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MÉMOIRES
L)K LA
SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE
DE L'OISE.
te (S.
MEMOroE S
DE LA
m w
SOCIETE ACADEHIOII
d'Archéologie , Sciences & Arts
DU
DÉPARTIRENT DE L'OISÇ. (fcft<sJUu^H^uc^
•3é4««te.
TOME VIII.
Wv»J
BEAUVAIS,
Imprimerie de D. PERE, rue Saint-Jean
1871.
l&
1^^
LISTE
DES
MEMBRKS m L4 SOCIÉTÉ AGAUÉHIOUK DE L'OISE
au 1*^ janvier 1871.
MEMBRES HONORAIRES.
M. le Préfet du déparlement de TOise.
Mg"* TKvÉQUK de Beauvaîs, Noyon et Senlis.
S. K. Mk' le Cardinal Mathiku, Archevêque de Besançon.
MM.Ek^hoff ^, Membre correspondant de rinstitut, Inspecteur
honoraire de l'Académie de Paris.
CosTE^, Membre de rinstitut, Professeur d'embriogénie
comparée au collège de France.
le vicomte de Caumont *, Directeur de rinstitut des pro-
vinces de France et de la Société française d'Archéologie
pour la conservation des monuments historiques, à Caen.
MiLNR KmvARDS C. ^ , Membre de iinstitut, etc., à Paris.
VriLLKPROY C. ^, Membre du Conseil général de roise.
LISTE DES MEMBRES.
MEMBRES TITULAIRES.
MM. ANSELiN (Jules) #, Docteur en médecine , à Songeons.
AUTRUiL (le comte <10, à Auteuil.
Auxcousteàux ((.éon), Architecte à Beauvais.
AvoNDE, Notaire à Beauvais.
Baillière (Jean-Baptiste) ^f^^ Libraire de l'Acadt'^mie de mt'-
decine, me Hautefeuille, 19, à Paris.
Baldy, ancien Principal, Officier de l'Instruction publique,
à Beauvais.
Harraud (VAbbé), Chanoine de la cathédrale de Beauvais ,
Correspondant du ministère de l'instruction publique
pour les travaux historiques , à Beauvais.
Barré, ancien Greffier de justice de paix, à lieauvais.
Baudon, Docteur en médecine à Mouy. >
BiLLA (l'Abbé), Supérieur du petit-séminaire de Noyon.
BORDiER (Henri), Archiviste paléograpbe, rue Jouberl, 'i\,
à Paris.
BOULLANGER, Fabricant de carreaux mosaïques si Beauvais.
BouRÉ, Avocat, Juge suppléant à Beauvais.
Brispot (Eugène;, à Beauvais.
Buée (l'Abbé), Curé-Doyen de Crèvecœur.
Caffet (l'Abbé), Aumônier du Sacré-Cœur, à Beauvais.
Caron, principal Clerc de Notaire, àNotre-l)ame-du-Tbil.
Caron (Charles), Propriétaire. Membre du Conseil municipal
de Beauvais.
Caron (Ferdinand), à Beauvais.
Caron (Henri), Propriétaire à Bulles.
Carpentier (l'Abbé) ^, Officier de l'instruction publique,
ancien Bégeut de philosophie, à Beauvais.
Cavrel-Bourgeois, Manufacturier à Beauvais.
Chartier Duraincy, Propriétaire à Cauvigny.
Charvet (Krnesl), à Beauvais.
COLSON, Docteur en médecine à Beauvais, Médecin en chef
des Hospices.
CONDÉ (le baron de. 0. *, Membre du Conseil général, à
Montataire.
CoiiCET (l'Abbé), Curé de Millv.
LISTE D8S MEMBRES. 7
MH.GoRBEROif (Charles) (le vicomte ûe)^, à Troissereux.
Courtois, Juge suppléant à Beauvais.
CousTURE , Propriétaire à Beauvais.
DAMiEr^s (Charles), Officier de rinstruction publique , Secré-
taire honoraire d'Acactémie, à Beauvais.
Danjou 0. #, Officier de l'instruction publique, Président
honoraire du tribunal de Beauvais, Membre du Conseil
général.
Danse (Charles), Chef d'escadron en retraite, à Beauvais.
Delagovr (Charles) ^, Juge honoraire & Béarnais.
Deladreue (l'Abbé), Curé de saint'Paul.
Delaherghe (Alexandre), Négociant à Beauvais, Membre du
Conseil municipal. Correspondant du ministère de rins-
truction publique.
f)EM.4RTHE, Bcceveur du timbre & Beauvais.
De Sàiin't-Gèrmain , Juge de paix à Beauvais.
Des Cloizeaux ^Alfred) ^, Membre de l'Académie des
sciences, Minéralogiste, rue Oudinol, à Paris.
Desjardins (Arthur), premier Avocat général & Aix.
Dësjardins (Albert, l»rofesseur agrégé â la Faculté de droit
de Paris.
Desmaretz, Avocat à Paris, rue de Coudé, "îH.
Devimelx , Avoué à Beauvais.
Detrolles, Professeur de dessin à Beauvais.
DuLAC, Juge suppléant à Compiègne.
Di'MONT, Tablelier à Abbecourt.
DupoRCQ U'Abljé;, Directeur au grand-séminaire, à Beau-
vais.
Dt'puis, Docteur eu médecine à Beauvais.
Du VAL, ancien Pharmacien à Beauvais.
DuviviER ^ , Maire de Clermont.
Fenet, Artiste à la Manufacture de tapisseries de Beauvais.
Ferdinand , Phdrinacien à Méru.
Fleury, Notaire à Beauvais.
Flocrt (Auguste), Greffier du tribunal civil de Beauvais.
Frion ^ , ancien Juge de paix , Maire de Chaumont.
Gaudecharî (Albéric) (le comte dé), à l'Épine.
GouiLLARDON, Conductéur des ponts-et-chaussées , à Chau-
mont.
8 LISTE ims MKMBRK8.
MM.Cromard (lilugène), Banquier à Beauvais, Membre du Conseil
municipal.
(lAGUËT, Notaire à Beauvais.
Hamel, Juge honoraire à Beauvais.
IUrdivillers (le vicomte d*), à Monceaux.
IIÉRiCART DE Thury (Io vicomle), à Thury-en- Valois.
Laffineur (Jules), Agent-Voyer, à Beauvais.
Lafpineijr-Houssël, ancien Négociant à Beauvais.
Lagaghe (Célestin) * , Membre du Conseil général , à Cour-
celles-Epay elles.
Le Canu ii^, Chimiste, Membre de l'Académie de médecine,
rue Charles V, à Paris.
Le Caron de Trousslres (Ludovic), à Troussures.
Le Chevallier , Notaire à Beauvais.
Leclerg, Agent d'assurances à Beauvais.
Lefèvre irAbbé}, Aumônier des Sœurs de Saint-Joseph , à
Beauvais.
Legoix (l'Abbé), Secrétaire de Tévèché, à Beauvais.
LEHEC (Alfred), à Beauvais.
Le Maresghal (Alexandre), Propriétaire et Maire à Warluis.
L'Epine, Juge honoraire à Beauvais.
Leroy ij^. Docteur en médecine à Beauvais.
Lethel'X , Greffier à Beauvais.
Levasseur, Juge à Beauvais, Membre du Conseil muni-
cipal.
LuçAY (vicomte de) *ftj. Maître des requêtes, au chi\teau de
Saint-Aignan (Ilondainvillc).
LhL'ILLIER (Victor), Architecte-Voyer de la ville de Beauvais.
Marette (l'Abbé), Curé-Doyen de Songeons.
Maksy (Arthur de). Archiviste paléographe, à Paris.
MAS.S0N, Percepteur au Meux.
Mathon, ancien Pharmacien, Correspondant du ministre de
l'Instruction publique pour les travaux historiques, Offi-
cier d'Académie, à Beauvais.
Meneust (Georges), à Beauvais, Officier d'infanterie.
Mergier , Avoué à Beauvais.
Merlemont (le comte de) ^, au château de Merlemont.
MiGHEL CLéon), Propriétaire à Clermont.
MiLLiÈRE 'l'Abbé), Curé de la cathédrale de Beauvais.
LKSTR DRS MEMBHES. {)
MM.MiLLON DE MONTHERLANT (Camille , rue de Champagny. 0,
à Paris.
MoiSAND (Constant) #, Imprimeur à Beauvais.
MORiN (Théodore), au clu\(eau de Marguerle.
MORNAY (le marquis de), Député à l'Assemblée nationale.
Membre du Conseil général, au château deMonrhevreull.
Paillard, Etudiant h Heauvais.
Peigné- Delacourt ^, au château de Ribécourl.
' PERE ^, Imprimeur à Beauvais.
Plessier, Receveur de Tenregislrement à Tillé.
PoNTHiEU, Fabricant de carreaux mosaïques :ï Beauvais.
Potier (l'Abbé), Curé de Saint-Etienne de Beauvais.
Ql'esnot, Juge de paix à Beauvais.
QuESTE(rAbbé), Curé de RueSaint-Pierre.
Ui'ESTiER (rAbbé), Curé de Thury-en-ValoIs.
BENET (PAbbé), Directeur au grand-séminaire de Beauvais.
BiCHARD rPAbbé\ à Beauvais.
BiCHARD (Achille), ancien Entrepreneur à Beauvais.
BODiN (Hippolyte), MaUre de pension à Beauvais.
Salis (le comte dey#, Membre du Conseil général, à Beauvais.
SoREL (Alexandre), Avocat à Paris, rue des r.rands-Augus-
tins, 19.
Tartigny (de) 0. ^, Membre du Conseil général . au chAleau
de Tartigny.
VÉRITÉ ^, Horloger-Mécanicien si Beauvais.
Yi'ATRiN (Auguste), Propriétaire à Beauvais.
Weil, Architecte à Beauvais.
Yanville (le comte Cousiant d'), Chef d'escadron au 3* régi-
ment de lanciers, au château du Tillet(Cires-lesMello\
YvART, Suppléant de la justice de paix, à Formerie.
MEMBRES CORRESPONDANTS.
Badin 0. ^, Administrateur des Manufactures des Gobelins
et de Beauvais.
Baecker (de) #, Inspecteur des monuments historiques, à
Xorpeen (Nord).
Bosc, Intendant militaire.
Cochet (rAbbé^ ili^. Inspecteur des monuments historiques
de la Seine- Inférieure.
10 LISTE DES MEMBRES.
MM. Constantin, Professeur d'Iiisloire au lycée de Salnt-Omer.
Drouet, Naturaliste à Troyes.
DusuzEAU, Directeur de la ferme-école du Mesnil-Saint-
Firmin.
GÉRiN (rAbbé), à Paris.
(lOMART, Correspondant du ministère de l'instruction pu-
blique, Directeur du comice agricole de Saint-Quentin.
Hersan, ancien Instituteur communal de Bourj, à Gisors.
Hette, Directeur de la sucrerie de Bresles.
JoRRY (rAbbé), Curé de TAbbaye-sous-Plancy (Aube\ Membre
de plusieurs Sociétés savantes.
Laboissière , Avocat à Paris.
Lecot (l'Abbé), Vicaire à Noyon, Directeur de la Foi picarde.
Lemoine (Gustave), Homme de lettres, à Paris.
UBMONNiËR (Céran), Docteur en médecine, Inspecteur des
eaux thermales de Bagnères.
Maindreville (Gaston de). Officier de la marine militaire.
Malhéné (Jules), Conseiller à la Cour d'appel de Bouen.
Moreau (François), Professeur de mathémathiques et de
sciences naturelles au collège d'Avallon.
Peaugblle , Employé à la conservation des hypothèques de
Beauvais , à Voisinlieu.
POQUET (l'Abbé), Secrétaire de la Société Académique de
Soissons, Directeur de l'établissement de Saint-Médard.
Rebouleau, Docteur en médecine. Médecin en chef des
établissements hospitaliers de Constantine.
Rey (Jules), Conservateur du musée , à Troyes.
Sachot (Octave), Avocat, Rédacteur de VAihénéiun français
et de la Revue britannique ^ à Paris, rue du Dragon, i(».
SoLAND (le comte Aimé de). Directeur de la Société Linnéenne
de Maine-et-Loire , à Angers.
Véret, ancien Chirurgien militaire, à Péronne.
■
t
SECTION D'ARCHÉOLOGIE ET D'HISTOIRE.
NOTICE
SIR
L'ABBAYE DE FROIDMÔNT
ORUHE DE CITEAUX)
REVRNIS BT PROPRIfiTfiS DU MONASTÈRE.
Après avoir étudié la vie intérieure de cette communauté cis-
tercienne y énuméré les ac^tes principaux de Tadministration de
ses abl)és, il nous parait convenable de dire un mot de ses
revenus et des propriétés territoriales qui en ont été la source.
Les revenus du monastère de Froidmont, quoique moins ex-
posés auK variations que ceux des particuliers, ont cependant
subi bien des fluctuations suivant les temps ou les circonstances.
Leur destination ne les a pas toujours rois à l'abri des événe-
ments, ni des déprédations, et plus d'une fois on les a vus
passer subitement de l'état le plus florissant à la situation la
plus précaire. En laissant de côté les années exceptionnelles ,
citons, pour établir une position normale et ordinaire, un
compte de cellerier de 1501. Ce compte portait les rexîettes à
12 NOTICE
l,88i livres 10 sois 11 deniers, 2,836 mines de blé, 1,67() mines
d'avoine , 32 mines de pois, 27 porcs et GO chapons.
Lors du partage des biens de 1617, l'évaluation qui lui servit
de base donnait à Tabbaye un revenu total de 13,n0() livres,
a,60i mines de blé, 870 mines d'avoine, "ii mines de pois,
715 livres de cire, 44 chapons, 1,200 de fourrage, 200 botles
de chaume et 100 cordeS de bois.
^ Un état des revenus de la mense conventuelle , remis en 1716
aux syndics du clergé du diocèse de Beauvais, les évaluait à
13,096 livres 19 sols 4 deniers; comme celte mense n'avait
que le tiers du revenu total des biens du monastère , celui-ci
devait s'élever à près de 40,000 livres.
L'état dressé par les officiers municipaux de Hermès, en 171H),
des revenus de cette même mense conventuelle, montait à
1i,338 livres 6 sols 8 deniers, ce qui donnait pour le revenu
total plus de 43,000 livres.
Ces chiffres suffisent pour nous donner une idée de la situation
financière de l'abbaye. Voyons maintenant d'où provenait ce
revenu, et examinons les divers éléments qui le composaient.
Le monastère étant situé à l'extrémité septentrionale du terri-
toire de Hermès, et au point de jonction pour ainsi dire des
trois territoires de Hernies, de Bailleul-sur-ïhérain et Bresles,
son domaine rayonnait autour de lui sur chacun d'eux.
Kermès. — D'abord sur Hermès, H possédait l'enclos sur
lequel s'élevaient le logis abbatial et les bâtiments claustraux
avec leurs dépendances, les vergers et les jardins à l'usage
personnel de Tabbé et des religieux, le tout entouré de murs; —
"ip la ferme de la basse cour qui était attenante. Celle-ci fut vendue
par la nation , le 28 mai 17;H , avec 251 mines de terre , pré et
herbage en dépendant, à M. Jean-Marie-Ktienne-Edme HivauU
de Champfleury , ancien conseiller à la Cour des Aides de Paris,
pour la somme de 56,400 livres; elle appartient aujourd'hui à
M. Devimeux, avoué à Beauvais; — 3* la ferme du Mont de
Hermès, donnée en 1136, par Adélaïde de Dammartin, dame de
Bulles, et vendue par la nation, avec 272 mines de terre, à
M. Marguerite-Adrien Auxcousleaux de Marguerie , pour 18,875
livres; — 4* 188 mines de terre et pré, vendues à divers parli-
cuHers pour 56,210 Uvres; — 5' le moulin à blé acquis , en 1205.
de ^Vallon de Grandville et Renaud de Balagny, et le moulin à
svn l'abbayk dk fuoiumom. 13
riiuilo cousli'uit par les religioux , vendus, le î) murs ITiil , avec
7 mines et demie de pré y attenant , à M. Nicolas Jloroy . qui en
était fermier, pour 18,300 livres; —O* le bois de Froidmont jadis
dpnné par la dame de Balles, Raoul, comte de Clermont, et le
roi Philippe- Auguste, contenant i88 arpents. L'administration
ilu district ne Taliéna pas, mais le conserva pour faire partie du
domaine de TEtat, du groupe forestier de Hez; — 7* les droits
de justice et de seigneurie sur la plus grande partie du terri-
toire, par donation de la dame de Huiles en 1136. d'Evrard de
Saint-Mard en 1330, et de Louis de Bourbon, comte de Clermont,
en 1t04 (1).
1; La seigneurie de Hermès, (|ui relevait à foi et hommage da coiiit<^
de Clermont pour la plus grande partie , et du comté de Beauvais pour
une portion moindre, était divisée en plusieurs grands Ilefs, qui en avaient
d'autres moins grands dans leur mouvance. L'un d'eux appartenait à la
maison seigneuriale de Bulles, et Adélaïde de Dammartin, dame de Bulles,
le donna à l'abbaye de Froidmont lors de sa fondation, en 1136. Un autre
ôtait en la possession de la maison de Saint-Mard ou Saint-Médard , et l'un
de ses membres , Evrard de Saint-Mard , le céda par échange, en l;)50, au
même monastère. Un autre vint en la maison de Barbancon. Jean de Bar-
bancon et Yolande de Gavre, sa femme, le donnèrent en dot, au xiv* siècle,
à Eustacbe de Barbanron, leur seconde fille, en la mariant avec Jean II,
baron de Ligne, seigneur de Montreuil-sur-Aisne. Ceux-ci le vendirent,
vers 1390. à Louis, duc de Bourbonnais, comte de Forest et de Clermont,
qui le donna , en li02 , à l'abbaye de Froidmont. De la sorte , cette ab-
baye avait la seigneurie de presque tout le territoire de Hermès.
Le fief de Granville , qui eut pour possesseurs Drogon de Granville,
chevalier, en 1100, Adam de Granville (l^lO}, Robert et Jean de Granville
J^HO), vint à la maison de Trie, seigneur de Mouchy, et déjà possesseur
des liefs de Friencourt, Nainval et Carvlile. Enguerran de Trie fd'or, à la
baiiâe à^azur) devint possesseur de ces fiefs, au xii* siècle, en épousant
Odévie de Mouchy, veuve de Nivelon de Pierrefonds et fille de Drogon
(!e Mouchy. Il les donna à Jean I*' de Trie , son fils aîné , seigneur de
Trie et Mouchy; puis ils passèrent successivement, et de père en fils, à
Jean II de Trie, qui fut tué à la bataille de Bonvines, en l^li ; à Mathieu
de Trié, comte de Dammartin (1234); à Jean III de Trie, marié, en 1277, à
Yolande , dont il eut Renaud , Charles, Mathieu , Jean , Yolande et Léonore.
Jean de Trie transigea avec Renaud de Trie, seigneur du Plessis-Bilbaut,
son neveu , et lai abandonna ses fiefs de Friencourt et de Granville, tout
14 NOTICE
Bailleul-sur-T/iérain. — L'abbaye possédail sur son terri-
toire, en 1791 : — i" la ferme de la Vieille-Abbaye provenant des
donations de la dame de Bulles et de ses fils , de Pierre , Haoul
et Grégoire de Bailleul, et de Raoul, maire de Bresles, en 1136,
11R4, liaG; elle fut vendue par la nation , le l»** mars 1791 , avec
iH mines de terre et pré en dépendant, 30,000 livres, à Pierre-
André Salle, négociant à Beauvais; — â' la ferme de la Maison-
Bouge , sise à Bailleul , donnée par Grégoire de Campremy et
Alix de Bailleul , sa femme, enl!23i, vendue avec 0ii8 mines
de terre et pré, 175,045 livres, à divers particuliers, et no-
en les conservant dans la moavance de sa seignearie de Moucliy. Renaud
de Trie servit dans les guerres de Flandre de 1296-1-2^. Il épousa Mar-
guerite de Courtenay, dame de Gloyes , dont il eut Renaud et Philippe.
Renaud II de Trie , seigneur du Plessis-Billebaut , de Friencourt et de
GranvUle , marécbal de France , épousa Isabelle de Heilly , qui lui donna :
1* PhUippe , seigneur de Hareuil ; 2^ Jean , seigneur du Plessis-Billebaut ;
3* Renaud \ dit Billebaut , seigneur de Fresnes , Quévremont et du Ques-
nel ; !• Alix , qui épousa Thomas de Coucy ; 5* Jeanne , qui s'allia à Phi-
lippe de Cbambly, seigneur de Uvry.
Jean de Trie, dit BUlebaut, seigneur du Plessis, de Friencourt et de
GranviHe , confirma , en 1345 , les donations faites par ses prédécesseurs
à l'abbaye de Proidmont. Il laissa ses terres et seigneivies k son fils
unique Renaud , dit Patrouillart , issu de son mariage avec Clémence de
Joigoy.
Renaud lU de Trie , dit Patrouillart , seigneur du Plessis et de Moucby ,
par donation, en 1362, de Jean de Trie, archidincre de Ch^ons, son
cousin , épousa Jeanne de Fosseuse , dont il eut Renaud IV de Trie , dit
aussi Patrouillart , qui fut tué à l'attaque du château d'HarUort , eu I40H.
Ce chevalier laissa trois enfants de son mariage avec Marie de Nesle, Jean.
Pierre et Jeanne , qui aliénèrent les fiefs de Friencourt et de Granville an
profit de Colard de Groisettes.
Golard de Groisettes (4'azur, à la fasce d'argent, chargée de trois mer'
kUes de sable, l'écu semé de croisette^ d'arj vivait , en 1420, avec Mar-
guerite Mauchevalier, sa femme , et laissa ses fiefs de Granville , Frien-
court , Nainvai et Carvilie à Jean , son ftls unique.
Jean P' de Groisettes , seigneur de Granville , Friencourt , Nainvai et
Carvilie, puis de Saint^Rimault , par donation, en 1464, d'IsabeUe d'Aî-
rioo , épousa Colette Saiiguin , dont il eut Jean et Jacques.
Jean il de Groisettes , avocat du roi au gouvernement de Pêrolme.
StjR l'abbaye de FROlDMOTtT. 15
tarament à MM. Ticquet (172 mines), Rivault de Champfleury
(127 mines), Auxcoqsleaux de Marguerie (100 mines); — 3* le
moulin de Bailleul acquis , en 1526 , de Jean de Bailleul , écuyer ,
seigneur de Bailleul, Saint-Léger, le Mont-Saint-A^rien, etc., et
vendu, le 18 février 1791 , à Antoine Fasquelle , meunier , avec
3 arpents de pré , pour la somme de U,72o livres ; — i* le Vieux-
Montdidier et Roye, époasa, en lun, Jeanne Malet, dont II eut Antoine
et Claude.
Antoine de Croisettes, seigneur de Granville, etc., avocat au bailliage
de Montdidier, épousa Isabeau Ctiariet , dont François et Marie.
François de Croisettes , seigneur de Granville, etc.; homme d armes
des ordonnances du roi en 1.582 , mourut en 1.587. laissant de Marie Col-
lesson de Béronne , sa femme , Florent et Gabriel.
Florent de Croisettes , seigneur de GranviUe , Friencourt , etc. , liomme
d'armes des ordonnances du roi , mourut en 1616, laissant de Nicole de
Piennes , qu'il avait épousée en 1608, René , Louise et Charlotte.
René de Croisettes , seigneur de Granville , etc. , homme d'armes de la
compagnie du cardinal de Richelieu , fut maintenu dans la noblesse par
arrêt du Conseil , le 3 août 1668. Il avait épousé , en 1634 , Madeleine de
La Motte , dont il n'eut qu'un fils nommé Pierre.
Pierre de Croisettes, seigneur de Granville, etc., mourut en I78â. H
épousa en premières noces Geneviève Maurin de Pardaillan , dont il n'eut
pas d'enfants; en secondes nocs Françoise de Vuitasse, dont il eut
Claude-Hubert , qui fut chanoine régulier, Marie et Madeleine.
Marie de Croisettes, dame de GranviUe, Friencourt, etc., épousa, le
3n août 1709, Louis Ladvocat , seigneur de Sauveterî'e , conseiller au Par-
lement, et laissa ses Qefs de Granville et Friencourt à N. Ladvocat, son
fils , qui fut en même temps seigneur de Sanveterre et conseiller au Par-
lement , comme son père .
Les autres flefs , de moins grande importance , qui étaient au territoire
de Hermès , et qui relevaient , pour la plupart au xvv siècle , de la sei-
gneurie appartenant à l'abbaye de Froidmont , étaient : V le fief de Fon-
taines, à Méhécourt. U appartenait, en 1180, à Regnault de Fontaines, et
vhit ensuite à Marie de Fontaines , femme de Pierre d'Kanvoiles . qui le
vendit, vers 1191, à Pierre Ponlain. Celui-ci le donna à Jean de Bresche.
chanoine de Beauvals , son neveu , vers 1.590, avec le fief de Marguerie,
dont il suivit le sort; — 3* le Aef Le Maire, tenu, en 1450, par Antoine Le
Maire , et en 1.521 par Jean ie Maire , écuyer, seigneur de Parisifbntaine :
— 8* le tlef d'Abeocourt , tenu , en liôo, par Jean Bacouel ; — 4* le Uef
AUard Chaudron, réuni, en 1150, à la seigneurie de Hermès, et donné de
1(> NOTICE
Château, sis à Froidinont, en la rue (|ui conduit au Mont-César,
avec une chapelle du xvt* siècle, donné, en M6;{, par Pierre et
Sigaude de Railleul , et vendu , le 23 mars 1791, avec 3 arpents
de pré, à Louis Vuillemin, ancien boulanger, pour 1(),()7:i livres; —
o« les bois de la Vieille- Abbaye , contenant 2i arpents, donnés ,
en I18(), par Grégoire de Baillcul; - O" le bois de la lloussiére ,
contenant 2G arpents, donné par Raoul, comte de Clermont,
Nivelon du Plessier (1490), Robert de la Tournelle (1223} et Simon
nouveau en tenure à Jean Bacouel ; — ô" le llef Saint-Vincent , sis k Krian-
court , que tint de tout temps IVglise de Hermès ; — h* le flef Bellin, tenu,
en 140;), par Jean de Bellin, écuyer ; en 1510, par Antoine de Bellin, dit de
Lignières, seigneur de Câtillon ; en 1520, par Charles et Marie de Lignièrcs.
ses enfants , qui le vendirent en 15*20 et Vrl:i, à l'abbaye de Froidmont : —
7« le nef Bouchon, tenu, en 1150, par Calinot Bouchon , et en l'rZi par
Pierre Bouchon; — 8* le flef de Wabecourl, tenu, en 1521, par Colin Lhoier;
en l(>Oî, par Nicolas de Saint-Omer; en 1095, par Pierre Bizet; en mm,
par Antoine Bizet ; en 1700, par Bertin Brisot et Madeleine Brlsot, ^a (llle;
en 170G, par Nicolas Dubus ; en 17ll, par Renii Pupille ; en 1718, par Louis-
Antoine Clabault et Marie-Anne Dubus , sa femme ; — i)« le (ief André
Dirson, tenu, en 1450, par André Dirson ; — 10» le flef lïennequin, vendu,
en 150(), par Louis de Hélencourt et Marie de Fontaine, sa femme, à Jean
Louvet, et retiré féodalement par l'abbaye ; — il» le flef de Quévremont,
tenu par l'abbaye elle-même en 1450 ; — 12* le flef Balastre, tenu, en 1350,
par Pierre Malponne ; en 1360, par Jeanne Malponne, sa flile, (épouse de
Guillaume de Saint-Remy; leurs enfants, Pierre, Jeanne et Geneviève de
Saint-Remy, le vendirent, en 1395, à Raoul de Balastre, écuyer, qui le
donna à Catherine de Balastre, sa fl Ile ; elle le tenait, en 1150, avec Golard
Denoyelle, son mari ; leur flls, Pierre Denoyelle, écuyer, le tenait, en l nw,
et Livoire Denoyelle et Jeanne Raonlquln le vendirent à l'abbaye en 1 183;
— 13* le flef Jean Roussel, donné par Robert Le Boucher à Jean Roussel,
qui le vendit k l'abbaye en 1520 ; — ll« les flefs Saînt-Len et Yignemont,
sis à Caillouel, et mouvants de la seigneurie de Mouy, saisis . pour les
deux tiers, en 15 lo, sur les héritiers de Jean de La Marre, et adjugés par
décret à l'abbaye ; elle avait acquis l'autre tiers, en 1511, de Jean de Henu,
marchand et bourgeois de Beauvais ; — 15" le flef Francastel, tenu, en 1380,
par Golard de Francastel-, en 1450, par Sicard de La Ganel, et en 14(>9 par
Jean Thiebault, son héritier; — 10« le flef Dubus, si%à Caillouel, tenu,
en 1348, par Henri de Paris , et en 1353 par Pierre Dubus , écuyer ; —
17« le flef de la prévôté de Hermès, qui fut possédé, en 111 1, par Raoul
SUR l'aBBAYK de FROlDMOiNT. 17
de Clermont, seigneur d'Ailly(i237); - 7* le bois de la Brochette,
contenant 4 arpents; — 8* ie bois d'Elincourt ou de Mélicourt,
contenant 7 arpents , donné par Jean , fils de Sigaude de Bailleui ,
en 1170; — 9' le bois d*Auneau, contenant 20 arpents; — iO* le
quart des dîmes de Bailleui, donné par Odon de Mouchy, Pierre
et Marguerite de Bailleui, Hugues de la Chaussée, le Chapitre de
Mouchy , celui de Saint-Michel de Beauvais et le prieuré de
Villers-Saint-Sépulcro; — iV la seigneurie du Petit-Froidmont,
par donation de la dame de Bulles , de Pierre et Grégoire de
de Hermès ; en 1136, par ses Dis Adam , Gamier et Jean de Hermès ;
en 1165, par Guillaume de Hermcs ; en 1200, par Odon de Hermès, père
d'Odon II de Hermès et de Jean de Hermès , cbevalier ; en 1282, par
Pierre de Hermès , chevalier ; en 1335, par Nicolas de Hermès ; — 18* le
Qef de Hargaerie, que possédait, en 1400, Philippe d'Abbecourt, fut vendu,
en 1459, par Richard d'Abbecourt à Pierre Bacouel, qui le laissa à Nicolas
Bacouel (1482). Louis Poulain le possédait en 1500, et le donna à Jean de
Bresche, son neveu, qui le laissa à Antoine Papin, son cousin (1533). Il
était, en 1584, à Jean Le Comte, seigneur de Yoislnlieu, comme héritier de
Jean Le Comte, son père. Il le laissa à François Le Comte, son Ûls, qui le
possédait en 1002. Jeanne de Venise, dame de Marguerie et veuve de Jean
de Berthelemy, donna ce flef à Charles de Berthelemy, son fils, en 1614.
Ce dernier étant mort sans enfants, Louise de Berthelemy, sa sœur, mariée
à Jean dé Roissin, écuyer, en hérita (1632). Charles du Frest, seigneur de
Bresson, le possédait en 1660. François Vigneron fttargerU, à la fasce de
sable frettée d^or, accofnpagnée de trois merleUes de sable rangées en chef),
président au Présidial et maire de Beauvais de 1693-1703, Tacquit en 1681
de Charles de Ligniôres et d'Isabelle de Just, sa femme. Il mourut en 1714,
laissant de Marie Dollet, dame d'Hucqueville, sa femme : l* Marie, dame
d'Hucqueville , morte en 1748 ; 2* Françoise, dame de Marguerie, morte
en 1742 ; 3* Anne, religieuse à Saint-Paul; 4* Thérèse, religieuse de Saint-
François ; 5* N., dame de Breteuil; 6* François, seigneur d'Hucqueville;
7« Claude, seigneur de Breteuil; 8* N. Vigneron de La Tour, officier.
Claude Vigneron, seigneur de Breteuil et Marguerie, capitaine d'infan-
terie, n'eut qu'un ûls, Claude-François, de Marie-Antoinette de LaVacquerie,
sa première femme ; N. Baurio, sa seconde femme, et Marie-Anne Behagle,
sa troisième, moururent sans enfants.
Claude-François Vigneron était seigneur de Breteuil et de Marguerie,
en 1745, quand il transigea avec l'abbaye de Froidmont pour le cantonne-
ment des chasses.
T. vni. i
18 .NOTICK
Bailleul , et celle de la plus grande partie du territoire par di-
verses acquisitions .1).
Aynetz. — L'abbaye avait, au xvi« siècle, une rente de six
vi) Le territoire de Bailleul était aassi divisé en un certain nombre de
liefs. Le plus important était celai que tenait Pierre de Bailleul^ en 1136.
Ce chevaUer en donna une partie à l'abbaye de Froidmont, et la dame de
Bulles en fit autant de son llef du Mont-César et de Froldmonl (Uho).
Grégoire setnar de BaiUeul , Gautier et Marguerite , ses frère et sœur ,
donnèrent une autre portion de cette seigneurie , en 1186 , et Grégoire de
Gampremy, du consentement d'Alix de BaiUeul, sa femme, les imita
en 13S2.
Grégoire de BaUleul , chevaUer, eut d'Eméline , sa femme , plusieurs
enfants , entre autres Aymeric, Raoul, Gautier, Hugues î*' et Hugues II.
Aymeric de Bailleul, donna un muid de blé de rente à l'abbaye de Froid-
mont, en 1186.
Raoul de Bailleul, cbevaUer, eut d'Isabelle, entre autres enfants.
Aimée, Henri, Hersende, Beatrix, Marguerite, Alix, qui épousa Grégoire
de Gampremy , Agnès et Isabelle.
Une fiUe de cette maison de BaiUeul, Marguerite de BaiUeul, apporta
une partie de la seigneurie de ce lieu dans la famUle de Mercastel , en
épousant, en 1305, Robin de Mercastel {d argent, à s croissants de
gueules), chevalier, seigneur dudit lieu, qui périt à la bataille de
Bngenais.
Robert, baron de Mercastel, leur Ûls, qui fut blessé k la bataille
d'Azincourt (U15) , épousa , en 1404 , N. de Milly , dont vint :
Jean l*' , baron de Mercastel , seigneur de Yillers-Vermont , Bailleul en
partie, qui épousa, en 1449, Marie de Belleval, dame de Bonviilers, dont:
Jean II, baron de Mercastel, capitaine d'hommes d'armes des ordon-
nances du roi. Il épousa, en 1474, Jeanne d'Abancourt. dont il eut
Etienne , Adrien et André , chevaUers de Malte , Blanche et Isabeau qui
épousa GuiUaume de Morienne, et vendit, en 1484, le flef , qui lui était
échu à Bailleul , k Jean Aubert , seigneur de Gondé.
Blanche de Mercastel , dame de Bailleul , épousa , vers 1497, Jean du
Mesnil {d'azur à trois cygnes d'argent , couronnés et colletés d'or posés
S et 4) , seigneur du Mesnil , en Normandie , donna , en 1534 , à l'abbaye
de Froidmont deux fiefs , sis à Bailleul et Froidmont , et lui vendit , en
1537, le fief de la Sablonoière tenu en plein ûef de celui de la Motelette.
De leur mariage naquirent Jacques et Charles du Mesnil , écuyers , sei-
gneurs en partie de BaiUeul et Montreuil-sur-Thérahi.
Guillaume du Mesnil, leur héritier, se disait seigneur de BaiUeul, en 15H7.
SUR l'abbaye ])E froidmont. \9
deniers parisis sur cinq verges de vignes, sises près de l'église ,
et Jean de Brie en passa titre nouvel en 1550.
et eut deux fils Charles et Claude qui fut archer des ordonnances du roi.
Charles du Hesnil , écuyer , seigneur du Hesnil, Bailieul et la Motelette ,
épousa Isabeau Courtin , dont il eut un fils nommé Jacques.
Jacques du Mesnil , écuyer , seigneur de Bailieul en partie , épousa
Jacqueline de La Rue, dont il eut Philippe, David et Charles.
Philippe du Mesnil , écuyer , seigneur de Bailieul et de Montrenil-sur-
Thérain , épousa Charlotte-Gabrielle de Yendeuil , dont il eut : l* Jean ;
i* Claude , chevalier , seigneur de Montreuil , capitaine de dragons , qui
épousa en premières noces (1670) Marthe de Boufflers , dont II n*eut qu'une
fllle , Marie-Anne du Mesnil , morte jeune , et en secondes noces (1680)
Anne-Marguerite de Templeux, morte sans enfants } 3* Claude, qui épousa
en premières noces Félix de Rieux , dont elle eut Mai*ie de Rieux , mariée
à François de Pasté , seigneur du Taillis , et en secondes noces Thimoléon
de Lespinay , seigneur de Bracheux.
Jean du Mesnil, écuyer, seignem* de Bailieul, fut père de René du
Mesnil , écuyer , seigneur de Bailieul et Montreuil , qui épousa Jeanne Du
Verger, dont il eut:
Charles-François du Mesnil, chevalier, seigneur de Bailieul. Celui-ci
épousa, en 169*2, Madeleine de Catheux , dont il eut :
François-René-Michel du Mesnil , seigneur de Bailieul « Montreuil , Cai-
gneux, la Motelette, qui épousa en premières noces (I72i) Anne-Gabrielle
Fombert , morte sans enfants , et en secondes noces (Vii) Thérèse de
Gaudechart. Après lui la terre de Bailieul vint à René-François de Gaude-
chart , seigneur de Mattencourt , L'Epine , neveu de sa seconde femme.
René-François de Gaudechart (d'argent , h 9 merUttes de gueules en
orle; 4, 2, % et 4) , épousa , vers 1786 , Anne-Louise-Marie de Trie de
Pillavohie , dont il eut : l* René-Ferdinand ; ^» René-Auguste ; s* Jules
4* Anne-Aspasie.
Le flef de Sains , sis à Froidmont ,. fut apporté en dot à Girard de Sains ,
par une fllle de Raoul de Bailieul , vers 123C , et resta dans cette famille
jusqu'à ce que saisi sur Enguerran de Sains , il fut vendu , le 23 juin 1429,
à l'abbaye de Froidmont.
Le fief de Heilly , mouvant de la châtellenie de Bulles , qui fut à la
maison de Heilly , vint en la possession d'un bâtard de cette maison , de
Pierre de Bailieul» qui se qualillait, en 1460 , seigneur de Saint-Léger, en
Normandie , du Mont-Saint-Adrien et de Bailieul. Ce chevalier épousa
Marie d'Uyancourt, veuve de Jean de Conti , et en eut Jean et Marie,
dame du Mont-Sahit-Adrien , qui épousa Pierre de Pimont.
Jean de Bailieul, écuyer, seigneur de Bailieul en partie, Saint-Léger,
20 NOTICB
Anyirillers. — Neuf mines de blé de rente sur la terre et
seigneurie de ce lieu, et le lief de la Sengle qui en fait partie. Six
mines avaient été données, en 1231 , par Jean deCampdavoine,
Becquerel, etc., vendit, en 1526, le moulin de BaiUeoi à i abbaye de
Froidmont. Après lui , son flef vint à Adrien de Pisseleu , chevalier, sei-
gneur de Fontaine-Lavaganne et Heilly , qui en fit les foi et hommage en
1540. Adrien de Pisseleu, mourut en 1558, laissant de Charlotte d'Ailly,
sa femme : l° Jean ; î* Jeanne , mariée à Louis de Coësmes ; S* Jossine,
qui épousa en premières noces (1543) Robert de Lénoncourt, et en
secondes noces Nicolas Des Lions , seigneur d'Epaux.
Jean de Pisseleu , chevalier , seigneur d'Heilly , Fontabie-Lavaganne ,
Pisseleu , Oudeuil , Bailleul en partie , épousa en premières noces Fran-
çoise de Scepeaux qui mourut sans enfants , et en secondes noces Fran-
çoise de Pellevé, dont il eut : l* Léonor, seigneur de Fontaine-Lavaganne ;
2» Charlotte qui épousa Jean Maillard , seigneur de La Bolsslère ; 3* Fran-
çoise , mariée à Samson de Gourlay.
Jean de Pisseleu vendit son fief de Heilly. sis à BaiUeul, le 8 août 1580,
à Guillaume de Damplerre, marchand drapier à Beauvaia, et à Yves de
Dampierre , son frère , orfèvre au même Heu.
En 1609 , le dénombrement de ce fief fut donné , pour une moitié , par
Suzanne Binet , veuve d'Yves de Damplerre , seigneur d'Heilly , comme
tutrice de Claude , Pierre , Françoise , Marie , Marguerite et Suzanne de
Dampierre , ses enfants , et , pour l'autre moitié , par les enfants de Guil-
laume de Damplerre , seigneur d'Heilly , mort le 13 août 1587 , et de
CoUechon Mallet , sa femme , c'est-à-dire par Marie de Dampierre , femme
de Jean Paumart , au nom de Jean , Pierre , Nicolas , Guillaume et Anne
Paumart , ses enfants ; par Pierre de Damplerre , qui fut mahre de Beauvais
de 16:26-1628 ; Anne de Dampierre , femme de Mathieu Brocard ; et Agnès
de Dampierre , femme de Nicolas Carclreux.
Les Damplerre vendirent ce fief , vers 1640 , à Jacques du Mesnll , sei-
gneur de Bailleul , qui en donna la moitié , en 1660, à Philippe du Mesnll,
son fils aîné , et l'autre moitié à Hélène d'Hédouvllle , jadis femme et
veuve de David du Mesnll , son second fils , et alors mariée en secondes
noces à Pierre Caron.
Philippe du Mesnil céda sa part à Louis de Vendeull, son beau-frère ,
en môme temps que le fief de la Motelettn , et ce dernier l'échangea contre
une partie de la seigneurie de Cormeilles avec l'abbaye, le 31 oâars 1656.
Jean Caron , fils de Pierre et d'Hélène d'Hédouvllle , possédait l'autre
moitié en 16K0 , et la laissa à Rolln-Pierre Caron , son fils , qui la céda
par échange, en 17-iO, à Madeleine de Catheux , veuve de Charles-François
SUR l'abbate de froidnont. 21
chevalier, pour avoir sa sépulture dans ra))1)aye, et les trois
autres mines par ses successeurs (l.\
da Mesnil , seigneur de Baiileal. Cette portion du llef de Helliy resta dans
cette maison , et suivit le sort de la seigneurie de Bailleul.
Le nef de la Motelette, que tenait Jean d'Agombert en 1536, Arthus
d'Agombert en I5i0, Louis d'Agombert en 1559, vint à Charles du
Mesnil t seigneur de Bailleul , sur la lin du xvp siècle , qui le donna à
Jacques du Mesnil , son tUs. Philippe et David du Mesnil , enfants de
Jacques , le vendirent à Nicolas et Antoine Gallopin , bourgeois de Beau-
vais , qui le cédèrent , en 169:^ , à Charles-François du Mesnil , seigneur de
Bailleul. Il resta depuis dans cette famille.
La maison de Mello possédait flef à Bailleul , au xir siècle ; Guillaume
de Mello , confirmait , en 1190 , les donations et les fï'ancbises accordées
par ses prédécesseurs à l'abbaye de Froidmont , dans l'étendue de son
flef, et Benaud de Mello y Ut élever une forteresse, en 1303, dont Tévéque
de Beauvais, Philippe de Dreux , s'empara en 1313.
Le manoir seigneurial de l'abbaye de Froidmont était au Gravier ; c'est
là que résidaient jadis les seigneurs de Bailleul.
(1) Les divers procès et transactions auxquels cette rente donna lieu,
nous font connaître les possessions de cette seigneurie.
Bernard et Odon d'Angivlllers , étaient qualifiés chevaliers en 1150.
Bemier d'Angivillers donna la dîme de Breuil à l'abbaye de Saint-Germer
en 1194. Odon et Rorigon d'Angivillers étaient seigneurs d'Angivillers
en 1301. Florent d'Angivillers vivait en 1319. Jean, dit Campdavoine, tenait
flef à Angivillers , en 1300 , et il le donna à Jean et Raoul ses enfants.
En 1353 , Aubry d'Angivillers, dit Paris , tenait la maison du flef de la
Sengle sur laquelle était constituée une partie de la rente de neuf mines
de blé donnée à l'abbaye de Froidmont , et en passa titre nouvel.
Jean, dit Campdavoine, écuyer, passe titre nouvel pour une autre partie
en 1S56.
En 1463 , Audry Sausson vend son flef d'Angivillers à Jean Le Toillier,
dit Guillebon (d'azur , à une bande d'or , acœmjyagnée de S besants de
même, i en chef et 4 en pointe)^ qui en obtint saisine de Gilles d'Amerval,
seigneur dudit lieu , et le laissa à Jean Le Toillier , son flls atné.
Philippe Le Toillier, dit Guillebon, docteur en théologie et ecclésias-
tique , son autre flls, acquit , en 149A , la seigneurie d'Angivillers de Gilles
d'Amerval , et ki laissa en mourant (U97) à Jean , son frère aîné.
Jean 11 Le Toillier, dit Guillebon, écuyer, seigneur d'Angivillers , épousa
en premières noces Marie Guien<irt, dont il eut Philippe, Antoine ; Isabeau,
mariée à Jean Gayant ; Antoinette , qui épousa Jean Pajot , seigneur de
22 NOTICE
Angy. — Trente sols parisis de surcens donnés, en i47r), par
Pierre Lemattre, à prendre sur une maison sise à Angy, en la
rue Margot-rAnglaise.
Avrechij. — Deux muids de blé et un muid d'avoine de renie
à prendre sur les grosses dîmes d'Âvrechy, par donation du
chevalier Odon d'Argenlieu, en 1202.
Balagnij. — Deux muids de vin de rente à prendre sur le
vignoble du seigneur de Balagny, par donation de Haoul de
Balagny , chevalier, seigneur dudil lieu , en iiOi.
Beaupuits (Grandrillers-aux-Bois). — Quarante sols de rente
sur l'Avouerie de Beaupuits, donnés, en 1210, par Manassès de
Mello , frère de Guillaume , seigneur de Mello.
Heauvaù. — Unemaison, appelée Thôtel de Froidmont, sise
en la rue Saint- Jean , joignant d'un bout à cette rue , d'autre bout
au cimetière de Saint-Etienne, et par le côté du midi à la rue
l'Equipée , le Plouy-Louvel ; Jeanne , femme de Pierre Hierosme ; autre
Jeanne . femme d'Adam d'Encre ; et Catherine , qai épousa Simon Le Plat,
bourgeois de Compiègne. Jean Le ToiUier mourut en 1520 , sans laisser
d'enfants de Marguerite de Piennes, sa seconde femme.
Philippe Le ToilUep , dit Gulllebon , écuyer , seigneur d'Angivillers ,
Ravenel et la Rue-Saint-Pierre en partie , épousa Gabrielle de Ghasserate,
dont il eut François , Jean. Nicolas , Hargaerite et Marie.
François Le Tollller, dit de Guillebon , écuyer, seigneur d'Angivillers ,
épousa en 1541, Gabrielle de Gomer, dont il eut Sébastien, Charles,
Hector, Jeanne, Suzanne, Marie. Adrlenne et Charlotte.
Sébastien Le ToUlier, dit de Gulllebon, écuyer, seigneur d'Angivillers,
épousa Jeanne de Garges , dame de Tiverny , dont il eut Nicolas , mort
jeune, et Jeanne.
Jeanne Le ToiUier, dite de Gulllebon , dame d'Angivillers et Tiverny,
épousa en premières noces (1603) Antoine de Corble, dont vinrent Antoine,
mort sans alliance , Charles , François et Marie de Corble , et en secondes
noces aeii^ Antoine de Monchy, chevalier, seigneur de Saint-Martin,
dont elle eut Robert de Monchy , seigneur en partie d'Angivillers.
Charles de Corbie , seigneur d'Angivillers , épousa Marie de Baudreuil ,
dont il eut Denise et Marie.
Denise de Côrbie , dame d'Angi\1liers, apporta cette terre dans la maison
de Bruck , en épousant René de Brock , marquis de Montplaisir , en 1655.
Leur flite , Henriette-Jeanne-Rosalie de Bruck , la porta en dot à^Louls de
SUR L*ABBAYE DE PROIDMONT. 23
qui est en face le grand portail de cette église. Klle avait été
donnée , au \ii« siècle , par Girard Mahommes. Aliénée en i507,
elle fut rachetée par Tabbaye , qui la donna dans la suite à bail
à cens perpétuel. Cet hôtel , d'abord habitation peu considérable,
avait été agrandi par l'adjonction d'une maison voisine donnée
par Geneviève de Gerberoy , vers 4210 , et d'une masure et de
divers bâtiments , qui furent convertis en cour et écuries, acquis,
en 1i?38, des frères Jean , Guy et Joscelin Le Roux , bourgeois de
Beauvais , et de Jean, Renaud et Eméline de Bourgulllemont,
enfants du chevalier Philippe Baudoin de Bourguillemonl.
L'ne maison, en la rue Saint-André, avec deux chambres y
attenant, donnée, en 122â , par Vivien Le Tanneur, à la condi*
tion que Targentqui proviendrait de sa location serait employé
k augmenter l'ordinaire des religieux le samedi-saint.
quatre ciiambres au faubourg Saint-Jean, données, en lâ3:{,
par Nicolas de Chambly, chanoine de Beauvais.
Cœuret , marquis de Nesle. De ce mariage naquit une fille , OdUe-Thérèse
Cœuret de Nesle, qui épousa César-Charles de Flahaut, seigneur de la
Billarderie.
Jérôme-François de Flabaut, comte de la Billarderie, leur flls et sei-
gneur d'Angivillers, était grand-bailU et goavemear de Ctermonten 1751.
Auguste-Ctiarles-César de Fiabaut, marquis de la Billarderie, son flls,
se qualiQait, en 1782 , maréchal des camps et armées du roi , gouverneur
de Saint-Quentin , grand-bailli et gouverneur de Glermont , seigneur d'An-
givillers, Saint-Remi-en-l'Eau , le Quesnel, la Gioriette, Id Malleborgne,
HoUbéqaet, etc.
Le flef do la Mairie et la moitié de celui de Blancfossé . sis à Angivillers,
furent donnés par Jean II Le Toillier , à Antoine Le Toilller , son second flls.
Antoine I'' Le Toillier , dit Gulllebon , seigneur de Blancfossé et de la
Mairie d' Angivillers , épousa Jeanne Tristan de la Rue-Prévost, dont il
eût : 1* Antoine ; 2* Marie, qui épousa Jean Le Page , seigneur de Douy ;
3* Marguerite , mariée à Eloi Secoulx . avocat ; 4* Jeanne , femme de
Claude Wyon.
Antoine II Le Toilller, dit Guillebon , écuyer, seigneur d'Angivillers ,
Blancfossé et Beauvoir, mort k la bataille de Dreux, avait épousé Marie
Auxcousteaux de Vendeuil, dont il eut Claude, seigneur de Beauvoir,
Aaron, Marie qui épousa Pierre Le Clercq, seigneur des Toumelles ;
Antoinette , femme de Claude Boileau et Philippe , morte jeune.
Lors (lu partage des biens de son père, qui eut lieu en 1585, Aaron Le
24 NOTICE
Une maison et une pièce de pré , en la paroisse Saint-Gilles ,
au Chaudfour (apiêd Caftdnm furnum)^ auprès du Thérain et du
fossé de la ville, acquises, en 1:243, de Nicolas de Luzarches.
Une maison , sise en la rue de Lannoy (in vico de Alneto),
donnée, vers 12o6, par Jean de Longvillers et Agnès d'Auvillers.
Treize livres douze sols deux deniers parisis de rente sur les
étaux à poisson du marché, et sur diverses habitations.
Une pièce de vigne à Voisinlieu.
Becquerel {Fitz- James), — Le moulin, par donation de Re-
naud de Bérone, partant pour la croisade, en 120i.
Bernes {Seine et-Oise). — La ferme de la Maison-Blanche, sise
à Bernes, et cinquante-neuf arpents et demi de terres et prés
en dépendant , assis aux territoires de Bernes , Bruyères et le
Mesnil*Saint-Denis. La maison et les terres provenaient de la
donation d'Adam de Bernes, prêtre, en 1209 , de celles de Simon
de Gouvieux ce arpents) en 1220. de Pierre de Blaincourl et Gillette
ToiiUer, dit Guillebon, écuyer, eut les ûefs de la Mairie et de Biancfossé.
Il avait épousé, en 1582, Marie Dupais, dont il eut Claude, Louise, Antoine.
Cattierine et Barbe.
Claude Le Toillier, dit Guillebon , seigneur de la Mairie, Biancfossé et
du lier de Bethencourt . sis au même lieu , épousa en premières noces
(1610) Françoise de Cbesnu, dont il n'eût pas d'enfants , et en secondes
noces (1624) Louise de Morel, dont il n'eut qu'une fille , nommée Louise.
Louise Le Toillier, dite de Guillebon, dame de la Mairie, de Biancfossé,
Belhencourt, Blzancourt (Berneuil), épousa en premières noces (1650^
Antoine de Monchy, seigneur de Noroy, Haraville, dont Antoine, et en
secondes noces (166^^ Laurent de la Cbaussée-d'Eu
Antoine II de Moncby, seigneur de Noroy, la Mairie, Biancfossé , épousa
Renée-Louise du Boullet de la Broue , dont il eut Gabriel-Louis-Aynard ,
Jean-Thomas , Loul.se-Antoinelte et Anloine-René de Monchy, qui ven-
dirent , en i73d . leurs flefs de la Mairie , de Biancfossé et d'Auvergne . à
No^l-Françols Blerye , officier de la maison du roi.
L'autre moiUé du fief de Biancfossé, qui relevait dans son entier de la
seigneurie de Léglantier . était possédée , en loW , ainsi que le fief d'Au-
vergne , sis au même lieu , par Jean d'Auvergne , marchand bourgeois de
Beauvais , qui la laissa, en l')28, à Jean . François, Philippe et Catherine
d'Auvergne . s^s enfants. Ceux-ci se la partagèrent et la transmirent î\
leurs descendants.
Sl'R l'abbaye de PROIDMONT. 25
(le Berne, sa femme (1428) , de Pierre de Triaignel, seigneur de
Bruyères :i237), de Robert de Triaignel, chevalier (1231 , de
Kenold de Bernes (1249; et autres; de diverses acquisitions et
d'échanges. Ainsi Philippe de Bruyères, chevalier, et Renaud,
son frère, avaient vendu plusieurs pièces de terre à l'abbaje en
1237, 1238, 1239; Pierre de la Masure, de Bernes (1238) , Jean de
Boran (1239), Noël Puians, de Bernes (1242), Adamde la Masure
(12tô), Jean Berger (12.%), Bouchard de Bernes (12r)7), Thiard
de Chambly (12o7), Joubert Berger (125S) , Renaud de Luzarches
(1258), en firent autant.
Rérone [Fitz- James). - Neuf mines de blé, autant d*avoine,
et 20 sols parisis de rente sur la seigneurie de Bérone , donnés,
en 1295, par Renaud de Bérone, chevalier, seigneur dudit lieu.
Titre nouvel en fut passé, en 1332, par Guillaume de Bérone,
chevalier, seigneur dudit lieu et de Yalescourt , et en 1338 par
Jean de Bérone , son fils.
Berthecourt. — Vingt-deux mines de blé de rente sur le
moulin et sur divers autres immeubles, provenant tant de la
donation d'Isabelle du Fayel (1230) que de plusieurs accense-
ments.
Quelques pièces de pré.
Bresles, — Une maison et quarante-quatre mines de terre ,
prés et bois , provenant tant des donations de Richelde de Hermès
(1136) que de celles de Jean r.eCaron (4162), de Nicolas Gueullard
(1538).
Rreuil-Sec. — Deux pièces de pré données, en 1248, par
Hugues de Creil.
Rreta'l-Vert, — Dix mines de terre de même provenance.
Rrunvillers, — La ferme d'ivry , maison et dépendances, se
composant de 150 journaux de terre qui furent vendus, en 1791 ,
8.^>,100 livres à Jean-Baptiste Denizart. Cette ferme doit son origine
au défrichement des bois d'Ivry et de Légnivilers , que Raoul ,
Mathieu , Âscelin et Hescie de la Gengle , seigneurs de Gannes ,
les chevaliers Simon et Osmond de Gannes, Pierre et Raoul
d'AnseauviHers , et AsceHn de Plainval, donnèrent, en 1179,
1182 , 1187 , 1190 , 1193 , aux religieux de Froidmont. Ceux-ci se
mirent aussitôt à les défricher et y fondèrent une grange qui fût
dans la suite donnée à ferme.
26 NOTICE
Les (limes de Brunvillers . par donation de Valon de Brun-
vHlers en 11,%.
Bulles, — Vingt sols de rente donnés , en 1201 , par Gertrude,
veuve de Ilenaud de Mello, sur ses cens de Bulles, pour Tentre-
tien d'une iampe ardente durant la nuit devant le tombeau de
son mari , inbumé dans Téglise de Tabbaye. Cette rente n'était
plus servie en 15:21.
Quarante sols parisis de rente sur Tessart de Houssoy, donnés,
en 1202, par Robert de Conti , châtelain de Bulles , pour rentre-
tien du luminaire de l'église.
Trois muids de blé de rente sur le moulin de Bulles, donnés,
deux muids, en 1222 , par Guillaume de Mello, et un muid , en
1266, par Beatrix de Saint-Rimault.
Cambronne-les-Clermont, — Le droit de reâlme sur les
grosses dîmes de Cambronne, à raison d'une mine par muid ou
d'une mine sur douze du pix)duit des dîmes.
Canettecourt (Breuil-Vtri), — Une maison et deux mines de
terre.
Cardonnoia [Le), — Deux muids de blé de rente sur la sei-
gneurie du Cardonnois, donnés, en 1181), par Jean, dit Rage,
seigneur du lieu.
Carrière {Saint-Félix,) — Un muid de vin de rente sur le
tief de Carrière, donné, en 1221 , par Guillaume de Mello.
Carville (flermes), — Les fiefs Philippe et Richepeyne, et
quatre mines de terre, provenant d'acquisitions faites en 1516
et 1520, de Jean Roussel , Jean Regnault et Tassin Falluel.
Cernoy, — Deux muids de blé de rente sur la terre et sei-
gneurie de Cernoy . donnés, en 1222, par Albert et Bernard de
Cernoy (1).
(1) La seigneurie de Cernoy (canton de Saint-iust-en-Cbaussée) était
possédée , en 1200 , par Godefroi de Cernoy , chevalier ; en 13^2 , par
Albert et Bernard de Cernoy , ses (lis. Hs avalent pour swars Ada de
Cernoy, mariée à Jean d'Estrées, et Agnès, mariée à Jean de Monliers.
Jean de Cernoy, écayer , vivait en 1325 , et Simon de Cernoy . chevalier ,
seigneur dudit lieu , en 1395. Thomas de Cernoy passa titre nouvel à
l'abbaye de Froidmont <le la rente de deux muids de bl<^ sur sa seigneurie
SUR l'abbaye de fROIDMONT. 2?
Clennont, — Une maison dile de la Sirène et portant plus
tard renseigne du Grand-Cerf, en la rue Saint-André, à côté de
la maison des Trinitaires, donnée, en 1201, par Catherine,
comtesse de Clermont.
Une autre maison à côté de la précédente, acquise , en 1192,
de THÔtel-Dieu de Clermont.
Une maison donnée , en 1210, par Raoul de Henu.
Une maison donnée, en 1214, par Renaud et Régnier Vil-
lain.
Une autre maison située près du pont dormant du château,
donnée, en 1236, par Anselme Morpan , prévôt de Clermont.
Dix arpents et demi de vignes et vingt-une mines de terre
labourable, provenant de diverses donations et acquisitions, et
notamment des donations de Girard, clerc de Clermont (1189),
Eméline Morvilain (120-i), Raoul de Henu (1210), Renaud et
Régnier Villain (1211), Gorrède, chapelain de Saint-André (12IG),
Jean Buler (1216), Quentin Alutarius (1221), Jean Le Changier
(1246), Clément de Clermont (1268), Pierre de Saint-Just (1251),
Jean de Fay (1251), Jean des Maisons (1209), Laurent de Saint-
Lazare (1274), Pierre Floris (1275), Jean Leroy f1289).
Un canonicat dans la collégiale de Saint-André de Clermont ,
donné, versi:r)0, par Louis, duc de Bourbonnais, comle de
Clermont.
de Cemoy, en IdOO-, et Mathieu de Cernoy, seigneur de Cernoy et Erquin-
vllters , et Gérard d'Àthies , coseigneur de Cemoy et sire de Hoyencourt,
en 1457. Foalqnes de Paille et Gaillaume Petit, coseigneurs de Cemoy, en
firent autant en 1467. Cette seigneurie vint peu à près à Henri Lefèvre ,
qui la vendit , vers 1477, à Anlolne Dysome , secrétaire du roi. EUe Ait
possédée plus tard par la famille Doria, et Pierre Doria, seigneur de Cemoy,
la légua , en 1631, à son neveu François Des Friches , flts cadet d^Arthus
Des Friches , chevalier, seigneur de Brassease , et de Catherine Doria ,
à la condition , pour lui et ses descendants , de porter son nom et ses
armes.
François Des Frîches-Doria, chevalier, seigneur de Cemoy, Noei-
Saint-Nartin, Cayeax-en-Santerre, épousa, en 1646, Anne deNoreuil,
dont il eut François II Des Friches-Doria , écuyer, seigneur do Cayeux et
Cemoy. En 1780, cette terre était possédée par Ifarie-Margaerite-Franeois-
Flrmln Des Friches , comte Doria.
28 NOTICE
Comlé, — Cinq mines (1) de blé de rente sur la seigneurie
de Condé , données^ vers 1230, par Renaud de Condé (i\
Contoire (Somme), — Trois muids de blé de rente sur la terre
et seigneurie de Contoire et Héronval, donnés, au xnp siècle,
par Adam du Cardonnois.
Conneille, — Le Crocq, — Malanme. — La ferme de
Cormeille et celle de Malassise , maisons et terres de la conte-
nance de sept cent vingt-six arpents , sis aux territoires de
Cormeille et du Crocq, et cent quatre-vingts arpents de bois au
même lieu. Telle était, en ifiSI, retendue des possessions de
rabbaye en cet endroit.
(1) Ces cinq mines, mesure de Beauvais, faisaient trois mines trois,
quartiers à la mesure de Clermont , ce qui explique les différences que l'on
remarque dans les registres de comptes des cellerlers qui inscrivaient
tantôt à une mesure , tantôt à l'autre.
(2) La seigneurie de Condé était possédée , en liTO , par Bède de Condé ;
en l?20, par Pierre de Condé, qui donna à l'abbaye de Froldmont Unit
mines de blé de rente sur ses terres de Coquesale ; Renaud de Condé , son
frère , qui donna semblabiement cinq mines de blé de rente sur sa terre
de Condé, et Hugues de Condé. Henri de Condé , llls de Pierre ,lratifla ces
donations en li44 , et vendit sa terre de Condé à Jean de la Fromenterie,
bourgeois de Beauvais , qui passa litre nouvel de la rente de cinq mines
de blé en 1254 ; mais Jean . Robert et Pierre de Condé , Ûls d'Henri et de
Jeanne de Galonnel , flrent le retrait lignager de cette terre et rentrèrent
en possession de sa seigneurie. Jean de Condé est qualifié chevalier , sei-
gneur de Condé , en 1^78, et Robert, de même en 1315. Renaud de Condé,
éeuyer, seigneur dudit lieu , vivait en 1448 et 1459 , quand Marguerite de
Côndé , sa sœur , épouse sans enfants de Guy Boulate , éeuyer, partagea
ses.biens entre lui et Gilles de Gaudecbart , éeuyer , seigneur de Bacbi-
villers, Villotran. Il donna sa terre de Condé, vers U75, à Nicole de
Condé , sa fllle unique , qui la vendit , en 1484 , avec l'assenUment de Guy
de Micault, son mari, à Jean III Aubert, éeuyer, seigneur de Bury,
Fresnoy, Hincourt, Grocourt, Doudeauville , Boulavent et Molagnies,
bailli de Beauvais , et Guiliemette de Passeliers , sa femme.
Jean III Auberl mourut le 8 mai I50i, laissant deux enfants : Jean et
Péronne , dame de Boutavent , qui épousa en premières noces Jean de
la Place , avocat à Senlis , et en secondes noces No^l Le Bel , éeuyer,
seigneur de Fresnoy-en-Thelle.
Jean IV Aubert, éeuyer, seigneur de Condé, Hincourt, Renicourt,
SUR l'abbaye de froidmont. 29
En 1^00, Catlierine, comtesse de Clermont, et Louis de Cham-
pagne, comte de Blois, son mari, avaient donné ]a forêt de
Cormeille , terre et seigneurie , qui s'étendait entre Gormeille et
Le Grocq. Hugues d'OUancourt , Jean et Albin de Cormeille ,
Hanassès de Bulles , Thibault , comte de Clermont , Âmicie de
Molagnies , etc. , servit aa siège de Thérouanne , fit les gaerres da Mila-
nais , sous François I*' , et moarut le 21 février 1531 , après avoir eu sept
enfants de Jeanne de Caulatncoart , ^qa'il avait époasée en 1501 : Pierre ;
Guillaume, écuyer» seigneur de Choqueuse, Gremévillers, Polbay, Goulan-
court; Jean ; Marie , morte Jeune ; autre Marie y morte aussi jeune -, Marie ,
dame de Molagnies , Saint-Mannevieux , mariée en premières noces (1538}
à Antoine Mauquet, écuyer , seigneur d'Auteuil et du Melz , et en secondes
noces (1546) à Jean de la Roquette; N., mort jeune.
Pierre l" Aubert , écuyer , seigneur de Gondé , Hincourt et de Rocby ,
par acquisiUon en 1567, fut maire de Beauvais. Il épousa en premières
noces (1531) Adrienne Boileau , morte sans enfants en 1535 ; en secondes
noces (1536) Marguerite de Feuquières, qui mourut le 2^ août 1557,
après avoir eu quinze enfants : Claude , David , Marguerite , Marie , Fran-
çois, Pierre , Jérôme , Eustache, Marie, N., Nicolas, Marie, Françoise,
Marie et Antoinette ; et en troisièmes noces (1560) Jeanne Le Page , dont
il eut Pierre ; autre Pierre , seigneur de Rocby ; Anne , mariée à Toussaint
Poy ; et Jeanne qui épousa Jean de BiUery , seigneur de Monvault.
Claude Aubert , écuyer , seigneur de Gondé , mourut le ^ août 1592 ,
après avoir eu vingt enfants de Geneviève Le Bel , qu'il avait épousée
en 1565. Douze moururent jeunes, et ceux qui survécurent furent Pierre ,
Philippe, qui fut chanoine de Saint- Jean de la Rochelle ; Claude, religieux
à Froidmont; Jean, qui épousa (1616) Agnès de Mazille, dame de Rochy;
Daniel ; Louise, religieuse de Saint-François, à Beauvais ; Elisabeth, mariée
d*abord (1596) à François de ITsIe , puis (1611) à Antoine des Mulots ;
Geneviève, mariée (1608) à François deYendeuil, chevalier, seigneur
d'Aubigny, du Grocq et de Ronquerolles.
Pierre II Aubert, écuyer, seigneur de Gondé, Rochy, épousa, le
30 octobre I60d , Claude de Mailly.
Pierre II Aubert, écuyer, seigneur de Rochy, fils de Pierre I*' Aubert
et oncle du précédent, épousa en premières noces (1590) Antoinette
LeulUer, qui ne lui donna qu'un fils mort en naissant , et en secondes
noces (1^03) Blanche Auxcousteaux , dont il eut: Pierre, Charles, Elisa-
beth , mariée à Toussaint LeulUer , Anne , Pierre , Antoine , Claude ,
François , Catherine, et deux autres enfanls morts en naissant
Pierre III Aubert , écuyer , seigneur de Rochy, lieutenant^générai de
30 Notice
Breleuil, Godefroi du Chàlei, augmenlèrent considérablement ce
domaine par leurs donations, en 1206 , 1208 , 1218 , 1221 , 1227.
Hugues de Dargies vendit à Tabbaye, en 1237, le bois dit de
Tessart Chrétien {essartum Christiani)^ sis entre le bois du
Gantel et la baie anglaise, vers Blancfossé, et, en 1239, le bois
Ger^eroy, moarat le 10 septembre 1663 , marié (1621) à Marie Ricard ,
dont il eat: Pierre, chanoine de Gerberoy, de Beauvai$, pais religieux
bénédictin et enûn trappiste ; Madeleine , Raoul , François , Raoul , Jean-
yarie , tous morts en bas âge ; Louis , avocat , mort en 1663 ; Henri ,
chanoine, mort en odeur de sainteté; Marie, qui épousa (1656) Louis
Fomberl ; Marie-Anne ; Elisabeth.
Pierre II Aubert , seigneur de Condé , étant mort en 1631 , sans enfants
de Claude de Mailly ; Philippe Aubert , son frère , hérita de la seigneurie
de Condé et la donna , en I6iî , à Charles de Vendeuil , son neveu , issu
du mariage de Geneviève Aubert avec François de Vendeuil , seigneur du
Crocq.
Charles de Vendeuil , écuyer, seigneur du Crocq et de Coi\dé , épousa
Marie de Carvoisin et la laissa veuve avec deux garçons , Thimoléon et
Alexandre, qui fut seigneur de Torcy et lieutenant de cavalerie. Elle se re-
maria avec François du Mesnil-Jourdain , écuyer. seigneur de Bercagny;
qui fut condamné , avec sa femme , à passer titre nouvel à l'abbaye de
Froidmont de ia rente de cinq mines de t>lé de rente , en 166^.
Thimoléon de Vendeuil, seigneur de Gondé, en passa titre nouvel en
166.5 ; il venait d'atteindre sa majorité. Il vendit sa terre de Condé , vers
1680, à Louis de Béchameil, seigneur de Nolntel.
Louis de Béchameil , seigneur de Nolntel et Condé , mourut en 1703 ,
laissant quatre enfants de Marguerite Colbert, sa femme : Louis, Adrien,
Madeleine et Marie-Louise.
Louis II de Béchameil, marquis de Nolntel, seigneur de Condé, conseiller
d'Etat, mourut en 1758, après avoir épousé , en 1679, Madeleine-Hyacinthe
Le Ragois de Bretonvillers , dont il eut : l* Louis-Claude ; s* Hyacinthe-
Louis , seigneur de NoyeUes , mort en 1748 -, 3« Hyacinthe-Sophie, mariée,
en 1708, à Charles-Auguste d'AUonvilte ; 4* Anne-Julie, mariée, en 1718,
à Louis-Joseph , comte de Madaiilan ; 5* Rose-Elisabeth ; 6* Françoise-
Martine ; 7» Thérèse-Emilie ; 8» Claire-Eugénie , toutes quatre reli-
gieuses.
Louis-Claude de Béchameil, marquis de Nointel, seigneur de Condé.
NoyeUes, intendant de Clermont, puis de Soissons, épousa, en 1710,
Angélique-Elisabeth Rouillé , d«nt : Louis-Claude , capitaine au régiment ,
colonet-général-cavalerie , Catherme, Marguerite et Louise-Elisabelb.
SUR l'abbaye de ^roidmont. 31
de laKoselière (Rosière) et trenle-un journaux de Cerre. Albin de
Gormelile lui vendit aussi , en 1^6 , 1237, 1212 , plusieurs pièces
de terre, sises au puit des Loges du Val beauvolsin , au champ
Saint-Martin et au vallon du Ply , et Godefroi de la Gliapello
vingt-six journaux au même territoire.
Le 21 mars 1656, Tabbaye céda, par échange, contre diverses
portions de la seigneurie de Bailleul-sur-Thérain , la majeure
partie de sa terre et seigneurie de Gormeiiles , à Louis de Ven-
deuil , seigneur en partie de Heiily et la Motelette (Bailleul-sur-
Thérain), et en 4660, elle vendit la ferme de Malassise au prési-
dent de Barentin , seigneur dliardivillers. Ge dernier échangea
aussitôt (4 juillet 1660) cette ferme avec M. de Vendeuil, à la
réserve de 38 journaux de terre.
Louis de Vendeuil, qui venait encore d'acquérir la ferme de la
Quennotaye de Tabbaye de Breteuil, construisit un chÀteau dans
le village du Grocq, qui n'était alors qu'un hameau de la pa-
roisse de Gormeille, y fit édifier une chapelle et obtint, en 1661,
son érection en cure. Louis de Vendeuil, maréchal de (^amp
et lieutenant pour le roi à Doullens, seigneur de Gormeille et du
Grocq, laissa ces terres à Thimoléon de Vendeuil, seigneur de
Condé, son neveu, qui les vendit à Philippe-Antoine de Gueuluy
de Rumigny.
M. de Rumigny, seigneur ainsi de Gormeille et du Grocq, donna
ses terres aux trois fils issus de son mariage avec Marie-Made-
leine de Bragelongne : Philippe-Maximilien de Gueuluy de Ru-
migny, qui fut qualité seigneur du Crocq et de Gormeille; Louis
de Gueuluy de Malassise , lieutenant au régiment de Poitou , et
Philippe de Gueuluy de La Quennotaye, lieutenant au corps royal
d'artillerie; mais M^^** de Lussan , abbé commendataire de Froid-
mont, racheta, en 1765, les deux tiers de la seigneurie de Gor-
meille avec les bois de la Roselière, de Malassise, du Gantel et
du Planton.
Quand la nation vendit, en 1701, les biens ecclésiastiques,
l'abbaye de Froidmont possédait à Gormeille un moulin à vent,
un pressoir et 256 journaux de terre.
Cyoudun, — Douze livres parisis de rente sur les cens ûe
Goudun, données, en 1233, par Jean, chevalier, seigneur de
Goudun. Gette rente n'existait plus en 1521.
Dom front, — Un muid de blé de rente sur la terre de Dom-
32 NOTICE
front, donné, en Jââ4, par Mathieu, chevalier, seigneur de
Morisel et Domfront (J).
Ebeillaux ei m\tu\ Béliaux [Breteuil), — La terre et sei-
gneurie d'Ëbeillaux se composait d'un corps de logis et dépen-
dances de 70 arpents de terre labourable et 40 arpents de bois ,
et de divers cens.
En 1210, Amicie, dame de Breteuil, avait donné à Fabbayede
Froidmont la terre d'Ëbeillaux et son bois de la Commune.
Renaud de Dargies lui donna 20 arpents de bois en 1246 ; Simon
de Dargies , son père (1246), 0 arpents de terre au même lieu, et
Guillaume de Beausault, seigneur de Breteuil, 20 journaux de
bois, en 1247. Ce domaine, accru par diverses acquisitions, fut
vendu par Tabbaye, en 1660, avec la ferme de Malassise, à
Jacques-Honoré de Barentin , seigneur d'Hardivillers.
Erquinvillers. = — Un muid de blé de rente sur la terre d'Er-
quinvillers, donné, en 1244, par Jean de Valescourt , cheva-
lier.
Fay-sous-Bois (Saint-Félix), — Deux maisons, dont une
acquise, en 1243, d'Odon de Buisencourt, et l'autre, en 1306, de
l'Hôtel-Dieu de Beauvais. — Douze arpents de terre et bois, pro-
venant entre autres des donations de Pierre de Milly (1200) , de
Jean de Villers (1229), d'Alelme, maire de Saint-Félix (1231), de
(1) Les possessears de la seigneurie de Donirront qui servirent cette
rente furent, en 1441, Guillaume de Lignières , marié à Jeanne de Lameth ;
en 1501 , Antoine de Lignières , puis Pierre de Lignières , chanoine de
Noyon , qui donna sa seigneurie de Domfronl à François de W^alon , son
neveu. Celui-ci étant mort sans enfant la légua à Marguerite de Walon ,
sa sœur, qui avait épousé , en 1512, Claude d'Ainval (d'argent , au chef
emmanché de gueules , à la bande d'azur accompagnée de deux coHces
de même brochant si^r le tout). Elle eut de son mariage Pierre , Jérôme
et Adrien. — Pierre d'Ain val , seigneur de Domfront , Langle et Filescamp,
épousa, en 1537, Jeanne Le Forestier, dont il eut Robert, Gilles, Isabeau,
Marguerite , Marie et autre Marguerite , et en secondes noces , Madeleine
d'Amerval , dont il eut Barbe d'Ainval. — Robert d'Ainval , seigneur de
Domfront , épousa , en 1570 , Anne de Hangest , dont il eut Lazare, Gilles ,
Françoise , Marthe , Jacqueline et Isabeau d'Ainval. — Une autre partie de
la seigneurie de Domfront était possédée par la maison de Hangest ,
seigneur de Dompierre.
iiUR L ABBAYE DE FROIDMOM. 55
Bealrix de Buisencourt (J239;, de Pierre Floris HiiO) , de Marie
de Warty (1280), et de diverses acquisitions. — La seigneurie
d'une partie du territoire de Fay, par donation de Pierre et
Gervais de Milly (ifOO, 1230;, de Guy et Jean d'A tain ville (1213,
12i3, (I). ~ Le tief de Buisencourt, acquis, en 12i3, d'Odon de
Buisencourt. — Le fief de la Mairie, auquis par échange, en 1519,
de Jean de Maricourl , seigneur de Mouchy-le-Chàtel. — Des
cens.
Filer val i^Tàury- soius-Clermont, — Un muid de vin de rente
sur la terre et seigneurie de Filerval , donné par le seigneur
dudlt lieu. Guillaume deCramoisy, seigneur deFilerval^ en passa
(i) La seigneurie de Fay-sous-Bois appartenait , aa commencement du
xiir siècle, à Pierre de Miliy et Guy d'Atainville , qui en donnèrent une
partie à l'abbaye de Froidmont , tout en s'en réservant une portion. Guy
d'ACainville eut pour successeur Jean d'Atainville , son flls. — Pierre de
Milly eut pour flls et successeur Gervais de Milly, qui céda , en 1935 , à
l'abbaye de Froidmont la seigneurie des terres qu'elle avait acquises
d'Ansold et V^Targnier de Mellain , d'Ernault Mainfroid et d'Eremburge la
Bouchère. Le flls de Gervais , Pierre II de Milly, conflrma, en 1269, avec
Catherine, sa femme , les terres acquises par l'abbaye dans retendue de
son Uef de Fay-sous-Bois. Adrien de Milly, chevalier, seigneur du Fay,
mourut avant 1906 , époque à laquelle Marie de V^arty , se disant sa
veuve , avec Jean et Guillaume de Milly , ses enfants , donna à l'abbaye
deux mines de vignes , sises à Fay-sous-Bois.
En 1(178 , N. Le Bossu de BrunvlUers et Gilles de Fay, seigneur de
Fercourt et Châteaurouge , donnèrent saisine à Tabbaye de Froidmont,
comme possesseurs d'une partie de la seigneurie de Fay-sous-Bois.
Gilles Luillier et Jean du Mesnil en faisaient autant en 1464 et 1500.
Jeanne Luillier, lllle de Gilles et de Catherine de Brathecourt, sa première
femme , apporta sa portion de la seigneurie de Fay à Guillaume Danvet ,
seigneur de Clagny , son époux. Leur fllle , Geneviève Dauvet , Teut en
dot eh épousant , en 1516 , Jean III de Monceaux . seigneur d'Hodenc-en-
Bray. Jean de Monceaux la donna à François de Monceaux , son troisième
flls , chevalier , seigneur d'Hanvoiles et de Saint-Samson. Guy de Mon-
ceaux , flls de ce dernier , la laissa à Gabriel de Monceaux , son chiquième
flls , qui épousa Adrienne de Yillepoix , fllle d'Anne , seigneur de Saint-
FéUx. En 1637, Gabriel de Monceaux partagea sa terre de Fay entre Louis
et Henri, ses deux premiers enfants ; mais Louis étant mort en 1673, sans
laisser de postérité, Henri, son frère, hérita de lui et devint seul pos-
T. VIII. 3
34 NOTICE
titre nouvel en i30;i; HegnauU de Corbie, en 1468; Jean de
Noyon, en 1508 ; Jean de Durand , en 1558 (1).
FitZ'James. — Dix-sept arpents de pré, donnés par les
seigneurs de Warty et par Jean Desviers. La nation les vendit,
en 1790, 8,350 livres.
FournivaL — Trois muids de grains de rente sur la terre et
sesseur de ce aom de leur seigneorie de Fay. Il la vendit , en 1688 , à
Adrien Fromentin , receveur du grenier à sel de Beauvais , et celui-ci la
céda, vers I7i5, à David de Seton. Louis de Seton , son fils, la laissa en
héritage à Simon Chaperon de Saint-André de Femanville , son neveu ,
vers 1750.
Indépendamment de ces fiefs, il en existait encore plusieurs autres
possédés par divers seigneurs ; puisque nous trouvons des saisines
données à l'abbaye, en 1519 , par Guillaume du Mast ; en 1530, par Robert
de Mailly, seigneur de Siliy, Auxmarais ; en 1530 , par Jean de Gouy,
seigneur de Ponceaux , Nonlreuil-sur-Brôche , qui se qualifient seigneurs
de Fay-sous-Bois dans ces actes.
(1) La seigneurie de FUerval était possédée , en 136H , par Guillaume de
Cramoisy. et celle de Thury, en 1380 , par Barthélémy de Tbury ; en 1316,
par GuiUaume de Thury ; en 1363 , par Gosset de Thury. Arnaud de Gorbie,
chancelier de France en 1388 , et seigneur de Joigny, acquit les terres
de Thury , Filerval , Auneuil et du Becquet-Saint-Paul , sur la fin du
XIV* siècle , et les donna en mourant a4l3) à Jean et Arnaud de Corbie ,
ses neveux , fils de Thomas de Gorbie et de Marguerite de Grésecques.
Arnaud II de Gorbie eut Auneuil , Thury et Filerval. Il fut grand panetier
du roi Charles YI etn'eut pas d'enfants de N. de Groy, qu il épousa en 1409.
Il eut cependant un fils naturel, Regnault de Gorbie, à qui il laissa toutes
ses terres , et que Jean de Corbie , évéque d'Auxerre , son frère , insUtua
son héritier. Regnault I*' de Gorbie, seigneur de Filerval , GourceUes , le
Becqnet, donna ces seigneuries à Regnault II de Corbie, son fils, en 1461.
Celui-ci épousa Jeanne de Saint-Gler , dont il eut trois filles : Jeanne ,
qui épousa Louis du Plessis , seigneur de Foines ; autre Jeanne , mariée
à Jean de L'Esptaïay, et Marguerite, femme de Jean de Noyon. Elles firent
toutes trois les fol et hommage pour le fief de Filerval , au comte de
Glermont , le 8 décembre 1483 ; mais Marguerite et Jean de Noyon , son
mari , en restèrent seuls possesseurs et le vendirent , vers 1530 , à Claude
de Durand , chevalier , favori du roi François I*', auprès duquel il fut fait
prisonnier à la bataille de Pavie.
Claude de Durand (de sable, à s chevrons (targent, à la fasce de mimei,
SUR L'aBBAYB DB FROIDMONT. 35
seigneurie de FourDival, donnés, en 118», par Barthélémy de
Fournival, sénéchal de Bulles, et ratifiés, en 1190, par Drogon
de Bulles , fils du donateur.
Francastel. — Quatorze mines de blé de rente sur 42 jour-
naux de terre , sis au terroir de Francastel , données , en 1246 ,
par Pierre , chevalier, seigneur de Jumelles.
Gieticourt {BrevÂl-le-Vert. — Deux muids de vin de rente
sur les fiefs de Fouquerolles et de Garbonnel , sis à Giencourt.
seigneur de Filervai et Thury , avait épousé, en 1521, Anne de la Fontaine,
dont il eut Jean de Durand , qui épousa, en 1567 , Charlotte de Meaune ,
et mourut en 1580 , après avoir eu quatre enfants : Odet , Isaac, seigneur
de Dury-Saint-Ciaude , Anne et Marie.
Odet de Durand , seigneur de Thury et Filervai , capitaine d*hommes
d'armes sous les ordres du prince de Condé , épousa , en 1589 , Marie
Le Père, dont il eut . François , Claude, seigneur de Dury»Saint*Glaude ,
Marie, Espérance , Louise et Marthe. •
François de Durand, seigneur de Thury, Filervai, lieutenant de la
compagnie des gardes du prince de Condé et capitaine de ses véneries ,
épousa, vers 1621 , Madeleine de Vignole, dont U eut : Henri, Louis ,
autre Louis , Louise, Marie, Madeleine.
Henri de Durand , maréchal-général de la cavalerie légère de l'armée de
Catalogne , épousa , en 1661 , Françoise Le Rouge et mourut en 1680 , ne
laissant qu'un flls, Joseph de Durand , qui fut capitaine au régiment de
Champagne. Françoise Le Rouge vendit la terre de Thury , pendant la
minorité de son flls , en 1681, à Jacques Delhommeau.
Le fils du nouveau soigneur de Thury , François Delhommeau, qui était
avocat général des eaux et forêts de France , vendit sa seigneurie de
Thury et Filervai à Jean-Dominique Gassini , astronome célèbre , appelé
en France par Louis XIV. Il avait épousé , en 1673 , Geneviève DeUttre
qui lui donna un fils , Jacques Cassini , astronome non moins distingué
que son père. Jacques Gassini , seigneur de Thury et Filervai , mourut le
15 avril 1756 , laissant ses seigneuries à César-François Cassini de Thury,
son flls , membre de l'académie des Sciences, qui commença les premiers
travaux de hi carte de France dite de Gassini, et mourut en 1784. Jacques-
Dominique , comte de Cassini , directeur générai de l'Observatoire de
Paris , membre de 1 Académie des Sciences , son fils, termina la carte de
France , commencée par son père , et mourut en 1845. Il avait eu pour
flls Henri GassUdi , botaniste distingué , membre aussi de l'Académie des
Sciences , mort du choléra en 1832.
56 NOTIGB
Kegnauld de Soisy en passa titre nouvel en 135a, et sa veuve,
Jeanne de RonqueroUes . dame de Sailleville, en 1364.
Godenvillers. — Un muid de blé de rente sur les dîmes du
lieu , donné par Raoul de Ferrières en 1200.
Gouy {NoyerS'Saint-Martin). — Une ferme, avec chapelle et
5^2 journaux de terre. La nation la vendit , en 1790 , 292,100
livres, à Pierre de Fiers et Pierre Pillon. Cette ferme doit son
origine à la donation du territoire de Gouy par Baudoin de
Fournival (1134) ; Ugerius de Noyers et Payen, son frère (lir)6);
Ascelin de la Cengle (1180). Bérenger de Noyers y ajouta 12 mines
devant la porte de la ferme, en 1189; Pierre de Montataire, une
autre pièce, en 1202; Jean de la Cengle, chevalier, seigneur de
Thieux, les 60 mines du Champ- André, en 1208. Diverses acqui-
sitions raugmentèrent encore; ainsi l'abbaye acquit, en 1238,
de Guillaume, maire de Quèvremont, trois mines et demie de
terre; quatre mines sous le bois de Parmont, de Robert, Gautier
et Eremburge de Quëvremont; cinq mines, sous le bois Rohard,
de Garnier de Quèvremont ; cinq mines , au même lieu , de
Pierre Caigne; cinq mines, au même lieu, d'Houdiard de Què-
vremont; trois mines, au même lieu, d'Odeline de Quèvremont
et Pierre , son fils ; neuf mines , au même lieu , de Pierre Brunel,
de t^uèvremont ; en 1239 , quatre mines et demie, de Raoul de
Brunvillers et Odeline de Quèvremont, sa femme; le bois Rohard
contenant 20 arpents et demi, et vingt-quatre mines de la terre
des Landes, de Pierre de Quèvremont , écuyer; trois arpents de
bois contigus au bois Rohard et vingt-quatre mines de la terre
des Landes ; de Mathieu et Eustache de la Motte, neveux de
Werre de Quèvremont, et d'Isabelle de Quèvremont, leur mère;
quatre mines ; lieudit la vallée Corneloie , de Jean Brunel , de
Noyers ; — en 1242, le bois de Parmout, contenant 32 arpents ,
de Mathieu et Eustache de la Motte; — en 1264, 40 arpents du
bois dit du Champ au Puit {campus ad puteum), sis entre Gouy
et Quèvremont, d'Ada de Quèvremont, veuve d'Arnoult du
Quesnel.
iirand vallée {Not/ers-Saint- Martin}. — Une ferme, conte-
nant 381 mines de terre labourable. Cette ferme, située entre
celle de Gouy et celle de la Borde-Mauregard , fut formée à
leurs dépens. Elle doit son origine aux mêmes donations ou
acquisitions qu'elles.
SUR L ABBAYE DE FBOtDMONT. 37
En outre de ces deux grandes fermes, Tabbaye de Froldmont
possédait, au territoire de Noyers, le bois des Landes, sis au
sud de Gouy et contenant 43 arpents ; le bois de la Vallée Cor-
nette, contenant 18 arpents , et le bois des Cailloux , contenant
28 arpents , tous deux situés au midi de la ferme de Grand vallée ;
le bois du Grand-Perreux, contenant 27 arpents et le bois du Petit-
Ferreux, contenant 22 arpents, sis entre Grandvallée et Gouy.
De plus elle avait la seigneurie de la plupart de ses terres ,
donnée par Baudouin de Fournival en 113i; Robert et Jean de
Conti , seigneurs de Bulles, en 1208 et 1229 ; Pierre de Quèvre-
mont, Mathieu de la Motte, Baudoin de Fleuil et Guillaume de
Valescourt, en 1238, 1239, 1242; Raoul de Gaudechart pour
Helvide , sa femme , en 126i.
Grandmesnil autrefois Grosmesnil (Campremy). — Une
ferme, qui fut vendue, par la nation en 1790, avec 700 journaux
de terre en dépendant , à Charles Meurine, pour 503,600 livres.
Les religieux de Froidmont fondèrent celte Grange^ en 1142,
aussitôt que le chevalier Odon de Gromesnil leur eut donné toute
sa terre de ce lieu. Aymond Faget ajouta une autre partie du
territoire , et Oger de Wavignies , Pierre de la Tournelle, Raoul
de Bucamp et ses frères, et Arnoult de Campremy abandonnèrent
tous les droits de seigneurie et autres qu'ils pouvaient avoir sur
ce territoire , en 12.')<>. Ce domaine déjà considérable s'accrut
encore par la donation du bois de Yesomesnil , en 1179, par
Gautier le jeune , seigneur de Mouy ; d'un demi-muid de terre
par Goscion et Contran de Gromesnil (1181); de quatre muids de
terre par Foulques du Quesnel (1186); des bois de Grosselve et
du Cornillet par Hugues de Wavignies et Aubry, seigneur du
Quesnel (1191); de la terre de Beaufay par Ermengarde de Bre-
teuil (1193); des terres sises entre Grandmesnil et la vallée, vers
Wavignies , par Odon Faget (1193) ; de quatre mines de terre par
Hugues de Gournay (1197) ; des bois de Beaufay , de Bus Mesnart,
et Grosselve en partie, par Baudoin, chevalier, seigneur de
VVavignies (1202); de 26 mines déterre, lieudit Vesomesnil, par
Hugues, clerc de Sauqueuses (1203) ; de la vallée de Saint-Nicolas
par Raoul de Campremy (1205); des droits seigneuriaux du terri-
toire de Vesomesnil par Drogon de Mouy, et Ansold, seigneur de
Ronquerolles (1208); des terres du Bois dame Ermain, du Bois
Nicholet et du Bois Richard, dans la vallée Saint- Nicolas, par
38 IfOTIGB
Thoma» de Wavignies, Odon de Bury Houdiarde, sa femme, et
Werric de Wavignies, soq fils , (i227, 1230, 1235 . ; du bois Bouvète
et des terres adjacentes par Pierre de Brunvillers, TliibauUFaget
et Werric, seigneur de Wavignies (1214-1235); des terres du
Mont-Tiilo)' par Pierre Sorel de Paillart , Erard de Campremy
(1232-1236) ; de plusieurs terres par Jean , Grégoire et Golard de
Campremy (1232, 1243, 1251). Tous les seigneurs du voisinage
rivalisaient de générosité pour doter la grange de Grand-
mesnil
Haudivillers, — Quarante-six mines de terre, faisant partie
de la ferme de Mauregard, étaient sur le territoire d'Haudi-
villers.
Hondainville. — Quatre mines de blé de rente sur le moulin
d'Hondainville. — Deux muidsde vin sur des vignes à Hondain-
ville, donnés, en 12i8, par Eustache de Hez, partant pour la
croisade.
La Borde-Hérelle (Sains-MorainviUers), — Une ferme, cons-
truite sur un enclos de deux arpents, faisait valoir 2i6 journaux
de terre labourable et 10 journaux de bois en 1521. La nation
la vendit, en 1790, pour 30i journaux de terre et bois, la somme
de 58,200 livres, à Henri-Charles-Antoine Rousselin, receveur
de l'enregistrement à Breteuil.
En 1189 et 1190, Ascelin de la Cengle, chevalier, seigneur de
Gannes, et Arnoult, chevalier, seigneur deMontigny, donnèrent
à Tabbaye de Froidmont leur bois d'Alovller, sis entre Longbus,
Morainvillers et Laliérelle, pour le défricher {ad dirumpendmn).
Les religieux se mirent à Tœuvre et y fondèrent un établissement
agricole, une grange. Hugues de Longbus, Jean , avoué d'Haris-
sart, et Raoul de Montigny, tous chevaliers , renoncèrent à tous
leurs droits de seigneurie sur les terres de cette grange par actes
de 1229, 1251 et 1253. Arnoult de Longbus, fils de Hugues, donna
à son tour, en 1248, tout le bois Fourrais, sis entre les terres de
la grange de La Borde et le bols Borrel , et ses sœurs Marie et
Gila de Longbus, 108 mines de terre entre Longbus et Gannes,
en 1250 , pour augmenter le domaine de cette ferme. Ce devait
être une belle exploitation.
La Borde-Manregard {ReuH -sur- Brèche). — Une ferme con-
tenant, en 1521, 480 mines de terre et vendue par la nation,
enITîM), pour la même contenance, 102,300 livres, à Pierre-
SDB l'abbatk de froidmont. 39
Claude Plllon , laboureur à Rémérangles. Elle doit son origine à
la donation de la terre du Mesnil par Mathieu de Thérines (1157),
Garnier, Hugues et Henri de Braichoil (Bracheux) (4193), et Adé-
laïde, Marguerite et Mathilde, filles de Barthélémy de Fournival
(1200).
En outre l'abbaye possédait , au même Heu , le bois du Puit-
du-Festel , contenant 62 arpents; le bols de la Corne , contenant
106 arpents; le bois de la Chaussée, contenant 47 arpents; le
bols du Souillard ou du chemin d'Habert, contenant 32 arpents
et demi, et le bois du Mesnil, contenant 36 arpents 22 verges.
Mauregard (RmU-sur- Brèche), — La terre et seigneurie de
Mauregard consistant, en 11521, en une maison, chapelle et bâ-
timentè d'exploitation , assis sur 14 arpents d'herbage, 600 ar-
pents de terre labourable et larris , 80 arpents de bois taillis et
24 arpents de haute futaie du bois de la Forestelle ou de la Petite
Forêt. Quand la nation Taliéna, en 1790, elle fut vendue pour
600 mines de terre labourable et 300 mines de friches, avec un
moulin k vent bâti dessus, 150,600 livres.
C'était jadis une des plus belles granges du monastère. Elle
doit son origine à la donation du territoire de Mauregard ,
en 1147, par Sagalon de Gerberoy et Simon de Sailly. Mathieu
de la Cengle y ajouta , en 1151 , la terre de la Péreuse ; Galeran
de Breteuil , en 1153 , la terre du Champ-Saint-Martin; Haimeric
de Reuil (1159) tout ce qui lui appartenait en terre et bois entre
Gouy, Mauregard et La Borde, et le bois situé de l'autre côté de
la Brèche; Baudoin de Saint- Just (1150) sa part dans les mêmes
terres; Gautier de Noirémont (1173) trente-deux mines de terre;
Renaud Waignart de Noyers et Mabilie, sa sœur (1234) 20 mines ;
Henri Tricherie de Ponceaux (1239) 24 mines entre Mauregard et
Gouy. En 1265, Pétronille de Songeons, du consentement de
Pierre , dit Kanivet de Fouquerolles , écuyer , son mari , et de
Gautier de Songeons, son frère, vendit au monastère son bois
de Klemui , contenant 55 arpents , sis auprès du Haut-Bois de
Mauregard ; Guillaume Boivin, de Reuil, et Pierre DoHer vendirent
aussi plusieurs pièces de terre au même lieu en 1268.
Cette grande ferme fut amoindrie, en 4497 , par la distraction
de 102 mines de terre labourable , 42 arpents de bois et 3 mines
de pré. L'abbaye les céda avec une masure tenant au corps de
ferme de Mauregard , sur laquelle elle lit édifier une maison et
40 NOTICE
des bâtiments d'exploitation, à Jean du Mesnil et Blanche de
Mercastel, sa femme, seigneurs de Bailleul-sur-Thérain , en
échange du fief de la Motte , sis audit Bailleul.
Dès 1458, celte ferme paraissant trop vaste à exploiter, les re-
ligieux l'avaient divisée en deux parties. Tune dite ferme deMau-
regard , l'autre dite du Camp-Coutant. Cette dernière eut d'abord
ses bâtiments d'exploitation à Mauregard même, dans la ferme
dudit lieu; mais ce voisinage suscitant souvent des difficultés ,
les religieux firent construire la ferme du Camp-Coutant entre
F*a Borde et Mauregard, au commencement du xvi« siècle. Un
incendie la détruisit le 16 mai 1682 et le fermier résida depuis,
comme autrefois, à Mauregard.
Il est intéressant de remarquer comme les propriétés des mo-
nastères étaient réunies pour former de grands groupes agricoles,
de surveillance facile et favorables à la bonne administration.
Ainsi l'abbaye de Froidmont possédait entre Reuil, Montreuil-
sur-Brèche, Noyers et Noirémont les fermes de Mauregard , du
Camp-Coutant, de La Borde, de Grandvallée, de Gouy et de
Moimont. Toutes se touchaient et formaient une immense exploi-
tation , divisée jadis en deux vastes granges, la grange de Gouy
et la grange de Mauregard, où séjournaient les religieux et les
convers, et plus récemment subdivisée en six fermes , quand
l'abbaye ne pût plus la faire valoir par elle-même.
Un autre groupe se composant des fermes d'Ivry, de LaBorde-
Hérelle et de La Fosse-Thibault, était situé entre Morainvillers,
Cannes , Brunvillers et Plainval.
La Fosse- Thibault p/ainval), — L'ne ferme consistant, en
iri21 , en une maison, chapelle et bâtiments, assis sur 18 jour-
naux d'enclos et 918 journaux de terre, bois et friches.
Celle ferme doit son origine h la donation par Ascelin de la
Cengle, seigneur deGannes, delà terre d'Hombleneuse en 11 iO.
Elle prit un accroissement considérable par les donations d'Odon,
dit Gauche de Leu, de Montigny (1i84); d'Odon de Brunvillers ,
chevalier (1186); d'Ascelin de Plainval (1187); de Renaud, Pierre
et Ebroïn d'Ansauvillers (1186); d'Holdeburge de Catillon, sœur
d'Ascelin de Plainval, et Renaud Hinart , son fils (1192) ; d'Yves
de Brunvillers (1200); de Robert de Sains (1220); de Claire de
Ouinquempoix (1228); de Raoul, Guy et Énguerran de Brun-
villers (1237), et par une foule d'acquisitions.
SUR l'aRBAVR de PROIDMOM. 41
Les seigneurs de Cannes ,i), de Brunvillers râ), de Plainval f3)
(1) La seigneurie de Cannes était possédée, en 1130, par Hugues de la
Cengle, qui fut père d'Ascelin, Raoul, Mathieu, Odon, Habert, Hugues
et Hescie.
Ascelin de la Cengle , chevalier, seigneur de Gannes , flt de nombreuses
donations à l'abbaye de Froidmont , et fut père de Jean , Simon , Hugues ,
Pierre, Osmond, Hubert, Odon, Marie, Em^line et Agnès.
Raoul de la Cengle , qui donna , à l'abbaye de Beaupré , sa terre et son
bols de Marseille en 1168, eut pour enfants MHon, Baudoin, Yerric ,
Marie, qui épousa Robert de Gernoy, Agnès , mariée à Jean de Fontaines.
Helvide et Alix. *
Odon de la Cengle fut père de Hugues et Godefroi.
Hubert fut père de Mathieu, qui donna à l'abbaye de Froidmont la tprre
de la Pereuse et la justice de Mauregard , et d'Ada.
Odon de la Cengle de Gannes , fils d'Ascelin, fut père de Simon , Guil-
laume .. Hervée et Odon.
Jean de la Cengle, nis aîné d'Ascelin, se quaiiflait seigneur de Gannes
en Iîa7.
Jean, dit Hervils, est aussi quallflé seigneur de Gannes en i2^l, ainsi
que Dreux et Oudard de Gannes en 1320. Peu après, en 1140, la sei-
gneurie de Gannes appartenait a Surian d'Esquennes , troisième (Ils de
Mathieu d'Esquennes. Il épousa Peronne de Prestes , dont il n'eut pas
d'enfants, et donna sa terre de Gannes à Pierre d'Esquennes , son neveu,
fils de Robert et de Marie de Sains. Pierre d'Esquennes, seigneur de Gannes,
était frère de Robert d'Esquennes, abbé de Saint-Lucien. Il épousa
Marie de Qninquempoix, dont il n'eut pas d'enfants, et vivait avec elle
en 1411.
Leur château était situé près de Blin, et dans la suite leurs successeurs
prirent la qualincation de seigneur de Blln.
(2) Les seigneurs de Brunvillers furent, en IPO, Haimard de Brun-
villers , qui fut père de Pierre , Odon , Walon , Jean , Raoul et Yves.
Pierre de Brunvillers , chevalier , seigneur dudit lieu , qui flt plusieurs
donations à l'abbaye de Froidmont, fut père d'Enguerran de Brunvillers
qui vendit deux pièces de terre, en 1344, à la même abbaye. Il était
mort , en lM9 , quand ses flls Pierre et Raoul donnèrent à cette abbaye
leur terre, sise auprès du bois de Gonastre. Ses autres flls étaient Jean,
Guy et Enguerran.
(3) Les seigneurs de Plainval , à cette môme époque , étaient : Godefroi
de Plainval, vivant en 1119; Haimeric de Plainval, chevalier, en 1156.
qui fut père d'Ascelin. Gautier, Odon, Baudoin, Raoul, seigneur de Sains-,
42 NOTICE
et de Sains (1) firent l'abandon de leura droits seigneuriaux sur
ces terres , et l'abbaye en eut ainsi la justice et la seigneurie.
La Fraye, — La seigneurie du lieu et iâO arpents de terre ,
faisant partie de la ferme de Mauregard , par donation de Sagalon
de Gerberoy et des vidâmes Pierre et Hélye.
La Neuville-en-Hez. — En outre de la partie de la forêt de
Hez, que Raoul , comte de Clermont, et le roi Pbiiippe-Auguste
avaient donnée, et dont nous avons parlé èi Hermès, l'abbaye
de Froidmont possédait jadis à La Neuville-en-Hez quelques
cens et droits féodaux que lui avait donnés Baudoin de Fournival
en t22i , et une maison donnée, en 4457 , par Gautier, chapelain
dudit lieu. Cette maison était déjà aliénée en ^lOi.
/.a Rue-Saint-Pierre, — La moitié de la dîme des fiefs
Courlieu et Niquet, donnée, en 122i, par Baudoin de Fournival
et Jean d'Aux Marais, de qui ces fiefs étaient tenus en mouvance,
et douze mines de terre , acquises par échange , en i533 , de
Pierre de la Brelonnière , chevalier, seigneur de Warty.
La Verrière {Saint-Félix), — L-ne ferme, jadis grange, ayant
et Holdeburge, qui épousa Ursion de CatUion, dont Renaud, ditHtnart,
Mathieu e^ Matbiide.
Ascelin de Plainval, cDevalier, donna une parUe du bois de Légniviler
à l'abbaye de Froidmont en 1187.
Gautier de Plainval, chevalier, se croisa en 1236. Il avait épousé
Elvide , dont il eut Jacques , seigneur de Plainval , qui se cfoisa en 1U8
et mourut en Terre-Sainte ; Raoul , religieux à Froidmont ; Nivelon , sei-
gneur de Quini|uempoix et Saint-Reml-en-l'Eau, qui épousa Eméllne, dont
il eut Raoul , Pierre , Jean et Marguerite , et Walon, qui se croisa aussi.
Odon de Plainval était mort en 1200.
Baudoin de Plainval {domicellus) fut père de Barthélémy, GauUer et
Jacques.
(I) La seigneurie de Sains (^tait posst^iiée, en 1183, par Osmond de
Sains, qui donna deux muids de blé de rente sur sa grange de Sains à
l'abbaye de Froidmont. Il eut de Cécile , sa femme, entre autres enfants,
Raoul, seigneur de Sains, en 1283; Guillaume, qui se croisa en 1^04 ;
Girard , Jean et Robert , qui donna quatre mines de terre à Froidmont
en 1226.
Raoul , chevalier , seigneur de Sains , fut père de Raoul et de Girard .
vivant en 1295.
SUR l'abbatb bb froidmont. 43
chapelle, maison et b&timents d'exploitation, avec 91 arpents
de terre et bois, et la seigneurie du lieu. Cette ferme, dont
les b&timents furent démolis en 1760, par ordre de l'abbé de
Lussan, était située sur remplacement d'une ancienne verrerie,
ainsi que son nom l'indique, et à l'extrémité septentrionale du
territoire de Saint-Félix, dans lé vallon qui passe entre Filerval
et Fay-sous-Bois. Elle dut son origine à la donation de la vallée
de La Verrière, en 1151, par Alelme, seigneur de Balagny, et par
Hersende de Cressonsacq. Elle s'accrut successivement par les
libéralités d'Odevie de Mouchy et de Basilie de Mello , sa sœur
(1 177), de Baudoin et Pierre de Montiers (1191 , 1237), et de Pierre,
maire de Thury (1191).
L'abbaye la vendit, en 156i, à Louis de Vauldray, chevalier,
seigneur de Mouy. Isaac de Vauldray, son fils, la vendit à son
tour, en 1585, à François de Fransures, seigneur de Villers.
Anne de Chypre , veuve de Gabriel de Fransures , la céda à Louis
Le Clerc, président à la cour des monnaies, de qui l'abbaye en
fit le rachat en 1647. M. de-Lussan en fit démolir les bâtiments
d'exploitation et planter toutes les terres en bois en 1760. C'est
aujourd'hui un canton de la forêt de Hez.
Laversines. — Vingt-quatre arpents de terre donnés par
Sigaude de Baîlleul et Jean, son fils, (1153); Pierre de Laver-
sines (1228); Grégoire de Campremy (lâi'i); Barthélémy Testard,
bourgeois de Clermont (1^248), et Isaac de la Chaussée (1476). —
Ciuatre mines de blé de rente sur le champart de Laversines,
données, en 1245, par Hersende, dame de Ballleul-sur-Thérain.
IJEpine (irartuis). — Une mine de Lié de rente sur la terre
de l'Epine, donnée, en 12i8, par Pierre de l'Epine, partant
pour la croisade. Reconnaissance en fut faite par Alix de l'Epine
en 12G3, Jacques Davesnes en 1462, Antoine de la Place en
1501 (1).
;i) La terre de L'Epine , qae possédait Pierre de L'Bpine en 1248 , Alix
de l'Epine en 1364, était, en 1390, à Guillaume de Tbère et Margaerite
d'Hanvoiie , sa femme, qui la vendirent, en 1402, à Jean Davesnes. Ce
dernier épousa d'abord Jeanne Le Goix , dont il eut Jacques , Jean et
Nlcaise, et en secondes noees Colaye de Gancourt, qui lui donna Jean,
Marie et Margaerite.
Jacques Davesnes était seigneur de l'Epine en 1463 ; après lui , cette
t
44 NOTICE
].e Plessier-sur-Saint'JitsL — rne partie de la dîme du lieu,
donnée, en iâ3S, par Jean de la Tournelle.
Le Plessùs-Billebaut [Ansac^). — Une ferme avec chapelle
dédiée à Saint Nicaise, â^6 mines de (erre, ii arpents de bois et
la seigneurie de ces terres.
En 1263, Jean de Hez avait vendu à Tabbaye une maison au
Plessis , 30 arpents de bois et 37 mines de terre; ce fut le com-
mencement de cette ferme. Jean et Thomas d'Hondainville cé-
dèrent à leur tour, en i26i, 38 arpents de bois au même lieu ,
et , en i265, Jean de Hez vendit de nouveau 19 arpents de bois et
neuf mines de terre, et Robert Faillolet deux pièces. Cette culture
terre vint à Antoine de la Place et Nicole de Condé , sa femme , qui la
possédaient en 1501 , et la laissèrent à Polixène de la Place , leur fllle,
qui époQsa Antoine de Micault. De ce mariage naquirent Jean , François ,
Antoinette « Françoise et Annette.
Jean de Blicault, seigneur de TEpine, étant mort en 1.57*2, sans enfants,
ses terres de l'Epine et d'Eury furent partagées entre ses nièces. Claude de
Micault , fille de François , et Françoise de Wignacourt , qui était alors
mariée à Claude Le Scellier , seigneur de Saint-Amand.
Claude de Micault , dame en partie de l'Epine , épousa Yves de Mailly ,
dont elle eut douze garçons et douze filles , entre autres Nicolas de
Mailly, vicomte d'Hannaches et Louis-Henri de Mailly, dit le marquis de
Mailly, seigneur de Warluis, l'Epine et Mattencourt, qui vendit, en I6îl.
tous ces flefs à Nicolas de Gaudecbart, seigneur déjà de l'autre moitié de
l'Epine.
Françoise de Wignacourt, dame de l'autre partie de L'Epine, Eury.
donna toutes ces terres à Françoise Le Scellier, sa ûlle, qui épousa, en
1581 , Robert de Gaudechart, seigneur du Fayel. De ce mariage naquirent
Nicolas , René et Marie. Après la mort de Françoise Le Scellier , Robert
de Gaudechart se remaria, en 1596 , avec Gabrielle de Saveuse , dame de
Querrleu et en eut Charles , Gaspard , François , Georges et Claude de
Gaudechart.
Nicolas de Gaudechart , chevalier , seigneur de Bachivillers , le Fayel ,
Courcelles , l'Epine , Eury, qui acquit en 1621 , de Louis-Henri de Mailly,
le reste de la seigneurie de l'Epine et de Mattencourt , épousa , en 1C18 ,
Anne des Landes, et en 1648 Marie de Monceaux d'Auxy, et mourut
en 1651 , sans en avoir d'enfants.
René I" de Gaudechart , son frère , hérita de toutes ses seigneuries. Il
avait épousé, en 1631, Elisabeth d'Hangest, dont il eut René, Louis,
SUR l'abbaye de FROIDMONT. 45
prit ainsi de Textenfion. De son côté, Guillaume d'Uoudainville
renonçait à tous ses droits seigneuriaux sur ces diverses pro-
priétés et en abandonnait la seigneurie à Tabbaye, ainsi que
Jean de Trie, dit Billebaut , seigneur du lieu.
Le Quesnel'Auhry, — Dix-huit mines de blé de rente sur la
seigneurie du Quesnel, données, en iââO et iâ59 , par Arnoult
du Quesnel et Baudoin , son ûis , et douze mines sur le moulin
Taperel, données, en i29i, par le même Baudoin du Quesnel.
Reconnaissance en furent faites par les divers seigneurs du
lieu (1).
seigneur du Fayel et de Bactiivillers , Anne, Louise , Marie et Madeleine
de Gaudechart.
René II de Gaudechart , chevalier , seignear de Mattencourt , Eary,
l'Epine, Coorcelles, Fresnoy , la Yieuville, Roye , époasa, en 1675 , Marie
de Yion d'Hérouval^ dont il eut René-Antoine, François, Louis dit l'abbé
de Mattencourt , Antohie-Loais , Alexandre , Robert-Jean-Baptiste , Marie-
Louise, nrtariée, en 1707, à Gédéon-René de Sailly de Pommereail, Claude,
Elisabeth , Tbècle et Angélique-Henriette.
René-Antoine de Gaudechart , seigneur de Mattencourt , l'Epine, épousa,
en 1702, Madeleine de Ligniëres , dont vinrent Louis-René , Jean, Pierre-
Bernard , Pierre-Antoine , Marie-Madeleine et Thérèse.
Louis-René de Gaudechart, seigneur de l'Epine, etc , épousa, en 1743 ,
Elisabeth-Françoise-Renée de Yion de Tessancourt , qui lui donna René-
François, Alexandre-Louis, Marie-Marguerite et Adolphe-Renée-Françoise.
René-François de Gaudechart , seigneur de VEpïne , épousa , vers 1786,
Anne-Louise- Marie de Trie-Piilavoine , dont il eut René-Ferdinand , René-
Auguste , Jules , tous les trois morts sans postérité , et Anne-Aspasie.
René-Ferdinand a laissé la terre de l'Epine à Albéric , comte de Gaude-
chart, son cousin.
(1) Les seigneurs du Quesnel furent Robert du Quesnel , chevalier , en
1165, Aubry du Quesnel et Baudoin , ses iils, en 1194; en 1214, Robert
du Quesnel , flls d' Aubry, et Arnoult , fils de Baudoin.
Robert du Quesnel eut d'Alix , sa femme , Renaud et Pierre du Quesnei.
Arnoult du Quesnel , qui donna douze mines de blé de rente sur sa
seigneurie du Quesnel , en 1229 , à l'abbaye de Froidmont, fut père de
Baudoin II du Quesnel , qui fit aussi plusieurs donations à la même abbaye
en 1259 et J294. Ce dernier fut père de Manassès du Quesnel qui vivait
en \3^\* , en même temps qu' Aubry et Mathieu du Quesnel.
En 1351 , la seigneurie du Quesnel appartenait à Renaud III de Trie , dit
46 NOTICE
VHéraule, — Une partie delà dlme, par donation d'Ascelin
de La Cengle, seigneur de Cannes et de L'Héraule, vers 1150.
Ueuvillers. — Vingt et une mines de blé de rente sur la terre
de Lieuvillers. Reconnaissance en fut faite par André de Lieu-
villers en 1270, par Bertrand de Lieuvillers en 1294, et par Jean
de Wignacourt, seigneur d'Avrigny et Lieuvillers, en 151'3.
Longbus {Sains-Morainvillers). — Un muld de blé et 40 sols
Billebaat, troisième Ûls de Renaad II de Trie , seigneur du Plessis-Bille-
baut , Friencoort-les-Hermes , et maréclial de France. Le seigneur du
Quesnel épousa Isabelle La Gourlée , dame de Fressins ou de Fresnes ,
veuve de Jean Foumier, et il n'en eut qu'une fllle, Isabean de Trie, qui
fut mariée d'abord à Jean de Cbastilion , seigneur de Bonneuil et de
Loisy-sur-Marne , et en secondes noces (1386) à Jean de Ploisy. Elle eut
de son premier mariage Charles de ChastUlon , seigneur de Bonneuil ,
Guillaume qui fut d'église, et Marie, dame de Loisy.
Jean de Trie, dit Billebaut , frère de Renaud, seigneur du Plessis-BiUe-
baut, se quaUûait aussi seigneur du Quesnel, et confirma, en 1345, les
donations que ses prédécesseurs avalent faites à Tabbaye de Froidmont.
Nous avons donné ci-dessus sa généalogie à Hermès.
Pierre Du Bois, dit Morelet , seigneur de Ralncheval , acquit, vers 1420,
la seigneurie du Quesnel , et , en 1446 , celle de Saint-Remy-en-l'Eau. Il
avait épousé Isabeau de Férancourt , dont il eut Pbilippe , Marguerite ,
dame de Maurepas , mariée à Louis de la Yief ville, seigneur de Sains, et
Cbarlotte , dame de Valescourt , qui épousa Gilles d'Amerval , seigneur
d'AngivUlers.
PhiUppe Du Bois {d'argent , au lion de sable) , seigneur de Raincheval ,
le Quesnel, Sa'mt-Remy-en-rEau , Valescourt, mourut en 1481, après
avoir épousé Isabeau de la VlefviUe , dont il eut :
GUlejt Du Bois , seigneur du Quesnel , etc. , qui fut père de Guy, Pbilippe,
seigneur de Villers-sur-Àulbie , et Louise, mariée à N. de Garlache,
seigneur de Berlancourt, MaimbeviUe ;
Guy Du Bois, seigneur du Quesnel, etc , épousa, en I5d0, Anne de
Borselle , dont il eut Louise et Michelle , et en secondes noces , vers 1547,
Suzanne de Llgny, dont il n'eut pas d'enfants ;
Louise Du Bols, dame du Quesnel, etc., n'ayant pas eu d'enfants de
son mariage avec Hector de Moyencourt , légua toutes ses terres à Michelle
Du Bois, sa sœur, qai épousa, en 1557, Antoine Damiette, seigneur de
Betbencourt-Rivière , dont elle n'eut qu'un flls , Pierre Damiette. EUe
n'eut pas d'enfants de Claude de Launay, son second mari ; mais elle eut
SUA l'aBBAYB DB FBOIDMOI^T. 47
parisis de rente sur la terre de Longbus , donnés en 1232 par
Jean de Ferrières, seigneur de Morainviliers.
Longvillers (NoaHlea), — Deux mines de blé de rente sur le
champart de Longvillers, données en 1230 par Julienne du Fayel,
veuve de Mauassès de L'Epine.
MarisseL — Un arpent et demi de terre.
Marquéglise. — Huit mines de blé de rente sur la dlme du
lieu, données, en 1271, par Marie de Gampremy. Pierre de Gam-
une flUe de Denis de Faassart, son troisième mari. Amie de Faussart ,
qui épousa Antoine de Remets , seigneur du Bout>du-Bois.
Pierre Damiette {df argent, à une épie de gueules, surmontée d"u/n
chevron de même) , seigneur du Quesnel , Bethencourt-Rivière , Saint-
Remy-en^l'Eau , fat père de Claude et Marguerite, qui épousa Charles
Cbarlet. Ces deux enfants passèrent titre nouvel , en ie58 , de la rente de
trente mines de blé due à l'abbaye de Froidmont, et Marguerite vendU
peu après sa part de cette seigneurie à César de Flabaut de la Riliarderie,
seigneur d'Angivillers.
Claude Damiette , seigneur de SainURemy-en-l'Eau et du Quesnel , en
partie , épousa Suzanne du Mesnil , dont il.eut Antoine Damiette . seigneur
de Saint-Remy et du Quesnel , mort sans enfants , et Suzanne Damiette ,
qui épousa Louis TIercelin, seigneur de Biencourt. Etienne Tierceiin . leur
fils , hérita de son oncle , et vendit ses terres du Quesnel et de Saint-
Remy en 1731.
En 1691 , Jean-Baptiste Pocholle , seigneur d'Andebus , acquit par^décret
une partie de la seigneurie du Quesnel. Il était alors marié à Catherine
Derebergues, dont ileutMarie-Catherine-Elisabeth, morte sans postérité
en 1704, et Jeanne-Agnès-Thérèse Pocholle, qui hérita des terres du
Quesnel , Bucamps et Malvoisine à la mort de son père , arrivée en 1714.
Elle était alors mariée à Louis du Bouchet , comte de Montsoreau. De
leur mariage naquit Louis II du Bouchet, comte de Montsoreau, seigneur
en partie du Quesnel , qui épousa , en I7â0 , Charlotte-Antonhie de Gon-
taut-Biron, dont il eut Lonise-Antonine , mariée, en 1745,' à Philippe-
Alexandre Le Quieu de Guerneval, marquis d'EsquelbeciL ; Armande- Ursule,
mariée, en 17.59 , à Louis-François-René , comte de Yirieu; Judith, mariée
(1755) à Anne-Joachim-Annibai , comte de Rocbemore ; GabrieUe-Louise-
Geneviève et Marie-Louise-Victoire. De son second mariage (1741) avec
Marguerite-Henriette Des Maretsde MaUlebois, il eut Louis-Emmanuel ,
dit le marquis de Tourzei , Louis-François , Yves-Marie , Jeanne-Made-
leine et Marie-Louise-Henriette.
E*i.
48 NOTICE
premy, seigneur de Fournival, en passa titre nouvel en 13.^7.
Mello, — Une maison avec un arpent et demi de terre, lieudit
le Clos-Ferrand , donnée, en 1216, par Manassès, seigneur de
lielio.
Quatorze muids de blé sur les moulins de Mello, donnés,
eu 1:^0], par Renaud de Mello, chevalier, seigneur dudit lieu, et
réduits à quatre par suite d'une transaction passée avec Guy de
Nesle, seigneur d'Offémont et de Mello, en 4468. Titre nouvel en
avait été passé, en 1344 , par Jean de Nesle, seigneur d'Offémont
et de Mello (1).
Moimont [Sainte-Eu^oye], — Une ferme avec soixante mines
de terre y attenant. Cette ferme doit son origine à la donation
du bois de Moimont par Mathieu de Thérines, Frédelinde, sa
femme, Girard, Àrooult et Meissende, ses enfants, en 1157.
Montdidier, — 60 sols parisis de rente sur la ville de Mont-
didieretsur plusieurs maisons audit lieu, donnés par Adam
(1] La terre de Mello était possédée, en llOO, par Drogon oa Dreux I"
de Mello, dont le frère, Martin de Mello, chanoine de Paris, fonda, en 1103,
la collégiale de Notre-Dame de'Mello. Drogon de Mello épousa N. de Beau-
mont , dont il eut Drogon , Yves et Gaillaome.
Drogon II de Mello , mort après 1136, avait eu de Richelde de Clermont .
Drogon, Renaud, Raoul, tué à Tripoli, et Guillaume, abbé de Vezelay.
Drogon III de Mello, qui vivait encore en 1153, fat père de Galllaume,
Hugues, chanoine de Saint -Quentin de Beauvais, Renaud II, religieux de
Vezelay, qui fonda le prieuré de Sainte«Madeleine de Mello, Drogon,
Basilic et Odévie.
Guillaume de Melio se croisa avec Philippe- Auguste , et épousa Ermen-
trude de Bulles, dont il eut Renaud, Pierre, Manassès, Guillaume, cha-
noine de Beauvais.
Renaud de Mello , qui donna quatorze maids de blé de rente à l'abbaye
de Froidmont en 1201, eut une fille, Isabeau de Mello, qui épousa Simon
de Dargies. A sa mort , Manassès prit le titre de seigneur de Mello , et
donna la vigne du Clos-Ferrand , en 1^16, à l'abbaye de Froidmont.
Guillaume de Mello , fils de Pierre , lui succéda ; il épousa Ade , dont il
eut Marguerite de Mello , qui apporta la terre de Mello , en 13^6, dans la
maison de Clermont de Nesle par son mariage avec Jean de Clermont de
Nesle, seigneur d'Offémont. De leur mariage naquirent Guy, Guillaume,
Âmaury, Isabeau , dame du Piessis-Cacheleu , et Jean.
Guy II de Nesle, seigneur d'Offémont et de Mello, maréchal de France
SI H l'akbaye dk froiumo.m 19
Aspec en 1 188, et Jean Rage, chevalier, seigneur du CardonnoLs^
en 1246 et \tii.
Montreuil-sur-Hréche. — Les fiefs, terres et seigneuries de
Ouévremonl et de La Motte, avec quatre-vingt-dix mines de terre
et bois en dépendant, acquis en 1301 de Bernard de La Motte
de Uuévremont.
La mouvance du fief de Bois-Liebaut, qui relevait à foi et
hommage de la seigneurie de Mauregard. Ce lief était tenu,
en 1347, par Eméline de Pouceaux , femme de Thomas de Ver-
berie; elle le vendit à Pierre de Brunvillers. Uoger Haynel le
tenait en 154o, Joachim Le Paige en 1700, Philippe Le Paige
en 1747.
Moiœhy. — 12 livres 7 sols parisis et trois muids de vin de
rente sur la terre de Mouchy, donnés par Odévie de Moucliy (1207),
Mathieu de Trie (123 &), et Jean de Trie, comte de Dammartin et
en 1:U5. avait épousé, en 131-2, Jeanne de Bruyères-ie-Chûtel , dont il
eut Jean , Robert, Marie et Yolande , et en secondes noces (13)1), Isabeau
de Tbouars , dont il n'eut pas d'enfants. Il fat tué à la bataiHe de Moron,
en 135-2.
Jean II de Nesie , qui mourut en 1388 , eut d'Ade de Mailly, dame d A-
cheu , sa femme : Guy, Louis , Blanche et Marie.
Guy m de Nesie , conseiller et chambellan du roi , tué à la bataille
d'Aziocourt, en 1115, avait épousé, en 1389, Marguerite de Goucy, dont
il eut Jean, seigneur d'Offémont , Guy, seigneur de Mello, N., Blanche et
Jeanne.
Guy IV de Nesle , seigneur de Mello , puis d'Offémont après ia mort de
son rrère , mourut , lui aussi en 1473, laissant de Jeanne de Saluées , qu'il
avait épousé en 14*29, Jean , Jeanne , Jacqueline et Blanche.
Jean III de Nesle épousa (1463) Jacqueluie de Croy, dont il n'eut que
deux enfants : Guy et Louise. Guy mourut jeime, et Louise de Nesle , sa
sœur, hérita des terres de Mello et d'Offémont N'ayant pas d'enfants de
Jean de Bruges , seigneur de La Gruthuse , qu'elle avait épousé , elle
donna ses terres de Mello et d'Offémont, en 1524, à François de Mont-
morency, seigneur de La Rochepot et gouverneur de l'Ile de France, en
faveur de son mariage avec Charlotte d'Humlères. François de Montmo-
rency Diourut en 1551, sans laisser de postérité, et Anne de Montmorency,
son frère, hérita de ses terres de Mello et d'Offémont Elles restèrent dans
cette famille Jusqu'en 1769.
T. VIII. 4
50 NOTICE
seigaeur de Mouchy (12«J . Cette rente fut réduite, vers U72, en
faveur de Philippe de Trie (i).
Sept mines ou environ de terre données, en iâ60, par Gautier
Lescot.
yiouy, — Cinq muids de vin blanc sur les dîmes des vignes
(!) Odérie de Moactiy, dame de Moucby, apporta cette terre de Moactiy
dans la maison de Trie en épousant» vers 1167, Enguerran de Trie; elle
était fille de Drogon de Mouchy et veuve alors de Nivelon de Pierrefonds.
Elle eut de son second mariage Jean, Enguerran , Pierre, Guillaume, cha-
noine de Rouen , et Elisabeth de Trie , qui épousa Guy de Sentis, seigneur
de Chantilly et ErmenonviUe.
Jean I« de Trie , chevalier, seigneur de Trie et de Mouchy, eut d'Alix,
Jean et Elisabeth.
Jean II de Trie , qui (ut à iabataUle de Bouvines , en 1214 , épousa Alix
de Dammartin, qui lui donna Mathieu, Enguerran, Renaud, auteur des
seigneurs de Fontenay, Bernard, Catherine, mariée k Guillaume Le
Jeune , seigneur de Garenton , et Jeaime, mariée à Robert Bertrand, baron
de Bricquebec.
Mathieu I*' de Trie, comte de Dammartin , seigneur de Trie et de Mouchy,
transigea, en 1^4, avec L'abbaye de Froidmont. Il épousa MarsiUe de
Montmorency, dont il eut Philippe , Jean , seigneur de Mouchy, Thibault,
seigneur de Sérilontaine-, et Simon , seigneur de Gouvieux.
Jean III de Trie , qui donna 7 Uvres parisis de rente sur sa terre de
Mouchy à l'abbaye de Froidmont , en li28l, épousa d'abord Ermengarde,
puis Yolande de Dreqx , dont il eut Renaud, Philippe , trésorier de l'église
de Bayeux, Jean , seigneur de Mouchy, et Mahaud. qui épousa (1296^ Henri
de Vergy.
Jean IV de Trie , seigneur de Mouchy par l'acquisition qu'il fit de la part
de ses frères, en lâio, mourut en 1327, après avoir épousé N. de Chambly.
dont il eut Mathieu , Renaud , Jean , Yolande et Eléonore.
Mathieu II de Trie , seigneur de Mouchy, étant moit en 1360, sans laisser
de postérité , Renaud étant mort aussi en 1350 sans postérité , Jean V de
Trie , chanohie de Mouchy, puis archidiacre de Châlons , leur frère, hérita
de la terre de Mouchy, et la donna, en 1360, à Renaud de Trie, dit Pa-
trouillart , seigneur du Plessls-BlUebaut , son cousin , à condition que, si
lui ou ses descendants venaient à décéder sans enfants , cette terre pas-
serait aux Trie , seigneurs de Sérifontaine.
Renaud l" de Trie, dit Pairouiliart, épousa Jeanne de Fosseuse, dont
Ueut:
Renaud II de Trie, dit Patrouillart , capitaine de Beauvais , qui épousa
SUR L*ABBÀY1£ DE FROIDMONT. 51
de Mouy, donnée par Gautier et Jean , seigneurs de Mouy, en 1100
et i:U9, et par Guillaume d'Allonnète, chevalier, en 1220. Cette
rente fut rachetée, en 1482, par Jacques de Vaux, écuyer, sei-
gneur des dîmes de Mouy, par la cession des fiefs Picotiq ^t
Dubus, àCaiilouel.
ISogent-les- Vierge;;. — une masure et trois arpents de terre.
Noyers, — Soixante-treize mines de terre, données par Pierre
Marie de Nesle de Mello , dont il eat Jean , Pierre et Jeanne. A sa mort.
Charles VU confisqua la ch&teUenie de Moachy et la donna, en 1430, à
Jean de Brosse , maréchal de France ; mais en USi elle était déjà rendue
à Pierre de Trie, second iUs de Renaud. Pierre mourut en USB, sans
laisser de postérité de Jeanne Des Crosnes. Ce défaut d'héritier fit passer
la terre de Mouchy dans la famille des Trie de Sérifontaine. Jacques de
Trie, seigneur de Sérifontaine , RoUebolse, etc., en hérita; mais U n'en
jouit pas longtemps, puisqu'il mourut la même année, le 5 octobre 14^,
laissant neuf enfants de Catherine de Fleurigny, sa femme : Jean, Philippe,
Catherine , mariée à Gérard Raoulin , seigneur de La Grange ; Jeanne,
mariée à Martin de Trie , dit Pillavoine ; Marguerite, mariée à Pierre, sei-
gneur de Nouyers -, Mahiette , mariée à Jean Le Clerc ; Jeanne , dame de
Montreuil, mariée à Charles de Momay; Robine, mariée à Thibault de
Maricourt, et Marie, qui épousa Vincent de La Roche-sous-Yitry.
Jean YI de Trie , seigneur de Sérifontaine et Mouchy, mourut en 1441,
sans postérité , en laissant ses terres à Philippe de Trie , son frère , sei-
gneur de RoUeboise , qui mourut aussi sans enfants de Jeanne de Havart,
sa femme , en 1487. Alors la terre de Mouchy fut dévolue à Robine de
Trie, Tune de leurs sœurs, et par elle à la maison de Maricourt, dont
était son mari , Thibault de Maricourt , alors défunt.
Jean de Maricourt, leur Uls, fut donc seigneur de Mouchy et de Sérifon-
taine. C'était un vaUlant capitaine d'arbalétriers. Il épousa , en 1498, Jac-
queline 4'Àunoy, dont il eut Louis et Jean.
Louis de Maricourt étant mort, en 1531, sans enfants de son mariage
avec Antomette de MaiUy, Jean de Maricourt , son frère, lui succéda dans
tous SAS biens ; U épousa (1533) Renée du Quesnel, et mourut en 1583. *
François de Maricourt , son fils , baron de Mouchy, seigneur de Séri-
fontaine et gouverneur de Pont-de-l'Arche , épousa , en 1559 , MicbeUe
Robertet, dont il eut René et Jacqueline , mariée à Nicolas de Presteval.
René de Maricourt, seigneur de Mouchy, mourant sans enfants de Louise
de Combault, légua sa seigneurie de Mouchy à Jacqueline de Presteval,
sa nièce, qui épousa, en 1623, Jean de Boutillac, baron d'Arson, et en
secondes noces (1639; Robert Aubéry, président à U Chambre des Comptes.
52 NÛTIGB
de Montataire (de Mo-me Thane) et Jean, Guillaume, Yves, Marie,
Alix, Helvide, ses frères et sœurs, en 1202.
Parfondeval ou Saint- Arnouli [n arluis). — Une ferme
avec 162 arpents de terre, pré et bois.
Cette exploitation agricole, qui fut jadis une grange, doit son
origine à la donation d'une vigne appelée le Clos de Merlemont,
Elle eut de son second mariage Claude, Françoise, Dorothée, Henriette
et Luce , mariée a Gaston de Lancy, marquis de Raray.
Claude Aabery, baron de Moucby et marquis de Va tan, vendit Mouchy
à Anne, duc de Noailles.
Anne, duc de Noailles, premier capUaine des gardes-du-corps, mourut
en 1678, après avoir eu de Louise Boyer : Anne-Jules , Louis-Antoine,
archevêque de Paris ; Jacques , chevalier de Halte et lieutenant-général
des galères du roi ; Jean-François , Jean-Gaston , évoque de Chalons , et
Louise-Anne, mariée à Henri de Beaumanolr, marquis de Lavardin.
Anne-Jules, duc de Noailles, maréchal de France, épousa, en 1671,
Marie-Françoise de Boumonville , ('.ont il eut vingt et un enfants , entre
autres Adrien-^Maurice , Jean-Anne , Emmanuel- Jules, Jules-Adrien, Jean-
Emmanuel^ Marie- Christine, Marie- Charlotte , Anne-Louise, Julie-Fran-
çoise, Lucie-Félicité. Marie-Thérèse, Marie-Françoise, Marie-Victoire,
Marie-Emilie , Marie- Uranie et Anne-Louise.
Adrien-Maurice , duc de Noailles , maréchal de France, épousa,' en 169(^,
Françolse-Charlotte-Amable d'Aubigné, dont il eut : Louis, Philippe, Fran-
çoise-Adélaïde, mariée à Charles de Lorraine, comte d'Armagnac ; Amabie-
Gabrielle. mariée (1721) à Honoré-Armand de Villars ; Marie-Louise, mariée
(1730) à Jacques-Nompar de Caumont-La-Force , et Marie- Anne , mariée
(I7d4^ à Louis-Angilbert de La Marck.
Philippe de NoaiUes. marquis, puis duc de Moucby, maréchal de France,
épousa, en 1741, Anne-Claudine-Louise d'Arpajon, dont il eut N., dit le
prince de Poix, mort en 1717; Daniel-François, mort en 1751, Philippe-
Louls-Marc- Antoine, Louis-Marc- Antoine, Louis-Marie, Louise-Henriette.
Philippe-Louis-Marc-Antoine de Noailles, duc de Mouchy, prince de Poix,
épousa . en 1767, Anne-Louise-Marie de Beauvan , dont II eut Charies-
Arthor-Jean-Tristan, Athalie-Luce-Léontine et Rosalie-Chariotle-Antoinette-
Léontine , duchesse de Mouchy, qui épousa , en 1809, Aifred-Louis-Domi-
nique-Vlncent-de-Paule de Noailles, son cousin, tué à la bataille de la
Moskowa. De ce mariage naquit Anne-Marie-Céclle de Noailles, qui épousa
Charles-Philippe-Henri de Noailles , son cousin germain , duc de Mouchy.
député de l'Oise en 1849, sénateur en 1852, mort en 1854, dont deux flis :
François et Antoine , duc de Mouchy, qui a épousé Anna Murât.
SUR l'abbatb db froidmont. 53
par Drogon de Merlemont» Foulques, Drogon, Inga, Eméline
et Valorie, ses enfants, en 115o, et à celle des terres voisines et
de la seigneurie , par Hugues de Bracheux , chevalier, seigneur
du lieu, en la même année. Elle s'accrut, en 1197, par Tacqui-
sition du clos Kaalon, sis à Hez, vendu par Thôpital de Saint-
Lazare, et de divers champs, prés et bois, sis aux lieudits Orbe-
fontaine, Belinchamp et le Clos-Kaalon, qui portent encore ce
nom, donnés ou vendus, de i20â à 1^08, par Gérard Boschet,
Girard de Reuil, Garin de La Rue, Girard de Kobelot, Pierre de
La Rue, Girard du Val, Hervée de La Rue , Adam de Hez et Simon
de Hez dit le Prévôl. A son retour de la croisade (4200), Pierre
de Bracheux donna son bois de La Chaîne, avec le droit de pâ-
turage dans les marais communs dépendants de sa seigneurie ;
Henri, seigneur de Condé, donn^ les mêmes droits dans ceux
deCondé (1209). En 4217, les religieux achetèrent diverses pièces
de terre de Mathilde de Mattencourt, un bois d'Hervée de Mer-
lemont, et un autre bois, vers li2r>, de Renold de Merlemont.
En 1230, Hugues de BoisAubert et Marie, sa femme, cédèrent
le droit de pâturage sur le quart de leur fief de Merlemont, et
Odon de Therdonne un bois voisin du bois Hervée et du chemin
de Moyen-Aunoi. En 1239, Jean de Chypre vendit à la grange de
Parfondeval vingt-huit arpents de bois au lieudit Orbefontaine,
et six masures à Merlemont, que Pierre de Bracheux, seigneur
de Merlemont, lui avait légués en mourant pour le récompenser
de ses longs et fidèles services comme écuyer. Quelques dona-
tions et un grand nombre de ventes vinrent encore dans la suite
augmenter cette propriété. Ainsi, Marie de Merlemont , veuve
du chevalier Pierre de Bracheux, pour avoir sa sépulture à
Froidmont, donna la moitié de tout ce qu'elle possédait à Mer-
lemont, en 124!2, et Roger Drouart une maison sise aussi à Mer-
lemont, en 12 iO.
Le monastère avait droit de justice et de seigneurie sur la plu-
part de ses terres et sur une partie du territoire, par donation
des seigneurs de Mattencourt e( de Merlemont. en 1209 et 1218.
m
Le reste relevait des seigneurs de Mattencourt et de Merlemont (1).
(I) La seigneurie de MaUencourt (Âbbecourt) était possédée, au xii* siècle,
par nne ramille de ce nom , et Matbllde de Mattencourt nt plusieurs ventes
54 NOTICE
Il y avait une chapelle desservie par les religieux. A rintérîeur
est la tombe de saint Arnoult, ermite et martyr. Cette tombe,
recouverte d'une pierre élevée de trois pieds et soutenue par
quatre piliers, porte cette inscription, entourant Teffigie du
saint :
Hic jacet Sanctus Àrnulphus Martyr et Eremita
fundator hujus capellœ.
m
D'après celte inscription, la chapelle aurait été fondée par ce
saint martyr Nous ne le contestons pas. C'est un édifice à
à rabbayé de Froidinoht , vers l'an 1200. En B18, elle était partagée entre
Odon, lean , Guillaume et Pétronflle de Tourly, et Pierre de Goincoarl.
cheralier. En 1375, elle était à Henri de Lihus, comme époux de N. de
Goincourt , et en 1353 à Henri de Lihus , son fils. Elle fut pea après réunie
à celle de L'Epine, dont elle suivit le sort.
La seigneurie de Merlemont était possédée, en llîO, en partie, par
Guillaume de Braciieux, et, en 1155, par Hugues et Henri, ses fils. Hugues
de Bracbeux, chevalier, seigneur de Bracbeux, Merlemont, Oudeull,
qui eut plusieurs démêlés avec l'abbaye de Froidmont en 1180, au sujet
de ses terres de Parfondeval, fut père de Pierre, Hugues, Alix, mariée
à Pierre de Laversines , Isabelle et Marguerite.
Pierre de Bracbeux se croisa, en KOi, avec Guillaume de Bracbeux ;
il se distingua dans cette expédition (Vilbardouin), et à son retour fit
plusieurs donations à l'abbaye de Froidmont. Après lui, son neveu,
Pierre U de Bracbeux, (Ils de Hugues, fut seigneur de Merlemont et
conllrma , en cette qualité , plusieurs ventes faites à Froidmont en l'233.
Il mourut en 12:^9 , et Marie de Merlemont , sa veuve , Ht plusieurs dona-
tions k Froidmont en 1212.
Ë'n 1360, le second jour d'octobre , Jehan de Cb:\tillon , seigneur de
Damplerre , l'était aussi de Merlemont , et Marie , dame de Rollaincoiirt,
en Artois , était sa femme. Il transigea avec dom Jehan de Villiers, maître
de Parfondeval.
En 1880, Antoinette de Ch&tillon , suivant tonte apparence fille de Jehan,
ci-dessus , avait recueilli partie de la terre de Merlemont dans la succes-
sion de son père, et avait épouse Guy Malet, seigneur de Graville, qui,
cette même année . donna , tant en son nom qu'en celui de sa femme,
dame de Merlemont , l'aveu et dénombrement de ladite partie de la terre
et seigneurie à Guy de Nesle , seigneur d'OlTémont et de Mello. à cause
de sa chAtetlenie de Mello.
Sur la On du xv« siècle , celte seigneurie était en la possession de la
SUR l'abbaye de FKOIDMOIVT. 55
rhreur polygone, qui paraît être du xi« siècle, 'à\ec. ses longues
fenêtres à pielncintre, dépourvues d'ornements extérieurs, et
celle du chevet garnie de deux colonnettes à petits chapiteaux
romans. 11 résulterait de là que ce solitaire aurait vécu au
XF siècle. Son existence, à celle époque, nous parait du reste
peu contestable. Il est certain, en eflFet, qu'il y avait des er-
mites vivant , enll'.U, au Mont-César, quand le monastère de
Froidmont fut provisoirement fondé dans le local qu'ils habi-
taient, dans ce lieu qu'on appelle encore aujourd'hui Vieille-
Abbaye. Ces ermites cédèrent la place aux moines de Citeaux
pour aller se flxer à Parfondeval, auprès du tombeau de saint
famille de Turgis. Arnaud de Turgis, vivait en I49i. Pierre de Turgis,
son (ils, seigneur de Merlemont , FouqueroUes , Laversines , Crécy , Fra-
niiconrt , eut deux tilles de Marie de Marigny • Catherine, dame en partie
lie Merteinont , qui ôpoiisa, en 151*2, Louis Des Courtits, cbMelaln de
Gerberoy et seigneur de Gréméviliers -, Anne , dame de l'autre partie de
Merlemont , qui épousa d'abord Pierre de Cauliëres, dont elle eut Antoine,
et en secondes noces , Adrien de la Motte , dont elle eut Roland, François
et Madeleine.
Antohie de Caullères céda , en 1560 , sa part de la terre de Merlemont à
Jean Des Courtils , son cousin.
François de la Motte , qui était marié à N. de la Brelonnière , dite de
Warty , et Madeleine de la Motte , sa sœur , qui avait épousé Christophe
Le Caron , seigneur de Bemieulles, vendirent aussi leur part, en 1586 , à
Louis n Des Courtils , qui se trouva ainsi possesseur de toute la seigneurie
de Merlemont.
Louis Des Courtils , seigneur de Gréméviliers et Merlemont , eut de son
mariage avec Catherine de Turgis, Jean, Beaugeois, Adam, François,
autre François , Guillaume , autre François , Marie , Françoise et Jeanne.
Jean 1" Des Courtils , seigneur de Merlemont , embrassa la religion
réformée et ût de son château le rendez-vous des huguenots du Beau-
vaisis. Il épousa , en 1548 , Françoise Des Champs , dit More! , dont il eut
Louis, Isaïe , Jeanne , Françoise , Adrienne et Hélène.
Louis Dés Courtils , seigneur de Merlemont , Framiconrt , Frétoy , Gré-
méviliers , épousa , en 1575 , Anne de Boulainvllliers Saint-Saire , dont
il eut Jean , Judith , Suzanne et Marie.
Jean II Des Courtils, seigneur de Merlemont, Therdonne, Àllonne ,
Frainlcourt, Roye, Houssoy , qui mourut en 1649, épousa, en 1618,
Catherine de lluyart . dont il eut treize enfants, entre autres Philippe,
56 NOTICE
ArnouU. Peut-être les plus vieux d'entre eux avaient-ils connu
ce solitaire et pratiqué la vertu sous sa direction. Peut-être aussi
ce motif influa-t-il sur le choix qu'ils firent de la localité pour
s'y retirer. Ne serait-ce pas eux qui auraient fait graver Tinscrip-
tion qui est sur son tombeau? Mais ce saint solitaire, qui élait-
il ? Tous les documents manquent à ce sujet, et nous ne saurions
donner une réponse satisfaisante à cette question. Des hagio-
graphes, même sérieux, ont essayé de nous en donner une Vie;
mais les détails par eux relatés nous semblent appuyés sur des
Anne , Madeleine , Françoise , Jeanne , Augustin , Suzanne , Marie , Jean ,
Suzanne, religieuse à Saint-Paul.
Philippe et Augustin Des CourUls étant morts à la guerre, en lOlo. sans
être mariés , Jean III Des CourUls , leur frère , hérita des terres et sei-
gneuries de Herlemont , Therdonne , Allonne . Bruneval , Framicourt.
Jean m Des CourUls épousa, en 1660, Louise Des Champs, dit Morel,
dont il eut Cbarles , Jean-Cbarles , René , Louis , Elisabeth , mariée à
René de Boufllers , Marie-Madeleine et trois Qlles mortes religieuses.
Charles I**^ Des Courtils , seigneur de Merlemont, etc., capitaine dt'
dragons , épousa , en 1702 , Catherine Macaire , qui lai donna Charles et
René-Louis.
Charles II Des Courtils , seigneur de Merlemont , Allonne , Bruneval ,
le Val et Saint-Auhin-le-Guichard , épousa, en 1736, Catherine-Charlotte
de Mahiel , dont il eut Charles-Louis , Augustin et François.
Charles-Louis Des Courtils , chevalier, seigneur de Merlemont, etc., né
en 17,39, épousa, en 1771, Adolphe-Françoise de Gaudechart, dont il eut
Charles-René et Adolphe.
Charles-René Des Courtils, comte de Merlemont , né en 1777, épousa,
en 1705 , Vlctorine-Lucie de Mahiel , dont il eut Alfred-Charies , mort
jeune , René-Adolphe , Charles- Gustave , René-Louis Léon , comte Des
Courtil.<ï , au Ply-Thérines.
René-Adolphe Des Courtils, comte de Merlemont, ancien capitaine de
cuirassiers . épousa en premières noces (1831), Louise-Marie-Edmée de la
Houssaye , dont il eut Lucie-Marie-Marthe . qui épousa , en 1853 , René-
Marie- François, comte de Grasse; Victorine-Stéphanie-Mathilde , mariée,
en 1853 , à Félix-Edmond-Hyacinlhe Lambrecht , ministre du commerce
et dcp:Ué du Nord en 1871 II épousa en secondes noces (ia38) Alexan-
drine- Louise- Françoise de Paule de Virieu, dont il eut Louis, qui épousa,
en juillet 1868, Louise de BoutbUlier-Chavigny ; Françoise-Alexandrine-
Jeanne,'marlée à Paul , comte de Muyssart ; Ferdinande-Charlotte , mariée
à Charges, comte de Moucheron , et Charlotte-Léonie-Suzanne.
SUR L*ABBAYK OB PROIDMONT. 57
documents si peu authentiques, que, sans les rejeter complète-
ment, nous pensons qu'il faut se tenir fortement en garde contre
eux. Tout ce que Fon peut en dire, c'est qu'il a vécu en cet en-
droit, au xr siècle, un saint ermite nommé Arnoull. l/éclat de
ses vertus lui attirait la vénération de tous les environs; ses
avis et ses conseils étaient partout recherchés. Un jour on Taura
trouvé massacré auprès de la chapelle qu'il avait édifiée pour
y prier le Seigneur et y instruire les gens qui venaient le consul-
ter, et les peuples, remplis d'admiration pour ses vertus, ses
exemples et la sainteté de sa vie, l'auront inhumé dans son
humble chapelle et auront continué de venir prier à son tom-
beau celui qu'ils consultaient avec tant de vénération. Ainsi aura
commencé son culte, que des miracles auront probablement
rendu plus célèbre encore. Ce qu'il y a de certain , c'est que
pendant tout le moyen âge, et jusqu'à nos jours, on y vint en
pèlerinage de toutes parts pour obtenir la guérison de la fièvre.
Le jour où Taffluence était plus grande était le 24 octobre, jour
où les religieux de Froidmont célébraient la fête de saint Ar-
noult, et portaient solennellement la statue du saint jusqu'à la
fontaine dite de Saint-Arnoult , éloignée de cinq cents pas, sur
le chemin de Merlemont. Cette statue était en cuivre doré du
milieu du xiv« siècle, et M. le comte de Merlemont la conserve
avec un religieux respect dans l'oratoire du château de Merle-
mont. Quoique la chapelle soit aujourd'hui affectée à des usages
profanes , la pierre tumulaire de saint Arnoult est restée dans
le sanctuaire, et quelques pèlerins ne laissent pas que de la vi
siter encore.
De graves historiens ont dit que cette chapelle avait été érigée
en l'honneur du saint ermite et dédiée sous son nom. Nous
pensons qu'ils se sont trompés, et nous soutenons d'autant plus
notre assertion que la bulle du pape Alexandre IV, donnée à
Viterbe, le xvi d'avant les calendes de mai de l'an i258, dit
positivement que cette chapelle était dédiée à la Vierge Marie,
et que les cent jours d'indulgence qu'elle accorde à ceux qui
visiteront cette chapelle, elle les accorde à deux fêtes de la Sainte-
Vierge : à son Assomption et à sa Nativité. Voici, du reste, le
texte même de la bulle : « Cum igiiur, sicut iecia nobis, vestra
petitio continebat : ad capellam béate Marie de Profondavalle, ad
resirum monasterium periinentem , Befracensis diocesis , fidelium
58 NOTIGB
ilia pûrtium muititvdo coricurrat. Nos cupienies ut iidem fidffes
capellam ipsam eo libentius adeant , quo ex Inde potioribus donis
senserint se refecios , oynnibus vere penitentibus et confessis^ qui
eamdem cape l tant , in Àssumptione et in Natiritate , gloriose fir-
ginis Marie festivitatibus , cujus est insignita vocabulo^ nec mm
et infra ocfaras festivHatiun ipsarum annuatim venerabiliter visi-
ta rini , de Ontnipotentis Dei misericordia et beatorum Pétri et
Pauii apostolorum ejus auctoritate cmifisi, centum dies de injuncta
sibi pénitent ia misericorditer relaxamus, Datum Viterbii^ xvi Acf-
iendas maii, pontiflcatxis nostri anno quarto.
Comme od venait invoquer saint Aruoult dans cette chapelle,
les populations auront peu à peu substitué le vocable de saint
Aruoult au vocable véritable dans Tappellation commune , et
c'est ce qui aura induit ces historiens en erreur.
Paris, — Une maison, rue Saint-Jacques, près de Saint-
Benoit et une autre au bout de la rue du clos Brunot, données ,
en 126i , par Guillaume Le Barbier.
Deux maisons , sur le mont de Sainte-Geneviève, données,
en 1250, par Pierre Lombard.
Pierrepont. — Deux muids de blé de rente sur la terre de
Pierrepont , donnés, en i207, par Knguerran du Cardonnois.
PlainvaL — Une partie des dîmes, donnée par Payen Gambon
(lji3), les chanoines de Saint-Amand de Noyon (lâriO), Pierre
d'Haudivillers, chevalier (1205), et Gautier de Plainval , chevalier
(1221).
Rantiyny. — Une maison assise sur un arpent de terre, en
la me de Greil, donnée, en 1200, par Gautier de Vlllers-Sainl-
Paul, chevalier , et Marie de Plainval, sa femme.
La dlme du lieu , par donation de Simon Liziard , en 12:^0.
Heuil'Sur-Hréche. — Une maison et ses dépendances, sise
auprès du cimetière, données, en USM , par Miquelol Le
Boucher (1).
(I) L'abbaye de Froidmont avait en oatre à Reuil , ses trois grandes
fermes de Mauregard , du Camp-Coutant et de la Borde-Mauregard , et
une grande partie de la seigneurie du territoire , à coté de la seigneurie
laïque de Reuil. Celle (iernière était possédée par la famille de Reuil .
SUR L ABBAYE i)fi FROIDMONT. f>9
Rochy-Condé. — Deux mines de blé de rente sur le presby-
tère du lieu.
Saim, — Deux muids de blé de rente sur la terre de Sains,
donnés , en 119i , par Osmond de Sains , chevalier.
Saint-Denis. — Une maison , avec masure et vigne, donnée,
en 1207 , par Alelme de Poix.
Saint- Jus t'des-Marais. — Quatre mines de terre , lieudil la
qui donna le jour à Oadard de Reuil, vivant en 1145 (Tit. de l'abbaye de
SaiDt-Paal) ; Pierre de Reail, en 1164 (Tit Lannoy) ; Hugues et Thibault de
Reuil, eh 1187 (tit. Chaalisi. Bernard de Reuil, chevalier, abandonna à
l'abbaye de Froidmont , en U90, deux muids de blé qu'elle lui devait sur
sa grange de Mauregard, du consentement de Pétronille, sa femme, Marie,
Alix, Martine et Leudgarde, ses filles, Gautier et Yermond, ses frères,
et Jean , fils de Gautier, son neveu.
En 12*25, Simon de Reuil, chevalier, transige avec Froidmont. Il eut
entre autres enfants d'Aveline, sa femhie , Baudoin , Giton , Jean , Aveline,
mariée à Sinlon de Nolntel , Euphémie , Prieure.
Baudoin de Reuil, chevalier, seigneur dudit lieu, transige avec Froid-
mont , en L2tô , 1230. Il était alors marié à Ermengarde , dont il eut Jean
de Reuil, chevalier, seigneur de Reuil, en 1350 (Tit. de l'HôleUDieu de
Beauvais). Le flts de ce dernier , Baudoin de Reuil, écuyer , et Jeanne , sa
femme . transigèrent, en 1302, avec l'abbaye de Froidmont. il avait pour
frère Guillaume de Reuil , écuyer.
En liOO , la seigneurie de Reuil était à Jean de Gouy, qui épousa Rôbine
de Bacquencourt , dont 11 eut Guillaume de Gouy, seighenr de ReuiUsur-
Brêche, vivant en 1425; Louis de Goùy, dis de ce dernier, seigneuh de
ReuU, après la mort de son père (1471), moiirut sans enfants, H Jean l"*
de Gouy, son frère, hérita de la terre de Reuil, vers 14^2. Jean II de
Gouy, son Uls , vivant en 1518 , fut père d'Antoine I*' de Gouy, seigneur
de Reuil. Celui-ci eut pour flls Antoine II de Gouy , seigneur de Montreuil-
sar-Brécbe et Ponceaux.
Cette terre de Reuil alors vendue , fut partagée entre la famille de
Formé et celle de Torcy. Raoul Formé était encore dit seigneur en partie
de tieuil en 1551 . Antoine de Torcy, seigneur en partie de Renll , fut
père de Charles , David , chanoine de Beauvais , Robert , seigneur de
Bosroconrt.
Charles dé Torcy, chevalier, seigneur en partie de Renll, épousa Louise
Formé, rillé de Raoul, dame de l'autre partie de Reuil, et en eut :
Robert de Torcy , seigneur de Reuil . Vendeuil , Noyers , qui épousa
CO NOTICE
Trupioière , données , vers 1 ^Or», par Jean de Caigneux , seigneur
dudit lieu.
Saint-Just-en-Chamsoe. — Quatorze sols, six deniers de
cens sur une maison et une masure.
Saint-Remy-en-rEan. — La dîme de la partie du territoire,
sise entre Erquinvillers, Cuignicres et Argenlieu, donnée, au
xiii« siècle, par Guy, curé de Saint-Remy, qui l'avait achetée,
en 1«35, des héritiers de Baudoin Morel.
Savigny, Aulnay-les-Bondy {Setne-et-Oùe . — In muid de blé
de rente sur la terre de Savigny, donné, en 1191 , par Adéline,
dame d' Aulnay-les-Bondy.
Seneeourt {Baiifeva/'. — Deux muids de vin de renie sur
Françoise de Sainte-Beuve, dont 11 eut Louise , mariée ix Tbomas d'Anglos,
seigneur en partie de Vendeuil et de Froissy , Antoine et Jeanne* marit^e
à Robert de Crény.
Antoine de Torcy, seigneur de Reuil, Vendeuil , Rouvroy- les- Merles .
épousa en premières noces Françoise Cbuperel , veuve de Raoul Formé ,
et en secondes noces Catherine d'Istres , dont II eut Louis et Françoise.
Louis de Torcy , chevalier , seigneur de Reuil , Bonneval , Montigny,
Hardivillers , capitaine de cent hommes d'armes , mourut en 1661 , après
avoir épousé Susanne de BoulalnvtUers-Saint-Salre , sœur d'Anne de Bon-
iainviliers , dame de Merlemont , dont il eut Charles, Philippe , gouver-
neur d'Arras , qui fit les seigneurs de la Tour (Monligny), Louis , seigneur
de Bonneval , tué au siège de Hontauban (1G21), Cbarlotte , religieuse à
Pentbemont, Marie, Elisabetb, Madeleine et Claude. '
Cbarles de Torcy , seigneur de Reuil , mourut en 1642 , laissant de ^
Françoise de Rouvroy , Susanne , François , Louis , seigneur du Qef ^
Viveret , qui épousa Marie-Oertrude Fouquet . dont il eut Charles , i
seigneur du Viveret et Marie- Françoise. i
François de Torcy, chevalier, seigneur de Reuil, Rouvroy, épousa, ,{
en 1663 , Ursule d'Amfrevltle , dont il eut Jacques-Honoré , Marie-Catbe- ,
rine et Cbarles. ^
Jacques-Honoré de Torcy , chevalier , capitaine de cavalerie , fut tué
devant Barcelone en 1714. Il avait épousé Anne Laleau , dont il eut Jean-
Clément-Victor de Torcy. '
Kn 1674 , la terre de Reuil saisie sur François de Torcy , fut adjugée à i
Kiisabeth de Sermoise, veuve de Philippe Ghesnel, marquis du Meux ; 1
eile avait eu de son mariage Hiérôme-Pbilippe Chesnel , seigneur de ^
Reuil et Charles, seigneur de Ponceaux.
SUR L abbaye; de froiumont 61
le clos de Senecourt, donnés, en 1201, par Basilie, sœur de
Guillaume de Mello. Celte rente fut convertie en une rente de
vingt-cinq livres tournois, à la demande de François, duc de
La Rochefoucauld , prince de Marcillac , seigneur de Liancourt
et Senecourt, en 1687.
Therdonne. — Le flef de Goumal, à Bourguillemont , que le
monastère possédait déjà en i2U.
Tromsencourt. — six mines de blé de rente sur la ferme
de Troussencourt , données , en 1218 , par Raoul de Granville ,
chevalier.
rily-Saint-Georges, — Ln muid de blé de rente sur la
seigneurie du Bols-Morel.
Valescourt, — Trois mines de blé et trois mines d'avoine
sur la terre de Valescourt, données, en 1248, par (Guillaume de
Valescourt, chevalier, seigneur de Berone, à son départ pour
la croisade. »
VillerS'Sur-Thère (Allanne.) — Une maison et quarante mines
de terre, données, en 1414, par Agnès Moinette, sœur de Robert
d'Hardivillers.
Villotran. — Les grosses et menues dîmes de Mesanguy, et
d'une partie de Villotran.
On a pu remarquer, dans cette longue énumération , que
presque toutes les propriétés du monastère devaient leur origine
à la pieuse muniUcence de nobles chevaliers ou de riches pro-
priétaires fonciers. Presque toujours ces biens étaient venus j)ar
des donations, et les acquisitions n'apparaissent guère avant la
moitié du xiii« siècle. C'est qu'aussi les constitutions primitives
de l'ordre, qui permettaient d'accepter les donations, défen-
daient d'acheter aucun immeuble à titre onéreux. Les chapitres
généraux de 1191 et de 1205 renouvelèrent cette interdiction, et
si celui de 1216 la leva, celui de 1240 la confirma. Dans la suite
des âges, quand la générosité des grands seigneurs prit un autre
cours, l'usage contraire prévalut. Ainsi, en fut-il aussi de cet
article de la Charte de Charité, qui interdisait aux religieux cis-
terciens la collation des églises, la possession des villages, des
serfs, des fours et moulins banaux. Le relâchement introduisit
des modifications que les temps firent juger utiles, et même
62 >OTIC|i: SUR l^bbàyk uk froiumont.
nécessaires; mais ils ne furent pas toujours à l'avantage de la
vie régulière.
On a pu dire que la vaste étendue de ces propriétés , en cons-
tit^ant une immeqse richesse territoriale, fut un al}us qui causa
un grave préjudice aux ordres religieux. Ce ne flit pas vrai tant
que ces communautés cultivèirent leurs biens par elles-mêmes;
mais quand elles les firent exploiter par des merccMaires ou des
fermiers, quand elles se furent soustraites au rude labeur des
champs, pour mener une vie moins durement occupée, le relâ-
chement s'introduisit dans la pratique des observances reli-
gieuses, et alors leur richesse devint un danger pour elles. L'ab-
baye de Froidmont n'échappa pas plus que les autres à ce fâcheux
résultat, et sa large bienfaisance ne fut pas toujours un dérivatif
suffisant. Elle devint une riche proie que la noblesse convoita,
et sur laquelle s'abattirent ses enfants, sous le titre d'abbés
commendataires / pour sucer la plus belle partie de ses revenus,
en attendant que les envieux et les déshérités du tiers vinssent
la mettre en lambeaux. Les idées de iTM> et leurs adeptes brisè-
rent cette fortune et en jetèrent les morceaux épars aux mains
avides de gens qui ne remplacèrent pas, pour les pauvres, ses
anciens et légitimes possesseurs. On avait bien pu, avec ses dé-
pouilles, enrichir des prolétaires ; mais on ne sut pas leur donner
en même temps des sentiments généreux.
On pariait alors beaucoup trop des droits de l'homme pour ne
pas faire oublier ses devoirs. La morgue et l'égolsme du parvenu
éteignirent la bonté et la délicatesse du cœur, et ces biens, qu'une
bienveillante générosité avaient donnés, qu'une compatissante
charité avait administrés, devinrent enfin la possession de gens
qui , trop souvent, ne connurent ni l'une ni l'autre de ces qua-
lités.
L.-E. DELADKEUE.
PIÈGES JUSTIFICATIVES.
L ■ ' . ' JJ
Clarté d'Odon il. éréque de Beaurais. coifirmant l'abaDdon. par le chapitre de Saint-
Nichel de Beaurais, de sa part do dime sor les terres donoées par llix de Balles
ponr la foidatieo de l'abbaye de Freidnont.
Kn 1184.
In nomine sancte et indJvidue Trinitatis. Ego Odo Dei gratia Belvacensis
episcopas . notam volo fleri tam presentibas qaam fataris , quod domina
Aelidis de Baglis et fllii ejas , Lancelinus videlicet et Manasses et eoram
soror Beatrix , terram HIam , qaam in dominio possidebant m territorio
Harmaram. ecclesie Béate Marie de Tria dedenint pro remedio animarnm
suanim. Hojas siqaidem terre tertiam partem décime majoris, que est
inter ecclesiam beati Micbaelis et ecelesiam sancti Sepalcbri de VHlari,
dominas Ursio ejosdem ecclesie, videlicet sancti Micbaelis, decanus,
nostro et quampioriam rogatu et totias capital! sai assensa , bi presentia
nostra prefate ecclesie Béate Marie , sob dominicali censu quatuor mina-
ram frumenti , bénigne concesslt. Minutam vero decimam totam , que ad
altare pertinet , quod proprium est sancti HicbaeUs , censualiter pro sex
minis avene eidem supradicte ecclesie perpetao jure , possidendam capi-
tuli sui auctoritate flrmavit. Hic vero censas , videlicet quatuor minarum
framenti et sex mbiarum avene persolvendus est in festivitate sancti
Remigi ad grangiam suam apad Karmas. Ne vero casa aliqao impediente
possit inflrmari, vel temporum diatamitate oblitterari , hoc cyrographum
rogata ejas factum , sigUli nostri impressione dignam daxtmas conflrmari
et testium suppositoram presentiali testlmonio corroborari. Signa cano-
nicoram sancti Pétri : Sign. Rogeri decani. Sign. Yalerannl arcbidiaconi.
Sign. ArnuiA canonici. Sign. Radulâ canonici. Sign. Ursionis decani sancti
Micbaelis. Sign. Odonis thesaurarii. Sign. Erchangeri prepositi. Sign. Odonis
canonici. Sign. Jobannis canonici. Signa laTcorum : Sign. Engerberti mo-
netarii. Sign. Bemeri fllii Roberti. Sign. Engulgeri fllii Gamelini. Actam
64 NOTICE SUH l'abbaye DE FHOtDMONT.
Belvaco aiiiio ab incarnatione Doniini m <:xxiliv, indictione ii'. epacta iv,
Ludovico rege Francorum régnante (l).
Confirmation par Odon, évéquede Brauvais. des donations d'âdélaïde de Bulles, de Pierre
el Baool de Bailleol, des maires Pierre et Warnier, el de Bickelde de Bresles.
An 1136.
lu nomine Patris et Filii et Spiritas sancll. Amen. Odo Dei volunUte
Beivacensis episcopus, Trie monasterio et fratribus qui in eo sont tempore
tam presenti quam futuro in etemum substîtaendis. Cbarilatis opus est
fratres fratribas , religîosos religiosis condescendere votis. Ea propter
fratris nostrt Galerani , abbatis de Ursicampo , piis precibus annueiites,
Trie frâtibus presentibus et faturis, assensu et concessione tôt lus capituli
nostri, quicqaid de feodo noslro in terris, in nemoribus, in pascuis, in
pratis , in aqais , vel etiam in decimis acquisierunt vel acqairere poterunt
et omnia usuaria in territorio de Braele, jore perpetao possidendam con-
cedimus.
Porro domina Adelidis de Buglis et tllii ejus Lancelinus videlicet, Ma-
nasses et Rainaldus , sororqae eorum Beatrix et ejusdem Beatricis fllie
Hildeburgis et Mathiidis , quicqaid in montana terra Harmarum in dominio
possidebant , tam in planis qaam in fratetis usque ad magnum nemus,
quod vocatur Heiz, et quamdam partem ipsias nemoris, quicqaid videiicet
continetur inter assignatas metas in iongum , iu iatam vero qaicqaid con-
linetur a supra dicta montana terra usque ad marescum , et de ipso ma-
resco quicqaid babebant inter aquam et nemus de Heiz, a principio vide
licet ipsias nemoris usque ad flnem ; et etiam quicquid in ipsa aqua babe-
bant , in elemosinam iisdem supradictis fratribus per manum nostram in
perpetuurn libère possidendum contradiderunt , et de feodo suo quicquid
acquisierunt vei acqairere poterunt similiter concesserunt. Omnia vero
usuaria nemorum suorum supradictorum videiicet Heiz et Hasoi et alio-
rum tam in alendis pecoribus omnimodis , quam in lignis comburendis et
ediflciis construendis , sine aliqua redditione sive pasnagii sive cujus-
cumque alterius consuetudinis , saepedictis Trie fratribus contuierunt. .
In biis omnibus supradictis Petrus et Wamerus majores quicquid ad
(1) Celle cliarte est citée par Loovet, l< i, p. 575, et par le Oallia Ckristiana, édit.
nova , t. z, Instrum. ecci. Bellov. n. xviii.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 65
ftuum Jus pertinebat, sine reclamatione alicajos consaetadinis , eisdem
supradictis fratribus llberom concesserunt. Homines aatem Harmaram
omnia usoaria qae in sapra nominata parte nemoris et etiam in montanis
fratetts babebant , pro escambio quod a dominis de Baglis acceperunt
nibli sibi retinentes sœpedictis fratribos libéra concesserunt.
Prelerea omuem possessionein Heremitarum apud Fresmont commo-
rantiuni, quam nobis reddiderunt, petitione ipsorum beremitarum et
concessione Pétri de Balioco, in cajus elemosina commanebant, Thrien-
sibus fratribus sine ulla contradictione etemaliter possidenduiu Iradi-
dimus.
Idem vero Petrus de Balioco terram , quam babebat prope domum be-
remitarum, et dimidiam partem abieti, unde major de Braeie aliam dlmi-
diam partem possidebat, et dimidiam partem pratorum in quibus idem
major similiter dimidietatem babebat, et dimidietatem totius terre, que
est inter fontem Alerici et terram Rogerîi ei a iatere moutis usque ad ma-
rescum , cujus terre aiteram dimidietatem Radulpbus de Balioco possi-
débat , prefatis fratribus dédit pro cambio quod a dominis de Buglis in
monte super Baliocum accepit.
Insuper et ipse Radulpbus de Balioco suam dimidietatem prefate terre
eisdem fratribus censualiler contuiit pro novem denariis singulis annis in
sanctl Remigil festivitate persolvendis.
Uuia etiam uxor Odonis , Ricbeldis videlicet , terram quam pater suus
Uerfridus major de Braeie dedit ei nubenti apud Glarummontem , jacen-
tem inter marescum ex parte Braeie et montem de Fresmont, concessione
patris sut et virl sut Odonis et beredum suorum , Tbriensibus fratribus tn
elemosinam tradidit
Quod vero totum ut ratum et omnino inconvulsum permaneat divina
anctoritate precipimus et sigilli nostri impressione contirmamus. Âctum
anno ab incamatione Domini miilesimo centesimo tric€simo sexto , indlc-
tione décima quarta, epacta décima quinta. Hli testes interfuerunt Henricus
arcbidiaconus , Joannes fliius castellani , magister Willelmus , Drogo de
Merlo et fllii ejus Drogo et Rainaldus , Guido de Yaliibns.
fAreh. de l'Oise. — Cartul de FfoidmoîU.J
Uifirsalioi de l'abbaye de heidneot par lovis fi, dit le Grès.
An 1187.
Ludovicus Dei gratta Francorum rex , Trie monasterio et omnibus fra-
tribus qui in eo sunt tempore tam presenti quam futuro in etemum subs-
Ulnendis. Honumentis ecclesiarum et religlosls maxime locis regia manus
T. vm. 5
66 NOTICE SUA l'abbaye DE FROIDMONT.
apponi débet, sane eleiiiosinc et orationes lidelium redemptio nostra est
et pereiines divitie. Siqaideni in pago et episcopata Belvacensi monaste-
rium Trie . qaod a domino abbale Ursicampi Galeranno ad ordinem cif-
tercii ediflcatum est , régie majestatis precepto monientes , locnm ipsam
cam appenditiis suis ab omni potestate secalari deinceps emancipatum
plena llbertate donamus et presentis pagine testimonio (^onfl^namus.
Porro quicumqae ipsi loco et eisdem fratribus de feodo et possessione
regni nostri et bonoris Jam collata , sive in posterom jaste conferanda
sunt, nos laadamos, et yenerabilis regine Adeialdis nostriqne fllii Ludovic!
juniorls régis assensu, perpétua et inconcussa llbertate tenenda concedi-
mus. Acium publiée Parisiis, anno dominice incamalionis millesimo cen-
tesimo tricesimo septimo. S. Rodolphi Viromandorum comitis et dapiferi
nostri. S. Guillelmi cubicularii. S. Hugonis constabularii. S. Hugonis ca-
merarii. Data per manum Stephani cancellarii.
Confirmation de l'ibbaje de FroidBOit par le pape hgèBelll.
Ao 1147.
Eugenius servus servorum Dei, dilectis tiliis Manassi abbati ecciesie
béate Marie de Fresmont ejusque fratribus tam presenlibus quam fuluris
regularem vitam professis in perpetuum. Quociens iilud a nobis petltor
qnod religioni et bonestati convenire dinoscitur, animo libenti nos decet
concedere et potentiam desideriis congruum impertiri suffragium. Qua
propter, dilecti in Domino ûlii , vestris justis postuiationibus clementer
annuimus et prefatam ecclesiam in qua divino mancipati estis obsequio,
sub beati Pétri et nostra protectione suscipimus et presentis scripti pri-
vilegio communimus, statuentes ut quascumque possessiones, quecumque
bona in presentiarum juste et canonice possidetis, aut in futurum con-
cessione pontiflctim , largitione regum vel principum , oblatione lidelium
seu aliis justis modis , Deo propitio , poteritis adipisci , ûrma vobis ves-
trisque successoribus et illibata permaneant, in quibus bec propriis duxi-
mus exprimenda : locum ipsum de Fresmont et circumadjacentia, que ad
idem monasterium pertinent , videlicet terras , décimas , aquas , prata ,
nemora et vineas, Goi, Brinviller, Grossimainil et Malreward. et quicquid
ad terri torium barum grangiarum pertinet, et décimas minutas et magnas
territoril earumdem grangiarum. Sane laborum vestroriim quos propriis
manibos aut snmptibus colitis , seu de nutrimentis vestrorum animalium
nuHus omnino bominum decimam a vobis exigere présumât. Decernimus
ergo ut nulii omnino bominum liceat prefatum locum temere pertnrbare
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 67
aal ejus grangias infringere vel eVadere seu ejnsdem aaferre , vel ablatas
retinere, minoere, aat aliquibus vexationibas fatigare, sed omnia intégra
conserventar eoram pro'quoram gobernatione et sastentatione concessa
sunt, asibus omnimodis profalura, salva sedis apostoiice auctoritate et
diocesani episcopi canonica jasUtia. Si qua igitur m futarum ecclesiastica
secularisve persona banc nostre constitationis paginam sciens contra
eam temere venire temptaverit seconde, tertio commonita, sinon satis-
factione congrua emendaveril, potestatis bonorisque sai dignitate careat,
reamqne se divino judicio existere de perpetrata iniquitate cognoscat , et.
a sacratissimo corpore ac sanguine Dei ac Domini nostri Jhesa Cbristi
aliéna Ûat , atque in extremo examine districte ultioni sobjaceat. Gunctis
autem eidem loco jasta servantibas sit pax Dombii nostri Jbesu Cbristi
et bic fructam bone actionls percipiant et apud districtum jadicem premia
eteme pacis inventant. Amen. Amen.
Ego Eugenias catbolice eccl. episcopas.
Ego Albericas Ostiensis episcopus.
Ego Vinarus Tascalanensis episcopas.
Ego Humbaldos presb. card. SS. Joannis et Paaii.
Ego Jobannes Paparo , card. diac. S^ Adriani.
Ego Hugo presb. card. S'' Laarentii in Lucinâ.
Ego jQlias presb. card. ecclesie S"^ Marcelli.
Ego Goido presb. card. ecclesie Pastoris.
Ego Jobannes presb. card. ecclesie sancte Sasanne.
Acta AUissiodori per manum Gaidonis sancte romane ecclesie diaconi
eardlnalis et cancellarii, un kalendas Augusli , indictione décima , Incar-
nationis dominice anno m* c xlvii% Pontiflcatus vero domini Eagenii
pape lU, anno m*.
. (Àrch. de VOise. — Cartul. de Froidmont.J
Stalnta siogolaria pro Dooasterio Frigidinontis.
DE SPECIALIBUS CONSUBTUDINIBUS.
1* Ad vigilias albsB cacailse habeantar usque ad Primam in byeme , in
sBstate asqae post Landes.
3* Intervallam byemale flet xxx psalmorum maxime per Adventum :
qoadragesiraale autem vu psalmorum.
3* Exiena de majori missa et qui non interfuit repetltioni Introitus
miss» etSabbato principio mandati et vigiliia pro defunctis, veniam inde
peut
68 NOTICE SUR l'abbaye DE KHOIUMONT.
4* DomiDica reclpiens benedictionem faciat coqainam et légat ad men-
sam , iicet alias Sabbato fuerit intitula tus.
5" Missa pro uno nostro presenti defuncto ad citius post unam ordi-
nem missarum celebratur.
6* Gonversi intersint Yesperls vlgiliarum solemnium, exceptis adventus,
S*^ Benedicti, sanctœ Trinitatis et Dedicationis.
7* Cereus paschalis sit librarum xi vel xii.
8* Ascendunt et implent per se Juniores alterius chori superiora stalia
per dlem.
9* Sacrista perdit orationes et benedictionem coUationis.
10" Gantus horologii non mutetur.
11" Pulsetur major campana modice ante Yigilias post casum horologii.
12* Finnt hosti» inter Pascba et Pentecosten , et candeise inter S. Jo-
hannem et Magdaienam.
DORHITORIUH.
13* Lectus non mutatur nisi per priorem et vestiarium, absente procul
abbate.
14* Meridiana vel post Gompletorium nullus ibi iegit , nisi sermocina-
tores et aliqui spiritales rotolos et rudes psalteria.
15* Jaceant cooperti usque ad cingulum , nec diu sint sine babitu dum
se exuant.
CAPITULUH.
16* Nullus ibi loquetur nisi in v casibus in Usibus prseter quinque spe-
cialiter assignatos. De guta aulem et remlssione nullus. In modico trans-
gressor vapulet : in multo , ad minus vino careat. Inobediens quoque
perlinaciter gravius puniatur et gradum intérim non ascendat.
17* Fugitivus morans per vu dies recipitur ad gravem culpam.
18* Hospiti defuncto redditur collecta vel vu psalmi.
19* Gonstituti extra terminos intersint capituiis , nisi necessariis oc ïu-
pati.
20* Sententiœ in Ramis Palmarum intersint conversi , novitii et fami-
iiares , nec dicttur in fine niât resipuerit.
31* Gonfessores omnes quos crediderint aliquatenus excommunicatos,
vel alium mendaciter diffamasse, vel mnltum gravasse, disseminatores
discordise et mentitos publiée abbati ad Ipsum remittant , nisi in articuio
mortis. Similiter frangentes silentium maxime ad mensam vel eis pœnam
Usuum imponant.
22* Nolentes detegere a quo audierent aliquld ponderosum ad grava-
men alterius maxime , pro meudacibus et ad inventoribus habeantur et
confltentes non absolvantur.
PIEGBS JUSTIFICATIVES. 69
^* Offlciales aotem excedentes sammam sibi ab abbate concessam ultra
VI denarios, prior etiam non absolvat, alii vero confessores ultra triam
âenariorom.
^* CriniiDosi occnlti a grada altaris prius consHio, postea prœcepto
abbatis arceantar.
CLAUSTRUM.
95* Syllabicantes scribentes creta, carbonibas , vel bujosmodi aliis, nisl
occasione sui offlcii , ponentes manum saper alios per apertam iram vel
dfssolatam ludam , proclanientur, et acriter punlantur : qui postqnam
potuit httjusmodi proclamare et scienter non proclamaverit , altaris gra-
dum non ascendat, donec proclamaverit. Simillter syllabicans, scribens
et ponens per dissolutum iudnm super allum abstineat donec recognoscat.
26* Signiflcans in ecclesia , dormitorio , refectorio , ad collationem
absque util! taie, etjuniores, oratiouem propter colloquium perdentes,
fere omnes vapulent.
RBFEGTORIUH.
â7<> Perdit versum qui non interest nisi pro ludere necessario vei pro
gravissima inârmitate, ille etiam qui non est anteJusUtiam suam occa-
sione ministrandi.
d8* Festis transpositia et solemnibus , sextœ feriae quadragesimse con-
sueta pitantia flat cnm altero pulmentorum tantnm, qnod subtrahitnr sem*
per cum ait pitantia generalis et solemnis ; mixtantibus ex consuetudbie
nibil datur, neque mutatur pitantia ei , qui allquando ex ea , aliqnando
non , quando mittitur pitantia a Priore ex parte abbatis prœsentis flat
signum : quo absente , Prior ultra très pitantias non faciat fleri. Qui cum
fuerlt coquinarius poterit dare conventui aiiqoid prseter pisces. Quod
nuUus alius fleri faciat » neque propter pitantias aliquis capiatur, Hostias
tamen Tacientibus aliquid detur diebus quibns nlhil datur conventui.
29* In visitatione, mane ultra duo fercula piscium abbatibus non detur,
nec monachis bospitibus ultra nnum , neque ultra dnas justitlas vini,
prœter primam singulis abbatibus apponitur, excepte visitatore. In cœna
autem unum solum ferculum piscium soiis abbatibus apponitur, unum
posait bospitibus et quibusdam provlderl.
INFIRMITORIUH.
36* Ibl nullus legit prœter divinum offlcium providendum et qui assidue
inflrmatur.
SI» Sabbato tanlummodo post mandatum , conventus iavet pedes , qui
voluerit et potiierit breviter et in publico.
70 NOTICE SUR L'ABBATE DE PROIDMOIIT.
82* In coqaina prsesente inflrmario cœteri sflent. excepto converso co-
qoinario. Sirolliter prœ^ente subinfirinario. Utroque ab'^ente , cœteri se-
condum prioralus soos cum coqainario vel silenter loquuntor.
dd* Eôdem modo cum inflrmario breviter, ubi et quando pitantiœ divi-
dantar, et in dispensaria vel loco ad hoc specialiter assignato. SubinQr-
marias autem ciim inflrmo non loqiiitar présente mini»lro ejus. Carnes
anserinœ et anaticœ et bovinœ non edantar et siive^tres non emantur.
34* Assidui ministri non dormiant super culcitras, msi jacueriut circa
infirmum super terram.
35* In cameriSf exceplis grayibus inflrmis , nallus sit, nisi cum abbate :
quo absente , nec minister cum ministro , nec minister cum inflrmo , nec
inflrmus cum alio loquatur.
36* Ante signum Tertlœ non comedont tempore byemis.
37* Hedici non nisi pro valde necessariis personis adducantnr.
38* Prior non det licentiam utendi electuariis et cseteris speciebas ma-
xime odoriferis , exceptis etintibere et liquerieia. De seminibas autem
fenicuU , petrosilis , seieris montani et hujusmodi potus , licentiam gene-
ralem non det : nec equitandi , nisi urgente utilitate evidenti , et ex con-
silio eorum per quos domus regitur. Eorumdemque consilio potest dare
usque ad valorem v solidorum eadem de causa. Aliàs vero potest dare
usque ad valorem xii denariorum , sed sœcularibus , absente dumtaxat
ceiierario et medio cellerario. Nec ingrediatur inflrmitorium , nec de la-
bore remaneat pro soiatio hospitis , nisi aoctentici.
39* Subprior nullo modo prsesomat exceptis donis modicis et de majo-
ribus cum prsedicto consilio, et qui in claustro et alibi conventui studeat
interesse.
40. Ceilerarius non mutuet ultra xx solidos, nec mutuo accipiat ultra
c soiidos , nisi personis et a personis ordinis ssBcularis et auctenticis. Do-
nare potest secundum quod sibi constitutum fuerit ab abbate. Circa quem
et alios sic abbas dispenset , ne ejus vUescat auctoritas. Omnes bestias
etiam sllvestres et nostras ter in anno adminus per se vel per alium faciat
computari.
4L" Sutcelierarius sotaiares , corrigias et bujusmodi non dat , nec de
bis quœ custodit nisi conventui et famitiariis et hospitibas in abbatia,
extra vero non mittit nisi de iicenlia speciaii.
42* Hercator cellerario sobjectus sit. Dare tamen poterit usque ad va-
lorem xti demariorum , ubi necesse fuerit. Pênes se tamen pecuniam non
servet, nisi viaticum modicum ad vivendum.
43* Yestlarius pannos spéciales ad acceptionem personarum non faciat,
nec alicui très cucullas sive vandiquet sustineat. Caputia conversorum
cum dantur sœcularibus deformentur. Studeat autem ut vestfmenta, cal-
ceamenta . corriglse et cntelli et alla sint absque superfluitate et curiosi-
tate et maxime de cappis et vestibus conversorum. Botae , calig», quam
PIECES JUSTIPItÀTlVES. 71
rarias poterit, dentur sœcularibus : cappœ vero et Thabar nonquam. Vestes
novitioram in receptam cellerarii convertaDtar.
44* Portarius societatem cuni sœcularibus in animalibus et aliis liabeat.
Mappas et alia necessaria ibi comedentibus et jacentibus Inventât et oon-
servet. Nibil emat , ut carius vendat. Porcos per curiam non habeat, sicat
neclnArmariaspauperum altro xx solidos Paristenses pênes se non servet :
nec uitra duos famnlos ad portam habeat ; nec ultra xx ribaldos ho^pites,
nec eosdem infra quindenain scienter. Mulieres lascivas et connptas re-
pellat. Fugitivis nibil det , vel dari faciat antequam ab abbale licentiam
babeant expectandi , nec postea nisi de reliqaiis pauperum , si tamen se
tenuennt in loco ab abbate constitnto.
4ô* Leprosos prœbendarios solus abbas augmentet. Panes etiam inte-
gros in parasceve recipiat et partem vint concessam.
46* Hagister conversoruni infirroos et officinas visitet singuUs sept!-
manis uno vel pluribus diebus.
GRANGIA.
47* Ibi vitra urinatia non habeantur et botœ. Magister potest dare ali-
qaando nsque ad vi denarios. Ad valorem aotem xii denariorum raris-
sime , et boc quasi compaliente necessitate. Non equitet extra territonum
grangise suœ , nisi m issus a superiore vel absque pernecessaria causa ali-
<{Uibus de sociis intimata. Aliis vero equitandi licentiam non concédât.
-iH* Conversus abbatis et hospitalis soli abbati in refectorio loquatur.
(Extrait du Voyage littéraire de deux religieux bihnédic^
tins de la congrégation de Sain^Maur.J
Bille d'AlexaiJre III csBlirinait Tabbaje de Fnidmil et tes petiesiisii/
An 1164.
Alexander episcopus servus servorum Dei dilectis ûlils Manassl abbati
sancte Marie de Fresmont, ejasque fratribns tam presentibus quam faturis
regularem vitam professis In perpetnum. Quotiens illad a nobis petitur
qnod religioni et bonestati noscitur convenire , animo nos decet libenti
concedere et potentium desiderifs congruum soffragium impertiri ea-
propter, dilecti in Domino filii , vestris justis postulationibus clementer
annuimus et prefatum monasteriium, in quo divino mancipati estls obse-
quio, sub beati Pétri et nostra protectione suscipimus, et presentis scripti
privilegio communimus. In flrmis siquidem statnentes ut ordo monas-
72 NOTICE SUR L*ABBAYE DE FROIMONT.
ticus, qui secondam Del timorem et beati Benedicti regalam, atqae Gis-
terciensiam fratram institotionem , in ipso manasterio insUtatos esse
dinoscitar, perpetais ibidem temporibas inviolabiliter obseryetur ; sta-
taentes nt quoscamqae possessiones, qaecQmqae bona idem monasteriom
in presentiarom joste et canonice possidet aat in futaram concessione
pontincam, largitione regam vel prineipam, oblatione lldeliaro , seu aliis
jastis modis, permittente Domino, poterit adipisci, firma yobis vestrisque
successoribos et illibata perroaneant , in qaibas bec propriis daximus
exprimenda vocabulls Qoicquid babetis in Hontiniaco (MorUigny, canton
de MaignelayJ, in Friencart (Friancourt, hameau de HermesJ, in Fai
(Fay-souS'Bois, hameau dAgnetzJ, in Vilera fYiUers-Saint'Sépulcre), in
Mesiemont fMerlemont, hameau de Warluis), in Deiimont, HeudU près de
Laversmes, apad Sanctam Felicem {Saint-Félix) et in Armas (Hermès), in
Mosteroi (Montreuil-sur-Thérain) , in Fresmont fFroidmont) et qnic-
qoid a monacbis Sancti Luciani Belvacensis (Abbaye de Saint- Lucien-tèS'
Béarnais) ralionabiliter recepistis. Grangiam de Goy (Gouy, hameau de
NayerS'Saini'Martin) corn omnibas ad eam pertinentibus ; grangiam de
Malrewart (Mauregard, hameau de ReuH-sur-Brêche) cam omnibas per-
tinentiis suis ; grangiam de Grosmenii (Grandmesnil, hameau de Cam-
premy) cum omnibus perlinentiis ; grangiam de Brunviier (BrtmvUlers)
cum omnibus pertinentiis suis » decimam de Plena valie (Plainvalj
quantum ad vos pertinet; decimam de Levresmont {levremont, ha^
meau de Plainval) , deciman de Brunviier; medietatem nemoris de
Fomisvai (Foumival) ; grangiam de Verreria (La Verrière -Saint -
Féiix) cum omnibus pertinentiis suis ; grangiam Yeteris Abbatie , cum
omnibus pertinentiis suis ; grangiam de Profunda vaile (Parfondeval,
hameau de Warluis) cum omnibus pertinentiis suis. Sane laborum
vestrorum quos propriis manibus aut sumptibus coiitis , sive de nutri-
mentis vestrorum animaiium, décimas a vobis nullus présumât exigere.
Si qua vero iib^ra et absoluta persona, pro redemplione anime sue, vestro
monasterio se conferre voluerit, suscipiendi eam facuitatem iiberam ba-
beatis. Adjicientes etiam auctoritate apostolica, interdicimus nequis
fratres vestros clericos sive laïcos, post factam in vestro monasterio pro-
fessionem, absque vestra iiceniia , suscipere audeat , vet retinere. Paci
quoque et tranquiiiitaii vesire paterna soiiicitudine providentes , aucto-
ritate apostoiica probibemus ut infra clausturam locorum sive grangiarum
vestrarum nuilus violentiam, vei rapinam, sive furtum facere, vel bomi-
nem capere audeat. Decernimns ergo ut nuiii omnino bominum iiceat prefa-
tum monasterium temere perturbare , aut ejus possessiones auTerre , vei
abiatas retinere , mlnuere aut aliquibus vexationibus fatigare, sed omnla
intégra conserventur eorum pro quorum gubernatione et sustentatione
ronccssa sunt, iisibus omnioiodis profutura , salva sedis apostolice auc-
inrice. Si qin igiliir pcrlesiasllca ««ecnlarlsve persona banc nostre cona-
PIRGBS JUSTIFICATIVES. 73
tltutlonls paginam sclens contra eam temere venire tentaverit, secundo
tertlove commonita, si non satisfactione congraa emendavit, potestatis,
honorisqae sai dignitate careat , reamque se divino judicio existere de
perpetrata iniqaitate cognoscat , et a sacratissimo corpore ac sangnine
Del et Domini Redemptoris nostri Jeso Christi aliéna flat , atque in ex-
Iremo examine dlstricte ollloni subjaceat. Ganctis autem eidem ioco sua
jara servantibus sit pax Domini Nostri Jesn Christi quatinus et hic fructum
booe actionis perciplat , et apud districtnm judlcem premia eteme pacis
inveniat. Amen. Amen.
LOGVS siçilli. Ego Alexatcdeh catbolice ecclesie episcopus SS.
t Ego Hubaidus, Hostiensis episcopus SS.
t Ego fiemardns, Portuensis et sancte Ruilne episcopus SS.
t Ego Guaiterus, Albanensis episcopus SS.
-^ Ego Hnbaldus presbiter cardin. tit. S** Cruels in Jérusalem SS.
t Ego Henricns, presb. cardin. tIt. SS. Nerei et Achille SS.
t Ego Aibertus, presb. cardin. tit. S*^ Laurentii in Lucina SS.
t Ego Guiiielmus, tit S" Pétri ad vincula presb. cardinalis SS.
t Ego Jacintus, diae. card. S*" Marie in Cosmedin SS.
t Ego Oddo, diac card. S*^ Nicolai SS.
t Ego Eustachins, diac. card. S^ Adriani SS.
t Ego Manfridus, diac. card. S^ Georgii ad vélum aureum SS.
Datum Senonis per manum Hermantii s*' romane ecclesie subdiaconi et
notarii XIIII Icalendas novembris. indictione XIIls Incarnationis dominice
anno H* G* LXIII», Pontiflcatus vero Domini Alexandri pape HI anno VI.
(Arch. de VOise. — Cart. de Froidmont.)
m* r.
PriTiléfe de Philippe-Aogii»le.
An 1190 (jain).
Philippns Del gratia Francorum rex, preposltis et bail! vis suis omnibus
ad quos présentes litteras pervenerint salutem. Universos qui de Gyster-
tiensi ordlne snnt quodam speciail privilegio amoris preceterls, qui reli-
glonis habitum assumpserunt, fovere intendimus. Inter eos tamen quos-
dam familiarius diligentes preciptmus vobis universis et singulis quatinus
abbates monachos et fratres Yallls Sancte Marie , Curie Dei , Lorreis,
Sacre cellfe , Sancti Portus , Karoli loci, Longipontis, Oardi, Ursi campi,
Valences, Alneti, Belli Prati, Fresmont, cum universis rébus ad jam dicta
monasterfa perlinentibus in nostra custodia et protectione susceptis, ii>
74 NOTICE SUR L* ABBAYE DE FROIBMOIfT.
pace et quiète liberatos ab incarea malignantiam manere laciatis; hoc
autem dicimas de rébus que in nostro dominfo constitute sunt. Si qnis
vero de rébus fratrum predictoram monasterium in potestatibns restris
aliquid sine clamore ceperit, tantum de rébus malefactoris capiatis, ex
precepto nostro, quod res eisdem sine mora restitnantur, et foris factum
emendetur. Si quis antem de baronibns nostris, vel aiiqnis de servis eorum
aliquid injurie jamdictis fratribus , vel rébus eorum inrerre presumpserit,
voiumus ut ipsi vei eorum justiciarii, super emendacione injurie, vel fore-
facti, quantocius conveniantur, ut eis res que ablale fuerint restiiuantur et
forefactum emendetur, attendentes quod si quis vestrum. quod non cre-
dimus, precepli nostri transgressor extiterit, tociens nobis cenlum solidos
parisienses pro emendatione dabit, qnociens ab bujus precepli nostri exe-
cutione, ab abbatibns vel fratribus predictis requisitus, defecerit. Quod ut
perpetuum robur obtineat sigilio nostro conflrmamus. Actum Parisiis,
anno Yerbi incarnati H* G* XC Hense Jnnio.
Saint Louis, par lettres données à Paris , au mois de septembre 1^258,
confirma ces lettres de sauvegarde, à la prière de l'abbé et du couvent
de Beaupré. . . . precipientes universis baliivis et prepositis nostris
ut abbatem et monacbos ac fratres ejusdem monasterii ab incursu maii-
gnantium liberatos faciant in pace ac quiète manere et eosdem ae bona
ipsorum in suis potestatibus constituta custodiant et défendant , prout in
predictis avi nostri litteris continetur, non permittentes Ipsos super
bonis suis ab aiiquibus sîbi subditis indebite moiestari.
fCartui de Beaupré.)
Bulle do pape lacini III coDfirmant la jonation par Gérard de Beauvais
d'nne maison siu à Beaavais.
(Sans date, de 1181-1186.)
Luclus episcopus servns servorum Dei dilectis fiiiis abbati et fratribus
de Fresmont salntem et apostolicam benediclionem. Justis petentium de-
siderlis facilem nos convenit prebere consensum et ea que a rationift
tramite non discordant , eftectu prosequente complere. Ba propter, di-
iecti in Domino fllii , vestris justis postulationibns grato concurrentes
assensu, domum qnam Gerardus Belvacensis in elemosinam monasterio
vestro, in ipsa Belvacensl civitate, concessit, nos vobis et monasterio
vestro, sicut eam juste et paciftce possidetis, auctoritate aposlolica con-
flrmamus et presentis scripti patrocinio communimus. Nulli ergo omnino
bominum liceat banc paginain noslre conflrmationis infringere vel ei
PIBGBS JUSTIFICATIVES. 75
aasa temerario contraire. SI quis autem hoc attentare presampserit, in-
dignationem Omnipotentis Dei et Beatoram Pétri et Paoli apostoiorum
ejas $e noveritincarsuram. Datum Anagnie IIII Kalendis novembris.
(Scellé en plomb.)
(Arch. de VOise. — Cariul. de FroidmonLJ
IV »,
Bille d'iBBoeeit III presait les religieex de Froidnont sens sa proleetion .
et coailnBaRt leor abbaye et ses possessiois.
An 1203.
Innocentias episcopus servua servoram Dei, Dilectis filiis Salicio abbati
de Fresmont ejasque fratribus tam presentibos quam fotaris religiosam
yitam professis in perpetaam. Religiosam vitam eligentibus apoatolicum
convenu dare presidiam ne forte cujus libet temeritatls motus aut eos a
proposito revocet aat robur, qnod absit , sancte religionis infringatur.
Ea propter, dilecti in Domino fllii, vestris jastis postulationibus clementer
annuimus et prefatum monasterium sancte Dei Genitricis et Virginis
Marie de Fresmont , in quo divino mancipati estis obsequio , sub beati
Petrl et nostra protectione accipimos, et presentis scripti privilegio com-
manimus. Imprimis siquidem stataentes ut ordo manasticus , qui secun-
dum Deum et beati Benedicti regalam atque institutionèm Clsterciensium
fratrum , in eodem monasterio constitutus esse dignoscitur, perpetuis
ibidem temporibus inviolablliler observetur. Preterea quascumque pos-
sessiones , quecumque bona , que idem monasterium in presentlaram
juste et canonice possidet, aut in futurum concessione pontiflcum , lar-
gitione regum vel principum , oblatione fidelium seu aliis justis modis,
prestante Domino poterit adipisci ; firma vobis vestrisque successoribus
et iilibata permaneant. In quibus bec propriis duximus exprimi voca-
balis, locum Ipsum in quo prefatum monasterium situm est cum omnibus
pertinences suis. Partem in foresta de Hez in dominio possidendum, et in
tota foresta usuaria , et quidquid habetis in bosco , piano , pascuis , que
domini de Bulis et de Clermont vobis in elemoslnam contulerunt. Gran-
giam de Malregard cum omnibus pertinences suis. Boscum et terram de
Mesnil de Malle Regard. Vivarium , piscariam et cursum aqne llberum de
Brèches àd molendinum vestrum. Grangiam de Goy, cum omnibus perti-
nenciis suis. Boscum de Ferreux. Grangiam de Mesnil, cum omnibus per-
tinentiis suis. Grangiam de Fossa Theobaldi, cam omnibus suis pertinenciis.
Grangiam de Cormeilles , cum omnibus pertinenciis suis. Grangiam de
Verreria, de Profunda valle et de Veteri abbatia. ciim omnibus petinenciis
76 NOTICE SUR l'aBBAYK DE PROIDMONT.
sois. Qaidquid habetU in montibas Armaram et de Fresmont et quidquid
babetls in boscls de Husiere et Ailincoart Quidquid babetis in villis de
Fresmont, de Breia, de Balllol , de Harmes, de Sançto Felice, de Goldreio,
de Calioe, de Farnival, de Mestemont, de duobus Honsterol, de Yilers, de
Hodiviters, de Noiers, de Lits, de Campo Remigll, de Hontigny, de Ya-
Yenies, de Plena Yalle, de BrunYiler, de Galnis , de Montiniaco et in ter-
ritorio earumdem. Quidquid habetis in ciYitate Belvacensi et in castris de
Glaromonte, de Beliomonte, de Honte Desiderii et in territoriis eoramdem
et quidquid etiam in supra dictis babetis, sive in Yineis , in decimis, viis,
semltis, pascuis, usuagiis et omnibus aliis libertatibus et immunitaiibus
vestris. Sane laborum veslrorum quos propriis manibus aut sumptibus
colitls tam de terris cultis quam Incultls, sive de ortis et virgultis et pis-
cationibus vestris, vei de nutrimentis animalium vestrorum nullus a Yobis
décimas exigere vel extorquere présumât. Liceat quoque YObis clericos,
yel lat^os liberos et absolulos, a seculo fugientes, ad conversionem reci-
pere, et eos absque contradictione aliqua retinere. Probibentes insuper
ut nulii fratrum Yestrorum post factam in monasterio Yestro profes-
sionem fas sit sine abbatis licenlia de eodem loco discedere, discedentem
vero , absque communium iitterarum vestrarum cautione , nutlus audeat
relinere. Quod si quis retinere lorle presumpserit , licitum sit Yobis in
ipsos monacbos vel conversos regularem sententiam promulgare. Illud
districtius inbibentes ne terras seu quodlibet beneflcium ecclesie vestre
coliatum liceat alicui personaliter dare seu alio modo alienare absque
consensu totius capituli vel majoris aut sanloris partis ipsius. Si que
vero donationes vel aliénation es aliter quam dictum est facte fuerint.
eas Irritas esse censemus. Ad bec etiam probibemus ne aliquis monacbuà
sive con versus sub professione vestre domus , sine consensu et iicentia
abbatis et majoris partis capituli vestri , pro aliquo ûde jubeat , vel ab
aliquo pecuniam mutuo accipiat ultra pretium capituli vestri providentia
constitutum , nisi propter manifestam domus vesire utiiitatem. Quod si
fecerit vel receperit, non teneatur conventus pro biis aliquatenus respon-
dere. Licitum preterea sit vobis in causis propriis , sive civilem sive cri-
minalem contineant questionem , fratrum vestroram testimoniis uti , ne
pro defectu testimonii , jus vestrum in aliquo valeat deperire. Insuper
auctoritate apostoiica inbibemus ne uUus episcopus vel alta quelibet per-
sona ad siuodos vel conventus foreuses vos ire , vel judicio secuiari de
propria substantia vel possesslonibus vestris subjacere compellat, nec ad
domos vestras , causa ordines celebrandi vel conventus aliquos publicos
convocandi , venire présumât , nec regularem abbatis vestri electionem
impediat , aut de instituendo vel removendo eo qui pro tempore fuerit
contra statuta Cysterciensis ordinis , se aliquatenus intromitlat. Si vero
episcopus in cujus parocbia domus vestra fundataest, cum bumiiitate
ac devotione qua convenit requisilus , substitutum abbatem benedicere.
PIECES JUSTIFICATIVES. 77
et alia que ad offlciam episcopale pertinent , vobis conferre reuuerit, 11-
cituni sit abbati , si tamen sacerdos faerit , proprios novitios benedicere
et alia que ad offlcium ejus pertinent exercera , et vobis omnia ab alio
episcopo percipere, que a vestro fuerint indebite denegata, illad adji-
cientes ut in recipiendis professionibus, que a benedictis vel benedicendis
abbatibus exhibentur, ea sint episcopl forma et expressione contenu, que
ab origine or Jinis noscitur instituta , ut scilicet abbates ipsi salvo ordine
suo profiter! debeaiit et conti*a statnta ordinis sui nullatenus prores-
slonem facere compellantur. Pro consecratione vera altarium vel eccle-
siarum , sive pro oleo sanoto , voi quolibet alio ecclesiastico sacramento,
nallos a vobis sub obtentu consuetudinis , vel alio quolibet modo quid-
quam audeat extorquere, sed bec omnia gratis vobis episcopus diocesanus
impendat. Alioquin llceat vobis quemcumque malueritls catbolicnm adiré
antlstitem gratiam et communionem apostolice sedis babentem, qui nostra
fretus auctorltate vobis quod postulatis impendat. Quod si sedes diocesani
episcopi forte vacaverit, intérim omnia ecclesiastica sacramenta a vicinis
episcopis accipere libère et absque contradictione possitis » sic tamen ut
ex bis in posterum propriis episcopis nullum prejudicium generetur. Quia
yero interdum propriorum episcoporum copiam non babetis , si quem
episcopum Romane sedis , ut dixlmus , communionem babentem et de
quo pienam noticiara habeatis, per vos transire contigerit, ab eo bene-
dictionem vasomm et vestium, consecrationes altarium, ordinationes mo-
nacborum , anctoritate apostolice sedis , recipere valeatis. Porro si epis-
copi vel alii ecclesiarum redores, in monasterium vestrnm vel personas
in ibi constitutas, suspenslonis, excommunicationis vel interdicti senten-
tiam promulgaverint, sive etiam in mercenarios vestros, pro eo quod dé-
cimas non soivitis, sive aliqua occasione eorum, que ab apostoiica beni-
gnitate vobis indulta sunt , sive benefactores vestros, pro eo quod aliqua
vobis bénéficia vel obsequia ex caritate presUterint , vel ad laborandum
adjuverint in iilis diebus, in quibus vos laboratis, et alii ferlantur, eamdem
sententian protulerint , ipsam tanquam contra sedis apostolice indulta
prolatam duximns irritandam. Nec iittere iste flrmitatem habeant , quos
tacito nomine Cisterciensis ordinis et contra tenorem apostoiicorum pri-
viiegiorum constiterit impertiri. Paci quoque et tranquilitati vestre pa-
tenta soUicitudine providere voientes, auctoritate apostoiica, probibemus,
at infra clausnras locorum seu grangiarum vestrarum nulius rapinam
seu furtum facere, ignem apponere, sangninem fundere, bominem tenere,
capere vel interficere , seu violenliam audeat exercere. Preterea omnes
libertates et immunitates a predecessoribus nostris Romanis pontiflcibus
ordini vestro concessas , nec non et libertates et exemptiones secularium
exactlonum a regibus et principibns vel aliis fldelibus rationabiliter vobis
indulta^, auctoritate apostoiica confirmamus, et presentls scripti privilégie
communimus. Decernimus ergo ut nnlli omnino bominum liceat prefatum
78 NOTICE SUR l'abbaye de froidmont.
iiianasteriain temere perturbare aut ejus possessiones auferre vel ablatas
retinere , minu6re seu quibusiibet vexationibus fatigare , sed orania in-
tégra conserventur pro quorum gobernatione et sustentatione concassa
sunt usibus omnimodis profutura , salva sedis apostolice aucloritate. Si
qu8B igitur ecclesiastica secularisve persona , banc nostre constitutionis
paginam sciens, contra eam temere venire lemptaverit, secundo terciove
commonita, nisi reatum suum congrua satisfactione correxerit, potestatis
bonorisque sui dignitate careat , reamque se divino judicio existere de
perpetrata iniquitate cognoscat et a sacratissimo corpore et sanguine Dei
et Domini Redemptoris nostri Jesu CbrisU aliéna fiat, atque in extremo
examine districte ultioni subjaceat. Gunctis aulem eidem ioco sua jura
servantlbus sit pax Domini nostri Jesu Cbristi et bic fructum bone ac-
tionis percipiat et apud districtum judicem premia eterne pacis inveniat.
Amen.
Locus sigilli.
Ego iNNOCBNTius , ecclesie catbolice episcopus SS.
Ego Joannes Albanensis, episcopus SS. , etc.
Datum AnagniaB per manum Joannis sancte romane ecclesie subdia-
coni Indictione VII. Incamationis anno M*. CC». III. Pontiflcatus vero
Domini Innocenlii pape III anno qulnto.
(Àrch. de fOise. — Cart. de Froidmont.)
LES
POÉSIES DE BEAUMANOIR
Le maouscrit (fr. 76(>9.') où sont réunies toutes les œuvres
poétiques de Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir^ et qui seul
nous les a conservées , avec un texte également unique du roman
de Han par Sarrasin, entra, en l'année 1715, dans la biblio-
thèque du roi (Louis XIV) par un don relaté en ces termes au
bas du deuxième feuillet :
Donné â la bibliothèque du Roy par M. JVatcanSj chanoine de
Tourna y, le 26 janvier 1715.
On ignore comment l'honorable chanoine avait lui-même ac-
quis l'ouvrage; mais on sait où se trouvait ce dernier vers le
commencement du xvi'* siècle, car une inscription de cette
époque , placée un peu au-dessus de celle qui vient d'être rap-
portée, le dit en ces termes :
C'est le romant de Hen appartenant à Monseigneur Charles de
Croy^ prince de Chimay, seigneur WAvesnes^ H^aurin, Ulliers,
Cette mention de Charles de Croy, prince de Chimay et sire
d'Avesnes, s'éclaircit à merveille lorsqu'on la rapproche des
renseignements fournis sur ce personnage et sa famille par
le père Anselme, au tome v (p. 631-H61 et surtout p. G53) de son
histoire généalogique de la Maison de France. Croy, dit-il, est une
80 LES POÉSIE» DE BEAUMAMOIR.
terre située sous Picquigny, ao bord de la Somme, et la famille
qui tenait cette seigneurie depuis le xiii* siècle au moins , était re-
présentée au milieu du xv^" par Philippe de Croy, comte de Ghi-
may, baron de Quiévrain, qui mourut à Bruges en 1481. Son fils
aîné, Charles de Croy, avait été armé chevalier en 1479, à la
bataille de Guinegate; il fut créé prince de Chimay par l'empe-
reur Maximilien en i486, et désigné par l'archiduc Philippe pour
tenir sur les fonts baptismaux l'enfant qui devait être Charles-
Uuint; il mourut en 1527, couvert d'honneurs et de richesses.
; De Philippe de Waurain , son oncle, il avait acheté les terres de
j ff^aurain^ Lillers et Saint-Venant; enfin il avait épousé, en d495,
I Louise d'Âlbret, sœur du roi de Navarre, vicomtesse de Limoges,
dame ù.\4vesiieB et de iMndrecies.
Lorsqu'on se rappelle ce qui a été dit ci-dessus (t. vu, p. 64) de
Girard de Rémi, lorsqu'on songe que ce frère aîné de Beaumanoir *
tenait par sa femme, Béatrice d'Ypres, à la proche parenté de
Baudoin d'Avesnes (1 Si 3 1289), fils de Marguerite, comtesse de
Flandres et de Hainaut (i), et lorsqu'on retrouve plus tard un
riche manuscrit des œuvres littéraires de Beaumanoir entre les
mains d'un autre descendant de ces grandes familles picardes
et flamandes, lequel était aussi, par sa femme, seigneur d'A-
vesnes, il est superflu de développer l'idée qui surgit et d'insister
sui* la supposition qui naît d'elle-même : à savoir que ce manus-
crit était un héritage de famille tombé de manière ou d'autre,
par succession, en la possession de Charles de Croy . La remarque
est importante non seulement pour la curiosité du fait , mais
parce qu'il en résulte nécessairement pour ce volume, généreu-
sement donné par le chanoine Watcans, un droit de plus à l'at-
tention et au respect. Il a été exécuté sinon sous les yeux de
l'auteur, du moins par les ordres de quelqu'un qui lui était atta-
ché de fort près.
Il est, en effet, décoré avec un assez grand luxe et contient,
outre la miniature, plus grande que les autres, placée en tête,
trente autres miniatures plus petites, savoir quinze disséminées
dans le texte de la Manekine, six dans le texte de Jean et Blonde,
(1) Sur la chronique écrite par Baudoin d'Avesnes ou plutôt par son
ordre et sous son nom, voy. ÏHist. UUér de la France, t. xxi, p. 753-764.
LK8 POÉSIES» DE BEAUMAMOIU. 81
et le reste de façon à ce que les petites pièces aient chacune au
moins une image. Le roman du Han , au contraire, n'en a $iu-
cune. Ces petites peintures, tracées rapidement au pinceau, et
reprises à Tcncre par-dessus la couleur au moyen d'une plume
extrêmement fine, étaient de pur gothique, maigre et grima-
çant, agréable toutefois par les gestes, les costumes et par les
intentions marquées de l'artiste ; mais elles ont beaucoup souf-
fert du temps, et leur état de détérioration, souvent même d'ef-
facement , annonce à lui seul que le volume a été beaucoup
feuilleté par des amateurs de vers et beaucoup lu. D'autres in-
dices l'annoncent aussi : principalement certaines corrections
ajoutées entre les ligues, des annotations mises sur les marges
et au f> 96 v", une copie de quelques vers du roman de Renart.
Le tout atteste un grand nombre de lecteurs vivement intéressés.
On y trouve aussi ces deux notes, la première tout à fait en tête
du volume :
i:e le Manekine l'un des boins c*on sache.
Et la seconde tout à la fin :
Euxplicit le roumant du flan (1), a sauoir un des estoires achi
en cest roumant. Il i est.proumiers H romans de le Mankineet don
œnte de Damartin,
Le scribe, auquel est dû notre manuscrit, était picard, comme
le prouvent les formes de son dialecte, principalement la per-
mutation de la en le^ et de ce ou que en che; il avait la main belle,
facile et claire, quoi qu'il se soit un peu trop hâté par endroits;
mais il était ignorant ou léger, il écrivait trop vite et il a fait
beaucoup de fautes. Ainsi , pour en donner quelques exemples
recueillis dans un intervalle de très-peu de pages ^ il écrit pra-
nieistes pour prameistes (v. 563), ce qu'ils ne voudront faire faire
pour ce qu'ils me (v. 604), riquete pour riquece (v. 619), son point
destre au lieu de point senestre (v. 722), etc. Ce n'est ainsi qu'un
copiste, et peu attentif, à qui nous devons cette transcription;
il ne faut donc pas en imputer les défectuosités à l'auteur.
(1) Sar le roman du Han, voyez V Histoire littéraire de la France,
IXIII, 4^9.
T. VIU. 6
' 2,
r.
au^56.
57,
r.
au ^96.
97,
r.
103,
V.
107,
r.
109,
V.
110,
V.
112,
V.
113,
V.
lli,
V.
113,
r. 1
aiuM43etdern.
82 LBS POÉSIES DE BEAUMANOIB
Voici commeQt le texte est dislribué :
1 . La Manekine du f'
â. Jehan et Blonde
:i. Salut d'amour
i. Complainte d'amour
:>. Le dit de folle largesse
G. En grand éveil suis (Fatrasie).
7. Nul ne peut sans bonne amour
8. Âve Maria glosé
9. Le chant d'une raine (Fatrasie)
10. Autre Salut d'amour (non ter-
miné)
11. Le roman de Han
Du dernier Salut d'amour on n'a que les premiers vers , et la
fin de l'œuvre poétique de Beaumanoir nous échappe ainsi mal-
heureusement, parce qu'entre les feuillets 11 i et 115 existe une
lacune qui nous a privés également du début de l'œuvre de
Sarrasin, le roman de Han.
En revanche, le premier feuillet de garde du volume, coté ^ 1,
est couvert d'une fine écriture du xiii« siècle, plus ancienne par
conséquent que celle du manuscrit lui-même, et contenant deux
pièces de vers, dont la première et la plus longue, intitulée La
riuhote OU ruihote^ c'est-à-dire la La Hôte (ou querelle) delmonde^
est une complainte sur la difficulté de satisfaire aux exigences
du monde et aux embarras ou Rixes (1) qu'il nous suscite à
chaque instant de la vie. H. Francisque Michel a publié cette
pelite moralité dans la préface de son édition de la Manekine. 11
a omis et dédaigné la seconde pièce de vers inscrite sur la garde
du manuscrit 7609.% non sans raison, car c'est un insipide
assemblage de jeux de mots sur les tristes idées de chair morte,
d'ossements et de charnier. Mais pourquoi négliger l'occasion
de la recueillir quand elle a si bien son caractère ? C'est de la
poésie chrétienne du moyen-âge, toute pure, et d'ailleurs il est
probable que l'auteur pouvait invoquer une circonstance atté-
;l) Rixa et rixaiio; rioUa.
LES POESIES DE BEAUMAMOIR 83
nuante : c'est qu'il n'avait pas agencé ces pauvres rimes pour
l'amour seul de l'art, mais pour une inscription qu'il fallait
graver à rentrée de quelque cimetière. Voici la pièce :
Chios qui le mieus se char enchame (1)
Mire soi, con mors char descharne !
Si con, darriens, sunt deschamé
Tout chil qoi forent de char né :
Que mors si a fait descbarna[tz]
Que su les os cuir ne char n'a.
Che voit ou entrant maint charniers.
Hée! Hors de descharne char n'i ers (9)?
Ja iase ! S'aoras décharnée
Toute riens d'umaine char née !
Trop nous despis et eschamis,
Tous et tontes de coi char nis ,
Char de i'an en l'autre rencharnes
Pour descharner, et tout descharnes :
Et de si vix descharneare
Qui n'est si bêle charnenre
D'onme ne de fenme charnel
K'après ton cors si encharne el
Que li ver qoi de le char naissent
De chil je n..is p(ar) descharnaissent
Autre ver n'entraissent eschars
Ne des larges ne des es chars
Qui vaorroit contre mort chamins
Ne encontre les vers chamins
En escapii hons de char nus
Nennil voir maigres ne charnus
Ne femme maigre ne charnue
Que mors tant ne morge : char nue
Qui trestout descharne de char
Ne mesroient cent mille char.
Le char que mors a deschamée
Contre mort n'est chars si chamée
(1) Cdui dont U chair est le mieoi façooDéc, qu'il se reiiaitle (ici) et qu'il foye combien
la Bort déflfore. Comme \ la fin sont décharnés tons ceax qoi sont nés de la chair.
(S) Hé Bort! squelette toi-même, que n'est-to aussi Ans le tombeau?
84 LES rOËSIKS DK BKAUMANOIR.
Uue riens i vaillent chamement
Se chias qui flst ne hait ne ment.
it choD qui est dit
a Ridel
S'il rien n'en ra ne bien ne bel
S'il ne preste che roumant chi
A Willaome qal escrissi
Les vers devant qui snnt nonmé.
Dix doint Ridel boinne santé
Et du bon vin boire a plenté.
0 dives , dives non omni tenore —
Fac bene dum vivis post moriem
Il me semble avoir complètement décrit le manuscrit français
de Paris 7609.^ J'ai encore à expliquer ce que j'en ai fait comme
éditeur.
Pour ce qui concerne le texte, j'ai tenu à reproduire intégra-
lement toutes les petites pièces de vers de Beaumanoir dont on
a parlé souvent, dont on a cité divers fragments, mais dont on
n'a jamais fait connaître, je crois , une seule en entier. Quant à
ses deux grands poèmes , la Manekine et Jehan de Dammartin,
ils ont au contraire été complètement et bien publiés en Angle-
terre, par M. Fr. Michel et M. Thomas Wright , mais dans les
conditions de cette publicité restreinte qui fait d'un livre une
sorte de délassement aristocratique réservé à un petit nombre
de souscripteurs, en même temps que peu accessible au gros
des lecteurs. Aussi , j'eusse voulu les reproduire à mon tour sans
y rien retrancher; mais comme ils forment plus de quinze mille
vers, et qu'ils remplissent chacun un volume in-4<' dans l'im-
pression anglaise, je n'ai pas cru pouvoir user jusqu'à un tel
excès du bienveillant patronage que m'accorde la Société Acadé-
mique de roise. Il m'a semblé qu'en supprimant les monologues,
les redites, et çà ou là quelques inutilités, je pourrais donner
trés-sufûsamment l'ensemble des deux longs romans composés
par Beaumanoir. Dans mes extraits, qui sont fort étendus, j'ai
pris à tâche de réunir tout ce que ces deux récits contiennent
de notions sur la géographie, les institutions et les mœurs. Il
n'est personne qui ne puisse les lire et même les goûter par
le moyen de l'analyse continue que j'ai placée dans le haut
des pages pour escorter les vers, et aussi par les notes pla-
LES POrisiES DE BEAUMAMOIR. 85
cées au-dessous des vers pour en expliquer les mots obscurs.
A l'adresse des lecteurs difficiles, c'est-à-dire de mes confrères
les amateurs ou éditeurs de poésies du moyen âge, je dois faire
cette confession que mes notes philologiques sont parfois un peu
hasardées. J'ai lieu de craindre que ce ne soit le résultat d'une
idée systématique. Etant donnée une langue , sortie presqu'en
entier d'éléments défigurés et corrompus dont la substance pri-
mitive était du latin , c'est une séduction à laquelle je me suis
abandonné avec contentement que de chercher à distinguer, à
reconnaître et à pénétrer la raison d'être de toute forme bizarre
qui se présente dans le vieux français, quand même les exemples
manquent et par conséquent la pure certitude. C'est un chemin
glissant, mais une promenade charmante où l'on peut rencontrer
par hasard quelques varfétés encore inobservées des botanistes.
INTRODUCTION A LA MANEKINE
On a dit plus haut , en deux mots ,-ce que c'est que la Mane-
kine (1) : une jeune fille, aussi belle que pure, injustement per-
sécutée. Pour échapper aux poursuites du roi de Hongrie, son
père , qui veut Tépouser à cause de sa ressemblance avec sa
mère qui n'est plus, elle se tranche à elle-même la main gauche.
Le père veut la faire brûler pour la punir; mais on se contente
de l'abandonner à la mer sur un batelet. Elle aborde en Ecosse (2).
Le roi de ce pays la voit, l'aime et l'épouse malgré la reine-mère,
qui, bientôt en haine de sa bru, fait croire au roi , par le moyen
de fausses lettres, que sa jeune femme est accouchée d'un
monstre. Ce complot a pour résultat de faire abandonner de
nouveau la Manekine à la merci des flots, seule avec son (ils. La
grftce divine la conduit à Rome où y après sept années d'attente,
elle retrouve et son père et son mari , pardonne à tous deux,
et jouit enfin du bonheur qu'elle a mérité par sa douce résigna-
tion dans la souffrance.
J'ai montré Beaumanoir chantant sur cette donnée les tradi-
tions généalogiques de quelques seigneurs picards ainsi que les
exploits qui s'accomplissaient dans les tournois à Creil, Sentis,
Ressons et autres lieux de son pays. Le poète l'avait donc accom-
modée à TusÂge de ses compatriotes; mais Tavait-il inventée?
Nullement.
(1) Mém. de la Soc, Àcad. de l'Oise, t. vu , p. 77.
(3; Par inadvertance on a mis ci-dessus « en Angleterre. >
I2«TR0DUGT10N A LA MANEKIIVB. 87
Peu de fables ont été aussi populaires, aussi universellement
accueillies que celle des ciniautés exercées contre une innocente
beauté par ses proches et ceux qui semblaient devoir le plus la
défendre. Le nom de la victime change suivant les pays : c'est
Geneviève de Brabant, c'est Gendrillon , c'est Sainte-Olive, c'est
Crescenzia; mais c'est toujours la jeune et belle infortunée haïe
par sa famille. La scène, les événements, les lieux, les com-
parses, changent de même à l'infini; mais il n'y a presque pas
de contrée qui n'ait ce mythe. Et il est inutile d'en chercher
l'origine, d'en vouloir déterminer l'antiquité, car il n'est autre
chose que l'expression de la douleur arrachée aux âmes tendres
et poétiques par le souvenir, et encore un peu par le spectacle ,
de l'oppression barbare où vit femme dans les sociétés peu civi-
lisées.
Suivant Tune des versions italiennes de cette légende,, le persé-
cuteur est un empereur de Rome (i ) Iqui tourmente sa fllle, Uliva;
la pousse à se faire trancher, par désespoir, les deux mains, et
outré de sa rébellion , ordonne qu'elle soit conduite dans le
royaume.de Bretagne pour y recevoir la mort. Les serviteurs se
bornent à l'abandonner dans une forêt , où le roi du pays la
rencontre un jour en chassant. 11 l'emmène et en fait la gouver-
nante de son fils; mais un seigneur breton, amoureux d'elle et
dépité de ses refus, la calomnie, l'accuse d'avoir fait à l'enfant
un mal qu'il a fait lui-même, et obtient qu'on la reconduise au
fond des bois. Là elle trouve la Vierge Marie, accompagnée de
deux anges , qui lui rend ses mains et la mène dans un monas-
tère du voisinage. Par malheur, dans ce monastère de religieuses
était un prêtre qui agit exactement comme le baron breton, si
ce n'est qu'il finit par faire lancer Uliva sur la mer dans un
batelet. Deux marchands la retirent et la conduisent au roi de
Castille auquel ils font présent de cette belle personne. Le roi ne
tarde pas à l'aimer et à l'épouser. La reine-mère, courroucée d'a-
voir une telle bru, fait croire au roi par de fausses lettres, pendant
qu'il guerroyait en Navarre, que sa jeune femme est accouchée
d'un monstre, et fait croire ensuite aux officiers royaux que son
fils ordonne de brûler Uliva et l'enfant. Le bourreau se contente
I^ L empereur Octavien, suivant on ms. de Tarin.
88 LRS POESIES DE BBATMANOIR.
de rabandonner encore une fois en bateau sur TOcéan , et la
Providence la fait aborder à Rome, où plus tard elle retrouve
son époux venu pour implorer son pardon d'avoir fait brûler sa
propre mère lorsqu'il eut découvert la trahison qu'elle avait
commise. Uliva , le roi de Bretagne , leur jeune fils et l'empereur
lui-même s'unissent en un commun embrassement.
(Jne autre version Italienne remplace l'empereur de Rome par
Imbert, roi de Dacie. Sa femme est la reine Bellandia, sa fille la
belle Ëilisa, la duègne qui garde celle-ci , Bellotta, et le prince
qui s'éprend d'amour pour la manchotte est le duc d'Autriche,
Apardo. Dans ce texte, en prose, tous les traits durs sont
émousséset comme corrompus par la plume, onctueusement
et niaisement dévote de l'auteur, probablement un prêtre atta-
ché au Vatican, lequel termine son récit en le disant tiré « des
antiques histoires de Rome. »
La forme germanique de la légende est dans le recueil des
frères Grimm (1). Un pauvre meunier, traversant les bois, ren-
contre un inconnu qui promet de le rendre à jamais richissime
pourvu que le meunier lui donne ce qui se trouve , à l'heure
même, derrière son moulin. Le bonhomme, sachant bien qu'il
n'y avait derrière son moulin qu'un pommier, le donne sans
peine ; mais seus le pommier passait en ce moment sa tille.
L'Inconnu était le diable , et dans trois ans juste il devait venir
chercher son dû. Le terme fatal arrivé, la jeune fille prévenue,
et préparée par la prière et le jeûne, se lava avec un soin
extrême et traça un cercle à la craie autour d'elle. En la voyant
si propre et limpide, le diable commanda au père de lui reti-
rer l'eau, dissolvant du pouvoir infernal. Alors la fillette com-
mence à se lamenter et à verser un flot de larmes dont elle se
frotte avec ses mains. Le diable oblige le père à lui couper les
mains ; les larmes n'en coulent que plus fort et ne cessent d'i-
nonder la victime. Enfin le diable ne pouvant venir à bout de
l'avoir, sinon toute mouillée, abandonne la partie. Mais la jeune
fille s'enfuit du moulin , quoique son père lui puisse dire pour
faire briller à ses yeux l'avantage d'avoir attrapé le diable et de
rester riche. Elle arrive la nuit, mourant de faim, devant un
r Au n» ;U : Das Mnedchen ohne Haendc
INTRODUCTION A LA MANERINB 89
jardin royal défendu par un fossé plein d'eau. Un ange vient à
8on aide pour lui faire traverser le fossé et manger une poire
prise à un poirier du jardin qui avait tous ses fruits numérotés.
Le jardinier aperçoit les deux pillards, mais n'ose approcher, et
revient la nuit suivante avec le roi qu'il avait informé du fait
et un prêtre, parce qu'il se doutait d'avoir affaire à des esprits.
A la première vue de la jeune fille, le roi, transporté d'admira-
tion, l'emmène à la cour, lui fait fabriquer des mains d'argent
et l'épouse. C'est alors qu'intervient la reine-mère avec sa haine,
ses ruses, ses fausses lettres, et qu'elle obtient l'expulsion de la
jeune mère, qui vit pendant sept ans au fond d'une forêt, où
son ange vient lui rendre les mains et la servir, tandis que le
roi son mari, après avoir reconnu son innocence, la cherche
de son côté sept ans 'durant, jusqu'à ce qu'une rencontre for-
tuite, dans les bois où elle est cachée, les réunisse à jamais.
11 y a aussi la légende russe (1). Un roi avait un fils et une
fille. Lorsqu'il eut cessé de vivre, le frère se mit à poursuivre
sa sœur en la pressant de se marier, et elle, sagement, répon-
dait en le priant de commencer par se marier lui-même. Il le
fit, mais il n'en continua pas moins de l'aimer, ce qui alluma
chez son épouse une jalousie brûlante. Pendant une absence
qu'il fit, sa femme imagina de couper les pieds d'un de ses che-
vaux, le meilleur qu'il eût, celui qu'on couvrait, à l'écurie, d'un
caparaçon d'or. A son retour, le mari voit sa femme en pleurs.
« Pourquoi pleures- tu, » dit-il. Elle lui conte le malheur du
cheval en accusant la sœur de l'avoir fait. Il lui répond seule-
ment : « Laisse aux loups le soin de manger la carogne ! » Un
autre jour ce fut le faucon du Russe que la mauvaise femme fit
périr ; et n'ayant pas mieux réussi qu'avec le cheval , elle osa
porter atteinte aux jours de son propre fils pour charger du
crime son innocente rivale. Cette fois, le frère, exaspéré, em-
mena sa sœur dans les bois avec le dessein de lui couper la
tête; mais, ému par ses prières, il se contenta de lui trancher
(1} CollecUon des contes populaires russes , par Afanassieff. Je Ure toa»
ces détails d'une exceiienle préface insérée par M. Alessandro Wesse-
lofsky en l»He de sa NweUa deUa figUa Mredi Dada. Pisa, Nlslrl, IftfiC.
In-ftr
90 LBS POESIES DE BEAUMAlfOIR.
les deux mains et de l'abandonner. Elle s'était réfugiée dans le
creux d'un arbre, quand un prince l'aperçoit en passant et la
trouve si belle qu'il la fait venir à la cour. Pendant la nuit le
prince entendit une voix secrète qui lui persuadait d'épouser
cette jeune fille, qui lui donnerait « un fils dont les bras seraient
d'argent jusqu'au coude et les jambes d'argent jusqu'au genou,
avec un soleil sur le front et une étoile sur la nuque (1). » Le
songe revient jusqu'à trois fois, et le prince épouse, malgré les
conseils de sa mère, la femme qui devait lui donner ce miracu-
leux fils (â). Mais l'accouchement ayant eu lieu pendant qu'il
était en voyage, la belle- sœur eut l'aride soustraire la lettre
annonçant l'heureuse nouvelle et d'y substituer un avis portant
que le nouveau né était un chien. Le prince, furieux , r'écrit
aussitôt qu'on chasse sa femme du pays, et que s'il la retrouve
à la maison il lui fera couper les pieds. On expulse donc la jeune
mère , qui s'en va au hasard après qu'on lui eût lié son bambin
sur les épaules. Chemin faisant, pressée par la soif, elle s'ap-
proche d'une citerne, et comme elle se penchait pour boire ,
son enfant glisse malheureusement dans l'eau. Voilà cette pauvre
femme au désespoir. « Pourquoi cries-tu, lui dit un vieux qui
passait? —Ah , papa! j'ai laissé tomber mon fils dans la citerne!
— Tire le dehors. — Je le ferais , mais je n'ai pas de mains. ^
Baisse-toi toujours et tends tes bras. » Elle le fit, et aussitôt ses
mains lui revenant elle rattrapa l'enfant. « Vas au nom de Dieu,
reprit le vieillard, et fuis. » Le soir même on la recevait par
charité dans une maison où elle racontait ses malheurs sans
(1) Je reproduis textueUement ici la note de M. Wesselofsky sur cette
curieuse supersUtion : c E questa una noUssima espressîone epica dei
raconU popolari russi. Vedasia proposito : vuk karadzig, srhskepripo-
vijedke (Il bambino dalle braccia ed 1 capelli d'oro ; — La fanciuUa colla
Stella sut ginoccbio destro.); Grimm, Deutsche Mythol. i 364 et Kinder
und Bausmaerchen i , 56. (La flglia colla Stella.); Schott, Valach. Maei\
n» 16, 23; — ScHLBiCHKR, LUt. M. p. 10; — T. w. WOLF raccolsc moltissîme
notizie ai fanciulli d'oro del raconlo popolare nei Beitrag. Deutsche Mythol. ^
Goettingen 1857, p. 127. »
f2) Encore aujourd'hui, à ce qu'on m'assure, la mèrp nis.se caresse
son enfant en lui disant : « Mayo zoeloto » (mon or ! .
INTRODUCTION A Lk MANBKINB. 91
nommer personne; mais elle fut bientôt reconnue, car c'était la
maison de son frère et son mari s'y trouvait. Son innocence
éclata pleinement et sa méchante belle-soeur fut mise à mort,
attachée à la queue d'un cheval. « Là où tomba sa tète il vint
une colline, et là où était son dos une vallée profonde. »
On peut citer encore la légende Serbe, où c'est une marâtre
qui amène son mari à ordonner le supplice d'une fille du pre-
mier lit. On l'entraîne dans un bois pour lui amputer les mains
et lui arracher le cœur; mais les esclaves chargés de l'exécution
n'en accomplissent que la première partie et s'excusent auprès
de la marâtre en disant qu'ils ont perdu le cœur en chemin. Le
père est averti par un songe de la scélératesse de sa femme et
en même temps d'un moyen de réparer le mal fait à sa illle. Il
s'agit de prendre un étalon noir sans tache qui n'ait pas encore
porté la selle et une cavale pleine qui soit blanche, également
sans tache, puis de leur enlever à chacun trois crins de la queue,
de les faire brûler et d'appliquer la cendre sur les blessures.
Cette prescription ayant été fidèlement suivie, l'heureuse jeune
fille se voit instantanément pourvue de deux mains d'or.
Il existe, enfin, une légende grecque dont le texte a été conservé
par un moine du mont Athos, nommé Agapios, lequel vivait au
xvi« ou xvii« «iècle, et dont un docte professeur de Paris,
M. Gidel, donne (i; l'analyse que voici :
« Un roLde France était demeuré veuf avec une fille. Il se re-
maria, et prit pour épouse une princesse d'une beauté accomplie,
mais d'un cœur aussi pervers que son visage était aimable. Elle
avait surtout la vanité de se croire la plus belle personne qui
fut au monde , et elle ne pouvait souffrir la pensée qu'elle put
jamais avoir une rivale. Quand elle vit la princesse qui devenait
sa belle- fille, elle conçut une si vive jalousie de sa beauté, qu'elle
résolut de se débarrasser de cette vue Importune. Profitant d'une
absence que le roi avait faite, elle séduisit un officier de sa cour,
et, à force de promesses , elle l'amena à vouloir servir sa haine.
11 devait enlever, en secret, la princesse, la conduire en quelque
(1) Dans l'ouvrage intitulé : Etudes sur la littérature grecque moderne.
Imilalioti en grec de nos romans de chevalerie depuis le xii* siècle , par
A.-Ch. Gidel. — Paris. I86fi. In-8r p. 290.
92 LES POESIES DE BEAUMANOIR.
endroit éloigné et désert, et là lui donner la mort. Gomme preuve
du crime accompli, il devait rapporter à la reine les deux mains
de la victime. L'officier conduisit en effet la jeune fille dans
une solitude lointaine; il allait la mettre à mort, mais ses
plaintes le touchèrent, et il se contenta de lui couper les deux
mains.
« Grâce à la protection de la sainte Vierge , la princesse ne
souffrit presque pas de cette cruelle mutilation. Bientôt le fils
d'un duc la rencontra pendant qu'il était à la chasse, et la ra-
mena avec lui dans la demeure de son père. La grâce de la
princesse, sa piété, ses vertus, remplirent d'amour le cœur du
jeune homme , qui ne craignit pas de l'épouser malgré son in-
firmité, ^n vain son père lui représentait qu'on ignorait et la
naissance et la vie passée de l'étrangère. Il ne voulut pas chan-
ger de volonté, et bientôt elle devint son épouse.
« Gependaut le roi , à qui la méchante reine avait expliqué
par un mensonge la disparition de sa fille , passait ses jours
dans la douleur. Pour dissiper son ennui, il fit convoquer à un
tournoi tous les seigneurs et les chevaliers de son royaume. La
nouvelle en vint chez le duc. Le vieillard voulait d'abord se
rendre à Tinvitation de son roi; mais il renonça à sou projet,
sur les conseils de son fils , qui se chargea d'aller y soutenir lui-
même la gloire du nom paternel. Il quitta donc sa jeune femme
en la recommandant à son père. Il le pria de lui annoncer sa
délivrance aussitôt qu'elle aurait eu lieu : la duchesse était sur
le point d'accoucher.
« Au tournoi, le jeune homme se fit remarquer par sa vail-
lance et ses succès. La méchante reine se sentait prise d'intérêt
pour lui; elle l'appela près d'elle, le questionna sur sa patrie,
sa famille, et apprenant qu'il avait pour épouse une femme dont
les deux mains avaient été coupées, elle reconnut la belle-fille
qu'elle avait donné ordre de tuer. Sa haine se réveilla aussi
forte qu'au premier jour, et elle résolut de se venger d'une ma-
nière terrible. Le chevalier, cependant, reçut une lettre de son
père. Il lui annonçait la naissance de deux enfants à qui sa
femme avait donné le jour. A la réponse que faisait le jeune
époux la reine en substitua une autre. Il y était dit : a Sachez,
mou père, que ma femme est la fille d'un criminel; qu'on lui a
coupé les deux mains pour la punir elle-même de ses crimes;
INTRODUCTION A LA MANBKINK. 93
sachez aussi que ces enfants ne sont pas les miens ; faites-les
mourir avec leur mère , que cet ordre soit accompli avant que
je retourne chez moi. » Le vieux duc obéit à cet ordre prétendu
de son ûls. La jeune femme et les enfants furent menés dans
une forêt pour y recevoir la mort. Les ministres de cet ordre se
disposaient à l'exécuter quand , touchés des larmes de la mal-
heureuse duchesse , ils convinrent de la laisser à l'endroit même
où son mari l'avait jadis rencontrée.
« La pauvre abandonnée s'en remit encore à la protection de
la sainte vierge, et, prenant un sentier qui s'offrait à elle, elle
arriva bientôt dans la cellule d'un solitaire qui lui donna asile
auprès de lui. Une nuit la jeune femme vit en songe la sainte
Vierge : elle lui rendait ses deux mains. La princesse se réveille;
ô surprise , ce n'était pas une vaine illusion : elle avait retrouvé
ses mains! Quand le jour fut venu, elle entendit des voix
d'hommes qui s'entretenaient au dehors; elle sortit et reconnut
son époux. En la voyant, le jeune duc pleura de joie. Il apprit
d'elle ce qui s'était passé, et tous les deux rendirent grâces au
Seigneur. La Manekine fit connaître sa naissance, qu'elle avait
tenue cachée jusque-là. On écrivit à son père. Cinq jours après,
les époux se rendirent à la cour du roi. La méchante reine s'é-
tait enfuie et se tenait cachée. On la chercha, on finit par la
saisir, et elle fut jetée dans un grand bûcher, qui la consuma.
Le lendemain, le roi fit couronner son gendre. Le couple royal
vécut désormais dans la joie et dans la reconnaissance pour les
bontés de la reine du ciel. »
J'ai reproduis cette longue analyse sans en omettre un mot,
parce que son auteur, M. Gidel, la présente comme preuve de
son opinion, à savoir que notre Manekine aurait servi de modèle
au roman grec. Je crois que cette citation prouve précisément
le contraire, et que de toutes les diverses légendes ci-dessus
mentionnées , il n'en est pas qui soit plus loin de la picarde
que n'est la grecque (i). Mais M. Gidel s'est laissé emporter au-
delà de la vérité par cette pensée, très-française d'ailleurs» que
la littérature de notre France du moyen-âge a été la nourrice et
(1) Voyez d'aiiiears les antres argamcnts fournis contre cette idée de
l'auteur dans la Revue critique, décembre 1866, p. 393.
94 LES POESIES DE BEAUMÀNOIR.
le modèle initiateur de toute l'Europe littéraire , laquelle n'au-
rait fait, à l'origine, que copier et traduire nos trouvères et
nos troubadour». C'est une exagération dont il y a beaucoup à
rabattre. On oublie trop qu'avant de voir paraître la littérature
française à l'horizon , l'Occident avait vécu pendant mille ans
du résidu des littératures antiques, et qu'il y avait là un fonds
commun à l'usage de tous. Les textes français sont en plus
grand nombre que les autres, et plus anciens il est vrai; mais
cela provient-il de ce que l'esprit français a devancé toute l'Eu-
rope? Qu'il ait devancé les populations germaniques à puiser
aux sources latines, cela est bien naturel; mais aurait-il été
plus vif, plus inventif, plus avancé que le Provençal ou l'Italien?
C'est chose peu vraisemblable , et cette prépondérance du Fran-
çais dans la littérature du moyen-àge, est plutôt le résultat
d'une situation matérielle et indépendante de toute qualité
d'esprit. En effet, pour se récréer aux légendes latines, le lec-
teur italien, provençal, espagnol, n'avaient pas besoin de tra-
duction ; c'est pour cela qu'ils n'en ont point fait. Mais le public
frank ou français a fait ou fait faire des traductions et des imi-
tations par la raison qu'étant beaucoup moins proche du latin
il en avait besoin pour comprendre. Et l'on peut ajouter qu'une
fois constitué imitateur il était plus apte à devenir créateur.
C'est par ce motif accidentel que les textes français abondent,
et non parce qu'il y aurait eu chez les habitants de la Gaule
quelque don particulièrement divin, comme on le croirait, si
l'on en croyait nos auteurs.
Quoiqu'il en soit, Beaumanoir n'a donc pas du tout inventé sa
Manekine; mais autant ces développements divers d'une donnée
unique ont tous leur physionomie distincte, leur aspect natignal,
autant le poème picard porte aussi dans le détail son cachet de
terroir qui est la discipline féodale, l'assujettissement aux règles
hiérarchiques et la recherche du flonflon guerrier, des tournois et
des bagarres. Y a-t-11 du moins quelque talent dans les broderies
ajoutées par sa main au sujet ? Il me le semble, et le lecteur va
pouvoir en juger. Il l'a semblé aussi à ses contemporains, puisque
l'un d'eux tenait ce roman de la Manekine pour un des beaux
que Ton connût. Enfin , ce contemporain n'était pas seul de son
opinion , puisqu'un poète du xiv« siècle a tiré de ce roman un
drame en vers conservé dans le ms. fr. (gr. biblioth. de Paris),
INTRODUCTION A LA MA^EKINE 95
n» 7208. i B, f» 8i (1), sous cette rubrique : « Cy coramence
« un miracle deNostre Dame, comment la fille duroy de Hongrie
« se copa la main pour ce que son père la vouloit espouser et un
« esturgon la garda vij ans en sa mulette. » M. Francisque Michel
a publié ce drame dans son Théâtre français au vioyen-dge^ et
il a aussi donné, du premier roman de Beaumanoir, Tédition
suivante : Roman de la Manekine, par Philippe de Reimes, trou-
vère du xïw siècle. Imprimé à Paris pour le Bannatyne Club
de Londres; 1840, in-4<', xx et 294 pages.
11 est presque superflu d'ajouter que, dans les textes qui sui-
vent, réditeur s'est efforcé de reproduire le manuscrit original
avec la plus grande exactitude.
H.-L. BORDIER.
(1) N« 8i0 du numérotage administratif de la bibliottièque.
LA MANEKINE
Phelippes de \\\m (lisez de Hemi) veut dicter uu roman où se
pourront délecter tous ceux qui l'entendront, et qui doivent
savoir qu'ils auront à y entendre et prendre assez de bonnes
choses s'ils sont disposés à le comprendre. Mais quelqu'un ici
Phelippes 4e Rim (1) ditier
Veut un roumans , ù delilier
Se porront tuit cil qui rorront;
El bien sacent qu'il i porront
Assés de bien oïr et prendre
Se il , a chou . voelent entendre ;
Mais s'aucuns est ci qui se dueille
De bien oïr, pour Dieu ! ne voelle
Ci demorer, anchois (2) volst s'en.
10. Ce n'est courtoizie ne sen (3)
De nul conteur destourber.
Autant ameroie tourber
En I mares, comme riens dire
Devant aucune gent qui d'ire .
D'envie , d'orgueU sont si plain
Que tenu en sont pour vilain.
Par tel gent sont tuit révélé
Lï mal qui amont sont levé ,
Car du bien qu'il sevent se taisent,
'20. Et pour çou que il poi me plaisent,
Leur voel, ançois que je (4) commans
La matere de mon roumans ,
30.
Priier de ci que il s'en voisent
On qu'il ne tencent ne ne noisent ;
Car biaus contes si est perdus
Quant il n'est de cuer entendus,
Meismement a chiaus qui loent :
Pour çou leur requier-jou qu'il oent
Ce conte que je met en rime.
Et se je ne sui léonime (5),
MerveilUer ne s'en doit mie ;
Car molt peUt sal de clergie
Ne onques mais rime ne fis ((>; ;
Mais ore m'en sui entremis
Pour çou que vraie est la matère
Dont je voel ceste rime fère ,
N'il n'est mie drois c'on se taise
De ramembrer cose qui plaise.
Des or voel-jou a Dieu priier
Que il me doiust bien deflner 40.
Ce conte que j'ai ci empris
Et par moi est en rime mis ,
Et a trestous chiaus grans biens doignc
Qui loeront ceste besoigne.
(l) La mesure, autant que la géographie, eut voulu Jl^mt. — (2) àntea. — (8) Ni sens
* (4) Le copiste a mis : que le. — (5) Si je ne sais écrire en vers léonins. — (6) Ce
roman est donc le premier ouvrage en vers composé par Deaumanoir.
L\ mânbkink. 97
s'eiinuie-l-H d'écouler? pour Dieu qu'il ne demeure, et plutôt
qu'il s'en aille. Ce n'est ni courtoisie ni bon sens que de trou-
bler un conteur. 11 aimerait mieux travailler à extraire la tourbe
dans un marais que rien dire devant telles gens. Donc il corn-
Dès or mais voas commencerai,
Que ja de mot n'en mentirai ,
Se n'est par ma rime alongier
Si droit com je porrai lignier.
Jadis avint qa'il ert 1 rois
50. Qui molt fa sages et coartois ;
Toate Hongrie ot en demaine.
Feme avoit qui n'ert pas vilaine :
Fille estoit au roi d'Ermenie.
De grant biaalé iert si garnie
Bt de bonté , si com j'entens ,
Que on errast avant , lonc tans ,
Que sa parelle fust trouvée.
A li deviser, demeurée
Ne voel faire : trop demourroie
60. Aller m'en voeil la droite voie «
Ainsi comme je truis ou conte ,
Qui ainsi me retrait et conte
Qu'il furent ensanle x ans,
Qu'avoir ne purent nus enfans
Fors une fltle seulement:
Mais celé , au mien ensclent
Fu la plus bêle qui ains fust
Qui d'homme conceue fust.
La damoisiele ot nom Joïe,
70. Por mainte gent qui esjoïe
Fu , ou pals , pour sa naissance.
Bt diex qui tous les biens avance
Mlst en 11 quanque (1) mettre 1 dut.
Nature , qui pas n'ere crut (3),
Ançois l mit tout a devise :
Biauté, bonté, sens et francisée.
Onques feme de son eage
Ne fu tenue pour si sage.
Dont vint la mors, qui jà n'ert lasse
De muer haute cose en basse 80.
Devant li est , partir n'en puet ; 99.
De pleurer tenir ne se puet
Quant ne troeve fusiciien
Qui sace du garir rien.
Vous pri que me donés un don 119.
De tous mes biens en gherredon (3).
— « Certes, dame, Il rois respont
Il n'est nule riens en cest mont
Que nus hom puist faire pour femme
Que je ne face pour vous , dame.
Mais dites vostre volenté :
Du faire , sut en volenté.
Sur ma loialté le vous jur. >»
Enfoïe fu noblement , 161.
Sa tombe fu faite d'argent
D'or et de pieres précieuses ,
Boines , cieres et précieuses.
Li duc, li prélat, sans mentir,
Qui furent a li enfoïr
I furent d'yvoire entaillet
Merveilleusement soutiiliet (4} ;
Deus et ij. ensanle parolent
Et sanle que de doel s'affolent (5). 170.
(1) Chose quelconque, qnantumeumgue. — (2) Qai n'avait pas éiô rade : eruda^ crudita,
^ (8) En récompense; aiiàs werredon, ^ider-donum. —(4) Ciselés, dirions-nons. Ici
c'est taillés ou lissés fiHblcxtitiati, barbar. pour texiij. — (5) Cette bière royale, du
xfii* siècle , aurait donc été ornée d'or, de pierreries et d'intaiiles en ivoire représentant
deux k deux les prélats qui avaient assisté k la cérémonie funéraire. Aucun souvenir sem-
blable de cette époque ne nous a été conservé } mais l'auteur avait pu le voir en reliquaire.
T. VIII. 7
98
LA MANBKINE.
menée, priant Dieu de lui donner de bien finir. — In roi, sage
et courtois, qui avait toute la Hongrie pour domaine, avait épousé
la fille au roi d'Arménie, qui, après dix ans de mariage, ne lui
avait donné qu'une fille. On avait nommé celle-ci Joie, à cause de
lajoiequesa naissance répapditdans le pays; mais la mort, qui
Quant on ot canté le service
Retorné s'en sont del Egllze.
De teus i ot qui s'en alerent;
Mais li grant slgneor demourerent
Pour reconforter lor signour
Qui le caer a platn de doloor.
Tontes mors oublier convient.
Li rois le convenent bien tient
Que il avolt a la roine.
180. Apres sa mort fa, lonc termine ,
Àvoeqaes sa fille Joie ,
Qu'il a moult amée et cierie
Pour l'amor qu'il ot a sa mère ;
Ne li monstra pas vie amère
Et moit rama de grant amour.
La damoisiele cascun Jour
Crut en sens et en grant biauté
En valour et en loialté.
XVI ans ot; molt fu bêle et gente.
190. En la virge Marie entente
Mist de servir et d'onnourer.
Tous les jours l'aloit aourer,
D'orisons que ele savoit ,
A une ymage qu'ele avolt,
Qui en sa sanlance ert pourtraite (1).
Ensi se deduist et affaite.
Le conte de li vous lairrai :
Des barons du païs dirai ,
Qui ensanle ont pris pallement.
Moult rassanla de grant gent
De celé feme n'a nul boir 319.
Fors une fllle , an dire voir,
Qui est molt bone et moit courtoise ;
Et nonpourquant en briquetoize ())
Ert li roialmes de Hongrie ;
Se feme l'avoit en bailUie
A un Noël troevent le roy 279.
Et tous ses barons avoec soi
Ou 11 tenoit grant court plenière.
Gent i ot de mainte manière ,
Dames et mainte damoisiele
Qui cuidoit estre la plus bêle.
Au disner vinrent II message ;
S'ont an roi conté leur musage (3)
Et 11 baron quant il i'oïrent
De çou mie ne s'esjoïrent.
Mais 11 message n'i ont coupes (4).
Ne furent pas paie d'estoupes : 290.
Blanc argent orent et rouge or.
Dont cascuns pnet faire trésor.
D'ans vous tairai. Dirai du roy
Et des barons qui sont od soy :
Od li furent maint arcbevesque
Et maint abbé et maint evesque.
Laiens estoit bêle JoYe ;
Mainte dame en sa compaignie.
Al mengier séoit la dansele ;
Vn des barons, de l'escuele 300.
Le servi , cui Dieus destourbier
Doinst! qu'il avint grant encombrier
(l) La seconde fois, en trente vers, qa'apparatt l'idée, neavelle alors, du portrait renda
par la scolptore. Voy. encore v. 1370. — (2) Raptnre de ligne : brecbendes-erbe, on plut6t
(toujours de brechen) : britchiata (Cangii Gloss.) - œtas. — (3) Temps perdn , mé-usagc,
muter, que d'ordinaire on tire péniblement de l'idée d'oisiveté fdie Mu$ie}. — (4) Faute,
culpa$.
Là MANEKINB.
99
ne prend rançon d'aucun qu'elle ail en prison, vint visiter cette
famille, et la reine, dont elle n'a pas attendu la vieillesse, devient
pâle d'abord, puis ne peut plus quitter le lit. Son époux pleure (99)
et se désole. C'est la malade qui le reconforte en faisant appel à
l'obéissance due aux volontés de Dieu. Elle requiert seulement de
A la damoisele par lai
Ainsi comme voas orrés ancui.
A ce barun forment pesoit
De çoa que ii rois fil n'avoit.
Les messages avolt oïs
Dont il n'estoit mie esjoïs.
La damoisele a regardée
310. Qui ert biance et encoalourée :
Avis li est ce soit sa mère
Fors qae de tant que plus jone ère.
Quant par laiens ont tait mengié.
A conseil se sont luit rengié
Tout li baron de la contrée ;
Et li quens qui avoit portée
L'escueie bêle Joïe
Lor dist : « Si Diex me béneie ,
Signeur, li rois jamais n'aura
3-20. Femme , n'on ne le trouvera
Telô comme il le veut avoir
S'oD ne fait tant , an dire voir,
Que il puist sa fille espouser.
Ou monde n'a fors U son per;
Mais se ii prélat qui ci sont
Qui en grant orfenté (1) seront
Si maivais sires vient sor aus
Voioient faire que loiaus
Fust li mariages d'auls deus ,
330. Je crois que ce seroit ii preus {i)
A tous chiaus de ceste contrée. »
A tant a sa raison finée ,
De tex i a qui s'i acordent
Et de tex qui molt s'en descordent.
Longuement entr'ens disputèrent.
En la fin li clerc s'acorderent
Que il le roy en prieroient
Et sur aus le pecié penroient :
A l'apostole monterront
Le grand pourfit pour quoi fait l'ont 340.
A tant en sont au roi venu
Se Font a un consei tenu ,
Et li dient : « Biaus sire ciers ,
Pour çou que vous nous tenés ciers,
Vaudriiens nous de vous avoir
Hoir qui ce règne doie avoir.
Mais vous avés fait serement :
Feme n'aurés, fors d'un sanlant
A celé qu'ôustes première :
Bien véés qu'en nule manière 350.
N'en poet on nisune (â) trouver ;
Fors une que devés amer :
Çou est vostre ûlie la sage.
Ci vous prions qu'en mariage
Le prendés ; nous le vous loons (4)
Et sur nous l'affaire prendons.
Prions vous, ne vous en soit grief
Car .on doit bien faire un mescbief
Petit , pour plus grant remanoir. »
— « Signeur, ce dist li rois, pour voir, 360.
Saciés pour riens ne le feroie ;
Trop durement me mefferoie. >
— « Si ferés , Sire : vos clergies
Velt que ensl vous le faciès ;
Et &e vous ne le volés faire
Yo bomme vous seront contraire. »
(1) Orfanitas. bartrar. de orpkantu, orphelin. — (2) Profecltu, profit; cf. 840. —
(8) Aoevne, n$$$%nA iUl.» (4) Approavons, louons*
lUO
LA MAMEKlNt:.
lui un dou avant de mourir (119), savoir qu'il lui promelte de ue
se remarier, s'il se remarie, qu'avec une femme qui lui rappelle
parfaitement par sa ressemblance les traits de la première. Le roi
le promet; elle demande « ses droitures » (c'est-à-dire les sacre-
ments, V. 149), et bientôt Ton fait ses funérailles (161). — Cepen-
Qaant li rois voit que si baron
Yoelent qu'il face dusqa'en son (1)
Tout lor bon et lor volenté ,
370. Si leur a respit demandé ,
Sans plus dasc'a la Candelier.
Âdonc , si reviegnent arrier
Si lor dira qu'il voira faire
U de l'escondire ou du faire.
Il li otroient tout ensi -,
Du consel se sont départi ,
A l'endemain se départirent
Vont sent et au roi congié prirent.
Li rois od sa ilUe demeure;
380. Holt le oierist et molt l'ouneure.
Vn jor vint li rois en sa cambre,
Qui estoit pavée de iambre (2) -,
La damoisiele se pinoit (3),
Ele se regarde , si voit
Son père qui est d'alès 11 ;
De la honte que ele a , rougi :
« Sire, dist-ele, bien vigniés. >
— « Fille , fait-il , boin jour ailés. >^
Li pères a sa fille prise
390. Par le main et lès lui assise ;
Holt le regarde ententievement
Et voit c onques plus soutilment
Nature feme ne fourma
- Fors Joie , qu'ele aouma
De plus grant biauté que Elayne
Dont as Troiiens crut tel paine
Qu'il en furent tout periUié
Mort et vaincu et escillié :
Dont ce fu tristeur et dolors.
Mais avenu est as pluisours 400.
Que par feme ont esté destruit !
Li plus sage et li miex estruit.
Et tel qui coupes (i) n'i avoient.
Les femmes pour qui i'emprenoient
Les folles et les outrages
S'en tournoi! sur euls li damages
Et sur eles tout ensement ;
Car on retrait et dist souvent :
« Souvent compère (5) autrui pecié
Teuls qui n'i a de riens pecié. » 410.
Ausi âst Joïe la bêle ;
Car ses pères de l'estincele
Dont Amors seit si les siens batre
Les fait en son cemin embatre
Si soutilment qu'il ne s'en garde
Fors que de tant que il l'esgarde
Plus volenUers c'ainc mais ne fist.
Raisons , qui d'autre part se mist
Li dist que il d'iloec s'en voise
Qu'il ne chiée en briquetoise. 420.
Issi a fait , congié demande ;
Et ele a Jhesu le commande.
Atant, de sa fille se part;
Mais od lui emporte le dart
D'Amours , qui grant anui li fait ;
Car si soutilment li a trait
Parmi les iex que dusc'al cuer
Le feri ; mais ains puis a nul fuer
N'en pot trouver la garison ,
S'en eut mainte grant marison (6). 430.
(1) /» êttum, en ce qui le regarde le plus comme sien. — (2) Lambris, planche; par-
queiee, — (8) Se peignait. — (4) Voy. p. 98 , note 4. >- (5) Compartilur; il faudrait
comperre. — (6) Tristesse.
LA iHANEKINE
101
dant les barons du pays s'assemblent et déclarent entre eux que
pour le bien du royaume de Hongrie, il ne faut pas qu'il tombe en
quenouille ;2I 9) quoique la fille du roi soit bien bonne et courtoise.
Ils se rendent donc, trois jours après, vers le roi qui leur fait
connaître son serment et sa ferme volonté d'y obéir. Les barons
510. « Bêle fille, or ne voas desplace,
Fait U rois, çou que vous voeil dire
Ne ja n'en aies au caer ire. n
— « Certes, Sire, de vo voloir
OYr ne me doi pas doloir ;
Dites moi ce que boin vous ert.
Car ma volentés me requiert
De tout qnanque fllie doit faire
Pour père ne soie contraire. »
— « Ma nile, VOUS respondés bien,
5^. Et je ne vous dirai ja rien
Que ne doiês faire pour moi ;
Car par le gré et par l'otroi
De mes barons, baron vous doing
Qui n'est mie de vous trop loing.
J'euch a vostre mère en convant
Que jamais jour de mon vivant
Femme après li n'espouseroie
Se jou son parel ne trouvoie ;
Mais el ne pnet estre trovée
530. Fors vous. N'i a mesUer celée.
Et mi baron ne voelent mie
Que ii roialmes de Hongrie
Demeart sans hoir malle après moi.
Por ce ai du clergié l'otroi
Que de moi sciés espousée.
Roloe serés couronnée.
Au Noël ne rvauch otroier,
Ains ior dis que a la Candeiier (1)
Qui vient, ior en responderoie
640. Selonc ce que consel aroie.
fit J'ai or bien consel du faire
Mais que il, a vous, voeiile plaire. »
La dimoiziele ot et entant
Çou que ses pères va contant ;
Mais en Dieu a mise s'eatente :
Se ne li plaist ne atalente
çou dont ses pèrs ii parole,
Ains i dist : « Pères , tel parole ,
S'il vous plaist, poés bien laissier;
Car ce ne me porroit plaisier 550.
Nus ; que ce me sanlast droiture
Que nus tiom péust sen gereure (2)
Espouser, selont|no8tre loy
Et tout cil sont plain de derroy (3)
Qui contre Dieu consel vous dounent
Et de tel cose vous semounent.
Pour riens ne m'i acorderoie ;
La mort avant en soufferroie :
Ne sui mie tenue à faire
Ce qu'a m'ame seroit contraire. 560.
Miex vous vaut prendre penitance
Du convent et de la fiance
Que vous a ma dame féistes ,
Car fol convent li praméistes.
Se prenès feme a vostre los.
U monde n'a bome si os
Se vous volés sa fille avoir
Qui n'en soit liés (4), an dire voir :
Si vous pri qu'en pais me iaissiés.
Mes cuers n'ert ja a çou Iaissiés 570.
Pour nului que prenge mon père ;
Car qui s'ame pert, trop compère. »
(1) I.a Chandeleur. — (2) Genifuram, generaturam. — (3) Derogatio f derogilio ?
PfuMire detrhnentum ; v. 2068 rfi* pour df. Trouble. — (4) Lœttix.
103
LA MANEKINB.
choisissent alors douze messagers, courtois et sages, qu'ils en-
voyent en recherche par toute la terre. Recherche vaine. Au bout
d'un an, ceux-ci reviennent sans avoir rencontré aucune femme
ressemblant à la feue reine; et les barons commençaient à s'as-
Qaant li rois ot qae riens n'esploite
De la riens que il plus convoite,
Plus engrans en est que devant ; *
Se U respont iréeraent :
4c Certes, û Ile, je le ferai.
Puisque je le congié en ai.
Folemeut respondu m'avés ;
580. Mais bien sai que miex ne savés.
Se mon voloir ne volés faire
Tost vous tournera à contraire ;
Ne vous em prierai jamais.
La Gandelier est assés près
Que tuit mi baron revenront
Et bien sai qu'il me prieront :
A donques vous espouserai
Devant la plus ne vous dirai. >
Ains qu'ele plus li respondist
590. Li rois hors de la cambre en ist;
Onques congié n'i demanda.
La damoisiele demoura
En sa cambre , plaine de duel ;
Morte voldroit estre son voel :
« Lasse ! dist ele , mar fui née ,
Quant je sui ore a ce menée
Que mes pères m'espousera.
Ja pour raison ne le laira ,
Puisque il l'a si en gros pris
600. Et que si homme l'ont empris.
Mais miex ameroie morte estre ,
Car c'est contre le Roy celestre
Ne par raison nus ne puet faire
Ce qu'il me voldront faire faire.
Bien pens' faire le me feront ;
Ja pour mon dit ne le lairont ,
S'aucune chose en moi ne voient
Par quoi de ce voloir recroient. >
En tels voiob*8, ex tex pensers,
Est li tans si avant passés 610.
Que venue est la Candelier.
Si baron et si chevalier
Et 11 prélat de la contrée
Sans plus faire de demourée
Sont très tout à court revenu ;
A joie furent retenu
Du roi, qui grant gent assambla
Et tant que il a tous sambla
Qu'ainques mais ne tint si grant court.
Tous biens , toute riquece i sourt. 690.
Gascuns taht comme il veut en a.
Li rois ainsi le commanda,
Qui bien quide lues acomplir
Le volenté de son désir.
Del escondit ne li calolt (3)
Que sa mie faitliavoit,
Car U metoit en son pourpens
Que pensés de feme c'est vens.
Bien 11 cuide oster son courage
A la requeste du barnage 630.
Et des prelas qu'ilueques sont
Qui au roi sont venu; si l'ont
Requis que il Joïe pregrie
Et que leur consel ne desdaigne
Li rois leur respont : volentiers
Le fera, puisqu'il est mestiers
Et que communalment li loent.
Molt en sont lié tout cU que Toent
Que li rois est entalentés
De faire les lor volontés, 640.
(1) Cballait; ne lof importait.
LÀ MANBKINI.
103
sorobrir quand l'un d'eux conçut une horrible pensée, celle de
marier le roi avec sa propre fille (270). Il allègue la nécessité po-
litique. Convaincu de cette nécessité, le clergé y donne les mains
et prend le péché sur lui. r.e roi repousse d'abord cette idée bien
Si li dient qu'il iront querre
Joie : Ne nul respit querre
Ne volons de ces espousailles,
Que eles ne tournent à failles. >
Or qutdent bien tenir ou poing
Tel eose dont il sontmolt loing;
Joïe ot illoeques tramis
Une espie qui embramis
Fu de tout lor conseil aprendre ;
(>50. Et si tost com il pot entendre
Le conseil qu'il orent eu ,
Es-le vous ariere venu
A Joïe; si li reconte
Ainsi com li rois et li conte
Le vienent querre pour le roy.
Quant ele l'ot, en tel eflTroi
Est qu'ele ne set qu'ele (ace;
En petit d'eure fu sa faice
Des larmes de ses iex couverte.
660. Or est-ele séure et certe ,
Se ele ne troeve occolson.
Petit U vaurra sa raison ;
Mais ele ne s'atendra mie :
El n'a soig de leur compaignie.
De ses puceies se départ ,
Nule d'eles n'en prist regart,
Et ele s'est d'eles emblée ,
De cambre en cambre en est alée ;
Ains ne flna dus [qu'ele] vint
670. En une quisine qui tint
D'une part au mur de le sale ,
Et del autre partie avale
Lis eaus en une rivière
Qui ert rade de grant manière ;
De la mer estoit assés près.
Tuit li quisinier ou paies
Estoient aie , pour véir
Leur signeur sa illle plevir,
Si que toute seule estoit Joie,
Deseur tous triste et esbahle. 680.
Un grant coutel a qutsinier,
Qui sert de la car despicter (l),
A sour le dreceoir trouvé ;
Par maintes fois l'ont esprouvé
Ses maistres pour bon et taillant :
D'un cisne merveilious et grant
En colpast à .1. colp l'esquine.
En sa main le prent la meschine ,
Et pense que elle colpera
Son puing, et caoir le laira 690.
Et l'iawe qui est apelée
Yse la parfonde et la lée (î).
Dont se commence à dementer :
« Lasse ! or me puis-je bien vanter
C'a malvais port sui arrivée ;
Car se ]ou ai ma main colpée ,
De moi nule pitié n'aura
Li rois, car vraiement saura
Que colpée Tarai pour lui
Escondire. Lasse t mar fui ! 700.
Bien sal qu'il me fera ardoir ;
Antre trezor n'en aurai , voir.
Bien sui foie, qui moi ocirre
Yoei a dolor et k martire ;
Et se me puis bien respiter
De ceste dolour escbiever.
Comment? par espouser mon père.
Mon père ! lasse ! vie amere
(l) A dépccrr la eliair. — (9) Oise la profonde et la large (aux jreox d'un Pic^rri}.
104
LA MANBKINR.
loin ; puis en réfléchissant et en regardant sa fllle, il laisse TA-
mour lui enfoncer son dard, par les yeux, jusqu'au cœur. Raison
lui fait bien honte d'une passion aussi vilaine; mais Amour lui
met bientôt Raison et Sens à néant. Il se rend de nouveau en la
Avoir, pour peur de m'ame !
710. Yirge Marie , douce dame ,
Gonsea vous demant et requier;
Voelliés-ent vostre fil proier.
Puisque de cuer requier aïe,
Bien sai que je n'i faurrai mie. >
En si se demaine et tourmente
Joïe la bêle jouvente ;
En cel pensé a atendu
Tant qa'ele a oï le hu
De chiaus qui en sa cambre estoient,
7î0. Qui au roy mener la voloient :
Or voit bien n'i a plus caloigne (2) ;
Son puing senestre tant alongne
Qu'ele le met seur la fenestre,
Le coutel tint en sa main destre -.
Onques mais feme ce ne flst;
Car le coutel bien amont mist ;
S'en flert si son senestre puing
Qu'ele l'a fait voler bien loing
En la rivière là aval.
730. De la grant dolor et du mal
Que ele senti s'est pasmée.
Ains que ele se fust relevée ,
Englouti sa main .j. poissons
Qui est apelés esturjons ;
Molt en estoit liés par saniant.
Aval l'ewe s'en va Jouant.
Del esturjon ci vous lairai ,
Et a Joie revenrai,
Qui de pasmisons releva.
740 Son moignon , qui molt li greva,
Entortillie d'un coevre-cblef
A l'autre main à grant mescblef.
Sa coulor, qui estoit vermeille,
Pâli : ce ne fu pas merveille.
De la quisine en est issue ,
En sa cambre en est revenue ,
Où .iiij. conte l'atendoient;
Molt en sont lié quant il le voient,
Si ii dient : « Ma damoisele,
Une nouvele boine et bêle 75o.
Vous aportons ; mais soies Ile :
Rolne serés de Hongrie.
Li rois ou palais vous atent ;
Par nous vous mande qu'errammenl
Yenés à lui , n'i demorés.
Bien doi de vous estre honnourés
Li rois et tout cil du pals,
Que tant ont pourcacié et quis
Que d'or aurés u cief couronne :
Qui ce vous fait, biau don vous donne ; 760.
Or en venés, car tnit vous mandent
Li prélat qui là vous atendent
Ce lignage départiront ,
Vous et le roy marieront. »
La pucele respont briement
Qa'ele ira olr le talent
Du roy, puis que il l'a mandée.
Pale, tainte, descoaloorée,
Od les .iiij. contes s'en va
Dusqnes là où le roy trouva ; 770.
Avoeques 11 ala puceles
Et assés de graits damoisleles.
Li conte Joie adestrerent,
Ens u grant palais le menèrent
U estoient tuit U baron
Et maint chevalier environ,
(l) Qa'il n'y a pins b plaider : ealnmnia.
LA MANRKINE.
105
chambre de sa fille et lui explique ce qui se passe (510). Bref,
il est le roi; il ordonne. C'est alors que Joie mérite son nom
héroïque ixi ManeMne, Elle court à une fenêtre, et d'un coup de
couperet, appliqué de sa main droite, elle fait voler bien loin,
dans la rivière qui coule au pied du chi\teau , sa main gauche,
Qai la pucele molt amoient
Pour le grant bien qu'il i savoient.
Tout furent lié de sa venue ;
780. Li rois boinement le salue.
La puce le respont à point
Qae dame Diex boin jor lor doinst.
Li rois Joie par la main prent ,
Pais si racole boinement
Et garde si coisi son moignon ;
Pais nomma Joie par non :
<c Fille, fait-il, que n'avès trait
Gel mal qui si grief vous fait ? i>
Ce c'on li a dit et conté
790. Li a trestoat dist et monstre ;
Mais petit U plaist li parole ,
Et de quanques il l'aparole
Li a à bries mos respondu :
« Sire, bien vous ai entendu ,
Mais roine ne doi pas estre ,
Car Je n'ai point de main senestre.
Et rois ne doit pas penre famé
Qui n'ait tous ses membres.par m'ame !»
Donques a trait hors s(3n moignon
800. Loié (1; d'an coevrechief en son (2).
Quant li rois et cil qai la farent
Virent le bras et apercburent
Que la mains en estoit ostée ,
En petit d'eare fa troublée
La Joie en ire et en tristour.
Onqaes mais en si peu de jour
Joie en tel dolour ne tourna
Car en ce point les atouma
Pitiés, qu'il leurcaoit de lermes
Tant qu'il n'en ert ne fins ne termes. 810.
LI rois qui molt bien set et voit
Qu'ele tout da gré fet l'avoit
Pour escbiever sa volenté ,
N'esgardoit pas saloialté.
Pour qui ele s'ert mebaignie ;
Ains est en si grant feionnie
Pour çou qu'il perdoit son désir
Qu'a les bediaus l'a fait saisir
Et mettre en une cartre dure ci;.
En maint lia estoit obscare 8^0.
Et jure Dieu c'arse sera
1168.
Au noeme (4) coisist (5/ une tere
Qui est par devers Engleterre,
Escoce, ce est U siens nons. 1170.
Trestoat droit le jour des brandons
Les gens de Bervicb estoient
Sur la mer, ou il se Jouoient.
Li un trèpent, li autre salent (6),
Trestoat déjouer se travaillent.
Ainsi l'avoient maintenu;
Maint an i estoient veoa.
Avoec auls estoit U prevos
Por çoa que il ne fuissent tant os
Qae il entr'aas éust meliée.
Devers la mer a retournée
Sa cbiere (7), et voit la nef venir.
D'esgarder ne se puet tenir
Por çoa qae si tost vient vers lui
Et si ne volt dedens nului
1180.
(1) Uifatuê. — (a) Poorpre, tidoninn f oa en soie, seta serica, tetonent f — (3) Careere
Uhro. — (4) Neuvième (jour). — ,6) Quœxivit. gagesi? ou aperçut (mol gurm.) —
(6) Trfpittanf, mtiiHnt. — (7) Le prévoit retourne m rhaise.
106
LA NAPTBKINE.
qu'un esturgeon engloutit aussitôt ; puis elle s'écrie, en mon-
trant aux barons son moignon sanglant : « Je ne puis plus être
reine, car roi ne peut prendre femme dilTorme. » Le roi son
père, indigné de l'outrage fait à ses volontés, ordonne sans
pitié qu'on l'emprisonne et que dans trois jours on la brûle sur
Qui la conduie ne ne maine
Les gens qai iloec sont açainé
SI lor a le batel monstre
Qui si vient sans voile et sans tré a).
1190. Ill'esgardent tait volentiers.
Ll batiaus vient endementiers
Dnsc'al rivage n'arresta.
Li prevos et cii qui sont la
S'en sont dusc'al batel venu
A la terre sont retenu.
En la nef ont celi coisie
Qui venue ert sans compaignie.
Li prevos molt bel le salue
Qui moût avoit lange esmolue
1*200. A palier bel et sagement :
« Pucele, cil Diex qui ne ment
Vous doinst boin aventure et Joie ! »
— « Sire, fail-ele, cil vous oie
Que vous en avés apelé ! »
— < Pucele, or ne nous soit celé
Dont vous estes ; et vostre non ,
Se il vous plalst savoir volon. %
— « Sire , je sui une caitive
Ici endroit venue a rive.
1210. S'il vous plaist si me sauverés ;
Saciés» par moi plus n'en sarés. »
— K Certes bêle, bien m'i acort.
Je crol c'aucuns vous a fait tort,
C'a boin port estes arrivée ,
C'a mon signeur serés menée ,
Qui rois est de tout cest paYs ,
Bacelers jounes et jolis.
Avoec sa mère serés bien ,
Là ne vous faurra-il jà rien. *
— « Grans mercis, sire, » ele responl. 12S0.
A joie retenue l'ont
Et dedens la cité menée.
Assés fu le jour esgardée
La bêle faiture [i] de li ,
S'avoit-ele le vis pâli
Du grant duel qu'eie avoit en.
Es-vous à son hostel venu
Le prevost et avoec lui celé
Qui du tout son convine (3) ceie :
Assés tout le jour l'en enquist -, 1*230.
Mais ele onques riens ne l'en dist :
Se le laisse ester par anul .
Assés de bien pensa en lui.
Celé nuit moût bien Taiesa
Avoec deus dlles que il a.
L'en demain, quant il vit le jour,
N'i vaut faire plus lonc séjour ;
Deseure un palefroi ambiant
Fist monter Joïe erramment ;
Droit à Dondieu au roi i'emmaine, 1340.
Où II tient son bostel demaine,
Et sa mère o ses damoiseles ,
Dont II i a assés de bêles,
Es-les-vous à la court venus.
Droit au perron sont descendus.
Au disner se séoit li rois ,
0 lui grans signeurs xxiij.
Li prevos devant lui s'en vient.
Qui la bêle par le main tient.
(l) Trabe», ni<t. -^ (2) Forme, traits. — (3) Son eut, ceqn'i la regarde; conrenienm^f
Voy. V. 1J«9.
LA MANBKINI
107
un bûcher. Le sénéchal, à qui la charge incombe d'exécuter
cet ordre cruel, sait qu'il sera brûlé lui-même s'il n'obéit pas;
mais il sait aussi qu'il perd son &me s'il obéit. Il s'arrête à un
moyen terme et décide, de concert avec le cartrier (geûlier),
1350. Premiers a salué le roy,
Pals les barons qui sont o soy :
€ Sire, dist^ii, un biau gaatng
A rostre court bui vous amaing.
Je et vos gens estiiens bier
Soor la mer pour esbanoiier;
Lues arrivoit une nacele ,
U n'avoit fors ceste pucele.
Je croi k'ele est de hau parage,
Car ele est mont courtoise et sage ;
1960. Mais eie a une main colpée ,
Dont ele est bêlement fanée.
De son couvine (l) plus ne sai ;
Ne pour quant demandé l'en ai ,
Nule riens dire ne m'en veut ;
Mais je sai bien qu'ele se deut
De s'aventure et de son grief.
S'ele n'éust eu meschlef ,
Je cuic (3) que si bêle ne fust
Faite de piere ne de fust.
1370. Or est vostre, s'en poés faire
Du tout vostre bon sans contraire,
Qu'elo est d'Espaigne cbi venues
Se vous plaist, si soit recéue;
Av(o}ec ma dame bien sera ,
Et , se Dieu plaist , ele fera
Tant , c'amée sera de ii. •»
Au roi durement embell
Çoa que ses prevos a conté,
Car moût est plains de grant bonté.
1380. Joie a lés li apariée
El courtoisement apelée.
c Bêle, falt^U, de vostre terre
Vous vaudroie-ge moût enquerre,
Se ii vous venoit à talent ,
Dont vous estes et de quel gent;
Dites-le-moi, et saciés bien
Ce ne vous grèvera jà rien ,
Car vous aurés k vo talent
Quanques vous verra à talent. »
La damoisele U respont : 1390.
c Sire, tout cil que bien me font
I pueent grant aumosne avoir:
Car povre sui , sans nul avoir,
Venue d'estrange contrée
Toute seule par mer salée ,
Gomme une dolente caitive
Et la plus iasse riens qui vive ,
Gomme celé qui ne voidroit estre ,
Se U plaisoit au Roy celestre ;
Ne jà plus nus hom ne m'enquire : ISOO.
J'ameroie mix estre en bière
Que je mon anui racontasse,
Je morroie ains que le contaisse. »
En çou que ele ensi parioit ,
Li rois le regarde , si voit
Les larmes des ix qui li ciéent :
Por çou que eles li dessiéent.
L'a à la rolne en voile;
Si U mande qu'el ne laist mie
Qu'il ne U face son voloir, isio.
Ne son cuer ne face doloir
D'enquerre cose qui 11 nuise ,
Duskes à tant que ele truise
Plus lie qu'el n'est maintenant.
La rolne te mandement
Son fll flst , mie ne'i laissa,
Et ses damoiseles plaissa (S)
(l) Voy. eÎHiestos vers 1229. — (2) Jf pensais, cofitari et même eofilwic. —
(a) Forma, plutMêwU; iiXaovfiv.
108
LA MANEKINE.
de la conduire à la mer, qui n'est pas loin (dusqu'à la mer n'a pas
gramment), et de Tabandonner seule sur un batelet, avec des
vivres pour huit jours , à la grâce de Dieu. Joïe est ballottée sur
les flots pendant toute une terrible semaine, et le neuvièmejour
A çoa qae eles ronourerent
Et conjoïrent et amerent.
1S20. Li provos treslout celi jor
Avoec son signour assejor
Fu, et al demain s'en parti
Et revint là dont il parti.
Joïe est à court demouréo
Moût joïe et moût amée ,
Mais il ne la sevent nommer
N'a ce ne la pueent donter
Qu'ele voelle dire son non,
Son pals et sa région.
1330. Un jour l'estoit aies veoir
Li rois pour oïr et savoir
Son coavine, se 11 péast :
Molt volontiers apris réust;
Mes à çou mètre ne la puet.
Dont dist U rois : « Il nous estuet (l),
Puis que vostre non ne savons,
Que nous aucun non vous metons.
Or soit ensi. je vous destine
Que vous ailés non : Menekine. »
1340. Ce non ot puis assés Ion tans.
Si com vous orrés ou rommans.
Ele nommer ne se voloit
Pour çou que li cuers li doloit
De la vilenie son père,
Qu'ele en mainte guise compère.
Or est la Manequlne à aise,
Selonc ranui et le mesaise
Que ele avoit devant eue ;
En peu de tans s'est maintenue
1350. Si courtoisement et si bel
Que il estoit à cascun bel
De li veoir et esgarder ;
Et ele se seut bien garder
De ciaus qui servent de mesdire :
Car de li ne péust nus dire ,
Fors bien, s'il ne ^olsist mentir.
L'aisse que on li fait sentir
Li flst revenir sa biautë,
Car 11 rois a sa volenté
Li flst avoir à son plaisir 1360.
Puceles pour son cors servir,
Et quanques il li fu mestier
Et sans dangier et volentiers.
Ele se fait a tons amer,
Gai' en son cuer n'a point d'amer ;
Tout cil qui de li parler oent
Moût le prisent et moût le loent.
Dient que de bon cuer U vient
Que si sagement se maintient
En autre païs que ou sien : 3170.
Tuit li atournent à grant bien.
Tant en est la parole alée,
Que nets cil de la contrée,
Qui aine véne ne l'avoient ,
L'aimment et bon gré li savoient
Des biens que disoient de li
eu et celés qui sont o li.
Nls li rois durement l'amoit ;
Toutes les fois qu'il sejornolt
A Dondeu , ù il ert manans , 1880.
Vers la Manequlne ert tornans ;
A U jonoit courtoisement :
Des eskès savoUele tant
Que nus mater ne l'en péust
Jà tant de ce jeu ne sénst.
(1) a/alnii nobir.
LA MANEKlMi:
mu
s;il<>8; aborde en Ecosse; où elle gagne, sans tarder beaucouj),
la faveur du roi, puis sa tendre affection. Au bout d'une année,
c'était un grand amour, et partagé. Mais la reine, mère du coi,
ne tarda pas à connaître leur cœur, et elle fit à Joïe de terribles
menaces 3^01). Le jeune roi n'en devient que plus épris et dé-
Des eskès savoit et des tables (i;,
D'assés d'autres jeas delitables ,
Dont ele se joaoit aa roy
Sans felonnie et sant desroi.
13U0. Tant 1 ala li rois et vint
Qae maint joor puis por fol se tint;
Car qaant sajete est descochie ,
Ne puet estre arrière sachie
Devant qa'ele a fait sa volée.
Anlsint qaant Amours est volée
Par mi les ex duskes au cuer,
N'en puet issir à nesun fuer
Devant que ele a fait s'empainte (2i.
S'en a souvent, et mainte et mainte.
1801 Mais la roïne s'en perçut,
La mère au roi leur cuer connut :
Diex maldie son cors et s'àme !
U monde n'ot si maie dame
Ne de mal si escienteuse ;
Moût fu en son cuer engigneuse
De çou que mie ne la het
Ses flx , et certainement set
Qu'il s'entraiment plus que riens née;
Mais par lui sera destornée
1810. Geste amour, se ele puet onques.
La Manekine mande donques.
Ele vient a 11 sans demeure
Car ele le crient et tionneure.
La roïne erramment 11 dist :
< Manekine , se Dix m'aït
Il me samble que volentiers
Se met mes Ûx en vos sentiers
Et que il vous aime de cuer.
Si , vous defenc que a nul fuer (3;
Ne tenés plus sa compaignie 1820.
Se plus amés le vostre vie.
Mauvaise garce ! A vous que monte?
Ne quels voloirs a ce vous donte
Que volés corapaignier mon 111 ?
Vous en serés mise en escil.
S'il vous avient mais a nul jour
Vous en serés arse en un four.
Or, gardés plus ne vous aviegne
Se ne volés quemaus vous viengne.7/
La damoisele li respont : 1830.
c Dame , par le signeur du mont ,
Onques me sires ne me quist
Dont vilenie me venist.
Pecbié faites qui me blasmés
Et kl malvaise me clamés
Car, voir, desservi ne l'ai mie.
Se me sires, par courtoisie,
Quequanquesmestiers m'est me donne,
De jouer a li m'arraisonne?
Ne li ai pas bel, escondire. v 1840.
Adont fu la roïne en ire,
Si li dist : c Vous vous en tenrés ( i)
U a mort prochaine venrés. »
— c Dame, ce seroit cruex mes.
Je m'en tenral donc dès or mes. »
A dont s'en part tout en plourant.
Atendi duskes au tierc jour 1870.
Que li rois revint en sa cambre
Qui estoit pavée de lambre.
(1) Le jeu de dames. — (3) Substaut. barb. de impinyere, lancer radement, impinctioP
— (3) A aucun prix; forium, foragium^ estimation. — (4) Abstiendrez.
110
Lk MANEKINE
clare à la jeune étrangère qu'il Taime et qu'elle sera reine d'E-
cosse. Il fait aussitôt venir son chapelain, et avant même que
sa inère pût en être informée, il fait bénir le mariage (2040). Il
ordonne ensuite pour la Pentecôte, qui devait arriver dans
Les autres dames li fon(l) voie ,
Et la Manekine bontoie
Plus que ne sont, pour la deffense
Dont ele a au caer grant pesance.
De la paoar qu'ele ot trambla.
Li rois la volt, si U sambla
QQ'ele n'avoit pas le cuer a aisse.
1880. Or ne cuidiés pas qu'il li plaise.
Il 11 a dit : € Ma douce amie ,
Pour quoy estes vous si rougie?
Par celé foi que me devés
Vous pri que ne le me celés. »
— « Sire , TOUS m'avés conjurée :
Se ne vous sera plus celée
La raisons pour quoi j'ai paour.
Ma dame me dist qu'en un four
Fera mon cors ardolr en cendre,
1890. Se ele puet jamais entendre
Que vous me tenés compaignie :
C'est çou dont sui espeuerie. »
— « Voire, amie, a ele ce dit? >
— « OU, sire, se Dix m'alst. »
— <c Amie , or ne vous esmaiiés (1),
Et le vostre coer apaiiés;
Car bien de li voas garderai
Ne dès or ne vous cèlerai
Ce que vous ai lonc tans celé.
1900. Bien voi, mi samblent révélé
Sont a ma dame et a aatrui ,
N'ainc mais ne le vous dis fors hui ;
Bien voi tant atendre poroie
Que le désir que j'ai perdroie :
Si vous pri que vous m'escoutés
Et en mon dit vo cuer bontés. >
« Saclés de voir, ma douce amie,
Que vous estes mes cuers, ma vie.
Mes biens, ma santés et ma joie
Gelé a qui mes cuers s'otroie ; 1910.
Tous les jours mais que je vivrai.
Gelé a qui je sul et serai ;
Geie, s'il il plaist a délivre,
Pour qui je voel morlr et vivre ;
Gelé estes pour qui je voel faire
Quanques 11 plaira, sans contraire ;
Gelé qui j'ame (2) an bone foy
Autant ou plus que je facb moi ;
Gelé a qui je pense tous jours
Dont j'ai eu maintes dolours , 1920.
Gelé dont je pleur et souspir:
Gelé dont ne me laist dormir
Le desiers ne II pensers ;
Dont mes cuers n'ert ja jor tensés (3^
Se par vous n'est. Vous êtes celé
Dont m'est venue l'estincele
Qui me fait penser et frémir,
Bien espérer, et puis cremir.
En tel voloir m'a mis amors
Que dedens mon cuer fait son cors 1930.
Dous desirierspour vous me point.
Lonc tans ai esté en tel point.
Pour désirer vo compaignie
Demaine mes cœurs aspre vie ,
Riens ne convoite fors que vous;
Et saciés bien tout a estrous (4)
(1) Ne perdez pas courage« Go dérive le sobsU esmêi de riUlîen smagare, par le pro-
vençal etmaiar. Toos viennent plutôt de la forme barb. ex^maclare, comme esmoi, émoi,
de exmovere, — (9) Le copiste a mis : qui tainc, — (3) Blâmé. — (4) Ad evlrusum^
tout en dehors, c'est-k-dire loal franchement^
LA MANEKINB.
!ll
quinze jours, la célél)ration des noces et du couronnement par
de grandes fêtes f2153]. Sa mère seule, retirée à Perth, n'y
prend aucune part, et comme la haine de la vieille dame ne
s'apaisait pas, il lui propose de choisir ou de pardonner à Joie
Ce que jo vous reqaier et prie ;
çou e«t sans penser yilonnie :
Je vous aim de bonne amour vraie.
1940. Se il vous plaist que je vous aie
De cuer bonement vous otroi
Que vous serés dame de moi.
S'aurés en vostre cief couronne.
Tous U pals qui environne,
Sscoce, Yrlande, Comouaille
Sera vostre sans nuie faille.
Sires en serai et vous dame
Si n'aurés garde de ma dame ,
Ne de nului qui mal vous face :
19Ô0. Âins vous donne Amours ma grâce ;
Mais or ne le refusés mie
Car vous fériés grant folie. »
La damoiseie entent et ot
Ce dont forment sescuerss'esgot (1).
1976. « De grant orgner seroit tenus
Mes cners se de vous s'escusoit
Et si grant honeur refusott ;
Mais s*il vous plaist que me prenés
1980. Sn ioialté me maintenés. >
— « En non Din, bêle, ensi ert il
Si gart Dix men cors de péril ;
Trestous les jours que je vivrai
De loial cuer vous amerai. »
Adont l'a par le menton prise
Gomme cil qui moult l'aime et prise;
SI Ta plus de vingt fols baisie
Et dist : « Ne vous esmaués mie ,
Douce amie , de nule riens :
1990. Desor vous vient bonenrs et biens.
A baisier n'estes pas vilaine
Car mont avés souef (S) alaine.
Or serai-Je liés (3) soir et main.
Or en venés : je vous enmain
Ou palais . la ù mes gens sont
Qui par maintes fois requis m*ont
Que J'envoiaisse en Engleterre
Vne des Ûlles le roi querre.
Mats saciés bien tout a estrons
Qae mes cuers se tient si a vous sooo.
Que je ne vols puis autre avoir
Que j'aperçin vostre savoir.
VoQs êtes celé ù je m'atens
De joie avoir à tout mon tens. »
A dont l'a prise par le main
SI i'enmaine o lui, main à main.
Tautost fu la messe cantée. )040.
Ce fn fait si privéement,
Fors sa maisnle seulement
N'avoit Mais si menant 1 erent
Qui durement se merviliierent
De ce que li rois avoil fait
Tost fu à sa mère retrait;
Se l'en prist une teie envie
Que ainques puis jor de sa vie
Ne Ûst fors que s'entente mètre
A la Manequine demetre 9050.
De toute boneur, s'ele séust
Et qu'ele faire le péust.
Li rois le manda an disner ;
Mais seur son lit s'ala ciiner
Et dist qu'ele n'ira ja.
< Bonis soit il quant prise l'a ,
(1) Bxgauditt s'esjoait. ^ (3) SuavU* — (3) Lœius, jojeuz soir et matin.
\V1
LA MANKkIxNK.
OU (Je prendre 8ou douaire, c'esl-à-dire de se retirer 'de la cour
en recevant en propriété le cbàteau d'Evoline. Dès le lendemain,
elle s'établissait à Evoline. Plus tranquille désormais sur le sort
de Joîe, qui devait lui donner un héritier dans peu de mois, le
roi cède à Tenvie qu'il avait depuis longtemps d'aller se mêler
Ne qui le tenra mats pour roi !
Or a- il fait trop grant desroy
Qui a ci prise ane esgarée ,
•20(i0. Une chaitive , une avolée (1}
Une femme o tout une main.
Car fust il orc u flun Jourdain ! »
Li chevalier qui ce entendirent
Errant de li se départirent.
Si revindrent an roi arrière
Et redirent en tel manière
Qu'ele leur respondi, briement.
Hais 11 rois n*en fit nul samblant :
« S'ele veut , fait il , si i viegne ;
-2070. Et s'ele ne veut, si remaingne
2153. Ce fu en la douce saison
Que li roussignol ont raison
De chanter pour le tans joli ,
Que U pré sont vert et flouri
Et 11 vergié cargié de fruit ;
Que la bêle rose est enbruit (2)
Dont les dames font les capiaus
-2i(K). Dont li amant font leur aviaus (3) ;
Que l'herbe vert est revenue
Qui par la froidure ert perdue :
Gascuns oisiaus en son latin
Gante doucement au mathi
Pour la ssdson qui est novele.
Toute riens adont se révèle ;
Que la joie maintenir doivent.
Li canel les iauwes reçoivent ,
Qui en yver erent esparses.
Où keurent karoler (4) ces garces ? 2170.
Beatris, Harot, Margueçon?
Avoec eies ont Robeçon
Et Collnet et Jehanet ;
Puis s'en vont au bois au niuget ,
Capiaus font de mainte manière
Ançois que reviegnent arrière.
Bêles sont les nuits et li jour
A ciaus qui mainUenent amor.
En itel tans corn je devise
Est celé pentecouste assise 2130.
Dont toutes gens demainent feste
Droit la veille de celé feste
Assambia a Dondeu la cours.
Maintbuef, maint pourcel et maint ours
I eut tué pour car avoir
Tant que n'en puis nombre savoir.
Qui dont véist dames venir,
Chevaliers par les mains tenir ;
De dus , de contes , de barons
Emplirent tous les pavillons. 2MK).
Le soir quant li eurent soupe
Trestuit s'atinerent u pré
Gomme s'il fust en plain midi ;
Car tout certainement vous di
Qu'il i avoit tnertins (5) ardans,
Onques nus hom ne vit plus grans.
Ne vin, ne viande, ne cire
Ne vaurrent nului escondire :
(1) Àdvolata, une coareose. — (2) EpaDoaie, tmbricataf Les pétales étages Tnii sur
l'autre; mais j'avoue celte pensée bien élégante pour le moyen 4ge. Peut-être y a-t-11 :
en bruit, in bruilHeio (brolium , broletum , bruiUiuiii : Cang. gioss.)» « La rose est
aux buissons. » — (8) Adjuvaminaf II faudrait adjuvalia. Peut-être doit-on lire apiaus,
appeaux. — (4) Danser au son des iostruments ; ckoraulet? — (5) Torches.
LA MANEKINE
115
aux brillants tournois de la France et d'y conquérir la gloire. 11
s'embarque à Berwick, après avoir secrètement confléàson sé-
néchal et à deux autres chevaliers, ses hommes de confiance, le
soin de veiller sur sa femme. Débarqué le jour suivant sur le?
Tant en ol cascuns comme il veut
-2200. Ainsi bel cascuns les akeat.
Quant il orent toute la nuit
Démené karoles et brait
Et M jours devoit ajourner.
Vn petit se vont reposer
Pour estre plus froit l'endemain.
La rolne se leva main
Bien acesmée (i) et bien parée :
D'un gros ûl d'or ert galonée ,
A cascun plain doit ij rubis ; '
3210. Ja n'iert il tans si anublis (9)
Que on assés cler n'i véist
De la grant clarté qui en ist
D'une cotele d'or tissue
Toutes par mi pelés (3) cousue
Avoit le sien biau cors vestu.
A paines porai le tissu
Deviser dont ele estoit çainte :
D'or i avolt platine mainte
Qui s'entre tienent a carnieres
'iiW. D'esmeraudes bonnes et cleres :
Vn saflr avoit u morgant (i)
Qui valolt bien c mars d'2û*gant.
En son pis avoit une aflque
D'or et de mainte piere riche ;
De drap d'or ot a col mantel
Âinqaes nus hom ne vit si bel ;
Entour son col l'eut acolé.
Ne fu mie de vair pelé
La fouréure, ains fu de sable (n)
2^30. Qui moult fait la gent delitable.
A son çaint a une omosniere ;
Ou monde n'a nule pins ciere ;
Sour son clef eut une couronne
TaQt com li siècles avironne
Ne fust trouvée sa pareille :
De Tesgarder ert grant merveUle
Des bonnes pierres ki i sont
Et des vertus que eles ont.
Esmeraudes, saflrs luisans,
Rubis , j«gonces (6), dyamans , 2240.
De çou erent li carnel fait ;
Àinc plus bel ne furent pourtret.
La couronne de sous ert d'or ;
Mais si kavel (T erent encor
Plus cler, plus bel et plus luisant
Que 11 ors (8) n'ert, mien essiant.
Bêle ert et s'eut si bel atour,
Aine femme n'eut plus bel nul Jor.
En tel atour, en tel couroy
Fu celui jour U femme al roy. -ZibO.
Li parement le roy refurent
Si bel, si gent comme estre durent ;
Des siens ne voel faire devise.
Quant eurent oi le servise
Es pavillons sont retomés
Ou li disners ert aprestés.
Biaus fu 11 apparillemens :
Tables i eut plus de v cens
Pour grans signeurs et pour barons
Dont je ne sai mie les nons, 2260.
Ne du savoir n*est nus mestiers.
Qui dont véist ces escuiers
(l) Parée, ûdseemari, ax?i|xoc. Vers qoe le copiste avait passé et qu'il a reporté
au bas de la colonne. — f2) Nnageuz. — (3) Perles. — (4) Oa mordait* agrafe. —
(S) Sêbelum, tabeUna peiiis , libeiine. — (6) Agathes. — > (7) CavUia, chevilles, vis
d*acier. — (8) Non pas «ttr«w, mais aureut (clavicnlus).
T. VIII. 8
il4
LA manekim:.
terres de Flandre a\\,\.^ il se livre aussilOt à sa passion pour
les combats, remporte te prix au tournois de Bassons, près
Compiègne, puis va chercher, à Epernay et ailleurs, d'autres
occasions de rompre des lances. — Pendant ce temps , la jeune
reine d'Ecosse séjournait, assez tristement, à Dundee. Un beau
Pour biau servir apparillier :
Li uns leqr coatiaos aguisier
Pour taillier devant lear signeurs.
Et il aatre a mestier pluisears
Ainsi com devisé estoit
A quel rené cascuns serviroit;
Portent pain et vin a plenté
2270. Cascuns en eut sa volenté :
Gel jour ne fu riens espargnlé.
Li pavillon erent joncbié
De mnget et de violetes
Et de maintes autres floaretes.
Qaant 11 seijant le commandèrent,
Li trompéar i'iawe cornèrent (1).
Li rois est assis premerains,
Rt pais li autre qui ains ains ;
De table en table a leur talent
3980. S'assisent toit commanalment
Dames et chevaliers ensamble,
Si qu'avoec aus vilains n'assamble.
Se je devisoie leur mes
Ici n'arresteroie bui mes (3)
Tant ne si bons ne autres tex
Ne donna mais nus hom mortex ;
Cascuns en eut a son voloir
Et de tex com il volt avoir :
Cars et volilles , venisons,
'2290. Ou en maintes guises poisons.
Quant mengié eurent, si lavèrent.
Li ménestrel dont en alerent
Cascuns a son mestier servir
Pour leur soudées (S) desservir.
Nus ne querrolt la mélodie
Qui fu loeques (4) en droit oïe :
Vielles, estives, fretiaus,
Muses , barpes et moyniaus ,
Cytoles et psalterions ,
Trompes , buisines environ. 3300.
Tait cil i font tant de mervelles
Que ne furent mais leur pareilles.
Quant un poi escouté les eurent ,
Esroment (5) au caroler keurent.
Tel carole ne fu véue ;
Près du quart dure d'une lieue.
Par les caroles s'en aloient
Chevaliers , dames qui cantoient ,
Parés de dras d'or et de sole.
Gascons et cascunes fait joie 2310.
Fors que sans plus la maie dame
(Dix maudie son cors et s'ame !)
Car ele n'i volt onqnes estre.
Si dolante est, plus ne puet estre.
A vij lieues d'illuec estoit,
A une cité c'on clamolt
Pert , ensi com j'oï retraire ;
Hais de lui me voel ore taire
Et a la feste revenir
Ou tuit se sevent blau tenir 2330.
Les dames et li chevalier
Alerent maintes fols changier
Ce jour leur apparillement ;
Puis s'en revenoient cantant ,
Et prenoient a la carole.
Cascuns samble que ses cuers vole.
(l; La trompette annonce le repas, qai coniuience par l'raa poar les uaius. ~ (2) Je iic
m'^hrèterais plus d'aujourd'hui , hodié magis. — (3) Soldait^, solidos ; pour gagner
jpur argent» — (4) tlluc, — (&) Pour « erRimraent, > é rapida mente.
LA MANEKINE.
115
jour, le seneschal, sou protecteur, « qui savoit romans et latin,
fait un parchemin » pour envoyer au roi la nouvelle qu'elle
venait de mettre au monde un fils le plus beau du monde. Mal-
heureusement, le messager chargé de porter la lettre eu France
(3169) pensa bien faire en s'arrêtant, tant à Taller qu'au retour,
à Evolîne pour saluer la reine-mère. La veille dame, dont il
ignorait les haines, Thébergea chaque fois, le charma de pa-
Se ne fust, sans plus, le mehain
Que la rolne a de sa main,
Autre cose en li ne set dire
2330. Nus hom qui sa bianté ne mire ;
Mais de ce durement anoie
Tous cians qui de s'oneur ont joie.
MoQt fu celui jour etigardée
La bêle , la bien acesmée ;
Quant plus l'esgardent, plus leur plest;
De L'esgarder cascuns se paist.
Sa biauté et sa conlenaDce
Les a tous mis en tel balance
K'entr*au8 dient : « Li rois fait bien,
2340. Plus ne l*ea demanderons riens. »
Bnsi dIent et cil et celés ,
Chevalier, dames, damolseles;
Mais quant il mix connisteront
Sa manière , mix l'ameront.
La feste, ainsi com je devis
Dura trois jours tous acompUs ,
Aussi grant et aussi pleniere
Con je vous ai retrait arrière ;
Et quant il s'en vaurrent partir
'2350. Li rois flst cascun départir
Hanas d'or, de madré et d'argent
Selonc çoa qu'estoient la gent.
Tout ensement la Manequine
En qui toute bontés affine.
Par le commandement le roy
Donne as dames moût biau conroi,
Mainte cainture et maint anel
Et maint fremal d'or bon et bel ,
Dont tousjour fa puis molt amée.
3360. A tant est la cours deflnée.
Est tout drois arrivés au Dam. ^18.
Ses cevax des nés ou rivage
Fist mettre, qu'il n'i eut damage ; 96?0.
Puis est en la vile venus
Ou ses ostex fu retenus.
Du conte de Flandres enquiert,
Où sera trovés s'on le quiert.
On li a dit quil est a Gant ,
Où fait son apparillement
D'aler au tomol a Ressons ;
Mou plaist au roi ceste ressons.
L'endemain quant il vit le jour
N'i vaut faire plus lonc sejor, 3630.
Vers Gant a sa voie accueille.
Li quens de Flandres ot oXe
La novele du roi d'Escoche :
D'aler encontre lui s'esforce,
Se le salue et le conjoie
Et li dist : « Sire, j'ai grant joie
Quant il vos pleut ci a venir;
Bien poés a vostre plaisir.
Faire de moi et de ma gent
Quanques vous venra a talent. > 3640.
Li rois grans mercis li respont.
EnsI tout parlant venu sont
A Gant, et furent celé nuit
Avoeques le conte a déduit ;
Et li rois si li a enqnis
Du tournoi, ù il est empris :
Li quens li a dit a Ressons.
Dont dist li rois : « Nous i irons;
Et d'une cose vous requier
Que vous me voelliés otroiier 3650.
116
LA MA.NRKirXË.
rôles et de présents, Tenivra de Lon vîd, et pendant la nuit fit
substituer d'autres lettres à celles dont il était porteur. Ces
fausses lettres disaient au roi sa femme accouchée d'un monstre
à quatre pieds, tout velu. Dans sa douleur, il avait répondu
avec prudence qu'on eut soin de la mère et de l'enfant, quel
qu'il fût, jusqu'à son retour. Mais la vieille dame avait de nou-
Qae vous soiiés de ma menie (l). »
Li quens bonnement il otrie.
Celé naît furent molt a aise
Gose ne leur faut qui leur plaise ;
A lendemain bien très matin
Se sont très tous mis au cemin.
Geie nuit vinrent dusk'a Lille ;
A aïe i furent , car la vile
Lt iert au conte ; mais Tendemain
2660. Se metent au cemin bien main.
À destre laissierent Artois ,
Puis sont entré en Vermandois,
Par Roie ont leur cemin tenu
Tant qu'il son(t) a Ressons v^nu.
Ou castel descend! li roys ;
0 lui Fiamens et Escotois.
Dont commencent gens a venir
Et les hostex penre et saisir.
Boulenisien et Artisien ,
2670. Brebençon et Vermendisien,
Fiamenc et Normant et Pouhier (-2),
Alemant , Tbiois et Baivier,
Tout cil a Ressons descendirent
Et par les fenestres hors mirent
Maint escii et mainte baniere
De mainte diverse manière.
De l'autre part devers Gornay
Vinrent Biauvoisin , bien le say,
Berruier. Breton et François
2680. Et Poitevin et Hurepols
Et Champenois tout ensement ;
Cist vinrent au tournoiement.
A Goniay sont cist descendu
Ainsi ont le jour atendu
Que devoit estre li tournois ;
Et quant il vindrent de manois
La messe cirent; si s'armereiit,
Et dessus leur destriers montèrent ;
As cans vinrent pour tournoiier ;
Ce puet as couars anoiier. 2690
Li rois d'Escoche issi premiers,
En sa route mit chevaliers
Qu'il a tous retenus o 11.
Avoir par avoit si joli
Ne fn mais véus ses paraus.
Ses chevaus, qui est grans et haus
Ert couvert d*un drap d'or batu ;
Onques mais si rices ne fu ;
Et il qui ert et biaus et grans
Ert deseure moût bien parans , 2700.
Si bien armés comme adevise.
En ce j or n'ot autre devise
En ses armes, fors que d'or furent
Si bien faites comme estre durent :
Ce flst il en seneflance
Qu'acomplie ert sa desirance.
Car ses droites armes si erent
A trois lyonciaus d'or qui erent
Rampans et coulourés de noir (3).
Teles armes déust avoir; 2710
Mais les lyonciaus en osta ,
Toutes pures d'or les porta.
Li quens de Flandres ert lès lui ,
Qui celjour molt bien le servi.
(l) Maison , compagnie. — (2) Us gens du Ponihieu. — (3) Il ne dît point de sable.
LA MANRKINE.
117
veau changé le message et feint un ordre du roi qui comman-
dait au sénéchal de brûler immédiatement le monstre et celle
qui lui avait donné le jour, sous peine d'être lui-même livré au
supplice. Désespoir de la Manekine. Le sénéchal et ses assistants,
émus de pitié, firent le complot de ne la brûler, avec son fils,
3735. . . .A dont prist cascans son conroy(l},
Son escu prist cascans lès soy
Et si mist son hiaume en sa teste.
Li rois a sa gent manifeste
Qae il li baUient son esca :
2740. Uns chevaliers li a tendu;
Puis 11 fn li hiaumes iachiés
Qui n*estoit mie enruiUiés
Ains estoit d'or clers et lyisans
Et, à regarder, deduisans.
Quant il U fu laciés u chief
De tout se met el premier cief ;
D'amours et d'armes bien apris
A près de lui son escu mis,
En son puing une grosse lance
2750. Son cbeval point (2; et il li lance ;
Alns ne ûna d*esperoner
Desst k'jl vint as cols (3) donner.
Un chevalier de France ataint
Qui au partir de lui se plaint
Car si radement l'a fera
Que duske a tere a abatu
Le chevalier et le cheval.
3855. Ensi cei Jour se démenèrent,
Duskes a la nuit ne flnerent;
Mais la nuit viens, kl les départ.
Vont s'ent Si font autre regart
Non ainsi comme erent venu :
2860. N'i eut tel noise ne tel hu.
Li plulsour eurent les cors pers (4)
Des grans cox qu'Us orent souffers.
Tant vont a cev^l et aplé
C'a leur ostex sont repairié.
Li rois est venus a Ressens
Et avoec lui ses compaignons :
Tout droit ert venus au castel.
Quant illifuce Ufubel;
Car moût durement fu lassés
Des cox don ot eu assés. $870
Desarmés est isnelement ;
Li quens de Flandres ensement,
Qui ce jour la avoit molt fait.
Encore ne l'aie jou retrait ;
Se jou de cascun devisoie
Çou que il flst, trop demourroie
A revenir a ma matere.
Autre mention convient querre
Fors que de tant que bien le flst;
Et li rois commandement flst 3880.
Que tuit soupaissent avoec lui.
Si firent il. Il n'eut nulul,
De chevaliers, part a Ressens
Qui 0 lui ne fuissent semons.
Assés orent viandes, vins;
Quant soupe orent, li matins
Parut : A dont se vont couchier,
Qu'il en avoient bien mestier.
Duskes a tierce se dormirent
Puis se levurent et vestlrent, 3890.
Se râlèrent trestout a court,
LI rois ne leur flst pas le sourt ;
Moût les honeure , molt les aimme.
Amis et compagnons les claime ;
(I) Rang, rangi^e, éonredtum. — (a) Rperonne, pungii. — (8) Cop»? conps. —
(4) Bleus.
118
LA MANBKI^'E.
qu'en effigie; et de fait la ramenant à Berwick, ils l'abandon-
nèrent, comme elle était venue, dans un batelet qu'on livra à
la mer. Cependant le roi, plein d'inquiétude, laisse les tournois
pour ne plus aspirer qu'à l'Ecosse (4034), et bientôt il débarque
à Berwick. Le sénéchal l'y attendait. Son épouvante lorsque le
roi lui demande où est sa femme. Désespoir du roi non moindre
Leurs pertes rendi a pluiseurs
Et 0 lui retint les milieurs.
Âssés leur donna de biaus dons ;
Tant ilst , et ce fa bien raisons ,
Qu'il eut ie pris de ce tournoy.
3900. Cascuns li olrie endroit soy.
Àssés i eut de bien faisans
D'une part et d'autre perdans ;
A peine puet on assener
Quel pals s'en doit miex loer.
Lî rois ains que d'illuec partist
Un antre tournoiement prist
Par i'assens de ciaus de Gournay
A quinze jours , a Esparnay.
3169. En une nef a marceans
3170. Qui doit aler vers les Flamans
Entra, et ii eurent bon vant,
Par m\ la mer vont tant siglant
Qu'a Gravelighes sont venu.
Le messagler n'ont retenu ;
D'aus a pris congié , si s'en tome
busk'a Sainl-Omer ne sejorne ;
Demande ou li tournois est pris ?
Droit entre Creel et Saint Lis :i),
Doit estre a joedi ki vient.
3180. Quant il Tentent, plus ne se tient;
Ains oirre tant parmi Artois
Et après parmi Vermandois ,
Qu'il est en Biauvlsis venus.
Dusk'a Clermont ne s'est tenus.
Lueques demanda et enquist
Ou li rois est ; et on li dist
Que il séjourne a Creel
Ou fait laire bel appareil
Pour tournoiier. Quant ce entent
Lueques ne se va alentant ; 3190.
Tout droit au cemin se ravoie.
N'i a que. trois lieues de voie :
Tost les ala, a Greeil vint ;
Dusk'al cajtel ne se retint
Ou a hostel estoit li rois,
0 lui Flamens et chiaus d'Artois;
Assés ot 0 lui de barons.
Qui il ot donné de biaus dons.
A tant estes vous le message.
Le roi salue en son langage : 3300.
« Sire , dist il , li senesca(u)x
Qui moût est preudons et loians
Vous tramet par moi ceste lettre ;
Faites garder qu'il i fist mètre. >
Puis si li lent. Li rois les prent ,
La cire brise , et puis estent
Le parkemin qui ert dedens
Il savoit bien lire rommans ;
En sa joenece l'eut apris ;
Car son maistre ot o lui tous dis (2) 3310.
Qui tant Taprist qu'il seut escrire
Et le romans et latin lire.
.... Or n'a talent que plus sejorne 4084.
Li quens de Flandres ie convoie
Car aussi estoit cou savoie.
1) Sfiilis — (2) Il avait un maîlre too« les jours.
LA MANBKINE
119
que celui dont Joie avait été frappée quelques jours auparavant.
On fait venir le messager; le crime se découvre, et le roi, dans
sa juste colère, fait construire exprès une tour (4463) où 11 or-
donne que sa mère soit mise, pour le reste de sa vie, au pain
et à l'eau. Quant à lui-même, il fait appareiller un navire et se
Parmi Vermendois g'aceminent
Et par lear jornées cheminent
Tant qae il ont Artois passé,
4040. Ne se tinrent a si lassé.
Contre ne voisent sans demour.
En Flandres vinrent au tierc jor
De Créel dont erent méu.
Aa roi a durement pieu
Li samblans que ii [qaens] (1) li iisl :
Moat voientiers le retenist
En Flandres xv jours ou viij
Pour estre en joie et en déduit ;
Mais il n'en puet venir a cief,
1050. Car encore estoit ii moût grier
Au lOi de cou que tant demeure,
Il ne quide ja véir l'eure
Que il ia Manekine voie :
Et se s'est voirs dont il s'esfroie
Las ! a'est pas ainsi comme il coide.
Fait 11 a sa mère une wide (2>
Dont il garde ne se donnoit.
Quant li quens de Flandres perçoit
Que riens ne li vaut sa prooiere
lOAO. Trois jours li flst moût bêle ciere
Tant que sa nés fu aprestée :
A Dan lueques ert aancrée.
Dosques la fa il convoités
Du conte, qui n'ert mie liés
De ce ke si tost se départ.
Offert li a et tost et tart
Son pooir et sa signerie.
Li rois boinement l'en mercie ;
Quatre destriers donner ii flst :
N'en ni eut nul qui ne vausist 4070.
Cent livres d'estrelins u plus.
Li quens n'en flst mie refus.
Ains li redonna des oisiaus ,
Faucons et ostoirs , girfaus
Bien afaitiés ou vij ou viij.
Mais ii en eut pau de déduit :
Autre besoigne a l'uel li peut
Dont encor garde ne se prent
Erramment (3) a maçons mandés ; 44as.
Bien v cens en a assemblés.
Si ies maine en une faioise
Vers ia mer, ou vile n'adoise (4).
Adont le plus maistre apela ,
Tex paroles ii redist là :
« Maistres , fait il , je vous requier
Que de piere et de bon mortier 4470.
Me faites ci une grant tour
Qui soit reonde tout entour ;
Les murs faites bons et espès
De XV pies ou plus d'espès ;
Faites la moi et haute et lée.
En bas ne faites nule entrée ;
Bien haut faites une fenestre
Par où on verra dedens l'estre
Et si gardés qu'en xxx jours
Soit toute parfaite ia tours. y> 4480.
Li maistres respondi briement
Que la tours ert faite erroment.
Qui donques- véist macbonner :
Les uns les pieres tronçonner
Les autres taillier au martel
Et les autres tost et isnel
l> r« mpiisle a mis ti roh. — (2) Une paye. — (3) V«y. p. 114, n. 5, — (4) Afitit.
120
LA xMANRKINE.
met à la recherche de la pauvre ahandonnée. — La Manekine,
u qui de pleurer ne fine, » après neuf jours passés en mer,
seule avec son enfant, mais gardée par la Vierge Marie, sa seule
espérance, arrive en vue d'une côte, au pays de Rommenie (4763).
Trois pauvres pêcheurs, qui, au point du jour, naviguaient
pour aller tendre leurs rels, la recueillirent non par un esprit
»
Faire le bon mortier de caucli
Les autres drecier escafaos
Pour le mortier faire millor
4490. Les antres conimenchier là tour,
Le fondement pour la tour faire.
Et ces mâchons crier et braire :
« Ça de la pierre ! Or ça morUer
Il deist bien : Sans espargnier
Pensent de celé tour parfaire !
Tant se bastercnt tuit du faire
Et tant firent qu'en xxx jours
Fu toute parfaite la tours.
Dont s'en vint li maistres au roi .
4500. Si ii a dit : « Sire , par foy,
Faite est la tour que vous déistes ;
De son grant (l) plusfort ne véistes.»
Respont 11 rois : « Çou est bien fait. »
De son argent paiier a fait
Le maistre, tant qu'il enfn rices;
Ne li convint puis estre niches.
Après çou que ta tour fu faite
Se mère qui pas ne s'en gatte
A mandée privéement.
4510. Ghe fu fait si celéement
Qu'ele nule riens n'en savoit,
Duskes a tant que ele voit
Le senescal qui la vient querre ;
0 ii , les barons de la tere :
« Montés, font 11, 11 rois vous mande. »
Et eie pour coi leur demande ;
Mais ii ne li ont mie dit ,
Ains le font monter sans respit.
A l'eure que leur dist li rois
Vinrent a la tor demanois. 45^.
Li rois iiluecques les atant ;
Estes-les-vous venus bâtant.
Quant 11 rois sa mère a véue ,
Moût en a grant pitié eue ;
Mais tant 11 nuist sa tratsons
G'ore est venue la saisons
Que ele en aura son loiier.
Mal vais fait son cuer apoiier
A traïson, qu'en la parfln
N'en aura-on ja bone fin 4630.
E Ira.ljteur et traïsoa
Het Dix plus qu'autre mesproison ;
Et puisque Dix traUeur het ,
Qui quanques on fat volt et set ,
Moût est cis fax qui s'i embat ;
De son tor méismes s'abat.
Lonc tans en puet on bien autrui
Grever et faire moût d'anui ;
Mais quant plus en fait on des mans,
Plus crnelment torne sour ciaus 4540.
Qui ont pourcacié le malisce.
I fait bon eschiver tel vlsce ;
Gelé mte ne l'eschiva ,
Dont a malvais port arriva ;
Car li rois l'a fait emmurer
Dedens la tour ù endurer
L'en convint lonc tans maie vie ;
Gar onques puis Jour de sa vie
N'issi hors de celé tourele ;
Ne n'eut viande qui fust bêle 4550.
(1) i*laff forte pour m grandcar.
LA MANEKINE.
121
de générosité pure, mais pour faire une bonne prise (4791).
Après l'avoir vainement interrogée, le plus sage d'entre eux la
reconnaissant à ses liabits de soie pour une grande dame, lui
proposa de la mettre à Rome, chez sa femme, et de vendre les
beaux habits et la nacelle pour fournir à sa subsistance jusqu'à
Fors, sans plus, de Viauwd et du pain
Que OD ii portoit cascun main
Et avaloit par la fenestre.
niueques le flst li rois estre ,
Ou bel li soit ou ii desplaise.
N'aura mie seule mesaise
La Manekine ne ses Ax
Qui sont en mer en grant perlx ;
Ains en a tout son col cargié
4560. Celé qui ii a pourcacbié.
Quant il rois Teut mise en la (or
Et eut devisé quel atour
Il voioit que on li portast
Et par une corde avalast
Et il eut fait commandement
A ciaus qui ii vint a talent
Que ii icele tour gardaissent
Et dessour leur vies gardassent
Que nus ne l'ostast de laiens
4570. Qui ne calsl en mais liions ,
Il ne volt dont plus demorer ;
Jours n'ajourne que de pleurer
Ne soit saous ij fois u lij
Pour celé dont il est destrois.
Pour aier le querre et cerkier
Fist une uef apparilller,
La plus isiiele et la plus fort
Conques mais Tust véue a port ;
Et dist qu'avoeques lui iront
4580. Ses senescax et cil qui l'ont
Mise en la mer pour ce|qu'il crurent
Les lettres dont decéa furent.
Se veut qu'il en aient anni :
Pour çou les merra avoec lui.
Mais de lui qui son oirre alorne
Se taist mes contes, et retorne
A parler de la Manekine
Qui en mer de pleurer ne fine.
Droit en une;.riviere vint 4763.
Qui par mi Romme son cours tint :
Le Far le doit on apeler ;
De Romme va droit à la mer.
Ou Far droit a sa nef tournée
Par nuit, et quant vint la jornée,
III povres pécheurs de Romme
Qui n'avoit mie grant somme 4770.
D'or, ne d'argent ne de vilaille
Se levèrent malin sans faille :
Leur hostieus prenent et leur rois
SI entrent ou Far (i) de manois. . . .
. . . . LI uns ses compaignons apele : 4791 .
« Signeur, fait il, gaaigne bêle
Nous a hul cest jour Dix tramise :
Pesclé avons en ceste prise :
Une nef gaaignié avons
Et çou que nous dedans véons.
Il m'est avis que femme i voi :
Or l alons veolr tout trol ;
Se , saisissons ceste gaaingne ;
NI a mestier autre bargaigne. » 4«00.
— Il respondent : « Ce nous est bel. *
Autant ont tourné le batel
Et tant nagent qu'il sont venu
Et à crox pris et retenu
Le batel ou la Maneqnine
Estoit, qui de pleurer ne flne
Durement mervlllé se sont
Quant en son giron véu ont
(i) u Far, (leove. L'fxpjicalion, un peu longue, sera donnée anx ÀëttUiont,
122
LA MANBKINE.
ce qu'elle trouvât comment « son pain guerre. » — « Biau si-
gneur, » dit-elle au l)ateller, « grant mercis vous rent; n et elle
se laisse conduire. Tous ignoraient la bonne fortune qu'ils al-
laient rencontrer. Un riche et puissant sénateur de Rome, homme
veuf vivant avec ses deux filles, aperçut, comme il se promenait
à cheval sur la rive du Far, les deux bateaux qui portaient les
L'enfant qa'ele porté aroit
4810. Qai encor pas ij mois n*avoit ,
Et doit oa giron sa mère
Qui ponr ii avoit vie amère.
5309 Li sénateurs (l) les pescéours
5910. Apele; si leurdist: « Signears,
Pour combien, se il vous est bel,
Aurai la dame et son anei {i)
Et L'enfant qui est avoec lui ?
Or ne me faites ionc anui. 7>
— « Sire, vous l'avérés pour c. mars,
Que nous meterons en iij pars ;
SI en aura cascuns le tierc.
Et sachiés que li desirlers
Ne fust de lui mètre a bonour,
bno. Pour cou c'on vous tient au millour
De toute la vile de Romme
Disons nous si petite somme ;
Mais bien savons qui erl a eise
Se de son cuer n a la mesaise
Et de cou sommes nous tuit lié ^S). %
— « Voir ; ja n'i aura bargignié ,
Dist li sénateurs, longuement.
Venés en maison pour l'argent
Et se me délivrés l'avoir
r\'iiO. Que je doi pour l'argent avoir. -»
A donques , sans plus estriver,
S'en vont droit vers lui arriver.
Si ont mise celui a tere
A qui li quers de dolour sere;
Encor ii est bien avenu
Selonc le mal qu'ele ot eu.
De son ce val est descendus
Et dusques a la nef venus ;
Entre ses bras celi requeut
Ki d'errer par la mer se deut (4\ 5î40.
Pitiés tant le sien cuer donta
Que sour son cheval de monta
Et ii prist le sen escuier ;
Si est sus montés par l'est rier.
Tant fu courtois qu'en son devant
Porla il méismes l'enfant.
Le peut pas ensi l'enmaine
Par mi Homme , ki estoit plaine
De bourgois, si comme estre doit
Romme , qui si grant vile estoit. 5250.
Avant qu'a son ostel venist
Fu d'aucuns priié qu'il déist
Cul li enfës est et la dame ,
Et il respont : « Ne sai par m'ame !
Ne sai dont vient ne dont est née.
Par aventure l'ai trouvée- »
Ainsi respont as demandans
Tant qu'a l'ostei esl descendans :
A son hostel vient , si desceiil.
Assés fu qui rechut l'enfant. 5^60.
Li senators la Manekine
Mena en la sale perrine (5; :
Ses filles vinrent contre liii
A qui durement abeli
(I) Li seniitear«, li senator«, l'est pas le membre da sénat, mais l'homme de famille
si'n.itoridic , le senalorinn — (2) Une bagae d'or qui, avec sa robe de soie et le prix de sa
narelle. ilonnait à Va Msinekine une valeur. — (3^ ivti. — (4) Dolei. — (5^ De pierre
LA MANBK1NE.
123
pêcheurs et la princesse. Etonné de ce mélange, il entre en
pourparlers et finit par emmener la Manekine à son hôtel , non
pas qu'il substitue simplement son hospitalité somptueuse à
celle des pêcheurs, mais il achète à ceux-ci leur prise par un
contrat en forme (5209). Tandis qu'elle savoure le repos en ce doux
La venae la Manequine ;
Et cascans Tonnear U destine
Et H pères se leur sermone
Et de teas mos les arraisonne :
« Bêles filles, je vous reqaier
5970. Ainsi comme vous m'avez obier
Que vous ceste dame bonnerés
Et H faites ses voalentés ;
Faites il de tout son voloir
Se vous volés mon gré avoir. >
Eles repondent bonement :
« sire, vostre commandement
Volons faire de cbief en cbief;
Du faire ne nous sera grief.
Que bien puist eie eslre venue ! >^
5280. A grant joie l'on recbéue
De leur père; si, l'ont menée
En une chambre arecbelée :
Illuec la servent et confortent,
Et son este voir (i) U aportent.
Mengier la font ; mais petit fn.
Ses lis apparilliés ii fa ;
Se, la firent aler dormb*,
Dont ele avoit moût grant désir ;
Et si li ont, pour son enfant,
'»i9ù. Mandé tost et isnelement
Une nourice , et ele vient
5.399. Li rois a Beruic s'entome
5400. Moût ii poise que tant sejome.
Sa nef a faite appariUier,
De becuit et de vin cargier,
Tuit 11 baron d'Escocbe sont
Avoec lai, qal moat dolant sont
De çoa que il ainsi se part :
De pilé eurent bien leur part
Qae pour leur dame, que pour lai,
Qui par traïson ont anai ;
Et li rois si leur devisa
Et ciaus qae il vaut avisa 5ilo.
A garder ses gens et sa tere
Que nas ne les grieve de gaerre ;
Si fait laissier par ses castias
Serjans , arbalestes , qaariaus
Et chevaliers a grant plenté ,
Tant com lui vint a volenté.
Quant il ot sa cose atornée
Et sa nef fu coume (2) atornée
De pain , de vin et de viande
Tele comme la mer demande , 54i0.
A ses barons a congié près
Comme courtois et bien apris.
Mainte tanne i ot dont plorée
Et mainte robe descirée.
Moat sont dolant de lear signeur
Qui faite leur eut mainte honnour.
Jamais ne caident qo'il reviegne :
Poar cbe ni a nul qui se tiegne
De plourer et de grant duel faire
Et li rois , qui vit leur contraire, 54S0.
Lui disime de compaignons
Entre ou batel as avirons
Dusk'a tant qa'il vint a la nef
Oa il ne faut (3) voille ne tref.
(1) Sttoverium, le vivre, le manger: dérivé d'pn radieil latin compagnon des forme»
fdere, efum on eslum, entur, ^strir. — (2) Tourne? ou rourne? Penl-flre coroni.
foiil aiitrtor. — (3) Ne manque , fatiit.
124
LA MANEKINR
Séjour, la Manekine voit bientôt les années s'écouler et son flls
Jehanuet grandir. Cependant le roi son époux s'était embarqué
pour la chercher. Il la chercha sur toutes les mers du monde
(5399), depuis la Frise jusqu'aux grandes Indes, « Tlnde major, »
et au bout de sept années de navigation et d'investigations en
Son senescal mena o lai
Et X cbevallers , qai anui
Maint dael, mainte paine, maint grief
Auront alns que vient a cief
De la queste qu'il ont aqiTise.
5140. Mais de CDU durement les prise
Qu'il portèrent or et argent
Tant c'onqnes mais si peu de gent
N'enporterent itant d'avoir :
Ce leur peut grant mestler avoir.
Li maronnier tost s'adrecierent ;
Leur voiles croisies au vent misent
Et li vens dedens se feri
Qui les maine tost et sert (1\
Li baron furent au rivage
5550. Et regardent leur signerage
Qui s'en va aventures querre ;
Maint en i a qui ii cuers serre
De cou qn'ensi aler l'en voient.
Âu plus qu'il pueent le convoient
Des ix et au viser s'aerdent.
Tant que de lui le véoir perdent ;
Car eslongiés fu en peu deure.
A dont s'en revont sans demeure ,
Plain de courons, en leur ostex.
Quant il seul que à Homme fu ■
5800. Selonc son anui liés en fu.
Son senescal a apelé ,
.Son voloir lui a révélé :
« Senescans , dist il , blaus amis ,
Puisque Dlex ici nous a mis
Un petit i sejorneron.
La semaine passer lairon
Que Dix reçut pour nous la mort.
(î) '
S'irons le Joedi absolu
De nos pécbiés estre absolu 5810.
La ou l'apostoile sera
Car moult très bon estre i fera.
Aies tost et isnelement
Querre ostel ou nous bêlement
Puissons estre contre cel jour. »
— « Sire, volontiers, sans séjour. »
A tant sans faire plus lonc conte
Son cheval fait traire, si monte
Et cbevauce par la cyté,
Ou il vit mainte riceté. ismo.
Hout li avint bêle aventure :
Tant a chevauchié Tambléure
Que U vint devant la maison
Ou cele ert que longue saison
A voit li rois cerkié et quise.
Li senescaus Fostel avise
Et voit le sanatour séant
À une fenestre devant
Par où en la vile regarde ;
Et li senescans le regarde. riS )0.
Moût ressamble bien preudom
Pour ce si l'a mis a raison.
« Sire, dist il, li rois des cix
Qui est en tere apelés Dix
Vous doinst joie , par tel couvent
Com je vous metral en couvent ,
(1) Serià, 9erié, activenifnl et sérieaiteincnt ; non pas seren^, nfreniU^, dooceiucn'..
— (^) Un ven passé.
LA MANEKINË.
125
tout pa>s, H ne l'avait pas encore trouvée, lorsqu'un vent favo-
rable le conduisit à Temboucliure du Far. H est donc à Rome
(:hiK)) où, à peine arrivé, le hasard ramène à prendre logis
dans riiôlel même du sénateur. Jo!e apprend que son mari e.«t
sous le même toit qu'elle, et sa première impression est la ter-
Uae vous cel ostel que je vol
Prestes a mon signeor le roy,
Qui rois est d'Escoce et d'IUande :
5840. Fors que l'ostel ne vous demande
Àssés aura son esta voir (l)
Mais que la maison puist avoir.
Li senatoors a respondu :
« Sire y bien vous ai entendu.
Saciés ce ne sont mi parant
Ou mi voisin ou mi amant
Ou povre genl qui ont besoigne
QaejepourDieudnmien leurdoigne;
Autre gent cet ostel ne prendent ,
5850. Mais icele gent du mien prendent.
Et nepourquant , quant il est rois
Ne seroie mie courtois
Se l'ostel U escondissoie ;
Si m'ait Dix mix ameroie
Que ma maison fust arsse en cendre.
A vostre voloir poés prendre
Sales et chambres et estavles,
Vins, viandes et bans et tavles :
Quanques il il sera mesUers
5860. Li ferai avoir voienliers. »
Li senescaus mercbi l'en rent,
Arrière est retornés errant
A son signeur qui au rivage
L'atent ; si li dist son message
Que il li a pris tel hostel
Qu'en toute Romme n'ot autel.
« Moût me samble de bone vie
Cil qui l'ostel a en baillle
On nous nous devons berbegier. »
5880.
Li rois est montés sans targier 5870.
Quant il sot ses hostex lu pris ;
D'aler là ont lonr conseil pris.
Li sanatours qui otria
L'ostel au roi, ne detria ;
Ançois apela sa menle
Qui ert bêle et bien ensignie ;
Si leur fait les maisons niier
Deseure et desous netlier.
Puis va vestir sa bêle robe
En une cambre beie et noble
U la Manequine a trouvée
Et ses filles qui ont ouvrée
Une omosniere bêle et riche;
Tele n'eut li dus d'Oterriche.
Et 11 sénateurs les salue;
Puis leur dit que plus ne delue :
«c Mes belles filles , erroment
Soient pris vostre parement,
Car Dix un boste nous envoie
A qui je voel faire grant joie ; 5890.
Car bien doit on cex honerer
Cui Dius vent de tant honerer
Que il soient roi apelé
Com cil ert , ne vous soit celé ,
Qui ma maison veut et demande :
Il est rois d'Escoche et d'D'lande. »
Quant la Manequine l'entent
A peu que II cuers ne H fent ;
Tel doleur la destraint et sere
Que chéue est pasmée a tere. 5900.
Et li sénateurs le regarde
Qui de cou ne se donnoit garde.
(1) Voyez ri-dessas, p. 123, vers 5984.
1^20
LA MANEKINli:.
reur : elle se souvient qu'il avait donné Tordre de la faire mou-
rir, et supplie son hôte de ne pas la trahir. Mais c'est son fils qui
la trahit. A la vue de cet enfant, le roi se sent ému, troublé, en-
traîné, sans en comprendre la raison; il croit reconnaître une
bague avec laquelle cet enfant joue; enfin, dans cette scène
Si le relieve et l'a tenae
Tant que ele fa revenae.
Et si tost comme ele revint
De dolour faire ne se tint;
Qa'iluec la deust devourer
Ne 86 tenist pas de ploarer.
Li sénateurs, qui se mervelle
5910. Durement de ceste mervelle ,
Le conforte et si 11 requiert
Qu'ele li die çou qui l ert,
Pourquoi souspire. pour col pleure,
Pour coi de tel duel se deveure.
Quant parler puet, si li dist : « Sire
Or me convient il a vous dire
Une parUe de Tanui
Que onques mais ne dis nului.
Sachiés , se cis rois qui ci vient
5990. Me puet véoir et il me tient
Et il en a lieu ne pooir
Je croi qu'il me fera ardoir,
Non mie certes pour meffet
Que je H aie onques jour fait -,
Mais il avient souvent a court
Que tex ne pèche qui encort.
Une fois en sa court manui (1)
Et moût de bien trouvai en lui;
Mais par mesdisans fui grevée
5030. Et si très durement mellée
Qu'il me commanda k ardoir.
Mais Diex flst tel pitié avoir
Gelai cul il le commanda
Que de cest tourment me jeta
Et me mist par nuit en la mer
Dont Dix me laissa escaper
Et venir en vostre maison
U j'ai esté longue saison.
Or vous ai dit une partie
De ma grieté qui m'est partie 5940.
Et encor tant vous en dirai
Que ja de mot n'en menUrai :
Je l'aim plus que ne fas riens née
Car moût grant amour m'ot mostrée
Avant qu'il onques tenist conte
De moi faire torment ne honte ;
Mais , se il vous plaist que ma vie
Soit dès ore mais alongie ,
Je vous pri que il ne me voie
Car, se il me voit , je morroie. » 5950.
Li senators. a que qu'il monte
S'esmervelle moût de ce conte.
Se li respont : « Or vous taisiés .
Bêle , et vostre cuer apaisiés :
Pais que vous estes en ma garde,
Vous n'avés çaiens de lui garde.
Si je cuidaisse cest a faire
N'eust pas çaiens son repaire ,
Mais puis que je l'ai en convent
J'en aquiterai mon convent 5960.
Et vous ne vous mouvrés de chi.
Mes ij filles que je voi chi
Cl en droit vous compaigneront
Et a Yostre talent feront
Se volés faire mon voloir
Confortés vous de ce doloir
Qu'en duel ne puet on gaaignier
Fors son cors de mal aengnier. »
— « Sire, volentiers m'i tenrai ;
A vostre conseil ml tenrai. 5970*
(1) Je demeurai.
LA MANEKINK
127
touchante, il adjure si passionnément son liù(e île lui dire la
vérité, que la vérité se découvre et met les deux époux aux bras
l'un de l'autre. La joie emplit la maison du bon sénateur; mais
intervient resj)rit religieux, Tesprit de l'école de saint Louis,
qui parle aux deux époux par la voix du vieux sénéchal d'Ecosse,
se je lai véoir ne cremisse
Riens plus volentiers ne véisse ;
Mais assés m'en vient mieus tenir
Qae a grignear torment venir. »
À tant le sénateur esconte
Et et le roi , lui et sa route
Qai ja dedens sa court desceot ;
A tant de sa chambre descent,
On il laissa la Manekine
5080. Et ala tant que il ne fine
Devant que il conat le roy.
Si le salue sans derroy ;
Et 11 rois son sala li rent.
En la sale entrent a itant
Ou les tavles estoient mises
Et deseur les bestaux assises.
Si tost com 11 rois i entra ,
Jebanet son Ql encontra,
Qui en la sale se jouoit
5990. Gomme cil qui y\] ans avoit.
MoQt ert biaus enfés et apris.
Vers son père le cours a pris ,
Se li dist : « Sire , bien viegniés ! »
Ensi comme il fa ensigniés.
« Dous enrés, ce respont li rois,
Li sires qui est rois des rois
Vous doinst vie et amendement,
Car moût a en vons bel enfant. >
Li rois moit durement Tesgarde
6000. Et quant il plas s'en donne garde
Plus l'aime et plus 11 embelist.
Son hoste apeie, si U dist:
'< Or me dites voir, biaus doas osles,
Se cis enfès icbi est vostres ? t»
— « Oil , sire , voir il est miens ;
Je l'aim plas que je ne Tas riens. »
Adont ne seut li rois que dire ;
De sa grieté ses cuers sospire.
Li senatoars bien s'en perçoit,
Qui parmi ses ex issir voit (5010.
Les larmes chéoir sur sa face
Plas cleres assés que n'est glace.
Si U a dit : « G'avés voas , sire ?
Vostres cuers me samble plains dire >
— «i Biaus ostes, je le vous dirai
Pour coi a mon cuer tele ire ai :
Quant je regardai cest enfant
D'an mien fit m'alai a pensant
Que j'euc , bien a passé vij ans.
Ja péast bien estre aussi grans 60^.
Gomme est cis cbi, se il fast vis ;
Mais si jouenes me fu ravis
Par traïson, c'onques ne l'vi.
L'enfant et sa mère perdl :
Dont j'ai au cuer duel et anui.
Or ains , quant j'esgardai cestat ,
Se me sovint de celé perte ,
Dont la vérité ai ouverte :
C'est la raison pour coi plourai
Quant jou cest enfant esgardai. > 6030.
— <L Sire , dist il , ce croi je bien,
Je ne vous en mescroi de rien.
Avenu est a maint prodome
Que d'ire et d'anui ontgrant somme :
Ainsi esprueve Dix sa gent
Tant comme il li vient a talent. »
Entre tex paroles fu près
Li disners , et li premiers mes
Estoit ja sur les estaviies
Et les escueles drecies : 6040.
Se lievent et puis vont séir.
Li rois le sénateur séir
Fist de iès lui et a sa table.
Maint mes de poison delitable
Eurent , dont je ne fac devise
Gar aillours ai m'ent«nte mise.
128
LA MANfiKINE
el leur défend l'amour jusqu'à ce que la semaine sainte soit
passée (66H). ils restent donc à Rome pour obtenir la bénédic-
tion du Pape au jour de Pâques. — Pendant ce long temps qui
s'était écoulé depuis les premiers malheurs de la Jo!e, qu'é-
tait devenu le roi de Hongrie, son père? Dévoré de remords et
Li enfës de laiens s'en tourne ,
Dusk'a sa mère ne séjourne :
Trislre la Irueve , et esplourée ;
6050. Mais a l'enfant mie n'agrée.
De cel sens comme il en lui a
Erroment demandé II a.
«. Ma dame, pour col plçares tu?
Vien véoir le roi qu'est venu ;
Il a bêle gent la aval.
Vous plourés, si faites trop mal. >
La mère ne 11 respont mie ;
Si durement est courechie
Que les filles le sénateur
6060. Qui l'amoient de grant amonr
Ne li paeent donner confort.
Ele pleure et pense si fort
Que ele a nuli n'enlendoit.
Li enfès , qui petitf pensoit
A son anui n'a son tourment ;
Begarde l'anelet luisant
Ou li dyamans ert assis
Qu'ele avoit en son doit assis.
Cel anel li rois II donna
6070. Le jour que il le couronna ;
Et quant li enfès le coisi (1]
Convoitiél'a, si le saisi
Par la main et l'anelet prent ;
Ne l'donnast pour c mars d'argent.
La Manekine nul regart
N'en prist , et Jehanet s'en part.
De la cbambre errant (2) s*en avale ;
Ne flna , se vint en la sale
Ou 11 sénateurs et 11 rois
6080. Se séoient al plus baut dois (â).
La sale ert nete et baloie ,
De qnariaus de tieule entaillie
Bien ouvrée par escekiers ;
Et li enfès qui fu legiers
Jeté deseur le pavement
L'anel , et pais si le reprent.
Une eure avant et autre arrière
S'en va jouant en tel manière ;
Tant le jeta de toi en moi
Qu'il est venus devant le roy 6030
Que seur la nape le jeta ;
Et 11 rois la main i geta.
Si le prent et si le regarde
Et moût ententievment l'esgarde.
Tant l'esgarde es le vous cheu
En ceu ki l'ait ailleurs véa.
Li senatours s'en aperçoit
Que il tout son meugler laissoit
Pour l'anelet et pour l'enfant.
Si a dit a l'enfant : « Va t'ant. y> 6100.
Mais li rois li requiert et prie
Que U enfès ne s'en voist mie
Ains le laist iltuec de lès lai ,
Car il ne li fait nul anui.
Tant li pria qu'il fu lalssiés
Et li enfès en fu moût liés ;
De l'anel plas ne li souvint
Que 11 rois dedens sa main tint ;
AIns ne le flna d'esgarder
Dnskes a tant q'il dut laver; 6110.
Et pour un peu qu'il ne l'avise
Bien pense qae d'autele guise
El 11 aniaus que il donna
Celi qu'a bonear couronna ;
(i) Le désira, çuœsivit, — (2) Rapide : voyez ci-dessus, p. 114. — (3) Dais.
LA MANEKINB
129
détesté de ses sujets, il s'était décidé à faire pénitence, et il
était parti à la tète de trente compagnons, riches hommes de
son domaine, pour aller à Rome demander le pardon du Pape,
« Tapostoiles Urbains » (v. 0875, 6947). Donc, tous les person-
nages du roman étaient, le jour des Pâques, au Vatican, que
Hais d'autre part le fet mescroire
Çou qu'il ne puet caidier ne croire (1)
Que il ftist iltueques venus.
Tant fa de ce penser tenus
Que de sa bouce n'ist parole.
6130. À chief de pièce la parole
Li sénateurs , ki s'esmervelle
Et de son grant penser resveille.
Si li dist : <ic Sire, s'il vous plest,
Yolenliers sauroie que c'est
Que vous si très ententivement
Regardés i'anel a l'enfant
Que vous le mengier en laissiés;
Et vis (2) m'est, vous vous abaissiés.
Moût volontiers savoir voldroie
6130. Dontcevientquisi vous asproie (3).»
— «Biaus ostes, je n'en puis nolant,
Se vous ne m'aies avoiant
De cest anel que je voi cbi
Ne quant ne comment il vint chl,
Je ne serai mais hui (i^ a aise
Ne n'aurai cose qui me plaise ;
Et de l'enfant vaurroie oïr
Se vous me volés esjoïr
Se il est fin: de vostre famé. »
6li0. Li sénateurs respont : « Par m'ame !
Ma feme en ses flans le porta
Et 11 aniaus qu'il aporta
Est sa mère, n'en doutés mie ;
Le voir (5; ne vous en çoile mie. »
Pour femme et pour fit les tenoit
Pour çou c'achetés les avolt (6).
Or ne set mais U rois que dire ;
De bien parfont ses cuers sonspire.
Les tavles furent ja ostées
Et si eurent ses mains lavées ; 6150.
Hais son boste ancor enquerra
À tant mie ne le laira;
Car li aniaus si U ensegne
De s'amie la vraie ensegne.
L'anel ne set comment mescroire
Ne la veiite comment croire ,
Se ses bostes ne l'en avoie,
Ja n'en enterra 7) en la voie.
Pour çou l'apele et si li dist :
« Biaus bostes, de par Jesu Crist 6160.
Qui est sires de paradis,
Et de par tous les siens amis
Et de par sa très douce mère
Qui n'est escarse (8) ne avère
De sa pité ne de sa grasce
Vous requier jon que il vous place
A moi dire sans couverture
La vérité et l'aventure
De l'enfant et de cest anel
Que je regart , luisant et bel. 6170.
Il m'est tout vraiement avis
Que li aniaus fu miens jadis
Et que je le donnai m'amie
Dont j'ai trait, lonc tans, maie vie :
(l) Cogitare neque credere. — (2) Avis?— (3) Exaspère, asperilat, — (4) Voyez
ci-dessos, pag. 114, o. 2. — (5) Verum. — (6) Réflexion qui suppose l'auteur et le
lecteur quelque peu versés dans le droit romain. — (7) Entrera. — (8) Parcimonieuse;
eicarpsus^ excarpere , excerpere (Maratori et Diei).
T. VIII. «
15(1 LA MAXEKINB.
rauteur appelle seulement cf le moustier, qui moult estoil graus
et pléniers, »> quand le roi de Hongrie se lève et, pour s'humi-
lier davantage, fait à haute voix sa confession devant la foule.
LaBfanekine, Ten tendant, court se jeteir dans ses bras , le roi
d'Ecosse la suit; tous tombent dans des transports d'allégresse;
Pour cou vous conjur que le voir
Me diiés , car je quic savoir
Que de mon duel ou de ma joie
Savés le sentier et la voie. »
Li senators ot et entant
6180. Ghe dont il se va mervillant;
Car la Maneqnine se deut
Et tant se crient qu'ele ne veut
Que 11 rois le sace en Tostel ,
Qu'ele n'éust pleur (i; hostel ;
Carele quide qu'il le bée
Plus que nuie riens qui soit née ,
Et pour çou li sénateurs n'ose
Dire le voir de ceste cose.
D'autre part entent que li rois
6190. Est de sa demande destrois {%.
Si ne set que ce senetle ;
Ne seit se U le voir en die ,
ne ne le set comment celer ;
Pour cou que il s'ot conjurer,
Une grant pièce a çou pensa,
Tant que en le lin s'apensa
Que tout le voir en jehiroit ;ji) ;
Laiens (i) bien le garandiroit
Se il li voloit nul mal faire.
6d00. A dont li a pris a rctraire :
« Sire vous m'avez conjuré
D'oïr noveies ; mes juré
M'aurés avant que je vous conte,
Que anui ne tourment ne bonté.
Duel f ne tourment ne vilonnie
Ne ferés , pour riens que je die ,
Nului et tel don me donrés ,
Que vous vostre ire pardonrés
Celui dont je vous conterai ;
Autrement , riens ne vous dirai. » 6210.
Et U rois errant (5 li fiance ,
Gom cil qui est en desirance
De savoir dont vient li aniaus
Et U enfès, qui est tant biaus.
Le sénateur asséura
Et tout quanqu'il vaut li jura ;
Et quant li rois juré li ot
Du dire nul detri n'i ot.
<c Sire , dist il , en cest quaresme
A vij ans , ensi com je l'eesme (6 6220.
Qui je m'aloie esbanoiier (7)
Et deseur le Far rivoiier ;
Si vi amont l'iauwe venir
iij povres bommes et tenir
Lès leur batel une nacele
Et dedens une femme bêle ;
Bel atour et biau vestement
Avoit, et 0 soi un enfant,
C'est cls enfès que vous veés.
Quant li rois ceste aventure ot, 6331
De la très grant joie qu'il ot
Et de la pitié de s'amie
Qui cuide que il l'ait baie ,
A si le cuer estroit liié ,
Qu'ançois que il l'ait desliié
En manière qu'il puist parler,
il) Pejor, — (i) Destrictus, destruclui, disirit us ? diSch'iré , délruil , broy^. — (3) Ja-
vularef.^ (1) Cf. y. C445. — (5) C'est-à-dire « erramment, » aussitôt; xuy. p. 119, n. 3.
^ (6) Comme j'eslimc. — (7) ? On trouve aussi ambanoner.
Là MAMfiKlNE.
131
la joie gagne jusqu'aux Romains, « qui la merveille regardoient. »
La fête n'eut pas été complète, ni pour le poète ni pour ses au-
diteurs, sans un miracle. 4)eux clercs de Téglise où officiait le
Pape, chargés d'aller à une fontaine voisine remplir d'eau pure
un seau d'argent pour les fonts baptismaux, ne peuvent empè-
Péast j tiom a piet aler
De tere vj arbaletrées.
6340. Du cuer li sont amont montées
Les larmes , si pleure de joie
Et de la piUé ki l'asproie (1) ;
Hais au plus tost qu'il peut parla
Et le sanatour apela.
Avant que il s'en fast gaitiés '2)
S'est devant lui ajenoilliés :
Dont li senators ot grant honte
Oui ne set encor que ce monte.
K Sire , dist il , pour Dieu merchi !
6350. Que faites vous? Levés de chi.
Il n'avint onqaes mais a roy
Que il féist si grant derroi (3)
Ne que il de tant s'avillast
Que devant moi s'agenoillast. y>
Au plus tost qall pot l'a levé.
« Hostes , or ne vous ait grevé ,
Dist li rois , içou que j'ai fait ;
Car tel service m'avés fait ;
Que ne l'auroie desservi
6360. S(e; je vous avoie servi
Un an de vos sollers oster ;
Car Dix me veut par vous oster
Le grignour duel, lagrignourpaine
Qui onqaes fust en car humaine,
Conmient et par quel traïson
Ele eut eu tel desraison , 6370.
Comment il Tavoit espousée
Et comment ele fu trouvée ;
L'ama tant qu'il en Ast rolne
Et che fu de bonne amor fine ;
Comment il s'en ala en France
Pour enquerre los et vaillance ;
Comment elle li fu ravie
Par sa mère qui l'ot haïe ;
Comment il l'a quise vij ans.
Dont U a eu tant d'ahans (4). 6380.
Trestout U a dit et conté
Et sa valeur et sa bonté
Et comment de vrai cuer i'amoit;
Et se ne set qui ele estoit
Ne comment eut la main perdue ;
Qui fille ert, ne dont ert venue,
De cou la vérité ne set.
Trestout a dit quan qu'U en set
A sénateur qui se mervelle
Durement de ceste mervefie. 6390.
Se li dist : « Se de veoir séusse ,
Sire , que je roïne eusse
Et fil de roi en mon manoir,
De quanques je péusse avoir
Les eusse fais honnerer
Sans mort.»—* Sire, dist il, comment?» Si me voefie Dix bien doner ;
— «: Je Tvoas dirai, faitil briement. » Hais ele onqaes riens ne m'en dist;
Dont li commence a raconter De tant , durement me mesflst.
Çou que m'avés oï conter, Se jou ceste cose séusse
(l) Voy. V. 6180. — (2) Gaeltc, gardé. — (3) Voy. p. 179, n. 3. — (4) Ital. affanno,
pdne; gaeliqoe : fainne, fann^ fatigue; kyinr. gwan (Dift)? Goof. ptntôt êHheians,
•nkelUt.
132
LA MANfiKINE.
Cher, malgré tous leurs efforls , une main fraîchement coupée
d'entrer d'elle-même dans le seau. C'était la main de Joie que le
Pape rajuste à son bras, et le ciel, qui ne peut manquer de jouer
un r61e direct en cette affaire (v. 7587), avertit l'assemblée d'aller
à la fontaine, de prendre un esturgeon qu'on y verra, et qui était
ôiOO. Meut a envis sousfert eusse
Qu'ele ne fust de çaiens dame ;
Et neporquant saciés, par m'ame !
Tout a son voloir a esté
Et en yver et en esté :
Mais puisqu'ainsl va la besoingne
Dire 11 irai sans aloigne
Çou qui h plaira durement.
A vous l'amenrai maintenant ;
Et se vous avoec moi veniés
6110. Tout maintenant le verriés
Pasmer, quant ele vous verroiti
Pour çou qu'ele vous douteroit.
Se convient c'en avant 11 die
Comment ele vous fu ravie
Et comment vous i'avés lonc tens
Quise a dolour et a tourmens. »
Li roîs à son dit bien s'acorde
Ne riens son oste oe descorde.
Si demeure dedens la sale
6120. 0 ses compaignons , qui ot pale
La couleur des mans c*ot soiîert ;
Mais par tans seront aouverl
Leur cuer de çou qui leur plaira
Car leur sires les apela
Si leur dist qu il ot achevé
Çou qui tant les aura pené.
Adont leur conta tout ainsi
Com vous avés devant o\ :
Dont cascuns a si liés se tint
643). Que de leur maus ne leur souvint.
Moût désirent que il la voient,
Car lonc tans tendu i avoient ;
Tant la désirent que il croire
Ne pueent que soit cose voire ,
Dient ke ja ne le kerront
Dusk'a tant que il le verront :
Entre tex paroles Tatendent
Et au roy escouter entendent.
Li bons senators ne demeure
Ains vient liés a celé qui pleure. 6140.
Se , li dist : « Dame Manequlne
Ne Savoie mot que rolne
Eust vij ans mes clés portées.
Tant sont les noveles alées
Que li rois vous set bien çaiens (l) :
Des ore est du celer noiens :
Mais son maltalent vous pardone
Et bonnement congié vous donc
Que vous venés parler a lui :
Je croi peu vous feroit d'anui. » 6450.
Adont li commence k conter
Si com m'avés oï conter
Ainsi com II rois s'aperçut
Par l'anelet que il connut
Que II enfès porté Uot;
Encor ne savoit ele mot
Que il li fust ostés du doit.
Sa main regarde et si voit
Que 11 aniaus mie ni fu :
Merveile soi comment II fu 6460.
Ostés ; mais ele n'en tient conte
Alns escoute çou que li conte
Li sénateurs , de son signeur.
Bien H aconta la doleur
Qu'il eut eue de 11 querre
(1) Ccans. Voy. v. 6198 et 6401.
LA MANBKINE.
133
le poisson par qui la main avait été conservée pendant neuf ans,
de tuer ranimai et de le faire manger par tout le peuple dans
une grande fête publique. Après la célébration de cette fête , les
deux rois, la Hanekine et leur suite, parmi laquelle figurent les
filles du sénateur, que Jo!e fait « comtesses et dames de deux
En tante mer, en tante terre ,
Et couiment il l'avoit perdae ,
Tout li conta, qa'ii n'i delae,
Comment sa dame la traï
6470. Et si cruelment le baï.
Tout 11 a dit et révélé ;
Qae il ne li a riens celé
De quanques li rois li aprist
Trestout il a conté et dist ;
« £t tex noveies vos aport
Bien vous doivent doner confort. »
Quant ele ol ceste novele ,
De joie U caers li sauteie !
Qaant ele a oï qae ses sires
5480. A pour 11 souiTert tantes ires.
Et que par cruel tralâon
Ot eue tel desraison
Dont Diex l'a ore assouagle (l) ,
Ne quidiés que plus soit irle.
Sa doleurs fuit ; joie li \ lent
Erroment que plus ne s'en tient.
S'est mis en un plus bel alour ;
Car les filles au senatour
Orent robes de mainte guise ;
6i$K). Se l'ont en la plus beie mise.
El eles pour la sieue amour
Se misent en plus bel atour
Car moût sont lies de sonneur.
A tant es vous le sénateur
La Manequine par la main
Emmaine lès lui main a main ,
Et ses ij filles de leur grés
S'en vont après tous les degrés :
Tant sont avalé que il vienent
Là ou d'aus la parole tienent 0500.
Quant li rois voit venir s'amie
Dont il eut souffert aspre vie,
Et ele revoit son signeur,
Qui faite li eut mainte boneur,
Mont en fust li departirs gries ;
Li rois keurt vers fi eslaissiés ,
Se Ta plus de cent fois baisie
Ançois k'il 11 puist dire : « Amie ! »
Et ele lui tout ensement.
Bras a bras forent longuement 6510.
Avant que il parier péussent.
Li senescax s'en vint au roy 6611.
Qui s'amie avoit delès soi
Et entre ses bras son enfant
Qu'il baisse menu et souvent.
Ambedeus les arraisonna
Et un (el conseil leur donna
Qui leur atourna à grant bien :
Moût se fait bon tenir au bien.
Or escoutés du bon preudom
De quoy il les mist a raison : 60S0.
« Rois d'Escoce , grant gré savoir
De\*és Dieu qui joie ravoir
Vous fait à vostre volenté
De grant grieté en grant santé :
Dous amis si en devés faire
Tel cose qui li moelle plaire.
Yés icbi la sainte semaine
Que il hOuBtï pour nous tel pabie
Et de fer en v lleus percblés
Et si fu en la crois flcblës. ' 6630.
(t) Barb. assH/leiatam ; Cangii Gloss. t*> inffleientie.
134
LA MANEKINK.
duchés, « prennent, par mer, le chemin de la Hongrie (v. 7017).
Le pays tout entier se met en liesse pour les recevoir (7061);
bientôt appelés par TArménie , où Joie avait hérité de sa mère,
ils vont aussi chez les Arméniens recevoir, en grande fête, les
S'il voas a fait vostre talent
Voas ne devés mie avoir lent
Le caer, de faire pénitance ;
Car c'est une riens qui avance
Ceiai qui le fait. De rameur
Dont nus ne puet faire clameur,
Tenu vous estes ambedoi ,
Maugré vostre, si corn je croi,
Que vous ensamble ne jéustes
6610. Mais c'ert pour çou jiue ne péustes.
Mais dès or i poés jesir
Se ii vous en vient a plaisir ;
Hais par mon los la consirèce (l)
En ferés , tant que soit passée
La Passions Nostre Signeur
Pour çou qu'ii voustiegne en boneur.
Vés chi le joedi absolu
Que de leur maus sont absolu
Tuit cil qui sont vrai repentant
6650. Et de leur pechiés jeblssant (2),
En ceste vile icelui jour
lert l'apostolies ;a) a séjour
Et fera la benéicon.
S'il vous plest, ce jour i eron ,
De nos pecbiés serons confès.
Car trop par est cruex tes fès ,
Si se fait moût bon descargier
De çou que lame puet cargier. »
La où li roi venir dévoient 7961.
Les caucbiés encortinoient
De dras d'or et de soie d'Inde :
Li un sont blanc et li autre inde.
Li pavement erent jonkié.
Ne vous poroit estre noncié
La joie , la feste , Teneur
Que il font leur novel signeur
Et leur dame la retrouvée
Qui Dius leur avoit retornée 7970.
Dont il erent tuit si joiant
Et a fester si manoiant
Qu'en cascune vile en c lieus
Véissiés manières de jeus
Biaus et plaisans et bonerabies
Et a regarder delitables
Tous maltalens s'entrepardonnent 8155.
Et d'aus gouverner pooir donnent
Le roi d'Escocbe ; et sans outrage
Li firent de leur fiés bornage.
Là fu la roïne Joïe
Durement amée et joie 8160.
Et il bien amer la dévoient
Car en li bonne dame avoient ;
(1) Conseerationtm. -^ (2) Gemiicentâtt -^ (3) En plusieurs antres endroits, l'au-
teur appelle Tapostoiles par son nom; il le nomme « pape Urbain. » Oit pourrait croire
que e'est le pape régnant du temps qu'il écrivait, c'est-à-dire Urbain IV, qui gouverna
l'Eglise d'août 1961 à octobre 1264, Urbain III étant mort en 1187 et Urbain V n'ayant
pris h tiare qu'en 1362. Mais outre qu'il y a une petite difficulté en ce que Beaumanoir
n'avait que dix-sept ans en 1264, je pense qu'il ne s'agii d'aucun autre Urbain que de
Urbain II, qui régna de 1088 à 1099, et dont le souvenir était encore populaire, à ce
qu'il paraît, dans le Beauvaisis parce que c'était un pape beauvaisin. C'était un Eudes
de Gbastillon, de la maison de Gaucher de Chaslillon, gendre du comte deClermont;
par conséquent une gloire de la famille et du pays.
LA MANBKINE.
1S5
aveux et hommages de Leurs villes et cMteaux (8ir>S); puis, après
une année passée à réjouir les populatigns par leur présence, ils
songent à passer en Ecosse. Ils prennent la mer; ils arrivent à
Berwick (8347) ; barons, dames et peuple les accueillent avec
Et il si font. Tant l'aiment tait
Que par les viles a tel brait
De la feste que chascons fait
Que ne poroit estre retrait.
Les rues sont encortinées
Et daskes vers terre clinées
Les courtines d'ambedeas pars.
8170. Se la fuissiés, de toutes pars
Véissiés dras d'or estendas
Et as fenestres poartendus
De soie, de vair et de gris ;
Riens n'i pert fors cou que devis.
Tant divers jus i véissiés
Qae moût vous esmervillissiés.
Par tous les liex ù li roi vont
Tex jus et tex apparaus font :
Tout i'iver en tel joie farent
8180. Dask'aa quaresme ne recrurent {l).
Demi an furent en Hongrie
Et demi an en Hermenie ;
Mais des or mais vient en corage
Au roi de véoir le bamage
Que dedens Escoctie laissa.
84.37. Dask'en la vile ensi s'en vont,
Où tant d'apparaas véa ont.
Tante grant courtine de lin ,
8410. Tant drap de sole alixandrin ,
Tant couvertoir et tant drap d'or,
Tant vair, tant gris et tant trésor,
Tante douce herbe par les rues
Sour les chaucies estendues.
Ll rois de Hongrie qui voit
Comment sa fille amée estoit
A paine pooit nului croire ;
Mais or voit que la cose est voire ;
Si se merveUe moult comment
Li sires de tel tenement 8150.
Le volt prendre et si ne savoit
Qui ele ert ne dont ele estoit.
Mont durement Dieu mercia
De 1 onnear que faite il a
Quant II roi eurent le païs 8505.
Véu et a leur voloir mis ,
Séjourner vinrent à Dondieu ,
Car c'estoit d'Escoce le lieu
U Joie amoil miex manoir.
Pour ce i vaurrent souvent manoir, 8510.
Et quant il voelient ailleurs vont
Comme cil qui maint manoir ont.
Cesle vie lonc tans menèrent
Et ensamble lour vie usèrent.
Li roi et la roïne ensamble,
Et U senescax , ce me sambie ,
Et les filles au senatour.
Toit cil s'entramèrent d'amor.
Et la roïne eut puis enfans
Pluiseurs, si com je sui lisans : 8530.
ij ailes eurent et iij flx
Envers qui Dix fu moût bontix :
Car les filles furent romes
Et tous jours vers Dieu entérines (3),
Et li troi malle furent roy ;
Puis essaucierent bien la loy ;
Ensi com j'ai dit se condinrent (8)
En bien, tant c'a bonne fin vinrent.
Par ce rommans poés savoir.
(l) necreaveruHt, ne prirent de répit, ne s'arrêtèrent. — (2) Peat-être « antennes >,
antêriofif , anierinœ. Peut-Ctre inlegerrimœ, — (3) Continrent ? ..j
136
LA MANEKINE.
entliousiasme ; ils vivent paisiblement désormais dans leur châ-
teau préféré , celui de Dundee , et le poète achève en adressant
une admonestation pieuse aux affligés qui doutent trop aisément
de la compassion divine.
8530. Vous ki le sens devés avoir,
Que cascune nécessité
G'on a en sa carnalité
Ne se doit on pas desperer
Mais toas jours en bien espérer
Que de çou qai griefmenl nous point
Nous remetra Dix en bon point.
Anemi sont niout engi^^neus
Et de nous avoir convoiteus ;
Si fait sen pooir de nous mettre
85d0. En desespoir, pour nous demetre
Hors de priiere et d'espérance
Que Dius nous ost nostre grevance.
Se vous tenlaUon avés
Ou aucun grief en vous savés ,
Prendés garde h la Manequine
Qui en tant d anuis fu si fine
Que par deus fois fu si tentée
N'onques puis n'eut cuer ne pensée
De cbéoir en nui desespoir.
8550. Ains ert tous jors en Dieu espoir
Et en sa benéoite mère
Qui de piUé n'est mie avère.
Tant se tint en bien, tant pria
Qu'assés plus qu'ele ne pria
Li rendi Dix en petit d'eure.
Pour cou lo que cbascun iabeure
A soi tous jors en bien tenir ;
Car si grans biens en puet venir
Qu'il n'est nus qui le séust dire
a560. Ne clers qui le séust descrire.
N'il n'est riens que Dix bée tant
Comme le fol désespérant :
Car icil qui se desespoire
Il samble qu'il ne voelle croire
Que Diex n'ait pas tant de pooir.
Moût est fox qui en a redout
Qu'il puist alégier son doioir
Car Dix puet bien restorer tout,
Toutes pertes et tous tormens,
Et tous pechiés petis et grans 8570.
Puet bien Dix et veut pardonner ;
Mais que on li voelle donner
Le cuer et c'on se lie en lui
Et que on croie que sans lui
Ne puet venir biens en ce monde :
Nus biens n'esl se Dix ne l'abondé.
Il fait bon tel maître servir
El sa volenté poursivir.
Se li prions que tex nous face
Qu'il nous voelle doner sa grasce,
Et que de desespoir nous gart 85H0.
Que nous n'aillons a maie part.
Et vous , priiés Dieu qui tout voit
Que il celui grant joie otroit
Qui de penser se vaut limer
Pour la Manequine rimer.
Dix li doinst joie et bone vie -,
Àm^n cascuns de vous en die.
Ici en droit Pbelippes flne
Le rommant de la Manekine.
ExplicU le romani de lo Manekine,
JEHAN DE DAMMÀRTIN ET BLONDE D'OXFORD
Le second roman versifié par Beaumanoir ne contient pas,
comme le premier, une histoire merveilleuse répandue en d'au-
tres contrées de l'Europe et qu'il faille tâcher de dégager^ pour
le lecteur, de sa généralité. C'est seulement l'histoire banale,
mise au mode beauvaisin , d'un jeune gentilhomme qui va courir
les aventuresi et ramène au pays une jeune lady qu'il a enlevée
d'Angleterre à force d'adresse, de séductions et de violences. Il
l'épouse dans son manoir patrimonial situé à Dammartin, et le
roi de France lui-même, s'associant à la joie grossière qu'exci-
tent chez les parents, amis et voisins du ravisseur ses exploits
de pirate, gratiûe le jeune couple de toutes ses faveurs. Il fait
présent à Jehan de la terre et comté de Dammartin. On est
affligé d'entendre faire un tel récit par un grand bailli de
France, un austère contemporain du saint roi Louis. A ses pre-
miers pas sur le sol anglais, le jeune écuyer avait eu la fortune
de rencontrer un très-grand seigneur, le comte d'Oxford, et
d'être accueilli par lui comme un llls, sans autre garant que son
joli langage et sa bonne mine. Le comte l'attache sur l'heure à
son service, l'emmène h son château, le présente à sa femme,
en fait Técuyer servant de sa fille, et le Français, au bout de
quelques mois , avait trompé les débonnaires parents, bafoué
tous les naïfs Anglais et enlevé la belle personne dont il était le
serviteur, sans que l'auteur voie autre chose, dans cette série
138 JEHAN DB DAMMARTIN ET BLONDE D'OXFORU.
(le mauvaises actions, qu'un intarissable sujet d'éloges. Kt c'est
le même écrivain qui ne peut ni prendre ni poser la plume
qu'abîmé à deux genoux et à mains jointes dans les excès de
la dévotion la plus précieuse. Il est bien de son temps. Ce n'est
qu'un exemple de plus de cette observation qu'on a souvent faite
et dans la prose et dans les vers des temps les plus chrétiens
du moyen-àge, à savoir qu'un mauvais entendement de la vie
s'allie très-bien avec les plus religieuses pratiques.
Le prénom Jehan s'est trouvé porté par le comte de Dammartin
qui régna depuis l'an 127i jusqu'à la fin du xm« siècle (l); sauf
ce détail, rien dans le roman n'est d'accord avec l'histoire et
ne lui apporte le bénéfice d'aucun renseignement sérieux.
Quant à l'œuvre littéraire, aux vers mêmes de Reaumanoir,
le lecteur se joindra peut-être à ceux qui en ont jugé assez favo-
rablement pour les imprimer ou réimprimer. On peut s'assurer,
en tout cas, dans le grand Dictiminaire de la langue française
par M. Littré, que les deux romans en vers de Beaumanoir ont
fourni de nombreux et bons exemples de notre vieux langage à
ce juge éminent qui les a su mettre à profit.
(1) Voy. la Notice sur les comtes de DammarUn par M. Léop. Delisle.
dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France, t. xxxi.
JEHAN DE DAMMARTIN ET BLONDE D'OXFORD
Philippe de Rémi gourmande ceux de ses contemporains qui
viveut confinés dans leurs terres, et homme de progrès, du
moins à cet égard, il veut que la jeunesse aille voir du pays et
chercher fortune au loin. C'est ce qu'avait fait Jehan de Dam-
Je retral (l) qa'U avient à maint :
Qui honear cace , bonear ataint ;
Et qui à peu bée (H) à peu vient.
De ce retraire me souvient
Pour aucune gens si pereceuse
Qu'au mont ne sevent fors d'oiseuse,
Ne ne béent a monter point
N'aus a lever de povre point.
Tex bom demeure à son bostel
10. Qui à grant paines a du sel,
Qui, s'U aloit en autre tère,
Il sauroit assés pour aquerre
Honneur et amis et richece ;
Et kl ce pert , par sa perece ,
n en doit estre mains pristés
Et des preudommes desprisiés.
Vous avez maint homme véu ,
S il ne se fuissent esméu
Hors de leur lieu, que jà ne fuissent
Si honeré , ne tant n'eussent 30.
De sens, de richesse, d'avoh*;
Car cascuns monstre son savoir
Miex en autre païs qu'el sien ,
Et plus tost en vient à grant bien.
Quant povres jentiex bom demeure
En son pals une seule heure.
On li devroit les iex crever ;
Car il ne fait fors que grever
Lui et tous ses parens, qui l'aiment ;
Et U autre caitif le claiment, 30.
Et eskievent sa compaignle.
Li bomm , qui demeure en tel vie.
Est d'oneur aquerre pricheus
Et chaitis et inaleureus ;
Ou pour s'ame sauver se rende ,
Ou à boneur conquerre entende.
(1) Je réfléchis , retraetavi, — (2) On * pen abée : » abtyer, ad-haubêti.
140
JEHAN DE DAMMARTIN
martin, le héros de ce roman. Jeune gars de vingt ans, fils aine
d'un honnête gentilhomme, Jehan part un jour pour TAngleterre
avec Robin, son valet. Il traverse de Boulogne à Douvre, et en
S'il dist : «E Je ne sai ù aler. »
De çou le doil-on mont blasmer,
Car cascun jor ot-on retraire
40. G'on a de bone gens afaire
Outre mer ou en le Môurée ,
Ou en mainte e^ange contrée.
Et cist dont je ce conte fas
Si preceas estre ne vost pas .
Ains ala en estrange terre
Pour preu et pourhonnoar conquerre,
Honeor cacha , à tioneur vint ;
Or vous dirai comlnent c'avint.
li ot un cbevalier en France ,
50. Qui ot esté de grànt vaillance
Tant comme il les armes maintint;
Mais par aage kl U vint
Fu à son tiostel demourés ,
De ses voisins fu lionerés
Por le bon ostel qu'il tenoit.
Moût bonne dame à famé avoit ,
Dont 11 eût enfans dusk'à .vl.,
.ij. ailes et .iiij. flz vis.
Tere avoit bien cinq cens livrées ,
00. Se toutes fuissent délivrées
De detes et d'assenemens.
En sa jonèche a fait despous
Pour les tournois k'il malntenoit,
Dont or volenliers s'aquitoK.
Sa tere estoit à Dant Martin ;
Illuec estoit soir et matin.
Ses ainsnés flex ot non Jebans ,
Sages , courtois et blaus et grans,
Son éage à .xx. ans puis prendre.
70. Cil Jeiians vaut à bonour tendre :
Sa mère que envillir voit
Et son père qui moot devoit;
Ses sereurs , ses frères aussi ,
Voit que tuit sont avoeques li.
Un jour pensa que son tans pert :
Assés ert ki son père sert
Sans lui; si li vint en talent,
Gom cil qui n'eut pas le cuer lent,
Qu'il s'en iroit en Engletere.
Ne veut pas despendre la 1ère , 80.
Que ses pères tient, folement,
Ains conquerra, s'il puet, plus grant.
Ainsi comme il pensa le fist.
A son père et a sa mère dist
L'emprise que il voloit faire.
Onques ne l'en porent retraire
Pour riens qu'il II seussent dire ,
Dont il eurent al cuer grant iré.
Jebans à tant son oirre (1) atome
Il li samblc que trop sejome ; 00.
Un cheval , sans plus , bien portant
El XX (sous) pri tant seulement ,
Et .j. garçon qui le sivra
Tant , sans plus , mener en voira.
S'il volsisl plus, éust assés ;
Mais il dist que trop est d'assés.
Puis a parlé à ses amis
Et a à aus tous congië pris ;
Ses frères, ses sereurs baissa,
Que il pour lui plourant laissa. 100.
Atant s'en part o son varlet ,
Que on apelolt Robinet.
Sa mère et son père a laisslés
Plourant et de courous plaissiés (i);
(1) Son erre, soo voyage, errare; ou plutôt, ici, ilare (ilUerare), ittuerem barb.
pour f>f . — (9) Pticati, plies, abattoi; iiXéxb), et le < plaissœ. > Manek. : v. 1317.
ET BLONDE D'OXFORD.
141
cheminant vers Londres il fait rencontre d'un seigneur anglais,
le comte d'Oxfort, qui, sur sa bonne mine, rengage à son
service comme écuyer. Arrivé à son château , le comte le pré-
sente à sa femme, et, voyant ce jeune homme intelligent et bien
Et il de son pals s'eslonge ,
Com cil qui le repos ne songe.
Ne flna ains vint à Bonloigne ;
Illaec poorcacha sa besolgne
Tant que il eat quis .j. valssel
110. Sar coi il passa le missel.
En tme nef as marceans
Arriva au Doavre. Jehans
Cane nuit n'i vaut sejomer,
Ains fa montés à l'ajoamer.
Vers Londres son chemin alceat (l)
Car c*est la vile ù aler veat.
Un joar, si comme il cemiDoit,
Ataint un conte ki venoit
De besoigner devers la mer
liO. Et devoit à Londres aier,
Ou ert d'EDgles H parlemens.
A sa maisnie enqoist Jehans
Qai il ert, et il U contèrent :
La vérité n'i oublièrent ,
Que c'ert li quens du Senefort,
D'an riche «pastel bel et fort
Et quant Jehans l'a entendu ,
A lui vient, plus n'a atendu :
En son françois l'a salué ,
130. Et li qaens n'i a delué ,
Qui le françois seut bien entendre -,
En France eut esté pour aprendre.
Ains le bienvlegne et il enquiert
Quant il de France partis si ert,
Et quel besolgne est venus querre,
Por coi il parti de sa terre.
Jehans 11 dist : « Sires , pour voir,
c De mol vous conterai le voir :
X Je sui uns povre Jentlex hom
« Qui n'a nul maistre se Dlu non. 140.
« Si passai la mer pour savoir
« se je poroie un maistre avoir
c Qai le mien service apréist ,
ce Et ki selonc cou me félst
«c Qae il verrolt en mon servlse. »
« — Par fol ce vous vient de franchise,
« Fait 11 quens, que maistre querés I
« Se 11 vous plaist à mol serés ,
« Mes esculers de mon hostel.
« — Gransmercis,slre,nevoelel(2). 150.
« Moût me faites grant courtoisie
«: Qui me retenés de maisnie.
« — Gomment avés non, blans amis?
« — Sire, Jehans me fu nons mis.
« — Jehan, dist U quens, amis ciers,
c Je vous retleng roout volentiers
c Des maintenant comme escuier. »
Jehans l'en prist à merciier.
Ensi fu Jehans retenus.
Et il s'est si blau maintenus 160.
Qu'ançois que à Londres venlssent
Tait si compaignoD le chlerissent.
A Londres vinrent .j. mardi ;
.]. hostel bel et bien garni
Eurent, ù 11 quens sejoma
Tant que 11 Parlemens dura.
LI quens menga avoec le roi ,
Et Jehans servi devant sol ,
Qui moût bel acohitier (3) se sot ,
Ne se flst pas tenir pour sot. 170
(1) Aceolligit, prend ( v. 2764. — (8) Aliudf — (3) irf-çowi/ifln H»arb. (comem esse,
comiter utij; cf. cuens. On le dérive conmonément de l'iUlien eonto, ami feognitusjf
142
JUIIAN DK DAMMARTIN
fait, il croit tout naturel de rattacher spécialement au service
de sa lille, charmante personne appelée Dlonde. Jehan est d'a-
bord un écuyer parfait. Ce n'était pas difficile. Sa grande besogne
était de servir sa demoiselle à table et de découper pour elle.
De servir devant grant segnour
Ne troavast on servant miilor,
Plus courtois ne plus avenant ,
N*en toutes coses plus servant.
Quant li parlemens départis
Fa, si s'en est li quens partis
Pour aler vers Osenefort ,
A grant joie et à grant déport.
Cevaucierent tant qu'il i vinrsnt ,
180. Duskes là petit sejor Unrent.
La contesse bel les reçut,
Qui son segnour ama et crut.
Et li quens si U a conté
Li sens , la valour, la bonté
De Jeban , son servant nouvel.
La dame Tôt , moût l'en est bel ,
Et dist : « Sire , se il est tex
«Que Yout dites, si m'aït Dex,
« Requerre et priier vous vaurroie
100. «c Qa'à votre ûlle et la mole
« Le méissiés pour li servir,
« Se il li venoit à plaisir.
« Car nous dui n'avons plus d'enfans
c Et s'est desore mais bien tans
c Qu'ele ait o li un escuier
<c Qui sacbe devant li trenchier.
« — Certes, dame, respont 11 quens,
c Cis consax me sanle moût boens,
<c Se il H plaist qu'il i voelle estre
300. r Miex m'en embelira son estre ,
« Et je le saurai en peu d'eure. »
Dont apèle , sans demeure,
Jehan, qui n'estoit mie loing,
Car il n'avoit pensé ne soing
Fors à son signor près sivir
Pour sa volenté poursievir.
Quant il lot celé part ala.
Et li quens adonl l'aparla
De çou qu'il orent devisé.
c Jehan , dist-il , entr'avisé 210.
«: Nous sommes, la contesse et moi,
a Que, s'il vous plaist, priier vous doi
« Que vous à ma Ulle soilés.
« Et sachiés , se vous empioiiés
«: Vostre sens en li bien servir
c Mon gré en poriés desservir,
c Ensement la gré la contesse.
« Mais or n'aiiés al cuer destrèce
« De faire çou que je vous di ,
« Car pour vostre preu le vous pri. 220.
«c — Sire, Jehans a respondu ,
« Vostre gré ai bien entendu ;
« De faire vostre volenté
« Ves-mol prest et entalenté ;
« Et moût me plaist, et bien me balte (i)
« Que moût grant boneur m'avés faite
(C Sans plus de la requeste faire.
« Or me dolnst Dix service faire
<c De coi je puisse avoir vos grés. »
Dist la dame : « Bien dit avés. » 2ao.
Et II quens forment l'en mercie ,
Et de 11 bien servir li prie.
Puis l'ont mené devant leur fille ,
Qui nature mie n'a ville ,
Et h dlent qu'à escuier
Li voelent ce francois baillier.
La damoisele bien l'ottroie
El moût en a au cuer grant joie.
(1) Me fait aise. Voir Addilions.
ET BLONDE D OXFORD.
143
Mais bientôt il devient rêveur, distrait; il s'oublie à regarder la
jeune fille; 11 ne voit plus qu'elle, et en découpant un rôti il
s'entaille deux doigls. L'émotion, non la douleur, le met hors
de lui; il court s'enfermer dans sa chambre, exhale ses dou-
Or a Jehans en itel guise
340. GaDgié son premerain servise
 tant forent les tables mises
Et dessus les hestols assises ;
Si s'assist li quens premerains
Et puis li autre qui ains ains.
Et Jehans servi de trencier
Sa damolsele au cors legier.
La damoisele ot à non Blonde ,
Ce fu bien drois qu'en tout le monde
Ne porta famé si bel chief.
250. Or ne vous soit d'escouter grief
Se je de li un poi paroU.
Il samble que tout si chevoil
Soient de fin or reluisant ,
Et si lonc sont, qu'en déduisant,
Li vont .ii. tours entor la teste.
Bien devrolent mener grant feste
Les oreilles qui ce soustienent !
Si font-eles , qu'eles se tienent
De U servir apparillies ,
d60. Belles et blances et délies.
Après de son front vous renonce
Qu'il est blans, onnis (1) et sans fronce.
Desous le front sont si sorcil
Brunet et estroit et soutii.
D'entre les sorcix, à compas.
Muet ses nés, trop haut ne trop bas.
N'est pas camuse ne bekue
De che l'a ses nés desfendue ;
Par entre ses biaus ex descent
£70. Du^k'à son droit avenanment.
Et de ses iex que vous dlroie ?
Trop de mon tans i meteroie
Se tout voloie deviser
çou que on i puet aviser.
Il sont vair et cler et luisant
Et plain d'un regart atraiant,
SI souUi et si englgneus
Qu'il n'est nus, tant fust malineus,
Santés ne li fust revenue
S'il apercevoit sa véue. S80.
A près tex ex avûit la factie ,
Qui sa biauté mie n'esface ,
Plus vermelle que nule rose ;
Et en sa vermill^e close
Avoit une couleur plus blance
Que n'est la noif deseur la brance,
Quant eie est nouvele chéue.
Si soutilment entr*abatue
S'est l'une couleurs dedens l'autre
Que on ne set de Tune à l'autre ^90.
La quele à la millonr parUe.
Aingalment a Dix deparUe,
La face al blanc et al vermeil.
De sa bouce me resmerveil.
Se Dix meismes ne la flst ,
Comment nature s'entremist
De nule tel coso pourlralre.
Mont fu sages qui la sot faire ,
Car ele est peUte à compas.
Ses deux levretes ne sont pas 300.
Tenuenes, mais par raison grossètes
Et plus que graine vermilletes.
Quant ele les oevre .j. petit
Au mengië, u quant ele rit,
U quant il li plaist à parler,
Si puet on par mi esgardre
(1) Uuiius, DJii.
144
JEHAN DE DAMHARTIN
leurs dans un long monologue et finit par tomber dangereu-
sement malade. On vient le voir (578), on le soigne, on le
cajole; mais Blonde seule le guérit en lui laissant concevoir
Uns peUs dens qai s'enlretienent
Et 8i d'an acort s'entremènent .
Que li uns l'autre point ne passe,
310. Et la coalors d'aus argent passe.
Quant ele dist aucune cose
Par quoi sa bouchèle est desclose,
De s'alaine ist si douce odeur
Que de bosme ne vient grigneur.
Jamais nul courous cil n'auroit
Qui une fois le baiseroit.
Desous sa bouce a un menton ,
Onques si bel ne vit nus bom ,
Un peu fourcié et est plus blans
320. Que li solaus en esté tans.
Gorge ot bêle et bien agensie ,
Que Dix meismes lot taillie ,
Tenre et blance. longue, classëte (l),
Ains mais ne Tu tel gorge faite.
Ne quidiés que vaine ne os
I perent (-2) ; jà n'erent si os (3).
Qui de bien près Tesgarderoit ,
Quant ele vin rouge buvroit
On il verroit bien avaler,
330. Et par mi la gorge couler.
Le coi dusk'à chevex derrière
A tout d'aussi faite manière
Comme sa gorge par devant.
De son cors mie ne me vaut
Que tout le puisse deviser ;
Mais cou que J*en puis aviser
Vous retrairai-ge volenUers ;
Car uns. ne doit estre ianiers (l)
De loer bone femme et bêle.
Li bras de celé damoisele
Estoient lonc et bien assis ;
Si beles mains comme à devis
Avoit , et mervelles biaus dois
Longues et déliés et drois.
Graille (5) ertpar costes et par flans;
Vous l'enclosissiés en .ij. gans.
Plus largete ert parmi le pis (6),
N'en vatoit pas sa biauté pis.
Des mameletes qui U poignent
La cote un peUt li aioignent,
Dont ele li est miex séans ;
Duretés furent de printans.
Longue fa et droite et greslete
De pies et de gambe bien faite.
Ne fu trop crasse ne trop magre ,
Ne de folemenl parler aigre ;
Que .xviij. ans n'avoit d'âge.
Un peu parroit à son langage
Que ne fu pas née à Pontoise (7).
Si fu sage simple et courtoise ,
Que nus qui au main la véist
Le jour puis ne U meskéist (8)
Se ne (9) fust sans plus par pensée.
Tel vertu li ot Dix donée.
A tel maistre est JebaQs remés (10).
Or se gart qu'il n'en ait griettés (U)
3i0
350.
300.
(1) Probablement pour crassète , diminut. de crassa , grasse. — (2) Appareant* —
(3) Àun, osés.. — M) Paresseux, languidw , ianguidiorf — (5) Graeilis, gr£le* —
(6) Poitrine, ptctui, — (7) Ces deux vers semblent faire allusion k une chanson célèbre
de Qoesnes de Déthnne. — (8) Mescûdistet, mal (^chût. — (9) Il faot, je crois, S'ele
fust» Celui qui la voyait le matin avait du bonheur pour tout le jour, rien qa*en pensant
k elle. — (10) Remanens, ou plutôt un participe passé formé de remanere : manant, serf.
— (11) Chagrins, gravitâtes.
£T BLONDE D'OXFORD.
145
quelque vague espérance. Jehan, bientôt remis sur pied, s'aper-
çoit que c'est par pure bonté qu'on l'a flatté d'une illusion, et sa
demoiselle ne lui cache pas que donner à lui son amour serait,
pour elle, trop s'abaisser. Le pauvre Jehan retombe tiussitôt plus
Certes je caic que non fera ;
Jà si bien ne si gardera
Qu'il n'en ait assés à souffrir
370. Tant com ses cuers pora souffrir.
Tant et plus beie que ne conte
Fu Blonde , la fille le conte.
Au mengier siet : Jehans la sert ,
Qui le cors a gent et apert.
Moût se paine de biau servir
Pour le gré de tous desse[r]vir.
Ne sert pas sa dame sans plus ,
Mais chà et là et sus et jus ,
Chevalier, dames , escuiers ,
380. Vallès , garçons et messagiers ,
Et cascnn veut faire son gré -,
Ainsi conquiert de tons le gré.
Il set moût bien espiier l'eure
Qu'il chascun serve et honeure ;
En tel point que jà pis servie
N'en ert Blonde la bien tailiie.
Après manger lavent leur mains ,
Puis s'en vont juer, qui ains ains,
Ou en forés ou en rivières ,
390. On en déduis d'autres manières.
Jehans au quel que il veut va
Et quant il revent souvent va
Jouer es chambres la contesse,
0 les dames , qui en destrèce
Le tienent d'aprendre françois.
Et il fait et dist com courtois
Quanqu'eles 11 voelent priler,
Com cil qui bien s'en seut aiJier.
De jus de cambres seut assés ,
D'esches, de tables et de dés (1), 400.
Dont il sa damoisele esbat,
Souvent li dist eschek et mat.
De maint jeu à juer laprist,
Et en miUeur françois le mist
Qu'ele n'estoit quant à li vint ,
Par quoi ele moût chier le tint
Car il met son pooir de faire
Quanqu'il cuide qu'il li puist plaire.
.L peu de tans fn moût à aise .
Qu'avis H est c'a chascun plaise 410.
çou qu'il fait, qu'il dist et qu'il veut.
Mais pour çou pas en lui ne kent
Desdaing , orguel , il n'en a cure ;
Mais en mix servir met sa cure.
Si néis (2) as [tous?] en viens ,
Qui sont félon et anieus ,
Tolt-il par son sens le parler,
Que il ne le puissent blasmer.
Se lontans tel vie menast
Ses afaires moût bien alast ; 420.
Mais amours li mua son siège ,
Plus court le tmt que leu à piège.
Onques n'en souffrit tant Tristans
Comme il flst en un peu de tans.
Un jour séoit Blonde an mengier,
Jehans dut devant li trenchier
Gomme il avoit eu a coustnme.
Mais tex cuide salir qui tume (3} :
Par aventure sa véue
Jeté à celi qu'il ot véue 430.
Passé ot .xviij. semaines ;
Mais onques mais à si grant paines
(1) V07. La Manekine, v. 1366. — (2) Nequitivusf barb. formé sur nequitia : mali-
cieux, rosé. — (3) Tumer on Ihumer pour tomber; voy. DocaDge, ▼" tombare,
T. VllI. iO
U6
JKliAIS DK UAMMARTIN
malade que jamais, eu sorte que Blonde, touchée et le voyant
prêt à mourir, consent à lui promettre sa foi. Le poète introduit
auprès d'elle plusieurs personnes fort à la mode alors et depuië :
Ses ex arrière ne saca ,
C'a (1) par force à li les saclia i2)
La grant biauté sa damoisele.
Tant entend! à tel qaerele
Que le trencbier en oublia
Si longuement qa'ele 11 a
Dit: « Jeban trenchiés,voas pensés. »
440. A dont s'est Jehans repensés ;
Si trence , et fu moat abaabis
Des mos qa'ele li avoit dis ;
Car onques mais de servement
Tfe li convint faire commant.
Si se mervelie dont ce vint
G'orendroit ensi li avint.
Ses ex pais ce mot reposa ,
Que plus regai'der ne l'osa
Tant comme dura cis niengieis.
4^. Si i'esgardast il volentiers
Plus que il ne flst onques mais ,
Car il est de Tare d'amours trais
Gaus (3) est en tel désirier
Dont il eut maint grant encombrier.
Cel jour puis ne la regarda ,
Dusk'à l'en demain s'en garda
Qu'ele fu au disner assise.
Àdonc r'a Jebaiis paine mise
À U servir si comme il seut
460. Mais U désirs, dont U se deut»
Li fait jeter les ex à celé
Dont il esprent de l'estinceLe.
Si ententivmenl le regarde
Que de riens ne se donne garde
Fors sans plus de li esgarder.
Là seat-il son sens mal garder,
Car par cel fol regardement
Dut morir sans recouvrement.
Du regart en tel penser vint
Que de trencier ne li souvint. 470.
Blonde , qui si le voit penser,
De (c)el penser le veut tenser ;
Si li dist que il pense test ,
Mais il ne l'entent pas si tost.
Puis li redist : « Jeban, trenchiés !
« Dormés-vouscbijOuvoussongiés?
« S'il vous plaist, donésm'àmengier;
«c Ne ve welliés or plus songier. »
A cel mot Jehans l'entendi ;
S'est tressalis tout autressi 480.
Com cil qui en soursaut s'esveille.
De s'aventure s'esmerveille.
Tous abaubis tint son coûte! ,
Et quida trencbier bien et bel ;
Mais de penser est si destrois (4)
Que il s'est trenciés en .ij. dois ;
Li sans en saut et i! se liève.
Blonde le voit forment li griève.
Jebans , à un autre escuier,
Fist devant sa dame trencbier, 490.
Puis s'en est en la cbambre aies
De son premier sens tresalés (5).
D'un cuevrecief ses dois lia
Une damoisele qui a
Gourous de çou qu'il est bleciés,
A tant s'est sur un lit coudés
(1) u faudrait Que, — (2) Saccare est passer au saccus, filtrer; en lias latiu : mettre
en sac. Le mot roman si commun : sacqnier, sacliier (tirer, lancer), n'y a aucun rapport ;
il est le prodoit de sagittare. Je n'ose croire que l'auteur, en mettant saca et sacha, ait
voulu dire saccavit et sagiitovii : il semblerait. — (3) Calidus, — f4) Distraetus» —
(5) TraHS' êtiiltUf santé bars de sens ; ajout* v. 480.
BT BLONOK D OXPORD.
147
Pitiés, Franchise, Raisons, Monstrance, Amours, dont les
conseils la décident. Elle finit par aller consoler son jeune écuyer,
et de jour et de nuit, sans consentir pourtant à se déshonorer
par Toubli total de ses devoirs. Derechef, Jehan se porte mieux
R'aler n'ose là où on sert.
Blonde , pour che qa'ii ainsi pert
Toat son seos et sa contenance ,
500. Mont a le cuer en grant balance.
Or a Jchans d'amours j. saing,
Ce fa son premerain gaaing.
Sur .j. lit se prent à complaindre
D'amours qui H fait coulear taindre.
— Quant on eut mengié par léans,
Et il eurent lour mains lavées ,
580. SI se sont les dames levées,
Puis vont en leur cambres seoir.
Hais Blonde va Jeban veoir ;
Ele le trouva sur .j. lit.
Mais si tost com Jebans le vit
En peu d*eure se fa dréciés :
« Jehan , estes-vous moût bléciés,
« Fait-ele, comment vous est- il?
« — Certes » dame , fait-il , oil.
« Ne sai comment fui atrapés ,
590. « Je me sut dusk'à l'os colpés.
« Mais ne me caut de eele plaie ,
« Je croi c'autre maladie aie ,
4c Car Irestous descoragiés sui ,
« Ne pauc mengier ne hier ne hui.
« Si senc, à mon cuer, grant contraire
« Que ne sai que je doie faire.
« — Certes Jehan de çou me poise,
c Fait Blonde, qui moût fu cortoise-,
« De viandes bien vous gardés
600. « Et vostre voloir demandés
« Tant que vous serés bien garis.
t — Dame, dist Jebans, grant mercis. »
Puis dist entre ses dens, souef :
« Dame vous enportês le clef
c De ma vie et de ma santé
« Dont je sui en tel orfenté (l;i »
Mais Blonde n'oY pas ces mos ,
Car entre ses dens les tint clos.
Atant a pris congié à lui
Gelé pour qui il a anui, 610.
Puis s'est issue de la chambre.
Mais cil à cui doelent ii membre,
La convoie de sa véue
Tapt qu'ele est de la cambre issue.
Et quant la parois les départ
Et dessoivre (i) de son esgart,
Pasmés est cbéus sur le Ht,
Si ke ses garçons qui le vit
Guide qu'il se doive morir.
Mais, à chief de pièce, un souspir 620.
Jeta du cuer, de mult parfont
A tant dames venues sont ,
Que Blonde ot à li envoiiés ,
De lui servir apparilliés.
D'un capon atorné moût bel
De chières herbes au caudei (3),
Li cuidiërent faire mengier ;
Mais ains ne s'en peut aengier (4),
Dont as dames pesa forment.
Blonde le disent erroment 6â0.
Que Jehans ne puet mengier mes :
« Certes, fait-ele, n'ea puis mes,
« Moult m'anuie sa maladie ,
€ Garmervelles bien m'a servie (5).»
Et Jehans , qui amours demainne.
(1) Pag. 99, 0. 1. — (S) Disseporot, barb. — (3) A l'étovée , par an diminit. de coh
4arium. — (4) àd-éngere; adingerere couTiendrait mieni an sent* — (6) Le copiste a
mis tervite.
148
JEHAN DE DAMMARTiN
que jamais. — Ils vivaient ainsi lorsqu'arrive ua jour, pendant le
diner, un message de France (1631) pour annoncer à Jehan que
son père est à Tarticle de la mort, et qu'il faut à l'instant re-
tourner. Douleur des deux amants; adieux pleins de promesses;
Fu et ]or et nuit en tel paine
Que sur pies mais ester ne paet ;
Du tout à cboaeier U esluet ,
Tant est ses caers en grant malaise
640. Qu'il ne voit cose qui \i plaise.
Amours si crnelment l'assaut
Que ore à froit et ore à chaut ;
Une heure pense, autre se plaint.
Amers il fait faire tor maint :
PeUtmengue, petit dort,
Peut espolre de confort ,
Petit mais son afaire prise,
Petit cuide avoir de s'emprise ,
Petit prise mais son afaire ,
(>'>0. Petit cuide mais son bon faire.
Ne puet mengier vin ne viande ,
Fors quant sa dame U commande.
Tant comme ele lés lui se tient ,
Tant un peu de joie il vient ;
Et quant ele s'en est tournée
S'est sa joie en dolor tournée.
Li qnens et o li la contesse
Oïrent conter sa destrèce ,
Dont 11 ne furent mie Ué.
060. Veoir le vout moût courecié ,
Se li demandent qae il a ,
Mais il mie dit ne leur a
Tout le voir de sa maladie.
Sans plus U dlst que son cuer lie
Ne sai quel goûte que U sent
Qui moût le destralnt durement.
Li qnens son fùsessien mande :
Si 11 prie et si li commande
Que il de li garde prélat
Et en garison le méist. 670.
Li maistres dist que bonement
Fera le sien commandement ;
Puis U taste , qu'il n'i arreste ,
An pous du bras , puis U arreste ,
Puis a regardée s'orine (i);
Mais il ne set , s'il n'adevine ,
Nule riens de sa maladie ;
Ains dist qu'il ne s'i connoist mie.
A tant se partirent de lui
Cil qui de son mal ont anul , 680.
Et il demeura en son lit
U il avoit peu de délit.
En tel paine fa .v. semaines ,
Tant eut de torment et de paines {%,
Qu'il n'eût fors le cuir et les os ;
A paine fourme mais ses mos.
Il n'atent mais fors que la mort,
Dont jà ne quide avoir confort.
Blonde , qui en tel point le voit,
Se mervelle moût que ce doit (8), 690.
Qu'ele ne voit fisiciien
Qui sace de son garir rien.
Un jour li souvint du regart
Dont ele le tint à musart (i),
Le jour que il ses dois trencha
Quant de son penier l'estança.
Après çou s'est apercéue
Que, quant devant li est venue ,
Si volentiers vers li esgarde
Que d'autre rien ne se prent garde. 700.
Pour che, se d'amours riens séust,
(I) Son urine. — (2) Le scribe a mis : de paine et de tormeul. -^ (3) Quid hoc ducat.
— (4) Voy. p. 98, n. 3.
ET BLONDE D OXFORD.
149
bonté du comte qui assure Jehan, s'il veut revenir, qu'il le
prendra pour sénéchal d'Oxfort. Les deux amants se font leurs
adieux pendant la nuit, sous un arbre, probablement le plus
touffu qu'il y eut autour du château , mais qui n'était qu'un
Sa maladie connéost;
Ne poQrqaant on petit s'avise
Qu'il ait en lai s'enteote mise ;
Mais ne quide pas qae d'amors
Puist nas soailirlr si grans doiors,
Si est en malt grant de savoir
Qael maladie il puet avoir.
Un jour le vint seule véoir,
710. Et dessar s'esponde vD seoir,
Et il, dapooir que lia,
Moat dorement la bien viegna.
« Jeban, fait-ele. biaus amis,
« Car me dites qai vous a mis
« En tel point com je clii voas vol?
« Savoir le voel , dites-le moi.
« Pour celé foi qae me devés
<c Vous pri qae ne le me celés,
c Dites-le moi hardiemenl ;
7-20. « Car je vous créant Loial ment,
« Se garison qoerre vons pais,
c Jà malades ne serés pals. r>
Qaant Jebans oï la raison
Qa'ele il qaerroit garison
Se ele en avoit le pooir,
Un peu il revint d'espooir,
Car il set bien, s'il 11 plaisoit,
Encor garison ii qaerroit.
Mais si grant doute a de fallr
l:iO. Dask an dire n'ose salir,
Ains dist : « Grant mercis, dame doace,
« Moat est vostre parole douce.
« Mais sacbiés qae je ne voi voie
« Par coi de cest mal garir doie ;
« Ne tant n'ai bardement ne sens
« Que j'osaisse dire, en nul sens,
« Qaele seroit la médecine
4c Qui m'osteroit ceste gesine.
« Non pourqaant médecine i a;
« se il plaisoit à tele jà 740.
« Qu'ele me volsist racheter,
<c Bien me poroit de mal jeter ;
« Mais jà dire ne l'oserai ,
« Par fol sens mort' en recevrai.
« — Jehan, biaos amis, non ferés,
c Vostre afaire me jéhirés (2).
« 'Ains mais ne voas priai de rien,
c Or voas pri de çoa pour vo bien :
K Dites- moi vostre maladie
« Et je voas jar, dessur ma vie , 750.
« Que je métrai au garir paine ,
«( Sejesaiquexmaxvoasdemaine.
c — Ferés, dame?— Oil vraiement;
« Mais or dites délivrement.
« -^ Dame, je n'os. - - Si ferés, voir;
« En toutes Ans le voel savoir,
c — Yoiés, dame? et voas le sarés :
« G'estpourvoasquejesainavrés.»
Aussitost comme il ot çoa dit
Se pasme , sans plus lonc respit. 76a.
Grant pièce fu en pamissons.
Or set Blonde les occoisons
De son mal et de son méhaing.
Bien voit, se le tient en desdaing
Par parole che qu'il il dist ,
Qu'il en morra sans nui respit ;
SI commence à penser comment
Il aura de mort saovement.
Entre ses bêles mains le tint
(1) Sponda, ho\ê de lit. — (9) Géhfr, avoufr ptr foreê, gêkennari fCêngii gi,j.
150
JEHAN DE DAMMARTIN
poirier, • sous le plus bel périer du monde ^JSOi;, »» et convien-
nent que dans un an , jour pour jour, Jehan viendra frapper à
la petite porte du parc, qu'elle lui ouvrira et qu'elle s'en ira
avec lui, n'importe où. Bref, il part. Il arrive à temps pour en-
770. Tant que de pamisons revint.
Dont commença à soaspirer ;
Vers mort le convenist tirer
S'on petit éu8t atenda
Qa'ele riens n'éast responda.
Maisele 11 a dit: « Amis!
c Puis que pour moi vous estes mis
« En si grant péril com de mort,
« Je vous en voel donner conrort.
< Mais or soiiés bien apensés ,
780. « Et tost de revenir pensés ;
« Car si tosl com garis serés
« Sacbiés mes bons amis serés.
« — Serai ! Dame dites- vous voir ?
« — Oii, amis, sacbiés de vob:.
« — Certes, dame, don garrai-gie (l),
« Autre max ne m*avoil toucbie.
« — Or menglés dont, biaus dous amis !
« Ensi soit vos cners en pais mis.
« — Dame vostre plaisir ferai ,
790. '*. Quant il VOUS piaistjemengerai.»
Adont s'en est Blonde tornée ;
Mais assés tost fu retournée.
A mengier aporter li Ûst ,
Et Jebans au mengier se prist.
Quant Jebans oï le confort
Par coi il a respit de mort ,
En peu de tans fu tous garis.
N'en fu mie li qnens maris ;
La contesse et l'antre maisnie
800. En fu mult très durement lie.
Et Blonde biau sanblant li ûst
Par coi tost en santé le mlst.
Devens les .viij. jors fu levés,
Si ot-U mult esté grevés.
Mais il espoirs d'amie avoir
Li fist tost sa santé ravoir.
Si tost comme il se pot aidier
Prist devant sa dame à trencier ;
Et ele tant le conforta ,
Sans cbou que plus il n'en porla , 810.
Que ele en santé le remist.
Blonde , la beie , tout cbe Ûst
Pour çou qu'ele ne voloit mie
Que il perdist pour çou la vie ;
Mais quant ele en santé le vit
Ele se taist , riens ne li dist.
Mis le cnide avoir en tel point
Que de soi mais se tiegne à point :
S'en laissa ester la parole.
Ne veut pas c'en la tiegne à foie. 820.
Encor n'iert par d'amours toucie.
Quant Jebans l'ot un mois servie,
Et il voit qufe) ele se taist,
Ne d'amours parler ne li piaist,
Si ne set que çou est à dire ;
Des ex pleure , du cuer souspire.
Ne set que dirt ne que faire ,
N'en quel point tenir son afaire :
« Las ! fait-il , met en oubliance
« Las ! ma dame , la convenance 830.
« Qu'ele meut en ma maladie.
« En ne me dist-ele qu'amie
«c Me seroit, se je garissoie?
<!c 011 voir, et de ceste joie
« Me r'est venue garison.
« Ne sai se ce f u tratson ,
« Car mal me tient men convenant.
(1) Ponr iùni garirai ge.
ET BLONDE D OXFORD.
151
tendre les dernières paroles de son père, lui rend les derniers
devoirs, donne quelques soins à ses jeunes frères et sœurs,
s'acquitte aussi de ce qu'il doit faire comme vassal envers le roi
de France, et se prépare à reprendre le chemin de l'Angleterre.
c Espoir qa(e) ele se repent,
c Oq espoir ele le me dist
840. « Ponr çou que santé me venist. *
« Si qui de c'atant soie en pais ,
« Ce ne vaut rieas ; tant sui puis près
« Qu'il me convient en fin savoir
« Se je s'amour porai avoir,
c N'est mie drois qu'elle m'en prit.
« Espoir qu'elle m'a en despit,
c Pour çou que je n'en os parler.
« Maintenant voel à lui aler
« Por demander ma convenance. »
850. Adont de la chambre s'avance ,
De la ie vit en .j. prael
U ele falsoit un capiel.
Jebans est venus dusk'à lui ,
Puis lui dist que bon jour ait hui ;
Et ele li respont à point
Dix bonne aventure li doint.
Atant se turent abedoi (1);
Si est abaubis devant sol
Jebans qu'il n'ose tentir mot.
860. Nepourquant il se tint à sot
Pense maintenant lidira (f
Se son convenant li dira :
Sa bouce pour Je jébir oevre
Puis le reclot , car de celé beure
Sont tout li fin amant couart.
Nepourquant en la fin li part,
Parmi la bouce , une parole
Plaine de sonspirs , hors 11 vole :
« Dame , dist-il , d'un convenant
870, « Vousalés-vouspointramembrant.
« Que vous en grieté me felstes,
c Dont ec santé me remeistes?
« — OU, Jehan, certes mult bien,
« Mais ce fis jou pour vostre bien ;
« Vous vous mortes par folie.
« Or ne vous i rembatés mie ,
« De VOUS garlr eus volenté .
« Par çou vous remis en santé ,
«c Car vous estiiés hors du sens.
« Or vous tenés miex en vo sens PrM).
« Se de moi servir vous penés \
« Bien en poriés estre assenés
« En tel lieu, dont vous venra biens.
« Mais or ne p^sés plus, pour riens,
« Quejem'amour donner vous doie.
« Trop durement m'abaisseroie. »
Or ot (3) Jebans çou qui 11 grieve
A peu que li cuers ne li crieve
De la grant grieté qu'il en prist,
Et en plorant itant li dist : 890.
« Dame , ce savoie je bien ,
« C'a vous n'aferoie (4) de rien ;
« Et pour çou se par vous ne fust
« Parole jehie n'en fust ;
« Ains eusse mort recéue ,
« Si fust m'emprise à fin venue,
« Dont or sui au recommencier.
« Ne voel or mie à vous tencier
« Et de doners et d'escondis,
« Detoutievonsrentgransmercis. 900.
c Voir,j'aimmixavoirpourvou8mort
c Que de nule autre avoir confort
c Je ne vous ore [voel] plus dire
c Fors tant qu'en plus grevensmartire
c serai, ains que passent jour .viij.
(1) Tous deux. — (2) ÎJKderet, (3) Audit, — (4) Afferebam.
152
JEHAN DE DAHMARTIN
•--Blonde, durant ce temps, était tombée dans les chagrins.
Après le départ de Jehan , elle a perdu sa mère, et son père veut
la marier : le comte de Glocester a demandé sa main. A grand'-
peine obtient elle, en alléguant la récente mort de la comtesse,
« Qae devant n'ére en .xxviij.
c Car plus est griés il rencheis
« Que n'est 11 premiers encheis (1). »
Après cex mox plorant s'en part,
910. Et Blonde s'en va d'autre part.
Et Jehans s'en vint en sa chambre ;
Si fort li tramblent tout 11 membre
Que maintenant coucier l'estuet (d).
Ne boire ne mengier ne poet ,
Ains se démente et se complaint.
Tous jours, quant nus ne l'ot, se plaint
Et dist : « Las ! pourquoi mè garl
« Cele qui si me r'a mari (3) ?
« Ne comment la vols onques croire
9^. « Qu'ele me déist cose voire?
« S'ele s'en consillasl à moi
c Ne li loaisse pas, je croi,
« Que ele de tant s'avillast
« Que en tel lieu s'amour donnast.
X Mort! or vien tost et si te haste,
« Car je vol bien que mon tans gaste.
4c Quant la poarmesse m'est rompue
c Dont santés m'estoit revenue !
« Ele me pramist sans donner,
930. « Ensi puet on fui conforter.
« Or n'i a plus , fors que je voei
« Morir, car de vivre me duel ;
« Car du tout sui en désespoir,
« Je n'ai mais de nul bon espoir.
« Amie , oel vous m'avés tral
c Et en tel amour envaï
« Dont mort me convenra sentir,
c A ! Amour quant vous consentir
<!c Volés la mort de vostre amant
« Mains en valés, par saint Amant ! » 940.
Ainsi est Jebans renchéus ,
Si par est ses cuers esméus
Que de riens nule ne li chaut ;
Ne puet mengier comment qu'il aut (4).
Si le set amours estourmir (5)
Que nuit ne jour ne puet dormir.
Li quens en oï les noveles ,
Sine li furent mie bêles ;
Mais il ne le puet amender.
Et la contesse commander 950.
Fist que on le servist si bien
Que il ne li fausist jà rien*;
Hais il est à servirs légiers
Car moût est petis ses mengiers.
Tant l'a ses grans courons mené,
Tant la destruit , tant l'a pené .
Qu'il a la parole perdue.
Par laiens est tost espandue
La noveles que Jehans muert.
Ses vallès ses puins en détuer t (6), 960.
Et cil de l'ostel ensement ,
Qui moût l'amoient durement.
En ce point ert Blonde couchie ;
Le garçon Jehan ot qui crie ,
Forment regretoit son signeur,
Nus hom ne mena duel grigneur.
Blonde une pucele apela :
(1) tncasus cl reincanu» {ratiHus) ? formés comme reincessus, incmutt. mais de eadere,
cheoir. — (2) Pag. 108, n. 1. — (3) Pag 100, n. 6. — (4^ Habeat. — (6) On invoqne
ponr étymologie ritalien siormo, Tallemand stuermen, faire tempête , combattre. Qooi de
plas nécessaire cependant qne de voir ici exturbaref tronbler. — (B) Voy. 969.
ET BLONDE D OXFORD
153
un délai de quatre mois, pas un jour de plus. Ce jour fixé était
précisément celui où Jehan lui avait promis de revenir. Le terme
approchait, et de Jehan point de nouvelle. Il ne restait que huit
jours avant le délai fatal. Cependant Jehan était parti, avait
« Qu'est-ce, fait aie, que j'oi là?
« —Dame c'est Robins qui déluert (l)
970. « Ses puins pour Jehan qui se muert;
« Jà a la parole perdue. ^
Blonde l'ot ; s'en est esperdae.
Qa'ele set bien , en son requoy
De quel mal il muert et pour coi.
1131 Ainsi demaine Blonde amours.
Bien a trouvé le tans rebours
De tel comme ele avoit hier main,
Plourant, souspirant à cuer vain.
L'a tant amours ou li grevée
Qa'ele s'est coïement levée ;
Vest soi d'un peliçon d'ermlne
Laiens n'ot dame ne mescine
Qui ne dormlst à icele heure.
1140. Et Blonde, sans plus de demeure.
De la cambre , où ses lis ert , ist
Et entre en celé où Jebans gist.
Une lampe en une verrière
Li rendoit un peu de lumière ;
Fors que Robin léans n'avoit.
Quant il sa dame venir voit ,
Lieve soi et si le saiue.
Bien ot Robins apercéue
L'amour as complaintes Jehan ;
1150. Bien sol que tout son grant ahan ^2)
Ne li venoit se d'amours non.
Blonde l'apiele par son non ,
Se li demande de son estre ,
Quel mal il a et que puet estre?
« Dame . dist-il , bien le savés ;
« Pour noiant enquis le m'avés ,
« Bien savés la mort kl le touce ;
«c Je criem Dix ne le vous reproche.
« Ne pourquant ce vous puis bien dire,
«i Onques ne me disl son martyre. 1160.
c Mais j'entent bien à ses souspirs
<c Pour vostre amour sera martlrs,
« Car il est jà si engressés (3)
<c Que près de mort est apressés (4}.»
Adont pleure et ele s'entoume ,
Dusk'al lit Jehan ne séjome.
Deseur l'esponde s'est assise ,
S'a desur son front sa main mise,
Et puis au pous , si sent ses vaines
Qui se remuevent mais à paines. 1170.
Les iex ot clox et le cors roide
Et en pluiseurs leus la car froide.
Un peu de chaut eut sur sen cuer,
Qui en vie li tient le cuer.
Quant ele le sent en cest point ,
Si grant doleur au cuer l'en point
C'a paines U dist-ele : « Amis !
« Je sui celé qui vous a mis
4c En tel point par mon grant orguel;
<c Mats pour cou c'amender vous voel 1180.
<c Le grant outrage et le mesfait
« Que je , sans raison, vous ai fait,
« Vous viengchiveoir à ceste heure;
(1/ Dixiorquet, tord. — (2) Anhel9tionem'i essonflleinent , peine. — (3) Ingravatnn
serait probiiblemenl engrieiés, Qubiqu'on ait yn ci-dessos (v. 046) grocilis faire graille.
Cet engressts est sans doute ingracililus, barb. de gracUeseo : • \\ est jli si amaigri. »
Ce serait donc juste le contraire de * engraissé »; mais il n'y a pas loin ncn pins
entre cra*»iludo et grocUUudo. — (4) Approrimatus.
154
JEHAN DE DAMMARTIN
touché Douvres (âi3i) avec le fidèle Robin, et après avoir engagé
un batelier à son service pour l'attendre huit jours pleins , il
gagne Londres , où il se rencontre avec la suite du comte de
Glocester qui , comme lui , faisait hàle pour arriver à Oxfort. il
« Mais parlés à moi sans demeure. y>
Jehans a s'amie entendae,
Mais la parole avoil perdue ;
Si l'eut sa garant grieté fait fondre
Que si tost ne li pot respondre.
Quant Blonde voit qu'il ne parole
1190. Si grant courous au cner 11 vole.
Tant fu tristre et abosmée (1)
Que deseur le lit chiet pasmée,
Sa teste sur le pis Jehan,
Dont ele li âst grant ahan ;
Car son afaire bien entent
Et si n'a pas de pooir tant
Qu'il die .j. seul mot de sa bouce.
Dont grant doleur au cuer li toace.
Car volentiers, se il péust,
1200. A s'amie parlé éust;
Mais 11 ne puet encor» n'encore (2),
Par quoi le cuer s'amie acore (.s^ ;
Car quant ele fu revenue
Plus de .V". fois s'est tenue
Pour maleurese caitive,
Pour la plus lasse riens qui vive.
1249 De la dolour qu'ele demaine
1250. Perdi .iij. fois pous et alaine,
Si ke se Robinés ne fnst ,
Je croi k'ilueques morte fust.
Il l'esventolt d un cuevrecbier.
Et se 11 soustenoit le chief
Quant ele se cllnoit vers terre ;
Puis en ot Robins bonne terre.
Jebans entend! bien s'amie,
Qui de plaindre ne se falnt mie;
Si entendi à sa complainte
Qu'ele n'est pas fausse ne fainte. 1260.
Encor par fust-il si atains ,
Ses cuers en est un peu plus sains ;
Un souspir jeté et les ex oevre.
Blonde , qui aperçut ceste oevre ,
Se taist et près de li se trait
Si li donna .j. tel entrait
Que la parole 11 rendi :
Sa garison pas n'atendi
A lui baisier, mais tout malade
Le baisa de sa bonce sade (4). 1270.
Dont tel douceur au cuer l'en vint
Que la parole l'en revint.
Cil baislers fu de si grant force,
Qui le cuer Jehan tant efforce
Qu'il dist : « Grans mercis, douce dame,
« El cors m'avés remise l'ame,
4c Qui pour vous est si très atains ;
<c Mervelle est quant il n'est estains.
« — Biausdous amis, ce respont Blonde,
« Pores vous mains, por riens du 1280.
« Revenir en vostre santé ; [monde,]
« Par tel couvent que volenté
« Aurai , tons les jours de ma vie,
« D'estre vostre loiai amie ?
« >- Douce dame ! voir je ne sal ;
0) Ne peut venir ni A^abyssus, ni û'obominosus, Pent-être esUce un verbe fait sur
obosatio {vid. Cangii gtoss.J, qni signifie < destruction, rupture, > et semble venir
directCMent de abusus, — (2) Non ineurrit, ne quidguam agit, — (3) Abeordei ou
excordet, barb. : écœure, dans le sens de « percer le cœur. > — (4) Sapida, ayant
(douce) saveur; cr v. 1326; opposé de maussade.
ET BLONDB D OXFORD.
155
se mêle à la cavalcade, pousse jusqu'au comte et entame avec
lui une conversation piquante où le comte de Glocester prête à
rire, à ce qu'il paraît, en parlant le français avec un accent et
des idiotismes britanniques ^2611). Jehan contrefait le niais pour
« Tant m'avés mis en grief essai
« Que moat est ou retoamer fort.
«c Et nepoarqnant tant tieng à fort
« Vostre pooir, que s'il vous plaist,
1290. « Encor croi que ois max me laist.
« Mais pour pitié , se garir puis,
4c A mort ne me remeiés puis.
« Non poorqaant à vostre voioir
« Me voel esjoïr ou doloir.
« — Mais, dous amis, de la doleur
« N'aies desore mais crémeor ;
« Pitié ai de vostre besoing,
« Dès maintenant à vous me doing.
« Par ce baisier qae je vous fas
1300. « A tous Jours de moi don vous fas.
« En tel manière, comme orrés,
c Que jà de mon cors ne jorrés,
« Fors d'acoler et de baisier.
« De tant vous voei bien aaisier ;
c Mais n'en aurés autre avantage
« Devant que nous, par mariage,
« Nous porons ensamble acorder ;
« Bien vous 1 devés acorder. a
De tex*mos n'est mie noircis
1310. Jehans.ainsrespont: «Grantmercis!
« Dame, grant mercis vous en rant;
c Trop avoire cuer m'es errant
c Se je plus vous en demandoie ;
c Mais c'autres avoir ne vous doie.
« Bien devrai atendre le point
« Que ceste cose viegne à point.
« — Biausdousamisnenaijésdonte;
c Car si me doing à vous trestoute,
« Que Jamais autres, à nul fuer,
18^. c N'aura ne mon cors ne mon cuer.
c Mais metés vostre cuer à aise. »
A ce mot doucement le baise.
Ce n'a mie grevé Jehan,
Ains oste moût de son aban.
S'alaine , qui tant est très douce,
Jehan si sadement adouce ,
Qu'il en a cachié désespoir
Et conforté de doue espoir.
Du cuer toute grieté 11 oste ;
Près du cuer li herberge .j. oste 1330.
Que on apèie vrai confort.
Icii dous estes desconfort,
Gries penser et desespérance
Tout hors du cuer Jehan balance :
Vrais confors s'est en son iiu mis.
Après çou li dist Blonde : « Amis !
c Prendre vous convient al mengier,
c< Pour vostre santé raengier.
« — Dame à vostre commandement. »
A tant estendent erroment 1.H40.
fiobins et sa dame une nape :
Au vert Jus de nouvèle grape
Li donna Blonde un froit poulet.
Ne à Robin touchier n'i iet ;
Mais Blonde à ses très bêles mains
Le sert, dont il fu plus tost sains.
Et Jehans , qui il fu mestiers,
Se prist au mengier volentlers.
Quant il du poulet mengié eut
Tant comme il à s'amie pleut, 1350.
S'osta la nape et dusk'au Jour
Flst Blonde avoeques lui séjour
Pour lui tost remetre en santé.
Fu ilnec , par sa volenté
Duskes à tant que li Jors vint ,
Mais adont partir l'en convint.
SI dist : « Jehan I Biaus dous amis,
« Pour le jour qui çaiens s'est mis,
« Convient que Je de vous me part;
« Car se nus venoit ceste part, 1360.
c Qui apercéast nostre afalre.
156
JEHAN DE DAMMARTIN
mieux tromper ses compagnons de voyage ; mais comme on
approchait du château d'Oxfort, il les abandonne pour se jeter
dans des chemins de traverse qu'il connaissait parfaitement, et
au jour dit, ou plutôt à la nuit qui lui avait été marquée à Ta-
« Avoir en porions contraire.
« En nostre amoar celer asens,
c Car en bien celer a grant sens,
c Et nous aurons bel avantage
« De bien celer nostre corage ;
« Car, si tost que levés serés,
« Assés souvent o moi serés ,
c Par l'occoison qu'estes à moi ;
1370. « Pores souvent estre avoec mol,
« Si porons , à nostre plaisir,
« L'on de nous .ij. l'autre saisir
« De çou que faire nous plaira ;
« Ne jk nus vivans n'el sara.
« Et quant nous verrons nostre point,
« Bien métrons le surplus à point
« DeiçoQ que encourent vous ai.
c Onqnes n'en soiiés en esmai ;
« Mais or pensés d'estre garis,
1380. t Ne ne soiiés plus esmaris.
« Souvent véoir vous revenrai
c Au mains que porai remanrai.
c — Dame, dist Jebans, vostre gré
« Et vos dis recuel en bon gré. »
A tant Blonde de lai se part.
Doucement le baise au départ,
Puis s'est levée de lès lui.
Mont le laisse en meneur anoi
Qu'èie , au venir, ne le trova.
1890. Tant ala qu'ele retrouva
Le Ht dont ele estoit lev<^e,
Par amours, qui tant l'ont grevée.
Toute nue se fest couchie
Et de joie plaine endormie.
Et Jebans, qui fn confortés,
Se r'est de joie déportés.
Viij. jours ot que dormi n'avoit ,
Dont il disète(s) en avoit ;
Ma*s or s'ert-il pris au repos,
Car 11 confors , qui ert repos, 1400.
En lui sa garison 11 haste
Et qnanqu'il puet ses max 1i baste.
Quant à tierce fu esviUiés
Ses mangiers fa apparllliés.
Ij. damoisèles le servirent.
Qui de ce mont grant joie firent.
Qui voient que il menjut bien
Et qu'il se tient assés plus bien
Qu'a ne soloit ; qa'eles cuidoient,
Quant lueques venues estoient, 1410.
Que êtes le trouvaissent mort.
Or le truevent de biau confort
Et leur samble qu'il est haitlés (P.
Fors tant qu'il est afebioiiés.
Mult en sont lies durement
Et moût le servent bonement.
Et novele pas n'alendi,
Mais tost par l'ostel s'espandi
Que Jebans estoit terminés ;
Dont s'est 11 quens acheminés 1490.
Et la contesse et ses puceles,
Dont ele avoit assés de bêles.
Mais toutes les binutés du monde
Ne valent riens envers la blonde,
Qui avoec sa mère s'aroute
Ne n'enlaidi mie la route.
Icll vont tout Jehan véoir
Et leur mainie , pour savoir
Se c'erl voirs qu'il fust terminés.
(1) Voy. ci-des8D8, y. 220.
BT BLONDE D'OXFORD 157
vance, Jehan frappe à la poterne. Son amanle avait presque
perdu tout espoir, mais Adèle, se tenait sous le poirier, son
coffret de bijoux à la main, prête à partir. A peine entré, Jehan
lidO. Qui d'aus tooB estoit meut amés.
Bn son lit séant le trovèrent,
Goartoisement à lui parlèrent;
Jetians et la contess' eosamble.
« Jeban,font-ii,qaeyoa8en8ainble,
« Gaidiés-YOQS que cis max vous laist?
«c ~ Sire, oil , dist-il, se Diu plaist,
c Li max s'est de moi destomôs,
« Je sai en santé retomér. »
Toit cil qal l'aiment malt lie sont
1410. Be sa response qae il ont (1) ;
Car ier soir nas bom ne qaidast
Que il jamais .j. mot sonnast.
Blonde, qai le vit en tel point,
N'en eut au cuer de dolonr point.
Quant il eurent lueqnes esté,
Tont com leur vint à volenté,
A Jehan conglé demandèrent
El de la chambre s'entomërent
Et Jehans remest (3) en son lit
1450. Où désormais sera petit
Hout monstra bien soir et matin
Amours Jehan de Dant Martin
De quel jeu ele sert as siens.
Moût en ot de max et de biens :
Les max pour doute de falir,
Les biens pour espoir de saisir
Ce k'amours 11 fait désirer,
Si k'il ne s'en puet consirer (3)
Après le confort de s'amle.
1460. Santés ne 11 demoura mie,
Ains 11 revint grant aléure ;
Car Blonde souvent i'asséure
De çou qu'ele 11 eut convent,
Revéoir le venoit souvent
Seule et par nuit (pour mesdisans
Qui de tous max sont atisans),
Venoit Jehan reconforter
Et soulacier et déporter.
Tant 1 ala et tant i vint
Que Jehans en santé revint , 1470.
En plus grant qu'il ne fu aine mais.
Liève soi, jéhir ne veut mais,
Revenus est à son mesiier,
Pour riens ne le volsist cangier.
Al mengier sert devant s'amle ;
Tex mestiers ne U desplait mie.
Li quens et tout cil de l'ostel
Sont lie quant il le voient tel
Et il à son pooir les sert.
Par quoi le gré de tous dessert. 1480.
Et il est si biaus et si gens.
Si gratieus à toutes gens,
Que chascuns l'oneure et conjoie.
Moût en a s'amle grant ]oie,
Qui voit c'amer se fait de tous.
De déboinaires et d'eslous (4).
Moût l'encrnt d'amour en son cuer,
Tant l'ama que puis , à nul fuer.
Ne se vaut d'amours repentir,
Ains volt bonement consentir 1490.
De son ami la volenlé.
Moût sont tenu de grant sauté (5)
Quant il se pueent dessambler
B'autres gens et entrassambler.
Nus ne querroit (6) leur douce vie :
Quant par laiens est endormie
La gent dont il gaitier se voelent,
(l) Àudiunt» — (3) Bemansit, — (8) Consislere, se tenir. ^ (4) ExloUitus^ superbe,
participe barb. de extoliere. — (5) SubtilUas, — (6) Imparf. de caider, cogUaret*
158
JEHAN DE DAMMAHTl^i
lui donne un seul baiser eu disant : « Mon doux cœur, soyez la
bien trouvée, » puis l'assied sur un palefroi que Robin tenait en
laisse, et les voilà tous trois à travers champs. Grands furent,
De leur dormir petit se daelent ;
Car lors ont il et ilea et tans
1500. De maintenir iear joli tans.
1631 Un joar séoient ai niengier,
Atant es-Yous .j. messagier
Qai est venus devant le conte,
Et commence en françois son conte :
« SirCi dist-il , j'ai tant cerkié
« Un varlet , que on m'a nonchié
« Qu'à vostre ûlle est remanans ;
« Cil valiës est nommés Jehans.
« Une noaveles li aport
1640. c Pour ce arrivai de mer au port.
« S'il vout plaist, faites-le mander,
« Si ke je paisse à lui parler. »
Li qaens respondi : «c Yolentiers. »
Aies i est uns esquiers.
Trouvé l'a séant devant Blonde,
Qui est la plus bêle du monde :
« Jeban, dist-il, je vous vlengqaerre.
c .j. messagiers de vostre terre
c Vous demande devant le conte ;
1650. « Or i venés , s'orrés sop conte. >
jebans l'entent , forment se crient
De Blonde perdre ; au conte vient.
Quant 11 messagiers l'a véu
Assés tost l'a reconnéu :
« Jehan , dist-il , à vous m'envoie
« Vostre pères , qui Dix doinst joie
« Plus grant qu'il n'avolt au départ.
4c Quant mai (l) pour venir ceste part
« Malades ert , ce vous di bien .
1660. « Et disoient si fussiien
« Qa'il estoit en péril de mort.
c Hout laissai en grant desconfort
« Vosdeuxsereursetvos.iij. frères;
« Car unes noaveles amères,
« Dont il me polse , vous aporte
c De vostre mère , qui est morte.
« Si vous mandent vostre parant
c Que vous en venés errant {-2),
€ Ou vous i ares grant damage.
c Au roi vous convientfaire hommage 1670
c De la tère de Dant Martin :
c Moavoir vous convidot le matin. »
Or entent Jehans les novëles.
Qui ne li furent gaires bèies ;
En plourant d'Uluec se départ.
Il fa assés qui prist regart
Du message qui fu de France.
Tout contreval l'ostel se lance
La novèle qa'a aportée ;
Li uns l'a à l'autre contée : 1680.
Tant ala que Blonde le seat .
Qui pour sen ami duel en eut
Li Quens en fu mont coureciés
Et la contesse , ce sachiés ,
Et tuit 11 aatre par léans ;
Cor voient bien que c'est noians
Désormais de son demeurer.
Et Jehans , pour soi dolouser.
S'en est venus denens sa chambre.
De couroas li daelent li membre ; 1690.
Si s'est séur son lit acoutés (3),
De sol complaindre est acoutés (4).
Grant duel a de la mort sa mère
Et de l'enfermeté son père ;
Mais ne li est fors que rousée
(1) Mutavû — (2) Pour erramment; voy. La Manekine, v. 4463. <— (3) Coacfaé, aa-u-
bitattu. — (4) Entendu, otucultotus.
KT BLONDI d'oxford.
159
comme on pense, Tétonnement et la colère des deux comtes
lorsqu'on s'aperçut que la flancée s'était enfuie au moment où
sou père donnait l'ordre de la faire venir pour être présentée à
Yers le duel de la dessevrée
Qa'il fera de sa douce amie.
Li deus de cbe ne il est mie
A nul des aatres deos samblans ;
1700. Car unes peurs si tremblans
Le prendent de perdre s'amie
Que conforter ne s'en set mie,
Et dist : « Las ! las ! que porai faire?
« Or m'est joie en tous sens contraire
c Quant de ceii partir m'estuet
« Sans qui mes cners estre ne poet.
« Départir! las! est-cou acertes?
1969 Li jours apert, U solaus Uève.
1070. Jehans, comment que il ii griève,
Se vest et hnese et appareille;
Robins, ki pour lui servir veille,
Li avoit jà sa sèle mise.
Bt li quens, qui mult Taime et prise,
Se leva ; car bien set sa voie ,
Dont mult durement li anoie ;
Bien set priiëre n'i vaut rien.
Si a fait d'une cose bien
Car .y. palefrois biaus et grans,
1980. A fait chargier d'estrelins blans,
Si les fist à Jehan donner.
Bt puis le vint arraisoner
E( abandonner sa poissance.
c Jehan, dist-ii, se vous, de France,
c Retomés plus en Bngletère
c senescax serés de ma tère,
c Btde mon ho^tel trestous maistres;
« Car durement me plaist vos estres.
« Del tout le mien vous abandoing
1990. c Et del prendre poolr vous doing.
« ~ Sire, dist Jehans, grans mercis.
c En bon gré rechois itex dis.
c Se Diu plaist, partans revenrai
c Et encor du vostre penrai.
c —Certes, dist liQuens,multme plaît!»
N'entent mie bien que chou est
Que Jehans dist que il penra,
Mais ça avant miex l'apenra.
A tant a pris congié au conte
Puis est venus, ançois qu'il monte, 3000.
A la contesse congié prendre.
Se je voloie à tout entendre
Comment à chacun prist congié,
Je ne l'aroie hul mais nunchié.
Ne voel pas de cascnn reiraire,
Mais de celui ne voel taire
Qui est dolente de sa voie :
Si sagement son cuer navole (l)
Que on ne puist apercevoir
Que dolente est de son mouvoh*. 3010.
Mais cascuns quide que ce soit
Pour çou que il à lui estoit ;
Et à lui estoit il , sans faille.
Et ert encore , où que il aille.
Blonde li a donné joiax,
Gahitures, fremax, et aniaus,
Que il donra à ses amis ;
Puis a en plourant congiet pris.
Ses chevax as degrés ratent,
Puis i va et si monte à tant. 3030.
Si s'en va mais ses cuers remaint,
Qui de cest oirre (3) moût se plaint.
Robins enmena .j. sommier
Et .j. autre li messagiers,
Qui U eut dites les novèles
Qui ne li furent mie bêles.
(1) Nûpigatf « (3) Iter, ilinerare; voy. cj-<l068as, p. 140, n. 1.
160
JEHAN UE DAMMARTIN
son futur époux. Le comte deGlocester commence à comprendre
qu'il a été dupe de son compagnon de voyage (308o\ et le comte
d'Oxiort lui donnant Tassurance qu'on l'a en effet bafoué, sa
À tant leur cemin acaellirent
Tant que dou Senefort issirent;
Blonde est à l'ostel demourée,
S030. Pour son hoste (l) mont abosmée (2).
Àins aura doate|de lai perdre
Que ele le paist mais aerdre (3).
Et Jebans doute de faillir
Ayant qu'il la puist mais saisir.
A tant de Blonde vous lairons
.1. peu , et de Jehan dirons.
Puis que Jebans du Senefort
Se fu partis, tant erra fort
Par montaignes et par valées ,
2040 Et par forés longues et lées ,
Que il est à Douvre venus.
A son hostel est descendus ,
Mais ni flst mie lonc séjour.
Lendemain , droit au point du jor,
En une nef en mer montèrent .
Àins nonne (4) à Huissant arrivèrent.
D'iluecques demeurer n'ont cure ,
Tant cbevaucërent l'ambléure
Qu'à Dant Martin vinrent j. soir.
S050. Jebans descend! ou manoir
Où ses pères encore gist.
Tost fu qai les novèles dist
Que Jebans estoit descendus,
si frères « qui ont entendus
Tex mox , encontre H alèrent
pt durement le bien viegnèrent,
Ensement les .vij. (5) damoiseles
Ses sereurs , qui erent moût bêles,
Fisent grant joie de leur frère.
Mais Jebans pleure de son père 2060.
Qui gist malades durement.
N'i eut point de recouvrement,
Mais encor parlant le trouva
Jebans , qui vers lui se prouva (fi;,
Car il 11 flst faire tex lais
Dont s'âme fu en vraie pais.
Mais ençols k' la mort traisist {7)
Son fll de son afaire enquist,
Et il l'en dist une partie.
Bien H a dist que grant partie 2070.
Qulde de son vololr aquerre,
outre la mer, en Engleterre.
Quant ses pères cou entendl
Le vrai Dieu grasces en rendi ;
Puis mist sur lui son testament,
Dont Jebans ouvra lolalment
A la partie de ses frères.
Après cou vesqul pau 11 pères,
Du mortel siècle trespassa,
Ll dex (1) de lui Jehan laasa. 2080.
Ses deus sereurs et si troi frère
Démenèrent duel pour leur père
Enfoïs fu, sans demeurée,
Quant la grant messe fu cantée.
Ll enfant arrler retournèrent,
Tuit le voisin les confortèrent
Et leur parens , qui i estoient ;
Car le plus grant lingage avolent
Que on séust en la contrée.
Tant on leur dolour démenée 2090.
Qu'il leur convint à el entendre.
En dael ne peut on noient prendre
(1) Le scribe a mis hostêU — (2) Voy. ci-dessDs, v. 1191. — (3) Adhœrere. — (4) Avant
neaf heures. — (&) Les deux, d'après les vers 2061, 2195. — (6) Pronavit ^ proximavit,
— (7) Transisset. — (8) Pour c debts » peut-être. Voy. v. 2141.
IT BLONDE DOXFOID.
161
douleur fait explosion , toujours en son mauvais français (3340).
Le lendemain , au point du jour, il part à la tète d'une nom-
breuse troupe de cavaliers pour rejoindre les fugitifs. Il cherche
Fors dolour et maie aventure.
Del inonde est tele Taventare
Que tuit morront , et un et autre,
Li nos n'en doit jà gaber l'autre.
Pièça, dist-on, ce m'est avis,
Les mors as mors , les vis as vis ,
Tant comme cascuns porra vivre
2100. Àa mix qu'il pora se délivre,
Et en tel loiallé se tiengne
Que pour s'âme à bone tin viegne.
Quant Jebans voit son père mors
Il convint que il s'en déport,
Par le conseil de ses amis
S'en aia an roy, à Paris,
Pour l'ommage qu'il li dut faire.
Li rois enquist de son afaire,
Tant en aprist que moût l'ama ;
3110. Son relief (1) quite 11 clama.
Si Jebans servir le vausist
Hout volontiers le retenist ;
Hais à autre besoigne entant,
Nepourqnant il besongna tant
Qn'U mist ses .1^. frères au roy,
Qui furent bel et sans derroy.
Tant le servirent volentiers
Qu'il les fist puis chevaliers,
Et leur donna femmes et terre -,
'^190. Ainsi doit cascuns son bon querre.
Quant Jebans eut çon besoignié
Del roi se part, par son congié.
Et de la roine ensement,
Qui moût retenist bonement
Ses .ij. sereurs, se il volslst,
Mais il ne U pleut ne ne flst ;
Âvoec lui les vaut retenir.
Mais il pense , s'il peut tenir
À Dant Martin sa douce amie,
Que lès li tenront compaignie. 3130
Jebans à Dant Martin s'en vint.
Mais mont petit séjour i tint;
Àins cbevauçoit par le pals
Par tout va véoir ses amis.
Pour aus connoistre et acointier,
Va les mUlors acompaignier.
0 lui à Dant Martin les maine
Et d'aus moût bonerer se paine.
Deniers ot aporté assés,
Mais U les eut tost desmassés. 3110.
Les dettes son père paia,
Ses detteurs trestous apaia.
Ses sereurs tienent son boslel,
Si bel qo'ens u pals n'ot el (3).
Et il se paine , à son pooir,
Del amour del païs avoir!
Tant ûst par manière et par sens
Que , de la mer duskes à Sens,
N'eût nul escuier miex amé,
Ne de bonté plus reclamé. 3150.
Mais quelque vie que il maint (3)
Amours tous jors u cuer U maint (4) ;
Ne cuidiés pas que il oublie
Le jour qu'il eut mis à s'amie.
En celé anée n'eut jours trois
Qu'il ne li samblaissent .j. mois.
Onques mais ne vit si lonc an,
De li atendre out grant ahan,
Mais toutes voies, à grant p&ines,
Laissa passer tant de semaines 3160.
(1) Les droits de mntation. — (2) Ponr « n'ot /el. > — (8) Mimt, de minâre, oondilrt*
— (i) Maneut,
T. Vin. li
1G2
JËHA>' DE DAMMARTIK
déjà (laus son eâ])rit de quelle mort il fera mourir Jehan si on
ralleinl. Au lieu de fouiller les environs d*Oxfort, il court
droit à la mer et place quatre hommes à lui, bien armés, la
Que par tans ert (ans del errer.
A dont llst Jehans aprester
Un palefroi si bien ambiant
Qu'en tout le mont n'ot son samblant,
Une sambae, a cours (l) pesans,
Emplie de coton dedans,
Fist venir de Paris un main.
Et de soie un rice lorain (3).
Ne nus ne set qu'il en veut faire,
3170. Fors Robins qui set son afaire.
Mais son maistre si bien cela
Qu'à nulni ne le révéla.
Quant Jehans eut tous ses ators
Si n'atent fors tant que li jors
Yiegne que de mouvoir ert tans ;
Il set bien en combien de tans
Il pora venir duskes à lui.
Mais atant vous lairons de lui.
24dd Duskes au Douvre n'arrestèrenl.
Dont parla à son maronnier :
« Amis, volés -vous gaaignier?
« — ou voir, Sire, volontiers.
« — Vous anrés, fait-il, tant deniers
« Comme vous de moi vaurrés prendre,
2440. « Mais que vous me voelliésatendre
« A ceste rive , nuit et jour.
€ Ne ferai pas trop Ion séjour :
« Dedens .viij. jours revenrai chi.
« Tenés .:c. Ib. que j'ai chi,
« Pour le damage de i'atente.
Clens les prent, cui il atalente,
Et puis son voloir li flan ce.
Or en est Jehans en ilance ;
Del maronler se part atant.
Et cbfevauça , jour et nuit , tant 2450.
Que il est a Londres venus.
En un hostel est descendus ,
Qui estoit aaisiés et biaus.
Robins , qui est preus et isniaus (8),
En i'estable ses chevaus mist,
Et Jehans del ostel s'en ist.
Devant lui , d'autre part la rue,
Voi^ une grani gent descendue,
Escuiers , sergans , chevaliers,
Clers, prestres, garçons et somiers. !^60.
Jehans veut savoir qui il sont.
Qu'il quièrent, qu'il voelent, où vont?
Devant un escuier s'avance.
Qui seut del langage de France :
(a Quipueent, dist-il, ces gens estre?
« — C'est, dist-cil, li quens de Clocestre
« - Qui à Londres vient besoignier,
« Et demain . sans plus alongier,
<c S'en tournera pour plevir feme,
« La plus bêle de cest roiame. 2^X70.
ce Jà en a esté jours pièça,
<£ Mais ses pères le dépêcha ;
«: Manda ii que il atendist
« Quatre mois , et adont venist
<ic En sa maison , si Teumenroit,
« Et sa tere li partiroit :
« Ore cbiet à joesdi 11 jours
« Si n'i vaut mais nus Ions sejors.
«: Il n'a que demain entredeus,
' Bien poroit estre si preceus 2480
« Qu'il perdroit la biauté du monde.
« —Comment a non?— Eleanon Blonde.»
Quant Jehans ot Blonde nomer
(1) Une litière à marche pesante, c'est-4i-dire douce. — (2) Loramentum, rênes, har^
nais. — {,1) Ajout, v. 2G14. Voir aux Additions.
ET BLONDE D OXFORD.
163
hache au poiug, dans chaque port ou crique du sud, et lui-
même, avec un gros de chevaliers, se tient à Douvre prêt à se
porter où ii faudra. Précisément, Jehan était arrivé à une lieue
En peu d'eure prist alarmer.
De l'escuier où il vint liés
S'est départis moat coureclés;
Moût dolans à son hostei va
Où Robin , son varlet, trouva.
En pldurant li a dit : « Robin,
2490. c Perdu avons nostre cbemin.
c Cbéas sai de si baut si bas :
« Je soi li plus très cbétis , las
« Qui puisse ne morir ne vivre.
3611 Multfudesagentgrantiaroute:
Et Jehans entr'ax tost se boute ;
Ne ponrquant s'amoar n'ont ii pas.
Tant chevaucent, isnel le pas,
Que bors de Londres sont venu.
Li quens de Clocestre a véu
Jeban ; mais pas ne V connoissoit,
Conques mais véu ne Tavoit.
Si a talent qu'il li demant
2620. Où il va, dont vient , et commant.
Pour sa robe qu'U vit françoise,
Li sambla nés devers Ponloise.
Si vaut à lui parler françois,
Hais sa langue tome en englois.
Jebans premiers le salua
Et Jebans tost respondu a.
c Amis, bien fustes vous vené,
c Cornent fu vostre non pelé?
« — Sire , dist-il , j'ai non Gautier ;
^6i0. « Je sois nés devers Mondidier.
« — Gautier I diable ! ce fu non sot.
« Et ou vole vous aler tôt?
« Cil varlet fou il vostre gent.
« Coi fù munté seul cbeval gent?
c — OU voir, Sire, il est à moi,
« Il me garde ce palefroy.
« — Voel le vous vendre ? Je cater,
« Si vous vol à raison donner.
« Il fout moût b*l pien de deniers.
« — Sire je '1 vendrai volentiers, 3640.
« Fait Jehans , car marcheans sui.
« Se vous volés avoir cestnl
« Prendre voirai de vostre avoir
« Itant com J'en vaurrai avobr :
« Autrement point n'en venderai.
c — Nai, par la goisse bin, nai, nai !
« Qao deble? ce sera trop cbère;
« En vous a bone fote entère (i).
« N'en voelle plus, tiene-vous pès.
« — Sire, dist-il ne n'en puis mais. » 3650.
Assés rist li quens et gaba
De l'avoir qu'il 11 demanda ;
Nepourquant s'il 11 déUvrast
Et tout quanque avoit U donast,
N'eust-ll pas le palefroi.
Car Jehans l'aime autant com soi.
Car il bée sur lui à mettre
Blonde pour santé en lui mètre.
A tant le laissièrent ester,
Si entendirent al errer. 3660.
Vers prime chai une pluie
Qui au conte forment anuie,
Car vestus ert, sur son ceval.
D'une robe de vert cendal.
SI fu moût durement moillie
Ains que la pluie fust faillie.
Ne onques , pour lui garandir.
Ne séat riens desenre vestir.
Ne il ne fu qui li tendlst
Jehans l'esgarde , si s'en rist ; S670.
(1) Bon fon enUer.
164
JEHAN DE DAMMARTIN
de Douvre, dans une épaisse forêt, où prévoyant bien le dan-
ger, il se cache avec Blonde, et tous deux achèvent de manger
les pâtés qu'Us avaient en provision, taudis que Robin se glisse
El li quens, qui bien le vit rire,
U prie qa'il li voelle dire,
Par de foi qu'il doit tous franchis,
€ Por quel cos fate ]eté ris. »
Jehans dist : « Je le vous dirai,
« De mot 06 vous en mentirai :
« Se j'estoie aussi rices hom
€ Corn vous esteb, une maissn
« Tous jours 0 moi emporteroie,
ÎG80. « En quoi mon cors e8Con8erole(l).
c Si ne seroie pas soiiliés,
« N'aussi com vous estes, moilliés. »
De ceste parole se rist
Li quens, et ses compaignons dist :
« Gompainons, avas vous oïs
« Toute le melor sot francis
« Que vous péussiés mai'sgarder?
« Qui me vola pour moi conser
« Fëre 0 moi porter mon meson ?
2690. « Avas vous tendu bon briçon (2) ?
« — Sire, cbascuns d*aus li respont,
« saciés-vous, tout voir francis sunt
« Plus sole c'un nice brebis. »
Jehans entendi bien leur dis ,
Hais il n'en ûst onques sanlant.
Tuit li Englës le vont moquant,
Dient moût a en lui bon sot ;
Jehans se talst , ne respont mot.
Entre lex gabois chevauchèrent
2700. Tant c'une rivière aprochlerent,
Où il convint passer à gué.
Et 11 quens , cui il vint à gré ,
S'embati el gué tout premiers.
Mais ne seul pas les droits sentiers ;
Dou droit cemln se fourvoia
Si que par peu qu'il ne noia. .
En une fosse s'embati
Si que del cheval Tabatl
LI auwe, qui le sousprist par force ;
Si but, de çou ne fai ge force. 2710.
Illuec eust esté noiiés ,
Se tost ne s'i fust avoiiés
Uns peschlères en .j. batel
Que ses jens hukiërent Isnel ;
Car lui secourre aler n'osèrent
Pour U auwe que forment doutèrent;
Mais li peschlères . à esploit.
S'en vint au conte qui buvoit
Mais mie ne s'eny verra,
Plus d'iauwe que de vin i a. 2720.
Li peschières en son batel
Le mlst, dont il li fu moût bel.
Puis s'en vont querre le cheval.
Qui aloit noant (3) contreval;
Du croc le prendent par les règnes,
Puis nagent tant qu'à quelque palnes
Issent de l'autre part à terre.
Et les jens si alèrent querre
Le gué , tant que il le trouvèrent ;
Tout souavet (4} outre passèrent. 27 JO.
Jehans et Robins ensement
Passèrent le gué sagement ,
De l'autre part vienent au conte ,
Qui assés ol eu de honte ,
Car sa cainlure et sa chemise
Et sa cote est en tel point mise,
Jamais ne li aura mestier.
Derrière estoient si sonunier
(l) Àbseonderem. — (2) liai, briccone, bas-lalin brkosut, allem. ver-hrecher : fripoDi
(S) NatâHi, — (4) Salvi/icûtû
BT BLONDE D'oX^ORD.
165
à la découverte du marinier, qui attendait , et de son iiateau.
Jehan avait préalablement frotté le visage de son valet avec
« rherbe qui pâlit, » en sorte que le pauvre Robin, devenu tout
Où ses antres robes estoient ;
3740. De si loing après ans venoient
Que se il les vansist atendre ,
Sans autre robe sèche prendre,
li pèast bien de froit trembler.
Si a tost fait desafabler
Un de ses chevaliers Englès
De chemise et de cote après,
Pals s'en vesti isnelemant.
Et chil va la robe tordant
Qui entor le conte ot esté ;
2750. Pais la vest, n'i a arresté,
Ne devra pas avoir trop caat,
Car froide robe ne II faut*
A tant remontent , si en vont
Loar voie errant acaeillle o[n]t.
Li qaens n'a pas lonc plaît tenu
De çoQ qui il fu avenu :
Pour oublier sa meseslance
 Jehan moquier recomence,
Pour la maison dont il parla ;
2760. Mais partans plus le moquera,
Car Jehans maintenans li dist
Tel cose , dont rire le flst :
« sire, dist- il, encor voel gie ,
« Se vous m'en donds ie congle,
« A vous aprendre un de mes sens?
« — 011, respont li quens tous tens,
« Disa vous çou que vous vola. »
Jehans adont ainsi parla :
« Sire, dist-il, sachiés sans doute,
2770. « Se mener pooie tel route ,
c Com vous faites, par vostre avoir,
« Jà périlleuse iauwe, pour voir,
<c Sans pont, pour riens ne passeroie;
« Mon pont avoeqaes mof merroie,
« Que j'auroie bon et séur,
€ Adont passeroie asséor. »
Tult li Englès , qui l'on ol,
Durement s'en sunt esjoL
Mais 11 quens en a mult grant joie,
Qui cuide que Jehans foloie , 2780.
Moût le tienent toit a bon sot ;
Et Jehans, qui lui moquier ot,
Se taist , ne nui mot ne respont.
En lui gabant chevaucié ont
Tant c'au Senefort aprocièrent ;
Car d'aler forment se coiUèrent.
Moût avoient fait grant Jomée,
Car n'erent fait point d'arrestée
Pour disner ne pour autre cose.
Car li quens Tenre passer n'ose, S7^.
Car il cuidoit avoir s'amie.
Pour ce ne vot arrester mie.
Alns erra toute jour si fort
Qu'ains la nuit vint Osenefort ,
Où li pères Blonte (i) l'atant.
Auqoes (2) aioit ]à anultant
Jehans, qui les sentiers savoit.
Quant du Senefort se dont (?)
Au conte erramment congié prent
Et H quens forment l'en reprent, 2800
Et dist, s'il veut/ qu'il ert à lui ;
Jehans dist que ce n'ert mais hui.
Car ailleurs le convient aler.
« Et où vola vous dont tourner?
« Puisse veoir qu'il fu jà nuit,
c Viene vous haubergier mais huit.
« Où vous me conta vo l>esoing,
« Ou nul tourner vous Je ne doing.
•v^
(1) Cf. Y, 3M. — (2) AliqnêlenU, «n pea { Yoy. 8611,
166
jbhàn de dammartin
pâle comme s'il avait la fièvre, même ridé, et se courbant comme
un vieillard sur un bâton de pommier, passe sans être reconnu
parmi les gardes du comte de Glocester; il en reçoit même de
« — Sire, dist-11, ains que demour
S810. « Ycasdiraipoor coi jem'ento[ajr,
« Antan (l) et auqaes près de chi
« .j. trop bel espervier coisi (3),
« Del avoir soi en tel bretesce
« Que je i tendi ma proueche (3).
« Or vois véoir se je Tai pris. »
Toit li Englès , qui l'entendirent,
Moût l'en moquièrentp malt en rirent.
En li qaens 11 dist : « Amis doai,
«c Vous seras fol, par saint Badoul !
^M « Yostre tendre fa toat pour! ;
« Ne paisse durer daskes chi,
« Ne bretescbe ne oiselète.
« Laisse vous pès, viene voas fête
« Garder de le plus bel porcel (4)
« Dont puisse bomnebaisier mosel.
« Demain la pues veoir bouser (5),
4c A moi se ta voeles aler.
« — Sire, dist'il, sans autre atente,
« Avant irai veoir ma tente.
9830. c Se Dieu plaist, bien venrai a point
« Asnoecbes, ains c'on la voasdolnt. »
Dist li quens : « Alé-vous dont to^t
« De mouser {6} plas je ne vous ost. »
Adont ist Jebans de la route (7),
Qui de lui mokier fa estoute (8).
Mais tex gabe à le fols (9) autrui
Qui 11 gabois (10) revient sour lui.
Ainsi Ûst-il deseur le conte ,
Car aussi com le tmis el conte
Le sens de lui de tant widoit 2840*
Que si tost Blonde avoir caidoit.
Ele n'avoit c'un cuer en lui ;
Si i'ot donné autrui que lui
Bien i parut car à grant paine
Fa de penser mainte semaine.
Blonde la vraie « l'amoareuse,
Moût fadoutans, moût fu soingneuse
Que ne la perdist ses amis
En qui ele avoit son cuer mis.
Hais quant ce vint au parestroit, 3850.
Qu'ele seut que li quens venoit,
Et que ses pères ot mandés
Tous ses parens et assamblés,
Adont ert ses cuers en balance -,
Mais un petit a d'espérance
De cou qu'ele voit qu il ert tans
Que ses amis viegne. Partans
Por çou s'est des dames emblée (il),
Dont laiens est grant l'assamblée.
.j. forgler empli de joiaus (13), 3860.
N'en vaut porter autres torsiaus (13).
Le forgier (U; prent, seule s'entome.
(l) Àntequàm. — (9) Quœtii, — (3) Il fiaut lire : Ii'n tel proueche^ que je y tendis ma
bretesche (engin de guerre ou de cbasse). — (4) La plus belle pucclle. Après avoir fait
dire il son Anglais « pourceau » pour pucelle , il joue encore sur le sens sale de « bouse. »
— (6) Epouser. Voyez encore les vers 3161 et 3346. — (6) Muser, perdre le temps. —
(7) Compagnie de routiers. Cangii giosi. ▼• routa, — (8) Erslulta. insensée. — (9) Ad
illam vieem, parfois. — (10) Gaber, gabois, gabeis, se moquer ; du Scandinave gabba,
ditoni Je suppose un radical latin perdu d'où venait aussi gavittu, — (11) Eloignée,
ambttiata ou involala — (IS) II devait y avoir au moins deux vers avant celui-ci expli-
quant que Blonde se dirigeait vers ce forgier, et que le copiste aura santés. — (13) Trons-
seau. — (U) Forgier on forrier, coffre ferré ou onffre-fort.
ET BLONDB D OXFORD.
167
larges aumônes. Le comte lui donne douze esterlins, ses chevaliers
six deniers chacun, et il gagna bien quarante sols. Le marinier,
auquel il renouvelle la promesse qui lui avait été faite par Jehan,
Basques au périer ne «ejome
Où leur coDgiés eat esté pris,
Et li jours del revenir mis.
Hais encor ni ert pas Jehans,
Dont Blonde eut au caergransabans.
Le postis est alée oavrir
Par où Jehans devoit venir ;
3870. S'escoute et oreille , et regarde
S'ele l'orroit, car moût li tarde.
Mais encor pas Jelians ne vient
3085 Si se siéent en dementlers (i)
Li dui conte , et chii de Glocestre
LI commence à conter de l'estre
Jelian , que il avoit véu ,
Hais ne l'avoit pas connéu.
S090. Dont li conte et dist : « Sire quens,
« Onques mes ne ta sot si boens
« Comme .j. francis qui bul vena
« 0 mol j et mervelles disa.
« Il plouvina bien par matin
« SI que bien fui moulllié en fin
« Hon cote , que j'ava vestu.
« Pour çou me disa , se il fu
4c SI riche , que fera porter
« Une maison pour soi conser.
3100. « Et plus me disa il encor :
« Je vols cbater (-2) palefroi sor,
« Qui fu par devers lui mené,
« Bêle lorain , bêle selé.
« Quant il fu demandé pour vendre
« Si me disa qu'il voira prendre
« Son volonté d'avoir que j'ai ;
4c Hais je li fis respondu nai.
c Assés fa ganes (3) de tex mox ;
« Hais par la golsse bien plus sox
« Sera pais d'un autre busoiog silO.
« Que jechevauchai, pour grantsoing
« Que j'ava de celui prochier.
« Se cevauça devant premier,
« Tant qu'en un rivier me bati ;
« Hais en .j. grant fossé flati.
« Hon cheval , si sera chéu,
« Par peu je n'ara trop béa.
« Une pécheurs me rivela
« Tout outre le rivier de la ,
« Et mon palefroi griolé ; 3130.
« Dont vinrent mon gent tôt dolé
« Pour çou k'ii me sera venu.
« Tout mon drap fu tost devestu,
« Pris plus seces d'un cbevalier
« Qui commença les miens saler,
« Puis fui monté, sans plos demoar;
« Dont parla le bon sot françor
« A moi , et disa tel merveii :
« SI sera d'avoir ml pareil ,
« Tous tens, quant voira ceminer, 3180.
« Fera , pour son cors, pont mener
« Puis sera passés sans redout.
« Âdont le ganames trestout
« Et moût en eusmes bon feste,
« Dont m'en va Tamblée sans areste.
« Tout ria de cest sot francis,
« Hais partans aura je plus pris.
€ Quant près ceste vile vena
(1) Pendant ce temps. On troave aassi endementre», detnentre; ital. mentré. C'est
in^dûm-ittterea, comme le lendemain, qui devrait être et avait été d'abord l'endemain
est in^e-manè {proximo). On trouve encore « entrementiers , » interdum infère». —
(2) Acheter; voy. v. 2637. — (3) Trompé? Voy, v. 3133.
168
JBHATV DE MMMABTIN
de Tenrichir pour toute sa vie s'il pouvait le passer en France,
se montre tout dévoué. 11 promet une chaude assistance, fournit
Robin de bonnes armes, enivre les espions du comte avec un
« Partement de moi demanda ;
3140. « Mais je ne li vola donner
« S'il ne me disa son aler.
« Dont me disa on bon sotie :
« Qa'ii fa an an toate compile
« Qa'ava tendu en un vergier,
« U bel brechesse k un pervier,
« S'ira veoir s'il sera pris.
« Sacés-vouft bien que dont fui ris ;
« Et se ii disa: bel ami,
« Ton tendre fu Irestoat pouri.
3150. « Hais vlene vous o moi jouer
€ Si verras bel pourcel pouser.
« Onques ne se vola venir,
« Àins se fu partis grant air ;
« Ne sara plos que il devint,
« Or savas comment tout avint. »
3340 ... .Or entent 11 quens de Ciocestre
Que ii ne paet autrement estre.
Si U fait ire le cuer fondre
Qu'en grant piecenepuetrespondre;
Mais en la fin a respondu :
« Lasse ! dolant, j'a tout perdu,
« Mon douce amie, bel pourcel (l) !
« Mais je le siurrai si isnel
« Que je la prendrai en la mer.
« Toutes les pors fera garder,
33^. c Ainsi porront estre trapés.
« Puis fera pendre sur .1j. pés
« La mauvaise laron franchis ,
« Qui si dolent a men cuer mis.
« Puis fera Blonde repentir
« De mal que me faisa sentir.
€ Convient faire grant pénitance
« Pour mon dolor, pour mon pesance
« Avant que moi se puist corder
c Convient qu'ele voist fermer
€ La bart entor cor son ami , 3360.
« Don sera bien venglé de li.
« Pois en fort prison le metra ,
« Tant que bien comparé ara
« Son grant soti et son méfiait ;
« Bien saurai moi vengier du fait »
Blonde, qui ne l'ose desdire, 3976.
Ses armeures U atire (2).
Primes vest unes espaulières
De boure de soie mult chières.
En son cbief mist un bacinet 3980.
Fort et tenant , et bel et net.
Après a vestu .j. hauberc ,
Il n'ot .j. milleur dusk'à Merc (3).
Bien le cbaint Bionte d'un tissu
Qu'ele meismes ot tissu.
En son chief une galandescbe (4),
Qui estoit de l'uevre galesce (5;,
Li lâcha sa très douce amie.
(1) On voit bien ici qot* la {.Uisanlerie consiste 2i (aire confondre par l'anglais pucelie
et pourcel. ~~- (2) Arrange; atiramentum, attirail; tirare, dans le sens de trahere,
est très-nsilé en bas latin. Atire et attire sont donc le même mot dont la Torce a aug-
■enté avec le temps. — (3) Maroc? ~ (4) Diminoiif de gallanda, garlanda, ital.
^At'r/antfa, guirlande, qoe les anciens étymologisles tiraient simplement et naturellement
du latin et bas latin gyrus, gyrare, girulare. Diez s*y oppose parce que l'accent ne repose
pas sur la même syllablc dans les deux ordres de mots , et propose l'ancien haut germain
yfiûru, eoaronne! Littré le suit, toalen acceptant gyrare pour girandole, girouette , et
en le méconnaissant dans giron. — (5) De Galice.
ET BLONDE D OXFORD.
169
baril de vin du Rhin pour qu'ils ne Tarrèfent point au passage,
et garnit sa barque de vingt jeunes bacheliers résolus à la bien
défendre. En apprenant les nouvelles que son valet lui apporte,
Ses bêles mains n'espargne mie
S990. À lai servir. Tant bêlement
Le sert que se tout son vivant
Bust usé de tel mestier
Si s'en seat ele bien aidier.
Ne doit estre de cuer faillis
Qui de tel servant est servis.
Seor son haubert vest .j. pnuî'polnt
De nul mineur, ne deiranc point.
Par deseure a cbairle s'espée,
Qui fu trencans et amourée (i).
i"it9 ftcole s'am'e et baise ,
Et dist : X Or jioiiés tout aaise,
« Amie y et ne doutés rien ;
« Car de tant vous asséur bien
AfiOfi
Si qu'entour aus assés clere voient. 1020.
La grant ambléure s'avoient (5)
Duskes adont que au port vinrent.
Blonde et Robin joignant se tinrent
DeJeban, qui estoit entr'aus.
Tant ont erré quil virent ciaus,
Qui pour bien mie ne's atendent.
Quant les espies les entendent,
Il salent (6) sus isnelement.
Li uns des .iiij. Blonde prent
Par le lorain, et U dist : « Dame, 4030
« Vous arresterés chi , par m'amel
« Fols fu qui vous prist en conduit,
« De maie mort morra anuit (7). »
Jehans 11 a dit : « Vous mentes.
« Se nous trouvons qui mal nous voelie,« Se vous m*espée ne sentes
« Se m'espée u cors ne U moelle (2) « Jamais ne me pris (8) . j denier. »
« Jamais ne quier, à nesun jour. Atant l'a traist sans atargier ;
« Avoir joie de vostre amour. S'en flert celui parmi la teste
« — Mesdousamis,cberespontBlonde,sl grant cop que 11 bras n'arreste
« Or nous consaut (3) li rois du monde.» Devant quHl 11 vient au menton.
4040.
4010. A tant se fu armés Robins
D'un pourpoint, qui fu doubientins ;
De fer eut ou cief capelier,
Et à son cbaint coutel d'acbier.
Puis a les chevax effrénés
Et devant Jeban amenés.
Jebans a s'amie montée ,
Puis est montés sans demonrée.
A tant acuellent à esploit
Leur oirre (4) . La lune luisoit
Puis li a dit : « Outre , glouton,
« Trop paréus le cuer vilain
« Quant à m'amie méis main. »
Quant li autre troi celui virent
Froit mort, Jehan fort assalirent.
Et Jehans pour leur cox guencist (9)
Si ke les .ij. falir en flst,
Et 11 tiers a tel cop féru
Que dei hauberc mailllé menu
Li a .j. pan desons osté.
4050.
(1) Aiguisée. L'amure est le tranehani et par extension la lame. Le baron empoignant
son épée « contre le fiel valt l'amare tarnant » (ch. de Roland, str. 89). C'est ampu
Utiorum. — (2} Verbe paraissant formé sor nn diminutif de mopere, — (8) Cùniiliet
poor eomilietur. — (4) Se adcolligunt ad explicilum fefflciendumj illorum ilerare. —
(6) Barb. adviaticant. — (6) Voy. Manek,, v. 1174. — (T) Ad noctem, tantAt, avant
demain. — (8) Qu'on ne me prise. — (9) Voir aux Addition».
170
JEHAN DS DAMMARTIN
Jehan , malgré le tendre efhroi de son amie, s'apprête au combat
et commence par fondre sur les quatre sentinelles du comte;
aidé de Robin, puis du marinier, il les met toutes quatre à mort;
Lé jenoail li east colpé
Se il n'éust banque (l) de fer,
Ensi coin deables d'enfer.
Aia la hace jusqu'en terre ;
Jehans le voit , li cuers li sëre.
Par si grant maitalent le fiert
De Tespée , qui trencans ert ,
Ke le bras , o (2) toute la bâche ,
Li abati emmi le place.
4060. Quant li ribaus ainsi se voit ,
Que l'un des bras perdu avoit ,
Fuis s'en est de la mellée,
Et prent son cor, sans demort^e ;
Si corne de si grant aïr
Qu'il se ûst à i'ostôl oïr,
Où li quens ert , qui ne dort mie.
Quant il entendi la bondie (3)
Bien set que Jehans est au port,
Si a crié as armes, fort.
4070. A dont s'arment sans longue alente,
Et Jehans a au port entente.
Des .ij. qui encore erent sain
Robins, le coutel en sa mam,
En vient à l'un, si le feri
Si k'il l'abat mort si seri (4)
C'après le cop ne se plaint ,
Car del coutel au cuer le point,
A tant li maroniers oï
Le cor, dont pas ne s'esjoï.
Bien set Jehans est assalis ; 40A0.
Hors de sa nef est tost salis ,
Au corneur le cours (5) en vient,
De la gise arme que il tient
Li a fait la teste voler :
« Ribaus, dist-ii, or pues corner ;
« Coment que Jehans en avlegne
« Necroimaisquenusbienteviegne. »
Quant li quart, qui encor fu vis.
Vit tous ses compaignons ocis,
Enfuianl, ou qu'il puet randonne (6), 4090.
Et en fuiant, .j. court mot sonne
Del cor que 11 avoit au col.
Hais or se tient Jehans à fol
S'il ne li vent bien son corner.
Dont commence à esperonner,
Quanqu'il puet courre après lui,
En peu d'eure Ta consivi *.
Si le flert si el haterel (7)
Que par le milieu del cervel
Li mist s'espée dusk'as dens , 4100.
Et il est mort chéus as dens ;
Puis est acourus vers s amie.
Et li maroniers ne detrie (8),
Ains vieut à aos , si les salue.
Puis dist : « Jehan, en vostre ajuwe
« Sui ci venus pour vous aidier.
« Bien l'avés fait au commencier,
« Mais ore en venés sans demeure,
(8) La hanche , anca, ancha, hancha, ayxoç. — (2) Le scribe a mis ot, » (3) Reten-
tissement; de bombus, bombitare, dit-on. — (4) Ci-desKas , p. 124, n. 1. — (5) Cursus,
il court i lai. — (6) Verbe formé snr l'expression « randonée, randonnée, conrir k ran-
don. » C'est : ad redditionem on ad renitionem (barb. de renuer^f, renutare, renitil),
courir jusqu'à ce qu'on n'en puisse ou n'en veuille plus. — (7) La nuque , le cou. On ne
sait d'où vient ce hasterrl; toutefois on peut lui supposer une parenté avec hanstus,
et y voir l'appareil servant ii puiser ce qni est nécessaire à la vie — (8) De-trirat,
tricatur.
BT BLONDS D'OXFORP.
171
mais Tune d'elles a eu le temps de sonner du cor pour avertir
le comte de Glocester, et celui-ci accourt avec tous ses cheva-
liers (3976). Gr&ce a son excellent cheval anglais, Morel, le comte
€ Ça vous ne garderés jà l'eare
4110. « Que li qaens et sa gent venrront,
« Car leor cornés bien oïs ont. »
El Jehans moat le mercia
De l'aide que de 11 a.
Aassi flst Blonde dorement,
Puis 8*arroatent isnelement,
Hais ains qu'à la nef paissent estre
Vint poignant (l) li qaens de Clocestre
Sur Morel son poignant (2) destrier,
El pals n'ot millour coursier
4458. Hout fu li quens plains de grant ire,
Si grant nus ne le poroit dire,
4460. Quant voit qu'il a Bionde perdue,
Et se jeut morte et confondue,
Bt lui aussi navré el cors.
As vis (3) a fait cargier les mors
Et dedens le moustier porter,
Pour aus a fait messe canter,
Après les a fait enfouir.
Pour lui et les navrés garir
Manda mires , sans nule faute (4).
La plaie qii'il ot en i'espanle
4470. Fist tenter et apparillier,
Car il en avoit grant mestier.
Puis s'en llst porter en iilière
Duskes en son pals arrière -,
Car il n'eut qui li consillast
C'après Jehan en France alast :
« Quant tant avons perdu de chà
« Assés tost perdrions de là.
« Ce sont debles et anemis
« En combatre de par Francis.
4480. « Deble puissent vers aus aier !
« Lesse vous vo pourcei pouser
« Vous trouvera pourcei plenté ;
c N'as plus vers ceste volenté.
« Vous disa bien, dist U quens, nai ;
« Mauvais sont et que faire n'ai. »
Aussi n'eut des meures Renars
Quant failli eut de toutes pars
Et U vit nule n'en auroit ,
Dont dist que cure n'en avoit
Aussi flst li quens de Clocestre, UM.
Quant vU qu' autrement ne poet estre,
Il dist que il n'en aroit cure.
Tant ot à ester mise cure,
Dolans et mas et esbabis ,
Qu'il revinrent en leur pals ;
Ensi li quens Blonde perdi.
De lui desor mais plus ne di ,
Ains vous conterai des amans
Qui en la nef furent joians
De çou k'il sont escapé vis 4500.
Des assaus de leur anemis.
Or dist li contes : sans targier
Vinrent de Bouloige el gravier.
Li dui amant issirent fors ,
En la vile en entrèrent lors
El mineur ostei qu'il séussent.
Or ne cuidiés pas qu'il n'eussent
Avoec aus le bon maronier,
Qui leur eut en tel mestier.
Si eurent , et tant le mercient 4510.
Que plus de V" fois li dient
Que moût très bien U meriront (5;.
Mais pour leur plaies mandé ont
Un mire , qui en Boloigne ert.
(1) Pungens. — (2) Pugnans. — (3) Aax vivaots. — (4) Sans d^lai, (alla est latii.
mais avec le sons de fausseté, — (6) UN mernerunt, mertnt.
173
JEHAN DB DAMMARTIN
était fort en avant de sa troupe. Jehan profite habilement de
celte chance, attaque son adversaire, le renverse, le démonte,
et quand les autres arrivent il caracolait déjà sur Morel. Mais
Jcil iear plaies cerice et quiert
Puis dist que nul péril ni a,
Tex emplastres dessus lia
Qu'en .ili]. jours qae Jehans fa
A Bouloigne , tous garis fa.
4Î30. Si qae il peut bien chevaucier
Dont n'i eut point del atargier.
A son yoloir paia le mire,
Et au maronnier prist à dire
Qa'll li renvoleroit deniers
Procbainement , .ilij. sestiers;
Li maroniers moat Ten Diercie.
Un matin, à l'aube esclarcie,
Se fu Jebans apparilliés ,
N'ot mie vestu robe vies ,
4530. Car )l l'avoit noeve achetée,
Blonde r'est erroment montée.
Tuit troi montent, Iear voie acuellent,
Or n'est-ii riens dont ii se duellent.
Li maroniers demeure arriers
Et avoec lai ses batilllers.
Li doi amant la nuit coitierent (i)
Que droit à Hedin herbegierent,
C'est ans biaus castiaus en Artois.
Jehans qui tondis fu courtois,
4540. Servi 8*amie bel et bien,
Celé nuit ne leur failli rien
Lendemain, quant le Jor parçurent,
Errèrent tant que la nuit jurent
A Corbie , un noble castel.
Et lendemain , tost et isnel ,
Le droit chemin racueilll ont
Tant qu'au soir vinrent à Glermont.
Là furent à aise la nuit.
Tant avolent joie et déduit
Li un de l'autre compaignier 4550.
D'entr'acoler et de baisier
Que la disme n'en conteroie
Quant lonc tans pensé j'aroie.
Car et poisson eurent plenté
Et bon vin à leur volenté.
Si tost com la nuis fu passée
Et U parçurent la journée ,
Jehans commanda à Robin
Que lost s'en volst à Dant Martin
Pour dire ses sereurs noveles 4560.
Et pour faire les maisons bêles.
A tex paroles sont monté
A saniour; a Jehans douté (2}
Son oste pour lui bien palier.
De Clermont issent sans targier
Et Robins d'aus à tant se part.
Bien fu montés deseur Liart ,
Et Jehans sist deseur Morel.
Tant se pena d'aler innel
Robins, qu'à Dant Martin s'en vint, 4570.
Ne d'esplditier ne se retint
Devant qu'il trova les .ij. suers (3),
Qui grant joie eurent à leur cuers,
Quant Robins leur eut aconté
Le sens , le blauté , le bonté
De Blonde qu'amaine Jehans.
Tant sont les puceles jolans
De ces noveles c'ont oies ,
Onques mais ne furent si lies.
Les maisons Usent baloijer, 4580
Deseure et desous netoijer,
Pois mandent parens et coushis,
Ensement leur prochains voisins,
Ensi l'eut Jehans commandé.
(l) Quietarunt, — (2) Doié. — ^3) Le copiste a mis : Iw deox sues.
ET BLONDE D OXFORD.
17S
ses deux compagnons et lui sont bientôt accablés par le nombre;
peu s*en faut que Blonde ne soit prise, et ce n'est que criblés
de blessures, grâce encore à l'assistance des mariniers, qu'ils
Ses .iij. frères ot toas mandé,
Qai à Paris o le roi sont;
Demain ains qu'il soitjors venront.
Robins ne fa lens ne escars (i) ,
Ains use venir poissons et cars
4590. Et Tins d'Ançoirre et d'Orlenois,
Qui sont bon à boire en tous mois.
Après revolt à el entendre.
(2)
Bien se sent de tout entremettre :
Sur les hestous {$) list taules mettre,
Pain flst venir ou boulengier,
Panetier flst et boutillier.
Ainsi comme il vit faire à court
Après à la quisine court
4600. U il avoit à planté keus ,
Qui avoient aguisié alLeus (4)
Leur couliaus, pour faire hastiers (5).
Et gens vinrent endementiers,
Selonc çou que il près manoient,
Et à Robin tuit demandoient
Des noveles. l\ leur en dist
Tant qu'en moût grantjoie les mist,
Car del bien Jehan moût lie sont
Et les .ij. suers Jehan, que font?
4610. Leur cors appareillent et vestent;
Au plus tost que pueent s'aprestent
Pour recuellir Blonde à honeur.
Et feurent mandé , sans demeur,
A un mercier .xxx. cendaus ,
Et les tailleurs avoec aus ,
Robes font faire sans délai.
Ensl tout joiant , k cuer gai,
Atendent Jehan et s'amle ,
Qui trop ne se coitièrent (6) mie
D'errer, pour çou que il voloient 4620.
Trouver tout prest quant il venroient.
Si feront il, tout est jà prest.
Contre ie vespre , sans arrest
Issirent hors, cil de la vile,
Mien essient , plus de troi mile
Pour aus veoir et bien vegnitr.
Cil à cheval , sans atargler,
Jehan et s'amle encontrerent ;
Hout hautement les bien vignierent.
Cascnns disoit : « Li rois del monde 4630.
« Doinst à Jehan joie et à Blonde !
« Bien devons amer et chierir
« Qui en cest paï4 fait venir
« Damoisele à si grant biauté ;
« Miex en vaurra la roialté. »
Ainsi disoient tuit et toutes.
Et Blonde respondoit as routes (7)
Que Dix leur doinst bone aventure.
Ensl la petite ambléure
Vont tant saluant et parlant 4640.
C'a rostel vinrent à itant
Plus de vint chevalier vont tendre
Lour bras pour la bêle descendre.
Au descendre n'eut nul ahan.
Es vous les .y. sereurs Jehan
Qui le bien viegnent^ans arreste.
Moutsontlor cuerpUdn de grant feste,
Si bêle fu leur acointance
(1) Avare; Yoy. Uanek,^ t, 6164. Noos aTons plus loin , v. 4910, 4 etcêri, k l'éconoasie»
— (S) Un vers passé. — (3) Extoltû, barb. de extollere; on pou les tables sar lears pieds
mobiles. .Ce n*est pas ettâus. » (4) ÀcuUt. — (5) Ponr mettre à la broehe. — (6) Le
sens iei serait att contraire c tnqaietaTeront i> Yoyes v. 4536. — (7) Anx fonles.
174
JEHAIS* DE DA MM ART IN
parvieDneni à s'embarquer. Ils laissent le comte gisant sur la
grève, blessé, furieux et désolé, tandis qu'ils gagnent la côte
française (4 i58), Boulogne, puisHesdin, Corbie, Clermont, et
Qae bien doit estre en ramenbrance.
d^50. ' Atant entrèrent en la sale,
Qui n'estoit mie orde ne sale ;
Hais bêle et nete et balolé.
Mainte taule i avoit drecié.
Les .ij. seroursBlonde emmenèrent,
Qui de li servir se penerent
Es cbambres, pour cangier sa robe.
Une en resti , qui mont fu noble,
D'une escarlate tainte en grainne (i).
Puis revint en la sale plaine
4660. Des chevaliers et des serjans.
Entr'aus ert la parole grans
De la biauté dont virent Blonde ;
Tuit dient n'a pareil u monde.
Atant s'assisent au souper :
Qui vaurroit lor mes acouter
Il feroit trop longbe demeure.
Jehans les sert tous et boneure,
Qui bel entre mettre se sot,
Car tontes boneurs apris ot.
4670. Tant vbi leur donna et tant mes
Que de tant n'eut servi ains mes.
Quant soupe orent si fu nuis ;
Toute nuit carolèrent puis
Dusk'à tant qu'il dut ajourner.
Adont s'aierent reposer
Dnskes à tant qu'il fu grans jors,
Or n'i eut mais plus lonc sejor
Jebans , que s'amie ne pregne.
Si frère, dont la joie engraigne (2),
4680. Vinrent bien matin de Paris.
Ne furent pas leur cuer maris
Quant il ot Blonde saluée
Et il ot si beie esgardée;
Hout en furent joiant et lie.
A tant eut l'on apparillie
L'autel pour la messe canter
Je ne sai qui ala conter
As menestreus celé feste ;
Car plus de trente , sans arreste,
En i vinrent, mien escient. 4690
Chevaliers i eut plus de cent.
Et bien .ij''. de dames bêles
Que puceles que damoiseles;
Et encor plus en i eust
Se la feste atargié fust,
Jebans ne l'osa plus targier,
Tous jors se doutoit d'encombrier.
A tant fu Blonde apparillie
Cote de drap d'or bien taillie
Avoit, et à son col mantel 4700.
Bien en vaioient 11 tassel (3) ,
Mien escient, .xiiij. mars.
Si biau cevel erent espars
Lascement mis à une trece.
Ne fu mie plains de perece
Qui teus les iist -, car dusk'au çaint (4)
S'estoient jà tout entrataint (5),
Plus biaus que je ne devisai
Au premier quant de li pariai (6) r
Autre devise n'en voel faire , 4710.
Fors tant que sa biautés esclaire
Treslous les Ueus où ele vient.
Uns capeles ses cbevex tient
Qui ert de fin or reluisant.
Un frumal eut el pis devant
De chiaus qu'el aporté avoit.
(1) Cramoisi , grenat. — (2) tn^grandescif. — (3) Les franges. — (i) Ceintare. —
(5j InterattinetU barb. pour âttacti. — (6) A« vers 252.
BT BLONDE d'OXFORD.
175
bieutôt Dammartin. Les sœurs de Jehan, foule la parenté, toul le
voisinage les reçoivent pompeusement, et quelques jours après
les marient de même. Félicité des deux jeunes époux. Cependant
Li rois nul plas rice n'avoit.
Ele eat aumosniere et çaintore,
Entant comme li siècles dure
4730. Ne fost sa pareille trouvée.
D'or et de pieres ert ouvrée
Et de pelles gros comme pois ;
Qui la flst plus i mist d'un mois,
C. livres mien essient vaut
À tant es vous venu en haut
Le prestre dedens la capele.
Par non Jehan et Blonde apele ,
Puis demanda, chascun par soi,
S'il voellent estre ensamble , à loy.
4730. S'ainsi dire ne convenist,
Gascuns d'eus .y. à sot tenist
Le prestre de cel demant faire ,
Qu'il n'est riens qui tant leur pust plaire,
Ne dont aient tel desirier ;
Si ont respondu , sans targier,
Que de cuer bonnement le voellent,
De ce dire point ne se duelent.
Âlant a prise la fiance
Gascuns d'aus de ceste aliance (1).
4740. Bspousé sunt, au moustierVont,
Et le service escoutô ont
Après la messe s'en retornént,
Rt pour disner leur cors atoment.
Li chevalier Blonde arresterent,
Pour mengier seoir la menèrent.
Lour mes ne vous vol deviser
Fors tant qu'il orent biau disner.
Après disner 1 eut vieles ,
Muses et harpes et freteles ,
4750. Qui font si douces mélodies ,
Plus douces ne furent oïes.
Après coururent as caroles
Où eut canté mainte paroles ;
Selonc çou que Jehans eut gent
Se contint cel jor bel et gent
Par tans s'il puet plus en aura,
Gar chevaliers estre voira
De la main au roi Loéis ,
Qui n'estoit mie loéis (2).
Noeces ki furent si hastées 4760.
Ne furent ains miex devisées ;
Qui i fu il eut son voloir
Ne ne fist riens son cuer doloir.
Joie eut toute jour démenée ,
Mainte canchon i eut cantée.
Quant il ta vespres si souperent ,
Après souper recarolerent
Tant qu'il fu de nuit une pièce.
A tant la carole depiece ;
Si burent et puis vont jeslr, 4770.
Dont Jehans avoit grant désir.
Le jour ont bêle compaignie 4876.
Et les nuis r'ont si douce vie
Qu'il n'est nus qui le séust dire.
Ne clers qui le séust descrire.
Il n'est nus ki leur nuise mes , 4880.
Fors, sans plus, con voilier la pès
Dou bon conte de Senefort ,
Mais moût s'en vaurront pener fort;
D'autre part d'estre chevaliers
K'avoit Jehans grant desiriers.
Quant il eut séjourné .viij. jours
Avoec celé où sont ses amours,
Si dist Jehans qu'il veut aier,
(1) Ce fers est écrit deux fols. — (2) Minime laudatus oa laudabilis, non appronvé,
c'est-Mire qni n^arait pas k demander la permission d'on soserain pour passer nn aete.
176
JEHAN DE DAMMARTIN
Jehan part au bout de huit jours (4870) ; il veut aller trouver le
roliLois pour implorer sa médiation auprès du comte d'Oxfort,
et aussi pour Tinviter à venir honorer de sa présence une fête
Se il li plest , au roi parler :
4890. « Car je le voel de cuer requerra
« Que il envoit en Engleterre,
« À vostre père , et qu'il li mant
<c Pour Diu k'il face acordement
« À vous et ensement à moi.
« Se li rois l'em prie , je croi ,
« Il est si bons et si preudom ,
4c Que tost auron de lui pardom.
« Apres, combien que il me couste,
« Li prierai c'a pentecouste
4900. « Me viegne faire honour et feste.
« Ce jour vaurrâi faire grant feste,
« Car il me fera chevalier
« Et mes frères que j'ai tant cbier. »
Blonde l'entent, moût bien l'otroie;
À tant aqueut (D Jehans sa voie.
Congié prent . à Paris s'en va ,
Où le roi Loeis trouva ;
A son ostel est descendus
Puis s'en est à la court venus.
4910. Ne vint pas si à escari (2) ,
X. chevaliers'nôust o lui,
Et ses frères que moût amoit.
Dusques au Roi en vint tôt droit ,
Si le salua erroment,
Et li rois deboinairement
Li a dit : « Jehan , bien viegnies,
« De vostre aventure sui lies.
« La novele m'a l'en contée ;
« Vostre amie avés espousée
4930. « Qui au premier fu vostre dame.
« —Sire, on vous dist voir par m'arae;
« Par sa grant deboinaireté
« M'a geté hors de la durté
« Qui en moi éust la mort mise
« Se pilé n'éust pour moi prise.
« Hais à vous vieng, comme à signeur
« A qui je doi foi et honneur ;
« Si vous pri que vous envoies
« A Oseneforl, et proiiés
« Mon signeur, se mal cuer nous porte, 4930.
« Pour pitié, que il s'en déporte;
«c Se fait li ai desavenant
« Je l'ai fait sur moi desfendant.
.... « Or vous pri que vous 11 priiés 4950.
« Que s'il en est vers moi iriés,
« Que son maltalent nous pardoinst
c Et sa grasce et s'amour nous doinst.
« Après vous pri c'a pentecouste,
« Où mainte grant feste s'ajouste,
« Voeillés à Dant Martin venir.
« Cel jour vaurrai fesle tenir,
« Se il vous plaist, itant vous quier
€ Que vous me faites chevalier
« Et mes trois frères, qui ci sont, 4960.
« Qui moût grant convoitise en ont.
c Se il vous plaist, rois deboinaires,
« Voelle vous plaire cis afaires. »
Li Rois respont : « Jehan , amis,
€ Tant a Dix en vous de bien mis
« Que de vostre honour ne (3} me duel.
« Vostre requeste faire voel,
« Et encor, pour vostre avantage,
« Vous doing à tous jors en hommage
« La vile dont portés le non 4970.
c Dammartin aurés de mon don.
« Or voel que vous en soilés quens
« Pailli aurés, qui vous ert buens,
« Et Monmeliant de desus ;
(1) Voj. V, 116. ~ (â) Voy. V. 4688. — (3) Lisex Je me diel.
BT BLONDI D OXFORD.
177
qu'il veut donner, le jour de la Pentecôte > à Dammartin. Il re-
quiert aussi le roi de l'armer chevalier, ainsi que ses trois frères.
Le bon roi Louis, comme le poète l'appelle, c'est-à-dire saint
« Vj. mile livres vaut et plas,
€ La tere que J'ai chi nommée
€ En la lettre sera dltée
« Ki en Engleterre en ira.
« Mes séaos U tiemoignera
4980. « Que de Dammartin estes sires.
« Jà puis ne devra avoir ires
c Se voas avés sa flUe prise ,
c Car ele s'est en bon lien mise. »
Jehans Tentent, tant en est liés
Qa'à Jenous H va dusk'as pies ;
Le soller li east baisié ,
Hais U rois Ta amont drecié.
Errant son homage pris a
De la tere qu'il devisa;
4990. Et en après l'en a saisi
D'an gant, dont il se dessaisi;
Folie Jeban demenast
Se il le roi n'en merciast.
Li sens que Dieos ent en li mis
Li ûst avoir des bons amis.
Li rois a apelé isnel
Celai qui portoi son seel ,
Si U dist iL'il seelera
Tex leUres com Jehans voira ;
5000. Une chartre de la conté,
Dont il li a faite bonté ;
Et une lettres de priiere
Vers le père à s'amle cbiere.
Fait fa puis ke li rois lot dit,
Tost fil seelé et escrit ;
Pais apela .ij. chevaliers ,
Qal erent de ses consllliers ,
SI leur a dit qu'il s'en iront
Vers Engletere , et porteront
Ses lettres à Osenefort; 5010.
Le conte dient c'àjbon port
Est sa ûlle en France venae ,
Car des bons ert plas chier tenaa;
Et s'est de Dammartin contesse.
c Dites li bien qu'U s'esleeche (1),
c Que sa fille est bien assenée. »
Li chevaliers qui il agrée
Dient que deboinalremeot
Feront le sien commandement,
Car de l'onoor Jehan sont lie. 5090.
Or VOUS seront U non noncle
De chiaus qui i forent tramis :
Li uns ot non mesire Gois ,
LI secons mesire Guillaames ;
N'en avoit pas trois el roiaume
Qui un message miex féissent
Pour paine que 11 i méissent.
Leur oirre (2) apparellent le soir,
Car au matin vaurront mouvoir.
A tant ala soaper 11 rois, 5030.
Qui mont fa sages et cortois.
Jehans, qui ot le cors metable (3)
Servi devant lui à le table ;
Et si frères , qui au roi sont ,
Reservent aval et amont.
Âssés eurent à grant faison
Bons vins, bone chars, bons poissons.
Après soaper dusk'à la nuit
(1) Se exuUet. Ao lit. I des Rois (I , eh. 2) on a : < Mis qners est nlêexciis et
mis Hz en des eshaieUz » pour : SxuUavU cor mevm in domino et exaltatum est
coma meam in deo meo. — (2) Itinerem, — (8) On pevt hardiment proposer le
haibarisme metabilis, mesuré , proportionné.
T. VIII. 12
178
JEHAN DE DAMMARTIN
Louis, exauce toutes ces prières et les outrepasse même de beau-
coup, car sur les bons rapports qu'on lui a faits de Jeban, dit-il,
il commence par lui donner la ville et seigneurie de Dammartin
Alerent sur Saine en déduit.
5040. En Jeban n'eat qae ensîgnier,
Mont seut la nuit bel compaignier
Les chevaliers Guillaume et Gui ,
Qui en message iront pour lui.
Quant il fu tans couchier alerent ;
Au matin plus ne sejomerent
Guillaume et Gais, ançois s'esvellent,
Si se hachent (l) et appareillent.
Leur garçon et lear escuiers
Sans arrest troussent lor sommiers;
5050. Et Jehans et ses compaignons
Furent Jk montés es arçons (2).
Car aler veut un peu leur voie
Pour faire compaignie et joie.
À tant acuellent leur cemin :
De Paris issirent matin ,
Parmi Saint Denis chevaucerent
Dusk'à Luisarces ne finerent ,
Où leur disners estoit jà quis (3).
Car .j. !eur keu, qui en ert duis (4),
5060. Avoicnt devant envoiié ,
Qui leur eut tout apparillié.
Disner eurent à leur talent
Après disner ne furent lent ,
Ançois acueiUirent leur voie.
Et Jehans encor le\ir convoie
Tant que de Luisarces issirent,
Tantost com furenthors, dont dirent
A Jehan, U dui chevaUer,
Par anours, qu'U s'en voist arrier.
5070. Jehans leur dist : quant U leur plest
D'ans se partira sans arrest.
Atant a Robin apelé ,
Qui eut cheval bien enselé ,
Si li dist que sans arrester
Voist avoec ans doslc'a la mer.
Et die au maronier loial
Que il les passe outre sans mal,
Et râpasse à leur revenir,
Et puis voelie avoec aus venir
A Dant Martin à pentecouste, 5080.
Et ne le laist, pour riens qu'il couste.
Robins respont bien li dira ,
Volontiers avoec aus ira.
Atant prist Jehans le congié.
Mais ançois lour ot mont priié
Son signour dient de par lui ,
Que il U prie, pour Dieu, merci;
Il dient que bien li diront.
Atant départent , si s'en vont
Li dui chevalier vers la mer, 5090.
Et Jehans où il doit amer.
De Dant Martin prendent la voie.
Mais ses frères devant envoie
Pour apparUlier le doignon
Dont 11 rois li avoit fait don.
De chevaucer se bastent tant
C'a Blonde sont venu bâtant.
Si li ont tout dit et conté
L'amour, l'onnour et la bonté
Que li rois ot faite Jehan. 5ioo.
Ne li firent par grant ahan
Quant il li dient que contesse
Ert de Dammartin , sans promesse,
Et que li rois en Engleterre
A envoiiet pour sa pais querre ,
Et qu'à pentecouste venroit
(1) S'appellent, hûc vocare, -« (2) Diruinulif de arc, courbure de la selle. — (3) Com-
mandé, quo'titum. •- (4) Ductus, qui était de Lusarclias.
ET BLONDE D OXFORD.
179
avec le titre de comte. Puis il envoyé deux de ses chevaliers en
Angleterre (5196). Voyant dans Jeban, qui était devenu malgré
lui son gendre, un seigneur si avant dans la faveur du roi de
Et tous chevaliers les feroit.
Qaant Blonde entendi ces noveles,
Saciés que moat H furent bêles :
5110. Hout doucement Dieu en mercie,
Car bien set qu'il U fait aïe.
Ele a si grant joie à son cuer
Que tous anuis a jeté fuer,
Et U frère Jeban alerent
El chastel , et si saloerent
Celui qui 1 ert pour le roy ;
Courtoisement et sans desroi
Ll ot de par le roi baUlie
Une lettre ; et cil l'a saisie,
5120. Et voit dedens que H rois mande
Qu'à Jehan de Dammartin rende
Toute la vile et le castel ,
Et il si flst qu'il l'en est bel.
Tost fu la nouvele espandue
Et parmi la vile séue
Que la vile est Jehan donnée ,
Moût leur plaist à tous et agrée ,
Car il estoit de tous amés»
Partans sera sb-es clamés.
5130. A tant vbit el chastel Jehans,
Qui estoit biaus et nës (1) et grans.
S'amie à rencontre U court
Quant le vit venir en la court.
Et Jehans de ses bras le lie ,
Plus de .XXX. fois l'a baisie.
5196 Li contes dist que la journée
Que Jehans flst d'aus dessevrée
Dusques à Clermont cevauchièrent
Et celé nuit i herbegierent.
5200. Lendemain jurent à Gorbie,
Une vile bien aaisle.
À Heding jurent au Uers jour,
Mais n'i Usent pas lonc séjour ;
Tant esploilierent leur besoingne
Au quart jour vinrent à Bouloingne:
En l'ostel Jehan descendirent
Pour çou que nul miUeur n'i virent
Et Robins à la mer ala,
Tant a quis , dechà et de là ,
Qu'il a le maronier véu , 5310.
Qui grant mestier leur ot eu.
Moût fu lies quant il le perçut,
Li maroniers tost le connut ;
Li uns de l'autre a joie eue.
De par son maistre le salue
Robins , et puis 11 a retrait
La requeste que il li fait ,
Qu'il soit a sa chevalerie ,
Et que U past, à sa navie ,
Les .ij. messages chevaUers. 5220.
Atantes-vousles.ij. messages: 5289.
Mesire GuiUaumes fu sages ,
SI prist la parole sur lui :
« Sire , dist il , de par celui
c Qui est sires poesteis (-2)
« Vous mande salus Loeys ,
« Qui de France est sires clamés ;
c Et cil dont vous estes amés :
c Tostre genrens et vostre Ûlle
« Qui nostre pals pas n'a vUle
« Pour çou se dedens est entrée,
« Car au tesmoing de la contrée 5â00.
« Ele a tant biauté et bonté
« Que ne poroit estre conté ,
(1) On regarde avec raison net comme Tenant de nilidus; mais ici nés est peut-être
la tradacUon de nexut, serré dans ses babits. — (2) Foieslativus, Dieo.
180
JEHAN DE DAHMAHTIN
France, et d'ailleurs un si vaillant personnage qu'il avait tué dix-
huit hommes de sa main pendant la fameuse nuit où il s'était
« Et Jebans par est si courtois
€ Qa'il n'i a son per en Artois.
« Tant set 11 rois en aos de bien
« Que il ne veut souffrir pour rien
« Que vous aiiés vers aus descort.
« Se Jehaus a sans vostre acort
« Prise celé dont est amés
5310. « Par droit n*en doit estreblasmés;
« Ce leur a fait force d'amour
c Dont ont éae grant ardour.
€ Or vous mandent, par amistié ,
c Que vous aiiés d'aus deus pitié.
« Et li rois de France vous mande
« Que il a fait à aus offrande
« De la conlé de Dant Martin.
« Foi que doi Dieu et saint Martin,
« Saisir l'en vi et faire bommage
5320. « Et encor de tant vous fas sage,
c Tant a li bons rois Jeban cbier
« Que il le fera cbevaUer
« A pentecouste , ù U n'a gueres ,
c Et avoecques lui ses .iij. frères.
« Or vous mandent il et li rois
« Que vous aiiés cuer si courtois
« Que vous ne portés maltalent
« Giaus qui de bien faire ont talent
« Et pour vous faire plus certain
Ô330. « Yés ci les lettres en ma main
« Que mesires à vous envoie. »
Li quens les prent , si les desploie
Lire set bien , les a léues.
Toutes teles les a véues
Com li chevalier ont conté ,
Es-ie vous en joie monté.
Or ot li quens cou VA ii piest,
Si a respondu sans arrest :
« Sfgnour moût avés courtois Roi ;
5340. « Ne me mande mie desroi ,
« Mais moût grant deboinaireté
c Et je ferai sa volenté.
« Puisque ma fille est esponsée
«c Gruex seroit la dessevrée.
« Grant amour lour a ce fait fabre.
« En grant péril lour convint trabre
« Hors du païs , si com j'entans,
« A la mer en ot grant abans.
« Si si prouva, col conter
« Que lui tierc en ûst .c. douter, 5350.
« Ses cors tous sens , en une nuit,
« En tua plus de .xviij.
€ Bien li doit valoir, ce me samble,
« Ses sens et sa prouece ensamble.
Entre tex mox tant nagié ont £47e.
Que à Bouloigne arrivé sont.
De la mer issent au rivage
Sans encombrier et sans damage ;
Firent bors trave leur cbevaus
Et l'autre hamas avoec aus.
Li keu, sans plus lonc respit prendre,
Vont en la vUe l'ostel prendre ;
Pris l'ont si bel, il ni ot el 5480.
Qu'après celui n'i ot autel.
Li quens i vint et sa gent toute ,
Dont moût estoit bêle la route ;
Mains bom en laissa sa besoigne
Pour aus véoir parmi Bouloigne,
Et li quens à l'ostel descent :
A son descendre plus de cent ,
Les .ij. chevaliers avoec lui,
Mesire Guillaume , o U Gui.
IcU dui près le compaignoient , 5490.
Car du conte moût bien estoient,
Que pour Jehan , que pour le roi ,
Les honeroit autant con soi.
Quant leur hueses (i) furent hostées,
Leur tables furent aprestées ,
(1) Bottes.
ET BLONDE d'OXFORD.
181
échappé du port de Douvre, le comte d'Oxfort accorde son par-
don (5290), et de plus se met en route, avec une suite nombreuse,
pour assister, lui aussi, aux fêtes qu'on doit célébrer à Dammar-
Si souperent à grant délit (1),
Après CDU furent fait leur lit ,
Endementiers qu'il escoulerent
Henesterex, qui vlelerent,
5500. Car sans tel jent mie n'estoient.
Demie doosaine en avoient,
Qui moût leur firent de déduis ,
Tant se déduisent qu'il fu nuls.
Dont vont coucher dnsqu'ai demain
Que il se levèrent bien matin.
Cele nuit moût à aise furent,
Mais au matin ne se recrurent (2) ;
Âinçois au cemin se remirent,
Et le maronier monter firent
5510. Sur .j. palefroi que li quens
Li eut donné, qui moût ert bons.
Là u volt il avoit jà mis
L'argent qui en mer fu pramis.
Âins puis ce jour ne fu fors rlces,
Ne li convient puis estre ciliches.
Nainques puis ne fu maroniers
Fors quant ses signeurs droituriers,
Li quens u Jehans vaut passer ;
Si bien seut leur amour brasser
5520. Que pais tous les jours de sa vie
Fu , en lour ostel , de maisnle.
Son avoir mist en bonnes mains.
Si s'en parti qu'il ne pot ains.
Ains disner le conte rataint ,
Qui de cevauchier ne se faint.
A Honsterael cel jour disnerent
Et puis dusk'à Heding aierent;
A lendemain , au point du jour
Remontèrent tout sans séjour.
Adont vinrent li dui message 5530.
Au conte et de çou li font sage :
€ Sire, distmesire Gnillaumes,
€ Tous estes entrés ou roiame
« Dont vous ferés mainte gent lies ;
€ Dusqu'à Clermont n'a , ce savés ,
« Que deus journées bien aisieues ,
« Et se n'a de là que .x. lieues
« Dq^ques là ou sera la feste.
€ Venredi venrés.sans arreste
« A Clermont tout droit à la nuit, 5540.
« Ejt lendemain , si ert la nuit
« De pentecouste , et tant vous di
« Que che jour, ains de miedi,
c Porrés veoir Jehan et Blonde ,
AT Qui seront li plus lie del monde
€ Quant li sauront vostre venue.
« Ne puet trop tost estre séue
« Novele dont puet venir joie.
« Si vous prions que ceste voie
« Nous laissiés devant vous coitier (3) 5.S50.
« Pour vostre fille rehaiUer(4)
« Et Jehan ; car grant joie aront
« Quant vostre venue saront. » '
Li quens respont que moût li plest.
Dont prendent congié sans arrest
Li dui chevalier maintenant,
Puis s'en partent esperonnant
Avoec aus va 11 maroniers ,
A envis demonrast arrier ;
Escuiers pour aus servir mainent. 5560.
Cele journée tant se painent
(1) Deliciœ. — (2) Beerearunt, — (3) Semble être ici EquUare (Voy. encore t. 5667,
5571); mais est le pins sooveDt eoaetare : « Car sa natore k ce le eoite, que pins a et
il plDS cODTOite • fCangii Glost.J. — (4) Voy. ci-dessas hûU et dehait.
182
JEHAN DB OAMMARTIN
tin pour la Pentecôte. Les deux messagers font leur retour dans le
même ordre que Tallée; le comte d'Oxfort les accompagne (5472),
etarrivéàDammartin il accueille paternellementlesjeunesépoux,
Et tant alerent mens et vaus,
N'espargnièrent par loar cevax ,
Qae de deus journées font une.
Ains qu'à la nuit levast la lune
Vinrent à Tostel à Clermont ,
Dont li chasUaus siet en .j. mont.
Cele nuit illuec reposèrent
Et len demain matin levèrent.
5570. Si chevaucent grant aléure ;
Tant ont coitié l'ambléure
Qu'il sont venu, ains bonne pieche
A Dant Mai tin , que il fnst Uerce.
El castel au perron descendent
Et à aler amont attendent.
5686 Quant il eut le roi conjoï
Si ot de la roïne oï
Qn'ele venoit à mult grant route;
A itant del roi se desroute
5690. Jehans et Blonde , et vont à cele
Qui 0 11 ot mainte pucele ;
En sa route ot cars plus de .xx.
Atant es-vous Blonde qui vint.
La roïne le voit venir,
Son careton fait coi tenir;
Blonde flst avoec li entrer.
Je ne vous saro&e conter
Des femmes la beie acointance ,
Moût furent tost d*une voeliance;
5700, Et Jebans de chà et de la ,
De route en route s'en ala.
Dames et chevaliers salue ,
Et cil qui avoient tenue
La route au conte [i), en Engleterre,
Vinrent au roi sans respit querre ;
Si U contèrent , sans délai ,
Tout ainsi com je conté l'ai ,
La response qu'il respondi
Et que il venroit ains midi.
Li rois en fu lies durement; 5710.
Jehan apela erramment
Et dist qu'il Ira contre lui
Et tous les autres avoec lui ;
Jehans durement l'emmercie.
Adont ont la vile laissie ,
Et la Roïne qui le seut
Du père Blonde grant joie eut.
Ses cars a fait tous retomer,
Car contre lui vaurra aler.
Qui dont véist par les conrois 57^0.
Tourner chevax et palefrois
Où chevalier ert séant ,
Il deist bien, ce vous créant,
Que de chevaliers sont .ij. mile,
Estre (2) les bourgois de la vile ,
Qui tuit estoient issu hors.
Par le congié sa dame lors
Blonde sur son palefroi monte ;
Plus de .XXX. dames , par conte ,
Pour sa compaignie montèrent ; 5730.
En cevaucant cancons canterent
Et li chevalier respondoient ;
Ainsi le petit pas aloient
Contre celui qui ne demeure.
Car jà ne cuide veolr l'eure
Qu'il soit venus à Dant Martin.
De Clermont fu mus au matin ;
Si chevaucha la matin(^e.
Un pau devant tierce passée
A preceues les grans routes 5740.
Qui contre lui vendent toutes.
(1) Par errear, le scribe a mis « la roote aa roi. » — (8) Bxtra^ outre.
BT BLONDE D OXFORD.
183
qui courent se jeter à ses pieds. Le roi arrive de son côté, suivi
de la reine; Jelian et Blonde s'empressent au devant d'eux (5686);
les gens de Dammartin et de tous les environs se mettent de la
De la joie qu'il demenoient
Trestait li plain (1) retenUssoient ;
Li quens les voit, à ses jens dit
Qn'alDc mais si bêle gent ne vit.
Ses gens mie ne sen descordent :
Hais à son dit moat bien s'acordent.
Bien set li quens qa'en ceste voie
Vienent tait pour lui faire joie.
5820 Atant les chevaus remontèrent
Ne de chevaachier ne finèrent
Devant qu'il entrent en la vile
Ou ii avoit plus de .x. miie
De bourgoises bien acesmées
Qui les routes ont saluées
Le roi , leur signeur, la roîne.
Là oissiez mainte buissine
Maint moinei et maint tabour
Et maint grant cor sarrazinour,
5830. Mainte cytole et mainte muse ;
N'est mervelle se on i muse.
5865 Li rois Ûst le conle mengier
A sa table, et Blonde lès lui.
Et la roYne , sans anui ,
Rapela chiaus qui mix ii sirent;
Après communalment s'assirent.
5870. Adont aporta on les mes ,
A un disner tant n'en vi mes.
Plus en i eut de .xij. paire ,
Autre mention n'en voel faire.
JeUans et si frère servirent;
Partout servent, partout porvirent
Qo'U ne fausist riens à nului,
Avant leur tourna à anui
Que les napes fuissent ostées,
Ne qu'eussent leur mains lavées;
Mais quant ii lavées les eurent 5880.
Li ménestrel vieier keorent.
Et Jebans pour chevaliers estre
S'ala en un peu d'euwe mètre ;
Et ses frères et autres vint,
Et ki vaut chevaliers devint.
Ensi pleut au roi et au conte ,
.xxiiij. furent par conte,
Quant un petit lavé se sont ,
D'unes cotes vestn se sont.
Après les robes linges blanques, 5890.^
Li quens cousi Jehan ses mances.
Pois mist à son col un mantel,
Bt Blonde s'entremist moût bel ,
De ses frères apparUlier.
A la nuit alèrent villier,
Si corn drois fù. à sainte églize ,
Où il eut en parement mise
Mainte courtine bonne et bêle.
Devant tous les nouviaus viele
Uns menestereus toute nuit 5900.
Pour çon que ii ne leur Bxafii.
Li rois et toute l'autre gent
A qui ii estoit bel et gent,
BU biaus lis bien fais se coudèrent;
Et cil qui vandrent compaignierent
La nuit les nouviaus chevaliers.
Moût fn li luminaires chiers ,
Qui toute nuit art devant aus.
Li quens ne se mut d'avoec aus ,
Ne sa fille. Duskes au jour 5910.
Firent avoec Jehan séjour;
Et Jehans Dieu moût mercia
De ronnour que faite li a.
De tant corn croist sa signourie,
(1) Les pliines.
184
JEHAN DE DAMMARTIN
fête par Vaccueil qu'ils font à leur nouveau seigneur et à tant
de grands personnages. Les cérémonies de la chevalerie de Jehan
(5865), de ses trois frères et de vingt autres, augmentèrent la
De tant Jehans plas s'omelie.
Si tost com la nais fu passée ,
Et il perçurent la joarnée,
Une messe firent canter.
Pais se vont tantost reposer,
5920. Poar ce k'il soient mains grevés.
Tant dormirent qae fa levés
Li solaas , qai maine le jour,
Dont se levèrent , sans demoor
Li rois et tuit li ctievalier ;
Se relevèrent sans targier.
Jà fa tans de la messe olr :
Et Blonde , qui fait esjoïr
Ciaus qui en U metent leur ex ,
Quant il ne pueent avoir mex .
5930. S'est celui jour si bel parée ,
Et de si grant biauté pueplée ^1),
Que tout aussi com li solax
Quant il lieve au matin vermax
Et il esclarcist Tair ombrage ,
Tout aussi la beie , la sage
Esclarcist les lix entour li.
Tant sauroie dire de li ,
De sa biauté , de sa bonté
Que jamais n'aroie conté.
5940. Ne doit mais estre nnlai grief
Se ma matère maine à cief :
Tuit et toutes vont al servuise
G*on fait cel jour en sainte egllze.
Quant on eut la messe cantée
A Jehan a cbainte l'espée
Li rois , qui chevalier le flst ;
Et après el col li asslst
Une colée ; et ensement
Fist à ses frères erramment.
Onques mais ne vous dis ior nons? 5950.
Or les dirai car c'est raisons.
Li premiers après Jehan nés
Fu tous jours sages et sénés ,
Et fors , et legiers , et apers ,
Et 8*eut non me sire Robers.
LI autres ne fu pas si grans ,
Qui eut non me sire Tristans.
Li mainsnés fu et fors et fiers
S'eut non me sire Manessiers.
Ciaus a fait chevaliers li rois , 5960.
Qui moût fu sages et courtois ;
Et pour leur amour plus de .xx.
Tout leur donna qaanqu'il convint.
Puis retournent es pavillons ,
Car de disner estoit saisons.
Si s'assisent , après laver :
Nus ne tint celui à aver
Qui tel disner leur ot fait faire.
De char i avoit tante paire
Que je n'en sai dire le nombre ; 5970.
La muUitude m'en encombre
De pors t de bues , de venoisons ,
De voleilles, de poissons,
Et voient mes à grant plenté
Et bons vins à leur volenté.
Me sire Jehan lès le roi
Sist cel jour et si frère o soi.
Et o la rolne sist Blonde ,
Qui ert la plus bêle du monde.
Li servant par laiens randonnent, 5960.
A chascun mes les trompes sonnent.
Dames i avoit , qui servolent ;
De dras d'or parées estoient,
Devant cascun mes vont cantant.
(1) Papulatà, papiflata* eouTerte, comme une fleiy se coovre de bontoos.
TT BLONBE D OXFORD.
185
pompe de cette assemblée, et l'allégresse fut universelle. Le roi
Louis passe quatre jours àDammartin et s'en retourne à Corbeil.
Le sire d'Oxfort quitte, à son tour, sa fille et son gendre, mais
Partout ayoit de joie tant,
Qu'il estoit à cascan avis
Tel joie ne vit mais tiom vis.
Hais ce fa encore noiens,
Quant on eut m6ngiô par laiens
5990. Si commença tel mélodie
Que plus bêle ne fa oïe :
Li paviUon retenUssoient
D38 estrumens qui i estoient
Quant un peu escouté les eurent
Les dames à caroler quenrent :
Là eut mainte dame parée ,
Là eut mainte cançon cantée ,
Là eut, à grans remuemens ,
Gangié mains apparillemens.
6000. Plus bêle carole ne fu.
Quant ele flna vespres fu ,
Si les alërent escouter.
Après vespres revont souper,
Après souper dusk'à la nuit
Remenèrent joie et déduit.
Qui dont véist les tors de cire
Par les pavillon tire à tire (l),
Ne quidast mie par samblance
C'en pesast la cire à balance ,
6010. Ains sambioit que pour noent fUst ;
Comment que la nois orbe fnst
Entour au (2) véoient bien cler.
Avant fu près de l'ajourner
Que les caroles derompissent ,
Mais en la fin se départissent
Ne peurent pas durer tous jours ,
Tuit vont jesir tant qu'il fu jors.
Celé nuit flst Jehans de celé
Dame, qui estoit damoisele;
De tous déduis sont à la voie, 6030.
Tous jors plus et plus sont en joie.
Comment qu'il leur déust grever
Les conviot au matin lever
Pour chiaus qui volrent conglé prendre;
Mesire Jehans volt moût tendre
A aus priier, mais ne poet estre ;
Cbascuns volt r'aler en son estre.
A grant paine retint le roy
Et la roine avoeques soi.
Et U quens à ciaus qui s'en vont , 6030.
Selonc chou qui valent et sont,
Donne joiaus de mainte guise ,
Dont cascuns l'aime moût et prise.
Le roi retinrent .iiîj. jors :
Hout fu dednisans leur sejors ,
Es rivières vont as faucons
Et es forés as venoisons.
Au bon conte de Senefort
Pria il rois qu'il se déport
En ses forés , en ses castiaus ; 6040.
De tout veut qu'il soit damoisiaus.
Li quens durement l'en mercie ,
Et dist que jamais en sa vie
De son genre ne parth^ ;
D'aaige est, avoec lui sera
Quant il vaurra en ceste tere ,
Quant il vaurra en Engleterre ;
Moût fu lies mesire Jehans
Quant il de çou fu entendans.
Et Dieus! que Biondeen otgrantjole, 6050.
Qui voit que ses pères s'otroie
A tout quanques il vaurront faire,
Riens ne li péust autant plaire.
Au chiunquime jour, au matin.
(1) L'OD après Tantre. — (9) Aui, «ntoor d'en.
186
JBHAN DB DAMMARTIN.
assuré de leur affection tendre et comptant sur les prochaines
visites de ceux qui doivent être un jour comte et comtesse
Se départi de Dant Martin
Li rois Loeys el sa gent
Ce ne fa mie bel ne gent
Â8 .ij. contes, car s'il peïssent
Moat voientiers le retenissent.
6060. Trois neuves loing le convoiièrent ;
Li novel chevalier, qui erent
Frère la conte , o lui s'en vont ,
Car de sa menie esté ont
Tant comme il furent escuier;
Aussi furent il, chevalier,
Tant que bien leur gaerredonna;
Femmes et terc leur donna ,
Dont il furent riche et manant .
Et tous jours à leur frère aidant.
6070. Li âlii conte et avoec aus Blonde
Au miUeur roi k\ fusl u monde
Prendent congié, et il ieur done,
En son pooir leur abandonne.
A tant départent , si s'en vont ,
A Dant Martin revenu sont ,
Et li rois s'en va à Corbuel.
Mais de lui parler plus ne voei ,
As .ij. amans voel retorner,
Qui ont loisir de séjorner
6080. En feste , en déduit et en joie ;
Nus ne les bet ne ne gerroie.
A Dant Martin sunt li dui comte ,
D'un ostel sont et d'un seul conte,
Ce que l'un plaist et atalente
Li autres tantost li présente.
Bonne vie et honeste mainent ,
Et de Diu honerer se painent.
Meismement la bêle Blonde
Fu de tous mauvais visces monde.
6090. Ains de mauvaistié n'eut envie ;
Tours jors se tient en bonne vie
Avoeques son ami loial ,
Plain de tous biens et voit de mal.
An chief de l'an ses ij. sereurs
Maria à ij. grans slgneurs -,
L'ains née au conte de Saint Foi,
Que on ne tenolt mie à fol;
Uns siens frères prist la mainsnée.
Qui ricement fu mariée.
Robin et son bon maronnier 6100.
Se vaut ensement marier.
A Dant Martin eut .ij. bourgoises,
Qui furent rices et courtoises;
N'estoient pas de cuer vilaines ,
Disnes sont d'estre castelaines ;
Suers germaines andeus esloient,
Multgranttereetgrantmuebleavoient
De ces .ij. ûst le mariage,
De rainée à Robin le sage ,
Et la maint^e au maronnier, 6U0.
Du sien leur donna maint denier ;
Et maistre de son ostei furent ,
Qu'ains de servir ne se recrurent.
Puis ot li quens de bêle Blonde
Quatre enfans les plus biaus du monde.
Dont il vint puis grant avantage
Et grant honour à leur lignage.
Quant il eurent à Dant Martin
Esté .ij. ans soir et matin ,
SI râlèrent veoir leur tere 6130.
D'Osenefort en Engleterre;
A joie i furent requeUi.
Li quens d'Osenefort vesqui
Avoec sa fille bien .x. ans,
Com preudom et de cuer joians.
Et bien .xxx. ans, après sa mort,
Fu Jehans quens du Senefort
Et de Dant Martin en Gouele.
.ij. contés out et femme bêle ;
Moût de bien furent entr'aus deas, 6130.
Onques ne seurent estre sens.
Tons jours eurent bêle maisnie ,
Et selon Diu bien ensignie.
Les povres nonains relevèrent .
ET BLONDE D OXFORD
187
d'Oxfort et Dammartin. Le poète indique en quelque mots ce
que l'avenir réserve à chacune de ses figurines, les subalternes
Les povres femes marièrent ;
As bons kl vaarrent honour quere
Donèrent et deniers et tere ;
HoQt honourèrent sainte eglize.
Ne feissent en une guise
6140. Vilenie n*outrecaidance ,
Tous jors farent d'une acordance.
Tant ieur otria Dix de biens ,
Que leur amours , poar nule riens,
N'amenuisa ne ne descrut ,
Âinçois mouteplia et crut.
Tant s'entramerent de bon cuer
Quainques li uns l'autre à nul fuer
Ne flst l'autre que li grevast ;
Et s'uns anuis lour alevast
6150. Li autres si le confortoit
Que soaef son anui portoit.
Bien furent des rots dont il tinrent,
Loialment vers ans se maintinrent.
De tout le commun amé furent ,
Vers aus firent ce que il durent ;
Pitex farent vers povre gent ,
Del leur donèrent larguement.
Quant en France manoir venoient
Tout le pals lie en faisoient ,
Aieo. Et Engletere ensement.
En ce point farent longuement,
Tant que Dix , qoi sera sans fin ,
Les flst venir à bone fin.
Par ce romans poront entendre
Toit cil qui lor cuer vaurront tendre
A honeur, et honte iaissier,
Que cascuns se devrait plaissier (1)
Et travillier et cors et cuer
A cou que il vigne en haut faer (S).
Entendes bien en quel manière , 6170.
J'entens que cascuns honeur quiere :
Je n'entens pas par usurer,
Hais par son sens à mesurer
Et servir deboinairement ,
Et à soi tenir loialment ,
Et à estre courtois et dons ,
Et à savoir estre avoec tous ,
Et à porter bonne parole ;
Car cil , à escient , s'afole ,
On li mauvaise corages tire 6180.
Tant qu'il s'entremet de médire.
Tant a mauvaise compaignie
En homme , qui est de tel vie ,
Qui tel langue a, li maas feus Tarde
Que plus est poignans que laisarde (3);
Après qui veut en haut monter,
Son cors et son cuer doit douter
A estre atempres (4) de soi taire
Duskes à tant qu'il doie plaire ,
Et si doit deboinaires estre. 6190.
Et se il avient qu'il ait mestre,
Il doit aprendre son corage ,
Car ensi le font tuit li sage.
S'il voit son maistre bon et fin,
Bien le sive dusk'en la fin ;
Et s'il le voit trop mescréant,
Saciés pour voir, le vous créant ,
Ke sagement s'en doit retraire
Et sol garder de son afaire.
Ne pour service ne laist nus 6300.
Ice dont il est plus tenus :
C'est à Dieu cremir et amer,
Et à haïr le mal amer,
Qui laisseroit Diu pour nului ,
(l) Voy. cl-de««08, y. 104. — (») Marché, taleur, estimation. — (9) Le léiard? —
(4) Modéré, aâtemperattu.
188
JEHAN DE DAMMARTIN ET BLONDE D'OXFORD.
aussi bien que les principales, et termine, comme il a com-
mencé, par une petite morale à l'adresse de ses auditeurs.
Trop fol serjant aroit en lai :
Car nus ne poet venir pour rien
Se Dix ne li consent à bien.
Toutes amours fait bon tenir
Dont on puet à bon cief venir ;
6910. Et s'on aquiert aucune cose
On doit avoir en son cuer close
La volenté de bien despendre.
CarcascunSp pour voir, doit entendre
Que riens del mont n'est biretages.
Bien le puet aquerre ii sages ,
Et après bien mètre le doit (1).
Autrement ne mete le doit (2)
 cose ki soit à cbe monde.
Car ii en carroit (3) en tel monde
62-20. Qu'en infer enseroit Jetés,
Où ii aroit sans fin durtés.
Jebans conquist par son savoir
S'amie et grant plenté d'avoir,
Hais en tere riens n'emportèrent
Fors çou que pour Dieu en donnèrent (4)
Il ouvrèrent si comme U durent
Qu'aine de bien faire ne recrurent.
Or sipregnent garde 11 sage,
Car à bon port vient qui bien nage ;
C'est pechiés d'estre trop oisseus. 6-230.
Or soit donques cascuns viseus
De bien despendre et bien aquerre,
Qu'anemis ne nou8 mete en serre.
Mal prie cii qui iui oublie.
Pour çou n'oblicrai ge mie
Que je ne vous pri et requler
Que vous voelliés à Dieu priier
Que Phelippe de Rémi gart
El de paradis li doinst part.
Car ce fu cil qui s'eniima 6240.
Tant que ii ce conte trouva.
Ci faut de Jeban et de Blonde.
Âins Q'eut plus vrais amans el monde,
Ne jà n'aura, si corn j'espoir.
Je n'en sai plus, au dire voir.
(1) Débet, — (2) Digitum, — (3) Caderel. — (4) Ils n'emportèrent hors de ce
monde qoe ce dont ils avaient fait donation k l'Eglise.
SECTION DES SCIENCES.
MËMOIRE
SUR
m umm ou d^partemëi de l'oise.
La famille des Limaciens a été généralement peu étudiée, [.es
ouvrages de Mûller, Draparnaud, Fénissac, Moquin -Tandon
donnent des descriptions souvent excellentes; mais ces auteurs
ont été arrêtés par la difficulté de bien connaître toutes les es-
pèces qu'ils ont signalées. Alors les diagnoses de plusieurs d'en-
tr'elles sont incomplètes et laissent des doutes à l'esprit. Les
planches, en général, manquent ou sont défectueuses. C'est ce-
pendant un point capital, pour les mollusques nus principale-
ment, d'avoir au moins des dessins exacts et aussi des couleurs
vraies. En bien observant ceux qui vivent sous les yeux , il sera
possible seulement d'apprécier la valeur réelle des espèces , et
surtout en les reproduisant^ d'après nature, par de bonnes
figures; car l'animal conservé dans l'alcool est déformé, déco-
loré^ et l'individu devient méconnaissable.
Si l'on poussait les investigations avec soin, l'on trouverait
beaucoup de formes nouvelles. Le sol de notre pays est telle-
190 MEMOIRE SUR LES LIMAGIENS
ment varié qu'il est impossible de ne pas rencontrer des Lima-
ciens entièrement inédits, et qui n'ont pas été remarqués parce
que ces animaux sont trop peu recherchés. Mon ami, M. J. Ha-
bille, dans ses Archives malacologiques, en publia un certain
nombre qui vivent dans nos contrés, et qui m'étaient connus
depuis fort longtemps.
Ce Mémoire a pour but de donner des détails sur des espèces
dont la description a toujours été simplement esquissée, et que
Ton n'a jamais figurées dans aucun travail. J'y ajoute une
limace nouvelle de la forêt de Hez. Je rappellerai les noms de
tous les Limaciens du département, sur lesquels je n'aurai aucun
détail à donner.
FAMILLE DES ARIOrVID/E*
G. ARION, FER.
1<> ^. rufùs, LIN.
Varietates :
jo rubra {A, ntJber^ Fer.).
'i« aurantia, Nob. (Cat. moll., Oise; 1862, p, 5).
S** succinéa (Cat. moll., Oise; 1862, p. 5), non A.suc-
cineus^ Mûll.
4» rufula^ Nob. — Taille médiocre, stries du dos fines;
brun roux très-pàle. — Coteaux de la forêt de
Hez.
5° nigrescens (Cat. moll., Oise; 1862).
e»» atra (L. ater, Lin.), (Cat. moll., Oise; 186i).
2o A. rubl^lnosus (pi. i, fig. 1-3).
1867. Baadon in Drouet (Moll. terr. fluv de la Gôte-d'Or, p. 26).
Animal subnitidum, flavum, succineo colore intento praeser-
Um an te et posterius indutum; fascia angusta, violacescens,
DU DEPARTEMENT DE L*OISE. 191
pallida in utroque latere clypei et abdominis; solea albida;
margine latissima in extremo.
ywt* nigricans. — Rarior, fere typo similis; flava sed non
succinea, nitida. Tentaculis et fasciis brunneis.
Longit. . . 0.05 cent.; 0.05 i/2 in entensione maximâ.
Lat 0.004 millim.; 0.004 1/2 millim.
Animal paraissant gros, court, trapu, mais assez étroit et svelte
quand il est en marcbe; luisant, d'un beau jaune rougeâtre suc-
ciné, très-prononcé à la partie antérieure seulement, bande mince,
à peine violacé de chaque cçté, &'un bout à l'autre du corps (1).
— Tentacules supérieurs, peu longs, cylindriques, violets, rous-
sÀtre pale, maculés de taches de même nuance plus marquées;
bouton arrondi, non saillant; yeux gros et noirs. — Tenta-
cules inférieurs très-courts, transparents, sans macules; cou
brunâtre. — Cuirasse à granulations fines, coupées carrément en
avant et en arrière. La région supérieure est plus foncée que les
latérales. Les deux bandes se terminent en arrière sans se réunir :
la droite passant au-dessus d'un orifice respiratoire rond, à peine
ouvert et situé au tiers antérieur. — Corps arrondi , à rugosités
de forme polygonale pendant la contraction, non saillantes,
fines, à peine distinctes dans l'extension. La partie supérieure
du dos présente une teinte semblable à celle de la cuirasse; elle
s'efface insensiblement, et le reste du corps devient jaune pâle
jusqu'à la marge, dont la coloration est analogue, sauf autour
du pore muqueux où elle augmente d'intensité. — La marge^
arrivée au niveau de cet organe, s'élargit, prend une forme an-
guleuse à ses bords terminaux , ce qui donne un aspect brus-
quement tronqué à la queue lorsque l'animal s'étend. On y re-
marque quelques raies irrégulières plus foncées. — Pore muqueux
allongé, grisâtre. — Sole grise. Son pourtout est coloré en jaune
par le mucus; celui de la sole proprement dite est blanchâtre,
à peine coloré. Le mucus des autres parties du corps est épais,
d'un jaune d'or foncé. — Mâchoire petite, flexible, à courbure
prononcée. Une plaque médiane, trois latérales de chaque côté,
suivies chacune de deux ou trois autres fort exiguës, étroites,
(1) Trop prononcé sur la figure.
192 MéMOIRB SUR LBS LIMAGIENS
serrées. Toutes sont terminées par des pointes aiguës d'un beau
jaune. Une bande brune les recouvre à leur naissance. Cette ma-
ctioire représente une scie microscopique; elle a au plus i milli-
mètre de large.
Variété noirâtre. Elle diffère du type par une coloration brune
des tentacules , des bandes et du milieu de la cuirasse. La con •
vexité du dos, ses bandes latérales offrent la même distinction.
Le jaune, au lieu d'être ambré, se rapproche de celui de la
gomme gutte, ainsi que le mucus. Les dimensions sont les
mêmes. Elle est plus rare.
Gomme la plupart des arionsf celui-ci est lent, timide, lourd;
il se montre principalement en octobre, sous les feuilles sèches,
sur les petites plantes des collines de la forêt de Hez, sur les
champignons. Drouet le rencontra aux environs de Dijon.
Observations, Cette espèce semble se rapprocher de Limax
dnctus^ Mûll. (Verm. lerr. fluv., etc., p. 9, n» 205, vol. ii); mais
la diagnose de cet auteur est tellement succincte qu'il est im-
possible de la rapporter à la forme dont je viens de parler plus
qu'à toute autre. Il signale l'absence de toute macule supérieu-
rement , tandis qu'ici la partie supérieure^ du bouclier et du
corps est colorée par une teinte plus intense. Les dimensions
diffèrent aussi.
En présence des caractères à peine indiqués par Mûller, j'ai
cru devoir faire connaître ce Limacien, dont je n'ai vu nulle part
la description.
30 A. hortensli». Fer. (Hist. moll., p. 65, fig. 4-6; 18i9).
Varietates :
1» fasciatus, Moquin-Tandon. — Gris foncé à bandes
noires.
2« limbatus, Moquln-Tandon. — Noir&tre, à bords
orangés ou vermillon.
3« lutetis. — Jaune pâle uniformément, avec bandes
latérales peu prononcées.
DU DiiPARTIilMENT DK LOISË. 195
40 A. tenellu0,Millet(J/o//. Maine-el-Loire,p. i1;1859).
(Pi.i, ng. 4-7.;
1805. Draparnaud (Hist. nat moll. France, p. 127, n* IQ).
1831. Michaud (Complément, p. 6, n* 7).
1817. Paton (Ess. sur moll. des Vosges, p. 27, n* 8).
1851. Ray et Drou6t (Cat. moll. Champagne mér., p. 15, n* 6)
1851. P. de Cessac (Supplément au cat. moll. de la Creuse, p. 1).
1855. Drouét (Enumér. moll. France cont, p. il, n* 9).
1855. Grateloup et Raulin (Cat. moll. ylr. et foss. de France, p. 1, n* 13
A. virescem^ Mill., et À. tenellus, MUIL).
1855. Grateloup (Dlstrib. géogr. fam. des LImaciens , p. il).
1855. Moquin-Tandon (Hist. nat moll. France, t 11, p. 32, n* lO).
1858. Grateloup (Ess. sur dlstrib. géogr. moll. viv. de la Gironde).
1862. Baudon (Nouveau cat. moll. dép. Oise, p. 7, n* 4).
1863. Dubreuil (Cat moll. terr. fluv. Hérault, p. 4, n* 8).
Tous les auteurs précités ont attribué au Limax tenellus de
Mûller Tarion qui va être décrit. Voici la diagaose de Mûller, qui
De coDcorde pas fort exactement avec notre arion, dont, au reste,
la taille est bien inférieure : « Long. 10 une. Glypeus in luteum,
« abdomen in virescentem colorem aliquantum vergif ; ille mar-
« gine postico , hoc apice supra nigricat. » Ces deux derniers
caractères surtout ne se retrouvent pas ici , et la description du
naturaliste danois se borne à mentionner uniquement la colo-
ration de son Limacien : « Ârion subpellucidum , tenue, vires-
cens, capite tentaculis que nigris; utrinque fascia grisea, saepe
pulviformiSi »
Varietas : À. albida, — Vix griseola.
Longit 0.030 millim
Lat 0.003 —
Animal assez transparent, mince, mou, délicat, paraissant
quelquefois opalin, vert pMe. — Tentacules d'un noir violacé,
coniques, assez gros à la base; boutons peu proéminents. —
Points oculaires saillants, très-noirs — Cou court, violet clair,
avec nombreuses taches foncées qui, à première vue, font pa-
raître cette partie d'un noir pur. — Cuirasse comprenant au
moins le tiers de la longueur totale, mince, bien arrondie en
arrière, à granulations fines. — Orifice respiratoire petit, à
T. vui. 13
194 UKMOIRE SUR LiîS LlMAClENS
droite, au tiers antérieur. Souvent la coloration est peu appa-
rente. I^ cuirasse est à peine jaunâtre, le milieu gris pàfe. Des
points pulviformes simulent une bande latérale. — Dos arrondi.
RingoHtés sans fortes saillies. Quand l'animal s'élend, les inter-
valles situés entre les anastomoses sont d'un jaune tendre, cou-
leur de soufre, et les stries anastomotiques sont gris foncé, de
sorte que la teinte générale du corps parait d'une nuance plus
intense que celle du bouclier. On remarque à la loupe que la
peau molle est couverte de petits points glaaduleux. Une bande
grisâtre s'étend sur les côtés. Le reste du corps, jusqu'à la marge,
est faiblement verdàti^e. — Marge d'un jaune citrin extrêmement
p&le, ainsi que le pore muqueux dont la forme est triangulaire.
— Sole jaune tendre au pourtour à cause du mucus sécrété par
cette partie. Le milieu est blanchâtre, transparent, et laisse en-
trevoir les viscères. Région postérieure du corps souvent entiè-
rement transparente. — Mucm blanc, assez abondant. — Mâchoire
mince, étroite, courbe trois quarts de millimètre à un d'étendue,
composée de huit à dix plaques terminées par des pointes su-
baiguês d'un brun clair.
Quoique cette espèce ne varie guère, j'ai cependant rencontré
quelques individus blancs sur lesquels on entrevoyait une teinte
grise ou verdâtre peu appréciable.
Un animal si mou, si délicat, ne peut vivre que dans les en-
droits frais, humides et très-sombres. Au printemps, on ne le
recueille qu'au matin, de bonne lieure, ou pendant les pluies
douces. En automne, il ronge les gros champignons et loge à
l'inférieur jusqu'à ce que le végétal soit tombé en décomposi-
tion. Sa robe, à cette dernière saison, n'est pas aussi belle. Âu
lieu du vert pomme qui le rend si attrayant , la nuance de son
corps parait toujours grisâtre et fanée. Au printemps, il mange
les mousses. £n été, c'est à peine s'il apparaît. J'ai trouvé des
individus tout à fait décolorés, rares il est vrai, jusqu'en no-
vembre, au milieu des tiges des oronges. Cet état d'albinisme
est dû à l'absence totale de la lumière qui ne pouvait pénétrer
jusqu'à eux ; mais je crois que la nature de l'aliment doit y
contribuer pour une large part.
Localités, — Forêt de Hez (Oise); environs de Mouy, dans les
vallons très- boisés.
Observations. — C'est à tort que M. M oquin-Tandon a rejeté cet
DU DÉPARTEMENT DE l'OISË. 195
arion parmi les espèces douteuses de limaces. D'abord, c'est bien
nn arion parfaitement caractérisé, et ensuite c'est une espèce
distincte, tellement même qu'elle sera toujours reconnue facile-
ment. Probablement, ce savant n'a jamais été à même de l'exa-
miner, car, sans doute aucun, il l'aurait appréciée & sa juste
valeur.
5» A. Bourg^ulgnatl (pi. m, fig.6-9) (1).
Mabille (Archiv. malacoL, 3« fascicule, p. 24; Paris, 1*' mars 1868).
Var» minor, — Grisea , Nob.
rpi. iii,ng. 10 11.)
Animal crassum, obtusum, pallide griseo-rufùlum , durum,
tentaculîs fére nigris; in clypeo et abdomine fascia lateralis ni-
gresceus, duplex in utroque latere; linea tennis, dorsualis,
média, pallida, carenam simulans; in corpore toto, praesertim
in clypeo, minimis glandulis; striis mediocris; margine griseola;
solea largiter explicata et adhaerens.
Longit 0.036 millim.
Lat 0.006 -
Varietas minor, — Grisea.
Animal coriace, épais, obtus, déprimé, aplati principalement
en arrière, d'un gris pâle à peine roussàtre; bande plus foncée
de chaque côté de la cuirasse et du corps, double à la cuirasse.
— Tête assez grosse. — Tentacules supérieurs gros ^ massifs, cy-
lindriques, gris foncé légèrement ardoisé, brlllantii. — Points
oculaires petits, situés au sommet un peu postérieurement; les
inférieurs très-courts, pâles, transparents. — Cou court, gri-
sâtre. — Cuirasse arrondie en arrière, gris jaunâtre, très-pMe,
maculée de taches gris foncé plus prononcé en dessus. Vue à la
loupe, elle parait recouverte d'éminences molles, au milieu des*
(1) L'arion Boarguignati de notre contrée n'est pas jipsolament sem-
blable au type de Habille. Les Individus que j'ai étudiés ont, en général,
une plus forte taillé. -^ (La ligure est trop ombrée.)
196 M^^IOIRE SUR LBS LIMACIENS
quelles on aperçoit des myriades de points blanchâtres qui sont
autant de glandules destinées à sécréter la viscosité. — Orifice
respiratoire exigu, blanchâtre, antérieur. Deux bandes latérales.
— Dos plus foncé supérieurement avec une teinte violâtre à peine
appréciable, confondue dans la nuance générale; côtés de Tab-
domen pâles. Une ligne très-line, blanchâtre, s'étend depuis le
bord postérieur du bouclier jusqu'à l'extrémité. Cette raie, qui
n'est pas toujours continue, simule une carène; mais c'est sur-
tout une simple différence de couleur. La saillie est plus évidente
dans le jeune âge. Les bandes latérales, simples de chaque c6té,
sont plus ou moins foncées , suivant les individus. — Rtigosités
assez saillantes ; anastomosées régulièrement. — G land\(^les plus
grosses, moins circonscrites , plus diffuses que sur les autres
régions. — Marge grisâtre , criblée d'émînences molles. — Pore
muqueux cordiforme, pâle, à peine jaunâtre. — Sole bien plate,
étalée, adhérent fortement, blanc sale, un peu jaune antérieu-
rement et sur les bords. — Mucus blanc, presqu'incolore , pois-
seux, brillant, pas fort abondant. — Mâchoire'^*\m millimètre
environ, enchâssée dans une membrane très-dense, mince,
étroite, légèrement courbée, souple, jaune terre de Sienne claire,
brunisî>ant à l'air, composée de douze à quatorze pièces séparées
par un sillon d'autant plus profond qu'il s'approche du bord
libre, aiguës, mais pas extrêmement dures. Quelquefois les pièces
latérales offrent, à leur milieu, des sillons secondaires (chez la
variété petite, surtout) qui feraient croire tout d'abord à un plus
grand nombre de dents.
Cette espèce est assez commune sous les troncs d'arbres
pourris, sous les feuilles tombées, dans la tige et le chapiteau
des gros champignons. Je l'ai recueillie quelquefois, en hiver,
sur les routes , par les temps humides. A la un de novembre 1864
surtout elle était fort abondante dans nos environs, et elle se
promenait en bande au milieu des chemins, en compagnie de
Liinax agrestis et Arion hortensis. On la trouve ordinairement
sous les pierres et les souches le long des haies, au printemps
et en automne. C'est un Limacien trèsinactif, lent, se roulant
en boule en étalant largement sa marge et restant comme plongé
dans la torpeur; il se colle aux bois et aux pierres sans chercher
à sortir de l'endroit où il s'est fixé. Souvent j'ai remarqué qu'il
creusait en terre de petites galeries sous les vieux troncs, galeries
DU DEPARTEMENT DE L*OI$E. 197
qui lui servent de denneure quand la température est trop basse
ou trop élevée. 11 m'est arrivé de prendre ainsi plusieurs indi-
vidus à demi-enfouis dans la même cavité. Les œufs sont très-
petits, sphériques, opalins, isolés , déposés sans ordre les uns
près des autres.
J'aurais à signaler toutes nos localités s'il me fallait spécifier
les lieux d'habitation de cette espèce.
On rencontre assez souvent la petite variété, qui diffère peu
du type (pi. III, fig. lO-ii).
G. OEOMALACUS, allman.
i<» O. mabilli, Baudon.
■PI. I, fig. 8-1-3). 1).
1868 II concb., vol. XVI, p. 112.
Variétales :
A. paliida.
B. cineresccns.
C. rosea.
Depuis bien des années, ce mollusque m'était connu. J'avais
remarqué qu'il était pourvu d'une limacelle, caractère spécial
aux Limacidae^ et d'un pore muqueux qui existe constamment
chez rarion. Son aspect général, ses allures le rapprochaient
des animaux de ce dernier genre. Aussi l'avais-je nommé provi-
soirement Jrion pseudolimax^ me réservant de modifier cette
épithète peu orthodoxe , et je l'avais adressé à quelques-uns de
mes correspondants sous cette désignation. Lorsque J. Mabille
publia son travail sur le genre Geomalacus^ je vis que mon es-
pèce devait s'y rapporter. Drouêt, sur ces entrefaites, me com-
muniqua, vivant, un Limacien que j'affirmai être une variété
de mon Geomalacus psetidolimax. 11 le décrivit sous le nom de
(1) La flgare 8 a les bandes latérales trop accentuées ; elles sont beau-
coup plus pflles chez l'animal.
198 MÉMOIRE SUR LES LIMACIENS
Geomalacus hiemalis. Je n'hésitai pas, malgré tout, à faire
connaître celui que j'avais observé depuis si longieipps, et qui,
du reste, offre des différences que je constatai après l'examen
de beaucoup d'exemplaires.
2o G. blemalia, Drouêt.
fPi.ii,ng.9-6.)
1867. Mon. terr. et flav. de la Côte-d'Or, p. 27.
Je cite cette espèce, qui ne diffère de la précédente que par
l'absence des bandes et par une coloration jaunAlre extrêmement
pâle. J'ai eu sous les yeux le type vivant de Tauleur, qui me
radressa. Depuis, je l'ai recueilli dans nos environs, à Hury et
à Morainval.
FAMILLE DES LIMACIDAE.
G. KRYNICHILLUS, kaleniezrnko.
K. brunncus, Drap.
(PI. II,fig.fi-10.)
1805. Hist. moU. France, p. 128 (LimaxJ.
1852. Normand ^Descript. de six limaces noav. observ. aux environs de
Valenclennes , p. 8, n» 6 : Umax parvulusj.
1855. Gratcloup et Raulin (Cat. moll. terr. fluv. de France conlin. et inf.,
p. 2 , n» 14 : Limax parvuhis).
1855. Grateloap et Raulin (Bistrib. géogr. fam. Limaciens, p. 10).
1856. DroQët (Enumér. moll. terr. fluv. viv. France contin., p. 12, n* 21 .
Limax parvulusj.
1855. Moqnin-Tandon (Hist. nat. moll. France, p. 32 , n* 13. Rangée parmi
les espèces douteases : Limax parvulusj.
1855. Limax brunneus, Drap., p. 31, n* 9.
1858. Grateloap (Faune malac girondine, p. 70, n*8 : Limax parvuh^s?) .
1868. Mabille (Arch. malac, p. 17 : Krynichillus bninneusj.
DU DEPARTEMENT DE L'OISE. 199
Animal elongatum, tenue , angustum, molle, glutinosum, lae-
vigatum, subpellucidum , brunneo-violacescens; caput et col-
lum maxime ex tend i possunt; caréna fere nulla.
Longit 0.020 millim.
Lat 0.002 - 0.003.
Animal très-allongé, mince, grêle, étroit, mou, gluant, un
peu transparent, brun, marron très-foncé même à la sole, qui
est h peine plus pâle , grisâtre et lisse. — Tentacules supérieurs
courts, massifs, cylindriques, noirs, terminés par un renfle-
ment à peine appréciable. — Points oculaires très-noirs, situés
un peu en arrière. — Tentacules inférieurs courts , transparents,
brunâtres, bien cylindriques. — Tête et cou noirs, partagés par
un sillon médian. Cou extrêmement allongé pendant la marche,
à replis transversaux; son extensibilité est telle que l'animal
présente de l'analogie avec la sangsue quand elle cherche à s'at-
tacher. >- Cuirasse grande, longue, se relevant beaucoup à vo-
lonté, arrondie en arrière, gihbeuse à la région delà limacellc,
comprenant dans Tex tension un peu plus de la moitié de la lon-
gueur totale, et constituant, au niveau de son extrémité posté-
rieure, la partie la plus large du corps. — Orifice respiratoire
exigu, presque jamais entièrement ouvert, situé à droite, en
arrière, sur le bord de la cuirasse. — Linéoles rermicellées très-
fines, à peine visibles, même à la loupe. — Fentre cylindroldei
aigu à l'extrémité avec une carène presque nulle, à peine indi-
quée, pourvue de stries longitudinales peu régulières, non sail-
lantes. — Umacelle de trois millimètres et demi au plus de long
sur deux à deux et demi de large , assez grande relativement à
la taille, faiblement convexe en dessus, presque plane en-des-
sous, ovalaire, subaigufi au sommet, mince, cristalline, assez
transparente. Bords longitudinaux parallèles. — Mâchoire d*un
millimètre de large, brun foncé , luisante, à rostre médian peu
saillant; stries longitudinales si délicates qu'à peine si Ton peut
les apercevoir avec un fort grossissement.
Cette espèce n'offre aucune variation dans sa teinte ni dans sa
forme; elle sécrète une viscosité extrêmement épaisse et collante
qui Tenveloppe et l'isole. Cette consistance est indispensable à
l'animal puisqu'il habite des endroits tres-Iiumioes, même sub'
merges ia plupart du temps. Vivant constamment dans l'obscu-
200 MÉMOIRE SUR LES LIMAGIENS
rite, elle ne supporte pas la lumière, et elle cherche avec viva-
cité, quand on l'y expose, à s'introduire dans les cavités qui
puissent Ten mettre à Vabri.
Localités. — Bois de Mérard, aux endroits fangeux, sous les
écorces pourries gisant sur le sol, sous les copeaux d'abattage,
les bois morts. Mois de mai. Espèce peu répandue.
Observations, —Ne serait-ce pas le Limax laeris de Mûller?
(Verra, lerr. et fluv. succinct, hist,, tome ii, p. 1-2, n« 199). Sa
description et les notes qui suivent se rapportent assez à notre
Limacien.
Varietas :
G. LIMAX, LIN.
\^ ILi. clQereus, Drap.
L. dnereoniger, Sturm. — Limax antiquorum ^ Fer.
L. lineatus^ Dum. et Mort.
Je cite seulement cette remarquable variété, décrite dans le
Catalogue des mollusques de TOise, p. -9. n° 2 ; 1862. Les autres
se rapprochent toujours du type sans n différer d'une façon
très-sensible.
2o Lt. criapatua, Nobis.
(PI. III, flg. 1-5.)
Animal subventricosum ; tentaculis elongatis, conicis, vinosis
nigro puncticulalis ; clypeo rufo-violaceo absque maculis; striis
parum conspicuis. Abdomine violaceo, rugoso, 4 fasciis fere
aequatibus, subnigris; caréna prominula, crispata praeserlim
in extremo.
Longit 0.05 centim.
lat 0.006 roillim.
Varietas : obscura. — Fusca; fasciis brunneis lalis.
Animal allongé, un peu ventru, brun rougeâtre, avec quatre
bandes sur le dos et Tabdomen; carène, très-saillante , plissée.
Mem delà Soc.Acad.de l'Oise. Tome VIE,
r
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^smt^
#— ■
âSffOXti,
12
11
a
8
PL.I,
11'
' 0
A.Banâon aduat. pinx. Txnp.B«c<|p&«t.
1 _5. ArioTi Hubiqinosus , ^BaudoTi
4 _ 7. A tenellus , Millet.
8 _i2 . Geomalacus Matilli , Baudon .
Dalahay* lith
Mém. de la Soc. Acad. de l'Oise. Toiae Vil.
PL . IL
l -
A.Ba.xidon ad-natpinx,
1.
6-10.
inrp ■ £ ttconct .
Limax ajrestis.var? L. Saxorum^Baudon
Geomalacus hiemalis , Drou«t.
Krvni'^iiiîliu: Bruimeus DraT>.
Méro. de laSoc.Acad.de l'Oise
T.m.VlI.
PL IV
A
C^'^i^
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Û^
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i*^^^ -^
,4^^^W
r^^fc'"^
', _ t. liraax flllvus , Normand.
5-9- L arborum, Boucliard.
io la. T. artorum var? Nemoroaa.Baudon.
Mem deUSoc Acad de l'Oise. Tome VIL
1_5. l.imax cnspalus , "BaudûTi
6_9. Arion "Bourguiqnati , Mal).
10 _u. k vat,^ miiior.
Delihïvs lith.
DU DEPARTEMENT DE L'OISE. 20i
crépue à rextrémilé. — Tentacules supérieurs déliés, longs, co-
niques, demi-transparents, vineux, couverts de petits points
noirs. — Tentacules inférieurs courts, moins foncés, à peine
piquetés. — Cou arrondi , assez long; une ligne brune médiane,
deux latérales allant jusqu'au sommet des tentacules. — Yeux
très>noirs. — Cuirasse arrondie eu avant, légèrement aiguë en
arrière, brune lie de vin, plus pâle à la région de la limacelle,
sans taches ni points. — Stries fines, demi-efifacées. — Orifice
pulmonaire petit, aux deux tiers postérieurs du bord, plissé
souvent à son ouverture. — Dos arrondi , à rugosités médiocre-
ment saillantes, violet rougeâtre plus intense qu'à la cuirasse,
orné de quatre bandes larges, foncées. — Carène pâle, peu
sensible à l'origine, crépue à partir de la région moyenne, tran-
chante, plissée, onduleuse, saillante d'autant plus qu'elle ap-
proche de sa terminaison. — 5o/é' grisâtre. — Mucus poisseux,
incolore. — Lj'moce//^ mince, substransparente, à peine convexe,
ovalaire. Sommet à peine appréciable, au microscope, elle parait
composée de petits grains calcaires transparents, d'inégale gros-
seur, disséminés dans une substance presque friable, demi-
opaque, formant des saillies qui afiTectent l'aspect de stries irré-
gulières. Elle a quatre à cinq millimètres de long sur trois de
large. — Mâchoire roussâtre, à rostre mousse, peu saillant. Vn
millimètre et demi de long sur trois de large.
Variété obscure. — D'un brun plus foncé, moins rougeâtre que
le type, à fascies plus larges. Rare.
Localité. — Je ne l'ai jamais recueillie ailleurs qu'aux endroits
très-sombres de la forêt de Hez, vers octobre et novembre, sur
la fausse oronge et sur les autres grosses espèces de champi-
gnons. Elle n'est pas commune.
Observations. — J'ai étudié cette limace pendant plusieurs an-
nées, au moment de sa saison; mais tout d'abord, avec un
examen superficiel, j'étais disposé à la prendre pour un jeune
âge de Limax cinereus. Les individus que je recueillais avaient
toujours la même taille, et la confusion est devenue impossible
en analysant les caractères. Les tentacules piquetés de noir, l'ab-
sence de taches sur la cuirasse, la conformation spéciale de la
limacelle, la carène plissée et sa coloration particulière sont
autant de différences que je n'ai vues sur aucune de ses congé-
nères.
^02 MÉMOIRE SUR LES LIMACIBNS
3<> I^. af^restl», Lin.
Varielates :
io albidus (Picard, moll. delaSommej. — Blanc gri-
sâtre ou jaunâtre, uniforme; bandes à peine
appréciables
2« obscurus. — • Roux avec taches brunes.
3° saxoruniy Nob. (Moll. du département de TOise,
p. 10; pi. II, fig. 1; 1862). — Fond roussàtre
avec taches et ban4es nettes, parfaitement ré-
gulières.
Je cite les variétés principales que j'ai remarquées; mais il en
existe beaucoup d'autres intermédiaires.
é*" I^. variegatus, Drap.
Très-peu variable dans nos contrées. Robe d'un jaune pâle
roussàtre, plus ou moins intense, suivant le degré d'obscurité
où vit l'animal.
5<> I^. fulvus, Normand.
(PI. IV, flg. 1-4.)
1853. (Descrip. de six limaces nouvelles observées aux environs de Valen-
ciennes , p. 7, n» 1).
1855. Drouët (Enamér. des moll. terr. Oav. viv. de la France continent.,
p 12 , n» 17).
1855. Grateloup et Raaiin (Gat. moll. terr. flav. de la France continent.
et insul., p. 2, n* ]0).
1855. Grateloup (Distrib. géogr. de la Tamille des Limaciens, p. 9).
1855. Moqain-Tandon (Hist. nat. moll. terr. fluv. de France, p. 32, n* 11,
pi. IV, ilg. 1-1). Rangé parmi les espèces incertaines.
Animal fulvum, a latere vix rufo-violaceum vel oleaginum,
molle, mucoâum, laevigatum , elongatulum, posterius subacu-
tum; ultimacauda dcsinet in appendicem speclem cordis simu-
lantem.
Longit 0.06 centim. in extensione maxima^
Lat o.oor» — o.oof) millim.
DU DÉPARTEMENT DE L*OISE. 203
Animai allongé, un peu plus ventru à sa partie moyenne, su-
baigu en arrière, extrêmement mou, lisse, subtransparent,
gonflé par un mucus très-liquide, incolore; jaune gomme gutte
et rouss&tre par places, teinté de roux violacé pâle ou oliv&tre
latéralement. — Tête légèrement arrondie. — Tentacuiet^ supé-
rieurs assez longs, brillants, finement rugueux, d'un brun vineux
clair. — Tentacules inférieurs petits , moins fonças. — Points
oculaires situés en arrière du bouton terminal. — Cou arrondi,
brun roux supérieurement, à rugosités délicates. On y remarque
une ligne brune médiane et les cordons rétracteurs âes tenta-
cules. — Cmra««e ample, -mince, ovale en avant, pouvant se
relever, recouvrant le cou sans y adhérer et s'avançant libre-
ment sur lui, à linéoles très-tenues, arrondie en arrière. Elle
est paie en dessous , jaune avec teinte légèrement violacée en
avant. Deux bandes peu marquées plus accentuées de chaque
côté de la limacelle. Un point brun&tre, à peine appréciable,
existe juste au-dessus de cette concrétion, dont l'étendue semble
circonscrire la région. La partie supérieure de la cuirasse est co-
lorée par un beau jaune pâlissant et s'efïaçant latéralement. —
Orifice respiratoire petit, ovale, situé au tiers postérieur du bord.
— Abdomen arrondi, à rugosités superficielles, molles, plus ap-
préciables en arrière, olivâtre ou roux violacé au dessus, gris
p&le fondu doucement sur les côtés, jaunâtre antérieurement,
vert tendre assez souvent quand l'animal vient de manger. —
Carène jaune très-p&ie, à peine sensible à son origine, où elle
n'est indiquée que par sa nuance, devenant plus aiguë vers sa
terminaison. Le dessous du pied se compose d'un tissu fort dé-
licat, à peine coloré, translucide au milieu. La transparence
laisse apercevoir les viscères d'un violet rougeàtre. Il existe une
ligne médiane fine et deux latérales qui entourent complètement
cette partie et s'arrêtent à la naissance de Vappendice caxtdaL On
en distingue d'autres qui sont transversales, bien visibles pen-
dant la marche Y à peine appréciables au repos. Quand le mou-
vement de progression a lieu, ces portions divisées du pied
forment autant de segments qui s'agitent et se contractent suc-
cessivement. Cette observation est facile à faire quand la limace
rampe le long dos parois d'un bocal en verre. Les lignes latérales
et médianes, dont j'ai parlé tout à l'heure, s'arrêtent, sans y
pénétrer, à la naissance de Vapi»e7idfee caiulal^ organe entière-
204 MEMOIRE SUR LES LIMACIBNS
ment isolé du reste du corps (en dessous du moins), mais cor-
respondant avec les bords latéraux. Cetappendice est cordiforme,
un peu transparent, pâle jaunâtre, parsemé de points spongieux
inégaux , gris. Un linéament brun accompagne quelquefois une
parliez de son pourtour ; il a quelque analogie avec le pores mu-
queux des arions. La viscosité du corps et du dessous du pied
est à peine blanchâtre, assez gluante. Le mucus des parties su-
périeures seulement est d'un beau jaune gomme gutte; il est
déposé à leur surface comme chez beaucoup d'arions. Cette hu-
meur s'écoule sur la cuirasse par une infînité de petits pores
dont elle' est criblée. L'animal se décolore quand il la perd, et il
la perd avec une grande facilité. C'est une couleur solide, car
après ravoir laissée pendaot plus d'un an sur du papier, elle
n'était nullement altérée. — Limacelle mince, fragile, ovale,
presque plate , transparente étant fraîche. Rudiment de spire k
peine apparent. Six millimètres de haut sur quatre de large. —
Mâchoire cornée, bien arquée, à rostre aigu et à stries d'accrois-
sement accentuées. Jaune pâle. Un millimètre au plus de large.
Cette espèce n'est nullement craintive comme la plupart de ses
congénères. On peut la toucher sans qu'elle se rétracte. On la
renverse, on la change de place, et elle ne rentre même pas ses
tentacules. Son allure est vive, sa marche rapide. Elle fuit le
soleil et la chaleur, dont son corps mou ne s'accommode pas ,
car aussitôt que le mucus tend à se dessécher, elle diminue ra-
pidement et succombe.
M. Rétout l'a recueillie à Paris, au Luxembourg, dans une haie
de ti'oêne. Il l'acclimata dans une caisse, sur une terrasse, pen-
dant quatre années, et elle s'y reproduisit; mais les descendants
devinrent entièrement blancs, l^eur abâtardissement avait eu
lieu sous l'influence de la sécheresse et du grand air. Ses varia-
tions en taille et en coloration sont nombreuses. J'ai vu des
individus d'un jaune plus ou moins foncé. Il en est qui sont à
peine teintés, d'autres sont vert pâle. Ces états sont dûs aux
différences des milieux où vit momentanément l'animal.
Localités, — J'ai trouvé la limace jaune , vers la mi-octobre ,
dans la forêt de Uez , sous plusieurs espèces de champignons
vénéneux , principalement dans l'intérieur de la fausse oronge,
où elle creuse des galeries en famille ; sous des feuilles tombées,
mais plus rarement. M. Drouêt me l'adressa des environs de Dijon.
DU DÉPARTEMENT DE L OISE 205
Obaermtims. — Moquin-Tandon n'avait certainement jamais
vu cette excellente espèce , qu'il relègue parmi les limaces dou-
teuses.
6^ Li. arborum, Bouch.
(PI. IV, flg. 5-9.)
Var» : nemorosa, — Nobis.
(PI. IV, flg. 10-12.)
1838. (Cat. moU. terr. et flav., observ. à Tétat vivant dans le département
du Pas-de-Calais, p. l&l à 166, n* 6).
1852. Normand (Descript de six limaces noaveUes des environs de Valen-
ciennes , p. 6, n* 3 : I. scandensj.
1852. Baudon (Cat. moU da département de l'Oise , p. 6, n* 5, et Descript
dans Hém. Soc. Acad. de l'Oise, t. ii, 1852, l*'ball., p. 128, n*5 :
I. marginaius, Drap.}.
1854. P. de Cessac (Cat. esp. et princip. var. de mollusques terr. et d'eau
douce du département de la Creuse ; Extr. du 4* bull. du t ii de
la Soc. des Sciences nat. et arcb. de la Creuse ; Supp. au cat des
moU viv., p. 2 : L. scandensj.
1855. Grateloup et Rauiin (Catal moli. terr. fluv.-viv. foss. de ia France
contin. et Int., p. 2, n* 18 : L. scandensj.
1855 Grateloup (Distribution géogr. des LImaciens, p. lO: I. scandens;
L. arboruim? affinis £. marginali, HOil.)
1855. Drouët (Enumér. moli. terr. fluv. de France contin., p. li, nU2:
I. arborumj,
1855. Moquin-Tandon (Hist. nat. moli. terr. fluv. de France, etc., p. 24,
n» 4 : I. arborumj.
1862. Baudon (nouv. Cat. moU. du département de l'Oise, p. lO-ll, n* 10 :
£. sylvaticus; varietas caeruUa.
Animal plerumque crassum, compactum; elongatum, angus-
tum per gressum, molle, subpellucidum , griseo subcaeruleum;
tentaculis roseo vinosis; caréna pallida; abdomine macuiis
albidis sparso.
Longit 0.050 - 0.000 millim.
Lat 0.007 — 0.008 -
Varietas nemorosa. — Griseo rufa, perfasciata in clypeo et in
utroque latere carenae.
Animal très-allongé , mince , étroit pendant la marche; gros,
206 MÛIOIHË SLU LKS LIMACll^.NS
court, Irapu, ramassé à l'étal de repos; gluant, uii peu trans-
parent, arrondi en avant, terminé en pointe aiguë, gris bleu&tre;
tête et tentacules d'une teinte vineuse très claire. — Tentacules
supérieurs délicats, longs, effilés, transparents, terminés par
un petit bouton qui porte un œil noir postérieurement. — Ten-
iacules inférieurs (^o\xx\&^ aplatis à Textrémité, translucides, à
peine colorés. — Cou mince, lie de vin claire. Des taches brunes
pulviformes le séparent en deux. — Rugosités délicates. — Cui-
rasse arrondie antérieurement, aiguë en arrière , mince, humide,
molle, se déchirant facilement, ornée de stries vermicellées fines,
d'une teinte assez indécise, mais semblant être plutôt d'un
bleu&tre légèrement violacé, mêlé au roux p&le. Deux bandes
latérales foncées, fondues sur leur bord; souvent une médiane
moins prononcée. Région de la limacelle gibbeuse et jaun&tre.
La bande droite passe au-dessus du trou pulmonaire , qui s'en-
tr'ouvre aux deux tiers postérieurs du bord de la cuirasse. Cet
orifice est entouré par une bordure pâte, épaisse, au fond de
laquelle on le distingue. — Corps gris bleu ardoisé, plus intense de
chaque côté de la ligne médiane, coloration qui a l'apparence
d'une bande mal déterminée, avec macules ou points blanc sale,
grisâtres, disséminés çàet là, sans ordre, principalement sur les
côtés du ventre. Une ligne pâle prend naissance à la pointe de la
cuirasse, partage le corps en deux et diminue de largeur à l'extré-
mité; elle semble être une carène; mais celle-ci n'est réellement
bien prononcée qu'à la queue. — Stries fines, superficielles,
marquées en violet foncé dans le creux des anastomoses. — Plan
locomoteur transparent, pdle, jaunâtre en avant, laissant entre-
voir les viscères. On remarque, à la loupe, des lignos transver-
sales qui divisent la sole en segments. Elle sécrète une viscosité
incolore, épaisse, très-adhérente. Le mucus aqueux, que laisse
transsuder l'animal si abondamment quand on le touche, n'est
pas de même nature, et a la plus grande analogie avec de l'eau
faiblement gommée. Au plus léger contact, il se contracte, se
met en boule et s'inonde de ce liquide que l'on voit couler de
l'enveloppe tégumentaire. Plongé dans l'alcool, il laisse échapper
presque tout son mucus et il diminue énormément de volume.
Les bandes de la cuirasse apparaissent alors nettement. Lima-
celle : quatre à cinq millimètres de long sur trois de large, ovale,
aiguë, fragile, deml«opaque, légèrement convexe en dessus,
concave à peine en dessous, dilatée en avant, aiguë en arrière
DU DEPARTEMENT DE l'uISS 207
munie parfois d'une apopliyse saillante, à stries d'accroissement
.fines 9 assez mal limitée, dépassée par une pellicule diapliane
qui se dessèche rapidement. J'ai rencontré, exceptionnellement,
l'épaisseur signalée par Bouchard. •— Mâchoire de trois milli-
mètres de large, mince, molle, souple, jaune, sauf au bord
libre, qui est brun. Rostre à peine saillant, mousse. Stries rayon-
nantes, obliques de chaque côté, à peine appréciables. Cette
m&choire, fort remarquable, diffère complètement des autres,
qui , dans le plus grand nombre des cas , sont solides, épaisses,
fortement rostrées.
Cette limace, lourde, inerte, timide, lente dans ses mouve-
ments, le plus souvent repliée sur elle-même, ne montre guère
d'activité qu'au moment des pluies ou du brouillard. La rapidité
avec laquelle rampent les jeunes individus est singulière. C'est
une espèce essentiellement hygrométrique. Quand l'air est chargé
de vapeurs , son corps se gonfle et devient demi-transparent.
C'est à ce moment qu'elle change de place , grimpe activement
et s'élève quelquefois jusqu'à deux mètres et plus, ou bien elle
reste immobile pendant de longues heures, et absorbe, en cet
état, une telle quantité d'humidité que son volume augmente du
double dans l'espace d'une journée. L'abdomen , distendu , de-
vient opalin et permet de voir les viscères. Au contraire , pen-
dant les sécheresses, elle perd considérablement par l'évapora-
tion : elle se rapetisse, se rétracte, et alors le mucus prend une
consistance poisseuse.
Elle habite les bois très-ombragés et se tient au voisinage des
ruisseaux, fossés ou rivières, sur les arbres, sous leurs vieilles
écorces crevassées ou sous les feuilles de lierre qui s'y attachent.
Ces animaux forment là de véritables familles, comprenant
quelquefois une douzaine d'individus agglomérés , pressés les
uns contre les autres. C'est le nid de la limace. Souvent c'est à
cet endroit que Tceuf d'où elle est sortie s'est développé , car
entre les fissures des trous, sous les rameaux entrelacés du lierre,
existe un terreau léger dans lequel la ponte est déposée. Il est
donc fort naturel de rencontrer au même endroit plusieurs
groupes voisins.
Le mode d'habitation est en rapport avec ses besoins. En effet,
un liquide abondant lui étant indispensable pour entretenir la
souplesse de la peau , elle serait rapidement épuisée si elle rece-
vait l'impression d'un air trop vif. Aussi, on ne la trouve jamais
208 MEMOIRE SUR LES LIMAGIENS DU DEPARTEMENT DE L*018Ë.
que dans le voisinage de l'eau ou aux places ombragées. Je ne la
rencontre pas pendant les saisons sèches, mais toujours au prin-
temps , puis en septembre , octobre et novembre. Sa nourriture
consiste principalement en détritus ligneux des vieux bols ra-
mollis. Elle recherche également les petites mousses croissant à
leur surface. La mâchoire esi si molle qu'il ne lui serait pas pos-
sible d'entamer une substance un peu dure. La langue indique
par sa faible consistance qu'elle n'est pas destinée à recevoir des
molécules très-coriaces. Je crois que l'absorption de l'humidité
contribue pour sa part à son alimentation.
Localités, — Bois de Mérard, de Perelles, du Bury (Oise), le
long de la rivière.
Yarietis nemorosa, Nob. — Forme à peu près semblable à celle
du type, quoique moins svelle. Gris roussàtre mêlé de brun, avec
une teinte générale bleuâtre à peine indiquée. Bande bien mar-
quée latéralement sur la cuirasse, deux de chaque côté du dos;
celle qui suit la carène est d'un brun plus foncé; bande carini-
forme café au lait jusqu'à l'extrémité de la queue; taches blan-
châtres, surtout au ventre; ori.^ce pulmonaire entouré d'un
cercle roux pâle; mâchoire molle, plus grande quecliez le type.
Je l'ai trouvée en octobre et novembre, grimpant encore sur
les arbres dans la forêt de Hez. En novembre, après une forte
gelée, et avec une température très- basse, je l'ai recueillie dans
le creux d'un gros hêtre àdemi-rempli d'eau. Plusieurs individus
étaient enfoncés très-avant; d'autres, sortis à moitié du trou, se
préparaient à hiverner. Au reste, au milieu de la forêt, le froid
étant moins vif, l'hibernation a lieu plus tardivement.
Observations. — Le Umax arborum serait-il \e Limax sa/icium^
Bouillet (Cat. des espèces et var. de moll. terr. fluv., etc., de la
haute et basse Auvergne; 1836, p. 18, n« 10)? Le court aperçu
donné par cet auteur est trop insufûsant pour qu'il soit permis
de l'affirmer. Cependant l'on pourrait, jusqu'à un certain point,
soupçonner son identité, surtout avec la var» nemorosa. Je
crois qu'il serait utile de laisser complètement dans l'oubli, jus-
qu'à nouvel ordre, une espèce aussi peu déterminée, puisqu'elle
met sans cesse les malacologistes dans le doute.
AUG. BAUDON.
Mouy (Oise:. 1868
NÉCROLOGIE.
LE DOCTEUR DANIEL — LE PROFESSEUR Z0Ë6A.
Daus le cours de l'année qui vient de s'écouler, et qui laisse
dans tous les cœurs français de si douloureux souvenirs » la
Société Académique a fait deux perles qu'elle ressentira long-
temps. La mort de M. le docteur Daniel et celle de M. le profes-
seur Zoéga ont fait dans nos rangs un vide considérable, et nous
ne répondrions pas au sentiment public si nous ne rendions
pas à la mémoire de nos regrettés confrères le juste tribut
d'hommage auquel ils ont droit. Pour faire apprécier l'étendue
de cette double perte et la légitimité de nos regrets, il nous
suffira de rappeler avec simplicité le souvenir de ce qu'ils onè
été et de ce qu'ils ont fait. Rappeler avec exactitude et sincérité
ce dont nous avons tous été témoins, sera le plus bel éloge
qu'on puisse faire de ces deux hommes de bien.
Issu d'une ancienne famille beauvaisinej qui a fourni plu-
sieurs de ses membres à l'autorité municipale et au tribunal de
commerce, le docteur Daniel est né, en 1776, dans notre ville,
pour laquelle il ne cessa d'avoir et de professer un attachement
passionné. Il était petit-fils d'un médecin, et, Adèle aux tradi-
tions qu'il trouvait dans sa famille, il embrassa avec ardeur
cette noble profession.
Il entra dans la carrière sous les auspices d'un grand méde-
cin, M. Lenglet^ que son talent et son noble caractère rendirent
T. VIII. 14
210 NÉCROLOGIE.
l'objet du respect universel pendant la sinistre année 1793, dont
îl traversa la tourmente de la manière la plus honorable.
Le jeune Daniel avait à peine commencé ses études prélimi-
naires lorsqu'il fut appelé sous les drapeaux par les dangers
de la patrie. H fît partie de l'armée de Sambre-et-Meuse, alors
commandée par Jourdan, et à qui la France a dû tant d'illustres
généraux. 11 y fut employé dans le service de santé pendant la
campagne de 1794.
Revenu à Paris pour y continuer ses études médicales, il fut,
peu de temps après, renvoyé à Beauvais, à l'époque des troubles
qui agitèrent l'année 1795, où il fut attaché à rbOpital militaire.
C'est alors que, après un brillant examen , il obtint le titre
d'aide-major, avec lequel il refourna à l'armée où il fit plusieurs
campagnes.
Après avoir ainsi payé sa dette à son pays , M. Daniel , alors
âgé de vingt-cinq ans, revint pour toujours à Beauvais, où il
se fixa définitivement en 1800, après avoir obtenu, d'une ma-
nière très-honorable, le titre de docteur.
Depuis cette époque jusqu'à un âge très- avancé, Il ne cessa
de se livrer à l'exercice de la médecine avec un zèle et un dé-
sintéressement qui ne se démentirent jamais , et la reconnais-
sance des nombreux habitants de la ville et des environs, dans
toutes les classes, auxquels il a toujours prodigué les soins les
plus assidus, et quelquefois les plus généreux, atteste l'élévation
du sentiment avec laquelle il comprenait les devoirs de sa noble
profession.
^Âu milieu d'une vie si laborieuse et si utilement employée , il
savait trouver le moyen de cultiver la science, non seulement
dans ses rapports avec l'art de guérir, mais même dans les
branches étrangères à la médecine. La conchyliologie, la nu-
mismatique, et surtout l'histoire locale, furent l'objet de ses
études de prédilection. Souvent nous avons mis à contribution,
dans l'Intérêt de nos travaux, l'expérience qu'il avait acquise
dans ces différentes sciences. Hais ce qui doit surtout le recom-
mander à nos yeux, c'est le sincère et profond attachement qu'il
portait à sa ville natale et à la Société Académique, qu'il regar-
dait comme le plus fidèle organe de notre patriotisme local.
C'est sous l'influence de ce sentiment honorable qu'il s'était voué
tout particulièrement à l'histoire de notre cité, et qu'il a consacré
.NECROLOGIE. 211 I
un travail important à la constatation de Tétat de notre ville
en 1789, époque heureusement choisie pour recueillir les souve-
nirs d'un contemporain sur un état de choses qui allait dispa-
raître avec ses institutions et ses monuments.
Vous avez encore présents à la mémoire les consciencieuses
descriptions et les intéressants détails qu'il nous a donnés sur
les uns et sur les autres, ainsi que sur plusieurs usages spéciaux
à notre ville, qui nous ont fait connaître un des aspects les plus
frappants de la société fraDçaise avant la grande révolution
de 1789. Nous lui devons également une étude sur le^ souterrains
dont la ville était sillonnée, et qui entraient dans le vaste sys-
tème des fortifications de la place.
La Société n'a pas oublié les utiles dissertations qu'il lut à ses
séances ou qu'il inséra dans nos Mémoires sur différents points
de l'histoire locale, sur les monuments et les anciens usages de
notre ville, et sur les anciennes institutions qui y existaient
autrefois, notamment celles sur remplacement si controversé
de Bratuspantium , sur le temple de Bacchus, au mont Gapron,
sur les tours de l'ancien évêché , sur le chapitre cathédral de
Beauvais et sur la curieuse crypte de l'ancien cloître canonial,
devenue depuis, malgré son insuffisance, l'asile nécessaire de
notre musée.
Nous nous rappelons encore que , ami de tous les progrès , le
docteur Daniel ne bornait pas ses travaux aux recherches de
l'histoire et aux investigations de l'archéologie , et que dans son
zèle pour toutes les améliorations morales, et même matériellesi,
il faisait d'utiles excursions sur le terrain de la physiologie , de
l'hygiène et de la morale, qui ont entre elles tant d'affinités se-
crètes, dont ne pouvait manquer d'être touché l'esprit philoso-
phique et sagement pratique de notre excellent confrère.
Ces travaux nombreux, qui étaient pour lui une source de no-
bles jouissances, ne le détournèrent pas de l'exercice de sa pro-
fession, et on pouvait, à bon droit, le citer comme un des plus
zélés médecins de la contrée, et lors que, sur la proposition de
M. Baudouin, alors préfet de l'Oise, il fût nommé chevalier de
la Légion- d'Honneur en 1859 (i), ses confrères regardèrent cette
(1) Décret da 13 décembre 1859.
212 NÉCROLOGIE.
nomjnarion comme un hommage pour ie corps médical tout
entier, si bien représenté par le plus âgé de ses membres.
La longue carrière du docteur Daniel , honorée par la science
et le travail et par les services de tout genre rendus tant à la
population qu'à la Société Académique, était entourée du respect
qu'elle méritait.
Aussi, n'est-ce pas sans un vif regret que nous avons vu,
dans les dernières années, le docteur Daniel, vaincu par l'âge
et les infirmités, renoncer à venir à nos séances. Nous aurions
voulu posséder encore dans notre sein ce vieillard aimable et
laborieux, dont la présence était pour nous un modèle et
un encouragement. L'âge, qui avait épargné les lumières de
son intelligence et la chaleur du cœur, avait altéré chez lui le
sens de l'oule, et il ne pouvait plus prendre part à nos réunions
tout en restant attaché d'affection à notre Société. Mais vous
n'avez pas voulu que son nom disparût de nos registres de notre
Société, et le titre de membre honoraire, que vous lui avez conféré
à l'unanimité, atteste les liens d'amitié qui n'ont cessé de nous
unir au vénérable doyen qui était un des fondateurs de notre
association.
Il est mort avec le calme du juste, soutenu jusqu'à la fin par
une foi vive et pénétré du sentiment d'une profonde reconnais-
sance pour les grâces dont la Providence l'avait comblé, en-
touré d'une famille qui le vénérait et lui prodiguait les soins de
la plus affectueuse tendresse , à laquelle il a légué le souvenir
de ses travaux et de ses vertus.
La Société Académique, à la fondation de laquelle il a pris
une si grande part, conservera religieusement la mémoire de
cet homme de bien qui avait pour notre réunion un attachement
qui lui donne droit à tous nos regrets et à nos plus sympathiques
souvenirs.
Nous venons de vous rappeler les titres nombreux qu'avait,
à vos justes regrets, un vénérable confrère, qu'on pouvait, à
bon droit, considérer comme le type de cette fidélité au sol
natal, qui lui avait permis de terminera Beauvais une existence
de près d'un siècle, illustrée par d'honorables travaux. Nous
avons maintenant à vous entretenir de la perte d'un savant dis-
tingué , né loin de nous sur une terre qui n'était pas sa patrie,
NECROLOGIE. 213
et à qui son mérite personnel avait conquis le droit de cité en
France, des fonctions honorables et de nombreuses amitiés dans
sa patrie d'adoption, et que les malheurs de la France ont ré-
duit à rendre le dernier soupir sur la terre étrangère pendant
que la guerre désolait notre contrée. Destinées bien différentes
de deux hommes dont la mémoire nous est également chère,
et dont notre ville porte le deuil avec la même unanimité.
M. Frédéric-Salvator Zoéga, qui était un des vice-présidents de
la Société, était né à Rome en 1798. Son père, le chevalier Zoéga,
antiquaire renommé , était alors consul général du Danemark à
Rome, où il a fait de beaux travaux sur les monuments de l'an-
tiquité, et spécialement sur les obélisques. Il était lié d'une
amitié intime avec le célèbre sculpteur Thorroaldsen , qui tint
son fils sur les fonts du baptême , et les liens de cette parenté
spirituelle avaient établi entre Téminent artiste et notre confrère
des relations d'affection réciproque qui ont subsisté jusqu'à la
mort du premier, arrivée eu 1844.
Après la mort de son père, M. Zoéga, qui se destinait à la
carrière de renseignement , quitta Rome pour la Suisse , et il
professa les mathématiques, pendant plusieurs années, dans
l'institution de Hoffwille. Plus tard , ayant fait la connaissance
de plusieurs Français de distinction, qui appréciaient son mérite,
il entra, par leur conseil, à l'Université de France après avoir
obtenu sa naturalisation.
C'est alors qu'il fllt attaché au collège de Beauvals comme pro-
fesseur de mathématiques et de sciences physiques. Il ne tarda
pas à prouver une rare aptitude pour ses fonctions et à se conci-
lier l'affection de ses élèves par l'intérêt qu'il prenait à leurs
progrès, non moins que par l'afTectueuse douceur de ses procé-
dés. Nous avons tous été témoins du tendre attachement qu'après
vingt ans et plus ses élèves portaient à leur ancien professeur,
et plus d'une fois la Société recueillit les heureux résultats de
ces bons souvenirs dans d'utiles recrues fournies par les anciens
élèves de M. Zoéga.
Sans négliger les connaissances archéologiques , qui avaient,
aux yeux de notre excellent confrère , la consécration du zèle
avec lequel son père les avait cultivées, M. Zoéga répandait sur-
tout les lumières de sa vaste science sur la science naturelle, et
particulièrement sur les questions intéressant la physique et la
214 NÉCROLOGIE.
chimie . qui étaient devenues l'objet spécial de son enseignement.
Il s'occupait aussi avec soin des questions soulevées dans le
domaine des sciences naturelles, et notamment de l'astronomie.
Tout le monde se rappelle, à Beauvais, les belles conférences
qu'il institua en 1850, à l'imitation de M. Léon Foucault, pour
constater le mouvement de la terre autour du soleil, au moyen
du pendule suspendu dans la tour de l'église de Saint-£tienne.
Il n'est pas une personne éclairée et s'intéressant à la science, à
Beauvais , qui ne soit venue assister aux curieuses expériences
et aux lumineuses démonstrations de M. Zoéga. M. Randouin,
alors préfet de l'Oise, suivait ces séances avec un vif intérêt, et
M. Iléricart de Thury, membre de l'Académie des sciences, alors
dans notre ville, félicita chaleureusement l'habile professeur de
la manière dont il avait popularisé la belle expérience de Léon
Foucault à Beauvais, et rendit à l'Académie un compte très-
honorable du talent que M. Zoéga avait montré dans redc cir-
constance.
Malheureusement, les occupations de M. Zoega, comme pro-
fesseur, ne lui permirent pas de nous faire jouir de sa rare expé-
rience comme nous l'aurions désiré ; mais il concourait toujours
à élucider les questions qui s'élevaient sur des matières de sa
compétence, notamment sur des questions astronomiques, et
en particulier sur celles des étoiles filantes et des bolides, sur
lesquelles il s'éleva plusieurs discussions dans la Société.
Tant de titres marquaient la place de M. Zoéga à la tète de
notre compagnie. Aussi , quand la vice-présidence de la section
des sciences naturelles se trouva disponible, il n'y eut pas un
instant d'hésitation, et M. Zoéga y fut promu à l'unanimité.
L'assemblée savait qu'en élevant ce savant à sa tète, elle ho-
norait en même temps un lettré distingué. M. Zoéga, déjA agrégé
aux sciences mathématiques, avait également conquis le double
titre d'agrégé pour les langues allemande et italienne.
Il était officier de l'Instruction publique, et, sans doute, s'il
eût vécu quelques années de plus, la décoration de la Légion-
d'Honneur serait venue couronner sa brillante carrière scienti-
fique.
Nous touchions à une époque fatale qui donna à notre excel-
lent confrère une dernière et suprême occasion de montrer com-
bien son àme était ouverte aux sentiments les plus généreux et
NECROLOGIE 215
les plus patriotiques. Une guerre funeste, dont je n'ai ici à re-
chercher ni les origines, ni les navrants détails, avait livré la
France désarmée à un farouche vainqueur. Zoéga, fidèle à sa
patrie d'adoption, que ses nialheui;^ ne lui rendaient que plus
chère, ne pouvait supporter de voir son sol envahi et de penser
que peut-être sa connaissance de la langue allemande pourrait
l'exposer à servir d'interprète à nos vainqueurs. Peut-être le
souvenir de son ancienne patrie et la manière inique dont les
deux plus grandes nations allemandes avaient abusé de leur
force pour accabler un héroïque petit peuple, ajoutait-il à l'hor-
reur que lui inspirait leur insolent rriomphe. Il ne put consentir
à les voir en France, et au moment où les armées allemandes
approchaient de Beauvais il s'exila volontairement pour ne pas
les voir et, dans la circonstance, subir l'humiliation de servir
et faciliter leurs rapports avec les Français.
De France il passa en Belgique, où sa fille aînée s'était mariée
et où une autre de ses filles était retenue par un mal cruel qui
avait résisté à tous les efforts de la science. Cl venait à peine d'y
arriver, que la plus jeune de ses filles succomba à la maladie
qui la minait depuis longtemps. Ce dernier coup acheva de briser
les forces de Zoéga, déjà épuisées par tant d'épreuves, et il
expira, peu de jours après sa fille chérie, loin des amis qu'il
s'était faits en France et des compagnons de ses travaux.
Ainsi mourut, sur la terre étrangère, cet homme de bien, ce
savant distingué , qui , à défaut d'une patrie , trouva du moins ,
dans la catholique Belgique , les secours de sa religion , et les
consolations de sa famille.
DANJOU
DE LA
VÉGÉTATION DU DÉPARTEMENT DE L'OISE.
DEUXIÈME PARTIE.
STATISTIIIUE BOTÂMQl DU DJPÂRTn DE «
ou
CATALOGUE DES PLANTES
OBSERVÉES DANS L'ÉTENDUE DU DÉPARTEMENT DE L'OISE,
Par L. GRAVES,
Révisé, ANNOTé BT AUGMENTÉ
Par UFFOLTTE ROBUV,
■SQ0IS8B DB LA vifiATATION D» DJPARTBMBNT DB L'OISB 217
Soiiaote-diiième Famille. — OROBANGHiES, iassieo.
{Nom tiré du genre OrobancHE.)
f Fleurs munies inférieurement d'une
bractée et en outre de 2 bractéoles
latérales P/ielipcea^ G. A. Mey.
^ I Meurs munies iuférieurement d'une
bractée mais dépourvues de brac-
\ téoles latérales 2
Calice bilabié; stigmate profondé*
ment bilobé Orobanehe^ Lin.
^Calice campanule; stigmate entier ou
à peine échancré tMthrcea , Lin.
I. Fleurs munies inférieurement d'une bractée et en outre
de 2 bractéoles latérales,
Ptaellpœa, C. A. Mey. (in Ledeb. il. Alt. n, 459). — Pliéllpée.
Btym. — Dédié k L. Phdipeaox de PoDlehartraio , marin fnnçaiii, en 17».
Tige simple; corollelubuleuseàlobes
aigus ; fleurs bleues Ph. cœrulea^ C. A. Mey.
Tige rameuse ; corolle à tube plus ou
^ moins dilaté dans sa partie supé-
rieure , à lobes obtus ; fleurs jau-
nâtres P/i. ramosa^ C. A. Mey.
a. Tiges simples.
874. PheUpœa cœrulea , c. A. Mey. — PAélipée bleue.
Sur le Genista scoparia. — Forêt de Laigue. Bois de Taux ,
canton de Cbaumont. Noyon ! Bulles ! Gh&vres.
Sur VAchillosa mille folium. — Beau vais; Clermont; Passel;
Mondescourt; Bulles; Chaumont, bois de Labrosse; au mont
Plaisant.
218 BSQIHSSB DE LA VÉGliTATIOPr
T. R. *¥» Juillet-août. — Bords des chemins, des prés , des bois.
— Corolle bleu d'acier; stigmate blanc.
b. Tiges rameuses,
875. Phel. ramosa, c. A. Mey. — Pàélipée rameuse^ Tue-
chanvre , Canada , Orobanche de chanvre.
a. cannabicola, — Ctiaumont! Pouilly ! Sacy-le-Grand !
Béthisy ; Aiguisy ! Remy ! Clalroix ! Trosly- Breuil ! Plessis-
Brion! Salency ! Trémonvillers; LaNeuville-en-Hez; Senlis;
Senéfontaine; Mareuil-sur-Ourcq ; CoUinance; Nointel.
b. simplex. — Béthisy ! Yerneuil-sur-Oise ! Montmacq !
Breuil-le-Vert ; CoUinance ! Liancourt.
C. napicola. — CoUinance! mais dans un champ où Ton
avait cultivé antérieurement du chanvre,
d. apiicola, — Sur le céleri. Chaumont!
A. R. ®. Eté. — Terrains calcaires , chenevières , jardins.
Corolle d'un blanc-jaunâtre^ plus souvent lavée de violet, dans sa
partie supérieure; stigmate blanchâtre.
Nota. — Ses graines peuvent se conserver en terre plusieurs
années sans germer, mais dès qu'elles viennent à se trouver en
contact avec des racines du chanvre vivant, elles s'y attachent
immédiatement et développent une radicule qui s'y enfonce.
Cette plante arrête le développement des tiges du chanvre. On
a remarqué dans notre département qu'elle pousse rarement sur
le Chanvre de Tours ^ qui est plus vigoureux.
II. Fleurs munies infërieurement d'une bractée ^ mais dépourvues
de bractéoles latérales. Stigmate bilobé.
Orotoancbe, Lfn. (geii. 779, part.). — Oroliaiiolie.
Etym. — Da grec orobos, plante légamineose , anehô, étrangler; allosion au parasitisme
de ces plantes sur plusieurs légnmineoses,
/ Filets des étamines velus à leur
l base 2
i < Filets des étamines glabres à leur
/ base; corolle à lobes obscuré-
l ment dentés Orobanche rapum , Thuil.
DU DéPARTBMBNT DE L'OISK. 219
Corolle d'un rouge de sang inté-
1 rieur ; stigmate jaune Oroh. crventa , Bert.
Corolle non roug^ intérieur;
stigmate pourpre ou violacé... 3
Lèvre supérieure de la corolle
j entière s
I Lèvre supérieure de la corolle
éciiancrée ou découpée A
Filets des étamines très-velus... fi
4 \ Filets des étamines chargés seu-
lement de quelques poils épars. G
Stigmate d'un rouge foncé; co-
rolle à tube très- ample dans sa
partie supérieure Orob, gafii , Duby.
Stigmate Jaune Orob, rubens , Wallr.
Etamines insérées à la base de la
corolle Orob. epithymum , D. C.
Etamines insérées vers le milieu
de la corolle 7
.'Corolle à tube coudé; bractées
\ bien plus longues que la fleur. Orob.amethysten^lhM.
^Corolle à tube arqué; bractées à
^ peine aussi longues que la fleur. Orob, minor^ Suit.
Etamines insérées près la base de
la corolle Orob. feucrii, llol. et Sch.
^Etamines insérées presque au
milieu du tube de la corolle. 0
Corolle arquée; étamines peu
. velues à la base 10
iCorollecampanulée, non arquée;
étamines très-velues à la base. Orob, picridis , Schultz.
( Etamines peu velues Orob, hederœ^ Vauch.
( Etamines laineuses Orob. elatior^ Sutt.
a. stigmate jaune.
876. Orobanche rapum , Thuil. — Orobanehe rare.
T. C. ^^. Eté. — Sur les racines du Genêt à balais.
b. bracteosa , Reut. — Bractées plus longues et formant
une houppe au sommet de Tépi.
220 BSQUISSB DK LA VÉGÉTATION
Avrechy ; Le Metz , près Argenlieu ; bois de Vellennes ; Bonge-
nouU; Tremonvillers.
c. trifoliicola. — Noyon sur le Trèfle des prés. — Stigmate
Wun jaune citron et rougedtre à la base.
877. Or oh. cruenla, Bert. — Orobanche sanglante. Oro-
hanche du genêt , des Teinturiers,
Forêt âe Chantilly, vers Montgrésin ! parc de Compiègne , sur
une pelouse.
T. R. ^. Eté. — Pelouses, coteaux herbeux , terrains calcaires,
parasite sur les légumineuses herbacées. — Corolle à gorg^i rouge
de sang; filets des étamines velues; stigmate d^un jaune citron,
entouré d^une ligne pourprée.
878. Oro6. ruhens,yf^\\r. {Orob.medicaginis^^\va\\i,.)
T. B. ?. Mai-juin. — Medicago saliva et falcata des terrains
calcaires; légère odeur de Muguet. — Corolle purpuresceiue , ou
jaune violacé; stigmate jaune de cire. (Malgré Wallrolh et Duby
qui le disent pourpre.)
879. Orob. hederœ. Vauch. — Orobanche du lierre.
T. R. ?. Eté. — Pied de lierre à Balagny-sur-Théraln. — Corolle
faute , à stries pourpres ; stigmate d'un beau jaune.
880. Oro6. elalior , Sutt. — Orolmnche élevée.
Neuvillebosc ! butte d'Âumont , prés Senlis ! forêt de Halatte I
Fleurines; LIancourt; Noyon.
T. R. ?. Eté. — Parasite sur le Centaurea scabiosa et YHelian-
themum vulgare. — Corolle d'un violet-ochracé ; stigmate faune ^
sur VEryngium.
b. Stigmate purpurescent violacé ou amarante.
881. Oro6. flfa/jï, Duby. — Orobanche du gaillet.
Sur le Galium verum. — LIancourt ! Sacy-le-Grand ! Gauelon ,
vIs-à-vIs de Blenville ! Margny-les-Gomplègne !
Sur le Galium Bocconi. — Entre Plerrefonds et Batigny !
Sur le Galium mollugo. — Bois de Goudun ; Gompiègne; route
de Hermès, à Friancourt.
DU DÉPART KMBNT DK L'oISB. ^21
K. 9^. Mai-juin. — Pelouses, odeur de girofle; stigmate presque
foncé; étamines \elues comme VO. cruenta. Elle en dlifëre par sa
corolle plus longue , mais non ventrue à la base et par sa cou-
leur plus p&le. — Corolle violacée,
882. Or oh. minor, Suir. -^ Orobanche mineure.
BeauvaisI Giermont! Saint-Sauveur! bois Bateau, près Sené-
fontaine; forêt du Parc, vers Goincourt , sur VHelianthemum
vulgare,
A. R. ®. Eté. — Ordinairement sur le Ttifolium pratense. La
plus petite espèce (1-2 déc). ^ Corolle jaune violacée.
883. Orob. picridiSj Schultz. — Orobanche de la picride.
Forêt de Gompiègne ! Sur le Picris hieracioîdes.
T. R. d). Eté. — Calcaires , coteaux pierreux. — Corolle blanc-
Jatmâtre à veines purpurescentes; stigmate granuleux violacé.
884. Orob. amethysiea, Thuil. — Orobanche améthyste.
Mont-Ouin , près Trie-Gh&teau I entre Bulles et le bois de la
Truie ! Heilles et Morainval.
T. R. y- Eté. — Sur les racines ù'Eryngium campestre. — Fleurs
blanches , à veines bleu-Hlas; stigmate d^un brun pourpré.
885. Orob. epilhymum , DG. — Orobanche du thym.
Beauvals ! Senéfontaine; Bracheux ; mont de Hermès; Fontaine-
Saint- Lucien ; Uancourt; bois de La Grange; Angy ; Breteuil I
Thury-sous-Glermont! Dury-Saint-Claude ! Fleurlnes! mont Sain t-
Siméon, prèsNoyon! Glairoix! forêt de Gompiègne, au Rond
royal ! La Ghapelle-aux-Pots ; Agnetz. Lisière de la forêt de Hez ,
vers Ronquerolles ; Gbaumont, bois du Vivray; Bulles, vers
Monceaux; Bailleval, bois de la Montagne; Tillé; Giermont.
A. G. ^. Eté. — Sur la craie : racines du Thymus serpyllum —
pubescence visqueuse de ses parties. — Fleurs d'un rouge-pdle^
fleurs à odeur d'œillet; stigmate d'un pourpre foncé.
886. Orob. teucrii, Hoi. et Sch. — Orobanche de la ger-
mandrée.
Sur le Teucriumchamcedrys. — Beauvals ! Auneuil! Pontpoint!
Sur le Teuerium montanum. — Saint-Sauveur ! Vaumoise !
222 KSQUISSE DE LA VÉGÉTATION
R. ?. Eté. — Collines, pelouses calcaires. — Corolle rouge-
brun^ un peu violacé; stigmate d^un violet noirâtre. Plante à odeur
de girofle.
Les Orobanchées ont de l'analogie avec les Scrophulartacées dont
elleô diffèrent par rovaireuniloculaire, la position deTembryon
et le port des plantes. Elles sont parasites pendant une partie
de leur vie et ont des racines à la fois libres et adhérentes. Il
faut avoir soin de bien rechercher la plante nourricière de
rorobanche et s'efforcer de poursuivre les fibres radicales qui
rattachent l'espèce parasite à la plante qui lui fournit les
sucs.
Toumefort a réuni quelques belles espèces parmi les Oro-
banches^ sous le nom de PheHpcea\ il en a fait un genre parti-
culier, consacré à la mémoire de Phelipeaux de Pontchartrain ,
ministre de la marine sous Louis XIV , auquel Toumefort devait
l'entreprise de son voyage dans le Levant.
III. Fleurs munies inférieurement d'une bractée, mais dépourvue
de bractéoles. Stigmate entier,
lAllircea, Lîd. (gen. 745 , part.}. — I^aitarée.
Ëtym. — Do grec iatkraios , caché ; allusion à la tigo souterraine.
887. Laihrœa squammaria, Lin, — Lathrée ëcailleuse.
Clandestine,
Bois de Formerie., sur le chêne. Le bois est maintenant dé-
friché.
T. R. ?^. Printemps, — Parasite sur les racines de chêne, parmi
les feuilles mortes.
ou DÉPARTEMEM DE L'oISB. 223
Soixante el ouièm' Famille. — LABIfiES, Jossien.
{Nom tiré du latin Labium , lèvre; allusion à la forme de la corolle
qui est divisée en deux lobes simulant deux lèvres,)
4 Etamines munies d'anthères 3
( 2 Etamines munies d'anthères 2
i Corolle à lobes à peu près égaux. . . . Lycopus , Lin.
( Corolle à 2 lèvres très-distinctes Salvia, Lin.
i Corolle à 2 lèvres très-distinctes 6
Corolle à divisions presque égales ou
à lèvre supérieure très-courte 4
C Corolle à 4 lobes presque égaux Mentàa^ Lin.
( Corolle à lèvre inférieure prononcée. 5
Lèvre supérieure très-courte, bilobée,
\ lèvre inférieure 3-lobée 4Juga , Lin.
Lèvre supérieure à 2 divisions reje-
tées vers la lèvre inférieure Teucrium^ Lin.
Calice surmonté d'une bosse com-
g . primée, saillante Scutellaria, Lin.
^Calice non surmonté d'une bosse
saillante 7
^ C Calice évidemment bilabié 8
1 Calice à dents non dirigéesenî lèvres. 14
i Fleurs verticillées à l'aisselle des
feuilles 9
Fleurs en tètes ou épis terminaux... H
[ Calicelarge, veiné; fleurs très-grandos Melittis , Lin.
9 j Calice sillonné ou anguleux; fleurs
( petites ou moyennes iO
Calice à 5 angles; anthères à con-
nectif étroit ; fleurs blanches Melissa , Mœnch.
iCaliceà stries nombreuses; anthères
à lobes séparés par un connectif
ovoïde ou presque triangulaire;
fleurs roses ou bleuâtres Calamintha, Mœnch.
224 fcSi^UlSSB UE LA viGiTATlOR
Filets des étamines présentant une
. . dent au sommet Brunella , Tournef.
Vilets des étamines sans dent termi*
nale 12
i Fleurs en tètes terminales Thymus^ Lin.
( Fleurs en corymbe ou en épi 13
Epillets tétragones rapprochés en co-
, rymbe ; fleurs roses Origanum , Un.
1 Fleurs dirigées d'un même côté en
long épi ; fleurs bleues ffyssopus, Lin.
c Calice sillonné de stries nombreuses. 15
( Calice non strié ou à côtes espacées. 18
Ç Fleurs placées à Taisselle des feuilles. 16
( Fleurs en épis ou en grappes i\ei)eta , Lin.
( Fleurs en verlicilles fournis 17
(Fleursl-3danslesaissellosde8 feuilles Giechoma^ Lin.
( Calice à 10 dents Marrubium ^ Un.
' ( Calice à 8 dents Bailota, Lin.
/Feuillesdécoupéesen lobes profonds. Leonurus^ Lin.
18 ] Feuilles non découpées en lobes pro-
( fonds 19
Tube de la corolle cylindrique, à
. peine évasé au sommet Betonica , Lin.
Tube de la corolle dilaté et évasé au
sommet î20
/Lèvre inférieure à 3 lobes; les laté-
5 ^^^^ petits ou peu apparents Lamium , Lin.
i Lèvre inférieure à 3 lobes très dis-
( tincts 21
Lèvre inférieure pourvue de 2 dents
. ou plis à sa naissance Galeopsis , Lin.
Lèvre inférieure sans dents ou plis
saillants Stachys , Lin.
Nota. — Dans cette famille les auteurs ont négligé Tétude des
bractées.
DU DÉPARTEMENT DE L*OISE. 225
PREMIERE TRIBU. — MI^IVl*H4^IDl!)!^
(Noifi tiré dit genre llENTHA).
Corolle presque régulière infundibuliforme , à 1-5 lobes presque
égaux et non disposés en deux lèvres; étamines 4 , presque égales,
écartées les unes des autres; anthères toutes à deux loges paral-
lèles.
Mentlia,1Lln. (gen. n" 713). — Mentlie.
Etvn. ^ Be Minthé, nymphe , en grec , fille da Cocyte , que Proserpine, dtns
DD moDvemeot de jalonsie , métamorphosa en plante.
. Fleurs en épis ou en capitules ter-
1 < mlnaux , non feuilles 2
f Fleursenvertlcillesfeuillés, écartés G
I Fleurs en épis pointus 3
Fleurs en capitules arrondis-obtus;
feuilles pétiolées Mentha aquatica , Lin.
[ Feuilles glabres ou presque glabres. 5
3 I Feuilles velues-blanchàtres surtout
( en dessous 4
( Feuilles lancéolées, pointues; brac-
, tées linéairessubulées Ment, sylvestris, Lin.
Feuilles ovales-ridéesobtuses; brac-
tées ovales ou lancéolées Ment, rotundifolia , Lin.
C Feuilles pétiolées Ment, piperita , lluds.
\ Feuilles sessiles ou subsessiles. . . . Ment, viridis, Lin.
[ Calice fructifère à gorge fermée par
T) I un anneau de poils Ment, pulegium , Lin.
\ Calice fructifère à gorge nue 7
Calice campanulé-urcéolé ^ dents
. triangulaires Ment, arvensis , Lin.
Calice cylindracé à dents lancéo^
lées , acuroinées Ment, satii a , Lin.
T. VIII. 15
226 BSQDISSB DB LA VEGETATION
PREMIÈRE SECTION. - ELMEiMIlA, GR. — MENTHASTRUM.
a. Menthes en épis terminaux ou en glomérules simulant un épi
conique, non surmontés d'un faisceau de feuilles; feuUiles
sessiles ou subsessifes.
Calice fructifère à gorge nue non fermée par des poils,
888. lUeniha rolundifolia. Lin. — Menthe à feuilles
rondes, Coq bâtard, Baume, Menthe sauvage ^ Baume sauvage^
Baume d'eau ridé, Baume sauvage blanc, Mentastre^ Menthe
crépue. Herbe du mort,
b. crispa, L. — Feuilles fortement dentées en scie-, éta-
mines renfermées dans la corolle. — Therdonne; Ons-en-
Bray; Saint-Uartin-le-Nœud ; marais de Savoie, près
Beauvais; Néry ! Noyon; Montagny. — C'est cette variété
qui est cultivée dans les jardins médicinaux.
c. rosea, - Bresles; Montmille; Saint-Just-en-Ghaussée;
prairie de Laillerie, près Glermont — Les bractées sont
plus longues que dans l'espèce suivante, et presque lan-
céolées; étamines exsertes ; feuilles plutôt crénelées que
dentées en scie.
G. ^, Juillet-septembre. -— Lieux frais, bord des eaux, champs
pierreux.
Sa présence dénote l'existence d'une nappe d'eau souterraine.
889. Nieni. sylvestris^ Lin. — Menthe sauvage, Menthe
des bois , Herbe aux pyramides.
Plante diurétique et polymorphe.
Saint-Jean, près Beauvais; Bainvillers; Saint-Léger-en-Bray;
Gompiègne! étangs de Sain t- Pierre ; Noyon! Pont-Sainte-
Maxence! Glermont; Thury-en-Valois
a. vuigariSy Goss. — Feuilles opposées, d'un vert blan-
châtre en dessus, blanches et cotonneuses en dessous;
bractées subulées plus longues que le calice.
b. nemorosa^ Willd. — Feuilles lancéolées, pointues, à
dents égales ; étamines incluses.
DU DÉPAHTEMBNT DE L'OISB. 227
c. latifolia, — Feuilles larges , ovales , un peu ondulées
sur les bords.
Dans le type, les dents sont inégales et les élamines
exsertes. — Thury -en Valois!
c. forma spids gracilibus,
Â. C. i* ?. Juillet-septembre. — Autour des habitations, prés
humides, bords des eaux.
890. Meni, viridis, Lin. — Menthe verte, Menthe de Notre-
Dame, Menthe romaine.
Noyon! mont Renaud; pré Martinet, à Beauvais; Goincourt;
Liancourt! marais de Bresl es ! Senlis, àla porte Bellone 1 bos-
quets près Margny les-Compiègne! murs à Betz et Cuvergnon!
Maignelay.
a. vulgarisy Goss. — Gette plante paratt être une variété
de la précédente, répandue par la culture. Elle est verte et
glabre ou presque glabre. Ses tiges, dressées, fermes^
sont rameuses au sommet , couvertes de feuilles sessiles
plus étroites, lancéolées, inégalement dentées en scie, à
dents plus saillantes et plus aiguës. Les fleurs, d'un rose
pâle ou blanches, sont en glomérules disposés en épis
terminaux. Odeur très-pénétrante.
b. brevi folia. — Feuilles beaucoup plus courtes, ovales,
lancéolées.
c. genmna ou glabra. — Feuilles vertes et glabres, or-
dinairement planes et simplement dentées, plus rarement
onduleuses et Incisées aux bords.
d. pubeêcens, — Feuilles vertes , mais finement pubes-
centes sur les deux faces.
A. R. ?. Juillet-août. — Bois et lieux frais.
891. Meni. piperiia, Huds. — Menthe poivrée, Menthe
d'Angleterre.
Fréquemment cultivée.
Tourbières de Goincourt ; Mortefontaine. Subspontanée. Odeur
camphrée , aromatique.
f. T. R. ^. Juillet-septembre. — Lieux aquatiques. -— Sert à
aromatiser les bonbons et les liqueurs.
Gette espèce diffère de la précédente, à laquelle elle ressemble
2%8 ESQUISSE DE LA VEGETATION
beaucoup par ses feuilles pétiolées plus allongées , ses épis jilus
obtus, ses pédicelles et ses calices glabres, et V extrémité des dents
du calice un peu hérissée,
La Mentàa rotundifolio-sylvestris , Wirtg., à feuilles presque
elliptiques, obtuses, à odeur de Mentha rotundifolia^ et la Mentha
sylvestri-rotundifolia, Wirtg., foliis longe ellipticis acuie serra-
tis , spicis longissimis , sont à rechercher dans l'Oise. Une étude
attentive fera probablement découvrir ces deux hybrides.
b. Menthes en têtes ou en glomérules terminava arrondis en sphère;
feuilles assez longuement pétiolées,
892. Ment, aquatica, Lin. — Menthe aguatique , Menthe
d'eau ^ Menthe rouge. Baume d'eau à feuilles rondes^ Menthe à
grenouilles.
Stomachique, antispasmodique.
a. hirsuta. — Tiges et feuilles couvertes de poils blancs
laineux sur les pétioles et le haut des entre-nœuds; fleurs
plus petites. T. C.
b. glabrescens, — Hondainville ; Ons-en-Bray; Saint-
Martin-le-Nœud ; Goincourt. A. B.
c. alba, — Marais de Bresles.
La longueur des feuilles ne dépasse pas deux fois leur largeur.
T. C* ?. Eté. — Bord des eaux.
Il serait intéressant et utile de rechercher la Mentha nepetoides,
Lej., ou Mentha sylvestri-aquatica, Mey. Cette hybride a le feuil-
lage de la Mentha aquatica , l'épi de la Mentha sylvestris, mais
plus épais, ovoidéo -conique. Une variété de cette hybride a les
feuilles ovales, un peu en cœur à la base (Mentha nemoroso-hir
suta)\ une deuxième variété [Mentha nemorosa-aquatica) aie
tube de la corolle glabre à Tintérieur, les fruits verruqueux,
rinflorescence en épis serrés, les feuilles ovales, se rétrécissant
vers le pétiole.
c. Menthes verticillées en glomérules verticilliformes assez espacés,
893. iM ettf . sativa, Lin. — Menthe cultivée, Menthe^Baume^
Baume des Jardins,
DU DÉPARTEMENT DE L'OISE. 229
a. ruhroy Smith. — Plante à odeur très-pénétrante,
glabre ou ne présentant que quelques poils épars sur les
nervures des feuilles. Tige raide , rougeàtre. Feuilles lui-
santes y d'un vert foncé. Subspontanée.
Forêt de Gompiègne, sur les routes de La Lande-Blin,
de Morienval, de Crépy, prèsla Bréviaire, et au marais
des Planchettes ! coteau de Verberie !
b. procumbens, Thuil. — Saint-Martin -le-Nœud ; Llan-
court! Senlis! Mortefontaine. — Plante velue, hérissée,
peu odorante ; pédicelles hérissés.
A. R. ^. Eté. — Bords des eaux , forêts sombres ; elle a le feuil-
lage de la Mentha aguatica. Elle sert à aromatiser les bonbons
et les liqueurs.
894. Mewti. arvemiSy Lin. — Menthe desckampSy Calament
des champs^ Pouliot. — Thym,
b. glaàrescens, — Tige rougeàtre : base du calice et pé-
dicelles glabres ou pourvus de quelques poils épars.
T. G. 9^. Juillet-septembre. — Champs humides : très-voisine
de la précédente. On l'en distingue au tube calicinal en cloche
avant et après Vanthèse.
DEUXIÈME SECTION. — PULEGIUM, MILL.
Calice à gorge fermée par un anneau de poils connivents,
895. Ment, pulegium, Lin. — Menthe pouliot^ Pouliot
commun , Herbe aux puces ^ Herbe de Saint- Laurent,
b. flore albo, — Ghoisy au-Bac!
c. villosa, Benth. —Plante velue, blanchâtre; corolle
velue. — Villers-Saint^enest; Greil; Montagny.
T. C. ?. Août. ~ Lieux souvent inondés Thiver. Odeur très-
forte. Cette plante est employée contre Tasthme.
Le genre Mentha donne naissance à des hybrides et varie par
rapport à la pubescence, à l'odeur, à la couleur de la tige, à la
forme des feuilles , à la position des étamines.
Nota. — Dans les Menthes, la plante glabre est toujours plus
odorante que la plante velue. Les feuilles crispées se rencontrent
surtout dans les terrains cultivés.
» _ ».
250 ESQUISSE DE LA VEGETATION
Ijycopa*» Lin. {ç;en, n« 15). — l^ycope.
Etym. — Dd grec Lueos , lonp , pous , pied ; allasion k Ui forme des feuilles.
896. ijycopum Europœus^ Lin. — Lycope d'Europe, Mar-
Tvbe aquatique^ Pied de loup y Tjxnce du Christ ^ Chanvre d*eau.
h, incanus. — Lieux moins humides. Un peu cotonneux.
T. C. ?. Eté. — Bord des eaux , haies.
Les Lycopes ne diffèrent des Menthes que parce qu'ils ont deux
étamines qui avortent; ils sont privés de l'odeur aromatique
des Menthes.
DEUXIÈME TRIBU. — TKDCRIEKS.
Corolle en apparence urdlabièe^ la lèvre supérieure étant très courte
et peu distincte ou étant bipartite; étamines 4, parallèles, les
inférieures plus longues,
AjD8;a« Lin. (gen. d** 785). — Dogle.
Rtym. — Altératiou (Vabigo, en latin, je cbasse; allusion ii do pr^lendaes propriétés
•mménagogaes ?
Feuilles caulinaires, tripartites,
à divisions linéaires yijuga chamœpitys, Schrel).
Feuilles caulinaires entières, si-
nuées ou crénelées â
l Tige munie, à sa base, de longs
, rejets stériles ///it. reptans, Lin.
Tige n'ayant point, à sa base,
de rejets stériles ^ju. generensis^ Lin.
897. AJuga reptans^ Lin. — Bv^le rampante, Bugule^ petite
Consolide, Consoude moyenne,
b. alba, — Saint-Martin le-Nœud; L'Italienne.
c. rosea. - Beauvais; Allonne; bois montueux.
Plante vulnéraire. Les feuilles, appliquées en cataplasmes.
DU DÉPARTEMENT DE L*OISE. 231
sont recommandées contre les cancers. Le^ feuilles sont rare-
ment velues; les bractées de Tépi supérieur sont souvent colo-
rées en bleu.
T. G. ?. Mai-juillet. — Prés et bois flrais.
898. Aju, genevensiSy Lin. — Bugle de Genève.
Bois de Troissereux ! de Savignies ; lisières des bosquets dé-
couverts du mont de Hermès; bois de Bailleval; bois d'Eper-
mont; Laversines; Petit-Fercourt ; mont Saint-Siméon , près
Noyon; Pâmes! Liancourt ! forêt de Chantilly! Orry-la- Ville!
coteaux de Cuts; montagne de Clairoix; friches à Haudivillers ;
forêt de Pontarmé! Hondainville! Mouchy-le-Chàtel ! Vemeuil-
sur Oise! forêts de Hez, d'Ermenonville, deCompiègne, à la
Faisanderie! Saint-Sauveur! bois du Parc-aux -Dames et du
Tillet! Thury-en Valois! Saint-Maur, canton de Ressons! bois de
Béhéricourt et de Courcelles ! Champlieu ! forêt de la Haute-
Pommeraye; Bulles; Le Plessis-sur-Bulles; Airion; Etouy;
Agnetz; Essuiles; Fournival; Le Mesnil-sur-Bulles; Haudivil-
lers; bois de Mont.
b. flore albo. — Bois des Brays , canton de Crépy !
c. rosea. — Troissereux.
d. longibracteata {^jugapyramid7lU)^L, ^fe\x\\\tèfLO'
raies, entières, ou sinuées, toutes une fois plus longues
que les fleurs; tige dépassant peu la rosette de feuilles
radicales; sans doute développement tardif. T. R. — Pâmes
et llalincourt; forêt de Chantilly; Noyon.
Cette espèce diffère de la précédente par Tabsence de rejets
rampants, et de la variété d. par ses feuilles inférieures, qui
ne dépassent point les autres en grandeur; elle est plus coton-
neuse.
A. R. '^. Mai-juillet. - Prés , bois et champs sablonneux des
terrains calcaires.
899, AJu. chamœpifys, Schreb. — Bugle petit-pin, Yvette,
faux Pin.
Craie à La MIauroy; Notre-Dame-du-Thil; forêt du Parc. Dans
ces trois localités, il était déjà signalé comme très-abondant
en 1780. Bois de la Ferme-Rouge, près Beauvais; Hermès; Bail-
leul-sur-Thérain ; Mouchy-le-Châtel ; bois des Longues-Eaux,
232 ESQUISSE DE LA ViIgÉTATION
à Fontaine-Saint- Lucien! Novales d'Abbecourt! parc de Mor-
tefontaine ! coteaux de Liancourt, sur le chemin de Villers !
Moncby-Humières ! Ganelon! Verueuil; Saint- Vaast-de-Long-
mont ; Beaulieu I Chevincourt ; Yandelicourt ! forêt de La Hérelle 1
Acy-en-Multieii ! Verberîe! Breuil-le-Sec! Vieuxmoulin, dans la
forêt de Compiègne! Bulles; Agnelz; La Hérelle; mont César;
montagnes deTarlefesse et de Larbroye; Gesvres; Le Metz, près
Avrechy; Cuignières; Balagny-sur-Thérain; Ully-Saint-Georges.
A. G. d). Eté. — Lieux cultivés sablonneux, terrains calcaires,
champs après la moisson.
Teacrlum, Lin. (gen. n"* 706). — Germandrée.
Elym. — De Teueer, roi de Trofe , qoi , le premivr, en découvrit les propriiHés médirinates.
Feuilles entières; fleurs en têtes
terminales Tettcrium montanum. Lin.
Feuilles dentées ou découpées;
fleurs axillaires ou en grappes. 2
Fleurs jaunâtres, en grappes al-
longées Teuc. Scorodonia, Lin.
Fleurs axillaires , purpurines ou
blanches 3
( Feuilles multifldes Teuc. Bofrys, Lin.
3 I Feuilles simplement dentées ou
f crénelées 4
, C Feuilles sessiles Teuc. Scordium, Lin.
( Feuilles pétiolées Teuc. Chamœdnjs, Lin.
900. TeuetnuMn ScoiodonU, Lin. — Germandrée Scoro-
doïne^ Sauge des bois^ faux Scordium, Cermaridrée saura ge,
Sauge sauvage^ Sauge des montagnes , Germandrée à feuilles de
sauge.
T. C. ?. Eté. - Bois et coteaux pierreux.
Feuilles sudoriflques , diurétiques, bonnes contre Thydropisie.
901. Teuc Scordium, Lin. — Germandrée scordium^ Scor-
dium ^ Chamarras^ Germandrée d'eau ^ Germandrée aquatique y
Herbe à lait.
DU DÉPARTBMBNT DB L OISE. 233
Auxmarais; Villembray; Bresles et Sacy-le-Grand ; Valécourl
et Parties ! Chevrîères ! Rosoy et Ginqueux ! Chevincourt et Vau-
genlieuî forêt de Compiègne, au Vîvier-Corax, au pont des
Planchettes, sur la route d'Aumont! ruisseau de la Bréviaire;
Verneuil-sur-Oise ! Pont-Lévèque: Mortefontaine ! Noyon.
R. '^, Août-septembre. — Marais humides et tourbeux. —
Plante antiputride.
902. Teue, Botrys, Lin. — Germandrée hotryde^ German-
drée femelle,
G. d). Juin-août. — Ghamps pierreux des terrains calcaires,
b. flore albo, —Noyon: Tarlefesse; Ully-Saint-Georges;
Bulles; Montplaîson , près le bois Guesnet (1849).
903. Teue. Chamœdrys, Lin. — Germandrée petit-chêne ,
Chasse-Fièvre, Calamandrée, Chenette, petit Chêne^ Germandrée^
Germandrée officinale^ Sauge a mère , Thériaque d'Angleterre.
b. flore albo, — R. Saint-Paul ; plateau du mont Gésar.
G. ?. Eté. — Goteaux stériles et bois découverts des terrains
calcaires , talus des routes.
904. Teue. montanum. Lin. — Germandrée des montagnes^
Pouliot des montagnes.
Monts Gésar et de Hermès; Troissereux; larris de Houssoye,
de Warluis, de Fontaine-Saint-Lucien; la Gloriette, près Four-
nival; Canneville, près Gliantilly; vallon de Montchavert; Ga-
nelon; Dieudonné; Fulaisnes; Marolles; Verberie; Vaumoise;
Russy; Verderonne; Mareuil-sur-Ourcq; forêt de Gomplègne;
bois de Labrosse; Saint-Leu-d'Esserent entre La Morlaye e^
Gouvieux; Sentis; Gompiègne: Saint-Gervais ; Bulles, le long
du bois de Blémont, côté de Wari ville, et au-dessous du bois
de la bame, vers Monceaux; Ghaumont, bois du Vivray; marais
de Bresles , sur une butte.
a. supinum, — Porquéricourt ; mont Saint-Siméon. —
Feuilles très-étroites, linéaires.
b. foliis latioribus.
A. G. ?. Eté. — Goteaux secs et pelouses des terrains calcaires
exposés au soleil. >
I
234 ESQUISSE DE LA VÉGÉTATION
TROISIÈME TRIBU. — LAMIEES OU BILABIÉE8*
Elamines 2, parallèles et placées sous la lèvre supérieure
de la corolle; corolle évidemment bilabiée,
Salvla, LiD. (gen. n* 39). — Nau^e.
Etym. — De aalvare, Movcr ; allasion aox propriétés médicinales de qoeiqoes espèces.
Feuilles échancrées en cœur à la base. 2
i { Feuilles non échancrées en cœur à la
base Salvia verbenaca, Lin.
Bractées vertes, plus courtes que les
1 calices Sal, pratenHs, Lin.
Bractées colorées, plus longues que
les calices. 5a/. Sclarea, Lin.
905. Salvia Sclarea, Lin — Sauge sclarée, Orvale^ Toute-
Bonne ^ Sclarèe,
Ponchon! Monlagny! Loconville! Hénonville! coteau de Lian-
court! bois de Mermont, près Saint-Just-en-Chaussée ! Jaux!
Varenval ! anciens remparts de Gerberoy I cbemin de Rebetz à
Chaumont; Margnyles Compiègne! Précy-sur-Oise, chemin du
moulin! carrières entre Gou vieux et Chantilly! Senlis! Mello;
Balagny-surThérain; Cinqueux; Varenval! Rebetz; Montépilloy,
près Senlis; pelouses du parc de Puiseux-le-IIautberger.
R. V, Eté. — Coteaux secs, plutôt subspontanée qu'indigène,
provenant alors des jardins et des grandes cultures du moyen
≥ voisinage des vieux châteaux; coteaux calcaires, carrières.
Infusée à froid dans du vin blanc, cette plante lui commu-
nique un goût de vin muscat.
Plante estimée dans les maladies utérines.
906. Sal. pratensis. Lin. — Sauge des prés. Sauge sauvage.
Beauvais! Bongenoult et les Landes; Avrechy; cimetière de
Nointel ; Grillon ; pré Martinet, près Beauvais ; marais de Choisy
au-Bac; Mello; Erquery; Angy; Bury; Croissy; Chantoiseaux
Le Metz, près Frocourt; Omécourt; Heilles et Mouchy-le-Châtel
rJeuvillers; Liancourt; Compiègne! Le Ganelon ! Le Francport
Cinqueux! Mogneville! Rieux! Boubiers! Agnelz; Montmille;
DU DÉPARTSMKNT DB L'OISB. 235
Noyon; Cannes; Glermont, près le Pont-de-Pierre; pelouses de
Puiseux-le-Hautberger.
b. foliis incisU. - Feuilles radicales, si nuées, ou presque
pinnatifides.
c. ro$ea, — Friches de Montmille !
d. alha. — Noyon! Ognon!
e. rotundifolia.
Â. G. ?. Eté. — Prés et bords des chemins des terrains calcaires.
De La Fons a trouvé à Sempigny une tige de celte espèce, dont
les feuilles caulinaires, au lieu d'être lancéolées-acuminécs ,
étaient orbiculaires et surmontées d'une longue pointe.
907. Sal. verbenaca. Lin. - Sauge à feuilles de verveine,
Guts; Hénonville.
T. R. ?^. Eté. — Goteaux secs et herbeux des terrains calcaires.
La Salvia verticillata^ Lin., a été trouvée sur la montagne de
Lîancourl; elle était probablement semée.
Le RosmariniLs offidnaUs^ Lin. {Romarin)^ originaire de l'Eu-
rope méridionale, est universellement cultivé.
QUATRIEME TRIBU. — STACllYDEŒ, BENTH.
Corolle bilahiée; éiamines 4 , parallèles et rapprochées sous la lèvre
supérieure de la corolle; les éiamines postérieures lesplus longues.
SECTION A.
CALICE NI ENFLé, NI BILABIÉ, OUVERT ET A DENTS ÉTALÉES
A LA BIATURITé.
i . Eiamines exsertes.
■jamluin, Lin. (gen. ri*716). *— Ijamler.
Btym. — De Lamium, ortie, en latin : ressemblance do feuillage et des tiges de certaines
c^ipèces de ce genre avec ceux dos orties; ou bien i\c iamion, en grec, tKaen\e ouverte;
Mllosion à la rormc de la fleur.
/ Fleurs jaunes ramiumgaleoàdolon , Grantz.
1 ) Fleurs purpurines ou blan-
f ches 2
236 B8QU1SSB DS LA V^GÉTATIGN
[ Feuilles plus ou moins pétio-
^ , lées • 3
Teuilles supérieures sessîles
et amplexicaules Lam, amplexicaulty Lin.
/^Tube de la corolle courbé et
V beaucoup plus long que le
3 } calice Lam, album, Lin.
/Tube de la corolle droit, dé-
passant peu le calice 4
/ Feuilles irrégulièrement inci-
4 < sées iMm. incisum, Willd.
Feuilles dentées ou crénelées, Lam. purpureum, Lin.
908. Lawnium galeobdolon^ Grantz. — Lamier gaieob-
doioriy Lamier jaune, Ortie jaune,
T. G. ?. Printemps. — Bois et prés ombragés.
909. Mjam. album. Lin. — Lamier blanc, Ortie blanche»
Ortie morte, Lamier archangélique,
T. G. ?. Mai-septembre. — Haies et lieux incultes. On la re-
commande contre les hémorrhagies utérines, les fleurs blanches
et les maladies des poumons,
b. purpureum.
910. Mjam. purpureum^ Lin. — Lamier pourpre. Ortie
morte des champs, Ortie rouge,
b. roseum.
T. G. ® ou (§). Mai-juin. — Lieux cultivés. Gette plante exhale
une odeur fétide.
911. Lam. incisum, Willd. — Lamier découpé.
Senlis ! bois de Liancourt! Ermenonville! Varenne! Beauvais
même.
R. d). Eté, quelquefois automne. — Lieux cultivés.
912. JLatii amplexicaule, Lin. — Lamier amplexicaule^
Pas de poule.
s. v. 6r«?</!oruiw. — Gorolle presque avortée, à tube
plus court que le calice.
DU DBFARTBMENT DE L'oISE. 237
G. d). Mai-septembre. — Lieux cultivés. Nuisible aux vignobles.
Les Ijimium sont remarquables par leurs feuilles supérieures,
qui, dans la plupart des espèces, sont distinguées par deux pe-
tites dépressions que Ton observe sous leur pétiole, dans le
voisinage de leur insertion.
Ils veulent des stations azotées.
l^eonara*, Lîu. (geuc u* 722). — Jk^ripaiiBie.
litym. — De Lion , lion, oura , queae, en grec : allusion k la forme de l'épi.
913. JLeonurus eardiaca, Lin. — Agripaume cardiaque^
Queue de lion à cause des verticilles nombreux qui forment les
épis de ce genre de plantes, dont plusieurs espèces sont cu-
rieuses , Herbe avoB tonnelliers. Bonne dans les cas de douleurs
cardiargiques (d'où cardiaca),
Hanvoile; La Neuville-en-Hez ; haies entre Beauvais et Tillé!
Narissel; marais de Rue-Saint-Pierre; Mouy; Goincourt; Le
Béquet; Bruneval; Troissereux; forêt de Hez; Bemeuil; Notre-
Dame-du-Thil ; Méru ; Beaurepaire ; Saint-Just-en- Ghaussée !
Noyon! GaufTry! Machemont! Le Plessis! Glermont! LeMeuxl
Royalieu et Vieux-Moulin ! à la Faisanderie, forêt deGompiègnc;
Borest! Gondreville! Macqueline! Tbury-en- Valois I Feigneux!
Gilocourtl Néry! Ghàvres! Aulmont et la Victoire! Tracyle-
Mont! Bailleul-sur-Thérain ; Merlemont; Saint-Germer.
A. G. ?. Eté. — Haies , bords des chemins.
OaleopslM* Lin. (gen. ri* 717. — €)aléop«ide.
Etyiu. — De GûUû , casqoe en latin , et A'opsis, figure en grée : allusion ii la forme
de la lèvre supérieure de la corolle.
Tige renflée sur les nœuds, héris-
sée de soies piquantes Galeopsis TetrahU, Lin.
iTige peu ou point renflée, pubes-
cente Galeop. Ladanum^ Lin.
914. Oaleapmim Ladanum, Lin. — Gatéopside iadanum,
Chatnbreule^ Cherbe^ Gueule de chat. Ortie rouge.
Nuisible aux bestiaux. Geux qui en mangent le vomissent , au
témoignage de plusieurs fermiers de nos environs.
ti38 ESQUISSE DE LA V^GéTATlON
a. tatifolia. — Feuilles oblongues-elliptiques , dentées
en scie; corolle purpurine, rarement blanche, plus ou
moins grande.
b. alba, — Tillé; Hermès; Notre- Dame-du-Tliil; Ully-
Saint-Georges ; Thury-en-Valois ; Le Mesnil-sur-BuUes ;
Bulles; Âgnetz.
c. rosea. — Hermès; Ully-Saint-Georges.
d. flore rvJbro margine luteo, — Champs de Bulles (i8-49).
e. angustifolia. — Feuilles oblongues, lancéolées, li-
néaires; fleurs petites à tubes inclus.
f. parviflora, — Troissereux! Liancourt! Compiègne. —
FeuiHes plus larges, plus régulièrement dentées; verti-
celles plus écartés; calices hérissés et non velus; corolles
de moitié plus petites, à tube inclus.
T. G. ®. Juillet-septembre. — Moissons.
915. Galeop. Telrahil, Lin. - Gaieopside tetrahit, Ga-
leopse chanvrin. Chanvre sauvage j Ortie royale, Cramois.
Graines oléagineuses.
b. alba.— Ons-en-Bray; Le Vivier-d'Angers; forêt de
Hez; bosquets du mont César; Troissereux; marais de
Belloy ; Auxmarais ; ferme de Penthemont.
c. rosea. — Lieux humides et ombragés.
d. nigricans. — Calices noirâtres, munis de très-longues
dents.
e. flore termina li guadrifido hypocrateri forma, — Fleur
terminale, régulière, 4 lobes ouverts, A étamines égales.
f. bifida. -— Lobe moyen de la lèvre inférieure échan-
cré-biiide.
T. C. ®. Eté. — Moissons , bois découverts.
Le Galeopsis dubia^ Leers., a été trouvé par nous, en i855, à
Saint-Paul; nous ne savons s'il s'y est maintenu.
Les Galeopsis ont les bractées subulées presque sous chaque
feuille.
Stacby«, Lin. (gen. u* 719). — Bplaire.
Etym. — De stackuSf épi , en grec : alIusioD à la disposition des plantes.
. ( Fleurs roses ou purpurines â
( Fleurs d'un blanc jaun&tre 6
DU DEPARTEMENT DE L*OISE. 239
Tiges et feuilles couvertes d'une
laine épaisse et blanche Stacfnjs germanica^ Lin.
2 ^ Tiges et feuilles plus ou moins ve-
lues, non cotonneuses et blan-
ches 3
Plante vivaee; feuilles longues de
o 1 plus de 3 centimètres 4
Plante annuelle; feuilles longues
de 2 centimètres au plus Stac, arvensis^ Lin.
Feuilles sessiles ou à pétiole très-
court Stac, palustris, Lin.
I Feuilles pétiolées, surtout les infé-
rieures 5
IVerticilles accompagnés de feuilles, Stac, alpina, Lin.
Verticilles rapprochés en épis non
feuilles Stac, sylvatica, Lin.
i Plante vivaee à feuilles velues. . . . StaAi. recta, Lin.
Plante annuelle à feuilles à peu
près glabres Stac, annua, Lin.
A. Fleurs purpurines ou roses.
a. FavM verticilles denses^ multi flores.
916. Siaehym alpina. Lin. — Epiaire des Alpes.
Forêt du Parc l Montmille; Goincourt; Saint-Jean , près Beau-
vais; Savignies; bois de Méru, de Jaméricourt, de Pouilly, de
la Maladrerie , à Liancourt, de Carlepont, de Lagny ! Les Horgnes,
au bois Berger; bois de Pérelles, canton d'Auneuil; Wariville;
Essuilles; Hontreuil sur-Thérain ; Gerberoy; LeMesnil-Théribus;
Villepoix; Ghaumont; Rou ville; Betz; Goyolles; parc de Rebetz;
Oudeuil; Saint'Sauveur;Bertichères; Beausseré; forêt de Thelle:
forêt de Remy! bois de la Dame et prairies, à Bulles; bois du
Plessier, à Roquencourt ! Roberval et bois de Saint- Vaast-de-
Longmont, au-dessus de Gappy ! Saint-Nicolas de Gourson; Retz;
Gandor; Saint-Âubin-en-Bray ; forêt de Gompiègne , aux Grands-
Monts, autour du Four-d'en-Haut; bordures du bois de MontroUe;
taillis d'Yvors; bois du Tillet; garenne Saint-André, à Autheuil-
en-Valois ! parc de Gondreville ; garenne de Vaumoise ; Rocque-
240 ESQUISSE DE LA VÉGÉTATION
mont! Balagny-sur-Onettel Verberie! Les Forges, près Hilly;
bois de Caumont; Bourmont; Ressons-sur-Malz ; Cuigy-en-Bray ;
bois de Labrosse, près Liancourt-Saint-Pierre ; Saiut-(;eriner et
Saint-Pierre ès-Champs ; Talmontiers ; Lalandelle; Senantes;
Glaligny; Puiseux-le-Hautberger (bois).
a. flore pallidissinio, — Bois de Uoussoy, à Bulles.
A. C. ?. Eté. — Bois découverts : pays de Bray, terrain juras-
sique. Plante calciphile.
L'abbé IlaCiy, auteur du discours qui sert de préface à ht pre-
mière édition de la Flore française de Lamark, avait remarqué,
en 1770, cette plante aux carrières de la Montagne-Blanche, près
Valescourt. Lamark fut étonné de cette anomalie apparente !
b. Faiix verticilles , 3-6 fleurs.
917. Sîae. sylvatica, Lin. — Epiaire des bois , Epiaire
piui7ite , Ortie puante j grande Epiaire des bois.
Feuilles opposées, velues. Odeur félide.
T. G. ^. Ëté. — Bois et lieux ombragés. Emménagogue.
918. Siae. palvslris^ Lin. -- Epiaire des marais^ Bou-
trouille^ Ortie morte, Ortie rouge, — Tige rougeâlre.
b. latifolia. — Cavée-aux-Loiips , à Saint-Jacques, près
Beauvais; pré Martinet, près Beauvais.
c. agglonierata , Nobis. .\unaies de Marissel.
s. V. purpurea.
s. V. rosea.
d. hirsuta, — Tige très-velue, petite, 2-'3 décimètres;
feuilles d'un vert jaunâtre très-pàle ; épis fort courts,
composés de 3-i verticilles tout au plus. — Lieux secs et
montagneux.
T. C. ?. Eté. — Bords des eaux et champs humides. Les jeunes
pousses peuvent être mangées comme des asperges.
919. Sîae, palustri-sylvaiicay Schied., Stachys ambigua^
Sm. — Epiaire hybride, (N'est pas dans le tableau.)
Il se distingue du Stachys palustris par ses ît\i\\\Q% pétioiées^
acuminées, ses corolles d'un rouge plus foncé; du Stachys sylnja-
tica par ses feuilles jamais ovales en cœur.
T. G. Juillet-août. - Moisson, à Saint- Lucien et à Tillé.
DU DÉPARTBMBNT DB L'OISB. 241
Feuilles molles , couvertes d'un duvet brillant, surtout à la
surface Inférieure, étroites, pétiolées, cordiformes à la base,
fortement dentées, lancéolées-acuminées; les corolles sont d'un
rose pâle, deux fois plus longues que le calice; la lèvre supé-
rieure voûtée.
Cette hybride, qui tient à la fois du Stachys palustris et du
Stachy» sylvatica^ se rencontre principalement dans les champs.
Plaine de Tillé, du côté de Marissel ! Saint- Lucien ! Chaumont;
Trie-Chàteau. R.
Nous n'avons pas fait entrer cette hybride dans le tableau
synoptique, parce qu'elle n'a pas de fixité dans les stations.
920. Siae. arvensis. Lin. — Epiaire des champs.
T. G. d). Juin. — Dans les champs après la moisson.
b. Tiges et feuilles très-laineuses^ tomenteuses et cotonneuses.
921. Siac. germanica^ Lin. — Epiaire d'Allemagne^ Sauge
des montagnes, Sauge molle, Epi fleuri.
Bulles, près Lorteil, autour du calvaire de Bulles; Essuiles;
Litz, vers le clos Fayel; La Miauroy ; Plouy-Saint-Lucien; Tillé;
Saint-Lucien! Saint-Omer; Milly; Le Quesnel-Aubry; LePlessier-
sur-Saint-Just ! Boulaine! Genvry! Compiègne! le Parc-aux-
Dames et le lieudit le Ghftteau-à-Bouillancy 1 Balagny-sur-Onette,
sur la chaussée Brunehaut; Houssoye; Noyon; Varinfroy; Rou-
ville! Duvy! Saint-Ghristophe, en Halatte! Morancyl Fontaine-
les-Gornu ! Borest ! Reilly ; Paillart !
Â. R. ?. Juin-août. — Bord des routes et des bois, terrains
calcaires : exposition du midi.
B. Corolle d'un blanc-Jaundtre,
922. Siae. recla, Lin. — Epiaire droite.
T. G. ?. Juin-août. — Lieux gramineux, arides, boisés ou
rocailleux.
Plante xérophile. Plante utile contre le carreau des enfants.
923. Siae. annua, Lin. — - Epiaire annuelle, Crapaudine.
Nuisible aux vignobles.
T. viii. 16
242 BSQUISSB DB LA V^G^TATIOff
b. longibracteata. — Verticlllcs accompagnés de feuilles
allongées entière».
T. G. 0. Août-octobre. — Terrains calcaires , moissons; par
hasard hors des champs , mais par Teifet de la diffusion des
graines, car c'est une plante essentiellement arvicole.
Betonlca* Lin. (:^eD. n"* 718). >- Bélolne.
Etym. — DimioBtif do mot celUqne bouianot, pelu» , tabûe; allasioa aox propriétés
(Te respèce principale.
924. Beioniea officinalis, Lin. — BéMne officinale, Bel-
lëte^ Bétoine (corrompue de Vétonica, du nom d'un peuple qui
habitait la partie sud-ouest de l'Afrique, qvia Vetones eatn inoe-
nerum (Pline, liV. 25, ch. 8).
a. vulgaris. — Epi longuement interrompu à la base ;
dents calicinales égalant le tiers de la longueur du tube,
hitpides de poils étalés.
b. alba. — Villers-Saint-Barthélemy ! Choisy-au-Bac I
forêt de Compiègne ! Genvry ! bois de Quesmy» canton de
Guiscard ; Chantoiseaux, près Beaumont-les-Nonains ; bois
de Houssoye, à Bulles.
c. stridOy Mérat. — Bois de l'Italienne. — Calice velu ;
bractées ciliées ; corolle à tube plus court; corolle pubes-
cente en dehors, même sur le limbe ; feuilles toutes plus
larges et plus velues.
d. rosea. •- Forêts de Hez et de Compiègne !
s. V. glabrescens.
T. C. 9^. Eté. — Bois et landes. — Plante bonne contre les ma-
ladies catarrhales.
Ballota» Lio. (gen. u* 720). — Ballole.
Etym. •» De Bûllô, en grec , jo rejette; k caoso de son odeqr repoussante.
925. Ballola fœiida. Un.— Ballote fétide, Marrubenoir^
Marrube puant.
Bractées étroites; fleurs sessiles ou pédonculées. Odeur fétide,
a. alba. — Terrains vagues à la porte de Paris, à Beau-
vais (R.); Bailleul-sur-Thérain.
T. C. ?^Eté. — Haies, buissons, bords des sentiers.
DU DÉPARTEMENT DB L'OISB. 243
La plupart des auteurs l'appellent Ballotanigray Lin. Il parait
que ce n'est point le Oallota nigra^ Lin., qui a les divisions du
calice lancéolées , terminées par une arête aussi longue qu'elles.
2. Etamines incluses,
ilarralilaiii , Lin. (geo. n* 721). — Marrabe.
Etym. — De Thébreu , mar rob , sac amer.
926. Mairrubiutn vulgare. Lin. — Marrube commun,
Herbe aux croix, Marrube blanc, Marrube (d'un mot hébreu qui
signifie suc amer\ Mariclin, Mariochemin,
Bractées linéaires, nombreuses. Employée comme emména-
gogue.
Â. C. ?. Juillet-septembre. — Bords des chemins, décombres,
terrains calcaires.
Les Lavandula vera, DC, Lavandula spica, DC, originaires
de TEurope méridionale , sont cultivées dans tous les jardins et
se trouvent quelquefois subspontanées.
SECTION B.
CALICB ENFLÉ , BILABIÉ , A 8-4 LOBES , OUVERT A LA MATURITÉ.
BlellUl», LiD. (gei). li" 731). — fliélltto.
Etym. — De melittu, abeille; c'est-îi-dire , plante attiraDt les abeilles.
927. MeliUim melissophyllum^ Lin. — Meliête à feuillet de
fnélisse, Mélisse des bois ^ Mélisse bâtarde, Mélinot^ Mélisse puante,
Herbe sacrée. Mélisse sauvage, Herbe saine , Mélisse des montagnes.
Pas de bractées.
Bois au-dessus de la route de Notre Dame-du-Thil à Troisse-
reux; bois de Moimont; bois de Labrosse, près Liancourt-Saint-
Pierre; Tartigny; Rocquencourt ; forêts de La llérelle, de Uez,
de Chantilly; parc d'Offémont; forêt de Laigue; forêt de Gom-
piègne , au carrefour de Diane ; bois de Trémonvillers ; étangs
de Comelle; bois de Puiseux-ie Hautberger.
A. R. ?. Mai-juillet. — Bois des coteaux calcaires. — La plus
belle de nos labiées. Bonne contre la suppression d'urine et les
maladies de poitrine.
244 BSQUI8SB DB LA VBGBTATlOIf
SECTION C.
CALICE BILABIÉ , A LÈVRES FERMÉES A LA MATURITÉ.
Scafellarla* Lio. (gen. u» 734). — Scatellalre.
Etym. ~~ Diminotir de tcuta, écaelie , oo de scuium, boaclier, de l« forme do calice.
Feuilles dentées dans toute
leur longueur Scutellariagalerieuiata^ Lin.
I Feuilles seulement dentées h
la base Scutel. minor^ Lin.
928. Seuiellaria galericulaiaj Lin. — SctUellaire toque
(de Scutum^ à cause de l'écuelie en forme de bouclier qui accom
pagne le calice), Toque ^ Tertianaire, Toque bleue ^ Toque des
marais.
Odeur d'ail. Employée autrefois contre les fièvres tierces.
b. simplex, — Noyon.
T. C. 9^. Eté. — Lieux marécageux , fentes des murs baignés
par les eaux, le long des rivières.
929. <Seufel. minor^ Lin. — ScuUllaire mineure.
Saint-Paul ! Villers-Saint-Barthéiemy ! étangs de la Rouge-Eau ;
ritalienne; Champ du-Taillis; Saint-Germer ! Coye! Mortefon-
taine! Thiers; forêt de Compiègne, au carrefour de l'Embras-
sade ! Ognon ! molière de Serans ! Ermenonville.
La lèvre inférieure de la corolle est d'une eouleur pâle et
chargée communément de petits points bruns,
b. simplex. — Noyon.
A. R. ?. Eté. — Lieux marécageux et tourbeux.
Rranella* Toarnef. (Inst. f. 84). — Bmnelleo
Etyoï. — De raUemjDd Braune , esqaioancie; les propriétés Tiilnéiaires et astringentes
de Tespèce principale l'avaient fait employer contre cette maladie.
Epi muni à la base de deux feuilles
1 allongées Brunella alba^ Pall.
]Epi nu à la base ou muni de deux
feuilles courtes 2
DU DéPARTBMBNT DB L'OISK. 945
Corolle à peine double du calice,
lèvre supérieure droite Brun, rulgaris, Mœnch.
ICorolle 3-4 fois plus longue que le
calice, lèvre supérieure voûtée. Brun, grandi fiora,J9icq.
930. Bmnella vulgarù, Ifœncli. — Brvnelle commune,
Bonnette, Prunelle, Brunette, Charbonnière.
s. V. integrifolia. — Feuilles entières, sinuées ou
dentées. A. R. *
b. longifolia. — Forêt de Gompiègne !
c. pinnatifida. — Feuilles pinnatifides ou pinnatipartites.
d. interrupta. — Epis très-allongés, interrompus à la
base, non accompagnés de feuilles.
T. C. ?. Ëté. — Prés et pelouses. Employée contre les maladies
de la gorge.
931. Jirun. alba, Pall. — Brunelle blanche.
BeauvaisIMortefontaine! Troissereux; Houssoye; mont César;
bois de La Brosse-, coteaux de Lassigny ! La Morlaye ! Cuverguon !
b. integrifolia. -— Forêt de La Neuville-en-Hez , près
d'Ansacq , route de Mouy à Clermont.
c. pinnatifida.
A. R. ^. Eté. — Pelouses sèches des terrains calcaires. Feuilles
pinnatiJSdes.
Corolle d'un blanc jaun&tre; appendice des filets des étamines
ordinairement arqués.
932. JSrun. grandiflora, Jacq. — Brunelle à grandes
fleurs.
Monfgrésin; Gompiègne; Grand viiliers; Boury ; Noyon; Thiers;
usages de Guise et de La Ghenaye ! bois d'Anserville ! forêt de
Chantilly, vers Gomelle ! la chaussée de Gouvieux ! Senlis ! Ver-
berie I Thiers et Mortefontaine.
l^es filaments des étamines sont terminés par deux dents, dont
Tune nue, l'autre anthérifère. Stigmate bifide, rarement qua-
drifide.
b. minor. — Collines de Saint-Siméon , près Noyon , de
Trosly-Breuil !
c. pinnatifida^ Pers. — Monts César et de Hermès; larris
de Houssoye; bois de Bulles; Rieux; bois de Brûlet; bois
246 ESQUISSE DE LA viG^TATION
de Labrosse; forèl de La Hautc-Pommeraye ! Liancourt!
colline de Saint-Siméon ! Le Ganelon ; bois du Clos-Fayel,
près Wariville; Essuiles; forêts de Chantilly, du Parc, près
Beauvais! forêt de Gompiègne , sur le chemin de Bergeron,
vers Saint-Sauveur; à Genancourt, entre Saint- Jean et
Saint-Nicolas de Gourson ! Roquencourt ! .
d. rosea. — Thury-en- Valois.
e. purpurea, — Troissereux.
Â.R. ^. Juillet-septembre. — Pelouses et coteaux des terrains
calcaires.
CINQUIÈME TRIBU. — NEPETEŒ, BENTH.
Corolle bilabiée; 4 étamines rapprochées^ les postérieures plus
longues que les antérieures; étamines placées sous la lèvre
supérieure de la corolle.
IVepeta, Lia. gen. n* 710. •— IVépéta.
Etym. — De Ifepet , nom d'one ville de Toscane, où l'espèce principale
croît spontanément.
933. I\fepeta cataria. Lin. — Népéia cataire, Herbe aux
chats, Menthe de chat , Cataire, grande Cataire.
Le Metz, canton d'Âuneuil; Anseauvillers; Morvillers; Saint-
Martin -le-Nœud! Bailleul-sur-Thérain; Therdonnel Berlhecourt!
Ponchon; bosquets de la ferme de l'HOtelDleu, à Tillé; Agni-
court; Ghaumont; Méru! Mouchy-Saint-Eloi ! Estrées-Salnt-
Denis! Gompiègne! La Groix-Saint-Ouen ! Jonquières! Noyon!
Ermenonville! Glermont! Betz! Vaumoîse! Marolle; Autheuil-
en- Valois ; Saint-Just-en-Ghaussée.
A. G. ?^. Eté. — Lieux pierreux et arides. Odeur forte. Gonlre
les coups et contusions. Antihystérique. Espèce des lieux azotés.
Gleclioma,-Lin. (gen. h" 714). — Gléeliome.
Etym. " Da grec Gléchon , nom grec d'ane sorte de Ponliot.
934. QleehoMna hederacea, Lin. — Gléchome - Lierre
terrestre, Terrette^ Viondotte , Herbe de Saint-Jean, fJerret,
DU DiPARTKNBNT DB L'OISB. 247
Lierrette^ Couronne de terre ^ Gondole, Courroie de Saint- Jean.
Les anthères sont rapprochées par paire, en forme de croix
double, avant rémission du pollen. Plante cordiaque etbéchique.
a. major.
h. minor. — Feuilles petites, un peu cordiformes; fleurs
purpurines une fois plus longues que le calice.
c. villom, Koch. — Tiges et feuilles velues-hérissées.
d. foliis variegatis. — Pont du Berne, sur la route de
Compiègne à Soissons !
T. G. ?. Mai-août. — Haies et bords des chemins.
SIXIEME TRIBU. -- THYiHEŒ^ BENTH.
Corolle bilabiée; étamines 4, droites, écartées les unes des autres ;
les étamines antérieures plus longues,
HjmmopwM. Lin. (gen. u* 709}. •— Hy^sope.
Etym. — De Ustâpos, nom grée de la plante.
935. Hymmopu9 officinalis, Lin. — Hyssope of/icinaL
Hénonville! Margny-les-Compiègne ! bosquet à l'embranche-
ment de la route nationale de Saint Quentin avec la route de
Compiègne à Roye! Mortefontaine I
Cette plante, originaire du Midi, est conservée des cultures du
moyen &ge! Plante médicinale.
f. A. R. ?. Eté. — Coteaux pierreux, bois.
La Saturcia hortensis^ Lin. {Sarriète}^ est naturalisée dans tous
les jardins. Ingrédient aromatique des boudins.
Orlffanam • Mœoch (U^tb , 157). — Orlffan.
Etym. ~~ Da giecorot, montagne, ganos; ornement de la montagne.
956. Ofigwnuwn vulgare, Mœnch. — Origan commun^
Marjolaine bâtarde^ Marjolaine sauvage, Marjolaine d'Angleterre,
grand Orégan,
Rractées ovales, imbriquées, colorées.
248 ESQUISSE DE LA VÉGliTATlOrf
b. pallescens. — Bractées non colorées; fleurs d'un rose
pâle ou blanches. A. C.
Cette plante tient le milieu entre les C. officinalis et
nepeta.
c. Myiw^/ïorwwi, Reich. — Plante basse, très-rameuse,
couverte de poils blancs.
T. C. ?^. Juillet-octobre. — Lieux herbeux incultes , arides et
pierreux.
Vliyma», BeDtb. (lob. 340). -- Tliym.
Etym. — Da grec thumoi^ coorage ; plante foniflante.
Rameaux munis de 2-4 rangées
de poils Thymus chatnœdrys, Fries.
Rameaux pubescents, sans li-
gnes marquées de poils Thym, serpyllum, Lin.
1
937. Thytnum serpyllum. Lin. — Thym serpolet, Pouilleu
bâtard, Pouliot bâtard. Thym bâtard. Thym sauvage^ Serpolet y
Pillolet.
Thym signifie courage en grec. Cette plante aromatique, to-
nique ^ cordiale, ranime les esprits vitaux.
a. albus. — Compiègoe! carrefour Royal! plaine de la
Justice ! Lévignen !
b. lanuginosuSf IJnl£. — Tiges hérissées; feuilles plus
petites, plus arrondies, toutes hérissées sur leurs deux
faces de poils blancs et laineux. — Forêt de Compiègne,
route des nymphes! sommet du Canelon! Trie-Ch&teau !
Le Plessis-Brion ! Saint-Martin-aux-Bois!
c. nervosus. — Tiges appliquées sur la terre , très-radi-
cantes, présentant, sur toute leur périphérie , de petits poils
réfiéch\s\ feuilles petites, atténuées à la base, à nervures
très- saillantes; glomérules des fleurs rapprochées en têtes,
globîileu^es ou ovoïdes j ordinairement compactes.
A. C. — Pelouses sèches, sables arides. — Houssoye,
près Troissereux ; Cuvergnon ! Mortefontaine.
d. morbosusy Spenn.^ Capitules lanugineux très-velou-
tés. Cette forme, assez commune, est une altération pro-
duite par la pipûre d'un insecte.
DU DÉPARTEMENT DE L*OtSE. 249
e. citriodorus. - Feuilles à odeur de citron, ovales,
ciliées vers la base ; tiges érigées ou ascendantes, longues
de 3 à 4 décimètres.
f. angustifoiius. — Feuilles oblongues, linéaires.
C. ?. Juillet-septembre. - Pelouses , prés secs , lieux incultes.
938. Thytn. chamœdrys, Fries. — Thym petit-chêne.
Diffère de l'espèce précédente par ses tiges plus longues , re-
dressées, couchées seulement à la base^ par ses rameaux munis
de î à 4 rangées de poils blancs , par ses feuilles plus larges,
ovales , atténuées en un pétiole assez long , et ponctuées en des-
sous. — Forêt de Compiègne !
R. ^. Juillet-septembre. — Bois découverts.
On cultive dans presque tous les jardins le Thymus vulgaris, Lin.
SEPTIEME TRIBU. — MELISSEŒ, BENTH.
Corolle bilcUfiée; étamines 4, arquées- ascendantes , convergentes
au sommet; sous la lèvre su})érieure de la corolle les étamines
antérieures plus languies,
Calamlntlfta , Mœncb. (Metb., 408). -- Calament.
Etym. — l)a grec Calé, belle, Mimké , Menthe.
Plante annuelle : pédicelles sim-
ples, uniflores et axillaires. . Calamintha acinos, Clair.
IPIante vivace : pédicelles dicho-
tomes et multiflores portés
sur un pédoncule commun
axillaires 2
Fleurs accompagnées delongues
\ brac(ées,8étacées,nombreuses Calam.clinopodium, Benth.
^Bractées courtes, moins nom-
( breuses que les fleurs 3
Feuilles petites, grisâtres; dents
du calice presque égales — Calam, nepeta, Link.
Feuilles vertes, élargies; dents
du calice très-inégales 4
4
250 BSQUISSB DB LÀ VÉGÉTATION
Corolle grande; dents supérieu-
res du calice courbées en de-
hors Calam.officinalis,Mœncïi,
IGorolle petite; dents supé-
rieures du calice ascendautes,
droites Calam. fn€nthœfolia,liost
A. Fleurs à pédoncules rameux.
939. Calawniniha clinopodium^ Benth. — Calament
cHnopode, Clinopode, grand Origan ^ grand Basilic sauvage,
Roulette, Pied de lit.
Stigmate simple; bractées sétacées formant involucre.
b. album. — Lisière de la forêt du Parc; Noyon;
Pouilly !
T. C. ?. Eté. — Bois découverts et bords des chemins.
940. Calait», officinalis^ Ifœnch. — Calament officinal,
Calament des montagnes, Menthe des montagnes.
Mont Renaud et Larbroye, près Noyon! Sentis! Attichy!
forêt de Gompiègne , au carrefour des , Peupliers , à Saint-
Jean, à Saint-Nicolas de Courson, au mont Saint-Marc! Creilt
Crépy !
b. parviflora. — Odeur très-forte ; tige plus faible, moins
droite; feuilies florales plus courtes que les pédoncules;
les 5 dents du calice sensiblement égales entre elles ; les
2 supérieures redressées; poils de Tintérieur du calice un
peu saillants; corolle blanche, un peu tachetée de pourpre;
anthères violettes. — Clairoix , près Gompiègne !
A. G. 9^. Juillet-septembre. — Goteaux arides, lieux secs
pierreux.
c. sylvatica, Benth. — Beaux-Monts et mont du Tremble,
dans la forêt de Gompiègne! T. R.
941 . Calam. menlhœfolia, Hort. — Calament à feuilles de
menthe.
Feuilles plus ou moins obtuses , à dents presque Muses^ les
supérieures quelquefois entières (dans le type, les feuilles sont
aiguës^ à dents aiguës) \ calice tubuleux-campanulé; corolle une
DU DÉpIRTBMBNT IIB L*0I8K. 251
fois plus longue que le calice ou en dépassant peu les dents in-
férieures, à lobe moyen de la lèvre inférieure émarginé; pédon-
cule commun portant des fascicules de Heurs plus courts que les
pétioles^ presque nuls dans les verticiiles supérieurs. (C'est le
Calamintha ascendens de Jordan.)
T. R. ^. Juillet-septembre. — Talus arides et pierreux de la
route , à Marissel.
942. Calawn. nepela^ Llnk. — Calament népétUy Petit
Calament.
Noybn! forêt de Laigue, àOfiPémont! Liancourt! Saint-Firmin,
près Chantilly! forêt de Compiègne! Senlis, à la porte Bellone!
R. 9^. Juillet-septembre. — Lieux secs et pierreux des terrains
calcaires.
B. Fleurs asilaires portées sur des pédicelles simples,
943. Calant, acinos, clair. — Calament acinos^ Thym
basilic.
T. C. 3). Juillet-septembre. — Lieux incultes, arides et pier-
reux. Herbe d'un usage populaire comme tonique, stomachique,
emménagogue.
b. canescens, — Plante velue blanch&tre. — -Saint-Martin-
aux-bois; Clairoix; Saint-Jean, près Beauvais; mamelons
de Senéfontaine; Nointel; Rieux; Notre- Dame-du-Thil;
Breteuii; Le Metz, près Frocourt; Liancourt.
A. R. 0. Eté. — Lieux secs et incultes, champs pier-
reux des terrains calcaires. Odeur de basilic.
c. album. — Le Mesnilsur-BuUes (bois de la Truie);
mont Saint-Siméon (Â. B.); La Neuville-en-Hez; Bulles,
bois de Fourdraine.
d. Thymiflorumy Reich. — Plante basse très-rameuse,
couverte de poils blancs. — Bois de Houssoye. R.
Le Calamintha alpiiui ^ Un. (Thymus)^ a été cueillie autrefois
sur la montagne de Liancourt, du côté de Nointel. Il avait été
semé.
La Marjolaine {Marjorana vulgaris^ T.), originaire de l'Europe
méridionale, est assez généralement cultivée dans tous les jar-
dins.
252 BSQUISSB DE LA véGÂTÂTlOfr
MellSMit Lin. (gen. n*718). — MéllWM.
Ktym. — De Méliae, abtille, en grec; pbiDte bviiaée par les abeilles.
Etaminet 4, exserte» à filets arqués en dehors Jusqu'au milieu,
944. Melimma officinalis. Lin. — Mélisse officinale^ Citro-
nelle^ Herbe de citron^ Mélisse citronnée, Citronnade^ Poncirade^
Piment des ruches, Mélisse traie ^ Herbe aux mouches.
Bulles, prairies (T. R.); forêt de Hez, près La Neuville- en-Hez!
Wari ville, haies en face des fermes! Mont-Renaud, près Noyont
Montplaisir! Crépy; Cuvergnon; Etavigny! LévignenI Ormoy-
ie-Davien ! LIancourt ! Sentis ; Pont-Lévèque ; Attichy ; forêt de
Compiègne , près Saint-Jean I
f. A. B. ^. Eté. — Haies et bords des chemins. Cette espèce
est adventice. Cultivée en grand au moyen-Âge , elle s'est ré-
pandue à peu près partout et disparaît par suite de la variation
du climat. Originaire de l'Europe méridionale, elle est cultivée
dans la plupart des jardins.
SoixaDte-douiième Famille. — VERBfiNACÊBS, Joss.
{Nom tiré du genre Verbena).
Verliena , Tournef. (Inst. t. 94 ) — Verveine*
Ktym. — De ftffU%^ oom celtique de la Verfdne officinale.
945. f^erfrtftia officinnHx^ Lin. — Verveine officinale^
Verveine^ Herbe sacrée,
a. prostrata. — Tige étalée , couchée.
T. C. (D ou ?. Juinroctohre. — Bords des chemins, fossés,
villages , lieux incultes.
DU DEPARTEMENT DE L*0I8B. 253
SoiiaDtc-treizième Famille. — PLANTA6INÊES, Joss.
{Noin tiré du genre PlamtaGO.)
I Fleurs hermaphrodites en épis Planta go, Lin.
Fleurs monoïques; pédoncule radical
portant une fleur m&le solitaire Littorella , Lin.
Plantayo, Lin. (geo. n* 89k >- Plantain*
EtTm. — Plûntû agens, en latin? Plante efflaoeY
ITige feuillée Plantago arenarto, Waldrt.
Tige nue ; feuilles toutes radi-
cales 2
Feuilles ovales ou ovales^oblon-
2 j gués 3
^Feuilles lancéolées , linéaires
ou pinnatifides 4
Epi cylindrique allongé, à fleurs
.un peu écartées dans le bas.. Plant, major ^ Lin.
lEpi oblong, cylindrique, com-
pact Plant, média , Lin.
i Feuilles pinnatifides Plant, coranopus^ Lin.
Feuilles lancéolées, non char-
nues; épi ovoïde Plant, lanceolata^ Lin.
PREMIÈRE SECTION. — EUPLANTAGO.
Plantes aeaules; corolle à tube glabre; capsule à 2 loges.
946. PUss/Uago major. Lin. — Plantain à larges feuilles,
rond Plantain , Plintin, grand Plantain, Plantain rouge, Plan-
tain ordinaire.
G. ?. Eté. — Pâturages , bords des champs et des chemins,
b. phyllantha (braeteis foliaeeis\ Lamk. — Les bractées
se prolongent en folioles oblongues. — Goincourt; Le
Béquet , marais de Belloy.
254 ESQUISSE DE LA VÉGÉTATION
c. maxima. — - Individus très-vigoureux, hauts de près
d'un mètre. — Goîncourt.
d. pedunculaia. — Au lieu d'épis simples, des panicules
pyramidales formées de la réunion de petits épis nom-
breux pédoncules. — L'Italienne ; Le Béquet.
e. rrUnima^ DC. — Feuilles molles, trinerviées, étalées
en rosettes; hampes complètement couchées dans leur
jeunesse; plus tard elles sont ascendantes, et l'épi pauci-
flore qui les termine dépasse à peine les feuilles; pédon-
cules 1-3 décimètres. Plante naine. Ce n'est qu'une variété
des lieux sablonneux et argileux, au bord des rivières,
des étangs. Elle retourne au type primitif, dès la seconde
année, dans un terrain plus gras. — Champs humides,
allée des bois.
Etavigny; Bargny; Brégies; Therdonne; fontaine Saint-Jean,
dans la forêt de Compiègne! Foumival.
947. Plant, média. Lin. — Plantain moyen. Plantain,
Plantain bâtard, Langue d'agneau,
T. C. ^. Eté. — Pelouses sèches, bords des chemins, terrains
calcaires. Odeur douce et agréable.
948. Plani, lanceolata^ Lin. — Plantain lancéolé, Plan-
tain long. Herbe aux cinq coutures.
T. C. ?^; Eté. — Prés.
b. dentata, — Champs sablonneux à Thury-en- Valois.
c. augustifolia ^ Poir. — Feuilles étroites, très-velues
inférieurement; épis globuleux. — Beauvais, chemins
arides.
d. lanuginosa, Koch. — Feuilles couvertes de longs poils
blancs soyeux, surtout sur les pétioles; feuilles étalées.
— Lieux très- arides : Bulles; Compiègne.
e. spica apice foliosa. — Collerette de feuilles au sommet
de l'épi.
f. ^4cis digitatis. — Epis bifides.
g. sylvatica,
h. polystachia. -— Epis surmonté d'un bouquet de feuilles,
i. prolifer, — Plaine de Saint-Jean, près Beauvais (1853);
porte de Paris, à Beauvais (1852).
DU DEPARTEMENT DB L*OISB. 255
DEUXIÈME SECTION. - CORONOPIS.
Plantes acaules; corolle à tube velu; capsule à deux loges,
subdivisées cliacune en deux loges secimdaires,
949. Plani. coronopus^ Lin. — Plantain corne de cerf.
T. G. ®. Mai-septembre. — Pelouses sèches et sablonneuses :
Bongenoult; Le Béquet; L'Italienne; La Chapelle-aux-Pots; Sa-
vignies; Lévignen; MaroUe; Macquelines;Ormoy-Villers; Chau-
mont; Allonne; Rouville; sablonnière de Gondé; Le Bray en générai.
b. brevifolia, Gouan. — Feuilles larges, courtes, garnies
de découpures peu profondes.
c. latifolia, Gouan. — Feuilles très-grandes, un peu
difiPéremment découpées. Les feuilles sont glabres, velues
ou ciliées.
TROISIÈME SECTION. -~ PSYLLIUM.
Plante caulescente , à tige feuillée; corolle à tube glabre;
capsule à deux loges.
950. Plani. arenaria, Waldst. — Plantain des sables.
Herbe aux puces.
Âmblainville ! Liancourt, sur le chemin de Mogneviile à Villers !
autour de LaGroix-Saint-Ouen et deGompiègne! Saint-Sauveur!
forêt d'Ourscamps I forêt de Gompiègne, sur les routes du moulin
et de Marigny! butte d'Aumont, près Greill Gouvieux; Le Lys;
Goyel Thiers! Saint-Yaast-de-Longmont; forêt de Gompiègne,
côté de Saint-Germain.
A. G. ®. Eté. — Lieux arides et sablonneux.
l4Utorella » Lin. (geD. n* 328). — Lltlorelle.
Etym. — De LiUut , rifage. en latin ; allnsion k la station do la plante,
951. EiiUof^eUa lacustris^ Lin. — LUtorelle des étangs.
Sables de la vallée de Thève ! Mortefontaine ! désert d'Erme-
nonville !
T. B. 9^. Eté. — Bords des étangs.
(A continuer.)
DE LA
SOCIÉTÉ ACADÉKQDE D'ARCHÉOLOGIE. SCIUCES ET ARTS
DU DÉPARTEMENT DE L'OISE,
PeDdant l'amiée 1871.
Président M. DANJOU (0. *).
Fiée Président pour \9. section d'Archéologie M. HAMEL.
Fice- Président pour la section des Sciences
• naturelles M.Ch.DELACOUR *.
Secrétaire perpétuel M. QUESNOT.
Secrétaire pour la section d'Archéologie... M. AuG. FLOURY.
Secrétaire pour la section des Sciences na-
turelles M. HiP. RODIN.
Trésorier M. Al. DELAHERCHE
Bibliothécaire-. 4rchivUte M. DAMIENS.
Bibliothécaire-adjoint M. AUG. FLOURY.
Conservateur du Musée M. Al. DELAHERCHE
^. ^ . (M. Alf. LEHEC.
Conservateurs-adjoints \ ^,^^^, ^^^^^^^^^
MEMBRES ADMIS PENDANT L'ANNEE 1871.
TITULAIRES :
M. Gborgbs gaillard , Substitut.
H. GOTBLLE ^ , Président du Tribunal civil de Beauvais.
M. NEZ *^, Procarear de la Répabliqae , à Beaavais.
M. l'abbé LAFFINEUR , Caré-Doyen de Mouy.
M. A. RENDU , Archiviste de la Préfecture du département de l'Oise.
M. DE MALHERBE ^ , Maire de Beauvais , Membre du Conseil général
de l'Oise.
HONORAIRE :
M. l'abbé BARRAUD , Chanoine de la Cathédrale de Beauvais
i
^
VUE DE L'ABBAYE
d'après un plan «xecuLé en 1673, pai
;)E SAINT-LUCIEN
;. -rdre de BossiieL, abbé commendataire
SECTION D'AKGHÉOLOGIE ET D'HISTOIRE.
HISTOIRE
DE
L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN
(pï(.DÏlE DE ^AïK^T-pEI^OIT).
Le cloitrc fut, pendant toute la durée des
âges chrétiens, l'école permanente des grands
caractères.
(Le9 Moines d'Occident, introd. p. xlvi).
Aux portes de Beauvais, h quelques centaines de mèlres h
peine au nord de ses murs, s'élevait encore, il n'y a pas un
siècle, Tun des plus célèbres et des plus opulents monastères
du Beauvaisis, Tabbaye royale de Saint-Lucien {Monosterium
Sancli Luciani Bch'acenais]. Ses constructions régulières, majes-
tueusement assises sur la déclivité occidentale du coteau du
Tbil, dominaient toute la vallée. Le Tliérain coulait à ses pieds,
et ses ondes paisibles, avec le rù de Calais, arrosaient ses prai-
ries, alimentaient ses viviers et donnaient la fraîcheur à ses
splerdides jardins. Bàlie dans un site charmant, cette abbaye
offrait une des plus agréables résidences. Des fenêtres de ses
monuments, de ses esplanades en terrasse, de ses ombreuses
charmilles, Tœilse reposait délicieusement sur la douce verdure
des prairies du vallon, s'étendait sur les hauteurs boisées de la
forêt du Parc, ou s'égarait dans les horizons lointains du sud-
T. Vlli. 17
2^S HISTOIRB DE l'ABDAYK ROYALE DK SAINT-LUCIEN.
ouest, à travers Téchancrure béante qui sépare les côtes de Saint-
Jean du mont de La Trupinière. La beauté du paysage n'a guère
changé; mais des riches constructions du monastère que reste-
t-il? Bien peu de choses : une tour imposante encore, malgré
son isolement, des murs arrachés ou remaniés et les restes
d'une porte s'ouvrant vers le village.
Pourtant ce monastère avait eu un rôle important dans l'his-
toire du Beauvaisis, et ses destinées, sa grandeur et sa déca-
dence plus d'une fois furent intimement liées à celles de la ville
qu'il avoisinait. Son influence et sa gloire rejaillirent sur la cité;
mais tout cela ne sut trouver grâce devant les vandales de 93. Il
abritait des hommes inoffensifs, vertueux et charitables, et
c'était un crime aux yeux de ceux qui gouvernaient alors. Il fut
condamné à périr, et la sentence ne fut que trop bien exécutée.
La grande abbaye de Saint-Lucien, qui jadis faisait l'honneur
de nos contrées, a vécu, ses monuments sont détruits, tous
ses membres ont disparu. L'herbe croit dans son enceinte, qu'une
modeste ferme occupe en partie. Ses derniers restes seront bien-
tôt dispersés. Encore quelques années , et les érudits seuls sau-
ront que là fût une opulente abbaye. Le soc acéré de la charrue
retournera bien encore quelquefois, en grinçant, les dernières
assises de ses fondations, mais ce sera l'agonie suprême, après
laquelle planera le silence de la mort et de l'oubli. Et personne
ne se lëvera-t-il pour raconter les origines de cet établissement,
pour retracer les diverses péripéties de son existence si acci-
dentée, et pour redire aux contemporains ce qu'ont été ces
moines qui l'ont habité? Nous oserons essayer de le faire, mal-
gré notre faiblesse ; puissent d'autres conduire l'œuvre à meil-
leure fin.
Notre plan sera fort simple. Dans une première partie, nous
parlerons des origines de ce monastère et de saint Lucien, sur
le tombeau duquel il fut élevé. Dans une seconde partie , nous
retracerons l'historique de son existence, en suivant l'adminis-
tration de ses abbés. Dans une troisième, nous étudierons ses
constitutions particulières, ses rites et ses coutumes. Entin, dans
la quatrième, nous décrirons ses monuments et donnerons l'état
de ses propriétés et de ses revenus.
Nous indiquerons, chemin faisaut, les sources auxquelles
nous avons puisé.
PREMIÈRE PARTIE.
LES ORIGINES DE L'ABBAYE DE SAINT-LUCIEN,
L'abbaye de Saint-Lucien, suivant le sentiment le plus géné-
ralement adopté, doit son origine à la libéralité du roi de
France Chilpéric ^'^ Elle fut par lui fondée, vers Tan 583, sur
le tombeau du glorieux martyr saint Lucien et sur remplacement
d'une ancienne église dédiée à saint Pierre et saint Lucien, que
les invasions des barbares avaient ruinée. Ceci ressort de la
cliarle même de fondation donnée par Chilpéric la vingt-deuxième
année de son règne.
Avant d'entrer dans le détail des faits qui ont accompagné cet
acte de munificence chrétienne de Tun de nos rois , nous de-
mandons la permission de jeter un coup-d'œil rétrospectif sur
les temps qui l'ont précédé, afin de mieux faire saisir les cir-
constances qui l'ont amené. Nous dirons aussi un mot de l'apos-
tolat du saint martyr qui donna son nom à ce monastère,
destiné à conserver ses restes vénérés. L'exposé de ces faits pré-
liminaires ne nous semble pas devoir être une digression intem-
pestive; on en verra plus tard ressortir Tutilité, nous dirions
presque la nécessité, quand nous aurons à raconter les divers
événements qui ont marqué l'existence à travers les âges de ce
grand établissement.
Après les mémorables paroles du Sauveur : « Allez dans tout
l'univers et prêchez l'Evangile à toutes les créatures » (1), les
apôtres étaient partis pour exécuter l'ordre de leur divin maître.
(1) Marc, XVI, 15.
260 HISTOIRE
Se partageant le monde connu, ils allèrent dans toutes les direc-
tions, prêchant partout sur leur passage la religion de Jésus
crucifié (1). Pierre, le chef de ce collège apostolique, vint à
Rome, dans la capitale du vaste empire qui occupait alors la
plus grande place dans Tunivers exploré. De ce centre partait
la vie militaire, administrative, intellectuelle et civile, pour les
diverses parties de ce corps gigantesque que l'on appelait empire
romain. C'était là que Pierre prêchait en public et en secret, et
se formait des disciples pour le seconder dans la diffusion de
la doctrine qu'il avait mission d'enseigner. Eux aussi partirent
dans toutes les directions, à la suite des armées, à la suite des
colons et des commerçants, et portèrent l'Evangile sur tous les
points de l'empire. Cette diffusion fut si rapide que Senèque
lui-même nous dit u qu'une nouvelle religion, qui avait pris
naissance sous Tibère, avait déjà gagné toutes les parties de l'em-
pire sous Néron. » L'Espagne, la Germanie, la Grande-Bretagne
furent évangélisées dès les premiers siècles de l'Eglise.
La Gaule, qu'Auguste et ses successeurs immédiats dotèrent de
tant de voies stratégiques, de tant d'institutions et d'écoles for-
mées sur le modèle de celles de la mère-patrie, ne put évidem-
ment rester en dehors de cette vaste irradiation de l'Evangile.
Elle eut aussi ses missionnaires et ses apôtres du Christ dès les
premiers siècles du christianisme, quoiqu'en dise une certaine
école de critiques née au xvip siècle avec Jean de Launoy, et qui
n'a pour tout appui que deux pauvres textes de Sulpice Sévère
et de Grégoire de Tours, cent fois discutés et cent fois réfutés (2).
(l) Marc, XVI, 20.
{2} Nous n'entrerons pas dans la polémique engagée entre les historiens
à propos de Tépoqae de révangélisation des Gaules. Nous déclarons ce-
pendant qae nous adhérons complètement à l'opinion qui la maintient,
conformément à toutes les tradiUons , aux deux premiers siècles de l'ère
chrétienne Cette opinion , contraire à celle de Launoy, nous parait ap-
puyée sur des documents et des raisons véritablement indiscutables et
péremptoires Pour ceux qui voudraient s'en rendre compte , nous ren-
voyons aux travaux tout à fait remarquables de MH. l'abbé Corblbt :
Hagiographie du diocèse d'Amiens, t. ii, p. 55-1G2; A. Lepklletieh de
LÀ Sarthe : Défense du christianisme; l'abbé Richard : Origines chré-
tiennes de la Gaule; l'abbé Darras : Histoire générale de V Eglise, etc.
DE l'abbaye BOVALE DE SAINT-LUCIEN. 261
Dès le i**" siècle, vers Tan M de notre ère, c*est-à-dire quatorze
ans après l'ascension île Jésus-Christ, saint Lazare, saint Maxi-
min, sainte Marie-Madeleine, sainte Marthe, partis de la Judée,
apportèrent en Provence les lumières de la foi (i). Vers la même
époque, sept missionnaires, envoyés par saint Pierre, évangéll-
sèrent plusieurs de nos provinces saint Trophime s'arrêta à
Arles, saint Martial ù Limoges (!^), saint Ausiremoine àClermont,
saint Paul Serge à Narbonne (3), saint Saturnin à Toulouse (4),
saint Galien à Tours (5), saint Valère à Trêves. Plus tard, mais
à peu de distance pourtant, le pape saint Clément envoya dans
les Gaules une nouvelle colonie d'apôtres : saint Denis se fixa à
Lutèce (6), saint Julien an Mans (7), saint Lucien alla à Beau-
vais (8), saint Saintin à Meaux, saint Taurin à Evreux, saint
Rieul à Senlis (9), et les autres ailleurs.
Saint Lucien, qui évangélisa le Beauvaisis, naquit à Rome
d'une famille consulaire. Il porta d'abord le même nom que le
consul Lucius, son père, et prit celui de Lucien en recevant le
baptême. Suivant la tradition la plus accréditée, il fut converti
par saint Pierre, qui l'admit au nombre de ses disciples, et le
chargea plusieurs fois d'aller catéchiser les fidèles et annoncer
l'Evangile aux payens des environs de Rome. Lucien mit tant de
dévouement et de zèle dans l'accomplissement des missions qui
vl) L'abbé Faillon : Monuments inédits stir l'apostolat de sainte Marie-
Madeleine en Provence j etc., deux volumes.
(3) L'abbé Arbbllot : Dissertation sur l'apostolat de saint Martial, etc.
(3) L'abbé Robitaille : Vie de saint Paul Serge, etc.
[i) L'abbé Maxime Latou : Vie de saint Saturnin ^ disciple de saint
Pierre.
(')) L'iibbé Roland : Disserlalion sur l'apostolat de saint Gatien , et
Jehan dk Saint-Clavirn : Saint Gatim et les origines de iVglise de
Tours j etc.
[iV] L'abbé Darras : Saint Denis, Varéopagite; Etudes sur les origines
chrétiennes des Gaules.
1) Doni PiOLiN : Histoire de l'église du Mans.
8) L'abbé Richard : Origines chrétiennes de la Gaule.
:9^ L'abbé Blo>'d : Recherches .sur la date de l'apostolat de saint Rieul.
262 HISTOIRE
lui étaient confiées que le pape saint Clément, l'un des succes-
seurs de saint Pierre, le sacra évèque et l'envoya dans les Gaules
avec saint Denis, saint Julien, saint Taurin, saint Rieul, saint
Saintin et plusieurs autres généreux apôtres, pour y porter la
lumière de la foi.
Chemin faisant, Lucien et ses compagnons évangéjisaient
les peuples, aux environs de Parme, il fut arrêté, comme il
prêchait, et jeté dans une prison après avoir été accablé de mau-
vais traitements. La nuit, des chrétiens le délivrèrent et lui per-
mirent de continuer sa route. A Pavie, où nos courageux apôtres
séjournèrent pendant quelque temps, ils convertirent un grand
nombre de paysans, puis ils s'embarquèrent pour les Gaules. Us
abordèrent à Arles, où les fidèles, convertis par saint Trophime,
les reçurent avec joie. Ils choisirent même Tun d'eux , Kieul,
pour remplacer saint Tjrophime, qui venait de mourir. Après
quelque temps d'arrêt, nos apôtres poussèrent plus avant et se
dirigèrent vers le nord des Gaules, où Rieul devait les rejoindre
plus tard. Denis s'arrêta à Lutèce, Julien s'en fut chez les Céno-
mans, Taurin chez les Ebroices, Saintin chez les Meldes, et
Lucien chez les Beilovaques.
Nos pères, les Beilovaques, étaient la peuplade belge la plus
belliqueuse et la plus remuante. Comme ils essayaient sans
cesse de secouer le joug de la domination romaine, les vain-
queurs entretenaient dans Beauvaîs, sa capitale, une forte gar-
nison destinée à comprimer les soulèvements, et une adminis-
tration civile calquée sur celle de la mère-patrie pour travailler
à romaniser le pays. Quand Lucien y pénétra, il se trouva en
rapport avec des compatriotes, la plupart idolâtres, et avec un
peuple qui détestait sa nation. De graves difficultés se dressaient
ainsi devant lui pour entraver sa mission. Pour parler aux Ro-
mains de la religion nouvelle, que les édits des empereurs
prescrivaient, il fallait user d'une extrême circonspection. FI
n'en fallait pas moins pour la faire embrasser par un peuple qui
abhorrait tout ce qui venait du pays de ses vainqueurs. A force
de patience, de douceur, d'abnégation, par la pratique de toutes
les vertus et avec l'aide de Dieu, Lucien sut triompher de tous
les obstacles. A ses exemples et à sa parole, des Romains et des
Beilovaques se convertirent.
Son action ne se borna pas à la ville ; elle produisit aussi ses
DK L ABBAYE ROYALE DE 8AINT- LUCIEN. 263
effets dans les campagnes, r/apôtre, quittant les murs de Beauvais,
allait souvent cliercber les peuplades errantes au milieu de leurs
forêts épaisses et reculées , où elles s'étaient réfugiées pour
conserver leur indépendance et se soustraire à la domination
étrangère. Quand il les avait rencontrées, assis à leur misé-
rable foyer, il leur parlait avec tant de bonté de ce Jésus si
doux, si bienfaisant, que les Juifs avaient crucifié, que les
pauvres gens se jetaient à ses pieds pour le conjurer de conti-
nuer à les instruire. 11 parcourut ainsi les forêts marécageuses
du Bray jusqu'à Espaubourg, celles du Thérain jusqu'à Escames,
les hauteurs qui couvrent !3eauvais, au nord, jusqu'à Ourcel-
maison et Breteuil. Partout il faisait des prosélytes, les conver-
sions se multipliaient, et de petites chrétientés se formaient.
Pour l'aider dans les travaux de son apostolat, Lucien se
choisit deux fidèles ministres, du milieu de ce peuple qu'il avait
converti. Maxien et Julien étaient leurs noms. Il les forma à la
grande œuvre de l'évangélisation, leur conféra les ordres sacrés
et se fit suppléer par eux dans la diffusion de la parole sainte.
Il vécut de longues années, et il avait la consolation de voir les
rudes fatigues de son ministère récompensées par la multitude
des fidèles qui avaient abandonné les faux dieux pour Jésus-
Christ.
Les prêtres des idoles s'émurent de cette désertion de leur
culte; ils portèrent plainte au préfet Julien et appelèrent les
sévérités des édîts impériaux sur la tête du novateur qui prêchait
la destruction des dieux de l'empire. Julien détestait le christia-
nisme et n'était pas sans ambition. Il savait que Fescennius
avait su augmenter son crédit auprès de l'empereur en persé-
cutant la religion du crucifié à Lutèce, et en faisant mettre à
mort ses plus ardents propagateur^ : Denis, Bustique et Eleu-
thère, et il était prêt à saisir l'occasion d'en faire autant. La
dénonciation des prêtres des idoles lui en fournissait le prétexte.
Il envoya donc de ses satellites à là recherche de Lucien, avec
ordre de le faire apostasier et sacrifier aux dieux de l'empire,
ou de le mettre à mort s'il refusait.
Lucien, averti de ses desseins, fit ses adieux aux chrétiens
de la ville, les exhorta à rester fermes dans leur foi et se retira
avec ses deux compagnons sur une colline boisée appelée au-
jourd'hui Monimille , à une heure de marche environ de Beau-
264 HISTOIRE
vais. Un grand nombre de fidèles ne tarda pas h Ty rejoindre
pour entendre encore sa parole. Ce concours de peuple, et peut-
être la perfidie d'un faux frère eurent bientôt mis les émissaires
sur la trace de Tapôtre. Ils gravirent la côte de Montmille et y
trouvèrent Lucien évangélisant la foule.
Les soldats arrêtèrent d'abord ses deux fidèles compagnons,
Maxien et Julien , et les menacèrent de la mort s'ils ne sacrifiaient
incontinent aux idoles. Les deux généreux confesseurs refusè-
rent énergiquement , et leurs têtes tombèrent sous le glaive de
ces bourreaux.
Cette inique exécution, loin d'intimider Lucien, ne fit que le
fortifier dans sa résolution de souflrir le martyre plutôl que de
renier son Dieu. Il répondit avec fermeté à toutes les sollicita-
tions des sicaires de Julien. Les mauvais traitements, qu'on lui
fit subir, le trouvèrent inébranlable dans sa foi. Las , enfin , de
ne rien gagner auprès de lui, et irrités de sa constance à dé-
fendre la religion du Christ, les soldats, pour en finir, lui tran-
chèrent aussi la tête (1).
Une pieuse légende rapporte qu'aussitôt après, le saint mar-
tyr ramassa sa tète et, la tenant dans ses mains, se mit en
marche vers la ville de Beauvais. Il traversa le Thérain à Miau-
roy (2), et s'arrêta sur la colline opposée, à un quart de lieue
environ de la ville. De charitables fidèles lui donnèrent, en cet
endroit^ une honorable sépulture, tandis que les mêmes devoirs
(1) Les trois martyrs eurent la tête Irancbée , croit-on , au milieu même
du vfilage de Montmille, dans un endroit voisin de la mare actuelle et où
Ton fit bâtir plus tard une chapelle dite de la Rosière. Cette cbapeile a
été démolie lors de la Révolution. Elle portait la dénomination de la
Rosière p^rce que, suivant une tradition locale, mentionnée par Louvet
{Hist. et Antiq. de Beauvais, t. i , p. 387), des rosiers aux roses vermeilles
poussèrent sur la terre qui reçut le sang de saint Lucien.
1,2; La croyance locale assure que la fontaine de Hiauroy jaillit aussitôt
que saint Lucien, traversant le Thérain , eut mis le pied sur la rive, et qu'il
lai donna une vertu merveilleuse. Elle devint bientôt le but i)'"n piMé-
rinage q:n s'est perpétué à travers les siècles. On bftlit, ft côté , i:ne cha-
pelle dédiée a l:i Vierge 3Iarie ; elle existe encore aujourd'hui; mais,
vendue par la nation en 1792 , elle est convertie en grange.
DE L' ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEX. 265
étaient rendus à ses glorieux compagnons sur la montagne
même de Monlmille, à quelques pas du lieu du martyre (i).
Nous n'entrerons dans aucvine discussion sur la valeur hiato-
rique de celte légende. Le fait qu'elle raconte, tout extraordi-
naire qu'il soit, n'est pas impossible à la toute-puissance de
Dieu; mais a-t-il véritablement existé? C'est là la question. Plu-
sieurs Vies du saint, imprimées dans les Bollandistes {die wwja-
nuarii), le rapportent, le martyrologe du diacre Florus {w siècle)
l'admet , et Lonvet {'/isfoire et antiquitfs du diocèse de Beaxivnis^
t. I, p. 3S()) le cite; pour nous, nous l'abandonnons à la légende.
Seulement il est bon de le citer pour faire comprendre l'icono-
graphie du saint pendant tout le moyen-ftge jusqu à nos jours,
puisque la sculpture comme la peinture représentent générale-
ment saint Lucien tenant sa tête coupée entre les mains. Quoi-
qu'il en soit de ce fait extraordinaire et miraculeux , il est une
chose certaine, c'est qu'après avoir été martyrisé à Monlmille le
corps de saint Lucien fut Inhumé par les fidèles sur la colline
du Thîl, à l'endroit où fut depuis bâtie l'abbaye de Saint-
Lucien (2).
Les chrétiens qu'il avait baptisés se faisaient un devoir de
(l) Les corps do saint Haxien et de saint Julien ont été inbumés à quel-
ques centaines de pas au midi de l'endroit où ils avaient été décapiti^s,
dans une excavation qui est aujourd'tiui la crypte de l'église de MontmUle.
Cette église fut construite plus tard sur leur tombeau, lors de la fonda-
tion du prieuré de saint Haxien.
[2\ Quelques historiens ^ après Louvet, ont prétendu que saint Lucien
fut intiumé au lieu où fut depuis construite l'église de Notre-Dame-du-
Thil. Cette asserUon nous parait trop peu fondée pour être admise. En'
effet, il est de fait constant, d'après les plus anciennes chartes et les plus
vieux pouMlés, que cette;,égiise a toujours porté le titre de Notre-Dame.
Ceci indique qu'elle a été dédiée sous ce vocable. Or, il est certain
qu'on n'eut pas manqué de la dédier sous le vocable de saint Lucien, si
elle eut été construite sur son tombeau. D'ailleurs, la charte de Chil-
péric l", relative à la fondation de labbaye. dit clairement que l'église
bâtie sur le tombean de saint Lucien élail dédiée à saint Pierre et saint
Lucien; ce n'était donc pas celle d^ Noire-Dame. Celle-ci, fort ancienne
du reste, aura été construite pour le service de la paroisse formée auprès
de ce tombeau.
266 niSToiRB
visiler son tombeau pour vénérer sa mémoire. Souvent ils ne
pouvaient le faire qu'en secret; mais quand la persécution se
fut ralentie, ils y érigèrent un oratoire pour y prier en commun.
Le grand apôtre du Beauvaisis et son premier évèque eut dès
lors un culte (i).
Plus tard, quand les édils de Constantin eurent rendu la paix
à l'Eglise, un édifice plus vaste fut construit en cet endroit et
dédié à saint Pierre et à saint Lucien. Cette église était desservie
par les prêtres et les diacres qui assistaient Tévèque de Beauvais
dans l'exercice de son ministère. Ils y vivaient en communauté
et se répandaient dans les campagnes pour y prêcher la parole
de Dieu. C'était le prélude de la grande institution monastique
qui devait se fonder en ces lieux. Leur existence fut bien des
fois troublée par les continuelles commotions qui agitèrent la
dernière période de la domination romaine dans les Gaules , et
un jour ils virent fondre sur eux des hordes de barbares qui
pillèrent leur église et la ruinèrent. On était alors au v« siècle.
L'irruption des Vandales (406-416) avait commencé à leur causer
les plus graves dommages en dévastant leur petit établissement,
et l'invasion des Huns, sous la conduite d'Attila, y mit le comble
en le détruisant complètement (451).
Les ruines de cette église restèrent abandonnées pendant bien
des années. On ne pouvait songer à les relever. Le pays était
{V Consulter pour la vie de saint Lucien : les Bollandisles : Acta sanc-
torum, die yiujanuarii, où sont citées, avec annotaUons, deux Vies du
saint, l'une écrito par un moine de l'abbaye de Saint-Lucien, et t'autre
par Odon, évéque de Beauvais de 802 à 881. —Vincent de Beauvais:
Spéculum histor., lib. x, cap 25 et 26. — Louvet : Hist. et Antiq. du
Beauvaisis, t. i, p. 372 etsuiv.; t. ii, p. 130 — Loisel : Mémoires des
pays, villes, etc. du BeauvaUiSf p, 51 et suiv. — Hermant : Histoire de
Beauvais, liv. il. — D. Percheron : Histoire de l'abbaye de Saint-Lucien,
mss. c. 1". — Gallin Christ., t ix, col. 69J. — Deletlrc : Hist. du dioe.
de Beauvais, t. i, p. 22, 111 et suiv — De La Fontaine : Hist. de Beauvais,
t. 1 , p. 141. — A. Sabatier : Vie des saints du diocèse de Beauvais, p. 5. —
Corblet : Hagiographie du diocèse d* Amiens — Baillet : Vie des saints. —
Giry : Vie des saints, 8 janv. — Ch. Brainne : Les hommes illustres du dé-
partement de l'Oise, t. m , p. 185. — La légende du bréviaire de Beauvais
(VIII januarii}, etc.
DE L*ABBATE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 267
trop bouleversé» et la sécurité n'était pas asse7. grande en dehors
des murs de la ville : ce n'était sans cesse que luttes à mains
armées. Les Francs faisaient tous leurs efforts pour s'implanter
dans le pays. Ghildéric I*"*, leur roi, s'emparait de Beauvais
vers '477, et les Gallo-Romains résistaient. Clovis seul put se les
attacher définitivement par sa conversion au catholicisme (496).
La paix se fit alors , et l'on put espérer»des jours plus calmes.
La tranquillité fut de courte durée : la mésintelligence qui
s'établit entre les enfants de Clovis ensanglanta de nouveau le
pays et le livra aux horreurs de la guerre civile. Au milieu de
ces luttes fratricides, les évoques successeurs de saint Lucien
songeaient à faire sortir de ses ruines l'église jadis construite à
son tombeau, et les événements sans cesse les arrêtaient. Pour-
tant l'un d'eux , Constantin , qui administra l'église de Beauvais
de l'an 55î> à l'an 560 (1), résolut d'en finir. Il ne voulait pas se
contenter d'une réédification plus ou moins belle d'un monu-
ment; il avait des idées plus grandes et plus élevées. Il forma
le projet d'attacher, à cette réédification, une institution destinée
à continuer l'œuvre du grand apôtre par l'apostolat de l'exemple,
par la vie régulière, mortifiée et véritablement chrétienne : il
eut la pensée d'y fonder un monastère.
La société de son diocèse, comme celle de toute la Gaule, était
corrompue, pervertie, par suite de l'occupation romaine et des
invasions des barbares; la férocité et la débauche se donnaient
partout la imain, et Constantin voulait y remédier. La vie mo-
nastique, introduite dans ce diocèse, lui paraissait devoir être
le moyen le plus efficace pour obtenir le résultat qu'il déôirait.
Il avait été témoin lui-même ailleurs des heureux effets de cette
Institution, et il espérait que son influence pourrait contribuer
à réformer les mœurs et à ranimer les quelques étincelles de
probité, d'intelligence et de vertu qui se trouvaient encore dans
ses diocésains. 11 voyait, du reste, des établissements de ce genre
se multiplier de toutes parts (2).
(1) Delettre : Hist. du dioc. de Beauvais, t. i , p. 195 et suiv.
i% Les abbaye3 de Saint-Basle et Saint-Tbierry, au diocèse de Reims ;
de Saint-Pierre-le-Vif, à Sens; de Saint-Ouen, à Rouen ; de Sainte-Gene-
viève et de Saint-Germain-i'Auxerrois , à Paris , venaient d'être fondées,
et Cbildebert faisait alors bAtir celle de SaInt-Germain-des-Prés.
268 HISTOIRE
Avant de mettre son projet k exécution, Constantin tint à s'as-
surer l'agrément et le concours des fils de Clovis. Il fenta une
démarche auprès de Childebert qui régnait à Paris, et de Clotaire
qui était roi de Soissons. Ces princes, malgré l'étrange et odieux
mélange de ruse et de férocité, d'incontinence outrée et de sau-
vage orgueil, qui les caractérisait comme tous ceux de leur race,
avaient parfois des sentiments de foi et de dévouement à TEglise
si sincères qu'il fallait savoir en profiter. L'évêque de Beauvais
sut se les rendre favorables. Childebert surtout, ce roi monas-
tique par excellence, comme l'appelle un grand écrivain (i), qui
se faisait un plaisir de fonder des monastères au retour de ses
expéditions, accueillit Constantin avec la plus grande bienveil-
lance. Il entra complètement dans ses vues, l'encouragea dans
son projet et lui fit don, pour l'aider, de plusieurs terres en
Beauvaisis, et notamment de celle de Bulles (2).
Constantin put donc se mettre à l'œuvre. Il avait à peine com-
mencé quand la mort l'enleva subitement. Childebert, son plus
ferme appui, était lui-même décédé quelque temps auparavant.
L'entreprise restait inachevée. Il est vrai qu'un successeur allait
être donné à Constantin, et Hincbert aurait pu continuer l'oeuvre
commencée. Ce n'étaient ni les fonds, ni l'emplacement qui
manquaient; mais le nouvel évêque avait d'autres vues et d'au-
tres projets que son prédécesseur, et la fondation du monastère
fut abandonnée, au moins momentanément. Nous verrons plus
lard le roi Chllpérîc blâmer sévèrement cette négligence (3).
Quoique le premier projet n'eut pas eu alors son effet, les
religieux de Saint-Lucien n'ont jamais manqué de considérer
ses auteurs comme les premiers fondateurs de leur monastère.
L'ancien obituaire de l'abbaye le disait formellement à l'égard
;l) Montalemberl : Les moines d'Occident, t. ii, p. 295.
(2) Simon : Svppl. à l'IIist. du Beauvaisis, p. îOl des fondaliuiis Dos
hii^toriens ont aUhliiK^ à tort, pensons-nous, cetlo donation h Childe-
bert Ilï, qui vivait du temps de Constantin H, Ovr'quc de Beauvais,
vers ()0.">.
(.l) Et ejusmodi negotii providentiam supra nominatœ ui^bis Episcopis
committentes fgenilorcs noslrij crediderunt, sedilli alia cupientes corn-
mvistkm hoc neglcctum reliquerunt. — (Cari. Cliilpér.)
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN 269
de Childeberl : « KaL januarii obiit Childebertus rexy filins
Clodovei régis, et primus fundator hujus cceiwàii (i). » S'il ne
l'ait pas une mention spéciale de Constantin, c'est que Ton fai-
sait ga mémoire avec celle des autres évêques do Beauvais.
Les choses restèrent en cet état juique vers Tan 580. Dodon
était alors sur le siège de Beauvais, et un saint religieux nommé
Ëvrost, originaire de cette même ville, gouvernait le monastère
de Saint-Fuscien , près d'Amiens.
Ce pieux moine, qui déjà avait fondé une petite communauté
régulière à peu de distance de Beauvais, à Oroêr, croit-on {t)y
avait une grande dévotion envers saint Lucien , le protecteur de
sa ville natale. Dans sa solitude de Saint-Fuscien, souvent il
songeait à ces souvenirs légendaires, qui avaient si vivement
impressionné son enfance, à ces promenades solitaires qu'il
aimait tant à faire au tombeau désolé du glorieux martyr, à ces
larmes versées, à ces prières si ardentes, au milieu de ces dé-
combres, alors qu'il méditait sa retraite du monde, et ces rémi-
niscences lui faisaient se demander s'il n'y aurait pas moyen de
faire honorer plus dignement ce tombeau , qui lui était si cher.
Pourquoi, se disait-il, ne pas reprendre l'œuvre tentée par
Constantin ? Il avait l'estime et la confiance de Frédégonde, la
femme du roi Chilpéric, puisque c'était-elle qui l'avait fait pla-
cer à la tète de Saint-Fuscien (3), et il pouvait espérer son appui
et son concours. Pourquoi ne pas en profiter ?
Un soir, que ces pensées le préoccupaient plus que d'habitude
et qu'il cherchait à prendre un peu de repos sur sa rude couche
monacale, saint Lucien, nous dit l'auteur de sa vie, lui apparaît
et lui ordonne d'aller rechercher les corps des compagnons de
son martyre (4), qui reposent ignorés et sans respect sur la col-
(1) Deletlre : Hist du dioc. de Beauvais, t. i, p. 196.
{i) Ibidem, p. 212 , et Graves : Statisl. du canton de Nivillers.
{'Y) Annal bénédicL, t. i , p. 189.
(1) L'aatear de la légende insérée dans les BoUandisleâ fdie xw juliij
ne parle que du corps de saint Maxien ; mais on doit supposer que le corps
de saint Julien, qui se trouvait avec lui, a été transporté en même temps.
Aucun document n'indique , du reste , une autre translation.
270 HISTOIRE
Hue de Montmille, pour les réunir au sien. Evrost obéit. 11 va
trouver Tévèque de Beauvais et lui fait part de l'ordre miracu-
leux qu'il a reçu. Dodon est d'avis de commencer aussitôt les
recherches. Ils se mettent en prière et puis ils se rendent à
Montmille. La tradition locale leur fournit des indications; ils
font creuser la terre, et bientôt apparaissent au jour les corps
des deux martyrs (1). Le cœur rempli de joie, ils bénissent le
Seigneur, lèvent de terre les saintes reliques et les transportent
solennellement au tombeau de saint Lucien. Les miracles qui
s'opérèrent en cette circonstance ranimèrent tellement la piété
des fldèles, que ce ne fut qu'un cri dans tout Beauvais pour de-
mander la reconstruction d'une église destinée à protéger ces
restes vénérés.
L'évoque de Beauvais et l'abbé de Saint-Fuscien voient dans
cet élan du peuple le moyen de conduire à bonne fin le projet
depuis si longtemps en souffrance, ils vont trouver le roi Cliil-
péric, lui rappellent ce que ses prédécesseurs ont déjà fait pour
cette église et lui demandent de confirmer les actes émanés de
leur autorité à ce sujet, et d'ordonner qu'il soit donné suite à
l'entreprise. Chilpéric, qu'une grave maladie et la perte de deux
de ses enfants venaient d^ rappeler à des sentiments plus chré-
tiens que ceux qui ranimaient d'habitude, se montra favorable
au projet et tinta honneur d'y attacher son nom. Pour que per-
sonne ne pût douter de ses intentions, il fit ausssitôt délivrer
un diplôme royal signé de sa main. Evrost et Dodon voyaient
enfin leurs vœux près d'être réalisés.
Cette pièce a été fort contestée, et nous en examinerons plus
loin l'authenticité et la valeur. En voici la traduction (â) :
u Chilpéric, roi des Francs, homme illustre. Comme nous de-
(1; Les deux corps saints étaient inhumés on peu en avant et sous la
pierre qui sert de palier à l'autel de la crypte de l'église de Montmille. Le
carrelage exécuté en 1859 a permis de constater l'existence de l'excavation
faite pour recevoir les corps.
(2) Chilpericus Rex Francorum vir illuster. Cûm et in hoc vitâ brevi
lempore maneamtis et ad mortem ineffugabiliter properemws, oportet ut
volunlalem Domini faciamus, et Ecclesias vel sanctorum venerabilium
loca devotè construt^nits , ut inperpetuvm cu/m ipsis gaudere valeamus :
DB l'abbaye royale DE SAINT- LUCIEN. 271
a meurons peu de temps en cette vie, et que nous avançons ra-
a pidement vers la mort, sans pouvoir l'éviter, nous devons
a faire la volonté du Seigneur et construire des églises aux lieux
« où sont honorés les saints, pour mériter de partager avec eux
a les joies de l'éternité. En remplissant ce devoir de piété, nous
a ne pouvons douter que nous ne soyons agréables à Dieu et ne
<c méritions de régner éternellement avec les saints.
tt En conséquence, que tous présents et à venir, que tous
« les agents de notre royaume sachent qu'autrefois, lors des
« irruptions des païens sur les terres des Francs, des églises ont
« été détruites, et un grand nombre de monastères dépeuplés et
« ravagés. Notre intention bien arrêtée était de réparer ces
« ruines, aussitôt que nous le pourrions, quand le vénérable
« évèque de Beau vais, le seigneur Dodon, et notre bien-aimé
« Evrost , abbé, ainsi qu'un grand nombre de nos fidèles sujets,
« sont venus vers notre sérénité, et nous ont supplié, pour notre
« salut et pour la conservation de notre royaume, d'user des
a largesses de notre munificence royale pour faire réédifier une
« église, qui avait été jadis construite près des murs de Beau-
« vais, en l'honneur du bienheureux Pierre, prince des apôtres,
a et de saint Lucien, martyr, que les païens avaient pillée et
« détruite, et de la placer à perpétuité sous notre protection et
hcBC enim facientes, Deo veto sint dubio placere poterimus, et cum sanctis
inperpetuum regnare. Igitur notum fnt prœsentibus et futuriSt omnibtts
sciliceLagentibtbS regni noslri, quod oUm paganis irruentibus in Fraii-
corum terras, eccUsiœ' desiructœ nionasteria quamplurima depopulata
atque vastata 8\Mt, ad quœ reœdificanda cum noster animuSf si facuUas
assit, prompttbs omnino fuerit, domnus Dodo Bellovacensium venerabiUs
episcopitSt atque carissimus noster Ebrulfus abbas, cum aliis quamplu-
rimis fidelibus nostri regni, adierv/nt serenitatem noslram , obsecrantes
ut quamdam eeclesiam, quœ ab antiquis in honore beati Pétri apostolo-
rum principis et sancti Luciani martyris , prope muros Bellovacœ urbis
fuerat constr'acta, sed postea quâdam paganorum irruptione vastata at-
que destructa est, pro sainte nostrâ et totius regni nostri conservations ,
nostrû munificentia et largitate reosdi/icare juberemus, et eam nostrâ
dUione nos et no$tri suceessores imperpetuum tueremw. Et ideo mnximèt
quoniam hanc eamdem eccUsiani genitores nostri dalis quarumdam sua-
rum possessionum reddUibus ad meliorem statum quondam reducere tfo-
272 IIISTOIBE
« SOUS celle de nos successeurs. Nous avons d'autant plus volon-
« tiers accédé à cette requête, que déjà nos ancêtres avaient
«' affecté les revenus de quelques-unes de leurs propriétés pour
« remettre cette église en meilleur état. Ils avaient laissé le soin
« d'exécuter leurs intentions aux évèques de ladite ville; mais
« ceux-ci avaient d'autres désirs et d'autres vues, et négligèrent
« l'œuvre dont ils étaient chargés. Ce qui nous excite le plus
« vivement à exécuter cette restauration, c'est le récit qui nous
« a été fait dernièrement que le glorieux martyr saint Lucien
« est apparu à Evrost et l'a pressé de retirer de Montmille, où il
« gisait ignoré, le corps de saint Maxien, qui avait partagé la
« gloire de son martyre , et de le déposer à côté de lui dans la
« même église; et que, depuis l'exécution tle cet ordre, beau-
« coup de miracles éclatants se sont opérés par l'intercession
« de ces saints martyrs. C'est pourquoi, vu la justice et l'utilité
« de la requête qui nous a été présentée, en vertu de notre au-
« torité royale, nous ordonnons, par la teneur de ces présentes,
« que l'église, autrefois bâtie près des murs de Beauvais, en
<• l'honneur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, et du
« martyr saint Lucien, dont le corps y repose, soit réédiflée par
« la munificence de notre libéralité et appropriée au service du
c( Dieu tout-puissant, et qu'une communauté de cénobites y soit
lueruntf et hujusmodi negotii providentiam jam supra nominatœ urbis
ejnscopis conimiltentes crediderunt, sed illi aWi cupientes cômmissum
hoc neglectum reliquerunt. Nos itaque ad id peragendum invitât perma^
ûcimè quod hiis diebus noslris sanctus Lucia7ius martyr Domini gloriosus
jam superius dicto Ebrutfo abbati per visionem apparuit, et ut sariclum
Maxianum , qui adhuc in Monte Milio la,tebat , et illius conwrtio pro
Christo cœsum de abdito sublevaret, et secum in eâdeni ecclesiâ conderetf
rogavit; ubi ex eâ die quâjussio istaprracla est, multaet prœclara inira-
cula per sanctos illos martyres inillo loco demonstrantur îgiiur quia
petitio justa et utilis existit. nos nostram auctoriiatern prœHantes , per
hanc decreti nostrx pagtnam dectrnimus atqve robommus, ut ecdesia in
honore beati PetH apostolorum prinn^iis et sancli Luciard martyris, ubi
ipse sanctus in corpore quiesàt. qvœ est propè mtiros Bellovacœ urbis,
nostr-œ Uberalitatis munifiventiâ reœdificetur, et ut famulatibus omnipo-
tenlis Domini aptetur, atque cœnobitœ Deo famulanles ibi congrtgenturt
ita tamen ut in perpetuwn sub nostrâ noslrorumque successorum, regun
DE L*ABBATE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 273
« établie pour vaquer au service divin, de telle manière cepen-
• dant que ce lieu et Téglise qui y sera construite soient et de-
« meurent à toujours sous notre protection et sous celle des rois
u des Francs nos successeurs, et qu'il ne soit permis à personne
tt de jamais la confier ni la soumettre à aucune autre puissance
« séculière. Si quelqu'un, ce que nous ne pouvons croire, osait
« agir contrairement à ce présent décret, et violer ces disposi-
« tions que nous avons édictées au nom et pour l'amour de Dieu,
« qu'il encoure la colère du souverain juge, qu'il soit dépouillé
tt de tous ses biens et banni du royaume. Et afin de donner plus
a de force à ce décret de notre sérénité, nous l'avons faitmar-
« quer du sceau de notre anneau royal et l'avons signé de notre
« main. »
Puis suivent les signatures de Chilpéric, glorieux roi, et d'Ellri-
tus, écrivain du palais, et la date de l'an de l'incarnation dcvi,
indiction ix, avec la mention la xxip année du règne de Chil-
péric, à Rouen, en assemblée générale, le m des nones du mois
de mai.
Cette charte, l'une des plus importantes de celles concernant
l'abbaye de Saint-Lucien, parce qu'elle constate sa fondation
royale, a vivement exercé la sagacité des savants. Un certain
videlicet Francorum^ ipse locus et ecelesia œnsistat jurisdictione ^ nec
eam aliquis alicui aliquâ pole&taU seculari prœdUo credal vel subdat.
Si quis autem^ quod minime credimtis, contra hoc noslrœ sanciionis
decretum aliter, quàm à nobis dictatum est y agere voluerit et hoc prœ-
cepium nostrum temerè attemptaveril ^ iram summi Juditis, pro cvjus
nomine et amore nos ista roboravimus , incurrat, et quantamcumque
possessiomm habere videtur, legibus amiltett et insuper exul et pro-
fugus a potestate totius regni no$tri fugiens recédât, Quodquidem sereni-
tatis nostrœ decretum, ut pleniorem vigorem obtineat^ annuH nostri im-
pressione astipulari fedmus , alque manu propriâ subsignantes robora^
vimus.
t Signum Chilperici gloriosi régis.
Ego EUritus Palatinus scriptor recognovi
Datum anno Dominicœ incamationis dcvi, indiclione ix,
regni Chilperici régis xxn.
Actum Rotomagi in generali conventu, m nonas mensis maU,
T. VIII. iS
274 HISTOIRE
nombre d'entre eux, avec le P. Papebroch et God. Hermant (1),
ont contesté son authenticité sur l'inspection de la mention in-
diquant la date. Elle marque, disent-ils, les années à partir de
rincarnation, et les rois mérovingiens n'employaient pas cette
manière de supputer le temps, mais comptaient les dates par
les années de leur règne. En outre, elle donne Tan G06, indiction
neuvième , comme étant la vingt-deuxième année du règne de
Ghilpéric. Or, Chilpéric ayant commencé à régner en r^l, la
vingt-deuxième année de son règne concorde avec Tan 583, in-
diction première, et non avec Tan G06; d'ailleurs, Chilpéric mou-
rut en o8i, et ne pouvait délivrer de diplôme en 606. Ces objec-
tions sont graves assurément et de nature à faire douter de l'au-
thenticité de la pièce. Dom Mabillon et dom Ruinart ne dédai-
gnèrent pas de venir à Tabbaye de Saint-Lucien pour examiner
cette charte et se rendre bien compte de la difficulté (2).
A la première inspection, les deux savants bénédictins recon-
nurent que l'encre et récriture de la date dcvi indict, ix% étaient
bien moins anciennes que celle du corps de l'acte, et leur opi-
nion fut qu'il en était de cette charte comme de beaucoup d'au-
tres qu'ils avaient eues à examiner, la date manquant, ou étant
devenue illisible pour une cause quelconque, une main malavisée
et plus récente l'avait datée ou avait essayé de restituer la date
pour en faciliter le classement. Mais à leurs >eux, cette addition
maladroite ne constituait pas un motif suffisant pour rejeter cette
pièce comme fausse, attendu qu'elle présentait d'ailleurs tous
les caractères d'authenticité les plus incontestables. Nous ne se-
rons pas plus sévères qu'eux (3).
Au surplus, cette charte futvidimée et confirmée, en 1283, par
le roi Philippe le Hardi, qui en admit la véracité sans conteste.
Forts de cette approbation publique du roi Chilpéric , Dodon
(1) God. Hermant: Hist. deBeauvais, liv. ii, ch. 32*.
(2) Cet examen eut lieu le 16 septembre 1707, en présence des chanoines
Le Gat et Le Magnier, et de M. Le Sceilier, élu de Beau vais.
(3) Voir sur cette question : D. Percheron : Histoire de l'abbaye de
Saint-Lucien y ch. iv. — Annales benedict., l. i, p. 189. — Delellre : Hist.
du diocèse de Beauvais, i , 220. — Simon : Correct , p. 2. — Le Cointe :
Annales — BoUand. : Acta sanctorum, die xxv juUi, S. Ebrulfus.
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 275
et Evrost n'avaient plus qu'à mettre la main à l'œuvre. Le peuple
était excité par les nombreux miracles qui s'opéraient au tom-
beau des saints martyrs, et l'on était certain d'avoir son concours.
Il n'y avait plus à hésiter. Les travaux sont donc ordonnés, le
peuple enthousiasmé les pousse avec activité; les ruines sont
déblayées, les murs sortent de terre, et bientôt une église im-
posante s'élève , tandis qu'autour d'elle se groupent les bâti-
ments claustraux nécessaires à l'existence d'une communauté
religieuse. Quand tout fut préparé, Evrost, choisissant les moines
les plus fervents de Saint- Fuscien et de l'Oratoire, s'envient
avec eux trouver l'évéque de Beauvais et le prie de les bénir.
Dodon était au comble de la joie, ses vœux allaient être accom-
plis. Il bénit avec effusion le saint abbé et son petit troupeau,
et, l'accompagnant avec son clergé et tout le peuple qui le suit,
il conduit la pieuse colonie jusqu'à l'établissement où elle va
désormais se consacrer au service du Seigneur. Il fait solennel-
lement la dédicace de l'église. Les tombeaux des saints martyrs,
de saint Lucien et de ses compagnons, sont visités; leurs restes
vénérés sont levés du lieu où ils reposaient et transportés, avec
toute la pompe que l'enthousiasme d'un peuple peut déployer,
jusque dans la nouvelle église, où l'évéque les dépose sous le
maltre-autel. Puis Dodon bénit les autres édifices, où la vie mo-
nastique va désormais s'écouler, et met les moines en possession
de leurs cellules. Ceci se passait le xvii des calendes de novembre
(16 octobre). Les annales de l'abbaye, ni l'ancien martyrologe
de Beauvais, qui relatent le fait, ne nous indiquent l'année;
mais ou pense que ce fut vers l'an 585; ce ne put pas être du
moins à une date postérieure.
Louvet {HUt, et Antiq, du BeauvaisU, 1. 1, p. 75) attribue le plan
des constructions à un moine nommé Gautier, et l'exécution de
l'œuvre à un maître maçon du nom de Yirembolde. Il cite à
l'appui de son assertion le texte suivant des anciennes annales de
l'abbaye : Hi reges eccleHam irruptione paganorum destructam,
idest Hunnorum , sumptibus propriis repardrunt, Vuirmboldi ce-
mentarii construotoris opère, et Galteri monachi professi edifica-
toris. C'est une erreur; ces hommes ont été seulement les auteurs
de la reconstruction faite en 1090 , comme nous le dirons plus
tard. C'est un détail , d'ailleurs , auquel nous n'accordons pas
une excessive importance.
276 HISTOIRE
Après des essais infructueux, le monastère était enfin fondé.
Il prit le nom de Saint-Lucien, le nom du glorieux martyr en
riionneur duquel il était élevé.
Le nouvel institut fut soumis à la règle de saint Benoit, que
saint Maur, l'un des disciples du grand patriarche de la vie mo-
nastique, venait d'introduire dans les Gaules. Le fut-il dès le
premier instant de son existence? Nous n'oserions l'affirmer, car
un certain nombre de monastères de cette époque n'adoptèrent
pas immédiatement celte règle. Les auteurs de la vie de saint
Maur disent bien qu'il vit avant sa mort (^81) plus de cent vingt
monastères embrasser la règle qu'il avait apportée. L'abbaye de
Saint-Lucien pourrait être de ce nombre; c'est même très-pro-
bable, quoique les documents positifs nous fassent défaut pour
le prouver. Mais le fut-il véritablement? Nous n'oserions l'affir-
mer absolument, quoique pourtant nous soyions assez porté à
le croire. 11 est certain, en effet, que la règle bénédictine fut en
vigueur à Saint-Lucien bien avant le xp siècle, et il n'est pas
probable, d'ailleurs, que Dodon et Evrost, qui avaient vu défi
monastères régis par cette règle, se fussent complètement sous-
traits à l'enthousiasme qui portait vers elle. Aussitôt après son
apparition à Glanfeuil, presque tous les monastères nouvelle-
ment fondés l'adoptaient; pourquoi celui de Saint-Lucien ne
l'aurait-il pas fait?
Suivons maintenant, pas à pas, la vie de ce grand établisse-
ment et racontons les divers événements qui ont émaillé sou
existence pendant les douze siècles qui se sont écoulés depuis
sa fondation jusqu'à sa ruine et à sa suppression. Nous savons
à Tavance que bien des obscurités et des lacunes nous attendent;
nous tâcherons d'cclaircir les unes et de suppléer aux autres le
moins mal que nous pourrons.
•z.
DEUXIÈME PARTIE.
ANNALES DU Ay^NASTÈRË DE SAINT-LUCIEN
t=îo\iB l'Rclministration cln î=;e53 (\i>yyô^.
Une communauté religieuse était fixée à Saiftt-Lucien; de pieux
cénobites y consacraient, dans la retraite, leurs journées et leurs
veilles au service de Dieu par la prière, et à rédificatlon de leurs
frères par la pratique de la vertu. A la lète de ces hommes, il
fallait un chef, il fallait un supérieur, qui eût la haute direction
des exercices et des consciences, pour fermer tout accès à la fan-
taisie et à Tarbitraire. Il y en eut un assurément, mais quel fut-
il? Quel fut le premier abbé de Saint-Lucien? L'histoire reste
muette. La plupart des documents concernant les premiers temps
de cette abbaye ont disparu dès avant le w" siècle, par suite des
invasions et des guerres, et il n'est pas facile aujourd'hui d'é-
claircir l'obscurité qui en résulte.
Des historiens recommandables (1) pensent que ce premier
abbé fut Evrost. Il ne quitta pas pour cela, disent-ils, le gouver-
nement de roratoire ni celui de Saint-Fusclen : l'activité de son
xèle lui permettait de remplir, avec exactitude et succès, la triple
charge qui lui était dévolue. Nous aimerions assez partager cette
opinion, si elle était d'accord avec la tradition de l'abbaye de
;l) Delettre : Hift. du dioc, de Beauvais, l. i, p. Ï2l. — Sabatier -. Vie
dei saints du dioc. de Bcantais, p. '2.51. — L'abbé Corblet : Hagiographie
du dioc. d'Amiens, t. i , p. 601. — Les aulears da Propre do Bréviaire de
Beaavais, Imprimé en IR55.
278 HISTOIRE
Saint-Lucien. Le cumul des emplois ne nous arrêterait pas; il était
ordinaire, à cette époque. Nous comprendrions aisément que l'in-
térêt, la reconnaissance et une quasi-justice eussent appelé Evrost
à la tête de cette maison, après tout ce qu'il avait fait pour sa
fondation et pour la peupler de religieux. La considération dont
il jouissait auprès de Frédégonde, la femme de Chilpéric, recom-
mandait d'ailleurs ce choix. Mais pourquoi la tradition du mo-
nastère ne ra-t-elle jamais mis au catalogue de ses abbés? On
lui rendait un culte public, mais on ne le considérait pas comme
le premier abbé. Cette abstention parut suffisante à l'historien de
cette abbaye (1) pour rejeter son gouvernement, et aux auteurs
du Gai fia Chrisiiana (t. ix, p. 780) pour ne pas l'admetlre au
nombre des abbés. Pourtant, la tradition de l'église de Beauvais
était, dit-on, que saint Evrost avait été le premier abbé de Saint-
Lucien, et les savants membres de la commission chargée de
l'élaboration du Propre du Bréviaire de Beauvais, imprimé en 185r>
par ordre de Msi* Gignoux, n'ont pas hésité à lui donner celte
qualification. On peut l'admettre certainement, mais nous avoue-
rons que le doute est aussi permis.
Il est incontestable que saint Evrost est le fondateur de la vie
monastique dans le diocèse de Beauvais. Le premier, il avait
réuni , à Oroër, un certain nombre de pieux cénobites et y avait
fondé l'Oratoire, où ses restes reposèrent après sa mort. 11 con-
tribua plus que personne à la fondation de Saint-Lucien, et,
s'il n'eut pas en main l'administration supérieure du monastère,
il a dû puissamment l'aider des conseils de son expérience. Les
premiers progrès de cette communauté peuvent bien lui être
attribués : il ne serait pas naturel que l'enfant de ses œuvres
eût échappé à son influence; mais cela ne tranche pas la ques-
tion, que nous laissons indécise.
Après la mort de saint Evrost, qui arriva vers l'an 598, le
25 juillet, M. Delettre (2) dit que la direction de l'abbaye de Saint-
Lucien fut confiée à Marin ou Maurin. Cet historien appuie son
assertion sur Louvet (3) , qui cite un passage de Pierre de Ve-
(1) D. Percheron : EisL de l'abbaye de Saint-Lucien, mss., ch. 5
(2) Delettre : Hist. du dioc. de Beauvais, t. i , p. 224.
(3) Louvet : Hist. et Ànt. de Bea^wais, t. ii , p. 13-2.
DB L'ABBAYB royale DE SAINT-LUCIEN. 279
Dise (1), où il est fait mention d'un certain Marinus, abbasBoba»
c€7}sis, Louvet, corrigeant le texte, suppose qu'il doit y avoir
abbas Behacensis, La correction de ce texte est nécessaire, il est
vrai ; mais l'auteur des Jntiguitês du pays de Beauvais n'a pas
été heureux en la faisant, comme le remarque D. Porcheron (2),
attendu qu'il n'existait pas d'abbaye de Beauvais, et que celle de
Saint-Lucien n'a jamais eu cette dénomination. C'est abbas Bo-
danensis, abbé de Bévon, au diocèse de Sisteron, qu'il faut lire-,
le Gallia Christiana (3) le corrige ainsi. Ce Marinus^ d'ailleurs,
vivait en Tan 509. et Louvet le reconnaît; mais alors il est im-
possible qu'il ait pu être abbé de Saint- Lucien en 598; il eut été
trop vieux. Nous ne parlons pas de lui pour Saint-Lucien en
Tan 509, puisque le monastère n'existait pas encore à cette
époque. Louvet aurait dû prévoir cette difficulté. En 598, il au-
rait été beaucoup plus que centenaire, et M. Delettre aurait dû
voir cela. L'existence de Marin, comme abbé de Saint-Lucien,
nous parait ainsi plus incertaine encore que celle de saint Evrost.
Le catalogue des abbés dressé dans ce monastère n'en fait du
reste aucune mention.
Mais qui donc alors a gouverné cette abbaye? Sont-ce lesévè-
ques de Beauvais, comme l'a prétendu Louvet (4)? Nous savons
que plusieurs historiens sérieux ont soulenu cette opinion (5);
mais leur autorité ne nous paraît pas suffisante pour la faire
admettre, quand des documents certains militent contre elle.
M. Delettre, après avoir dit qu'originairement ce monastère
avait été administré par des abbés, avait trouvé un moyen assez
ingénieux pour passer à l'opinion qui le fait gouverner par les
évèques. Il fait devenir son abbé Marin, évèque de Beauvais,
m Pierre de Venise : Db naialibus Scmctar.
(2) Hist. de l'abb. de Saint-Lucien^ mss., c. 5.
(3) Gall. Christ, y l. i, col. 506.
(4) T. I , p. 417. .
i5) Voir : De La Fontaine : Hist. de Beauvais, t. i , p. 320. — Delettre :
Hist. du dioc. de Beawj.y t. i, p. 326. — Le docteur Daniel : NoUee sur
l'ancienne abbaye de Saint-Lucien (X, viii des Hémoires de la Société des
Antiquaires de Picardie).
280 HISTOIRE
vers Tan GIO, après la mort de Dodon. Citons le textuellement :
« Marin réunit le siège abbatial à la chaire épiscopale; il devint
« évoque de Beauvaîs sans cesser d'être abbé de Saint-Lucien,
« de sorte que Tabbaye ne s'aperçut point qu'elle eût ri«n perdu,
« tandis que le diocèse se réjouissait d'être gouverné par un si
tt digne évoque. Cette union, que la reconnaissance et Taffection
0 avaient opérée, fut ensuite maintenue par les successeurs de
« Marin, et l'abbaye de Saint-Lucien ne fut replacée sous Tau-
« torité d'un abbé distinct de Tévêque que vers le milieu du
« XI* siècle. Jusque là, nous verrons les évèques s'occuper direc-
M tement des intérêts de ce monastère, n
Ce raisonnement nous parait supposer des faits qui sont loin
d'être prouvés. Quoiqu'il y ait eu, à celte époque, un évêque de
Reauvais du nom de Marin, il ne s'en suit pas qu'il ait éfé au-
paravant abbé de Saint-Lucien, surtout lorsqu'aucun document
certain ne le démontre. Les évêques de Reauvais ont bien pu
porter un très- vif intérêt à cet établissement, le protéger et user
de leur influence pour améliorer sa situation temporelle; ils ont
pu même parfois fixer leur résidence dans son enceinte, et nous
admettons qu'il en a été ainsi; mais il n'en faut pas conclure
qu'ils aient pris le gouvernement de la maison en leurs mains.
Ce fait, ainsi que le font remarquer les auteurs du GalUa Chris
tiana (i), eut été tout-à-fait contraire à la discipline de l'époque,
et n'a pas eu lieu puisque l'on retrouve des noms d'abbés qui
administraient alors le monastère. Nous rejetterons donc «ivec
eux, comme avec D. Porcheron, l'opinion qui voudrait que
Saint-Lucien ait été gouverné par les évoques de Reauvais pen-
dant les six premiers siècles de son existence.
Notre sentiment est que le monastère de Saint-Lucien, comme
presque tous les autres établissements de ce genre, a été primi-
tivement administré par des abbés. Les documents qui consta-
taient les divers actes de leur administration ayant été détruits
lors des invasions normandes, nous sommes dans l'impossibi-
lité de retracer leur vie, même de citer leurs noms à tous et
l'époque à laquelle ils ont vécu; mais le silence ne s'est pas fait
pourtant tout-à-fait autour d'eux. D'anciens nécrologes ont sauvé
(1) T. IX, col 779.
DE l'àBBAYE royale DE SAINT-LUCIEN. 281
de Toubli quelques-uns de ces noms. Ainsi, on voyait cité dans
un très-ancien nécrologe de l'abbaye , au m des nones de jan-
vier, un Warin, ai)bé; Antelme, au vu des ides du même mois;
Waston, au xii des calendes de mars; Robert, au ix des calendes
d'avril, et l'ancien nécrologe de Saint-Denis faisait aussi mention
de lui comme abbé de Saint-Lucien; Ricard, au viii des ides de
juin; Wernerus, au vu des ides du même mois; Guntbarius, au
VI des ides de juillet; Bavon , au xiii des calendes d'août; Her-
beronius, au iv des nones du même mois; et Wido, au ix des
calendes de septembre. On ne sait pas au juste à quelle époque
ils ont vécu, c'est regrettable; mais on peut affirmer qu'ils ont
administré le monastère avant le xi« siècle, car depuis lors on
a la liste exacte des abbés. Comment pourrait-on concilier main-
tenant ces dix noms d'abbés qui ont régi Saint-Lucien avant le
XF siècle, avec l'opinion qui soutient que Tadministration appar-
tenait aux évoques? Ce n'est guère possible.
Des faits qui se sont passés dans l'abbaye depuis sa fondation
jusqu'au xi« siècle, nous ne dirons que bien peu de choses. Et,
en efifet, si la nomenclature exacte des abbés de cette époque n'a
pu nous parvenir, comment espérer rompre le silence qui s'est
fait autour des événements. Nous essayerons de glaner, de côté
et d'autre, quelques petits faits, pour ne pas rester muet complè-
tement; mais nous tenons à dire à l'avance que la récolte ne
sera guère abondante
Depuis la construction du monastère, le concours des fidèles
au tombeau de saint Lucien était devenu plus fréquent, et l'his-
toire nous rapporte que sainte Angadresme, Tabbesse de TOra*
foire, s'arrachait souvent aux occupations de sa charge pour
venir prier auprès des restes du glorieux apôtre du Beauvaisis.
Elle y passait des nuits entières, nous disent les auteurs qui ont
écrit sa vie; mais le jour la retrouvait toujours à son poste, ré-
confortée par la prière et prête ^ donner l'exemple des plus hé-
roïques vertus.
De nombreux miracles, racontent les légendaires, venaient
souvent récompenser la foi des pieux pèlerins , et la reconnais-
sance de ceux-ci se faisaient un devoir d'en témoigner au mo-
nastère toute sa gratitude par des largesses considérables : c'é-
taient des terres, c'étaient des bois et des prairies, tantôt des
revenus, et quelquefois même des villages entiers que l'on don-
282 HISTOIBE
naît; et la fortune du monastère allait toujours en s'augmentant.
Les évèques de Beauvais, les chanoines et les personnages de
distinction tenaient à honneur de se faire inhumer dans l'église
de Tabbaye.
Les évèques aimaient à s*y retirer, dans la retraite, pour s'y
retremper dans la pratique des vertus , quand les occupations
de leur ministère leur laissaient quelques loisirs. Plusieurs même
y fixèrent leur demeure.
Un ancien abbé de Saint-Germer, saint Anségise, qui mourut
abbé de Fontenelle, laissa, par son testament, 2 livres à l'abbaye
de Saint-Lucien, en 83i. Les monastères de Saint-Germer, de
Fontenay, de l'Ile et de l'Oratoire éprouvaient en même temps
les effets de sa libéralité (1). Le legs parait bien minime, mais
n'oublions pas qu'il représenterait plus de .500 francs aujour-
d'hui. Saint Anségise avait choisi saint Hildeman, évèque de
Beauvais, pour son exécuteur testamentaire. Ce pieux prélat
mourut le 8 décembre de l'an 8ii, et reçut la sépulture, comme
ses prédécesseurs, en l'abbaye de Saint-Lucien. Les religieux
avaient inscrit son nom dans leur nécrologe et faisaient tous
les ans son service anniversaire. Les miracles se multi|)Iièrent
tellement à son tombeau qu'on ne tarda pas à lui rendre un
culte public. Son nom, etfacé du nécrologe, fut dès lors inscrit
au martyrologe du monastère (2).
Les pèlerinages au tombeau de saint Lucien se faisaient sou-
vent pour obtenir laguérlson des maladies. La tradition rapporte
que l'on y venait surtout pour les possessions du démon, la folie
et l'épilepsie. Une légende assez curieuse, que nous trouvons
dans les Bollandistes (3), en la vie de saint Vaast d'Arras, vient
confirmer ce fait. Nous la citons dans toute sa naïveté; on peut
la voir dans Louvet (4), God. Hermant(5) et D. Porcheron fO).
(1) Delettre: Hist. dudioc de Beauvais, t. i, p. 338.
(2) D. Porcheron : Hist. de l'ahb. de Saint-Lucien, c. 8.
(3) Àcta Sanctor. die xxii februarii.
(4) Hist. et Ànt. de Beauvais, t. ii , p. 1.S9 et suivante.*.
(5) Hist. de Beauvais, liv. m , c. 10.
(6i Hist. de Vahb. de Saint-Lucien, n. 10.
DE l'aBBATE royale DE SAINT-LUCIEN. 283
C'était au ix« siècle, du temps de révoque Hermenfride (8 46-861).
Le domestique d'un chanoine était devenu possédé du démon à
la suite d'une punition publique qui lui avait été infligée à cause
de sa vie scandaleuse. Ses parents y pour obtenir sa guérison,
l'avaient conduit dans l'abbaye de Saint-Lucien. Ils avaient eu
bien de la peine à le faire, et avaient été obligés de le garotter
pour vaincre sa résistance. L'évoque s'y rendit avec son clergé
et une grande affluence de monde pour y procéder aux prières
et aux exorcismes en usage; mais rien n'y fit. Alors Hermenfride
ordonna de remplir d'eau bénite les fonts baptismaux qui se trou-
vaient à l'entrée de l'église pour le baptême des catéchumènes,
et d'y plonger le malheureux possédé. « Quand on se mit en état
d'exécuter cet ordre, dit God. Hermant, le possédé, posant les
deux pieds sur les deux bords des fonts, y demeura si ferme et
si immobile que non seulement il fut impossible de l'y plonger,
mais même qu'avec de violents efforts on ne put le faire changer
de place. Le démon ne se contenta pas de lui donner cette force,
mais il se mit à rallier l'évèque et à l'insulter, en lui disant :
« Pourquoi te donnes-tu tant de mal si inutilement. Ne sais-tu
• pas quelle est notre puissance et notre force? Je suis celui
« dont Jésus-Christ demandant le nom , répondit : Je m'appelle
n légion, parce que nous sommes plusieurs. Ma puissance est si
« grande qu'elle est universellement répandue par toutes les
u nations. J'ai été aujourd'hui à Constantinople et j'y ai fait un
u grand carnage. Mais tout fraîchement j'ai semé une si grande
tt matière de querelle entre tes gens et ceux du comte, qu'ils
« sont sur le point de s'entretuer dans la prairie, tu ferais bien
« mieux d'aller les apaiser que de rester ici inutilement à vou-
« loir me chasser. »
L'évèque envoya sur le champ dans la prairie et l'on trouva
effectivement ses gens sur le point d'en venir aux mains avec
ceux du comte. Sa prompte intervention parvint à calmer le
différend.
Cependant le soir était venu, et l'évèque avait été forcé de
regagner sa demeure sans avoir chassé le démon. Le possédé
resta dans le monastère et fut confié à la garde des religieux en
attendant sa délivrance. Elle ne tarda pas à s'effectuer. L'un des
moines eut la révélation qu'il fallait le conduire auprès des re-
liques de saint Vaast, si on voulait obtenir sa guérison. Elles
284 HISTOIRE
reposaient alors dans l'église de Sainf-Etienne de Beauvais , où
les religieux de Saint-Vaast d'Arras les avaient apportées pour
les soustraire à la fureur des Normands. On l'y conduisit donc,
et il y obtint sa délivrance avec des circonstances extraordi-
naires et horribles, que Ton trouve racontées tout au long dans
les Bollandistes, dans Louvet et dans God. Hermaut. Une an-
cienne tapisserie, qui ornait, avant la Révolution, le chœur de
la collégiale de Saint-Vaast, reproduisait le fait. Nous ne le ju-
geons pas; on en prendra ce que l'on voudra; nous le citons
seulement à titre de légende concernant notre monastère.
L'abbaye de Saint-Lucien avait été florissante, et de beaux
jours avaient lui pour elle sous Gharlemagne et sous ses prédé-
cesseurs. La prospérité et la régularité s'étaient maintenues pen-
dant la vie de Louis-le-Débonnaire; mais après la mort de ce
prince, au milieu des discordes qui éclatèrent entre ses fils, des
maux de toutes sortes vinrent fondre sur elle. Ce fut d'abord la
spoliation de ses biens par ceux qui devaient être ses protec-
teurs. Les fils du roi, obligés de se procurer, à tout prix, des
partisans et de se créer des ressources pour soutenir leurs lut(es
fratricides, s'emparaient des domaines des églises pour les dis-
tribuer h leurs créatures, se saisissaient des revenus pour les
attribuer à leurs besoins personnels, el même parfois dispo-
saient des abbayes elles-mêmes et les donnaient en gage ou en
garantie. Sainf-Lucien vit ainsi ses plus belles propriélés saisies
et données à des seigneurs dont on voulait avoir le concours.
Bulles, entre autres, lui fut ravie.
L'invasion normande vint encore ajouter ses déprédations.
Une première fois, quand le monastère de Saint-Germer avait
été pillé et incendie par ces hardis pirates, Saint- Lucien avait
tremblé pour son existence; mais la retraite de ces envahisseurs
l'avait laissé respirer. Ce ne fut pas pour longtemps. Une nouvelle
irruption ravageait le Noyonnais en 8C1, se jetait ensuite sur le
Reauvaisis et semait partout la dévastation. Les abbayes de Mon-
tiers, de Rreteuil, d'ilardivillers, de l'Oratoire sont livrées aux
flammes. Saint-Lucien voit tous ses bâtiments dévastés; Reauvais
est pris et saccagé; Hermenfride, son évoque, est massacré. Les
ruines étaient nombreuses. L'abbaye de Saint-Lucien pourtant,
malgré ses désastres, n'était pas complètement détruite : son église
et quelques bâtiments avaient échappé à l'incendie. Klle avait
DE l'/LBBAYS royale DE SAIMT-LUGIEM. 285
perdu tous ses troupeaux et presque tous ses biens, et se trouvait
réduite à l'état le plus précaire. L'évèque Guy pourra dire d'elle,
lorsqu'il s'agira de la restitution de la terre de Bulles, en 1075,
et en faisant allusion à cette épouvantable dévastation : « Bar-
barorum incursione et impiorum , idest Hastingorum , pervasione
ctcneta perdiderat. » Un certain nombre de ses religieux cepen-
dant parvint à se soustraire à la fureur des Normands, et re-
vint, aussitôt après leur départ , demander un abri à ces
murs que la violence leur avait fait quitter. Leur dénûment était
complet; il n'y avait plus de vivres : les cultures, les jardins,
tout était dévasté. Ils n'avaient même plus de quoi se procurer
des vêtements de rechange, et l'église était sans ornements et
sans vases sacrés.
Heureusement pour eux qu'un religieux fût alors élevé sur le
siège de Beauvais. Odon était abbé de Corbie quand l'élection du
peuple et du clergé l'appela dans nos murs. Il portait intérêt
tout naturellement aux institutions monastiques. L'abbaye de
Saint-Lucien, par son voisinage de la ville épiscopale, s'attira
la première les sympathies de l'évèque. Elle eut toute son affec-
tion, et il s'en constitua le défenseur et le protecteur spécial
{advocatus). C'était d'ailleurs un prélat fort distingué, ayant
l'estime et la confiance du roi et des évêques, ses collègues, et
qui fut plusieurs fois choisi pour remplir des missions impor-
tantes auprès du Souverain-Pontife. Odon usa de son crédit à la
cour pour réclamer du roi la restitution des biens des monas-
tères de son diocèse, que les leudes détenaient injustement, au
mépris des constitutions de l'église. Il fit valoir la pénurie dans
laquelle ces établissements se trouvaient, et le conjura d'y mettre
un terme. Gharles-le- Chauve était sensible à ses remontrances
et voulait le satisfaire; mais pour cela il fallait dépouiller des
vassaux dont il avait besoin et qu'il redoutait dans leur mécon-
tentement. Il ne se sentit pas la force de les braver. Il attermoya,
puis il fit quelques restitutions ou donna d'autres biens pour
indemniser de la perte de ceux qu'il n'osait faire rendre; il tran-
sigea tant qu'il put. Ainsi, il restitua les monastères de Saint-Ger-
mer et de l'Oratoire, dont ses hommes s'étaient emparés, et il
n'osa contraindre à la restitution le possesseur de celui de Fon-
tenay. Quanta l'abbaye de Saint-Lucien , ne pouvant lui faire
rendre sa terre de Bulles, ni les autres biens que ses puissants
286 HISTOIRE
vassaux détenaient, 11 lui donna, par compensation, la moitié
de la terre de Luchy (1), qu'occupait précédemment Rodingue,
son chapelain, et il alTecta tout particulièrement cette donation
au vestiaire des religieux.
L'indemnité ne parut pas suffisante à Tévêque; il demanda la
terre de Luchy dans sa totalité. Le roi la lui promit et le pria
d'attendre que Sigefroi, son vassal, qui tenait l'autre partie en
bénéfice, fut mort. Odon patienta , et aussitôt après la mort de ce
vassal le prince mit l'abbaye de Saint-Lucien en possession de
cette seconde moitié de la terre de Luchy. Il y ajouta celle d'.Arcy,
près de Bury (2), qu'un autre vassal, nommé Guy, venait de
laisser vacante aussi par sa mort (3).
Charles-le-Ghauve stipula toutefois quelques conditions : il
demanda que Ton célébrât tous les ans, le 22 juin, dans le
monastère, un service solennel d'anniversaire pour le repos de
l'àme de Guy, son vassal bien-aimé, et que l'on fit mémoire de
lui aux messes et aux prières publiques, comme on a Tusage de
le faire pour les religieux de la raiuson. Il spécifia en outre que
la moitié du revenu de cette terre serait employée à fournir la
table des religieux^ le jour où l'on célébrerait cet anniversaire,
et que l'autre moitié serait destinée à entretenir la communauté
de vêtements.
La charte qui confirme cette donation est datée du m des ca-
lendes de juillet (29 juin) de l'an trentième du règne du roi
Charles-le-Chauve.
Elle est citée par Loisel et Louvet.
L'avenir du monastère paraissait désormais moins sombre, et
(1) Loisel : Mémoires des pays et vilU de BeauvaiSt p. 244.
(2) D. Bouquet, t. VIII, p. 617.
(3) Àlieram medUtatem suprafatœ villœ fLudatiJ, cum omniintegritate,
cum ecclesiis, domibus, œdificiis; cum viis, curtiferis, viridariis, hortiSy
vineis, in villa ÀrsiUo sitis, ad ipsam juste pertinentibus terris ^ sylvis^
pratis, pascuiSj aquarum decursibus perviis adjacentihus , exitibus et
regressUms, mancipUs utriusque sexûs desuper commanentibus, velad
eamdem villani juste legalUerque pertinentibus.
(Loisel : Mém. du pays de Beauv. , p. 244).
DE l'aBBATB royale DE SAINT* LUCIEN. 287
avec le revenu de ces terres, on espérait pouvoir se procurer les
choses les plus nécessaires à la vie.
En 866, le prévôt ou prieur, nommé Hilmérade, demanda à
révèque de Beauvais de venir détacher une portion du corps de
saint Lucien pour la remettre à Odulphe, trésorier de Saint-
Riquier. Cette faveur, disent les annales de ce monastère, res-
serra l'amitié qui unissait déjà les deux communautés.
La vie régulière avait repris son train accoutumé à Saint-
Lucien, quand une nouvelle invasion la troubla. En 877, les
Normands reparurent et vinrent assiéger Beauvais. Les religieux,
contraints d'abandonner leur monastère, se réfugièrent dans la
ville. La tourmente fut de courte durée. Les Normands, trou-
vant de la résistance, passèrent outre et marchèrent sur Com-
piègne, qu'ils brûlèrent avec une partie de l'abbaye de Saint-
Corneille. Pour Saint-Lucien , les dégâts furent peu considéra-
bles, et les religieux purent s'y réinstaller aussitôt que l'en-
nemi fut parti. La tranquillité ne dura guère : en 883, les Nor-
mands revinrent devant Beauvais, s'en emparèrent et en brû-
lèrent une partie. Ils y établirent leur quartier d'hiver, et ne
s'éloignèrent qu'après avoir pillé les environs. L'histoire ne dit
pas que Saint-Lucien fut saccagé ; mais il est probable qu'H
n'aura pas été sans souffrir du voisinage de ces pillards enva-
hisseurs.
La régularité se maintenait néanmoins dans le monastère ,
malgré tous ces troubles. Il produisit même des hommes assez
remarquables pour attirer l'attention du clergé et du peuple,
au point qu'après la mort de l'évèque Herluin on choisit Bovon,
l'un deux, pour l'élever sur le siège de Beauvais (922). Le nou-
veau prélat n'oublia pas son monastère; il se souvint de sa
pauvreté, et lui Ht don de l'église de Saint-Just-des-Marais, du
village de Fouquenies ainsi que deladtme du lieu. Le nécrologe
de l'abbaye en fait mention en ces termes : Die xxiv maii obiit
Bovo, episcopus Beltacensis, qui dédit Sancto Luciano ecclesiam
Sancti Justi de Marisco , decimam et villam siib Sancto Maxiaiw^
Fu/gentias notnine. Une autre partie du territoire de Fouquenies
fut donnée par une dame nommée Odéline ; l'obituaire en fait
mention le 30 janvier.
Le successeur .de Bovon , Hiidégaire , fut inhumé , comme ses
prédécesseurs, dans l'église de l'abbaye, et M. Barraud, le père
288 HISTOIRE
du savant chanoine, trouva, en 1815, la plaque de plomb qui
était sur son cercueil. Elle portait cette inscription :
HIC REQUIESCIT HILDEGARIUS EPS.
Sur la tin du x« siècle, vers Tan 981, les religieux de Sainl-
Lucîen furent choisis pour réformer Tabbaye de Sainl-Valery, au
diocèse d'Amiens. Ce monastère avait perdu son ancienne régu-
larité, et n'était plus occupé que par des clercs qui menaient
une vie fort dissolue. On avait tenté plusieurs fois de les réfor-
mer sans y parvenir, quand le comte Hugues prit le parti de
substituer une communauté fervente et animée de Tesprit de sa
vocation , à celle qui s'y trouvait et qui n'avait plus rien des
habitudes monastiques. Il s'adressa, à cet effet, à l'abbaye de
Saint-Lucien , qui jouissait d'une juste renommée de régularité.
L'abbé accueillit sa demande avec bienveillance. Il choisit un
certain nombre de ses religieux , les plus distingués par la vertu
et le talent, et les envoya sous la conduite de Tun d'entre eux,
nommé Restold. Ils prirent possession du monastère de Saint-
Valéry, et s'appliquèrent à y faire revivre, dans toute leur per-
fection, les anciennes observances monastiques. Restold fut
choisi par ses frères pour avoir la direction de la communauté,
et il l'administra avec une grande sagesse.
L'abbaye de Saint-Lucien avait plusieurs cures en sa posses-
sion, et devait pourvoir à ce qu'elles fussent desservies par des
prêtres chargés d'y remplir toutes les fonctions du ministère,
si elle ne pouvait les faire desservir par ses moines. A chaque
mutation de desservant, elle payait un droit à l'évéque pour
obtenir leur institution canonique. Cette charge était assez
lourde, et le monastère parfois s'en plaignait aux évèques. L'un
d'eux, Hugues, qui gouvernait l'église de Beauvais en 998, crut
devoir mettre un terme à cet usage, et un jour, qu'il était à l'ab-
baye, il déclara solennellement qu'il renonçait à cette redevance
pour lui et pour ses successeurs, et qu'il en affranchissait la
communauté à toujours. Le nécrologe du monastère faisait men-
tion de cette exemption en ces termes : xni oprilis obiit Hugo
Belvacensis Episcopus, qui nostra altaria libéra fecit à personis.
L'abbaye put dès lors présenter à l'approbation de l'évéque des
titulaires pour ses cures sans être obligée de payer aucun droit.
Jusqu'ici nous n'avons pu grouper les faits concernant notre
DE L*ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. S89
monastère sous le nom de ses abbés, parce que nous n'en avions
pas la suite exacte, et que l'époque précise de l'existence de
ceux que nous possédions nous faisait défaut. Nous nous sommes
contentés de suivre chronologiquement l'ordre des faits, sans
nous préoccuper d'eux. Maintenant, que nous croyons en pos-
séder une suite assez complète, nous allons raconter les événe-
ments en les coordonnant sous le nom de chacun d'eux. Aupa-
ravant citons, sans date, les noms des quelques abbés antérieurs
au xp siècle, que l'histoire a pu sauver de l'oubli.
ABBÉS RÉGULIERS.
I. — Warlix.
II. — Aixtliolme.
III. — WaHton.
IV. — lioTl>ort.
V. — nicar'd.
VI. — WomoT'us.
VIT. — Oiiiitliai:*iiis.
VIII. — IJavon.
IX. — IIorTl>or'oiiln.s.
X. — Ouy OU Wldo.
XI, — liognioz- (1002).
Régnier (Haineritis) était abbé de Saint-Lucien, en l'an J002,
quand on découvrit, cachés en terre, les vêlements du saint
martyr. Voici comment un ancien manuscrit du monastère ra-
conte le fait. La seconde année du xp siècle, sous le règne du
roi Robert et durant l'épiscopat de Roger de Champagne, évèque
T. vin. iî^
290 HISTOlkK
de Beauvais, un religieux nommé Giraud était en prière dans
l'église de l'abbaye de Saint-Lucien, la nuit du vendredi avant la
Pentecôte. Pendant qu'il est absorbé par la ferveur de son orai-
son, une vive lumière environne soudain le tombeau du glorieux
apôtre, et un vieillard vénérable lui apparaît, et, lui montrant
des vêtements cachés sous terre, à une certaine profondeur, lui
ordonne d'aller dire à l'abbé de les tirer de cet endroit. L'humble
religieux, s'eslimant indigne d'être favorisé d'une révélation, et
craignant d'être le jouet d'une illusion, n'ose rien dire, et ne
parle à personne de sa vision ni de l'ordre qu'il a reçu. 11 tombe
tout-à-coup malade, et, sentant son état empirer, il fait part à
son confesseur de ce qu'il a vu. Celui-ci lui conseille de patienter v
encore avant de rien découvrir. Cependant sa santé s'étant amé-
liorée, il se rendit de nouveau à l'église pour y prier. A peine y
est-il que la même vision lui apparaît et lui recommande encore
avec les plus vives instances d'aller dire à l'abbé ou à l'évêque
de faire rechercher les vêtements de saint Lucien à l'endroit qu'il
lui indique. Après quelques nouvelles hésitations, le pieux
moine se décide à tout révéler à son abbé, et il lui donne des
détails si clairs et si précis, que celui-ci croit devoir en référer à
révêque. Hoger de Champagne se transporte aussitôt au monas-
tère avec plusieurs ecclésiastiques, interroge Giraud, et ordonne
que la terre soit creusée à l'endroit qu'il désigne. On se met à
l'œuvre, en présence de la communauté anxieuse; ou creuse,
on creuse encore; entin , au grand élonnement de tous, la pioche
atteint un petit coffre en plomb; on l'exhume, il présente exac-
tement la forme et les dimensions que le religieux avait dési-
gnées. L'évêque le fit ouvrir et y trouve une partie des vêtements
que saint Lucien portait au moment de son martyre : des san-
dales et une aube teinte de sang. Ces objets avaient dû être enfer-
més dans cette caisse et déposés en terre pour les soustraire à la
profanation. Mais à quelle époque et par qui? M. Delettre (1) veut
que ce soient les fidèles contemporains de la mort de saint Lucien
qui les aient placés dans la même tombe que son corps, ou au
moins tout à côté. Nous avons de la peine à le croire. D'abord
parce qu'il n'est pas certain que ce soit précisément en cet en-
(1) Hiêt. du dinc. de Beauvais, t. i , p. 431.
DE l'abbaye royale DE SAINT -LUGIEÏ^. 291
droit que le corps de saint Lucien ait été inhumé. Ëu outre, lors
de l'élévation du corps du saint martyr, à l'époque de la consé-
cration de réglise de Tabbaye, vers 385, on n'aurait pas manqué
d'exhumer ces reliques vénérables avec le corps du martyr. Nous
croyons plutôt qu'elles ont été cachées plus tard par quelque
moine trésorier, peut-être lors des premières invasions nor-
mandes, pour les soustraire à la profanation. La longue durée
des troubles et la mort du moine auront fait perdre le souvenir
de l'endroit où elles étaient déposées» et elles seront ainsi res-
tées ignorées.
quoiqu'il en soit, l'évèque les ilt lever avec respect, rendit de
solennelles actions de grâces au Seigneur pour la découverte de
ce trésor, et permit à l'abbé Régnier de les exposer à la vénéra-
tion publique. La nouvelle de cette découverte se répandit au
dehors : on y accourut de tous les environs , et de nombreux
miracles s'y opérèrent, dit D^Porcheron. L'abbaye célébra chaque
année, depuis cette époque, la fêle commémorative de l'inven-
tion de ces reliques. Elles furent religieusement conservées dans
une belle châsse en bois, et elles existaient encore, en 1628,
' quand Augustin Potier en fit la reconnaissance (i).
Le nécrologe de l'abbaye fait mémoire de l'abbé Régnier, le
VI des calendes d'octobre. On suppose qu'il est mort le 26 sep-
tembre 1003.
i
XLII. — Koixl^Tixes (1003).
Le catalogue des abbés , qui était conservé dans l'abbaye de
Suint-Lucien, donne pour successeur à Régnier le moine Foul-
ques. Il n'aurait administré que quelques mois ce monastère
|)0ur passer sur le siège épiscopal d'Orléans, où l'appelait la voix
des fidèles. Le Gallia ChrisHana^ n'osant pas être aussi afilr-
matlf , émet un doute sur l'existence de cet abbé au commence-
ment du xp siècle, et pense que ce Foulques, cité dans le nécro-
loge, pourrait bien être le même que Foulques de Chanac, qui
[i) Louvet : Hisi. et AnUq. de Beauv., t. ii, p. 176. — D. Poreheron,
cb. 13. — Delettre : Hist. du dioc. de Beaav., t. i, p. 4ao.
292 HISTOIRE
vécut au xiv« siècle, et dont nous parlerons plus tard. Nous ne
partageons pas l'avis de ces savants auteurs, et nous croyons
devoir le maintenir avec D. Porcheron, Du Caurroy et D. de
Noroy, comme successeur de Régnier.
Le nécrologe de Saint-Lucien fait mention de lui en ces termes :
« Pridie kalendas maii, obiit D. Fulco, episcopus Aurelianensis ,
quondam abbas hujus ecciesiœ Sancti Luciani, prope Bellovacum,
Fundavit anniversarium suum quolibet anno soletnniter bis celé-
brandum, inprimd die maii et iv« die decembris, Quatridiù rixerit
in /nimaniSj videlicet prima die maii de Sanctd Marid, et quartd
die decembris de Sancto Spirilu missx fient; etpost decessum, qua-
libet nominatarum dierum, fiât totum servUium de defunctis cum
vigiliis et misais, etc. Ad qux prœmissa faclenda egoprior et con-
vent us tenebimur in perpetmnn, Ktpropter hoc dédit nobis ce ntum
libras parisienses ad utilitatem nosiram et dictx eccfesix nostrx
convertendas, »
Foulques fut promu k Tépiscopat et élevé sur le siège d'Orléans
dans Tannée lOOi, après la mort d'ArnoulL II se souvint, dans
sa nouvelle position, de son ancienne patrie, et le moine Hel-
gaud rapporte, dans son histoire du roi Robert, que ce prélat
ciioisit pour avoué ou protecteur de son église d'Orléans un
puissant chevalier du Beauvaisis, nommé Hugues de Beauvais,
dont il avait fait connaissance lorsqu'il était abbé de Saint-
Lucien.
Ce fait donne le motif pour lequel nous l'avons maintenu
comme successeur de Régnier.
XLIII. — Hul>ert (1004).
Après le départ de Foulques , les religieux de Saint-Lucien
choisirent le moine Hubert pour lui succéder.
Cet abbé fut avec l'évèque de Beauvais, Guérin, à l'assem-
blée des grands du royaume, convoquée par le roi Robert à
Compiègne, en 1023, pour la réception de l'ambassade en-
voyée par Henri, empereur de Germanie. Il prit part aux affaires
qui y furent traitées, et signa, comme témoin, le \^^ mai,
à racle de confraternité et d'association spirituelle entre l'ab-
baye de Saint- Vaast d'Arras et l'église de Beauvais, que l'évèque
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 293
conclut avec Vabbé Leduin, en présence de loute la cour (1).
Peu après son retour, l'abbé Hubert obtint de Tévêque Taffran-
chissement de son abbaye de toute avouerie, Sanctum Lucianum
liberum fecit ab advocatoria, dit l'ancien nécrologe. Les évoques
de Reauvais étaient les avoués ou protecteurs du monastère de-
puis bien longtemps. Ils faisaient remplir à son acquit, parleurs
vassaux, les fonctions militaires auxquelles ses terres pouvaient
être tenues, et en récompense ils s'attribuaient une partie de ses
revenus. L'avouerie était ainsi une charge assez lourde, et elle
devenait bien inutile en temps de paix. En général , du reste,
le service rendu par Tavoué coûtait beaucoup plus quil ne valait.
Aussi , quand le C8lme se fut rétabli et que la tranquillité parut
durable, l'abbé de Saint-Lucien ne tarda pas à demander d'être
affranchi de cette charge. L'évêque y consentit de bonne grâce,
par estime pour les hautes qualités de l'abbé et par affection
pour son monastère; seulement il retint qu'on lui paierait tous
les ans, à la Toussaint, en souvenir de cette exemption, une/jafre
de bottes de Cordouen^ à doubles semelles, feustrées jusqu'aux ge-
noux^ et une pelluce de fins agneaux.
L'évêque Guérin étant mort le 8 novembre 1033, son corps fut
inhumé dans l'abbaye de Saint-Lucien, et Godefroi Hermant
rapporte (2) que de son temps on voyait, dans un passage au-
dessous du dortoir, et encadrée dans la muraille où elle avait
été transférée, la pierre tombale de cet évêque. Elle portait,
gravée en grandes lettres romanes, l'inscription suivante : If^a-
rinus episcopus Belvacensis, qui obiit vi idm notembris.
Drogon, son successeur, que l'on peut appeler le restaurateur
monastique, à cause des monastères qu'il fonda ou Jlt sortir de
leurs ruines (3), fit d'importanles donations à notre abbaye. 11
lui donna, vers 10X", l'église de Bonnîères et la seigneurie de
Warluîs. Elle possédait déjà, depuis un certain temps, le village
de Warluis; mais elle n'avait ni la justice ni la seigneurie, qui
.1) Louvet, t. II, p. 186. — Deleltre, 1. 1, p. AU.
(3) ïïist. de Beauv., mss., liv. iv, c. 8.
(3) Drogon rétablit les abbayes de Bretenil et de Saint-Gfrmer, et fonda
les abbayes de Salnt-Sympborien et de Saint-Paul.
294 HISTQ]BI
appartenaient à révêque-comte de Beauvais. Le^ officiers de ce
dernier, en rendant la justice ou en percevant les droits seigneu-
riaux, vexaient, autant qu'ils pouvaient, les tenanciers de Tab-
baye par des exactions arbitraires. L'abbé s'en plaignit à plu-
sieurs reprises, et Drogon, pour mettra fin à ces contestations,
abandonna tous ses droits sur le village au monastère, et l'en
coi)3titu^ seigneur et maître (1 ).
Les roîB de France ne manquaient pas non plus de témoigner
leur bienveillance à Tabbaye de Saint-Lucien toutes les fois qu'ils
ep trouvaient l'occasion. Ainsi, plusieurs terres à Cinqueux, Ro-
zoy et Verderonne lui avaient été données. Ces terres étaient d'un
grand rapport; mais leur valeur était diminuée par certains
droits coutumiers et féodaux, tels que droits de justice (bannum),
de chasse (falconatium)^ de rouage {rotatium\ que les donateurs
s'étaient, réservés. Le roi Robert les en affranchit par lettres pa-
tentes (â;. Il exempta, en outre, le monastère de tout droit de
travers sur l'Authie pour le passage de ses voitures ou de ses
bêtes de somme , au bac de Nampont, quand ils allaient ou ve-
naient de par Montreuil-sur-Mer.
Le roi Philippe I«% par lettres données à Senlis, en 1060, réi-
téra cette exemption et la confirma solennellement. Il frappa de
;i) CorUulimus Sancto Ltieiano et monachis ejus comitatum et vicariam,
quam tenebamw in viUd eorvm, quœ dicUur Vuarlosus, quia Bœpè que-
rimoniam apud nos faciebant de miwistrU et vicariis nostria, quod ruslicoft
eorum maU tractarent et injuslis exactùmibus et placiHs gravarent.
(Louvet : Hi8t. et Ànt. de Beauvais, t ii, p. 190 }
(3) Rotbertus gratiâ Dei amminiculante Francorum rex.... Quapropter
notum volumus esse cunctis tam presentibus quàm futuris, quod ob re-
medium animœ nostrœ, conjugis ac filiorum salutem , cedimus et jure
perpétua condonamus cœnobio marlyris sancti Ludani et monachis inibi
monasticè degentibus, omnes consuetudines j quœ in terris eorum sitis
Senquaiio et Roseto et VerderonÂ, ab antecessoribus iwstris constilutœ
sunt, ut deinceps non aliquis nostrûm, sive regnvm nostrum inhabUan-
tium audeat ibi accipere latronem, neque bannum et falconaiium, neque
rotatium, et quicquid ibi ad nos pertinere videtur^ loco prœdicti martyris
Ludani in perpetv/um dimittimus. Concedimus autem eis Nempontis trans-
curswni super Àtteiam fluvium^ ut carri et summarU eorum Uberam po-
testatem habeant ev/ndi et redeundi, et transeant etredeant^ qvarhdocumque
DE l'aBBATE royale DE SAINT-LUCIEN. 295
100 livres d'or d'amende quiconque violerait ce privilège (1).
Le comte Odon de Champagne, le frère de l'évéque Roger,
avait aussi donné, quelque temps auparavant, la moitié d'une
terre et d'une vigne sises au faubourg de Beauvals (2).
L'abbaye de Saint-Lucien était florissante; elle avait de nom-
breux religieux, et parmi eux on remarquait des hommes émi-
nents Lu second abbé de Saint-Symphorien, Warin ou Warnier
1036-f0f)0), avait été pris dans son sein, ainsi que Robert (1057),
son quatrième abbé.
on ne connaît pas l'année de la mort d'Hubert.
XTV. — "Tliinault (10o0?-1077).
On ne saurait dire à quelle époque précise cet abbé ftit élu;
on pense qu'il le fut vers lOriO. La première fois qu'il est fait
mention de lui dans l'histoire, c'est en 1072, quand il signe
comme témoin à Tacte de fondation de la collégiale de Sainl-
Vaast de Beau vais (3).
Thibault jouissait d'une haute réputation de vertu : aussi, de
toutes parts, recherchait-on son amitié. L'évéque de Beauvais
ne dédaignait pas de prendre ses conseils, et l'emmenait avec
voluefintj absque ullo débita et sine ullâ inquieludine et injuria; prcBciffi"
mus et prœcfpto nostro imperamus et regiâ auctoritate nostrâ isla tnt;io-
labilUer sancimu^, adjiàenles ut nemo extra et inira Monasteriolum cas-
trum prœsumat aliquid ex carri^ aui summariis eorum 9uscipe^e vel
qiwdcumque prœtium subripere. lia tamen hoc concedimus , ut monachi
prœdicti loci Chrisli martyris semel in hebdomadâ, quartâ feriâ, omnes in
nnum generaliter missam unam concélèbrent pro nostrâ, conjugis et filio-
rt*/n nostrorum salule, et mut in vitâ, ita agant post nostri corporis dis-
soluiionem.
S. ROBERT!.
Franco cancellariua palatii subscripsit.
(Extrait de D. Grenier, 198. p. 125.)
(1) La charte de Pliilippe I" se trouve dans la collection de D. Grenier,
198. p. 126-
(3; D. Percheron, ch. li.
(3) Louvet , t. I , p. fi94.
296 HISTOIRE
lui quand il avait des afîaires épineuses à traiter. Un jour, que
Guy était à Montdidier, et Tliibault avec lui, on apprit que Gos-
celiii de Bulles, surnommé ri<:nfant, était dangereusement ma-
lade en son Ch&teau de Bulles, et que Ton craignait pour ses
jours. L'évêque portait beaucoup d'intérêt à cet illustre malade,
qui avait toujours été comme Ascelinus, son père, un des plus
fermes soutiens de Téglise de Beauvais. Il suspendit aussitôt ses
affaires et partit avec Tabbé de Saint-Lucien pour aller lui offrir
les secours et les consolations de la religion. Cette visite inat-
tendue causa la plus grande joie au noble chevalier; la présence
de l'abbé de Saint-Lucien, surtout, qu'il atrectionnait particuliè-
rement, lui fit un sensible plaisir. Il s'entretint avec lui, puis,
voulant lui témoigner sa reconnaissance pour sa visite, il Ht
signe au prélat de s'approcher de son lit, cl lui dit : « Je remets
entre les mains de Votre Sainteté, au proilt de l'oljbaye de Saint-
Lucien , j'offre, livre et concède, h litre de donation, d'offrande
et d'aumône, pour le soulagement de mon î\me et de celles de
mes parents, la moitié du fief que je possède à Haucourt par
droit de succession, avec ses hôtes, ses terres, ses bois, le droit
de justice et autres privilèges qui y sont attachés, à la charge
par les religieux de célébrer chaque année mon service anniver-
saire et de se souvenir de moi dans leurs prières, après que mon
corps aura reçu la sépulture en leur abbaye. »> L'évêque Guy,
profondément touché de la dévotion et de la piété du malade.,
rédigea par écrit ses dernières volontés, en présence de Mathieu
de Bulles et de Hugues de Dammartin, oncles du testateur; après
quoi le testament, revêtu des formalités requises, et signé par
Boger, archidiacre, Gautier, trésorier de la cathédrale, et par
les membres de la famille, fut déposé entre les mains de Thi-
bault, abbé de Saint-Lucien. Le malade exposa ensuite à ses
oncles et à l'évêque les scrupules qu'il avait sur la licite de la
possession de sa terre de Bulles. Il savait bien que le roi ChiN
debert l'avait jadis donnée à l'abbaye de Saint-Lucien, e\ que ses
ancêtres se l'étaient appropriée par usurpation. Il venait, par
son testament, d'essayer d'indemniser l'abbaye, mais cela suf-
fisait-il? f^a mort l'enleva avant qu'on eût pu donner une solution
à ses doutes. Le jour de la sépulture de Goscelin dans l'église du
monastère, Hugues de Dammartin, Mathieu et Payen de Bulles,
ses oncles, déposèrent solennellement sur l'autel le testament
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 297
du défunt, en présence de toute la communauté et d'une nom-
breuse assistance, et ratifièrent ses dispositions (1). Celait
vers 1075.
Par la mort de Goscelin de Bulles, Hugues de Dammartin, qui
avait épousé Raïde ou Roliarde de Bulles, sœur d'Ascelînus, de-
vint possesseur de la terre de Bulles. Les scrupules qui avaient
agité son neveu sur son lit de mort, au sujet de la légitimité de
cette possession, Tagitèrent à son tour. Il en conféra plusieurs
fois avec Tévèque, et le pressa de lui manifester clairement son
sentiment. Guy lui répondit que les droifs de l'abbaye de Saint-
Lucien sur les églises et sur une partie de la seigneurie de Bulles
lui paraissaient incontestables, vu la donation que le roi avait
faite. « Vous ne pouvez pas, lui dit-il, continuer à jouir de ces
biens en sûreté de conscience, et l'emploi que vos prédécesseurs
ont fait d'une partie de cette propriété, pour fonder un chapitre
destiné au service des églises qui y sont situées, ne peut être un
motif suffisant pour priver l'abbaye de Saint-Lucien de ses droits.
Vous êtes obligé de réintégrer cette abbaye dans la jouissance de
ce qui lui appartient légitimement. » Le comte de Dammartin,
convaincu, s'en fut aussitôt trouver l'abbé de Saint-Lucien , lui
remit les églises de Bulles avec leurs dépendances, et le pressa
d'en aller prendre possession. L'abbé ne voulait point faire va-
loir ses droits auprès des chanoines établis dans les églises res-
tituées avant d'avoir obtenu un acte en bonne forme; il pria
l'évèque, qui avait connaissance de toute l'affaire, de le faire
rédiger. Guy, cependant, insistait. Alors Thibault, sur ces ins-
tances réitérées, alla prendre possession des églises de Bulles
avec plusieurs de ses religieux. L'évèque lui délivra ensuite l'acte
authentique qu'il désirait; il est daté de l'an 1075 (2).
Il y avait alors à Bulles un chapitre de prêtres séculiers. La
piété des seigneurs du lieu l'avait fondé pour que le service re-
ligieux y fCit fait avec plus de régularité, et pour donner plus
d'éclat aux cérémonies du culte. L'institution était excellente et
ne portait préjudice & aucune communauté monastique. Son
(1) Diplomatie. r t. i, p. 586 — Deiettre, 1. 1, p. 503.
(2) Lofsel, p. 260.
298 HISTOIlJi
existence ne poiivait être mise en péril par la restitution de»
églises de Bulles à Tabbaye de Saint-Lucien. Aussi, les cha-
noines étaient-ils persuadés q.ue les religieux les verraient de
bon œil. Ils firent donc le plus cordial accueil à Tabbé Thibault
et à ses moines, quand ils vinrent prendre possession de Bulles.
L'abbjô ne manqua pas de les assurer de sa sympathie, et Ton
se quitta convaincu que les rapports seraient toujours em-
preints de la même bienveillance. Et pourtant cela ne devait
guère durer.
Hugues de Dammarlin s'était tout-à-coup épris d'un beau zèle
pour les fondations pieuses, et surtout pour les institutions mo-
nastiques. Ces dernières lui paraissaient préférables aux insti-
tutions canoniales parce qu'elles offraient plus de garantie de
stabilité. II résolut d'en établir une à Bulles, à la place du cha-
pitre qui y existait. 11 communiqua son projet à Tabbé de Saint-
r^ucien, et lui demanda de lui envoyer quelques religieux pour
donner suite à ses intentions. 11 promettait, du reste, de leur
assurer une bonne dotation. L'abbé était dans d'excellents termes
avec les chanoines de Bulles, et ne voulait pas les froisser.
Sachant que le projet du comte de Dammartin leur déplaisait,
il traîna en longueur tant qu'il pût, donnant diverses raisons au
comte pour pallier le retard qu'il mettait aie satisfaire. La situa-
tion, dès lors, se tendit : le comte accusait Tabbé de négligence,
et les chanoines, se persuadant qu'il était pour quelque chose
dans le changement, se brouillèrent avec lui. Thibault, par trop
de condescendance, ne réussit qu'à se mettre mal avec les deux
partis.
Le comte, à la fln, crut s'apercevoir des véritables motifs qui
faisaient agir l'abbé; son caractère bouillant s'en irrita, et, sans
plus lui en parler, sans môme consulter l'évèque de Beauvais,
ni obtenir son agrément, il fit venir des moines deVezelay;
expulsa les chanoines de leur église, sans autres forn^alltés; ins-
talla les moines à leur place, et les mit en possession de la terre
de pulles, leifr promettant de les protéger contre tout trouble et
contre toute éviction.
Le procédé était peu courtois, et le comte de Dammartin s'em-
parait sans façon des droits de l'abbaye de Saint-Lucien pour les
transférer à une autre communauté. C'était une injustice fla-
grante, et elle n'était malheureusement que trpp commune à
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. ^§
cette époque, où la féodalité et la force brutale étaient tqqtes
puîssaotes.
Thibault mourut sur ces entrefaites, le 18 juillet de l'an 1077.
XV. — F^ierr^ I" (1077-1094).
Le cartulaire de l'abbaye de Saint-Germer fait mention de Tabbé
Pierre dans la charte de fondation du prieuré de Villers-Saint-
Sépulcre (1). Comme cette charte est fort postérieure à la fonda-
tion , et sans date , elle ne peut préciser Tépoque à laquelle cet
abbé y souscrivit pour confirmer la donation faite par Lancelin
de Beauvais, de la maison d'flémelin de Saint-Lucien.
Pierre apparaît plus certainement le jour de Noël de Tan 1078,
quand il signa comme témoin Tacte de fondation du prieuré de
Bury, et la donation au chapitre de Beauvais de la collégiale de
Saint-Nicolas (2).
Devenu abbé de Sainl-Lucien , Pierre prit en mains les intérêts
de son monastère et revendiqua énergiquement la terre de Bulles,
dont il avait été si inopinément dépouillé. Ses réclamations de-
meurant sans effet , il porta l'affaire pardevant le légat du pape
et les évoques réunis au concile d'issoudun , en 1081 , et demanda
justice. Les pères du cbncile ^ soit qu'ils ne fussent pas suffisam-
ment renseignés, soit qu'ils eussent subi l'influence de l'abbé de
Vezelay ou du comte de Dammartin , se prononcèrent provisoi-
rement contre l'abbaye de Saint-Lucien. Ils donnaient gain de
cause aux religieux de Vezelay, par la raison qu'ils étaient en
possession, depuis plusieurs années, de l'église de Bulles et de
ses dépendances. La sentence n'était pas définitive, il est vrai;
mais telle qu'elle était, elle attribuait néanmoins la jouissance
de la terre de Bulles à des religieux qui n'avaient pour eux que
la simple occupation, et privait de ses biens un monastère qui
avait des droits certains et légitimes. L'injustice paraissait si
notoire qu'lves de Chartres (3) crut devoir en écrire au légat
(1) LOQVet , t. I , p. 643.
(3) Loavet, t. I, p. 689.
(3) Bpist. 18L
300 HISTOIRK
Richard, évèque d'Albe, pour le prier de faire revenir sur cette
décision. Il lui exposa clairement toute l'afTaire et fit valoir les
droits incontestables de Saint-Lucien (i); mais quelques efforts
qu'il fit, il ne parait pas qu'on ait rendu justice à notre abbaye.
Les religieux de Vezelay restèrent en possession de l'église de
Bulles.
Nous avons à revenir maintenant sur la fondation de la collé-
giale de Saint-Nicolas de Beauvais, que nous n'avons fait qu'in-
diquer en passant afin de ne pas trop interrompre le récit du
différend relatif à Bulles.
Il y avait, dans Tintérieur de la ville, une ancienne chapelle
en bois, bâtie dès les premiers temps du christianisme, auprès
de la demeure que Ton disait avoir été habitée jadis par saint
Lucien. Les évèques de Beauvais l'avaient donnée à Tabbaye de
saint-Lucien, avec le fief sur lequel elle était construite. Klle tom-
bait de vétusté quand un pieux sénéchal de Tévèque de Keauvais,
nommé Raoul, entreprit de la rebâtir. C'était un des plus riches
feudalalres du comté. Il sollicita et obtint de l'abbé de Saint-
Lucien la propriété de l'emplacement où elle était située, et fit
bâtir â sa place une vaste église en pierres, la dota de revenus
assez considérables, et y établit un chapitre qui fut sous la juri-
diction de l'abbaye. L'évêque dédia l'édifice sous l'invocation de
saint Lucien et de saint Nicolas. Kn échange du terrain, Raoul
avait donné à l'abbaye de Sainl-Lucien les églises de Méry et de
Mortemer, et celle de Saint- Laurent, en Angleterre. L'obituaire
du monastère en fait mention en ces termes : Obiit Radulphu^
miles j qui dédit nobis ecclesiom Maris et de Mortuo Mari cum his
qux ad eam pertinent, in Jnglia, ecctesiam Sancti iMurentii,
L'abbaye perdit ou échangea elle-même plus tard ces églises.
Klle n'en était plus en possession au xiv*" siècle.
Raoul, craignant que son établissement ne vint à éprouver
des troubles ou des vexations après son décès, prit le parti de
le céder au chapitre cathédral de Beauvais. M l'abbé de Saint-
Lucien, ni l'évoque ne s'y opposèrent, et la donation eut lieu le
jour de NoëH078. Pierre signa l'acte avec trois de ses religieux,
Âdélulphe, Hugues et Thibault, et obtint qu'en souvenir de la
(1) Loavet, 1. 1, p. 634.
OB L*ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 301
juridiction qu'il abandonnait, la collégiale lui fournirait annuel-
lement une livre d'encens (1). .
L'abbé de Saint-Lucien , Pierre , accompagna l'évoque Ursion
au concile de Compiègne, tenu en 1085, et fut entendu avec ses
collègues de Breteuil et de Saint-Symphorien dans une question
litigieuse entre l'abbaye de Saint-Corneille de Compiègne et Hil-
got, évèque de Soissons. Leurs dires firent maintenir les privi-
lèges de l'abbaye et son exemption de la juridiction épiscopale.
Cette afiTaire décida Pierre à demander à son évèque la confir-
mation de tous les biens et de tous les privilèges de son abba>-e.
Ursion y consentit de bonne grâce et lui accorda aussitôt des
lettres de confirmation (1085). Pierre en obtint de nouvelles
quelques années plus tard (1090) de Foulques de Dammartin,
son successeur (2).
Cependant l'abbé de Saint-Lucien voyait partout, autour de
lui, s'élever des constructions plus majestueuses que celles des
siècles précédents. Jusque-là on n'avait guère bâti qu'en bois,
et cette matière, outre qu'elle ne permettait pas de donner au-
tant d'ampleur aux édifices, offrait sans cesse une proie facile
aux incendies. Partout on cherchait à remplacer le bois par la
pierre, depuis que les terreurs de Tan 1000 étaient passées; c'é-
tait aussi plus solide et plus imposant. Pierre souffrait de voir
l'église de son monastère dans un état de vétusté qui nécessitait
de continuelles réparations , et il eut la pensée d'en construire
une nouvelle, plus vaste et plus en rapport avec les besoins de la
communauté. Il communiqua son projet à ses religieux, qui tous
l'approuvèrent. L'un d'eux même, un nommé Qautier, qui avait
certaines connaissances en cette matière , s'offrit d'en dresser
les plans et d'en surveiller les travaux. L'offre fut acceptée; on
fit appel à la libéralité des âmes généreuses et l'on se mit réso-
lument h l'œuvre. Un maître maçon {C3smm(ariu8\ nommé Virem-
bolde, entreprit la construction et la poussa avec activité, mais
pas assez pourtant pour que Pierre pût voir la dédicace de son
œuvre. Cette satisfaction devait être réservée àcirold, son se-
cond successeur. Le cartulaire du monastère a conservé le sou-
1) Louvet, r. I, p. 687.
i2) Gallia Chmtiana, t. ix, col. 781.
302 HISTOIRE
venir d'un nommé Gautier, qui donna, avec Videla, sa femme,
le quart d'une maison, d'un jardin, d'une vigne et d'un pré
pour la construction de la nouvelle église.
Une autre donation, beaucoup plus importante, eut lieu sur
ces entrefaites I c'est celle de la terre de Grand villiers. Roricon,
évèque d'Amiens, possédait la moitié de cet alleu, et Arenburge,
mère de Saint-Hugues, moine de Cluny, l'autre moitié. Poussés
par une pensée généreuse, ils firent, l'un et l'autre, abandon
de cette propriété à Tabbaye de Saint-Lucien vers 1090, pour
avoir part aux prières de ses religieux. Une lettre du moine
Hugues, adressée à Gervin ou Godefroy, évèque d'Amiens, nous
donne les détails de cette donation (1).
Uueiques temps avant sa mort, Herre donna une dent de saint
Lucien à Lancelin, le fondateur du prieuré de Villers- Saint-
Sépulcre (2J.
Pierre mourut en 1094.
XLVI. — Olltoert (1094-1099).
Un des actes les plus importants de l'administration de cet
abbé est la fondation, sous la dépendance de l'abbaye de Saint-
[Vl LBTrRB DE HUGOKS . MOINE DE CLUNY, CONCERNANT LA DONATION
DE LA TERRE DE GRANDYILLIERS.
Reverendo Pàtri et Domino G. episcopo et omnibus Àmbianen$i8 ecele-
siw fiUis ftater Btigo Cluniaeensis uUimris, servus vester humiUimus in
Domino salulem. Notum sit vestrœ eharitati quod alodium illud de Gran-
vUer, quod prcedecessoris vestri domini Rorigonis episcopi et tnatris meœ
atUiquitùs fuerat, ipse dominais Rorigo et mater mea beato Luciatw Belr
vcLcensi, pro animabus suis et parentum suorum légitime concesserunl,
Hà videlicet ut eis viventibus aliquantula annui censûs distributio ex
eodem alodio solveretur. Decedenle ilaque domino Rorigone episcopo mé-
dia pars ipsius alodii quitta et sine censu ecclesiœ sancti Luciani omninb
Ubera remansit. Po$tquàm vero mater mea mundo mortua, pro t)omino
se monacham fecerit, quicquid ad ipsum de prœdicto alodio pertinuit,
possessioni beati Luciani martyris absque censu aUquo et penitus absolu^
twn devenu. Vestrœ Sanctitati veritatem scribere vohti. Valete.
(D. Porcheron, cb. 17}.
(9) Loovet, 1. 1, p. 643.
DB L'aBBATE royale DE SAINT-LUCIEN. StiS
Lucien, du prieuré de Saint-Martiu d'Âuchy, près d'Âumale, par
Etienne, comte d'Aumale.
Guérinfroid, premier comte d'Aumale, avait fondé, vers
Tan iOOO, une collégiale dans la campagne appelée Auchy, au-
près de la ville, et l'avait dédiée sous le vocable de Notre-Dame
et de Saint-Martin. Le second nom seul prévalut. Un de ses suc-
cesseurs, nommé Etienne, conçut le projet de la soumettre à
là régularité et d'en faire un établissement monastique. El lit
part de son dessein à Gilbert, abbé de Saint-Lucien , et lui de-
manda ses conseils. L'abbé l'approuva et lui proposa même d'en
prendre la direction, s'il le trouvait bon. C'était ce que désirait
Etienne.
Un jour donc, qu'une nombreuse assemblée se tenait à Rouen,
sous la présidence de l'archevêque Guillaume, c'était le ii dés
ides de juillet U4 juillet 1096), le comte d'Aumale s'y rendit avec
plusieurs de ses barons, et déclara solennellement qu'il donnait
à perpétuité l'église de Saint-Martin d'Auciiy, avec tous les biens
qui en dépendaient, au monastère de Saint-Lucien , afin que les
moines priassent toujours pour lui, pour la rémission de ses pé-
chés et pour l'àme de Guillaume , roi d'Angleterre, son oncle;
pour celle d'Adélise, sa mère, et pour celles de tous ses autres
parents défunts. Il en fit aussitôt dresser acte (1), et il y spécifia
que les chanoines , qui étaient actuellement en possession de la
collégiale, conserveraient pendant leur vie la jouissance des
biens de ladite collégiale , et que les ornements de régli»e et
tout ce qui lui avait été donné resteraient exclusivement affectés
au service de cette église , sans que rien pût en être distrait pour
une autre destination. L'archevêque et toute l'illustre assemblée
apposèrent leur seing au bas de cet acte. On y voyait les noms
de Robert, comte de Normandie, de Gilbert, évêque d'Evreux,
de Gilbert, évêque de Lisieux, de Serlon, évêque deSéez, d'Heî-
got, abbé de Saint-Ouen, de Robert, comte de Flandre» d'Eus-
tache, comte de Boulogne, de Manassès, comte de Gévrodie,
d'Enguerrand , comte de Saint-Paul, de Mathieu, comte de
Beaumont, et de bien d'autres (â).
(1) GalUa Christiana, t. xi , Instrum , col. 19.
{2) Semichon: Histoire de la tille d'Aumale, t. i, p. 300.
304 HISTOIRE
Cet établissement prospéra, et les comtes d'Aumale le dotèrent
si richement qu'il ne tarda pas à être érigé en abbaye. Gilbert
ne vit pas ce changement, la mort Tenlevale 4 novembre 1099.
XVII. — Oirold (ilOO-H28).
Girold, que Ton trouve aussi appelé Gérard, succéda immé-
diatement à Gilbert. Il s'occupa activement de faire terminer les
travaux entrepris par Pierre, Tun de ses prédécesseurs, pour la
reconstruction de son église ^ et il eut la joie d'en voir faire la
dédicace solennelle par Tévêque Godefroi de Pisseleu, en 1109.
On avait levé les corps des abbés, des évèques et des autres
personnages inhumés dans l'ancienne église, et on les avait
transportés dans les caveaux creusés sous le nouvel édifice. Un
plomb, trouvé en 1815 dans une tombe placée sous le côté droit
du chœur, et possédé par M. le chanoine Barraud , fait ainsi
mention de la translation du corps de l'évêque Honorât : » ii idus
MAll, ANNO INCARNATI VERBI M® C° Vlllio, INDICTIONE II, ANNÔ 1«
LUDOVICI REGIS, TEMPORE PAPE PASGHALIS 11 ET GALSFRIDI BEL-
VACENSIS EPISCOPI. TRANSLATUM EST CORPUS HONORATI EPISCOPI,
ET HIC REPOSITUM SUB GIROLDO ABBATE ; EODEM AP^NO FUIT ULTI-
MUM PASGHA. »
On tenait beaucoup, à cette époque, à être inhumé dans les
cloîtres ou dans les églises des monastères, afin d'avoir part
aux prières et aux bonnes œuvres des religieux, et pour obtenir
cette faveur on s'empressait de faire des legs ou des donations
aux communautés. Ainsi avait fait Goscelin de Bulles pour avoir
sa sépulture dans l'église de Saint-Lucien.
En 1109, Henri, comte d'Eu, confirme les donations faites par
t\obert, son aïeul, et Guillaume, son père, et en ajoute lui-même
de nouveHes, à la condition que les religieux prieront Dieu pour
lui , pour le repos des âmes de ses ancêtres, de celle de sa femme,
récemment décédée, et pour la sienne quand il aura cessé de
Vivre. Robert avait donné cinq masures sises au Tréport, sur la
grève (m ripd et arerul UlteriusPortûs)^ Guillaume avait exempté
l'abbaye de tout droit de travers et de tonlleu, pour les vivres
et les marchandises qu'elle pouvait faire venir de ce port. Henri
ajouta deux nouvelles masures sur la grève, et eoncéda le tout
DE l'abbaye royale DE SAINT-LllGlEN. 305
franc et libre de fous droits et de toutes couiixmes {concéda vobis
xeptem mansuras cum omnibus consuetudinibus suis, ita libéras
sicuti Pntlelmxis pater meus et Rotbertus avus meus tenuerunl
et ego ieneo (i).
Un seigneur de ces parages, Raoul de Mortemer, effrayé des
excommunications que les conciles et les papes fulminaient
contre les détenteurs de biens ecclésiastiques, se dessaisissait,
en cette même année 11U9, du droit qu'il s'était arrogé sur les
oblations {altare) de l'église de Maisnières, au diocèse d'Amiens,
et le remettait entre les mains de l'évèque Godefroi, pour être
donné à l'abbaye de Saint-Lucien. L'évèque accepta le mandat et
le remplit incontinent. Plus tard, Saint-Lucien céda ce droit à
l'abbaye de Corbie (S).
Kn iMi, l'abbé Girold traita avec le sire de Ciiemnel pour
racheter la moitié du droit d'avouerie sur la terre de Itaulers,
et, l'étole au cou, dit la cliarte qui rapporte ce traité, il pro-
nonça l'anathème contre quiconque oserait le violer. H était ac-
compagné de Thibault, prieur, et de Jean, trésorier de l'abbaye.
Cette terre de Maulers avait été précédemment donnée par un
comte nommé Thibault (Tetbofdus comes\ mais on ne sait pas
en quelle année. Les renseignements concernant le donateur
font aussi défaut.
Cet abbé, qu'une étroite amitié liait avec l*ierre-le-Vénérab!e,
jouissait d'une haute considération, et au synode de Beauvais,
tenu en illi, il fut l'un des juges délégués, avec le légat Conon,
pour prononcer dans le différend survenu entre l'abbaye de
Saint-Paul et les chanoines de Milly, au sujet du droit de nomi-
nation h la cure d'Hannaches (3).
Si Girold avait pour lui l'expérience et la prudente sagacité
qui sont tant recherchées dans l'expédition des affaires, il y joi-
gnait aussi une bonté toujours juste, qui se fait aimer des infé-
rieurs, et un zèle actif qui sait profiter des occasions pour en-
treprendre des choses utiles. Aimé des siens, estimé par tous, il
(1) Ctiarie originale dans le cabinet de M. Hathon , de Beau rais.
;2) D. PorctieroD, cb. 23
'3) Louvet» t. I, p. 620.
T. viii. iO
306 Histoire
avait lasatisfaclion de se voira la (èle d'une coiuinuuauté uoin-
breuse et des plus régulières. Il dcsirait répandre autour de lui
cette exubérance de vie monastique qui était renfermée dans son
abbaye. La fondation des prieurés lui souriait. Fonder, dans les
localités où il possédait quelques biens, des établissements ha-
bités par un certain nombre de moines, obligés de remplir tous
les devoirs de la vie religieuse et chargés d'exploiter ces terres
ou d'en surveiller Texploitation , lui paraissait devoir être une
œuvre excellente. Ces prieurés, ou espèces de petits monastères,
gouvernés par un prieur qui resterait soumis à la maison-mère
et à son abbé, déchargeraient Tabbaye de son excédent de per-
sonnel, en môme temps qu'ils assureraient la bonne adminis-
tration des biens, et édifieraient les peuples par la vie simple,
pieuse et mortifiée de ses membres. Il avait déjà un établisse-
ment de ce genre dans le prieuré de Saint-Martin d'Auchyi près
d'Aumale; mais cela ne lui sufflsait pas : il voulait en établir
d'autres, et avec d'autant plus d'empressement que celui-ci
était sur le point de lui échapper.
En effet, le prieuré de Saint-Martin d'Auchy avait pris tant
d'extension, son personnel était devenu si nombreux, que le
comte d'Aumale, son fondateur, n'avait pas craint de demander
à l'abbé Girold l'autorisation de l'ériger en monastère indépen-
dant. C'était priver l'abbaye de Saint-Lucien d'un membre bien
Important, et la séparation ne pouvait s'effectuer sans le consen-
tement de son abbé, qui avait juridiction pleineet entière sur cette
église depuis l'union faite en 1096.. Néanmoins, Girold ne crut pas
devoir refuser ce consentement; il le donna publiquement en y
mettant toutefois la condition que le nouvel établissement serait
pourvu de revenus sufQsants pour que ses membres n'eussent
pas à végéter misérablement (1). Etienne, comte d'Aumale, avait
cette érection à cœur, et il fit tout ce qui dépeadaM de lui pour
satisfaire aux conditions posées par Girold. Aux possessions d^à
fort nombreuses du prieuré, il en ajouta de nouvelles (1115) : la
dlme et les églises dePreston, d'Eschechilingua, deWiforhennic,
de Unagla, de Frohingheham , d'Aldebourg, de Mapellona, de
(1) L'acte de consenlement est cité on entier par le GalUa Chrvtliana,
t. XI , col. 20.
DE l'abbaye royale DE SAIiNT-LUGIËN. S07
Doneslal, d'Erlisefona, de Rereslal, de Cliinlesaî, deCeingbebam,
de Wifornesel. d'V'nlindesia, deCarlenton et deBaroie, au oomté
d'Holderness , en Angleterre; la dlme et les églises de Villers,
d'Haudricourt, de Saint-Valéry, deBeaufrêne, deSaiot-SaturniD,
d'Ailecourt, de Flomlnès, de Hillais, de Vîller8-sous*Foucar-
mont, au comté d'Aumale, en France; toutes les dîmes de sa sei-
gneurie, un hôte près de la rivière d^£aulne , les foires des deux
fèies de Saint-Martin , la dtme Oe ses moulins, la dlme des porcs
h Bloaseville, la forêt de Mouflers, etc., etc. (i). Ualgré cea do-
nations, le comte Etienne ne put voir Térection en abbaye du
prieuré d'Auchy, Girold non plus : tous deux étaient morts quand
cela eut lieu.
En 1430, à la prière du comte (juiltaume, fila d'Etienne, el
avec Tassentiment de Serlon, abbé de Saint- Lucien , Vérectio»
en abbaye du prieuré de Saint-Martin d'Aucby fut faite en pré-
sence d'Hugues, archevêque de Rouen, et de son chapitre catbé-
dral. Il fut statué (2;^ toutefois que le premier abbé d'Aumale se-
rait pris dans Tabbaye de Saint-Lucien, el que, pour l'avenir,
on pourrait prendre Vabbé dans le sein du nouveau monastère.
(1) Archives de la Seine-Inférieure : abbaye d'Aacby.
{^) E{ koc or(b'na^Km est conditione quod primum abbaUnjL
ail eccUda S.ancli luciani Relvacensis adducanl; omnes verb subseqttenUs
ahbates in ecdesia Sancti Martini, si ibi idoneum invenire poterant. omm
o/fensacnlo remoto, eligantur. Et si in ecdesia Sancti Martini aliquis
iionetis invcniri non poterit, ab ecdesia Sancti Luciani reqmrat%»r, si
veto nec in ilia idoneiim invenirent , a qualibet eccksia, assensu abbafi»
Sancti Luciani, requiratur; et quoniam in eceksia Sancti Lueiofd exoT"
(Hum sumpsiùj statulwn es^ eoram cmnibits svpradicHs personis oéi ipso
cornu (WiUelinoJ prefatO' et ab omnibus hereé^uA stâà ptrsokfmikt» dstaê
marcoê afgmUi ssqumUi die festi Sancài 9fim^ per singnl^fi «mum #d-
desie Sanfili Ludani, pro animabus patris il mairi$ sue ac çj»jh9|9» an(^
tecessorwn et successorum suorum. El monachi Sancti Martini acdpient
eas tt reddenl ecdesie SoTicti Ludani : quo(i si red'iite et solvte non fae-
rint infra xv dies post festum Sancti Remigii, decanus Àlbemarle, sicut
stat^tum et decretum est eoram archiepiscopum Rothomagensem, did-
num offiduminparochia et in castello Albemarle fieri prohibeat, qnousque
ecdesie Sandi Ludani pr édicté marce reddentwr.
(Archiv. de l'Oise : abb. de^ Saial hnoïtm , Annale.)
S08 UIStOIR£
si on y trouvait un sujet capable. Au cas contraire, ou devrait
le choisir parmi les moines de Saint-Lucien , à moins que leur
abbé ne voulût pas y consentir, ou que l'on n'y trouvât pas non
plus de sujet capable, alors on pourrait le prendre ailleurs avec
le consentement de Tabbé de Saint- Lucien.
Le comte, pour témoigner sa reconnaissance à Tabbaye de
Saint-Lucien, de ce qu'elle avait consenti à cette érection , et
pour attester à travers les siècles la juridiction primitive de cette
abbaye sur Saint-Martin d'Aucby, régla qu'à l'avenir les moines
d'Auchy prendraient chaque année, à la Saint-Remy, sur le cens
de la seigneurie d'Aumale, deux marcs d'argent et les donne-
raient incontinent à l'abbayo. de Saint Lucien. Faute de paie-
ment, après quinze jours de délai , le doyen d'Aumale devrait
faire cesser le service divin dans la paroisse de Saint-Martin et
dans le château jusqu'à ce que le paiement fût effectué.
Cette somme fut, jusque dans ces derniers temps, payée au
chantre de l'abbaye de Saint- Lucien (i).
Le premier abbé d'Auchy fut pris dans l'abbaye de Saint-Lucien;
il était prieur de cette abbaye et se nommait Noël. Il conserva
ses relations d'amitié avec son ancienne maison , et les rapports
des deux monastères se continuèrent dans les meilleurs termes
pendant bien des siècles. En Tan 1âi!2, un abbé d'Aumale, nommé
Martin, voulut encore resserrer, d'une manière plus étroite, l'u-
nion déjà existante entre les deux établissements, et, d'un com-
mun accord avec ses moines, il statua qu'à l'avenir son monas-
tère serait intimement associé à celui de Saint-Lucien, tant au
temporel qu'au spirituel , et que l'abbé de Saint-Lucien pourrait
faire venir des moines de la communauté d'Aumale et les garder
chez lui autant de temps que leur présence lui serait utile. « Fo-
lumtu ac stcUuimus ut tnonasterium nostrum monasterio Sancii
Ludani Belvacensts cohereat et in perpetuum uniatur tam in teni-
poralibus guam in spiritualibus , ut abbas Sancfi Luciani
de fratribus nostris et monachis aliquos, quos sibi necessarios et
tcdfes, si l'ofuerit, per abbatis Ucentiam, ad se vocet in suo mo'
nasteriOy quctmdiu voluerit vioraturos (2).
(1: Semicbon : Hist. d'Aumale, t. i , cb. xvi.
(-2) D. Porcberon , cb. 19.
DE L*ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 309
Quoiqu'il en fût de cette uniou morale. Térection du prieuré
de Saint-Martin d'Auchy en abbaye n'en séparait pas moins de
Saint-Lucien un de ses membres les plus importants; mais Vabhé
Gilbert Teut bientôt remplacé en fondant d'autres prieurés.
Saint-Maxien fut le premier établi. Saint Lucien, saint Julien
et saint Maxien avaient été martyrisés sur le coteau de Montmille,
et les corps des deux compagnons du grand apôtre avaient été
inbumés sur le bord de la colline, à quelques pas du lieu du
martyre. Ces restes vénérables avaient été transportés et réunis,
vers la fin du vi« siècle, k ceux de saint Lucien, ainsi que nous
l'avons dit. Les fidèles, malgré cette translation, continuaient
de se rendre à Montmille pour y prier sur cette terre arrosée du
sang des martyrs. Alors Girold résolut d'y établir un prieuré.
Sur le lieu où avaient été inhumés saint Julien et saint Maxien,
il fit construire une église (1), y adjoignit des cloîtres et les bâ-
timents nécessaires au logement d'une petite communauté et à
l'exploitation des terres qu'il attacha à cet établissement. Quand
tout fut prêt, il y envoya quatre religieux sous la conduite d'un
prieur. Les premiers dont les noms nous soient parvenus sont
cités dans une charte de donation de six mines de blé de rente
faite par Adèle, femme d'Albert Tinel, sous l'épiscopat de Gode-
froi de Pisseleu liiOi 11U), peu de temps par conséquent après
la fondation du prieuré. Le prieur s'appelait Adéline, et les re-
ligieux Manassès, Robert, Barthélémy et Rainai (â). L'église fût
dédiée sous le vocable de saint Maxien, l'un des deux martyrs
inhumés dans son enceinte, et le prieuré porta le nom de prieuré
de Saint-Maxien.
L'établissement de cette église offrait aux pèlerins plus de fa-
cilité pour y faire leurs dévotions : aussi, le concours des fidèles
devint-il plus nombreux de jour en jour, f.es aumônes faites au
religieux augmentaient en proportion. Pour témoigner leur re-
connaissance et pour donner plus d'extension encore à la pieuse
affluenc^, les bons moines demandèrent à l'évèque de Beauvais
(L) Celle qal existe encore aujourd'hui , et qal sert d'église paroissiale
à Foaqaenies, étant du commencement da xii* siècle ou de la fln du xi%
doit être l'église primitive du prieuré de Saint-Maxien.
{2) LOQVet, t. I, p. CkW.
310 H18T0IBIS
de vouloir bien accorder à ceux qui visilcraient celle église quel-
ques-unes des faveurs spirituelles qu'obtenaient ceux qui faisaient
le voyage d'outre-mer pour visiter les saints lieux. Godefroi de
Pisseleu, condescendant à leur pieuse requèle, leur accorda,
en 1112, une indulgence remettant le quart de la pénitence ca-
nonique aux fidèles qui, s'étant confessés, visiteraient Téglise
de Sainl-Maxien le dimanche de ia micarême, où Ton chante
rintroït Lœiare cl). L'évêque Odon renouvela cette indulgence
en 1138, et Philippe de Dreux , en 1211, prolongea le temps pour
la gagner jusqu'à Toctave de Pàquos. Nous en ])arlerons plus
tard.
L'abbé de Saint-Lucien ne se contenta pas de celle fondation,
il établit encore un prieuré à Sénari)ont, au diocèse d'Amiens,
et l'église fut dédiée à saint Denis. Les seigneurs du lieu, ainsi
que ceux d'Aplaincourt et de Bernapré, le dotèrent largement.
Au môme temps apparaissent les prieurés de Pernois, de Fil-
tecourt, de Notre-Dame-sur-le-Mont, à Picquigny, au même
diocèse , et celui de Lesseville.
Il fallait que les entrées en religion fussent bien nombreuses
pour que Girold pût effectuer toutes ces fondations sans dépeu-
pler son monastère. C'était aussi la grande époque monastique;
l'époque de saint Bernard et des croisades, et plus d'un grand
seigneur alors se faisait une gloire de quitter la cuirctsse pour le
froc.
L'abbaye de Saint-Quentin florissait ù côté de celle de Saint-
Lucien, et les rapports entre les deux communautés étaient
excellents; pourtant une difficulté s'éleva entre elles. L'histoire
ne nous dit pas quelle en fut la cause, mais l'objet du différend
fut assez grave pour que l'affaire fut portée pardevant le concile
de Reims, tenu en 1118. La sentence fi:t contraire à l'abbaye âe
Saint-f^ucien.
Girold était encore abbé de Saint-Lucien quand un riche che-
valier du Beauvaisis, Girard d'Hanvoite, seigneur de Noirémont,
étant tombé dangereusement malade, se fil transporter dans
l'abbaye, espérant y trouver la guérison par Tintercession de
saint Lucien. Il donna, dès son entrée, le quart de sa terre de
1} Loavel, t i, p. 659.
DB L'aBBAY£ ROTALB lik SAINT-LUCIEN. 311
Noirémonten perpéluelle aumône, et promit de prendre Tliablt
religieux si la santé lui était rendue. II guérit, mais îl ne tint pas
si sa pdrole, et retourna dans le monde, à la sollicitation «le
ses amis et de sa famille. La donation fut maintenue; nous di-
rons comment il l'augmenta plus tard.
Le dernier acte où nous voyons apparaître le nom de Girold
est la donation d'une prébende en l'église cathédrale de Beau-
vais, faite en 4i26 par l'évoque Pierre de Dammartin à Tabbaye
de Saint-Quentin.
Il mourut le â8 juillet; on ne sait pas au juste de quelle an-
née; iious serions assez porté h croire que ce fut en i128.
II ï. — Kex'loriL I" (fi28-4U7).
Quelques chroniqueurs ont voulu donner pour successeur à
r.Irold un abbé nommé Odon. Ils s'appuient, pour soutenir leur
opinion, sur IjI suscription d'une lettre de Pierre-lè- Vénérable,
abbé de Cluny, ainsi conçue : .</d rirum Dti Odonem ofim cbba-
teni Delvacensem, et ils en concluent que ce texte doit s'entendre
d'un abbé de Saint-Lucien, de Tabbé du principal monastère
de Beailvals. Nous pensons que celle conclusion est plus qu«
hasardée : il s'agit tout simplement d'ddon, abbé de Saint-
Symphorien , qui se démît de sa charge pour se retirer dans
Tabbaye de Saint-Germer. Nous ne Tadmeltrons donc pas dans
la liste de nos abbés
Le successeur de Girold futSerlon, un moine remarquable par
sa science et sa vertu. Il avait à peine pris possession de sa charge
que l'estime publique le faisait prendre de foutes parts comme
témoin des transactions ou comme arbitre des différends. Dès
1129, il apparaît comme témoin dans une charte du monastère
de la Grande-Sauve, au diocèse de Bordeaux.
Les intérêts de son abbaye lui étaient si chers, qu'il n'était pas
de moyens qu'il n'employât, pour faire disparaître tout ce qui
pouvait leur porter préjudice, et pour favoriser tout ce qui pou-
vait leur être utile. Nous allons voir comme il savait s'y prendre.
II existait depuis longtemps un usage qui devenait de jour en
jour plus dispendieux pour l'abbaye. Le chapitre de Beauvals
avait l'habitude de s\v rendre processîonnellement tous les ans
312 HISTOIBE
aux deux principales fêtes de Saint-Lucien el les lendemains de
Noël et de Pâques, pour y célébrer solennellement Toffice avec
les religieux. Là n'était pas le mal. Par reconnaissance et par
amitié, la communauté offrit d'abord une collation, puis un dîner
aux chanoines; rien de mieux tant que cela ne dégénéra pas en
abus. Le monastère offrait librement et cordialement; mais le
chapitre s'accoutuma insensiblement à considérer ce repas
comme un privilège et comme un droit, il en vint même à l'exi-
ger avec rigueur; il en prescrivit l'ordinaire, et y mit tant de
recherche et de somptuosité que la communauté se lassa et pro-
testa contre les folles dépenses que cela lui occasionnait. L*abbé
Serlon, qui avait à cœur de défendre partout les intérêts de son
monastère, ne manqua pas de faire des représentations au cha-
pitre pour s'affranchir de cette servitude. Sa voix ne fut pas
écoutée. Serlon prit alors le parti de porter plainte au Souverain-
Pontife, qui était à Provins.
Innocent II prit l'affaire en mains : il écrivit à l'évêque de Beau-
vais(1} d'interposer sa médiation, pour empêcher les chanoines
de son église d'inquiéter mal à propos les religieux de Saint-
Lucien et de faire cesser les repas, en attendant que lui-même
se rCndlt à Beauvais pour juger le différend.
Pierre de Bammartln ne jugea pas à propos d'attendre l'arri-
vée du pape, il manda*pardevantlui les deux parties intéressées,
et, après maintes exhortations, les détermina à faire l'arrange-
mont suivant : les chanoines continueront d'aller en procession
comme parle passé; mais le banquet sera remplacé par une
'1/ InnoceiUius episcopus servus Mrvorum Deivenerabili Petro
Ea propter umcersitnli veMre precipitnus, qualenus tam prefatum Ser-
lonem , ahbaicm. quam nwnaslerium sibi commUsum, donec ad partes
veslras, procurante Domino, veniamm, in pace dimitteUis. Cum autem
preseiiles fuerimus, anditis ulriusque partis rationibus^ quodjusium
faerit inter vos, suffragante divina gratia, stalvemtis : ai xero fer opem
quoties ab abbale et fratribui predicti monasterii adversus parochianos
tuas queretam acceperis, postqiMm a te commonili ftierint et non ren-
puerint, debit<im de eis justiliam fadas, neque occasione pastiUontm,
quos ab eis exigiiis , usque dum in nostra termineiur presentia, ullam
eis molestiatn rnferatis. Datum Provini vi , knl. Februarii.
DE L*ABBAYB ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 313
somme de âO sols , monnaie beauvaisine, que Tabbaye paiera
au chapitre huit jours avant chaque procession. En cas de re-
lard de paiement, l'abbaye donnera 25 sols. L'accord fut signé
de part et d'autre, à Beauvais, en 1i30 (i). La contesiation était
éteinte.
Serlon, dans son voyage à Provins, avait accompagné Inno-
cent il à la dédicace solennelle de l'autel de Saint- Laurent, dans
l'église de l'abbaye de Morigny, qui eut lieu le 20 janvier 1130.
Douze cardinaux ou évoques s'y trouvaient, et notre abbé tenait
place à côté de Pierre Abailard et du grand saint Bernard. Il y
séjourna deux jours avec le pontife et fut avec lui h Provins.
Il souscrivit, eu 1131, à la charte de fondation de Tabbaye de
Sélincourt, au diocèse d'Amiens, et, en li3i, aux lettres de
Garin deChatilion-Saint-Paul, évèque d'Amiens, pour le monas-
tère de Marmoutiers. Il parait avoir eu de fréquents rapports
avec cet évèque , car nous le voyons souvent signer comme té-
moin dans les Chartres qu'il délivra.
En 1132, il reçut la donation de l'église de Froissy. Cette église,
par un abus qui avait pris naissance avec la féodalité, était dé-
tenue par un seigneur laïc, par Wlbert de Guiencourt. Eustache
de Heilly la lui avait donnée en fief; il en jouissait comme d'une
propriété féodale, en percevait les revenus et la faisait adminis-
trer par un ecclésiastique désigné par lui. Le service religieux,
souvent interrompu, était en souffrance; c'était un abus contre
lequel l'Eglise s'élevait sans cesse et qu'elle frappait de ses
foudres. Wibert de Guiencourt , cédant aux remontrances de Té-
véque de Beauvais, ne voulut pas rester plus longtemps dans
cette situation anathématisée par l'Eglise, il s'en fut trouver
l'archidiacre Henri et se démit entre ses mains de la possession
de l'église de Froissy et des deux tiers des dîmes du lieu (2),
pour qu'il les remit à l'abbaye de Saint-Lucien. L'archidiacre
exécuta fidèlement la remise, et Eustache de Heilly la ratifia (3).
La même année, Serlon assi8t<iit, avec les abbés de Saint-
(1) LOQVet, t. I , p. 393.
(2) L'autre tiers fat donné à Saint-Lucien par Nivelon de Rotangy.
(8) Louvet, t. I, p. 139.
314 HIStOlRE
Quentin, de Hreteull et de Saint-Germer, à la solennelle transla-
tion des reliques de saint iust et de saint Germer, que fit révêqtio
de Beauvais pour les mettre dans des reliquaires nouveaux et
plus riches (1).
En 1i35, II siégeait au synode de Beauvais, et le cartulaire de
Beaupré tious apprend qùll donna, en cette même année, à
l'abbaye de Beaupré tout ce que son monastère possédait entre
Acliy et ifarseille. L'état florissant des finances de Saltlt-Luclen
permettait, dit la charte de donation, de faire cette jlbérallté h
un monastère qui venait d'être fondé et qui ne jouissait encore
que de revenus fort restreints.
Saint-Lucien possédait alors une partie du territoire de Grez,
que lui avait donné un certain ^(ivard, quand Godefroi de La
Chapelle l'Inquiéta ej prétendit avoir des droits sur ce bien. Le
moine Rihuin, qui s'occupait de faire valoir les terres de Grez
(Rthutnus monachus procurator terra rinn heati Luriani, r/ue snnf
circa villam de Gress in montants)^ fut trouver le remuant che-
valier et l'amena à se désister de ses prétentions. Godefroi re-
nonça donc à loules ses réclamations et abandonna en perpé-
tuelle aumône, à l'abbaye, tous les droits qu'il pouvait avoir sur
le quart de la (erre de Grez, en présence de Nicolas, fils de Hufeues
Salet (le Cempuis [de Cnnctioppido), de Clair de Grez, de Gautier,
fils de lingues Tlrel, et d'autres témoins. C'était en H36 ;2}.
i:n 1137, Serlon était témoin de l'accord Intervenu dans un
différend qui divîsaîtThîbault, prieur de Saint-Martin-d es-Champs,
et Gautier, chanoine de Meaux (3).
Vers Id même époque, Hugues, seigneur de la rehaussée, fils
du vicomte Bobert d'Eu, donna à l'abbaye de Saint-Lucien urié
ferre sise auprès de la Chaussée d'Eu, pour y édifier une église
et établir un prieuré [terram jaxta Cntceiam de .4nga, ad cnns-
truendam ecdesiam, ubi ipsi moiwchi Deojugiter desserrirenf , ei
pro me et pro anteccssoribtcs meix Detim asàidue eccorar^ttty^ et
pour assurer l'existence des religieux II y ajouta uh pré sis à
(R/Wd , t. I, p. 50-2.
(-2) ï). firenier, 171, p. :\.
3) Gaim CfiriMiiiw, t. ix , col 781 , K.
DE l'aBBATE BQHtk dE SAINT-LUCIEN. 3)5
(îôlê, deiix pîéceé de terré et une mélaïrlfe [qmddam prctium,
sciiieet quodprope eàmdem est etdesiani, qùamdam mlturam (nter
viam transversam et aguosam terram positam, preierea terrant
dimîdie carrure sufjftcientem et quamdam mansfonetn ad aîe^dd
pecora sua et alia que sibi erani necessarta). L'acte fut dressé eit
présence de Tabbé de Saint-Lucien, dfe PIferre, son priedr, et
de^ moines Pierre, Gilbert et Anselme.
Serlon se mit aussitôt àTceuvre, et Vannée 1138 n'était t)cis
écoulée que des religieux habitaient le prieuré de la Tritiité, à
Là Chaussée d'Eu. Henri I'% comte d'Ëu, raliflalt la donation et
confirmait la fondation du prieuré. Les biehs de cet établisse-
ment s'augmentèreiit rapidemeht, grftce à sa libéralité. Son suc-
cesseur, Jean , comte d'Eu , y ajohf a la dltrie de ses bibulins de
La Chaussée, le droit de pêche daris la rivière, et établit tttie
foire à l'octave de là Pentecôte. Guillaume et Jean Straboti, flis
de Hugues de La Chaussée, firent d'autres donations (et hbtàm-
ment celle de la paroisse de La Chaussée, eh 1137) (1).
Sur ces entrefaites, un seigneur, dont nous avons déjà parlé,
Girard d'Hanvoile, qui avait donné le quart de sa terre de Noiré-
mont, désirait faire 16 voyagé de la Terre-Sainte, que nos croisés
venaient de conquérir. H vendit à Tabbaye de saint-Lucien
le reste de sa terre de Noirémontëtla forêt qui en faisait partie,
pour se procurer l'argent nécessaire à ce lointain pèlerinage, et
partit. Espérait-il revenir, l'histoire n'en dit rien; mais il devait
s'attendre, après cette vente, que s'il efTecluait hcuretisement
son retour, il trouverait sa fortune coiisidérablemeht amoindrie.
Le voyage se fit, et le sire d'Hanvoile revint èh son castel. L'aî-
sance n'y était plus comme autrefois, et chacun sait que la gène
est souvent mauvaise conseillère. Aussi , ndtrè sire d'Hanvoile
ne tarda pas à chercher noise aux bons moines de Saitit-Luclen,
et il espérait que ceux-ci, par amour de la paix, le laisseraient
tranquillement rentrer en possession de sa terre de Noirémont.
Il s'en empara même sans plus de façon. Les moines n'étaient
pas guerriers , ni en état de repousser la violence par la force ;
mais ils eurent recours aux armes de l'Eglise, et un jour le sire
Girard s*entendU publiquement excommunier et retrancher de
r L»'lîfidf : la rillè d'Eu, p. n, 70.
316 HISTOIRE
la communion chrétienne jusqu'à ce qu'il eût rétabli Tabbaye
dans la ])leine jouissance de ses droits. Le fier chevalier s'en
moqua et continua d'occuper Noirémont. Cependant il voyait
que la sentence ecclésiastique lui (iésafTeclionnait ses vas.«aux
et ses voisins. Son irritation lui fil tenir bon pendant trois
ans; mais au bout de ce temps, vaincu par la déconsidération
qui l'environnait, il céda, et pour obtenir la levée de l'excom-
munication, il vint au monastère de Saint-Lucien et déclara, de-
vant une nombreuse assistance, qu'il lui donnait en perpétuelle
aumône la terre et la forêt de Noirémont, sans en rien retenir,
et qu'il renonçait à tous les droits qu'il pouvait avoir sur elles
{terram et siltam de Noiresmant, pro anime sue reniedio, patrisque
8ui Girardi et truttrissiie JgneSy in elemosinam largitussit, totum
quidem absoiufe quod in eadem terra rel siiva et in dowinio pos-
sidebat et in feodo al H tendant ab eo, Sancto Luciano divtisit et
concessity doniim proinde super altare posuit), Isabelle, sa femme,
son fils Henri et Nicolas d'Iianvoile, son frère, ratifièrent tout
ce qui avait été fait. Un acte public et authentique en fut dressé,
et Girard le déposa sur l'autel de l'abbaye, en présence deSerlon,
de toute sa communauté et d'un grand nombre de témoins (J\
Vers la même époque, Hélye, l'un des vidâmes de Gerberoy,
vint à tomber malade, et si dangereusement que les médecins
se déclarèrent impuissants à combattre le mal. Abandonné par
la médecine, l'illustre malade vit bien qu'il ne pouvait plus
avoir recours qu'en Dieu, le souverain médecin', comme il le dit
lui-même dans une charte (2), et il se mit à faire d'abondantes
aumônes aux pauvres et aux communautés religieuses, pour ob-
tenir le secours de leurs prières. L'abbé de Saint Lucien fut le
voir aussitôt qu'il apprit son état désespéré. Il n'avait pas tou-
jours eu à se louer de ses agissemenis à l'égard de son monas-
tère, puisqu'un jour, abusant de sa puissance, il l'avait contraint
(1) D. Grenier, 174, p. :\.
(3) In iilà quidem infirmilate graviter afflicttis, et omni spe medicorum
destilutus, medicum ad supernum mente conversus est. Confidens igitur
se citius elemosinarum largilione quam medicorum curationef prislinam
recuperare posse sanitatem
(PiUet : Hiitt. de Gerberoy, p. 95.;
DE L*ABBAYE ROYALE DE SAINT LUCIEN. 317
à lui engager, pour une modique somme d'argent, le quart de
la voirie (vîcaria) de Pothofs et la moitié de celle de Courcelies;
mais oubliant charitablement ces griefs, il lui lit plusieurs visites
pour lui prodiguer les consolations les plus amicales et lui of-
frir les secours de la religion , de ses prières et de celles de ses
moines. Une aussi généreuse attention toucha vivement le ma-
lade; il demanda pardon à Serlon des mauvais procédés dont
il avait usé envers son abbaye, et lui rendit non seulement ce
qu'il lui avait jadis fait engager [invadiaverat) à Rothois et à
Courcelies, mais il y ajouta le reste de la voirie qui lui apparte-
nait dans ces localités, et qu'il avait acquis d'Anselme, frère
d'Henneric Cocus, et de la femme d'Arnoult Le Roy. Hélye re-
couvra peu à peu la santé, et aussitôt qu'il se vit rétabli, il fut
en pèlerinage à Saint-Lucien pour y remercier le Seigneur de sa
guérison. Là, en présence de toute la commimauté assemblée
dans la salle capitulaire, et de la noble assistance qui l'avait ac-
compagné, de Rorigon, son frère, de Simon de Saint-Samson,
du maire Gautier, d'Etienne, fils de Gautier Le Normand, d'Hu-
bert Le Maréchal, d'Hugues Du Four, d'Henneric Cocus et d'Ysem-
bard, il ratifia la restitution et la donation qu'il avait faites pen-
dant sa maladie. Peu après, un jour que l'évoque Odon était à
Gerberoy, avec Serlon et Godefroi, abbé de SainlQuenlin , la
femme d'Hélye, Martine, et Guillaume, son fils aîné, sur les
instances du vidame, ratifièrent aussi ce qu'il avait fait, et ju-
rèrent dans les mains du prélat de ne jamais venir à rencontre.
Pierre de Gerberoy, Godetroy de La Chapelle, Nicolas d'Hanvoile,
Hugues de Troussures, Rorigon, frère du vidame, Sagalon, son
neveu, Hugues de Cempuis, Gautier Wagan, Joscelin et Hubert,
en furent témoins (1).
En H40, le roi de France, Louis VII, traversant le Reauvaisis,
reçut l'hospitalité dans l'une des terres de Tabbaje, à Warluis, et
logea dans la métairie qu'elle avait en ce lieu. Le roi, fort satis-
fait de la généreuse réception qui lui fut faite, en fit témoigner
toute sa reconnaissance à Tabbé de Saint Lucien; mais ne vou-
lant pas que cette réception toute bénévole pût porter préjudice
(1) Pillet : Hisi. de Gerberoy, p. 95 et 96.
s 18 WROIHB
(lans la huile au ^loi^ustère , il lui oclro^a une ciiarle(l), \^\y
laquelle il reconnais:$ail que , s'il é(a!t venu loge^ à Warluis, c'é-
Isiit forluitementet non en verlu d'un droit, que l'abbaye ne lui
devail aucune hospitalité sur ses terres, et il faisait défense^ à
ses successeurs de se prévaloir de ce fait, pouv exiger (yeMe
aucun droit de gUe.
Serlon souscrivit, en 1144, une cbarte de Hugues, arclievc^^e
de Rouen, pour l'abba>e du Bec, et assista, comme (éqpoiii,
en 11 4a, à l^ foindation du mquastère de Saint-Martin-aux-iu-
mei^ux , au diocèse ^'Amiens.
Çç fut V^!^# Qç^e époque qu/Evrard de Breteuil restilua à Saint
Lucien la terre de Bosdeseu, dont il s'était eoiparé. Il ne voulait
pas le faire, mais l'excommunication fulminée contre lui le dé-
cida à s'exécuter. U donna en outre la dlme d'Ansauvillers (â).
Un démêlé surgit, sur ces entrefaites, entre Tabbaye de Saint-
Luçien et cellç de Corbiç : chacune d'elles revendiquait Téglise
de MaUuières, au diocèse d'Amiens, comm^. lui appartenant. On
ne pouvait s'entendre, et Vaffaire fut portée pardevaut le çoncilç
de Reims, tenu en ii47, pour être décidée arhitralcment. Un ac
cQir4 lalervint : ^erlon, au aooi de son mouastère, abandonna
à l's^t^bé de Corbie l'autel et le patronage de l'église de Malsnières
et le tiecs lui appartenait dan^ les dîmes du village, et Nicolas
{1} CHARTE DE LOUIS VII , A L^OCCASION DE SA RÉCEPTION A WARLCIS.
Ego Iwioviciis mixericordia Dti Francorum reos et iux AquiUtmi%w^
pr^si^UÀJilus et fubêxia signi^ari volui, quod casu accedente, quibusdai/i
Mgotiis nostris exigentibus , in quadam vUki beali Lucioni Belvacensis,
nomine ÇarluiSt hospiUum semel habuimus, sed ne forte aliquis regum
acprincipum, quasi usuale et consuetudinarium hofpUalionem hujusmodi
in posterum usurpare sibi présumât, per présentes litteras certum fieri
volumm, qiiod nulla prorsus consuetudine hoc a nobis factum est , nec
in tota terra prefati martyris exactionem aliquam reclamamys; sed om-
nia quieta et libéra, qnejuris ejus sunt, in perpetuum fore confirmamus.
Factum est koc Ofino ad incarnaUonA Bomini ic* c xv, Jkaiooentio Bpr
mane ecclesie presidçUe, Odone Delvacensi hir> ponti/icante. Data per
manutti HaitUis. cancéUarii^ presenU Sugem bisati IHonisii abbcute, et
Radulfo comité Viromandensi. (D. Grenier, 22^, p. 208.)
'2) D. Porcheron , ch. 25.
bB L*ABBAYE ROYAUX DB SAINT*LUC1KN. o|U
(le Moreviil, abbé de Corbie, s'engagea de sou côté i\ pa^er an-
{fucUcmenl et à perpétuité, à l'abbaye de Saint- Lucien , i marcs
(l^rgent , ^u poids fort, et 30 sols amiennois de cens. {Stcà cetim
quatuor marcarum ad magnum pondus et triginta solidorum
^màianensis vionete) (1).
^ pape Eugène 1^ estioi^U singulièrement Serlon ; il avait été
^ même d'apprécier ses hautes qualités dans un voyage qu'il
avait fait à Home, et il ne manquait pas de lui témoigner soq
affection en toute occasion. Il l'employa même dans des missions
assez difficiles. En 1147, il le délégua au synode d'Arras, pour y
travailler à la réforme du monastère de Saint-Vaast, dont la ré-
gularité laissait beaucoup à désirer. Ses conseils et ses remon-
trances furent mal accueillis par Içs religieux, qui préféraient
\e\xT vie licencieuse à un régime austère. Ils s'insurgèrent contre
\}jii\ l'up d'eux même, portant la main sur lui, le renversa par
terrç. ses compagnons le foulèrent aux pieds avec brutalité.
Slerlon échappa néanmoins à la mort; mais il dut quitter bien
yite, peurtri et contusionné, ce monastère inliospitaiier; il re-
prit le chemin de sa paisible abbaye, sans avoir pu remplir sa
mission. Les mauvais traitements qu'il avait reçus le contrai-
gnirent à se mettre au lit aussitôt après son arrivée, et il ne s'en
releva plus. Le â5 septembre 1147, il rendait son àme à Dieu (2).
C'était un grand et saint abbé de moins, qui mourait victime
du de\oir et de sou zèle. S'il n'avait pu réformer les désordres
4e Saint- Vaast d'Arras, il emportait du moins dans la tombe la
consolation de laisser dans sa propre abbaye des moines régu-
liers et exemplaires , des moines dignes de leur vocation.
Ses religieux Vaffectionnaient; ils le pleurèrent longtemps et
lui firent de pompeuses funérailles , auxquelles assista l'évêque
de Bea.uvais.
::j{:ix. — movi'e ^i (1147-1^71).
h'errç, secojç^^ ^u noQ;i, f^t immédiatement élu pour succéder
à l'abbé Serlon. C'était un homme d'une haute piété et d'une
U) Arcb. de la Somme : Abbaye de Corbie.
{'2) GalUa Christiana, t. ix, col. 784.
320 HISTOIRE
capacité administrative tout-à-fait exceptionnelle. II avait pris
rhabît religieux à Cluny, puis était venu à Saint-Lucien, où il
avait rempli avec talent la charge de prieur. Les suffrages des
religieux ne pouvaient manquer de se porter sur lui.
Dès la première année de son avènement, au mois de décembre
de Tan i 147, on voit apparaître Tabbé Pierre comme témoin dans
un traité par lequel Hugues de Goumay engage pour dix ans l'un
de ses fiefs à Tévêque de Beauvais (1).
Il ne craignait pas les difficultés, et savait les tourner avec
tant d'adresse qu'il parvenait presque toujours à les faire se
terminer à l'avantage de son abbaye Son prédécesseur avait
su, par un accord, exempter son monastère des repas qu'il
donnait aux chanoines de Saint-Pierre, lorsqu'ils y venaient eu
procession à certaines fêtes, Pierre voulut l'affranchir des dîners
qu'il servait aussi <\ l'évèque aux deux fêtes de*saint Lucien. 11
avait été tant de fois témoin des exigences abusives des servi-
teurs des prélats dans ces occasions, lorsqu'il était prieur, qu'il
résolut de se débarrasser de cette charge à tout prix. Il fut voir
l'évèque Odon et lui exposa avec habilefé les excès auxquels ces
dîners donnaient lieu, le préjudice qu'ils causaient à l'abbaye,
le sacrilège en quelque sorte qu'ils occasionnaient, en faisant
dépenser, en folles prodigalités, des biens qui n'avaient été don-
nés que pour le service de Dieu et l'entretien des religieux. Odon,
touché et ému à la vue d'un si grave abus, renonça aussitôt à
ces dîners, et fit défense à qui que ce fut de les exiger, sous
peine d'excommunication. La charte, fort explicite, qui fut
dressée à ce sujet, est de l'an 4148 (2).
Samson, archevêque de Reims, confirma cette renonciation et
la rendit obligatoire pour tous les évêques de Beauvais qui suc-
céderaient à Odon. En compensation, il chargea l'abbaye de
faire célébrer tous les ans, après leur mort, un anniversaire
pour Odon et ses successeurs, et de donner à dîner à treize
pauvres le jour de cet anniversaire.
Plus tard, le successeur d'Odon, Henri de France, ratifia cette
décision et en prescrivit l'exécution.
(1) D Porcheron, ch. ?6.
(2) Louve t, t. I, p. 3»4.
tum
DE L* ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 3il
L'un des hauts dignitaires de Téglise de Beauvais, Tliibault de
Bulles, arcliidiacre de Glermont, donna, vers cette époque, la
terre et seigneurie du MontdeFesq, qu'il possédait au territoire
de Verderel, avec les hôtes qui Thabitaient {terrant totam cjuam
kabebat in monte Fisco, cum hospitibus). Il se réservait toutefois,
si bon lui semblait, la moitié des revenus jusqu'à son décès,
mais en s'interdisant le droit de lever aucune taille sur elle et
de la grever d'aucun emprunt, sans le consentement de l'abbé
(decretum etiam fuit qtu>d si domnus Teobaldtts in predicta terra
tallam vel aliguid precarium favere voliterit, absque assensu ab-
bâtis non fiet, ipso abbate tnedieiatein suam in omnibus /lis obti-
nente). Il parait que les donateurs se permettaient quelquefois
ces levées d'impôts pour so procurer des ressources au détriment
des donataires.
Thibault autorisa en même temps les habitants de Juvignies à
bàlir une église dans leur village, afin de n'être pas obligés de
parcourir la longue et mauvaise roule qui condui:sait à Verderel,
leur paroisse, et il confia à l'abbé le soin de la faire desservir.
En l'absence de l'évêque de Beauvais, qui était en Terre-t^ainïe,
Thibault fit confirmer sa donation par les itères du concile pro-
vincial de Reims, dans sa session de l'an 1 140 (H48 v. st.). L'acte
d'approbation porte la signature de Samson , archevêque de
Reims, deBeaudoin, évêque de Noyon , de Gérard, évèque de
Tournai , de Milon , évèque de Thérouane, et d'un grand nombre
d'autres personnages (1).
L'abbé Pierre s'occupa activement de la construction de l'église
de Juvignies. Le curé de Verderel , atteint dans ses droits curiaux,
fit opposition et empêcha que cette église fût érigée en cure; elle
lui resta soumise comme vicariat, et n'obtint son titre que bien
plus tard.
La terre du Mont de Fesq donna lieu à un procès quelques an-
nées après. L'abbaye de Saint-Lucien en était entrée en posses-
sion et en jouissait tranquillement quand le neveu du donateur,
Guillaume deMello, chevalier, du reste, assez remuant, prétendit
la revendiquer comme un bien lui appartenant par héritage. Le
;l) Arch. de l'Oise : abbaye de Saint-Lucien — Louvet, t. i , p. 811. —
Delettre, t. ii, p. 107
T. VIII. âl
522 histoIrë
successeur de Pierre, Guillaume, flt valoir la charte de douaUon
qui avait été remise à son prédécesseur pour constater ses droits.
Le sire de Mello n'en tint compte et s'empara de la terre sans
autre forme de procès. Il n'entendait pas la résistance et prati-
quait trop bien celle maxime, que Ton voit reparaître de nos
jours, la force pritne le droit; seulement il oubliait qu'il avait
affaire à un homme tenace, qui n'était pas d'humeur à se laisser
dépouiller. Guillaume, que l'arrogance du sire de Mello n'inti-
midait pas, s'adressa à l'archevêque de Reims, puis au pape, et
sollicita les censures de l'Eglise contre l'injuste spoliateur des
biens de son monastère. Le pape Alexandre 111, faisant droit à
sa demande, lança l'excommunication contre l'usurpateur, et
Guillaume de Mello ne put en obtenir l'absolution qu'en 1178,
après qu'il eut rendu pleine et entière satisfaction à l'abbaye de
Saint- Lucien.
En iiSO, Pierre avait déjà obtenu les m^.mes censures contre
un autre gentilhomme, nommé Hugues Havot, qui s'était em-
paré, au mépris de tout droit, des dîmes de Saint-Quentin, et
le chevalier avait restitué.
Il est de mode, dans certaine presse, de crier à l'abus contre
ces sentences d'excommunication que l'Eglise fulminait à chaque
instant; mais on oublie que c'était toujours contre les oppres-
seurs des petits et du peuple, et pour faire rendre justice, qu'elle
les lançait.
Dans ces siècles de fer, la force brutale primait partout le droit,
et la noblesse féodale abusait trop souvent de son autorité pour
écraser le pauvre, se moquait de toute justice et ne craignait,
comme elle le disait, que Dieu et le diable, il était heureux que
l'Eglise ait pu avoir assez d'influence pour forcer, par ses c«n-
sures, ces hardis chevaliers à réparer les torts qu'ils causaient.
C'était, du reste, à peu près le seul moyen efficace de faire rendre
justice, et c'était un moyen bien moins coûteux que ceux qui
sont venus plus tard avec les procédures judiciaires.
Ters celte même époque, c'est-à-dire de 1150 à 11(K), Wernier
de La Verrière donna les dîmes de sa terre (1). Nivelon et Gé-
rard de Rotangy la moitié de leur fief dudit lieu, du consente-
■1) D. Porcheron, ch. 27.
DE l'abbaye HOYALB OB SAINT-LUC) EN. 333
menl de Pierre, vidame de Gerberoy (1 -, Hugues des Prés {de
Pratelh), la seigneurie de Gaudecharl; Gautier Le Normand, les
dîmes de Palllart; Jean , comte d'Ku, diverses terres à La Chaus-
sée. Les lettres de confirmation des biens de Vabbaye, d'Henri
de France, évêque de Beauvais, de Samson, archevêque de Reims«
et de Thierri, évêque d'Amiens, vont nous faire connaître d'au-
tres donations.
I/abbaye de Saint-Lucien avait eu bien des fois à souffrir du
mauvais vouloir des seigneurs ses voisins. Ses terres, mieux
aménagées et mieux cultivées, excitaient leur convoitise. Plus
d'un, après lui avoir donné des biens dont ils ne pouvaient tirer
aucun parti, après lui avoir accensé des terres jncultes et des
bois sans valeur, essayaient de les reprendre quand les travaux,
les soins et la sage administration des religieux en avaient fait
des propriétés de rapport. Pour y parvenir, les uns employaient
la violence, d'autres la ruse, d'autres proQtaient de la dispari-
tion des titres, et d'autres savaient les faire disparaître. Ces cau-
teleux chevaliers n'étaient pas toujours très-scrupuleux sur les
moyens. Le mal, du reste, était devenu si général dans toute
l'Eglise que les conciles s'en émurent, et prescrivirent aux éta-
bljssements ecclésiastiques et religieux d'avoir soin de mettre
leurs titres de propriétés en règle, de les faire viser et confirmer
par les évoques et par le pape. Ces formalités remplies, l'Eglise
frappait d'excommunication les contrevenants et les spoliateurs,
et les rois s'en portaient les garants. Par ce moyen, les établis-
sements se trouvaient sauvegardés contre la violence et la ruse.
L'abbé de Saint-Lucien ne négligea rien pour protéger les in-
térêts qui lui étaient confiés. Il dressa l'état des propriétés de
son monastère, y annexa les titres ou les témoignages à l'ap-
pui, et se présenta d'abord devant l'évêque de Beauvais pour
obtenir son visa et la confirmation de tous les biens, que soa
abbaye possédait dans Pétendue de son diocèse. Henri de
France, qui gouvernait alors l'église de Beauvais, fit exami-
ner soigneusement les titres et la valeur des témoignages rem-
plaçant les titres disparus. Il les raMfia et confirma ensuite so-
lennellement toutes les propriétés du monastèrCj en l'an 1i57,
(1) PiUet : Hi$L d$ Gerlmoy, p. US.
324 HISTOIRE
en présence d'Yves , doyen du chapitre , des archidiacres Thi-
bault et Jean, d'Odon, chantre, de Simon, sous chantre, d'Eli
nand , son chapelain , de Déodat , son chancelier, de Girard de
Gerberoy, d'Odon, neveu de Foulque, de Gautier, abbé de
Çaint-Symphorien, de Gilbert, abbé d'Ourscamp, de Manassès,
abbé de Froidmont, et de Gautier, abbé de Breteuil. La lettre
patente qu'il fit délivrer pour servir de témoignage authentique
va nous éclairer sur le nombre, la nature et la situation de ces
propriétés (1). D'après elle, l'abbaye de Saint-Lucien possédait
alors :
;i} L'original de celte cbarte est dans le cabinet de H. Uatbon. — D. Gre-
nier, idl, p. 23, en donne une copie. En voici le texte :
CONFIRMATION PAR HENRI DE FRANGE, RVÂQUE DE BBAUVAI8,
URS BIENS DB LABBAYE DE SAINT-LUCIEN.
Jn nomine Palris et Filii et Spirilus Sancli. Amen. Ego Benricus Dei
miser atiinê Belvacensis episœpus dilectis filiis Petto abhati monasterii
Saneti Lucianif omnique ejusdem loci conventui, eternam in Domino «o-
lutem. Effectui justa postulantium acquiescere et vigor equitcUis et ordo
exigit rationis, ffrestrlim quando pelenlium volunialem et jneUts adjuvai
et Veritas non relinquit. Ea pr opter y dUecU in Domino fUU, veslris justis
petitionibus benigno concurrentes assensu, prefatam ecclesiam, tn qua
divino mancipati eslis offlcio, snb beati Pelri et nostra proteclione susd-
piinus, et preseniis scripti patrocinio communimus, predpientes ut quas-
cumque possessiones , quecumque bona infra diocesim nostram eadem
eccUsia in presenliarum juste et canonice possidet, aut in futurum cances-
sione episcoporum, largitione regum vel principum, oblatione fidelium,
seu aliisjustis modis, prestanU Domino, poterit adipisâ, firma vobis, ves-
trisque successoribus et iUibata permaneant, in quibvs hec que sequnlur
propriis duximus vocabulis exprimenda. In primis vicum ipsttm in quo
becUarum martyrum Luciani, Maxiani et Juliani corpora requiescunt,
cum omni iivtegritate, ab uUima parte Malredi usque ad uUimam partem
Villaris et bannum et infracturamt omnemque advocationem , atque om-
nem omnino justiciam wque Taram fluvium. ViUam quoque que dicitur
Luciacus, cum ecclesia et terra arabiU, nemoribus atque aliis sUn adja-
cenJtibus. Mallare cum ecclesia et omnibus appendicOs suis, Terram de
Noeroimont cum nemoribus. Usagium quod ab antiquo habetis tn silva
que dicitur forest de Bray, ad ardendum et edificandwm. Fontanas cum
ecclesia. Abbatis ViUam, oum capella et aUis sUn adgacentibus. Juvenioeoê
DE l'aRBAYB royale DE SAINT-LUCIEN. 325
Le territoire de Saint-Lucien, y compris Miauroy et Villers,
avec tous les droits de haute, moyenne et basse justice sur les
terres de cette localité situées sur la rive gauche du Thérain ;
cum villa Gahenni et Salcosas cum capella et hospitibus de Fisco. Villam
quê dieitur Odours Saneti iîartini, cum ecclesia et décima, Rotuirs cum
ecclesia et décima et omnibus ad eam pertinentibus. Terram de Rotengio.
Curcellas. Villare in Brayo. Medietatem ville que dieitur Fontenellas, tam
in terris quam in nemoribus. Medietatem terrarum et nemorum que per-
tinent ad Grès et Ruex, et très partes de Grandivillari. Bvxiacum cum
parte décime et appendiciis suis. Montem Oberii. Bonerius cum ecclesia et
décima et omnibus ad illam pertinentibus. Ecclesiam Sancte Marie de
Miliaco, cum omnibus ad eam pertinentibus. Duas partes décime de Ha-
naces. Tolam decimam de Walt et de Eulsoi et ecclesiam de CandavUla
cum tota décima. Decimam de Colredo et de Moiemont Partem quandam
deeime de Villa in Brayo et de Villari. Froissiacum cum ecclesia et dedma.
Terram de Mortmesons cum nemoribus et duabus parlibvs décime. Très
partes de Tilz cum duabus parlibus décime et Uni et canabi et waisdii,
Ecclesiam de Freisneias cum décima. Duas partes décime bladii de Cham-
premi, et Uni, et canabi et waisdii. Terram Hu^fonis de Escomechat.
Villare super Tharam. Warluis cum ecclesia et décima. Rosetum cum
ecclesia et décima et gislwm ejusdem ville, et Senquez, quem vobis per
manum nostram remisit Radnlfus cornes Clarimontis. .ébbodicurtem cum
ecclesia et décima. Decimam de clauso vestro de Buri. Quartam partem
décime de Uevecourt. Jus quod habelif^ in ecclesia de Chaigni, et medieta-
tem décime ijisius loci. Decimam de Villari llugonis de Fumo. Duas partes
décime Ansoldi villaris. Decimam et altare de Maisnicurt, et decimam de
Andelicurt. Ecclesiam Sancli Justi des Mares , cum tota décima agrorum
etpratorum usque ad alveum veteris Thare, et decursum aque que vo*
caiur Avelons in ipsum Tharam cadenlem, Ecclesiam Saneti Maxiard cum
omnibus rébus et decimis ad eamdem pertinentibus. Ecclesiam de Hardis
cum décima. A monachis de Alneto censum oclo modiorumy quatuor fru-
menUf quatuor avene et dimvJium de pois, A canonicis Saneti JusU, qui
tenent terram vestram de Thameisvilerf annuum censum sex modiorum
très frumenli, très avene. Modium frumenti, qucm vobis annuaUm solvU
ecclesia Saneti Symphoriani pro Warino Torel. Ecclesiam Saneti Quintini
de Prato cum minuta décima. Ecclesiam de Leffreges cum décima. Ca-
pellam de Modio Ordei cum décima. Decem solidos quos anniiatin debetis
redpere a canonicis Saneti Quintini. Ecclesiam Saneti SupUdi cum dedma.
Jus quod habetis in ecclesia de Marregni cum medietate dedme et çensu
tam de vino quam de hospitibus. Quartam partem dedme de Sitli. Eccle-
3136 R1ST0IRB
Le village, l'église et la dlme de Luchy, avec plusieurs terres
et bois;
Maulers, son église et ses dépendances;
8iam de Maisel cum decim€i. Medietatem décime de Marissel Omnia que
ad comUatum seu vicariam atqtLe theloncum pertinent in burgo SancH
iHdani, Malredo et Vilîari et amnibus terris ad ipsas perlinenlibHS. Ex
dono Pétri de Milli duos servorum familias, Oisbertum scilicet de Boneriis
cum uxore fltiis ac flliabus suis et uxorem Walteri de Yillari in Brayo,
cum heredibxi>3 suis. Et ex dono Hugonis de Gomaco advocariam in eadem
villa duorum resticorum per quinque minas avene et duodecim denariis
quos a majore ipsius ville recipiebal. Sanclum Felicem cum eccleHa et
dêdma, cum omnibus appendiciis suis. Eccîesiam de Thoiri cum décima.
Quicquid habetis apud Balegni tam in hospitibus quam in pralis, apud
Bellum puteum tam in terris quam in nemoribus, et apud Spinosns.
Eccîesiam de Maimboldi villa cum tota décima. Terram de Gohout essart
cum tola décima Eccîesiam de Sailli cum décima. Mont de Vais. Basin-
curt. Eccîesiam de Sains cum décima. Decimam de Esoviler. Decimam
vestram de Remerangle. (hiicquid habetis apud Senqualum et ad Bethen-
curt, et ad Sadacum et ad Nogentellum. Terre vesire partem de Eschuz
cum ntmore. Prbcurationes quas hujus sedis epi^copi in duabus sollenp-
nitatibus Sancli Luciani, passionis videlicet et translationis et in earum
vigilvis a^cipiebant, a pie memorie domno Odone episcopo predecessore
nostro vobis karitatis intnitu remissas, 710s quoque remittimus, et ut
amodo nec dentur nec accipiantur sub anathemate prohibemus. Sane in
parrochialibus ecclesiis quas tenetis, presbitcri per vos eligantur et
episcopo presententury quibus si idonei fiierint animarum curam corn-
mittat, ut de plebis quidem cura ei respondeant, vobis autem pro rébus
temporalibus ad ecclesias pertinentibus debilam suhjeciionem impendant.
Porro canonici Sancti Pétri et casati nosiri cum senHrntibiis nostris de-
functi, ut consuetudo est, ad eccîesiam vestram deferantur, et a conventu
eommuni honorifice, ut decet. sepeliantur. Si quis autem hanc nostre
confirmationis paginam sciens contra eam venire presumpserit et semel,
secundo terciove commonitus emendare noluerit, anathemate perpetuo
feriatur. Acta sunt hec his Belvacensi*i eccksie cxistentibus personis :
Ivone decano, Teobaldo et Johanne archidiaconis, Odone precentore, Sy-
mone succenlore, Elinando capellano, Deodato cancellario, Girardo de
Gelberroi, Odone nepote magisiri Fulconis. Waliero abbate Sancti Sym-
phoriani, Gisleberto abbate de Ursicampo, Manasse abbate de Fresmont,
Waltero abbate de Britolio. Anno incarnationis domini nostriJhesu Christi
«• c» L» VII*. Indictione v% non/) episcopatus nostri. Régnante Lodovico
Lodovici filio.
DE L'aBBAYK ROTâLB PB SAINT-LUCIEN. 937
La terre de Noirémont avec la forêt adjacente;
Le droit de faire couper, dans la forêt de Hray, le bois néces-
saire au chauffage des moines et à la construction des édifices;
Fontaine-Saint- Lucien et son église;
Abbeviile-Saint- Lucien, sa chapelle et diverses dépendances ;
Juvignies et le village deGuebengnies;
Sauqueuse-Saint-Lucien, sa chapelle et les hôtes du Mont de
Fesq ;
Le village, l'église et la dîme d'Oudeufl;
Rothois, régltse et la dlme;
La terre de Rotangy ;
Courcelles;
Villera-sur-Auchy ;
La moitié des terres et des bois de Fontenav;
La moitié des terres et des bois de Grez et de Rieux ;
Les trois quarts de Grandvilliers;
Roissy, près Marseille, avec ses dépendances et une partie de
la dfme;
Montaubert, près Thérines;
Ronnières, Téglise et les dîmes avec leurs dépendances;
L'église de Noire-Dame de Milly avec ce qui lui appartient;
Une partie de la dlme d'Hannaches;
La dtme du Vault;
La dîme de Houssoy-le-Farci;
L'église de Campdeville et la dîme ;
Iji dîme de Courroy et de Moimont;
Une partie de la dîme de Villembray et de Yillers-sur-Bon-
nières ;
Proissy, l'église et les dîmes;
La terre dcMorlmaison , près Gampremy, avec les bois y atte-
nant, et une partie de la dlme;
Les trois quarts de Thieux avec une partie de la dtme du lin,
du chanvre et de la guède;
L'église et la dlme de Fresneau, près Bucamp;
Une partie des dîmes du blé, du lin, du chanvre et de la
guède de Gampremy;
La terre de Hugues d'Ecornechat;
Villers-sur-Thère ;
Warluis, l'église et la dtme;
338 HISTOIRE
Rozoy, l'église, la (lime el le droit de gîte;
Cinqueux, que Raoul, comte de Clermont. venait de lui rendre;
Abbecourt, Téglise el la dîme;
La dîme d'un clos h Bu ri ;
Le quart de la dime de Haucourt;
La moitié de la dîme de Caigny (Grillon) avec certains droits
sur l'église;
La dîme de Villers de Hugues du Kour;
La dîme d'Anseauvillers;
La dîme el l'autel de Maisoncelle cl la dîme d'Àndelicurl;
L'église de Sainl-Just-des-Marais, avec la dîme des champs et
des prés situés entre l'ancien lit du Thérain et TAvelon;
L'église de Saint-Maxien (Montmîlle) avec toutes ses apparte-
nances;
L'église de Herchîes et la dîme;
Quatre muids de blé, autant d'avoine et un demi-muid de
pois de cens annuel, dus par l'abbaye de Lannoy;
Trois muids de blé et trois muids d'avoine de cens annuel,
dûs par les chanoines régulii^rs de Saint-Just pour le fermage de
la terre de Trémonvillers, appartenant à Saint-Lucien;
Un muid de blé, payé annuellement par Fabbnye de Sainl-
Symphorien, à la décharge de Warin Torel:
L'église de Saînt-Quenlin-des-Prés el les menues dîmes;
L'église de La Fraye el la dîme;
La chapelle de Muidorge el la dlme;
Dix sols payables annuellement par l'abbaye de Saint-Quenlin;
L'église de Saint-Sulpice et la dîme ;
L'église de Margny-les-Compiègnc, avec la moitié de la dlme
el divers cens;
Le quart de la dîme de Silly ;
L'église de Maysel el la dîme;
La moitié de la dlme de Marissel ;
Le comté, la voirie et le tonlieu dans toute l'étendue du terri-
toire de Saint-Lucien , de Miauroy et de Villers;
Deux fiimilles de serfs données par Pierre de Milly, la famille
d'Oisberl de Honnières el celle de Gautier de Villers-sur Auchy ;
Gertains droits d'avoucrie dans la ville deGournav, consistant
en cinq mines d'avoine el douze deniers d'argent, payables par
le maire dudit lieu , donnés par Hugues de Gournay ;
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUfJEN. 329
Saint Félix, l'église et la dlme;
L'églide de Thury-sous-Clermont et la dtme;
Des hô(es et des prés à Balagny-sur-Thérain ;
Des terres et des bois à Beaupuits et k Epineuse;
L'église de Maimbeville et la dîme;
La terre de Gaudechart et la dtme;
L'église de Sailli, près Fumechon, et la dtme;
Mont de Vaux et Bazîcourt;
L'église de Sains et la dlme;
La dtme de Rémerangle et diverses propriétés à Cinqueux,
Bélhancourt, Sacy, Noinlel et à La Chausse-du-Bois-d'Ecu.
Henri de France, après avoir confirmé toutes ces possessions,
renouvelle la défense faite par son prédécesseur de donner à
dtner aux évèques de Beauvais , dans Tabbaye , à l'occasion des
deux fêtes de saint Lucien. Il reconnaît à Tabbé le droit de nom-
mer aux cures qui dépendent de son monastère et recommande
de faire un bon choix; enfin il maintient Tusage, pour les cha-
noines de la cathédrale, pour les grands vassaux de Tévèché et
pour ses serviteurs, de recevoir la sépulture dans Tabbaye.
Cette confirmation publique affirmait les droits de Saint-
Lucien et devenait une garantie pour rétablissement. Pierre,
son abbé, ne s'en contenta pas cependant; il sollicita une nou-
velle confirmation du métropolitain pour donner plus d'autorité
à la première : c'était un surcroît de précaution, et on n'en pre-
nait jamais trop alors. D'ailleurs, plusieurs arlflCles avaient été
oubliés dans la charte de Tévêque de Beauvais, et il était urgent
qu'ils fussent compris dans une nouvelle confirmation. Samson
de Mauvoisin , archevêque de Reims, se prêta volontiers à ce que
Ton demandait de lui , et, par lettres-patentes de l'an H57, dé-
clara confirmer à nouveau tous les biens de l'abbaye de Saint-
Lucien. Cette charte , que nous ne reproduisons pas , parce
qu'elle est publiée tout au long dans Louvet (I), énumère. en
outre des propriétés contenues dans la charte d'Henri de France,
plusieurs autres biens ou redevances qui n'y sont pas compris.
Ainsi, elle confirme la redevance annuelle d'une livre de cire
par le chapitre de Saint-Nicolas, la propriété de la moitié des
(1) Hisi. et ÀnPiq de Beauvais, t. i , p. 438.
530 HISTOIRB
droits de voirie pour les biens de l'abbaye sis k Saint-Félix, que
Jean Chotart lui avait donnée; une partie de la df me de Deuvilers
{Duum villare), près f.uchy ; un muid de grains de redevance, dû
par Grégoire de Gampremy sur sa terre de Vessommesnil ; la foire
que Jean , comte d'Eu, leur a accordée pour avoir lieu le lundi
de la Trinité, à La Ghaussée d'Eu; l'église de La Ghaussée d'Eu,
avec le territoire de la nouvelle paroisse et celui de Tancienne;
l'église de Senarpont et ses dépendances; l'église du Ifesnil-
Eudin et la dlme; huit livres et demie à recevoir des chanoines
de Selincourt; la dtme d'Eremcourt; quatre marcs d'argent à
recevoir de l'abbaye de Séry ; la dlme et des terres à fieauchamp;
l'autel, la dîme et des terres à Broutelle, Flexicourt et ses dé-
pendances.
L'ëvèque d'Amiens, Thierrj, sollicité à son tour de con Armer
les biens de Tabbaye de Saint-Lucien, situés dans son diocèse;
le fit par une lettre donnée à Amiens en 1359. Gette lettre, que
l'on peut trouver dans D. Grenier (1), nous apprend que l'abbaye
de Saint-Lucien possédait alors dans ce diocèse : l'église de Se-
narpont, avec la dîme et des terres; des dîmes à Nesle ^Hôpital
et Foucaucourt; une redevance sur l'abbaye de Séry ; l'église de
Nesletfe, qu'elle donna peu après à l'abbaye de Séry ; l'église du
Mesnil-Eudin; la dîme d'Eremcourt; des terres à Inval, à Waltier-
Moulin; une redevance de huit livres sur l'abbaye de Selincourt;
huit seliers de blé et huit setiers d'avoine, dûs par l'abbaye de
Selincourt sur la dîme de Sainl-Léger-Ie-Pauvre; des dîmes h
Krmericourt, à C/tarixnoi^ h, Bouttencourt, à Beauchamp, à Brou-
telle, à Saint-Blimont; l'église et les dîmes de Mers; une redevance)
sur l'abbaye de SaintRiquier; l'église de la Trinité d'Eu et le
prieuré de La Ghaussée d'Eu ; le prieuré de Saint-Léger de Flixe-
coqrt avec ses dépendances; des diases à Vlnacourt , à Béthen-
court, à Saint-Accart, à Hornoy, à Pernois, à Oîssy, à Somme-
reux ; l'église et la dtme de Gempuis, de Grand villiera , de U
Verrière, de Sarnoy, d'Havernas, de Flesselles; diverses rede-
vances àHargicourt, Yillers-sur-Authie, Saint-Remy, Mailly et
Paillart.
Après ces confirmations, l'abbaye de Saint-Lucien avait moins
(1) D. Grenier, 192, p. lOp.
DE l'abbaye ROTAUi DE SAINT-LUCIEN 3^1
à craindre les contestations; ses droits étaient affirmés d'une
manière indiscutable, et il n'y avait plus que la mauvaise foi la
plus éhontée qui pût les attaquer. L'abbé pouvait être désormais
tranquille sur ses vastes propriétés et laisser de côté toute inquié-
tude, s'il avait pu en concevoir, sur l'avenir de son monastère.
Les revenus ne devaient pas lui manquer avec des sources aussi
nombreuses et aussi variées que celles données par les lettres
confirmatives que nous venons de citer. Les largesses des bien-
faiteurs lui avalent créé une situation financière des plus pros-
père, et elles ne devaient pas encore s'arrêter là.
En 1161, l'abbé Pierre fait un échange avec Thibault, prieur
de Saint-Martin-des-Champs, et lui cède ce que son abbaye pos-
sédait à Puiseux {apud Puteolos) et à Louvres, contre des terres
à Saint-Omer, la dlmedu péage de Milly et le péage deConty/1).
En 1165, un chanoine de Saint-Pierre. Henri d'Eu, lui donne
une prébende dans l'église de la Trinité d'Eu (2).
Un des actes les plus importants des dernières années de l'ad-
ministration de Pierre est le traité qu'il fit avec le seigneur de
Milly, pour remplacer les chanoines de Notre-Dame de Milly, par
des religieux de sa maison, et transformer la collégiale en un
prieuré conventuel. Depuis longtemps déjà, et dans beaucoup de
localités, les évoques et les prolecteurs de ces chapitres parti-
culiers tendaient à les supprimer, parce qu'ils n'offraient pas
assez de garanties de stabilité, et substituaient à leur place des
communautés régulières. C'est ce que nous avons déjà fait re-
marquer-ailleurs. Or, il y avait à Milly une collégiale dédiée à
Notre-Dame, et elle était desservie par huit chanoines et six cha-
pelains. Elle avait été fondée en l'honneur de saint Dinault,
martyrisé en ces lieux, dans le courant du v« siècle. Les pré-
bendes étaient à la nomination du seigneur de Milly.
En 11f>4, Hugues de Milly, chanoine de Beauvais, décida Sa-
galon de Milly, son frère, à céder ce droit à l'abbaye de Saint-
Lucien , et quelques années plus tard , en 1 1 67, ce même seigneur
entra en pourparler avec l'abbé de Saint Lucien pour faire rem-
placer par des religieux de son monastère, les chanoines de
{V D. Grenier, 199, p. 27.
(2) Gai. Christ., t. ix, CoL 788.
352 HISTOIRE
Milly, au fur et à mesure qu'ils mourraienL L'évèque, consulté,
donna son acquiescement k cette transformation, et l'abbé de
Saint-Lucien y consentit volontiers. Il se mit même aussitôt en
mesure de remplir les prébendes vacantes, en > envoyant des re-
ligieux sous la conduite d'un prieur. Ce fut d'abord une commu-
nauté mixte composée de chanoines et de religieux ; mais les
chanoines ne tardèrent pas à disparaître, les uns par décès, les
autres en demandant des postes dans les rangs du clergé sécu-
lier, et le prieuré devint exclusivement régulier, ayant douze re-
ligieux dirigés par un prieur (1).
Les hautes qualités de l'abbé Pierre était justement appréciées
parle pape Alexandre IH; aussi le délégua-t-il, eu 1170, avec
Henri de France, alors archevêque de Reims, pour dirimer les
difAcultés soulevées pour le mariage d'un grand personnage
nommé Âdelelme (3).
Pierre mourut l'année suivante, en iili.
— O^iilllairnxe I" (\il\-\\SO).
Tous les historiens et chronologisles donnent, pour successeur
immédiat à Pierre, le prieur du monastère, nommé Guillaume.
Ainsi l'indiquent Louvet, D. Porcheron, D. de Noroy (3), Du
Caurroy (4), les auteurs du Gal/ia C/tristiana, un ancien manus-
crit cité par D. Grenier, et le pouillé du diocèse de tieauvais,
de 1707 (5). Cependant une charte, provenant de l'abbaye de
Saint- Lucien et conservée aux archives de l'Oise (6), fait mention,
en 1173, d'un abbé nommé Gautier, qui avait Guillaume pour
prieur. Cette charte contient un accord terminant un différend
survenu entre Saint-Lucien et Renaud de Mello, au sujet d'un
(1) Loavet , 1. 1 , p. 636.
(2) Gall. Christ, t. ix» col. 182.
(3) Mss. des bib. de M. Borel de Brétizel cl de M. le comte de Merlemont.
(i) Mss. de la bibl. de H. Le Caron de Troussares.
(5) Mss. de la bibl. de H. Matbon.
^6) Arch. de TOise: abb. de Saint-Laden, Villers-sur-Thère
DE L*ABBAYB ROYALE DE SAINT-LUGIKN. 333
moulin sis à ViUers sur-Thère. Le sire de Hello permet aux reli-
gieux de faire édifier toutes les constructions qu'ils jugeront
utiles à leur moulin, soit sur le cours d'eau, soit même dans
le courant, sans que, ni lui ni ses successeurs, à qui appartient
la seigneurie de la rivière, puissent s'y opposer, et il termine en
disant : Hanc itaque donationem feci coram tesfibus infra scriptis
per manum domni Barthoiomei BelvacenHs episcopi, qui me pré-
sente de ea statim domnum IValterum abbatem sancti Luciani
investivit. Parmi les témoins, il cite : pyillelmus prior Sancti
Luciani^ avec Robert, abbé de Saint- Symphorien, Drogon, abbé
de Saint-Quentin, Jean, archidiacre, Joscelin, chantre, et d'au-
tres, et il date de Tan de Tincarnation de Jésus-Christ 1173
(M" C*> LXX" lll").
Cette charte, si elle est authentique, donnerait donc un nommé
Gautier pour successeur immédiat à Pierre. Mais comment se
fait-il que les écrivains que nous avons cités ci-dessus ne l'ont
pas fait aussi? Il n'est pas possible que D. Porcheron, D. de No-
roy et les bénédictins auteurs du Galtia Christiana^ n'aient pas
eu connaissance de cette pièce; ils ont trop bien examiné toutes
les chartes des archives de l'abbaye pour que celle-ci leur soit
échappée. S'ils n'en ont pas tenu compte, c'est probablement
parce que son authenticité leur a paru contestable, et, de fait,
quoique l'écriture et les témoins paraissent bien être de cette
époque, la construction des phrases ne le paratt pas autant et
laisse à douter. Le sceau n'existe plus, et son absence enlève un
moyen de contrôle. Le rédacteur de l'inventaire des titres du
monastère, de 1G69, devait avoir aussi peu de confiance en Tau-
thenticité de la date de cette pièce. Il la mentionne , il est vrai,
à la page 307, cote 3; mais il l'indique sans date, contrairement
à ce qu'il fait pour toutes les autres pièces.
Conclure, d'après cette charte assez contestable, à l'existence
d'un abbé du nom de Gautier, en H 73, nous parait un peu ha-
sardé, d'autant plus qu'aucun autre document n'en fait mention.
Cependant on ne peut pas le rejeter absolument, attendu qu'au-
cun acte ne cite non plus Guillaume comme abbé, de il7i à la
seconde moitié de 1173. Ce silence constitue une lacune de près
de deux ans, et permettrait d'y placer la courte administration
d'un abbé. Cet abbé, s'il a existé , pourrait bien être le Gautier
de la charte de Renaud de Mello. Nous avons indiqué la diffl-
334 HiSTOlDIfi
culte, sans pouvoir la résoudfe; puissent d'autres être plus heu
reux et parvenir à réclaircîr.
Quoiqu'il en soit, il est liors de doute que Guillaume était abbé
de Saint-Lucien sur la fin de 1173; plusieurs titres en font foi.
Il était auparavant prieur du monastère, et il avait occupé celte
charge avec distinction depuis que le moine Foulque Tavall
qnittée pour devenir abbé de Saint-Martin d'Auchy-les Aumale.
Ùéclal de ses vertus, la bonté et la fermeté de son caractère,
jointes à une grande prudence, le désignèrent tout natul^lle-
ment au choix de ses frères pour lui confier la première dignité
de la communauté.
En ï 175, il fait un échange, avec les religieux de Lannoy, d'un
courtil et d'un pré sis à Villers-Saint-Lucien. Hugues de Gournay
avait ta mouvance de ces immeubles, et il confirma l'échange
en 1178 (1).
En H77, Guillaume traite avec l'abbé de Froidmonl, et convient
avec lui qu'ils partageront chacun par moitié les dîmes de Saint-
Félix et du mont de Thury, ne voulant pas que la paix fut trou-
blée entre leurs communautés pour d'aussi minimes intérêts. Il
n'en fut pas de même avec Renaud de Mello. Ce turbulent sei-
gneur inquiétait sans cesse le monastère. Fier de sa puissance
et des hommes d'armes qu'il avait à son service, il prenait plaisir
à se faire craindre, et ne se gênait pas pour vexer les pauvres
religieux qui l'avoisinaient ou qui avaient des propriétés conti-
gués aux siennes. Ainsi tourmentait-il les moines de Saint- Lucien
pour leur moulin et leurs biens de Villers-sur-Thère et pour di-
verses autres terres et redevances. Guillaume, las de ces vexa-
tions , en référa à l'archevêque de Reims. L'évêque de Beauvafs,
Philippe de Dreux, était alors en Palestine et ne pouvait lui faire
rendre justice; mais Guillaume de Champagne, le métropolitain,
cita pardevant lui le cauteleux sire de Mello, et le menaça des
censures de l'Eglise, s'il ne cessait à l'instant ses mauvais procé*
dés à l'égard des religieux, et s'il ne faisait réparation à l'abbaye
de Saint-Luclen. Renaud céda et promit de donner pleine et en*
tière satisfaction. Il le fit, du reste, de si bonne grâce qu'il ob*
tint des religieux la permission de bâtir des moulins à fbuler te
i*^
(1) Arcti. de l Oise : abb de Saint^Ltiofsn.
DB l'abbaye ROVaLB dé SAINT LUCIEN 335
drap auprès de leur moulin de Villers-sur-Thère ; ces dtofnes
posèrent toutefois la condition que ces usines ne porteraient
auctln préjudice à la leur. Le sire de Melto projetait cet établis-
sement depuis longtemps, et la résistance des religieux, qui ne
voulaient pas le laisser faire, par crainte d'inconvénient pour
leur moulin, avait été pour beaucoup dans les vexations qu'il
leur avait fait subir. tJn accord tei^mina tout, et Renaud, satis-
fait, s^engagea de payer tous ies ans à Tabbaye une redevance
de i3 deniers (1).
En ii78, nous retrouvons ce même abbé traitant avec un sire
de Cayeu, et lui cédant tout ce que son abbaye possédait à Brou-
telle, contre cinq muids de blé de redevance annuelle sur Tabbaye
de Sery ; et avec Simon de Bcaucamp , qui lui abandonne quatre
muids et demi de rente sur la. grange de Mortemer, et iG sols de
cens sur plusieurs maisons de Beauvais, contre tous les droits
que le monastère avait sur la terre de Beaucamp , à rexceptîon
de la dtmé qui reste réservée au prieuré de Sénarpont, et de la
forêt que les templiers tenaient de Saint-Lucien, à â5 sols de
rente perpétuelle (2).
L'année suivante, le comte de Glermont, pour témoigner sa
bienveillance à l'abbé Guillaume, renonçait, en faveur de son
abbaye, à tous les droits qu'il pouvait avoir sur la terre de Mort-
maison et sur Rozoy, et lui-même faisait un accord avec les reli-
gieux du monastère de Saint-Victor en Caux, au sujet de la dlme
de Mers.
Guillaume mourut peu de temps après, le 13 juin, d'autres
disent le 15 octobre 1180.
x:XI. — flu^ue» de Oler*xiioiit (1180-1183).
Les frères de Sainte Martbe donnent, pour successeur à Guil-
laume, un nommé Thibault, qui fut abbé de Saint-Basie, puis de
Gluny, et enfin cardinal et évêque d'Ostie. G'est une erreur que
(1) Arch de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
(S) Ilrid , invent, de 1669.
336 HISTOIRE
combattent D. Porcheron et les bénédictins auteurs du Gallia
Christiana et du Monasficum benedictinum (i), et qui ne repose
sur aucun fondement tiré des archives, ni des traditions du mo-
nastère- Il faudrait d'ailleurs que ce Thibault eût été bien peu de
temps à la tète de Tabbaye, puisque, Guillaume étant mort au
plus tôt le 13 juin 1180, le charlrier contient des actes de la
même année où Hugues y comparait comme abbé. Il n'aurait
donc administré tout au plus que pendant quelques mois; mais
encore cela parait invraisemblable, si l'on examine les docu-
ments relatifs à son gouvernement dans les abbayes de Saint-
Basle et de Cluny ; leurs dates sont trop précises pour permettre
même celte supposition.
Le successeur de Guillaume fut, d'après les documents les plus
certains, Hugues deClermont. Ce religieux était issu de Tillustre
famille des comtes de Clermout en Beauvaisis. H était fils de
Renaud II, comte de Glermont, et de Clémence de Bar, sa se-
conde femme, et frère du fameux comte Raoul » qui accompagna
le roi Philippe-Auguste à la croisade en qualité de connétable
de France, et fut tué au siège de Saint-Jean d'Acre, en liOl. De
bonne heure, il avait embrassé la carrière ecclésiastique ; une
prébende lui avait été donnée dans le chapitre cathédral de Metz,
et il l'abandonna pour entrer dans Tordre de Grammont. Il quitta
cet ordre peu après pour prendre la direction d'un monastère cis-
tercien. Le continuateur de la clironique de Robert du Hont-Saint-
Michel, qui nous apprend ce détail , n'indique pas quel était ce
monastère. Il devint abbé de Saint Germer en 117â, et régit cette
abbaye jusqu'en 1180. Puis, certaines diflicul tés s'étant élevées
entre lui et sa communauté , il profita de l'estime et des bonnes
dispositions que les religieux de Saint-Lucien manifestaient à son
égard, pour se faire nommer leur abbé aussitôt après la mort de
(;uillaume (â).
Les seuls actes de son administration qui nous soient parvenus
sont une cession qui lui fut faite par Guillaume de Mello des droits
de voirie qu'il avait àBeaupuits, et des redevances en dépen-
(1) M88. de la biblioth. nationale , l, n* 1023, t. iii , p. ^265-378.
(3) GaU, Christ , t. ix, col. 782 et 792.
DE l'abbaye royale DE SALNT-LUGIEN. 337
dant (i), et la prise à ferme du moulin de Tolsac, que lui louaient
Odon Haladrius et Guy d'Âchy (2).
Hugues de Glermont, du reste, demeura peu de temps à la tête
de l'abbaye de Saint-Lucien : ses vertus et ses hautes qualités ne
tardèrent pas à le désigner au choix des religieux de Gluny, et il
fut élu abbé de ce monastère en 11S3. Il quitta donc Saint-Lucien
pour aller prendre la direction d« ce célèbre établissement. La
sagesse qu'il déploya dans tous ses actes, pendant les cinq an-
nées qu'il gouverna Gluny, le fit vivement regretter après sa mort
arrivée le 8, d'autres disent le 29 avril 1188. On grava sur sa
tombe l'inscription suivante :
Sanguine regali benè tut tus et imperiali,
De Claromonte clarissimus extitit iste,
Abbas dam vixit Cluniacus in alta refuUit,
Dam rexit plaustrutn^ mamit sine murmure clausirum (3).
I. — Oaixtlox' (H 83-1 494).
Gautier {fralterus, Gualterus, ^'albertus)é{eL\i prieur de Saint-
Lucien quand Hugues de Glermont fut appelé à diriger Gluny.
Ses frères le désignèrent aussitôt pour succéder à Hugues.
Un des premiers actes de son administration fut de traiter avec
le seigneur de Milly pour exempter les habitants de Kothois de
l'obligation d'aller moudre leurs grains au moulin de Milly et d'y
payer la redevance qui leur était imposée. Sagalon de Milly avait
jadis donné cette terre à l'abbaye de Saint-Lucien et s'était ré-
servé certains droits sur les habitants, et entre autres celui de
mouture. L'abbé de Saint-Lucien portait intérêt à ses tenanciers,
et il travaiUait tant qu'il pouvait à les affranchir des charges
onéreuses, et surtout de celles exigées par les seigneurs laïques,
parce qu'elles étaient trop souvent exactoires. Il délivra donc ses
(1) invent, de 1669.
(2) Pillet : Histoire de Gerberoy, p. dC7.
(3) D. Percheron. — Monast. bénédict.
T. Ylll 22
388 H1ST018K
vassaux de Rothois de l'obligation d'aller moudre à Milly, moyen-
nant un muid de grain , dont il cbargea son monastère au proHt
du sire de Milly, et il obtint d'Hélie, vidame de Gerberoy, la ces-
sion des droits de voirie en ce lieu. Quelques années plus tard.
en iiWJ, Robert de Conty lui abandonnait aussi ses droits de
voirie à Beaupuits. De la sorte, la justice vo>ère appartenait au
monastère dans la plupart des localités où elle avait des hôtes
ou tenanciers; les efforts de son abbé tendaient du moins à cela.
Les populations le préféraient aussi , car la justice monacale était
infiniment plus douce dans ses agissements que celle des sei-
gneurs laïques.
Une difficulté s'éleva sur ces entrefaites entre Tabbave de
Saint-Lucien et celle de Notre-Dame d'Eu. Il s'agissait de certains
droits sur le village de La Chaussée d'Eu. Gautier défendait éner-
giquement les droits du prieuré qu'il avait en ce lieu. Le débat
s'irritait assez pour que Ton fdt obligé de s'en remettre à l'arbi-
trage d'Etienne , abbé de Sainte-Geneviève, de Pierre, chantre
de l'église de Paris, et du prieur de Foucarmonf. Un accord in-
tervint pourtant en i185, et la paix fut rétablie.
Cette même année, l'évêque Philippe de Dreux , étant en Tab-
baye de Saint-Lucien , fit don de l'église d'Orvillers-Sorel , au
prieuré de Lihons en Santerre.
Une question passablement épineuse divisait alors Saint-Lucien
et le chapitre de Beauvais. Elle avait pris naissance à propos
d'une coutume qui avait commencé bénévolement et qui conti-
nuait de même sans qu'on eût jamais eu l'intention d'en faire
ni une obligation, ni un droit. Voici le fait. Jadis, à une époque
bien ancienne et peut-être contemporaine des premières années
du monastère, lesévêquesde Beauvais avaient sollicité pour eux,
pour les membres de leur chapitre, pour les fieffés et pour les
officiers de leur église, l'honneur d'être inhumés dans l'abbaye,
auprès du tombeau de saint Lucien. Cette faveur leur avait été
accordée avec empressement, et ils en usèrent paisiblement pen-
dant des siècles. L'abbaye, du reste, n'avait qu'à y gagner : les
évêques et les chanoines avaient toujours l'attention de témoi-
gner leur reconnaissance par des donations ou des legs souvent
fort considérables. Cette générosité toute spontanée excita la cu-
pidité des moines, et, dans la crainte d'en être privés dans la
suite des temps, ils tentèrent de la rendre obligatoire. Ils préten-
DE L*ABBAYI£ AOYALK DE SAINT-LUCIEN 339
dirent que les évèques et les chanoines étalent obligés, en toutes
circonstances, de se faire inhumer dans Tabb^ye, et qu'il ne
leur était pas loisible de choisir ailleurs leur sépulture. Ils trans*
formaient ainsi en obligation stricte, ce qui n'avait jamais été
qu'un pieux usage introduit, et continué uniquement par dévo-
tion. Le chapitre de Beauvais s'éleva contre la prétention des
moines, et en référa au pape en se plaignant fortement de leur
manière d'agir, yrbain 111, qui occupait alors le siège de saint
Pierre, chargea Hugues, doyen du chapitre de Paris, et l'abbé
de Saint-Germain-des-Près de prendre connaissance de l'affaire.
Comme les religieux n'avaient aucun titre à faire valoir, et ne
pouvaient invoquer que l'usage librement suivi par les chanoines,
les commissaires les condamnèrent à se désister de leurs préten-
tions, lis ne suivaient en cela, du reste, que les instructions du
pape. Urbain leur avait ordonné de suivre le droit commun et de
prononcer contre les moines, s'ils ne pouvaient produii*e aucune
convention authentique contraire. Le chapitre cessa, dès lors,
de prendre sa sépulture dans l'abbaye de Saint-Lucien, et ainsi,
pour vouloir trop avoir, les religieux se privèrent, par leur faute,
d'une source de bien-être qui ne devait pas leur manquer de
sitôt. La sentence est de l'an liS5 ou 1186 (1).
Cet incident, désagréable pour l'abbé Gautier, fut quelque peu
compensé les années suivantes par la générosité de divers sei-
gneurs. Jean d'ilétomesnil lui fit don de la terre qu'il possédait
entre Sarnois et Grand villiers. In autre chevalier, Sagalon , sire
de Miily, renonça, à la réserve qu'il s'était faîte dans la donation
des bois d'Oudeuil. Il avait spécifié que les religieux conserve-
raient huit mines de ces bois sans les défricher, afin qu'il pût y
trouver les matériaux nécessaires à la défense de son castel d'Ou-
deuil {ad ^nnnUionem castri], et il leur permit, en 1183, de les
mettre en culture (2).
Bernard, seigneur deFrancières, ne montrait pas des disposi-
tions moins favorables. Depuis longtemps, ce pieux gentilhomme
(I) Loavet, t. I, p. 390. — D. Porciieron , cb. 30. — Delettre : Eist, du
diocèse de Beauvais, t. ii, p. 168.
{:i) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
340 uisiK^ias
désirait embrasser la vie religieuse; mais^ retenu dans le monde,
il sollicitait au. moins la faveur d'être admis à la participation
des prières et des bonnes œuvres du couvent, et il mettait, en
revanche, sa personne et ses biens au service du monastère.
Gautier Taffilia avec plaisir et l'admit dans la communauté au
titre de frère servant {concessit moruichatum ad sticcurrendtm).
Comme il restait dans le siècle, on lui donna à fief tous les biens
que l'abbaye possédait au Mesnil-Sagalon , 4 condition que,
deux fois l'an, il accompagnerait les religieux de la communauté,
qui iraient en Ponthleu et dans le Vimeu, pour les affaires de la
maison, et qu'il leur donnerait aide et protection en toutes cir-
constances (i).
En 4189, Thomas de Marseille et son frère renonçaient, en fa-
veur de Saint-Lucien, à tous leurs droits sur la terre de Noire-
mont.
L'année suivante, Robert de Marseille et Foulque de Feu-
quières donnèrent la terre de Gourcelles , près Grandvilliers,
avec les bois adjacents, et Pierre, vidame deGerberoy, les droits
de voirie et la justice {viariam cum redditu etjusticia) lui appar-
tenant, entre Plsseleu et Fontaine, Guehengnies et Lucby (â).
L'abbé Gautier nous apparaît encore transigeant, en 1196,
avec l'abbaye de Saint-Denis; c'est le dernier acte que l'on pos-
sède de lui, et il est probable qu'il ne lui survécut guère. L'obi-
tuaire de Saint-Lucien rapporte sa mort au xi des calendes de
mars (19 février). Nous pensons que ce pourrait bien être de
ran il97.
XXLIII. — Jeajx l«^ (1197-1202).
Jean, le successeur de Gautier, fut trouver l'évèque de Beauvais,
à son retour de la captivité, et lui promit obéissance et fidélité,
selon l'usage; cette attention lui valut les sympathies du pon-
tife. Elles allaient lui être utiles et l'aider à supporter les contra-
riétés qui le menaçaient à son tour.
(1) D. Porcberon, cti. 30. — GaU, Christ,, t. ix.
2) Arcb. de FOise : ilrid.
DE L'aBBATE BOTAUC DE SAINT-LUCIEN. 34i
(Guillaume de Mello venait de lui donner, en i2(M, les^ bois de
Tilloy et de La Cuntiot, près Maysel , quand des difficultés assez
sérieuses surgirent pour lui dans son monastère. L'histoire ne
dit pas quel en fut le motif; mais toujours est-il qu'elles prirent
les proportions d'une révolution intérieure. La voix de Tabbé
ne flit plus écoutée, et ses religieux s'élevèrent contre lui, de-
mandant sa démission. Le légat du pape, en France, Pierre de
Gapoue , informé de la dissension et prié d'intervenir, délégua
l'évèque de Beau vais, Philippe de Dreux, Eustache, abbé de
Saint-Germer, et Richard de Gerberoy, doyen de l'église d'Amiens,
pour rétablir la paix. Les commissaires, quelques efforts qu'ils
firent, ne gagnèrent rien, et la discorde devint de plus en plus
violente. L'évèque de Beauvais estimait Jean; voyant son auto-
rité fortement compromise, et sa position devenue presque im-
possible, il lui conseilla amicalement de donner sa démission.
Eustache de Saint- Germer insistait aussi dans ce sens. Jean ob-
tempéra aussitôt à leurs avis, ètie démit purement et simple-
ment de sa charge, ôtant ainsi tout prétexte au désordre. C'était
en 1202.
TV. — RoiiaïKl (1202-1210).
Les religieux voyaient ladiffloulté se terminer à leur avantage;
ils triomphaient, et leur abbé avait succombé en donnant sa
démisssion. Dans la crainte que leur succès ne fût compromis
par une réaction ou par un revirement dans les idées de l'abbé
ou des commissaires, ils n'eurent garde d'attendre pour se don-
ner un nouveau supérieur, et se hâtèrent de procéder à une
élection. Seulement, pour éviter de laisser croire à une joie trop
Immodérée de leur part et ne pas paraître agir trop subreptice-
ment, ils affectèrent de demander une autorisation à l'évèque
de Beauvais; ils le prièrent même de vouloir les aider et les
éclairer dans leur choix, afin de terminer promptement, di-
saient-ils, une affaire qui ne pouvait souffrir aucun retard. De
droit commun, ils n'avaient pas besoin de cette autorisation,
puisque les élections monastiques ne relevaient que de la vo-
lonté libre des religieux composant le monastère. Aussi, l'évèque
consentit-il facilement à la donner et même k s'immiscer dans
312 HïSToinE
rélecllon. Mais aussitôt que le clioix fut fait, IVîleclfon validée
et le nouvel abbé canoniquemenl institué et mis en charge, les
religieux se ravisèrent et s*aperçurent que les évoques pourraient
bien se prévaloir de ce précédent qui venait d*étre posé, pour
revendiquer le droit de se mêler de Téleclion des abbés et obli-
ger la communauté h demander son autorisation avant d'y pro-
céder, fl fallait s*y opposer, et lis ne manquèrent pas de le faire;
ils pressèrent révèque de reconnaître, par écrit, que ce qui venait
d'avoir lieu ne pourrait tirer à conséquence pour Tavenîr. Phi-
lippe de Dreux y consentit de bonne grâce, et il leur délivra à
cet effet des lettres- païen tes où il affirmait que l'abbaye de Saint-
Lucien avait toujours joui de la libre élection de ses abbés, et
que le fait, auquel 11 venait de prendre part, ne pouvait porter
aucun préjudice à ce droit : « Quia cum Ecclesia 5. Luciani ah
antique semper habxœrit et axlhuc habeat liberam electionis facul-
latent j prœsenti scripto testificamur; et ego ipse firœdictus Philip-
pus Episcopus pontificali anihoritate confirmo quia vec Episcopus
née Ecclesia Belvacensis quicquid juHs in posferum in sœpe dictd
Ecclesid occasione hujus facti vel alid, quoad electiwiem^ sibi po-
terunt vindirare, Sed ipsa Ecclesia suis omnîno dignitatibxts et ii-
bertatibuSj et précipite suk electionis piend in perpetuum gaudeat
lihertate (1). »
Le nouvel élu laissa bien peu de traces dans l'histoire du mo-
nastère et ne se distingua guère par la supériorité de son admi-
nistration, puisque son nom même est à peu près inconnu. On
ne le trouve mentionné dans aucun acte, et le silence s'est si
bien fait autour de lui que Louvet, les frères de Sainte-Marthe,
les auteurs de la seconde édition du Gallîa Cliristlana , D. de
Noroy et D. Porcheron ne l'indiquent que par Tinitiale R. Ces
derniers pourtant pensent, avec D. Mabiilon, qu'il a dû s'appeler
Renaud, et que ce ne peut être que le Reginaldus abbas dont le
nécrologe ordonne l'anniversaire au 10 juin; d'autant plus que
cette mention du nécrologe ne peut s'appliquer à aucun autre
abbé connu. Nous partageons ce sentiment, et c'est le motif
qui nous a fait désigner, sous le nom de Renaud, Tabbé nommé
après la démission de Jean.
l) Loiivet, t I, p. 120.
DE L*ABBAYR ROTALK DK SAINT-LUGIBN. S4S
Les quelques arfes passés sous son administration, et qui nous
sont parvenus, sont des transactions entre Tabbaye et Roux de
La Cengle, seigneur de Thieux, au sujet de la délimitation des
terres de Thieux, en i203, et une conflrmation par Philippe de
Dreux , évèque de Beauvais, de la donation par Guy, dit Le Gomu
d'Airion (de Àri(yne\ du droit d'usage et de pâturage dans son
bois de Savignies , pour Tabbaye et le prieuré de Saint-Maxien
(i207j (i). Ge gentiliomme tenait ces terres à fief de Tévèque-
comte de Beauvais, et venait de lui en vendre trois cents arpents
sis entre Savignies et Beauvais.
On ne sait pas au juste à quelle époque finit Tabbatiat de Re-
naud; on pense qu'il régit son abbaye jusqu'en 12i0. Il mourut
le iO juin.
:xx:v. — Kvi?ai?cl cle MonoUy (<2<0-1237).
Evrard, qui succéda à Renaud, était frère de Baudoin de
Moncby et issu de la noble famille qui tenait la terre de Mouchy,
et dont un des membres, Drogon de Moncby, s'était distingué à
ta croisade, en 1148. Son élection suivit immédiatement la mort
de Renaud, et dès 1210 on le voit apparaître comme abbé dans
la donation par Jean de La Cengle, seigneur de Thieux, de deux
iierboges sis audit village de Tbieux, et attenant à la maison et
aux terres que les religieux y possédaient déjà.
L'année suivante, pour défendre les intérêts de son monas-
tère, il intenta une action contre Gatherine de Blois, comtesse
de Clermont , qui lui contestait la propriété du bois dit de Saint-
Lucien, sis à Saint-Félix. L'affaire prit des proportions assez
considérables et fut portée pardevant le pape, qui délégua le
doyen de Téglise de Paris et deux chanoines du même lieu pour
l'examiner. Leur décision, en adjugeant le bois à l'abbaye, ter-
minale différend (2). Le roi Phiiipe-Auguste fixa en même temps,
par lettres-patentes, la règle à suivre pour l'exploitation de ce
bois (3).
1) D. Grenier lW,p. 119.
(?) D. Grenier, 175, p. 64.
3} Ibidem, 17r>, p. 75.
344 HISTOIRE
Evrard prenait tous les moyens pour améliorer la situation
de son monastère et celle de ses biens. Pour leur donner plus
d'importance, il entreprenait même la création de bourgades
destinées à les mettre en valeur. C'est ainsi qu'il fonda Grand-
villiers. Depuis plus d'un siècle son abbaye possédait celle terre,
où jadis avait existé un village assez consi'.lérable, comme in-
dique son nom. Les invasions barbares l'avaient détruit. Evrard
eut la pensée de le rétablir et de lui donner des proportions en
rapport avec son appellation. L'œuvre, cependant, lui parais-
sait assez difficile pour qu'il n'osât l'entreprendre tout seul. !l
se concerta, à cet effet, avec l'évéque de Beauvais, quoique la
terre ne fût pas dans l'étendue de son diocèse , mais fût dans
celui d'Amiens, et lui demanda son concours. La valeur de Phi-
lippe de Dreux, qui régissait alors le diocèse de Beauvais, son
caractère audacieux et entreprenant, son autorité incontestable
dans tout le Beauvaisis, et la force militaire dont il savait dis-
poser pour protéger ses entreprises, avait inspiré ce choix. Les
droits de l'évoque d'Amiens devaient être, du reste, en tout
sauvegardés dans cet établissement. Philippe de Dreux fut visiter
les lieux, en 1212, avec l'abbé Evrard , acquiesça complètement
à ses projets, et se mit de commun avec lui dans les efforts et
dans la dépense. Des ouvriers furent aussitôt envoyés, des habi-
tations se construisirent, on accorda des franchises à ceux qui
vinrent les occuper, on régla leurs droits et leurs devoirs, et le
bourg de Grandvîlliers fut fondé. Le concordat, rédigé par ordre
de l'évéque, au mois de mai de l'an 1212, et signé par Philippe
de Dreux et Evrard, stipulait que pour indemniser Tévêque de
ses dépenses et de sa protection, l'abbaye lui accordait, pendant
toute sa vie, la jouissance de la moitié de la seigneurie du lieu
et de tous les revenus qui pourraient en venir. Quant à la popu-
lation du nouveau village, il fut statué (1) que quiconque vien-
(I) Untisquisqiie hospes, qui venerit ad manendum, reddet antittatim de
reddUu sex minas avenœ, et tex denarios, ad festum S. Rtmigii : et ad
Natale Domim duos capoiies et duos panes. Hospites omnes ejusdem villœ
erunt quitti et immunes à taillid, ab exercitUt eqnitatione et omnimodâ
exactione. De emendis et forefaclis erunt ad consuetudinem de Angi
Sciendum autem quod in prœdictâ villa non polerit recipi ad mnnendum
DE l'abbaye ROTALB DE SAINT-LUCIEN. 345
drait B'y établir serait exempt, à toujours, de la taille, du ser-
vice militaire et de toute exaction féodale, et ne serait tenu de
payer, ious les ans, que six mines d'avoine et six deniers d'argent,
k la Saint-Remy, et deux chapons et deux pains h Noël. Défense,
cependant, fut faite d'y admettre des vassaux du seigneur évêque-
comle, des hommes lui devaut le service militaire et de ses
cômmunicrs; défense pareillement fut faiie d'y recevoir des vas-
saux ou des serviteurs de l'abbave de Saint-Lucien et des vassaux
du chapitre de Saint Pierre de Beauvais. Les règles de la com-
mune d'Angy devaient y être suivies pour les amendes et les
forfaitures. Les religieux y conservèrent la jouissance exclusive
de leur métairie appelée Le Ply, ainsi que celle des grosses et
menues dîmes du lieu et lesoblations des églises qui pourraient
y être fondées. On stipula, en outre, que pour la mouture des
grains, les habitants du village iraient au moulin de Boissy,
appartenant à Saint-Lucien , et que le tonlieu du marché, qu'on
établissait dans la localité, serait à l'évéque sa vie durante. Au cas
où l'entreprise échouerait, la terre redevenait propriété exclu-
sive du monastère. Elle ne devait pas échouer. La bourgade prit
même une telle importance, aussitôt après sa fondation, qu'on
en fit le siège d'une juridiction royale considérable, connue
sous le nom de prévôté royale du Beauvaisis. On lui subordonna
la principauté de Poix. le vidamé de Gerberoy, les justices des
abbayes de Saint- Lucien , Saint- Germer, Saint- Paul, Saint-
ihi atiquis hospitûm nostrorum, et hominum quinobis debent exercUum^
née aliqtùs de communiU nostris, nec aliquis de hospUibus S. Lttciani
aut servis, nec aliquis de hospitibus S. Pétri. Prœlerea Àbbas et monachi
S. Luciani mansionem suam cum totâ clauswrâ et nemore parvo, quod
Piœis antiquitus appellatum est, cum altaribtts et decimis magnis et mi-
nutis tam prœsentibus quàm fuluris, si terra ibi de navo excoli coniigerit,
de consensu nostro sibi intégré relinuerunt : hospites eliam et hamines
ejusdem vitlœper bannum venient ad molendina monachorum de Duxiaco,
Yerum sœpenominati abbas et monachi totum reddUum thelonei dictimer-
eati apud Grandvillarc colligendum nobis ad vitam nostranh absque ullâ
participatione ipsorum monachorum concesserunt ; ita quod ipsum the-
loneum cum omni jure suo et villa cum appenditiis suis, post decessum
nostrwm, ad scppediclam ecclesiam quietè et Uberè revertatur
(Lonvet , t. II . p. 109.)
346 HiSTOIBB
Quentin, l^nnoy, Beanpré, et relies de ceni trenteneiif vil-
lage» (i).
Tout en s'occupant de ramélioratîon des propriétés de son
monastère, Evrard ne négligeait rien de ce qui pouvait contri-
buer au bien sj)irituel des religieux dont ii avait la charge.
Il entrait en association de prières et de bonnes œuvres avec
toutes les communautés qui voulaient bien accepter cette union
réciproque de bons procédés. Ainsi fit-il, en 1ia;>, avec Tabbaje
de Fécamp. Le texte de cette association, cité par D. Porche-
ron (i), nous apprend que chacune des deux abbayes s'engageait
à faire célébrer une messe conventuelle pour les religieux défunts
de son associée, aussitôt qu'elle avait reçu nolification de leur
mort. Pour Tabbé, on devait un tricenaire. Les religieux vivants
étaient reçus comme frères de même communauté. En cas de
difficultés dans son monastère, tout religieux pouvait se retirer
dans l'autre abbaye, et y rester jusqu'à ce que les circonstances,
étant changées, lut permissent de rentrer. Ainsi pouvait-il faire,
s'il arrivait qu'il fût en mésintelligence avec son abbé. Les abbés
agissaient l'un die/, l'autre comme dans Jeur propre commu-
nauté, et pouvaient assister et présider aux chapitres conven-
tuels. Enfin, tous les rapports devaient être empreints de la plus
cordiale confraternité.
En lîir», Pierre deCempuîs, chevalier, seigneur dudit lieu, don-
nait h Saint-Lucien une maison i^ Cempuis cl la terre de Fayaux.
En 1217, l'ahbii Evrard transigeait avec le chevalier Thibault
de Cressonsacq , au sujet de certains droits que celui-ci préten-
dait avoir sur les habitants d*Ilondainville, où il avait un fief.
L'accord régla qu'à l'avenir les vassaux du chevalier, haiiilant
Hondainvilie, paieraient G sols, pour tout droit de mutation,
lorsqu'ils se marieraient (3).
La môme année , Evrard recevait un magnifique évangéliaire
doré cl l'un des plus beaux tapis du palais épiscopal, que Phi-
lippe de Dreux lui laissait par testament.
(1) Graves : Stalistique du canton de GrnndciHien , p. 45.
(•2) D. Percheron, cliap. 3-2.
:\^ ArrJi. do lOiso. Invenl. de ior.9.
DE l'aBBATE ROYAtB DE SAINT-LUCIEN. 347
Il assistait, peu après, j\ Tenlrée solennelle dans sa bonne ville
(le neauvais, deMllon deNanfenil, évèque noiivellemenl élu, et
siguait, avec les évèques de Laon et de Senlis, les abbés de Saînt-
Syttiphorien et de Saint-Quentin , et ies dignitaires de Téglise de
Beauvais, au procès verbal de sa prestation de sernoent (i).
En 4218, il s'affranchissait des droits que Guérin de Lucby
prétendait avoir dans ses bois de Lucliy, en lui payant une
somme de 60 livres.
Une lettre de confirmation du roi Philippe-Àugusfe nous le
montre transigeant, en 4-220, avec ïlugues et Renaud, seigneurs
de Juvignies. Ces chevaliers, paratt-il, avaient causé de graves
dommages à l'abbaye, en s'eraparant d'une partie de ses biens
et en les ravageant, et l'abbé les avait poursuivis en réparation,
pardevant les officiers de la justice du comté et pardevant le roi.
Les sires de Juvignies, malgré leur audace, demandèrent à tran-
siger aussitôt qu'ils se virent sous la menace d'une sentence
royale. Pour Indemniser l'abbaye , ils lui abandonnèrent tout ce
qu'ils possédaient h Juvignies, à Lucby et aux environs, et s'en-
gagèrent, sous peine de confiscation, à n'acquérir aucune terre
dans le voisinage de celles de l'abbaye, h moins d'une lieue de
distance. L'abbé, en revanche, leur donna h fief tenu de son
monastère, 20 muids de terre sis au territoire de Fouquerolles,
et la paix fut rétablie (2).
L'année 422i fut marquée par diverses donations. Reaudoin
Maire, donnait à l'abbaye tout ce qu'il possédait à Fontaine-
Saint-Lucien; — Jean de Mouy et Agnès, sa femme, donnaient
un hôte (3), nommé Robert Malépée, avec son hostise, ses dé-
pendances et tout ce qu'il tenait d'eux , ainsi que tout ce qu'ils
possédaient eux-mêmes, àAbbecourt {V. L'abbé acquérait on
{1) LOQvet, t I, p. 353.
(•?) D. Porcheron, ch. 39. — Arch. de l'Oise. Inv. de 1609, p. 2*»5.
(3) L'hôte fhospesj était un colon ou métayer, entièrement lihrc de
tout service arbitraire, qui caltivait les terres des cticvaiiers on antres,
à la charge d'un cens annuel, d'où le nom de censé donm^. quelquefois à
leur ferme , manage ou h >sUse.
(4^ Arch. de l'Oise : Fonds de Tabhave de Sainl-Lnelen.
348 HISTOIBB
même temps , de Thomas de Marseille , toutes les dîmes et les
droHs de terrage qu'il avait à Cempuis Tl acquit plus tard,
en 1231, le reste de la dlme de ce lieu, d'un nommé Warnier.
En 1225, Jean de La Cengle, seigneur de Thieux, donna divers
droits de justice et de champart sur des terres sises à Thieux, et
un muid de blé de redevance annuelle snr son moulin dudit lieu;
— et le prévôt de l'évèque autorisa l'abbaye à posséder, dans
Beauvais, une maison située près des étaux qui sont devant Saint-
Laurent (1).
L'année suivante, Evrard traite avec le seigneur de Flixecourt,
et obtient de lui la cession de GO journaux de bois, à l'avoir du
prieuré de Flixecourt, pour tenir lieu des droits de mort-bois et
de bois mort que ce prieuré avait dans ses bois, et 30 sols de
rente annuelle, en place du droit de pèche dans les eaux dépen-
dant de la seigneurie, la veille et le jour de la fête de Saint-Léger,
patron de la paroisse et du prieuré.
Une difficulté, survenue avec l'abbesse de Bival, au diocèse
de Rouen, au sujet du droit de nomination à la cure de Caigny,
aujourd'hui Grillon (Oise), se termina, en 1229, par une transac-
tion qui reconnut, à chacune des deux parties, le droit d'y
nommer alternativement. L'abbé de Saint-Lucien présenta aus-
sitôt un titulaire, et l'abbesse dut présenter ensuite, à son tour,
un curé , quand le bénéfice devint vacant.
La même année, l'abbé Evrard autorisait le prieur de Milly à
céder au curé de Saint-Omer, nommé Lambert, les deux tiers
des menues dtmes de sa paroisse et les deux tiers des tourteaux
qui se donnaient le jour de Noël, afin d'augmenter son traite-
ment, qui était par trop insuffisant.
En môme temps, il traitait avec Guérin de r uchy, qui lui aban-
donnait tout ce qu'il tenait de l'abbaye, au territoire de Muidorge,
contre la terre de Fresneaux, qu'Evrard lui donnait à foi et hom-
mage, à la réserve toutefois des grosses et menues dîmes; — ii
acquérait, de Nicolas de Juvignies, 14 mines de terre audit Ju-
vignies; — et de la veuve du seigneur de Frocourt, tous les droits
qu'elle avait sur la mairie de ce lieu.
L'année suivante, Guy Gotins lui donnait 2i mines de terre et
(1) Arcti. de l'Oise : Fonds de l'abbaye de Saint-Lucien.
DE l'abbaye BOYALB DE SAINT LUCIEN. 349
des champarts à Oudeuil. U les tenait à fief de Drogon d'Aufay,
et celui-ci les tenait de Jean de Bourguiiiemont, qui les tenait,
à son tour, de Pierre de Monsures. Tous ces seigneurs renoncè-
rent, en faveur de Tabbaye, à tous les droits seigneuriaux et
autres qu'ils avaient sur ces terres (1).
En 1^31, Evrard obtenait, pour le prieuré de La Chaussée d'Eu,
les dtmes de Mers, de l'abbé de Saint-Victor-en-Caux, moyennant
une rente de 60 sols, que son abbaye devait lui servir, et affran-
chissait son prieuré de Saint-liaxien du droit d'usage que Pierre
Maire de Fouquenies, avait dans son bois de Saint-Maxien.
Cet abbé, comme on le voit, veillait avec le plus grand soin
non seulement sur les intérêts de son monastère, mais aussi
sur ceux des prieurés qui en dépendaient. En habile adminis-
trateur, il s'occupait activement de tout ce qui pouvait améliorer
la situation de la communauté qui lui était confiée. Aucun de
ses membres ne lui était IndifTérent; il pourvoyait à tout, et sa-
vait ne rien laisser en souffrance.
L'histoire ne nous dit pas la part qu'il a prise dans le fameux
conflit de juridiction qui eut lieu entre les évoques de fieauvais
et saint Louis, roi de France, de 1233 à 1248, ni la conduite
qu'il tint pendant l'interdit jeté sur le diocèse, à cette occasion,
[l est probable qu'il n'y prit pas une part très-active, les inté-
rêts de son monastère n'étant pas en jeu. Il fut pourtant inter-
rogé par les commissaires délégués, en 1235, pour connaître
de l'affaire; on ne dit pas de quel poids fut sa déposition.
En i233, Hélie de Margny lui donna la moitié de la mairie de
Margny;— et Drogon de Pierrefitte et Marguerite, sa femme,
tout ce qu'ils possédaient audit Pierrefitte, pour l'usage du
prieuré de Saint-Maxien, à condition qu'on leur servirait, du-
rant toute leur vie, une pension de 6 muids de blé et 2 muids
d'avoine.
Evrard assistait, le jour de Noël 1234, à la consécration épis-
copale de Godefroi de Clermont de Nesle , qui fut faite, en l'église
de Beauvais, par Henri de Dreux, archevêque de Reims.
Il acquit, en 1235, une pièce de pré, à Saint-Lucien, d'Odon
de Goumay, et une mine et demie de terre, à Abbecourt, de
(1) Arch. de l'Oise : abbaye de Salnt-Lacieo.
350 UiSTOtRIi
Marie, veuve cliiuguos, maire d'Oiiy, et l'anuce suivante deux
courlils, sis à Saiiil-Yuiueval de Grei^. Ce sout les derniers acles
qui nous soieut parvenus de lui.
Il mourut le 2 février 1237.
'I. — lioéçoi? (1237-1256).
Uoger succéda immédiatement à Evrard, et prit soin de pour-
voir à la célébration de Tanniversaire de son prédécesseur, ])our
qui il avait une très-grande estime. Il affecta, à celte fm, deux
muids de blé à prendre sur la terre de Grandvilliers. Les pre-
miers actes de son administration, qui nous soient parvenus,
sont une acquisition de quatre mines de (erre, àOudeuil, d'Adam
Gains, moyennant 47 sols, en 1:^37, et une cession d'un demi-
muid de bois, au même lieu , par Bernard de Coquerel 3). Pour
affranchir son monastère des redevances qui grevaient ses biens,
il racheta, en 1230, trois muids de blé de rente qu'Odon deMou-
chy, de Longvillers, et Béatrix de Bonvillers i>ercevaient annuel-
lement sur sa grange d'Abbecourt. Pendant ce temps, le sire de
Tliieux , Jean de La Cengie et Guillaume de Gouy lui faisaient di-
verses donations de rentes, tant en grains qu'en argent.
En 1240, Jean, prévôt de Saint-Félix, lui donna 27 mines de
blé de rente, à prendre dans la grange de Courroy, sise à Saint-
Félix, et Gautier de Paillart un fief à Puits-la- Vallée, tandis qu'il
achetait, de Michel La Loe et de Philippe de Neuville, le cham-
part de la terre de Beauchamp, sise au territoire de Luchy.
En 12i(, Evrard de Beaupuits lui cède la plus grande partie de
ses biens, et, l'année suivante, l'aumônier de la comtesse de
Clermont lui donne un lief à Avrechy.
Quelques acquisitions de terre, à Reu il- su r-Brêche, à Saint-
Lucien, à Oudeuil, marquent les années 1247, 1248 et 12^U
En 12:54, le clievalier Simon de Poissy cède à l'abbaye, moyen-
nant GO livres tournois, tous les serfs {/iomines de corporé) qui
lui appartenaient au village d'Abbecourt. L'année suivante, Jean
deGrosserve lui donnait, par échange, sa terre de Halloy contre
(1) Arch. de lOise : abbaye de Saint^Luolen.
DE l'âBBAYE R0Y4LB OE SAINT-LUGIEN. 351
i(i muids de grains de rente annuelle sur la grange de Grand*
vJlliers, — et Drogon de Juvignies renonçait, en sa faveur, à
toutes les possessions qu'il avait au terroir de Saint-Lucien,
moyennant i5 mines de blé de rente sur la. grange de Juvi-
gnies (1).
Roger, rempli de vénération pour les reliques des saints mar-
tyrs Lucien , Maxien et Julien , eut la pensée de les placer en évi-
dence et de les exposer dans des ch&sses plus en rapport avec
le respect qu'on leur portait. Il demanda, à cet elTet, une auto-
risation au Souverain-Pontife. Innocent IV la lui accorda aus-
sitôt. Sa bulle est datée des nones d'octobre de la première année
de son pontificat, ce qui revient au 7 octobre 1243. Que fit Roger
pour donner suite à son dessein? Nous ne le saurions dire : les
annales du monastère sont restées muettes i\ ce sujet. Peut-être
des circonstances , indépendantes de sa volonté, l'ont- elles ar-
rêté, ou bien Ta-t-il exécuté, mais d'une manière qui n'aurait
pas paru suffisante à son successeur, car nous verrons , sous
lui , une solennelle translation de ces reliques dans de nouvelles
châsses; ou bien encore se serait-il contenté de les changer de
place et de les mettre dans un lieu plus décent que celui ou elles
reposaient. D. Porcheron partageait assez ce sentiment (2).
Roger mourut le 31 juillet 1256.
X.:X.VII. — Jean il d.e Tolrao ou do Tliiii-y
(4256, VERS 1265].
Jean de Toirac, ou mieux de Toiry et de Thury, fut choisi pour
succéder à Roger. Il était vraisemblablement de la noble famille
des seigneurs de Thury-sous-Clermont, et peut-être le fils ou le
frère du chevalier Barthélémy de Toiry (Thury); mentionné,
en 1230, dans le cartulaire de Froidmont. Quelques donations
de biens, sis à Saint-Lucien et à Poix, et l'acquisition d'un fief
à Ginqueux et de diverses terres à Oudeuil (3) sont les seuls actes
(1) Arcb. de 10130 : abbayç de Saint-Lucien.
('2) D. Porcheron, cli. 33.
(3) Arch. de l'Oise : abbaye de Saint-Lucien.
352 HISTOIRE
qui nous soient parvenus des premières années de son adminis-
tration; mais deux faits plus importants Tont rendue assez re-
marquable sans cela.
Jean de Thury n'avait pas perdu, en entrant dans le cloître,
le goût du luxe et de la magnificence, qu'il avait pris au manoir
de ses pères. Il aimait le faste et les honneurs, et, sans recher-
cher précisément Tostentation, il se plaisait dans les dignités et
affectionnait les cérémonies pompeuses et les réceptions d'appa-
rat. Fier d'être à la tète de l'une des plus célèbres et des plus
riches abbayes du Beauvaisis , il voulut se distinguer en sollici-
tant, pour lui et pour ses successeurs, l'usage de la mitre, de la
crosse et de l'anneau, et le pouvoir de bénir les ornements sa-
cerdotaux, et de conférer la tonsure et les ordres mineurs à ses
religieux et aux clercs qui dépendaient de lui. C'était, du reste,
un homme de grand mérite et parfaitement considéré en cour de
Rome et pour ses talents et pour son dévouement bien connu à
la cause du Saint-Siège ; le pape le dit lui-même dans le préam-
bule de sa lettre de concession (4). Alexandre lY, pour lui témoi-
gner sa bienveillance y lui accorda aussitôt ce qu'il demandait (â).
La bulle pontificale fut donnée à Ânagni , le xu des calendes
d'août (!2i juillet) 1260. Le pape Grégoire XI renouvela plus tard
ce privilège, le 25 août i37i, à la prière de Godefroi de Billy,
non pas qu'alors on le contestât, mais parce que les premières
lettres tombaient de vétusté (3).
Cette faveur spéciale ne pouvait donner qu'un plus grand
crédit à l'abbé de Saint-Lucien et plus d'éclat à sa dignité. Une
cérémonie imposante, qu'il ménagea l'année suivante, vint
(0 Devotionis vestrœ nierita exigunt, et affeclwm, quem ad Nos et
Romanam Ecclesiam habere nosdmini, promereturt ut votis vestris favo-
ralnliter annuentes faciamns vobis grcUiam specialem.
(Louvet, t I, p. 431.)
(2) In perpeluum utendi milrâ et annulo et baculo pa4ttoraH, benedi-
cendi quoque pallas aUaris et alia omanumta eccUsiastica , et dandi
pHfnoân tomuram et quatitar minores ordines monachis vestris et ckricis
sœcularibus voMs subjecUs planam concedimttë facuUatem.
(Leavet» 1. 1, p. 421.)
(3) Indpit vetustate cansumi. (Louvet , 1. 1 , p. 421.)
I-TOMBEAU DE JEAN DE VILLERS SAINT PAUL DERNIER ABBE REGULIER
IIJAS-RELIEFENCUIBE DORE REPRESENTANT S' LUCIEN ET SES COMPAGNONS MARTYRS
''ragineiil provenant de la grande chasse exécutée en 126ljiâr ordre de LabbéJsandeThury
DE L'ABUAYE royale DE SAlNT-LUCIEiN. 353
encore ajouter à sa gloire et à celle de son monastère, par la
grandeur des personnages qui y assistèrent.
Nous avons vu l'abbé Roger demander au pape la permission
de mettre en places plus convenables (in locis dignioribus coilo-
tare) les reliques des saints martyrs, dont son église avait le
dépôt. N'eût-il pas le temps ni les moyens de le faire-, ou ne
Texécuta-t-il pas d'une manière qui parût convenable à son suc-
cesseur, c'est probable , puisque celui-ci flt une semblable de-
mande au pape Alexandre IV {ut in capsis pretiosîs argenteis ad
hoc miro opère paratis honorificentius sanctorum corpora pone-
ren(ur) (i) aussitôt qu'il eut pris le gouvernement de l'abbaye.
11 fit confectionner trois magnifiques châsses, véritables chefs-
d'œuvre d'art. Elles étaient, toutes trois, de cuivre doré et
émaillé. Deux étaient plus petites; mais celle destinée à renfer-
mer les restes vénérés de saint Lucien était beaucoup plus grande
et plus riche. Sa forme était celle d'une église soutenue par des
arcs-bûutants et surmontée d'une flèche pyramidale. Elle avait
six pieds de long, deux de large et trois de haut; la pyramide
s'élevait de trois pieds au dessus du faite de l'édifice. Cette flèche
était évidée et ciselée avec une extrême délicatesse. Sur chacun
des deux côtés du corps de la châsse étaient ménagées, entre
les arcs- boutants, six niches, contenant chacune une statue
d'apôtre; à chaque bout, une niche contenait, l'une une statue
du Sauveur, et l'autre une statue de la Vierge Marie. Ces quatorze
statues étaient en argent doré ("1). La toiture était recouverte de
lames en bossage, et l'un de ces bas-reliefs représentait saint
Lucien en habits pontificaux (3). Tout ce que l'art de l'orfèvrerie
et de l'émaillerle pouvait faire de plus riche, s'y trouvait admi-
rablement exécuté.
Pour supporter ces châsses, Jean de Thury flt construire un
splendide édicule. Douze colonnes, d'environ huit pieds de haut,
soutenaient une plate-forme que surmontait un baldaquin ou
(D Loavet, t. i, p. 121.
(3) Ces statues n'existaient plus au xviii* siècle, et D. Porcheron dit
qu'elles avaient dispara par suite d'un vol : il n'indique pas l'époque de
ce môfait.
(3) Simon, p.dbis— 0. Porcheron, cb. 31. — Delettre, t. ii, p. 815.
T. VllI. 23
354 HISTOIRE
^oHu?/» porté sur huit colonnes taillées en losanges fleurdelisés.
Le tout était eu pierre artistement travaillée.
Ces chefs-d'œuvre avaient dû coûter des sommes considé-
rables; mais pour que la dépense ne pesât pas uniquement sur
F68 revenus de son monastère, Jean de Thury avait dû y inté-
resser des âmes généreuses, qui , pour avoir part aux prières du
glorieux ap6fre du Beauvaisis, s'empressèrent de lui témoigner
leur munificence. Ainsi, Bernard, chanoine do Téglîse cathé-
drale, donna, pour la confection des châsses, toute sa vaisselle
d'argent et une lasse d'or; Agnès, femme du seigneur de Fari-
viW«r», 100 sols; Jean, seigneur deWavignies, un muid de blé
de rente à prendre sur ses terres, et d'autres autre chose. Le
nécroîoge de l'abbaye parle de ces divers bienfaiteurs.
Quand tout fut préparé, l'abbé invita l'évéque de Bcauvais à
venir solennellement transférer dans les nouvelles châsses les
corps des saints martyrs, et, pour donner plus d'éclat à cette
(fi^anslatîon , il y convia le roi de France, plusieurs évèques et
un grand nombre d'abbés et de hauts personnages. La solennité
eut lieu le dimanche de Quasifnodo de l'an i26l . Guillaume de
Grès, évèque de Beauvais, présidait, assisté de Robert de Cres
sonsacq, évèque de Senlis, et de Bernard d'Abbeville , évèque
d'Amiens. Saint Louis y assistait avec Thibault, roi de Navarre,
Philippe, l'héritier présomptif de la couronne de France, Phi-
lippe, fils aine de Beaudoin, empereur de Constantinople, Al-
fouse, comte d'Eu, et Jean, son frère. Jean de Thury était accom-
pagné de Pierre de Vessencourt, abbé de Saint-Germer, de Gilbert,
abbé de Lannoy, d'Arnoult, abbé de Beaupré, d'Odon, abbé de
Mortemer, de Robert, abbé de Royaumont, de Gautier, abbé de
Beaubec, de Jean, abbé de Visigneul, de Jean, abbé de Saint-
Acl\eal, et de Nicolas, abbé de Saint-Ouen de Rouen. La béné-
dictton des châsses et la translation des reliques furent faites par
l'évéque de Beauvais, en présence de cette auguste assemblée. Un
acte authentique, constatant cette translation, fui rédigé en triple
exemplaire et renfermé dans chacune des châsses (i). En mé-
(1) L*aathentiqae trouvé, au xrii« siècle, dans la cbâsse de saint Julien,
lorsqu'on la répara, était ainsi conçu :
iAitno Domini h gc lxi , Damimca in octavis Pasche, reposilwn fuU in
BB l'abbaye ROTALB DE SAINT-LUCIEN. 955
moire de cette solennité, Fabbaye de Saint-Lncien a toujours
célébré depuis lors la fête de la translation le premier jour de
mai.
La pompe déployée en cefte circonstance , et les miracles qui
eurent lieu à cette occasion , disent les chroniqueurs, rativèrent
singulièrement dans le peuple la dévotion aux saints martyrs.
Un noble chevalier du voisinage, \ital du Vault, pour témoigner
toute sa reconnaissance d'une faveur reçue, chargea sa terre du
Vault de Tobligation perpétuelle de fournir, tous les ans, un
cierge de cire pesant quatre livres. Ce cierge devait être apporté
dans l'église du monastère le dernier dimanche d'avril, pour
brûler continuellement, devant les corps des saints, la nuit et
le jour de la fête de la translation , en mai (1).
Le goût prononcé de Tabbé Jean de Thury pour la magniti-
cence l'engagea à renouveler le mobilier et les ornements de son
église; il fit exécuter de jolies boiseries et dota la sacristie de
riches ornements en drap d'or.
Le monastère de Saint-Lucien jouissait d'une telle renommée,
que l'archevêque de Rouen, le célèbre Eudes Bigault, y vint
passer quelques jours, pendant l'hiver (17 janvier) de 1260 pour
s'y reposer d'un rhume violent qu'il avait contracté dans le cours
presenti theca, per venerabiks Patres Guilklmum Belvacensem, Rober-
tum SUvaiiectensem , Bernardum Amhianensem episcopos, corpus beati
tiUirlyris Ckrisli Julianif et in aliis duabus thecis corpora beatorum mar-
tynim Luciani et Maxiani, sociorum ey'usdem, presentHym iUwttri Rege
Francorum LudovicOj et Tfieobaldo, ilhistri Rege Navarre, Campame
ac Brie Comité palatino, ipsius Regù francorum genero, Philippo etiam
primogenito filiorum svperstitum ejusdem Régis Francorum, ac Philippo
Balduimillustris Imperatoris Constantinopolitani primogenito, et Àlfonso
Comité Àugi camerario, ac Joanne fratre suo Francie buticulario, et
Gilberto de Àlneto, Àrnulfo de Prato, Odone de Mortuo mari, Roberto de
Regali monte, Waltera de Bello Becco, Cisterctensis ordùUs, Johanne de
Viseignolio , Johanne de S*« Àcheolo , Ordinis ^ ÀugustM, Nicholao de
^ Àudoeno Rothomageneip Petro de 9» Geremaro de FUaco, et Johanne
de S** lucia/no Belvacensi, ordinis S^ Benedicti, abbalibus, ac phtrihus
ams,
Louvet (t. I, p. 415) cite celte pièce, mais d^one manière inexacte.
(1) D. Porcheron , ch. 84.
556 HISTOIRE
de ses visites pastorales; c'est lui-même qui nous rapprend dans
son registre des visites.
Jean de Tlmry mourut vers iSOo; on ne sait pas au juste en
quelle année, mais ce fut le 23 mars; Tobituaire du monastère
l'indique ainsi.
x:?iLVllI. — Ocloxi l«^ Oliolot <lo îVolixtol
(4265-1288).
Odon Cliolet de Nointel, que la voi^ des religieux de Saint-
Lucien appela à succédera Jean de Thury, était issu d'une noble
famille du Beauvaisis. Son père, Oudard Cliolet, originaire d'Ab-
beville, en Picardie, était seigneur de Noinlel et qualifié cheva-
lier (miles). Odon, jeune encore, avait embrassé la carrière ec-
clésiastique, à l'exemple de Jean Cliolet, son frère aîné, qui
devait briller plus ,tard sous la pourpre romaine et devenir le
cardinal Cbolet; et puis il avait été demander à l'abbé de Saint-
Lucien de le revêtir de l'habit de saint Benoît. Ses vertus et les
talents qu'il déploya dans la gestion des divers offices monas-
tiques dont il fut chargé, le désignèrent aussitôt au choix de
ses frères, quand il fut question de donner un successeur à
l'abbé Jean. L'histoire, cependant, ne nous a conservé que quel-
ques faits saillants relatifs à son administration.
En 1271 , il entre en association de prières et de bonnes œuvres
ainsi que tout son couvent, avec l'abbaye de Saint-Germer (1). '
La même année, pour améliorer la position de ses vassaux de
Grandvilliers, il rachète du maire du lieu certains droits que
celui-ci percevait sur eux. Ainsi, il obtient qu'ils ne lui donne-
ront plus, à l'avenir, trois gerbes de blé par chaque cheval em-
ployé à la culture de leurs terres. Ce maire était lui-même vassal
de l'abbaye, et tenait d'elle sa mairie en fief.
En 1274, Michel de Saint-Quentin lui donne la terre et la
mairie de Villers sur-Auchy.
Un différend, qui menaçait d'avoir des suites graves, surgit,
l) GaU. GhrisL, ix, col. 784.
DE l'aBBAYK RuVALE DE SAINT-LUCIEN. 357
h quelque temps de là, entre Tabbaye et les habitants de Grand-
villiers. La justice du bourg appartenant à Saint-Lucien, les offi-
ciers du monastère étaient dans Tusage de requérir les habitants,
toutes les fois qu'ils en avaient besoin, pour arrêter les malfai-
teurs, pour les conduire dans les prisons de l'abbaye, et même
pour les escorter jusqu'au lieu du supplice, afin d'empêcher
toute violence et tout désordre. Ils exigeaient quelquefois ce
service avec des procédés qui irritaient la population. D'abord,
on les nourrissait et on les défrayait convenablement de leur
déplacement, et puis on le flt de mauvaise grâce, et on finit
presque par exiger d'eux qu'ils s'entretinssent à leurs frais. Les
habitants de Grand villiers, indisposés par ces vexations, se plai-
gnirent hautement et refusèrent tout service. Tous les efforts
faits pour les contraindre ne firent que rendre la position plus
critique, et une révolte ouverte était imminente. Alors l'abbé
m
les cita pardevant les grandes assises des hauts fieffés do son
monastère. Les chevaliers Richard de Breteuil , Raoul de Gaude-
chart, Drogon de Sauqucuses et Pierre de Savignies y siégeaient;
maison ne put s'entendre. Odon, inquiet de la tournure que
prenaient les choses, consulta Jean Cholet de Nointel, son frère,
qui était alors archidiacre de Caux, au diocèse de Rouen, et le
pria de venir Tassister des lumières de son expérience. Jean
Cholet se rendit à Saint-Lucien et réussit à déterminer les deux
parh'es à s'en remettre à son arbitrage Un compromis fut signé
dans ce sens, le vendredi après la Saint-Michel de l'an 1278,
avec un dédit de 200 marcs d'argent pour la partie qui refuserait
de se soumettre à son jugement.
L'archidiacre, après avoir scrupuleusement pris toutes les in-
formations nécessaires, et entendu les parties et leurs témoins,
décida que l'abbaye était bien dans son droit en exigeant que
les habitants de Grandvilliers , ses vassaux, conduisissent les
malfaiteurs arrêtés sur leur territoire jusqu'aux prisons de l'ab-
baye, et qu'ils les escortassent jusqu'au lieu du supplice : mais
qu'en revanche celle-ci était tenue de les indemniser de leur dé-
placement en leur donnant « autant de vin de sa panneterie,
et de potage de sa cuisine qu'il faudrait, selon qu'il avait été
pratiqué par le passé, » et de faire les exécutions sur les terres de
l'ancien fief. Les parties se soumirent à cette décision et la paix
fut rétablie. La sentence fut prononcée, le huitième jour d'or-
856 HISTOIBB
tobre 4278, en présence de Robert, abbé de Saint- Symphorien,
des cbevallers Drogon , seigneur de MIHy, Eustache de Wavî-
gnies, Pierre et Raoul de Léglantier, Jean de Caigny, Drogon le
jeune de Milly, Etienne dellilly, et de Manassès, bailli de Beau-
vais , qui tous scellèrent l'acte de leur sceau , avec l'arcbi-
diacre (1).
En 128i, Odon de Nointel nous apparaît traitant avec Robert,
comte de Clermont, et faisant avec lui divers échanges. Par ce
traité, le comte accordait que toutes les propriétés de l'abbaye
de Saint-Lucien , situées dans l'étendue de son comté , ainsi que
le village de Thieux et son territoire, ne relèveraient plus dé
sonnais du comté de Clermont, mais ressortiraient directement
du roi, k l'exception , pourtant, du bois du Val de [^Verrière,
près Saint-Félix, qui était trop voisin de Clermont pour être dis-
trait de la juridiction coratale. Puis il lui cédait , avec l'agré-
ment du roi , son frère, cent vingt-sept arpents de bois et friches
dans la forêt de liez. L'abbé, de son côté, lui abandonnait deux
h6tes à Epineuse, tout ce que son abbaye possédait à Sacy-le-
Grand, à l'exception du bois de Favière, et le bois dit de Saint-
Lucien qu'elle avait en la forêt de Hez. Le roi Philippe-le-Hardi
confirma ce traité par lettres-patentes du mois d'août 4^81 (2).
Odon de Nointel siégeait, avec l'évêque de Beauvais, au par-
lement de la Toussaint de l'an iâ83 , et il signa , comme membre
de l'auguste assemblée, au traité qui adjugeait au roi de France
les comtés d'Auvergne et de Poitou, malgré les revendications
du roi de Sicile. A quel titre l'abbé de Saint-Lucien faisait-il
partie de ce parlement? Nous ne le saurions dire (3).
Le seigneur de La Chaussée d'Eu lui donnait , en cette même
année , trois maisons sises à La Chaussée , et , l'année suivante,
notre abbé transigeait avec le chapitre de Beauvais, au sujet du
village d'Allonne, et achetait du chevalier Jean de Nouvion toutes
les terres, champarts et droits seigneuriaux qu'il possédait à
Poix.
(1) 6. Hermant, 1. vu, eb. 16.
(9) D. Grenier, S17. p. 5.
(S) LoQvet, t. I, p. 429. — D. Porcheron, cti. 35.
TOMBEAU DU CARDINAL CHOLET
dans le chœur de l'église de l'abbaye de S Lucien.
DB L'ABBAYB ROVAI^B DB SAINT LUCIBIf 3(9
En 1i86, il transigeait avec Tabbaye de Séry, et terminait amia-
blenient un différend survenu entre les ofQciers du comte de
Clermont et les habitants de Saint-Félix, tenanciers de son mo*
nastère, au sujet de l'exercice de la justice. L'accord intervenu
portait que les officiers du comte ne pourraient exercer aucun
droit de justice dans l'intérieur du village, mais qu'ils pourraient
poursuivre et saisir les habitants qu'ils trouveraient commettant
des délits dans les bois du comte.
Pendant qu'Odon de Nointel administrait ainsi l'abbaye de
Saint-Lucien, et sauvegardait ses intérêts, Jean Cholet, son
frère, venait d'être promu au cardinalat. Cette haute dignité
n'altéra en rien l'afTection qu'il avait toujours portée à noire
monastère; tout au contraire, il lui fit don de plusieurs maisons
aussitôt après sa promotion, et, en 1286, il lui donna toutes les
propriétés qu'il avait à Maysel et à Foulangues. On nous per-
mettra de dire un mot de cet illustre bienfaiteur. Son nom, sans
doute, appartient à l'histoire de France par la part qu'il prit
aux affaires publiques; mais nous ne saurions oublier que ses
alTections les plus vives ont toujours été pour Saint-Lucien, qu'il
a ciioisi, du reste, pour être le lieu de sa sépulture.
Jean Cholet était né au cii&leau de Nointel, quelques années
avant Odon. Ne se sentant aucun goût pour les armes, il allu
étudier à l'Université de Paris et se fit d'église. Il fut d'abord
chanoine de Notre-Dame-du-Chàtel, puis de Saint-Pierre de
Beauvais. Le célèbre archevêque de Rouen, Eudes Rigault, qui
avait apprécié ses talents, dans un de ses voyages à Beauvais,
le fit venir près de lui et le nomma archidiacre de Caux , dans
son église métropolitaine. Ce fut là qu'il se lia d'amitié avec un
autre archidiacre de la même église, avec Simon de Brion , qui
devait faire sa fortune. Simon de Brion étant devenu cardinal
puis pape, le 22 février 1281, sous le nom de Martin IV, il éleva
aussitôt (23 mars 1281) son ami au cardinalat, et lui donna le
titre de Sainte-Cécile qu'il avait porté lui-même. Comptant sur
les services que pouvait lui rendre sa haute capacité, il lui confia
les difficiles emplois qui l'ont rendu l'un des hommes les plus
célèbres de son siècle.
Après les vêpres siciliennes, qui coûtèrent tant de sang à la
France et dépouillèrent Charles d'Anjou de la Sicile (1282), le
pape, indisposé contre Pierre d'Arragon, qui les avait conseil-
360 HISTOIRE
lées pour en profiter, chargea le cardinal «"bolet d'une mission
auprès d'Edouard, roi d'Angleterre. L'année suivante (1283), il
vint en France, comme légat du Saint-Siège, et prêcha la croi-
sade contre Pierre d'Arragon. Au concile de Paris, tenu en 1284,
il décida Philippe IH le Hardi fi prendre les armes pour venger
le sang français, et l'accompagna dans son expédition. Il fut
ensuite mêlé à toutes les négociations qui la suivirent, et les
dirigea avec une rare habileté. La mort de Martin IV, son pro-
tecteur, ne lui fit rien perdre de son crédit. Ilonorius IV et Ni-
colas IV continuèrent de l'employer dans les missions les plus
difficiles. Ce fut lui encore qui fut député pour amener un traité
entre Philippe-le-Bel, roi de France, et Sancbe, roi de Castille,
et il y réussît avec un véritable succès (^^
Cependant Odon deNoîntel, l'abbé de Saint-Lucien, son frère,
venait de mourir (1288). Ce coup, le frappant dans ses affections
les plus chères, l'avertit qu'il était temps de mettre ordre à ses
affaires. Comme il possédait une très-grande fortune, et voulait
répandre ses bienfaits autour de lui et surtout dans le pays qui
l'avait vu naître et dans les établissements qu'il aimait le plus,
il se hâta de faire son testament. Il le rédigea en l'abbaye de
Moutier-la-Celle, près deTroyes, et le scella le premier dimanche
de l'Avent de l'an 1280. Ce testament contenait plus de deux cents
articles, et distribuait sa fortune en une foule de mains. Ainsi,
il donnait à l'abbaye de .Saint-Lucien, où il choisissait sa sépul-
ture, 2,i00 livres d'argent, sa grande bible glosée en huit vo-
lumes, et tous ses autres livres glosés de théologie, à condition
qu'on célébrerait, tous les mois, un service solennel pour le
repos de son âme. et qu'on augmenterait, en ce jour, l'ordi-
naire des repas du monastère ; à l'abbaye de Breteuîl , 200 livres
parisis; à celle de Saint-Germer, 200 livres; à celle de Saint-
Quentin deBeauvals, 60; à celle de Beaupré, 100; à celle de
Lannoy, 30; à celle de Saint-Martîn-aux-Bois, 60; à celle de
Saint-Just-en- Chaussée, tJO; h celle de Penthemont, 20; à celle
de Saint -Paul, 50; à celle de Boyaumont, 300; à celle de Go-
merfonlaine, 100 sous; à celle de Monchy-Humières , 10 livres;
(l) G. Hermant : Hist. de B^mwais, liv. vif, ch. 15.
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 561
à celle de Saint-Symphorien de Beauvais, 30; à celle du Paraclet
d'Amiens, 300; à celle de Saînt-Vaast d'Arras, 100; à celle de
Notre-Dame de Soissons, SO; à celle de Saint-Corneille de Com-
piègne, 40; à celle de Morienval , 100; à celle de Saint-Vincent
de Senlis, 100; à celle du Parc-aux-Dames, 30; à celle de Saint-
Remi de Senlis, 20; à celle de Chaalis, 100; à celle de la Vic-
toire, 20; à celle d'Ourscamps, 00; au prieuré de Variville, 30;
à celui de Boran, iO; h celui de Breuille-Sec, 20; à l'église de
Beauvais et à celle de Rouen, pour fonder deux chapelles,
1,000 livres; à THÔtel-Dieu de Beauvais , 60 livres pour acheter
de la nourriture aux pauvres malades; aux Frères Mineurs de
Beauvais, iO livres; aux Frères Prêcheurs du même lieu, iO; à
la collégiale de Notre-Dame du-Châtel , 00; k chacune des autres
collégiales du même lieu, 100 sous; aux Béguines, iOO sous; à la
maison de Saint-Thomas des Pauvres Clercs, 100 sous ; à l'église
cathédrale, 100 livres; aux pauvres natifs de ladite ville de Beau-
vais, 10 livres; à la léproserie de Saint-Lazare de Beauvais, 30;
à la léproserie de Saint-Antoine de Marissel, 100 sous; au curé
de Saint-Lucien, 40 sous, et aux pauvres de ce lieu, 10 livres;
au curé de Maulers , iO sous, et aux pauvres de ce lieu, 10 livres;
au curé et aux pauvres de Maysel , 40 livres; au curé de Nointel,
40 sous , et aux pauvres de ce lieu, 20 livres le jour de ses obsè-
ques, et GO livres pour son anniversaire; au curé et aux pauvres
de Saint-Félix, 60 livres; au curé de Cempuis, 40 sous, et aux
pauvres de ce lieu 10 livres; à l'hOpital de Beaumont-surOise,
100 sous; àrilOtel-Dieu deClermout, 20 livres; à TIIÔtel-Dieu de
Compiègne, 40; à rHôtel-DleudeSenlis, 10; aux Frères Mineurs
de Senlis, 20; à chaque prêtre du diocèse de Beauvais, le jour
de ses obsèques, 10 sous; à soixante églises pauvres du diocèse
de Rouen et à quarante églises pauvres du diocèse de Beauvais,
un calice d'argent doré, avec sa patène, du poids de deux marcs;
à trente pauvres filles nobles du diocèse de Beauvais, 20 livres
à chacune pour aider à les marier, et à trente pauvres filles du
peuple du même diocèse, h chacune 10 livres ; à chacune des ma-
ladreries du même diocèse, auxquelles il n'avait encore rien légué,
20 sous; aux chanoines et aux pauvres de Mello, 60 livres; au
curé de Calenoy, 40 sous, et aux pauvres du même lieu, 20 livres;
àla cathédrale de Rouen, 100 livres; à chacun des couvents des
Frères Mineurs et Prêcheurs de Rouen, ^0 livres; à chacun des
34S HISTPIEK
curés du diocèse de Rou^n, 10 sous; aux pauvres de son archî-
dtaconé de Caux, 400 livres; à Tabbaye de Saint-Oueo de Rouen,
100 livres et sa mitre à émaux; k celle de Saiat-Amand, lOû livres;
A celle de Sainte-Catherine, 50; au prieuré de Saint-Lû, âO; apx
sœurs de Saint-Matiiieu de Rouen, 10; aux Filles-Dieu, 100 sols;
k l'hôpital de la Madeleine, SO livres; au prieuré du Mont-aux*
Malades, SO; h l'abbaye de Saint-Georges de Bocherville, 20; à
celle de Jumièges, 100; à celle de Saint-Vandrille, 00; à celle
de Notre-Dame-duVœu, 30; à celle de Fécamp, 40; à celle da
Montivilliers, 10; h celle de TIsle-Dieu, 20; à celle de Valmont, 10;
à celle deCornéville, 10; à celle de Beaubec, 60; à celle de Fon-
taine-Guérard, 100 sous; à chacun des couvenis des Frères Mi-
neurs et Prêcheurs du diocèse de Rouen » 10 livres; à l'hôpital
de Pontûise, 100 sols; à chacun des hôpitaux du diocèse de
Rouen, iOsous; àchacune des autres maladreries ayant chapelle,
40 sous; au prieuré deSaint-Laurent-en-Lyons, 20 livres; à celui
du Bourg- Achard , 10; à celui de Longueville, 20; à celui de
Beaulieu, 10; à l'église de Paris, 100; à rilôtelDieu de Par)B,r)0;
aux Frères Mineurs, 200; aux Frères Prêcheurs, 200; à l'abbaye
de Sainte-Geneviève, 60; à celle de Saint Victor, GO; à celle du
Val-des- Ecoliers, 60; à celle de Saint-Germain-des-Prés, 300; à
celle de Saint-Antoine, 60; à celle de Saint-Denis, 300; aux
Bons-flufaDts, 60; aux écoliers de la Sorbonne, 100; aux écoliers
de Saint-Thomas du Louvre, 20; aux Frères de Montrouge, 10;
aux Frères Guillemins, 30; aux Frères Saccarions, 20; aux Ma-
Ihurins, 40; aux Frères Barrés, 20; aux Chartreux de Paris, 20;
& chacun des couvenis des Frères Mineurs et Prêcheurs des pro-
vinces de Rouen, Reims et Sens, dont il n'avait pas encore été
fait mention, 10 livres; à Thôpital de Saint-Jean-de-Jérusa-
leni, 100; aux Templiers, 100; en subside pour la Terre-Sainte,
1,000; au roi Charles, s'il fait la guerre contre l'Arragon, 6,000,
et si l'expédition n'avait pas lieu, cette somme serait distribuée
aux pauvres du diocèse de Beauvais; à l'église de Rome, 200 livres;
aqx pauvres prêtres du diocèse de Narbonne, 1,C0i); d'Auch, MOO;
de Bordeaux, 1,000; de la province do Tours, 1,f:00; de la pro-
vince de Lyon, 1,000; de celle de Bourges, 1,000; à chacun de
ses cinq exécuteurs testamentaires, 100 livres. Ces exécuteurs
testamentaires étaient Jean de Bulles, archidiacre de Caux, Evrard
de Nointel et Jean de Saint-Just, chanoines de Beauvais, Jean de
DE L'ABBAYB ROTALB DB SAINT-LUCIEN. 363
Nointe], chanoine de Thérouane, et Aubin de Cempuis, cha-
noine d'Arras.
Il partageait ensuite les livres eomposant sa bibliothèque : il
donnait à Tabbaye de Saint Lucien sa grande Bible et ses livres
de théologie; à Pierre de SouUons, son chapelain et son péni-
tencier, ses livres de philosophie, de logique et de physique,
pour retourner, après sa mort , aux Frères Mineurs de Paris ; aux
Cordeliers de Paris, ses œuvres de saint Augustin et de saint
Ifilaire; à Pierre dit Mulot, son médecin, son Avicenne; à Jean
de Bulles, archidiacre de Caux, ses sermons de frère Guibert, sa
Somme des Cas et son petit Papias; à Jean Vivien de Nointel,
son clerc, ses Etymologies d'Isidore; à Evrard de Nointel, son
Priscien. Il ordonnait de vendre ses autres livres, et surtout ceux
de droit, pour le prix en être distribué aux pauvres écoliers stu-
dieux de laSorbonne. Enfîn,il recommandait de restituer à leurs
propriétaires les livres qu'il avait empruntés, c'est-à-dire : deux
volumes de la FlierarMaf à Tabbaye de Saint-Denis; Senèque et
d'autres livres, à Tabbaye de Saint-Germer; un Archiacemds^ au
monastère de Mortemer, et les Epitres de saint Bernard^ à Tab-
baye de Froidmont (i).
Ce testament dénotait, chez son auteur, une fortune colossale
et une bienfaisance dont on peut à peine se faire l'idée. Personnie
n'est oublié , les pauvres et les malades y trouvent aussi bien
leur place que les grands établissements; mais, plein de l'amour
de son pays aussi bien que de celui de ses frères , il lègue la
somme la plus considérable, 6,000 livres, pour la guerre d'Ar-
ragon; c'est pour venger les Français, ses compatriotes, massa-
crés en Sicile par les conseils du roi d'Arragon. Ce grand homme
se souvenait de ses qualités de chrétien, de prêtre, de prince
de l'Eglise et de Français, et il avait à cœur de se montrer bon
et généreux partout et envers tous.
Odon de Nointel, son noble frère, l'abbé de Saint-Lucien, au-
rait tressailli d'aise s'il avait pu connaître la teneur de ce testa-
ment, si la mort ne l'avait pas déjà couché dans la tombe depuis
un an. Le cardinal Cholet vécut encore trois ans après avoir ainsi
fait rédiger ses dernières volontés.
(1) Arch. de l'Oise, chap. de Bpaov. G. 773.
364 HISTOIRE
ÏX. — Oulllaumo II (1288-1293).
Guillaume, le succesHeur d'Odon de Nointel, tint à conserver
les bonnes grâces du cardinal , et les avances quMl fit à ce sujet,
en toutes occasions, valurent à son monastère la clause de son
testament, que nous avons citée plus haut, et une protection
généreuse qui lui fut plusieurs fois utile dans des difficultés sur-
venues entre lui et des seigneurs mauvais voisins. Nous ne nous
appesantirons pas sur ces querelles; elles offrent trop peu d'in-
térêts; ce sont des difficultés au sujet de droits territoriaux ou
de justice. J'en cite une au hasard. Le chevalier Renaud d'Au-
teuil veut s'opposer à la jeconslruclion d'une écluse sur le Thé-
rai n , au moulin de Villers-sur-Thère; il prétend, en outre,
« fere trère son bastel hors de Tlaue du Thérain pardevers les
a rives d'icèle iaue, et de le mellre de une iaue en autre par-
tt dessus les rives dessus dites par la terre des devandis reli-
a gieus, » et il a fait arrêter un homme dans l'étendue de la
seigneurie de l'abbaye , sur les Patis de Villers, « vers SaintOien
a de les le pont ou lieu où les gens se assanlent a festoier le jour
A de feste de la Nativité saint Jehan-Baptiste. » Le procès prend
de l'importance, enfin, un arbitrage est nommé: Colard de
Morlaine, chevalier, tonloyer de Beauvais, et le clianoine Gué-
rard de Saint-Just, sont désignés comme arbitres , et le sire
d'Auteuil est débouté de ses prétentions (1).
Si Guillaume était tourmenté par des voisins querelleurs, il
rencontrait aus.si de bonnes iïmes : témoins Bernard de Gam-
premy, qui lui donne, en 1290, cinq mines de terre h Thieux,
pour avoir un anniversaire en l'église de l'abbaye; Marie de Mor-
villers, qui cède un fief à Fumechon, en 1292, et Mabilie de Bove,
fille du noble chevalier Enguerran de Bove, qui vend à Saint-
Lucien, pour la somme de 1,G0Û livres, toute sa terre, manoir,
biens, droits et rentes d'Héricourt, en 1292 (2).
Cette année 1292 allait être marquée au monastère par une
(1) Arcb. de l'Oise : abt). de Sainf.-Lucien.
-2) Ibidem.
DE l'aBBAYB royale DE SAINT-LUCIEN. 565
triste solennité, l'ami et le protecteur de la maison, le cardinal
Cholet, venait de mourir, le 2 août, et on rapportait son corps,
suivant ses dernières volontés , pour être inhumé dans Téglise
de Tabbaye. Guillaume lui fit rendre tous les honneurs dûs à son
rang et à son immense bienfaisance. L'évèque de Beauvais , Thi-
baud de Nanteuil , y assistait avec tous les ecclésiastiques de sa
ville épiscopale, et un grand nombre d'abbés accourus de toutes
parts pour rendre leurs derniers devoirs à ce généreux bienfai-
teur. Le corps de Tillustre défunt ftit déposé en terre, au c6lé
gauche du maltre-autel de Téglise du monastère, et Tabbé, de
concert avec ses religieux, lui fit élever un splendide mausolée.
Sous une gracieuse arcature ogivale , supportée par des colon-
nettes, s'élevait une tombe en cuivre doré et émaillé, sur laquelle
reposait une statue d'argent, de grandeur naturelle, à Teffigie
du cardinal. Autour du tombeau et sur le bord supérieur, était
inscrite l'épilaphe. Elle était en émail, à lettres d'or, sur fond
rouge , ainsi disposée :
Du côté de l'autel :
Hic vir compoaUus, vir verax, vircfue peritus,
Justus, muni ficus, regum specialis amicuSy
Ergo necem plores, prceciari palris et ores
Ut post lias flores (1) fructus copiai meiiores.
Du côté opposé :
tiac in copsella latet or bis fulgida Stella ,
Cujus fulgore regio fuit hec in honore,
Francia Légat um suscipit cum sibi gratum,
Firmam virtutum, Francorum nohile scutum.
Au-dessous de Tinscription régnait, tout autour du monument,
une bordure cloisonnée en losange, sur laquelle se répétaient,
alternativement, les armoiries suivantes : d'a:iurj à quatre fleurs
de lis d'or posées j^ 2 6/ 1, et d^ argent à la croix de gueules, can-
tonnée de quatre clefs du même pesées en pal. Ce devait être celles
du cardinal.
(1) Le poète fait aUasion aux fleurs (}ae l'on plaçait sur la tombe dans
des trous percés pour cet usage.
366 BlSTOllUfi
Ce mausolée perdit, dans la suite, ses plus beaux ornements
et sa statue ; nous dirons à quelle occasion.
Aussitôt après la mort du cardinal, chacun des légataires fut
mis en possession de ce qui lui revenait, d'après le testament.
Seulement, les 6,000 livres destinées à la guerre d'Arragon re-
çurent un autre emploi. La paix était faite, et il n'y avait plus
lieu de lui donner sa destination primitive. Cette somme devait
être distribuée aux pauvres du diocèse de Beauvais , si l'on s'en
tenait à la lettre du testament; mais les exécuteurs testamen-
taires ne virent dans cette clause qu'un moyen comminatoire
imaginé pour déterminer Charles à venger les Français massa-
crés à Palerme, et ils crurent mieux répondre à l'intention du
testateur en l'employant à fonder un collège, en l'Université de
Paris , en faveur d'un nombre déterminé d'écoliers des diocèses
de Beauvais et d'Amiens. Le cardinal avait maintes fois mani-
festé l'intention de cette création; il avait même rédigé un projet
de statuts pour en régler la vie intérieure et l'admini&tratton.
En fondant, en iâ9j, cet utile établissement, ses exécuteurs
testamentaires ne firent donc que réaliser l'œuvre qui avait été
sa pensée de tous les temps. Cette institution porta le nom de
collège des Cbolets, nom de celui qui l'avait doté.
Indépendamment des bienfaits dont nous avons parlé, le car-
dinal avait encore donné au monastère de Saint-Lucien des re-
liques de sainte Cécile, qu'il avait rapportées de Rome, avec la
châsse en cuivre doré qui les contenait.
Guillaume survécut peu au cardinal Cholet. Il paraîtrait qu'il
serait mort l'année suivante, le 3 août 1213. On pense que la tombe
en marbre noir, qui était entre celle du cardinal et la chapelle de
Sainte-Catherine, était la sienne. Le nom du défunt était effacé;
mais, comme cette tombe portait la date du 3 août 1293, on a cru
que ce devait être celle de Guillaume. On ne trouve, du reste,
aucun document faisant mention de lui après cette époque.
ycxysi, — Jean ïlï U^ Boulleusl^n
(4293-4297).
Le successeur de Guillaume, Jean Le Boullensien, a laissé peu
de traces de son passage dans l'histoire de son monastère. On a
DB l'abbaye royale DB SAINT-LUCIKN. 367
de lui le serment de fidélité et d'obéissance qu'il prêta à Thibault
deNanteuil, é\êque de Beauvais, aussitôt après sa promotion
à l'abbatlat. Trois actes seulement nous sont parvenus comme
ayant été passés sous son administration , Vxxn est une acqui-
sition d'une Yigne à Rosoy, vendue par Jean d'Hondain ville,
en 1295; le second, de la même année, est un échange par le-
quel Jean cède à Févêque d'Amiens la dîme et 60 sols de rente
à Pernois, contre la seigneurie de la terre dePissy; enfin, le
troisième, de l'an i297, est une donation faite à l'ablmye d'ijine
vigne à Margny, près Gompiègne.
En cette année d297, Jean Le BouUensien eut une contestation
assez vive avec Tofficial de l'évêque. Ce dernier lui avait intimé
Tordre de se rendre, avec sa communauté, à la procession gé-
nérale qui devait avoir lieu dans la ville, le dimanche suivant,
pour rheureux succès des armes de Philippe-le- Bel , dans la
campagne par lui entreprise contre le comte de Flandre et ses
aillé». Jean, tronvant qne cet ordre portait atteinte aux privilèges
de son monastère, refusa d'y obtempérer. Ce n'était pas défaut
de patriotisme, il le prouva par les subsides qu'il fit passer au
roi ; mais il ne voulait pas souffrir que les officiers de l'évêque
empiétassent sur ses immunités. 11 fut donc trouver Thibault de
Nanteull, à sa résidence de Bresles , et protesta énergiquement
contre l'ordre qui lui avait été signifié. « Si on m'avait prié, dit-
il, d'assjster h cette procession, nous y serions venus tous, et
de grand cœur, parce que j'aime mon pays et mon roi; mais
sur l'intimation d'un ordre, nous n'y viendrons pas. Nous ferons
la procession dans l'intérieur de notre monastère. » L'histoire
ne nous dit pas qu'elle fût l'issue du différend; il est probable
que l'abbé ne céda pas. Quoiqu'il en soit, ce trait nous montre
le soin avec lequel Jean Le BouUensien savait défendre les pri-
vilèges de son monastère.
Il mourut le 5 septembre suivant, laissant, par testament, à
sa communauté, une terre à Fouquenies, pour subvenir aux frais
d'un anniversaire pour le repos de son ftme.
XXXI. — Jacques de CHamtoly (1297-1300).
Jacques de Chambly, qui succéda immédiateihent à Jean Le
BouUensien, a laissé moins de traces encore de son administra-
308 HiSTOlKE
(ion. Toul ce que Ton sait de lui c'est qu'il était llls de Pierre de
Chambly, chambellan des rois Philippe-le-Uardi et Pliifippe-Ie-
Bel, et d'Isabelle de Kosny. La faveur dont son père jouissait à
la cour contribua pour beaucoup à sa nomination. On espérait
que son crédit ne serait pas inutile auprès du roi, et de fait, il
attira les bonnes grâces du roi sur son monastère. Son admi-
nistration fut de courte durée : il mourut le ±À février i300.
:x:xx:il. — JPlorro m do Samols
(1300-1336).
Après la mort de Jacques de Chambly, les suffrages des reli-
gieux de Saint-Lucien se réunirent pour porter sur le siège ab-
batial un autre gentilhomme nommé Pierre de Sarnois. Il était
issu d'une noble famille de l'Amiennois, habitant la terre de
Sarnois , près Grandvilliers. Ses talents et ses vertus avaient dicté
ce choix ; mais le moment allait venir où les intrigues de toutes
sortes ne manqueraient pas d'avoir part à ces élections. Les beaux
temps de la régularité monastique étaient passés, et la décadence
commençait. Sans doute, les sujets affluaient dans les cloîtres
et la noblesse leur donnait encore, et plus que jamais, ses en-
fants, et cela n'empêchait pas le relâchement de la discipline de
se faire partout sentir; c'en était peut-être une cause. La ferveur
n'était plus la même; ce n'était plus, comme autrefois, par
amour de la pénitence et des vertus austères, que l'on entrait en
religion; trop souvent alors, c'était avec l'espoir d'y trouver la
tranquillité que l'on ne rencontrait plus dans le monde, et par-
fois même c'était par ambition. La jeune noblesse, surtout, ne
savait plus assez se soustraire à l'influence de l'esprit du siècle,
qu'elle avait, pour ainsi dire, sucé avec le lait au manoir de ses
pères, et elle l'apportait dans le cloître. A ces causes intérieures
venaient s'en joindre d'autres produites par les guerres et les
dissensions civiles et religieuses. La lutte engagée entre Philippe-
leBel et Boniface VllI divisait les esprits et ne manquait pas
d'avoir un retentissement fâcheux dans les communautés. Toutes
ces causes tendaient évidemment à relâcher les liens des obser-
vances monastiques, et les abbés allaient avoir beaucoup à faire
pour conserver une régularité suffisante. Malheureusement, ils
DE l'abbaye royale DE SAII^T-LUCIEN. 369
ne surent pas tous réagir assez énergiquement contre le torrent
qui entraînait à la dérive; plusieurs se laissèrent aller avec lui,
et quelques-uns même le secondèrent par leur conduite trop
mondaine. Nous le dirons plus loin.
Au dehors non plus, Télat des esprits n'était plus le même que
celui du commencement du xiip siècle. Les croisades avaient
produit leur effet. Les idées avaient pris de Texlension et les es-
prits de rindépendance. Une espèce d'effervescence libérale tra-
vaillait les serfs et les hommes du peuple; elle les poussait à
s'affranchir du servage et de cette étroite tutelle dans laquelle
les détenaient les nobles et le clergé, et à conquérir cette liberté
individuelle qui leur était refusée. Les communes défendaient
énergiquement leurs privilèges et ne se montraient plus endu-
rantes. Les tenanciers et vassaux contestaient les devoirs qu'on
leur imposait et refusaient souvent de les remplir. Le tiers, enfin,
tendait de tout son pouvoir à se faire une place au soleil.
Telles étaient les dispositions des esjirils, fuand Pierre de
Sarnois prit la direction de Tabbaye de Saint-Lucien. Sa com-
munauté, convenablement régulière, ne lui créa cependant pas
de difficulté. Ses moines aimaient Tétude et s'y livraient avec
ardeur. Mais au dehors ce n'était pas le même calme. Une lutte
acharnée divisait PhilIppe-le-Rel et le pape Boniface VIII. Il était
difficile, pour l'abbaye de Saint-Lucien , de s'en tenir complè-
tement en dehors, surtout lorsque l'évèque de Reauvais, Simon
de Clermont de Nesle, y prenait une part si active. Pourtant,
Pierre de Sarnois et ses moines ne se passionnèrent pas trop
aux débals; ils adhérèrent à la lettre que les évèques de France
adressèrent au pape pour le disposer à la conciliation, mais en
même temps Ils firent parvenir au roi l'assurance de leur fidélité.
Philippe-le-Bel se montra reconnaissant, et leur témoigna sa sa-
tisfaction en leur accordant, en 130i, la remise de tous les droits
qu'ils pouvaient lui devoir, à raison des acquisitions de biens
qu'ils avaient faites, et cela, dit-il, à cause de leur fidélité à sa
personne et en faveur des bons services qu'il avait reçus d'eux
pendant la guerre de Flandre (i) lis lui avaient, en effet, été
utiles en lui envoyant des vivres et de l'argent pour ses troupes,
(1) D. PorcheroD, ch. 36.
T. VUI. U
370
eC ils aTaient pre)^ deai rheraux et une Toiîure, eo i^•i. au bel-
licfomi é%èque de Beauvai». qui conduirait iul-nii-iiie ^e^ %a»saai
â la oiaJIieureiue journée de Coartrai I .
fj&fe liODoes gràees du roi leorseirireot avanUgeus^^nenl dans
tea conteitations qu'ils eurent à soutenir. b'at>ord ce f'jt un Lan-
oelot de Sainl-Harc, seigneur, en partie. d'AJ>t>ecourt. qui leur
déniait la baote et baMe justice de ce lieu : il fut déboâlé de ses
prétentions. Ailleurs, dans le Tîllage même de Saint Ludeo, c'é-
taient des faiêatti hosjniesi qui soutenaient que Tabbaye n'avait
sur eui aucun droit réel ou personnel de capitage, de mainmorte,
de fomariage e( de taille pour joyeux aTènenKnt d'abbé. Le roi
nomma deoi commissaires . Robert de Fooilloy, chanoine d'A-
miens, et Thibault de Cbepolx. cheTalier, pour juger l'alEure.
Après avoir entendu les procureurs des parties, et, du côté de
Tabtiaye. c'élaient deuz de ses religieux, Andiéde Saint-^nentin
et Pierre deUbus, les commissaires jugèrent prudent, pour ôler
toute cause de contestation àTavenir^ de décharger les hôlesou
vassaux de ces droits, à condition qu'ils procureraient, à leurs
frais, à Tabbaye , une rente de îîoo livres , assise sur des terres
ou bois qui ne pourraient pas être éloignés de Beauvais de plus
de dix-huit lieues. Les parties acceptèrent cette décision, et c'est
de là que sont venus à Tabbaye les droits d'entrée sur les mar-
chandises et denrées importées dans Ro>e, Péronne et Montai-
dier (ij. La contestation avait duré trois ans ;i3oa-i306).
Pendant que l'on s'accordait ainsi, des fûts plus graves se
passaient aux portes du monastère et rejaillissaient sur lui, sans
qu'il y eût eu la moindre part. Les bourgeois de Beauvais, obli-
gés de se servir des moulins et des fours banaux de l'évoque,
et fatigués des vexations que ses officiers leur faisaient subir à
cette occasion , se révoltèrent et pillèrent le palais épiscopal.
L'évéque, Simon de ClermontdeNesIe, fut contraint de s'enfiiir
et de se retirer à Saini-Just-en-€haussée. Exaspéré de cette dé-
faite, des dégâts commis dans ses propriétés, et surtout des
railleries de ses vainqueurs, qui l'appelaient Simon le dévêtu, il
(1) Areta. de l'Oise : inveni. de lees, p. ito.
"À) D. Porcberon , cb. 37.
t>B L*ABBAYK ROYAL! DS SAINT-LUCIEN. 571
fit appel à ses hommes de fief et les envoya contre sa ville épis-
copale, avec ordre d'Incendier les faubourgs et de passer parles
armes tous les bourgeois qu'ils prendraient Ce fougueux prélat
oubliait qu'il était évèque, pour ne se ressouvenir que des idées
hautaines que sa noble extraction lui avait données, et il ne Ait
que trop bien servi. Ses feudatalres, tous belliqueux chevaliers,
exécutèrent à l'envi les ordres qu'ils avaient reçus ; ils pillèrent
et saccagèrent tous les environs de Beauvais. Les propriétés de
rabt)aye de Saint- Lucien ne furent pas plus respectées que les
autres, quoique pourtant, ni ses moines, ni ses tenanciers
n'eussent pris part à l'émeute. L'abbé Pierre de Samois ne jugea
pas à propos de lutter par la force , mais il se plaignit vivement
à l'évêque du préjudice dont son monastère était victime, et en
demanda réparation. Simon de Nesle avait intérêt à le ménager,
dans la crainte qu'il ne fit cause commune avec les habitants de
Beauvais, et il s'empressa de lui faire tenir une lettre dans la-
quelle il lui disait : « qu'en l'an 1305, vers les fêtes de la Pente-
tt côte, à l'occasion de la dissension , qui était arrivée entre lui
• et les maire et pairs, conseillers et toute la commune de Beau-
« vais, ses officiers avaient commis des incendies et d'autres
w excès dans la terre et juridiction de ses chers et religieux fils
a en Jésus-Christ l'abbé et couvent du monastère de Saint-Lucien,
a et avaient fait des actions, qui tenaient de l'injustice, et leur
tt étaient fort préjudiciables, mais que sa volonté n'était pas que
«* ces religieux en souffrissent à l'avenir aucun préjudice dans
« leur droit et leur juridiction, ni que lui, ni ses successeurs
tt évèques de Beauvais acquissent par là aucun droit (1). « Il
s'agissait bien de compétition de juridiction et de droit à acqué-
rir, il fallait réparer le dommage causé, et il n'en dit mot. L'abbé
de Saint-Lucien s'en contenta cependant; il faut croire qu'il était
de facile composition.
L'évêque ne s'était pas contenté d'user de représailles à mains
armées contre les communiers de sa ville; par une ordonnance,
donnée à Saiut-Just- en-Chaussée, le 8 juillet 1305, il avait dé-
claré excommuniés tous ceux qui avaient pillé son hôtel et sa
'^1' I*
(1) God. Hermant, 1. vu, c. 19, p. 878. — Louvet, t ii, p. 494, cite
le texte mèm» de oette lettre.
572 HISTOIRE
chapelle, et cité les maire et pairs à comparaître devant lui, à
Saint-Just, le samedi avant la Madeleine, 17 juillet de la même
année, pour s'entendre condamner à réparer tous les dommages
causés, avec menace d'excommunication s'ils ne se présentaient
pas. Par suite de circonstances restées jusqu'à ce jour inexpli-
quées, l'assignation à comparaître ne fut remise aux intéressés
que le jour même où ils étaient cités. Force leur fut de ne pas
se présenter; alors l'évéque excommunia tous les habitants de
la ville et jette l'interdit sur elle. Il fit signifier la sentence aux
abbés de Saint-Lucien, de Sain t-guen tin, de Sain t-Sympho rien,
à l'abbesse de Penthemont et à tous les ecclésiastiques et reli-
gieux de la ville, pour qu'ils eussent à s'y conformer et à la faire
exécuter.
Le maire et les pairs .s'attendaient à quelques mesures sem-
blables; aussi, pour échapper aux suites delà sentence qui pou-
vait les frapper, s'étaient-ils rendus à l'abbaye de Saint Lucien,
avec les principaux habitants de la ville, pour prendre conseil.
Ils savaient parfaitement que l'abbé Pierre de Sarnois n'était pas
des plus chauds partisans de l'évéque , après les déprédations
dont son monastère avait été victime, et que la haute considé-
ration dont il jouissait le mettait à l'abri de ses entreprises. On
avait tenu conseil dans l'église de Tabbaye , et, après une longue
délibération, les maire et pairs avaient fait rédiger un ac(e
d'appel au Saint-Siège de tout ce que l'évéque pourrait ordonner
contre eux et contre les habitants de la ville. L'acte avait été
signifié à Simon de Nesle, le 12 juillet, par Gerbaud de La Fon-
taine. Cet appel avait tellement irrité le hautain prélat, qu'il
avait lancé l'excommunication et l'interdit, nonobstant son
existence, et avait fait défendre, sous les peines les plus graves,
à tous les villages circonvoisins , d'apporter des provisions en
la ville interdite.
On commençait à se trouver mal à l'aise, quand le roi, Philippe-
le-Bel , informé de ce qui se passait , délégua le bailli de Senlis
pour calmer le différend et amener les parties à composition.
Sa voix ne fut pas entendue ; au contraire , une nouvelle collision
s'en suivit, et l'on en vint, de rechef, aux excès les plus regret-
tables. Le commissaire du roi fit alors arrêter et mettre en pri-
son le maire de la ville, et le bailli de l'évéque, saisit le temporel
de l'évèché et prit en main l'administration de la justice. Pen-
DB L'ABBAYB ROYALB DB 8AINT-LUCIBN. 373
dant que le roi faisait fous ses efforts pour rétablir la paix, le
pape Clément V, qui venait d'être élu, et qui avait reçu l'appel
des communiers de Beauvais, avait délégué les abbés de Saint-
Lucien, de Saint-Quentin et de Saint-Symphorien pour concilier
les esprits. Leur intervention n'eut pas plus de succès que celle
du bailli de Sentis. Â la lin, cependant, les parties se décidèrent
à comparaître devant le pape lui-même, qui était alors h Lyon,
et où se trouvait aussi le roi, et, après bien des pourparlers,
un accord intervint le 0 décembre i305, et la paix et la tran-
quillité commencèrent à renaître (1). L'évêque fit alors cons-
truire, à rentrée de son hôtel , les deux grosses tours que Ton
y voit encore, pour se protéger contre de nouvelles émeutes.
Les conclusions de raccord avaient été, du reste, complètement
à son avantage.
Le calme rétabli, Pierre de Sarnols ne discontinua pas de
veiller à la sauvegarde des intérêts de son monastère et de ses
tenanciers. Actif au possible, il saisissait toutes les occasions
d'augmenter la valeur de ses biens et de favoriser les villages
ou les établissements qui dépendaient de lui , en obtenant pour
eux tous les avantages qui pouvaient leur être utiles. Ainsi,
pour donner plus d'accroissement au marché de son bourg de
GrandvilUers, il amène, en 130G, les religieux de Lannoy h lui
accorder que tous les gens, qui s'y rendront, ne paieront aucun
droit de travers en passant par leur seigneurie de Thieuloy. Il
obtint aussi d'eux, pour son fermier de Viilers-sur-Âuchy, la
permission de mener paître ses troupeaux dans les prés de leur
grange d'Orsimont, après la première coupe récoltée.
L'année suivante (1307), il achète de Guy de Beaumont, che-
valier, seigneur de Neufchàlel et d'Onsen-Bray, moyennant
2,3i2 livres 18 sols i deniers parisis, le bois des Calenge^-d'Ons,
contenant cent cinq arpents, le bois des Domaines, contenant
six cent soixante-quatre arpents, six muids de blé de rente à
prendre sur la grange des religieux de Morlemer, sise au Ques-
neger, paroisse du Vauroux, la justice de la terre du Quesneger
(l) Louvet, t. II, p. i-^O-sao. — I-oisel, p. 301 et suiv. — G. Hermant.
I. VII, ch. 19. — D. Porcheron. - Delellre. t. ii, p. :)8i-;»3. — Doyen,
t. I. p. 4-15
5*74 ttlSTOiRB
et quarante mines d'avoine de rente annuelle sur les hommes
et hôtes de Vhôpital de La Landelle, pour le droit d^isage dont
Ils jouissent dans le bois des Domaines. Cette vente fut ratifiée par
Jeanne de Saint-Cler, mère du vendeur, et par Guillaume, Pierre
et Isabelle deBeaumont, ses frères et sœur, et confirmée, en
1309, par Louis, comte de Glermont, petit-fils de saint Louis (1).
En i309, il acquiert de Guillaume Des Marest une maison avec
ses dépendances, à Villerssur-Thère. — Plus tard, en 1313, il
défend les intérêts de son monastère contre les empiétements
des chevaliers Jean de Sains et Guyart deMoimont. qui s'étaient
permis d'exercer la justice en une terre relevant de lui , de
hrîAer un bordel à Bonnières, « pour une combustion que il
« avoient faite en un bordel séant au dehors de la ville de Bon-
ce nières, ou grant quemin d'entre Milly et Gieberroy, au-dessus
« du moustier, par manière de justiche , sans nous , ne nos gens
tt appeler. » L'arbitrage de Guillaume de Morlaine , chanoine de
Noyon, «t d'Adrien de Saint-Quentin, religieux de Saint-Lucien,
termina le différend en sauvegardant les intérêts du monas-
tère (2). — La même année, Pierre de Sarnois s'entend avec
l'abbé de Saint-Germer pour séparer, par des bornes, les terres
de Grez, dont ils jouissaient par indivis, afin de mettre une fin
à toutes les discussions qui surgissaient sans cesse.
En 1314, il paie 240 livres au seigneur de Breteuil, Evrard de
Montmorency, pour le rachat d'une rente de dix-huit mines d'a-
voine, de 20 deniers et d'une poule, sur la terre de Froissy, et
obtient de ce seigneur la cession des droits de justice qu'il avait
ou pouvait avoir sur cette terre de Froissy, et en même temps
l'exemption, pour tous les habitants de ce lieu, de l'obligation
d'aller faire moudre leurs grains aux moulins de Breteuil (3).
En 1315» il transige avec l'abbaye de Saint-Quentin pour dé-
terminer les limites de leurs justices respectives sur les terres
et cours d'eau sis entre les deux établissements. La rivière du
Thérain et le chemin entre cette rivière et l'abbaye de Saint-
(1) Arch. de roise : Abbaye de Saint-Lucien.
(9) im.
(3) JMd., invent, de 1669, p. 347.
DE l'abbaye ROYAtE ttB SAINT tUGIEN. S15
Quentin sont en la Justice de Saint-Lucien; au-delà, le tout ap-
partient à Saint-Quentin. En même temps, les religieux de Saint-
Quentin cèdent h Saint-Lucien le vivier qui est au bout de leur
jardin, contre un pré avoisinant l'abbaye.
Pierre de Sarnois n'aimait décidément pas les situations am-
biguës et litigieuses , et tenait à les faire disparaître à tout prix.
En 1316, nous le voyons encore entrer en accommodement avec
le curé de Foulangues; il lui concède la justice moyenne et basse
dans toutes les maisons de son village , avec les corvées et autres
droits d'usage, mais se réserve expressément la haute justice. —
I^es années 1318 et 1320 sont marquées par de nouvelles transac-
tions avec l'abbaye de Lannoy. — En 1322, il achète le fief de
Bernapré, près de }{omescamps, de Jean de Lieurembronne et
consorts. — En 1327, il donne à cens, moyennant 32 sols de
rente et une corvée, à Guillaume de Luchy, une maison située
en face la grande porte de Tabbaye , à côté de la rue de la Mai-
resse.
Pierre de Sarnois mourut le 4 octobre 1336.
II. — Odon II do Ooxxvleux.
(1336-1339).
Odon de Gouvieux administra peu de temps Tabbaye, pourtant
il y fut encore assez de temps pour lui faire beaucoup de bien
et lui donner, entre autres choses, une vigne située en la pa-
roisse de Notre-Dame-du-Thil, auprès du bois de Brulet. Après
sa mort, qui arriva le 14 mars 1339, sa mémoire resta en véné-
ration dans son monastère. Le nécrologe de Tabbaye faisait men-
tion de lui en ces termes : Piœ mémorise D. Odo de Gouvieux,
abhas hujusecciesim, qui obiit pHdie idus Martii, anno 1339; dédit
nobii vineam unam sitamjuxia nemus de Bruleto et multa bona
fecit.
Un procès, dont nous avons retrouvé les pièces dans les pa-
piers'de son administration, mais qu'il ne faut pas lui imputer,
car il était trop pacifique pour cela, va nous faire voir à quels
degrés d'exigence descendaient les seigneurs voyers. En 1338, le
bailli de Sentis condamna à une amende très-forte un malheu-
reux habitant de Saint-Félix, nommé Philippe Dubus, pour avoir
376 HISTOIRE
relevé des charreltes qu'il avait trouvées versées dans la voirie
de Saint-Félix, sans en avoir été demander la permission au sei-
gneur du lieu. C'était une exigence bien incommode, et les char-
retiers devaient veiller à leurs voitures. Il n'est jamais agréable
de verser; mais à celte époque, c'était encore [)lus désagréable,
puisque Ton ne pouvait relever ni sa voiture ni son cheval, sans
avoir obtenu, au préalable, Tassentiment du seigneur à qui
appartenait la voirie.
x:iv. — F^lorre IV do Oampclovlllo
(1339-<340).
Pierre de Gampdeville, issu d'une noble famille du Beauvaisis,
qui possédait la (erre de Gampdeville, en la paroisse de Milly,
était vraisemblablement le frère de €olarl de Gampdeville, sei-
gneur de Gampdeville au commencement du \w siècle. Il ne
gouverna guère l'abbaye de Saint-Lucien plus d'une année. Il
mourut le 16 septembre 13i0. Nous n'avons pu trouver aucun
acte passé sous sa courte administration.
?CX:XV. — Jean IV do Boran (1340 1353).
Les premiers actes de l'administration de Jean de Boran sont
peu importants; ils font voir pourtant le soin qu'il prenait des
affaires de son monastère. En 13 H, pour mettre fin à plusieurs
procès occasionnés par des arreslalions d'hommes, des bois
coupés et des droits sur des terres en litige, entre son abbaye
et les chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, résidant au Bois-
d'Ecn, il transige avec Pierre de Franoasiel, leur commandeur,
et fait déterminer, d'une manière précise, les limites de la justice
de chaque maison 0). — En 13ii, le chevalier Guillaume d'Ho-
denc lui fait don de tout ce qu'il possédait à Villers sur-Auchy.
(1) Arcti. lie roise : abb. de Saint-Lucien. — L'accord porte encore pen<
dant le sceau de Tahbaye de Saint-Lucien avec lo conlrescel de Jean de
Boran.
DE l'ABBATB ROYALR DE SAINT-LIIGIEM. 377
— En 1315, Jean de Boran fait une transaction assez curieuse
avec l'abbaye de Lannoy. 11 y est dit que le procureur de ce
monastère sera tenu de venir tous les ans, au premier jour
d'août ou dans la huitaine, à Tabbaye de Saint-Lucien pour de-
mander permission aux religieux de relever les cbevaux et les
voitures de son couvent qui viendraient à verser, pendant l'an-
née, sur les terres dépendant de Saint-Lucien. L'année suivante,
ledit procureur, avant de demander une nouvelle permission,
devra afflrmer, même par serment sur les saints évangiles, le
nombre de fois que l'accident sera arrivé, et payer 2 deniers
pour chaque fois.
L'année 1346 allait être marquée par des faits bien autrement
tristes. Edouard III, roi d'Angleterre, venait de débarquer à
Harfleur et de ravager la Normandie, en mettant tout à feu et
à sang. Les ruines fumantes de Vernon , de Mantes, de Meulan
annonçaient tout ce que l'on pouvait attendre d'un tel vainqueur.
Arrêté dans sa marche sur Paris par les troupes du roi de France,
il se jeta sur le Beauvaisis et se dirigea sur son chef-lieu. « Si
« chevaucha le roi avant, dit Froissart, et entra au pays Beau-
« voisin, ardant et exiliant le plat pays, ainsi qu'il avoit fait
« en Normandie, et chevaucha tant en telle manière, qu'il s'en
« vint loger en une moult belle et riche abbaye, que on appelle
« Saint-Lucien, et sied assez près de la cité de Beauvais. Si y geul
« le roi une nuit. •
Edouard III choisit l'abbaye de Saint-Lucien pour y passer la
nuit du 20 au 21 août. Le monastère dût se soumettre à toutes
ses exigences. Le roi cependant voulait lui épargner bien des
désastres; soit religion, soit politique, peut-être parce que Saint-
Lucien possédait un riche prieuré en Angleterre, le prieuré de
Wedon, ou parce qu'on y faisait tous les ans un service anniver-
saire pour le roi Guillaume et la reine Mathilde, ses prédéces-
seurs, il fit défense d'y commettre aucun dégât.
Le lendemain , Edouard 111 quitta Saint-Lucien et s'en fut loger
à Milly. Jean de Boran se réjouissait de ce départ, et s'apprêtait
déjà à remercier le Seigneur d'avoir été ainsi préservé de l'in-
cendie et de la ruine , quand il vit les flammes s'élever au-dessus
des bâtiments. Les traînards de l'armée anglaise y avait mis le
feu, au mépris de la parole royale, a Lendemain, sitôt qu'il
« (Edouard 111) s'en fut parti , dit encore Froissart, il regarda
37B HISTOIM
a derrière lui et vit que i'abbaye était tout enflammée : de ce fbl-
« il moult courroucé et s'arrêta sur les champs, et dit que ceux
« qui avoieut fait cet outrage contre sa défense, le comparroient
« ctièrement, car le roi avoit défendu sur la liart que nul ne
A viol&t l'église, ne boutât feu en abbaye, ni en moutier. Si en
H Qt prendre vingt de ceux qui le feu y avoient bouté , et les fit
« tantôt et sans délai pendre, afin que les autres y prissent
« exemple. »
Le roi n'avait pas attaqué Ja ville, peut-être ne Tavait-il pas
osé. Ses généraux, Godefroy d'Harcourt et le comte de Warwich,
furent plus audacieux et en tentèrent inutilement Tassaut. -Les
milices bourgeoises, commandées par Tévèque Jean de Marigny,
les repoussèrent vaillamment, et leur firent subir de si grandes
pertes qu'ils furent contraints de se retirer. Voici comment
Froissart le raconte : « Après que le roi d'Angleterre se fut parti
« de Saint- Lucien , il chevaucha avant au pays de Beauvoisin et
« passa outre par de lez la cité de Deauvais, et n'y voulut point
« assaillir, arrêter, ni assiéger; car il ne vouloit mie travailler
a ses gens, ni allouer son artillerie sans raison, et s'en vint ce
« jour loger de haute heure, en une ville qu'on appelle Mllly en
« Beauvoisin. Les deux maréchaux de l'ost passèrent si près de
« la cité de Beauvais, qu'ils ne se purent tenir qu'ils n'allassent
•( assaillir et escarmouclier à ceux des barrières; et partirent
« leurs gens en trois batailles, et assaillirent à trois portes, et
« dura cet assaut jusqu'à remontée; mais petit y gagnèrent, car
« la cité de Beauvais est forte et bien fermée, et étoit adonc
« gardée de bonnes gens d'armes et de bons arbalétriers; et si
tt y étoit révêque dont la besongne valoit mieux. Quand les An-
tt glais aperçurent qu'ils n'y pouvoient rien conquester, ils s'en
<c partirent; mais ils ardirent tous les faubourgs rez à rez des
(c portes, et puis vinrent au soir là où le roi était logé. »
De Milly, Edouard IIl et ses troupes se dirigèrent vers le Pon-
thleu, parGrandvilliers, Dargîes et Poix, ravageant tous les pays
qu'ils traversaient et allumant partout l'incendie.
L'abbaye de Saiut-I^ucien avait éprouvé des pertes considé-
rables : la plus grande partie de ses bâtiments était incendiée,
plusieurs de ses fermes étaient ruinées, la plupart de ses tenan-
ciers étaient dans l'impossibilité de payer les rentes ou les rens
qu'ils devaient. La communauté se trouvait ainsi réduite! à la
DB L'âBBAYB royale t)B SAIIf T-LUGIBlf . 379
plus grande péhurie. Jean de Boran ne se laissait pas facilement
abattre par Tadversité, et il se mit aussitôt à remédier au désastre.
Le logement de ses moines étant le plus pressé, il déploya toute
son activité pour faire rapidement réparer les bâtiments qui
n'étaient pas complètement détruits, afin de trouver un abri en
attendant que des constructions nouvelles pussent s'élever. Res-
tait à trouver la nourriture de cbaque Jour, et ce n'était pas le
plus facile dans un pays ravagé par la guerre. Alors Jean de
Boran fut contraint de vendre plusieurs propriétés de son mo-
nastère pour subvenir aux besoins les plus pressants. Il com-
mença par aliéner le prieuré de Wédon, en Angleterre, puis il
demanda Tautorisalion de diminuer le personnel de sa commu-
nauté. Guillaume Bertrand, qui venait d'être promu au siège de
Beauvais, lui permit, en 1347, de réduire à trente-six le nombre
de ses religieux, et le pape Clément VI ratifia celte diminution
deux ans plus tard.
De bonnes âmes, cependant, venaient à son aide. L'évèque
Jean de Marigny, avant de quitter son siège de Beauvais pour
celui de Rouen, lui avait fait divers dons, tant en argent qu'en
bois, pour l'aider à reconstruire son monastère. Le seigneur de
Mouchy, Philippe de Trie, lui donna, en 1330, tout ce qu'il pos-
sédait à Foulangues.
Les préoccupations occasionnées par cette restauration n'em-
pècbaient pas Jean de Boran de veiller à la sauvegarde des droits
de son monastère , et nous le trouvons tran.sigeant , en 1249,
avec Martin, abbé de Lannoy, pour conserver à ses hôtes de
Montaubert le droit de mener pattro leurs troupeaux sur les
friches qui sont entre Montaubert et l'abbaye de Lannoy (1).
Jean de Boran travaillait encore à la reconstruction de son
abbaye, quand la mort l'enleva le 21 mai 13!!l3.
XXXVI. — Almei*y F'uloant (1353-1362).
Le successeur de Jean de Boran, Aimery Fuloant, se fit bénir
par l'évoque de Beauvais aussitôt après son élection , et prêta
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
380 HISTOIRE
serment à l'église de Beauvais. Oa conservait encore, eu 1780,
dans le chartrier du chapitre de Beauvais, la formule de son
serment, signée de lui.
Le premier acte passé sous son administration est une dona-
tion de deux pièces de terre, sises entre Thieux et ^Vavignies, à
lui faite, en 1353, pour Taider à réédifier son monastère.
L'année i357 vit se renouveler le cérémonial usité lors de la
prise de possession de leur siège par les évèques de Beauvais.
Philippe d'Alençon venait d'être nommé à révèclié de Beauvais
et devait se rendre en l'abbaye, suivant l'antique tradition,
avant d'en aller prendre possession. C'était de là qu'il devait
partir pour faire son entrée solennelle en sa ville épiscopale. Ce
prélat aimait peu le faste et ne tenait pas à l'éclat. Au lieu d'ar-
river la veille , comme le prescrivait l'usage , il fit savoir à l'abbé
qu'il n'arriverait que le jour même de la cérémonie, afin, disait-
il, d'Imiter rimmilité de Jésus-Christ et d'être le moins possible
à charge à l'abbaye, qui était obligée de le défrayer pendant
tout ce jour. C'était aimable, de sa part, pour le pauvre monas-
tère si éprouvé. Mais comme on était alors d'une singulière dé-
flance les uns contre les autres , et que les obligés ne manquaient
pas de saisir toutes les occasions pour se soustraire à leurs obli-
gations , Philippe d'Alençon fit signer par l'abbé de Saint-Lucien,
par Godefroy de Billy, son prieur, Gervais de Fresnoy, son grand
prévôt , Gautier de Sommerville, son trésorier, et Renaud de
Senlis, chapelain de l'abbé, une déclaration portant que les re-
ligieux ne pourraient arguer de son fait pour reftiser de recevoir
ses successeurs, à l'avenir, la veille de leur entrée solennelle.
Il ne vint donc au monastère que le 25 mars, au matin, mais de
si bonne heure, dit l'annaliste de l'abbaye (i), « qu'il surprit
« les religieux, qui ne purent être prêts pour le recevoir comme
« ils devaient. Ce qui fut cause qu'il retourna jusques à la cha-
« pelle qui est à l'exlrémilé du cimetière de Nolre-Dame-du-TItll,
« d'où il vint à pied avec toute sa suite jusques à la porte du
« monastère. Quand il eut baisé l'autel, l'abbé et sacommu-
tt nauté se mirent à genoux et lui demandèrent pardon de ce
« qu'ils ne s'étaient point trouvés prêts pour le recevoir, pro-
(1) D. Porcberon , cb. 39.
DE L'ABBAYK royale DE SAINT-LUCIEN. 381
u testant que cela s'était fait sans dessein et par la seule faute
« de ceux qui étaient obligés de les avertir de son approche.
« L'évèque se contenta de cette satisfaction. Quand il fut sur le
« point de partir, Tabbé et quelques-uns de ses religieux vinrent
« le prier honnêtement de faire serinent, suivant la coutume,
« de conserver et de défendre tes droits, libertés et biens du
» monastère, autant qu'il serait en son possible. » Cette requête
surprit le prélat, et il fit remarquer qu'on ne l'en avait pas
averti auparavant, et qu'il n'avait jamais entendu parler de cette
obligation. Pour ne froisser personne, il déclara consentir à
faire ce serment, si on lui prouvait que ses prédécesseurs l'avait
aussi fait, et l'abbé de demander acte aussitôt de cette réponse.
On était méticuleux à cette époque, et notre abbé savait tirer
parti de toutes les circonstances en faveur de son abbaye. I/in-
cident, cependant, n'eut pas d'autre suite.
De nouveaux malheurs attendaient ce monastère. La Jacquerie,
celte sanglante insurrection du peuple des campagnes contre la
noblesse et les riches propriétaires , semait le Beauvaisis de
ruines et allait piller, sinon l'abbaye, du moins plusieurs de ses
fermes. Ces dévastations, loin d'améliorer la situation de la
communauté, ne firent que la rendre plus précaire, et bientôt
les religieux manquèrent des choses les plus nécessaires à la vie.
L'abbé était absent. Ses religieux lui écrivirent pour lui faire
part de leur pénurie , et il les autorisa à vendre les ornements
du tombeau du cardinal Cholet pour subvenir à leurs besoins (1).
Ils vendirent alors la statue d'argent du cardinal. Il fallait vrai-
ment que la nécessité fut grande pour en venir à cette extrémité.
Avec l'argent qu'on en obtint, on put parer aux premiers besoins.
Aimery Fulcant faisait tout ce qui dépendait de lui pour adou-
cir les maux qui accablaient son monastère. En 1359, nous le
(1) Aymericus miseralione diwna abbas monaslerU S. luciani . . . Cwn
nobis scripseritis per vestras liUeras quod tmde slatwn vestrwn monas-
terii nostri et convenlus ejusdtm, pr opter temdUUem reddUwum nostri
monasteriiprcBdicli et devaslationes bonormn nostrorwn et eeckfiœnoi-
trœ et pr opter guerras agere et gubemare non Kabetis de proBsenti nisi
fiai vendUio cujusdam jocalis argentei in nostrâ eccluiâ sUwtti, et ad
eamdem pertinenlU, quod vulgarUer nuncupatur tomba cairdinalis Cha»
3S9 iii8TQiaB
voyons suspendra les poursuites contre les religieux de Saint-
Quentin, qui refusaient de lui payer une rente de iO sols pariais,
parce qu'il craignait de n'avoir pas de quoi subvenir aux frais
du procès, et il succomba avant d'avoir pu rétablir la prospérité
dans sa maison. Le chagrin avait abrégé ses jours, et il mourut
le 7 juillet i 362.
XXXVII. — cmillaixme III Dix Bols
(< 362- 1364).
La succession d'Aimery Fulcant n'était pas agréable à recueil-
lir; le monastère de Saint- Lucien sortait h peine de ses ruines,
et ses fmances étaient dans le plus déplorable état. Ses fermes
étaient dévastées, la plupart de ses rentes n'étaient plus payées,
et presque partout ses droits étaient contestés. Un grand nombre
de débiteurs et de tenanciers se réjouissaient de Tincendie qui
avait détruit bien des titres , espérant être ainsi libérés de leurs
redevances. Plusieurs parvinrent, grà^e à ce désastre, à se sous-
traire aux recherches ; mais tous n'y réussirent pas. Guillaume
Du Bois, en acceptant la charge d'abbé, était bien résolu à tout
faire pour remettre son abbaye dans une situation plus prospère,
et il commença par travailler à faire rentrer les redevances et à
poursuivre les récalcitrants; en même temps, il fit respecter ses
droits.
Les religieux de Saint-Quentin , profitant du désarroi de l'ad-
ministration de Saint-Lucien, avaient fait élever diverses cons-
tructions sur le Thérain et creuser des réservoirs au préjudice
de ses droits. Guillaume Du Bois fit démolir les unes et remplir
les autres, aussitôt aprè9 sa prise de possession.
ML Signifieamus vohU qtkod si hoc fieri conliingat, importuné tolerahimus:
vervmkLinm arUequam vos «I alii fraêres et eonvmoïKichi nostri inctua^
Ubm indigeads, si vobis videatwr expedieM, et oUimAè pro viUuaUbm
akumtikm poaiUii» habere, hoc est fUri eanonice pos^t vewManem e^us-
modi, quankwh t» nolris est , m patwnUd tolerabmus et eidm conieii(i-
«MM. In 4M^ rH JMtm mno Domm k* gcg" v viu iMma 41$
nmgiê éMêmkris^ ((fQHvet, 1. 1 , p. m»)
DB l'abbaye rovalb db saint«lucien. 388
La même abbaye était tenue de payer iO sols parîsis de rente
le jour de l'Epiphanie , avec un certain cérémonial , comme
droit seigneurial pour la terre sur laquelle elle était construite.
Le cérémonial lui déplaisait, et elle tenta de s'y soustraire, ainsi
qu'à la redevance. Suivant l'usage établi , cette rente devait être
portée, le jour de l'Epiphanie, par un religieux en habit de
chœur, et 11 devait entrer pendant le Magnificat des vêpres, faire
sa prière au milieu du chœur, aller déposer ses 10 sols sur le
maltre-autel et se retirer dans une stalle basse du chœur jusqu'à
la fin du Magnificat. Gela paraissait humiliant à ces chanoines
réguliers, et ils firent tout ce qu'ils purent pour s'en exempter.
Guillaume Du Bois leur résista de toutes ses forces , et déféra
la cause pardevant la cour du roi , qui condamna les cha-
noines de Saint-Quentin à continuer l'usage établi, sous peine
de 40 livres d'amende. La sentence mécontenta la communauté
de Saint-Quentin, mais il fallut s'y soumettre. Plus tard, ils
essayèrent encore de se soustraire à cette obligation , sans être
plus heureux. Les arrêts de la cour, de 1455, 1559, 157i, 1593,
furent toujours aussi impitoyables.
La sentence de la cour, de 1363, tranchait encore une autre
question qui entretenait la zizanie entre ces deux grands établis-
sements , c'était celle de la préséance dans les processions pu-
bliques. Elle régla qu'à l'avenir, toutes les fois que les deux
communautés assisteraient aune procession, les religieux de
Saint Lucien conserveraient la droite et les chanoines de Saint-
Quentin marcheraient au rang de gauche. L'avantage était encore
à l'abbaye de Saint-Lucien, et ainsi en fut-il pour les diverses
autres questions de moindre importance dont la cour fut saisie (1).
Les malheurs de Saint-Lucien avaient intéressé en sa faveur; il
ne faisait aussi que défendre son droit et ses prérogatives.
Ailleurs, à Foulangues, Guillaume Du Bois transige avec les
tuteurs de Jean de Saint-Gler, héritier d'Aliénor de Trie, au sujet
de la seigneurie du lieu , et se libère de plusieurs redevances en
même temps qu'il en fait reconnaître d'autres à son profit.
La mort, qui le surprit en 1304, mit une borne à son acti-
vité, et l'empêcha de réaliser les projets qu'il avait conçus.
(1) D. Porcheron, eh. 40. — ircb. de l'Oise : abb. de Saint-LuaieD.
384 HISTOIRE
X:XXVIII. — Gotlofrol ao EJllly (1364-1371).
Godefroi de Billy était prieur de l'abbaye, quand le choix de
ses frères l'éleva à la première dignité. Comme ses prédéces-
seurs, il s'employa tout entier à la restauration monumentale
et flnancière de la maison qui lui était confiée. Aussi le voit-on,
dès l'année même de sa promotion, faire passer titre nouvel à
Golard de Brunvillers , dit Le brun, écuyer, d'une rente de treize
mines de blé , sur son fief de Laverslnes ; obtenir de Pierre de
Milly, chevalier, seigneur de Moimont, la reconnaissance de plu-
sieurs rentes sur son fief et son moulin de Bonnières et sur sa
terre de Moimont; traiter, l'année suivante, avec Golard de
Mauchevalier, au sujet de deux fours banaux que leurs gens de
Beaupuits avaient démolis dans un moment d'effervescence, et
faire un échange avec le seigneur de Provinlieu, qui renonce à
son droit de past sur la terre de Froissy, contre la dlme d'une
vigne sise à Provinlieu, que lui cède l'abbé. Continuant toujours
sa même œuvre, il fait reconnaître, au ministre de l'Hôtel-Dieu
de Beauvais, une rente de 12 deniers et d'un chapon, assise sur
une terre près de sa grange de Tillé, en i3GG, et obtient du sei-
gneur de Balagny la cession de tous ses droits de justice sur la
maison de Foulangues, appartenant à son abbaye (1).
En i3G7, il transige avec l'évèque de Beauvais, à l'occasion du
cours du Thérain, et poursuit pardevant Regnault Le Gharon,
lieutenant général du bailli de Senlis, Jean de Sains, chevalier,
seigneur de Galgny, qui refuse de servir la rente de dix-huit
mines de blé, de 7 deniers obole d'argent et d'un gâteau de fine
fleur de farine pour la fête des Rois , constituée sur son moulin
de Bonnières. Il fait passer titre nouvel, au chevalier Regnault
Poly, d'une rente d'un muid de blé, de 2 deniers, d'une demi-
mine d'avoine et d'un chapoh , assise sur le moulin k eau de
Gourcelles, prèsBlacourt, qu'il avait acheté de Guérard, cheva-
lier, seigneur de Lonclieu (2). Jean Poly, chevalier, seigneur de
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
(9) Ibid.
DE L ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUGIEN. 385
La Bosse, frère et héritier de Regnault, Ht une reconnaissaDce
de cette rente en 1374.
Le 10 février 1369, Jean d'Augérant, évèque de Chartres, venail
demander Thospitalité à l'abhé de Saint-Lucien. Il quittait son
église pour venir prendre possession de celle de Beauvais, laissée
vacante par la démission du cardinal Jean de Dormans. La fa-
veur du roi lui avait obtenu, d'Urbain V, ce siège plus important
que le sien, et la veille de sa prise de possession il venait, sui-
vant Tantique tradition, faire sa veillée d'armes, si Ton peut
s'exprimer de la sorte , au tombeau de Tapôtre martyr, auquel
il allait succéder.
Godefroi de Billy profita des bonnes dispositions dans les-
quelles il le vit, en cette circonstance, pour lui présenter une
requête en faveur de ses vassaux de Villers-sur-Auchy. Le capi-
taine du chàteau-fort de Goulancourt voulait les contraindre à
monter la garde à sa forteresse, quoiqu'ils ne fussent pas vas-
saux de révêque-, mais Jean d'Augérant les déclara exempts de
ce service. Après cette faveur, on dut bien augurer, à Saint-Lu-
cien, de l'épiscopat du nouvel évoque.
Godefroi de Billy mourut le 8 décembre 1371 , il laissait tout
ce qu'il avait acquis, en son nom personnel, de Pierre Aubry,
à Villers-sur-Thèrc, pour la fondation de deux anniversaires.
L.-E. DKLADHEUE et MATHON.
{A continuer.)
T. VIII. 25
]-iES poéSIES DE pEAUMANOïR
LES SALUTS D'AMOUR
Plus heureux pour les poésies légères de notre auteur que
pour ses longs romans , nous pourrons les donner en entier et
sans en perdre un vers.
Cette gentille locution, Salut d'amour, désigne une lettre ou
requête en vers adressée par un amoureux à la dame de ses
pensées, ou, suivant une définition plus stricte (1) : « C'était une
pièce qui commençait par une salutation à la dame dont le poète
faisait l'éloge. » On peut être assuré que partout où Ton a su et
pu écrire, les dames ont reçu des saints d'amour; mais la galan-
terie du moyen &ge a spécialement fait usage et de la chose et
du mot. Cependant nous n'avons conservé qu'un nombre sin-
gulièrement minime de ces petites poésies. Un critique très-
compétent (!2) les a recherchées avec soin et il en a compté sept
en langue provençale, douze en langue d'oïl. Disons qu'on en
a vingt en tout, car Beaumanoir, auquel il n'attribue qu'un seul
Salut, nous en a laissé deux. Mais vingt, c'est à peine la vingtième
partie de ce que nous devrions posséder quand il s'agit d'un
genre de composition qui fut très-goûté aux xii« et xiip siècles,
et très-répandu.
(1) Donnée par Raynouard , Choix des poésies des troubadours, ii, 358.
(2) M. Panl Meyer : Le Salut d'amour dans les littératures proveiiçale
et française, mémoire suivi de hait saints inédits. Paris , Franck , 1867.
47 pages in-8* ; primitivement para dans la Bibliothèque de VEcole des
Chartes, xxviii.
LKS PO^BS Dtt BBAUMANOnt. 387
En analysant les formes du genre, on a distingué jusqu'à huit
formes différentes pour les douze saluts cl-desâus comptés : Tun
est en vers octo-syllabiques à rimes plates ; l'autre ajoute une
ritournelle au motet; un troisième les dîvJse en couplets; un
quatrième en strophes de douze vers, etc. Autant vaut dire que
chaque poète suivait son inspiration ou sa fentaisie, sans autre
règle que de s'efiFofcer à composer des vers le plus agréablement
possible, afin de toucher !e cœur de celle à qui s'adressait sa
prière.
Le premier et long poème d'amour adressé par Beaumanof r à
une dame que nous pouvons supposer, suivant la vraisemblance,
avoir été l'une des deux qu'il épousa , est le plus Important, par
son étendue, de tous ceux que Ton connaisse jusqu'à ce jour.
Commençons par en donner l'analyse :
tt Beaumanoir dit et assure que beaux et sincères discours,
messages d'amour, ont remis en bonne voie maint amant, l'ont
ramené du mal au bien et du deuil à la joie. L'amour, qu'il a
dans le cœur, lui conseille donc d'adresser un Salut à celle dont
la beauté l'a si cruellement frappé. S'il ne l'a vue depuis long-
temps, c'est qu'il a craint de laisser deviner sa pensée et c'est
pour cela qu'il écrit. Ecoutez donc, dit-il, ma douce dame, le
salut que je vous envoyé sans penser à mal. Lisez le, car amour
m'y a fait mettre comment pour vous je me sens attiré en deux
sens divers, par la crainte et le désir (vers 45). — En effet, belle
très-douce aimée , cent mille fois douce acclamée, Désir me prit
dès le premier moment où je vous aperçus. Il me sembla qu'autre
ftfmme jamais ne fut si belle et que de ma peine je n'aurais gué*
rison que par vous. Amour a pris mon ccrar en sa geôle et le
mandat d'incarcération rédigé par Trahison pour me perdre,
c'est vous qui le tenez. Il est en dix points que vous allez savoir
(V. 95).
« L'autre jour je m'en fus à la danse et là je me pris à vous.
C'est alors qu'Amour me lança, frappant à travers l'œil, la flèche
qni m'a blessé. Cette flèche, c'est vosire beauté blonde, au corps
blanc, droit, longuet, et vostre visage en est le pennon. Amour
se fait aider par Orgueil, Ruse et Trahison, qui me cria de me
rendre puisque j'avais été si hardi que de prendre la dame par
le doigt (V. i6îî). — M'étant rendu, je tùs mené devant dame
Amour à qui je dis qu'un de ses dards m'avait si fort blessé que
jamais ne serifs guéri k moines qu'elle n'eut eu stt eour un mé-
588 LES POÉSIES DE BBAUMANOIR.
decin. A ce mot elle se prit à rire et me dit que je serais jugé se-
lon ce que j'avais méfait à la belle (v. â03).
tt Donc, bonne Amour mande tous ses hommes pour composer
sa cour. Ce sont Orgueil, folle Cointise, Envie, Félonie, puis
Trahison qui salue tout le monde. Un messager se présente au
nom de Loyauté qui sollicite un délai; Sens ou Sapience est le
nom de ce messager. Amour lui propose un siège à sa cour (v. 306).
tt Mais il s'excuse sur ce qu'il ne voit pas prendre part à la dé-
libération les conseillers les plus nécessaires : Loyauté, Débon-
naireté, Franchise, et il se retire. Trahison entame alors Taffaire
en s'écrianl que les absents n'ont pas droit d'être entendus; à
sa réclamation adhèrent Orgueil, Ruse, Envie, Félonie, Médi-
sance ; et toutes s'en remettent à Trahison du soin d'obtenir
prompt jugement avant que les adversaires n'ayent le temps de
se présenter. En effet, à leur vue, dame Amour déclare que la
cour est en nombre (v. 413).
« Il n'y a plus de temps à perdre en paroles oiseuses, et d'ail-
leurs Loyauté va venir. Trahison demande à se porter caution
pour Philippe qu'il acceptera la sentence et se rend auprès de lui,
dans sa prison. Sur ses protestations de dévouement et ses belles
promesses, Philippe s'en remet entièrement à elle, et conduit de-
vant Amour, qui lui demanda s'il acceptait d'avance le jugement,
il répondit en pleurant : u Oïl, dame. » — a Commencez, dit alors
Trahison, par livrer votre cœur. » — a Je ne l'ai plus, répond
Philippe; c'est mon amie qui l'a pris, et vous seule, dame
Amour, pouvez me le faire rendre. » — « C'est bien, reprit Tra-
hison, je vais rédiger les conclusions. » Elle revient avec un
parchemin au bas duquel elle exige que Philippe appose son ca-
chet (sa bulle) en signe de la promesse qu'il a fait d'obéir, et elle
commence sa lecture (v. 51 i) :
« A Philippe je déclare qu'il doit à titre d'amende , pour le
meffait d'avoir pris par le doigt de sa belle, à savoir dix peines :
i» Il sera emprisonné dans la pensée de son amour, qui ne le
quittera plus; S'' Chaque jour et chaque nuit il y pensera plus
de cinq cent fois ; 3o Sans cesse il aura devant lui l'idée du doute
et de la crainte; i» et S^* Chaque nuit, privé de sommeil, il veil-
lera en se tordant et se tordra en veillant; 6» Il n'osera pas se
trouver en la compagnie de sa dame ; 7"* Il portera sans cesse
dans son cœur l'image de sa dame, formée par sa mémoire comme
celle de la plus belle femme qu'on ait jamais sculptée; 8' Il sera
LES POJSIBS DB BEAUMANOIR. 389
jaloux ; 9« 11 tombera sans cesse de chaud en froid et de froid
en chaud ; iO<> Sa dixième et dernière peine sera dans les cruelles
pensées que lui suggérera sans cesse Désespoir. — Orgueil, Envie
et Médisance font éclater leur joie (v. G36).
a Philippe eut succombé à sa consternation, sans un aide que
Dieu lui envoyé : c'est Loyauté suivie de Débonaireté , Fran-
chise, Espérance et autres personnages. A cette vue, Amour
s'incline et Trahison se dérobe, avec ses compagnons, sans
prendre congé. Ils s'en vont à la cour de France où ils seront
bien reçus. Philippe se jette aux pieds de ses patrons nouveau-
venus» et le plus avisé d'entre eux, Sapience, adresse à dame
Amour un discours en faveur de l'accusé, pour lui obtenir une
diminution de peine (v. 729).
« Sapience et ses amis concluent en s'agenouillant, les mains
jointes. Dame Amour répond qu'on ne peut revenir sur la sen-
tence puisqu'elle est prononcée, mais qu'elle veut bien entendre
ce qu'on pourra dire pour en alléger Texécution. Loyauté , s'é-
tant un moment retirée à part pour se consulter avec les siens,
revient devant le tribunal et dit que comme il faut toujours prê-
ter obéissance au droit, le condamné devra subir toutes les
peines portées contre lui. Seulement elle demande qu'aux maux
' qui le frappent un terme soit posé; et que ce terme, ce soit celui
qu'indiquera sa bien-aimée lorsqu'elle voudra bien , au lieu de
peines, lui donner les joies souveraines (v. 827). •»
Et le poète, profitant avec adresse de ce que la parole est à
Loyauté, Espérance et Débonaireté , leur met dans la bouche des
conseils à l'adresse de sa dame pour la disposer à la clémence;
Amour aussi s'engage à la prier pour lui, et lui permet, en at-
tendant , de séjourner à sa cour pour y faire sa pénitence (v. 917).
Pitié, Jolieté lui promettent aussi leurs bons offices; et Doux
Espoir, par dessus tous , le reconforte. L'auteur reprend alors
la parole pour exposer à la dame qu'il est donc tout à fait en
son pouvoir (v. 1007) et pour lui adresser une instante prière
qu'il termine ainsi : « Belle et bonne et sage, vous avez mon
cœur et j'attendrai votre vouloir. »
Beaumanoir écrivait au moment où la galanterie chevaleresque
était en pleine floraison dans la France du Nord. C'était le règne
de la recherche et de l'afféterie, dans la conception comme dans
l'expression. Pour quelques tours heureux ou d'une airoanle vi-
vacité, que de lourdeurs, de platitudes, que de pénibles scènes
390 LB8 P0I81IS D« BKAUMAlfOlB,
dand l'allégorie perpétuelle et la perBonnification de tous les
seDliments; que dlnflupportables concetU, à Timitation de cette
triste pièce de vers du même temps : « Qui le mieux sa chair
encharne, admire comme mort décharné, » que nous avons citée
plus iiaut (t. Yiii, p. 83). C'est dans le même esprit grossier, con-
sistant h jouer avec les mots, que Beaumanoir ose, dès le début
(V. 7i), dire à sa belle : « Qu'il n'a de penser nul loisir, — que
tout ce qu'il perue et chaque jour veut penser^ — et en pensant
veut appenser, — c'est comme il la pourra servir (l). »
Du moins y a-t-il, À défaut d'esprit, un eiercice utile pour
nous, comme il fut pour lui, dans le soin qu'il a souvent pris
de former sa rime en employant justement le même mot deux
fois de suite, mais chaque fois dans un sens différent (â). Mal-
heureusement, il lui arrive plus aisément encore d'employer le
môme mot pour deux rimes consécutives, exactement dans le
même sens (3).
Mais le caractère principal du grand Salut d'amour de Beau-
manoir c'est d'être sorti du cercle d'idées de la Baxoche et d'en
porter une forte empreinte. Ce poème est bien l'œuvre d'un clerc
ou ancien clerc du Parlement, assez jeune pour être encore très-
sensible aux émotions professionnelles, et n'imaginant rien de
plus propre à se hausser aux yeux de sa dame que de lui raconter
les gloires de son métier. H l'introduit dans les coulisses d'un
tribunal, d'une vraie cour d'amour, et lui oflre une représenta-
tion des cérémonies judiciaires. L'amour, avec la procédure pour
mise en scène, tel est le point de vue de notre artiste (i); telles
sont la grâce, la gaieté du xiii° siècle. Ce serait beaucoup dire que
de faire valoir l'utilité de cette composition pour l'intelligence
des formes judiciaires du temps. Les traits qui dominent et res-
sortent dans ce badinage sérieux , ce sont un respect très-délicat
(1) Voy. encore vers 566-574.
(2) Voy. vers 1-2, 17-18, 21-22. 23-2 i, 67-58, 67*08, 87-^, elc.
î3) Voy. vers 35-36, es 86, etc.
(4) Non pas que ce point de vue lui soit particulier. Le plus populaire
des romans du Moyen Age , Renart, est composé en partie do scènes de
droit. Voy. dans le Romvart de Kcller, p. 188, la série : « Complainte de
l'amant faite par Pitié , son advocat. » — « Les défen $s de Naiet)oucti6 et
LES POESIES DE DEAUMANOIR. 391
pour la femme, du moins pour la grande dame, une naïve et
profonde admiration des préceptes et des formes du droit, enfm
un détail particulier relatif à la vie de Beaumanoir. Lorsque son
ennemie, Trahison, s'éloigne accompagnée d'Envie, Médisance
et autres acolytes pareils, on a remarqué sans doute en quels
lieux il les adresse : à la cour de France. Ce n'est pas une simple
allusion, une boutade; c'est un petit plaidoyer en douze vers :
« Et si l'on veut m'en croire, je saurai bien dire où ils sont allés,
lis ne se sont point arrêtés qu'ils ne fussent à la cour de France.
C'est là qu'il leur plaît séjourner, que tout le monde les aime,
qu'on les nomme seigneur et cher ami: n'était ma crainte du
Roi , j'en dirais bien d'autres sur celte matière! » Ce dépit nulle-
ment déguisé contre la cour, soit dans les dernières années de
la vie de saint Louis, soit au commencement du règne de Phi-
lippe-le-Hardi, nous apprend que Beaumanoir avait éprouvé
des mécomptes. 11 est probable que quand il accepta, vers 1278,
le très-modeste bailliage de la seigneurie de NanteuiMe-Haudouin
(voy. t. VII, p. 82 n. i et 88), ce n'était qu'après avoir vu sombrer
les espérances plus hautes, qu'il avait conçues lorsqu'il suivait
comme clerc ou à quelque autre titre les audiences du Parlement
de Paris.
Dans le manuscrit de Beaumanoir, son grand Salut d'amour
est immédiatement suivi par une pièce du même genre qu'il a
intitulée Confplainte d'amour. Ces deux titres, Complainte et
Salut, se prenaient presque IndifTéremment l'un pour l'autre
chez nos vieux poètes. Sur les huit Saints que M. Paul Meyer a
publiés, ainsi que nous l'avons dit plus haut, il y en a cinq por-
tant les deux titres à la fois. La Complainte de Beaumanoir se
trouvera donc à sa place en venant ici, comme dans le manus-
crit, après le Salut. Peut-être est-elle adressée à la même dame,
et elle est la même aussi quant à Tintérêt qu'elle peut nous of-
frir aujourd'hui. On y remarque seulement un style plus vif,
parce qu'il est plus dialogué.
Après le grand Salut et la Complainte, nous donnons un autre
Salut d'amour qui se trouve tout au bout de la partie du manus-
de Danger, proposées par Chagrin, leur advocat, » etc. La multiplicité des
cours féodales et des jugements par jurés avaient rendu le Moyen Age beau-
coup plus familier que nous ne le sommes avec les pratiques judiciaires.
392
LES POÉSIKS DE BRAUMANOIH.
crit 7609* consacrée aux œuvres fie Beaumanoir. Peut-être est-il
achevé, mais il ne nous sem!)le pas qu'il le soit. Le texte lui-même
n'offre aucune garantie à ce sujet, et la dernière strophe de la
pièce arrive à la fin de la page, au bas de la seconde colonne, sans
être close, comme le sont les pièces qui précèdent, par le mot
Explicit. Mnsi nous avons malheureusement perdu les dernières
pages de la copie qu'on avait faite des œuvres du bailli de Cler-
mont et nous n'avons pas même le dernier mot de son copiste.
Nous terminons ce groupe par une dernière petite pièce ga-
lante de notre auteur, que nous avons cru pouvoir intituler :
Lai d* Amour,
SALUT D'AMOUR.
Phelippes de blaa manoir dit
Et tiemoigne que biaa voir dit,
Qui sont par amours envoiié .
Ont maint vrai amant ravoiié
De mal en bien , de duel en joie ;
Et pour ce me semont et proie
Amours qui m'est u cuer fremée (l)
Sans estre jamais deffremée (2),
Et ensengnc que saius mant (:|!
A celé qui si duremant
Me navra par son biau maintieng.
He, las ! trop longuement me ticng
De vous veoir, très douce dame ;
Mais c'est pour çou (foi que doi m'âme)
Qu'on ne perçoive mon pensé.
Pour çou m'a mes cuers apensé
Que je vous mant une partie
De la grieté (4) qui m'est partie.
19 A tant orrés , ma dame douce ,
Çou qui me destraint et atouce.
Tant de salus, com ilns amis.
Puet mander celé ou il a mis
Son cuer, son cors et son penser.
Vous mans salus sans mal penser,
Et si vous pri que vous lisiés
Mon salu ; ne le despisiés ,
Çou que vous verres en la lettre.
Car fine amours m'i a fait mètre
Comment je sui pour vous deslrains.
Comment de toutes (5) sui eslrains,
Comment de désir sui laciés.
Pc CCS deux est entrelaciés
Mes cucrs, et en trop grant contraire,
Bien me peust mes désirs plaire
Se doute me laissast en pais.
Par doute ai mal par desu pais.
Par ces deux (6) sui en tel bataille
Qu'i jamais jour ne prendra faille.
Se vous sur vous ne le prenés.
39
y\) Formata, — (i) Deformaia. — (:Vi Mandem. — (4) Cliagriii, gravitas. — (5) Sic;
mais il faut : de doutes. Le doute (c'est-à-dire la crainte; et le désir sont les deux
sentiments dont son cœur est « entrelnc*'». » -— (0) Lo copiste a écrit detat en double.
SALUT D AMOUR.
393
Si . vous pri que vous aprcncs
Du granl descort pour la pais faire ;
Si ouverrés corn deboinaire
Et comme plaine de bonté.
Des or mais vous sera conté
Comment doute et désir m'assalient
46 Qui jour et nuit si me travaillent.
A tant, bêle très douce amée,
Cent mille fois douce clamée,
Vous dirai dont vint 11 désirs
Qui soutilment me vint saisir.
Un jour, jetai vers vous mes iex ,
Si me sambla, si m'ait diex !
Et samble encore , que si bêle
Ne fu ains dame ne pucele.
Apres regardai vo maintien,
Dont trop a deceu me tien
Quant tous jours veoir ne le puis,
Qu'en lui veoir troeve on le puis (l)
Plain de très douce compaignie.
Ce que g'i vi , je n'en dout mie ,
M'a mis mon cuer en tel désir
Qu'il ne se puet dessaisir
De désirer que vos acors
Fast tex^ que de cuer et de cors
Foissiés m'amie bonement ;
Car je sui vostres bonement.
Tex desiriers si fort me point
Que de garison ni truis point
Se par vous n'est. Vous estes celé
Dont m'est venue l'estincele
De doute, qui el cuer dedens
M'est en touspoins caudeet ardans;
En tel point m'a mis nuit et jour
Que de penser n'ai nul séjour.
75 Tous pe]is, tous jours voel penser
Et en pensant moi apenser
Comment je vous porai servir
Pour vostre bon gré desservir.
Mais ne puis trouver nule voie
Par coi le bien fait avoir doie
Que mes fols cuers aime et convoite.
Par outrecuiderie esploite
Hescuers, com d'amours desTOiiés.
Comment seroit il ravoiiés
Quant des le jour que je vous vi
Amours , par ses ars , le ravi
Et le mena dedens sa cartre (*2;?
Là, li flst Tra'jsons la cartre (3)
Où il a tant de dyvers poins.
Douce dame , il m'est grant besoins
Que vous, qui la cartre (4) gardes ,
Piteusement i regardés ;
S'en ostés, pour moi alégier
Dix poins qui ne sont pas léger (5).
Trestous dix nommer les vous voel
Car du plus petit trop me duel.
Et si vous conterai comment
Je fui assaillis cruelment
D'Amours qui en flst grant effors ;
Gomment je ne fui pas si fors
Qui de pais faire court me tînt ;
Et le meismes flst le lettre
U tant de crualté vaut mettre
Qu'il n'est nus qui le peust dire ,
Ne clers qui le séust descrire.
Ma besolgne mis desseur lui ;
Mais tant me flst que a nului
Ne me lo de çou que le flst ,
Car a son plaisir me deflist.
Tel lettre me flst créanter
Dont je ne me puis pas vanter
De bien , se je ne voel mentir,
112
{1} Podium; l's est pour la rime.— (i) in careere. — (3 et 4 charlula. —
(5; Le copiste à qui est dû le manuscrit 7609» n'avait pas lu ce dernier mot et
l'avait laissé en blanc; il est écrit après coup d'une autre main, presque contem-
poraine,
394
SALUT D'AMOUB.
Mes maintes gens dolear sentir.
Et si sacbiés, dame , sans doute
Tenir m'estaet la lettre toute
Tele comme ele me fn escrite.
Dame atant vous sera descrite
La lettre et la dure bataille
119 G'amours me flst sans deffiaille.
Saciés , bêle très douce amée
Cent mile fois douce clamée :
L'autrier jouer aies estole
Aussi com je faire soloie ,
A la carote entre la gent.
A vous me pris, bêle au corps gentî
Bien sal c'Amours en eut despit ,
Car bien trestout sans lonc respil
M'élança , dont je trop me duel .
D'une flece d'amours par l'uel.
Li fers de celé flece ataint
Mon cuer, dont durement se plaint.
La flece si est comparée
Yostre biauté blonde, acesmée (li,
Car tout aussi comme la flece
Est sans neu , sans groisse et sans teche
De blanc bos o miu délié ,
Trestout aussi regardai go
Vostrecors, bêle, tout adroit
Longtiet et délié et droit ;
Ll empenons (2) c'est voslrc cliief.
Car par lui fu , bien le saciés ,
Ll cos en mon cueur avisés ;
Or vous ressera devises.
Li fers acérés et trencbans
145 Me vint ferir en décevant.
Yostres regars (mus je me vant
Que mais tel n'esgardal, ni el (3) mil.)
Enflambés estolt d'une ardour
Qui m'esprit le cueur an férir
Atant ne se vant plus tenir
Amours ; ains m'envoia Orguel
Et Cointise , dont trop me duel.
Cil dui de toutes pars me prisent ,
Assés de cruex tors me flsent.
A tant estes tous sur cbe fet
Traïsons, qui trop set de gualt,
N'en seut mot devant quel vint
Quant cascuns de ces iij me tint
Avoec le dur cop de la flèche
Miex sai tenus que bues a treche.
c Ren toi, tantost! » flst Traïsons
De par Amours le te disons.
Va 11 crier merci du tort
Que fet il as, cruex et fort,
Qui celé de la court presis
Par le doit , n'ains ne 11 fesis
Service dont ele se lot.
Je cuit tu faisoies le sot.
Ren toi a lui sans delaiier.
Ne ne te caille d*esmalier (4) ;
Vers lui feras legiere amende
Nus ne s'I rent qu'il nen amende. » 172
A tant bêle très douce amée
Cent mile fois douce clamée ,
VI bien que la force n'ert pas
Mole (f)). Si dis , isnel le pas :
« Biau signeur, a Amours me rent.
Trop arole cueur mesesrant (6} 178
(1) Aiêtimata, cidexiêtimata. On trouve aetmer; en provençal adetmar, ageêmar.
— (-3) Pcnon, penne, permis. — [li) Ni lui nul autre. — (4) Nec non te caleat exmar^
eeâcere, no te laisse pas lang\iir, ou exmaceseert, appauvrir. En Dorry, émeger (Dietz).
C'est chercher loin que voir l'origine do ce verbe dans l'ancion-haut-allemand
amàhjan l'schw.echcn , beunnihigon). Cf. elBrayer, exfrige»eere. Nous avons déjà parlé
(le ce mot : Manekhw, v. laoo. — (j- is'nn erat mea. — (6) Minut errantem : hors de voie.
SALUT D'AMOVI.
3M
e ne TOlois des ilenB estfB
Paisqae on amende en son estre.
SI craexment en sul espris.
Je ne pais mix ; se me renc pris. »
Dont fal menés devant Amora
En an Jardin joncbié de floars
Le trouvâmes faisant capel
Dame veschi le damoisei ,
Fait Orgex, que noas pris avon.
La raison que nous i avons
Est 11) poar cou Icii prist par le doit
^ Chele qui le los avoir doit
De celés de vostre couvent.
Quant J'entendi qn'Orguex me vent,
Si dis a Amours : « Bele dame,
Jen'i pensai nui ma (3), par m'ame.
A vostre voioir me mes chi ;
Si vous pri , jointes mains, merci
Un de vos dars m'a si navré
Que jamais garlson n'auré
S'en vostre courtne trais .j. mire. »
A ce mot prist Amours a rire
Et me dist que se je voloie
Jugement en sa court auroie;
Seré (3/ juglés selonc le fait
Que j'avoie a la bele fait.
Tout maintenant sans nul reprendre
M'otroiai au jugement prendre-,
Moncuer (n'i peut mètre autre gage)
Moi convint laissier en ostage ,
Que je penroie en sa court droit
[Et ele pour tant (4) me tendroit]
En sa plus fort prison jurée.
Gelé prison a non : Pensée.
Li chârtriers de celé prison
A non : Espoirs ; ce vous dison.
S'il ne fust, je parfuisse mors ;
216 Car moût m'a doné de confors.
A tant bele très douce amée
Cent mile fois douce clamée
Boiie amours tous ses bommes mande
Nus des mauvais ne contremande
Mais cil qui moût aidié m'eussent
A men besoing se venu fuissent
Et nepourquant H bon m'aidierent
Mais .1. seul petit trop targierent
A tant orrés qui vint premiers
Qui seeons et ki derreniers
Et si orrés , ma dame chière ,
Briement de cascun la manière.
Premiers i est Orgex venus
Qui si est enflés devenus
Quant mescuers en amours s'cslieve
Que par .1. petit quil ne crieve.
Honis soit il car sa coustume
Est trop vilaine et trop enfrune (5).
Avoec U vint foie Cointise
Qui en son malisce l'atise.
Tant qaident entr'aus ij valoir
Que d'autrui ne leur quiert caloir.
Apres vint damoisele Envie
Et sa cousine Félonie.
Cil eurent les cuers très félons ;
Pis valent ne ûst Guenelons (6).
Pour peu ne se vont affronter
Quant leur voisins voient monter
En signourie n'en bautece.
Eles béent sens et prouece
Sur cascun aiment mescaance ;
En des n'ait ja nus ilancc.
Après revint a court mesdis ;
Ne créés pas , dame , ses dis ;
Car qui, souvent, les ot et croit
Sans raison maint bomme me8ci*oit.
Si est sa lange envenimée 253
(l) Le manuscrit porte Bt. — (S) Nul mal? — (8) Seroio. — (4) Vers qui manque ;
noua lo suppléons par conjecture. — (5) infrunUa , insenséo. ^ (0) Gancion , le
traître dos chansons de geste.
396
SALUT D AMOUR.
Qu'ele ocist tout a la volée;
Par li devienent li ami
Sans raison souvent anemi.
On ne li flst mie le souri;
Orgex et Envie li sourt (l).
Cascuns d'aus forment (2) le conjoie
L'un mauvais fait a l'autre joie.
Après est Traïsons venue
Qui l'un après l'autre salue
A cascun fait si bel samblant
Qu'eie va tous lour cuers enblant
Par son samblant moût de bien mostre
Mais de mal a le cuer avoustre (3).
Mais nus connoistre ne le peut
368 Devant que comparer- le sceut.
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée
Estes vous venu .i. message
Devant tout le félon bamage.
Devant amours s'ajenoilla
Et dist : « Dame , grand tovoili (4) a
Loiautés, s'assés tost ne vient
Une besoigne le détient
Que il a pour bien faire emprise
Si ne voiroit en nule gulso
QUe de vous fust a droit blasmés.
Se vous sa compaignie amés
Atendés le ; tantost venra
Et avoeques lui amenra
Tex gens qui de vous leur flx tienent;
Si sage sont que bien avienent
En vostre court quant il î sont.
Or vous nomerai qui il sont :
Ce est Pitiés etLoialtés,
Franchise et Deboinairetés
289 Et Espérance la courtoise
Qui en tous ses anuis s'envoise.
Li droit qui sont fait par tel gent
Sont a tenir et bel et gent.
292
A tant bêle très douce amée
Gent mille fois douce clamée ,
Entendi Amours le message ;
Moût le vit bel courtois et sage.
Maintenant de jenous le liève
Et li prie, s'il ne li griève,
Son non il die. Et il respont :
« Dame, cil qui bien le desponl (5)
M'apelent Sens ou Sapiance
En moi ont, mainte gent, (lance
Loialtés m'est bien près cousine
Je sai le plus de son couvine (6). »
~« Certes, fait Amours, bien pensoie
G'autrefois , veu vous avoie.
Or demourés , car je vous prie
Que vous soiiés de ma maisnie. »
— « Dame, respont Sens, non ferai;
Ja de vostre court ne serai
Devant que mi ami venront
Qui moût de bien apenront.
Se vous créés le droit conseil
D'endroit moi pour vous, vous conseil
Que vous del tout le voelliés croire;
Et cex que je cbi voi mescroire
Je n'i voi fors mes anemis.
Deable en i ont tant mis !
Je ne voi ame en vostre court
Qui assés ne sage de hourt ;
Envie bas Orguel ressoing ;
De leur compaignie n'ai soing.
A Diu ; ne voel plus demourer.
Ne ûnerai de labourer
Devant que venra Loialtés, 3?5
(1) Surdum et iubridet. — (3) Forli mente, — (3) Avoultro? Advulnerattu. —
(4) ? Turbor, turbula, turbella (capitul. Car. C); Tourbel. — (5) (/ui (k illo apon-
dent, qui le cautionnent. — (6; Do son état. Convenientia? Voy. La Manekine,
V 1?8», I26tî
SALUT D'AMOUH.
597
Franchise , Deboinairetés
Et tant de vos homes loiaus
Car ci ne Roi fors desioiaas ;
Ja par aas n'aurés bon jugié.
Je m'en vois a vostre congié.
Qae dirai-ge chiaus qui chi vienent
Qui en vostre hommage se tienent? »
— « Vous leur dires» che dist Amor
Qu'il viegnent ; s'orront la clamor
Que je voel sur Phelippe faire.
Puis n^'aideront a lui droit faire.
De haster les ne vous dolôs.
Aies vous ens quand vous volés.
Hout vous amaisse (i) a retenir
Mais je n'en puis a chief venir
De vous consieurre m'esteura
342 Tant c'aut rement estre pora. »
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée,
S'en parti ; que ains a Envie
N'a Orguel n'a sa compaignie
N'a Traïson congié ne prisl.
A son cemin tost se roprist.
Hais .i. petit de U vous lais;
De chiaus dirai qui ou paies
D'Amours ja assamblé estoient.
Le contremant oï avoient
Dont de duel furent aengié
A conseil se sont arrengié ;
Première parla Traïsons.
« Segneur, dist-il, se ne faisons
Que cil jugemens par nous voist
Maintenant tant que il voua loist
Et nous atendons Loialté
N'ert pas a nostre volenté ! »
— « Disons Amours que ceste cose
, ;362 Doit bien par nous estre desclose.
Dist Orgeuls , dont ainsi le voel.
Tex jens atendre pas ne voel
Dehais hait ki les atendra
Et qui vengance n'en prendra. »
— « De ce chetif malettrex
Qui en tel lieu est amourex
Dist Cointise , je m'i acors ;
Du tout au dit d'Orguel m'acors. »
— Et dist Envie : « Par mes ex !
Se j'en sul creue , ses deus
Croistra ançois qu'il amenuise ;
Pescier deust a la menuise
Non pas a si grosse lamproie
Certes se il est qui m'encroie. >
— « U s'est en tel pièce embatus
0 il sera griement batus,
Dist Felonnie ; mais s'amende
Soit tele que tantost le pende
D'endroit moi; voel qu'il soit desfais
Ou que de travail ait tel fais
Que mais ne s'en voie délivre *.
Pesée li soit a grant livre
Mort ou grant paine si et le (S) lie
Ne autrement nel voel je mie. »
— c Avons m'acort, respontMesdis;
Se vous volés croire mes dis,
Paine ne li est pas cheûe ;
Je sai toute sa convenue.
Il est mauvais et surcuidiés rsj,
De tous biens est ses cuers vuidiés ;
Il est tex que 11 ne doit estre
Vers Amours ne compains ne mestre. »
— « Or m'ententés , fait Traïson ;
Metés sur moi ceste raison
Si le saurai dèsui corder
Que je le ferai acorder
A quanques je vaurrai traitier;
Plus ne nous convenra gaitier 400
(1) Àma$9em, — (d) Le mss. parait porter tiek lie* — > (3) Svrcvidiét, surfait : outre-
cuidant.
SALUT BAMOUft.
De Loialtû no de Franoise
Car je rendrai ançoU ma mise
Qa'ii soient a court venu. » ^
A ce conseil se sont te&u;
Sur Tralson ot mis l'affaire
106 Qui moQt ot le cuer de malaire.
 tant bêle très douce amée
Cent mille fols douce clamée,
Sont venu a Amours ensamble.
« Dame, ditTralsons, mol samble
Kt a ma compaignie tonte ,
Qui vous lioimenre et aime et doute,
Que (1) pour rendre tel jugement
« Ne convient atendre grannient »
— « Pour faire le, sommes assés, »
Respont Amours. cYous, vous lassés
De dire boiseuse (2), car j'atant
Loialté qui cbl vient bâtant. »
Dame Traïsons li respont :
« Et qui poroii faire le pont
Vers Plielippe le prlsonier,
Que 11 se vausist obligier
Et mètre sur moi haut et bas ,
ia ne le desvolrés vous pas
Se il le vent dessar moi meire ;
De duel n'en devés pas remetre
Car si le mettrai entrepiés (:))
Que del tout ert dessous vos plés. »
— Amours respont : « Li grans a faites
Est siens, ne ce ne me nuist gaires
De tant comme a moi pnei monter
He voel ie bien vers vous conter. »
— Traïsons respont : c Et je vois
434 Lui querre ; cl ert a me (4) vois. »
A tant l[>ele ires douce amée
Cent mille fols douce damée ,
vint a mol parler Tralson.
Si me trouva en la prison.
Tant jentilment me salua
Et de tant biaus mox m'englua
Et si me monstra biau sanlant
Qu'avis me fut . a mon sanlant ,
Qn'ele m'amast plus que riens née (ô) .
Mont, ce me dist, s'estoit penée
Vers Amours pour ma pals cachier ;
Car moût veut mont bien (6) pourcacier,
Ce dlst. et mont est mes amis ;
Mais que sur II me soie mis
Et du jugement me déport.
Tant me pramlst bien et de port
Que mes espoirs qui me gardolt
De son fel cuer ne se gardolt
Andal famés si dur feos
Que je 11 dis con durs feus :
Sur vous me mes ; do moi pensés
Comment soie de mort tensés
Mais comment que je puis m'esjole.
A ce mot eut Traïsons joie. 458
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée ,
Me flst mener devant Amours
Qui de moi flst ses grans clameurs.
— « Dame, dist Traïsons, merci
Par çou qu'a mesfaict ; vés le chi
Il est sur moi de ce mesfait
Que vers vous et vers celé a fait
Qui pooir a en vostre court.
A mon voloir le tenrès court. »
— c Phelippe en est cou vous acors
Seur vostre cuer, sur vostre cors ,
De tenir çou que vaurrai dire. » —
Il respondi , pleurant, sans ire :
« OU , dame. De vo voloir 47a
(1} Le mss. porte Et pour. — ('i) otioia. — (:3) irUerpeditut, empêché. — (4) Le
ms8. porte anêooit. — (S) Fha qtnm re$ qwitntit09it, — (e^Caasser, poorehasser,
obtenir. Mont pour mon bien; faute de copiste.
SALUT D AMOUB.
399
Faire , moi ne quic pas doloir. »
— « Amours respoûdi bonement :
Et je le revoel enaemeot. »
— « Phelippe je voel en ostage ,
Dlst Tralsons , sans autre gage
Vostre coer, Amours le livrés ;
Après si serés délivrés » ~
Je respondi : « Je ne l'ai mie ;
Celé que convoite a amie
Ja dès l'autre an que je la vi
Par son donc regart le ravi;
Ne dou ravoir noient ne sai
Se par vostre dit ne le r'ai. »
— « C'est assés , ce dist TraKsons
Or est des ore mais saisons
Que je voise la lettre escrire
De tel dit com je voirai dire. »
A tant de nous se départi.
A peu li cuers ne me parti.
La ou il est secres ala.
Quant vi que consiiller sala
A Orguel et a Feionnle
Et a Hesdit et a Envie ,
Adont eut de moi grant peur.
Tant atendl en tel (reOr
Qu'ele revint et en sa main
Un parkemin de leltre plain ;
•Puis dist : « Vois ci mon dit escrlt.
Phelippe , tout quant qu'il descrist
Tendres. Ainsi vous rent mainisc
Quant vostre bulle i sera mise
Entendant vous (erai la lettre
Que je pour mon dit i vols mettre.
La bulle c'ert vostre obligance
Que d'amors tenrés la voellance.
Volés vous çou que je vous ruis ? »
-- Je dis Oil, car el ne puis.
Ha foi en prist , puis list la leltre
512 0 restoutes qu'ele i (Ist mettre ;
Ele commence et on se teut.
Dame, or orrés qu'en la lettre eut. 514
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée,
La lettre a lire commença
Qui en main torment me lança.
Ele fu du dire (i) manière.
Si commence en ceste manière :
« Phelippes de Biaumanoir mande
Qu'il doit amours en non d'amende,
Pour le meffait que il mefflst
Quant la bêle par le doit prist,
Dix paines. Chascune ert nommée :
La première est qu'en (2) grant pensée
Tenra prison et nuit et jour
Sans avoir repos ne séjour ;
Et la seconde pafne après
Il souiTerra si près a près
Qu'il ne passera jour ne nuit
Qu'il n'en face v cens et viij.
Après sera la tierce peine
Que vij jours chascune semaine
Aura devant lui une goûte
Que on apele très grant doute ;
Celé doute ert de meskaance
Dont il aura tous jours dontance.
La quarte paine ert de viilier,
La cuinquisme d'estendililer :
Ces ij paines , cascune nuit
Aura, comment qu'il li anuit
En soi estendant viliera
Et en viilant s'eslendera.
La siste paine sera grans
Car en tous poins sera engrans
D'estre en la compaignie a celé
Pour cui cis maus li renouvelé.
Et s'il 1 est par aventure
Il esprendra de tel nature 550
(1) De dure? — [*2) Le copiste a mis quant.
400
SALUT D AMOUR.
Que riens n'estaint fors grès d'amie ;
Qui tel mai a santé n'a inu\
La septime paine devis :
C'est que la biauté que devis
Et son maintien et sa manière
Soit près de 11 u bien arrière
Aura en soi en liu d'ymage
D'ymagenier lors le fas sage
Si ert en son cuer enformée
Sa forme que ja defformée
Ne sera ; ains en fourmera
En son cuer celé k'i fourme a
En soi de la plus bêle feme
Qui onques fast fourmée en fourme.
Har, vis sa fourme fourmiant (1),
Souvent s'en ira fourmiant.
Or redirai la paine witisme :
Pour lui plus confondre en abisme,
Yoel qu'il soit jalous si forment
Que tous jours en soit en tourment.
Tous jours quidera en son cuer
Qu'el aint autrui (2), et lui get puer.
Por çou ne saura il que dire
Ce li courra jouer et rire
Co le fera plourer et plaindre
Ce le fera en dolour maindre.
La noevime paine dirai :
A ce cop le mal baillirai
Car par froit kiera de chaut (8)
Tantost après de chaut en caut
Retrembtera par grand câline
Ce ne li sera pas mecine
De tost venir a garison
Ains U sera grant marison
Ce le fera taindre et oaiir
Et de grant grieté tressalir.
La disime , la derreniere
588 Li ert de crueuse manière
Car désespérance la maie
Qui en maint cuer grieté enmafe
Nuit et jor le desvoiera ,
Mainte fois le desvoiera
En lui ramembrant sa folie
Qu'il fist par sa mélancolie ;
Quant tele amie convoita
Par mélancolie esploita.
Mais ceste delTera sen conte
Celé dira a vous que monte
De convoitier si haute cose
Qui de tel douceur est enclose.
Trop cangeroit son or en cendre
S'ete voloil si bas descendre
Qu'ele te daignast amer.
A droit te pues caitif clamer
Que ja ton desirier n'auras
Pour lui con fox tant ce nauras -,
Or laime bien , que ja desserte
N'en prendras; mais mainte grant perte.
A tant t'ai les pâmes nommées
Que a tenir as créantées ;
Mar l'acointas , mar la véis
Et mar par la main le préis,
Des or m'en tais ; or tien ta voie
Paiié t'ai ce que te dévoie. 624
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée ,
S'est Tralsons du dit téue.
Moût fu de grant joie esmeue
Orgeus et Envie et Mesdis
Quant il ont entendu ses dis.
« Or prengne ! fait cascuns. Or pregue.
Une autre fois une n'en prengne.
Tel fais , Se de cestui escape ,
Bien U avons taillié cape;
Car par nos consans tel cape a 635
(1) Mas fculuij visa ejw forma formidante. sospius evadet formidatuio. — (3) Quod
Ula amet alterum. — (3) Par la froideur de sa belle il tombera en fiè\Te chaude ,
puis après en défiance , ou il tremblera de nouveau.
SALUT D AMOUR.
401
Dont , ce cuidons , nuà D'escapa. »
En che point ne fai paè a aise
Qoant je vi que de ma mesaise
Rioient cele maie gent ;
N'en eac pas le caer alegant
Hais fui tristres et esbabis
Car bien vi que je fui traïs ;
Et a tous jours mais trais fuisse
Se je secours eu n'eusse.
Mais Dix, qui trop bet traïson,
Ne vaut souffrir que sa reson
Fust tenue de cbief en cbief
Qu'alegies ne fuisse du grief;
Si m'envoia pour mon secours
Loiallé qui i vint , le cours.
Avoec li , vint si beie route
Que la cours en resclarci toute
Lui sisime de son iinage.
Trouvèrent Amors seur Terbage ;
Si le saluèrent tout sis.
Ce n'a mie a Amours delis ;
Liement leur salu leur rant ;
Lès li , les Ûst seoir esrant ;
La grant joie qu'ele leur fait
A mis Traison en debait.
Orgex.et Mesdis et Envie
N'ont de leur compaignie envie.
Par le conseil de Traïson
Qui au cuer eut grant marison
S'estrent parti sans congié prendre,
Et qui a moi vaurrolt entendre
Je li diroie ou il alèrent :
Sacent tnit que il ne ûnèrent
Se vinrent en la court de France.
Lueques ont fait lor arrestance ,
Iluec lor piaist a demourer,
Iluec font lor bueus savourer.
Li pins de la cort tant les aiment
674 Signeur et compaignons les claiment,
Et se il) jou le roi ne doutaisse
De ceste matere parlaisse.
Mais n'en dirai ceste fois plus ,
Mes cuers le me met en refus
Et çou, que je ne voel mesdire;
Ains revenrai a ma matire
Pour l'amour cele a qui m'atens
De joie avoir a tout mon tens.
68$
A tant beie très douce amée
Cent mille fois douce clamée,
Quant j'en vi aler cele gent
Il me fu moût bel et moût gent,
Et si me remist en confort
Qu'Amours les conjol si fort ;
Si m'apensai que mon besoing
Leur conteroie et mon ressoing.
La ou j'esgardai Loialté
Franchise et Deboinaireté,
Sens (2) et pitié et espérance.
M'ajenoiilai sans arrestance
De plourer ne me peu tenir
Exlermoians me pleut venir
Le cuer de gries souspirs noirci
Leur vois a tous crier merci
Men grief leur conte et mon anui
Trop vous conteroit a anui
Se je recordoie les plaintes
Dont je Ûs a aus les complaintes.
Toute la cbartre leur dit ai
Tele com cbl devant dite ai (3).
Loialté moult s'esmervilla ;
Deboinaireté consiila
Que Traïsons m'avoit traï.
— oc A! dist Franchise, ay! ay!
Traïson ja ne seras lasse
De muer haute cose en basse
Pitiés qui de mon mebaing pleure
Et dist honnie soit cele heure 7L2
(1) Le copiste a ml» fe. — (-2) Je sentis. — (3; Le copiste a mis dit a,
T» vin. 26
402
SALUT UAMOUM.
Quo tex jena 8on( a court roial
Oui tous tans sont si de$ioial. »
— « T^isies vous, dist Sens a Pitié;
S' Amours veut croire mon ditié
Il metra en son mal mecine. »
— « Cascuns max doit avoir termine,
Dist Espérance ; ne s'esmaie (i),
Car on garist bien de tel plaie
Et s' Amours pleust, il en garra
Et nostre aide il parra. »
— « Prions Amors cel don iidoigne
Qui assooage sa besoigne ,
Respont cascuns *, je m'I acort. »
Adont par leur quemun acort
Ont mise seur sens leur parole
728 Que bel et sagemens parole.
A tant bêle ires douce amée
Cent mille fois douce clamée ,
Vint devant Amors Sapience.
Moût bel sa parole commence.
Au premier mot dist : « Douce dame
Foi que doi Diu et Nostre Dame
Je vous voel tiemoignier et dire :
La pleur (2) gent de vostre empire
Ont decea vostre honmie lige
Dont , de par Loialté vous di-ge
Et de par tous ses compaignons,
Que de som mal tout nous plaingnons
Et moût seroit grant courtoisie
Se li estoik araenuisie
La paine dont morir l'esluet
S'ayde valoir ne Lui puet ,
Car en la grieté n'a nul terme
Et ou poroit il tante larme
Comme plourer li convenroit
Nus en soi ne les compenroit.
Bien savés qaex gens l'ont jugié.
750 Tost s'en alereat sans conglé
Quant çaieui) nous virent enlrer
Car dedens aus ne puet entrer
Plus de malisse qu'il i a.
Bien pert a çou que cis chl a
Qui pour vous servir et amer
Se puet tante fois las clamer.
Qui jugié l'eust par raison
Il n'eust eu voslre maison
Nului plus de vous honoré
Car tout vostre bon savouré
Sont en lui de tele atemprance
Qu'il n'en peut avoir repentance.
Si vous prions vostre merci
G'ançois qu'il se parte de chi
Li voeliiés donner tel déport
Dont il plus legierement port
La paine que li est cargie.
Si ferés bien et courtoisie.
Nous vous eu prions jointes mains.
Puis s'agenoillent qui ains ains. 770
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée,
Amours de genillons les iiève
Et dist que durement li griève
Ce qu'il ont a Jendus esté.
« Hais çou c'avés manifesté,
En moi priant a vous ensamble,
Responderai çou qu'il m'en samble.
Je croi bien selonc son mesfalt
Ne li eust pas drois ce fait;
Hais trop s'esprist d'ardant tison
Quant il se mist sur Tralson.
S'en est enpensés plus dyvers
Que n'est a esté 11 yvers ;
Carpour m'onneur comment qu'il aille
Voel qu'il tiegne le dit sans f&iile (3).
Hais sauve la mise tenue ,
Qui porroit sa discoArenae 788
iw^wuim
(I) voy. \u 3«4. 0, 4. — (i) P^or, — (8) Fallatia,
SALUT D AMOUR.
403
Âlegier, biaus vous en seroit
Et pour voslre bel me plairoit ;
Et en vous tous» a assés sens
Si me devises en quel sens
Il pora avoir alegance
Sans faire autrut tort ne grevance ;
Sur LoiaUé du tout me met
796 Car par li nus bien ne remet. »
A tant bêle très douce amée
Cent mille fols douce clamée.
A cesie parole s'apondent.
Tuit ensanle si 11 respondent :
« Dame, de çou pas ne nous poise.
Vous respondés oomme courtoise
Et eoœme plaine de bonté ;
Or vous sera briement conté
Debomalremenl et sans ire
Ce que Loialtés voira dire. »
A conseit sont aie atant
Puis s'en sont revenu bâtant.
Tost fu Loialtés consillié
Car ele est sage et ensignié
Bt It sages tost se conseille
De çou dont los (l) se despareille.
Loiautéfl son dit commença
A (2; nul des autres ne tencha.
« Or m'entendes , dist il , Amour :
J'ai entendue la clamour
Que PheHppes II esbahis
Noos fait de çou qu'il est traïs.
Hais comment qu'il en ait contraire,
Pour çouc'on doit tous Jors droit faire
Il teora ledit Tralson ,
Ja son ce pour pau de raison.
Mais en ces max métrai .j. terme
Dont il plourera (3) mainte lerme
825 Pour désirer l'eure et le jour
Qu'il puist de paine estre assejour(4).
Li termes ert quant plaira cete
Pour qui li max 11 renouvelé
Qu'ele il pulst en heu des pain es
Donner des joies les souvraines
Et abatre tous les dix poins (5)
Qui sont ou dit Traïson polns (6) ;
Car drols est quant pour li fu pris f7)
Que seur li soit trestous li pris (8)
De son mal et de sa santé ;
SI en face sa volenté.
Apres , pour li réconforter
Je voel a pitié en orter
Que plus tost qu'ele pora face
Qu'il ait de sa dame la grâce,
Et que souvent li amonneste
La grant grieté que 11 a faite
Se riens li puet avoir mestier
Tant est pitié de doue mestier
Que par le conseil de Franchise
Saura par tens en quele guise
On pora celé convertir
Que son amant voelle vertir
De s'amour que il tant convoite.
Or i Dictent tout leur emploite
Si que par defaute ne mulre ;
Et en dedens pour lui déduire
Yoel que ma cousine Espérance
Le confort de sa mesestance ;
Hout est s'aide douce et fort.
Bien li saura donner confort ;
Pour son bien avoec lui se tiegne
Et en boin espoir le maintiegne.
Hout est s'aide aventureuse
Et vers mains amans éureuse.
Après , pri Deboinaireté ,
Qui si est plaine d'onesté ,
Qu'ele soit tous jors en s'aide
863
(1) Le copiste a mis 8ot. — (S) Le copiste : À nul. — (3) Le copiste : ploura. —
(4) Àssecuritut, cuiecurus? — (5) iHtncta. — (6) Ptmgentia. — (1) /»rcA«f^m» •—
(8) Pretium.
404
SALUT d'amour.
Car honnis est s'il n'a aide.
Apres , je commans a Phelippe
Ne face pas de courons iipe
Se sa desirance il large.
Ponr lai assonagier 11 cai:ge
Qu'il soit envoisiés (l) et jolis ,
Mignos et cointes et polis ,
Sans vilenie et sans orguel ;
De chiaus 11 defTens jou l'acuel
Et il sour tous les doit haïr,
Car il l'ont aidiet a traïr.
Gart qu'en U n'ait nule tençons
Ainçois truist ditiés et cançons;
Et tele soit tondis sa trueye ,
Se la dame ses dis esprueve ,
Que par droit ne l'en puist reprendre
Mais s'i alumer et esprendre.
D*amours k'ele li soit amie.
Le trouver ne li desfens mie.
Avanciô se sont maint amant
De biau trouver pour son amant ;
Car ja soit çou que femme n'aimt
Quant ete set c'on ne se faint
Et c'on trueve ditiés pour li ,
Ne puet que ne pense a cell
Qui pour li sueflfire si grant solng ;
Et quant ele sait son besoing ;
Plus tost a amer l'entreprent
Pour les biaus dis dont ele esprent.
Apres pour çou que je m'apens
Que riens ne vaurroit ses apens ,
Ne que ja ne venroit a chief
De son anui ne de son grief.
Si celé ne savoit son estre
Pour qui amour il Testuet estre,
Je voel qu'il 11 envoit en rime
Pour qui amours grletés le lime
En li saluant li envoit ;
90d Car s'ele son grief ne savoit
Doner ne H sauroit santé ,
Mais s'ele savoit s'orfentô
Plus grant poolr ara pitié
De li priier que s'amitié
Doinst celui qui est ses amis
Et qui en lui amer a mis ,
Et cuer et cors sans repentir ;
Quel grief qu'il l'en estuet sentir.
A tant m'en tais. Dit ai comment
Donné li ai alegeroent
De son anui , de son mehaing.
Or ne tiengne mie a desdaing
Ce que j'ai dit, car ses malages
Garlra par çou s'il e«t sages.
Or voist la besoigne caehier.
Fox est qui ne veut pourcachier
A avoir grant repos pour laste
Teus jens sont qui n'ont poing ne paste
Qui fussent et aaisé et riche
Ne fust folle qui les triche.
Pour 11 le di maintenant a
Par Traïson qui le tenta
Par nous et soûlas et confors
S'il lesqulert com preus et comfors. » 936
A tant beie très douce amée
Cent mille fois douce clamée.
Quant Amours et sa compaignie
Orent entendu et oie
Le grant conseil de Lolaité,
U leur vint moût a volenté ;
Et mol ce vous puis je bien dire
Fui plus sonés de mon martirè.
Adonques , me dist bone amour :
« Blaus dous amis, vostre clamour
Mousterrës celé qui poissance
A d'alegler vostre grevance.
Je melsmes l'en prierai
Et par maintes fols U dirai 940
(1) invitabHfi9US?J, attrayant.
SALUT D AMOUR.
405
Qa'aotrai de yoqs pour bien amer
Ne devra son ami clamer.
Or soiiés sages et serves
Tant que son bon gré desserves. »
Je respondi : « Il n'i ot el.
Yolentiers dame et vostre ostel
Vous requier, car ]'i voei manoir
Tant avés delitex manoir.
Se j'ai de vous ceste pitance
MIx soufferrai ma penitance. »
Amours tantost le m'otria ;
Et Pitiés moût pour mol pria
Jolieté et Esperancbe
Que il me faisoient aïdance.
Il respondirent : Yolentiers,
Mais or en voist, qu'il est mestiers,
A la bêle et savoir 11 face
Quel grief le tient, quel mal le lace,
Et puis prierons nuit et jour
Sans estre a repos n'a séjour
De gries max garisse celui
Qui de cuer i'aime plus que lui
Et endementlers si serons
Avoec lui et si il ferons
Par le conseil Joliete
D'une grant part sa volenté. »
Ainsi fui d'Amours simplement
Retenus deboinairement
Moi et ma compaignie toute.
Mais dous Espoirs qui riens ne doute
Dessus tous autres me conforte
Par quoi plus legierement porte
Mes cuers le dit de Traïson
Ne pourquant grief m'est la prison
Si est tans que garison quiere
Et que je il face proiière
Qu'ele piteusement regart
078 Les max dont sui a son esgart.
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée.
Empris a rimer ce salu
Par qai tante fois vous salu.
Tantes fleurs sont , seront et furent
Et tantes goûtes d'yauwe plurent
Puis que Dix vaut crier le monde,
Tant poisson noant(D et tante onde
Sont en douce iauwe et en mer,
Tant sousplr sont fait pour amer,
Tantes grietés d'amors souffertes
Et tantes joies a ouliertes (2),
Tant capiau fait, tantes paroles,
Tantes cançons , tantes caroles,
Tant ver, tant motet , tant ditlé
Et t^mt dy vers cuer afaitlé ,
Tant soullas et tante plaisance
.Peut estre quant amors s'élance
Si , d'un point qu'ele soit onnie
En cuer d'ami , en cuer d'amie.
Tante fols je vous fais savoir
Ce qu'il m'estuet pour vous avoir
Et tante fols vous fas prilère
Que vous voelliës, ma dame cière.
Mon salut oXr et entendre
Et la cbartre esgarder et prendre
Qui pour moi laidir fu ditée.
Et quant vous l'aurés récitée
Recordée et prouvée a vraie ,
Rien saurés que vostre manaie;
Fui et serai, de mort, de vie.
Mais pour çou que n'allés envie
Que je muire sans guerredon,
Vous requier je d'amors le don
Et pri cent mille fois merci
De tout ce que vous vaurriés faire.
Car, douce dame deboinaire ,
Se vous mes maus volés soufTrir 1016
(1) Natanteê, — (3) A ouvertes?
406
SAtllT D AMOUR.
Daskes a mort nie voel offrir (l)
Et ne pour quant en seureté
D'Espoir et de JoUeté
De Lolalté et de Franchise
Qui m'ont grant aïde pramise
Et de Pitié qui m'asseure
Tieng et tenrai m'envoiseure ;
Si vous pri que les voelliés croire
1035 Ne mes dis ne voeiiiés mescroire.
A tant bêle très douce amée
Cent mille fois douce clamée ;
Courtoise et sage , pure et fine ,
Phelippes son salu deffine
En vous priant c'a bonne fin
Li traiiés ses tourmens à fin ;
Par si que ja ne finera
De vous servir; ains finera
Qu'en son cuer puist i'amour finer
1035 Qu'il a pour vous faite aflner.
Or le tenéa a fin amant
Si que dusque a sa un amant
A fin sans un le poés mettre
De joie. Atant defln la lettre
Que jou a garder vous envoi ;
Or gardés c'on ne die a voi
D'outrage que vous me faobiés
Et quant vous plaira s'effachiés
Les X points qui si me destraignent
Qui de moi laidir ne se faignent.
Et i'atendral joliement
Dus]('a vostre commandement,
En chantant : « Beie et bone et sage.
Mon cuer avés en yretage.
Si j'atendrai vostre volotr
De bien , de joie o de doloir.
Quant TOUS plaira j'arai salu ;
Atant vous defin mon salu. »
Ci fine li sains d'amours
Et de TraXson les clamours. 1055
COMPLAINTE D'AMOUR
Conter me plaist une mervelle,
Ains mais nus n'oî sa pareille ,
Qui d'amours m'avint cruelment.
Voir se cil qui bien set en veille
Et pour le conter se iravellle ,
Amer l'en doivent toute gent ;
A tout le mains li vrai amant ,
Qui d'amours ont paine et torment.
1 metent volontiers l'orelile ;
Car qui son preu ot et entent
Il S'il est sages , mien essient ,
En icel point pas ne soumeille.
Or pri amours que la malere ,
Que j'ai chl commencié a faire,
Me laist faire que je ni faille;
Car de li voel ma rime faire
Que n'en poroie a nul chief traire
S'ele pour mol ne se travaille.
Des gries qu'ele m'a fait sans faille
Yaurrai conter, comment qu'il aille
De nia joie et de mon contraire ,
Car a son gré amours me taille 22
(1) Le copiste a mis : me vœl pour offrir, et au vers suivant teurté.
C0)ilPLAl5rTÉ b'AMt>Uft.
40t
Or en fel et or en haaille (t).
Pour çon al-ge empris cest afaire :
Des or mais vous commenceraf.
Il ayint par arooars : amai.
Et aim , et aimerai tons jours
Celi on tant biauté trouvai
Que quant de premiers Tesgardai
Moût en eus paines et dolours.
LoDC tans soufTri mon cuer en ploi's
Comme Ans et vrais amourous,
Mats toutes voies m'apensai
Comme ctietis et doterons
Que je diroie mes dolours
36 Celui ou je peu conquestai.
A II vlng et il dis : « Amie
Pour Dieu je vous requier et prie
Que vous allés de moi merchi ;
Du tout sui en vostre baillie,
Se volés je perdrai la vie,
Se volés j'aurai joie aussi.
Très le premier jour que vous vi ,
Pour voslre biauté m'assailli
Amours , en qui je mont me fle.
Bêle lenés moi a ami :
Certes se pour vous muir (2) ainsi
48 Jamais tel n'aurés en vo vie.
« Douce dame en qui j'ai flance ,
Par vo bonté aiiés voellance
De moi alegler le torment
Que pour vous sueffre en atendant,
Et ferai tous jors sans faillance ;
Tant me plalst le max que je sent
Dont amors pour vous si me prent
Que je n'en voel avoir garant
Par la force d'oulre quidance ,
Ains sui si mis en vo commant
Qu'en moi poés mettre brîement
Déduit, doleur, joie u pesance. 60
« Dame, se cuers qui ne ment mie
Peut , pour voir dire , avoir amie
Li miens n'i devia pas faillir
Se de parole a vous s'alle ;
Sa voientés ne si oublie ,
Ains se paine del obéir
El certes j'aime mîx morir,
On atendre vostre plaisir,
Que j'en face ja départie ;
Et se il m'en estuet partir
Que vous ne me voeiliés oir
Ains que m'en part, perdrai la vie. 72
« Dame , ne sambiés pas celi
Qui jadis ocist son ami
Par sa deffaute , a grant marlire.
Trestout certainement vous di
Puis que vrais cuers s'alie ainsi
N'est pas legiers a desconflre.
Se vous estiés del mont la pire
A ce qu'il ne puet mix eslire ,
Si aime il mix languir ensl
Que d'une autre juer et rire.
J'ai grief plaie et si n'ai nul mire
Fors vous a qui je prl merci. 84
« Dame, en la mer sans rive prendre
Ai tant noé que luit li membre
Me duetent del doue noement.
La mers si com je qult entendre
M'a tant pené que plus atendre
Ne puis se je n'en ai garant.
En ce point m'alai regardant :
Si ai véu une nef grant
Au bort m'aiai maintenant prendre ;
(I) Soit que la taille subsiste co.ijointe au flef. ou qu'elle en nit été disjointe pour
être alTermêe. — (?) Morinr.
408
COMPLAINTE D AMOUR.
Mais dedens vl an fler sériant
Qui m'esbahi si daremant
97 Qae de péar m'i laissai pendre.
« Dame , la clause que j'ai dite
Fu es secrès d'amors escrite ;
Les mox vous ferai entendant :
L'amers (l) qui ainsi me labite {%)
Saciés ele n'est pas petite ;
Ainçois est si douce et si granl
Quant je plus i vois pensant
Et je mains en sai que devant.
C'est vos biautés, or vous al dite ,
La douce mer u vois noant ;
Par la maistre onde irai noiant
108 Se je n'ai de mes max mérite.
« Dame , ia nef ou je me pris
Quant je me senti entrepris .
Pour avoir respit de ia mort,
C'est bons Espoirs ou me sui mis ;
Honeur et joie m'a pramis ,
Ne sai se il a droit ou tort.
Por çou me pris devers le bort
Car autre pensée me mort;
Nepourquant este m'a amis
Et moût m'a donné de confort.
Mais se de vous ne vient déport
130 Le sien a faire reltnquis.
« Dame , saciés que li serjans
Qui ert si Oers que tout dedans
Espoir ne me laissa entrer
çoa est Doutance la puans
Qui me dist que par mon fol sens
Vous entrepris jou a amer.
Mais ele ment , par saint Orner !
Ce n'est pas folie d'amer,
Ains est honeurs et joie grans
Quant celé s'I veut acorder
Qui eut priière , sans fausser.
Vous i'oés, dame, ailleurs ne pens. 132
« Dame , je sui on une mue
Dont mes cuerspour vostreamourmue,
Dont il est en paine et en piour.
En ta mue n'a nule issue ,
Fors une qui m'est defîendue ;
Et vostre biauté qui m'argtie.
Vous avés ia clef de la tour
Et ia mecine de l'ardour
Dont mes cuers art , frit et tressue. 141
« Douce dame de cuer amée ,
Je vous ai dite ma pensée.
Parti vous ai , si prcnderés
Se il vous plaist; mors m'ert privée
On la plus grand joie doublée
Qui onques fust ; c'est vérités.
Lequel que volés me donnés
Et je le prendrai en bon gré.
Mais voir se la mors m'est donnée
Pour vers vous faire lolautés ,
Apres moi sera fox clamés
Par qui amie ert tant amée. ir>3
« Dame, dites vostre plaisir;
C'est martires de trop languir,
Assés vaut miex morir briement,
Je sui appariiliés d'oïr
Ma dolour ou mon esjoïr.
Mon bien, ma joie ou mon torment.
Respondés moi vostre talent
Se vostre cuers a mol s'assent
Ou se del tout me veut guerpir,
Del tout sui vostres ligement.
C'est en vostre commandement
De Joie avoir, de mort sentir. » 165
(1) Àmaritoê. — (3) Ixtbefaeit, barb. lahesnl ?
COMPLAINTE D AMOUR.
409
Signeqr. ce est ci la priière
Qae je fls a ma mie chière ,
0 resgardés se par nai droit
Devroit avoir tele manière
Qae ele se fëist plas flere
Pour moi mètre en grignour destroit ;
Et certes cil qai çoa diroit
Je croi que trop grant tort aoroit.
li diroit ce devant derrière.
Qai pour bien fait max me donrolt
Amors bien fausser le devroit
177 A qui ia quereie est entière.
Sa response vous conterai :
Dedens ie cuer escrite i'ai.
Je ne ia porole oublier
Quant d'aucune part vient esmai
Ooblier ne ie puet , bien sai.
Qui del contraire a desirier.
Ele me dist : « Traiiés arrier !
Si ne me venés plus priier ;
Car au caer que maintenant ai
Vous n'i poriiés gaagnier
En aulre iiu aies briliier !
D'amours cbierir que faire n'ai (1).
Tous dites (ensl l'entend!)
Que pour mol avés max senti? »
~ « Certes dame , c'est vérités.
Ains de tex max parler n'oi.
Dout et amer (sont tout ainsi)
Ont vers vous tornés mes pensés. »
— « Or sai-ge bien, grant tort avés,
Fist eie, qui si vous clamés
De moi , si ne l'ai desservi ;
AInques pills que vous fustes nés
Ne fu tele ma volentés
301 Que vous eussiés mal par mi.
« Mal et ainsi me doinst Dix joie
Que Je moult a envis vaurroie
Que vous eussiés mal par moi ;
Mais se vostre cuers se desroie
Et il vous met en maie voie,
De ce n'aflert noient a moi ,
Ne Je n'en preng noient sur moi.
J'aim mix que soliés en effroi
Que Je ; pour coi en mentirole ?
Mal gré me sauriés , Je croi ,
Se vous disoie en maie foi :
Je vous aim ; et puis en mentoie. %\S
« Puisque mes cuers ne s*i assent,
De l'otrolier n'ai nul talent;
Si ne m'en devroit nus blasmer
Ains .vous io. Tost aies vous ent
Car je vous di certainement :
Vous n'i poés riens conquester.
Aussi tost auriés la mer
Bspuisié , sans iauwe boster.
Com vous me donriés talent
D'amours servir ne bonerer.
De IL me cuic moult bien garder-,
ie ne la dons ne tant ne quant. 235
« On dist pieça, tout en apert :
Mal doit avoir qui le dessert.
Se je laissoie mon usage
Et Je me metoie ei dessert
Dont on le cuer et le cors pert ,
Je ne seroie mie sage.
Se vous avés el cuer tel rage,
Ne voel pas partir ai malage ;
Fax est qui mauvais mestre sert
Bon fait lalssier le signorage
Ou on ne conquiert fors damage.
Qui plus l met et plus i pert. » 337
. (I) Ce vers est écrit deux fois de suite. Il y avait d'abord : « D'amours ciérir;
qu'en faire n'ai. »
410
GOMPIAINTB D AMOUB«
« Gertds t dame , bien m'i acort.
De ce dire n'avôs nal tort ;
Autrement ne vous os' desdire ,
Mais n'ai pas desservie mort
Et si morrai sans nul ressort
Pais qae me volés escondire
Las! caitis, dolerex, plains d'ire,
De mon anai , de mon martire
Caidai en vous trouver confort.
Qaant vous plaira moi escondire,
Ne sai que faire ne ke dire ,
249 Fors tant que je morrai a tort. »
— « Morrés et vous? pour coi morrés?
Se vostre dis est vérités
Que vostre cuers soit en moi mis ,
Congié vous doint que l'en r'ostés
Et en autre lieu le metés t
La on il soit miex recueillis.
Ainsi serés de mort garis. » —
« Douce dame , par saint Denis I
Amours , sans falndre, n'est pas tés. •
Qui bien aime , il hait a envis ;
Pour cou n'ert ja mes cuers eschls (1)
361 De vous , a qui il s'est donnés.
« Ne samble pas drois ne raison
Puis que j'ai fait de mon cuer don
Que Je le doie recuellir ;
Je l'ai mis en vostre prison ,
Et si vous dirai l'occoison
Pour coi je le vaus consentir.
Je vei en vous si mon plaisir
Que de biaaté , de bonté d'oir
Que n'i puis se gaaignier non ,
Se mi oel ne me font mentir
Qui , pour vous , vinrent assaillir
273 Mon cuer et mis l'ont en prison. »
— « Or avés dit trop grant folie
Ains mais tele ne fu oie
Ne si graot bourde controovée.
Vostre oel sont en vostre bailiie ;
Si dftes que dure assaillie
Ont vostre cuer pour moi livrée ! » —
« Dame c'est vérités prouvée. ~
Par foi , ains est bourde trouvée
Qae par moi voir ne fu ce mie
Bien croi que par vous ne fu mie >
— 4c Dame , ma parole escoulée
N'avés pas bien , ne recordée. 206
Mais pour vous fu. »— Pour moi? Pour coi
Sont dont vostre oel si dessous moi »
Que pour moi ont le cuer navré?»—
« OU, dame, foi que vous doi,
Si vous dirai raison pour coi
Mi oel sont consillier privé
A mon cuer, or ont regardé
Vostre gent cors piain de biauté ,
Dont 11 l'ont mis en tel effroi
Que se par deboinaireté
Ne me restorés me santé
Je morrai par ma bone foi » ^ 297
« Par vostre bone fol, comment? » —
c Dame , je vous dirai briement
Pour col j'ai en vous mon cuer mis :
Vostre cuer non avés noient
Dame , ma volentés autant
Vaut com mes cuers, ce m'est avis;
Mes caers et mes voloirs tous dis ,
De nulai n'en serai desdis
Qui ait en lui entendement ;
Et quant j'ai tout mon voloir pris
Et mis l'ai en vostre devis ,
Ce m'est vis , loialtés est grant » 309
(1) Bxihts.
GOMPfcàllITB D AMOUR*
4il
« Vous vous faites moût iofans hom.
Tex paroles bien entendom ,
Hais ]a par çoa ni ataindries.
Se vous estes en ma prison
Si i soiiés longue saison
Tant comme vous estre 1 voldrots ;
Quant assés esté i aurés ,
S'il ne TOUS siet vous en irés ,
Si pais6é-je avoir pardon ,
Que Je sace. Pius n'en aurés.
Faites ie mix que porois
321 Que ja de m'amour n'aarés don.
« Aies vous ent. Sachiéssans doute.
Ce est la eertaineté toute
Que vous n'aurés point de m'aroor. »
« Dame dont mestes vous la goûte
Ou flsique; n'a mestier toute.
De la mort n'a mais nul retour ;
Or morrai-ge a grant dolour !
Certes çou ert grant deshonour
A vous ; onques n'en aiiés doute
De ma lionte ne de m'onour. 9 —
« Mais aies vous ent sans demour;
333 D'oir sui anuiô toute.
« Ou vous de ci vous en irés
Ou jon , lequel que vous vaurrés ;
Mais que ctie sera maintenant. » —
« Douce dame, quant c'est vos grés
Je ne sui mie si osés.
Je ne n'ai tant de hardement
Que plus alaisse demourant.
Ancois dame a Dieu vous commant;
De vous me part moût esgarés ;
Esgarés m'en vois volrement.
Mes cuers cache et noient ne prent
345 Fors que doleurs pour loialtés. »
Atant de ma dame parti
A peu 11 cuers ne me parti
Quant de U me convint partir.
Ja couars n'ara bêle amie (i).
Apres ces mos je m'esvillai ;
A mervelle me mervUlal
De ce que je pitié oi.
En mon cuer ses dis avisai
Et mon voloir acertenai
An conseil qu'ele m'eut basil.
A tant del bols me départi
Et d'espoir mon cuer garandi ,
Tant que vint l'issue de may.
Quant passés fn plus n'atendi ;
Douteus de faute, de merci,
Vers ma dame m'en retomal. 361
Je la trouvai en une place
Qui ert clere comme une glace
De la grant biauté que ele a;
Avoec 11 n'ot qui noise face.
Grant peur ot ne li desplae
La venue que je fls la.
Ainsi com mes cuers m*ensignai
Qui grant pièce servie Fa,
M'ajenoill^l devant sa face
Mais ma bouce mot ne sonna.
Bien sai pour coi : Ele n'osa ;
Trop redoute sa maie grasce. 373
Ainsi grant pièce fumes coi.
Ma dame si regarda moi
Et je 11 , peureusement.
Mulaus (2) ressambliohs andoi
Tant c'ains me fu que je doi
Dire que quier, premièrement.
Dont dis : « Dame, cuers qui ne ment,
(1) Le vers précédent termine le feuillet 105, et celui-ci commence le feuillet 106.
11 y a certainement entre les deux une liewie d'un ou plusieurs feuillets. -^ (3) Muets.
412
COMPLAINTE D AMOUR.
Qai a vostre commandement
Est , et sera en bonne foi ,
Vient de rechief merci priant
Pour ce qae de mort ait garant ,
385 Car en vous gist; n'aiilours ne voi.'
« Dame , toale Joie ai perdue
Ores, dont qae me fa mal solae
Li priiere qae je vous ûs :
Dame , pour Dieu caers qui ne mue
Et qui d'un point ne se remue
Est moût ioiaus , ce m'est avis ;
Mes cuers m'est si tous en vous mis
Que jamais jour n'en ert esctiis ;
Tout adies vous sieut et salue.
Se le jour ai mai , la nuit pis ;
El cors m'avés le tison mis
397 Qui si m'estendeille et remue. »
Puis que j'eu commencié a dire ,
Bien li racontai le martire
Et le torment que j'en souffert.
En racontant mes cuers souspire ;
Mi oeil n'eurent talent de rire ,
De larmes furent tout (l) couvert.
Je li dis trestout en apert
Gomment la soie amours ne sert ,
Que or mi boute , or mi retire.
« Ainsi ai trouvé tans dyvert,
Dame; a moi, comme a vous couvert,
409 Av(^s fait souffrir maint martire. »
Madame a moi , bonement ,
Ne fist pas si cruel samblant
Com je li vi autre fois faire ;
Ançois quant j'euc dit mon talent,
Respondi amiabiement :
« Dous amis , je ne sai que faire.
Tans vous ai veu de max traire
Pour moi , que je plus débonnaire
Serai vers vous d'ore en avant.
Pitiés m'a moustré vostre afaire ;
Bien sai, de voir, sans fainte faire,
Amée m'avés loiaiment. 421
« Amée m'avés, bien le sai,
N'onques mais jor ne vous amai ,
Fors puis que cis mois fu entrés.
Des grans toumens (%) que fais vous ai
Tous bail amende , prenés lai
Tele com vous deviserés ;
Bien sai que cose ne fer<^s
Dont vous doiiés estre biasmés ,
Puis que vous m'amés de cuer vrai.
Ne pour quant vostre bon ferés,
Car de moi estes si biasmés
Que tout vostre plaisir ferai. » (:):)
Quant j'euc entendu ces mos dous,
Qui si me furent saverous.
Si liés fui . nui nei doit cuidier ;
Liés si . m'ait le dix de tous ,
Je fui si liés que nus courons
Ne peust mie aprocbier
L'amende que me vaut baillier.
Plus mie refuser n'en quier
Puis 11 rendl comme amourous
Et dis : « Dame , pour i. baisier
Vous quit trestout le destorbier
Quej ai lonclans souffert pour vous, j» 445
— « Pouri. baisier, biaus dous amis.
Voir ja ne vous ert escondis ,
Ne cist ne des autres v. cens. » —
A dont entre mes bras le pris
Et ele entre les siens m'a mis ;
(1) Il y a trettout. — (3) Sic, pour tormen$.
COMPLAINTE D AMOUR.
413
De ce ne sui-ge pas dolens ,
Que je vi ses biaus iex rians
Qui si près des miens sont joignans,
Et bouce a boace et vis a vis !
Dont sui-ge liés, dont sui joians
Joians si , me soit Dla aidans !
457 Ne volsisse estre en paradis.
Et je , pour coi estre 1 volsisse
Puis que en un me partesise
De la grant joie qui me lace?
Pour coi la joie garpeslsse
Qui ma doleur si apetise
Par sa valeur et par sa grasce?
Joie m'a. Pour, si me manace,
Jamais ne quic que mal me face :
Car joie s'est en son lieu mise,
Qui il a tolue sa place.
Bien doit cascuns sivir la trace
469 D'amours qui ensi rent service.
J'ose bien tiemoignier par droit
Que qui tout l'or del monde auroit,
Si le meist a une part,
D'autre part un baisier verroit
De celé qui il ameroit
Tant corn fas celé que Dix gart,
Ja alor ne prendrolt regart
Ançois courroit de celé part
U amours 11 ensegneroit.
Amours pas ingalment ne part ;
L'un donne joie, l'autre bart;
481 Un flate et les autres déçoit.
Qui les max en sent bien doit croire
Amors n'est mie miex adoire
Ançois estûx et amertume
Car aussi amé-jou espoire
Entendant fait fable pour voire
Les uns taint palist et alume
Moût par a dy verse coustume
A l'un est largue, a i autre enfrume
Les autres fait mençoigne acroire
Et les autres de leur cuers plume.
Se ne fust la grant souatume
D'espoir nus n'en eûst victoire. 493
Comment c'aillent 11 autres afaire
D'endroit moi ne voel plainte faire
Vers amours, car j'auroie tort
Quant pitiés a fait mon afàire
De mes max me doi mais bien taire.
SI ferai-ge , Je m'I acort ,
Fors tant que pour doner confort
A ciaus qui les max ont a tort
Je lo tant facent qu'il 1 paire
Par lolalté et par aport
De cuer ainsi atent confort
Qui en veut a bonne fin traire. 505
De sor voel Oner m'aventure.
Ll rois de toute créature
Gart cell pour qui je l'ai faite.
Si com nostre amour lonc tans dure,
Garder la doit bien par droiture
Car quant ll l'eut a ses mains iaile,
Et de si grant biauté pourtralte.
En grant bonté l'a si parfaite.
Que tous biens i est sans mesure.
Mais s'ele me devoit de dete
S'amour ; et je l'ai a mol trete,
Ce n'est mie contre nature. 517
BXPLIGIT.
AUTRE
SALUT D'AMOUR
Doace amie , salus vous mande
Cil qui de yoqs aient l'amande
Des grans toarmens qu'il a soaffers.
Yos hom a esté el vos e ers ,
Et sera toas jours bonnement ,
Car se loialté ne ment
Espoir ai d'estre vos amis.
8 Ea bone amour ai mon cuer mis.
Voiremftnt l'ai mfcs en amour,
Si boina i|ae ne passe jour
Que je a'i pens' pbis de cent fois;
Hout sui angoiseua et destrois
De penser et de souspirer,
Et de sa biauté ramembrer,
Quar si m'a mis en graat elbroi
Bien sai qu'ele morira
17 Se amours ne la vaint pour moy.
Se amours pour moi ne la vaint;
Gellui ressamble qui se plainjt
Tous jours, et noient n'assouage;
Hais ele ne seroit pas sage
Se son serjant faisoit morir.
En ce cbarU que pores oïr
▲i grant espérance tous jors :
25 De deboinaireté vient amors.
Amors en vient, certes c'est voira.
Estre ne puet graindres avoirs
A feçxe qui de lui avoir
Et le croi bien de li savoir
Que ele l'a et si set bien
Que je l'aime sur toute rien.
Tous jours m'est la dolour noveie ;
Ci me point vive estincele
34 Au cuer desous la mamele.
Desous la mamele me point
Li dous maus qui mon cuer s^oint
A s'amour que je tant désir.
Bêle , or vous viegne a plaisir
De moi alogier ma dolour
Que je sens pour vous nuit et jour,
Tant que toug U miens cors en font
Dix ! pour coi la regardai ,
Quant si vair oel tral m'ont? is
Trail Si, m'aït Dix, je ment
Délivrer les en voel briement
Se mes voloirs a çou me maine
Qu'avoir voelle doleur et paine ,
En cou n'ont si oel riens mesfait.
Non voir ; mais ce dire me fait
La grant amour que j'ai a U,
Douce dame a qui je sui,
Pour Dieu merci. 52
Pour Dieu merci , pia douce amie ;
Vous pri que vous n'ociés mie
Geli qui est vos liges hom
Et qui met en vostre abandon
Son cuer, son cors, tant riens ae crient
El, pour l'amour qui de vous vient,
Demaine souvent joie et plours.
Jolis sui, jolis ce me font amors. 60
D'autre part r'ai une bataille.
Jolis me font amors sans faille
Qui moût me destraint durement .
Car je sai bien certainement
Qu'en trop haut lieu ai ma main mise(l},
Hais il a tant en li franchise
Que, s'il li plait, merci aurai.
Se pour bien amer doit nus avoir
Joie, je Tarai. 69
(1) C'était une trop grande dame pour lui.
LAI D'AMOUR
Nus, ue puet , sans boine amour,
GraDt joie avoir.
Ses grans sens me fait doloir»
Et sa biauté.
Plas bêle est d'un jor d'esté ,
Ce m'est avis.
Las quant je regart le Ils
Sous le vermeil,
Yoi4 moût souvent men esvel
Pour lui ovrer.
Corne sait moût souspirer
Que n'a une mie
Qui voell ja estre ma mie (l)
Se n'est un jour;
Et, Dix dole, verroit la flerour
Tout d'une bee.
Ele m'a la mort donnée
S'ele ne m'aime.
Sa biauté dont mes cuers se claime
Yoel deviser :
Ele a le front aussi cler
Gomme cristal ,
SI chevel sont de un métal
D'or erdordé.
Si sorcil ne sont pas pelé
Ains sont brunet ;
Si bien sont fait au lignoleit
Comme a devise.
Dix . com sont de bêle assises
Ses oreilles !
Je me merveil a mervelles
De son [gens] col;
33 On me tenroit bien a fol
Se l'oublloie :
Ele l'a lono et si blancoie
Comme argent,
Et si rit si très doucement
De ses biaus iex
Que de ses deux mains les flst dix
Pour moi grever ;
Il sont vair et riant et clair
Et blanc entour
Et s'a aussi fresche colour
Com rose en mai.
Le cors joli et le cuer gai
Tout par raison.
Gomment deviseroit nus bon
Les dens qu'ele a;
Ains nature ne les fonrma
Qu'ele ne seut.
Mais Dix qui bien faire le seut
Par son commant ,
Les i mist si sereement
Qu il ne pot plus.
Hont sont courtoisement repus
De ses levrëtes ,
Qui sont grosses et vermlUëtes
Sur la bouce ;
La douceur dusk'au cuer m'entonce
Nuit et jour,
Et si ressont de tel coulour
Comme d'argent.
ri le a le nés si avenant
Qu'il n'I faut rien.
Il n'est trop cours , ce sage bien.
N'il n'est trop Iojqs. 6^
(1) Le texte ici, et en d'autres endroits, n'est pas bien sûr. L'écriture étant ef-
faeée, um plume moins ancienne, maiê enoore du xiv* siècle, l'a ropassée et
peut-être a dénaturé tes v«C8.
416
LAI D AMOUB.
Si, n'a mie trop cours talons
Ce m'est avis.
La gorge a plus blance que lis
Sous le menton ;
Et li dous plois , c'on dlst goitron ,
Li avient si ,
Que li jours en piain miedi
N'est pas si blans.
S'a les bras Ions, haingres les flans,
S'est longue et droite.
L'amour de li que je convoite
M[e] a si pris ,
Que je ne puis escaper vis
S'ele ne m'aime.
S'a Ions les dois et douce aiaine
Et bêles mains.
S'est crassète, s'a bêles rains
Et s'est courtoise
Environ li , n'a une toise ,
N'a fors bonté.
Ici m'a amours arresté ;
Du sureplus
Le doue trésor qui est reclus (l)
Ne vi-je onques;
Se l'eusse veu adonqnes ,
Sous les dras,
Confortés fust de grant soûlas
Mes dous mehains.
Mais bien vol ne puis estre sains
De ce malage
Se ele ne m'oste la rage
De mon cuer.
Coment ? Le saurés , douce suer,
Se jeu vous conte.
Tous esbabis serai de honte
Aucommencier;
Ne pourquant irai vous priier ;
104 Dix m'en doinst Joie.
< Beie, Amours a vous m'envoie.
Pour Dieu merci.
Savës vous comment je ving ei
Com prisonnier?
Car vous m'avez pris tout entier
Et cuér et cors ,
N'une riens n'en lais an dehors
Qui me chierisse
Car trestous sui en vo service
Sans fausser
Et si ne m'en voel destourner,
Ne ne voldroie ;
Que a tous jors vostres ne soie.
Douce amie.
Souvent me fait dure assaillie
Yo biautés ;
Car nule part n'est mes pensés,
Se en vous non.
Ne puis mengier car ne poisson
N'autre viande,
Nule riens mes cuers ne demande
Fors que vous.
Or vous ai dit, tout a estrous
Çou que pensoie.
Si me poès mettre en la voie
De morir,
Ou de grant joie recueillir
A tous jors mes (2).
Icist dui mes sont moul divers
•
Li un de l'autre ;
Or me donnés u un ou l'autre :
En vous en est. »
< Qu'est ce, dont vient ore ce plet
Que vous me dites
Qne vous estes trestous miens quites,
Cuer et cors? 140
(1) Le copiste a mis rtpw. — (3) Par inadvertance, le copiste a répété deux fois
ces SIX vers, en variant : Oe que pentoie À tout jour tnait.
LAI OAMOUB.
417
Je ne vous lis onques effors
De vo service.
Tous me dites tout par faintise ,
Bien le sai ;
Mais ja jour ne vous amerai
Pour tel parole ;
Ce n'est mie max qui m'affole
Que d'amer.
Je n'ai nis un talent d'amer,
Vous ne autrui.
Ja ne serai , n'onques ne fui
En son dangier.
Car trop i a grevex meslier,
Ce m'a on dit.
Si aurés de moi l'escondit ;
Bien le sachois.
Car vous dites tout par gabois ,
Pour essaiier
Se vous me poriiés ploiier
En tel manière. »
— « Si m'ait Dix , amie ctiière ,
N'est pas gabois
Ce que vous di, ains est tous voirs
Bien le sachiés.
Et s'il vous plaist , si essaiiés
Se vostres sui.
Vous m'avés mis en tel estai
Que je ne puis .
Ne par les jours ne par les nais ,
Mou cuers ravoir.
Pour çou m'estuet par est a voir
Priier merci ;
Se je vous pri comme a celui
Qui mon cuer a.
— Je l'ai ! voire? Qui l'esraça
De vostre cors?
— Je le vous dirai : Il effors
De vo biauté ;
Vostre cors H bel acesmés
Et vostre sens.
— Mes sens qui a meffait? Mes sens
l&i Ne mes savoirs
T. VIII.
Onques ni misent leur poolrs ,
Que je seusse ;
Et se je vostre cuer eusse
En mon pooir,
Tantost le vous rendisse voir,
Sans détenir;
Car je ne vcel riens retenir
Del vostre a tort.
— « Douce dame n'est mie a tort,
Ains est a droit r
Car quant vostre amours l'enportoit,
Ne'i savlés mie.
Or le savés vous , douce amie ;
Se'l me rendes.
SI m'aurës de tous max jeté
Par vo bonté.
— Ice que jou ai emporté
Vous renc je bien ;
Sans nule riens mètre du mien
Cors ne avoir.
— Je ne le puis mie ravoir
En tel manière
Se ne m'amés , amie chièrc ;
Nient autrement.
Jamais n'aurai herbegement
Se en vous non.
Tous jors crt en vostre abandon,
Com prlsoniers.
Certes mie ravoir n'en quier
Se n'est de prest ;
Et puis que de servir prest est ,
Il ne pueteslre.
S'il sert a deboinaire mestre ,
Que guerredon
Ne lui dolnst, ou face aucun don
Dont 11 s'esjoisse.
Bien doit amender de service
Qui bien sert ;
Et se mes cuers son servir pert
C'ert vostre honte.
— Ma bonté? Voire! A moi que monte
S'ilsedeut? 221
il
4i8
IJ^i D AMOUR.
36i
S'il meismes la verge quelt
Dont est l)aku8 ?
Nus n'est a li garir tenus ,
Ce m'est avis.
Se folemenl s'est en moi mis .
Je n'en puis mes.
Or m'en laissiés ester tiui mes
Je vous en pri. »
— « Digne, n'aûert pas a ami
. Qu'il escondie
Pe riens la yolonté s'amie
Ne sa requeste.
Respondés moi a une enqueste
Que vous demant ;
Et puis 3i me tairai a tant.
Quant à ceste beure,
Se vous savés que je labeure
Loiai[e]ment ,
Ainsi com font li vrai amant ,
Et je vous serf,
Si sougis que com de vo serf
En poés faire ;
Se vous yëés mon grant contraire
Et mon mescief ,
Yerrai-ge ja nul jour a clef
De vostre amour,
Par priière ne par clamour?
Dites le moi ,
Si me metés en grant effroi ,
Ou en espoir
D'ataindre a mon très doue voloir?
Il ne me chaut
Combien j'en aie froit ne caut
Ne duel ne ire ;
Mais que j'en puisse en la un rire
Et avoir joie ,
Se il vous plest que vostres soie.
Ains mais tel vie
Ne f4 entr'ami et an)le
Yraiement;
Respondés m'eut vostru talent
De çou vous pri. »
— < \ olentiers. Se vous m'amés si
Com vous contés,
Bien en pora estre doutés
En aucun point,
Mes cuers, se il voit qu'en tel point
Comme vous dites
Soit tous jors miens, liges et quites
Sans fausser ;
Mais bien le vaurrai esprouver.
Sachies ançois
Ne voel pas que vous me gabols
De foie trueve,
Ne que j'aie d'amour reprucvc
S'ei n'est vraie.
Car 11 avlent qu'en sa manaie
N'i ait amours.
Je voirai poursivir tous jors
Sa volenté;
Et pour cou sui-ge en volenté
De bien savoir
Le cuer de celi qui avoir
Vourra m'amour. »
— « Dame , ce n'est mie dolour ;
Et grant mercis !
Car ou croi que n'est pas péris.
Mes grans travax
De sor enduerrai mes max,
En bon espoir.
Quant il vous plaira , mon doloir .
Metés en joie.
Or me gar que je ne recroie
De vous amer;
Car vous m'en porriés clamer
A recréant. »
— « Non ferai-je. Je vous créant ;
N'en doutés ja. »
— « J'atendrai tant merchi, dame,
Qu'il vous plaira. » 304
DIT, FÂTRÂSIES, ÂME MARIA.
Nous arrivons aux moindres œuvres de notre auteur.
Le Dit de Folle Largesse est une historiette bourgeoise dont
rien ne rachète la trivialité. Le versificateur prêche contre les
prodigues. Un pauvre homme gagnait sa vie en allant au bord
de la mer chercher du sel qu'il rapportait à la ville. Il se marie,
et sa femme, mauvaise économe, donnait le sel gratis aux voi-
sines à langue flatteuse. Le saunier s'en aperçoit, et sous pré-
texte que la promenade et Tair de la mer la feront joliette, il
remiQène avec lui e( lui donne, ^n retour, une part d^ ^a
charge à porter. La dame copaprend tout le mérite de son ba-
ron, comme elle le nomme, lorsqu'à moitié chemin elle se sent
près de succombera la fatigue; elle demande pardon et devient
si bonne ménagère qu'au bout de deux ans elle a économisé
l'argent nécessaire pour acheter un cheval qui épargne au sau-
nier le plus gros de sa peine.
Suivent deux Fatrasies de Beaumanoir. On appelle Fatras et
Fatrasies ou encore Resveries, des pièces de vers qui présentent
une contexture régulière, le nombre, la mesure et la ripie, mais
auxquelles on ne voit pas de sens. Ce sont des mots juxtaposés
métriquement de manière à former une musique pour l'oreille,
sans offrir d'autre aliment à l'esprit que l'irritation causée par
l'impossibilité de comprendre. Du moins on le croit ainsi. Les
auteurs de « l'Histoire littéraire de la France » (xxiii , 506) disent
à ce sujet : « C'est, dans une langue qui naît à peine, le parti
pris de parler sans rien dire; c'est lorsqu'il y aurait tant d'hono-
rables travaux à faire pour perfectionner cette langue , de hon-
teux efforts pour la flétrir avant le temps par ce misérable abus
de la parole qui ne semble plus que l'accent des brutes, du mo-
ment où elle cesse d'être l'expression de la pensée. »
Quelque bas qu'on veuille placer le niveau intellectuel du
Moyen Âge, je me refuse à croire qu'il se soit amusé ^ux plates
niaiseries dont on l'accuse. Ce qui est vraisemblable, c'est que
420 LES POÉSIES DE BEAUMANOIR.
les Fatrasies étaient ou des essais de versification dans lesquels
on s'exerçait à des difficultés de rime ou de mémoire, ou bien
c'étaient des jeux de société. Et, dans l'un et l'autre cas, le ca-
ractère de ce genre d'ouvrage était l'improvisation. La seconde
des deux Fatrasies de Beaumanoir est formée de couplets de
onze vers à rimes entremêlées de manière à présenter quelque
difficulté à celui qui aurait été chargé , sur la vue d'un de ces
couplets, d'en composer immédiatement de pareils, même abs-
traction faite de sens et de raison. Pour ce qui est de la Fatrasie
n^* I, quand même nous n'aurions pas le titre dont elle est pré-
cédée : tt En grant esveil sui d'un conseil que vous demant » et
qui annonce un jeu de société analogue au jeu bien connu :
Je vous vends mon corbillon ,
Qu'y met-on ,
quand même certaines strophes n'indiqueraient pas d'une ma-
nière expressive, celle-ci par exemple *.
Sire Robers ,
Faites vos vers ,
Qol pensés si
que la pièce toute entière est une sorte de conversation par
propos interrompus; quand même on ne serait pas frappé de
ce mouvement général des 74 couplets dont elle se compose,
chacun formant un sens achevé et renvoyant la parole, avec la
rime, au couplet qui suit; quand même toutes ces observations
échapperaient, le manuscrit de Beaumanoir nous fournirait une
preuve que les Fatrasies ont bien le caractère que nous leur at-
tribuons : c'est qu'au texte est jointe une miniature, dans laquelle
on voit cinq personnages placés debout les uns en face des autres
et parlant avec animation. C'est évidemment cette société de
joueurs et versificateurs où chacun rime à son tour et renvoyé
la rime à son voisin.
Loin de mériter nos mépris, les gens qui se livraient à cet
exercice prouvaient une agilité d'esprit que nous n'égalerions
pas sans peine, et ceux qui ont pu nous conserver par écrit quel-
ques-unes de ces pièces improvisées avaient certainement une
excellente mémoire.
LE DIT DE FOLLE LARGESSE
De foie larguece casti
Tous ciaos qai en tont aati (1) ;
Car nus ne la puet maintenir
Qui en puist a bon cief venir.
Je ne blasme pas le donner,
Ne les bontés guerredoner;
Mais il convient manière et sens
De soi tenir ou droit assens
Par coi on paist le gré avoir
Des bons , sans perdre son avoir.
An fol large ne chaot de rien
Ou ses avoirs voist mal ou bien
Qui toutes gens mete a .1. fuer
Par fol sens jele le sien poer
Maint homme en est deceu
Et tans si deceu
Qui dans i avoient
Gii le sien en avoient.
Pour cou, dist on en un reclaim :
« Tant as, tant vaus et je tant faim. »
Li sages larges n'est pas tex
Ançois regarde combien Deus
Li a perte de son avoir
Et puis si prent garde au savoir
Et puis au povre que au rice
Car je tieng a sot et a nice
Qui avoir a, se larguement
N'en départ a la povre gent.
Mais au fol largue point ne caut
S'il donne ou au bas u au baut ;
Et une gent a , par le mont ;
Qui souvent perdent ce kil ont
Par ce ke il ne sevent mie
La grant paine ne la hascbie
35 Qu'il convient au povre homme avoir
Ains qu'il puist avoir bon avoir.
Nus ne sait que bons avoirs vaut
S'il ne set qui sont 11 assaut
Et li travail du pourcacier.
En essample voel commencbier
Un conte dont savoir pores
Vous qui entendre le volrés
Il sait mix puis conjoir l'aiso.
Qui sueffre aucune fois mesaise
Or oés mais que nus ne tence
Phelippes son conte commence.
40
A iiij lleuwes de la mer.
Que tous li mondes doit amer
Pour ce que bien fait à mainte ame,
Manoit un preudom et sa femme.
Li preudom ne manouvroit el
Lors que souvent aioit au sel
Assés avoit fait sa journée
Quant il raportoit sa colée (-2).
Avant ke se femme eûst prise
Se chevissoit bien en tel guise ,
Car il vendoit son sel si bien
Que il n'i perdoit onques rien.
Si estoit cras et bien peOs (3)
Et bien cauchiés , et bien vestus,
Tant qu'il ne seut l'aisse qu'il eut.
Famé voit. SI flst tant qu'il l'eut.
Quant les noces furent passées
Si se reprist a ses j ornées.
A la mer va , du sel aporte
Et a sa femme bien enorte
Qu'ele le vende et l'argent pregne
Ele respont qu'il ne desdaingne
Son sens, mais au sel s'en revoist 69
(1) Ccutigo atlacti. J'instruis sur la folio largesse tous ceux qui en sont
atteints. — ("2) Charge. — (3) Pasttu.
422
LE DIT DE POLLE LARGESSE.
Car s'ele puet et il li loist
Si sagement le venâera
72 Qae le tiers i gaaignera.
Li preadons en fa forment lies.
Au sel s'en rera moût haitles
Hui et demain et cascun jour
Gomme chit qui n'a nul séjour.
Le jour ovre pour sa besoigne
Mais la nuit encor pins ressoigne
Pour le grant anul c'on li fait ;
Car sa feme lès lui se trait
Qui demeure a Tostel a aise
Et ki peu sent de sa mesaise.
Si resvoille et si le tastonne
Tant l'esmuet et tant le tisonne ,
Comment que au preudome anuit ,
Qu'il veille dusk'a mienuit
Pour sa femme a son gré servir.
Et vers le jour quant veut dormir
Si 11 dist : « Or sus , nul ami ,
Souvent vous vol trop endormi.
Foi que je doi au roi eelestre ,
Deus iieues loing deussiés estre
Mais bui de jours ne venrés paâ
94 Se vous n'aies plus que le pas. »
Adont convient que tost se iieve.
Au sel s'en va quoiqu'il li grieve
Et sa femme a l'oslel s'en voise
Qui de canter pas ne s'acoise ;
Despent et cbante , il ni eut el ;
Peu entent a vendre son sel.
Ses voisines et ses commères ,
Qui virent tost a ses manières
En son cuer la foie larguece ,
L'une après l'autre a 11 s'adrece,
105 Et la vielle qui plus set bonté
Si li atralt de loing son conte
Et dist : « Dix vous gart, roa toisine
c Ou est li sires? » ■— « Il chemine,
Respont sa femme , vers la mer. »
— c Certes, moût le devons amer, »
Fait eele qui moût la losenge.
« Ainqaes ne le trouvai eslrange.
« Moût souvent quant il revenait
« Dou sel volentiers me donnoit ;
« Et vous qui estes bonne et belc
« Vés ci ma petite foissele
« Qui n'en tenroil mie denrée
« Se ele estoil tonte comblée.
« SI vous pri que vous m'en donnée;
« Bien vous sera guerredoiinés. »
Celé respont .- « Moult volentiers
« Tant comme il vous sera mestiers.
« A mes voisins et as voisines
« Et as vevcs et as mescbines
«c Dites qu'cles en vicgnent querre.
« Ja ne sera en si fort serre
« Que volentiers ne leur en doigne
« Ne voel qu'il en aient besoingne.
« Revenés quant cis chi faurra. »
— c Dame, adieu; cismox vous vaurra.» 130
Alant la vielle s'en relorne ;
Toutes ses voisines aourne (1) ;
Va acontant la bone chiere
Que 11 flst la jone saunierc.
Gelés qui mestler en avoient
Furent lies quant elles oient
Que la sanni^re est si courtoise (2).
Dist Mehaus , Nicbaus et Hersens :
« Mais ouvrer nous co vient par sens.
« Ne seroit par bon ce me samble,»
Font eles , « c'allssons ensamble.
« L'une 1 voist demain sans sejor 142
(1) Àdjomat. — (9) Ce vers termine la 9« colonne du f» loi, v» ; le copiste , en
passant |d'un feuilleta l'autre, a fait une omission.
LB DIT DB rOLLE LÀRGBSSE.
423
« Et l'antre après dusk'al tierc jor. »
Ainsi l'ont fait comme dit l'eurent
Au sel apetichier labenrent.
Tant 11 dient plantés paroles ,
Peu de sages , assés de foies ,
Que ses avoirs apetiça.
Une pièce après s'avisa
Li bons bom qui au sel aloit
Que son sel plus souvent faloit
Et a mains d'argent qu'il ne seut ;
Et de cou durement se deut
Qu'il ne set d'ont 11 vint la perte
Dusques a cel jor qu'il vit Berte
Issir dedens sa maison.
Ll preudons la mist a raison ,
Bemanda-li qu'ele avoit quis ;
Et ele li dlst : « Dous amis ,
c N'i alai querre fors que tant
« Que jeu alal vir Hermesent
« Vostre femme que je moût aim.
« Si m'a donné de son levain
« Fait celé qui bien set mentir
« Pour cou qui me convienlpestrir. »
Li preudon l'ot, qui sel et pense
Qu'eie li ment en sa deffense.
Si il a son giron ouvert
Et a veti tout en apert
De son sel une platelée ;
Or ne II a mestier celée.
Bien set comment ses sex s'en va :
Berte laist et ele s'en va
Moût honteuse et moût esbanbie ,
Et li sauniers pas ne s'oublie
Qui est de sa perte doiens.
Si pense comment, n'en quel sens,
II puist sa femme doner cargo
Par coi ne soit mie si large.
Tant pensa avant et arrière
181 Qu'il devisa n'en fera cbiere
A sa femme , mais a la mer
Le fera avoec li aler
Pour li castoiier soutilment.
Li fera aporter briement
Dou sel trestout cargié son col :
Demain saura bien se je vol
Quant j'ai ma carge sur ma teste.
Atant. de son penser s'arreste ;
Si est venus en sa maison
Sa femme le mist a raison.
« Sire , fait ele , nos sex faut
Pau cargastes, se Dix me saut,
Devant ter quant vous en venfstea :
Mais or en soliés clamés quites
Par si , quant demain 1 venrés
Que vous plus en aporterés. »
— • «Dame, dlst il, moût volentiers;
Mais il nous seroit bien mestiers
Que vous avoec moi venissiés
E j. fais en aportissiés.
Ce n'est fors uns esbatemans :
Vous verres (1) verdoiier les chans
Et s'orrës cbanter Taloete ;
Si en serés plus jollete. »
— « Sire , dlst ele , je l'otrol ;
Plus aaise en serés , je crol ;
Aussi m'anuie le sejors ;
Demain mouvrai quant il ert jors. »
Atant la parole laissierent ;
Apres souper tost se coudèrent
Et aussi tost com l'aube crieve
Cascuns d'aus ij. errant se liere.
Testa se sont ; a la mer vont ;
Deu wuls paniers portés i ont.
La famé a l'aler se renvoise
De son cant tentist la faloise.
Li preudom n'en fait nule cbiëre
Bien pense quant venra arrière
Qu'il sera bien vendes (2) 220
(1) Le copiste «i mis venrés. — {i) Je souligne Ici les mots doutejix et omets les
illisibles.
424
LE DIT DE FOLLE LARGESSE.
Tant tienent leur charge andai
Que il sont a la mer ver.u.
Du sel ont pris et retenu
Tant que res furent leur panier ;
Puis si s'en relornenl arrier.
Huimais orrés , corn ailement
227 Se démena dame Ermesent (l).
Quant 11 falssiaus 11 apefa
De çou qu'ele vint, lipesa;
Si se commence a souffacbier
Et a demourer par derrier.
Ses barons aloit par devant ,
Et bien s'en va garde prenant.
Il la semont d'aler bon pas.
Ele respont : « En es le pas ?
* Sire , certainement vous di
Il n'est mie encore miedi ;
Un petitet nous reposons. »
Ll preudom dist : « Âlons , alons ;
De reposer Irop vous bastés ;
Encor ne sommes pas aies
Je cuit le quart de nostre voie. »
La femme lot ; peu s'en e.«joie ;
En son cuer petit le déporte
De ce faisiél que ele porte.
Se ses barons o li ne fust
Hout tost délivrée s'en fust.
Toute voies n'ose prier lui ,
Ançols 11 celle son anui
Pour çou que blasmer le soloit
Quant il disoit qu'il se doloit.
SI suelTre au mix que ele puet ;
Grant cose en faut , l'estuet.
Tant sueffre celé penitance
Qu'ele a recreandir commence.
A un fossé s'est apoilé
Tant qu'ele s'est descarglé.
358 Ses barons le volt, si s'arresle,
Son fais osle de sur &a teste.
<c Dame, dict il, que vous en samble?
Mainte fois m'avés ce me samble
Pour petit faissel laidenglé
Aurai ge désormais congié
De cargicr si peu que voldrai
Par tel covent que je prendrai
Avoec mon sel dcl vostre un peu.
Slrc , dist ele , je facb veu
Je ne vous en blasmerat mais
Car trop par sont grevex tel fais.
A tant 11 preudom 11 descarge
Bien le tiers ou plus de sa garge
Si l'a desseur sa carge mise
Et ne pourquant grant paine a mise
Que d'ilueques s'en voisent tost
Qu'il veut que petit se repost. 275
Andui recargent, si s'en vont
Mie une lieue aie ne sont
Quant ele reprent a lasser
Or m'estuet mon orguel quasser
Pense celé qu'avoir solole
Certes bien hors del sens estoie
Quant je créole mes voisines
Pleust a Dieu que leur eschincs
Eussent autrelant d'anui
Comme la mole aura ancui
Pour le fais qu'il m'estuet porter
Ne me vienent mais en orter
Que je leur doigne folement
El or que Dieu qui ne ment
Eles souplieroienl en vain
Lasse comme j'ai le cuer vain
Quant mes barons -se demanloit
De son travail peu se sentoit
Mes cuers qui ert si orgileus.
Miex s'est vengiés, se m'ait Dex,
De moi que s'il m'eUst batue. 296
(1} Le copiste a écrit KrmenKPt.
LE DIT DE FOLLE LARGESSE.
435
Jamais ne serai decéOe.
. Ne viegne mais nul a i'ostel
Pour qaerre demie de sel ,
Se il ne m'aporte l'argent.
Il est moQlt de chetive gent
Qtti folement jelent l'avoir
303 Qu'a lor oes devrolent avoir.
Atant s'arreste; aler ne puet.
Par force reposer l'estuet.
Que vous iroie je aiongant
Ne ses reposées contant.
Anals del escouter seroit
Qui toutes les vous conteroit.
Par tante fois se reposèrent
Que quant a leur maison entrèrent
Il esloit près de mienuit.
Ne quldiés pas que il anuit
À Ermesent quant fu venue :
Couchié s'est (1) trestoute nue ,
Qu'eic ne se pot soustenir,
Ou preudome n'ot qu'esjoir.
Il soupa, puis s'ala couchier.
L'endemain quant vit esclairier
Dist a sa feme : « Levés sus !
Li jours est pieça apparus ;
Alons au sel ; mais de semaine ,
Bfcle suer, on doit avoir paine
Pour avoir, en cesl siècle , avoir ;
Car avoirs fait souvent avoir
Ricesse , joie et signourie :
Que povretés ne feroit mie.
Povretés fait mainte ame honte. »
A sa femme plaist peu tel conte ;
Si li respont : « Sire , par fol
. Aler n'I puis ; ce poise moi
Mais pour Dieu laissles me a I'ostel
El je vendrai mix vostre sel.
334 Saciés que se je (2) fis ains mais
N'avoie pas connus le fais
Ne les grietés de Taporter.
Se vous me volés déporter
Que je plus a la mer ne voise,
Tous jours mais Vous serai cortoise;
De çou que g'i alai me duel.
Si contrai mix que je ne suel
Vostre paine et vostre grieté.
Mais se Dieu plaist en cest esté
Tendrai tant amont et aval
Que nous achèterons cheval
Qui aportera vostre fais.
Dame dist et je m'en tais
Puis que m'avés fait convenance
J'esgarderai vostre cbevance.
319
Atant s'en part. Eie demeure.
En son Ht fu dusk'a haute heure
Quant asssés se fu reposée
Si s'est vers miedi levée.
En sa maison ja l'atendoient
Tex quatre qui dou sel voloient.
Ele leur dist : « Volés vous sel? »
Eles dient : « Ne volons el.
Bien savons vous i fustes 1er
Or en aurons nous sans dangier ;
Et la saunière leur respont :
« Foi que je doi le roi du mont
Jamais par vos paroles fausses
Ne me serviront de lex sausses
Gomme pieça m'avés servie.
Poitevine ne demie.
N'en ares se je n'ai l'argent.
C'est mervelie d'entre vous gent ;
Vous quldiés pour noient l'aions
Quant a la mer querre Talons?
Non avons hier. Bien m'i parut;
Pluiseur fois reposer m'estut.
On ne (8) l'a pas si comme on veut. 372
(1) Le copiste a écrit feit, — (9) Le copiste : que je ne fis. -^ (.S) Le copiste
a mis ne deux fois.
436
LB DIT DB PÔLLt LARGtSSB.
ToQs li cors encore tn'en deut.
Qai on denier aura , denrée
L'en ert maintenant mesurée ;
Qal denier n'aora , si laist gage
Par Dien qnl me flst à s'ymage.
Aatrement point n'en porterés ;
De mol mais ne voas mokerés. »
Qaant les voisines l'entendirent
Teles 1 eut qui du sel prirent;
Et qui argent ou gage n'a
De son sel mie n'emporta.
Atant s'en sont d'illuec alées.
Àins que passaissent ij jomées.
Fu de foie larguece hors ;
Et au bien vendre se prist lors
Quanques ses barons aportoit.
Si 1res bien et si cier vendoit
Qn'alns que passas ij estes
Eurent ij kevax acatés.
Si leva il preadom carete ;
Desore estnet, qu'il s'entremêle
De mener sel par le païs ,
Et il n'en fu mie esbahls.
Ains flst tant qu'il mouteplia.
Ainsi sa femme castoia
Et mlst bors de foie largueche.
Si flrent tant puis sans pereche
Qu'il furent rice et aaisô
401 Et entre leur voisins prislé.
Par ce conte poés savoir
Que fox larghes pert son avoir
El, moût souvent, maint tel largece
En cuer oiseus plain de perece.
Car cuers percceus ne veut aquerre
Et 11 pol visex le desserre.
L'escriture dlsl ce me samble
Que qui a oiseuse s'asamble
De fourvoiier est en péril
Mainte âme , et menée en escil.
Aussi dist ele qu'a délivre
Devons aquerre com pour vivre
Et vivre com pour lues mourir ;
Car on ne sait quant doit venir
A cascun l'cure de la mort
Pour çou a tout le mont enort
Qu'il sacenl vivre sagement
Et donner ordeneement.
Or si prions que Dix nous doingne
Faire a tous si bone besoigne
Qu'après nostre mort par sa grasce
Le puissons veoir en sa face.
Amen. Dix nous doinst paradis.
A tant est tous mes contes dis. 435
BXPLIGIT DB FOIR LARGCRCB.
FATRASIES
I
En grant esveil sui
D'un conseil que vous damant :
1. Au parlement
Eut assés gent
De maint païs.
2. Di mol y amis ,
Sont ce plais
En ce panier?
PilTHA0tfe9.
4S7
3. Pour on denier,
Eas avan ier
Une vendoise (l).
4. Cil se renvoi8[e} ;
Peu li poise
Du froit tans.
5. Quaresme issans
Et hors d'avans
Aim je tous jours.
6. Ribaus en four,
Prison en tours
Souvent avient.
7. Qui amours tient
Se trop l'escrient ,
Ce estfolages.
8. Bons est froumages
Et compenages ,
Quant il yverne.
0. En la taverne
Me goiverne
Volentiers.
10. Sire Gautiers
Me doit deniers ;
Ne's puis avoir.
11. Par estavoir (2),
M'estuet mouvoir
A la journée.
12. Dame Aubrée ,
Ou est alée
Marions?
13. Trois quarterons
De biaus boutons
Vous venderoie.
14. Simple et coie,
MoQt mi grérole
Yostre amour.
15. Li arc d'aubour (3)
Sont li millour,
Ainsi le croi.
16. Fol que vous doi,
Lx et troi
Sont cil dé la.
17. Il s'en tourna ,
Car il n'osa
Plus demeurer
18. Je voel aler
A Saint Orner.
Au matinet.
19. Hastevarlet,
Tôt ce brouel
Si mengeron.
20. Par saint Symon !
Car et poisson
Ce sont bon mes.
21. J'euc a Calais
X berens frès
Pour un tournois.
22. En Aucerrois
Cevauçans, vois
Tins acheter.
23. Qui veut amer,
Trop a d'amer
S'il n'est amés.
24. Se ne vous gardés ,,
Vous perdrés
Tout vostre argent.
(1) Monnaie. — (-2) Cf. Hanekine, v. 5284. — (3) D'aubier.
428
PATRASIBS.
25. Bien sai , argens (i)
Méat mainte gent
En convoitise.
36. Yostre chemise
Fu gehni mise
Envers l'envers.
S7. Sire Robers,
Faites vos vers
Qai pensés si.
28. Je vons afl .
La Saint Rémi
Va aproçant.
20. Je sai bien le cant
D'Agoulant
Et de Jaumont.
30. En son cemont,
Aie en sont
Atoat les ciens.
31. Sire noient
De mes ioiiens
Qui monte a vous.
32. Gaers saverous ,
Ames me vous ,
Dites le moi.
33. De par le roi ,
Je vous envoi
En cbastelet.
3J. Vallet, vallet,
Pren ce muilet;
Il s'en ira.
35. Qui s'en fuira
Couars sera ,
Je l'os bien dire.
36. Baissiés vostre ire ;
Saciés , biaus sire,
Peu en donroie.
37. Je n'oseroie
Aler la voie
(De) par de la.
38. Je donrai ja
Ce ribaut la
Du poing es dens.
39. Trop sont prenans
Et gaaignans
Ces useriers.
40. Oncques denier
Me meurent chier;
De moi s'en vont.
41. Compaignon sont
Moult bon à Pont
Sainte Messence (2).
42. Grant reparlance
Est de l'enfance
Lancelot (3}.
43. Trop grand riot
A en ce sot ;
Ostés le moi.
41 Foi que vous doi ,
En bone foi .
Vous amerai.
(1) Seul exemple jusqu'ici d'une répétition du mot précédent; mais le nominatif
est toléré comme différant de raccusatif. — (9) Pont-Sain te-Maxenco. Co mot seul
indiquerait la pièce comme faite au Mgncel, chez Beaumanoir. — (3) Lancelot du Lac.
FATRASIBS
429
45. Quant Je porai ,
J'amenderai
Yostre estoatie (i).
d6. DoQce amie.
Je Yoas prie
Pour Dieu merci.
47. Par saint Rémi !
Moat a en li
Bon cuisinier.
48. En se soiier
S'en vont mengter
Li compaignon.
49. Qui sans raison
A desraison ,
Il n'est pas liés.
50. Se vous issiés ,
Si toumoiiés
Hardiement.
51. Ne te repent ;
Aporte avant
Ce que tu tiens.
52. Dedens Amiens,
N'eu-j-onques riens
Se je n'i fui.
53. Ne menjai hui ,
Ne hui ne bui ;
Dont il me poise.
54. Geste poise
De çha plus poise
Que de la.
55. Qui te n'aura ,
Pas ne t'ama
De bone amor.
56. Hais cascun jor
Yenront du four
Gasteiet cbaut.
57. Sire Ribaut
Et que me caut
De vostre ju?
58. Sejemengu,
J'aurai du fu
Lès mon cosié (3).
59. Qui a osté
Nostre pasté
Que j'aportai?
60. Je buverai,
Saciés de vrai ,
Comment qu'il aille.
61. Quatre vaille ;
11 ne me caille
Se tu pers.
62. Plus es divers
Que n'est un vers
Qu'on veut tuer.
63. Je voel ruer
Sans esluer
A ce coulon.
64. Di)c ! quel laron
Et quel glouton
Il a en vous !
65. Vous êtes cous
Car vostre tous
Va en dechié.
66. Qui a mengié,
S'il l'a paiié
Cuite en doit estre.
(1) sltUlilia. ~ (;>) Fusi, bâton; je serai batlu.
iSO
PàTUASlES
67. Sire raaistres ,
Estres vous prostrés?
Couronne avés.
68. Tost a portés
Des ans pelés
En ce mortier.
69. Aies plaidler,
Sans atargier,
Il en est tans.
70. Moine d'Oscans
Sont bones jens ;
Ensi le cuit.
71. Vés comme il fuit :
Alons trestuit
Après courant.
72. Par la devant
S'en va fuiant
Un grans connins.
73. Cix Jeolins
Boit si fors vins
Que il se noie.
74. Pour riens que voie
Plus ne diroie
De ces oiseuses.
II
Li chan d'une raine
Saine (l) une balaine
Ou fons de la mer ;
Et une seraiqe (2)
Si emportoit saine
De seur Saint Omer.
Uns minau i vint chanter,
Sans mot dire ; a tiaute alaine ;
Se ne fust Warnaviler (3)
Noie fuissent en la vaine
11 D'une teste de sengler.
Li pies d'un sueron
Feri un lyon
Si k'il le navra.
La moitié d'un jon
A pris un limon
Ki s'en courecba ;
Mauvais iaron le olaraa.
Es vous le bech d'un frion
Qui si bien les desinella
Que la pêne d'un oison
Trestout P^ris emporta. 22
Je vi toute mer
Sur terre assambler (4,
Pour faire un toui'uoi
Et pQîs à piler.
Sur un chat monter
Firent noslre roi ;
A tant vint Je ne sai quoi
Qui Calais et Saint Omer
Prist et mist en un espoi ;
SI les a fait reculer
Deseur le Mont Saint Eloi (5). sa
Yns grans herens sors
Eut assis (6) Gisors
(l) Sanat ou saginat. — (•i) Syrène. Le Chant des Seraines, par Est. Forcadel ;
Paris, 1648. — (3) Simple ferme, voisine du tlef do Beaumanoir. — (4) Combattre.
— (5) Monl-Saint-Eloi (PasHle-Calais), arrond. d'Arfas. «-^ (S) Assiégé.
F^TBASIS^.
431
D'une part et d'autre ;
Et ij homes mors
Vinrent a ellors
Portant une porte.
Ne fust une vielle torte,
Qui ala criant : a hors l
Li cris d'qne quaille morte,
Les eust pris a effors
44 Desous un capel de fautre
Li cras d'un poulet
Menja, au brouet,
Pont et Yerberie.
Li bes d'un collet
Emportoit sans plet
Toute Normandie ;
Et une pume (1) pourie ,
Qui a fera d'un maillet
Paris et Rome et Surie ,
Si enûst un gihelet;
55 Nus n'en menjut qui ne rie.
Vns des estourdis
Portoit saint Denis
Parmi Mondidier,
Et une pertris
Traïnoit Paris
De seur saint Richier.
Es vous le piet d'un plouvier
Sur le clokier de Saint Lis (2).
Qui si haut prist a crier
Qu'il a tous estourdis
66 Les hourgois de Monpeliier.
Vne grand Yendoise
Entraïnoit Oise
Deseure un haut mont
Et une vies moise (3)
Deseure une toise
Emporta haut mont.
Une espanc de roont
Xi mnis de blé poise
Sur le caste! de Gier mont ;
Si c'une flestre Jorroise
En sooula tout le mont. 77
Quatorze vies frains
Âporterent Rains
Pour faire un estour (i)
Encontre ij mains
Qui eurent es mains
La bouce d'un four ;
Si en eurent le millour
Pour cou quQ carbons estains
Leur geterent tout entour
Si It'il eurent ars les mains
Sur le pumel (5) d'une tour. 88
Li chles d'une trelie
Par nuit se resvelle
Pour pestrir pastés,
Et une corneille
Prist une corbelle ;
Ce fu foletés.
Car xix vaissiaus dés
Coururent a la mervelle.
Ja i eust cox donnés
Quant une chaloreiile ,
D'un baston, les a sevrés. 90
Une vies Icemise
Eut sentence mise
À savoir plaidier.
Et une cerise
S'est devant li mise
Pour li iaidengier.
Ne fust une vies cuillier
Qui Sa laine avoit reprise
(1) Pomme. — {i) Senlis. -^ (3) Moise, pièoe do cliarponte. Haut-Mont, lieu
d'Artois. — (4) CombAt. -^ (5) Pumel : pommeau , boule au sommet du toit.
VATKASlBii.
SI aportoit un vivier.
Parmi llj tlaons
Toute II -uwe de ça mise m Mengierent FraDçoIî.
0 Fust enlrée en uq pailler, * t^' ' v""' Aacerrols
Acourant en IJ pocons.
Somais {i) et Ressons SI que Cbaalons el Btoig
Vinreat à SoUaons S'en rurejil dusk'à Kons
Prendre Boulenois; En Henau, par Oreloli.
El trol mort taons
AVE MARIA
Ave Maria, o très doace Marie,
Fontaine de pitié !
Qui ja jour n'ert torie ,
Qui â mains peccoar
Donnés miséricorde.
Je vous pri, nostre dame,
Que vous ne souffres mie
Que deables ait m'ame
En sa soie baillie.
Mais a bon dous fll , dame
Merci aie et racorde
Ançois que la Inors viegne
Ne que ele me morde
Vous pri lompés
Du deable la corde
Qu'il a mise en tour moi
Par sa grant félonnie ,
Pour moi traire en la flamme
Qui est puans ci orde.
Ne je ne sai comment,
Dame, je l'eu reslorde,
Se vostre grans pitiés
Leur pooir n'afeblie.
Gratia plena ; dame
De toute grasse plaine,
Plus assés que n'est d'iauwe
Rivière ne fontaine ,
Ne la mers ensement
Qui est grans et parfonde ;
Dame qui eslevé
Fustes pour la souvraine ;
En qui Dix s'aombra
Pour nous ester de paine ;
Se n'el nous tant pecbiô
Dont tant a par le monde
Que je dout, douce vierge,
Que en Enfer ne fonde ,
Se vos très grans pitiés
39 Ne me fait de max monde ,
T. VIU.
Et vostre grans secours
En joie ne me maine.
Donques puis je savoir
Que je sui en la fonde
Dont anemis me quide
Jeter en mort segonde
N'atent fors le passage
De ceste premeraine. 47
Dominas tecum, dame.
Avocques toi est Dix ,
Et tu avecques lui ;
En la joie des ciex
Qui si est grans et bonne
Nus ne le poroit dire,
Qui soit en tout le mont
Tant comme il soit mortex.
Douce dame , estes moi
De tous péciés mortex ;
Si que je vostre fll
Et vous, es ciex, remire.
Douce dame de qui
Pecheour font leur mire.
Yoelliés destorner m'arme
De la ou cil la tire
Qui de H tourmenter
Parest si envieus.
Sachiés tant a ja fait
Qu'il en quide estre sire .
Se vostre grant pitiés
Ne 11 veut contredire.
Dei tout m'a ja honni
U fei malicieos. 71
Benedicta tu in maiieribus.
Par cest mont poons bien
Tuit savoir que tu fus
Par deseur toutes femmes
Sainte et bonne ôorée. 76
S8
434
AVB MARIA.
Bien le nous monstra la
Oa tost fa secourus
Par ta miséricorde
Tes clers Tiieophilus ,
Qui de mettre en enfer
S'ame avoit encarlrée ,
Et de son sanc meismes
Fu la chartre ditée.
Puis baisa l'aneml
Piain de maie pensée ;
Ainsi par desespoir
Se f u tous confondus »
Hais puis se ramembra
De s'ame c'ot dampnée ;
A tant connut en tous
Force et pitiet doublée ,
Que ses malvais convens
94 Fa par tous derompus.
Et benedictus , Dame.
Estre doit beneois
97 Li enfôs et pour cui
Fu ce dit (Ja l'orrois)
Fructas venlris tui.
De ton yentre li fruis
Qui tant fu debonaires ,
Simples, dous et cortois.
Qu'il voit pour nous morlr
El gibet de la crois ;
Et souffiri tant martires ,
Tant tourmens, tant anvls.
Plaiiés, Grucifliés
Fu des félons inis,
Qui plain erent de max
Et de tous les biens TUis.
L'a vaut recevoir mort
Cil qui est rqis des rois ,
Pour ses amis oster
D'infer del parfont puis.
Vierge qui le portastes ,
Vierge avant , vierge puis,
Gonduisiés m'ame là
Ou sont les douces voies !
Amen.
127
FIN,
yiDDÏTIONS ET pORRECTïONS
PHILOLOGIQUES
Lorsque je commençai , dans le Recueil de mémoires publié par
la Société Académique de TOise , Tédition des œuyres poétiques de
Philippe de Beaumanoir dont on Tient d'avoir les derniers vers, il
me sembla indispensable d'aider les lecteurs de la Société en expli-
quant les mots les plus difficiles. Faciliter, à des personnes inha-
bituées peut-être aux obscurités de notre ancien langage, l'intelli-
gence du texte était toute mon ambition , et je n'avais aucun des-
sein d'entrer sur le terrain des discussions philologiques. Je croyais
alors n'aToir à faire qu'une roTue rapide et superûclelle, une sorte
d'agréable promenade dans les champs du vieux langage. Seule-
ment , pour être à la fois très-bref et très-complet , ma louable in-
tention était d'expliquer chaque mot obscur en mettant au-dessous,
en note, le mot ancien, latin ou autre, dont il était dérivé, quand
même la source étymologique n'eût pas été prouvée, mais seule-
ment vraisemblable. ~ Ce système loyal était des plus dangereux.
Nul besoin d^attendre la fin de l'impression pour s'apercevoir do
plusieurs méprises où j'étais tombé et pour reconnaître l'utilité des
systèmes tout différents que suivent toujours les éditeurs de poésies
et autres documents du moyen-âge^ lesquels ou ne mettent aucune
note explicative, ou n'expliquent que les mots parfaitement sûrs,
c'estrà-dire parfaitement connus , ou ne donnent que la traduction
française du mot difficile, ce qui leur permet de se contenter d'un
équivalent et par conséquent de ne pas se tromper. Je demande
donc au lecteur la permission de reprendre un certain nombre de
passages des vers de Beaumanoir, que, faute d'attention suffisante,
j'ai expliqués d'une manière défectueuse ou tout à fait fausse , et
j'y joindrai , au fur et à mesure qu'ils se présenteront, les quelques
articles que j'avais réservés comme trop longs pour entrer dans les
notes placées an bas des pages.
436 ADDITIONS ET CORRECTIONS
La pièce de vers sur la chair, et les os charnas ou décharnés ,
que nous avons Iranscrile ci-dessas dans la préface, d'après une
copie qui se IrouYe sur la garde du manuscril 7609*, se trouve
aussi dans d^autres manuscrits. Elle est d'un trouvère du xui* siècle,
Baudouin de Gondé, et elle a été publiée, sous Je titre lÀ ver de la
char, par M. Âug. Scheler dans l'ouvrage : DUset Contes de Baudouin
de Condé et de Jean de Condé, son fils; Bruxelles, 4866, 2 vol. in-8<>
(I, \M). Les dix derniers vers de notre texte ne sont pas dans les
autres.
Manekine :
Vers 4482 : « Devers la mer a retournée sa chiere et voit la nef
venir. »• — Sa chière est « son visage, » caro, cara;
et non cathedra y sa chaise. Cette expression se ren-
contre fort souvent, depuis Corippus (vi* siècle) jus-
qu'à la farce de Patelin (xv'). Voyez par exemple
dans le fabliau de « la Houce partie , • vers 874 :
Vers son père torna sa chiere.
— 4487 : u Les gens qui iloec sont açaine. » — C'est tout à fait
improprement qu'on a proposé ci-dessus adcentenam
ou d'autres équivalents encore pires. L'explication
vraie est adsignat, il fait signe.
— 2244 : « Si kavel erent. » — Ce n'est nullement cavilia, se
rapportant à la couronne; c*esi capilli, ses cheveux.
— 4774 : « Si entrent ou Far, de manois. »
En plusieurs endroits de la Manekine (vers 4765, 4995, 6828, etc.),
Beaumanoir semble donner au fleuve qui joint Rome à la mer, c'est-
à-dire au Tibre, un nom inconnu : f^ Far, Il n'a cependant pas
tout à fait tort. Le Tibre se jette à la mer par deux bouches : l'une,
la grande, garde le nom du fleuve : // Tevere; mais la petite n'a pas
de nom et on rappelle encore aujourd'hui « le petit bras, » il fith-
midno. Or, un phare s'élève à l'entrée de ce dernier et y a vrai-
semblablement existé de tout temps. Le Far est donc probablement
le nom doLné par les matelots à la passe par laquelle ils entraient.
Seulement , cette désignation n'était pas particulière au petit bras
du Tibre, et dans la géographie peu informée du moyen-âge c'était,
parattrait-il , le nom banal donné à toute passe éclairée la nuit
PHILOLOGIQUES. 437
pour les navires. Du moins jetrouTO (sur rindicalion de M. Henri
Michelanl) un fait identique dans un autre roman du xui* siècle ,
« Guillaume de Palerme » (mss. de la Biblioth. de TÂrsenal , aux
Yers '145 et ^H). Le poêle, après avoir raconté Tenlèfement d'un
petit enfant par un loup-garou près de Palerme, ajoute :
Li leus atout l'enfant s'enfuit;
Fuit s'en li leus et cil après
Qui de l'ataindre sont engrès
De ci au far le vont chaçant;
II sont en l'eve atout l'enfant.
Le far tréspassé, perdu l'ont
Li rois et cil qui o lui sont.
Vers 6i90 : « Est de sa demande destrois. » — Non destrictus ni
destruclus, mais districtus, tiré de part et d'autre,
perplexe.
— 6198 : « Tout IcToir en^V/iro</. » — Jaceret ai non jamiarel,
— 6613 : « La consirrée. » — Consideraiio et non consecralio,
— 6650 : a De leur péchiés Jehissant. » — La proposition do
gemiseentes n'est pas acceptable à cause do Vm. Il
s'agit d'une sorte de participe formé sur l'idée do
gehennari, Voy. la noto sur Jelian et Blonde, v. 746.
Jehan et Blonde :
Vers 225 : « Moût me plaist et bien me haite. » On trouve comme
substantif: hait, haitement; adjectif: haistiéy fém.
haistie on haitie; verbe : haiter, enhaiter; et par
opposition : deheiz et dehaict. Les glossaires, en
devinant le sens , traduisent les deux mots par
« dispos , gai , bien portant , » et son opposé par
« chagrin, malade. » Quant à l'étymobgie, on peut
voir dans le glossaire de Diez la peine qu'il prend
pour la rechercher dans les dialectes saxon, gaélique,
comique, breton, basque, allemand et celtique. No
faudrait-il pas la chercher plutôt dans le bas-latin ?
ÂdgUtariy adgistatus, signifient nourrir ou être
nourri aux frais d'autrui, et Vh initial peut avoir été
ajouté comme dans haut (altus), huile (olenro), etc.
Quant à dehait, on ne trouve pas degistatus^ mais
on a d^ectus et peut-être le barb. defactatus.
438 ADDITIONS BT CORRECTIONS
Vers 453 : « Caus est en tel desirier. » M. Francisque Michel , à
qai ce chapitre d'errata doit beaucoup, suppose
qu'au lieu de caus il faut lire caiU, chu, tombé; de
même qu'au t. 5448 de la Manehine, il propose de
corriger « coume atornée » en totUe atornée \ mais
le manuscrit porte bien caus et coume.
— 4486 : « De deboinaires et à'estous. m -^ Stultus.
— 4492 : « Hout sont tenu de grand sauté, * — Satietas plutôt
que subtilitas.
— 4658 : « Quant mui peur venir ceste part. » — Movi plutôt
que mutavi.
— 4692 : « Sur son lit acoutés. » — C'est hien acmbitatus , mais
la traduction doit-être accoudé et non couché,
— 2008 : Cl Si sagement son cœur navoie, n — Lisez n'avoie,
n'achemine j ad-viet, advocet.
— 2067 : u que la mort traisist, » — Traxlsset et non
transisset.
— 2454 : « Robins qui est preus et isniaus. n — Isnel, isnelle'
ment, sont des mots qui se présentent sans cesse
dans la langue française du moyen-Age, pour dire
a jeune, Tif, leste, opposé de ce qui est sénile. »
L'italien a de même snello. Diei et son école n'hé-
sitent pas à faire tirer ce mot par la France et l'Italie
de l'ancien-haut-allemand snell, schnell, qui a le
même sens. Contentons-nous d'y Toir un des termes
de la nombreuse série des mots français provenant
d'un mot latin commençant par in, lesquels parfois
perdent l'n, comme i«o^, dont le type est insulatus.
Le latin antique employait le mot insenescibilis ,
a celui qui ne vieillit pas. • Il avait aussi peut-être^
ou il y a eu depuis : insenilis, type dUsneL
— - 4004 : « Si m'espée au cors ne li moelle, » — Ne lui mouille^
mulceam et non moveam.
— 4046 : « Et Jehans pour leur cox gueneist, » — C'est-à-dire
qu'il gauchit, se jette de côté et se dérobe aux coups
par une feinte. Le mot guenehir est d'un emploi
fréquent chez les auteurs du xm* siècle. M. Liltré
démontre {r> gauche) l'identité de guenche ou
ganche avec gauche, qui est seulement de forma-
PHILOLOGIQUES. 439
lion plus réconte. L'école germaniste, conduite ici par Graff (y^/f-
koeh'd. SprachsschatZj 4834), fait dériier guenehe de l'ancien-haut*
alleman J wenkjan, céder, chanceler, par la raison que la main
gauche est la main faible ; et M. Brachet {Dictionn, étytn,), abré-
Yiateur de Liltré, suppose que gauche étant une forme féminine , il
7 a eu un masculin primitif ^aitc, à l'origine gale, type qui est d'ori-
gine germanique et répond à l'ancien-haut-allemand weik, faible.
Je n'examine pas ces hypothèses; je ne demande pas pourquoi
gauche, la main gauche par exemple, possède une étymologio si
compliquée quand la main droite ou die rechte Hand, aussi bien
l'allemand que le français, tire tout bonnement son nom du latin
tecta, directa. Je me borne anx observations suivantes :
Le nom des deux mains, durant tout notre moyen-âge, a été
Dextre et Seneslrc. Lxvamanus, iœva pars, ne se trouve que dans
le latin lettré et recherché, en sorte que le sobriquet de la main
gauche qu'avait créé la superstition la>ino, 5ln/#^ra, prévalut. Mais
d'autres sobriquets peuvent avoir coexisté avec celui qui avait pris
le dessus el le perdit depuis. Or, en songeant que le nom de la main
droite, dextra, contient unoaflinilé sensible avec l'idée de mouve-
ment et de direction, ducere, deduclor, dexter, on est conduit nata-
rellement à chercher le nom de l'autre main dans l'idée opposée.
Gomment Tidée opposée à celle du mouvement serait-elle mieux
rendue que par guiescerej et n'y a-t-il pas une analogie de forme et
de son assez séduisante entre guenche et quiescens? Toutefois Tn,
au milieu du mot guenchir^ est un élément dont la présence ne
s'expliquerait pas dans la transformation de quiescere, et il nous
semble préférable de regarder le type de guenchir et gauchir
comme se trouvant dans le mol parfaitement bon latin vanëscere,
La main guenche est la main défaillante^ évanouissante.
Nous avons un mot toul voisin de gauche : c'est éclanche. Il
est même très-clairement employé pour gauche (4), et en eifet on
va voir qu'il a exactement le même sens, mais emprunté d'un aulre
mot latin. Au propre, il a paru signifier une épaule d'animal, un
gigot do mouton. Pour l'éiymologie, éclanche a résislé à la péné-
tration des lexicographes. « Origine inconnue et sens mal déler-
(1) Dans l'Evangile des Quenouilles (tv* siècle), on dit : le bras esclenc
pour le bras gauche.
440 ADDITIONS IT CORRECTIONS PHILOLOGIQUES.
miné, » dit Littré. Les Germanistes ne sont pas en peine, il est
yrai, avec i'ancien-haat-aliemand, de proposer: hlancha, Ûanc;
seinca, jambe; schinken, jambon, etc. Ârrétons-nous et disons au
lectear, qui en conviendra de suite avec nous, sans grande science
peut-être mais non sans plaisir, que le bras esclenc cl la main
esclenge, c'est le membre exlanguens ou exlangniescens. Gomment
mieux peindre que ne fait celle traduction, pour le sens du vers
suifant dans le roman de Renart :
Renart se saigne à main esclenge.
Vers 4468 : a Sans nule faute, » — Fabula,
— 4601 : • Qui avoient Agmsïéakeus leurcoutiaus. n ^ Acutot;
lisez : a à keus, » adcautetl^Mv la pierre à aiguiser.
— 5058 : tt Leur disners estoit ja quis, » — Cactus ^ et non quxsitus.
Terminons par un dernier retour aux vers de Beaumanoir.
Dans un passage des amours de Jehan et Blonde, qui noils ayait
semblé ne point contenir de détails instruciifs, se trouvent cepen-
dant ces jolis vers (4573 à 4590/^0 nous regrettons d'avoir omis.
Ils demandent d'être conservés au nom de leur gracieux langage et
font vraiment honneur au talent du poète :
Souvent juent les jors as tables
Et as autres jus delitables.
Ce puet il bien faire en apert
Jehans. En che noient ne pert;
Mais quant la gent s'en est torncc
Et il font seul le demourcc,
Errant entr'acoler se qurent (se cherchent)
Et de baisier s'entr*a*avcurent.
Quant U se pueent aaisier
D'aus entr'acoler et baisier,
S'ont une \ie si très douce
Que joie leur cuers si adouco,
Que nule grieté n'i remaint.
Souvent se tiôncnt entreçaint,
De leur biaus bras estroitement ;
Et puis tant dcboinniremcnt
Joignent leur visages cnsambie.
Que vraiement a cascun ssmblc
Que il facent de lour cuers cange.
y }
— ».
et
o
c
s-'
o
o
^hnirdôleâ
vn/rw
^ilUlNfllli*lllî
TOUX.Gréomèlre a.
M0NTI6NY-LES-MAI6NELAY (OISE).
Sur le (crritoire de Montigny-les-Maignelay (Oise), h droite de
la route départementale deBeauvais àNoyôn, dans Tangle formé
par cette voie et le cliemin dit de rEcu-de-France, il existe une
enceinte fortifico, connue sous le nom de Fort Philippe, Cette
enceinte a été jusqu'ici, par erreur, considérée comme une cons-
truction militaire de Tépoque féodale. Loin de Ifi : c'est un cas-
TELLUM ROMANUM STATIVLM dcs dcmiers sièclcs de l'empire;
la démonstration en réside dans la description suivante.
La figure de la forteresse est un quadrilatère, dont les angles
sont aux quatre points cardinaux, et la base entre le Nord et TKst.
Les côtés du quadrilatère sont des remparts de terre continus,
bordés de fossés extérieur» , avec talus à l'intérieur. Les quatre
angles ont une surélévation. Il y a deux ouvertures, Tune entre
les points Nord et Est, l'autre entre les points Ouest et Sud. Près
de celle-ci, s'élève une motte circulaire entourée d'un fossé.
La superficie intérieure est de 6 hectares 37 ares.
Les remparts sont formés d'un amas de pierres crayeuses, qui
ont dû être extraites du fond des fossés; car la surface du terrain
se compose d'argile recouvrant un massif de craie, qu'on trouve ù
une profondeur de 4 à 5 mètres. Au pied du talus intérieur, le long
et près de l'embasement du rempart, on aperçoit quelques pierres
dures. A la porte Sud-Ouest , dans la partie Ouest de la levée de
terre qui la flanque, et qui a été tranchée par une coupure obli-
que, perce un grès. Sur les remparts règne une plate-forme ou
chemin de ronde ayant en moyenne une largeur de 2 mètres.
Les côtés du quadrilatère sont chacun d'étendue et de conser-
vation diverses. Le rempart compris entre les angles Sud et Est a
442 d'un gastbllum romanum stativum
une longueur de 265 mètres , chaînée sur le chemin de ronde. 11
est abîmé dans la partie médiane ; sur une étendue de 190 mètres,
la plantation d'arbres fruitiers Ta détérioré, dégradé; et la cul-
ture de Jardins établis dans Tenceinte, a porté le sol au niveau
de la plateforme, en abolissant le talus intérieur. D'autre part,
Texploitation des terrains de la plaine fut cause d'empiétements
successifs qui ont réduit la largeur du fossé. Toutefois, cette
réduction a été restreinte, en sorte que ce fossé, qui d'ailleurs
n'est déformé par le parcours d'aucun chemin , peut être consi-
déré comme type du fossé primitif. Les extrémités de ce côté
de rempart sont mieux conservées que son milieu, surtout celle
qui avoisine la tour Sud. C'est même cet endroit de la forteresse
qui fait le mieux voir ce que dut être l'état originaire des choses,
grâce à la conservation simultanée du fossé et du rempart. Là,
le fossé a une largeur de 15 mètres, son fond de 3 mètres; son
rebord une hauteur de 2 mètres 75 c. et un angle de 45<>; le talus
extérieur du rempart une hauteur de 6 mètres 25 cent, et un
angle de 63<>; son talus intérieur une hauteur de 2 mètres 23 cent,
et un angle de 65»; la plate«forme du rempart une largeur de
2 mètres 50 cent, et sa base de 18 mètres 50 cent. La surface plane
de l'intérieur de l'enceinte se trouve plus élevée de i mètre 27 cent,
que les terrains existant à l'extérieur du fossé. La butte de terre
sise à l'angle, constituant une tour, possède, au-dessus du chemin
de ronde, une surélévation d'environ 2 mètres ; sa base a 22 mètres
de large. Elle ne fait pas saillie, son pied étant à l'alignement des
remparts, et sa plateforme rentrant. Son profil extérieur est ar-
rondi ; son sommet ovoïde. Les buttes des autres angles ont même
forme; elles sont à la fois tours de défense et de guet.
Le côté compris entre les angles Est et Nord, la base du qua-
drilatère, a une longueur de 270 mètres. C'est le moins consente.
Sur une étendue d'environ GO mètres, à 80 mètres de l'angle Est et
130 mètres de l'angle Nord, le rempart venant des deux côtés en
déclinant, a complètement disparu. C'est là que se trouve l'une
des issues de l'enceinte, à environ 80 mètres de l'angle Est, et
190 mètres de l'angle Nord. L'espace plane étant occupé par des
constructions ) on ne peut déterminer la largeur primitive de la
porte. Le rebord extérieur du fossé a disparu sous l'action de la
culture. Il n'en reste qu'un certain renflement de terrain. La four
de l'angle Est a une largeur, à sa base, de 24 mètres , et une hau-
teur de 4 mètres au-dessus du rempart. C'est la plus élevée; le ter
rain vis-à-vis étant le moins plat et le moins soumis à la vue.
A M01fTIG!fT-LB8-MAIGNBLAY (oISB). 44 S
Le côté antre l'angle Nord et l'angle Ouest a une longueur de
259 mètres. Le rempart est conservé d'une manière continue.
Le rebord extérieur du fossé se trouve détérioré par suite de l'é-
tablissement de la route départementale de Beauvais à Noyon.
La largeur de cette voie a dû être prise partie dans le talus, partie
dans les terres voisines. Il ne reste de ce talus que la base lon-
geant la route, sur les deux tiers de son parcours, et s'en déta-
chant ensuite par un petit angle rentrant. Le rempart a une lar-
geur de 20 mètres â5 cent, à sa base, et de 2 mètres 25 cent, à sa
plate-forme; son talus extérieur une hauteur de 6 mètres 34 cent,
et un angle de .')r/>; son talus intérieur une hauteur de 2 mètres
97 cent, et un angle de 50». Le rebord extérieur du fossé a une
hauteur de i mètre 03 cent, jusqu'au niveau de la route, et le
talus de cette route est élevé de i mètre 48 cent. Il a donc en
somme une hauteur de 3 mètres Ai cent.; l'élévation de la plate-
forme étant de 6 mètres 3i cent., ce rebord lui est inférieur de
2 mètres 93 cent.; or, le talus intérieur du camp ayant une hau*
teur à peu près pareille, 2 mètres 07 cent., il s'ensuit que l'in-
térieur de l'enceinte, au pied du rempart, est au même niveau
que les terres existant de l'autre côté de la route. La tour Nord a
une hauteur d'environ 3 mètres au-dessus du chemin de ronde;
sa base une largeur de 21 mètres.
Le côté compris entre les angles Ouest et Sud est long de
206 mètres. Le rempart a une largeur de 16 mètres 50 cent, à sa
base, et de 2 mètres à sa plate-forme; son talus extérieur une
hauteur de 4 mètres 15 cent, et un angle de 65°; son talus inté-
rieur une hauteur de 2 mètres 40 cent, et un angle de 54«». Le
fossé est extrêraeraenf large : il a 25 mètres; le chemin dit de
TEcu-de-France , ou d'Amiens à Paris, y passe, dans la partie
la plus éloignée du rempart, à 70 cent, plus bas que son pied. Le
rebord extérieur du fossé a une hauteur de 2 mètres 8-2 cent,
avec un angle de 58<»; les terres cultivées à l'extérieur de ce fossé
sont de 37 cent, au-dessus du niveau du sol de Tenceinte. Â
80 mètres de la tour Sud, et à 126 mètres de la tour Ouest, parait
l'autre issue de la forteresse. La porte a environ 15 mètres de
large; primitivement elle devait être plus étroite; le rempart du
côté Sud , qui la borde, semble intact, mais celui de TOuest se
trouve obliquement coupé. Cette entrée n'est pas dans le prolonge-
ment de Taxe de l'autre , mais il n'y a guère d'écart. La tour Ouest
n'excède le chemin de ronde que d'environ 1 mètre; ce peu de
surélévation s'explique par la facilité que Von éprouve à explo-
446 d'un gastellum romamum stativuh
le camp ne devant être ni dominé par des hauteurs , ni menacé
d'une immersion (1) ;
L'élévation aux quatre angles des tours de guet, postes de vigi-
lance si conformes aux besoins des derniers temps de l'empire (2);
La perfection de l'œuvre, qui, par cela même, ne peut appar-
tenir qu'aux Romains; les forteresses en terre seule étant ou
romaines ou carolingiennes, et ces dernières n'ayant jamais eu
la force, rectitude, symétrie des ouvrages antiques, dont celui-
ci est un spécimen parfait, où éclate la facture des ca^trorum
metatoreê et travailleurs légionnaires (3);
L'étendue des lignes de défense, longs remparts, qui ne pu-
rent être construits et occupés que par plusieurs milliers de
soldats ouvriers, et jamais par les populations grossières et peu
nombreuses, existant aux siècles barbares (4).
A ces preuves , il faut ajouter les présomptions suivantes :
Proximité, à environ 3 kilomètres, d'une chaussée Brune-
haut, voie romaine authentique de Cœsaromagus à Bavacum;
vel oblonga castra constitue». Végèce : 1. m, c. 8. — Pulchriora credim-
twTy qiiibv>ê uU/ra latUttdmis spatiwn ieriia pars addUwr lon0tidmi.
Végèce : I. III, c. 8.
(1) Cavendvm etiam ne mons sit vicinus aUior, qvi ah adverso/nis
captus possU offlcere. Considera/ndum etiam ne torrentibus in/un4ari
constieverit camp%bs, et hoc casu vim patiatur exercUus. \égècQ : 1. i,
c. 22. — Ca^endwn ne circvfinsedentilms adversariis, difflcilis prestetur
egresstts; ne ex sv/perioribus lociSt missa ah hostibus in eum tela perve-
niant. Végèce : 1. m, c. 8. — Ne mons castrisimmineat, per quem su-
pervemre hostes, aut prospicere possint quid in castris agatvr. Hyginus.
— Nunc quod attinet ad soH eleeUonem in statuenda metatione : prinvum
locîm habent, qiKS ex campo in eminentiam leniter attolluntwr. Hyginus.
(3) Castella stabUi mwro et firmissimis turribits erigantur. NotUia di-
gnitatwn imperO, Caamont : t. v, p. 28. — Ne latere usqttam hostis, ad
nostra se proripiens, posset. Ammien MarcelUn : l xxx, e. 8. — Latronum
caventur incursus , si explaratores in mûris, in Purribus sint locatif ut
desuper spectent pkma regionum in qvibus insidiœ latronwm latere non
possunt. Commentaire du code Thiodosien. Balliot : p 25. •— Àngulos
oastrorwn cirdna/re oportet, et quia coxas efflciunt instabiHuntque opus,
propugnatione tueri. Hyginus. — Viollet^Leduc : Dictionnaire d^archi-
tecture, t. i, p. 329.
(3) Végèce : 1. III, c. 8. — Adam. : Antiquités romaines, X. ii, p. 152.
(4) YioUet-Ladue : Diotiomaire dTarchéotogie, t. m, p. 61.
k MONTieNT-LBfrifAIOlfBLAY (oISB). 447
PasMge , par le milieu de renceinte , d'une rue dite rue Veru f
aboutissant à un chemin appelé Chemin des fauches ^ dénomina*
lions significatives;
Existence, à Tenfour, de lieuxdits indiquant l'établissement de
postes avancés du castellum : l'un , le f^ietix Chatei (1), Chaê-
tellet (2), Castelletum; l'autre, le Clos V Embarras (3), Les Bar-
rais (4)9 enclos fortifié (5), annexe du camp.
Enfin , joint à cet ensemble d'arguments , voici qui est décisif :
au prxtorium^ on trouve des tuiles, et dans l'enceinte, des po*
teries romaines.
Ce camp, comme toutes les constructions militaires antiques, fUt
utilisé au ix« siècle, lors des invasions normandes. La preuve c'est
sa dénomination de Fort. Ce mot en Picardie, et sur les confins,
désignait à la fois la forteresse et le souterrain reftjge de cette
époque, quelle qu'en fût Torigine. L.e camp romain de Tirancourt
(Somme) reçut le nom de Grand-Fort (6). Dans l'endroit qui nous
occupe, il y eut réunion de camp et de souterrain. L'enceinte,
là comme ailleurs, devint le chatei des seigneurs du lieu (7).
Ubs archéologues ont pris ce camp pour une œuvre du Moyen-
Age, un fort élevé sous un roi, Philippe-le-Bel. Cette opinion ne
peut se soutenir. Ni sous Philippe-le-Bel , ni sous aucun des mo-
narques de ce nom, la construction militaire n'eut les éléments
et caractères de la forteresse ci-dessus décrite :
Sous Philippe-le-6el, et ses successeurs Philippe V, Philippe YI ?
Mais c'est précisément k cette époque que le donjon est aban*
(1) Atlas cadastral de Hontigny.
(2) Archives de l'Oise, 6. 1161.
(3) Atlas*cadastral de Montigny.
(4) Archives de roise , G. 1161.
(5) Quemadmodum se mUUum nwnerus habett Qastrorwmqw ac ctau-
sularum oura procédai. Code Justinianéen : 1. i, t. 31. — Cluswiœ cas-
tris jungwUur. CommetUaire du code Théodosien, — Bar^ obstacle, nom
porté par plusieurs camps Edaens. BoUiot : p. 6.
r6) D'Allonville : Description des camps romains du département de ta
Somme, p. 32.
(7) Archives de l'Oise, série H, abbaye de Saint-Hartin-aux-Bois.
448 Dljy CASTBLtUM ROMAlfUM STATIVI'M.
donné, les progrès de la civilisation faisant trouver ce logis
trop incommode;
Sous Philippe II, Pliilippe III? Hais il n'y a plos ni motte ni
fossé ,.celui-ci étant remplacé par la chemise crénelée , antemu-
raie; mais, dès Louis VU, toute la défense est de pierre, au lieu
d'être de terre, de palissade ou de haie; elle est fréquemment
coupée de tours en saillie; ses fronts ont des directions diffé-
rentes; il y a un porlaîl à rentrée de Tenceinte, entre deux
tours allongées;
Sous Philippe K? Mais, même en prenant cette fortification pour
une œuvre du Moyen-Age, on ne pourrait Tattribuer à ce règne de
sécurité; il faudrait la dater d'avant; ces vastes enceintes de
talus avec fossés remontent à la guerre des Normands (1).
L'erreur des archéologues a eu pour cause la dénomination
du camp : Fort Philippe. Ce nom les a fait croire à une œuvre
capétienne. Ils n'ont pas considéré que si ce terme de Philippe
appartient à la troisième race, celui de Fort est essentiellement
des temps Karolingicns ; que par conséquent l'œuvre existait
alors, et que son nom reçut plus tard pour déterminatif celui d'un
homme, probablement d'un seigneur, alliance de mots, déno-
mination caractéristique des enceintes employées au ix« siècle .-
Hayx Regiiutldii Les Jlcujes Renaud; Plexitium Brionis, IjePlessis
Brion; Firmitas Bernardi, La Ferté Bernard (2).
La construction et configuration du Fort Philippe, étrangères
à l'époque Capétienne; la force et perfection de àes défenses qui
l'excluent des temps barbares; l'ensemble des preuves de sa na-
ture antique, quant à la position, la forme, les éléments, les
dispositions, les matériaux, et les objets qu'on y trouve, auto
risent donc à formuler cette proposition :
Le Fort Philippe est un castellum romanum stativum.
On peut ajouter : il est le plus régulier, le plus complet, le
plus typique des camps romains du département de l'Oise.
C'est la découverte qu'il fallait signaler.
Armand RENDU.
(1) Jules Qoicherat, à son cours.
(2) Joies Qoicherat, à son cours.
MÉMOIRE
SCR
LES SILEX TRAVAILLES
DE L'ATELIER DU CAMP -BARBET,
èi Jan ville, cantxDii do Mou-y (Oise).
AVANT - PROPOS.
Le département de TOise est fort riche en restes de Tàge de
pierre, si Ton en juge par la fréquence de ceux qui sont épars
à la surface du sol. Beaucoup d'entre eux se trouvent en frag-
ments; mais, dans certaines régions, il s'en rencontre d'intacts
et d'une magnifique exécution. Les plateaux élevés, d'où l'on
embrasse les pays à une grande distance, environnés de vallons,
recèlent principalement les silex travaillés. En parcourant nos
environs, il est peu d'endroits où je n'eus l'occasion d'aperce-
voir des objets variés, disséminés ça et là, bien ou mal conser-
vés. Dans les vallées, au milieu des bois, il n'est pas très-rare
de découvrir aussi plusieurs espèces polies , même à une pro-
T. viii. 29
450 MÉMOIRE SUR LES SILBX TRAVAILLÉS
fondeur de un mèlre et demi. Uelalivement, c'est une exception,
et les points culminants sont privilégiés : c'étaient les lieux pré-
férés par les sauvages, qui naturellement se mettaient en garde
contre les attaques, et qui évitaient, en se tenant sur les hau-
teurs, de respirer un air vicié par les eaux stagnantes et les bois
épais. Ils choisissaient, sur les plaines , le voisinage des ravins
pourvus de sources. C'est donc vers ces endroits, qui dénotent
souvent Tancien emplacement de leur demeure, que devront
être dirigées les invesh'gations. L'étude de ces époques si obs-
cures* tendant à se développer chaque jour, il est probable que
Ton signalera des gisements nombreux ignorés jusqu'ici.
Déjà, depuis la découverte de l'atelier qui fait l'objet de cette
notice, en fouillant un terrain pour l'extraction du balaste,
on recueillit, en 1870, à Montguillaiu (Goincourt, près Beauvais),
de nombreux et superbes cailloux travaillés, de la période pa-
léolithique. Ils sont à une profondeur variable, dans un gravier
diluvien, grisi\tre, qui recouvre les bancs parmi lesquels gisent
des spécimens ayant subi le roulis des eaux, et paraissant plus
anciens. De nombreux débris de poteries très-grossières, dont
beaucoup appartiennent à une époque moins reculée, se super-
posent à cette couche. Les pièces sont d'une fraîcheur remar-
quable, d'assez grandes dimensions, d'une conservation mer-
veilleuse. Plusieurs ont des rapports frappants avec les types
de Saint-Acheul.
J'ai trouvé également, au milieu du diluvlum qui parcourut le
fond de la vallée du Thérain, en y laissant d'immenses dépôts,
une certaine quantité de pointes de flèches et d'autres pièces
mutilées indéterminables. En général, les angles sont émoussés
parle transport, et, malgré tout, les signes du travail sont in-
contestables. Quelques-uns même conservent leur intégrité. Ces
restes, de dimensions exiguës, légers, ont été balayés, entraînés
par les eaux plus aisément que ceux de forte taille, qui présen-
taient du poids, et dont les surfaces ont dû subir une détério-
ration presque complète sous l'influence du mouvement torren-
tiel. Les personnes peu versées dans l'examen de ces débris ob-
jecteront peut-être que la forme est due au hasard, suivant la
direction et l'intensité des chocs. Cet argument tombera devant
l'étude des détails. Les retouches sont constamment la preuve
de Taction humaine. En donnant au silex les contours appro*
DB L'aTBLIBR du CAMP-BARBET. 45i
priés au service que Ton demandait, Il se produisait une série
de petits éclats réguliers le long des bords , éclats non calculés,
mais qui avaient lieu naturellement pendant la fabrication.
Aucun autre agent que la main de Tbomme ne pouvait les
créer de cette façon. Il serait trop long ici d'en accumuler les
preuves.
Ces divers objets appartiennent encore à la période paléoli-
thique , et ils prouvent, par leur présence, que notre espèce exis-
tait avant le phénomène géologique qui donna lieu au grand
courant diluvien dont nous pouvons suivre le parcours.
 Foulangucs, Cires-les-Mello » jusqu'à Tillé, et au-delà,
tous les champs des plateaux montrent, par endroits, des restes
néolithiques ou de transition , les uns beaux , intègres , les autres
grossiers ou détériorés. J'en rassemblai une collection nombreuse
qui fera le sujet d'une autre étude. Je cite encore d'autres loca-
liiés : Scrifontaine (période paléolithique analogue à Hontguii-
lain), Mouchy-Chàtel {néolithique)^ Fouquerolles. Silex contem-
porains de ceux de Foulangues : Hermès et plusieurs régions
voisines de Beauvais. Le gisement de Bracheux se rapproche
singulièrement de Saint-Acheul.
J'ai vainement cherché, dans les auteurs qui ont publié des
livres ou brochures sur le département de l'Oise , des renseigne-
ments ayant quelque rapport aux stations de l'âge de la pierre.
J'ai lu seulement des indications peu précises, données parGraves
dans sa Notice archéologique. Encore ne portaient-elles que sur
des exemples isolés , déposés dans des tumulus ou récoltés for-
tuitement.
Ledicte-Duflos (^'ot^ce sur le mont de Catenoy, dit le Camp de
César : Mémoires de la Société Académique de VOise, !•«• vol., \%VA )
s'étend assez longuement sur ses fouilles intéressantes. Au mo-
ment où il faisait connaître le résultat de ses recherches, les
notions sur les temps préliistoriques étaient peu avancées, et
l'auteur commettait des erreurs fort excusables.
M. Iloubigant {Mémoires de la Société Académique de VOise^
t. IV, 1859) décrit plusieurs silex de son cabinet, sans commen-
taires sérieux.
Je rappelle ma courte notice sur diverses découvertes archéo-
logiques du canton de Mouy {Mémoires de la Société Académique
de VOise, t. vi, p. 724; 1865). J'y signale la présence de silex
452 MiMOIBB SUB LES SILEX TBAVAILLBS DU CAMP BARBET.
paléolithiques qui, jusqu'à présent, n'ont été trouvés qu'excep-
tionnellement dans les pays cités. Les instruments mentionnés
appartiennent tous à la pierre polie ou à une époque intermé-
diaire.
Je ne connais pas d'autres mémoires dans lesquels on aurait
indiqué des localités importantes , en ce qui concerne le dépar-
temet de l'Oise.
C'est à M. Buquet, de Cauvigny, que revient en entier l'hon-
neur de la découverte d'un véritable et riche atelier néoUthiqtie^
le seul que nous puissions signaler positivement et remarquable
par la grande variété des espèces. Il me communiqua, en 1869,
les objets provenant de ses investigations, faites dès l'année 1868,
et il me conduisit sur les lieux. Non seulement j'ai à remercier
cet excellent ami de m'avoir fait participer à sa bonne fortune,
mais je le prie d'accepter l'expression de ma gratitude pour le
rare désintéressement qu'il a montré en me donnant les plus
beaux exemplaires des silex ouvragés de nos environs. Il s'em-
pressa aussi, en toute circonstance, de me confier ses observa-
tions, pleines de sagacité.
H. Al. Desjardins, de Fercourt, dont le nom a déjà été cité
dans une publication antérieure, a contribué également, par ses
recherches, à augmenter le nombre des types curieux. C'est à
sa générosité que je dois quelques-uns d'entre eux. Je suis heu-
reux de pouvoir lui témoigner ici ma reconnaissance.
Au moment de la présentation de ce manuscrit , le travail de
H. Ponthieux, sur Catenoy, n'était pas encore publié. Je ne pou-
vais donc le mentionner.
J'aurais désiré que les figures représentant les diverses pièces
trouvées au camp Barbet fussent plus nombreuses, mais il a
fallu les restreindre le plus possible, à cause des ressources fort
limitées de la Société Académique de l'Oise.
PREMIERE PARTIE.
CHAPITRE I".
OiâNÉn A. L.ZTâ s.
•
Janville, écart situé sur le territoire de Mouy, au sud-ouest, à
deux kilomètres de distance, se compose d'une ferme et de
quelques maisons voisines , campées au milieu d'une plaine in-
terrompue par des brandies latérales de la vallée du Thérain.
Ces branches se subdivisent et forment des dépressions d'une
petite étendue, assez profondes, arrosées par des sources dont
les eaux se perdent vers des endroits fangeux. Des carrières
souterraines de calcaire grossier, considérables autrefois, se ra-
miflent à de grandes distances, et les entrées, à mi-côte, regar-
dent le sud. Dans les champs voisins, sur les hauteurs, appa-
raissent des entonnoirs à ciel ouvert, des trous communiquant
parfois avec les galeries, des précipices à parois abruptes, au
fond desquels gisent pêle-mêle d'énormes pierres presque mas-
quées sous une végétation vigoureuse.
Du hameau, Ton descend dans un étroit vallon qui a reçu,
ainsi que la colline voisine, le nom de Camp-Barbet. Je n'ai pu
découvrir Vorigine de cette dénomination. Les silex travaillés se
trouvent sur le plateau, qui a une superficie de 80 ares. Le point
culminant est à la partie moyenne, et de là le regard porte au
loin, sur les contrées environnantes. Le terrain présente la dis-
position d'un fer achevai , dont l'ouverture se relie, vers Vouesf,
à la plaine. C'est une espèce de promontoire , fortifié naturelle-
ment, isolé presque- partout par des vallons autrefois remplis
de marécages peu accessibles (1). Il donnait de la sécurité à ses
(1) Il y a près de vingt ans, on creusa des fossés afin d'assainir le sol
fangeux. A plus d'uo mètre et demi de profondeur, je rencontrai des
couches de JAmnaea stagnaliB, limnaea paluslris, Limnaea limosa, d'une
taille démesurée; Dylhinia tentaciilata, Anodonla celleniiSj Cyclas cor-
nea, etc. Plusieurs de ces mollusques indiquent un niveau d'eau assez
454 mAmoirb sur les silex travaillas
habitants, d'autant mieux que les flancs sont à pic , très-boisés,
et qu'au sud la source du Mesnîl fournissait une eau abondante.
Cette localité n'a guère dû changer de physionomie depuis l'é-
poque à laquelle nos prédécesseurs y séjournèrent; seulement,
le paysage était plus sauvage. Les croupes verdoyantes des co-
teaux, les bois épais, les horizons bleuâtres des lointains, tout
ce panorama s'inondait de lumièj^e, se dorait de soleil, se
noyait dans une vapeur légère comme de nos jours et offrait
un aspect ravissant à l'attrait duquel les rudes indigènes ne
pouvaient échapper à leur insu.
il est certain que la population était restreinte et clair-semée.
Cependant, quoique l'agglomération d'individus soit peu consi-
dérable, le gibier, qui composait la base de la nourriture, deve<
nait plus farouche à cause du voisinage des lieux habités, ou
bien il venait à s'épuiser; alors les peuplades changeaient d'en-
droits. Des fractions de groupes se détachaient aussi pour chasser
au loin une proie nouvelle, ragriculture à l'état d'enfance, de-
vant être insuffisante à l'alimentation. Des familles s'établissaient
parfois définitivement sur une place qui leur convenait. Ce fut
la cause de la composition de villages dont les habitants conti-
nuaient probablement leurs relations avec la souche primitive.
La similitude des instruments dénote une origine commune et
contemporaine. La tribu du Camp-Barbet entrait en communi-
cation fréquente avec celles d'Ully- Saint-Georges , Foulangues,
Chftteaurouge et autres. Dans les champs intermédiaires , entre
ces villages, l'on rencontre fréquemment des formes identiques,
et cette région a été longtemps occupée. A Cauvigny, au lieudit
Fontaine, où de gros blocs siliceux affleurent le sol, M. Bourré
fils découvrit, dans une vaste étendue, de nombreux éclats in-
diquant des essais grossiers. Je ne vis aucun exemplaire qui ait
pu servir. Des recherches attentives devront amener des pièces
plus finies.
Nous n'avons jamais rencontré d'ossements travaillés. Cepen-
éldvé , sans ôtre toutefois considérable , car les anodontes vivent dans
les étangs ou eaax tranquilles, bien alimentées, et les limnées n'aUeignent
de fortes proportions que dans ces conditions. Ceci prouve que le fond
de oes vallées était on lac ou un marais très-noyé.
DB l'atelier du gamp-barbbt. 455
dant, jl n'est pas possible que ces parties de ranimai, utilisées
bien antérieurement, n'aient pas été façonnées au Camp-Barbet.
Cette absence nous confirme dans cette opinion : ou que des
grottes ont été habitées, et détruites postérieurement par Texploi-
tation des pierres (1), ou que l'on dressait des tentes avec des
branches recouvertes de peaux. Dans ce cas, les objets en os
exposés en plein air se sont décomposés sans laisser de traces.
Les silex ouvragés de Janville , d'une belle patine blanche, due
à leur long séjour dans un milieu argileux , sont répandus sur
un espace d'environ quinze ares. Ils abondent au sud, au nord-
est, et se disséminent davantage dans les autres directions.
Vers l'extrême ouest, c'est à peine s'il en apparaît! Tous étaient
enfouis à une profondeur ne dépassant guère 20 centimètres, et
ceux qui se montrent à la surface furent mis au jour par les tra-
vaux de culture. L'on voit communément des fragments plus ou
moins volumineux, équarris, éclatés tout autour. L'on a eu pour
but d'enlever les aspérités afin de mieux morceler la masse qui
se rejetait ordinairement si une veine semblait trop mauvaise
ou si une cavité accidentelle se découvrait à la cassure. D'au*
trefois, ces défauts n'arrêtaient pas l'ouvrier, qui façonnait en*
core un outil tant bien que mal; nous en avons des preuves
fréquentes. Beaucoup d'entre eux sont à l'état d'essai. Ils ont
été soumis à un dégrossissement préalable. Une intention de
grattoir, de tète de lance, de javelot, se reconnaît facilement.
Plusieurs de ces ébauches, malgré leur imperfection, ont des
traces d'usure. D'autres présentent un travail fort soigné. Ces
pauvres cailloux, dont l'antique blason est buriné d'une manière
indélébile, portent sur eux-mêmes leur titre de noblesse, la no*
blesse de l'intelligence humaine, la seule vraie et impérissable.
.Souvent ils ont les angles émoussés, sont détériorés par des
fractures ou souillés par des lèpres noires insinuées dans la
moindre fente. Depuis des milliers de siècles qu'ils subissent
(l) M. Buqaet fait observer, avec raison , qae s'il existait des grottes,
elles devaient être tournées aa sud et recevoir le soleil. Aujourd'hui, eile;^
seraient remplacées par les nomi)reuses ouvertures des carrières situées
à mi-côte au-dessus du vallon profond du Camp-Barbet, bien abritées
contre le vent du nord et continues sur un long espace.
456 MiMOIRB SUR LES SILEX TRAVAILLÉS
rinfluence des agents atmosphériques, qu'ils ont été roulés et
heurtés, il est étonnant de rencontrer encore des individus dont
les retouches offrent une fraîcheur admirable. Quelques-uns,
c'est l'exception , échappent à toute modification de la subs-
tance.
Ces matériaux se tiraient probablement des bancs crayeux des
environs ; ils étaient pris au fur et à mesure pour être taillés
aussitôt, l'opération étant plus facile quand le silex est frais et
qu'il possède son eau de carrière. D'après la quantité de pièces
ébauchées ou terminées et celle des éclats, l'on peut supposer
que cette station était un atelier considérable de fabrication ,
ce qui n'exclut en rien rétablissement flxe de tribus dans des
lieux très-rapprochés.
Parmi ces restes, je n'aperçus guère de haches polies qu'à
rétat de fragments, et les individus intègres sont rares. Les
formes ont positivement le cachet d'une période avancée de l'é-
poque néolithique. Les haches, si arlistement exécutées, deman-
daient un long travail avant d'arriver à la perfection , et deve-
naient par conséquent une chose précieuse. Elles étaient alors
recueillies avec soin, au lieu de les laisser, quand une localité
était abandonnée. Aussi, il n'y a rien de surprenant de n'en voir
souvent que des débris. Dans le parc de la ferme, à deux pas du
camp, on met parfois la main sur de superbes exemplaires très-
lisses, irréprochables de contours, et, depuis longtemps, com-
bien n'en a-t-on pas ramassé pour empierrer les routes voisines,
sans y accorder la moindre attention !
Au sud, et au point le plus élevé principalement, M. Buquet
et moi avons trouvé des silex calcinés, les uns inachevés, d'au-
tres tout-à-fait finis. Dans quel but avaient-ils été soumis au
feu? Ëtaient-ce des offrandes, jetées au milieu des bûchers des-
tinés à la crémation des corps? Celte supposition n'a rien d'ab-
solument invraisemblable, d'autant plus que beaucoup de sta-
tions présentent le même fait, et qu'un grand nombre de peu-
plades sauvages observaient celte coutume pendant les cérémo-
nies funèbres.
De vagues indications de la personne qui cultive le territoire
donneraient à penser qu'un foyer existait à une certaine place,
recouverte aujourd'hui. « Les blés sont plus verts à cet endroit,
dit-elle; j'y ai vu comme des cendres et des débris de char-
DB l'atelier du GAMP-BAnBET. 457
bons. • La charrue a passé par là, et, en ce moment, aucun
vestige n'en subsiste; mais Ton doit penser que ce récit est exact,
d'autant plus que des petits morceaux brûlés de poteries ont été
recueillis près du lieu indiqué. La pâte se compose d'une terre
noire, compacte, parsemée de grains blancs, avec un lissage,
plutôt qu'un vernis, au dedans et au dehors. L'épaisseur des
fragments a f) millimètres. 11 est impossible d'en déterminer la
forme à cause de leur exiguité.
CHAPITRE II.
SILEX.
Avant de commencer la description particulière des instru-
menls, il n'est pas inulile de connaître les variétés de silex qui
ont été amenés au Camp-Barbet , les couches géologiques n'en
renfermant aucun, et de mentionner les diverses modifications
qu'ils ont pu subir.
J'ai dit que tous, à de rares exceptions près, étaient revêtus
d'un cacholong très- blanc, laiteux, analogue à la porcelaine,
d'un millimètre d'épaisseur, de deux à trois quelquefois. C'est
une modification moléculaire de la partie extérieure, occasionnée
lentement par l'air, la chaleur, l'humidité, dépendant beaucoup
de la composition du terrain et aussi de celle des cailloux, car,
dans certaines localités, ils y ont échappé. Ce cacholong, soumis
aux acides, ne se décompose pas. C'est encore de la silice. Il
s'est formé depuis la fabrication des instruments, puisque les
plus fines retouches en sont recouvertes, san^ que la forme gé-
nérale soit altérée. On ne peut étudier la nature minéralogfque
de la masse qu'en produisant des éclats.
Lorsque le feu a longtemps agi sur les diverses formes de silex,
leur contexture n'est plus la môme. La substance devient cris-
talline à la cassure; elle se désagrège plus facilement, comme
si la cohésion était amoindrie. Ce n'est plus une masse compacte,
homogène, mais un assemblage de particules agglomérées, ayant
458 MÉMOIRB SUB LES SILIX TRAVAILLÉS
sonvent l'aspect résineux. La couleur est grise, gris-bleufttre,
roussâlre, enfumée, mate ou un peu transparente, i'ai vu quel-
quefois la surface noire, polie. Ces changements peuvent être ob-
tenus en mettant dans un foyer ordinaire les silex non altérés.
J'en fis ressai , et je suis convaincu que Ton n'a pas donné autre-
fois une température plus élevée que celle de mon expérience.
La rouille, qui se remarque fréquemment, est généralement
attribuée au frottement des outils en fer contre les fragments
siliceux. 11 est possible que , généralement, cela ait eu lieu de
celte façon; mais s'il en était toujours ainsi, comment expliquer
qu'un instrument de fer pût passer sur une arête vive en aban-
donnant des fragments métalliques sur toute la longueur, sans
y apporter le moindre dommage? Comment expliquer aussi la
production des taches rouillées, à intensités diverses de tons,
arrondies, assez larges, empreintes sur les faces planes ou an-
gulaires?
Voici une solution d'autant plus rationnelle, je pense, qu'elle
est basée sur l'observation : le sol dans lequel gisent ces cailloux
renferme des composés de fer qui se déposent sur eux , y adhè-
rent, deviennent solubles sous l'influence de l'humidité, et,
pénétrant alors la superflcie, donnent lieu aux aréoles jaunes
d'étendue variable. J'ai fréquemment observé, à la loupe, des
molécules saillantes d'oxyde de fer gris, soudées au silex, pas-
sant à l'état d'hydroxyde en dessous et au pourtour. Elles s'é^
talent évidemment déposées, et n'avaient aucun rapport avec
une traînée légère , étalée par un instrument. Dans l'intérieur
du silex, il existe aussi des parcelles de fer sulfuré qui produi-
sent, par leur altération , les macules dont il est question.
11 est donc certain que les taches de rouille, attribuées aux
machines aratoires, n'ont pas toujours pour origine le frotte-
ment attribué au soc de la charrue
Je divise en trois groupes les matières employées. Celles du
premier entrent pour les neuf dixièmes dans la fabrication :
4» silex pyromaque; — 2« diorite ; — 3° roche grésoïde très-dure,
ou même (rarement) grès pur diversement coloré.
PREMIER GROUPE.
Var. 1 . Noir brun, transparente quand elle est en lamelles minces.
DB l'atelisr du cam p«b abbit . 459
GacholODg souvent persillé de blçu mat, tout blanc ou
jaune ocreux.
Sous-var. Histrée par transparence, enfumée; éclat
succiné; cortex noir foncé.
Var. 2. Brun grisâtre.
Var. 3. Brun clair; lamelles très-transparentes.
Var. 4. Brun verdàtre, jaunâtre clair, mêlé de parties rouges ana-
logues à la cornaline ou au jaspe.
Var. 5. Roux mêlé de gris, persillé de taches blanc sale; éclat
gras.
Sous-var. a. Persillée de blanc et rouge.
Sous-var. b. Mùlée de gris pâle.
Sous-var. c. Brun verdàtre, jaune ocreux par places.
Var. G. Blond Irès-pâle avec cacholong bleu foncé, persillé de
blanc bleuâtre mat.
Sous-var. Mélange de quartz opaque café au lait.
Var. 7. Gris roussàtre très-paie, subopaque, à éclat gras; cortex
rouge. Non usitée.
Var. 8. Entièrement rouge, même à la cassure, analogue & la
cornaline. Non usitée.
Var. 9. Jaune rougeâtre par places. Demi transparente à ces en-
droits. Rare. Non usitée.
DEUXIÈME GROUPE.
Diorlle verdatre,*gris verdlitre. Rare. Usitée pour les petites
haches très-soignées. Cette substance ne provient pas des bancs
crayeux. Je ne croîs même pas qu'elle se rencontre accidentelle-
ment parmi nos cailloux roulés.
Fibrolite. Un seul Individu.
TROISIÈME GROUPE.
Var. 1. Gris mat, plus ou moins clair, avec places plus foncées;
lamelles mates.
Sous-var. Plus pâle.
Var. 2. Gris roussâtre . veiné de fauve , maculé de blanc sale.
Souvent des nids de quartz hyallen , à cristaux micros-
copiques sur couche de jaspe rouge.
k
i
460 MEMOIRE SUR LES SILEX TRAVAILLÉS
Var. 3. Gris pur, Irès-dur, très-compacte; blanc nacré, suscep-
tible de poli ou gris p&ic , surtout remarquable à la
cassure. (Grès lustré.)
Sous-var. Colorée en rouge par le fer hydroxydé.
Usitée rarement.
CHAPITRE m.
En examinant les instruments de toutes les é|)oques de Tîlge
de pierre, Ton se demande comment l'homme, sans autre agent
que le silex, a pu arriver à une telle perfection de détails et de
contours. Le hasard Taidait quelquefois, sans doute. Ainsi, il
arrivait que des fragments accidentels présentaient une configu-
ration dont on profitait. Il n'y avait qu'à ajouter peu de chose
pour obtenir le fini. De Ifi cette diversité si fréquente chez les
objets d'un usage quotidien. Il n'en était pas toujours de même,
car on adoptait le plus souvent un type qui se perpétuait. Des
modèles spéciaux étalent pour ainsi dire reproduits constam-
ment. Une fois les lames débitées , quelle que soit l'épaisseur,
la forme se donnait aisément. Il siifflâait de tenir le cailloux,
la surface plane étant placée supérieurement, et de frapper sec
avec un percuteur quelconque; alors les lamelles se détachaient
aux dépens de la face Inférieure, et produisaient, par cette abla-
tion, autant de facettes assez régulièrement et obliquement dis-
posées, sans qu'où les ait cherchées. Si l'ouvrier voulait avoir
des éclats très- prolongés, à angle très-aigu , il frappait sur les
limites du silex, un peu obliquement. En percutant verticale-
ment, l'étendue des éclats était plus restreinte. Le percuteur
avait un certain poids pour produire des résultats exacts. En
quelques minutes, on achevaltun grattoir ou une pointe. Il n'é-
tait pas absolument besoin que le silex ait son eau de carrière,
tant les éminences inutiles s'abattaient sans efforts. Quant aux
détails, que l'on croirait avoir été exécutés avec des peines con-
sidérables, ils sont, pour la plupart du moins, dûs à une opé-
DE l'atblibr du gamp-baebbt. 461
ration bien simple. Un caillou à angle , à tranchant mousse ,
enlève régulièrement et à volonté une parcelle minime ou
étendue. Un peu d'habitude et de dextérité suffisent. Il n'est
pas question ici des séries de retouches multipliées et symétri-
quement disposées qui voulaient beaucoup d'adresse. Les abla-
tions nombreuses de lamelles , sur les surfaces presque planes
principalement, présentaient des difficultés réelles. Les outils
à double retouche du même côté, sur chaque bord, exigeaient
aussi une manœuvre très-expérimentée.
Ceci n'est pas une simple théorie, ie rends compte du résultat
de la pratique. De fréquents essais furent tentés, et j'ai vu dé-
biter des objets aussi beaux et presque aussi finis que beaucoup
de ceux du Camp-Barbet. On employa des percuteurs préparés
aussi bien que des fragments anguleux. Mes fils et moi nous
sommes arrivés à confectionner plusieurs pièces. Biseaux, pointes,
flèches, javelots, grattoirs, tout se fabrique d'une façon à peu
près semblable, et l'industrie de nos aïeux était aussi simple
qu'intelligente dans son exécution.
DEUXIÈME PARTIE.
DESCRIPTION DES OBJETS TRAVAILLÉS.
Je les classe en trois catégories :
i° Instruments adaptés aux besoins domestiques.
*!2o Servant d'armes.
3*» Indéterminés.
Les premiers sont usités pour la fabrication même des outils :
micleu$, percuteur j ou pour les besoins journaliers : /^^/on, grat^
loir, lame y couteau, /tachette, couperet, jyerçoir, polissoir.
Les armes se composent de : hache, poigimrd, lance, javelot,
fll'che.
Plusieurs ont un emploi encore inconnu ou douteux. 11 est
préférable de les décrire sans leur appliquer positivement une
fonction qui serait peut-être loin de la vérité.
46S MéNOIRI SUR LBS SILBX TRAVAILLÉS
PREMIERE DIVISION.
INSTRUMENTS ADAPTÉS AUX BESOINS DOMESTIQUES.
i« NUCLEUS.
Le nucleus est une masse de silex, sans forme déterminée, de
laquelle on détachait des lames, plus ou moins épaisses, qui
servaient ensuite pour la confection des divers objets. Ces masses,
de volumes variables, montrent, à leur surface, la marque de
l'ablation ordinairement longitudinale des tranches. Quelque-
fois, on obtenait des éclats secondaires employés pour les pièces
de minime dimension. Le reste était rejeté seulement lorsqu'on
ne pouvait aller plus loin. Le silex sq tenait d'une main, de
l'autre s'opérait la i»ercu8sion au moyen d'un second silex ^ et
le débit avait lieu autour, en laissant parfois le cortex supérieu-
rement ou d'un côté. La plupart du temps, ces rebuts n'avaient
pas d'utilité. C'était le travail préalable qui ne devenait pas
constamment nécessaire, si le caillou présentait une bonne dis-
position naturelle; mais à celui-ci en succédait le plus souvent
un second, moins négligé, qui devait produire des lames et la-
melles, d'épaisseur et de dimensions à peu près semblables. Pour
cela il fallait frapper sur un point déterminé, et les nucleij bien
pourvus d'angles, vers l'extrémité surtout, devenaient des agents
précis, commodes. L'on peut dire que beaucoup de nxiclei s'em-
ployaient comme percuteurs pour produire des lames, quand ils
étaient devenus impropres à en fournir par eux-mêmes. A cette
époque, ce travail, engendré parla nécessité, se faisait très-
rapidement. Les hommes connaissaient tellement le caillou qu'ils
voyaient de suite celui qui devait rendre convenablement. Une
opération prompte était, du reste, indispensable, car certains
instruments venant à se détériorer assez vite, il fallait les rem-
placer souvent , ce qui explique leur abondance.
PERCUTEURS.
Ce sont des cailloux destiiiés à Péliminailon de portio&6 sili-
r Miirlcau t!,ic:ïi
V !-rlit Pilon
S Pilon
'ly-'.
Kr
k. .,;,.. de T.,-Lf.l
3' riîrcide tror.cui
1.0'
DE l'atelibr du gampbarbkt. 465
tudinales au pourtour ou sur plusieurs points de la surface.
A. Polyédrique. — Convexe, à faces larges et nombreuses. Fis-
sures aux angles d'intersection très-souvent émoussés et même
arrondis. Chez plusieurs, tout est polyédrique, et les angles seuls,
extrêmement étroits, ont percuté. D'autres ne présentent que
des facettes d'une médiocre étendue et ont frappé par beaucoup
de points. — Poids et dimensions variables : 3 centimètres et
demi de diamètre, et 8 au plus.
B. Déprimé. — Polyèdre très-irrégulier, convexe des deux côtés
et déprimé, taillé grossièrement; pourtour plus étroit, arrondi,
couvert de fissures. — 6 à 8 centimètres de diamètre.
Variété. — Déprimée, allongée, arrondie au pourtour et aux
extrémités, qui sont entièrement étoilées.
C. En disque. — Celte forme rare semblerait ne pas devoir ap-
partenir au type sphérique; mais on arrive à elle par des gra-
dations d'épaisseur insensibles. C'est un disque assez épais, en-
tièrement plat sur les deux faces, avec un dos assez élevé, de
sorte que Tune des faces est oblique; pourtour garni de fentes
longitudinales. — 5 centimètres de long sur 4 au moins de large,
â centimètres d'épaisseur au dos et 8 millimètres au tranchant.
3° Allongé. — Longueurs diverses; plusieurs faces; parties
percutantes aux extrémités et souvent sur les bords longitunaux;
en général, une extrémité plate, tronquée brusquement.
D. Conotde, (PI. i, flg. 1.) — Trois à quatre faces larges; petite
extrémité arrondie, émoussée, couverte de fissures etd'étoilures;
l'opposée est presque toujours tronquée , mais elle a ses angles
qui portent les mêmes caractères de percussion. Quelquefois
aussi lis existent le long des bords latéraux. — 5 à 9 centimètres
de long.
Var. A. Bitronquée. — Cinq ou six faces, séparées par des
arêtes vives; angles du bout inférieur avec fissures.
Var. B. Gylindroïde. — Obscurément cylindroïde, arrondie aux
deux extrémités.
E. Malléacé. — Lourd, épais, grossier; plusieurs larges faces
à arêtes vives, peu régulières. Son aspect est celui de notre
marteau actuel coupé verticalement à un bout, en biseau à
l'autre; à peine un peu plus étroit au milieu. Souvent la face
inférieure est tout à fait plane. Les exemplaires recueillis ne por-
tent que de faibles traces d'usage. — 8 à 10 centimètres de long.
T. VIII. 30
460 MéMOlM MJft LIS 8ILBX TRAVAILLAS
F. En fjwssue. — Très-allongé, conolde» mastlf , renflé & la
grosse •xtrémité^ qui finit en biseau, tronqué net k Taulrc;
contexo, oial taillé en «leMus , plus plat en dessous ; bords la-
téraux vite ou arrondis. Dans ce dernier cas, ils sont couverts
d'étoilures et de fissures.
G. ^ le range au nombre des marteaux , quoique avec une
certaine réserve, un outil un peu cunéiforme, en grès gris pAle^
long, étroit, î\ quatre faces et deux extrémités. La face supé-*
rieure, légèrement convexe « recouverte de cortex, est déclive
jusqu'à la terminaison, qui présente un tranchant Inégal; rin*
férleure, aplatie, a des éclats grossiers, ainsi que la face droite,
qui n'est plutôt qu'un bord épais; la gauche, lisse, égale, a
été tranchée nettement dans toute son étendue. Quant au bout
postérieur, il est brusquement coupé comme les marteaux, et ses
angles portent des vestiges obscurs de percussion, de même que
le tranclumt -- 8 oentimètres et demi de long sur 3 et demi de
large.
J'ai remarqué, dans- la collection de &I. Buquet, un gros frag-
nMDt brut, de la même substance, qui portait une bande lisse
absolument semblable à celle que je viens de signaler. Ne se-
rait-ce pas une espèce de queux ? D'après sa conformation, l'objet
que je mentionne pourrait servir également de marteau.
3« SPHÉROÏDES.
PILON.
L'on rencontre coromuiiément des silex sphéroldaux (pi. i,
flg. 3], allongés ou bien arrondis, subdéprimés , garnis de fa-
cettes plus ou moins étendues, de dimensions variables, pesant
de 100 à 630 grammes. Ils sont couverts de petits éclats inégaux,
peu profonds; de fendillés, dont chaque portion isolée a l'appa-
rence d'une figure géométrique irrégulière ; d'enfoncements avec
perte de substanoè, qu'il ne faut pas confondre avec les fissures
des percuteurs. Plusieurs ont conservé une partie du C4)rfex.
Ces sphéroïdes sont, je pense, des pilons, et l'on a dû préa«
lablemaut frapper la surface afin de produire des aspérités, des
inégaliiés qui faciiitenfcla trituration de petits corps durs. Lorsque
ces plloos Ml aervi laQgtemps^ les éminenc^ anguleiiMt s'a»
M L'AftLlfiR DU GAMr<*BAllife¥. 467
dottcissent , âiepariilssmit tiièine complètement , et Id &urfa(5e
devient d'un îiiVeau égal. Sur le même individu, Von remarque
des placée presque lisses , d'aufres n'ayant subi qu'un commen-
cement d'usure et des portions entièrement neuves. Il est asssés
rare de rencontrer des exemplaires qui n'ont jamais eu d'emploi*
J'en possède un en cet éfaf. L'on ne piquait pas toujours toute
la convexité du sphéfôlde^ Quand le pourtour était très^largê
cliet certaines masses déprimées ^ il recevait seul cette prépara-*
tioti, et chaque fôce était embrassée par les doigts.
Il existe des pilons de diverses dimensions (pi. 1$ flg. i). Les
plus petits montrent des usures uniformes et des grandes facettes
pour une préhension plus coDliAiode. Probablement, ces cailloux,
de dimensions exiguës, broyaient d'autres substances, car ce
sont de simples égrugeures superficielles que l'on trouve (i)«
En étudiant les résultats de la percussion sur le marteau et
sur le pilon , il est facile de remarquer cliez l'un des fissures as^
ses étendues, et chez le second de véritables étoiiures faites
exprès avant d'employer l'instruihent qui broyait beaucoup
mieux en offrant partout des sommets anguleux, lin meunier,
auquel je montrais mes pilons neufs ^ sans l'instruire de ma dé«
termination, me dit spontanément : • Ces boules sont travaillées
« comme nos meules. « L'hontme du métier avait été frappé de
l'aspect particulier de nos sphéroïdes.
Plusieurs pensent que les alternatives des gelées, dégels^ expo*
sition au soleil ^ à l'eau ^ ont, peu à peu^ altéré l'enveloppe exté-
rieure jusqu'à une eeftaine profondeur. C'est une opinion qui a
été déjà émise. Cette prétendue altération n'aurait donc eu lieu
de la même façon qoe sur les sphéroldee , et non sur les autres
silex f Elle n'aurait done respecté que les facettes « qui restent si
nettement accentuées , lisses et limitées ? Ceci ne peut être son»
tenablet 11 ne faut voir ici que le résultat d'une action eontiniie
conduite par la molD de l'homme^
iesneotip d'archéologues déslgnaientf et dértgnent eiieore^ ces
corpe arroftdis sous le nom de pierrei de fronde. Pourquoi aurais*
on dépensé autant de peine afin d'obtenir^ sans néceeeité, des
(1) t^lusfedfs «smnts, de Mortltlet entre autres, pétïient qu'ils servaient
à éeraief le kré d«i tatottagé.
468 mImoirb sur lis silix tbavaillés
séries d'étoiiures ? Le premier projectile venu , ayant un certain
poids, et équarri plus ou moins bien, devait suffire.
Les spliéroldes qui sont couverts, sur presque tout Textérieur,
d'éioilures dont les aspérités sont émoussées au point de pré-
senter une surface à peu près égale, auraient pu sans doute
abattre des portions de caillou ; mais ils ont eu un autre mode
d'emploi, ils ont été frappés perpendiculairement et ont écrasé
à leur tour. Le choc répété, la pression exécutée sans cesse pour
broyer ont détruit insensiblement les aspérités et ont même
quelquefois presque produit le poli.
4° GRATTOIR.
Ces instruments servaient principalement à la préparation des
peaux. Aucun outil n'est plus variable dans sa forme et ses di-
mensions; ils sont minces, épais, allongés, raccourcis, bombés,
déprimés, étroits, larges ; mais ils ont des caractères communs :
une fivce inférieure plane , le bord antérieur adouci, arrondi, ou
au moins sans angle latéral afin de ne pas déchirer la peau. On
les tenait entre les doigts par l'extrémité la plus étroite, et les
bords dirigés obliquement raclaient les surfaces.
A toutes les époques de Tâge de la pierre, on usa du grattoir.
En effet, depuis les temps les plus reculés, les dépouilles des
animaux ont été, chez les peuples, d'une importance considé-
rable. Il fallait se vêtir pour résister aux intempéries; il fallait
s'abriter sous des tentes, les grottes naturelles ne se rencontrant
pas dans chaque contrée. Après s'être nourri avec la chair de la
bète, on prenait naturellement son enveloppe. Alors , la prépa-
ration de la peau, appliquée si fréquemment aux besoins de la
vie , a dû être constamment une industrie vers laquelle Tintel*
ligence humaine a porté ses facultés, et les agents destinés à
cette opération sont presque aussi antiques que l'homme.
Aujourd'hui, les mégissiers ont des lames bien disposées
pour enlever les parties inutiles , pour lisser et donner la sou-
plesse; mais, au fond, c'est à peu près le même système
qu'autrefois. Ainsi, les instruments contemporains se réduisent
à ceux-ci :
40 Couteau de rivière. — Lame en acier, convexe d'un côté,
concave de l'autre; tranchant en biseau destiné à détacher les
DE l'atkliir du camp-bâbbbt. 469
chairs adhérentes. Double manche latéral pris par chaque main
pour faciliter le travail.
2« Couteau de fleur. — Lame en fer, dont Touvrier se sert après
la première opération. Il racle les couches de tissus superflues
jusqu'à la peau elle-même. Tranchant mousse.
y» Queurse. — Reste à adoucir le cuir, sans produire de déchi-
rure, à rallonger dans le même sens et à le lisser. C'est ce qui
est obtenu au moyen d'une lame en ardoise nommée queurse^
en biseau, arrondie au tranchant, très-douce, insérée dans un
fort dos en bois.
En analysant les grattoirs, nous trouvons, le plus souvent, un
tranchant plus ou moins affilé, parfois épais, une surface plane,
une extrémité courbe, taillée; mais les facettes résultant de la
taille ne paraissent pas avoir d'emploi; elles se sont produites,
sans qu'on le veuille, en arrondissant le caillou. Il y a donc
beaucoup de similitude avec les parties principales des outils
modernes.
Cet instrument est le type dominant au Camp-Barbet, comme
l'est le perçoir dans la localité de Foulangues, peu éloignée de
celle-ci. Nous ne devons pas être surpris de la grande quantité
des variétés. Les grattoirs, servant à chaque instant, se fabri-
quaient très-vite. Ils ne pouvaient être semblables à cause du
service particulier auquel on les adaptait, ou bien en raison de
la facilité qu'on trouvait à les façonner. Â cette époque, tout
dépendait un peu de la fan taise individuelle. Je ferai remarquer
cependant que certains types se voient à tous les ftges et dans
toutes les contrées.
11 serait inutile de décrire les innombrables modifications ren-
contrées ici. Fréquemment, c'étaient des ébauches à peine dé-
grossies d'un côté, dont l'usage a été momentané, et que l'on
abandonnait ensuite. Mais aussi beaucoup présentent un en-
semble de caractères qui montre l'intention arrêtée de préciser
une forme.
Je rapporte à onze groupes les espèces que Ton a rassemblées,
et j'en ajoute un douzième pour les exceptions qui ne peuvent
rentrer dans les précédents. Les variétés seraient très-nom-
breuses. Il suffira d'indiquer les principales :
470 HâHOIRB sut LES SItSX TUVAilxAs
Type». Vtriétéi.
^ ^ , ., ,. (Laminaire.
10 Quadrilatère \^^^^
3» Disque Nummulitique.
/ Ecailleuse.
, \ Prolongée.
40 Discoïde tronqué, jgp^^^^
V Irrégulière.
»o Ovale.
! Raccourcie.
Intermédiaire.
Appendiculée.
A arête latérale.
70 Ovoïde ^ A arête médiane.
Surbaissée.
Dilatée.
« r, x.i» , Pesante.
8* Cunéiforme i^ . ^
En couteau.
Lamelliforme.
»-«p'^ -iSlX
10» Massif.
( Elevée.
i^'f^onoMii JAplaUe.
I Sinueuse.
Discoïde à manche*
Pectinée.
1» Quadrilatère. (PL 11, flg. 1.) — Mince, très-déprimé, à
peine convexe en dessus, plat en dessous; quatre côtés à tran^
chants en biseau, et coupants à divers degrés. Rare. — 8 centi-
mètres et demi sur 4 et demi.
Celte lame quadrilatère, facilement maniable, coupait surtout
la peau de ranimai que Ton dépouillait.
Var. Elevée, — Elle a une forme moins précise. Assez épaisse,
arrondie et retouchée sur les bords et aux angles. Moins rare.
— 6 centimètres sur 3.
Celle-ci ne pouvait couper; elle était probablement employée
à lisser.
M L*ATBLm DU CAHr-BAMWT. tH
S* Lavbllaiiiis. — Orale, très-dépriioé , nlnoe ou un peu
épais; souvent un côté plu» élevé, formant un dos; quelquefois
^un tranchant adouci sur la circonférence toute entière. ^ 5 een-
timèlres et demi à 9 et demi de long sur 4 à 7 et demi de iâige.
Var. Semiiunaire. ^ Grand croissant plat, à dos un peu plus
épais que la partie courbe, dont le trancbant est retouclié négli-
gemment, face supérieure à grands éclats; l'inférieure plate.
Très-rare. — Longueur de iO ceniifflètres sur plus de 4 de lar-
geur.
3« Disque. (PI. ii, fig. 2.) — Arrondi ou irrégulièrement ova*
laire, déprimé en dessus, plat en dessous, pourtour plus ou
moins épais , retouché partout sans interruption. — 4 à 5 cen-
timètres de diamètre.
Var. NumviulUigue. ^ Un peu bomhéa supérieurement. --
3 centimètres de diamètre.
4*' Discoïde tronqué. — Lamelleux ou épais; partie anté-
rieure arrondie, dilatée; rétréci vers le bas, tronqué brusque-
ment. — 4 à 0 centimètres et demi de long sur 3 et demi à K de
large.
Var. A. EcailUuse, (PI. ii, flg. 3.) — Elle ressemble beaucoup
à un disque. Seulement elle est très-mince, et elle offre une tron*
caturc plus ou moins large en un point de la circonférence.
Var. B. Prolongée. — Mince, allongée; partie antérieure très*
dilatée, rétrécie et un peu prolongée à sa terminaison.
Var. G. Epaisse. — Ayant presque la forme d'un disque épais.
Faces plates.
Var. D. Irrégulière, — Très-épaisse; partie antérieure arrondie,
élevée, dilatée, rétrécie postérieurement ; face supérieure déclive
de haut en bas et d'avant en arrière. Quelquefois cette variété
présente une face latérale très-étroite, un bord gauche épais et
une large fac^ oblique. Ges parties sont nettement limitées i)ar
des arêtes tranchantes.
S^* OVALB. (PI. n, lig. 4.) — Kpais, assez convexe, régulier;
dilaté en avant avec une petite troncature postérieure; parfois
une arête médiane supérieurement. — 5 à 6 centimètres et demi
de long sur 3 et demi à S et demi de large.
6'' Obtus. — Type caractérisé par une extrémité grosse, ob-
tuse, convexe, élevée, quels que soleni rallongement ou la
brièveté postérieurs.
472 MàfOIRB SUR LES SILEX TRAVAILLAS
Var. A. Raccourcie. (PI. ii, fig. 5.) — Très-courte, presque glo
buleuse, dilatée, convexe, rarement subdéprimée supérieure-
ment; extrémité postérieure étroite, tronquée brusquement ou
entière par exception. Le cortex est assez souvent conservé. Il y
a des individus de petites dimensions. — 3 centimètres et demi
à 6 de long sur 3 à 5 environ de large.
Var. B. Intermédiaire, — On rencontre plus rarement celte va-
riété , chez laquelle existe une légère prolongation postérieure à
section terminale nette.
Var. G. Appendiculée. — Masse antérieure obtuse, arrondie,
subdéprimée, s'effllant ensuite et fînissant en une sorte d'appen-
dice grêle, étroit, subaigu, droit ou courbe, semblable à un
manche. L'appendice, dans des cas fort rares , est large, et pa-
rait d'autant plus plat que la partie antérieure est très-convexe
et développée. — 7 centimètres et demi de long, 4 à 5 de large
et jusqu'à 1 et demi d'épaisseur.
Sous- var. a. Oblongtte, — Peu convexe, s'effllant insensible-
ment, ce qui lui donne une forme presque ovalaire. L'extrémité
est écourtée au lieu de se prolonger.
Sous-var. b. ^ queue. — Elle s'éloigne du type plus que la pré-
cédente. Allongée , obtuse, arrondie en avant. S'effllant peu à
peu jusqu'à la terminaison postérieure, qui est aiguë. Face supé-
rieure convexe en avant surtout, taillée grossièrement. Rare. --
Au moins 1 centimètre de haut à la partie la plus élevée.
T OvolDE. — Allongé, grosse extrémité élevée, arrondie, di-
latée, obtuse; rétréci postérieurement. Face supérieure ordinai-
rement très-bombée; troncature petite; arête latérale ou médiane;
si elle est latérale , il existe seulement un dos épais ; quand elle
est médiane, il y a de chaque côté un plan à peu près égal , en
forme de toit. La face supérieure est rarement déprimée. — 5 à
8 centimètres de long sur 3 et demi à 4 et demi de large, et 2 à
3 d'épaisseur.
Var. A. j4 arête latérale. — Grosse extrémité recourbée d'un côté.
Var. B. ^ arête médiane. (PI. ii , fig. 6.)
Var. G. Surbaissée. — Face supérieure plate; dos épais.
80 Cunéiforme. — Tranches de silex à dos épais, à deux faces
obliques disposées en couperet; tranchant acéré ou adouci , re-
touché ou non; extrémité supérieure arrondie. — 4 centimètres
et demi à 7 de long sur 2 et demi à 5 et demi de large.
1° CinWy.r cMiruTcrme Vsr ijùs?r)r- 'j 5° firaUoir ânortnsl Vanéfé ainuGuse'
''1
r.gB.i-d
pic.
\\ A Je pro'i! .
\ j
©
DB l'atblier du camp-barbbt. 47S
Var. A. Dilaiée. — Ovale, à larges faces et à dos courbe, épais.
Var. B. Pesante, (PI. m, flg. 4.) — Allongée, obtuse; dos élevé,
droit; les bords sont parallèles dans presque toute la longueur.
Var. C. En couperet, — Dos très-épais, allongé; faces très-
déclives; tranchant sans retouches; grosse extrémité adoucie;
l'inférieure étroite.
Var. D. Lamelliforme, — Déprimé; à dos peu épais, situé à
gauche ou adroite; faces assez larges; arrondie supérieurement,
tronquée en bas; tranchant acéré ou retouché.
O^" DÉPRIMÉ. — Plus ou moins plat, de largeur à j>eu près égale
dans toute l'étendue; allongé; extrémité antérieure arrondie,
déprimée, assez mince, retouchée; tronqué en arrière. Bords
ordinairement tranchants au pourtour; le contraire n'a lieu
qu'exceptionnellement. — 4 centimètres à 7 un quart de long sur
S et demi à quatre et demi de large.
Var. A. Allongée.
Var. B. Elargie. (PI. m, flg. 2.)
iO» Massif. (P1. m, fig. 3.) — Long, gros, lourd , convexe en
dessus, plat en dessous, arrondi jen avant, parfois un peu plus .
étroit et tronqué en arrière; le plus souvent d'égale largeur.
Bords épais , rarement amaincis. — ^ centimètres et demi à 8 de
long sur 3 à 4 et demi de large.
110 CONOiDE. (PL III, flg. flg. 4.) — Allongé, épais, obtus; arête
presque médiane ou latérale supérieurement; extrémité anté-
rieure plus ou moins dilatée, élevée, retouchée; l'autre plus étroite.
Détails continués quelquefois sur les tranchants ou sur un seul.
— .^ centimètres à 8 et demi de long sur 3 à 4 et demi de large.
Var. A. — Conique.
Var. B. Aplatie, — Très-déprimée, presque lamellaire, très-
dilatée antérieurement; arête latérale ou médiane; retouches
sur presque tous les bords.
l2o Anormal. — Nous retrouvons ici les caractères indispen-
sables du grattoir, mais les variétés peuvent se multiplier à l'in-
fini. Il suffisait, en faisant abstraction de la forme générale,
d'arrondir un caillou d'un côté pour un service de quelques ins-
tants. Cependant, quelques-uns, tout à fait exceptionnels, ont
reçu un travail soigné dans toutes les parties.
Var. A. Sinueuse. (PL m, flg. fj.) — Longue, étroite, terminée
en spatule; biseau postérieur; plate sur les deux faces, la supé-
474 MàilllBI «OR LBH 6ILBK tHATAaLBS
rieure étant oblique latéralement; le dos épaf^, largement
concave à son origine, devient convexe ensuite. Le bord op-
posé, plus mince, oiTire moins de courbure. Retouches sur fout
le pourtour. Est-ce même un grattoir? — 8 centimètres et demi
de long sur près de 3 de large, et i centimètre au moins de
haut.
Var. B. Discoïde à manche. — Assez épais, dilaté, arrondi à la
grosse extrémité , avec un prolongement basilaire formant une
sorte de poignée. C'est le disque enté sur un manche court, h
bords parallèles, épais, retouchés. — 7 centimètres de long sur
4 et demi de large dans la partie dilatée.
Je rapporte à cette variété une forme des plus singulières :
c'est un grattoir renflé à la grosse extrémité, que supporte un
manche, et coupé longitudinalement dans toute son étendue.
Celle section n'est pas le résultat d'un accident.
Var. C. Pectinée, — Large masse représentant à peu près un
triangle dont le grand côté est antérieur, rectiligne, elle sommet
postérieur; face supérieure assez élevée, l'inférieur plane. Les
bords sont retouchés partout, mais avec plus de soin en avant.
Les deux angles de la base sont très-adoucls. Bords latéraux
creusés de chaque côté. L'extrémité, peu prolongée, se rétrécit
de plus en plus jusqu'au sommet, et peut servir de perçoir. Le
bord de la face dilatée était surtout la portion agissant de l'ins-
trument, qui devait être employé à deux fins. — 7 centimètres
de long sur 7 centimètres et demi de large.
«• LAMES.
Tranches de silex abattues du micle^»y façonnées ensuite, re-
touchées ou non , ou employées telles quelles sans préparation ;
elles sont larges, étroites, longues, courtes, épaisses, extrême-
ment minces. Quand leurs dimensions sont exiguës, elles cons-
tituent des lamelles.
Il en est dont les surfaces sont entièrement planer. La plupart
ont une arête médiane avec deux plans obliques latéraux. D'au-
tres, plus rares, pi'ésentent, supérieurement au milieu, une
face sur toute la longueur et deux arêtes parallèles qui la sépa-
rent de deux plans latéraux inclinés. D'autres encore sont allon-
gées, étroites, triangulaires.
IMI L'ATBLIBt BU GAMP^BAllCT. 476
i/fntrémUé e;'t afgiiê, arrondie, droite, biseautée, adoucie.
Quelques-unes portent, sur un ou plusieurs côtés, des traces de
travail préparatoire, figuré par des éclats secondaires. La plupart
montrent un ou deux tranchants naturels. Beaucoup , par leur
i>onne configuration , n'ont eu besoin de recevoir aucun détail
ultérieur. Elles sont planes à la face inférieure, sauf au bulbe
de percussion, renflement qui se produit pendant le choc au-
dessous du point frappé ; mats 11 n'en est pas ainsi à la face su-
périeure, sur laquelle on remarque assez firéquemment des Iné-
galités qui obligeaient souvent à une retaille. Quelquefois les
éclats sont petits et multipliés de façon à simuler de véritables
retouches. Une observation attentive empêchera toute méprise.
Ils n'ont jamais la symétrie et la régularité des éclats amenés
par le travail. Il fallait de l'adresse pour détacher de longues
tranches étroites. Si le hasard aidait l'ouvrier, il faut croire aussi
que, par sa grande habitude, il manquait rarement son point
de percussion lorsqu'il voulait obtenir une certaine épaisseur.
L'on admire quelques productions qu'il nous serait difficile de
fabriquer maintenant. Les sépultures de Cromagnon, aux Eysies
(Dordogne), ont fourni des lames fort remarquables par leur
longueur. J'en trouvai une analogue à lanville. Le spécimen de
cette dernière localité, d'une époque relativement moderne, est
plus beau, mais ne peut être comparé, pour la dimension, à
celles que je viens de citer.
Parmi les nôtres, je signalerai une pièce étroite, mince, re*
courbée, plate et concave en dessous, divisée supérieurement
par une carène, dont la partie antérieure, arrondie, est à peine
dilatée. L'autre extrémité est cassée. — 9 centimètres de long
sur 19 millimètres au plus de large.
J'en possède une seconde, brisée au sommet , qui présente trois
faces supérieures : une médiane et deux lalcrales obliques. — Ce
fragment délicat a 6 centimètres et demi de long sur 2 de large.
Une autre lame est l'opposée de celles-ci. Elle est courte, ovale,
tronquée postérieuremenit, arrondie en avant, très-plate et d'une
minceur excessive. Sur la face supérieure, l'ablation peut être
fortuite d'une tranche superficielle forme une dépression mé-
diane. — 6 centimètres de long sur 3 et demi de large.
Je ne pense pas que ces silex aient jamais été affeetés à aucun
usage, à cause de leur fragilité. Les lamelles ne sont pas toutes
476 MÉMOIRB SUR LES SILEX TRATAlLLlis
des éclats accidentels résultant de la fracture des blocs ou des
nucleus. Beaucoup portent des retouches. C'est surtout avec elles
que se fabriquaient des tètes de flèches et d'autres petits instru-
ments dont Tapplication nous échappe.
Jusqu'ici, il n'a été mention que des lames brutes, sans usage
déterminé; mais Ton en rencontre également qui sont des outils
complets et bien confectionnés. Quoiqu'il ne soit pas aisé de pré-
ciser leur emploi , Ton peut supposer que plusieurs ont été des
grattoirs ou des couteaux. J'ai remarqué quatre types marqués :
Types : Variétés :
io Quadrangulaire... Carénée.
iOblongue.
Ovale.
En grattoir.
3^ Aigu Cordiforme.
4<> En plaquette.
\** QUADRANGULAiRE. — Mince, irrégulièrement quadrilatère;
allongé; face supérieure presque plane ou à peine convexe, tail-
lée à grands éclats; face inférieure légèrement concave; dos
peu épais, lorsqu'il existe; tranchant délicatement crénelé. —
7 à 10 centimètres de long sur 5 à 5 et demi de large.
Var. Carénée. — Arête supérieure presque médiane, de laquelle
partent deux faces déclives, lisses; face inférieure plate; biseau
postérieur, oblique, assez épais. — 6 centimètres de long sur
4 de large.
2» Dilaté. — Plat, arrondi et dilaté en haut, plus ou moins
rétréci du bas; tranchant mince ou assez épais, retouché. Mal-
gré ces caractères communs, cbaque forme, prise isolément, est
fort différente.
Var. A. Oblongue. — Faces planes; dos peu épais; extrémité
antérieure large, arrondie; la postérieure extrêmement petite à
sa terminaison, et coupée par un petit biseau assez élevé. La face
supérieure présente une dépression causée par l'ablation d'une
lame (1); pourtour arrondi dans une grande partie de sa con-
(1) Celte dépression se remontre assez souvent sur la face supérieure
de tôtes de lances , de Javelots ou autres instruments. Elle était certai-
nement intentionnelle, et sa netteté le prouve; son but était de faciliter
un enchâssement plus solide.
DB L'ATKLlBa DU GAMP-BARBBT. 477
vexité, et devenant plus tranchant en s'avançant vers la partie
rétrécie. — 7 centimètres de long sur 3 et demi de large.
Var. B. Ovaie. —hilnce^ très-déprimée, ovale, arrondie en
avant, tronquée en arrière; face inférieure avec une concavité
dont le plan n'est interrompu que par le bulbe de percussion ;
dos un peu plus épais, retouché régulièrement; bords latéraux
dilatés; tranchant adouci, muni de petites retouches parfaite-
ment régulières. — 6 centimètres et demi de long sur 4 et demi
de large.
Var. C. En grattoir. — Celles! est une véritable lame, lisse sur
chaque face, d'égale épaisseur dans toutes ses parties, convexe
antérieurement^ avec des bords arrondis, retouchés. — 5 centi-
mètres de long, 4 centimètres de large et 5 millimètres d'épais-
seur partout.
d^" Aigu. — Tranches minces, plaies sur les deux faces, de
5 millimètres environ d'épaisseur, presque triangulaires, sub-
aiguës au sommet. L'un des côtés, plus épais, est retouché; le
long du bord opposé, biseau oblique coupé aux dépens de la
face supérieure. — 4 centimètres -et demi à 6 de long sur S et
demi à 4 de large.
Var. Cordiforme, — Face supérieure avec arête médiane ; bords
latéraux arrondis , dilatés; tranchants très-minces, retouchés;
sommet épais.
4° En plaquette. — Ce sont des parallélogrammes plus ou
moins prolongés, ressemblant aux pierres à fusil, mais beau-
coup plus minces et plats, avec un biseau étroit, retouchés sur
un ou deux bords; plusieurs ont d'anciennes ébréchures pro-
duites par le service. Ces pièces ne sont pas très-communes ;
elles devaient être appliquées au grattage dans la confection des
petits objets en os. — 3 à 4 centimètres de large, 2 et demi à
4 de haut, 5 à 6 millimètres d'épaisseur.
6« COUTEAU.
Le couteau consiste en une lame allongée , pourvue presque
constamment d'un dos peu épais et d'un tranchant retouché
ou non, ayant l'extrémité supérieure arrondie ou subaiguê.
Une lame à tranchant simple pouvait sufQre à fendre la peau
479 MEMaiM SUS LB8 glLM TiAVAIU»BS
de raninial q«e Von dépeçait, ou & couper des os, sans recevoir
le moindre fini , et les restes de ces silex ébréchés, cassés au
milieu, annoncent môme leur mode d'emploi; mais ces instru-
menU n'étaient pas toujours aussi primitifs, et Ton en voit d'ou-
vrée soigneusement. Si la plupart des espèces ont évidem-
ment pour but de produire des sections, nous en trouvons
d'autres abords asseK épais, retouchés, et paraissant remplir
l'office de grattoir* Quelques unes ont l'aspect d'une scie, sans
présenter toutefois une conformation de crénelure absolument
identique.
Des lamelles de petites dimensions ont le dos et le tranchant
retouehés en partie ou en totalité, ou l'un de ces bords seule-
ment. A quel travail spécial étaient*elles destinées? il est ration-
nel de penser qu'on les utilisait pour le travail des os. Ayant à
peine de la prise , elles ne paraissent guère commodes , et ce-
pendant leur nombre Indique qu'on les employait fréquemment.
Peut-être étaient-elles enchâssées dans un manche? On trouve
aussi une quantité de ces lamelles telles qu'elles ont été éclatées
du nucieuê, La dénomination de couteau , que je donne à tous,
n'est certainement pas très-exacte. J'aurais pu les classer les uns
parmi les lames," les autres avec les grattoirs; mais j'ai cru de-
voir rassembler, dans un mémo genre, des outils qui m'ont paru
conformés de façon à pouvoir remplir des fonction» à peu près
semblables* Je les divise en six types :
i» Dilaté.
^ Etroit.
a» £n lamelle.
4» Unciformte.
50 Serratiforme.
l*» Dilaté. — Lame simple, dilatée, à deux faces planes sem-
blables, diminuant d'épaisseur depuis le dos qui est incurvé,
sinueux, plus ou moins élevé, jusqu'au tranchant dont le fil
est mince; bommet arrondi, retouché; extrémité inférieure
brusquement biseautée. Le coftex de la partie dorsale est ordi-
nairement conservé. Souvent, le tranchant porte des retouches;
mais quelquefois il est resté à l'état naturel. — 5 oentimètres et
demi à 7 et demi de long sur 3 centimètres et demi à 4 et demi
de large,
ip fiTiioiTà (M. m, flg* 6.) -^ Lame très-allongée^ droite^ étroite,
I»B L'àTBLIM m 6AMP-BARUT. 479
rétrécie en haut et vers le bas, qui est tronqué; face supérieure
déprimée; dos médiocrement élevé, tdiilé à petits éclats; bord
opposé retouché obliquement sur Tépaisseur, assez tranchant;
sommet arrondi. Un exemplaire, k bords parallèles, ne présente
de retouches qu'à la face inférieure. (PI. m, flg. 7 bis,) — 6 cen-
timètres et demi à 7 et demi de long suf 2 à 2 et demi de large.
J'hésite à ranger ce type parmi les couteaux. C'est la forme
générale et la disposition lamellaire qui m'y engage plus que
rexamen des détails. L'étroitesse ne permet pad de croire qu'il
ait été possible d'en user comme d'un grattoir. Le fil du tran-
chant montre chez quelques-uns des cassures, de rares fissures
longitudinales analogues à celles 46s percuteurs.
3<> EN LAMELLE. —Allongé, plus ou moins étroit, mince et
déprimé , solide, de petite taille; dos droit ou courbe, peu épais,
taillé à fins éclats ou conservant le cortex; face supérieure dé-
clive, l'inférieure plane ou légèrement concave; tranchant droit
ou courbe, aigu ou adouci par des retouches. — ^i à 5 centimètres
de long, i centimètre et demi à ^ et demi de large.
4« Uncifobme. — Dos épais, ordinairement retouché, convexe,
recourbé au sommet comme une serpette, et formant une pointe
avancée à sa terminaison; faces planes; tranchant droit ou
concave, acéré ou adouci par une bande longitudinale coupée
obliquement aux dépens de la face supérieure, et retouché tout
du long; extrémité Inférieure subaiguê ou tronquée. — 4 à 6 cen-
timètres de long sur i centimètre et demi à 3 de large.
5« Serratiforme. — Quelquefois sans forme bien déterminée.
Allongé, déprimé, obscurément triangulaire, subaigu au som-
met; base tronquée; face supérieure à arête médiane ou plane
chez les exemplaires lamelliformes; dos assez mince, incurvé
sans précision; cfénelur^ plUâ ou moins espacées, grossières.
Toutes sont produites aux dépens de la face inférieure. Leur
échancrure, rincllnaison, la direction, établissent autant de
rapports avec celles de la scie véritable; mais dans cette dernière
les denticulafions sont creusées d'une façon scalariforme; elles
sont plus solides, évidées soigneusement en dessus, et chacune
est disposée de fagon à éviter, le mieux possible, les fractures.
— 5 centimètres et demi sur 3.
Cet outil est intermédiaire entre le couteau et la soiOi dont je
n'ai pas vu de représentants au Gadip- Barbet.
MBMOIBB SUR LKS SILBX TRAVAILLAS 480
7« HACHETTE.
Je place après les couteaux une série d'instruments qui tien-
nent, pour la plupart, de la hache, du ciseau, du coin, même
du javelot, et qui probablement étaient destinés à couper le bois
et les os longs, pour les détailler ensuite. En général, ils ont un
biseau à tranchant afûlé et une troncature terminale en arrière.
Presque tous sont déprimés en dessus et plats en dessous. Leur
partie essentielle git dans le tranchant, dont le fil se trouve fré-
quemment ébréché. Il peut avoir une direction horizontale,
oblique, irrégulière. Il est mince ou parfois épais. Les formes
sont variables , et les biseaux diffèrent dans leur inclinaison,
tantôt très oblique, et plus rarement presque droite. Ils sont or-
dinairement simples, mais quelquefois ils existent sur les deux
faces et forment alors, à leur point de réunion, un tranchant
solide. Le ciseau du menuisier montre également, suivant l'es-
pèce, des différences d'inclinaison dont l'analogie avec ces silex
est évidente.
La hachette se fixait verticalement sur un manche entaillé,
auquel on l'attachait fortement. Etant très-solidement retenue,
on pouvait en user de diverses façons, en frappant sur l'extré-
mité opposée de la tige qui la supportait, ou pousser avec la
main comme l'on fait habituellement. La région postérieure est
presque constamment amincie afin de mieux l'adapter à la coche
pratiquée au support.
Je les divise en dix types, qui sont assez bien earactérisés.
Types : Variétés :
^ A tranchant droiL
^^^^ I A tranchant courbe.
i Minime.
Amincie.
Epaisse.
3° Gibbeux.
i'' Obèse.
50 Lamelleux Aplatie.
C« Sécuriforme.
IA tranchant concave.
Biconvexe.
En parallélogramme.
DE l'atelier du gamp-barbbt. 481
Types : Variétés :
8» Etranglé.
9° Quadrangulaire . . i , " ^
(B. SubcoDique.
10° En ciseau [t'
(B.
i® Large. — Hachette courte, très-plate sur les deux faces;
tranchant large, courbe ou droit, mince; biseau régulier, très •
oblique, ordinairement et largement étendu. Elle se rétrécit
peu à peu vers sa terminaison, et Textrémité est tronquée plus
ou moins loin , de sorte qu'elle ressemble à un triangle à som-
met coupé. -< 3 centimètres et demi à 4 de long sur 3 à 4 à la
largeur du tranchant.
Var. A. — Tranchant droit.
Var. B. — Tranchant un peu courbe.
2» Plan. —Allongée; face supérieure plane; côtés assez épais,
retouchés; tranchant large ou étroit; biseau plus ou moins
oblique et prolongé; troncature postérieure irrégulière; échan-
crures latérales prononcées à divers degrés. — 4 à7 centimètres
de long sur 2 à 4 centimètres de large.
Var. A. Minime. — Très-petite, plate, irrégulière, sinueuse
d'un côté, obtuse en arrière.
Var. B. Amincie, — Extrêmement déprimée et presque lamel-
laire , large ; biseau peu élevé ; tranchant irrégulier.
Var. C. Epaisse. — La section qui comprend ces trois variétés
n'est pas nettement caractérisée, et les formes sont, pour ainsi
dire , aussi diverses qu'il y a d'individus.
S** GiBBEUX. — Ce type représente deux plans inégalement in-
clinés, se rencontrant parleur sommet et formant à cette jonc-
tion la plus grande largeur de la hachette , ou bien , au lieu
d'un angle de jonction , on trouve une bosse convexe, arrondie.
Les extrémités sont assez minces, et ordinairement la posté-
rieure est plus étroite. Dans des cas fort rares, c'est la partie
antérieure dont le diamètre transversal se rétrécit; tranchant
droit ou oblique; côtés retouchés assez régulièrement, à petits
éclats. f.e biseau, élevé et prolongé presque à la partie moyenne
donne à cette forme une apparence gibbeuse. — i centimètres
et demi à 6 de long sur environ 3 de large, et 1 centimètre au
moins de haut à partir du point d'intersection des deux plans.
T. VIII. 31
483 uÉMOiMK sua les silex travaillas
4'> Obèse. — Solide, épaisse, conoïde, mal dégrossie laléra-
lemenl; face supérieure élevée, très-convexe; l'inférieure plaie
et un peu bombée; sommet légèrement arrondi ; très-large biseau
oblique; tranchant droit ou à peine courbe. - 5 centimètres et
demi de long sur 4 au moins de haut.
5« Làmelleux. — Mince ordinairement, peu soignée, variable
dans sa forme qui n'est jamais bien précise; déprimée, trian-
gulaire; faces planes, irrégulières; tranchant droit à biseau
inégal, grossièrement taillé. — 5 à 5 centimètres et demi de long
sur 3 centimètres de large.
Var. Aplatie. — Elle consiste en une lame amincie, diminuant
d'épaisseur et de largeur de la base au tranchant; entièrement
plate en dessous.
G*' SÉGL'RiFORME. — Elle ressemble, en petit, à certaines
haches de cette époque. Souvent aussi on la prendrait pour une
tète de javelot si Textrémité postérieure était plus aiguë. Elle
est allongée, conique, déprimée, à peine convexe en dessus et
taillée sans délicatesse, très-plate en dessous, quelquefois un
peu iMîmbée sur une ou sur les deux faces; biseau court, peu
oblique, à peine courbe, presque droit, terminé par un tran-
chant médiocrement afûlé; extrémité postérieure mince, étroite,
plus ou moins arrondie. — 5 à 5 centimètres et demi de long
sur 3 centimètres de large.
7° Tronqué. — Conoide, très-déprimé avec une légère con-
vexité médiane; bords minces; tronqué nettement et assez lar-
gement en arrière; biseau à angle très-aigu; faces soigneusement
retouchées à grands éclats. — 5 centimètres et demi à 6 de- long
sur 2 centimètres et demi à 3 et demi de large.
Var, A. A tranchant coiicave, ■— Disposition très-rare. Face in-
férieure un peu concave; bords latéraux épais , de sorte que,
vue de proûl , elle semble être biconvexe.
Var. B. Biconvexe. — Biseau à angle très-aigu ; tranchant lé-
gèrement courbe ; les deux faces sont de convexité presque égale.
Var. C. Enparalhélogramme. — Bords latéraux presque paral-
lèles, ce qui donne aux extrémités une largeur à peu près égale;
faces très- déprimées : la supérieure taillée assez soigneusen»e&t,
l'inférieure plane; bords minces, retouchés.
8p Etran&lé. — Conolde, assez étroite, resserrée dans le tier»
posèérieur pfesqiie suNtement, et formant, h partir de là, une
DE l'atelier du CAMP-BARBET. 485
espèce de mancne rétréci, plus mince que le corps; petit biseau
terminal oblique. Le grand biseau a une inclinaison médiocre,
et, par exception, il est presque à angle droit. Les deux extré-
mités de cette hachette pouvaient servir, et elle ne devait pas
être emmanchée.
9° Quadrilatère. — Assez étroite, souvent lamellaire; partie
antérieure ayant à peine plus de largeur; troncature postérieure
brusque; biseau droit ou très-oblique; tranchant aigu; face su-
périeure légèrement subconvexe ou plane, taillée à grands éclats;
l'inférieure plate. — 3 centimètres et demi à 4 et demi de long
sur 3 à i centimètres de large.
Var. A. — Bords latéraux tout-à-fait parallèles; assez épaisse.
Var. B. Subconique, — Double biseau très-oblique, à tranchant
afillé.
40'' Ciseau proprement dit. — Quelques individus tiennent
de la hachette par la disposition des contours; mais ils appar-
tiennent plus spécialement au ciseau par le biseau et le tran-
chant, qui sont les parties principales. En général, ils sont co-
niques, étroits, allongés, à double concavité latérale plus ou
moins sentie, épais, solides. La face supérieure est élevée, tail-
lée grossièrement; Tinférieure toujours plate. Petite extrémité
tronquée; biseau oblique, élevé; tranchant droit, aigu. ~ 6 à7
centimètres de long, 2 à 3 centimètres de large, 2 centimètres
et demi de haut au plus.
Var. A. — Conique, déprimée, grossièrement taillée à la face
supérieure, plate en dessous, sans retouches latérales. Elle res-
semble plus, par la forme seulement, à la véritable hachette. Le
biseau seul a été bien soigné; il est solide, double, à tranchant
fm, acéré. Le supérieur a été taillé obliquement dans une assez
grande étendue, et poli ensuite. Le biseau de la face inférieure
est très-étroit, légèrement concave dans toute sa largeur, sans
trace de poli. Cette variété présente identiquement la terminai-
son de certains ciseaux en fer journellement employés dans les
arts.
Var. B. — Celle-ci, quoique différant de la précédente, n'a
pas moins d'analogie de forme avec une autre espèce de ci-
seau, et le corps de l'instrument, surtout, s'éloigne des t^pes
que j'ai décrits. Elle se compose d'une tranche de silex étroite
et épaisse, prfsmatique, terminée par un biseau simple, tran-
484 MÉMOIRfi SUR LKS SILEX TBAVAILLés
chant à son extrémité, recouverte de son cortex et presque ar-
rondie en arrière. Une arête aiguë divise les deux faces supé-
rieures, dont Tune est brute et Tautre à éclats grossiers. Face
inférieure lisse, inégale, sans travail, un peu plus large. A peine
remarque-ton quelques indices de relouches sur les bords.
Gomme le tranchant seul avait de Futilité, Ton s'était dispensé
de soigner les autres parties. Cet outil se poussait directement
par la main. L'on ne frappait pas sur Textrémité non biseautée,
puisqu'elle est restée avec son cortex intact. Néanmoins, il est
possible que l'on ait fixé ce ciseau à un manche.
8» COUPERET.
Lorsque l'on avait tué un animal d'un certain volume, il n'é-
tait pas facile de le diviser. L'on devait user, sans doute, des
grandes haches dont nous rencontrons encore des représentants;
mais on façonnait aussi des cailloux de manière à produire un
instrument qui avait de l'analogie avec notre couperet actuel.
C'est un silex très-grossier, lourd, épais, irrégulièrement qua-
drilatère, arrondi en haut, à large dos coupé brusquement. Le
tranchant est convexe, et les deux faces sont taillées à granos
éclats. Ceux que j'ai recueillis au Camp-Barbet ont environ 7 cen-
timètres de long, 8 centimètres de large et 3 centimètres d'épais-
seur. Un bel exemplaire de ce genre, parfaitement caractérisé, a
été trouvé par M. Buquet, à Ully-Saint-Georges. 11 eut l'excellente
idée de rapporter ces formes au couperet, et je crois son opinion
incontestable.
Il est cunéiforme, plus large, plus long, et beaucoup plus épais
que le précédent. Son tranchant convexe est couvert de retouches
rendues inégales par la percussion et l'usure. Il est difficile de
supposer un autre emploi à ces outils. Ils étaient pesants, et
leur dos donnait une large prise à la main , qui pouvait au be-
soin en faire une arme comme du passe-tète. — 12 centimètres
et demi de long sur 9 centimètres de large; dos de 4 centimètres
d'épaisseur.
^ PERÇOIR.
Le poinçon perce par pression, le perçoir par rotation. Cette
IfTérence établit la distinction dans la conformation des deux
DE l'ateliba du gamp-barbet. 485
instiniments. L'un est aigu, arrondi, très-efHlé; l'autre est plus
solide, plus épais, conique, court, simplement adouci au pour-
tour et taillé à facettes. Nous rencontrons toujours une face plus
ou moins large qui se prenait entre les doigts, et une extrémité
étroite qui est la partie agissante. Si Ton se sert d'un bout de silex
à angles vifs, tranchants, il casse net pendant le mouvement de
rotation, sans rien percer. Aussi, cette observation n'ayant
pas échappé aux hommes de cette époque, ils taillaient le perçoir
en divers plans, de sorte que l'outil avait une longue durée sans
éprouver d'autre dommage qu'une perte légère de substance sur
les arêtes. Un autre caractère, presque constant, consiste en une
échancrure ordinairement arrondie, en une gorge en spirale,
quelquefois retouchée, qui existe À droite ou à gauche, sur la
partie prolongée et rétrécie. Elle indique évidemment l'intention
de produire les mêmes effets que ceux de la vrille. C'est l'élé-
ment primitif de la vis!
Aucun poinçon n'a été trouvé au Camp-Barbet. C'est, du reste,
avec l'os qu'il devait être fabriqué. Ici, le perçoir est assez com-
mun , de dimensions petites ou fortes. Je viens de dire qu'il pré-
sentait toujours une portion élargie propre à être tenue, dimi-
nuant brusquement^ terminée en pointe subaiguê ou à sommet
arrondi. La face inférieure est plate. Les exemplaires de Bruni-
quel, qui datent de la période paléolithique, ont de l'analogie
avec les nôtres. Le mode de travail, la forme, sont ordinaire-
ment les mêmes, à cette différence près que ceux de laDordognc
ont des proportions plus exiguës. A Cauvigny (à Fontaine), j'ai
vu des ébauches d'une grande taille, mais extrêmement gros-
sières. Au reste, à toutes les périodes de l'âge de pierre, on
trouve cet outil indispensable. Il en existe d'énormes et de très-
délicats à la station de Foulangues. C'est l'instrument typique
de cette localité. J'ea possède de toute dimension et de toute
forme.
Les perçoirs servaient à forer les os et k faire des trous dans
le cuir, afln d'y passer des lanières destinées à retenir les vête-
ments et les chaussures. En quelques tours, avec plusieurs es-
pèces d'entr'eux , j'ai percé des semelles de cuir d'un demi-cen-
timètre et des planches, sans endommager le silex.
Je les groupe en quatre sections :
486 MÉMOIRE SUR LES SILEX TRAVAILLÉS
Types :
io Dilaté.
2« Triangulaire.
30 Quadrilatère..
40 Ailé.
Cette division n^est établie que sur la forme de la partie élargie.
C'est uniquement aûn de donner une idée de Taspect général de
l'outil.
i» Dilaté. — Ovale assez régulier, dont les contours sont in-
terrompus par une section droite à la base et par une tige proé-
minente quoique courte. Face supérieure déprimée, grossière-
ment taillée; Tinférieure lisse; bords amincis. La tige ou pointe,
assez forte, subaiguë, résulte de deux échancrures latérales peu
profondes. Le diamètre transversal semble bien plus considérable
que le vertical, et cependant il n'y a que quelques millimètres
de différence. La dilatation horizontale offre la disposition la
plus avantageuse pour exécuter les mouvements de rotation. —
53 millimètres de haut sur 5 centimètres et demi de large , et
2 centimètres d'épaisseur à la base.
î® Triangulaire. — Faces déprimées. La supérieure, légère-
ment convexe lorsqu'existe une arête longitudinale. La région
dilatée est obscurément triangulaire, et le perçoir se termine en
une grosse pointe mousse ou à peine effilée. -- 4 à 6 centimètres
de long sur 2 à 4 centimètres de large.
3*» Quadrilatère. — Chez celui-ci, la portion dilatée est courte
et allongée ; quadrilatère, mais non d'une manière très-marquée,
presque toujours entièrement plane à la face supérieure, rare-
ment séparée par une éminence. Lorsqu'elle a lieu, elle est con-
tinue sur le dos même de la pointe. Extrémité courte, retouchée
latéralement. — 3 è 6 centimètres de long sur â à 3 centimètres
de large.
4° Ailé. — La partie élargie est grosse, élevée, massive, très-
solide, partagée en deux faces très-déclives, dont la droite se
prolonge en aileron, de façon à y appuyer aisément le pouce;
face inférieure plane; pointe subaiguê, retouchée de chaque côté.
Quoique cette espèce soit peu commune, je Tai vue plusieurs fois
avec un aileron, plus rarement encore avec deux* semblables. Il
est évident que ces appendices ne sont dûs ni au caprice ni au
hasard. -- 5 centimètres de long sur 3 centimètres de large.
DB L'aTELIBR du GAMP-BAllBfeT. 487
11 existe aussi des pièces servant à deux fins. L'on voit des
grattoirs plats cassés en deux avec intention , dont une extré-
mité est transformée en perçoir Cette double attribution se ren-
contre parfois au Camp-Barbet. A Tarticle grattoir, je mentionne
une forme anormale qui est munie d'une pointe de perçoir.
IQo POUSSOIR.
Disque très-épais , interrompu , au point le plus élevé de sa
circonférence, par une section nette presque verticale. Face su-
périeure déclive depuis la section jusqu'au pourtour; face infé-
rieure tout-à-fait plane. Toutes les parties sont usées paV le frot-
tement, sauf la face supérieure qui est un peu inégale. Le pour-
tour en entier, y compris la section, présente des facettes gros-
sières. — Poids : 102 grammes; hauteur : 5 centimètres et demi;
largeur: 7 centimètres; épaisseur, 3 centimètres à la section et
2 à l'endroit le moins épais, en avant.
C'est une espèce de grès rougeàtre , coloré par l'hydroxyde de
fer, très-dur, à grains fin^. Je trouvai au Camp-Barbet un seul
individu de forme régulière; mais j'en rencontrai d'autres, très*
bruts. A Foulangues, je recueillis un exemplaire presque sem-
blable et un second beaucoup plus curieux par sa disposition et
ses faces parfaitement lisses. Tous sont de même matière. Evi-
demment, la nature de la roche a été choisie pour le même
usage , et les traces de frottements, répétés sur une large étendue,
indiquent que C43 sont des polissoirs (i).
mm^mtm
(1) Il y a une analogie frappante entre ces outils et ceux que mentionne
Cook, dans son voyage à Otabiti. Je le cite d'après la traduction de sa
relation : « On rencontre également des bacbes composées d'une sorte de
c basalte et de grès. C'est aussi dans cette localité que j'ai trouvé des
« disques épais , à surfaces planes , en grès rouge ou roux , et qui de-
« valent servir à aiguiser le tranchant des haches. »
Et aussi :
« Comme il est nécessaire de les aiguiser presque à chaque instant,
c l'ouvrier a toujours près de lui pour cela une pierre et une noix de
« coco remplie d'eau. »
488 NéNOIRB SUB LES SILEX TRAVAILLES
DEUXIÈME DIVISION.
ARMES DE CHASSE OU DE COMBAT.
Nous sommes arrivés à la deuxième division des objets en
silex du Camp-Barbet. Ce sont les armes de combat ou de chasse
qui pouvaient également s'appliquer à certains travaux domes-
tiques. Dans ces temps, comme toujours, le génie humain montre
principalement ses ressources par les inventions des engins de
destruction. Assurément , ici , Tart de tuer est encore en enfance,
et il n'a pris que plus tard un grand degré de perfection avec la
découverte de l'emploi des métaux; mais il faut avouer que,
dès le principe, l'homme a tiré tout le parti possible du caillou
pour arriver à la suppression fatalement nécessaire des animaux
ou même de ses voisins. Ainsi, le poids, la forme, l'évidement,
l'amincissement de certaines parties d'objets, même peu tra-
vaillés, étaient calculés avec discernement.
Les pointes de javelots et de flèches, brutes ou ouvragées, se
rencontrent fréquemment, tandis que les lances, haches, ne sont
pas abondantes. Ces silex recevaient des dispositions particulières
qui nécessitaient des modes variés d'insertion à une tige ou à un
manche. Il n'est pas toujours facile de les préciser, et si le hasard
n'avait procuré des pièces enchâssées, soit de cette époque, soit
des peuplades sauvages contemporaines, nous pourrions ignorer
les méthodes adoptées pour quelques-unes d'entre elles.
Les haches, lances, tètes de javelots , etc., étaient retenues au
manche au moyen d'intestins frais qu'on appliquait autour et
qu'on laissait sécher ensuite.
Les haches, dont la situation était horizontale par rapport à
la tige, portaient le lien vers le milieu ou s'inséraient dans la
cavité d'un os retenu à un manche. Les autres instruments, ar-
rondis au pourtour, plans ou inégaux, toujours placés vertica-
lement, s'appuyaient sur des coches pratiquées dans le bois et
étaient ensuite assujettis par des liens. Plusieurs sont pourvus
d'un biseau. L'extrémité postérieure diffère suivant les espèces.
1'> Le biseau simple ou entaille, oblique d'un seul côté, péné-
trait dans une section en sifflet pratiquée dans le bois indépcn-
J
fil
h:
/•i
! i'draïc e/.ceptiinneile coiiico aiéuf
. . vSc.-iee.
Flêclie pyi-iforme. C c° :r:i'
. . lubulaire D :,■.
.. tar.eSeF./v'àrA.-E.'-i
:^m"
n.
Ki^. 1. Fler-'r.e ecaiilevise.
2 Spir.ifGrtr.e. \ar.A b,ssa'.r.ee.
3. Carresu,
i. Plarxlaire,
5 Série V" SMVjiifoTifK
o.Sène2'!^°ifLarrn;>ori?.ees.
7. 13 prcni
» «.
/: I. ,.
M
/AODES D'ATTACHE ■
DES TÉTF.S DE LANCfc:s, Javelots et Flèches a la ha/"\pe,
1° Inserlion de biseau simple. S'iriseriion des 'êtes Ironquées
2 de bisea-j aT'bl^ | 4'(lesiê1.es à appenàice mèàiani,
5° Insertion des téUs sans prcloTigemenl,
HaL:he''e Ironquée,
Hachelle lypique
du Camp Barbel.
\i
DE l'aTELIBR bu CAMP -BARBET. 489
damaient de la coche. (PI. vu, flg. i.) Il y a des exemples plus
rares de biseau dirigé en sens contraire.
'i'^ Le biseau double s'enfonçait, à la manière d'un coin, dans
rintervalle d'une double section en sifflet, prolongée souvent
au-delà de retendue du biseau afin de donner une grande soli-
dité en appuyant plus loin sur les deux faces. (PI. vu, fig. 2.) Les
tôles de lance , arrondies au pourtour, avaient le même mode
d'enchâssement.
3° Les tètes tronquées, très-épaisses en arrière ou coupées net,
asseyaient leur base sur une section horizontale. (PI. vu, fig. 3.)
Une face correspondait toujours à la coupe verticale de la tige*
\° Les appendices médians de javelot ou de flèche s'insinuaient
dans le centre d'une tige. (PI. vu, flg. 4.) Quand ces prolonge-
ments n'existaient pas ou qu'ils étaient trop courts, la partie
élargie était pincée au milieu d'une fente serrée par un lien, et
la hampe s'avançait sur elle de chaque côté. (PI. vu, fig. 5.)
i« HACHE.
J'ai dit précédemment que les haches, si remarquables par la
taille et le fini, étaient extrêmement rares au Camp>Barbet. La
plupart se trouvent à l'état de tronçons. Souvent il n'existe que
l'une des extrémités. Quelques-unes sont à peine ébauchées. Il
est donc probable que celles dont on pouvait user encore ont été ^
enlevées. Néanmoins, le petit nombre de pièces intactes et de
débris donne une idée nette des formes usitées.
1. Hache Simple.... jf««^^^
2° Hache à pic.
Les espèces minérales ne varient guère. C'est ordinairement le
silex pyromaque que l'on travaillait, mais on employait aussi
parfois des grès blancs ou gris très-compactes, susceptibles d'un
beiiu poli. Quelques rares exemplaires sont composés d'une roche
lourde, cristalline, à grains fins, serrés, gris verdâtre. Malgré
son aspect homogène, elle renferme des particules métalliques
fort tenues. Sa nature parait être la même que celle de certaines
diorites vertes, dont elle semble être une variété. Cette substance
est étrangère à notre sol, et sa qualité acertainement déterminé
le choix pour la fabrication de pièces très-soignées.
492 HBMOIBB SUR LBS SILEX TBAVAILUs
Je me borne à citer une ébauche de petite hache, plate en
dessous, élevée supérieurement, très-dilatée au tranchant, échan-
crée latéralement et rétrécie en arrière. C'est Tunique exemplaire
de cette forme que j'aie vu, et encore n'est-elle qu'indiquée. C'est
cette raison qui me fait hésiter à la considérer comme un type
nouveau, malgré l'accentuation des caractères.
2« POIGNARD.
Je rapporte à cette arme des silex allongés, conoïdes ou cylin-
driques, tronqués ou amincis à la plus grosse extrémité, aigus
à divers degrés à l'opposée , taillés négligemment sur les faces,
et assez lourds. La plupart ne semblent pas avoir été faits pour
être enchâssés. Ils devaient se tenir les uns à la partie moyenne,
les autres à pleine main, le pouce appuyé sur la base. Deux
formes caractérisées se rencontrent ici :
1® Conique.
2« En pic.
i*» Conique. (PI. iv, fig. 2.) — Malgré sa grossièreté apparente
et le cortex qui existe encore sur quelques parties, il est fort bien
travaillé. Sa large base brute, oblique , diminue peu à peu. Trois
faces semblables , à peine retouchées quoique régulières, s'amin-
cissent jusqu'à l'extrémité, et sont séparées entre elles par trois
lignes angulaires tranchantes. La pointe aiguë annonce, par son
fini, l'importance qu'on y attachait. Cette pièce, solide, est d'un
poids convenable pour un maniement facile. — il centimètres
de long sur A centimètres et demi de large à la base.
Une variété de ce type parait semblable, à première vue, à
cause de sa configuration conique ; mais elle en diffère. La base
est coupée verticalement, et sa section forme une facette lisse.
La moitié postérieure est grosse, massive, pesante, carrée, à
éclats distribués ça et là; puis elle s'atténue, s'effile et finit en
pointe. On croirait que l'on a enté, sur un gros manche, une
tige plus déliée, dont la face inférieure est plate par suite de
l'enlèvement d'un long éclat lamellaire. La partie supérieure ,
déprimée, légèrement convexe, se courbe un peu antérieure-
ment. Le type est triangulaire. Cette variété a deux faces et deux
tranchants.
J'ai trouvé plusieurs extrémités de poignards , qui peut être
DR l'atblibr du gampbarbbt. 493
ont élé brisées et utilisées d'une autre façon, ou bien il se pour-
rait même qu'elles n'eussent jamais été plus longues.
2« En pic. (PI. IV, fig. 1.) — Très-allongé, un peu recourbé et
aminci aux deux bouts, l'un subaigu, l'autre aplati, obscuré-
ment cylindrique, tortu, dégrossi à larges éclats avec conser-
vation de portions corticales. Les surfaces qui en sont dépour-
vues sont dénudées par les ablations de lames à cassures sou-
vent concholdes, nettes, irrégulières. Il devait être pris ù pleine
main par le milieu, et pouvait également servir de pic. Ces
armes ont 13 à 13 centimètres et demi de long ordinairement,
mais quelquefois la taille a jusqu'à 21 centimètres.
3« LANCE.
Ce sont de longs silex taillés sur le pourtour, obscurément
prismatiques, amincis en arrière et efûlés antérieurement ou
arrondis à cette extrémité, assez pesants, sans élégance, quel-
quefois tortus. Quelques-uns , dont les arêtes limitent les faces,
montrent des fissures longitudinales ayant une certaine ressem-
blance avec celles des percuteurs. Ils devaient être fixés au bout
d'une hampe et agissaient surtout comme corps contondants,
car leur terminaison n'était pas assez aiguë pour pénétrer les
tissus profondément. Cependant, les blessures qu'ils produi-
saient i)ouvaient encore être violentes. La plupart n'ont aucun
détail. L'on se contentait d'enlever les saillies aûn d'obtenir la
régularité et d'avoir un instrument plus commode, mais le per^
fectionnement n'était pas recherché comme sur d'autres pièces
délicates.
Premier groiipe. — SUBAIGUBS.
Types :
1» Massif.
2o Prismatique.
3<> Comprimé.
4<' Ampullaire.
5» Aminci.
6« Sinueux.
494 HiMOlBft SUB LES SILKX TBAVAUXÉS
Deuxième grou.pe. — EXTRÉMITÉ ARRONDIE.
Typea :
lo Droit
^ Recourbé.
Premier groipa.
!"> Massif. — Cette tête de lance, lourde, éclatée sans recherche^
a beaucoup de rapports avec le poignard en pic, dont elle se
distingue aisément par sa direction rectiligne et par Tabsence
de toute incurvation. Elle n'a que pesanteur et solidité. Ce caillou
est épais, arrondi au pourtour, légèrement renflé au milieu avec
une face inférieure aplatie obscurément, à cause delà négligence
apportée dans l'ablation des éclats. Les extrémités déclives se
terminent l'une par une pointe, l'autre par un biseau adouci. —
12 centimètres de long sur 4 centimètres dé large.
2« Prismatique. — Allongé, assez étroit, solide; les deux faces
supérieures, grossièrement taillée?, forment, de chaque côté de
l'arête médiane, un plan très-incliné; face inférieure plate ou
presque complètement plane. Trois arêtes vives limitent les trois
faces semblables. Extrémités amincies, l'antérieure aiguë. Il
semble n'être que la répétition du type précédent, plus soigné,
plus net dans ses contours, à angles vifs, continus et réguliers.
— 9 à iO centimètres de long sur 2 et demi à 3 centimètres et
demi de large.
3*» Comprimé. — Très-comprimé de chaque côté, élevé de façon
que les faces latérales sont presque verticales. Elles viennent
aboutir à une face supérieure très-étroite, longue, déclive d'avant
en arrière ou horizontale, plat en dessous. Le tiers, antérieur,
est échancré à droite et à gauche. Une arête médiane, tranchante,
sépare ces échancrures , et son extrémité forme une pointe
aiguë , allongée en rostre , inclinée à droite. L'endroit culmi-
nant de la partie supérieure est situé à son point de jonction
avec l'arête; biseau postérieur. — 7 à 8 centimètres de long, 2 à
2 centimètres et demi de large, 1 et demi à 2 centimètres et demi
de haut.
Variété presque semblable au type. La partie postérieure , ré-
DE L'aTILIIB bu GAIIF'BARBBT . 496
trécte, devait supporter un lien. EUe esl distificte du eorps et
simule un manche.
40 Ampullàirg. — 11 se distingue de tous par ses deux faces
convexes. IL est subitement vMitru au milieu, allongé, délié,
élancé, et subaigu en avant, obtus en arrière. Aucun détail sur
les faces. -- 9 centimètres et demi de long , 3 centimètres à la
partie dilatée.
5» Aminci. — Cette lance droite, robuste dans toutes ses parties,
diminue de largeur de la base au sommet d'une façon peu sen-
sible. Ses bords latéraux semblent être parallèles; mais arrivés
vers l'extrémité antérieure , ils forment , en se rapprochant, une
pointe subaiguè. Elle est tronquée en biseau à la base, qui pré*
sente une épaisseur de â centimètres environ jusqu'à la moitié
de la longueur totale. De cet endroit, des lames inégales ont été
enlevées jusqu'à la pointe , ce qui rend la face supérieure dépri-
mée et plus mince; face inférieure faiblement convexe ; taillée
grossièrement partout. Forme rare. — 9 centimètres et demi de
long , 3 centimètres à la base en largeur.
C^' Sinueux. — Complètement i r régulières , ces lances n'ont
rien de commun avec les autres, à un tel point que cette dé-
termination laisse des doutes. Allongées, déprimées, s'effllant
peu à peu, elles sont creusées au milieu par des échancrures
latérales qui les rendent sinueuses; puis elles se recourbent et
se terminent en pointe. Non seulement elles présentent cette dis-
position anormale, mais, en dessous, la face est un peu convexe,
de manière que les extrémités se relèvent. Les côtés sont épais
et retouchés. — 8 centimètres et demi de long sur 2 et demi de
large.
Une variété a la face supérieure aplatie , limitée par des angles
vifs. Elle est presque lamellaire. Une autre variété, plus épaisse,
est au contraire adoucie , arrondie latéralement.
Deuxième groupe. ~ A extrimitd arrondie, oMose.
Ces tiges étroites et effilées ont sans doute de l'analogie avec
les précédentes, mais elles s'en éloignent par la terminaison
antérieure, qui présente un bec assez large et plus ou moins ar-
rondi. Je ne puis affirmer qu'elles aient eu absolument le même
usago. Certainement qu'étant projetées avec violence, ces armes
496 MEMOIRE SUR LES SILEX TRAVAILLES
sont capables de produire des désordres, moins graves toutefois
que les extrémités aiguës. Il en est de ces espèces comme de
tant d'autres. Nous connaissons imparfaitement la manière de
vivre des premiers habitants de aotre sol, par l'étude des objets
qu'iis ont laissés , et, quelquefois, la meilleure observation n'ap-
prend rien faute d'un caractère positif qui donne l'explication
de leur emploi.
J'ai trouvé deux formes distinctes :
i» Droite.
2» Recourbée.
i"" Droite. — Très-étroite, diminuant insensiblement de lar-
geur; déprimée en avant, finissant en bec rétréci; convexe et
taillée à éclats supérieurement, plane ou presque plane en des-
sous. Plusieurs d'entr'elles, grêles, élancées, sont tronquées en
petit biseau au sommet. La netteté de ce biseau indique une dis-
position réfléchie et non une fracture accidentelle. L'angle ter-
minal du bord annonce, même souvent, des fissures et une
usure qui ont lieu après la production du biseau. On a donc
évidemment cherclié la terminaison presque obtuse que je si-
gnale. ~ 8 à 9 centimètres de long sur 2 à 3 centimètres de
large.
Quelquefois, cette lance est biconvexe avec une dilatation lé-
gère au milieu.
2» Recourbée. — Longues tiges étroites, plus ou moins con-
vexes et recourbées en dessus, convexes en dessous, grossière-
ment travaillées, allongées en rostre déprimé et arrondi en avant,
terminées plus largement en arrière. Variables dans leur taille.
— 7 centimètres et demi à iO de long sur 2 à 3 centimètres de
large.
i» JAVELOT.
H n'est guère possible d'assigner une limite exacte entre la
lance et le javelot. La première ne quittait pas la main, tandis
que le second était une arme de jet; mais cette distinction vraie,
quant à l'usage, ne peut s'employer pour établir, au moyen- des
extrémités qui nous restent, une démarcation tranchée. Souvent
elles se ressemblent à peu près de forme, quelquefois de taille.
En général, le javelot n'est ni aussi grand, ni aussi massif. Il
DE l'atelier du camp-barbbt. 497
»
est plus aplati, subaigu et amainci sur les bords. Il y a des es-
pèces à extiémilé adoucie ou arrondie. D'autres sont de véri-
tables lames; d'autres encore, courtes, obtuses, biseautées,
s'élargissent à la base. La plupart du temps, les retouches exis-
tent à la face supérieure et latéralement, très-rarement en des-
sous.
La lance est ordinairement cylindroîde, ou bien son corps
épais a les faces séparées par des angles longitudinaux continus.
Elle est longue, atténuée aux extrémités, d'un poids supérieur.
Probablement, certaines d'entr'elles, que l'on pourrait attribuer
BU javelot, ont servi h la main au lieu d'être lancées lorsqu'il
fallait agir de près et réciproquement.
La plupart de ces armes n'ont pas reçu une taille soignée. Chez
le type le plus commun , la direction, au lieu d'être rectillgne,
offre de la déviation et les surfaces sont inégales. Quelques-unes
présentent des côtés parfaitement semblables, des éclats symé-
triques et de belles retouches qui n'ont pas été exécutées seule-
ment en donnant la forme au caillou, mais bien intentionnelle-
ment. Les espèces sont très-variées, et afin de mettre, autant
que possible, de l'ordre parmi ces formes si éloignées quelque-
fois les unes des autres, j'ai établi une division répondant à peu
près à leur aspect général. Je ferai observer que plusieurs peu-
vent n'avoir jamais servi comme javelot, et que c'est uniquement
par analogie que je les range dans ce genre.
Types : Variétés :
/ Obèse.
1. Obtus Hr
i Bombée.
VAngulaire.
/ Epaisse.
Icrêle.
2» Elancé ^Eehancrée.
ÎMince.
( Incurvée.
3*> Irrégulier.
i Elliptique.
4® Dilaté ] Fusiforme.
( Biconvexe,
ri" Comprimé.
T. viii. 32
496 MBAtOIRte SURS LE 61LRX TRAVAlLlis
Types : Variétés :
6« Lamelliforme L * ^^^
{ Squammeuse.
/ Conico-Aigu.
7» Groupes de formes \ Droite.
exceptionnelles . ) Déviée.
V Courte.
i° Obtus. — Espèces massives, ramassées. Face supérieure
convexe, gibbeuse chez la plupart.
Var. A. Obèie, — Ventirue, bombée, épaisse, atténuée et amincie
en avant quoique très-forte; large biseau postérieur-, face infé-
rieure convexe, surtout au milieu; éclats grossiers partout. —
4 et demi à 7 centimètres et demi de long sur i centimètres de
large.
Sous- var. a. — Ue même forme , très-petite.
Sous-var. b. — Plane en dessous , très-convexe en dessus ,
aiguS.
Var. B. Conique, — Elle se rapproche de la lance par son al-
longement. Sa base , large , diminue insensiblement jusqu'à
Textrémité, dont la pointe est subaiguë. Face supérieure épaisse,
bombée, gibbeuse, élevée au milieu; Tinférieure plate; grossière
partout', incurvation d'arrière en avant, et déviation légère à
droite ou à gauche. — U à 8 centimètres de long , 3 à 4 centimètres
et demi de large à la base , 2 à 2 centimètres et demi de haut.
"Var. C. Bombée. — Les variétés précédentes sont très-élevées
à leur partie moyenne, mais elles n'ont pas cette courbure qui
semble donner une convexité plus considérable à la face supé-
rieure. Celle-ci est ovalaire, arrondie, amincie et pointue an-
térieurement, rétrécie en arrière avec un biseau terminal, di-
latée au milieu, peu régulière dans sa direction et ses contours;
face inférieure à peine concave. — 5 centimètres et demi à
7 et demi de long, 3 à 4 centimètres de large, 3 centimètres de
haut.
Var. D. Angulaire. — Allongée, déprimée; base large ou ré-
trécie; lames détachées net et hardiment le long delà face supé-
rieure et sur les côtés, de façon à produire des arêtes vives et
tranchantes; aiguô à la pointe. — 6 à 7 centimètres de long sur
2 centimètre et demi à 4 de large.
^ Elancé. — Etroit et allongé à divers degrés. Cette série
DB l'atblibr du gahp-barbbt. 499
comprend des tètes de javelot très-diverses, mais ayant ce ca-
ractère commun.
Var. A. Epaisse. — Conique, un peu renflée au milieu, convexe
en dessus, plate en dessous; pointe assez aiguë; biseau posté-
rieur large ou étroit; éclats multiples supérieurement et latéra-
lement. Type assez répandu. — 5 centimètres et demi à 7 de long
sur â à 2 centimètres et demi de large.
Sous- var. Biconvexe. — Double biseau aminci et arrondi à son
bord.
Var. B. Grêle. — Etroite et Irès-élancée ; légère dilatation mé-
diane; supérieurement, tranches longitudinales régulières con-
tinues tout le long de la face ; face inférieure à peine convexe
ou plate, souvent retouchée à petits éclats; extrémité postérieure
arrondie; pointe aiguë. — 6 à 8 centimètres de long, 2 centi-
mètres au point dilaté.
Var. G. Echancrée. — Diminuant de la base au sommet de
façon à former un angle très-aigu ; face supérieure plate , avec
ou sans arête; plusieurs échancrures latérales régulières sur les
deux côtés, ce qui la rend plus svelte; biseau postérieur; pointe
aiguë ou adoucie. — 5 centimètres et demi à 7 de long.
Var. D. Mince, — Presque lamellaire et de même largeur,
étroite, aplatie, subaiguë à l'extrémité antérieure, plus large,
arrondie et biseautée en arrière; face supérieure inégale; l'in-
férieure plate; bords tranchants. — 6 centimètres et demi à 8 de
long sur 2 centimètres de large.
Var. E. Incurvée. — Cône très-allongé , recourbé d'arrière en
avant, un peu lamellaire; pointe aiguë; extrémité postérieure
assez large et biseautée; face supérieure légèrement convexe,
taillée à éclats multiples sans délicatesse; face inférieure faible-
ment concave. Très- rare. — 8 centimètres et demi de long sur
3 centimètres et demi de large.
3*» Irrégulier. — Toutes ces pointes sont triangulaires, con-
vexes en dessus , mais souvent aussi très-déprimées transversa-
lement à la partie moyenne, et, dans ce cas, convexes en des-
sous, à la région correspondante, ce qui fait relever les extré-
mités; biseau en arrière; pointe subaiguê. Direction quelquefois
dextre ou sénestre au lieu d'être droite. Parfois elle est symé-
trique, mais en général elle est tortue, couverte de creux et de
saillies plus d'un côté que de l'autre. Assez commune^ — 5 cen-
500 HéMOIRE SUR LES SILEX TRAVAILLES
tirnètres et demi à 8 de long sur 2 à 3 centimètres et demi de
large.
4° Dilaté. - Forme élégante ayant pour principal caractère
un renflement semblable de chaque côlé, à la partie moyenne.
Var. A. Elliptique, — Très-déprimée supérieurement, plate en
dessous; ovalaire, atténuée en avant et en arrière; bords courbes.
— 7 centimètres et demi de long sur 3 centimètres de large.
Var. B. Fîisiforme. — Bien renflée au milieu et effilée aux deux
extrémités, qui sont presque aiguës ; face supérieure subconvexe ;
Tinférieure aplalie; éclats à la surface. — G centimètres et demi
de long sur 2 centimètres et demi de large.
Var. C. Biconvexe. — Bombée sur les deux faces, surtout supé-
rieurement; dilatation médiane peu prononcée; petit biseau
postérieur; pointue en avant. -- 7 centimètres de long sur i cen-
timètre et demi au moins de large.
5<» Comprimé. - Triangulaire, élancé, épai.-», élevé, comprimé
et échancré latéralement vers le* sommet; large base, biseautée
dans toute son étendue; pointe subaiguë; face inférieure plate.
L'étranglement latérîil constitue son caractère principal. — 4 cen-
timètres et demi à 7 et demi de long sur 3 à 4 centimètres de
large à la base.
G'' Lamelliforme. — Très-aplati; minceur plus ou moins con-
sidérable.
Var. A. Triangulaire. — Aplalie ou déprimée avec une conve-
xité à peine sensible, plate en dessons; base du triangle pourvue
d'un biseau étroit, parfois double; pointe subaiguê. Cette forme
renferme des sous-variétés assez nombreuses, qui toutes pré-
sentent les caractères qui viennent d'être signalés. -- 4 à 8 cen-
timètres de long sur â à G centimètres et demi de large.
Sous-var. a. Jin hachette. — Quoique plate, elle est un peu
épaisse; un grand biseau quelquefois sur les deux faces.
Sous-var. B. Triangulaire proprement dite. — Très-plate, même
lamellaire; rarement une légère élévation de la face supérieure.
Sous-var. c. Uastée. — Très-plane , d'égale épaisseur, légère-
ment relevée au sommet; base large, à biseau concave; pointe
subaiguë.
Var. B. Squammeuse. — Plus ou moins oblongue, effilée, in-
clinée latéralement et non symétrique ordinairement, composée
d'une lame convexe en dessus, concave en dessous, très-rarement
DB L ATELIER DU CAMP-DABBET. 501
plate, médiocrement épaisse. KWe n'a pas toujours la régularité
des précédentes. - fî à 7 centimètres et demi de long sur 3 cen-
timètres de large.
7« Groupe de formes exceptionnelles. — Jusqu'ici il a été
possible de grouper les têtes de javelots, qui portaient des carac-
tères à peu près semblables, et de les disposer en séries allu de
faciliter leur étude; mais ou rencontre des individus uniques
s'écartant des types mentionnés et qui méritent une description
particulière. Au reste, celte même section se représente chez les
instruments ix formes nombreuses et variées.
Sous-var. a. Conico-^Hgu^. (PI. v, fig. i.) — Le corps n'a rien
de remarquable. Il est allongé, dégrossi, épais, aminci en ar-
rière, mais très-soigné à Textrémité antérieure. Cette partie est
un gros et fort bec pointu, arrondi au pourtour, sauf en dessous,
bien poli en dessus et latéralement. Le poli a été un peu pro-
longé sur les parties saillantes de la face supérieure. C'est un
instrument rare et inconnu jusqu'ici. — 8 centimètres de long
sur 2 centimètres et demi de large.
Var. B. Droite. (PI. v, flg. 3.) - Face supérieure convexe au
milieu et inégalement partagée par une crête oblique; face infé-
rieure plate; extrémité antérieure très-atténuée à sa terminaison;
en arrière, diminution d'épaisseur. — 8 centimètres de long,
2 centimètres et demi de large, 1 centimètre et demi de liciut.
Je crois devoir considérer comme variété de cette espèce un
individu ayant i^ peu près la même forme, épais, un peu plus
étroit, dont la partie postérieure se rétrécit comme un manche.
Une seconde, mince en avant, épaisse au talon, déviée h
droite et tranchante sur le côté, rentre également dans ce type.
Var. C. Déviée, (PI. v, flg. 2.) — Espèce dont la destination est
douteuse, représentant un ovale très-allongé ; extrémité anté-
rieure atténuée, presque arrondie; la postérieure large, oblique
et en biseau; face supérieure très-convexe, lalilée largement;
bord droit recliligne; le gauche courbe, disposition qui donne
l'aspect d'une déviation; face inférieure divisée en deux par une
saillie continue d'arrière en avant. — 8 centimètres de long ,
2 centimètres et demi de large, 2 centimètres de haut.
Var. D. Courte. (PI. v, fig. 4.) — Difficile à préciser, ayant ob-
scurément la forme d'une pyramide à trois faces. Symétrique
seulement dans la moitié antérieure, élevée à la partie moyenne,
S02 NiMOfBR SUR LB8 SILEX TlAVAlLlés
épaisse, massive, ramassée. La moitié antérieure consiste en
une face déclive à partir du sommet jusqu'à la pointe, qui est
robuste quoique aiguë. En arrière, un plan brut descend en
sens inverse, en s'inclinant à gauche; à droite, sur toute la
longueur, existe un autre plan légèrement convexe et oblique,
séparé des autres par une arête culminante; face inférieure plate.
— 4 centimètres et demi de long, 3 centimètres et demi de large,
2 centimètres de haut.
5» FLÈCHE.
S'il n'est pas aisé de distinguer la lance du javelot , l'on n'é<
prouve plus le même embarras pour séparer ce dernier d'avec
la flèche. Le volume , le poids, quoique variables , donnent des
indices suffisants, à peu d'exceptions près. Quant à la configu-
ration, elle est parfois identique; mais la flèche, en ce cas,
semble n'être qu'un diminutif. La forme, très-diversifiée, se mul-
tiplie autant que les accidents naturels ou le goût de l'artiste.
Des lamelles enlevées d'un nucleus, suffisamment symétriques,
servaient fréquemment sans préparation. Celles dont la confor-
mation irrégulière nécessitait un travail subissaient des modifi-
cations souvent en rapport avec leurs contours primitifs. Chez
les uns, on laissait le tranchant vif et l'on taillait la surface en
larges éclats; d'autres se couvraient de retouches, fines et déli-
cates, distribuées avec élégance. L'extrémité antérieure, partie
si essentielle, recevait des soins particuliers, de façon à ne pas
être brisée par un léger choc, tout en restant acérée. Des échan-
crures sillonnaient les bords de quelques rares individus. Plu-
sieurs sont barbelés: les côtés se prolongent, finissent en pointe,
et le milieu de la base porte en outre un appendice d'insertion
qui la dépasse.
Les espèces pesantes, allongées, s'employaient pour la chasse
du gros gibier, tandis que Ton destinait les plus minces à la des-
truction des petits animaux. Nous retrouvons aussi les pointes
qui abattaient les oiseaux; elles sont d'une légèreté et d'une
acuité remarquables. Leur fragilité est telle que Texlrémité a subi
la plupart du temps une fracture. Ces silex, si fragiles, se fixaient
au bout d'un roseau ou d'un bois léger, comme certaines peu-
plades contemporaines nous l'ont montré.
DS L'ATBtimi DU GAMP-BAIBIT. 508
Cet aperçu peut faire comprendre qu'il n'est pas poMiblo de
rassembler des formes aussi multiples dans un même cadro, et
qu'il est indispensable de créer des groupes afin d'avoir une idée
générale des formes de cette localité.
Types : Variétés :
Pyriforme.
Laminaire.
[Tabulaire.
1« Pédoncule < Trapézoîde.
Tortue.
Barbelée.
Cruciforme.
2° Nucléiforme Bi-conique. ,
/ CucuUée.
3* Mitre ) Mucronée.
( Atténuée.
4» Lenticulaire.
( A trois pans.
5» Inégal I A deux faces.
( Plane.
6° Ecailleux.
-« c. • ip \ Biseautée.
7*> Spiniforme \^,
{ Planulaire.
8. Droit (En carreau.
( Bursiforme.
9» En couteau Ovale.
iO* Sinueux Crénelée.
1<^ PÉDONCULE. — Base prolongée ou terminée par un appen-
dice.
Var. A. Pyriforme. — Base assez large et épaisse, pourvue d'un
court appendice étroit , diminuant insensiblement jusqu'à sa
terminaison; face supérieure plate, amincie à l'extrémité ou bien
convexe et taillée longitudinalement; face inférieure plate. —
4 et demi à 5 centimètres et demi de long sur â centimètres et
demi à 3 de large.
Var. B. Laminaire, — Mince, triangulaire, convexe, recour-
bée, taillée en longues tranches en dessus, un peu concave en
dessous; pointue; base à peine prolongée. — 8 à 0 centimètres
de long sur 2 et demi à 3 centimètres de large.
504 MEMOIRE SUR LES JilLEX TRAVAILLÉS
Var. C. Tabulaire, — Assez épaisse, aplatie ou élevée, dilatée
au milieu, rétrécie aux extrémités, subaiguê en avant; Vexlré-
mité seule est soignée; face inférieure irrégulièrement taillée;
base légèrement prolongée et amincie. — 5 centimètres de long
sur 2 à 2 centimètres et demi de large.
Var. D. Trapézoïde. -^ Elle a l'aspect d'un trapèze dont Tun
des angles forme le sommet de la flèche. Elle n'est pas symé-
trique. La partie postérieure, écliancrée de chaque côté, se pro-
longe en une hase large, assez longue, épaisse, terminée en bi-
seau. Face supérieure séparée inégalement par une saillie aiguë
longitudinale; pointe et côtés épais, retouchés; face inférieure
plane. — 5 centimètres de long, 3 centimètres d*un angle (1
l'autre en largeur.
Var. E. Tortue. — Très-irrégttlicre, dirigée de travers, allon-
gée, un peu ventrue; convexe supérieurement, taillée sans soin;
arête longitudinale sans direction précise; plate en dessous;
pointe mince, déliée, comprimée, algue; appendice basiliaire
long, étroit. — 6 centimètres de long sur 2 centimètres de large.
Var. F. Barbelée, — Aplatie, triangulaire. Les côtés se rencon-
trent au sommet, sous un angle très-aigu, et se prolongent en
arrière et latéralement en appendices plus ou moins développé.^.
Face supérieure plate, lisse ou finement taillée [i petits coups;
retouches latérales bien soignées en dessus et en de.'^sous; tran-
chants subaigus. Je possède deux* formes de cette belle et rare
tête de flèche.
Sous-var. a. (PL v, fig. 7.) — Assez large à la base, qui pré-
sente un appendice médian aigu pour l'insertion. De chaque côté
existe une échancrure profonde, limitée par les appendices laté-
raux, formés eux-mêmes par la prolongation des bords — 3 cen-
timètres et demi de long du sommet à l'extrémité de l'appendice
médian, 2 centimètres et demi de large à la base.
Un autre exemplaire, à peine faiblement convexe à la face su-
périeure, mince, délicat, est couvert de petits éclats as.sez ré-
guliers et superficiels sur les deux faces.
Sous-var. b. — Très-aiguë, plus épaisse. Appendice médian
large et très-prolongé. A sa naissance de la base se trouvent deux
échancrures peu profondes et deux barbelures latérales rudi-
mentaires. — 3 centimètres et demi de long sur 2 centimètres de
large.
DE L*ATeLlBR DU CAMP-BARBBT. 505
Var. G. Cruciforme. — Epaisse, solide, bombée et à facettes
irrégulières en dessus, plate en*dessous; triangulaire, aiguë en
avant ; êchancrée latéralement, biseautée et prolongée en arrière.
Ailerons latéraux irréguliers, qui forment la traverse d'une croix
et qui séj)arent en deux parties le corps. - 3 centimètres et demi
•le long et de large.
Klle est très-rare. I/on peut douter que ce soit une flèche.
Peut-être même serait ce un perçoir?
2° NucLÉiFORME. — Irrégulier, ayant Taspect d*une graine ou
d'un noyau, obscurément triangulaire, convexe en dessus, quel-
quefois gibbeux ou biconvexe; sommet aigu ou subaigu ; base
inégale; crénelures fines sur les côtés. — 3 à 3 centimètres et
demi de long sur 2 à 2 et demi de large.
Var. Biconique. — Formée de deux cônes accolés par leur sur-
face basilaire.
3« MiTRÉ. — Toutes ressemblent à la mîlre, mais elles ont en-
tr'elles de grandes différences d'épaisseur et d'élévation. Les unes
sont déprimées, les autres Ijombées; chez celles-ci nous trou-
vons un biseau extrêmement épais, tandis que les autres en ont
un bas et étroit.
Var. A. Cuculiée. — Trapue, solide. Face supérieure très-con-
vexe à sa partie médiane, ou séparée également par une carène
tranchante allant du sommet du biseau jusqu'à l'extrémité, qui
est aiguë; bords latéraux courbes: biseau ol)lique, très-f^Jevé;
face inférieure plane. — 4 centimètres de long, 2 centimètres et
demi de large, 1 centimètre et demi de haut.
Var. B. Mncronée, — Plate, un peu épaisse, retouchée sur les
bords; biseau étroit, oblique; extrémité en pointe Isolée. —
4 centimètres de long sur 3 centimètres de large.
Var. C. Atténuée. — Forme presque identique à la précédente.
Seulement, au lieu d'être mucroné, lé sommet est arrondi, apla-
tissement plus marqué. Moins de soin et de régularité dans les
contours. Biseau très-étroit. — Mêmes dimensions.
4*» Lenticulaire. — Très-déprimé et très-mince, retouché ou
écaillé à la face supérieure; l'un des deux bords latéraux ayant
une grande courbure dilatée; sommet mucroné ou simplement
aigu; large; rétrécissement basilaire; tranchants assez vifs. —
3 à 4 centimètres et demi de long sur 2 et demi à 3 centimètres
de large.
506 MiiMoniB sxm LBS SILKX TRATAtlXis
50 Inégal. — Face supérieure plate ou divisée inégalement en
plusieurs plans par une caréné ou deux. — 3 centimètres et demi
à 5 de long sur 2 à 3 centimètres de large.
Var. A. A trois pans à peu près égaux, -- Mince, plate en des*
sous, aiguë.
Var. B. A deux faces, — Divisée en deux inégalement.
Var. C. Plane. — Face supérieure plate , peu symétrique.
6» ËGAiLLEUx. (PI. V, fig. 1.) — Lame ovale, triangulaire, assez
large, très-plate, sans éclats ou c^ grands éclats longitudinaux
peu réguliers, en dessus; plate en dessous; assez aiguë, biseautée
et plus épaisse en arrière; bords minces, finement retouchés.—
3 centimètres et demi à 4 de long sur 2 à 'i centimètres de large.
7° Spimiforme. — Plat, triangulaire, très-pointu; base assez
large.
Var. A. Biseautée, (PI. v, fig. 2.) — f^arge biseau oblique s'avan-
çant plus ou moins sur la face supérieure. L'ensemble forme un
triangle presque équilatéra! ; retouches sur les côtés. — 2 centi-
mètres et demi de loftg, presque 3 centimètres de large.
Sous-Var. — Extrêmement délicate, allongée, parfaitement re-
touchée sur les bords jusqu'au sommet; biseau étroit, bien net.
Var. B. Plaimlaire. (PI. v, fig. ^4.) — Excessivement mince, et
cependant retouchée sur les bords avec une grande finesse. Quel-
quefois même les retouches ont été faites sur les bords des deux
faces. — 2 centimètres et demi à 4 de long sur i centimètre et
demi à 3 et demi au moins de large.
8« Droit. — Tiges plus ou moins droites.
Var. A. En carreau. (I»l. v, fig. 3.) — L'on désigne sous ce nom
une têle de flèche terminée par une pyramide à quatre faces.
Nous avons ici des silex qui ont les plus grands rapports avec
cette pointe, c'est ce qui m'engagea h leur donner ce nom,
quoique la similitude ne soit pas complète.
Ils sont allonges, à trois ou quatre faces mal limi^s. Les
extrémités effilées, amincies, suhaiguës, ontà4eur sommet une
pyramide à trois faces assez nettes,* nombreux éclats superficiels.
— 5 centimètres et demi à 7 de long sur 1 centimètre et demi de
large; poids : 1 i à 15 grammes.
Sousvar. — Petite, étroite, recourbée sur le dos, présentant
trois faces et trois arêtes. Les deux faces sont lisses , et le dos
porte quelques retouches. Elle est pointue, un peu rétrécie et
DB l'âTBUKR du GAMP-IARBBT. 507
biseautée en arrière. - 4 centimètres et demi de long sur 7 mil-
limètres de large.
Var. B. Bursi forme, — Allongée; partie postérieure dilatée,
arrondie, s'effilant jusqu'au sommet, qui est mince, étroit, et
tellement aigu primitivement que l'extrémité se trouve presque
toujours cassée. Face supérieure convexe, taillée, avec des arêtes
résultant de Tablation des lamelles. Ordinairement, la face infé-
rieure est plate. Une seule fois je Tai vue aussi renflée que l'autre.
Elle s'écarte beaucoup des variétés de cette section. — 4 à S cen-
timètres et demi de long sur i à 2 centimètres de large. Il se
pourrait qu'elle fût un perçoir,
lOo En couteau. — Lamellaire et allongé; face supérieure dé-
primée ou plate; tranchants latéraux vifs ou à retouches. Ces
silex me laissent de Tincertitude quant à leur usage réel.
Var. Orale. — Régulière, symétrique; bords latéraux courbes,
d'égale longueur ; arête médiane; biseau postérieur; extrémité
antérieure amincie, plus épaisse en arrière. - 5 centimètres de
long sur 2 centimètres et demi de large.
10° Sinueux. — Bords latéraux avec des échancrures.
Var. Crénelée. — Très-allongée, étroite, déprimée, quelquefois
laminaire, aiguë ou subaiguë, mucronée, coupée net en arrière;
bords dentés assez largement. Très-rare. — 3 à 6 centimètres de
long sur i à '2 centimètres et demi de large.
TROISIEME PARTIE.
IM'STfltJMSM'TS 1301X7T X^A. DBSTirO'A.TIOra'
EST douteuse: ou inconnue.
Jusqu'à présent la détermination des silex travaillés m'a été
possible, sinon très-rigoureusement, du moins avec beaucoup
de probabilités. Il n'en sera plus de même de ceux qui vont
suivre, et nous ne pouvons nous livrer qu'à des conjectures. Si
plusieurs d'entr'eux se rapprochent des formes décrites antérieu-
rement, ils s'en éloignent par des dispositions spéciales aux-
quelles il est presque impossible, en ce moment, d'assigner une
fonction. La plupart des restes des temps préhistoriques mon-
508 MÉMOIRE SUR LES SILEX TRAVAILLES
trent les rudiments d'instruments usités aujourdlmi. On y re-
trouve les parties essentielles de beaucoup d'outils modernes.
Plus on les examine, plus Ton reste convaincu de Texactilude
de celle observation, basée sur l'étude d'une foule de spécimens.
Néanmoins, les hommes de cette époque avaient des usages en
rapport avec leur genre particulier d'existence, et qui n'ont plus
nécessairement la moindre analogie avec nos habitudes actuelles,
de sorte que, dans bien des cas, l'on se borne à faire des sup-
positions sur l'emploi de telle ou telle série d'espèces. Il est aisé,
sans doute, de leur fournir un nom, une attribution; l'imagina-
tion s'en charge facilement-, mais souvent aussi une analyse mi-
nutieuse, répétée, détruit ces hypothèses quand elles ne s'ap-
puyent pas sur des caractères sérieux. Il est préférable alors de
rester dans le doute, de ne rien affirmer à moins de preuves,
sous peine de tomber dans de fréquentes erreurs.
I.
BRIQUET ?
Je pense que le silex qui fait l'objet de cette description a été
un briquet, d'après l'examen et la comparaison de toutes ses
parties. Le feu pouvait s'obtenir par le choc des cailloux bruts;
mais il est possible que Ton ait donné aux agents percuteurs,
une disposition commode pour tirer beaucoup d'étincelles.
La matière est grise bleuâtre et roussâtre par places, dure,
compacte, brillante, h éclats gras, d'un joli aspect, sans la
moindre trace de cacholong blanc. On croirait qu'elle a été polie;
mais les surfaces étaient lisses primitivement. Les éclals con-
choldes, distribués superficiellement, ont respecté les saillies
naturellement unies. C'est un ovale très-allongé, convexoïde,
déprimé en dessus et en dessous, un peu épais, dilaté au milieu,
déclive vers les bords. Les sommets, obscurément cirrnndis par
quelques cassures nettes, n'ont jamais eu pour but de frapper.
Les bords latéraux, à tranchant mousse, présentent sur toute la
longueur des séries inégales de fractures superficielles, émous-
sées, indiquant un frottement longtemps continué ou un choc
léger plutôt qu'une percussion qui détermine des fissures |)ro-
fondes et grossiores. On remarque aussi , le long de ces bords
DB l'aibubr du camp-barbet. 509
sur les deux faces, des parties plus ou moius échancrées, sui-
vant le degré de résistance opposé par la substance. •— 7 centi-
mètres de long sur 3 centimètres de large au milieu.
Le briquet en fer, encore usité, n'offre d'autre différence que
révidement intérieur destiné au passage des doigts. Le nôtre a
des dimensions presque semblables et un allongement disposé
pour une prébension commode. Si les tranchants étaient plus
aigus, et que le système d'usure de cette parlie ne fût pas aussi
dissemblable, Ton supposerait que cet outil pouvait s'employer
aux détails et aux retouches; mais la comparaison des divers
percuteurs avec celui-ci établit suffisamment leur distinction.
Je ne crois pas que Ton s'arrèle à l'idée d'y reconnaître une
tèle de lance, de javelot, de hachelte, malgré quelque analogie
de contours, puisque les deux extrémités, presque arrondies,
sont restées sans usage. Les bords latéraux seuls ont frappé et
montrent, par leur délérioralion spéciale, leur mode particulier
d'action.
Cet instrument, Irès-gracieux malgré la sobriété du travail,
est le seul de ce genre qui ait été recueilli. Du reste, l'on re-
marque souvent, parmi les silex ouvragés, quelques exemplaires
chez lesquels existent des soins plus délicats soit à cause de la
beauté de la matière, soit en raison de l'intelligence de l'ouvrier.
Le marteau en diiqiœ, décrit au chapitre deuxième, pourrait
n'être lui-même qu'un briquet d'une autre forme.
IL
INSTRUMENTS ALLONGÉS AYANT DE L'ANALOGIE
AVEC LE GRATTOIR, LA LANCE ORTUSE OU LA HACHETTE.
Première série.
SPATULIFORMES.
Silex allongés, assez grossiers, composés d'une partie anté-
rieure assez effilée, très-déprimée, plus ou moins large et ar-
rondie à Texlrémilé; plats ou légèrement convexes en dessous,
biseautés ou non postérieurement. Quelquefois, cette partie est
presque brute.
510 MEMOIRK SUn LBS SILEX TRAVAILLES
Premier groupe. (PI. v, fig. 5.) — Etroits, allongés, convexes,
épais, massifs, grossièrement taillés en larges éclats en arrière;
plus minces , atténués et arrondis en avant comme une spatule,
souvent déviés dans leur direction ; parfois des retouches supé-
rieures, latérales, et même supérieures. L'extrémité postérieure
est trop irrégulière , trop informe, pour qu'on ait pu l'encliâsser.
C'est un outil qui a dû servir à la main. — 5 centimètres et demi
à 8 et demi de long sur 2 et demi à 3 centimètres et demi de
large.
Deuxième groupe. -— Gros, élevés, convexes principalement à
la partie moyenne et supérieure, avec une arête culminante très-
îrrégulière; trapus, coupés brusquement en biseau postérieure-
ment; atténués et terminés en large bec en avant, taillés sur les
côtés , plats en dessous. — 6 centimètres et demi à 8 de long,
2 centimètres et demi à 3 et demi de large, 2 à 2 centimètres et
demi de haut.
Troisième groupe. — Ceux-ci sont ordinairement des tiges
étroites, dirigées de travers, relevée*' quelquefois en avant,
convexes et retouchées en dessus, lisses, bombées en dessous,
atténuées et arrondies aux deux bouts. — 6 à 8 centimètres de
long sur 1 centimètre et demi à S de large.
Denxièmo série.
MAMELONNÉS M).
Elliptiques, allongés, étroits, déprimés ou légèrement convexes
en dessus, plats en dessous; extrémités arrondies ou tronquées
nettement; taillées le long des faces supérieure et latérales; un
peu plus larges en arrière; rarement dans Taxe, ordinairement
déjetés à droite ou à gauche. Un caractère commun à tous les
individus de ce genre, sauf ceux qui ont une troncature, est
d'avoir le bout antérieur arrondi, retouché ou avec des usures
annonçant un frottement prolongé. Ces usures sont mamelonnées
ou paraissent polies par le service. Les saillies des retouches ont
a) Àa musée de Saint-Germain, on les désigne sous le nom ài'ierasewrB,
Je ne fais aucun commentaire sur cette détermination.
DE l'atelibr du gamp-barbbt. 511
disparu, ce qui n'empêche pas quelquefois l'existence d'une très-
petite facette au point le plus terminal.
Premier groupe : Crénelé, — Etroit, un peu convexe, allongé,
à bords latéraux presque parallèles, dévié souvent dans l'axe et
dans le plan. Partie postérieure un peu plus large, obtuse, ar-
rondie, relevée, et l'antérieure abaissée; face inférieure plate,
suivant les courbures; élévations et dépressions de la face supé-
rieure. Tranches longitudinales enlevées avec une certaine régu-
larité, formant comme des crénelures le long des arêtes. —
7 centimètres et demi de long, 2 centimètres et demi de large.
Variété exceptionnelle (pi. vi, flg. 6), plus étroite, élevée, gib-
beuse dans toute la longueur de la face supérieure, qui est re-
couverte du cortex, très-plate en dessous, ayant uniquement
servi par le bout antérieur, qui est arrondi par l'usure.
Deuxième groupe. — Face supérieure déprimée quoique un
peu convexe, retouchée ou avec le cortex; plat en dessous. Lé-
ger renflement médian; aminci aux extrémités, qui sont fort
adoucies. Retouches à petits éclats nombreux en dessus et sur
les côtes. Usure du bout antérieur, très-prononcé chez quelques-
uns. — 5 à 6 centimètres de long sur 2 à 2 centimètres et demi
de large.
Variété à face supérieure complètement plate. Déviation droite
ou gauche. Le plus souvent un petit biseau postérieur.
Troisième groupe : Tronqua, — Aplatis , déprimés ou subcon-
vexes , mais assez épais ; plats en dessous , taillés à grands
éclats sur les côtés, droits ou déviés; à peine une diminution
de largeur aux extrémités, qui sont tronquées en biseau ou ver-
ticalement, ou à deux facettes très-petites. Les parties latérales
ont dû être seules la partie agissante de l'instrument dans toute
leur étendue. Il s'éloigne beaucoup de ceux des autres groupes.
— 5 et demi à 8 centimètres et demi de long sur 2 centimètres
et demi à 3 de large.
Troisième série.
OBTUS.
Courts, obtus, terminés par une grosse extrémité assez large,
arrondie et amincie , coupée en arrière par un biseau. Face au-
512 MÉMOIRE SUR LES SILEX TRAVAILLES
périeure un peu convexe, taillée grossièrement; Tinférieure
plate, parfois légèrement bombée. Plusieurs sont déviés. — Tous
ont ^> à6 centimètres de long sur 2 centimètres et demi de large.
Var. Â. — Plate, à peine faiblement convexe, sans aucune in-
terruption dans les contours. Elle a Taspect d'un fragment
ccailleux enlevé d'un nucleu.^.
Var. B. — Epaisse, élevée, présentant, tout le long d'une crête
de la face supérieure, des usures et des fissures longitudinales.
Quatrième série.
PSEUDOSÉGURIFOBMES.
(PI. VI, (ig. 7.) — Ceux-ci tiennent des précédents et de la ha-
cliellc. L'extrémité anlérieure est plate, amincie, assez large,
arrondie; la postérieure en biseau. Face supérieure très dépri-
mée, (aillée par éclats superficiels , nombreux ; l'inférieure plaie,
retouchée sur les bords. — 5 à ('» centimètres de long sur :^ à
3 centimètres et demi de largç.
Cinquième série.
LAMINAIRES.
Lames plates, allongées, assez étroites; grandes lames longi-
tudinales enlevées de la face supérieure; plates en dessous, ar-
rondies en avant, étroites ou plus larges, plus ou moins biseau-
tées en arrière. Retouches délicates, quelquefois sur tous les
bords. Elles ont beaucoup de relations avec les grattoirs lamel-
laires. - i centimètres et demi à 6 et demi de long sur 2 centi-
mètres et demi à 3 de large.
III.
COIN?
Silex assez mal dégrossis, épais, élevés, plus longs que larges,
à six faces; les antérieure, postérieure et latérales obliques, eu
biseau surtout en avant; les supérieure et inférieure presque pa-
DE l'atelier bu CAMP-BARBET. 513
rallèles. Le bord anléro-inférieur, très-anguleux, présente seul
des traces peu appréciables d'usage. L'inclinaison de la face an-
térieure e^l presque toujours la même. lis sont tellement bruts
et dépourvus de travail que Ton peut même douter qu'ils ai<'nt
été taillés pour un service. Peu communs. — 4 à 8 cenlimèlres
et demi de long, 2 à 3 centimètres et demi de large, 2 à 4 cen-
timètres de haut.
IV.
CONK.
J'ai trouvé, assez souvent, au Camp-Barbet et sur le plateau
de Foulangues, des masses coniques ou conoïdes à large base
plate, circulaires, allongées ou anguleuses aux bords, souvent
munies d'une partie de leur cortex. Ces pièces sont grossières,
mais comme elles se présentent toujours avec la même confor-
mation dans diverses localités, il faut bien admetre qu'elles ont
eu un emploi. Plusieurs ont de la ressemblance avec le grattoir.
Seulement,, l'épaisseur et le peu de commodité pour la prise les
en éloigne. Quelques-unes ont l'aspect de nuclei, desquels on
aurait abattu des lamelles latérales.
Elles offrent de nombreuses variations dans leurs contours et
leur élévation. Il en est de surbaissées, d'anguleuses, de dépri-
mées au sommet. Les faces sont verticales ou obliques à divers
degrés et largement taillées. Les bords montrent de& traces d'u-
sures ou de fissures longitudinales superficielles. Ces formes
singulières, quoique dissemblables, ont un air de famille qui
permet de les grouper facilement.
Var. A. Conique, — Elevée, circulaire. Lamelles longitudinales
enlevées sur le pourtour, dont un côté est brut, ou bien encore
les parties inférieures sont retouchées seules et le cortex recouvre
presque toute la surface.
Var. B. Polygonale, — Elevée ou déprimée. Lamelles. enlevées
latéralement du sommet à la base. Ces ablations produisent, sur
le bord, des échancrures plus ou moins profondes, alternant
avec des angles vifs prolongés à l'extrémité.
T. VIII. 33
514 MBMOlilE 8UH LKS SILEX THAVAILLES
y.
Tranches de silex ayant l'aspect d'un bout de grattoir plat que
Ton aurait coupé net; allongées ^ élevées, à trois faces, aiguës
aux deux extrémités. Face antérieure courbe, convexe, retouchée
par petits éclats; l'inférieure et la postérieure lisses, plates,
concaves d'une façon à peine appréciable. Angles de séparation
vifs. Il y a quelques variations. Ainsi , quelquefois , c'est une
ellypsoîde aiguë à chaque bout, et la face supérieure est parta-
gée en deux par une crête avec un seul côté retouché. On seul
exemplaire est très-déprimé, quoique légèrement convexe supé-
rieurement, et les deux faces lisses, inégales, sont séparées à
angle obtus par une ligne saillante. — 3 à près de 5 centimètres
de long, presque 2 centimètres de large, 6 millimètres à 2 cen-
timètres et demi de haut.
J'ai longtemps cru que ces petits instruments étaient des frag-
ments d'objets travaillés, mais la constance de leur régularité,
de leurs contours, de l'épaisseur, prouve qu'il > avait une forme
recherchée. Je n'émets aucune conjecture sur leur destination,
que je ne puis m'expllquer.
VI.
Celui-ci n'est pas moins bizarre. 11 représente assez bien, en
miniature, un couperet courbe, dilaté au milieu, aminci et re-
touché sur le bord, sauf vers le bas. Dos coupé obliquement
dans sa longueur, plus épais, à peine concave; extrémités
étroites; subaiguês; face supérieure plate, inégale, avec le cor-
tex; l'inférieure lisse et plate. — 47 millimètres de long.
VIL
Espèce de crochet diminuant insensiblement de largeur de la
base au sommet, qui est subaigu. Face supérieure épaisse, sé-
parée par une arête qui forme deux plans inclinés; biseau pos-
DB l'atelier du GABfP-BARBET. 515
térieur; face inférieure plate; relouches sans finesse sur les
bords. — 6 centimètres et demi de long sur 2 centimètres de
large.
Mil.
Silex symétrique et déprimé, un peu épais, convexoïde en
dessus, ovalaire, recourbé en avant, légèrement concave en
dessous , dilaté presque à la partie médiane vers la région pos-
térieure, aminci à plat aux deux extrémités, Tantérieure étant
plus étroite; grands éclats formant une bordure assez régulière,
tout autour de la face supérieure, dont une partie du cortex est
conservée. Fissures longitudinales profondes sur les bords laté-
raux, demi troncatures terminales. — 7 centimètres de long sur
4 centimètres de large.
L'usage de cet instrument m'est aussi complètement inconnu
que celui des précédents. Il représenterait assez une tète de ja-
velot, mais il n'est pas possible qu'il ail eu le même but.
IX.
Je signalerai des petits silex de formes variées et indétermi-
nées, retouchées à l'extrémité ou latéralement. Il y en a d'étroits,
allongés et subaigus. Ils ont les contours irréguliers. Souvent,
ce sont des lamelles dont le bout antérieur ar reçu quelques dé-
tails. On les trouve fréquemment, et tous paraissent être des
fragments de cailloux qui ont servi soit comme burins, soit
pour tracer des sillons dans le» os.
GONCx^usiorir .
Ici se terminent les considérations générales et la description
des objets recueillis au Camp-Barbet. W est probable que des dé-
couvertes ultérieures amèneront encore de nouvelles formes,
peut-être même des sépultures ou des emplacements d'habita-
516 MÉMOIRE SUR LES SILEX TRAVAILLES DL' CAMP-BARBET.
tions. Je résume atin de donner une idée plus succincte de l'exis-
tence et des relations de cette antique tribu :
!» Le Camp-Barbet était un atelier d'une époque avancée de la
période néolithique ;
â*' C'était le siège de riiabitalioii d'une peuplade;
3" Les relations entre les tribus qui peuplaient cette contrée
étaient très-fréquentes, puisqu'elles restaient à des distances fort
rapprochées ;
i"* La quantité d'instruments complets et des débris indique
que la population a été assez nombreuse et de longue durée;
;)« Probablement, les roches calcaires de Janville, prolongées
à mi-côte et tournées vers le sud, vis-à-vis du plateau du Camp-
Barbet, servaient aussi de demeures, ou bien des tentes servaient
d'abris:
n« Le grattoir est tellement commun qu'il constitue le type
dominant de cette localité. Sou abondance a été nécessitée par
la préparation des peaux, dont la grande quantité était le résul-
tat de chasses continuelles dans un pays boisé et giboyeux. L'on
peut en déduire que la tribu se composait essentiellement de
rhasseurs.
AtG. BAUDON.
Mouy Oiseï, 1871
SKCTTOX mis SCfKNCKS.
KSRAI SUR LES BOURDONS
OBSERVKS
AUX ENVIRONS DK PARTS.
I.a famille des ipides nu Mellîfères^ de l'ordre des Hyménop-
tères, renferme beaucoup de genres qui nous offrent les instinels
les plus variés : deux surtout sont remarquables, entre tous, par
leurs mœurs sociables : ce sont l'Abeille et le Bourdon. C'est ce
dernier que nous essayons de faire connaître; mais disons d'a-
bord un mot de TAbeilie.
l.es sociétés d'Abeilles se composent de trois sortes d'indivi-
dus : des ouvrières, des mâles et d'une seule femelle, sur la-
quelle repose tout l'avenir de l'espèce. Sa mission se borne, en
etYel, à déposer des œufs dans les alvéoles, sans avoir à s'o(!-
cuper des petits insectes qui en proviendront. Ceux-ci sont aban-
donnés aux soins des ouvrières. Comme elle est privée des ins-
truments à l'aide desquels ces dernières exécutent les travaux
de construction et d'approvisionnement du nid. et nourrissent
les jeunes larves, il n'est point surprenant qu'elle n'exerce au-
cune autorité dans la ruche. Bien au contraire, elle y subit la
loi d'une démocratie nombreuse et puissante , qui massacre ses
époux, Tempéche d'expulser les rivales qui se produisent dans
la rucbe, et la force enfin à émifçrer, emmenant avec elle un
518 ESSAI SUR LBS BOURDONS
fort délachement d'ouvrières pour fonder uue nouvelle colonie.
Il serait donc plus juste de lui donner le nom de Mère-Àbeilte,
Si nous avions à rapporter Torganisation intérieure de la ruche
à une forme quelconque de gouvernement, nous y verrions
plutôt une démocratie avec cette différence que la force, la puis
sance, seraient aux mains du sexe féminin. Remarquons toute-
fois que lors que cette mère-abeille vient à périr ou à quitter la
ruche, sans être remplacée, loute la colonie se dissout comme
si elle n'avait plus aucun but à remplir. Les terres qui bordent
la Méditerranée ont été le berceau de notre civilisation. Dans ces
heureuses contrées, Tliiver est clément et les plantes aromatiques
abondantes : ces deux conditions sont les plus favorables à la
multiplication de Tabeille comme à la perfection de ses produits.
Aussi, cet utile insecte y a-t-il été connu dès les premiers temps.
Les poètes Tout chanté, et le gracieux Virgile, dans son beau
poème sur Tagriculture , fait une large part à réducation de
Tabeilie, tout en y mêlant de brillantes fables. C'est à elle aussi
qu'il emprunte les comparaisons les plus charmantes. Le doux
langage des grands écrivains de la Grèce et de l'Italie est assi-
milé au miel qu'elle produit, et la légende antique veut qu'un
essaim ait déposé son doux nectar sur les lèvres du divin
Platon.
Beaucoup de naturalistes se sont occupés des mœurs de l'a-
beille; mais, chose étonnante, les notions les plus positives à
cet égard sont dues à l'illustre aveugle de Genève, qui parvint,
à force de sagacité, à remplacer l'organe le plus nécessaire pour
l'observation.
La société des Bourdons est aussi composée d'ouvrières, de
mâles; mais l'existence de plusieurs femelles lui donne une
forme oligarchique, et sa durée ne se prolonge pas au-delà d'une
année. Elle est renouvelée, à chaque printemps, par une femelle
fécondée dès l'année précédente, el qui, abritée dans quelque
retraite favorable, a résisté aux rigueurs de l'hiver, qui a détruit
tout le reste de la communauté.
Le bruit particulier qui accompagne le vol du bourdon a dû
aussi être connu de tout temps, puisqu'il fixe l'attention de l'en-
fant le plus léger. Le peuple, qui souvent donne aux èlres un
nom caractéristique par une onomatopée que l'on rencontre
dans beaucoup de langues, a donné à notre insecte un nom
OESERVÉS AUX KPCVIRONS DE PARIS. 519
qui rappelle !e son grave et monotone qui accompagne son
vol (1).
Toutefois, ce n'est que dans les temps modernes que les obser-
vateurs se sont occupés des Bourdons. Nous citerons pour la
France Béaumur et Le Pelletier Saint-Fargeau, Dalilboom pour la
Suède, Drewsen pour le Danemark, et pour TAngleterre F. Smith
el Suckard. Malgré tous leurs travaux, une monographie des
Bourdons n'est point un travail sans difficulté; en etTet, la cou-
leur des poils qui couvrent leur corps varie suivant le sexe, et
même dans les individus du même sexe. D'un autre côté, elle
s'altère et change avec Tâge, et nous voyons dans les B. îopl-
dartuSf subterra neus ^ hortorum et sylrarum, etc., des yeux de
colorations considérables; aussi, cette couleur ne peu) donc
nous donner de bons caractères dilTérentlels Nous n'en trouve-
rons pas non plus dans l'examen anatomique des diver>es parties
du corps qui se ressemblent trop par le nombre, la forme et la
grandeur, à moins que Ton ne s'attache à l'examen, assez diffi-
cile, des organes sexuels des mâles. Ce n'est donc qu'en suivant
avec attention l'insecte jusqu'au nid où il se dévelo|)pe qu'on est
arrivé à la suppression de plusieurs espèces admises par les na-
turalistes, et à reconnaître qu'elles ne constituaient que des sexes
différents ou des variétés d'un même sexe. Mais la présence ou
Tabsencedes instruments de travail a servi à l'établissement des
deux bonnes coupes génériques qui distinguent les vrais Bour-
dons des Bourdons non récoltants ou parasites.
CHAPITRE P^
LES VRAIS BOURDONS.
Comme le genre yipis, le genre Bombus se place parmi les Hy-
ménoptères récoltants, et il se compose, comme nous l'avons
déjà dit, de trois sortes d'individus : des femelles, des ouvrières
el des mÀles. Les deux premières sont pourvues de ces admira-
(1) Bomhos vient du grec Bcofxêoç. Sonus, dans les langues du nord.
La syllabe Hum (prononcez Houno) forme la racine du nom qui le désigne.
520 ESSAI SUR LES BOURDONS
bles instruments de travail qui placent l'abeille à un si haut rang
dans riiisfolre des Insectes. Leurs tarses sont pourvus de brosses
qui servent à ramasser le pollen dont leur corps est couvert ,
le tibia des pâlies postérieures offre une surface lisse et aplatie
entourée de poils courbés, à laquelle on donne le nom de cor-
beille, et dans laquelle l'insecte dépose la récolte qu'il rapporte
au nid. Au premier article des tarses des pattes postérieures
existe un prolongement anguleux connu sous le nom d'oreillette;
il sert à déiacher la cire qui se dépose sur les anneaux de l'ab-
domen. C'est enlre le genre Anthophora et le genre Apis que se
trouve la place naturelle des Bourdons, parmi les Hyménoptères
indigènes.
Ce genre se compose d'un assez grand nombre d'espèces ré-
parties dans les diverses contrées du globe. On en compte une
dizaine aux Indes, à Java et en Chine; mais c'est surtout dans
le nord de l'Europe, où naissent les Amentacées, les Saules au
polleu abondant, qu'ils se trouvent en plus grand nombre. Le
nord de l'Amérique en compte aussi quelques belles espèces très-
voisines de celles de notre Europe.
Les nids des Bourdons, qui renferment de 40 à 50 individus,
et quelquefois jusqu'à 300 dans certaines espèces, sont souvent
enfoncés dans la terre et ne s'aperçoivent point facilement. Lors-
qu'ils sont à la superficie, ils sont cachés par des amas d'herbes
et de feuilles sèches ou par un tissu de mousse. Si Ton déchire
cette première enveloppe, on en aperçoit dessous une seconde
toute en cire et d'une forme ovale, entièrement fermée, à l'ex-
ception d'une petite ouverture réservée dans le bas pour faciliter
l'entrée. Celte seconde enveloppe protège avec efficacité la popu-
lation qui Thabite contre les intempéries des saisons. En la rom-
pant, on voit, dans l'intérieur, plusieurs rayons ou étages irré
guliers placés les uns au-dessus des autres; ils sont composés
de cellules ovales, rapprochées entre elles. Les unes sont ou-
vertes et renferment du pollen ou du miel; les autres, fermées,
contiennent des œufs, des larves et des nymphes. Entre les cel-
lules, on remarque certains corps, de forme irrégulière, qui
ressemblent à de petites truffes. C'étaient aussi, dans l'origine,
des cellules que l'accroissement des larves a fait fendre en plu-
sieurs endroits. Les ouvrières ont bouché les crevasses avec de
la cire, ce qui explique l'augmentation de leur volume. F.e rayon
OBSERVES AUX ENVIRONS DE PARIS. 521
inférieur repose direclemenl sur un litdlierbes, de mousse et de
feuilles dessécliées ; ceux qui s'élèvent au-dessus en sont séparés
par les grosses cellules et des colonnelles de cire qui les sou-
tiennent.
Tous les Bourdons ne naissent point à la même époque : il y
a plusieurs générations provenant de pontes successives, et l'é
closion parait répondre aux besoins de la colonie et aux travaux
dont l'exécution devient nécessaire. Les ouvrières qui doivent
venir en aide à la mère naissent en mai; plus tard, une autre
génération a lieu, et ce n'est qu'à l'automne que paraissent
les mâles et les grandes femelles. Après la fécondation , qui a
lieu vers le milieu de Tautomne, les ouvrières, c'est-à-dire les
femelles non développées, meurent les unes après les autres;
mais un petit nombre de grandes femelles qui ont été fécon-
dées quittent le nid pour se réfugier daqs un abri sûr qu'elles
trouvent en terre ou dans quelque creux d'arbre. Là elles
passent Tliiver dans un engourdissement léthargique qui dure
jusqu'au moment où le soleil de mars vient réveiller la nature
et les r(\nimer par sa vivifiante chaleur; elles quittent alors
leur retraite, et après s'être restaurées du pollen que leur offre
les fleurs qui s'épanouissent ou les chatons des saules entr'ou-
verts; chacune d'elles se met à la recherche d'un lieu favorable
pour y établir le nid dans lequel elle déposera ses œufs. Rare-
ment elle creusera le trou dans lequel il sera placé; elle don-
nera la préférence à quelque excavation faite par un mulot ou
quelque autre petit animal. Après l'avoir nettoyé et approprié,
elle commence par y faire un lit de mousse, d'herbes ou de
feuilles sèches, ou encore de petites bûchettes ramassées à pro-
ximité. Au milieu de cette aire , elle construit une cellule des-
tinée à contenir le miel. A côté, elle en élève une autre pour le
pollen qu'elle va ramasser sur les fleurs, puis elle y pond de r;
à 8 œufs, et elle la ferme ensuite avec de la cire. A côté, elle
en établit plusieurs autres semblables et destinées aux mêmes
usages. <:es travaux, exécutés d'abord par la mère seule, sont
ensuite continués par les ouvrières, qui naissent les premières,
jusqu'à Tachèvement complet du nid. Quatre ou cinq jours après
la ponte, les œufs éclosent et les jeunes larves qui en provien-
nent se nourrissent du pollen dont la mère prévoyante a garni
l'intérieur de la cellule ; celte provision est consommée au bout
53S ESSAI SUR LES BOUBDOIfS
de quelques jours. Pour s'en assurer, la mère déchire îe cou-
vercle de cire qui ferme l'alvéole, et quand elle s'aperçoit qu'elle
est vide, elle va prendre du pollen dans les cellules où il a été
mis en réserve , puis revient et introduisant la tête par l'ouver-
ture delà cellule elle y dégorge le pollen mêlé d'un peu de miel
et referme ensuite la cellule avec de la cire. Cependant les larves
grossissent et remplissent l'alvéole au point de le faire fendre ;
mais aussitôt les ouvrières ferment les crevasses avec de la cire.
Ce travail est renouvelé toutes les fois qu'il devient nécessaire :
c'est par suite de ces soins répétés que la cellule qui , dans l'o»
rigine, était grosse comme une noisette, acquiert le volume
d'une petite noix.
Lorsque les larves ont atteint tout leur développement, elles
se filent un cocon dans l'alvéole. Chacun d'eux est lié par des fils
de soie au cocon voisin de manière à ne former qu'une seule
masse; lorsque la mère, qui vient pour renouveler les provi-
sions, s'aperçoit que les larves se sont enfermées dans une
coque de soie, elle ne cherche point à la déchirer, mais elle
agrandit Touverlure de l'alvéole en enlevant totalement le cou-
vercle qui la fermait.
Toutes les cellules sont liées enlr'elles et finissent par former
un petit gâteau convexe en dessus et concave en dessous : plu-
sieurs de ces petits gâteaux réunis consdtuent à la fin un grand
rayon d'une seule pièce; un second élage s'élève au-dessus de ce
rayon, puis un troisième, et ainsi de suite. Chacun d'eux est
supporté par de petites colonnes de cire qui reposent sur le gâ-
teau inférieur; elles sont élargies par le haut et par le bas mais
le milieu laisse un vide sulïisant pour le passage des ouvrières.
Le petit animal reste ^ jours sous la forme de nymphe, puis
devenu insecte parfait, il se met à ronger le cocon dans lequel
il est emprisonné. Ce travail est accompagné d'un léger bour-
donnement qui est entendu par la mère; elle arrive aussitôt et
se met aussi à ronger le cocon un peu au-dessus du milieu jus-
qu'à ce que la partie supérieure, tombant comme une calotte,
donne passage au jeune bourdon : il se rend de suite aux cel-
lules qui renferment le pollen afin de s'y restaurer.
Au moment de leur naissance, les jeunes bourdons ont tous les
poils d'une couleur grise uniforme, mais bientôt la lumière et l'air
chaud qui les sèche leur donne la couleur propre à chaque espèce.
OBSBRVBS AUX BNVIROHS DB PARIS. 523
Les premiers Individus qui se montrent sont , comme nous
l'avons dit, des ouvrières qui se mettent de suite à l'ouvrage en
continuant les travaux commencés par la mère; elles s'employent
d'abord à entourer le nid d'une enveloppe de cire : le mur
qu'elles élèvent à cet eifet est d'abord perpendiculaire, mais
elles le font rentrer insensiblement dans le haut pour le fermer
par une voûte. Elles ont soin de laisser entre la paroi et les
rayons un espace de deux ou trois centimètres pour la circula-
tion. Si le nid n'est point suffisamment caché en terre pour être
bien garanti, les ouvrières y apportent de nouveau des mousses,
des herbes et des feuilles sèches pour le couvrir.
Pendant qu'une partie des ouvrières est occupée de ces soins,
d'autres ouvrières s'emploient à construire des colonnes de cire
ou elles vont aux champs recueillir les provisions, ou bien nour*
rissent les larves qui éclosent successivement. Elles nettoyent
aussi et approprient le nid : elles enlèvent les corps étrangers
pour les porter dehors.
Lorsque le nid a reçu tous ces divers perfectionnements, et
qu'il est suffisamment approvisionné, la mère fait sa seconde
ponte; mais cette fois la mère n'aura plus à pourvoir d'aliments
les cellules qui recevront les œufs. Elle se reposera de ce soin
sur ses jeunes filles, les ouvrières. Ce n'est qu'à la fin d'août ou
en septembre qu'une dernière ponte donne naissance k ces
grandes femelles, qui doivent, l'année suivante, créer une
nouvelle colonie sans jamais faire servir k cet usage le nid où
elle est née.
Après tous ces travaux , la mère, qui atout créé, finit par
mourir. Les mâles et les femelles qui n'ont point été fécondées
subissent le même sort à l'approche de l'hiver.
Telle est, en résumé, l'histoire des Bourdons. Donnons main-
tenant des détails plus circonstanciés sur les travaux et les
mœurs des espèces qui composent ce groupe intéressant.
RÉCOLTE DU POLLEN.
Plusieurs familles de Tordre des Hyménoptères ont la faculté
d'allonger ou de contracter l'abdomen, et peuvent aussi le tour-
5'24 essAi SUR les bourdons
ner en divers sens : c'est ce que fait le Bourdon lorsqu'il vient
se poser sur une fleur. Ce mouvement, en agitant les étamines,
fait ouvrir la soupape par laquelle s'échappe le pollen dont les
anthères sont remplies. Cette poussière s'attache aux nombreux
poils qui couvrent le corps du Bourdon , et ils se chargent aussi
de celle qui est déjà sortie. Pour recueillir le pollen, Tinsecte fric-
tionne son corps avec les brosses qui existent aux tarses des pattes
postérieures. Ce pollen, ainsi ramassé, est enlevé parles pattes
intermédiaires, et par une manœuvre semblable il arrive aux
pattes antérieures, qui le portent aux mâchoires. Celles-ci, en le
pétrissant, en font une petite pelote qui est reprise par les pattes
antérieures et transmise aux intermédiaires : celles-ci la fixent
dans la corbeille qui garnit le tibia des dernières pattes. Cette
manœuvre est répétée jusqu'à ce que la masse atteigne la gros-
seur d'une petite lentille-, alors le Bourdon la rapporte au nid
pour la déposer dans les cellules qui doivent la conserver. Pour
y parvenir, il s'accroche avec les ongles au bord de l'alvéole ;
les pattes intermédiaires, qui sont libres, saisissent le globule
qu'elles font tomber dans la cellule par im mouvement de bas
en haut , après quoi l'insecte prend son vol et retourne aux
champs faire une nouvelle récolte. Les cocons de soie, dans
lesquels s'est opérée la métamorphose des nymphes, servent
aussi, lorsqu'ils sont vides, à emmagasiner le pollen, ce qui
permet, âan& un espace donné, d'augmenter l'approvisionne-
ment destiné à la nourriture des larves et en même temps à la
préparation de la cire; mais il n'entre en rien dans la composi-
tion du miel, comme Réaumur l'avait cru.
PRÉPARATION l)l' MIEL.
Les Bourdons tirent ce produit des fleurs-, il est presque aussi
doux que celui de l'abeille, mais plus liquide. Lorsque l'insecte
se pose sur la corolle d'une fleur, il allonge sa langue, qui,
dans quelques espèces, est aussi longue que le corps. Cet or-
gane, dont l'extrémité est garnie de poils formant papilles, est
renfermé entre deux pièces creuses d'une nature cornée, qui,
parleur rapprochement, forment un étui. L'insecte, en ouvrant
OBSERVÉS AUX ENVIRONS DE PARIS. 525
les deux moitiés de cette espèce de trompe , écarte les ctamiaes
qui pourraient empêcher la langue d'arriver jusqu'aux nectaires,
afin d'y pomper le suc qui, passant dans l'œsophage, arrive au
ventricule, où il est converti en miel. Si l'insecte rencontre de
ces plantes à fleur fermée ou dont la corolle étroite et longue
ne permet pas à la langue de parvenir jusqu'aux nectaires, qui
sont toujours au fond, ainsi qu'on le voit dans les Belles de
Nuit et les Mufliers, ces obstacles n'arrêtent point l'insecte qui
pratique avec ses mandibules , à la base de la corolle , une en-
taille par laquelle il introduit sa langue pour arriver aux nec-
taires. Lorsqu'il est suffisamment gorgé il revient an nid pour
déposer le miel dans les alvéoles. Il les examine d'abord comme
s'il voulait s'assurer qu'elles peuvent conserver le dépôt qu'il va
leur confier. Après cet examen, il introduit dans la cellule la
moitié de son corps , contracte les anneaux de son abdomen,
et, allongeant la langue, il dégorge le miel qui est trop liquide
pour servir à l'alimentation des larves, mais qui, absorbé de
Jiouveau par le Bourdon , donnera naissance à la cire que l'in-
secte ne peut produire lorsqu'il est nourri exclusivement de
pollen.
S m.
PRODUCTION DE LA CIRE. — SON IJSAGË.
Celte substance provient de la partie saccarine du suc enlevé
aux nectaires; elle est d'un jaune brunâtre, ne s'amollit point
sous les doigts, ne se liquéfie point au feu, où elle y brûle avec
flamme et laisse des cendres pour résidu ; aussi est-elle loin d'a-
voir la blancheur et les autres qualités de la cire de l'abeille.
L'insecte, quand il esi pour la produire, s'approche des cellules
qui contiennent le miel, en avale une certaine quantité à l'aide
de sa langue. Après quarante-huit heures environ, on le voit se
coucher sur le côté, se frotter l'abdomen avec ses pattes inter-
médiaires et postérieures, surtout à la jonction des divers seg-
ments où la peau est mince et membraneuse. Puis, se relevant,
il continue ses frictions. Pendant ce temps, une partie du miel
s'est convertie en cire et déposée entre les anneaux de l'abdo-
men, d'où l'insecte la détache à l'aide de l'oreillette qui garnit
5S6 8SSAI St'R L8S BOURDONS
le .premier article des pattes postérieures. Cette cire, la seule
substance qui entre dans la construction des cellules, est bien
plus abondante chez les femelles et les ouvrières que chez les
mâles.
§ IV.
CONSTRUCTION OBS CELLULES.
Pour mettre en œuvre une substance aussi simple et aussi fa-
cile à travailler que la cire qu'ils emploient, les Bourdons n'ont
point besoin d'instruments nombreux et variés, leurs mandi-
bules et leurs pattes y suffisent. La femelle qui veut construire une
cellule prend une parcelle de cire , et après l'avoir pétrie avec
sa mandibule elle la dépose sur Taire du nid. Elle en apporte
ensuite d'autres , qu'elle y rattache , et quand la masse est suffi-
sante elle la creuse en l'arrondissant en forme de coupe; sur le
bord, elle dépose d'autres parcelles jusqu'à ce qu'elle ait ainsi
élevé une véritable cellule. Elle en égalise les bords, les lisse,
afin que l'abdomen puisse y entrer facilement au moment de la
ponte. Les ouvrières, aussitôt leur naissance, aident la mère
dans ce travail.
« V.
ACCOUPLEMENT DES BOURDONS.
L'accouplement a lieu ordinairement du 15 septembre au
iS octobre, toujours hors du nid. Il est assez difficile de l'ob-
server, parce que le couple s'envole dès qu'on en approche. La
femelle se pose en plein soleil, sur un mur ou sur un tronc d'ar-
bre. Les ailes, entr'ouverles, découvrent l'abdomen. Lorsqu'un
mâle aperçoit une femelle de son espèce dans cette position, Il se
jette sur son dos avec une certaine impétuosité, et l'accouple-
ment s'effectue; il est accompagné d'un frémissement des ailes
qui dure quelques secondes , mais se renouvelle plusieurs fois.
Au bout d'environ quinze minutes, il s'afiTaiblit chez le mftle,
mais persiste encore chez la femelle ; puis celle-ci ne tarde pas
à saisir le mâle avec ses pattes postérieures el à le refeter forte-
OBSERVÉS AUX BNVIHONS PB PARIS. &27
menL Le mâle, ue pouvant plus guère faire de mouvement, ne
tarde pas à mourir. H n'y aurait donc point de nécessité, chez
les Bourdons, de massacrer les mâles comme cela a lieu dans le
genre Abeille, car Taccouplement sufût pour les mettre hors d'é-
tat de consommer les provisions, et d'ailleurs celles-ci sont
inutiles pour une société que l'hiver va faire disparaître.
« VI.
PONTE DES OBUFS.
Lorsque la cellule est terminée et qu'elle est garnie à l'intérieur
d'une suffisante quantité de pollen pour la première alimenta-
tion des larves , la femelle , qui se prépare à y <léposer ses œufs,
vient se placer sur le bord et essaie d'y introduire son abdomen.
Souvent elle ne peui y parvenir à cause du peu de place que
laisse l'ouverture de la cellule. Sans persévérer dans ses essais,
elle s'éloigne pour revenir bientôt les renouveler, sans plus de
succès. Elle se détermine alors à ronger la cire des bords pour
agrandir l'ouverture et essaye d'y pondre. Cette nouvelle tenta-
tive ne donne pas plus de résultats. Les muscles de l'anus sont
trop rigides pour que ses deux lobes puissent s'écarter assez
pour donner passage aux œufs. Alors, pour arriver à son but,
elle darde avec force son aiguillon de manière à percer là paroi
de la cellule. Pour plus de fixité, elle garnit de cire, avec ses
pattes postérieures, la portion de l'aiguillon qui sort en dehors*
Quand tout est assujetti , elle appuie sur l'aiguillon le lobe supé-
rieur de l'anus, qui s'ouvre alors de manière à donner passage
à 5 ou 6 œufs. Ceux-ci tombent successivement dans l'alvéole,
et la femelle la ferme ensuite avec de la cire.
Après la naissance des premières ouvrières a lieu une seconde
ponte, qui donnera des ouvrières d'une taille plus grande que
celle de leurs sœurs aînées; quelques mÀles, de taille moyenne,
se produiront en même temps, et de leur accouplement avec ces
ouvrières naîtront d'autres mâles plus grands : ils serviront à la
fécondation des femelles , encore plus grandes , qui se produi-
ront à la troisième génération : ce sont celles qui doivent per-
pétuer l'espèce l'année suivante. Dahiboom, certainement le
meilleur observateur des Bourdons , n'a point remarqué la pré-
528 ESSAI SUR LES BOURDONS
seiice de ces mâles à la seconde génération, et il pensait que
ces secondes femelles donnaient des mâles sans accouplement,
ainsi qu'on Ta observé chez les Pucerons: mais les naturalistes
ont rejeté cette opinion.
Signalons ici un fait remarquable observé par le docteur Kerby.
Lorsque les femelles sont sur le point d'opérer leur seconde
ponte, les ouvrières déjà nées, obéissant à un instinct difficile
à expliquer, cherchent, en vrais disciples de Malthus, à mettre
obstacle au développement de la population de la colonie en
essayant de dévorer les œufs que pond leur mère. Celle-ci, qui
s'en aperçoit, les chasse au loin, puis revient déposer ses œufs
dans les alvéoles , autour desquelles elle fait bonne garde jus-
qu'à la naissance des larves; mais alors les ouvrières ont re-
noncé à leurs instincts cruels et donnent aux nouveaux-nés tous
les soins de véritables mères en leur apportant régulièrement
du pollen et du miel, quelles introduisent dans les cellules en
pratiquant une ouverture dans le couvercle , qu'elles fprmqnt
ensuite avec soin.
C'est seulement sur la lin de la saison qu'a lieu la troisième
ponte, qui produira, en petit nombre, ces grandes femelles, des-
tinées seules avoir l'année suivante; la mort de la femelle qui la
première a créé la colonie suit de près cette dernière ponte. Ces
trois générations successives sont le résultat d'une seule fécon-
dation opérée à l'automne de l'année précédente, et qui donne,
à chaque fois, des embryons de taille comme de sexes différents.
C'est là assurément un fait des plus remarquables en histoire
naturelle ; nous en devons la connaissance à F. Huber fils.
Notons toutefois que dans le genre ffa/eofus, également de la
famille des MelUfères récoltants, on voit paraître, au premier
printemps, de grandes femelles qui produisent, au commence-
ment de l'été, des femelles ordinaires sans le concours de mâles,
puisque ceux-ci ne se montrent qu'au mois d'août. Elles ont dû
nécessairement être fécondées dès l'automne précédent, comme
l'ont été les femelles de Bourdons.
g VII.
CONSïKt'CTION h\l N1I>.
c'est surtout dans l'exécution de ce grand travail que le^
OBSERVÉS AUX ENVIRONS DE PARIS. 529
Bourdons montrent une grande adresse et une sorte d'intelli-
gence. Ces qualités se remarquent spécialement dans un groupe
qui environne son nid de mousse déchiquetée en petites la-
nières, et que, pour celte raison, on nomme Cardeur,
Le nid est d'abord commencé par la femelle, qui y opère sa
première ponte; mais lorsqu'une première génération est venue
lui donner des auxiliaires, le travail se développe avec activité :
les jeunes filles aident leur mère dans la construction des cel-
lules destinées aux œufs de la seconde ponte; elles agrandiront
et perfectionneront la cité, ainsi que le passage qui y conduit,
et termineront l'enveloppe extérieure. Voici comment s'organise
ce travail : le nid est toujours placé à peu de dislance des maté-
riaux qui doivent servir à sa ronstruction , une ouvrière va se
placer près de la mousse à exploiter, à quelque distance du nid,
auquel elle tourne le dos; d'autres ouvrières viennent se placer
à la suite, dans la même direction, de manière à former une
chaîne continue qui s'étend jusqu'au nid. Celle qui est en tête
découpe de minces lanières de mousse qu'elle roule de manière
à en faire une petite pelote qu'elle saisit avec les pattes anté-
rieures; celles-ci la font passer aux intermédiaires, chargées de
l'envoyer aux pattes postérieures. Quand ce travail, répété, a
fini par faire un amas suffisant, l'ouvrière qui suit réunit les
diverses parcelles, leur donne une nouvelle forme et la trans*
met à la troisième, et ainsi de suite jusqu'à ce que la pelote ar-
rive au nid. Là, une ouvrière la prend pour la mettre en place
ou la transmettre à une autre chargée de ce soin. Toutes les pe-
lotles réunies et liées entr'elles forment une enveloppe continue
qui est surmontée d'une voûte construite de la même façon; de
cette manière, le nid, déjà protégé par sa situation en terre, se
trouve parfaitement abrité. C'est ainsi que sont faits les nids des
B. mtiscoru7n, B, fragrans et autres.
Mais ces soins, ces précautions ne paraissent point suffisants
pour conserver à l'intérieur une température assez élevée. Les
Bourdons y ajoutent une seconde enveloppe intérieure toute en
cire. Pour ce travail, les ouvrières déposent, avec leurs pattes
antérieures, de petites parcelles de cire auprès des gâteaux; elles
en apportent d'autres, les assurent en les liant entr'elles au
moyen de leurs mandibules qui font Tofflce de truelles; elles y
ajoutent encore d'autres parcelles. C'est ainsi que s'élèvent, sur
T. VIIL 34
550 KSSAl SUR LfiS BOURDONS
(litTérents points, de petites constructions plus hautes au milieu
que sur les côtés et qui unissent par se réunir en un mur de
circonvallallon continu, qui rentre légèrement à Hntérieur. Une
fois qu'il est arrivé à une certaine élévation et qu'il est couronné
par une voûte semblable : pour la poser, les Bourdons s'accro-
chent avec leurs pattes postérieures, qui sont assez écartées, au
mur de cire, et, dans cette difficile position , parviennent à ter*
miner le comble qui forme une espèce de cloche. Souvent des
brins de mousse se trouvent engagés dans le mur de cire et ne
peuvent être détachés qu'en brisant cette enveloppe intérieure.
D'autres espèces se contentent d'une habitation moins soignée,
s'installent simplement dans un trou, en terre, et n'emploient
la cire que pour boucher les ouvertures par où la pluie pourrait
arriver. Le B. lapidarius s'établit ordinairement dans des tas
de pierres; il se borne à y apporter des mousses et des feuilles
sèches pour garnir son nid, auquel il donne la forme d'un ovale
assez régulier. Quant à la disposition des rayons, elle est la
même chez toutes les espèces. Les mÀles restent toujours étran-
gers à ces travaux.
8 vjii.
EMPLOI DES COCONS VIDES.
Les cocons de soie qui ont servi aux métamorphoses des larves
ont la forme d'un petit œuf tronqué par un bout; les Bourdons
s'en servent aussi comme de magasins supplémentaires pour
recevoir le pollen et le miel. Quand les cellules deviennent libres
dans les étages supérieurs , les femelles leur donnent la préfé-
rence pour placer les jeunes larves , qui s'y trouvent plus saine-
ment et moins exposées aux attaques des nombreux ennemis
qui les dévorent ainsi que le miel et la cire.
Avant de se servir des cocons , les ouvrières en égalisent les
bords et étendent à l'intérieur une couche de cire d'une épais-
seur suffisante pour retenir les matières qui y seront déposées.
Cette préparation des cocons n^est pas la même dans toutes les
espèces : les unes consolident le bord au moyen d'un anneau
de cire placé à l'intérieur, d'autres élèvent sur ce bord une es
pèce de tube terminé par un entonnoir.
OBSERVÉS AUX ENVIRONS DE PARIS. 551
La forme ronde des cellules qui se touchent laisse entre elles
des espaces vides ayant quatre angles aigus , les ouvrières trou-
vent aussi moyen de les utiliser en fermant le bas et en conso-
lidant le bord par un anneau de cire. Cette cinquième cellule
ne prend pas plus de place que les quatre qui existaient d'abord.
C'est seulement pendant les mois de mai et de juin que les
cocons de l'étage inférieur contiennent du miel et du pollen ;
mais quand ils ont été vidés, les ouvrières les déchirent pour
en employer les débris, avec la mousse et l'herbe sèche, à la
consolidation du nid.
g IX.
MÉTAMORPHOSES DES BOtRDONS.
Les œufs, longs d'un millimètre, sont de couleur blanchâtre
La peau qui les recouvre, vue au microscope, a l'aspect du cuir.
Ils sont placés dans la cellule les uns à côté des autres, ou bien
ils sont superposés. Les larves qui en sortent ressemblent à de
petits v6rs d'un blanc jaunâtre, sans pattes, et courbés en demi-
cercle à an s l'alvéole ; la tète, un peu allongée et de couleur
brunâtre, est d'une consistance plus dure que la peau du corps.
Les segments sont au nombre de 13 ou li, suivant le sexe. Sous
la peau membraneuse et transparente, on aperçoit l'intestin
droit qui court de la tète à Tanus; il est rempli d'un liquide
doux qui entretient la vie du petit animal. Les larves des fe-
melles sont beaucoup plus grandes; toutes sont placées dans les
cellules, la tète en haut, le corps un peu courbé. Elles sortent
du cocon par Textrémité supérieure, qui représente ensuite
la coquille d'un œuf dont le bout a été tronqué. Réaumur
dit que les nymphes sortaient par le bas de leur loge de soie.
Sur son autorité, plusieurs naturalistes, notamment Latreillo,
onl admis cette opinion ; mais les observateurs postérieurs
ont bien établi le contraire. En effet, lorsque l'on renverse
le rayon de manière à ce que la tète soit en bas, les nymphes
noircissent et meurent. D'un autre côté , celles du rayon infé-
rieur qui repose sur le sol ne pourraient jamais sortir du cocon.
Newport, dans un travail sur la température des insectes, fait
la remarque que chez l'Abeille et le Bourdon l'évolution des
532 ESSAI SUR LES BOURDONS
nymphes demande une certaine élévation de chaleur, surtout
pendant les dix ou douze heures qui précèdent leur sortie du
cocon. Elle est produite par Taccélération volontaire de la respi-
ration des ouvrières qui se réunissent sur le cocon. Lente d'a-
bord, cette respiration s'accélère promptement, et la chaleur
approche de SO*». Souvent une ouvrière , toute en sueur, quilte
le cocon sur lequel elle s'était placée, mais alors une autre prend
sa place. I/observateur a constaté que le là juillet la température
extérieure était de 21° 5 dixièmes; au sommet du cocon, elle
atteignait 26«, et le thermomètre, mis en contact avec le corps,
s'éleva à 33o, en sorte que la respiration accélérée d'une seule
ouvrière suffit pour une difTérence de température de plus ùv.
g X.
CARACTÈRE DES HOURDOMS. — LEUR PIQURE.
Les Bourdons sont parmi les insectes ce qu'est l'homme des
champs dans notre société; ils sont laborieux, et par conséquent
tranquilles et pacifiques. Les plus inoffensifs sont ceux qui em-
ploient la mousse pour la construction de leur nid. Jamais ils
n'attaquent, et quand on vient à les troubler ils préfèrent la fuite
au combat. Ils n'abandonnent pas volontiers leur nid; si ou
cherche à les y forcer, ils se campent fièrement sur leurs pattes,
regardent en face l'ennemi, puis, levant successivement les pattes
d'un même côté, ils se mettent sur le dos, position qui semble
la plus favorable pour le jeu de l'aiguillon. Lorsqu'on les saisit
ou qu'on les irrite, ils font une piqûre qui cause une vive dou-
leur, parce que le dard porte dans la plaie un venin de la même
nature que celui de l'Abeille, mais moins dangereux, car cette
arme, qui est lisse, ne reste point dans la chair, comme cela a
lieu lorsqu'on a été piqué par l'aiguillon bardelé de TAbeille,
qui, en restant dans la plaie, occasionne une légère suppura-
tion.
g XL
RESPIRATION. — BOURDONNEMENT.
Les belles observations anatomiques de Léon Dufour ont ron-
OBSBRVÉS AUX ENVIRONS DE PARIS. 533
8laté que chez les Hyménoptères les organes respiratoires sont
beaucoup plus développés que cliez les autres insectes. Au lien
lie ces trachées étroites, cylindriques, que Ton rencontre dans
les antres ordres, on trouve chez les Bourdons de larges vési-
cules qui «admettent et conservent une grande quantité d'air;
elles sont placées des deux côtés de l'abdomen, près du pétiole,
d'une couleur blanchâtre et de forme ovale, elles se divisent en
faisceau de trachées qui s'étendent dans les intestins voisins;
c'est aussi à ces vésicules que se rattache l'organe respiratoire
qui consiste en deux tubes minces, d'où partent de nombreux
conduits aériféres qui se prolongent jusqu'à l'anus d'un côté,
tandis que de l'autre, après s'être contractés, ils pénètrent dans
le thorax; 1î\, ils s'élargissent toujours, sous forme de tube, et
finissent en trachées déliées qui arrivent jusqu'au cerveau.
Lorsque l'insecte allonge les segments de l'abdomen , les tra-
chées s'ouvrent et l'air s'y précipite, puis un mouvement de
contraction vient le chasser. Voilà tout le système de leur respi-
ration.
Chez le Bourdon et dans le genre voisin, Xylocopa^ il existe, à
la racine de l'aile, deux corps cylindriques, élastiques et de
couleur grisâtre; ce sont eux qui, d'après Léon Dufour, produi-
sent le bourdonnement. Du reste, le mouvement de Taile ne
contribue en rien à ce bruit, car il persiste lorsque l'aile a été
coupée.
i! XII.
QUELQUES AUTRES EXEMPLES DE L'LNSTINCT DES BOURDONS.
Les procédés que nous venons de décrire ne sont point uni-
formes : les Bourdons savent les varier suivant les lieux et les
circonstances. Ainsi, F. Smith a vu un Bourdon s'Introduire, à
plusieurs reprises , à travers le grillage d'une écurie; il y ve-
nait ramasser les poils que l'étrille avait détachés, afin de les
employer à la construction de son nid. Le docteur Bell a eu, de
son côté, l'occasion d'observer un de ces Insectes qui, au lieu
de construire son nid dans la plaine, l'avait installé dans un
nid de Rouge-Gorge placé dans le vestibule d'une maison de
campagne, et l'avait approprié aux besoins de la jeune famille.
5S4 RSSAl SUR LES BOURDONS
Mais le trait d'instiDct le plus remarquable est rapporté par
Huber fils (Transactions de la Société Linnéenne de LondreSj vol. vi,
p. 217). Cet observateur, voulant connaître les soins que les ou-
vrières donnent aux nymphes, avait placé sous une cloche une
douzaine de ces ouvrières avec un fragment de gâteau contenant
un nombre à peu près égal de nymphes. Comme les alvéoles qui
le composaient étaient d'inégale grandeur, il ne posait pas so-
lidement et s'ébranlait lorsque les ouvrières se posaient dessus
pour le réchauffer; afin de parer à cet Inconvénient, voici l'ex-
pédient auquel elles eurent recours : deux ou trois d'entre elles
grimpèrent sur les cocons et se placèrent sur le bord; elles s'a-
baisseront afin de poser solidement leurs pattes antérieures sur
le sol, tandis que les pattes postérieures , qui sont les plus fortes,
soutenaient le tout dans une situation droite. Un homme qui
aurait eu à soutenir un corps hors d'équilibre s'y serait pris tout
autrement; mais dans ces insectes, la force est dans les pattes
postérieures. Celle position, aussi pénible que gênante, persista
plusieurs jours; mais elles se relayaient successivement. Aussi,
pendant ce temps, d'autres ouvrières avaient préparé de la cire
et élevaient des contreforts destinés à soutenir l'édifice chance-
lant. Vn accident ayant déplacé les points d'appui, elles recom-
mencèrent le travail ; mais Huber leur évita la peine de le con-
tinuer en consolidant les cocons.
L'n fait semblable s'expliquera- t-il par l'impulsion d'un aveugle
instinct, et ne doit-on pas plutôt admettre que ces insectes ont
mis en pratique des procédés ra(ionels. Un habile architecte au-
rait-il su mieux adapter les moyens au but h atteindre? Pour
consolider un édifice chancelant, n'aurait-il pas sans doute,
par des moyens différents , commencé parle maintenir dans son
aplomb jusqu'à ce qu'il ait terminé la construction des points
cVappuI destinés à le consolider?
g Xlîl.
knnrmis dks BOunnoNs.
Dans la nature, tout est opposition de forces et jeu de contre-
poitls; la destmntion y entretient la vie. Aussi, les Bourdons
onl-ils (le nombreux ennemis qui s'attaquent soit à eux-mêmes,
ObSBRVÉS AUX ENVIRONS DE PARIS. 535
suit aux pruduits de leur industrie. Leur corps est souvent cou-
vert A\Jcnrus qui les épuisent et qui s'attachent aussi à la cire.
A l'état de larves, ils sont attaqués par quelques ichneumons,
et surtout par des Diptères des genres Conops, Mijopa et f^olu-
cellii. Il est sans doute difficile d'expliquer comment elles peu-
vent parvenir à déposer leurs œufs sur des larves enfermées
dans une alvéole de cire, que ces mouches n'ont aucun moyen
de percer. Mais ici, comme dans bien d'autres cas, la nature a
de ces moyens mystérieux de propagation qui peut-être nous
seront toujours cachés. Le Volti^eUa homhylam, que Ton est
tout surpris de trouver dans les bottes qui renferment des Bour-
dons, leur ressemble assez par la coloration; mais son volume
est tel qu'on ne peut guère comprendre qu'il ait été enfermé
dans le corps des Bourdons. Notons encore quelques insectes
particuliers trouvés dans les cellules : le Cryptophagus lycoperdi,
V Antherophagus glaber j VAnnobiumpuniceum, deux Lépidoptères,
Tima petionella et 7'inea sancitelia, qui se trouvent entre les co-
cons et paraissent vivre à leurs dépens. On sait que la dernière
espèce, qui est très abondante dans le nid du B. derhamellus^
se nourrit de cire.
Le miel, par sa douce saveur, attire plusieurs petits mammi-
fères, qui le recherchent avec avidité. Pour le dévorer, il n'est
pas jusqu'à l'écolier destructeur, par défaut de réflexion, qui ne
déchire l'abdomen de l'insecte pour en tirer la vésicule de miel
qu'il renferme, et l'on rencontre plusieurs fois, sur les fleurs,
l'animal survivant longtemps à cette horrible mutilation.
CHAPITRE II.
LES BOURDONS NON RÉCOLTANTS OU PARASITES.
(Psilhynis. L. P. — Aphalhas, NewI.)
On a longtemps confondu avec les vrais Bourdons un groupe
qui leur ressemble à beaucoup d'égards. Leur corps est, en effet,
de la môme taille que celui des Bourdons ; les poils du corps
offrent la même coloration, mais ils sont moins abondants sur
le dos, qui est en partie lisse, et leur vol fiait entendre le même
536 BSSAI SUR LES BOURDONS
son que celui que produit le l^ourdoo. La seule différence qui
existe, et elle est des plus importantes, car elle implique des
mœurs et un mode de propagation différents, c'est Tabsencedes
instruments à Taide desquels les Bourdons exécutent leurs tra-
vaux si variés. Ainsi leurs mandibules, dépourvues de dents, sont
incapables de pétrir et de façonner les petites boules de pollen
destinées à la nourriture des jeunes larves, et près desquelles
les Bourdons déposent leurs œufs. Leurs pattes postérieures
n'ont point non plus cette corbeille qui sert aux Bourdons à
rapporter au nid les provisions récoltées sur les fleurs. Les tarses
de ces mêmes pattes sont encore privées de cette oreillette an-
gulaire, àTaide de laquelle la cire, sécrétée sous les anneaux de
TabdomeU; est détachée. Il n'est donc point étonnant que ce
groupe n'offre point cette classe nombreuse d'ouvrières chargées
de la construction du nid, de son approvisionnement, de la
nourriture et des autres soins que demandent les larves et les
nymphes. L'espèce ne pourrait donc se perpétuer si elle ue vi-
vait en parasites chez les véritables Bourdons, qui les soignent
et les nourrissent. D'ailleurs nous trouvons, dans cette même
famille des Apides, plusieurs genres également dépourvus d'or-
ganes de récolte qui vivent aux dépens des espèces laborieuses.
On sait avec quelle espèce d'acharnement les Bourdons défen-
dent leur nid , et cependant on ne les voit mettre aucun obstacle
à l'entrée et à la sortie de ces intrus qui ne peuvent exécuter
aucun travail. Entre eux règne la meilleure intelligence. On est
donc conduit à admettre que la nature leur a départi quelque
rôle utile à la communauté, et que des observations ultérieures
feront sans doute connaître.
Après la fécondation, qui a lieu en automne comme chez les
Bourdons, les femelles reviennent ordinairement au nid qui les a
vues naître, et y passent l'hiver dans un état complet d'engour-
dissement jusqu'à ce que le soleil du printemps vienne les ré-
veiller; elles se mettent alors en quête de quelque nid nouvelle
ment construit par les Bourdons et suffisamment approvisionné,
et dès qu'elles l'ont rencontré elles se hâtent d'aller y pondre
leurs œufs, qui éclosent avant ceux des Bourdons, et dévorent
des provisions préparées pour d'autres. Quelques femelles nais-
sent pendant l'été; mais ce n'est qu'à l'automne, au moment
de la floraison des Carduacées, que les mâles et les femelles se
OBSERVÉS AUX ENVIRONS DE PARIS. 537
montrent assez nombreux. C'est aussi sur ces fleurs qu'a lieu
l'accouplement, après lequel les femelles viennent prendre leurs
quartiers d'hiver. Les mâles volent encore pendant peu de temps
sur li!s fleurs et Unissent par périr de froid quand ils ne devien-
nent pas la proie des oiseaux.
Les Bourdons parasites paraissent rechercher de préférence le
nid des Bourdons auxquels ils ressemblent par la coloration :
ainsi, le Psil/tyrvs rupesMs vit dans le nid du B. iapidarius,
le Ps. vestalis infeste le nid du B, terrestris. Quelques natura-
listes ont voulu y voir une précaution de la nature pour tromper
lo légitime propriétaire du nid; mais si cette observation avait
(|uclque chose de vrai, elle serait loin d'être sans exceptions ,
vAiv l«f Ps. barbatei/us, dont l'abdomen est recouvert à son extré-
mité de poils blancs, a été trouvé dans les nids des B.pratorum
et Der/unneNus, chez lesquels cette partie du corps oflTre des poils
roux. Le naturaliste anglais Kirby a le premier signalé la diffé-
rence qui existait dans ces deux groupes; mais il pensait que
chez les Bourdons non récoltants il y avait des femelles, et qu'ils
construisaient leur nid en terre. Dahlboom, qui est venu après
l'illustre naturaliste anglais, a fait des Bourdons parasites une
subdivision du grand genre Bombus,
v:w 1832, Le Pelletier de Saint Fargeau, dans les .innales de la
Société EntomologUfue , établit qu'entre les deux groupes il y avait
place pour un genre, et désigna les derniers sous le nom de
Psilhijrus, Plus tard, s'attachaut avant tout à la différence des
mœurs, il divisa les Apides en nidifiants et parasites; mais cette
division éloigne beaucoup trop des insectes frès-rapprochés par
l'ensemble de l'organisation, quoique séparés par leshabitudei^.
Deux ans après, Newman, méconnaissant le droit de ])riorité
qui appartenait au naturaliste français, ou peut-être Ignorant
son travail, désigna les Faux- Bourdons sous le nom (WlpaUnis,
(les deux mots grecs A, privatif, et TiaXw;, alîeclion, faisant allu-
sion à leur indifférence pour leurs petits qu'ils abandonnent à
(les soins étrangiers.
CHARLKS DELACOIK.
T. Vlll. V,\
BUUSAIÎ
DE LA
SMËTÉ ACABÉKQDE rABCHÉOLMHE. SGIISCE8 R ARTS
nu DÉPARTEMENT DE L'018E ,
Veadaat tannée M7t.
Pre9idetii M. 4)ANiOli O. *;.
rice />rpf9^H/ pour la section d'Arehéoiogie M. HAMEL.
f icB'PrésiJmt pour la section des Sciences
natureUes M.Cn.OËLAœiHK *.
Secrétaire perpétuel M. Ql ESNOT,
Secrétaire pour la section d'Archéologie. . . M. AUG. FlidlKY.
Secrétaire pour la section des Sciences na-
turelles M. HIP. KOWN.
Trésorier M. Ch. CARON.
mbHothéaiire-ArciiitiHe M. DAMlEiNS.
Bibliot/iécaire-adJoiiU M. AUG. FLODKY.
Conservateur du Musée M. Al. DELAHERCHE
. ^. . . (M. Alf. LEHEC.
conservateur s^adjoints ( ^ ^^^^^ ^^^^^
M 1.: M 13 111^:^
AUMIS
PENDANT IVAXNlîE Jrt72,
M. COIKLLK * |)ère, à Beauvais.
M. MILLOT, Docteur en médecine à Mellu.
M. PACLUS, Professeur d'histoire à l'école Turgot, à l»iiriij.
ADDITIONS
A LA LISTE DES MEMBRES PUBLIÉE EN 1871
MEMBRES TITULAIRES.
MM. BtQUET, iM'opriétuire à Cauviguy.
Cailliez, Juge de paix à Liancourt.
(iOTELLË *, Présideut du tribunal de première instance de
Beauvais.
CoTTRET (l'abbé), Curé de Sempign>.
Desjaruins (Gustave), Archiviste du département de Seine-
el-Oise, à Versailles.
CAiLLARD(Georges), Substitut du procureur de laHépublique,
À Beauvais.
GÉRARD (Ernest), Docteur en médecine à Beauvais.
540 ADDITlOiXS A LA LISTE DES MEMBHBS 1*UULIëK EN 1872.
MM. Lesimnois (de), Conservateur des hypollicques ù Houen.
Malherbe (le comte de) #, Maire de Beauvais, membre du
Conseil général de TOise.
MiJLLER (l'abbé), Vicaire à Noyon.
iNez *, Procureur de la république, à Beauvais.
PERE (Léon', Rédacteur du Journal de roUe^ à Beauvais.
PiLLON (Adolphe), Propriétaire à Beauvais.
Plessiër (Léon), Conducteur des ponts et ciiausbécs, à
Maignelay.
Hendl Armand), Archiviste de l'Oise, à Beauvais.
Sabatier (l'abbé), Curé d'Allonne.
SECTION D'ARCHÉOLOGIE ET D'HISTOIRE.
HISTOIRE
DE
L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN
(OI(.DI(E DE SAIH.T- BENOIT).
(Suite).
XXX-IX.. — Foixlq.ixes II dLe Oliaxiao
(4372-4383).
Le successeur de Godefiroy de Billy, Foulques de Cbanac des-
cendait d'une noble* maison originaire du Limousin. Les nom-
breux rapports que cette famille eut avec le Beauvoisis, lui firent
donner plusieurs de ses membres au Gbapitre de Beauvais, et ce
ne furent pas des moins influents : six furent successivement
doyens et premiers dignitaires de ce Gbapitre : Foulques (1342),
Robert (i3l8), Guillaume (i375) devenu depuis évèque de
Mende et cardinal, Bertrand !•' (i379-i383), Hélie (1383-i395) et
Bertrand II de Gbanac (1). La dignité que les religieux de Saint*^
(1) Les armes de Ghanac étaient : burelé (tardent et d^axwr, ù/n Uon de
gueuki brochant iwr U UaU.
T. Vlllé 36
542 HISTOIRE
Lucien offraient à Foulques ne devait pas diminuer la considé-
ration de cette famille.
Le premier acte où nous apparaît cet abbé, est une transaction
faite, en 1372, avec le seigneur de Reuil-sur-Brècbe au sujet des
fours banaux de cette localité.
L'année suivante nous le voyons assister au synode d'Amiens
et siéger à côté de Tévêque. Il est revêtu d'une chape en drap
d'or, mitre en tète et crosse à la main (i }. Il venait représenter
les prieurés de son obédience situés dans le diocèse d'Amiens et
défendre leurs intérêts. La place qu'il occupait à ce synode nous
montre l'importance de l'abbé dç Saint-Lucien; il a le pas sur
tous les autres abbés et tient rang aussitôt après l'évèque.
En 4374, Pierre d'Aumont, dit le Hutin, chevalier et cham-
bellan du roi, reconnaît, par acte authentique, qu'il lui doit une
paire de pigeons de rente annuelle pour la permission, qui lui
a été accordée, de bÀtir un colombier dans sa maison de Villers-
sur-Thère, en la seigneurie de ce lieu (2).
Foulques de Chanac eut à recevoir en son abbaye un évèque
de Beauvais venant prendre possession de son siège. Le 14 avril
4375, Milon de Dormans tout récemment pourvu de l'évèché de
Beauvais, venait lui demander Thospitali té d'usage, avec Jean
de Blandiac d'Uzès , évèque de Nîmes, son ami. Le lendemain,
l'abbé de Saint-Lucien accompagnait le prélat à son entrée so-
lennelle dans la ville.
Quelques années plus tard, en 1383, il faisait lui-même une
entrée semblable, dans la ville d'Orléans. Ses hautes qualités
L'avaient mis en évidence et fait nommer & l'évèché de cette ville
on remplacement de Jean Nicot. Il quitta, nous dit l'histoire,
avec un grand regret sa famille bénédictine de Saint-Lucien
pour aller exercer son zèle sur un plus vaste terrain , emmo*
nant avec lui son frère, son conseiller dévoué» Bertrand de
Chanac , doyen du chapitre de Beauvais. Il occupa ce siège jus^
gi'en 1394.
Nous ne parlerons pas ici de la fondation d'anniversaire que
(1) loavet, t. I,p. 4S3.
(3) Arcb. de roise , abb. de Saint-Lucien.
DE l'abbaye BOYALB DE SAINT-LUCIEN. 545
semble lui attribuer le Gatlia Christiana^ nous avons dit ailleurs,
qu'elle nous paraissait devoir se reporter à Foulques , douzième
abbé de Saint-Lucien , qui ftit aussi évèque d'Orléans.
XL. — Raoul de Roye (1383-4394).
Un prieur de Tabbaye de Bessons, Raoul de Roye, succéda à
Foulques de Chanac au monastère de Saint-Lucien. Noble aussi
d'extraction (i), il était fils de Mathieu de Roye, grand mattre
des arbalétriers de France , et de Jeanne de Ghérisy , dame de
Muret. C'était une des familles les mieux en cour; aussi, voit-on
Jean de Roye, frère de Raoul, devenir chambellan du roi
Charles Y, et un autre frère, Guy de Roye être successivement
év^.que de Verdun (1375), de Dol (1381), de Castres (1383), arche-
vêque de Tours (1383), de Sens (1385), et finalement de Reims,
en 1390.
Raoul de Roye avait pris Thabit monastique à Saint-Médard
de Soissons, puis était passé dans Tabbaye de Ressons, dont il
devint pfieur. Les qualités qu'il déploya dans la gestion des
affaires qui lui furent confiées, attirèrent Tattention des moines
dé Saint- Luciep. Leur abbé les quittant, ces derniers portèrent
sur lui leurs voix et rappelèrent à leur tète. Ils n'eurent pas à
s'en repentir; c'était un homme énergique, bon administrateur^
et il le fit voir en donnant tous ses soins à la réparation des dé-
sastres causés jadis dans son abbaye par les troupes anglaises.
Rempli d'un zèle apostolique pour la sanctification de ses re-
ligieux et pour l'instruction morale des peuples, il saisissait
toutes les occasions de leur adresser la parole, et ne pouvait
souffrir la moindre négligence à cet égard, même chez les autres.
Un procès assez curieux , qu'il intenta contre l'évêque de Beau-
vais, va nous donner la mesure de ce zèle. Les évèques de Beau-
vais venaient tous les ans avec le clergé de la ville, faire la bé-
nédiction des rameaux dans l'église de l'abbaye, le dimanche
d'avant Pâques, et c'était une ancienne tradition à laquelle le
peuple tenait beaucoup. Il était d'usage dans cette occurrence,
(1) ses armes étaient : d$ gueuler, à ta bande (TargerU.
544 HISTOIRK
que Févêque adressât lui-même la parole à la foule, lorsque
Ton était arrivé dans le cimetière de Notre -Dame- du -Thil,
pour exposer les grands mystères de la semaine dans laquelle
on allait entrer, et ce discours attirait les masses, heureuses
d'entendre la parole du pontife. Philippe d'Alençon, pour divers
motifs que nous n'apprécierons pas, avait cru déjà devoir se
faire remplacer dans ce ministère par un religieux, et Milon de
Dormans voulut en faire autant. On n'entendait plus la voix du
premier pasteur, et cela déplaisait, nuisait même à la fréquen-
tation de la cérémonie, les fidèles n'y venant plus avec le
même entrain.
L'abbé de Saint-Lucien, avec son zèle ardent, en fit la re-
marque à Milon de Dormans dans des termes un peu vifs, et lui
représenta que c'était un devoir d'instruire lui-même son
peuple. L'évêque, blessé, répondit d'une manière assez piquante,
qu'il savait ce qu'il avait à faire. Le bouillant abbé prétendit
avoir gain de cause et dénonça l'évêque au Parlement, comme
refusant de remplir ses obligations de pasteur du peuple, dans
une circonstance où il ne pouvait s'y soustraire. Milon n'était
plus bien en cour, tandis que Raoul de Roye y était en faveur,
et le Parlement condamna l'évêque à continuer l'usage et lui fit
défense de se faire remplacer pour adresser la parole au peuple.
On ne comprendrait plus aujourd'hui un pareil procès; c'était
alors dans les mœurs du temps.
Il ne nous est parvenu que très-peu d'actes concernant l'admi-
nistration temporelle du monastère sous Raoul de Roye. Une
charte de 1384, nous fait connaître la permission donnée aux
moines, par Louis de Bourbonnais, comte de Clermont, de
couper des échalas dans la forêt de Hez (1). Une autre de 1388
est la donation par Tabbé lui-même , d'une maison et de plusieurs
pièces de terre à Luchy, pour lui assurer quatre services solen-
nels après sa mort (2). Cette pièce mentionne les noms d'un
certain nombre de religieux de Saint-Lucien, et nous les citons :
Hugues de Ville , prieur, Jean de Boisgarnier, pannetier, Jean
(1) D. Grenier.
i'i) Àrch. de l'Oise, abb. de Saint-Lucien.
DB L'ABBAyS ROYALB DE SAINT-LUCIKN. 545
Malagrène, chantre, Mathieu de Bantelu, sous- prieur, Robert
d'Esquesnes, grand prévôt , Mathieu Flori, troisième prieur, Jean
Héron ^ Pierre Goquel , Raoul Garet , Drogon de ThibiYillers ,
Henri de Trie et Nicolas Berlin.
Raoul de Roye ne devait pas terminer sa carrière à Saint-
Lucien, il avait les l)onnes grâces du roi, et Charles VI usa de
son influence pour le faire nommer, en i39i , abbé de Gorbie,
au diocèse d'Amiens, en- remplacement de Jean de la Goue dé-
missionnaire. Raoul prit possession de sa nouvelle dignité le
jour de la Pentecôte de Tan 1391, et fut Tun des plus célèbres
abbés de Gorbie. La mort l'enleva, le 11 août 1418, et il fut
inhumé dans la chapelle de sainte Bathilde, qu'il avait richement
fait décorer, en son monastère (1).
XLI. — Flol>ex*t d'Esaiiesiî es (i39l-U13).
Les religieux de Saint- Lucien , aussitôt après le départ de Raoul
de Roye, élurent pour lui succéder l'un des fonctionnaires du
monastère, Robert d'Esquesnes ou des Quesnes , le grand-prévôt.
C'était un des moines les plus recommandables de la commu-
nauté. L'équité et la profonde connaissance des affaires qu'il
avait toujours déployées dans sa difficile charge de préposé à la
justice, firent applaudir tous ses justiciables à son élévation.
11 était issu d'une noble famille propriétaire de grands fiefs aux
environs de Beauvais, et fils de Robert III d'Esquesnes, che-
valier, vicomte de Poix , seigneur de Rogy, et de Marie de Sens.
Ses armoiries se voyaient jadis en plusieurs endroits de l'abbaye
de Saint- Lucien, et notamment à la grande porte d'entrée
s'ouvrant au nord, sur la grande rue du village; elles por-
taient : d'argents à la croix de gueules f reliée d'or^ accompagnée
en chef de qtuitre Ullettes d'azur (2).
Robert d'Esquesnes ne négligea rien pour rendre à son mo-
nastère son ancienne splendeur. Il continua l'œuvre de restau-
(1) GùU, Christ t. x , col. IS&l.
(2) D. Porcheron : ch. 42.
546 HUTOiu
ration de son prédécesseur, acheva les constructions qu'il
ayait entreprises, et en fit élever de nouvelles sur de vastes
proportions. Le grand bâtiment de la porte principale était
son œuvre , ainsi que la splendide construction ogivale affectée
à l'usage de réfectoire. Il jetait partout, à profusion, la pierre
sculptée et finement ouvragée. Cette pierre, il la tirait des car-
rières de Saint- Lucien appartenant au chapitre de Beauvais. Les
registres de cette corporation rapportent, à la date du i 6 août i406,
une permission donnée à Tabhé Robert d'Esquennes a de faire
charrier, un an durant, de la pierre prise à la carrière de Saint-
Lucien (1). >
Il fit aussi fondre la plus grosse cloche qui était au clocher du
monastère.
Ces occupations ne Tempèchaient pas de transiger, en 1392 et
en 1394, avec Tévèque de Beauvais, Thomas d'Estouteville, afin
d'obtenir la reconnaissance, en faveur de son abbaye, des droits
de justice et de pèche dans la rivière du Thérain, depuis le
moulin de Miauroy jusqu'au pont de Saint-Quentin, aujourd'hui
des Quatre-Vents; — de se faire maintenir, en 1400, par sen-
tence du bailliage, dans le droit de percevoir une demi-mesure
de sel par chaque charge qui passerait par sa terre de Luchy,
en revenant de Beauvais; — et de revendiquer le droit de pré-
séance sur le chapitre cathédral. Disons un mot de cet incident.
Il était d'usage , depuis fort longtemps, ainsi que nous l'avons
fait remarquer ailleurs, que le clergé de la cathédrale se rendît
processionnellement en l'abbaye de Saint-Lucien pour la béné-
diction des rameaux. L'évèque faisait cette bénédiction dans l'é-
glise conventuelle. En i 402, l'évèque étant absent, le chapitre
s'y rendit comme de coutume , et la bénédiction fut faite par
Tabbé officiant pontificalement. Au retour, l'abbé continuait à
présider la procession, mais Renaud de Chartres, doyen du
chapitre, prétendit que cette présidence lui appartenait, en l'ab-
sence de l'évèque, et fit tous ses efforts pour l'enlever à l'abbé.
La scène était moins qu'édifiante. L'année suivante, l'évèque
étant encore absent, le chapitre ne se rendit point à l'abbaye
(1) Bibiiotb. de M. Le Garon de Trousstures. — Mélanges. — Ghap. de
Beauv., p. 167.
DB l'aBBATB ROTALB DB SAINT-LUCIEN. 647
6t fût faire la bénédiction des rameaux dans une autre éfflise ,
afin d'éviter toute discussion. Robert d'Esquesnes considéra
cette dérogation à l'antique usage comme une injure et un pré-
judice à ses droits, intenta un procès au chapitre et porta ia
cause pardeyant le Parlement. Chacun se montrait chatouilleux
sur ses prérogatives et les défendait avec acharnement. Après de
longs débats, les parties pourtant transigèrent. On convint que
cette procession serait à l'avenir facultative, et que le chapitre
et les autres communautés de la ville ne seraient plus obligés
d'aller faire la bénédiction des rameaux à l'abbaye de Saint-
Lucien; mais on régla que s'ils y allaient, l'évéque absent, la
bénédiction serait faite par l'abbé, le doyen ou le président du
chapitre étant à droite. A la procession, ils marcheraient tous
les deux de front : Tabbé à droite, tant qu'ils seraient sur les
terres de l'abbaye, et le président du chapitre à son tour à
droite quand on en serait dehors. Pendant la vacance du siège
épiscopal, le chapitre et son président auraient la préséance
sur l'abbé. Cet accord fut homologué au Parlement, le
13marsli08(l).
Les abbés de ce temps n'étalent plus les humbles moines
d'autrefois, quoiqu'ils se qualifiassent A'humilis abbas dans les
actes publics, ce n'était plus cette simplicité religieuse des an-
ciens jours; fils de grande famille ia plupart du temps, ils ai-
maient la grandeur et le faste, et tenaient à faire respecter leurs
privilèges. Leur position à la tète d'une abbaye ordinairement
riche et puissante les mettait en relief et en faisait de grands
personnages, ils marchaient de pair avec les évèques et avaient
un certain train de maison. Leurs rapports avec les princes , la
noblesse et leur famille, leur en faisaient une nécessité. Aussi,
n'est-on pas étonné de voir dans les comptes du duc d'Orléans,
à la date du 7 novembre 1397, une gratification de 10 livres ac-
cordée, par les ordres du duo, à Jean de Gourville, fauconnier
de l'abbé de Saint-Lucten , pour le remercier de l'apport d'un
faucon dressé que lui avait envoyé Robert d'Esquesnes (î). Ce
détail fait voir que l'abbé avait un personnel de chasse.
(1) LOQVet : t. I , p. 397.
(-2) De Beauviller : docum. sur la Picardie , 1. 1 , p. 78.
548 HI6T0IEB
Robert d'Esquesnes mourut, selon toute apparence, le ai fé-
vrier 1413. Les auteurs du Gallia Christiana le font mourir le
24 février 1415, mais cette date nous parait plus que contestable,
attendu que nous trouvons son successeur, Pierre de Beauvoir,
signant comme abbé de Saint-Lucien, le 17 janvier 1414, au
procès-verbal de l'entrée solennelle de Vévêque Bernard de Ghe-
venon, dans sa ville de Beauvais (1), et Ton sait que Pierre de
Beauvoir ne fat élu abbé de Saint- Lucien qu'après la mort de
Robert d'Esquesnes.
X.IL1II. — r>lei?re V d.e Beaixvoix*
(1443-4443).
Pierre de Beauvoir était issu d'une noble famille de Picardie ,
qui donna un évèque à l'église d'Amiens. D. Porcheron pense
même que l'abbé de Saint- Lucien était l'oncle de ce Ferry de
Bea,uvoir , qui occupa le siège de Saint-Firmin de 1457 à 1472.
En prenant la direction de l'abbaye de Saint-Lucien , Pierre
de Beauvoir ne s'attendait probablement pas aux embarras que
les troubles civils allaient lui susciter. Les luttes intestines du
règne de Charles VI , l'invasion anglaise venant à l'aide du
duc de Bourgogne, contre son trop faible roi, ne purent passer
sans laisser des traces profondes dans l'administration des di-
verses institutions du Beauvaisis. Gomme bien d'autres établis-
sements, l'abbaye de Saint-Lucien eut ses fermes ravagées par
les troupes qui sillonnaient le pays, et ses finances en éprou-
vèrent un fâcheux contre-coup. Ses fermiers, ruinés par la
guerre, ne pouvaient plus payer leur fermage; les débiteurs cen-
sitaires n'étaient pas dans une meilleure condition ; presque tous
les revenus faisaient défaut à la fois. Si l'on joint à cela les
troupes qu'il fallait loger et héberger, et Dieu sait comment, on
pourra se faire une idée de la gène et de la pénurie dans laquelle
se trouva l'abbaye de Saint-Lucien. De généreuses et larges do-
nations auraient alors été bien utiles, mais la source en était
tarie; on n'en voit plus guère apparaître. En 1418, cependant ,
il) God. Hermant : Ei»U de Beawfois, 1. iz, cb. 8.
DB L'aBBATB BOTALB DB 8AllfT-LUGIBN. 549
un bon curé d'Abbecourt , nommé Andrieu Hérenart, « pour
« les grans biens que lui avoient et ont fait les religieux de
« l'église Saint- Lucien >» leur donna deux mines de terre au
territoire de Notre-Dame-du-Thil (1).
Que faisait Tabbé de Beauvoir, pendant ces troubles? Nous ne
le saurions dire. Nous aimons à croire qu'il veillait aux intérêts
de son monastère et qu'il s'occupait des moyens de pourvoir
aux besoins de sa communauté, comme ledit M. Delettre (i},
mais ce devait être de loin. Il fut en effet longtemps absent de
son abbaye. Ainsi, il n'y résidait pas le 22 mai 1420, quand
le prieur du couvent était obligé d'assister, à sa place, à l'as-
semblée synodale tenue à Beauvais. Il n'y était pas davantage,
en ii26, quand le roi donnait des pouvoirs au prieur Jean de
Sarcus pour administrer spirituellement et temporellement l'ab-
baye de Saint-Lucien (3), ni le 2i décembre ii28 , lorsqu'il rem-
plissait une mission que Guillaume de Montjoie, évèque de Be^
ziers, lui avait donnée pour signifier au comte de Foix, de la part
du roi, qu'il eût à faire cesser des entreprises préjudiciables aux
intérêts de l'église de Béziers. Il faut croire que Pierre de Beau-
voir ne manquait pas de talents pour être chargé d'une mission
aussi délicate, et Tévêque de Béziers devait l'avoir en singulière
estime.
Pendant que la ville de Beauvais faisait tous ses efforts pour
réparer ses fortifications, les religieux de Saint- Lucien es-
sayaient aussi de se mettre à l'abri des attaques des coureurs
armés qui ravageaient les campagnes. Des murs de défense
furent construits autour de l'enclos , avec des tourelles qui les
commandaient. L'une d'elles, plus importante que les autres,
armait l'angle sud-est. Elle montre encore aujourd'hui ses fortes
assises , et son aspect monumental et grandiose inspire le res-
pect.
On a dit que Jeanne d'Arc, prisonnière des Anglais, fut dé-
tenue dans cetle tour, pendant une nuit, durant son trajet de
Compiègne à Rouen. Cette assertion nous parait trop gratuite
(1) Arch. de roise , série H : abbaye de Saint-Lucien.
(2) Delettre : Hist. du dioe, de Beauoaiis, t. ii , p. 55?.
(3) GaU. Christ, t ix.
550 ttistOlM
et 8i peu vraisemblable , que nous ne saurions y ajouter fol.
Beautais tenait alors pour le roi Charles VII , et se montrait si
hostile aux Anglais , que Pierre Gauchon , son évèque et leur
partisan , avait été contraint de quitter la ville. Comprend-on
que les Anglais fussent venus enfermer une prisonnière aussi
importante aux portes d'une ville ennemie, où commandaient
des hommes qui cherchaient toutes les occasions de leur courir
sus , tels que le comte de Clermont et l'intrépide Louis de Vau-
court. Ce n'est pas probable et ce ne put être possible. L'histoire
dit, du reste, que l'héroïque pucelle fut conduite de Compiègne
au château de Beaulieu, d'où elle fût dirigée sur Beaurevoir et
Rouen.
Pierre de Beauvoir ne resta pas toujours absent de son mo-
nastère , la gravité des circonstances l'avait rappelé auprès de
son troupeau. Il n'avait pas cru convenable d'en rester éloigné,
lorsque la guerre était à ses portes. Il y était de retour en 1432 ,
quand le nouvel évèque de Beauvais, Jean Juvénal des Ursins,
le choisit pour son procureur, tant au spirituel qu'au temporel,
et le délégua, pour aller notifier au chapitre les bulles pontifi-
cales, qui le nommaient au siège de Beauvais, et pour prendre
possession en son nom. Les vénérables chanoines étaient heureux
de voir Pierre Cauchon dépossédé de son évèché et un succes-
seur lui arriver; cela ne les empêcha pourtant pas d'opposer cer-
taines difficultés au procureur du nouvel évèque. Peut-être ap-
préhendaient-ils que l'abbé de Saint- Lucien ne s'attribuât, dans
la suite, le privilège de représenter les évêques en leur prise de
possession, ou avaient-ils d'autres mobiles de leur conduite;
l'histoire ne le dit pas , ce que l'on sait, c'est qu'ils firent quel-
ques difficultés. L'abbé, fondé de pouvoirs, était expert en né-
gociation et triompha, sans beaucoup de peine, des scrupules
qu'il rencontrait.
A l'entrée solennelle du nouveau prélat dans sa ville épisco-
pale, le 21 octobre 1432, Pierre de Beauvoir l'assistait, et ce ftit
lui qui rappela le maire, Jean d'Auchy, au respect des anciennes
traditions, alors qu'il s'en écartait pour la prestation du ser-
ment d'obéissance.
L'abbé de Saint-Lucien était un homme considérable, et il fut
plus d'une fois mandé aux assemblées générales de la ville.
Ainsi il donnait son avis à l'assemblée tenue au cimetière de
DE l'aBBAYB ROTAUB DE SAINT-LUCIEN. 55|
Saint-Etienne, le il mai 1433, pour Télection d'un capitaine de
la ville, et contribuait à faire nommer M. de Moustier-Aulet (l).
Tout le monde se prêtait pour résister aux continuelles agres-
sions des Anglais, et il le fallait aussi, en présence des nom«-
breuses embûches qu'ils dressaient pour surprendre la ville. On
s'environnait de mille précautions : tous les jours les abbayes
de Saint-Lucien, de Saint-Quentin et de Saint-Symphorien ,
étaient visitées par une patrouille avant que Von ouvrit les
portes de la cité. On était toujours en alerte, escarmouchant
sans cesse, mais préservant la ville de toute surprise.
Dans le monastère de Saint-Lucien, la vie régulière en était
inévitablement troublée; les moines faisaient le guet et parfois
même combattaient pour protéger leur établissement. Ils eurent
beaucoup à souffrir, pas autant pourtant que bien d'autres ab*
bayes; les rôdeurs et les gens armés n'osaient pas toujours s'ap<»
procher aussi près de la garnison beauvaisine, et ce fut leur
sauvegarde.
Les habitants du village de Notre- Dame-du-Thil désertaient
leurs habitations pour se retirer à l'abri des murailles de la
ville et y emportaient leurs récoltes. Diverses permissions de
vendanger, accordées par l'abbé de Saint-Lucien en 1431, 1433,
mentionnent que les vignerons pourront emporter dans la ville
le produit de leur vendange, à cause de la crainte des gens de
guerre (2).
Pierre de Beauvoir ne devait pas voir la fin de ces troubles;
il mourut le 15 décembre 1443.
XI^III. — Fiaoïxl <ie Vlllex*s-Salxit-Patil
(1444-1467).
Quelques auteurs ont donné pour successeur à Pierre de Beau-
voir, un fils de Philippe de Corbie , écuyer, seigneur de Mareuil ,
nommé aussi Philippe. Le P. Anselme (3) et André Duchesne (4)
1) Doyen : Bisi. de Beauvais, t. i , p. 73.
(2) Arch. de TOise : invent, de 1669, p. 23.
(3) Hist. des grands officiers de la couronne , art. Corbie.
(4) Hist. des grands chanceliers.
55S HISTOIBI
faisant la généalogie de ce seigneur, qualifient Philippe, son se-
cond fils, abbé de Saint-Lucien, chantre et chanoine de l'église
de Beauvais. Cette assertion nous parait bien hasardée; nous ne
savons sur quoi l'appuient ces savants auteurs; mais nous ne
croyons pas qu'on puisse l'admettre. D'abord , il ne s'est pas
écoulé, entre la mort de Pierre (15 décembre 1443) et la prise
de possession de Raoul de Villers-Saint-Paul (2 février 1444) un
espace de temps suffisant pour y placer l'abbatiat d'un person-
nage quelconque. L'obtention des bulles pontificales aurait seule
demandé tout ce temps. En outre, il nous semble invraisemblable
qu'un chanoine de Beauvais, un ecclésiastique séculier, ait pu
se faire nommer abbé d'une communauté régulière. Les abus
de la commende n'étaient pas encore introduits, et l'abbé ne
pouvait encore être qu'un moine régulier. Ce n'était pas le cas
de Philippe de Corbie qui était clerc séculier. Il est possible que
cet ecclésiastique ait voulu profiter des troubles des temps pour
se faire élever à cette dignité. Pour s'attirer les voix des reli-
gieux, peut-être encore aura-t-il manifesté l'intention de prendre
l'habit et fait valoir, auprès d'eux, l'influence de sa famille à la
cour. Peut-être même aura-t-il réussi à se faire élire; c'était un
ecclésiastique capable d'employer ces moyens pour parvenir. Il
reste sur lui des documents qui le laisseraient croire assez faci-
lement. Un fait pourtant nous parait indubitable, c'est qu'il n'a
pas été confirmé dans ce poste, s'il avait réussi à l'obtenir. Les
registres du chapitre de Beauvais nous le montrent encore cha-
noine en 1471, et suspendu à divinis à cause de ses mauvais
déportements et des dettes qu'il faisait par la ville (1). Du reste,
à la date du 27 janvier 1444, les registres capitulaires du mo-
nastère désignent comme abbé Raoul de Villers-Saint-Paul.
Le nouvel abbé était le troisième fils de Guillaume de Villers-
Saint-Paul, chevalier, seigneur de Villers-Saint-Paul , Montigny,
Rieux, Verderonne, La Bruyère, Rozoy et Liancourt en partie ,
sa mère était Marguerite, d'autres disent Marie de Mailly, dame
de Dommart. Sa famille , l'une des plus illustres du comté de
Clermont, jouissait alors d'une très-haute considération à la
cour et dans le pays. Ses armoiries étaient : émargent, à la bande
(1} Reg. da cbap. p. 357 (BibL de M. Le Caron de Troussures).
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 558
de sable chargée de trois fleurs de lys d*or. On les voyait sur plu-
sieurs monuments de l'abbaye de Sainl-Lucien, construits ou
réparés par Raoul et Jean de Villers-Saint-Paul (1).
Raoul de Yillers-Saint-Paul prit possession de sa charge le
2 février 1444. On pense qu'il avait été précédemment moine de
Tabbaye de Corbie, d'où il était venu à celle de Saint-Lucien.
Quoi qu'il en soit, son passage à Saint-Lucien fut marqué par
une administration sage et réparatrice. Il profita de l'apaise-
ment des troubles produit par la trêve conclue entre la France
et l'Angleterre , pour réorganiser les finances de son monastère
et rétablir dans sa communauté la régularité un instant com-
promise. Possesseur lui-même d'une grande fortune du chef de
sa famille, il s'en servit largement pour améliorer la situation
de ses moines, doter l'église de riches ornements, et faire de
nombreuses réparations à ses édifices. A l'église, outre des or-
nements en drap d'or et velours de soie, il donna deux grands
bassins en argent massif avec burettes semblables, et fit cons-
truire de magnifiques orgues pour relever l'éclat des solennités .
Raoul savait se montrer généreux quand il prenait sur ses
deniers particuliers et sa libéralité s'étendait à tout et sur tout :
quand il s'agissait des biens ou des intérêts de son monastère ,
ce n'était plus le même homme. Sa charge lui faisait un devoir
de les sauvegarder et de les administrer sagement, et il y tenait
la main parfois même avec une vigueur qui contrastait avec son
caractère. La maintenue des droits surtout le trouvait inflexible.
Ainsi, il oblige un Jean Fournier, habitant de Notre- Dame-du-
Thil, à reconnaître par écrit qu'il doit payer la dlme des mouches
à miel, enUI9(â). Ailleurs, enU45, il force le seigneur de Moucby
à déclarer, aussi par écrit, que la permission à lui donnée de
suspendre une enseigne, dans Saint-Félix, pour le paiement de
certains droits dûs par les passants, ne pouvait lui conférer au-
cun droit sur la localité (3). En i452, il obtient une sentence du
bailli de Senlis constatant que les habitants de Saint-Félix ne
wmm
(1) D. Porcberon , c. 43.
(2) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
(3) Ibidmn.
654 HISTOIBS
peuvent vendanger leurs vignes, quoiqu'ils prétendent , sans en
avoir obtenu de lui la permission, comme représentant son
abbaye, seigneur du lieu. Cependant, après avoir sauvegardé le
droit de son monastère, Raoul de Yillers, condescendant en
cette occasion aux besoins de ses tenanciers, leur accorde la per-
mission de cueilliri sans demander d'autorisation, le raisin qui
serait mûr à la saint Félix a pour faire du moût , dit-il, pour don-
ner à ceux qui les viendront visiter le jour de leur fête (i). v
£n i4S8, il acquiert de Jean Le Tuilller deux arpents et demi
de vignes, au Mont de Villers-les-Saint-Lucien.
£n 4459 , il transige avec le curé de Gampremy, et fixe la déli-
mitation de leur dlmage respectif sur les terres du lieu.
Il repousse les prétentions du chapitre de Beauvais, au sujet de
diverses dîmes à Froissy, et obtient une sentence, en i46i, et
la reconnaissance du droit de son monastère.
L'an 1462 voit une discussion entre lui et les religieux de Beau-
pré, à l'occasion des droits et redevances grevant le clos prûlé, sis
à Saint-Lucien. Les moines de Beaupré demandent à transiger,
et Ton convient qu'ils paieront annuellement dix sols quatre
deniers parisis pour ladite terre , et la dlme d'une pièce adja-
cente.
£n 1463, il acquiert, par échange, toutes les terres que Jean
de Pisseleu, chevalier, seigneur de Fontaine- Lavaganne, possé-
dait à Roy-Boissy, et lui cède, en contre échange, tout ce que
son abbaye avait au territoire de Fontaine (â).
Quelques années auparavant, Raoul de Villers avait vu s'ac-
complir, dans son monastère, une touchante cérémonie. Le
i^ mai 1459, l'évèque de Beauvais, Guillaume de Hellande,
était venu processionnellement avec le corps de ville , le clergé
et les habitants de la cité, pour implorer saint Lucien et lui de-
mander la cessation de l'épidémie meurtrière qui décimait la
population. A cette occasion , l'évèque fit l'ouverture de la petite
châsse de saint Lucien , où se trouvait le chef du saint martyr
enfermé dans un globe de vermeil , en tira cette relique insigne
et l'exposa à la vénération des fidèles. Elle resta ainsi exposée
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lacien.
(9j Ihidem.
DE l'abbaye ROTAU DE SAINT-LUCIEN. S55
jusqu'au 27 du même mois , et le peuple s'y pressait tous les
jours, demandant avec instance la fin du fléau. Une décroissance
notable s'étant fait sentir dans la mortalité, Tévéque s'y rendit
encore le 27 pour remercier le saint martyr et replacer son chef
dans la chasse qui l'attendait. Une noble et nombreuse assis-
tance accompagnait le prélat. On y remarquait Roger de Hel-
lande, frère de Tévèque; le baron de Clerc, son neveu; Renaud-
du Quesnel, Florimond de Villers, frère de l'abbé.
Guillaume de Hellando afTectîonnalt l'abbaye de Saint- Lucien;
il l'inscrivit pour une somme de trois livres dans son testament
et demanda que ses religieux assistassent à ses funérailles.
Le i2 avril 1465, Raoul de Villers prêtait serment de fidélité
tu roi. Il était bien en retard dans l'accomplissement de ce de-
voir. Déjà il avait obtenu des lettres de répit en i4S0, et il ne
s'était pas hM de remplir cette obligation envers Charles VII^
Mais si Charles Vil avait usé de modération , Louis XI était trop
soupçonneux pour ne pas tenir à cette garantie de la fidélité de
l'un de ses sujets , et l'abbé de Saint-Luden dut s'y soumettre.
Raoul de Villers mourut au mois de mai de Tan i467.
XLLIV. — Jean V de Villers-Salnt-I^àril
(4467-U92),
Jean de Villers-Saint-Paul recueillit la succession do son oncle
Raoul. Il était fils de Jean de Villers-Saint*Paul , chevalier, sei-
gneur de Villers-Saint-Paul , Verderonne , La Bruyère et autres
lieux , et de Marie de Mailly. 11 avait fait profession dans l'abbaye
de Saint- Vaast d'Arras , et y avait vécu quelque temps. Nommé
abbé de Saint-Lucien, il en prit résolument en main l'adminis-
tration, et travailla de toutes ses forces à marcher sur les traces
de son oncle.
Le 14 mars 1468, nous le trouvons à l'assemblée du clergé du
diocèse de Beauvais, réunie en la salle du chapitre, et donnant sa
voix à Thibault de Caigneux, chanoine, pour aller représenter
le clergé aux Etats-Généraux convoqués en la ville de Tours (1).
(1) 6. Hennant; 1. x, Ci 9.
556 HISTOIRE
L'année suivante, le 26 juillet 1469, il assiste, avec les abbés
de Saint-Germer, de Saint-Symphorien el de Saint-Quentin , à la
solennelle translation des reliques de saint Evrost, conservées
dans l'église cathédrale.
En 1470, nous le voyons défendre les intérêts de son abbaye;
il obtient une sentence la maintenant dans l'exercice du droit
• de haute justice sur ses terres de Juvignies, et fait passer titre
nouvel, à Colin et Pierre Duclos, de Beauvais, d'une rente de
deux écus d'or constituée sur une maison sise en la rue du
Cellier-Saint-Ladre (1).
Des jours mauvais allaient venir pour lui et pour son établis-
sement. Le 27 juin 1472, Tavant-garde de l'armée du duc de
Bourgogne, commandée par Philippe de Crèvecœur, maréchal
des Querdes, arrivait sous les murs de Beauvais et tentait de
s'en emparer par la force. La cité, fidèle à son roi, soutint bra-
vement l'attaque et refusa d'ouvrir ses portes. Le duc , exaspéré
d'une résistance à laquelle il était loin de s'attendre , s'avança
avec toute son armée, bien résolu d'emporter la place d'assaut.
Il jette toutes ses troupes dans le village de Marissel, dans les
faubourgs de Saint- Lucien et de Saint-Quentin, et fait attaquer
la ville sur trois points à la fols : par la porte Limaçon , par la
porte de l'Hôtel-Dieu et par celle de Bresles. De furieux assauts
sont livrés, mais inutilement : les Beauvaisins se défendent hé-
roïquement.
Obligé de camper, pour continuer le siège , le duc de Bour-
gogne cherche un poste sûr, pour établir son quartier-général.
L'abbayé de Saint-Lucien semble lui présenter ces avantages,
et il s'y présente avec une forte escorte, persuadé que les
moines n'oseront lui faire une sérieuse résistance. Il se trom-
pait. La défense, là aussi, était organisée par un valeureux
chevalier, frère de l'abbé , par Florimond de Villers-Saint-Paul,
et les portes restèrent obstinément fermées. Le duc, furieux, en
ordonna l'attaque. Les portes et les murs étaient solides , et il
combattit tout un jour sans pouvoir s'en emparer. Les moines,
avec leurs domestiques et quelques tenanciers , commandés par
Tabbé et son frère, faisaient des prodiges de bravoure. La lutte
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
DE L'ABBAYB royale DE SAINT-LUCIEN. 557
aurait encore duré quelque temps , si Florimond de Villers n'é-
tait tombé grièvement blessé en défendant la porte principale.
Les moines, déconcertés, mais non abattus, voulaient conti-
nuer la résistance. Le blessé leur conseilla de demander à traiter.
Le duc, ignorant la blessure du chef, et heureux d'en finir à si
bon compte, se montra conciliant. Il leur accorda la vie sauve
et promit de respecter tout ce qui était dans le monastère , à
condition qu'on le laisserait s'y établir commodément avec ses
officiers. On se résigna à subir ce que l'on ne pouvait plus em-
pêcher.
Le siège de la ville cependant continuait avec des phases di-
verses. Les ruines s'accumulaient : le faubourg de Saint-Quentin
avec une partie de l'abbaye et l'église Saint-Hippolyte étaient
incendiés, la porte de Bresles brûlait, les remparts étaient for-
tement endommagés, et la ville tenait toujours. L'héroïsme des
hommes, l'intrépidité des femmes, l'acte courageux d'une
humble fille du peuple, de Jeanne Laine, dite plus tard Jeanne-
Hachette, et des secours arrivant à propos, sauvèrent la place.
Après vingt-cinq jours d'un siège opiniâtre, le duc de Bourgogne
avait perdu 30,000 hommes de ses meilleures troupes et n'avait
plus l'espoir de prendre Beauvais; son armée se démoralisait.
Le 22 juillet, au matin, ses soldats avaient levé le camp et s'a-
cheminaient vers la Normandie; le duc les suivait honteux de
son insuccès. Beauvais se réjouissait, fière de sa bravoure et
ivre de sa victoire. Nous laissons aux historiens de la cité le
soin de raconter les différentes péripéties de ce siège mémo-
rable (1).
L'abbaye de Saint-Lucien pouvait bien se réjouir aussi du dé-
part de l'ennemi \ son séjour dans le monastère n'avait pas été
sans déprédations. Le duc avait fait respecter les constructions
et les religieux, mais le mobilier avait souffert et les soldats y
avaient vécu à peu près en pays conquis. L'abbé eut donc de
nombreuses réparations à faire après leur départ : c'était quelque
chose, et ce ne fut pourtant pas encore sa plus grande peine.
La plus pénible fut la perte de son vaillant frère. Florimond de
(1) Gonsolter G. Hermant, 1. x, c. il, 12, 13, U, 15. — Delettre, t. itt,
p. 68-81. — Doyen, t. i, p. 94-110. — Discours du siège de Beauvais
T. VIII. 87
558 HISTOIRE
Yillers mourut quelque temps après des suites de la blessure
qu'il avait reçue en défendant Tabbaye. Ce fut un deuil général
dans la communauté , et on tint à lui rendre les bonneurs funè*
bres de la manière la plus solennelle. Son corps fut déposé dans
l'église du monastère, et inhumé dans Faile à droite du chœur,
près de la sacristie. L'abbé, son frère ^ lui fit élever un superbe
mausolée; ce tombeau est en pierre. Sous une splendide double
arcature ogivale, surmontée d'une espèce de triforium aveuglé,
repose, couchée, la statue du chevalier. Il est représenté armé
de toutes pièces, à l'exception du casque, portant une chaîne au
cou et ses armoiries sur la cuirasse. Au-dessous, sur la façade
formant soubassement, sont sculptés quatre animaux fantas-
tiques représentant les emblèmes des quatre évangélistes , et
chacun d'eux porte suspendu au cou, par une chaîne, un écusson
reproduisant les armoiries du chevalier et celles des alliances
de sa famille. Le premier écu de droite est blasonné d'argent à
la bande de sable, chargée de trois fleurs de lys d'or, ce sont les
armes de \illers- Saint-Paul. Les deux écus du milieu portent les
armes de Mailly, de la famille de la mère du défunt : d^or, à trois
maillets de gueulles, et le quatrième : d'azur au chevron d'or,
accompagné de trois mer/ettes de sable posées deux et un,
Florimond de Villers, avant de mourir, avait légué cent écus
d'or au monastère pour faire chanter tous les ans, le 9 mai, un
service solennel pour le repos de son âme et dire tous les jours
un Deprofundis sur sa tombe. Cette somme n'ayant point paru
suffisante à ses deux frères pour l'acquit de la charge, Jean de
Villers-Saint-Paul, seigneur deVerderonne, son frère aîné et son
exécuteur testamentaire, constitua en place une rente de 8 livres
pariais, qu'il servit quelque temps. Il la remboursa vers ii87, et
l'abbé Jean de Villers, pour assurer le service de la fondation,
acquit, avec l'argent en provenant, trois fiefs à Monlaubert,
paroisse de Thérlnes , de Robert de Bonneval , Robert Macquerez
et Jean Le Forestier (i).
De son côté, l'abbé faisait d'abondantes largesses à son monas-
tère, grâce au riche patrimoine dont 11 disposait. Ainsi, il lui fit
don d'une croix de procession en argent, de deux encensoirs, de
(1) Hss. du cabinet de M. le comte de Merlemont.
TOMBEAU DU CHEVALIER FLORIMOND DEVILLERS S'' PAUL
dans l'aile adroite du chœur dans lëdise de l'abbaye de SainL Lucien
DE L ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 559
chandeliers et d'autres Yases sacrés de même métal. <« En 1480,
dit Tannaliste du monastère, il lit faire la grosse cloche et celle
qu'on nomme le petit moineau. » Ce fut aussi lui qui rétahlit le
chapitre, le grand cloître et le Yaste bâtiment du bout du cloî-
tre (1). Ses armes s'y Yoyaient partout sculptée^ dans la pierre,
aux clefs de Yoûte et au-dessus des portes.
En i476, il traite aYec le chapitre de BeauYais, qui reprenait
l'ancien usage interrompu par les guerres d'aller en procession
de la cathédrale au monastère, et reconnaît qu'il doit lui payer
20 sols , toutes les fois qu'il y Yiendra.
En 1177, Jean de Yillers poursuit en justice Jean Clément, dit
SauYage, écuyer, seigneur du Yault, pour obtenir le paiement de
seize années d'arrérages d'une rente sur sa terre du Vault. Cette
redcYance consistait en l'apport d'un cierge de cire pesant quatre
liYres, qui devait être fourni le dernier dimanche d'avril « pour
« ardoir la nuyt et le jour de Monseigneur saint Lucien, qui est
a soUempnisé par chacun an le premier jour de may (2). » Elle
avait été constituée, en i2i0, par Vitassedu Vault.
Il renouvelle, en 1478, la transaction jadis conclue avec l'é-
Yèque de Beau vais, et par laquelle , moyennant âo livres de cens
annuel et la cession des droits de justice de Catenoy, l'abbaye
jouira en toute justice de la rivière du Thérain, depuis le moulin
de Miauroy jusqu'au pont de Saint-Quentin, avec le droit de
pèche jusqu'au moulin à tan, près des murs de la ville (3).
En 1480, l'abbé de Saint-Lucien est délégué par le légat du
pape pour traiter de la réunion de l'Hôpital de Saint-Thomas
des Pauvres-Clercs à la prébende des enfants de chœur de la
cathédrale.
Cet établissement, fondé dans la ville de Beauvais, en 1189,
pour donner l'hospitalité à tous les pauvres prêtres et clercs qui
passeraient, et les soigner jusqu'à parfaite guérison , s'ils étaient
malades, avait été donné, en 1383, àl'abbaye de Saint- Simphorien
pour en surveiller l'administration. Cette charge pesant au mo-
(1) D. Porcheron , ch» 44.
(2; Arch. de i*Oise : H. abb. de Saint-Lucien.
(3) Ibidmn.
560 HISTOIRE
nastère,on proposa de supprimer l'institution et d'en réunir
les revenus à la prébende des enfants de chœur du chapitre
cathedra!, qui se chargerait des obligations. Jean de Villers exa-
mina les avantages et les inconvénients du nouvel état de choses,
et se prononça en faveur de la réunion, qui eut lieu (1).
Pour obéir à un édît du roi Louis XI , l'abbé flt remettre aux
mains de ses officiers, en 1481, la déclaration ou dénombrement
de tous les flefs ou propriétés du monastère , situés dans Té-
tendue de la province ecclésiastique de Reims , avec l'état de
toutes les acquisitions faites depuis soixante ans dans la même
province (2).
Jean de Villers, poursuivant la défense des intérêts de son
abbaye, obtient, en 1482, la reconnaissance par les officiers
du bailliage de Montdidier, de la haute, moyenne et basse jus-
tice de Thieux, comme lui appartenant toute entière; — une
sentence du bailli d'Eu , qui adjuge à son prieuré de La Chaus-
sée-d'Eu les deux tiers des dîmes de la paroisse de Saint-Mar-
tin de Mers, avec les deux tiers de la cire offerte dans cette
église le jour de la Purification de la Vierge; — en 148!$, une
sentence du prévôt de Paris, condamnant les habitants de Ver-
derel à payer un muld de blé de rente dû à raison de la voirie
du lieu, qui appartenait à l'abbaye. Cette redevance pesait beau-
coup , paratt-il , sur les habitants , car nous les voyons sans cesse
faire des difficultés pour la payer, et la justice fut plus d'une
fois forcée d'intervenir pour les contraindre à le faire, témoins
les sentences de 1540 , 1587 et 1603.
Le 20 mars 148G (1487, p. s.), l'abbé de Saint-Lucien, faisant
échange avec l'abbé de Lannoy, lui cédait treize muids sept
mines de grains de redevance annuelle, qu'il avait droit de
prendre sur sa grange d'Ëcorchevache {Escorchevaqué) contre
les grosses dîmes de Boy-Boissy et du Mesnil , dix mines de pré
à Miauroy, et une masure et lieu nommés l'hôtel de Lannoy, sis
en la paroisse de Notre-Dame-du-Thil, « près du hos de Brullet, »
(1) LoQV. : Hist. de Beauv., 1. 1 , p. 555. — Arch. de l'Oise : 6. chapitre
catb.
i2) Arch. de l'Oise : abb. de Salnt-Lacian.
DB L'ABBAYK ROYALB DB SAINT-LUCIEN. 561
avec toutes les terres , vignes, bois et jardins appartenant à Tal)-
baye de Lannoy, sis au même lieu (1).
En 1489, il rachète, de Pierre de Pisseleu, une rente annuelle
de sept quartiers de blé , que ce chevalier percevait sur la grange
de l'abbaye , sise à CouUemogne.
L'abbé de Saint-Lucien et son monastère n'étaient pas sans
prendre part aux événements et aux affaires qui se déroulaient
autour d'eux. Nous avons dit ce qu'ils ont fait, et soufTert pen-
dant le mémorable siège de Beauvais de 1472. En 1478, sur la
réquisition des maire et pairs de la ville, ils contribuent lar-
gement à la réparation des fortifications endommagées par le
siège. Plus tard, en 1488, ils se mêlent ardemment aux débats
et aux troubles qui accompagnent l'élection du successeur de
l'évêque Jean de Bar. Ils se prononcent ouvertement pour An-
toine Du Bois, le candidat patrôné par le roi et la cour de Rome,
contre Louis de Villiers de l'Ile-Adam , l'élu de la majorité du
chapitre. Antoine Du Bois était le neveu de Philippe de Grève-
cœur, maréchal des Querdes, et les Beauvaisins n'avaient pas
encore oublié les terribles assauts, que cet illustre homme
d'armes avait livrés à leur ville en 1472. Il est vrai qu'il avait
abandonné le parti des Bourguignons et qu'il était alors un des
plus fermes soutiens de la couronne de France; mais cela n'em-
pêchait pas les Beauvaisins de conserver une certaine rancune
contre l'oncle; et le neveu s'en ressentait. D*un autre côté, la ma-
nière dont il se présentait indisposait le chapitre. Du Bois vou-
lait s'imposer en quelque sorte par la violence , en se servant
des bulles de nomination qu'il avait déjà obtenues du pape et de
la faveur du roi, pour forcer l'élection, et le chapitre réagissait
contre cette pression avec d'autant plus de fermeté qu'il voyait
sa liberté et ses droits compromis, et donnait ses voix à un autre
compétiteur, à Louis de Villiers.
Le roi, vexé de la résistance du chapitre, mit Antoine Du Bois
en possession du temporel de l'évêché, et celui-ci s'empara aussi-
tôt de l'administration diocésaine. Gomme il n'avait que dix-sept
ans. Du Bois prit pour son vicaire-général un homme d'ftge et
d'expérience dont il connaissait le dévouement, il choisit Jean de
(1) Arch. de l'Oise : Abb. de Saint-Lucien.
5M HISTOIIB
Villen-Saint-PaDl, l'abbé de Saint-Lucien. Sontenn et encouragé
par ce granâ-ticaire, il se croyait en droit d'eiercer la jnridic-
tioD spirituelle , et se mit à faire des nominations aux bénéfices
vacants. Le chapitre résista et défendit de loi obéir sons peine
d'excommunication; en même temps, il fit administrer le
diocèse par des Ticaires-généranx capitnlaires, en attendant la
confirmation de l'élection de Louis de Villiers. Mais un jour que
leurs commissaires voulurent faire la visite canonique de l'ab-
baye de Saint-Lucien, l'abbé Jean de Villers leur en refusa l'en-
trée. On devait s'y attendre de la part du vicaire-général de celui
qui se regardait comme l'évèque véritable de par le pape et de
par le roi. Le chapitre avait aussi agi de la sorte pour narguer
l'abbé, et il répondit à son refus en l'excommuniant. Ces pro-
cédés n'étaient guère propres à calmer les esprits, ni à terminer
le différend. La lutte durait depuis quatre ans, quand le plus
ferme appui d'Antoine Du Bois , Jean de Villers mourut subite-
ment le 17 juin 1492. Le chapitre aussitôt signifia aux reh'gieux
qu'ils eussent à lui refuser la sépulture ecclésiastique, attendu
qu'il était excommunié. On redoutait tant les censures, à cette
époque, que les religieux n'osèrent passer outre. Le 20 juin, le
corps de l'abbé n'était pas encore inhumé , quand Péronne de
Villers, sa sœur, et d'autres parents, déléguèrent Laurent Danse,
procureur db roi, Hugues de Lannoy et Jean Chastellain, notaires
apostoliques, par devers le chapitre pour obtenir l'absolution de
l'excommunication et la permission d'inhumer l'abbé en terre
sainte. Ils le demandèrent humblement, disent les registres du
chapitre, cités par God. Hermant (1), en considération « de sa
bonne vie précédente et des grandes marques de contrition
qu'il avoit données à la mort, n'ayant pu demander lui-même
d'être relevé de cette censure, parce qu'il avoit été prévenu par
une maladie si violente, qu'il n'en n'avait pas eu le temps. • Le
chapitre mit la demande en délibération et fut d'avis qu'on ac-
corderait l'absolution de la censure « aux larmes des parents de
l'abbé et aux marques de repentir qu'il avoit données en mou-
rant. » Mais pour prendre la revanche du refus d'entrée, qui avait
été fait auparavant, il délégua les deux chanoines qui avaient
(1) G. Hermant : Hist. de Beauv., I. x , eh. 33.
DE L*ABBATB ROTALB DE SAINT-LUOEN. 668
essuyé ce reftis , Gilles de Berthaucourt et Jean Bernard , pour
aller donner cette absolution dans Téglise de Tabbaye , et statua
qu'on la ferait notifier à tous les fidèles du diocèse par mande-
ment lu en chaire. Le chapitre triomphait sur un cercueil.
Jean de Vlllers put dès lors être inhumé; son corps fût placé
dans le chœur de Téglise de son abbaye, à droite, du côté de
répitre. Il reposait enfin en paix. Son successeur et son ami,
celui-là même, pour qui 11 avait tant lutté et s'était attiré tant
de désagréments, Antoine Du Bois, lui fit élever un magni-
fique mausolée. Ce mausolée , que nous reproduisons d'après
les dessins de Gaignières (Bibl. Bodl., à Oxford), le représente re-
vêtu des ornements pontificaux , mitre en tète et les pieds ap-
puyés sur un lion. Le tombeau était en pierre richement sculp-
tée, et s'élevait d'un mètre environ au-dessus du sol.
Jean de Viilers fut le dernier abbé régulier qui régit Saint- Lu-
cien ; après lui commença la triste postérité des abbés commen*^
dataires. On sait, à part quelques-uns, ce qu'ils valurent pour
les établissements qu'ils eurent à leur discrétion. Mettre trop
souvent le trouble dans les communautés, les exploiter à leur
profit, et absorber le plus clair de leurs revenus, c'est là ce
q l'ils surent le mieux faire. On peut bien dire aussi qu'avec eux
commença la décadence la plus funeste pour les ordres religieux.
Nous allons voir, du reste, ce que fut leur administration à
Saint-Lucien, et il sera facile de se convaincre qu'ils n'y appor-
tèrent pas la régénération religieuse, qui pourtant était si néces-
saire. Les troubles civils et les guerres avaient relâché tous les
liens de la vie régulière, et c'étaient d'austères réformateurs
plutôt que des abbés commendataires qu'il aurait alors fallu » et
ces réformateurs ne vinrent que bien plus tard.
ABBÉS COMMENDATAIRES.
I. — Antoine Dix Bois (U92-1637].
La mort de Jean de Yillers n'avait pas mis fin à la lutte
engagée au sujet du siège éplscopal de Beauvais. Les deux
compétiteurs continuaient de défendre leurs intérêts et faisaient
tous leurs efforts pour s'implanter définitivement au détriment
564 HISTOIRE
Tun de l'autre. Le pape et le roi protégeaient toujours Antoine
Du Bois, et Innocent YTII, pour lui témoigner sa bienveillance,
le pourvut de l'abbaye de Saint-Lucien, devenue vacante par la
mort de Jean de Villers. La bulle de provision est du vu des ides
de juillet (9 juillet) 4492. Ce fut un des derniers actes de ce pon-
tife, qui mourut le 25 juillet suivant. Si l'évècbé échappait, l'ab-
baye du moins resterait, c'était la pensée de Du Bois et de ses
protecteurs.
Le nouvel abbé de Saint-Lucien arrivait à la tète de son monas-
tère d'une manière assez peu régulière. Il n'était pas religieux et
n'avait pas l'intention d'en prendre l'babit, et de plus et surtout,
il y entrait par une autre voie que par l'élection. On l'avait
imposé à la communauté, sans la consulter, on avait spolié les
religieux du plus sacré de leurs droits, et de celui auquel ils
tenaient le plus. On ne leur laissait pas le droit de disposer
d'eux-mêmes, ni la liberté de se donner le supérieur qui devait
leur commander et les diriger, et dans les mains duquel ils
devaient remettre tous leurs intérêts , aussi bien ceux de leur
conscience, que ceux du temporel de leur établissement. L'ab-
baye était donnée en commende. La vieille règle canonique de
l'élection était supprimée. Celui qui la supprimait était, il est
vrai, le supérieur ecclésiastique et hiérarchique, et il en avait le
droit; mais n'était-ce pas une faute? Ce que le pape faisait, les
rois allaient vouloir le faire, comme supérieurs immédiats du
temporel. Que dis-je? Ce n'était déjà plus à faire. Tous les jours
les rois, en s'immisçant dans les élections monastiques, ne ten-
daient-ils pas à ce but, à substituer leur volonté à celle des reli-
gieux? Le temps n'était plus loin où les papes, après avoir en-
levé à leur profit la nomination des abbés aux communautés
religieuses, seraient obligés de la céder aux rois et de ne con-
server que l'institution canonique. François !«<' n'allait pas tarder
à traiter ce sujet avec Léon X, et le concordat de i5l6 devait en
être le résultat. L'élection des supérieurs monastiques par les
religieux intéressés au choix serait abolie, et la nomination
des abbés dévolue au roi. Le nouvel état de choses ferait des
abbayes des sinécures destinées à récompenser les favoris des
rois. Si l'ancienne situation avait des inconvénients par les dis-
sensions intérieures qu'elle suscitait souvent dans les monas-
tères, la nouvelle devait produire des effets plus déplorables en-
DB L'aBBATK EOTAUE DE SAIlfT-LUCIEN. 565
core. Un antagonisme continuel allait s'établir entre les abbés
et les communautés, et une prompte désorganisation s'en suivre.
L'introduction des commendes fut le coup le plus terrible porté
à Texistence des institutions religieuses; elles ne s'en relevèrent
jamais.
Antoine Du Bois inaugurait, à Saint-Lucien, l'ère des abbés
commendataires, et son avènement cependant ne déplut pas aux
religieux. Il avait d'avance TafTection de ces bons moines; ils
s'étaient jadis compromis avec leur abbé, pour faire prévaloir sa
candidature à l'évèché de Beauvais, et ils le reçurent avec bon-
neur, lors de sa prise de possession. Il leur en sût aussi gré , et
toute sa vie, il tint à leur donner des marques de sa reconnais-
sance.
Le nouvel abbé n'avait que vingt et un ans , c'était bien jeune
pour prendre la direction d'un monastère comme celui de Saint-
Lucien; mais alors on n'y faisait plus attention. Ceux qui
devaient avoir le plus à cœur la régularité et la prospérité
des ordres religieux, les papes eux-mêmes se prêtaient à ce
désordre. Antoine Du Bois sentit du moins son insuffisance,
pour la direction spirituelle de la communauté, et il eut le bon
esprit de la confier au prieur claustral, religieux doué d'une
baute expérience. Ce religieux se nommait Nicole Le Caron, et
il dirigea le couvent pendant de longues années. L'abbé se
contenta d'administrer le temporel, c'était peut être ce qu'il
trouvait de plus intéressant, c'était du moins ce qu'il savait
être le plus lucratif. L'abbaye n'eut pas du reste à se plaindre
de son administration , car à peine y fut-il entré qu'il donna
tous ses soins à l'amélioration de ses édifices et de son mobi-
lier. Et pourtant il avait à songer à bien d'autres affaires , qui
devaient le préoccuper fortement. Il était déjà chanoine de la
Sainte Chapelle de Paris; mais ce bénéfice ne lui donnait guère
de soucis, il n'avait qu'à en percevoir les revenus. Il n'en était
pas de même de l'évèché de Beauvais , dont il avait été pourvu
quatre ans auparavant par lettres apostoliques , ainsi que nous
l'avons dit. La résistance du chapitre, loin de diminuer, ne fai-
sait qu'augmenter, et sa résolution de n'accepter pour évêque
que Louis deVilliers, le candidat élu par lui, s'accentuait si
bien , qu'Antoine Du Bois , malgré toutes ses tentatives et l'appui
du roi, dut un jour s'avouer vaincu, il essaya encore, pendant
ft66 RISTOIM
quelque temps de lutter; mais sa cause et les moyens , qu'il em«-
ploya pour la soutenir, tombèrent tellement en défaveur, que
le Parlement le repoussa définitivement, en 1497.
Il n'avait pas été plus heureux à Beziers. Cédant aux sollici-
tations de sa famille, le roi Charles YIII et le pape Innocent VIII
l'avaient nommé à lévèché de Beziers en 1490. Mais là, comme
à Beauvais, le chapitre, tenant à ses droits, avait élu en concur-
rence Pierre Javailhac, et le soutint si bien, qu'Antoine Du Bois
dut encore se retirer devant lui. Les sièges épiscopaux ne lui réus-
sissaient pas, et il fut contraint de se contenter de son cano-
nicat de la Sainte-Chapelle et de la commeude de Saint-Lucien.
Pourtant, à force d'adresse, il parvint à s'insinuer dans les
bonnes grâces de Pierre Javailhac , son compétiteur à Tévèché
de Beziers; il lui représenta le mécontentement du roi de le voir
préféré à un candidat de son choix, et parvint tellement à lui
faire craindre le ressentiment du monarque, que le trop timide
prélat consentit à abdiquer en sa faveur. Antoine Du Bois lui
promettait d'ailleurs de lui céder son canonicat de la Sainte*
Chapelle. Pierre Javailhac accepta l'échange : il fût reçu cha-
noine de la Sainte-Chapelle de Paris le 2 février 1503, et Antoine
Du Bois, au comble de ses vœux, put enfin être promu à un
siège épiscopal. Il ne put pas encore cependant s'en réjouir
tranquillement; le chapitre de Beziers le voyait arriver de mau-
vais œil, et lui suscita un nouveau compétiteur dans la personne
de Guy de Chateauneuf de Brétenous. Cette fois le succès fut
pour Du Bois : un arrêt du Parlement débouta son compétiteur,
en 1S06. Antoine Du Bois était enfin parvenu à être évèque in-
contesté et il le fut jusqu'à sa mort, jusqu'en 1537 (1).
Malgré tous les ennuis et les préoccupations causés par ces
différentes compétitions , Du Bois n'oubliait point son abbaye de
Saint^Lucien, si dévouée du reste à ses intérêts. Longtemps il
en fit sa demeure affectionnée et privilégiée > et il travaillait de
tout son pouvoir à l'embellir. Il en était à peine abbé depuis six
mois, que déjà il avait fait commencer le splendide jubé en bois
sculpté et ces admirables stalles aux scènes les plus fantastiques
et les plus variées, qui ont inspiré Callot dans sa tentation de
(1) GaU. Chriêt, t. vi, col. 364.
DK l'ABBAYB ROTALB DB SAIIfT-LUGIBlf. S67
saint Antoine, et qui semblent une yéritable débauche de la
sculpture sur bois dans ce qu'elle a de plus spirituel et de plus
sarcastique, en même temps que de plus finement travaillé. Nous
en donnons plus loin la description. Cette oeuvre, commencée
le 25 novembre 1402, ne ftit achevée qu'en Tan 1500; elle avait
demandé huit ans d'un travail assidu à d'habiles bahutiers;
ce fut aussi un chef-d'œuvre dont on regrettera toujours la dis-
parition. On peut en juger par une partie des stalles conservée
dans l'église collégiale de Saint-Denis, près Paris. Antoine Du
Bois fit en outre placer des vitraux peints, d'un excellent style,
dans l'église, restaurer et presque reconsstruire à neuf les bâti-
ments entre l'église et la tourelle dite de Luchy, pour servir
de logis abbatial, et construire le château de Saint-Félix pour
sa résidence de campagne (1).
Cet abbé, qu'on aurait pu surnommer le Magnifique^ avait fait
placer partout ses armoiries dans son monastère; on les voyait
au jubé, on les voyait aux vitraux; elles étaient aux fenêtres du
logis abbatial et en bien d'autres endroits. Elles portaient : d'ar-
gent au lion de sable ^ écartelé et contrécartelé d'or et de sable (2).
Il avait un sceau particulier pour l'expédition des affaires de
son abbaye; ce sceau différait de celui des abbés réguliers, en
ce que, au-dessous des effigies des saints martys Lucien, Maxien
et Julien , l'abbé avait fait graver un écusson portant ses armes.
Antoine Du Bois fit aussi don à la bibliothèque de son abbaye
d'un grand nombre de livres de droit reliés h ses armes (3). Il
comblait enHn sa communauté de ses libéralités. Devenu évèque
de Béziers, il ne cessa pas de s'intéresser à son monastère de
Saint-Lucien, de veiller sur lui ni de le protéger en toutes cir-
constances. Il se plaisait à y venir passer quelques semaines
tous les ans, au milieu de ces religieux qui l'affectionnaient sin-
gulièrement, et il voulut qu'après sa mort son cœur y fût rap*
porté.
(1) D. Percheron, c. 45.
(2) G est à tort que les frères de Sainte-Marthe les ont indiquées comme
portant : de gueules^ à troif chevrons d'or, le premier brisé d'un croissant
d'azur.
(3) D. Porcheron : c. 45.
568 HISTOIRE
Antoine Du Bois mourut le 17 avril 1537, et son cœur, suivant
le désir exprimé dans son testament, fût rapporté à Saint-
Lucien. Ses religieux le firent solennellement inhumer au côté
droit du grand autel de leur église et placèrent sur sa tombe un
marbre blanc, taillé en cœur, portant rinscription suivante :
Hac jacet in terrd lux magna et gloria mundi;
Pastor et insignis ccenobiarcha domus^
Nobilis ex génère, ae verus pietatis amator^
Doctrinâ clarus^ moribus^ atgue gravis^
Religionis honor^ summum patries decus et lau9,
Cœnobio nostro munera multa dédit,
Obiit anno MDXXXVii.
Par une délicate attention , ils décidèrent, en chapitre, que
désormais on ne se servirait plus de bassin au Lavabo des messes
dites au grand autel , afin que l'eau versée sur les mains du cé-
lébrant, tombant sur la pierre tumulaire, représentât les larmes
que la communauté devait toujours verser, au souvenir des bon-
tés dont ce généreux abbé Tavait comblée. Ces religieux n'avaient
point perdu la mémoire du cœur, et le témoignaient par un pro-
cédé charmant dans sa simplicité. L'usage se perpétua jusqu'au
milieu du xviiP siècle , et il ne disparut que vers i 7i0, quand
un gradin, que Ton ajouta au palier de l'autel, vint couvrir le
marbre du tombeau. On fit alors graver sur une plaque de
cuivre l'inscription tumulaire qui était sur le marbre, et on la
fixa à un pilier voisin pour conserver le souvenir du grand
abbé (1).
Le prieur du monastère, D. Nicole Le Caron, était mort bien
avaut l'abbé. Durant sa vie, il avait voulu imiter la libéralité
de son supérieur et avait fait divers dons à l'église et à la sa-
cristie de son abbaye. Le magnifique aigle du lutrin et de riches
ornements sacerdotaux venaient de lui. Il s'endormit tranquil-
lement dans le Seigneur, disent les annales de la maison , après
une longue et sage administration. Son rôle avait été moins ap*
1) D. Porcheron, e. 45.
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 569
parent et moins brillant que celui de Vabbé , mais il eut son
utilité pour la communauté, dont il avait conservé la régu-
larité. 11 eut pour successeur dans ce poste, désormais le plus
important de l'établissement pour la vie intérieure des religieux,
D. Jean Le Cocq.
Après la mort d'Antoine Du Bois, les religieux élurent deux
vicaires-généraux, D. Jacques Le Garon , frère de l'ancien prieur,
et D. Melchior Le Febvre, pour administrer le temporel de leur
abbaye pendant la vacance.
II. — Odet de Oollgny (< 537-4 569).
Aussitôt que Tabbaye fut devenue vacante, le roi, usant du
privilège que lui accordait le concordat de iSi6, en donna la
commende à Odet de Coligny, cardinal de Cbàtillon , archevêque
de Toulouse et évèque de Beauvais tout à la fois , et déjà pourvu
de plusieurs autres abbayes. Les religieux n'avaient pas à faire
d'objections; ils se soumirent sans mot dire, et acceptèrent cet
abbé de nouvelle origine, qui ne saurait pas avoir pour eux les
mêmes attentions ni les mêmes bontés que son prédécesseur. Il
ne devait pas, du reste, en avoir le loisir. Cet évêque-abbé ne
recherchait les bénéûces que pour en percevoir les revenus, et
il s'en fit assez donner pour soutenir son luxe et son train de
courtisan. Indépendamment de ses deux évêchés, il eut jusqu'à
seize abbayes en commende. 11 n'est pas besoin de dire qu'il ne
s'occupait guère lui-même de leur administration ; il avait établi,
dans chaque localité, des conseils particuliers chargés d'y
veiller, et ces conseils relevaient d'un conseil central établi à
Paris. Pour lui, prélat mondain, qui ne fut même jamais or-
donné prêtre , il se livrait à toutes les intrigues de la cour sans
se soucier de ses bénéfices. Aux époques fixées, l'argent néces-
saire à son faste et à ses plaisirs arrivait, peu lui importait le
reste.
Il est un fait cependant que l'on doit dire à sa louange, c'est
qu'il composa généralement fort bien ses conseils d'administra-
tion; les membres en étaient toujours choisis parmi les hommes
les plus recommandables du lieu ; il en fût ainsi du moins pen-
dant la première période de son épiscopat. Plus tard, quand il
570 HISTOIBB
ménagea sa défection au catholicisme , ce fût autre chose. Le
conseil de Beauvais était composé des vicaires-généraux, des
principaux ofticiers du comté et des magistrats les plus renom-
més delà ville. Il s'assemhlait une fois chaque semaine au palais
épiscopal.
Il prit en main l'administration du temporel de Tabbaye de
Saint-Lucien, aussitôt qu'Odet de Coligny en fût pourvu, et la
régit à son gré, sans se préoccuper en aucune façon de la ma-
nière de faire des religieux. (1 leur payait, à divers termes, une
somme d'argent et leur fournissait le grain nécessaire à leur
subsistance; quant au reste, il ne tenait pas plus compte d'eux
que s'ils n'existaient pas. Les baux, ventes, échanges, acquisi-
tions et autres contrats étaient passés au nom de Tillustrissime
cardinal, sans qu'il itlt fait aucune mention de la communauté.
On dirait, en voyant ces actes, que Tabbé était l'unique proprié-
taire de ces biens et que les religieux n'avaient droit sur eux
qu'à une pension alimentaire. Et pourtant eux seuls, en tant
que communauté religieuse, en étaient propriétaires, et on leur
ôtait le droit de les régir. Légalement et canoniquement on ne
pouvait pas leur en enlever la propriété, mais on leur en prit
la jouissance, et si bien, qu'on ne leur permit pas même de
s'enquérir comment ils étaient administrés. C'étaient les fruits
de la commende, et ces fruits devenaient bien durs et bien
amers pour les religieux. L'abbé menait grand train avec les re-
venus du monastère, et pour que ses ressources fussent aussi
abondantes que possible, il faisait mesurer parcimonieusement
la subsistance aux bons moines, ses enfants.
Le conseil de l'abbé, pour avoir moins à s'occuper des biens
et des revenus de l'abbaye, les afferma tous, avec toutes les re-
devances, à un particulier, qui eut l'autorisation de sousbailler
à ses risques et périls. Ce fermier général agiotait comme il l'en-
tendait, pourvu qu'il payât la somme portée en son bail , et ac-
quittât les charges qui y étaient énoncées. Il fit, paralt>il, large-
ment ses affaires. Il n*en fut pas de même des petits fermiers
particuliers ; eux aussi regrettaient le temps d'avant les com-
mendes , le temps où lès moines , affermant eux-mêmes leurs
terres, ne se montraient guère exigeants pour le pauvre monde.
Survenait-il alors une mauvaise récolte, le fermier se plaignait
et lea moines diminuaient le fermage ; sous un fermier général
DE L'àBBATB ROTALB DK SAINT-LUCIEN. 571
et un abbé commendataire , il ne fallut plus penser à ces ména-
gements.
Odet de Coligny vint peu souvent à Beauvais et encore moins
souvent à Tabbaye de Saint-Lucien. Nous ne dirons rien des
actes de sa vie, ils sont assez connus et nous laissons ce soin
aux historiens du siège épiscopal de Beauvais.
Le roi François !«' perdit, en J 545, le duc d'Orléans, son fils,
qui l'avait accompagné dans son expédition contre les Anglais.
Le corps du jeune prince fut apporté à Tabbaye de Saint-Lucien,
on y célébra pompeusement son service flinèbre et on le déposa
dans les caveaux, en attendant qu'on pût le conduire à Saint-
Denis. Après la cérémonie funèbre, le cbambcllan du jeune
prince, Africain de Mailly, seigneur de Villers-les-Pots , et son
aumônier, Guillaume du Maine, abnéde Beaulieu, demandèrent
au prieur, D. Lefèvre , de vouloir bien faire dire tous les jours,
pendant un mois , pour le repos de Tàme du défunt , une messe
chantée, avec diacre et sous -diacre, et cinq messes basses de
Requiem^ les vêpres des morts, et des antiennes par les novices.
Ils convinrent pour cela de payer 48 sols tournois par jour, et
de laisser, pendant ce temps , les ornements somptueux que l'on
avait fait apporter. Ils stipulèrent, à cette occcasion, qu'un clerc
coucherait dans l'église pour garder les ornements, moyennant
2 sols tournois par jour, et en outre que les religieux seraient
tenus de veiller à ce qu'il « ne soit rien perdu ou desrobbé de
« tous les ornemens, sainctures, poilles, paremens, couvertures
« et autres meubles, qui seront laissés en leur église par inven-
« taire (1). »
Le 13 mai i547, les évèques de Rennes et d'Angoulème vinrent
chercher les restes du prince défunt pour les conduire à l'abbaye
de Saint-Denis et leur donner la sépulture à côté de ceux du roi
son père.
Après la mort de François I«', l'administration peu virile de
ses successeurs laissa créer à la France une situation des plus
troublées. Les scandales de la cour, les intrigues des partis, les
révolutionnaires tentatives ù»& religionnaires réformés avaient
1) Copies de la pièce originale , dans les cabinets de MM. Borel de
Brétixel et comte de Merlemont.
572 HISTOIRE
jeté le désarroi, Tindiscipline et le désordre dans toutes les
institutions , et mis en péril la tranquillité du royaume. Fran-
çois II résolut de convoquer les Etats-Généraux pour consulter
les représentants de la nation sur les moyens à prendre pour
ramener la sécurité, réformer les abus et rétablir la paix.
L'assemblée ^e réunit à Orléans le 18 octobre Ib'GO. Les trois
Ordres y envoyèrent leurs députés. L'abbaye de Saint-Lucien
donna ses pouvoirs, pour la représenter, au cardinal de Cbàtil-
Ion , son abbé. Elle dut lui remettre aussi le cahier de ses do-
léances, comme le firent tous les autres corps et institutions;
mais nous n'avons pu le retrouver. Il n'aurait pas manqué d'in-
térêt pour nous éclairer sur les besoins et les aspirations deo
membres de la communauté. Il devait différer, sans doute , de
celui des corps de métiers de la ville , dont nous avons vu des
extraits, et il a dû avoir aussi des plaintes et des doléances
semblables. Il aurait bien pu porter, comme celui des maîtres
orfèvres de Beauvais : « Nous nous plaignons de n'avoir notre
« évèque pasteur, pour montrer la manière de vivre en gens de
« bien et comme bons chrestiens, car par cy-devant que les
« bonnes coutumes de élire un bon pasteur par le Saint-Esprit
« étolt en bonne règle, le peuple étoit instruit et sans erreur,
« même les pauvres étaient substantés du bien dudit pasteur,
« pourquoi ladite électure est requise et nécessaire tant pour
a l'édification du peuple que pour la substantation des pauvres.
« Quant à l'abbé, se doit faire aussi pareillement d'un reli-
i gieux portant Vhabit de ladite abbaye, afin que lesdits reli
« gieux soient gouvernés sobrement, comme de leur état appar-
« tient, pour éviter toute paillardise et autres vices déplaisant
« à Dieu.
« Quant à tous gens d'église, à scavoir évêque, abbés, curés,
« chanoines, prieurs et autres, ne pourroient tenir que un bé-
« néfice, et faut qu'ils soient gens de bonne vie et de bons
tt scavoir, tant pour procéder au service divin, que pour an-
a noncer la parole de Dieu au peuple (i). »
Ce cahier et bien d'autres, que nous avons sous les yeux, sont
unanimes pour demander la réforme de l'abus des commendes;
(1) Hss. de la bibl. de M. Le Garon de Troussures.
DE L'aBBàYB BOTàLB DE SAINT-LUCIEN. 573
en même temps ils signalent le relàcbement et même les désor-
dres introduits dans les communautés religieuses par suite de
cet état de choses. Le mal était incontestable, et l'abbaye de
Saint-Lucien n'en était pas plus exempte que les autres. Les
efforts de ses prieurs claustraux ne réussirent pas toujours à y
mettre obstacle { et la décadence, aidée de diverses causes étran-
gères, y pénétra malgré eux. Est-ce à dire pour cela que cette
décadence y produisit des désordres scandaleux ? Non , assuré-
ment non. La vie, nous l'avouerons, y était dégénérée de sa
primitive et austère régularité; la discipline du cloître était sou-
vent enfreinte; il y avait de la mondanité dans la manière de
vivre; la pauvreté monastique était violée; des moines, mécon-
tents de la maigre pitance que leur octroyait si parcimonieuse-
ment Tabbé commendataire, se faisaient nommer à des bénéfices
réguliers, à des prieurés ayant biens et revenus particuliers, afin
de pouvoir vivre plus commodément et se procurer un certain
confortable. Tout cela, sans doute, était répréhensible au point
de vue de la régularité monastique et constituait la décadence
de rinstitution; mais il y avait loin de là à ces désordres im-
moraux que leur reprocliaient le protestantisme et les ennemis
du monachisme. Somme toute, ces moines si attaqués et si vili-
pendés étaient encore beaucoup plus honnêtes et plus moraux
que leurs agresseurs.
Nous avons dit qu'à Saint-Lucien, comme ailleurs , la pau-
vreté individuelle prescrite par les vœux laissait à désirer, et en
effet la communauté parfaite des biens et l'égalité de tous dans
l'usage des revenus n'étaient plus complètement en vigueur.
Petit à petit, on avait laissé s'introduire l'abus d'annexer, à cer-
taines charges monacales, des biens et des revenus particuliers,
de sorte que ceux qui en avaient la gestion jouissaient de ces
revenus à l'exclusion des autres moines, qui se trouvaient dans
une position moins favorisée. Ainsi en était- il des offices ou
charges de la grande prévôté , de la trésorerie , de la chantrerie
et de rmûrmerie. 11 y avait à côté de cela les prieurés avec leurs
biens et leurs revenus aussi spéciaux, et les moines qui en
étaient pourvus étaient également dans une situation privilégiée.
Cet état de choses portait atteinte à la pauvreté et à l'égalité
monastiques, mais ce n'était pas un crime. Il servit même de
sauvegarde et de rempart contre l'avidité des abbés commen-
T. VIU. 38
574 HISTOIRE
dataires, qui n'osèrent pas s'emparer de l'administration de
ces biens.
Dans le commencement , ces abbés laissèrent les dignitaires
jouir à leur gré de leurs revenus privilégiés, et ceux-ci en profi-
tèrent pour subvenir aux besoins de leurs frères. Pourlanf , cer-
tains abbés be se génèrent pas pour mettre la main sur ces reve-
nus : le cardinal de Cbàtilion fut du nombre. Quand il eut apos-
tasie sa foi et qu'il se fut scandaleusement marié, il eut plus que
jamais besoin d'argent, et tous les moyens lui semblèrent bons
pour s'en procurer. Il pressura son abbaye de Saint Lucien, ra-
vagea tous ses bois et fit toutes les ventes qu'il put. Il supprima
Toffice de la grande prévôté pour s'en approprier exclusivement
les revenus. Les religieux, en vain, réclamèrent; leur voix n'a-
vait plus d'accès auprès de l'apostat; il les traita en ennemis,
et, pour toute réponse, il mit leur abbaye à sac. Il fit enlever de
l'église les pierres tombales qui recouvraient le sépulcre des an-
ciens abbés et des moines, et les employa à daller les cuisines
de son palais épiscopal. Son àme damnée, Louis Bouteiller, son
grand- vicaire , présidait à cette sacrilège exécution. Et que pou-
vait-on attendre autre chose de cet abbé, qui avait foulé aux
pieds tous ses serments et se mettait à la tête des huguenots de
son diocèse ? Il n'y avait qu'à courber la tête , à gémir sur cette
scandaleuse défection et à s'attendre à toutes les avanies.
Quoique excommunié par le pape, en 1563, et déclaré inapte
à posséder aucune dignité, ni aucun bénéfice ecclésiastique ou
religieux, Odetde Coligny continua de régir. tous ceux qu'il pos-
sédait. A la fin, cependant, il se compromit si bien, par la part
qu'il prit aux troubles causés par les calvinistes, qu'il fut obligé
de passer en Angleterre, avec sa femme, pour se soustraire aux
poursuites dirigées contre lui. Le roi ordonna son procès, et,
le 19 mars 1569, le Parlement le déclara rebelle, criminel de
lèse-majesté divine et humaine, et comme tel, passant condam-
nation, le priva de tous les honneurs et biens dont il jouissait,
du fruit de tous ses bénéfices et le déposa de toutes ses dignités.
Cette sentence, devenue immédiatement exécutoire, rendait va-
cant le siège abbatial de Saint-Lucien. Les religieux s'en réjoui-
rent, ils n'avaient plus à rougir de leur abbé et n'étaient plus
exposés à ses vexations. Pour lui , il alla mourir sur la terre
étrangère, empoisonné par son valet de chambre, en 1571, et
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 575
ses restes furent déposés dans une chapelle de la cathédrale de
Westminster.
En 1505, Tahbaye s'était vue contrainte d*alléner une partie
de ses biens pour faire face au subside demandé par le roi. Pour
résister aux calvinistes, qui ravageaient le pays, Charles IX avait
dû lever une armée, et se trouvant sans argent pour la payer,
malgré les 300,000 écus que le clergé lui fournissait annuelle-
ment, il eut encore recours à lui, et lui demanda un nouveau
subside de 100,000 écus par chaque année jusqu'à la pacification
complète de ses états. Le clergé, quoique épuisé, y consentît. Le
diocèse de Beauvais fut imposé pour 3,500 écus, et l'abbaye de
Saint-Lucien pour i3,9U livres 12 sols tournois. L'abbaye, man-
quant d'argent par suite des extorsions de son abbé, aliéna plu-
sieurs propriétés. Elle vendit son fief de Caigny ou de Roye,
sis à Bonnières, avec une rente sur le moulin du même lieu^
à Jean de Carvoisin , seigneur d'Achy, pour la somme de
2,521 livres tournois, sa terre et seigneurie de Pissy, au diocèse
d'Amiens, à Charles de Louvencourt, bourgeois d'Amiens, pour
la somme de 8,200 livres, et diverses rentes et censives. 11 n'au-
rait pas fallu beaucoup d'édits royaux semblables pour mettre
l'abbaye dans une fâcheuse situation, mais on se consolait dans
l'espoir de jours meilleurs. Ces jours ne devaient pas venir de
sitôt et cet édit de subvention ne devait pas être le dernier. L'état
battait monnaie sur le clergé.
La sentence qui frappait Odet de Coligny, l'indigne abbé, sou-
lagea, du moins un instant, les cœurs attristés des moines de
Saint-Lucien.
III. — 01iar*les I«' de Boixr^lt>oii (1).
(1569-4590).
Sur la présentation de Charles JX, Pie V nomma, pour suc-
céder à Odet de Coligny sur le siège de Beauvais et à l'abbaye de
(1) Les armes de Charles de Bourbon étaient : de France, au bâton de
gueules péri en bande, ou autrement : d'azur, à trois fleurs de lis d'er
au bâton de gueules péri en bande. *
576 ' HISTOIRE
Saint-Lucien, Charles de Bourbon-Vendôme, cardinal de Bour-
bon et archevêque de Rouen. Ce prince, cinquième fils de Charles
de Bourbon , duc de Vendôme et comte de Soissons, et de Fran-
çoise d'Alençon , était le frère d'Antoine de Bourbon , roi de
Navarre, qui donna le jour à Henri IV. C'était un des prélats
les mieux pourvus de France , puisqu'indépendamment de son
archevêché de Rouen et de son évêché de Beauvais, qu'il pos-
séda simultanément , il jouissait encore de la commende de vingt
abbayes des plus considérables, a le pauvre homme! » On doit
bien penser qu'il ne s'occupa guère autrement de ces bénéfices
si multipliés que pour en percevoir les revenus.
H prit possession de son abbaye de Saint-Lucien par procu-
reur. Louis de Mainterne ou de Mornay-Théribus, abbé de Sainte-
Marie, au diocèse de Chàlons, le représenta en cette occasion,
et fut avec Claude Gouine, doyen du chapitre de Beauvais, l'un
des vicaires-généraux chargés de l'administration de ses béné-
fices situés dans le diocèse.
La nomination d'un personnage aussi important , pour abbé ,
réjouissait les religieux et donnait bonne espérance; mais il était
t rop impliqué dans les affaires politiques pour avoir le temps
de s'occuper de celles du monastère. Et pourtant ilaurait fallu
y veiller. Les finances se trouvaient dans le plus triste état. Plu-
sieurs fermes avaient été ravagées par les calvinistes : le pillage
et l'incendie y avaient causé de graves dommages; les fermiers,
ruinés, ne pouvaient plus payer, et les édits de subvention, se
renouvelant sans cesse et demandant continuellement des fonds,
ajoutaient au malaise. L'édit de iS69, frappant les biens du
clergé de 50,000 écus et l'abbaye de Saint-Lucien de la somme
de 9,540 livres, força encore les moines à aliéner des biens et à
vendre, entre autres choses, quatre arpents de pré à Villers-
Saint- Lucien à Pierre Danse, seigneur de Léglantier, et Noël Gi-
guart, bourgeois de Beauvais, pour 807 livres tournois, et la
terre et seigneurie d'Abbecourt , à Jacques Ligier, bourgeois de
Paris, moyennant 8,500 livres (1). Ce n'était pas le moyen d'en-
richir le monastère. Le cardinal abbé était précisément l'un des
commissaires nommés par le pape pour présider à ces aliéna-
il) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lacien.
DE L'aBBAYK ROYALB DE SAINT-LUCIEN. 577
tîons, et consentit, apifès enquêtes, à celles de Saint- Lucien.
On ne l'avait pas encore vu dans son abbaye, ni à Beauvais,
et ce ne fut qu'au mois de mai 1572 qu'il y vint pour la première
fois. Il fut loger à Saint-Lucien le 23 mai, et lit le lendemain,
veille de la Pentecôte, son entrée solennelle dans la ville. L'é-
vèque de Pamiers, Robert de Peilevé, l'accompagnait.
L'argent manquait encore au monastère en 1S75, et l'abbé,
pour s'en procurer, érigea en ûef le droit de censives qu'il avait
sur les biens de Jean de Carvoisin, sis à Bonnières, sous le nom
de fief de la Vente, et l'aliéna ensuite au profit de ce seigneur
moyennant ^52 livres tournois. Le prix dût être immédiatement
versé entre les mains d'Antoine Blicot, receveur des décimes
pour le roi, à Beauvais. Il vendit en même temps une maison
et neuf arpents de terre à Bétbencourt; — et le fief de Cour-
celles et du Mehet à Guy de Monceaux , chevalier, seigneur d'Ho-
denc-en-Bray (i). Trois ans plus tard il vendait encore, et pour
la même cause, la terre de Margny, près Gompiègne, à Michel
de Waterre, conseiller et médecin du roi.
La pénurie d'argent et les ravages des calvinistes n'étaient pas
les seuls maux qui désolaient le pays, des maladies contagieuses
vinrent encore accroître la misère. La peste, disent les historiens
du temps, sévissait dans Beauvais et dans toutes les campagnes
environnantes, et ceux qui succombaient se comptaient par mil-
liers. L'abbaye de Saint-Lucien ne fut pas épargnée; plusieurs
de ses religieux et de ses domestiques, atteints par le fléau, pé-
rirent. Des processions furent ordonnées, et on invoqua Dieu et
ses saints, de toutes les manières, afin d'obtenir la cessation de
l'épidémie. « En 1578, dit D. Porcheron (2), on indiqua une pro-
cession générale, avec ordre d'y porter les reliques de la ville
et des églises voisines. » Toutes les communautés de la cité et
des environs s'adjoignirent au clergé de la cathédrale. Les reli-
gieux de Saint-Lucien y furent avec leurs reliques; ils portaient
en tète le chef de leur saint patron et demandèrent pour lui la
première place dans la cathédrale et la procession.
Un incident à cette occasion. Chemin faisant , les religieux de
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Locien.
'S) D. Porcberon : Hiit, de Vabb. de Saint-Lucien.
578 HISTOIRK
Saint Lucien avaient été prendre les châsses contenant les restes
de saint Julien et de saint Maxien , à Téglise de Saint-Sauveur,
où ils les avaient mises en dépôt, avec la grande ch&sse de
saint Lucien , dans la crainte qu'elles ne fussent enlevées de
Tabbaye par les bandes armées qui sillonnaient les campagnes.
Le clergé de Saint-Sauveur s'accoutumait à posséder ces reliques
et aurait bien voulu se les approprier; aussi fiWl quelques diffi-
cultés pour les laisser reprendre pour celte procession. Le pro-
cédé déplut tellement aux moines de Saint-Lucien, qu'au retour,
au lieu de reporter les deux châsses de saint Julien et de saint
Maxien dans l'église de Saint-Sauveur, ils les emportèrent avec
eux et les replacèrent dans l'église de leur abbaye. Le dimanche
suivant, ils revinrent à Saint-Sauveur pour enlever leur grande
châsse de saint Lucien , « et ce ne fut pas sans peine ni sans dis*
« pute, dit D. Porcheron, qu'on la retira des mains djs Messieurs
« de Saint-Sauveur, qui vouloient la retenir et qui l'avoient déjà
u érigée dans le chœur sur quatre colonnes. Quand on eut obligé
c( ces Messieurs à rendre le dépost qui leur avait été confié, on
a reprit le chemin de Saint-Lucien avec bien de la joie. Le péril
« que le monastère courut alors d'être privé d'un si précieux
« thrésor, » ajoute l'annaliste, « sera cause sans doute qu'on
« prendra de plus justes mesures , s'il arrive jamais quelqu'ac-
« cident qui oblige, de réfugier les reliques de l'abbaye dans la
« ville (4). »
Le cardinal de Bourbon n'était plus alors évèque de Beauvais;
en 4575, il avait permuté, cet évèché, avec Nicolas Fumée,
contre l'abbaye de la Couture, du Mans. Ce changement ne lui
fit pas abandonner la commende de l'abbaye de Saint-Lucien;
il en resta abbé jusqu'à sa mort, jusqu'en 4590. Le nouvel évèque,
avant de faire son entrée solennelle dans sa ville épiscopale, se
rendit à l'abbaye, suivant l'antique usage, pour s'y préparer
par une veille au tombeau du glorieux martyr. Il y arriva le
43 octobre 4576, au soir, et le lendemain , jour de la fôle de
sainte Angadrème , « il vint à pieds nus de Saint-Lucien, nonobs-
tt tant un temps fort fâcheux à cause des pluies continuelles (2). »
(1) D. Porcheron : Hist. de l'abb. de Saint-Lucien.
(2) Riqaier : Reeueil mémorable d'aacons cas advenus depuis l'an de
salQt 1573.
DE l'abbatb rotals db saint-lugibn. 579
Eu i580, Charles de Bourbon afferma pour quatre-vingt-dix-
neuf ans les dîmes et champarts de Margny-les-Gompiègne à
Micbel Waterre, médecin du roi, à qui il avait déjà vendu les
terres que son abbaye avait en ce lieu.
L'abbé ne consultait pas toujours ses religieux pour taire ces
aliénations, ni ces baux à long terme; il agissait en matlre ab-
solu et disposait de tout à son gré. Les religieux, souvent, s'in-
clinèrent devant sa volonté , mais ils surent aussi revendiquer
leurs droits. Ainsi, en 1581, ils attaquèrent la vente du fief de
Courcelles, faite en 1575 au seigneur d'Hodenc-en-Bray, parce
que, disaient-ils, Tabbé avait vendu « sans le consentement des-
dits « religieux, prieur et couvent, etn'auroit peu ny deub le
faire, « et attendu aussi que de ce fief dépendait un autre petit
fief consistant en 3i sols parisis de censives, a lequel étoit pour
partie a de leur nourriture, » depuis qu'ils avaient mense séparée.
Un accord termina la contestation : Guy de Monceaux constitua
une rente de 116 sols 8 deniers en faveur des religieux pour
avoir leur consentement , et ceux-ci ratifièrent la vente. L'abbé
avait reçu 1,900 livres de prix principal. L'acte authentique
constatant cet accord nous fait connaître les noms des religieux
qui composaient alors la communauté. C'étaient Yves Cuisinier,
docteur en la faculté de théologie, grand prieur: Nicolas Patin,
sous-prieur; Hercule Laurent, tiers-prieur; André Heu, sous-
chantre; Claude Blot, maître des enfants; Pasquier de Monchy,
chantre; Jacques Louvet; Martin Herqueleu, censier; Lucien
Dargille, Symphorien Caron, Pierre Paquier, Claude CaiHot,
Balthasard de Lannoy, François De Laon et Jean d'Asnières (1).
Le roi avait encore demandé un nouveau subside au clergé,
en 1586, « pour subvenir à partie des frais de la guerre pour la
tt réunion et réduction de ses sujets à la religion catholique,
« apostolique et romaine, » et le pape l'avait autorisé « à aliéner
« du bien temporel des ecclésiastiques jusques à la concurrence
- de oO,000 écus. n Dans la répartition faite par l'Assemblée du
clergé et par les cardinaux de Bourbon et de Guise , délégués
par le pape, l'abbaye de Saint-Lucien fut taxée à' la somme de
9,500 livres. Elle dut s'exéouter et chercher la somme. Ne pou-
(1) Archives de l'Oise.
580 HISTOIRE
vant y parvenir, et sur Tavis du cardinal-abbé ^ elle vendit sa
terre et seigneurie de Beauve, près d'Héricourt-Salnt-Samson,
consistant en un manoir avec ses dépendances, 155 arpents
d'berbage, terres et prés, et 21 arpents de bois, à Antoine de
Remy, écuyer, seigneur de Montigny, pour la somme de 1,230
écus d'or, le 9 mars 1587 (1).
Ces subventions continuelles appauvrissaient toujours de plus
en plus le monastère, et les déprédations sans cesse renaissantes
des calvinistes, des routiers et des soldats en campagne venaient
encore ajouter au malaise et rendre plus précaire la situation
financière. Le fermier général des biens du monastère ne pou-
vait même plus faire ses affaires. Le cardinal de Bourbon avait
affermé, en 1585, la recette générale des biens et des revenus
de ses deux abbayes de Saint-Lucien et de Froidmont à Yves
Foy, bourgeois de Beauvais , moyennant 12,000 écus de rente
annuelle, et ce fermier général demande une réduction de
1,000 écus, en 1588, « à Toccasion, dit-il, des gens de guerre
a qui ont passé et séjourné ci-devant, comme ils le font encore
a de présent de jour en jour par les fermes, métayries, lieux et
« héritages desdites abbayes, et aussi qu'il est tout notoire que
« plusieurs fermiers particuliers les ont délaissés et délaissent
« journellement, qu'il y convient faire de grandes réparations
« pour les remettre en nature et habitables, afin de faire valoir
« îceulx héritages dont grandes parties sont en friche et non
a labourées, ni entretenues, ainsi qu'il est reconnu (2). » L'abbé
y consent, bien qu'à regret; une somme de 2,000 écus, que le
plaignant lui avance pour subvenir à des besoins pressants , le
détermine. Il ne pouvait se montrer intraitable et dur à l'égard
d'un fermier aussi obligeant. Yves Foy ne paiera plus désormais,
en outre des charges ordinaires, que 21,000 livres pour l'abbaye
de Saint-Lucien , et 11,000 pour l'abbaye de Froidmont. L'accord
est passé à Paris , le l*'' juin 1588, en l'hôtel de Guise, où est logé
le cardinal.
Le temps marchait toujours et la situation financière des
deux abbayes ne s'améliorait pas. Les rentrées se faisaient si
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lacien.
(3) Mss. da cabinet de M. le comte de Merlemont.
DB L'ABBATB BOTALB DB SAINT LUCIBN. 581
difficilement, surtout pour Tabbaye de Froiâmont, qu'Yves Foy
demanda la résiliation de son bail et refusa de continuer la re-
cette des deniers, en 4590. On transigea encore avec lui, on lui
accorda une nouvelle diminution : les 2i ,000 livres furent réduites
à 14,000 (i).
Pendant que les finances de ses abbayes allaient si mal , que
faisait le cardinal de Bourbon? Entraîné dans le parti de la
Ligue, il en était pour ainsi dire le coryphée, et se laissait pro-
clamer roi par les ligueurs sous le nom de Charles X , après la
mort d'Henri III. Cette éphémère royauté, ne dura guère plus de
vingt-quatre heures et abreuva sa vieillesse de douleur et d'a-
mertume. Il mourut en 1590.
Au milieu de ces temps troublés, quelle était l'attitude des
religieux de Saint-Lucien ? La Ligue tenait à Beauvais ; le 2i jan*
vier 1589, toute la ville avait signé avec enthousiasme son adhé-
sion à l'Union, et les religieux de Saint-Lucien durent embrasser
son parti, sous peine de se voir inquiétés. Le 22 janvier, ils as-
sistèrent k la procession solennelle ordonnée dans la ville pour
affirmer l'unanimité de l'opinion, et leur abbaye fut taxée d'une
somme assez lourde par le conseil de l'Union pour subvenir aux
besoins de la cause. Un mémoire du receveur général de Tabbaye,
d'Yves Foy, porte qu'il a été payé la somme de « huit-vingt écus
a (160 écus) au recepveur du conseil de l'Union de Beauvais
a pour la cotisation de l'abbaye pour deux mois , savoir Juin et
« juillet dernier (1589) (2). » A part ce fait, on ne voit pas que
les religieux de Saint-Lucien aient pris une part très-active aux
événements de cette époque orageuse. Quand l'evèque Nicolas
Fumée, accusé de modérantisme, fuyait de sa ville épiscopale
avec Claude Gouine, son vicaire général, il vint d'abord se ré-
fugier à l'abbaye de Saint-Lucien. L'accueil qu'il reçut en cette
occasion, et les secours, qui lui furent donnés pour gagner son
château de Bresles, laissent à penser que les religieux de Saint-
Lucien n'étaient pas de très-ardents ligueurs. Pourtant ils assis-
taient à toutes les processions que l'on faisaient en ville pour
le succès du parti, et Dieu sait comme on les multipliait;
(1) Usa. du cabinet de M. le comte de Meriemont.
582 HISTOIRE
mais c'était par crainte et par amour de la paix plutôt que par
affection pour la cause.
Avant de terminer l'administration du cardinal de Bourbon,
nous dirons un mot d'une donation faite par Yves Cuisinier, le
prieur claustral du monastère. Ce vénérable religieux , par acte
du 29 novembre i589, affecta une somme de 8 écus un tiers à la
fondation a d'un service solennel comme le jour de Pâques ,
u avec vespres la veille et vigiles, » à chanter le jour de saint
Yves , son glorieux patron , le 19 mai ou le mardi d'avant la
Pentecôte, quand le 19 mai serait empêché. La distribution qu'il
fait de la somme, entre les divers religieux prenant part à la
solennité, laisse voir que chacun de ces religieux devait avoir
bourse particulière, et que la pauvreté monacale n'était plus en
vigueur. Ainsi, celui qui chantera la messe aura 20 sols; le diacre
et le sous-diacre chacun â sols 6 deniers ; le sous-prieur » qui
« tiendra campagne pour assenser » 4 sols 6 deniers; les quatre
religieux « qui diront le respond des vespres, Benedicamus Do-
« mino, Venite à Matines, et tiendront chœur à la messe, » cha-
cun 10 sols; le chantre, « pour chanter et gouverner ledit ser-
« vice, 0 10 sols; les sonneurs, 1 écu; le trésorier, « pour les
« cordes des cloches, 5 sols; pour le luminaire, 50 sols; le
r^ste de la renie sera distribué « tant à disner que entre les rell-
a gieux, prieur et couvent, comme ils verront être bon; et aux
« sonneurs sera baillé et distribué six comptes de pain et six
« pots de vin (1). « Ce bon moine voulait faire honneur à son
patron.
IV. — Oliarles II cle Boixrl^on (2)
(1590-1594).
Le successeur du cardinal de Bourbon à l'abbaye de Saint-
Lucien, comme à celles de Froidmont, de Saint-Germer, d'Our-
ll) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
(2) Les armes de Charles II de Bourbon étaient : écartelé au 4 et 4 de
Bourbon, au X et 5 d'Alençon; ou autrement : éca^rteléau f et 4 d*axur,
DE l'abbaye royale Bt saint-lucieh. 583
camps, de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés, de Bour-
gueil -en- Vallée, de Saint-Ouen et de Sainte-Catherine de Rouen^
fut son neveu Charles de Bourbon , cardinal de Vendôme.
Doyen (i) a dit, sur je ne sais quels témoignages, que le duc de
Mayenne, Tun des chefs de la Ligue, avait donné Tabbaye de
Saint-Lucien à GeofTroi de LaMarthonîe, évéque d'Amiens. Le
fait est possible, mais il est certain que ce titulaire, si titulaire
il fut, ne prit jamais possession de Saint-^Lucien, et n'y fit aucun
acte d'administration, ni de juridiction. D. Porcheron (2), les
auteurs du Gallia Christiana, Louvet (3), D. de Noroy (4), Du
Caurroy (5), l'ancien manuscrit cité par le pouillé du diocèse
de Beauvais, de 1707 (6), n'en font aucune mention, et tous
s'accordent à donner pour successeur au défunt cardinal ,
Charles de Bourbon, son neveu. Les titres pro\:nantdes an-
ciennes archives du monastère concordent parfaitement avec
ce dire.
Le prince pourvu de l'abbaye de Saint-Lucien, Charles de
Bourbon, était le quatrième fils de Louis de Bourbon, prince
de Condé, et d'Eléonore de Roye. Créé cardinal par Grégoire XllI,
il porta le litre de cardinal de Vendôme, puis de cardinal de
Bourbon , après la mort de son oncle, auquel il succéda à l'ar-
chevêché de Rouen. « Ce fut, dit De Thou, un prince d'un ca-
« ractère enjoué et affable, parlant avec une facilité étonnante,
u aimant los lettres et les savants, mais haïssant souverainement
" les protestants. Tant qu'il eût près de lui des gens sages pour
à troiB fleurs de lis d'or, au bâton de gueules péri en bandes, qai est de
Bourbon ; au 2 et 3 d'azur, à trois fleurs de lis â^or, h la bordure de
gueules chargée de huit besans d argent, qui est d'Alençon.
(1) Doyen : Hist, de la ville de Beauvais, t. i, p. 238.
(3) D. Porcheron : Hist. de Vabb. de Saint-Lucien (mss. de la Bibl. nat.,
19,843, français).
(3) Louvet : Nomen^ilatura
(4) D. de Noroy : mss. de la bibl. de H. le comte de Merlemont.
(5) Du Caurroy : mss. de la bibl. de M. Le Garon de Troassures.
(6) Mss. de la bibl. de M. Mathon.
584 HISTOIRl
« rassjster de leurs conseils, sa conduite fût sans reproche;
« mais comme il y avait de la légèreté dans son esprit , dès qu'il
« eut commencé à prêter Toreille à la flatterie > il s'écarta du
« droit chemin et devint le chef du tiers-parti Ensuite,
« voyant que le succès ne répondait pas à son attente, et que
tt ses propres partisans le trahissaient, il tomba dans une lan-
« gueur mortelle , qui l'emporta. On peut dire qu'il était né
« pour faire l'ornement de la France et qu'il mourut pour son
« bonheur (i). »
Charles II de Bourbon mourut à l'âge de trente-deux ans, le
28 juillet 1594, à l'abbaye de Saint-Cermain-des-Prés. Il avait
administré celle de Saint-Lucien pendant quatre années. La part
qu'il prit aux afl'aires politiques ne lui laissa presque pas de
loisir pour s'occuper des monastères qu'il avait en commende;
aussi ne trouve-t on que fort peu de traces de son administra-
tion dans les archives de l'abbaye de Saint- Lucien.
De son temps, la dernière fête de Pâques de l'an 1592, l'alarme
fut donnée dans l'abbaye et dans la ville par un incendie qui
éclata dans le voisinage : l'église de Notre-Dame-du-Tbil brûlait.
On crut tout d'abord que le feu avait été mis par les troupes
royalistes qui cherchaient à surprendre la ville, mais on sut
bientôt que c'était l'effet de la négligence d'un marguillier, qui
avait mal éteint un flambeau allumé sur le jubé. On s'était hâté
de prendre les armes et de fermer les portes de la ville pour se
préparer à la résistance. La panique passée, on courut au se-
cours de l'église en flammes ; il était trop tard , ce n'était plus
qu'un monceau de ruines fumantes ; le clocher seul était épar-
gné, a L'église, qui étoit très-belle et très-bien ornée, dit Gôd.
« Hermant, fut réduite en cendres, et les habitants se trouvé-
« rent réduits à se retirer dans l'abbaye pour y célébrer le ser-
« vice divin (2). »
Le 7 octobre de la même année, une compagnie de rôdeurs
se disant ligueurs venait piller le monastère sous la conduite
d'un sieur Goville.
(1) De Thou: Hist urwo.y t. xii, 1. ex.
(9) Ck>d. Hermant , 1. xiii , c. 37.
DE L'ABBAYI ROYALB DE SAINT-LUCIEN. 585
V. — Artliiis de Oondr^en (4596-4598).
Après la mort du second cardinal de Bourbon , le siège abba-
tial de Saint-Lucien resta vacant pendant près de deux ans. Le
roi y commit un économe pour l'administrer au temporel et au
spirituel, et, par lettres du 28 octobre i 50 i, il chargea de ce
soin un religieux de Sainte-Catherine du Val-des-Ecoliers, nommé
Godeft*oi Hardi (i). Le grand conseil approuva cette mesure et la
fit enregistrer le 28 novembre suivant. Henri IV ne trouvait pas
mauvais de faire ainsi régir à son profit plusieurs abbayes, pour
reconstituer un peu ses finances. Les droits de la régale ne lui
déplaisaient pas et il s'en accommodait autant qu'il pouvait,
malgré les réclamations du pape et du clergé.
La vacance de Saint-Lucien eût pourtant un terme, et le roi
en donna la conunende à un ecclésiastique qu'il affectionnait,
à Arthus de Condren , son conseiller et son aumônier. Ce nouvel
abbé nous parait devoir être le frère de M. de Condren , Tami
d'Henri IV, à qui ce roi donna le gouvernement de son château
de Monceaux, et qui fut le père de Charles de Condren, le second
général de la congrégation de l'Oratoire. Quoiqu'il en soit, Ar-
thus de Condren était un homme zélé et tenait à remplir digne-
ment les devoirs de la charge qui lui était confiée. Les statuts
disciplinaires du Concile de Trente prescrivaient la réforme des
abus dans les communautés religieuses, et enjoignaient le ré-
tablisssement de la régularité primitive, et il s'en saisit pour
remédier aux abus qui s'étaient glissés dans la communauté de
Saint-Lucien. Ne pouvant surveiller lui-même cette réforme,
à cause des occupations mulfiples qui le retenaient à la cour,
11 mit à la tète de l'établissement un prieur claustral instruit
et zélé. Il le trouva dans la personne de Nicolas Patin, religieux
de la maison, exerçant depuis longtemps la charge de sous-
prieur. 11 le fit nommer par la communauté et délégua son pa-
rent, Guillaume de Condren , pour le mettre solennellement en
possession de sa dignité, le 22 juillet 1596.
(I) GMia Christiana, t. it.
586 HISTOIRE
Nicolas Patin n'était pas sans mérite; il joignait aune grande
science une expérience consommée dans les choses de la vie
monastique. Il entra complètement dans les vues de Tabbé, et
travailla de tout son pouvoir à rétablir la régularité. Les dif-
ficultés à vaincre furent grandes, et ses efforts n'eurent pas
tous les succès qu'il en attendait, malgré sa longue et habile
administration : on se ressentait encore des temps troublés de
la Ligue , qui ne faisait que d'expirer.
11 avait pris ses grades en Sorbonne et avait été reçu docteur
en théologie. Il aimait l'étude et s'y livrait avec ardeur. Un in-
ventaire des livres composant la bibliothèque du monastère,
dressé par lui en 159G, note avec soin ceux qu'il avait emportés
dans sa cellule pour les étudier. C'étaient : Prima pars Summse
divi Thomx de Aquino. — Prima secundœ. — Secunda secundx.
— Tertia pars Summas. — -Prima pars divi Bonavenlurœ. — Se-
cunda pars divi Bonaventurx. — S^cuiidum volumen Operum
Origenis, — Opus remissionis a pxnd et cuipâ, — Bonafi astro-
notnia. — Sphera, — Strabo, — Peregrinaiio Hyerosolimitana,
— Prima pars Summx Alberti Magni, — Budeus de asse. — Pogii
opéra, — Bonifacius Sinioneta, — Liber Décret a liurn. — Liber
Olrani. — Summa divi Antonini. — Historiœ divi Antonini. —
Dictionnarii pars prima, — Révéla tiones sanctx Brigitfx. — A"o-
cleri primum volumen, — Liber Haly filii Abenragei in Judiciis
astrorum. — Sabellici exemjjlares.
Avec ces livres, Nicolas Patin pouvait se livrer aux études
les plus variées.
Il ne paraîtra peut-être pas sans intérêt de faire connaître
les ouvrages qui composaient alors une bibliothèque monas-
tique. N'était-ce pas là, en effet, et surtout dans les abbayes bé-
nédictines, où l'étude et la science étaient une obligation, que
Ton devait trouver les plus belles collections? Au xvi« siècle,
l'imprimerie, nouvellement inventée, n'avait encore donné que
peu d'ouvrages. La plupart étaient donc dûs à la patience
des moines, qui avaient fait des copies, et ces copies ne se
rencontraient que dans les librairies des couvents. La librairie
de Saint-Lucien contenait 192 ouvrages, en 1596, quand Nicolas
Patin en fit le catalogue-, c'était beaucoup à cette époque.
En voici la nomenclature telle qu'elle est donnée par cet inven-
taire :
DE L'aBBATE royale DE SAINT-LUCIEN. 587
Liber primus Scripti divi T/tomœ de Aquino (i). — Secundus
Scripti. — Tertiia Scripti, — Quartxis Scripti, — Tabula quatuor
Scriptorum, — Prima pars Sutntnœ, — Prima secundœ, — Secunda
secundœ, — Tertia pars Suminm. — Pars prima divi Bonaven"
turœ (:2). — Divi Bonaventurœ liber in secundum librum Senten-
tiarum, — Jcannis Belvacensis (3) in scripfa divi Bonaventurœ.
— Secunda pars divi Bonaventurœ, — Divi Bonaventurœ liber in
quartum librum Sententiarum, — Liber Stephani de Gayeta (i)
Neapolitani, — Pars secunda Guillermi Parisiensis (5) de f^alen-
tia super Psalmos, — Questiones qucelibetales Scoti (6). — Theorica
Karoli Bovili (7). — C laudius Seiscel (8) de Triplici statu. — Prima
pars Pantheologise (9). — Secunda pars Pantheologix. — Ricardus
de SanctO'Victore (10). — De primaiu Pétri, — Joannes Ruclin de
Verbo mirifico. — Johaniies dictus Roffensis (11) adversus Œquo-
lempadum, — TextiLS Sententiarum (12). — Divus Thomas in
(1) Saint Thomas d'Aqain, théologien dominicain, dit l'Ange de l'Ecole
(XIII' siècle).
(2) Saint Bonaventore (1221-1271), de l'ordrô des Frères mineorsi théo-
logien.
(3; Jean , dit de Beauvais , théologien.
(4) Etienne de Gaëte a écrit : Sacram^ntale I^eapoUtanum pervMle.
(5) Guillaame, évoque de Paris (1200-1249).
(6) Jean Dans Scot (1250-1308), dit le Docteur subtil, de l'ordre des
Frères-Hlnem-s, chef de l'école des Scotistes.
(7) Bouelles ou Bonvelles (Charles), philologue et géomètre , né à San-
court (Somme), mort vers 1553.
(8) Seyssel (Claude), chroniqueur et jurisconsulte , né ver» 1450, à Aix,
en Savoie, mort archevêque de Turin en 1520.
(9) Panthéologie ou Dictionnaire de théologie , par Rainier de Pise , de
l'ordre des Frères Prêcheurs, vivant au commencement du xiv* siècle.
(10) Richard de Saint-Victor (1150-1173) , chanoine régulier de Saint-
Victor de Paris, auteur d'un grand nombre d'ouvrages sur l'Ecriture et
la théologie.
(11) Fischer (Jean), né vers 1455, évêque de Rochester, mort victime
d'Henri VIII, en 1535, a laissé plusieurs écrits contre les luthériens.
(12; Le livre des Sentences, par Pierre Lomhard^ dit le Mattre des
Sentences (Il90-ll6i}, évéque de Paris.
588 HISTOIRE
Evangelivm Joannis. — Gregoritut Nyssénus (i). — Sextapars
librorum divi Augusiini (2). — Tomus quartus JoJiannU Chry-
sostomi (3). — Dlonisius (4) de cœlesti Hierarchid, — Exatneron
magni Basilii (5). — Fulgosius (6). — Secundum volumen Ope-
rum Origenis (7). — Angeli Policiani (8) pars prima. — Ângeli
Policiani pars secunda. — Opus remissionis a pœnd et culpd. — Ja-
cobus Picolominus (9). — Juvenalis (10) Saiyraô. — Guaguinus (\\),
— Illustrium virorum opuscula, — Jo/tannes Buridanus (42). —
Undecima pars librorum divi Augustini. — Mtisica Fran-
ehini (i3). — Petrus de Bel/a Pertkica (i4). — Petrus de Ancha-
rano (i5), quatre volumes. — Felini {i6)parsseciinda, — Direc-
(1) Grégoire de Nysse (331-396). évêque de Nysse.
(2) Saint Augastin (354-430), évêque d'Hippone.
(3) Saint Jean Ctirysostome (344-407), évoque de Gonslantinople.
(4) Saint Denis-l'Aéropagiste.
(5) Saint Basile-le-Grand (329-379), évoque de Gésarée.
(6) Fulcoie de Beauvais , poète et écrivain célèbre du xi* siècle.
(7) Origène (185-254), docteur de l'Eglise.
(8) Ange Poiilien (I45i-1494), professeur de langues latine et grecque à
Florence , Tami de Pic de La Mirandole.
(9) Piccolomini (Jacques-Ammanati), dit le cardinal de Pavie (1420-1479),
a laissé des Lettres, une Histoire de son temps et des Commentaires,
(10) Juvénal, poète latin du i*' siècle.
(11) Gaguin (Robert), général des Trinitaires, mort en 1501, auteur d'une
Histoire de France, etc.
(12) Boridan (Jean), recteur de l'Université de Paris, célèbre dialecticien
(1288-1360), auteur de Commentaires sw ÀHMote et du fameux Sophisme
de Vâne.
(13) Franchini (François) , poète et musicien italien (1495-1554), mort
évêque de Populonia.
(14) Pierre de Belle Perche , évêque d'Auxerre , conseiller d'Etat sous
Philippe- le-Bei, jurisconsulte.
(15) Ancharano (Pierre de), jurisconsulte de Boulogne (1330-1457), au-
teur de ComfMnUaires sur Us Décrétales et les Clémentines.
(16) Sandeus ^Felinus), jurisconsulte de Ferrare, mort en 1508, auteur
d'une Vie d^ Alphonse, roi d^ Aragon, et d'un traité Dejwrepatronatûs*
DK L'iBBATB ROTALB DB SAlNT-LUGIBIf. 589
torium iaeerdotaie, — PracHca domni Johannis de FerrariU (i).
— Vocabularium juris. — Breviarium decretorum. — Voeahula'
rium utriusque juris. — Casus Decretalium. — Decisiones Rotx (2J.
— Henrlcus de Piro. — Casus super Instituta, — De potestate eo^
clesiœ. — Johannes F abri (3). — Bartholus (4;. — Prima pars
Siculiabbatis (5). — Consilia domni Bartholi, — Henricus Bohic (6).
— Zabarena (7). — Instituta (8). — Repertorium Bartholi. —
Bartholus super Inforsiatum. — Anthonius Corsetus. — Azonis
Summa (9). — Spéculum domni Guillermi Durandi (iO). — Cor-
nélius Scepero adversusastrologos, (H) — Prima pars Pliniani(i^),
—Proporiionum liber, — Elucidatio ususqite astrolabii(i3). — Bo-
naii astronomia (ii). — Textoris epitheta (i5). — Albertus{\%) de
(1) Ferrariis (Jean-Pierre de), célèbre docteur en droit da xiv* siècle,
natif de Pavie , aatear d'one Pratique de Droit.
(2) Décisions da tribunal ecclésiastique de la Rote , à Rome.
(3) Faber (Jean), évêqae devienne (1470-1&41), théologien controyersiste,
(4) BartholQS de Sasso Ferrato (1313-1356), jarisconsolte italien.
(5) Probablement Tadeschi (Nicolas) (1370-1445), dit XabbidePanarmê.
canoniste italien.
(6) Bohic (Henri), jarisconsQlte français (1310-1390), aatear de /ngutt^fiM
Decretalium libros commenlaria.
ÇT) Zabarella (François), dit le cardinal de Florence (1389-1417), savant
canoniste, aatear de Commentaires sur les DicrétaUs et les Clémentines.
(8) Les Institutes de Jastinien.
(9) Âzoû (Portias), jarisconsolte da xii* siècle , dit le Maître du droit.
(10) Darand (Gaillaame), éyêqae de Mende (1250-1338), théologien et ca-
noniste.
(11) Scepperas (Gomellas), vice-chancelier de Ghristiem II, roi de Saède.
(12) Pline l'ancien oa le nataraliste (33-79).
(13) Oavrage de Stœfler (Jean), mathématicien et aslroiogae de Ta-
bittgen (145^1531).
(14) Bonati (Gai), astronome florentin du un* siècle*
(lô) Tixier (Jeanj, dit Bavisius Textor (1480-1534), homaniste da Niyemait.
(16) Albert-Le-Grand (1305-1380), de l'ordre des Frères précheors, éyéqae
de Ratisbonne.
T. VIII. 39
^guinodiarum et tolstiçiorum invention^* — Summa angUf^ano,. —
Jaco^ui Pulchri Orapensif. — Sphera (1). — Simphorianu» de qua-
druplici vUâr. — Strabo (%). — Teœtus Metaphùyeu AristoielU.
" PeregriMLtiû Hyerosolymilana. — Prifna pars Svmms^ Alberii
BÊagni. — Xenophon. (3). — Budeus (4) de asse. — F'Uruvius (5),
de ArchUetàtwra. — Parva nat%raUa. Aiberii Magni. — BofUica
AtHêtofelis (6). — Pecem libri moralium ArUiotelis. ~ Maproàtutiil).
— Liber creaturarum . — Nicolai Cusx (8) opustmla . — Sieolai Çusm
prima ^ secunda et tertia pars^ — Secunda pars, Alberti Magni^ —
Pkysica Ariêlotelis (manu scriptaj. — Opéra AristoteUs, — Lqgiccf,.
— Opéra Cieeronisid). — Tkemfstius (10) in potteriora AriUotelis.
— yiatorium^utriusquejwriê., — PairusBertrandi (4 1). — Qmitiwies
super octo politicorum libris Aristotelis, — Instituta Justiniani (in
pargameno), — Repertorium Juris domni Guiltermi Durantis, —
Cosmographia Ptolomei (12). — Lactan(ius(i3). — Pogii{M) opéra.
—Bonifacius Symoneta{i^). — Germa?%i0 qpus. — Jamblicus (iÇ) de
(1) Oayrage de Sacrobosco (Jean de), mathématicien anglais daxiir siècle.
(i) Strabon, historien et géographe da i*" siècle, aatenr d*(me Géographie.
(3) Xénophon , philosophe et historien grec da iv« siècle avant Jésas-
Ghrist , aolenr de la Cyropéd4e d'one Histoire grecque, etc.
(4) Badé (Gaillaume), jurisconsulte français) (1467-1510).
(5) Yitcave, architecte de Tempereur Auguste.
(S) iciatptei Ifi.phUpaophe grec (364r3d2 ayant Jésus-Christ)
(7) Macrobe , philosophe platonicien du v* sl^le.
(8) Ca«L (Nifiolaa de), cacdioal (U0L-1464^, t^éologie^.
(9) Gicécoa., orateuf! latin (IQ6-43 ans ayan^ J68U3-Cbriitl}.
(10) Themistius, philosophe grec du ir siècle.
(11) Bertrand (Pierre), cardinal, évoque d'Autim (1300-1349), canoniste.
(12) Ptolémée (Claude), géographe du 11* siècle.
(13) Laotance, orateur chrétien du iv* siècle.
(14) Poggio (Jean-Baptiste), secrétaire des papes et jurisconsulte, mort
en 1459.
(15' Simonetta (Boniface), historien italien du xr siècle, auteur du De
persecutÂonàbus chrisUmœ fidi^ ei ronianorur»:P/ontifUmm.
(10) Jamblique, philosophe platonicien, vivant sous Julien TApottaL
DE L*ABBAYE R^TAbE M SAINT-LUCIEN. 804
misieriis ^Egyptiomtn. — Liber Decretalium {inpapyra). — SewêUê
Decretalium, — Liber Olrani. — ArchidiaconniseuRoêaritis super
Decreto, ~ Digestum vêtus, — Digestwn novum. — Mercwrius
fripera, — Johannis de Montelon (1) Prompttiarium. — De regé-»
mhie principum. — Inforsiatum (2). — Liber InsiiiuHontim. —
Zabarena super Clementinis. — ^bbas siculus in libris Decreta-
lium , six volumes. — Summa domni Antonini (3), quatre vo-
lumes. — Historiœ domni Antonini , trois volumes. ^Sabeliiei (4)
pars prima et pars tertia, deux >olumes. — Agatliyas (5) de
bello Gothorum, — Plutarchi (%) pars prima et pars secunda, —
Mantuanus (7) — Quintitianus (8\ — Ammiani Marceliini (9)
Hystoria, — Hieronimus Battus (iO). -^ Adrianus (il) deSermone
latino, — Legetida aurea (12). — Procopius (43) de Bello pertico,
— Tomus primus Quatuor Conciliorum, — Eutropius (14). — Titus
Livius (15) [in magno volumitie). — Valerius Mctximus (16). —
Bartholus super Parvo tolumine, — Berthachini secunda pars. ^
(1) MloDlholoa (Jean de), chanoine de Saint-Victor de Paris , juriscon-
sQlte , mort en 1528.
(2) Infortiat, nom du deuxième volame du Digeste compilé sous Jostinlen.
:3) Saint Anlonin (1H89-1159), archevêque de Florence.
4) sabellicus (Harc.-Antoine), liistorien italien (1436-1608).
^5) Agathias (le scolastique) de Myrine , en Aaie , historien du xi* aiëclc.
6) Plntarqae.
7} Virgile , le poète.
(8) Qaintillen.
(9) Ammien (Harcellin), biatorien latin du iv siècle.
(10) Balbo (Jérôme), évêque de Goritz, historien mort en 1535.
(11) Adrien di Gorneto , cardinal , humaniste italien du xv« siècle.
(12) La légende dorée de Jacques de Voragine ou de Vartae, archevêque
de Gênes en 1292.
a3) Procope , historien grec du vi* siècle.
(Il) Eutrope (Flavius), historien latin du iv" siècle.
(15) Tite-Live, historien latin du viu* siècle.
(16) Valère (Haxime), historien iathi du i*' siècle.
592 HISTOIRE
Henricus Bohic, — Autentica (i). — Jacobinus de Sancto Geor-
gio (2). — De Turre Cremata (3) super tractatu de consecratione,
— Jacobini de Sancto Georgio Repertorium, — Pair ictus Fran-
ciscus (4). — Pars secunda Bartholi super Digestis, — Henrici
Bohic InstiMiones f deux volumes. — Dictionnarii pars prima.
— Epii^tolx PU (5). — Revelationes Sanctx Brigittx (6). — Au-
gusUnus de figura christianâ. — Grammatica Pétri Christiani (7).
— Fortalitium fidei (8). — Dyalogi décent Isidori, — Alanus (9)
in distractionibus, — Sacculus pauperum fin magno volumine
et in pergameno propredicatoribus), — Fincentii (10) liber primus,
liber secundus, liber tertius et qxuLrtus. — Luitprandus [\\), —
Cornélius Tacitus (12). — Nocleri (i3) primum volumen. — Adria-
iius , de Rébus gestis Alexandri, — Lectura aurea Pétri de An-
charano. — Nicolaus (14) abbas super secundo et tertio libro De-
cretalium , deux volumes. — Petrus de Anc/iarano super tertio et
quarto libro Decretaliiim, — Summa Baptistiniana . — Repertorium
Panormitani{i^), — Prima pars Felini. — Bartholomei deSaliceto
(1) Les Aathentiqaes , compilation des Novelles de Justinien , dont on
ne connaît ni l'auteur, ni l'époque.
(2) San Georgio , canoniste italien du xv« siècle.
(3) Turrecremata (Jean dej on Torquemada, cardinal de l'ordre des
Frères prêcheurs , théologien du xv* siècle.
(4) Patrjzi (François), évêque de Gaëie, canoniste italien du xv* siècle.
(5] Pie II (ifineas-Sylvius-Piccolomini), pape (1405-1464).
(6) Sainte Brigitte écrivit elie-môme ses révélaUons (1302-1373).
(7) Chrétien (Pierre), grammairien français du xvi* siècle.
(8) Ouvrage de Thomas, patriarche Barbariensis vivant au xv* siècle.
(9) Alain de Lille, théologien da xii* siècle.
riO) Vincent dit de Beauvais , dominicain érudit du xiii* siècle , auteur du
Spéculum doctrinale, historiale, naturale et morale.
[U) Luitprand , évôqae de Crémone , historien itaUen du x* siècle.
(12) Tacite , l'historien latin.
(13) Naucler (Jean-Yergen), chroniqueur allemand du xv« siècle.
:i4) Tndeschi (Nicolas), canoniste italien (1370-1145).
15) Tudeschi (Nicolas;.
DE l'aBBAYB royale DE SAIIVT* LUCIEN. 593
tertia pars. — Angélus de Aretio super titulo de Acdonibus.
Summa Hostîensis in Ubris Decretalium. — Casus SexH et Clemen-
tinarum, — Apparattis Decretalium Innocenta. — Abbas Siculus
super primo Decretalium libro. — Liber Coclitus de Physionomia
et C/teromantia, — Julius Firmicus (1) cum libris Arati (2) et
Manilii (3). — fAber trium virorum et trium virginum spiritua-
Hum, — Liber Haly filii Abenragel (4) injudicis astrorwn, — Divi
Bonave7iturss in tertium librum Sententiarum, — Sabellici exem-
plares (5).
Une bibliothèque ainsi composée n'était pas à dédaigner à
cette époque ; elle montre l'étendue et la diversité des études
auxquelles on se livrait dans le monastère. La théologie , le droit
civil et canonique y sont les mieux représentés, les ouvrages les
plus solides sur la matière y abondent, et cela se conçoit ; n'était-
ce pas là, pour ainsi dire, la science professionnelle de ceux pour
qui la bibliothèque avait été formée? Mais on n'y négligeait pas
pour cela la culture des belles-lettres, ni l'histoire, ni les sciences
exactes et même l'astronomie, ou, pour mieux dire, l'astrologie.
Si la théologie était représentée par Pierre Lombard , saint Tho-
mas d'Aquin, saint Bonaventure, saint Augustin, saint Jean-
Ghrysostôme, saint Grégoire de Nysse, saint Basile, Origène,
saint Denis l'Aréopagite, Albert-Le-Grand , Jean de Beauvais,
Etienne de Gaëte, Guillaume de Paris, Richard de Saint-Victor,
Jean Fischer, Duns Scot, Rainier de Pise, le cardinal Piccolo-
mini, Fulcoie de Beauvais , Glaude Seyssel , Jean Ruclin,Ange
Politien et d'autres; le droit civil et canonique par les œuvres
de Justinien, les collections des décrétales, Pierre d'Ancharano,
(3) Juiias Firmicus, poète, astronome Utin sous les enfants de Constantin
autear d'un livre d'astronomie.
(3) Aratas, poète et astronome grec da temps dePtolémée-Phlladelphe,
aoteiir des Phénomènes,
(4) Manilios (Marcus), poète et astronome latin sous Tibère , auteur des
Astrqnomiques,
(6) Aben-Ragel (Ali) , astrologue de Cordoue au xp siècle.
(6) L original de ce catalogue fait partie de la ôollection manuscrite de
M. le comte de Merlemont.
SM «sfdnffi
Jean ^ Ferrières, Bartbotos, lean Faber, Feiinus Sandcnn,
BcMe, Zabsrella, Pierre Bertrand, Foggio, Alain de Lille, Tof-
q«6iiiada, Nicolas de Cusa, Durand de Mende , Azon, Antoioe
Gorwtufl, Nicolas Tudeschi, Jacobin de San Giorgio et autres;
les belles lettres Tétaient aussi par Cicéron, Virgile, Quintilien,
PtQtarque, Xénophon; la philosophie par Aristote; l'histoire et
la géographie par Strabon, Ptolémée, Symonet, Naucler, Vinoeat
de Deaufais, Ammien H arcellin, Jérôme Balbo, Procope, Ëutrope,
Tite-Live, Valère-Maxime; les mathématiques par Claude Boa-
^elle, Euclide; Tastrologie par Bonati, Sacrobosoo, Aratus, Mani-
lius, Firmicus, Aben-Kagel, Albert-le-Graad ; Tart de hàtir pv
Yitruve; la musique par Franchini. Un grand nombre de ces
ouvrages sont devenus aujourd'hui très-rares, et c'est un grand
dommage que cette bibliothèque ait disparu.
Arthus de Condren avait cessé de régir l'abbaye de Saint-Lucien
au mois d'octobre de l'an 1598. Etaît-ll mort? C'est ce que nous
ne saurions dire.
VI. — Antoine Besson (1598-1610?)
Un ecclésiastique du diocèse de Chartres, Antoine, d'autres
disent Jean Besson, fut nommé par le roi pour succéder à
Arthus de Condren. Il demeurait à Gasvilie(Eure-el-Loir) quand
il donna procuration, le 8 octobre 1598, à Charles Prévost, abbé
de Saint-Chéron, pour venir prendre possession en son nom de
l'abbaye de Saint-Lucien, à laquelle il venait d'être nommé, pour
y nommer un grand-vicaire qui le représenterait, et y passer les
actes et baux qui étaient nécessaires (1). L'abbé de Saint-Chéron
s'acquitta de sa délégation et prit possession le 10 décembre
80iv.ant. En même temps il nomma poujr grand-vicaire devant
tenir lieu de l'abbé, Nicolas Patin, le prieur claustral du mo-
nastère.
Le nouvel abbé vint rarement à Saint-Lucien; il y était
ipouriant le 8 .février 1602, lorsqu'il assista à l'émission des
vœux d'Adrien Millet, religieux de la maison. Il instilua aussi
(1) Cabinet de H. le comte de Merlemont.
DE L'aBBAYK SOTAtB DK SAINT-LUCIEN. W6
loi-lbètee et en personne, en cette même année, Jean Bertrand
conkitae infirnïier (4).
En son absence et à son défaut, les affaires du monastère
étaient régies par Nicolas Patin, et ce prieur instruit et expéri-
menté né laissait rien en souffrance. En 1899, il autoMse un de
ses rellgieui, Guillaume de Fontaines, chapelain de Hiauroy, à
acquérir, de rH6te1-Dieu de Beauvais , une maison attenant à
la ehapelle de Hiauroy, avec deux mines de pré au même lieu,
pour améliorer la situation des chapelains ses successeurs, et
les obligier à chanter la messe , aux cinq grandes fêtes de la
Sainte-Vierge , dans la chapelle (2).
Les religieux du monastère étaient alors : Nicolas Patin, prieur;
Baltasard de Lannoy, sous-prieur; Lucien Dargillei infirmier;
Guillaume de Fontaines, trésorier et chapelain de Hiauroy;
Louis Alexandre, Pierre Basse, Jean Salmon» François Patin,
Jean Bertrand, Noël Vicart, Etienne Boullet, Nicolas Doudeuil,
Merre Tiphaigne, Michel Gaeudin, Nicolas Baudoin et Claude
Morard.
On ne sait pas au juste quand ni comment Antoine Besson
cessa de régir Tabbaye de Saint-Lucien; nous pensons qu'il la
quitta vers t6l0, attendu que son successeur ne parait pas avoir
reçu de bénéfices ecclésiastiques avant cette époque, et que tout
fait supposer que cette commende lui fut donnée peu après celle
de rabbaye de Marmoutiers, c'est-à-dire dans le courant de
l'année 1610.
Vli. — Aiex.aiid]:*e de Boiu^boxi
(4640r-4699)(3).
Le siiôcesseûr d'Aùtoine Besson fht Alexandre dé Botlrboti,
dit Ib chevalier de Vendôme, flls naturel d'Henri IV et de
babrielle d'Estréés. 11 était né en 1S98, et le roi l'avait légiUmé
(1) Gan, Chriàl, t. ix.
(2) krch. de TOise : abb. de Saint-Lucien.
(3) Ses armes étaient : de France, au bâlofi de gueules péri en barre
596 HISTOIRE
par lettres du mois d'avril 1599. Il fut reçu chevalier de Malte
en 4604. Le roi Louis XIII lui donna la commende de Tabbaye
de Marmouliers en 1610, et le fit créer grand-prieur de Tordre
de Malte pour la province de France et général des galères de
Tordre. Il le nomma aussi , sur ces entrefaites, à Tabbaye de
Saint-Lucien. La commende du monastère tombait ainsi en
main laïque et ses revenus allaient servir à alimenter le faste
d'un homme de guerre, bâtard de sang royal. On n'avait même
plus la pudeur des convenances.
En 1615, Antoine de Bourbon fut chargé d'une ambassade à
Rome, et le 3 juin 1626 il fut arrêté à Blois, par ordre du roi, et
enfermé à Vincennes , où il tnourut le 8 février 1629. Son corps
fut transporté à Vendôme et inhumé dans Téglise des Pères de
l'Oratoire.
Il n'est pas besoin de dire qu'un tel abbé ne s'occupa guère
autrement de Tabbaye que pour en percevoir les revenus. 11 n'y
vint presque pas, et à quoi du reste aurait servi sa présence? Il
tint cependant à lui témoigner sa bienveillauce en lui donnant
plusieurs riches ornements d'église sur lesquels on voyait ses
armes (2). Il conserva cette commende jusqu'à sa mort , ainsi
que l'atteste un arrêt du Parlement du 4 juin 1631, obtenu contre
sa succession par le cardinal de Richelieu (3).
Le prieur claustral, Nicolas Patin, son vicaire général, conti-
nuait pendant ce temps d'administrer la communauté avec une
rare sagesse. Il pensa, lui aussi, à introduire la réforme dans sa
maison. Tandis qu'autour de lui, le zèle d'Augustin Potier,
secondé par le P. Bourdoise , saint Vincent-de-Paul et d'autres,
usait de tous les moyens pour réformer le clergé séculier des
collégiales et des paroisses de son diocèse, Nicolas Patin multi-
pliait ses efforts pour que la régularité primitive refleurit parmi
ses moines. Il eut plus d'une fois des conférences à ce sujet avec
le P. Bourdoise, et le fit venir en son monastère pour qu'il
Taidàt de ses conseils et de sa parole. En même temps, il tra-
vaillait à rétablir l'ancienne organisation monastique qi e les
abbés commendalaires , et surtout Odet de Chàtillon, avaient
(1) D. Percheron, eh. 47.
(S) Cabinets de MM. Borel de Brétizel et comte de Merlemont.
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 597
profondément modifiée. Par ses soins, et grâce à l'influence dont
ii jouissait auprès des abbés commendataires de son temps, les
charges ou offices claustraux de la trésorerie, de la chantrerie
et de rinfirmerie, supprimés par Tabbé de Chàtillon, furent
restitués, et des moines capables, remplis de Tesprit de leur
état et disposés à en remplir consciencieusement toutes les obli-
gations, > furent nommés. Il ne put cependant terminer son
œuvre, la mort Tenleva auparavant, en i6i9. Il eut un digne
successeur dans Yves Mullot pour la continuer.
Les afTaires temporelles dont il eut à s'occuper furent peu
nombreuses et sans grande importance. En 1G12 il acquiert^
moyennant iOO livres tournois, d'Henri Petit, receveur de la
ch&tellenie de Milly, une rente de 6 livres 5 sols constituée sur
Romain Jolly, laboureur à Villers-sur-Tbère.
En 1613, le 10 juin, il obtient une sentence du Parlement contre
Charles de Lorraine, duc d'Aumale, pour le contraindre à payer
douze années d'arrérages de la rente de deux marcs d'argent,
évaluées à 9 livres tournois, constituée au xi« siècle sur le comté,
devenu depuis duché d'Aumale, par le comte Guillaume d'Au-
male. Charles de Lorraine avait profité des troubles de la Ligue
pour se dispenser de payer et prétendait depuis avoir prescription.
En 1G19 , il entre en possession d'une rente de rjo livres tour-
nois, léguée par Thibault Dargille, homme d'affaires de Philippe
du Kesnel, bourgeois de Paris, et frère du sous-prieur Lucien
Dargille.
En 16:25, Nicolas Patin, voyant les finances de l'abbaye se ré-
tablir, conçut le projet de faire rentrer petit à petit son monas-
tère dans la possession des biens qu'on avait jadis été contraint
d'aliéner pour répondre aux édits de subvention. Il commença
par racheter cinquante-quatre mines de terre, sises au terroir de
Luchy. Le possesseur, Jacques de Brouilly, écuyer, seigneur de
Piseaux, lit quelque difficulté pour y consentir; mais comme les
édits royaux avaient laissé cette faculté de réméré aux établis-
sements vendeurs, un arrêt du grand Conseil, du 26 décembre
1623, obligea le sire de Brouilly à s'exécuter, et les cinquante-
quatre mines de terre furent réunies au domaine de l'abbaye (I).
1} Arcb. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
M8 fiisTom
Les rdjgfetix qui vécurent à Sara t-Lncien sous l'admiKltstratiMi
d'Alexandre de Bourbon furent Nicolas Patin, grand-prieur,
Guillaume de Fontaines, trésorier, puis sous-prieur^ Franfels
Patin , tiers-prieur, Lucien Dargille , second infinmier ; lean
Bertrand, premier infirmier, Etienne Bouilet^ Claude Caillot^
Nicolas Doudeuil , Noël Vicart , chantre , Pierre Tiphaigne , NoSl
de Hénu, Michel Gueudin, Thibault Fournier, Adrien Millet,
François Le Manguier, François Foullon.
Vtlf . — ï^roolàs «Le ISéùrvlilé (1629) (i).
Après là mort d'Alexandre de Bourbon , Louis Xitt dôllâa la
comkneiide de Tàbbaye de Sàint-Luclen & Nicolas de NeUfvtile ,
conseiller-clerc au Parlement de Paris. Cet abbé était fils natu-
rel de Nicolas IV de NeufVine, chevalier, seigneur de Vîlleroy,
Alaincoùrt, Magny, secrétaire et ministre d'état, gouverneur de
Corbeil. La faveur dont jouissait son père à la cour, lut avait
fiait successivement donner la cbmihende des abbayes dé la
Chaise-Dieu, de Saint-Loup de Troyes, de Chézy, de Fonte-
helle et de Lagny, eh inéme ttemps qu'un canonlcat à la Sainte-
Chapelle de Paris. Esprit vet-salil et timoré, il quittait ùh ihb-
nastèl-e et s'en démettait, J)our s'en laisser donner un autre
quelque temps après. Il se démit ainsi âé l'abbayé de SalHt-
Luclen, après l'aVoIr administrée pendant queicitiiss moiè. Aussi
son passage n'a-t-ii guère laissé de traces.
ÏX. -— Pierre VÏ de Bérxxlie (1629) (2).
Le successeur de Nicolas de NeufviÙe, le cardinal Pierre de
Bérulle , n'eut pas une administration beaucoup plus longue.
On devait bien augurer, pour la régularité du monastère, de la
nomination de ce zélé fondateur de la congrégation de l'Ora-
(1) Led armei des Ifeaftllle-Tillero^ sdtit: 'd'azur, du chêf>¥on Wolr,
accompagné de trois croix amrées de mime.
(2) Les armes de Béralle sont : de gueules^ au chevron d^or, acconi"
pagné de troii molettes du même.
DE l'ABBATE RêYAIiB «B SAINT-LUCIEN. M9
foire. L'amtorité 4e «a science «t de ses vertus «a a¥ait Mt hr
conseiller ^es rois, et l'on pouvait penser qn'il meHratti'iifte <et
tes antres an service de la réforme monastîqne. Il n'en eu4 i^
le temps , la mort Tenleva subitement le i""' ^octobre 1629. 11
était venu à Saint-Lucien , et sa parole si pieuse et si bien infen-
tionnée, avait déterminé les moines à élire pour prieur •claus-
tral un religieux d'un très-graM mérite, qu'il leur recofnHran-
dait, nommé Yves Mullot. Ce religieux, docteur en théologie,
joignait à une science profonde, une {>fété, une btnnaiUté, un
amour de la régularité, qui donnaient lieu d'espérer d^ 0on ac-
tion les plus heureux rés^iliats, et cet espoir ne fut pas trompé.
Pendant les trente- deux ans qu'il exerça la charge âe f>Heor
claustral, et sous sa douce et patiente mais énergique influence^
il rendit son abbaye l'une des plus régulières de la contrée. Il
disposa les esprits à embrasser la réforme de la congrégation
de Saint-Maur, et s'il n'eut pas la consolation de la voir intro-
duite dans son monastère, il put la pressentir.
Tout le monde alors demandait cette réforme monastique , et
les papes Grégoire XV et Urbain YIH, avaient donné les instruc-
tions les plus sages pour arriver à l'eiTectuer. La rigueur des
moyens que Ton voulut employer la compromit et en retarda
l'accomplissement.
X. Ajrm and.- Jean Ou. Flessls de Rloîielieu
(4630-1642) (1).
La commende de l'abbaye de Saint-Lucien était vacante, et
Louis XIII ne crut pas pouvoir mieux faire que de la donner à
son célèbre ministre, le cardinal de Richelieu. Le revenu était
considérable et arrivait à point pour contribuer, avec bien
d'autres, à entretenir la cour princièrc de cet illustre homme
d'Etat. Nous n'entrerons dans aucun détail biographique à son
sujet, sa vie et ses actions sont assez connues. Il ne s'occupa
guère de l'n Iniinislrad jn de ce monastère; pourtant son grand
(1) Les armoiries du cardinal de Riclieiteu étaient: d'dtOM, S trois
chevrom dt gueules
600 HISTOIRE
crédit fut souvent utile pour en sauvegarder les intérêts. Il lui
rendit service , mais ce service, il le lui lit bien payer, en le
pressurant de toutes les manières pour en avoir de Targent. La
portion des religieux était sans cesse diminuée; ceux-ci souf-
fraient et détestaient leur abbé. Leurs sentiments à son égard
sont bien exprimés dans la mention inscrite dans leurs annales
et reproduite par le Gallia Christiana (\) « reditus devoravit ab
anno 1630 ad 1642. »
L'administration intérieure fut continuée entre les mains de
D. Yves Mullot.
Quant aux intérêts temporels du monastère, si le cardinal de
Richelieu n'avait pas toujours le temps d'y veiller, son conseil
s'en occupaiL Une des choses qui tout d'abord attirèrent le plus
son attention, fut la réparation des édifices. Alexandre de Bour-
bon, forcément éloigné de l'abbaye, n'y avait guère pensé et avait
laissé les dégradations s'accumuler, sans y apporter presque
aucun remède. L'un de ses successeurs, le cardinal de Bérulle,
avait cité ses héritiers en Parlement, le 16 juillet 1629, pour les
contraindre à faire ces réparations. La mort ayant inopinément
enlevé le réclamant, le conseil du cardinal de Richelieu reprit
l'instance. Il avait reconnu, après visite, qu'il fallait plus de
30,000 livres pour obvier au mal , et avait ordonné la saisie de
tous les fruits et deniers restés entre les mains des fermiers et
débiteurs du défunt abbé de Bourbon. L'affaire, portée pardevant
le Parlement, fut jugée en faveur du cardinal, qui, transigeant
avec les autres créanciers du défunt , se contenta d'une somme
de 6,924 livres à prendre d'abord, sauf à avoir ensuite recours
contre ladite succession , si les dépenses dépassaient par trop
les prévisions faites jusqu'alors (2).
Un autre procès se poursuivait vers le même temps contre le
seigneur de Sarcus. Il y avait en ce village un marché le ven-
dredi de chaque semaine; il était en usage de temps immémo-
rial, et personne ne s'y opposait. Comme les transactions com-
merciales qui s'y faisaient donnaient de l'importance à la lo-
calité, messire Geoffroy de Tiercelin , sire de Brosses et de ce
(1) Gall, Christ., t. ix, col, 787.
\2) Cabinets de MIL Borel de Brétizel et comte de Merlemont.
DB L ABBAYK ROYALE DB SAINT-LUGIBN. 601
lieu, y prit goût et engagea ses tenanciers à tenir encore marché
le lundi et le mercredi. Ces marchés eurent lieu et causèrent un
grave préjudice au marché de Grandvilliers, qui se tenait le
lundi. Les habitants de ce bourg s*en plaignirent, et Tabbaye de
Saint-Lucien, seigneur du lieu, prit fait et cause pour eux. un
plaida en Parlement, et, par sentence du 27 août d632, défense
fut faite au sire de Brosses et de Sarcus «« de faire, ny souffrir
« estre fait aucun marché audit Sarcus lesdits jours de lundy et
« mercredy, ny même en autre jour de la sepmaine, sinon que
« le vendredy, à peine de tous despens, dommages et intérêts »
et p^'rmission fut donnée à Messieurs de Saint-Lucien de faire
publier et afficher cette sentence a par toutes les églises et lieux
« publics des villes , bourgs et villages circonvoisins , pour la
« conservation de leur droit. » Le marché du lundi, è Grand-
villiers, avec les deux foires qui s'y tiennent chaque année, avait
été établi par lettres-patentes de François 1", données en 4^38,
et conûrmées par Henri II et Louis XIII (1).
Le conseil du cardinal-abbé, tout en s'occupant de l'adminis-
tration des biens de Saint-Lucien , n'en prenait cependant pas
exclusivement la gestion, il laissait une certaine liberté aux
religieux, sauf à veiller sur la manière dont ils traitaient les
affaires. Aussi les voit-on, après délibération capitulaire, acqué-
rir eux-mêmes plusieurs pièces de vignes à Saint-Lucien , près
du Clos-Brûlé, en 1633; — une pièce de terre et un pré, sis près
du Pont-aux-Vaches, de la veuve de Nicolas Dargille; un jardin,
lieudit les Esbattements, de la veuve de David Jacob , en 1634.
La même année, ils vendent à noble homme M« Pierre Âdrian,
avocat eu Parlement, et demeurant à Beauvais, cîïiquante-quatre
mines de terre à Luchy u pour satisfaire au rachapt qu'ils dé-
« sirent faire des prés ci-devant aliénés au profit de Pierre et
« Catherine Carcireux , en conséquence des édits fait pour l'alié-
« nation des biens du clergé, appelés les Grands-Prés du Vivier
« assis proche de la dite abbaye, qui sont de plus grand re-
u venu... moyennant 1,900 livres tournois. » Continuant de ra-
cheter leurs propriétés jadis aliénées , ils obtiennent plusieurs
arrêts du Conseil du roi, en 1635, contre des possesseurs, qui
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
Mft UISTOJRS
refusaieat cte s'en dessaisir, malgré le remboursement du prix
ei des toyaux coûts qu'ils leur offraient. Ils contraignirent ainsi
Pierre de Frémont, écuyer, seigneur de la Morvelliére, à leur
rétrocéder six muids de grains de rente sur la grange de Tré-
monviliers, quatre autres muids sur la grange de Gouy, douze
mines de blé et treize muids et demi d'avoine sur le dîmage des
chanoines de Saint-Laurent de Beauvais à Francastel , et trente^
deux mines de grains sur la maison du Bois d'Ecu relevant de
la commanderie de Fontaine. Le même arrêt condamnait Adrien
et Charles De la Rue à se désister du fief d'IIéricourt-Saint-
Samson. Ces derniers parvinrent pourtant à garder leur lief,
par un arrangement qu'ils firent avec les religieux. Charles de
Lamet , seigneur de Beaurepaire , ne fut pas aussi heureux et
dût céder vingt arpents de pré, à Pont-Sainte-Maxence. Ils
poursuivaient, en même temps, la duchesse d'Âumale, Anne
de Lorraine , pour qu'elle eût à payer au chantre de leur abbaye
les deux marcs d'argent de rente imposés jadis sur son duché
par le comte Guillaume (1).
Une question d^économie cléricale préoccupait alors Tadmi-
nistration diocésaine. L'évêque travaillait de tout son pouvoir
à réformer le clergé paroissial et voulait que tous ses curés
fussent graves, dignes, exemplaires partout, résidents et tout
entiers à leur saint ministère. Les pieuses retraites, les con-
seils, ne leur étaient pas ménagés, tout cela était bien; mais
pour un grand nombre de curés de campagne, il y avait, à
c6té de cela, une cause qui faisait négliger la résidence, cu-
muler les bénéfices et nuisait à la régularité, c'était la pauvreté.
Dans certaines paroisses, la portion congrue n'était pas abon-
dante, et le gros accordé par le décimateur était souvent me-
suré très-parcimpnieuâement. L'évêque et les curés s'en plai-
gnirent aux seigneurs et aux grands établissements, monastères
ou chapitres, qui percevaient les dîmes des localités. Leurs
plaintes furent entendues dans maintes circonstances. L'abbaye
de Saint-Lucien et son abbé surent se montrer bienveillants.
Ils accordèrent des augmentations à un grand nombre de curés
de leurs terres, et leurs registres nous signalent spécialement
(1) Arch. de TOise : abb. de Saint-Lucien.
DE L ABBAYE ROXAliE M SAINT-LUCIEN. M3
teft curés de Juvigiije&, deVerderel, de Froissy, de Uuidojrge,
de Thury aouft-Clermont, d'AbbevUte-Salnt-Lucien, de Lucby,
de Notre-Dame-du-Thil , d'Oudeuil , comme ayant reçu des sup-
pléineftlB de quinze, vingt, et même de cinquante livres, (i).
Le cardinal de Richelieu mourut le 4 décemJ>re d64â, et fut
remplacé , en qualité d'abbé de Saint-Lucien , par le cardinal
llaiarin.
XI. — Jules Mazax^iiL (4643-1661] (î).
Le cardjjQ^l llaiarin, fils de Pierre Mazaiiini et d'Hortensia Ru-
M4iai, était né le 14 juillet 1602 à Piscina , dans TAbruue, pro.-
yinc^ 4u, j^oyawie d/^ Napl^s, Après ^voîr été légat d'Urbain vm
da^s le llila,DAis ^t le l^ii^ont , il fut envoyé comme non^
ex^t^aordinaijce en France, en icai. U y gagna r^itié du caj;-
djnal ù^ Qjphelieu et U bi^nveilia^e de Louis xni qui le fii
oypiiMner cardinal en 1641. Après la rn^rt de aichelieu., ii fi^l
revêtu, de la çb^ge de conseiller ^'f^t^t^ 9t devint ministre de
France durant la minorité de Louis. XiV. Ce fut sur cea entre-
ij^^s qu'il fut pourvu d^ r^bbaye ^e Saint-LuQie% Le crédit
4on^ il joi^jssait à la cour Lui val^t bien d'autres dignités et
4;^res bénéfices., pi^isqu'aux titres de piM^ de France, i^ iffl-
9istj;^ d'Ët^Àçt de duc de Mayenne, il joignit cq^\ d'évéqu^ 4ib
Mjet^, d'al^bé.de S^ii^An^a^d, de SaintrClément e^ de Saint- Vin-
cent de 1^ mèi^ yille, de Cluny, 4^ Sajnt-Denis, de SaintrPierre
de Cori)ie, de s^ijnt-vaast^ d'A^ras., de SaiutMédard de Soissons,
4e Sa^nJtrMaf*t|n deLaon, de S^nt-Luciçn de Beauvjiis, de Sainl-
Etienne de Caen , de Saint-Vigor de Çérisy , de SjMutrlIipbel dfe
l^éon, de Sainjt-Taurin d'Çvreux> ^ Saint-Pierre de Moissac, de
Nptre-Dame de Çrandval, de Sainl- Victor de Marseille, deSainl-
Honorat, ^ lifya/m^ , d^ S^trl^bert de la Cb^ise-DleU: sur Seii^e
et de Sawt^C^rmain d'Auxerre. Il éti^it abbé coipiai)findataii:;e de
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Laden , invent, de 1669.
(3) Les. acmea de. Uazarin étaient : d^azur., à to hache d'artMê d^'ar-
gent dans un faisceau d'armes d*or, Ué d'argent , posé en pal, et wne
fasee de gueules sur le tout, chargée de trois étoiles d^or.
604 HISTOIRS
vingt monastères , quel abus ! Et comment pouvait-il veiller sur
eux ? C'est à peine s'ils eurent sa visite, plusieurs mêmes ne le
virent jamais.
Pour administrer les revenus de tous ces bénéfices, le cardinal
Mazarin avait un fondé de pouvoir, c'était Jean-Baptiste Colbert,
conseiller du roi en ses conseils, demeurante Paris. 11 afferma
tout le revenu de Saint-Lucien à un fermier général, chargé de
délivrer aux moines, sur le prix de son bail, l'argent nécessaire
à leur entretien. La somme n'était jamais trop forte, et plus
d'une fois les religieux réclamèrent contre l'exiguïté de cette
pension.
Le 10 juin 1G50 , le roi, étant à Compiègne, créa une rente de
3,000 livres sur l'abbaye de Saint- Lucien, au profit de François
de RoncheroUes deMainneville, prêtre du diocèse de Rouen. Les
rois ne se gênaient pas alors pour récompenser leurs favoris aux
dépens du revenu des monastères, et ils en disposaient comme
s'ils étaient à eux. Ils préludaient ainsi à la confiscation des biens
du clergé, opérée plus radicalement en 1790. Mazarin y consentit
pour conserver les bonnes grâces de la reine mère ; quant aux
moines, on ne les consulta même pas (1).
Cependant les moines, fatigués d'être mal entretenus et plus
mal encore payés, s'entendirent avec les rentiers de leur maison,
qui ne l'étaient pas mieux, pour faire saisir les revenus des biens
dans les mains des sous-fermiers. Mazarin obtint divers arrrêts,
en 16o2, contre eux, sans pouvoir étouffer leurs réclamations.
Elles parurent justes au grand Conseil , et le cardinal fut obligé
de transiger et de satisfaire à leurs demandes. Il s'exécuta de
mauvaise grâce et consentit à partager les revenus, mais il se
fit toujours la part du lion.
Il mourut en i66i, au moment où les religieux allaient in-
tenter un procès à son fermier général au sujet des bâtiments
de leurs fermes, qu'il laissait s'écrouler, faute d'entretien.
De son temps , vécurent à Saint-Lucien les religieux Yves
Mullot, grand-prieur; Noël de Hénu, sous-prieur en 1642; Jean
Vicart, chantre et sous-prieur après Noël de Hénu; François
Foullon, infirmier en 16 i3; Adrien Millet; Germain Auxcous-
1 Cabloets cU MM. Borel de Brétizel et comte de Merlemont.
DB l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 605
taux (4), prieur de Lesseville; Pierre de la Croix (2), trésorier;
Jean Pécoul (3); Nicolas de Regnonval (4) ; Lucien Leullier (S) ;
Alexandre Des Vieux, inflrmier en 1657; Pierre Auxcousteaux (6);
Nicolas de Norroy ; Benoit de Regnonval (7).
XII. — Fx*aiiçols-Max*le Manolxil (8)
(4664-4672).
François-Marie Mancini, cardinal du titre de saint Vite et saint
Modeste , fut nommé à Tabbaye de Saint-Lucien après la mort
du cardinal Mazarin. Il était fils de Paul Mancini et de Victoria
Capoccia. Les auteurs du Gallia ChrUtiana le font à tort le
neveu du cardinal Mazarin ; il n'en était que Tami et le protégé ;
leurs familles ne s'unirent entre elles que par le mariage de sou
frère Laurent Mancini avec la sœur de Mazarin. Il fut élevé au
cardinalat le 5 avril i660, à la recommandation de Louis XIV, et
dut aussi à la faveur du grand roi plusieurs bénéfices de haute
(1) Né en 1605 de Jacques Auxcousteaux , seigneur de VeodeuU et de
Pisselen , avocat , baiily et procureur fiscal de l'abbaye de Saint-Lucien ,
et de Nicole Lecat. Il mourut le 14 mai 1684.
[1) FUS d'Adam De la Grobc, marchand à Beauvais, et de Marie Le Febvre.
(3) D'une famiUe de marchands des plus honorables de Beauvais. Il
mourut , en 1688, dernier prieur des religieux non réformés de l'abbaye
et prieur de Sénarpont.
(4) Fils de Jean de Regnonval , échevin et juge consul de Beauvais , et
de Marie Gaudouin ; mort le 9 Juin 1661 et enterré dans la chapeUe de
Saint-Benott.
(5) Fils de Lucien Leullier, échevin de Beauvais.
(6) Frère de Jacques Auxcousteaux, doyen de la Faculté de théologie
de Paris, chanoine de Gerberoy, et enfin religieux à Saint-Lucien, où il
mourut le so octobre 1680.
(T; Frère de Nicolas de Regnonval , fit profession le n décembre 1655 ,
mourut le 28 février 1676 et fut enterré à côté de son frère.
(8) Les armes du cardinal Manchii étaient: d'axer, à dstia; poisêmit
d'argent poêés en pai.
T. VIU. 40
606 HI6T0IEB
importance. Avec Saint-Lucien , Il eut encore en commenfle les
al)baye0 de la Gbaiie-Dieu , de Saint-Martin de Laon, tt des
Préaux.
Le cardinal Mancini trouvait à Saint- Lucien une communauté
des plus régulières , grâce à la sage administration du grand-
prieur Yves Mullot. Ce docte et pieux religieux aurait bien désiré
la voir unie à la Congrégation réformée de Saint-Maur , il faisait
des démarches à ce sujet, quand la mort Tenleva, en 1662.
Aussi bienfaisant que pieux, il avait donné à Téglise de ce mo-
nastère f qu'il avait dirigé pendant trente-deux ans , quatre
grands chandeliers en vermeil et un très-bel ornement en bro-
catelle d'or (1).
Pierre De La Croix « son successeur dans la charge de grand*
prieur, continua son œuvre de réformation et demanda aux su**
périeurs de la Congrégation de Saint-Maur d'introduire dans
sa maison quelques<uns de ces religieux, dont Tinfluence avait
produit les plus salutaires résultats dans un grand nombre d'é-
tablissements. 11 sollicita Tassentiment de l'abbé, et le cardinal
fut heureux de le lui donner.
« C'était dans Tabbaye de Saint-Vanne , en Lorraine , dit
H. Hippeau (^), qu'avait eu son origine la Congrégation géné-
rale des bénédictins de Saint-Maur. Un abbé de Saint-Augus-
tin de Limoges ; Jean Renaud, eut l'heureuse idée d'aller, en
1613, chercher des religieux dans cette abbaye, pour fonder
avec eux une société monastique, rigoureusement soumise à
la règle de saint Benoit. Sur la demande de Louis XllI, ses
statuts furent approuvés en 1621 par le pape Grégoire XV , et
plus tard par Urbain VIH. Indépendamment delà règle de saint
Benoit, la Congrégation de Saint-Maur avait ses statuts et ses
constitutions particulières. Elle avait un supérieur générai, ré-
sidant à Saint-Germain-des-Prés, des assistants et des visiteurs,
et tenait tous les trois ans un chapitre général. Personne
n'ignore les services rendus par cette illustre société à la reli-
gion et au rétablissement de la discipline dans les monastères,
(1) D. PorcheroB, ch. 47.
(9) Monographie de Satm-ltlenne de Gaen , dans le t. xxi des Ménwiret
dt ta Société des AnUq. de Normandie, p. 257.
DB l'abbaye BOYALE DE SAINT-LUCIEN. 607
sur lesquels s'étendit son action réformatrice. Les religieux de
la Congrégation de Saint-Maur se sont acquis des droits éternels
à la reconnaissance des savants et des littérateurs, par leurs pro-
digieux travaux d'histoire et d'archéologie. Le nom seul de cette
société suffit pour faire natlre l'idée de tout ce que peut pro-
duire le dévouement à la science, quand il a pour mobiles les
sentiments les plus purs et les plus désintéressés, et quand
ceux qu'il anime, au Heu de rechercher le profit, la gloire et les
applaudissements*du monde, ne considèrent leurs travaux que
comme l'accomplissement d'un devoir imposé par la foi. »
Quelle pléiade d'hommes que celle qui se pressait autour de
Montfaucon et de Mabillon ! Savants de premier ordre, mais
toujours religieux fervents et modestes, travailleurs infalignbles,
sachant, pour la plupart, mourir obscurs sans léguer leurs
noms à la postérité; ils se contentaient d'écrire, pour toute
signature, au bas de leurs préfaces : Uno avulso, non déficit
aifer.
L'introduction des bénédictins réformés de Saint-Maur dans
Tabbaye de Saint-Lucien se 01 au mois d'octobre tf6*>, à la suite
d'un traité conclu au mois d'avril précédent, entre les anciens
religieux et le T. R. P. Bernard Audebert, supérieur général de
la Congrégation.
I! y élait convenu que l'abbaye de Saint-Lucien, avec les offices
claustraux qui en dépendaient, serait et demeurerait unie et in-
corporée à perpétuité à la Congrégation de Saint-Maur, pour
être régie et gouvernée^ tant au spirituel qu'au temporel, parles
Pères de ladite Congrégation. Respectant la liberté des anciens
religieux , on avait en outre statué qu'on ne pourrait les con-
traindre à prendre la réforme, ni à en suivre une plus étroite
que celle qu'ils avaient professée jusqu'alors, mais que ceux qui
voudraient embrasser celle réforme seraient tenus de se sou-
mettre à tous ses statuts. Les anciens religieux et les nouveaux
auraient chacun leur prieur et leur sous-prleur particulier.
Les religieux de l'ancienne observance, composant alors la
communauté, étaient : D. Pierre De La Croix, grand-prieur;
Germain Auxcousteaux , sous-prieur et prieur de Lesseville;
Alexandre Des Vieux, infirmier et garde marteau ; Jean Pécoul ,
procureur et prieur de Sénarpont ; Lucien Leullier, sacristain
et chapelain de l'abbé ; Pierre Auxcousteaux; Nicolas de Norroy,
608 HISTOIRE
JeanduHamel; Aloph deFournival, chantre; Jean Pol, dépen-
sier; Benoit de Regnonval; Jacques Evrard , sous-chantre; Reml
Ghertemps, trésorier.
Ces religieux, au nombre de treize, firent eux-mêmes un rè-
glement dont ils promirent, par acte capitulaire du 4 avril 4665,
signé d'eux tous, de garder les dispositions, afin de ne pas
nuire à la réforme.
Ce règlement était ainsi conçu :
Règleimnt qii« les aseiens religienx de l'abbaye de Saint-Lucien s'ebligent de garder,
les Pères réformés de la Congrégation de Saint-Ianr étant en ladite abbaye.
!• Les dits religieux seront tenus d'assister au service divin, à l'excep-
tion des seules matines , qui se disent par les Pères à deux heures après
minuit , et ne pourront s'en dispenser, ny môme en sortir, quand ils y
seront, sans la permission du supérieur.
2" Ils diront chacun , de semaine en semaine , en leur tour, les messes
de cimetière, ce qu'ils feront néantmoins de teHe sorte , que leur nombre
de treize Tenant à diminuer, ils ne seront pas plus souvent en semaine,
pour les dites messes , que s'ils demeuroient toujours en leur nombre
de treize. Quant à ceux qui , par maladie , absence ou autrement par em-
peschement légitime , ne pourront s'acquitter de toutes les dites messes,
ou de partie d'icelles, quand ils seront en semaine, ils en donneront
advls au supérieur, à qui il appartiendra de les en dispenser et d'y pour-
voir.
3* Ne leur estant pas possible de continuer leur communauté de vivre,
buvant et mangeant dans un même réfectoire , à cause des empeschc-
ments qui s'y trouvent, on se contente de les exhorter de se joindre en
plus grand nombre qu'ils pourront , pour prendre ensemble leur repas,
pendant lesquels, s'ils ne font pas de lecture, du moins ne s'entretien-
dront-iis que de choses bonnes et convenables à des religieux.
4* Ils feront abstinence de chair, tout l'^dvent, comme aussy tous les
mercredys, vendredys et samedys , à la réserve du jour de Noël arrivant
l'un des dits jours , et de la fête de saint Lucien, du mois de janvier, à
l'égard du mercredy seulement, ne plus , ils jeûneront tout TÀdvent , et
depuis la Pentecoste jusqu'à l'Exaltation de la sainte Croix, tous les ven-
dredys, et depuis la feste de la Sainte-Croix jusqu'au Garesme, tous les
mercredys et vendredys, si ce n'est que, ces jours-là, il n'arrive quelque
feste de garde , ou bien qu'il se rencontre quelque jeûne d'Eglise es autres
jours de la semaine. Ils jeûneront aussy toutes les veilles des principales
fêstesde Nostre-Dame, suivant la louable et ancienne coutume de la
maison. Et de tous les jeûnes et abstinences , personne ne sera dispensé
DB L'ABBAYK royale DE SAINT-LUCIEN. 609
qa'en cas d'inflnnité, oade quelqa'aatre canse approayée par le sapé-
rieur.
5* Quant à lear pension, encor que le pape leur permette de la tenir
et aux R. P. Réformés de la leur donner, ils seront nëantmoins tenus
d'en rendre compte an supérieur, quand U le voudra , et ne pourront
disposer d'aucune cbose notable par vente , don ou prest , sans permis-
sion.
6* Nui ne sortira pour aller aux champs « à la ville ou à la promenade
aux environs de l'abbaye , sans en avoir congé du supérieur ou de celuy
qui commandera en sa placé.
7* Ils se garderont de Toisiveté , comme de la mère de tous les vices,
et partant seront fort soigneux d'employer en choses bonnes le temps
qui leur restera hors des heures de service ; et quand ils auront à se di-
vertir ou promener ensemble , ils le feront au dedans de l'enclos de la
maison, et non jamais dehors, devant la grande porte, où ils n'iront
point sans nécessité. L% chasse, la pesche et tous autres divertissements,
qui peuvent mai édifier le monde , leur sont deffendus.
8* Ils ne porteront pas les cheveux: trop longs et se feront tellement
rafraîchir de temps en temps la couronne qu'elle paroistra toujours. lis
seront modestement vestus et jamais n'iront ou paroistront nul part ,
sans avoir, par dessus leur soustane ou soustanelle . un scapulairc de
lonjgueur et largeur convenable, et au lit mesme, ils en porteront un
petit, comme ils ont jusqu'à présent accoutumé.
9* Il leur sera toujours très expressément deffendu de donner entrée
aux filles et femmes dans aucun des logis et lieux , où ils auront leur
demeure, quoique mesme hors du clolstre.
10. Le sous-prieur les assemblera de fois à autre , et plus particulière-
ment pendant l'Advent et le Caresme , dans tel lieu qu'il lui plaira pour
y tenir chapitre et reprendre les manquements, et leur faire telle exhor-
tation qu'il jugera à propos (1).
Cette comniunauté montrait ainsi son anoiour pour la régula-
rité et rimportance qu'elle attachait à ce qu'elle fût conservée.
Son prieur, D. Pierre De La Croix, resta en fonction pour la di-
riger. Après sa mort, Germaiu Auxcousteaux fut élu pour lui
succéder. Le nombre de ces religieux, ne se renouvelant plus,
alla sans cesse en décroissant, et finit par être réduit à rien au
bout d'une vingtaine d'années.
Les nouveaux Pères réformés s'établirent dans l'abbaye sous
(1) Cabinets de HH. Borel de Brétizel et comte de Merlemont.
610 HISTOIRE
la conduite de D. Michel Maillot, prieur, leur supérieur, et y vé-
curent de la manière la plus édifiante dans raccoraplissement
des constitutions qu'ils avaient vouées. Us prirent en mains l'ad-
ministration de la maison, et régirent à leur gré tout ce qui n'ap-
partenait pas à la haute direction de l'abbé, dont tous les droits
avaient été réservés. Par leurs soins, fut construit le trésor où
l'on renferma les reliques et les autres objets de grande valeur,
et c'est à eux aussi que l'on doit la splendide chaire à prêcher
de leur église. Elle est maintenant dans la nef de la cathédrale
de Beauvais, et offre un beau spécimen de la sculpture sur bols
de la seconde molllé du xvip siècle.
Le cardinal Mancini approuva de toute son autorité l'introduc-
tion dans l'abbaye de Saint-Lucien des religieux réformés de la
Congrégation de Saint-Maur, mais n'y donna pas autrement ses
soins, ni son concours. Quant à l'adminislration du temporel,
il en avait chargé un intendant général, Jehan Le Gentil, vidame
et officiai de Heims. Celui-ci, pour en simplifier la gestion, avait
donné toutes les propriétés et rentes à bail à un fermier gé-
néral. Il nous est resté peu d'actes importants émanani de cette
admInisfraMon. En 1663, le procureur fiscal de l'abbaye fit pro-
céder à Tespalement des mesures à grains et à liquides de sa
juridiction, et réduire celles qui n'étaient pas conformes à l'é-
talon. Pour éviter, à l'avenir, toulevariaiion, il fit fondre par
Jean Mainville^ maître-fondeur h, Beauvais, des mesures étalons
de fonte pour les liquides, et les fit marquer aux armoiries de
l'abbaye et du cardinal abbé; il fit aussi fabriquer deux poinçons
d'acier portant, gravées sur un même écusson, les armoiries
de l'abbaye à côté de celles du cardinal abbé, pour estam-
piller les mesures d'élain du commerce après leur espalement.
Les étalons et les poinçons furent déposés dans le trésor de
l'abbaye. On fit la même chose pour les mesures à grains : un
étalon de cuivre rouge, de la contenance d'une pinte, mesure de
Paris, servit de base aux autres étalons plus grands faits en
bois, cerclés de fer, et marqués au fond , sur les côtés et sur les
bords des armes de l'abbaye et du cardinal, comme les me-
sures pour les liquides (1).
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lacien.
DK l'aBBATE ROTALS DE SAINT-LUGIBN. 611
En 166i, le Conseil du roi autorise l'abbaye à vendre le bols
mort et le bois sur le retour, dans la haute futaie de ses coupes
de taillis, pour le produit être employé aux réparations de ses
édifices et àTentretien des religieux (i).
En 1670, Denis Hallet vend aux religieux une maison sise
auprès de leur abbaye , lieudit la Borne-Trouée. Le prieur des
Pères réformés était alors Antoine Bougier (2).
Le cardinal Mancini mourut à Rome le 28 juin 1672.
X.II. — jraoqL\i.e8«>Béiile;ii.e I*' Bossuet (8)
(1672-1704).
Au cardinal Mancini succéda un homme déjà célèbre et qui
allait le devenir plus encore, Jacques- Bénigne Bossuet, le futur
évèque de Meaux. Jacques-Bénigne, âls de Bénigne Bossuet,
avocat à Dijon , et plus tard conseiller au Parlement de Metz,
et de Marguerite Mochat d'Azu, naquit à Dijon le 27 septembre
1627. Il fit ses études au collège des Jésuites de cette ville et fut
pourvu, à rage de treize ans (1640), d'un canonicat dans Tégllse
de Metz. Deux ans plus tard il vint à Paris, où il fit sa philo-
sophie, de la manière la plus brillante, au collège de Navarre.
Ses succès engagèrent le marquis de Feuquières à lui faire im-
proviser un sermon, quoiqu'il n'eût que seize ans, devant la
société d'élite du célèbre hôtel de Rambouillet. Son talent émer-
veilla le savant auditoire, et lit dire à Voiture, Tun des assis-
tants, ce mot devenu banal à force d'être répété, quHl n'avoU
Jamais ouï prêcher ni si tôt , ni si tard; ce fut le commencement
de sa fortune. Il soutint avec éclat ses thèses de bachelier en 1648,
de licence en 1650, et celle de doctorat en 1652, quelques se-
maines après avoir été ordonné prêtre. Il se rendit ensuite à
Metz, après avoir refusé la grande-maltrise de Navarre, et y
vécut six ans chanoine et archidiacre de sarrebourg. Là il se
(1) Arch de l'Oise : abb. de Saint-Laden.
i9) IMdem.
(3) Les armes de Bossuet étaient : d'azur, à trais roues <tor.
612 HISTOIBE
livra, avec une ardeur passionnée à l'étude de l'Ecriture et des
Pères.
Envoyé par son chapitre à Paris (i657), il y prèclia pendant
douze ans avec un succès si extraordinaire et une éloquence
tellement inconnue jusqu'alors , que Louis XIV le nomma h l'évê-
ché de Condom en septembre i669.
L'année suivante, le roi le choisit pour précepteur du dau-
phin, son fils. Bossuet accepta, se mit à l'étude avec une nouvelle
ardeur, et composa , pour l'éducation de sou royal élève divers
ouvrages élémentaires d'histoire et de philosophie. Hais ne
croyant pas pouvoir concilier cette nouvelle charge avec celle
de pasteur des âmes, il se démit de son évêché de Condom le
31 octobre i67i. C'était se priver d'un revenu considérable, et
rendre sa situation financière assez précaire, attendu que la
pension attachée au titre de précepteur du dauphin n'était pas
de haute valeur. La grande &me de Bossuet n'entrait pas dans ces
calculs d'intérêts, et il préféra vivre de peu et se gêner plutôt
que de se plaindre. Cependant Louis XIV, qui avait le sentiment
des convenances , ne crut pas devoir laisser dans cet état le
précepteur de son fils , et un homme tel que Bossuet. Le car-
dinal Mancini avait laissé vacantes, en mourant, les abbayes
de La Chaise-Dieu, de Saint-Lucien de Beauvais et de Saint-
Martin de Laon, le roi offrit à Bossuet celle qui lui ferait plaisir.
Le précepteur du dauphin n'était pas avide de richesses, et il
choisit celle de Saint-Lucien, comme étant plus rapprochée de
Paris; il pourrait plus facilement, disait-il, s'en occuper et
veiller sur elle, tout en donnant ses soins à son royal pupille.
Il n'était pas de ces hommes à accepter une commende d'ab-
baye comme une sinécure, ou comme une source de revenus.
Cette nomination si plausible et si justifiable lui valut cepen-
dant d'amères critiques, de la part d'esprits envieux et chagrins.
On connaît la lettre qu'il écrivit, à ce sujet, au maréchal de
Bellefonds :
Je ne m'attends, lui dit-il, à aucun compliment sur les fortunes da
monde , de ceux à qui Dieu a ouvert les yeux pour en découvrir la va-
nité. L'abbaye , que le roi m'a donnée , me tire d'un embarras et d'an
soin , qui ne peut pas compatir longtemps avec les pensées que Je sois
obligé d'avoir. N'ayez pas peur que j'augmente mondainement ma dé-
pense. La table ne convient ni à mon état , ni à mon humeur ; mes pa-
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DE L'aBBAYK ROYALS DE SAINT-LUCIEN. 615
rents ne profiteront poiqt da bien dô l'Eglise. Je payerai mes dettes le
plus tôt qse je pourrai. Elles sont poar la plupart contractées pour des
dépenses nécessaires , même dans l'ordre ecclésiastique ; ce sont des
bulles, des ornements et autres choses de cette nature.
Pour ce qui est des bénéfices, assurément Us sont destinés pour ceux
qui servent l'Eglise. Quand je n'aurai que ce qu'il faut pour soutenir mon
état y je ne sais si je dois en avoir du scrupule. Je ne veux point aller
audelk, et Dieu sait que je ne songe point à m'élever. Quand j'aurai
achevé mon service , je suis prêt à me retirer sans peine , et à travailler
aussi , si Dieu m'y appelle.
Quant k ce nécessaire pour soutenir son état , il est malaisé de le dé-
terminer ici fort précisément, à cause des dépenses imprévues. Je n'ai>
que je sache , aucun attachement aux richesses, et je puis peut être me
passer de beaucoup de commodités. Mais je ne me sens pas encore assez
habile pour trouver tout le nécessaire , si je n'avais que le nécessaire , et
je perdrais plus de moitié de mon esprit , si j'étais à l'étroit dans mon
domestique. L'expérience me fera connaître de quoi je puis me passer ;
alors je prendrai ma résolution , et je tâcherai de n'aller pas au jugement
de Dieu avec une question problématique sur ma conscience.
Je vous serai fort obligé de m'écrire souvent de la manière dont vous
avez fait. Ce n'était pas une chose possible de me tirer d'affaire par les
moyens dont vous me parlez. Je tâcherai qu'à la fin tout l'ordre de ma
conduite tourne à édification pour l'Eglise. Je sais qu'on y a blâmé cer-
taines choses , sans lesquelles je vois tous les jours que je n'y aurais fait
aucun bien. J'aime la régularité ; mais il y a certains états où il est fort
malaisé de ta garder si étroite. Si un fond de bonne intention domine,
tôt ou tard il y parait dans la vie ; on ne peut pas tout faire d'abord (i).
Bossuet laissa dire les critiques et conserva Tabbaye de Saint-
Lucien. En attendant qu'il eût obtenu ses bulles de Rome, le
roi nomma un économe pour régir le temporel du monastère,
et, par lettres-patentes données à SaInt-Germain-en-Laye , le
5 août 4672 , Pierre Haguenier fut chargé de ce soin (2). Cet ad-
ministrateur commença par obtenir un arrêt du Conseil du roi
(5 septembre 1672), commettant le lieutenant général de Beau-
vais pour faire constater les réparations à faire à Tabbaye. Elles
étaient nombreuses et Importantes : les cardinaux Mazarin et
(1) Réaume : Histoire de Bossuet, llv. vi, ch. m.
(2) Cabinets de MM. Borel de Brètizel et comte de Merlemont.
614 HiSTOItIt
Mancini ne s'étaient guère donné la peine d'y pourvoir. L'arrêt
du Conseil condamnait les héritiers du cardinal Manclnl à les
faire exécuter, et donnait ordre de verser dans les mains de cet
économe tous les deniers dus par les fermiers de Tabbaye ou
par les débiteurs du défunt cardinal, afin de parer aux dépenses
occasionnées par ces réparations (1). Pierre Uaguenier avait
encore intenté plusieurs autres actions pour sauvegarder les in-
térêts du monastère, quand arrivèrent les bulles pontificales
instituant canoniquementrabbé. Bossuet prit alors en main l'ad*
ministratlon et s'en acquitta avec habileté.
Bossuet un administrateur habile, cela étonnera peut-être cer-
tains esprits, habitués à répéter avec la plupart des biographes
de cet homme illustre, qu'il fut un piètre administrateur. Que
Bossuet n'ait jamais eu la réputation d'être un bon administra-,
teur, cela peut être vrai, lorsqu'il s'est agi de la conduite de ses
ailaires personnelles et domestiques. Son esprit ne pouvait se
plier aux mille détails économiques de Torganisation d'une mai-
son bien tenue , il avouait ingénuement son insuiTisance à cet
égard. Mais quand il lui fallut administrer les biens d'une grande
communauté, il sut y appliquer son esprit et y donner des soins
en rapport avec sa haute capacité. C'est là un des côtés de sa vie
que les historiens ont complément laissé dans l'ombre, faute de
l'avoir étudié. S'ils avaient sérieusement examiné les actes admi-
nistratifs de son abbatiat à Saint-Lucien , leur appréciation se-
rait moins défavorable et plus juste.
Croit-on, du reste, que ses moines de Saint-Lucien auraient
consigné dans leurs annales cet éloge posthume, qu'ils n'ont
adressé qu'à lui seul ; Ct^us memoria in benedietiofte est (2), s'il
avait été aussi mauvais administrateur qu'on le représente habi-
tuellement? Qui mieux qu'eux devait connaître la vérité? Et ce
n'était pas flatterie, ils écrivaient après sa mort, et on sait corn*
bien ils étaient sobres d'éloges à l'égard de leurs abbés commen*
dataires. On le volt quand, parlant du cardinal de Richelieu,
ils disaient : nediiut devoratii ab anno 1630 adiUt^ il dévora les
revenus du monastère pendant toute sa gestion de 1630 à 164i.
(L) Cabinets de HH. Borel de Brétizel et comte de Merlemont.
[2} GaU. Christ X ix. col. 787.
DE l'ABBAYB royale Ï>B SAINT-LUCIBN. 6l5
Il suffit d'ailleurs de suivre Bossuet dans tous les actes de son
administration à Saint-Lucien , pour se convaincre de la vérité
de notre dire. Quand il reçut cette abbaye en commende, le dé-
sarroi le plus complet régnait dans tout son temporel. Les reve-
nus diminuaient, des rentes se périmaient, les terres étaient mal
cultivées, les bois aussi mal aménagés, les fermes tombaient
en ruine, de toutes parts arrivaient les demandes de réparations
pour les églises dont Tabbaye était chargée. Ses prédécesseurs
avaient tout négligé; ils avaient pressuré le malheureux éta-
blissement pour lui faire rendre tout le revenu qu'il était pos-
sible, sans s'inquiéter du reste. Bossuet villes choses autrement,
et se fit un devoir de conscience de travailler à remédier au mal.
Ses occupations delà cour, si multipliées (]u'elles fussent, ne
surent Tarrêtcr. Il commença d'abord par se rendre bien compte
de la situation, et il chercha dans la communauté et dans ses
officiers des hommes tout disposés à le seconder. Il fit ensuite
exécuter une carte géographique détaillée indiquant tous les
lieux où Tabbaye avait des propriétés. Le plan du monastère fut
levé, avec une vue cavalière de tous ses bâtiments (1). Par son
ordre, on dressa un état exact et complet de tous les biens, cens
et rentes, et on fit une liste de toutes les églises et bénéfice^
ecclésiastiques à la nomination de Tabbé, avec la nomenclature
de tous ceux de ces établissements où incombait à Tabbaye la
charge des réparations ou la fourniture des livres d'offices. Puis
pour connaître Tctat matériel dans lequel se trouvaient les bienâ
et les édifices, ils les fit visiter par des experts. II s'astreignit à
examiner lui-même leurs rapports, et il donna tous ses soldl^
à ce travail long et fastidieux , si peu en rapport avec ses goûta.
Il força, pour ainsi dire, son génie à descendre au terre à terre
de ces détails d'économie administrative.
Quand Bossuet se fut bien rendu compte de la situation et du
désordre où tout se trouvait, il fit ses efforts pour apporter un
prompt remède partout où besoin était. Les réparations aux
édifices furent le premier objet vers lequel se porta sa sollici-
tude. Il donna des ordres pour qu'elles fussent exécutées sans
retard, et chargea le procureur fiscal de l'abbaye de les surveiller.
Il II ^■^mat^tiiga»
(1) Nous avons reprodait cette Yae de l'abbaye.
616 HISTOIRB
Divers bâtiments du monastère furent aussitôt restaurés. On
travaillait en même temps aux fermes du Bois (Notre-Dame- du-
Thil), deBonnières, de Coullemogne, de Rolhois, de Grez, de
Juvignies, de Luchy, de Muidorge, d'Âbbeville-Saint-Lucien , de
Maulers, de Fontaine-Saint-Lucieu , de Beaupuit, de Thieux, et
de Saint-Félix. On refaisait les voûtes, la toiture et le carrelage
de réglise d'Abbeville-Saint-Lucien , en août 1673, tandis qu'on
exécutait d'autres réparations aux églises d'Abbecourl, d'Auseau-
villers , d'Auviller , de Bonnières , de Bucamp , de Campremy,
de Cempuis, de Grillon , de Fontaine-Saint-Lucien , de Froissy,
de Fumechon, de Gaudechart, de Grand villiers , d'Hodenc-
TEvèque, d'Hondainville, du Hamel, de Juvignies, de Lucby, de
Maimbeville, de Maulers, de Morainvlllers, de Muidorge, deNolre-
Dame-du-Thil, d'Oudeuil, de Rothois, de Rozoy, de Roy-Boissy,
de Sains, de Saint-Félix, de Saint-Sulpice, de Thieux, de Thury,
et de Villers-sur-Bonnières.
Des missels, rituels, graduels et processionnaux étaient envoyés
à vingt-cinq paroisses, qui n'en avaient plus, ou dont les livres
d'église se trouvaient en trop mauvais état. C'était à Abbeville-
Saint-Lucien, Auviller, Bucamp, Campremy, Cempuis, Grillon,
Fontaine-Saint-Lucien, Froissy, Fumechon, Grandvilliers, Hodenc,
Luchy, Maimbeville, Maulers, Morain villers, Muidorge, Notre-
Dame-du-Thil, Oudeull, Rothois, Rozoy, Sains, Saint-Félix, Thieux
et Thury. Et tout cela fut fait promptement, les comptes du mo-
nastère des années 1673, i67i ot i67?) en font foi.
En même temps, Bossuet faisait poursuivre plusieurs procès
pour sauvegarder les intérêts et les droits de son établissement.
Comme la diversité et l'éloignement des lieux et des juridictions,
pardevant lesquelles il fallait les suivre, occasionnait de grandes
pertes de temps et d'argent, il demanda au roi d'évoquer toutes
les causes à Paris devant son grand Conseil. Louis XiV lui accorda
volontiers cette faveur, par lettres patentes du 20 janvier 167i,
tt en considération, y dit-il, de ses bons et utiles services. »
Pour subvenir aux dépenses occasionnées par les réparations ,
il fallait trouver des fonds. On en trouvait sans doute dans les
revenus ordinaires, mais cela ne suffisait pas, et Bossuet crut
pouvoir s'en procurer en attaquant la succession de son prédé-
cesseur. Le cardinal Mancini avait négligé de faire des répara-
tions aux édifices, afin d'avoir plus d'argent dans sa caisse;
DE L ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 617
c'était manquer à une obligation de sa charge , et il n'était pas
juste que son incurie profitât à ses héritiers. Le duc de Mazarin
ne l'entendait pas de cette manière ; il avait recueilli la succes-
sion du cardinal et ne souciait pas de s'en départir, ni de la
voir amoindrir. L'économe Uaguenier l'avait déjà attaqué , et
il avait fait la sourde oreille. Bossuet continua l'instance, et
le duc fit traîner l'affaire en longueur. Il accumula tant de
difficultés que le procès dura près de vingt-huit ans. On ne s'en-
tendait pas sur la quotité de l'indemnité, et le duc avait si bien
manœuvré qu'il avait d'abord obtenu un jugement en sa faveur.
Pourtant Bossuet finit par triompher, et M. de Mazarin dut
s'exécuter, mais il le fit de biBn mauvaise grâce. Aussi Bossuet
écrivait-il, le 12 avril 1702, à M. Le Scelller, conseiller du roi
en l'élection de Beauvais et son homme d'affaires ; « Pour les
« réparations, il faut, avant toutes choses, se mettre en état de
« faire celles qui donneront le moyen de toucher les dernières
« trois mille livres de M. de Mazarin et à sortir d'affaire avec
« lui (1). n — et quelque temps après, le jour de Pâques de la
même année : « Je vous ai mandé, par ma dernière lettre,
« qu'il fallait absolument faire les réparations de la grange de
u Fontaine-Saint-Lucien et du clocher Saint-Félix , parce qu'elles
« sont nécessaires pour toucher les trois mille livres restantes
« de M. de Mazarin (â). » Le duc ne voulait payer qu'à bon
escient, qu'après constatation de travaux exécutés.
Il ne s'agissait plus là, en 1702^ des premières réparations
ordonnées par Bossuet; celles-là, il leur avait fait face, comme
il avait pu, avec ses deniers et avec ceux provenant du monas-
tère. Il n'avait d'abord fait exécuter que les plus pressantes.
Quand il eut rétabli l'ordre dans les affaires de la maison , et
trouvé le moyen, à J'aide d'une bonne. organisation, d'aug-
menter les revenus, il songea à d'autres améliorations et ne
négligea rien pour que tous les édifices, dont son monastère
avait la charge, fussent remis dans le meilleur état possible.
On est étonné quand on voit toutes les restaurations et recons-
tructions ordonnées par lui de 1682 à 1696. Au monastère, il fit
(1) Lettre autographe inédite da cabinet de M le comte de MerlemoQt.
(3) Idem.
6it HISTOIAI
rétablir les voûtes des galeries de la nef, construire à neuf le
vaste bâtiment conventuel à trois étages, que l'on remarquait
naguère à côté de Téglise, réparer Tauditoire ou maison de
justice, rebâtir la maison du portier avec ses dépendances, et
tout cela avec la plus grande élégance et dans les proportions les
plus grandioses. Et que ne flt-il pas aux fermes et aux églises?
On se demande parfois comment il a pu parer à toutes ces
dépenses; il le fit pourtant, mais par une bonne administration.
Il avait affermé la recette générale du revenu de tous les biens
pour dix ans (1673«iâg3], à deux babiles traitants de Paris, nom-
més Favier et Aubereau, moyennant l'acquit des cliarges et
90,000 livres de fermage annuel. La somme lui parut convenable
parce qu'il ne s'était pas rendu compte de ce que les biens, dîmes,
cens et droits seigneuriaux pouvaient produire. Le régisseur de
ces Messieurs, Claude Dubois, neveu de Favier, en augurait
autrement. Aussi procura-t-il, à fin de bail, à ses commettants
un bénéfice net, pour les dix années, de 72,0(:0 livres, sans
compter le profit des vignes, qui ne laissait pas que d'être con-
sidérable en certaines années, dit un factum produit dans un
procès. (1) Bossuet n'en sut rien d'abord, et ces fermiers, plus
habiles qu'honnêtes, se gardèrent de lui faire connaître ieur
bénéfice. Ils se plaignirent même très-fort, et crièrent si bien
partout qu'ils étaient en perte, que Bossuet se laissa aller à leur
accorder une diminution de 1,500 livres au second bail, tandis
qu'eux augmentaient leurs sous-fermiers de 2,000 livres. Leur
adresse ne leur profita pas toujours, Bossuet finit par s'aperce-
voir de la tromperie et trouva le moyen de leur faire rendre un
peu de leur bénéfice et d'augmenter le troisième bail.
Pendant ce temps, et d'après les ordres du grand abbé, on fit
un arpentage nouveau de toutes les propriétés du monastère. Des
plans exacts furent dressés , avec des répertoires pour leur intel-
ligence^ les bois furent convenablement aménagés et les coupes
mieux réglées. Les archives furent visitées, les titres vérifiés et
mieux classés. Pour prévenir leur perle, un cartulaire fut rédigé
et reproduisit la copie de tous ces titres. Un moine fort instruit,
qui avait embrassé la réforme du monastère, D. Placide Porche-
Ci) Cabinets de MM. Borel de Brétixel et comte de Herlemont.
DB l'aBBATE ROTAU M SAINT -LU GlBIf. 610
ron (i), snrTOillait l6a classemeaU et les rédactions et les dirigeait.
A la demande de Bossuet, ce moine entreprit d'écrire l'histoire
de rabbaye, et la conduisit Jusqu'à Tan 4681. Son oeuvre, restée
manuscrite, forme un volume in-folio divisé en qiiaraiite«huit
chapitres. Elle est consen'ée à Paris, à la Bibliothèque Nationale,
section des manuscrits, sous la côte 19,843. Son auteur la ter-
mina en 1681. Nous l'avons souvent consultée et suivie dans le
cours de cette histoire.
£n faisant réviser tous les titres , Bossuet n'avait qu'un but ,
s'assurer des droits de son monastère pour ne pas les laisser
périmer, et il était disposé à les défendre par tous les moyens
légaux.
Depuis longtemps, les administrateurs du collège de Bourgogne
à Paris revendiquaient une rente annuelle de seize muids de
grains, sur les biens de Grandvilliers, comme étant aux droits
de Baoul de Saint-Sauflleu depuis 13S3 , Bossuet allégua une
quittance de rachat de l'an 1261, conservée dans le chartrier de
l'abbaye et fit défense de servir la rente. Un procès s'en suivit,
et Bossuet le perdit par sentence du 10 septembre 1G76, parce
que ses prédécesseurs, moins attentifs que lui à garantir les in-
térêts du monastère, avaient laissé s'établir la prescription (2).
11 fut plus heureux en 1678 contre Louis Deschamps ditliorel,
seigneur de Saint-Sulpice. Ce chevalier, au mépris des droits de
l'abbaye, avait nommé à la cure de Saint-Sulpice et fait instituer
son candidat, Noël Le Nain, par l'évêque de Beau vais. Bossuet
intervint aussitôt et fit débouter de ses prétentions le seigneur
de Saint-Sulpice. Le curé fut maintenu, mais défense fut faite à
messire Des Champs de nommer à l'avenir à ce bénéfice (3).
Malgré ses nombreuses occupations, Bossuet ne négligeait pas
de venir à Saint-Lucien , pour s'assurer par lui-même et de la
régularité de la communauté et de la bonne administration des
(1) B. Placide Percheron, né à Gbâteanroax en 1652 , reUglenx à Saiot-
Lucien, puis à Saint-Oermain-des-Prés , où il fat t^ibUothécaire, mourut
le U février 1694.
CI) irob de l'Oise : abbaye de SainV»LQcien.
10) Gablael de M^ le eomte de Merlemonl.
620 HISTOIAE
biens. Ainsi, nous le trouvons à Tabbaye le 27 octobre 1680, fai-
sant une translation de relique et adressant la parole au peuple.
L'éclat donné à cette solennité mérite que nous en reproduisions
le procès-verbal authentique :
L'an 1680, le dimanche vingt-septième jour d'octobre après midi, nous
Glaade Da Val , prestre , doctem* en théologie de la maison et société de
Sorhonne , sous-chantre et chanoine de l'église cathédrale de Beaavais.
vicaire général et officiai de Monseigneor H'* Toussaint de Forbin de
Janson, ôvesqae et comte de Beanvals, vidame de Gerberoy, pair de
France, de présent ambassadeur extraordinaire pour le Roy, en Pologne.
Sur la rdqneste k nous présentée le Joor d'hier par les religieux, prieur
et couvent de l'abbaye de S* Lucien-les-Beauvals , ordre de S* Benoist,
congrégation de S^ Maur, exposiUve , que parmy les S*«* Reliques qui se
conservent depuis plusieurs siècles, dans l'église dudit monastère, il y
en a une très considérable , et doni plusieurs bons autheurs (ont men-
tion , scavoir la nhendibule infériewre de sain( Jean^BaptisU , et parce
que le reliquaire , où elle est enfermée , est très petit et peu conforme 4
la vénération qui est deue à une relique si considérable , ils désiroient
la faire transférer dans un beau chef d'argent qu'ils ont tait faire pour ce
sujet ; et que pour cet effet il nous plut faire la dite translation nous*
mesme , ou d'en donner la permission k queiqu'autre personne qualiQée,
qu'il nous plairoit choisir ; nous nous serions transporté en ladite abbaye
de S* Lucien assisté de Hiérosme Foumier, notre secrétaire et greffier
ordinaire, où estant nous aurions scenque Monseigneur M'* Jacques-
Bénigne Bossuet , ancien évesque de Condom , cy-devant précepteur de
Monseigneur le Dauphin et premier aumosnier de Madame la Dauphine,
abbé commendataire de la dite abbaye de S' Lucien , se trouvoit pour
lors , nous l'aurions prié de Taire la cérémonie de la translation de la
dite relique en nostre présence , ce que Mon dit seigneur ayant agréé, et
s'estant revestu des habits pontificaux, il y auroit procédé ainsi que en-
suit : scavoir qu'estant entré dans le chœur de la dite église , issue des
vespres, le reliquaire ancien luy auroit esté apporté par Dom Jean-
Baptiste de Bouiongne , prestre , prieur et religieux de la dite abbaye,
et rayant fait ouvrir par François Bingant, orfèvre , demeurant à Beau-
vais, nous aurions trouvé dans le dit reliquaire ancien fait de forme de
mâchoire soustenue de trois pieds et deux tours quarrées qui s'eslèvent
aux deux extrémités , la mâchoire inférieure de saint Jean-Baptiste, la-
quelle auroit esté reconnue par Nicolas Jorron , maistre chirurgien de la
ville de Beauvais , avec une des grosses dents du costé gauche j et sur le
chapiteau du dit reliquaire , en dedans , nous avons trouvé ces paroles
gravées Mentum Beati Joanms BapUstœ, et au dehors dudit chapiteau
rbystobre du martyre de s* Jean- Baptiste gravé à l'antique. Après quoy
DB l'ABBAYB ROYALB DE SAINT-LUGIBN. 631
Mon dit seigneur ayant élevé et monstre la dite reliqne au peuple, qui
estoit en grand nombre à la dite cérémonie, anroit fait, tenant la dite
relique en main , nn discoora fort éloqaent et digne de sa grande piété
et de sa profonde érudition , sur ce texte : Ego vox clamcmtis in deserto,
et donné à la fin la bénédiction au peuple avec la dite relique , qui a esté
ensuite portée processionnellement autour de la dite église, dans un
bassin d'argent , sous un daix porté par quatre officiers considérables.
Mon dit seigneur suivant la dite relique en babits pontificaux , estant ac-
compagné de M** Pierre Hauvis et Denis de Monstreuii, prestres, cbanoines
de Saint-Micbel dudit Beauvais, et de Jacques deNully, diacre, chanoine
de Nostre-Dame du Gbastel dudit Beauvais, tous trois revestus de cbappes
et chapelains ordinaires de Monseigneur PEvesqne et Comte dudit Beau-
vais , y asslstans en ladite qualité ; ensuite de quoy la dite relique auroit
esté renfermée dans le bas dudit nouveau reliquaire fait en forme de chef,
lequel ensuite a esté refermé d'une goupille d'argent par le dit Bingant,
laquelle relique ainsi renfermée dans le dit nouveau reliquaire , Nous, de
l'authorité de Mon dit seigneur l'Evesque et Comte de Beauvais, avons
permis de l'exposer à la vénération des fidèles dans la dite église de
S^ Lucien , comme elle a esté cy-devant dans ledit ancien reliquaire. En
conséquence de quoy Mon dit seigneur de Condom l'ayant posé sur le
grand autel de la dite église et l'ayant encensé , la musique de l'église
cathédrale dudit Beauvais auroit chanté des motets et répons à l'honneur
de Dieu, de S^ Jean-Baptiste et de S^ Lucien, ainsi qu'elle avoit fait dès
le commencement de la cérémonie et pendant la procession , après quoy
Mon dit seigneur auroit donné la bénédiction épiscopale à une infinité de
peuple qui y estoit accouru de tous costés. Dont et de tout ce que dessus
nous avons dressé nostre présent procès- verbal en la dite église et abbaye
de S^ Lucien, en la présence des religieux, prieur et couvent de la dite
abbaye et de Messire Louis D'Ephiay de S* Luc, abbé de S^ Georges, dio-
cèse de Rouf^n, de Monseigneur Louis Bossuet, Jacques-Bénigne Bossuet,
de M* Pierre Jannel * prestre, aumosnier de Madame la Dauphine, M* Léo-
nor Foy, prestre , bachelier en théologie , M* Isaac Hocquet , prestre ,
M* François Noiien, prestre , chanoines de la dite église cathédrale de
Beauvais , M* Charles Milot , prestre , chanoine de l'église collégiale de
S^ Barthélémy dudit Beauvais , M* Louis François , prestre chapelain de
la dite église cathédrale, M* Gilles Gérard, prestre , chanoine de Nostre-
Dame du Chastel dudit Beauvais , de M* François Oallopin le Jeune ,
conseiller au bailliage et siègQ présidial dudit Beauvais, M* Jean de Malin^
guehen, esleu de la dite ville, M* Pierre Le Sceilier, esleu en la dite
eslection et procureur fiscal de la Justice de la dite abbaye , M* Glande
Âuxcousteaux, bailly de la dite abbaye , M* Léonard Driot, advocat audit
Beauvais, et autres témoins en grand nombre.
Signé : J. Bénigne, ëv. de Condom ; — Louis D'Sspinay de Sainct-Luc ;
T. viii. 4i
093 BISfOIBB
— Louis Bofiaet ; -* Jaeqaet- Bénigne BowMMt ; — Wej ; — Hoe-
qnet; — iannel; — KoUên; — Da Montréal! ; — 6. Qénrd; ~
Haavif ; — J. Milot ; — De Naily ; — François ; — fr. J. B* de
Bonlongne, prieurés S'Lacien; — fr. i. B. Be U Court; —
fr. ioicbim Doamel ; — fr. Foordrin ; — fr. Nieoias Raynart ;
— if. Jérôme Gratian ; — fr. Claude Vrayet ; — ir. Goillaome
Crin ; ^ fr. Plaeide Porcberon ; — tf Charles Daclere; — fr. Fran-
çois de la Foscade; — Bieard, cli» de S> Miohel; ~ Uepart; —
Le Seellier ; — Da Val (i).
Bossuet vint encore à Saint-Luclep en 1681, aYec son amî
Fabbé d'Espinay-Baint-Luc, et fut voir les désaslres causés à
GrandvillierB par rincendie arrivé dans la nuit du l«r au i sep-
tembre 1680. Le village avait été presque entièrement détruit.
Bossuet y apportait des consolations et des secours. 11 fit re-
construire à ses frais un des bas-côtés de l'église. On lui attribue
aussi le plan actuel de Grandvilliers et le tracé de ses rues ; il
tint à leur donner cette ampleur, et cette rectitude qui en font
un des plus be^ui bourgs du pays (2).
Simon , dans son supplément à V Histoire du Beaumi$i$^ parle
da cette visite et trouve, à cette occasion, le moyen d'attaquer
le p. Watebled , lazariste , supérieur du séminaire diocésain , et
epnemi déclaré des jansénistes; mais il prête à Bossuet des
appréciations beaucoup trop en faveur du jansénisme, pour que
Ton croie à son récit. D'après lui , le P. Watebled , ecclésiastique
pourtant des plus recommandables, et qui accompagnait Bossuet
et son ami dans sa visite, aurait si viojepiment critiqué et bl&mé
la conduite et les actes du défunt évoque , Monseigneur Gboart
deBuzenv^l, que Bossue) n'aurait pas daigné répondre, et se
serait contenté de dire à ses amis, en descendant 4c carosse :
« M. (le Beauvais reçoit dans le ciel la récQmpcnsiB dç tantes ces
6 cboses, pour lesquelles on le blÂme ici bas. » Le caractère
bien connu des personnages rend cette bistorietta peu vraisem-
blable , et nous ne nous y airèterons pas.
Bossuet fût promu, sur ces entrefaites , 2 mai 1681, à Tévèché
de Meaux. Cette nouvelle dignité ne l'empêcha pas de conserver
(1) Àrch. de l'Oise : abb. de Baint-LaeiM).
iïï^ P. Balre : UidokM du daymnééê GranéifUèkri
DE L'ABBATB BQV4l.|K pp SAINT-LUCIEN. 6)$
la commende de r^bbaye de Saint-Lucien et de lui continuev
ses soins.
En 4682, il donne des ordres à M. Le Scellier, pour transiger
avec le chapitre de Beauvais, au sujet des dîmes de Noirémont ;
en iC84, il approuve Tacquisition falfe par les religieux d'une
maison et de plusieurs pièces 4p terre h Miauroy.
Le 14 juin 1680, on avait vendu 4,5i0 pieds d*arbres dans les
bois de Tabbaye, et le 30 juin 1685 , on utilisait l'argent en pro-
venant, en faisant une adjudication de nombreux travaux de
reconstruction et de réparation aux édifices du monastère et de
ses dépendances. Le devis mentionne entres autres choses,
dans renclos de Tabbaye, le rétablissement des voûtes des ga-
leries de la nef de l'église, la construction d'un corps de logis
de 33 toises de long sur 16 de large, en pierre de taille, et élevé
de trois étages, àTendroit désigné par les religieux , la recons-
truction de la maison du portier, le rétablissement de la four
de pierre servant d'escalier h. la buerie ; au dehors, de considé-
rables réparations aux fermes , aux moulins, à un grand nombre
d'églises, la reconstruction du chœur de Juvignies, etc. (i).
Veut-on savoir maintenant comment Bossuet s'occupait de
tout cela, nous allons le trouver dans sa correspondance avec
M. Le Scellier. Nous avons eu la bonne fortune d'avoir en com-
munication cette correspondance , restée jusqu'à ce jour inédite
et conservée dans le cabinet de &f. le comte de Merlemont, et
If. le comte nous en a permis la reproduction avec une obligeance,
que nous ne saurions jamais assez reconnaître. Nous prenons
au hasard; car les lettres sont trop nombreuses pour les repro-
duire toutes.
Le 26 juillet i694 , Bossuet écrivait de Paris à M. Le Scellier :
Mons avons à rempUr. comme vous voyez , ans charge importante à
l'abbaye, non seulement par rapport aox bois (2), mais encore par rap*-
port aux réparations et autres affaires de l'abbaye. Je voas prie, Monslear,
â0 me proposer les sajets qae vous verrez les plas propres , sans aucnn
égard pour personne. Le sieur Poquelln , frère du chanoine de ce nom ,
(1) Cabinets ^e VU. Borel de Brétizol et comte de |ierlemont.
(9) Il /l'occupait %lûrs ù» l^iw awônagAmMt.
624 HISTOIRE
offre 868 services et de se contenter de moitié des profits ; J'attends votre
réponse avant qae de me déterminer sur lai on les autres qui se poor-
roient présenter. Je suis de tout mon cœur, Monsieur, vostre très affec-
tionné servitéar.
t J. BÉNIGNE, E. deMeaux,
Le lendemain , il écrivait de Marly :
Après ce que je vous écrivis hier de Paris, je vous envoie encore ce
mémoire qui m'a été mis en mains par M. De La Rochefoucauld. Il làut
m'écrire la vérité sur ce sujet et sur tous les autres et que nous taschions
de faire une chose dont nous aurons sujet de ne pas nous repentir.
Je suis , Monsieur, très parfaitement à vous.
11 avait tellement à cœur les réparations qu'il avait envoyé
de Meaux M. Souin, son intendant, pour visiter les travaux en
cours d'exécution. Ayant indirectemeut appris que ces travaux
étaient faits dans de mauvaises conditions, il écrit de Germigny
à M. Le Scellier, le 2 octoi)re 1694 :
Je vous prie , Monsieur, de m'envoyer au plus tôt une exacte et ample
information de ce qai s'est fait à Beauvais durant le voyage de M. Souyn.
Je ne la puis recevoir de lai , parce qu'il est malade , et je sais bien aise
aussi de savoir les choses de vous. On dit que les réparations faites sont
dans un triste état; écrivez-moi, je vous en conjare, avec une entière
liberté.
Je suis de tout mon cœar votre affectionné serviteur.
Quelques jours après, le 9 octobre, il écrit une nouvelle lettre
plus pressante encore sur le même sujet.
il s'occupe de tout. M. du Metz, le verdier de Tabbaye, étant
mort après avoir abusé de la confiance qu'on avait en lui ,
fiossuet donne ses instructions à M. Le Scellier pour protéger
les intérêts du monastère et lui écrit de Germigny le â9 oc-
tobre iG94 :
J'ai reça , Monsieur, vos lettres du 6 et du 12, où il n'y a rien à ajouster,
sinon de m'écrire ce qui s'est trouvé d'effects sous le scellé da fea sieur
du Metz et ce qui lui paroit de bien , quelle seureté nous pouvons avoir
pour les deniers des réparations dont il s'cstoit chargé, s'il y a eu des
opposans au scellé , si l'on a fait un inventaire des papiers , et enfin tout
ce qui regarde cette affah'e. Tous me ferez plaisir de me rendre un compte
exact du tout , de vous à moy. Poar ce qui est des réparations , vous
n'avez qu'à continuer ce que vous me mandez avoir commencé. Je pourrai
DS L*ABBATB ROTALB DB SAINT-LUOBN. , 625
encor recevoir tos lettres à Meaax jusqu'au cinq ou six du mois procbain.
J'oubiiois de vous demander encor si l'inventaire du sieur du Metz est au
greffe, et si c'est vous ou H. le procureur du Roy qui avez agi. S'il est
besoin de faire quelque diligence pressante , vous le pourrez faire. Je
n'ay nul dessein d'inquiéter la veufve, ni la succession, mais je désire
estre instruit de tout , puisque je vois qu'il a trompé jusqu'à M. Souyn,
son beau-frère , et a si mal répondu à la conûancs qu'il avoit en Iny. Il
faudra , une antre fois , prendre garde à nous.
Je suis à vous , Monsieur, de tout mon cœur.
Des cures à sa présentatioa viennent-elles à vaquer, il se hkie
d'y nommer des titulaM*es. Ses lettres vont encore nous en don-
ner la preuve pour deux localités. Le 6 décembre 1694, il écrit
de Paris, à M. Le Scellier :
J'ay reçu, Monsieur, l'avis de la mort du curé de Vil lers- Vicomte.
M. Ransson , dont vous m'écrivez , trouvera ici , cbez M. Jouete , une
présentation en sa faveur. Je vous prie de m'envoyer un mémoire des
portions congrues de l'abbaye, et de continuer vos soins aux réparaUons.
Je suis à vous, Monsieur, de tout mon cœur.
Et le 8 décembre suivant :
Je viens , Monsieur, d'expédier la présentation à la cure de Tburi , va-
cante par la mort du sieur Daniel Pran, en faveur du sieur Pierre Carmen,
et celle de la cure de Yillers-Vicomte vacante par la mort du sieur du
TUley, nommé par H. de Reims, en faveur du sieur Jean Ransson, vicaire
de Bretheuil. Ils n'auront qu'à retirer leurs présentations chez M. Jouete,
parvis Nostre-Dame.
Je suis à vous , Monsieur, de tout mon cœur.
Le maréchal de Boufflers veut-il faire comprendre dans la
suprématie de son duché de Boufflers la seigneurie de Bonnières,
Bossuet y fait opposition pour garantir les droits de son abbaye
et écrit à M. Le Scellier , le 4 janvier 1696 :
Je vous envoyé , Monsieur, cette procuration pour faire l'opposition
y marquée, sur laquelle je m'accorderai avec M. le Harécbal de BouiUers,
qui scait bien que je suis de tout temps très parfaitement son serviteur.
Je suis à vous de tout mon cœur.
Pour éviter toute contestation à l'avenir, il vendit cette sei-
gneurie au sire de Boufflers, en 1700. Avec l'argent provenant
616 • HISTOIBI
de cette vente, il acheta la seigneurie de Thieux et racheta celle
d'Abbecourt (i).
En 1698, un hobereau de province nommé La Genevrtère, an-
cien garde- du- corps expulsé de sa compagnie, dévastait les
terres et les bois de Maulers et de Lucby et en ruinait la chasâe,
Bossuet donne des ordres pour que les gardes s'y opposent et
requièrent au besoin la maréchaussée pour Tarrèter.
Ailleurs il protège les tenanciers de son monastère , avec une
bienveillance toute paternelle. Nous avons dit ce qu'il fit pour
Grandvilliers incendié, et non content de cela, il écrivait, le
25 septembre 170i, à M. Bignon, conseiller d'état à Amiens, poui*
obtenir uiie réduction des tailles imposées sur les habitants de
ce bourg. Le lendemain il écrivait aussi à l'intendant Phély-
peaux en faveur des habitants de Notre-Dame-du-Thil. « je vous
« supplie, lui disait-il, de vouloir bien avoir attention au sou-
« lagement de ma très-pauvre paroisse de Notre-Dame-du-Thil,
« qui est extraordinairement surchargée et d'écouter sur ce sujet
a M. Le Scellier, qui aura Tlionneur de vous présenter ce billet. »
Les temps étaient mauvais, plusieurs récoltes avaient manqué
et la disette se faisait cruellement sentir dans les campagnes.
La misère augmentant, la mendicité s'accroissait, et Bossuet
ordonna de distribuer de plus nombreuses rations à la porte du
monastère. Sa cassette particulière fournit plus de 200 livres de
supplément à cette fin (2).
Dans ses ra[)ports avec ses religieux, Bossuet se montrait tou-
jours d'une grande bienveillance; sa protection et ses conseils
leur étaient toujours acquis, et alors même qu'il avait le plus à
se plaindre de leurs procédés ; il savait être conciliant , juste et
bbii à leur égard. 11 faut bien le dire aussi, ces moines n'étaient
pas toujours commodes dans leurs agissements; ils estimaient
Incontestabletneht leur abbé, et ils ne pouvaient, malgré cela,
se défaire de cette défiance et de cette antipathie innée dans
toutes les communautés d'alors contre leur abbé commendataire.
Ses meilleures intentions étaient souvent soupçonnées. Les reli-
gieux demandaient-ils des réparations pour leurs édifices, Bos-
(1) Arcti. dd roise : abb. de Sftint-Laclen.
(9) GAbihet de M. le comte de Merlemont.
DE l'aBBAYB ROTALB DI SAINT-LUCIEN. OST
guet s'empressait de les faire eiécuter de la manière la plus
convenable, et aussitôt venaient des réclamations contre la dé^
pense, ce qui l'ennuya le plus, ce fut la répartition des revenus
entre lui et ces religieux.
Depuis longtemps , cette répartition était faite conformément
à un concordat qui attribuait annuellement aux religieui
98 muids et demi de vin , es muids 2 mines de blé , 4 muids
10 mines deux tiers de pois, 5^ livres de chandelle, 80 cordes
de bois, 4,S00 fagots et 150 livres en argent pour Voffjce de la
prévôté. Le reste était dévolu à l'abbé commendataire. Quand
cette fourniture n'était pas faite en nature, elle devait être faite
en argent au prix le plus élevé des mercuriales de l'année. Cet
arrangement ne convenant plus aux religieux , Bossuet fit un
nouveau traité avec eux , le 16 juin 1693. Il était à peine en exé^
cution, que ceux-ci en demandèrent l'annulation et soulevèrent
contre lui toute espèce de difficultés. L'affaire fut même portée
pardevant les tribunaux. Bossuet voulait la paix et fit tout ce
qu'il put pour la mainteniri Ce n'était pas lui qui avait demandé
ce nouveau concordat ; il s'y était résigné, dit-il, dans une de
ses lettres, « contre ses intérêts, pour leur donner des marques
A de sa bienveillance et pour contribuer à la régularité de l'ab*
« baye; » s'ils n'en sont pas contents ^ ajoute-t-il, il consent à
procéder à une nouvelle répartition. Une sentence du bailliage
de Beauvais intervint (4 avril 1691) et remit les parties dans la
situation où elles étaient auparavant.
Les religieux cependant n'étaient pas satisfaits, et ils avi-
sèrent une autre organisation. Ils proposèrent de prendre à
ferme tous les biens et revenus de l'abbaye, à la charge, par
eux, de servir tous les ans à l'abbé une rente de 25,000 livres, de
faire toutes les réparations et de remplir toutes les obligations^
Bossuet allait souscrire à cette combinaison, quand divers
subterfuges allégués par eux lui firent douter de leur bonne
foi et le détournèrent d'y donner son consentement. Il fallait
pourtant en finira Des hommes expérimentés ^ et notamment un
M. Léger, notaire à Heaux, lui conseillèrent de diviser tous
les biens en trois lots égaux i dont l'un serait attribué aux reli'
gieux pour leur mense conventuelle « le second à l'abbé , et le
troisième affecté aux charges et réparations. On ne pouvait paa
trouver un moyen pins équitable; lès religieux firent bien encore
638 HISTOIBB
quelques difficultés contre le projet, mais ils finirent par l'adop-
ter. Des experts estimèrent les biens et firent l'allotissement.
BosBuet laissa les religieux choisir leur lot, puis il prit le sien,
et celui des charges fut partagé entre eux. Les religieux offrirent
de se charger de l'entretien des b&timents du monastère et des
frais du culte , de l'infirmerie et de Taumônerie , et Bossuet y
eonsentit en leur abandonnant, pour ce service, la terre de
Thieux jusqu'à concurrence de 3,000 livres de revenu annuel , et
lui-même se chargea du reste. L'acte d'acceptation fut signé le
S avril 1700.
D'après ce partage, les religieux eurent les vignes de l'enclos
de l'abbaye et celles situées dans la paroisse de No(re-Dame-du-
Thil , les dtmes, censives et bois de ladite paroisse; la ferme du
BoiS) les prés des Anguillons, des grands Viviers, de la vallée
de l'Epine, même paroisse; le droit de forage dans la paroisse;
deux pièces de terre au même terroir, lieudit les Pierres; les
trois moulins de Miauroy, avec la pêche de la rivière ; 46 muids
et demi de blé de redevance annuelle à prendre sur la grange
de Rotangy, appartenant aux religieux de Ghaalls; les bois taillis
du territoire de Saint-Maxien (Fouquenies); les dîmes d'Abbé-
court, la ferme, les dîmes et les champarts de Beaupuit; la terre
et seigneurie de Goullemogne (Oudeuil); la ferme de Foulangues;
les dîmes de Gaigny (Grillon), de Thieux jusqu'à concurrence de
38i livres, de Saint-Sulpice, d'Haucourt, de Lezonvillers et de
VIllers-sur-Bonnières; 36 livres de redevance sur la terre de
Margny-les-Gompiègne ; les terres et seigneuries de Roy-6oissy
et deVillers-sur-Thère, avec les bois de Warluis. Ge lot était
estimé valoir 13,412 livres de revenu annuel.
Le lot de l'abbé, estimé valoir 13,487 livres de revenu, se
composait de la terre et seigneurie de Fontaine-Saint-Lucien
avec les dîmes et les champarts de ce lieu; des seigneuries
d'Abbeville, Maulers, Sauqueuse-Saint-Lucien , Gaudechart et
Grandvilllers; des dîmes d'AnseauvIlIers, Bozodemer, Yillers-
Vicomte, Feuquières, Fumechon, Hondainville et Villers-sur-
Auchy; de 20 livres de redevance sur l'abbaye de Sery; de
200 livres sur le péage d'Amiens et de la ferme de Noirémont.
Lelot des charges, estimé valoir 13,484 livres de revenu, se
composait des terres et seigneuries de Thieux , de Juvignies , de
Frolssy, de Grez , de Luchy , de Rothois et de Saint-Félix , et des
DB l'abbatk bovalb db saint-lugibn. 629
dtmes et champarts de Gempuis, de Campremy, de MaimbeTille,
de Francastel et de Thury-sous-Clermont.
Par suite de cet arrangement, il fût stipulé que les droits ho-
norifiques de l'abbaye appartiendraient à l'abbé seul et à ses
successeurs, ainsi que la nomination des officiers généraux, tels
que bailli, lieutenant, procureur fiscal et verdier. La nomination
aux bénéfices, ainsi qu'aux emplois de garde et de sergent dans
les seigneuries, appartenait à celle des parties qui possédait le
lot où se trouvait la localité. 11 en était de même des droits utiles
de mouvance et de redevance seigneuriales. Les droits d'indem-
nité, comme les droits utiles des fiefs précédemment aliénés
avec rétention de mouvance, ou de fiefs non compris au partage
et les biens et redevances oubliés, seront, au cas échéant, divisé
en trois lots égaux attribués comme les autres. Les réserves et
bois de haute futaie restent indivis, et ne peuvent être abattus
que du consentement des deux parties et en vertu de lettres-
patentes émanées du roi. Il avait été bien entendu que les biens
affectés au traitement des ofGces claustraux et du petit couvent
n'entreraient pas dans ce partage, mais seraient exclusivement
réservés pour ces services (i).
Cette épineuse affaire terminée , Bossuet afferma aux religieux
tous les biens de ses deux lots, moyennant 25,000 livres de rente
annuelle. Malgré toutes les petites tracasseries suscitées par ses
moines, le grand abbé avait toujours su se montrer bienveillant
à leur égard. Il prenait leur défense en toute circonstance; il les
louait du bien qu'ils faisaient; il applaudissait aux améliora-
tions qu'ils apportaient dans le monastère. En 1698, il s'unit à
eux pour s'opposer à la sécularisation de l'abbaye de Saint-
Martin d'Aumale, parce qu'elle était un membre dépendant de
la leur et chargée de plusieurs redevances envers elle, et il offrit
d'y envoyer des religieux de son obédience pour en remplir les
charges (2).
En 1699, il s'entend avec eux pour aliéner la moitié leur ap-
partenant dans la terre et seigneurie de Bonnières, le fief d'Hau-
court et diverses censives à Glatigny. Ce domaine était une cause
(1) Arcb. de l'Oise : abb. de Saint-Lncien.
(2) Ibidem.
080 HISTOIRI
perpétuelle de difficultés^ par suite du mélange des juridiction^)
avec le seigneur de Boufflers, possesseur de l'autre moitié de la
terre. Pour en finir, on vendit le tout au maréchal duc de Bouf-
flers, par acte du 12 mars 1700, mais à condition que Tacqué*
reur leur procurerait la propriété d'une autre terre, et qu'il la
leur procurerait exempte de tous droits seigneuriaux et amortie
sans aucun frais à la charge de Tahbaye. Bossuet avait hahile-
ment ménagé ces clauses pour éviter tout trouble et toute dé-
pense à son établissement. Le maréchal accepta les conditions^
acquit là terre de Thieux de Jean-Joseph d'Estourmel, comte de
Thieux, et la remit aux religieux (l). On avdit pris, ce semble^
toutes les précautions pour assurer la jouissance paisible de ce
bien aux religieux, et cela ne les empêcha pas d'être tourmentés
parles engagistes du comté de Clermont, la princesse d'Har-
courti en 1702, le prince de Guise, son fils, le duc de Condé^
en 1719, et le prince son fils, et par les seigneurs de Fariviilers^
pour des droits féodaux soi-disant à payer. Le maréchal de
Boufflers et ses héritiers après lui intervinrent en garantie, et
l'abbaye put enfin en être paieible possesseur. En vendant la
terre de Bonnières, Bossuet avait fait réserver le droit de dîme
et de patronage de la cure.
En 1700, la veuve de Pierre Deleau fondait une messe par jou^
à perpétuité dans l'église de l'abbaye, en donnant 4,000 livres (2).
— L'année suivante, Denis Dobigny constituait une rente de
30 sols. — En 1702, Nicolas Danse léguait une somtne de 1,000
livres.
Cette même année, les religieux faisaient commencer la re-
construction de la tour et du clocher de leur église.
En 1703) ils rachetèrent, des sieurs Jacques et Jean-Baptiste
Brisard, la ferre et seigneurie d'Abbecourt pour le prix de
28,000 livres, et l'année suivante ils acquirent, des mêmeâ
vendeurs , le fief du Colombier, sis au même lieu (3).
Bossuet mourut sur ces entrefaites, le 12 avril 1704; jusqu'à
(1) Arcb. de l'Oise : abb. de saint-Lucien.
{% Ibidem.
(3) Ibidem.
DE L'aBBATE EÔtÀlft De SAINT-LUGIEM. 8BI
ses derniers jours, il ne cessa de s'occuper de Saint-Lucien et
de donner des ordres pour que rien ne restât en souffrance. Son
passage dans cette abbaye a laissé des traces d'une administra-
tion forte et éclairée. Il a rétabli Tordre dans les afTaires tempo-
relles, tnieiix organisé les finances, donné plus de valeur aux
propriétés et fait d'immenses réparations aux constructions,
sans laisser aucune dette. 11 a tenu toujours à être instruit de
tout, à se rendre compte de toutes les affaires alln de les pou-
voir surveiller et de les diriger sagement. Quel qu'il ait été ail-
leurs, il fut pour l'abbaye de Saint-Lucien , un grand et habile
administrateur.
Terminons son abbatial en énumérant les noms de quelques-
uns des religieux qui ont vécu de son temps : D. Jean-Baptiste
de Boulongne, prieur en i6B0; Jean- Baptiste De La Court, Nicolas
Raynart, Jérôme Gratien, Claude Vrayet, Joacbim Dournel, Guil-
laume Crin, Charles Duclerc, Placide Percheron, François de là
Foscade, Alexandre Du\al, prieur en 1698, Antoine Antheaume^
Jean Sencier, Charles Cartier, Charles Héron, Benoît de Monceaux
d'Auxy, Marc d'Escles, Guillaume Borré, Gabriel de Pampelune^
Eustache Lescuyer, Nicolas Anne, Nicolas-François Olivier, Maur
Fombert, Pierre Richer, prieur en 1699, Charles Du Bois, sous-
prieur en 1700, Antoine de Machy, Thomas De May, André Varlet)
Toussaint Lovain, Gervais Boucicault, Etienne Goyer, Jacques
Vuasset, Jérôme Jossoud , Pierre Louet, prieur en 1703, Pierre
Pelissier, Guillaume Bretenet, sous-prieur en 1703.
XIV. — Jaoq.iies-Béiilgiie II JBosstxot
(1704-4743).
L'illustre évèque de Meaux eut pour successeur à Saint-Lucien
son neveu ; nommé aussi comme lui Jacques-Bénigne Bossuet.
tl était né, en 1664, du Maître des requêtes Antoine Bossuet et
de Renée Gauraul du Mont. Après avoir fait ses études au collège
de Navarre et reçu le bonnet de docteur, il avait servi son oncle
à Rome ^ avec plus de zèle que de délicatesse > pour obtenir la
condahinàtioti du livre des Maœimes des Saints, de Fénélon. Or-
donné pi^être en 1699^ il devint grand vicaire de Bossuet sans
t)0UVoir être son coadjuteur. Le roi lui donna la commende de
682 HISTOIRE
l'abbaye de Saint Lucien le 14 avril 4704, et il en prit possession
par procureur le 30 juillet suivant.
Il fut loin de valoir son oncle pour le monastère. Pour les
affaires temporelles, il n'eut guère lieu de s'en occuper. Depuis
le partage des biens fait sous son oncle, son intervention n'é-
tait plus nécessaire que pour les deux fiers à lui dévolus , et
son intendant y veillait. Les deux menses étant complètement
séparées, il n'avait pas à s'immiscer dans la gestion des reli-
gieux pour les biens appartenant à leur mense. 11 ne pouvait in-
tervenir qu'autant qu'il en était prié par eux, et l'on doit bien
penser que son concours était bien rarement sollicité ; ils n'ai-
maient pas assez leurs abbés commendataires pour les laisser
se mêler de leurs affaires, lorsqu'ils pouvaient l'éviter.
Quant à la vie intérieure, ce fut autre cbose, et l'on peut dire
que son influence produisit des effets regrettables. Bossuet le
jeune était, comme on le sait, très-attaché aux doctrines jansé-
nistes. Aussi, lors de sa nomination à l'évècbé de Troyes (1716),
le pape lui fit-il attendre, pendant deux ans, ses bulles d'insti-
tution, et encore ne les accorda-t-il que sur une attestation d'or-
thodoxie donnée par le cardinal de La Trémouille. Les religieux
de Saint-Lucien avaient un faible aussi pour ces doctrines aus-
tères et sévères, et l'exemple et les paroles de leur abbé les au-
torisèrent à suivre cette voie, malgré son opposition avec celle
indiquée par l'Eglise. Ils en vinrent même à être des plus chauds
partisans du jansénisme et soutinrent plusieurs curés et ecclé-
siastiques de la ville, qui partageaient leur opinion. L'évêque de
Beauvais, Antoine de Beauvilliers-de-Saint-Aignan, n'avait pas
les mêmes idées. 11 avait siégé, en 1714, à l'assemblée du clergé,
où fut reçue la bulle Unigenitus, qui condamnait les Réflexions
morales du P. Quesnel , et à son retour il avait donné un man-
dement pour faire publier cette bulle dans tout son diocèse. Les
religieux de Saint-Lucien murmurèrent et refusèrent de recon-
naître à la bulle pontificale l'autorité qu'on lui attribuait. Ce fut
bien autre chose quand le même évêque publia, le 8 septembre
1718, une nouvelle ordonnance prescrivant à tous les fidèles de
se soumettre, d'esprit et de cœur, à la constitution Unigenittis.
Oubliant toute mesure, le prieur de l'abbaye, François L'Héri-
tier, assembla capitulairement ses religieux , le 21 octobre sui-
vant, et leur représenta, dans les termes les plus violents, « qu'il
DB L'aBBATE royale DE SAINT-LUGIEN . 633
« ne leur était plus permis de se taire , que la saine doctrine
u et les vérités chrétiennes étaient attaquées et éi)ranlées par
« la constitution Unigenitus^ qu'elle était un sujet de triomphe
« pour les hérétiques, et de gémissements et de crainte pour
« les enfants de TEglise, qu'elle portait le caractère de l'injustice
tt la plus criante par la condamnation du livre du P. Quesnel ,
« qui, pendant plus de trente ans, avait édifié et nourri la piété
« des fidèles , qu'il n'était pas permis , quoiqu'on dit l'ordon-
«( nance de l'évèque de Beauvais , de se soumettre d'esprit et de
« cœur à cette constitution , et que ce serait y acquiescer que de
« ne pas se déclarer ouvertement contre. » Son discours ter-
miné, il fit rédiger un acte capitulaire, dans lequel il appelait
tant de la constitution Unigenitus que de Tordonnance de l'é-
vèque, au pape mieux conseillé et au futur concile. Ses religieux
D. Charles Macadré, Jean-François Martin, Guillaume Lefebvre,
Maur Fombert, Pierre Pélissier, Philippe Delabye, Joseph
Dumoulin , Jean Gonneau , Mathieu Jouet , Louis Audiger, Fran-
çois-Jèrùme Malherbe, Pierre Fontaine, Jean Boyen, André Mar-
chais, Adrien -Vast Clause, Simon Beau val , Michel Housset , le
signèrent. Le 27 octobre suivant, les PP. D. Pélissier et Gonneau
allèrent signifier leur appel à l'évèque, en son palais épiscopal,
et en déposèrent l'acte au greffe de l'ofûcialité.
L'évèque leur répondit par une ordonnance adressée à tous
les curés et fidèles du diocèse , dans laquelle il déclarait la
conduite de cette communauté téméraire, scandaleuse, inju-
rieuse au souverain pontife et au caractère épiscopal de l'évèque,
dénonçait nommément tous les signataires de l'appel comme
indignes et incapables de pouvoirs ecclésiastiques, et révoquait
tous les pouvoirs de prêcher et de confesser, qui leur avaient
été accordés dans le diocèse , jusqu'à ce qu'ils fussent revenus à
résipiscence (1).
Ils résistèrent encore malgré cette mesure, et leur soumission
ne devait pas venir de sitôt; les esprits étaient trop excités pour
se calmer si vite.
Antoine de BeauvilUers de Saint-Aignan avait usé de moyens
de rigueur pour ramener à la soumission ces religieux égarés ;
(1) Cabinet de M. le comte de Merlemont.
fiS4 RfST0»l
mais cela ae rempèoh^ pes de se montrer bienveillant à leuF
égard en d'autres circonstances; peut-être eepérait-il aussi par
là leur faire changer de sentiments. Le samedi 30 novembre de
Tan 1720, il vint à l'abbaye avec Jérôme Begon, doyen da
Chapitre et abbé de Saint-Germer, et Jacques Du Val , ses vi<
caires-généraux, pour faire la translation, ^ans des châsses
nouvelles, des reliques de saint Haïtien et de saint Julien. Après
Touverture des châsses anciennes, faites de bois doré, on trouva
avec les authentiques de Tan 1261, dont nous avons donné ci-
dessus la copie, les restes des corps des saints martyrs. La
chÀsse de saint Maxien contenait deux fémurs, deux tibias, un
humérus, deux omoplates, plusieurs vertèbres et divers osse-
ments, enveloppés dans une étoffe brochée d'or et de soie; et
celle de saint Julien, deux tibias, une omoplate, plusieurs
eûtes, des vertèbres et une grande quantité de fragments d'os,
enveloppés de la même manière. Après les avoir fait reconnaître
par les mal très- chirurgiens Guy Binet et Jean Pingart, Tévêque
adressa un discours au peuple sur la vénération due aux saintes
reliques, et les renferma dans les nouvelles châsses. Ainsi le
mentionne le procès- verbal de tran&lation (1).
Les religieux renouvelaient alors les châsses de leur église.
En 1722, le dimanche 2 août, le visiteur de la congrégation de
Saint-Maur, D. François Redon, faisait une translation, dans
des châsses nouvelles , des vêtements et ornements de saint
Lucien et de ses compagnons martyrs, et de plusieurs autres re-
liques (2). L'évêque n'y assistait pas , mais le chapitre cathédral
y était représenté par Claude Auxcousteaux, vicaire-général de
Bossuet, l'abbé commendataire, Augustin Le Cat, François
Fombert et Mathlas Leclerc, et l'abbaye de Saint-Quentin y avait
envoyé de ses religieux.
Au dehors de Tabbaye que faisait-on pendant ce temps? Le
30 mars 1706, l'abbaye cédait à la ville la propriété des sources
de Miauroy, moyennant 20 sols de surcens. Les administrateurs
de la cité avaient alors compris la nécessité de donner à ses
(1) Voir le procès-verbal de translation aux arch. de l'Oise : abb. de
Saint-Lucien.
f2) Ibidem. •
DC l'aBBATE ROYALI DI SAINT-LUCIEN. 68S
babiUwts des eauK plas si^lubres cpiô celles dont ils faisaient
journellement usage. Les religieux de Saint-Lucien se prêtèrent
\ leur projet, et pendant plusieurs années on travailla avec
activité à Ventreprisa , à l'aide des deniers levés sur les habi-
tants , nobles , ecclésiastiques ou bourgeois. Une machine éle-
vait Teau à Miauroy, et une conduite en tuyaux de grès, de
i,6eo toises de longeur, la conduisait jusqu'au rempart de la
ville et au pojit Notre-Dame. L'œuvre, achevé en 1709, coûta
18,786 livres; mais le fruit en fut bientôt perdu à défaut d'en-
tretfen, et surtout à cause des difficultés qui surgirent entre
la justiee du comté et celle de la ville, pour la police de réta-
blissement (1).
Malgré les grands travaux exécutés par ordre de l'évoque de
Meaux , pour restaurer les édifices de l'abbaye et de ses dépen-
dances, tout n'avait pu être fait, et de nouvelles constructions
devenaient nécessaires. Dans le monastère, la tour du clocher
n'était pas achevée , une grande partie du logis abbatial était
tombé de vétusté et le reste était inhabitable; une partie des
cloîtres et l'inûrmerie étaient à reconstruire. Au dehors, plusieurs
fermes avaient besoin de réparations, et le clocher de Bonnières
avait été renversé par un ouragan (2). Pour faire face aux dé-
penses de ces travaux, l'abbé et les religieux demandèrent au roi
de les autoriser à faire une vente extraordinaire dans leurs bois
de Thieux, de Luchy, de Warluis, de Saint-Félix et d'Abbeviile-
Saint Lucien. Louis XV les autorisa par lettres-patentes du 11 oc-
tobre 1722, et une adjudication était faite, en 1724, à Antoine
Pauch, pour exécuter une partie des travaux de reconstruction.
Gela leur permit aussi d'achever de payer les 22,000 livres qu'ils
devaient à Philippe et Jean de Bemy, pour le rachat de la terre
de Beauve, effectué en 1706, et qu'ils n'avaient encore pu solder.
J^ 29 déceqibre 1733 , le vipaire-général de M^" de Gesvres ,
Charles de Bragelongne, donna sop approbation à une messe de
(t) Arch. de roise : abb. de Salat-Laclen. — Graves : StaUttiquë du
eanUm de BeauvaiSt page 333.
(3) Requête de l'abbé et des religieux : Arcb. de l'Oise : abb. de Saint-
Lucien.
636 HISTOIRB
saint Lucien , composée par les religieux pour Tusage de leur
abbaye (1).
La reconstruction de Tinfirmerie , adjugée le 30 juillet 1738^
fut terminée en 1741; elle avait coûté 55,466 livres.
L'abbé Jacques-Bénigne Bossuet, évëque de Troyes, mourut
le n juillet 1743.
Les religieux qui vécurent de son temps dans Tabbaye furent
D. Pierre Louet, prieur en 1705, René Mercier, sous-prieur en 1706,
Martin Laillier, sous-prieur en 1707, Pierre Pélissier, Denis
Monest, A. de Norroy, Yves Desmarest, Simon Gallon, François
Poullet, Martial Mancé, Charles-François de La Forge, Etienne
Bouquet, Maximilien Doiville, Maur Fombert, Michel Housset,
prieur en 1716, Jean Martin, Simon-Louis Maillefert, sous-prieur
en 1716, Philippe Delabye, Jean Mesnager, Louis Bart, François
L'Héritier, prieur en 1718, Charles Macadré, Guillaume Lefebvre,
Joseph Dumoulin , Jean Gonneau, Mathieu Jouet, Louis Audiger,
François Jérôme Malherbe, Pierre Fontaine, Jean Boyen, André
Marchais , Adrien-Vast Clause , Simon Beauval , Jean Bourdet ,
prieur en 1720, Nicolas Doury, Antoine Fieffé, Jean Verninac,
François Chaumont, Jean Borré, Guillaume Lesueur, Jean-Paul
Du Sault, Edmond Du Val, Emmanuel Régnier , Antoine Feu-
quières, François Hébert, Gilbert de Birat, Jean Yita, L.-Cl. Serpe,
Nicolas Vignolle, prieur en 1731, Louis Mauger, Claude Loisel,
Théodore de Modène, L. Guislain Bourgeois, J.-Baptiste Robart,
prieur en 1739, N. Yuaroqueaux, Augustin Noël, Jean de Han,
Pierre Mercier, Louis Turquet, Ant. Fouquier, J.-Hené Claudius,
Noël Richard, J.-Baptiste Vaucher, Adrien Lejeune, Louis Trou-
vain, Ant. La Branche, J. Pagnon, Simon Sangnier, Michel
Marion , Ch. Folin.
X.V. — Fi^ançols-Iieiiaxid. de Villeneuve
(1744-1766).
Après la mort de l'évëque de Troyes , la commende de l'abbaye
de Saint-Lucien fut donnée à François Renaud Morel de Yille-
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
DE l'âBBâYB royale DE SAINT-LUCIEN. 637
neuve de Monts, évêque, comte de Viviers. Il prit possession,
par procureur, le 31 janvier 1744, et délégua comme vicaire-
général pour agir en son nom et le représenter auprès des reli-
gieux, Geoffroy-Dominique de Bragelongne, chanoine de Beau-
vais et abbé commendataire de Longuay. Nous ne connaissons
que peu d'actes de Tadministration de cet abbé , et la plupart
sont des baux de propriétés, ou des procès sans importance pour
des cours d'eau ou pour des refus de dîmes.
Quant aux religieux, ils vivaient tranquillement dans leur
monastère, sans se soucier de leur abbé. Pour se conformer à
Tordonnance royale du 17 août 1750, ils firent la déclaration au
bureau ecclésiastique du diocèse, le 16 février 1757, des biens
et des revenus, qui leur appartenaient à cause de leur mense
conventuelle, du petit couvent, des offices claustraux réunis à
leur mense et des retraits faits par eux (1). Leur revenu se mon-
tait alors à 27,009 livres 17 sols, dont voici le détail :
A Notre-Dame~da-Tliil : la dîme du vin, 700 1.; les censives, 400 1.;
le forage, 20 1.; 8 arpents de vignes dans l'enclos, mémoire-, 16 mines
de pré, lieadit les Anguillons, 160 1.; 16 arpents de pré au Pont-aux-
Vacbes , 300 1. ; 7 mines au même lieu , 100 1. ; 5 qaarUers de pré à Prail-
Ion , 20 1. — La coupe annuelle du bois de Saint-Haxien (Foaqaenies),
72 ]. — Les censives de Foaqaenies, 40 1. — Les censives de Hontaabert
(Thérines), 500 1. — La ferme da Bois (Notre-Dame-du-Ttiil}, 2,400 I. —
Trois moulins à Hlaaroy (Notre-Dame-du-Thil), 1,350 1. — 17 mines de
pré à Hiaaroy et à la vallée de l'Epine , 60 1. — Des terres et prés à
Hlauroy et Fooquenies , 150 1. — La terre et seigneurie de Villers-sur-
Tbëre, 955 1. — La dîme de Ltiéranle, 40 1. — La terre et seigneurie de
Warlais, 800 1. — La terre et seigneurie d'Abbecourt, 2,200 1. — La dtme
d'Hodenc-rEvôque, 900 1. — La terre et seigneurie de Foulangaes, 358 1.
-- La ferme de Saint-Félix, 400 1. — Une pièce de pré à Pont-Sainte-
Haxence, 300 1. — La terre et seigneurie de Beaapuit , 1,300 1. — La terre
et seigneurie du nouveau domaine de Tbieux, 1,150 L, et 25 muids de
blé méteil à 20 1. le muid , 500 1. — La terre et seigneurie de l'ancien
domaine de Tbieox, 1,000 1., et 22 muids 6 mines de blé méteil à 20 1. le
muidi 450 1. — Les censives de Tbieux, 400 1. — Le moulin à vent de
Tbieux, 500 1. — La terre et seigneurie de Roy-Boissy, 900 L — La terre
et seigneurie de Couliemogne (Oudeuil), 1,230 L et 15 muids de blé méteil
(1) Arcb. de roise : abb. de Saint-Lucien.
T. VIII. 42
688 H1ST0IRB
éralQés SOO 1. — La terre et seigneurie d'Héricourt et Beanye, 950 1. —
Un tiers de la dtme d'Haucourt , 20 i — Ua tiers de la dtme de Boofflers
(Grillon), 70 1. — Les deux tiers de la dtme de Villers-sar-Bonnières, 100 L
— La dîme de Lezonviliers , lOO I. — Une petite pièce de terre le long
des murs de l'abbaye de Saint-Quentin ,41.-- Redevance sur la terre de
Margny-les-Compiègne , 150 1. — Une partie de la dîme de Bonnières ,
116 1. — Sur le chapitre de la cathédrale, pôbr sa terre de Reull , 100 1.
— Sur l'abbé, pour l'office de grand-prévôt, 300 1. — Sur le môme, pour
Toffice de garde-marteau , ^ 1. — Sur Tabbaye de CotiAé , pour (quatre
marcs d'argent, 193 1. — Sur le ducbé d'Àumale, 9 1. — sur le prieuré
de Fiextcourt , uni au collège des jésuites d'Amiens , (X) I. ^ Sur le
prieuré de SalAt-Haxien (Fouquenies), tmi au séminaire de Beanvais, 90 1.
— Sur les auneurs Jurés de Paris, 53 1. — Sur la ferme de Rotangy, à
l'abbaye de Ghaalis, 40 muids de froment, à 94 1. le muid, 960 1 , et
55 muids d'avoine à 10 1. 10 s. le muid, 577 1. lo s. — Sur la ferme de
Gouy, à l'abbaye de Froidmont , 32 mines de froment à 40 s. la mine ,
64 1., et 3-2 mines d'avoine à 18 s. la mine , 28 1. 16 s. — Sur la terre et
seigneurie des Ifazls, 16 mines de froment évaluées 39 L — Sur la ferme
du Fayel, an prieuré de Yariville , 16 mines de froment évaluées 8S 1., et
16 mines d'avoine , 14 L 8 s. — Sur la ferme de Trémonvillers, à l'abbaye
de Saint-/ust-en-Gbau8sée , 4 muids de froment évalués 96 1., et 4 muids
d'avoine 42 1. — Sur les biens du chapitre de Saint-Laurent de Beauvais,
à Francastd, 16 mines de blé évaluées 3-2 1., et 19 mines d'avoine 17 1. 2 s.
— Sur la ferme du Bois-d'Ecu, à la commanderie de Fontaine, S7 mines
de blé évaluées 54 1., et 16 mines d'avoine 14 1. 8 s. — Sur la seigneurie
de Rieux, 10 mines de blé évaluées 20 1., et 8 mines d'avoine 7 1. 4 s. —
Sur la seigneurie de Fumechon, 13 mines de blé évaluées 26 1. — Sur la
seigneurie de Gampremy, 12 mines de blé évaluées 24 L — Sur le monliii
de Bonnières, 4 mines de blé et une demi-mine de fleur de farine, le tout
évalué 7 1. — Sur la seigneurie de Bonnières, 26 mines de blé évaluées
89 1., et is mines d'avoine il l. 14 s. — Sur la seigneurie de Saulchoy-
lès-Poix, 7 mines et demie de blé évaluées 13 1. 10 s., et 8 mines et demie
d'avoine 7 1. 18 s. — Sur les taiUables de Yerderel, 23 mines de bté es-
timées 84 1. 10 s. — Sur le territoire de Gampremy, 42 mùies d'avoine
évaluées 37 1. 16 s. -- Sur le franc-flef situé à Gampremy, 4 mines dé
grains , moitié bté et moitié avoine, estimées 4 1. 14 s. — Sur le prieuré
de Saint-Haxien , 3 mines de blé évaluées 6 1. — Sur six fennes de
Monsieur l'abbé , 200 mines de blé à 30 s., SOO 1., et 44 mines d'avolm
estimées 127 1. 12 s. — Les biens casuels provenant de droits seigneo-
riaux , treizième lot, vente , etc. , évalués à 2,190 1. — Total des revenus
2T,009 livres 17 sols.
Les charges , que les religieux étaient tenus d'acquitter^ s'âe-
vaient à t0,987 livres 10 sols 6 deniers « ainsi réparties t
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 639
Au curé d6 Notre-Dame-da-Thil, pour son gros, 266 1. et 30 mines de
blé, sur les novales, estimées 45 1. — Les gages de deux gardes de bois
pour Notre-Dame-du-Thii , 50 1. et 50 mines de blé estimées 75 l. — Pour
le garde du bois de Yillers-sur-Thère, 2 muids de blé évalués 36 1. — Au
curé d'Abbecourt, pour les novales, 60 1. — A Monsieur l'abbé, pour
retour de partage sur la terre d'Abbecourt , 550 1. — Au curé de Grand-
viller-au-Bols et au maître d'école pour la desserte de la chapelle de
Beaupuil, llO 1. — Au curé de Brunvillers, 12 1. — A Monsieur l'abbô,
pour retour de partage sur le nouveau domaine de Thieux , 840 1. — Pour
le garde du bois de Beauve, 40 1. — Au vicaire de Pisseleu, 120 1. — Au
curé de Boufflers , 58 1. — A l'évêque de Beauvais pour l'abandon de
«es droits sur la rivière du Tbérain , 29 l. 2 s. 6 d. — Les obits pour les
rois» cardinal Gholet, abbés et autres personnes, cinq messes par jour,
1.000 1. — Pour le fauchage de la rivière du Tbérain, 100 1. — Au cou-
vreur, pour les réparations sur les toits de l'église et de la maison, lOO 1.
— Aux religieuses de Pentbemont, 3 mnlds et demi de vin à 40 1. le
muid, 140 1. — Pour la taxe à payer à la congrégation de Saint-Maur,
pour subvenir aux frais communs, 1,350 1. — Pour le service des rentes
à divers particuliers , 3,515 I. — Aux blanchisseuses, pour raccommodage
du linge, 450 1. — Au Jardinier de la maison, 450 1. — Aux sonnears, or-
ganiste et sonflleur, 520 1. — Pour les gages des domestiques , 600 1. —
Pour le commissionnaire qui va au marché , 80 l. - Pour le gage de
l'écrivain, 60 1. — Pour travaux (l) de répaiation aux fermes et aux
églises, 5,977 1. — Pour les gages des médecins, barbiers, chirurgiens
et frais d'inûrmerie , 890 1. — Pour l'entretien des ornements de la sa-
cristie et du luminaire , 376 1. — Pour les aumônes, 620 1. et 20 muids de
blé évalués 400 l. — Pour la réception des hôtes , 300 1. — Pour l'impo-
sition aux décimes, 1,773 1. 8 s.
Cette déclaration fait remarquer que « la communauté a tou-
« jours été composée de vingt-quatre à vingt-cinq religieux , et
« que ce n'est que depuis quatre ou cinq ans qu'elle se trouve
« réduite à dix-huit par nécessité de faire honneur à ses affaires. »
Les établissements religieux n'avaient plus alors la libre jouis-
sance de leurs bois; les maîtrises des eaux et forêts en avaient
l'administration ; elles réglaient les coupes et les aménagements,
et se montraient souvent fort iiostiles aux communautés. Aussi
que de procès ne voit-on pas pendant tout le xviip siècle entre
(1) On n'a pas compris la reconstruction du clocher de Notre-Dame -du-
Thil , qui a coûté 10^000 livrer
640 HISTOIRE
elles et les corporations religieuses. Que de formalités n'avait-
on pas alors à remplir pour obtenir un malheureux morceau de
bois 1 La quantité de bois à délivrer pour le chauffage du couvent
devait être déterminée par un arrêt royal. Les religieux ne pou-
vaient ni faire abattre, ni relever un arbre abattu quel qu'il fût,
sans une autorisation préalable du maître des eaux et forêts.
En 1760, les religieux de Saint-Lucien avaient fait couper quelques
arbres dans leur enclos , un procès leur fut Intenté par la maî-
trise de Glermont (i). Cette institution des maîtrises avait son
bon côté, en ce qu'elle empêchait la mauvaise exploitation des
bois, mais elle avait de bien grands inconvénients pour les
couvents.
Pendant ce temps, Tabbé avait quitté, en 1748, son évêché de
Viviers pour celui de Montpellier, qu'il administra jusqu'en 1760,
année de sa mort.
Parmi les religieux qui ont vécu sous lui, à Saint-Lucien, nous
citerons : D. Jean-Paul Du Sault, prieur en 1747, Germer Blené,
Louis Mauger, Claude Loisel, Pierre Petrement, Claude Enigou,
François Desquesne, Pierre Fontaine, François-Pierre Lefebvre,
Joseph Gaudemant, Joseph de Resnil, Pierre Berquin , Louis-
Charles Delespine, Emmanuel Delporte, Florimond de La Grange,
Jean-Baptiste Huet, Pierre Louis de Gonfreville, prieur en 1748,
Edmond Bataillou, Pierre Mercier, G.-P. Lemonnier, Firmin Thory,
Nicolas Dumoulin, Louis Gilliot, Joseph de Forceville, Prothais
Buiron, Guillaume Henocq, Jean Saint-Gully, René Sourdeau^
Hubert Benoît, prieur enl7o6, François Neveu, Jean Lechan leur,
Alexandre Huet, Albert Becquet, Urbain Leduc, Pierre-François
Gazé, Joseph Vernaux, Jean-Baptiste Vicarré, Louis-Joseph Toil-
liez, Augustin Couzart, Jean René Laignier, Nicolas Oudin, An-
toine Charles Dambry, Antoine-François Reynaud, prieur en 1757,
Hector Canut, prieur de Saint-Thibaulten-Hez, Antoine Dormaud,
Gilles Féron, Michel Marion , Robert Denise, J.-Antoine Delonce,
professeur, Adrien Dambry, François-Joseph Brasier, Denis Dela-
place, Joseph Pourcher, Théodore Poinlillon, Antoine Remy,
prieur en 1764, Raymond Hermand, E.-François Quirot, J. -Fran-
çois Gobereau, Augustin de Bourges, Antoine-Nicolas Branche,
(1) Arch. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien.
DB l'abbaye royale DE SAINT-LUCIEN. 64i
Joseph LaîgDier, N. de Henu , Jean-Etienne burch , Pierre Dollé,
Jean-Baptiste Lalleu, Jean-Baptiste Gouge; J. -Thomas Lévesque,
N. Pucelle, Pierre Donnet.
XVI. — Oeorges-Loixls F^lielypeaixx
<i-Her*l>aixlt (1) (1766-1787).
Le successeur de M. de Villeneuve à Tahbaye de Saint Lucien
fut Tarchevéque de Bourges, Georges-Louis Phely peaux d'HerbauU,
(ils de Georges Phelypeaux , seigneur d'Herbault. L'administra-
tion de cet abbé ne lai>:sa pas plus de traces que celle de son
prédécesseur : des baux, quelques transactions, des titres nou-
veaux, diverses procédures sans importance, c'est là tout le
bilan de son abbatiat.
l^es religieux vivaient tranquillement dans leur monastère sans
se faire remarquer par l'importance de leurs actions, mais aussi
sans donner prise aux critiques. Il faut leur rendre cette justice,
leur communauté resta toujours exemplaire. Ce n'étaient plus,
sans doute, ces vertus austères des premiers siècles; ce n'étaient
pas non plus ces scandales et cette vie trop facile, dont on don-
nait ailleurs de si tristes exemples. L'amour de l'étude conser-
vait la régularité. Ces religieux étudiaient, et plusieurs même,
1). A. de Norroy entre autres, furent les collaborateurs du Gailîa
Christiana et de ces grands travaux historiques qui immortali-
sèrent la congrégation. Leur société était recherchée par l'aris-
tocratie intellectuelle de la ville, et le respect les environnait.
En 1767 et 1773, ils firent exécuter d'importants travaux de
restauration à l'église et aux cloîtres du monastère, et ils y dé-
pensèrent près de 44,000 livres (2).
En 1781, ils transigeaient avec l'abbaye de Saint-Quentin et
MM. de Goussainville, Danse et Baron, pour les dommages faits
par l'inondation des prairies, causée par la rupture du bordage
du canal Gonnard (3).
(1) Ses armes étaient : d'azv/r, semé de quintefeuilles d*or, au franc
quartier d'hermine écartelé d'argent à 5 lézarda de Hnople.
(2) Arcb. de l'Oise : abb. de Saint-Lucien,
(3) Ibidem.
642 HiSTOins
Mais déjà commençaîent à gronder les orages qui allaient em-
porter les institutions religieuses et politiques du passé. Depuis
longtemps on attaquait le prestige des ordres monastiques el on
travaillait de toutes les manières à amoindrir leur importance.
Les rois ne leur étaient plus favorables, les parlements et les
assemblées du clergé leur étaient souvent bostiles, et les philo-
sophes libres-penseurs les battaient en brèche de fous les côtés.
Il leur aurait fallu, pour triompher de tant d'obstacles , une
force qu'ils n'avaient plus , hélas! depuis bien longtemps. La foi
ardente des temps passés n'y régnait plus; la source des vertus
austères paraissait tarie, et ces grandes institutions assistaient,
avec une impassibilité désespérante, au spectacle de leur déca-
dence, et allaient se laisser emporter, sans espoir et sans énergie,
par un terrible cataclysme.
L'abbaye de Saint-Lucien devait sombrer, comme les autres.
M. Phelypeaux d'Herbault vit les signes précurseurs; il n'eut pas
le temps de voir la catastrophe , la mort l'avait enlevé en 1787.
Les affaires allaient si mal que le roi ne se donna pas la peine
de le remplacer. L'abbaye fut mise en économat, et le ii juin 1788
M. Isidore-Simon Brière de Mondetour, économe général du clergé
de France, affcîrma à François Lhote, bourgeois de Paris, toutes
les fermes et revenus de la mense abbatiale de Saint-Lucien. I^
fin approchait.
L'année 1789 commence sous de fâcheux auspices, un hiver
des plus rigoureux , entraînant après lui la disette et la misère,
commande de la part de tous d'abondantes aumônes. Toujours
debout au milieu des nécessités publiques, les moines de Saint-
Lucien veulent ne céder à personne l'honneur de soulager les
souffrances du peuple; ils multiplient, sous toutes les formes,
les inventions de la charité la plus compatissante. Ce généreux
dévouement ne leur épargnera pas pour cela la spoliation ni
l'ostracisme.
Le 24 janvier 1789, les lettres du roi avaient convoqué les trois
ordres, le clergé, la noblesse et le tiers-état, au chef-lieu de
leur bailliage, pour y rédiger des cahiers de vœux et de do-
léances, et pour nommer des députés aux Etats-Généraux qui
devaient se tenir à Versailles. L'abbaye de Saint-Lucien dut donc
envoyer un délégué à Beauvais. Ses religieux, réunis en chapitre
le 6 mars 1789, nommèrent D. Pierre- François Bazonnès, leur
DB l'ABBATE ROTALB VM SAINT -LUCIEN. 649
prJeur, pour les représenter à rassemblée du bailliage, avee pleins
pouvQîrs pour h concourir avec les autres membres âe l'ordre
« du clergé à la rédaction du cabier de plaintes, doléances et
K remontrances, qui sera rédigé coi\jointement ou séparément,
« suivant que les trois ordres l'auront délibéré séparément, pro-
a céder au nom de ladite abbaye conjointement ou séparément
« à l'élection des députés, qui seront envoyés aux Etals-Géné*
« raux , dans le nombre et proportion déterminés par la lettre
€ de Sa Majesté, proposer, remontrer, aviser et consentir tout
« ce qui peut concerner les besoins de TEtat, la réforme des
tt abus, rétablissement d'un ordre fixe et durable dans toutes
« les parties de l'administration, la prospérité générale du
0 royaume, et le bien de tous et de chacun des sujets de Sa
« Majesté (i). » Les religieux présents étaient D. Pierre-François
Bazonnès, prieur, Louis- Adrien Personne, sous prieur, Fran-
çois Joseph Hardy, Louis-Joseph Toilliez, Jean-François-Louis
Le Roy, cellerier et procureur, Adrien Mabille, François-Audebert
Enocq, dépositaire, Jean-Baptiste Jacquemart, Michel-Albert
Crevelle, secrétaire du chapitre, Jacques-Michel-Sauveur Dubois,
et tous signèrent la délégation.
Le 9 mars, D. Bazonnès fut à rassemblée générale des trois
ordres du bailliage, présidée par le comte de Grillon, grand-
bailli d'épée. Le lendemain, il se rendit à Tévêché, avec tous
les délégués du clergé , pour nommer, sous la présidence de
révêque, Ms' de La Rochefoucauld, la commission de rédaction
du cahier des vœux et doléances de Tordre. Il fat l'un des com-
missaires élus (2). Nous ne pourrions dire la part qu'il prit à
(1) Procès-verbal de la dôlibéraUon capltulaire dans le cabinet de
H. Mathon.
(3j Les autres commissaires chargés, avec lai, de la rédacUon du
cahier du clergé étalent : MM. de Laocry de Pronleroy, doyen da eha^
pitre cathédral; Daboncourt, caré de Saint-Jast-des-Marais; Delpoech de
Comeiras , grand archidiacre de Beaavais ; Thierry, chanoine de Saint-
Barthélémy de Beaavais ; Pillon , caré de Saint-Jacqaes de Beaavais ;
D. Garaadé, priear de l'abbaye de Beaupré; Pignon, priear de Tabbaye
de Saint-Qoentin ; Delamotte, curé de Notre-Dame-du-Thil ; Motte, eha-
noine de la cathédrale ; Régnier, caré de Saint-Martin de Laversines ;
644 HISTOIRE
cette œuvre, ni celle qu'il eut dans Télection de David, curé de
Lormaison , pour la députation ; nous savons seulement qu'il
fut l'un des membres les plus considérés de cette commission.
Quelques mois plus tard, l'Assemblée nationale frappait coups
sur coups les institutions monastiques. Ses décrets les privèrent
d'abord d'une partie de leurs revenus (dîmes et droits féodaux),
puis les spolièrent complètement de leurs biens et finirent par
les supprimer. La nuit du 4 août 1789 avait vu voter l'abolition
des droits féodaux et des dîmes; les séances des 23, ai, 30,
31 octobre et 2 novembre mirent les biens des corporations reli-
gieuses à la disposition de la nation; le 19 décembre, l'Assem-
blée décrétait la vente de 400 millions de biens du domaine de
l'Eglise; les 10, 11, 13, 16, 18, 19 février 1790, elle prononçait la
sécularisation des abbayes et l'interdiction des vœux monas-
tiques, et consommait ainsi la suppression des ordres religieux
en France. 80,000 personnes inoffensives à l'Etat, utiles à la
société et généralementédifiantes par leur genre de vie, se trou-
vèrent ainsi privées de leur propre bien, chassées de leurs mai-
saisons et mises hors la loi, et cela au nom de la liberté !!
En conséquence de ces mesures, un décret du 26 mars 1790
ordonnait aux officiers municipaux des localités, où se trouvait
des établissements monastiques, de se présenter, dans la huitaine,
dans toutes ces maisons, de s'y faire présenter les comptes de
régie, de les arrêter, de former un état des revenus avec l'époque
des échéances, et de dresser un inventaire des titres et de tout
le mobilier de l'église et du couvent. Pour obéir à ce décret, les
officiers municipaux de Notre-Dame-du-Thil, Pellerin, maire,
Tonnellier, Dupriez, Boudeville, Cantrel et Régnier, se rendirent
à l'abbaye de Saint-Lucien le lundi 17 mai , « se firent présenter
au prieur, D. Bazonnès , le prièrent d'assembler sur le champ sa
Lozières , chanoine de Saint-Laarent de Beanvais : Danse , chanoine de la
cathédrale; Salenlin, curé de Mouy; Préverel, curé de la Basse-Œuvre
de Beauvais; Poincy, professeur de théologie à l'abbaye de Saint-Quentin ;
Bauchain, curé d'Ons-en-Bray; Payen, curé de Goincourl; Viiiain, curé
de Saint-Sauveur de Beauvais; Rliedon, curé de Rothois; Demonchy,
chanoine de Saint-Michel de«Beauvais; D. Enjubeault, prieur de l'abbaye
de Saint-Germer.
DE L' ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 645
communauté, et, eu présence des religieux, visitèrent les re-
gistres des comptes de la maison et les arrêtèrent. Puis, vériG-
cation faite , ils constatèrent , dans leur procès- verbal de vaca-
tion, que les revenus, pour Tannée suivante, consistaient en
37,540 1. 16 s. iO d. en argent, à échoir : 5,093 l. U s. â d. à la
Saint-Bemi, à la Toussaint et à la Saint-Martin i790; 2,628 1.
H s. 6 d. à Noël; 9,991 1. 5 s. au i*' janvier 1791; 9,150 1. 10 d. à
Pâques et 10,677 1. 5 s. 4 d. à la Saint- Jean-Baptiste; et en rede-
vances en nature, en 15,689 1. 8 s., ce qui donnait un total gé-
néral de 53,230 1. 4 s. 10 d. (1). »
Ils procédèrent ensuite à l'inventaire du mobilier. Le prieur
leur déclara tout d'abord qu'ils ne trouveraient plus leur argen-
terie de table, ni la plus grande partie de celle de leur église,
attendu qu'ils les avaient envoyées à Paris au mois de novembre
précédent, et en avaient fait don à la nation pour la part de leur
maison dans la contribution patriotique qui avait été demandée,
et il justifia son dire en produisant un reçu de l'hôtel de la
monnaie de Paris , signé Du Perron de La Coste. Il n'y avait
dans la caisse du monastère que i,280 1. 16 s. 3 d. Ceci constaté,
on fit l'inventaire de l'église et de la sacristie. Nous citons :
Dans l'église : 3 tombeaux de plomb, 3 châsses de cuivre doré expo-
sées sur le mattre-autel , 2 autres de bols , une de cuivre doré ornée
d'images de saints d'argent doré. Dans les armoires de la croisée, 2 pe-
Utes d'argent doré, une autre de cristal revêtue d'argent doré, sur un
pied de cuivre doré, une autre petite d'argent doré sur un pied du môme,
une autre petite de cuivre doré. Un bras revêtu d'argent avec une bague
d'or, et un chaton de pierre une, un antre d'argent portant trois petits
bras, un autre d'argent, un autre de cuivre doré dont la main est de bols
doré. Un petit reliquaire d'argent , un de cuivre doré en forme de flèche,
un autre en (orme d'oratoire . un autre en (orme de botle longue , revêtu
d'une feuille d'argent , un de cuivre doré en forme de ciboire , deux
autres de cristal revêtus de cuivre. Un petit ange de vermeil sur un pied
de cuivre doré, un pied d'argent doré servant à exposer sur l'autel la
vraie croix d'argent doré à deux croisUlons, un ostensoir de même métal.
Un anneau d'or attaché à une croix d'argent ; une petite boîte d'argent
pour les saintes huiles, deux textes (livres d'Bpltres et d'Evangiles) re-
(1) Procès- verbal dressé par la municipalité de Notre-Dame-du-Thil,
aux Archives de l'Oise.
646 «inaiu
yétas de plaques d'argent doré enrichies de pierreries; un missel revdta
de plaqaes d'argent; une croix ptocessionnelle argentée. Le tombeaa du
cardinal Cbolet de marbre doré; divers cbandeliers de cuivre; un fau-
teuil de velours rouge galonné en or ; deux autres de maroquin. Une
table de marbre à pieds de bois doré ; hait grilles de fer au sanctuaire ;
trois autres du même fera^ant le chœur ; un aigle de cuivre ; un pupitre de
fer; trois banquettes de maroquin pour les choristes; 6 pièces d'anciennes
tapisseries de Beauvals. Sixpilliers revêtus d'une belle boiserie ; une belle
chaire de vérité, et un buffet d'orgues nouvellement reconstruit à neuf.
Au-dessus de l'autel de la Sainte-Ylerge , sa statue en marbre. Une ar-
moire où sont renfermés 7 à 8 devant d'autels. Un grand in-foilo en par*
ehembi et divers livres d'église.
Bans la sacristie : deux calices et leurs patènes. Un ornement hlane
composé d'une chasuble , deux étoles , trois manipules , deux tuniques,
trois chapes de drap d'or^ orfrols brodés en or, une chape et une étole
de soie niélée d'or, brodée et galonnée en argent. Un second blanc com-
posé comme ci-dessus , étoffe damas broché. Plus une chasuble du même
avec un Saint-Esprit brodé en argent. Deux tuniques en drap d'or l^ger,
galons d'argent. Plus une autre cbasuble de damas et 2 tuniques avec
leurs étoles et manipules. — Un ornement rouge composé d'une chasuble,
deux étoles , trois manipules , deux tuniques , quatre chapes de velours
brodées en or. Un autre , d'une chasuble , deux étoles , trois manipules,
deux tuniques et trois chapes de damas , orfrois de velours brodés en
or. Plus une chasuble , deux étoles , trois manipules , deux tuniques, une
chape , aussi de damas rouge. Un ornement violet de damas galonné en
argent, comme dessus. Plus une chasuble, étole, manipule, de velours
brodé d'or. Deux planettes de damas, galon d'argent; une large étole de
diacre et deux manipules. — Un ornement vert, composé d'une chape
et le reste comme dessus, plus deux chasubles , deux étoles , deux ma-
nipules de velours. — Un ornement noir composé de quatre chapes et le
reste comme dessus, de velours galonné en argent, et un poêle de même.
— 13 chasubles, étoles, manipules, 28 voiles et 24 bourses de toutes
couleurs pour les messes basses. — 5 écbarpes, un dais, trois tapis,
4 coussins, 16 autres petits, dOaubrs, 30 cordons, 23 amicts, 40 tant
aubes que rochets pour les enfants de chœur, 4 surplis , 20 nappes d'au-
tel, 25 corporaux, 6 camails d'enfants, un pour le serpentiste, une robe
de bedeau , une baguette garnie d'argent.
Quatre grosses cloches et quatre petites dans les deux clochers, une
horloge , une pendule et un gros timbre pour le réfectoire.
Les municipaux passèrent ensuite dans la bibliothèque , où ils
comptèrent 37 manuscrits , 700 in f<>, 460 1n-4o, 760 in-8(» , 1500
in-12, 300 in-16 et plusieurs années de journaux et de gazettes;
DB L'ABBATE ROTALB DB SAINT -lucibn. 647
puis, firent un inventaire très-sommaire du mobilier du reste de
la maison.
Cette opération terminée, ils demandèrent à connaître la situa-
tion de rétablissement par rapport aux dettes immobilières,
mobilières et actives. Le prieur déclara 1 ,0S8 1. là s. 6 d. de dette»
immobilières, i8,968 1. 16 s. 9 d. de dettes mobilières, et 18,555 h
15 s. 4 d. de dettes actives.
Enfin le maire, achevant sa désagréable besogne , pria D. Ba^
zonnès de vouloir bien lui indiquer, conformément à la loi,
le nombre de ses religieux, leur nom, âge et charge, avec leur
intention à l'égard de la vie monastique. On voyait à sa oonte-i
nance et à celle de ses municipaux , qu'ils accomplissaient une
tache pénible et qu'ils le faisaient avec répugnance. Le prieur le
sentait bien, et leur en témoigna sa gratitude; puis , répondant
à leur demande, il leur dit que sa communauté se composait de
dix religieux profès tous prêtres, et qui étaient: D. Pierre-Fran-
çois Bazonnès, prieur en exercice, âgé de 38 ans et demi;
D. Adrien- François-Louis Personne, sous-prieur, âgé de 37 ans
et demi ; D. Charles-Gabriel Cardon , ancien prieur , principal
pendant trente et un ans du collège de l'abbaye de Saint-Ger*
mer, et ancien supérieur de l'école royale militaire de Beaumont
en Normandie , doyen de la maison, âgé de 6i ans ; D. François-
Joseph Hardy, ancien prieur, âgé de 55 ans ; D. Louis-Joseph
Toilliez, ancien prieur, âgé de 55 ans; D. Jean- François Le Roy,
procureur et ceUerier, âgé de 41 ans; D. Adrien Mabille, âgé de
51 ans ; D. François-Âubert Enocq, dépositaire, âgé de 37 ans ;
D. Jean-Baptiste Jacquemart , âgé de 29 ans et demi ; D. Jacques-
Michel Dubois, âgé de 30 ans.
Quant à la question de savoir s'ils voulaient profiter des dis-
positions de la loi pour quitter leur maison, et se retirer soit
dans la vie privée, soit dans un établissement, qui leur serait
ultérieurement désigné , tous furent unanimes â répondre
« qu'ils attendraient, pour se déclarer à ce sujet, d'être instruits
des maisons que l'Assemblée nationale leur désignerait pour
demeure , du régime sous lequel ils auraient à vivre et de la
sûreté que les pensions proposées pourraient offrir (1). » Ils
(1) Procès-verbal de l*inv. aux Arch. de l'Oise. Fonds de la Révolution.
648 HISTOIRE
allaient du reste motiver plus explicitement, quelques mois plus
tard, leurs intentions à ce sujet.
Les officiers municipaux de Notre-Dame- du-Thil se retirèrent
en faisant des excuses et en protestant de leur respect et de leur
attachement. Les moines de Saint-Lucien avaient encore conservé
leur prestige , malgré tout ce que la Révolution avait entrepris
pour ramoindrir et la détruire. Leur vie antérieure et leur atti-
tude dans le présent les montraient toujours respectables malgré
le malheur.
Le 30 septembre i790 , le président de l'assemblée administra-
tive du district de Beauvais, Joachim-Félix-T^on Blanchard de
Ghangy, accompagné de MM. Renault Ma, vice-président du
Directoire, Goujon, procureur syndic du district, et Danjou,
secrétaire de rassemblée administrative, se rendit à Vabbaye de
Saint-Lucien , pour faire le recollement de Tinventaire dressé
par les officiers municipaux de Notre-Dame-du-Thil. Le maire
Pellerin l'assistait, avec Ant.-Jul. Delamotte, secrétaire de la
municipalité. Les religieux subirent sans rien dire cette nou-
velle vexation « n'ayant aucun moyen pour l'empêcher (1). »
I^ recollement de l'argenterie de l'église terminé, on la fit es-
timer par Jean-Etienne Varlet, orfèvre à Beauvais. Après exa-
men, ce dernier déclara le tout peser i03 marcs 2 onces
6 gros, et pouvoir être évalué à »,261 livres i9 sols 4 deniers.
Puis on fit en détail l'inventaire de tous les objets mobiliers
garnissant les appartements du monastère , et des derniers baux
des propriétés , les officiers municipaux de Notre-Dame-du-Thil
ne l'ayant fait que très-sommairement.
Le temps marchait et la révolution s'accentuait de plus en
plus. Les mesures les plus hostiles étaient prises contre les com-
munautés religieuses, et on activait leur accomplissement. Pour
chasser leurs membres de leurs maisons, on se pressait, parce
qu'on voulait en finir. On leur avait proposé de se retirer dans
le monde, ou dans un lieu qui leur serait désigné, s'ils tenaient
à vivre en commun, avec promesse de leur payer pension, mais
comme personne d'entre eux ne se hâtait de prendre une dé-
(1) Procès-verbal de recollement aox Archives de l'Oise. Fonds de la
Révolution.
DE l'abbaye BOYALB DE SAINT-LUCIEN. 649
termination , on les somma d'avoir à se prononcer, dans le plus
bref délai, et d'envoyer l'état de leur personnel.
Les religieux de Saint-Lucien ne pouvaient plus atermoyer. Le
lundi 20 décembre i790, ils comparurent pardevant la munici-
palité de Notre-Dame-du-Thil « pour satisfaire, dirent-ils, aux
décrets de l'Assemblée nationale des 8, 9, 14, 15, 16, i8, 22, 23,
25 septembre, 4, 5 et 8 octobre précédent. » Le prieur remit
l'état des religieux de sa maison, certifié véritable par D. Tam-
peté, visiteur de la congrégation de Saint-Maur; puis chacun
d'eux déposa sa déclaration écrite, la fit transcrire au registre
de la municipalité et la signa. Nous reproduisons ces déclara-
tions, ou plutôt ces protestations, comme un monument de la
noble attitude de ces religieux, dans un moment où il y eut
tant de faiblesses et de défections (i).
Le prieur, D. Pierre-François Bazonnès, comparait le premier,
dit être né le !«' décembre 4751, avoir fait profession le 23 dé-
cembre 1772 dans l'abbaye de Saint-Biquier, et donne sa décla-
ration ainsi conçue :
Je soassigné déclare qae je n'accepte pas la vie commune proposée
par TAssemblée nationale , n'y retrouvant pas mon état , qui a fait mon
bonheur pendant vingt ans et auquel je serai attaché toute ma vie.
F.-P. Bazonnès.
D. Adrlen-Frauçois-Louis Personne, sous-prieur, dit être né
le 20 juillet 1752, avoir fait profession le 14 novembre 1773 dans
l'abbaye de Saint-Biquier, et déclare :
Tant que le corps dont j'étais membre eût existé , je n'aurafs jamais
pensé à quitter mon cloître , mais la vie commune décrétée par l'Assem-
blée nationale est si différente de mon ancien état , vu la difficulté de
savoir où et avec qui je demeurerai , que je me décide à me retirer,
quoique avec le plus grand regret. A. Pbbsonne.
D. Gbarles-Gabriel Gardon dit être né le 14 novembre 1725,
avoir fait profession le 5 septembre 1742 dans l'abbaye de Saint-
Evrost, et déclare :
Je soussigné déclare que j'ai fait l'émission de mes vœux dans la congré-
(1) Registre D, n* i^, p. 157, et sniv. (Arch. de la conunune de Notre-
Bame-du-ThlL)
(SO «ISTMftB
fStioB dé Mnt-lMT toos li dovMe proteclMMi 4e riglîM et de r
qiK eett à Diea même, aax pieds des saints aaleb, «■ préstece de ses
saints et des ûdtrles. témoms de mon sacrifice, que j'ai Toué de me
consacrer il son serrre^ . pendant toat le coor de ma rie . par la pratique
de la règle de saint Benoit, . . qae j'ai renoarelé tous les ans cette pro-
messe, et que je la renooTelIe encore aotant qn'il est en moi . dans tette
roaiflon que j'avais choisie pour ma retraite, et où sont conserrées depuis
tant de siècles les précieuses dépouilles des premiers apôtres da Bean-
TOisis ; mais qae eon«idérant le noorean plan d'one rie comnmne , que
m'oflirent les décrets de TAssemblé nationale concernant les refigfeax. je
n'y troore point celai de la règle que j'ai promis d'ol>senrer, ni les eoo^
Hons qni ont motiré ma première consécration — qne fon ne nonme
pas encore les maisons , qui , aux termes des décrets dn 13 féTiîer der-
nfer« seront désignées pour ceux qui Tondront s'y retirer qne ce dé-
cret parolt même être annale par on antre subséquent , qui annonce qne
tontes les maisons religiea]>es seront mises en vente sans exeq[»tlon...
que je n'aperçois plus aucun caractère de Fêtai qne j'ai embrassé, dans
ce mélange de religieux de différents ordres, qui peuvent être réunis dans
la même maison , qu'une pareille assoclalion formée au liasard , qui MX
m'inspirer au moins le soupçon et l'inquiétude de la voir mal organisée,
ne pent en aucun cas devenir l'objet d'un cboix véritablement libre et
mûrement réfléchi , qu'en conséquence je me crois forcé de prendre le
parti de cbercber une retraite , où j'espère , avec la grâce de Dieu, opérer
tranquillement mon salut, sans encourir le blâme d'une honteuse apos-
tasie. C'est avec la plus vive douleur que je vous remets cette présente
déclaration, dont je vous prie de me donner acte.
C.-G. Cabdok,
ancien prieur et principcU du collège de liMaye de Soênt-Germer
en Beauvoisiê et defnUs supérieur de l'école royale tnUUaire
de Beaumont en Normandie.
D. François-Joseph Hardy dit être né le 27 mai 1735, avoir fleiit
profession & Tabbaye de Saint>Médard de Soissons le 13 no*
vembre 1754, et déclare que :
(1) Nous ne saurions dire si ces points indiquent une suppression de
de texte faite à dessein par le secrétaire de la monicipalilé. Nous repro-
duisons servilement ce qui est transcrit. En tout cas, la suppression, si
elle existe , a été consentie par les religieux puisque chaque transcription
est signée authentiquement par le déclarant. Il nous a été impossible de
reironrer les déclarations écrites de la main même des religieux pour
Térifler.
DB L'aBBATB ROTALB Dfe SAINT*LUGIEN. 65i
Soamis aux décrets de l'Assemblée nationale , Il renonce k la vie eom-
mune décrétée par l'Assemblée nationale. F.-J. Harat.
D. Louis-Joseph Toilliez (i) dit être né le 24 septembre 1733,
avoir fait profession à Tabbaye de Saint-Médard de Soissons le
15 novembre 1753, et déclare :
Je soassigné déclare renoncer à la vie commune , le noaveaa régime
des monastères prescrit par l'Assemblée nationale me paraissant impos-
sible dans la pratique et contraire aux engagements que j'ai solennelle-
ment contractés , engagements qui me promettaient de unir en paix le
reste de ma carrière , persuadé que la pureté de mon cœur me mettra à
l'abri de tout blâme, en manifestant des vœux que les circonstances
forcent. L.-J. Toilliez.
D. Jean-Frangois Le Roy, cellerier, dit être né le 20 décembre
1749, avoir fait profession à Tabbaye de Saint-Faron de Meaux
le 8 mars 1768, et déclare :
J'ai constamment désiré de passer toute ma vie dans la congrégation de
Salnt-Maur ; l'accomplissement de ce désir étant devenu impossible par la
suppression de cette congrégation , je cède aux circonstances et déclare
renoncer à la vie commune. F. Le Rot.
D. Adrien Mabille, retenu au Ut, malade, envoie sa déclara-
tion par D. Bazonnès, qui le dit né le li octobre 1739, avoir fait
profession è Tabbaye de Saint-Rlquier le 25 mars 1771, et dé-
clare :
■ Comme la maison de Saint-Lucien n'est pas dans le cas de subsister
mon Intention n'est pas de rester; d'ailleurs , quand je le voudrais, ma
santé chancelante ne me le permettrait pas.
D. François-Âubert Enocq dit être né le 21 juillet 1753, avoir
fait profession à Tabbaye de Saint-Biquier le 22 juillet 1774 :
Proteste ^e son attachement à son état et déclare qu'il ne désire point
continuer la vie commune telle qu'elle a été décrétée par l'Assemblée
nationale, attendu qu'il ne sait pas où et avec qui il auroit à vivre.
F.-A. Enocq.
(1) B. Toillies se retira à Koti*e-Dàme'-<Iù-Thl] , chê2 M', ftayè , notah!«,
où il mourut > en lui laissant sa bibliothèque.
652 HISTOIEB
D. Jean-Baptiste-Fierre Jagquemabt (i) dit être né le 10 lévrier
i76i, avoir fait profession à l'abbaye de Saint-Faron de Heaux,
et dépose sa protestation :
Je soussigné déclare qa'aprës avoir mûrement pesé et examiné tous les
décrets de l'Assemblée nationale concernant les religieux, notamment
celai da 13 février de la présente année 1790, qui, en les supprimant, pa-
roissoit donner anx religieux la ftculté de terminer paisiblement leur
carrière dans leurs maisons respectives ou au moins dans celles de leur
ordre que de plus ses décrets subséquents, loin de favoriser l'état
stable et permanent , que j'ai librement embrassé , sous la sauvegarde
de la religion et de la loi , paroissent présenter au contraire un nouvel
ordre de choses, qui semble contrarier l'émission de mes premiers
vœux qu'en conséquence je conserverai à jamais mon attachement
à mon état, auquel je me rendrai sur le champ et avec le plus vif empres-
sement, conformément aux obligations que j'ai contractées, si jamais ces
asiles sacrés pouvaient m'étre rouverts, que guidé par ces motifs, dont
j'espère honorer sans cesse mes actions , je me crois exempt de tout
blâme et censure , vis à vis des personnes qui veulent bien réfléchir sur
les circonstances critiques où je me trouve qu'enfin cédant à ces
mêmes circonstances, je renonce à cette vie commune telle qu'elle m'est
présentée par les susdits décrets. J.-B. Jacquemart.
D. Jacques-Michel-Sauveur Dubois dit être né le 19 septembre
1760, avoir fait profession à Tabbaye de Saint-Rem> de Reims le
17 mars 1783 , et déclare :
Etant aujourd'hui nécessité par les décrets de rAssemblée nationale à
choisir entre la vie commune et particulière , voyant la congrégation de
Saint-Haur, dans laquelle j'ai fait profession et dans laqueUe j'ai toujours
désiré mourir, et à laquelle je serai attaché toute la vie, supprimée, ne
pouvant et ne voulant pas faire de nouveaux vœux , je déclare renoncer
à la vie commune telle que me l'offre l'Assemblée nationale dans ses dé-
crets , n'y retrouvant pas mon état , et la regardant comme impossible.
J.-H. Dubois.
(I) Ce religieux , l'un des derniers survivants de sa communauté, prit du
service dans le ministère paroissial du diocèse , après la Révolution , et
en fut l'un des membres les plas édifiants. Il fut curé de Fouquenies, puis
de Saint-Germain la-Poterie, de 1807 à 1830, où 11 mourut le 19 novembre
1880, environné de l'estime de tous.
DE L*ABBAYB ROYALE DE SAINT-LUCIEN. 653
Ces déclarations étaient généreuses > et les religieux savaient
bien, en les faisant, que ce n'était pas le moyen de se rendre
favorables les agents de la Révolution ; mais ils obéissaient à un
devoir de conscience, et rien n'était capable de les en détourner,
pas même la persécution qu'ils avaient en perspective. Par suite
de leur protestation, le président du District de Beauvais,
M. Blanchard de Changy, se rendit à l'abbaye , le 2 janvier 179i,
pour leur remettre les objets nécessaires à leur usage personnel
et apposer les scellés sur le reste, confisqué au nom de la na-
tion. Il leur laissa leurs habits et linges, trois paires de draps et
douze serviettes à chacun , quelques ustensiles de cuisine (un
chaudron, quatre petites casseroles, une marmite, un coque-
mar, deux cuillers à pot et une écumoire) ; pour dire la messe
jusqu'à leur évacuation, un calice avec trois chasubles de cou-
leurs différentes et huit aubes (1), et fit mettre les scellés sur
toutes les chambres et salles autres que celles à l'usage exclusif
des religieux, sur les portes du chartrier, de la bibliothèque,
du trésor et sur toutes les armoires de l'église et de la sacristie.
Il voulut en confier la garde aux religieux, qui refusèrent, et la
municipalité de Notre-Dame-du-Tbil en fut chargée. Avant d'ap-
poser les scellés sur le trésor, M. Blanchard de Changy en avait
fait extraire un calice, un bâton de chantre en argent, un en-
censoir et sa navette, une croix d'autel avec son pied, un os-
tensoir, une boîte aux saintes huiles, une figure d'ange, un
ciboire doré, une custode, tous objets précieux en argent, et
avait demandé aux officiers municipaux de Notre-Dame-du-Thil
de les conserver en lieu sûr. Ceux-ci ne se souciaient pas de se
rendre responsables de cette argenterie et refusèrent de le faire
sous le prétexte qu'ils ne savaient où la mettre. M. Blanchard
de Changy fut alors obligé de la faire transporter à Beauvais (2).
Quelques jours après, les religieux durent se résigner à quitter
cette abbaye, dans laquelle plusieurs avaient vieilli. Ce fut un
jour triste et solennel que celui où ils parcoururent, pour la der-
(1) Procès-verbal de rapposition des scellés. (Arcb. de l'Oise. — Fonds
de la Révolution.)
(3) Ilndem.
T. VIII. 48
654 fliSTMii
nière fois, ce$ cloUres, où ils avaient si souvent promené leurs pas
silencieux, et s'agenouillèrent dans l'église qui avait si longtemps
retenti de leurs chants, avant de franchir la porte qui ne devait
plus s'ouvrir pour eux. Il fallait partir, et ils ai»andonnérent,
le cœur bien gros et en dévorant leurs larmes, ces -lieux aimée
où ils avaient passé de si heureux jours. Après avoir dit un su-
préme adieu à ces majestueux édifices qu'ils n'avaient pu aehe*
ver, à ces frais ombrages sous lesquels ils avaient trouvé un
abri contre le bruit du monde, ils se retirèrent les uns dans
leurs familles, les autres chez des amis ou à la gr&ce de Dieu,
au milieu d'une société ennemie , qui ne leur offrait même plus
un asile pour reposer la tète. Après l'expulsion , vint la perse-
cution, et pour plusieurs d'entre eux l'exil ou la prison. La
Révolution avait été violemment eutratnée hors des voies dans
lesquelles ses premiers adeptes avaient espéré la conduire. Irritée
d'une opposition qu'elle aurait dû prévoir, et livrée à la merci
des passions populaires, elle glissa dans le sang et épouvanta
le monde par ses excès.
Avec sa communauté , l'abbaye royale de Saint-Lucien avait
cessé d'exister; il n'y avait plus de religieux, la loi les avait
chassés et ne reconnaissait plus en eux que des citoyens ordi-
naires; il n'y avait plus davantage d'abbaye, leur ancienne et
splendfde demeure n'était plus qu'un domaine national. Elle
avait subsisté 1,208 ans. Ici unit l'histoire de cette grande et
célèbre institution, et nous ne devrions plus y rien ajouter, par
respect pour cette grande infortune, pourtant nous dirons en«
eore un mot pour raconter les derniers agissements de ses en*
nemls contre son monumental cadavre et la rage avec laquelle
ils se sont acharnés contre lui.
Les religieux partis, l'abbaye fût mise en vente par radminia-
Cratloa du District le 5 janvier 1791 ; personne ne se présenta
pour l'acheter, on aurait dit qu'une certaine pudeur retenait
ceux qui auraient pu surenchérir. Elle fût remise en adjudica*
tlon le 19 janvier suivant, après qu'on eût fait donner une plus
grande publicité à la vente, puisqu'on l'avait fait afficher jusque
dans les villes de Paris, de Rouen, d'Amiens, d'Abbeville et au-
tres. Cette fois, un acquéreur se présenta ; il en oflM 1 1 81 ,100 livres
et elle lui fut adjugée avec l'autorisation d'en disposer à son gré.
Cet acquéreur était Charles-François-Grégoire Herbet, mettre
DE L'aBBATB BOYAI^IS OB SAINT-LUCIEN. 656
çb^rpantier h B^auvais, qui déclara s'en rendre adjudicataire au
nom de Jean-Paptiste-Pierre Michel de Boislîsle, négociant à
Beauvais. Ce dernier devenait ainsi propriétaire de la célèbre
abbaye de Saint-Lucien pour 181,000 livres et en se conformant
aux clauses et conditions énoncées au procès-verbal d'adjudica-
tion. La première était que l'acquéreur ne pourrait entrer en
possession de Tinimeuble vendu qu'après avoir payé le cinquième
du prix de la vente. Le H février, il recevait de M. Blanchard
de Changy uu billet ainsi conçu ; « M. de Bolslisle voudra bien
tt se rendre ce soir, H février, à six heures, au Directoire du
« District, où il expliquera ses intentions sur la disposition
« qu'il entend faire de son acquisition. » Michel de Bolslisle, ou
plutôt Michel-Boislisie, puisqu'il ne s'appelait et ne signait plus
qu'ainsi, se présenta à l'heure dite et déclara avoir rintention
de démolir la plus grande partie des bâtiments. On lui répondit
qu'on aviserait à Vautoriser. Cependant il avait versé la somme
exigée par les clauses du contrat, et, le 25 février, il demandait
à être envoyé en possession de l'abbaye, avec la remise des clefs,
et pressait les administrateurs du District d'en faire enlever les
objets mobiliers qui étaient sous les scellés. Le conseil du Direc-
toire obtempéra à sa demande et se mit en devoir de faire vider
la place.
Le vendredi 25 mars, on transporta, avec une grande solen-
nité, de l'église abbatiale dans celle de Saint-Pierre de Beauvais,
la grande châsse de saint Lucien et celles de ses compagnons
martyrs. L'évêque constitutionnel Massieu présidait la céré-
monie, les administrateurs du District, les membres du tribunal
et l'état-major de la garde nationale de la ville l'accompa-
gnaient (1). C'était la dernière fois que ces glorieuses reliques
étaient portées en procession et publiquement vénérées (2).
Le lendemain (26 mars 1791), Renault-Ma, vice-président du
Directoire du District vint faire la remise de plusieurs autres
(1) Reg. D, n* 1, p. 195 (Archives de la manicipalitô de Notre-Dame-da«
TWl).
(2) La grande châsse de saint Lucien fut brisée à coups de massue dans
régUse Saint-Pierre, en 1793, par on nommé Tourillon, maître maçoo,
le ipéme qui a brisé les statues des portails de cette église.
656 HISTOIHB
reliquaires à la municipalité de Notre-Dame-du-Thil pour être
conservés avec les reliques dans Téglise paroissiale. Le procès-
verbal de délivrance les indique en ces termes (i) :
Une cbâsse en figure d'église en cuivre doré , à parUe d'argent , conte-
nant le chef de saint Lucien. — Un petit reliquaire désigné Maxilla Joannis
Baplistœ. — Un reliquaire en forme de petite cb&sse, portant sur one
traverse De Humero Beati Egidii; et au-dessous Saccus sericus plenus
multorum ossiculorum. — Un antre reliquaire en forme de petite cbâsse
carrée , enrichi de pierres , couronné de deux boules de cristal , sans
aucune inscripUon apparente. -— Un autre grand reliquaire monté sur
un large pied de cuivre et présentant six angles ou faces également sans
inscription apparente. — Un autre reliquaire , dans une forme approchant
de celle d'un grand ciboire, ayant pour inscription De CapiU S^ Gemmtn
Àntissiodorensis Episcopi. — Un petit reliquaire renfermant un ossement,
et au-dessous pour indication De Capiie Beati Bartholomei. — Un petit
reliquaire en forme de boite ronde, renfermant un petit ossement, avec
rinscriplion portée sur un papier également renfermé De Capite S^ Jfau-
ricii Martyris. — Un autre petit reliquaire plat renfermant une dent, sous
un cristal , sans inscription. — Un autre en forme de cœur, de cristal ,
sans inscription. — Un autre en forme de botte longue, sans inscription.
— Un autre en forme de bras, avec l'inscription De Brachio ^ Andrew
Apostoli, — Un autre en forme d'étui. — Un autre à peu près de la même
forme enchâssant une petite fiole contenant quelque chose de rougeatre.
— Une niche de cuivre renfermant une figure de la sainte Vierge portant
dans ses mains un petit reliquaire avec l'inscripUon Beatœ Mariœ Mentelena,
et au pied , dans un autre petit reliquaire incrusté , Tinscription De Vesti-
mento Beatœ Mariœ Malris Domini. — Une urne ou cbAsse en bois ren-
fermant des vêtements de saint Lucien, ainsi qu'il est inscrit sur icelle. —
Plus une autre cb&sse en bois renfermant des reliques de saint Do-
noalde [-2).
(1 Archives de l'Oise. — Fonds de la Révolution.
(i) En 1793. on retira toutes ces reliques de leurs châsses et on les jeta
pêle-mêle dans un puits creusé dans l'église de NoIre-Dame-du-Thil, sous
la chaire à prêcher. Un nommé Tonnelller, qui assistait à cette sacrilège
exécution , eut la présence d'esprit de marquer de plusieurs signes indélé-
biles le chef de saint Lucien avant de le précipiter dans le gouffre ; W avait
l'espoir que ces marques serviraient à faire reconnaître la relique , si des
jours meilleurs permettaient de l'extraire de cet endroit. Son expédient
eut tout le succès qu'il en attendait. Après la Révolution, et sur seslndl-
DE L'ABBATB ROTALB DB SÂlNT-LUCIEN. 657
Le dimanche 3 avril suivant, on délivra à la commune de
Fouquenies Tun des reliquaires qui était resté; il contenait des
reliques de plusieurs saints. Le 12 juillet, on délivra également
au curé de Méru une partie de Tos du bras de saint Lucien et
des reliques de ses compagnons (i).
Quelques jours plus tard, les administrateurs du District firent
transporter à Beauvais le reste de Torfèvrerle et tous les linges
et ornements de la sacristie , puis les livres de la bibliothèque
et les titres du chartrîer, et Ton vendit à l'encan le mobilier
dont on n'avait que faire.
Le ai avril, le District autorisait Mlchel-Boisllsle à démolir les
quatre côtés du cloître, une partie des b&timents exposés au
levant et Véglise, à l'exception, pour le moment, de la tour où
étaient les cloches, et à la condition de payer, avant de com-
mencer, 24,951 1. i6 s. 2 d. Michel-Bolslisle remplit cette clause
et mit aussitôt ses ouvriers à l'œuvre. On commença par dé-
molir les cloîtres et quelques petits bâtiments, puis on s'attaqua
à réglise. Pourtant il ne voulut pas donner Toccasion à ses ou-
vriers de manquer de respect aux cendres des morts qui repo-
saient dans cette église , et il demanda leur exhumation à ré-
voque. Massieu Vy autorisa et enjoignit au curé de NotreDame-
du-Tliil d'assister à cette exhumation et nu transport des osse-
ments dans le cimetière de cette paroisse. Le curé, M. Delamotte,
s'y prêta religieusement, et la translation des corps exhumés
eut lieu avec décence, le jeudi 26 mai 1791 (2). La démolition
continua son œuvre : qu'importait l'art à ce froid négociant. 11
ne voyait dans tout cela qu'une matière à bénéfices. Les quatre
grosses cloches et les quatre petites furent descendues de leurs
cations, od rouvrit le puits et on retrouva facilement la tête de saint
Lucien au milieu des autres ossements. On la retira solennellement et on
l'exposa à la vénération des Qdèles.
Les cbâsses avalent été envoyées au District le 3 frimaire an II (24 no-
vembre 1793).
(1) Reg. D, n* 1% p. 195, 200 (Arch. de la municipalité de Notre-Dame-da-
Thl!;.
(2^ Ibidem, p. 211,218.
65ft HISTOIR» D« L^bBAlTK IlÔtAtË hÈ ÉAfHt-LtJGIBN.
tours pour aller être brisées au Dislricl; l'église, cette splenâide
construction des âges passés, s'abattit sous les coups des van-
dales qui ne savaient plus rien respecter, et ses boiseries, ses
marbres et ses pierres furent mis en vente et disséminés aux
quatre vents du ciel. Toute l'abbaye ne périt cependant pas
alors, une grande partie des bâtiments réguliers, nouvellement
construits, furent conservés; mais ils devaient disparaître
comme les autres en 1810. Aujourd'hui, les moissons jaunissent
et les besUaux paissent en leur place. Le pied heurte encore
parfois quelques vieux débris de ces anciennes splendeurs
comme dans un cimetière on foule les ossements de ceux qui ne
sont plus. Deux massifs de maçonnerie Informes, arrachés
défigurés, derniers restes de l'église, sont toujours là debout'
sans que les efTorls de l'homme aient pu les déraciner; ils s'élè-
vent à peine au-dessus du sol et ressemblent à deux tètes de
géants sorties de la tombe pour rire des tentatives des humains-
on dirait qu'une main vengeresse les a scellés dans ces lieux
dévastés.
L'abbaye de Saint-Lucien n'existe plus, et ses religieux ne
sont plus; comme toutes les choses de ce monde, cette grande
institution a passé; mais 11 nous semble que la pensée de ces
religieux plane encore et veille sur ces lieux. Un établissement
ecclésiastique, fondé à quelques pas de leur ancienne demeure
rappelle leur souvenir en perpétuant leur nom. Ils aimaient la
prière et l'étude, et dans le petit séminaire de Saint-Lucien des
prêtres instruits et pieux consacrent leur vie â former des jeunes
gens à la prière et à l'étude et â préparer des lévites pour re-
cruter le sacerdoce. Leur œuvre se continue avec le même es-
pnt, mais plus développée, plus parfaite, et nous dirions presque
plus utile pour les générations qui s'élèvent. Honneur et recon-
naissance à l'homme éminent, à l'ecclésiastique distingué (i)
qui a conçu ce rapprochement et qui l'a si bien exécuté.
(1) H. rabbé Bessiôre.
TROISIÈME PARTIE.
CONSTITUTIONS, RITES ET COUTUMES
de l'abbaye do Saint-Ltxcien.
I. - LA RÈGLE.
Les religieux de Saint-Lucien suivaient la règle de saint Be-
noit (1). Comme celte règle a toujours dirigé leurs actes depuis
Torigine de leur établissement jusqu'ài ses derniers jours, nous
croyons devoir en donner une analyse succinte.
Elle repose toute entière sur ces trois points : l'abnégation de
soi-même, Tobéissance et le travail. Le travail, et surtout le tra<
vail manuel, était une des prescriptions les plus strictes. Saint
Benoît voyait dans ce travail un ordre de Dieu, une expiation
nécessaire, et surtout un puissant remède contre la tentation, et
il le rendit obligatoire dans tout son ordre, a Ce fut, dit M. Gui-
zot (â), la grande révolution que fit saini Benoit dans l'institu-
tion monastique. » L'introduction de cette prescription Ot des
bénédictins les défricheurs de l'Europe, et y créa l'agriculture.
Tant que les religieux restèrent fidèles à ce point, leur institu*
tion resta florissante, le relâchement ne s'introduisit qu'avec
son abandon.
(1) La règlô de saint Bénoft a été mainte folB publiée, avec et sans
commentaires. Le plus estimé des commentaires est celui de D. Hartène ;
Paris, 1690, in-4*. On peut aassi consulter utilement celui de D. Calmet ;
Paris, 1734, deux vol. in-4*.
(2) Oaizot t Hiêl de la cMl., docudème leçon, p. 418»
i
660 HISTOIRB
Avec le travail, saint Benoît prescrivit l'obéissance passive, et
il voulut que la soumission fut prompte, parfaite et absolue, non
seulement aux supérieurs, mais encore aux anciens et aux autres
religieux (i). Quand le supérieur a donné un ordre, quelle que
soit la chose commandée, pourvu qu'elle ne viole pas la loi di-
vine, fût-elle très-diflciie, fût-elle même impossible, le religieux
doit obéir. Il a le droit de faire remarquer au supérieur la rai-
son de l'impossibilité; si, malgré son observation, celui-ci per-
siste dans son commandement, il doit se confier à l'aide de
Dieu et obéir..
L'abnégation de soi-même fut la conséquence nécessaire de
cette obéissance passive. Quiconque est tenu d'obéir absolument,
et en toute occasion, perd toute espèce de personnalité. Aussi, la
règle de saint Benoit interdit-elle formellement toute propriété,
comme toute volonté personnelle. « On ne doit rien donner, dit-
tt elle, ni rien recevoir sans l'ordre de l'abbé, ni rien posséder
a en propre, soit livres, soit tablettes, SQit stylets; car il n'est
a pas même permis aux religieux d'avoir en leur propre puis-
« sance leur corps , ni leur volonté. «>
Pour être conséquente avec elle-même, la règle ne laissait rien
à rarbilraire, elle prévoyait tout, disposait de tout et pourvoyait
à tout. L'emploi du temps était déterminé. En toute saison, on
se levait à minuit pour chanter ou psalmodier les Matines et les
Laudes, suivant le degré de solennité de la fête. On retournait
ensuite à sa cellule pour y prendre quelque repos ou vaquer
à la prière et à la méditation. Au point du jour, on revenait à
l'église pour dire Prime, puis on se rendait à la salle capitulaire
pour y tenir chapitre. Dans cette réunion , le lecteur, après avoir
demandé la bénédiction de l'abbé, lisait le martyrologe ou
faisait connaître les noms des saints dont on célébrait la fêle le
lendemain; puis donnait lecture d'un chapitre de la règle, que
le prieur commentait. On annonçait ensuite la maladie ou la
mort des moines étrangers, qui leur avaient été recommandés,
ou celles des bienfaiteurs du monastère. C'est alors que Von
communiquait aux moines ces Rouleaux des morts (â), que
(1) ReguL, c. 68, 71.
(3) M. Léopold Delisle a publié plasienrs de ces Rouleaux avec les
DE L'ABBATB ROTALB DB SAINT-LUCIEN. 661
les diverses églises associées s'envoyaient, et sur lesquels cha-
cune d'elles était invitée à écrire quelques lignes en l'hon-
neur des défunts. On rappelait les noms des différents monas-
tères avec lesquels on était uni par aftlliation, puis avait lieu la
ooulpe ou confession publique des manquements extérieurs que
chaque moine avait commis contre la règle. Vers dix heures,
Sexte, messe conventuelle et None. Le premier repas venait alors.
La règle avait soin d'en prescrire Tordre et la composition. Elle
permettait ensuite quelques instants de promenade ou de ré-
création en commun; après quoi , on se mettait au travail ou à
l'étude jusqu'à l'heure des Vêpres, c'est-à-dire vers trois heures.
Après les Vêpres, travail et étude encore, puis le second repas,
Compiles et coucher. Primitivement, tous les religieux couchaient
dans un dortoir commun; mais, petit à petit, l'usage des cellules
particulières prévalut.
Pour maintenir les moines dans l'humilité et l'abnégation
demandées par saint Benoit, la règle les obligeait tour à tour à
servir à table, à faire la cuisine, à laver la vaisselle et à remplir
diverses fonctions à l'église et au chapftre.
La nature et la forme des vêtements n'étaient pas moins
déterminées. Chaque religieux devait avoir une tunique longue
et une cuculle ou froc plus ample que la tunique et faisant
office de manteau; le tout de laine commune de couleur brune
et sans recherche; pour le travail manuel, il mettait un scapu-
laire au lieu du froc. Aux pieds, il avait des bas de chausse et
des souliers « de ceux qu'on pouvait avoir à plus vil prix (1). »
L'ameublement des cellules portait le sceau du renoncement
monastique. Il se composait d'un siège de bois ou de paille, d'un
prie-Dieu, d'une table commune, d'un lit garni d'une paillasse,
d'un matelas léger, et de deux couvertures, d'un chandelier de
fer ou de bois et de quelques images de piété.
Les peines qui servaient de sanction à la règle étaient, d'abord
mentions qai y sont inscrites, dans un oarrage Intitulé Rouleaux des
moris du ix* au xv* siècle. L'abbaye de Saint-Laden y est plusieurs fois
mentionnée.
(1^ Reg. c. 55.
662 MI8T01B1
l'excommunication ou séparation du délinquant d'avec lee autres
religieux , puis les pénitences publiques et humiliantes, les pu*
nitions corporelles comme les jeûnes et la discipline donnée
par les frères, et enfln l'expulsion du couvent.
Telle était la règle qui présidait à toutes les actions des reli-
gieux de Saint-Lucien. On trouvera peut-être que le travail ma-
nuel, prescrit par elle, n'eut pas toujours cliez eux la plac« et
l'importance qui lui furent assignées. Us avaient cela de com-
mun avec presque toutes les abbayes bénédictines , et c'est ce
qui motiva, au xii« siècle, la grande réforme cistercienne. Mais,,
pour être juste , il convient de faire remarquer que ce travail
des mains ne dut s'appliquer qu'aux temps où les moines
n'étalent pas dans les ordres sacrés et ne faisaient point partie
du clergé proprement dit. Lorsqu'une fois ils furent admis à
recevoir la prêtrise , le respect et la dignité du sacerdoce et des
fonctions cléricales ne leur permirent plus de se livrer avec la
même assiduité aux travaux matériels, comme la population des
serfs , et on leur substitua les travaux de l'intelligence. Et puis,
il est facile à comprendre que ces vastes travaux qui avaient
signalé presque partout la vie cénobitique à son origine, alors
que les moines défrichaient les forêts et cultivaient eux-mêmes
leurs solitudes, ne pouvaient continuer toujours sur la même
échelle. Autour des monastères se groupèrent des populations
laïques; elles formèrent des villages, des bourgs, des villes,
remplis de serfs et de cultivateurs, qui demandèrent, pour
vivre, à labourer le domaine monastique. Les moines ne pou-
vaient convenablement repousser leurs demandes. Que seraient
devenues ces agglomérations croissantes, si les religieux, dont
les propriétés allaient toujours en augmentant, se fussent ré-
servé le soin de leur culture? Ils ne le firent pas; mais après
avoir créé, par leur exemple, l'agriculture bien entendue , ils
accensèrent ou affermèrent leurs terres et en réglèrent l'exploi-
tation. Ainsi tirent les moines de Saint-Lucien. Pour surveiller
certains groupes agricoles , ils fondèrent des prieurés ou es-
pèces d'établissements réguliers où vivaient plusieurs reli-
gieux , cinq ou six au moins, qui restaient sous la dépendance
de l'abbé et devaient lui rendre compte annuellement de leur
gestion.
DE L'ABBATK RO¥iLî0 0B SAINT •LUCIEN. Mi
IL - PERSONNEL.
t'Abbé. •— Le gouvernement des monastères offre un singulier
mélange de liberté et de despotisme. L^autorité suprême est aux
mains d'un seul; c'est Tabbé, à qui tous les religieux doivent une
obéissance passive. Ce dignitaire est électif; il doit toujours être
choisi par les frères. Ce choix une fois fait , et ratifié par Tévèque
ou par le pape, l'obéissance absolue lui est due; il administre
en chef; mais pour contrebalancer son autorité , il lui est enjoint
de consulter ses moines pour toutes les affaires. L'élection des
abbés fut abolie par le concordat de François I«>', et leur nomi-
nation fut dévolue au roi. Cette innovation, contraire au principe
fondamental de la règle de saint Benoît, ouvrit Tère désastreuse
et mortelle des commendes.
L'abbé de Saint-Lucien portait crosse , mitre et anneau par
autorisation du pape Alexandre IV (21 juillet 1260), et avait le
pouvoir de bénir les ornements sacerdotaux et de conférer la
tonsure et les ordres mineurs à ses religieux et aux clercs qui
dépendaient de lui. 11 occupait la première place après l'évèque
aux synodes diocésains, et marchait toujours avant les autres
abbés.
Les abbés réguliers étalent bénits, après leur élection, par
l'évèque de Beauvais , et ils devaient, à cette occasion, faire un
présent à l'évèque et donner au chantre de la cathédrale quelque
argent et un porc de grosseur raisonnable {porcum rationaJbilem),
Le Prieur, — C'était le second dignitaire du monastère ; il
secondait l'abbé dans Tadministration et le suppléait en son
absence. Le siège abbatial vacant, il avait toute la direction de
la maison, tant au spirituel qu'au temporel , jusqu'à la prise de
possession du nouvel abbé. Son importance, sous les abbés com-
mendataireS; devint encore plus considérable; il fût à peu
près le seul directeur de la vie spirituelle de la communauté et
le gardien delà règle. Ces abbés n'avaient ni le temps, ni la
science pratique suffisante pour s'en occuper, et le prieur» nom*
mé aussi Grand-prieur ou Prieur-Claustral, fut le Véritable
supérieur du couvent. C'était un abbé intérieur, qui , sans en
porter le nom, en avait toutes les prérogatives et en remplissait
tous les devoirs. Il était primitivement à la nomination de l'abbé,
66i
HISTOIU
et il devint électif sous les abbés commenâataires , mais sauf
rapprobaUon de i'abbé, qui seul le mettait en possession de sa
charge. On ne choisissait généralement, pour cet offlce, que des
hommes remarquables par leur science, leur fermeté et leurs ver-
tus. Nous donnons ici les noms de la plupart des pneurs qui ont
dirigé la communauté de Saint-Lucien sous les abbés commen-
dataires :
D. Nicole Le Caron (1499).
D. Jean Le Gocq (1533).
D. Mathieu Lefebvre (1545).
D. Yves Le Cuisinier (1575).
D. Nicolas Patin (1619).
D. Yves Hullot (1633).
D. Pierre De La Croix (166â).
D. Germain Auxcousteaux.
PRIEURS RÉFORMÉS.
D. Michel Maillot (1665).
D. Ant. Bougier (1670).
D. J.-B«* de Boulogne (1680).
D. Alexandre Du Val (1695).
D. Pierre Kicher (1699).
D. Pierre Louet (1707).
D. Michel Housset (1716).
D. François L'Héritier (1718).
D. Jean Bourdet (1720).
D. Vincent Marchand (1727).
D. Nicolas Vignolle (1731).
D. Jacq.-Nic. Chrétien (1734).
D. J.-B«'Robart(1737),
D. Jean Rohault (1744).
D. Jean -Paul Du Sault (1747).
D. P.-L. de Gonfreville (1748).
D. Hubert Benoit (1755).
D. Ant.-F«>» Reynaud (1757).
D. Ant. Dormand (1760).
D. AnL Remy aîné^(1767).
D. Et.-Hyac. Trouvain (1772).
D. Cl.-Marie Hermaus (1773).
D. Nic-Jos. Rivart (1784).
D. N. Livian (1787).
D. P.-F«» Bazonnès (1788).
f^ Soui'Prieur remplaçait le prieur ea cas de besoin, et jouis-
sait, en son absence, de toutes ses attributions.
Au xiP siècle, avant la réforme. Il y avait un tiers-prieur qui
suppléait le sous-prieur.
Le Grand-Prévôt avait la surveillance directe des officiers de
justice du monastère ; sans rendre lui-même la justice, il devait
veiller à ce qu'elle tdi rendue le plus équitablement possible. H
avait sous lui un bailli , un procureur, un greffier, des hommes
de fief dépendant du monastère, et des sergents. Cet office ou
charge avait des revenus particuliers, et la ferme de Noirémont,
entre autres biens, lui fut affectée pendant longtemps. Le car-
dinal de Chfttillon le supprima au xvi« siècle; mais un religieux,
DE l'âBBAYB BOYALB DB SAINT -LUGIBN. 665
D. Du Hamel, s'en fil pourvoir en cour de Rome, en 166i, et en
revendiqua l'exercice et les revenus contre le cardinal Mancini.
Les agents du cardinal offrirent de traiter à des conditions que
D. Du Hamel n'accepta pas. L'instance continua et ne fut termi-
née que sous Bossuet. La Grande-Prévôté fut alors rétablie (i).
Voici les noms de quelques-uns des religieux qui ont rempli
cette charge :
D. Ancel de Bray (1400). D. Nicolas Le Caron (1489).
D. Euslache Caque. D. Guillaume Le Page (1515).
D. Jean Boulie (1458). D. Gilles Toupin (1524).
D. Jacques Prévost (1479). D. Du Hamel (1661).
Le Celhrier avait l'une des charges les plus importantes du
monastère; il était chargé de l'approvisionnement des magasins,
de la fourniture des vivres et des vêtements, et de la recette des
fermages et des redevances; c'était l'économe de la maison.
Le Trésorier avait soin du linge, des ornements, du mobilier,
des vases sacrés et de tous les objets destinés au culte. La garde
et l'entretien de propreté de l'église lui étaient confiés. Il tenait
renfermé dans le trésor tout ce qui était rare ou précieux , et ne
devait jamais se départir de la surveillance de ce dépôt.
Nous trouvons dans le Cérémoniale locale regularis monasierii
Sancti Luciani Belvacensis, ordinis sancti Benedicti, congregationis
sancti Mauri^ 1729 (2), des Instructions pour le Trésorier quand
il doit montrer les reliques à des visiteurs :
Il faut d'abord condaire au chœar les personnes , y est-il dit , pour
adorer le très-saint Sacrement, qui est la première de toutes les reliques.
Il faut ensuite bien montrer les trois cb&sses qui sont sur le mausolée
dont il faut faire remarquer i'arcbitecture. En 1261 , le dimancbe dans
l'octave de Pâques , farent élevés sur ce mausolée les corps des glorieux
martyrs saint Lucien, saint Maxlen et saint Julien, en présence de deux
rois , de plusieurs princes , de trois évêques et de grand nombre d'abbés.
Il faut ensuite faire remarquer que c'est sous ce mausolée que Tévêque
de Beauvais vient faire sa cérémonie avant de prendre possession de
son évôcbé.
(1) Documents du cabinet de H. le comte de Herlemont.
(i) Ouvrage in-4*, manuscrit
960 HISTOm
U Cuit aprëi montrer le tombeau da cardinal Cliolet et faire remarquer
qoe sa statue était autrefois d'argent massif de grandeur naturelle
d'bomme , et qu'elle fut vendue en l'an 1360. sous l'abbé Aimery Fulcanl^
pour rétablir l'église et le monastère, qui avaient été pillés et ravagés
par les Anglais. Les émaux du mattre-autel ont été tirés de ce tombeau.
Il faut ensuite montrer le grand candélabre où l'on volt la figure de
saint Lucien revêtu de ses babits pontificaux et cette inscription Hœ ob-
tuU sancto Wascelinus Luciano. Ce candélabre est du xu* siècle. (Il n'y
est plus, a été ôlé entre 1720 et 1730.)
Il faut ensuite montrer les cbaires ou stalles du chœur, qui ont été
commencées, en U92, par ordre d'Ant. Du Bois , premier abbé comraen-
dataire , aussi bien que le Jubé , et achevées en 1500. On voit sur les
cbaires tons les arts imaginables : la vie de saint Antoine , les figures de
l'Ancien Testament du côté de l'épttre, et la vie de saint Lucien du côté
de l'évangile. Le travail du jubé et des cbaires est fort estimé pour sa
délicatesse.
Après avoir fait voir le cbœur, il faut venir au trésor et allumer un
cierge devant les saintes reliques , que l'on montrera en commençant
par l'armoire du milieu et en observant Tordra du catalogue.
Le Chantre avait la direction des cérémoDies et du chant aui^
offleea et devait prendre aoin 4e faire observer lea prescriptiona
de la liturgie, et de dreaaer, tous les samedis, la liste des foner
tionnaires de semaine.
L'Infirmier soignait et surveillait les malades.
Vffôtefier recevait les voyageurs, les indigents et les mal^
heureux qui venaient demander l'hospitalité. Il devait les ac-
cueillir avec bonté, leur donner gratuitement le logement, la
nourriture et le coucher, et à leur départ il garnissait leur escar-
celle de provisions pour la route. Il était aussi chargé des au-
mônes; mais il laissait souvent ce soin au Portier^ qui l'aidait
dans ses fonctions charitables. On sait avec quelle abondance
les aumônes étaient distribuées à Saint-Lucien; le monastère
était la providence de tout le pays, et Ton ne se privait pas d'en
nser. Non seulement les mendiants , mais les ouvriers peu aisés
pouvaient se présenter à la porte; ils étaient toujours sûrs d'y
trouver leur repas et des secours , avec une bonne parole.
Le Dépositaire veillait sur le temporel de la maison.
Le Procureur était chargé de passer les contrats et de pour*
suivre les actions Judiciaires.
Le Bibliothécaire avait sous sa dépeodimc^ la t)ibliotbégiie et
DB L'ABBATB BOTâLB M SAINT-LUGIBIf. 667
les archives, et devait prendre soin de leur conservation et de
leur classement.
Le Madré de Vordre était directeur des novices.
Il y avait en outre des professeurs de théologie et de philo-
sophie chargés d'instruire les novices et les jeunes moines.
Un noviciat d'un an au moins était prescrit à toute personne
qui, n'ayant pas fait profession dans une autre maison du
môme ordre, demandait à (aire partie de la communauté.
III. — LITURGIE.
L'abbaye de Saint-Lucien suivait la liturgie bénédictine avec
des modifications empruntées à celles de Beauvais. Son calen-
drier des fêtes ne différait de celui de Tordre que par les offices
propres à la maison où à la ville de Beauvais.
Nous mentionnerons cependant certaines particularités con-
signés au Cérémoniale locale, dont nous avons parlé plus haut;
nous les avons trouvées assez curieuses pour n'être point passées
sous silence. Nous citons le texte même dans toute sa naïveté :
Le jour de rBpipbanie , les religieux de Saint-Qaentin viennent rendre
hommage à l'abbaye par une offrande de 10 sols parlsis qa'un d'entre
eux, prêtre et non convers, apporte en habits d'ét^. C'était autrefois
pendant le Magnillcat, après les encensements da célébrant, qu'il portoit
cette offrande sur le grand autel ; mais comme il arrivoit souvent qu'on
chantoit alors le verset DeposuU patentes de sede, poar ne pas donner
occasion au peuple de croire que cette offrande éloit attachée à ce verset,
qai est humiliant , ils se sont avisés , depuis plusieurs années , de la faire
en un autre temps. Ils la font au commencement des Vespres. ce qu'ils
peuvent faire , selon le dernier arrest du Grand Conseil , qui marque
seulement qu'ils feront cette cérémonie à i'beure des Vespres. L'offrande
faite , le chanoine régulier monte dans les hautes chaires , du côté de
l'Epitre , et le bedeau doit lui faire faire place. Le thuriféraire doit , ce
Jour-là , encenser jusqu'au bout des chaises. Le chanoine régulier n'est
obligé de rester an cbœur que Jusqu'après le Glaria Patri du Magnificat.
Il faut remarquer qu'avant de mettre son offrande sur l'autel , il a cou-
tume de se mettre à genoux sur le marchepied , où il fait une petite
prière , puis ii baise raatel et met les 10 sols parlsis. Après Tespres , il
va se dévestir dans la sacristie . où il s'est bablUé de ses babUs d'été ,
ensuite le R. P. prieur de Saint-Lucien le salue et le conduit à la salle
pour se chauffer et lui fait faire collation que rhôtellier doit avoir pré-
parée avant Tespres.
668 HfSTOlRl
Le 1* mal : Elévalion des corps de saint Laden , saint M axien et saint
Julien, l** classe avec octave. Avant les premières Yespres , Ton expose
en bas du candélabre la cbâsse de saint Lucien et on Tome de fleurs le
joar de la feste, au matin, lesquelles on renouvelle tous les dimanches.
Cette cbâsse est exposée tout le mois de mai pour satisfaire la dévotion
du peuple , qui y vient pendant tout le mois pour gagner des indulgences.
Il y a procession en cbapes avant la grand-messe comme le jour de
P&ques. Le sermon se fait après les Yespres. Les huissiers et officiers de
l'abbé ont coutume de mettre dans l'église des arbres appelés mats et
quantité de branches qu'on y laisse quelques jours. Pour satisfaire la
dévotion du public , le trésorier ou le sacristain , ayant Tétole au col,
donne l'anneau de saint Lucien à baiser, en disant Sancte lucitme ora
pro eo ou eâ, étant à la balustrade du trésor, et un autre religieux dit
des évangiles sous le tombeau de saint Lucien.
19 mai : Fête de saint Yves , double de la fondation de D. Yves, cuisi-
nier, grand prieur de céans. Il est de précepte quant aux religieux. On
allume un cierge devant la statue de saint Yves , dans la nef.
23 juin : Yeille de la saint Jean-Baptiste , on nous apporte de la cathé-
drale onze petits cierges sous le titre de Yieux-Ëtats : on donne pour cela
au porteur ^ sols 6 deniers. Aux premières Yespres et à la messe de saint
Jean , on allume ces cierges , cinq d'un côté et six de l'autre.
21 octobre : Dédidace de l'égli&e de l'abbaye.
A toutes les fôtes de la Sainte-Yierge , il y a messe solennelle , avec
premières vêpres la veille , à la chapelle de Miauroy.
13 février : Service solennel des trépassés pour les rois Cbiipéric et
Cbarles-le-Chauve et pour tous les autres bienfaiteurs du monastère.
Le mercredi des cendres , on va en procession à Tégllse de Notre-
Dame-du-Thll, où on porte les cendres qui doivent être distribuées. On
y va encore au dimanche des Rameaux , et ce jour là les religieux doi-
vent le past ou diner au curé et à son vicaire.
25 avril, saint Marc : Procession à l'église collégiale de Saint-Laurent
de Beauvais.
Aux Rogations : Lundi , procession à l'église du prieuré de Saint-Maxien
Montmille) ; chemin faisant, on stationne à la chapelle de Miauroy. Après
la messe au prieuré, toute la communauté déjeune aux frais du prieur de
Saint-Maxien. (Dictisquedemoreprecibus, dit un autre Cérémonial (1), in-
greâimur in Prioratum uM paratum est jentaculumf quod nobis dehetwr
et omnibus offlciariis, quiproce8sioniinter8unt,aPrioreSancti-Maxiani,J
— Mardi, procession à la cathédrale, tandis que le chapitre c&thédral
(1) Cérémonial de 1759.
DB L'ABBâTS royale DE SAINT-LUGIBN. 669
vient à l'abbaye. — Mercredi, procession k Téglise de Notre-Dame-da-
Thil.
Le jour de l'Ascension, procession à l'abbaye de Saint-Qaentin. Les
religieux de ce monastère viennent au devant de ceux de Saint-Lucien
jusqu'au pont des Quatre-Vents. A la rencontre , les deux prieurs encen-
sent réciproquement les reliques apportées et la communauté l'un de
l'autre, et l'on se rend à Saint-Quentin, les religieux de Saint-Lucien
marchant à la droite des chanoines réguliers (1).
Le samedi dans l'octave de l'Ascension , veille de la fête des Corps-
Saints , avant vêpres , procession à la chapelle du cimetière de Notre-
Dame-du-Thll (2}. Le curé de la paroisse y assiste, tenant à la main un
bouquet de fleurs , et y porte la châsse des vêtements des saints martyrs.
Le soir, on met la châsse en dépôt dans l'église de Notre-Dame-du-Thil.
Le dimanche dans l'octave de l'Ascension , fête de l'Invention du tom-
beau et des vêtements de saint Lucien et de ses compagnons martyrs,
appelée fête des Corps-Saints : Procession à la chapelle du cimetière et
office solennel, avec sermon par le trésorier, dans l'église de Notre.
Dame-du-Thil, tandis que le chapitre et la paroisse de Saint-Laurent de
Beau vais viennent en procession â l'abbaye et y chantent la messe.
Le mardi de la Pentecôte , la paroisse de la Madeleine de Beauvais
vient aussi en procession à l'abbaye.
Le 27 juin , après Tierce : Procession pour la délivrance de la ville.
Le 12 août : Procession pour la réduction de la Normandie, en 1450.
Le 15 août : La communauté se rend à la cathédrale pour la procession
générale par la ville.
Obits et fondations pieuses, — La charité , la reconnaissance
et la justice faisaient souvent une obligation aux moines de
Saint-Lucien de réciter des prières et de célébrer des offices pour
le repos des âmes de leurs bienfaiteurs. La plupart du temps
c'était Toflice des morts, avec nocturnes et messe, qui se disait
au jour anniversaire de la mort du bienfaiteur, d'où le nom
il) Quelques notes sv/r la royale abhaye de Saint-Lucien, par Tabbé
Eug. Mûller fMém. de la Société Académique de l'Oise, t. vi , p. 84}.
(2) Cette chapelle, bâtie d'abord , en 1538, par Pasquier Lévesque, pour
remplacer la feuiliée ou reposoir de feuiUage que l'on dressait en cet
endroit la veille de la fête des Corps-Saints pour y recevoir la châsse
des vêtements des saints martyrs , fut reconstruite , en 1638, par Laurent
Lévesque, sieur de Laroque, premier exempt des gardes du roL (Graves :
Statut, du canton de Bewuvais, p. 224. — M» Fanny Denoix : Yariétés).
T. YIll. 44
670 HISTOIRE
û'Obit {in die obitûs) donné à ces prières. Un tableau ou un ca-
talogue en forme de registre, appelé Obituaire^ portait inscrits la
date et le motif de chacun de ces obits, avec Tindication de la
solennité qu'on devait lui donner.
Un fragment d'un obituaire, du xiv« siècle, relatait ainsi les
obits qui sa faisaient alors à Saint-Lucien (i ) :
Janoar. m non. WarinuSt monac. nost, fibbas ^ Symphoriam.
YU idas. Àntelmus, abbas.
Id. HonaratM, eps. — Drogo de Roya monaçhus ad suceur"
rendum*
Fet>r. xiT cal. Jokamnes de Bullû , monaehus.
xil cal. DomifHM OudardM miles de NoinkUOt dictm ChoUet.
XI cal, Johcmnes de Maroles^ amUger,
XI cal. Jokannes, seneschalus de Juvignies,
X cal. Tetboldus cornes, qui dédit nobis villam de MaUers.
X cal. Joscelvms, precentor eccUsie Belvacensis,
il cal. Valdericus archidiaconus.
VII idas. Hugo ckricus et decanus.
MarUi XIII cal. Simon succentor ecclesie Belvacensis.
vil cal. DomiMU Yillehmus de Grez, eps, Belv^
VI cal. Jacobus de ChambUaco, abbas.
VI cal. Robert Des Quennes, abbas,
IV cal. Hugo de Sa/ncto Victore, qui dedU nobis eaUcem.
III idas. Odo com^, qui dédit nobis medietatem vinee et terre in
subwrbio Belvac.
Il idai Renoldus, canonious S" Pétri, qui dédit nobis, xt sol,
pro eapsis.
iprilis IV cal. Hugo abbas eluniacensis, qui fUit abbas hujus Eeelesie.
VI idas. Vamerus Vicedominus (de GerboredoJ.
Jalil X cal. Aerfridus cornes, qui dedU nobis medietatem ville Saneli
Luciani.
Un Obituaire du xviii« siècle (â) indiquait ainsi les obits et
fondations de cette époque i
Février 5. Obit de D. Pasquier de Moncby. soos-prienr et chantre.
7. ObU de D. Yves Mallot , priear, qui a donné 600 1.
(1) Biblioth. de M. le comte de Mèrlemont* ^ Mas. de Saint-LaoieD, p. 0.
(9) Ibid,, p. 7 et 8.
DE L'ABBATE ROTALB DE SAINT-LUCIEN. 671
Février 13. Obit des rois Cbilpéric et Charies-le-Cbaave et autres.
24. Obit de D. Nicolas Patin, prieur,
Mars 27. Obit de Pierre Carcireax , receveur de l'évécbé.
Un des jours de la semaine de la Passion , obit d'Odon de
Gou vieux, abbé.
Fondation du salut de Pâques par D. Guillaume de Fon-
taine . trésorier.
Mai 11. Fondation de la messe de saint Nicolas par Nicolas Patin,
prieur, qui a donné 6 1. 5 s. de rente.
20. Fondation de la messe de saiiit Yves par Yves Cuisinier,
prieur.
... Obit de D. Jean Boulie, sous-prieur.
Un des jours après la Trinité, obit de Florimond de fillers-
Saint-Paul, cberalier.
Juillet 5. Obit de D Nicolas Le Caron , prieur.
10. Obit de Nicolas Danse.
Août 2. Obit du cardinal Jt*an Cbolet.
30. Fondation d'une messe pour Raoul de Roye , abbé.
Septembre 10. Obit de M* Pajot, conseiller au présidiai de Beauvais, qui
a donné 600 l.
Novembre 15. Obit de Tbibault Dargllle.
25. Fondation de la messe de sainte Catherine.
Décembre d. Obit de Jacques Regnard , trésorier de Saint-Quentin , qui
a donné 23 l. de rente.
Avent, S* sem. Obit de Raoul de Villers, abbé.
Obit de Godefroi de Billy, abbé.
4* sem. Obit de Jean de Yillers , abbé.
Ctiaque semaine, quatre messes pour Marie de Saisement, «n son
vivant épousa de Pierre De l'Eau, bourgeois de Saint*Denls. Elle a donné
4.000 1. le 19 février 1700.
Au premier jour vacant , obit de D. Jean Péeoul.
Cinquante messes à différentes époques pour Nicolas Danse.
Nous ne parlerons pas des cérémonies en usage pendant les
offices, aux processions, aux enterrements des abbés, des reli-
gieux et des autres personnes qui désiraient être Inhumées dans
Tabbaye. Ces détails pourraient paraître fastidieux, et nous
nous contentons de renvoyer au Cérémonial local du monastère
de 1789 (1).
(1) Ce Cérémonial , rédigé en 1759, est divisé en sept cbapitres et n*est
672 HISTOIRl
IV. - RELIQUES.
Les reliques conservées dans l'abbaye de Saint-Lucien étaient
fort nombreuses , et Ton a déjà pu s'en faire une idée par les
inventaires de la Révolution, qui en ont mentionné une grande
partie. Nous en donnons ici une nomenclature plus complète à
raide d'un état dressé , au xvii« siècle , par D. Porcheron , et de
divers autres documents.
Le corps de saint Lucien était renfermé dans une grande
cbàsse, dont nous avons donné ailleurs la description, et de-
meurait exposé au-dessus du mattre-aulel. Sa tète, enfermée
dans un globe d'argent doré, reposait dans un grand reliquaire
de cuivre doré, orné de douze figurines de vermeil, véritable
œuvre d'art. Les corps des saints Maxien et Julien, compagnonis
martyrs de saint Lucien, étaient dans deux autres châsses expo-
sées aussi au-dessus du mattre-autel , l'une à droite et l'autre à
gauche de celle de saint Lucien. Un autre reliquaire renfermait
les vêtements de ces saints martyrs. Ces vêtements consistaient,
qae le supplément d'un aatre composé en 1739. Il est resté manuscrit. En
voici la disposition :
Cap. I De feslis moHlihus (p. 1-30) — De processionibus Rogationum —
cathedralis ecclesiœ ■— ad parrochiam B, Mariœ de TiUâ — ad Sanctum-
QuinUnum — Sancti-Laurentii — Sanctœ-Magdalenœ — t^ sokmnUate
SS. Corporia Christi.
Cap. II. De festis immobilibus.
Cap. m. De alUs ca^emoniU quœ per antvuni soient occurrere — de
fundationibus,
Gap. IV. De cœremomis , quœ contingenter adveniunl. — Dh primo et
solemni adventu BelvacensiSf episcopi. — De ritu quo àbbas commenda^
tarins in possessionem mittitw, — De obUu episcopi Belvacensis, principis
vel principissœ — De obitu ahbatis commendatarUt ^ monachi Sancti"
Luctani, •— canonici regularis, SancU-Quintini, —parochi SafUSti-QuinUni,
— parochi B. Mariœ de Tiliâ, — honeetiorum B. Mariœ de TiUâ, — co-
nonici eccleeiœ cathedralis.
Cap. V. De luminari ecclesiœ.
Gap. VI. De ordine pulsandi campanas.
Gap. VII. De capellâ B. Mariœ de Miawroy.
DE l'abbaye BOYALE DE SAINT-LUCIEN. 673
d'après un procès-Yerbal d'ouYerture de la châsse, fait en 17^ (1)
par D. Redon, Yisiteur de la congrégation :
En un morceaa de linge carré ensanglanté, de la grandeur d'une ser-
Yfette ; un autre morceau de linge, plissé par le haut et fort large par le
bas, d'une toile assez grosse; un amict, en forme de capuchon, de fa-
taine blanche; un linge d'euYlron une aune, ensanglanté , à peu près
comme une petite nappe de communion ; un linge carré d'une demi-aune,
très-fln, parsemé de croix, d'oiseaux et de plusieurs autres figures; la
moitié d'une manche d'aube ; un grand morceau de linge, d'euYiron une
aune et demie , ayant un petit capuchon semblable à celui des éYÔqnes
et des boutons de toile sur le bord , depuis le haut jusqu'au bas ; un
morceau de linge en façon de digiterge ; un grand linge d'une aune et
demie, de toile assez grosse, et divers autres morceaux de linge et d'é-
tofTe , sans caractère appréciable.
L'abbaye possédait en outre un anneau pa^storal dit anneau de
saint Lucien. On conservait aussi plusieurs morceaux de la vraie
croix du Sauveur, enchâssés dans une grande croix patriarcale
d'argent doré ; deux épines de sa couronne ; des morceaux des
cordes dont il fut lié ; du coton (2) dont ses plaies furent net-
toyées ; du précieux sang; une partie dala pointe d'un des clous
dont Jésus-Christ fut attaché à la croix (le cardinal de Bourbon
en avait emporté la moitié en Normandie) ; de la crèche et du
sépulcre de Notre-Seigneur; du lait, des vêtements et du sé-
pulcre de la Vierge Marie; du chef de saint Barthélémy; du chef
de saint Germain d'Âuxerre , avec deux étoles et un manipule
dont il s'est servi ; un ossement du bras de saint André; un os-
sèment du bras de saint Léger; évèque d'Autun; plusieurs osse-
ments des saints Innocents; un ossement d'un des compagnons
de saint Denis ; des reliques de saint Valéry, de saint Siméon-le-
Jusle, des saints Gervais et Prothals; de la ceinture de saint
Jean-Baptiste; celle de saint Thomas de Cantorbéry ; un osse-
ment d'une des onze mille Yierges; une côte de saint Benoit;
une épaule de saint Gilles; un ossement de saint Boniface, mar-
tyr; de l'huile qui coulait du tombeau de saint Nicolas, à Bari,
(1) Arch. de l'Oise : abbaye de Saint-Lucien,
(2) Nous ne jugeons pas l'authenUcité de ces reliques , nous constatons
seulement la foi qu'on y ajoutait à l'abbaye.
674 HISTOIRE
rapportée par Nicolas Fumée, évèque de Beauvais; un petit
ossement du clief de sainte Cécile^ donné par le cardinal Cholet;
le menton de sainte Anne; des reliques de sainte Marie-Madeleine,
de saint Maurice, de saint Malo; des vêtements de saint Paul;
des ossements de saint Félix, martyr, de saint Christophe , de
saint Alexandre, pape, de saint FaJ)ien, de saint Sébastien;
trois dents de sainte Affre; deux os de saint Pierre et de saint
Paul; un os de saint Aubin; des reliques de sainte Marie-Egyp-
tienne, de saint Marcel, pape et martyr, de saint Evrost, de
saint Germer, de saint Clair, de saint Denis, de saint Grégoire-
le-Grand, de saint Crescence, de saint Pancrace, de saint Pie-
nor, de saint Fiacre, de saint Etienne, de saint Césaire, de saint
Lambert, de saint Arnoult, de sainte Dorothée; un morceau de
la verge d'Aaron; un morceau de la table sur laquelle Jésus-
Christ fit la cène, eUe corps de saint Donoald ou Dinault^ ap-
porté de Milly lors de la ruine de l'église par les Anglais.
Toutes ces reliques ont à peu près disparu à la Aévolution ;
nous avons dit comment et de quelle manière le chef de saint
Lucien a pu être sauvé , nous n'y reviendrons pas.
V. - JURIDICTION SPIRITUELLE.
Comme la plupart des monastères, l'abbaye de Saint Lucien
étendait sa juridiction sur un certain nombre de prieurés qu'elle
avait fondés ou qui avaient été mis sous sa dépendance, et sur
plusieurs églises paroissiales ou chapelles dont elle nommait les
curés ou chapelains.
Les prieurés qu'elle eût sous sa juridiction furent :
i<* Le prieuré de Saint Martin d'Auchy lès-Aumale, fondé et
donné à l'abbaye de Saint- Lucien par Etienne, comte d'Auraale,
en 1096, et érigé en abbaye par Guillaume d'Aumale, fils d'Etienne,
en 1130. Il eut alors une existence indépendante.
^ Le prieuré de Saint-Maxien, fondé par l'abbaye, au xi« siècle,
sur le coteau de Montmille, près du lieu où fut martyrisé saint
Lucien , et sur le tombeau de ses deux compagnons. C'était un
bénéfice considérable ayant des terres et seigneuries à Fouque-
nies, Pierreûtte, Herchies, Penthemont, Ons-en-Bray, Savignies,
Auchy-en-Bray, etc. Le prieur nommait aux cures de Fouquenies
DK L'ABBAYB ROTAU DB SAINT-LUCIEN. 676
et de Saint-Ju8t-des Marais. Ce prieuré, dit M. Graves (i), était
possédé, en 1354, par le cardinal de Boulogne, qui le résigna
deux ans après, au profit de l'abbaye, moyennant une pen-
sion de 160 livres. Un décret du 17 mars 1688 le sépara de l'ab-
baye de Saint-Lucien, avec ses revenus, pour Vunir au sémi-
naire diocésain que Ton fondait alors. Ses derniers prieurs
commendataires, avant la suppression, furent : Charles de Mon-
ceaux (1619), Charles deCanonne (1622), Henri Fay Despesses (1673),
Claude Gougnon (1687). L'église du prieuré , avec la crypte qui
est sous le chœur, est de l'époque romane; elle sert aujourd'hui
d'église paroissiale à la commune de Fouquenies. Le presbytère
et la partie de b&timent affectée à la mairie sont les restes les
plus marquants de l'habitation du prieur; ils ont encore, dans
leur ensemble, un certain aspect de grandeur qui rappelle l'ar-
chitecture monacale. Ce lieu est le but d'un pèlerinage très-fré-
quenté; de nombreuses indulgences y ont été attachées, et les
&mes pieuses aiment à venir invoquer saint Lucien et ses com-
pagnons sur cette terre arrosée de leur sang.
3'> Le prieuré de Wédon , en Angleterre , fondé par Guillaume
le Conquérant, et aliéné, vers 1350, pour aider à reconstruire
l'abbaye incendiée par les Anglais.
4» Le prieuré de Saint-Denis de Senarpont, au diocèse d'A-
miens, fondé aussi au xi« siècle. Ce bénéfice possédait, en 1718,
une maison prieurale avec cour, jardin et enclos, une fort
belle église, 48 journaux de terre, 6 journaux de pré à Senar-
pont, avec les dîmes du lieu et celles de Beaucamp, Bemapré,
Réderie, Le Mesnil-Eudin, Hannecourt et Nesle-l'Hôpital. Le re-
venu était alors évalué à 1,937 1. 15 s. (2). Le prieur nommait
aux cures de Senarpont, du Mesnil-Eudin et de Beaucamp.
S") Le prieuré de Flixecourt , au diocèse d'Amiens , fondé vers
1150 et donné à l'abbaye par Rabellus et Amelius, avec l'assen-
timent d'Adélelme de Flixecourt (3). Cet établissement, dédié
sous le vocable de saint Léger, jouissait d'un revenu asseï consi-
(1) Graves : Statist du canton de Beauvais, p. 205.
(2) Darsy : Bénéfices du dioc. d: Amiens, t. ii, p. 207.
(3) Darsy : Bénélices du dioà. d^Amlifa, t. i , p. 478 et sidvà&tea.
676 HISTOIBB
dérable; uue déclaration de 1727 révalue à 2,115 1. Il possédait
à Flixecourt 93 journaux de terre, 5i journaux de bois et de
nombreuses dîmes aux environs. Le prieur nommait aux cures
de Flixecourt, de Flesselles et d'Havernas. En 1611, Tabbaye céda
ce prieuré au collège des Jésuites d'Amiens, à la condition que
les PP. Jésuites fourniraient, auprès de leur collège, une chambre
portant le nom de Saint-Lucien, pour servir d'habitation à un
ou deux religieux de ce monastère, et qu'ils les instruiraient et
les nourriraient gratuitement. Le pape Paul V approuva cette
cession par bulle du 15 juillet 1611.
6<> Le prieuré de Saint-Martin de Pernois, au diocèse d'Amiens,
fondé au commencement du xii*" siècle, et cédé par l'abbaye à
l'évéché d'Amiens vers 1175 (1).
7® Le prieuré de Notre-Dame-sur-le-Mont, à Picquigny, au
même diocèse, fondé au xii« siècle. Une déclaration, fournie,
en 1729, par le prieur Jean de Turmenyes, évalue son revenu
à 150 1.
8® Le prieuré de Lesseville, près Magny-en-Vexin (Seine-et-
Oise), fondé au xii« siècle.
9« Le prieuré de la Trinité , à La Chaussée d'Eu (Seine-Infé-
rieure), fondé en 1138 par Hugues d'Eu , seigneur de La Chaussée,
et Henri , comte d'Eu. Le prieur nommait aux cures de La Chaus-
sée d'Eu et de Mers.
10» Le prieuré de Milly, au diocèse de Beauvais, fondé en 1167
sur la demande de Sagalon de Milly, et avec son concours, pour
remplacer des chanoines. Le prieur avait à sa nomination les
cures de Notre-Dame et de Saint-Hilaire de Milly, celle de Saint-
Omer et la chapelle de Courroy. Ce bénéfice avait de beaux et
bons revenus. Son église et ses bâtiments réguliers, de style
ogival, étaient situés près du Thérain, et la paroisse de Notre-
Dame faisait l'offlce dans son église, aujourd'hui démolie. Ce
prieuré tomba en commende, au xvi« siècle^ comme la plupart
des établissements de ce genre , et son importance le fit recher-
cher. Il était possédé, en 1608, par Simon de Bullandrc, cha-
noine et archidiacre de Beauvais. Cet ami des muses fit un
(l) Darsy : Bénéfices du (Hoc. d'Amiens, t. i, p. 502.
DE l'abbaye BOYALE DE SAINT-LUCIEN. 677
pompeux éloge de son prieuré de Milly et des sites environnants
dans son poëme du Lièvre. Isaac de BuUandre, son neveu,
aussi chanoine et doyen de Beauvais, en devint titulaire après
lui (1614). Il eut pour successeurs René de Briolay (1651); Augustin
de Meaupou (1G75), qui devint archevêque d'Auch (1705-1712), et
fit exécuter la belle boiserie qui orne encore le sanctuaire de
Saint-Hîlaire de Milly ; Gremiot (1728); Ant.-Marie de Bérard de
Villebreuil (1733); Germain Dussart (1763); Joseph Gourmet (1766);
Charles-Marie de Bourgevin (1773).
Ce bénéfice était loin d'être à dédaigner. Il percevait les
grosses dîmes de tout le territoire de Milly et de ses dépendances,
les deux tiers des grosses et menues dîmes et des novales de
Saint-Omer, les deux tiers des grosses dîmes d'IIannaches , un
huitième des grosses dîmes de Blacourt, une partie des grosses
dîmes de Villers-sur-Bonnières et la moitié des grosses dîmes,
des champarts et du droit de censive de Sarnois. Il avait, à côté
de cela, certaines charges, comme de fournir en tout ou en partie
la portion congrue aux curés de Notre Dame et de Saint-Hilalre de
Milly, de Saint-Omer, d'IIannaches et de Villers-sur-Bonnières;
mais cela né Tempêchait pas de conserver encore un revenu
bien suffisant pour l'entretien du titulaire. Un bail de 1781 l'é-
value, toutes charges payées, à 3,000 livres.
L'abbaye présentait en outre les titulaires aux cures d'Abbé-
court, d'Abbeville-Saint- Lucien, d'Auvillers, deBonnières, de
Bucamp, de Caigny (Grillon), de Cempuis, de Fontaine-Saint-
Lucien, de Froissy, de Fumechon, de Gaudechart, de Grandvil-
liers, d'Hodenc-l'Evêque , de La Verrière, de Luchy, de Maim-
beville, de Margny-les-Compiègne, de Maulers, deMaysel, de
Muidorge, de Nolre-Dame-du-Thil, d'Oudeuil, de Rosoy, de
Rothois, de Saint-Félix, de Saint- Sulpice, de Thieux, de Thury,
de Villers-sur-Bonnières, de Villers-Vicomte et de Warluis, et aux
chapelles de Miauroy et de Provinlieu.
VI. - JURIDICTION TEMPORELLE.
L'abbaye de Saint-Lucien était une des grandes institutions
féodales du Beauvaisis, en vertu de sa fondation royale et des
concessions qui lui furent faites. Elle tenait du roi, en baronie,
678 HI8T0I11
ses terres et seigneuries. Elle était réputée chfttellenie 0), c'est-
à-dire qu'elle avait le droit d'élever châteaux et forteresses sur
ses terres et d'y rendre la justice haute , moyenne et basse. Elle
avait droit par conséquent de connattre de toutes les causes ci-
viles et de toutes les actions délictueuses et criminelles C4)mmi8es
sur ses terres, de prononcer des condamnaiions jusqu'à la peine
de mort inclusivement , à l'exception des cas royaux , et d'avoir
prisons et fourches patibulaires pour l'exécution des sentences.
Comme il n'était pas convenable pour des religieux de rendre la
justice par eux-mêmes, ils avaient» pour l'exercer, des officiers
laïques, un bailli, un lieutenant-général, trois prévôts et des
sergents. Un religieux, un dignitaire de la maison, le grand-
prévôt, avait inspection sur eux et devait veiller à ce que leurs
arrêts fussent toujours rendus avec équité. Cette justice était
comprise dans le ressort de la prévôté royale de Beauvaisis,
siégeant à Grandvilliers , et avait coutume particulière.
La coutume de Saint-Lucien fut rédigée, en 1507, par Jean
Le Caron, bailli de l'abbaye, et reconnue, adoptée et signée par
les tenanciers, le 15 septembre de la même année, suivant
procès-verbal authentique. On peut la consulter aux archives de
la cour d'appel d'Amiens; mais elle est dans un tel état de vé-
tusté qu'il n'est plus possible de la lire en entier. Elle contient
quatorze articles» M. Bouthors en a reproduit les quelques frag-
ments, qu'il en a pu déchiffrer, dans ses Coutumes locales du
bailliage d'Amiens; Amiens, 1845, t. I, p. 196 et 197. Nous les
citons :
1. Entre autres coostuines est vray que Saint-Lucien, qui est une
belle et noble abbaye de fondacion royale iears terres , justices et
seignearies, droit de haolte, moyenne et basse justice et sabgets
itidififéremment.
3. Item que pour exercer la dite Justice, il y a un baiity, lieut
général avec trois aaltres prévosts et Juges subalternes audit balily . . .
prévost. Le prévost de Grantvil tiers et le pennetier, qal tous sont
tenant chascun jour, quant le cas y eschet, siège etjaridicion... . et
congnoissent lesdits t)révost en première instance des et quant
d*eulx est appelé, tel appel se relève devant le de la dite église,
(1) Graves : Biami du ecmUm ds Beau/vaUi Pi si9.
DE l'abbaye ROYALB PB SAINT-LUCIEN. 679
aox assises qai se tiennent qasnt pi. . . . de flefz sont sabgets et contrains
de comparoir à chasc. . . . ainsy qae à hommes de flefz doist le faire.
3. Item qae les appellacions desdits bailly et hommes seul, si son
plaisir est de juger sans les appeler, ressorlissenl qui touche les
subgets dudit bailliage d'Amyens. ... Amyens. En tant qu'il touche les
subgets du bailliage audit Sentis, et quant aux subgets dudit Monl-
didier parderant le gouverneur dudit Montdidier.
6. Aux villages de Bonniëres, de Fourquegnies , Glatigny, Courcelles,
Yillers Basincourt, Roy. Boissy, qui sont du bailliage d'Amiens, sur
tous héritages tenus d'icelle église en cotterie, les religieux ont de relief,
en toutes mutacions et de toutes mains, qui est de cinq sols pour les
masures et douze deniers pour mine de terre.
D'après cette coutume, et d'autres âocuments extraits des
Anciennes archives de l'abbaye, Il résulte que le monastère
avait trois prévôts pour juger en première instance les affaires
contentieuses de ses tenanciers. L'un connaissait des affaires des
tenanciers résidant dans les limites du bailliage d'Amiens , le
second jugeait les affaires du ressort du bailliage de Senlls, et
le troisième celles du bailliage de Montdidier. Les appels de leurs
jugements étaient portés pardevant le bailli de Saint^Lucien; il
prononçait en assises publiques » avec Tassistance des hommes
de fief du monastère , qui étaient tenus de se rendre à ces as-
sises à des époques déterminées. On pouvait encore appeler de
ce jugement pardevant le grand-bailli du bailliage dont on rele-
vait; mais l'abbaye avait le droit, de son côté, d'évoquer l'affaire
pardevant le Grand-Conseil du roi.
Un état, dressé par le bailli de Saint-Lucien pour convoquer
ses hommes de fief aux assises judiciaires, tenues dans l'abbaye
les lundis de QuaHmodo et d'après la Toussaint de l'an 1696^
va nous faire connaître quelle était la composition de ces as-
sises (1).
Bailliage d^ Amiens, — M'* Adrien-Pierre de Tiercelin , chevalier, mar-
quis de Brosses et de Sarcus , pour son fief de Feuquières. — If* François
de BoufiQers , comte de Galgnyï pour son fief de Roye , sis k Bonnières
(1) Doedment dd cabinet de M. le comte de li«fiem«nt.
680 HISTOIRE
et son fief de Haocoart — W Gaspard de Coaqaaalt, seigneur d'Àveloii,
pour son fief de Gonrcelles. — M* Pierre de Halingaehen. président et
Ueatenant général à Beaavais, pour ses flefs de Juvignies et de Douy. ^
Les héritiers de noble homme Nicolas Tristan , président en i'élection de
Beauvais, pour son flef sis k Guehengnies. — M'* Claude Minette, conseiller
au présidial de Beauvais, pour son flef Flourot, sis à Notre-Dame-da-
Thil. — Jean Dubois, tailleur d'habits à Glatigny, pour le flef de Glatigny.
— Les héritiers de dame Françoise Le Boucher, veuve de M. Claude Dolet,
pour le fief sis à Grez. — Les représentants de Marie de Bnllandre, veuve
d'André Huyart, seigneur d'Hamermont, pour le fief de la Mairie de
Rothois. — Les héritiers de PhUippe Du Gardin , pour le flef de Bemapré.
— M* Daniel Le Comte, pour le fief de la Tour-Brûlée , àt Saint-Lucien. —
Les ayant-cause de H'* Louis Foy, seigneur de Bracheux, pour son flef de
Villers-sur-Auchy. — M" Octave-Louis Dauvet, chevalier, sieur de Rieux,
pour son flef Cuisinier, sis à Rieux. — M" Louis-Honoré de Carvoisin, sei-
gneur de la Cour d'Oisie, pour le fief de la Vente, sis à Oudeuil. — 4drienne
De l'Assaut , veuve de Hugues Langlois , pour le flef sis à Feuquiëres.
BaiUiage de MofUdidier. — Les hoirs et représentants de M** Charles
de Chesnel , chevalier, seigneur de Mœux, pour son flef de Fresneaux. ~
M* Raoul Adrien , pour son flef sis à Campremy. — Catherine de Catheu,
veuve de Pierre Lignier, pour son flef de Maubeuge, sis à La Fraye et
Reuil. — Jacques Habert , pour son flef de La Neuvllle-le-Roy. — M** Jac-
ques Brlsset, secrétaire au Grand-Conseil, pour son flef d'Auchy-la-
Montagne. — Guillaume Walon, pour son flef sis à Beaupuis. — Les hoirs
de la dame Ursule de Gautery, veuve de M'* Pierre de Rouvroy, pour
son flef sis à Puits. — Nicolas Danse et consors, pour leur fief sis à Mui-
dorge. — Les représentants de M'* François de Torcy, chevalier, seigneur
de Reuil, pour son flef de Reuii. — La dame de Mœux, pour son flef de
la Mairie de Reuil. — Jean Floury, pour son flef de la Mairie de Fontaine-
Saint-Lucien.
BaiUiage de Senlis. — Les hoirs de M" Claude Brisard , pour son flef
d'Abbecourt. — Les représentants de M** Louis de Crevant d'Humiëres,
maréchal de France , pour son flef de Margny. — M^ Claude de l'Aubes-
pine, marquis de Yerderonne, pour les flefs de Rothois, Hardencourt et les
Marques. — Adrien de Villepoix, écuyer, seigneur dudit lieu, pour le flef
des Fuzeliers , sis à Saint-Félix. — Les hoirs Antoine de Curly, écuyer,
exempt des gardes du roi , et Jean Famin , pour leur flef de Buiant, sis
à Foulangues. — François de Malvande , écuyer, à cause de damoiselle
Marie Dosdasne, veuve de Charles de Bizancourt, pour le flef du Trou-
Jumel , sis à La Landelle.
Tous ces hommes possédant en fief un domaine de Tabbaye
étaient obligés, suivant la coutume et en vertu de leurvasselage,
DE l'abbaye royale DE SAINT-LUGIEN. 681
d'assister aux plaids généraux de la justice du monastère, pour
y donner leur avis et prononcer avec le bailli dans les affaires
contentieuses soumises à leur jugement, sous peine de 10 sols
parisis d'amende (1). Ils étaient aussi tenus de faire les foi et
hommage et de remplir les autres devoirs féodaux à chaque
mutation de propriété.
Comme haut seigneur féodal, l'abbaye jouissait de droits
considérables sur les biens et les personnes qui étaient sous sa
dépendance. Nous ne faisons qu'énumérer les principaux :
Les grosses et menues dîmes dans un grand nombre de localités.
Les grosses dîmes se percevaient, la plupart du temps, à huit
du cent pour le grain.
Le champart sur des terres données à cultiver sous l'obligation
de cette redevance. Il se percevait aussi généralement à huit du
cent.
Le droit de mouture sur les baniers de ses moulins de Bon-
nières, de Grandvilliers , d'Oudeuil, de Miauroy, de Saint-
Félix, etc. Les baniers ne pouvaient se dispenser d'aller moudre
leurs grains aux moulins de l'abbaye. En cas d'infraction^ elle
avaii le droit de faire saisir et confisquer le blé , la farine et
même le cheval et la voiture, sans préjudice de l'amende.
Le droit de pressoirage, qui obligeait les tenanciers à fouler
leur vin au pressoir de l'abbaye.
Le droit de ban ou de fixer l'époque de la vendange, sous peine
de confiscation pour ceux qui vendangeraient avant l'ouverture
du ban.
Le forage ou droit sur le vin vendu par les tenanciers; il se
percevait à raison d'une pinte par muid.
Le tonlieu ou droit sur les marchandises vendues sur les mar-
chés.
Le fournage ou droit obligeant les tenanciers à aller cuire leur
pain au four banal de l'abbaye. A Grandvilliers , on percevait un
pain sur vingt.
Le droit de poids et balances, obligeant les tenanciers à peser
aux poids de l'abbaye et à leurs balances toute chose vendue
(1) Coût d'Amiens, art. 186. — Goût, de Nontdldier, art. 66. — Goût,
de Senlis , art. 36.
682 HISTOIRS PI L'ABBAYI ROTALK pi 8AINT-LUCIKN.
pesant plus de 7 livres et demie, et on percevait pour cela
8 s. 4 d. du cent.
L'abbaye avait des poids et mesures particuliers. Pour les
grains, le muid de blé, qui contenait i4 mines deux tiers de la
mesure de Beauvais, valait 4 hectol. 40.44, et le muid d'avoine
contenait 12 mines et demie ou 5 hectol. 73.12.
Le droit de corvée ou droit de requérir des hommes et des che-
vaux de ses tenanciers pour labourer ses terres, faire ses charrois
et rentrer ses récoltes. Un dénombrement de 1384 porte à l'article
Saint-Félix : « xxiiii corvées pour emmuller le fain de xxiui ar-
« pens de pré quant iis sont fenés (1). »
Le droit de voirie ou de surveillance sur les chemins, de sorte
que tous les délits ou infractions à la police du roulage, les ali-
gnements, le droit d'établir étal sur la voie publique ou d'y
percer puits relevaient des officiers du monastère partout où
l'abbaye avait ce droit, et elle l'avait généralement dans toutes
ses terres.
Elle avait encore bien d'autres droits; mais comme ils sont
communs à toutes les institutions féodales de cette époque, nous
ne nous appesantirons pas sur eux.
(1) Arch. de l'Oise : abbaye de Saini-Lacien.
VUE DE LA POR,TE P^INC
;„E DE LABBAYK DE S■H.iCiF^,
I
QUATRIÈME PARTIE.
TOPOGRAPHIE ET REVENU TEMPOREL.
I. — L'ABBATE.
L'abbaye, avec ses dépendances, occupait le terrain situé au-
dessous de réglise de Notrè-Dame-du-Thii et compris entre la
rue Verte, la rue de la Borne-Trouée, le bras du Thérain dit
canal Gonard, le ruisseau de Calais et la grande rue de l'église.
Un mur d'enceinte, construit en cailloux, briques et pierres,
environnait sinon toute la propriété, du moins toute la partie
affectée au service exclusif des religieux. Plusieurs portes le
perçaient. La principale s'ouvrait, au nord-ouest, sur cette
grande rue montueuse qui conduit à l'église du Thil. Deux baies,
d'inégale grandeur, donnaient passage aux voitures et aux pié-
tons. Des rinceaux de feuillages finement sculptés, aux retom-
bées soutenues par des statuettes représentant des anges et
saint Lucien portant sa tète, en ornaient les arceaux. Une grille
de fer, richement travaillée, fermait la grande porte, et la pe-
tite était surmontée d'un écusson aux armes de celui qui les
avait tait construire , aux armes de l'abbé Robert d'Esquesnes :
d^argentj à la croix de gueules frettée d*or, accompagnée de quatre
billettes d'azur. Le ciseau révolutionnaire a pu les mutiler, mais
la croix apparaît encore. Une autre porte, destinée plus spécia-
lement au passage des pèlerins et portant le nom significatif de
porte des Pardons, s'ouvrait un peu plus haut , du même côté,
en face celle du presbytère actuel. Une troisième, dite desEsbat-
tements, perçait le mur de clôture à l'angle sud-est, vers l'ab-
baye de Saint-Quentin. Les processions passaient par là pour
aller à ce monastère.
684 HISTOIRE
Plusieurs tours garnissaient le mur d'enceinte. La plus grosse,
bâtie au levant, excite encore la curiosité par son imposant as-
pect. Elle dominait toute la propriété et pouvait servir de défense
contre les attaques venant du dehors. C'est une belle construc-
tion du XV* siècle. On a malheureusement changé son ancienne
physionomie, il y a quelques années, en la couronnant de cré-
neaux qu'elle n'avait pas auparavant. L'intérieur, restauré avec
intelligence par H. Rayé, propriétaire actuel, offre un beau spé-
cimen des constructions de cette époque. Une autre tour moins
importante, dite tour de Luchy, s'élevait à l'angle qui fait face à
l'église du village, à peu de distance de la porte des Pardons.
En entrant par la grande porte, on arrivait dans une première
cour fermée , au nord-est, par le mur de l'ancien hôtel abbatial,
allant du transept de l'église à la porte des Pardons; au sud-
ouest, par l'auditoire ou maison de justice et ses dépendances
et par le nouvel hôtel abbatial ; au midi , par l'église. L'ancien
hôtel abbatial avait été démoli au xvni« siècle, à cause de son
état de délabrement, et on avait affecté au logement des abbés
une autre construction plus convenable , auprès du grand por-
tail de l'église. Ce nouveau local ne laissait cependant pas que
d'être bien modeste, et on aurait dit, à le voir, qu'on l'avait
affublé par dérision du nom pompeux d'hôtel abbatial , tant il
contrastait par sa simplicité , dit M. Daniel (i), avec les élégantes
constructions qui l'environnaient. Il se composait, d'après l'état
estimatif dressé par les agents de la Révolution, d'un rez de-
chaussée de 27 toises de long sur 4 toises de large , avec cave
au-dessous et grenier au-dessus (â).
L'église était un bel édiQce des xu« et xiv* siècles. Bâtie d'abord
de 1090 à 1109, sous les abbés Pierre , Gilbert et Girold, elle fut
brûlée, en 1346, par les troupes d'Edouard III, roi d'Angleterre,
et reconstruite peu après, par les soins des abbés Pierre de Boran,
Âimery Fulcant et Foulques de Ghanac. Le plan du monument
représentait une croix latine. Sa longueur totale dans œuvre,
depuis le fond de la chapelle médiane jusqu'au grand portail,
(1) Notice sur V ancienne ahhaye de Saint-Lucien , par M. le D' Daniel
(Mém. de la Soc. des Àntiq. de Picardie, t. viii).
(2) Arch. de l'OUe : Fonds de la Révolution.
//émarsj à ,6 Soaels Jcâdeimsuc é /Oise lâû'r
;ABi^Ay[-, DL, s^
DE l'ABBATB ROYALK DK SAINT-LUCIEN. 685
était de 91 m. 33. La nef avait 40 m. 66 de longueur et âl m. 66
de largeur, en comprenant les bas-côtés. Le transept, terminé
par les deux bouts en rond-point, portait 53 m. 33 d'une extré-
mité à l'autre, sur 23 m. 33 de large. Le cbœur des religieux
occupait toute la partie du transept , qui continuait la nef. Le
sanctuaire formait un rond-point de 20 m. de profondeur sur la
même largeur que la nef. Dix colonnes supportaient la retombée
de ses voûtes, ainsi que celle des voûtes des bas-côtés, vingt-
deux piliers supportaient celles du transept, et quatorze, for-
mant sept travées, celles de la nef. « Ces piliers, dit M. Daniel,
« étaient composés d'une aggrégation de colonnettes autour
« d'un axe figurant lui-même une assez forte colonne. Celles de
u ces colonnes qui regardaient la ligne médiane de l'église
a étaient plus volumineuses que les autres, et elles se prolon-
» geaient en s'élançant vers la voûte arrondie du cbœur, où
u elles se croisaient en diagonales les unes contre les autres.
« Les bas-côtés recevaient le jour par de rares et sombres croi-
« sées; quant au cbœur et à la nef, ils étalent éclairés par une
« série de croisées ogivales , simples , sans ornemens et d'assez
« petites dimensions (1 m. 33 de large sur 2 m. de haut). »
Autour des bas-côtés circonscrivant le sanctuaire étaient cinq
chapelles construites en hors-d'œuvre , deux à droite, deux à
gauche et une au milieu. Les deux de droite étaient dédiées Tune
à saint Jean -Baptiste et l'autre à saint Benott, et celles de gauche
à saint Dinault ou Donoald et à sainte Catherine. La chapelle
médiane, dédiée à la sainte Vierge, de 7 m. 33 de profondeur
sur 8 m. 66 de large, était surmontée extérieurement d'un pa-
villon carré de 8 m. de surélévation , ce qui lui donnait l'aspect
d'une tour carrée bâtie derrière l'abside de l'église.
Le style ogival dominait dans toutes les parties de l'édifice.
L'extérieur ne présentait rien de bien remarquable, à part la
galerie, délicatement découpée, qui ornait toute la partie supé-
rieure du monument. Deux beaux clochers , bâtis en pierre, s'é-
levaient dans les airs. L'un , placé au centre du transept, conte-
nait les timbres de l'horloge de l'abbaye. L'autre, construit au
commencement du xviii« siècle , à côté du grand portail , ren-
fermait les quatre grosses cloches : c'était une large tour carrée
à trpis étages, surmontée d'un toit campaniforme; deux baies,
longues et bilobées , s'ouvraient sur chaque face des étages su-
T. vm. 43
6M iisTonB
périeun. Deai campaniles cooronnaient, en outre, lea deux
toon svelies et gracieuses gui accompagnaient le portail, et l'un
d'eux abritait quatre petites cloches. On accédait à ce porfafl
par un perron de dix-huit marches placées non en fau^. mais à
droite et à gauche de la façade.
L'intérieur de l'égliee offrait plus d'intérêt. ■ On remarquait
« dans les murs de quelques travées de la nef, dit M. Daniel , à
« hauteur d'appui, des niches dans lesquelles étaient placés des
m tombeaux avec des figures en pierre , le tout en relief. Ces
* tombeaux et ces figures avaient rapport à des personnages
« célèbres de cette abbaye. »
Un état des monuments que renfermait l'église, dressé par les
religieux au xvin* siècle (1;, appelle d'abord l'attention sur le
mausolée de saint Lucien, érigé derrière l'autel, sur ce chef-
d'oeuvre de l'art gothique destiné à supporter la magnifique
châsse du glorieux martyr. Nous en avons fait ci-dessus la des-
cription à l'abbatiat de Jean de Toirac, qui l'avait fait exécuter.
On voyait dans le sanctuaire, au côté de Tévangile, le tom-
beau du cardinal Gholet. Ce monument, œuvre de la fin du
xiii* siècle, était une imitation bien réussie du précédent (â\
Une ancienne tradition plaçait, entre ce mausolée et l'autel,
le tombeau de saint Hildeman , évèque de Beauvais. Il y avait
efTectivement autrefois h cet endroit une tombe de cuivre que le
cardinal de Ch&tillon avait fait enlever. Plusieurs autres évèques
de Beauvais avaient aussi été inhumés dans le sanctuaire et dans
le chœur. Le chanoine Barraud conservait dans son cabinet trois
lames de plomb provenant de leurs tombeaux et portant les
noms de ceux qu'elles recouvaient. L'une venait de la tombe de
l'évèque Hildegaire , mort en 972 ; elle avait 0 m. 095 de lon-
gueur, 0 m. 055 de largeur et 0 m. 005 d'épaisseur, et portait,
gravée en capitales romaines de 0 m. 008 de hauteur, l'inscrip-
tion suivante :
HIC REQVIBS
GIT • HILDE
CÂRIVS EPS.
il) Cabinet de M. Malbon.
(S) Voir la description que nous en avons faite à l'abbatiat d'Odon Gholet
(XXVIII* abbé régoiier) et la gravure qui l'accompagne.
DE L*ABBATB ROYALE DE SAINT-LUGIEN. 687
Sur la seconde, qui avait à peu près les mêmes dimeusions
que la précédente et qui provenait de la tombe de Tévèque
Hugues, mort vers Tan 999, on lit :
HIC REQVI
ESCIT • HVGO
EPS.
La troisième plaque, de 0 m. 48 de long sur autant de large,
indiquait une translation du corps de Tévèque Honorât faite
en ii09, et portait rinscription suivante :
H IDVS MAU • ANNO • INGAR
NATI • VERBI • M • G * VIIII • INDIGTI
ONE • H • ANNO • î • LVDOVICI • RE
GIS • TEMPORE • PAPE • PA8CA
LIS • Il • ET • GAVSFRIDI < BEL
VACENSIS • ÊPl • TRANLA
TVM • EST • CORPVS • HONO
RATI • EPI • ET • HIC • REPOSITV
SVB • GIROLDO • ABBATE S
EODEM • ANNO • FVIT •
VLTlBiVM • PASGHA '.•
Du côté de Tépitre était le tombeau de Jean de Villers, dernier
abbé régulier, mort eu 1iî)2. Sur un socle, d'un mètre environ
d'élévation, aux côtés ornés de petites nicbes de style ogival
flamboyant, reposait, couchée, la statue de l'abbé, revêtu d'or-
nements pontiûcaux, les pieds appuyés sur un lion , la tète mi-
trée et soutenue par un coussin. Derrière la tète était un édicule
ou dais très-ouvragé. Autour de l'entablement était gravée l'ins-
cription en lettres gothiques : Bic jacet dompnus Johânis de
ViUaribus, quondâ hnjus ecclê venerabiiis abbas, gui obiU àno
Dmi m« cccc^ nonagesimo êecudo, cent' diejunii, cuj. aià, reqfscat
in pace. Am,
Yis-à-vis^ dans le mur du rond-point, était le tombeau du
chevalier Florimond de Villers, mort en \M^ des suites des
blessures reçues en combattant contre les Bourguignons pour
défendre l'abbaye. Nous avons fait ailleurs sa description.
Le chœur, la nef et les basculés étaient en outre remplis de
688 HISTOIRB
pierres tombales avec figures gravées et inscriptions, recouvrant
des sépultures d'abbés, de moines et de personnages de distinc-
tion.
Les statues de saints, que renfermait l'église, étaient en gé-
néral peu remarquables ; cependant les connaisseurs faisaient
assez de cas de celle de saint Benoit, placée dans la chapelle de
ce vocable, du côté de Tépitre, et de celles de saint Yves et de
saint Sébastien, fixées aux deux piliers voisins du jubé. Mais ce
qui exerçait surtout la sagacité des archéologues et des artistes,
c'étaient six statues fort anciennes placées au haut du pourtour
du chœur, où une ceinture ùe fer les retenait. Ces statues, repré-
sentant des personnages sans barbe , aux longs vêtements, ayant
sous les pieds des espèces d'hommes hideux , à genoux , cour-
bés (1), paraissaient, d'après un long et savant mémoire du
xviip siècle (2), avoir appartenu à la première église fondée par
Chilpéric et être contemporaines de sa fondation. Echappées aux
dévastations des Normands, elles auraient été conservées dans
l'église, bâtie postérieurement. Suivant ce mémoire, elles repré-
senteraient Chiidebert l""^ et Dltrogotte, sa femme; Clotaire 1«'
et Aringonde, sa femme; Chilpéric !<"'' et sa femme Frédégonde.
On remarquait aussi, dans cette église, un fort beau candé-
labre , dont le socle était orné de quatre grandes figures en pied ;
l'une représentait saint Lucien revêtu de ses habits pontificaux,
la tète posée sur ses épaules, couverte d'une mitre ronde, la
main gauche appuyée sur un livre portant la suscription Sanctus
Liicianus, et la droite levée avec trois doigts étendus comme pour
bénir. Le savant M. de Saint-Hilaire, mort en i700. rapporte que,
de son temps, les antiquaires donnaient huit cents ans d'exis-
tence à ce curieux objet d'orfèvrerie.
Nous ne saurions oublier, avant de quitter ce sanctuaire, de
mentionner la chaire , le jubé et surtout les stalles fameuses qui
faisaient l'admiration de tous ceux qui les examinaient de près.
La chaire, œuvre de la fin du xvii« siècle, peut se voir encore
dans la cathédrale de Beauvais, où elle a été transportée. L'en-
(1) Cambry : Descriptian du d^rtement de rOi$e, t. ii, p. 189.
(2; Cabinet de M. Le Caron de Troassares : Mémoire sur les statues de
l'église de Saint-Lucien, manuscrit in-4* de 21 pages.
DB l'abbaye royale DE SAINT-LLCIEN. 089
trée du chœur était fermée par un splendide jubé en marbre, à
colonnes torses et richement sculpté. « H rivalisait en magnifi-
« cence, dit M. Daniel , qui les a vus Tun et l'autre , avec celui
« delà cathédrale (1). » C'était un des chefs-d'œuvre exécutés,
de i492 à 1304, par ordre de l'abbé Dubois. Le second était la
collection de stalles qui garnissaient l'intérieur du chœur. Ces
stalles avaient été travaillées avec tant de soin et d'habileté, les
scènes sculptées , qui les ornaient , avaient été si délicatement
traitées qu'on ne trouvait rien aux environs de plus élégant ni
de plus achevé. « Elles paraissaient si belles, dit D. Cotron, dans
« sa Chronique de Saint-Riqxder, que le 28 avril i507, l'abbé Eus-
c( tache Le Quieux commanda, à des ouvriers d'Amiens, seize
« stalles entièrement semblables à celles de Saint-Lucien, pour
« être placées dans le chœur de son église (2). » Les scènes les
plus fantastiques y étaient représentées pleines de mouvement
et de vie. Cambry (3) nous donne la description de quelques-
unes. Ici c'est la tentation de saint Antoine. Le saint, assis sur
un tronc d'arbre, est appuyé sur un livre qu'il lit; un diable
nu, couvert de poils droits et raides, aux mains en forme de
pattes d'oie, armées de griffes acérées, aux jambes de satyre, à
la tète garnie de cornes brisées, au mufle d'hippopotame, à
rénorme queue, le saisit par les épaules pour le distraire de sa
méditation. Devant lui, une Proserpine à la longue robe, aux
manches plissées et terminées au coude par des rubans et des
franges, à la chaîne d'or au cou, aux cheveux élégamment tressés
et retenus par un diamant, lui présente un bouquet. Cette déesse
au pied d'<lne, a les épaules couvertes d'un grand manteau dont
la traîne est portée par un grand diable aux pieds de lion, à la
queue cannelée terminée par une tête de chien monstrueuse. Au
milieu de cet attirail infernal , lé saint, enveloppé dans sa robe
de bure et avec sa gourde suspendue à la ceinture , tourne la
tète et semble repousser la tentation. La scène se dessine sur
,1) D' Daniel -. Notice sur l'abbaye de Saint Lucien, p. 18.
[2} Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, année 1870, n* 2,
p. 352.
'3; Description du département de l'Oise, t. ii , p. 201-20G.
e90 HISTOIEI
un fond de rocher, couvert d'arbustes, que domine une yiile
défendue par des murailles et des (ours.
Ailleurs , saint Antoine, à demi renversé, se débat contre deux
affreux monstres à face humaine, venus de Tenfer; l'un aux
petits yeux ronds, au nezcamard« à la gueule armée de dé-
fenses de sanglier, pose son pied d'oie sur l'épaule du saint et
le tire par les cheveux, tandis que l'autre, à pieds d'onagre^
dans une position singulièrement combinée, pose un de ses
pieds sur l'estomac du saint et l'autre sur son genou, le tire par
la barbe et l'oblige à mettre son nez à son derrière.
Plus loin on voyait d'autres scènes, des obscénités, des bac-
chanales, les travaux d'Hercule, le diable battant sa femme,
une mère fouettant son enfant en se bouchant le nez, des jeux
d'enfants, des intérieurs de corps de métier, des cordonniers,
des vinaigriers, des orfèvres, un oiseleur, un mendiant, etc.
Nous serions trop longs si nous voulions faire la description de
toutes ces bizarreries, où l'esprit gaulois de nos vieux pères,
amis du rire et de la gaUé, s'est si bien exercé à rendre les jeux,
les plaisanteries, les déguisements des bacchanales, les folies
de carnaval de son temps. Mais ce qui étonne le plus c'est l'ha-
bileté des artistes bahutiers qui ont su combiner tant de rac-
courcis et les exécuter d'une manière si naturelle et si précise.
On dit que Gallot s'est inspiré de ces stalles pour composer sa
fameuse Tentation de saint Antoine, et que leurs extravagances
ont fourni À Sedaine l'idée de son cantique bizarre ; nous le
croirions facilement.
Ces stalles curieuses ne sont pas perdues : elles ont été trans-
portées dans l'église de l'abbaye de Saint-Denis.
Après nous être arrêtés peut-être trop longtemps à décrire
l'église et son mobilier, nous continuons la topographie du mo-
nastère. En sortant de l'église par la porte latérale du transept
sud, et c'était par là qu'entraient ordinairement les religieux, on
pénétrait dans un bâtiment à trois étages , de 26 m. de longueur,
semblant continuer le transept. Au rez-de-chaussée , étaient les
escaliers et l'ancienne salle du chapitre; au premier, la sacristie
et un chauffoir; au second, le chœur de nuit et une classe. En
retour d'équerre et parallèlement à l'église s'élevaient les trois
étages d'une vaste construction de 68 m. de long sur 42 m. de
large, avec pavillons aux deux extrémités. Au rez-de-chaussée
DK L'ABBAYK AbtÂLB DK SAINT-LUGIKN. 691
se trouvaient un grand salon lambrissé et parqueté, de 10 m.
sur il, une cuisine Yoûlée avec ofûce et garde manger^ le réfec-
toire lambrissé, de 27 m. de long sur 8 m. de large, la salle du
chapitre et plusieurs autres pièces. Âu premier étaient deux ap-
partements de maître avec antichambre, un cabinet, des cham-
bres de domestiques et la bibliothèque, de 13 m. de longueur,
divisée en quatre parties. Au second, un corridor, neuf cellules
avec antichambre et garde-robe , et plusieurs autres apparte-
ments.
En retour d'équerre de ce bfttiment et en se dirigeant vers
régUse, s'en trouvait un autre de 34 m. de long sur 13 m. de
large, aussi à trois étages et destiné au logement des étrangers.
Chaque étage était divisé en cinq pièces.
En retour d'équerre encore et pour fermer Tespace compris
entre ce bâtiment et le pignon du grand portail de l'église, s'en
élevait un autre de 20 m. de long, à trois étages comme les pré-
cédents; il servait d'entrée à la maison conventuelle et de de-
meure au portier.
A l'intérieur de ce grand quadrilatère, et tout au tour, étaient
les cloîtres, où l'on remarquait plusieurs tombes. On y enterrait
les moines et même des personnages de distinction, ainsi que
l'attestait cette inscription , très-ancienne, trouvée sur une pierre
placée dans la partie avoisinant l'église.
HIC PIETATIS HOMOS, NEC NON VENERABILIS HEROS,
JUSTITIyE QUE DEÇUS, FUNUS HABET POSITUS,
GIVIBUS OSTRADUS PROPRllS QUI GONDIDIT ALMA
AG GLARUM VIRTUS NOMEN UABERE DEDIT.
IDIBUS ORBIGENUH DEGEMBRIS LIQUIT EOUM
PRESSUS LETHEO OMNIMODIS JAGULO
SI QUIS IN HOG SAXO LEGIS HOSPES AGTA SUPREMl
DIG AGE GUM REQUIF. SEMPCR, OTRADE, VALE.
A l'ouest de ces grandes constructions était la basse-cour avec
des dépendances.
De magnifiques jardins, aux parterres soutenus par des ter-
transes, aux charmilles ombreuses , aux pièces d'eau limpides,
s'étendaietlt au midi. Le potager se trouvait plus à l'ouest. Au
dehors de Tenceinte particulière de la clôture monacale, entré
elle et là rue de la Borne-Trouée , était une vigne de quatre ar-
692 HI6T«1BB
penU appelée le ClosBardou; elle fournissait une partie du vin
de la communauté, et à côté s'élevait un beau l>ois de quatorze
arpente, aux promenades solitaires, s'étendant jusqu'aux rives
du Thérain. De fructueux vergers avoisinaient la basse-cour.
Toutes ces magnificences ne sont plus; un gouvernement à
bout d'argent les a spoliées et vendues , et des industriels les
ont démolles ou dévastées, l'ne porte , une tour, des caves ,
deux granges et quelques petite b&timente d'exploitation sont
les seuls restes de ce riche monastère, que ne dédaignèrent pas
de régir des cardinaux de Bourbon, deRicbelieu, de Mazarin
et des Bossuet. Ijà propriété n'a pas même gardé son intégrité;
morcelée par M. Michel de Boisllsle, l'acquéreur primitif, elle
fut par lui vendue à divers particuliers. M. Rayé , avoué à Beau-
vais, en possède aujourd'hui la plus grande et la plus belle
partie, celle occupée par les édifices et les jardins, il en a fait
une jolie ferme, en conservant avec le plus grand soin, nous di-
rons même avec le plus grand respect, tous les vestiges subsis-
tante de cet ancien monastère, dont son respectable aieul avait
été le notaire et le feudiste dévoué.
II. — REVENU TEMPOREL.
Là fortune territoriale de l'abbaye de Saint-Lucien était consi-
dérable, et ses revenus Tétaient encore davantage à cause de la
multiplicité de leurs sources. La propriété foncière, cultivée par
les religieux et par leurs fermiers, rapportait des fruits; les re-
devances et les droits divers, que Tabbaye possédait, tant sur
les personnes que sur les choses soumises à sa domination ,
produisaient des rentes au moins aussi importantes. Tout cela
constituait un rcveou annuel des plus convenables. Sa quotité
cependant ne fut pas toujours la même. La fortune du monas-
tère, quoique moins exposée à la fluctuation que celle des par-
ticuliers, eut ses variations. Les événements, les guerres, les
nécessités publiques et privées, et mille autres causes, influèrent
sur elle. Nous avons vu , dans le cours de cette histoire , toutes
les aliénations de propriétés que Ton fut contraint de faire pour
subvenir aux besoins du moment. Que de redevances et de droits
ne furent pas aussi périmés par suite de l'incurie de certains
abbés. Il devient donc difficile aujourd'hui d'évaluer absolument
DE l'aBBATE royale DE SAINT LUCIEN. 695
la fortune du monastère aux diverses époques de son existence.
Nous tâcherons de le faire néanmoins, à l'aide des divers états
et déclarations laissés par les religieux.
D'après un état de Tan 1600 (1), le revenu totai de Tabbaye
montait à 37,743 livres 43 sols 9 deniers en argent, 346 muids
9 mines de blé et 117 muids d'avoine. Un autre état, dressé vers
l'an 1660 (2), le portait à 39,297 livres en argent et 235 muids de
grains. L'estimation faite, en 1700, par ordre de Bossuet, pour
effectuer le partage des revenus en trois lots , évaluait ces reve-
nus à 40,383 livres , sans compter les bois. La déclaration pré-
sentée par les religieux au bureau ecclésiastique de Beauvais,
en 1751, accusait pour leur part, qui était le tiers du revenu
total, 27,009 livres 17 sols. Enfin, les agents de la Révolution
trouvèrent, en 1790, vérification faite des registres de la maison,
que le revenu total, pour l'année 1791, était de 53,230 livres
4 sols 10 deniers. Ces données suffisent pour établir la situation
financière de l'abbaye pendant les xvii'' et xviiP siècles. Elle
était à peu près la même au xiv« siècle, d'après un état de 1380.
Les ciiartes de confirmation des biens du monastère , données
par les évêques de Beauvais et d'Amiens en 1157 et 1159 (3), et
rapportées ci -dessus, font connaître cette situation auxii» siècle.
Voyons maintenant quelles étaient les sources d'où prove-
naient ces revenus.
Abbecourt. — La terre et seigneurie d'Abbecourt provenait
d'un échange avec l'abbaye de Saint-Denis. Elle s'était accrue
par diverses donations et acquisitions; ainsi, Jean deMouy avait
donné une hostise en 1224, Simon de Poissy tous les serfs qu'il
avait en ce lieu en 1254, Marie, maîresse d'Oni, avait vendu une
mine et 'demie de terre en 1235, et Pierre, curé du lieu, avait
cédé trois hôtes avec leurs hostises en 1280 (4). En 1750, Tabbaye
de Saint- Lucien, pour satisfaire aux contributions extraordi-
(1) Cabinet de M. le comte de Herlemont.
■2) Ibidem.
(3) C'est par ane erreur typographique qae dans le texte donné à la
page 330 il y a 1559 : il faut 1159.
(4) Arcki. de l'Oise : abb. de Saint-Lacten.
69i ftiSfotts
ûftired impOftéêë sur le clergé par le roi Chariéfl IX, vendit cette
terre à Jacques Llgier, boufgeoiô de Parla, en ô'en réseftant tou-
tefois la mouvance. M. Llgier la donna à sa flile unique, mariée
à M. brisard , conseiller ail Parlement de Paris. Julien Brisard^
abbé de Saint-Prix, son flls, et Claude Brisard, neteu de Julien,
la possédéretit ensuite. Les flls de Claude, Jacques et Françoià-
Jean-Baptîste Brisard, la revendirent en 1703, avec le fief du
Colombier, & Tabbaye de SaiUt-Lucien, qui en resta propriétaire
Jusqu'en 1791. Ce domaine consistait en un mânoir seigneurial,
tfertae et bâtiments d'exploitation, un enclos d'environ 28 mines,
f 06 mines de terre labourable, 20 mines de pré et 43 arpents
de bois. L'abbaye avait en outre la dîme du lieu, des censives
en argent et erl nature sur vingt huit masures, estimées 39i liv.,
le champart sur \m mines de terre et le demi-champart stir
36 mines et demie, le droit de lods et de vente, la haute,
inoyenne et basse justice. Cette propriété fut vendue par la na-
tion, le 3 avril d70l, et adjugée à M. deMaupeou pour la somme
de 121, 30f) livres; toais cet adjudicataire ayant émigré, elle fut
saisie de nouveau, divisée en soixante-neuf lois et vendue à di-
vers particuliers les 6, 7, 8 et 0 tnars 170 1. Pierre-Henri Batteau,
l^aticien fermier, acheta le manoir seigneurial, et Fl-ançois-
Gabriel Èlumont le corps de ferme (l).
Abbeville-Saint-Lucien. — L'abbaye en possédait la terre et
.seigneurie, les dîmes, des champarts et des censives. Les droits
seigneuriaux se percevaient au sixième , c'est-à-dire à une livre
sur six. La terre se composait d'un corps de ferme avec bâti-
ments d'exploitalloh, assis sur un enclos de 3 mines auprès de
l'église, de 181 mides de terre labourable et des bois des Ave-
nelles (0 arp. U v.), du Parc (14 arp 81 v.) et de Longue-Eau
(91 atp. 70 V.). La dlme se prenait â 9 du cent et le champart à
18 du cent. L'abbaye avait en outre les deux tiers des menues
dîmes, le forage à un pot de vin par muid , les corvées, le droit
de relief à raison d'un sol parisis par mine de terre et cinq sols
par masure vendue, et les censives qui consistaient, en 1689,
en deux chapons, deux pains de cinq à la mine et 280 livres
environ d'argent.
(1) Arch. de l'Oise .- abb. de Saint-Liicieii.
DK l'abbaye BOTALB DI SAINT -LUCIEN. 6ff5
La ferme d'Abbe ville, vendue par la nation 4 le 14 juillet noi,
à François Delavacquerie, de Nolrémont, pour 59^000 livres, fut
revendue sur lui, le 4 juin i 792, à Marie-Marguerite Roger,
veuve Morel, pour 99, i 00 livres (i).
Amiens. — Une rente de 200 livres sur le maire et leséchevlns
d'Amiens.
Angy. — Le champart sur 9 mines de terre.
Ansacq. — La justice et des censives sur plusieurs héritages.
Ansauvillers. — L'abbaye y possédait la dtme sur le fief de
fioismont et sur iine partie du territoire, et 9 mines de terre,
en sept pièces, tjul furent vendues, le 28 avil i79^, 4,028 livres
à Eloi-François Maillet.
Ans ' sous -Cambronne. — La justice et des censives stir
plusieurs héritages.
AUCHY-LA-MoNTAGNfe. — Un fief mouvaut de Tabbaye était
possédé par le sieur Brisset.
Aumalë. — Deux marcs d'argent de rente, évalués à 9 livres,
sur la seigneurie d'Aumale, constitués en 1130 par Guillaume,
comte d'Aumale, lors de Térection en abbaye du prieuré de
Saint-Martin d'Auchy.
AUVILLERS. — La dltoe.
AvRETcdY. — Un petit fief, donné, en 1245, par Taumônier de
la comtessse de Glermotlt, fut plus tard accensé par Tabbaye
moyennant 8 sols parisis de cens annuel.
Beaupuits. — La terre et seigneurie du lieu, consistant en un
cofps de ferme et 3i0 mines de terre et quelques censives.
Bbauvais. — Plusieurs surcens et tetites sur des maisons,
jardins et vignes.
BEAUVE-IlÉRiGOURT.— l^a terre et seigneurie de Beauve, achetée,
en i292, de Mabilie de Beauve. En 1479, Tabbé iean de VillerS
l'avait affermée 4 pour 99 ans, à Pierre d'Herbannes, écuyer,
seigneur de Fontenay. Les gendres de ce gentilhomme, Guillaume
et Claude de Remy et Simon de Villepoix, continuèrent son bail.
Le cardinal de Bdurbon l'afferma de nouveau, en ld70, à André
de Bourbon, seigneur de RUbempré^ qui céda son bail à Antoine
de Remy, fteigneur de Montigny. Ce derniel* se rendit propriétail-e
(1) Arcb. de roisd : abb. de Saint-Lucien.
696 HISTOIRB
rie la terre eu 1587, lorsque l'abbaye fut contrainte de la vendre
pour fournir sa part dans Timpôt frappé sur le clergé. Il la
laissa à Antoine de Remy, son deuxième fils , par son partage
de Tau 1618. Les enfants de ce dernier, Philippe, Samuel et
Jean de Remy, se la partagèrent en lOSâ, et la revendirent, en
1706, à rabbaye, pour la somme de 22,000 livres.
Cette terre se composait d'un corps de ferme avec bâtiments
d'exploitation et 38 mines d'herbage, de 173 mines de terre
labourable, 10 mines de pré et du bois d'Héricourt. La nation
la vendit, le ±2 janvier, et 21 février 1791, à M. Louis-Marc-
Antoine De La Rue, chevalier, seigneur d'Héricourt, pour
i04,436 livres.
Bernapré (Roinescamps). — L'abbaye avait acquis le fief de
Bernapré, en 1332, de Jean de Lieurembronne et consorts, et le
vendit en i.*)7r>, en s'en réservant la mouvance et plusieurs
censives.
Bethencourt-Saint-Nicolas {Baiil€va/\ — Lne maison avec
pressoir, 9 arpents de vignes et plusieurs cens et surcens.
Bois-d'Ecu {La Chaussée-du^Bois^'Ecu). — Trente-deux mines
de grains (20 de blé et 12 d'avoine) de redevance annuelle sur
la ferme du Bois-d'Ëcu, appartenant à la commanderie de Fon-
taine, par suite d'une transaction de 1368, pour tenir lieu du
droit de champart sur le territoire du Bois-d'£cu.
BONNEUiL. — La dîme du hameau de Saint-Sauveur appelé
Bozodemer.
BONNiÈRES. — La terre et seigneurie de Bonnières , apparte-
nait déjà à l'abbaye en 1157; elle fut augmentée, en 1206, de la
cession faite par Raoul de Bonvillers et Ade de Moy, sa femme ,
de leur fief de Bonnières, que le chevalier Ursion de Moy, père
delà dite Ade, tenait en mouvance des religieux de Saint-Lucien,
de la vente d'un autre fief faite , en 1243 , par Jean de Praelle et
Eméline, sa mère, et d'une partie du bois de Gresnes, donnée,
en 1243, par Alix, veuve de Guy de Saint-Arnoult (1).
Cette terre, qui consistait en un corps de ferme sis à Bon-
nières avec 14 arpents d'herbage y attenant, 42 mines de terre
labourable, 12 mines de pré et 186 arpents 63 verges de bois en
iv Arcb. de l'Oise : abb. de Saint-Laden.
DE l'abbaye royale DE SAINT LUCIEN. 697
quatre pièces (bois de Roye, 28 arp. 94 v.; de Maison, 61 arp.
43 V.; de Croisette, 78 arp. 92 v.; des Fosses, 18 arp. 33 v.), fût
vendue au duc de BoufOers en 1700. Les religieux se réservèrent
les dtmes et la nomination à la cure. Ils acquirent plus tard
de la cure du lieu, 8 mines et demie de terre, de sorte qu'en
1789, cette localité rapportait encore à Tabbaye 1,900 livres de
fermage.
Breuil-le-Vert. — Quelques dîmes et divers cens.
Brunvillers-la-Motte. — Les dîmes sur un triage appelas
Lezonvillers , et i sols 8 deniers parisis de cens sur 6 mines de
terre.
BuGAMP. — Les dîmes du territoire de Fresneaux.
Bury. -- Une maison et un clos de vignes à Arsy, donnés
en 809, par Charles-le-Chauve , 3 arpents de vignes, un pressoir,
des prés et des censives.
Campremy. — Les deux tiers des dîmes, des champarts, une
redevance en grains et la mouvance du fief d'Arion ou f)ranc-
fief de Saint-Lucien, donné, en 1140, par ilugues de Grèvecœur.
Catillon. — Quelques dtmes.
Grmpuis. — Les grosses dîmes et les deux tiers des menues
dtmes et une redevance d'une demi-mine d'avoine et d'un cha-
pon , sur une masure , avec la justice de cette masure.
CiNQUEUx. — La terre et seigneurie , aliénée au xvi« siècle.
CORBiE. — Une redevance de lââ livres sur Tabbaye de Gorbie,
au lieu de 2:2 marcs d'argent.
CouLLEMOGNE (Oudcuil), — La terre et seigneurie de Goulle-
mogne , les dîmes de îa paroisse d'Oudeuil , le champart sur
21 mines de terre, les droits de lods et de ventes, et 11 mines
et demie d'avoine , huit chapons et 20 livres d'argent de cen-
sives. Gette terre, dontrabbaye possédait déjà une partie en 1157,
fut augmentée considérablement au xiii« siècle. En 1230, Guy
Gotins donne toutes ses terres d'Oudeuil avec son droit de
champart-, Adam Canis vend, en 1237 , 4 mines de terre; Ber-
nard Coispel, dit de Goquerel, un demi-muid de bois, en 1238,
et un pré en 12il; Philippe Baudoin donne un muid et demi de
vignes et 14 mines de terre en 1240; Jean Barberousse vend,
en 1241 , une terre dite le Ghamp-du-Buis , et Eustache du Pré
7 mines de terre en 1242. En 12 iS), Jean de Monceaux cède, par
échange, deux pièces de bois, et Jean d'Oudeuil donne 10 mines
698 HISVOIBB
de blé de rente en 1^0. Enfin, Tabbaye acquiert iO mines de
terre, en 1i*M), d'EloiLe Vigneron, une maison d'un nommé
Asceline en 12K6, 7 mines de terre, en 1257, d'Henri Barbe-
rousse, et une pièce de terre de Renaud de Trie.
Ce domaine consistait , en 1790, en un corps de ferme sis à
Goullemogne, avec un arpent d'eaclos, 216 arpents de terre la-
bourable, 19 arpents de bois, 60 arpents de friches, i arpent
et demi de pré. Il fut vendu par la nation, le 3 févner 1791 , à
Jean-Baptiste Féron et Charles Emanuel Roussel, d'Oudeuil,
pour 130,300 livres.
CouRCELLES {Blacourt), — La mouvance d'un fief vendu , en
1575, à Guy de Monceaux, et diverses censives.
Crillom. — Deui masures avec la justice et le tiers des grosses
dîmes.
Farivillers. — L'abbaye avait à prendre, en 1265, 6 mines
de blé de redevance sur la terre de Farivillers. Cette redevance
fut aliénée dans la suite.
Feuquiêres. — Des censives en argent, chapons et avoine sur
une maison et divers autres immeubles, une partie des dîmes,
le champart et la justice sur 89 mines de terre.
Flexicourt. — Une rente de 60 livres sur le prieuré cédé par
Tabbaye aux jésuites d'Amiens.
Fontaine-Sàint-Lugien. — La terre et seigneurie du lieu, les
dtmes et champarts à 18 du cent et des censives. La terre con-
sistait en une maison et bâtiments d'exploitation, avec 2 mines
d'enclos, deux granges dlmeresses vis-à-vis l'église, 193 mines
de terre labourable et 111 arpents 60 verges de bois en trois
pièces, (le bois du Parc, 57 arp. 67 v.; de la Verinne, 17 arp.
23 V. ; de Houssoy, 36 arp. 70 v.) Le corps de ferme avec les
deux granges dlmeresses et les 193 mines de terre ont été ven-
dus par la nation, le 18 juin 1791 , à Ant.-Denis Anty, maire de
Bresles , pour 45,900 livres.
Foulangues. — La terre et seigneurie de Foulangues prove-
nant en partie des donations du seigneur de Viilers-Saint-Paul
en 1260, et du cardinal Cholet en 1286. Ce domaine consistait,
en 1789, en un corps de ferme avec enclos, 47 arpents de terre,
des prés , des aunois et un moulin en ruine. L^abbaye avait, en
outre, des censives, le champart sur 36 mines de terre, des cor-
vées et la justice du lieu.
DB l'abbaye BQT4lf]9 PS SAINT-LUGIBN. 689
FouQUKNiES. — Des ceosives sur 48 mines de terrç , pr^ et l)oj0,
4 laines de pré, id mines de terre la))ottrable, 53 arpents de
bois , dit le Bois de Saint-lfaxien, et 90 livres de rentes sur )e
prieuré de Saint-Maxien uni au séminaire 4b Qeauvais.
Frangastel. — Quelques menues dîmes et 3 muids de blé de
redevance sur le pbapitre de Saint- Laurent de Beauvais, pour
tenir lieu de la part des grosses dîmes, cédée par l'abbaye à ce
chapitre en 149i.
Froissy. — La terre et seigneurie du petit Froissy, donnée
en ii32 par Wibert de Guiencourt. Ce domaine se composait,
en 1789, de 160 mines de terre labourable, des dîmes de toute
la paroisse, des champarts sur 80 mines de terre et de plusieurs
censives en grains. La dlme et les cbampartsav^ent été donnés,
en 1132, par Wibert de Guiencourt et Nivelon de Rotangy.
FuMEGHON.— Les dîmes du lieu donnée en 1139.
Gaudechart. — Une partie de la seigneurie avec les dîmes et
le champart sur 400 journaux de terre, par donation d'Hélye,
vidame de Gerberoy, vers 1139.
Glatigny. — Il y avait un fief avec droits seigneuriaux , cen-
sives et quelques portions de dîmes et de champart, qui fut
vendu, en 1700, au duc de Boufflers.
GouY [Noyers-Saint- Martin). — Une redevance de 4 muids de
grains sur la grange de Tabbaye de Froidmont, à Gouy.
Grandvilliers. — La terre et seigneurie de Grandvilliers avec
toute la justice, pap donation de Roricon, évèque d'Amiens, et
d'Arenburge, mère de Hugues de Cluny,vers 1090, Gautier et Gibuin
Moi3sart,en 1188; Jean d'Hétomesnil (1188) et Jean de Grosserve
(lâil). L'abbaye y avait jadis une grange ou ferme qui, détruite,
ne fut pas rebâtie. La place publique, dite la Censé , en occupe
Femplace^^ent. A Tabbaye appartenaient les droits de minage,
d'étalage, de poids et balances, de pied fourché (1) et de ian-
guéyage(2), les dîmes et champarts, des censives, les droits
seigneurial^ et deux moulins à vent avec banalité.
(0 Droits sur les porcs, moutons et vaches amenés au marché pour
être vendus.
(8) DroUs snr les porcs mis en vente, pour rinspection de leur langue
par les experts ou esgards par s'assurer s'ils sont sains ou ladres.
700 HISTOIRE
GrandvillerS' AUX -Bois. - L'abbaye y prenait, en 1362
et 1466 , sur la seigneurie, une redevance de 27 mines de blé,
donnée en 1238, par Nicolas de Grandvillers.
Grez. — Une ferme avec la justice, donnée vers 1130 par
Nivard de Grez , le sixième des dîmes, des censives et des cham-
parts. La ferme consistait en un corps de logis avec 4 journaux
d'enclos et 89 journaux de terre labourable. Elle fut vendue par
la nation 44,000 livres à divers particuliers, le 19 janvier 1791.
GiiEHENGNiES {Verderel), — 1^ mouvance d'un fief et des
censives.
Hau COURT. - Le fief d'Haucourt fut vendu, en 1700, au
duc de Bouffters, et Tabbaye ne conserva que quelques dîmes.
Hodenc-l'Evèque. — L'abbaye y possédait jadis (1639) une
maison, deux arpents de vignes, une terre et la dîme; elle ne
jouissait plus que de la dlme en 1789.
HONDAiN VILLE. -- Des dlmcs et des champarts.
JuviGNiES. — Une ferme avec les droits seigneuriaux , des cen-
sives, les dîmes et les champarts d'une partie du territoire, et
5i arpents de bois. Ge domaine provenait en parfie de la dona-
tion faite, en 1148, par Thibault de Beauvais, archidiacre de Beau-
vais, et en partie de celle faite , en 1220, par Hugues et Renaud,
seigneurs de Juvignies. La ferme consistait en un corps de logis
etses dépendances, 3 raines d'enclos et3ii mines de terre. Elle fut
vendue,le6 juillet 1791, 40,200 livres àMarie-AnneLefèvre, veuve
de Jean-Baptiste Floury. Le bois fut vendu à M. de Malinguehen,
le 19 août suivant, 41,800 livres.
La Landelle. — Les bois des Galenges-d'Ons (105 arp.) et des
Domaines (664 arp.), acquis, en 1307, de Guy de Beaumont, sei-
gneur d'Ons-en-Bray.
La Neuville-Saint pierre. — Des droits seigneuriaux.
Laversines. — Une redevance de 13 mines de blé sur un fief
donné à cens.
La Verrière. — Quelques dtmes données, vers 1150, par Wer-
nier de La Verrière.
Lesseville. — Le prieuré et sa chapelle, 26 arpents de terre,
1 arpent de pré, 6 arpents de bois, des dîmes, des champarts
et des censives.
Lhéraule. — Quatorze arpents de bois ont été vendus, en 1700,
au duc de BoufQers , l'abbaye a seulement conservé les dîmes.
DE l'ABBAYB royale DE SAINT-LUGIEN . 701
LUGHY. — La terre et seigneurie donnée par Charles -le-Chauve,
les dîmes, des champarts, des censives, un moulin à vent et des
bois. Les bois, contenant i66 arpents 6i verges, étaient en trois
massifs, le bois de Béhu (7i arp. 48 v.), le bois Emond (54 arp.
72 V.) et le bois Ricard (40 arp. 41 v.)* La ferme se composait
d'un corps de logis avec 3 journaux d'enclos et 200 journaux
de terre labourable. Elle fut vendue, le 28 février 1791, avec le
moulin à vent, 121,700 livres à Jean Bouteille, laboureur à Âu-
chy-la-Montagne,
Maihbeville. — Les dîmes et des champarts.
Maisongelle-Saint-Pierre. — Une partie des dtmes.
Margny-les-Compiègne. — Le fief de Margny, maison, terres,
vignes et champarts, que l'abbaye possédait depuis le commen-
cement du xii« siècle, fut accensé en 1577 à Michel de Waterre,
moyennant 12 écus d'or sol, et en 1704 à la veuve du maré-
chal d'Humières, moyennant 150 livres et deux chapons de re-
devance annuelle.
Maulers. — La terre et seigneurie donnée au xp siècle par
le comte Thibault, la dlme, des champarts, des censives et des
bois. Ces bois, divisés en trois groupes, dits le bois de Béhu
(90 arp. 46 v.), le bois Moyen (il arp. 34 v.), le bois L'Abbé
(12 arp. 12 V.), contenaient 113 arpents 92 verges. La ferme se
composait d'une maison et ses dépendances, d'un enclos de
2 arpents et de 120 arpents de terre.
Haysel. — Un fief provenant des donations de Guillaume de
Mello et du cardinal Gholet.
MiAUROY {Notre'Dame-dvrThil), — Une chapelle avec un enclos
de 18 verges, dans lequel est une fontaine où on vint en pèleri-
nage jusqu'au commencement de ce siècle. Trois moulins, dont
deux à blé et un à fouler le drap , et 79 mines de pré.
MiLLY. — Le prieuré et ses appartenances.
MoNTAUBERT {Thérines). — La terre et seigneurie de Montau-
bert.
MoNTiGNY. — Les dîmes, des champarts et des censives.
MORAINVILLERS. — LCS dlmCS.
MuiDORGE. — La terre et seigneurie consistant en un corps de
ferme et ses dépendances, un enclos de trois mines , 130 mines
de terre labourable, les droits seigneuriaux et les dîmes de toute
la paroisse , des champarts , des censives et 73 arpents de bois.
T. VIU. 46
ion fil8TëlfilB
MoiiiÉtiONt. — La terre et seigneurie, donnée, vers H2O4 par
Girard d'Hanvoile, consistant en un enclos où fût jadis la fennec
34i mines de terre labourable, le champart sur 22 mines de
terre et des censives.
NotRE-t)AM£-bti'TtiiL. — L'enclos de l'abbaye, io arpents de
Vignes, dnq pressoirs banaux, la dime du vin à 4 sétiers dd
la quelle, les prés des Anguillons (17 mines), des Chevaliers
(8 inities), des Relais (20 mines), des Grands- Viviers, les dîmes ^
des censives , le droit de pèche dans le Thérain , le forage , 197 ar-
pents de bois (bois de Brûlet, KO arp. dl v. ; bois de la Ferme,
35 arp. 36 V. ; bois de la Carte , 34 arp. 89 v. ; bois de la Tiliole ,
37 arp. 11 v.), la ferme du Bois, consistant en un corps de logis,
avec enclos, 324 mines déterre labourable, des censives, la
Justice et la seigneurie de toute la paroisse.
PaillàRt. — Les dîmes par donation, vers 1130, de Gautier
le Normand.
PÉRONNB. — Une redevance de 200 livres sur le péage de Pé-
ronne. La redevance primitive était de 418 livres 8 sols 6 deniers
parisis constituée sur les péages de Roye, Montdidier et Péronne.
PissY (Somme). — La terre et seigneurie de Pissy fut aliénée au
xvp siècle pour faire face aux édits de subvention.
Poix. — Deux cents livres sur le péage de Poix.
Pont-Sàinte-Mâx£NGE. — Vingt arpents de pré.
Puits-là-Yallée. — La terre de Puits, provenant des donations
de Gautier Paillart et autres (1240), et de diverses acquisitions
faites au xm« siècle, des seigneurs de Puits, de Philippe de Van-
delicourt (1247), du maire Guillaume, a été aussi aliénée au
xvi« siècle.
Reuil- sur-Brèche. — Plusieurs fiefs provenant de la dona^
tion de Goscelin de Bulles (1075) et d'acquisition d'Odon de Ra-
venel (1247) , des dîmes et des champarts donnés, en 1216, par
la veuve de Jean de Montoisel.
Rieux (Tlllé). — Une redevance de 16 mines de grains sur le
fief Cuisinier, sis à Rieux. Ce fiet, acquis en 1410, avait été
depuis accensé pour cette redevance.
, RoTHOis. — La terre et seigneurie, provenant des donations des
seigneurs de Milly et d'Hélye , vidame de Gerberoy au xir siècle,
consistait en un corps de ferme avec enclos et 200 mines de
terre, les dîmes, des champarts et des censives.
bÈ L'ÀBBATI IkOYALB DB SAINT -tUGIBlT. tOS
BoTANGt. — Les dlttiës et une redevance de 40 muidd de blé
et de S5 muids d'avoine sur la ferme de Tabbaye de Ghaalis.
RoT-BoisdY. — La terre et deigneurie, troife tnoUlind, dont un
à draps et un à huile, 34 mines et demie de pré, 43 mines et
demie de terre labourable, 65 arpents de bois, (le bois de la
Méresse et le bois du Castel), la dlme et descensives.
KozoY. — La terre et seigneurie, aliénée, au xvi* siècle, aved
retenue de mouvance et les dîmes.
Sains. — Les dîmes.
SAiNT-FÉLiî. — La tefre et seigneurie consistant eil un châ-
teau et dépendances, tin pressoir, un moulin, des vignes, des
prés, 1^7 arpents de bois, des terres labourables, une grange
dlmeresse, les dîmes du lieu et des censives.
SAiNT-SULPicE. — Les dîmes.
SAUQUEtsE-SAiNTl^uciEN. — La terre et seigneurie consistait
en un enclos de trois mines où fut jadis le corps de ferme, en
la rue du Cul-de-Sac, 136 mines de terre labourable, 97 arpents
4 verges de bois en trois massifs (le bois Pommier, 39 arp. 29 V.;
le bois de Péronne ou Gravelle, 48 arp. S v.; le bois de Derrière"
ou Blimont, il arp. 70 v.), des champarts et des censives.
Senarpont. — Le prieuré avec ses dépendances.
SÉRY. — Une redevance de 20 livres sur Tabbaye de Séry, créée
en 1286 pour tenir lieu de cinq muids de blé de rente donnés
par le seigneur de Broutelle, en i178.
Thieux. -—La terre et seigneurie consistait en Un château,
deux fermes, dont Tune avait 650 mines de terre labourable, un
moulin , 83 arpents 62 verges de bois , les dîmes , des censives
et des champarts. Une partie de cette terre avait été donnée, aux
xip et xui" siècles par les seigneurs de Thieux, Ascelin, Baoul
et Jean de La Gengle , et une autre partie avait été acquise ,
en 1700, de Joseph d'Estourmel, seigneur dudit lieu. Ces deux
fermes furent vendues par la nation le 15 mars 1792, Tune
84,600 livres et l'autre 205,300 livres.
Thury-sous-Clermont. — Les dîmes.
Trémonvillers. — Une redevance de 4 muids de blé sur la
ferme de Trémonvillers , jadis accensée & l'abbaye de Saint-Just.
Troissereux. — Quelques dîmes.
Verderel. — Quelques champarts.
Verderonne. — La terre a été aliénée au xvi« siècle.
704 HISTOIRE DE l'àBBAYE ROYALE DE SAINT-LUCIEN.
ViLLERS-suR-AucHY. — La terre et seigneurie, consistant en
90 mines de terre et pré et un enclos à côté de l'église , où fut
jadis le corps de ferme, des dîmes, des champarts et des censives.
VlLLERS-SUR-BONNlÈRES. — LCS dlmCS.
Villers-sur-Thère [Pilonne), — La terre et seigneurie, consis-
tant en 90 mines de terre labourable et pré, des bois, les dîmes,
des champarts sur 6 mines de terre et des censives.
Vrocourt. — Quelques prés.
Warluis. — La terre et seigneurie appartenant jadis comme
dotation à l'infirmerie que l'abbaye avait en ce lieu. Cette infir-
merie était régie par un religieux de l'abbaye; mais ayant été
supprimée , ses revenus furent réunis à l'infirmerie du monas-
tère, et ses bâtiments convertis en corps de ferme pour l'exploi-
tation des biens. Ce corps de logis avec ses dépendances , son
enclos de cinq mines, i05 mines de terre labourable, 2 arpents
de pré et 30 arpents de bois composait ce domaine. L'abbaye
avait en outre les dtmes, des champarts et des censives.
Cet état des propriétés de l'abbaye de Saint-Lucien a été dressé
avec les nombreuses pièces qui sont aux Archives de l'Oise.
Telles étaient les sources des revenus de l'abbaye de Saint-
Lucien. Elles ont toutes disparu avec elle; les unes ont été
anéanties par la Révolution comme vexatoires et indignes d'un
peuple libre , et les autres ont été vendues et disséminées entre
les mains de particuliers , mais les malheureux et les pauvres
y ont-ils gagné?
L.-E. DELADREUE et MATHON.
ASES
EH y EÏ^Ï\E
DE l'Époque
GALLO- ROMAINE ET FRANQUE
trouvés à Beauvais.
Dans les fouilles qu'on pratique dans les localités où se trou-
vent des sépultures des temps anciens, les vases en terre font
rarement défaut et se retrouvent souvent intacts, tandis que
ceux en verre sont plus rares et presque toujours on ne les re-
cueille qu'en morceaux.
Nous avons réuni, sur la planche ci-jointe, une série de vases
en verre qui furent découverts à Beauvais, et la variété déforme
qu'offrent ces vases donne plus de prix à cette minime collec-
tion (i).
M. Tabbé Barraud avait acquis, lors de leur découverte, une
(1) Nons aurions dû Inscrire sar cette planche vemri^ ancienne an lieu
de verreriR romaine , car qaelques-ons de ces prodaits de l'art da ver-
rier, dont nous donnons les formes , appartiennent à l'époqae franqne.
706 VA8I8 nr vbbrb
intéressante suite de vases en terre et en verre, des objets en
cuivre et en fer, trouvés dans la commune de Saint-Martin-le-
Nœud, au lieudit le Four-à-Ghaux , distant de Beauvais de trois
kilomètres. Il nous a été possible de les acquérir, ainsi que plu-
sieurs autres vases en verre et en terre et des fibules que feu
M. Bouchard avait recueillis dans des travaux de terrassements
faits tant au cimetière de Beauvais que dans des lieux avoisi-
nants (1).
Le Musée de Beauvais possède aussi quelques-uns de ces fra-
giles et précieux monuments de ces mêmes époques et prove-
nant de la même région.
Nous n'avons pas la prétention d'avoir figuré sur cette planche
une série spéciale de vases en verre anciens, que le temps et la
main des hommes ont sauvés de la destruction ; ce n'est là
qu'une faible partie des formes variées que les Romains et les
peuples qui leur succédèrent dans nos contrées, donnèrent à ces
produits de l'art du verrier, et cet art était tellement avancé
chez les premiers empereurs romains que l'un d'eux fit couvrir
une maison de plaques de verre carrées, adaptées à l'aide d'un
enduit bitumeux, de même que des carreaux en verre, de di-
verses couleurs, étaient alors employés pour le dallage des ap-
partements.
Cette industrie ne cessa point dans nos contrées après l'occu-
pation romaine, et les habitants de la Gaule, ainsi que leurs
dominateurs, sous lesquels la fabrication fut plus grande qu'on
ne le suppose, ne furent que les successeurs d'autres artistes
verriers qui les avaient précédés depuis bien des siècles. Si Pline
nous fait savoir que l'invention du verre est due au hasard,
nous retrouvons des preuves certaines de fabrication de verre
remontant à des époques bien éloignées, par des bouteilles de
verre coloré portant le nom d'un roi d'Egypte, régnant il y a
3,500 ans , qui furent trouvées sur la terre même des Pharaons.
(1) Les collections de ces deux collègues en archéologie sont mainte-
nant, en grande partie, dispersées II nous a été agréable d'en recueillir
ces minimes parties, d'autant plus qu'elles proviennent du sol beau*
vaisin.
Si) f
,',v ^' i
li 1
'.foyUh
VERRERIE ROMAINE TROUVEE _
(Collection de
Imp Lemsrcitr&CJ Paris
^UX ENVIRONS DE BEAUVAIS.
M Malhon)
DB L'jiPOQUK OiIXO-ROlUIini IT FRAlfQUB. 707
Le gobelet (flg. i) en verre verdÀtre, et ayant iO centimètres
de hauteur^ a des parois assez minces; il provient du cimetiëm
de Beauvais et appartient à Tépoque romaine.
La variété de forme et de grandeur des verres à boire, fournis
par les sépultures de ces temps , s'explique par le grand usage
qui en était fait par les Romains (1) : ou les voyait sur les tables
des cabarets, ainsi que chez les gens de la classe la moins élevée,
parce que le prix en était bien minime à Rome.
I^ flacon ou lagène (ûg. S) de verre blanc , était dans une des
sépultures de l'époque franque , découvertes à Saint-Martin- le-
Nœud. Sa hauteur est de 7 centimètres.
La ûole pomiforme (fig. 3), de couleur verte peu foncée, pos?
sède des dépressions à la panse , au nombre de sept, et nous
en donnons le relief (fig. 10). C'est une habileté de l'ouvrier, qui
n'a eu d'autre but, en modelant ainsi ce vase, que de le rendre
plus élégant. On retrouve de semblables dépressions sur des
vases en terre du môme temps. Cette fiole, qui est de fabrique
romaine, a été recueillie non loin du cimetière de Beauvais; elle
a li centimètres de hauteur.
Le petit flacon pyriforme en verre blanc , de l'époque romaine
(fig. A), pourrait être regardé comme un jouet d'enfant aussi bien
qu'un vase à parfbm (2) à cause de son infime dimension , puis-
qu'il n'a que 6 centimètres de hauteur. Il était renfermé dans
un autre vase en verre, qui fut brisé en le retirant de la terre,
dans le cimetière de Beauvais, à vingt mètres de la grande route
de Calais. Le poids de cette petite fiole , d'une très-grande légè-
reté, est de six grammes.
La burette (fig. 5), avec son anse enserpentée vers sa partie
(1) Si Cicéron n'aimait que les petits verres» comme il le dit : me Mêc^
tant minuta pocula, Horace, au contraire, réclamait des verres de grande
capacité : calices m>ajore9, pour boire avec Mécène en rtionneor des vic^
toires d'Auguste.
(2) JuYénal parle, dans sa troisième satire, d'mie petite fiole appelée
guUw, dont le col étroit ne permettait au liquide de s'en écouler que
goutte à goutte, et ces sortes de fioles renfermaient les parfums dont on
se servait en friction sur la peau en sortant du bain.
708 VASfiS EN VERRE
supérieure, possède une forme d'une élégance remarquable. La
partie de l'anse, qui descend au milieu de ce vase artistique, se
partage en deux parties et semble ûgurer deux grilTes en se divi-
sant. Des vases de forme très-analogue se sont déjà présentés,
en Normandie, dans des sépultures du iip siècle, et il y a à
supposer qu'ils étaient modelés par le même artiste verrier du
haut empire. Sa hauteur est de 17 centimètres, et le verre est
légèrement coloré en vert (1). Cette fiole n'aurait probablement
pas été épargnée, si les exhortations d'un père de l'Eglise, du
IV* siècle, avaient été faites un siècle plus t6t : saint Clément,
d'Alexandrie, condamnait à la destruction les vases en verre
auxquels on donnait une forme trop élégante ou trop artistique.
Ce vase, enfoui avant cette recommandation , a été trouvé par
M. Bouchard dans le cimetière de Beauvais.
Le carafon ou lagène, de forme assez gracieuse (fig. 6), est
fait avec un verre verdàtre. Dans la fabrication de ce vase on a
introduit, dans la masse du verre, une matière colorante (qui
nous semble être du manganèse) qui, en se répandant dans les
parois de ce carafon , a formé des ondulations d'une couleur
(1) M. Deville, dans son Hiêloire de Vart de la verrerie, écrit ceci, en
parlant d'une burette semblable à la nôtre : « On est très-porté à croire
que les procédés de l'art anUque se sont rapidement perdus , c'est le
contraire : rimltation du cristal de roche s'était perpétuée au-delà des
premiers temps de l'empire et jusque dans les provinces les plas reculées
et réputées presque barbares. Abandonné à lai-môme, l'art de la verrerie
se fat promplement altéré -, mais praUqué par des corporations où la
manipulation de la matière ef les traditions de métier et d'art s'ensei-
gnaient de l'an h l'aatre, il pat résister à la décadence générale. MéTe
au point de vae de la forme et da dessin , il ne serait pas impossible de
justifier que l'art ne s'était point éteint.
« C'est ce qae nous a révélé une sépalture appartenant au règne de
Maximin , découverte dans un faubourg de Rouen. Dans ce tombeau , k
côté d'une médaille de cet empereur était un grand carafon à anse, dont le
dessin (c'est le môme^qae notre burette) permettra d'apprécier mieax qne
ne pourrait le faire une description , la forme et l'élégance. Nous doutons
qu'on ait fait mieux, aux plus beaux temps de l'art, en fait de vases du
même genre. Un autre carafon, presque identique, a été exhumé sur un
autre point de la Normandie , à Neuville , à la porte de Dieppe. »
DE l'Époque gallo romaine et franque. 709
noire peu intense, et même légèrement violacée. Ces stries fuli-
gineuses, fondues dans le verre, entourent une partie de ce
vase, qui provient de Saint-Martin-le-Nœud. Sa hauteur est de
15 centimètres.
L'autre carafon uni, de 14 centimètres de hauteur, de teinte
légèrement verdàtre (fig. 7), a été fourni par une sépulture de
l'époque romaine, mise au jour dans un champ voisin du cime-
tière de Beauvais.
Les deux flacons (fig. 8 et 9), de forme cylindrique avec une
ouverture évasée, sont en verre blanc : le premier offre, vers le
milieu, une légère cavité de forme ovale, qui a dû se produire
sans la volonté de l'ouvrier verrier; ils sont de même hauteur
(11 centimètres) et accompagnaient des vases en terre dans une
sépulture du cimetière de Beauvais. Le n» 8 est irisé (1J.
La tasse (fig. Il) à bord rond , en verre blanc, se rapproche
d'une patène ; elle a, dans sa grande largeur, 10 centimètres.
M. l'abbé Barraud l'avait eue à Saint-Martin-le-Nœud.
Le bocal carré, à quatre pans (fig. 12), et muni d'une large
anse, est fait d'un verre épais de couleur foncée, analogue à
celle du verre à bouteille. Si ce vase, qui a 11 centimètres de
hauteur, était de plus grande dimension, on pourrait le classer
parmi les urnes cinéraires qui, généralement, sont faites de
verre uni comme ce flacon , et dont la destination était de con-
tenir les cendres des morts. Il a été découvert sur l'emplacement
du Franc-Marché de Beauvais.
(1) L'irisation du verre s'observe même sur <les verres enfouis depuis
peu d'années, et à plus forte raison la retrouve- 1- on plus accentuée sur
ceux de temps très-reculés. La combinaison de la silice avec la potasse
et la soude, ne se retrouve pas dans le même état par suite d'une certaine
décomposition que l'humidité fait subir k la surface de ces verres qui ont
séjourné dans des terrains humides pendant un long temps. D'autres vases
en verre , qui ont été extraits de mêmes sépultures . se brisent parfois
lorsqu'ils sont de nouveau exposés a l'air : c'est ce qui est arrivé à un
beau vase en verre blanc trouvé par feu M. Moisset dans un terrain voisin
de son habitation, au faubourg Saint Jacques. Il se brisa après quelques
annCes de son extraction du sol. Cette destruction s'explique par le chan-
PTPn^onf molrc::lairo que le verre éprouve sous rinfiuence de l'air et de la
iuijiiire.
710 vuu m Tiiu
Le barillet (fig. 13) a été trouvé dans un champ Ritué à Textré-
mité de la ruelle aux Loups. Nous avons ramassé des débris de
plusieurs semblables barillets dans des sépultures voisines , et
nous en figurons les anses (fig. 24 et 26), qui sont en forme de
pouciers. Il est à présumer que ces vases, en forme de barils,
provenaient d'une fabrique existant dans un lieu de Normandie
ou de Picardie. On en retrouve , de forme identique , dans les
musées de Rouen et d'Amiens. Ces barillets ressemblent à un
baril garni de cercles. Ils avaient été faits à l'aide d'un moule,
comme le fait voir une bavure longitudinale ou bourrelet, qui
se trouve des deux côtés du verre. Les lettres fro, qui se lisent
en relief sur la partie inférieure (fig. 25), indiquent qu'il pro-
vient de la fabrique d'un nommé Froniinut, maître verrier du
temps, et que l'on croit avoir existé au ii« ou iii« siècle de notre
ère.
Un barillet, conservé au musée d'Amiens, porte, de même
que celui-ci, ces trois lettres fro, abréviation du mot FrontinuM,
Le n()tre est en verre de couleur légèrement verte et a 2i centi-
mètres de hauteur et 12 de largeur à sa base.
Les anses de ces barillets étaient adroitement faites à l'aide
d'une bande de verre qui était plus ou moins régulièrement on-
dulée, lorsque le verre sortait du feu. Dans le flacon figure 12,
les stries sont plus régulières. La jonction de ses anses aux
flacons et la disposition de leur adhérence font juger que la
main qui les appliquait possédait le même modiis faciendi,
La fiole ronde , surmontée d'un long col et renflée à sa partie
inférieure (fig. i4), a une ouverture un peu évasée; elle pourrait
s'appeler, de nos jours, un verre mousseline, étant d'une té-
nuité surprenante (i). Elle se trouvait dans un sarcophage en
pierre de l'époque romaine , découvert dans un champ situé au
haut de la côte du Franc-Marché. Nous avons quelquefois ra-
massé des parties de vases en verre aussi légers sans pouvoir en
(1) Ce vase fait juger de l'habileté des oavriers verriers romains , et
parmi eux, un des plus expérimentés était parvenu, dit Pétrone, à ol>-
tenir des vases en verre flexible, ce qui fit dire à M. Sainte-Claire Deville
qu'il s'inclinait devant le verrier romain qui, il y a dix-huit siècles, avait
presque découvert raiumininm. {MonUew du 20 mai 1864.)
DB Ii'lipOQUK GAUO-BOMAINB BT fBÀNQUB. 711
rétablir la forme primitive. Ce vase a il centimètres de hauteur
et se rapproche des verres légers auxquels on donnait le nom
de verres ailés qui se fabriquaient sous Néron, et qu'un poète
latin appelait nuage de verre {nimbus vitrew).
Le fond de cette bouteille s'est détaché , et il nous a été impos-
sible de le réunir à la partie supérieure en suivant le procédé
de raccommodage qui consiste dans l'emploi de la chaux et du
blanc d'œuf ; c'est le plus certain et souvent usité par les res-
taurateurs de faïence et de verrerie ; il est préférable aux gommes
et aux colles liquides ; nous dirons que c'est le plus ancien pro-
cédé, car c'est celui que Pline indiquait pour rétablir les vases
en verre qui étaient en morceaux : candidum ex ovis admixtum
ealei vivm gluiinat vitri fragmenta,
La coupe figure 15, en verre blanc légèrement jaunâtre, a
des traits rédervés en blanc , formant, par leur disposition, des
feuilles allongées se joignant entre elles par leurs extrémités. Ces
feuilles, contournant la surface du vase, sont au nombre de
huit, et la largeur de cette coupe est de 9 centimètres.
Le vase à boire (flg. 46), de l'époque franque, provient,
comme la coupe précédente , du four à chaux de Saint-M artin-
le-Nœud. Il imite une cloche renversée. Ce vase est de couleur
blanche jaunâtre et à 8 centimètres de hauteur.
Le gobelet à boire, sans pied , de 45 centimètres de hauteur
(flg. 47), qui accompagnait le n» 46, est couvert de lignes striées
se développant en spirale depuis la partie inférieure. Ce complet
enrubannement diminue la vulgarité de ces sortes de vases.
Celui-ci, de l'époque franque, a une ouverture de 7 centimètres
de largeur.
Les petites fioles dites lacrymatoires, qui se trouvent si com-
munément dans les sépultures, ont souvent une forme identique;
elles sont à culot arrondi, comme les figures 18 à 24, et devaient
recueillir les larmes versées pendant les funérailles ou renfermer
des parfums qu'il était d'usage d*employer dans ces cérémonies.
Après les avoir répandus sur les cendres des morts, on réunis-
sait les fioles vides dans les sépultures, avec les gobelets et
coupes qui avaient contenu des liquides : du vin, du lait ou du
miel. Ces fioles allongées sont parfois d'un bien petit module.
Celle figurée sous le n^ 48 à 40 centimètres de hauteur.
— sous le n<> 49 à 44 — —
7i2 VASES BN VERRE DE L EPOQUE GALLO-ROMAINE ET PRANQUE
Celle figurée sous le n" 20 à 5 centimèlres de hauteur.
Les floles n<** 22 et 23, de 12 centimètres de hauteur, ont les
parties inférieures de forme évasée; ces formes sont plus rares
que les précédentes. Ces six fioles furent découvertes dans plu-
sieurs sépultures aux environs du cimetière de Beauvais, et
quelques-unes sont fortement irisées.
Nous avons peu parlé de la fabrication des verres antiques et
de leur historique, n'ayant à faire connaître qu'un petit nombre
de spécimens de ces monuments si fragiles, et qui se réfugient
dans des collections particulières ou se conservent dans les mu-
sées. Tous ces produits anciens de Tart du verrier, trouvés dans
des provinces voisines Tune de l'autre , ont une origine presque
commune; ils devaient être l'œuvre d'artistes ou d'ouvriers atta-
chés à des fabriques locales, comme le prouve le barillet flg. 13,
possédant les premières lettres du nom du maître verrier. Et
s'ils ne sont alors que les successeurs des verriers qui les avaient
précédés, depuis bien des siècles, dans cette industrie, ne peu-
vent-ils pas, à leur tour, être considérés comme la première
souche de ces grandes familles de nobles verriers qui possédè-
rent, pendant plusieurs siècles, de si grands privilèges et des
titres de noblesse dans la Picardie, et principalement dans la
Normandie.
MATHON.
SECTION DES SCIENCES
DE LA
VÉGÉTATION DU DÉPARTEMENT DE L'OISE,
DEUXIÈME PARTIE.
mmilOi BÛTANIOUË DU DtPÀRTËMËl DE «
ou
CATALOGUE DES PLANTES
OBSEHVÉKS DANS L'ÉTENDUE DU DÉPARTEMENT DE L'OISE,
Par L. GRAVES,
RÉVISÉ, A.NNOTÉ ET AUGMENTÉ
Par IIPPOLTTB lODIHJ .
714 ESQUISSE DE LA viGiTATIOlf
SoixaDte-qaatonième Famille. — PLOlBAGlNfilSJodi.
(Nom tiré du genre Plombago.)
Aruei'lll 4 Wllld. (Enum. bort.). — Armérla.
Elym. — Da oeltiqae , ar mor, bord de la mer ; allusion k la localité de l'espèce
principale.
952. Ar$ne^ia plantaginea, Willd. — Arméria à feuilles
de plantain^ Herbe au cancer, Malherbe dentelaire,
T. G. ?. Eté. — Sur tous les sols sablonneux, ceux de la vallée
de Bray exceptés. Sols tertiaires. On n'en trouve pas un seul pied
dans le canton de Sougeons; commune dans les cantons de
Senlis, de Belz et de Crépy.
b. longibracteata , Boiss. — Folioles extérieures de l'in-
volucre dépassant les capitules. — Nointel; Warluis; Al-
lonne; Le Ménillet, près Méru.
Solxante-qamzième Famille. — GLOBlLARlfiES, DC, FI. fr.
(Nom tiré du genre Globularu.)
«loUalnHlb • Liti. (geti. n* 11!^).^ «lolialatre.
Etym. — De Globulnt, en latin, petite boole; les fleors sont réonies
en petites boules.
953. GlobulaWa Vulgaris, Un, — Globulaire commune,
Marguerite bleue , Boulette,
Pelouses des bosquets du mont de Hermès ; forêt de Hez !
friches de Warluis; Rieux, près Tillé! coteaux calcaires du côté
de Froidmont et lisière du bois; bols de Labrosse, près Lian-
DU DiPARTBMfelIT M L'OISS. 715
court-Sain t-Pierre ; LeVivray! Quincampoix! Rosoy ! Verderonne;
butte d'Aulmontl Saint-Germer! mont Saint-Siméon , à Noyon!
Plessis-de-Roye ! Ganectancourt ! Béhéricourt; Porquéricourt !
Ganelon, du côté de Janville! collines d'Atticby! Fontenay, près
Pierrefonds! La Fontaine-aux-Glercs ; bois de Donneval, près
Orrouy I Vaumoise ! Fulaine ! coteaux de Saint-Sauveur ! Rober-
val 1 lisière de la forêt d'Halatte ; Bailleval , bois de la Montagne !
marais de Sacy-le-Grand ; Glos-de-la-Barre , dans la forêt de
Ghantilly ; forêts de Gompiègne et de Laigue; Vaumoise ; Mareuil-
sur-Ourcq. !
b. flore albo, — T. R.
A. R. V' Mai-juin. — Pelouses sèches, flriches calcaires et clai-
rières des sols sablonneux. , \
Les feuilles sont amères , légèrement acres et purgatives. ^ \
La Globulaire est un purgatif qui exerce en même temps une
action tonique; elle purge sans produire ni irritation, ni nausées,
ni coliques. Il faut employer la décoction de feuilles sèches en
mettant 16 grammes par kilogramme d'eau. L'ébuHition doit
durer huit à dix minutes, afin que Teau puisse s'emparer de |
toutes les parties actives de la plante. '
Soixante-seizième Famille. — NYGTAGINÊES (Eodl.).
(Nom tiré du genre Nyctago.)
Nous n'avons jamais vu dans le département de TOise aucune
plante de cette famille hors des jardins.
716 BSQUISSB DE LA VÉGÉTATION
PLAWTSS ITASGUIiAIBISS,
PREMIER EMBRANCHEMENT.
EXOGÈNES OD DICOmÉDORÉES.
QUATRIÈME CLASSE. — MOKOCBLAM VDÉES.
Périgone nul, rudimentaire , ou simple et herbacé ou pétalo!de,
libre ou soudé à Tovaire (double dans quelques genres).
SoixaDte-dirseplième Famille. — PHYTOLACCÊES (R. B.).
{Nom tiré du genre Phytolacga.)
PHytolaeca, LId. (gen. n* 588). — Pliytolaaae.
Etym. — Du grec p/iulon, plante ; lacca, laque : allusion au suc rouge du fruit.
954. Phyiolaeea decandra. Lin. — Raisin d'Amérique,
Herbe à la laque.
Originaire de lA'mérique du Nord et de la Chine. Est assez
souvent cultivé dans les jardins. On le rencontre très-rarement
à rétat subspontané au voisinage des habitations.
^. Août-septembre.
DU DÉPARTEMENT DE L*OISB. 717
SoixaDle-dii-buitièaie Famille. — AlARikNTAGfiES, Jossien.
{Nom tiré du genre Amarantus.)
Fleurs naissant à l'aisselle des feuilles;
étamines à filets soudés à la base;
feuilles linéaires subulées, sessiles. Polycnemum, Lin.
jFleurs naissant à Taisselle de bractées;
étamines à filets libres; feuilles ovales
ou rhomboïdales pétiolées 2
Fruit à péricarpe se coupant circulaire-
ment vers le milieu de sa hauteur... amarantus y Lin.
Fruit à péricarpe indéhiscent se déchi-
rant irrégulièrement Euxolus^ Rafin.
2
Amaranlas, Lin. (gen. ii* 1060). — Amarante.
Etym. — Du grec amaranthos, qui ne se flétrit pas. Les anciens avaient consacré
1* Amarante aux morts et la plantaient souvent autour des tombeaux.
Bractées raides, piquantes,
deux fois aussi longues que
^ ^ le calice; étamines 5 Amarantus rétro flexus, Lin.
Bractées environ de la lon-
gueur du calice; étamines3. Amar, Blitum, Lin.
955. AmavanîU9 reiroflexus , Lin. — Amaranthe ré-
fléchie.
Chemin de Bretagne, à Saint-Jean, près Beauvais; Le Lys,
Lamorlaye , canton de Creil ! Thury-en-Valois ! Margny-les-Com-
piègne ! Senlis ; Macquelines ; Saint-Just-les-Marais.
A. R. ®. Eté. — Lieux cultivés, décombres, pied des murs,
bords des chemins, voisinage des habitations. Cette espèce pa-
raît avoir été importée du midi.
s. V. pusiilus. — Faubourg Basset, ai Beauvais;
Notre-Dame-du-Thil.
T. VIII. 47
718 ESQUISSE DE LA VlhSIBTATIOlf
956. ilittar. BlHum, Un. — Mnarante Bléte.
Faubourg Basset et pré Martinet, à Beauvais; Chauinont!
Ghantflly! Senlis! Safnt-lust-les Marais, au marais de Savoie;
Gariepont; Tiiury- en- Valois ; rare dans les cantons de Betz et de
Crépy.
G. ®. £té. — Lieux cultivés, jardins, décombres, pied des
murs. Peut être mangé comme légume.
b. diffasus, — Tige couciiée, étalée; rameaux à peine
redressés.
s. y. macuiatus. — Feuilles présentant en dessus
une large tache blanchâtre,
s. V. ascendens, Lois.
Les botanistes ont établi entre eux de savantes discussions
pour savoir quel était le véritable Atnar, Bîitum, Lin. H. Moquin-
Tandon réunit cette espèce à YAmar. sylvesiris, Desf., opinion
appuyée par cette phrase de Linné, dans son Species, sur l'inflo-
rescence de cette plante : « glomerulis lateraiibus, » et par la
confrontation de la plante même dans Therbier de cet illustre
auteur. MH. Grenier et Godron en ont fait deux espèces diffé-
rentes.
VAniar. aibus, Lin. (1), originaire de TAniérique septentrio-
nale, se rencontre de temps à autre échappée des jardins; elle
se propage de proche en proche du midi , vers Paris.
11 en est de même de VAmar, paniculatus^ variété Mnçuitieus.
Cosson et Germain font une sous-variété des Amaranius ayant
sur les feuilles des taches blanches. On trouve souvent^ sur un
même pied , des feuilles tachées , d'autres qui ne )e sont pas ,
d'autres enfin dont la tache est à peu près nulle.
Baxolus, Raûn. (FI. Tell.) — Euxole.
Ëtyni. -» Du grec eu xein, bien polir ; allusion è la surface du fhilt.
Plante annuelle; tige glabre.. Euxo(usvind{s,Uoq.-T^nû.
I Plan te vivace, à souche ra-
meuse; tigepubescente dans
sa partie supérieure Eux. deflexus , Rafin.
\
957. EuQColum viridis, Moq.-Tand. Euxote vert
DU AÉFiftTBlTBMT 1>B L*OISB. 719
Beauvais, faubourg Saint-Quentin; église deLamorlaye! Méru!
Uaucourtet Verderonne! Mortefontaine! Compiègne! GarlepontI
Thury-eo-Valois! Marissel ; Noyon ; rare dans le canton de Crépy ;
Seniis; Chaumont; Chantiliy.
A. C. ®. Eté. — Lieux cultivés , pied des murs , décombres.
%,y. macuhtus, — Feuilles présentant en dessous
une large tache blanchâtre. Plante alimentaire. C'est
YAmar, ascendens, Lois.; Amur, viridis, Lin., pro
parte; Amar, Blitum, L.
058. Euac. deflexus, Rafln. - Euxole couché.
Boulevards à Beauvais.
f. T. R. '¥. Eté. — Plante de l'ouest et du midi. Accidentelle.
Polycnemnm • Lio. (gen. h*" 53). — Polycnéme*
Et) m. — Du grec polm^ beaucoup; \iémé, iirticulatioii ; n'est-àniiro, tige noueuse.
959. Polyene^nuwè arvense, Liu. — Polycnéme des
champs.
a. arrense. — Friches de FouqueroUes , de Laversines et
de Nivillers; moulin de Clairoix ! Aiguisy ! Saint-Sauveur!
Béthisy- Saint-Pierre! champs sableux entre Seniis, La
Chapelle-en-Serval et Morlefontaine! Le Longmont, près
Sainl-Vaast! Noël-Saint-Martin ! Cuvergnon ! Bouillanc> !
Antheuil-en-Valois ; Marolle; Betz; garenne de Bourne-
ville; mont Ganelon; Verberie. — Tiges ordinairement
étalées ou couchées; bractées latérales scarieuses environ
de la longueur du calice.
b. mojus. ^ Bractées latérales scarieuses bien plus lon-
gues que le périgone. Plante très-robuste, à tige ascen-
dante. Cette variété est plus commune chez nous que la
précédente.
H. d). Eté. — Moissons des terrains maigres , champs sablon-
neux.
La famille des Amaratitacées a quelque ressemblance dans
le port avec celle des SaUolacéet, et des rapports dans la struc-
ture du fruit avec celle des Nyetaginées; mais, suivant Jussieu.
elle est Iràs-voisine des Caryophyllées^ dont elle ne diffère que
720 B8QUI8SB DS LA VKGBTATIOH
par l'absence de la corolle, et près de laquelle on doit peut-être
la placer si on considère cette absence comme un simple avor-
tement. Les yémarantacées sont disséminées, par tribus, dans
les contrées chaudes du globe, entre les tropiques. Il est plus
que probable qu'elles ont été Importées en Europe de l'Afrique
ou de l'Asie, dès les temps les plus anciens, avec les céréales,
car on ne les trouve chez nous que dans les lieux cultivés. Elles
se sont donc propagées malgré l'homme.
SoiuDle-dix-Deufièaie Famille. — SALSOLACfiES, Moq.-Taod
(Nom tiré du genre Salsola.)
Fleurs monoïques ou diolques : fleurs
femelles, toutes ou la plupart dépour-
vues de calice et munies de bractées
opposées, appliquées l'une contre
l'autre et s'accroissant en forme de
valves itriplex, Tourn.
Fleurs hermaphrodites, rarement diol-
ques ou polygames ; calice à 3-5 rare-
ment 2 sépales libres ou soudés in-
férieurement, plus rarement soudés
en une enveloppe capsulaire qui ren-
ferme le fruit 2
Tleurs diolques; calice à sépales soudés
en une enveloppe capsulaire, souvent
épineuse, renfermant le fruit Spinacia, Tourn.
Fleurs hermaphrodites , très-rarement
polygames ; calice fructifère herbacé,
charnu-succulent ou induré, à sépales
jamais soudés en une enveloppe cap-
sulaire 3
Galice fructifère à tube ligneux-drupacé;
, , péricarpe induré, soudé inférieure-
ment avec le calice; graine à testa
membraneux Beta, Tourn.
DU DÉPARTEMENT DE L'oISB. 721
Calice fructifère, herbacé ou chamu-
3 l succulent, jamais soudé avec le péri-
carpe ; graine à testa crustacé 4
/ Graines toutes ou la plupart horizou-
l taies-déprimées ; calice fructifère her-
. ) bacé Chenopodium, Lin.
i Graines toutes ou la plupart verticales,
comprimées; calice fructifère herbacé
ou charnu-succulent Blitum, Tournef.
Clienopodliim , Lin. (gen. w 309). — Annérlne.
KtfDi. — Du grec chên, oie, pous, pied; à cause des feuilles palmées de certaines
espèces.
( Feuilles ovales entières â
i I Feuilles anguleuses ou den-
( tées 3
Feuilles glauques farineuses,
y ovales-rhomboïdales; odeur
2 <, très-fétide. Chenopodium Vuharia^ Lin.
y Feuilles vertes, non farineuses;
! odeur non fétide Chen, pohjspermum^ Lin.
Feuilles charnues ou pulvéru-
, lentes en dessous 4
3 i
Feuilles minces, vertes, non
'\ pulvérulentes Cheii, hybridum^ Lin.
Feuilles très-blanches en des-
sous ; tige étalée Chen. glaucum^ Lin.
iFeuilles vertes ou blanchâtres
en dessous; tige droite — S
/ Fleurs en grappes à peu près
l simples, serrées contre la
5 ^ lige Cheni, intermedium^ M. et K.
^Fleurs en grappes ramifiées ou
[ en cymes terminales 6
Feuilles toutes ovales, rhom-
boïdales ou dentées Chen, murale, Lin.
Feuilles inférieures rhomboï-
dales oblongues Chen, album, Lin.
792 I80ITI988 DB LA VBGiTATiON
A. Feuilles ovales entières.
960. Chen. polyspermum , Lin. — AnsMne polysperme.
LaNeuville-en-Hez; chemia de Bretagne, à Beaufais; pré Mar-
tinet, à Beauyais; Thury ; Bargny ; berges du canal de TOurcq;
Mareuil-sur-Ourcq ; gare de Compiègne! Liancourt! boisdeCau-
brière et d'Aiguisy, près Remy * Anel !
Il a été ainsi nommé à cause de ses petites grappes nom-
breuses, grêles, rameuses, qui produisent une grande quantité
de petites grappes.
s. V. acutifoUum. — Feuilles ovales-oblongues ai-
guës. — Pré Martinet, à Beau vais
K. spicafo-raremogum , Koch. — L'Italienne; Flamber-
mont.
b. cymoxo-racemosumy Kocli. — Grappes ramifiées diclio-
tomes. — Canal comblé a Beauvais, sur les boulevards:
prairie de Bulles; tourbière}^ d'Auxmarais; La Neuville-
en-Hex.
A. C. T'. Août-septembre. — Lieux cultivés.
96i. Chen. Vulvaria, Lin. — .Insérine tulraire, insérine
puante^ Arroche puante, J rroche fétide , Herbe de Bouc, Fulvaire.
T. C. ^. Eté. — Lieux incultes, bords des chemins, pied des
murs. Commun àBeauvais; Betz; Autheuil.
Le Chen. Botrys, L., a été trouvé à Méru; Montagny ; au mont
Renaud , près Compiègne. Indigène dans le midi de l'Europe et
cultivé dans les jardins du nord. H a pu (îlre apporté dans les
champs des localités citées avec les déblais des Jardins et les
fiyniers. En tout cas, il n'est pas spontané. La même observa-
tion est applicable au C/ien, ficifolium. Smilh., trouvé à Grand-
villiers, Crevecœur, Conchy-les-Pots, Chanh'lly.
Les SaUolacées ont beaucoup d'afflnité avec les Amaranta-
cées. Elles aiment les sols imprégnés de sels marins ou un ter-
rain où se putréQent des matières organiques. Les Salsolacées
durèrent des Urticées par la présence d'un périsperme et la réu-
nion plus ordinaire des deux sexes dans une même fleur. Ce
sont des plantes qui s'attachent aux pas de l'homme , même
dans les colonies.
Toutes les espèces du genre ont reçu le nom vulgaire de Pattes
(toie,
B. Feuilles anguleuses ou dentées.
963. Ch0napodiun% hybridum^ Lin. — Ansérine hy-
bride , Patte d'oie hybride.
Cette espèce a une odeur forte et les feuilles très-anguleuses,
vertes sur les deux faces, assez semblables à celles du Datura
stramonhitn,
Beauvais; Marissel; Senlis; Beaulieu; Ribécourf; Noyon; Bets;
Autheuil-en- Valois; Merlemont; marais de Bresles; Agnetz;
Bulles.
C. 0. Juillet-septembre. — Lieux cultivés et sablonneux,
champs, rues et chemins.
963. CÊ^en, intermedium, Mert et Koch. (Chen. urbicum,
Lin.). — insérine des villages (variété intermédiaire), Darnebd-
tarde.
Cette espèce aies feuilles deltoïdes, dentées, un peu char-
nues ; elle est nuisible aux cultures.
A. H. ^. Juillet-septembre. — Surtout dans les faubourgs des
villes : Heauvais, Compiègne, etc., au bord des chemins.
964. Chen, murale ^ Lin. — Ansérine des murs.
Beauvais; Essiiiles; SaintGermain-les-Complègne; Hémévil-
1ers; champs k Litz; Mareull; \aumoise.
T. C. (D* Eté. — Lieux incultes, décombres, pied des murs,
voisinage des habitations.
s. V. inkrophyllum, — Feuilles beaucoup plus petites
que dans le type.
965. Chen, album ^ Lin. — Ansérine blanche^ Fourgon^
Patte d'oie, Ansérine.
Nuisible aux vignobles.
T. C. 0. Eté. — Lieux cultivés. Feuilles jamais divisées en
^ lobes. Plante mal nommée en partie.
a. album. — Poule grasse. — Plante blanche, farineuse;
glomérules gros, en épis épais, compacts, dressés.
724 BSQUISSB DB LA ?ÉGBTATIO!V
g. V. microphyllum >
b. viride, Thuîl. — Diffère en ce qu'il csl d'un vert foncé,
non pulvérulent; feuilles verles sur les deux faces, ovales
ou lancéolées, toutes entières; grappes ordinairement
allongées, à glomérules espacés; tige rameuse.
c. lanceolatum^ Mûlh. — Feuilles vertes, ovales-lancéo-
lées ou lancéolées, entières; grappes allongées, lâche-
ment interrompues.
A. R. — Chemins et terrains secs à Beauvais, Saint-Jean, bou-
levards de la ville. Peut être emplo>ée comme un aliment léger
et rafraîchissant.
966. Chen. glaucum, Lin. ~ .4nsêrine glaw/ue.
T. C. d). Eté. — Décombres, champs, lieux cultivés, terrains
humides.
s. v. microphyUum. — Plante rabougrie à feuilles
très-petites. — Chemin de Bretagne à Beauvais.
s. V. erectum.
Blltum, Ltu. — Bitte.
Etyni. — Du grec blitton, bette « ou du celtique hlHh, sans saveur; île rinsipidité
de ces plantes.
/Plante vivace; feuilles un peu
pulvérulentes ; glomérules
en grappes non feuillées. ..BtUum Bonus-Henricus, hchh.
i 'Plante annuelle; feuilles lui-
j santés; glomérules eu grap-
1 pes, la plupart feuillées ou
\ en tètes axillaires 2
Calice charnu-succulent à la
l maturité; graine à bord ca-
f^ ^ naliculé Biit, virgatu?n, Lin.
(Calice herbacé ou à peine char-
nu à la maturité; graines à
bord obtus non canaliculé. BHf. rubrum^ Rchb.
967. BUium Bonus -Henricuê, Rchb. — BNte Bon-Henri,
DU DÉPARTEMENT DB L'OISK. 7S5
Feuille de Grape^i, Toute- Bonne, Epinard sauvage, Ansérine Bon-
Henri , Ansérine sagittèe.
Saint-Jean et Saint-Quentin, à Beauvais; marais de Bresles;
Grandvilliers ; Thury-en-Valois; Rantigny ! Monchy-IIumières !
Relhondes et le Francport ! forêt de Compiègne, à la Muelte;
Essuiles; Agnetz; Launay; rare à Bulles.
T. C. ?. Eté. — Pied des murs, lieux humides, terres grasses,
bord des chemins. Plante plutôt alimentaire que médicamen-
teuse dont la réputation est usurpée, car elle est presque inerte.
Cette plante, inconnue aux botanistes anciens, a été consi-
dérée p:;r ceux dumoyen-àge (Fuchs, Lobel, etc.) comme douée
de qualités si excellentes qu'ils Tout nommée Toute- Bonne {Tota-
Bona) ou Bon-Henri,
968. Bliî. rubruniy Rchb. — Bitte rouge.
Dans les chenevières de la vallée de l'Aisne, à Cuise-Lamolte;
Beauvais et Senlis.
Il se rapproche beaucoup du C/œn. urbicum. On l'en distingue
à ses feuilles, plutôt rhomboldales que triangulaires, plus pro-
fondément incisées et plus souvent rougeâtres, surtout en leurs
bords , à sa tige plus rameuse et surtout à ses grappes plus al-
longées, plus branchues, toujours entremêlées de feuilles, et
qui, au lieu de s'élever perpendiculairement, s'écartent de la
tige, surtout dans le bas de la plante.
A. C. ®. Juillet-août. — Fumiers, décombres.
969. BlU. virgatum, Un. — Bliteeffllée, Epinard fraise ,
Blette allongée f Arroche fraise.
Saint- Jean, à Beauvais; autrefois à la porte Saint-Rieul , à
Senlis; Noyon; Compiègne; Thury-en-Valois; bords de l'Aisne,
à Choisy-au-Bac; Lîancourt!
f. A. R. ®. Juillet-août. — Provenant sans doute des jardins.
Le Blit. capitatum, Lin., se trouve quelquefois au mont Ca-
pron, près Beauvais; au marais de Bresles; à Senlis; Compiègne;
Méru; Thury-en-Valois, mais toujours provenant de graines de
jardins sur des décombres, des fumiers.
Le caractère essentiel qui distingue les Blitum des Càenopo-
dium ne repose que sur la direction verticale et non horizontale
de la graine ; à ce point de vue, le Chenopodium glaucum^ par
n% liOUiMi Bi tk véaif ATiw
ses graioss boriiontales inéMes de (fuelqnss uitrss vertleales,
fait le passage du genre Chenopodium au genre BHtnm. Etamlaes
1 -t oa 3. Calice 3-4 ou S flâes.
Atrlpl«x, Toornef (Inst. t. 988). — Arroelie.
Etjrm. — Incertaine.
Valves du périgone des fleurs fe-
melles membraneuses, larges,
suborbiculaires « 4trlplex hortensh, Lin.
Valves du périgone des fleurs fe-
melles herbacées, triangulaires. . 2
! Feuilles inférieures et moyennes
hastées-tronquées à la base. . . . Jtrip. hastata, Lin.
Feuilles toutes atténuées en coin à
la base itrip, patuta. Lin.
970. Aiv^iplmae horfensis, Lin. — Arrœhe deê jardins^
Belle-Dame^ ÂroMêe ^ Àrroche , Bonne' Dame , Chou d'amour^
Rouble y Follette,
Cette plante, originaire.de l'Asie, cultivée dans tous les jar-
diuif, se rencontre çà et là autour des habitations. Subspon-
tanée. Alimentaire. Graines purgatives.
|. A. K. d). Août. — Décombres, pied des murs.
s. V. rubra. — Plante d'un rouge de sang dans toutes
.«es parties,
b. microsperma. — Plante assez grêle; valves du calice
fructifère plus petites de moitié que dans le type.
971. Aiwip. hasiata, Lin. — Arroche hastée.
a. latifolia. - Beauvais; berges du canal de TOurcq, à
Mareuil, à Neufchelles; berges de roise, à Crell; Com
piègne; Senlis; Héru. — Feuilles vertes, triangulaires,
hastées, plus ou moins dentées; tige droite.
C. 0. Juillet-septembre. — Terrains incultes et sablon-
neux.
b. ifi/<^o«pérma, Willdst et Kit. ^ Tige droite, lisse,
striée, élevée, à rameaux effilés, ouverts; feuilles larges,
DO DiPAtTBMBNT Dl L'OIM. 727
triangulaires, vertes, plus on moins dentées, loutes op-
posées; valves calicinales, entières sur le bord ou munies
d'une petite dent à l'angle inférieur, lisses sur le disque.
Chemin de Bretagne, à Saint-Jean, près Beauvais; cbamps
entre Chantilly et Gouvieux.
972. Airip, patula. Lin. — Àrroche étalée.
Clermont; Senlis; Thury; Cuvergnon; Beauvais, etc.
Tig ' anguleuse , sillonnée , striée.
T. C. 0. Eté. — Bords des chemins et des champs, dans les
cultures , décombres. Graines purgatives.
iN^iisible aux vignobles.
Nous avons trouvé VMrip, maHtima, en septembre 1856, sur
la berge du canal, à Beauvais, provenant sans doute des graines
apportées dans les laines de MM. Têtard. Nous attribuons la
même origine à VAtHp, fiftoralis, Lin., que nous avons trouvé
plusieurs fois autour de leur usine.
Le suc laxatif et diurétique des Arroches contient du nitrate
de potasse 11 peut être utile dans les' maladies inflammatoires.
Bela, Lin diist. t. 286'. -- Belle*
l'Iym. — Du celto bett , roiig«»: allusion h la coloration dvs raoines do certaines
<'sp«»co8, ou un grec hétn, à cnusode sa forme on rein B <|uo présente In «graine.
973. Beia vulgaris, Lin. — nef te commune^ Bette btanche^
Hncine de disette,
a. cicla , — Poirée ^ ffette-Carde, Carde blanche , Carde
blonde ou rouge. - Racine dure, peu développée, c>lin
drique; nervures moyennes des feuilles très-charnues.
b. rapacea, — Betterave. — Racine grosse, charnue,
épaisse, fusiforme, k chair rouge, jaune ou blanchâtre.
i. C. CD ou ij). Juillet. — Cultivé en plein champ et dans les
jardins. Alimentaire.
Wpluacla. Tonrntf (InBt. f. 308:. ^ I9pliifir4.
Kym. — Du latin npina, épine : allusion au fruit armé île piquants.
i Calices fructifères épineux Spinacia spinom, Moench.
' Calices fructifères sans épines. . Spia. inermU, Mœnch.
728 BSQUISSB DE LA VEGETATION
974. Spinaeia spinosa j Mœnch. — Epinard épineux.
Balai de testomac, Epinnrd cornu^ Epinard d hiver.
T. V. Eté. — Généralement cultivé dans les jardins potagers et
subspontané autour des habitations. Alimentaire.
975. Spitl. inermiSj Mœnch. — Epinard .saris cornes ^ gros
Epinard, Epinard de Hollande.
Même observation.
Les feuilles des Salsolacees, en raison de la quantité de muci-
lage qu'elles renferment souvent, sont émollientes et peuvent
être administrées sous forme de tisane ou de cataplasme.
Ouatre-viDgIième Famille. — POLYGONÊES, Jussieu.
{\om tiré du genre POLYGONUM.)
. Sépales à peu près égaux Polygonam , Lin.
1 ) Sépales intérieurs plus grands que les
f extérieurs Rufnex,Un.
Polygonum» Lm. (gcn. w 495j. — Renonée*
Etym. — Du grec poltu, beaucoup; gonu, gonou : tige très-noueuse; c'était le nom
appliqué par Dioscoride aux plantes à plusieurs n<puds.
^ rTeuilles en cœur, sagittées M
\ Feuilles non sagittées 4
Fleurs en épis ou en grappes;
styles 2-3, soudés inférieure-
2 <; ment '^
I Fleurs axillaires, peu nombreu-
ses, stigmates 3, subsessiles. . Polygonum aviculare, Lin.
Racine vivace, traçante ou con-
tournée; étamines saillantes.. 4
Racine annuelle, pivotante ou
fibreuse; étamines incluses.. 5
DU DÉPARTEMENT DE L'OISE. 729
Feuilles à pétiole ailé; fruits tri-
gones à angles tranchants;
rhizome contourné en S Polyg, Bistorta, Lin.
^ ) Feuilles à pétiole non ailé ; fruits
ovoïdes, comprimés; rhizome
traçant Polyg, amphibium , Lin.
/ Epis oblongs, cylindriques, com-
5 s pactes 6
\ Epis filiformes , grêles et lâches . 8
Pédoncules et calices chargés de
points glanduleux 7
iPédoncules et calices sans points
glanduleux Polyg. Persicaria, Lin.
Tiges à nœuds très-renflés; fleurs
. roses ou blanches Polyg. nodosum, Fers.
Tiges à nœuds peu renflés; fleurs
verdâtres Polyg. lapatkifolium, Lin.
! Calices chargés de points glan-
duleux Polyg. HydropipeTy Lin.
Calices sans points glanduleux. 9
Feuilles oblongues lancéolées,
. épis penchés Polyg. mite, Schrank.
iFeuilieslancéolées-linéaires; épis
droits Polyg. minus^ Hud.
( Tige volubile 41
\ Tige non volubile 12
Calices fructifères à angles ailés
. . , membraneux Polyg. dumetorum^ Lin.
I Calices fructifères à angles caré-
nés , non ailés Polyg. Convolvulus, Lin,
Fleurs blanches; fruits lisses... Polyg. Fagopyrum, Lin.
12 ^Fleurs verdâtres; fruits rugueux
dentelés Polyg. Tataricum, Lin.
SECTION A. — BISTORTA.
Fleurs en épis solitaires et terminaux , 9 étamines , tige simple,
3 stigmates petits, graines triangulaires, embryon latéral.
976. Polygonuwn Bistorta, Un. — Renouée-Bistorte, Bis-
torte, Couleuvrée^ Serpentère,
790 EdQOIsèB M tA ?É0Af Af ion
Beauvais, le long du canal , an |>ré Martinet, peloases à Basset;
boiâd'Ons-en-Bray! Saint-Gerif»er! Han voile ! Vrocourt, prairies!
Angicourt; parcs de Genrry et de Pouflly; Gompiègne, p&lurages
montueux.
a. radice minus vitaria, ix^. — Région autre que le Bray.
T. R. ?. Mai-juillet. — Prés humides. '
La racine, presque ligneuse, est contournée deex fois sur elle-
même : d'où son nom bU-torte (deux fols tors).
Plante astringente; excellente contre la diarrhée chronique,
Thémorrhagie interne ; en gargarlei&e contre les maux de gorge.
La racine, concassée, se prend en décoction de tt^ à 30 grammes
par kilogramme d'eau. On édulcore aTec im sirop.
SECTION B. — PERSiCARlÂ.
Fleurs en plusieurs épis ou en panicuks^ aœillmlres ou terminales;
têffe rtnneuse; 5^ élamines; 2-3 sHgmaîes grands;
graine ovoïde; embrgon (atéral,
977. Polyg, Persicaria, Lin. — Renouée- Persicaire, Cui-
rasse^ Toute-Bonne f Epinard sauvage, Piiingre, Curage, Persicaire
douce, Pied-Rouge,
T. G. ®. Eté. — Lieux Immides, lieux vagues, prairies, bois.
Alimentah^e.
b. maculatûm, — Bord des eaux, dans les marais.
c. biforme, Mérat. — Graines , les unes comprimées , les
autres trigones.
d. ineanum, -- Feuilles blanches- tomenteuses en des-
sous.
e. prostratum, — Tiges couchées ; feuilles lancéolées ,
tachées de noir en dessus, blanches en dessous; épis
courts. — Bords des rivières.
Elle a été nommée Persicaire^ même très-anciennement, à
cause de la ressemblance de ses feuilles avec celles du pécher
{persica). On en retire une couleur jaune. Elle est détersive et
peut être employée pour nettoyer les plaies à l'extérieur.
978. Polyg. lapathifolium^ Lin. — Renouée à feuilles de
FeUiesue»
m BépAUTBimiT Di L'otni. "ni
Atttmont! Senlis! Ilortefontaine! Venette «I lofi<t<iière8 ! Noyon !
Bracbeux ; Beauvais (boulevards).
A. R. 0. Eté. — Marais sableui, champs inondés l'hiver, bords
des eaux, des rivières.
a. inoanitm. — Feuilles larges, courtes, ovales, quel-
quefois ovales-lancéolées, toutes tachées de noir, quelque-
fois sans tache, la plupart blanches^tooieiiteiises en des
sous, toutes les graines hiconcaves; plante étalée ascen-
dante.
A. R. — Champs sablonneux : autour de Beaavaie; Mor-
t^ontafne.
b. macvUatum, — Feuilles tachées de nofar sur la face
supérieure.
A. C. — Bords des eaux , dans les marais.
c. segetale. — Tige verdàtre, rarement ponctsée, à nœuds
peu épaissis; Aniilles oblongues-lancéolées ou elliptiques,
vertes sur les deux faces; fleurs fréquemment Manches.
Commun parmi les moissons. Ces deux espèces se ressem-
blent beaucoup. Voici les différences sensibles.
u Pohjp, Persicaria^ Lin. — Férigone àtt divisions; étanrineaB;
« graine biconvexe ou plane-convexe, et quelquefois, mais ra-
« rement trigone; gaînes des feuilles longuement ciliées.
« Polup. ictpatkîfi>iium, Ait. — Feuilles ponctuées en dessous ;
« périgone à 4 divisions; pédoncules rudes; graines aplaties
« biconcaves ; gaines des feuilles brièvement ciliées. »
979. Polyg. nodosumy Pers. - Remuée ^umeme.
A été considéré longtemps comme variété du Poly§i, lapathi-
f^ilum. Si les auteurs l'avaient érigé en espèce d'après le carac-
tère du renflement des nœuds , ils auraient eu tort, car ce ren-
flenieiil m parait être qu'accidentel , et cette circonstance se re-
produit dans la pUipart de ses congénères. D'autres caractères
eoncourent à lUre de eette plante une espèce. En voici le faciee :
• Tige à nœudê épaiùisj ponctuée de pourpre ; feaMles inft-
• Heures ovales, les supérieures ovates-oblongues, acumhiéea;
« gainée cUêées; fleure roeea ou biancàee^ en épis iinéairee. »
Goittcourt; îhwry; Therdonne; Auxmaraia; Notre-Dame-du-
Thil; marais de Seivoie; RaîaviUers; Piouy -Saint-Lucien.
A. C. (D. Eté. — Déeombres, lieux vagues ^ terres renuées et
rapportées.
732 ESQUISSE DE LA VEGETATION
b. paniculatum, — Epis nombreux formant une ample
panicule rameuse dressée. — Goincourt.
c. rotundifolium. — Feuilles toutes ovales-arrondies.
980. Polyg. amphibium, Lin. — Renouée amphibie.
a. aquaticum, — Dans le Thérain, à Rochy-Condé! ma-
rais de Hez ; Villers-Saint-Sépulcre ; Montreuil-sur-Thérain ;
Pouîlly; la Nonelte, à Chanlilly! Comelle; Senlis; étang
de TEpine, à Mortefontaine; TAisne, à Attichy ! tourbières
de Bulles (C. C.)
Cette variété a Tépi ovoïde; tiges flottantes; feuilles
ovales-lancéolées, pétiolées, hérissées.
b. terrestre, Mérat. — Noyon! Liancourt! Couduni
Tige droite, fleurissant rarement; épis allongés; les
étamines plus longues que le périgone. Le milieu seul
cause ces deux variétés. Hors de Teau, la tige est droite,
pourvue de feuilles lancéolées, étroites, pointues, hé-
rissées.
La racine est sudoriflque et peut remplacer avec avantage la
salsepareille dans la guérison des dartres.
A. C. ?. Eté. — Rivières, étangs, lieux marécageux.
981. Polyg, mite, Schraock. — Renouée douce.
Marais de Montreuil-sur-Thérain; marais de Belloy; Tltalienne;
La Mîe-au-Roy; Bourneville, etc.
A. C. ®. Juillet-octobre. — Lieux humides et sablonneux :
fossés , marais. Feuilles insipides.
b. pusillum, Lamk. — Tige grêle, filiforme; feuilles li-
néaires; épis dressés, raides, peu interrompus. — Fruit
petit.
C'est une espèce intermédiaire entre le Polyg. Persicaria et
Hydropiper, Elle se distingue de la première par ses épis très-
grêles , dont les feuilles sont écartées et peu colorées , par ses
feuilles lancéolées-linéaires, deux fois plus étroites , absolument
glabres et jamais tachées à la face supérieure. Port grêle et fluet.
Elle se distingue de la deuxième par sa taille plus petite , ses
feuilles plus étroites, par sa saveur ni acre ni brûlante, les gaines
stipulaires des feuilles longuement ciliées, fruits noirs et lisses,
épis lâches et très-grêles. Est-ce une hybride?
DU DEPARTEMENT DE l'oISE. 735
982. Polyg. minus, Huds. — Renouée minime.
Marais de Belloy ! bois More! et la Hauteville , canton de
Noailles ! sables de Mortefontaine ; Ermenonville ; La Ghapelle-
en-Serval ! Garlepont ^ Betz ! carrefour du Parquet-du-Roi , dans
la forêt de Compiègne; mare de Saint-Louis! Saint-Germer.
A. R. d). Eté. — Lieux caillouteux et sablonneux humides,
inondés en hiver; n'aime pas le calcaire.
Espèce voisine du Polyg. mite. Feuilles lancéolées-linéaires ;
épis ordinairement dressés, raides, peu interrompus; ordinai-
rement 5 étamines.
985. Polyg. Hydropiper, Lin. — Renouée poivre d'eau ^
Herbe à crapaud, Piment d'eau, Persicaire acre, Persicaire brû-
lante^ Herbe de Saint-Innocent, Poivre d* eau, Curage, Renouée
acre.
b. nodosum^ Mérat. — Marissel ; Longueil-sur-Oise.
c. album. —■ Le Becquet. A. C. Ruisseaux à la prairie de
Bulles, on n'y trouve pas le type.
T. C. d). Août-septembre. — B'ossés aquatiques. Diurétique.
Saveur acre, brûlante; aussi, dans les campagnes on se sert des
graines en guise de poivre.
On la nomme Curage^ d'un vieux mot français emprunté au
celtique curragh , selon Théis.
Cette plante teint les laines en jaune. Gomme médicament, il
faut employer la plante fraîche; elle est rubéfiante et vésicante,
détersive, résolutive. Les vétérinaires remploient pour déterger
les ulcères qui viennent à la couronne du sabot.
Elle ressemble beaucoup à la variété laaHflorum du Polyg. mite.
SECTION G. - AVIGULARIA.
Fleurs axillaires , 8 étamines, 3 stigmates, graines arrœidies,
embryon latéral.
984. Polyg. aviculare. Lin.— Renouée des petits oiseaux,
Hemiolle^ Calouche, Reiwuée^ Cochonnet te, Traînasse, Centinode,
Salouche, Herbe à cochon, Sanguinaire, Tirasse^ Âchée, Herbe à
cent nœuds , Herbe des Saints-Innocents, Langue de passereau,
Trame, Aviculaire, Herbe au3S panaris.
T. VIIL 48
734 BSQUISSB DE LÀ VÉGÉTATIOR
Nuisible ans moissons , aux vignobles.
T. G. 0. Eté et automne. — Champs , rues , bords des cbemhis,
lieux va^nies.
Le Polfjgonum atieuiare t} pe a les rameanx feuilles jusfiv'aii
sommet et les fhiifs non luisants finement striés.
b. erectum, Roth. — Tiges droites, feuilles ovalesoblon-
gués. — Beauvais ; Lîancourt. Moissons.
c. longifoliuvi. — • Feuilles obovées ou elliptiques oblon-
gues; tiges ascendantes. — Mortefontaine! Trie-Chftteau.
ù. denudatum, Desv. —Tiges grêles, couchées, à ra-
meaux effilés, nues dans le bas, dépourvues de feuilles
dans leur partie supérieure; feuilles linéaires étroites;
fleurs petites , peu nombreuses , à pédicelles cachés dans
les graines; fruits luisants, presque lisses.
C'est la variété Polfjp. Bellardi, Duby.
I^ présence de cette plante est un indice de llmperméabilité
du sous-sol. C'est une plante excellente contre la diarrhée, les
hémorrhagles, les crachements de sang; les vétérinaires rem-
ploient contre le pissement de sang des vaches.
SECTION D. — TIMABIA.
Tiges volubiles, embryon latéral.
985. Polyg. Convolvulus^ Lin. — Renouée-LUeron , faux
Liseron bâtard ^ Vrille bdtardCy Liseron notr, petite Vrillée sau-
vage.
T. G. 0. •— Moissons sablonneuses, lieux cultivés, lisière des
bois.
986. Poiy^g. dumetorum. Lin. — Renouée des buissons,
grande Vrillée bâtarde.
Plaine de Saint-Jean, près Beauvais; Villers-Saint-Lucien;
bosquets du mont César; forêt de Hez, vers Rue-Saint-Pierre et
près Ronquerolles ; mont de Hermès; Berthecourt; Fumechonet
Gatillon; bois à Saint-Félix , Heilies, IJondainviile ! Villers-Saint-
Sépulcre! forêts de Chantilly, de Pontarmé, de Compiègne !
Noyon ! Candor! Janville! Collinance! bois de Plaisance, près
Senlis; bois de Thury; bois des Brays^ ;* Rouville; la Gloriette^
DU DBPAITEMBNT DB L'OIBÉ. 7S5
près Fournival; Ghamp-des-Taillis; Bailleul-sur-Tbérain ; mon-
tagne de Sainte-Geneviève.
A. R. 0. Eté. ~ Haies, bois, buissons. Disséoiiné et rare dans
le Bray.
SFXTION E. - FAGOPYRIM.
Tiges non volubiles, embryon dans l'axe de l'albume^i,
987. Polyg. Fagopyrum.Lïn. - Renoitée-Sarrasin, Bucail,
Carabin^ Blé de Barbarie^ Blocail, Sarrasin, Blé noir, Rénovée,
Saint-r.azare, près Beauvais; Bongenoult; Le Becquet; Bre-
teuil; Ghantilly; Saint-Vaast, près Verberie; Hivecourt; Montja-
voult.
i. A. G. ®. Eté. — Gultivé depuis cent ans dans les terrains
sablonneux et caillouteux. Fréquemment subspontané dans les
lieux incultes. L'herbe peut servir de fourrage. Le sarrazin a été
introduit en Europe à Tépoque des croisades, au xii* siècle.
988. Polyg. Tataricum, Lin. — Renouée de Tartarie, Sar-
rasin de Tartarie,
\. R. d). Eté. — Quelquefois subspontané sans localités précises.
Les espèces de la section Persicaria, qui croissent abondam-
ment et presque toutes mêlées les unes aux autres dans les lieux
humides , s'hybrident facilement.
Runtex, Lin. igeo. n" 4&1}. — i^atleuee.
Btym. — Du latin rumex, pique ; allusion à la forme des feuilles ou du suc aeide dans
beaucoup d'espèces. Le peu d*efïlcacitô de ces espèces leur avait valu le nom de
Patience^ mot qui fait allusion à la vertu dont ceux qui se servent de ces remèdes
doivent être pounus : « Attendez encore avec une demi-once do patience. >
(Rabelais.) M. Eug. Fournicr a proposé une autre étymologic pour le nom de
Patience : ce serait l'ancienne dénomination Lapathum (Rumex Hydro-lapathumj
dont, par corruption, on aurait fait la Patience, étymologie admise par LittR*.
I Quelques auteurs trouvent l'étymologie du mot Rumex dans le verbe latin rumo,
téter, sucer : par allusion à l'usage que les Romains faisaient des feuilles de
plantes de ce genre pour calmer la soif.
Feuilles hastées ou sagittées , à
1 ^ saveur acide; styles soudés
«vec les angles de Tovaire. . . 2
I
I
l
\
736 ESQUISSE DE LA VÉGÉTATIOR
Feuilles atténuées , arrondies,
tronquéesou cordéesàlabase,
1 l jamais hastées ni sagittées, à
saveur herbacée ou peu acide ;
styles libres 4
Feuilles toutes pétiolées , glau-
ques sur les deux faces, ovales-
triangulaires, aussi larges que
longues Rumex scutatus, Lin.
Feuilles pétiolées ou les supé-
rieures sessiles amplexicau-
les, vertes sur les deux faces
ou glaucescentes seulement
en dessous, beaucoup plus
longues que larges 3
' Feuilles à oreillettes parallèles
ou un peu convergentes; tige
ayant plus de 4 décimètres. . Rum, Acetosa, Lin.
Feuilles à oreillettes diver-
gentes ou étalées horizon-
talement; tige n'ayant pas
-i décimètres Rum, AcetoseUa, Lin.
/Calice fructifère à valves en-
i tières ou denticulées à la
I base ;»
) Calice fructifère àvalves présen-
tant de chaque côté deux ou
plusieurs dents subulées, sé-
tacées , plus rarement trian-
gulaires-acuminées 11
Valves suborbiculaires , plus ra-
rement ovales-suborbiculai-
res 0
Valves oblongues - lancéolées ,
ovales-triangulaires ouoblon-
V gues-triangulaires 7
I Feuilles ondulées -crépues Ricm, crispus, Lin.
Feuilles planes ordinairement
très-amples Rutn. Patientia, Lin.
i
5
DU DéPAHTBMBIVT DB L'oISB. 737
Valves ovales-triangulaires ou
oblongues-triangulaires; feuil-
les radicalesetinférieures très-
amples, longues de 1-8 décim. 8
Valves lancéolées - oblongues ;
. feuilles n'atteignant jamais
\ i décimètres 9
Feuilles toutes atténuées aux
deux extrémités Bum. /fifdro/ajyat/ium^Uu^.
Feuilles radicales arrondies ,
tronquéesoucordéesàlabase, Riun. maximus, Shreb.
Valvesmunies chacune d'un gra-
nude ovoïde; faux verticilles
accompagnés tous ou la plu-
part d'une feuille bractéale;
rameaux longs, grêles, étalés, Hu77i .cong /ornera his^Mœnc,
ALesdeux valves intérieures dé-
pourvues de granule ou s\ gra-
nule rudimentaire; faux ver-
ticilles tous ou la plupart dé-
pourvus de feuilles bractéales, Biun, sangufneus. Lin.
Tigeetnervures des feuilles d'un
rouge de sang Var. sanguineus.
40 ^Tîge et nervures des feuilles ver-
tes; un seul sépale muni de
tubercule dorsal Var. nemorosus, Shrad.
Feuilles lancéolées étroites, at-
ténuées à la base 12
Feuilles ovales, oblongues ou
suborbiculaires , quelquefois
panduriformes, arrondies ou
; cordées à la base 13
/Dents des valves égalant ou dé-
passant en longueur le dia>
mètrelongitudinalde la valve;
12 <;' faux verticilles rapprochés ou
j conflueuls à la maturité Riun. maritimus, Lin.
[Dents des valves plus courtes
que le diamètre longitudinal
11
n
\
12
13
738 ESQUISSE DB LA vieéTATlOH
de la valve; faux verticilles un
peu espacés à la maturité Rum. paluÊtris, Smith .
'Tige ordinairement arquée, à ra-
meaux divergents ou divariqués;
faux verticilles espacés, tous ou
la plupart accompagnés d'une
feuil le brac téale très-peti te; feuilles
panduriformes Rum. puicher^ Lin.
Tige droite, à rameaux ordinaire-
ment dressés; faux verticillesordi-
nairement rapprochés , tous ou la
plupart dépourvus de feuilles brac-
téales; feuilles ovales ou cordi-
formes Rum, obiusifoHus, Lin.
SECTION A.
Fleurs hermaphrodites, saveur non acide^ divisions internes
du périgone dentées.
989. Rumeao maritimus, Lin. — Patience maritime.
Etang desséché de la forêt de liez; étangs de Saint-Pierre.
dans la forêt de Compiègne ! Genvry ! bords du canal de TOuroq.
à Mareuil ! Longueil-Safnte-Marie.
T. R. 0 ou (§). Eté. — Lieux marécageux. Espèce fugace et re-
marquable par la couleu r^aun^-dor^ des verticilles floraux rap-
prochés et feuilles.
990. Rum. paluslris, Smith. — Patience des marais.
Prairies entre Saint-Germer et Saint-Pierre-aux-Bois; étangs de
Saint-Pierre-en-Chastres ; Mortefon laine! gare de Compiègne!
bords de l'Aronde, à Clairoixl Mareuil-surOurcq !
Fleurs en grappes lâches; dents des valves plus courtes que le
limbe.
T. H. ? ou d). Eté. — Bord des étangs, marais.
Cette espèce a beaucoup de rapports avec la précédente; elle
en diffère par sa tige, ordinairement plus flexueuse, par ses
fleurs disposées en grappes feuillées, mais interrompues, moins
ou DiPÀtTEMBNT DB l'OISB. 739
compactes, «t par son périanthe à valves intérieures munies de
dents sétacées, plus courtes qu'elles, par ses fruits plus courts.
991. Ruwn. pulcher. Un. — Belle Patience ^ Patievuse sinuée,
Patience violon,
Saint-Jean , près Beauvaîs ; Beauvais même , sur les prome-
nades publiques; Marissel; Saint-Lucien ; bords de TÂronde, à
Baugy, à Bienville! bords deTOise, au Plessis-Brion ! Vez! Corn-
piègne ; Jonquières ; Ormoy-leDavien ; Harolles ; Ghaumont ;
Liancourt; Âgnetz; Le Fay-Saint-Quentin.
Â. G. (D ou ^. Eté. — Bords des chemins, pied des murs.
Les fruits sont armés de dents. G'est une espèce que l'homme
a transportée.
b. divaricaiuSy Lamk. -~ Feuilles radicales presque en-
tières. — Jonquières ; Bienville.
992. Rufn. oblusifolius, Lin. — Patience à feuilles obtuses,
Patience sauvage ^ Doche^ Parée,
C. ^. Eté. — Lieux incultes, prés, bords des chemins.
b. acw^w^, DC. — Feuilles radicales cordiformespointues,
les supérieures lancéolées. — Beauvais; Auneuil; Cler-
mont; Senlis; Marissel. — Gette variété n'a peut être pas
été assez étudiée.
s. V. maculatus, — Feuilles présentant en dessus
une large tache blanchâtre.
c. purpureus. — Bameaux et feuilles purpurescentes. — -
Saint-Jean , près Beauvais.
Divisions internes dit périanthe entières,
995. Ruwk. Palienlia, Lin. — Patience des moines, Patience,
ParellCj Epinard sauvage, Epinard immortel, Patience commutiej
Oseille 'Kpinard, Patience des Jardins, Patience officinale, grande
Patiefice, Dogue,
\. A. R. ?. Juin-juillet. - Quelquefois subspontané dans les
décombres.
a. — Valves denticulées.
b. — Valves fortement dentées.
Cette plante doit être employée fraîche. Si on veut la conserver,
740 ESQUISSE DE LA VEGETATION
il faut Tarracher à rautomne et la choisir grosse au moins comme
le doigt. Eq décoction de 30 à 60 grammes par kilogramme d'eau
contre les maladies dartreuses et les ulcères, contre les pustules,
les squames de la peau. La pulpe de la racine sert aux mêmes
usages.
994. Jtuan. Hydrolapathum, Huds. — Patience à longves
feuilles f grande Patience des eaux y Herbe britannique ^ Patience
aquatique^ Oseille aquatique, Patelle des marais.
C. ?. Eté. — Bords des rivières et des étangs. — Espèce gigan-
tesque.
995. Run%. maximus, Slireb. - Patience élevée ^ Oseille
aquatique y Parelle des marais. Herbe britannique.
C'est le Rum, Hydrolapathum des officines, Patience des marais,
Parelle d*eau. Il se distingue du Rum. Hydrolapathum par ses
feuilles radicales cordiformes- ovales , par son pétiole profondé-
ment canaliculé en dessus, ainsi que par les segments internes
du périanthe dépourvus de callosité.
Bords de TEpte, à Beausséré , suivant Coss. et Germ. ! TAisne,
au Francport! l'Oise, à Compiègne même! TOurcq, à Mareuil!
La Nonette, à Courteuil; étang de Saint Pierre-en-Chastres.
T. R. ^, Eté. — Bord des eaux. FI n'apparaît le plus souvent
que dans les lieux où croissent simultanément les Rum, Hydro-
lapathum et aqtuiticus.
996. Jtum cnspus. Lin. — Patience crépue, Dogue, Patience
frisée, Patience sauvage, Parelle sauvage.
T. C. ? Eté.— Prairies, bords des chemins, champs humides.
997. Jtifm conglomeratu.9, Murr. — Patience conglomérée.
Fleurs en faux verticilles denses, presque tous munis d'une
feuille bractéale; pédicelles à peine aussi longs ou plus longs
que le périgone, articulés un peu au dessous de leur milieu; di-
visions intérieures du périgone portant toutes sur le dos une
callosité ovoïde très-saillante; tige à rameaux e^fa/e^ ou même
divariqués.
Marissel : forêts de liez et de Compiègne ! bois de Serans et de
Liancourt!
A. C. ^, Eté. — Lieux vagues et bois.
ou DÉPARTEMENT DE L'OISE. 741
998. Rum. sanguineus, Un. — Patieyice sanguine^ Patie^ice
rouge ^ San g- Dragon,
a. sanguineus. — Tiges et nervures des feuilles pour-
prées. — Beauvais ! Senlis ! Noyori î Antîlly ! Guvergnon !
Vauparfond! Thury; Montjavoult. — Subsponlané près
des jardins et dans les lieux marécageux.
b. nemorosus, Shrad. — Fleurs en faux verticilles ùis-
ïsmis ^ presque tous dépourvus ce feuilles bractéales; pédi-
celles grêles, articulés 2)rP5 de la base; divisions internes
du périgone fructifère étroitement oblongues, obtuses,
très -entières : V extérieure seule portant une callosité suhglo-
hideuse; tige rameuse vers le haut, à rameaux dressés^
effilés. — Le jardin des pauvres, à Beauvais; Marissel;
Montagny ; forêt de Compiègne.
A. H. ?. Eté. — Bois sombres.
SECTION B.
Fleurs dioïques^ saveur acide.
999. Rum, Acefosa, Lin. — Patience-Oseille^ Parelle, Su-
relie, Finette, Oseille commune, Oseille de crapaud, Oseille de
brebis, Oseille sauvage, grande Oseille^ Finette sauvage, Surette,
T. c. ?. Mai-juillet; refleurit en automne. — Prés, sols cal-
caires.
a. multi/ida, — Hongenoult; mont Bénard, à Savignies.
b. angustifolia, — Feuilles linéaires lancéolées, à oreil-
lettes linéaires très-étroites, ne présentant quelquefois
qu'une oreillette ou dépourvues d'oreillette.
c. flore albOj Tournef.
d. folio crispo, Tob.
e. maxima, Scheuz.
1000. Rum, Acelosella , Lin. — Patience petite Oseille,
Oseille rfe crapaud , Oseille de brebis, Par^lle ^ Oseille commune.
Finette sauvage.
Mêmes variétés.
a. repens, — Tillé; Ribeauvillé.
b. fnultifida,\Sh\\r. — Feuilles munies à la base d'oreil-
lettes bi ou Iritldes.
742 MOUISSI Dl LA VMiUTIOlf
T. C. ^. Eté et automne. — Partout, surtout dans les lieux
sablonneux ou pierreux.
1001. itum. scutaius, Lin. — Patience à écuston^ Oseille
franche^ Oseille romaine, Oseille ronde, petite Oseille, petite
Finette,
Saint-Jacques; abbaye de Saint-Lucien, vieux murs; mont
Gapron, près Beauvais; Ângy! I^oyalieu! Morienval; forêt de
Compiègne; Morainville; Orrouy 1 Thury-en-Valois !
T. R. ?. Juin-août. — Vieux murs, localités rocailleuses.
Nota. — Le genre Rumex présente souvent des cas de térato-
logie et surtout d'hypertrophie du pistil. La présence du Rumex
dénote l'existence d'une nappe d'eau souterraine; c'est une
preuve de Timperméabilité du sous-sol. Aussi, les Rumex que
l'on trouve aux environs de Solente et de Guiscard , sur des
éminences argileuses, ne sont une anomalie qu'en apparence
et confirment ce que nous avançons.
Qoitre-vingl et unième Famille. - D4PHN0IDfiES, Veol.
{Nom tiré du genre Daphne.)
Fruit sec renfermé dans le calice Passerina, Lin.
1 Fruit charnu-pulpeux; calice marcescent,
' puis caduc Daphne, Lin.
Pamierlna* Un. gen. n*4iO). — PwMierliie.
F.tym. — Du Intin passer, moineau; allusion aux grainos figurant une langue
de moinpau ou plante qui donne une graine mangoc par le» o'*?aux.
i002. Passerina slellera, g. etc. - Passérine-Stefiérine^
iMngue de moineau y Herbe à l'hirondelle.
Champs de Thury-sous-Clermont; Rochy-Condé! plateau entre
Liancourt et Verderonne! Saint-Just-en-Chausséel Beausséré!
Chambors! Remy; Lachelle! Saint-Ktienne/ coteaux de Béthisy;
DU DiPARTBMBlIT DB L'OISB. 743
Orrouy; Charaplieu; Gilocourt! Noël-Saint-Martin! Cuvergnon;
Neufchélle! Thury-en-Valois; Mareuil-sur-Onrcq; Russy-Montigny;
La Villeneuve-sous-Thury ; Chantilly; Compiègne; bois de Cour-
celles les-Gisors.
R. ®. Eté. — Champs stériles, maigres, terres en friche, sur
le calcaire.
Les Stellerines ont le port des Thesium, dont elles diffèrent
par rovaîij^ libre et le nombre des étamines.
Dapbne, Lin. (gen. n' 485^. — Dapbne*
Etym. — Du grec : daphnèj laurier, ou plutôt nom de la nymphe, fil'e du floiive
Pënée, aiméo par Apollon et changée en lauri'^r.
2
Feuilles persistantes; fleurs jaunâ-
tres DaphneLaureola, Lin.
Feuilles caduques venant après les
fleurs rouges ou blanches Daph. Mezereuniy Lin.
1005. Daphne Lanreola, Lin. — Daphne-Lauréole, Mer-
Hon, Bois-Gentil, Mézéreon, faux Garou^ Lcfuréole femelle. Lan-
réole gentille^ Bois d oreille.
Reauvciis, Saint-Symphorien et bois du Parc; Montreuil-sur-
Brôche, au bois appelé le Parc; Le Coudray-Saint-Germer, au
bois de Labosse; Lhéraule; Senlis; bois de Ifoussoye, près
Troissereux , de Lamolhe , î\ Therdonne , de Ponchon ! de La
Houssoye , près Auneuil ! de Bertichère et de Labrosse , près
Chaumont! Montherlant; Fosseuse; Pouilly; llalaincourt; bos-
quets du mont de Hermès; parties élevées des forêts de Hez, de
Pontarmé, d'Halatte, deMalmifait, de Compiègne, d'Ermenon-
ville! bois de Méru, de Ribécourt, de Chiry! bois à Test de
Dreslincourl, Remy! Thury-sous Clermonl! abondant aux bois
de Froidmont, de Hellles, de Mouchy.
A. C. ?. Avril-mai; fructifie : juin-juillet. — Bois montagneux,
pentes élevées, surtout à sol calcaire. 11 est recherché des bortis
culteurs pour grefler les Daplinés exotiques k feuilles persis?
tantes.
1004. Daph, Mezereum, Lin.— Dap/tne-Mezérém, Bois-
744 ESQUISSE DB Lk VÉGÉTATIOIT
Joli y Jolibois, Morilion y Bois gentily Lauréole gentille y Merlion^
GaroUj Mézèréony Laurette,
Beauvals; forêt du Parc, taillis au-dessus de La Truplnière;
bosquets de Saint Symphorien! bois au dessus de Fay-sous-
Clermont; bois de Labosse; bois du Saussay et de La Houssoye,
près Auneuil ! Halincourt ! Pierrepont , près Parues ! forêt de
liez! I^ouilly; Savignies; Ernemont, près Songeons; bois de
fïoussoye, près Troissereux ; Saint-Marlin-le-Pauvre; Compiègne;
forêt de Malmifait; bois de Liancourt, d'Agnetz, de Thury-en-
Valois! Frestoy, canton deGuiscard ! bois de Villers sur-Coudun !
commune sur les coteaux boisés, à gauche de la vallée du Ha(z,
à Mareuil-Lamothe, Marigny, Elincourt, bois du Couvent! forêt
dellalatte! Autheuil-en-Valois, canton deBcfz! mont César, près
Bailleul ; mont de Hermès.
b. flore olho. — Bois de Bellinglise, à Elîncourt-Sainte-
M arguer i te !
A. R. y. Février-mars. — Bois humides.
Les feuilles fraîches passent pour curalives de la morsure des
vipères. Les baies sont purgatives : on peut en prendre une tren-
taine au plus.
L'écorce des Daphnés, appliquée à l'extérieur, fraîche ou ma-
cérée dans Teau et le vinaigre, produit, selon la durée de l'ap-
plication, la rubéfaction, la vésication et même Tulcération de
la peau. On en fait un usage fréquent pour préparer des pom-
mades épispastiques servant à entretenir la sécrétion des exu-
toires. Il ne faut employer que l'écorce du tronc de Tarbre et
des branches.
Oiialrc-vingl-dcuxièflK! Pamille. — LAURIKfiES, D. C:
:Noni tiré du genre Laurl'S.)
Aucune espèce do cette famille n'est spontanée ni ne se trouve
subspontanée. On cultive surtout dans les jardins les Laurus
nobilis, Lin. (Laurier sauce), et iMurus sassafras^ Lin., plantes
de la région méditerranéenne.
DU Dl^ARTBMBHT DB L'OISB. 745
OuatFe-Tiogt-troisième Famille. — SANT4L4€Ées, R. Br.
{N<ym tiré du genre exotique Santalum.)
/ Feuilles sessiles , linéaires, ai-
^ j gués, acuminées, trinerviées. Thesium Unophyllum^ Lin.
' Feuilles linéaires, uninerviées. Thés, humifusum, DC.
Theftloni, Lin. (geD. n" ?9^). — Tbëslon..
Etjm. — Du grec : itiéseion, fleur de Thésée, c'est-à-dire, fleur faisant partie
de la couronne que Thésée donna à Ariane.
1005. ThesiuËn humifasum^ DC. — Thésion couché.
Allonne ; monts César et de Hermès ; Houssoye , près Troisse-
reux; bois de Labrosse, près Chaumont; friches de Bulles;
Thury-en-Valois ; Mareuil-sur-Ourcq ; Vaumoise; coteau de Saint-
Siméon; Villers-sous-Coudun; pentes du Caneton! bois delà
Montagne, à Bailleval! Senlis! Lévignen! Noyon! Ponchon!
Warluis ; Le Longmont , entre Verberie et Saint- Yaast î forêt de
Hez ; Maquelines.
A. C. ^. Eté. — Pelouses et coteaux secs des terrains calcaires
et sablonneux. Cette plante est parasite, ses racines se greffent
sur les tiges souterraines et les racines des diverses plantes.
a. humifusum, — Tiges couchées, diffuses, grêles, éta-
lées sur la terre.
b. divaricatum, — Tiges dressées ou ascendantes; brac-
tées toutes plus courtes que le fruit.
Les Thés, divaricatum, Jan., pratense^ Ehrh., n'en sont peut-
être que des variétés.
1006. Thés, linophyllum, Un. — Thésion à feuilles de lin.
Larris de Ponchon; Saint-Vaast; Bongenoult; Agnelz; Bail-
leval; bois de Froidmout; Liancourt; Noyon; bois de Longvil-
lers; lisière du bois d'Aumont; sommet du Longmont de Saint-
Vaast, àRoberval; Thuryen-Valois; Mareuil; Macquelines; Lé-
vignen; Vaumoise; Bulles; Chaumont, bois de Labrosse; friches
746 ftgQUI8SB us LA VÎftÉTATIMI
duVivray; Paillart, sur la chaussée BrunehauU ! mont Saint-
Siméon, à Noyoal bois MouIod, à Bonneuil! forêt de LaHérelle!
mont César, à Baîileulsur-Thérain.
A. R. ?^. Eté. - Pelouses gramineuses, friches crayeuses, friches
du calcaire grossier, BQ)le ou rare dans les terrains jurassiques.
Le Thés. olpinuM, Lin , a été trouvé, dit-on, àAutrêches. Est-
il bien réel? En tout cas, le Tkes, linop/tyiium^ Lin., est incon-
testablement une espèce multiple.
Les Saniaiacées se rapprochent, par le port et la structure du
périgonc des irintolochiées et des Daphnoidees, Elles dilTèrenl des
premières par les étaminos insérées non sur Tovaire, mais sur
le périgone, et des secondes par l'ovaire adhérent au périgone.
Les Sanialacées sont parasites pendant une partie de leur vie
ou ont des racines à la fols libres et adhérentes (Decaisne et
Brandt).
Oualre-vingl-qnalmme Fdoille. — fiLfi4G!\ÊIS, R. Bf.
{^otn tiré du genre Eleagnx'S.)
Sont cultivés et naturalisés dans une foule de parcs et de
jardins Vffîppophae rhamnoides , Lin., et VEleagnus angustî-
foiia. Lin., qu'on ne rencontre jamais subspontanés.
^ire-fkigl-einqvièffle Pamilie. — ARtSTOlttCllIf CS, Jsss.
(Nom tiré du genre Aristolochia.}
/ Fer. trilobé; étamines 12 Aêarum, Tournef.
i < PAr. terminé en languette unilaté-
( raie; étamines 6 .aristolochia, Tournef.
€es deux genres sont les seuls européens de la fiimUle.
DU dApastimiiit bb l'oisb. 747
Arlfttoloelila, Tournef (Inst. t. 71;. — Arlsloloelie.
Etym. — Du grec : aristos, très-bon; locheia, lochies; à cause do son action
stimulant*.
1007. AriMîoioehia clemaliiû, Lin. — Ariêtoloc/ie clé-
matite, Poirier^ Sazarine.
Braclieux, près Beauvais; Méru! butte d'Aulnumt! Betz! bords
de roise, à Greil, à Pont-Sainte-Maxence, enti'e Pont et Verneuil,
à Pont-l'Evêque, à Ourscamps; Neuilly-en-Thelle ; forêt de Gom-
piègne , carrefour des Princesses ! Glairoix ! Cheîey ! Larbroye !
Varesnes ; l)osquets de Bien?Ule.
A. B. :^. Eté. — Lieux pierreux arides, haies, buissons, vignes,
terrains calcaires. Odeur forte et désagréable.
G'est un emménagogue propre à faire couler les lochies^ d'où
Aristolochia, Les moines et les empiriques la cultivaient beau-
coup en Angleterre. Gette plante a été sans doute introduite en
Europe à Tépoque des croisades. Il faut se déûer de l'action de
cette plante, qui peut être dangereuse; elle est peu déterminée
et souvent infidèle, et ses propriétés varient considérablement
selon les localités où on Ta récoltée.
VArist. rotunda, Lin., a été trouvée à Ivors et au bois de Ion-
tagny, près Cbaumont. Elle n'est pas spontanée.
Asarmii, Toornef. (Inst. t. 286). — AMireto
Etym. — Du grec: a, privatif; aairô, j'orne; fleur sans éclat.
1008. itsarutn Europœum , Lin. - Maret d'Europe,
Oreillette f Nard sauvage i Girard y Roussin ^ Cabaret ^ Rondette^
Oreille d'homme ^ Asaret , Oreillette.
Parc d'Halincourt! bois de Pontoise! forêt de Garlepont! Mor-
tefontaine; Ermenonville; forêt de Halatte , au mont Pagnotte^
triages voisins de Senlis et près Fieurines !
B. ^. Eté. — Lieux pierreux ombragés > bois montueux hu-
mides.
748 ESQUISSE DE LA viOETATlOIf
Quaire-vingl-sixième Faniille. — SANGUiSORBËES, Juss.
iSom tiré du genre SXNGUlSORBA.)
/ Calice à 8-10 divisions ; fleurs pédicel-
l lées, disposées en cymes corymbi-
1 formes ou en fascicules opposés aux
* j feuilles ^Ichimilla, TourneL
1 Galice à 4 divisions ; fleurs sessiles
\ disposées en épis compactes 2
'Etamines 4; fleurs hermaphrodites.. Sanguisorba^ Lin.
â ) Etamines 20-30 ; fleurs monoïques ou
( polygonales dans un même épi Poterium, Lin.
AlcMmllla, T.)urnef. ^In.^r. t. ^gÇ» . — Alolilaillle.
Et> m. • A été l'objet d'essais de In part des alchimistes.
/Fleurs disposées en fascicules
' sessiles opposées aux feuilles
étroitement embrassées par
les stipules Jtc/timiUa arrensis, Scop.
Fleurs disposées en cymes co-
rymbiformes terminales et la-
^ térales Alc/iim vulgarU, Lin.
1 et étro
1 ^ les stii
1009. Alehiwnilla vulgaris^ Lia. — Alchimille communie.
Patte de Lapin^ Mantelet^ Pied de Lion^ Manteau des Dames,
Âllonne; bois de Caumont! forêt deMalmifait! forêt de La
Hérelle; parc d'Halincourt. Elle existait à la garenne de Berti-
chère, et a disparu par suite de défrichement. Noyon ! Grandru.
T. R. ?^. Eté. — Bois et forêts, prés montagneux. Le bétail en
est très-friand. Cette plante est rare au nord de Paris; sa limite
méridionale en plaine est de 49» à 49» et demi de latitude elle
Jersey, Rouen, Beauvais). L'espèce existe 1° si la quantité de pluie
dépasse, dans chaque mois d'été, 43 millimètres en moyenne,
et 2o si le nombre de jours de pluie dépasse 8. Elle aime ordinal-
DU DiPARTKMKNT DB l'oISB. 74t
rement le calcaire. Son nom ^\4lchimille lui vient de ce que les
alchimistes recueillaient la rosée de ses feuilles pour la prépa-
ration de la pierre philosophale. C'est une plante astringente et
qui raffermit les chairs.
1010. Alehim, arvensis, Scop. — Alchimille des champs^
petit Pied de Lion, Perce-Pierre.
T. G. d). Eté. — Moissons, champs secs et sablonneux, jachères.
Dans cette espèce , les rameaux ont un développement indéfini «
les cymules glomérulées étant axillaires ; il n'y a qu'une seule
étamine par suite d'avortement habituel.
Poterlum , LiD« — Plmprenelle.
Etym. — De potérUm, coupe , en grec ; allusion a la forme du périgone.
Fleurs à limbe du calice verdàtre
mêlé de pourpre; étamines
dépassant très-longuement le
calice Poterium sanguisorba^ Lin.
1 < Galice fructifère à faces faible-
ment réticulées Var. dictyocarpum, Spach.
Calice fructifère ordinairement
plus gros, à laces fortement
réticulées-alvéolées Var. muricatum, Spach.
1011. Poîeviuwn sanguisorba^ Lin. — Pimprenelle com-
mune^ Pimprenelle des Jardins.
a. dictyocarpumy Spach. — Fruits ailés, réticulés, non
chargés de fossettes.
b. muricatum^ Spach. — Akène tétragone à angles munis
de crêtes aiguës ordinairement très-entières, rarement
excisées, dépassant les fossettes des faces; celles-ci mûri-
quées par des fossettes dont les bords élevés sont denticuiés.
C'est cette variété qui est la plus ordinairement cultivée
dans les jardins pour entrer comme assaisonnement dans
les salades.
c. glaucum^ Spach. — Feuilles glauques , surtout en-
dessous.
T. viu. 49 ^'.\
t60 K8QUISSB PE LA VB€liTATI01f
T.C. ?. Avril-Juillet. — Prairies, pelouses; fréquemment cul-
tivé dans 4e8 jardins comme lierbe potagère d'assaisonnement.
En i763, on fit, avec succès, la culture en grand de la Pimpre-
nelle à Sénéfontaine et au Mont-Saint-Âdrien. Elle a des pro-
priétés galactopliores, c'est-àdire propres à activer la sécrétion
du lait étant appliquée sur les seins d'une nourrice.
Les Poterium varient par des tiges diffuses ou dressées, glabres
ou pollues inférieurement, par la forme des fblioles, par le fruit
sessile ou stipité.
Quelques auteurs pensent que cette famille doit faire partie
des Rosacées,
(iangulftarlia , Lio. (çeo. u<> 146). — ttanyaliiorlie*
Ktym. — Du latin iangiUi, sang, et aarbert, boire; allusion aux propriétés \-ulneraires
de la plante.
1012. Sangui90»*ba officinaliSt Lin. — Sanguisorbe des
boutiques^ Pimprenelle des prés,
T. R. ^* — Marais tourbeux de Bresles , vers Rue-Sain t-Pjerre.
Qaalre-TiDgl-seplième hmilie. EUPHORBUCfiKS (Jossieo).
(iVow tiré du genre EUPHORBIA.)
{ Tige ligneuse Buxus, Tournef.
( Tige herbacée 2
/Plante à suc laiteux; capsule à 3
S loges Euphorbia, Lin.
y Plan te à suc non laiteux; capsule à
( 2 loges Mercurialis, Tournef.
La famille des Euphorbiacées a de l'analogie avec celle des
H/iamnées par son périsperme charnu , son fruit à plusieurs loges
et quelquefois par son port. Elle en diffère par ses étamines
hypogynes, ses fleurs monoïques ou dioîques et la réunion des
deux périgones en un seul. Les Euphoi')iacées se rapprochent
des Malmcées par la soudure des étamir -6.
BV DiFAETKMAKT W L'OISI. 7M
Bupliorlila, Lin. (gen. n** 609). — EapIftorHe.
Btym. — Plante dédiée à Euphorbus, médeoiii de Juba, roi de Kauritanie,
qui le premier la mit en usage pour la guérison d'Auguste.
Graines poncluées , rériculées ou
i ^ rugueuses -à
Graines lisses n
Feuilles opposées, les paires alter-
2 l nant en croix Euphorbia Lathyris, Lin.
Feuilles éparses 3
/Capsule à lobes présentant cha-
y cun, sur le dos, deux carènes
3 < minces; feuilles pétiolées Eupà, Peplus, Jju.
^Capsule à lobes non carénés ;
feuilles sessiles 4
Glandes non échancrées en crois-
sant; feuilles obovalescunéi-
^ ; formes finement dentées dans
la moitié supérieure Eupà. /leHoscopia, Lin.
Glandes en croissant; feuilles li-
\ néaires , entières Euph. exigua^ Lin.
Bractées soudées â à 2 en plateaux
5 \ suborbiculaires perfoliés Euph. ëylvaiica^ Lin,
(Bractées libres 6
! Capsule lisse ou très -finement
chagrinée 7
Capsule présen tant des tubercules
^ hémisphériques ou cylindriques 9
' Glandes entières ou à peine émar-
\ ginées , jamais éûhancrées eq
) croissant Euph. Gerardiana^ Jacq.
vGlandes eu croissant 8
Feuilles linéaires, celles des ra-
meaux stériles très -étroites,
8 { presque sétacées , rapprochées
en pinceau ,.., Euph. CyparUsias, Lin.
F«ttUlea oblongvi» lfuic4Ql4es ou
753 B6QU18SI DB LA VIG^TATIOIV
. liaéaires-laucéoléfs, celles des
8 ) rameaux stériles jamais étroites
' sélacées Euph. Ksuia, Lin.
Plante annuelle ou bisannuelle ,
i à racine pivotante; feuilles ses-
g ; siles à base presque cordée — lo
j Plante yivace à souche ordinaire-
r ment rameuse ou traçante ;
; feuilles atténuées k la base \\
Capsule petite , chargée de tuber-
cules cylindriques allongés ;
graines d'un rouge brun&tre.. Luph. tiricta,L\n,
10 ^Capsule assez grosse, couverte de
tubercules hémisphériques peu
saillants; graines d'un gris-
brunâtre à reflets métalliques. Euph. plaiyphylla, Lin.
/Bractées ovales, tronquées ou un
1 peu cordées à la base; rhizome
1 traçant composé de pièces arti-
\ culées entre elles Euph, dulcis^ Lin.
I Bractées ovales, oblongues ou obo-
'^ vales , atténuées à la base 12
/Tiges assez grêles , i-6 décimèt.,
étalées ou ascendantes-diffuses;
ombelle régulière ordinaire-
ment 4-0 rayons Euph. verrucosa, Lin.
'^ ) Tige robuste, dressée, 6-12décfm.;
ombelle irrégulière ordinaire-
ment dépassée par des rameaux
\ stériles Euph, pa/us(ris, Lin.
a. Espèces anntielles,
1013. Euphos*hia helioscopia^ Lin. — Euphorbe Hévfdi-
Matin, Herbe atcx verrties^ Réveil-Matin^ Tithymale,
T. C. d). Juin-septembre. — Lieux cultivés, jardins, bords
des chemins, lieux vagues. Nuisible aux vignobles. Suc fk'ais,
bon contre les vernies. Le nom û*Helioscopia vient du grec éiios^
soleil, et scopeô, je regarde; il avait été employé par Dioscoride
DU DEPARTEMENT DE l'OISE 753
pour une espèce d'Euphorbe dont le feuillage, selon lui, était
toujours tourné vers le soleil , phénomène qui n'a pas lieu pour
notre plante.
iOI4. Euph. plafyphylla, Lin. ~ Euphorbe à larges
feuilles.
Marais de Trosly; Pierrefonds! Batigny; forêt de Compiègne,
au\ monts Saint-Marc, de Saint-Jean , carrefour de la Belle-
Image! Bailly! forêt de Carlepont! Ârmancourti Hanvoile.
R. d). Juillet-août. — Champs argileux, lieux arides, terrains
calcaires, terrains cultivés, jachères, champs humides en friche.
Cette plante, si commune dans TAlsace, ne se trouve guère chez
nous que dans des stations artificielles et par pieds isolés, si ce
n'est dans les forêts de Compiègne et de Carlepont.
1015 Euph Jtlricla^ Un. — r.uphorbe dressée , Euphorbe
roi (te.
Etang du Plessis-Brion ! Pierrefonds! forêt de Compiègne, à
rortille, au pont de Berne, aux Beaux-Monts, au mont Saint-
Marc!
L'épithète de stricta ne lui convient pas. Le port de cette es-
pèce n'est pas raide, mais au contraire délicat et grêle.
R. (D ou (f). Juin-août. — Bords des chemins, lieux vagues et
incultes.
b. Espèces vivaces,
1016. Euph .dulcis, Lin. (Euph, purpura fa) , Thuil. —
Euphorbe douce, Euphorbe pourprée.
Larris à BongenouU; forêt du Parc! Savignies; mamelon de
Senéfontaine ; forêt de Hez! Boursonne; forêt de Thelle; bois de
Lalandelle ; garenne de Trie-Chàteau !
A. R. ^. Mai-Juin. — Lieux sombres des collines calcaires,
haies, bois couverts; plante prenant quelquefois une teinte
rougeàtre.
Le lait de cette espèce est peu ftcre.
1017. Euph. verruco^a. Lin. - Euphorbe verruqueuse.
Pierrefond.s; mont Saint-Marc, dans la forêt de Compiègne;
754 BSQUISâl DE Là VÉgATàTION
au pont de Berne, sur la route de Compiègne à Soissons! forêt
d'Ourscamp !
T. R. ?. HaHuin. Refleurit en automne. — Lieux secs arides
et calcaires.
a. peploidei, Thuil. — Feuilles glabres.
1018. Euph. palustris. Lin. - Euphorbe des marais^
grande Esule, grand Tithymale des marais,
CaufTr>! la gorge du Han; Royaumont; prairies à Saint- Leu-
d'£sserent! pré Martinet, à Beauvais; forêt de Compiègne, sur
la route de Humières ! Fosseuse, prèsMéru; Liancourt; marais
de Ghambors ; Senlis ; vallée de Nonette , près Senlis !
Â. R. ?. Juin-août. — Prairies spongieuses ou tourbeuses.
Purgatif et émétique.
1019. Euph. Cyparissias, Lin. — Euphorbe petit Cyprès,
Tithymale commun , petite Esuie , Rhubarbe des paysans , Feu
ardent.
T. C. ?. Avril-Juillet. — Lieux arides des sables tertiaires.
Emétique et peut causer la mort.
Il y a une déformation fréquente causée par un œcidium qui
couvre la face inférieure des feuilles de pustules jaune-orange.
La fasciation de la tige est assoz commune. En automne, après
la chute des rameaux de Tombelle, Ton voit très-communément
naître à Taisselle des feuilles supérieures déjeunes ramuscules
feuilles et stériles qui donnent à la plante l*air cVun petit pin
ou sapin. Quelquefois les fleurs, à l'extrémité de la fige, piquées
par un insecte, y produisent un bouton rosacé, d'un rouge vif,
qui s'altère rapidement.
a. longibracteata, — Folioles de TinvoUicre et des invo-
lucelles linéaires-lancéolées semblables aux feuilles. —
Mello ; Hermès.
1020. Euph. Gerardiana, Jacq. — Euphorbe de Gérard,
Eclaire.
Les anciens rappelaient Esula, Avant la floraison, elle res-
semble à la Linaire.
Purgatif et émétique.
C. 7^. Eté. — Caractéristique. Chantilly, Senlis : coteaux secs
DU BBPABTBMBNT BB L'OIBB 755
des terrains sablonneux , quelquefois dans les prés humides ,
alors elle acquiert de grandes proportions \ aussi sur la tourbe.
1021. Euph. esula, Lin, ^ Euphorbe Esule.
Verberie; Nointel; Thury-sous-Clermont; Saint-Maur.
R. ?. Eté. ~ Coteaux secs.
b. tristii, Bieb. — Tiges de 2 à 5 décimètres, dépourvues
de rameaux stériles ou n'en émettant qu'un petit nombre;
feuilles d'un vert sombre.
R. Coteaux pierreux : Thury-sous-Glermont.
1022. Euph. sylvalica, Un. — Euphorbe deë bois,
T. C. ?. Mai-juillet. — Partout dans les bois et surtout dans
les pentes des coteaux calcaires exposés au nord.
b. phfjUanthum^ Nob. — J'ai souvent remarqué les fleurs
métamorphosées en feuilles dans les années pluvieuses.
c. ligulata^ Cbaub. — Rayons de l'ombelle longuement
velus; bractées ovales, oblongues, ligulées, aiguës, non
soudées. Je ne connais cette variété que dans le Bray, sur
les sables ferrugineux.
Cette plante aime le voisinage de V Heileborui fœiidus,
J023. Euph. Peplui, Lin. — Euphorbe Péplus , Esule
ronde.
T. C. selon quelques auteurs. ^. d). Eté et automne. — Lieux
cultivés, jardins. Nuisible aux vignobles et à la culture maraî-
chère. Le suc frais est employé par nos paysans contre les
verrues.
b. miniîna. — Plante naine : talus des chemins de fer.
1024. Euph, exigua. Lin. — Euphorbe fluettey petite Eiule^
petit Tithymale des champs.
T. C. (J) Eté et automne. ~ Parmi les moissons; terrains en
friche. Varie dans la taille suivant la fertilité des terrains.
b. truncata^ Koch., ou retusa^ DC. — Feuilles tronquées
et mucronées au sommet.
1025. Euph. Laihyris, Lin. ^ Euphorbe Epurge^ Purge,
Catap%ice, Camerinette y Epurge.
756 ESQUISSE DE LA véGÉTATIO?!
Pré Martinet et Saint-Jean, près Beauvais ! Therdonne; parc
d'Halincourl et bois de Lognes, près Magny; Parnes! Saint-Just-
en-Ghaussée! bois de Labrosse, près Chaumont! Auxmarais;
La Neuville-Roy ! Crépy ! Senlis ! bois des Brays, près Rouville ;
parc de Thury-en-Valois.
f. R. ? ou (f). Juillet- septembre. -- Presque toujours près des
villages, des baies de jardins, dans le voisinage des anciens
cbàteaux, stations qui font douter de sa spontanéité. Naturalisé.
Le suc laiteux frais est souverain contre les affections tuber-
culeuses de la peau, les verrues, etc. Les graines fournissent
une huile purgative diurétique très-énergique ; elles servent au
peuple de purgatif ordinaire.
VFAiphorbia iVicœensiSy AU., a été indiquée près Senlis et Ribé-
court; elle n'a dû être trouvée que par accident.
Iierciirl«ll«« Tournef. finst. t. 308 . — Mercuriale.
Etym. — Dédié h Mercure, qui découvrit les propriétés médicales de la plante.
^Tige simple; feuilles fermes MercuriaUs perennis^ Lin.
( Tige rameuse ; feuilles molles. . . Mercur, annua, Lin.
1026. 3ie$*eurialim perennis^ Lin. — Mercuriale vivace^
Mercuriale de$ boiSy Mercuriale des montagnes^ Chou de chien.
Très-vénéneuse; macérée dans Teau, elle lui communique une
belle couleur bleue que les acides et les alcalis font disparaître
promptement.
C. ?. Mars-mal. - Rois rocailleux et calcaires. Bleuit par la
dessiccation.
1027. Meweur annua , Lin. — Mercuriale annuelle, Fvi-
roude^ foireuse. Fignole, Fignoble, Sambarge^ Grenouillette,
Grenouillé, Foirol/e , Aremberge, Vignette, Foiraude, Caquenlit,
Ortie bâtarde , Cagarelle, Rinberge.
T. C. (D. Eté et automne. — Champs, vignes, lieux cultivés,
moissons, jardins.
Plante usitée autrefois comme légume et répandue par les
progrès de la culture. Nuisible aux vignobles. Les graines ont
'odenr d»i chanvre. r.a décoction de cette espèce est un laxatif
DU dApartembnt de l'oise. 757
flréqueminent employé en lavement dans les campagnes; elle
sert de base au miel mercurial , avec lequel on prépare des la-
vements laxatifs.
Biixufl* Tourner. (Irist. t. 345}. — Bulii»
Etym. — Du grecptueoê, nom grec du Buis, \enant peul-élre do puenoM. dense
ou de puxU: allusion aux bottes en buis, ou bien encore do puxos,
en grec, gobelet, de la forme du frui».
1028. BuacuB sempcrviren<, Lin. — /hiis toujours vert^
Bonis ^ Guezeffe.
Garenne de Canneville, près Chantilly; bois de la montagne
de Sainte-Geneviève; Jaux, près Compiègne î Vez, dans le Valois!
Novillers; Mortefontaine; coteaux de Gypseuil, près Méru; Betz;
bois exposés au nord dans le canton de Chaumonl, à Héronval;
Senlis; Pâmes; Ermenonville; Creil; autrefois au parc de
Boissy-le-Bois.
A.R. ?. Fleurit: mars-mai; fructifie: juillet-août. - H n'a
aucune trace de spontanéité. On ne le trouve que par touffes
isolées. Or, partout où il est spontané il couvre des régions en-
tières; il persiste et multiplie trop peu facilement pour être indi-
gène dans roise. Il croit ordinairement sur le calcaire compacte
et se déplaît dans les sols exclusivement siliceux. Le buis est un
arbuste social et envahissant. Bois estimé des tourneurs. Les
cendres font une excellente lessive. La décoction de la rftpure
du bois et de la racine a été vantée à cau.se de son action sudo-
rifique dans le traitement des maladies syphilitiques et des rhu-
matismes chroniques. Les feuilles et les sommités donnent un
très-bon engrais pour les vignes.
h* sterilis ou suff'nificosa^ L. — Huis à bordure^ Buis
nain , Buis (V Artois.
Variété naine des jardins toujours stérile.
Les feuilles du buis sont très-estimées comme engrais et con-
tiennent 2.89 d'azote pour cent de matière sèche. Le fumier d'é-
table n'en renferme que 2 pour cent.
i..
758 BSQUIS8B DB LA vi«éTAf lOM
Ouatre-fiDgt-huiiièiDe Pamille. — ULIAGfifô, Mirb.
yom tiré du genre rLMVS.)
^ Feurs sessiles ; fruits glabres Ulmus camjyestrU, Un,
f Fleurs pédîcellées; fruits ciliés rim. effvsa, Wild.
tllnia». Lin. .^on. n* 316). —
Ktym. — Du radical cHtiquo elm, imliquant les «tiverses espèces d'onne.
1039. Vltnum campestris. Lin. - Orme champêtre , Orme
à petites feuiUen^ Orme rouge^ Ormeau, Ormieu^ Ormepyramidat»
T. C. ?. Fleurit : mars-avril ; fructifie : fin de mai. — Haies,
bords des chemins, promenades, bois, etc.
a. ntida^ Ehrh., Orme ordinaire. — Rameaux nus, c'est-
à-dire, sans hypertrophie de la couche subéreuse.
h,microp/itjll((t\)\xb. — Feuilles très-petites, fortement
incisées.
c. iuherosa^ Willd., Orme à liège ou êubéreux, — Arbre
peu élevé à rameaux étalés, écorce des rameaux plus ou
moins subéreuse, boursoufflée en forme d'ailes; feuilles
ovales-acuminées, rudes ; 4 étamines. (La couche subéreuse
étant hypertrophiée, c'est un état maladif de la plante
plutôt qu'une variété.) — Haies autour de l!eauvais; Saint-
Lucien ; Verberie.
d. montatw, Smith., Orme bianCy Onue à grande» feuiitef^
Orme des montagnes. — Feuilles inéquilatérales largement
ovales, échancrées en cœur à la base, longuement acu-
minées, pubescentes, scabres, très-grandes. — Bois à
Thury-en-Valois.
e. corylifolia , Host. — Arbre élevé, aux feuilles cordi-
formei^ovales, brusquement acuminées, très-rudes; jeune
écorce lisse. — Bords du Thérain.
f. tortuosa^ Host., Orme tortillard. — Petit arbre à tige
tortueuse, à cime difTuse ou buisson; feuiles petites ou
très-petites, ovales-acnminées, un peu rudes.
DU Dril*ARTEMBlfT DE L*(>I8B. 7ftt
Planté ou spontané dans le canton de Crépy, aux Beaux-Monts,
k Saint-Corneille. — A étudier.
1030. l/l»i. etfusa.YiiM. — Ormç diffus, Orme pédoncule.
Orme blanc (en Alsace), Orme cilié, Orm£ à fleurs éparses.
Avenues de Compiègne et dans la forêt , aux Beaux-Monts, à
Saint-Corneille, au bois Michaux, à Tétang Saint- Jean, à Salnte-
Périne, aux carrefours Aurore et du Grand-Cerf, sur la route de
Morpign> , près le carrefour du Pont-Caborne ! forêt de Chan-
tilly! Crépy-en-Valois, sur la route de Gillocourt! pays de Bray;
Irie-Chàteau ; boulevards de Beauvais.
Chez tous les ormes, les feuilles varient de forme ; fleurs 6-9
(ordinairement 8 . Fleurit : février- mars ; fructifie : mai.
f. A. C. ?^. — Haies et promenades publiques.
Un de ces arbres, abattu par un ouragan, était Agé de iOOans.
Le bois des ormes est très-estimé pour le charronnage.
Une foule de formes et de variétés ont été introduites dans
nos parcs. — Les Ulmus pyramidalis y jiendula, glabra, vctriegata,
atrO'purpureUf viscosa, stricta, Hollatu/ica , etc., Villm. ameri-
cana, Mich., et VLlm, fulva, plantés au bois Michaux.
A côté de cette famille se place la famille des Celddées, dont
on trouve quelques représentants dans nos parcs et dans la forêt
de Compiègne, aux Beaux-Monts; forêt dellalatte; bois deLian-
court; àThuryen-Valois; mais ces espèces sont toutes cultivées
et nullement spontanées. Ce sont les Ceftis avstralis, Lin., Tour-
ne for fia cordai a.
Qualre-fingl-neuftëoie Famille. — URTICÉES, DC.
(Nom tiré du genre Urth:a).
. ^Plante hérissée depoils rudes et piquants. 6r//ca,Tournef.
^ Plante sans poils piquants Parietaria, Tour.
CJrlIca» Toiiroef. [Xus^. f. 308). — Ortie.
Etym. — Du latin urère, bdiler : iiliusion aux poils brûUiito de li plante.
{ Fleurs diolques ; feuilles cordiformes.. UrticadioïcayLîn,
f Fleurs femelles en grappes lâches Urt, urens. Lin.
760 BSQUISSB DB LA véG^TATION
1031. VfUea dioxca. Un. — Ortie dioïque , OrWle, Ortie
ricace, grande Ortie,
T. C. ^, Eté. - Lieux incultes, buissons, décombres, jardins.
Les racines donnent une couleur jaune.
1032. l/rl. urens. Lin. — Ortie brâlante, petite Ortie, Ortie
grièche.
T. C. CD. Eté. — Lieux cultivés , pied des murs , décombres.
Wrtica piluHfera, Lin., a été indiquée, à tort sans doute, à
Méru, Cliambiy, Chantilly, Nantheuil, ThurysousClerroont. J'ai
cependant à l'herbier un échantillon de VCJrt. pilulifera. Lin.,
récolté par M. Lenglet, médecin ii Reauvais, avec la rubrique :
de Savignies.
Les poils brûlants de Tortie dioique produisent sur la peau
des ampoules que Ton guérit avec de Teau contenant de Tarn-
moniaque, et même avec le suc de Tortie ou celui du plantain.
Parleiarla, Tunrrir-r. Inst. t. 289^ — Pariétaire.
Rtym. — Du Intin pane», ninraillo; Allusion h \n lornlit^ pnnoi|>aiede la plante.
1033 ParteiaftaofficinaHs, Poll. - Pariétaire offici-
nale, Caise Pierre j Perce Muraille, iferbe de Notre-Dame, Pariée
taire , Parêtoire ^ Vitriole, Pana f âge, Hspargoule.
Mêlée dans le blé . elle en écarte les charançons.
T. C. ^. Eté-automne. — Vieilles murailles, décombres.
b. diffusa, Koch. — Tiges procurobantes ou diffuses, ra-
meuses; feuilles elliptiques, oblongues, acuminées ; les
involucres 7 9 fldes, 3 flores ; les fleurs moyennes femelles^
les latérales hermaphrodites. C. Fissures des vieux
murs, pied des murs, décombres, voisinage des habita-
tions.
c. erecta, Mert. et Koch. [Parietaria officinalis, Lin.). —
Tiges droites, le plus souvent simples, pubcscentes. peu
rameuses ou à rameaux très-courts; feuilles lancéolées,
trinerviées , comme décurrenles sur le pétiole, et prolon-
gées au sommet en une longue pointe, pubescentes, en-
tières; fleurs verdâtres, en petits paquets axillaires, ra~
meux , dichotomes.
DU DiPARTBMBNT DB l'oISB. 761
À. C. -- Lieux ombragés humides.
Les Pariétaires âiffèrent des Orties parce qu'elles ont des lleurs
tiermaphrodites mélangées avec les lleurs femelles et réunies
dans une espèce d'involucre à plusieurs folioles.
Le Morus alba, Lin., est naturalisé à Saint-Germer. Le Morta
nigra, Lin., est généralement cultivé dans les parcs.
Le Fi<yu8 carica, Lin., est communément planté dans nos jar-
dins, mais il n'y est pas naturalisé; il ne peut supporter nos
hivers rigoureux. On plante aussi dans nos parcs, assez souvent,
le Broussonetia papyriferùy Lin., originaire du Japon.
Qaatre-YiDgl-dixièiDe Famille. — GANNABIKÉKS, KDdl
{Mom tiré du genre CANNABIS )
i Plante vivace; tige volubile Cannabis^ Tournef.
f Plante annuelle; tige non volubile... . Humulus, Lin.
Cannabl») Tournef. dust. t. 309). — Chanvre.
Ëtyro. — Du grec cannabis, ou de eanab, nom celtique dn Chan\Te, ou du celtique
ean, roseau, et ab, petit.
1034. Cannabis sativa, Lin. — Chanvre aultivé. Panta-
s gruelion.
7. A. C. d). Eté. — Cultivé généralement dans les terres fortes
de la vallée d'Automne, à partir de Béthisy ; dans celle de l'Aisne,
des deux côtés de la petite Oise; dans la vallée de Brèche, au-
dessous de Clermont! Il est en outre cultivé, pour l'usage per-
sonnel, à Ons-en-Bray, Goincouri, Laigneville, La Neuville-en-
Hez, Saint-Léger, Auneuil, Auxmarais, etc. C'est une des grandes
cultures du moyen-àge ; elle est mentionnée dans une sentence
arbitrale de l'évèque Guérin, rendue en 1^1 entre la commune
de Senlis et le chapitre cathédral. Cette culture était soumise à
la dlme. Les pieds mâles sont connus chez nous sous le faux
nom de pieds femelles.
TM lieVlWR UK LA vteiTATIOII
HmHilHS, Ud. ^D. ■• 1116). — HMilii^M.
Etym. — Du latin Immuê, terre; alluMon à l« du|io«itifNi ruspaoU ii<« tiges
de la plante.
1035. nun%uiUM Lupulug, Un. — fioublongrimpaai, Hou-
blon à la bière, feigne du nord,
Sainte-Hélène et Saint-Jean, près Beauvais; haies du canal,
à Beauvais; Notre-Dame-du-Tliil ; Goincourt, SaInt-Âubîn-en-
Bray; Bulles; pays de Bray; vallée du Thérain; Montreail ;
Villers-Saint-Sépulcre , etc.; bords de TOise, à Compiègne,
Verberie, Saintlnes, Pierrefonds, etc. Cette culture était soumise
à la dlme comme la précédente.
C. ^. Juillet-août. — Haies et fourrés du bord des eaui. Pro-
bablement échappé et naturalisé. On rencontre généralement
plus de pieds mâles que de femelles.
Les feuilles ramulaires sont cordiformes, ovales- indivîsées.
Les turions peuvent se manger comme les asperges. En Alsace,
on les apporte au marché.
Oualre-vingt-ODiième Paoille. — JI1«L4N0BS, l)G.
{Nom tiré du genre JUGLANS.)
«inglan», Ud. gen. ii* 1071 — 1%'oyer.
Kl>m. * Du latin >ovi«. gltuu, gland de Jupiter, gland divin.
1036. Jufflnnm regia^ Lin. — iSot/er commun^ Noyer royal.
Cet arbre ; originaire de Perse, fleurit en avril-mai, mûrit ses
fruits en septembre-octobre. Il supporte des altitudes de 700 m.
Il est assez commun et est cultivé le long des routes , dans les
champs , pour ses fruits , que Ton mange frais (cerneaux) ou
secs. Le brou de noix est tinctorial. La noix fournit une huiie
abondante, et le bois est très-estimé en menuiserie et en ébé*
nisterie.
DU DBPARTEMKNT DB L*0t8K. 76S
Au bois Michaux, on voit quelques espèces américaines qui y
ont été plantées et qui s'y sont naturalisées. Ce sont les Jugions
nigraj Lin., JugL chverea. Lin., JugL fraxinifolia^ Lin., elc. On
les retrouve aussi dans quelques parcs.
A. R. ?. Avril mai.
Oaatre-viogt-douzième Famille — GUPlLIFÊRÊES^Acb. Riçb.
{Nom tiré de la disposition du fruit : ARBRES A FRUIT
ENTOURÉ D'UNE CUPULE.)
/ Floraison (février) longtemps avant la
feuillaison; chatons mâles cylindri-
ques, nus pendant l'hiver; fleurs fe-
melles renfermées dans un bourgeon
écailleux ; styles rouges exserts ;
feuilles en cœur, acuminées ; invo-
lucre fructifère, campanule, irrégu-
lièrement lacinié Corylus, Tournef
^ \ Floraison (juin) postérieure au déve-
loppementcomplet des feuilles; fleurs
mÀlesen chfttons filiformes, inter-
rompus, dressés; feuilles oblongues-
lancéolées, à dents très-aiguês; in-
volucre des fleurs femelles très-épi-
neux Castanea , Tournet.
Floraison et feuillaison à peu près si-
multanées ;avril-mai) i
/Fleurs mâles, en chatons globuleux
[ longuement pédoncules, pendants;
feuilles entières ou légèrement den-
tées , ovales , elliptiques Fagus, Tournef.
2 <; Chàtonsmàlescylindriques,trè8-lâiche8;
feuilles pinnatilobées ou sinuées.. . . Quercus, Tournef.
Chatons mâles cylindriques , sessiles,
denses; feuilles ovales, acuminées,
dentées en scie, plissées Carpinus^ Mich.
764 BSQUISSB DB LA viGiTATIOll
¥wk9^m, Touraef. ([usi. t. 351). — HMre.
Etyni. -^ Les Grecs faisaient entrer quelquefois les faines dans leur nourritui e,
d'où vient le nom de fagus, du grec fagô, je mange.
1037. Fagu9 sylvalica. Un. — Hëire des bois. Hêtre com-
mun, Fau^ Fayard y Foyard^ Fouteau,
T. C. ?. Fleurit : avril-mai ; fructifie : septembre-octobre. — li
peut atteindre des altitudes de \ ,100 mètres. Le bois est excellent
pour le chauffage et le charronnage. Le fruit ifaîTie) fournit une
huile estimée. Il se plaît dans les terrains crétacés.
Dans les forêts de hêtre reposant sur un sol calcaire, à l'expo-
sition du nord, Bochstein signale une variété à écorce épaisse,
carrément rameuse. J'ai fait aussi la même remarque , mais ce
n'est qu'accidentel. C'est une altération du tissu cellulaire occa-
sionnée par les vents qui soufflent incessamment du même côté,
b. purpurea. — Feuilles d'un pourpre vineux. — Parc
d'Hondainville.
On cultive une variété de hêtre à rameaux pendants (var. pen-
dula),
Castanea, Tuurnef. Jn&t. t. 35*2;. — CliAtalsiiler.
Etym. — Du grec coitatiea, nom d'une contrée de Thossalie, voisine du Pcnée,
(1*0(1 le châtaignier, selon les anciens, tire son nom.
1038. Canianea vulgarisy Lamck. - Chdtaigmer com-
mun.
On en trouve des pieds isolés dans tous les bois ; mais il de-
vient rare, car il est sans cesse attaqué par le gibier fauve. On
prétend qu'il était fort commun dans l'Oise avant 1709 et qu'il
a disparu par l'effet des gelées de cette année là. Il préfère, en
général, le bas des montagnes; il ne dépasse guère 600 mètres
d'altitude. Il est douteux qu'il soit vraiment indigène.
A. C. ^. Fleurit ; juin-juillet; mûrit en octobre. — Fleurs à
odeur spermatique très-forte.
/
i
DU DÉPARTBMENT DE L'OISE. 765
iluerco», Tonraef. (lost. t. 349). ~ Cligne.
Etym. — Des mots celtiques kaër, quet, bel arbre.
^ Fruits longuement pédoncules, Quercus peduncuiata^Ehth.
\ Fruits presque sessiles 2
( Feuilles glabres Qtf^s, sessiliflora, Smith.
( Feuilles pubescentes Quer, pubescens, Wîld.
1039. iQuereua pedunculalay Ehrh. — Chêne merrain,
Roure , Chêne pédoncule^ Chêne femelle, Gravelin^ Châgne^ Chêne
blanc ^ Chêne Rouvre ou à grappes ^ Chêne commun,
T. C. ?^. Fleurit: avril-mai; fructifie : septembre octobre. —
Cet arbre devait, selon toute apparence, constituer, à Torigine,
les forêts naturelles. Le bois est d'une grande valeur dans le
charronnage, Tébénisterie , Tarchitecture, Thydraulique , etc.
L'écorce fournit le tan employé pour les cuirs. Ce chêne et le
suivant sont fréquemment habités par des gallinsectes (cynips
pedunculi^ foliorum et gemmx quercus) qui produisent les diffé-
rentes sortes de galles que Ton remarque sur les chênes.
1040. Que^. sessiliflora, Smilh. - Chêne à glands sessiles.
Chêne blanc ^ Rouvre^ Chêne des collines^ Chêne à petits glands^
Chêne à larges feuilles^ Chêne noirâtre. Chêne lanugineux, Chên
mdle^ Chêne noir^ Roure, Durelîn, Chêne à trochets,
C. V» Fleurit : mars-avril ; fructifie : septembre-octobre. —
Toujours sur la craie ; il a beaucoup de ressemblance avec le
précédent, mais il est moins élevé; rameaux moins tortueux,
dressés; son bois est moins dur; feuilles à base atténuée en coin,
plus allongées, sinuées régulièrement; fleurs femelles et glands
subsessiles.
b. platyphyllos, — Forêt de Thelle ; bois du canton de
Ghaumont; marais de Saint-Just-les-Marais.
c. laciniata, — Feuilles plus petites, profondément pin-
natifides; arbre ordinairement rabougri; glands plus pe-
tits. — Parcs.
\jQQuer. Toza, Bosc. (Bourgeau. Pi. divers [1853]; Bill. Exsicc.
no 1329, — Quer. pyrenaica, Willd.), assez répandu dans l'ouest
T, viu. 10
766 MSQUISSB DE LA vieiÎTATlOlf
de la France, a été planté dans les bois à Saint-Martin, près
Thury-en -Valois. Cette espèce se reconnaît aux caractères sui-
vants : racine traçante, tige ordinairement peu élevée, souvent
ramiljée en buisson dès la base; jeunes rameaux couverts ainsi
que les pétioles d'une villosité étoilée, tomenteuse; feuilles pé-
tiolées, se développant plus tard que celles du Quer. semlifloray
couvertes surtout en dessous, même à l'état adulte, d'une villo-
sité étoilée très épaisse, oblongues ou oblongues-ovales, ordi-
nairement profondément sinuées-pinnatilobées à lobes inégaux
ordinairement oblongs, obtus mutiquesj pédoncules fructifères
ordinairement très-courts; écailles de la capsule apprimées;
fruits arrivant à maturité dans l'année même de l'apparition des
fleurs qui les ont produits.
Le Quercui cerrU, Lin., Chêne cerrù, n'est pas du pays; il se
trouve quelquefois planté dans les bois et les forêts, aux envi-
rons de Beauvais, à Compiègne, au bois de Tbury en Valois ; il
est indigène dans l'ouest de la France. Dans cette espèce, les
fruits sont placés à l'aisselle des feuilles tombées l'année précë-
cédente, à maturation biennale , les fleurs femelles restant sta-
tionnaires pendant une année à partir de leur apparition, et ne
complétant leur évolution qu'il l'automne de la deuxième année
Il semble que le bois de ce chêne ait été jadis plus employé
qu'il ne l'est aujourd'hui. On le retrouve souvent dans les char-
pentes qui forment le comble des cathédrales, et que l'on pre-
nait pour du châtaignier, avec lequel il a beaucoup de ressem-
blance. C'est peut-être cette croyance qui a fait supposer l'exis-
tence de forêts de châtaigniers dans le département.
1041. QueM\ pubescens, Willd. — Chêne pubescent.
Fruits sessiles ou subsessiles; feuilles pubescentes et même
tomenteuses en desâous dans leur jeunesse; taille moins élevée,
rabougrie; fruits plus petits. Variété du précédent.
Forêts de Hez et de Compiègne ! montagne de Liancourt; bois
des Brays , canton de Crépy !
DU DÉPARTBIIBNT DB L*01SB. 767
Carplnu», Mich. — Cbarme.
Etym. — Des mots celtiques car, bois , pen, tôte ; c'est-à-dire bois propre à faire
des jougs pour les bœufs.
1043. Carpinum betulus^ Lin. — Charme commun^ Char--
mille,
T. C. y. Fleurit : mars-avril ; fructifie : aoûl-seplembre. — Bois.
Employé en berceaux et en baies, il s'appelle c//arw;//6. C'est une
essence de la craie. Il dépasse rarement 700 mètres d'altitude,
b. — A involucres dentés.
Corjloa* Touriitf. (Inst. t. 347). — Coudrier.
Elym. — Du grec corus, casifuc ; allusion h ;a forme de la capsule qu coiffe
le fruit.
1043. Covylum avellana^ Lin. — Coudrier, ISoisetier,
Cœucire, Arelinier,
T. C. ? Fleurit : février; fructifie : août-septembre. — Bois et
buissons, sur la craie; terrains mélangés de chaux et d'argile.
a. ifjlveslris. — Fruit petit, blanc.
b. saliva atU iubulosa, — Noisetier rouge, — Involucres
à tube conique.
On en cultive une assez grande quantité de variétés, et surtout
la variété laciniata à feuilles profondément dentées, incisées ou
laciniées, ainsi que la variété folîis purpureis, d'un rouge vineux.
Le nom d'Aveline vient, dit-on, ù!Avilla ou Jbella, >ille de
la Campante, où il y avait beaucoup de coudriers.
768 ESQUISSE DE LA VEGÉfATiON
Oualrc-vingl-lreizièuie Famille. — SALlQCÉtS (Kirschleger).
[.\om tiré du genre SaLIX.)
/Disque réduit ûl*:2glandeà; élainine82-3,
i rarement 5; écailles des cbàtons en-
> lières Saiix^ Tournef.
i Disque en forme de capsule; élamines
f 8-liau plus; écailles des chatons or-
\ dinairemeul incisées ou laciniées PopiJus. Tournef.
«ails, Tuur.icr. U>\, t. 368 . — ft^aule.
Et\in. — Du colti<|iic sal, L^, pn^s do l'tsiu; nllusioii aa\ localités ou {lousseiit
ces art)m!>ca<i\. Selon Tho s, \ient du ccUiiiue«uf. proche, et lis, eau.
CUalons pédoncules par un jeune
\ rameau feuille i
iChatons sessiles ou à pédoncule
très court (i
Feuilles glabres ou seulement ve-
lues dans leur jeunesse 3
Feuilles velues sojeuses sur les
deux face:- , lancéolées-acumi-
^ \ nées surtout en dessous; capsule
à pédicellc égalant à peine la
longueur de la glande ; éta-
mines ^2 Saiix alba, Lin.
Etamincs 3; écailles glabres au
sommet; chatons grêles, allon-
gés,làches,cylindriques; feuilles
3 J obovales, lancéolées, luisantes
(en dessus Sal, trimuira. Lin.
Ëtamines 2; écailles barbues,
même au sommet 4
DU DÉPAnTEMENT DE l'OISB. 769
/Kcailles caduques avant ia malu-
1 rilé; feuilles vertes ou à peine
y glaucescentes en dessous ; bran-
i ches très-cassantes à leur inser-
I tion ; capsule à pédicelle â ou 3
[ fois aussi long que la glande. . . Sa/, fragilis, f Jn.
\Ecailles persistantes r>
, Pédicelle de la capsule 2 fois aussi
{ long que la glande ; écaille d'un
, j jaune verdàtre ou un peu rosé, SaL undulata^ Elirli.
^Pédicelle de la capsule de la lon-
^ gueur de la glande; écailles ro-
\ sées Sai. /tippophœfoHa.ThXïW.
(Sous arbrisseau à tige souterraine
rampante; bourgeons foliacés,
) soyeux Snf. repens^ Lin.
■^Arbrisseau à tige élevée 7
.Anthères rouges, noires en vieil-
7 ^ lissant 8
Anthères jaunes 9
Feuilles lancéolés d'un vert gai ;
style long, ordinairement plus
long que les stigmates; étamines
soudées seulement dans leur
partie supérieure Saf. rnhra^ Huds.
8 <( Feuilles glauques en dessous; style
plus court que les stigmates;
étaminossoudéesdanstouteleur
longueur et simulant une éta-
mine unique à anthère quadri-
\^ lobée Sal. purpxirea, Lin.
/Capsules sessiles; anthères jaunes
même après rémission du pol-
len ; feuilles adultes soyeuses-
argentées en dessous ; squames
^ ^ jaunâtres à marge brun foncé;
chatons cylindriques allongés,
très-odorants . Sal. viminalis^ Lin.
Capsules pédicellées iO
770 BSQDISSB DB LA YtoÉTATlON
Feuilles oblongues - lancéolées ;
l style assez long; capsule à pé-
\ dicelle une fois plus long que
^^ j la glande Sai.Sfnithiana,yi\M.
fFeuilles ovales ou oblongues- obo-
\ vales ; style court Ai
FeuiUesacuminéesàpointe droite;
i bourgeons pubescents blanchft-
i\ ' très Sal, cinerea^ Lin.
/Feuilles acuminées, à pointe obli-
\ que ou recourbée 12
Rameaux grisâtres ou jaunâtres;
feuiHes rugueuses; arbustecourt
à rameaux tortueux; squames
obovéesspatulées; bourgeons
foliacés cotonneux-laineux; cbft-
tons petits Sal, aurita , Lin.
Rameaux bruns-luisants ; feuilles
molles; arbre à tronc dressé as-
sez élevé; squames obovées-
acuminées; cbfttons très-gros ,
ovoïdes-coniques ; bourgeons
foliacés , cotonneux Sal. CaprcM^ Lin.
I. SAULES ANGUSTIFOLIÉS.
{Feuille» étroites j lancéolées ou oblongues),
a. SAULES FRAGILES.
(Rameaux très-cassants^ fragiles en temps de sève^ à leur point
dHnsertion sur la branche mère).
Chatons femelles précédés de quelques feuilles; floraison et
foliaison simultanées ; squames jaunâtres; étamines 2, rarement
4-Î5; ovaires glabres^ très-brièvement stipités,
1044. Saliac alba^ Lin. — Saule blanc^ Sau^ Seu^ Saule
pliant^ Osier ^blanc, Osier vert^ Saule Osier,
DV D^PAftTfiMBNT Dl L'OISB. 771
a. foliis plabrescentibus.
b. ritellina^ Lm. — Saule viieiifn^ Saule jaune {Boîs jaune,
Osier jaune^ Ambier^ Jmarinier^ Saule-Osier). — Il ne
diffère du Salix alba que par Técorce jaune-doré des
branches plus flexibles. Rameaux grêles, luisants, jau-
nâtres.
Souvent planté dans les oseraies et les vignes.
c. violacea. — Ecorce des jeunes rameaux d'un rouge
violet.
T.C. ^. Avril-mai. — Bord des eaux, prairies; souvent planté
au bord des chemins. Les rameaux de Tannée servent de liens,
surtout pour les vignes, pour la vannerie, elc,
1045. Sul fragilis. Lin. — Saule fragile^ Saule cassant,
Osier cassant.
Marais de Saint-Just et des Canadas, près Beauvais! prairies
de la vallée du Thérain; Therdonne; Bailleul-sur-Thérain ;
Mouy ! Creil ! vallée de la Brèche; Guiscard I Cuvergnon !
L'écorce est fébrifuge , la racine fournil une teinture pourpre.
A. B. 'J^, Avril-mai. — Bords des rivières, marécages, souvent
planté dans les oseraies et dans les vignes.
Cet arbre est très-voisin du Sal, alba; il en a la taille, Técorce
est ordinairement jaunâtre ou d'un brun-clair ou rougeàtre ; ses
branches sont beaucoup plus cassantes au point d'exsertion et
deviennent fragiles en vieillissant; ses feuilles sont glabres,
concolores, vertes ou très- légèrement glauques en dessous;
stipules en demi-cœur; dans le SaL alba^ elles sont lancéolées.
h.pendula, Pries., Osier rouge, — Bameaux allongés,
grêles, pendants, rougeàtres, très-flexibles; feuilles
étroites , longuement atténuées et non brusquement acu-
minées au sommet, toujours glauques en dessous; cha-
tons et capsules plus petits. C'est le Sal. Russelinna^ Smith.,
souvent cultivé en oseraies.
Les arbres de cette section sont souvent taillés en têtards, et
alors leurs jeunes rameaux, longs et flexibles, sont employés
comme osiers.
Le Sal, Babylonica, Lin. {Saule pleureur)^ a été introduit en
Europe au xvii« siècle ; ses branches flexibles et pendantes indi-
quent son origine syrienne et persane. Il est planté dans les
772 ISOt'1881 DE LA VÉGÉTATIOH
parcs, près les étangs, dans les cimetières. On ne ronnail que
les pieds femelles en Europe.
1>. SALXES OSIERS,
a. SaïUe* langifo/iês.
Floraison précédant la foliaison; squames fréquemment dis-
colores; feuilles linéaires ou oblongues. atténuées vers la base;
branches très-flexibles et peu fragiles; ordinairement 2 étamînes.
1046. Sal. viminaliSy Lin. — Saule riminal. Saule desran-
nierSy Osier vert^ Vellein^ Saule à longues feuilles, Osier noir ^
Osier blanc.
T. C. ?. Mars-avril. — Foliaison tardive. — Bord des rivières,
oseraies et vignes.
a. longifolia, — Feuilles linéaires très-longues.
b. angustifolia , — A. R. Alarais de Bresles.
c. rlrescens. — Ecorce verte.
1047. Sal. hippophœfolia, ThuW. — Saule à feuilles cT^r-
gousslerj Sa%le olivâtre.
Sur les bords de roise; pré Martinet, près Beauvais. On ne
connaît que Tindividu mâle. C'est une hybride entre le SaL trian-
dra et vtminalis {SaL viminali-triandra),
A. C. ?. Avril-mai. — Au milieu de ses parents.
s. v. sericea. — Feuilles pul)escentes , soyeuses en
dessous.
1048. Sal. Smithiana, Wilid. - Saule de Smilh. {SaLclne-
reo viminalis^ Moq., Sal. Seringeana^ Gaud.j
Kochy-Condé ; Vaudencourl ; marais à Breteuil ; Oudeuil, près
Hautépine; Sacy le Grand; Creli! Verneuil! Saintines! Courcelles-
les-Gisors !
Espèce hybride à feuilles étroites se rapprochant de celles du
Sal. viminalis^ à face inférieure lomenteuse, soyeuse, à reflet
argenté; stigmates bipartits plus longs que le style.
L'Individu femelle n'a pas été observé dans l'Oise.
T- R. ?. Avril-mai. — Bords des eaux, haies, oseraies.
DU DÉPARTEMENT DE L'oISE. 77o
b. Saules mmiandres.
Feuilles subopposées ^ glauques^ oblongues ou obovées-Jancéo-
lées; étamines % à filets adhérents souvent jusqu'aux anthères;
style très-court; stigmates subsessiles; cliatons opposés, subses-
siles, compacts, cylindriques.
1049. Sal, purpurea, Lin. {Sal. vionandra^ Hoft.j. — Saule
pourpre^ Saule à tme et aminé ^ Osier bleu , Osier roxige^ Verdiau»
Goincourt; bords de l'Aisne, vis-à vis le Berne; bords de
roise, entre Pont et Creil.
A. C. î^. Mars-avril. — Bord des eaux, lieux humides, oseraies.
On rencontre des étamines libres dans une partie de leur
longueur et des épis androgynes.
a. gracilis {SaL purpurea^ Sm.). — Chatons Irès-grèles.
b. Lambertiana. — Feuilles grandes et larges; chatons
femelles plus gros de moitié que dans le type.
c. helix^ L. — Variété à rameaux dressés et à feuilles
plus longues et plus étroites, glabres en dessous, oppo-
sées vers le haut des rameaux, à écorce olivâtre ou d'un
rouge de corail ; style évident et à stigmate très allongé.
— Vallée de la Brèche; marais des Canadas, près Beau-
vais; Clermont.
A. R. — Les racines fixent les rivages, et les rameaux servent
pour là vannerie.
1050. Sal, riitra,' Huds. — Saule rouge. Osier rouge.
Bords de l'Oise 1 depuis Le Meux jusqu'à Boran, PontSainte-
Maxence, Creil.
b. olivacea, — Vallée du Thérain !
c. amentis-munoecis. — Les mêmes chatons portent à la
base des fleurs femelles et au sommet des fleurs mâles ;
\ stigmates; écailles velues.
A. R. Avril-mai. — Bord des rivières, oseraies. Ce saule pa-
rait être un hybride entre le Sal, monandra et le Sal. viminalis
{Sal. purpureo viminalis). 11 a les feuilles du deuxième, mais ù
face inférieure, verte, pubescente-soyeuse, glabrescenteen vieil-
lissant. Les chatons, rameaux et feuilles sont alternes et non
774 ESQUISSE DB LA YfeJTATIOlf
opposée. La soudure des filets slaminaux n'existe que vers la
base. Ovaires et capsule presque sessiles. Les squames sont d'un
roux brun-foncé, pileuses. Les styles sont allongés. Les stigmates
sont filiformesj indivis. L'individu mâle est plus rare.
c. Saules pruineuT.
Ecorce des jeunes brandies pruineuse, c'est à dire couverte
d'une poussière blanche cireuse; feuilles adultes glabres.
Le Sal. Daphnoides^ Will., a été planté dans les bois de Thury-
en- Valois, où M. l'abbé Questier l'a observé. Il n*est pas spon-
tané. C'est une plante de la région rhénane, il se distingue aux
caractères suivants : arbre pouvant atteindre 610 mètres, à
jeunes rameaux ordinairement plus ou moins velus; feuilles
oblongues-lancéolées, acuminées, denticulces-glanduleuses aux
bords, fermes, d'un beau vert et luisantes en dessus, un peu
glauques-cendrées en dessous, pubescentes dans la jeunesse,
puis très-glabres: stipules ordinairement ovales, très-caduques;
chatons sessiles, dépourvus de feuilles à la base; écailles d'un
brun noirâtre dans presque toute leur étendue, abondamment
couvertes de poils soyeux qui les dépassent longuement; cap-
sule glabre, sessile; style assez long; stigmates courts, bifides.
Le Sailx acutffolia.WM.y originaire de l'Allemagne, a été
observé dans les marais de Rourneville, canton de Betz, où il
a été planté. Il est très-voisin du Salix daphnoides, dont il dif-
fère surtout par ses jeunes rameaux glabres, par ses feuilles
lancéolées plus étroites longuement acuminées et par ses sti-
pules lancéolées-acuminées.
e. SAtLES AMYGDALINS.
[Floraison et foliaison simultanées; étamines ordinairement 3;
squames iaunes^ concolores, persistantes),
«
105i. Sal. triandra. Lin. — Saule à trois étamines^ Saule
amandier, Osier brun.
Il exhale une odeur aromatique dont les auteurs ne fonf pas
DU DiiPARTBMBirT DE L*0ISB: 775
mention. Les feuilles sont vertes aux deux faces. On observe, à
la base des jeunes pousses florales, une touffe de poils blancs
qui manque dans le Saule blanc et le Saule jaune,
T. C. Avril-mai. — Bord, des eaux.
a. concolor. — Feuilles vertes ou à peine glauques en
dessous.
b. discolor ou amt/gdalina^L. — Feuilles dentées, glau-
ques'pruineuses en dessous, plus larges. — Pré Martinet,
près Beauvais; Goincourt; marais des Canadas; vallées de
la Brèche et du Thérain; Jaux; Mouy; Clermont.
1052. SaL undulatGy Ehrh. -- Saule ondulé.
Bords de TOise, près Crell.
T. R. ?. Avril-mai. — Bords des rivières. L'individu mAle n'a
pas encore été rencontré.
Hybride probable des Salix triandra et Salixviminalfs [Salix
Iriandra-riminalis),
II. SAULES LATIFOLIÉS.
(Feuilles ovales ou largement elliptiques),
a. SAULES M ARCEAUX.
Feuilles rugueuses en dessus et tomenteusesgrisâtres en des-
sous; ovaires longuement stipités; floraison précédant la foliai-
son ; squames noires au sommet; chatons ordinairement courts^
ovoïdes; styles assez courts; stigmates bilobés ou échancrés.
1053. Sml, Caprœa, Lin. — Boursaude^ Marsaude^ Saule-
Marsault,
T. C. Avril-mai. — Bord des eaux.
Les jeunes branches servent à faire des paniers. L'écorce est
employée pour le tannage en Suède. Les fleurs mâles, recher-
chées par les abeilles , exhalent une odeur agréable aux appro-
ches de la pluie. L'écorce sert à teindre en noir le chanvre et le
coton.
b. serotina. — Bulles.
c.ulmifolia. — Côte du Point-de-Jour, près Beauvais;
Cauflhry, près Liancourt. — Collines sèches.
776 teSQUISSB DB LA vioÉTATION
1054. Sal. aurita, \a\ï. --Saule à oreillette, P^Ht Marceau-
Oreille.
Polymorphe.
T. C. Mars avril. — Forèls, marécages, bruyères.
Celte espèce se dislingue des Sal. cinerea et Caprœa par ses
chatons mâles et femelles de moitié plus petits.
1055. Sat, cinerea^ Lin. — Saule cendré^ Saule ffris, Serrfn.
T. C. Mars-avril. — Bord des fossés, des rivières.
b. rufinertls^ DC. — Feuilles à nervures rousses. —
Chaumont; Méru; Bulles; Lortheil; Liancourt.
b. SAULES NOIRCISSANTS.
Feuilles non rugueuses, lisses, glabres ou piloso-pubescentes;
style très- long; stigmates profondément hifides; feuillage noir-
cissant par la dessiccation.
Le SaL nigricans^ Fries, indigène dans le Jura et dans la ré-
gion rhénane, a été rencontré dans la forêt de Compiègne, au
Puits dii-Roi ; dans la forêt de Ilalatte, près Saintines, et sur la
montagne de Liancourt. Il n'est pas spontané.
e. SAULES RAMPANTS.
Sous-arbrisseaux à souche rr(m;ww ré»; feuilles ordinairement
soyeuses-argentées en dessous.
1056. Sal. repens, Lin. — Saule rampant.
Marais tourbeux de Brétel, entre Saint-Pierre ès-Champs et
Saint Germer: marais de Sacy-le r.rand ! marais de Jaux; Neu-
ville Bosc! Ermenonville! Rantigny; Troîssereux, près Beauvais ;
Mortefontalne; bruyères humides de f-a Chapelle-aux-Pots.
T. R. ^, Avril-mai. — Marais tourbeux, bruyères humides.
b. angustifolia^ Coss et G. — Feuilles lancéolées, ordi-
nairement glabres, glauques en dessous.
c. argentea. — Feuilles très-soyeuses sur les deux faces,
d*un blanc-argenté.
Nota. — Dans le parc d'Iîondainville, près Mouy, on trouve
DU DÉPARTBMBNT 0B L'OISB. 777
uDe assez précieuse quantité de saules que M. de Saiut-Moris
cultivait autrefois. Quelques espèces s'étaient naturalisées et se
reproduisaienld'ellesmOmes. C'étaient les 5a/. y/ wiericawa,Willd.,
— undulata^WiWù,, — acuHfolia^VfiWû., — fw^r/t7/oïc/c«,Willd.,
— Carolinianaj Smith., — laurifoliaj Bosc, — Rmseliana^ViiW^.^
— bicolor^ Ehrh., — Rosmarinifolia, Lin., — decipiens^ Schl., etc.
Nous ignorons ce qu'est devenue cette collection qui charmait
tous les botanistes hcrborisateurs.
Le genre Satix présente quelques monstruosités assez fré-
quentes : ce sont tantôt des chatons monoïques à fleurs femelles
dans le bas, à fleurs mâles dans le haut; tantôt le chaton est
mi-étamine, mi-carpelle, et on ne sait quel est son sexe; la
fasciation des rameaux n'est pas rare. Quelquefois les feuilles
bractéales se transforment en feuilles véritables. Les insectes les
piquent souvent; de plus, il y a beaucoup d'hybrides. C'est donc
un genre qu'on ne saurait trop étudier.
PopaluM, Touraef. (lost. t. 365). — Peuplier.
Ëtym. — Du latin populiu, peuple. Cet arbre était planté dans les lieux publics, ou
du grec paipallein, agiter; allusion à Toscillation continuelle des feuilles. Les uns
font encore venir co mot do polus, beaucoup, en grec, à cause du grand nombre
des feuilles; les autres de populus, en latin, parce que le feuillage du peuplier
est, comme le peuple, dans un mouvement perpétuel.
r Chatons à écailles velues, ciliées. . . 2
f Chatons à écailles glabres 3
f Feuilles blanches, tomenteuses en
dessous Populus alba^ Lin.
^Feuilles glabres ou pubescentes, non
blanches en dessous Pop. Tremulu , Lin.
L Rameaux dressés , fastigiés Pop. fastigiata^ Poir.
( Rameaux étalés \
^Feuilles plus larges que longues — Pop. rirginiana^DesL
(Feuilles plus longues que larges... Pop. nigra, Lin.
1057. Populua alba, Lin. — Peuplier blanc^ Peuplier de
Hollande^ Ypî'éaux, Planard, Bouillard, Grisaille^ Blanc de
Hollande.
T. C. ?. Mars-avril. — Lieux frais. Le peuplier est l'essence de
778 B8QUISSI DB LA tAoiTATIOII
la région crayeuse ; souvent planté dans les prairies et le long
des routes. Le nom ù'Ypréaux lui vient de ce que cette essence
est cultivée en grand dans les environs d'Ypres.
1058. Pop. Tremula, Lin. — Peuplier Trembfe.
T. C. ?^. Mars-avril. — Bols humides, terrains crayeux. — Le
p(^4iole est si long et si comprimé que les feuilles sont agitées
par le vent.
1059. Pop. fiigra, Lfn. — Peuplier noir^ Peuple blane^
Bouillard, Bugle, Bule^ Liard^ Lêard^ lÂardier^ Peuplier franc.
Peuplier suisse.
C. ?. Mars avril. — Bord des eaux. Planté en avenues, en
quinconces et sur les promenades publiques.
1060. Pop. fasligiata, Poir. — Peuplier fastigié^ Peuplier
d'Italie, Peuplier de Lombardiey Peuplier pyramidal.
Introduit de Lombardie en France en 1760.
Â. C. Mars-avril. — Tous les sols, excepté la glaise. L'écorce
donne une teinlure jaune. Souvent planté en avenue.
1061. Pop. Virginiana^ Desf. - Peuplier de Virginie, Peu-
plier suisse^ Peuplier noir ^ Peuplier du Canada .^ Peuplier moni-
lifêre.
A. C. ?. Mars avril. — Fréquemment planté.
Le Populus canescens^ Smith, probablement iïybride {Pop, albo-
tremula)^ vulg. Grisard^ Grisaille^ se dislingue du peuplier
blanc par ses feuilles grisàtres; pubescentes en dessous , quel-
quefois glabrescentes, par les squames des chatons femelles
fendues ou laciniées, longuement ciliées. Il se rencontre à Cou-
dun, Noyon, Mortefontalne, Compiègne, Le Plessis-Belleville,
prairies de Bulles.
DU dApamtemint di l'oisi. 779
Qaatre-TiDgl-quiloriièine Famille. — BÉTILACËES (Endl.).
[Nom tiré du genre Betulà.)
/Chatons femelles cylindriques pendants,
l solitaires, à écailles membraneuses,
1 coriaces et caduques à la maturité ^e^tt/£r,Tournef.
^ ^jCliatons femelles ovoïdes, dressés, dispo-
sés en grappes rameuses corymbiformes,
à écailles ligneuses et persistantes Alnusy Tournef.
Betala, Tourner. (losf. t. 36(0. — Bool^aot
Etym. — De BHu, nom celUqne de la plante.
1062. Beiula alba. Lin. — Bouleaublanc^ Bouiieuy Bouitlet,
Bouleau verruqueux^ Bouillard, Bois à balais.
T. C. ?^. Fleurit : avril ; mûrît : septembre. — Bois.
Arbre essentiellement psammophile et évitant les sols cal-
caires. Les feuilles des bouleaux donnent une couleur jaune. Les
branches vergetées servent à faire des balais. Par la distillation
sèche on obtient de Técorce le goudron de bouleau qui donne
une odeur spéciale au cuir russe.
a. alba. — Jeunes rameaux et feuilles glabres; les feuilles
des jeunes rejets seules quelquefois pubescentes ou velues.
b. pendula , Hoff. (Bouleau pleureur), — C'est le bouleau
dans la vieillesse.
c. verrucosa, Ehrh. — Jeunes pousses couvertes de pe-
tites verrues blanches.
û.pubescens^ Ehrh. — Jeunes rameaux ordinairement
pubescent ou velus et feuilles pubescentes, surtout en
dessous, au moins à Tangle de séparation des nervures;
feuilles moins acérées.
Vallée de Bray ; bois de Troissereux; forêt du Parc; Rainvil-
1ers; Saint-Germer ; Clermont ; Chaumont ; Formerie; forêt de
Compiègne, à la mare aux Cannes; bois de Plaisance; Rouville;
Serans, buttes du Crêne et du GoupilloUi
780 K8QU1SSE DE LA VÉGÉTATION
A G. ?. Avrii-mai. ^ Terrains humides et tourbeux.
Le Uetula lenta^ Lin., originaire de rAmérîque, a été planté
dans la forêt de Compiègne, route des étangs de Saint-Pierre. Il
en est de même du Betula papyrifera^ Mieh., au bois Michaux.
AlDUM, Touraef. (lusL I. 359,. — Aane.
Etyin. -- Venant pout-otre des mots celtiques al, lan, voisin des rivières.
1065. itinua glutinosa^ Lin. — Aune glutineux^ Verne^
f^ergne^ Aunoy, Aulne commun,
T. C. ?. Février-avril; fructifle : septembre octobre. — Le long
des rivières, des canaux, des étangs; forêts humides. Il refuse,
en général, les sols glaiseux. L'aune, pourrissant difficilement
dans l'eau, es( employé avec succès pour garantir les rives de
rérosion des eaux. Le bois est estimé des tourneurs et des char-
rons. L'écorce est tinctoriale.
b. laciniata. — Dans les parcs , à Thury, etc. — Planté.
VAlnus incana^ liérat, trouvé dans les bois de Liancourt et de
Mello. provient de plantations. Il a été planté dans la forêt de
Compiègne.
Qualre-viDgl-quiDzième Famille. — MYRiCfiES (Endl.).
(Nom tiré du genre Myrica.)
Le Myrica gale^ Lin. [Piment royal ^ Bois sent bon)^ a et planté
dans la forêt de Compiègne, en 1845, par M. de Marsault, au
Vivier-Payen , aux étangs de Saint-Pierre et au mont Arsy, près
Pier refonds ! On le rencontre de même dans les bois avoisinant
la forêt de Villers-Cotterêts.
DU DEPARTEMENT DE L'OISE. 781
Oaatre-riDgl-seiiième Famille. — GONIFÈBIS (Jassleo).
{Nom tiré de la forme du fruit : ARBRES PORTANT
DES FRUITS EN €ONE.)
Ç Feuilles fasciculées 2
( Feuilles non fasciculées 3
Feuilles fasciculées par 2-5 ; cône à écailles
épaissies au sommet Pinus^ Lin.
2 ^Feuilles des rameaux abbréviés fasciculées
au nombre de plus de 5; celles des ra-
meaux étirés Isolées Larix^ Tournef.
C Feuilles alternes 4
( Feuilles non alternes Juniperusy Lin.
Feuilles alternes isolées, aplaties, obtuses
ou échancrées .... ^bks^ Tournef.
Feuilles alternes isolées, subtétragones ,
très-aigués Picea^ D. Don.
PlBUS, LlD. (gCD. !!• 10T7). — Pin.
Etym. — Da grec pinoê, nom donné par Théophraste au pin sauvage; venant poat-ôtre
da celtique pen^ tête ; allusion h la disposition des rameaux en toulTe arrondie.
Feuilles ne dépassant pas un décim.,
plus courtes ou à peine aussi longues
que répi des chatons m&les ; cônes
I 1 pédoncules , penchés Pinussylvestris^ Lin,
iFeuilles longues de 1-2 décim., beau-
coup plus longues que l'épi des cha-
tons mÀles; cônes sessiles, étalés à
angle droit Pin. maritima^ C. B.
1064. Pinus sylveslris, Lin. — Pin sylvestre^ Pin commun^
Pin de Genève^ Pin de Riga, Pin de mâtures^ Pinasse^ Pin suisse^
Pin du nord y Pin de Russie, Pin sauvage, Pin d'Ecosse*
T. VIII. 51
78^ EflQLISSI DE LA TfiGITATI05
7. C. ?. Fiearil : avril-mai. — Le bois est universellcnient em-
ployé pour bois de chauffage et de consKniction. La résine et les
jeuoefi pousses senrent en pbannacie. Planté dans les forêts, les
cimetières f les parcs, mais non spontané, il est employé sur-
tout pour reboiser les larris. On en voit pluriears variétés dans
les bois.
b. rubra. ^ Pin dEcoue. — Jeunes pousses rouges;
feuilles un peu plus longues et moins raides, dépassant
les cônes.
1065. Pin. tnarilitna, c. B. — Pin maritime. Pin des
iMndes^ Pin de Bordeaux^ Pin saura ge^ grand Pin, Pin Pinasire^
f. A C. Fleurit : mai. — Est planté de même dans les forêts de
Hez, de Compiègne^ d'Ermenonville, à Mortefonlaine , etc.
Mêmes observations que précédemment. Il fournit la térében-
tlne de Bordeaux.
Le Plnuê strobuê, L. {Pin du Lord^ Pin de fyeymouih)^ origi-
naire de l'Amérique septentrionale, s'est acclimaté à Morlefon-
taine, au parc de Betz, où il a été planté en assez grande quan-
tité. 11 a été introduit en Angleterre, en 1705, par lord Weiy-
mouth. Son bois fragile empêchera peut-être sa vulgarisation.
[PIce*, D. DoD. (la Lamb. Pin). — 0apto.
Etym. ~ De pieea, résine, da produit que cette- essence foumit.
1066. PIcea peclinata, Loud. — Sapin pectine^ Sapin de
Normandie j Avet^ Sapin argenté^ Sapin blanc ^ Sapin à feuilles
d'if y Pin de Bordeaux^ Sapin ^ Epicéa^ Sapinetie.
Cet arbre, au port majestueux, pyramidal, foumit un bois de
construction; il donne la térébenthine de Strasbourg, qui se
trouve dans des bourses spéciales logées dans l'écorce. Cette
térébenthine, distillée, fournit V huile essentielle de térébenthine,
et son résidu forme la colophane. Il est assez répandu.
-]-. Fleurit en mai. — Dans le genre Abies^ les écailles du cône
sont persistantes , les feuilles subulées , éparses ; dans le genre
Plcea, les écailles du cône se détachent avec les graines, et les
feuilles sont non subulées, distiquées.
I
II
DU DÉPARTEMENT DE L'OISE. 785
AMe», Tonmef. (last. t. 353-354). — Eplcéii.
Etym. -- Du grec 06109, qui vit longtemps, ou de abin, non grec du sapin.
1067. Ables exceUa^ DC — Epicéa élevée Sérente^ faux
Sapin y Sapin de Norwèçfe^ Pesse ou Epicéa.
f . Fleurit : mai-juin ; mûri t pendant l'été de la deuxième année.
— Sa résine est connue sous le nom de poix-résine. Le bois est
estimé en menuiserie, en architecture, etc.
On cultive encore dans les parcs VAbies Canadensis, Mich.,
VMies balsamifera ^ Mich. {Baume de Gilead)^ VAbies alba ^
Poir, etc. Ces arbres , au port gracieux , ont trouvé accès dans
presque tous les parcs.
Nota. — Les sapins ont la pointe de leurs cônes tournée vers
le ciel, et leurs fleurs femelles sont d'un assez beau rouge; les
pic^as ont la pointe de leurs cônes tournée vers le bas. La
graine de sapin met six ans au moins à lever. Les écailles des
cônes ^^pins sont en forme de massue, ligneuses et angu-
leuses au sommet; elles sont imbriquées et membraneuses
dans les sapins.
liarlx , Tonrnef. (InBt. t. 357). — Hélèse.
Etym. — Du grec las, gras; allusion à l'abondance de résine fourme par la plante.
1068. Larioc Europœa, DC. — Mélèze d'Europe.
Cet arbre, originaire des Alpes, est universellement planté et
naturalisé.
Il fleurit en avril-mai.
On naturalise depuis quelques années, dans les parcs, le cèdre
du Liban (Cedrus Libani^ Ger.), le cèdre de THimalaya (Cedrus
deodoray Roxb.), le cèdre de l'Atlas {Cedrus Atlantica). Les ama-
teurs font maintenant de belles collections de conifères exotiques
où il est permis de les étudier.
Nous renonçons à les mentionner, car notre programme s'ap-
plique spécialement aux plantes indigènes ou aux plantes natu-
J _ J
784 ESQUISSE BB LA VEGETATION
ralisées entièrement rustiques. D'ailleurs, presque toutes ces
espèces sont des arbres d'ornement.
Le Thuya occidenlalis^ Lin., Arbre de vie, a été introduit dans
nos parcs et nos jardins, dans les cimetières; on en fait d^
haies vives, etc.
Il en est de même du Thwja orientalis^ Lin., Thuya d'Orient^
Thuya de Chine.
A celte famille appartiennent encore le Cupressus sempervirefis,
Lin. (Cyprès), avec ses variétés pyramidalis^ expansa, pendula.
Qoatre-TiDgy ix-septième Famille. — GUPRBSSINfilS (Rich.).
(Noin tiré du genre GUPRESSUSO
Chatons m&tes à écailles imbriquées autour
de Taxe, portant en dessous de Télargis-
seroent terminal 3-7 lobes d'anthères.. . Juniperus^ Lie.
[Chaton m&les à écailles soudées iuférieu-
rementen colonne, portant en dessous
de l'élargissement terminal ordinaire-
ment 8 lobes d'anthères roan«,Tournef.
Jaiilperiui, Lio. (gen. n* 1134). — CSéaévrIer.
Etym. — Du celtique jenepnu, âpre.
1069. Juniperus communiSy Lin, — Genévrier commun.
C'est la seule conifère qui croisse spontanément dans notre
contrée.
T. C. ?. Fleurit : mars-avril; fructifie l'année suivante.
Bruyères, collines incultes, larris, lieux pierreux, bois arides
sur la craie ; généralement à l'exposition nord. Le bois sert pour
fumigations. Les baies servent à faire l'esprit de genièvre ou
comme épices.
Le Juniper us Sabina^ Lin., a la réputation d'être emménagogue
ou abortlf ; il est originaire des Alpes italiennes et est naturalisé
DU DÉPARTEMENT DE L'OISE. 785
dans presque tous ies jardins de la campagne. Il en est de même
de quelques genévriers, tels que Juniperus Firginiana^ L., Junip,
oxicedrus^ Junip, phcsnicea^ etc.
TaxiiM, Toornef. (Inst. t. 362). — If.
Etym. — Da grec^ taxit, rang; allusion aux feuilles régulièrement insérées
sur deux r^ngs , ou de toxos, arc, en grec , à cause de Tusage du bois.
1070. Taocus baccata. Lin. — Ifàbaies^ If commun,
V' Fleurit : février-mars ; fructifie : septembre-octobre.
Nous ne le connaissons pas à l'état sauvage dans le départe-
ment de roise. Il est fréquemment planté dans les parcs , les
forêts artificielles , les cimetières , etc. Le plus bel If que nous
ayons admiré jusqu'alors se trouve à Ercuis; il paraît remonter
à quelques centaines d'années.
Une variété remarquable (Taocus fastigiata, Lindl.) est plantée
dans les parcs sous le nom û* If pyramidal.
Le Salisburiaadiantifolia^ Smith., est très-rarement planté.
Nous en avons vu à Notre-Dame-du-Thil un très-bel échantillon.
(^ continuer,)
BVR&JkV
DE LA
SOGtfrÉ ACADÉnQDE D'ABCHÉOLOfilE. SOEICES ET ABTS
DU DÉPARTEMENT DE L'OISE.
Vradut rauiée 1878.
Président M. DANJOU (0. *).
Fice-Prfftcfenr pour la section d'Archéologie M. HAMEL.
Vice-Président pour la section des Sciences
naturelles M.Ch.DëLAGOUR *.
Secrétaire perpétuel M. QUESNOT.
Secrétaire pour la section d'Archéologie... M. AuG. FLOURY.
Secrétaire pour la section des Sciences na-
turelles M. Hip. RODIN.
Trésorier M. Ch. CARON.
Bibliothécaire-Archiviste M. DAMIENS.
Bibliothécaire-adjoint M. Alg. FLOURY.
Conservatetir du Musée M. Al. DELAHERCHE
.. , , (M. Alf. LEHEC.
Conservateurs-adjoints J _, „ , , , . ../.^v, v
^ (M. Tabbe LLGOIX.
MBMBIiSSS
ADMIS
PENDANT Li' ANNÉE 1873.
M. CAPRONNIER, Négociant à Beauvaîs.
M. DARTOIS (Vabbé), Curé à Crouy-en-Thelle.
M. DAUDIN (H.), Propriétaire à Boissy-le-Bois.
M. LITONNOIS a'abbé), Curé à Ercuis.
Mr PILLON , à Ercuis.
TABLE DU HUITIÈME VOLUME.
Bureau de la Société pour l'année 1871 2^6
Membres admis pendant Tannée 187i 2îS6
Bureau de la Société pour Tannée i872 538
Membres admis pendant Tannée 1872 539
Bureau de la Société pour Tannée 1873 786
Membres admis pendant Tannée 1873 787
Liste des membres de la Société Académique de TOise, au
1" janvier 187i 5
Additions à la liste des membres publiée en 1871 539
SECTION D'ARCHÉOLOGIE ET D'HISTOIRE.
Notice sur l' abbaye de Froidmont (deuxième partie), par
M. Tabbé L.-E. Deladreue 11
IJES Poésies de Beaumaiîoir : la Manekine — Jehan de
Dammartin et Blonde d'Oxford, par M. H.-L. Bordier.. 79
Histoire de l'abbate royale de Saint-Lucien (première
partie), par MM. Tabbé L.-E. Deladreue et Mathon 257
Les Poésies de Beaumanoir : Salut d'amour — Complainte
d'amour — Autre Salut d'amour — Lai d'amour — Le
DIT de Folle Largesse — Fatrasies — Ave Maria , par
M. H.-L. BOlfDIER. 386
D'UN Gastellum romanum stativum, à Montigny-les-Mai-
gnelay, par M. Armand Rendu U\
MÉMOIRE SUR les SILEX TRAVAILLÉS DE L' ATELIER DU CAMP
Barbet, à Janville, canton de Mouy, par M. le docteur
Aug. Baudon 448
Histoire de l'abbaye royale de Saint-Lucien (deuxième
partie), par MM. Tabbé L.-E. Deladreue et Mathon 541
Vases en verre de Tépoque gallo-romaine et franque, par
M. Mathon 705
t. viii. 52
790 TABLE DU BUITIBMB VOLUMB.
SECTION D'HISTOIRE NATURELLE.
MÉMOIRE SUR LES LiMAClENS DU DÉPARTEMENT DE L'OlSE, par
H. le docteur AuG. Baudon iSi9
NÉCROLOGIE : LE DOCTEUR DANIEL — LE PROFESSEUR ZOÉGA,
par M. Danjou 209
ESQUISSE DE LA VÉGÉTATION DU DEPARTEMENT DE L'OISE
(deuxième partie) : statistique botanique ou catalogue
des plantes observées dans l'étendue du département de
l'Oise, par L. Graves, révisé, annoté et augmenté, par
M. HIPPOLYTE RODIN (SUitC) 21(5 et 713
KssAi SUR LES BOURDONS observés aux environs de Paris,
par M. Charles Delacour 517
Table des matières 780
PLACEMENT DES PLANCHES
PLANCHE I Vue de l'abbaye de Froidmont il
Planche II Les Limaciens de roise (pi. i) 200
Planche III Les Limaciens de l'Oise (pi. ii) âOO
Planche IV — Les Limaciens de l'Oise (p1. m) 200
Planche V Les Limaciens de l'Oise (pi. iv) 200
Planche vi... Vue de l'abbaye de Saint-Lucien, en i673
(pL I) 257
Planche VII... vue de l'abbaye de Saint-Lucien, en i7S8
(pi. Il) 277
Planche VIII . . Tombeau du cardinal Cholet, dans le chœur
de l'église de l'abbaye de Saint-Lucien
(d'après les dessins de Gaignières)
(pi. m) 365
Planche IX.... Plan du Castellum romanum stativum de
Montigny 441
Planche X Silex travaillés du camp Barbet (pi. i) 464
Planche XI Silex travaillés du camp Barbet (pl. ii) 470
Planche XII... Silex travaillés du camp Barbet (pl. m) 473
Planche XIII.. . Silex travaillés du camp Barbet (pl. iv) — 492
Planche XIII.. . Silex travaillés du camp Barbet (pl. v) 501
Planche XIV.. . Silex travaillés du camp Barbet (pl. vi) 506
Planche XVI. . . silex travaillés du camp Barbet (pl. vn) — 507
Planche XVII. . silex travaillés du camp Barbet (pl. vin).. . 507
Planche XVIII. Tombeau de Florimond de Villers-Saint-
Paul , dans l'église de l'abbaye de Saint-
Lucien (d'après les dessins de Gai-
gnières) 558
Planche XIX.. . Tombeau de Jean de Villers-Saint-Paul, der-
nier abbé régulier de Saint-Lucien
(d'après les dessins de Gaignières) ë%^ 3oo