 
marbre  blanc,  taillé  en  cœur,  portant  rinscription  suivante  : 

Hac  jacet  in  terrd  lux  magna  et  gloria  mundi; 

Pastor  et  insignis  ccenobiarcha  domus^ 

Nobilis  ex  génère,  ae  verus  pietatis  amator^ 

Doctrinâ  clarus^  moribus^  atgue  gravis^ 

Religionis  honor^  summum  patries  decus  et  lau9, 

Cœnobio  nostro  munera  multa  dédit, 

Obiit  anno  MDXXXVii. 

Par  une  délicate  attention ,  ils  décidèrent,  en  chapitre,  que 
désormais  on  ne  se  servirait  plus  de  bassin  au  Lavabo  des  messes 
dites  au  grand  autel ,  afin  que  l'eau  versée  sur  les  mains  du  cé- 
lébrant, tombant  sur  la  pierre  tumulaire,  représentât  les  larmes 
que  la  communauté  devait  toujours  verser,  au  souvenir  des  bon- 
tés dont  ce  généreux  abbé  Tavait  comblée.  Ces  religieux  n'avaient 
point  perdu  la  mémoire  du  cœur,  et  le  témoignaient  par  un  pro- 
cédé charmant  dans  sa  simplicité.  L'usage  se  perpétua  jusqu'au 
milieu  du  xviiP  siècle ,  et  il  ne  disparut  que  vers  i  7i0,  quand 
un  gradin,  que  Ton  ajouta  au  palier  de  l'autel,  vint  couvrir  le 
marbre  du  tombeau.  On  fit  alors  graver  sur  une  plaque  de 
cuivre  l'inscription  tumulaire  qui  était  sur  le  marbre,  et  on  la 
fixa  à  un  pilier  voisin  pour  conserver  le  souvenir  du  grand 
abbé  (1). 

Le  prieur  du  monastère,  D.  Nicole  Le  Caron,  était  mort  bien 
avaut  l'abbé.  Durant  sa  vie,  il  avait  voulu  imiter  la  libéralité 
de  son  supérieur  et  avait  fait  divers  dons  à  l'église  et  à  la  sa- 
cristie de  son  abbaye.  Le  magnifique  aigle  du  lutrin  et  de  riches 
ornements  sacerdotaux  venaient  de  lui.  Il  s'endormit  tranquil- 
lement dans  le  Seigneur,  disent  les  annales  de  la  maison ,  après 
une  longue  et  sage  administration.  Son  rôle  avait  été  moins  ap* 


1)  D.  Porcheron,  e.  45. 


DE   l'abbaye  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  569 

parent  et  moins  brillant  que  celui  de  Vabbé ,  mais  il  eut  son 
utilité  pour  la  communauté,  dont  il  avait  conservé  la  régu- 
larité. 11  eut  pour  successeur  dans  ce  poste,  désormais  le  plus 
important  de  l'établissement  pour  la  vie  intérieure  des  religieux, 
D.  Jean  Le  Cocq. 

Après  la  mort  d'Antoine  Du  Bois,  les  religieux  élurent  deux 
vicaires-généraux,  D.  Jacques  Le  Garon ,  frère  de  l'ancien  prieur, 
et  D.  Melchior  Le  Febvre,  pour  administrer  le  temporel  de  leur 
abbaye  pendant  la  vacance. 

II.  —  Odet  de  Oollgny  (< 537-4 569). 

Aussitôt  que  Tabbaye  fut  devenue  vacante,  le  roi,  usant  du 
privilège  que  lui  accordait  le  concordat  de  iSi6,  en  donna  la 
commende  à  Odet  de  Coligny,  cardinal  de  Cbàtillon ,  archevêque 
de  Toulouse  et  évèque  de  Beauvais  tout  à  la  fois ,  et  déjà  pourvu 
de  plusieurs  autres  abbayes.  Les  religieux  n'avaient  pas  à  faire 
d'objections;  ils  se  soumirent  sans  mot  dire,  et  acceptèrent  cet 
abbé  de  nouvelle  origine,  qui  ne  saurait  pas  avoir  pour  eux  les 
mêmes  attentions  ni  les  mêmes  bontés  que  son  prédécesseur.  Il 
ne  devait  pas,  du  reste,  en  avoir  le  loisir.  Cet  évêque-abbé  ne 
recherchait  les  bénéûces  que  pour  en  percevoir  les  revenus,  et 
il  s'en  fit  assez  donner  pour  soutenir  son  luxe  et  son  train  de 
courtisan.  Indépendamment  de  ses  deux  évêchés,  il  eut  jusqu'à 
seize  abbayes  en  commende.  11  n'est  pas  besoin  de  dire  qu'il  ne 
s'occupait  guère  lui-même  de  leur  administration  ;  il  avait  établi, 
dans  chaque  localité,  des  conseils  particuliers  chargés  d'y 
veiller,  et  ces  conseils  relevaient  d'un  conseil  central  établi  à 
Paris.  Pour  lui,  prélat  mondain,  qui  ne  fut  même  jamais  or- 
donné prêtre ,  il  se  livrait  à  toutes  les  intrigues  de  la  cour  sans 
se  soucier  de  ses  bénéfices.  Aux  époques  fixées,  l'argent  néces- 
saire à  son  faste  et  à  ses  plaisirs  arrivait,  peu  lui  importait  le 
reste. 

Il  est  un  fait  cependant  que  l'on  doit  dire  à  sa  louange,  c'est 
qu'il  composa  généralement  fort  bien  ses  conseils  d'administra- 
tion; les  membres  en  étaient  toujours  choisis  parmi  les  hommes 
les  plus  recommandables  du  lieu  ;  il  en  fût  ainsi  du  moins  pen- 
dant la  première  période  de  son  épiscopat.  Plus  tard,  quand  il 


570  HISTOIBB 

ménagea  sa  défection  au  catholicisme ,  ce  fût  autre  chose.  Le 
conseil  de  Beauvais  était  composé  des  vicaires-généraux,  des 
principaux  ofticiers  du  comté  et  des  magistrats  les  plus  renom- 
més delà  ville.  Il  s'assemhlait  une  fois  chaque  semaine  au  palais 
épiscopal. 

Il  prit  en  main  l'administration  du  temporel  de  Tabbaye  de 
Saint-Lucien,  aussitôt  qu'Odet  de  Coligny  en  fût  pourvu,  et  la 
régit  à  son  gré,  sans  se  préoccuper  en  aucune  façon  de  la  ma- 
nière de  faire  des  religieux.  (1  leur  payait,  à  divers  termes,  une 
somme  d'argent  et  leur  fournissait  le  grain  nécessaire  à  leur 
subsistance;  quant  au  reste,  il  ne  tenait  pas  plus  compte  d'eux 
que  s'ils  n'existaient  pas.  Les  baux,  ventes,  échanges,  acquisi- 
tions et  autres  contrats  étaient  passés  au  nom  de  Tillustrissime 
cardinal,  sans  qu'il  itlt  fait  aucune  mention  de  la  communauté. 
On  dirait,  en  voyant  ces  actes,  que  Tabbé  était  l'unique  proprié- 
taire de  ces  biens  et  que  les  religieux  n'avaient  droit  sur  eux 
qu'à  une  pension  alimentaire.  Et  pourtant  eux  seuls,  en  tant 
que  communauté  religieuse,  en  étaient  propriétaires,  et  on  leur 
ôtait  le  droit  de  les  régir.  Légalement  et  canoniquement  on  ne 
pouvait  pas  leur  en  enlever  la  propriété,  mais  on  leur  en  prit 
la  jouissance,  et  si  bien,  qu'on  ne  leur  permit  pas  même  de 
s'enquérir  comment  ils  étaient  administrés.  C'étaient  les  fruits 
de  la  commende,  et  ces  fruits  devenaient  bien  durs  et  bien 
amers  pour  les  religieux.  L'abbé  menait  grand  train  avec  les  re- 
venus du  monastère,  et  pour  que  ses  ressources  fussent  aussi 
abondantes  que  possible,  il  faisait  mesurer  parcimonieusement 
la  subsistance  aux  bons  moines,  ses  enfants. 

Le  conseil  de  l'abbé,  pour  avoir  moins  à  s'occuper  des  biens 
et  des  revenus  de  l'abbaye,  les  afferma  tous,  avec  toutes  les  re- 
devances, à  un  particulier,  qui  eut  l'autorisation  de  sousbailler 
à  ses  risques  et  périls.  Ce  fermier  général  agiotait  comme  il  l'en- 
tendait, pourvu  qu'il  payât  la  somme  portée  en  son  bail ,  et  ac- 
quittât les  charges  qui  y  étaient  énoncées.  Il  fit,  paralt>il,  large- 
ment ses  affaires.  Il  n*en  fut  pas  de  même  des  petits  fermiers 
particuliers  ;  eux  aussi  regrettaient  le  temps  d'avant  les  com- 
mendes ,  le  temps  où  lès  moines ,  affermant  eux-mêmes  leurs 
terres,  ne  se  montraient  guère  exigeants  pour  le  pauvre  monde. 
Survenait-il  alors  une  mauvaise  récolte,  le  fermier  se  plaignait 
et  lea  moines  diminuaient  le  fermage  ;  sous  un  fermier  général 


DE  L'àBBATB  ROTALB  DK  SAINT-LUCIEN.  571 

et  un  abbé  commendataire ,  il  ne  fallut  plus  penser  à  ces  ména- 
gements. 

Odet  de  Coligny  vint  peu  souvent  à  Beauvais  et  encore  moins 
souvent  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien.  Nous  ne  dirons  rien  des 
actes  de  sa  vie,  ils  sont  assez  connus  et  nous  laissons  ce  soin 
aux  historiens  du  siège  épiscopal  de  Beauvais. 

Le  roi  François  !«'  perdit,  en  J 545,  le  duc  d'Orléans,  son  fils, 
qui  l'avait  accompagné  dans  son  expédition  contre  les  Anglais. 
Le  corps  du  jeune  prince  fut  apporté  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien, 
on  y  célébra  pompeusement  son  service  flinèbre  et  on  le  déposa 
dans  les  caveaux,  en  attendant  qu'on  pût  le  conduire  à  Saint- 
Denis.  Après  la  cérémonie  funèbre,  le  cbambcllan  du  jeune 
prince,  Africain  de  Mailly,  seigneur  de  Villers-les-Pots ,  et  son 
aumônier,  Guillaume  du  Maine,  abnéde  Beaulieu,  demandèrent 
au  prieur,  D.  Lefèvre ,  de  vouloir  bien  faire  dire  tous  les  jours, 
pendant  un  mois ,  pour  le  repos  de  Tàme  du  défunt ,  une  messe 
chantée,  avec  diacre  et  sous -diacre,  et  cinq  messes  basses  de 
Requiem^  les  vêpres  des  morts,  et  des  antiennes  par  les  novices. 
Ils  convinrent  pour  cela  de  payer  48  sols  tournois  par  jour,  et 
de  laisser,  pendant  ce  temps ,  les  ornements  somptueux  que  l'on 
avait  fait  apporter.  Ils  stipulèrent,  à  cette  occcasion,  qu'un  clerc 
coucherait  dans  l'église  pour  garder  les  ornements,  moyennant 
2  sols  tournois  par  jour,  et  en  outre  que  les  religieux  seraient 
tenus  de  veiller  à  ce  qu'il  «  ne  soit  rien  perdu  ou  desrobbé  de 
«  tous  les  ornemens,  sainctures,  poilles,  paremens,  couvertures 
«  et  autres  meubles,  qui  seront  laissés  en  leur  église  par  inven- 
«  taire  (1).  » 

Le  13  mai  i547,  les  évèques  de  Rennes  et  d'Angoulème  vinrent 
chercher  les  restes  du  prince  défunt  pour  les  conduire  à  l'abbaye 
de  Saint-Denis  et  leur  donner  la  sépulture  à  côté  de  ceux  du  roi 
son  père. 

Après  la  mort  de  François  I«',  l'administration  peu  virile  de 
ses  successeurs  laissa  créer  à  la  France  une  situation  des  plus 
troublées.  Les  scandales  de  la  cour,  les  intrigues  des  partis,  les 
révolutionnaires  tentatives  ù»&  religionnaires  réformés  avaient 


1)  Copies  de  la  pièce  originale ,  dans  les  cabinets  de  MM.  Borel  de 
Brétixel  et  comte  de  Merlemont. 


572  HISTOIRE 

jeté  le  désarroi,  Tindiscipline  et  le  désordre  dans  toutes  les 
institutions ,  et  mis  en  péril  la  tranquillité  du  royaume.  Fran- 
çois II  résolut  de  convoquer  les  Etats-Généraux  pour  consulter 
les  représentants  de  la  nation  sur  les  moyens  à  prendre  pour 
ramener  la  sécurité,  réformer  les  abus  et  rétablir  la  paix. 
L'assemblée  ^e  réunit  à  Orléans  le  18  octobre  Ib'GO.  Les  trois 
Ordres  y  envoyèrent  leurs  députés.  L'abbaye  de  Saint-Lucien 
donna  ses  pouvoirs,  pour  la  représenter,  au  cardinal  de  Cbàtil- 
Ion ,  son  abbé.  Elle  dut  lui  remettre  aussi  le  cahier  de  ses  do- 
léances, comme  le  firent  tous  les  autres  corps  et  institutions; 
mais  nous  n'avons  pu  le  retrouver.  Il  n'aurait  pas  manqué  d'in- 
térêt pour  nous  éclairer  sur  les  besoins  et  les  aspirations  deo 
membres  de  la  communauté.  Il  devait  différer,  sans  doute ,  de 
celui  des  corps  de  métiers  de  la  ville ,  dont  nous  avons  vu  des 
extraits,  et  il  a  dû  avoir  aussi  des  plaintes  et  des  doléances 
semblables.  Il  aurait  bien  pu  porter,  comme  celui  des  maîtres 
orfèvres  de  Beauvais  :  «  Nous  nous  plaignons  de  n'avoir  notre 
«  évèque  pasteur,  pour  montrer  la  manière  de  vivre  en  gens  de 
«  bien  et  comme  bons  chrestiens,  car  par  cy-devant  que  les 
«  bonnes  coutumes  de  élire  un  bon  pasteur  par  le  Saint-Esprit 
«  étolt  en  bonne  règle,  le  peuple  étoit  instruit  et  sans  erreur, 
«  même  les  pauvres  étaient  substantés  du  bien  dudit  pasteur, 
«  pourquoi  ladite  électure  est  requise  et  nécessaire  tant  pour 
a  l'édification  du  peuple  que  pour  la  substantation  des  pauvres. 

«  Quant  à  l'abbé,  se  doit  faire  aussi  pareillement  d'un  reli- 
i  gieux  portant  Vhabit  de  ladite  abbaye,  afin  que  lesdits  reli 
«  gieux  soient  gouvernés  sobrement,  comme  de  leur  état  appar- 
«  tient,  pour  éviter  toute  paillardise  et  autres  vices  déplaisant 
«  à  Dieu. 

«  Quant  à  tous  gens  d'église,  à  scavoir  évêque,  abbés,  curés, 
«  chanoines,  prieurs  et  autres,  ne  pourroient  tenir  que  un  bé- 
«  néfice,  et  faut  qu'ils  soient  gens  de  bonne  vie  et  de  bons 
tt  scavoir,  tant  pour  procéder  au  service  divin,  que  pour  an- 
a  noncer  la  parole  de  Dieu  au  peuple (i).  » 

Ce  cahier  et  bien  d'autres,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  sont 
unanimes  pour  demander  la  réforme  de  l'abus  des  commendes; 


(1)  Hss.  de  la  bibl.  de  M.  Le  Garon  de  Troussures. 


DE   L'aBBàYB   BOTàLB  DE   SAINT-LUCIEN.  573 

en  même  temps  ils  signalent  le  relàcbement  et  même  les  désor- 
dres introduits  dans  les  communautés  religieuses  par  suite  de 
cet  état  de  choses.  Le  mal  était  incontestable,  et  l'abbaye  de 
Saint-Lucien  n'en  était  pas  plus  exempte  que  les  autres.  Les 
efforts  de  ses  prieurs  claustraux  ne  réussirent  pas  toujours  à  y 
mettre  obstacle  {  et  la  décadence,  aidée  de  diverses  causes  étran- 
gères, y  pénétra  malgré  eux.  Est-ce  à  dire  pour  cela  que  cette 
décadence  y  produisit  des  désordres  scandaleux  ?  Non ,  assuré- 
ment non.  La  vie,  nous  l'avouerons,  y  était  dégénérée  de  sa 
primitive  et  austère  régularité;  la  discipline  du  cloître  était  sou- 
vent enfreinte;  il  y  avait  de  la  mondanité  dans  la  manière  de 
vivre;  la  pauvreté  monastique  était  violée;  des  moines,  mécon- 
tents de  la  maigre  pitance  que  leur  octroyait  si  parcimonieuse- 
ment Tabbé  commendataire,  se  faisaient  nommer  à  des  bénéfices 
réguliers,  à  des  prieurés  ayant  biens  et  revenus  particuliers,  afin 
de  pouvoir  vivre  plus  commodément  et  se  procurer  un  certain 
confortable.  Tout  cela,  sans  doute,  était  répréhensible  au  point 
de  vue  de  la  régularité  monastique  et  constituait  la  décadence 
de  rinstitution;  mais  il  y  avait  loin  de  là  à  ces  désordres  im- 
moraux que  leur  reprocliaient  le  protestantisme  et  les  ennemis 
du  monachisme.  Somme  toute,  ces  moines  si  attaqués  et  si  vili- 
pendés étaient  encore  beaucoup  plus  honnêtes  et  plus  moraux 
que  leurs  agresseurs. 

Nous  avons  dit  qu'à  Saint-Lucien,  comme  ailleurs ,  la  pau- 
vreté individuelle  prescrite  par  les  vœux  laissait  à  désirer,  et  en 
effet  la  communauté  parfaite  des  biens  et  l'égalité  de  tous  dans 
l'usage  des  revenus  n'étaient  plus  complètement  en  vigueur. 
Petit  à  petit,  on  avait  laissé  s'introduire  l'abus  d'annexer,  à  cer- 
taines charges  monacales,  des  biens  et  des  revenus  particuliers, 
de  sorte  que  ceux  qui  en  avaient  la  gestion  jouissaient  de  ces 
revenus  à  l'exclusion  des  autres  moines,  qui  se  trouvaient  dans 
une  position  moins  favorisée.  Ainsi  en  était- il  des  offices  ou 
charges  de  la  grande  prévôté ,  de  la  trésorerie ,  de  la  chantrerie 
et  de  rmûrmerie.  11  y  avait  à  côté  de  cela  les  prieurés  avec  leurs 
biens  et  leurs  revenus  aussi  spéciaux,  et  les  moines  qui  en 
étaient  pourvus  étaient  également  dans  une  situation  privilégiée. 
Cet  état  de  choses  portait  atteinte  à  la  pauvreté  et  à  l'égalité 
monastiques,  mais  ce  n'était  pas  un  crime.  Il  servit  même  de 
sauvegarde  et  de  rempart  contre  l'avidité  des  abbés  commen- 

T.  VIU.  38 


574  HISTOIRE 

dataires,  qui  n'osèrent  pas  s'emparer  de  l'administration  de 
ces  biens. 

Dans  le  commencement ,  ces  abbés  laissèrent  les  dignitaires 
jouir  à  leur  gré  de  leurs  revenus  privilégiés,  et  ceux-ci  en  profi- 
tèrent pour  subvenir  aux  besoins  de  leurs  frères.  Pourlanf ,  cer- 
tains abbés  be  se  génèrent  pas  pour  mettre  la  main  sur  ces  reve- 
nus :  le  cardinal  de  Cbàtilion  fut  du  nombre.  Quand  il  eut  apos- 
tasie sa  foi  et  qu'il  se  fut  scandaleusement  marié,  il  eut  plus  que 
jamais  besoin  d'argent,  et  tous  les  moyens  lui  semblèrent  bons 
pour  s'en  procurer.  Il  pressura  son  abbaye  de  Saint  Lucien,  ra- 
vagea tous  ses  bois  et  fit  toutes  les  ventes  qu'il  put.  Il  supprima 
Toffice  de  la  grande  prévôté  pour  s'en  approprier  exclusivement 
les  revenus.  Les  religieux,  en  vain,  réclamèrent;  leur  voix  n'a- 
vait plus  d'accès  auprès  de  l'apostat;  il  les  traita  en  ennemis, 
et,  pour  toute  réponse,  il  mit  leur  abbaye  à  sac.  Il  fit  enlever  de 
l'église  les  pierres  tombales  qui  recouvraient  le  sépulcre  des  an- 
ciens abbés  et  des  moines,  et  les  employa  à  daller  les  cuisines 
de  son  palais  épiscopal.  Son  àme  damnée,  Louis  Bouteiller,  son 
grand- vicaire ,  présidait  à  cette  sacrilège  exécution.  Et  que  pou- 
vait-on attendre  autre  chose  de  cet  abbé,  qui  avait  foulé  aux 
pieds  tous  ses  serments  et  se  mettait  à  la  tête  des  huguenots  de 
son  diocèse  ?  Il  n'y  avait  qu'à  courber  la  tête ,  à  gémir  sur  cette 
scandaleuse  défection  et  à  s'attendre  à  toutes  les  avanies. 

Quoique  excommunié  par  le  pape,  en  1563,  et  déclaré  inapte 
à  posséder  aucune  dignité,  ni  aucun  bénéfice  ecclésiastique  ou 
religieux,  Odetde  Coligny  continua  de  régir. tous  ceux  qu'il  pos- 
sédait. A  la  fin,  cependant,  il  se  compromit  si  bien,  par  la  part 
qu'il  prit  aux  troubles  causés  par  les  calvinistes,  qu'il  fut  obligé 
de  passer  en  Angleterre,  avec  sa  femme,  pour  se  soustraire  aux 
poursuites  dirigées  contre  lui.  Le  roi  ordonna  son  procès,  et, 
le  19  mars  1569,  le  Parlement  le  déclara  rebelle,  criminel  de 
lèse-majesté  divine  et  humaine,  et  comme  tel,  passant  condam- 
nation, le  priva  de  tous  les  honneurs  et  biens  dont  il  jouissait, 
du  fruit  de  tous  ses  bénéfices  et  le  déposa  de  toutes  ses  dignités. 
Cette  sentence,  devenue  immédiatement  exécutoire,  rendait  va- 
cant le  siège  abbatial  de  Saint-Lucien.  Les  religieux  s'en  réjoui- 
rent, ils  n'avaient  plus  à  rougir  de  leur  abbé  et  n'étaient  plus 
exposés  à  ses  vexations.  Pour  lui ,  il  alla  mourir  sur  la  terre 
étrangère,  empoisonné  par  son  valet  de  chambre,  en  1571,  et 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAINT-LUCIEN.  575 

ses  restes  furent  déposés  dans  une  chapelle  de  la  cathédrale  de 
Westminster. 

En  1505,  Tahbaye  s'était  vue  contrainte  d*alléner  une  partie 
de  ses  biens  pour  faire  face  au  subside  demandé  par  le  roi.  Pour 
résister  aux  calvinistes,  qui  ravageaient  le  pays,  Charles  IX  avait 
dû  lever  une  armée,  et  se  trouvant  sans  argent  pour  la  payer, 
malgré  les  300,000  écus  que  le  clergé  lui  fournissait  annuelle- 
ment, il  eut  encore  recours  à  lui,  et  lui  demanda  un  nouveau 
subside  de  100,000  écus  par  chaque  année  jusqu'à  la  pacification 
complète  de  ses  états.  Le  clergé,  quoique  épuisé,  y  consentît.  Le 
diocèse  de  Beauvais  fut  imposé  pour  3,500  écus,  et  l'abbaye  de 
Saint-Lucien  pour  i3,9U  livres  12  sols  tournois.  L'abbaye,  man- 
quant d'argent  par  suite  des  extorsions  de  son  abbé,  aliéna  plu- 
sieurs propriétés.  Elle  vendit  son  fief  de  Caigny  ou  de  Roye, 
sis  à  Bonnières,  avec  une  rente  sur  le  moulin  du  même  lieu^ 
à  Jean  de  Carvoisin ,  seigneur  d'Achy,  pour  la  somme  de 
2,521  livres  tournois,  sa  terre  et  seigneurie  de  Pissy,  au  diocèse 
d'Amiens,  à  Charles  de  Louvencourt,  bourgeois  d'Amiens,  pour 
la  somme  de  8,200  livres,  et  diverses  rentes  et  censives.  11  n'au- 
rait pas  fallu  beaucoup  d'édits  royaux  semblables  pour  mettre 
l'abbaye  dans  une  fâcheuse  situation,  mais  on  se  consolait  dans 
l'espoir  de  jours  meilleurs.  Ces  jours  ne  devaient  pas  venir  de 
sitôt  et  cet  édit  de  subvention  ne  devait  pas  être  le  dernier.  L'état 
battait  monnaie  sur  le  clergé. 

La  sentence  qui  frappait  Odet  de  Coligny,  l'indigne  abbé,  sou- 
lagea, du  moins  un  instant,  les  cœurs  attristés  des  moines  de 
Saint-Lucien. 

III.  —  01iar*les  I«'  de  Boixr^lt>oii  (1). 

(1569-4590). 

Sur  la  présentation  de  Charles  JX,  Pie  V  nomma,  pour  suc- 
céder à  Odet  de  Coligny  sur  le  siège  de  Beauvais  et  à  l'abbaye  de 


(1)  Les  armes  de  Charles  de  Bourbon  étaient  :  de  France,  au  bâton  de 
gueules  péri  en  bande,  ou  autrement  :  d'azur,  à  trois  fleurs  de  lis  d'er 
au  bâton  de  gueules  péri  en  bande.  * 


576  '  HISTOIRE 

Saint-Lucien,  Charles  de  Bourbon-Vendôme,  cardinal  de  Bour- 
bon et  archevêque  de  Rouen.  Ce  prince,  cinquième  fils  de  Charles 
de  Bourbon ,  duc  de  Vendôme  et  comte  de  Soissons,  et  de  Fran- 
çoise d'Alençon ,  était  le  frère  d'Antoine  de  Bourbon ,  roi  de 
Navarre,  qui  donna  le  jour  à  Henri  IV.  C'était  un  des  prélats 
les  mieux  pourvus  de  France ,  puisqu'indépendamment  de  son 
archevêché  de  Rouen  et  de  son  évêché  de  Beauvais,  qu'il  pos- 
séda simultanément ,  il  jouissait  encore  de  la  commende  de  vingt 
abbayes  des  plus  considérables,  a  le  pauvre  homme!  »  On  doit 
bien  penser  qu'il  ne  s'occupa  guère  autrement  de  ces  bénéfices 
si  multipliés  que  pour  en  percevoir  les  revenus. 

H  prit  possession  de  son  abbaye  de  Saint-Lucien  par  procu- 
reur. Louis  de  Mainterne  ou  de  Mornay-Théribus,  abbé  de  Sainte- 
Marie,  au  diocèse  de  Chàlons,  le  représenta  en  cette  occasion, 
et  fut  avec  Claude  Gouine,  doyen  du  chapitre  de  Beauvais,  l'un 
des  vicaires-généraux  chargés  de  l'administration  de  ses  béné- 
fices situés  dans  le  diocèse. 

La  nomination  d'un  personnage  aussi  important ,  pour  abbé , 
réjouissait  les  religieux  et  donnait  bonne  espérance;  mais  il  était 
t  rop  impliqué  dans  les  affaires  politiques  pour  avoir  le  temps 
de  s'occuper  de  celles  du  monastère.  Et  pourtant  ilaurait  fallu 
y  veiller.  Les  finances  se  trouvaient  dans  le  plus  triste  état.  Plu- 
sieurs fermes  avaient  été  ravagées  par  les  calvinistes  :  le  pillage 
et  l'incendie  y  avaient  causé  de  graves  dommages;  les  fermiers, 
ruinés,  ne  pouvaient  plus  payer,  et  les  édits  de  subvention,  se 
renouvelant  sans  cesse  et  demandant  continuellement  des  fonds, 
ajoutaient  au  malaise.  L'édit  de  iS69,  frappant  les  biens  du 
clergé  de  50,000  écus  et  l'abbaye  de  Saint-Lucien  de  la  somme 
de  9,540  livres,  força  encore  les  moines  à  aliéner  des  biens  et  à 
vendre,  entre  autres  choses,  quatre  arpents  de  pré  à  Villers- 
Saint- Lucien  à  Pierre  Danse,  seigneur  de  Léglantier,  et  Noël  Gi- 
guart,  bourgeois  de  Beauvais,  pour  807  livres  tournois,  et  la 
terre  et  seigneurie  d'Abbecourt ,  à  Jacques  Ligier,  bourgeois  de 
Paris,  moyennant  8,500  livres  (1).  Ce  n'était  pas  le  moyen  d'en- 
richir le  monastère.  Le  cardinal  abbé  était  précisément  l'un  des 
commissaires  nommés  par  le  pape  pour  présider  à  ces  aliéna- 


il)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lacien. 


DE  L'aBBAYK  ROYALB  DE  SAINT-LUCIEN.  577 

tîons,  et  consentit,  apifès  enquêtes,  à  celles  de  Saint- Lucien. 

On  ne  l'avait  pas  encore  vu  dans  son  abbaye,  ni  à  Beauvais, 
et  ce  ne  fut  qu'au  mois  de  mai  1572  qu'il  y  vint  pour  la  première 
fois.  Il  fut  loger  à  Saint-Lucien  le  23  mai,  et  lit  le  lendemain, 
veille  de  la  Pentecôte,  son  entrée  solennelle  dans  la  ville.  L'é- 
vèque  de  Pamiers,  Robert  de  Peilevé,  l'accompagnait. 

L'argent  manquait  encore  au  monastère  en  1S75,  et  l'abbé, 
pour  s'en  procurer,  érigea  en  ûef  le  droit  de  censives  qu'il  avait 
sur  les  biens  de  Jean  de  Carvoisin,  sis  à  Bonnières,  sous  le  nom 
de  fief  de  la  Vente,  et  l'aliéna  ensuite  au  profit  de  ce  seigneur 
moyennant  ^52  livres  tournois.  Le  prix  dût  être  immédiatement 
versé  entre  les  mains  d'Antoine  Blicot,  receveur  des  décimes 
pour  le  roi,  à  Beauvais.  Il  vendit  en  même  temps  une  maison 
et  neuf  arpents  de  terre  à  Bétbencourt;  —  et  le  fief  de  Cour- 
celles  et  du  Mehet  à  Guy  de  Monceaux ,  chevalier,  seigneur  d'Ho- 
denc-en-Bray  (i).  Trois  ans  plus  tard  il  vendait  encore,  et  pour 
la  même  cause,  la  terre  de  Margny,  près  Gompiègne,  à  Michel 
de  Waterre,  conseiller  et  médecin  du  roi. 

La  pénurie  d'argent  et  les  ravages  des  calvinistes  n'étaient  pas 
les  seuls  maux  qui  désolaient  le  pays,  des  maladies  contagieuses 
vinrent  encore  accroître  la  misère.  La  peste,  disent  les  historiens 
du  temps,  sévissait  dans  Beauvais  et  dans  toutes  les  campagnes 
environnantes,  et  ceux  qui  succombaient  se  comptaient  par  mil- 
liers. L'abbaye  de  Saint-Lucien  ne  fut  pas  épargnée;  plusieurs 
de  ses  religieux  et  de  ses  domestiques,  atteints  par  le  fléau,  pé- 
rirent. Des  processions  furent  ordonnées,  et  on  invoqua  Dieu  et 
ses  saints,  de  toutes  les  manières,  afin  d'obtenir  la  cessation  de 
l'épidémie.  «  En  1578,  dit  D.  Porcheron  (2),  on  indiqua  une  pro- 
cession générale,  avec  ordre  d'y  porter  les  reliques  de  la  ville 
et  des  églises  voisines.  »  Toutes  les  communautés  de  la  cité  et 
des  environs  s'adjoignirent  au  clergé  de  la  cathédrale.  Les  reli- 
gieux de  Saint-Lucien  y  furent  avec  leurs  reliques;  ils  portaient 
en  tète  le  chef  de  leur  saint  patron  et  demandèrent  pour  lui  la 
première  place  dans  la  cathédrale  et  la  procession. 

Un  incident  à  cette  occasion.  Chemin  faisant ,  les  religieux  de 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Locien. 

'S)  D.  Porcberon  :  Hiit,  de  Vabb.  de  Saint-Lucien. 


578  HISTOIRK 

Saint  Lucien  avaient  été  prendre  les  châsses  contenant  les  restes 
de  saint  Julien  et  de  saint  Maxien ,  à  Téglise  de  Saint-Sauveur, 
où  ils  les  avaient  mises  en  dépôt,  avec  la  grande  ch&sse  de 
saint  Lucien ,  dans  la  crainte  qu'elles  ne  fussent  enlevées  de 
Tabbaye  par  les  bandes  armées  qui  sillonnaient  les  campagnes. 
Le  clergé  de  Saint-Sauveur  s'accoutumait  à  posséder  ces  reliques 
et  aurait  bien  voulu  se  les  approprier;  aussi  fiWl  quelques  diffi- 
cultés pour  les  laisser  reprendre  pour  celte  procession.  Le  pro- 
cédé déplut  tellement  aux  moines  de  Saint-Lucien,  qu'au  retour, 
au  lieu  de  reporter  les  deux  châsses  de  saint  Julien  et  de  saint 
Maxien  dans  l'église  de  Saint-Sauveur,  ils  les  emportèrent  avec 
eux  et  les  replacèrent  dans  l'église  de  leur  abbaye.  Le  dimanche 
suivant,  ils  revinrent  à  Saint-Sauveur  pour  enlever  leur  grande 
châsse  de  saint  Lucien ,  «  et  ce  ne  fut  pas  sans  peine  ni  sans  dis* 
«  pute,  dit  D.  Porcheron,  qu'on  la  retira  des  mains  djs Messieurs 
«  de  Saint-Sauveur,  qui  vouloient  la  retenir  et  qui  l'avoient  déjà 
u  érigée  dans  le  chœur  sur  quatre  colonnes.  Quand  on  eut  obligé 
c(  ces  Messieurs  à  rendre  le  dépost  qui  leur  avait  été  confié,  on 
a  reprit  le  chemin  de  Saint-Lucien  avec  bien  de  la  joie.  Le  péril 
«  que  le  monastère  courut  alors  d'être  privé  d'un  si  précieux 
«  thrésor,  »  ajoute  l'annaliste,  «  sera  cause  sans  doute  qu'on 
«  prendra  de  plus  justes  mesures ,  s'il  arrive  jamais  quelqu'ac- 
«  cident  qui  oblige,  de  réfugier  les  reliques  de  l'abbaye  dans  la 
«  ville  (4).  » 

Le  cardinal  de  Bourbon  n'était  plus  alors  évèque  de  Beauvais; 
en  4575,  il  avait  permuté,  cet  évèché,  avec  Nicolas  Fumée, 
contre  l'abbaye  de  la  Couture,  du  Mans.  Ce  changement  ne  lui 
fit  pas  abandonner  la  commende  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien; 
il  en  resta  abbé  jusqu'à  sa  mort,  jusqu'en  4590.  Le  nouvel  évèque, 
avant  de  faire  son  entrée  solennelle  dans  sa  ville  épiscopale,  se 
rendit  à  l'abbaye,  suivant  l'antique  usage,  pour  s'y  préparer 
par  une  veille  au  tombeau  du  glorieux  martyr.  Il  y  arriva  le 
43  octobre  4576,  au  soir,  et  le  lendemain ,  jour  de  la  fôle  de 
sainte  Angadrème ,  «  il  vint  à  pieds  nus  de  Saint-Lucien,  nonobs- 
tt  tant  un  temps  fort  fâcheux  à  cause  des  pluies  continuelles  (2).  » 


(1)  D.  Porcheron  :  Hist.  de  l'abb.  de  Saint-Lucien. 

(2)  Riqaier  :  Reeueil  mémorable  d'aacons  cas  advenus  depuis  l'an  de 
salQt  1573. 


DE  l'abbatb  rotals  db  saint-lugibn.  579 

Eu  i580,  Charles  de  Bourbon  afferma  pour  quatre-vingt-dix- 
neuf  ans  les  dîmes  et  champarts  de  Margny-les-Gompiègne  à 
Micbel  Waterre,  médecin  du  roi,  à  qui  il  avait  déjà  vendu  les 
terres  que  son  abbaye  avait  en  ce  lieu. 

L'abbé  ne  consultait  pas  toujours  ses  religieux  pour  taire  ces 
aliénations,  ni  ces  baux  à  long  terme;  il  agissait  en  matlre  ab- 
solu et  disposait  de  tout  à  son  gré.  Les  religieux,  souvent,  s'in- 
clinèrent devant  sa  volonté ,  mais  ils  surent  aussi  revendiquer 
leurs  droits.  Ainsi,  en  1581,  ils  attaquèrent  la  vente  du  fief  de 
Courcelles,  faite  en  1575  au  seigneur  d'Hodenc-en-Bray,  parce 
que,  disaient-ils,  Tabbé  avait  vendu  «  sans  le  consentement  des- 
dits «  religieux,  prieur  et  couvent,  etn'auroit  peu  ny  deub  le 
faire,  «  et  attendu  aussi  que  de  ce  fief  dépendait  un  autre  petit 
fief  consistant  en  3i  sols  parisis  de  censives,  a  lequel  étoit  pour 
partie  a  de  leur  nourriture,  »  depuis  qu'ils  avaient  mense  séparée. 
Un  accord  termina  la  contestation  :  Guy  de  Monceaux  constitua 
une  rente  de  116  sols  8  deniers  en  faveur  des  religieux  pour 
avoir  leur  consentement ,  et  ceux-ci  ratifièrent  la  vente.  L'abbé 
avait  reçu  1,900  livres  de  prix  principal.  L'acte  authentique 
constatant  cet  accord  nous  fait  connaître  les  noms  des  religieux 
qui  composaient  alors  la  communauté.  C'étaient  Yves  Cuisinier, 
docteur  en  la  faculté  de  théologie,  grand  prieur:  Nicolas  Patin, 
sous-prieur;  Hercule  Laurent,  tiers-prieur;  André  Heu,  sous- 
chantre;  Claude  Blot,  maître  des  enfants;  Pasquier  de  Monchy, 
chantre;  Jacques  Louvet;  Martin  Herqueleu,  censier;  Lucien 
Dargille,  Symphorien  Caron,  Pierre  Paquier,  Claude  CaiHot, 
Balthasard  de  Lannoy,  François  De  Laon  et  Jean  d'Asnières  (1). 

Le  roi  avait  encore  demandé  un  nouveau  subside  au  clergé, 
en  1586,  «  pour  subvenir  à  partie  des  frais  de  la  guerre  pour  la 
tt  réunion  et  réduction  de  ses  sujets  à  la  religion  catholique, 
«  apostolique  et  romaine,  »  et  le  pape  l'avait  autorisé  «  à  aliéner 
«  du  bien  temporel  des  ecclésiastiques  jusques  à  la  concurrence 
-  de  oO,000  écus.  n  Dans  la  répartition  faite  par  l'Assemblée  du 
clergé  et  par  les  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Guise ,  délégués 
par  le  pape,  l'abbaye  de  Saint-Lucien  fut  taxée  à' la  somme  de 
9,500  livres.  Elle  dut  s'exéouter  et  chercher  la  somme.  Ne  pou- 


(1)  Archives  de  l'Oise. 


580  HISTOIRE 

vant  y  parvenir,  et  sur  Tavis  du  cardinal-abbé  ^  elle  vendit  sa 
terre  et  seigneurie  de  Beauve,  près  d'Héricourt-Salnt-Samson, 
consistant  en  un  manoir  avec  ses  dépendances,  155  arpents 
d'berbage,  terres  et  prés,  et  21  arpents  de  bois,  à  Antoine  de 
Remy,  écuyer,  seigneur  de  Montigny,  pour  la  somme  de  1,230 
écus  d'or,  le  9  mars  1587  (1). 

Ces  subventions  continuelles  appauvrissaient  toujours  de  plus 
en  plus  le  monastère,  et  les  déprédations  sans  cesse  renaissantes 
des  calvinistes,  des  routiers  et  des  soldats  en  campagne  venaient 
encore  ajouter  au  malaise  et  rendre  plus  précaire  la  situation 
financière.  Le  fermier  général  des  biens  du  monastère  ne  pou- 
vait même  plus  faire  ses  affaires.  Le  cardinal  de  Bourbon  avait 
affermé,  en  1585,  la  recette  générale  des  biens  et  des  revenus 
de  ses  deux  abbayes  de  Saint-Lucien  et  de  Froidmont  à  Yves 
Foy,  bourgeois  de  Beauvais ,  moyennant  12,000  écus  de  rente 
annuelle,  et  ce  fermier  général  demande  une  réduction  de 
1,000  écus,  en  1588,  «  à  Toccasion,  dit-il,  des  gens  de  guerre 
a  qui  ont  passé  et  séjourné  ci-devant,  comme  ils  le  font  encore 
a  de  présent  de  jour  en  jour  par  les  fermes,  métayries,  lieux  et 
«  héritages  desdites  abbayes,  et  aussi  qu'il  est  tout  notoire  que 
«  plusieurs  fermiers  particuliers  les  ont  délaissés  et  délaissent 
«  journellement,  qu'il  y  convient  faire  de  grandes  réparations 
«  pour  les  remettre  en  nature  et  habitables,  afin  de  faire  valoir 
«  îceulx  héritages  dont  grandes  parties  sont  en  friche  et  non 
a  labourées,  ni  entretenues,  ainsi  qu'il  est  reconnu (2).  »  L'abbé 
y  consent,  bien  qu'à  regret;  une  somme  de  2,000  écus,  que  le 
plaignant  lui  avance  pour  subvenir  à  des  besoins  pressants ,  le 
détermine.  Il  ne  pouvait  se  montrer  intraitable  et  dur  à  l'égard 
d'un  fermier  aussi  obligeant.  Yves  Foy  ne  paiera  plus  désormais, 
en  outre  des  charges  ordinaires,  que  21,000  livres  pour  l'abbaye 
de  Saint-Lucien ,  et  11,000  pour  l'abbaye  de  Froidmont.  L'accord 
est  passé  à  Paris ,  le  l*''  juin  1588,  en  l'hôtel  de  Guise,  où  est  logé 
le  cardinal. 

Le  temps  marchait  toujours  et  la  situation  financière  des 
deux  abbayes  ne  s'améliorait  pas.  Les  rentrées  se  faisaient  si 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lacien. 

(3)  Mss.  da  cabinet  de  M.  le  comte  de  Merlemont. 


DB  L'ABBATB  BOTALB  DB  SAINT  LUCIBN.  581 

difficilement,  surtout  pour  Tabbaye  de  Froiâmont,  qu'Yves  Foy 
demanda  la  résiliation  de  son  bail  et  refusa  de  continuer  la  re- 
cette des  deniers,  en  4590.  On  transigea  encore  avec  lui,  on  lui 
accorda  une  nouvelle  diminution  :  les  2i  ,000  livres  furent  réduites 

à  14,000  (i). 

Pendant  que  les  finances  de  ses  abbayes  allaient  si  mal ,  que 
faisait  le  cardinal  de  Bourbon?  Entraîné  dans  le  parti  de  la 
Ligue,  il  en  était  pour  ainsi  dire  le  coryphée,  et  se  laissait  pro- 
clamer roi  par  les  ligueurs  sous  le  nom  de  Charles  X ,  après  la 
mort  d'Henri  III.  Cette  éphémère  royauté,  ne  dura  guère  plus  de 
vingt-quatre  heures  et  abreuva  sa  vieillesse  de  douleur  et  d'a- 
mertume. Il  mourut  en  1590. 

Au  milieu  de  ces  temps  troublés,  quelle  était  l'attitude  des 
religieux  de  Saint-Lucien  ?  La  Ligue  tenait  à  Beauvais  ;  le  2i  jan* 
vier  1589,  toute  la  ville  avait  signé  avec  enthousiasme  son  adhé- 
sion à  l'Union,  et  les  religieux  de  Saint-Lucien  durent  embrasser 
son  parti,  sous  peine  de  se  voir  inquiétés.  Le  22  janvier,  ils  as- 
sistèrent k  la  procession  solennelle  ordonnée  dans  la  ville  pour 
affirmer  l'unanimité  de  l'opinion,  et  leur  abbaye  fut  taxée  d'une 
somme  assez  lourde  par  le  conseil  de  l'Union  pour  subvenir  aux 
besoins  de  la  cause.  Un  mémoire  du  receveur  général  de  Tabbaye, 
d'Yves  Foy,  porte  qu'il  a  été  payé  la  somme  de  «  huit-vingt  écus 
a  (160  écus)  au  recepveur  du  conseil  de  l'Union  de  Beauvais 
a  pour  la  cotisation  de  l'abbaye  pour  deux  mois ,  savoir  Juin  et 
«  juillet  dernier  (1589)  (2).  »  A  part  ce  fait,  on  ne  voit  pas  que 
les  religieux  de  Saint-Lucien  aient  pris  une  part  très-active  aux 
événements  de  cette  époque  orageuse.  Quand  l'evèque  Nicolas 
Fumée,  accusé  de  modérantisme,  fuyait  de  sa  ville  épiscopale 
avec  Claude  Gouine,  son  vicaire  général,  il  vint  d'abord  se  ré- 
fugier à  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  L'accueil  qu'il  reçut  en  cette 
occasion,  et  les  secours,  qui  lui  furent  donnés  pour  gagner  son 
château  de  Bresles,  laissent  à  penser  que  les  religieux  de  Saint- 
Lucien  n'étaient  pas  de  très-ardents  ligueurs.  Pourtant  ils  assis- 
taient à  toutes  les  processions  que  l'on  faisaient  en  ville  pour 
le  succès  du  parti,  et  Dieu  sait  comme  on  les  multipliait; 


(1)  Usa.  du  cabinet  de  M.  le  comte  de  Meriemont. 


582  HISTOIRE 

mais  c'était  par  crainte  et  par  amour  de  la  paix  plutôt  que  par 
affection  pour  la  cause. 

Avant  de  terminer  l'administration  du  cardinal  de  Bourbon, 
nous  dirons  un  mot  d'une  donation  faite  par  Yves  Cuisinier,  le 
prieur  claustral  du  monastère.  Ce  vénérable  religieux ,  par  acte 
du  29  novembre  i589,  affecta  une  somme  de  8  écus  un  tiers  à  la 
fondation  a  d'un  service  solennel  comme  le  jour  de  Pâques , 
u  avec  vespres  la  veille  et  vigiles,  »  à  chanter  le  jour  de  saint 
Yves ,  son  glorieux  patron ,  le  19  mai  ou  le  mardi  d'avant  la 
Pentecôte,  quand  le  19  mai  serait  empêché.  La  distribution  qu'il 
fait  de  la  somme,  entre  les  divers  religieux  prenant  part  à  la 
solennité,  laisse  voir  que  chacun  de  ces  religieux  devait  avoir 
bourse  particulière,  et  que  la  pauvreté  monacale  n'était  plus  en 
vigueur.  Ainsi,  celui  qui  chantera  la  messe  aura  20  sols;  le  diacre 
et  le  sous-diacre  chacun  â  sols  6  deniers  ;  le  sous-prieur  »  qui 
«  tiendra  campagne  pour  assenser  »  4  sols  6  deniers;  les  quatre 
religieux  «  qui  diront  le  respond  des  vespres,  Benedicamus  Do- 
«  mino,  Venite  à  Matines,  et  tiendront  chœur  à  la  messe,  »  cha- 
cun 10  sols;  le  chantre,  «  pour  chanter  et  gouverner  ledit  ser- 
«  vice,  0  10  sols;  les  sonneurs,  1  écu;  le  trésorier,  «  pour  les 
«  cordes  des  cloches,  5  sols;  pour  le  luminaire,  50  sols;  le 
r^ste  de  la  renie  sera  distribué  «  tant  à  disner  que  entre  les  rell- 
a  gieux,  prieur  et  couvent,  comme  ils  verront  être  bon;  et  aux 
«  sonneurs  sera  baillé  et  distribué  six  comptes  de  pain  et  six 
«  pots  de  vin  (1).  «  Ce  bon  moine  voulait  faire  honneur  à  son 
patron. 

IV.  —  Oliarles  II  cle  Boixrl^on  (2) 

(1590-1594). 

Le  successeur  du  cardinal  de  Bourbon  à  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien,  comme  à  celles  de  Froidmont,  de  Saint-Germer,  d'Our- 


ll)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 

(2)  Les  armes  de  Charles  II  de  Bourbon  étaient  :  écartelé  au  4  et  4  de 
Bourbon,  au  X  et  5  d'Alençon;  ou  autrement  :  éca^rteléau  f  et  4  d*axur, 


DE  l'abbaye  royale  Bt  saint-lucieh.  583 

camps,  de  Saint-Denis,  de  Saint-Germain-des-Prés,  de  Bour- 
gueil -en- Vallée,  de  Saint-Ouen  et  de  Sainte-Catherine  de  Rouen^ 
fut  son  neveu  Charles  de  Bourbon ,  cardinal  de  Vendôme. 
Doyen  (i)  a  dit,  sur  je  ne  sais  quels  témoignages,  que  le  duc  de 
Mayenne,  Tun  des  chefs  de  la  Ligue,  avait  donné  Tabbaye  de 
Saint-Lucien  à  GeofTroi  de  LaMarthonîe,  évéque  d'Amiens.  Le 
fait  est  possible,  mais  il  est  certain  que  ce  titulaire,  si  titulaire 
il  fut,  ne  prit  jamais  possession  de  Saint-^Lucien,  et  n'y  fit  aucun 
acte  d'administration,  ni  de  juridiction.  D.  Porcheron  (2),  les 
auteurs  du  Gallia  Christiana,  Louvet  (3),  D.  de  Noroy  (4),  Du 
Caurroy  (5),  l'ancien  manuscrit  cité  par  le  pouillé  du  diocèse 
de  Beauvais,  de  1707  (6),  n'en  font  aucune  mention,  et  tous 
s'accordent  à  donner  pour  successeur  au  défunt  cardinal , 
Charles  de  Bourbon,  son  neveu.  Les  titres  pro\:nantdes  an- 
ciennes archives  du  monastère  concordent  parfaitement  avec 
ce  dire. 

Le  prince  pourvu  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  Charles  de 
Bourbon,  était  le  quatrième  fils  de  Louis  de  Bourbon,  prince 
de  Condé,  et  d'Eléonore  de  Roye.  Créé  cardinal  par  Grégoire  XllI, 
il  porta  le  litre  de  cardinal  de  Vendôme,  puis  de  cardinal  de 
Bourbon ,  après  la  mort  de  son  oncle,  auquel  il  succéda  à  l'ar- 
chevêché de  Rouen.  «  Ce  fut,  dit  De  Thou,  un  prince  d'un  ca- 
«  ractère  enjoué  et  affable,  parlant  avec  une  facilité  étonnante, 
u  aimant  los  lettres  et  les  savants,  mais  haïssant  souverainement 
"  les  protestants.  Tant  qu'il  eût  près  de  lui  des  gens  sages  pour 


à  troiB  fleurs  de  lis  d'or,  au  bâton  de  gueules  péri  en  bandes,  qai  est  de 
Bourbon  ;  au  2  et  3  d'azur,  à  trois  fleurs  de  lis  â^or,  h  la  bordure  de 
gueules  chargée  de  huit  besans  d  argent,  qui  est  d'Alençon. 

(1)  Doyen  :  Hist,  de  la  ville  de  Beauvais,  t.  i,  p.  238. 

(3)  D.  Porcheron  :  Hist.  de  Vabb.  de  Saint-Lucien  (mss.  de  la  Bibl.  nat., 
19,843,  français). 

(3)  Louvet  :  Nomen^ilatura 

(4)  D.  de  Noroy  :  mss.  de  la  bibl.  de  H.  le  comte  de  Merlemont. 

(5)  Du  Caurroy  :  mss.  de  la  bibl.  de  M.  Le  Garon  de  Troassures. 

(6)  Mss.  de  la  bibl.  de  M.  Mathon. 


584  HISTOIRl 

«  rassjster  de  leurs  conseils,  sa  conduite  fût  sans  reproche; 
«  mais  comme  il  y  avait  de  la  légèreté  dans  son  esprit ,  dès  qu'il 
«  eut  commencé  à  prêter  Toreille  à  la  flatterie  >  il  s'écarta  du 

«  droit  chemin  et  devint  le  chef  du  tiers-parti Ensuite, 

«  voyant  que  le  succès  ne  répondait  pas  à  son  attente,  et  que 
tt  ses  propres  partisans  le  trahissaient,  il  tomba  dans  une  lan- 
«  gueur  mortelle ,  qui  l'emporta.  On  peut  dire  qu'il  était  né 
«  pour  faire  l'ornement  de  la  France  et  qu'il  mourut  pour  son 
«  bonheur  (i).  » 

Charles  II  de  Bourbon  mourut  à  l'âge  de  trente-deux  ans,  le 
28  juillet  1594,  à  l'abbaye  de  Saint-Cermain-des-Prés.  Il  avait 
administré  celle  de  Saint-Lucien  pendant  quatre  années.  La  part 
qu'il  prit  aux  afl'aires  politiques  ne  lui  laissa  presque  pas  de 
loisir  pour  s'occuper  des  monastères  qu'il  avait  en  commende; 
aussi  ne  trouve-t  on  que  fort  peu  de  traces  de  son  administra- 
tion dans  les  archives  de  l'abbaye  de  Saint- Lucien. 

De  son  temps,  la  dernière  fête  de  Pâques  de  l'an  1592,  l'alarme 
fut  donnée  dans  l'abbaye  et  dans  la  ville  par  un  incendie  qui 
éclata  dans  le  voisinage  :  l'église  de  Notre-Dame-du-Tbil  brûlait. 
On  crut  tout  d'abord  que  le  feu  avait  été  mis  par  les  troupes 
royalistes  qui  cherchaient  à  surprendre  la  ville,  mais  on  sut 
bientôt  que  c'était  l'effet  de  la  négligence  d'un  marguillier,  qui 
avait  mal  éteint  un  flambeau  allumé  sur  le  jubé.  On  s'était  hâté 
de  prendre  les  armes  et  de  fermer  les  portes  de  la  ville  pour  se 
préparer  à  la  résistance.  La  panique  passée,  on  courut  au  se- 
cours de  l'église  en  flammes  ;  il  était  trop  tard ,  ce  n'était  plus 
qu'un  monceau  de  ruines  fumantes  ;  le  clocher  seul  était  épar- 
gné, a  L'église,  qui  étoit  très-belle  et  très-bien  ornée,  dit  Gôd. 
«  Hermant,  fut  réduite  en  cendres,  et  les  habitants  se  trouvé- 
«  rent  réduits  à  se  retirer  dans  l'abbaye  pour  y  célébrer  le  ser- 
«  vice  divin  (2).  » 

Le  7  octobre  de  la  même  année,  une  compagnie  de  rôdeurs 
se  disant  ligueurs  venait  piller  le  monastère  sous  la  conduite 
d'un  sieur  Goville. 


(1)  De  Thou:  Hist  urwo.y  t.  xii,  1.  ex. 
(9)  Ck>d.  Hermant ,  1.  xiii ,  c.  37. 


DE   L'ABBAYI  ROYALB  DE  SAINT-LUCIEN.  585 

V.  —  Artliiis  de  Oondr^en  (4596-4598). 

Après  la  mort  du  second  cardinal  de  Bourbon ,  le  siège  abba- 
tial de  Saint-Lucien  resta  vacant  pendant  près  de  deux  ans.  Le 
roi  y  commit  un  économe  pour  l'administrer  au  temporel  et  au 
spirituel,  et,  par  lettres  du  28  octobre  i 50 i,  il  chargea  de  ce 
soin  un  religieux  de  Sainte-Catherine  du  Val-des-Ecoliers,  nommé 
Godeft*oi  Hardi  (i).  Le  grand  conseil  approuva  cette  mesure  et  la 
fit  enregistrer  le  28  novembre  suivant.  Henri  IV  ne  trouvait  pas 
mauvais  de  faire  ainsi  régir  à  son  profit  plusieurs  abbayes,  pour 
reconstituer  un  peu  ses  finances.  Les  droits  de  la  régale  ne  lui 
déplaisaient  pas  et  il  s'en  accommodait  autant  qu'il  pouvait, 
malgré  les  réclamations  du  pape  et  du  clergé. 

La  vacance  de  Saint-Lucien  eût  pourtant  un  terme,  et  le  roi 
en  donna  la  conunende  à  un  ecclésiastique  qu'il  affectionnait, 
à  Arthus  de  Condren ,  son  conseiller  et  son  aumônier.  Ce  nouvel 
abbé  nous  parait  devoir  être  le  frère  de  M.  de  Condren ,  Tami 
d'Henri  IV,  à  qui  ce  roi  donna  le  gouvernement  de  son  château 
de  Monceaux,  et  qui  fut  le  père  de  Charles  de  Condren,  le  second 
général  de  la  congrégation  de  l'Oratoire.  Quoiqu'il  en  soit,  Ar- 
thus de  Condren  était  un  homme  zélé  et  tenait  à  remplir  digne- 
ment les  devoirs  de  la  charge  qui  lui  était  confiée.  Les  statuts 
disciplinaires  du  Concile  de  Trente  prescrivaient  la  réforme  des 
abus  dans  les  communautés  religieuses,  et  enjoignaient  le  ré- 
tablisssement  de  la  régularité  primitive,  et  il  s'en  saisit  pour 
remédier  aux  abus  qui  s'étaient  glissés  dans  la  communauté  de 
Saint-Lucien.  Ne  pouvant  surveiller  lui-même  cette  réforme, 
à  cause  des  occupations  mulfiples  qui  le  retenaient  à  la  cour, 
11  mit  à  la  tète  de  l'établissement  un  prieur  claustral  instruit 
et  zélé.  Il  le  trouva  dans  la  personne  de  Nicolas  Patin,  religieux 
de  la  maison,  exerçant  depuis  longtemps  la  charge  de  sous- 
prieur.  11  le  fit  nommer  par  la  communauté  et  délégua  son  pa- 
rent, Guillaume  de  Condren ,  pour  le  mettre  solennellement  en 
possession  de  sa  dignité,  le  22  juillet  1596. 


(I)  GMia  Christiana,  t.  it. 


586  HISTOIRE 

Nicolas  Patin  n'était  pas  sans  mérite;  il  joignait  aune  grande 
science  une  expérience  consommée  dans  les  choses  de  la  vie 
monastique.  Il  entra  complètement  dans  les  vues  de  Tabbé,  et 
travailla  de  tout  son  pouvoir  à  rétablir  la  régularité.  Les  dif- 
ficultés à  vaincre  furent  grandes,  et  ses  efforts  n'eurent  pas 
tous  les  succès  qu'il  en  attendait,  malgré  sa  longue  et  habile 
administration  :  on  se  ressentait  encore  des  temps  troublés  de 
la  Ligue ,  qui  ne  faisait  que  d'expirer. 

11  avait  pris  ses  grades  en  Sorbonne  et  avait  été  reçu  docteur 
en  théologie.  Il  aimait  l'étude  et  s'y  livrait  avec  ardeur.  Un  in- 
ventaire des  livres  composant  la  bibliothèque  du  monastère, 
dressé  par  lui  en  159G,  note  avec  soin  ceux  qu'il  avait  emportés 
dans  sa  cellule  pour  les  étudier.  C'étaient  :  Prima  pars  Summse 
divi  Thomx  de  Aquino.  —  Prima  secundœ.  —  Secunda  secundx. 

—  Tertia  pars  Summas.  —  -Prima  pars  divi  Bonavenlurœ.  —  Se- 
cunda pars  divi  Bonaventurx.  —  S^cuiidum  volumen  Operum 
Origenis,  —  Opus  remissionis  a  pxnd  et  cuipâ,  —  Bonafi  astro- 
notnia.  —  Sphera,  —  Strabo,  —  Peregrinaiio  Hyerosolimitana, 

—  Prima  pars  Summx  Alberti  Magni,  —  Budeus  de  asse.  —  Pogii 
opéra,  —  Bonifacius  Sinioneta,  —  Liber  Décret  a  liurn.  —  Liber 
Olrani.  —  Summa  divi  Antonini.  —  Historiœ  divi  Antonini.  — 
Dictionnarii  pars  prima,  —  Révéla tiones  sanctx  Brigitfx.  —  A"o- 
cleri  primum  volumen,  —  Liber  Haly  filii  Abenragei  in  Judiciis 
astrorum.  —  Sabellici  exemjjlares. 

Avec  ces  livres,  Nicolas  Patin  pouvait  se  livrer  aux  études 
les  plus  variées. 

Il  ne  paraîtra  peut-être  pas  sans  intérêt  de  faire  connaître 
les  ouvrages  qui  composaient  alors  une  bibliothèque  monas- 
tique. N'était-ce  pas  là,  en  effet,  et  surtout  dans  les  abbayes  bé- 
nédictines, où  l'étude  et  la  science  étaient  une  obligation,  que 
Ton  devait  trouver  les  plus  belles  collections?  Au  xvi«  siècle, 
l'imprimerie,  nouvellement  inventée,  n'avait  encore  donné  que 
peu  d'ouvrages.  La  plupart  étaient  donc  dûs  à  la  patience 
des  moines,  qui  avaient  fait  des  copies,  et  ces  copies  ne  se 
rencontraient  que  dans  les  librairies  des  couvents.  La  librairie 
de  Saint-Lucien  contenait  192  ouvrages,  en  1596,  quand  Nicolas 
Patin  en  fit  le  catalogue-,  c'était  beaucoup  à  cette  époque. 

En  voici  la  nomenclature  telle  qu'elle  est  donnée  par  cet  inven- 
taire : 


DE  L'aBBATE   royale  DE   SAINT-LUCIEN.  587 

Liber  primus  Scripti  divi  T/tomœ  de  Aquino  (i).  —  Secundus 
Scripti.  —  Tertiia  Scripti,  —  Quartxis  Scripti,  —  Tabula  quatuor 
Scriptorum,  —  Prima  pars  Sutntnœ,  —  Prima  secundœ,  —  Secunda 
secundœ,  —  Tertia  pars  Suminm.  —  Pars  prima  divi  Bonaven" 
turœ  (:2).  —  Divi  Bonaventurœ  liber  in  secundum  librum  Senten- 
tiarum,  —  Jcannis  Belvacensis  (3)  in  scripfa  divi  Bonaventurœ. 
—  Secunda  pars  divi  Bonaventurœ,  —  Divi  Bonaventurœ  liber  in 
quartum  librum  Sententiarum,  —  Liber  Stephani  de  Gayeta  (i) 
Neapolitani,  —  Pars  secunda  Guillermi  Parisiensis  (5)  de  f^alen- 
tia  super  Psalmos,  —  Questiones  qucelibetales  Scoti  (6).  —  Theorica 
Karoli  Bovili  (7).  —  C laudius  Seiscel  (8)  de  Triplici  statu.  —  Prima 
pars  Pantheologise  (9).  —  Secunda  pars  Pantheologix.  — Ricardus 
de  SanctO'Victore  (10).  —  De  primaiu  Pétri,  —  Joannes  Ruclin  de 
Verbo  mirifico.  —  Johaniies  dictus  Roffensis  (11)  adversus  Œquo- 
lempadum,  —  TextiLS  Sententiarum  (12).  —  Divus  Thomas  in 


(1)  Saint  Thomas  d'Aqain,  théologien  dominicain,  dit  l'Ange  de  l'Ecole 
(XIII'  siècle). 

(2)  Saint  Bonaventore  (1221-1271),  de  l'ordrô  des  Frères  mineorsi  théo- 
logien. 

(3;  Jean ,  dit  de  Beauvais ,  théologien. 

(4)  Etienne  de  Gaëte  a  écrit  :  Sacram^ntale  I^eapoUtanum  pervMle. 

(5)  Guillaame,  évoque  de  Paris  (1200-1249). 

(6)  Jean  Dans  Scot  (1250-1308),  dit  le  Docteur  subtil,  de  l'ordre  des 
Frères-Hlnem-s,  chef  de  l'école  des  Scotistes. 

(7)  Bouelles  ou  Bonvelles  (Charles),  philologue  et  géomètre ,  né  à  San- 
court  (Somme),  mort  vers  1553. 

(8)  Seyssel  (Claude),  chroniqueur  et  jurisconsulte ,  né  ver»  1450,  à  Aix, 
en  Savoie,  mort  archevêque  de  Turin  en  1520. 

(9)  Panthéologie  ou  Dictionnaire  de  théologie ,  par  Rainier  de  Pise ,  de 
l'ordre  des  Frères  Prêcheurs,  vivant  au  commencement  du  xiv*  siècle. 

(10)  Richard  de  Saint-Victor  (1150-1173) ,  chanoine  régulier  de  Saint- 
Victor  de  Paris,  auteur  d'un  grand  nombre  d'ouvrages  sur  l'Ecriture  et 
la  théologie. 

(11)  Fischer  (Jean),  né  vers  1455,  évêque  de  Rochester,  mort  victime 
d'Henri  VIII,  en  1535,  a  laissé  plusieurs  écrits  contre  les  luthériens. 

(12;  Le  livre  des  Sentences,  par  Pierre  Lomhard^  dit  le  Mattre  des 
Sentences  (Il90-ll6i},  évéque  de  Paris. 


588  HISTOIRE 

Evangelivm  Joannis.  —  Gregoritut  Nyssénus  (i).  —  Sextapars 
librorum  divi  Augusiini  (2).  —  Tomus  quartus  JoJiannU  Chry- 
sostomi  (3).  —  Dlonisius  (4)  de  cœlesti  Hierarchid,  —  Exatneron 
magni  Basilii  (5).  —  Fulgosius  (6).  —  Secundum  volumen  Ope- 
rum  Origenis  (7).  —  Angeli  Policiani  (8)  pars  prima.  —  Ângeli 
Policiani  pars  secunda.  —  Opus  remissionis  a  pœnd  et  culpd.  —  Ja- 
cobus  Picolominus  (9).  —  Juvenalis  (10)  Saiyraô.  —  Guaguinus  (\\), 
—  Illustrium  virorum  opuscula,  —  Jo/tannes  Buridanus  (42).  — 
Undecima  pars  librorum  divi  Augustini.  —  Mtisica  Fran- 
ehini  (i3).  —  Petrus  de  Bel/a  Pertkica  (i4).  —  Petrus  de  Ancha- 
rano  (i5),  quatre  volumes.  —  Felini  {i6)parsseciinda,  —  Direc- 


(1)  Grégoire  de  Nysse  (331-396).  évêque  de  Nysse. 

(2)  Saint  Augastin  (354-430),  évêque  d'Hippone. 

(3)  Saint  Jean  Ctirysostome  (344-407),  évoque  de  Gonslantinople. 

(4)  Saint  Denis-l'Aéropagiste. 

(5)  Saint  Basile-le-Grand  (329-379),  évoque  de  Gésarée. 

(6)  Fulcoie  de  Beauvais ,  poète  et  écrivain  célèbre  du  xi*  siècle. 

(7)  Origène  (185-254),  docteur  de  l'Eglise. 

(8)  Ange  Poiilien  (I45i-1494),  professeur  de  langues  latine  et  grecque  à 
Florence ,  Tami  de  Pic  de  La  Mirandole. 

(9)  Piccolomini  (Jacques-Ammanati),  dit  le  cardinal  de  Pavie  (1420-1479), 
a  laissé  des  Lettres,  une  Histoire  de  son  temps  et  des  Commentaires, 

(10)  Juvénal,  poète  latin  du  i*'  siècle. 

(11)  Gaguin  (Robert),  général  des  Trinitaires,  mort  en  1501,  auteur  d'une 
Histoire  de  France,  etc. 

(12)  Boridan  (Jean),  recteur  de  l'Université  de  Paris,  célèbre  dialecticien 
(1288-1360),  auteur  de  Commentaires  sw  ÀHMote  et  du  fameux  Sophisme 
de  Vâne. 

(13)  Franchini  (François) ,  poète  et  musicien  italien  (1495-1554),  mort 
évêque  de  Populonia. 

(14)  Pierre  de  Belle  Perche ,  évêque  d'Auxerre  ,  conseiller  d'Etat  sous 
Philippe- le-Bei,  jurisconsulte. 

(15)  Ancharano  (Pierre  de),  jurisconsulte  de  Boulogne  (1330-1457),  au- 
teur de  ComfMnUaires  sur  Us  Décrétales  et  les  Clémentines. 

(16)  Sandeus  ^Felinus),  jurisconsulte  de  Ferrare,  mort  en  1508,  auteur 
d'une  Vie  d^ Alphonse,  roi d^ Aragon,  et  d'un  traité  Dejwrepatronatûs* 


DK  L'iBBATB   ROTALB  DB  SAlNT-LUGIBIf.  589 

torium  iaeerdotaie,  —  PracHca  domni  Johannis  de  FerrariU  (i). 

—  Vocabularium  juris.  —  Breviarium  decretorum.  —  Voeahula' 
rium  utriusque  juris.  —  Casus  Decretalium.  —  Decisiones  Rotx  (2J. 

—  Henrlcus  de  Piro.  —  Casus  super  Instituta,  —  De  potestate  eo^ 
clesiœ.  —  Johannes  F  abri  (3).  —  Bartholus  (4;.  —  Prima  pars 
Siculiabbatis  (5).  —  Consilia  domni  Bartholi,  —  Henricus Bohic  (6). 

—  Zabarena  (7).  —  Instituta  (8).  —  Repertorium  Bartholi.  — 
Bartholus  super  Inforsiatum.  —  Anthonius  Corsetus.  —  Azonis 
Summa  (9).  —  Spéculum  domni  Guillermi  Durandi  (iO).  —  Cor- 
nélius Scepero  adversusastrologos,  (H)  —  Prima  pars  Pliniani(i^), 
—Proporiionum  liber,  —  Elucidatio  ususqite  astrolabii(i3).  —  Bo- 
naii  astronomia  (ii).  —  Textoris  epitheta  (i5).  —  Albertus{\%)  de 


(1)  Ferrariis  (Jean-Pierre  de),  célèbre  docteur  en  droit  da  xiv*  siècle, 
natif  de  Pavie ,  aatear  d'one  Pratique  de  Droit. 

(2)  Décisions  da  tribunal  ecclésiastique  de  la  Rote ,  à  Rome. 

(3)  Faber  (Jean),  évêqae  devienne  (1470-1&41),  théologien  controyersiste, 

(4)  BartholQS  de  Sasso  Ferrato  (1313-1356),  jarisconsolte  italien. 

(5)  Probablement  Tadeschi  (Nicolas)  (1370-1445),  dit  XabbidePanarmê. 
canoniste  italien. 

(6)  Bohic  (Henri),  jarisconsQlte  français  (1310-1390),  aatear  de /ngutt^fiM 
Decretalium  libros  commenlaria. 

ÇT)  Zabarella  (François),  dit  le  cardinal  de  Florence  (1389-1417),  savant 
canoniste,  aatear  de  Commentaires  sur  les  DicrétaUs  et  les  Clémentines. 

(8)  Les  Institutes  de  Jastinien. 

(9)  Âzoû  (Portias),  jarisconsolte  da  xii*  siècle ,  dit  le  Maître  du  droit. 

(10)  Darand  (Gaillaame),  éyêqae  de  Mende  (1250-1338),  théologien  et  ca- 
noniste. 

(11)  Scepperas  (Gomellas),  vice-chancelier  de  Ghristiem  II,  roi  de  Saède. 

(12)  Pline  l'ancien  oa  le  nataraliste  (33-79). 

(13)  Oavrage  de  Stœfler  (Jean),  mathématicien  et  aslroiogae  de  Ta- 
bittgen  (145^1531). 

(14)  Bonati  (Gai),  astronome  florentin  du  un*  siècle* 

(lô)  Tixier  (Jeanj,  dit  Bavisius  Textor  (1480-1534),  homaniste  da  Niyemait. 

(16)  Albert-Le-Grand  (1305-1380),  de  l'ordre  des  Frères  précheors,  éyéqae 
de  Ratisbonne. 

T.  VIII.  39 


^guinodiarum  et  tolstiçiorum  invention^*  —  Summa  angUf^ano,.  — 
Jaco^ui  Pulchri  Orapensif.  —  Sphera  (1).  —  Simphorianu»  de  qua- 
druplici  vUâr.  —  Strabo  (%).  —  Teœtus  Metaphùyeu  AristoielU. 
"  PeregriMLtiû  Hyerosolymilana.  —  Prifna  pars  Svmms^  Alberii 
BÊagni.  —  Xenophon.  (3).  —  Budeus  (4)  de  asse.  —  F'Uruvius  (5), 
de  ArchUetàtwra.  —  Parva  nat%raUa.  Aiberii  Magni.  —  BofUica 
AtHêtofelis  (6).  —  Pecem  libri  moralium  ArUiotelis.  ~  Maproàtutiil). 
— Liber  creaturarum .  —  Nicolai  Cusx  (8)  opustmla .  —  Sieolai  Çusm 
prima  ^  secunda  et  tertia  pars^  —  Secunda  pars,  Alberti  Magni^  — 
Pkysica  Ariêlotelis  (manu  scriptaj.  —  Opéra  AristoteUs,  —  Lqgiccf,. 
—  Opéra  Cieeronisid).  —  Tkemfstius  (10)  in  potteriora  AriUotelis. 
— yiatorium^utriusquejwriê., — PairusBertrandi  (4 1).  —  Qmitiwies 
super  octo  politicorum  libris  Aristotelis,  —  Instituta  Justiniani  (in 
pargameno),  —  Repertorium  Juris  domni  Guiltermi  Durantis,  — 
Cosmographia  Ptolomei  (12).  —  Lactan(ius(i3).  —  Pogii{M)  opéra. 
—Bonifacius  Symoneta{i^).  —  Germa?%i0  qpus.  —  Jamblicus  (iÇ)  de 


(1)  Oayrage  de  Sacrobosco  (Jean  de),  mathématicien  anglais  daxiir  siècle. 
(i)  Strabon,  historien  et  géographe  da  i*"  siècle,  aatenr  d*(me  Géographie. 

(3)  Xénophon ,  philosophe  et  historien  grec  da  iv«  siècle  avant  Jésas- 
Ghrist ,  aolenr  de  la  Cyropéd4e  d'one  Histoire  grecque,  etc. 

(4)  Badé  (Gaillaume),  jurisconsulte  français)  (1467-1510). 

(5)  Yitcave,  architecte  de  Tempereur  Auguste. 

(S)  iciatptei  Ifi.phUpaophe  grec  (364r3d2  ayant  Jésus-Christ) 

(7)  Macrobe ,  philosophe  platonicien  du  v*  sl^le. 

(8)  Ca«L  (Nifiolaa  de),  cacdioal  (U0L-1464^,  t^éologie^. 

(9)  Gicécoa.,  orateuf!  latin  (IQ6-43  ans  ayan^  J68U3-Cbriitl}. 

(10)  Themistius,  philosophe  grec  du  ir  siècle. 

(11)  Bertrand  (Pierre),  cardinal,  évoque  d'Autim  (1300-1349),  canoniste. 

(12)  Ptolémée  (Claude),  géographe  du  11*  siècle. 

(13)  Laotance,  orateur  chrétien  du  iv*  siècle. 

(14)  Poggio  (Jean-Baptiste),  secrétaire  des  papes  et  jurisconsulte,  mort 
en  1459. 

(15'  Simonetta  (Boniface),  historien  italien  du  xr  siècle,  auteur  du  De 
persecutÂonàbus  chrisUmœ  fidi^  ei  ronianorur»:P/ontifUmm. 

(10)  Jamblique,  philosophe  platonicien,  vivant  sous  Julien  TApottaL 


DE  L*ABBAYE  R^TAbE  M  SAINT-LUCIEN.  804 

misieriis  ^Egyptiomtn.  —  Liber  Decretalium  {inpapyra).  —  SewêUê 
Decretalium,  —  Liber  Olrani.  —  ArchidiaconniseuRoêaritis  super 
Decreto,  ~  Digestum  vêtus,  —  Digestwn  novum.  —  Mercwrius 
fripera,  —  Johannis  de  Montelon  (1)  Prompttiarium.  —  De  regé-» 
mhie  principum.  —  Inforsiatum  (2).  —  Liber  InsiiiuHontim.  — 
Zabarena  super  Clementinis.  —  ^bbas  siculus  in  libris  Decreta- 
lium ,  six  volumes.  —  Summa  domni  Antonini  (3),  quatre  vo- 
lumes. —  Historiœ  domni  Antonini ,  trois  volumes.  ^Sabeliiei  (4) 
pars  prima  et  pars  tertia,  deux  >olumes.  —  Agatliyas  (5)  de 
bello  Gothorum,  —  Plutarchi  (%)  pars  prima  et  pars  secunda,  — 
Mantuanus  (7)  —  Quintitianus  (8\  —  Ammiani  Marceliini  (9) 
Hystoria,  —  Hieronimus  Battus  (iO).  -^  Adrianus  (il)  deSermone 
latino,  —  Legetida  aurea  (12).  —  Procopius  (43)  de  Bello  pertico, 
—  Tomus  primus  Quatuor  Conciliorum,  —  Eutropius  (14).  —  Titus 
Livius  (15)  [in  magno  volumitie).  —  Valerius  Mctximus  (16).  — 
Bartholus  super  Parvo  tolumine,  —  Berthachini  secunda  pars.  ^ 


(1)  MloDlholoa  (Jean  de),  chanoine  de  Saint-Victor  de  Paris ,  juriscon- 
sQlte ,  mort  en  1528. 

(2)  Infortiat,  nom  du  deuxième  volame  du  Digeste  compilé  sous  Jostinlen. 
:3)  Saint  Anlonin  (1H89-1159),  archevêque  de  Florence. 

4)  sabellicus  (Harc.-Antoine),  liistorien  italien  (1436-1608). 

^5)  Agathias  (le  scolastique)  de  Myrine ,  en  Aaie ,  historien  du  xi*  aiëclc. 

6)  Plntarqae. 

7}  Virgile ,  le  poète. 

(8)  Qaintillen. 

(9)  Ammien  (Harcellin),  biatorien  latin  du  iv  siècle. 

(10)  Balbo  (Jérôme),  évêque  de  Goritz,  historien  mort  en  1535. 

(11)  Adrien  di  Gorneto ,  cardinal ,  humaniste  italien  du  xv«  siècle. 

(12)  La  légende  dorée  de  Jacques  de  Voragine  ou  de  Vartae,  archevêque 
de  Gênes  en  1292. 

a3)  Procope ,  historien  grec  du  vi*  siècle. 

(Il)  Eutrope  (Flavius),  historien  latin  du  iv"  siècle. 

(15)  Tite-Live,  historien  latin  du  viu*  siècle. 

(16)  Valère  (Haxime),  historien  iathi  du  i*'  siècle. 


592  HISTOIRE 

Henricus  Bohic,  —  Autentica  (i).  —  Jacobinus  de  Sancto  Geor- 
gio  (2).  —  De  Turre  Cremata  (3)  super  tractatu  de  consecratione, 

—  Jacobini  de  Sancto  Georgio  Repertorium,  —  Pair  ictus  Fran- 
ciscus  (4).  —  Pars  secunda  Bartholi  super  Digestis,  —  Henrici 
Bohic  InstiMiones  f  deux  volumes.  —  Dictionnarii  pars  prima. 

—  Epii^tolx  PU  (5).  —  Revelationes  Sanctx  Brigittx  (6).  —  Au- 
gusUnus  de  figura  christianâ.  —  Grammatica  Pétri  Christiani  (7). 

—  Fortalitium  fidei  (8).  —  Dyalogi  décent  Isidori,  —  Alanus  (9) 
in  distractionibus,  —  Sacculus  pauperum  fin  magno  volumine 
et  in  pergameno  propredicatoribus),  —  Fincentii  (10)  liber  primus, 
liber  secundus,  liber  tertius  et  qxuLrtus.  —  Luitprandus  [\\),  — 
Cornélius  Tacitus  (12).  —  Nocleri  (i3)  primum  volumen.  —  Adria- 
iius ,  de  Rébus  gestis  Alexandri,  —  Lectura  aurea  Pétri  de  An- 
charano.  —  Nicolaus  (14)  abbas  super  secundo  et  tertio  libro  De- 
cretalium ,  deux  volumes.  —  Petrus  de  Anc/iarano  super  tertio  et 
quarto  libro  Decretaliiim,  —  Summa  Baptistiniana .  —  Repertorium 
Panormitani{i^),  —  Prima  pars  Felini.  —  Bartholomei  deSaliceto 


(1)  Les  Aathentiqaes  ,  compilation  des  Novelles  de  Justinien ,  dont  on 
ne  connaît  ni  l'auteur,  ni  l'époque. 

(2)  San  Georgio ,  canoniste  italien  du  xv«  siècle. 

(3)  Turrecremata  (Jean  dej  on  Torquemada,  cardinal  de  l'ordre  des 
Frères  prêcheurs ,  théologien  du  xv*  siècle. 

(4)  Patrjzi  (François),  évêque  de  Gaëie,  canoniste  italien  du  xv*  siècle. 
(5]  Pie  II  (ifineas-Sylvius-Piccolomini),  pape  (1405-1464). 

(6)  Sainte  Brigitte  écrivit  elie-môme  ses  révélaUons  (1302-1373). 

(7)  Chrétien  (Pierre),  grammairien  français  du  xvi*  siècle. 

(8)  Ouvrage  de  Thomas,  patriarche  Barbariensis  vivant  au  xv*  siècle. 

(9)  Alain  de  Lille,  théologien  da  xii*  siècle. 

riO)  Vincent  dit  de  Beauvais ,  dominicain  érudit  du  xiii*  siècle ,  auteur  du 
Spéculum  doctrinale,  historiale,  naturale  et  morale. 

[U)  Luitprand ,  évôqae  de  Crémone ,  historien  itaUen  du  x*  siècle. 

(12)  Tacite ,  l'historien  latin. 

(13)  Naucler  (Jean-Yergen),  chroniqueur  allemand  du  xv«  siècle. 
:i4)  Tndeschi  (Nicolas),  canoniste  italien  (1370-1145). 

15)  Tudeschi  (Nicolas;. 


DE  l'aBBAYB  royale  DE   SAIIVT* LUCIEN.  593 

tertia  pars.  —  Angélus  de  Aretio  super  titulo  de  Acdonibus. 
Summa  Hostîensis  in  Ubris  Decretalium.  —  Casus  SexH  et  Clemen- 
tinarum,  —  Apparattis  Decretalium  Innocenta.  —  Abbas  Siculus 
super  primo  Decretalium  libro.  —  Liber  Coclitus  de  Physionomia 
et  C/teromantia,  —  Julius  Firmicus  (1)  cum  libris  Arati  (2)  et 
Manilii  (3).  —  fAber  trium  virorum  et  trium  virginum  spiritua- 
Hum,  —  Liber  Haly  filii  Abenragel  (4)  injudicis  astrorwn,  —  Divi 
Bonave7iturss  in  tertium  librum  Sententiarum,  —  Sabellici  exem- 
plares  (5). 

Une  bibliothèque  ainsi  composée  n'était  pas  à  dédaigner  à 
cette  époque  ;  elle  montre  l'étendue  et  la  diversité  des  études 
auxquelles  on  se  livrait  dans  le  monastère.  La  théologie ,  le  droit 
civil  et  canonique  y  sont  les  mieux  représentés,  les  ouvrages  les 
plus  solides  sur  la  matière  y  abondent,  et  cela  se  conçoit  ;  n'était- 
ce  pas  là,  pour  ainsi  dire,  la  science  professionnelle  de  ceux  pour 
qui  la  bibliothèque  avait  été  formée?  Mais  on  n'y  négligeait  pas 
pour  cela  la  culture  des  belles-lettres,  ni  l'histoire,  ni  les  sciences 
exactes  et  même  l'astronomie,  ou,  pour  mieux  dire,  l'astrologie. 
Si  la  théologie  était  représentée  par  Pierre  Lombard ,  saint  Tho- 
mas d'Aquin,  saint  Bonaventure,  saint  Augustin,  saint  Jean- 
Ghrysostôme,  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Basile,  Origène, 
saint  Denis  l'Aréopagite,  Albert-Le-Grand ,  Jean  de  Beauvais, 
Etienne  de  Gaëte,  Guillaume  de  Paris,  Richard  de  Saint-Victor, 
Jean  Fischer,  Duns  Scot,  Rainier  de  Pise,  le  cardinal  Piccolo- 
mini,  Fulcoie  de  Beauvais ,  Glaude  Seyssel ,  Jean  Ruclin,Ange 
Politien  et  d'autres;  le  droit  civil  et  canonique  par  les  œuvres 
de  Justinien,  les  collections  des  décrétales,  Pierre  d'Ancharano, 


(3)  Juiias  Firmicus,  poète,  astronome  Utin  sous  les  enfants  de  Constantin 
autear  d'un  livre  d'astronomie. 

(3)  Aratas,  poète  et  astronome  grec  da  temps  dePtolémée-Phlladelphe, 
aoteiir  des  Phénomènes, 

(4)  Manilios  (Marcus),  poète  et  astronome  latin  sous  Tibère ,  auteur  des 
Astrqnomiques, 

(6)  Aben-Ragel  (Ali) ,  astrologue  de  Cordoue  au  xp  siècle. 
(6)  L  original  de  ce  catalogue  fait  partie  de  la  ôollection  manuscrite  de 
M.  le  comte  de  Merlemont. 


SM  «sfdnffi 

Jean  ^  Ferrières,  Bartbotos,  lean  Faber,  Feiinus  Sandcnn, 
BcMe,  Zabsrella,  Pierre  Bertrand,  Foggio,  Alain  de  Lille,  Tof- 
q«6iiiada,  Nicolas  de  Cusa,  Durand  de  Mende ,  Azon,  Antoioe 
Gorwtufl,  Nicolas  Tudeschi,  Jacobin  de  San  Giorgio  et  autres; 
les  belles  lettres  Tétaient  aussi  par  Cicéron,  Virgile,  Quintilien, 
PtQtarque,  Xénophon;  la  philosophie  par  Aristote;  l'histoire  et 
la  géographie  par  Strabon,  Ptolémée,  Symonet,  Naucler,  Vinoeat 
de  Deaufais,  Ammien  H arcellin,  Jérôme  Balbo,  Procope,  Ëutrope, 
Tite-Live,  Valère-Maxime;  les  mathématiques  par  Claude  Boa- 
^elle,  Euclide;  Tastrologie  par  Bonati,  Sacrobosoo,  Aratus,  Mani- 
lius,  Firmicus,  Aben-Kagel,  Albert-le-Graad  ;  Tart  de  hàtir  pv 
Yitruve;  la  musique  par  Franchini.  Un  grand  nombre  de  ces 
ouvrages  sont  devenus  aujourd'hui  très-rares,  et  c'est  un  grand 
dommage  que  cette  bibliothèque  ait  disparu. 

Arthus  de  Condren  avait  cessé  de  régir  l'abbaye  de  Saint-Lucien 
au  mois  d'octobre  de  l'an  1598.  Etaît-ll  mort?  C'est  ce  que  nous 
ne  saurions  dire. 

VI.  —  Antoine  Besson  (1598-1610?) 

Un  ecclésiastique  du  diocèse  de  Chartres,  Antoine,  d'autres 
disent  Jean  Besson,  fut  nommé  par  le  roi  pour  succéder  à 
Arthus  de  Condren.  Il  demeurait  à  Gasvilie(Eure-el-Loir)  quand 
il  donna  procuration,  le  8  octobre  1598,  à  Charles  Prévost,  abbé 
de  Saint-Chéron,  pour  venir  prendre  possession  en  son  nom  de 
l'abbaye  de  Saint-Lucien,  à  laquelle  il  venait  d'être  nommé,  pour 
y  nommer  un  grand-vicaire  qui  le  représenterait,  et  y  passer  les 
actes  et  baux  qui  étaient  nécessaires  (1).  L'abbé  de  Saint-Chéron 
s'acquitta  de  sa  délégation  et  prit  possession  le  10  décembre 
80iv.ant.  En  même  temps  il  nomma  poujr  grand-vicaire  devant 
tenir  lieu  de  l'abbé,  Nicolas  Patin,  le  prieur  claustral  du  mo- 
nastère. 

Le  nouvel  abbé  vint  rarement  à  Saint-Lucien;  il  y  était 
ipouriant  le  8  .février  1602,  lorsqu'il  assista  à  l'émission  des 
vœux  d'Adrien  Millet,  religieux  de  la  maison.  Il  instilua  aussi 


(1)  Cabinet  de  H.  le  comte  de  Merlemont. 


DE  L'aBBAYK  SOTAtB  DK  SAINT-LUCIEN.  W6 

loi-lbètee  et  en  personne,  en  cette  même  année,  Jean  Bertrand 
conkitae  infirnïier  (4). 

En  son  absence  et  à  son  défaut,  les  affaires  du  monastère 
étaient  régies  par  Nicolas  Patin,  et  ce  prieur  instruit  et  expéri- 
menté né  laissait  rien  en  souffrance.  En  1899,  il  autoMse  un  de 
ses  rellgieui,  Guillaume  de  Fontaines,  chapelain  de  Hiauroy,  à 
acquérir,  de  rH6te1-Dieu  de  Beauvais ,  une  maison  attenant  à 
la  ehapelle  de  Hiauroy,  avec  deux  mines  de  pré  au  même  lieu, 
pour  améliorer  la  situation  des  chapelains  ses  successeurs,  et 
les  obligier  à  chanter  la  messe ,  aux  cinq  grandes  fêtes  de  la 
Sainte-Vierge ,  dans  la  chapelle  (2). 

Les  religieux  du  monastère  étaient  alors  :  Nicolas  Patin,  prieur; 
Baltasard  de  Lannoy,  sous-prieur;  Lucien  Dargillei  infirmier; 
Guillaume  de  Fontaines,  trésorier  et  chapelain  de  Hiauroy; 
Louis  Alexandre,  Pierre  Basse,  Jean  Salmon»  François  Patin, 
Jean  Bertrand,  Noël  Vicart,  Etienne  Boullet,  Nicolas  Doudeuil, 
Merre  Tiphaigne,  Michel  Gaeudin,  Nicolas  Baudoin  et  Claude 
Morard. 

On  ne  sait  pas  au  juste  quand  ni  comment  Antoine  Besson 
cessa  de  régir  Tabbaye  de  Saint-Lucien;  nous  pensons  qu'il  la 
quitta  vers  t6l0,  attendu  que  son  successeur  ne  parait  pas  avoir 
reçu  de  bénéfices  ecclésiastiques  avant  cette  époque,  et  que  tout 
fait  supposer  que  cette  commende  lui  fut  donnée  peu  après  celle 
de  rabbaye  de  Marmoutiers,  c'est-à-dire  dans  le  courant  de 
l'année  1610. 

Vli.  —  Aiex.aiid]:*e  de  Boiu^boxi 

(4640r-4699)(3). 

Le  siiôcesseûr  d'Aùtoine  Besson  fht  Alexandre  dé  Botlrboti, 
dit  Ib  chevalier  de  Vendôme,  flls  naturel  d'Henri  IV  et  de 
babrielle  d'Estréés.  11  était  né  en  1S98,  et  le  roi  l'avait  légiUmé 


(1)  Gan,  Chriàl,  t.  ix. 

(2)  krch.  de  TOise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 

(3)  Ses  armes  étaient  :  de  France,  au  bâlofi  de  gueules  péri  en  barre 


596  HISTOIRE 

par  lettres  du  mois  d'avril  1599.  Il  fut  reçu  chevalier  de  Malte 
en  4604.  Le  roi  Louis  XIII  lui  donna  la  commende  de  Tabbaye 
de  Marmouliers  en  1610,  et  le  fit  créer  grand-prieur  de  Tordre 
de  Malte  pour  la  province  de  France  et  général  des  galères  de 
Tordre.  Il  le  nomma  aussi ,  sur  ces  entrefaites,  à  Tabbaye  de 
Saint-Lucien.  La  commende  du  monastère  tombait  ainsi  en 
main  laïque  et  ses  revenus  allaient  servir  à  alimenter  le  faste 
d'un  homme  de  guerre,  bâtard  de  sang  royal.  On  n'avait  même 
plus  la  pudeur  des  convenances. 

En  1615,  Antoine  de  Bourbon  fut  chargé  d'une  ambassade  à 
Rome,  et  le  3  juin  1626  il  fut  arrêté  à  Blois,  par  ordre  du  roi,  et 
enfermé  à  Vincennes ,  où  il  tnourut  le  8  février  1629.  Son  corps 
fut  transporté  à  Vendôme  et  inhumé  dans  Téglise  des  Pères  de 
l'Oratoire. 

Il  n'est  pas  besoin  de  dire  qu'un  tel  abbé  ne  s'occupa  guère 
autrement  de  Tabbaye  que  pour  en  percevoir  les  revenus.  11  n'y 
vint  presque  pas,  et  à  quoi  du  reste  aurait  servi  sa  présence?  Il 
tint  cependant  à  lui  témoigner  sa  bienveillauce  en  lui  donnant 
plusieurs  riches  ornements  d'église  sur  lesquels  on  voyait  ses 
armes  (2).  Il  conserva  cette  commende  jusqu'à  sa  mort ,  ainsi 
que  l'atteste  un  arrêt  du  Parlement  du  4  juin  1631,  obtenu  contre 
sa  succession  par  le  cardinal  de  Richelieu  (3). 

Le  prieur  claustral,  Nicolas  Patin,  son  vicaire  général,  conti- 
nuait pendant  ce  temps  d'administrer  la  communauté  avec  une 
rare  sagesse.  Il  pensa,  lui  aussi,  à  introduire  la  réforme  dans  sa 
maison.  Tandis  qu'autour  de  lui,  le  zèle  d'Augustin  Potier, 
secondé  par  le  P.  Bourdoise ,  saint  Vincent-de-Paul  et  d'autres, 
usait  de  tous  les  moyens  pour  réformer  le  clergé  séculier  des 
collégiales  et  des  paroisses  de  son  diocèse,  Nicolas  Patin  multi- 
pliait ses  efforts  pour  que  la  régularité  primitive  refleurit  parmi 
ses  moines.  Il  eut  plus  d'une  fois  des  conférences  à  ce  sujet  avec 
le  P.  Bourdoise,  et  le  fit  venir  en  son  monastère  pour  qu'il 
Taidàt  de  ses  conseils  et  de  sa  parole.  En  même  temps,  il  tra- 
vaillait à  rétablir  l'ancienne  organisation  monastique  qi  e  les 
abbés  commendalaires ,  et  surtout  Odet  de  Chàtillon,  avaient 


(1)  D.  Percheron,  eh.  47. 

(S)  Cabinets  de  MM.  Borel  de  Brétizel  et  comte  de  Merlemont. 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAINT-LUCIEN.  597 

profondément  modifiée.  Par  ses  soins,  et  grâce  à  l'influence  dont 
ii  jouissait  auprès  des  abbés  commendataires  de  son  temps,  les 
charges  ou  offices  claustraux  de  la  trésorerie,  de  la  chantrerie 
et  de  rinfirmerie,  supprimés  par  Tabbé  de  Chàtillon,  furent 
restitués,  et  des  moines  capables,  remplis  de  Tesprit  de  leur 
état  et  disposés  à  en  remplir  consciencieusement  toutes  les  obli- 
gations, >  furent  nommés.  Il  ne  put  cependant  terminer  son 
œuvre,  la  mort  Tenleva  auparavant,  en  i6i9.  Il  eut  un  digne 
successeur  dans  Yves  Mullot  pour  la  continuer. 

Les  afTaires  temporelles  dont  il  eut  à  s'occuper  furent  peu 
nombreuses  et  sans  grande  importance.  En  1G12  il  acquiert^ 
moyennant  iOO  livres  tournois,  d'Henri  Petit,  receveur  de  la 
ch&tellenie  de  Milly,  une  rente  de  6  livres  5  sols  constituée  sur 
Romain  Jolly,  laboureur  à  Villers-sur-Tbère. 

En  1613,  le  10  juin,  il  obtient  une  sentence  du  Parlement  contre 
Charles  de  Lorraine,  duc  d'Aumale,  pour  le  contraindre  à  payer 
douze  années  d'arrérages  de  la  rente  de  deux  marcs  d'argent, 
évaluées  à  9  livres  tournois,  constituée  au  xi«  siècle  sur  le  comté, 
devenu  depuis  duché  d'Aumale,  par  le  comte  Guillaume  d'Au- 
male.  Charles  de  Lorraine  avait  profité  des  troubles  de  la  Ligue 
pour  se  dispenser  de  payer  et  prétendait  depuis  avoir  prescription. 

En  1G19 ,  il  entre  en  possession  d'une  rente  de  rjo  livres  tour- 
nois, léguée  par  Thibault  Dargille,  homme  d'affaires  de  Philippe 
du  Kesnel,  bourgeois  de  Paris,  et  frère  du  sous-prieur  Lucien 
Dargille. 

En  16:25,  Nicolas  Patin,  voyant  les  finances  de  l'abbaye  se  ré- 
tablir, conçut  le  projet  de  faire  rentrer  petit  à  petit  son  monas- 
tère dans  la  possession  des  biens  qu'on  avait  jadis  été  contraint 
d'aliéner  pour  répondre  aux  édits  de  subvention.  Il  commença 
par  racheter  cinquante-quatre  mines  de  terre,  sises  au  terroir  de 
Luchy.  Le  possesseur,  Jacques  de  Brouilly,  écuyer,  seigneur  de 
Piseaux,  lit  quelque  difficulté  pour  y  consentir;  mais  comme  les 
édits  royaux  avaient  laissé  cette  faculté  de  réméré  aux  établis- 
sements vendeurs,  un  arrêt  du  grand  Conseil,  du  26  décembre 
1623,  obligea  le  sire  de  Brouilly  à  s'exécuter,  et  les  cinquante- 
quatre  mines  de  terre  furent  réunies  au  domaine  de  l'abbaye  (I). 


1}  Arcb.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


M8  fiisTom 

Les  rdjgfetix  qui  vécurent  à  Sara t-Lncien  sous l'admiKltstratiMi 
d'Alexandre  de  Bourbon  furent  Nicolas  Patin,  grand-prieur, 
Guillaume  de  Fontaines,  trésorier,  puis  sous-prieur^  Franfels 
Patin ,  tiers-prieur,  Lucien  Dargille ,  second  infinmier  ;  lean 
Bertrand,  premier  infirmier,  Etienne  Bouilet^  Claude  Caillot^ 
Nicolas  Doudeuil ,  Noël  Vicart ,  chantre ,  Pierre  Tiphaigne ,  NoSl 
de  Hénu,  Michel  Gueudin,  Thibault  Fournier,  Adrien  Millet, 
François  Le  Manguier,  François  Foullon. 

Vtlf .  —  ï^roolàs  «Le  ISéùrvlilé  (1629)  (i). 

Après  là  mort  d'Alexandre  de  Bourbon ,  Louis  Xitt  dôllâa  la 
comkneiide  de  Tàbbaye  de  Sàint-Luclen  &  Nicolas  de  NeUfvtile , 
conseiller-clerc  au  Parlement  de  Paris.  Cet  abbé  était  fils  natu- 
rel de  Nicolas  IV  de  NeufVine,  chevalier,  seigneur  de  Vîlleroy, 
Alaincoùrt,  Magny,  secrétaire  et  ministre  d'état,  gouverneur  de 
Corbeil.  La  faveur  dont  jouissait  son  père  à  la  cour,  lut  avait 
fiait  successivement  donner  la  cbmihende  des  abbayes  dé  la 
Chaise-Dieu,  de  Saint-Loup  de  Troyes,  de  Chézy,  de  Fonte- 
helle  et  de  Lagny,  eh  inéme  ttemps  qu'un  canonlcat  à  la  Sainte- 
Chapelle  de  Paris.  Esprit  vet-salil  et  timoré,  il  quittait  ùh  ihb- 
nastèl-e  et  s'en  démettait,  J)our  s'en  laisser  donner  un  autre 
quelque  temps  après.  Il  se  démit  ainsi  âé  l'abbayé  de  SalHt- 
Luclen,  après  l'aVoIr  administrée  pendant  queicitiiss  moiè.  Aussi 
son  passage  n'a-t-ii  guère  laissé  de  traces. 

ÏX.  -—  Pierre  VÏ  de  Bérxxlie  (1629)  (2). 

Le  successeur  de  Nicolas  de  NeufviÙe,  le  cardinal  Pierre  de 
Bérulle ,  n'eut  pas  une  administration  beaucoup  plus  longue. 
On  devait  bien  augurer,  pour  la  régularité  du  monastère,  de  la 
nomination  de  ce  zélé  fondateur  de  la  congrégation  de  l'Ora- 


(1)  Led  armei  des  Ifeaftllle-Tillero^  sdtit:  'd'azur,  du  chêf>¥on  Wolr, 
accompagné  de  trois  croix  amrées  de  mime. 

(2)  Les  armes  de  Béralle  sont  :  de  gueules^  au  chevron  d^or,  acconi" 
pagné  de  troii  molettes  du  même. 


DE  l'ABBATE  RêYAIiB  «B  SAINT-LUCIEN.  M9 

foire.  L'amtorité  4e  «a  science  «t  de  ses  vertus  «a  a¥ait  Mt  hr 
conseiller  ^es  rois,  et  l'on  pouvait  penser  qn'il  meHratti'iifte  <et 
tes  antres  an  service  de  la  réforme  monastîqne.  Il  n'en  eu4  i^ 
le  temps ,  la  mort  Tenleva  subitement  le  i""'  ^octobre  1629.  11 
était  venu  à  Saint-Lucien ,  et  sa  parole  si  pieuse  et  si  bien  infen- 
tionnée,  avait  déterminé  les  moines  à  élire  pour  prieur  •claus- 
tral un  religieux  d'un  très-graM  mérite,  qu'il  leur  recofnHran- 
dait,  nommé  Yves  Mullot.  Ce  religieux,  docteur  en  théologie, 
joignait  à  une  science  profonde,  une  {>fété,  une  btnnaiUté,  un 
amour  de  la  régularité,  qui  donnaient  lieu  d'espérer  d^  0on  ac- 
tion les  plus  heureux  rés^iliats,  et  cet  espoir  ne  fut  pas  trompé. 
Pendant  les  trente- deux  ans  qu'il  exerça  la  charge  âe  f>Heor 
claustral,  et  sous  sa  douce  et  patiente  mais  énergique  influence^ 
il  rendit  son  abbaye  l'une  des  plus  régulières  de  la  contrée.  Il 
disposa  les  esprits  à  embrasser  la  réforme  de  la  congrégation 
de  Saint-Maur,  et  s'il  n'eut  pas  la  consolation  de  la  voir  intro- 
duite dans  son  monastère,  il  put  la  pressentir. 

Tout  le  monde  alors  demandait  cette  réforme  monastique ,  et 
les  papes  Grégoire  XV  et  Urbain  YIH,  avaient  donné  les  instruc- 
tions les  plus  sages  pour  arriver  à  l'eiTectuer.  La  rigueur  des 
moyens  que  Ton  voulut  employer  la  compromit  et  en  retarda 
l'accomplissement. 

X.  Ajrm and.- Jean  Ou.  Flessls  de  Rloîielieu 

(4630-1642)  (1). 

La  commende  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  était  vacante,  et 
Louis  XIII  ne  crut  pas  pouvoir  mieux  faire  que  de  la  donner  à 
son  célèbre  ministre,  le  cardinal  de  Richelieu.  Le  revenu  était 
considérable  et  arrivait  à  point  pour  contribuer,  avec  bien 
d'autres,  à  entretenir  la  cour  princièrc  de  cet  illustre  homme 
d'Etat.  Nous  n'entrerons  dans  aucun  détail  biographique  à  son 
sujet,  sa  vie  et  ses  actions  sont  assez  connues.  Il  ne  s'occupa 
guère  de  l'n  Iniinislrad  jn  de  ce  monastère;  pourtant  son  grand 


(1)  Les  armoiries  du  cardinal  de  Riclieiteu  étaient:  d'dtOM,  S  trois 
chevrom  dt  gueules 


600  HISTOIRE 

crédit  fut  souvent  utile  pour  en  sauvegarder  les  intérêts.  Il  lui 
rendit  service ,  mais  ce  service,  il  le  lui  lit  bien  payer,  en  le 
pressurant  de  toutes  les  manières  pour  en  avoir  de  Targent.  La 
portion  des  religieux  était  sans  cesse  diminuée;  ceux-ci  souf- 
fraient et  détestaient  leur  abbé.  Leurs  sentiments  à  son  égard 
sont  bien  exprimés  dans  la  mention  inscrite  dans  leurs  annales 
et  reproduite  par  le  Gallia  Christiana  (\)  «  reditus  devoravit  ab 
anno  1630  ad  1642.  » 

L'administration  intérieure  fut  continuée  entre  les  mains  de 
D.  Yves  Mullot. 

Quant  aux  intérêts  temporels  du  monastère,  si  le  cardinal  de 
Richelieu  n'avait  pas  toujours  le  temps  d'y  veiller,  son  conseil 
s'en  occupaiL  Une  des  choses  qui  tout  d'abord  attirèrent  le  plus 
son  attention,  fut  la  réparation  des  édifices.  Alexandre  de  Bour- 
bon, forcément  éloigné  de  l'abbaye,  n'y  avait  guère  pensé  et  avait 
laissé  les  dégradations  s'accumuler,  sans  y  apporter  presque 
aucun  remède.  L'un  de  ses  successeurs,  le  cardinal  de  Bérulle, 
avait  cité  ses  héritiers  en  Parlement,  le  16  juillet  1629,  pour  les 
contraindre  à  faire  ces  réparations.  La  mort  ayant  inopinément 
enlevé  le  réclamant,  le  conseil  du  cardinal  de  Richelieu  reprit 
l'instance.  Il  avait  reconnu,  après  visite,  qu'il  fallait  plus  de 
30,000  livres  pour  obvier  au  mal ,  et  avait  ordonné  la  saisie  de 
tous  les  fruits  et  deniers  restés  entre  les  mains  des  fermiers  et 
débiteurs  du  défunt  abbé  de  Bourbon.  L'affaire,  portée  pardevant 
le  Parlement,  fut  jugée  en  faveur  du  cardinal,  qui,  transigeant 
avec  les  autres  créanciers  du  défunt ,  se  contenta  d'une  somme 
de  6,924  livres  à  prendre  d'abord,  sauf  à  avoir  ensuite  recours 
contre  ladite  succession ,  si  les  dépenses  dépassaient  par  trop 
les  prévisions  faites  jusqu'alors  (2). 

Un  autre  procès  se  poursuivait  vers  le  même  temps  contre  le 
seigneur  de  Sarcus.  Il  y  avait  en  ce  village  un  marché  le  ven- 
dredi de  chaque  semaine;  il  était  en  usage  de  temps  immémo- 
rial, et  personne  ne  s'y  opposait.  Comme  les  transactions  com- 
merciales qui  s'y  faisaient  donnaient  de  l'importance  à  la  lo- 
calité, messire  Geoffroy  de  Tiercelin ,  sire  de  Brosses  et  de  ce 


(1)  Gall,  Christ.,  t.  ix,  col,  787. 

\2)  Cabinets  de  MIL  Borel  de  Brétizel  et  comte  de  Merlemont. 


DB   L  ABBAYK   ROYALE  DB   SAINT-LUGIBN.  601 

lieu,  y  prit  goût  et  engagea  ses  tenanciers  à  tenir  encore  marché 
le  lundi  et  le  mercredi.  Ces  marchés  eurent  lieu  et  causèrent  un 
grave  préjudice  au  marché  de  Grandvilliers,  qui  se  tenait  le 
lundi.  Les  habitants  de  ce  bourg  s*en  plaignirent,  et  Tabbaye  de 
Saint-Lucien,  seigneur  du  lieu,  prit  fait  et  cause  pour  eux.  un 
plaida  en  Parlement,  et,  par  sentence  du  27  août  d632,  défense 
fut  faite  au  sire  de  Brosses  et  de  Sarcus  ««  de  faire,  ny  souffrir 
«  estre  fait  aucun  marché  audit  Sarcus  lesdits  jours  de  lundy  et 
«  mercredy,  ny  même  en  autre  jour  de  la  sepmaine,  sinon  que 
«  le  vendredy,  à  peine  de  tous  despens,  dommages  et  intérêts  » 
et  p^'rmission  fut  donnée  à  Messieurs  de  Saint-Lucien  de  faire 
publier  et  afficher  cette  sentence  a  par  toutes  les  églises  et  lieux 
«  publics  des  villes ,  bourgs  et  villages  circonvoisins ,  pour  la 
«  conservation  de  leur  droit.  »  Le  marché  du  lundi,  è  Grand- 
villiers, avec  les  deux  foires  qui  s'y  tiennent  chaque  année,  avait 
été  établi  par  lettres-patentes  de  François  1",  données  en  4^38, 
et  conûrmées  par  Henri  II  et  Louis  XIII  (1). 

Le  conseil  du  cardinal-abbé,  tout  en  s'occupant  de  l'adminis- 
tration des  biens  de  Saint-Lucien  ,  n'en  prenait  cependant  pas 
exclusivement  la  gestion,  il  laissait  une  certaine  liberté  aux 
religieux,  sauf  à  veiller  sur  la  manière  dont  ils  traitaient  les 
affaires.  Aussi  les  voit-on,  après  délibération  capitulaire,  acqué- 
rir eux-mêmes  plusieurs  pièces  de  vignes  à  Saint-Lucien ,  près 
du  Clos-Brûlé,  en  1633;  —  une  pièce  de  terre  et  un  pré,  sis  près 
du  Pont-aux-Vaches,  de  la  veuve  de  Nicolas  Dargille;  un  jardin, 
lieudit  les  Esbattements,  de  la  veuve  de  David  Jacob ,  en  1634. 
La  même  année,  ils  vendent  à  noble  homme  M«  Pierre  Âdrian, 
avocat  eu  Parlement,  et  demeurant  à  Beauvais,  cîïiquante-quatre 
mines  de  terre  à  Luchy  u  pour  satisfaire  au  rachapt  qu'ils  dé- 
«  sirent  faire  des  prés  ci-devant  aliénés  au  profit  de  Pierre  et 
«  Catherine  Carcireux ,  en  conséquence  des  édits  fait  pour  l'alié- 
«  nation  des  biens  du  clergé,  appelés  les  Grands-Prés  du  Vivier 
«  assis  proche  de  la  dite  abbaye,  qui  sont  de  plus  grand  re- 
u  venu... moyennant  1,900  livres  tournois.  »  Continuant  de  ra- 
cheter leurs  propriétés  jadis  aliénées ,  ils  obtiennent  plusieurs 
arrêts  du  Conseil  du  roi,  en  1635,  contre  des  possesseurs,  qui 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


Mft  UISTOJRS 

refusaieat  cte  s'en  dessaisir,  malgré  le  remboursement  du  prix 
ei  des  toyaux  coûts  qu'ils  leur  offraient.  Ils  contraignirent  ainsi 
Pierre  de  Frémont,  écuyer,  seigneur  de  la  Morvelliére,  à  leur 
rétrocéder  six  muids  de  grains  de  rente  sur  la  grange  de  Tré- 
monviliers,  quatre  autres  muids  sur  la  grange  de  Gouy,  douze 
mines  de  blé  et  treize  muids  et  demi  d'avoine  sur  le  dîmage  des 
chanoines  de  Saint-Laurent  de  Beauvais  à  Francastel ,  et  trente^ 
deux  mines  de  grains  sur  la  maison  du  Bois  d'Ecu  relevant  de 
la  commanderie  de  Fontaine.  Le  même  arrêt  condamnait  Adrien 
et  Charles  De  la  Rue  à  se  désister  du  fief  d'IIéricourt-Saint- 
Samson.  Ces  derniers  parvinrent  pourtant  à  garder  leur  lief, 
par  un  arrangement  qu'ils  firent  avec  les  religieux.  Charles  de 
Lamet ,  seigneur  de  Beaurepaire ,  ne  fut  pas  aussi  heureux  et 
dût  céder  vingt  arpents  de  pré,  à  Pont-Sainte-Maxence.  Ils 
poursuivaient,  en  même  temps,  la  duchesse  d'Âumale,  Anne 
de  Lorraine ,  pour  qu'elle  eût  à  payer  au  chantre  de  leur  abbaye 
les  deux  marcs  d'argent  de  rente  imposés  jadis  sur  son  duché 
par  le  comte  Guillaume  (1). 

Une  question  d^économie  cléricale  préoccupait  alors  Tadmi- 
nistration  diocésaine.  L'évêque  travaillait  de  tout  son  pouvoir 
à  réformer  le  clergé  paroissial  et  voulait  que  tous  ses  curés 
fussent  graves,  dignes,  exemplaires  partout,  résidents  et  tout 
entiers  à  leur  saint  ministère.  Les  pieuses  retraites,  les  con- 
seils, ne  leur  étaient  pas  ménagés,  tout  cela  était  bien;  mais 
pour  un  grand  nombre  de  curés  de  campagne,  il  y  avait,  à 
c6té  de  cela,  une  cause  qui  faisait  négliger  la  résidence,  cu- 
muler les  bénéfices  et  nuisait  à  la  régularité,  c'était  la  pauvreté. 
Dans  certaines  paroisses,  la  portion  congrue  n'était  pas  abon- 
dante, et  le  gros  accordé  par  le  décimateur  était  souvent  me- 
suré très-parcimpnieuâement.  L'évêque  et  les  curés  s'en  plai- 
gnirent aux  seigneurs  et  aux  grands  établissements,  monastères 
ou  chapitres,  qui  percevaient  les  dîmes  des  localités.  Leurs 
plaintes  furent  entendues  dans  maintes  circonstances.  L'abbaye 
de  Saint-Lucien  et  son  abbé  surent  se  montrer  bienveillants. 
Ils  accordèrent  des  augmentations  à  un  grand  nombre  de  curés 
de  leurs  terres,  et  leurs  registres  nous  signalent  spécialement 


(1)  Arch.  de  TOise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


DE  L  ABBAYE  ROXAliE  M  SAINT-LUCIEN.  M3 

teft  curés  de  Juvigiije&,  deVerderel,  de  Froissy,  de  Uuidojrge, 
de  Thury  aouft-Clermont,  d'AbbevUte-Salnt-Lucien,  de  Lucby, 
de  Notre-Dame-du-Thil ,  d'Oudeuil ,  comme  ayant  reçu  des  sup- 
pléineftlB  de  quinze,  vingt,  et  même  de  cinquante  livres,  (i). 

Le  cardinal  de  Richelieu  mourut  le  4  décemJ>re  d64â,  et  fut 
remplacé ,  en  qualité  d'abbé  de  Saint-Lucien ,  par  le  cardinal 
llaiarin. 

XI.  —  Jules  Mazax^iiL  (4643-1661]  (î). 

Le  cardjjQ^l  llaiarin,  fils  de  Pierre  Mazaiiini  et  d'Hortensia  Ru- 
M4iai,  était  né  le  14  juillet  1602  à  Piscina ,  dans  TAbruue,  pro.- 
yinc^  4u,  j^oyawie  d/^  Napl^s,  Après  ^voîr  été  légat  d'Urbain  vm 
da^s  le  llila,DAis  ^t  le  l^ii^ont ,  il  fut  envoyé  comme  non^ 
ex^t^aordinaijce  en  France,  en  icai.  U  y  gagna  r^itié  du  caj;- 
djnal  ù^  Qjphelieu  et  U  bi^nveilia^e  de  Louis  xni  qui  le  fii 
oypiiMner  cardinal  en  1641.  Après  la  rn^rt  de  aichelieu.,  ii  fi^l 
revêtu,  de  la  çb^ge  de  conseiller  ^'f^t^t^  9t  devint  ministre  de 
France  durant  la  minorité  de  Louis.  XiV.  Ce  fut  sur  cea  entre- 
ij^^s  qu'il  fut  pourvu  d^  r^bbaye  ^e  Saint-LuQie%  Le  crédit 
4on^  il  joi^jssait  à  la  cour  Lui  val^t  bien  d'autres  dignités  et 
4;^res  bénéfices.,  pi^isqu'aux  titres  de  piM^  de  France,  i^  iffl- 
9istj;^  d'Ët^Àçt  de  duc  de  Mayenne,  il  joignit  cq^\  d'évéqu^  4ib 
Mjet^,  d'al^bé.de  S^ii^An^a^d,  de  SaintrClément  e^  de  Saint- Vin- 
cent de  1^  mèi^  yille,  de  Cluny,  4^  Sajnt-Denis,  de  SaintrPierre 
de  Cori)ie,  de  s^ijnt-vaast^  d'A^ras.,  de  SaiutMédard  de  Soissons, 
4e  Sa^nJtrMaf*t|n  deLaon,  de  S^nt-Luciçn  de  Beauvjiis,  de  Sainl- 
Etienne  de  Caen  ,  de  Saint-Vigor  de  Çérisy ,  de  SjMutrlIipbel  dfe 
l^éon,  de  Sainjt-Taurin  d'Çvreux>  ^  Saint-Pierre  de  Moissac,  de 
Nptre-Dame  de  Çrandval,  de  Sainl- Victor  de  Marseille,  deSainl- 
Honorat,  ^  lifya/m^ ,  d^  S^trl^bert  de  la  Cb^ise-DleU:  sur  Seii^e 
et  de  Sawt^C^rmain  d'Auxerre.  Il  éti^it  abbé  coipiai)findataii:;e  de 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Laden ,  invent,  de  1669. 

(3)  Les.  acmea  de.  Uazarin  étaient  :  d^azur.,  à  to  hache  d'artMê  d^'ar- 
gent  dans  un  faisceau  d'armes  d*or,  Ué  d'argent ,  posé  en  pal,  et  wne 
fasee  de  gueules  sur  le  tout,  chargée  de  trois  étoiles  d^or. 


604  HISTOIRS 

vingt  monastères ,  quel  abus  !  Et  comment  pouvait-il  veiller  sur 
eux  ?  C'est  à  peine  s'ils  eurent  sa  visite,  plusieurs  mêmes  ne  le 
virent  jamais. 

Pour  administrer  les  revenus  de  tous  ces  bénéfices,  le  cardinal 
Mazarin  avait  un  fondé  de  pouvoir,  c'était  Jean-Baptiste  Colbert, 
conseiller  du  roi  en  ses  conseils,  demeurante  Paris.  11  afferma 
tout  le  revenu  de  Saint-Lucien  à  un  fermier  général,  chargé  de 
délivrer  aux  moines,  sur  le  prix  de  son  bail,  l'argent  nécessaire 
à  leur  entretien.  La  somme  n'était  jamais  trop  forte,  et  plus 
d'une  fois  les  religieux  réclamèrent  contre  l'exiguïté  de  cette 
pension. 

Le  10  juin  1G50  ,  le  roi,  étant  à  Compiègne,  créa  une  rente  de 
3,000  livres  sur  l'abbaye  de  Saint- Lucien,  au  profit  de  François 
de  RoncheroUes  deMainneville,  prêtre  du  diocèse  de  Rouen.  Les 
rois  ne  se  gênaient  pas  alors  pour  récompenser  leurs  favoris  aux 
dépens  du  revenu  des  monastères,  et  ils  en  disposaient  comme 
s'ils  étaient  à  eux.  Ils  préludaient  ainsi  à  la  confiscation  des  biens 
du  clergé,  opérée  plus  radicalement  en  1790.  Mazarin  y  consentit 
pour  conserver  les  bonnes  grâces  de  la  reine  mère  ;  quant  aux 
moines,  on  ne  les  consulta  même  pas  (1). 

Cependant  les  moines,  fatigués  d'être  mal  entretenus  et  plus 
mal  encore  payés,  s'entendirent  avec  les  rentiers  de  leur  maison, 
qui  ne  l'étaient  pas  mieux,  pour  faire  saisir  les  revenus  des  biens 
dans  les  mains  des  sous-fermiers.  Mazarin  obtint  divers  arrrêts, 
en  16o2,  contre  eux,  sans  pouvoir  étouffer  leurs  réclamations. 
Elles  parurent  justes  au  grand  Conseil ,  et  le  cardinal  fut  obligé 
de  transiger  et  de  satisfaire  à  leurs  demandes.  Il  s'exécuta  de 
mauvaise  grâce  et  consentit  à  partager  les  revenus,  mais  il  se 
fit  toujours  la  part  du  lion. 

Il  mourut  en  i66i,  au  moment  où  les  religieux  allaient  in- 
tenter un  procès  à  son  fermier  général  au  sujet  des  bâtiments 
de  leurs  fermes,  qu'il  laissait  s'écrouler,  faute  d'entretien. 

De  son  temps ,  vécurent  à  Saint-Lucien  les  religieux  Yves 
Mullot,  grand-prieur;  Noël  de  Hénu,  sous-prieur  en  1642;  Jean 
Vicart,  chantre  et  sous-prieur  après  Noël  de  Hénu;  François 
Foullon,  infirmier  en  16 i3;  Adrien  Millet;  Germain  Auxcous- 


1  Cabloets  cU  MM.  Borel  de  Brétizel  et  comte  de  Merlemont. 


DB  l'abbaye  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  605 

taux  (4),  prieur  de  Lesseville;  Pierre  de  la  Croix  (2),  trésorier; 
Jean  Pécoul  (3);  Nicolas  de  Regnonval  (4)  ;  Lucien  Leullier  (S)  ; 
Alexandre  Des  Vieux,  inflrmier  en  1657;  Pierre  Auxcousteaux  (6); 
Nicolas  de  Norroy  ;  Benoit  de  Regnonval  (7). 

XII.  —  Fx*aiiçols-Max*le  Manolxil  (8) 

(4664-4672). 

François-Marie  Mancini,  cardinal  du  titre  de  saint  Vite  et  saint 
Modeste ,  fut  nommé  à  Tabbaye  de  Saint-Lucien  après  la  mort 
du  cardinal  Mazarin.  Il  était  fils  de  Paul  Mancini  et  de  Victoria 
Capoccia.  Les  auteurs  du  Gallia  ChrUtiana  le  font  à  tort  le 
neveu  du  cardinal  Mazarin  ;  il  n'en  était  que  Tami  et  le  protégé  ; 
leurs  familles  ne  s'unirent  entre  elles  que  par  le  mariage  de  sou 
frère  Laurent  Mancini  avec  la  sœur  de  Mazarin.  Il  fut  élevé  au 
cardinalat  le  5  avril  i660,  à  la  recommandation  de  Louis  XIV,  et 
dut  aussi  à  la  faveur  du  grand  roi  plusieurs  bénéfices  de  haute 


(1)  Né  en  1605  de  Jacques  Auxcousteaux ,  seigneur  de  VeodeuU  et  de 
Pisselen ,  avocat ,  baiily  et  procureur  fiscal  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien , 
et  de  Nicole  Lecat.  Il  mourut  le  14  mai  1684. 

[1)  FUS  d'Adam  De  la  Grobc,  marchand  à  Beauvais,  et  de  Marie  Le  Febvre. 

(3)  D'une  famiUe  de  marchands  des  plus  honorables  de  Beauvais.  Il 
mourut ,  en  1688,  dernier  prieur  des  religieux  non  réformés  de  l'abbaye 
et  prieur  de  Sénarpont. 

(4)  Fils  de  Jean  de  Regnonval ,  échevin  et  juge  consul  de  Beauvais ,  et 
de  Marie  Gaudouin  ;  mort  le  9  Juin  1661  et  enterré  dans  la  chapeUe  de 
Saint-Benott. 

(5)  Fils  de  Lucien  Leullier,  échevin  de  Beauvais. 

(6)  Frère  de  Jacques  Auxcousteaux,  doyen  de  la  Faculté  de  théologie 
de  Paris,  chanoine  de  Gerberoy,  et  enfin  religieux  à  Saint-Lucien,  où  il 
mourut  le  so  octobre  1680. 

(T;  Frère  de  Nicolas  de  Regnonval ,  fit  profession  le  n  décembre  1655 , 
mourut  le  28  février  1676  et  fut  enterré  à  côté  de  son  frère. 

(8)  Les  armes  du  cardinal  Manchii  étaient:  d'axer,  à  dstia;  poisêmit 
d'argent  poêés  en  pai. 

T.  VIU.  40 


606  HI6T0IEB 

importance.  Avec  Saint-Lucien ,  Il  eut  encore  en  commenfle  les 
al)baye0  de  la  Gbaiie-Dieu ,  de  Saint-Martin  de  Laon,  tt  des 

Préaux. 

Le  cardinal  Mancini  trouvait  à  Saint- Lucien  une  communauté 
des  plus  régulières ,  grâce  à  la  sage  administration  du  grand- 
prieur  Yves  Mullot.  Ce  docte  et  pieux  religieux  aurait  bien  désiré 
la  voir  unie  à  la  Congrégation  réformée  de  Saint-Maur ,  il  faisait 
des  démarches  à  ce  sujet,  quand  la  mort  Tenleva,  en  1662. 
Aussi  bienfaisant  que  pieux,  il  avait  donné  à  Téglise  de  ce  mo- 
nastère f  qu'il  avait  dirigé  pendant  trente-deux  ans ,  quatre 
grands  chandeliers  en  vermeil  et  un  très-bel  ornement  en  bro- 
catelle  d'or  (1). 

Pierre  De  La  Croix  «  son  successeur  dans  la  charge  de  grand* 
prieur,  continua  son  œuvre  de  réformation  et  demanda  aux  su** 
périeurs  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur  d'introduire  dans 
sa  maison  quelques<uns  de  ces  religieux,  dont  Tinfluence  avait 
produit  les  plus  salutaires  résultats  dans  un  grand  nombre  d'é- 
tablissements. 11  sollicita  Tassentiment  de  l'abbé,  et  le  cardinal 
fut  heureux  de  le  lui  donner. 

«  C'était  dans  Tabbaye  de  Saint-Vanne  ,  en  Lorraine ,  dit 
H.  Hippeau  (^),  qu'avait  eu  son  origine  la  Congrégation  géné- 
rale des  bénédictins  de  Saint-Maur.  Un  abbé  de  Saint-Augus- 
tin de  Limoges  ;  Jean  Renaud,  eut  l'heureuse  idée  d'aller,  en 
1613,  chercher  des  religieux  dans  cette  abbaye,  pour  fonder 
avec  eux  une  société  monastique,  rigoureusement  soumise  à 
la  règle  de  saint  Benoit.  Sur  la  demande  de  Louis  XllI,  ses 
statuts  furent  approuvés  en  1621  par  le  pape  Grégoire  XV ,  et 
plus  tard  par  Urbain  VIH.  Indépendamment  delà  règle  de  saint 
Benoit,  la  Congrégation  de  Saint-Maur  avait  ses  statuts  et  ses 
constitutions  particulières.  Elle  avait  un  supérieur  générai,  ré- 
sidant à  Saint-Germain-des-Prés,  des  assistants  et  des  visiteurs, 
et  tenait  tous  les  trois  ans  un  chapitre  général.  Personne 
n'ignore  les  services  rendus  par  cette  illustre  société  à  la  reli- 
gion et  au  rétablissement  de  la  discipline  dans  les  monastères, 

(1)  D.  PorcheroB,  ch.  47. 

(9)  Monographie  de  Satm-ltlenne  de  Gaen ,  dans  le  t.  xxi  des  Ménwiret 
dt  ta  Société  des  AnUq.  de  Normandie,  p.  257. 


DB  l'abbaye   BOYALE  DE  SAINT-LUCIEN.  607 

sur  lesquels  s'étendit  son  action  réformatrice.  Les  religieux  de 
la  Congrégation  de  Saint-Maur  se  sont  acquis  des  droits  éternels 
à  la  reconnaissance  des  savants  et  des  littérateurs,  par  leurs  pro- 
digieux travaux  d'histoire  et  d'archéologie.  Le  nom  seul  de  cette 
société  suffit  pour  faire  natlre  l'idée  de  tout  ce  que  peut  pro- 
duire le  dévouement  à  la  science,  quand  il  a  pour  mobiles  les 
sentiments  les  plus  purs  et  les  plus  désintéressés,  et  quand 
ceux  qu'il  anime,  au  Heu  de  rechercher  le  profit,  la  gloire  et  les 
applaudissements*du  monde,  ne  considèrent  leurs  travaux  que 
comme  l'accomplissement  d'un   devoir  imposé  par  la  foi.  » 
Quelle  pléiade  d'hommes  que  celle  qui  se  pressait  autour  de 
Montfaucon  et  de  Mabillon  !  Savants  de  premier  ordre,  mais 
toujours  religieux  fervents  et  modestes,  travailleurs  infalignbles, 
sachant,  pour  la  plupart,   mourir  obscurs  sans  léguer  leurs 
noms  à  la  postérité;  ils  se  contentaient  d'écrire,  pour  toute 
signature,  au  bas  de  leurs  préfaces  :  Uno  avulso,  non  déficit 
aifer. 

L'introduction  des  bénédictins  réformés  de  Saint-Maur  dans 
Tabbaye  de  Saint-Lucien  se  01  au  mois  d'octobre  tf6*>,  à  la  suite 
d'un  traité  conclu  au  mois  d'avril  précédent,  entre  les  anciens 
religieux  et  le  T.  R.  P.  Bernard  Audebert,  supérieur  général  de 
la  Congrégation. 

I!  y  élait  convenu  que  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  avec  les  offices 
claustraux  qui  en  dépendaient,  serait  et  demeurerait  unie  et  in- 
corporée à  perpétuité  à  la  Congrégation  de  Saint-Maur,  pour 
être  régie  et  gouvernée^  tant  au  spirituel  qu'au  temporel,  parles 
Pères  de  ladite  Congrégation.  Respectant  la  liberté  des  anciens 
religieux ,  on  avait  en  outre  statué  qu'on  ne  pourrait  les  con- 
traindre à  prendre  la  réforme,  ni  à  en  suivre  une  plus  étroite 
que  celle  qu'ils  avaient  professée  jusqu'alors,  mais  que  ceux  qui 
voudraient  embrasser  celle  réforme  seraient  tenus  de  se  sou- 
mettre à  tous  ses  statuts.  Les  anciens  religieux  et  les  nouveaux 
auraient  chacun  leur  prieur  et  leur  sous-prleur  particulier. 

Les  religieux  de  l'ancienne  observance,  composant  alors  la 
communauté,  étaient  :  D.  Pierre  De  La  Croix,  grand-prieur; 
Germain  Auxcousteaux ,  sous-prieur  et  prieur  de  Lesseville; 
Alexandre  Des  Vieux,  infirmier  et  garde  marteau  ;  Jean  Pécoul , 
procureur  et  prieur  de  Sénarpont  ;  Lucien  Leullier,  sacristain 
et  chapelain  de  l'abbé  ;  Pierre  Auxcousteaux;  Nicolas  de  Norroy, 


608  HISTOIRE 

JeanduHamel;  Aloph  deFournival,  chantre;  Jean  Pol,  dépen- 
sier; Benoit  de  Regnonval;  Jacques  Evrard ,  sous-chantre;  Reml 
Ghertemps,  trésorier. 

Ces  religieux,  au  nombre  de  treize,  firent  eux-mêmes  un  rè- 
glement dont  ils  promirent,  par  acte  capitulaire  du  4  avril  4665, 
signé  d'eux  tous,  de  garder  les  dispositions,  afin  de  ne  pas 
nuire  à  la  réforme. 

Ce  règlement  était  ainsi  conçu  : 

Règleimnt  qii«  les  aseiens  religienx  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  s'ebligent  de  garder, 
les  Pères  réformés  de  la  Congrégation  de  Saint-Ianr  étant  en  ladite  abbaye. 

!•  Les  dits  religieux  seront  tenus  d'assister  au  service  divin,  à  l'excep- 
tion  des  seules  matines ,  qui  se  disent  par  les  Pères  à  deux  heures  après 
minuit ,  et  ne  pourront  s'en  dispenser,  ny  môme  en  sortir,  quand  ils  y 
seront,  sans  la  permission  du  supérieur. 

2"  Ils  diront  chacun ,  de  semaine  en  semaine ,  en  leur  tour,  les  messes 
de  cimetière,  ce  qu'ils  feront  néantmoins  de  teHe  sorte ,  que  leur  nombre 
de  treize  Tenant  à  diminuer,  ils  ne  seront  pas  plus  souvent  en  semaine, 
pour  les  dites  messes ,  que  s'ils  demeuroient  toujours  en  leur  nombre 
de  treize.  Quant  à  ceux  qui ,  par  maladie ,  absence  ou  autrement  par  em- 
peschement  légitime ,  ne  pourront  s'acquitter  de  toutes  les  dites  messes, 
ou  de  partie  d'icelles,  quand  ils  seront  en  semaine,  ils  en  donneront 
advls  au  supérieur,  à  qui  il  appartiendra  de  les  en  dispenser  et  d'y  pour- 
voir. 

3*  Ne  leur  estant  pas  possible  de  continuer  leur  communauté  de  vivre, 
buvant  et  mangeant  dans  un  même  réfectoire ,  à  cause  des  empeschc- 
ments  qui  s'y  trouvent,  on  se  contente  de  les  exhorter  de  se  joindre  en 
plus  grand  nombre  qu'ils  pourront ,  pour  prendre  ensemble  leur  repas, 
pendant  lesquels,  s'ils  ne  font  pas  de  lecture,  du  moins  ne  s'entretien- 
dront-iis  que  de  choses  bonnes  et  convenables  à  des  religieux. 

4*  Ils  feront  abstinence  de  chair,  tout  l'^dvent,  comme  aussy  tous  les 
mercredys,  vendredys  et  samedys ,  à  la  réserve  du  jour  de  Noël  arrivant 
l'un  des  dits  jours ,  et  de  la  fête  de  saint  Lucien,  du  mois  de  janvier,  à 
l'égard  du  mercredy  seulement,  ne  plus ,  ils  jeûneront  tout  TÀdvent ,  et 
depuis  la  Pentecoste  jusqu'à  l'Exaltation  de  la  sainte  Croix,  tous  les  ven- 
dredys, et  depuis  la  feste  de  la  Sainte-Croix  jusqu'au  Garesme,  tous  les 
mercredys  et  vendredys,  si  ce  n'est  que,  ces  jours-là,  il  n'arrive  quelque 
feste  de  garde ,  ou  bien  qu'il  se  rencontre  quelque  jeûne  d'Eglise  es  autres 
jours  de  la  semaine.  Ils  jeûneront  aussy  toutes  les  veilles  des  principales 
fêstesde  Nostre-Dame,  suivant  la  louable  et  ancienne  coutume  de  la 
maison.  Et  de  tous  les  jeûnes  et  abstinences ,  personne  ne  sera  dispensé 


DB  L'ABBAYK  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  609 

qa'en  cas  d'inflnnité,  oade  quelqa'aatre  canse  approayée  par  le  sapé- 
rieur. 

5*  Quant  à  lear  pension,  encor  que  le  pape  leur  permette  de  la  tenir 
et  aux  R.  P.  Réformés  de  la  leur  donner,  ils  seront  nëantmoins  tenus 
d'en  rendre  compte  an  supérieur,  quand  U  le  voudra ,  et  ne  pourront 
disposer  d'aucune  cbose  notable  par  vente ,  don  ou  prest ,  sans  permis- 
sion. 

6*  Nui  ne  sortira  pour  aller  aux  champs  «  à  la  ville  ou  à  la  promenade 
aux  environs  de  l'abbaye ,  sans  en  avoir  congé  du  supérieur  ou  de  celuy 
qui  commandera  en  sa  placé. 

7*  Ils  se  garderont  de  Toisiveté ,  comme  de  la  mère  de  tous  les  vices, 
et  partant  seront  fort  soigneux  d'employer  en  choses  bonnes  le  temps 
qui  leur  restera  hors  des  heures  de  service  ;  et  quand  ils  auront  à  se  di- 
vertir ou  promener  ensemble ,  ils  le  feront  au  dedans  de  l'enclos  de  la 
maison,  et  non  jamais  dehors,  devant  la  grande  porte,  où  ils  n'iront 
point  sans  nécessité.  L%  chasse,  la  pesche  et  tous  autres  divertissements, 
qui  peuvent  mai  édifier  le  monde ,  leur  sont  deffendus. 

8*  Ils  ne  porteront  pas  les  cheveux:  trop  longs  et  se  feront  tellement 
rafraîchir  de  temps  en  temps  la  couronne  qu'elle  paroistra  toujours.  lis 
seront  modestement  vestus  et  jamais  n'iront  ou  paroistront  nul  part , 
sans  avoir,  par  dessus  leur  soustane  ou  soustanelle .  un  scapulairc  de 
lonjgueur  et  largeur  convenable,  et  au  lit  mesme,  ils  en  porteront  un 
petit,  comme  ils  ont  jusqu'à  présent  accoutumé. 

9*  Il  leur  sera  toujours  très  expressément  deffendu  de  donner  entrée 
aux  filles  et  femmes  dans  aucun  des  logis  et  lieux ,  où  ils  auront  leur 
demeure,  quoique  mesme  hors  du  clolstre. 

10.  Le  sous-prieur  les  assemblera  de  fois  à  autre ,  et  plus  particulière- 
ment pendant  l'Advent  et  le  Caresme ,  dans  tel  lieu  qu'il  lui  plaira  pour 
y  tenir  chapitre  et  reprendre  les  manquements,  et  leur  faire  telle  exhor- 
tation qu'il  jugera  à  propos  (1). 

Cette  comniunauté  montrait  ainsi  son  anoiour  pour  la  régula- 
rité et  rimportance  qu'elle  attachait  à  ce  qu'elle  fût  conservée. 
Son  prieur,  D.  Pierre  De  La  Croix,  resta  en  fonction  pour  la  di- 
riger. Après  sa  mort,  Germaiu  Auxcousteaux  fut  élu  pour  lui 
succéder.  Le  nombre  de  ces  religieux,  ne  se  renouvelant  plus, 
alla  sans  cesse  en  décroissant,  et  finit  par  être  réduit  à  rien  au 
bout  d'une  vingtaine  d'années. 

Les  nouveaux  Pères  réformés  s'établirent  dans  l'abbaye  sous 


(1)  Cabinets  de  HH.  Borel  de  Brétizel  et  comte  de  Merlemont. 


610  HISTOIRE 

la  conduite  de  D.  Michel  Maillot,  prieur,  leur  supérieur,  et  y  vé- 
curent de  la  manière  la  plus  édifiante  dans  raccoraplissement 
des  constitutions  qu'ils  avaient  vouées.  Us  prirent  en  mains  l'ad- 
ministration de  la  maison,  et  régirent  à  leur  gré  tout  ce  qui  n'ap- 
partenait pas  à  la  haute  direction  de  l'abbé,  dont  tous  les  droits 
avaient  été  réservés.  Par  leurs  soins,  fut  construit  le  trésor  où 
l'on  renferma  les  reliques  et  les  autres  objets  de  grande  valeur, 
et  c'est  à  eux  aussi  que  l'on  doit  la  splendide  chaire  à  prêcher 
de  leur  église.  Elle  est  maintenant  dans  la  nef  de  la  cathédrale 
de  Beauvais,  et  offre  un  beau  spécimen  de  la  sculpture  sur  bols 
de  la  seconde  molllé  du  xvip  siècle. 

Le  cardinal  Mancini  approuva  de  toute  son  autorité  l'introduc- 
tion dans  l'abbaye  de  Saint-Lucien  des  religieux  réformés  de  la 
Congrégation  de  Saint-Maur,  mais  n'y  donna  pas  autrement  ses 
soins,  ni  son  concours.  Quant  à  l'adminislration  du  temporel, 
il  en  avait  chargé  un  intendant  général,  Jehan  Le  Gentil,  vidame 
et  officiai  de  Heims.  Celui-ci,  pour  en  simplifier  la  gestion,  avait 
donné  toutes  les  propriétés  et  rentes  à  bail  à  un  fermier  gé- 
néral. Il  nous  est  resté  peu  d'actes  importants  émanani  de  cette 
admInisfraMon.  En  1663,  le  procureur  fiscal  de  l'abbaye  fit  pro- 
céder à  Tespalement  des  mesures  à  grains  et  à  liquides  de  sa 
juridiction,  et  réduire  celles  qui  n'étaient  pas  conformes  à  l'é- 
talon. Pour  éviter,  à  l'avenir,  toulevariaiion,  il  fit  fondre  par 
Jean  Mainville^  maître-fondeur  h,  Beauvais,  des  mesures  étalons 
de  fonte  pour  les  liquides,  et  les  fit  marquer  aux  armoiries  de 
l'abbaye  et  du  cardinal  abbé;  il  fit  aussi  fabriquer  deux  poinçons 
d'acier  portant,  gravées  sur  un  même  écusson,  les  armoiries 
de  l'abbaye  à  côté  de  celles  du  cardinal  abbé,  pour  estam- 
piller les  mesures  d'élain  du  commerce  après  leur  espalement. 
Les  étalons  et  les  poinçons  furent  déposés  dans  le  trésor  de 
l'abbaye.  On  fit  la  même  chose  pour  les  mesures  à  grains  :  un 
étalon  de  cuivre  rouge,  de  la  contenance  d'une  pinte,  mesure  de 
Paris,  servit  de  base  aux  autres  étalons  plus  grands  faits  en 
bois,  cerclés  de  fer,  et  marqués  au  fond ,  sur  les  côtés  et  sur  les 
bords  des  armes  de  l'abbaye  et  du  cardinal,  comme  les  me- 
sures pour  les  liquides  (1). 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lacien. 


DK  l'aBBATE  ROTALS  DE  SAINT-LUGIBN.  611 

En  166i,  le  Conseil  du  roi  autorise  l'abbaye  à  vendre  le  bols 
mort  et  le  bois  sur  le  retour,  dans  la  haute  futaie  de  ses  coupes 
de  taillis,  pour  le  produit  être  employé  aux  réparations  de  ses 
édifices  et  àTentretien  des  religieux  (i). 

En  1670,  Denis  Hallet  vend  aux  religieux  une  maison  sise 
auprès  de  leur  abbaye ,  lieudit  la  Borne-Trouée.  Le  prieur  des 
Pères  réformés  était  alors  Antoine  Bougier  (2). 

Le  cardinal  Mancini  mourut  à  Rome  le  28  juin  1672. 

X.II.  —  jraoqL\i.e8«>Béiile;ii.e  I*'  Bossuet  (8) 

(1672-1704). 

Au  cardinal  Mancini  succéda  un  homme  déjà  célèbre  et  qui 
allait  le  devenir  plus  encore,  Jacques- Bénigne  Bossuet,  le  futur 
évèque  de  Meaux.  Jacques-Bénigne,  âls  de  Bénigne  Bossuet, 
avocat  à  Dijon  ,  et  plus  tard  conseiller  au  Parlement  de  Metz, 
et  de  Marguerite  Mochat  d'Azu,  naquit  à  Dijon  le  27  septembre 
1627.  Il  fit  ses  études  au  collège  des  Jésuites  de  cette  ville  et  fut 
pourvu,  à  rage  de  treize  ans  (1640),  d'un  canonicat  dans  Tégllse 
de  Metz.  Deux  ans  plus  tard  il  vint  à  Paris,  où  il  fit  sa  philo- 
sophie, de  la  manière  la  plus  brillante,  au  collège  de  Navarre. 
Ses  succès  engagèrent  le  marquis  de  Feuquières  à  lui  faire  im- 
proviser un  sermon,  quoiqu'il  n'eût  que  seize  ans,  devant  la 
société  d'élite  du  célèbre  hôtel  de  Rambouillet.  Son  talent  émer- 
veilla le  savant  auditoire,  et  lit  dire  à  Voiture,  Tun  des  assis- 
tants, ce  mot  devenu  banal  à  force  d'être  répété,  quHl  n'avoU 
Jamais  ouï  prêcher  ni  si  tôt ,  ni  si  tard;  ce  fut  le  commencement 
de  sa  fortune.  Il  soutint  avec  éclat  ses  thèses  de  bachelier  en  1648, 
de  licence  en  1650,  et  celle  de  doctorat  en  1652,  quelques  se- 
maines après  avoir  été  ordonné  prêtre.  Il  se  rendit  ensuite  à 
Metz,  après  avoir  refusé  la  grande-maltrise  de  Navarre,  et  y 
vécut  six  ans  chanoine  et  archidiacre  de  sarrebourg.  Là  il  se 


(1)  Arch  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Laden. 

i9)  IMdem. 

(3)  Les  armes  de  Bossuet  étaient  :  d'azur,  à  trais  roues  <tor. 


612  HISTOIBE 

livra,  avec  une  ardeur  passionnée  à  l'étude  de  l'Ecriture  et  des 
Pères. 

Envoyé  par  son  chapitre  à  Paris  (i657),  il  y  prèclia  pendant 
douze  ans  avec  un  succès  si  extraordinaire  et  une  éloquence 
tellement  inconnue  jusqu'alors ,  que  Louis  XIV  le  nomma  h  l'évê- 
ché  de  Condom  en  septembre  i669. 

L'année  suivante,  le  roi  le  choisit  pour  précepteur  du  dau- 
phin, son  fils.  Bossuet  accepta,  se  mit  à  l'étude  avec  une  nouvelle 
ardeur,  et  composa ,  pour  l'éducation  de  sou  royal  élève  divers 
ouvrages  élémentaires  d'histoire  et  de  philosophie.  Hais  ne 
croyant  pas  pouvoir  concilier  cette  nouvelle  charge  avec  celle 
de  pasteur  des  âmes,  il  se  démit  de  son  évêché  de  Condom  le 
31  octobre  i67i.  C'était  se  priver  d'un  revenu  considérable,  et 
rendre  sa  situation  financière  assez  précaire,  attendu  que  la 
pension  attachée  au  titre  de  précepteur  du  dauphin  n'était  pas 
de  haute  valeur.  La  grande  &me  de  Bossuet  n'entrait  pas  dans  ces 
calculs  d'intérêts,  et  il  préféra  vivre  de  peu  et  se  gêner  plutôt 
que  de  se  plaindre.  Cependant  Louis  XIV,  qui  avait  le  sentiment 
des  convenances ,  ne  crut  pas  devoir  laisser  dans  cet  état  le 
précepteur  de  son  fils ,  et  un  homme  tel  que  Bossuet.  Le  car- 
dinal Mancini  avait  laissé  vacantes,  en  mourant,  les  abbayes 
de  La  Chaise-Dieu,  de  Saint-Lucien  de  Beauvais  et  de  Saint- 
Martin  de  Laon,  le  roi  offrit  à  Bossuet  celle  qui  lui  ferait  plaisir. 
Le  précepteur  du  dauphin  n'était  pas  avide  de  richesses,  et  il 
choisit  celle  de  Saint-Lucien,  comme  étant  plus  rapprochée  de 
Paris;  il  pourrait  plus  facilement,  disait-il,  s'en  occuper  et 
veiller  sur  elle,  tout  en  donnant  ses  soins  à  son  royal  pupille. 
Il  n'était  pas  de  ces  hommes  à  accepter  une  commende  d'ab- 
baye comme  une  sinécure,  ou  comme  une  source  de  revenus. 

Cette  nomination  si  plausible  et  si  justifiable  lui  valut  cepen- 
dant d'amères  critiques,  de  la  part  d'esprits  envieux  et  chagrins. 
On  connaît  la  lettre  qu'il  écrivit,  à  ce  sujet,  au  maréchal  de 
Bellefonds  : 

Je  ne  m'attends,  lui  dit-il,  à  aucun  compliment  sur  les  fortunes  da 
monde ,  de  ceux  à  qui  Dieu  a  ouvert  les  yeux  pour  en  découvrir  la  va- 
nité. L'abbaye ,  que  le  roi  m'a  donnée ,  me  tire  d'un  embarras  et  d'an 
soin ,  qui  ne  peut  pas  compatir  longtemps  avec  les  pensées  que  Je  sois 
obligé  d'avoir.  N'ayez  pas  peur  que  j'augmente  mondainement  ma  dé- 
pense. La  table  ne  convient  ni  à  mon  état ,  ni  à  mon  humeur  ;  mes  pa- 


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DE  L'aBBAYK  ROYALS  DE  SAINT-LUCIEN.  615 

rents  ne  profiteront  poiqt  da  bien  dô  l'Eglise.  Je  payerai  mes  dettes  le 
plus  tôt  qse  je  pourrai.  Elles  sont  poar  la  plupart  contractées  pour  des 
dépenses  nécessaires ,  même  dans  l'ordre  ecclésiastique  ;  ce  sont  des 
bulles,  des  ornements  et  autres  choses  de  cette  nature. 

Pour  ce  qui  est  des  bénéfices,  assurément  Us  sont  destinés  pour  ceux 
qui  servent  l'Eglise.  Quand  je  n'aurai  que  ce  qu'il  faut  pour  soutenir  mon 
état  y  je  ne  sais  si  je  dois  en  avoir  du  scrupule.  Je  ne  veux  point  aller 
audelk,  et  Dieu  sait  que  je  ne  songe  point  à  m'élever.  Quand  j'aurai 
achevé  mon  service ,  je  suis  prêt  à  me  retirer  sans  peine ,  et  à  travailler 
aussi ,  si  Dieu  m'y  appelle. 

Quant  k  ce  nécessaire  pour  soutenir  son  état ,  il  est  malaisé  de  le  dé- 
terminer ici  fort  précisément,  à  cause  des  dépenses  imprévues.  Je  n'ai> 
que  je  sache ,  aucun  attachement  aux  richesses,  et  je  puis  peut  être  me 
passer  de  beaucoup  de  commodités.  Mais  je  ne  me  sens  pas  encore  assez 
habile  pour  trouver  tout  le  nécessaire ,  si  je  n'avais  que  le  nécessaire ,  et 
je  perdrais  plus  de  moitié  de  mon  esprit ,  si  j'étais  à  l'étroit  dans  mon 
domestique.  L'expérience  me  fera  connaître  de  quoi  je  puis  me  passer  ; 
alors  je  prendrai  ma  résolution ,  et  je  tâcherai  de  n'aller  pas  au  jugement 
de  Dieu  avec  une  question  problématique  sur  ma  conscience. 

Je  vous  serai  fort  obligé  de  m'écrire  souvent  de  la  manière  dont  vous 
avez  fait.  Ce  n'était  pas  une  chose  possible  de  me  tirer  d'affaire  par  les 
moyens  dont  vous  me  parlez.  Je  tâcherai  qu'à  la  fin  tout  l'ordre  de  ma 
conduite  tourne  à  édification  pour  l'Eglise.  Je  sais  qu'on  y  a  blâmé  cer- 
taines choses ,  sans  lesquelles  je  vois  tous  les  jours  que  je  n'y  aurais  fait 
aucun  bien.  J'aime  la  régularité  ;  mais  il  y  a  certains  états  où  il  est  fort 
malaisé  de  ta  garder  si  étroite.  Si  un  fond  de  bonne  intention  domine, 
tôt  ou  tard  il  y  parait  dans  la  vie  ;  on  ne  peut  pas  tout  faire  d'abord  (i). 

Bossuet  laissa  dire  les  critiques  et  conserva  Tabbaye  de  Saint- 
Lucien.  En  attendant  qu'il  eût  obtenu  ses  bulles  de  Rome,  le 
roi  nomma  un  économe  pour  régir  le  temporel  du  monastère, 
et,  par  lettres-patentes  données  à  SaInt-Germain-en-Laye ,  le 
5  août  4672 ,  Pierre  Haguenier  fut  chargé  de  ce  soin  (2).  Cet  ad- 
ministrateur commença  par  obtenir  un  arrêt  du  Conseil  du  roi 
(5  septembre  1672),  commettant  le  lieutenant  général  de  Beau- 
vais  pour  faire  constater  les  réparations  à  faire  à  Tabbaye.  Elles 
étaient  nombreuses  et  Importantes  :  les  cardinaux  Mazarin  et 


(1)  Réaume  :  Histoire  de  Bossuet,  llv.  vi,  ch.  m. 

(2)  Cabinets  de  MM.  Borel  de  Brètizel  et  comte  de  Merlemont. 


614  HiSTOItIt 

Mancini  ne  s'étaient  guère  donné  la  peine  d'y  pourvoir.  L'arrêt 
du  Conseil  condamnait  les  héritiers  du  cardinal  Manclnl  à  les 
faire  exécuter,  et  donnait  ordre  de  verser  dans  les  mains  de  cet 
économe  tous  les  deniers  dus  par  les  fermiers  de  Tabbaye  ou 
par  les  débiteurs  du  défunt  cardinal,  afin  de  parer  aux  dépenses 
occasionnées  par  ces  réparations  (1).  Pierre  Uaguenier  avait 
encore  intenté  plusieurs  autres  actions  pour  sauvegarder  les  in- 
térêts du  monastère,  quand  arrivèrent  les  bulles  pontificales 
instituant  canoniquementrabbé.  Bossuet  prit  alors  en  main  l'ad* 
ministratlon  et  s'en  acquitta  avec  habileté. 

Bossuet  un  administrateur  habile,  cela  étonnera  peut-être  cer- 
tains esprits,  habitués  à  répéter  avec  la  plupart  des  biographes 
de  cet  homme  illustre,  qu'il  fut  un  piètre  administrateur.  Que 
Bossuet  n'ait  jamais  eu  la  réputation  d'être  un  bon  administra-, 
teur,  cela  peut  être  vrai,  lorsqu'il  s'est  agi  de  la  conduite  de  ses 
ailaires  personnelles  et  domestiques.  Son  esprit  ne  pouvait  se 
plier  aux  mille  détails  économiques  de  Torganisation  d'une  mai- 
son bien  tenue ,  il  avouait  ingénuement  son  insuiTisance  à  cet 
égard.  Mais  quand  il  lui  fallut  administrer  les  biens  d'une  grande 
communauté,  il  sut  y  appliquer  son  esprit  et  y  donner  des  soins 
en  rapport  avec  sa  haute  capacité.  C'est  là  un  des  côtés  de  sa  vie 
que  les  historiens  ont  complément  laissé  dans  l'ombre,  faute  de 
l'avoir  étudié.  S'ils  avaient  sérieusement  examiné  les  actes  admi- 
nistratifs de  son  abbatiat  à  Saint-Lucien ,  leur  appréciation  se- 
rait moins  défavorable  et  plus  juste. 

Croit-on,  du  reste,  que  ses  moines  de  Saint-Lucien  auraient 
consigné  dans  leurs  annales  cet  éloge  posthume,  qu'ils  n'ont 
adressé  qu'à  lui  seul  ;  Ct^us  memoria  in  benedietiofte  est  (2),  s'il 
avait  été  aussi  mauvais  administrateur  qu'on  le  représente  habi- 
tuellement? Qui  mieux  qu'eux  devait  connaître  la  vérité?  Et  ce 
n'était  pas  flatterie,  ils  écrivaient  après  sa  mort,  et  on  sait  corn* 
bien  ils  étaient  sobres  d'éloges  à  l'égard  de  leurs  abbés  commen* 
dataires.  On  le  volt  quand,  parlant  du  cardinal  de  Richelieu, 
ils  disaient  :  nediiut  devoratii  ab  anno  1630  adiUt^  il  dévora  les 
revenus  du  monastère  pendant  toute  sa  gestion  de  1630  à  164i. 


(L)  Cabinets  de  HH.  Borel  de  Brétizel  et  comte  de  Merlemont. 
[2}  GaU.  Christ  X   ix.  col.  787. 


DE   l'ABBAYB  royale  Ï>B   SAINT-LUCIBN.  6l5 

Il  suffit  d'ailleurs  de  suivre  Bossuet  dans  tous  les  actes  de  son 
administration  à  Saint-Lucien ,  pour  se  convaincre  de  la  vérité 
de  notre  dire.  Quand  il  reçut  cette  abbaye  en  commende,  le  dé- 
sarroi le  plus  complet  régnait  dans  tout  son  temporel.  Les  reve- 
nus diminuaient,  des  rentes  se  périmaient,  les  terres  étaient  mal 
cultivées,  les  bois  aussi  mal  aménagés,  les  fermes  tombaient 
en  ruine,  de  toutes  parts  arrivaient  les  demandes  de  réparations 
pour  les  églises  dont  Tabbaye  était  chargée.  Ses  prédécesseurs 
avaient  tout  négligé;  ils  avaient  pressuré  le  malheureux  éta- 
blissement pour  lui  faire  rendre  tout  le  revenu  qu'il  était  pos- 
sible, sans  s'inquiéter  du  reste.  Bossuet  villes  choses  autrement, 
et  se  fit  un  devoir  de  conscience  de  travailler  à  remédier  au  mal. 
Ses  occupations  delà  cour,  si  multipliées  (]u'elles  fussent,  ne 
surent  Tarrêtcr.  Il  commença  d'abord  par  se  rendre  bien  compte 
de  la  situation,  et  il  chercha  dans  la  communauté  et  dans  ses 
officiers  des  hommes  tout  disposés  à  le  seconder.  Il  fit  ensuite 
exécuter  une  carte  géographique  détaillée  indiquant  tous  les 
lieux  où  Tabbaye  avait  des  propriétés.  Le  plan  du  monastère  fut 
levé,  avec  une  vue  cavalière  de  tous  ses  bâtiments  (1).  Par  son 
ordre,  on  dressa  un  état  exact  et  complet  de  tous  les  biens,  cens 
et  rentes,  et  on  fit  une  liste  de  toutes  les  églises  et  bénéfice^ 
ecclésiastiques  à  la  nomination  de  Tabbé,  avec  la  nomenclature 
de  tous  ceux  de  ces  établissements  où  incombait  à  Tabbaye  la 
charge  des  réparations  ou  la  fourniture  des  livres  d'offices.  Puis 
pour  connaître  Tctat  matériel  dans  lequel  se  trouvaient  les  bienâ 
et  les  édifices,  ils  les  fit  visiter  par  des  experts.  II  s'astreignit  à 
examiner  lui-même  leurs  rapports,  et  il  donna  tous  ses  soldl^ 
à  ce  travail  long  et  fastidieux ,  si  peu  en  rapport  avec  ses  goûta. 
Il  força,  pour  ainsi  dire,  son  génie  à  descendre  au  terre  à  terre 
de  ces  détails  d'économie  administrative. 

Quand  Bossuet  se  fut  bien  rendu  compte  de  la  situation  et  du 
désordre  où  tout  se  trouvait,  il  fit  ses  efforts  pour  apporter  un 
prompt  remède  partout  où  besoin  était.  Les  réparations  aux 
édifices  furent  le  premier  objet  vers  lequel  se  porta  sa  sollici- 
tude. Il  donna  des  ordres  pour  qu'elles  fussent  exécutées  sans 
retard,  et  chargea  le  procureur  fiscal  de  l'abbaye  de  les  surveiller. 


Il       II       ^■^mat^tiiga» 


(1)  Nous  avons  reprodait  cette  Yae  de  l'abbaye. 


616  HISTOIRB 

Divers  bâtiments  du  monastère  furent  aussitôt  restaurés.  On 
travaillait  en  même  temps  aux  fermes  du  Bois  (Notre-Dame- du- 
Thil),  deBonnières,  de  Coullemogne,  de  Rolhois,  de  Grez,  de 
Juvignies,  de  Luchy,  de  Muidorge,  d'Âbbeville-Saint-Lucien ,  de 
Maulers,  de  Fontaine-Saint-Lucieu ,  de  Beaupuit,  de  Thieux,  et 
de  Saint-Félix.  On  refaisait  les  voûtes,  la  toiture  et  le  carrelage 
de  réglise  d'Abbeville-Saint-Lucien ,  en  août  1673,  tandis  qu'on 
exécutait  d'autres  réparations  aux  églises  d'Abbecourl,  d'Auseau- 
villers ,  d'Auviller ,  de  Bonnières  ,  de  Bucamp ,  de  Campremy, 
de  Cempuis,  de  Grillon ,  de  Fontaine-Saint-Lucien ,  de  Froissy, 
de  Fumechon,  de  Gaudechart,  de  Grand villiers ,  d'Hodenc- 
TEvèque,  d'Hondainville,  du  Hamel,  de  Juvignies,  de  Lucby,  de 
Maimbeville,  de  Maulers,  de  Morainvlllers,  de  Muidorge,  deNolre- 
Dame-du-Thil,  d'Oudeuil,  de  Rothois,  de  Rozoy,  de  Roy-Boissy, 
de  Sains,  de  Saint-Félix,  de  Saint-Sulpice,  de  Thieux,  de  Thury, 
et  de  Villers-sur-Bonnières. 

Des  missels,  rituels,  graduels  et  processionnaux  étaient  envoyés 
à  vingt-cinq  paroisses,  qui  n'en  avaient  plus,  ou  dont  les  livres 
d'église  se  trouvaient  en  trop  mauvais  état.  C'était  à  Abbeville- 
Saint-Lucien,  Auviller,  Bucamp,  Campremy,  Cempuis,  Grillon, 
Fontaine-Saint-Lucien,  Froissy,  Fumechon,  Grandvilliers,  Hodenc, 
Luchy,  Maimbeville,  Maulers,  Morain villers,  Muidorge,  Notre- 
Dame-du-Thil,  Oudeull,  Rothois,  Rozoy,  Sains,  Saint-Félix,  Thieux 
et  Thury.  Et  tout  cela  fut  fait  promptement,  les  comptes  du  mo- 
nastère des  années  1673,  i67i  ot  i67?)  en  font  foi. 

En  même  temps,  Bossuet  faisait  poursuivre  plusieurs  procès 
pour  sauvegarder  les  intérêts  et  les  droits  de  son  établissement. 
Comme  la  diversité  et  l'éloignement  des  lieux  et  des  juridictions, 
pardevant  lesquelles  il  fallait  les  suivre,  occasionnait  de  grandes 
pertes  de  temps  et  d'argent,  il  demanda  au  roi  d'évoquer  toutes 
les  causes  à  Paris  devant  son  grand  Conseil.  Louis  XiV  lui  accorda 
volontiers  cette  faveur,  par  lettres  patentes  du  20  janvier  167i, 
tt  en  considération,  y  dit-il,  de  ses  bons  et  utiles  services.  » 

Pour  subvenir  aux  dépenses  occasionnées  par  les  réparations , 
il  fallait  trouver  des  fonds.  On  en  trouvait  sans  doute  dans  les 
revenus  ordinaires,  mais  cela  ne  suffisait  pas,  et  Bossuet  crut 
pouvoir  s'en  procurer  en  attaquant  la  succession  de  son  prédé- 
cesseur. Le  cardinal  Mancini  avait  négligé  de  faire  des  répara- 
tions aux  édifices,  afin  d'avoir  plus  d'argent  dans  sa  caisse; 


DE   L  ABBAYE   ROYALE   DE   SAINT-LUCIEN.  617 

c'était  manquer  à  une  obligation  de  sa  charge ,  et  il  n'était  pas 
juste  que  son  incurie  profitât  à  ses  héritiers.  Le  duc  de  Mazarin 
ne  l'entendait  pas  de  cette  manière  ;  il  avait  recueilli  la  succes- 
sion du  cardinal  et  ne  souciait  pas  de  s'en  départir,  ni  de  la 
voir  amoindrir.  L'économe  Uaguenier  l'avait  déjà  attaqué ,  et 
il  avait  fait  la  sourde  oreille.  Bossuet  continua  l'instance,  et 
le  duc  fit  traîner  l'affaire  en  longueur.  Il  accumula  tant  de 
difficultés  que  le  procès  dura  près  de  vingt-huit  ans.  On  ne  s'en- 
tendait pas  sur  la  quotité  de  l'indemnité,  et  le  duc  avait  si  bien 
manœuvré  qu'il  avait  d'abord  obtenu  un  jugement  en  sa  faveur. 
Pourtant  Bossuet  finit  par  triompher,  et  M.  de  Mazarin  dut 
s'exécuter,  mais  il  le  fit  de  biBn  mauvaise  grâce.  Aussi  Bossuet 
écrivait-il,  le  12  avril  1702,  à  M.  Le  Scelller,  conseiller  du  roi 
en  l'élection  de  Beauvais  et  son  homme  d'affaires  ;  «  Pour  les 
«  réparations,  il  faut,  avant  toutes  choses,  se  mettre  en  état  de 
«  faire  celles  qui  donneront  le  moyen  de  toucher  les  dernières 
«  trois  mille  livres  de  M.  de  Mazarin  et  à  sortir  d'affaire  avec 
«  lui  (1).  n  —  et  quelque  temps  après,  le  jour  de  Pâques  de  la 
même  année  :  «  Je  vous  ai  mandé,  par  ma  dernière  lettre, 
«  qu'il  fallait  absolument  faire  les  réparations  de  la  grange  de 
u  Fontaine-Saint-Lucien  et  du  clocher  Saint-Félix ,  parce  qu'elles 
«  sont  nécessaires  pour  toucher  les  trois  mille  livres  restantes 
«  de  M.  de  Mazarin  (â).  »  Le  duc  ne  voulait  payer  qu'à  bon 
escient,  qu'après  constatation  de  travaux  exécutés. 

Il  ne  s'agissait  plus  là,  en  1702^  des  premières  réparations 
ordonnées  par  Bossuet;  celles-là,  il  leur  avait  fait  face,  comme 
il  avait  pu,  avec  ses  deniers  et  avec  ceux  provenant  du  monas- 
tère. Il  n'avait  d'abord  fait  exécuter  que  les  plus  pressantes. 
Quand  il  eut  rétabli  l'ordre  dans  les  affaires  de  la  maison ,  et 
trouvé  le  moyen,  à  J'aide  d'une  bonne. organisation,  d'aug- 
menter les  revenus,  il  songea  à  d'autres  améliorations  et  ne 
négligea  rien  pour  que  tous  les  édifices,  dont  son  monastère 
avait  la  charge,  fussent  remis  dans  le  meilleur  état  possible. 
On  est  étonné  quand  on  voit  toutes  les  restaurations  et  recons- 
tructions ordonnées  par  lui  de  1682  à  1696.  Au  monastère,  il  fit 


(1)  Lettre  autographe  inédite  da  cabinet  de  M  le  comte  de  MerlemoQt. 
(3)  Idem. 


6it  HISTOIAI 

rétablir  les  voûtes  des  galeries  de  la  nef,  construire  à  neuf  le 
vaste  bâtiment  conventuel  à  trois  étages,  que  l'on  remarquait 
naguère  à  côté  de  Téglise,  réparer  Tauditoire  ou  maison  de 
justice,  rebâtir  la  maison  du  portier  avec  ses  dépendances,  et 
tout  cela  avec  la  plus  grande  élégance  et  dans  les  proportions  les 
plus  grandioses.  Et  que  ne  flt-il  pas  aux  fermes  et  aux  églises? 
On  se  demande  parfois  comment  il  a  pu  parer  à  toutes  ces 
dépenses;  il  le  fit  pourtant,  mais  par  une  bonne  administration. 

Il  avait  affermé  la  recette  générale  du  revenu  de  tous  les  biens 
pour  dix  ans  (1673«iâg3],  à  deux  babiles  traitants  de  Paris,  nom- 
més Favier  et  Aubereau,  moyennant  l'acquit  des  cliarges  et 
90,000  livres  de  fermage  annuel.  La  somme  lui  parut  convenable 
parce  qu'il  ne  s'était  pas  rendu  compte  de  ce  que  les  biens,  dîmes, 
cens  et  droits  seigneuriaux  pouvaient  produire.  Le  régisseur  de 
ces  Messieurs,  Claude  Dubois,  neveu  de  Favier,  en  augurait 
autrement.  Aussi  procura-t-il,  à  fin  de  bail,  à  ses  commettants 
un  bénéfice  net,  pour  les  dix  années,  de  72,0(:0  livres,  sans 
compter  le  profit  des  vignes,  qui  ne  laissait  pas  que  d'être  con- 
sidérable en  certaines  années,  dit  un  factum  produit  dans  un 
procès.  (1)  Bossuet  n'en  sut  rien  d'abord,  et  ces  fermiers,  plus 
habiles  qu'honnêtes,  se  gardèrent  de  lui  faire  connaître  ieur 
bénéfice.  Ils  se  plaignirent  même  très-fort,  et  crièrent  si  bien 
partout  qu'ils  étaient  en  perte,  que  Bossuet  se  laissa  aller  à  leur 
accorder  une  diminution  de  1,500  livres  au  second  bail,  tandis 
qu'eux  augmentaient  leurs  sous-fermiers  de  2,000  livres.  Leur 
adresse  ne  leur  profita  pas  toujours,  Bossuet  finit  par  s'aperce- 
voir de  la  tromperie  et  trouva  le  moyen  de  leur  faire  rendre  un 
peu  de  leur  bénéfice  et  d'augmenter  le  troisième  bail. 

Pendant  ce  temps,  et  d'après  les  ordres  du  grand  abbé,  on  fit 
un  arpentage  nouveau  de  toutes  les  propriétés  du  monastère.  Des 
plans  exacts  furent  dressés ,  avec  des  répertoires  pour  leur  intel- 
ligence^ les  bois  furent  convenablement  aménagés  et  les  coupes 
mieux  réglées.  Les  archives  furent  visitées,  les  titres  vérifiés  et 
mieux  classés.  Pour  prévenir  leur  perle,  un  cartulaire  fut  rédigé 
et  reproduisit  la  copie  de  tous  ces  titres.  Un  moine  fort  instruit, 
qui  avait  embrassé  la  réforme  du  monastère,  D.  Placide  Porche- 


Ci)  Cabinets  de  MM.  Borel  de  Brétixel  et  comte  de  Herlemont. 


DB  l'aBBATE  ROTAU  M  SAINT -LU  GlBIf.  610 

ron  (i),  snrTOillait  l6a  classemeaU  et  les  rédactions  et  les  dirigeait. 
A  la  demande  de  Bossuet,  ce  moine  entreprit  d'écrire  l'histoire 
de  rabbaye,  et  la  conduisit  Jusqu'à  Tan  4681.  Son  oeuvre,  restée 
manuscrite,  forme  un  volume  in-folio  divisé  en  qiiaraiite«huit 
chapitres.  Elle  est  consen'ée  à  Paris,  à  la  Bibliothèque  Nationale, 
section  des  manuscrits,  sous  la  côte  19,843.  Son  auteur  la  ter- 
mina en  1681.  Nous  l'avons  souvent  consultée  et  suivie  dans  le 
cours  de  cette  histoire. 

£n  faisant  réviser  tous  les  titres ,  Bossuet  n'avait  qu'un  but , 
s'assurer  des  droits  de  son  monastère  pour  ne  pas  les  laisser 
périmer,  et  il  était  disposé  à  les  défendre  par  tous  les  moyens 
légaux. 

Depuis  longtemps,  les  administrateurs  du  collège  de  Bourgogne 
à  Paris  revendiquaient  une  rente  annuelle  de  seize  muids  de 
grains,  sur  les  biens  de  Grandvilliers,  comme  étant  aux  droits 
de  Baoul  de  Saint-Sauflleu  depuis  13S3 ,  Bossuet  allégua  une 
quittance  de  rachat  de  l'an  1261,  conservée  dans  le  chartrier  de 
l'abbaye  et  fit  défense  de  servir  la  rente.  Un  procès  s'en  suivit, 
et  Bossuet  le  perdit  par  sentence  du  10  septembre  1G76,  parce 
que  ses  prédécesseurs,  moins  attentifs  que  lui  à  garantir  les  in- 
térêts du  monastère,  avaient  laissé  s'établir  la  prescription  (2). 

11  fut  plus  heureux  en  1678  contre  Louis  Deschamps  ditliorel, 
seigneur  de  Saint-Sulpice.  Ce  chevalier,  au  mépris  des  droits  de 
l'abbaye,  avait  nommé  à  la  cure  de  Saint-Sulpice  et  fait  instituer 
son  candidat,  Noël  Le  Nain,  par  l'évêque  de  Beau  vais.  Bossuet 
intervint  aussitôt  et  fit  débouter  de  ses  prétentions  le  seigneur 
de  Saint-Sulpice.  Le  curé  fut  maintenu,  mais  défense  fut  faite  à 
messire  Des  Champs  de  nommer  à  l'avenir  à  ce  bénéfice  (3). 

Malgré  ses  nombreuses  occupations,  Bossuet  ne  négligeait  pas 
de  venir  à  Saint-Lucien ,  pour  s'assurer  par  lui-même  et  de  la 
régularité  de  la  communauté  et  de  la  bonne  administration  des 


(1)  B.  Placide  Percheron,  né  à  Gbâteanroax  en  1652 ,  reUglenx  à  Saiot- 
Lucien,  puis  à  Saint-Oermain-des-Prés ,  où  il  fat  t^ibUothécaire,  mourut 
le  U  février  1694. 

CI)  irob  de  l'Oise  :  abbaye  de  SainV»LQcien. 
10)  Gablael  de  M^  le  eomte  de  Merlemonl. 


620  HISTOIAE 

biens.  Ainsi,  nous  le  trouvons  à  Tabbaye  le  27  octobre  1680,  fai- 
sant une  translation  de  relique  et  adressant  la  parole  au  peuple. 
L'éclat  donné  à  cette  solennité  mérite  que  nous  en  reproduisions 
le  procès-verbal  authentique  : 

L'an  1680,  le  dimanche  vingt-septième  jour  d'octobre  après  midi,  nous 
Glaade  Da  Val ,  prestre ,  doctem*  en  théologie  de  la  maison  et  société  de 
Sorhonne ,  sous-chantre  et  chanoine  de  l'église  cathédrale  de  Beaavais. 
vicaire  général  et  officiai  de  Monseigneor  H'*  Toussaint  de  Forbin  de 
Janson,  ôvesqae  et  comte  de  Beanvals,  vidame  de  Gerberoy,  pair  de 
France,  de  présent  ambassadeur  extraordinaire  pour  le  Roy,  en  Pologne. 
Sur  la  rdqneste  k  nous  présentée  le  Joor  d'hier  par  les  religieux,  prieur 
et  couvent  de  l'abbaye  de  S*  Lucien-les-Beauvals ,  ordre  de  S*  Benoist, 
congrégation  de  S^  Maur,  exposiUve ,  que  parmy  les  S*«*  Reliques  qui  se 
conservent  depuis  plusieurs  siècles,  dans  l'église  dudit  monastère,  il  y 
en  a  une  très  considérable ,  et  doni  plusieurs  bons  autheurs  (ont  men- 
tion ,  scavoir  la  nhendibule  infériewre  de  sain(  Jean^BaptisU ,  et  parce 
que  le  reliquaire ,  où  elle  est  enfermée ,  est  très  petit  et  peu  conforme  4 
la  vénération  qui  est  deue  à  une  relique  si  considérable ,  ils  désiroient 
la  faire  transférer  dans  un  beau  chef  d'argent  qu'ils  ont  tait  faire  pour  ce 
sujet  ;  et  que  pour  cet  effet  il  nous  plut  faire  la  dite  translation  nous* 
mesme ,  ou  d'en  donner  la  permission  k  queiqu'autre  personne  qualiQée, 
qu'il  nous  plairoit  choisir  ;  nous  nous  serions  transporté  en  ladite  abbaye 
de  S*  Lucien  assisté  de  Hiérosme  Foumier,  notre  secrétaire  et  greffier 
ordinaire,  où  estant  nous  aurions  scenque  Monseigneur  M'*  Jacques- 
Bénigne  Bossuet ,  ancien  évesque  de  Condom ,  cy-devant  précepteur  de 
Monseigneur  le  Dauphin  et  premier  aumosnier  de  Madame  la  Dauphine, 
abbé  commendataire  de  la  dite  abbaye  de  S'  Lucien ,  se  trouvoit  pour 
lors ,  nous  l'aurions  prié  de  Taire  la  cérémonie  de  la  translation  de  la 
dite  relique  en  nostre  présence ,  ce  que  Mon  dit  seigneur  ayant  agréé,  et 
s'estant  revestu  des  habits  pontificaux,  il  y  auroit  procédé  ainsi  que  en- 
suit :  scavoir  qu'estant  entré  dans  le  chœur  de  la  dite  église ,  issue  des 
vespres,  le  reliquaire  ancien  luy  auroit  esté  apporté  par  Dom  Jean- 
Baptiste  de  Bouiongne ,  prestre ,  prieur  et  religieux  de  la  dite  abbaye, 
et  rayant  fait  ouvrir  par  François  Bingant,  orfèvre ,  demeurant  à  Beau- 
vais,  nous  aurions  trouvé  dans  le  dit  reliquaire  ancien  fait  de  forme  de 
mâchoire  soustenue  de  trois  pieds  et  deux  tours  quarrées  qui  s'eslèvent 
aux  deux  extrémités ,  la  mâchoire  inférieure  de  saint  Jean-Baptiste,  la- 
quelle auroit  esté  reconnue  par  Nicolas  Jorron ,  maistre  chirurgien  de  la 
ville  de  Beauvais ,  avec  une  des  grosses  dents  du  costé  gauche  j  et  sur  le 
chapiteau  du  dit  reliquaire ,  en  dedans ,  nous  avons  trouvé  ces  paroles 
gravées  Mentum  Beati  Joanms  BapUstœ,  et  au  dehors  dudit  chapiteau 
rbystobre  du  martyre  de  s*  Jean- Baptiste  gravé  à  l'antique.  Après  quoy 


DB   l'ABBAYB  ROYALB  DE  SAINT-LUGIBN.  631 

Mon  dit  seigneur  ayant  élevé  et  monstre  la  dite  reliqne  au  peuple,  qui 
estoit  en  grand  nombre  à  la  dite  cérémonie,  anroit  fait,  tenant  la  dite 
relique  en  main ,  nn  discoora  fort  éloqaent  et  digne  de  sa  grande  piété 
et  de  sa  profonde  érudition ,  sur  ce  texte  :  Ego  vox  clamcmtis  in  deserto, 
et  donné  à  la  fin  la  bénédiction  au  peuple  avec  la  dite  relique ,  qui  a  esté 
ensuite  portée  processionnellement  autour  de  la  dite  église,  dans  un 
bassin  d'argent ,  sous  un  daix  porté  par  quatre  officiers  considérables. 
Mon  dit  seigneur  suivant  la  dite  relique  en  babits  pontificaux ,  estant  ac- 
compagné de  M**  Pierre  Hauvis  et  Denis  de  Monstreuii,  prestres,  cbanoines 
de  Saint-Micbel  dudit  Beauvais,  et  de  Jacques  deNully,  diacre,  chanoine 
de  Nostre-Dame  du  Gbastel  dudit  Beauvais,  tous  trois  revestus  de  cbappes 
et  chapelains  ordinaires  de  Monseigneur  PEvesqne  et  Comte  dudit  Beau- 
vais ,  y  asslstans  en  ladite  qualité  ;  ensuite  de  quoy  la  dite  relique  auroit 
esté  renfermée  dans  le  bas  dudit  nouveau  reliquaire  fait  en  forme  de  chef, 
lequel  ensuite  a  esté  refermé  d'une  goupille  d'argent  par  le  dit  Bingant, 
laquelle  relique  ainsi  renfermée  dans  le  dit  nouveau  reliquaire ,  Nous,  de 
l'authorité  de  Mon  dit  seigneur  l'Evesque  et  Comte  de  Beauvais,  avons 
permis  de  l'exposer  à  la  vénération  des  fidèles  dans  la  dite  église  de 
S^  Lucien ,  comme  elle  a  esté  cy-devant  dans  ledit  ancien  reliquaire.  En 
conséquence  de  quoy  Mon  dit  seigneur  de  Condom  l'ayant  posé  sur  le 
grand  autel  de  la  dite  église  et  l'ayant  encensé ,  la  musique  de  l'église 
cathédrale  dudit  Beauvais  auroit  chanté  des  motets  et  répons  à  l'honneur 
de  Dieu,  de  S^  Jean-Baptiste  et  de  S^  Lucien,  ainsi  qu'elle  avoit  fait  dès 
le  commencement  de  la  cérémonie  et  pendant  la  procession ,  après  quoy 
Mon  dit  seigneur  auroit  donné  la  bénédiction  épiscopale  à  une  infinité  de 
peuple  qui  y  estoit  accouru  de  tous  costés.  Dont  et  de  tout  ce  que  dessus 
nous  avons  dressé  nostre  présent  procès- verbal  en  la  dite  église  et  abbaye 
de  S^  Lucien,  en  la  présence  des  religieux,  prieur  et  couvent  de  la  dite 
abbaye  et  de  Messire  Louis  D'Ephiay  de  S*  Luc,  abbé  de  S^  Georges,  dio- 
cèse de  Rouf^n,  de  Monseigneur  Louis  Bossuet,  Jacques-Bénigne  Bossuet, 
de  M*  Pierre  Jannel  *  prestre,  aumosnier  de  Madame  la  Dauphine,  M*  Léo- 
nor  Foy,  prestre ,  bachelier  en  théologie ,  M*  Isaac  Hocquet ,  prestre , 
M*  François  Noiien,  prestre ,  chanoines  de  la  dite  église  cathédrale  de 
Beauvais ,  M*  Charles  Milot ,  prestre ,  chanoine  de  l'église  collégiale  de 
S^  Barthélémy  dudit  Beauvais ,  M*  Louis  François ,  prestre  chapelain  de 
la  dite  église  cathédrale,  M*  Gilles  Gérard,  prestre ,  chanoine  de  Nostre- 
Dame  du  Chastel  dudit  Beauvais ,  de  M*  François  Oallopin  le  Jeune , 
conseiller  au  bailliage  et  siègQ  présidial  dudit  Beauvais,  M*  Jean  de  Malin^ 
guehen,  esleu  de  la  dite  ville,  M*  Pierre  Le  Sceilier,  esleu  en  la  dite 
eslection  et  procureur  fiscal  de  la  Justice  de  la  dite  abbaye ,  M*  Glande 
Âuxcousteaux,  bailly  de  la  dite  abbaye ,  M*  Léonard  Driot,  advocat  audit 
Beauvais,  et  autres  témoins  en  grand  nombre. 

Signé  :  J.  Bénigne,  ëv.  de  Condom  ;  —  Louis  D'Sspinay  de  Sainct-Luc  ; 
T.  viii.  4i 


093  BISfOIBB 

—  Louis  Bofiaet  ;  -*  Jaeqaet- Bénigne  BowMMt  ;  —  Wej  ;  —  Hoe- 
qnet;  —  iannel;  —  KoUên;  —  Da  Montréal!  ;  —  6.  Qénrd;  ~ 
Haavif  ;  —  J.  Milot  ;  —  De  Naily  ;  —  François  ;  —  fr.  J.  B*  de 
Bonlongne,  prieurés  S'Lacien;  —  fr.  i.  B.  Be  U Court;  — 
fr.  ioicbim  Doamel  ;  —  fr.  Foordrin  ;  —  fr.  Nieoias  Raynart  ; 

—  if.  Jérôme  Gratian  ;  —  fr.  Claude  Vrayet  ;  —  ir.  Goillaome 
Crin  ;  ^  fr.  Plaeide  Porcberon  ;  —  tf  Charles  Daclere;  —  fr.  Fran- 
çois de  la  Foscade;  —  Bieard,  cli»  de  S>  Miohel;  ~  Uepart;  — 
Le  Seellier  ;  —  Da  Val  (i). 

Bossuet  vint  encore  à  Saint-Luclep  en  1681,  aYec  son  amî 
Fabbé  d'Espinay-Baint-Luc,  et  fut  voir  les  désaslres  causés  à 
GrandvillierB  par  rincendie  arrivé  dans  la  nuit  du  l«r  au  i  sep- 
tembre 1680.  Le  village  avait  été  presque  entièrement  détruit. 
Bossuet  y  apportait  des  consolations  et  des  secours.  11  fit  re- 
construire à  ses  frais  un  des  bas-côtés  de  l'église.  On  lui  attribue 
aussi  le  plan  actuel  de  Grandvilliers  et  le  tracé  de  ses  rues  ;  il 
tint  à  leur  donner  cette  ampleur,  et  cette  rectitude  qui  en  font 
un  des  plus  be^ui  bourgs  du  pays  (2). 

Simon ,  dans  son  supplément  à  V Histoire  du  Beaumi$i$^  parle 
da  cette  visite  et  trouve,  à  cette  occasion,  le  moyen  d'attaquer 
le  p.  Watebled ,  lazariste ,  supérieur  du  séminaire  diocésain ,  et 
epnemi  déclaré  des  jansénistes;  mais  il  prête  à  Bossuet  des 
appréciations  beaucoup  trop  en  faveur  du  jansénisme,  pour  que 
Ton  croie  à  son  récit.  D'après  lui ,  le  P.  Watebled ,  ecclésiastique 
pourtant  des  plus  recommandables,  et  qui  accompagnait  Bossuet 
et  son  ami  dans  sa  visite,  aurait  si  viojepiment  critiqué  et  bl&mé 
la  conduite  et  les  actes  du  défunt  évoque ,  Monseigneur  Gboart 
deBuzenv^l,  que  Bossue)  n'aurait  pas  daigné  répondre,  et  se 
serait  contenté  de  dire  à  ses  amis,  en  descendant  4c  carosse  : 
«  M.  (le  Beauvais  reçoit  dans  le  ciel  la  récQmpcnsiB  dç  tantes  ces 
6  cboses,  pour  lesquelles  on  le  blÂme  ici  bas.  »  Le  caractère 
bien  connu  des  personnages  rend  cette  bistorietta  peu  vraisem- 
blable ,  et  nous  ne  nous  y  airèterons  pas. 

Bossuet  fût  promu,  sur  ces  entrefaites ,  2  mai  1681,  à  Tévèché 
de  Meaux.  Cette  nouvelle  dignité  ne  l'empêcha  pas  de  conserver 


(1)  Àrch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Baint-LaeiM). 

iïï^  P.  Balre  :  UidokM  du  daymnééê  GranéifUèkri 


DE   L'ABBATB  BQV4l.|K  pp  SAINT-LUCIEN.  6)$ 

la  commende  de  r^bbaye  de  Saint-Lucien  et  de  lui  continuev 
ses  soins. 

En  4682,  il  donne  des  ordres  à  M.  Le  Scellier,  pour  transiger 
avec  le  chapitre  de  Beauvais,  au  sujet  des  dîmes  de  Noirémont  ; 
en  iC84,  il  approuve  Tacquisition  falfe  par  les  religieux  d'une 
maison  et  de  plusieurs  pièces  4p  terre  h  Miauroy. 

Le  14  juin  1680,  on  avait  vendu  4,5i0  pieds  d*arbres  dans  les 
bois  de  Tabbaye,  et  le  30  juin  1685 ,  on  utilisait  l'argent  en  pro- 
venant, en  faisant  une  adjudication  de  nombreux  travaux  de 
reconstruction  et  de  réparation  aux  édifices  du  monastère  et  de 
ses  dépendances.  Le  devis  mentionne  entres  autres  choses, 
dans  renclos  de  Tabbaye,  le  rétablissement  des  voûtes  des  ga- 
leries de  la  nef  de  l'église,  la  construction  d'un  corps  de  logis 
de  33  toises  de  long  sur  16  de  large,  en  pierre  de  taille,  et  élevé 
de  trois  étages,  àTendroit  désigné  par  les  religieux  ,  la  recons- 
truction de  la  maison  du  portier,  le  rétablissement  de  la  four 
de  pierre  servant  d'escalier  h.  la  buerie  ;  au  dehors,  de  considé- 
rables réparations  aux  fermes ,  aux  moulins,  à  un  grand  nombre 
d'églises,  la  reconstruction  du  chœur  de  Juvignies,  etc.  (i). 

Veut-on  savoir  maintenant  comment  Bossuet  s'occupait  de 
tout  cela,  nous  allons  le  trouver  dans  sa  correspondance  avec 
M.  Le  Scellier.  Nous  avons  eu  la  bonne  fortune  d'avoir  en  com- 
munication cette  correspondance ,  restée  jusqu'à  ce  jour  inédite 
et  conservée  dans  le  cabinet  de  &f.  le  comte  de  Merlemont,  et 
If.  le  comte  nous  en  a  permis  la  reproduction  avec  une  obligeance, 
que  nous  ne  saurions  jamais  assez  reconnaître.  Nous  prenons 
au  hasard;  car  les  lettres  sont  trop  nombreuses  pour  les  repro- 
duire toutes. 

Le  26  juillet  i694 ,  Bossuet  écrivait  de  Paris  à  M.  Le  Scellier  : 

Mons  avons  à  rempUr.  comme  vous  voyez ,  ans  charge  importante  à 
l'abbaye,  non  seulement  par  rapport  aox  bois  (2),  mais  encore  par  rap*- 
port  aux  réparations  et  autres  affaires  de  l'abbaye.  Je  voas  prie,  Monslear, 
â0  me  proposer  les  sajets  qae  vous  verrez  les  plas  propres ,  sans  aucnn 
égard  pour  personne.  Le  sieur  Poquelln ,  frère  du  chanoine  de  ce  nom , 


(1)  Cabinets  ^e  VU.  Borel  de  Brétizol  et  comte  de  |ierlemont. 
(9)  Il  /l'occupait  %lûrs  ù»  l^iw  awônagAmMt. 


624  HISTOIRE 

offre  868  services  et  de  se  contenter  de  moitié  des  profits  ;  J'attends  votre 
réponse  avant  qae  de  me  déterminer  sur  lai  on  les  autres  qui  se  poor- 
roient  présenter.  Je  suis  de  tout  mon  cœur,  Monsieur,  vostre  très  affec- 
tionné servitéar. 

t  J.  BÉNIGNE,  E.  deMeaux, 

Le  lendemain ,  il  écrivait  de  Marly  : 

Après  ce  que  je  vous  écrivis  hier  de  Paris,  je  vous  envoie  encore  ce 
mémoire  qui  m'a  été  mis  en  mains  par  M.  De  La  Rochefoucauld.  Il  làut 
m'écrire  la  vérité  sur  ce  sujet  et  sur  tous  les  autres  et  que  nous  taschions 
de  faire  une  chose  dont  nous  aurons  sujet  de  ne  pas  nous  repentir. 

Je  suis ,  Monsieur,  très  parfaitement  à  vous. 

11  avait  tellement  à  cœur  les  réparations  qu'il  avait  envoyé 
de  Meaux  M.  Souin,  son  intendant,  pour  visiter  les  travaux  en 
cours  d'exécution.  Ayant  indirectemeut  appris  que  ces  travaux 
étaient  faits  dans  de  mauvaises  conditions,  il  écrit  de  Germigny 
à  M.  Le  Scellier,  le  2  octoi)re  1694  : 

Je  vous  prie ,  Monsieur,  de  m'envoyer  au  plus  tôt  une  exacte  et  ample 
information  de  ce  qai  s'est  fait  à  Beauvais  durant  le  voyage  de  M.  Souyn. 
Je  ne  la  puis  recevoir  de  lai ,  parce  qu'il  est  malade ,  et  je  sais  bien  aise 
aussi  de  savoir  les  choses  de  vous.  On  dit  que  les  réparations  faites  sont 
dans  un  triste  état;  écrivez-moi,  je  vous  en  conjare,  avec  une  entière 
liberté. 

Je  suis  de  tout  mon  cœar  votre  affectionné  serviteur. 

Quelques  jours  après,  le  9  octobre,  il  écrit  une  nouvelle  lettre 
plus  pressante  encore  sur  le  même  sujet. 

il  s'occupe  de  tout.  M.  du  Metz,  le  verdier  de  Tabbaye,  étant 
mort  après  avoir  abusé  de  la  confiance  qu'on  avait  en  lui , 
fiossuet  donne  ses  instructions  à  M.  Le  Scellier  pour  protéger 
les  intérêts  du  monastère  et  lui  écrit  de  Germigny  le  â9  oc- 
tobre iG94  : 

J'ai  reça ,  Monsieur,  vos  lettres  du  6  et  du  12,  où  il  n'y  a  rien  à  ajouster, 
sinon  de  m'écrire  ce  qui  s'est  trouvé  d'effects  sous  le  scellé  da  fea  sieur 
du  Metz  et  ce  qui  lui  paroit  de  bien ,  quelle  seureté  nous  pouvons  avoir 
pour  les  deniers  des  réparations  dont  il  s'cstoit  chargé,  s'il  y  a  eu  des 
opposans  au  scellé ,  si  l'on  a  fait  un  inventaire  des  papiers ,  et  enfin  tout 
ce  qui  regarde  cette  affah'e.  Tous  me  ferez  plaisir  de  me  rendre  un  compte 
exact  du  tout ,  de  vous  à  moy.  Poar  ce  qui  est  des  réparations ,  vous 
n'avez  qu'à  continuer  ce  que  vous  me  mandez  avoir  commencé.  Je  pourrai 


DS   L*ABBATB  ROTALB  DB  SAINT-LUOBN.  ,  625 

encor  recevoir  tos  lettres  à  Meaax  jusqu'au  cinq  ou  six  du  mois  procbain. 
J'oubiiois  de  vous  demander  encor  si  l'inventaire  du  sieur  du  Metz  est  au 
greffe,  et  si  c'est  vous  ou  H.  le  procureur  du  Roy  qui  avez  agi.  S'il  est 
besoin  de  faire  quelque  diligence  pressante ,  vous  le  pourrez  faire.  Je 
n'ay  nul  dessein  d'inquiéter  la  veufve,  ni  la  succession,  mais  je  désire 
estre  instruit  de  tout ,  puisque  je  vois  qu'il  a  trompé  jusqu'à  M.  Souyn, 
son  beau-frère ,  et  a  si  mal  répondu  à  la  conûancs  qu'il  avoit  en  Iny.  Il 
faudra ,  une  antre  fois ,  prendre  garde  à  nous. 
Je  suis  à  vous ,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

Des  cures  à  sa  présentatioa  viennent-elles  à  vaquer,  il  se  hkie 
d'y  nommer  des  titulaM*es.  Ses  lettres  vont  encore  nous  en  don- 
ner la  preuve  pour  deux  localités.  Le  6  décembre  1694,  il  écrit 
de  Paris,  à  M.  Le  Scellier  : 

J'ay  reçu,  Monsieur,  l'avis  de  la  mort  du  curé  de  Vil lers- Vicomte. 
M.  Ransson ,  dont  vous  m'écrivez ,  trouvera  ici ,  cbez  M.  Jouete ,  une 
présentation  en  sa  faveur.  Je  vous  prie  de  m'envoyer  un  mémoire  des 
portions  congrues  de  l'abbaye,  et  de  continuer  vos  soins  aux  réparaUons. 

Je  suis  à  vous,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

Et  le  8  décembre  suivant  : 

Je  viens ,  Monsieur,  d'expédier  la  présentation  à  la  cure  de  Tburi ,  va- 
cante par  la  mort  du  sieur  Daniel  Pran,  en  faveur  du  sieur  Pierre  Carmen, 
et  celle  de  la  cure  de  Yillers-Vicomte  vacante  par  la  mort  du  sieur  du 
TUley,  nommé  par  H.  de  Reims,  en  faveur  du  sieur  Jean  Ransson,  vicaire 
de  Bretheuil.  Ils  n'auront  qu'à  retirer  leurs  présentations  chez  M.  Jouete, 
parvis  Nostre-Dame. 

Je  suis  à  vous ,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

Le  maréchal  de  Boufflers  veut-il  faire  comprendre  dans  la 
suprématie  de  son  duché  de  Boufflers  la  seigneurie  de  Bonnières, 
Bossuet  y  fait  opposition  pour  garantir  les  droits  de  son  abbaye 
et  écrit  à  M.  Le  Scellier ,  le  4  janvier  1696  : 

Je  vous  envoyé ,  Monsieur,  cette  procuration  pour  faire  l'opposition 
y  marquée,  sur  laquelle  je  m'accorderai  avec  M.  le  Harécbal  de  BouiUers, 
qui  scait  bien  que  je  suis  de  tout  temps  très  parfaitement  son  serviteur. 

Je  suis  à  vous  de  tout  mon  cœur. 

Pour  éviter  toute  contestation  à  l'avenir,  il  vendit  cette  sei- 
gneurie au  sire  de  Boufflers,  en  1700.  Avec  l'argent  provenant 


616  •  HISTOIBI 

de  cette  vente,  il  acheta  la  seigneurie  de  Thieux  et  racheta  celle 
d'Abbecourt  (i). 

En  1698,  un  hobereau  de  province  nommé  La  Genevrtère,  an- 
cien garde- du- corps  expulsé  de  sa  compagnie,  dévastait  les 
terres  et  les  bois  de  Maulers  et  de  Lucby  et  en  ruinait  la  chasâe, 
Bossuet  donne  des  ordres  pour  que  les  gardes  s'y  opposent  et 
requièrent  au  besoin  la  maréchaussée  pour  Tarrèter. 

Ailleurs  il  protège  les  tenanciers  de  son  monastère ,  avec  une 
bienveillance  toute  paternelle.  Nous  avons  dit  ce  qu'il  fit  pour 
Grandvilliers  incendié,  et  non  content  de  cela,  il  écrivait,  le 
25  septembre  170i,  à  M.  Bignon,  conseiller  d'état  à  Amiens,  poui* 
obtenir  uiie  réduction  des  tailles  imposées  sur  les  habitants  de 
ce  bourg.  Le  lendemain  il  écrivait  aussi  à  l'intendant  Phély- 
peaux  en  faveur  des  habitants  de  Notre-Dame-du-Thil.  «  je  vous 
«  supplie,  lui  disait-il,  de  vouloir  bien  avoir  attention  au  sou- 
«  lagement  de  ma  très-pauvre  paroisse  de  Notre-Dame-du-Thil, 
«  qui  est  extraordinairement  surchargée  et  d'écouter  sur  ce  sujet 
a  M.  Le  Scellier,  qui  aura  Tlionneur  de  vous  présenter  ce  billet.  » 

Les  temps  étaient  mauvais,  plusieurs  récoltes  avaient  manqué 
et  la  disette  se  faisait  cruellement  sentir  dans  les  campagnes. 
La  misère  augmentant,  la  mendicité  s'accroissait,  et  Bossuet 
ordonna  de  distribuer  de  plus  nombreuses  rations  à  la  porte  du 
monastère.  Sa  cassette  particulière  fournit  plus  de  200  livres  de 
supplément  à  cette  fin  (2). 

Dans  ses  ra[)ports  avec  ses  religieux,  Bossuet  se  montrait  tou- 
jours d'une  grande  bienveillance;  sa  protection  et  ses  conseils 
leur  étaient  toujours  acquis,  et  alors  même  qu'il  avait  le  plus  à 
se  plaindre  de  leurs  procédés  ;  il  savait  être  conciliant ,  juste  et 
bbii  à  leur  égard.  11  faut  bien  le  dire  aussi,  ces  moines  n'étaient 
pas  toujours  commodes  dans  leurs  agissements;  ils  estimaient 
Incontestabletneht  leur  abbé,  et  ils  ne  pouvaient,  malgré  cela, 
se  défaire  de  cette  défiance  et  de  cette  antipathie  innée  dans 
toutes  les  communautés  d'alors  contre  leur  abbé  commendataire. 
Ses  meilleures  intentions  étaient  souvent  soupçonnées.  Les  reli- 
gieux demandaient-ils  des  réparations  pour  leurs  édifices,  Bos- 


(1)  Arcti.  dd  roise  :  abb.  de  Sftint-Laclen. 
(9)  GAbihet  de  M.  le  comte  de  Merlemont. 


DE  l'aBBAYB  ROTALB  DI  SAINT-LUCIEN.  OST 

guet  s'empressait  de  les  faire  eiécuter  de  la  manière  la  plus 
convenable,  et  aussitôt  venaient  des  réclamations  contre  la  dé^ 
pense,  ce  qui  l'ennuya  le  plus,  ce  fut  la  répartition  des  revenus 
entre  lui  et  ces  religieux. 

Depuis  longtemps ,  cette  répartition  était  faite  conformément 
à  un  concordat  qui  attribuait  annuellement  aux  religieui 
98  muids  et  demi  de  vin ,  es  muids  2  mines  de  blé ,  4  muids 
10  mines  deux  tiers  de  pois,  5^  livres  de  chandelle,  80  cordes 
de  bois,  4,S00  fagots  et  150  livres  en  argent  pour  Voffjce  de  la 
prévôté.  Le  reste  était  dévolu  à  l'abbé  commendataire.  Quand 
cette  fourniture  n'était  pas  faite  en  nature,  elle  devait  être  faite 
en  argent  au  prix  le  plus  élevé  des  mercuriales  de  l'année.  Cet 
arrangement  ne  convenant  plus  aux  religieux ,  Bossuet  fit  un 
nouveau  traité  avec  eux ,  le  16  juin  1693.  Il  était  à  peine  en  exé^ 
cution,  que  ceux-ci  en  demandèrent  l'annulation  et  soulevèrent 
contre  lui  toute  espèce  de  difficultés.  L'affaire  fut  même  portée 
pardevant  les  tribunaux.  Bossuet  voulait  la  paix  et  fit  tout  ce 
qu'il  put  pour  la  mainteniri  Ce  n'était  pas  lui  qui  avait  demandé 
ce  nouveau  concordat  ;  il  s'y  était  résigné,  dit-il,  dans  une  de 
ses  lettres,  «  contre  ses  intérêts,  pour  leur  donner  des  marques 
A  de  sa  bienveillance  et  pour  contribuer  à  la  régularité  de  l'ab* 
«  baye;  »  s'ils  n'en  sont  pas  contents ^  ajoute-t-il,  il  consent  à 
procéder  à  une  nouvelle  répartition.  Une  sentence  du  bailliage 
de  Beauvais  intervint  (4  avril  1691)  et  remit  les  parties  dans  la 
situation  où  elles  étaient  auparavant. 

Les  religieux  cependant  n'étaient  pas  satisfaits,  et  ils  avi- 
sèrent une  autre  organisation.  Ils  proposèrent  de  prendre  à 
ferme  tous  les  biens  et  revenus  de  l'abbaye,  à  la  charge,  par 
eux,  de  servir  tous  les  ans  à  l'abbé  une  rente  de  25,000  livres,  de 
faire  toutes  les  réparations  et  de  remplir  toutes  les  obligations^ 
Bossuet  allait  souscrire  à  cette  combinaison,  quand  divers 
subterfuges  allégués  par  eux  lui  firent  douter  de  leur  bonne 
foi  et  le  détournèrent  d'y  donner  son  consentement.  Il  fallait 
pourtant  en  finira  Des  hommes  expérimentés  ^  et  notamment  un 
M.  Léger,  notaire  à  Heaux,  lui  conseillèrent  de  diviser  tous 
les  biens  en  trois  lots  égaux  i  dont  l'un  serait  attribué  aux  reli' 
gieux  pour  leur  mense  conventuelle  «  le  second  à  l'abbé ,  et  le 
troisième  affecté  aux  charges  et  réparations.  On  ne  pouvait  paa 
trouver  un  moyen  pins  équitable;  lès  religieux  firent  bien  encore 


638  HISTOIBB 

quelques  difficultés  contre  le  projet,  mais  ils  finirent  par  l'adop- 
ter. Des  experts  estimèrent  les  biens  et  firent  l'allotissement. 
BosBuet  laissa  les  religieux  choisir  leur  lot,  puis  il  prit  le  sien, 
et  celui  des  charges  fut  partagé  entre  eux.  Les  religieux  offrirent 
de  se  charger  de  l'entretien  des  b&timents  du  monastère  et  des 
frais  du  culte ,  de  l'infirmerie  et  de  Taumônerie ,  et  Bossuet  y 
eonsentit  en  leur  abandonnant,  pour  ce  service,  la  terre  de 
Thieux  jusqu'à  concurrence  de  3,000  livres  de  revenu  annuel ,  et 
lui-même  se  chargea  du  reste.  L'acte  d'acceptation  fut  signé  le 
S  avril  1700. 

D'après  ce  partage,  les  religieux  eurent  les  vignes  de  l'enclos 
de  l'abbaye  et  celles  situées  dans  la  paroisse  de  No(re-Dame-du- 
Thil ,  les  dtmes,  censives  et  bois  de  ladite  paroisse;  la  ferme  du 
BoiS)  les  prés  des  Anguillons,  des  grands  Viviers,  de  la  vallée 
de  l'Epine,  même  paroisse;  le  droit  de  forage  dans  la  paroisse; 
deux  pièces  de  terre  au  même  terroir,  lieudit  les  Pierres;  les 
trois  moulins  de  Miauroy,  avec  la  pêche  de  la  rivière  ;  46  muids 
et  demi  de  blé  de  redevance  annuelle  à  prendre  sur  la  grange 
de  Rotangy,  appartenant  aux  religieux  de  Ghaalls;  les  bois  taillis 
du  territoire  de  Saint-Maxien  (Fouquenies);  les  dîmes  d'Abbé- 
court,  la  ferme,  les  dîmes  et  les  champarts  de  Beaupuit;  la  terre 
et  seigneurie  de  Goullemogne  (Oudeuil);  la  ferme  de  Foulangues; 
les  dîmes  de  Gaigny  (Grillon),  de  Thieux  jusqu'à  concurrence  de 
38i  livres,  de  Saint-Sulpice,  d'Haucourt,  de  Lezonvillers  et  de 
VIllers-sur-Bonnières;  36  livres  de  redevance  sur  la  terre  de 
Margny-les-Gompiègne  ;  les  terres  et  seigneuries  de  Roy-6oissy 
et  deVillers-sur-Thère,  avec  les  bois  de  Warluis.  Ge  lot  était 
estimé  valoir  13,412  livres  de  revenu  annuel. 

Le  lot  de  l'abbé,  estimé  valoir  13,487  livres  de  revenu,  se 
composait  de  la  terre  et  seigneurie  de  Fontaine-Saint-Lucien 
avec  les  dîmes  et  les  champarts  de  ce  lieu;  des  seigneuries 
d'Abbeville,  Maulers,  Sauqueuse-Saint-Lucien ,  Gaudechart  et 
Grandvilllers;  des  dîmes  d'AnseauvIlIers,  Bozodemer,  Yillers- 
Vicomte,  Feuquières,  Fumechon,  Hondainville  et  Villers-sur- 
Auchy;  de  20  livres  de  redevance  sur  l'abbaye  de  Sery;  de 
200  livres  sur  le  péage  d'Amiens  et  de  la  ferme  de  Noirémont. 

Lelot  des  charges,  estimé  valoir  13,484  livres  de  revenu,  se 
composait  des  terres  et  seigneuries  de  Thieux ,  de  Juvignies ,  de 
Frolssy,  de  Grez ,  de  Luchy ,  de  Rothois  et  de  Saint-Félix ,  et  des 


DB  l'abbatk  bovalb  db  saint-lugibn.  629 

dtmes  et  champarts  de  Gempuis,  de  Campremy,  de  MaimbeTille, 
de  Francastel  et  de  Thury-sous-Clermont. 

Par  suite  de  cet  arrangement,  il  fût  stipulé  que  les  droits  ho- 
norifiques de  l'abbaye  appartiendraient  à  l'abbé  seul  et  à  ses 
successeurs,  ainsi  que  la  nomination  des  officiers  généraux,  tels 
que  bailli,  lieutenant,  procureur  fiscal  et  verdier.  La  nomination 
aux  bénéfices,  ainsi  qu'aux  emplois  de  garde  et  de  sergent  dans 
les  seigneuries,  appartenait  à  celle  des  parties  qui  possédait  le 
lot  où  se  trouvait  la  localité.  11  en  était  de  même  des  droits  utiles 
de  mouvance  et  de  redevance  seigneuriales.  Les  droits  d'indem- 
nité, comme  les  droits  utiles  des  fiefs  précédemment  aliénés 
avec  rétention  de  mouvance,  ou  de  fiefs  non  compris  au  partage 
et  les  biens  et  redevances  oubliés,  seront,  au  cas  échéant,  divisé 
en  trois  lots  égaux  attribués  comme  les  autres.  Les  réserves  et 
bois  de  haute  futaie  restent  indivis,  et  ne  peuvent  être  abattus 
que  du  consentement  des  deux  parties  et  en  vertu  de  lettres- 
patentes  émanées  du  roi.  Il  avait  été  bien  entendu  que  les  biens 
affectés  au  traitement  des  ofGces  claustraux  et  du  petit  couvent 
n'entreraient  pas  dans  ce  partage,  mais  seraient  exclusivement 
réservés  pour  ces  services  (i). 

Cette  épineuse  affaire  terminée ,  Bossuet  afferma  aux  religieux 
tous  les  biens  de  ses  deux  lots,  moyennant  25,000  livres  de  rente 
annuelle.  Malgré  toutes  les  petites  tracasseries  suscitées  par  ses 
moines,  le  grand  abbé  avait  toujours  su  se  montrer  bienveillant 
à  leur  égard.  Il  prenait  leur  défense  en  toute  circonstance;  il  les 
louait  du  bien  qu'ils  faisaient;  il  applaudissait  aux  améliora- 
tions qu'ils  apportaient  dans  le  monastère.  En  1698,  il  s'unit  à 
eux  pour  s'opposer  à  la  sécularisation  de  l'abbaye  de  Saint- 
Martin  d'Aumale,  parce  qu'elle  était  un  membre  dépendant  de 
la  leur  et  chargée  de  plusieurs  redevances  envers  elle,  et  il  offrit 
d'y  envoyer  des  religieux  de  son  obédience  pour  en  remplir  les 
charges  (2). 

En  1699,  il  s'entend  avec  eux  pour  aliéner  la  moitié  leur  ap- 
partenant dans  la  terre  et  seigneurie  de  Bonnières,  le  fief  d'Hau- 
court  et  diverses  censives  à  Glatigny.  Ce  domaine  était  une  cause 


(1)  Arcb.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lncien. 

(2)  Ibidem. 


080  HISTOIRI 

perpétuelle  de  difficultés^  par  suite  du  mélange  des  juridiction^) 
avec  le  seigneur  de  Boufflers,  possesseur  de  l'autre  moitié  de  la 
terre.  Pour  en  finir,  on  vendit  le  tout  au  maréchal  duc  de  Bouf- 
flers, par  acte  du  12  mars  1700,  mais  à  condition  que  Tacqué* 
reur  leur  procurerait  la  propriété  d'une  autre  terre,  et  qu'il  la 
leur  procurerait  exempte  de  tous  droits  seigneuriaux  et  amortie 
sans  aucun  frais  à  la  charge  de  Tahbaye.  Bossuet  avait  hahile- 
ment  ménagé  ces  clauses  pour  éviter  tout  trouble  et  toute  dé- 
pense à  son  établissement.  Le  maréchal  accepta  les  conditions^ 
acquit  là  terre  de  Thieux  de  Jean-Joseph  d'Estourmel,  comte  de 
Thieux,  et  la  remit  aux  religieux  (l).  On  avdit  pris,  ce  semble^ 
toutes  les  précautions  pour  assurer  la  jouissance  paisible  de  ce 
bien  aux  religieux,  et  cela  ne  les  empêcha  pas  d'être  tourmentés 
parles  engagistes  du  comté  de  Clermont,  la  princesse  d'Har- 
courti  en  1702,  le  prince  de  Guise,  son  fils,  le  duc  de  Condé^ 
en  1719,  et  le  prince  son  fils,  et  par  les  seigneurs  de  Fariviilers^ 
pour  des  droits  féodaux  soi-disant  à  payer.  Le  maréchal  de 
Boufflers  et  ses  héritiers  après  lui  intervinrent  en  garantie,  et 
l'abbaye  put  enfin  en  être  paieible  possesseur.  En  vendant  la 
terre  de  Bonnières,  Bossuet  avait  fait  réserver  le  droit  de  dîme 
et  de  patronage  de  la  cure. 

En  1700,  la  veuve  de  Pierre  Deleau  fondait  une  messe  par  jou^ 
à  perpétuité  dans  l'église  de  l'abbaye,  en  donnant  4,000  livres  (2). 
—  L'année  suivante,  Denis  Dobigny  constituait  une  rente  de 
30  sols.  —  En  1702,  Nicolas  Danse  léguait  une  somtne  de  1,000 
livres. 

Cette  même  année,  les  religieux  faisaient  commencer  la  re- 
construction de  la  tour  et  du  clocher  de  leur  église. 

En  1703)  ils  rachetèrent,  des  sieurs  Jacques  et  Jean-Baptiste 
Brisard,  la  ferre  et  seigneurie  d'Abbecourt  pour  le  prix  de 
28,000  livres,  et  l'année  suivante  ils  acquirent,  des  mêmeâ 
vendeurs ,  le  fief  du  Colombier,  sis  au  même  lieu  (3). 

Bossuet  mourut  sur  ces  entrefaites,  le  12  avril  1704;  jusqu'à 


(1)  Arcb.  de  l'Oise  :  abb.  de  saint-Lucien. 

{%  Ibidem. 
(3)  Ibidem. 


DE  L'aBBATE  EÔtÀlft  De  SAINT-LUGIEM.  8BI 

ses  derniers  jours,  il  ne  cessa  de  s'occuper  de  Saint-Lucien  et 
de  donner  des  ordres  pour  que  rien  ne  restât  en  souffrance.  Son 
passage  dans  cette  abbaye  a  laissé  des  traces  d'une  administra- 
tion forte  et  éclairée.  Il  a  rétabli  Tordre  dans  les  afTaires  tempo- 
relles, tnieiix  organisé  les  finances,  donné  plus  de  valeur  aux 
propriétés  et  fait  d'immenses  réparations  aux  constructions, 
sans  laisser  aucune  dette.  11  a  tenu  toujours  à  être  instruit  de 
tout,  à  se  rendre  compte  de  toutes  les  affaires  alln  de  les  pou- 
voir surveiller  et  de  les  diriger  sagement.  Quel  qu'il  ait  été  ail- 
leurs, il  fut  pour  l'abbaye  de  Saint-Lucien ,  un  grand  et  habile 
administrateur. 

Terminons  son  abbatial  en  énumérant  les  noms  de  quelques- 
uns  des  religieux  qui  ont  vécu  de  son  temps  :  D.  Jean-Baptiste 
de  Boulongne,  prieur  en  i6B0;  Jean- Baptiste  De  La  Court,  Nicolas 
Raynart,  Jérôme  Gratien,  Claude  Vrayet,  Joacbim  Dournel,  Guil- 
laume Crin,  Charles  Duclerc,  Placide  Percheron,  François  de  là 
Foscade,  Alexandre  Du\al,  prieur  en  1698,  Antoine  Antheaume^ 
Jean  Sencier,  Charles  Cartier,  Charles  Héron,  Benoît  de  Monceaux 
d'Auxy,  Marc  d'Escles,  Guillaume  Borré,  Gabriel  de  Pampelune^ 
Eustache  Lescuyer,  Nicolas  Anne,  Nicolas-François  Olivier,  Maur 
Fombert,  Pierre  Richer,  prieur  en  1699,  Charles  Du  Bois,  sous- 
prieur  en  1700,  Antoine  de  Machy,  Thomas  De  May,  André  Varlet) 
Toussaint  Lovain,  Gervais  Boucicault,  Etienne  Goyer,  Jacques 
Vuasset,  Jérôme  Jossoud ,  Pierre  Louet,  prieur  en  1703,  Pierre 
Pelissier,  Guillaume  Bretenet,  sous-prieur  en  1703. 

XIV.  —  Jaoq.iies-Béiilgiie  II  JBosstxot 

(1704-4743). 

L'illustre  évèque  de  Meaux  eut  pour  successeur  à  Saint-Lucien 
son  neveu  ;  nommé  aussi  comme  lui  Jacques-Bénigne  Bossuet. 
tl  était  né,  en  1664,  du  Maître  des  requêtes  Antoine  Bossuet  et 
de  Renée  Gauraul  du  Mont.  Après  avoir  fait  ses  études  au  collège 
de  Navarre  et  reçu  le  bonnet  de  docteur,  il  avait  servi  son  oncle 
à  Rome  ^  avec  plus  de  zèle  que  de  délicatesse  >  pour  obtenir  la 
condahinàtioti  du  livre  des  Maœimes  des  Saints,  de  Fénélon.  Or- 
donné pi^être  en  1699^  il  devint  grand  vicaire  de  Bossuet  sans 
t)0UVoir  être  son  coadjuteur.  Le  roi  lui  donna  la  commende  de 


682  HISTOIRE 

l'abbaye  de  Saint  Lucien  le  14  avril  4704,  et  il  en  prit  possession 
par  procureur  le  30  juillet  suivant. 

Il  fut  loin  de  valoir  son  oncle  pour  le  monastère.  Pour  les 
affaires  temporelles,  il  n'eut  guère  lieu  de  s'en  occuper.  Depuis 
le  partage  des  biens  fait  sous  son  oncle,  son  intervention  n'é- 
tait plus  nécessaire  que  pour  les  deux  fiers  à  lui  dévolus ,  et 
son  intendant  y  veillait.  Les  deux  menses  étant  complètement 
séparées,  il  n'avait  pas  à  s'immiscer  dans  la  gestion  des  reli- 
gieux pour  les  biens  appartenant  à  leur  mense.  11  ne  pouvait  in- 
tervenir qu'autant  qu'il  en  était  prié  par  eux,  et  l'on  doit  bien 
penser  que  son  concours  était  bien  rarement  sollicité  ;  ils  n'ai- 
maient pas  assez  leurs  abbés  commendataires  pour  les  laisser 
se  mêler  de  leurs  affaires,  lorsqu'ils  pouvaient  l'éviter. 

Quant  à  la  vie  intérieure,  ce  fut  autre  cbose,  et  l'on  peut  dire 
que  son  influence  produisit  des  effets  regrettables.  Bossuet  le 
jeune  était,  comme  on  le  sait,  très-attaché  aux  doctrines  jansé- 
nistes. Aussi,  lors  de  sa  nomination  à  l'évècbé  de  Troyes  (1716), 
le  pape  lui  fit-il  attendre,  pendant  deux  ans,  ses  bulles  d'insti- 
tution, et  encore  ne  les  accorda-t-il  que  sur  une  attestation  d'or- 
thodoxie donnée  par  le  cardinal  de  La  Trémouille.  Les  religieux 
de  Saint-Lucien  avaient  un  faible  aussi  pour  ces  doctrines  aus- 
tères et  sévères,  et  l'exemple  et  les  paroles  de  leur  abbé  les  au- 
torisèrent à  suivre  cette  voie,  malgré  son  opposition  avec  celle 
indiquée  par  l'Eglise.  Ils  en  vinrent  même  à  être  des  plus  chauds 
partisans  du  jansénisme  et  soutinrent  plusieurs  curés  et  ecclé- 
siastiques de  la  ville,  qui  partageaient  leur  opinion.  L'évêque  de 
Beauvais,  Antoine  de  Beauvilliers-de-Saint-Aignan,  n'avait  pas 
les  mêmes  idées.  11  avait  siégé,  en  1714,  à  l'assemblée  du  clergé, 
où  fut  reçue  la  bulle  Unigenitus,  qui  condamnait  les  Réflexions 
morales  du  P.  Quesnel ,  et  à  son  retour  il  avait  donné  un  man- 
dement pour  faire  publier  cette  bulle  dans  tout  son  diocèse.  Les 
religieux  de  Saint-Lucien  murmurèrent  et  refusèrent  de  recon- 
naître à  la  bulle  pontificale  l'autorité  qu'on  lui  attribuait.  Ce  fut 
bien  autre  chose  quand  le  même  évêque  publia,  le  8  septembre 
1718,  une  nouvelle  ordonnance  prescrivant  à  tous  les  fidèles  de 
se  soumettre,  d'esprit  et  de  cœur,  à  la  constitution  Unigenittis. 
Oubliant  toute  mesure,  le  prieur  de  l'abbaye,  François  L'Héri- 
tier, assembla  capitulairement  ses  religieux ,  le  21  octobre  sui- 
vant, et  leur  représenta,  dans  les  termes  les  plus  violents,  «  qu'il 


DB   L'aBBATE  royale  DE  SAINT-LUGIEN .  633 

«  ne  leur  était  plus  permis  de  se  taire ,  que  la  saine  doctrine 
u  et  les  vérités  chrétiennes  étaient  attaquées  et  éi)ranlées  par 
«  la  constitution  Unigenitus^  qu'elle  était  un  sujet  de  triomphe 
«  pour  les  hérétiques,  et  de  gémissements  et  de  crainte  pour 
«  les  enfants  de  TEglise,  qu'elle  portait  le  caractère  de  l'injustice 
tt  la  plus  criante  par  la  condamnation  du  livre  du  P.  Quesnel , 
«  qui,  pendant  plus  de  trente  ans,  avait  édifié  et  nourri  la  piété 
«  des  fidèles ,  qu'il  n'était  pas  permis ,  quoiqu'on  dit  l'ordon- 
«(  nance  de  l'évèque  de  Beauvais ,  de  se  soumettre  d'esprit  et  de 
«  cœur  à  cette  constitution ,  et  que  ce  serait  y  acquiescer  que  de 
«  ne  pas  se  déclarer  ouvertement  contre.  »  Son  discours  ter- 
miné,  il  fit  rédiger  un  acte  capitulaire,  dans  lequel  il  appelait 
tant  de  la  constitution  Unigenitus  que  de  Tordonnance  de  l'é- 
vèque, au  pape  mieux  conseillé  et  au  futur  concile.  Ses  religieux 
D. Charles  Macadré,  Jean-François  Martin,  Guillaume  Lefebvre, 
Maur  Fombert,  Pierre  Pélissier,  Philippe  Delabye,  Joseph 
Dumoulin ,  Jean  Gonneau ,  Mathieu  Jouet ,  Louis  Audiger,  Fran- 
çois-Jèrùme  Malherbe,  Pierre  Fontaine,  Jean  Boyen,  André  Mar- 
chais, Adrien -Vast  Clause,  Simon  Beau  val ,  Michel  Housset ,  le 
signèrent.  Le  27  octobre  suivant,  les  PP.  D.  Pélissier  et  Gonneau 
allèrent  signifier  leur  appel  à  l'évèque,  en  son  palais  épiscopal, 
et  en  déposèrent  l'acte  au  greffe  de  l'ofûcialité. 

L'évèque  leur  répondit  par  une  ordonnance  adressée  à  tous 
les  curés  et  fidèles  du  diocèse ,  dans  laquelle  il  déclarait  la 
conduite  de  cette  communauté  téméraire,  scandaleuse,  inju- 
rieuse au  souverain  pontife  et  au  caractère  épiscopal  de  l'évèque, 
dénonçait  nommément  tous  les  signataires  de  l'appel  comme 
indignes  et  incapables  de  pouvoirs  ecclésiastiques,  et  révoquait 
tous  les  pouvoirs  de  prêcher  et  de  confesser,  qui  leur  avaient 
été  accordés  dans  le  diocèse ,  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  revenus  à 
résipiscence  (1). 

Ils  résistèrent  encore  malgré  cette  mesure,  et  leur  soumission 
ne  devait  pas  venir  de  sitôt;  les  esprits  étaient  trop  excités  pour 
se  calmer  si  vite. 

Antoine  de  BeauvilUers  de  Saint-Aignan  avait  usé  de  moyens 
de  rigueur  pour  ramener  à  la  soumission  ces  religieux  égarés  ; 


(1)  Cabinet  de  M.  le  comte  de  Merlemont. 


fiS4  RfST0»l 

mais  cela  ae  rempèoh^  pes  de  se  montrer  bienveillant  à  leuF 
égard  en  d'autres  circonstances;  peut-être  eepérait-il  aussi  par 
là  leur  faire  changer  de  sentiments.  Le  samedi  30  novembre  de 
Tan  1720,  il  vint  à  l'abbaye  avec  Jérôme  Begon,  doyen  da 
Chapitre  et  abbé  de  Saint-Germer,  et  Jacques  Du  Val ,  ses  vi< 
caires-généraux,  pour  faire  la  translation,  ^ans  des  châsses 
nouvelles,  des  reliques  de  saint  Haïtien  et  de  saint  Julien.  Après 
Touverture  des  châsses  anciennes,  faites  de  bois  doré,  on  trouva 
avec  les  authentiques  de  Tan  1261,  dont  nous  avons  donné  ci- 
dessus  la  copie,  les  restes  des  corps  des  saints  martyrs.  La 
chÀsse  de  saint  Maxien  contenait  deux  fémurs,  deux  tibias,  un 
humérus,  deux  omoplates,  plusieurs  vertèbres  et  divers  osse- 
ments, enveloppés  dans  une  étoffe  brochée  d'or  et  de  soie;  et 
celle  de  saint  Julien,  deux  tibias,  une  omoplate,  plusieurs 
eûtes,  des  vertèbres  et  une  grande  quantité  de  fragments  d'os, 
enveloppés  de  la  même  manière.  Après  les  avoir  fait  reconnaître 
par  les  mal  très- chirurgiens  Guy  Binet  et  Jean  Pingart,  Tévêque 
adressa  un  discours  au  peuple  sur  la  vénération  due  aux  saintes 
reliques,  et  les  renferma  dans  les  nouvelles  châsses.  Ainsi  le 
mentionne  le  procès- verbal  de  tran&lation  (1). 

Les  religieux  renouvelaient  alors  les  châsses  de  leur  église. 
En  1722,  le  dimanche  2  août,  le  visiteur  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur,  D.  François  Redon,  faisait  une  translation,  dans 
des  châsses  nouvelles ,  des  vêtements  et  ornements  de  saint 
Lucien  et  de  ses  compagnons  martyrs,  et  de  plusieurs  autres  re- 
liques (2).  L'évêque  n'y  assistait  pas ,  mais  le  chapitre  cathédral 
y  était  représenté  par  Claude  Auxcousteaux,  vicaire-général  de 
Bossuet,  l'abbé  commendataire,  Augustin  Le  Cat,  François 
Fombert  et  Mathlas  Leclerc,  et  l'abbaye  de  Saint-Quentin  y  avait 
envoyé  de  ses  religieux. 

Au  dehors  de  Tabbaye  que  faisait-on  pendant  ce  temps?  Le 
30  mars  1706,  l'abbaye  cédait  à  la  ville  la  propriété  des  sources 
de  Miauroy,  moyennant  20  sols  de  surcens.  Les  administrateurs 
de  la  cité  avaient  alors  compris  la  nécessité  de  donner  à  ses 


(1)  Voir  le  procès-verbal  de  translation  aux  arch.  de  l'Oise  :  abb.  de 
Saint-Lucien. 

f2)  Ibidem.  • 


DC  l'aBBATE  ROYALI  DI  SAINT-LUCIEN.  68S 

babiUwts  des  eauK  plas  si^lubres  cpiô  celles  dont  ils  faisaient 
journellement  usage.  Les  religieux  de  Saint-Lucien  se  prêtèrent 
\  leur  projet,  et  pendant  plusieurs  années  on  travailla  avec 
activité  à  Ventreprisa ,  à  l'aide  des  deniers  levés  sur  les  habi- 
tants ,  nobles ,  ecclésiastiques  ou  bourgeois.  Une  machine  éle- 
vait Teau  à  Miauroy,  et  une  conduite  en  tuyaux  de  grès,  de 
i,6eo  toises  de  longeur,  la  conduisait  jusqu'au  rempart  de  la 
ville  et  au  pojit  Notre-Dame.  L'œuvre,  achevé  en  1709,  coûta 
18,786  livres;  mais  le  fruit  en  fut  bientôt  perdu  à  défaut  d'en- 
tretfen,  et  surtout  à  cause  des  difficultés  qui  surgirent  entre 
la  justiee  du  comté  et  celle  de  la  ville,  pour  la  police  de  réta- 
blissement (1). 

Malgré  les  grands  travaux  exécutés  par  ordre  de  l'évoque  de 
Meaux ,  pour  restaurer  les  édifices  de  l'abbaye  et  de  ses  dépen- 
dances, tout  n'avait  pu  être  fait,  et  de  nouvelles  constructions 
devenaient  nécessaires.  Dans  le  monastère,  la  tour  du  clocher 
n'était  pas  achevée ,  une  grande  partie  du  logis  abbatial  était 
tombé  de  vétusté  et  le  reste  était  inhabitable;  une  partie  des 
cloîtres  et  l'inûrmerie  étaient  à  reconstruire.  Au  dehors,  plusieurs 
fermes  avaient  besoin  de  réparations,  et  le  clocher  de  Bonnières 
avait  été  renversé  par  un  ouragan  (2).  Pour  faire  face  aux  dé- 
penses de  ces  travaux,  l'abbé  et  les  religieux  demandèrent  au  roi 
de  les  autoriser  à  faire  une  vente  extraordinaire  dans  leurs  bois 
de  Thieux,  de  Luchy,  de  Warluis,  de  Saint-Félix  et  d'Abbeviile- 
Saint  Lucien.  Louis  XV  les  autorisa  par  lettres-patentes  du  11  oc- 
tobre 1722,  et  une  adjudication  était  faite,  en  1724,  à  Antoine 
Pauch,  pour  exécuter  une  partie  des  travaux  de  reconstruction. 
Gela  leur  permit  aussi  d'achever  de  payer  les  22,000  livres  qu'ils 
devaient  à  Philippe  et  Jean  de  Bemy,  pour  le  rachat  de  la  terre 
de  Beauve,  effectué  en  1706,  et  qu'ils  n'avaient  encore  pu  solder. 

J^  29  déceqibre  1733 ,  le  vipaire-général  de  M^"  de  Gesvres , 
Charles  de  Bragelongne,  donna  sop  approbation  à  une  messe  de 


(t)  Arch.  de  roise  :  abb.  de  Salat-Laclen.  —  Graves  :  StaUttiquë  du 
eanUm  de  BeauvaiSt  page  333. 

(3)  Requête  de  l'abbé  et  des  religieux  :  Arcb.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint- 
Lucien. 


636  HISTOIRB 

saint  Lucien ,  composée  par  les  religieux  pour  Tusage  de  leur 
abbaye  (1). 

La  reconstruction  de  Tinfirmerie ,  adjugée  le  30  juillet  1738^ 
fut  terminée  en  1741;  elle  avait  coûté  55,466  livres. 

L'abbé  Jacques-Bénigne  Bossuet,  évëque  de  Troyes,  mourut 
le  n  juillet  1743. 

Les  religieux  qui  vécurent  de  son  temps  dans  Tabbaye  furent 
D.  Pierre  Louet,  prieur  en  1705,  René  Mercier,  sous-prieur  en  1706, 
Martin  Laillier,  sous-prieur  en  1707,  Pierre  Pélissier,  Denis 
Monest,  A.  de  Norroy,  Yves  Desmarest,  Simon  Gallon,  François 
Poullet,  Martial  Mancé,  Charles-François  de  La  Forge,  Etienne 
Bouquet,  Maximilien  Doiville,  Maur  Fombert,  Michel  Housset, 
prieur  en  1716,  Jean  Martin,  Simon-Louis  Maillefert,  sous-prieur 
en  1716,  Philippe  Delabye,  Jean  Mesnager,  Louis  Bart,  François 
L'Héritier,  prieur  en  1718,  Charles  Macadré,  Guillaume  Lefebvre, 
Joseph  Dumoulin ,  Jean  Gonneau,  Mathieu  Jouet,  Louis  Audiger, 
François  Jérôme  Malherbe,  Pierre  Fontaine,  Jean  Boyen,  André 
Marchais ,  Adrien-Vast  Clause ,  Simon  Beauval ,  Jean  Bourdet , 
prieur  en  1720,  Nicolas  Doury,  Antoine  Fieffé,  Jean  Verninac, 
François  Chaumont,  Jean  Borré,  Guillaume  Lesueur,  Jean-Paul 
Du  Sault,  Edmond  Du  Val,  Emmanuel  Régnier ,  Antoine  Feu- 
quières,  François  Hébert,  Gilbert  de  Birat,  Jean  Yita,  L.-Cl.  Serpe, 
Nicolas  Vignolle,  prieur  en  1731,  Louis  Mauger,  Claude  Loisel, 
Théodore  de  Modène,  L.  Guislain  Bourgeois,  J.-Baptiste  Robart, 
prieur  en  1739,  N.  Yuaroqueaux,  Augustin  Noël,  Jean  de  Han, 
Pierre  Mercier,  Louis  Turquet,  Ant.  Fouquier,  J.-Hené  Claudius, 
Noël  Richard,  J.-Baptiste  Vaucher,  Adrien  Lejeune,  Louis  Trou- 
vain,  Ant.  La  Branche,  J.  Pagnon,  Simon  Sangnier,  Michel 
Marion ,  Ch.  Folin. 

X.V.  —  Fi^ançols-Iieiiaxid.  de  Villeneuve 

(1744-1766). 

Après  la  mort  de  l'évëque  de  Troyes ,  la  commende  de  l'abbaye 
de  Saint-Lucien  fut  donnée  à  François  Renaud  Morel  de  Yille- 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


DE   l'âBBâYB  royale  DE   SAINT-LUCIEN.  637 

neuve  de  Monts,  évêque,  comte  de  Viviers.  Il  prit  possession, 
par  procureur,  le  31  janvier  1744,  et  délégua  comme  vicaire- 
général  pour  agir  en  son  nom  et  le  représenter  auprès  des  reli- 
gieux, Geoffroy-Dominique  de  Bragelongne,  chanoine  de  Beau- 
vais  et  abbé  commendataire  de  Longuay.  Nous  ne  connaissons 
que  peu  d'actes  de  Tadministration  de  cet  abbé ,  et  la  plupart 
sont  des  baux  de  propriétés,  ou  des  procès  sans  importance  pour 
des  cours  d'eau  ou  pour  des  refus  de  dîmes. 

Quant  aux  religieux,  ils  vivaient  tranquillement  dans  leur 
monastère,  sans  se  soucier  de  leur  abbé.  Pour  se  conformer  à 
Tordonnance  royale  du  17  août  1750,  ils  firent  la  déclaration  au 
bureau  ecclésiastique  du  diocèse,  le  16  février  1757,  des  biens 
et  des  revenus,  qui  leur  appartenaient  à  cause  de  leur  mense 
conventuelle,  du  petit  couvent,  des  offices  claustraux  réunis  à 
leur  mense  et  des  retraits  faits  par  eux  (1).  Leur  revenu  se  mon- 
tait alors  à  27,009  livres  17  sols,  dont  voici  le  détail  : 

A  Notre-Dame~da-Tliil  :  la  dîme  du  vin,  700  1.;  les  censives,  400  1.; 
le  forage,  20  1.;  8  arpents  de  vignes  dans  l'enclos,  mémoire-,  16  mines 
de  pré,  lieadit  les  Anguillons,  160  1.;  16  arpents  de  pré  au  Pont-aux- 
Vacbes ,  300  1.  ;  7  mines  au  même  lieu ,  100 1.  ;  5  qaarUers  de  pré  à  Prail- 
Ion ,  20  1.  —  La  coupe  annuelle  du  bois  de  Saint-Haxien  (Foaqaenies), 
72  ].  —  Les  censives  de  Foaqaenies,  40  1.  —  Les  censives  de  Hontaabert 
(Thérines),  500  1.  —  La  ferme  da  Bois  (Notre-Dame-du-Ttiil},  2,400  I.  — 
Trois  moulins  à  Hlaaroy  (Notre-Dame-du-Thil),  1,350  1.  —  17  mines  de 
pré  à  Hiaaroy  et  à  la  vallée  de  l'Epine ,  60  1.  —  Des  terres  et  prés  à 
Hlauroy  et  Fooquenies ,  150  1.  —  La  terre  et  seigneurie  de  Villers-sur- 
Tbëre,  955  1.  —  La  dîme  de  Ltiéranle,  40 1.  —  La  terre  et  seigneurie  de 
Warlais,  800  1.  —  La  terre  et  seigneurie  d'Abbecourt,  2,200 1.  —  La  dtme 
d'Hodenc-rEvôque,  900 1.  —  La  terre  et  seigneurie  de  Foulangaes,  358  1. 
--  La  ferme  de  Saint-Félix,  400  1.  —  Une  pièce  de  pré  à  Pont-Sainte- 
Haxence,  300 1.  —  La  terre  et  seigneurie  de  Beaapuit ,  1,300  1.  —  La  terre 
et  seigneurie  du  nouveau  domaine  de  Tbieux,  1,150  L,  et  25  muids  de 
blé  méteil  à  20  1.  le  muid ,  500  1.  —  La  terre  et  seigneurie  de  l'ancien 
domaine  de  Tbieox,  1,000  1.,  et  22  muids  6  mines  de  blé  méteil  à  20 1.  le 
muidi  450  1.  —  Les  censives  de  Tbieux,  400  1.  —  Le  moulin  à  vent  de 
Tbieux,  500 1.  —  La  terre  et  seigneurie  de  Roy-Boissy,  900  L  —  La  terre 
et  seigneurie  de  Couliemogne  (Oudeuil),  1,230  L  et  15  muids  de  blé  méteil 


(1)  Arcb.  de  roise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 

T.  VIII.  42 


688  H1ST0IRB 

éralQés  SOO 1.  —  La  terre  et  seigneurie  d'Héricourt  et  Beanye,  950  1.  — 
Un  tiers  de  la  dtme  d'Haucourt ,  20  i  —  Ua  tiers  de  la  dtme  de  Boofflers 
(Grillon),  70 1.  —  Les  deux  tiers  de  la  dtme  de  Villers-sar-Bonnières,  100  L 

—  La  dîme  de  Lezonviliers ,  lOO  I.  —  Une  petite  pièce  de  terre  le  long 
des  murs  de  l'abbaye  de  Saint-Quentin  ,41.--  Redevance  sur  la  terre  de 
Margny-les-Compiègne ,  150  1.  —  Une  partie  de  la  dîme  de  Bonnières , 
116 1.  —  Sur  le  chapitre  de  la  cathédrale,  pôbr  sa  terre  de  Reull ,  100  1. 

—  Sur  l'abbé,  pour  l'office  de  grand-prévôt,  300 1.  —  Sur  le  môme,  pour 
Toffice  de  garde-marteau ,  ^  1.  —  Sur  Tabbaye  de  CotiAé ,  pour  (quatre 
marcs  d'argent,  193  1.  —  Sur  le  ducbé  d'Àumale,  9  1.  —  sur  le  prieuré 
de  Fiextcourt ,  uni  au  collège  des  jésuites  d'Amiens ,  (X)  I.  ^  Sur  le 
prieuré  de  SalAt-Haxien  (Fouquenies),  tmi  au  séminaire  de  Beanvais,  90 1. 

—  Sur  les  auneurs  Jurés  de  Paris,  53  1.  —  Sur  la  ferme  de  Rotangy,  à 
l'abbaye  de  Ghaalis,  40  muids  de  froment,  à  94  1.  le  muid,  960  1 ,  et 
55  muids  d'avoine  à  10  1.  10  s.  le  muid,  577  1.  lo  s.  —  Sur  la  ferme  de 
Gouy,  à  l'abbaye  de  Froidmont ,  32  mines  de  froment  à  40  s.  la  mine , 
64 1.,  et  3-2  mines  d'avoine  à  18  s.  la  mine ,  28 1.  16  s.  —  Sur  la  terre  et 
seigneurie  des  Ifazls,  16  mines  de  froment  évaluées  39  L  —  Sur  la  ferme 
du  Fayel,  an  prieuré  de  Yariville ,  16  mines  de  froment  évaluées  8S  1.,  et 
16  mines  d'avoine ,  14  L  8  s.  —  Sur  la  ferme  de  Trémonvillers,  à  l'abbaye 
de  Saint-/ust-en-Gbau8sée ,  4  muids  de  froment  évalués  96 1.,  et  4  muids 
d'avoine  42  1.  —  Sur  les  biens  du  chapitre  de  Saint-Laurent  de  Beauvais, 
à  Francastd,  16  mines  de  blé  évaluées  3-2 1.,  et  19  mines  d'avoine  17 1.  2  s. 

—  Sur  la  ferme  du  Bois-d'Ecu,  à  la  commanderie  de  Fontaine,  S7  mines 
de  blé  évaluées  54  1.,  et  16  mines  d'avoine  14  1.  8  s.  —  Sur  la  seigneurie 
de  Rieux,  10  mines  de  blé  évaluées  20  1.,  et  8  mines  d'avoine  7 1.  4  s.  — 
Sur  la  seigneurie  de  Fumechon,  13  mines  de  blé  évaluées  26  1.  —  Sur  la 
seigneurie  de  Gampremy,  12  mines  de  blé  évaluées  24  L  —  Sur  le  monliii 
de  Bonnières,  4  mines  de  blé  et  une  demi-mine  de  fleur  de  farine,  le  tout 
évalué  7  1.  —  Sur  la  seigneurie  de  Bonnières,  26  mines  de  blé  évaluées 
89  1.,  et  is  mines  d'avoine  il  l.  14  s.  —  Sur  la  seigneurie  de  Saulchoy- 
lès-Poix,  7  mines  et  demie  de  blé  évaluées  13  1. 10  s.,  et  8  mines  et  demie 
d'avoine  7  1.  18  s.  —  Sur  les  taiUables  de  Yerderel,  23  mines  de  bté  es- 
timées 84 1.  10  s.  —  Sur  le  territoire  de  Gampremy,  42  mùies  d'avoine 
évaluées  37  1.  16  s.  --  Sur  le  franc-flef  situé  à  Gampremy,  4  mines  dé 
grains ,  moitié  bté  et  moitié  avoine,  estimées  4  1.  14  s.  —  Sur  le  prieuré 
de  Saint-Haxien ,  3  mines  de  blé  évaluées  6  1.  —  Sur  six  fennes  de 
Monsieur  l'abbé ,  200  mines  de  blé  à  30  s.,  SOO  1.,  et  44  mines  d'avolm 
estimées  127  1.  12  s.  —  Les  biens  casuels  provenant  de  droits  seigneo- 
riaux ,  treizième  lot,  vente ,  etc. ,  évalués  à  2,190 1.  —  Total  des  revenus 
2T,009  livres  17  sols. 

Les  charges ,  que  les  religieux  étaient  tenus  d'acquitter^  s'âe- 
vaient  à  t0,987  livres  10  sols  6  deniers  «  ainsi  réparties  t 


DE  l'abbaye  royale  DE   SAINT-LUCIEN.  639 

Au  curé  d6  Notre-Dame-da-Thil,  pour  son  gros,  266  1.  et  30  mines  de 
blé,  sur  les  novales,  estimées  45  1.  —  Les  gages  de  deux  gardes  de  bois 
pour  Notre-Dame-du-Thii ,  50  1.  et  50  mines  de  blé  estimées  75  l.  —  Pour 
le  garde  du  bois  de  Yillers-sur-Thère,  2  muids  de  blé  évalués  36  1.  —  Au 
curé  d'Abbecourt,  pour  les  novales,  60  1.  —  A  Monsieur  l'abbé,  pour 
retour  de  partage  sur  la  terre  d'Abbecourt ,  550  1.  —  Au  curé  de  Grand- 
viller-au-Bols  et  au  maître  d'école  pour  la  desserte  de  la  chapelle  de 
Beaupuil,  llO  1.  —  Au  curé  de  Brunvillers,  12  1.  —  A  Monsieur  l'abbô, 
pour  retour  de  partage  sur  le  nouveau  domaine  de  Thieux ,  840 1.  —  Pour 
le  garde  du  bois  de  Beauve,  40 1.  —  Au  vicaire  de  Pisseleu,  120  1.  —  Au 
curé  de  Boufflers ,  58  1.  —  A  l'évêque  de  Beauvais  pour  l'abandon  de 
«es  droits  sur  la  rivière  du  Tbérain ,  29  l.  2  s.  6  d.  —  Les  obits  pour  les 
rois»  cardinal  Gholet,  abbés  et  autres  personnes,  cinq  messes  par  jour, 
1.000  1.  —  Pour  le  fauchage  de  la  rivière  du  Tbérain,  100  1.  —  Au  cou- 
vreur, pour  les  réparations  sur  les  toits  de  l'église  et  de  la  maison,  lOO  1. 
—  Aux  religieuses  de  Pentbemont,  3  mnlds  et  demi  de  vin  à  40  1.  le 
muid,  140  1.  —  Pour  la  taxe  à  payer  à  la  congrégation  de  Saint-Maur, 
pour  subvenir  aux  frais  communs,  1,350  1.  —  Pour  le  service  des  rentes 
à  divers  particuliers ,  3,515  I.  —  Aux  blanchisseuses,  pour  raccommodage 
du  linge,  450 1.  —  Au  Jardinier  de  la  maison,  450  1.  —  Aux  sonnears,  or- 
ganiste et  sonflleur,  520  1.  —  Pour  les  gages  des  domestiques ,  600 1.  — 
Pour  le  commissionnaire  qui  va  au  marché ,  80  l.  -  Pour  le  gage  de 
l'écrivain,  60  1.  —  Pour  travaux  (l)  de  répaiation  aux  fermes  et  aux 
églises,  5,977  1.  —  Pour  les  gages  des  médecins,  barbiers,  chirurgiens 
et  frais  d'inûrmerie ,  890  1.  —  Pour  l'entretien  des  ornements  de  la  sa- 
cristie et  du  luminaire ,  376  1.  —  Pour  les  aumônes,  620 1.  et  20  muids  de 
blé  évalués  400  l.  —  Pour  la  réception  des  hôtes ,  300 1.  —  Pour  l'impo- 
sition aux  décimes,  1,773  1.  8  s. 

Cette  déclaration  fait  remarquer  que  «  la  communauté  a  tou- 
«  jours  été  composée  de  vingt-quatre  à  vingt-cinq  religieux ,  et 
«  que  ce  n'est  que  depuis  quatre  ou  cinq  ans  qu'elle  se  trouve 
«  réduite  à  dix-huit  par  nécessité  de  faire  honneur  à  ses  affaires.  » 

Les  établissements  religieux  n'avaient  plus  alors  la  libre  jouis- 
sance de  leurs  bois;  les  maîtrises  des  eaux  et  forêts  en  avaient 
l'administration  ;  elles  réglaient  les  coupes  et  les  aménagements, 
et  se  montraient  souvent  fort  iiostiles  aux  communautés.  Aussi 
que  de  procès  ne  voit-on  pas  pendant  tout  le  xviip  siècle  entre 


(1)  On  n'a  pas  compris  la  reconstruction  du  clocher  de  Notre-Dame -du- 
Thil ,  qui  a  coûté  10^000  livrer 


640  HISTOIRE 

elles  et  les  corporations  religieuses.  Que  de  formalités  n'avait- 
on  pas  alors  à  remplir  pour  obtenir  un  malheureux  morceau  de 
bois  1  La  quantité  de  bois  à  délivrer  pour  le  chauffage  du  couvent 
devait  être  déterminée  par  un  arrêt  royal.  Les  religieux  ne  pou- 
vaient ni  faire  abattre,  ni  relever  un  arbre  abattu  quel  qu'il  fût, 
sans  une  autorisation  préalable  du  maître  des  eaux  et  forêts. 
En  1760,  les  religieux  de  Saint-Lucien  avaient  fait  couper  quelques 
arbres  dans  leur  enclos ,  un  procès  leur  fut  Intenté  par  la  maî- 
trise de  Glermont  (i).  Cette  institution  des  maîtrises  avait  son 
bon  côté,  en  ce  qu'elle  empêchait  la  mauvaise  exploitation  des 
bois,  mais  elle  avait  de  bien  grands  inconvénients  pour  les 
couvents. 

Pendant  ce  temps,  Tabbé  avait  quitté,  en  1748,  son  évêché  de 
Viviers  pour  celui  de  Montpellier,  qu'il  administra  jusqu'en  1760, 
année  de  sa  mort. 

Parmi  les  religieux  qui  ont  vécu  sous  lui,  à  Saint-Lucien,  nous 
citerons  :  D.  Jean-Paul  Du  Sault,  prieur  en  1747,  Germer  Blené, 
Louis  Mauger,  Claude  Loisel,  Pierre  Petrement,  Claude  Enigou, 
François  Desquesne,  Pierre  Fontaine,  François-Pierre Lefebvre, 
Joseph  Gaudemant,  Joseph  de  Resnil,  Pierre  Berquin ,  Louis- 
Charles  Delespine,  Emmanuel  Delporte,  Florimond  de  La  Grange, 
Jean-Baptiste  Huet,  Pierre  Louis  de  Gonfreville,  prieur  en  1748, 
Edmond  Bataillou,  Pierre  Mercier,  G.-P.  Lemonnier,  Firmin  Thory, 
Nicolas  Dumoulin,  Louis  Gilliot,  Joseph  de  Forceville,  Prothais 
Buiron,  Guillaume  Henocq,  Jean  Saint-Gully,  René  Sourdeau^ 
Hubert  Benoît,  prieur  enl7o6,  François  Neveu,  Jean  Lechan leur, 
Alexandre  Huet,  Albert  Becquet,  Urbain  Leduc,  Pierre-François 
Gazé,  Joseph  Vernaux,  Jean-Baptiste  Vicarré,  Louis-Joseph  Toil- 
liez,  Augustin  Couzart,  Jean  René  Laignier,  Nicolas  Oudin,  An- 
toine Charles  Dambry,  Antoine-François  Reynaud,  prieur  en  1757, 
Hector  Canut,  prieur  de  Saint-Thibaulten-Hez,  Antoine  Dormaud, 
Gilles  Féron,  Michel  Marion ,  Robert  Denise,  J.-Antoine  Delonce, 
professeur,  Adrien  Dambry,  François-Joseph  Brasier,  Denis  Dela- 
place,  Joseph  Pourcher,  Théodore  Poinlillon,  Antoine  Remy, 
prieur  en  1764,  Raymond  Hermand,  E.-François  Quirot,  J. -Fran- 
çois Gobereau,  Augustin  de  Bourges,  Antoine-Nicolas  Branche, 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


DB  l'abbaye  royale  DE  SAINT-LUCIEN.  64i 

Joseph  LaîgDier,  N.  de  Henu ,  Jean-Etienne  burch ,  Pierre  Dollé, 
Jean-Baptiste  Lalleu,  Jean-Baptiste  Gouge;  J. -Thomas  Lévesque, 
N.  Pucelle,  Pierre  Donnet. 

XVI.  —  Oeorges-Loixls  F^lielypeaixx 
<i-Her*l>aixlt  (1)  (1766-1787). 

Le  successeur  de  M.  de  Villeneuve  à  Tahbaye  de  Saint  Lucien 
fut  Tarchevéque  de  Bourges, Georges-Louis  Phely peaux  d'HerbauU, 
(ils  de  Georges  Phelypeaux ,  seigneur  d'Herbault.  L'administra- 
tion de  cet  abbé  ne  lai>:sa  pas  plus  de  traces  que  celle  de  son 
prédécesseur  :  des  baux,  quelques  transactions,  des  titres  nou- 
veaux, diverses  procédures  sans  importance,  c'est  là  tout  le 
bilan  de  son  abbatiat. 

l^es  religieux  vivaient  tranquillement  dans  leur  monastère  sans 
se  faire  remarquer  par  l'importance  de  leurs  actions,  mais  aussi 
sans  donner  prise  aux  critiques.  Il  faut  leur  rendre  cette  justice, 
leur  communauté  resta  toujours  exemplaire.  Ce  n'étaient  plus, 
sans  doute,  ces  vertus  austères  des  premiers  siècles;  ce  n'étaient 
pas  non  plus  ces  scandales  et  cette  vie  trop  facile,  dont  on  don- 
nait ailleurs  de  si  tristes  exemples.  L'amour  de  l'étude  conser- 
vait la  régularité.  Ces  religieux  étudiaient,  et  plusieurs  même, 
1).  A.  de  Norroy  entre  autres,  furent  les  collaborateurs  du  Gailîa 
Christiana  et  de  ces  grands  travaux  historiques  qui  immortali- 
sèrent la  congrégation.  Leur  société  était  recherchée  par  l'aris- 
tocratie intellectuelle  de  la  ville,  et  le  respect  les  environnait. 

En  1767  et  1773,  ils  firent  exécuter  d'importants  travaux  de 
restauration  à  l'église  et  aux  cloîtres  du  monastère,  et  ils  y  dé- 
pensèrent près  de  44,000  livres  (2). 

En  1781,  ils  transigeaient  avec  l'abbaye  de  Saint-Quentin  et 
MM.  de  Goussainville,  Danse  et  Baron,  pour  les  dommages  faits 
par  l'inondation  des  prairies,  causée  par  la  rupture  du  bordage 
du  canal  Gonnard  (3). 


(1)  Ses  armes  étaient  :  d'azv/r,  semé  de  quintefeuilles  d*or,  au  franc 
quartier  d'hermine  écartelé  d'argent  à  5  lézarda  de  Hnople. 

(2)  Arcb.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lucien, 

(3)  Ibidem. 


642  HiSTOins 

Mais  déjà  commençaîent  à  gronder  les  orages  qui  allaient  em- 
porter les  institutions  religieuses  et  politiques  du  passé.  Depuis 
longtemps  on  attaquait  le  prestige  des  ordres  monastiques  el  on 
travaillait  de  toutes  les  manières  à  amoindrir  leur  importance. 
Les  rois  ne  leur  étaient  plus  favorables,  les  parlements  et  les 
assemblées  du  clergé  leur  étaient  souvent  bostiles,  et  les  philo- 
sophes libres-penseurs  les  battaient  en  brèche  de  fous  les  côtés. 
Il  leur  aurait  fallu,  pour  triompher  de  tant  d'obstacles ,  une 
force  qu'ils  n'avaient  plus ,  hélas!  depuis  bien  longtemps.  La  foi 
ardente  des  temps  passés  n'y  régnait  plus;  la  source  des  vertus 
austères  paraissait  tarie,  et  ces  grandes  institutions  assistaient, 
avec  une  impassibilité  désespérante,  au  spectacle  de  leur  déca- 
dence, et  allaient  se  laisser  emporter,  sans  espoir  et  sans  énergie, 
par  un  terrible  cataclysme. 

L'abbaye  de  Saint-Lucien  devait  sombrer,  comme  les  autres. 
M.  Phelypeaux  d'Herbault  vit  les  signes  précurseurs;  il  n'eut  pas 
le  temps  de  voir  la  catastrophe ,  la  mort  l'avait  enlevé  en  1787. 
Les  affaires  allaient  si  mal  que  le  roi  ne  se  donna  pas  la  peine 
de  le  remplacer.  L'abbaye  fut  mise  en  économat,  et  le  ii  juin  1788 
M.  Isidore-Simon  Brière  de  Mondetour,  économe  général  du  clergé 
de  France,  affcîrma  à  François  Lhote,  bourgeois  de  Paris,  toutes 
les  fermes  et  revenus  de  la  mense  abbatiale  de  Saint-Lucien.  I^ 
fin  approchait. 

L'année  1789  commence  sous  de  fâcheux  auspices,  un  hiver 
des  plus  rigoureux ,  entraînant  après  lui  la  disette  et  la  misère, 
commande  de  la  part  de  tous  d'abondantes  aumônes.  Toujours 
debout  au  milieu  des  nécessités  publiques,  les  moines  de  Saint- 
Lucien  veulent  ne  céder  à  personne  l'honneur  de  soulager  les 
souffrances  du  peuple;  ils  multiplient,  sous  toutes  les  formes, 
les  inventions  de  la  charité  la  plus  compatissante.  Ce  généreux 
dévouement  ne  leur  épargnera  pas  pour  cela  la  spoliation  ni 
l'ostracisme. 

Le  24  janvier  1789,  les  lettres  du  roi  avaient  convoqué  les  trois 
ordres,  le  clergé,  la  noblesse  et  le  tiers-état,  au  chef-lieu  de 
leur  bailliage,  pour  y  rédiger  des  cahiers  de  vœux  et  de  do- 
léances, et  pour  nommer  des  députés  aux  Etats-Généraux  qui 
devaient  se  tenir  à  Versailles.  L'abbaye  de  Saint-Lucien  dut  donc 
envoyer  un  délégué  à  Beauvais.  Ses  religieux,  réunis  en  chapitre 
le  6  mars  1789,  nommèrent  D.  Pierre- François  Bazonnès,  leur 


DB  l'ABBATE  ROTALB  VM  SAINT -LUCIEN.  649 

prJeur,  pour  les  représenter  à  rassemblée  du  bailliage,  avee  pleins 
pouvQîrs  pour  h  concourir  avec  les  autres  membres  âe  l'ordre 
«  du  clergé  à  la  rédaction  du  cabier  de  plaintes,  doléances  et 
K  remontrances,  qui  sera  rédigé  coi\jointement  ou  séparément, 
«  suivant  que  les  trois  ordres  l'auront  délibéré  séparément,  pro- 
a  céder  au  nom  de  ladite  abbaye  conjointement  ou  séparément 
«  à  l'élection  des  députés,  qui  seront  envoyés  aux  Etals-Géné* 
«  raux ,  dans  le  nombre  et  proportion  déterminés  par  la  lettre 
€  de  Sa  Majesté,  proposer,  remontrer,  aviser  et  consentir  tout 
«  ce  qui  peut  concerner  les  besoins  de  TEtat,  la  réforme  des 
tt  abus,  rétablissement  d'un  ordre  fixe  et  durable  dans  toutes 
«  les  parties  de  l'administration,  la  prospérité  générale  du 
0  royaume,  et  le  bien  de  tous  et  de  chacun  des  sujets  de  Sa 
«  Majesté  (i).  »  Les  religieux  présents  étaient  D.  Pierre-François 
Bazonnès,  prieur,  Louis- Adrien  Personne,  sous  prieur,  Fran- 
çois Joseph  Hardy,  Louis-Joseph  Toilliez,  Jean-François-Louis 
Le  Roy,  cellerier  et  procureur,  Adrien  Mabille,  François-Audebert 
Enocq,  dépositaire,  Jean-Baptiste  Jacquemart,  Michel-Albert 
Crevelle,  secrétaire  du  chapitre,  Jacques-Michel-Sauveur  Dubois, 
et  tous  signèrent  la  délégation. 

Le  9  mars,  D.  Bazonnès  fut  à  rassemblée  générale  des  trois 
ordres  du  bailliage,  présidée  par  le  comte  de  Grillon,  grand- 
bailli  d'épée.  Le  lendemain,  il  se  rendit  à  Tévêché,  avec  tous 
les  délégués  du  clergé ,  pour  nommer,  sous  la  présidence  de 
révêque,  Ms'  de  La  Rochefoucauld,  la  commission  de  rédaction 
du  cahier  des  vœux  et  doléances  de  Tordre.  Il  fat  l'un  des  com- 
missaires élus  (2).  Nous  ne  pourrions  dire  la  part  qu'il  prit  à 


(1)  Procès-verbal  de  la  dôlibéraUon  capltulaire  dans  le  cabinet  de 
H.  Mathon. 

(3j  Les  autres  commissaires  chargés,  avec  lai,  de  la  rédacUon  du 
cahier  du  clergé  étalent  :  MM.  de  Laocry  de  Pronleroy,  doyen  da  eha^ 
pitre  cathédral;  Daboncourt,  caré  de  Saint-Jast-des-Marais;  Delpoech  de 
Comeiras ,  grand  archidiacre  de  Beaavais  ;  Thierry,  chanoine  de  Saint- 
Barthélémy  de  Beaavais  ;  Pillon ,  caré  de  Saint-Jacqaes  de  Beaavais  ; 
D.  Garaadé,  priear  de  l'abbaye  de  Beaupré;  Pignon,  priear  de  Tabbaye 
de  Saint-Qoentin ;  Delamotte,  curé  de  Notre-Dame-du-Thil ;  Motte,  eha- 
noine  de  la  cathédrale  ;  Régnier,  caré  de  Saint-Martin  de  Laversines  ; 


644  HISTOIRE 

cette  œuvre,  ni  celle  qu'il  eut  dans  Télection  de  David,  curé  de 
Lormaison ,  pour  la  députation  ;  nous  savons  seulement  qu'il 
fut  l'un  des  membres  les  plus  considérés  de  cette  commission. 

Quelques  mois  plus  tard,  l'Assemblée  nationale  frappait  coups 
sur  coups  les  institutions  monastiques.  Ses  décrets  les  privèrent 
d'abord  d'une  partie  de  leurs  revenus  (dîmes  et  droits  féodaux), 
puis  les  spolièrent  complètement  de  leurs  biens  et  finirent  par 
les  supprimer.  La  nuit  du  4  août  1789  avait  vu  voter  l'abolition 
des  droits  féodaux  et  des  dîmes;  les  séances  des  23,  ai,  30, 
31  octobre  et  2  novembre  mirent  les  biens  des  corporations  reli- 
gieuses à  la  disposition  de  la  nation;  le  19  décembre,  l'Assem- 
blée décrétait  la  vente  de  400  millions  de  biens  du  domaine  de 
l'Eglise;  les  10,  11, 13, 16, 18,  19  février  1790,  elle  prononçait  la 
sécularisation  des  abbayes  et  l'interdiction  des  vœux  monas- 
tiques, et  consommait  ainsi  la  suppression  des  ordres  religieux 
en  France.  80,000  personnes  inoffensives  à  l'Etat,  utiles  à  la 
société  et  généralementédifiantes  par  leur  genre  de  vie,  se  trou- 
vèrent ainsi  privées  de  leur  propre  bien,  chassées  de  leurs  mai- 
saisons  et  mises  hors  la  loi,  et  cela  au  nom  de  la  liberté  !! 

En  conséquence  de  ces  mesures,  un  décret  du  26  mars  1790 
ordonnait  aux  officiers  municipaux  des  localités,  où  se  trouvait 
des  établissements  monastiques,  de  se  présenter,  dans  la  huitaine, 
dans  toutes  ces  maisons,  de  s'y  faire  présenter  les  comptes  de 
régie,  de  les  arrêter,  de  former  un  état  des  revenus  avec  l'époque 
des  échéances,  et  de  dresser  un  inventaire  des  titres  et  de  tout 
le  mobilier  de  l'église  et  du  couvent.  Pour  obéir  à  ce  décret,  les 
officiers  municipaux  de  Notre-Dame-du-Thil,  Pellerin,  maire, 
Tonnellier,  Dupriez,  Boudeville,  Cantrel  et  Régnier,  se  rendirent 
à  l'abbaye  de  Saint-Lucien  le  lundi  17  mai ,  «  se  firent  présenter 
au  prieur,  D.  Bazonnès ,  le  prièrent  d'assembler  sur  le  champ  sa 


Lozières ,  chanoine  de  Saint-Laarent  de  Beanvais  :  Danse ,  chanoine  de  la 
cathédrale;  Salenlin,  curé  de  Mouy;  Préverel,  curé  de  la  Basse-Œuvre 
de  Beauvais;  Poincy,  professeur  de  théologie  à  l'abbaye  de  Saint-Quentin  ; 
Bauchain,  curé  d'Ons-en-Bray;  Payen,  curé  de  Goincourl;  Viiiain,  curé 
de  Saint-Sauveur  de  Beauvais;  Rliedon,  curé  de  Rothois;  Demonchy, 
chanoine  de  Saint-Michel  de«Beauvais;  D.  Enjubeault,  prieur  de  l'abbaye 
de  Saint-Germer. 


DE  L' ABBAYE   ROYALE  DE  SAINT-LUCIEN.  645 

communauté,  et,  eu  présence  des  religieux,  visitèrent  les  re- 
gistres des  comptes  de  la  maison  et  les  arrêtèrent.  Puis,  vériG- 
cation  faite ,  ils  constatèrent ,  dans  leur  procès- verbal  de  vaca- 
tion, que  les  revenus,  pour  Tannée  suivante,  consistaient  en 
37,540  1.  16  s.  iO  d.  en  argent,  à  échoir  :  5,093  l.  U  s.  â  d.  à  la 
Saint-Bemi,  à  la  Toussaint  et  à  la  Saint-Martin  i790;  2,628  1. 
H  s.  6  d.  à  Noël;  9,991 1.  5  s.  au  i*'  janvier  1791;  9,150 1.  10  d.  à 
Pâques  et  10,677  1.  5  s.  4  d.  à  la  Saint- Jean-Baptiste;  et  en  rede- 
vances en  nature,  en  15,689  1.  8  s.,  ce  qui  donnait  un  total  gé- 
néral de  53,230  1.  4  s.  10  d.  (1).  » 

Ils  procédèrent  ensuite  à  l'inventaire  du  mobilier.  Le  prieur 
leur  déclara  tout  d'abord  qu'ils  ne  trouveraient  plus  leur  argen- 
terie de  table,  ni  la  plus  grande  partie  de  celle  de  leur  église, 
attendu  qu'ils  les  avaient  envoyées  à  Paris  au  mois  de  novembre 
précédent,  et  en  avaient  fait  don  à  la  nation  pour  la  part  de  leur 
maison  dans  la  contribution  patriotique  qui  avait  été  demandée, 
et  il  justifia  son  dire  en  produisant  un  reçu  de  l'hôtel  de  la 
monnaie  de  Paris ,  signé  Du  Perron  de  La  Coste.  Il  n'y  avait 
dans  la  caisse  du  monastère  que  i,280 1.  16  s.  3  d.  Ceci  constaté, 
on  fit  l'inventaire  de  l'église  et  de  la  sacristie.  Nous  citons  : 

Dans  l'église  :  3  tombeaux  de  plomb,  3  châsses  de  cuivre  doré  expo- 
sées sur  le  mattre-autel ,  2  autres  de  bols ,  une  de  cuivre  doré  ornée 
d'images  de  saints  d'argent  doré.  Dans  les  armoires  de  la  croisée,  2  pe- 
Utes  d'argent  doré,  une  autre  de  cristal  revêtue  d'argent  doré,  sur  un 
pied  de  cuivre  doré,  une  autre  petite  d'argent  doré  sur  un  pied  du  môme, 
une  autre  petite  de  cuivre  doré.  Un  bras  revêtu  d'argent  avec  une  bague 
d'or,  et  un  chaton  de  pierre  une,  un  antre  d'argent  portant  trois  petits 
bras,  un  autre  d'argent,  un  autre  de  cuivre  doré  dont  la  main  est  de  bols 
doré.  Un  petit  reliquaire  d'argent ,  un  de  cuivre  doré  en  forme  de  flèche, 
un  autre  en  (orme  d'oratoire .  un  autre  en  (orme  de  botle  longue ,  revêtu 
d'une  feuille  d'argent ,  un  de  cuivre  doré  en  forme  de  ciboire ,  deux 
autres  de  cristal  revêtus  de  cuivre.  Un  petit  ange  de  vermeil  sur  un  pied 
de  cuivre  doré,  un  pied  d'argent  doré  servant  à  exposer  sur  l'autel  la 
vraie  croix  d'argent  doré  à  deux  croisUlons,  un  ostensoir  de  même  métal. 
Un  anneau  d'or  attaché  à  une  croix  d'argent  ;  une  petite  boîte  d'argent 
pour  les  saintes  huiles,  deux  textes  (livres  d'Bpltres  et  d'Evangiles)  re- 


(1)  Procès- verbal  dressé  par  la  municipalité  de  Notre-Dame-du-Thil, 
aux  Archives  de  l'Oise. 


646  «inaiu 

yétas  de  plaques  d'argent  doré  enrichies  de  pierreries;  un  missel  revdta 
de plaqaes d'argent;  une  croix  ptocessionnelle  argentée.  Le  tombeaa  du 
cardinal  Cbolet  de  marbre  doré;  divers  cbandeliers  de  cuivre;  un  fau- 
teuil de  velours  rouge  galonné  en  or  ;  deux  autres  de  maroquin.  Une 
table  de  marbre  à  pieds  de  bois  doré  ;  hait  grilles  de  fer  au  sanctuaire  ; 
trois  autres  du  même  fera^ant  le  chœur  ;  un  aigle  de  cuivre  ;  un  pupitre  de 
fer;  trois  banquettes  de  maroquin  pour  les  choristes;  6  pièces  d'anciennes 
tapisseries  de  Beauvals.  Sixpilliers  revêtus  d'une  belle  boiserie  ;  une  belle 
chaire  de  vérité,  et  un  buffet  d'orgues  nouvellement  reconstruit  à  neuf. 

Au-dessus  de  l'autel  de  la  Sainte-Ylerge ,  sa  statue  en  marbre.  Une  ar- 
moire où  sont  renfermés  7  à  8  devant  d'autels.  Un  grand  in-foilo  en  par* 
ehembi  et  divers  livres  d'église. 

Bans  la  sacristie  :  deux  calices  et  leurs  patènes.  Un  ornement  hlane 
composé  d'une  chasuble ,  deux  étoles ,  trois  manipules ,  deux  tuniques, 
trois  chapes  de  drap  d'or^  orfrols  brodés  en  or,  une  chape  et  une  étole 
de  soie  niélée  d'or,  brodée  et  galonnée  en  argent.  Un  second  blanc  com- 
posé comme  ci-dessus ,  étoffe  damas  broché.  Plus  une  chasuble  du  même 
avec  un  Saint-Esprit  brodé  en  argent.  Deux  tuniques  en  drap  d'or  l^ger, 
galons  d'argent.  Plus  une  autre  cbasuble  de  damas  et  2  tuniques  avec 
leurs  étoles  et  manipules.  —  Un  ornement  rouge  composé  d'une  chasuble, 
deux  étoles ,  trois  manipules ,  deux  tuniques ,  quatre  chapes  de  velours 
brodées  en  or.  Un  autre ,  d'une  chasuble ,  deux  étoles ,  trois  manipules, 
deux  tuniques  et  trois  chapes  de  damas ,  orfrois  de  velours  brodés  en 
or.  Plus  une  chasuble ,  deux  étoles ,  trois  manipules ,  deux  tuniques,  une 
chape ,  aussi  de  damas  rouge.  Un  ornement  violet  de  damas  galonné  en 
argent,  comme  dessus.  Plus  une  chasuble,  étole,  manipule,  de  velours 
brodé  d'or.  Deux  planettes  de  damas,  galon  d'argent;  une  large  étole  de 
diacre  et  deux  manipules.  —  Un  ornement  vert,  composé  d'une  chape 
et  le  reste  comme  dessus,  plus  deux  chasubles ,  deux  étoles ,  deux  ma- 
nipules de  velours.  —  Un  ornement  noir  composé  de  quatre  chapes  et  le 
reste  comme  dessus,  de  velours  galonné  en  argent,  et  un  poêle  de  même. 
—  13  chasubles,  étoles,  manipules,  28  voiles  et  24  bourses  de  toutes 
couleurs  pour  les  messes  basses.  —  5  écbarpes,  un  dais,  trois  tapis, 
4  coussins,  16  autres  petits,  dOaubrs,  30  cordons,  23  amicts,  40  tant 
aubes  que  rochets  pour  les  enfants  de  chœur,  4  surplis ,  20  nappes  d'au- 
tel, 25  corporaux,  6  camails  d'enfants,  un  pour  le  serpentiste,  une  robe 
de  bedeau ,  une  baguette  garnie  d'argent. 

Quatre  grosses  cloches  et  quatre  petites  dans  les  deux  clochers,  une 
horloge ,  une  pendule  et  un  gros  timbre  pour  le  réfectoire. 

Les  municipaux  passèrent  ensuite  dans  la  bibliothèque ,  où  ils 
comptèrent  37  manuscrits  ,  700  in  f<>,  460  1n-4o,  760  in-8(» ,  1500 
in-12,  300  in-16  et  plusieurs  années  de  journaux  et  de  gazettes; 


DB  L'ABBATE  ROTALB  DB  SAINT -lucibn.  647 

puis,  firent  un  inventaire  très-sommaire  du  mobilier  du  reste  de 
la  maison. 

Cette  opération  terminée,  ils  demandèrent  à  connaître  la  situa- 
tion de  rétablissement  par  rapport  aux  dettes  immobilières, 
mobilières  et  actives.  Le  prieur  déclara  1 ,0S8 1.  là  s.  6  d.  de  dette» 
immobilières,  i8,968 1. 16  s.  9  d.  de  dettes  mobilières,  et  18,555  h 
15  s.  4  d.  de  dettes  actives. 

Enfin  le  maire,  achevant  sa  désagréable  besogne ,  pria  D.  Ba^ 
zonnès  de  vouloir  bien  lui  indiquer,  conformément  à  la  loi, 
le  nombre  de  ses  religieux,  leur  nom,  âge  et  charge,  avec  leur 
intention  à  l'égard  de  la  vie  monastique.  On  voyait  à  sa  oonte-i 
nance  et  à  celle  de  ses  municipaux ,  qu'ils  accomplissaient  une 
tache  pénible  et  qu'ils  le  faisaient  avec  répugnance.  Le  prieur  le 
sentait  bien,  et  leur  en  témoigna  sa  gratitude;  puis ,  répondant 
à  leur  demande,  il  leur  dit  que  sa  communauté  se  composait  de 
dix  religieux  profès  tous  prêtres,  et  qui  étaient:  D.  Pierre-Fran- 
çois Bazonnès,  prieur  en  exercice,  âgé  de  38  ans  et  demi; 
D.  Adrien- François-Louis  Personne,  sous-prieur,  âgé  de  37  ans 
et  demi  ;  D.  Charles-Gabriel  Cardon ,  ancien  prieur ,  principal 
pendant  trente  et  un  ans  du  collège  de  l'abbaye  de  Saint-Ger* 
mer,  et  ancien  supérieur  de  l'école  royale  militaire  de  Beaumont 
en  Normandie ,  doyen  de  la  maison,  âgé  de  6i  ans  ;  D.  François- 
Joseph  Hardy,  ancien  prieur,  âgé  de  55  ans  ;  D.  Louis-Joseph 
Toilliez,  ancien  prieur,  âgé  de  55  ans;  D.  Jean- François  Le  Roy, 
procureur  et  ceUerier,  âgé  de  41  ans;  D.  Adrien  Mabille,  âgé  de 
51  ans  ;  D.  François-Âubert  Enocq,  dépositaire,  âgé  de  37  ans  ; 
D.  Jean-Baptiste  Jacquemart ,  âgé  de  29  ans  et  demi  ;  D.  Jacques- 
Michel  Dubois,  âgé  de  30  ans. 

Quant  à  la  question  de  savoir  s'ils  voulaient  profiter  des  dis- 
positions de  la  loi  pour  quitter  leur  maison,  et  se  retirer  soit 
dans  la  vie  privée,  soit  dans  un  établissement,  qui  leur  serait 
ultérieurement  désigné ,  tous  furent  unanimes  â  répondre 
«  qu'ils  attendraient,  pour  se  déclarer  à  ce  sujet,  d'être  instruits 
des  maisons  que  l'Assemblée  nationale  leur  désignerait  pour 
demeure ,  du  régime  sous  lequel  ils  auraient  à  vivre  et  de  la 
sûreté  que  les  pensions  proposées  pourraient  offrir  (1).  »  Ils 


(1)  Procès-verbal  de  l*inv.  aux  Arch.  de  l'Oise.  Fonds  de  la  Révolution. 


648  HISTOIRE 

allaient  du  reste  motiver  plus  explicitement,  quelques  mois  plus 
tard,  leurs  intentions  à  ce  sujet. 

Les  officiers  municipaux  de  Notre-Dame- du-Thil  se  retirèrent 
en  faisant  des  excuses  et  en  protestant  de  leur  respect  et  de  leur 
attachement.  Les  moines  de  Saint-Lucien  avaient  encore  conservé 
leur  prestige ,  malgré  tout  ce  que  la  Révolution  avait  entrepris 
pour  ramoindrir  et  la  détruire.  Leur  vie  antérieure  et  leur  atti- 
tude dans  le  présent  les  montraient  toujours  respectables  malgré 
le  malheur. 

Le  30  septembre  i790 ,  le  président  de  l'assemblée  administra- 
tive du  district  de  Beauvais,  Joachim-Félix-T^on  Blanchard  de 
Ghangy,  accompagné  de  MM.  Renault  Ma,  vice-président  du 
Directoire,  Goujon,  procureur  syndic  du  district,  et  Danjou, 
secrétaire  de  rassemblée  administrative,  se  rendit  à  Vabbaye  de 
Saint-Lucien ,  pour  faire  le  recollement  de  Tinventaire  dressé 
par  les  officiers  municipaux  de  Notre-Dame-du-Thil.  Le  maire 
Pellerin  l'assistait,  avec  Ant.-Jul.  Delamotte,  secrétaire  de  la 
municipalité.  Les  religieux  subirent  sans  rien  dire  cette  nou- 
velle vexation  «  n'ayant  aucun  moyen  pour  l'empêcher  (1).  » 
I^  recollement  de  l'argenterie  de  l'église  terminé,  on  la  fit  es- 
timer par  Jean-Etienne  Varlet,  orfèvre  à  Beauvais.  Après  exa- 
men, ce  dernier  déclara  le  tout  peser  i03  marcs  2  onces 
6  gros,  et  pouvoir  être  évalué  à  »,261  livres  i9  sols  4  deniers. 
Puis  on  fit  en  détail  l'inventaire  de  tous  les  objets  mobiliers 
garnissant  les  appartements  du  monastère ,  et  des  derniers  baux 
des  propriétés  ,  les  officiers  municipaux  de  Notre-Dame-du-Thil 
ne  l'ayant  fait  que  très-sommairement. 

Le  temps  marchait  et  la  révolution  s'accentuait  de  plus  en 
plus.  Les  mesures  les  plus  hostiles  étaient  prises  contre  les  com- 
munautés religieuses,  et  on  activait  leur  accomplissement.  Pour 
chasser  leurs  membres  de  leurs  maisons,  on  se  pressait,  parce 
qu'on  voulait  en  finir.  On  leur  avait  proposé  de  se  retirer  dans 
le  monde,  ou  dans  un  lieu  qui  leur  serait  désigné,  s'ils  tenaient 
à  vivre  en  commun,  avec  promesse  de  leur  payer  pension,  mais 
comme  personne  d'entre  eux  ne  se  hâtait  de  prendre  une  dé- 


(1)  Procès-verbal  de  recollement  aox  Archives  de  l'Oise.  Fonds  de  la 
Révolution. 


DE   l'abbaye  BOYALB  DE  SAINT-LUCIEN.  649 

termination ,  on  les  somma  d'avoir  à  se  prononcer,  dans  le  plus 
bref  délai,  et  d'envoyer  l'état  de  leur  personnel. 

Les  religieux  de  Saint-Lucien  ne  pouvaient  plus  atermoyer.  Le 
lundi  20  décembre  i790,  ils  comparurent  pardevant  la  munici- 
palité de  Notre-Dame-du-Thil  «  pour  satisfaire,  dirent-ils,  aux 
décrets  de  l'Assemblée  nationale  des  8,  9, 14, 15, 16,  i8,  22,  23, 
25  septembre,  4,  5  et  8  octobre  précédent.  »  Le  prieur  remit 
l'état  des  religieux  de  sa  maison,  certifié  véritable  par  D.  Tam- 
peté,  visiteur  de  la  congrégation  de  Saint-Maur;  puis  chacun 
d'eux  déposa  sa  déclaration  écrite,  la  fit  transcrire  au  registre 
de  la  municipalité  et  la  signa.  Nous  reproduisons  ces  déclara- 
tions, ou  plutôt  ces  protestations,  comme  un  monument  de  la 
noble  attitude  de  ces  religieux,  dans  un  moment  où  il  y  eut 
tant  de  faiblesses  et  de  défections  (i). 

Le  prieur,  D.  Pierre-François  Bazonnès,  comparait  le  premier, 
dit  être  né  le  !«'  décembre  4751,  avoir  fait  profession  le  23  dé- 
cembre 1772  dans  l'abbaye  de  Saint-Biquier,  et  donne  sa  décla- 
ration ainsi  conçue  : 

Je  soassigné  déclare  qae  je  n'accepte  pas  la  vie  commune  proposée 
par  TAssemblée  nationale ,  n'y  retrouvant  pas  mon  état ,  qui  a  fait  mon 
bonheur  pendant  vingt  ans  et  auquel  je  serai  attaché  toute  ma  vie. 

F.-P.  Bazonnès. 

D.  Adrlen-Frauçois-Louis  Personne,  sous-prieur,  dit  être  né 
le  20  juillet  1752,  avoir  fait  profession  le  14  novembre  1773  dans 
l'abbaye  de  Saint-Biquier,  et  déclare  : 

Tant  que  le  corps  dont  j'étais  membre  eût  existé ,  je  n'aurafs  jamais 
pensé  à  quitter  mon  cloître ,  mais  la  vie  commune  décrétée  par  l'Assem- 
blée nationale  est  si  différente  de  mon  ancien  état ,  vu  la  difficulté  de 
savoir  où  et  avec  qui  je  demeurerai ,  que  je  me  décide  à  me  retirer, 
quoique  avec  le  plus  grand  regret.  A.  Pbbsonne. 

D.  Gbarles-Gabriel  Gardon  dit  être  né  le  14  novembre  1725, 
avoir  fait  profession  le  5  septembre  1742  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Evrost,  et  déclare  : 

Je  soussigné  déclare  que  j'ai  fait  l'émission  de  mes  vœux  dans  la  congré- 


(1)  Registre  D,  n*  i^,  p.  157,  et  sniv.  (Arch.  de  la  conunune  de  Notre- 
Bame-du-ThlL) 


(SO  «ISTMftB 

fStioB  dé  Mnt-lMT  toos  li  dovMe  proteclMMi  4e  riglîM  et  de  r 
qiK  eett  à  Diea  même,  aax  pieds  des  saints  aaleb,  «■  préstece  de  ses 
saints  et  des  ûdtrles.  témoms  de  mon  sacrifice,  que  j'ai  Toué  de  me 
consacrer  il  son  serrre^ .  pendant  toat  le  coor  de  ma  rie .  par  la  pratique 
de  la  règle  de  saint  Benoit, . .  qae  j'ai  renoarelé  tous  les  ans  cette  pro- 
messe, et  que  je  la  renooTelIe  encore  aotant  qn'il  est  en  moi .  dans  tette 
roaiflon  que  j'avais  choisie  pour  ma  retraite,  et  où  sont  conserrées  depuis 
tant  de  siècles  les  précieuses  dépouilles  des  premiers  apôtres  da  Bean- 
TOisis  ;  mais  qae  eon«idérant  le  noorean  plan  d'one  rie  comnmne ,  que 
m'oflirent  les  décrets  de  TAssemblé  nationale  concernant  les  refigfeax.  je 
n'y  troore  point  celai  de  la  règle  que  j'ai  promis  d'ol>senrer,  ni  les  eoo^ 
Hons  qni  ont  motiré  ma  première  consécration —  qne  fon  ne  nonme 
pas  encore  les  maisons ,  qui ,  aux  termes  des  décrets  dn  13  féTiîer  der- 
nfer«  seront  désignées  pour  ceux  qui  Tondront  s'y  retirer qne  ce  dé- 
cret parolt  même  être  annale  par  on  antre  subséquent ,  qui  annonce  qne 
tontes  les  maisons  religiea]>es  seront  mises  en  vente  sans  exeq[»tlon... 
que  je  n'aperçois  plus  aucun  caractère  de  Fêtai  qne  j'ai  embrassé,  dans 
ce  mélange  de  religieux  de  différents  ordres,  qui  peuvent  être  réunis  dans 
la  même  maison ,  qu'une  pareille  assoclalion  formée  au  liasard ,  qui  MX 
m'inspirer  au  moins  le  soupçon  et  l'inquiétude  de  la  voir  mal  organisée, 
ne  pent  en  aucun  cas  devenir  l'objet  d'un  cboix  véritablement  libre  et 
mûrement  réfléchi ,  qu'en  conséquence  je  me  crois  forcé  de  prendre  le 
parti  de  cbercber  une  retraite ,  où  j'espère ,  avec  la  grâce  de  Dieu,  opérer 
tranquillement  mon  salut,  sans  encourir  le  blâme  d'une  honteuse  apos- 
tasie. C'est  avec  la  plus  vive  douleur  que  je  vous  remets  cette  présente 
déclaration,  dont  je  vous  prie  de  me  donner  acte. 

C.-G.  Cabdok, 
ancien  prieur  et  principcU  du  collège  de  liMaye  de  Soênt-Germer 

en  Beauvoisiê  et  defnUs  supérieur  de  l'école  royale  tnUUaire 

de  Beaumont  en  Normandie. 

D.  François-Joseph  Hardy  dit  être  né  le  27  mai  1735,  avoir  fleiit 
profession  &  Tabbaye  de  Saint>Médard  de  Soissons  le  13  no* 
vembre  1754,  et  déclare  que  : 


(1)  Nous  ne  saurions  dire  si  ces  points  indiquent  une  suppression  de 
de  texte  faite  à  dessein  par  le  secrétaire  de  la  monicipalilé.  Nous  repro- 
duisons servilement  ce  qui  est  transcrit.  En  tout  cas,  la  suppression,  si 
elle  existe ,  a  été  consentie  par  les  religieux  puisque  chaque  transcription 
est  signée  authentiquement  par  le  déclarant.  Il  nous  a  été  impossible  de 
reironrer  les  déclarations  écrites  de  la  main  même  des  religieux  pour 
Térifler. 


DB  L'aBBATB  ROTALB  Dfe  SAINT*LUGIEN.  65i 

Soamis  aux  décrets  de  l'Assemblée  nationale ,  Il  renonce  k  la  vie  eom- 
mune  décrétée  par  l'Assemblée  nationale.  F.-J.  Harat. 

D.  Louis-Joseph  Toilliez  (i)  dit  être  né  le  24  septembre  1733, 
avoir  fait  profession  à  Tabbaye  de  Saint-Médard  de  Soissons  le 
15  novembre  1753,  et  déclare  : 

Je  soassigné  déclare  renoncer  à  la  vie  commune ,  le  noaveaa  régime 
des  monastères  prescrit  par  l'Assemblée  nationale  me  paraissant  impos- 
sible dans  la  pratique  et  contraire  aux  engagements  que  j'ai  solennelle- 
ment contractés ,  engagements  qui  me  promettaient  de  unir  en  paix  le 
reste  de  ma  carrière ,  persuadé  que  la  pureté  de  mon  cœur  me  mettra  à 
l'abri  de  tout  blâme,  en  manifestant  des  vœux  que  les  circonstances 
forcent.  L.-J.  Toilliez. 

D.  Jean-Frangois  Le  Roy,  cellerier,  dit  être  né  le  20  décembre 
1749,  avoir  fait  profession  à  Tabbaye  de  Saint-Faron  de  Meaux 
le  8  mars  1768,  et  déclare  : 

J'ai  constamment  désiré  de  passer  toute  ma  vie  dans  la  congrégation  de 
Salnt-Maur  ;  l'accomplissement  de  ce  désir  étant  devenu  impossible  par  la 
suppression  de  cette  congrégation ,  je  cède  aux  circonstances  et  déclare 
renoncer  à  la  vie  commune.  F.  Le  Rot. 

D.  Adrien  Mabille,  retenu  au  Ut,  malade,  envoie  sa  déclara- 
tion par  D.  Bazonnès,  qui  le  dit  né  le  li  octobre  1739,  avoir  fait 
profession  è  Tabbaye  de  Saint-Rlquier  le  25  mars  1771,  et  dé- 
clare : 

■   Comme  la  maison  de  Saint-Lucien  n'est  pas  dans  le  cas  de  subsister 
mon  Intention  n'est  pas  de  rester;  d'ailleurs ,  quand  je  le  voudrais,  ma 
santé  chancelante  ne  me  le  permettrait  pas. 

D.  François-Âubert  Enocq  dit  être  né  le  21  juillet  1753,  avoir 
fait  profession  à  Tabbaye  de  Saint-Biquier  le  22  juillet  1774  : 

Proteste  ^e  son  attachement  à  son  état  et  déclare  qu'il  ne  désire  point 
continuer  la  vie  commune  telle  qu'elle  a  été  décrétée  par  l'Assemblée 
nationale,  attendu  qu'il  ne  sait  pas  où  et  avec  qui  il  auroit  à  vivre. 

F.-A.  Enocq. 


(1)  B.  Toillies  se  retira  à  Koti*e-Dàme'-<Iù-Thl] ,  chê2  M',  ftayè ,  notah!«, 
où  il  mourut  >  en  lui  laissant  sa  bibliothèque. 


652  HISTOIEB 

D.  Jean-Baptiste-Fierre  Jagquemabt  (i)  dit  être  né  le  10  lévrier 
i76i,  avoir  fait  profession  à  l'abbaye  de  Saint-Faron  de  Heaux, 
et  dépose  sa  protestation  : 

Je  soussigné  déclare  qa'aprës  avoir  mûrement  pesé  et  examiné  tous  les 
décrets  de  l'Assemblée  nationale  concernant  les  religieux,  notamment 
celai  da  13  février  de  la  présente  année  1790,  qui,  en  les  supprimant,  pa- 
roissoit  donner  anx  religieux  la  ftculté  de  terminer  paisiblement  leur 
carrière  dans  leurs  maisons  respectives  ou  au  moins  dans  celles  de  leur 

ordre que  de  plus  ses  décrets  subséquents,  loin  de  favoriser  l'état 

stable  et  permanent ,  que  j'ai  librement  embrassé ,  sous  la  sauvegarde 
de  la  religion  et  de  la  loi ,  paroissent  présenter  au  contraire  un  nouvel 
ordre  de  choses,   qui  semble  contrarier  l'émission  de  mes  premiers 

vœux qu'en  conséquence  je  conserverai  à  jamais  mon  attachement 

à  mon  état,  auquel  je  me  rendrai  sur  le  champ  et  avec  le  plus  vif  empres- 
sement, conformément  aux  obligations  que  j'ai  contractées,  si  jamais  ces 
asiles  sacrés  pouvaient  m'étre  rouverts,  que  guidé  par  ces  motifs,  dont 
j'espère  honorer  sans  cesse  mes  actions ,  je  me  crois  exempt  de  tout 
blâme  et  censure ,  vis  à  vis  des  personnes  qui  veulent  bien  réfléchir  sur 

les  circonstances  critiques  où  je  me  trouve qu'enfin  cédant  à  ces 

mêmes  circonstances,  je  renonce  à  cette  vie  commune  telle  qu'elle  m'est 
présentée  par  les  susdits  décrets.  J.-B.  Jacquemart. 

D.  Jacques-Michel-Sauveur  Dubois  dit  être  né  le  19  septembre 
1760,  avoir  fait  profession  à  Tabbaye  de  Saint-Rem>  de  Reims  le 
17  mars  1783 ,  et  déclare  : 

Etant  aujourd'hui  nécessité  par  les  décrets  de  rAssemblée  nationale  à 
choisir  entre  la  vie  commune  et  particulière ,  voyant  la  congrégation  de 
Saint-Haur,  dans  laquelle  j'ai  fait  profession  et  dans  laqueUe  j'ai  toujours 
désiré  mourir,  et  à  laquelle  je  serai  attaché  toute  la  vie,  supprimée,  ne 
pouvant  et  ne  voulant  pas  faire  de  nouveaux  vœux ,  je  déclare  renoncer 
à  la  vie  commune  telle  que  me  l'offre  l'Assemblée  nationale  dans  ses  dé- 
crets ,  n'y  retrouvant  pas  mon  état ,  et  la  regardant  comme  impossible. 

J.-H.  Dubois. 


(I)  Ce  religieux ,  l'un  des  derniers  survivants  de  sa  communauté,  prit  du 
service  dans  le  ministère  paroissial  du  diocèse ,  après  la  Révolution ,  et 
en  fut  l'un  des  membres  les  plas  édifiants.  Il  fut  curé  de  Fouquenies,  puis 
de  Saint-Germain  la-Poterie,  de  1807  à  1830,  où  11  mourut  le  19  novembre 
1880,  environné  de  l'estime  de  tous. 


DE  L*ABBAYB   ROYALE   DE   SAINT-LUCIEN.  653 

Ces  déclarations  étaient  généreuses  >  et  les  religieux  savaient 
bien,  en  les  faisant,  que  ce  n'était  pas  le  moyen  de  se  rendre 
favorables  les  agents  de  la  Révolution  ;  mais  ils  obéissaient  à  un 
devoir  de  conscience,  et  rien  n'était  capable  de  les  en  détourner, 
pas  même  la  persécution  qu'ils  avaient  en  perspective.  Par  suite 
de  leur  protestation,  le  président  du  District  de  Beauvais, 
M.  Blanchard  de  Changy,  se  rendit  à  l'abbaye ,  le  2  janvier  179i, 
pour  leur  remettre  les  objets  nécessaires  à  leur  usage  personnel 
et  apposer  les  scellés  sur  le  reste,  confisqué  au  nom  de  la  na- 
tion. Il  leur  laissa  leurs  habits  et  linges,  trois  paires  de  draps  et 
douze  serviettes  à  chacun ,  quelques  ustensiles  de  cuisine  (un 
chaudron,  quatre  petites  casseroles,  une  marmite,  un  coque- 
mar,  deux  cuillers  à  pot  et  une  écumoire)  ;  pour  dire  la  messe 
jusqu'à  leur  évacuation,  un  calice  avec  trois  chasubles  de  cou- 
leurs différentes  et  huit  aubes  (1),  et  fit  mettre  les  scellés  sur 
toutes  les  chambres  et  salles  autres  que  celles  à  l'usage  exclusif 
des  religieux,  sur  les  portes  du  chartrier,  de  la  bibliothèque, 
du  trésor  et  sur  toutes  les  armoires  de  l'église  et  de  la  sacristie. 
Il  voulut  en  confier  la  garde  aux  religieux,  qui  refusèrent,  et  la 
municipalité  de  Notre-Dame-du-Tbil  en  fut  chargée.  Avant  d'ap- 
poser les  scellés  sur  le  trésor,  M.  Blanchard  de  Changy  en  avait 
fait  extraire  un  calice,  un  bâton  de  chantre  en  argent,  un  en- 
censoir et  sa  navette,  une  croix  d'autel  avec  son  pied,  un  os- 
tensoir, une  boîte  aux  saintes  huiles,  une  figure  d'ange,  un 
ciboire  doré,  une  custode,  tous  objets  précieux  en  argent,  et 
avait  demandé  aux  officiers  municipaux  de  Notre-Dame-du-Thil 
de  les  conserver  en  lieu  sûr.  Ceux-ci  ne  se  souciaient  pas  de  se 
rendre  responsables  de  cette  argenterie  et  refusèrent  de  le  faire 
sous  le  prétexte  qu'ils  ne  savaient  où  la  mettre.  M.  Blanchard 
de  Changy  fut  alors  obligé  de  la  faire  transporter  à  Beauvais  (2). 
Quelques  jours  après,  les  religieux  durent  se  résigner  à  quitter 
cette  abbaye,  dans  laquelle  plusieurs  avaient  vieilli.  Ce  fut  un 
jour  triste  et  solennel  que  celui  où  ils  parcoururent,  pour  la  der- 


(1)  Procès-verbal  de  rapposition  des  scellés.  (Arcb.  de  l'Oise.  —  Fonds 
de  la  Révolution.) 

(3)  Ilndem. 

T.  VIII.  48 


654  fliSTMii 

nière  fois,  ce$  cloUres,  où  ils  avaient  si  souvent  promené  leurs  pas 
silencieux,  et  s'agenouillèrent  dans  l'église  qui  avait  si  longtemps 
retenti  de  leurs  chants,  avant  de  franchir  la  porte  qui  ne  devait 
plus  s'ouvrir  pour  eux.  Il  fallait  partir,  et  ils  ai»andonnérent, 
le  cœur  bien  gros  et  en  dévorant  leurs  larmes,  ces -lieux  aimée 
où  ils  avaient  passé  de  si  heureux  jours.  Après  avoir  dit  un  su- 
préme  adieu  à  ces  majestueux  édifices  qu'ils  n'avaient  pu  aehe* 
ver,  à  ces  frais  ombrages  sous  lesquels  ils  avaient  trouvé  un 
abri  contre  le  bruit  du  monde,  ils  se  retirèrent  les  uns  dans 
leurs  familles,  les  autres  chez  des  amis  ou  à  la  gr&ce  de  Dieu, 
au  milieu  d'une  société  ennemie ,  qui  ne  leur  offrait  même  plus 
un  asile  pour  reposer  la  tète.  Après  l'expulsion ,  vint  la  perse- 
cution,  et  pour  plusieurs  d'entre  eux  l'exil  ou  la  prison.  La 
Révolution  avait  été  violemment  eutratnée  hors  des  voies  dans 
lesquelles  ses  premiers  adeptes  avaient  espéré  la  conduire.  Irritée 
d'une  opposition  qu'elle  aurait  dû  prévoir,  et  livrée  à  la  merci 
des  passions  populaires,  elle  glissa  dans  le  sang  et  épouvanta 
le  monde  par  ses  excès. 

Avec  sa  communauté ,  l'abbaye  royale  de  Saint-Lucien  avait 
cessé  d'exister;  il  n'y  avait  plus  de  religieux,  la  loi  les  avait 
chassés  et  ne  reconnaissait  plus  en  eux  que  des  citoyens  ordi- 
naires; il  n'y  avait  plus  davantage  d'abbaye,  leur  ancienne  et 
splendfde  demeure  n'était  plus  qu'un  domaine  national.  Elle 
avait  subsisté  1,208  ans.  Ici  unit  l'histoire  de  cette  grande  et 
célèbre  institution,  et  nous  ne  devrions  plus  y  rien  ajouter,  par 
respect  pour  cette  grande  infortune,  pourtant  nous  dirons  en« 
eore  un  mot  pour  raconter  les  derniers  agissements  de  ses  en* 
nemls  contre  son  monumental  cadavre  et  la  rage  avec  laquelle 
ils  se  sont  acharnés  contre  lui. 

Les  religieux  partis,  l'abbaye  fût  mise  en  vente  par  radminia- 
Cratloa  du  District  le  5  janvier  1791  ;  personne  ne  se  présenta 
pour  l'acheter,  on  aurait  dit  qu'une  certaine  pudeur  retenait 
ceux  qui  auraient  pu  surenchérir.  Elle  fût  remise  en  adjudica* 
tlon  le  19  janvier  suivant,  après  qu'on  eût  fait  donner  une  plus 
grande  publicité  à  la  vente,  puisqu'on  l'avait  fait  afficher  jusque 
dans  les  villes  de  Paris,  de  Rouen,  d'Amiens,  d'Abbeville  et  au- 
tres. Cette  fois,  un  acquéreur  se  présenta  ;  il  en  oflM 1 1 81 ,100  livres 
et  elle  lui  fut  adjugée  avec  l'autorisation  d'en  disposer  à  son  gré. 
Cet  acquéreur  était  Charles-François-Grégoire  Herbet,  mettre 


DE  L'aBBATB  BOYAI^IS  OB  SAINT-LUCIEN.  656 

çb^rpantier  h  B^auvais,  qui  déclara  s'en  rendre  adjudicataire  au 
nom  de  Jean-Paptiste-Pierre  Michel  de  Boislîsle,  négociant  à 
Beauvais.  Ce  dernier  devenait  ainsi  propriétaire  de  la  célèbre 
abbaye  de  Saint-Lucien  pour  181,000  livres  et  en  se  conformant 
aux  clauses  et  conditions  énoncées  au  procès-verbal  d'adjudica- 
tion. La  première  était  que  l'acquéreur  ne  pourrait  entrer  en 
possession  de  Tinimeuble  vendu  qu'après  avoir  payé  le  cinquième 
du  prix  de  la  vente.  Le  H  février,  il  recevait  de  M.  Blanchard 
de  Changy  uu  billet  ainsi  conçu  ;  «  M.  de  Bolslisle  voudra  bien 
tt  se  rendre  ce  soir,  H  février,  à  six  heures,  au  Directoire  du 
«  District,  où  il  expliquera  ses  intentions  sur  la  disposition 
«  qu'il  entend  faire  de  son  acquisition.  »  Michel  de  Bolslisle,  ou 
plutôt  Michel-Boislisie,  puisqu'il  ne  s'appelait  et  ne  signait  plus 
qu'ainsi,  se  présenta  à  l'heure  dite  et  déclara  avoir  rintention 
de  démolir  la  plus  grande  partie  des  bâtiments.  On  lui  répondit 
qu'on  aviserait  à  Vautoriser.  Cependant  il  avait  versé  la  somme 
exigée  par  les  clauses  du  contrat,  et,  le  25  février,  il  demandait 
à  être  envoyé  en  possession  de  l'abbaye,  avec  la  remise  des  clefs, 
et  pressait  les  administrateurs  du  District  d'en  faire  enlever  les 
objets  mobiliers  qui  étaient  sous  les  scellés.  Le  conseil  du  Direc- 
toire obtempéra  à  sa  demande  et  se  mit  en  devoir  de  faire  vider 
la  place. 

Le  vendredi  25  mars,  on  transporta,  avec  une  grande  solen- 
nité, de  l'église  abbatiale  dans  celle  de  Saint-Pierre  de  Beauvais, 
la  grande  châsse  de  saint  Lucien  et  celles  de  ses  compagnons 
martyrs.  L'évêque  constitutionnel  Massieu  présidait  la  céré- 
monie, les  administrateurs  du  District,  les  membres  du  tribunal 
et  l'état-major  de  la  garde  nationale  de  la  ville  l'accompa- 
gnaient (1).  C'était  la  dernière  fois  que  ces  glorieuses  reliques 
étaient  portées  en  procession  et  publiquement  vénérées  (2). 

Le  lendemain  (26  mars  1791),  Renault-Ma,  vice-président  du 
Directoire  du  District  vint  faire  la  remise  de  plusieurs  autres 


(1)  Reg.  D,  n*  1,  p.  195  (Archives  de  la  manicipalitô  de  Notre-Dame-da« 
TWl). 

(2)  La  grande  châsse  de  saint  Lucien  fut  brisée  à  coups  de  massue  dans 
régUse  Saint-Pierre,  en  1793,  par  on  nommé  Tourillon,  maître  maçoo, 
le  ipéme  qui  a  brisé  les  statues  des  portails  de  cette  église. 


656  HISTOIHB 

reliquaires  à  la  municipalité  de  Notre-Dame-du-Thil  pour  être 
conservés  avec  les  reliques  dans  Téglise  paroissiale.  Le  procès- 
verbal  de  délivrance  les  indique  en  ces  termes  (i)  : 

Une  cbâsse  en  figure  d'église  en  cuivre  doré ,  à  parUe  d'argent ,  conte- 
nant le  chef  de  saint  Lucien.  —  Un  petit  reliquaire  désigné  Maxilla  Joannis 
Baplistœ.  —  Un  reliquaire  en  forme  de  petite  cb&sse,  portant  sur  one 
traverse  De  Humero  Beati  Egidii;  et  au-dessous  Saccus  sericus  plenus 
multorum  ossiculorum.  —  Un  antre  reliquaire  en  forme  de  petite  cbâsse 
carrée ,  enrichi  de  pierres ,  couronné  de  deux  boules  de  cristal ,  sans 
aucune  inscripUon  apparente.  -—  Un  autre  grand  reliquaire  monté  sur 
un  large  pied  de  cuivre  et  présentant  six  angles  ou  faces  également  sans 
inscription  apparente.  —  Un  autre  reliquaire ,  dans  une  forme  approchant 
de  celle  d'un  grand  ciboire,  ayant  pour  inscription  De  CapiU  S^  Gemmtn 
Àntissiodorensis  Episcopi.  —  Un  petit  reliquaire  renfermant  un  ossement, 
et  au-dessous  pour  indication  De  Capiie  Beati  Bartholomei.  —  Un  petit 
reliquaire  en  forme  de  boite  ronde,  renfermant  un  petit  ossement,  avec 
rinscriplion  portée  sur  un  papier  également  renfermé  De  Capite  S^  Jfau- 
ricii  Martyris.  —  Un  autre  petit  reliquaire  plat  renfermant  une  dent,  sous 
un  cristal ,  sans  inscription.  —  Un  autre  en  forme  de  cœur,  de  cristal , 
sans  inscription.  —  Un  autre  en  forme  de  botte  longue,  sans  inscription. 

—  Un  autre  en  forme  de  bras,  avec  l'inscription  De  Brachio  ^  Andrew 
Apostoli,  —  Un  autre  en  forme  d'étui.  —  Un  autre  à  peu  près  de  la  même 
forme  enchâssant  une  petite  fiole  contenant  quelque  chose  de  rougeatre. 

—  Une  niche  de  cuivre  renfermant  une  figure  de  la  sainte  Vierge  portant 
dans  ses  mains  un  petit  reliquaire  avec  l'inscripUon  Beatœ  Mariœ  Mentelena, 
et  au  pied ,  dans  un  autre  petit  reliquaire  incrusté ,  Tinscription  De  Vesti- 
mento  Beatœ  Mariœ  Malris  Domini.  —  Une  urne  ou  cbAsse  en  bois  ren- 
fermant des  vêtements  de  saint  Lucien,  ainsi  qu'il  est  inscrit  sur  icelle.  — 
Plus  une  autre  cb&sse  en  bois  renfermant  des  reliques  de  saint  Do- 
noalde  [-2). 


(1  Archives  de  l'Oise.  —  Fonds  de  la  Révolution. 

(i)  En  1793.  on  retira  toutes  ces  reliques  de  leurs  châsses  et  on  les  jeta 
pêle-mêle  dans  un  puits  creusé  dans  l'église  de  NoIre-Dame-du-Thil,  sous 
la  chaire  à  prêcher.  Un  nommé  Tonnelller,  qui  assistait  à  cette  sacrilège 
exécution ,  eut  la  présence  d'esprit  de  marquer  de  plusieurs  signes  indélé- 
biles le  chef  de  saint  Lucien  avant  de  le  précipiter  dans  le  gouffre  ;  W  avait 
l'espoir  que  ces  marques  serviraient  à  faire  reconnaître  la  relique ,  si  des 
jours  meilleurs  permettaient  de  l'extraire  de  cet  endroit.  Son  expédient 
eut  tout  le  succès  qu'il  en  attendait.  Après  la  Révolution,  et  sur  seslndl- 


DE  L'ABBATB   ROTALB  DB  SÂlNT-LUCIEN.  657 

Le  dimanche  3  avril  suivant,  on  délivra  à  la  commune  de 
Fouquenies  Tun  des  reliquaires  qui  était  resté;  il  contenait  des 
reliques  de  plusieurs  saints.  Le  12  juillet,  on  délivra  également 
au  curé  de  Méru  une  partie  de  Tos  du  bras  de  saint  Lucien  et 
des  reliques  de  ses  compagnons  (i). 

Quelques  jours  plus  tard,  les  administrateurs  du  District  firent 
transporter  à  Beauvais  le  reste  de  Torfèvrerle  et  tous  les  linges 
et  ornements  de  la  sacristie ,  puis  les  livres  de  la  bibliothèque 
et  les  titres  du  chartrîer,  et  Ton  vendit  à  l'encan  le  mobilier 
dont  on  n'avait  que  faire. 

Le  ai  avril,  le  District  autorisait  Mlchel-Boisllsle  à  démolir  les 
quatre  côtés  du  cloître,  une  partie  des  b&timents  exposés  au 
levant  et  Véglise,  à  l'exception,  pour  le  moment,  de  la  tour  où 
étaient  les  cloches,  et  à  la  condition  de  payer,  avant  de  com- 
mencer, 24,951  1.  i6  s.  2  d.  Michel-Bolslisle  remplit  cette  clause 
et  mit  aussitôt  ses  ouvriers  à  l'œuvre.  On  commença  par  dé- 
molir les  cloîtres  et  quelques  petits  bâtiments,  puis  on  s'attaqua 
à  réglise.  Pourtant  il  ne  voulut  pas  donner  Toccasion  à  ses  ou- 
vriers de  manquer  de  respect  aux  cendres  des  morts  qui  repo- 
saient dans  cette  église ,  et  il  demanda  leur  exhumation  à  ré- 
voque. Massieu  Vy  autorisa  et  enjoignit  au  curé  de  NotreDame- 
du-Tliil  d'assister  à  cette  exhumation  et  nu  transport  des  osse- 
ments dans  le  cimetière  de  cette  paroisse.  Le  curé,  M.  Delamotte, 
s'y  prêta  religieusement,  et  la  translation  des  corps  exhumés 
eut  lieu  avec  décence,  le  jeudi  26  mai  1791  (2).  La  démolition 
continua  son  œuvre  :  qu'importait  l'art  à  ce  froid  négociant.  11 
ne  voyait  dans  tout  cela  qu'une  matière  à  bénéfices.  Les  quatre 
grosses  cloches  et  les  quatre  petites  furent  descendues  de  leurs 


cations,  od  rouvrit  le  puits  et  on  retrouva  facilement  la  tête  de  saint 
Lucien  au  milieu  des  autres  ossements.  On  la  retira  solennellement  et  on 
l'exposa  à  la  vénération  des  Qdèles. 

Les  cbâsses  avalent  été  envoyées  au  District  le  3  frimaire  an  II  (24  no- 
vembre 1793). 

(1)  Reg.  D,  n*  1%  p.  195, 200  (Arch.  de  la  municipalité  de  Notre-Dame-da- 
Thl!;. 

(2^  Ibidem,  p.  211,218. 


65ft        HISTOIR»  D«  L^bBAlTK  IlÔtAtË  hÈ  ÉAfHt-LtJGIBN. 

tours  pour  aller  être  brisées  au  Dislricl;  l'église,  cette  splenâide 
construction  des  âges  passés,  s'abattit  sous  les  coups  des  van- 
dales qui  ne  savaient  plus  rien  respecter,  et  ses  boiseries,  ses 
marbres  et  ses  pierres  furent  mis  en  vente  et  disséminés  aux 
quatre  vents  du  ciel.  Toute  l'abbaye  ne  périt  cependant  pas 
alors,  une  grande  partie  des  bâtiments  réguliers,  nouvellement 
construits,   furent   conservés;  mais  ils   devaient  disparaître 
comme  les  autres  en  1810.  Aujourd'hui,  les  moissons  jaunissent 
et  les  besUaux  paissent  en  leur  place.  Le  pied  heurte  encore 
parfois  quelques  vieux  débris  de  ces  anciennes  splendeurs 
comme  dans  un  cimetière  on  foule  les  ossements  de  ceux  qui  ne 
sont  plus.  Deux  massifs  de  maçonnerie  Informes,  arrachés 
défigurés,  derniers  restes  de  l'église,  sont  toujours  là  debout' 
sans  que  les  efTorls  de  l'homme  aient  pu  les  déraciner;  ils  s'élè- 
vent à  peine  au-dessus  du  sol  et  ressemblent  à  deux  tètes  de 
géants  sorties  de  la  tombe  pour  rire  des  tentatives  des  humains- 
on  dirait  qu'une  main  vengeresse  les  a  scellés  dans  ces  lieux 
dévastés. 

L'abbaye  de  Saint-Lucien  n'existe  plus,  et  ses  religieux  ne 
sont  plus;  comme  toutes  les  choses  de  ce  monde,  cette  grande 
institution  a  passé;  mais  11  nous  semble  que  la  pensée  de  ces 
religieux  plane  encore  et  veille  sur  ces  lieux.  Un  établissement 
ecclésiastique,  fondé  à  quelques  pas  de  leur  ancienne  demeure 
rappelle  leur  souvenir  en  perpétuant  leur  nom.  Ils  aimaient  la 
prière  et  l'étude,  et  dans  le  petit  séminaire  de  Saint-Lucien  des 
prêtres  instruits  et  pieux  consacrent  leur  vie  â  former  des  jeunes 
gens  à  la  prière  et  à  l'étude  et  â  préparer  des  lévites  pour  re- 
cruter le  sacerdoce.  Leur  œuvre  se  continue  avec  le  même  es- 
pnt,  mais  plus  développée,  plus  parfaite,  et  nous  dirions  presque 
plus  utile  pour  les  générations  qui  s'élèvent.  Honneur  et  recon- 
naissance  à  l'homme  éminent,  à  l'ecclésiastique  distingué  (i) 
qui  a  conçu  ce  rapprochement  et  qui  l'a  si  bien  exécuté. 


(1)  H.  rabbé  Bessiôre. 


TROISIÈME  PARTIE. 


CONSTITUTIONS,    RITES   ET   COUTUMES 

de   l'abbaye   do    Saint-Ltxcien. 


I.  -  LA  RÈGLE. 

Les  religieux  de  Saint-Lucien  suivaient  la  règle  de  saint  Be- 
noit (1).  Comme  celte  règle  a  toujours  dirigé  leurs  actes  depuis 
Torigine  de  leur  établissement  jusqu'ài  ses  derniers  jours,  nous 
croyons  devoir  en  donner  une  analyse  succinte. 

Elle  repose  toute  entière  sur  ces  trois  points  :  l'abnégation  de 
soi-même,  Tobéissance et  le  travail.  Le  travail,  et  surtout  le  tra< 
vail  manuel,  était  une  des  prescriptions  les  plus  strictes.  Saint 
Benoît  voyait  dans  ce  travail  un  ordre  de  Dieu,  une  expiation 
nécessaire,  et  surtout  un  puissant  remède  contre  la  tentation,  et 
il  le  rendit  obligatoire  dans  tout  son  ordre,  a  Ce  fut,  dit  M.  Gui- 
zot  (â),  la  grande  révolution  que  fit  saini  Benoit  dans  l'institu- 
tion monastique.  »  L'introduction  de  cette  prescription  Ot  des 
bénédictins  les  défricheurs  de  l'Europe,  et  y  créa  l'agriculture. 
Tant  que  les  religieux  restèrent  fidèles  à  ce  point,  leur  institu* 
tion  resta  florissante,  le  relâchement  ne  s'introduisit  qu'avec 
son  abandon. 


(1)  La  règlô  de  saint  Bénoft  a  été  mainte  folB  publiée,  avec  et  sans 
commentaires.  Le  plus  estimé  des  commentaires  est  celui  de  D.  Hartène  ; 
Paris,  1690,  in-4*.  On  peut  aassi  consulter  utilement  celui  de  D.  Calmet  ; 
Paris,  1734,  deux  vol.  in-4*. 

(2)  Oaizot  t  Hiêl  de  la  cMl.,  docudème  leçon,  p.  418» 


i 


660  HISTOIRB 

Avec  le  travail,  saint  Benoît  prescrivit  l'obéissance  passive,  et 
il  voulut  que  la  soumission  fut  prompte,  parfaite  et  absolue,  non 
seulement  aux  supérieurs,  mais  encore  aux  anciens  et  aux  autres 
religieux  (i).  Quand  le  supérieur  a  donné  un  ordre,  quelle  que 
soit  la  chose  commandée,  pourvu  qu'elle  ne  viole  pas  la  loi  di- 
vine, fût-elle  très-diflciie,  fût-elle  même  impossible,  le  religieux 
doit  obéir.  Il  a  le  droit  de  faire  remarquer  au  supérieur  la  rai- 
son de  l'impossibilité;  si,  malgré  son  observation,  celui-ci  per- 
siste dans  son  commandement,  il  doit  se  confier  à  l'aide  de 
Dieu  et  obéir.. 

L'abnégation  de  soi-même  fut  la  conséquence  nécessaire  de 
cette  obéissance  passive.  Quiconque  est  tenu  d'obéir  absolument, 
et  en  toute  occasion,  perd  toute  espèce  de  personnalité.  Aussi,  la 
règle  de  saint  Benoit  interdit-elle  formellement  toute  propriété, 
comme  toute  volonté  personnelle.  «  On  ne  doit  rien  donner,  dit- 
tt  elle,  ni  rien  recevoir  sans  l'ordre  de  l'abbé,  ni  rien  posséder 
a  en  propre,  soit  livres,  soit  tablettes,  SQit  stylets;  car  il  n'est 
a  pas  même  permis  aux  religieux  d'avoir  en  leur  propre  puis- 
«  sance  leur  corps ,  ni  leur  volonté.  «> 

Pour  être  conséquente  avec  elle-même,  la  règle  ne  laissait  rien 
à  rarbilraire,  elle  prévoyait  tout,  disposait  de  tout  et  pourvoyait 
à  tout.  L'emploi  du  temps  était  déterminé.  En  toute  saison,  on 
se  levait  à  minuit  pour  chanter  ou  psalmodier  les  Matines  et  les 
Laudes,  suivant  le  degré  de  solennité  de  la  fête.  On  retournait 
ensuite  à  sa  cellule  pour  y  prendre  quelque  repos  ou  vaquer 
à  la  prière  et  à  la  méditation.  Au  point  du  jour,  on  revenait  à 
l'église  pour  dire  Prime,  puis  on  se  rendait  à  la  salle  capitulaire 
pour  y  tenir  chapitre.  Dans  cette  réunion ,  le  lecteur,  après  avoir 
demandé  la  bénédiction  de  l'abbé,  lisait  le  martyrologe  ou 
faisait  connaître  les  noms  des  saints  dont  on  célébrait  la  fêle  le 
lendemain;  puis  donnait  lecture  d'un  chapitre  de  la  règle,  que 
le  prieur  commentait.  On  annonçait  ensuite  la  maladie  ou  la 
mort  des  moines  étrangers,  qui  leur  avaient  été  recommandés, 
ou  celles  des  bienfaiteurs  du  monastère.  C'est  alors  que  Von 
communiquait   aux  moines  ces  Rouleaux  des  morts  (â),  que 


(1)  ReguL,  c.  68,  71. 

(3)  M.  Léopold  Delisle  a  publié  plasienrs  de  ces  Rouleaux  avec  les 


DE  L'ABBATB  ROTALB  DB   SAINT-LUCIEN.  661 

les  diverses  églises  associées  s'envoyaient,  et  sur  lesquels  cha- 
cune d'elles  était  invitée  à  écrire  quelques  lignes  en  l'hon- 
neur des  défunts.  On  rappelait  les  noms  des  différents  monas- 
tères avec  lesquels  on  était  uni  par  aftlliation,  puis  avait  lieu  la 
ooulpe  ou  confession  publique  des  manquements  extérieurs  que 
chaque  moine  avait  commis  contre  la  règle.  Vers  dix  heures, 
Sexte,  messe  conventuelle  et  None.  Le  premier  repas  venait  alors. 
La  règle  avait  soin  d'en  prescrire  Tordre  et  la  composition.  Elle 
permettait  ensuite  quelques  instants  de  promenade  ou  de  ré- 
création en  commun;  après  quoi ,  on  se  mettait  au  travail  ou  à 
l'étude  jusqu'à  l'heure  des  Vêpres,  c'est-à-dire  vers  trois  heures. 
Après  les  Vêpres,  travail  et  étude  encore,  puis  le  second  repas, 
Compiles  et  coucher.  Primitivement,  tous  les  religieux  couchaient 
dans  un  dortoir  commun;  mais,  petit  à  petit,  l'usage  des  cellules 
particulières  prévalut. 

Pour  maintenir  les  moines  dans  l'humilité  et  l'abnégation 
demandées  par  saint  Benoit,  la  règle  les  obligeait  tour  à  tour  à 
servir  à  table,  à  faire  la  cuisine,  à  laver  la  vaisselle  et  à  remplir 
diverses  fonctions  à  l'église  et  au  chapftre. 

La  nature  et  la  forme  des  vêtements  n'étaient  pas  moins 
déterminées.  Chaque  religieux  devait  avoir  une  tunique  longue 
et  une  cuculle  ou  froc  plus  ample  que  la  tunique  et  faisant 
office  de  manteau;  le  tout  de  laine  commune  de  couleur  brune 
et  sans  recherche;  pour  le  travail  manuel,  il  mettait  un  scapu- 
laire  au  lieu  du  froc.  Aux  pieds,  il  avait  des  bas  de  chausse  et 
des  souliers  «  de  ceux  qu'on  pouvait  avoir  à  plus  vil  prix  (1).  » 

L'ameublement  des  cellules  portait  le  sceau  du  renoncement 
monastique.  Il  se  composait  d'un  siège  de  bois  ou  de  paille,  d'un 
prie-Dieu,  d'une  table  commune,  d'un  lit  garni  d'une  paillasse, 
d'un  matelas  léger,  et  de  deux  couvertures,  d'un  chandelier  de 
fer  ou  de  bois  et  de  quelques  images  de  piété. 

Les  peines  qui  servaient  de  sanction  à  la  règle  étaient,  d'abord 


mentions  qai  y  sont  inscrites,  dans  un  oarrage  Intitulé  Rouleaux  des 
moris  du  ix*  au  xv*  siècle.  L'abbaye  de  Saint-Laden  y  est  plusieurs  fois 
mentionnée. 

(1^  Reg.  c.  55. 


662  MI8T01B1 

l'excommunication  ou  séparation  du  délinquant  d'avec  lee  autres 
religieux ,  puis  les  pénitences  publiques  et  humiliantes,  les  pu* 
nitions  corporelles  comme  les  jeûnes  et  la  discipline  donnée 
par  les  frères,  et  enfln  l'expulsion  du  couvent. 

Telle  était  la  règle  qui  présidait  à  toutes  les  actions  des  reli- 
gieux de  Saint-Lucien.  On  trouvera  peut-être  que  le  travail  ma- 
nuel, prescrit  par  elle,  n'eut  pas  toujours  cliez  eux  la  plac«  et 
l'importance  qui  lui  furent  assignées.  Us  avaient  cela  de  com- 
mun avec  presque  toutes  les  abbayes  bénédictines ,  et  c'est  ce 
qui  motiva,  au  xii«  siècle,  la  grande  réforme  cistercienne.  Mais,, 
pour  être  juste ,  il  convient  de  faire  remarquer  que  ce  travail 
des  mains  ne    dut  s'appliquer  qu'aux  temps  où  les  moines 
n'étalent  pas  dans  les  ordres  sacrés  et  ne  faisaient  point  partie 
du  clergé  proprement  dit.  Lorsqu'une  fois  ils  furent  admis  à 
recevoir  la  prêtrise ,  le  respect  et  la  dignité  du  sacerdoce  et  des 
fonctions  cléricales  ne  leur  permirent  plus  de  se  livrer  avec  la 
même  assiduité  aux  travaux  matériels,  comme  la  population  des 
serfs ,  et  on  leur  substitua  les  travaux  de  l'intelligence.  Et  puis, 
il  est  facile  à  comprendre  que  ces  vastes  travaux  qui  avaient 
signalé  presque  partout  la  vie  cénobitique  à  son  origine,  alors 
que  les  moines  défrichaient  les  forêts  et  cultivaient  eux-mêmes 
leurs  solitudes,  ne  pouvaient  continuer  toujours  sur  la  même 
échelle.  Autour  des  monastères  se  groupèrent  des  populations 
laïques;  elles  formèrent  des  villages,  des  bourgs,  des  villes, 
remplis  de  serfs  et  de  cultivateurs,  qui  demandèrent,  pour 
vivre,  à  labourer  le  domaine  monastique.  Les  moines  ne  pou- 
vaient convenablement  repousser  leurs  demandes.  Que  seraient 
devenues  ces  agglomérations  croissantes,  si  les  religieux,  dont 
les  propriétés  allaient  toujours  en  augmentant,  se  fussent  ré- 
servé le  soin  de  leur  culture?  Ils  ne  le  firent  pas;  mais  après 
avoir  créé,  par  leur  exemple,  l'agriculture  bien  entendue ,  ils 
accensèrent  ou  affermèrent  leurs  terres  et  en  réglèrent  l'exploi- 
tation. Ainsi  tirent  les  moines  de  Saint-Lucien.  Pour  surveiller 
certains  groupes  agricoles ,  ils  fondèrent  des  prieurés  ou  es- 
pèces  d'établissements   réguliers  où  vivaient   plusieurs  reli- 
gieux ,  cinq  ou  six  au  moins,  qui  restaient  sous  la  dépendance 
de  l'abbé  et  devaient  lui  rendre  compte  annuellement  de  leur 
gestion. 


DE  L'ABBATK  RO¥iLî0  0B  SAINT  •LUCIEN.  Mi 

IL  -  PERSONNEL. 

t'Abbé.  •—  Le  gouvernement  des  monastères  offre  un  singulier 
mélange  de  liberté  et  de  despotisme.  L^autorité  suprême  est  aux 
mains  d'un  seul;  c'est  Tabbé,  à  qui  tous  les  religieux  doivent  une 
obéissance  passive.  Ce  dignitaire  est  électif;  il  doit  toujours  être 
choisi  par  les  frères.  Ce  choix  une  fois  fait ,  et  ratifié  par  Tévèque 
ou  par  le  pape,  l'obéissance  absolue  lui  est  due;  il  administre 
en  chef;  mais  pour  contrebalancer  son  autorité ,  il  lui  est  enjoint 
de  consulter  ses  moines  pour  toutes  les  affaires.  L'élection  des 
abbés  fut  abolie  par  le  concordat  de  François  I«>',  et  leur  nomi- 
nation fut  dévolue  au  roi.  Cette  innovation,  contraire  au  principe 
fondamental  de  la  règle  de  saint  Benoît,  ouvrit  Tère  désastreuse 
et  mortelle  des  commendes. 

L'abbé  de  Saint-Lucien  portait  crosse ,  mitre  et  anneau  par 
autorisation  du  pape  Alexandre  IV  (21  juillet  1260),  et  avait  le 
pouvoir  de  bénir  les  ornements  sacerdotaux  et  de  conférer  la 
tonsure  et  les  ordres  mineurs  à  ses  religieux  et  aux  clercs  qui 
dépendaient  de  lui.  11  occupait  la  première  place  après  l'évèque 
aux  synodes  diocésains,  et  marchait  toujours  avant  les  autres 
abbés. 

Les  abbés  réguliers  étalent  bénits,  après  leur  élection,  par 
l'évèque  de  Beauvais ,  et  ils  devaient,  à  cette  occasion,  faire  un 
présent  à  l'évèque  et  donner  au  chantre  de  la  cathédrale  quelque 
argent  et  un  porc  de  grosseur  raisonnable  {porcum  rationaJbilem), 

Le  Prieur,  —  C'était  le  second  dignitaire  du  monastère  ;  il 
secondait  l'abbé  dans  Tadministration  et  le  suppléait  en  son 
absence.  Le  siège  abbatial  vacant,  il  avait  toute  la  direction  de 
la  maison,  tant  au  spirituel  qu'au  temporel ,  jusqu'à  la  prise  de 
possession  du  nouvel  abbé.  Son  importance,  sous  les  abbés  com- 
mendataireS;  devint  encore  plus  considérable;  il  fût  à  peu 
près  le  seul  directeur  de  la  vie  spirituelle  de  la  communauté  et 
le  gardien  delà  règle.  Ces  abbés  n'avaient  ni  le  temps,  ni  la 
science  pratique  suffisante  pour  s'en  occuper,  et  le  prieur»  nom* 
mé  aussi  Grand-prieur  ou  Prieur-Claustral,  fut  le  Véritable 
supérieur  du  couvent.  C'était  un  abbé  intérieur,  qui ,  sans  en 
porter  le  nom,  en  avait  toutes  les  prérogatives  et  en  remplissait 
tous  les  devoirs.  Il  était  primitivement  à  la  nomination  de  l'abbé, 


66i 


HISTOIU 


et  il  devint  électif  sous  les  abbés  commenâataires ,  mais  sauf 
rapprobaUon  de  i'abbé,  qui  seul  le  mettait  en  possession  de  sa 
charge.  On  ne  choisissait  généralement,  pour  cet  offlce,  que  des 
hommes  remarquables  par  leur  science,  leur  fermeté  et  leurs  ver- 
tus. Nous  donnons  ici  les  noms  de  la  plupart  des  pneurs  qui  ont 
dirigé  la  communauté  de  Saint-Lucien  sous  les  abbés  commen- 
dataires  : 


D.  Nicole  Le  Caron  (1499). 
D.  Jean  Le  Gocq  (1533). 
D.  Mathieu  Lefebvre  (1545). 
D.  Yves  Le  Cuisinier  (1575). 


D.  Nicolas  Patin  (1619). 
D.  Yves  Hullot  (1633). 
D.  Pierre  De  La  Croix  (166â). 
D.  Germain  Auxcousteaux. 


PRIEURS  RÉFORMÉS. 


D.  Michel  Maillot  (1665). 
D.  Ant.  Bougier  (1670). 
D.  J.-B«*  de  Boulogne  (1680). 
D.  Alexandre  Du  Val  (1695). 
D.  Pierre  Kicher  (1699). 
D.  Pierre  Louet  (1707). 
D.  Michel  Housset  (1716). 
D.  François  L'Héritier  (1718). 
D.  Jean  Bourdet  (1720). 
D.  Vincent  Marchand  (1727). 
D.  Nicolas  Vignolle  (1731). 
D.  Jacq.-Nic.  Chrétien  (1734). 
D.  J.-B«'Robart(1737), 


D.  Jean  Rohault  (1744). 
D.  Jean -Paul  Du  Sault  (1747). 
D.  P.-L.  de  Gonfreville  (1748). 
D.  Hubert  Benoit  (1755). 
D.  Ant.-F«>»  Reynaud  (1757). 
D.  Ant.  Dormand  (1760). 
D.  AnL  Remy  aîné^(1767). 
D.  Et.-Hyac.  Trouvain  (1772). 
D.  Cl.-Marie  Hermaus  (1773). 
D.  Nic-Jos.  Rivart  (1784). 
D.  N.  Livian  (1787). 
D.  P.-F«»  Bazonnès  (1788). 


f^  Soui'Prieur  remplaçait  le  prieur  ea  cas  de  besoin,  et  jouis- 
sait, en  son  absence,  de  toutes  ses  attributions. 

Au  xiP  siècle,  avant  la  réforme.  Il  y  avait  un  tiers-prieur  qui 
suppléait  le  sous-prieur. 

Le  Grand-Prévôt  avait  la  surveillance  directe  des  officiers  de 
justice  du  monastère  ;  sans  rendre  lui-même  la  justice,  il  devait 
veiller  à  ce  qu'elle  tdi  rendue  le  plus  équitablement  possible.  H 
avait  sous  lui  un  bailli ,  un  procureur,  un  greffier,  des  hommes 
de  fief  dépendant  du  monastère,  et  des  sergents.  Cet  office  ou 
charge  avait  des  revenus  particuliers,  et  la  ferme  de  Noirémont, 
entre  autres  biens,  lui  fut  affectée  pendant  longtemps.  Le  car- 
dinal de  Chfttillon  le  supprima  au  xvi«  siècle;  mais  un  religieux, 


DE  l'âBBAYB  BOYALB  DB  SAINT -LUGIBN.  665 

D.  Du  Hamel,  s'en  fil  pourvoir  en  cour  de  Rome,  en  166i,  et  en 
revendiqua  l'exercice  et  les  revenus  contre  le  cardinal  Mancini. 
Les  agents  du  cardinal  offrirent  de  traiter  à  des  conditions  que 
D.  Du  Hamel  n'accepta  pas.  L'instance  continua  et  ne  fut  termi- 
née que  sous  Bossuet.  La  Grande-Prévôté  fut  alors  rétablie  (i). 
Voici  les  noms  de  quelques-uns  des  religieux  qui  ont  rempli 
cette  charge  : 

D.  Ancel  de  Bray  (1400).  D.  Nicolas  Le  Caron  (1489). 

D.  Euslache  Caque.  D.  Guillaume  Le  Page  (1515). 

D.  Jean  Boulie  (1458).  D.  Gilles  Toupin  (1524). 

D.  Jacques  Prévost  (1479).  D.  Du  Hamel  (1661). 

Le  Celhrier  avait  l'une  des  charges  les  plus  importantes  du 
monastère;  il  était  chargé  de  l'approvisionnement  des  magasins, 
de  la  fourniture  des  vivres  et  des  vêtements,  et  de  la  recette  des 
fermages  et  des  redevances;  c'était  l'économe  de  la  maison. 

Le  Trésorier  avait  soin  du  linge,  des  ornements,  du  mobilier, 
des  vases  sacrés  et  de  tous  les  objets  destinés  au  culte.  La  garde 
et  l'entretien  de  propreté  de  l'église  lui  étaient  confiés.  Il  tenait 
renfermé  dans  le  trésor  tout  ce  qui  était  rare  ou  précieux ,  et  ne 
devait  jamais  se  départir  de  la  surveillance  de  ce  dépôt. 

Nous  trouvons  dans  le  Cérémoniale  locale  regularis  monasierii 
Sancti  Luciani  Belvacensis,  ordinis  sancti  Benedicti,  congregationis 
sancti  Mauri^  1729  (2),  des  Instructions  pour  le  Trésorier  quand 
il  doit  montrer  les  reliques  à  des  visiteurs  : 

Il  faut  d'abord  condaire  au  chœar  les  personnes ,  y  est-il  dit ,  pour 
adorer  le  très-saint  Sacrement,  qui  est  la  première  de  toutes  les  reliques. 
Il  faut  ensuite  bien  montrer  les  trois  cb&sses  qui  sont  sur  le  mausolée 
dont  il  faut  faire  remarquer  i'arcbitecture.  En  1261 ,  le  dimancbe  dans 
l'octave  de  Pâques ,  farent  élevés  sur  ce  mausolée  les  corps  des  glorieux 
martyrs  saint  Lucien,  saint  Maxlen  et  saint  Julien,  en  présence  de  deux 
rois ,  de  plusieurs  princes ,  de  trois  évêques  et  de  grand  nombre  d'abbés. 

Il  faut  ensuite  faire  remarquer  que  c'est  sous  ce  mausolée  que  Tévêque 
de  Beauvais  vient  faire  sa  cérémonie  avant  de  prendre  possession  de 
son  évôcbé. 


(1)  Documents  du  cabinet  de  H.  le  comte  de  Herlemont. 
(i)  Ouvrage  in-4*,  manuscrit 


960  HISTOm 

U  Cuit  aprëi  montrer  le  tombeau  da  cardinal  Cliolet  et  faire  remarquer 
qoe  sa  statue  était  autrefois  d'argent  massif  de  grandeur  naturelle 
d'bomme ,  et  qu'elle  fut  vendue  en  l'an  1360.  sous  l'abbé  Aimery  Fulcanl^ 
pour  rétablir  l'église  et  le  monastère,  qui  avaient  été  pillés  et  ravagés 
par  les  Anglais.  Les  émaux  du  mattre-autel  ont  été  tirés  de  ce  tombeau. 

Il  faut  ensuite  montrer  le  grand  candélabre  où  l'on  volt  la  figure  de 
saint  Lucien  revêtu  de  ses  babits  pontificaux  et  cette  inscription  Hœ  ob- 
tuU  sancto  Wascelinus  Luciano.  Ce  candélabre  est  du  xu*  siècle.  (Il  n'y 
est  plus,  a  été  ôlé  entre  1720  et  1730.) 

Il  faut  ensuite  montrer  les  cbaires  ou  stalles  du  chœur,  qui  ont  été 
commencées,  en  U92,  par  ordre  d'Ant.  Du  Bois ,  premier  abbé  comraen- 
dataire ,  aussi  bien  que  le  Jubé ,  et  achevées  en  1500.  On  voit  sur  les 
cbaires  tons  les  arts  imaginables  :  la  vie  de  saint  Antoine ,  les  figures  de 
l'Ancien  Testament  du  côté  de  l'épttre,  et  la  vie  de  saint  Lucien  du  côté 
de  l'évangile.  Le  travail  du  jubé  et  des  cbaires  est  fort  estimé  pour  sa 
délicatesse. 

Après  avoir  fait  voir  le  cbœur,  il  faut  venir  au  trésor  et  allumer  un 
cierge  devant  les  saintes  reliques ,  que  l'on  montrera  en  commençant 
par  l'armoire  du  milieu  et  en  observant  Tordra  du  catalogue. 

Le  Chantre  avait  la  direction  des  cérémoDies  et  du  chant  aui^ 
offleea  et  devait  prendre  aoin  4e  faire  observer  lea  prescriptiona 
de  la  liturgie,  et  de  dreaaer,  tous  les  samedis,  la  liste  des  foner 
tionnaires  de  semaine. 

L'Infirmier  soignait  et  surveillait  les  malades. 

Vffôtefier  recevait  les  voyageurs,  les  indigents  et  les  mal^ 
heureux  qui  venaient  demander  l'hospitalité.  Il  devait  les  ac- 
cueillir avec  bonté,  leur  donner  gratuitement  le  logement,  la 
nourriture  et  le  coucher,  et  à  leur  départ  il  garnissait  leur  escar- 
celle de  provisions  pour  la  route.  Il  était  aussi  chargé  des  au- 
mônes; mais  il  laissait  souvent  ce  soin  au  Portier^  qui  l'aidait 
dans  ses  fonctions  charitables.  On  sait  avec  quelle  abondance 
les  aumônes  étaient  distribuées  à  Saint-Lucien;  le  monastère 
était  la  providence  de  tout  le  pays,  et  Ton  ne  se  privait  pas  d'en 
nser.  Non  seulement  les  mendiants ,  mais  les  ouvriers  peu  aisés 
pouvaient  se  présenter  à  la  porte;  ils  étaient  toujours  sûrs  d'y 
trouver  leur  repas  et  des  secours ,  avec  une  bonne  parole. 

Le  Dépositaire  veillait  sur  le  temporel  de  la  maison. 

Le  Procureur  était  chargé  de  passer  les  contrats  et  de  pour* 
suivre  les  actions  Judiciaires. 

Le  Bibliothécaire  avait  sous  sa  dépeodimc^  la  t)ibliotbégiie  et 


DB  L'ABBATB  BOTâLB  M  SAINT-LUGIBIf.  667 

les  archives,  et  devait  prendre  soin  de  leur  conservation  et  de 
leur  classement. 

Le  Madré  de  Vordre  était  directeur  des  novices. 

Il  y  avait  en  outre  des  professeurs  de  théologie  et  de  philo- 
sophie chargés  d'instruire  les  novices  et  les  jeunes  moines. 

Un  noviciat  d'un  an  au  moins  était  prescrit  à  toute  personne 
qui,  n'ayant  pas  fait  profession  dans  une  autre  maison  du 
môme  ordre,  demandait  à  (aire  partie  de  la  communauté. 

III.  —  LITURGIE. 

L'abbaye  de  Saint-Lucien  suivait  la  liturgie  bénédictine  avec 
des  modifications  empruntées  à  celles  de  Beauvais.  Son  calen- 
drier des  fêtes  ne  différait  de  celui  de  Tordre  que  par  les  offices 
propres  à  la  maison  où  à  la  ville  de  Beauvais. 

Nous  mentionnerons  cependant  certaines  particularités  con- 
signés au  Cérémoniale  locale,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut; 
nous  les  avons  trouvées  assez  curieuses  pour  n'être  point  passées 
sous  silence.  Nous  citons  le  texte  même  dans  toute  sa  naïveté  : 

Le  jour  de  rBpipbanie ,  les  religieux  de  Saint-Qaentin  viennent  rendre 
hommage  à  l'abbaye  par  une  offrande  de  10  sols  parlsis  qa'un  d'entre 
eux,  prêtre  et  non  convers,  apporte  en  habits  d'ét^.  C'était  autrefois 
pendant  le  Magnillcat,  après  les  encensements  da  célébrant,  qu'il  portoit 
cette  offrande  sur  le  grand  autel  ;  mais  comme  il  arrivoit  souvent  qu'on 
chantoit  alors  le  verset  DeposuU  patentes  de  sede,  poar  ne  pas  donner 
occasion  au  peuple  de  croire  que  cette  offrande  éloit  attachée  à  ce  verset, 
qai  est  humiliant ,  ils  se  sont  avisés ,  depuis  plusieurs  années ,  de  la  faire 
en  un  autre  temps.  Ils  la  font  au  commencement  des  Vespres.  ce  qu'ils 
peuvent  faire ,  selon  le  dernier  arrest  du  Grand  Conseil ,  qui  marque 
seulement  qu'ils  feront  cette  cérémonie  à  i'beure  des  Vespres.  L'offrande 
faite ,  le  chanoine  régulier  monte  dans  les  hautes  chaires ,  du  côté  de 
l'Epitre ,  et  le  bedeau  doit  lui  faire  faire  place.  Le  thuriféraire  doit ,  ce 
Jour-là ,  encenser  jusqu'au  bout  des  chaises.  Le  chanoine  régulier  n'est 
obligé  de  rester  an  cbœur  que  Jusqu'après  le  Glaria  Patri  du  Magnificat. 
Il  faut  remarquer  qu'avant  de  mettre  son  offrande  sur  l'autel ,  il  a  cou- 
tume de  se  mettre  à  genoux  sur  le  marchepied ,  où  il  fait  une  petite 
prière ,  puis  ii  baise  raatel  et  met  les  10  sols  parlsis.  Après  Tespres ,  il 
va  se  dévestir  dans  la  sacristie .  où  il  s'est  bablUé  de  ses  babUs  d'été , 
ensuite  le  R.  P.  prieur  de  Saint-Lucien  le  salue  et  le  conduit  à  la  salle 
pour  se  chauffer  et  lui  fait  faire  collation  que  rhôtellier  doit  avoir  pré- 
parée avant  Tespres. 


668  HfSTOlRl 

Le  1*  mal  :  Elévalion  des  corps  de  saint  Laden ,  saint  M axien  et  saint 
Julien,  l**  classe  avec  octave.  Avant  les  premières  Yespres ,  Ton  expose 
en  bas  du  candélabre  la  cbâsse  de  saint  Lucien  et  on  Tome  de  fleurs  le 
joar  de  la  feste,  au  matin,  lesquelles  on  renouvelle  tous  les  dimanches. 
Cette  cbâsse  est  exposée  tout  le  mois  de  mai  pour  satisfaire  la  dévotion 
du  peuple ,  qui  y  vient  pendant  tout  le  mois  pour  gagner  des  indulgences. 
Il  y  a  procession  en  cbapes  avant  la  grand-messe  comme  le  jour  de 
P&ques.  Le  sermon  se  fait  après  les  Yespres.  Les  huissiers  et  officiers  de 
l'abbé  ont  coutume  de  mettre  dans  l'église  des  arbres  appelés  mats  et 
quantité  de  branches  qu'on  y  laisse  quelques  jours.  Pour  satisfaire  la 
dévotion  du  public ,  le  trésorier  ou  le  sacristain ,  ayant  Tétole  au  col, 
donne  l'anneau  de  saint  Lucien  à  baiser,  en  disant  Sancte  lucitme  ora 
pro  eo  ou  eâ,  étant  à  la  balustrade  du  trésor,  et  un  autre  religieux  dit 
des  évangiles  sous  le  tombeau  de  saint  Lucien. 

19  mai  :  Fête  de  saint  Yves ,  double  de  la  fondation  de  D.  Yves,  cuisi- 
nier, grand  prieur  de  céans.  Il  est  de  précepte  quant  aux  religieux.  On 
allume  un  cierge  devant  la  statue  de  saint  Yves ,  dans  la  nef. 

23  juin  :  Yeille  de  la  saint  Jean-Baptiste ,  on  nous  apporte  de  la  cathé- 
drale onze  petits  cierges  sous  le  titre  de  Yieux-Ëtats  :  on  donne  pour  cela 
au  porteur  ^  sols  6  deniers.  Aux  premières  Yespres  et  à  la  messe  de  saint 
Jean ,  on  allume  ces  cierges ,  cinq  d'un  côté  et  six  de  l'autre. 
21  octobre  :  Dédidace  de  l'égli&e  de  l'abbaye. 
A  toutes  les  fôtes  de  la  Sainte-Yierge ,  il  y  a  messe  solennelle ,  avec 
premières  vêpres  la  veille ,  à  la  chapelle  de  Miauroy. 

13  février  :  Service  solennel  des  trépassés  pour  les  rois  Cbiipéric  et 
Cbarles-le-Chauve  et  pour  tous  les  autres  bienfaiteurs  du  monastère. 

Le  mercredi  des  cendres ,  on  va  en  procession  à  Tégllse  de  Notre- 
Dame-du-Thll,  où  on  porte  les  cendres  qui  doivent  être  distribuées.  On 
y  va  encore  au  dimanche  des  Rameaux ,  et  ce  jour  là  les  religieux  doi- 
vent le  past  ou  diner  au  curé  et  à  son  vicaire. 

25  avril,  saint  Marc  :  Procession  à  l'église  collégiale  de  Saint-Laurent 
de  Beauvais. 

Aux  Rogations  :  Lundi ,  procession  à  l'église  du  prieuré  de  Saint-Maxien 
Montmille)  ;  chemin  faisant,  on  stationne  à  la  chapelle  de  Miauroy.  Après 
la  messe  au  prieuré,  toute  la  communauté  déjeune  aux  frais  du  prieur  de 
Saint-Maxien.  (Dictisquedemoreprecibus,  dit  un  autre  Cérémonial  (1),  in- 
greâimur  in  Prioratum  uM  paratum  est  jentaculumf  quod  nobis  dehetwr 
et  omnibus  offlciariis,  quiproce8sioniinter8unt,aPrioreSancti-Maxiani,J 
—  Mardi,  procession  à  la  cathédrale,  tandis  que  le  chapitre  c&thédral 


(1)  Cérémonial  de  1759. 


DB  L'ABBâTS  royale  DE  SAINT-LUGIBN.  669 

vient  à  l'abbaye.  —  Mercredi,  procession  k  Téglise  de  Notre-Dame-da- 
Thil. 

Le  jour  de  l'Ascension,  procession  à  l'abbaye  de  Saint-Qaentin.  Les 
religieux  de  ce  monastère  viennent  au  devant  de  ceux  de  Saint-Lucien 
jusqu'au  pont  des  Quatre-Vents.  A  la  rencontre ,  les  deux  prieurs  encen- 
sent réciproquement  les  reliques  apportées  et  la  communauté  l'un  de 
l'autre,  et  l'on  se  rend  à  Saint-Quentin,  les  religieux  de  Saint-Lucien 
marchant  à  la  droite  des  chanoines  réguliers  (1). 

Le  samedi  dans  l'octave  de  l'Ascension ,  veille  de  la  fête  des  Corps- 
Saints  ,  avant  vêpres ,  procession  à  la  chapelle  du  cimetière  de  Notre- 
Dame-du-Thll  (2}.  Le  curé  de  la  paroisse  y  assiste,  tenant  à  la  main  un 
bouquet  de  fleurs ,  et  y  porte  la  châsse  des  vêtements  des  saints  martyrs. 
Le  soir,  on  met  la  châsse  en  dépôt  dans  l'église  de  Notre-Dame-du-Thil. 

Le  dimanche  dans  l'octave  de  l'Ascension ,  fête  de  l'Invention  du  tom- 
beau et  des  vêtements  de  saint  Lucien  et  de  ses  compagnons  martyrs, 
appelée  fête  des  Corps-Saints  :  Procession  à  la  chapelle  du  cimetière  et 
office  solennel,  avec  sermon  par  le  trésorier,  dans  l'église  de  Notre. 
Dame-du-Thil,  tandis  que  le  chapitre  et  la  paroisse  de  Saint-Laurent  de 
Beau  vais  viennent  en  procession  â  l'abbaye  et  y  chantent  la  messe. 

Le  mardi  de  la  Pentecôte ,  la  paroisse  de  la  Madeleine  de  Beauvais 
vient  aussi  en  procession  à  l'abbaye. 

Le  27  juin ,  après  Tierce  :  Procession  pour  la  délivrance  de  la  ville. 

Le  12  août  :  Procession  pour  la  réduction  de  la  Normandie,  en  1450. 

Le  15  août  :  La  communauté  se  rend  à  la  cathédrale  pour  la  procession 
générale  par  la  ville. 

Obits  et  fondations  pieuses,  —  La  charité ,  la  reconnaissance 
et  la  justice  faisaient  souvent  une  obligation  aux  moines  de 
Saint-Lucien  de  réciter  des  prières  et  de  célébrer  des  offices  pour 
le  repos  des  âmes  de  leurs  bienfaiteurs.  La  plupart  du  temps 
c'était  Toflice  des  morts,  avec  nocturnes  et  messe,  qui  se  disait 
au  jour  anniversaire  de  la  mort  du  bienfaiteur,  d'où  le  nom 


il)  Quelques  notes  sv/r  la  royale  abhaye  de  Saint-Lucien,  par  Tabbé 
Eug.  Mûller  fMém.  de  la  Société  Académique  de  l'Oise,  t.  vi ,  p.  84}. 

(2)  Cette  chapelle,  bâtie  d'abord ,  en  1538,  par  Pasquier  Lévesque,  pour 
remplacer  la  feuiliée  ou  reposoir  de  feuiUage  que  l'on  dressait  en  cet 
endroit  la  veille  de  la  fête  des  Corps-Saints  pour  y  recevoir  la  châsse 
des  vêtements  des  saints  martyrs ,  fut  reconstruite ,  en  1638,  par  Laurent 
Lévesque,  sieur  de  Laroque,  premier  exempt  des  gardes  du  roL  (Graves  : 
Statut,  du  canton  de  Bewuvais,  p.  224.  —  M»  Fanny  Denoix  :  Yariétés). 
T.  YIll.  44 


670  HISTOIRE 

û'Obit  {in  die  obitûs)  donné  à  ces  prières.  Un  tableau  ou  un  ca- 
talogue en  forme  de  registre,  appelé  Obituaire^  portait  inscrits  la 
date  et  le  motif  de  chacun  de  ces  obits,  avec  Tindication  de  la 
solennité  qu'on  devait  lui  donner. 

Un  fragment  d'un  obituaire,  du  xiv«  siècle,  relatait  ainsi  les 
obits  qui  sa  faisaient  alors  à  Saint-Lucien  (i  )  : 

Janoar.  m  non.  WarinuSt  monac.  nost,  fibbas  ^  Symphoriam. 
YU  idas.  Àntelmus,  abbas. 

Id.  HonaratM,  eps.  —  Drogo  de  Roya  monaçhus  ad  suceur" 
rendum* 
Fet>r.  xiT  cal.  Jokamnes  de  Bullû ,  monaehus. 

xil  cal.  DomifHM  OudardM  miles  de  NoinkUOt  dictm  ChoUet. 
XI  cal,  Johcmnes  de  Maroles^  amUger, 
XI  cal.  Jokannes,  seneschalus  de  Juvignies, 
X  cal.  Tetboldus  cornes,  qui  dédit  nobis  villam  de  MaUers. 
X  cal.  Joscelvms,  precentor  eccUsie  Belvacensis, 
il  cal.  Valdericus  archidiaconus. 
VII  idas.  Hugo  ckricus  et  decanus. 
MarUi  XIII  cal.  Simon  succentor  ecclesie  Belvacensis. 
vil  cal.  DomiMU  Yillehmus  de  Grez,  eps,  Belv^ 
VI  cal.  Jacobus  de  ChambUaco,  abbas. 
VI  cal.  Robert  Des  Quennes,  abbas, 
IV  cal.  Hugo  de  Sa/ncto  Victore,  qui  dedU  nobis  eaUcem. 
III  idas.  Odo  com^,  qui  dédit  nobis  medietatem  vinee  et  terre  in 
subwrbio  Belvac. 
Il  idai  Renoldus,  canonious  S"  Pétri,  qui  dédit  nobis,  xt  sol, 
pro  eapsis. 
iprilis  IV  cal.  Hugo  abbas  eluniacensis,  qui  fUit  abbas  hujus  Eeelesie. 
VI  idas.  Vamerus  Vicedominus  (de  GerboredoJ. 
Jalil  X  cal.  Aerfridus  cornes,  qui  dedU  nobis  medietatem  ville  Saneli 

Luciani. 

Un  Obituaire  du  xviii«  siècle  (â)  indiquait  ainsi  les  obits  et 
fondations  de  cette  époque  i 

Février  5.  Obit  de  D.  Pasquier  de  Moncby.  soos-prienr  et  chantre. 
7.  ObU  de  D.  Yves  Mallot ,  priear,  qui  a  donné  600  1. 


(1)  Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Mèrlemont*  ^  Mas.  de  Saint-LaoieD,  p.  0. 
(9)  Ibid,,  p.  7  et  8. 


DE  L'ABBATE  ROTALB   DE   SAINT-LUCIEN.  671 

Février  13.  Obit  des  rois  Cbilpéric  et  Charies-le-Cbaave  et  autres. 
24.  Obit  de  D.  Nicolas  Patin,  prieur, 
Mars  27.  Obit  de  Pierre  Carcireax ,  receveur  de  l'évécbé. 

Un  des  jours  de  la  semaine  de  la  Passion ,  obit  d'Odon  de 

Gou vieux,  abbé. 
Fondation  du  salut  de  Pâques  par  D.  Guillaume  de  Fon- 
taine .  trésorier. 
Mai  11.  Fondation  de  la  messe  de  saint  Nicolas  par  Nicolas  Patin, 
prieur,  qui  a  donné  6  1.  5  s.  de  rente. 
20.  Fondation  de  la  messe  de  saiiit  Yves  par  Yves  Cuisinier, 

prieur. 
...  Obit  de  D.  Jean  Boulie,  sous-prieur. 

Un  des  jours  après  la  Trinité,  obit  de  Florimond  de  fillers- 
Saint-Paul,  cberalier. 
Juillet  5.  Obit  de  D   Nicolas  Le  Caron ,  prieur. 
10.  Obit  de  Nicolas  Danse. 
Août  2.  Obit  du  cardinal  Jt*an  Cbolet. 

30.  Fondation  d'une  messe  pour  Raoul  de  Roye ,  abbé. 
Septembre  10.  Obit  de  M*  Pajot,  conseiller  au  présidiai  de  Beauvais,  qui 

a  donné  600  l. 
Novembre  15.  Obit  de  Tbibault  Dargllle. 

25.  Fondation  de  la  messe  de  sainte  Catherine. 
Décembre  d.  Obit  de  Jacques  Regnard ,  trésorier  de  Saint-Quentin ,  qui 

a  donné  23  l.  de  rente. 
Avent,  S*  sem.  Obit  de  Raoul  de  Villers,  abbé. 
Obit  de  Godefroi  de  Billy,  abbé. 
4*  sem.  Obit  de  Jean  de  Yillers ,  abbé. 
Ctiaque  semaine,  quatre  messes  pour  Marie  de  Saisement,  «n  son 
vivant  épousa  de  Pierre  De  l'Eau,  bourgeois  de  Saint*Denls.  Elle  a  donné 
4.000  1.  le  19  février  1700. 
Au  premier  jour  vacant ,  obit  de  D.  Jean  Péeoul. 
Cinquante  messes  à  différentes  époques  pour  Nicolas  Danse. 

Nous  ne  parlerons  pas  des  cérémonies  en  usage  pendant  les 
offices,  aux  processions,  aux  enterrements  des  abbés,  des  reli- 
gieux et  des  autres  personnes  qui  désiraient  être  Inhumées  dans 
Tabbaye.  Ces  détails  pourraient  paraître  fastidieux,  et  nous 
nous  contentons  de  renvoyer  au  Cérémonial  local  du  monastère 
de  1789  (1). 


(1)  Ce  Cérémonial ,  rédigé  en  1759,  est  divisé  en  sept  cbapitres  et  n*est 


672  HISTOIRl 

IV.  -  RELIQUES. 

Les  reliques  conservées  dans  l'abbaye  de  Saint-Lucien  étaient 
fort  nombreuses ,  et  Ton  a  déjà  pu  s'en  faire  une  idée  par  les 
inventaires  de  la  Révolution,  qui  en  ont  mentionné  une  grande 
partie.  Nous  en  donnons  ici  une  nomenclature  plus  complète  à 
raide  d'un  état  dressé ,  au  xvii«  siècle ,  par  D.  Porcheron ,  et  de 
divers  autres  documents. 

Le  corps  de  saint  Lucien  était  renfermé  dans  une  grande 
cbàsse,  dont  nous  avons  donné  ailleurs  la  description,  et  de- 
meurait exposé  au-dessus  du  mattre-aulel.  Sa  tète,  enfermée 
dans  un  globe  d'argent  doré,  reposait  dans  un  grand  reliquaire 
de  cuivre  doré,  orné  de  douze  figurines  de  vermeil,  véritable 
œuvre  d'art.  Les  corps  des  saints  Maxien  et  Julien,  compagnonis 
martyrs  de  saint  Lucien,  étaient  dans  deux  autres  châsses  expo- 
sées aussi  au-dessus  du  mattre-autel ,  l'une  à  droite  et  l'autre  à 
gauche  de  celle  de  saint  Lucien.  Un  autre  reliquaire  renfermait 
les  vêtements  de  ces  saints  martyrs.  Ces  vêtements  consistaient, 


qae  le  supplément  d'un  aatre  composé  en  1739.  Il  est  resté  manuscrit.  En 
voici  la  disposition  : 

Cap.  I  De  feslis  moHlihus  (p.  1-30)  —  De  processionibus  Rogationum  — 
cathedralis  ecclesiœ  ■—  ad  parrochiam  B,  Mariœ  de  TiUâ  —  ad  Sanctum- 
QuinUnum  —  Sancti-Laurentii  —  Sanctœ-Magdalenœ  —  t^  sokmnUate 
SS.  Corporia  Christi. 
Cap.  II.  De  festis  immobilibus. 

Cap.  m.  De  alUs  ca^emoniU  quœ  per  antvuni  soient  occurrere  —  de 
fundationibus, 

Gap.  IV.  De  cœremomis ,  quœ  contingenter  adveniunl.  —  Dh  primo  et 
solemni  adventu  BelvacensiSf  episcopi.  —  De  ritu  quo  àbbas  commenda^ 
tarins  in  possessionem  mittitw,  —  De  obUu  episcopi  Belvacensis,  principis 
vel  principissœ  —  De  obitu  ahbatis  commendatarUt  ^  monachi  Sancti" 
Luctani,  •—  canonici  regularis,  SancU-Quintini,  —parochi  SafUSti-QuinUni, 
—  parochi  B.  Mariœ  de  Tiliâ,  —  honeetiorum  B.  Mariœ  de  TiUâ,  —  co- 
nonici  eccleeiœ  cathedralis. 

Cap.  V.  De  luminari  ecclesiœ. 

Gap.  VI.  De  ordine  pulsandi  campanas. 

Gap.  VII.  De  capellâ  B.  Mariœ  de  Miawroy. 


DE  l'abbaye  BOYALE  DE  SAINT-LUCIEN.  673 

d'après  un  procès-Yerbal  d'ouYerture  de  la  châsse,  fait  en  17^  (1) 
par  D.  Redon,  Yisiteur  de  la  congrégation  : 

En  un  morceaa  de  linge  carré  ensanglanté,  de  la  grandeur  d'une  ser- 
Yfette  ;  un  autre  morceau  de  linge,  plissé  par  le  haut  et  fort  large  par  le 
bas,  d'une  toile  assez  grosse;  un  amict,  en  forme  de  capuchon,  de  fa- 
taine  blanche;  un  linge  d'euYlron  une  aune,  ensanglanté ,  à  peu  près 
comme  une  petite  nappe  de  communion  ;  un  linge  carré  d'une  demi-aune, 
très-fln,  parsemé  de  croix,  d'oiseaux  et  de  plusieurs  autres  figures;  la 
moitié  d'une  manche  d'aube  ;  un  grand  morceau  de  linge,  d'euYiron  une 
aune  et  demie ,  ayant  un  petit  capuchon  semblable  à  celui  des  éYÔqnes 
et  des  boutons  de  toile  sur  le  bord ,  depuis  le  haut  jusqu'au  bas  ;  un 
morceau  de  linge  en  façon  de  digiterge  ;  un  grand  linge  d'une  aune  et 
demie,  de  toile  assez  grosse,  et  divers  autres  morceaux  de  linge  et  d'é- 
tofTe ,  sans  caractère  appréciable. 

L'abbaye  possédait  en  outre  un  anneau  pa^storal  dit  anneau  de 
saint  Lucien.  On  conservait  aussi  plusieurs  morceaux  de  la  vraie 
croix  du  Sauveur,  enchâssés  dans  une  grande  croix  patriarcale 
d'argent  doré  ;  deux  épines  de  sa  couronne  ;  des  morceaux  des 
cordes  dont  il  fut  lié  ;  du  coton  (2)  dont  ses  plaies  furent  net- 
toyées ;  du  précieux  sang;  une  partie  dala  pointe  d'un  des  clous 
dont  Jésus-Christ  fut  attaché  à  la  croix  (le  cardinal  de  Bourbon 
en  avait  emporté  la  moitié  en  Normandie)  ;  de  la  crèche  et  du 
sépulcre  de  Notre-Seigneur;  du  lait,  des  vêtements  et  du  sé- 
pulcre de  la  Vierge  Marie;  du  chef  de  saint  Barthélémy;  du  chef 
de  saint  Germain  d'Âuxerre ,  avec  deux  étoles  et  un  manipule 
dont  il  s'est  servi  ;  un  ossement  du  bras  de  saint  André;  un  os- 
sèment  du  bras  de  saint  Léger;  évèque  d'Autun;  plusieurs  osse- 
ments des  saints  Innocents;  un  ossement  d'un  des  compagnons 
de  saint  Denis  ;  des  reliques  de  saint  Valéry,  de  saint  Siméon-le- 
Jusle,  des  saints  Gervais  et  Prothals;  de  la  ceinture  de  saint 
Jean-Baptiste;  celle  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry  ;  un  osse- 
ment d'une  des  onze  mille  Yierges;  une  côte  de  saint  Benoit; 
une  épaule  de  saint  Gilles;  un  ossement  de  saint  Boniface,  mar- 
tyr; de  l'huile  qui  coulait  du  tombeau  de  saint  Nicolas,  à  Bari, 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abbaye  de  Saint-Lucien, 

(2)  Nous  ne  jugeons  pas  l'authenUcité  de  ces  reliques ,  nous  constatons 
seulement  la  foi  qu'on  y  ajoutait  à  l'abbaye. 


674  HISTOIRE 

rapportée  par  Nicolas  Fumée,  évèque  de  Beauvais;  un  petit 
ossement  du  clief  de  sainte  Cécile^  donné  par  le  cardinal  Cholet; 
le  menton  de  sainte  Anne;  des  reliques  de  sainte  Marie-Madeleine, 
de  saint  Maurice,  de  saint  Malo;  des  vêtements  de  saint  Paul; 
des  ossements  de  saint  Félix,  martyr,  de  saint  Christophe ,  de 
saint  Alexandre,  pape,  de  saint  FaJ)ien,  de  saint  Sébastien; 
trois  dents  de  sainte  Affre;  deux  os  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul;  un  os  de  saint  Aubin;  des  reliques  de  sainte  Marie-Egyp- 
tienne, de  saint  Marcel,  pape  et  martyr,  de  saint  Evrost,  de 
saint  Germer,  de  saint  Clair,  de  saint  Denis,  de  saint  Grégoire- 
le-Grand,  de  saint  Crescence,  de  saint  Pancrace,  de  saint  Pie- 
nor,  de  saint  Fiacre,  de  saint  Etienne,  de  saint  Césaire,  de  saint 
Lambert,  de  saint  Arnoult,  de  sainte  Dorothée;  un  morceau  de 
la  verge  d'Aaron;  un  morceau  de  la  table  sur  laquelle  Jésus- 
Christ  fit  la  cène,  eUe  corps  de  saint  Donoald  ou  Dinault^  ap- 
porté de  Milly  lors  de  la  ruine  de  l'église  par  les  Anglais. 

Toutes  ces  reliques  ont  à  peu  près  disparu  à  la  Aévolution  ; 
nous  avons  dit  comment  et  de  quelle  manière  le  chef  de  saint 
Lucien  a  pu  être  sauvé ,  nous  n'y  reviendrons  pas. 


V.  -  JURIDICTION  SPIRITUELLE. 

Comme  la  plupart  des  monastères,  l'abbaye  de  Saint  Lucien 
étendait  sa  juridiction  sur  un  certain  nombre  de  prieurés  qu'elle 
avait  fondés  ou  qui  avaient  été  mis  sous  sa  dépendance,  et  sur 
plusieurs  églises  paroissiales  ou  chapelles  dont  elle  nommait  les 
curés  ou  chapelains. 

Les  prieurés  qu'elle  eût  sous  sa  juridiction  furent  : 

i<*  Le  prieuré  de  Saint  Martin  d'Auchy  lès-Aumale,  fondé  et 
donné  à  l'abbaye  de  Saint- Lucien  par  Etienne,  comte  d'Auraale, 
en  1096,  et  érigé  en  abbaye  par  Guillaume  d'Aumale,  fils  d'Etienne, 
en  1130.  Il  eut  alors  une  existence  indépendante. 

^  Le  prieuré  de  Saint-Maxien,  fondé  par  l'abbaye,  au  xi«  siècle, 
sur  le  coteau  de  Montmille,  près  du  lieu  où  fut  martyrisé  saint 
Lucien ,  et  sur  le  tombeau  de  ses  deux  compagnons.  C'était  un 
bénéfice  considérable  ayant  des  terres  et  seigneuries  à  Fouque- 
nies,  Pierreûtte,  Herchies,  Penthemont,  Ons-en-Bray,  Savignies, 
Auchy-en-Bray,  etc.  Le  prieur  nommait  aux  cures  de  Fouquenies 


DK  L'ABBAYB  ROTAU  DB  SAINT-LUCIEN.  676 

et  de  Saint-Ju8t-des  Marais.  Ce  prieuré,  dit  M.  Graves  (i),  était 
possédé,  en  1354,  par  le  cardinal  de  Boulogne,  qui  le  résigna 
deux  ans  après,  au  profit  de  l'abbaye,  moyennant  une  pen- 
sion de  160  livres.  Un  décret  du  17  mars  1688  le  sépara  de  l'ab- 
baye de  Saint-Lucien,  avec  ses  revenus,  pour  Vunir  au  sémi- 
naire diocésain  que  Ton  fondait  alors.  Ses  derniers  prieurs 
commendataires,  avant  la  suppression,  furent  :  Charles  de  Mon- 
ceaux (1619),  Charles  deCanonne  (1622),  Henri  Fay  Despesses  (1673), 
Claude  Gougnon  (1687).  L'église  du  prieuré ,  avec  la  crypte  qui 
est  sous  le  chœur,  est  de  l'époque  romane;  elle  sert  aujourd'hui 
d'église  paroissiale  à  la  commune  de  Fouquenies.  Le  presbytère 
et  la  partie  de  b&timent  affectée  à  la  mairie  sont  les  restes  les 
plus  marquants  de  l'habitation  du  prieur;  ils  ont  encore,  dans 
leur  ensemble,  un  certain  aspect  de  grandeur  qui  rappelle  l'ar- 
chitecture monacale.  Ce  lieu  est  le  but  d'un  pèlerinage  très-fré- 
quenté;  de  nombreuses  indulgences  y  ont  été  attachées,  et  les 
&mes  pieuses  aiment  à  venir  invoquer  saint  Lucien  et  ses  com- 
pagnons sur  cette  terre  arrosée  de  leur  sang. 

3'>  Le  prieuré  de  Wédon ,  en  Angleterre ,  fondé  par  Guillaume 
le  Conquérant,  et  aliéné,  vers  1350,  pour  aider  à  reconstruire 
l'abbaye  incendiée  par  les  Anglais. 

4»  Le  prieuré  de  Saint-Denis  de  Senarpont,  au  diocèse  d'A- 
miens, fondé  aussi  au  xi«  siècle.  Ce  bénéfice  possédait,  en  1718, 
une  maison  prieurale  avec  cour,  jardin  et  enclos,  une  fort 
belle  église,  48  journaux  de  terre,  6  journaux  de  pré  à  Senar- 
pont, avec  les  dîmes  du  lieu  et  celles  de  Beaucamp,  Bemapré, 
Réderie,  Le  Mesnil-Eudin,  Hannecourt  et  Nesle-l'Hôpital.  Le  re- 
venu était  alors  évalué  à  1,937  1. 15  s.  (2).  Le  prieur  nommait 
aux  cures  de  Senarpont,  du  Mesnil-Eudin  et  de  Beaucamp. 

S")  Le  prieuré  de  Flixecourt ,  au  diocèse  d'Amiens ,  fondé  vers 
1150  et  donné  à  l'abbaye  par  Rabellus  et  Amelius,  avec  l'assen- 
timent d'Adélelme  de  Flixecourt  (3).  Cet  établissement,  dédié 
sous  le  vocable  de  saint  Léger,  jouissait  d'un  revenu  asseï  consi- 


(1)  Graves  :  Statist  du  canton  de  Beauvais,  p.  205. 

(2)  Darsy  :  Bénéfices  du  dioc.  d: Amiens,  t.  ii,  p.  207. 

(3)  Darsy  :  Bénélices  du  dioà.  d^Amlifa,  t.  i ,  p.  478  et  sidvà&tea. 


676  HISTOIBB 

dérable;  uue  déclaration  de  1727  révalue  à  2,115  1.  Il  possédait 
à  Flixecourt  93  journaux  de  terre,  5i  journaux  de  bois  et  de 
nombreuses  dîmes  aux  environs.  Le  prieur  nommait  aux  cures 
de  Flixecourt,  de  Flesselles  et  d'Havernas.  En  1611,  Tabbaye  céda 
ce  prieuré  au  collège  des  Jésuites  d'Amiens,  à  la  condition  que 
les  PP.  Jésuites  fourniraient,  auprès  de  leur  collège,  une  chambre 
portant  le  nom  de  Saint-Lucien,  pour  servir  d'habitation  à  un 
ou  deux  religieux  de  ce  monastère,  et  qu'ils  les  instruiraient  et 
les  nourriraient  gratuitement.  Le  pape  Paul  V  approuva  cette 
cession  par  bulle  du  15  juillet  1611. 

6<>  Le  prieuré  de  Saint-Martin  de  Pernois,  au  diocèse  d'Amiens, 
fondé  au  commencement  du  xii*"  siècle,  et  cédé  par  l'abbaye  à 
l'évéché  d'Amiens  vers  1175  (1). 

7®  Le  prieuré  de  Notre-Dame-sur-le-Mont,  à  Picquigny,  au 
même  diocèse,  fondé  au  xii«  siècle.  Une  déclaration,  fournie, 
en  1729,  par  le  prieur  Jean  de  Turmenyes,  évalue  son  revenu 
à  150  1. 

8®  Le  prieuré  de  Lesseville,  près  Magny-en-Vexin  (Seine-et- 
Oise),  fondé  au  xii«  siècle. 

9«  Le  prieuré  de  la  Trinité ,  à  La  Chaussée  d'Eu  (Seine-Infé- 
rieure), fondé  en  1138  par  Hugues  d'Eu ,  seigneur  de  La  Chaussée, 
et  Henri ,  comte  d'Eu.  Le  prieur  nommait  aux  cures  de  La  Chaus- 
sée d'Eu  et  de  Mers. 

10»  Le  prieuré  de  Milly,  au  diocèse  de  Beauvais,  fondé  en  1167 
sur  la  demande  de  Sagalon  de  Milly,  et  avec  son  concours,  pour 
remplacer  des  chanoines.  Le  prieur  avait  à  sa  nomination  les 
cures  de  Notre-Dame  et  de  Saint-Hilaire  de  Milly,  celle  de  Saint- 
Omer  et  la  chapelle  de  Courroy.  Ce  bénéfice  avait  de  beaux  et 
bons  revenus.  Son  église  et  ses  bâtiments  réguliers,  de  style 
ogival,  étaient  situés  près  du  Thérain,  et  la  paroisse  de  Notre- 
Dame  faisait  l'offlce  dans  son  église,  aujourd'hui  démolie.  Ce 
prieuré  tomba  en  commende,  au  xvi«  siècle^  comme  la  plupart 
des  établissements  de  ce  genre ,  et  son  importance  le  fit  recher- 
cher. Il  était  possédé,  en  1608,  par  Simon  de  Bullandrc,  cha- 
noine et  archidiacre  de  Beauvais.  Cet  ami  des  muses  fit  un 


(l)  Darsy  :  Bénéfices  du  (Hoc.  d'Amiens,  t.  i,  p.  502. 


DE  l'abbaye   BOYALE  DE  SAINT-LUCIEN.  677 

pompeux  éloge  de  son  prieuré  de  Milly  et  des  sites  environnants 
dans  son  poëme  du  Lièvre.  Isaac  de  BuUandre,  son  neveu, 
aussi  chanoine  et  doyen  de  Beauvais,  en  devint  titulaire  après 
lui (1614).  Il  eut  pour  successeurs  René  de  Briolay  (1651);  Augustin 
de  Meaupou  (1G75),  qui  devint  archevêque  d'Auch  (1705-1712),  et 
fit  exécuter  la  belle  boiserie  qui  orne  encore  le  sanctuaire  de 
Saint-Hîlaire  de  Milly  ;  Gremiot  (1728);  Ant.-Marie  de  Bérard  de 
Villebreuil  (1733);  Germain  Dussart  (1763);  Joseph  Gourmet (1766); 
Charles-Marie  de  Bourgevin  (1773). 

Ce  bénéfice  était  loin  d'être  à  dédaigner.  Il  percevait  les 
grosses  dîmes  de  tout  le  territoire  de  Milly  et  de  ses  dépendances, 
les  deux  tiers  des  grosses  et  menues  dîmes  et  des  novales  de 
Saint-Omer,  les  deux  tiers  des  grosses  dîmes  d'IIannaches ,  un 
huitième  des  grosses  dîmes  de  Blacourt,  une  partie  des  grosses 
dîmes  de  Villers-sur-Bonnières  et  la  moitié  des  grosses  dîmes, 
des  champarts  et  du  droit  de  censive  de  Sarnois.  Il  avait,  à  côté 
de  cela,  certaines  charges,  comme  de  fournir  en  tout  ou  en  partie 
la  portion  congrue  aux  curés  de  Notre  Dame  et  de  Saint-Hilalre  de 
Milly,  de  Saint-Omer,  d'IIannaches  et  de  Villers-sur-Bonnières; 
mais  cela  né  Tempêchait  pas  de  conserver  encore  un  revenu 
bien  suffisant  pour  l'entretien  du  titulaire.  Un  bail  de  1781  l'é- 
value, toutes  charges  payées,  à  3,000  livres. 

L'abbaye  présentait  en  outre  les  titulaires  aux  cures  d'Abbé- 
court,  d'Abbeville-Saint- Lucien,  d'Auvillers,  deBonnières,  de 
Bucamp,  de  Caigny  (Grillon),  de  Cempuis,  de  Fontaine-Saint- 
Lucien,  de  Froissy,  de  Fumechon,  de  Gaudechart,  de  Grandvil- 
liers,  d'Hodenc-l'Evêque ,  de  La  Verrière,  de  Luchy,  de  Maim- 
beville,  de  Margny-les-Compiègne,  de  Maulers,  deMaysel,  de 
Muidorge,  de  Nolre-Dame-du-Thil,  d'Oudeuil,  de  Rosoy,  de 
Rothois,  de  Saint-Félix,  de  Saint- Sulpice,  de  Thieux,  de  Thury, 
de  Villers-sur-Bonnières,  de  Villers-Vicomte  et  de  Warluis,  et  aux 
chapelles  de  Miauroy  et  de  Provinlieu. 

VI.  -  JURIDICTION  TEMPORELLE. 


L'abbaye  de  Saint-Lucien  était  une  des  grandes  institutions 
féodales  du  Beauvaisis,  en  vertu  de  sa  fondation  royale  et  des 
concessions  qui  lui  furent  faites.  Elle  tenait  du  roi,  en  baronie, 


678  HI8T0I11 

ses  terres  et  seigneuries.  Elle  était  réputée  chfttellenie  0),  c'est- 
à-dire  qu'elle  avait  le  droit  d'élever  châteaux  et  forteresses  sur 
ses  terres  et  d'y  rendre  la  justice  haute ,  moyenne  et  basse.  Elle 
avait  droit  par  conséquent  de  connattre  de  toutes  les  causes  ci- 
viles et  de  toutes  les  actions  délictueuses  et  criminelles  C4)mmi8es 
sur  ses  terres,  de  prononcer  des  condamnaiions  jusqu'à  la  peine 
de  mort  inclusivement ,  à  l'exception  des  cas  royaux ,  et  d'avoir 
prisons  et  fourches  patibulaires  pour  l'exécution  des  sentences. 
Comme  il  n'était  pas  convenable  pour  des  religieux  de  rendre  la 
justice  par  eux-mêmes,  ils  avaient»  pour  l'exercer,  des  officiers 
laïques,  un  bailli,  un  lieutenant-général,  trois  prévôts  et  des 
sergents.  Un  religieux,  un  dignitaire  de  la  maison,  le  grand- 
prévôt,  avait  inspection  sur  eux  et  devait  veiller  à  ce  que  leurs 
arrêts  fussent  toujours  rendus  avec  équité.  Cette  justice  était 
comprise  dans  le  ressort  de  la  prévôté  royale  de  Beauvaisis, 
siégeant  à  Grandvilliers ,  et  avait  coutume  particulière. 

La  coutume  de  Saint-Lucien  fut  rédigée,  en  1507,  par  Jean 
Le  Caron,  bailli  de  l'abbaye,  et  reconnue,  adoptée  et  signée  par 
les  tenanciers,  le  15  septembre  de  la  même  année,  suivant 
procès-verbal  authentique.  On  peut  la  consulter  aux  archives  de 
la  cour  d'appel  d'Amiens;  mais  elle  est  dans  un  tel  état  de  vé- 
tusté qu'il  n'est  plus  possible  de  la  lire  en  entier.  Elle  contient 
quatorze  articles»  M.  Bouthors  en  a  reproduit  les  quelques  frag- 
ments, qu'il  en  a  pu  déchiffrer,  dans  ses  Coutumes  locales  du 
bailliage  d'Amiens;  Amiens,  1845,  t.  I,  p.  196  et  197.  Nous  les 
citons  : 

1.  Entre  autres  coostuines  est  vray  que Saint-Lucien,  qui  est  une 

belle  et  noble  abbaye  de  fondacion  royale iears  terres ,  justices  et 

seignearies,  droit  de  haolte,  moyenne  et  basse  justice et  sabgets 

itidififéremment. 

3.  Item  que  pour  exercer  la  dite  Justice,  il  y  a  un  baiity,  lieut 

général  avec  trois  aaltres  prévosts  et  Juges  subalternes  audit  balily  .  . . 

prévost.  Le  prévost  de  Grantvil tiers  et  le  pennetier,  qal  tous  sont 

tenant  chascun  jour,  quant  le  cas  y  eschet,  siège  etjaridicion...  .  et 

congnoissent  lesdits  t)révost  en  première  instance  des et  quant 

d*eulx  est  appelé,  tel  appel  se  relève  devant  le de  la  dite  église, 


(1)  Graves  :  Biami  du  ecmUm  ds  Beau/vaUi  Pi  si9. 


DE  l'abbaye  ROYALB  PB  SAINT-LUCIEN.  679 

aox  assises  qai  se  tiennent  qasnt  pi. .  . .  de  flefz  sont  sabgets  et  contrains 
de  comparoir  à  chasc. .  . .  ainsy  qae  à  hommes  de  flefz  doist  le  faire. 

3.  Item  qae  les  appellacions  desdits  bailly  et  hommes seul,  si  son 

plaisir  est  de  juger  sans  les  appeler,  ressorlissenl qui  touche  les 

subgets  dudit  bailliage  d'Amyens.  ...  Amyens.  En  tant  qu'il  touche  les 

subgets  du  bailliage audit  Sentis,  et  quant  aux  subgets  dudit  Monl- 

didier parderant  le  gouverneur  dudit  Montdidier. 

6.  Aux  villages  de  Bonniëres,  de  Fourquegnies ,  Glatigny,  Courcelles, 

Yillers Basincourt,  Roy.  Boissy,  qui  sont  du  bailliage  d'Amiens,  sur 

tous  héritages  tenus  d'icelle  église  en  cotterie,  les  religieux  ont  de  relief, 
en  toutes  mutacions  et  de  toutes  mains,  qui  est  de  cinq  sols  pour  les 
masures  et  douze  deniers  pour  mine  de  terre. 


D'après  cette  coutume,  et  d'autres  âocuments  extraits  des 
Anciennes  archives  de  l'abbaye,  Il  résulte  que  le  monastère 
avait  trois  prévôts  pour  juger  en  première  instance  les  affaires 
contentieuses  de  ses  tenanciers.  L'un  connaissait  des  affaires  des 
tenanciers  résidant  dans  les  limites  du  bailliage  d'Amiens ,  le 
second  jugeait  les  affaires  du  ressort  du  bailliage  de  Senlls,  et 
le  troisième  celles  du  bailliage  de  Montdidier.  Les  appels  de  leurs 
jugements  étaient  portés  pardevant  le  bailli  de  Saint^Lucien;  il 
prononçait  en  assises  publiques  »  avec  Tassistance  des  hommes 
de  fief  du  monastère ,  qui  étaient  tenus  de  se  rendre  à  ces  as- 
sises à  des  époques  déterminées.  On  pouvait  encore  appeler  de 
ce  jugement  pardevant  le  grand-bailli  du  bailliage  dont  on  rele- 
vait; mais  l'abbaye  avait  le  droit,  de  son  côté,  d'évoquer  l'affaire 
pardevant  le  Grand-Conseil  du  roi. 

Un  état,  dressé  par  le  bailli  de  Saint-Lucien  pour  convoquer 
ses  hommes  de  fief  aux  assises  judiciaires,  tenues  dans  l'abbaye 
les  lundis  de  QuaHmodo  et  d'après  la  Toussaint  de  l'an  1696^ 
va  nous  faire  connaître  quelle  était  la  composition  de  ces  as- 
sises (1). 

Bailliage  d^ Amiens,  —  M'*  Adrien-Pierre  de  Tiercelin ,  chevalier,  mar- 
quis de  Brosses  et  de  Sarcus ,  pour  son  fief  de  Feuquières.  —  If*  François 
de  BoufiQers ,  comte  de  Galgnyï  pour  son  fief  de  Roye ,  sis  k  Bonnières 


(1)  Doedment  dd  cabinet  de  M.  le  comte  de  li«fiem«nt. 


680  HISTOIRE 

et  son  fief  de  Haocoart  —  W  Gaspard  de  Coaqaaalt,  seigneur  d'Àveloii, 
pour  son  fief  de  Gonrcelles.  —  M*  Pierre  de  Halingaehen.  président  et 
Ueatenant  général  à  Beaavais,  pour  ses  flefs  de  Juvignies  et  de  Douy.  ^ 
Les  héritiers  de  noble  homme  Nicolas  Tristan ,  président  en  i'élection  de 
Beauvais,  pour  son  flef  sis  k  Guehengnies.  —  M'*  Claude  Minette,  conseiller 
au  présidial  de  Beauvais,  pour  son  flef  Flourot,  sis  à  Notre-Dame-da- 
Thil.  —  Jean  Dubois,  tailleur  d'habits  à  Glatigny,  pour  le  flef  de  Glatigny. 

—  Les  héritiers  de  dame  Françoise  Le  Boucher,  veuve  de  M.  Claude  Dolet, 
pour  le  fief  sis  à  Grez.  —  Les  représentants  de  Marie  de  Bnllandre,  veuve 
d'André  Huyart,  seigneur  d'Hamermont,  pour  le  fief  de  la  Mairie  de 
Rothois.  —  Les  héritiers  de  PhUippe  Du  Gardin ,  pour  le  flef  de  Bemapré. 

—  M*  Daniel  Le  Comte,  pour  le  fief  de  la  Tour-Brûlée ,  àt  Saint-Lucien.  — 
Les  ayant-cause  de  H'*  Louis  Foy,  seigneur  de  Bracheux,  pour  son  flef  de 
Villers-sur-Auchy.  —  M"  Octave-Louis  Dauvet,  chevalier,  sieur  de  Rieux, 
pour  son  flef  Cuisinier,  sis  à  Rieux.  —  M"  Louis-Honoré  de  Carvoisin,  sei- 
gneur de  la  Cour  d'Oisie,  pour  le  fief  de  la  Vente,  sis  à  Oudeuil.  —  4drienne 
De  l'Assaut ,  veuve  de  Hugues  Langlois ,  pour  le  flef  sis  à  Feuquiëres. 

BaiUiage  de  MofUdidier.  —  Les  hoirs  et  représentants  de  M**  Charles 
de  Chesnel ,  chevalier,  seigneur  de  Mœux,  pour  son  flef  de  Fresneaux.  ~ 
M*  Raoul  Adrien ,  pour  son  flef  sis  à  Campremy.  —  Catherine  de  Catheu, 
veuve  de  Pierre  Lignier,  pour  son  flef  de  Maubeuge,  sis  à  La  Fraye  et 
Reuil.  —  Jacques  Habert ,  pour  son  flef  de  La  Neuvllle-le-Roy.  —  M**  Jac- 
ques Brlsset,  secrétaire  au  Grand-Conseil,  pour  son  flef  d'Auchy-la- 
Montagne.  —  Guillaume  Walon,  pour  son  flef  sis  à  Beaupuis.  —  Les  hoirs 
de  la  dame  Ursule  de  Gautery,  veuve  de  M'*  Pierre  de  Rouvroy,  pour 
son  flef  sis  à  Puits.  —  Nicolas  Danse  et  consors,  pour  leur  fief  sis  à  Mui- 
dorge.  —  Les  représentants  de  M'*  François  de  Torcy,  chevalier,  seigneur 
de  Reuil,  pour  son  flef  de  Reuii.  —  La  dame  de  Mœux,  pour  son  flef  de 
la  Mairie  de  Reuil.  —  Jean  Floury,  pour  son  flef  de  la  Mairie  de  Fontaine- 
Saint-Lucien. 

BaiUiage  de  Senlis.  —  Les  hoirs  de  M"  Claude  Brisard ,  pour  son  flef 
d'Abbecourt.  —  Les  représentants  de  M**  Louis  de  Crevant  d'Humiëres, 
maréchal  de  France ,  pour  son  flef  de  Margny.  —  M^  Claude  de  l'Aubes- 
pine,  marquis  de  Yerderonne,  pour  les  flefs  de  Rothois,  Hardencourt  et  les 
Marques.  —  Adrien  de  Villepoix,  écuyer,  seigneur  dudit  lieu,  pour  le  flef 
des  Fuzeliers ,  sis  à  Saint-Félix.  —  Les  hoirs  Antoine  de  Curly,  écuyer, 
exempt  des  gardes  du  roi ,  et  Jean  Famin ,  pour  leur  flef  de  Buiant,  sis 
à  Foulangues.  —  François  de  Malvande ,  écuyer,  à  cause  de  damoiselle 
Marie  Dosdasne,  veuve  de  Charles  de  Bizancourt,  pour  le  flef  du  Trou- 
Jumel ,  sis  à  La  Landelle. 

Tous  ces  hommes  possédant  en  fief  un  domaine  de  Tabbaye 
étaient  obligés,  suivant  la  coutume  et  en  vertu  de  leurvasselage, 


DE   l'abbaye  royale  DE  SAINT-LUGIEN.  681 

d'assister  aux  plaids  généraux  de  la  justice  du  monastère,  pour 
y  donner  leur  avis  et  prononcer  avec  le  bailli  dans  les  affaires 
contentieuses  soumises  à  leur  jugement,  sous  peine  de  10  sols 
parisis  d'amende  (1).  Ils  étaient  aussi  tenus  de  faire  les  foi  et 
hommage  et  de  remplir  les  autres  devoirs  féodaux  à  chaque 
mutation  de  propriété. 

Comme  haut  seigneur  féodal,  l'abbaye  jouissait  de  droits 
considérables  sur  les  biens  et  les  personnes  qui  étaient  sous  sa 
dépendance.  Nous  ne  faisons  qu'énumérer  les  principaux  : 

Les  grosses  et  menues  dîmes  dans  un  grand  nombre  de  localités. 
Les  grosses  dîmes  se  percevaient,  la  plupart  du  temps,  à  huit 
du  cent  pour  le  grain. 

Le  champart  sur  des  terres  données  à  cultiver  sous  l'obligation 
de  cette  redevance.  Il  se  percevait  aussi  généralement  à  huit  du 
cent. 

Le  droit  de  mouture  sur  les  baniers  de  ses  moulins  de  Bon- 
nières,  de  Grandvilliers ,  d'Oudeuil,  de  Miauroy,  de  Saint- 
Félix,  etc.  Les  baniers  ne  pouvaient  se  dispenser  d'aller  moudre 
leurs  grains  aux  moulins  de  l'abbaye.  En  cas  d'infraction^  elle 
avaii  le  droit  de  faire  saisir  et  confisquer  le  blé ,  la  farine  et 
même  le  cheval  et  la  voiture,  sans  préjudice  de  l'amende. 

Le  droit  de  pressoirage,  qui  obligeait  les  tenanciers  à  fouler 
leur  vin  au  pressoir  de  l'abbaye. 

Le  droit  de  ban  ou  de  fixer  l'époque  de  la  vendange,  sous  peine 
de  confiscation  pour  ceux  qui  vendangeraient  avant  l'ouverture 
du  ban. 

Le  forage  ou  droit  sur  le  vin  vendu  par  les  tenanciers;  il  se 
percevait  à  raison  d'une  pinte  par  muid. 

Le  tonlieu  ou  droit  sur  les  marchandises  vendues  sur  les  mar- 
chés. 

Le  fournage  ou  droit  obligeant  les  tenanciers  à  aller  cuire  leur 
pain  au  four  banal  de  l'abbaye.  A  Grandvilliers ,  on  percevait  un 
pain  sur  vingt. 

Le  droit  de  poids  et  balances,  obligeant  les  tenanciers  à  peser 
aux  poids  de  l'abbaye  et  à  leurs  balances  toute  chose  vendue 


(1)  Coût  d'Amiens,  art.  186.  —  Goût,  de  Nontdldier,  art.  66.  —  Goût, 
de  Senlis ,  art.  36. 


682        HISTOIRS  PI  L'ABBAYI  ROTALK  pi  8AINT-LUCIKN. 

pesant  plus  de  7  livres  et  demie,  et  on  percevait  pour  cela 
8  s.  4  d.  du  cent. 

L'abbaye  avait  des  poids  et  mesures  particuliers.  Pour  les 
grains,  le  muid  de  blé,  qui  contenait  i4  mines  deux  tiers  de  la 
mesure  de  Beauvais,  valait  4  hectol.  40.44,  et  le  muid  d'avoine 
contenait  12  mines  et  demie  ou  5  hectol.  73.12. 

Le  droit  de  corvée  ou  droit  de  requérir  des  hommes  et  des  che- 
vaux de  ses  tenanciers  pour  labourer  ses  terres,  faire  ses  charrois 
et  rentrer  ses  récoltes.  Un  dénombrement  de  1384  porte  à  l'article 
Saint-Félix  :  «  xxiiii  corvées  pour  emmuller  le  fain  de  xxiui  ar- 
«  pens  de  pré  quant  iis  sont  fenés  (1).  » 

Le  droit  de  voirie  ou  de  surveillance  sur  les  chemins,  de  sorte 
que  tous  les  délits  ou  infractions  à  la  police  du  roulage,  les  ali- 
gnements, le  droit  d'établir  étal  sur  la  voie  publique  ou  d'y 
percer  puits  relevaient  des  officiers  du  monastère  partout  où 
l'abbaye  avait  ce  droit,  et  elle  l'avait  généralement  dans  toutes 
ses  terres. 

Elle  avait  encore  bien  d'autres  droits;  mais  comme  ils  sont 
communs  à  toutes  les  institutions  féodales  de  cette  époque,  nous 
ne  nous  appesantirons  pas  sur  eux. 


(1)  Arch.  de  l'Oise  :  abbaye  de  Saini-Lacien. 


VUE    DE  LA  POR,TE    P^INC 


;„E  DE  LABBAYK  DE  S■H.iCiF^, 


I 


QUATRIÈME  PARTIE. 


TOPOGRAPHIE    ET    REVENU    TEMPOREL. 


I.  —  L'ABBATE. 

L'abbaye,  avec  ses  dépendances,  occupait  le  terrain  situé  au- 
dessous  de  réglise  de  Notrè-Dame-du-Thii  et  compris  entre  la 
rue  Verte,  la  rue  de  la  Borne-Trouée,  le  bras  du  Thérain  dit 
canal  Gonard,  le  ruisseau  de  Calais  et  la  grande  rue  de  l'église. 
Un  mur  d'enceinte,  construit  en  cailloux,  briques  et  pierres, 
environnait  sinon  toute  la  propriété,  du  moins  toute  la  partie 
affectée  au  service  exclusif  des  religieux.  Plusieurs  portes  le 
perçaient.  La  principale  s'ouvrait,  au  nord-ouest,  sur  cette 
grande  rue  montueuse  qui  conduit  à  l'église  du  Thil.  Deux  baies, 
d'inégale  grandeur,  donnaient  passage  aux  voitures  et  aux  pié- 
tons. Des  rinceaux  de  feuillages  finement  sculptés,  aux  retom- 
bées soutenues  par  des  statuettes  représentant  des  anges  et 
saint  Lucien  portant  sa  tète,  en  ornaient  les  arceaux.  Une  grille 
de  fer,  richement  travaillée,  fermait  la  grande  porte,  et  la  pe- 
tite était  surmontée  d'un  écusson  aux  armes  de  celui  qui  les 
avait  tait  construire ,  aux  armes  de  l'abbé  Robert  d'Esquesnes  : 
d^argentj  à  la  croix  de  gueules  frettée  d*or,  accompagnée  de  quatre 
billettes  d'azur.  Le  ciseau  révolutionnaire  a  pu  les  mutiler,  mais 
la  croix  apparaît  encore.  Une  autre  porte,  destinée  plus  spécia- 
lement au  passage  des  pèlerins  et  portant  le  nom  significatif  de 
porte  des  Pardons,  s'ouvrait  un  peu  plus  haut ,  du  même  côté, 
en  face  celle  du  presbytère  actuel.  Une  troisième,  dite  desEsbat- 
tements,  perçait  le  mur  de  clôture  à  l'angle  sud-est,  vers  l'ab- 
baye de  Saint-Quentin.  Les  processions  passaient  par  là  pour 
aller  à  ce  monastère. 


684  HISTOIRE 

Plusieurs  tours  garnissaient  le  mur  d'enceinte.  La  plus  grosse, 
bâtie  au  levant,  excite  encore  la  curiosité  par  son  imposant  as- 
pect. Elle  dominait  toute  la  propriété  et  pouvait  servir  de  défense 
contre  les  attaques  venant  du  dehors.  C'est  une  belle  construc- 
tion du  XV*  siècle.  On  a  malheureusement  changé  son  ancienne 
physionomie,  il  y  a  quelques  années,  en  la  couronnant  de  cré- 
neaux qu'elle  n'avait  pas  auparavant.  L'intérieur,  restauré  avec 
intelligence  par  H.  Rayé,  propriétaire  actuel,  offre  un  beau  spé- 
cimen des  constructions  de  cette  époque.  Une  autre  tour  moins 
importante,  dite  tour  de  Luchy,  s'élevait  à  l'angle  qui  fait  face  à 
l'église  du  village,  à  peu  de  distance  de  la  porte  des  Pardons. 

En  entrant  par  la  grande  porte,  on  arrivait  dans  une  première 
cour  fermée ,  au  nord-est,  par  le  mur  de  l'ancien  hôtel  abbatial, 
allant  du  transept  de  l'église  à  la  porte  des  Pardons;  au  sud- 
ouest,  par  l'auditoire  ou  maison  de  justice  et  ses  dépendances 
et  par  le  nouvel  hôtel  abbatial  ;  au  midi ,  par  l'église.  L'ancien 
hôtel  abbatial  avait  été  démoli  au  xvni«  siècle,  à  cause  de  son 
état  de  délabrement,  et  on  avait  affecté  au  logement  des  abbés 
une  autre  construction  plus  convenable ,  auprès  du  grand  por- 
tail de  l'église.  Ce  nouveau  local  ne  laissait  cependant  pas  que 
d'être  bien  modeste,  et  on  aurait  dit,  à  le  voir,  qu'on  l'avait 
affublé  par  dérision  du  nom  pompeux  d'hôtel  abbatial ,  tant  il 
contrastait  par  sa  simplicité ,  dit  M.  Daniel  (i),  avec  les  élégantes 
constructions  qui  l'environnaient.  Il  se  composait,  d'après  l'état 
estimatif  dressé  par  les  agents  de  la  Révolution,  d'un  rez  de- 
chaussée  de  27  toises  de  long  sur  4  toises  de  large ,  avec  cave 
au-dessous  et  grenier  au-dessus  (â). 

L'église  était  un  bel  édiQce  des  xu«  et  xiv*  siècles.  Bâtie  d'abord 
de  1090  à  1109,  sous  les  abbés  Pierre ,  Gilbert  et  Girold,  elle  fut 
brûlée,  en  1346,  par  les  troupes  d'Edouard  III,  roi  d'Angleterre, 
et  reconstruite  peu  après,  par  les  soins  des  abbés  Pierre  de  Boran, 
Âimery  Fulcant  et  Foulques  de  Ghanac.  Le  plan  du  monument 
représentait  une  croix  latine.  Sa  longueur  totale  dans  œuvre, 
depuis  le  fond  de  la  chapelle  médiane  jusqu'au  grand  portail, 


(1)  Notice  sur  V ancienne  ahhaye  de  Saint-Lucien ,  par  M.  le  D'  Daniel 
(Mém.  de  la  Soc.  des  Àntiq.  de  Picardie,  t.  viii). 

(2)  Arch.  de  l'OUe  :  Fonds  de  la  Révolution. 


//émarsj à ,6  Soaels  Jcâdeimsuc  é  /Oise  lâû'r 


;ABi^Ay[-,  DL,  s^ 


DE   l'ABBATB   ROYALK   DK  SAINT-LUCIEN.  685 

était  de  91  m.  33.  La  nef  avait  40  m.  66  de  longueur  et  âl  m.  66 
de  largeur,  en  comprenant  les  bas-côtés.  Le  transept,  terminé 
par  les  deux  bouts  en  rond-point,  portait  53  m.  33  d'une  extré- 
mité à  l'autre,  sur  23  m.  33  de  large.  Le  cbœur  des  religieux 
occupait  toute  la  partie  du  transept ,  qui  continuait  la  nef.  Le 
sanctuaire  formait  un  rond-point  de  20  m.  de  profondeur  sur  la 
même  largeur  que  la  nef.  Dix  colonnes  supportaient  la  retombée 
de  ses  voûtes,  ainsi  que  celle  des  voûtes  des  bas-côtés,  vingt- 
deux  piliers  supportaient  celles  du  transept,  et  quatorze,  for- 
mant sept  travées,  celles  de  la  nef.  «  Ces  piliers,  dit  M.  Daniel, 
«  étaient  composés  d'une  aggrégation  de  colonnettes  autour 
«  d'un  axe  figurant  lui-même  une  assez  forte  colonne.  Celles  de 
u  ces  colonnes  qui  regardaient  la  ligne  médiane  de  l'église 
a  étaient  plus  volumineuses  que  les  autres,  et  elles  se  prolon- 
»  geaient  en  s'élançant  vers  la  voûte  arrondie  du  cbœur,  où 
u  elles  se  croisaient  en  diagonales  les  unes  contre  les  autres. 
«  Les  bas-côtés  recevaient  le  jour  par  de  rares  et  sombres  croi- 
«  sées;  quant  au  cbœur  et  à  la  nef,  ils  étalent  éclairés  par  une 
«  série  de  croisées  ogivales ,  simples ,  sans  ornemens  et  d'assez 
«  petites  dimensions  (1  m.  33  de  large  sur  2  m.  de  haut).  » 

Autour  des  bas-côtés  circonscrivant  le  sanctuaire  étaient  cinq 
chapelles  construites  en  hors-d'œuvre ,  deux  à  droite,  deux  à 
gauche  et  une  au  milieu.  Les  deux  de  droite  étaient  dédiées  Tune 
à  saint  Jean -Baptiste  et  l'autre  à  saint  Benott,  et  celles  de  gauche 
à  saint  Dinault  ou  Donoald  et  à  sainte  Catherine.  La  chapelle 
médiane,  dédiée  à  la  sainte  Vierge,  de  7  m.  33  de  profondeur 
sur  8  m.  66  de  large,  était  surmontée  extérieurement  d'un  pa- 
villon carré  de  8  m.  de  surélévation ,  ce  qui  lui  donnait  l'aspect 
d'une  tour  carrée  bâtie  derrière  l'abside  de  l'église. 

Le  style  ogival  dominait  dans  toutes  les  parties  de  l'édifice. 
L'extérieur  ne  présentait  rien  de  bien  remarquable,  à  part  la 
galerie,  délicatement  découpée,  qui  ornait  toute  la  partie  supé- 
rieure du  monument.  Deux  beaux  clochers ,  bâtis  en  pierre,  s'é- 
levaient dans  les  airs.  L'un ,  placé  au  centre  du  transept,  conte- 
nait les  timbres  de  l'horloge  de  l'abbaye.  L'autre,  construit  au 
commencement  du  xviii«  siècle ,  à  côté  du  grand  portail ,  ren- 
fermait les  quatre  grosses  cloches  :  c'était  une  large  tour  carrée 
à  trpis  étages,  surmontée  d'un  toit  campaniforme;  deux  baies, 
longues  et  bilobées ,  s'ouvraient  sur  chaque  face  des  étages  su- 
T.  vm.  43 


6M  iisTonB 

périeun.  Deai  campaniles  cooronnaient,  en  outre,  lea  deux 
toon  svelies  et  gracieuses  gui  accompagnaient  le  portail,  et  l'un 
d'eux  abritait  quatre  petites  cloches.  On  accédait  à  ce  porfafl 
par  un  perron  de  dix-huit  marches  placées  non  en  fau^.  mais  à 
droite  et  à  gauche  de  la  façade. 

L'intérieur  de  l'égliee  offrait  plus  d'intérêt.  ■  On  remarquait 
«  dans  les  murs  de  quelques  travées  de  la  nef,  dit  M.  Daniel ,  à 
«  hauteur  d'appui,  des  niches  dans  lesquelles  étaient  placés  des 
m  tombeaux  avec  des  figures  en  pierre ,  le  tout  en  relief.  Ces 
*  tombeaux  et  ces  figures  avaient  rapport  à  des  personnages 
«  célèbres  de  cette  abbaye.  » 

Un  état  des  monuments  que  renfermait  l'église,  dressé  par  les 
religieux  au  xvin*  siècle  (1;,  appelle  d'abord  l'attention  sur  le 
mausolée  de  saint  Lucien,  érigé  derrière  l'autel,  sur  ce  chef- 
d'oeuvre  de  l'art  gothique  destiné  à  supporter  la  magnifique 
châsse  du  glorieux  martyr.  Nous  en  avons  fait  ci-dessus  la  des- 
cription à  l'abbatiat  de  Jean  de  Toirac,  qui  l'avait  fait  exécuter. 

On  voyait  dans  le  sanctuaire,  au  côté  de  Tévangile,  le  tom- 
beau du  cardinal  Gholet.  Ce  monument,  œuvre  de  la  fin  du 
xiii*  siècle,  était  une  imitation  bien  réussie  du  précédent  (â\ 

Une  ancienne  tradition  plaçait,  entre  ce  mausolée  et  l'autel, 
le  tombeau  de  saint  Hildeman ,  évèque  de  Beauvais.  Il  y  avait 
efTectivement  autrefois  h  cet  endroit  une  tombe  de  cuivre  que  le 
cardinal  de  Ch&tillon  avait  fait  enlever.  Plusieurs  autres  évèques 
de  Beauvais  avaient  aussi  été  inhumés  dans  le  sanctuaire  et  dans 
le  chœur.  Le  chanoine  Barraud  conservait  dans  son  cabinet  trois 
lames  de  plomb  provenant  de  leurs  tombeaux  et  portant  les 
noms  de  ceux  qu'elles  recouvaient.  L'une  venait  de  la  tombe  de 
l'évèque  Hildegaire ,  mort  en  972  ;  elle  avait  0  m.  095  de  lon- 
gueur, 0  m.  055  de  largeur  et  0  m.  005  d'épaisseur,  et  portait, 
gravée  en  capitales  romaines  de  0  m.  008  de  hauteur,  l'inscrip- 
tion suivante  : 

HIC   REQVIBS 
GIT  •   HILDE 
CÂRIVS  EPS. 


il)  Cabinet  de  M.  Malbon. 

(S)  Voir  la  description  que  nous  en  avons  faite  à  l'abbatiat  d'Odon  Gholet 
(XXVIII*  abbé  régoiier)  et  la  gravure  qui  l'accompagne. 


DE   L*ABBATB   ROYALE  DE   SAINT-LUGIEN.  687 

Sur  la  seconde,  qui  avait  à  peu  près  les  mêmes  dimeusions 
que  la  précédente  et  qui  provenait  de  la  tombe  de  Tévèque 
Hugues,  mort  vers  Tan  999,  on  lit  : 

HIC  REQVI 
ESCIT   •    HVGO 
EPS. 

La  troisième  plaque,  de  0  m.  48  de  long  sur  autant  de  large, 
indiquait  une  translation  du  corps  de  Tévèque  Honorât  faite 
en  ii09,  et  portait  rinscription  suivante  : 

H   IDVS  MAU  •    ANNO   •    INGAR 

NATI   •   VERBI   •   M   •    G  *    VIIII   •    INDIGTI 

ONE   •    H   •    ANNO   •    î  •   LVDOVICI   •    RE 

GIS   •    TEMPORE   •   PAPE   •    PA8CA 

LIS   •   Il   •    ET  •    GAVSFRIDI   <   BEL 

VACENSIS   •    ÊPl   •    TRANLA 

TVM   •   EST   •    CORPVS  •    HONO 

RATI   •    EPI   •    ET   •    HIC  •    REPOSITV 

SVB   •    GIROLDO  •    ABBATE   S 

EODEM    •    ANNO   •    FVIT   • 

VLTlBiVM   •    PASGHA  '.• 

Du  côté  de  Tépitre  était  le  tombeau  de  Jean  de  Villers,  dernier 
abbé  régulier,  mort  eu  1iî)2.  Sur  un  socle,  d'un  mètre  environ 
d'élévation,  aux  côtés  ornés  de  petites  nicbes  de  style  ogival 
flamboyant,  reposait,  couchée,  la  statue  de  l'abbé,  revêtu  d'or- 
nements pontiûcaux,  les  pieds  appuyés  sur  un  lion ,  la  tète  mi- 
trée  et  soutenue  par  un  coussin.  Derrière  la  tète  était  un  édicule 
ou  dais  très-ouvragé.  Autour  de  l'entablement  était  gravée  l'ins- 
cription en  lettres  gothiques  :  Bic  jacet  dompnus  Johânis  de 
ViUaribus,  quondâ  hnjus  ecclê  venerabiiis  abbas,  gui  obiU  àno 
Dmi  m«  cccc^  nonagesimo  êecudo,  cent'  diejunii,  cuj.  aià,  reqfscat 
in  pace.  Am, 

Yis-à-vis^  dans  le  mur  du  rond-point,  était  le  tombeau  du 
chevalier  Florimond  de  Villers,  mort  en  \M^  des  suites  des 
blessures  reçues  en  combattant  contre  les  Bourguignons  pour 
défendre  l'abbaye.  Nous  avons  fait  ailleurs  sa  description. 

Le  chœur,  la  nef  et  les  basculés  étaient  en  outre  remplis  de 


688  HISTOIRB 

pierres  tombales  avec  figures  gravées  et  inscriptions,  recouvrant 
des  sépultures  d'abbés,  de  moines  et  de  personnages  de  distinc- 
tion. 

Les  statues  de  saints,  que  renfermait  l'église,  étaient  en  gé- 
néral peu  remarquables  ;  cependant  les  connaisseurs  faisaient 
assez  de  cas  de  celle  de  saint  Benoit,  placée  dans  la  chapelle  de 
ce  vocable,  du  côté  de  Tépitre,  et  de  celles  de  saint  Yves  et  de 
saint  Sébastien,  fixées  aux  deux  piliers  voisins  du  jubé.  Mais  ce 
qui  exerçait  surtout  la  sagacité  des  archéologues  et  des  artistes, 
c'étaient  six  statues  fort  anciennes  placées  au  haut  du  pourtour 
du  chœur,  où  une  ceinture  ùe  fer  les  retenait.  Ces  statues,  repré- 
sentant des  personnages  sans  barbe ,  aux  longs  vêtements,  ayant 
sous  les  pieds  des  espèces  d'hommes  hideux ,  à  genoux ,  cour- 
bés (1),  paraissaient,  d'après  un  long  et  savant  mémoire  du 
xviip  siècle  (2),  avoir  appartenu  à  la  première  église  fondée  par 
Chilpéric  et  être  contemporaines  de  sa  fondation.  Echappées  aux 
dévastations  des  Normands,  elles  auraient  été  conservées  dans 
l'église,  bâtie  postérieurement.  Suivant  ce  mémoire,  elles  repré- 
senteraient Chiidebert  l""^  et  Dltrogotte,  sa  femme;  Clotaire  1«' 
et  Aringonde,  sa  femme;  Chilpéric  !<"''  et  sa  femme  Frédégonde. 

On  remarquait  aussi,  dans  cette  église,  un  fort  beau  candé- 
labre ,  dont  le  socle  était  orné  de  quatre  grandes  figures  en  pied  ; 
l'une  représentait  saint  Lucien  revêtu  de  ses  habits  pontificaux, 
la  tète  posée  sur  ses  épaules,  couverte  d'une  mitre  ronde,  la 
main  gauche  appuyée  sur  un  livre  portant  la  suscription  Sanctus 
Liicianus,  et  la  droite  levée  avec  trois  doigts  étendus  comme  pour 
bénir.  Le  savant  M.  de  Saint-Hilaire,  mort  en  i700.  rapporte  que, 
de  son  temps,  les  antiquaires  donnaient  huit  cents  ans  d'exis- 
tence à  ce  curieux  objet  d'orfèvrerie. 

Nous  ne  saurions  oublier,  avant  de  quitter  ce  sanctuaire,  de 
mentionner  la  chaire ,  le  jubé  et  surtout  les  stalles  fameuses  qui 
faisaient  l'admiration  de  tous  ceux  qui  les  examinaient  de  près. 
La  chaire,  œuvre  de  la  fin  du  xvii«  siècle,  peut  se  voir  encore 
dans  la  cathédrale  de  Beauvais,  où  elle  a  été  transportée.  L'en- 


(1)  Cambry  :  Descriptian  du  d^rtement  de  rOi$e,  t.  ii,  p.  189. 

(2;  Cabinet  de  M.  Le  Caron  de  Troassares  :  Mémoire  sur  les  statues  de 
l'église  de  Saint-Lucien,  manuscrit  in-4*  de  21  pages. 


DB   l'abbaye   royale   DE   SAINT-LLCIEN.  089 

trée  du  chœur  était  fermée  par  un  splendide  jubé  en  marbre,  à 
colonnes  torses  et  richement  sculpté.  «  H  rivalisait  en  magnifi- 
«  cence,  dit  M.  Daniel ,  qui  les  a  vus  Tun  et  l'autre ,  avec  celui 
«  delà  cathédrale  (1).  »  C'était  un  des  chefs-d'œuvre  exécutés, 
de  i492  à  1304,  par  ordre  de  l'abbé  Dubois.  Le  second  était  la 
collection  de  stalles  qui  garnissaient  l'intérieur  du  chœur.  Ces 
stalles  avaient  été  travaillées  avec  tant  de  soin  et  d'habileté,  les 
scènes  sculptées ,  qui  les  ornaient ,  avaient  été  si  délicatement 
traitées  qu'on  ne  trouvait  rien  aux  environs  de  plus  élégant  ni 
de  plus  achevé.  «  Elles  paraissaient  si  belles,  dit  D.  Cotron,  dans 
«  sa  Chronique  de  Saint-Riqxder,  que  le  28  avril  i507,  l'abbé  Eus- 
c(  tache  Le  Quieux  commanda,  à  des  ouvriers  d'Amiens,  seize 
«  stalles  entièrement  semblables  à  celles  de  Saint-Lucien,  pour 
«  être  placées  dans  le  chœur  de  son  église  (2).  »  Les  scènes  les 
plus  fantastiques  y  étaient  représentées  pleines  de  mouvement 
et  de  vie.  Cambry  (3)  nous  donne  la  description  de  quelques- 
unes.  Ici  c'est  la  tentation  de  saint  Antoine.  Le  saint,  assis  sur 
un  tronc  d'arbre,  est  appuyé  sur  un  livre  qu'il  lit;  un  diable 
nu,  couvert  de  poils  droits  et  raides,  aux  mains  en  forme  de 
pattes  d'oie,  armées  de  griffes  acérées,  aux  jambes  de  satyre,  à 
la  tète  garnie  de  cornes  brisées,  au  mufle  d'hippopotame,  à 
rénorme  queue,  le  saisit  par  les  épaules  pour  le  distraire  de  sa 
méditation.  Devant  lui,  une  Proserpine  à  la  longue  robe,  aux 
manches  plissées  et  terminées  au  coude  par  des  rubans  et  des 
franges,  à  la  chaîne  d'or  au  cou,  aux  cheveux  élégamment  tressés 
et  retenus  par  un  diamant,  lui  présente  un  bouquet.  Cette  déesse 
au  pied  d'<lne,  a  les  épaules  couvertes  d'un  grand  manteau  dont 
la  traîne  est  portée  par  un  grand  diable  aux  pieds  de  lion,  à  la 
queue  cannelée  terminée  par  une  tête  de  chien  monstrueuse.  Au 
milieu  de  cet  attirail  infernal ,  lé  saint,  enveloppé  dans  sa  robe 
de  bure  et  avec  sa  gourde  suspendue  à  la  ceinture ,  tourne  la 
tète  et  semble  repousser  la  tentation.  La  scène  se  dessine  sur 


,1)  D'  Daniel  -.  Notice  sur  l'abbaye  de  Saint  Lucien,  p.  18. 

[2}  Bulletin  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Picardie,  année  1870,  n*  2, 
p.  352. 

'3;  Description  du  département  de  l'Oise,  t.  ii ,  p.  201-20G. 


e90  HISTOIEI 

un  fond  de  rocher,  couvert  d'arbustes,  que  domine  une  yiile 
défendue  par  des  murailles  et  des  (ours. 

Ailleurs ,  saint  Antoine,  à  demi  renversé,  se  débat  contre  deux 
affreux  monstres  à  face  humaine,  venus  de  Tenfer;  l'un  aux 
petits  yeux  ronds,  au  nezcamard«  à  la  gueule  armée  de  dé- 
fenses de  sanglier,  pose  son  pied  d'oie  sur  l'épaule  du  saint  et 
le  tire  par  les  cheveux,  tandis  que  l'autre,  à  pieds  d'onagre^ 
dans  une  position  singulièrement  combinée,  pose  un  de  ses 
pieds  sur  l'estomac  du  saint  et  l'autre  sur  son  genou,  le  tire  par 
la  barbe  et  l'oblige  à  mettre  son  nez  à  son  derrière. 

Plus  loin  on  voyait  d'autres  scènes,  des  obscénités,  des  bac- 
chanales, les  travaux  d'Hercule,  le  diable  battant  sa  femme, 
une  mère  fouettant  son  enfant  en  se  bouchant  le  nez,  des  jeux 
d'enfants,  des  intérieurs  de  corps  de  métier,  des  cordonniers, 
des  vinaigriers,  des  orfèvres,  un  oiseleur,  un  mendiant,  etc. 
Nous  serions  trop  longs  si  nous  voulions  faire  la  description  de 
toutes  ces  bizarreries,  où  l'esprit  gaulois  de  nos  vieux  pères, 
amis  du  rire  et  de  la  gaUé,  s'est  si  bien  exercé  à  rendre  les  jeux, 
les  plaisanteries,  les  déguisements  des  bacchanales,  les  folies 
de  carnaval  de  son  temps.  Mais  ce  qui  étonne  le  plus  c'est  l'ha- 
bileté des  artistes  bahutiers  qui  ont  su  combiner  tant  de  rac- 
courcis et  les  exécuter  d'une  manière  si  naturelle  et  si  précise. 
On  dit  que  Gallot  s'est  inspiré  de  ces  stalles  pour  composer  sa 
fameuse  Tentation  de  saint  Antoine,  et  que  leurs  extravagances 
ont  fourni  À  Sedaine  l'idée  de  son  cantique  bizarre  ;  nous  le 
croirions  facilement. 

Ces  stalles  curieuses  ne  sont  pas  perdues  :  elles  ont  été  trans- 
portées dans  l'église  de  l'abbaye  de  Saint-Denis. 

Après  nous  être  arrêtés  peut-être  trop  longtemps  à  décrire 
l'église  et  son  mobilier,  nous  continuons  la  topographie  du  mo- 
nastère. En  sortant  de  l'église  par  la  porte  latérale  du  transept 
sud,  et  c'était  par  là  qu'entraient  ordinairement  les  religieux,  on 
pénétrait  dans  un  bâtiment  à  trois  étages ,  de  26  m.  de  longueur, 
semblant  continuer  le  transept.  Au  rez-de-chaussée ,  étaient  les 
escaliers  et  l'ancienne  salle  du  chapitre;  au  premier,  la  sacristie 
et  un  chauffoir;  au  second,  le  chœur  de  nuit  et  une  classe.  En 
retour  d'équerre  et  parallèlement  à  l'église  s'élevaient  les  trois 
étages  d'une  vaste  construction  de  68  m.  de  long  sur  42  m.  de 
large,  avec  pavillons  aux  deux  extrémités.  Au  rez-de-chaussée 


DK   L'ABBAYK  AbtÂLB  DK  SAINT-LUGIKN.  691 

se  trouvaient  un  grand  salon  lambrissé  et  parqueté,  de  10  m. 
sur  il,  une  cuisine  Yoûlée  avec  ofûce  et  garde  manger^  le  réfec- 
toire lambrissé,  de  27  m.  de  long  sur  8  m.  de  large,  la  salle  du 
chapitre  et  plusieurs  autres  pièces.  Âu  premier  étaient  deux  ap- 
partements de  maître  avec  antichambre,  un  cabinet,  des  cham- 
bres de  domestiques  et  la  bibliothèque,  de  13  m.  de  longueur, 
divisée  en  quatre  parties.  Au  second,  un  corridor,  neuf  cellules 
avec  antichambre  et  garde-robe ,  et  plusieurs  autres  apparte- 
ments. 

En  retour  d'équerre  de  ce  bfttiment  et  en  se  dirigeant  vers 
régUse,  s'en  trouvait  un  autre  de  34  m.  de  long  sur  13  m.  de 
large,  aussi  à  trois  étages  et  destiné  au  logement  des  étrangers. 
Chaque  étage  était  divisé  en  cinq  pièces. 

En  retour  d'équerre  encore  et  pour  fermer  Tespace  compris 
entre  ce  bâtiment  et  le  pignon  du  grand  portail  de  l'église,  s'en 
élevait  un  autre  de  20  m.  de  long,  à  trois  étages  comme  les  pré- 
cédents; il  servait  d'entrée  à  la  maison  conventuelle  et  de  de- 
meure au  portier. 

A  l'intérieur  de  ce  grand  quadrilatère,  et  tout  au  tour,  étaient 
les  cloîtres,  où  l'on  remarquait  plusieurs  tombes.  On  y  enterrait 
les  moines  et  même  des  personnages  de  distinction,  ainsi  que 
l'attestait  cette  inscription ,  très-ancienne,  trouvée  sur  une  pierre 
placée  dans  la  partie  avoisinant  l'église. 

HIC  PIETATIS  HOMOS,  NEC  NON  VENERABILIS  HEROS, 

JUSTITIyE  QUE   DEÇUS,  FUNUS  HABET  POSITUS, 
GIVIBUS  OSTRADUS  PROPRllS  QUI  GONDIDIT  ALMA 

AG  GLARUM  VIRTUS  NOMEN  UABERE  DEDIT. 
IDIBUS   ORBIGENUH  DEGEMBRIS  LIQUIT  EOUM 

PRESSUS  LETHEO   OMNIMODIS  JAGULO 
SI  QUIS  IN   HOG  SAXO  LEGIS  HOSPES  AGTA  SUPREMl 

DIG  AGE  GUM  REQUIF.  SEMPCR,  OTRADE,  VALE. 

A  l'ouest  de  ces  grandes  constructions  était  la  basse-cour  avec 
des  dépendances. 

De  magnifiques  jardins,  aux  parterres  soutenus  par  des  ter- 
transes,  aux  charmilles  ombreuses ,  aux  pièces  d'eau  limpides, 
s'étendaietlt  au  midi.  Le  potager  se  trouvait  plus  à  l'ouest.  Au 
dehors  de  Tenceinte  particulière  de  la  clôture  monacale,  entré 
elle  et  là  rue  de  la  Borne-Trouée ,  était  une  vigne  de  quatre  ar- 


692  HI6T«1BB 

penU  appelée  le  ClosBardou;  elle  fournissait  une  partie  du  vin 
de  la  communauté,  et  à  côté  s'élevait  un  beau  l>ois  de  quatorze 
arpente,  aux  promenades  solitaires,  s'étendant  jusqu'aux  rives 
du  Thérain.  De  fructueux  vergers  avoisinaient  la  basse-cour. 

Toutes  ces  magnificences  ne  sont  plus;  un  gouvernement  à 
bout  d'argent  les  a  spoliées  et  vendues ,  et  des  industriels  les 
ont  démolles  ou  dévastées,  l'ne  porte ,  une  tour,  des  caves , 
deux  granges  et  quelques  petite  b&timente  d'exploitation  sont 
les  seuls  restes  de  ce  riche  monastère,  que  ne  dédaignèrent  pas 
de  régir  des  cardinaux  de  Bourbon,  deRicbelieu,  de  Mazarin 
et  des  Bossuet.  Ijà  propriété  n'a  pas  même  gardé  son  intégrité; 
morcelée  par  M.  Michel  de  Boisllsle,  l'acquéreur  primitif,  elle 
fut  par  lui  vendue  à  divers  particuliers.  M.  Rayé ,  avoué  à  Beau- 
vais,  en  possède  aujourd'hui  la  plus  grande  et  la  plus  belle 
partie,  celle  occupée  par  les  édifices  et  les  jardins,  il  en  a  fait 
une  jolie  ferme,  en  conservant  avec  le  plus  grand  soin,  nous  di- 
rons même  avec  le  plus  grand  respect,  tous  les  vestiges  subsis- 
tante de  cet  ancien  monastère,  dont  son  respectable  aieul  avait 
été  le  notaire  et  le  feudiste  dévoué. 

II.  —  REVENU  TEMPOREL. 

Là  fortune  territoriale  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  était  consi- 
dérable, et  ses  revenus  Tétaient  encore  davantage  à  cause  de  la 
multiplicité  de  leurs  sources.  La  propriété  foncière,  cultivée  par 
les  religieux  et  par  leurs  fermiers,  rapportait  des  fruits;  les  re- 
devances et  les  droits  divers,  que  Tabbaye  possédait,  tant  sur 
les  personnes  que  sur  les  choses  soumises  à  sa  domination , 
produisaient  des  rentes  au  moins  aussi  importantes.  Tout  cela 
constituait  un  rcveou  annuel  des  plus  convenables.  Sa  quotité 
cependant  ne  fut  pas  toujours  la  même.  La  fortune  du  monas- 
tère, quoique  moins  exposée  à  la  fluctuation  que  celle  des  par- 
ticuliers, eut  ses  variations.  Les  événements,  les  guerres,  les 
nécessités  publiques  et  privées,  et  mille  autres  causes,  influèrent 
sur  elle.  Nous  avons  vu ,  dans  le  cours  de  cette  histoire ,  toutes 
les  aliénations  de  propriétés  que  Ton  fut  contraint  de  faire  pour 
subvenir  aux  besoins  du  moment.  Que  de  redevances  et  de  droits 
ne  furent  pas  aussi  périmés  par  suite  de  l'incurie  de  certains 
abbés.  Il  devient  donc  difficile  aujourd'hui  d'évaluer  absolument 


DE   l'aBBATE  royale  DE  SAINT  LUCIEN.  695 

la  fortune  du  monastère  aux  diverses  époques  de  son  existence. 
Nous  tâcherons  de  le  faire  néanmoins,  à  l'aide  des  divers  états 
et  déclarations  laissés  par  les  religieux. 

D'après  un  état  de  Tan  1600  (1),  le  revenu  totai  de  Tabbaye 
montait  à  37,743  livres  43  sols  9  deniers  en  argent,  346  muids 
9  mines  de  blé  et  117  muids  d'avoine.  Un  autre  état,  dressé  vers 
l'an  1660  (2),  le  portait  à  39,297  livres  en  argent  et  235  muids  de 
grains.  L'estimation  faite,  en  1700,  par  ordre  de  Bossuet,  pour 
effectuer  le  partage  des  revenus  en  trois  lots ,  évaluait  ces  reve- 
nus à  40,383  livres ,  sans  compter  les  bois.  La  déclaration  pré- 
sentée par  les  religieux  au  bureau  ecclésiastique  de  Beauvais, 
en  1751,  accusait  pour  leur  part,  qui  était  le  tiers  du  revenu 
total,  27,009  livres  17  sols.  Enfin,  les  agents  de  la  Révolution 
trouvèrent,  en  1790,  vérification  faite  des  registres  de  la  maison, 
que  le  revenu  total,  pour  l'année  1791,  était  de  53,230  livres 
4  sols  10  deniers.  Ces  données  suffisent  pour  établir  la  situation 
financière  de  l'abbaye  pendant  les  xvii''  et  xviiP  siècles.  Elle 
était  à  peu  près  la  même  au  xiv«  siècle,  d'après  un  état  de  1380. 
Les  ciiartes  de  confirmation  des  biens  du  monastère ,  données 
par  les  évêques  de  Beauvais  et  d'Amiens  en  1157  et  1159  (3),  et 
rapportées  ci -dessus,  font  connaître  cette  situation  auxii»  siècle. 

Voyons  maintenant  quelles  étaient  les  sources  d'où  prove- 
naient ces  revenus. 

Abbecourt.  —  La  terre  et  seigneurie  d'Abbecourt  provenait 
d'un  échange  avec  l'abbaye  de  Saint-Denis.  Elle  s'était  accrue 
par  diverses  donations  et  acquisitions;  ainsi,  Jean  deMouy  avait 
donné  une  hostise  en  1224,  Simon  de  Poissy  tous  les  serfs  qu'il 
avait  en  ce  lieu  en  1254,  Marie,  maîresse  d'Oni,  avait  vendu  une 
mine  et 'demie  de  terre  en  1235,  et  Pierre,  curé  du  lieu,  avait 
cédé  trois  hôtes  avec  leurs  hostises  en  1280  (4).  En  1750,  Tabbaye 
de  Saint- Lucien,  pour  satisfaire  aux  contributions  extraordi- 


(1)  Cabinet  de  M.  le  comte  de  Herlemont. 
■2)  Ibidem. 

(3)  C'est  par  ane  erreur  typographique  qae  dans  le  texte  donné  à  la 
page  330  il  y  a  1559  :  il  faut  1159. 

(4)  Arcki.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Lacten. 


69i  ftiSfotts 

ûftired  impOftéêë  sur  le  clergé  par  le  roi  Chariéfl  IX,  vendit  cette 
terre  à  Jacques  Llgier,  boufgeoiô  de  Parla,  en  ô'en  réseftant  tou- 
tefois la  mouvance.  M.  Llgier  la  donna  à  sa  flile  unique,  mariée 
à  M.  brisard ,  conseiller  ail  Parlement  de  Paris.  Julien  Brisard^ 
abbé  de  Saint-Prix,  son  flls,  et  Claude  Brisard,  neteu  de  Julien, 
la  possédéretit  ensuite.  Les  flls  de  Claude,  Jacques  et  Françoià- 
Jean-Baptîste  Brisard,  la  revendirent  en  1703,  avec  le  fief  du 
Colombier,  &  Tabbaye  de  SaiUt-Lucien,  qui  en  resta  propriétaire 
Jusqu'en  1791.  Ce  domaine  consistait  en  un  mânoir  seigneurial, 
tfertae  et  bâtiments  d'exploitation,  un  enclos  d'environ  28  mines, 
f 06  mines  de  terre  labourable,  20  mines  de  pré  et  43  arpents 
de  bois.  L'abbaye  avait  en  outre  la  dîme  du  lieu,  des  censives 
en  argent  et  erl  nature  sur  vingt  huit  masures,  estimées  39i  liv., 
le  champart  sur  \m  mines  de  terre  et  le  demi-champart  stir 
36  mines  et  demie,  le  droit  de  lods  et  de  vente,  la  haute, 
inoyenne  et  basse  justice.  Cette  propriété  fut  vendue  par  la  na- 
tion, le  3  avril  d70l,  et  adjugée  à  M.  deMaupeou  pour  la  somme 
de  121, 30f)  livres;  toais  cet  adjudicataire  ayant  émigré,  elle  fut 
saisie  de  nouveau,  divisée  en  soixante-neuf  lois  et  vendue  à  di- 
vers particuliers  les  6,  7,  8  et  0  tnars  170 1.  Pierre-Henri  Batteau, 
l^aticien  fermier,  acheta  le  manoir  seigneurial,  et  Fl-ançois- 
Gabriel  Èlumont  le  corps  de  ferme  (l). 

Abbeville-Saint-Lucien.  —  L'abbaye  en  possédait  la  terre  et 
.seigneurie,  les  dîmes,  des  champarts  et  des  censives.  Les  droits 
seigneuriaux  se  percevaient  au  sixième ,  c'est-à-dire  à  une  livre 
sur  six.  La  terre  se  composait  d'un  corps  de  ferme  avec  bâti- 
ments d'exploitalloh,  assis  sur  un  enclos  de  3  mines  auprès  de 
l'église,  de  181  mides  de  terre  labourable  et  des  bois  des  Ave- 
nelles  (0  arp.  U  v.),  du  Parc  (14  arp  81  v.)  et  de  Longue-Eau 
(91  atp.  70  V.).  La  dlme  se  prenait  â  9  du  cent  et  le  champart  à 
18  du  cent.  L'abbaye  avait  en  outre  les  deux  tiers  des  menues 
dîmes,  le  forage  à  un  pot  de  vin  par  muid  ,  les  corvées,  le  droit 
de  relief  à  raison  d'un  sol  parisis  par  mine  de  terre  et  cinq  sols 
par  masure  vendue,  et  les  censives  qui  consistaient,  en  1689, 
en  deux  chapons,  deux  pains  de  cinq  à  la  mine  et  280  livres 
environ  d'argent. 


(1)  Arch.  de  l'Oise  .-  abb.  de  Saint-Liicieii. 


DK  l'abbaye  BOTALB  DI  SAINT -LUCIEN.  6ff5 

La  ferme  d'Abbe ville,  vendue  par  la  nation 4  le  14  juillet  noi, 
à  François  Delavacquerie,  de  Nolrémont,  pour  59^000  livres,  fut 
revendue  sur  lui,  le  4  juin  i 792,  à  Marie-Marguerite  Roger, 
veuve  Morel,  pour  99, i 00  livres  (i). 

Amiens.  —  Une  rente  de  200  livres  sur  le  maire  et  leséchevlns 
d'Amiens. 

Angy.  —  Le  champart  sur  9  mines  de  terre. 

Ansacq.  —  La  justice  et  des  censives  sur  plusieurs  héritages. 

Ansauvillers.  —  L'abbaye  y  possédait  la  dtme  sur  le  fief  de 
fioismont  et  sur  iine  partie  du  territoire,  et  9  mines  de  terre, 
en  sept  pièces,  tjul  furent  vendues,  le  28  avil  i79^,  4,028  livres 
à  Eloi-François  Maillet. 

Ans  '  sous -Cambronne.  —  La  justice  et  des  censives  stir 
plusieurs  héritages. 

AUCHY-LA-MoNTAGNfe.  —  Un  fief  mouvaut  de  Tabbaye  était 
possédé  par  le  sieur  Brisset. 

Aumalë.  —  Deux  marcs  d'argent  de  rente,  évalués  à 9  livres, 
sur  la  seigneurie  d'Aumale,  constitués  en  1130  par  Guillaume, 
comte  d'Aumale,  lors  de  Térection  en  abbaye  du  prieuré  de 
Saint-Martin  d'Auchy. 

AUVILLERS.  —  La  dltoe. 

AvRETcdY.  —  Un  petit  fief,  donné,  en  1245,  par  Taumônier  de 
la  comtessse  de  Glermotlt,  fut  plus  tard  accensé  par  Tabbaye 
moyennant  8  sols  parisis  de  cens  annuel. 

Beaupuits.  —  La  terre  et  seigneurie  du  lieu,  consistant  en  un 
cofps  de  ferme  et  3i0  mines  de  terre  et  quelques  censives. 

Bbauvais.  —  Plusieurs  surcens  et  tetites  sur  des  maisons, 
jardins  et  vignes. 

BEAUVE-IlÉRiGOURT.—  l^a  terre  et  seigneurie  de  Beauve,  achetée, 
en  i292,  de  Mabilie  de  Beauve.  En  1479,  Tabbé  iean  de  VillerS 
l'avait  affermée 4  pour  99  ans,  à  Pierre  d'Herbannes,  écuyer, 
seigneur  de  Fontenay.  Les  gendres  de  ce  gentilhomme,  Guillaume 
et  Claude  de  Remy  et  Simon  de  Villepoix,  continuèrent  son  bail. 
Le  cardinal  de  Bdurbon  l'afferma  de  nouveau,  en  ld70,  à  André 
de  Bourbon,  seigneur  de  RUbempré^  qui  céda  son  bail  à  Antoine 
de  Remy,  fteigneur  de  Montigny.  Ce  derniel*  se  rendit  propriétail-e 


(1)  Arcb.  de  roisd  :  abb.  de  Saint-Lucien. 


696  HISTOIRB 

rie  la  terre  eu  1587,  lorsque  l'abbaye  fut  contrainte  de  la  vendre 
pour  fournir  sa  part  dans  Timpôt  frappé  sur  le  clergé.  Il  la 
laissa  à  Antoine  de  Remy,  son  deuxième  fils ,  par  son  partage 
de  Tau  1618.  Les  enfants  de  ce  dernier,  Philippe,  Samuel  et 
Jean  de  Remy,  se  la  partagèrent  en  lOSâ,  et  la  revendirent,  en 
1706,  à  rabbaye,  pour  la  somme  de  22,000  livres. 

Cette  terre  se  composait  d'un  corps  de  ferme  avec  bâtiments 
d'exploitation  et  38  mines  d'herbage,  de  173  mines  de  terre 
labourable,  10  mines  de  pré  et  du  bois  d'Héricourt.  La  nation 
la  vendit,  le  ±2  janvier,  et  21  février  1791,  à  M.  Louis-Marc- 
Antoine  De  La  Rue,  chevalier,  seigneur  d'Héricourt,  pour 
i04,436  livres. 

Bernapré  (Roinescamps).  —  L'abbaye  avait  acquis  le  fief  de 
Bernapré,  en  1332,  de  Jean  de  Lieurembronne  et  consorts,  et  le 
vendit  en  i.*)7r>,  en  s'en  réservant  la  mouvance  et  plusieurs 
censives. 

Bethencourt-Saint-Nicolas  {Baiil€va/\  —  Lne  maison  avec 
pressoir,  9  arpents  de  vignes  et  plusieurs  cens  et  surcens. 

Bois-d'Ecu  {La  Chaussée-du^Bois^'Ecu).  —  Trente-deux  mines 
de  grains  (20  de  blé  et  12  d'avoine)  de  redevance  annuelle  sur 
la  ferme  du  Bois-d'Ëcu,  appartenant  à  la  commanderie  de  Fon- 
taine, par  suite  d'une  transaction  de  1368,  pour  tenir  lieu  du 
droit  de  champart  sur  le  territoire  du  Bois-d'£cu. 

BONNEUiL.  —  La  dîme  du  hameau  de  Saint-Sauveur  appelé 
Bozodemer. 

BONNiÈRES.  —  La  terre  et  seigneurie  de  Bonnières ,  apparte- 
nait déjà  à  l'abbaye  en  1157;  elle  fut  augmentée,  en  1206,  de  la 
cession  faite  par  Raoul  de  Bonvillers  et  Ade  de  Moy,  sa  femme , 
de  leur  fief  de  Bonnières,  que  le  chevalier  Ursion  de  Moy,  père 
delà  dite  Ade,  tenait  en  mouvance  des  religieux  de  Saint-Lucien, 
de  la  vente  d'un  autre  fief  faite ,  en  1243 ,  par  Jean  de  Praelle  et 
Eméline,  sa  mère,  et  d'une  partie  du  bois  de  Gresnes,  donnée, 
en  1243,  par  Alix,  veuve  de  Guy  de  Saint-Arnoult  (1). 

Cette  terre,  qui  consistait  en  un  corps  de  ferme  sis  à  Bon- 
nières avec  14  arpents  d'herbage  y  attenant,  42  mines  de  terre 
labourable,  12  mines  de  pré  et  186  arpents  63  verges  de  bois  en 


iv  Arcb.  de  l'Oise  :  abb.  de  Saint-Laden. 


DE   l'abbaye   royale  DE   SAINT  LUCIEN.  697 

quatre  pièces  (bois  de  Roye,  28  arp.  94  v.;  de  Maison,  61  arp. 
43  V.;  de  Croisette,  78  arp.  92  v.;  des  Fosses,  18  arp.  33  v.),  fût 
vendue  au  duc  de  BoufOers  en  1700.  Les  religieux  se  réservèrent 
les  dtmes  et  la  nomination  à  la  cure.  Ils  acquirent  plus  tard 
de  la  cure  du  lieu,  8  mines  et  demie  de  terre,  de  sorte  qu'en 
1789,  cette  localité  rapportait  encore  à  Tabbaye  1,900  livres  de 
fermage. 

Breuil-le-Vert.  —  Quelques  dîmes  et  divers  cens. 

Brunvillers-la-Motte.  —  Les  dîmes  sur  un  triage  appelas 
Lezonvillers ,  et  i  sols  8  deniers  parisis  de  cens  sur  6  mines  de 
terre. 

BuGAMP.  —  Les  dîmes  du  territoire  de  Fresneaux. 

Bury.  --  Une  maison  et  un  clos  de  vignes  à  Arsy,  donnés 
en  809,  par  Charles-le-Chauve ,  3  arpents  de  vignes,  un  pressoir, 
des  prés  et  des  censives. 

Campremy.  —  Les  deux  tiers  des  dîmes,  des  champarts,  une 
redevance  en  grains  et  la  mouvance  du  fief  d'Arion  ou  f)ranc- 
fief  de  Saint-Lucien,  donné,  en  1140,  par  ilugues  de  Grèvecœur. 

Catillon.  —  Quelques  dtmes. 

Grmpuis.  —  Les  grosses  dîmes  et  les  deux  tiers  des  menues 
dtmes  et  une  redevance  d'une  demi-mine  d'avoine  et  d'un  cha- 
pon ,  sur  une  masure ,  avec  la  justice  de  cette  masure. 

CiNQUEUx.  —  La  terre  et  seigneurie ,  aliénée  au  xvi«  siècle. 

CORBiE.  —  Une  redevance  de  lââ  livres  sur  Tabbaye  de  Gorbie, 
au  lieu  de  2:2  marcs  d'argent. 

CouLLEMOGNE  (Oudcuil),  —  La  terre  et  seigneurie  de  Goulle- 
mogne ,  les  dîmes  de  îa  paroisse  d'Oudeuil ,  le  champart  sur 
21  mines  de  terre,  les  droits  de  lods  et  de  ventes,  et  11  mines 
et  demie  d'avoine ,  huit  chapons  et  20  livres  d'argent  de  cen- 
sives. Gette  terre,  dontrabbaye  possédait  déjà  une  partie  en  1157, 
fut  augmentée  considérablement  au  xiii«  siècle.  En  1230,  Guy 
Gotins  donne  toutes  ses  terres  d'Oudeuil  avec  son  droit  de 
champart-,  Adam  Canis  vend,  en  1237 ,  4  mines  de  terre;  Ber- 
nard Coispel,  dit  de  Goquerel,  un  demi-muid  de  bois,  en  1238, 
et  un  pré  en  12il;  Philippe  Baudoin  donne  un  muid  et  demi  de 
vignes  et  14  mines  de  terre  en  1240;  Jean  Barberousse  vend, 
en  1241 ,  une  terre  dite  le  Ghamp-du-Buis ,  et  Eustache  du  Pré 
7  mines  de  terre  en  1242.  En  12 iS),  Jean  de  Monceaux  cède,  par 
échange,  deux  pièces  de  bois,  et  Jean  d'Oudeuil  donne  10  mines 


698  HISVOIBB 

de  blé  de  rente  en  1^0.  Enfin,  Tabbaye  acquiert  iO  mines  de 
terre,  en  1i*M),  d'EloiLe  Vigneron,  une  maison  d'un  nommé 
Asceline  en  12K6,  7  mines  de  terre,  en  1257,  d'Henri  Barbe- 
rousse,  et  une  pièce  de  terre  de  Renaud  de  Trie. 

Ce  domaine  consistait ,  en  1790,  en  un  corps  de  ferme  sis  à 
Goullemogne,  avec  un  arpent  d'eaclos,  216  arpents  de  terre  la- 
bourable, 19  arpents  de  bois,  60  arpents  de  friches,  i  arpent 
et  demi  de  pré.  Il  fut  vendu  par  la  nation,  le  3  févner  1791 ,  à 
Jean-Baptiste  Féron  et  Charles  Emanuel  Roussel,  d'Oudeuil, 
pour  130,300  livres. 

CouRCELLES  {Blacourt),  —  La  mouvance  d'un  fief  vendu ,  en 
1575,  à  Guy  de  Monceaux,  et  diverses  censives. 

Crillom.  —  Deui  masures  avec  la  justice  et  le  tiers  des  grosses 
dîmes. 

Farivillers.  —  L'abbaye  avait  à  prendre,  en  1265,  6  mines 
de  blé  de  redevance  sur  la  terre  de  Farivillers.  Cette  redevance 
fut  aliénée  dans  la  suite. 

Feuquiêres.  —  Des  censives  en  argent,  chapons  et  avoine  sur 
une  maison  et  divers  autres  immeubles,  une  partie  des  dîmes, 
le  champart  et  la  justice  sur  89  mines  de  terre. 

Flexicourt.  —  Une  rente  de  60  livres  sur  le  prieuré  cédé  par 
Tabbaye  aux  jésuites  d'Amiens. 

Fontaine-Sàint-Lugien.  —  La  terre  et  seigneurie  du  lieu,  les 
dtmes  et  champarts  à  18  du  cent  et  des  censives.  La  terre  con- 
sistait en  une  maison  et  bâtiments  d'exploitation,  avec  2  mines 
d'enclos,  deux  granges  dlmeresses  vis-à-vis  l'église,  193  mines 
de  terre  labourable  et  111  arpents  60  verges  de  bois  en  trois 
pièces,  (le  bois  du  Parc,  57  arp.  67  v.;  de  la  Verinne,  17  arp. 
23  V.  ;  de  Houssoy,  36  arp.  70  v.)  Le  corps  de  ferme  avec  les 
deux  granges  dlmeresses  et  les  193  mines  de  terre  ont  été  ven- 
dus par  la  nation,  le  18  juin  1791 ,  à  Ant.-Denis  Anty,  maire  de 
Bresles ,  pour  45,900  livres. 

Foulangues.  —  La  terre  et  seigneurie  de  Foulangues  prove- 
nant en  partie  des  donations  du  seigneur  de  Viilers-Saint-Paul 
en  1260,  et  du  cardinal  Cholet  en  1286.  Ce  domaine  consistait, 
en  1789,  en  un  corps  de  ferme  avec  enclos,  47  arpents  de  terre, 
des  prés ,  des  aunois  et  un  moulin  en  ruine.  L^abbaye  avait,  en 
outre,  des  censives,  le  champart  sur  36  mines  de  terre,  des  cor- 
vées et  la  justice  du  lieu. 


DB  l'abbaye  BQT4lf]9  PS   SAINT-LUGIBN.  689 

FouQUKNiES.  —  Des  ceosives  sur  48  mines  de  terrç ,  pr^  et  l)oj0, 
4  laines  de  pré,  id  mines  de  terre  la))ottrable,  53  arpents  de 
bois ,  dit  le  Bois  de  Saint-lfaxien,  et  90  livres  de  rentes  sur  )e 
prieuré  de  Saint-Maxien  uni  au  séminaire  4b  Qeauvais. 

Frangastel.  —  Quelques  menues  dîmes  et  3  muids  de  blé  de 
redevance  sur  le  pbapitre  de  Saint- Laurent  de  Beauvais,  pour 
tenir  lieu  de  la  part  des  grosses  dîmes,  cédée  par  l'abbaye  à  ce 
chapitre  en  149i. 

Froissy.  —  La  terre  et  seigneurie  du  petit  Froissy,  donnée 
en  ii32  par  Wibert  de  Guiencourt.  Ce  domaine  se  composait, 
en  1789,  de  160  mines  de  terre  labourable,  des  dîmes  de  toute 
la  paroisse,  des  champarts  sur  80  mines  de  terre  et  de  plusieurs 
censives  en  grains.  La  dlme  et  les  cbampartsav^ent  été  donnés, 
en  1132,  par  Wibert  de  Guiencourt  et  Nivelon  de  Rotangy. 

FuMEGHON.—  Les  dîmes  du  lieu  donnée  en  1139. 

Gaudechart.  —  Une  partie  de  la  seigneurie  avec  les  dîmes  et 
le  champart  sur  400  journaux  de  terre,  par  donation  d'Hélye, 
vidame  de  Gerberoy,  vers  1139. 

Glatigny.  —  Il  y  avait  un  fief  avec  droits  seigneuriaux ,  cen- 
sives et  quelques  portions  de  dîmes  et  de  champart,  qui  fut 
vendu,  en  1700,  au  duc  de  Boufflers. 

GouY  [Noyers-Saint- Martin).  —  Une  redevance  de  4  muids  de 
grains  sur  la  grange  de  Tabbaye  de  Froidmont,  à  Gouy. 

Grandvilliers.  —  La  terre  et  seigneurie  de  Grandvilliers  avec 
toute  la  justice,  pap  donation  de  Roricon,  évèque  d'Amiens,  et 
d'Arenburge,  mère  de  Hugues  de  Cluny,vers  1090, Gautier  et  Gibuin 
Moi3sart,en  1188;  Jean  d'Hétomesnil  (1188)  et  Jean  de  Grosserve 
(lâil).  L'abbaye  y  avait  jadis  une  grange  ou  ferme  qui,  détruite, 
ne  fut  pas  rebâtie.  La  place  publique,  dite  la  Censé ,  en  occupe 
Femplace^^ent.  A  Tabbaye  appartenaient  les  droits  de  minage, 
d'étalage,  de  poids  et  balances,  de  pied  fourché  (1)  et  de  ian- 
guéyage(2),  les  dîmes  et  champarts,  des  censives,  les  droits 
seigneurial^  et  deux  moulins  à  vent  avec  banalité. 


(0  Droits  sur  les  porcs,  moutons  et  vaches  amenés  au  marché  pour 
être  vendus. 

(8)  DroUs  snr  les  porcs  mis  en  vente,  pour  rinspection  de  leur  langue 
par  les  experts  ou  esgards  par  s'assurer  s'ils  sont  sains  ou  ladres. 


700  HISTOIRE 

GrandvillerS' AUX -Bois.  -  L'abbaye  y  prenait,  en  1362 
et  1466 ,  sur  la  seigneurie,  une  redevance  de  27  mines  de  blé, 
donnée  en  1238,  par  Nicolas  de  Grandvillers. 

Grez.  —  Une  ferme  avec  la  justice,  donnée  vers  1130  par 
Nivard  de  Grez ,  le  sixième  des  dîmes,  des  censives  et  des  cham- 
parts.  La  ferme  consistait  en  un  corps  de  logis  avec  4  journaux 
d'enclos  et  89  journaux  de  terre  labourable.  Elle  fut  vendue  par 
la  nation  44,000  livres  à  divers  particuliers,  le  19  janvier  1791. 

GiiEHENGNiES  {Verderel),  —  1^  mouvance  d'un  fief  et  des 
censives. 

Hau COURT.  -  Le  fief  d'Haucourt  fut  vendu,  en  1700,  au 
duc  de  Bouffters,  et  Tabbaye  ne  conserva  que  quelques  dîmes. 

Hodenc-l'Evèque.  —  L'abbaye  y  possédait  jadis  (1639)  une 
maison,  deux  arpents  de  vignes,  une  terre  et  la  dîme;  elle  ne 
jouissait  plus  que  de  la  dlme  en  1789. 

HONDAiN VILLE.  --  Des  dlmcs  et  des  champarts. 

JuviGNiES.  —  Une  ferme  avec  les  droits  seigneuriaux ,  des  cen- 
sives, les  dîmes  et  les  champarts  d'une  partie  du  territoire,  et 
5i  arpents  de  bois.  Ge  domaine  provenait  en  parfie  de  la  dona- 
tion faite,  en  1148,  par  Thibault  de  Beauvais,  archidiacre  de  Beau- 
vais,  et  en  partie  de  celle  faite ,  en  1220,  par  Hugues  et  Renaud, 
seigneurs  de  Juvignies.  La  ferme  consistait  en  un  corps  de  logis 
etses  dépendances,  3  raines  d'enclos  et3ii  mines  de  terre.  Elle  fut 
vendue,le6  juillet  1791, 40,200  livres  àMarie-AnneLefèvre,  veuve 
de  Jean-Baptiste  Floury.  Le  bois  fut  vendu  à  M.  de  Malinguehen, 
le  19  août  suivant,  41,800  livres. 

La  Landelle.  —  Les  bois  des  Galenges-d'Ons  (105  arp.)  et  des 
Domaines  (664  arp.),  acquis,  en  1307,  de  Guy  de  Beaumont,  sei- 
gneur d'Ons-en-Bray. 

La  Neuville-Saint  pierre.  —  Des  droits  seigneuriaux. 

Laversines.  —  Une  redevance  de  13  mines  de  blé  sur  un  fief 
donné  à  cens. 

La  Verrière.  —  Quelques  dtmes  données,  vers  1150,  par  Wer- 
nier  de  La  Verrière. 

Lesseville.  —  Le  prieuré  et  sa  chapelle,  26  arpents  de  terre, 
1  arpent  de  pré,  6  arpents  de  bois,  des  dîmes,  des  champarts 
et  des  censives. 

Lhéraule.  —  Quatorze  arpents  de  bois  ont  été  vendus,  en  1700, 
au  duc  de  BoufQers ,  l'abbaye  a  seulement  conservé  les  dîmes. 


DE  l'ABBAYB  royale  DE  SAINT-LUGIEN .  701 

LUGHY.  —  La  terre  et  seigneurie  donnée  par  Charles -le-Chauve, 
les  dîmes,  des  champarts,  des  censives,  un  moulin  à  vent  et  des 
bois.  Les  bois,  contenant  i66  arpents  6i  verges,  étaient  en  trois 
massifs,  le  bois  de  Béhu  (7i  arp.  48  v.),  le  bois  Emond  (54  arp. 
72  V.)  et  le  bois  Ricard  (40  arp.  41  v.)*  La  ferme  se  composait 
d'un  corps  de  logis  avec  3  journaux  d'enclos  et  200  journaux 
de  terre  labourable.  Elle  fut  vendue,  le  28  février  1791,  avec  le 
moulin  à  vent,  121,700  livres  à  Jean  Bouteille,  laboureur  à  Âu- 
chy-la-Montagne, 

Maihbeville.  —  Les  dîmes  et  des  champarts. 

Maisongelle-Saint-Pierre.  —  Une  partie  des  dtmes. 

Margny-les-Compiègne.  —  Le  fief  de  Margny,  maison,  terres, 
vignes  et  champarts,  que  l'abbaye  possédait  depuis  le  commen- 
cement du  xii«  siècle,  fut  accensé  en  1577  à  Michel  de  Waterre, 
moyennant  12  écus  d'or  sol,  et  en  1704  à  la  veuve  du  maré- 
chal d'Humières,  moyennant  150  livres  et  deux  chapons  de  re- 
devance  annuelle. 

Maulers.  —  La  terre  et  seigneurie  donnée  au  xp  siècle  par 
le  comte  Thibault,  la  dlme,  des  champarts,  des  censives  et  des 
bois.  Ces  bois,  divisés  en  trois  groupes,  dits  le  bois  de  Béhu 
(90  arp.  46  v.),  le  bois  Moyen  (il  arp.  34  v.),  le  bois  L'Abbé 
(12  arp.  12  V.),  contenaient  113  arpents  92  verges.  La  ferme  se 
composait  d'une  maison  et  ses  dépendances,  d'un  enclos  de 
2  arpents  et  de  120  arpents  de  terre. 

Haysel.  —  Un  fief  provenant  des  donations  de  Guillaume  de 
Mello  et  du  cardinal  Gholet. 

MiAUROY  {Notre'Dame-dvrThil),  —  Une  chapelle  avec  un  enclos 
de  18  verges,  dans  lequel  est  une  fontaine  où  on  vint  en  pèleri- 
nage jusqu'au  commencement  de  ce  siècle.  Trois  moulins,  dont 
deux  à  blé  et  un  à  fouler  le  drap ,  et  79  mines  de  pré. 

MiLLY.  —  Le  prieuré  et  ses  appartenances. 

MoNTAUBERT  {Thérines).  —  La  terre  et  seigneurie  de  Montau- 
bert. 

MoNTiGNY.  —  Les  dîmes,  des  champarts  et  des  censives. 

MORAINVILLERS.  —  LCS   dlmCS. 

MuiDORGE.  —  La  terre  et  seigneurie  consistant  en  un  corps  de 
ferme  et  ses  dépendances,  un  enclos  de  trois  mines ,  130  mines 
de  terre  labourable,  les  droits  seigneuriaux  et  les  dîmes  de  toute 
la  paroisse ,  des  champarts ,  des  censives  et  73  arpents  de  bois. 

T.  VIU.  46 


ion  fil8TëlfilB 

MoiiiÉtiONt.  —  La  terre  et  seigneurie,  donnée,  vers  H2O4  par 
Girard  d'Hanvoile,  consistant  en  un  enclos  où  fût  jadis  la  fennec 
34i  mines  de  terre  labourable,  le  champart  sur  22  mines  de 
terre  et  des  censives. 

NotRE-t)AM£-bti'TtiiL.  —  L'enclos  de  l'abbaye,  io  arpents  de 
Vignes,  dnq  pressoirs  banaux,  la  dime  du  vin  à  4  sétiers  dd 
la  quelle,  les  prés  des  Anguillons  (17  mines),  des  Chevaliers 
(8  inities),  des  Relais  (20  mines),  des  Grands- Viviers,  les  dîmes ^ 
des  censives ,  le  droit  de  pèche  dans  le  Thérain ,  le  forage ,  197  ar- 
pents de  bois  (bois  de  Brûlet,  KO  arp.  dl  v.  ;  bois  de  la  Ferme, 
35  arp.  36  V.  ;  bois  de  la  Carte ,  34  arp.  89  v.  ;  bois  de  la  Tiliole , 
37  arp.  11  v.),  la  ferme  du  Bois,  consistant  en  un  corps  de  logis, 
avec  enclos,  324 mines  déterre  labourable,  des  censives,  la 
Justice  et  la  seigneurie  de  toute  la  paroisse. 

PaillàRt.  —  Les  dîmes  par  donation,  vers  1130,  de  Gautier 
le  Normand. 

PÉRONNB.  —  Une  redevance  de  200  livres  sur  le  péage  de  Pé- 
ronne.  La  redevance  primitive  était  de  418  livres  8  sols  6  deniers 
parisis  constituée  sur  les  péages  de  Roye,  Montdidier  et  Péronne. 
PissY  (Somme).  —  La  terre  et  seigneurie  de  Pissy  fut  aliénée  au 
xvp  siècle  pour  faire  face  aux  édits  de  subvention. 
Poix.  —  Deux  cents  livres  sur  le  péage  de  Poix. 
Pont-Sàinte-Mâx£NGE.  —  Vingt  arpents  de  pré. 
Puits-là-Yallée.  —  La  terre  de  Puits,  provenant  des  donations 
de  Gautier  Paillart  et  autres  (1240),  et  de  diverses  acquisitions 
faites  au  xm«  siècle,  des  seigneurs  de  Puits,  de  Philippe  de  Van- 
delicourt  (1247),  du  maire  Guillaume,  a  été  aussi  aliénée  au 
xvi«  siècle. 

Reuil- sur-Brèche.  —  Plusieurs  fiefs  provenant  de  la  dona^ 
tion  de  Goscelin  de  Bulles  (1075)  et  d'acquisition  d'Odon  de  Ra- 
venel  (1247) ,  des  dîmes  et  des  champarts  donnés,  en  1216,  par 
la  veuve  de  Jean  de  Montoisel. 

Rieux  (Tlllé).  —  Une  redevance  de  16  mines  de  grains  sur  le 
fief  Cuisinier,  sis  à  Rieux.  Ce  fiet,  acquis  en  1410,  avait  été 
depuis  accensé  pour  cette  redevance. 

,  RoTHOis.  —  La  terre  et  seigneurie,  provenant  des  donations  des 
seigneurs  de  Milly  et  d'Hélye ,  vidame  de  Gerberoy  au  xir  siècle, 
consistait  en  un  corps  de  ferme  avec  enclos  et  200  mines  de 
terre,  les  dîmes,  des  champarts  et  des  censives. 


bÈ  L'ÀBBATI  IkOYALB  DB   SAINT -tUGIBlT.  tOS 

BoTANGt.  —  Les  dlttiës  et  une  redevance  de  40  muidd  de  blé 
et  de  S5  muids  d'avoine  sur  la  ferme  de  Tabbaye  de  Ghaalis. 

RoT-BoisdY.  —  La  terre  et  deigneurie,  troife  tnoUlind,  dont  un 
à  draps  et  un  à  huile,  34  mines  et  demie  de  pré,  43  mines  et 
demie  de  terre  labourable,  65  arpents  de  bois,  (le  bois  de  la 
Méresse  et  le  bois  du  Castel),  la  dlme  et  descensives. 

KozoY.  —  La  terre  et  seigneurie,  aliénée,  au  xvi*  siècle,  aved 
retenue  de  mouvance  et  les  dîmes. 

Sains.  —  Les  dîmes. 

SAiNT-FÉLiî.  —  La  tefre  et  seigneurie  consistant  eil  un  châ- 
teau et  dépendances,  tin  pressoir,  un  moulin,  des  vignes,  des 
prés,  1^7  arpents  de  bois,  des  terres  labourables,  une  grange 
dlmeresse,  les  dîmes  du  lieu  et  des  censives. 

SAiNT-SULPicE.  —  Les  dîmes. 

SAUQUEtsE-SAiNTl^uciEN.  —  La  terre  et  seigneurie  consistait 
en  un  enclos  de  trois  mines  où  fut  jadis  le  corps  de  ferme,  en 
la  rue  du  Cul-de-Sac,  136  mines  de  terre  labourable,  97  arpents 
4  verges  de  bois  en  trois  massifs  (le  bois  Pommier,  39  arp.  29  V.; 
le  bois  de  Péronne  ou  Gravelle,  48  arp.  S  v.;  le  bois  de  Derrière" 
ou  Blimont,  il  arp.  70  v.),  des  champarts  et  des  censives. 

Senarpont.  —  Le  prieuré  avec  ses  dépendances. 

SÉRY.  —  Une  redevance  de  20  livres  sur  Tabbaye  de  Séry,  créée 
en  1286  pour  tenir  lieu  de  cinq  muids  de  blé  de  rente  donnés 
par  le  seigneur  de  Broutelle,  en  i178. 

Thieux.  -—La  terre  et  seigneurie  consistait  en  Un  château, 
deux  fermes,  dont  Tune  avait  650  mines  de  terre  labourable,  un 
moulin ,  83  arpents  62  verges  de  bois ,  les  dîmes ,  des  censives 
et  des  champarts.  Une  partie  de  cette  terre  avait  été  donnée,  aux 
xip  et  xui"  siècles  par  les  seigneurs  de  Thieux,  Ascelin,  Baoul 
et  Jean  de  La  Gengle ,  et  une  autre  partie  avait  été  acquise , 
en  1700,  de  Joseph  d'Estourmel,  seigneur  dudit  lieu.  Ces  deux 
fermes  furent  vendues  par  la  nation  le  15  mars  1792,  Tune 
84,600  livres  et  l'autre  205,300  livres. 

Thury-sous-Clermont.  —  Les  dîmes. 

Trémonvillers.  —  Une  redevance  de  4  muids  de  blé  sur  la 
ferme  de  Trémonvillers ,  jadis  accensée  &  l'abbaye  de  Saint-Just. 

Troissereux.  —  Quelques  dîmes. 

Verderel.  —  Quelques  champarts. 

Verderonne.  —  La  terre  a  été  aliénée  au  xvi«  siècle. 


704         HISTOIRE  DE  l'àBBAYE  ROYALE  DE  SAINT-LUCIEN. 

ViLLERS-suR-AucHY.  —  La  terre  et  seigneurie,  consistant  en 
90  mines  de  terre  et  pré  et  un  enclos  à  côté  de  l'église ,  où  fut 
jadis  le  corps  de  ferme,  des  dîmes,  des  champarts  et  des  censives. 

VlLLERS-SUR-BONNlÈRES.  —  LCS  dlmCS. 

Villers-sur-Thère  [Pilonne),  —  La  terre  et  seigneurie,  consis- 
tant en  90  mines  de  terre  labourable  et  pré,  des  bois,  les  dîmes, 
des  champarts  sur  6  mines  de  terre  et  des  censives. 

Vrocourt.  —  Quelques  prés. 

Warluis.  —  La  terre  et  seigneurie  appartenant  jadis  comme 
dotation  à  l'infirmerie  que  l'abbaye  avait  en  ce  lieu.  Cette  infir- 
merie était  régie  par  un  religieux  de  l'abbaye;  mais  ayant  été 
supprimée ,  ses  revenus  furent  réunis  à  l'infirmerie  du  monas- 
tère, et  ses  bâtiments  convertis  en  corps  de  ferme  pour  l'exploi- 
tation des  biens.  Ce  corps  de  logis  avec  ses  dépendances ,  son 
enclos  de  cinq  mines,  i05  mines  de  terre  labourable,  2  arpents 
de  pré  et  30  arpents  de  bois  composait  ce  domaine.  L'abbaye 
avait  en  outre  les  dtmes,  des  champarts  et  des  censives. 

Cet  état  des  propriétés  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  a  été  dressé 
avec  les  nombreuses  pièces  qui  sont  aux  Archives  de  l'Oise. 

Telles  étaient  les  sources  des  revenus  de  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien.  Elles  ont  toutes  disparu  avec  elle;  les  unes  ont  été 
anéanties  par  la  Révolution  comme  vexatoires  et  indignes  d'un 
peuple  libre ,  et  les  autres  ont  été  vendues  et  disséminées  entre 
les  mains  de  particuliers ,  mais  les  malheureux  et  les  pauvres 
y  ont-ils  gagné? 


L.-E.  DELADREUE  et  MATHON. 


ASES 


EH  y  EÏ^Ï\E 


DE  l'Époque 


GALLO- ROMAINE    ET    FRANQUE 


trouvés  à  Beauvais. 


Dans  les  fouilles  qu'on  pratique  dans  les  localités  où  se  trou- 
vent des  sépultures  des  temps  anciens,  les  vases  en  terre  font 
rarement  défaut  et  se  retrouvent  souvent  intacts,  tandis  que 
ceux  en  verre  sont  plus  rares  et  presque  toujours  on  ne  les  re- 
cueille qu'en  morceaux. 

Nous  avons  réuni,  sur  la  planche  ci-jointe,  une  série  de  vases 
en  verre  qui  furent  découverts  à  Beauvais,  et  la  variété  déforme 
qu'offrent  ces  vases  donne  plus  de  prix  à  cette  minime  collec- 
tion (i). 

M.  Tabbé  Barraud  avait  acquis,  lors  de  leur  découverte,  une 


(1)  Nons  aurions  dû  Inscrire  sar  cette  planche  vemri^  ancienne  an  lieu 
de  verreriR  romaine ,  car  qaelques-ons  de  ces  prodaits  de  l'art  da  ver- 
rier, dont  nous  donnons  les  formes ,  appartiennent  à  l'époqae  franqne. 


706  VA8I8  nr  vbbrb 

intéressante  suite  de  vases  en  terre  et  en  verre,  des  objets  en 
cuivre  et  en  fer,  trouvés  dans  la  commune  de  Saint-Martin-le- 
Nœud,  au  lieudit  le  Four-à-Ghaux ,  distant  de  Beauvais  de  trois 
kilomètres.  Il  nous  a  été  possible  de  les  acquérir,  ainsi  que  plu- 
sieurs autres  vases  en  verre  et  en  terre  et  des  fibules  que  feu 
M.  Bouchard  avait  recueillis  dans  des  travaux  de  terrassements 
faits  tant  au  cimetière  de  Beauvais  que  dans  des  lieux  avoisi- 
nants  (1). 

Le  Musée  de  Beauvais  possède  aussi  quelques-uns  de  ces  fra- 
giles et  précieux  monuments  de  ces  mêmes  époques  et  prove- 
nant de  la  même  région. 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  d'avoir  figuré  sur  cette  planche 
une  série  spéciale  de  vases  en  verre  anciens,  que  le  temps  et  la 
main  des  hommes  ont  sauvés  de  la  destruction  ;  ce  n'est  là 
qu'une  faible  partie  des  formes  variées  que  les  Romains  et  les 
peuples  qui  leur  succédèrent  dans  nos  contrées,  donnèrent  à  ces 
produits  de  l'art  du  verrier,  et  cet  art  était  tellement  avancé 
chez  les  premiers  empereurs  romains  que  l'un  d'eux  fit  couvrir 
une  maison  de  plaques  de  verre  carrées,  adaptées  à  l'aide  d'un 
enduit  bitumeux,  de  même  que  des  carreaux  en  verre,  de  di- 
verses couleurs,  étaient  alors  employés  pour  le  dallage  des  ap- 
partements. 

Cette  industrie  ne  cessa  point  dans  nos  contrées  après  l'occu- 
pation romaine,  et  les  habitants  de  la  Gaule,  ainsi  que  leurs 
dominateurs,  sous  lesquels  la  fabrication  fut  plus  grande  qu'on 
ne  le  suppose,  ne  furent  que  les  successeurs  d'autres  artistes 
verriers  qui  les  avaient  précédés  depuis  bien  des  siècles.  Si  Pline 
nous  fait  savoir  que  l'invention  du  verre  est  due  au  hasard, 
nous  retrouvons  des  preuves  certaines  de  fabrication  de  verre 
remontant  à  des  époques  bien  éloignées,  par  des  bouteilles  de 
verre  coloré  portant  le  nom  d'un  roi  d'Egypte,  régnant  il  y  a 
3,500  ans ,  qui  furent  trouvées  sur  la  terre  même  des  Pharaons. 


(1)  Les  collections  de  ces  deux  collègues  en  archéologie  sont  mainte- 
nant, en  grande  partie,  dispersées  II  nous  a  été  agréable  d'en  recueillir 
ces  minimes  parties,  d'autant  plus  qu'elles  proviennent  du  sol  beau* 
vaisin. 


Si)  f 

,',v    ^'      i 


li  1 


'.foyUh 


VERRERIE  ROMAINE  TROUVEE   _ 

(Collection  de 


Imp  Lemsrcitr&CJ Paris 

^UX  ENVIRONS   DE  BEAUVAIS. 

M  Malhon) 


DB  L'jiPOQUK  OiIXO-ROlUIini  IT  FRAlfQUB.  707 

Le  gobelet  (flg.  i)  en  verre  verdÀtre,  et  ayant  iO  centimètres 
de  hauteur^  a  des  parois  assez  minces;  il  provient  du  cimetiëm 
de  Beauvais  et  appartient  à  Tépoque  romaine. 

La  variété  de  forme  et  de  grandeur  des  verres  à  boire,  fournis 
par  les  sépultures  de  ces  temps ,  s'explique  par  le  grand  usage 
qui  en  était  fait  par  les  Romains  (1)  :  ou  les  voyait  sur  les  tables 
des  cabarets,  ainsi  que  chez  les  gens  de  la  classe  la  moins  élevée, 
parce  que  le  prix  en  était  bien  minime  à  Rome. 

I^  flacon  ou  lagène  (ûg.  S)  de  verre  blanc ,  était  dans  une  des 
sépultures  de  l'époque  franque ,  découvertes  à  Saint-Martin- le- 
Nœud.  Sa  hauteur  est  de  7  centimètres. 

La  ûole  pomiforme  (fig.  3),  de  couleur  verte  peu  foncée,  pos? 
sède  des  dépressions  à  la  panse ,  au  nombre  de  sept,  et  nous 
en  donnons  le  relief  (fig.  10).  C'est  une  habileté  de  l'ouvrier,  qui 
n'a  eu  d'autre  but,  en  modelant  ainsi  ce  vase,  que  de  le  rendre 
plus  élégant.  On  retrouve  de  semblables  dépressions  sur  des 
vases  en  terre  du  môme  temps.  Cette  fiole,  qui  est  de  fabrique 
romaine,  a  été  recueillie  non  loin  du  cimetière  de  Beauvais;  elle 
a  li  centimètres  de  hauteur. 

Le  petit  flacon  pyriforme  en  verre  blanc ,  de  l'époque  romaine 
(fig.  A),  pourrait  être  regardé  comme  un  jouet  d'enfant  aussi  bien 
qu'un  vase  à  parfbm  (2)  à  cause  de  son  infime  dimension ,  puis- 
qu'il n'a  que  6  centimètres  de  hauteur.  Il  était  renfermé  dans 
un  autre  vase  en  verre,  qui  fut  brisé  en  le  retirant  de  la  terre, 
dans  le  cimetière  de  Beauvais,  à  vingt  mètres  de  la  grande  route 
de  Calais.  Le  poids  de  cette  petite  fiole ,  d'une  très-grande  légè- 
reté, est  de  six  grammes. 

La  burette  (fig.  5),  avec  son  anse  enserpentée  vers  sa  partie 


(1)  Si  Cicéron  n'aimait  que  les  petits  verres»  comme  il  le  dit  :  me  Mêc^ 
tant  minuta  pocula,  Horace,  au  contraire,  réclamait  des  verres  de  grande 
capacité  :  calices  m>ajore9,  pour  boire  avec  Mécène  en  rtionneor  des  vic^ 
toires  d'Auguste. 

(2)  JuYénal  parle,  dans  sa  troisième  satire,  d'mie petite  fiole  appelée 
guUw,  dont  le  col  étroit  ne  permettait  au  liquide  de  s'en  écouler  que 
goutte  à  goutte,  et  ces  sortes  de  fioles  renfermaient  les  parfums  dont  on 
se  servait  en  friction  sur  la  peau  en  sortant  du  bain. 


708  VASfiS  EN  VERRE 

supérieure,  possède  une  forme  d'une  élégance  remarquable.  La 
partie  de  l'anse,  qui  descend  au  milieu  de  ce  vase  artistique,  se 
partage  en  deux  parties  et  semble  ûgurer  deux  grilTes  en  se  divi- 
sant. Des  vases  de  forme  très-analogue  se  sont  déjà  présentés, 
en  Normandie,  dans  des  sépultures  du  iip  siècle,  et  il  y  a  à 
supposer  qu'ils  étaient  modelés  par  le  même  artiste  verrier  du 
haut  empire.  Sa  hauteur  est  de  17  centimètres,  et  le  verre  est 
légèrement  coloré  en  vert  (1).  Cette  fiole  n'aurait  probablement 
pas  été  épargnée,  si  les  exhortations  d'un  père  de  l'Eglise,  du 
IV*  siècle,  avaient  été  faites  un  siècle  plus  t6t  :  saint  Clément, 
d'Alexandrie,  condamnait  à  la  destruction  les  vases  en  verre 
auxquels  on  donnait  une  forme  trop  élégante  ou  trop  artistique. 
Ce  vase,  enfoui  avant  cette  recommandation ,  a  été  trouvé  par 
M.  Bouchard  dans  le  cimetière  de  Beauvais. 

Le  carafon  ou  lagène,  de  forme  assez  gracieuse  (fig.  6),  est 
fait  avec  un  verre  verdàtre.  Dans  la  fabrication  de  ce  vase  on  a 
introduit,  dans  la  masse  du  verre,  une  matière  colorante  (qui 
nous  semble  être  du  manganèse)  qui,  en  se  répandant  dans  les 
parois  de  ce  carafon ,  a  formé  des  ondulations  d'une  couleur 


(1)  M.  Deville,  dans  son  Hiêloire  de  Vart  de  la  verrerie,  écrit  ceci,  en 
parlant  d'une  burette  semblable  à  la  nôtre  :  «  On  est  très-porté  à  croire 
que  les  procédés  de  l'art  anUque  se  sont  rapidement  perdus  ,  c'est  le 
contraire  :  rimltation  du  cristal  de  roche  s'était  perpétuée  au-delà  des 
premiers  temps  de  l'empire  et  jusque  dans  les  provinces  les  plas  reculées 
et  réputées  presque  barbares.  Abandonné  à  lai-môme,  l'art  de  la  verrerie 
se  fat  promplement  altéré  -,  mais  praUqué  par  des  corporations  où  la 
manipulation  de  la  matière  ef  les  traditions  de  métier  et  d'art  s'ensei- 
gnaient de  l'an  h  l'aatre,  il  pat  résister  à  la  décadence  générale.  MéTe 
au  point  de  vae  de  la  forme  et  da  dessin ,  il  ne  serait  pas  impossible  de 
justifier  que  l'art  ne  s'était  point  éteint. 

«  C'est  ce  qae  nous  a  révélé  une  sépalture  appartenant  au  règne  de 
Maximin ,  découverte  dans  un  faubourg  de  Rouen.  Dans  ce  tombeau ,  k 
côté  d'une  médaille  de  cet  empereur  était  un  grand  carafon  à  anse,  dont  le 
dessin  (c'est  le  môme^qae  notre  burette)  permettra  d'apprécier  mieax  qne 
ne  pourrait  le  faire  une  description ,  la  forme  et  l'élégance.  Nous  doutons 
qu'on  ait  fait  mieux,  aux  plus  beaux  temps  de  l'art,  en  fait  de  vases  du 
même  genre.  Un  autre  carafon,  presque  identique,  a  été  exhumé  sur  un 
autre  point  de  la  Normandie ,  à  Neuville ,  à  la  porte  de  Dieppe.  » 


DE  l'Époque  gallo  romaine  et  franque.  709 

noire  peu  intense,  et  même  légèrement  violacée.  Ces  stries  fuli- 
gineuses, fondues  dans  le  verre,  entourent  une  partie  de  ce 
vase,  qui  provient  de  Saint-Martin-le-Nœud.  Sa  hauteur  est  de 
15  centimètres. 

L'autre  carafon  uni,  de  14  centimètres  de  hauteur,  de  teinte 
légèrement  verdàtre  (fig.  7),  a  été  fourni  par  une  sépulture  de 
l'époque  romaine,  mise  au  jour  dans  un  champ  voisin  du  cime- 
tière de  Beauvais. 

Les  deux  flacons  (fig.  8  et  9),  de  forme  cylindrique  avec  une 
ouverture  évasée,  sont  en  verre  blanc  :  le  premier  offre,  vers  le 
milieu,  une  légère  cavité  de  forme  ovale,  qui  a  dû  se  produire 
sans  la  volonté  de  l'ouvrier  verrier;  ils  sont  de  même  hauteur 
(11  centimètres)  et  accompagnaient  des  vases  en  terre  dans  une 
sépulture  du  cimetière  de  Beauvais.  Le  n»  8  est  irisé  (1J. 

La  tasse  (fig.  Il)  à  bord  rond  ,  en  verre  blanc,  se  rapproche 
d'une  patène  ;  elle  a,  dans  sa  grande  largeur,  10  centimètres. 
M.  l'abbé  Barraud  l'avait  eue  à  Saint-Martin-le-Nœud. 

Le  bocal  carré,  à  quatre  pans  (fig.  12),  et  muni  d'une  large 
anse,  est  fait  d'un  verre  épais  de  couleur  foncée,  analogue  à 
celle  du  verre  à  bouteille.  Si  ce  vase,  qui  a  11  centimètres  de 
hauteur,  était  de  plus  grande  dimension,  on  pourrait  le  classer 
parmi  les  urnes  cinéraires  qui,  généralement,  sont  faites  de 
verre  uni  comme  ce  flacon ,  et  dont  la  destination  était  de  con- 
tenir les  cendres  des  morts.  Il  a  été  découvert  sur  l'emplacement 
du  Franc-Marché  de  Beauvais. 


(1)  L'irisation  du  verre  s'observe  même  sur  <les  verres  enfouis  depuis 
peu  d'années,  et  à  plus  forte  raison  la  retrouve- 1- on  plus  accentuée  sur 
ceux  de  temps  très-reculés.  La  combinaison  de  la  silice  avec  la  potasse 
et  la  soude,  ne  se  retrouve  pas  dans  le  même  état  par  suite  d'une  certaine 
décomposition  que  l'humidité  fait  subir  k  la  surface  de  ces  verres  qui  ont 
séjourné  dans  des  terrains  humides  pendant  un  long  temps.  D'autres  vases 
en  verre ,  qui  ont  été  extraits  de  mêmes  sépultures  .  se  brisent  parfois 
lorsqu'ils  sont  de  nouveau  exposés  a  l'air  :  c'est  ce  qui  est  arrivé  à  un 
beau  vase  en  verre  blanc  trouvé  par  feu  M.  Moisset  dans  un  terrain  voisin 
de  son  habitation,  au  faubourg  Saint  Jacques.  Il  se  brisa  après  quelques 
annCes  de  son  extraction  du  sol.  Cette  destruction  s'explique  par  le  chan- 
PTPn^onf  molrc::lairo  que  le  verre  éprouve  sous  rinfiuence  de  l'air  et  de  la 
iuijiiire. 


710  vuu  m  Tiiu 

Le  barillet  (fig.  13)  a  été  trouvé  dans  un  champ  Ritué  à  Textré- 
mité  de  la  ruelle  aux  Loups.  Nous  avons  ramassé  des  débris  de 
plusieurs  semblables  barillets  dans  des  sépultures  voisines ,  et 
nous  en  figurons  les  anses  (fig.  24  et  26),  qui  sont  en  forme  de 
pouciers.  Il  est  à  présumer  que  ces  vases,  en  forme  de  barils, 
provenaient  d'une  fabrique  existant  dans  un  lieu  de  Normandie 
ou  de  Picardie.  On  en  retrouve ,  de  forme  identique ,  dans  les 
musées  de  Rouen  et  d'Amiens.  Ces  barillets  ressemblent  à  un 
baril  garni  de  cercles.  Ils  avaient  été  faits  à  l'aide  d'un  moule, 
comme  le  fait  voir  une  bavure  longitudinale  ou  bourrelet,  qui 
se  trouve  des  deux  côtés  du  verre.  Les  lettres  fro,  qui  se  lisent 
en  relief  sur  la  partie  inférieure  (fig.  25),  indiquent  qu'il  pro- 
vient de  la  fabrique  d'un  nommé  Froniinut,  maître  verrier  du 
temps,  et  que  l'on  croit  avoir  existé  au  ii«  ou  iii«  siècle  de  notre 
ère. 

Un  barillet,  conservé  au  musée  d'Amiens,  porte,  de  même 
que  celui-ci,  ces  trois  lettres  fro,  abréviation  du  mot  FrontinuM, 
Le  n()tre  est  en  verre  de  couleur  légèrement  verte  et  a  2i  centi- 
mètres de  hauteur  et  12  de  largeur  à  sa  base. 

Les  anses  de  ces  barillets  étaient  adroitement  faites  à  l'aide 
d'une  bande  de  verre  qui  était  plus  ou  moins  régulièrement  on- 
dulée, lorsque  le  verre  sortait  du  feu.  Dans  le  flacon  figure  12, 
les  stries  sont  plus  régulières.  La  jonction  de  ses  anses  aux 
flacons  et  la  disposition  de  leur  adhérence  font  juger  que  la 
main  qui  les  appliquait  possédait  le  même  modiis  faciendi, 

La  fiole  ronde ,  surmontée  d'un  long  col  et  renflée  à  sa  partie 
inférieure  (fig.  i4),  a  une  ouverture  un  peu  évasée;  elle  pourrait 
s'appeler,  de  nos  jours,  un  verre  mousseline,  étant  d'une  té- 
nuité surprenante  (i).  Elle  se  trouvait  dans  un  sarcophage  en 
pierre  de  l'époque  romaine ,  découvert  dans  un  champ  situé  au 
haut  de  la  côte  du  Franc-Marché.  Nous  avons  quelquefois  ra- 
massé des  parties  de  vases  en  verre  aussi  légers  sans  pouvoir  en 


(1)  Ce  vase  fait  juger  de  l'habileté  des  oavriers  verriers  romains ,  et 
parmi  eux,  un  des  plus  expérimentés  était  parvenu,  dit  Pétrone,  à  ol>- 
tenir  des  vases  en  verre  flexible,  ce  qui  fit  dire  à  M.  Sainte-Claire  Deville 
qu'il  s'inclinait  devant  le  verrier  romain  qui,  il  y  a  dix-huit  siècles,  avait 
presque  découvert  raiumininm.  {MonUew  du  20  mai  1864.) 


DB  Ii'lipOQUK  GAUO-BOMAINB  BT  fBÀNQUB.  711 

rétablir  la  forme  primitive.  Ce  vase  a  il  centimètres  de  hauteur 
et  se  rapproche  des  verres  légers  auxquels  on  donnait  le  nom 
de  verres  ailés  qui  se  fabriquaient  sous  Néron,  et  qu'un  poète 
latin  appelait  nuage  de  verre  {nimbus  vitrew). 

Le  fond  de  cette  bouteille  s'est  détaché ,  et  il  nous  a  été  impos- 
sible de  le  réunir  à  la  partie  supérieure  en  suivant  le  procédé 
de  raccommodage  qui  consiste  dans  l'emploi  de  la  chaux  et  du 
blanc  d'œuf  ;  c'est  le  plus  certain  et  souvent  usité  par  les  res- 
taurateurs de  faïence  et  de  verrerie  ;  il  est  préférable  aux  gommes 
et  aux  colles  liquides  ;  nous  dirons  que  c'est  le  plus  ancien  pro- 
cédé, car  c'est  celui  que  Pline  indiquait  pour  rétablir  les  vases 
en  verre  qui  étaient  en  morceaux  :  candidum  ex  ovis  admixtum 
ealei  vivm  gluiinat  vitri  fragmenta, 

La  coupe  figure  15,  en  verre  blanc  légèrement  jaunâtre,  a 
des  traits  rédervés  en  blanc ,  formant,  par  leur  disposition,  des 
feuilles  allongées  se  joignant  entre  elles  par  leurs  extrémités.  Ces 
feuilles,  contournant  la  surface  du  vase,  sont  au  nombre  de 
huit,  et  la  largeur  de  cette  coupe  est  de  9  centimètres. 

Le  vase  à  boire  (flg.  46),  de  l'époque  franque,  provient, 
comme  la  coupe  précédente ,  du  four  à  chaux  de  Saint-M artin- 
le-Nœud.  Il  imite  une  cloche  renversée.  Ce  vase  est  de  couleur 
blanche  jaunâtre  et  à  8  centimètres  de  hauteur. 

Le  gobelet  à  boire,  sans  pied ,  de  45  centimètres  de  hauteur 
(flg.  47),  qui  accompagnait  le  n»  46,  est  couvert  de  lignes  striées 
se  développant  en  spirale  depuis  la  partie  inférieure.  Ce  complet 
enrubannement  diminue  la  vulgarité  de  ces  sortes  de  vases. 
Celui-ci,  de  l'époque  franque,  a  une  ouverture  de  7  centimètres 
de  largeur. 

Les  petites  fioles  dites  lacrymatoires,  qui  se  trouvent  si  com- 
munément dans  les  sépultures,  ont  souvent  une  forme  identique; 
elles  sont  à  culot  arrondi,  comme  les  figures  18  à  24,  et  devaient 
recueillir  les  larmes  versées  pendant  les  funérailles  ou  renfermer 
des  parfums  qu'il  était  d'usage  d*employer  dans  ces  cérémonies. 
Après  les  avoir  répandus  sur  les  cendres  des  morts,  on  réunis- 
sait les  fioles  vides  dans  les  sépultures,  avec  les  gobelets  et 
coupes  qui  avaient  contenu  des  liquides  :  du  vin,  du  lait  ou  du 
miel.  Ces  fioles  allongées  sont  parfois  d'un  bien  petit  module. 

Celle  figurée  sous  le  n^  48  à  40  centimètres  de  hauteur. 
—         sous  le  n<>  49  à  44        —  — 


7i2   VASES  BN  VERRE  DE  L  EPOQUE  GALLO-ROMAINE  ET  PRANQUE 

Celle  figurée  sous  le  n"  20  à  5  centimèlres  de  hauteur. 

Les  floles  n<**  22  et  23,  de  12  centimètres  de  hauteur,  ont  les 
parties  inférieures  de  forme  évasée;  ces  formes  sont  plus  rares 
que  les  précédentes.  Ces  six  fioles  furent  découvertes  dans  plu- 
sieurs sépultures  aux  environs  du  cimetière  de  Beauvais,  et 
quelques-unes  sont  fortement  irisées. 

Nous  avons  peu  parlé  de  la  fabrication  des  verres  antiques  et 
de  leur  historique,  n'ayant  à  faire  connaître  qu'un  petit  nombre 
de  spécimens  de  ces  monuments  si  fragiles,  et  qui  se  réfugient 
dans  des  collections  particulières  ou  se  conservent  dans  les  mu- 
sées. Tous  ces  produits  anciens  de  Tart  du  verrier,  trouvés  dans 
des  provinces  voisines  Tune  de  l'autre ,  ont  une  origine  presque 
commune;  ils  devaient  être  l'œuvre  d'artistes  ou  d'ouvriers  atta- 
chés à  des  fabriques  locales,  comme  le  prouve  le  barillet  flg.  13, 
possédant  les  premières  lettres  du  nom  du  maître  verrier.  Et 
s'ils  ne  sont  alors  que  les  successeurs  des  verriers  qui  les  avaient 
précédés,  depuis  bien  des  siècles,  dans  cette  industrie,  ne  peu- 
vent-ils pas,  à  leur  tour,  être  considérés  comme  la  première 
souche  de  ces  grandes  familles  de  nobles  verriers  qui  possédè- 
rent, pendant  plusieurs  siècles,  de  si  grands  privilèges  et  des 
titres  de  noblesse  dans  la  Picardie,  et  principalement  dans  la 
Normandie. 


MATHON. 


SECTION  DES  SCIENCES 


DE  LA 


VÉGÉTATION  DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OISE, 


DEUXIÈME  PARTIE. 


mmilOi  BÛTANIOUË  DU  DtPÀRTËMËl  DE  « 

ou 

CATALOGUE  DES  PLANTES 

OBSEHVÉKS  DANS  L'ÉTENDUE  DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OISE, 

Par  L.  GRAVES, 
RÉVISÉ,  A.NNOTÉ  ET  AUGMENTÉ 

Par  IIPPOLTTB  lODIHJ      . 


714  ESQUISSE  DE  LA  viGiTATIOlf 

SoixaDte-qaatonième  Famille.  —  PLOlBAGlNfilSJodi. 

(Nom  tiré  du  genre  Plombago.) 
Aruei'lll 4  Wllld.  (Enum.  bort.).  —  Armérla. 

Elym.  —  Da  oeltiqae ,  ar  mor,  bord  de  la  mer  ;  allusion  k  la  localité  de  l'espèce 

principale. 

952.  Ar$ne^ia  plantaginea,  Willd.  —  Arméria  à  feuilles 
de  plantain^  Herbe  au  cancer,  Malherbe  dentelaire, 

T.  G.  ?.  Eté.  —  Sur  tous  les  sols  sablonneux,  ceux  de  la  vallée 
de  Bray  exceptés.  Sols  tertiaires.  On  n'en  trouve  pas  un  seul  pied 
dans  le  canton  de  Sougeons;  commune  dans  les  cantons  de 
Senlis,  de  Belz  et  de  Crépy. 

b.  longibracteata ,  Boiss.  —  Folioles  extérieures  de  l'in- 
volucre  dépassant  les  capitules.  —  Nointel;  Warluis;  Al- 
lonne;  Le  Ménillet,  près  Méru. 


Solxante-qamzième  Famille.  —  GLOBlLARlfiES,  DC,  FI.  fr. 

(Nom  tiré  du  genre  Globularu.) 

«loUalnHlb  •  Liti.  (geti.  n*  11!^).^  «lolialatre. 

Etym.  —  De  Globulnt,  en  latin,  petite  boole;  les  fleors  sont  réonies 

en  petites  boules. 

953.  GlobulaWa  Vulgaris,  Un,  — Globulaire  commune, 
Marguerite  bleue ,  Boulette, 

Pelouses  des  bosquets  du  mont  de  Hermès  ;  forêt  de  Hez  ! 
friches  de  Warluis;  Rieux,  près  Tillé!  coteaux  calcaires  du  côté 
de  Froidmont  et  lisière  du  bois;  bols  de  Labrosse,  près  Lian- 


DU  DiPARTBMfelIT  M  L'OISS.  715 

court-Sain t-Pierre  ;  LeVivray!  Quincampoix!  Rosoy  !  Verderonne; 
butte  d'Aulmontl  Saint-Germer!  mont  Saint-Siméon ,  à  Noyon! 
Plessis-de-Roye  !  Ganectancourt  !  Béhéricourt;  Porquéricourt  ! 
Ganelon,  du  côté  de  Janville!  collines  d'Atticby!  Fontenay,  près 
Pierrefonds!  La  Fontaine-aux-Glercs  ;  bois  de  Donneval,  près 
Orrouy  I  Vaumoise  !  Fulaine  !  coteaux  de  Saint-Sauveur  !  Rober- 
val  1  lisière  de  la  forêt  d'Halatte  ;  Bailleval ,  bois  de  la  Montagne  ! 
marais  de  Sacy-le-Grand  ;  Glos-de-la-Barre ,  dans  la  forêt  de 
Ghantilly  ;  forêts  de  Gompiègne  et  de  Laigue;  Vaumoise  ;  Mareuil- 
sur-Ourcq.  ! 

b.  flore  albo,  —  T.  R. 

A.  R.  V'  Mai-juin.  —  Pelouses  sèches,  flriches  calcaires  et  clai- 
rières des  sols  sablonneux.  ,  \ 

Les  feuilles  sont  amères ,  légèrement  acres  et  purgatives.  ^   \ 

La  Globulaire  est  un  purgatif  qui  exerce  en  même  temps  une 
action  tonique;  elle  purge  sans  produire  ni  irritation,  ni  nausées, 
ni  coliques.  Il  faut  employer  la  décoction  de  feuilles  sèches  en 
mettant  16  grammes  par  kilogramme  d'eau.  L'ébuHition  doit 
durer  huit  à  dix  minutes,  afin  que  Teau  puisse  s'emparer  de  | 

toutes  les  parties  actives  de  la  plante.  ' 


Soixante-seizième  Famille.  —  NYGTAGINÊES  (Eodl.). 

(Nom  tiré  du  genre  Nyctago.) 

Nous  n'avons  jamais  vu  dans  le  département  de  TOise  aucune 
plante  de  cette  famille  hors  des  jardins. 


716  BSQUISSB  DE  LA   VÉGÉTATION 


PLAWTSS  ITASGUIiAIBISS, 


PREMIER  EMBRANCHEMENT. 


EXOGÈNES  OD  DICOmÉDORÉES. 


QUATRIÈME  CLASSE.  —  MOKOCBLAM  VDÉES. 


Périgone  nul,  rudimentaire ,  ou  simple  et  herbacé  ou  pétalo!de, 
libre  ou  soudé  à  Tovaire  (double  dans  quelques  genres). 


SoixaDte-dirseplième  Famille.  —  PHYTOLACCÊES  (R.  B.). 

{Nom  tiré  du  genre  Phytolacga.) 
PHytolaeca,  LId.  (gen.  n*  588).  —  Pliytolaaae. 

Etym.  —  Du  grec  p/iulon,  plante  ;  lacca,  laque  :  allusion  au  suc  rouge  du  fruit. 

954.  Phyiolaeea  decandra.  Lin.  —  Raisin  d'Amérique, 
Herbe  à  la  laque. 

Originaire  de  lA'mérique  du  Nord  et  de  la  Chine.  Est  assez 
souvent  cultivé  dans  les  jardins.  On  le  rencontre  très-rarement 
à  rétat  subspontané  au  voisinage  des  habitations. 

^.  Août-septembre. 


DU   DÉPARTEMENT   DE  L*OISB.  717 


SoixaDle-dii-buitièaie  Famille.  —  AlARikNTAGfiES,  Jossien. 


{Nom  tiré  du  genre  Amarantus.) 

Fleurs  naissant  à  l'aisselle  des  feuilles; 
étamines  à  filets  soudés  à  la  base; 
feuilles  linéaires  subulées,  sessiles.    Polycnemum,  Lin. 

jFleurs  naissant  à  Taisselle  de  bractées; 
étamines  à  filets  libres;  feuilles  ovales 
ou  rhomboïdales  pétiolées 2 

Fruit  à  péricarpe  se  coupant  circulaire- 
ment  vers  le  milieu  de  sa  hauteur...  amarantus  y  Lin. 

Fruit  à  péricarpe  indéhiscent  se  déchi- 
rant irrégulièrement Euxolus^  Rafin. 


2 


Amaranlas,  Lin.  (gen.  ii*  1060).  —  Amarante. 


Etym.  —  Du  grec  amaranthos,  qui  ne  se  flétrit  pas.  Les  anciens  avaient  consacré 
1* Amarante  aux  morts  et  la  plantaient  souvent  autour  des  tombeaux. 


Bractées  raides,  piquantes, 
deux  fois  aussi  longues  que 
^   ^    le  calice;  étamines  5 Amarantus  rétro flexus,  Lin. 

Bractées  environ  de  la  lon- 
gueur du  calice;  étamines3.  Amar,  Blitum,  Lin. 

955.  AmavanîU9  reiroflexus ,  Lin.  —  Amaranthe  ré- 
fléchie. 

Chemin  de  Bretagne,  à  Saint-Jean,  près  Beauvais;  Le  Lys, 
Lamorlaye ,  canton  de  Creil  !  Thury-en-Valois  !  Margny-les-Com- 
piègne  !  Senlis  ;  Macquelines  ;  Saint-Just-les-Marais. 

A.  R.  ®.  Eté.  —  Lieux  cultivés,  décombres,  pied  des  murs, 
bords  des  chemins,  voisinage  des  habitations.  Cette  espèce  pa- 
raît avoir  été  importée  du  midi. 

s.  V.  pusiilus.  —  Faubourg  Basset,   ai  Beauvais; 
Notre-Dame-du-Thil. 
T.  VIII.  47 


718  ESQUISSE  DE  LA  VlhSIBTATIOlf 

956.  ilittar.  BlHum,  Un.  —  Mnarante  Bléte. 

Faubourg  Basset  et  pré  Martinet,  à  Beauvais;  Chauinont! 
Ghantflly!  Senlis!  Safnt-lust-les  Marais,  au  marais  de  Savoie; 
Gariepont;  Tiiury- en- Valois  ;  rare  dans  les  cantons  de  Betz  et  de 
Crépy. 

G.  ®.  £té.  —  Lieux  cultivés,  jardins,  décombres,  pied  des 
murs.  Peut  être  mangé  comme  légume. 

b.  diffasus,  —  Tige  couciiée,  étalée;  rameaux  à  peine 
redressés. 

s.  y.  macuiatus.  —  Feuilles  présentant  en  dessus 
une  large  tache  blanchâtre, 
s.  V.  ascendens,  Lois. 

Les  botanistes  ont  établi  entre  eux  de  savantes  discussions 
pour  savoir  quel  était  le  véritable  Atnar,  Bîitum,  Lin.  H.  Moquin- 
Tandon  réunit  cette  espèce  à  YAmar.  sylvesiris,  Desf.,  opinion 
appuyée  par  cette  phrase  de  Linné,  dans  son  Species,  sur  l'inflo- 
rescence de  cette  plante  :  «  glomerulis  lateraiibus,  »  et  par  la 
confrontation  de  la  plante  même  dans  Therbier  de  cet  illustre 
auteur.  MH.  Grenier  et  Godron  en  ont  fait  deux  espèces  diffé- 
rentes. 

VAniar.  aibus,  Lin.  (1),  originaire  de  TAniérique  septentrio- 
nale, se  rencontre  de  temps  à  autre  échappée  des  jardins;  elle 
se  propage  de  proche  en  proche  du  midi ,  vers  Paris. 

11  en  est  de  même  de  VAmar,  paniculatus^  variété  Mnçuitieus. 
Cosson  et  Germain  font  une  sous-variété  des  Amaranius  ayant 
sur  les  feuilles  des  taches  blanches.  On  trouve  souvent^  sur  un 
même  pied ,  des  feuilles  tachées ,  d'autres  qui  ne  )e  sont  pas , 
d'autres  enfin  dont  la  tache  est  à  peu  près  nulle. 

Baxolus,  Raûn.  (FI.  Tell.)  —  Euxole. 
Ëtyni.  -»  Du  grec  eu  xein,  bien  polir  ;  allusion  è  la  surface  du  fhilt. 

Plante  annuelle;  tige  glabre..  Euxo(usvind{s,Uoq.-T^nû. 

I  Plan  te  vivace,  à  souche  ra- 
meuse; tigepubescente  dans 
sa  partie  supérieure Eux.  deflexus ,  Rafin. 


\ 


957.  EuQColum  viridis,  Moq.-Tand.      Euxote  vert 


DU  AÉFiftTBlTBMT  1>B   L*OISB.  719 

Beauvais,  faubourg  Saint-Quentin;  église  deLamorlaye!  Méru! 
Uaucourtet  Verderonne!  Mortefontaine!  Compiègne!  GarlepontI 
Thury-eo-Valois!  Marissel  ;  Noyon  ;  rare  dans  le  canton  de  Crépy  ; 
Seniis;  Chaumont;  Chantiliy. 
A.  C.  ®.  Eté.  —  Lieux  cultivés ,  pied  des  murs ,  décombres. 
%,y.  macuhtus,  —  Feuilles  présentant  en  dessous 
une  large  tache  blanchâtre.  Plante  alimentaire.  C'est 
YAmar,  ascendens,   Lois.;  Amur,  viridis,  Lin.,  pro 
parte;  Amar,  Blitum,  L. 

058.  Euac.  deflexus,  Rafln.  -  Euxole  couché. 

Boulevards  à  Beauvais. 

f.  T.  R.  '¥.  Eté.  —  Plante  de  l'ouest  et  du  midi.  Accidentelle. 

Polycnemnm •  Lio.  (gen.  h*"  53).  —  Polycnéme* 

Et) m.  —  Du  grec  polm^  beaucoup;  \iémé,  iirticulatioii ;  n'est-àniiro,  tige  noueuse. 

959.  Polyene^nuwè  arvense,  Liu.  —  Polycnéme  des 
champs. 

a.  arrense.  —  Friches  de  FouqueroUes ,  de  Laversines  et 
de  Nivillers;  moulin  de  Clairoix  !  Aiguisy  !  Saint-Sauveur! 
Béthisy- Saint-Pierre!  champs  sableux  entre  Seniis,  La 
Chapelle-en-Serval  et  Morlefontaine!  Le  Longmont,  près 
Sainl-Vaast!  Noël-Saint-Martin  !  Cuvergnon  !  Bouillanc>  ! 
Antheuil-en-Valois  ;  Marolle;  Betz;  garenne  de  Bourne- 
ville;  mont  Ganelon;  Verberie.  —  Tiges  ordinairement 
étalées  ou  couchées;  bractées  latérales  scarieuses  environ 
de  la  longueur  du  calice. 

b.  mojus.  ^  Bractées  latérales  scarieuses  bien  plus  lon- 
gues que  le  périgone.  Plante  très-robuste,  à  tige  ascen- 
dante. Cette  variété  est  plus  commune  chez  nous  que  la 
précédente. 

H.  d).  Eté.  —  Moissons  des  terrains  maigres ,  champs  sablon- 
neux. 

La  famille  des  Amaratitacées  a  quelque  ressemblance  dans 
le  port  avec  celle  des  SaUolacéet,  et  des  rapports  dans  la  struc- 
ture du  fruit  avec  celle  des  Nyetaginées;  mais,  suivant  Jussieu. 
elle  est  Iràs-voisine  des  Caryophyllées^  dont  elle  ne  diffère  que 


720  B8QUI8SB  DS   LA  VKGBTATIOH 

par  l'absence  de  la  corolle,  et  près  de  laquelle  on  doit  peut-être 
la  placer  si  on  considère  cette  absence  comme  un  simple  avor- 
tement.  Les  yémarantacées  sont  disséminées,  par  tribus,  dans 
les  contrées  chaudes  du  globe,  entre  les  tropiques.  Il  est  plus 
que  probable  qu'elles  ont  été  Importées  en  Europe  de  l'Afrique 
ou  de  l'Asie,  dès  les  temps  les  plus  anciens,  avec  les  céréales, 
car  on  ne  les  trouve  chez  nous  que  dans  les  lieux  cultivés.  Elles 
se  sont  donc  propagées  malgré  l'homme. 


SoiuDle-dix-Deufièaie  Famille.  —  SALSOLACfiES,  Moq.-Taod 

(Nom  tiré  du  genre  Salsola.) 

Fleurs  monoïques  ou  diolques  :  fleurs 
femelles,  toutes  ou  la  plupart  dépour- 
vues de  calice  et  munies  de  bractées 
opposées,  appliquées  l'une  contre 
l'autre  et  s'accroissant  en  forme  de 
valves itriplex,  Tourn. 

Fleurs  hermaphrodites,  rarement  diol- 
ques ou  polygames  ;  calice  à  3-5  rare- 
ment 2  sépales  libres  ou  soudés  in- 
férieurement,  plus  rarement  soudés 
en  une  enveloppe  capsulaire  qui  ren- 
ferme le  fruit 2 

Tleurs  diolques;  calice  à  sépales  soudés 
en  une  enveloppe  capsulaire,  souvent 
épineuse,  renfermant  le  fruit Spinacia,  Tourn. 

Fleurs  hermaphrodites ,  très-rarement 
polygames  ;  calice  fructifère  herbacé, 
charnu-succulent  ou  induré,  à  sépales 
jamais  soudés  en  une  enveloppe  cap- 
sulaire   3 

Galice  fructifère  à  tube  ligneux-drupacé; 
,  ,  péricarpe  induré,  soudé  inférieure- 
ment  avec  le  calice;  graine  à  testa 
membraneux Beta,  Tourn. 


DU   DÉPARTEMENT   DE   L'oISB.  721 

Calice  fructifère,  herbacé  ou  chamu- 
3  l    succulent,  jamais  soudé  avec  le  péri- 
carpe ;  graine  à  testa  crustacé 4 

/  Graines  toutes  ou  la  plupart  horizou- 
l     taies-déprimées  ;  calice  fructifère  her- 
.    )    bacé Chenopodium,  Lin. 

i Graines  toutes  ou  la  plupart  verticales, 
comprimées;  calice  fructifère  herbacé 
ou  charnu-succulent Blitum,  Tournef. 

Clienopodliim ,  Lin.  (gen.  w  309).  —  Annérlne. 

KtfDi.  —  Du  grec  chên,  oie,  pous,  pied;  à  cause  des  feuilles  palmées  de  certaines 

espèces. 

(  Feuilles  ovales  entières â 

i  I  Feuilles  anguleuses  ou  den- 

(    tées 3 

Feuilles  glauques  farineuses, 
y    ovales-rhomboïdales;  odeur 

2  <,     très-fétide. Chenopodium  Vuharia^ Lin. 

y  Feuilles  vertes,  non  farineuses; 

!     odeur  non  fétide Chen,  pohjspermum^  Lin. 

Feuilles  charnues  ou  pulvéru- 
,    lentes  en  dessous 4 

3  i 

Feuilles  minces,  vertes,  non 

'\    pulvérulentes Cheii,  hybridum^  Lin. 

Feuilles  très-blanches  en  des- 
sous ;  tige  étalée Chen.  glaucum^  Lin. 

iFeuilles  vertes  ou  blanchâtres 

en  dessous;  tige  droite —  S 

/  Fleurs  en  grappes  à  peu  près 
l     simples,   serrées  contre  la 

5  ^     lige Cheni,  intermedium^  M.  et  K. 

^Fleurs  en  grappes  ramifiées  ou 

[     en  cymes  terminales 6 

Feuilles  toutes  ovales,  rhom- 

boïdales  ou  dentées Chen,  murale,  Lin. 

Feuilles  inférieures  rhomboï- 
dales  oblongues Chen,  album,  Lin. 


792  I80ITI988  DB  LA  VBGiTATiON 

A.  Feuilles  ovales  entières. 

960.  Chen.  polyspermum ,  Lin.  —  AnsMne  polysperme. 
LaNeuville-en-Hez;  chemia  de  Bretagne,  à  Beaufais;  pré  Mar- 
tinet, à  Beauyais;  Thury  ;  Bargny  ;  berges  du  canal  de  TOurcq; 
Mareuil-sur-Ourcq  ;  gare  de  Compiègne!  Liancourt!  boisdeCau- 
brière  et  d'Aiguisy,  près  Remy  *  Anel  ! 

Il  a  été  ainsi  nommé  à  cause  de  ses  petites  grappes  nom- 
breuses, grêles,  rameuses,  qui  produisent  une  grande  quantité 
de  petites  grappes. 

s.  V.  acutifoUum.  —  Feuilles  ovales-oblongues  ai- 
guës. —  Pré  Martinet,  à  Beau  vais 
K.  spicafo-raremogum ,  Koch.  —  L'Italienne;  Flamber- 
mont. 

b.  cymoxo-racemosumy  Kocli.  —  Grappes  ramifiées  diclio- 
tomes.  —  Canal  comblé  a  Beauvais,  sur  les  boulevards: 
prairie  de  Bulles;  tourbière}^  d'Auxmarais;  La  Neuville- 
en-Hex. 
A.  C.  T'.  Août-septembre.  —  Lieux  cultivés. 

96i.  Chen.  Vulvaria,  Lin.  —  .Insérine  tulraire,  insérine 
puante^  Arroche  puante,  J rroche  fétide ,  Herbe  de  Bouc,  Fulvaire. 

T.  C.  ^.  Eté.  —  Lieux  incultes,  bords  des  chemins,  pied  des 
murs.  Commun  àBeauvais;  Betz;  Autheuil. 

Le  Chen.  Botrys,  L.,  a  été  trouvé  à  Méru;  Montagny  ;  au  mont 
Renaud ,  près  Compiègne.  Indigène  dans  le  midi  de  l'Europe  et 
cultivé  dans  les  jardins  du  nord.  H  a  pu  (îlre  apporté  dans  les 
champs  des  localités  citées  avec  les  déblais  des  Jardins  et  les 
fiyniers.  En  tout  cas,  il  n'est  pas  spontané.  La  même  observa- 
tion est  applicable  au  C/ien,  ficifolium.  Smilh.,  trouvé  à  Grand- 
villiers,  Crevecœur,  Conchy-les-Pots,  Chanh'lly. 

Les  SaUolacées  ont  beaucoup  d'afflnité  avec  les  Amaranta- 
cées.  Elles  aiment  les  sols  imprégnés  de  sels  marins  ou  un  ter- 
rain où  se  putréQent  des  matières  organiques.  Les  Salsolacées 
durèrent  des  Urticées  par  la  présence  d'un  périsperme  et  la  réu- 
nion plus  ordinaire  des  deux  sexes  dans  une  même  fleur.  Ce 
sont  des  plantes  qui  s'attachent  aux  pas  de  l'homme ,  même 
dans  les  colonies. 


Toutes  les  espèces  du  genre  ont  reçu  le  nom  vulgaire  de  Pattes 
(toie, 

B.  Feuilles  anguleuses  ou  dentées. 


963.  Ch0napodiun%  hybridum^  Lin.  —  Ansérine  hy- 
bride ,  Patte  d'oie  hybride. 

Cette  espèce  a  une  odeur  forte  et  les  feuilles  très-anguleuses, 
vertes  sur  les  deux  faces,  assez  semblables  à  celles  du  Datura 
stramonhitn, 

Beauvais;  Marissel;  Senlis;  Beaulieu;  Ribécourf;  Noyon;  Bets; 
Autheuil-en- Valois;  Merlemont;  marais  de  Bresles;  Agnetz; 
Bulles. 

C.  0.  Juillet-septembre.  —  Lieux  cultivés  et  sablonneux, 
champs,  rues  et  chemins. 

963.  CÊ^en,  intermedium,  Mert  et  Koch.  (Chen.  urbicum, 
Lin.).  —  insérine  des  villages  (variété  intermédiaire),  Darnebd- 
tarde. 

Cette  espèce  aies  feuilles  deltoïdes,  dentées,  un  peu  char- 
nues ;  elle  est  nuisible  aux  cultures. 

A.  H.  ^.  Juillet-septembre.  —  Surtout  dans  les  faubourgs  des 
villes  :  Heauvais,  Compiègne,  etc.,  au  bord  des  chemins. 

964.  Chen,  murale  ^  Lin.  —  Ansérine  des  murs. 
Beauvais;  Essiiiles;  SaintGermain-les-Complègne;  Hémévil- 

1ers;  champs  k  Litz;  Mareull;  \aumoise. 

T.  C.  (D*  Eté.  —  Lieux  incultes,  décombres,  pied  des  murs, 
voisinage  des  habitations. 

s.  V.  inkrophyllum,  —  Feuilles  beaucoup  plus  petites 
que  dans  le  type. 

965.  Chen,  album ^  Lin.  —  Ansérine  blanche^  Fourgon^ 
Patte  d'oie,  Ansérine. 

Nuisible  aux  vignobles. 

T.  C.  0.  Eté.  —  Lieux  cultivés.  Feuilles  jamais  divisées  en 
^  lobes.  Plante  mal  nommée  en  partie. 

a.  album.  —  Poule  grasse.  —  Plante  blanche,  farineuse; 
glomérules  gros,  en  épis  épais,  compacts,  dressés. 


724  BSQUISSB  DB  LA   ?ÉGBTATIO!V 

g.  V.  microphyllum  > 

b.  viride,  Thuîl.  —  Diffère  en  ce  qu'il  csl  d'un  vert  foncé, 
non  pulvérulent;  feuilles  verles  sur  les  deux  faces,  ovales 
ou  lancéolées,  toutes  entières;  grappes  ordinairement 
allongées,  à  glomérules  espacés;  tige  rameuse. 

c.  lanceolatum^  Mûlh.  —  Feuilles  vertes,  ovales-lancéo- 
lées ou  lancéolées,  entières;  grappes  allongées,  lâche- 
ment interrompues. 

A.  R.  —  Chemins  et  terrains  secs  à  Beauvais,  Saint-Jean,  bou- 
levards de  la  ville.  Peut  être  emplo>ée  comme  un  aliment  léger 
et  rafraîchissant. 

966.  Chen.  glaucum,  Lin.  ~  .4nsêrine  glaw/ue. 
T.  C.  d).  Eté.  —  Décombres,  champs,  lieux  cultivés,  terrains 
humides. 

s.  v.  microphyUum.  —  Plante  rabougrie  à  feuilles 
très-petites.  —  Chemin  de  Bretagne  à  Beauvais. 
s.  V.  erectum. 

Blltum,  Ltu.  —  Bitte. 


Etyni.  —  Du  grec  blitton,  bette  «  ou  du  celtique  hlHh,  sans  saveur;  île  rinsipidité 

de  ces  plantes. 


/Plante  vivace;  feuilles  un  peu 
pulvérulentes  ;    glomérules 

en  grappes  non  feuillées.  ..BtUum  Bonus-Henricus, hchh. 
i   'Plante  annuelle;  feuilles  lui- 
j    santés;  glomérules  eu  grap- 
1     pes,  la  plupart  feuillées  ou 

\    en  tètes  axillaires 2 

Calice  charnu-succulent  à  la 
l    maturité;  graine  à  bord  ca- 
f^  ^    naliculé Biit,  virgatu?n,  Lin. 

(Calice  herbacé  ou  à  peine  char- 
nu à  la  maturité;  graines  à 
bord  obtus  non  canaliculé.  BHf.  rubrum^  Rchb. 

967.  BUium  Bonus -Henricuê,  Rchb.  —  BNte  Bon-Henri, 


DU   DÉPARTEMENT    DB   L'OISK.  7S5 

Feuille  de  Grape^i,  Toute- Bonne,  Epinard  sauvage,  Ansérine  Bon- 
Henri ,  Ansérine  sagittèe. 

Saint-Jean  et  Saint-Quentin,  à  Beauvais;  marais  de  Bresles; 
Grandvilliers  ;  Thury-en-Valois;  Rantigny  !  Monchy-IIumières  ! 
Relhondes  et  le  Francport  !  forêt  de  Compiègne,  à  la  Muelte; 
Essuiles;  Agnetz;  Launay;  rare  à  Bulles. 

T.  C.  ?.  Eté.  —  Pied  des  murs,  lieux  humides,  terres  grasses, 
bord  des  chemins.  Plante  plutôt  alimentaire  que  médicamen- 
teuse dont  la  réputation  est  usurpée,  car  elle  est  presque  inerte. 

Cette  plante,  inconnue  aux  botanistes  anciens,  a  été  consi- 
dérée p:;r  ceux  dumoyen-àge  (Fuchs,  Lobel,  etc.)  comme  douée 
de  qualités  si  excellentes  qu'ils  Tout  nommée  Toute- Bonne  {Tota- 
Bona)  ou  Bon-Henri, 

968.  Bliî.  rubruniy  Rchb.  —  Bitte  rouge. 

Dans  les  chenevières  de  la  vallée  de  l'Aisne,  à  Cuise-Lamolte; 
Beauvais  et  Senlis. 

Il  se  rapproche  beaucoup  du  C/œn.  urbicum.  On  l'en  distingue 
à  ses  feuilles,  plutôt  rhomboldales  que  triangulaires,  plus  pro- 
fondément incisées  et  plus  souvent  rougeâtres,  surtout  en  leurs 
bords ,  à  sa  tige  plus  rameuse  et  surtout  à  ses  grappes  plus  al- 
longées, plus  branchues,  toujours  entremêlées  de  feuilles,  et 
qui,  au  lieu  de  s'élever  perpendiculairement,  s'écartent  de  la 
tige,  surtout  dans  le  bas  de  la  plante. 

A.  C.  ®.  Juillet-août.  —  Fumiers,  décombres. 

969.  BlU.  virgatum,  Un.  —  Bliteeffllée,  Epinard  fraise , 
Blette  allongée  f  Arroche  fraise. 

Saint- Jean,  à  Beauvais;  autrefois  à  la  porte  Saint-Rieul ,  à 
Senlis;  Noyon;  Compiègne;  Thury-en-Valois;  bords  de  l'Aisne, 
à  Choisy-au-Bac;  Lîancourt! 

f.  A.  R.  ®.  Juillet-août.  —  Provenant  sans  doute  des  jardins. 

Le  Blit.  capitatum,  Lin.,  se  trouve  quelquefois  au  mont  Ca- 
pron,  près  Beauvais;  au  marais  de  Bresles;  à  Senlis;  Compiègne; 
Méru;  Thury-en-Valois,  mais  toujours  provenant  de  graines  de 
jardins  sur  des  décombres,  des  fumiers. 

Le  caractère  essentiel  qui  distingue  les  Blitum  des  Càenopo- 
dium  ne  repose  que  sur  la  direction  verticale  et  non  horizontale 
de  la  graine  ;  à  ce  point  de  vue,  le  Chenopodium  glaucum^  par 


n%  liOUiMi  Bi  tk  véaif  ATiw 

ses  graioss  boriiontales  inéMes  de  (fuelqnss  uitrss  vertleales, 
fait  le  passage  du  genre  Chenopodium  au  genre  BHtnm.  Etamlaes 
1  -t  oa  3.  Calice  3-4  ou  S  flâes. 

Atrlpl«x,  Toornef  (Inst.  t.  988).  —  Arroelie. 

Etjrm.  —  Incertaine. 

Valves  du  périgone  des  fleurs  fe- 
melles membraneuses,  larges, 

suborbiculaires « 4trlplex  hortensh,  Lin. 

Valves  du  périgone  des  fleurs  fe- 
melles herbacées,  triangulaires. .  2 
!  Feuilles  inférieures  et  moyennes 
hastées-tronquées  à  la  base. . . .  Jtrip.  hastata,  Lin. 
Feuilles  toutes  atténuées  en  coin  à 
la  base itrip,  patuta.  Lin. 

970.  Aiv^iplmae  horfensis,  Lin.  —  Arrœhe  deê  jardins^ 
Belle-Dame^  ÂroMêe  ^  Àrroche ,  Bonne' Dame ,  Chou  d'amour^ 
Rouble  y  Follette, 

Cette  plante,  originaire.de  l'Asie,  cultivée  dans  tous  les  jar- 
diuif,  se  rencontre  çà  et  là  autour  des  habitations.  Subspon- 
tanée. Alimentaire.  Graines  purgatives. 
|.  A.  K.  d).  Août.  —  Décombres,  pied  des  murs. 

s.  V.  rubra.  —  Plante  d'un  rouge  de  sang  dans  toutes 
.«es  parties, 
b.  microsperma.  —  Plante  assez  grêle;  valves  du  calice 
fructifère  plus  petites  de  moitié  que  dans  le  type. 

971.  Aiwip.  hasiata,  Lin.  —  Arroche  hastée. 

a.  latifolia.  -  Beauvais;  berges  du  canal  de  TOurcq,  à 
Mareuil,  à  Neufchelles;  berges  de  roise,  à  Crell;  Com 
piègne;  Senlis;  Héru.  —  Feuilles  vertes,  triangulaires, 
hastées,  plus  ou  moins  dentées;  tige  droite. 

C.  0.  Juillet-septembre.  —  Terrains  incultes  et  sablon- 
neux. 

b.  ifi/<^o«pérma,  Willdst  et  Kit.  ^  Tige  droite,  lisse, 
striée,  élevée,  à  rameaux  effilés,  ouverts;  feuilles  larges, 


DO  DiPAtTBMBNT  Dl  L'OIM.  727 

triangulaires,  vertes,  plus  on  moins  dentées,  loutes  op- 
posées; valves  calicinales,  entières  sur  le  bord  ou  munies 
d'une  petite  dent  à  l'angle  inférieur,  lisses  sur  le  disque. 
Chemin  de  Bretagne,  à  Saint-Jean,  près  Beauvais;  cbamps 

entre  Chantilly  et  Gouvieux. 

972.  Airip,  patula.  Lin.  —  Àrroche  étalée. 
Clermont;  Senlis;  Thury;  Cuvergnon;  Beauvais,  etc. 
Tig  '  anguleuse ,  sillonnée ,  striée. 

T.  C.  0.  Eté.  —  Bords  des  chemins  et  des  champs,  dans  les 
cultures ,  décombres.  Graines  purgatives. 

iN^iisible  aux  vignobles. 

Nous  avons  trouvé  VMrip,  maHtima,  en  septembre  1856,  sur 
la  berge  du  canal,  à  Beauvais,  provenant  sans  doute  des  graines 
apportées  dans  les  laines  de  MM.  Têtard.  Nous  attribuons  la 
même  origine  à  VAtHp,  fiftoralis,  Lin.,  que  nous  avons  trouvé 
plusieurs  fois  autour  de  leur  usine. 

Le  suc  laxatif  et  diurétique  des  Arroches  contient  du  nitrate 
de  potasse    11  peut  être  utile  dans  les' maladies  inflammatoires. 

Bela,  Lin  diist.  t.  286'.  --  Belle* 

l'Iym.  —  Du  celto  bett ,  roiig«»:  allusion  h  la  coloration  dvs  raoines  do  certaines 
<'sp«»co8,  ou  un  grec  hétn,  à  cnusode  sa  forme  on  rein  B  <|uo  présente  In  «graine. 

973.  Beia  vulgaris,  Lin.  —  nef  te  commune^  Bette  btanche^ 
Hncine  de  disette, 

a.  cicla ,  —  Poirée  ^  ffette-Carde,  Carde  blanche ,  Carde 
blonde  ou  rouge.  -  Racine  dure,  peu  développée,  c>lin 
drique;  nervures  moyennes  des  feuilles  très-charnues. 

b.  rapacea,  —  Betterave.  —  Racine  grosse,  charnue, 
épaisse,  fusiforme,  k  chair  rouge,  jaune  ou  blanchâtre. 

i.  C.  CD  ou  ij).  Juillet.  —  Cultivé  en  plein  champ  et  dans  les 
jardins.  Alimentaire. 

Wpluacla.  Tonrntf  (InBt.  f.  308:.  ^  I9pliifir4. 

Kym.  —  Du  latin  npina,  épine  :  allusion  au  fruit  armé  île  piquants. 

i  Calices  fructifères  épineux Spinacia  spinom,  Moench. 

'  Calices  fructifères  sans  épines. .  Spia.  inermU,  Mœnch. 


728  BSQUISSB  DE  LA   VEGETATION 

974.  Spinaeia  spinosa j  Mœnch.  —  Epinard  épineux. 
Balai  de  testomac,  Epinnrd  cornu^  Epinard  d hiver. 

T.  V.  Eté.  —  Généralement  cultivé  dans  les  jardins  potagers  et 
subspontané  autour  des  habitations.  Alimentaire. 

975.  Spitl.  inermiSj  Mœnch.  —  Epinard  .saris  cornes ^  gros 
Epinard,  Epinard  de  Hollande. 

Même  observation. 

Les  feuilles  des  Salsolacees,  en  raison  de  la  quantité  de  muci- 
lage qu'elles  renferment  souvent,  sont  émollientes  et  peuvent 
être  administrées  sous  forme  de  tisane  ou  de  cataplasme. 


Ouatre-viDgIième  Famille.  —  POLYGONÊES,  Jussieu. 

{\om  tiré  du  genre  POLYGONUM.) 

.  Sépales  à  peu  près  égaux Polygonam ,  Lin. 

1   )  Sépales  intérieurs  plus  grands  que  les 

f     extérieurs Rufnex,Un. 

Polygonum»  Lm.  (gcn.  w  495j.  —  Renonée* 


Etym.  —  Du  grec  poltu,  beaucoup;  gonu,  gonou  :  tige  très-noueuse;  c'était  le  nom 
appliqué  par  Dioscoride  aux  plantes  à  plusieurs  n<puds. 


^  rTeuilles  en  cœur,  sagittées M 

\  Feuilles  non  sagittées 4 

Fleurs  en  épis  ou  en  grappes; 
styles  2-3,  soudés  inférieure- 

2  <;    ment '^ 

I  Fleurs  axillaires,  peu  nombreu- 
ses, stigmates  3,  subsessiles. .  Polygonum  aviculare,  Lin. 
Racine  vivace,  traçante  ou  con- 
tournée; étamines  saillantes..  4 
Racine  annuelle,  pivotante  ou 
fibreuse;  étamines  incluses..                   5 


DU   DÉPARTEMENT   DE  L'OISE.  729 

Feuilles  à  pétiole  ailé;  fruits  tri- 
gones  à  angles  tranchants; 

rhizome  contourné  en  S Polyg,  Bistorta,  Lin. 

^  )  Feuilles  à  pétiole  non  ailé  ;  fruits 
ovoïdes,  comprimés;  rhizome 

traçant Polyg,  amphibium ,  Lin. 

/  Epis  oblongs,  cylindriques,  com- 

5  s    pactes 6 

\  Epis  filiformes ,  grêles  et  lâches .  8 

Pédoncules  et  calices  chargés  de 

points  glanduleux 7 

iPédoncules  et  calices  sans  points 

glanduleux Polyg.  Persicaria,  Lin. 

Tiges  à  nœuds  très-renflés;  fleurs 

.    roses  ou  blanches Polyg.  nodosum,  Fers. 

Tiges  à  nœuds  peu  renflés;  fleurs 
verdâtres Polyg.  lapatkifolium,  Lin. 

!  Calices  chargés  de  points  glan- 
duleux   Polyg.  HydropipeTy  Lin. 
Calices  sans  points  glanduleux.  9 
Feuilles  oblongues  lancéolées, 

.    épis  penchés Polyg.  mite,  Schrank. 

iFeuilieslancéolées-linéaires;  épis 

droits Polyg.  minus^  Hud. 

(  Tige  volubile 41 

\  Tige  non  volubile 12 

Calices  fructifères  à  angles  ailés 

. .    ,    membraneux Polyg.  dumetorum^  Lin. 

I  Calices  fructifères  à  angles  caré- 
nés ,  non  ailés Polyg.  Convolvulus,  Lin, 

Fleurs  blanches;  fruits  lisses...  Polyg.  Fagopyrum,  Lin. 
12  ^Fleurs  verdâtres;  fruits  rugueux 

dentelés Polyg.  Tataricum,  Lin. 

SECTION  A.  —  BISTORTA. 

Fleurs  en  épis  solitaires  et  terminaux ,  9  étamines ,  tige  simple, 
3  stigmates  petits,  graines  triangulaires,  embryon  latéral. 

976.  Polygonuwn  Bistorta,  Un.  —  Renouée-Bistorte,  Bis- 
torte,  Couleuvrée^  Serpentère, 


790  EdQOIsèB  M  tA   ?É0Af  Af  ion 

Beauvais,  le  long  du  canal ,  an  |>ré  Martinet,  peloases  à  Basset; 
boiâd'Ons-en-Bray!  Saint-Gerif»er!  Han  voile  !  Vrocourt,  prairies! 
Angicourt;  parcs  de  Genrry  et  de  Pouflly;  Gompiègne,  p&lurages 
montueux. 

a.  radice  minus  vitaria,  ix^.  —  Région  autre  que  le  Bray. 
T.  R.  ?.  Mai-juillet.  —  Prés  humides.  ' 

La  racine,  presque  ligneuse,  est  contournée  deex  fois  sur  elle- 
même  :  d'où  son  nom  bU-torte  (deux  fols  tors). 

Plante  astringente;  excellente  contre  la  diarrhée  chronique, 
Thémorrhagie  interne  ;  en  gargarlei&e  contre  les  maux  de  gorge. 
La  racine,  concassée,  se  prend  en  décoction  de  tt^  à  30  grammes 
par  kilogramme  d'eau.  On  édulcore  aTec  im  sirop. 

SECTION  B.  —  PERSiCARlÂ. 

Fleurs  en  plusieurs  épis  ou  en  panicuks^  aœillmlres  ou  terminales; 

têffe  rtnneuse;  5^  élamines;  2-3  sHgmaîes  grands; 

graine  ovoïde;  embrgon  (atéral, 

977.  Polyg,  Persicaria,  Lin.  —  Renouée- Persicaire,  Cui- 
rasse^ Toute-Bonne f  Epinard  sauvage,  Piiingre,  Curage,  Persicaire 
douce,  Pied-Rouge, 

T.  G.  ®.  Eté.  —  Lieux  Immides,  lieux  vagues,  prairies,  bois. 
Alimentah^e. 

b.  maculatûm,  —  Bord  des  eaux,  dans  les  marais. 

c.  biforme,  Mérat.  —  Graines ,  les  unes  comprimées ,  les 
autres  trigones. 

d.  ineanum,  --  Feuilles  blanches- tomenteuses  en  des- 
sous. 

e.  prostratum,  —  Tiges  couchées  ;  feuilles  lancéolées , 
tachées  de  noir  en  dessus,  blanches  en  dessous;  épis 
courts.  —  Bords  des  rivières. 

Elle  a  été  nommée  Persicaire^  même  très-anciennement,  à 
cause  de  la  ressemblance  de  ses  feuilles  avec  celles  du  pécher 
{persica).  On  en  retire  une  couleur  jaune.  Elle  est  détersive  et 
peut  être  employée  pour  nettoyer  les  plaies  à  l'extérieur. 

978.  Polyg.  lapathifolium^  Lin.  —  Renouée  à  feuilles  de 
FeUiesue» 


m  BépAUTBimiT  Di  L'otni.  "ni 

Atttmont!  Senlis!  Ilortefontaine!  Venette  «I  lofi<t<iière8  !  Noyon  ! 
Bracbeux  ;  Beauvais  (boulevards). 

A.  R.  0.  Eté.  —  Marais  sableui,  champs  inondés  l'hiver,  bords 
des  eaux,  des  rivières. 

a.  inoanitm.  —  Feuilles  larges,  courtes,  ovales,  quel- 
quefois ovales-lancéolées,  toutes  tachées  de  noir,  quelque- 
fois sans  tache,  la  plupart  blanches^tooieiiteiises  en  des 
sous,  toutes  les  graines  hiconcaves;  plante  étalée  ascen- 
dante. 

A.  R.  —  Champs  sablonneux  :  autour  de  Beaavaie;  Mor- 
t^ontafne. 

b.  macvUatum,  —  Feuilles  tachées  de  nofar  sur  la  face 
supérieure. 

A.  C.  —  Bords  des  eaux ,  dans  les  marais. 

c.  segetale.  —  Tige  verdàtre,  rarement  ponctsée,  à  nœuds 
peu  épaissis;  Aniilles  oblongues-lancéolées  ou  elliptiques, 
vertes  sur  les  deux  faces;  fleurs  fréquemment  Manches. 
Commun  parmi  les  moissons.  Ces  deux  espèces  se  ressem- 
blent beaucoup.  Voici  les  différences  sensibles. 

u  Pohjp,  Persicaria^  Lin.  —  Férigone  àtt  divisions;  étanrineaB; 
«  graine  biconvexe  ou  plane-convexe,  et  quelquefois,  mais  ra- 
«  rement  trigone;  gaînes  des  feuilles  longuement  ciliées. 

«  Polup.  ictpatkîfi>iium,  Ait.  —  Feuilles  ponctuées  en  dessous  ; 
«  périgone  à  4  divisions;  pédoncules  rudes;  graines  aplaties 
«  biconcaves  ;  gaines  des  feuilles  brièvement  ciliées.  » 

979.  Polyg.  nodosumy  Pers.  -  Remuée  ^umeme. 

A  été  considéré  longtemps  comme  variété  du  Poly§i,  lapathi- 
f^ilum.  Si  les  auteurs  l'avaient  érigé  en  espèce  d'après  le  carac- 
tère du  renflement  des  nœuds ,  ils  auraient  eu  tort,  car  ce  ren- 
flenieiil  m  parait  être  qu'accidentel ,  et  cette  circonstance  se  re- 
produit dans  la  pUipart  de  ses  congénères.  D'autres  caractères 
eoncourent  à  lUre  de  eette  plante  une  espèce.  En  voici  le  faciee  : 

•  Tige  à  nœudê  épaiùisj  ponctuée  de  pourpre  ;  feaMles  inft- 
•  Heures  ovales,  les  supérieures  ovates-oblongues,  acumhiéea; 
«  gainée  cUêées;  fleure  roeea  ou  biancàee^  en  épis  iinéairee.  » 

Goittcourt;  îhwry;  Therdonne;  Auxmaraia;  Notre-Dame-du- 
Thil;  marais  de  Seivoie;  RaîaviUers;  Piouy -Saint-Lucien. 

A.  C.  (D.  Eté.  —  Déeombres,  lieux  vagues  ^  terres  renuées  et 
rapportées. 


732  ESQUISSE  DE  LA  VEGETATION 

b.  paniculatum,  —  Epis  nombreux  formant  une  ample 
panicule  rameuse  dressée.  —  Goincourt. 

c.  rotundifolium.  —  Feuilles  toutes  ovales-arrondies. 

980.  Polyg.  amphibium,  Lin.  —  Renouée  amphibie. 

a.  aquaticum,  —  Dans  le  Thérain,  à  Rochy-Condé!  ma- 
rais de  Hez  ;  Villers-Saint-Sépulcre  ;  Montreuil-sur-Thérain  ; 
Pouîlly;  la  Nonelte,  à  Chanlilly!  Comelle;  Senlis;  étang 
de  TEpine,  à  Mortefontaine;  TAisne,  à  Attichy  !  tourbières 
de  Bulles  (C.  C.) 

Cette  variété  a  Tépi  ovoïde;  tiges  flottantes;  feuilles 
ovales-lancéolées,  pétiolées,  hérissées. 

b.  terrestre,  Mérat.  —  Noyon!  Liancourt!  Couduni 
Tige  droite,  fleurissant  rarement;  épis  allongés;  les 

étamines  plus  longues  que  le  périgone.  Le  milieu  seul 
cause  ces  deux  variétés.  Hors  de  Teau,  la  tige  est  droite, 
pourvue  de  feuilles  lancéolées,  étroites,  pointues,  hé- 
rissées. 

La  racine  est  sudoriflque  et  peut  remplacer  avec  avantage  la 
salsepareille  dans  la  guérison  des  dartres. 

A.  C.  ?.  Eté.  —  Rivières,  étangs,  lieux  marécageux. 

981.  Polyg,  mite,  Schraock.  —  Renouée  douce. 

Marais  de  Montreuil-sur-Thérain;  marais  de  Belloy;  Tltalienne; 
La  Mîe-au-Roy;  Bourneville,  etc. 

A.  C.  ®.  Juillet-octobre.  —  Lieux  humides  et  sablonneux  : 
fossés ,  marais.  Feuilles  insipides. 

b.  pusillum,  Lamk.  —  Tige  grêle,  filiforme;  feuilles  li- 
néaires; épis  dressés,  raides,  peu  interrompus.  —  Fruit 
petit. 

C'est  une  espèce  intermédiaire  entre  le  Polyg.  Persicaria  et 
Hydropiper,  Elle  se  distingue  de  la  première  par  ses  épis  très- 
grêles  ,  dont  les  feuilles  sont  écartées  et  peu  colorées ,  par  ses 
feuilles  lancéolées-linéaires,  deux  fois  plus  étroites ,  absolument 
glabres  et  jamais  tachées  à  la  face  supérieure.  Port  grêle  et  fluet. 
Elle  se  distingue  de  la  deuxième  par  sa  taille  plus  petite ,  ses 
feuilles  plus  étroites,  par  sa  saveur  ni  acre  ni  brûlante,  les  gaines 
stipulaires  des  feuilles  longuement  ciliées,  fruits  noirs  et  lisses, 
épis  lâches  et  très-grêles.  Est-ce  une  hybride? 


DU   DEPARTEMENT   DE   l'oISE.  735 

982.  Polyg.  minus,  Huds.  —  Renouée  minime. 

Marais  de  Belloy  !  bois  More!  et  la  Hauteville ,  canton  de 
Noailles  !  sables  de  Mortefontaine  ;  Ermenonville  ;  La  Ghapelle- 
en-Serval  !  Garlepont  ^  Betz  !  carrefour  du  Parquet-du-Roi ,  dans 
la  forêt  de  Compiègne;  mare  de  Saint-Louis!  Saint-Germer. 

A.  R.  d).  Eté.  —  Lieux  caillouteux  et  sablonneux  humides, 
inondés  en  hiver;  n'aime  pas  le  calcaire. 

Espèce  voisine  du  Polyg.  mite.  Feuilles  lancéolées-linéaires  ; 
épis  ordinairement  dressés,  raides,  peu  interrompus;  ordinai- 
rement 5  étamines. 

985.  Polyg.  Hydropiper,  Lin.  —  Renouée  poivre  d'eau  ^ 
Herbe  à  crapaud,  Piment  d'eau,  Persicaire  acre,  Persicaire  brû- 
lante^ Herbe  de  Saint-Innocent,  Poivre  d* eau,  Curage,  Renouée 
acre. 

b.  nodosum^  Mérat.  —  Marissel  ;  Longueil-sur-Oise. 

c.  album.  —■  Le  Becquet.  A.  C.  Ruisseaux  à  la  prairie  de 
Bulles,  on  n'y  trouve  pas  le  type. 

T.  C.  d).  Août-septembre.  —  B'ossés  aquatiques.  Diurétique. 
Saveur  acre,  brûlante;  aussi,  dans  les  campagnes  on  se  sert  des 
graines  en  guise  de  poivre. 

On  la  nomme  Curage^  d'un  vieux  mot  français  emprunté  au 
celtique  curragh ,  selon  Théis. 

Cette  plante  teint  les  laines  en  jaune.  Gomme  médicament,  il 
faut  employer  la  plante  fraîche;  elle  est  rubéfiante  et  vésicante, 
détersive,  résolutive.  Les  vétérinaires  remploient  pour  déterger 
les  ulcères  qui  viennent  à  la  couronne  du  sabot. 

Elle  ressemble  beaucoup  à  la  variété  laaHflorum  du  Polyg.  mite. 

SECTION  G.  -  AVIGULARIA. 

Fleurs  axillaires ,  8  étamines,  3  stigmates,  graines  arrœidies, 

embryon  latéral. 

984.  Polyg.  aviculare.  Lin.—  Renouée  des  petits  oiseaux, 
Hemiolle^  Calouche,  Reiwuée^  Cochonnet  te,  Traînasse,  Centinode, 
Salouche,  Herbe  à  cochon,  Sanguinaire,  Tirasse^  Âchée,  Herbe  à 
cent  nœuds ,  Herbe  des  Saints-Innocents,  Langue  de  passereau, 
Trame,  Aviculaire,  Herbe  au3S  panaris. 

T.  VIIL  48 


734  BSQUISSB  DE  LÀ  VÉGÉTATIOR 

Nuisible  ans  moissons ,  aux  vignobles. 

T.  G.  0.  Eté  et  automne.  —  Champs ,  rues ,  bords  des  cbemhis, 
lieux  va^nies. 

Le  Polfjgonum  atieuiare  t}  pe  a  les  rameanx  feuilles  jusfiv'aii 
sommet  et  les  fhiifs  non  luisants  finement  striés. 

b.  erectum,  Roth.  —  Tiges  droites,  feuilles  ovalesoblon- 
gués.  —  Beauvais  ;  Lîancourt.  Moissons. 

c.  longifoliuvi.  — •  Feuilles  obovées  ou  elliptiques  oblon- 
gues;  tiges  ascendantes.  —  Mortefontaine!  Trie-Chftteau. 

ù.  denudatum,  Desv.  —Tiges  grêles,  couchées,  à  ra- 
meaux effilés,  nues  dans  le  bas,  dépourvues  de  feuilles 
dans  leur  partie  supérieure;  feuilles  linéaires  étroites; 
fleurs  petites ,  peu  nombreuses ,  à  pédicelles  cachés  dans 
les  graines;  fruits  luisants,  presque  lisses. 
C'est  la  variété  Polfjp.  Bellardi,  Duby. 
I^  présence  de  cette  plante  est  un  indice  de  llmperméabilité 
du  sous-sol.  C'est  une  plante  excellente  contre  la  diarrhée,  les 
hémorrhagles,  les  crachements  de  sang;  les  vétérinaires  rem- 
ploient contre  le  pissement  de  sang  des  vaches. 

SECTION  D.  —  TIMABIA. 
Tiges  volubiles,  embryon  latéral. 

985.  Polyg.  Convolvulus^  Lin.  —  Renouée-LUeron ,  faux 
Liseron  bâtard  ^  Vrille  bdtardCy  Liseron  notr,  petite  Vrillée  sau- 
vage. 

T.  G.  0.  •—  Moissons  sablonneuses,  lieux  cultivés,  lisière  des 
bois. 

986.  Poiy^g.  dumetorum.  Lin.  —  Renouée  des  buissons, 
grande  Vrillée  bâtarde. 

Plaine  de  Saint-Jean,  près  Beauvais;  Villers-Saint-Lucien; 
bosquets  du  mont  César;  forêt  de  Hez,  vers  Rue-Saint-Pierre  et 
près  Ronquerolles ;  mont  de  Hermès;  Berthecourt;  Fumechonet 
Gatillon;  bois  à  Saint-Félix ,  Heilies,  IJondainviile  !  Villers-Saint- 
Sépulcre!  forêts  de  Chantilly,  de  Pontarmé,  de  Compiègne  ! 
Noyon  !  Candor!  Janville!  Collinance!  bois  de  Plaisance,  près 
Senlis;  bois  de  Thury;  bois  des  Brays^  ;*  Rouville;  la  Gloriette^ 


DU  DBPAITEMBNT   DB  L'OIBÉ.  7S5 

près  Fournival;  Ghamp-des-Taillis;  Bailleul-sur-Tbérain  ;  mon- 
tagne de  Sainte-Geneviève. 

A.  R.  0.  Eté.  ~  Haies,  bois,  buissons.  Disséoiiné  et  rare  dans 
le  Bray. 

SFXTION  E.  -  FAGOPYRIM. 
Tiges  non  volubiles,  embryon  dans  l'axe  de  l'albume^i, 

987.  Polyg.  Fagopyrum.Lïn.  -  Renoitée-Sarrasin,  Bucail, 
Carabin^  Blé  de  Barbarie^  Blocail,  Sarrasin,  Blé  noir,  Rénovée, 

Saint-r.azare,  près  Beauvais;  Bongenoult;  Le  Becquet;  Bre- 
teuil;  Ghantilly;  Saint-Vaast,  près  Verberie;  Hivecourt;  Montja- 
voult. 

i.  A.  G.  ®.  Eté.  —  Gultivé  depuis  cent  ans  dans  les  terrains 
sablonneux  et  caillouteux.  Fréquemment  subspontané  dans  les 
lieux  incultes.  L'herbe  peut  servir  de  fourrage.  Le  sarrazin  a  été 
introduit  en  Europe  à  Tépoque  des  croisades,  au  xii*  siècle. 

988.  Polyg.  Tataricum,  Lin.  —  Renouée  de  Tartarie,  Sar- 
rasin de  Tartarie, 

\.  R.  d).  Eté.  —  Quelquefois  subspontané  sans  localités  précises. 

Les  espèces  de  la  section  Persicaria,  qui  croissent  abondam- 
ment et  presque  toutes  mêlées  les  unes  aux  autres  dans  les  lieux 
humides ,  s'hybrident  facilement. 

Runtex,  Lin.  igeo.  n"  4&1}.  —  i^atleuee. 

Btym.  —  Du  latin  rumex,  pique  ;  allusion  à  la  forme  des  feuilles  ou  du  suc  aeide  dans 
beaucoup  d'espèces.  Le  peu  d*efïlcacitô  de  ces  espèces  leur  avait  valu  le  nom  de 
Patience^  mot  qui  fait  allusion  à  la  vertu  dont  ceux  qui  se  servent  de  ces  remèdes 
doivent  être  pounus  :  «  Attendez  encore  avec  une  demi-once  do  patience.  > 
(Rabelais.)  M.  Eug.  Fournicr  a  proposé  une  autre  étymologic  pour  le  nom  de 
Patience  :  ce  serait  l'ancienne  dénomination  Lapathum  (Rumex  Hydro-lapathumj 
dont,  par  corruption,  on  aurait  fait  la  Patience,  étymologie  admise  par  LittR*. 
I  Quelques  auteurs  trouvent  l'étymologie  du  mot  Rumex  dans  le  verbe  latin  rumo, 

téter,  sucer  :  par  allusion  à  l'usage  que  les  Romains  faisaient  des  feuilles  de 
plantes  de  ce  genre  pour  calmer  la  soif. 

Feuilles  hastées  ou  sagittées ,  à 
1   ^    saveur  acide;  styles  soudés 

«vec  les  angles  de  Tovaire. . .  2 


I 


I 


l 


\ 


736  ESQUISSE  DE   LA   VÉGÉTATIOR 

Feuilles  atténuées ,  arrondies, 

tronquéesou  cordéesàlabase, 

1  l    jamais  hastées  ni  sagittées,  à 

saveur  herbacée  ou  peu  acide  ; 

styles  libres 4 

Feuilles  toutes  pétiolées ,  glau- 
ques sur  les  deux  faces,  ovales- 
triangulaires,  aussi  larges  que 
longues Rumex  scutatus,  Lin. 

Feuilles  pétiolées  ou  les  supé- 
rieures sessiles  amplexicau- 
les,  vertes  sur  les  deux  faces 
ou  glaucescentes  seulement 
en  dessous,  beaucoup  plus 
longues  que  larges 3 

'  Feuilles  à  oreillettes  parallèles 
ou  un  peu  convergentes;  tige 
ayant  plus  de  4  décimètres. .  Rum,  Acetosa,  Lin. 

Feuilles  à  oreillettes  diver- 
gentes ou  étalées  horizon- 
talement;  tige  n'ayant  pas 

-i  décimètres Rum,  AcetoseUa,  Lin. 

/Calice  fructifère  à  valves  en- 
i     tières   ou   denticulées  à   la 

I    base ;» 

)  Calice  fructifère  àvalves  présen- 
tant de  chaque  côté  deux  ou 
plusieurs  dents  subulées,  sé- 
tacées ,  plus  rarement  trian- 
gulaires-acuminées 11 

Valves  suborbiculaires ,  plus  ra- 
rement ovales-suborbiculai- 
res 0 

Valves  oblongues  -  lancéolées  , 
ovales-triangulaires  ouoblon- 
V     gues-triangulaires 7 

I  Feuilles  ondulées -crépues Ricm,  crispus,  Lin. 
Feuilles  planes  ordinairement 
très-amples Rutn.  Patientia,  Lin. 


i 


5 


DU   DéPAHTBMBIVT    DB   L'oISB.  737 

Valves  ovales-triangulaires  ou 
oblongues-triangulaires;  feuil- 
les radicalesetinférieures  très- 
amples,  longues  de  1-8  décim.  8 
Valves  lancéolées  -  oblongues  ; 
.      feuilles   n'atteignant  jamais 

\    i  décimètres 9 

Feuilles   toutes  atténuées  aux 

deux  extrémités Bum.  /fifdro/ajyat/ium^Uu^. 

Feuilles   radicales   arrondies , 

tronquéesoucordéesàlabase,  Riun.  maximus,  Shreb. 
Valvesmunies  chacune  d'un  gra- 
nude  ovoïde;  faux  verticilles 
accompagnés  tous  ou  la  plu- 
part d'une  feuille  bractéale; 

rameaux  longs,  grêles,  étalés,  Hu77i .cong /ornera his^Mœnc, 
ALesdeux  valves  intérieures  dé- 
pourvues de  granule  ou  s\  gra- 
nule rudimentaire;  faux  ver- 
ticilles tous  ou  la  plupart  dé- 
pourvus de  feuilles bractéales,  Biun,  sangufneus.  Lin. 
Tigeetnervures  des  feuilles  d'un 

rouge  de  sang Var.  sanguineus. 

40  ^Tîge  et  nervures  des  feuilles  ver- 
tes; un  seul  sépale  muni  de 

tubercule  dorsal Var.  nemorosus,  Shrad. 

Feuilles  lancéolées  étroites,  at- 
ténuées à  la  base 12 

Feuilles  ovales,  oblongues  ou 
suborbiculaires ,  quelquefois 
panduriformes,  arrondies  ou 

;    cordées  à  la  base 13 

/Dents  des  valves  égalant  ou  dé- 
passant en  longueur  le  dia> 
mètrelongitudinalde  la  valve; 
12  <;'    faux  verticilles  rapprochés  ou 

j    conflueuls  à  la  maturité Riun.  maritimus,  Lin. 

[Dents  des  valves  plus  courtes 
que  le  diamètre  longitudinal 


11 


n 

\ 


12 


13 


738  ESQUISSE  DB  LA  vieéTATlOH 

de  la  valve;  faux  verticilles  un 

peu  espacés  à  la  maturité Rum.  paluÊtris,  Smith . 

'Tige  ordinairement  arquée,  à  ra- 
meaux divergents  ou  divariqués; 
faux  verticilles  espacés,  tous  ou 
la  plupart  accompagnés  d'une 
feuil  le  brac  téale  très-peti  te;  feuilles 
panduriformes Rum.  puicher^  Lin. 

Tige  droite,  à  rameaux  ordinaire- 
ment dressés;  faux  verticillesordi- 
nairement  rapprochés ,  tous  ou  la 
plupart  dépourvus  de  feuilles  brac- 
téales;  feuilles  ovales  ou  cordi- 
formes Rum,  obiusifoHus,  Lin. 

SECTION  A. 

Fleurs  hermaphrodites,  saveur  non  acide^  divisions  internes 

du  périgone  dentées. 

989.  Rumeao  maritimus,  Lin.  —  Patience  maritime. 
Etang  desséché  de  la  forêt  de  liez;  étangs  de  Saint-Pierre. 

dans  la  forêt  de  Compiègne  !  Genvry  !  bords  du  canal  de  TOuroq. 
à  Mareuil  !  Longueil-Safnte-Marie. 

T.  R.  0  ou  (§).  Eté.  —  Lieux  marécageux.  Espèce  fugace  et  re- 
marquable par  la  couleu r^aun^-dor^  des  verticilles  floraux  rap- 
prochés et  feuilles. 

990.  Rum.  paluslris,  Smith.  —  Patience  des  marais. 
Prairies  entre  Saint-Germer  et  Saint-Pierre-aux-Bois;  étangs  de 

Saint-Pierre-en-Chastres ;  Mortefon laine!  gare  de  Compiègne! 
bords  de  l'Aronde,  à  Clairoixl  Mareuil-surOurcq  ! 

Fleurs  en  grappes  lâches;  dents  des  valves  plus  courtes  que  le 
limbe. 

T.  H.  ?  ou  d).  Eté.  —  Bord  des  étangs,  marais. 

Cette  espèce  a  beaucoup  de  rapports  avec  la  précédente;  elle 
en  diffère  par  sa  tige,  ordinairement  plus  flexueuse,  par  ses 
fleurs  disposées  en  grappes  feuillées,  mais  interrompues,  moins 


ou  DiPÀtTEMBNT  DB  l'OISB.  739 

compactes,  «t  par  son  périanthe  à  valves  intérieures  munies  de 
dents  sétacées,  plus  courtes  qu'elles,  par  ses  fruits  plus  courts. 

991.  Ruwn.  pulcher.  Un.  —  Belle  Patience ^  Patievuse  sinuée, 
Patience  violon, 

Saint-Jean ,  près  Beauvaîs  ;  Beauvais  même ,  sur  les  prome- 
nades publiques;  Marissel;  Saint-Lucien  ;  bords  de  TÂronde,  à 
Baugy,  à  Bienville!  bords  deTOise,  au  Plessis-Brion  !  Vez!  Corn- 
piègne  ;  Jonquières ;  Ormoy-leDavien  ;  Harolles ;  Ghaumont ; 
Liancourt;  Âgnetz;  Le  Fay-Saint-Quentin. 

Â.  G.  (D  ou  ^.  Eté.  —  Bords  des  chemins,  pied  des  murs. 

Les  fruits  sont  armés  de  dents.  G'est  une  espèce  que  l'homme 
a  transportée. 

b.  divaricaiuSy  Lamk.  -~  Feuilles  radicales  presque  en- 
tières. —  Jonquières  ;  Bienville. 

992.  Rufn.  oblusifolius,  Lin.  —  Patience  à  feuilles  obtuses, 
Patience  sauvage  ^  Doche^  Parée, 

C.  ^.  Eté.  —  Lieux  incultes,  prés,  bords  des  chemins. 

b. acw^w^, DC.  —  Feuilles  radicales cordiformespointues, 
les  supérieures  lancéolées.  —  Beauvais;  Auneuil;  Cler- 
mont;  Senlis;  Marissel.  —  Gette  variété  n'a  peut  être  pas 
été  assez  étudiée. 

s.  V.  maculatus,  —  Feuilles  présentant  en  dessus 
une  large  tache  blanchâtre. 

c.  purpureus.  —  Bameaux  et  feuilles  purpurescentes.  — - 
Saint-Jean ,  près  Beauvais. 

Divisions  internes  dit  périanthe  entières, 

995.  Ruwk.  Palienlia,  Lin.  —  Patience  des  moines,  Patience, 
ParellCj  Epinard  sauvage,  Epinard  immortel,  Patience  commutiej 
Oseille 'Kpinard,  Patience  des  Jardins,  Patience  officinale,  grande 
Patiefice,  Dogue, 

\.  A.  R.  ?.  Juin-juillet.  -  Quelquefois  subspontané  dans  les 
décombres. 

a.  —  Valves  denticulées. 

b.  —  Valves  fortement  dentées. 

Cette  plante  doit  être  employée  fraîche.  Si  on  veut  la  conserver, 


740  ESQUISSE  DE   LA  VEGETATION 

il  faut  Tarracher  à  rautomne  et  la  choisir  grosse  au  moins  comme 
le  doigt.  Eq  décoction  de  30  à  60  grammes  par  kilogramme  d'eau 
contre  les  maladies  dartreuses  et  les  ulcères,  contre  les  pustules, 
les  squames  de  la  peau.  La  pulpe  de  la  racine  sert  aux  mêmes 
usages. 

994.  Jtuan.  Hydrolapathum,  Huds.  —  Patience  à  longves 
feuilles  f  grande  Patience  des  eaux  y  Herbe  britannique  ^  Patience 
aquatique^  Oseille  aquatique,  Patelle  des  marais. 

C.  ?.  Eté.  —  Bords  des  rivières  et  des  étangs.  —  Espèce  gigan- 
tesque. 

995.  Run%.  maximus,  Slireb.  -  Patience  élevée  ^  Oseille 
aquatique  y  Parelle  des  marais.  Herbe  britannique. 

C'est  le  Rum,  Hydrolapathum  des  officines,  Patience  des  marais, 
Parelle  d*eau.  Il  se  distingue  du  Rum.  Hydrolapathum  par  ses 
feuilles  radicales  cordiformes- ovales ,  par  son  pétiole  profondé- 
ment canaliculé  en  dessus,  ainsi  que  par  les  segments  internes 
du  périanthe  dépourvus  de  callosité. 

Bords  de  TEpte,  à  Beausséré ,  suivant  Coss.  et  Germ.  !  TAisne, 
au  Francport!  l'Oise,  à  Compiègne  même!  TOurcq,  à  Mareuil! 
La  Nonette,  à  Courteuil;  étang  de  Saint  Pierre-en-Chastres. 

T.  R.  ^,  Eté.  —  Bord  des  eaux.  FI  n'apparaît  le  plus  souvent 
que  dans  les  lieux  où  croissent  simultanément  les  Rum,  Hydro- 
lapathum et  aqtuiticus. 

996.  Jtum  cnspus.  Lin.  —  Patience  crépue,  Dogue,  Patience 
frisée,  Patience  sauvage,  Parelle  sauvage. 

T.  C.  ?  Eté.—  Prairies,  bords  des  chemins,  champs  humides. 

997.  Jtifm    conglomeratu.9,  Murr.  —  Patience  conglomérée. 
Fleurs  en  faux  verticilles  denses,  presque  tous  munis  d'une 

feuille  bractéale;  pédicelles  à  peine  aussi  longs  ou  plus  longs 
que  le  périgone,  articulés  un  peu  au  dessous  de  leur  milieu;  di- 
visions intérieures  du  périgone  portant  toutes  sur  le  dos  une 
callosité  ovoïde  très-saillante;  tige  à  rameaux  e^fa/e^  ou  même 
divariqués. 

Marissel  :  forêts  de  liez  et  de  Compiègne  !  bois  de  Serans  et  de 
Liancourt! 

A.  C.  ^,  Eté.  —  Lieux  vagues  et  bois. 


ou   DÉPARTEMENT    DE   L'OISE.  741 

998.  Rum.  sanguineus,  Un.  —  Patieyice  sanguine^  Patie^ice 
rouge  ^  San  g- Dragon, 

a.  sanguineus.  —  Tiges  et  nervures  des  feuilles  pour- 
prées. —  Beauvais  !  Senlis  !  Noyori  î  Antîlly  !  Guvergnon  ! 
Vauparfond!  Thury;  Montjavoult.  —  Subsponlané  près 
des  jardins  et  dans  les  lieux  marécageux. 

b.  nemorosus,  Shrad.  —  Fleurs  en  faux  verticilles  ùis- 
ïsmis ^  presque  tous  dépourvus  ce  feuilles  bractéales;  pédi- 
celles  grêles,  articulés 2)rP5  de  la  base;  divisions  internes 
du  périgone  fructifère  étroitement  oblongues,  obtuses, 
très -entières  :  V  extérieure  seule  portant  une  callosité  suhglo- 
hideuse;  tige  rameuse  vers  le  haut,  à  rameaux  dressés^ 
effilés.  —  Le  jardin  des  pauvres,  à  Beauvais;  Marissel; 
Montagny  ;  forêt  de  Compiègne. 

A.  H.  ?.  Eté.  —  Bois  sombres. 

SECTION  B. 
Fleurs  dioïques^  saveur  acide. 

999.  Rum,  Acefosa,  Lin.  —  Patience-Oseille^  Parelle,  Su- 
relie,  Finette,  Oseille  commune,  Oseille  de  crapaud,  Oseille  de 
brebis,  Oseille  sauvage,  grande  Oseille^  Finette  sauvage,  Surette, 

T.  c.  ?.  Mai-juillet;  refleurit  en  automne.  —  Prés,  sols  cal- 
caires. 

a.  multi/ida,  —  Hongenoult;  mont  Bénard,  à  Savignies. 

b.  angustifolia,  —  Feuilles  linéaires  lancéolées,  à  oreil- 
lettes linéaires  très-étroites,  ne  présentant  quelquefois 
qu'une  oreillette  ou  dépourvues  d'oreillette. 

c.  flore  albOj  Tournef. 

d.  folio  crispo,  Tob. 

e.  maxima,  Scheuz. 

1000.  Rum,  Acelosella  ,  Lin.  —  Patience  petite  Oseille, 
Oseille  rfe  crapaud ,  Oseille  de  brebis,  Par^lle  ^  Oseille  commune. 
Finette  sauvage. 

Mêmes  variétés. 

a.  repens,  —  Tillé;  Ribeauvillé. 

b.  fnultifida,\Sh\\r.  —  Feuilles  munies  à  la  base  d'oreil- 
lettes bi  ou  Iritldes. 


742  MOUISSI  Dl  LA  VMiUTIOlf 

T.  C.  ^.  Eté  et  automne.  —  Partout,  surtout  dans  les  lieux 
sablonneux  ou  pierreux. 

1001.  itum.  scutaius,  Lin.  —  Patience  à  écuston^  Oseille 
franche^  Oseille  romaine,  Oseille  ronde,  petite  Oseille,  petite 
Finette, 

Saint-Jacques;  abbaye  de  Saint-Lucien,  vieux  murs;  mont 
Gapron,  près  Beauvais;  Ângy!  I^oyalieu!  Morienval;  forêt  de 
Compiègne;  Morainville;  Orrouy  1  Thury-en-Valois  ! 

T.  R.  ?.  Juin-août.  —  Vieux  murs,  localités  rocailleuses. 

Nota.  —  Le  genre  Rumex  présente  souvent  des  cas  de  térato- 
logie  et  surtout  d'hypertrophie  du  pistil.  La  présence  du  Rumex 
dénote  l'existence  d'une  nappe  d'eau  souterraine;  c'est  une 
preuve  de  Timperméabilité  du  sous-sol.  Aussi,  les  Rumex  que 
l'on  trouve  aux  environs  de  Solente  et  de  Guiscard ,  sur  des 
éminences  argileuses,  ne  sont  une  anomalie  qu'en  apparence 
et  confirment  ce  que  nous  avançons. 


Qoitre-vingl  et  unième  Famille.  -  D4PHN0IDfiES,  Veol. 

{Nom  tiré  du  genre  Daphne.) 

Fruit  sec  renfermé  dans  le  calice Passerina,  Lin. 

1     Fruit  charnu-pulpeux;  calice  marcescent, 

'    puis  caduc Daphne,  Lin. 

Pamierlna*  Un.   gen.  n*4iO).  —  PwMierliie. 


F.tym.  —  Du  Intin  passer,  moineau;  allusion  aux  grainos  figurant  une  langue 
de  moinpau  ou  plante  qui  donne  une  graine  mangoc  par  le»  o'*?aux. 


i002.  Passerina  slellera,  g.  etc.  -  Passérine-Stefiérine^ 
iMngue  de  moineau  y  Herbe  à  l'hirondelle. 

Champs  de  Thury-sous-Clermont;  Rochy-Condé!  plateau  entre 
Liancourt  et  Verderonne!  Saint-Just-en-Chausséel  Beausséré! 
Chambors!  Remy;  Lachelle!  Saint-Ktienne/  coteaux  de  Béthisy; 


DU  DiPARTBMBlIT   DB  L'OISB.  743 

Orrouy;  Charaplieu;  Gilocourt!  Noël-Saint-Martin!  Cuvergnon; 
Neufchélle!  Thury-en-Valois;  Mareuil-sur-Onrcq;  Russy-Montigny; 
La  Villeneuve-sous-Thury  ;  Chantilly;  Compiègne;  bois  de  Cour- 
celles  les-Gisors. 

R.  ®.  Eté.  —  Champs  stériles,  maigres,  terres  en  friche,  sur 
le  calcaire. 

Les  Stellerines  ont  le  port  des  Thesium,  dont  elles  diffèrent 
par  rovaîij^  libre  et  le  nombre  des  étamines. 

Dapbne,  Lin.  (gen.  n'  485^.  —  Dapbne* 

Etym.  —  Du  grec  :  daphnèj  laurier,  ou  plutôt  nom  de  la  nymphe,  fil'e  du  floiive 
Pënée,  aiméo  par  Apollon  et  changée  en  lauri'^r. 


2 


Feuilles  persistantes;  fleurs  jaunâ- 
tres  DaphneLaureola, Lin. 

Feuilles  caduques  venant  après  les 
fleurs  rouges  ou  blanches Daph.  Mezereuniy  Lin. 


1005.  Daphne  Lanreola,  Lin.  —  Daphne-Lauréole,  Mer- 
Hon,  Bois-Gentil,  Mézéreon,  faux  Garou^  Lcfuréole  femelle.  Lan- 
réole  gentille^  Bois  d oreille. 

Reauvciis,  Saint-Symphorien  et  bois  du  Parc;  Montreuil-sur- 
Brôche,  au  bois  appelé  le  Parc;  Le  Coudray-Saint-Germer,  au 
bois  de  Labosse;  Lhéraule;  Senlis;  bois  de  Ifoussoye,  près 
Troissereux ,  de  Lamolhe ,  î\  Therdonne ,  de  Ponchon  !  de  La 
Houssoye ,  près  Auneuil  !  de  Bertichère  et  de  Labrosse ,  près 
Chaumont!  Montherlant;  Fosseuse;  Pouilly;  llalaincourt;  bos- 
quets  du  mont  de  Hermès;  parties  élevées  des  forêts  de  Hez,  de 
Pontarmé,  d'Halatte,  deMalmifait,  de  Compiègne,  d'Ermenon- 
ville! bois  de  Méru,  de  Ribécourt,  de  Chiry!  bois  à  Test  de 
Dreslincourl,  Remy!  Thury-sous  Clermonl!  abondant  aux  bois 
de  Froidmont,  de  Hellles,  de  Mouchy. 

A.  C.  ?.  Avril-mai;  fructifie  :  juin-juillet.  —  Bois  montagneux, 
pentes  élevées,  surtout  à  sol  calcaire.  11  est  recherché  des  bortis 
culteurs  pour  grefler  les  Daplinés  exotiques  k  feuilles  persis? 
tantes. 

1004.  Daph,  Mezereum,  Lin.—  Dap/tne-Mezérém,  Bois- 


744  ESQUISSE   DB   Lk   VÉGÉTATIOIT 

Joli  y  Jolibois,  Morilion  y  Bois  gentily  Lauréole  gentille  y  Merlion^ 
GaroUj  Mézèréony  Laurette, 

Beauvals;  forêt  du  Parc,  taillis  au-dessus  de  La  Truplnière; 
bosquets  de  Saint  Symphorien!  bois  au  dessus  de  Fay-sous- 
Clermont;  bois  de  Labosse;  bois  du  Saussay  et  de  La  Houssoye, 
près  Auneuil  !  Halincourt  !  Pierrepont ,  près  Parues  !  forêt  de 
liez!  I^ouilly;  Savignies;  Ernemont,  près  Songeons;  bois  de 
fïoussoye,  près  Troissereux  ;  Saint-Marlin-le-Pauvre;  Compiègne; 
forêt  de  Malmifait;  bois  de  Liancourt,  d'Agnetz,  de  Thury-en- 
Valois!  Frestoy,  canton  deGuiscard  !  bois  de  Villers  sur-Coudun  ! 
commune  sur  les  coteaux  boisés,  à  gauche  de  la  vallée  du  Ha(z, 
à  Mareuil-Lamothe,  Marigny,  Elincourt,  bois  du  Couvent!  forêt 
dellalatte!  Autheuil-en-Valois,  canton  deBcfz!  mont  César,  près 
Bailleul  ;  mont  de  Hermès. 

b.  flore  olho.  —  Bois  de  Bellinglise,  à  Elîncourt-Sainte- 
M  arguer i  te  ! 

A.  R.  y.  Février-mars.  —  Bois  humides. 

Les  feuilles  fraîches  passent  pour  curalives  de  la  morsure  des 
vipères.  Les  baies  sont  purgatives  :  on  peut  en  prendre  une  tren- 
taine au  plus. 

L'écorce  des  Daphnés,  appliquée  à  l'extérieur,  fraîche  ou  ma- 
cérée dans  Teau  et  le  vinaigre,  produit,  selon  la  durée  de  l'ap- 
plication, la  rubéfaction,  la  vésication  et  même  Tulcération  de 
la  peau.  On  en  fait  un  usage  fréquent  pour  préparer  des  pom- 
mades épispastiques  servant  à  entretenir  la  sécrétion  des  exu- 
toires.  Il  ne  faut  employer  que  l'écorce  du  tronc  de  Tarbre  et 
des  branches. 


Oiialrc-vingl-dcuxièflK!  Pamille.  —  LAURIKfiES,  D.  C: 

:Noni  tiré  du  genre  Laurl'S.) 

Aucune  espèce  do  cette  famille  n'est  spontanée  ni  ne  se  trouve 
subspontanée.  On  cultive  surtout  dans  les  jardins  les  Laurus 
nobilis,  Lin.  (Laurier  sauce),  et  iMurus  sassafras^  Lin.,  plantes 
de  la  région  méditerranéenne. 


DU   Dl^ARTBMBHT   DB  L'OISB.  745 

OuatFe-Tiogt-troisième  Famille.  —  SANT4L4€Ées,  R.  Br. 

{N<ym  tiré  du  genre  exotique  Santalum.) 

/  Feuilles  sessiles ,  linéaires,  ai- 
^   j    gués,  acuminées,  trinerviées.  Thesium  Unophyllum^  Lin. 
' Feuilles  linéaires,  uninerviées.  Thés,  humifusum,  DC. 

Theftloni,  Lin.  (geD.  n"  ?9^).  —  Tbëslon.. 

Etjm.  —  Du  grec  :  itiéseion,  fleur  de  Thésée,  c'est-à-dire,  fleur  faisant  partie 

de  la  couronne  que  Thésée  donna  à  Ariane. 

1005.  ThesiuËn  humifasum^  DC.  —  Thésion  couché. 
Allonne  ;  monts  César  et  de  Hermès  ;  Houssoye ,  près  Troisse- 

reux;  bois  de  Labrosse,  près  Chaumont;  friches  de  Bulles; 
Thury-en-Valois  ;  Mareuil-sur-Ourcq  ;  Vaumoise;  coteau  de  Saint- 
Siméon;  Villers-sous-Coudun;  pentes  du  Caneton!  bois  delà 
Montagne,  à  Bailleval!  Senlis!  Lévignen!  Noyon!  Ponchon! 
Warluis  ;  Le  Longmont ,  entre  Verberie  et  Saint- Yaast  î  forêt  de 
Hez  ;  Maquelines. 

A.  C.  ^.  Eté.  —  Pelouses  et  coteaux  secs  des  terrains  calcaires 
et  sablonneux.  Cette  plante  est  parasite,  ses  racines  se  greffent 
sur  les  tiges  souterraines  et  les  racines  des  diverses  plantes. 

a.  humifusum,  —  Tiges  couchées,  diffuses,  grêles,  éta- 
lées sur  la  terre. 

b.  divaricatum,  —  Tiges  dressées  ou  ascendantes;  brac- 
tées toutes  plus  courtes  que  le  fruit. 

Les  Thés,  divaricatum,  Jan.,  pratense^  Ehrh.,  n'en  sont  peut- 
être  que  des  variétés. 

1006.  Thés,  linophyllum,  Un. —  Thésion  à  feuilles  de  lin. 

Larris  de  Ponchon;  Saint-Vaast;  Bongenoult;  Agnelz;  Bail- 
leval; bois  de  Froidmout;  Liancourt;  Noyon;  bois  de  Longvil- 
lers;  lisière  du  bois  d'Aumont;  sommet  du  Longmont  de  Saint- 
Vaast,  àRoberval;  Thuryen-Valois;  Mareuil;  Macquelines;  Lé- 
vignen; Vaumoise;  Bulles;  Chaumont,  bois  de  Labrosse;  friches 


746  ftgQUI8SB  us  LA   VÎftÉTATIMI 

duVivray;  Paillart,  sur  la  chaussée  BrunehauU  !  mont  Saint- 
Siméon,  à  Noyoal  bois  MouIod,  à  Bonneuil!  forêt  de  LaHérelle! 
mont  César,  à  Baîileulsur-Thérain. 

A.  R.  ?^.  Eté.  -  Pelouses  gramineuses,  friches  crayeuses,  friches 
du  calcaire  grossier,  BQ)le  ou  rare  dans  les  terrains  jurassiques. 

Le  Thés.  olpinuM,  Lin  ,  a  été  trouvé,  dit-on,  àAutrêches.  Est- 
il  bien  réel?  En  tout  cas,  le  Tkes,  linop/tyiium^  Lin.,  est  incon- 
testablement une  espèce  multiple. 

Les  Saniaiacées  se  rapprochent,  par  le  port  et  la  structure  du 
périgonc  des  irintolochiées  et  des  Daphnoidees,  Elles  dilTèrenl  des 
premières  par  les  étaminos  insérées  non  sur  Tovaire,  mais  sur 
le  périgone,  et  des  secondes  par  l'ovaire  adhérent  au  périgone. 

Les  Sanialacées  sont  parasites  pendant  une  partie  de  leur  vie 
ou  ont  des  racines  à  la  fols  libres  et  adhérentes  (Decaisne  et 
Brandt). 


Oualre-vingl-qnalmme  Fdoille.  —  fiLfi4G!\ÊIS,  R.  Bf. 

{^otn  tiré  du  genre  Eleagnx'S.) 

Sont  cultivés  et  naturalisés  dans  une  foule  de  parcs  et  de 
jardins  Vffîppophae  rhamnoides ,  Lin.,  et  VEleagnus  angustî- 
foiia.  Lin.,  qu'on  ne  rencontre  jamais  subspontanés. 


^ire-fkigl-einqvièffle  Pamilie.  —  ARtSTOlttCllIf  CS,  Jsss. 

(Nom  tiré  du  genre  Aristolochia.} 

/  Fer.  trilobé;  étamines  12 Aêarum,  Tournef. 

i   <  PAr.  terminé  en  languette  unilaté- 

(    raie;  étamines  6 .aristolochia,  Tournef. 

€es  deux  genres  sont  les  seuls  européens  de  la  fiimUle. 


DU  dApastimiiit  bb  l'oisb.  747 


Arlfttoloelila,  Tournef  (Inst.  t.  71;.  —  Arlsloloelie. 

Etym.  —  Du  grec  :  aristos,  très-bon;  locheia,  lochies;  à  cause  do  son  action 

stimulant*. 


1007.  AriMîoioehia  clemaliiû,  Lin.  —  Ariêtoloc/ie  clé- 
matite, Poirier^  Sazarine. 

Braclieux,  près  Beauvais;  Méru!  butte  d'Aulnumt!  Betz!  bords 
de  roise,  à  Greil,  à  Pont-Sainte-Maxence,  enti'e  Pont  et  Verneuil, 
à  Pont-l'Evêque,  à  Ourscamps;  Neuilly-en-Thelle  ;  forêt  de  Gom- 
piègne ,  carrefour  des  Princesses  !  Glairoix  !  Cheîey  !  Larbroye  ! 
Varesnes  ;  l)osquets  de  Bien?Ule. 

A.  B.  :^.  Eté.  —  Lieux  pierreux  arides,  haies,  buissons,  vignes, 
terrains  calcaires.  Odeur  forte  et  désagréable. 

G'est  un  emménagogue  propre  à  faire  couler  les  lochies^  d'où 
Aristolochia,  Les  moines  et  les  empiriques  la  cultivaient  beau- 
coup en  Angleterre.  Gette  plante  a  été  sans  doute  introduite  en 
Europe  à  Tépoque  des  croisades.  Il  faut  se  déûer  de  l'action  de 
cette  plante,  qui  peut  être  dangereuse;  elle  est  peu  déterminée 
et  souvent  infidèle,  et  ses  propriétés  varient  considérablement 
selon  les  localités  où  on  Ta  récoltée. 

VArist.  rotunda,  Lin.,  a  été  trouvée  à  Ivors  et  au  bois  de  Ion- 
tagny,  près  Cbaumont.  Elle  n'est  pas  spontanée. 

Asarmii,  Toornef.  (Inst.  t.  286).  —  AMireto 

Etym.  —  Du  grec:  a,  privatif;  aairô,  j'orne;  fleur  sans  éclat. 

1008.  itsarutn  Europœum ,  Lin.  -  Maret  d'Europe, 
Oreillette f  Nard  sauvage  i  Girard  y  Roussin  ^  Cabaret  ^  Rondette^ 
Oreille  d'homme  ^  Asaret ,  Oreillette. 

Parc  d'Halincourt!  bois  de  Pontoise!  forêt  de  Garlepont!  Mor- 
tefontaine;  Ermenonville;  forêt  de  Halatte ,  au  mont  Pagnotte^ 
triages  voisins  de  Senlis  et  près  Fieurines  ! 

B.  ^.  Eté.  —  Lieux  pierreux  ombragés  >  bois  montueux  hu- 
mides. 


748  ESQUISSE  DE   LA   viOETATlOIf 


Quaire-vingl-sixième  Faniille.  —  SANGUiSORBËES,  Juss. 

iSom  tiré  du  genre  SXNGUlSORBA.) 

/  Calice  à  8-10  divisions  ;  fleurs  pédicel- 

l     lées,  disposées  en  cymes  corymbi- 

1    formes  ou  en  fascicules  opposés  aux 
*  j    feuilles ^Ichimilla,  TourneL 

1  Galice  à  4  divisions  ;  fleurs  sessiles 

\    disposées  en  épis  compactes 2 

'Etamines  4;  fleurs  hermaphrodites..  Sanguisorba^  Lin. 
â  )  Etamines  20-30  ;  fleurs  monoïques  ou 

(    polygonales  dans  un  même  épi Poterium,  Lin. 

AlcMmllla,  T.)urnef.  ^In.^r.  t.  ^gÇ» .  —  Alolilaillle. 

Et>  m.  •  A  été  l'objet  d'essais  de  In  part  des  alchimistes. 

/Fleurs  disposées  en  fascicules 
'     sessiles  opposées  aux  feuilles 
étroitement  embrassées  par 

les  stipules Jtc/timiUa  arrensis,  Scop. 

Fleurs  disposées  en  cymes  co- 
rymbiformes  terminales  et  la- 
^     térales Alc/iim  vulgarU,  Lin. 


1    et  étro 
1   ^    les  stii 


1009.  Alehiwnilla  vulgaris^  Lia.  —  Alchimille  communie. 
Patte  de  Lapin^  Mantelet^  Pied  de  Lion^  Manteau  des  Dames, 

Âllonne;  bois  de  Caumont!  forêt  deMalmifait!  forêt  de  La 
Hérelle;  parc  d'Halincourt.  Elle  existait  à  la  garenne  de  Berti- 
chère,  et  a  disparu  par  suite  de  défrichement.  Noyon  !  Grandru. 

T.  R.  ?^.  Eté.  —  Bois  et  forêts,  prés  montagneux.  Le  bétail  en 
est  très-friand.  Cette  plante  est  rare  au  nord  de  Paris;  sa  limite 
méridionale  en  plaine  est  de  49»  à  49»  et  demi  de  latitude  elle 
Jersey,  Rouen,  Beauvais).  L'espèce  existe  1°  si  la  quantité  de  pluie 
dépasse,  dans  chaque  mois  d'été,  43  millimètres  en  moyenne, 
et  2o  si  le  nombre  de  jours  de  pluie  dépasse  8.  Elle  aime  ordinal- 


DU  DiPARTKMKNT   DB  l'oISB.  74t 

rement  le  calcaire.  Son  nom  ^\4lchimille  lui  vient  de  ce  que  les 
alchimistes  recueillaient  la  rosée  de  ses  feuilles  pour  la  prépa- 
ration de  la  pierre  philosophale.  C'est  une  plante  astringente  et 
qui  raffermit  les  chairs. 

1010.  Alehim,  arvensis,  Scop.  —  Alchimille  des  champs^ 
petit  Pied  de  Lion,  Perce-Pierre. 

T.  G.  d).  Eté.  —  Moissons,  champs  secs  et  sablonneux,  jachères. 
Dans  cette  espèce ,  les  rameaux  ont  un  développement  indéfini  « 
les  cymules  glomérulées  étant  axillaires  ;  il  n'y  a  qu'une  seule 
étamine  par  suite  d'avortement  habituel. 

Poterlum ,  LiD«  —  Plmprenelle. 

Etym.  —  De  potérUm,  coupe ,  en  grec  ;  allusion  a  la  forme  du  périgone. 

Fleurs  à  limbe  du  calice  verdàtre 
mêlé  de  pourpre;  étamines 
dépassant  très-longuement  le 

calice Poterium  sanguisorba^  Lin. 

1  <  Galice  fructifère  à  faces  faible- 
ment réticulées Var.  dictyocarpum,  Spach. 

Calice  fructifère  ordinairement 
plus  gros,  à  laces  fortement 
réticulées-alvéolées Var.  muricatum,  Spach. 

1011.  Poîeviuwn  sanguisorba^  Lin.  —  Pimprenelle  com- 
mune^ Pimprenelle  des  Jardins. 

a.  dictyocarpumy  Spach.  —  Fruits  ailés,  réticulés,  non 
chargés  de  fossettes. 

b.  muricatum^  Spach.  —  Akène  tétragone  à  angles  munis 
de  crêtes  aiguës  ordinairement  très-entières,  rarement 
excisées,  dépassant  les  fossettes  des  faces;  celles-ci  mûri- 
quées  par  des  fossettes  dont  les  bords  élevés  sont  denticuiés. 
C'est  cette  variété  qui  est  la  plus  ordinairement  cultivée 
dans  les  jardins  pour  entrer  comme  assaisonnement  dans 
les  salades. 

c.  glaucum^  Spach.  —  Feuilles  glauques ,  surtout  en- 
dessous. 

T.  viu.  49        ^'.\ 


t60  K8QUISSB   PE    LA   VB€liTATI01f 

T.C.  ?.  Avril-Juillet.  —  Prairies,  pelouses;  fréquemment  cul- 
tivé dans  4e8  jardins  comme  lierbe  potagère  d'assaisonnement. 
En  i763,  on  fit,  avec  succès,  la  culture  en  grand  de  la  Pimpre- 
nelle  à  Sénéfontaine  et  au  Mont-Saint-Âdrien.  Elle  a  des  pro- 
priétés galactopliores,  c'est-àdire  propres  à  activer  la  sécrétion 
du  lait  étant  appliquée  sur  les  seins  d'une  nourrice. 

Les  Poterium  varient  par  des  tiges  diffuses  ou  dressées,  glabres 
ou  pollues  inférieurement,  par  la  forme  des  fblioles,  par  le  fruit 
sessile  ou  stipité. 

Quelques  auteurs  pensent  que  cette  famille  doit  faire  partie 
des  Rosacées, 

(iangulftarlia ,  Lio.  (çeo.  u<>  146).  —  ttanyaliiorlie* 

Ktym.  —  Du  latin  iangiUi,  sang,  et  aarbert,  boire;  allusion  aux  propriétés  \-ulneraires 

de  la  plante. 

1012.  Sangui90»*ba  officinaliSt  Lin.  —  Sanguisorbe  des 
boutiques^  Pimprenelle  des  prés, 
T.  R.  ^*  —  Marais  tourbeux  de  Bresles ,  vers  Rue-Sain t-Pjerre. 


Qaalre-TiDgl-seplième  hmilie.  EUPHORBUCfiKS  (Jossieo). 

(iVow  tiré  du  genre  EUPHORBIA.) 

{ Tige  ligneuse Buxus,  Tournef. 

(  Tige  herbacée 2 

/Plante  à  suc  laiteux;  capsule  à  3 

S     loges Euphorbia,  Lin. 

y  Plan  te  à  suc  non  laiteux;  capsule  à 

(    2  loges Mercurialis,  Tournef. 

La  famille  des  Euphorbiacées  a  de  l'analogie  avec  celle  des 
H/iamnées  par  son  périsperme  charnu ,  son  fruit  à  plusieurs  loges 
et  quelquefois  par  son  port.  Elle  en  diffère  par  ses  étamines 
hypogynes,  ses  fleurs  monoïques  ou  dioîques  et  la  réunion  des 
deux  périgones  en  un  seul.  Les  Euphoi')iacées  se  rapprochent 
des  Malmcées  par  la  soudure  des  étamir  -6. 


BV  DiFAETKMAKT  W  L'OISI.  7M 


Bupliorlila,  Lin.  (gen.  n**  609).  —  EapIftorHe. 


Btym.  —  Plante  dédiée  à  Euphorbus,  médeoiii  de  Juba,  roi  de  Kauritanie, 
qui  le  premier  la  mit  en  usage  pour  la  guérison  d'Auguste. 


Graines  poncluées ,  rériculées  ou 

i  ^    rugueuses -à 

Graines  lisses n 

Feuilles  opposées,  les  paires  alter- 

2  l    nant  en  croix Euphorbia  Lathyris,  Lin. 

Feuilles  éparses 3 

/Capsule  à  lobes  présentant  cha- 
y    cun,  sur  le  dos,  deux  carènes 

3  <    minces;  feuilles  pétiolées Eupà,  Peplus,  Jju. 

^Capsule  à  lobes  non    carénés  ; 

feuilles  sessiles 4 

Glandes  non  échancrées  en  crois- 
sant; feuilles  obovalescunéi- 
^   ;    formes  finement  dentées  dans 

la  moitié  supérieure Eupà.  /leHoscopia,  Lin. 

Glandes  en  croissant;  feuilles  li- 

\    néaires ,  entières Euph.  exigua^  Lin. 

Bractées  soudées  â  à  2  en  plateaux 

5  \    suborbiculaires  perfoliés Euph.  ëylvaiica^  Lin, 

(Bractées  libres 6 

!  Capsule  lisse  ou  très -finement 
chagrinée 7 

Capsule  présen  tant  des  tubercules 
^    hémisphériques  ou  cylindriques  9 

'  Glandes  entières  ou  à  peine  émar- 
\    ginées ,  jamais  éûhancrées  eq 

)    croissant Euph.  Gerardiana^  Jacq. 

vGlandes  eu  croissant 8 

Feuilles  linéaires,  celles  des  ra- 
meaux stériles   très -étroites, 
8  {    presque  sétacées ,  rapprochées 

en  pinceau ,..,  Euph.  CyparUsias,  Lin. 

F«ttUlea  oblongvi»  lfuic4Ql4es  ou 


753  B6QU18SI  DB   LA   VIG^TATIOIV 

.     liaéaires-laucéoléfs,  celles  des 
8  )    rameaux  stériles  jamais  étroites 

'    sélacées Euph.  Ksuia,  Lin. 

Plante  annuelle  ou  bisannuelle , 

i     à  racine  pivotante;  feuilles  ses- 

g  ;    siles  à  base  presque  cordée —  lo 

j  Plante  yivace  à  souche  ordinaire- 

r     ment  rameuse    ou    traçante  ; 

;    feuilles  atténuées  k  la  base \\ 

Capsule  petite ,  chargée  de  tuber- 
cules   cylindriques   allongés  ; 
graines  d'un  rouge  brun&tre..  Luph.  tiricta,L\n, 
10  ^Capsule  assez  grosse,  couverte  de 
tubercules  hémisphériques  peu 
saillants;  graines  d'un  gris- 
brunâtre  à  reflets  métalliques.  Euph.  plaiyphylla,  Lin. 
/Bractées  ovales,  tronquées  ou  un 
1     peu  cordées  à  la  base;  rhizome 
1    traçant  composé  de  pièces  arti- 

\    culées  entre  elles Euph,  dulcis^  Lin. 

I  Bractées  ovales,  oblongues  ou  obo- 

'^    vales ,  atténuées  à  la  base 12 

/Tiges  assez  grêles ,  i-6  décimèt., 
étalées  ou  ascendantes-diffuses; 
ombelle  régulière  ordinaire- 
ment 4-0  rayons Euph.  verrucosa,  Lin. 

'^  )  Tige  robuste,  dressée,  6-12décfm.; 
ombelle  irrégulière  ordinaire- 
ment dépassée  par  des  rameaux 
\    stériles Euph,  pa/us(ris,  Lin. 

a.  Espèces  anntielles, 

1013.  Euphos*hia  helioscopia^  Lin.  —  Euphorbe  Hévfdi- 
Matin,  Herbe  atcx  verrties^  Réveil-Matin^  Tithymale, 

T. C.  d).  Juin-septembre.  —  Lieux  cultivés,  jardins,  bords 
des  chemins,  lieux  vagues.  Nuisible  aux  vignobles.  Suc  fk'ais, 
bon  contre  les  vernies.  Le  nom  û*Helioscopia  vient  du  grec  éiios^ 
soleil,  et  scopeô,  je  regarde;  il  avait  été  employé  par  Dioscoride 


DU   DEPARTEMENT   DE   l'OISE  753 

pour  une  espèce  d'Euphorbe  dont  le  feuillage,  selon  lui,  était 
toujours  tourné  vers  le  soleil ,  phénomène  qui  n'a  pas  lieu  pour 
notre  plante. 

iOI4.  Euph.  plafyphylla,  Lin.  ~  Euphorbe  à  larges 
feuilles. 

Marais  de  Trosly;  Pierrefonds!  Batigny;  forêt  de  Compiègne, 
au\  monts  Saint-Marc,  de  Saint-Jean ,  carrefour  de  la  Belle- 
Image!  Bailly!  forêt  de  Carlepont!  Ârmancourti  Hanvoile. 

R.  d).  Juillet-août.  —  Champs  argileux,  lieux  arides,  terrains 
calcaires,  terrains  cultivés,  jachères,  champs  humides  en  friche. 
Cette  plante,  si  commune  dans  TAlsace,  ne  se  trouve  guère  chez 
nous  que  dans  des  stations  artificielles  et  par  pieds  isolés,  si  ce 
n'est  dans  les  forêts  de  Compiègne  et  de  Carlepont. 

1015  Euph  Jtlricla^  Un. —  r.uphorbe  dressée ,  Euphorbe 
roi  (te. 

Etang  du  Plessis-Brion !  Pierrefonds!  forêt  de  Compiègne,  à 
rortille,  au  pont  de  Berne,  aux  Beaux-Monts,  au  mont  Saint- 
Marc! 

L'épithète  de  stricta  ne  lui  convient  pas.  Le  port  de  cette  es- 
pèce n'est  pas  raide,  mais  au  contraire  délicat  et  grêle. 

R.  (D  ou  (f).  Juin-août.  —  Bords  des  chemins,  lieux  vagues  et 
incultes. 

b.  Espèces  vivaces, 

1016.  Euph  .dulcis,  Lin.  (Euph,  purpura  fa) ,  Thuil.  — 
Euphorbe  douce,  Euphorbe  pourprée. 

Larris  à  BongenouU;  forêt  du  Parc!  Savignies;  mamelon  de 
Senéfontaine  ;  forêt  de  Hez!  Boursonne;  forêt  de  Thelle;  bois  de 
Lalandelle  ;  garenne  de  Trie-Chàteau  ! 

A. R.  ^.  Mai-Juin.  —  Lieux  sombres  des  collines  calcaires, 
haies,  bois  couverts;  plante  prenant  quelquefois  une  teinte 
rougeàtre. 

Le  lait  de  cette  espèce  est  peu  ftcre. 

1017.  Euph.  verruco^a.  Lin.    -  Euphorbe  verruqueuse. 
Pierrefond.s;  mont  Saint-Marc,  dans  la  forêt  de  Compiègne; 


754  BSQUISâl  DE  Là  VÉgATàTION 

au  pont  de  Berne,  sur  la  route  de  Compiègne  à  Soissons!  forêt 
d'Ourscamp  ! 

T.  R.  ?.  HaHuin.  Refleurit  en  automne.  —  Lieux  secs  arides 
et  calcaires. 

a.  peploidei,  Thuil.  —  Feuilles  glabres. 

1018.  Euph.  palustris.  Lin.  -  Euphorbe  des  marais^ 
grande  Esule,  grand  Tithymale  des  marais, 

CaufTr>!  la  gorge  du  Han;  Royaumont;  prairies  à  Saint- Leu- 
d'£sserent!  pré  Martinet,  à  Beauvais;  forêt  de  Compiègne,  sur 
la  route  de  Humières  !  Fosseuse,  prèsMéru;  Liancourt;  marais 
de  Ghambors  ;  Senlis  ;  vallée  de  Nonette ,  près  Senlis  ! 

Â.  R.  ?.  Juin-août.  —  Prairies  spongieuses  ou  tourbeuses. 

Purgatif  et  émétique. 

1019.  Euph.  Cyparissias,  Lin.  —  Euphorbe  petit  Cyprès, 
Tithymale  commun ,  petite  Esuie ,  Rhubarbe  des  paysans ,  Feu 
ardent. 

T.  C.  ?.  Avril-Juillet.  —  Lieux  arides  des  sables  tertiaires. 
Emétique  et  peut  causer  la  mort. 

Il  y  a  une  déformation  fréquente  causée  par  un  œcidium  qui 
couvre  la  face  inférieure  des  feuilles  de  pustules  jaune-orange. 
La  fasciation  de  la  tige  est  assoz  commune.  En  automne,  après 
la  chute  des  rameaux  de  Tombelle,  Ton  voit  très-communément 
naître  à  Taisselle  des  feuilles  supérieures  déjeunes  ramuscules 
feuilles  et  stériles  qui  donnent  à  la  plante  l*air  cVun  petit  pin 
ou  sapin.  Quelquefois  les  fleurs,  à  l'extrémité  de  la  fige,  piquées 
par  un  insecte,  y  produisent  un  bouton  rosacé,  d'un  rouge  vif, 
qui  s'altère  rapidement. 

a.  longibracteata,  —  Folioles  de  TinvoUicre  et  des  invo- 
lucelles  linéaires-lancéolées  semblables  aux  feuilles.  — 
Mello  ;  Hermès. 

1020.  Euph.  Gerardiana,  Jacq.  —  Euphorbe  de  Gérard, 
Eclaire. 

Les  anciens  rappelaient  Esula,  Avant  la  floraison,  elle  res- 
semble à  la  Linaire. 
Purgatif  et  émétique. 
C.  7^.  Eté.  —  Caractéristique.  Chantilly,  Senlis  :  coteaux  secs 


DU   BBPABTBMBNT   BB  L'OIBB  755 

des  terrains  sablonneux ,  quelquefois  dans  les  prés  humides , 
alors  elle  acquiert  de  grandes  proportions  \  aussi  sur  la  tourbe. 

1021.  Euph.  esula,  Lin,  ^  Euphorbe  Esule. 
Verberie;  Nointel;  Thury-sous-Clermont;  Saint-Maur. 
R.  ?.  Eté.  ~  Coteaux  secs. 

b.  tristii,  Bieb.  —  Tiges  de  2  à  5  décimètres,  dépourvues 
de  rameaux  stériles  ou  n'en  émettant  qu'un  petit  nombre; 
feuilles  d'un  vert  sombre. 
R.  Coteaux  pierreux  :  Thury-sous-Glermont. 

1022.  Euph.  sylvalica,  Un.  —  Euphorbe  deë  bois, 

T.  C.  ?.  Mai-juillet.  —  Partout  dans  les  bois  et  surtout  dans 
les  pentes  des  coteaux  calcaires  exposés  au  nord. 

b.  phfjUanthum^  Nob.  —  J'ai  souvent  remarqué  les  fleurs 
métamorphosées  en  feuilles  dans  les  années  pluvieuses. 

c.  ligulata^  Cbaub.  —  Rayons  de  l'ombelle  longuement 
velus;  bractées  ovales,  oblongues,  ligulées,  aiguës,  non 
soudées.  Je  ne  connais  cette  variété  que  dans  le  Bray,  sur 
les  sables  ferrugineux. 

Cette  plante  aime  le  voisinage  de  V Heileborui  fœiidus, 

J023.  Euph.  Peplui,   Lin.    —    Euphorbe  Péplus ,    Esule 
ronde. 

T.  C.  selon  quelques  auteurs.  ^.  d).  Eté  et  automne.  —  Lieux 
cultivés,  jardins.  Nuisible  aux  vignobles  et  à  la  culture  maraî- 
chère. Le  suc  frais  est  employé  par  nos  paysans  contre  les 
verrues. 

b.  miniîna.  —  Plante  naine  :  talus  des  chemins  de  fer. 

1024.  Euph,  exigua.  Lin.  —  Euphorbe  fluettey  petite  Eiule^ 
petit  Tithymale  des  champs. 

T.  C.  (J)  Eté  et  automne.  ~  Parmi  les  moissons;  terrains  en 
friche.  Varie  dans  la  taille  suivant  la  fertilité  des  terrains. 

b.  truncata^  Koch.,  ou  retusa^  DC.  —  Feuilles  tronquées 
et  mucronées  au  sommet. 


1025.  Euph.  Laihyris,  Lin.  ^  Euphorbe  Epurge^  Purge, 
Catap%ice,  Camerinette  y  Epurge. 


756  ESQUISSE  DE   LA   véGÉTATIO?! 

Pré  Martinet  et  Saint-Jean,  près  Beauvais !  Therdonne;  parc 
d'Halincourl  et  bois  de  Lognes,  près  Magny;  Parnes!  Saint-Just- 
en-Ghaussée!  bois  de  Labrosse,  près  Chaumont!  Auxmarais; 
La  Neuville-Roy  !  Crépy  !  Senlis  !  bois  des  Brays,  près  Rouville  ; 
parc  de  Thury-en-Valois. 

f.  R.  ?  ou  (f).  Juillet- septembre.  --  Presque  toujours  près  des 
villages,  des  baies  de  jardins,  dans  le  voisinage  des  anciens 
cbàteaux,  stations  qui  font  douter  de  sa  spontanéité.  Naturalisé. 

Le  suc  laiteux  frais  est  souverain  contre  les  affections  tuber- 
culeuses de  la  peau,  les  verrues,  etc.  Les  graines  fournissent 
une  huile  purgative  diurétique  très-énergique  ;  elles  servent  au 
peuple  de  purgatif  ordinaire. 

VFAiphorbia  iVicœensiSy  AU.,  a  été  indiquée  près  Senlis  et  Ribé- 
court;  elle  n'a  dû  être  trouvée  que  par  accident. 

Iierciirl«ll««  Tournef.  finst.  t.  308 .  —  Mercuriale. 

Etym.  —  Dédié  h  Mercure,  qui  découvrit  les  propriétés  médicales  de  la  plante. 

^Tige  simple;  feuilles  fermes MercuriaUs perennis^  Lin. 

(  Tige  rameuse  ;  feuilles  molles. . .  Mercur,  annua,  Lin. 

1026.  3ie$*eurialim  perennis^  Lin.  —  Mercuriale  vivace^ 
Mercuriale  de$  boiSy  Mercuriale  des  montagnes^  Chou  de  chien. 

Très-vénéneuse;  macérée  dans  Teau,  elle  lui  communique  une 
belle  couleur  bleue  que  les  acides  et  les  alcalis  font  disparaître 
promptement. 

C.  ?.  Mars-mal.  -  Rois  rocailleux  et  calcaires.  Bleuit  par  la 
dessiccation. 

1027.  Meweur  annua ,  Lin.  —  Mercuriale  annuelle,  Fvi- 
roude^  foireuse.  Fignole,  Fignoble,  Sambarge^  Grenouillette, 
Grenouillé,  Foirol/e ,  Aremberge,  Vignette,  Foiraude,  Caquenlit, 
Ortie  bâtarde  ,  Cagarelle,  Rinberge. 

T.  C.  (D.  Eté  et  automne.  —  Champs,  vignes,  lieux  cultivés, 
moissons,  jardins. 

Plante  usitée  autrefois  comme  légume  et  répandue  par  les 

progrès  de  la  culture.  Nuisible  aux  vignobles.  Les  graines  ont 

'odenr  d»i  chanvre.  r.a  décoction  de  cette  espèce  est  un  laxatif 


DU  dApartembnt  de  l'oise.  757 

flréqueminent  employé  en  lavement  dans  les  campagnes;  elle 
sert  de  base  au  miel  mercurial ,  avec  lequel  on  prépare  des  la- 
vements laxatifs. 

Biixufl*  Tourner.  (Irist.  t.  345}.  —  Bulii» 


Etym.  —  Du  grecptueoê,  nom  grec  du  Buis,  \enant  peul-élre  do  puenoM.  dense 

ou  de  puxU:  allusion  aux  bottes  en  buis,  ou  bien  encore  do  puxos, 

en  grec,  gobelet,  de  la  forme  du  frui». 


1028.  BuacuB  sempcrviren<,  Lin.   —   /hiis  toujours  vert^ 
Bonis  ^  Guezeffe. 

Garenne  de  Canneville,  près  Chantilly;  bois  de  la  montagne 
de  Sainte-Geneviève;  Jaux,  près  Compiègne  î  Vez,  dans  le  Valois! 
Novillers;  Mortefontaine;  coteaux  de  Gypseuil,  près  Méru;  Betz; 
bois  exposés  au  nord  dans  le  canton  de  Chaumonl,  à  Héronval; 
Senlis;  Pâmes;  Ermenonville;  Creil;  autrefois  au  parc  de 
Boissy-le-Bois. 

A.R.  ?.  Fleurit:  mars-mai;  fructifie:  juillet-août.  -  H  n'a 
aucune  trace  de  spontanéité.  On  ne  le  trouve  que  par  touffes 
isolées.  Or,  partout  où  il  est  spontané  il  couvre  des  régions  en- 
tières; il  persiste  et  multiplie  trop  peu  facilement  pour  être  indi- 
gène dans  roise.  Il  croit  ordinairement  sur  le  calcaire  compacte 
et  se  déplaît  dans  les  sols  exclusivement  siliceux.  Le  buis  est  un 
arbuste  social  et  envahissant.  Bois  estimé  des  tourneurs.  Les 
cendres  font  une  excellente  lessive.  La  décoction  de  la  rftpure 
du  bois  et  de  la  racine  a  été  vantée  à  cau.se  de  son  action  sudo- 
rifique  dans  le  traitement  des  maladies  syphilitiques  et  des  rhu- 
matismes chroniques.  Les  feuilles  et  les  sommités  donnent  un 
très-bon  engrais  pour  les  vignes. 

h*  sterilis  ou  suff'nificosa^  L.   —  Huis  à   bordure^  Buis 
nain ,  Buis  (V Artois. 

Variété  naine  des  jardins  toujours  stérile. 

Les  feuilles  du  buis  sont  très-estimées  comme  engrais  et  con- 
tiennent 2.89  d'azote  pour  cent  de  matière  sèche.  Le  fumier  d'é- 
table  n'en  renferme  que  2  pour  cent. 


i.. 


758  BSQUIS8B   DB   LA   vi«éTAf  lOM 


Ouatre-fiDgt-huiiièiDe  Pamille.  —  ULIAGfifô,  Mirb. 

yom  tiré  du  genre  rLMVS.) 


^  Feurs  sessiles ;  fruits  glabres Ulmus  camjyestrU,  Un, 

f  Fleurs  pédîcellées;  fruits  ciliés rim.  effvsa,  Wild. 


tllnia».  Lin.  .^on.  n*  316).  — 
Ktym.  —  Du  radical  cHtiquo  elm,  imliquant  les  «tiverses  espèces  d'onne. 

1039.  Vltnum  campestris.  Lin.  -  Orme  champêtre ,  Orme 
à  petites  feuiUen^  Orme  rouge^  Ormeau,  Ormieu^  Ormepyramidat» 
T.  C.  ?.  Fleurit  :  mars-avril  ;  fructifie  :  fin  de  mai.  —  Haies, 
bords  des  chemins,  promenades,  bois,  etc. 

a.  ntida^  Ehrh.,  Orme  ordinaire.  —  Rameaux  nus,  c'est- 
à-dire,  sans  hypertrophie  de  la  couche  subéreuse. 

h,microp/itjll((t\)\xb.  —  Feuilles  très-petites,  fortement 
incisées. 

c.  iuherosa^  Willd.,  Orme  à  liège  ou  êubéreux,  —  Arbre 
peu  élevé  à  rameaux  étalés,  écorce  des  rameaux  plus  ou 
moins  subéreuse,  boursoufflée  en  forme  d'ailes;  feuilles 
ovales-acuminées,  rudes  ;  4  étamines.  (La  couche  subéreuse 
étant  hypertrophiée,  c'est  un  état  maladif  de  la  plante 
plutôt  qu'une  variété.)  —  Haies  autour  de  l!eauvais;  Saint- 
Lucien  ;  Verberie. 

d.  montatw,  Smith.,  Orme  bianCy  Onue  à  grande»  feuiitef^ 
Orme  des  montagnes.  —  Feuilles  inéquilatérales  largement 
ovales,  échancrées  en  cœur  à  la  base,  longuement  acu- 
minées,  pubescentes,  scabres,  très-grandes.  —  Bois  à 
Thury-en-Valois. 

e.  corylifolia ,  Host.  —  Arbre  élevé,  aux  feuilles  cordi- 
formei^ovales,  brusquement  acuminées,  très-rudes;  jeune 
écorce  lisse.  —  Bords  du  Thérain. 

f.  tortuosa^  Host.,  Orme  tortillard.  —  Petit  arbre  à  tige 
tortueuse,  à  cime  difTuse  ou  buisson;  feuiles  petites  ou 
très-petites,  ovales-acnminées,  un  peu  rudes. 


DU   Dril*ARTEMBlfT  DE   L*(>I8B.  7ftt 

Planté  ou  spontané  dans  le  canton  de  Crépy,  aux  Beaux-Monts, 
k  Saint-Corneille.  —  A  étudier. 

1030.  l/l»i.  etfusa.YiiM.  —  Ormç  diffus,  Orme  pédoncule. 
Orme  blanc  (en  Alsace),  Orme  cilié,  Orm£  à  fleurs  éparses. 

Avenues  de  Compiègne  et  dans  la  forêt ,  aux  Beaux-Monts,  à 
Saint-Corneille,  au  bois  Michaux,  à  Tétang  Saint- Jean,  à  Salnte- 
Périne,  aux  carrefours  Aurore  et  du  Grand-Cerf,  sur  la  route  de 
Morpign> ,  près  le  carrefour  du  Pont-Caborne  !  forêt  de  Chan- 
tilly! Crépy-en-Valois,  sur  la  route  de  Gillocourt!  pays  de  Bray; 
Irie-Chàteau ;  boulevards  de  Beauvais. 

Chez  tous  les  ormes,  les  feuilles  varient  de  forme  ;  fleurs  6-9 
(ordinairement  8  .  Fleurit  :  février- mars  ;  fructifie  :  mai. 

f.  A.  C.  ?^.  —  Haies  et  promenades  publiques. 

Un  de  ces  arbres,  abattu  par  un  ouragan,  était  Agé  de  iOOans. 
Le  bois  des  ormes  est  très-estimé  pour  le  charronnage. 

Une  foule  de  formes  et  de  variétés  ont  été  introduites  dans 
nos  parcs.  —  Les  Ulmus pyramidalis y  jiendula,  glabra,  vctriegata, 
atrO'purpureUf  viscosa,  stricta,  Hollatu/ica ,  etc.,  Villm.  ameri- 
cana,  Mich.,  et  VLlm,  fulva,  plantés  au  bois  Michaux. 

A  côté  de  cette  famille  se  place  la  famille  des  Celddées,  dont 
on  trouve  quelques  représentants  dans  nos  parcs  et  dans  la  forêt 
de  Compiègne,  aux  Beaux-Monts;  forêt  dellalatte;  bois  deLian- 
court;  àThuryen-Valois;  mais  ces  espèces  sont  toutes  cultivées 
et  nullement  spontanées.  Ce  sont  les  Ceftis  avstralis,  Lin.,  Tour- 
ne for  fia  cordai  a. 


Qualre-fingl-neuftëoie  Famille.  —  URTICÉES,  DC. 

(Nom  tiré  du  genre  Urth:a). 

.   ^Plante  hérissée  depoils  rudes  et  piquants.  6r//ca,Tournef. 
^  Plante  sans  poils  piquants Parietaria,  Tour. 

CJrlIca»  Toiiroef.  [Xus^.  f.  308).  —  Ortie. 
Etym.  —  Du  latin  urère,  bdiler  :  iiliusion  aux  poils  brûUiito  de  li  plante. 

{ Fleurs  diolques ;  feuilles  cordiformes..  UrticadioïcayLîn, 
f  Fleurs  femelles  en  grappes  lâches Urt,  urens.  Lin. 


760  BSQUISSB  DB   LA   véG^TATION 

1031.  VfUea  dioxca.  Un.  —  Ortie  dioïque ,  OrWle,  Ortie 
ricace,  grande  Ortie, 

T.  C.  ^,  Eté.  -  Lieux  incultes,  buissons,  décombres,  jardins. 
Les  racines  donnent  une  couleur  jaune. 

1032.  l/rl.  urens.  Lin.  —  Ortie  brâlante,  petite  Ortie,  Ortie 
grièche. 

T.  C.  CD.  Eté.  —  Lieux  cultivés ,  pied  des  murs ,  décombres. 

Wrtica  piluHfera,  Lin.,  a  été  indiquée,  à  tort  sans  doute,  à 
Méru,  Cliambiy,  Chantilly,  Nantheuil,  ThurysousClerroont.  J'ai 
cependant  à  l'herbier  un  échantillon  de  VCJrt.  pilulifera.  Lin., 
récolté  par  M.  Lenglet,  médecin  ii  Reauvais,  avec  la  rubrique  : 
de  Savignies. 

Les  poils  brûlants  de  Tortie  dioique  produisent  sur  la  peau 
des  ampoules  que  Ton  guérit  avec  de  Teau  contenant  de  Tarn- 
moniaque,  et  même  avec  le  suc  de  Tortie  ou  celui  du  plantain. 

Parleiarla,  Tunrrir-r.  Inst.  t.  289^  —  Pariétaire. 

Rtym.  —  Du  Intin  pane»,  ninraillo;  Allusion  h  \n  lornlit^  pnnoi|>aiede  la  plante. 

1033  ParteiaftaofficinaHs,  Poll.  -  Pariétaire  offici- 
nale, Caise  Pierre  j  Perce  Muraille,  iferbe  de  Notre-Dame,  Pariée 
taire ,  Parêtoire ^  Vitriole,  Pana f âge,  Hspargoule. 

Mêlée  dans  le  blé  .  elle  en  écarte  les  charançons. 

T.  C.  ^.  Eté-automne.  —  Vieilles  murailles,  décombres. 

b.  diffusa,  Koch.  —  Tiges  procurobantes  ou  diffuses,  ra- 
meuses; feuilles  elliptiques,  oblongues,  acuminées ;  les 
involucres  7  9  fldes,  3  flores  ;  les  fleurs  moyennes  femelles^ 
les  latérales  hermaphrodites.  C.  Fissures  des  vieux 
murs,  pied  des  murs,  décombres,  voisinage  des  habita- 
tions. 

c.  erecta,  Mert.  et  Koch.  [Parietaria  officinalis,  Lin.).  — 
Tiges  droites,  le  plus  souvent  simples,  pubcscentes.  peu 
rameuses  ou  à  rameaux  très-courts;  feuilles  lancéolées, 
trinerviées ,  comme  décurrenles  sur  le  pétiole,  et  prolon- 
gées au  sommet  en  une  longue  pointe,  pubescentes,  en- 
tières; fleurs  verdâtres,  en  petits  paquets  axillaires,  ra~ 
meux ,  dichotomes. 


DU  DiPARTBMBNT   DB   l'oISB.  761 

À.  C.  --  Lieux  ombragés  humides. 

Les  Pariétaires  âiffèrent  des  Orties  parce  qu'elles  ont  des  lleurs 
tiermaphrodites  mélangées  avec  les  lleurs  femelles  et  réunies 
dans  une  espèce  d'involucre  à  plusieurs  folioles. 

Le  Morus  alba,  Lin.,  est  naturalisé  à  Saint-Germer.  Le  Morta 
nigra,  Lin.,  est  généralement  cultivé  dans  les  parcs. 

Le  Fi<yu8  carica,  Lin.,  est  communément  planté  dans  nos  jar- 
dins, mais  il  n'y  est  pas  naturalisé;  il  ne  peut  supporter  nos 
hivers  rigoureux.  On  plante  aussi  dans  nos  parcs,  assez  souvent, 
le  Broussonetia  papyriferùy  Lin.,  originaire  du  Japon. 


Qaatre-YiDgl-dixièiDe  Famille.  —  GANNABIKÉKS,  KDdl 

{Mom  tiré  du  genre  CANNABIS  ) 


i  Plante  vivace;  tige  volubile Cannabis^  Tournef. 

f  Plante  annuelle;  tige  non  volubile... .  Humulus,  Lin. 


Cannabl»)  Tournef.  dust.  t.  309).  —  Chanvre. 


Ëtyro.  —  Du  grec  cannabis,  ou  de  eanab,  nom  celtique  dn  Chan\Te,  ou  du  celtique 

ean,  roseau,  et  ab,  petit. 


1034.  Cannabis  sativa,  Lin.  —  Chanvre  aultivé.  Panta- 
s  gruelion. 

7.  A.  C.  d).  Eté.  —  Cultivé  généralement  dans  les  terres  fortes 
de  la  vallée  d'Automne,  à  partir  de  Béthisy  ;  dans  celle  de  l'Aisne, 
des  deux  côtés  de  la  petite  Oise;  dans  la  vallée  de  Brèche,  au- 
dessous  de  Clermont!  Il  est  en  outre  cultivé,  pour  l'usage  per- 
sonnel, à  Ons-en-Bray,  Goincouri,  Laigneville,  La  Neuville-en- 
Hez,  Saint-Léger,  Auneuil,  Auxmarais,  etc.  C'est  une  des  grandes 
cultures  du  moyen-àge  ;  elle  est  mentionnée  dans  une  sentence 
arbitrale  de  l'évèque  Guérin,  rendue  en  1^1  entre  la  commune 
de  Senlis  et  le  chapitre  cathédral.  Cette  culture  était  soumise  à 
la  dlme.  Les  pieds  mâles  sont  connus  chez  nous  sous  le  faux 
nom  de  pieds  femelles. 


TM  lieVlWR  UK  LA   vteiTATIOII 

HmHilHS,  Ud.    ^D.  ■•  1116).  —  HMilii^M. 

Etym.  —  Du  latin  Immuê,  terre;  alluMon  à  l«  du|io«itifNi  ruspaoU  ii<«  tiges 

de  la  plante. 

1035.  nun%uiUM  Lupulug,  Un.  —  fioublongrimpaai, Hou- 
blon à  la  bière,  feigne  du  nord, 

Sainte-Hélène  et  Saint-Jean,  près  Beauvais;  haies  du  canal, 
à  Beauvais;  Notre-Dame-du-Tliil  ;  Goincourt,  SaInt-Âubîn-en- 
Bray;  Bulles;  pays  de  Bray;  vallée  du  Thérain;  Montreail  ; 
Villers-Saint-Sépulcre ,  etc.;  bords  de  TOise,  à  Compiègne, 
Verberie,  Saintlnes,  Pierrefonds,  etc.  Cette  culture  était  soumise 
à  la  dlme  comme  la  précédente. 

C.  ^.  Juillet-août.  —  Haies  et  fourrés  du  bord  des  eaui.  Pro- 
bablement échappé  et  naturalisé.  On  rencontre  généralement 
plus  de  pieds  mâles  que  de  femelles. 

Les  feuilles  ramulaires  sont  cordiformes,  ovales- indivîsées. 
Les  turions  peuvent  se  manger  comme  les  asperges.  En  Alsace, 
on  les  apporte  au  marché. 


Oualre-vingt-ODiième  Paoille.  —  JI1«L4N0BS,  l)G. 

{Nom  tiré  du  genre  JUGLANS.) 

«inglan»,  Ud.  gen.  ii*  1071    —  1%'oyer. 

Kl>m.  *  Du  latin  >ovi«.  gltuu,  gland  de  Jupiter,  gland  divin. 

1036.  Jufflnnm  regia^  Lin.  — iSot/er  commun^  Noyer  royal. 

Cet  arbre  ;  originaire  de  Perse,  fleurit  en  avril-mai,  mûrit  ses 
fruits  en  septembre-octobre.  Il  supporte  des  altitudes  de  700  m. 
Il  est  assez  commun  et  est  cultivé  le  long  des  routes ,  dans  les 
champs ,  pour  ses  fruits ,  que  Ton  mange  frais  (cerneaux)  ou 
secs.  Le  brou  de  noix  est  tinctorial.  La  noix  fournit  une  huiie 
abondante,  et  le  bois  est  très-estimé  en  menuiserie  et  en  ébé* 
nisterie. 


DU   DBPARTEMKNT   DB   L*0t8K.  76S 

Au  bois  Michaux,  on  voit  quelques  espèces  américaines  qui  y 
ont  été  plantées  et  qui  s'y  sont  naturalisées.  Ce  sont  les  Jugions 
nigraj  Lin.,  JugL  chverea.  Lin.,  JugL  fraxinifolia^  Lin.,  elc.  On 
les  retrouve  aussi  dans  quelques  parcs. 

A.  R.  ?.  Avril  mai. 


Oaatre-viogt-douzième  Famille  —  GUPlLIFÊRÊES^Acb.  Riçb. 

{Nom  tiré  de  la  disposition  du  fruit  :  ARBRES  A  FRUIT 

ENTOURÉ  D'UNE  CUPULE.) 

/  Floraison  (février)  longtemps  avant  la 
feuillaison;  chatons  mâles  cylindri- 
ques, nus  pendant  l'hiver;  fleurs  fe- 
melles renfermées  dans  un  bourgeon 
écailleux  ;  styles  rouges  exserts  ; 
feuilles  en  cœur,  acuminées  ;  invo- 
lucre  fructifère,  campanule,  irrégu- 
lièrement lacinié Corylus,  Tournef 

^  \  Floraison  (juin)  postérieure  au  déve- 
loppementcomplet des  feuilles; fleurs 
mÀlesen  chfttons  filiformes,  inter- 
rompus, dressés;  feuilles  oblongues- 
lancéolées,  à  dents  très-aiguês;  in- 
volucre  des  fleurs  femelles  très-épi- 
neux   Castanea ,  Tournet. 

Floraison  et  feuillaison  à  peu  près  si- 
multanées ;avril-mai) i 

/Fleurs  mâles,  en  chatons  globuleux 
[     longuement  pédoncules,  pendants; 
feuilles  entières  ou  légèrement  den- 
tées ,  ovales ,  elliptiques  Fagus,  Tournef. 

2  <;  Chàtonsmàlescylindriques,trè8-lâiche8; 

feuilles  pinnatilobées  ou  sinuées.. . .  Quercus,  Tournef. 
Chatons  mâles  cylindriques ,  sessiles, 
denses;  feuilles  ovales,  acuminées, 
dentées  en  scie,  plissées Carpinus^  Mich. 


764  BSQUISSB   DB   LA    viGiTATIOll 


¥wk9^m,  Touraef.  ([usi.  t.  351).  —  HMre. 


Etyni.  -^  Les  Grecs  faisaient  entrer  quelquefois  les  faines  dans  leur  nourritui  e, 
d'où  vient  le  nom  de  fagus,  du  grec  fagô,  je  mange. 


1037.  Fagu9  sylvalica.  Un.  —  Hëire  des  bois.  Hêtre  com- 
mun,  Fau^  Fayard  y  Foyard^  Fouteau, 

T.  C.  ?.  Fleurit  :  avril-mai  ;  fructifie  :  septembre-octobre.  —  li 
peut  atteindre  des  altitudes  de  \  ,100  mètres.  Le  bois  est  excellent 
pour  le  chauffage  et  le  charronnage.  Le  fruit  ifaîTie)  fournit  une 
huile  estimée.  Il  se  plaît  dans  les  terrains  crétacés. 

Dans  les  forêts  de  hêtre  reposant  sur  un  sol  calcaire,  à  l'expo- 
sition du  nord,  Bochstein  signale  une  variété  à  écorce  épaisse, 
carrément  rameuse.  J'ai  fait  aussi  la  même  remarque ,  mais  ce 
n'est  qu'accidentel.  C'est  une  altération  du  tissu  cellulaire  occa- 
sionnée par  les  vents  qui  soufflent  incessamment  du  même  côté, 
b.  purpurea.  —  Feuilles  d'un  pourpre  vineux.  —  Parc 
d'Hondainville. 

On  cultive  une  variété  de  hêtre  à  rameaux  pendants  (var.  pen- 
dula), 

Castanea,  Tuurnef.  Jn&t.  t.  35*2;.  —  CliAtalsiiler. 


Etym.  —  Du  grec  coitatiea,  nom  d'une  contrée  de  Thossalie,  voisine  du  Pcnée, 
(1*0(1  le  châtaignier,  selon  les  anciens,  tire  son  nom. 


1038.  Canianea  vulgarisy  Lamck.  -  Chdtaigmer  com- 
mun. 

On  en  trouve  des  pieds  isolés  dans  tous  les  bois  ;  mais  il  de- 
vient rare,  car  il  est  sans  cesse  attaqué  par  le  gibier  fauve.  On 
prétend  qu'il  était  fort  commun  dans  l'Oise  avant  1709  et  qu'il 
a  disparu  par  l'effet  des  gelées  de  cette  année  là.  Il  préfère,  en 
général,  le  bas  des  montagnes;  il  ne  dépasse  guère  600  mètres 
d'altitude.  Il  est  douteux  qu'il  soit  vraiment  indigène. 

A.  C.  ^.  Fleurit  ;  juin-juillet;  mûrit  en  octobre.  —  Fleurs  à 
odeur  spermatique  très-forte. 


/ 


i 


DU  DÉPARTBMENT  DE  L'OISE.  765 

iluerco»,  Tonraef.  (lost.  t.  349).  ~  Cligne. 
Etym.  —  Des  mots  celtiques  kaër,  quet,  bel  arbre. 

^  Fruits  longuement  pédoncules,  Quercus  peduncuiata^Ehth. 

\  Fruits  presque  sessiles 2 

(  Feuilles  glabres Qtf^s,  sessiliflora,  Smith. 

(  Feuilles  pubescentes Quer,  pubescens,  Wîld. 


1039.  iQuereua  pedunculalay  Ehrh.  —  Chêne  merrain, 
Roure ,  Chêne  pédoncule^  Chêne  femelle,  Gravelin^  Châgne^  Chêne 
blanc  ^  Chêne  Rouvre  ou  à  grappes  ^  Chêne  commun, 

T.  C.  ?^.  Fleurit:  avril-mai;  fructifie  :  septembre  octobre.  — 
Cet  arbre  devait,  selon  toute  apparence,  constituer,  à  Torigine, 
les  forêts  naturelles.  Le  bois  est  d'une  grande  valeur  dans  le 
charronnage,  Tébénisterie ,  Tarchitecture,  Thydraulique ,  etc. 
L'écorce  fournit  le  tan  employé  pour  les  cuirs.  Ce  chêne  et  le 
suivant  sont  fréquemment  habités  par  des  gallinsectes  (cynips 
pedunculi^  foliorum  et  gemmx  quercus)  qui  produisent  les  diffé- 
rentes sortes  de  galles  que  Ton  remarque  sur  les  chênes. 

1040.  Que^.  sessiliflora,  Smilh.  -  Chêne  à  glands  sessiles. 
Chêne  blanc  ^  Rouvre^  Chêne  des  collines^  Chêne  à  petits  glands^ 
Chêne  à  larges  feuilles^  Chêne  noirâtre.  Chêne  lanugineux,  Chên 
mdle^  Chêne  noir^  Roure,  Durelîn,  Chêne  à  trochets, 

C.  V»  Fleurit  :  mars-avril  ;  fructifie  :  septembre-octobre.  — 
Toujours  sur  la  craie  ;  il  a  beaucoup  de  ressemblance  avec  le 
précédent,  mais  il  est  moins  élevé;  rameaux  moins  tortueux, 
dressés;  son  bois  est  moins  dur;  feuilles  à  base  atténuée  en  coin, 
plus  allongées,  sinuées  régulièrement;  fleurs  femelles  et  glands 
subsessiles. 

b.  platyphyllos,  —  Forêt  de  Thelle  ;  bois  du  canton  de 
Ghaumont;  marais  de  Saint-Just-les-Marais. 

c.  laciniata,  —  Feuilles  plus  petites,  profondément  pin- 
natifides;  arbre  ordinairement  rabougri;  glands  plus  pe- 
tits. —  Parcs. 

\jQQuer.  Toza,  Bosc.  (Bourgeau.  Pi.  divers  [1853];  Bill.  Exsicc. 
no  1329,  —  Quer.  pyrenaica,  Willd.),  assez  répandu  dans  l'ouest 
T,  viu.  10 


766  MSQUISSB  DE  LA   vieiÎTATlOlf 

de  la  France,  a  été  planté  dans  les  bois  à  Saint-Martin,  près 
Thury-en -Valois.  Cette  espèce  se  reconnaît  aux  caractères  sui- 
vants :  racine  traçante,  tige  ordinairement  peu  élevée,  souvent 
ramiljée  en  buisson  dès  la  base;  jeunes  rameaux  couverts  ainsi 
que  les  pétioles  d'une  villosité  étoilée,  tomenteuse;  feuilles  pé- 
tiolées,  se  développant  plus  tard  que  celles  du  Quer.  semlifloray 
couvertes  surtout  en  dessous,  même  à  l'état  adulte,  d'une  villo- 
sité étoilée  très  épaisse,  oblongues  ou  oblongues-ovales,  ordi- 
nairement profondément  sinuées-pinnatilobées  à  lobes  inégaux 
ordinairement  oblongs,  obtus  mutiquesj  pédoncules  fructifères 
ordinairement  très-courts;  écailles  de  la  capsule  apprimées; 
fruits  arrivant  à  maturité  dans  l'année  même  de  l'apparition  des 
fleurs  qui  les  ont  produits. 

Le  Quercui  cerrU,  Lin.,  Chêne  cerrù,  n'est  pas  du  pays;  il  se 
trouve  quelquefois  planté  dans  les  bois  et  les  forêts,  aux  envi- 
rons de  Beauvais,  à  Compiègne,  au  bois  de  Tbury  en  Valois  ;  il 
est  indigène  dans  l'ouest  de  la  France.  Dans  cette  espèce,  les 
fruits  sont  placés  à  l'aisselle  des  feuilles  tombées  l'année  précë- 
cédente,  à  maturation  biennale ,  les  fleurs  femelles  restant  sta- 
tionnaires  pendant  une  année  à  partir  de  leur  apparition,  et  ne 
complétant  leur  évolution  qu'il  l'automne  de  la  deuxième  année 

Il  semble  que  le  bois  de  ce  chêne  ait  été  jadis  plus  employé 
qu'il  ne  l'est  aujourd'hui.  On  le  retrouve  souvent  dans  les  char- 
pentes qui  forment  le  comble  des  cathédrales,  et  que  l'on  pre- 
nait pour  du  châtaignier,  avec  lequel  il  a  beaucoup  de  ressem- 
blance. C'est  peut-être  cette  croyance  qui  a  fait  supposer  l'exis- 
tence de  forêts  de  châtaigniers  dans  le  département. 

1041.  QueM\  pubescens,  Willd.  —  Chêne  pubescent. 

Fruits  sessiles  ou  subsessiles;  feuilles  pubescentes  et  même 
tomenteuses  en  desâous  dans  leur  jeunesse;  taille  moins  élevée, 
rabougrie;  fruits  plus  petits.  Variété  du  précédent. 

Forêts  de  Hez  et  de  Compiègne  !  montagne  de  Liancourt;  bois 
des  Brays ,  canton  de  Crépy  ! 


DU  DÉPARTBIIBNT   DB   L*01SB.  767 


Carplnu»,  Mich.  —  Cbarme. 


Etym.  —  Des  mots  celtiques  car,  bois ,  pen,  tôte  ;  c'est-à-dire  bois  propre  à  faire 

des  jougs  pour  les  bœufs. 


1043.  Carpinum  betulus^  Lin.  —  Charme  commun^  Char-- 
mille, 

T.  C.  y.  Fleurit  :  mars-avril  ;  fructifie  :  aoûl-seplembre.  —  Bois. 
Employé  en  berceaux  et  en  baies,  il  s'appelle  c//arw;//6.  C'est  une 
essence  de  la  craie.  Il  dépasse  rarement  700  mètres  d'altitude, 
b.  —  A  involucres  dentés. 

Corjloa*  Touriitf.  (Inst.  t.  347).  —  Coudrier. 


Elym.  —  Du  grec  corus,  casifuc  ;  allusion  h  ;a  forme  de  la  capsule  qu  coiffe 

le  fruit. 


1043.  Covylum  avellana^  Lin.  —  Coudrier,  ISoisetier, 
Cœucire,  Arelinier, 

T. C.  ?  Fleurit  :  février;  fructifie  :  août-septembre.  —  Bois  et 
buissons,  sur  la  craie;  terrains  mélangés  de  chaux  et  d'argile. 

a.  ifjlveslris.  —  Fruit  petit,  blanc. 

b.  saliva  atU  iubulosa,  —  Noisetier  rouge,  —  Involucres 
à  tube  conique. 

On  en  cultive  une  assez  grande  quantité  de  variétés,  et  surtout 
la  variété  laciniata  à  feuilles  profondément  dentées,  incisées  ou 
laciniées,  ainsi  que  la  variété  folîis  purpureis,  d'un  rouge  vineux. 

Le  nom  d'Aveline  vient,  dit-on,  ù!Avilla  ou  Jbella,  >ille  de 
la  Campante,  où  il  y  avait  beaucoup  de  coudriers. 


768  ESQUISSE   DE   LA   VEGÉfATiON 


Oualrc-vingl-lreizièuie  Famille.  —  SALlQCÉtS  (Kirschleger). 

[.\om  tiré  du  genre  SaLIX.) 

/Disque réduit ûl*:2glandeà;  élainine82-3, 
i    rarement  5;  écailles  des  cbàtons  en- 

>    lières Saiix^  Tournef. 

i  Disque  en  forme  de  capsule;  élamines 
f  8-liau  plus;  écailles  des  chatons  or- 
\    dinairemeul  incisées  ou  laciniées PopiJus.  Tournef. 

«ails,  Tuur.icr.  U>\,  t.  368  .  —  ft^aule. 


Et\in.  —  Du  colti<|iic  sal,  L^,  pn^s  do  l'tsiu;  nllusioii  aa\  localités  ou  {lousseiit 
ces  art)m!>ca<i\.  Selon  Tho  s,  \ient  du  ccUiiiue«uf.  proche,  et  lis,  eau. 


CUalons  pédoncules  par  un  jeune 

\    rameau  feuille i 

iChatons  sessiles  ou  à  pédoncule 

très  court (i 

Feuilles  glabres  ou  seulement  ve- 
lues dans  leur  jeunesse 3 

Feuilles  velues  sojeuses  sur  les 

deux  face:- ,  lancéolées-acumi- 

^  \     nées  surtout  en  dessous;  capsule 

à  pédicellc  égalant  à  peine  la 

longueur   de  la  glande  ;   éta- 

mines  ^2 Saiix  alba,  Lin. 

Etamincs  3;  écailles  glabres  au 
sommet;  chatons  grêles,  allon- 
gés,làches,cylindriques;  feuilles 
3  J    obovales,  lancéolées,  luisantes 

(en  dessus Sal,  trimuira.  Lin. 
Ëtamines  2;    écailles   barbues, 
même  au  sommet 4 


DU    DÉPAnTEMENT    DE   l'OISB.  769 

/Kcailles  caduques  avant  ia  malu- 

1     rilé;  feuilles  vertes  ou  à  peine 

y  glaucescentes  en  dessous  ;  bran- 
i       ches  très-cassantes  à  leur  inser- 

I    tion  ;  capsule  à  pédicelle  â  ou  3 

[     fois  aussi  long  que  la  glande. . .  Sa/,  fragilis,  f  Jn. 

\Ecailles  persistantes r> 

,  Pédicelle  de  la  capsule  2  fois  aussi 

{  long  que  la  glande  ;  écaille  d'un 
,  j    jaune  verdàtre  ou  un  peu  rosé,  SaL  undulata^  Elirli. 

^Pédicelle  de  la  capsule  de  la  lon- 

^    gueur  de  la  glande;  écailles  ro- 

\     sées Sai.  /tippophœfoHa.ThXïW. 

(Sous  arbrisseau  à  tige  souterraine 
rampante;  bourgeons  foliacés, 

)     soyeux Snf.  repens^  Lin. 

■^Arbrisseau  à  tige  élevée 7 

.Anthères  rouges,  noires  en  vieil- 

7  ^     lissant 8 

Anthères  jaunes 9 

Feuilles  lancéolés  d'un  vert  gai  ; 

style  long,  ordinairement  plus 

long  que  les  stigmates;  étamines 

soudées  seulement  dans  leur 

partie  supérieure Saf.  rnhra^  Huds. 

8  <(  Feuilles  glauques  en  dessous;  style 
plus  court  que  les  stigmates; 
étaminossoudéesdanstouteleur 
longueur  et  simulant  une  éta- 
mine  unique  à  anthère  quadri- 

\^    lobée Sal.  purpxirea,  Lin. 

/Capsules  sessiles;  anthères  jaunes 
même  après  rémission  du  pol- 
len ;  feuilles  adultes  soyeuses- 
argentées  en  dessous  ;  squames 
^  ^  jaunâtres  à  marge  brun  foncé; 
chatons  cylindriques  allongés, 

très-odorants .  Sal.  viminalis^  Lin. 

Capsules  pédicellées iO 


770  BSQDISSB  DB  LA  YtoÉTATlON 

Feuilles  oblongues  -  lancéolées  ; 
l  style  assez  long;  capsule  à  pé- 
\    dicelle  une  fois  plus  long  que 

^^  j    la  glande Sai.Sfnithiana,yi\M. 

fFeuilles  ovales  ou  oblongues- obo- 

\    vales ;  style  court Ai 

FeuiUesacuminéesàpointe  droite; 
i    bourgeons  pubescents  blanchft- 

i\   '     très Sal,  cinerea^  Lin. 

/Feuilles  acuminées,  à  pointe  obli- 

\    que  ou  recourbée 12 

Rameaux  grisâtres  ou  jaunâtres; 
feuiHes  rugueuses;  arbustecourt 
à  rameaux  tortueux;  squames 
obovéesspatulées;  bourgeons 
foliacés  cotonneux-laineux;  cbft- 

tons  petits Sal,  aurita ,  Lin. 

Rameaux  bruns-luisants  ;  feuilles 
molles;  arbre  à  tronc  dressé  as- 
sez élevé;   squames  obovées- 

acuminées;  cbfttons  très-gros , 
ovoïdes-coniques  ;  bourgeons 
foliacés ,  cotonneux Sal.  CaprcM^  Lin. 

I.  SAULES  ANGUSTIFOLIÉS. 
{Feuille»  étroites  j  lancéolées  ou  oblongues), 

a.  SAULES  FRAGILES. 

(Rameaux  très-cassants^  fragiles  en  temps  de  sève^  à  leur  point 

dHnsertion  sur  la  branche  mère). 

Chatons  femelles  précédés  de  quelques  feuilles;  floraison  et 
foliaison  simultanées  ;  squames  jaunâtres;  étamines  2,  rarement 
4-Î5;  ovaires  glabres^  très-brièvement  stipités, 

1044.  Saliac  alba^  Lin.  —  Saule  blanc^  Sau^  Seu^  Saule 
pliant^  Osier ^blanc,  Osier  vert^  Saule  Osier, 


DV  D^PAftTfiMBNT   Dl  L'OISB.  771 

a.  foliis  plabrescentibus. 

b.  ritellina^  Lm.  — Saule  viieiifn^  Saule  jaune  {Boîs  jaune, 
Osier  jaune^  Ambier^  Jmarinier^  Saule-Osier).  —  Il  ne 
diffère  du  Salix  alba  que  par  Técorce  jaune-doré  des 
branches  plus  flexibles.  Rameaux  grêles,  luisants,  jau- 
nâtres. 

Souvent  planté  dans  les  oseraies  et  les  vignes. 

c.  violacea.  —  Ecorce  des  jeunes  rameaux  d'un  rouge 
violet. 

T.C.  ^.  Avril-mai.  —  Bord  des  eaux,  prairies;  souvent  planté 
au  bord  des  chemins.  Les  rameaux  de  Tannée  servent  de  liens, 
surtout  pour  les  vignes,  pour  la  vannerie,  elc, 

1045.  Sul  fragilis.  Lin.  —  Saule  fragile^  Saule  cassant, 
Osier  cassant. 

Marais  de  Saint-Just  et  des  Canadas,  près  Beauvais!  prairies 

de  la  vallée   du  Thérain;   Therdonne;    Bailleul-sur-Thérain  ; 

Mouy  !  Creil  !  vallée  de  la  Brèche;  Guiscard I  Cuvergnon  ! 

L'écorce  est  fébrifuge ,  la  racine  fournil  une  teinture  pourpre. 

A.  B.  'J^,  Avril-mai.  —  Bords  des  rivières,  marécages,  souvent 

planté  dans  les  oseraies  et  dans  les  vignes. 

Cet  arbre  est  très-voisin  du  Sal,  alba;  il  en  a  la  taille,  Técorce 
est  ordinairement  jaunâtre  ou  d'un  brun-clair  ou  rougeàtre  ;  ses 
branches  sont  beaucoup  plus  cassantes  au  point  d'exsertion  et 
deviennent  fragiles  en  vieillissant;  ses  feuilles  sont  glabres, 
concolores,   vertes  ou  très- légèrement  glauques  en  dessous; 
stipules  en  demi-cœur;  dans  le  SaL  alba^  elles  sont  lancéolées. 
h.pendula,  Pries.,  Osier  rouge,  —  Bameaux  allongés, 
grêles,   pendants,    rougeàtres,   très-flexibles;    feuilles 
étroites ,  longuement  atténuées  et  non  brusquement  acu- 
minées  au  sommet,  toujours  glauques  en  dessous;  cha- 
tons et  capsules  plus  petits.  C'est  le  Sal.  Russelinna^  Smith., 
souvent  cultivé  en  oseraies. 
Les  arbres  de  cette  section  sont  souvent  taillés  en  têtards,  et 
alors  leurs  jeunes  rameaux,  longs  et  flexibles,  sont  employés 
comme  osiers. 

Le  Sal,  Babylonica,  Lin.  {Saule  pleureur)^  a  été  introduit  en 
Europe  au  xvii«  siècle  ;  ses  branches  flexibles  et  pendantes  indi- 
quent son  origine  syrienne  et  persane.  Il  est  planté  dans  les 


772  ISOt'1881  DE  LA  VÉGÉTATIOH 

parcs,  près  les  étangs,  dans  les  cimetières.  On  ne  ronnail  que 
les  pieds  femelles  en  Europe. 

1>.  SALXES  OSIERS, 
a.    SaïUe*   langifo/iês. 

Floraison  précédant  la  foliaison;  squames  fréquemment  dis- 
colores; feuilles  linéaires  ou  oblongues.  atténuées  vers  la  base; 
branches  très-flexibles  et  peu  fragiles;  ordinairement 2  étamînes. 

1046.  Sal.  viminaliSy  Lin.  —  Saule  riminal.  Saule desran- 
nierSy  Osier  vert^  Vellein^  Saule  à  longues  feuilles,  Osier  noir ^ 
Osier  blanc. 

T.  C.  ?.  Mars-avril.  —  Foliaison  tardive.  —  Bord  des  rivières, 
oseraies  et  vignes. 

a.  longifolia,  —  Feuilles  linéaires  très-longues. 

b.  angustifolia ,  —  A.  R.  Alarais  de  Bresles. 

c.  rlrescens.  —  Ecorce  verte. 


1047.  Sal.  hippophœfolia,  ThuW.  —  Saule  à  feuilles  cT^r- 
gousslerj  Sa%le  olivâtre. 

Sur  les  bords  de  roise;  pré  Martinet,  près  Beauvais.  On  ne 
connaît  que  Tindividu  mâle.  C'est  une  hybride  entre  le  SaL  trian- 
dra  et  vtminalis  {SaL  viminali-triandra), 
A.  C.  ?.  Avril-mai.  —  Au  milieu  de  ses  parents. 

s.  v.  sericea.   —  Feuilles  pul)escentes ,  soyeuses  en 
dessous. 

1048.  Sal.  Smithiana,  Wilid.  -  Saule  de  Smilh.  {SaLclne- 
reo  viminalis^  Moq.,  Sal.  Seringeana^  Gaud.j 

Kochy-Condé  ;  Vaudencourl  ;  marais  à  Breteuil  ;  Oudeuil,  près 
Hautépine;  Sacy  le  Grand;  Creli!  Verneuil!  Saintines!  Courcelles- 
les-Gisors  ! 

Espèce  hybride  à  feuilles  étroites  se  rapprochant  de  celles  du 
Sal.  viminalis^  à  face  inférieure  lomenteuse,  soyeuse,  à  reflet 
argenté;  stigmates  bipartits  plus  longs  que  le  style. 

L'Individu  femelle  n'a  pas  été  observé  dans  l'Oise. 

T-  R.  ?.  Avril-mai.  —  Bords  des  eaux,  haies,  oseraies. 


DU  DÉPARTEMENT   DE  L'oISE.  77o 

b.  Saules  mmiandres. 

Feuilles  subopposées ^  glauques^  oblongues  ou  obovées-Jancéo- 
lées;  étamines  %  à  filets  adhérents  souvent  jusqu'aux  anthères; 
style  très-court;  stigmates  subsessiles;  cliatons  opposés,  subses- 
siles,  compacts,  cylindriques. 

1049.  Sal,  purpurea,  Lin.  {Sal.  vionandra^  Hoft.j.  —  Saule 
pourpre^  Saule  à  tme  et  aminé  ^  Osier  bleu ,  Osier  roxige^  Verdiau» 

Goincourt;  bords  de  l'Aisne,  vis-à  vis  le  Berne;  bords  de 
roise,  entre  Pont  et  Creil. 

A.  C.  î^.  Mars-avril.  —  Bord  des  eaux,  lieux  humides,  oseraies. 

On  rencontre  des  étamines  libres  dans  une  partie  de  leur 
longueur  et  des  épis  androgynes. 

a.  gracilis  {SaL  purpurea^  Sm.).  —  Chatons  Irès-grèles. 

b.  Lambertiana.  —  Feuilles  grandes  et  larges;  chatons 
femelles  plus  gros  de  moitié  que  dans  le  type. 

c.  helix^  L.  —  Variété  à  rameaux  dressés  et  à  feuilles 
plus  longues  et  plus  étroites,  glabres  en  dessous,  oppo- 
sées vers  le  haut  des  rameaux,  à  écorce  olivâtre  ou  d'un 
rouge  de  corail  ;  style  évident  et  à  stigmate  très  allongé. 
—  Vallée  de  la  Brèche;  marais  des  Canadas,  près  Beau- 
vais;  Clermont. 

A.  R.  —  Les  racines  fixent  les  rivages,  et  les  rameaux  servent 
pour  là  vannerie. 

1050.  Sal,  riitra,' Huds.  —  Saule  rouge.  Osier  rouge. 
Bords  de  l'Oise  1  depuis  Le  Meux  jusqu'à  Boran,  PontSainte- 

Maxence,  Creil. 

b.  olivacea,  —  Vallée  du  Thérain  ! 

c.  amentis-munoecis.  —  Les  mêmes  chatons  portent  à  la 
base  des  fleurs  femelles  et  au  sommet  des  fleurs  mâles  ; 
\  stigmates;  écailles  velues. 

A.  R.  Avril-mai.  —  Bord  des  rivières,  oseraies.  Ce  saule  pa- 
rait être  un  hybride  entre  le  Sal,  monandra  et  le  Sal.  viminalis 
{Sal.  purpureo  viminalis).  11  a  les  feuilles  du  deuxième,  mais  ù 
face  inférieure,  verte,  pubescente-soyeuse,  glabrescenteen  vieil- 
lissant. Les  chatons,  rameaux  et  feuilles  sont  alternes  et  non 


774  ESQUISSE  DB  LA  YfeJTATIOlf 

opposée.  La  soudure  des  filets  slaminaux  n'existe  que  vers  la 
base.  Ovaires  et  capsule  presque  sessiles.  Les  squames  sont  d'un 
roux  brun-foncé,  pileuses.  Les  styles  sont  allongés.  Les  stigmates 
sont  filiformesj  indivis.  L'individu  mâle  est  plus  rare. 

c.  Saules  pruineuT. 

Ecorce  des  jeunes  brandies  pruineuse,  c'est  à  dire  couverte 
d'une  poussière  blanche  cireuse;  feuilles  adultes  glabres. 

Le  Sal.  Daphnoides^  Will.,  a  été  planté  dans  les  bois  de  Thury- 
en- Valois,  où  M.  l'abbé  Questier  l'a  observé.  Il  n*est  pas  spon- 
tané. C'est  une  plante  de  la  région  rhénane,  il  se  distingue  aux 
caractères  suivants  :  arbre  pouvant  atteindre  610  mètres,  à 
jeunes  rameaux  ordinairement  plus  ou  moins  velus;  feuilles 
oblongues-lancéolées,  acuminées,  denticulces-glanduleuses  aux 
bords,  fermes,  d'un  beau  vert  et  luisantes  en  dessus,  un  peu 
glauques-cendrées  en  dessous,  pubescentes  dans  la  jeunesse, 
puis  très-glabres:  stipules  ordinairement  ovales,  très-caduques; 
chatons  sessiles,  dépourvus  de  feuilles  à  la  base;  écailles  d'un 
brun  noirâtre  dans  presque  toute  leur  étendue,  abondamment 
couvertes  de  poils  soyeux  qui  les  dépassent  longuement;  cap- 
sule glabre,  sessile;  style  assez  long;  stigmates  courts,  bifides. 

Le  Sailx  acutffolia.WM.y  originaire  de  l'Allemagne,  a  été 
observé  dans  les  marais  de  Rourneville,  canton  de  Betz,  où  il 
a  été  planté.  Il  est  très-voisin  du  Salix  daphnoides,  dont  il  dif- 
fère surtout  par  ses  jeunes  rameaux  glabres,  par  ses  feuilles 
lancéolées  plus  étroites  longuement  acuminées  et  par  ses  sti- 
pules lancéolées-acuminées. 

e.   SAtLES    AMYGDALINS. 

[Floraison  et  foliaison  simultanées;  étamines  ordinairement  3; 
squames  iaunes^  concolores,  persistantes), 

« 

105i.  Sal.  triandra.  Lin.  —  Saule  à  trois  étamines^  Saule 
amandier,  Osier  brun. 
Il  exhale  une  odeur  aromatique  dont  les  auteurs  ne  fonf  pas 


DU  DiiPARTBMBirT  DE  L*0ISB:  775 

mention.  Les  feuilles  sont  vertes  aux  deux  faces.  On  observe,  à 
la  base  des  jeunes  pousses  florales,  une  touffe  de  poils  blancs 
qui  manque  dans  le  Saule  blanc  et  le  Saule  jaune, 
T.  C.  Avril-mai.  —  Bord, des  eaux. 

a.  concolor.  —  Feuilles  vertes  ou  à  peine  glauques  en 
dessous. 

b.  discolor  ou  amt/gdalina^L.  —  Feuilles  dentées,  glau- 
ques'pruineuses  en  dessous,  plus  larges.  —  Pré  Martinet, 
près  Beauvais;  Goincourt;  marais  des  Canadas;  vallées  de 
la  Brèche  et  du  Thérain;  Jaux;  Mouy;  Clermont. 

1052.  SaL  undulatGy  Ehrh. -- Saule  ondulé. 

Bords  de  TOise,  près  Crell. 

T.  R.  ?.  Avril-mai.  —  Bords  des  rivières.  L'individu  mAle  n'a 
pas  encore  été  rencontré. 

Hybride  probable  des  Salix  triandra  et  Salixviminalfs  [Salix 
Iriandra-riminalis), 

II.   SAULES  LATIFOLIÉS. 

(Feuilles  ovales  ou  largement  elliptiques), 

a.  SAULES  M ARCEAUX. 

Feuilles  rugueuses  en  dessus  et  tomenteusesgrisâtres  en  des- 
sous; ovaires  longuement  stipités;  floraison  précédant  la  foliai- 
son  ;  squames  noires  au  sommet;  chatons  ordinairement  courts^ 
ovoïdes;  styles  assez  courts;  stigmates  bilobés  ou  échancrés. 


1053.  Sml,  Caprœa,  Lin.  —  Boursaude^  Marsaude^  Saule- 
Marsault, 

T.  C.  Avril-mai.  —  Bord  des  eaux. 

Les  jeunes  branches  servent  à  faire  des  paniers.  L'écorce  est 
employée  pour  le  tannage  en  Suède.  Les  fleurs  mâles,  recher- 
chées par  les  abeilles ,  exhalent  une  odeur  agréable  aux  appro- 
ches de  la  pluie.  L'écorce  sert  à  teindre  en  noir  le  chanvre  et  le 

coton. 

b.  serotina.  —  Bulles. 

c.ulmifolia.  —  Côte  du  Point-de-Jour,  près  Beauvais; 

Cauflhry,  près  Liancourt.  —  Collines  sèches. 


776  teSQUISSB   DB   LA   vioÉTATION 

1054.  Sal.  aurita,  \a\ï. --Saule  à  oreillette,  P^Ht  Marceau- 
Oreille. 

Polymorphe. 

T.  C.  Mars  avril.  —  Forèls,  marécages,  bruyères. 

Celte  espèce  se  dislingue  des  Sal.  cinerea  et  Caprœa  par  ses 
chatons  mâles  et  femelles  de  moitié  plus  petits. 


1055.  Sat,  cinerea^  Lin.  —  Saule  cendré^  Saule  ffris,  Serrfn. 
T.  C.  Mars-avril.  —  Bord  des  fossés,  des  rivières. 

b.  rufinertls^  DC.  —  Feuilles  à  nervures  rousses.  — 
Chaumont;  Méru;  Bulles;  Lortheil;  Liancourt. 

b.   SAULES   NOIRCISSANTS. 

Feuilles  non  rugueuses,  lisses,  glabres  ou  piloso-pubescentes; 
style  très- long;  stigmates  profondément  hifides;  feuillage  noir- 
cissant par  la  dessiccation. 

Le  SaL  nigricans^  Fries,  indigène  dans  le  Jura  et  dans  la  ré- 
gion rhénane,  a  été  rencontré  dans  la  forêt  de  Compiègne,  au 
Puits  dii-Roi  ;  dans  la  forêt  de  Ilalatte,  près  Saintines,  et  sur  la 
montagne  de  Liancourt.  Il  n'est  pas  spontané. 

e.    SAULES  RAMPANTS. 

Sous-arbrisseaux  à  souche  rr(m;ww ré»;  feuilles  ordinairement 
soyeuses-argentées  en  dessous. 

1056.  Sal.  repens,  Lin.  —  Saule  rampant. 

Marais  tourbeux  de  Brétel,  entre  Saint-Pierre  ès-Champs  et 
Saint  Germer:  marais  de  Sacy-le r.rand !  marais  de  Jaux;  Neu- 
ville Bosc!  Ermenonville!  Rantigny;  Troîssereux,  près Beauvais ; 
Mortefontalne;  bruyères  humides  de  f-a  Chapelle-aux-Pots. 

T.  R.  ^,  Avril-mai.  —  Marais  tourbeux,  bruyères  humides. 

b.  angustifolia^  Coss  et  G.  —  Feuilles  lancéolées,  ordi- 
nairement glabres,  glauques  en  dessous. 

c.  argentea.  —  Feuilles  très-soyeuses  sur  les  deux  faces, 
d*un  blanc-argenté. 

Nota.  —  Dans  le  parc  d'Iîondainville,  près  Mouy,  on  trouve 


DU   DÉPARTBMBNT   0B   L'OISB.  777 

uDe  assez  précieuse  quantité  de  saules  que  M.  de  Saiut-Moris 
cultivait  autrefois.  Quelques  espèces  s'étaient  naturalisées  et  se 
reproduisaienld'ellesmOmes.  C'étaient  les 5a/.  y/ wiericawa,Willd., 

—  undulata^WiWù,,  —  acuHfolia^VfiWû.,  —  fw^r/t7/oïc/c«,Willd., 

—  Carolinianaj  Smith.,  —  laurifoliaj  Bosc,  —  Rmseliana^ViiW^.^ 

—  bicolor^  Ehrh.,  —  Rosmarinifolia,  Lin.,  — decipiens^  Schl.,  etc. 
Nous  ignorons  ce  qu'est  devenue  cette  collection  qui  charmait 
tous  les  botanistes  hcrborisateurs. 

Le  genre  Satix  présente  quelques  monstruosités  assez  fré- 
quentes :  ce  sont  tantôt  des  chatons  monoïques  à  fleurs  femelles 
dans  le  bas,  à  fleurs  mâles  dans  le  haut;  tantôt  le  chaton  est 
mi-étamine,  mi-carpelle,  et  on  ne  sait  quel  est  son  sexe;  la 
fasciation  des  rameaux  n'est  pas  rare.  Quelquefois  les  feuilles 
bractéales  se  transforment  en  feuilles  véritables.  Les  insectes  les 
piquent  souvent;  de  plus,  il  y  a  beaucoup  d'hybrides.  C'est  donc 
un  genre  qu'on  ne  saurait  trop  étudier. 

PopaluM,  Touraef.  (lost.  t.  365).  —  Peuplier. 


Ëtym.  —  Du  latin  populiu,  peuple.  Cet  arbre  était  planté  dans  les  lieux  publics,  ou 
du  grec  paipallein,  agiter;  allusion  à  Toscillation  continuelle  des  feuilles.  Les  uns 
font  encore  venir  co  mot  do  polus,  beaucoup,  en  grec,  à  cause  du  grand  nombre 
des  feuilles;  les  autres  de  populus,  en  latin,  parce  que  le  feuillage  du  peuplier 
est,  comme  le  peuple,  dans  un  mouvement  perpétuel. 


r Chatons  à  écailles  velues,  ciliées. . .  2 

f  Chatons  à  écailles  glabres 3 

f  Feuilles  blanches,  tomenteuses  en 

dessous Populus  alba^  Lin. 

^Feuilles  glabres  ou  pubescentes,  non 

blanches  en  dessous Pop.  Tremulu ,  Lin. 

L  Rameaux  dressés ,  fastigiés Pop.  fastigiata^  Poir. 

(  Rameaux  étalés \ 

^Feuilles  plus  larges  que  longues —  Pop.  rirginiana^DesL 
(Feuilles  plus  longues  que  larges...  Pop.  nigra,  Lin. 

1057.  Populua  alba,  Lin.  —  Peuplier  blanc^  Peuplier  de 
Hollande^  Ypî'éaux,  Planard,  Bouillard,  Grisaille^  Blanc  de 
Hollande. 

T.  C.  ?.  Mars-avril.  —  Lieux  frais.  Le  peuplier  est  l'essence  de 


778  B8QUISSI  DB  LA  tAoiTATIOII 

la  région  crayeuse  ;  souvent  planté  dans  les  prairies  et  le  long 
des  routes.  Le  nom  ù'Ypréaux  lui  vient  de  ce  que  cette  essence 
est  cultivée  en  grand  dans  les  environs  d'Ypres. 

1058.  Pop.  Tremula,  Lin.  —  Peuplier  Trembfe. 

T. C.  ?^.  Mars-avril.  —  Bols  humides,  terrains  crayeux.  —  Le 
p(^4iole  est  si  long  et  si  comprimé  que  les  feuilles  sont  agitées 
par  le  vent. 

1059.  Pop.  fiigra,  Lfn.  —  Peuplier  noir^  Peuple  blane^ 
Bouillard,  Bugle,  Bule^  Liard^  Lêard^  lÂardier^  Peuplier  franc. 
Peuplier  suisse. 

C.  ?.  Mars  avril.  —  Bord  des  eaux.  Planté  en  avenues,  en 
quinconces  et  sur  les  promenades  publiques. 

1060.  Pop.  fasligiata,  Poir.  —  Peuplier  fastigié^  Peuplier 
d'Italie,  Peuplier  de  Lombardiey  Peuplier  pyramidal. 

Introduit  de  Lombardie  en  France  en  1760. 
Â.  C.  Mars-avril.  —  Tous  les  sols,  excepté  la  glaise.  L'écorce 
donne  une  teinlure  jaune.  Souvent  planté  en  avenue. 

1061.  Pop.  Virginiana^  Desf.  -  Peuplier  de  Virginie,  Peu- 
plier suisse^  Peuplier  noir ^  Peuplier  du  Canada .^  Peuplier  moni- 
lifêre. 

A.  C.  ?.  Mars  avril.  —  Fréquemment  planté. 

Le  Populus  canescens^  Smith,  probablement  iïybride  {Pop,  albo- 
tremula)^  vulg.  Grisard^  Grisaille^  se  dislingue  du  peuplier 
blanc  par  ses  feuilles  grisàtres;  pubescentes  en  dessous ,  quel- 
quefois glabrescentes,  par  les  squames  des  chatons  femelles 
fendues  ou  laciniées,  longuement  ciliées.  Il  se  rencontre  à  Cou- 
dun,  Noyon,  Mortefontalne,  Compiègne,  Le  Plessis-Belleville, 
prairies  de  Bulles. 


DU  dApamtemint  di  l'oisi.  779 

Qaatre-TiDgl-quiloriièine  Famille.  —  BÉTILACËES  (Endl.). 

[Nom  tiré  du  genre  Betulà.) 

/Chatons  femelles  cylindriques  pendants, 

l     solitaires,  à  écailles  membraneuses, 

1    coriaces  et  caduques  à  la  maturité ^e^tt/£r,Tournef. 

^  ^jCliatons  femelles  ovoïdes,  dressés,  dispo- 
sés en  grappes  rameuses  corymbiformes, 
à  écailles  ligneuses  et  persistantes Alnusy  Tournef. 

Betala,  Tourner.  (losf.  t.  36(0.  —  Bool^aot 
Etym.  —  De  BHu,  nom  celUqne  de  la  plante. 

1062.  Beiula  alba.  Lin.  —  Bouleaublanc^  Bouiieuy  Bouitlet, 
Bouleau  verruqueux^  Bouillard,  Bois  à  balais. 

T.  C.  ?^.  Fleurit  :  avril  ;  mûrît  :  septembre.  —  Bois. 

Arbre  essentiellement  psammophile  et  évitant  les  sols  cal- 
caires. Les  feuilles  des  bouleaux  donnent  une  couleur  jaune.  Les 
branches  vergetées  servent  à  faire  des  balais.  Par  la  distillation 
sèche  on  obtient  de  Técorce  le  goudron  de  bouleau  qui  donne 
une  odeur  spéciale  au  cuir  russe. 

a.  alba.  —  Jeunes  rameaux  et  feuilles  glabres;  les  feuilles 
des  jeunes  rejets  seules  quelquefois  pubescentes  ou  velues. 

b.  pendula ,  Hoff.  (Bouleau  pleureur),  —  C'est  le  bouleau 
dans  la  vieillesse. 

c.  verrucosa,  Ehrh.  —  Jeunes  pousses  couvertes  de  pe- 
tites verrues  blanches. 

û.pubescens^  Ehrh.  —  Jeunes  rameaux  ordinairement 

pubescent  ou  velus  et  feuilles  pubescentes,  surtout  en 

dessous,  au  moins  à  Tangle  de  séparation  des  nervures; 

feuilles  moins  acérées. 

Vallée  de  Bray  ;  bois  de  Troissereux;  forêt  du  Parc;  Rainvil- 

1ers;  Saint-Germer  ;  Clermont  ;  Chaumont  ;  Formerie;  forêt  de 

Compiègne,  à  la  mare  aux  Cannes;  bois  de  Plaisance;  Rouville; 

Serans,  buttes  du  Crêne  et  du  GoupilloUi 


780  K8QU1SSE  DE  LA  VÉGÉTATION 

A  G.  ?.  Avrii-mai.  ^  Terrains  humides  et  tourbeux. 

Le  Uetula  lenta^  Lin.,  originaire  de  rAmérîque,  a  été  planté 
dans  la  forêt  de  Compiègne,  route  des  étangs  de  Saint-Pierre.  Il 
en  est  de  même  du  Betula  papyrifera^  Mieh.,  au  bois  Michaux. 

AlDUM,  Touraef.  (lusL  I.  359,.  —  Aane. 
Etyin.  --  Venant  pout-otre  des  mots  celtiques  al,  lan,  voisin  des  rivières. 

1065.  itinua  glutinosa^  Lin.  —  Aune  glutineux^  Verne^ 
f^ergne^  Aunoy,  Aulne  commun, 

T.  C.  ?.  Février-avril;  fructifle  :  septembre  octobre.  —  Le  long 
des  rivières,  des  canaux,  des  étangs;  forêts  humides.  Il  refuse, 
en  général,  les  sols  glaiseux.  L'aune,  pourrissant  difficilement 
dans  l'eau,  es(  employé  avec  succès  pour  garantir  les  rives  de 
rérosion  des  eaux.  Le  bois  est  estimé  des  tourneurs  et  des  char- 
rons. L'écorce  est  tinctoriale. 

b.  laciniata.  —  Dans  les  parcs ,  à  Thury,  etc.  —  Planté. 

VAlnus  incana^  liérat,  trouvé  dans  les  bois  de  Liancourt  et  de 
Mello.  provient  de  plantations.  Il  a  été  planté  dans  la  forêt  de 
Compiègne. 


Qualre-viDgl-quiDzième  Famille.  —  MYRiCfiES  (Endl.). 

(Nom  tiré  du  genre  Myrica.) 

Le  Myrica  gale^  Lin.  [Piment  royal ^  Bois  sent  bon)^  a  et  planté 
dans  la  forêt  de  Compiègne,  en  1845,  par  M.  de  Marsault,  au 
Vivier-Payen ,  aux  étangs  de  Saint-Pierre  et  au  mont  Arsy,  près 
Pier refonds  !  On  le  rencontre  de  même  dans  les  bois  avoisinant 
la  forêt  de  Villers-Cotterêts. 


DU  DEPARTEMENT   DE   L'OISE.  781 


Oaatre-riDgl-seiiième  Famille.  —  GONIFÈBIS  (Jassleo). 

{Nom  tiré  de  la  forme  du  fruit  :  ARBRES  PORTANT 

DES  FRUITS  EN  €ONE.) 


Ç  Feuilles  fasciculées 2 

(  Feuilles  non  fasciculées 3 

Feuilles  fasciculées  par  2-5  ;  cône  à  écailles 

épaissies  au  sommet Pinus^  Lin. 

2  ^Feuilles  des  rameaux  abbréviés fasciculées 
au  nombre  de  plus  de  5;  celles  des  ra- 
meaux étirés  Isolées Larix^  Tournef. 

C  Feuilles  alternes 4 

(  Feuilles  non  alternes Juniperusy  Lin. 

Feuilles  alternes  isolées,  aplaties,  obtuses 

ou  échancrées ....  ^bks^  Tournef. 

Feuilles  alternes  isolées,  subtétragones , 
très-aigués Picea^  D.  Don. 


PlBUS,  LlD.  (gCD.   !!•  10T7).  —  Pin. 


Etym.  —  Da  grec  pinoê,  nom  donné  par  Théophraste  au  pin  sauvage;  venant  poat-ôtre 
da  celtique  pen^  tête  ;  allusion  h  la  disposition  des  rameaux  en  toulTe  arrondie. 


Feuilles  ne  dépassant  pas  un  décim., 
plus  courtes  ou  à  peine  aussi  longues 
que  répi  des  chatons  m&les  ;  cônes 

I   1    pédoncules ,  penchés Pinussylvestris^  Lin, 

iFeuilles  longues  de  1-2  décim.,  beau- 
coup plus  longues  que  l'épi  des  cha- 
tons mÀles;  cônes  sessiles,  étalés  à 
angle  droit Pin.  maritima^  C.  B. 

1064.  Pinus  sylveslris,  Lin.  —  Pin  sylvestre^  Pin  commun^ 
Pin  de  Genève^  Pin  de  Riga,  Pin  de  mâtures^  Pinasse^  Pin  suisse^ 
Pin  du  nord  y  Pin  de  Russie,  Pin  sauvage,  Pin  d'Ecosse* 

T.  VIII.  51 


78^  EflQLISSI  DE  LA  TfiGITATI05 

7.  C.  ?.  Fiearil  :  avril-mai.  —  Le  bois  est  universellcnient  em- 
ployé pour  bois  de  chauffage  et  de  consKniction.  La  résine  et  les 
jeuoefi  pousses  senrent  en  pbannacie.  Planté  dans  les  forêts,  les 
cimetières f  les  parcs,  mais  non  spontané,  il  est  employé  sur- 
tout pour  reboiser  les  larris.  On  en  voit  pluriears  variétés  dans 
les  bois. 

b.  rubra.  ^  Pin  dEcoue.  —  Jeunes  pousses  rouges; 
feuilles  un  peu  plus  longues  et  moins  raides,  dépassant 
les  cônes. 

1065.  Pin.  tnarilitna,  c.  B.  —  Pin  maritime.  Pin  des 
iMndes^  Pin  de  Bordeaux^  Pin  saura ge^  grand  Pin,  Pin  Pinasire^ 

f.  A  C.  Fleurit  :  mai.  —  Est  planté  de  même  dans  les  forêts  de 
Hez,  de  Compiègne^  d'Ermenonville,  à  Mortefonlaine ,  etc. 

Mêmes  observations  que  précédemment.  Il  fournit  la  térében- 
tlne  de  Bordeaux. 

Le  Plnuê  strobuê,  L.  {Pin  du  Lord^  Pin  de  fyeymouih)^  origi- 
naire de  l'Amérique  septentrionale,  s'est  acclimaté  à  Morlefon- 
taine,  au  parc  de  Betz,  où  il  a  été  planté  en  assez  grande  quan- 
tité. 11  a  été  introduit  en  Angleterre,  en  1705,  par  lord  Weiy- 
mouth.  Son  bois  fragile  empêchera  peut-être  sa  vulgarisation. 

[PIce*,  D.  DoD.  (la  Lamb.  Pin).  —  0apto. 

Etym.  ~  De  pieea,  résine,  da  produit  que  cette-  essence  foumit. 

1066.  PIcea  peclinata,  Loud.  —  Sapin  pectine^  Sapin  de 
Normandie  j  Avet^  Sapin  argenté^  Sapin  blanc ^  Sapin  à  feuilles 
d'if  y  Pin  de  Bordeaux^  Sapin  ^  Epicéa^  Sapinetie. 

Cet  arbre,  au  port  majestueux,  pyramidal,  foumit  un  bois  de 
construction;  il  donne  la  térébenthine  de  Strasbourg,  qui  se 
trouve  dans  des  bourses  spéciales  logées  dans  l'écorce.  Cette 
térébenthine,  distillée,  fournit  V huile  essentielle  de  térébenthine, 
et  son  résidu  forme  la  colophane.  Il  est  assez  répandu. 

-]-.  Fleurit  en  mai.  —  Dans  le  genre  Abies^  les  écailles  du  cône 
sont  persistantes ,  les  feuilles  subulées ,  éparses  ;  dans  le  genre 
Plcea,  les  écailles  du  cône  se  détachent  avec  les  graines,  et  les 
feuilles  sont  non  subulées,  distiquées. 


I 

II 


DU   DÉPARTEMENT   DE   L'OISE.  785 

AMe»,  Tonmef.  (last.  t.  353-354).  —  Eplcéii. 

Etym.  --  Du  grec  06109,  qui  vit  longtemps,  ou  de  abin,  non  grec  du  sapin. 

1067.  Ables  exceUa^  DC  —  Epicéa  élevée  Sérente^  faux 
Sapin  y  Sapin  de  Norwèçfe^  Pesse  ou  Epicéa. 

f .  Fleurit  :  mai-juin  ;  mûri  t  pendant  l'été  de  la  deuxième  année. 
—  Sa  résine  est  connue  sous  le  nom  de  poix-résine.  Le  bois  est 
estimé  en  menuiserie,  en  architecture,  etc. 

On  cultive  encore  dans  les  parcs  VAbies  Canadensis,  Mich., 
VMies  balsamifera  ^  Mich.  {Baume  de  Gilead)^  VAbies  alba  ^ 
Poir,  etc.  Ces  arbres ,  au  port  gracieux ,  ont  trouvé  accès  dans 
presque  tous  les  parcs. 

Nota.  —  Les  sapins  ont  la  pointe  de  leurs  cônes  tournée  vers 
le  ciel,  et  leurs  fleurs  femelles  sont  d'un  assez  beau  rouge;  les 
pic^as  ont  la  pointe  de  leurs  cônes  tournée  vers  le  bas.  La 
graine  de  sapin  met  six  ans  au  moins  à  lever.  Les  écailles  des 
cônes  ^^pins  sont  en  forme  de  massue,  ligneuses  et  angu- 
leuses au  sommet;  elles  sont  imbriquées  et  membraneuses 
dans  les  sapins. 

liarlx  ,  Tonrnef.  (InBt.  t.  357).  —  Hélèse. 

Etym.  —  Du  grec  las,  gras;  allusion  à  l'abondance  de  résine  fourme  par  la  plante. 

1068.  Larioc  Europœa,  DC.  —  Mélèze  d'Europe. 

Cet  arbre,  originaire  des  Alpes,  est  universellement  planté  et 
naturalisé. 

Il  fleurit  en  avril-mai. 

On  naturalise  depuis  quelques  années,  dans  les  parcs,  le  cèdre 
du  Liban  (Cedrus  Libani^  Ger.),  le  cèdre  de  THimalaya  (Cedrus 
deodoray  Roxb.),  le  cèdre  de  l'Atlas  {Cedrus  Atlantica).  Les  ama- 
teurs font  maintenant  de  belles  collections  de  conifères  exotiques 
où  il  est  permis  de  les  étudier. 

Nous  renonçons  à  les  mentionner,  car  notre  programme  s'ap- 
plique spécialement  aux  plantes  indigènes  ou  aux  plantes  natu- 


J  _  J 


784  ESQUISSE  BB   LA  VEGETATION 

ralisées  entièrement  rustiques.  D'ailleurs,  presque  toutes  ces 
espèces  sont  des  arbres  d'ornement. 

Le  Thuya  occidenlalis^  Lin.,  Arbre  de  vie,  a  été  introduit  dans 
nos  parcs  et  nos  jardins,  dans  les  cimetières;  on  en  fait  d^ 
haies  vives,  etc. 

Il  en  est  de  même  du  Thwja  orientalis^  Lin.,  Thuya  d'Orient^ 
Thuya  de  Chine. 

A  celte  famille  appartiennent  encore  le  Cupressus  sempervirefis, 
Lin.  (Cyprès),  avec  ses  variétés  pyramidalis^  expansa,  pendula. 


Qoatre-TiDgy  ix-septième  Famille.  —  GUPRBSSINfilS  (Rich.). 

(Noin  tiré  du  genre  GUPRESSUSO 

Chatons  m&tes  à  écailles  imbriquées  autour 
de  Taxe,  portant  en  dessous  de  Télargis- 
seroent  terminal  3-7  lobes  d'anthères.. .  Juniperus^  Lie. 

[Chaton  m&les  à  écailles  soudées  iuférieu- 
rementen  colonne,  portant  en  dessous 
de  l'élargissement  terminal  ordinaire- 
ment 8  lobes  d'anthères roan«,Tournef. 

Jaiilperiui,  Lio.  (gen.  n*  1134).  —  CSéaévrIer. 

Etym.  —  Du  celtique  jenepnu,  âpre. 

1069.  Juniperus  communiSy  Lin,  — Genévrier  commun. 

C'est  la  seule  conifère  qui  croisse  spontanément  dans  notre 
contrée. 

T.  C.  ?.  Fleurit  :  mars-avril;  fructifie  l'année  suivante. 

Bruyères,  collines  incultes, larris,  lieux  pierreux,  bois  arides 
sur  la  craie  ;  généralement  à  l'exposition  nord.  Le  bois  sert  pour 
fumigations.  Les  baies  servent  à  faire  l'esprit  de  genièvre  ou 
comme  épices. 

Le  Juniper  us  Sabina^  Lin.,  a  la  réputation  d'être  emménagogue 
ou  abortlf ;  il  est  originaire  des  Alpes  italiennes  et  est  naturalisé 


DU   DÉPARTEMENT   DE  L'OISE.  785 

dans  presque  tous  ies  jardins  de  la  campagne.  Il  en  est  de  même 
de  quelques  genévriers,  tels  que  Juniperus  Firginiana^  L.,  Junip, 
oxicedrus^  Junip,  phcsnicea^  etc. 

TaxiiM,  Toornef.  (Inst.  t.  362).  —  If. 

Etym.  —  Da  grec^  taxit,  rang;  allusion  aux  feuilles  régulièrement  insérées 
sur  deux  r^ngs ,  ou  de  toxos,  arc,  en  grec ,  à  cause  de  Tusage  du  bois. 

1070.  Taocus  baccata.  Lin.  —  Ifàbaies^  If  commun, 

V'  Fleurit  :  février-mars  ;  fructifie  :  septembre-octobre. 

Nous  ne  le  connaissons  pas  à  l'état  sauvage  dans  le  départe- 
ment de  roise.  Il  est  fréquemment  planté  dans  les  parcs ,  les 
forêts  artificielles ,  les  cimetières ,  etc.  Le  plus  bel  If  que  nous 
ayons  admiré  jusqu'alors  se  trouve  à  Ercuis;  il  paraît  remonter 
à  quelques  centaines  d'années. 

Une  variété  remarquable  (Taocus  fastigiata,  Lindl.)  est  plantée 
dans  les  parcs  sous  le  nom  û* If  pyramidal. 

Le  Salisburiaadiantifolia^  Smith.,  est  très-rarement  planté. 
Nous  en  avons  vu  à  Notre-Dame-du-Thil  un  très-bel  échantillon. 


(^  continuer,) 


BVR&JkV 


DE  LA 


SOGtfrÉ  ACADÉnQDE  D'ABCHÉOLOfilE.  SOEICES  ET  ABTS 


DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OISE. 


Vradut  rauiée  1878. 


Président M.  DANJOU  (0.  *). 

Fice-Prfftcfenr  pour  la  section  d'Archéologie  M.  HAMEL. 

Vice-Président  pour  la  section  des  Sciences 

naturelles M.Ch.DëLAGOUR  *. 

Secrétaire  perpétuel M.  QUESNOT. 

Secrétaire  pour  la  section  d'Archéologie...  M.  AuG.  FLOURY. 

Secrétaire  pour  la  section  des  Sciences  na- 
turelles  M.  Hip.  RODIN. 

Trésorier M.  Ch.  CARON. 

Bibliothécaire-Archiviste M.  DAMIENS. 

Bibliothécaire-adjoint M.  Alg.  FLOURY. 

Conservatetir  du  Musée M.  Al.  DELAHERCHE 

..  ,  ,  (M.  Alf.  LEHEC. 

Conservateurs-adjoints J  _,   „  , ,  ,  .  ../.^v, v 

^  (M.  Tabbe  LLGOIX. 


MBMBIiSSS 


ADMIS 


PENDANT    Li' ANNÉE    1873. 


M.  CAPRONNIER,  Négociant  à  Beauvaîs. 
M.  DARTOIS  (Vabbé),  Curé  à  Crouy-en-Thelle. 
M.  DAUDIN  (H.),  Propriétaire  à  Boissy-le-Bois. 
M.  LITONNOIS  a'abbé),  Curé  à  Ercuis. 
Mr  PILLON ,  à  Ercuis. 


TABLE  DU  HUITIÈME  VOLUME. 


Bureau  de  la  Société  pour  l'année  1871 2^6 

Membres  admis  pendant  Tannée  187i 2îS6 

Bureau  de  la  Société  pour  Tannée  i872 538 

Membres  admis  pendant  Tannée  1872 539 

Bureau  de  la  Société  pour  Tannée  1873 786 

Membres  admis  pendant  Tannée  1873 787 

Liste  des  membres  de  la  Société  Académique  de  TOise,  au 

1"  janvier  187i 5 

Additions  à  la  liste  des  membres  publiée  en  1871 539 

SECTION  D'ARCHÉOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 

Notice  sur  l' abbaye  de  Froidmont  (deuxième  partie),  par 
M.  Tabbé  L.-E.  Deladreue 11 

IJES  Poésies  de  Beaumaiîoir  :  la  Manekine  —  Jehan  de 
Dammartin  et  Blonde  d'Oxford,  par  M.  H.-L.  Bordier..    79 

Histoire  de  l'abbate  royale  de  Saint-Lucien  (première 
partie),  par  MM.  Tabbé  L.-E.  Deladreue  et  Mathon 257 

Les  Poésies  de  Beaumanoir  :  Salut  d'amour  —  Complainte 
d'amour  —  Autre  Salut  d'amour  —  Lai  d'amour  —  Le 
DIT  de  Folle  Largesse  —  Fatrasies  —  Ave  Maria  ,  par 

M.  H.-L.  BOlfDIER. 386 

D'UN  Gastellum  romanum  stativum,  à  Montigny-les-Mai- 
gnelay,  par  M.  Armand  Rendu U\ 

MÉMOIRE  SUR  les  SILEX  TRAVAILLÉS  DE   L' ATELIER  DU  CAMP 

Barbet,  à  Janville,  canton  de  Mouy,  par  M.  le  docteur 

Aug.  Baudon 448 

Histoire  de  l'abbaye  royale  de  Saint-Lucien  (deuxième 

partie),  par  MM.  Tabbé  L.-E.  Deladreue  et  Mathon 541 

Vases  en  verre  de  Tépoque  gallo-romaine  et  franque,  par 

M.  Mathon 705 

t.  viii.  52 


790  TABLE  DU  BUITIBMB  VOLUMB. 


SECTION  D'HISTOIRE  NATURELLE. 

MÉMOIRE  SUR  LES  LiMAClENS  DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OlSE,  par 

H.  le  docteur  AuG.  Baudon iSi9 

NÉCROLOGIE  :  LE  DOCTEUR  DANIEL  —  LE  PROFESSEUR  ZOÉGA, 

par  M.  Danjou 209 

ESQUISSE   DE    LA  VÉGÉTATION    DU   DEPARTEMENT   DE    L'OISE 

(deuxième  partie)  :  statistique  botanique  ou  catalogue 
des  plantes  observées  dans  l'étendue  du  département  de 
l'Oise,  par  L.  Graves,  révisé,  annoté  et  augmenté,  par 

M.  HIPPOLYTE  RODIN  (SUitC) 21(5  et  713 

KssAi  SUR  LES  BOURDONS  observés  aux  environs  de  Paris, 

par  M.  Charles  Delacour 517 

Table  des  matières 780 


PLACEMENT  DES  PLANCHES 


PLANCHE  I Vue  de  l'abbaye  de  Froidmont il 

Planche  II Les  Limaciens  de  roise  (pi.  i) 200 

Planche  III Les  Limaciens  de  l'Oise  (pi.  ii) âOO 

Planche  IV —  Les  Limaciens  de  l'Oise  (p1.  m) 200 

Planche  V Les  Limaciens  de  l'Oise  (pi.  iv) 200 

Planche  vi...  Vue  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  en  i673 

(pL  I) 257 

Planche  VII...  vue  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien,  en  i7S8 

(pi.  Il) 277 

Planche  VIII . .  Tombeau  du  cardinal  Cholet,  dans  le  chœur 

de  l'église  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien 
(d'après    les    dessins    de    Gaignières) 

(pi.  m) 365 

Planche  IX....  Plan  du  Castellum  romanum  stativum  de 

Montigny 441 

Planche  X Silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pi.  i) 464 

Planche  XI Silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pl.  ii) 470 

Planche  XII...  Silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pl.  m) 473 

Planche  XIII.. .  Silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pl.  iv)  —  492 

Planche  XIII.. .  Silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pl.  v) 501 

Planche  XIV.. .  Silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pl.  vi) 506 

Planche  XVI. . .  silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pl.  vn) —  507 
Planche  XVII.  .  silex  travaillés  du  camp  Barbet  (pl.  vin).. .  507 
Planche  XVIII.  Tombeau  de  Florimond  de  Villers-Saint- 

Paul ,  dans  l'église  de  l'abbaye  de  Saint- 
Lucien  (d'après  les  dessins  de  Gai- 
gnières)    558 

Planche  XIX.. .  Tombeau  de  Jean  de  Villers-Saint-Paul,  der- 
nier abbé  régulier  de  Saint-Lucien 
(d'après  les  dessins  de  Gaignières) ë%^  3oo