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LES
GRANDS ÉCRIVAINS
DE LA FRANGE
NOUVELLES ÉDITIONS
PUBLIEES SOUâ LA DIRECTION
DE M. AD. REGIVIER
Membre de l'Inslilul.
CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND
Rue Fulbert, g.
MEMOIRES
SAINT-SIMON
TOME XXI
)l'D'5rrx
ME310iaES
DE
SA INT SIMON
NOUVELLE ÉDITION
COLLATIONNÉE SUR LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE
AUGMENTÉE
DES ADDITI05S DE SAIMT-SIMON AU JOURNAL UE DANCEAU
et de notes et appendices
PAR A. DE BOISLISLE
Membre de Tlnstitut
AVEC LA COLLABORATION DE L. LECESTRE
ET DE J. DE BOISLISLE
TOME VINGT-ET-UNIEME
PARIS y\y\
LIBRAIRIE HACHETTE Et (^* \
BOULEVARD SAINT-GEHMAIN, 79 ^
Tous droits réservés.
MÉMOIRES
DE
SAINT-SIMON
Cette année, le dimanche de Pâques' échut- au 5 avril. (Suite de ITil.)
Le mercredi suivant 8, Monseierneur, au sortir du Con- •^io"/'niDarras
.,,,,, o ' al égard de
seil, alla dîner a Meudon en parvulo, et y mena Mme la Monseigneur
duchesse de BourL'otrne tète à tète. On a expliqué ail- et de sa cour
I , ,.. •. r. T • intérieure.
leurs ^ ce que c etoit que ces Parvulo. Les courtisans
avoient demandé pour Meudon, où le voyage devoit être
de huit jours jusqu'à celui de Marly, annoncé pour le
mercredi suivante .le m'en étois allé dès le lundi saint,
pour me trouver à Marly le même jour que le Roi. Les
Meudons m'embarrassoient étrangement; depuis cette
t. Les mots de Pasq. ont été ajoutés en interligne.
'i. « Echoir se dit aussi des choses qui se doivent faire dans des
termes prétix » (Académie, 1718).
^^. Tome XIV, p. .SÎtS.
4. Dangeau écrit le 8 avril (tome XIII, p. 37fi): « LoRoi tint le conseil
d'Étal ; .Monseigneur en sortit à midi et un quart pour aller à Meu-
don, où il mène dîner Mme la duchesse de Bourgogne en particu-
lier, ce qu'on appelle ici en badinant les dîners in parvulo. Monsei-
gneur demeure à Meudon pour jusqu'au voyage de Marly, qui sera
mercredi. »
MÉMOIRES DE SAl.NT-SIMON. XXI 1
2 MÉMOIRES [1714]
rare crédulité de Monseigneur qui a été rapportée^ , et que
Mme la duchesse de Bourgogne l'avoit dépersuadé ^ jus-
qu'à lui en avoir fait honte, je n'avois osé me commettre
à Meudon. G'étoit pour moi un lieu infesté de démons :
Madame la Duchesse, délivrée des bienséances de sa pre-
mière année % y retournoit régner, et y menoit Mesde-
moiselles ses filles; d'Antin y gouvernoit; Mlle de Lille-
bonne et sa sœur y dominoient à découvert; c'étoient mes
ennemis personnels; ils gouvernoient Monseigneur; c'étoit
bien certainement à eux à qui je devois cet inepte et
hardi godant '* qu'ils avoient donné à Monseigneur, et qui
l'avoit mis dans une si grande colère. Capable de prendre^
à celui-là, et eux capables d'oser l'inventer et y réussir
en plein, à quoi ne pouvois-je point m'attendre, tout ce
qui étoit là, à*^ leurs pieds, ne songeant qu'à leur plaire,
et ne pouvant espérer que par eux? Par conséquent moi
tout à en craindre, dès qu'il conviendroit à des ennemis
si autorisés de me susciter quelque nouvelle'' noirceur
sur leur terrain ; Mlle Choin, la vraie tenante*, en mesures
extrêmes et en tous ménagements pour eux, fée invisible
dont on n'approchoit point, et moi moins que personne,
et qui, en étant inconnu, ne pouvois rien espérer d'elle,
1. Tome XX, p. 181-195.
2. Ce verbe n'était pas dans le Dictionnaire de V Académie de 1718,
non plus que dans la dernière édition. Littré en cite un exemple de
J.-J. Rousseau.
3. De sa première année de deuil.
4. Conte, tromperie. Ce mot n'était pas donné par les lexiques du
temps ; on en trouve des exemples dans les Lettres de Tessé, recueil
Rambuteau, p. 119, et dans les Mémoires du chevalier de Quincy,
tome III, p. 138. Littré en a donné la délinition et a proposé une éty-
mologie.
5. Voyez ci après, p. 53.
6. La préposition à a été ajoutée en fin de ligne, sur la marge.
7. Nouvelle a été ajouté en interligne.
8. « On dit d'un homme qui va souvent dans une maison, et qui y
est comme le maître qu'il est le tenant» (Académie, 1718).
[17111 DE SAINT-SIMON. 3
et du Mont pour toute ressource', sans force et sans es-
prit I Je ne pouvois douter qu'ils ne me voulussent perdre
après l'échantillon que j'en avois éprouvé, et ce qui les
excitoit contre moi n'étoit pas de nature à s'émousser,
beaucoup moins à pouvoir jamais me raccommoder avec
eux. Ce- qui s'étoit passé à l'égard de feu Monsieur le
Duc et de Madame la Duchesse, les choses de rang à
l'égard des deux Lorraines et de leur oncle le Vaudé-
mont, l'afFaire de Rome pour d'Antin, et de nouveau sa
prétention d'Épernon^ les choses de Flandres, ma liaison
intime avec ce qu'ils ne songeoient qu'à anéantir, Mgr et
Mme la duchesse de Bourgogne, M. et Mme la duchesse
d'Orléans, les ducs de Chevreuse et de Beauvillier, la part
qu'ils me donnoient au mariage de M. le duc de Berry,
qui avoit comblé leur rage, c'en étoit trop, et sans aucun
contrepoids, pour ne me pas faire regarder cette cour
comme hérissée pour moi de dangers et d'abîmes. Je
poussois donc le temps avec l'épaule ^ sur les voyages de
Meudon, embarrassé de Monseigneur et du monde, en ne
m'y présentant jamais, beaucoup plus en peine d'y hasar-
der des voyages. Si ce continuel présent me causoit ces
soucis, combien de réflexions plus fâcheuses la perspec-
tive d'un avenir qui s'avançoit tous les jours, qui mettroit
Monseigneur sur le trône, et qui, à travers le chamaillis ^
de ce qui le gouvernoit et le voudroit dominer alors à
l'exclusion des autres, porteroit très certainement sur le
trône avec lui les uns ou les autres de ces mêmes ennemis
qui ne respiroient que ma perte, et à qui elle ne coûte-
roit alors que le vouloir I Faute de mieux, je me soute-
nois de courage; je me disois qu'on n'éprouvoit jamais ni
tout le bien ni tout le mal qu'on avoit, à ce qu'il sembloit,
1. Tome XX, p. 184.
'2. Toute rénumération qui va suivre a déjà été faite dans le tome XX,
p. 488.
3. Tome XX. p. 238 et suivantes. — 4. Ibidem, p. 114.
o. Tome XVIII, p. 424.
K MÉMOIRES fHdd]
le plus de raison de prévoir; j'espérois ainsi contre toute
espérance ' de l'incertitude attachée aux choses de cette
vie, et je coulois le temps ainsi à l'égard de l'avenir, mais
dans le dernier embarras sur le présent pour Meudon.
J'allai donc rêver et me délasser à mon aise pendant cette
quinzaine de Pâques, loin du monde et de la cour^, qui,
à celle de Monseigneur près, n'avoit pour moi rien que
de riant ; mais cette épine, et sans remède, m'étoit cruel-
lement poignante ^ lorsqu'il plut à Dieu de m'en délivrer
au moment le plus inattendu. Je n'avois à la Ferté que
M. de Saint-Louis % vieux brigadier de cavalerie fort es-
timé du Roi, de M. de Turenne et de tout ce qui l'avoit
vu servir, retiré depuis trente ans dans l'abbatial ^ de la
Trappe, où il menoit une vie fort sainte, et un gentil-
homme de Normandie qui avoit été capitaine dans mon
régiment, et qui m'étoit fort attachée Je m'étois promené
avec eux tout le matin du samedi 11, veille de la Quasi-
modo, et j'étois entré seul dans mon cabinet un peu avant
le dîner, lorsqu'un courrier que Mme de Saint-Simon
m'envoya m'y rendit une lettre d'elle qui m'apprit la ma-
ladie de Monseigneur.
4. 7/1 spem conf m spem (Epître de saint Paul aux Romains, chap. iv,
verset 48); peut-être est-ce une réminiscence des vers du Misanthrope :
Belle Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours.
Nous retrouverons cette locution plus loin, p. 301 , et dans une citation
de Bossuet, ci-après, p. 55, note 2.
2. On a dit à diverses reprises que Saint-Simon allait toujours pas-
ser le temps de Pâques à la Ferté. Dans les lettres publiées au
tome XIX de l'édition de 4873 des Mémoires (p. 258 et 259), on voit
qu'il y fit cette année quelques réparations et plantations.
3. « Piquante » ^Académie, 4748). — 4. Tome V, p. 390.
5. Abréviation pour dire: logis abbatial. Le Dictionnaire de l'Aca-
démie n'admet pas ce mot comme substantif dans sa dernière édition,
pas plus qu'en 1748. Notre auteur a expliqué en 4698, que M. de
Rancé avait construit ce logis au dehors pour que les abbés commen-
dataires, après lui, ne « troublassent pas la régularité du dedans. »
6. Les noms des capitaines du régiment de cavalerie de Saint-Simon
|I71I| PE SAINT-SIMON. ?i
(](' prince', allant, coinmo je l'ai -dit', à Meiulon le Maladie do
Il 1 fM I i>> 1 ' r>L. 'Il 1 MonspiLMioiir.
lendemain des tètes de l'aqiies, rencontra a Lhaville* un '='
prêtre qui portoit Notre-Seigneur à un malade, et mit
pied à terre pour l'adorer à genoux avec Mme la du-
chesse de Bourgogne '. Il demanda à (juci malade on le
portoit : il apprit que ce malade avoit la petite vérole. Il
y en avoit partout (juanlité. Il ne l'avoit eue cjuc légère,
volante, et entant ; il la craignoit fort. Il en fut frappé, et
dit le soir à Boudin, son premier médecin^, qu'il ne seroit
pas surpris s'il l'avoit. La journée s'étoit cependant pas-
sée tout à fait à l'ordinaire, il se leva, le lendemain jeudi 9,
pour aller courre le loup" ; mais, en s'habillant, il lui prit
une foihN'sse qui le fit tomber dans sa chaise. Boudin le
lit remettre au lit. Toute la journée fut etï'rayante par
l'état du pouls. Le Roi, qui en fut foiblement averti pai-
l'agon, crut que ce n'étoit rien, et s'alla promener à Marly
après son dîner, où il eut plusieurs fois des nouvelles de
Meudon. Mgr et Mme la duchesse de Bourgogne y dînè-
rent, et ne voulurent pas quitter Monseigneur d'un mo-
(iiil i'ié lionnes dans le tome II, p. lo-'î, note 3. Plusieurs d'entre eux,
notamment M.M. de Lif^non et de Billy, pouvaient appartenir à la no-
blesse normande.
1. On remarquera que tout ce lonj; récit de la maladie et de la mort
de Monseigneur, reconnu pour un vrai chef-d'œuvre, porte très peu
de corrections de texte, comme si c'était la mise au net d'une rédac-
tion primitive particulièrement soignée et revisée. Sainte-Beuve s'est
étendu sur la perfection de ce morceau dans ses Causeries du lundi,
tome III, p. •28-2--287.
'2. Il a écrit l'ait, par mégarde. — 3. Ci-dessus, p. i.
4-. Il va être parlé plus loin, p. 10, de ce village, dont il a déjà été
question dans nos tomes VI et XIX.
n. C'était l'usage habituel (Mémoires de Luynes, tome XI, p. il3-
il4); le Roi lui-même ne s'en exemptait pas et accompagnait parfois
le prêtre chez le mourant (.Vcmones de la Fare, p. 288). En Espagne,
il en était de même, avec un cérémonial encore plus rigoureux (His-
toriettes de Talkmant des Réaux, tome II, p. 170-171).
H. Tome XX, p. 2-28.
7. Nous verrons plus loin, \>. .'il, (|ue c'était sa distraction presque
quotidienne.
Meudon*.
fi MÉMOIRES fi7lll
ment. La princesse ajouta aux devoirs de belle-fille toutes
les f^ràces qui étoient en elle, et présenta tout de sa main
à Monseigneur. Le cœur ne pouvoit pas être troublé de
ce que l'esprit lui faisoit envisager comme possible ' ; mais
les soins et l'empressement n'en furent pas moins mar-
qués, sans air d'affectation ni de comédie. Mgr le duc de
Bourgogne, tout simple, tout saint, tout plein de ses de-
voirs, les remplit outre mesure; et, quoiqu'il y eût déjà
un grand soupçon de petite vérole, et que ce prince ne
l'eût jamais eue, ils ne voulurent pas s'éloigner un mo-
ment de Monseigneur, et ne le quittèrent que pour le
souper du Roi -. A leur récit, le Roi envoya le lendemain
matin, vendredi 10, des ordres si précis à Meudon, qu'il
apprit à son réveil le grand péril où on trouvoit Monsei-
Le Roi à gncur. Il avoit dit la veille, en revenant de Marly, qu'il
iroit le lendemain matin à Meudon pour y demeurer pen-
dant toute la maladie de Monseigneur, de quelque na-
ture qu'elle pût être ; et, en effet, il s'y en alla au sortir
de la messe. En partant, il défendit à ses enfants d'y
aller; il le défendit en général à quiconque n'avoit pas
eu la petite vérole, avec une réflexion de bonté, et permit
à tous ceux qui l'avoient eue de lui faire leur cour à
Meudon, ou de n'y aller pas, suivant le degré de leur
peur ou de leur convenance. Du Mont renvoya plusieurs
de ceux qui étoient de ce voyage de Meudon, pour y
loger la suite du Roi, qu'il borna à son service le plus
étroit, et à ses ministres, excepté le Chancelier qui n'y
coucha pas, pour y travailler avec eux. Madame la Du-
chesse et Mme la princesse de Conti, chacune unique-
ment avec sa dame d'honneur, Mlle de Lillebonne,
Mme d'Espinoy et Mlle de Melun ^ comme si particulière-
1. Ci-après, p. 44.
'i. Journal de Dangeau, tome XIII, p. 377; Mémoires de Sourches,
tome XIII, p. 82-83.
3. Anne-Julie : tome V, p. 334.
* Cette manctiette se trouve deux lignes trop bas dans le manuscrit.
(I7II1 DE SAINT-SIMON. 7
ment attachées à Monseigneur, «t Mlle d»- liouillon',
parce qu'elle ne quittoit point son père, qui suivit comme
grand cliaiiilx'llan, y avoient devanci' le Uni, et furent
les s«nil»'s daiiK's <|ui y deiiieuièrenf, et (jui mangèrent
les soirs -avec l«' iU)i, (|ui diiia seul comme à Marly. Je
ne parle point de Mil»' Clioiri, (pii y dîna dès le mercredi,
ni de Mme de Maintenon, qui vint trouver le Boi après
diner avec Mme la duchesse de Bourgogne. Le Roi ne
voulut point cpTellf approcliàf de l'appartement de Mon-
seigneur, et la renvoya assez promptement'. C'est où en
étoient * les choses lorsque Mme de Saint-Simon m'envoya
le courrier", les médecins souhaitant la petite vérole,
dont on étoit persuadé, quoiqu'elle ne fût pas encore
déclarée.
Je continuerai à parler de moi avec la même vérité
dont [je] traite les autres, et les choses* avec toute l'exac-
titude qui m'est possible. A la situation où j'étois à l'égard
de Monseigneur et de son intime cour, on sentira^ aisé-
ment quelle impression je reçus de cette nouvelle : je
compris, par ce qui ra'étoit mandé de l'état de Monsei-
gneur, que la chose en bien ou en mal seroit prompte-
ment décidée ; je me trouvois fort à mon aise à la Ferté :
je résolus d'y attendre des nouvelles de la journée ; je
renvoyai un courrier à Mme de Saint-Simon, et je lui en
demandai un pour le lendemain. Je passai la journée
dans un mouvement vague et de flux et de reflux qui
gagne et qui perd du terrain, tenant l'homme et le chré-
tien en garde contre l'homme et le courtisan, avec cette
1. Marie-EIisaboth de la Tour d'Auvergne, qui ne se maria pas et
mourut on 17-25.
•2. Il avait d'abord écrit soir et matin ; il a biffô les deux derniers
mois, mis /es en lin de ligne et le signe du pluriel i soir, et ajoute on
interligne après Hoy les mots qui disna seul co* à Marly.
;H. Danrjean, p. .377-378.
4. Saint-Simon a corrigé estait en estoicnt.
5. Ci-dessus, p. 4. — G. Il faudrait et des choses.
7. Sentira est en interligne, au-dessus de comprendra, biffé.
8 MÉMOIRES [1711]
foule de choses et d'objets qui se présentoient à moi dans
une conjoncture si critique, qui me faisoit entrevoir une
délivrance inespérée, subite, sous les plus agréables ap-
parences pour les suites. Le courrier, quej'attendois impa-
tiemment, arriva le lendemain, dimanche de Quasimodo',
de bonne heure dans l'après-dînée. J'appris par lui que
la petite vérole étoit déclarée, et alloit aussi bien qu'on
le pouvoit souhaiter, et je le crus d'autant mieux, que
j'appris que, la veille, qui étoit celle du- dimanche de
Quasimodo, Mme de Maintenon, qui, à Meudon, ne sor-
toit point de sa chambre, et qui y avoit Mme de Dan-
geau pour toute compagnie, avec qui elle mangeoit, étoit
allée dès le matin à Versailles, y avoit dîné chez Mme de
Caylus, où elle avoit vu Mme la duchesse de Bourgogne,
et n'étoit pas retournée de fort bonne heure à Meudon ^
Je crus Monseigneur sauvé, et voulus demeurer chez moi ;
néanmoins, je crus conseils comme j'ai fait toute ma vie,
et m'en suis toujours bien trouvé : je donnai ordre à
regret pour mon départ le lendemain, qui étoit celui de
la Quasimodo, 13 avril, et je partis en effet de bon matin.
Arrivant à la Queue S à quatorze lieues delà Ferté et à six*
de Versailles, un financier, qui s'appeloit la Fontaine" et
que je connoissois fort pour l'avoir vu toute ma vie à la
1. Le 12 avril. — Les mots de Quasimodo ont été ajoutés en inter-
ligne.
2. Les mots estoit celle du sont en interligne, au-dessus d^estoit le,
bifîé.
3. C'est l'article de Dangeau du H, p. 378-379.
4. Locution déjà rencontrée dans le tome XIX, p. 332.
5. C'est de ce village qu'était seigneur le mari de la bâtarde du Roi
dont il a été parlé dans le tome XII, p. 106.
6. Le chitfre 6 surcharge un /.
7. Gabriel de la Fontaine, receveur général des domaines des Con-
dés, prit à bail les domaine et forêt de Senonches et dépendances, en
1676 pour quarante-huit mille livres, en 1686 pour quarante-deux
mille, en 1694 pour trente-sept mille (archives de Chantilly, registres
des comptes).
DE SAINT-SIMON.
maisons,
Mme de Main-
tenon encore
plus.
Ferté chaie:é de Senonches ' et des autres biens de feu
Monsieur le Prince de ce voisinage-, aborda ma chaise^
comme je relayois; il venoit de Paris et de Versailles, où
il avoit vu des gens de Madame la Duchesse : il me dit
Monseigneur le mieux du monde, et avec des détails qui
le faisoient compter hors de danger. J'arrivai à Versailles
rempli de cette opinion, qui me fut confirmée par Mme de
Saint-Simon et tout ce que je vis de gens, en sorte qu'on
ne craignoit plus que par la nature traîtresse* de cette
sorte de maladie dans un homme de cinquante ans fort
épais''. Le Roi tenoit son Conseil et travailloit le soir avec Le Roi mal à
... < p j- • Ti -^ \f • son aise hors
ses ministres, comme a 1 ordmaire. 11 voyoït Monseigneur de ses
les matins et les soirs, et plusieurs fois l'après-dînée, et
toujours longtemps dans la ruelle de son lit. Ce lundi que
1. Cette terre avait été achetée en 4667 par Monsieur le Duc, sur
les conseils de Gourville, avec l'argent venu à Madame la Duchesse
de la succession de la reine de Pologne Marie de Gonzague ; elle rap-
portait de quarante à cinquante mille livres (Mémoires de Gourville,
tome II, p. 35). Les Broglie, qui cédèrent le domaine aux Condés,
l'avaient acquis en 4654 du duc de Mantoue, et ce fut l'occasion de
longs procès entre eux et le duc Mazarin d'abord (Dangeau, tome I,
p. 123), puis avec les Condés en 17-28. Les titres du domaine sont aux
Archives nationales, R^ 168-473 et 339-344, et aux archives de Chan-
tilly, A 23.
2. Le principal de ces « autres biens » était la terre de Brezolles.
Sur Senonches et ses dépendances, voyez VÉtat de la généralité
d'Alençon en 1698, publié par Louis Duval, p. 144.
3. Il a déjà été parlé des chaises de poste dans le tome XIV,
p. 353. C'est en janvier 1664 que les marquis de Sourches et de Cre-
nan avaient obtenu un privilège pour des « chaises roulantes de
poste » inventées par le sieur de la Grujère (Archives nationales, re-
gistres du Parlement, X'-^ 8664, fol. 29 ; Muse historique de Loret,
lome IV, p. 176 ; Lettres de Mme de Sévigné, tome VII, p. 274 ;
Monteil, Histoire des Français des divers étals, 1839, tomes VII, p
321-323 et 328-330. et VIII, p. 467-470).
4. « Traître se dit aussi de certaines choses pour dire qu'elles sont
plus dangereuses qu'il ne paroît : ces sortes de maux-là sont traîtres »
(Académie, 1718).
o. Dangeau, \). 3S0, hindi 13 avril : « Les médecins disent toujours
que la maladie de Monseigneur va bien ; cela n'ôtc pas l'inquiétude. »
iO MÉMOIRES [17H]
j'arrivai, il avoit dîné de bonne heure, et s'étoit allé pro-
mener à Marly, où Mme la duchesse de Bourgogne l'alla
trouver. Il vit, en passant au bord des jardins de Ver-
sailles, Messeigneurs ses petits-fils', qui étoient venus l'y
attendre -, mais qu'il ne laissa pas approcher, et leur cria
bonjour. Mme la duchesse de Bourgogne avoit eu la
petite vérole ; mais il n'y paroissoit point. Le Roi ne se
plaisoit que dans ses maisons, et n'aimoit point à être ail-
leurs. C'est par ce goût que ses voyages à Meudon étoient
rares et courts, et de pure complaisance^. Mme de Main-
tenon s'y trouvoit encore plus déplacée. Quoique sa
chambre fût partout un sanctuaire où il n'entroit que des
femmes de la plus étroite privance, il lui falloit par-
tout une autre retraite entièrement inaccessible, sinon à
Mme la duchesse de Bourgogne, encore pour des ins-
tants, et seule. Ainsi, elle avoit Saint-Cyr pour Versailles
et pour Marly, et, à Marly encore, ce Repos dont j'ai parlé
ailleurs*; à Fontainebleau, sa maison à la ville ^ Voyant
donc Monseigneur si bien, et conséquemment un long
séjour à Meudon, les tapissiers du Roi ^ eurent ordre de
meubler Chaville, maison du feu chancelier le Tellier
que Monseigneur avait achetée et mise dans le parc de
Meudon " ; et ce fut à Chaville où Mme de Maintenon
1. Petit/ils, dans le manuscrit.
2. Au bas de la fontaine de JVeptune (Dangeau, p. 380).
3. Il a été parlé dans les tomes XVI, p. 79, et XVII, p. 323, des
promenades que le Roi allait faire parfois à Meudon, pour y dîner
avec Monseigneur.
4. Tome XIX, p. 233.
5. Elle l'appelait aussi « le Repos » : Mémoires de Mlle d'Aumale,
tome I, p. Lxxviiet 183.
6. Selon VÉtat de la France (1712), tome I, p. 179-180, il y avait
huit tapissiers du Roi, qui avaient le titre de valets de chambre et
qui servaient par quartiers. « Ils ont en garde, aux lieux de séjour
de la cour, les meubles de campagne du Roi, et font les meubles
de S. M. »
7. C'est le 18 décembre 4596 que Michel le Tellier, correcteur des
comptes et grand père du Chancelier, acquit pour seize cents écus le
|171l| DE SAINT-SIMON. Il
destina ses retraites pendant la journée'. Le Roi avoit
commandé la revue des gendarmes et des chevau-légers
pour le mercredi : tellement que tout sembloit aller à
souhait. J'écrivis, en arrivant à Versailles, à M. de Beau-
villier, à Meudon, pour le prier de dire au Roi que j'étois
revenu sur la maladie de Monseigneur, et que je serois
allé à Meudon, si, n'ayant pas eu la petite vérole, je ne
me trouvois dans le cas de la défense. Il s'en acquitta,
me manda que mon retour avoit été fort à propos, et me
réitéra de la part du Roi la défense d'aller à Meudon,
tant pour moi que pour Mme de Saint-Simon, qui n'avoit
point eu non plus la petite vérole. Cette défense parti-
culière ne m'aftligea point du tout. Mme la duchesse de
Berry, qui l'avoit eue, n'eut point le privilège de voir
le Roi comme Mme la duchesse de Bourgogne : leurs
deux époux ne l'avoient point eue. La même raison exclut
M. le duc d'Orléans de voir le Roi; mais Mme la du-
chesse d'Orléans, qui n'étoit pas dans le même cas, eut
permission de l'aller voir, dont elle usa pourtant fort
sobrement. Madame ne le vit point, quoiqu'il n'y eût
château et la seigneurie de Chaville, où il possédait déjà une petite
maison. Son petit-tils obtint du Roi la permission d'y faire un parc et
de le clore (registres du Parlement, X^'^ 8663, fol. 322, et 8671, fol
249); il lit bâtir le château par l'architecte Chamois. C'est alors (1679)
que Santeul composa sa poésie la Nymphe de Chaville. Après la mort du
Chancelier, sa veuve vendit au Roi le domaine pour trois cent quatre-
vingt-dix mille livres, par contrat du 11 décembre 1693, et Louis XIV
en tit présent à son tils pour agrandir son parc de Meudon (Archives
nationales, E 1892, 6 décembre, et X^a 8690, fol. 213 v" ; Dangeau,
tome V, p. 315, 318, 320 et 321 ; vicomte de Grouchy, Meudon, Bel-
levue et Chaville, dans les Mémoires de la Société de l'Histoire de
Paris, 1893, p. 155-163). Monseigneur conserva le château, et il y
donnait parfois des collations à ses invités (Dangeau, tomes VIII,
p. 492, et XI, p. 230). En 1712, Torcy en eut la jouissance, puis le
prince de Talmond en 1717 ; cntin, le comte de Tessé, l'ayant reçu
en usufruit en 1766, le fit démolir. Les titres relatifs à la propriété sont
aux Archives nationales, cartons 0' 3830-3839.
1. Ces détails ne sont pas pris à Dangeau.
Conlrasles
dans Meudon.
12 MÉMOIRES [1711]
point pour elle de raison d'exclusion, qui, excepté les
deux fils de France, par juste crainte pour eux, ne s'éten-
dit dans la famille royale que selon le goût du Roi. Meu-
don, pris en soi, avoit aussi ses contrastes : la Clioin y
étoit dans son grenier' ; Madame la Duchesse, Mlle de
Lillebonne et Mme d'Espinoy ne bougeoient- de la cham-
bre de Monseigneur, et la recluse^ n'y entroit que lorsque
le Roi n'y étoit pas, et que Mme la princesse de Conti,
qui y étoit aussi fort assidue, étoit retirée \ Cette prin-
cesse sentit bien qu'elle contraindroit cruellement Mon-
seigneur, si elle ne le mettoit en liberté là-dessus, et elle
le fit de fort bonne grâce : dès le matin du jour que le
Roi arriva, et elle y avoit déjà couché % elle dit à Mon-
seigneur qu'il y avoit longtemps qu'elle n'ignoroit pas ce
qui étoit dans Meudon, qu'elle n'avoit pu vivre hors de ce
château dans l'inquiétude où elle étoit, mais qu'il n'étoit
pas juste que son amitié fût importune ; qu'elle le prioit
d'en user très librement, de la renvoyer toutes les fois que
cela lui conviendroit, et qu'elle auroit soin, de son côté,
de n'entrer jamais dans sa chambre sans savoir si elle
pouvoit le voir sans l'embarrassera Ce compliment plut in-
finiment à Monseigneur. La princesse fut en effet fidèle à
cette conduite, et docile aux avis de Madame la Duchesse
et des deux Lorraines pour sortir quand il étoit à propos
sans air de chagrin ni de contrainte, et revenoit après,
1. Ou plutôt sa petite chambre dans un entresol, dont il a déjà été
parlé dans le tome XIV, p. 397-398.
2. Bougeoient corrige sorto[ient].
3. Mlle Clioin. — « Reclus, dit VAcadémie, en 1718, se met quel-
quefois substantivement : c'esï wn reclus, vivre comme un reclus.»
Saint-Simon écrit récluse, et nous retrouverons ce terme ci-après, p. 139.
4. Voyez ce qu'il a déjà dit de la vie de Mlle Choin à Meudon dans
le tome XIV, p. 396-398.
o. Ces six mots ont été ajoutés en interligne.
6. L'appartement de Mme de Conti était au rez-de-chaussée du
château, comme celui de Monseigneur, et contigu à celui de Mme de
Maintenon.
|17ll| DE SAINT-SIMON 13
(juaiul «t'hi se puiivoit, sans la plus Icgcif Imincur : en
(jiioi rllc nu'rita de vraies louanges. C'étoit Mil»* (llioin
dont il t'toif (juostioii, t|iii fif^moit à Meiidori avfc I»'
V. Tellier, d'une faijon tout à lait étrange : tous deux
incognito, relt'gués chacun dans leur grenier', servis seuls
chacun dans leur chaud)!»', vus des seuls indispensables,
et sus pourtant de chacun, avec cette difVérence que la
demoiselle voyoit Monseigneur nuit et jour sans mettre
le pied ailleurs, et que le confesseur alloit chez le Roi et
partout, except»' tians l'appartement de Monseigneur, ni
ilans tout ce qui en approchoit. Mme d'Kspinoy portoit
et rapportoit les compliments entre Mme de Maintenon et
Mlle Choin. Le Roi ne la vit point. 11 croyoit que Mme de
Maintenon lavoie vue : il le lui demanda un peu sur le
tard ; il sut que non, et il ne l'approuva pas. Là-dessus,
Mme de Maintenon chargea Mme d'Kspinoy d'en faire
ses excuses à Mlle Choin, et de lui dire qu elle espéroit
qu'elles se verroient : compliment bizarre d'une chambre à
l'autre sous le même toit. Elles ne se virent jamais depuis -.
Versailles pi'ésentoit une autre scène : Mgr et Mme la Versailles,
duchesse de Bourgogne y tenoient ouvertement la cour,
et cette cour ressembloit à la première pointe de l'aurore^.
Toute la cour étoit là rassemblée; tout Paris y abondoit,
et, comme la discrétion et la précaution ne furent jamais
françoises, tout Meudon y venoit, et on en croyoit les
gens sur leur parole de n'être pas entrés chez Monsei-
gneur ce jour-là. Lever et coucher, dîner et souper avec
les dames, conversations publicjues après les repas, pro-
menades, étoient les heures de faire sa cour, et les appar-
tements ne pouvoient contenir la foule ; courriers à tous
1. Ci-<lessus, p. 1*2.
2. Cette dernière plirase a été ajoutée dans le blanc rcsU- à la lin
du paragraphe.
.S. « On dit la pointe du jour, pour dire le point du jour, la pn--
mière apparence du jour» {Académie, 1718). Nous avons eu « la pre-
mière pointe du printemps » dans le tome I, p. "27.
i; MÉMOIRES 11711]
quarts d'heure, qui rappeloient l'attention aux nouvelles
de Monseigneur', cours de maladie à souhait, et facilité
extrême d'espérance et de confiance ; désir et empresse-
ment de tous de plaire à la nouvelle cour ; majesté et gra-
vité gaie dans le jeune prince et la jeune princesse,
accueil obligeant à tous, attention continuelle à parler à
chacun, et complaisance dans cette foule, satisfaction
réciproque ; duc et duchesse de Berry à peu près nuls.
De cette sorte s'écoulèrent cinq jours, chacun pensant
sans cesse aux futurs contingents^, tâchant d'avance de
s'accommoder à tout événement.
Le mardi 14 avril, lendemain de mon retour de la Ferté
à Versailles, le Roi, qui, comme j'ai dit, s'ennuyoit à
Meudon, donna à l'ordinaire conseil des finances le ma-
tin, et, contre sa coutume, conseil de dépêches l'après-
dînée, pour en remplir le vuide. J'allai voir le Chancelier
à son retour de ce dernier conseil, et je m'informai beau-
coup à lui de l'état de Monseigneur. Il me l'assura bon, et
me dit que Fagon lui avoit dit ces mêmes mots^ : que
les choses alloient selon leurs souhaits, et au delà de
leurs espérances*. Le Chancelier me parut dans une
grande confiance, et j'y ajoutai foi d'autant plus aisé-
ment, qu'il étoit extrêmement bien avec Monseigneur, et
qu'il ne bannissoit pas toute crainte, mais sans en avoir
d'autre que celle de la nature propre à cette sorte de
Harcngères à maladie ^ Les harengères "^ de Paris, amies fidèles de Mon-
Meudon ; bien
reçues. j ^^ jj ^^^^^ ^ Meudon des pages de Mgr le duc de Bourgogne et de
Mme la duchesse de Bourgogne, qui, toutes les heures, leur portent
des nouvelles à Versailles» {fiangeau, p. 378).
2. Tome XVIII, p. 73.
3. Ces mots mêmes ; tournure de phrase fréquente à l'époque, et
dont l'exemple le plus souvent cité est dans le Ciel de Corneille, acte
II, scène ii.
4. Mémoires de Sourches, p. 86, 14 avril: « Monseigneur avoit assez
bien passé la nuit, et, pendant le jour, on le trouvoit en assez bon état. »
5. Ci-dessus, p. 9.
6. Ce nom déjà rencontré à diverses reprises (tomes II, p. 40, VIII,
[17111 DE SAINT-SIMON. <K
seignoiir, qui s'ôtoient cN'jà signalées à cotte forte indiges-
tion qui fut prise pour apoplexie', donnèrent ici le
second tome- de leur zèle. Ce même matin, elles arri-
vèrent en plusieurs carrosses de louage à Meudon. Mon-
seigneur les voulut voir : elles se jetèrent au pied de son
lit, qu'elles baisèrent plusieurs fois, et, ravies' d'apprendre
de si bonnes nouvelles, elles s'écrièrent, dans leur joie,
qu'elles alloient réjouir tout Paris et faire chanter le Te
Deum^. Monseigneur, qui n'étoit pas insensible à ces
marques d'amour du peuple', leur dit qu'il n'étoit pas
encore temps, et, après les avoir remerciées, il ordonna
qu'on leur fît voir sa maison, qu'on les traitât à dîner, et
qu'on les renvoyât avec de l'argenté Revenant chez moi
p. -243, et IX. p. 68), était couramment usité alors pour désigner les
« dames de la halle » : voyez la .Uh.sc historique de Loret, tomes I,
p. 333, et II, p. 3-44. la Gazette de 1(349, p. 719. les Lettres de Mme
de Maintenon, recueil Geffroy, tome II, p. 160, les Archives de la
Bastille, tome VII, p. 2'24. Le curé Brousse appelait les nièces de
Mazarin « petites haren^jères de Rome».
1. En 1701: tome VIII, p. 243--244.
2. Cette locution figurée, au sens de répétition, n'est pas mention-
née dans les lexiques ; nous l'avons déjà rencontrée dans nos tomes
X, p. 374, et XVIII, p. 63. — La particulière affection des haren-
gères pour Monseigneur datait de sa naissance (1661), à l'occasion de
laquelle elles avaient fait des réjouissances extraordinaires. Par la
suite, elle reportèrent leur tendresse sur le dauphin fils de Louis XV,
célébrèrent la naissance (Mémoires de Luyncs, tome XI, p. 'i-îi), et,
quand il revint de Metz en 1744. après la maladie du Roi, elles tin-
rent à le complimenter en corps (^Catalogue des estampes de la collec-
tion Hennin, n° 8476).
3. Ravis a été corrigé en ravies.
4. Comme en 1701 : tome VIII, p. 244.
5. Le P. Léonard raconte (Archives nationales. M 766, 31 décembre
1701) qu'une harengère ayant choisi Monseigneur pour parrain de son
enfant, celui-ci se lit représenter par le petit Bontcm|)s. que Saint-
Eustache fui tout illuminé pour la circonstance et (jue toute la halle se
trouva au festin.
G. « Pour marque de l'amitié que le peuple de Paris, et même le
peuple le plus bas, avoit pour Monseigneur, les harengères avoienl dé-
puté deux d'entre elles, qui vinrent sur les trois heures à Meudon, sa-
d6
MEMOIRES
[1714]
Singulière
conversation
avec Mme la
duchesse
d'Orléans chez
moi.
de chez le Chancelier, par les cours, je vis Mme la du-
chesse d'Orléans se promenant sur la terrasse de l'aile
Neuve, qui m'appela, et que je ne fis semblant de voir
ni d'entendre parce que la Montauban étoit avec elle *, et
je gagnai mon appartement l'esprit fort rempli de ces
bonnes nouvelles de Meudon. Ce logement étoit dans la
galerie haute de l'aile Neuve -, qu'il n'y avoit presque
qu'à traverser pour être dans l'appartement de M. et de
Mme la duchesse de Berry-^ qui, ce soir-là, dévoient
donner à souper chez eux à* M. et à Mme la duchesse
d'Orléans et à quelques dames, dont Mme de Saint-Simon
se dispensa sur ce qu'elle avoit été un peu incommodée.
Il y avoit peu que j'étois dans mon cabinet seul avec Coët-
tenfao^ qu'on m'annonça Mme la duchesse d'Orléans, qui
venoit causer en attendant l'heure du souper. J'allai la
recevoir dans l'appartement de Mme de Saint-Simon, qui
étoit sortie, et qui revint bientôt après se mettre en tiers
avec nous. La princesse et moi étions, comme on dit,
gros de nous voir et de nous entretenir^ dans cette con-
joncture, sur laquelle elle et moi nous pensions si pareil-
lement. Il n'y avoit guères qu'une heure qu'elle étoit
revenue de Meudon, où elle avoit vu le Roi, et il en étoit
voir de ses nouvelles et disant qu'elles n'oseroient retourner à Paris
sans l'avoir vu. Monseigneur eut la bonté de les faire entrer, et,
comme on le croyoit presque hors de danger, elles lui dirent qu'elles
alloient faire chanter le Te Deum. Monseigneur leur dit: «Il n'est
pas encore temps, mes pauvres femmes. » En sortant, elles jetèrent de
l'argent aux soldats de la garde, pour boire à la santé de Monsei-
gneur. » (Dangeau, p. 381.) Comparez le récit du baron de Breteuil ;
ci-après, Appendice, p. 416.
i. Charlotte Bautru deNogent; voyez ce qu'il a dit de cette es-
pèce de monstre » dans le tome XII, p. :283-286.
2. Tome XIX, p. 338, note 5.
3. Ibidem, p. 334.
4. Avant à, Saint-Simon a biffé à M. et à M'' la Duch. de J3«.
5. Son « ami de tout temps », a-t-il dit dans le tome XX, p. 219.
6. « On dit figurément être gros de savoir, de faire, de dire quel-
que chose, pour dire en avoir une extrême envie » (Académie, 4 71 8).
|17II| DE SAINT-SIMON. M
alors huit du soir de ce même mardi 14 avril. Elle me dit
la même expression dont Fagon s'étoit servi, que j'avois
apprise du Chancelier; elle me rendit la confiance qui
régnoit dans Meudon ; elle me vanta les soins et la capa-
cité des médecins, qui ne négligeoient pas jusqu'aux plus
petits remèdes qu'ils ont coutume de mépriser le plus ;
elle nous en exagéra le succès, et, pour en parler fran-
chement et en avouer la honte, elle et moi nous lamen-
tâmes ensemble de voir Monseigneur échapper, à son âge
et à sa graisse, d'un mal si dangereux. Elle rétléchissoit
tristement, mais avec ce sel et ces tons à la Mortemart',
qu'après une dépuration - de cette sorte il ne restoit plus
la moindre pauvre petite espérance aux apoplexies, que
celle des indigestions étoit ruinée sans ressources depuis
la peur que Monseigneur en avoit prise, et l'empire qu'il
avoit donné sur sa santé aux médecins; et nous conclûmes
plus que langoureusement ' qu'il falloit désormais compter
que ce prince vivroit et régneroit longtemps : de là des
raisonnements sans fin sur les funestes accompagnements
de son règne, sur la vanité des apparences les mieux fon-
dées d'une vie qui promettoit si peu, et qui trouvoit son
salut et sa durée au sein du péril et de la mort. En un
mot, nous nous lâchâmes'», non sans quelque scrupule
qui interrompoit de fois à autre cette rare conversation,
mais qu'avec un tour languissamment plaisant elle rame-
noit toujours à son point. Mme de Saint-Simon, tout
1. Tome XVII, p. 82.
'2. Action de dépurer, la dépuration du sang. Ce terme n'était pas
admis par le Dictionnaire de l'Académie de 1718; il n'y entra qu'en
176-2.
3. « On dit par dérision qu'un homme fait le langoureux auprès
d'une femme pour dire qu'il fait le passionné auprès d'elle » (Acadé-
mie, 1718). C'est ici plutôt le sens de douloureusement. Comparez cet
adverbe avec languissamment, qui va se rencontrer quelques lignes
plus bas.
4. Au sens de se laisser aller, comme « un ressort qui se lâche ».
seul exemple donné parle Dictionnaire de l'Académie de 1718.
MÉMOIRES DE S.\INT-SIUON. XXI i
18 ME'MOIRES [17111
dévotement, enrayoit* tant qu'elle pouvoit ces propos
étranges; mais Tenrayure- cassoit, et entretenoit ainsi un
combat très singulier entre la liberté des sentiments
humainement pour nous très raisonnables, mais qui ne
laissoit pas de nous faire sentir qui n'étoient pas selon la
religion ^ Deux heures s'écoulèrent de la sorte entre nous
trois, qui nous parurent courtes, mais que l'heure du souper
termina. Mme la duchesse d'Orléans s'en alla chez Madame
sa fille, et nous passâmes dans ma chambre, où bonne com-
pagnie s'étoit ce pendant assemblée, qui soupa avec nous.
Spectacle de Tandis qu'on étoit si tranquille à Versailles, et même à
Meudon. Meudon, tout y changeoit de face. Le Roi avoit vu Mon-
seigneur plusieurs fois dans la journée, qui étoit sensible*
à ces marques d'amitié et de considération. Dans la visite
de l'après-dînée, avant le conseil des dépêches, le Roi fut
si frappé de l'enflure extraordinaire du visage et de la
tête, qu'il abrégea, et qu'il laissa échapper quelques
larmes en sortant de la chambre. On le rassura tant qu'on
put, et, après le conseil des dépêches, il se promena dans
les jardins. Cependant Monseigneur avoit déjà méconnu^
Mme la princesse de Conti, et Roudin en avoit été alarmé.
Ce prince l'avoit toujours été •^. Les courtisans le voyoient
\. « Enrayer signifie arrêter une roue par les rais, en sorte qu'elle
ne tourne point, mais qu'elle ne fasse que glisser » (^Académie,
1718). Les lexiques n'en donnaient pas l'emploi au tiguré.
2. « Enrayure, ce qui sert à enrayer. » L'Académie n'a admis ce
substantif qu'en 1740 ; Littré ne cite que le présent exemple.
3. Il est curieux de remarquer que Saint-Simon, à propos de a
mort de Monseigneur, n'a pas rappelé ici le fameux horoscope : pis de
roi, père de roi, jamais roi, qui, au dire du Journal de Verdun
(tome XFV, 1711, p. 36.')) était connu depuis plus de trente ans lors-
qu'il mourut, et que d'ailleurs notre auteur a inséré dans l'Addition
987, ci-après, p. 396.
4. Sensibles corrigé en sensible.
o. « Méconnaître, ne pas reconnaître »; c'est le seul sens donné par
le Dictionnaire de l'Académie de 1718.
6. Comparez ci-dessus, p. 15, note 6, ce qu'il a répondu aux ha-
rengères.
(1711) DE SAINT-SIMON. 19
tous les uns après les autres; les plus familiers n'en bou-
geoienl jour cl nuit. Il sinl'orinoil sans cesse à eux si on
avoit cuutuuio d'être, dans cette maladie, dans l'état où
il se seutoit. Dans les temps où ce qu'on lui disoit pour
le rassurer lui faisoit le plus d'impression, il iondoit sur
cette ik'puration ' des espérances de vie et de santé, et, en
une de ces occasions, il lui échappa d'avouer à Mme la
princesse de Conti qu'il y avoit longtemps qu'il se sentoit
fort mal sans en avoir voulu rien témoigner, et dans un
tel état de foiblesse, que, le jeudi saint dernier-, il n'avoit
pu, durant l'office, tenir sa Semaine sainte^ dans ses
mains. Il se trouva plus mal vers quatre heures après midi,
pendant le conseil des dépèches : tellement que Boudin
proposa à Fagon d'envoyer quérir du conseil, lui repré-
senta qu'eux, médecins de la cour, qui ne voyoient jamais
aucune maladie de venin*, n'en pouvoient avoir d'expé-
rience, et le pressa de mander promptement des méde-
cins de Paris ; mais Fagon se mit en colère, ne se paya
d'aucunes raisons, s'opiuiàira au refus d'appeler per-
sonne % à dire qu'il étoit inutile de se commettre à des
disputes et à des contrariétés", soutint qu'ils feroient aussi Extrémité de
bien et mieux que tout le secours qu'ils pourroient faire ^^«"seigneur.
venir, voulut enfin tenir secret l'état de xMonseigneur,
quoiqu'il empirât d'heure en heure, et que, sur les sept
heures du soir, quelques valets, et quelques courtisans
même, commençassent à s'en apercevoir ; mais tout en ce
1. Ci-dessus, p. 17.
;2. Le 2 avril, moins de quinze jours auparavant.
3. Livre contenant les prières et les ollices de tous les jours de la
semaine sainte depuis le dimanche des rameaux jusqu'au jour de Pâ-
ques. De nos jours, on l'appelle plutôt Quinzaine de Pâques.
4. Tome Vlil, p. 9i.
o. Voyez une lettre de la marquise d'Huxelles publiée par les édi-
teurs du Journal de Dam^eau, p. 381, qui accuse au contraire Boudin
de n'avoir pas voulu pratiquer une saignée comme le demandait Faj^'on.
G. Au sens de contradiction, comme dans le tome IX, p. "ISA.
w Opposition entre des choses contraires » {Académie, ITIS).
20 MÉMOIRES [m\]
genre trembloit sous Fagon : il étoit là, et personne n'osoit
ouvrir la bouche pour avertir le Roi ni Mme de Mainte-
non. Madame la Duchesse et Mme la princesse de Conti,
dans la même impuissance, cherclioient à se rassurer. Le
rare fut qu'on voulut laisser mettre le Roi à table pour
souper, avant d'effrayer par de grands remèdes, et laisser
achever son souper sans l'interrompre et sans l'avertir de
rien', qui-, sur la foi de Fagon et le silence public,
croyoit Monseigneur en bon état, quoiqu'il l'eût trouvé
enflé et changé dans l'après-dînée, et qu'il en eût été fort
peines Pendant que le Roi soupoil ainsi tranquillement,
la tête commença à tourner à ceux qui étoient dans la
chambre de Monseigneur. Fagon et les autres entassèrent
remèdes sur remèdes, sans en attendre l'effet. Le curé'%
qui, tous les soirs avant de se retirer chez lui, alloit
savoir des nouvelles, trouva, contre l'ordinaire, toutes les
portes ouvertes et les valets éperdus. Il entra dans la
chambre, où, voyant de quoi il n'étoit que trop tardive-
ment question, il courut au lit, prit la main de Monsei-
gneur, lui parla de Dieu, et, le voyant plein de connois-
sance, mais presque hors d'état de parler, il en tira ce
qu'il put pour une confession, dont qui que ce soit ne
s'étoit avisé, lui suggéra des actes de contrition. Le
pauvre prince en répéta distinctement quelques mots,
confusément les autres, se frappa la poitrine, serra la
main au curé, parut pénétré des meilleurs sentiments, et
reçut d'un air contrit et désireux l'absolution du curé^
1. « Le Roi ne sut qu'après son souper l'extrémité du mal », dit Dan-
geau (p. 380).
2. Avant qui, W y a le Roy ajouté en interligne, et ensuite bifTé.
3. Ci-dessus, p. 18.
4. Le curé de Meudon était Louis de Rond, bactielieren théologie;
il était en même temps chapelain du château et avait de ce fait six
cents livres de pension (État de la France, 1712, tome I, p. 370).
o. Ces détails sont confirmés par le registre paroissial, cité par
M. de Grouchy, dans Meudon, Bellevue et Chaville, p. 112 ; voyez aussi
notre Appendice I, ci-après, p. 411.
[1711] OE SAINT-SIMOX. 21
Ce pendant le Roi sortoit de talile, et pensa tomber à la
renverse lorsque Kagon, se présentant à lui, lui cria, tout
troublé', que tout étoit perdu. On peut juger quelle hor-
reur saisit tout le monde en ce passage si subit d'une
sécurité entière à la plus désespérée extiémité.
Le Roi, à peine à lui-même-, prit à l'instant le chemin
de l'appartement de Monseigneur, et réprima très sèche-
ment l'indiscret empressement de quelques courtisans à
le retenir, disant qu'il vouloit voir encore son fils, et s'il
n'y avoit plus de remède. Comme il étoit près d'entrer
dans la chambre, Mme la princesse de Conti, qui avoit eu
le temps d'accourir chez Monseigneur dans ce court inter-
valle de la sortie de table, se présenta pour l'empêcher
d'entrer; elle le repoussa même des mains, et lui dit qu'il
ne falloit plus désormais penser qu'à lui-même. Alors, le
Roi, presque en foiblesse d'un renversement^ si subit et si
entier, se laissa aller sur un canapé qui se trouva à l'entrée
de la porte du cabinet par lequel il étoit entré, qui don-
noit dans la chambre; il demandoit des nouvelles à tout
ce qui en sortoit, sans que presque personne osât lui
répondre. En descendant chez Monseigneur, car il logeoit
au-dessus de lui, il avoit envoyé chercher le P. Tellier*,
qui venoit de se mettre au lit. Il fut bientôt rhabillé" et
arrivé dans la chambre; mais il n'étoit plus temps, à ce
qu'ont dit depuis tous les domestiques, quoique le jésuite,
peut-être pour consoler le Roi, lui eût assuré qu'il avoit
donné une absolution bien fondée. Mme de Maintenon,
accourue auprès du Roi et assise sur le même canapé,
tàchoit de pleurer. Elle essayoit d'emmener le Roi, dont
les carrosses étoient déjà prêts dans la cour; mais il n'y
1. Ces doux mots ont été ajoutés en inforligne.
■2. Lo Dictionnaire de l'Académie do 1718 elle l'exemple être â soi,
mais sans en donner la définition.
3. « Action de renverser ; se dit aussi au liguri' : le renversement
des lois, de l'État » (Académie, 1718).
'*. Ci-dessus, p. 13. — ."». Saint-Simon écrit rabillc.
Où)
MÉMOIRES [17111
eut pas moyen de l'y faire résoudre que Monseigneurne
fût expiré. Cette agonie sans connoissance dura près d'une
heure depuis que le Roi fut dans le cabinet. Madame la
Duchesse et Mme la princesse de Conti se partageoient
entre les soins du mourant et ceux du Roi, près duquel
elles revenoient souvent, tandis que la Faculté confondue,
les valels éperdus, le courtisan ' bourdonnant -, se pous-
soient les uns les autres, et cheminoient sans cesse sans
presque changer de lieu. Enfin le moment fatal arriva :
Mort de Fagon sortit, qui le laissa entendre. Le Roi, fort affligé,
Monseigneur. ^^ ^^^^ peiné du défaut de confession '\ maltraita un peu
Le Roi va à r , , . • l-l > t»i i
Marly. ce premier médecin, puis sortit, emmené par Mme de
Maintenon et par les deux princesses*. L'appartement étoit
de plein pied à la cour, et, comme il se présenta pour
monter en carrosse, il trouva devant lui la berline^ de
i. Saint-Simon a écrit par erreur courtisant.
2. « Bourdonner se. dit aussi pour exprimer le bruit sourd et confus
que font plusieurs personnes qui n'approuvent pas ce qui a été dit ou
fait» (Académie, 1748).
3. Mme de Maintenon écrivait peu après (Lettres, éd. 1806, tome
VI, p. 62) : « Il avoit son confesseur dans sa maison et les meilleurs
médecins de France : il meurt dans un moment et sans confession. «
4. Sur la mort de Monseigneur, on peut voir l'article du Mercure
d'avril, p. 1-7, ceux de la Gazette, p. 204, et de la Gazette d'Amster-
dam, n" XXXIII, la Correspondance de Madame, recueil Jaeglé,
tome II, p. 143 et suivantes, les Lettres historiques de Mme de Main-
tenon, tome II, p. 302-303, et recueil Gefîroy, tome II, p. 275-278,
les Lettres de Mme Dunoyer, lettre lxxx, le Journal de P. Nar-
bonne, p. 11-13, une lettre d'un Hollandais conservée au Dépôt de la
guerre, vol. 2299, n" 392, le Nouveau siècle de Louis XIV, tome III,
p. 383. M. le comte d'Haussonville, dans la Duchesse de Bourgogne
(t. IV, p. 93-96), a publié les lettres que le duc écrivit à cette occa-
sion à son frère Philippe V.
5. La berline (Saint-Simon écrit breliné) était une sorte de car-
rosse inventé à Berlin, avec caisse posée sur des brancards et soutenue
par des soupentes ; on disait aussi, mais à tort, brelinde et brelingue
(Dictionnaire de Trévoux). D'abord faites pour deux personnes seu-
lement, on en construisit ensuite à quatre et à six places ; elles ser-
vaient surtout pour les voyages, comme plus légères et mieux suspen-
dues que les chaises de poste.
(17111 r>E SAINT-SIMON. i.S
Monsoitjnour ; il fit signo de la main qu'on lui ann>nàt
un autre carro!>so, par la peine (jue lui faisoit celui-là.
Il n'eu fut |>as néainuoins tellement occupé, (]ue, voyant
Pontcharlrain, il ne l'appelât pour lui dire d'avertir son
père et les autres ministres de se trouver le lendemain
matin, un peu lard, à Marly, pour le conseil d'Ktat or-
dinaire du mercredi. Sans commenter ce sens froid, je
me contenterai de rapporter la surprise extrême de tous
les témoins et de tous ceux qui l'apprirent. Pontchartrain
répondit que, ne s'agissant que d'affaires courantes, il
vaudroit mieux remettre le Conseil d'un jour que de l'en
importuner. Le Roi y consentit. Il monta avec peine en
carrosse, appuyé des deux côtés, Mme de Maintenon tout
de suite après, qui se mit à côté de lui ; Madame la Du-
chesse et Mme la princesse de Conti montèrent après elle ',
et se mirent sur le devant. Une foule d'officiers de Mon-
seigneur se jetèrent à genoux tout du long de la cour, des
deux côtés, sur le passage du Roi, lui criant avec des
hurlements étranges d'avoir compassion d'eux, qui avoient
tout perdu et qui mouroient de faim.
Tandis que Meudon étoit rempli d'horreur-, tout étoit Spoctaclc de
tranquille à Versailles sans en avoir le moindre soupçon.
Nous avions soupé^; la compagnie, quelque temps après,
s'étoit retirée, et je causois avec Mme de Saint-Simon, qui
achevoit de se déshabiller pour se mettre au lit, lorsqu'un
ancien valet de chambre à qui elle avoit donné une
charge de garçon de la chambre de Mme la duchesse de
Berry, et qui y servoit à table*, entra tout effarouché. Il
I . Elle a été ajouté en interligne.
'•i. Taine dans ses Essais de critique et d'histoire (i88i). p. 'iii^-
i'to, a écrit trois pages saisissantes sur ce « spectacle de Versailles »
à la mort de Monseigneur : « Farce funèbre, dit-il, où nous contem-
plons en face la grimace de la vérité et de la mort. »
3. Ci-dessus, p. 18.
4. D'après la lettre donnévc dans l'Appendice du tome XX (p. 508),
la duchesse s'était intéressée au sieur Lemaire pour lui procurer une
place dans la maison de Mme de Berry. Mais VÉtat de la France de
Versailles.
24 MÉMOIRES [1711]
nous dit qu'il falloit qu'il y eût de mauvaises nouvelles de
Meudon; que Mgr le duc de Bourgogne venoit d'envoyer
parler à l'oreille à M. le duc de Berry, à qui les yeux
avoient rougi' à l'instant; qu'aussitôt il étoit sorti de table,
et que, sur un second message fort prompt, la table, où la
compagnie étoit restée, s'étoit levée avec précipitation, et
que tout le monde étoit passé dans le cabinet. Un chan-
gement si subit rendit ma surprise extrême; je courus
chez Mme la duchesse de Berry aussitôt : il n'y avoit plus
personne ; ils étoient tous allés chez Mme la duchesse de
Bourgogne. J'y poussai tout de suite. J'y trouvai tout
Versailles rassemblé ou y arrivant, toutes les dames en
déshabillé, la plupart prêtes à se mettre au lit, toutes les
portes ouvertes, et tout en trouble. J'appris que Mon-
seigneur avoit reçu l'extrême-onction, qu'il étoit sans
connoissance et hors de toute espérance, et que le Roi
avoit mandé à Mme la duchesse de Bourgogne qu'il s'en
alloit à Marly, et de le venir attendre dans l'avenue,
entre les deux écuries-, pour le voir en passant. Le
spectacle attira toute l'attention que j'y pus donner parmi
les divers mouvements de mon âme et ce qui tout à la
fois se présenta à mon esprit. Les deux princes et les
deux princesses étoient dans le petit cabinet derrière la
ruelle du lit ; la toilette ^ pour le coucher étoit à l'ordinaire
dans la chambre de Mme la duchesse de Bourgogne, rem-
plie de toute la cour en confusion ; elle alloit et venoit du
cabinet dans la chambre, en attendant le moment d'aller
au passage du Roi, et son maintien, toujours avec ses
mêmes grâces, étoit un maintien de trouble et de com-
passion que celui de chacun sembloit prendre pour dou-
1712 indique comme garçons de la chambre les sieurs Dupuis, Leroy et
Bertheauneau ; par contre, il y a un Lemaire tailleur de la garde-robe.
1 . Roougi, dans le manuscrit.
2. Il a été déjà parlé dans le tome XII, p. 104, de ces deux bâti-
ments, situés vis-à-vis du château de chaque côté de l'avenue de Paris.
3. Tome XIX, p. 248.
(I7H1 DE SAI.NT-SIMO.V -2r>
leur; elle disoit ou réponcioit, on passant devant les uns
et les autres, quelques mots rares. Tous les assistants
étoient des personnages vraiment expressifs; il ne falloit
qu'avoir des yeux, sans aucune connoissance de la cour,
pour distinguer les intén^ts peints sur les visages, ou le
néant de ceux qui n'étoient de rien : ceux-ci tranquilles à
eux-mêmes, les autres pénétrés de douleur, ou de gravité
et d'attention sur eux-mêmes pour cacher leur élargisse-
ment' et leur joie. Mon premier mouvement fut de m'in-
former à plus d'une fois, de ne croire qu'à peine au spec-
tacle et aux paroles, ensuite de craindre trop peu de
cause pour tant d'alarme, enfin de retour sur moi-même
par la considération de la misère commune à tous les
hommes, et que moi-même je me trouverois un jour aux
portes de la mort. La joie, néanmoins, perçoit à travers
les réflexions momentanées de religion et d'humanité par
lesquelles j'essayois de me rappeler-; ma délivrance par-
ticulière me sembloit si grande et si inespérée, qu'il me
sembloit, avec une évidence encore plus parfaite que la
vérité, que l'État gagnoit tout en une telle perte. Parmi
ces pensées, je sentois malgré moi un reste de crainte que
le malade en réchappât, et j'en avois une extrême honte.
Enfoncé' de la sorte en moi-même, je ne laissai pas de
mander à Mme de Saint-Simon qu'il étoit à propos qu'elle
vînt, et de percer de mes regards clandestins chaque vi-
sage, chaque maintien, chaque mouvement, d'y délecter
ma curiosité, d'y noui'rir les idées que je m'étois formées
de chaque personnage, (|ui ne m'ont jamais guères
trompé, et de tirer de justes conjectures de la vérité de
ces premiers élans dont on est si l'arement maître, et qui,
par là, à qui connoît la carte* et les gens, deviennent des
I. Tome XVIII. p. :W1.
i. Au sens moderne de rappeler à l'ordre, aux convenances.
;i Enfoncé est en interligne, au-dessus de renfermé, biffe.
\. Expression déjà rencontrée dans les tomes VII, p. 201, et XII,
(I. 40-2 et 406 : la carte de la cour ; voyez ci-après, p. 38.
26 MÉMOIRES \\li\]
indications' siiros des liaisons et des sentiments les moins
visibles en tous autres temps rassis. Je vis arriver Mme la
duchesse d'Orléans, dont la contenance majestueuse et
compassée ne disoit rien ; elle entra dans le petit cabinet,
d"où, bientôt après, elle sortit avec M. le duc d'Orléans,
duquel l'activité et l'air turbulent marquoient plus l'émo-
tion du spectacle que tout autre sentiment. Ils s'en allè-
rent, et je le remarque exprès par ce qui bientôt après
arriva en ma présence. Quelques- moments après, je vis
de loin, vers la porte du petit cabinet, Mgr le duc de
Bourgogne avec un air fort ému et peiné ; mais le coup
d'œil que j'assenai' vivement sur lui ne m'y rendit* rien
de tendre, et ne me rendit que l'occupation profonde
d'un esprit saisi. Valets et femmes de chambre crioient
déjà indiscrètement, et leur douleur prouva bien tout ce
que cette espèce de gens alloit perdre. Vers minuit et
demi, on eut des nouvelles du Roi, et aussitôt je vis
Mme la duchesse de Bourgogne sortir du petit cabinet
avec Mgr le duc de Bourgogne, l'air alors plus touché
qu'il ne m'avoit paru la première fois, et qui rentra aus-
sitôt dans le cabinet. La princesse prit à sa toilette son
écharpe ' et ses coiffes*, debout et d'un air délibéré, tra-
versa la chambre les yeux à peine mouillés, mais trahie
par de curieux regards lancés de part et d'autre à la dé-
1. Saint-Simon a écrit par mégarde : indictions.
2. II y a, dans le manuscrit, quelque sans pluriel.
3. Ecrit acénay, comme toujours.
4. Au sens de montrer, renvoyer, faire voir.
5. « Écharpe, sorte de vêtement que les femmes mettent sur leurs
épaules, quand elles sortent en habit négligé « (Académie, 1748). On
en faisait on soie, en taffetas, en gaze ou en dentelle. Selon Madame,
elles étaient mal portées (recueil Jseglé, tome I, p. 107) ; mais elles
devinrent plus tard fort à la mode. Quicherat (Histoire du Costume,
p. 53o), dit qu'après 1700. on porta des éctiarpes ornées de dentelles
et de falbalas et assez étoffées pour couvrir la tête, comme la cape ou
comme la mante.
6. Nous avons déjà rencontré ce synonyme de bonnet dans le tome
XII, p. 43 et 236.
inill OK SAINT-SIMON 27
robée, et, suivie soulcmcnt (\o sos diinics. gagna son car-
rosse par le grand oscalitM-V (^.oninic elle sortit do sa
chambre, je pris mon temps ponr ;dlcr cliez Mme la du-
chesse d'Orléans, avec qui je grillois dèlre-. Entrant chez
elle, j'appris qu'ils efoient chez Madame ; je poussai
jusque-là à travers leurs appartements. Je trouvai Mme la
duchesse d"()rl»''ans qui retournoit ' chez elle, et qui, d'un
air fort sérieux, me dit de revenir avec elle. M. le duc
d'Orléans étoit demeuré. Elle s'assit dans sa chambre, et
auprès d'elle la duchesse de Villeroy, la maréchale de
Rochefort, et cinq ou six daines familières. Je pctillois
cependant de tant de compagnie. Mme la duchesse d'Or-
léans, qui n'en étoit pas moins importunée, prit une bou-
gie* et passa derrière sa chambre. J'allai alors dire un
1. Appelé aussi prand de«;ré, ou escalier de la Reine, il donnait
directement accès dans l'appartement du Roi. par la salle des gardes,
dans celui de Mme de Maintenon et dans celui du ducet de la duchesse
de Bourgogne, comme il a été expliqué au tome XVI. p. 469 et 471.
2. a On dit tigurément et bassement : Je grille d'impatience, pour
dire, je meurs, je brûle d'impatience ; on dit aussi absolument : Je
grille n (Académie, 1718).
3. Après retournoit, il y a dans le manuscrit un et inutile.
■4. Bien qu'on ait prétendu que la bougie avait été inventée sous
François 1"=' par le peintre Ch. Carmoy. de la maison du cardinal du
Bellay, et par Philibert Dclorme, son architecte, il est avéré que le
mot et la chose sont bien plus anciens. Au quatorzième siècle, le Mé-
nagier de Paris parle déjà de bougies de cire ou de chandelles de
bougie, et. si l'origine du nom est bien la ville de Bougie, en Afrique,
où l'on faisait un grand commerce de cire et où l'on aurait commencé
à fabriquer ce genre de luminaire, il pourrait se faire que son intro-
duction en Occident remontât à l'époque des croisades. A cause de
leur prix élevé, les bougies étaient encore peu répandues au dix-
.septième siècle {Caractères de la Bruyère, tome I, p. 29t)), et l'on
reprocha comme une prodigalité à Mme Scarron. dans sa détresse de
1601, d'avoir continué à en brûler. C'est en 166H que l'on commenta
à fournir la bougie, avec le bois, aux logements des courtisans (Lettres
de Colbert, tome VI, p. 470). Les théâtres n'étaient éclairés qu'avec
des chandelles, et ce lut Law qui, en 1719, donna les fonds nécessaires
pour qu'à l'Opéra on pût se servir de bougies (Dangeau, tome XV^III,
p. IH!)). A Voi-saillcs, dans les appartements et galeries, on n'usait que
28 MÉMOIRES [1711]
mot à l'oreille à la duchesse de Villeroy : elle et moi
pensions de même sur l'événement présent; elle me
poussa, et me dit tout bas de me bien contenir. J'étouffois
de silence parmi les plaintes et les surprises narratives'
de ces dames, lorsque M. le duc d'Orléans parut à la
porte du cabinet et m'appela. Je le suivis dans son ar-
rière-cabinet en bas sur la galerie-, lui près de se trouver
mal, et moi les jambes tremblantes de tout ce qui se pas-
Surprenantes soit sous mes yeux et au dedans de moi. Nous nous as-
j^^ ■ sîmes par hasard vis-à-vis l'un de l'autre ; mais quel fut
d'Orléans, mon étonuemeut lorsque, incontinent après, je vis les
larmes lui tomber des yeux. « Monsieur I » m'écriai-je
en me levant dans l'excès de ma surprise. Il me comprit
aussitôt et me répondit d'une voix coupée^, et pleurant
véritablement : « Vous ^ avez raison d'être surpris, et je
« le suis moi-même; mais le spectacle touche. C'est un
« bon homme ^ avec qui j'ai passé ma vie; il m'a bien
« traité et avec amitié tant qu'on l'a laissé faire et qu'il
« a agi de lui-même. Je sens bien que l'affliction ne
« peut pas être longue ; mais ce sera dans quelques jours
« que® je trouverai tous les motifs de me consoler dans
de ce genre d'éclairage, et ce n'était pas un des moindres profits des
officiers de la chambre (Mémoires de Luynes, tomes II, p. 366, 369 et
370, V, p. 215, X, p. 204, et XI, p. 325-326). Les bougies de couleur
et en cire parfumée figuraient dans les présents offerts par les villes,
avec les confitures et les dragées. Sous Louis XV, l'usage s'en répandit
dans la bourgeoisie aisée, sans néanmoins remplacer celui de la chan-
delle pour les classes inférieures.
i. « Narratif, qui narre : Discours narratif, style narratifs (Aca-
démie, 4718).
2. Il a déjà été parlé de cet arrière-cabinet dans le tome XVIII,
p. 314.
3. « On dit que les sanglots, les soupirs coupent la voix, pour dire
qu'ils font perdre la parole » (Académie, 1718).
4. Ce discours est tout encadré de guillemets.
5. Ainsi, en deux mots, dans le manuscrit.
6. Que, écrit en fin de ligne, est répété au commencement de la
ligne suivante.
|171l| DE SAINT-SIMON. 29
« l'état où on m avoit iiii> :i\rc lui ; mais pivsenlenit'nt
« le sang, la proximité, I liuiuaiiilc, tout louche, et les
« entrailles s'émeuvent. -> Je louai ce sentiment ; mais '
j'en avouai mon extrême surprise par la façon dont il
étoit avec .Monseigneur. Il se leva, se mit la tête dans un
coin, le nez dedans-, et pleura amèrement et à sanglots,
chose que, si je n'avois vue, je n'eusse jamais crue. Après
quelque peu de silence, je l'exhortai à se calmer ; je lui
représentai qu'incessamment il faudroil retourner chez
Mme la duchesse de Bourgogne, et que, si on l'y voyoit
avec des yeux pleureux ', il n'y avoit personne qui ne
s'en moquât comme d'une comédie très déplacée, à la
façon dont toute la cour savoit qu'il étoit avec Monsei-
gneur. Il fit donc ce qu'il put pour arrêter ses larmes, et
pour bien essuyer et retaper* ses yeux. II y travailloit
encore lorsqu'il fut averti que Mme la duchesse de Bour-
gogne arrivoit, et que Mme la duchesse d'Orléans alloit
retourner chez elle. Il la fut joindre, et je les y suivis \
1. Mais semble avoir été ajouté après coup dans la marge.
'2. Saint-Simon a écrit par mégarde : le nez de dedans.
3. « Avoir les yeux tout pleureux se dit d'une personne qui a les
yeux encore tout moites, tout rouges d'avoir pleuré » (Académie,
d'iS).
4. Le Dictionnaire de l'Académie ne donna ce verbe que dans
l'édition de i76-2, avec la délinition suivante : « Retrousser les bords
d'un chapeau contre la forme » ; ici, c'est le sens moderne : Remettre
en état ce qui a été froissé ou abîmé.
o. Voici comment avait été racontée cette scène dans la Notice sur
la maison de Saint-Simon (tome XXI et supplémentaire de l'édition
de 1873, p. 17 1-17-2): « Mme la duchesse dOrléans pria M. de Saint-
Simon, qui causoil avec la duchesse de Villeroy, d'aller trouver M. le
duc d'Orléans. 11 y fut, le trouva seul dans un arrière-cabinet, le dos
tourné, qui ne branla pas l'entendant entrer. M. de Saint-Simon lui
demanda ce qu'il faisoit là, et le lit retourner avec peine, mais, quelle
fut sa surprise ! tondant en larmes. « Monsieur, s'écria-t-il avec cette
liberté d'ancien serviteur, est-ce que vous devenez fou tout d'un
coup ? — A qui en avez-vous? demanda le prince, honteux et en san-
glotant. Vous voyez, répondit-il , je sais tout ce que vous m'allez dire,
et je le sentirai dans quelque temps. Pour à cette heure, c'est foiblesse,
;{0
MEMOIRES
[1711]
Continuation
du spectacle
de Versailles.
Mme h duchesse de Bourgogne, arrêtée dans l'avenue
entre les deux écuries, n'avoit attendu le Roi que fort
peu de temps ; dès qu'il approcha, elle mit pied à terre
et alla à sa portière. Mme de Maintenon, qui étoit de ce
même côté, lui cria: «Où allez-vous. Madame? N'ap-
prochez pas; nous sommes pestitérés. » Je n'ai point
su quel mouvement fit le Roi, qui ne l'embrassa point à
cause du mauvais air. La princesse, à l'instant, regagna
son carrosse, et s'en revint. Le beau secret que Fagon
avoit imposé sur l'état de Monseigneur avoitsi bien trompé
tout le monde, que le duc de Beauvillier étoit revenu
à Versailles après le conseil de dépêches, et qu'il y cou-
cha, contre son ordinaire depuis la maladie de Monsei-
gneur. Comme il se levoit fort matin, il se couchoit tou-
jours sur les dix heures, et il s'étoit mis au lit sans se
défier de rien. Il n'y fut pas longtemps sans être réveillé
par un message de Mme la duchesse de Bourgogne, qui
l'envoya chercher, et il arriva dans son appartement peu
avant son retour du passage du Roi. Elle retrouva les
deux princes et Mme la duchesse de Berry, avec le duc
de Beauvillier, dans ce petit cabinet oii elle les avoit
laissés'. Après les premiers embrassements d'un retour
qui signifioit tout, le duc de Beauvillier, qui les vit étouf-
fants dans ce petit lieu, les fit passer par la chambre dans
le salon qui la sépare de la galerie, dont, depuis quelque
si vous voulez ; mais il étoit bon homme ; il m'avoit aimé tant qu'on
l'avoit laissé à lui-môme ; les entrailles parlent : laissez-moi pleurer. »
L'admiration succéda à la surprise dans Saint-Simon. Il se tut, baissa
les yeux et demeura abîmé dans la contemplation d'une vertu si pure,
si simple, si étrangement rare, et si inconnue de tous les hommes
dans ce prince par les cruelles enveloppes que le tissu de sa vie y avoit
su mettre, quoique faussement. Ils demeurèrent ainsi en silence plus
d'un gros quart d'heure, au bout duquel M. de Saint-Simon, inquiet
de la vraisemblance et de l'accusation d'une ridicule comédie, l'exhorta
d'arrêter ses larmes et de mettre ses yeux en état de paroître devant le
monde. »
i. Ci-dessus, p. 24.
[17111 DE SAINT-SIMO.X. 34
temps, on avoit ft'i-iiu''' i'«> salon il iiiir [mr N- |»onr ru iain;
un grand tabiin'l. Un v Duvril îles fcnèties, et les deux
princes, avant chacun sa [)iincesse à son côté, s'assirent
sur un ni'*'ine canapé près des fenêtres, le dos à la gale-
rie ; tout le monde épars, assis et debout, et en confusion
dans ce salon, et les dames les plus familières par terre',
aux pieils ou proche du canapé des princes. Là, dans la
chand)re, et par tout l'appartement, on lisoit apertement^
sur les visages. Monseigneur n'étoit plus ; on le savoit,
on le disoit ; nulle contrainte ne retenoit plus à son
égard, et ces premiers monients étoient ceux des pre-
miers mouvements peints au naturel, et pour lors afïran-
chis de toute politi(|ue, quoique avec sagesse, par le
trouble, l'agitation, la surprise, la foule, le spectacle con-
fus de cette nuit si rassemblée^ Les jiremières pièces
oftroient les mugissements'" contenus des valets, désespé-
rés' de la perte d'un maître si fait exprès pour eux, et
pour les consoler d'une autre " qu'ils ne prévoyoient
qu'avec transissement^ et qui, par celle-ci, devenoit la
leur propre. Parmi eux s'en remarquoient d'autres des
plus éveillés de gens principaux de la cour, qui étoient
accourus aux nouvelles, et qui montroient bien, à leur
air, de quelle boutique* ils étoient balayeurs'". Plus avant
i. Fermé est en interligne, au-dessus de séparé, bifîé.
2. Tome XL\. p. "6.
3. o Apcrtemcnt, manifestement ; commence à vieillir» (Académie,
A. Au sens de « passée ensemble », ou plutôt à celui de « pleine
d'événements ».
n. (' M ug isscnicnt, mougWmcni, cri quefont les taureaux et les vaclies »
(Académie, illH).
G. Saint-Simon a écrit dcsesprcrcs. — 1. Celle du Roi.
8. a Trunsissemi'nt, l'étal où est un homme transi «(Académie, 1718).
y. « En parlant d'une chose qui se dit sans nom d'auteur, on dit que
cela vii'nt de la bontiipte d'un tel, pour dire que cela est de l'inven-
tion, du crû d'un tel ; et ordinairement cela se dit en mauvaise part »
(Académie, 1718).
10. « Balayeur, celui (pii balaye » (Académie, 1718). Littré ne cite
32 MÉMOIRES [1711]
commençoit la foule des courtisans de toute espèce. Le
plus grand nombre, c'est-à-dire les sots, tiroient des sou-
pirs de leurs talons', et, avec des yeux égarés et secs,
louoient Monseigneur, mais toujours de la même louange,
c'est-à-dire de bonté, et plaignoient le Roi de la perte
d'un si bon fils. Les plus fins d'entre eux, ou les plus
considérables, s'inquiétoient déjà de la santé du Roi ;
ils se- savoient bon gré de conserver tant de jugement
parmi ce trouble, et n'en laissoient pas douter par la
fréquence de leurs répétitions. D'autres, vraiment affli-
gés, et de cabale frappée^, pleuroient amèrement, ou se
contenoient avec un elïort aussi aisé à remarquer que les
sanglots. Les^ plus forts de ceux-là, ou les plus politiques,
les yeux fichés à terre, et reclus en des coins, méditoient
profondément aux suites"' d'un événement si peu attendu,
et bien davantage sur eux-mêmes. Parmi ces diverses
sortes d'affligés, point ou peu de propos, de conversation
nulle, quelque exclamation parfois échappée à la douleur,
et parfois répondue par une douleur voisine, un mot en
un quart d'heure, des yeux sombres ou hagards, des
mouvements de mains moins rares qu'involontaires, im-
mobilité du reste presque entière ; les simples curieux et
que cet emploi au figuré. La phrase signifie que l'air de ces valets fai-
sait juger à laquelle des cabales de la cour appartenaient les maîtres
qu'ils servaient.
1. S'efforçaient de soupirer du plus profond de leur personne.
Littré ne cite que le présent exemple.
2. Ils se corrige et se.
3. C'esl-à-dire appartenant à la cabale qui était ruinée par la mort
de Monseigneur. Geffroy {Lettres de Mme de Maintenons tome II, p.
280) a expliqué quelle déception était cette mort pour la coterie de
Meudon, dirigée par Madame la Duchesse et les deux Lillebonne.
« Rien n'est égal à la douleur de Madame la Duchesse, écrivait Mme de
Maintenon au duc de Xoailles ; aussi tombe-t-elle de bien haut » (Ibidem,
p. 28'2). La même expression reviendra ci-après, p. 283.
■'t. Avant les, Saint-Simon a biffé et.
o. Littré cite des emplois de méditer à quelque chose dans Descartes,
Mme de Sévigné et Jean-Jacques Rousseau.
fl711| DE SAINT-SIMON. 33
peu soucii'ux presque nuls', hors les sots qui avoient le
caquet- en partage; les questions et le redoublement du
désespoir des aftligés, et l'importunité pour les autres.
Ceux qui déjà Mvgardoient cet événement conmie favo-
rablt' avoient beau pousser la gravité jusqu'au maintien
chagrin et austère ; le tout n'étoit qu'un voile clair, qui
n'empèchoit pas de bons yeux de remarquer et de distin-
guer tous leurs traits. Ceux-ci se tenoient aussi tenaces
en place que les plus touchés, en garde contre l'opinion,
conti'O la curiosité, contre leur satisfaction, contre leurs
mouvements; mais leurs yeux suppléoient au peu d'agi-
tation de leurs corps. Des changements de posture,
comme des gens peu assis ou mal debout; un certain
soin de s'éviter les uns les autres, même de se rencontrer
des yeux ; les accidents momentanés qui arrivoient de
ces rencontres; un je ne sais quoi de plus libre* en
toute la personne, à travers le soin de se tenir et de se
composer; un vif, une sorte d'étincelant autour d'eux,
les^ distinguoit malgré qu'ils en eussent. Les deux
princes et les deux princesses assises à leurs côtés,
prenant soin d'eux, étoient les plus exposés à la pleine
vue. Mgr le duc de Bourgogne pleuroit d'attendrissement
et de bonne foi, avec un air de douceur, des® larmes de
nature, de religion, de patience. M. le duc de Berry,
tout d'aussi bonne foi, en versoit en abondance, mais des
larmes pour ainsi dire sanglantes, tant l'amertume en
paroissoit grande, et poussoit non des sanglots, mais des
i. C'esl-à-dirc, no témoignant aucun sentiment, et ne disant rien,
hormis les sots, qui bavardaient.
2. Tome X.K, p. 308. — 3. Déjà a rté ajouté en interligne.
4. Saint-Simon avait d'abord écrit un je ne sais quoy de plus vif, de
plus libre ; s'apercevant que vif se rencontrait encore à la ligne sui-
vante, il a bilTé l'adjectif; mais il a laissé de plus, qui se trouve ainsi
répété deux fois.
o. Avant les, Saint-Simon a biffé qui.
6. De est corrigé en des, et les quatre mois larmex de nnturr de
ont été ajoutés à la lin d'une ligne et aucommeuccment de la suivante.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI -i
34 MÉMOIRES [\1\\\
cris, mais des hurlements'. Il se taisoit parfois, mais de
suffocation, puis éclatolt, mais avec un tel bruit, et un
bruit si fort, la trompette forcée du désespoir-, que la
plupart éclatoient aussi à ces redoublements si doulou-
reux, ou par un aiguillon d'amertume, ou par un aiguil-
lon de bienséance. Cela fut au point qu'il fallut le désha-
biller là même, et se précautionner de remèdes et de gens
de la Facultés Mme la duchesse de Berry étoit hors
d'elle; on verra bientôt pourquoi ^ Le désespoir le plus
amer étoit peint avec horreur sur son visage ; on y
voyoit comme écrit une rage de douleur, non d'amitié,
mais d'intérêt ; des intervalles secs, mais profonds et fa-
rouches, puis un torrent de larmes et de gestes involon-
taires, et cependant retenus, qui montroient une amer-
tume d'àme extrême, fruit de la méditation profonde
qui venoit de précéder. Souvent réveillée par les cris de
son époux, prompte à le secourir, à le soutenir, à l'em-
brasser, à lui présenter quelque chose à sentir, on voyoit
un soin vif pour lui, mais tôt après une chute profonde
en elle-même, puis un torrent de larmes qui lui aidoient
à suffoquer ses cris. Mme la duchesse de Bourgogne con-
soloit aussi son époux, et y avoit moins de peine qu'à
acquérir le besoin d'être elle-même consolée, à quoi
pourtant, sans rien montrer de faux, on voyoit bien
qu'elle faisoit de son mieux pour s'acquitter d'un devoir
pressant de bienséance sentie, mais qui se refuse au plus
1 . Ici, heurlements, tandis qu'il a écrit : hurlements ci-dessus (p. 23),
et, plus loin (p. 33), hurlante.
'i. Littré cite des exemples de pareille locution dans Bossuet et dans
Mme de Sévigné.
3. Mme de Maintenon écrivait quelques jours plus tard à la princesse
des Ursins (recueil Geffroy, tome II, p. 279) : « M. le duc de Bour-
gogne est transi, pâle comme la mort, ne disant pas une parole, levant
les yeux au ciel M. le duc de Berry a eu une autre sorte de dou-
leur : toujours près d'étouffer, il fallut le déshabiller à moitié dans la
chambre de Mme la duchesse de Bourgogne. »
4. Ci-après, p. 83.
|nil| DE SAINT-SIMON. 35
grand besoin: le fn-quent moucher' lépondoit aux cris
du prince son beau-frèri' ; (juelcjues larmes amenées du
spectacle, et souvent entretenues avec soin, fournissoient
à l'art du mouchoir pour rougir et grossir les yeux et
barbouiller le visage, et cependant le coup d'œil fré-
quemment dérobé se promenoit sur l'assistance et sur la
contenance de chacun. Le duc de Beauvillier, debout
auprès d'eux, lair- tranquille et froid comme à chose
non avi'nue, ou à spectacle ordinaire, donnoit ses ordres
pour le soulagement des princes, poui- que peu de gens
entrassent quoicjue les portes fussent ouvertes à chacun,
en un mol pour tout c(> (ju'il éloil besoin, sans empresse-
ment, sans se méprendre en quoi que ce soit ni aux gens
ni aux choses : vous l'auriez cru au lever ou au petit
couvert, servant à l'ordinaire. Ce flegme dura sans la
moindre altération, également^ éloigné d'être aise par
religion et de cacher aussi le peu d'aftliction qu'il res-
sentoit, pour conserver toujours la vérité. Madame, rha-
billée en grand habit, arriva hurlante, ne sachant bon-
nement pourquoi ni l'un ni l'autre, les inonda tous de
ses larmes en les embrassant, fit retentir le château d'un
renouvellement de cris S et fournit un spectacle bizarre
1. Les lexiques du dix-huitième siècle, non plus que les modernes,
ne donnaient ce verbe comme pris substantivement. Litfré, outre le
présent exemple, en cite un de Pascal.
'2. Entre iair et tranquille, il y a dans le manuscrit un la, placé
par mi'f;arde et peut-tHre après coup.
3. Ègalcm^ surcharge eloi[gné].
•4. Au fond, elle n'était guère affligée : dès le surlendemain, 16 avril,
elle écrivait à sa tante de Hanovre (recueil Jaeglé, tome H, p. 146): « Ceux
qui ont cru me causer un grand dommage en m'aliénant M. le Dauphin
m'ont peut-être sauvé la vie ; car, si, lui et moi, nous avions encore été sur
le même pied qu'avant la mort de Monsieur, j'aurais peut-être pu tomber
malade de frayeur et d'alTliclion, ou bien même en devenir inconsolable,
tandis que présentement jf supporte ce mallieur patiemment et n'ai de
souci qu'au sujet du Roi. Je plains M. Ir Dauphin à la vérité ; mais je ne
peux m'allligcr autant de la perte d'un homme qui ne m'aimait pas et qui
m'avait entièrement abandonnée, que s'il était toujours resté mon ami. »
36
MEMOIRES
[1744]
Plaisante
aventure d'un
Suisse.
d'une princesse qui se remet en cérémonie en pleine nuit
pour venir pleurer et crier parmi une foule de femmes
en déshabillé de nuit', presque en mascarades^. Mme la
duchesse d'Orléans s étoit éloignée des princes, et s'étoit
assise le dos à la galerie, vers la cheminée, avec quelques
dames. Tout étant fort silencieux autour d'elle, ces
dames peu à peu se retirèrent d'auprès d'elle, et lui
firent grand plaisir. Il n'y resta que la duchesse Sforze,
la duchesse de Villeroy, Mme de Castries, sa dame d'a-
tour, et Mme de Saint-Simon. Ravies de leur liberté, elles
s'approchèrent en un tas, tout le long d'un lit de veille^
à pavillon % et le joignant, et, comme elles étoient toutes
affectées de même à l'égard de l'événement qui rassem-
4 . « Déshabillé, les hardes de nuit dont on se sert quand on est désha-
billé. En ce sens, il n'a d'usage qu'avec la préposition en,... et n'a guère
d'usage que pour les femmes » (Académie, 1718); voyez ci-dessus, p. 24.
2. Voici ce qu'elle écrivait dans cette même lettre du 16 avril (re-
cueil Jseglé, tome II, p. 1 44) : « Vous imaginez bien l'horrible frayeur
que causa la nouvelle de la mort. Je tis chercher ma voiture, et me rhabil-
lai en toute hâte. Puis, je courus chez la duchesse de Bourgogne, où
j'assistai à un spectacle navrant: le duc et la duchesse de Bourgogne
étaient bouleversés, pâles comme la mort et ne disant pas un mot ; le
duc et la duchesse de Berry étaient étendus par terre, les coudes sur
un lit de repos, et crioient tellement qu'on les enlendoit à trois pièces
de là ; mon tils et Mme d'Orléans pleuraient en silence et faisaient leur
possible pour calmer le duc et la duchesse de Berry ; toutes les dames
étaient par terre à pleurer autour de la duchesse de Bourgogne. J'ac-
compagnai le duc et la duchesse de Berry à leur appartement ; ils se cou-
chèrent, mais n'en continuèrent pas moins à crier. » Ce tableau s'accorde
bien avec celui que nous avons ici. Voyez aux Additions et corrections.
3. « On appelle lit de veille un lit qu'on accommode à terre dans la
chambre d'un malade pour le veiller » (Académie, 1718). Dans les
maisons royales, on en dressait un chaque soir dans la chambre du
Roi, au pied de son lit, pour le premier valet de chambre (État de la
France, 1712, tome I, p. 303), et d'autres aussi dans les galeries et
antichambres, pour les suisses, huissiers et garçons de chambre de ser-
vice, comme notre auteur va le dire quelques lignes plus loin.
4. « On appelle aussi pavillon un tour de lit plissé par en-haut et
suspendu au plancher, ou attaché à un petit mât vers le chevet « (Aca-
démie, 1718).
flTlll DE SAINT-SIMON. 37
bloit là tant tic nif)n(l»', rlNs ^e mirent à ni deviser tout
bas ensemble clans ce groupe avec liberté. Dans la f^ale-
rie et ilans ce salon il v avoit pinsieui-s lits de veille,
comme dans tout le grand aj)|)artement, pour la sûreté,
où couclioient des Suisses de l'appartement ' et des frot-
teurs'. et ils v avoieni t'-té mis à l'ordinaire avant les
mauvaises nouvelles de Meudon. Au fort de la conversa-
tion de ces dames, Mme de Castries, qui touchoit au lit,
le sentit renuu'r, et en fut foit efTravée, car elle l'étoit do
tout, quoique avec beaucoup d'esprit. Un moment après
elles virent un gros bras presque nu relever tout à coup
le pavillon, qui leur montra un bon gros Suisse entre
deux draps, demi-éveillé et tout ébahi, très long à recon-
noître son monde, (|u il regardoit fixement l'un après
l'autre, qui, enfin, ne jugeant pas à propos de se lever en
si grande compagnie, se renfonça dans son lit et ferma
son pavillon. Le bonhomme s'étoit apparemment couché
avant que personne eût rien appris, et avoit assez pro-
fondément dormi depuis pour ne s'être réveillé qu'alors.
Les plus tristes spectacles sont assez souvent sujets aux
contrastes les plus ridicules: celui-ci^ fit rire quelque
dame de là autour, et quelque peur* à Mme la duchesse
d'Orléans et à ce qui causoit avec elle, d'avoir été enten-
dues; mais, réflexion faite, le sommeil et la grossièreté
t. Il a déjà été parié dos suisses employés dans les châteaux royaux,
aux tomes XII, p. 417, XIII. p. 153, et XVI, p. âO-i-^iOS. Entre autres
consignes, ils avaient celle d'interdire l'entrée des appartements et des
jardins à toute personne armée, même aux gardes du corps et aux
pardes frani;aises quand ils n'étaient pas de service : voyez le Château
de Versailles, par M. de Noihac. p. !2o3--267. La Reine et les princes
avaient aussi leurs suisses, et l'usage d'en avoir [)our portier ou con-
cierge s'était répandu dans la noblesse et la bourgeoisie riche.
2. « Il y a un Trotteur ordinaire de la chambre et des cabinets du
Roi, par commission,... qui est payé tous les mois sur la cassette par
es premiers valets de chambre, et a par an 5i0 livres » (État de la
France, 171'2, tomo I, p. 186). Il avait sous lui des gar(,ons Trotteurs.
3. Cy, oublié, a été ajouté en interligne.
4. Et lit quelque peur.
38 MEMOIRES [MM]
du personnage les rassura. La duchesse de Villeroy,
qui ne faisoit presque que les joindre, s'étoit fourrée un
peu auparavant dans le pelil cabinet', avec la comtesse de
Roucy et quelques dames du palais, dont Mme de Levis
n'avoit osé approcher- par penser trop conformément à la
duchesse de Villeroy. Elles y étoient quand j'arrivai. Je
voulois douter encore, quoique tout me montrât ce qui
étoit; mais je ne pus me résoudre à m'abandonner à le
croire que le mot ne m'en fût prononcé par quelqu'un à
qui on pût ajouter foi. Le hasard me fit rencontrer
M. d'O, à qui je le demandai, et qui me le dit nettement.
Cela su, je tâchai de n'en être pas bien aise. Je ne sais
pas trop si j'y réussis bien ; mais au moins est-il vrai que
ni joie ni douleur n'émoussèrent ma curiosité, et qu'en
prenant bien garde à conserver toute bienséance, je ne
me crus pas engagé par rien au personnage douloureux'.
Je ne craignois plus les retours du feu de la citadelle de
Meudon, ni les cruelles courses de son implacable garni-
son, et je me contraignis moins qu'avant le passage du
Roi pour Marly*, de considérer plus librement toute cette
nombreuse compagnie, d'arrêter mes yeux sur les plus
touchés et sur ceux qui l'étoient le moins avec une
affection diiïérente, de suivre les uns et les autres de mes
regards, et de les en percer tous à la dérobée. Il faut
avouer que, pour qui est bien au fait de la carte intime
d'une cour, les premiers spectacles^ d'événements rares de
cette nature si intéressante à tant de divers égards, sont
d'une satisfaction extrême : chaque visage vous rappelle
les soins, les intrigues, les sueurs^ employées à l'avance-
1. Ci-dessus, p. 24. — 2. Approché corrigé en approcher.
3. Au sens de « qui marque de la douleur », donné par le Diction-
naire de l'Académie de 1718.
4. Ci-dessus, p. 26 et 30.
0. Le signe du pluriel a été ajouté à les et à spectacles, mais non
pas à premiers, écrit pp.
6. « Sueurs se dit figurément, au pluriel, des peines qu'on s'est
données pour réussir à quelque chose » (Académie, 1718).
(17111 DE SAINT-SIMON. i^O
ment dos fortunes, à la formation, à la force des cabales,
les adresses à se maintenir et à en écarter d'autres, les
moyens de toute espèce mis en œuvre pour cela, les liai-
sons plus ou moins avancées, les éloignements, les froi-
deui"s, los haines, les mauvais ofTices, les manèges, les
avances, les ménagements, les petitesses, les bassesses
de chacun, le déconcerfement' des uns au milieu de leur
chemin, au milieu ou au comble de leurs espérances, la
stupeur de ceux qui en jouissoient en plein, le poids
donné du- même coup à leurs contraires et à la cabale
opposée, la vertu de ressort^' qui pousse dans cet instant
leurs menées et leurs concerts à bien, la satisfaction
extrême et inespérée de ceux-là, et j'en étois des plus
avant, la rage qu'en conçoivent les autres, leur embarras
et leur dépit à le cacher, la promptitude des yeux à voler
partout en sondant les âmes à la faveur de ce premier
trouble de surprise et de dérangement subit, la combi-
naison de tout ce qu'on y remarque, l'étonnement de ne
pas trouver ce qu'on avoit cru de quelques-uns, faute de
cœur ou d'assez d'esprit en eux, et plus en d'autres qu'on
n'avoit pensé : tout cet amas d'objets vifs et de choses si
importantes forme un plaisir à qui le sait prendre, qui,
tout peu solide qu'il devientS est un des plus grands dont
on puisse jouir dans une cour. Ce fut donc à celui-là que
je me livrai tout entier en moi-même, avec d'autant plus
d'abandon que, dans une délivrance bien réelle, je me
trouvois étroitement lié et embarqué^ avec les têtes prin-
i. TomeXVm. p. AV.).
2. Avant du, Saint-Simon avait écrit : à leurs contraires, qui va se
retrouver plus loin ; il a biffé les deux derniers mots, mais non à.
3. « On appelle ressort, en termes de physique, la propriété par la-
quelle les corps se remettent dans leur première situation, après en
avoir été tirés par force » (Académie, 1718). Ce mot reviendra à la page
suivante.
'4. Est corrigé en devient.
S. Embarquer, au figuré, a déjà été relevé dans notre tome XVII,
p. "270; on en trouvera ci-après, p. 173, un autre exemple.
40 MÉMOIRES [1714]
cipales qui n'avoient point de larmes à donner à leurs
yeux. Je jouissois de leur avantage sans contrepoids, et
de leur satisfaction, qui augmentoit la mienne, qui
consolidoit mes espérances, qui me les élevoit, qui
m'assuroit un repos auquel, sans cet événement, je
voyois si peu d'apparence que je ne cessois point de
m'inquiéter d'un triste avenir', et que, d'autre part,
ennemi de liaison et presque personnel des principaux
personnages que cette perte accabloit, je vis, du pre-
mier coup d'œil vivement porté, tout ce qui leur échap-
poit et tout ce qui les accableroit, avec un plaisir qui
ne se peut rendre. J'avois si fort imprimé dans ma
tête les différentes cabales, leurs subdivisions, leurs ^
replis, leurs divers personnages et leurs degrés, la con-
noissance de^ leurs chemins, de leurs ressorts, de leurs
divers intérêts, que la méditation de plusieurs jours ne
m'auroit pas développé et représenté toutes ces choses
plus nettement que ce premier aspect de tous ces visages,
qui me rappeloient encore ceux que je ne voyois pas, et
qui n'étoient pas les moins friands à s'en repaître. Je
m'arrêtai donc un peu à considérer le spectacle de ces
différentes pièces de ce vaste et tumultueux apparte-
ment. Cette sorte de désordre dura bien une heure, où la
duchesse du Lude ne parut point, retenue au lit par la
goutte \ A la fin, M. de Beauvillier s'avisa qu'il étoit
temps de délivrer les deux princes d'un si fâcheux public.
Il leur proposa donc que M. et Mme la duchesse de
Berry se retirassent dans leur appartement, et le monde
de celui de Mme la duchesse de Bourgogne. Cet avis
fut aussitôt embrassé. M. le duc de Berry s'achemina
donc, partie seul, et quelquefois appuyé^ par son épouse,
Mme de Saint-Simon avec eux, et une poignée de gens.
1. Ci-dessus, p. 2 et 3. — 2. Leur, au singulier, dans le manuscrit.
3. Avant ce de, il a biffé de leur interests. — 4. Tome XIX, p. 244.
o. Au sens de soutenu, qui est le premier donné parle Dictionnaire
de l'Académie de -1718.
fl7H] DE SAINT-SIMON. ',1
Je les suivis de loin, pour ne pas exposer ma curiosité
plus longtemps. Ce prince vouloit coucher chez lui ; mais
Mme la duchesse de Berry ne le vouli:t pas quitter. 11
étoit si sufl'oqué, et elle aussi, qu'on fit demeurer auprès
d'eux une P'aculté complète et munie. Toute leur nuit se
passa en larmes et en cris'. De fois à autre, M. le duc de
Berry demandoit des nouvelles de Meudon, sans vouloir
comprendre la cause de la retraite du Roi à Marly. Quel-
quefois- il s'informoit s'il n'y avoit plus d'espérance, il
vouloit envoyer aux nouvelles, et ce ne fut qu'assez
avant dans la matinée que le funeste rideau ' fut tiré de
devant ses yeux, tant la nature et l'intérêt ont de peine
à se persuader des maux extrêmes sans remède. On ne
peut rendre l'état où il fut quand il le sentit enfin dans
toute son étendue. Celui de Mme la duchesse de Berry
ne fut guères meilleur, mais qui ne l'empêcha pas de
prendre de lui tous les soins possibles. La nuit de M. et
de Mme la duchesse de Bourgogne fut plus tranquille ;
ils se couchèrent assez paisiblement. Mme de Levis dit
tout bas à la princesse que, n'ayant pas lieu d'être affli-
gée, il seroit horrible de lui voir jouer la comédie. Elle
répondit bien naturellement que, sans comédie, la pitié
et le spectacle la touchoient, et la bienséance la contenoit,
et rien de plus; et en effet elle .se tint dans ces bornes-
là avec vérité et avec décence*. Ils voulurent que quel-
i. Voyez ci-dessus (p. 36. note 2) le passage cité des Lettres de
Madame.
2. Saint-Simon a écrit quelafois, par mégarde.
3. ^'ous avons eu déjà dans le tome XVII, p. 49 : derrière ces deux
rideaux. « Tirer le rideau, façon de parler dont on se sert indifférem-
ment tant pour dire, cacher quelque chose avec le rideau, que pour dire,
ôter le rideau do devant quelque chose. Figurément, pour marquer
qu'il ne faut pas parler de quel(|ue chose de fâcheux, de désagréable,
on dit que c'est une chose sur laquelle il faut tirer le rideau. On dit
tigurément et proverbialement: Tirez le rideau ; la farce est jouée.
pour dire qu'une affaire est finie et qu'il n'y a plus rien à attendre «
(Académie, 1718).
i. Voici ce qu'elle écrivait quelques jours plus tard au duc de
42 MÉMOIRES [4741)
ques-unes des dames du palais passassent la nuit dans
leur chambre dans des fauteuils. Le rideau' demeura
ouvert, et cette chambre devint aussitôt le palais de
Morphée-. Le prince et la princesse s'endormirent
promptement, s'éveillèrent une fois ou deux un instant ;
à la vérité, ils se levèrent d'assez bonne heure, et assez
doucement. Le réservoir d'eau étoit tari chez eux ; les
larmes ne revinrent plus^ depuis que rares et foibles, à
force d'occasion. Les dames qui avoient veillé et dormi
dans cette chambre contèrent à leurs amis ce qui s'y
étoit passé. Personne n'en fut surpris, et, comme il n'y
avoit plus de Monseigneur, personne aussi n'en fut scan-
dalisé. Mme de Saint-Simon et moi, au sortir de chez
M. et Mme la duchesse de Berry, nous fûmes encore
deux heures ensemble. La raison, plutôt que le besoin,
nous fit coucher, mais avec si peu de sommeil, qu'à sept
heures du matin j'étois debout; mais, il faut l'avouer, de
telles insomnies sont^ douces, et de tels réveils savoureux.
Horreur L'horreur régnoit à Meudon. Dès que le Roi en fut
parti, tout ce qu'il y avoit de gens de la cour le suivirent,
et s'entassèrent dans ce qui se trouva de carrosses^, et
dans ce qu'il en vint aussitôt après. En^ un instant, Meu-
Noailles (lettre citée par M. le comte d'Haussonville, la Duchesse de
Bourgogne, tome IV, p. 97): « J'ai été véritablement touchée de la
mort de Monseigneur; mais je m'en console comme les autres; je
crois même avoir plus de raisons. Il n'y a pas assez longtemps que
vous êtes hors d'ici pour avoir oublié la situation de la cour, et par
conséquent pour imaginer grande partie de ce que je dois penser. »
4. Ici c'est le sens propre de rideau du lit, et non plus le sens
figuré relevé ci-dessus.
2. Morphée, selon la mythologie antique, était fils du Sommeil et
de la Nuit, et avait pour mission spéciale d'envoyer des songes ; Ovide
en parle dans le onzième livre de ses Métamorphoses.
3. Dep[uis] corrigé en plus.
4. Avant sont, Saint-Simon a biffé un premier sonf, qui surchargeait
peut-être le commencement de savoureuses.
5. L'o de carrosses corrige une autre lettre.
6. En est en interligne, au-dessus de dans, biffé.
de Meudon.
(nui DE SALN'T-SIMO.N \:\
don se trouva vide. Mlle de Lillebonne et Mlle de Melun
montèrent chez Mlle Choin, qui, recluse dans son gre-
nier', ne faisoit que commencer- à entrer dans les transes
funestes. Elle avoittout ignoré; personne n'avoit pris soin
de lui apprendre de tristes nouvelles; elle ne fut instruite
de son malheur que par les cris. Ces deux amies la jetè-
rent dans un carrosse de louage qui se trouva encore là
par hasard, y montèrent avec elle^ et la menèrent à
Paris. Pontchartrain, avant partir, monta chez Voysin. Il
trouva ses gens diffîciles à ouvrir, et lui profondément
endormi ; il s'étoit couché sans aucun soupçon sinistre,
et fut étrangement surpris à ce réveil. Le comte de
BrionneMe fut bien davantage. Lui et ses gens s'étoient
couchés dans la même confiance ; personne ne songea à
eux. Lorsqu'au se levant il sentit ce ^ grand silence, il vou-
lut aller aux nouvelles, et ne trouva personne, jusqu'[à]
ce que, dans cette surprise, il apprit enfin ce qui étoit ar-
rivé. Cette foule de bas officiers de Monseigneur, et bien
d'autres, errèrent toute la nuit dans les jardins*'. Plusieurs
courtisans étoient partis épars à pied. La dissipation fut
entière, et la dispersion" générale. Un ou deux valets, au
plus, demeurèrent auprès du corps, et, ce qui est très
digne de louange, la Vallière fut le seul des courtisans
qui, ne l'ayant point abandonné pendant sa vie, ne
l'abandonna point après sa mort. II eut peine à trouver
quelqu'un pour aller chercher des capucins^ pour venir
i. Ci-tJcssus. p. \'2. — 2. Comenccr surcliarge un premier en[trer\
3. La virgule corrij^e une s mise par niéf^arde après elle.
4. Il était à Moudon comme remplissant les fonctions de grand
écuyer à la place de son père.
5. Les mol?, sentit ce sont en interligne, au-dessus de trouia un,
bifTé.
6. Le prince était très bon pour eux et faisait des pensions aux plus
pauvres (Correspondance des contrôleurs généraux, tome III, n'M3fl8).
7. Ecrit dispertion.
8. Monseigneur avait donné aux Capucins une maison à Meiidon,
avec un enclos de trente arpents, pour y établir un couvent, où on
U MEMOIRES [ni'lj
prier Dieu auprès du corps*. L'infection en devint si
prompte et si grande, que l'ouverture des fenêtres qui
donnoient en portes sur la terrasse ne suffit pas, et que
la Vallière, les capucins et ce très peu de bas étage- qui
étoit demeuré passèrent la nuit dehors. Du Mont et Casaus^
son neveu, navrés de la plus extrême douleur, y étoient
ensevelis dans la Capitainerie \ Ils perdoient tout après
une longue vie toute de petits soins, d'assiduité, de tra-
vail, soutenue par les plus flatteuses et les plus raison-
nables espérances, et les plus longuement prolongées, qui
leur échappoient en un moment. A peine, sur le matin,
du Mont put-il donner quelques ordres. Je plaignis celui-
là avec amitié.
Confusion de On s'étoit reposé sur^ une telle confiance, que personne
' ^^^' n'avoit songé que le Roi pût aller à Marly. Aussi n'y
trouva-t-il rien de prêt : point de clefs des appartements,
à peine quelque bout de bougie, et même de chandelle ^
comptait alors une quarantaine de religieux (Mémoire de la généralité
de Paris en 1698. p. 39).
i. Voyez la relation du baron de Breteuil: ci-après, p. 415.
2. Les mots de bas estage ont été ajoutés en interligne.
3. Henri de Casaus, fils d'une sœur de du Mont, avait été sous-
écuyer de Monseigneur dès 1684, puis écuyer ; en mai 1711, il obtint
la place de premier maréchal des logis du duc de Berry, et il reçut
cinq mille livres de pension à la mort de ce jeune prince. Le Roi lui
donna une place de gentilhomme ordinaire le 1'='" juin 1717 ; mais il
ne l'accepta pas (registre 0'61, fol. 89 et 98). Il obtint en décembre 1715,
avec son frère, colonel d'infanterie, un privilège pour des carrosses à
coulisses (registre Xi'^8717. fol. 434 v") ; nous ignorons l'époque de sa
mort. Par lettres du 8 janvier 1713 (reg. O'o7, fol. 224), le Roi lui
accorda, ainsi qu'à sa femme, trois mille livres de pension sur l'Opéra,
à prendre après le décès de son oncle du Mont, qui avait le privilège
de ce théâtre avec Francine (ci-après, p. 70). — Saint-Simon écrit Casau.
4. Le logement du capitaine ou gouverneur de Meudon se trouvait
dans les communs à droite du château.
5. La première lettre de sur corrige un d.
6. Comme on l'a dit ci-dessus, p. 27, à propos de la bougie, l'usage
de la chandelle était encore très généralement répandu au commence-
ment du dix-huitième siècle. La corporation des chandeliers avait le
(17111 DE SAINT-SIMON. ir,
Le Roi fut plus triino liciirc dans col ('tal, avec Mme (l(^
Maintenon, dans son anlichamhro à <'llo, .Madame la Du-
chesse, Mme la priiuesse de Conti, Mmes de Dangeau et
de Caylus, celle-ci accourue de Nersailles auprès de sa
tante. Mais ces deux dames ne se tinrent que peu, par-ci
par-là, dans cette antichambre, par discrétion. Ce qui avoit
suivi, et qui arrivoit à la lile, étoit dans le salon, en
même désarroi, et sans savoir où giter'. On fut longtemps
à tâtons, et toujours sans feu, et toujours les clefs mêlées,
égarées par l'égarement des valets. Les plus hardis de ce
qui étoit dans le salon montrèrent peu à peu le nez dans
l'antichambre, où Mme d'Espinoy ne fut pas des der-
nières, et, de l'un à l'autre, tout ce qui étoit venu s'y
présenta, poussés de curiosité et de désir de tâcher que
leur empressement fût remarqué. Le Roi, reculé en un
coin, assis entre Mme de Maintenon et les deux princesses,
pleuroit à longues reprises. Enfin la chambre de Mme de
Maintenon fut ouverte, qui le délivra de cette importu-
nité. 11 y entra seul avec elle, et y demeura encore une
heure. 11 alla ensuite se coucher, qu'il étoit près de
quatre heures du matin, et la laissa en liberté de respi-
rer et de se rendre à elle-même. Le Roi couché, chacun
sut enfin où loger, et Bloin eut ordre de répandre que
les gens qui desireroient des logements à Marly s'adres-
sassent à lui, pour qu'il en rendît compte au Roi et qu'il
avertît les élus.
Monseigneur- étoit plutôt grand que petit, fort gros, Caractère do
Monseigneur,
monopole de la vente du suif et delà fabrication des chandelles (H. Mo- l-"^^^- ^''^- ^*7]
nin, Ét'it de Paris en 1789, p. 435). Ils étaient soumis à une réglemen-
tation très sévère : voyez le recueil d'ordonnances et d'arrêts conservé
dans le carton ADxi io, aux Archives nationales.
i. « Glter, demeurer, coucher; il est bas a (Acudémie, 1718).
'î. Les traits du portrait qui va suivre sont presque tous confirmés
par les conli-mporains, que nous allons citer successivement en guise de
contrôle. Floqiiet, dans son livre sur Boasuel précepteur du Dauphin,
a consacré son premier chapitre à réfuter les dires de Saint-Simon ;
mais il est juste de reconnaître (ju'il n'y est pas parvenu d'une fat;on
UJ MÉMOIRES [17H]
mais sans être trop entassé ', l'air fort haut et fort noble,
sans rien de rude -, et il auroit eu le visage fort agréable,
si M. le prince de Conti le dernier mort ne lui avoit pas
cassé le nez par malheur en jouant, étant tous deux en-
fants^ Il étoit d'un fort beau blond*, avoit le visage fort
rouge de hàle partout, et fort plein, mais sans aucune
physionomie, les plus belles jambes du monde, les pieds
singulièrement petits et maigres. II tâtonnoit toujours en
marchant, et mettoit le pied à deux fois : il avoit toujours
peur de tomber, et il se faisoit aider pour peu que le
chemin ne fût pas parfaitement droit et uni^ Il étoit fort
bien à cheval et y avoit grand mine^; mais il n'y étoit
probante. Un éloge du Dauphin, rédigé par le duc d'Antin pour servir
à son oraison funèbre par le P. de la Rue, sera donné ci-après, à
l'appendice II, p. 434.
1. Expression déjà rencontrée dans nos tomes III, p. 68, et XII,
p. 208.
"2. Relation de Spanheim, édition Bourgeois, p. Ht ; Lettres histo-
riques de Pellisson, tome I, p. i.H et 49; A. de Boislisle, Recueil de
portraits et caractères du Musée Britannique, p. 22. Selon Madame
(Lettres, recueil Brunet, tome II, p. 223), le Roi lui trouvait l'air d'un
fermier allemand. Voyez ce qui va être dit de ses portraits ci-après
p. 47.
3. C'est en 1672, à la mort de leur mère, que les jeunes Conti furent
amenés à la cour pour continuer leur éducation avec le Dauphin. Le
dernier mort dont il est question ici s'appelait alors la Roche-sur- Yon.
4. Les mots estoit d'un fort beau blond ont été ajoutés en interligne.
— « Un beau prince blond » ; disent les Portraits et caractères du Mu-
sée Britannique, p. 22. Il avait des cheveux admirables, qu'il porta
dans toute leur longueur jusqu'en 4686 ; à cette époque, il trouva qu'ils
le gênaient pour la chasse, et se les fit couper, au désespoir de tout le
monde, pour les remplacer par une perruque {Dangeau, tomes I, p.
422-423, et II, p. 74 ; Sourches, tome I, p. 460).
5. « Il ne faisoit aucun exercice à pied, n'étant pas trop bien planté
sur ses jambes. » (Mémoires de Sourches, tome I, page 153, note).
6. C'est seulement à l'automne de 1677 qu'il avait commencé à mon-
ter à cheval {Gazette, p. 880). « Il étoit fort gros, dit l'annotateur des
Mémoires de Sourches (tome I, p. 230), mais bien planté à cheval et
avoit quelque chose de très grand dans tout son air. » Il aimait beau-
coup les chevaux et avait dans son écurie des coureurs remarquables,
(1711 1 DE SAINT-SIMON. 47
pas hardi. Casaus cctuieul (levant lui à la chasse ; s'il le
perdoit de \ue, il crovuit tout perdu; il n'alloit guères
qu'au p<'tit galop, et attendoit souvent sous un arbre ce
que devenoit la chasse, la choichoil lentement et s'en
revenoit'. Il avoit fort aimé la table, mais toujours sans
indécence-. Depuis cette granilt» indigestion qui fut prise
d'abord pour apoplexie', il ne faisoit guères qu'un vrai
repas, et se contenoit fort, quoique grand mangeur comme
toute la maison royale ^ Presque tous ses portraits lui
ressemblent bien^ De caractère, il n'en avoit aucun; du
dont quelques-uns venaient d'Angleterre ; mais, pour la chasse, il pré-
férait des bidets normands produits par son haras particulier de Nor-
mandie.
1. « Il chasse presque constamment, et il est tout aussi content d'al-
ler au pas trois ou quatre heures durant, sans dire un mot à qui que
ce soit, que de faire la plus belle chasse » (Correspondance de Ma-
dame, recueil Ja?glé, tome I. p. '203). Cela pouvait être vrai des derniè-
res années de sa vie ; mais, dans celles qui suivirent son mariage, il
chassait si souvent et avec une telle ardeur, faisant trente et quarante
lieues à cheval et forçant trois et quatre cerfs ou loups dans la même
journée, qu'il épuisait ses chevaux et ses officiers, et dut se restreindre
à ne courir qu'un cerf et un loup par semaine ; il lui arriva même,
après une chasse, de revenir à cheval de Fontainebleau à Versailles en
deux heures et demie (Dangeau, tomes I. p. '232. 244, 250-251. 326-
327. 409 et 414. et II. p. 113 ; notre tome III. p. 203). Comme le Roi
d'ailleurs, il était insensible au froid et au chaud (Dangeau, tome XII,
p. 303). Les seigneurs qui l'accompagnaient dans ses chasses devaient
porter une sorte d'uniforme, une casaque ou justaucorps de couleur
verte l'été, feuille morte l'hiver, et cette faveur était recherchée (Dan-
geauAome II. p. 48. 122-123 et 126; Sourches, tome II, p. 132;
Journal du P. Léonard, manuscrit Fr. 10263, fol. 180 v ; Gazette
d'Amsterdam, 1698. n" xcvi). Quant à la chasse à tir. quoique Dan-
geau mentionne qu'il tua trois cents pièces en une soûle journée
(tome II. p. 444), il la pratiquait peu. On verra ci-après (p. 31) ce qui
se rapporte à la chasse du loup ; à l'occasion, il chassait le sanglier, '
mais avec moins de plaisir, et, comme terrain, il préférait à tout la
forêt de Fontainebleau (Dangeau, tome X. p. 117).
2. Mémoires de Sourchrs, tome I. p. 309.
3. Ci-dessus, p. 13. — 4. Tome VIII, p. 239.
3. Des nombreux portraits de Monseigneur, le plus connu est celui
48 MÉMOIRES [1711]
sens assez, sans aucune sorte d'esprit', comme il parut
dans ratïaire du testament du roi d'Espagne ^i de la
hauteur, de la dignité par nature, par prestance^, par
imitation du Roi; de l'opiniâtreté sans mesure, et un tissu
de petitesses arrangées, qui formoient tout le tissu de sa
vie ; doux par paresse et par une sorte de stupidité, dur
au fonds \ avec un extérieur de bonté qui ne portoit que
sur des subalternes et sur des valets ^ et qui ne s'expri-
moit que par des questions basses ; il étoit avec eux d'une
où Mignard, en 1689, l'a représenté avec la Dauphine et ses trois
enfants ; ce tableau ornait primitivement le château de Meudon, et est
maintenant au Louvre, n* 338; il y en a des copies au Musée de Ver-
sailles, n" :2116,et dans la sacristie de l'église Notre-Dame à Versailles.
Rigaud, en 1697, en Ht un nouveau portrait, jusqu'à mi-jambes (Ver-
sailles, n» !2083), qui fut gravé par Drevel ; en 1698, Person le repré-
senta au camp de Compiègne, et son tableau fut exposé au Salon de 1699 ;
entin il existe toute une série de portraits du prince à divers âges,
gravés par Trouvain et autres artistes. Comme sculpture, on possède
un beau buste par Coysevox (Versailles, n° 2044), une figurine en cire,
qui appartenait au baron Jérôme Pichon, et que M. Emile Bourgeois a
reproduite dans son Grand siècle, p. 137, et un joli médaillon en bas-
relief, exécuté par le dijonnais Du Bois pour décorer l'obélisque com-
mémoratif du séjour que le prince, alors âgé de quatorze ans, fit avec
Bossuel à Plombières-lès-Dijon en 1673.
1. Madame dit au contraire qu'il avait de l'esprit, mais ne le mon-
trait pas par paresse (recueil Brunet, tome I, p. 173) ; avec beaucoup
de mémoire, il l'appliquait à des niaiseries (notre tome XVI, p. 328) ;
il écrivait avec facilité et d'un style net et concis que le président Rose
comparaît, peut-être par flatterie, à celui de César (Dangeau, tome X,
p. 117 ; Sourches, tome II, p. 230). Notre auteur reviendra sur sa« nul-
lité », ci-après, p. 88.
2. Il est alors sorti « de sa graisse et de son apathie » pour parler
énergiquement en faveur de l'acceptation (tome VII, p. 307-309).
3. « Prestance, bonne mine, accompagnée de gravité et de dignité «
{Académie, 1718). Il dira plus loin (p. 89) que « tout son mérite étoit
dans sa naissance et tout son poids dans son corps. »
4. Cependant, dans le tome XIX, p. 282, il l'a dit « bon homme au
fonds », et c'est aussi le terme employé par le duc d'Orléans, ci-
dessus, p. 28.
5. « Il est naturellement bienfaisant ; il aime ses domestiques et les
peuples )) (Caractères de 1703, p. 22) ; ci-dessus, p. 43, note 6.
1 17111 DE SAINT-SIMON. /»9
familiarité prodigieuse, d'ailleurs' insensible à la misère
et à la douleur des autres*, en cela peut-être plutôt en
proie à l'incurie et à l'imitation qu'à un mauvais naturel ;
silencieux jusqu'à l'incroyable, conséquemmont tort se-
cret', jusque-là qu'on a cru qu'il n'avoit jamais parlé
d'afTaires d'Étal à la Cboin, peut-être parce que tous
[deux] n'y entendoient guères*. L'épaisseur d'une part,
la crainte de l'autre, formoient en ce prince une retenue
qui a peu d'exemples; en même temps, glorieux à l'excès,
ce qui est plaisant à dire d'un Dauphin, jaloux du res-
pect, et presque uniquement attentif et sensible à ce qui
lui étoit dû, et partout \ Il dit une fois à Mlle Ghoin, sur
ce silence dont elle lui parloit, que, les paroles de gens
comme lui portant un grand poids, et obligeant ainsi à
de grandes réparations quand elles n'étoient pas mesu-
rées, il aimoit mieux très souvent garder le silence que
de parler. C'étoit aussi plus tôt fait pour sa paresse et sa
i. Le commencement de daillcurs (sic) surcharge des lettres illi-
sibles.
2. Los contemporains disent de même qu'il n'u pas son pareil en in-
sensibilité et en indilTérence, que son caractère est « inconcevable et
tournant », qu'il prend volontiers plaisir à faire de la peine, qu'il est
insensible à tout ce qui peut déranger ses projets, qu'il a la même éga-
lité d'humeur dans tous les événements, etc. (Correspondance de Ma-
dame, recueil Brunet, tome L p. 281 ; recueil Jœglé, tome L p. tl-^
et 209 ; Lettres de Mme de Maintenon, recueil Bossange. tome I, p.
368 ; Dangeau, tome XU, p. 305 ; notre tome XVI, p. 327-328).
3. Mémoires de l'abbé de Choisy, tome L p. 106; Relation de Span-
hcim, éd. Bourgeois, p. I2i ; Dangeau, tome XII, p. 348. « L'homme
du monde le plus diilicile à entretenir: car il ne dit mot » (Lettres histo-
riques et édifiantes de Mme de Maintenon, tome II, p. to9).
4. Le manuscrit porte : «. peut estre que par ce que tous n'y enten-
doient gueres ». Il semble qu'il faille supprimer le premier que, et
ajouter deux après tous, pour rendre la phrase compréhensible.
."i. « Le Roi ayant su que quelques personnes ne gardoienl pas tout
le respect qui étoit di!l à Monseigneur, il en a été extrêmement en colère,
et lui dit, en plein Conseil, qu'il eût à se faire garder le respect qu'on
lui devoit, et qu'il lui donnoit tout le pouvoir qu'il avoit pour les châ-
tier » (Journal du P. Léonard, ms. Fr. 10 205, fol. 28).
«ilMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI i
50 MÉMOIRES [1711]
parfaite incurie', et cette maxime excellente, mais qu'il
outroit, étoit apparemment une des leçons du Roi ou du
duc de Montausier- qu'il avoit le mieux retenue. Son^
arrangement étoit extrême pour ses affaires particulières :
il écrivoit lui-même toutes ses dépenses prises sur lui*;
il savoit ce que lui coùtoient les moindres choses, quoi-
qu'il dépensât infiniment ' en bâtiments ^ en meubles"',
en joyaux de toute espèce ^ en voyages de Meudon, et à
l'équipage du loup', dont il s'étoit laissé accroire qu'il
i. Il a déjà été parlé de son apathie inémouvable dans le tome IV,
p. 193 ; voyez aussi les lettres de Madame, recueil Brunet, tome II,
p. 27, et recueil Jae^lé. tome I, p. 205.
2. Ci-après, p. oi-o6. — 3. Son corrige il, effacé du doigt.
4. C'est-à-dire sur les cinquante mille livres que le Roi lui donnait
mensuellement en dehors du budget régulier de sa maison.
o. Aussi faisait-il des dettes, que le Roi payait toujours, sans comp-
ter des dons fréquents en argent {Dangeau, tomes VI, p. 84, et VII,
p. 77 ; notre tome VI, p. 192 et 193; Lettres de Mme Dunoyer, tome I,
p. 387-388).
6. Pour ses constructions, soit à Choisy, soit à Meudon, il était tenu
fort en brassière par le Roi et ne faisait rien sans ses avis (Mémoires
de Sourches, tome IV, p. 187).
7. Le mobilier de son appartement de Versailles avait été fait par
Boulle en 1685 ; mais il avait fait aussi fabriquer, ou avait acheté
pour Meudon, beaucoup de beaux meubles. Deux commodes conser-
vées aujourd'hui à la bibliothèque Mazarine sont regardées comme
ayant cette origine.
8. Monseigneur possédait une belle collection de bijoux, de pierre-
ries, de curiosités diverses, et quelques tableaux, dont la plupart lui
avaient été donnés par le Roi. La bibliothèque de sir Thomas Philipps,
à Cheltenham, possède (no 825) un catalogue des « agates, cristaux,
bronzes et autres curiosités » de son cabinet à Versailles en 1689, avec
les prix d'acquisition, et aussi (n" 18 624) un catalogue de ses livres.
Les Mémoires de Sourches (tome IV, p. 143) relatent une visite du
prince aux « cabinets des curieux » à Paris en 1692.
9. Depuis 1682, Monseigneur, tout en se servant de l'équipage du
loup du Roi, avait constitué sur sa cassette un complément d'équipage
pour ce genre de chasse, de sorte que les deux réunis, sous les ordres
du grand louvetier marquis d'Heudicourt, comprenaient six lieutenants
ordinaires, cinq piqueurs, une vingtaine de valets, cinquante chevaux
de selle et une meute de cent chiens {État de la France, 1698, tomes I,
inil) DK SAINT-SIMON. M
aitnoit la «liasse'. Il avoit tort aiiin'' toute sorte de gros
jeu*; mais, dejniis (juil s'eloit mis à bâtir, il s'étoit ré-
duit à des jeux médiocres'; <lu reste, avare au delà de
toute bienséance, excepté de très rares occasions, qui se
bornoient à quelques pensions à des valets ou à quelques
médiocres domestiques, mais assez d'aumônes au curé et
aux capucins de Meudon*. Il est inconcevable le peu qu'il
donnoit à la Choin, si fort sa bien-aimée : cela ne passoit
point quatre cents louis par quartier, en or, quoi qu'ils
valussent \ faisant pour tout seize cents louis par an. I|
p. 6i;i-Gi7. et II, |). 1 1-1-2). Il y a dans le ms. Arsenal 6602, fol. o,
lin compte de fournitures faites pour la louveterie de Monseigneur en
juillet 1710.
i. Monseigneur n'avait pas moins de goût pour la chasse du loup que
pour celle du cerf (ci-dessus, p. -i"). et ni le froid, ni la ctialeur, ni les
deuils de famille, ni les maladies du Roi, ni les circonstances politiques
ne rempècliaient de satisfaire régulièrement cette passion. Il prenait
dans la même journée cinq et six loups, si bien qu'il en avait dépeuplé
les environs de Versailles. .Marly et Fontainebleau. Alors, obligé d'aller
chercber des animaux au loin, il restait à coucher à Anel, à Rambouil-
let, ou dans quelque autre gtte, ce qui n'était pas sans amener des
aventures (^Dangenu, tomes I, p. 69. 193. 197, 282, 293 et 322. II, p.
205. VI. p. 342 et «i.VIII. p. 222, 228 et 230, X, p. 13; et 138, XII,
p. 39, 2(i0 et 262. etc. ; Sourchcs, tomes I. p. 71 et 438, IX, p. 233, et
XII, p. 13 ; Relation de Spaitheim, édition Bourgeois, p. 120 ; Corres-
pondance de Madame, recueil Brunet. tomes I, p. 26, et II, p. 27 ;
recueil Ja'glé, tome I, p. 203; Histoire amoureuse de>i Gaules, tomes III,
p. 178-182, et IV, p. 437 ; Journal de P. Narbonne, p. 14-18). En
168-4, étant malade, il vit de son lit la curée du loup {Dangeau, tome I,
p. 73), et dans le carnaval de 1699, il voulut conduire lui-même une
mascarade de chasse au loup (Dangeau, tome VII, p. 29; Gazette de
Rotterdam, correspondance de Paris, 20 février 1699).
2. Nos tomes V. p. 121, VIII, p. 243, et XII, p. 1."^11 ; Dangeau,
tome V, p. 164 ; Mémoires de Forbin, p. 323.
3. Depuis 1701, il ne jouait plus guère qu'à des petits jeux comme
le papillon (notre tome XII, p. 322 ; Uanyeau, tomes VIII, p. 203, et
XIII, p. 317). Plus loin (p. 88;, Saint-Simon va le montrer « sifUant dans
un coin du salon de .Marly et frappant des doigts sur sa tabatière », de-
puis qu'il avait quitté le gros jeu.
■4. Ci-dessus, p. -43.
3. Sur les variations de la valeur des louis, voyez ce qui a été dit
52
MÉMOIRES
[4744]
les lui donnoit lui-même, de l«i main à la main, sans y
ajouter ni s'y méprendre jamais d'une pistole, et tout au
plus une boîte ' ou deux par an ; encore y regardoit-il de
fort près. Il faut rendre justice à cette fille, et convenir
aussi qu'il est difficile d'être plus désintéressée qu'elle
l'étoit, soit qu'elle en connût la nécessité avec ce prince,
soit plutôt que cela lui fût naturel, comme il a paru dans
Problème si tout le tissu de sa vie. C'est encore un problème si elle
lonsoigneur étoit mariée; tout ce qui a été le plus intimement initié
avoit epou'é , t . * , ■ , . ,-\
Mlle'Choin. dans leurs mystères s'est toujours fortement récrié- qu'il
n'y a jamais eu de mariage^. Ce n'a jamais été* qu'une
grosse camarde ^ brune, qui, avec toute la physionomie
d'esprit% et aussi le jeu", n'avoit l'air que d'une servante,
dans notre tome XIV, p. 245, le Journal de Dangeau, tomes VII,
p. 249, VIII, p. 494 et 202, et XII, p. 449, et les Mémoires de Sour-
ches, tome XI, p. 324 ^et 334. En mai 4709, ils ont été portés à
treize livres.
4. « Boite se dit aussi de divers petits ustensiles d'or, d'argent, etc.,
qui ont un couvercle » (Académie, 4748). C'était un genre de bijoux
très en vogue.
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 4748 ne donne d'exemple de se
récrier que contre quelque chose, ou à quelque chose.
3. iV'olre auteur (tome XIV, p. 400) a déjà nié l'existence d'un ma-
riage secret, et on a alors réuni dans le commentaire les renseignements
qui peuvent corroborer cette opinion. Cependant Saint-Simon hésite
encore. La liaison de la Choin avec Monseigneur était postérieure à la
mort de la Dauphine ; car Spanheim, si bien informé, ne parle pas
d'elle dans sa Relation. D'après Madame {Correspondance, recueil
Jîeglé, tome I, p. 408 et 448), il avait été question que Monseigneur
épousât sa tille, la future duchesse de Lorraine.
4. Le portrait qui va suivre est contirmé par Madame (recueil Bru-
net, tome II, p. 98) et par le président Hénault (Jiémoù'es, p. 424).
Un portrait de Mlle Choin a été donné dans le tome XIX de l'édition
de 4840 de nos Mémoires.
5. « Camard, camus, qui a le nez plat et écrasé» (Académie, 4748).
C'est le sobriquet que, dans le peuple, on a longtemps donné à la Mort.
6. Au sens de bel esprit, ou de personne spirituelle, comme dans le
tome XVII, p. 470.
7. L'allure, les façons de bel esprit.
*La corrigé en Mlle.
[1711] DE SAl.NT-SIMO.N ''T
et qui, longtemps avant cet événement-ci, étoit devenue
excessivement grasse, et encore vieille et puante'; mais, de
la voir aux Parvulo de Meudon - dans un fauteuil devant
Monseigneur ^ en présence de tout ce (jui y étoit admis,
Mme la duchesse de Bourgogne et Mme la duchesse de
Berry, qui y fut tôt* introduite, chacune sur un tabouret,
dire devant Monseigneur et tout cet intérieur la duchesse
de Bourfjntjne et hi duchesse de liernj et le duc de Berry,
en parlant d'eux, répondre souvent sèchement aux deux
fdles de la maison, les reprendre, trouver à redire à leur
ajustement, et quelquefois à leur air et à leur conduite,
et le leur dire'", on a peine, à tout cela, à ne pas recon-
noitre la belle-mère et la parité avec Mme de Maintenon.
A la vérité, elle ne disoit pas Dnrjnonne en parlant à
Mme la duchesse de Bourgogne, qui l'appeloit Mademoi-
selle, et non ma tante; mais aussi c'étoit toute la diffé-
rence d'avec Mme de Maintenon. D'ailleurs encore cela
n'avoit jamais pris de même entre elles'. Madame la Du-
chesse, les deux Lillebonnes, et tout cet intérieur y étoit
un obstacle; et Mme la duchesse de Bourgogne, qui le
sentoit et qui étoit timide, se trouvoit toujours gênée et en
brassière à Meudon", tandis qu'entre le Roi et Mme de
i. Madame (recueil Brunet, tome II, p. 223, et recueil Jseglé, tome
I, p. 280-281) et les chansons du temps (Nouveau siècle de Louis XIV,
tome IV, p. 116 et 122) parlent de son haleine corrompue et de son
gousset odorant.
2. Tome XIV, p. 398, et ci-dessus, p. 1.
3. Déjà dit dans le tome XIV, p. 398-400.
4. Tout a été ajouté en interligne.
n. Au point de faire pleurer la duchesse de Bourgogne, a-t-il dit en
1707 (tome XIV. p. 400).
6. Voyez des exemples analogues de prendre dans le tome XIX, p.
319, et ci-dessus, p. 2. Saint-Simon veut dire que, pour d'autres raisons
encore, la sympathie n'avait pu naître entre la duchesse de Bourgo-
gne et .Mlle Choin comme entre la princesse et Mme do Maintenon.
7. Cependant, au dire de Madame (notre tome XII, p. 270, note 1),
elle avait eu, dans les premières années de son séjour en France, une
grande familiarité avi( Mnn^cl^^TH'iir ; ilic alloit même jusqu'à le tutoyer,
.H4 MEMOIRES [ilU]
Maintonon, elle jouissoit de toute aisance et de toute li-
berté. De voir encore Mlle Choin à Meudon, pendant
une maladie si périlleuse, voir Monseigneur plusieurs fois
le jour, le Roi non seulement le savoir, mais demander
à Mme de Maintenon, qui, à Meudon non plus qu'ail-
leurs, ne voyoit ' personne, et qui n'entra peut-être pas
deux fois chez Monseigneur, lui demander, dis-je, si elle
avoit vu la Choin, et trouver mauvais qu'elle ne l'eût
pas vue-, bien loin de la faire sortir du château, comme
on le fait toujours en ces occasions, c'est encore une
preuve du mariage d'autant plus grande que Mme de
Maintenon, mariée elle-même, et qui affichoit si fort la
pruderie et la dévotion, n'avoit, ni le Roi non plus, au-
cun intérêt d'exemple et de ménagement à garder là-
dessus, s'il n'y avoit point de sacrement, et on ne voit
point qu'en aucun temps la présence de Mlle Choin ait
causé le plus léger embarras. Cet attachement incom-
préhensible, et si semblable en tout à celui du Roi, à la
figure près de la personne chérie, est peut-être l'unique
endroit par où le fils ait ressemblé au père. Monsei-
gneur, tel pour l'esprit qu'il vient d'être représenté, n'avoit
pu profiter de l'excellente culture qu'il reçut du duc de
Montausier% et de Bossuet* et de Fléchier^ évêques de
et nous l'avons vue, dans le tome XX, p. 193, raccommoder Saint-
Simon avec le prince.
1. Il y a un et, dans le manuscrit, après voyoit.
2. Ci-dessus, p. 13.
3. Le duc de Montausier avait été désigné en 1668 comme gouver-
neur du jeune Dauphin ; ses lettres de provision, du 21 septembre,
sont dans le registre O'IO, fol. 346 v». Amédée Roux (le Duc de Mon-
tausier, p. 133 et suivantes) a raconté les circonstances dans lesquelles
ce choix fut fait.
4. M. de Périgny, précepteur du Dauphin, étant mort en septembre
1670, Bossuet, qui venait d'être nommé évêque de Condom et n'était
pas encore sacré, fut choisi, le 13, pour le remplacer : voyez les
Lettres de Colhert, tome V, p. 302 et suivantes.
5. L'abbé Fléchier avait été nommé sous-précepteur du prince dès la
constitution de la maison en 4668.
|ITI1| DE SAINT-SIMON ?>".
Mt'aux «'t lie Miiu's'. Son peu de lumière, s'il en eut ja-
mais-, s'éteignit, au contraire, sous la rigueur d'une édu-
I. Sur la « ciiltiiro » litlôrairo qui lui donnée au jouno Daupiiin.on
peut voir la Relation de Spanhcim, édition Bourgeois, p. 4I-2-11.-), une
lettre i\o Bossuet au pape Innocent XI et d'autres lettres à Daniel Muet,
dans le tome I de la nouvelle édition de la Correspondance de Bossuet,
un article de (Charma dans les Lectures faites à la Sorhonne, If^G.'l, p.
63-8-2, Druon, Ili^tiu're de t'éttucation des princes dans la maison de
Bourbon, tome I. p. 217 et suivantes. Traité de l'éducation de M. le Dau-
phin, par Paul Ilay du Cliastelet (IGt)i). et surtout l'ouvrage d'Amable
Floqnet, Bossuet précepteur du Dauphin. Outre le Discours sur l'his-
toire universelle composé spécialement par Bossuet en vue de l'instruc-
tion du jeune prince, outre les Mémoires de Louis XIV pour son édu-
cation politique, et la collection des classiques ad ut^um Delphini
entreprise sur l'ordre du duc de Montausier. on connaît de nombreux
ouvrages rédigés pour le même olijet, notamment le Monarque ou les
Devoirs d'un souverain, par le P. Senault, l'Art de régner, par le P.
Lemoyne. une nouvelle traduction, par le chanoine Claude Jolv, de
l'Institution du prince chrétien d'Erasme, etc. Montausier lui-même
avait composé des Réfle.rions chrétiennes et politiques pour la conduite
d'un prince (ms. Clairambauit 485. fol. 229-"273), et toute une série de
Maximes, dont les principales sont relevées dans le ms. Arsenal 2324,
fol. 13-61. Le même manuscrit et les trois suivants, n"» 232o-'23'27.
renferment divers morceaux, instructions, éloges de rois. etc.. qui ont
eu une destination pareille. Entin Colbert avait rédigé un Mémoire sur
la situation politique et financière du royaume (ses Lettres, tome II, p.
ccxii-ccxvii). Il y a dans le ms. de la bibliothèque de Rouen n° 3273
des devoirs latins et français du jeune prince, corrigés par Bossuet, et
une lettre de Leibnitz, relative à l'édition des classiques, à laquelle il
collabora, a passé en vente che^ Et. Charavay, le 13 janvier 1886.
1. Ceci semble contredit par ce témoignage de Pellisson (Lettres
historiques, tome I, p. 15) : « Le petit prince est plus joli qu'on ne vous
le peut exprimer ;... gai, enjoué, doux, civil, souple, nullement opi-
niâtre ; » et par celui de Guy Patin {Lettres, tome III. p. 689 et 698),
qui prétend que le Dauphin « a|)prend merveilleusement bien ». Mais,
il'autre part, Bossuet, sur le point de quitter ses fonctions écrivait au
maréchal de Bellefonds le 6 juillet 1677 (Correspondance de Bossuet,
édition nouvelle, tome I, p. 445-i46): « Me voilà quasi à la lin de mon
travail. Monseigneur le Dauphin est si grand, qu'il ne peut pas être
longtemps sous notre conduite. Il y a bien à souffrir avec un esprit si
inappliqué; on n'a nulle consolation sensible, et on marche, comme
dit saint Paul, en espérance contre l'espéranci' 'mi- l'ucore qu'il se
S6 MÉMOIRES [MW]
ration dure et austère', qui donna le dernier poids à sa
timidité naturelle, et le dernier degré d'aversion pour
toute espèce, non- pas de travail et d'étude, mais d'amu-
sement d'esprit*, en sorte que, de son aveu, depuis qu'il
avoit été affranchi des maîtres, il n'avoit, de sa vie, lu
que l'article de Paris de la Gazette de France S pour y
voir les morts et les mariages ^ Tout contribua donc en
lui, timidité naturelle, dur joug d'éducation, ignorance
parfaite et défaut*^ de lumière, à le faire trembler devant
le Roi, qui, de son côté, n'omit rien pour entretenir et
commence d'assez bonnes choses, tout est encore si peu afFermi, que
le moindre effort du monde peut tout renverser. Je voudrois bien voir
quelque chose de plus fondé; mais Dieu le fera peut-être sans nous. »
i. Le Journal du valet de chambre Dubois (Bibliothèque de l'École
des Chartes, 2« série, tome IV, p. 38-44) donne des détails étonnants
sur les corrections corporelles que le duc de Montausier, qui se quali-
fiait d' « exécuteur des hautes œuvres », infligeait au Dauphin pour
les moindres peccadilles ; voyez aussi l'ouvrage d'Amédée Roux, p. 167
et suivantes, et Bossvet précepteur du Dauphin, p. 37-40.
2. Non surcharge un d.
3. Mme de Maintenon reconnaissait les inconvénients qu'avait eus
pour cette éducation le choix de M. de Montausier, sévère et trop inti-
midant (recueil GefTroy, tome II, p. 316 ; recueil Bossange, tome II,
p. 376). L'aversion naturelle du prince pour l'étude (Souvenirs de Mme
deCaylus, p. 72; Spanheim, édition Bourgeois, p. ttS) fut augmentée
par cette sévérité exagérée, à tel point que Monseigneur, qui, à six ans,
savait plus de mille mots latins, n'en connaissait plus un seul vingt ans
plus tard (lettre de Mme de Maintenon à Mme de Ventadour, dans le
recueil de 1806. tome V, p. 270-271).
4. Tome XVIII, p. 1S2.
5. Saint-Simon a déjà relevé (tome XVI, p. 327-328) un exemple
frappant de l'indifférence de Monseigneur pour les nouvelles politiques
ou militaires qui passionnaient le plus la cour. Il avait cependant été
façonné avec soin aux choses de la guerre : vers l'âge de huit ans, le
Roi lui avait fait fabriquer par le sculpteur Gissey toute une armée de
soldats en carton, composée de vingt escadrons et de dix bataillons, qui
n'avait pas coûté moins de trente mille livres. Un gardien spécial, aux
gages de douze cents livres, était chargé de faire manœuvrer ce corps
de troupes au moyen de quelque mécanisme ingénieux (Dictionnaire
critique de Jal, p. 67).
6. Par erreur Saint-Simon a écrit defau.
II7H1 DF SAINT-SIMON S7
prolonger cotti' tt^rrt'ur toute sa vie'. Toujours roi, presqu»'
jamais père avec lui, ou, s'il lui en échappa bien rare-
ment quehjues traits, ils ne furent jamais purs et sans
mélange do royauté, non pas même dans les moments les
plus partiruliei-s et les plus intérieurs-. Ces moments Monseigneur
même étoient rares tète à tête, et n'étoient que des mo- "^gansUbertr '
ments, prcs(|ue toujours en présence des bâtards (,'t des sans cn'dit avec
valets intérieurs, sans liberté, sans aisance, toujours en ^^ "°'-
contrainte et en respect, sans jamais oser rien hasarder ni
usurper, tarnlis <]ue, tous les joui-s, il voyoit faire l'un et
l'autn^ au duc du Maine avec succès, et Mme la duchesse
de Bourgogne dans une habitude, de tous les temps par-
ticuliers, des plus familiers badinages et des privautés
avec le Roi quelquefois les plus outrées^. Il en sentoit
contre eux une secrète jalousie, mais qui ne l'élargissoit
pas. L'esprit ne lui fournissoit rien comme à M. du Maine,
fils d'ailleurs de la personne et non de la royauté, et en
telle disproportion qu'elle n'étoit point en garde. Il n'étoit
plus de l'âge de Mme la duchesse de Bourgogne, à qui
on passoit encore les enfances* par habitude et par la
grâce qu'elle y mettoit ; il ne lui restoit donc que la qua-
lité de fils et de successeur, qui étoit précisément ce qui
tenoit le Roi en garde, et lui sous le joug^ Il n'avoit
I. .Notre tome XVII, p. 416; Lettres de Mme Dunoyer, tome I, p.
3H7-388. « Il n'eut jamais que six ans pour le Roi », va-t-il dire ci-
après, p. 90.
"2. On a vu, tome VIII, p. 345. qu'il ne s'asseyait pas dans le cabi-
net (lu Roi.
3. Tome XII, p. 270.
4. « On appelle enfance une puérilité, quelque chose qui convient
à un enfant, et en ce sens il a un pluriel » (Académie, 1718). Ce mot
a déjà passé dans nos tomes IX, p. 276, X, p. loi, et XI, p. 16, à
propos de la comtesse d'EsIrées.
5. Les Mémoires de Sourches (tome IV, p. 162, note) mentionnent
une réprimande du Roi au Dauphin en 1602 et insistent sur le respect
et la soumission du prince à l'éj^ard de son père, et Mme de Mainte-
non, en 1707, raconte une courte dispute qu'il eut avec le Roi {Lettres
historiques et édifiantes, tome II. p. t!)7).
S8 MEMOIRES [1711]
donc pas l'ombre seulement de crédit auprès du Roi * ; il
suffisoit même que son goût se marquât pour quelqu'un,
pour que ce quoiqu'un en sentît un contrecoup nuisible,
et le Roi étoit si jaloux de montrer qu'il ne pouvoit rien,
qu'il n'a rien fait pour aucun de ceux qui se sont atta-
chés à lui faire une cour plus particulière, non pas même
pour aucun de ses menins-, quoique choisis et nommés
par le Roi, qui même eût trouvé très mauvais qu'ils
n'eussent pas suivi Monseigneur avec grande assiduité.
J'en excepte d'Antin, qui a été sans comparaison de per-
sonne ^ et Dangeau, qui ne l'a été* que de nom, qui tenoit
au Roi d'ailleurs, et dont la femme étoit dans la parfaite
intimité de Mme de Maintenon. Les ministres n'osoient
s'approcher de Monseigneur ^ qui aussi ne se commettoit
comme jamais à leur rien demander, et, si quelqu'un
d'eux, ou des courtisans considérables, étoient bien avec
lui, comme le Chancelier, le Premier^, Harcourt, le ma-
réchal d'Huxelles, ils s'en cachoient avec un soin extrême,
et Monseigneur s'y prêtoit. Si le Roi en découvroit, il
traitoit" cela de cabale; on lui devenoit suspect, et on se
perdoit. Ce fut la cause de l'éloignement si marqué pour
M. de Luxembourg, que ni la privance de sa charge*,
ni la nécessité de s'en servir à la tête des armées, ni les
succès qu'il y eut, ni ^ toutes les flatteries et les bassesses
i. Mémoires de Sourches, tomes I, p. 192, et XI, p. 64.
2. Voyez ci-après, p. 93.
3. Aussi Monseigneur avait-il osé, à la mort de Mansart, demander
au Roi la surintendance des bâtiments pour ce favori (notre tome XVI,
p. o4), donl l'influence sur le prince avait été grandement utile pour
la conclusion du mariage du duc de Berry (Journal de Torcy, p.
t96).
4. Qui n'a été menin. — n. Ci-après, p. 60.
6. Le premier écuyer, marquis de Beringhen.
7. Le mot traittoit surcharge d'autres lettres.
8. Celle de capitaine des gardes du corps.
9. Après ny, Saint-Simon a ajouté après coup, en interligne, un que
inutile, que nous supprimons.
inil] OH SAI.NT-SlMo.N 'i'I
qu'il employa, ne purent jamais rapprocher. Au>si Mon-
seigneur, pressé' de s'intéresser pour queltju'un, répon-
iloit franchement (|iie ee seroit le moven de tout gâter
pour lui-, il lui est quelquefois échappé des monosyl-
labes de plaintes am«>res là-dessus, quel(|uefois après
avoir été refusé du Hoi. et toujours avec sécheresse; et,
la dernière fois de sa vie qu'il alla à Meudon, d'où il ne
revint plus, il y arriva si outré d'un refus de fort peu de
chose qu'il avoit demandé au Hoi pour Casaus, (|ui me l'a
conté, qu'il lui protesta qu'il ne lui arriveroit jamais
plus de s'exposer pour personne, et, de dépit, le consola
par les espérances d'un temps plus favorable lorsque la
natur(> l'ordonneroit, qui éfoit, pour lui, dire comme par
prodige, .\insi, on i-emarquera, en passant, que Monsieur Monsieur ni
et Monseigneur moururent tous deux dans des moments moriTmitrés
où ^ ils étoient outrés contre le Roi K La part entière qu«" contre le Roi.
Monseigneur avoit à tous les secrets de l'État depuis bien
des années, n'avoit jamais eu aucune influence aux af-
faires^ : il les savoit, et c'étoit tout. Cette sécheresse,
peut-t'tre aussi son peu d'intelligence, l'en faisoit retirer
tant qu'il pouvoit*. Il étoit cependant assidu aux conseils
d'État"; mais, quoiqu'il eût la même entrée en ceux de
1 . Pressés corrigé en pressé.
"2. En 1709, Mme de Maintenon écrivait (recueil Geffroy, tome II,
p. -iOS) : M Le Dauphin parle davantage et écoute. 11 porte même au
Roi les plaintes qu'il a reçues ; mais, après tout cela, il dit : « J'ai
« parlé », et fait |)ar là encore plus bhhiier son père. »
3. Où a été écrit en interligne, au-dessus de que, bilVé.
4. A celte réflexion il ajoutera, dans la suite des Mémoires (tome
XIX tie l87i-{, p. "207). (|iii' .Miinsi'ij,'iicur et Miui-iiMii- iiinufiin'iil au
même ûge.
5. Il ne se prononçait jamais sur rien avant que le Roi l'eût déjà
fait (Relation de Spanhcim, idiUon Bourgeois, p. 1 Ifi; notre tome XVII,
p. i-2.'.).
(). Madame (recueil Mrunet, tome II, p. '26-'27) attribue à son indo-
lence et à sa paresse son abstention complète de la politique.
7. Dangeau, tome VIII, p. "29'*. S'il y manquait parfois, c'était pour
aller à la chasse, ou pour ue pas se compromeltrc (noire Iimuc XIV,
60
MEMOIRES
\\1\]]
Monseigneur
peu à
Versailles.
finance et de dépêches, il n'y alloit presque jamais ^
Pour au ' travail particulier du Roi, il n'en fut pas ques-
tion pour lui, et, hors de grandes nouvelles, pas un mi-
nistre n'alloit jamais lui rendre compte de rien \ beau-
coup moins les généraux d'armée^, ni ceux qui revenoient
d'être employés au dehors. Ce peu d'onction ■' et de con-
sidération, cette dépendance, jusqu'à la mort, de n'oser
faire un pas hors de la cour sans le dire au Roi, équiva-
lent de permission, y mettoit Monseigneur en malaise. II
y remplissoit les devoirs de fils et de courtisan avec la
régularité la plus exacte, mais toujours la même sans y
rien ajouter, et avec un air plus respectueux^ et plus
mesuré qu'aucun sujet. Tout cela ensemble lui faisoit
trouver Meudon et la liberté qu'il y goùtoit délicieuse,
et, bien qu'il ne tînt qu'à lui de s'apercevoir^ souvent que
le Roi étoit peiné de ces fréquentes séparations, et par la
séparation même, et par celle de la cour, surtout les étés
p. 154). Il y parlait rarement et brièvement, disant lui-même qu'il
« n'étoit point harangueur » (Journal de Torcy, p. 456).
i. C'est en juillet 1688 que le Roi lui avait donné voix délibérative
au conseil des finances, et, à la mort de Louvois, il avait eu entrée dans
tous les autres (Dangeau, tomes II, p. 152, et III, p. 370 ; Sourches,
tomes II, p. 183, et III, p. 442).
2. Nous avons déjà relevé la locution pour de à diverses reprises, et
en dernier lieu, tome XVIII, p. 385, mais non pas pour à.
3. C'est ainsi que Torcy dit être allé lui communiquer en mars 1710
l'instruction aux plénipotentiaires de Gertruydenberg, parce qu il n'avait
pas assisté au Conseil où elle avait été discutée {Journal de Torcy,
p. 142).
4. Nous l'avons vu cependant travailler avec Villars en 1709, mais
c'était par exception (notre tome XVII, p. 383-384 et 424) ; il se van-
tait de n'avoir jamais contredit les généraux avec lesquels il avait servi
(tome XVI, p. 328).
5. « On dit qu'il y a de l'onction dans un sermon, dans un discours,
pour dire qu'il y a des choses qui touchent le cœur et portent à la dé-
votion » (Académie, 1718).
6. Le manuscrit porte respecteux, par mégarde.
7. Ayant écrit l'élision s'a la tin d'une ligne, Saint-Simon l'a biffée
pour la récrire au commencement de la ligne suivante.
[1711] DE SAINT-SIMON. »il
qu'elle n'étoit pas nombreuse à cause de la guerre, il
n'en fit jamais semblant, et ne changea rien en ses
voyages, ni pour leur nombre, ni pour leur durée. Il
étoit fort peu à Versailles', et rompoit souvent par des
Meudons de plusieurs jours les Marlis, quand ils s'allon-
geoient trop. De tout cela, on peut juger quelle pouvoit
être la tendresse de cœur ; mais le respect, la vénération,
l'admiration, l'imitation en tout ce qui étoit de sa portée
étoit visible, et ne se démentit jamais, non plus que la
crainte, la frayeur et la conduite-. On a prétendu qu'il
avoit une appréhension extrême de perdre le Roi : il
n'est pas douteux qu'il n'ait montré ce sentiment; mais,
d'en concilier la vérité avec celles qui viennent d'être
rapportées, c'est ce qui ne paroît pas aisé. Toujours est-
il certain que, quelques mois avant sa mort, Mme la du-
chesse de Bourgogne l'étant allée voir à Meudon, elle
monta dans le sanctuaire de son entresol', suivie de
Mme de Nogaret, qui, par Biron et par elle-même encore,
en avoit la privance, et qu'elles y trouvèrent Monseigneur
avec Mlle Choin, Madame la Duchesse et les deux Lille-
bonne, fort occupés à une table sur laquelle étoit un
grand livre d'estampes du sacre ^, et Monseigneur fort Complaisant
appliqué à les considérer, à les expliquer à la compa- *"^ choses du
gnie, et recevant avec complaisance les propos qui le
regardoient là-dessus, jusqu'à lui dire : « Voilà donc
celui qui vous mettra les éperons, cet autre le manteau
royal, les pairs qui vous mettront la couronne sur la
tète^ ; » et ainsi du reste, et que cela dura fort longtemps.
1. La première lettre de Versailles corrige un v.
i. La manière de se conduire à l'égard du Roi.
3. Celui où logeait Mlle Choin : ci-dessus, p. 12.
4. Tome XIV, p. 391 et note 6. L'ouvrage auquel Saint-Simon fait
allusion est sans doute le recueil de gravures en taille-douce intitulé la
Pompeuse et magnifique cérémonie du sacre du roi Louis XIV; Paris,
1655, in-tolio.
5. Voyez les traités publiés par Godefroy dans son Cérémonial fran-
çais.
sacre.
63 MÉMOIRES [17111
Je le sus deux jours après de Mme de Nogaret, qui en fut
fort étonnée, et que l'arrivée de Mme la duchesse de
Bourgogne n'eût pas interrompu cet amusement singu-
lier, qui ne marquoit pas une si grande appréhension de
Monseigneur perdre le Roi et de le devenir lui-même. Il n'avoit ja-
ei Mme de ,^^j,js, p^ aimer Mme de Maintenon, ni' se ployer à obte-
fon6k!ig"nTs. nir rien par son entremise-. Il l'alloit voir un moment
au retour du peu de campagnes qu'il a faites ^ ou aux
\. Avant ny, il a biffé luy.
"2. Non seulement il ne l'aimait pas, mais il la craignait, et cette
crainte lui inspirait à son égard une certaine déférence de surface (nos
tomes VII, p. 309. et XVII, p. 424 ; Dangeau, tomes V, p. 480 note,
et XVI. p. 6i-6o, Addition de Saint-Simon ; Correspondance de Ma-
dame, recueil Jseglé, tome I, p. 87-88). La Beaumelle (tome VII, p.
242-231) a publié quelques lettres adressées par Monseigneur à Mme de
Maintenon, et il en existe plusieurs en original dans les manuscrits
appartenant au duc de Moucliy. Si Ton en croit l'Histoire amoureuse
des Gaules, tome III, p. 163-165, il ne se gênait pas dans l'intimité pour
parler familièrement de « la bonne vieille sa belle-mère ». Saint-Simon
va revenir sur ce point ci-après, p. 89.
3. Le relevé des campagnes de Monseigneur se trouve dans la Chro-
nologie militaire de Pinard, tome I, p. 557-559. En 1688 et 1689, il
avait commandé l'armée d'Allemagne avec les maréchaux de Duras et
de Lorge ; en 1690 et 1694, le Roi le mit à la tète de celle de Flandre
avec M. de Luxembourg. Sa conduite au siège de Philipsbourg en
1688 lui avait fait donner par les flatteurs le surnom de Louis le
Hardi ; mais ses capacités militaires n'étaient pas estimées de même
par tout le monde, si l'on en croit ce couplet du Chansonnier (ms. Fr.
12689, p. 381):
Retourne en cour
Et quitte la cuirasse ;
Retourne en cour,
Laisse là Philipsbourg.
Il est plus doux
De courir à la chasse
Que d'aller aux coups.
Crains les jaloux :
On ne prend pas les places
Comme on fait les loups.
En 1708 et 1709, il avait été question de le mettre à la tête de l'ar-
mée de Flandre. Il était chéri du soldat, comme du bas peuple et de
ses valets, pour sa bonhomie et sa familiarité.
(1711] DE SAI.NT-SIMON 63
occasions très rares; jamais de particulier; quelquefois
il entroit chez elle un instant avant le souper pour y
suivre le Hoi'. Elle aussi avoit à son égard une conduite
fort sèche, et qui lui faisoit sentir qu'elle le comptoit pour
rien *. La haine ' commune des deux sultanes* contre (Jha-
millart, et le besoin de tout pour le renverser, les rappro-
cha comme il a été dit^ et fit le miracle d'y faire entrer
puissamment Monseigneur*^, mais qui ne Teùl jamais osé
sans l'impulsion toute-puissante de la sienne, la sûreté
de l'appui de l'autre, et tout ce qui s'en mêla. Aussi ce Courintimcfic
rapprochement ne fil depuis que se refroidir et s'éloigner ' °"*''*p°®"'"-
peu à peu. Avec MlleChoin ', sa vraie confiance étoit en
Mlle de Lillebonne, et, par l'intime union des deux sœurs,
avec Mme d'Espinoy. Presque tous les matins il alloit
prendre du chocolat chez la première*. C'étoit l'heure
des secrets, qui étoit inaccessible sans réserve, excepté
à l'unique Mme d'Espinoy*. Par elles, plus que par soi-
même, tenoit le reste de considération et de commerce
avec Mme la princesse de Conti'", et même lamitié avec
I. Mme de Mainlenon se plaignait qu'il ne dît pas un mot quand il
était en visite chez elle (Lettres, recueil GetTroy, tome II, p. -46).
'2. La cause en était peut-être dans l'opposition persistante de Mon-
seigneur à la déclaration du mariage du Roi avec elle, quoique Ma-
dame pense qu'il s'y fût peut-être résigné (recueil Ja?glé, tome II, p. 52).
3. Hane, au manuscrit, mal corrigé en haine par un point mis au-
dessus du mot.
4. « Sultane, titre qu'on donne aux femmes du Grand-Seigneur »
(Académie, 1718). Saint-Simon a déjà appliqué ce terme à Mme de
Montespan (Écrits inédits, tome VI, p. 315), et il en qualilicra encore
Mme de Maintenon (suite des Mémoires, tome XII de 1873, p. 31).
n. Tome XVII, p. 4i"2 et suivantes.
6. Mgr a été ajouté en interligne. — Tome XVII, p. itî 1-4-27 et
430-431.
7. Choin surcharge d'autres lettres illisibles.
8. Déjà dit dans le tome XV. p. Il-1'2.
!). On a vu au tome XVI, p. 3-27-3-2.S, dans quelle franchise familière
elle se trouvait avec .Monseigneur.
10. Madame a raconté (Correspondance, recueil Brunct, tome I, p.
234) comment le prince se détacha peu à peu de laDauphine par l'ha-
64
MEMOIRES
117111
Monseigneur
plus que sec
avec Mgr et
Mme la
duchesse de
Bourgogne,
Madame la Duchesse', que soutenoient les amusements
qu'il Irouvoit chez elle-; par là encore, cette préférence
du duc de Vendôme sur le prince de Conti % à la mort
duquel il fut si indécemment insensible*. Un tel mérite si
reconnu dans un prince du sang, joint à la privance de
l'éducation presque commune^ et à*^ l'habitude de toute
la vie, auroit eu trop de poids sur Monseigneur devenu
roi, si l'amitié première s'étoit conservée, et les sœurs,
qui vouloient gouverner ', écartèrent doucement ce prince.
Cette même raison fut, comme on l'a dit, le fondement
de cette terrible cabale * dont les effets éclatèrent dans la
campagne de Lille ^ et furent soigneusement entretenus
depuis dans l'esprit de Monseigneur, naturellement éloi-
gné de la contrainte et de l'austérité des mœurs de Mgr le
duc de Bourgogne, et que la haine de Madame la Du-
bitude qu'il prit d'aller jouer chez la princesse de Conti tous les jours
qu'il n'y avait pas comédie, si bien que, lorsqu'il était en campagne, il
écrivait plutôt à la princesse qu'à sa femme (Dangeau, tomes II, p. 52,
VIII, p. 369, et IX, p. 417 ; Sourches, tomes I, p. 447, II, p. 262, et
III, p. 473 ; Souvenirs de Mme de Caylus, p. 183 ; Relation de
Spanheim, édition Bourgeois, p. 122 et 202 ; Histoire amoureuse
des Gaules, tome IV, p. 136 et suivantes) ; mais, depuis plusieurs
années, il n'allait plus guère chez elle que par habitude (notre tome
XVIII, p. 321 et 336).
1 . Saint-Simon a déjà dit (tome XIX, p. 249-230) comment le prince,
ne sachant pas rester chez lui, était tombé dans les Klets de Madame
la Duchesse.
2. « Il n'a aimé que les gens qui lui procuraient du divertissement »,
disait Madame (recueil Brunet, tome I, p. 231).
3. Nos tomes XV, p. 17, et XVII, p. 123 et l^S ; Relation de Span-
heim, édition Bourgeois, p. 123 et 214.
4. Tome XVII, p. 137-140.
3. Ibidem, p. 128, et ci-dessus, p. 46.
6. Cet à a été ajouté en interligne.
7. Il a déjà remarqué, tome XIV, p. 399, combien l'avènement de
Monseigneur au trône était escompté par elles et par toute une partie
de la cour.
8. Tomes XVI, p. 11-14 et 329, et XVIII, p. 10-11.
9. Tome XVI, p. 204 et suivantes.
\nii\
DE SAINT-SIMON.
65
de Berrjf et
traite bien
Mme la
diichesbc «le
Bcrrv .
chesse pour Mme la duchesse de Bourgogne' enlrelenoit aimeM.l.duc
poui" tous les deux. Par les raisons contraires, il aimoit
M. le duc de lierrv -, que celle cabale prolégeoil pour le
diviser d'avec Mgr et Mme la duchesse de iJourgogue :
tellement qu'après toute leur opposiliun el leur dépit à
tous de son mariage, Mme la duchesse de Berr^' ne laissa
pas d'être admise aussitôt après au Parvu/u \ sans même
l'avoir demandé, et d'y être fort bien traitée. Avec tout
cet ascendant des deux Lillebonnes' sur Monseigneur, il
est pourtant vi-ai qu il n'épousoit pas toutes leurs fantai-
sies, soit par la Choin, qui, tout en les ménageant, les
connoissoit bien et ne s'y doit point, comme Bignon me
l'avoit dit^ soit par Madame la Duchesse, qui sûrement
ne s'y fioit pas davantage, et qui n'étoit rien moins que
coiffée' de leurs prétentions. Inquiet à cet égard pour le
futur, j'employai lévêquc de Laon ' pour découvrir par
la Choin les sentiments de Monseigneur entre les ducs et
les princes. Il étoit frère de Clermont qui avoit été perdu
pour elle lorsque Mme la princesse de Contl la chassa*,
et les deux fi-ères éloienl demeurés dans la plus intime
liaison avec elle. Je sus par lui qu'il étoit échappé quel-
quefois, quoique rarement, des choses à Monseigneur,
(jui montroient que tout l'empire que ces deux sœurs
avoient sur lui n'alloit pas à le rendre aussi favorable^ à
leur rang qu elles eussent voulu, et que, Mlle Choin l'ayant
plus particulièrement sondé là-dessus à la prière de
l'évêque, il s'étoit expliqué fort favorablement pour le
rang des ducs, et contre les injustices qu'il étoit persuadé
1. Tome XVI. p. ihS.
2. C'élail « son lils favori » (tome XIX. p. 191); voyez ci-après, p. 79.
3. Ci-dessus, p. 1)3.
4. Ici il y a bien Lislebonncs au pluriel, comme ci-aprt's, p GT ;
mais plus haut, p. 61, il y a Lislcbonnc.
5. Tome XIX, p. 2o6. — 6. Tome XX, p. 187.
7. Louis-Anne de Clermont-Chasle : tome XIX, p. "250.
8. Tomes II, p. 183 et suivantes, et XIX, p. iVJ el -2.^0.
'J. Le manuscrit porte favorables, par mégurdc.
MtliOlKES Wt SAI.NT-SIMÙ.N. XXI H
Monseigneur
favorable aux
ducs contre les
princes.
66
MEMOIRES
[4741]
Monseigneur
fort vrai.
Mlle Choin
Opposition de
Monseigneur à
l'alliance du
sang bâtard
prétendue.
qii'[ils] Y avoient souffertes'. Il' étoit incapable non seule-
ment de mensonge, mais de déguisement, et la Choin tout
aussi peu capable, surtout^ avec l'évêque, duquel elle ne
se cachoit pas, non plus qu'à Bignon, de sefe secrets sen-
timents sur Mlle de Lillebonne et Mme d'Espinoy. Cette
réponse de Monsieur de Laon me fit souvenir de celle
que Monseigneur fit au Roi, qui le trouva, comme je l'ai
raconté, dans ses arrière-cabinets, au sortir de cette au-
dience que je lui avois emblée dans son cabinet sur l'af-
faire de la quête ^, et, le Roi en ayant parlé à Monseigneur
avec satisfaction, ce prince, à qui j'étois au moins très
indifférent, et qu'on n'avoit point instruit de notre part,
lui dit qu'il savoit bien que j'avois raison, Mlle Choin a
prétendu et soutenu depuis sa mort, car, pendant sa vie,
il ne sortoit rien d'elle, qu'il avoit autant d'opposition au
mariage de Mlle de Bourbon qu'à celui de Mademoiselle,
parce qu'il ne pouvoit souffrir le mélange du sang bâtard
au sien. Peut-être étoit-il vrai : il a toujours montré une
aversion constante à tous leurs avantages, et il ne lui est
rien échappé de marqué en faveur de Mlle de Bourbon
pour le mariage de M. le duc de Berry ; mais l'autorité de
Madame la Duchesse étoit si entière sur lui, et si solide-
ment appuyée de celle de tout ce qui le gouvernoit, et la
réunion de toute la cabale étoit si grande en faveur de
Mlle de Bourbon, et se montroit si assurée là-dessus,
qu'elle l'y eût sans doute amené, s'il ne l'étoit déjà
comme on eut tant de raisons de le croire, opinion qui
servit si utilement Mademoiselle ^ La Choin a même avoué
depuis qu'elle-même étoit contraire à tous les deux par
cette raison de bâtardise. De celui de Mademoiselle, cela
n'est pas douteux : on a vu, par ce qui se passa entre Bi-
4. Notre auteur a déjà dit que Monseigneur se moquait des préten-
tions des princes étrangers (tome XI, p. 368-369).
2. Avant il, il y a un et biffé dans le, manuscrit.
3. Surtout a été ajouté en interligne,
4. Tome XI, p. 364. - 5. Tome XIX, p. 242-243.
(ITIll DK SAL\T-SIM(».\ 67
gnoii v\ moi ', à quel poiDt clK' étoit rloij^iH'e * de M. lo duc
d'Orléans. Do l'autre, il se pouvoit bien que les vues de
l'avonir lui faisoient craindre d'ajouter ce poids d'union
et de crédit à Madame la Duchesse; mais ses liaisons pré-
sentes avec elle, par ce (ju'elie-mème en avoua à Bignon,
et qu'il me rendit^, étoient si nécessaires, si grandes, si
intimes, (|u'il v a fort à douter qu'elle eût pu éviter d'y
ùtre entraînée, et que, éclairée surtout d'aussi près qu'elle
l'étoit par un aussi grand intérêt, et de Madame la Du-
chesse et des deux Lillebonnes. qui en prenoient pour les
leurs autant que Madame la Duchesse elle-même, et par
tl'Antin, tout elles là-dessus, Mlle Choin eût osé se laisser
apercevoir contraire, et qu'avec' un prince aussi foible et
aussi puissamment environné, elle eut osé hasarder de
soutenir contre ce lori'ent toujours présent, elle si sou-
vent absente. Il ne faut j^as taire un beau trait de cotte Désintrrcssc-
(illo ou femme si sineulièro '. Monseiijnour, sur lo point ,,,T^rM •
!• Il 1 I ' ' I ri 1 I '^'''*' ^'''*'"-
(I aller commander l armée de riandres la campagne
d'après celle de Lille, où pourtant il n'alla pas^ fit un
testament, et, dans ce testament, un bien fort considé-
rable à Mlle Choin '. Il le lui dit, et lui montra une lettre
cachetée pour elle qui on faisoit mention, pour lui être
rendue, s'il mésarrivoit** de lui. Elle fut extrêmement
sensible, comme il est aisé de le juger, à une marque
d'afTection de cette prévoyance; mais elle n'eut point de
repos qu'elle no lui eût fait mettre devant elle lo testa-
I. Tome XIX, j). -Ml et '266.
•2. Eloignée a élé ajouté en interlif^no.
;{. Tome XIX. p. -2o7-2o8.
t. L'abréviation de gu* a été ajouté en surcharge sur les lettres av,
écrites avant arec.
."i. Il a déjà parlé de son absolu désinléressemenl, ci-dessus, p. o2.
H. Tome XVII. p. 17-2, année 1709.
7. Est-ce de Bignon ou de du Mont (jut- notre auteur tient cette
anecdote ?
8. « Mt'sarriver, verl)e impersonnel qui se dit d'un accident fâcheux
qui arrive ensuite do (juclquc cliusc » {Acudcutif, I7IS)
68
MÉMOIRES
['I74ij
Monseigneur
attaché à la
mémoire et à
la famille du
duc de
Montausier*.
ment et la lettre au feu, et protesta que, si elle avoit le
malheur de lui survivre, mille écus de rente qu'elle avoit
amassés seroient encore trop pour elle. Après cela, il est
surprenant qu'il ne se soit trouvé aucune disposition dans
les papiers de Monseigneur.
Quelque dure qu'eût été son éducation ', il avoit con-
servé de l'amitié et de la considération pour le célèbre
évêque de Meaux, et un vrai respect pour la mé-
moire du duc de Montausier^: tant il est vrai que
la vertu se fait honorer des hommes malgré leur
goût et leur amour de l'indépendance et de la liberté.
Monseigneur n'étoit pas même insensible au plaisir
de la marquer à tout ce qui étoit de sa famille, et jus-
qu'aux anciens domestiques qu'il lui avait connus.
C'est peut-être une des choses qui a^ le plus soutenu
d'Antin auprès de lui dans les diverses aventures de sa
vie, dont la femme étoit fille de la duchesse d'Uzès*, fille
unique du duc de Montausier, et qu'il aimoit passionné-
ment. Il le marqua encore à Sainte-Maure ^ qui, embar-
rassé dans ses affaires sur le point de se marier, reçut une
pension de Monseigneur sans l'avoir demandée % avec ces
obligeantes paroles, mais qui faisoient tant d'honneur au
1. Ci-dessus, p. oi-56.
2. Déjà dit dans l'Addition n° 323 (notre tome VII, p. 387). Voyez
le Duc de Montausier, par Aniédée Roux, p. 490 et suivantes. En
quittant le Dauphin, la veille de son mariage, Montausier lui avait
dit : « Monseigneur, si vous êtes honnête homme, vous m'aimerez ; si
« vous ne l'êtes pas, vous me haïrez, et je m'en consolerai. »
3. Il y a bien a, au singulier, dans le manuscrit. C'était l'usage
commun.
4. Julie-Françoise de Crussol, mariée à M. d'Antin en 1686, était
fille de Julie-Françoise de Sainte-Maure, qui avait épousé le duc d'Uzès
en 1664, avant que M. de Montausier ne tût gouverneur du Dauphin.
5. Honoré, comte de Sainte-Maure : tome XX, p. 185.
6. En 1700, il lui avait fait un don de deux mille louis, pour com-
penser ses pertes au jeu (tome VII, p. 187-188).
'Cette manchette est trois lignes trop bas dans le manuscrit.
[1711] DE SAIXT-SIMOX. 69
prince, qu'il ne manqueroit jamais au nom et au neveu
tle M. lie Mi)ntausier '. Sainte-Maure se montra digne de
cette grâce : son mariage se rompit, et il ne s'est jamais
marié ; il remit la pension - qui n'étoit donnée qu'en
faveur du mariage. Monseigneur la reprit; je ne dirai
pas qu'il eût mieux fait de la lui laisser. C'étoit peut- Amours de
être le seul homme de qualité qu'il aidât de sa poche. ' onsoigneur.
Aussi tenoit-il à lui par des confidences tandis^ qu'il eut
des maîtresses*, que le Roi ne lui souffrit guères. En
leur place, il eut plutôt des soulagements passagers et
obscurs que des galanteries, dont il étoit peu capable^,
1. Son neveu à la mode de Bretagne, fils de son cousin ger-
main.
2. Après pension, Saint-Simon a effacé du doigt une virgule.
3. Au sens de tant.
4. La chronique scandaleuse de la cour lui attribua, à tort où à rai-
son, des galanteries avec la marquise du Roure, Mmes de Xogaret et
de Florensac, Mlle de Rambures, la marquise de Richelieu, sans
compter les femmes de chambre, pour lesquelles il aurait eu un goût
particulier (nos tomes II, p. 136-138, III, p. 196, XII, p. 620, et XIII,
p. 48, 431 et 623 ; Mémoires de Sourches, tome I, p. 384-385 et 468-
470 ; Correspondance de Madame, recueil Brunet, tomes I, p. 59-
60, et II, p. 274; recueil Jaeglé, tomes I, p. 256, et II, p. 208; Rela-
tion de Spanheim, édition Bourgeois, p. 117-119 ; Souvenirs de Mme
de Caylus, p. 111-112 ; Lettres de Mme Diinoyer, lettre xxxii, tome I,
p. 386-387; Correspondance de Bussy Rabutin, tome V, p. 415;
Histoire amoureuse des Gaules, tome III, p. 185-204 et 493-509 ; Nou-
veau siècle de Louis XIV, tome IV, p. 112-116; ms. Clairambault
491, fol. 47 ; Chansonnier, ms. Fr. 12691, p. 29, 40, 289 et 376 ; Ar-
chives historiques et littéraires, 1889, n° 1, p. 9). Mme de Caylus
(Souvenirs, p. 99 et 110) prétend que la façon d'être de la Dauphine
contribua à écarter d'elle son époux.
5. Mme de la Fayette dit (Mémoires, p. 216) : « Monseigneur est un
amant si peu dangereux, que l'on ne parle pas seulement de lui,
il n'y a que Madame la Dauphine, qui se délie de la force de ses char-
mes, qui croie qu'il y ait autre chose que les lorgneries qu'elle lui
voit. » Notre auteur a raconté dans l'Addition 323 (tome VII, p. 387)
quelle était son « innocence » lors de son mariage : voyez la Correspon-
dance de Bussy-Rabutin, tomes III, p. 374, et IV, p. 105, et les ÛEu-
vres de J. de la Fontaine, tome V, p. 9.
"0 MEMOIRES [\1H]
Ridicule et que du Mont et Francine', gendre de Lully-, et
\Âdr^'^S'^s^988^ ^^' eurent si longtemps ensemble l'Opéra ^ lui fourni-
1. Jean-Nicolas Francini. dit de Francine, d'une famille florentine
établie en France depuis Henri IV, et dont un membre fut le créateur
des eaux de Versailles, était maître d'hôtel du Roi lorsqu'il épousa, le
19 avril 1684, Catherine-Madeleine Lully ; à la mort de son beau-père
(1687), il obtint la direction de l'opéra (ci-après, note 3) et ne la quitta
qu'en 4728, moyennant une pension de dix-huit mille livres, qui lui
fut servie jusqu'à sa mort, 6 mars 1733. Sa femme était morte le
2 janvier 4703. Voyez le dossier bleu Francine au Cabinet des titres.
2. Jean-Baptiste Lully (il signait ainsi), né à Florence en 4633, fut
amené en France par le chevalier de Guise vers 4646 et entra dans la
maison de Mlle de Montpensier (ses Mémoires, tome IIL p. 347-348).
Ses dispositions musicales le firent admettre bientôt parmi les musi-
ciens de la princesse, puis au nombre des vingt-quatre violons du
Roi (4652). Dès 46S3, il obtint un brevet de compositeur de la
musique de la chambre (reg. 0' 7, fol. 46S) et de chef des « petits
violons du Roi », troupe nouvelle créée pour lui ; il devint en mai 4664
surintendant de la musique de la chambre du Roi (Gazette, p. 476).
Des lettres de naturalisation lui furent accordées en décembre de
la même année (reg. P 2770, p. 704), et il épousa, le 24 juillet
suivant la tille de Michel Lambert, autre musicien du Roi. Par
lettres patentes de mars 4672 (reg. X'*^ 8669, fol. 345), il obtint
le privilège de représenter les « ouvrages de théâtre en musique » et
de gérer l'Académie royale qu'on appela bientôt l'Opéra (ci-dessous).
Louis XIV lui permit d'acquérir une charge de secrétaire du Roi en
4684, et il se tit recevoir le 30 décembre. Au commencement de 4687,
s'étant blessé au pied accidentellement, il négligea de se soi-
gner, et mourut de la gangrène le 22 mars, âgé de cinquante-quatre
ans. Sa famille lui éleva dans l'église des Petits-Pères un beau monu-
ment, avec pompeuse épitaphc (Raunié, Épitaphier, tome I, p. 235).
Mignard avait fait son portrait, qui fut gravé en 4685 par Roullet. Son
œuvre musicale, très considérable et très variée, lui procura une répu-
tation européenne, qui persista pendant la plus grande partie du dix-
huitième siècle, et qui dure encore ; la liste de ses œuvres a été donnée
par Fétis, dans la Biographie des musiciens, et par F. Clément, dans
les Musiciens célèbres depuis le XVI'' siècle.
3. Opra corrigé en opéra. — Il a été parlé de la création de l'Aca-
démie royale de musique ou Opéra dans notre tome VI, p. 387. A la
mort de Lully, qui en avait dépossédé Perrin et Cambert en 4672, le
Roi en accorda le privilège à son gendre Francine, pour trois ans
d'abord (brevet du 27 juin 4687, dans le registre 0* 34, fol. 425 v).
H711| DE SAIM-SIMO.N 7i
rent'. A co propos, je no puis m empêcher do rnpporter un
échantillon de sa délicatesse-. H avoit ou envie dune de ces
créatures fort jolie. A jour pris, elle fut introduite à Ver-
sailles dans un premier cabinet, avec une autre, vilaine,
pour l'accompagner. Monseigneur, averti qu'elles étoient
ià, ouvrit la porte, et, prenant celle qui se trouva la plus
proche, la tira après lui. Elle se défendit : c'étoit la vi-
laine, qui vit bien qu'il* se méprenoit. Lui, au con-
traire, crut qu'elle faisoit des façons, la poussa dedans,
et ferma sa porte. L'autre, cependant, rioit de la méprise,
et do l'affront qu'elle s'attendoit qu'alloit avoir sa com-
puis pour dix ans(l"='" mars t6S9). En 169t, Francine, dont les affaires
étaient fort embarrassées, s'associa, par acte du 14 mars, le linancier
Montarsy, qui avança près de cent mille livres, dont sa succession
n'était pas encore entièrement remboursée en janvier t713. Le privi-
lège venant à expiration, Francine obtint, le 30 décembre 1698 (reg.
0' 4'-2, fol. "iT'i v"), un renouvellement pour dix autres années, pour
lui et du Mont, son associé pour un quart, et moyennant certaines
pensions {Dangeait, tome VL p. 471 ; Sourches, tome VL P- 96-97).
L'exploitation n'ayant point prolité aux deux associés, ils cédèrent
leurs droits, par contrat du 5 octobre 1704, à Pierre Guyenet, payeur
des rentes assignées sur les postes, et obtinrent, le 7, une prorogation
jusqu'en 1719, avec approbation de la cession faite à Guyenet (reg.
X'A «699. fol. 1.^ v, et 0' 363, fol. 1S8, ^231 v» et 238). Mais, ce
dernier étant mort insolvable en 1712, Francine et du Mont rentrèrent
dans leurs droits et tirent proroger leur privilège jusqu'en 1732 (reg.
0' 57, fol. 222, 8 janvier): le Roi édicta en même temps (fol. 223-227)
un règlement en dix-neuf articles pour la gestion de l'Académie royale.
On trouvera dans les registres E 1970, fol. 84 et 273, et 1971, fol. 100,
trois arrêts du Conseil relatifs h. la liquidation des créances Montarsy et
Guyenet (1713).
1. Saint-Simon a déjà dit dans le tome XIII, |). 322, <iue du Mont
gouvernait sa bourse cl ses plaisirs.
2. Desnoiresterres, dans ses Cours galantes, tome 1, p. 277-280,
Mme Dunoyer, dans ses Lettres, tome III, p. 270-271, Castil-Blaze,
dans V Académie impériale de musique, 1833, tome I, p. 69-71, appli-
quent l'anecdote qui va suivre aux deux sœurs Loison ou aux deux
Moreau. Selon l'Addition indiquée plus haut, c'était la Raisin (ci-après,
p. 396).
3. // est en interligne, au-dessus d'ci/e, biffé.
75 MÉMOIRES [\U\]
pagne' d'être renvoyée, et elle appelée. Fort peu après,
du Mont entra, qui, fort étonné de la voir là et seule, lui
demanda ce qu'elle faisoit là, et qu'étoit devenue son
amie : elle lui conta l'aventure. Voilà du Mont à frapper à
la porte, et à crier: « Ce n'est pas celle-là; vous vous
méprenez. » Point de réponse. Du Mont redouble encore
sans succès. Enfin Monseigneur ouvre sa porte, et pousse
la créature dehors. Du Mont s'y présente avec l'autre, en
disant : « Tenez donc, la voilà. — L'afifaire est faite, dit
Monseigneur ; ce sera pour une autre fois ; » et referma
sa porte. Qui fut honteuse et outrée? ce fut celle qui avoit
ri, et plus qu'elle du Mont encore. La laide avoit profité
de la méprise ; mais elle n'osa se moquer d'eux. La jolie
fut si piquée, qu'elle le conta à ses amis, tellement qu'en
bref toute la cour en sut l'histoire ^ La Raisin, fameuse
comédienne, et fort belle ^, fut* la seule de celles-là qui
dura et qui figura dans son obscurité ^ On la ménageoit,
et le maréchal de Noailles, à son âge et avec sa dévotion,
n'étoit pas honteux de l'aller voir, et de lui fournir, à
Fontainebleau, de sa table, tout ce qu'il y avoit de meil-
leur*. Il n'eut d'enfants de toutes ces sortes de créatures
qu'une seule fille de celle-ci ', assez médiocrement entre-
i . Le mot compagne surcharge campagne.
2. C'est ainsi qu'elle fut insérée dans les Annales de la cour pour
1697-1698; on trouvera ce passage ci-après à l'appendice II, p. 438.
3. Tome XVI, p. 380.
4. Il y a dans le manuscrit, après fut, une virgule effacée du
doigt.
5. Voyez les détails donnés sur cette liaison dans le tome XVI,
p. 380, note 4, et la Correspondance de Madame, recueil Jseglé,
tome I, p. 142, et recueil Brunet, tome II, p. 52.
6. Déjà dit tome XVI, p. 38i.
7. iV., dite Mlle de Fleury, mariée en juin 1715 (ci-dessous), morte à
Tours en août 1716; Rigaud fit son portrait à l'occasion de son ma-
riage {Dangeau, tomes XV, p. 425, 426 et 431, et XVI, p. 438 ; Let-
tres de Mme de Maintenon, recueil Bossange, tomes III, p. 145, 161
et 175, et IV, p. 528, et recueil Geffroy, tome II, p. 355-356; Corres-
pondance de Madame, recueil Brunet, tome I, p. 264 ; recueil Jseglé,
(17111 DE SAiM-SIMOX. "73
tenue à Chaillot, chez les Augusfines'. Cette fille fut ma-
riée, depuis sa mort, par Mme la princesse de Conti, qui
en prit soin, à un gentilhomme - qui la perdit bientôt
après '. Ct'ttc indigestion qu'on prit pour une apoplexie ^
mit fin à tous ces commerces. A son éloignement de la Monseigneur
" n aime point
tome II, |). 150). Mais cette tille ne fut pas le seul enfant naturel
de Monseigneur : la lettre xxxvni de Mme Dunoyer dit qu'il eut
deux enfants de la Raisin avant 1701, et te Journal de P. Cartonne,
p. 13, lui attribue plusieurs bâtards. De plus, il avait eu de Mme du
Roure une tille, nommée Louise-Emilie, sur laquelle on trouvera
(juelques renseignements à l'appendice XIV, avec des lettres de
Mme du Roure, de la jeune tille, de sa {gouvernante et du curé de
Saint-Germain-en-Laye. La Beaumelle (Mémoires sur Mme de Main-
tenon, tome IV. p. 217) a parlé d'un tils que le prince aurait eu d^
la Raisin et qui se serait tiré de la misère en épousant une tille du
traitant la Jonchère; mais il a dû faire confusion avec une tille de
la Raisin, lille légitime, qui épousa un tils de ce financier.
1. Il y a dans le mai\n\scrï[ Augustunines (sic), en interligne au-
dessus de Bcnedictines, biffé. — Il n'y avait pas à Chaillot de couvent
d'Augustines, non plus que de Bénédictines, mais seulement une mai-
son de Filles de Sainte-Marie, dont il a déjà été parlé plusieurs fois,
notamment dans le tome IX, p. 293.
2. Mlle de Fleury épousa le 13 juin 1713, Antoine-Érard d'Avau-
gour, seigneur du Bois et de la Motte-de-Thouaré, dit le marquis
d'Avaugour. que M. Potier de Courcy, dans sa continuation de VHis-
toire généalogique, tome IX, 2« partie, p. 174. rattache à la famille
des Avaugour. de la maison de Bretagne, ce qui semble douteux. Né en
1672, et d'abord oHicier de gendarmerie, M. d'Avaugour, qu'on
appelait aussi M. du Bois d'Avaucourt, acheta un régiment de cavale-
rie en mars 1713, et devint brigadier en 1719; il mourut à quatre-
vingt-quatre ans le 18 décembre 1736, sans enfants de ses quatre fem-
mes. Il était parent de la princesse de Conti douairière, sa mère
Célestine Bruneau de la Rabastelière étant tille de Marie de la Baume
le Blanc, tante de Mlle de la Vallière. Après la mort de Mlle de
Fleury, il se remaria trois fois, et sa dernière femme, Marie-Hya-
cinthe Ralet de Chalet, veuve d'un receveur des domaines, épousa en
troisièmes noces le maréchal de Nicolay.
3. En août 1716 (ci-dessus, p. 72, note 7); elle avait eu cent mille
écus de dot, dont deux cent mille livres données par la princesse de
Conti sur le bénéfice d'une affaire de finances.
■4. Ci-dessus, p. loet 47.
7-4 MEMOIRES |17H|
M. du Marne bâtardise, il y a apparence qu'il n'eût jamais reconnu au-
cl traite bien i - n i- , n > •." • • ce •
le comte de ^^^ sortes d entants. Il n avoit jamais pu souttrir
Toulouse. M. du Maine, qui l'avoit peu ménagé dans les premiers
temps, et qui en étoit bien en peine et en transe dans
les derniers. Il traitoit le comte de Toulouse avec assez
d'amitié, qui avoit toute sa vie eu pour lui de grandes
Cour plus ou attentions à lui plaire, et de grands respects. Ce qui étoit
particulière de ^" '^ mieux, OU le plus familièrement avec lui parmi les
Monseigneur, courtisans', étoient - d'Antin et le comte de Mailly, mari
de la dame d'atour, mais mort il y avoit longtemps^.
C'étoient, en petit, les deux rivaux de faveur, comme, en
grand, M. le prince de Conti et M. de Vendôme ^ Les ducs
de Luxembourg,^ [de] Villeroy et delà Rocheguyon,
et ceux-là sur un pied de considération et de quelque
confiance, Sainte-Maure, le comte de Roucy, Albergotti *
et Biron, voilà les distingués et les marqués. De vieux
seigneurs, cela l'étoit moins, et qui le voyoient très peu
chez lui' : M. de la Rochefoucauld, les maréchaux deBouf-
flers, de Duras, de Lorge, Gatinat; il les traitoit avec plus
d'aflPabilité et de familiarité. Feu M. de Luxembourg et
Clermont frère de Monsieur de Laon*, c'étoit l'intimité :
j'en ai parlé ailleurs^. Le maréchal de Choiseul encore, avec
considération; sur les fins, le maréchal d'Iïuxelles, mais
qui s'en cachoit comme Ilarcourt'", leChancelier et le pre-
mier écuyer", qui l'avoit initié auprès de Mlle Choin, qui
1. Dans la suite des Mémoires, tome XII, p. 35-4, Saint-Simon dira
qu'il n'était pas difficile sur le choix de ses familliers.
2. Il y a bien estoicnt, au pluriel, dans le manuscrit.
3. Louis, comte de Mailly, mort en 1699 : tome I, p. 88.
4. Tome XVII, p. 128, et ci-dessus, p. 64.
5. Luxembourg a été ajouté après coup en interligne et Saint-Simon
a oublié de répéter le de avant Villeroy.
6. Albergotti a été ajouté en interligne, mais placé par erreur après
Biron.
1. Ces huit derniers mots ont été ajoutés sur la marge du manuscrit.
8. Ci-dessus, p. 63. — 9. Tome II, p. 47 et 184-187.
10. Tome XI, p. 43 el 56. - 11. Ci-dessus, p. 58.
(17H| DE SAINT-SIMON 7?>
s'en étoit entètrc, et avoit pei-suadé à Monsoignour que
c'étoit le plus capable ' hoiniiit' du nioude pour tout. Klle Infamios du
avoit une ehienne dont elle iloil folle-, a qui, tous les d'Iluicllcs
jours, le maréchal d'Iluxellos, de la porte (iaillon'' où il
logeoit, envovoil des tètes de lapins polies attenant le Petit-
Saint-Antoine, où elle logeoit, et où le niaiVchal alloit sou-
vent, et étoit reçu et regardé comme un orach'. Le lende-
main de la mort de Monseigneur, l'envoi des tètes de lapins
cessa, et oncques depuis Mlle Choin ne le revit, ni n'en
ouït parler. A la fin, lorsqu'elle fut revenue à elle-même,
elle s'en apercent; elle s'en plaignit même comme d'un
homme sur qui elle avoit eu lieu de compter, et qu'elle
avoit fort avancé dans l'estime et la confiance de Monsei-
gneur. Le maréchal d'Huxelles le sut : il n'en fut point
embarrassé, et répondit froidement qu'il ne savoit ce
qu'elle vouloit dire, qu'il ne l'avoit jamais vue que fort
rarement et fort généralement*, et que, pour Monsei-
gneur, à peine en éloit-il connu. C'étoit un homme qui
couroit en cachettes % mais plus bassement et plus avide-
ment que pei'sonne, à tout ce qui le pouvoit conduire,
et qui n'aimoit pas à se charger de reconnoissance inutile.
Néanmoins, cela fut su, et ne lui fit pas honneur. Monsei- Aversions de
gneur n'eut que deux hommes d'aversion dans toute la ï^lo"''<?>g"^"''-
cour, et cette aversion ne lui étoit pas inspirée comme
celle de Chamillart et de quelques autres : ces deux
hommes étoient le maréchal de Villeroy et M. de Lauzun.
Il étoit ravi dès qu'il y avoit (;|uelque bon conte sur eux.
Le maréchal étoit plus ménagé, mais pas assez pour que
lui-même n'en fût pas souvent embarrassé. Pour l'autre,
I. Cn pahlc vorr'if^e cabl.
"1. Anecdote déjà raconter dans nos loraos XI, p. »S-4i, et XIX,
p. 10.
3. Cette porte de l'ancienne enceinte, située à rexlrémité de la rue
du même nom, tombait en ruines en 4700 et fut alors démolie.
•4. Au sens de sans plus de familiarité que bien d'autres, d'une ma-
nière commune à un ^Tand nombre de personnes.
o. Tome III, p. V6.
76
MÉMOIRES
\1H]
Éloignemenl
de
Monseigneur
do Mgr
et de Mme la
duchesse de
Bourgogne.
Monseigneur ne s'en poiivoit contraindre, et M. de Lauzun,
au contraire du maréchal, ne s'en einbarrassoit point. Je
n'ai point démêlé où il avoit pris cette aversion. Il en
avoit une fort marquée pour les ducs de Chevreuse et de
Beauvillier' ; mais c'étoit l'effet de la cabale aidée de l'en-
tière disparité des mœurs.
A ce qui a été rapporté* de l'incompréhensible crédulité
de Monseigneur sur ce qui me regarde, et de la facilité
avec laquelle Mme la duchesse de Bourgogne l'en fit
revenir jusqu'à lui en donner de la honte, on reconnoît
aisément de quelle trempe * étoit son esprit et son discer-
nement. Aussi ceux qui l'avoient englobé *^, et qui avoient
si beau jeu à l'infatuer de tout ce qu'ils vouloient, n'eu-
rent-ils aucune peine à le tenir éloigné de Mgr le duc de
Bourgogne, et de ' l'en éloigner de plus en plus par le
grand intérêt qui a été mis au net plus d'une fois®. On
peut juger aussi ' ce qu'eût été le règne d'un tel prince
livré en de telles mains. La division entre les deux princes*
étoit remarquée de toute la cour. Les mœurs du fils^, sa
piété, son application à s'instruire, ses talents, son esprit,
toutes choses si satisfaisantes pour un père, étoient autant
de démérites, parce que c'étoient autant de motifs de
craindre qu'il eût pari au gouvernement sous un père qui
en eût connu le prix. La réputation qui en naissoit étoit
un autre sujet de crainte ; la façon dont le Roi commen-
çoit à le traiter en fut un de jalousie, et tout cela fut mis
1. Ceci sera répété ci-après, p. 290.
2. Tome XX, p. 493-194.
3. « On dit figurément un esprit de bonne trempe, pour dire un es-
prit ferme et solide » (Académie, 4718).
4. Au sens de circonvenir.
o. On remarquera les deux prépositions à et de k la suite de l'ex-
pression avoir peine.
6. Notamment tome XVI, p. 11 et suivantes.
7. Aussy est en interligne.
8. Prince, au singulier, dans le manuscrit.
9. Les mots du fils ont été ajoutés en interligne, et les corrige ses.
(17M] DE SAINT-SIMON. 77
en œuvre déplus en plus'. Le jeune prince glissoit, avec
un respect et une douceur qui auroit ramené tout autre
qu'un père qui ne voyoit et ne senloit que par autrui*.
Mme la duchesse de Bourgogne parlageoit les mauvaises
grâces* de son époux, et, si elle usurpoitplusde liberté et
de familiarité que lui, elle essuyoit aussi des sécheresses,
et quelquefois des duretés, dont la circonspection du
jeune prince le garantissoit^ Il voyoit Monseigneur plus
en courtisan qu'en (ils, sans particulier, sans entretien tête
à tète, et on s'apercevoit aisément que, le devoir rempli,
il ne cherchoit pas Monseigneur, et se trouvoit mieux par-
tout ailleurs qu'auprès de lui. Madame la Duchesse avoit
fort augmenté cette séparation, surtout depuis le mariage
de M. le duc de Berry, et, quoique, dès auparavant.
Monseigneur commençât à traiter moins bien Mme la
duchesse de Bourgogne, plus durement pendant la cam-
pagne de Lille, et surtout après l'expulsion du duc de
Vendôme de Marly et de Meudon, les mesures s'étoient
moins gardées depuis le mariage. Cen'étoit pas que Tadroite
princesse ne ramàt contre le lil de l'eau S avec une appli-
cation et des grâces capables de désarmer un ressentiment
fondé, et que souvent elle ne réussît à ramener Monsei-
gneur par intervalles; mais les personnes qui l'obsédoient
regardoientia fonte de ces glaces"^ comme trop dangereuse^
l. Par erreur, ces deux derniers mots sont répétés dans le texte.
'2. Saint-Simon a déjà dit, tome XVI, p. 474, avec quelle raideur
MoDSt'igneur exigeait de son lils les égards que celui-ci lui devait.
3. Par opposition à honnis grâces; locution rarement usitée.
4. Garaiitissoient, au pluriel, par mégarde, dans le manuscrit.
Voyez, dans le tome XI V^, p. 391)- iUU, ce qui a été dit des rapports de
la princesse avec .Mlle Choin, et ci-dessus, p. \i.
5. « Hamer se dit ligurément pour uire prendre bien de la peine,
beaucoup de fatigue» {Académie, 1718). — « Un dit ligurément aller
contre le fil de l'eau pour dire entreprendre un dessein auquel toutes
choses sont contraires » (^Ibidem).
6. Nous avons eu fondre des glaces dans le tome II, p. "256.
7. Dangereuses est au pluriel dans le manuscrit.
78 MÉMOIRES inid]
pour leurs projets, pour souffrir que la fille de la maison
se roiuil en grâces; tellementque, Mgr le duc de Bourgogne
privé des secours qu'il avoit auparavant de ce côté-là par
elle, tous deux se trouvoient de jour en jour plus éloignés,
et moins en état de se rapprocher. Les choses se pous-
sèrent même si loin là-dessus, peu avant la mort de Mon-
seigneur, sur une partie acceptée par lui à la Ménagerie',
et qui fut rompue, que Mme la duchesse de Bourgogne
voulut enfin essayer d'autres moyens que ceux de la
patience et de la complaisance, qu'elle avoit seules^ em-
ployées jusqu'alors, et qu'elle fit sentir aux deux Lille-
bonne qu'elle se prendroit à elles des contretemps qui
lui arriveroient de la part de Monseigneur. Toute la cabale
trembla de la menace, moins pour l'avenir que pour le
temps présent, que la santé du Roi promettoit encore
durable. Ils n'avoient garde de quitter prise : leur avenir
si projeté en dépendoit; mais la conduite pour le présent
leur devenoit épineuse par ce petit trait d'impatience et
de vigueur^. Les deux soeurs recherchèrent une explica-
tion, qui leur fut refusée ; Madame la Duchesse s'alarma
pour elle même, et d'An tin en passa de mauvais quarts
d'heures. Monseigneur essaya de raccommoder ce qui
s'étoit passé par des honnêtetés, qu'on sentit exigées ; mais
ils tinrent bon sur la partie, qui ne s'exécuta point, et,
après quelque temps de bonace* peu naturelle, les choses
reprirent leur cours, toutefois avec un peu plus de ména-
gement, mais qui servit moins [à] montrer les remèdes
qu'[à] découvrir le danger de plus en plus^
1. Tome XII, p. iOi. — 2. Seuls a été corrigé en seules.
3. On lirait aussi bien rigueur dans le manuscrit.
4. Expression déjà relevée dans le tome XII, p. 326.
5. Saint-Simon avait d'abord écrit: qui servit plus à monstrer le
danger qu'à en monstrer les remèdes ; il a biffé plus à montrer le
danger qu'à en, a écrit au-dessus: découvrir de plus en plus, qu'il
a ensuite biffé, pour mettre moins en interligne après servit; puis a
ajouté que découvrir le danger de plus en plus après remèdes, mais a
oublié les deux à.
[17111 DK SAINT-SIMON ly
On a vu, à propos des choses do l'Mnndros', (pic la M*, pt Mm«
im'-mo cabale (lui tiavailloit avec tant d'ardeur, d'audace J'"ili<-*n «l»!
1 I I L Ik-rry bien
et de suite à pordi-e Muio la duchesse de Bourgogne avec
au[)rès de MoUM'ij^'iieur, et à aïK-arilii" Mgi- le duc de Hour- MonsfMgncm
gogne, ne s étoit pas moins ap|)li(|uée à augiucMiter l'ainitié
(|ue la conformité de nururs et de goût- nourrissoit en
Monseigneur pour M. le duc de Berry, du(juel rien n'/'toit
à craindre pour les vues de l'avenir, et on a vu depuis
(jue, quelle rage tju'ils eussent tous de son mariage, ils
avoient fait bien traiter Mme la duchesse de Berry par
Monseigneur, jusqu'à la faire admettre tout de suite, et
sans qu elle l'eût demandé, dans ce sanctuaire du Par-
vulo^. Ils vouloient ainsi ôter le soupçon qu'ils eussent
dessein d'éloigner tous les enfants de la maison, et tâcher
de diviser les deux frères si unis, et semer entre eux la
jalousie. La moitié leur réussit par la voie la plus inat-
tendue; mais le principal leur manqua: jamais l'union
intime des frères^ ne put recevoir, de part ni d'autre,
l'altération la plus légère, quelques machines, même
domestiques', (jui s'y pussent employer. Mais* Mme la
duclii'sse de Berry se trouva aussi méchante qu'eux, et
aussi pleine de vues. M. le duc d'Orléans appeloit souvent Crayon et
Mme la duchesse d'Orléans Mntlome LHrifcr\ei(i\\Q en sou- P^oJ^»» d"
... , , Mme la
rioit avec complaisance. Il avoit raison : elle eût été un duclio^se da
prodige d'orgueil, si elle n'eût pas eu une fille ; mais cette Berry.
\. Tome XVI. p. 318, 3-28 et 3-29.
2. Il y a bion <joii-t, au singiiliordans le manuscrit. — 3. Ci-dessus, p. 65.
4. Les mois des frères ont été ajoutés on interligne,
o. Dans le manuscrit, mesmes est au pluriel, et domesliquca est
|ilacé entre deux virgules.
6. Ce mais a été ajouté en interligne.
7. Avant .V'. Saint-Simon avait écrit Lucif[er], qu'il a etTacé du
doigt et surchargé d'une M, biffée ensuite. — Voyez notre tome XIX.
p. tt-2 et note 3. et la suite des )fenwires. tome XI. p. 188 et 3St. Il
appli(juera le même terme an cardinal de liouillon (ibidem, p. 102) et
à Vendôme (Écrits inédits, tome V, p. 4713).
* Il y a par erreur M- et M'.
80 MÉMOIRES [HH]
fille la surpassa de beaucoup. Il n'est pas temps ici de
faire le portrait de l'une ni de l'autre : je me contenterai,
sur Mme la duchesse de Berry, de ce qu'il est nécessaire
d'expliquer, sur ce dont il s'agit, en deux mots*. C'étoit
un prodige d'esprit, d'orgueil, d'ingratitude et de folie, et
c'en fut* un aussi de débauche et d'entêtement. A peine
fut-elle huit jours mariée, qu'elle commença à se déve-
lopper sur tous ces points, que la fausseté suprême qui
étoit en elle, et dont même elle se piquoit comme d'un
excellent talent, ne laissa pas d'envelopper un temps,
quand l'humeur la laissoit libre, mais qui la dominoit
souvent. On s'aperçut bientôt de son dépit d'être née d'une
mère bâtarde, et d'en avoir été contrainte, quoique avec
des ménagements infinis, de son mépris pour la foiblesse
de M. le duc d'Orléans, et de sa confiance en l'empire
qu'elle avoit pris sur lui, de l'aversion qu'elle avoit conçue
contre toutes les personnes qui avoient eu part à son
mariage, parce qu'elle étoit indignée de penser qu'elle
pût avoir obligation à quelqu'un, et elle eut bientôt après
la folie non seulement de l'avouer, mais de s'en vanter ;
ainsi, elle ne tarda pas d'agir en conséquence. Et voilà
comme on travaille en ce monde la tête dans un sac% et
que la prudence et la sagesse humaine sont confondues
jusque dans les succès les plus raisonnablement désirés,
et qui se trouvent après * les plus détestables ^ ! Toutes les
4. Saint-Simon fera de Mme de Berry un portrait plus complet, à
deux reprises différentes, dans la suite des Mémoires, tomes XI de
4873, p. 498-204, et XVI, p. 279-281.
2. C'en corrige ce et fut est en interligne, au-dessus d'un premier
un, biffé.
3. Cette expression figurée, qui signifie être dans une ignorance
complète ou un aveuglement volontaire de ce qui peut arriver, n'était
pas donnée par le Dictionnaire de l'Académie de 4718 ; Littréen cite un
exemple de Mme de Scvigné. Voyez notre tome XIII, p. 398, note 4.
4. Apres est en interligne.
3. Voyez ce qu'il a déjà dit sur le même sujet dans le tome XIX,
p. 358-339.
[17H) DE SAI.NT-SIMON 81
machines de ce mariage avoient porté sur deux points
d'ol)jet principaux : l'un, d'empêcher celui de MUe de
Bourbon par tant de raisons, et si essentielles, qu on en
a vues' ; l'autre, d'assurer cette union si heureuse, si dési-
lable, si bien cimentée entre les deux frères et Mme la
duchesse de Bourgogne, qui faisoit le bonheur solide et
la grandeur «le l'I^tat, la paix et la félicité de la famille
rovale, la joie et la tranquillité de la cour, et qui mctloit,
autant qu'il étoit possible, un frein à tout ce qu'on avoit
à craindre du règne de Monseigneur. Il se trouve, par ce
qui a été remarijué de Mlle Choin-, que peut-être le ma-
riage de Mlle de Bourbon ne se seroit point fait, et qu'on
lui substitue une furie qui ne songe qu'a perdre tout ce
qui la établie, à brouiller les frères, à perdre sa bienfai-
trice' parce qu'elle l'est, à se livrer à ses ennemis parce
qu'ils sont ceux de Mgr et de Mme la duchesse de Bour-
gogne, et à se promettre de gouverner Monseigneur, dau-
phin et roi, par des personnes outrées contre son mariage,
et pleines* de haine contre M. et Mme la duchesse d'Or-
léans, qui ont attenté et attentoient sans cesse à l'anéan-
tissement de Mgr et de Mme la duchesse de Bourgogne,
pour^ gouverner seuls Monseigneur et l'Etat quand il en
seroit devenu le maître, et qui n'étoient pas sûrement pour
abandonner à Mme la duchesse de Berry le fruit de leurs
sueurs*^, de leurs travaux si longs et si suivis, et de tant de
ce qui se peut appeler crimes, pour arriver au timon et le
gouverner sans concurrence. Tel fut pourtant le sage, le
facile, l'honnête projet que Mme la duchesse de Berry se
mit dans la tête aussitôt après qu'elle fut mariée. On a vu
que, pendant tout le cours des menées de son mariage,
1. Tome XIX, p. 19-2 el suivantes.
"2. Ci-dessus, p. 66.
3. Saint-Simon écrit bienfactrice.
•4. Et surcharge le commenceracnl d'un p. puis pleines corrig»'
pleins.
5. Avant p'' il a biffé un q'.
• "• (ji-<lessus, p. 38, ot ci-aprùs, p. 371
MLMOIHES DE SAINTSIMON XXI 6
8-2 MÉMOIRES [4711]
M. le duc d'Orléans ne lui en avoit rien caché' : elle
connut ainsi le tableau intérieur de la cour, la cabale qui
gouvernoit Monseigneur, et la triste situation de Mgr et
de Mme la duchesse de Bourgogne avec lui. La différence
si marquée de celle de M. le duc de Berry, qu'elle aperçut
dès qu'elle fut mariée, et, incontinent après, de la sienne
même, les caresses qu'elle reçut de toute la cabale, les
agréments qu'elle éprouvoit aux Parvulo, où elle étoit
témoin de l'embarras, des sécheresses et des duretés qu'y
essuyoit Mme la duchesse de Bourgogne-, la persuadèrent
du beau dessein qu'elle se mit dans l'esprit, et d'y travail-
ler sans perdre un moment. A ce qui vient d'être dit, on
peut juger qu'elle n'étoit ni douce ni docile : aux premiers
avis que Mme la duchesse d'Orléans lui voulut donner,
elle se rebéqua^ avec aigreur, et, sûre de faire de M. le
duc d'Orléans tout ce qu'elle voudroit, elle ne balança pas
de faire l'étrangère et la fille de France avec Madame sa
mère. La brouillerie ne tarda pas*, et ne fit qu'augmenter
sans cesse. Elle en usa d'une autre façon, mais pour le
fonds de même, avec Mme la duchesse de Bourgogne,
qui avoit compté la conduire et en faire comme de sa fille,
et qui, sagement, retira promptement ses troupes* et ne
voulut plus s'en mêler, pour éviter noise, et qu'elle ne
lui fît des affaires avec M. le duc de Berry, qu'elle avoit
toujours aimé et traité comme son frère, lequel y avoit
répondu par toute la confiance la plus entière, et le res-
pect le plus véritable. Cette crainte ne fut que trop bien
fondée, quoique toute occasion en fût évitée. Le projet de
Mme la duchesse de Berry demandoit la discorde entre
les deux frères. Pour y parvenir, il falloit commencer par
la mettre entre le beau-frère et la belle-sœur ; cela fut
extrêmement difficile. Tout s'y opposoit en M. le duc de
Berry : raison, amitié, complaisance, habitude, amuse-
1. Tome XIX, p. 289. —2. Ci-dessus, p. 33.
3. Tome X, p. 394. Ici, rebecca. — 4. Ci-après, p. 101 et suivantes.
o. Métaphore dont on ne peut citer d'autre exemple.
117HJ DE SAl.NT-SIMON. 83
ment, plaisii-s, conseils et appui aiipics du Hoi et de
Mme de Maintenon, iiiliniité avec Mgr le duc de Bour-
gogne. Mais M. le duc de Berry avoit de la droiture, de
la bonté, de la vérité; il ne se doutoit seulement pas ni
lie fausseté ni d'artifice ; il avoit peu d'esprit, et, au milieu
de tout, peu d'usage du monde; enfin, il étoit amoureux
fou lie Mme la duchesse de Berry, et' en admiration
[)erpétuelle de son esprit et de son bien-dire-. Elle réussit
donc peu à peu à l'éloigner de Mme la duchesse de Bour-
gogne, et cela mit le comble ' entre elles. C'étoient là des
sacrifices bien agréables à la cabale, à qui elle vouloit
plaire, et à qui elle se dévoua. C'est où elle en étoit
loi'sque Monseigneur mourut, et c'est ce qui la jeta dans
cette rage de douleur que personne de ce qui n'étoit pas
instruit ne pouvoit comprendre^. Tout à coupelle vit ses
projets en fumée, elle réduite sous une princesse qu'elle
avoit payée de l'ingratitude la plus noire, la plus suivie,
la plus gratuite, qui faisoit les délices du Uoi et de Mme de
Maintenon, et qui, sans contrepoids, alloit régner d'a-
vance en attendant l'efTet. Elle ne voyoit plus d'égalité
entre les frères, par la disproportion du rang de Dauphin.
Cette cabale, à qui elle avoit sacrifié son âme, étoit perdue
pour l'avenir, et, pour le présent, lui devenoit plus qu'i-
nutile, sans secours de la part d'une mère offensée, ni du
côté d'un père foible et léger, mal raffermi auprès du
Roi, et foncièrement mal avec Mme de Maintenon, réduite
à dépendre du Dauphin et de la Dauphine, et pour le
grand, et pour l'agréable, et pour l'utile, et pour le futile,
et à n'avoir de considération et de consistance qu'autant
I. Et surcharge un premier en.
'1. « Ce mol n'a d'usage que dans le discours familier et en raillant
de quelqu'un qui se pique de bien parler » {Académie, 1718). Nous
l'avons déjà rencontré dans le tome VI. p. 51. et nous le retrouverons
ci-après, p. 3oU.
3. Les lexiques ne citent pas d'emploi de comble pris absolument,
sans complément.
'•. Ci-dessus, [). 3i.
84 MÉMOIRES [1714]
qu'ils lui en voudroient bien communiquer; et nulle res-
source auprès d'eux que M. le duc de Berry, qu'elle avoit
comme brouillé avec celle qui influoit d'une manière si
principale sur le Roi, sur Mme de Maintenon, et sur Mgr
le duc de Bourgogne, dans tout ce qui n'étoit point
affaires. Elle sentoit encore que M. le duc de Berry seroit
très aisément distingué d'elle, et, de plus, elle se pouvoit
dire bien des choses qui la mettoient en de grands dan-
gers à son égard pour peu qu'on fût^ tenté de lui rendre
quelque change % ce qui étoit et très possible et très im-
punément. Voilà aussi pourquoi elle lui marqua tant* de
soins et tant de tendresse, et qu'au milieu de son déses-
poir, elle sut mettre à profit, à son égard, leur commune
douleur. Celle de M. le duc de Berry fut toute d'amitié,
de tendresse, de reconnoissance de celle qu'il avoit tou-
jours éprouvée de Monseigneur, peut-être de sa situation
présente avec Mme la duchesse de Bourgogne, et d'avoir
assez pris de Mme la duchesse de Berry pour sentir toute
la différence de fds à frère de dauphin et de roi et, dans
la suite, le vide de Meudon et des parties avec Monseigneur
Affection de aux plaisirs et à l'amusement de sa vie*. Le roi d'Espagne
Monseigneur gu^gistoit daus le cœur de Monseiarneur par le sentiment
pour le roi ,..,,. .
d'Espagne. Ordinaire d aimer davantage ceux pour qui on a grande-
ment fait, et dont on n'est pas à portée d'éprouver l'in-
gratitude ou la reconnoissance. La cabale, qui n'avoit rien
à craindre de si loin, et, de plus, liée, comme on l'a vu,
avec la princesse des Ursins au point où elle l'étoit^
entretenoit avec soin l'amitié de Monseigneur pour ce
prince, et lui ôtoit tout soupçon en la fomentant pour
deux de ses fils, d'aucun mauvais dessein par leur con-
1. Il y a fut, à l'indicatif, dans le manuscrit. — 2. Tome XIV, p. 92.
3. Il y a dans au manuscrit, par mégarde, au lieu de tant.
4. C'est-à-dire, le vide qu'allait causer dans les plaisirs et les amu-
sements de sa vie la cessation des séjours à Meudon et des parties avec
Monseigneur.
5. Tome XVIII, p. 71-73.
[nW] DE SAINT-SIMON. «'•
duite à l'égard de l'aîné', dont Monseigneur ne voyoit
que ce qui se passoit auprès de lui là-dessus
De ce long et curieux détail, il résulte que Monseigneur Portrait
*• •• !•»• • raccourci de
etoit sans vice ni vertu, sans lumières ni connoissances j^jo^gj.; „e,jr
quelconques, radicalement incapable- d'en acquérir, très
paresseux, sans imagination ' ni production*, sans goût,
sans choix, sans discernement, né pour l'ennui, qu'il
communiquoit aux autres, et pour être une boule rou-
lante au hasard par l'impulsion d'autrui, opiniâtre et
petit en tout à l'excès, de l'incroyable facilité à se préve-
nir et à tout croire qu'on a vue ', livré aux plus perni-
cieuses mains, incapable d'en sortir ni de s'en apercevoir,
absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres, et que, sans
avoir aucune volonté de mal faire, il eût été un roi per-
nicieux.
Le pourpre®, mêlé à la petite vérole dont il mourut, et Ses obsèques,
la prompte infection qui en fut la suite, firent juger éga-
lement inutile et dangereuse l'ouverture de son corps. Il
fut enseveli, les uns ont dit par des Sœurs" grises ^ les
autres par des frotteursdu château, d'autres par les plom-
biers mêmes qui apportèrent le cercueil'. On jeta dessus
i. Aisnée corrigé en aisné.
"2. Les deux premières lettres de ce mot ont été ajoutées après coup.
3. Saint-Simon a écrit par mégardc imaginatin.
•i. Au sens de faculté de produire, de composer quelque chose.
o. Ci-dessus, p. 2. — 6. Tome XX, p. 3'29.
7. « Soeurs est un nom que l'on donne à certaines fliles qui vivent
en communauté, sans être pourtant religieuses » (Académie, -1718).
8. On appelait Sœurs grises, à cause de leur costume, les Filles de la
Charité, fondées en 1633 par saint Vincent de Paul et par Mlle Legras,
Louise de Marillac, et dont la maison-mère était dans la rue de Sè-
vres, en face des Lazaristes. Elles avaient un établissement dans le vil-
lage de Meudon.
9. Ce furent en eflet des Sœurs grises qui procédèrent à l'enseve-
lissement, ainsi qu'on le verra dans le récit de Desgranges qu'on
trouvera à l'Appendice, p. 418. Le baron de Breteuil donne des
détails macabres sur la mise en bière du prince (ci-après, p. 415)
* Raccourci a été ajouté en interligne.
86 MÉMOIRES [1714]
un vieux poêle ' de la paroisse, et sans aucun accompa-
gnement que des mêmes qui y étoient restés, c'est-à-dire
du seul la Vallière*, de quelques subalternes, et des capu-
cins de Meudon, qui se relevèrent à prier Dieu auprès
du corps, sans aucune tenture, ni luminaire que quelques
cierges. Il étoit mort vers minuit du mardi au mercredi ;
le jeudi ^ il fut porté à Saint-Denis dans un carrosse du
Rois qui n'avoit rien de deuil, et dont on ôta la glace de
devant pour laisser passer le bout du cercueil ^ Le curé
de Meudon^ et le" chapelain en quartier chez Monseigneur
y montèrent*. Un autre carrosse du Roi suivit, aussi sans
aucun deuil, au* derrière duquel montèrent le duc de la
1. Nous avons eu le « poêle « de mariage dans le tome XIX,
p. 351 ; ici, c'est le « drap mortuaire que l'on met à l'église sur le cer-
cueil » (Académie, 1718). Le poêle revenait de droit aux valets de
pied. En 1712, lors des obsèques de la duchesse de Bourgogne, la
vente du poêle de velours noir orné de croix d'argent leur valut dix-
huit cents livres.
2. Ci-dessus, p. 43. — 3. Le 16 avril
4. Sur les obsèques de Monseigneur, on peut consulter les Mémoires
du baron de Breteuil, ms. Arsenal 3864, les registres ou cérémonial
de Desgranges, ms. Mazarine 2746, fol. 27 et suivants, les dossiers du
grand maître des cérémonies réunies dans le carton 0' 1043 des Ar-
chives nationales, les pièces conservées dans le carton K 1716, n° 2^,
les mémoires et lettres relatifs aux fournitures et travaux faits pour les
obsèques à Saint-Denis dans le carton K 122, n" 13, le Journal de
Dangeau, p. 382 et 384, les Mémoires de Sourches, p. 87, la Gazette,
p. 215-216, les Lettres de Mme de Maintenon, recueil Gefîroy, tome
II, p. 275-279, et recueil Bossange, tome II, p. 166-173, etc. On en
trouvera diverses relations ci-après, à l'appendice I.
5. Détail confirmé par Breteuil et Desgranges : ci-après, appen-
dice I, p. 416 et 418.
6. Ci-dessus, p. 20. — 7. Le est en interligne au-dessus d'un, biffé.
8. Desgranges (ci-après, appendice I) dit que personne ne monta
auprès du cercueil, et que le curé de Meudon se tint avec l'évêque de
Metz et le duc de TrémoïUe dans l'autre carrosse, qui précédait, et non
pas suivait, le carrosse mortuaire ; il ne parle pas de chapelain de quar-
tier. Ce chapelain était toujours celui qui avait servi auprès du Roi le
quartier précédent,
y. Au est en interligne, au-dessus de dans le ; mais Saint-Simon a
(1711) DE SAINT-SIMON. 87
Tr«5moïllo, promier gonlilhoinnK^ de la clianibre point en
année', ef Monsieur de Met/, premier aumônier; sur le
(levant. Drtiix. ;,'r;mil maître des cérémonies, et l'abbé de
Braneas. aumômer de (|uartier chez Monseigneur', de-
puis évèipie de Lisieux\ et frère du maréchal de Bran-
cas*; des gardes du corps, des valets de pied, et vingt-
quatre pages du Roi portant des flambeaux. Ce très
simple convoi partit de Meudon sur les six ou sept heures
du soir, passa sur le pont de Sèvres, traversa le bois
de Boulogne, et. par la plaine de Saint-Ouen^ gagna
Saint-Denis, où tout de suite" le corps fut descendu
dans le caveau royal", sans aucune sorte de cérémo-
oublié de biffer le ; en outre, deuil semble avoir été ajouté sur la
marg», et il a écrit dcrnicre.
{. Le Roi l'avait désigné spécialement pour cette fonction (Des-
grançes).
2. Henri-Ignace de Brancas-Céreste, abbé de Saint-Gildas-des-Bois
en 1706, aumônier du Roi en novembre i710 (brevet du "l"! février
171'., reg. 0' 00, fol. 4 {• v), abbé de Chambre-Fontaine en 171'2, fut
non'mé évéque de Lisieux le l"i août 171 i. mourut dans cette ville le
31 mars ITtiO. à l'âge de soixante-seize ans. Mme de Maintenon disait
de lui en 1710 : « Sa tigure est noble et modeste ; je le vois déjà un
bor évèque, à tout ce que j'entends dire. »
ù. Cet évêché, regardé comme l'un des plus considérables du royaume,
comptait cinq cent quatre-vingts paroisses et rapportait environ qua-
raite mille livres.
4. Louis de Brancas-Céreste (tome IX, p. HO), qui ne devint maré-
chal de France qu'en 17 il.
5. Ou plaine Saint-Denis. — On n'avait pas voulu passer par Paris
à cause de la simplicité du convoi, et de « l'etfroyable douleur où tout
Paris étoil de la perte de Monseigneur », disent les Mémoires de Sour-
dies, p. 87, l'annotateur ajoutant: «Cette douleur alla jusqu'à faire
(ire au public bien des extravagances. » Quant à la populace, elle dés-
approuva hautement les précautions qu'on prit aux dépens du céré-
Donial (Journal de Torcy, p. {"lo).
fi. On se contenta df réciter un court oflice : ci-après, p. il9.
7. On voit par le registre de Desgranges que. depuis Henri IV, les
cercueils des membres décédés de la famille royale n'avaient pas été en-
fermés dans des tombeaux particuliers, mais déposés sur des tréteaux
en fer dans un vaste caveau. Au moment où on y amena le corps de
8R MÉMOIRES 1 17111
nies'. Telle fut la fin criin prince qui passa près de cin-
quante ans à faire faire tles plans aux autres, tandis que, sur
le bord du trône, il mena toujours une vie privée, pour ne
pas dire obscure, jusque-là qu'il ne s'y trouve rien de mar-
qué que la propriété de Meudon et ce qu'il y a fait d'em-
bellissement. Chasseur sans plaisir, presque voluptueux,
mais sans goût, gros joueur autrefois pour gagner, mais,
depuis qu'il bàtissoit, sifflant dans un coin du salon de
Marly et frappant des doigts sur sa tabatière, ouvrant de
grands yeux sur les uns et les autres sans presque regar-
der-, sans conversation, sans amusement, je dirois volon-
tiers sans sentiment et sans pensée ; et toutefois, par la
grandeur de son être, le point aboutissant', l'âme, la vie de
la cabale la plus étrange, la plus terrible, la plus profonde,
la plus unie nonobstant ses subdivisions, qui ait existé de-
puis la paix des Pyrénées, qui a scellé la dernière fin des
troubles nés de la minorité du Roi. Je me suis un peu
longuement arrêté sur ce prince presque indéfinissable,
Monseigneur, il y avait vingt-cinq cercueils, dont Desgranges donne la
liste. On profita de l'occasion pour renouveler plusieurs tréteaux, ran-
ger les cercueils dans un nouvel ordre, fermer le caveau d'une g:ille
et effectuer divers travaux d'appropriation (carton K 422, n" 13, el ci-
après, Additions et corrections).
i. Le Roi demanda trois mille messes au cardinal de Noailles pour
le repos de l'âme de son fils, deux cents aux Quinze-vingts et cent à
l'abbé de Saint-Denis, et il écrivit aux évêques et aux gouverneurs
des provinces pour faire faire des prières publiques (registre 0* 35,
fol. 32-33); l'on trouvera ci-après, p. 432, la lettre qui fut adressée au
maréchal de Villeroy comme gouverneur du Lyonnais. — Lors de !a
violation des sépultures royales par les émissaires de la Convention, le
14 octobre 1793, le corps de Monseigneur fut trouvé dans un étit
complet de putréfaction liquide, tandis que ceux de Henri IV, de
Louis XIII et de Louis XIV étaient bien conservés (Journal de Dora
Druon conservé aux Archives nationales, Armoire de fer, carton 15,
2» liasse, 2" dossier).
2. Il a parlé de « ses yeux toujours si morts » dans la Notice sur la
maison de Sai7it-Simon (tome XXI et supplémentaire de l'édition des
Mémoires de 1873, p. 171).
3. Locution qui n'a été relevée dans un aucun lexique.
[1711] DE SAINT-SIMON. fiO
parce qnVm uo peut le faire connoîlie que par des détails.
On seroit inlini à les rapporter tous. Cette matière d'ail-
leurs est assez curieuse pour permettre de s'étendre sur
un Dauphin si peu connu, qui n'a jamais été rien, ni de
rien, en une si longue et si vaine attente de la couronne,
et sur qui enfin la corde a cassé ' de tant d'espérances, de
craintes et de projets.
Après ce qui a été éparsement- expliqué sur Monsei-
gneur, on a vu par avance quelle^ sorte de sensation fit
sur les personnes royales et les personnages, sur la cour
et sur le public, la perte d'un prince dont tout le mérite
étoit dans sa naissance, et tout le poids dans son* corps.
Je nai jamais su qui lui avoit captivé les halles et le
has^ peuple de Paris", si ce n'est cette gratuite réputation
(le bonté que j'ai touchée". Si Mme de .Maintenon se sen- Mme de
tit délivrée par la mort de Monsieur, elle se la trouva ^[f,'nte"o"à
« ' 1 égard de
bien plus par celle de Monseigneur, dont toute la cour Monseigneur
intérieure lui fut toujours très suspecte. Jamais ils^ n'eu- ft «^e ^Igr et
rent l'un pour l'autre que beaucoup d'éloignement réci- duchesse de
proque ^ lui en presse avec elle, elle en mesure avec lui, Bourgogne,
et en attention continuelle à l'observer, et à s'instruire de
ses plus secrètes pensées, ou, pour mieux dire, de celles
1. «On dit proverbialement et ligurénienl : Vous verrez beau jeu
si la corde ne rompt, pour dire, vous verrez des choses fort surpre-
nantes dans quelque atTaire, dans quelque entreprise, si les moyens
dont on se sert pour y parvenir ne manquent pas» (Académie, t718).
Littré a rapproché cet exemple de Saint-Simon d'un vers de VÉtourdi,
acte III, scène 7. Voyez ci-après, p. "lifiO.
'2. Cet adverbe n'était pas donné par le Dictionnaire de l'Académie
(le 1718 ; mais Littré Ta relevé dans Froissart et dans le Dictionnaire
il'Oudin. Saint-Simon écrit esparsem'.
3. Quelle surcharge la so[rtc]. — i. Son corrige luy.
0. Le 6 de 6a« corrige un /), et. plus loin, si corrige l'abréviation
de que.
6. Ci-dessus, p. 14-15, et Lettres de Madame, recueil Brunet,
tome II. p. 69.
7. Ci-dessus, p. 48. — 8. Ils est répété deux fois dans le manuscrit.
9. Voyez ci-dessus, p. 62.
90
MEMOIRES
[\1U]
Genre de la
douleur du
Roi ; ses
ordres sur les
suites de la
mort de
Monseigneur;
ses
occupations
des premiers
jours.
qui lui ctoient inspirées : en quoi Mme d'Espinoy lui ser-
voit despion comme il parut dans la suite, et comme j'en
ai touché ailleurs* un étrange trait d'original S et peut-
être d'espion double ' à tous les deux. Fort rapprochée de
Mgr le duc de Bourgogne personnellement depuis la cam-
pagne de Lille, et devenue en effet, à l'égard de Mme la
duchesse de Bourgogne, et elle au sien, comme une bonne
et tendre mère, et la meilleure et la plus reconnoissante
fille et la plus attachée, elle regardoit leur rehaussement*
comme la sûreté de sa grandeur, et comme le calme et le
rempart de sa vie et de sa fortune, quelque événement
qui pût arriver. Pour le Roi, jamais homme si tendre aux
larmes, si difficile à s'affliger, ni si promptement rétabli
en sa situation parfaitement naturelle. 11 devoit être bien
touché de la perte d'un fils qui, à cinquante ans, n'en
avoit jamais eu six à son égard. Fatigué d'une si triste
nuit, il^ demeura fort tard au lit. Mme la duchesse de
Bourgogne, arrivée de Versailles, attendoit son réveil
chez Mme de Maintenon^ et toutes deux l'allèrent voir
dans son lit dès qu'il fut éveillé. Il se leva ensuite à son
ordinaire. Dès qu'il fut dans son cabinet, il prit le duc de
Beauvillier et le Chancelier dans une fenêtre, y versa
encore quelques larmes, et convint avec eux que le nom,
le rang et les honneurs de Dauphin dévoient dès ce mo-
ment passer à Mgr et à Mme la duchesse de Bourgogne,
que désormais je ne nommerai plus autrement^ Il décida
-1 . Dans le tome XV, p. 8-10. — 2. Il y a origninal dans le manuscrit.
3. La cinquième lettre de double surcharge une s.
•4. L'Académie en 1718 ne donnait que rehaussement de murailles
et rehaussement des monnaies. Littré ne fait pas même mention de ce
mot au figuré.
5. Il est en interligne.
6. (f Le Roi se leva fort tard, étant accablé de chagrin et de lassi-
tude. Mme la duchesse de Bourgogne arriva ici de Versailles avant
qu'il fût éveillé, et, à son réveil, elle entra dans sa chambre » (Dan-
geau, p. 381-382).
7. Dangeau, p. 38i et 390-392 ; Sourches, p. 86. Voici le récit du
flTH] DE SAINT-SIMON 91
ensuite co qui rofjardoit lo cnrps do Monseirrneur on la
manière qui a été racontée', reeut sa cassette et ses clefs,
que (lu Mont lui apporta-, rv^Ui ce qui concernoit le petit
nombre des (Jomestiques peisonnels du feu prince', com-
mit* le Chancelier au partage de la légère succession
entre les trois princes ses petits-fds*, et descendit après
Journal de Torcy. p. Mi: «On se rendit au lever du Roi à Marly.
Lorsqu'il fut achevé. S. M. appela M. le Chancelier. Elle litentrer ensuite
les autres ministres ; mais à |)eine elle put parler: sa douleur et ses
larmes lui coupoient la parole chaque fois qu'elle vouloit s'expliquer.
Elle dit môme que, quoique vivement touchée de la perte qu'elle ve-
noit de faire, elle avoit peine à comprendre son état : que la veille,
elle n'avoit pas jeté une larme, et que, dans ce moment, elle ne pou-
voit s'empêcher d'en répandre abondamment. Le Roi dit ensuite qu'il
vouloit savoir nos avis sur le nom qu'il donneroit à M. le duc de
Bourgogne, s'il lui feroif prendre celui de Dauphin, ou s'il lui laisse-
roit celui qu'il avoit porté jusqu'alors, le titre de Dauphin n'étant dû
qu'au tils aîné. Chacun, touché de la douleur du Roi et du spectacle,
pleuroit sans répondre. Je me sentis plus de fermeté, et je dis qu'il
n'y avoit nulle ditficulté à faire prendre le titre de Dauphin à M. le
duc de Bourgogne ; qu'il étoit l'héritier nécessaire immédiatement
après le Roi, et que personne ne pouvoit survenir entre S. M. et lui
qui lui fit perdre ses droits. Elle dit que c'éfoit aussi son avis, et
M. le Chancelier reprit que c'étoit ce qu'il venoit de dire. »
t. (^i-dessus. p. 8.^>-88. — 2. Trois cassettes, selon Dangeau, p. 382.
.3. Les trois gan.ons de la chambre et les trois garçons de garde-
robe passèrent au service du duc de Bourgogne (État de la France,
ITi'i, tome II, p. ii et 14); du Mont reprit son rang parmi les
écuyers du Roi, et son neveu Casaus devint premier maréchal des
logis du duc de Berry (ci-après, p. 96) : voyez l'article des Mémoires de
Sourches, p. 87-S8. Il y eut aussi diverses pensions distribuées
(reg. 0' oo, fol. 18-49). On trouve dans les Papiers du Contrôle géné-
ral, G' 973, un état des gages et appointements des otTiciers qui avaient
servi le Dauphin en même temps que le Roi.
i. Avant commit, il y a un et biffé.
5. Saint-Simon reviendra dans le prochain volume sur la succession
de Monseigneur. Dangeau dit (p. 386): « A l'égard du bien que laisse
Monseigneur, qui est Meudon et Chaville, ses pierreries qui sont fort
belles, et pour plus de deux cent mille écus de bijoux qui sont dans
son cabinet à Versailles, on ne réglera rien qu'on n'ait eu des lettres du
roi d'Espagne là-dessus. On lui en a écrit, et dès (ju'on aura sa
<>2 MÉMOIRES [1744]
jusqu'à la réduction de l'équipage du loup au pied de
son premier établissement'. Il remit au dimanche suivant
l'admission dans Marly de ce qui avoit accoutumé de l'y
suivre, et des autres qu'il choisiroitsur la liste des deman-
deurs-. Il ne voulut jusque-là^ que qui que ce soit y
entrât excepté ceux qui y étoient arrivés avec lui, et
Madame la Dauphine eut seule la permission de l'y venir
voir, très peu accompagnée et sans y manger ni coucher,
pour laisser airer* ce qu'il avoit amené, et changer d'ha-
bits à ce même monde. En même temps, il envoya le duc
de Bouillon, grand chambellan, à Saint-Germain, donner
part au roi, à la reine et à la princesse d'Angleterre de la
perte qu'il venoit de faire ^ Il se promena dans ses jar-
dins, et Madame la Dauphine revint passer une partie du
soir avec lui chez Mme de Maintenon. Cette princesse®
s'y trouva tous les soirs les jours suivants, et même à sa
réponse, les lois régleront la part que chacun des trois enfants de Mon-
seigneur doit avoir. L'aîné a de grands avantages sur les terres ; Meu-
don et Chaville valent environ quarante mille livres de rente ; les pierre-
ries sont fort belles : car, outre les pierreries de la Reine, il en avoit
encore acheté. »
4. Dans VÉtat delà France de 4742, tome I, 630-633, on trouve
l'état de la louveterie royale, sans les augmentations qu'y avait appor-
tées Monseigneur (ci-dessus, p. oO, note 9). « S. M. ordonna le matin
(47 avril), au marquis d'Heudicourt, de supprimer le grand état de la
louveterie et de la réduire sur l'ancien pied, lui disant que le reste
étoit devenu inutile et causoit une trop grande dépense » {Mémoires de
Sourches, p. 89 ; Dangeau, p. 394).
2. Ces détails ne viennent pas de Dangeau. Les Mémoires de Sour-
ches disent (p. 87) : « On sut aussi que le Roi avoit fait la liste pour
Marly, et que les dames nommées y viendroient le 20 ».
3. Que, biffé avânl jusque, a été rétabli en interligne après là.
4. « On dit qu'wnc maison a été bien airiée (sic), pour dire qu'on y a
fait un grand feu et qu'on y a brûlé des parfums pour en chasser le
mauvais air » (Académie, 4718). Nous retrouverons encore ce mot
dans la suite des Mémoires, tome XVII, p. 42o. On dit aujourd'hui
aérer.
5. Dangeau, p. 384.
6. Les mots cette P"' sont en interligne, au-dessus de qui, biffé.
ll'ill
DE SAl.NT-SIMON.
93
promenade '. Le jeudi, il s'amusa aux- listes pour Marly^
Il attacha au Dauphin les mêmes mcnins* quavoit Monsei-
gneur^ et permit à d'Antin d'en donnera son fils la place
qu'il avoit. Il le chargea* d'aller assurer de sa part Mlle
Choin de sa protection, et de lui porter une pension de
douze mille livres". Elle n'avoit ni demandé ni fait nom-
mer son nom. Monseigneur et .Madame la Dauphine lui en-
voyèrent faire toutes sortes d'amitiés, et tousdeuxUii lirent
l'honneur de lui écrire ^ Sa douleur fut de beaucoup moins
longue et moins vive qu'on n'auroit cru : cela surprit fort,
et persuada qu'elle enlroit en bien moins de choses qu'on
ne pensoit. Sa vie étoit infiniment gênée : il lui falloit
compter de' presque tous les gens qu'elle voyoit; jamais
elle n'eut d'équipage : cinq ou six domestiques compo-
soient tout son train ; elle ne paraissoit en aucun lieu
public, et, si elle alloit quelque part, c'étoit en cinq ou
six maisons, au plus, de gens de sa liaison, où elle étoit
sûre de n'en point trouver d'autres ; toujours le pied à
rétrier'% non seulement pour tous les voyages de Meudon,
1 a ooo ** d<^
pension à
Mlle Choin;
bien traitée*
du nouveau
Daupliin et do
la Dauphine.
Giine de sa vie.
Sagesse de sa
conduite après
la nnort de
Monseigneur;
n'est point
abandonnée.
I. Dangeau, p. 384-388.
•2. Il y a au, par mégarde, dans le manuscrit.
3. Voyez le passage des Mémoires de Sourches cité ci-dessus,
p. 9"2, note '2.
'». Ci-dessus, p. 58.
5. Ces menins, au nombre de neuf, étaient les marquis de Florensac,
d'Antin, d'Urfé, de Biron, de la Vallière et de Pompadour, les comtes
de Sainte-Maure et de Matignon, le chevalier de Grignan (Dangeau,
p. 38i; Sourches, p. 88 ; État de la France, 171"2. tome II. p. 8).
Chacun recevait un traitement de six mille livres.
(). Le et les premières lettres de chargea surchargent d'autres lettres.
7. Dangeau, p. 385 ; Sourches, p. 96; le brevet n'en fut expédié
que le "26 avril 1712: registre 0'56, loi. 103.
8. Ces détails ne viennent pas de Dangeau.
9. Au sens de rendre compte; Litlré (Compte II") a relevé la même
expression dans Pdlisson.
10. « On dit qu'wn homme a le pied à l'étrier, pour dire qu'il est
prêt à partir, et on dit qu'uH homme a toujours le pied à l'étrier,
Écrit par erreur (raitk.
94 MEMOIRES [17141
mais pour tous les diners, sans coucher, que Monseigneur
y alloit faire. Elle alloit toujours la veille*, seule avec une
femme de chambre dans un carrosse de louage, le pre-
mier venu, tout au soir, pour arriver de nuit la veille que
Monseigneur venoit, et s'en retournoit de même à la nuit
après qu'il étoit parti. Dans Meudon, elle logeoit d'abord
dans les entresols de Monseigneur, après dans le grand
appartement d'en haut, qu'occupoit Mme la duchesse de
Bourgogne quand le Roi faisoit des voyages à Meudon ;
mais, où qu'elle logeât, elle ne sortoit jamais de son appar-
tement que le matin, de bonne heure, pour entendre la
messe à la chapelle, et quelquefois, sur le minuit, l'été,
pour prendre l'air. Dans les premiers temps, elle n'y
voyoit que trois ou quatre personnes du secret : cela
s'étendit peu à peu assez loin ; mais, quoique cela fût
devenu le secret de la comédie^, la même enfermeriez, la
même cacherie*, la même séparation furent toujours de
même. A cette gêne extérieure étoit jointe celle de l'esprit,
et de la conduite par rapport à la famille royale, à cette
cour intérieure de Monseigneur dont il a été tant parlé,
et à Monseigneur lui-même, qui n'étoit ni sans épines^ ni
pour dire qu'il s'arrête peu dans un même lieu, qu'il fait de fréquents
voyages » (Académie, 4718).
4. Saint-Simon a déjà dit tout ce qui va suivre, presque dans les
mêmes termes, dans le tome XIV, p. 396-400.
2. «En parlant d'une chose qui est sue de tout le monde et dont
quelqu'un veut faire un secret, on dit que c'est le secret de la comédie »
(Académie, 4748).
3. Affectation de s'enfermer. Ce mot n'est donné par aucun
lexique, et Littré ne cite que cet exemple de notre auteur. Au moyen
âge, il s'employait pour infirmerie, et il est resté avec ce sens, dans
la langue populaire, jusqu'au dix-huitième siècle. On le retrouve, ci-
après, p 363, et dans la suite des Mémoires, tomes XVI, p. 476,
XVIII. p. 218, et dans une Addition à Dangeau (Jowrna/, tome XVII,
p. 492).
4. Même observation que pour enfermerie. Saint-Simon l'emploiera
encore dans le tome XII de 4873, p. 447. Littré l'a relevé ici.
5. « On dit point de roses sans épines, pour dire qu'il n'y a point
|nH| DE SAINT-SIMON. 95
sans ennui. J en ai oui parler à de ses amis comme d'une
personne d'esprit', sans ambition ni intérêt quelconque,
ni désir d'être ni de se mêler, fort décente, mais gaie,
naturellement libre, et qui aimoit la table et à causer.
Une- telle contrainte, et de toute la vie, est bien pesante
à qui est de ce caractère, et qui ne s'en propose rien, et
la rupture de la chaîne apporte assez tôt consolation. Elle [Add. S'-S. 989
étoit amie intime, de tout temps, de la Croix, riche rece-
veur général de Paris ' et fort honnête homme, et modeste
pour un publicain* qui a de tels accès. Elle logeoit comme
avec lui tlans une portion de maison attenant le Petit-
Saint-Antoine ^ ; elle continua d'y demeurer le reste de sa
vie avec le même domestique qu'elle avoit, sans se répan-
dre davantage dans le monde. 11 ne tint pas à Madame la
Dauphine que sa pension ne fût de vingt mille Mivres.
Madame la Duchesse, Mlle de Lillebonne", Mme d'Espi-
noy, les intrinsèques '^ de l'entresol de Meudon, lesNoailles
et quelques autres amis se sont constamment piqués de
la voir souvent depuis la mort de Monseigneur jusqu'à la
sienne, qui n'arriva que dix ou douze [ans] après ^, et
de plaisir sans quelque mélang;e d'ennui, de chagrin » {Académie,
1718). Voyez nos tomes X, p. 182, et XIX, p. 191 et 367.
1. Ci-dessus, p. 52.
2. Il y a un dans le manuscrit.
3. Tome XIV, p. 396. On trouvera dans les Mélanges d'histoire
nobiliaire, 1882, p. 508, divers renseignements sur ce la Croix, sur
sa femme et sur ses enfants naturels.
■i. Tome XX, p. 481. — 5. Tomes XI, p. i3, et XIV, p. 396.
6. Les chifïres WUOO sont en interligne au-dessus de 12000, cor-
rigé en 20000 ei biffé.
7. Il a écrit Lisbonne, par mégarde.
8. On a eu l'intrinsèque cour de Meudon dans le tome XVIII,
p. 10 ; ici ce sont les gens intrinsèques, comme « les gens intérieurs »
dans le tome XIX. p. 273.
9. On a dit dans le tome II, p. 183, qu'aucun de ses biographes
n'avait pu préciserla date de sa mort. Elle mourut en avril 1732, vingt-
et-un ans presque jour pour jour après Monseigneur, à la suite d'une
maladie qui dura près d'un an ; ses obsèques se tirent à l'église Saint-
96
MEMOIRES
74i]
Du Mont
justement bien
traité, et
Casaus.
qu'elle mena toujours extrêmement unie et fort réservée
Princesse de sur tout le passé. Malgré tout ce qu'elle avoit fait essuyer
tonti veut ^ Mme la princesse de Conti, qu'on a vu en son lieu \
inuluement se _ r ' T '
raccommoder cette princesse avoit fait tout ce qu'elle avoit pu, quel-
,„, ^^^.'^ ■ ques années après, pour se raccommoder avec elle et pour
Mlle Choin. / . • • i z^i • a i i
la voir-, sans que jamais la Lihom y eut voulu entendre,
tant l'extrême faveur, et les idées qu'en tous états on s'en
forme, enfante^ d'étranges effets. Le gouvernement de
Meudon* fut en même temps confirmé à du Mont avec
une pension % qui, avec celle qu'il avoit déjà et ses appoin-
tements, alloient^ à plus de trente mille livres de rentes,
tristes débris de tant et de si plausibles espérances. Casaus
eut pour rien la charge de premier maréchal des logis de
M. le duc de Berry, qui, par bonheur pour lui, n'étoit pas
encore vendue''. Du Mont, en honnête homme qu'il étoit,
soufîroit impatiemment les glaces de Monseigneur pour
Mgr le duc de Bourgogne, et s'étoit hasardé plus d'une
Paul. Un résumé de son testament, avec divers documents sur sa der-
nière maladie et sur ses obsèques, a été donné dans V Intermédiaire
des chercheurs et des curieux, 1891, col. 845-848. Dans l'Addition
90 (notre tome II, p. 394), Saint-Simon avait bien dit qu'elle était
morte en 1732, et cependant il se trompe ici de plus de dix ans.
1. Tomes II, p. i83 et suivantes, et XIV, p. 395-396.
2. On a vu ci-dessus, p. 1"2-13, quelle fut la conduite de la princesse
avec Mlle Choin pendant la dernière maladie de Monseigneur.
3. Il y a bien enfante, au singulier, dans le manuscrit.
4. Le titre officiel de du Mont était « capitaine et gouverneur des
château, parcs, bois et buissons de Meudon, Clamart, Chaville et Viro-
flay. » Le gouvernement rapportait trois raille livres d'appointements
avec divers protits. Nous verrons en 1718 la duchesse de Berry évincer
du Mont et le remplacer par Rions, son favori ; mais le Régent lui
rendit cette charge l'année suivante.
5. Pension de trois mille livres; le brevet, du 12 mai, est dans le re-
gistre 0' 55, fol. 48; comparez Dangeau, p. 405, et Sourches,p. 108.
6. Il y a bien allaient, au pluriel dans le manuscrit.
7. Cette charge avait été estimée quatre-vingt mille livres (Dan-
geau, p. 405). L'annotateur des Mémoires de Sourches dit (p. 108)
que Casaus « avoit grand besoin d'un pareil bienfait; car il n'avoit pas
de pain. »
|I7I1| DE SAI.NT-SIMOX. 97
fois tie les rapproclicr. Ce prince ne l'avoit pas oublié :
il ne dédaigna pas de l'en renmercier avec les paroles les
plus obligeantes, à quoi le duc de Beauvillier le porta
fort, et y ajouta le présent d'une ba[;ue de deux mille pis-
toles que Monseigneur portoit ordinairement. Il en donna
une autre fort belle à la Croix en attendant qu'il fût payé
d'avances considérables qu'il avoit faites à Monseigneui"',
dont le Dauphin voulut être le solliciteur-.
Ce même jeudi, jour de l'enterrement de Monseigneur,
le Roi reçut sans cérémonie la visite de la reine d'Angle-
terre ^ Elle vint de Versailles, où elle avoit été de même
voir les enfants de Monseigneur, avec la '• princesse d'An-
gleterre, qu'elle fit mettre au salut, qu'elle entendit avec PHnccsso
eux, au-dessous de la Dauphine, parce qu'elle n'étoit d Angloierre
héritière que possible, et non présomptive comme le Dau- laDauphimen
phin. Elle demeura dans le carrosse de la reine à Marlv 'i^u tiers.
r , . . • r^ i . I • iM I . i^dd. S'-S. 990]
a cause du mauvais air, qui lit rester^ le roi d Angleterre
à Saint-Germaine Le vendredi, le Koi fut tirer dans son
parc'. Le samedi**, il tint le conseil de finance, et fit sur
les hauteurs de Marly la revue des gendarmes et des che-
vau-légers'; il travailla le soir avec Voysin, chez Mme de
Maintenon '''. Le même jour, il fit une décision singulière : Deuil drapé de
il régla qu'encore il ne prît point le deuil, il seroit d'un ,^^?"*o,?."n'^';i
o i r r [Add. S-i. 991]
1. C'est seulemont au in janvier 1712 que notre auteur trouve dans
Dangoau la mention de ces deux présents, et il la répétera à cette date.
Le duc de Iioiirgoj!;ne lit rendre à la Croix le principal et les intérêts de
ce qu'il avait prêté à Monseigneur (Sourches, tome XIII, p. 277).
2. « Solliciteur, celui qui est employé à solliciter les procès, les
affaires d'autrui » (Académie, 1718). Ce terme a été conservé avec ce
sens par la langue anglaise.
3. Dangcau, p. 38i-38o. — 4. Avec est en interligne, et la corrige sa.
5. Rester est en interligne, au-dessus de demeurer, bitVé.
H. Tout cela est la copie presque textuelle de Dangeau.
7. Dangeau, p. 385.
8. Samedy est en interligne au-dessus de vendredy, biffé.
9. Les mots la reveUe des Gensdarmcs et des Chevaux légers, omis
par mégarde, ont été ajoutés en interligne.
10. Dangeau. p. 386 ; Sourchcs, p. 89.
MÉMOIRES DE .SAINT-SIMON. XXI 7
98 MEMOIRES [1711]
an, et que les princes du sang, les' ducs, les princes
étrangers, les officiers de la couronne et les grands offi-
ciers de sa maison draperoient comme ils font lorsqu'il
drape lui-même, et qui, parce qu'il ne prit point le deuil
de Madame la Daupliine de Bavière, ne drapèrent point-.
J'ai conduit le Roi dans sa solitude jusqu'au dimanche,
que Marly se repeupla à l'ordinaire ; il ne sera pas moins
curieux de voir Versailles pendant ces mêmes jours.
Situation de On peut jugerqu'onn'y dormitguèrescettepremièrenuit.
M. et de Mme Monsieur et Madame la Dauphineouïrent la messe ensemble
de Berrv. de fort bonne heure ; j'y arrivai sur la fin, et les suivis
chez eux. Leur cour étoit fort courte ^ parce qu'on ne
ne s'étoit pas attendu à cette diligence. La princesse vou-
loit être à Marly au réveil du Roi \ Leurs yeux étoient
secs à merveilles, mais très compassés, et leur maintien
les montroit moins occupés de la mort de Monseigneur
que de leur nouvelle situation. Un sourire qui leur échappa
en se parlant bas et de fort près, acheva de me le décla-
rer. En gardant scrupuleusement, comme ils firent, toutes
sortes de bienséances, il n'étoit pas possible de le trouver
l. Les mots P. du S. les ont été ajoutés en interligne.
"i. Dangeau, p. 387. Voici ce que disent les Mémoires de Sour-
ches (p. 88-89) : « Le Roi décida, avant que d'aller à la messe, que ses
domestiques feroient draper leurs carrosses et habiller leurs livrées de
noir, et que l'on porteroit chez S. M. des pleureuses et des crêpes
pendant trois semaines, et pendant six semaines chez les princes, les-
quels porteroient le deuil pendant un an, et la maison du Roi seule-
ment six mois... Après la messe, le Roi changea son ordre pour le
deuil, et décida que tout le monde le porteroit un an, que ses domes-
tiques porteroient des pleureuses six semaines, et ceux des princes
trois mois, et qu'il vouloit que tous ses bas officiers fussent en deuil. »
Voyez, à l'Appendice, n° I, l'extrait des registres de Desgranges. La
Comédie française et les autres théâtres fermèrent leurs portes du 14
avril au 12 mai. Le secrétaire d'Etat des affaires étrangères lit part de
la mort du prince aux diverses cours d'Europe (Journal de Torcy,
p. 423); les lettres de condoléances qu'on reçut de celle de Turin sont
dans le volume /fa/îe 116, fol. 203-208.
3. Au sens de peu nombreuse, déjà relevé. — 4. Ci-dessus, p. 90.
(17111 DE SAINT-SIMON. 99
mauvais, ni (jne cela fût autrement, à tout ce qu'on a vu.
Leur premier soin fut de resserrer de plus en plus l'union
avec' M. le duc de Berry, de le ramener sur l'ancienne
confiance et intimité avec Madame la Dauphine, et d'es-
sayer, par tout ce qui se peut d'engageant, de faire oublier
à Mme la duchesse de Berry ses fautes à leur égard, et lui
adoucir l'inégalité nouvelle que la mort de Monseigneur
mettoit entre ses enfants. Dans cet aimable esprit, rien
ne coûta à Monsieur et à Madame la Dauphine, et, dès ce
même jour, ils allèrent voir M . le duc et Mme la duchesse de
Berry dans leur lit, dès qu'ils les surent éveillés, ce qui fut
de très bonne heure, et, l'après-dînée. Madame la Dau-
phine y retourna encore -. M. le duc de Berry, qui n'avoit
pu être ébranlé sur l'attachement à Monseigneur son frère,
fut, au milieu de sa douleur, extrêmement sensible à ces pré-
venances d'amitié si promptement marquées, et si éloignées
de la différence qui alloit être entre eux, et il fut surtout
comblé ' des procédés de Madame la Dauphine, qu'il
sentoit, avec bon sens, et meilleur cœur encore, qu'il
avoit, depuis un temps, cessé de les mériter aussi parfaits.
Mme la duchesse de Berry paya d'esprit, de larmes et de
langage. Son cœur de princesse, même si elle [en] avoit
un, navré de tout ce qui ne sera point répété ici et qu'on
a développé plus haut*, frémissoit au fonds de lui-même
(le recevoir des avances de pure générosité. Un courage^
déplacé, qui alloit à la violence, et que la religion ne re-
tenoit pas, ne lui laissoit de sentiments que pour la rage.
Bercée, pour la contenir, qu'il ^ se falloit contraindre sur
\. A l'ec surcharge f/e.
2. Dangeau no parle pas de ces deux visites.
3. Comblé, écrit à la lin de la page 1100 du manuscrit, a été ré-
pété au commencement de la page 1101.
4. Ci-dessus, p. HO et suivantes.
o. « Courage se prend aussi quelquefois pour sentiment, passion,
mouvement » {Académie, 1718): tome XX, p. SiS et ci-après, p. i06.
6. A remarquer celte ellipse de bercée qu'il, pour bercée dan>i
l'idée qu'il.
400 MÉMOIRES [4714]
tout pour arriver à un aussi grand mariage, après lequel
elle seroit aflranchie et maîtresse de faire tout ce qui lui
plairoit, elle avoit pris ces documents au pied de la
lettre'. Entièrement maîtresse de M. le duc d'Orléans et
d'un mari dans la première ivresse de sa passion, elle
n'eut pas peine à secouer- une mère trop sage pour s'expo-
ser à ce qui ne lui étoit que trop connu. Madame étoit
nulle de tout temps à la cour et dans sa famille, excepté
les devoirs extérieurs ; point de belle-mère, et un beau-
père, tant qu'il vécut, nul ou favorable ; une dame d'hon-
neur^ très affligée de l'être, qui, par avoir été forcée d'en
accepter l'emploi, n'en faisoit que ce qu'elle en vouloit
bien faire, au cérémonial près, et qui avoit déclaré bien
formellement qu'elle n'en seroit pas la gouvernante.
L'emploi en roula donc en entier sur Mme la duchesse
de Bourgogne, par son amitié pour Mme la duchesse
d'Orléans et son intimité avec Mme de Maintenon. Ravie,
à son âge, de se trouver le chaperon^ d'une autre, elle
compta d'autant mieux d'en faire sa poupée^, qu'elle
l'avoit mise dans la grandeur où elle étoit. Elle s'y mé-
compta ^ bientôt. Mille détails là-dessus, quoique curieux
dans leur temps, perdent leur mérite dans d'autres qui
s'éloignent, et gâteroient le sérieux de ce qui s'expose
ici. Il sufïit de dire que l'une, quoique douce et bonne,
4 . « On dit prendre une chose au pied de la lettre, pour dire, l'expli-
quer précisément selon le sens littéral, selon le propre sens des pa-
roles » (Académie, 4748, Pied); — «Lettre se dit du sens littéral par
opposition au sens figuré et allégorique : il ne faut pas prendre cela
à la lettre, au pied de la lettre (ibidem. Lettre).
2. Au sens de secouer le joug, se débarrasser.
3. Mme de Saint-Simon. — 4. Tome XIX, p. 336.
5. « On dit d'un homme qui prend plaisir à parer, à enjoliver une
petite maison, un cabinet et autre chose semblable et qui s'y amuse
beaucoup, qu'î7 en fait sa poupée » (Académie, 4748). Voyez les
exemples de la même locution déjà rencontrés dans nos tomes III,
p. 276, et XIII, p. 419.
6. Verbe déjà relevé dans le tome XVI, p. 43 et 486.
|17ll| OE SAINT-SIMON. HH
fut |)t'iit-rtro Irop cnfuiil pour Irnir une lisièn;', et que
l'autre, ileii moins (jue tout cela, ne put souffrir d'en avoir
une, (juelijut' làihe et lé^'èi'e qu'elle fût. Le dépit de ne
se trouver que de la cour d'une autre, l'impatience des
déférences, la contrainte des heures, le poids des obliga-
tions, des dirticultés, surtout de la reconnoissance, s'ac-
cordoient mal avec l'impression de la pleine liberté de
son éducation, de ses goûts irréguliers, de ses humeurs,
dans un naturel tel qu'il a été crayonné-, et gâté encore
par de pernicieuses lectures. L'idée de n'avoir rien à
perdre, et celle de figurer aux dépens de Mgr et de Mme
la duchesse de Bourgogne en se livrant aux personnages
de Meudon, achevèrent de tout perdre, et brouillèrent
les deux belles-sœurs jusqu'à ne pouvoir plus se soutTrir,
à force d'échappées^ de l'humeur et des traits les plus
méchants de Mme la duchesse de Berry. Ainsi, toutes
deux regardèrent comme une délivrance de n'avoir plus
à dîner ensemble, par la formation qui se fit des deux mai-
sons*, et les domestiques du Roi un grand soulagement '^
de n'avoir plus à servir la nouvelle mariée. Un trait,
entre mille, en donnera un échantillon. Un nouvel huis- Les deux
sier de la chambre du Roi** servoit chez elle un matin baitants des
III II/-X I' • < I r- I • portes chez les
que Mme la duchesse d Orléans arriva a la nn de sa toi- fiis et filles de
lette pour quelque ajustement. L'huissier, étourdi et neuf", , France ne
s ouvrent que
i. «On appelle lisière les bandes d'étoffe ou les cordons qui sont
attachés par derrière aux robes des petits enfants et qui servent à les
tenir quand il marchent», dit VAcadémie de i7t8, qui ne donne pas
d'exemple de ce mot pris au tiguré. Nous avons eu déjà, plus d'une
fois, tenir en lisière.
2. Ci-dessus, p. 80 et suivantes.
ii. Terme déjà relevé dans le tome XIX, p. 228.
i. Tome XX, p. 207 et suivantes.
r». Regardèrent comme un grand soulagement.
6. Ils étaient au nombre de seize, servant par quartier (£fa< de la
France, 1712. tome I. p. 160-161).
7. Il n'y eut pas do nomination d'huissier en 1710; mais on trouve
au 18 mai 1711 une retenue d'huissier du cabinet du Roi pourCharles-
Nicolas Vassal.
UYl MEMOIRES [\1\\]
pour les fils et ouvrit les deux battants de la porte'. Mme la du-
les filles de chessc de Berrv devint cramoisie et tremblante de colère ;
rranco. «^
ColèrctleMme elle reçut Madame sa mère fort médiocrement. Quand
la duchesse de gjjg f^^j sortie, elle appela Mme de Saint-Simon, lui de-
Berrv. . . * ' . . i m • •
manda si elle avoit remarque 1 mipertmence de 1 huissier,
et lui dit qu'elle vouloit qu'elle l'interdît sur-le-champ.
Mme de Saint-Simon convint de la faute, assura qu'elle y
donneroit ordre de façon qu'on ne s'y méprendroit plus
et que les deux battants ne seroient ouverts que pour les
fils et les filles de France, comme c'étoit la règle, et
comme nuls autres ne prétendoient à cet honneur, qu'ils
n'avoient pas en effet, mais que, d'interdire un huissier
du Roi, qui n'étoit point à elle et qui ne la servoit que
par prêt, et encore pour avoir fait un trop grand honneur
à Madame sa mère, et pour l'unique fois que cela étoit
arrivé, elle trouveroit bon de se contenter de la répri-
mande qu'elle alloit lui en faire. Mme la duchesse de Berry
insista, pleura, ragea ; Mme de Saint-Simon la laissa
dire, gronda doucement l'huissier, et lui apprit son céré-
monial.
Les maisons faites, la cour, qui trouvoit en Mme la
duchesse de Bourgogne les jeux, les ris-, les distinctions,
les espérances, ne se partagea point, et laissa fort soli-
taire Mme la duchesse de Berry, où rien de tout cela ne
s'offroit, qui s'en prit à Mme la duchesse de Bourgogne,
et fit si bien, qu'elle mit M. le duc de Berry de son côté,
et le brouilla avec elle. De l'aveu de Mme la duchesse de
Bourgogne, rien de si sensible ne lui est jamais arrivé que
cet éloignement et cette aigreur sans cause ni raison d'un
prince avec qui elle avoit toujours vécu dans l'intelligence
la plus intime et la plus entière. Quelques contretemps
1. Il a déjà été parlé de ce cérémonial de l'ouverture des deux bat-
tants dans nos tomes VI, p. 613, et X, p. 49. Voyez, à ce sujet, le
Mémoire sur les princes du sang conservé dans le carton 0* 1042 des
Archives nationales.
2. Même locution qu'au tome XIX, p. 2o0.
[17111 DE SAINT-SIMON. 103
forts et trop publics arrives à Miik' la (IucIk'ssc do
Berrv, dont Mme la duchesse de Bourgogne avoit douce-
ment al)aii(it)iin«'' toute conduite dès' avant oc dernier
trait-, allèrent jusqu'au Uoi et à Mme de Maintenon, qui
leur ouvrirent les veux. Celle-ci, outrée de s'être si lour-
dement trompée, ne put se taire, et Mme la duchesse de
Bourgogne, poussée à bout d'être brouillée avec M. le duc
de Berrv par la seule malignité de Mme la duchesse de
Berrv après tout ce qu'elle avoit d'ailleurs essuyé d'elle,
rompit enfin le silence qu'elle avoit gardé jusqu'alors.
Leschoses tendoient à un éclat; mais le Roi, qui vouloit
vivre doucement dans sa famille et s'y faire aimer, es-
péra que la frayeur corrigeroit Mme la duchesse de Berrv,
et voulut se contenli-r qu'elle sût qu'il n'ignoroit rien, et
que, pour cette fois, il vouloit bien n'en rien témoigner.
Ce ménagement persuada Mme la duchesse de Berrv ou
qu'on n'osoit lui imposer, ou qu'on ne savoit comment
s'y prendre: au lieu de s'arrêter, elle continua avec plus
plus de licence, et se mit au point que les matières com-
bustibles (ju'elle s'étoit préparées s'embrasèrent tout à
coup et firent un grand éclat à Marly. J'étois allé faire Orage tombé
seul un tour à la Ferté. Mme de Saint-Simon, avertie de juchcssc^ de
l'orage prêt à crever ', craignit d'y être enveloppée pour Bcrry.
s'être tenue dans le silence. Monseigneur était alors plein
de vie et de santé. Elle s'adressa à Mme la duchesse de
Bourgogne, et, par son avis, elle eut un entretien avec
Mme de Maintenon, où elle apprit avec surprise qu'elle
ignoroit peu de chose, et d'avec qui elle sortit fort con-
tente. Elle crut ensuite devoirdire un mot à Mme la du-
chesse de Berry. La princesse, d'autant plus outrée qu'elle
1. Nous ne savons par suite de quelle circonstance la proposition
dès ne figure pas dans le Dictionnaire de l'Académie de 1718, bien
qu'elle se trouve dans la première édition de 1694.
■2. Avant la brouille du due de Berry avec sa belle-sœur.
3. « Crever, s'ouvrir, se rompre par un elTort violent : l'orage cri^-
vera bientôt » (Académie, 1718).
lO; MÉMOIRES inii]
ne voyoit pas moyen d'échapper, s'en prit à ce qu'elle
put, et, dans la pensée que Mme de Saint-Simon y avoit
part, elle voulut lui répondre sèchement. Je dis exprès
qu'elle voulut, parce que Mme de Saint-Simon ne lui en
laissa pas le temps : elle l'interrompit, l'assura d'abord
qu'elle n'avoit part, ni étoit entrée en rien, qu'elle n'a-
voit même rien appris que du monde, mais qu'en peine
d'elle-même pour s'être toujours tenue dans le silence,
elle avoit parlé à Mme la duchesse de Bourgogne et à
Mme de Maintenon, puis ajouta qu'elle ignoroit peut-être
la manière dont elle avoit été mise auprès d'elle, com-
bien cela convenoit peu à notre naissance, à notre di-
gnité, à nos biens, à notre union ; qu'il étoit bon qu'elle
l'apprît une fois pour toutes ; que, pour peu qu'elle le
désirât, elle se retireroit d'auprès d'elle avec tant de satis-
faction qu'elle y étoit entrée avec répugnance après un
grand nombre de refus, dont elle lui cita Mme la duchesse
de Bourgogne et M. et Mme la duchesse d'Orléans pour
témoins. Elle lui dit encore, comme il étoit vrai, que, sa
conduite n'étant pas telle qu'elle l'avoit espérée, elle avoit
pris l'occasion d'un éclat fait sans sa participation pour
tenter de se retirer ; que Mme la duchesse de Bourgogne
et Mme de Maintenon l'avoient conjurée de n'y pas pen-
ser, et que, cela s'étant passé depuis vingt-quatre heures,
le souvenir leur en étoit assez présent pour qu'elle pût
leur en demander la vérité. M. le duc d'Orléans, qui sur-
vint, apaisa la chose le mieux qu'il put. Mme la duchesse
de Berry n'avoit point interrompu Mme de Saint-Simon ;
mais elle crevoit de dépit' de se voir sur le point d'une
sévère réprimande, et son orgueil soufîroit impatiemment
ce qu'elle entendoit. Elle répondit néanmoins, avec une
honnêteté forcée, qu'elle vouloit demeurer^ persuadée
que Mme de Saint-Simon n'étoit entrée en rien puis-
i. « On dit crever d'orgueil, de dépit, de rage, pour dire, être rem-
pli d'orgueil, de dépit, etc. » (Académie, i7d8).
2. Demeurer surcharge est[re].
|17ll| DK SAlM-SninN. I0Î4
tjuV'llo l(^ (lisoit. Mme do Saint-Simon la laissa là-dessus
avec M. le duc d'Orlrans, outrôe de mon absence dans
l'ardeur de quitter malgré eux tous, quelque dignement
et flatteusement qu'elle en fut traitée. l'^lle parla aussi à
Madame, avec' (jui, de loul temps, elle avoit toujours été
très bien, et à Mme la duchesse d'Orléans, qu'elle voyoit
sans cesse : a|)rès (juoi, elle attendit ce que deviendroit
l'orage. Il fondit le lendemain. Le Uoi, avant diner,
manda Mme la duchesse de Berry dans son cabinet. La
romancine- fut longue, et de l'espèce de celles qu'on
ne veut pas avoir la peine de recommencer. L'après-dî-
née, il fallut aller chez Mme de Maintenon, qui, sans par-
ler si haut, ne paila pas moins ferme. Il est aisé de con-
cevoir quelle impression cela acheva de faire en Mme la
duchesse de Berry à' l'égard de Mme la duchesse de
Bourgogne, sur qui tout le ressentiment en tomba. Elle
ne tarda guères à voir que Mme de Saint-Simon n'y avoit
eu aucune part, et à lui en parler en personne qui le veut
et le sait témoigner en réparation du soupçon. Cet éclat
fit une nouvelle publique, qui mit de plus en plus au
désespoir la princesse qui* l'éprouvoit. La solitude aug-
menta chez elle; les dégoûts lui furent peu ménagés. Elle
faisoit quelquefois des efforts pour regagner quelque
terrain ; mais la répugnance qui les accompagnoit leur
donnoit si mauvaise grâce, et ils étoient d'ailleurs si froi-
dement reçus, qu'ils en devenoient de tous les côtés de
nouveaux sujets d'éloignement.
Telle étoit la situation de Mme la duchesse de Berry Elle avoue à
lorsque Monseienour mourut, et telles les causes du dés- ., . , ^^^
espoir extrême ou cette perte la plongea. Dans'' I excès «es étranges
de sa douleur, elle eut la léeèrcté, pour en parler sobre- projets avortés
° ' * par la mort de
1. L;i première lettre d'ax^ec surcharge nii 7.
-2. Tomes XI. p. 33-2, et XIII. p. 331.
3. La préposition à surcharge une s.
4. Avant qui, Saint-Simon a bifîé qu'il regardoil.
'> La première lettre de dans surcharge le mot elle eHacc du doigt.
106
MEMOIRES
[1711]
Monseigneur,
laquelle
rc\horlc à
n'oublier rien
pour se
raccommoder
avec Madame
la Daupliinc.
ment', d'avouer à Mme de Saint-Simon les desseins qu'elle
avoit imaginés et sur* lesquels elle cheminoit, et que j'ai
ci-devant expliqués % avec la terrible cabale qui gouver-
noit Monseigneur. Dans l'étonnement d'entendre de si
étranges projets, Mme de Saint-Simon tâcha de lui en
faire comprendre le peu de fondement, pour ne pas dire
l'absurdité, l'horreur et la folie, et de la porter à saisir
une conjoncture touchante pour se rapprocher d'une
belle-sœur bonne, douce, commode à vivre, qui l'avoit
mariée, et qui, nonobstant tout ce qui s'étoit passé de-
puis, étoit faite de manière, pour sa facilité, à revenir
si on savoit s'y prendre ; mais c'étoit la nécessité même
de le faire, et de le bien faire, qui aigrissoit le courage*
de celle qui se sentoit également^ chargée de torts à son
égard, et de besoins pour le solide et l'agrément de sa
vie ; cette force de nécessité révoltoit^ ce courage altier,
et l'extrême répugnance à ployer, même en apparence.
Accoutumée à un rang égal, ce nom et ce rang de Dau-
phine, qui alloit mettre tant de différence entre elles,
combloit son désespoir et son éloignement, pour user d'un
terme trop doux. Incapable de regarder derrière elle et
d'où elle étoit partie pour monter où elle se voyoit,
aussi peu de se faire une raison que ce qui venoit d'ar-
river devoit arriver tôt ou tard, beaucoup moins encore
que cette supériorité qui la désoloit n'étoit qu'un degré
pour monter sur le trône et la voir reine, de qui même
elle n'auroit pas l'honneur d'être la première sujette",
elle ne pouvoit supporter l'état nouveau où elle se trou-
1. « On dit tigurément parler sobrement pour dire parler peu, parler
avec circonspection, avec retenue » (Académie, 1718).
2. La première lettre de sur corrige un d.
3. Ci-dessus, p. 80 et suivantes.
4. Ci-dessus, p. 99. « On dit tenir son courage pour dire persister
dans son ressentiment, dans son dépit y> (Académie, 1718).
5. Egalem' surcharge un premier char[gée].
6. Révoltait est en interligne au-dessus à'aigrissoit, biffé.
7. Les enfants de la reine passant alors avant tous autres collatéraux.
(«7111 l>K SAI.\T-SIM(».\ 107
voit. Apres bien des plaintes, des larmes et des élans,
pressée par les raisons sans nombre et sans réplique,
plus encore par ses besoins, qu'elle sentoit uialj^ré elle
dans toute leur étendue, elle promit à Mme de Saint-
Simon d'aller le lendemain jeudi ' chez la nouvelle Dau- Mmf la
.. 111 1 !• j l't duchesse de
phine, de lui demander une audience dans son cabmet, Berrv se
et d'v faire tout son possible pour se raccommoder avec raccommode
elle. Ce jeudi étoit le jour que Monseigneur fut porté J^'^paîJpJ^.'^
à Saint-Denis*, et avec lui tous les beaux projets de
Mme la duchesse de Berry. Klle tint parole, et l'exécuta
en eiTet très bien. Son aimable belle-sœur lui en aplanit
tout le chemin, et entra en propos la première. Par ce
que toutes deux ont redit séparément de ce tète-à-tète,
Madame la Dauphine agit et parla comme si elle-même eût
offensé Mme la duchesse de Berry, comme si elle lui
eût tout dû, comme si elle eût tout attendu d'elle,
et Mme la duchesse de Berry aussi se surpassa. L'en-
tretien dura plus d'une heure. Elles ^ sortirent du
cabinet avec un air naturel de satisfaction récipro-
que, qui réjouit autant les honnêtes gens qu'il dé-
plut à ceux qui n'espèrent qu'en la division et au dés-
ordre. M. et Mme la duchesse d'Orléans eurent une joie
extrême de cette réconciliation, et M. le duc de Berry
en fut si content, que sa douleur en fut fort adoucie. Il
aimoit tendrement Monseigneur le Dauphin, il aimoit
encore beaucoup Madame la Dauphine; ce lui étoit une
contrainte mortelle de se conduire avec elle comme Mme
la duchesse de Berry l'exigeoit : il embrassa cette occa-
sion de tout son cœur, et en vrai bon homme, et. Ma-
dame la Dauphine les étant venue voir l'après-dînéc du
même jour que cette réconciliation s'étoit faite le matin,
elle prit M. le duc de Berry en particulier, et ils pleu-
1. Le jeudi 16 avril, lendemain même de la mort de Monseigneur,
comme Sainl-Simon va le dire quatre lignes plus bas.
i. Ci-dessus, p. 86.
3. Elle est au singulier, par mégarde, dans le manuscrit.
lOS
MEMOIRES
71 d]
Service de
M. et de Mme
la duchesse de
Berry à
rôront ensemble de tendresse. Ce qui s'étoit passé le
matin y fut confirmé de sa part avec toutes les grâces
qui lui étoient si naturelles; mais, de celle de Mme la
duchesse de Berry, il se trouva bientôt une pierre d'a-
choppement' : ce lut de présenter le service- à Monsei-
gneur et à Madame la Dauphine. On s'attendoit chez eux
i]ue ce devoir ne seroit pas différé. La bonne grâce y
étoit même à la suite d'une réconciliation si prompte •%
et des visites si peu ménagées * et si redoublées de l'aîné
au cadet. Néanmoins, lorsque Mme de Saint-Simon leur
voulut insinuer, ce même jeudi, après que Madame la
Dauphine fut sortie de chez eux, d'aller le lendemain
f-''xr'/"^"[ donner la chemise % l'un à Monseigneur le Dauphin,
Dauphine. l'autre à Madame la Dauphine, Mme laduchessede Berry
[Add. S'-s. 99S] s'éleva avec fureur, et prétendit qu'entre frères ce service
n'étoit point dû, que l'exemple de Monsieur, oncle de feu
Monseigneur, n'en étoit pas un pour eux S et s'emporta
fort contre ce devoir, qu'elle appeloit un valetage^ M. le
duc de Berry, qui savoit que cela se devoit, et que son
cœur portoit en tout vers Monseigneur et Madame la Dau-
phine, fit tout ce qu'il put pour la ramener par raisons et
par caresses. Elle se fâcha contre lui, le maltraita, lui dit
qu'elle auroit le dernier mépris pour lui s'il se soumettoit
i. Locution déjà rencontrée dans le tome XIII, p. 274.
2. Tome VIII, p. 346.
3. Le mot prompte termine une ligne et, à la suite, il se trouve deux
jambages sur la marge du manuscrit.
4-. Il y a ménagée, au singulier, dans le manuscrit.
5. Tome VIII, p. 347 ; État de la France, 47t2, tome I, p. 265-
266.
6. L'État de la France de 1698 disait (tome I, p. 267) : « En l'ab-
sence de Mgr le Dauphin, si Messeigneurs ses enfants, Monsieur frère
du Roi, ou M. le duc de Chartres s'y rencontrent, le grand chambellan...
leur présente pareillement la chemise. »
7. Tome VI, p. 366. Le mot n'entra dans le Dictionnaire de l'Aca-
démie qu'en 1798; Littré n'en cite que deux exemples de notre auteur,
et un de Chamfort, qui avait peut-être vu le mot dans les copies manu-
scrites des Mémoires.
[171 1| l)K SAINT-SIMON. iOS
à une chose si servilc ; et de là aux pleurs, aux sanglots.
aux hauts cris, de façon que M. le duc de Berry, qui
avoit compté d'aller le lendemain au lever de Monsei-
gneur le Dauphin, ne Posa, de peur de se' brouiller
avec elle. Le bruit avec lequel cette dispute s'étoit passée
éveilla la curiosité, qui eut bientôt éventé le fait, parce
que Mme la duchesse de Berry - en étoit si pleine, qu'elle
se répandit. Fout aussitôt, voilà les dames de Madame la
Dauphine en l'air, comme sur chose qui alloit presque
à leur déshonneur', et cette atVaire devint publicjue.
M. le duc d Orléans accourut au secours de M. le duc de
Berry, qui n'osoit presque rien dire dans cette impétuo-
sité. Tous deux ne meltoient pas le devoir et la règle en
doute ; tous deux, si aises du raccommodement, sentoient
le danger d'une rechute, l'atlront certain auquel la prin-
cesse s'exposoit d'en recevoir du lloi l'ordre et la ré'pri-
mande, et l'efi'et intérieur, et au dehors, que produiroit
un entêtement si mal fondé, et dans des circonstances
pareilles. Tout le lendemain vendredi fut employé à la
persuader. Enfin, la peur de l'ordre, de la romancine ^
et de l'atïront arracha d'elle la permission à M. le duc
de Berry de dire qu'ils^ donneroient la chemise et le
service, mais à condition de délai pour se résoudre à
l'exécution. Elle le vouloit aussi pour M. le duc de
Berry ; mais ce prince fut si aise d'être affranchi là-des-
sus, qu'il voulut servir Monsieur le Dauphin le samedi
matin. Monsieur le Dauj)liin et Madame la Dauphine n'a-
voient pas ouvert la bouche là-dessus ; mais ce prince,
pour faire une honnêteté à Monsieur son frère, refusa
1. La surchargé en se.
2. Conirairi'mcnt à l'Iiabilude de Saint-Simon, Berry est écrit ici en
abrégé dans le manuscrit, ol l'on lirait aussi bien liouigogiie ; mais le
sens n'est |)as douteux. D'ailli'urs Saint-Simon ne dit |)lus maintenant
la duchuxxc (te liouriioijiie, mais la Dauphine.
3. De ce que .Mme de Bcriy avait traité leur service de « valetage ».
4. Ci-dessus, p. iUo.
5. //, par méjjarde, au singulier dans le manuscrit.
110 MEMOIRES flTld]
d'en être servi jusqu'à ce qu'ils eussent vu le Roi. Ils le
virent le dimanche suivant ' et, le lendemain lundi,
M. le duc de Berry alla exprès au coucher de Monsei-
gneur le Dauphin, et lui donna sa chemise, qui, dans le
moment qu'il l'eut reçue, embrassa tendrement Monsieur
son frère *. Il fallut encore quelques jours à Mme la du-
chesse de Berry pour se résoudre. A la fin, il fallut bien
finir : elle fut à la toilette de Madame la Dauphine, à qui
elle donna la chemise ^ et, à la fin de la toilette, lui
présenta la sale^ Madame la Dauphine, qui n'avoit jamais
fait semblant de se douter de rien de ce qui s'étoit passé
là-dessus, ni de prendre garde à un délai si déplacé, reçut
ces services avec toutes les grâces imaginables et toutes les
marques d'amitié les plus naturelles. Le désir extrême
de la douceur de l'union fit passer Madame la Dau-
phine généreusement sur cette nouvelle frasque % comme
si, au lieu de Mme la duchesse de Berry, c'eût été elle
qui eût eu tout à y gagner ou à y perdre.
1. Dangeau, p. 388, dimanche 49 avril: «Le Dauphin, la Dau-
phine. Mgr le duc de Berry et Mme la duchesse de Berry partirent de
Versailles après le salut et vinrent ici ensemble. Ils virent le Roi en
arrivant chez Mme de Maintenon, et cette première entrevue fut d'une
tristesse telle qu'on peut l'imaginer. » Comparez les Mémoires de
Sourches, p. 90.
2. Dangeau, p. 390; les Mémoires de Sourches, p. 97 n'en parlent que
le lendemain mardi, 21 avril : voyez ci-après, p. 433, la lettre de la
marquise d'Huxelles.
3. Saint-Simon lit mal Dangeau, qui dit, au dimanche 49 avril, im-
médiatement après le passage cité ci-dessus, note 4 : « Mme la du-
chesse de Berry donna le matin à Versailles la chemise à la Dauphine,
qui l'embrassa ensuite ; elles avoient eu deux jours auparavant une
grande conversation sur cela, et en étoient sorties fort contentes l'une
de l'autre. » Il n'y eut donc pas un délai de « quelques jours », et,
au contraire, Mme de Berry présenta le service à sa belle-sœur avant
que son mari ne le présentât au Dauphin.
4. Il a déjà été parlé de cet ustensile d'étiquette dans notre tome XI,
p. 29'2-293. Saint-Simon l'avait alors écrit salve ; ici il y a salle. Le
Dictionnaire de l'Académie de 4748 ne donnait pas ce mot.
0. Tome IV, p. 73.
(t71l| DE SAINT-SIMON. III
J'ai remar(|ut'' (|ii«' Madaiiic la DaMphiiic alloit voir le Singulier avis
Roi tous les ioui-s à Marlv '. Elle v reçut un avis de Mme de /!'' ^''"*' '^"
Maintonon qui ninita sans doute quelque surprise, d au- Madame la
tant plus que ce fut dès sa seconde visite, c'est-à-dire dès Dauphin.-.
le lendemain de la mort de Monseigneur, qu'elle fut voir
le Roi à son réveil, et le soir encoi-e chez Mme de Main-
tenon* : ce fut de se parer avec quelque soin, parce que
la négligence de son ajustement déplaisoit au Roi '. La
princesse ne crovoit pas devoir songer* à des ajustements
alors, et, quand elle en auroit eu la pensée, elle auroit
cru, avec grande raison, commettre une grande faute
contre la bienséance, et qui lui auroit été d'autant moins
pardonnée qu'elle gagnoit trop en toutes façons à ce qui
venoit d'arriver pour n'être pas en garde là-dessus contre
elle-même. Le lendemain donc, elle prit plus de soin
d'elle; mais, cela n'ayant pas encore sufli, elle porta le jour
suivant de '' quoi s'ajuster en cachette chez Mme de Main-
tenon, où elle le quitta de même avant d'en revenir à
Versailles, pour, sans choquer le goût du Roi, ne pas
blesser le goût du monde, qui auroit été ditticilement
persuadé qu'il n'enlroit que de la complaisance dans une
recherche de soi-même si à contretemps. La comtesse de
Mailly, qui trouva cette invention de porter la parure
pour la prendre et la quitter chez Mme de Maintenon, et
Mme de Nogaret, qui toutes deux aimoient Monseigneur,
me le contèrent, et en étoient piquées. On peut juger
de là, <'t par les occupations et les amusements ordinaires,
1. Ci-dessus, p. 9'2.
'2. bangenu, p. 3Ki-382.
3. Au dire do tous les contemporains et de Mme do Mainlenon elli^
même (letlre à Mme des L'rsins, dans le recueil liossange, tome I, p.
I94j, la parure t'-tail nécessaire à la Dauphine pour taire valoir la
fraîcheur de son teint et l'élcpance de sa taille.
4. Avant songer, Saint-Simon a bitTc un premier songer, qui surchar-
geait un autre mot, sans doute penser.
5. Avant de, Saint-Simon a bilTo : en cachette chés M' de Mainte
non, qu'il a récrit plus loin.
i\<î
MEMOIRES
nui
Duc de la
Rochefoucauld
prétend la
garde-robe du
nouveau
Dauphin, et
la perd contre
le duc de
Reauvillier.
lAdd. S'-S. 993]
qui l'oprirent tout aussitôt, comme on l'a vu', leurs
places dans les journées du Roi sans qu'il parût en lui
aucune contrainte, que, si sa douleur avoit été amère,
elle avoit aussi le sort de celles dont la violence fait augu-
rer qu'elles ne seront pas de durée '.
Il y eut une assez ridicule dispute élevée tout aussitôt
sur la garde-robe du nouveau Dauphin dont M. de la
Rochefoucauld prétendit disposer, comme il faisoit de
celle du Roi, par sa charge de grand maître de la garde-
robe^. 11 aimoit encore, tout vieux et aveugle qu'il étoit*,
à tenir et à conserver, et il alléguoit qu'il ne demandoit,
à l'égard du nouveau Dauphin, que ce qu'il avoit eu et
sans difficulté exercé pendant la vie de Monseigneur. 11
avoit oublié sans doute qu'il ne se mêla de la garde-robe
de ce prince qu'après la mort de M, de Montausier, qui
s'en faisoit soulager par la duchesse d'Uzès sa fdle% et de"
la colère où, sur les fins de la vie du duc de Montausier,
le Roi se mit contre elle fort au delà de ce que la chose
valoit, pour un habit de Monseigneur, dans le temps que
le Roi avoit entrepris de bannir les draps étrangers et de
donner vogue à une manufacture de France dont les
draps étoient rayés partout ^ Je me souviens d'en avoir
1. Ci-dessus, p. 97.
2. C'est ce qu'il a déjà dit du « genre de la douleur du Roi » ci-
dessus, p. 90 et suivantes.
3. L'État de la France de 1712 disait (tome I, p. 192) : « Le grand
maître de la garde-robe a soin des habits, du linge et de la chaussure
de Sa Majesté, et dispose de toutes ses hardes quand le Roi ne veut
plus s'en servir. »
4. Nous l'avons vu se retirer au Chenil en 1709 à cause de ses infir-
mités (tome XVII, p. 345).
5. Julie-Françoise de Sainte-Maure: tome II, p. 281, et ci-dessus,
p. 68, note 4.
6. Ainsi dans le manuscrit, comme si Saint-Simon avait commencé
sa phrase par // ne se souvenait plus.
7. Les Mémoires de Sourches disent au 26 septembre 1687 (tome
II, p. 90) : « En ce temps-là, il parut à la cour une espèce de nouveaux
draps d'une manufacture de France, et le Roi déclara qu'on lui feroit
|17II| DE SAlNT-SlMd.N ll'i
porté coinnu' tout \v luoiuK', ot que cela éloil lurt vilain.
Les raies de l'habit de Monseigneur ne parurent pas tout
à fait comme les autres, et le Roi avoit le coup d'œil fort
juste ; vérification ' faite, il se trouva que ce drap étoit
étranger et contrefait, et que Mme d'Uzès y avoit été
attrapée-. Le duc de Beaux illier allégua sa charge, et ses [AM S'S. 994\
provisions de prenn'er gentilhonune de la chambre et de
maître de la garde-robe du prince dont il avoit été gouver-
neur, et l'exemple dernier du duc de Montausier ; il n'en
fallut pas davantage, et \o duc de la Rochefoucauld fut
tondu ^
Le Roi, dès les premiei-s jours de sa solitude, se laissa Soumission et
,1 I I i> •II* • Il "i i 1 • " mixléralion de
• nlendre au duc de IJeauvdlier, qui alloit tous les jours a ;sio„5eignrur
Maily, (|u'il ne verroil pas \olonliersle nouveau Dauphin le Dauphin.
faire des voyages à Meudon. C'en fut assez pour que ce
plaisir de n'en porter pas d'autres, c'est-à-dire que ceux qui feroient
faire des habits neul's ne les lissent pas taire d'autres draps que de
ceux-là, permettant néanmoins à chacun de porter les habits qu'ils
auroient fait faire auparavant. » Sur la prohibition des draps étrangers
pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, on peut voït l'Histoire de
Louvois, tome ill. p. ii7-i-i8,et les documents indiqués ou reproduits
dans le tome I de la Correspondance des contrôleurs généraux, n"' GOl ,
So-2, lUUT, 1036, etc.
t. Avant ce mol, il y a un et bitVé, dans le manuscrit.
i. Voici ce que Dangeau écrivait sur cet incident, le 18 novembre
1687 {Journal, tome II, p. 67), et c'est à cette occasion que Saint-
Simon a fait l'Addition indiquée ci-contre : « Le Roi a trouvé fort mau-
vais que Mme la duchesse d'Uzès ait fait peindre des raies sur un jus-
taucorps couleur de feu que Monseigneur avoit ; il veut condamner à
l'amende le marchand qui a vendu le drap, et le peintre qui l'a peint.
Mme la duchesse d'Uzès les justilie en s'accusant elle seule. Le Roi
veut que le justaucorps de Mon.seigneur soit brûlé, et qu'on ne porte
plus d'autres draps que ceux de la manufacture nouvelle de France. »
3. « On dit ligurémcnt d'un homme qu'i/ a été tondu sur le peigne,
et plus ordinairement qu'// a été tondu, lorsque son avis n'a pas été
suivi, quoi qu'il ait pu dire pour l'appuyer» {Académie, 1718); voyez
notre tome III, p. 111. Nous retrouverons plusieurs emplois de celte
locution dans la suite des Mcmoires, et l'on peut en citer des exemples
de .Mme de Sévigné et de Conrart. — Sur la contestation entre les deux
ducs, voyez l'article de Dangeau, p. 38S-389.
MtXOlRES DE ÏAINT-SIMON. XXI H
tVf MÉMOIRES [ilH]
prince déclarât qu'il n'y mettroit pas le pied, et qu'il ne
sortiroit point des lieux où le Roi se trouveroit; et en
effet il n'y lit jamais depuis une seule promenade ^ Le Roi
lui voulut donner cinquante mille livres par mois, comme
Monseigneur les avoit: Monsieur le Dauphin en remercia;
il n'avoit que six mille livres par mois; il se contenta de
les doubler, et n'en voulut pas davantage'. C'étoit le
Chancelier qui, étant contrôleur général, avoit fait pousser
le traitement de Monseigneur jusqu'à cette somme. Ce
désintéressement plut fort au public. Monsieur le Dauphin
ne voulut quoi que ce fût de particulier pour lui, et per-
sista à demeurer à cet égard comme il étoit pendant la
vie de Monseigneur. Ces augures d'un règne sage et
mesuré firent concevoir de grandes espérances.
Veut être J'^i expliqué ailleurs^ la très moderne et fine introduc-
nommé et t[on de l'art des princes du sang, et de leurs valets prin-
Moim^ur ''non cipaux, de les appeler Monseigneur, qui, comme tous leurs
Monseigneur, autres honneurs, rangs et distinctions, devinrent bientôt
[Add S-.. 995\ communs avec les bâtards. Rien n'avoit tant choqué
Mgr le duc de Bourgogne, qui, jusque-là, n'avoit jamais été
appelé que Monsieur, et qui ne le fut Moîiseigneur que
par la manie de les y appeler tous''. Aussi, dès qu'il fut
Dauphin, il en fit parler au Roi par Madame la Dauphine,
puis, avant d'aller à Marly, déclara qu'il ne vouloit point
être ni nommé ^ Monseigneur, comme Monseigneur son
père', mais Monsieur le Dauphin, ni, quand on lui parle-
1. Promede, dans le manuscrit, surchargeant promeda. — « On di-
soit qu'on démeubloit Meudon entièrement, et qu'on en portoit tous les
meubles au garde-meuble du Roi. M. le Dauphin ayant fait entendre
au Roi les bonnes raisons qu'il avoit pour n'y pas aller » (Mémoires de
Sourches, tome XIII. p. 89).
2. Dangeau, p. 391 ; Sourches, p. 90. - 3. Tome XVII, p. 296-302.
4. Il est à remarquer que Saint-Simon jusqu'alors ne parlait jamais
du prince qu'en le traitant de Monseigneur : voyez notre tome XVII,
p. 302. Plus loin p. 128 et 129, il va cependant lui donner ce titre.
5. Nomé est en interligne au-dessus d'appelé, biffé.
6. Voyez ce qu'en disait en 1664 Brianville, dans son Abrégé d'his-
M7H1 DE SAINT-SIMON. MT,
roit. autromont que Monsirur\ Il v fut même altentif, et
repronoit ceux qui, dans les comniencenients, n'y étoient
pas accoutumés*. Cela embarrassa' un peu les princes du
sang ; mais, à l'abri de M. le duc de Herry et de* M. le duc
d'Orléans, ils retinrent' le Monsfitjnfur, c[uo Monseigneur
le Dauphin ne leurauroit pas laissé, s'il fût devenu le maître.
Le dimanche 18 avril ^ finit la clôture* du Floi à Marly. Marly
La" famille royale et les pei-sonnes élues parmi les deman- ""^P*^"? •
tleurs* repeuplèrent ce lieu, qui avoit été quatre jours
entiers si solitaire. Les deux fils de France et leurs
épouses y arrivèrent ensemble, après le salut ouï à Ver-
sailles. Ils entrèrent tous quatre chez Mme de Maintenon,
où le Roi étoit, qui les embrassa'. L'entrevue ne dura
qu'un moment : les princes allèrent prendre l'air dans les
jardins, le Hoi soupa avec les dames, et la vie ordinaire
recommença, à l'exception du jeu. La cour prit le deuil
ce même jour, qui fut réglé poui- un an comme de père'".
Les différences de rang à porter les deuils sur sa personne
s'étoient peu à peu réduites à rien depuis dix ou douze
toire de France, p. 339-360. Le grammairien Milleran, en 1703,
dans SCS youvelles lettres, p. i'S", s'exprimait ainsi : « Le premier iils
de nos Rois s'appelle toujours Dauphin ilepuis un certain temps.... On
le traite ordinairement, parlant de lui, de Monsieur le Dauphin, ou de
Monseigneur par excellence, comme le Roi l'a nommé depuis dix ou
douze ans. » Voyez ci-après aux Additions et corrections.
i. Le commencement de Monsieur surcharge le. — Notre tome XX,
p. 241 ; Dangeau, p. 38-4 ; Sourches, p. 86 ; Lettres de Madame, re-
cueil Jaeglé, tome II, p. 146 ; Mémoires de Luyncs, tome I. p. 417. Cer-
taines gens, et notamment le baron de Breteuil, estimaient qu'on eût
encore mieux fait de dire le Dauphin tout court, sans Monsieur,
comme on disait le Roi, l'Empereur, l'Electeur.
i. Dangeau, tome XIII, p. 44.3.
i. Il y a embrassa dans le manuscrit.
4. Le manuscrit porte : retirent. — 5. C'était le 19.
6. « Clôture se prend aussi pour l'obligation que les religieuses ont
de ne point sortir de leur monastère » {Académie, 1718).
7. La corrige ce. — 8. Ci-dessus, p. 92-93.
9. Dangeau, p. 388 ; Sourches, p. 90.
10. Ci-dessus, p. 98, note -2.
116
MEMOIRES
[1714]
ans. Je Pavois vue' auparavant observée^; tout s'étoit
réduit à celle de draper, qui, jusqu'à ce deuil, s'étoit
maintenue dans les règles ^ Plusieurs petits officiers de la
maison du Roi, comme capitaine des chasses et autres,
Chàiillons cl l'usurpèrent en celui-ci, et, comme on aimoit la confu-
Bcauvaus sjon pour anéantir les distinctions, on les laissa faire*. Le
Deuil comte de Chàtillon'^ en profita pour s'en forger* une toute
drapiT.
singulier pour
Monseigneur.
[Add S'-S. 996\
nouvelle à laquelle ses pères étoient bien loin de penser.
Voysin, son beau-père, étala au Roi la grandeur de la
maison de Chàtillon", le duché de Bretagne qu'elle avoit
prétendu, et possédé quelques années% ses* douze ou
treize alliances directes avec la maison royale, même avec
1. Il y a veu, sans accord, dans le manuscrit.
2. Il faudrait ici le pluriel, puisque ces participes se rapportent à
différencefi.
3. Desgranges, dans ses registres (ms. Mazarine 27i3, fol. 143), a
énuméré les personnes on olficiers qui avaient le droit de draper pour
les deuils de cour. Celte distinction, en règle, était réservée aux ducs
et pairs, aux officiers de la couronne et aux grands officiers de la mai-
son du Roi et de celles des princes, par exemple aux dames d'honneur
des princesses, et il pouvait arriver que le mari ne drapât point, tandis
que la femme drapait à cause de sa charge. Le privilège en était aussi
généralement accordé aux alliés de la famille royale, et c'est à ce
titre que nous allons voir les Chàtillon et les Beauvau l'obtenir.
4. Sur les usurpations de cérémonial auxquelles donna lieu le deuil
de Monseigneur, comparez les Ecrits inédits, tome III, p. 175.
5. Nous l'avons vu épouser Mlle Voysin, dans le tome XX, p. 238.
6. « Forger, signifie ligurcment inventer, supposer, controuver »
{Académie, 4718).
7. Les généalogies font remonter cette maison à Guy I"^"", seigneur
de Châtillon-sur-Marne, qui vivoit au onzième siècle. Il parut en 4624
une Histoire de la maison de Chastillon-sur-Marne, par André du
Chesne en un volume in-folio, et Saint-Simon lui a consacré une no-
tice généalogique dans le tome 43 de ses Papiers (vol. France 200),
qui a été publiée au tome IV des Écrits inédits, p. 373-394 ; voyez
ci-après, appendice III. une autre notice.
8. Par Charles de Chàtillon, dit de Blois, gendre de Jean III, duc
de Bretagne, et compétiteur malheureux de Jean de Montfort à la pos-
session du duché.
9. Ses corrige les.
flTil] DE SAINT-SIMON 117
des fils ou des iilles tlo France', le nombre des plus grands
offices de la couronne qu'elle avoit eus*, et les prodigieux
fiefs qu'elle avoit possédés'; il se garda bien d'ajouter
(jue, de toute cette splendeur, il n'en rejaillissoit rien, ou
«oninie rien, sur son gendre, dont la mère et la grand mère
paternelle* étoient de la lie du peuple', que toutes les
branches illustres de Chàtillon étoient éteintes depuis
longtemps*, que' celle de son gendre* n'avoit particip»' à
i. Saint-Simon a rcievé ces alliances dans le mémoire intitulé Allian-
ces directes de seigneurs français avec des filles du sang de nos rois,
dans le volume 4i de ses Papiers, vol. France 199. Parmi elles on peut
citer celle de Gaucher IV de Cliûtillon avec Jeanne de France, pelile-
fille de Pliilippe-Auf;usto. celle de Guy de Chitillon avec Marguerite
lie Valois, sœur de Philippe VI, et celle du connétable Gaucher avec
Isabelle de Dreux. L'annotateur des Mctnaires de Sourchcs dit. en par-
lant de MM. de Chàtillon (tome 1. p. 198) : « Ils étoient de la meil-
leure maison de gentilshommes qu'il y eût en France, ayant quatorze
alliances directes avec la maison royale. »
•2. La maison de Chàtillon comptait dans ses diverses branches un
régent de France, un connétable, deux grands maîtres de France, un
grand bouteiller, un grand panetier, un amiral, deux grands queux de
France, un grand maître des arbalétriers, un souverain maître d'hôtel
de la Reine, un grand maître des eaux et forêts, qui tous ont leur
place dans l'ouvrage du P. Anselme.
3. Lescomtésdc Sainl-Pol, de Blois, de Chartres, de Dunois, de Pen-
thièvre et de Goëllo, la vicomte de Limoges, les seigneuries d'Avesnes,
If Guise, de Dampierre, d'Argenton, d'Avaugour, de Mayenne, etc.
». La mère de M. de Chàtillon était Anne-Thérèse Moret, hlle du
Icrmier général Moret de Bournonville, mariée en 1684 et morte en
1703 ; sa grand'mère était Madeleine-Françoise Honoré, dont le père,
Jacques Honoré, sieur du Clos, n'a aucune qualité dans les généalogies.
Voyez le commencement de l'Addition indiquée ci-dessus, n" 996.
.S. « On dit figurément la lie du peuple pour dire la plus vile et la
plus basse populace » (Académie, 1718).
6. La branche des comtes de Saint-Pol en 1360, celle des comtes de
Blois en 1.397, celle des comtes de Penthièvrcen 1 434, celle des comtes
de Porcien quelques années plus tôt.
7. L'abréviation de que surcharge des lettres illisibles, et, au-dessus,
il y a en interligne une / elTacée du doigt.
H. Le rameau des seigneurs du Hois-Hogue, sorti de la branche
d',\rgenton au commencement du xvir siècle.
118 MÉMOIRES inil
aucune des grandeurs des autres, et que, s'il sortoit de
deux filles de la branche de Dreux', dont même la seconde
étoit fille du chef de la branche de Bû-, et, par l'injustice
des temps, n'étoit pas sur le pied des autres du sang royal,
c'étoit avant la séparation de sa branche ; qu'il en étoit de
même des deux charges de souverain maître d'hôtel et de
grand maître des eaux et forêts ^ Il se garda encore mieux
de faire mention du sieur de Bois-Rogue, père du père de
son gendreS qui étoit gentilhomme servant^' de Monsieur
Gaston avec du Rivau% qui fut depuis dans ses Suisses,
i. Alix de Dreux, fille de Robert de France, comte de Dreux, mariée
en ilotj à Guy II de Châlillon, et Isabelle de Dreux, mariée en l'281 à
Gaucher IV de Chàtillon, connétable de France. — La maison de Dreux,
dont l'auteur fut Robert de France, cinquième fils du roi Louis VI le
Gros, forma plusieurs branches dont les deux dernières, celle de Beaus-
sart et celle de Morainville, .s'éteignirent la même année, 1590.
2. Isabelle de Dreux (ci-dessus) était fille de Robert de Dreux, sei-
gneur de Bû (Eure-et-Loir, canton d'Anet), mort en 1266, second fils
du comte Robert III et auteur de cette branche, qui s'éteignit au com-
mencement du quinzième siècle. — Saint-Simon écrit Beu.
3. Gaucher V de Chàtillon fut souverain maître d'hôtel de la reine
femme de Jean le Bon, et Charles de Chàtillon, de la branche de Gan-
delus-Argenton, fui grand maître des eaux et forêts en 1384.
4. François de Chàtillon, seigneur du Boi.s-Rogue, mort en septembre
1662, à cinquante-six ans, père de Claude-Elzéar (tome II, p. 206). —
Le Bois-Rogue est une terre du Loudunois, dans la commune actuelle
de Rossay. — Saint-Simon écrit Boisrogues.
5. La première lettre de servant surcharge un d. — Il ne faut pas
confondre les gentilshommes servants avec les gentilshommes ordinaires.
Les fonctions des uns et des autres sont bien spécifiés dans l'État de
la France de 1698, tome I, p. 67-69 et 238-240. Tandis que les se-
conds avaient pour charge d'accompagner le Roi afin d'exécuter ses
commandements et recevaient des missions de courtoisie et de bien-
séance, ou même diplomatiques, les premiers remplissaient à la table
du souverain les fonctions de panetier, d'échanson et d'écuyer-tran-
chant ; elles étaient les mêmes dans la maison des fils de France.
6. Jacques III de Beauvau, marquis du Rivau, d'abord capitaine de
cavalerie, eut un régiment en 1641, et devint en 1631 capitaine des
Cent-suisses de Gaston d'Orléans; nommé maréchal de camp en février
1632, il eut, en juillet de la même année, le grade de lieutenant géné-
ral, obtint le gouvernement du Quesnoy en 1654, s'en démit en 1658,
|1T11| DE SAINT-SIMON 119
et que le crédit (\c Mlle de Saujon sur Gaston ' en fit enfin
capitaine par le mariage de sa nièce*, mais (|ui laissa
Bois-IU)gue gentilhomme servant, ^'ovsin, sans doute, ne
parla pas de la dispute sur la légitimité ou la bâtardise,
(|ue M. le tluc d'Orléans m'a plus d une fois assurée, et
(|ue les Chàtillons étoient éteints depuis longtemps', ^oy-
sin étoit ministre et favori; il l'étoit aussi de Mme de Main-
tenon ; il parloit tète à tète, elle en tiers : il demanda que
son gendre drapât, comme ayant l'honneur d'appartenir
au Roi, et il ne lui appai-tcnoil en aucun degré; mais il
n'avoit point de contradicteur, et son gendre drapa. Cette
nouveauté réveilla la Vallière et Mme la princesse de Conti
pour les Beauvau \ dont, avec trop de raison, ils s'hono-
roient fort de l'alliance. La grand mère^ de Mme de la
Vallière, mère de Mme la princesse de Conti et sœur du
et quitta alors le service ; il ne mourut que le o juillet 1702, âgé de
soixante-seize ans. Il avait eu en 1663 le collier de Saint-Michel, et la
terre du Rivau avait été érigée en marquisat en sa faveur par lettres
patentes du 1 '» juillet 1634. Il est parlé de lui dans les lettres de Mme de
Sévigné et dans celles de Bussy-Rabut in. qui se moquait de son nez écrasé.
1. Anne-Marie de Campet. demoiselle de Saujon. tille d'honneur de
la duchesse d'Orléans, devint lu maîtresse de Gaston vers 1649 et exerça
sur lui, pendant les dernières années de sa vie, une influence heu-
reuse. Nommée dame d'atour de Madame en 1630, elle quitta la cour
après la mort du prince et mourut à Paris le 10 février 1694, à soixante-
six ans. Elle avait beaucoup contribué à la fondation du séminaire de
Saint-Sulpice. auquel elle tit un don de trente-cinq mille livres en t6o9,
.'t avait établi en 1663, rueGarancière, une communauté de tilles sous le
vocable de la Sainte- Vierge (Arch. nat., reg. Y 197, fol. 96, et Y 203,
fol. 31 v). Elle était en relations avec M. Ollier et avec saint Vincent
de Paul.
2. Non pas de sa nièce, mais de sa sœur, Diane-Marie de Campet,
qui épousa en 1630 M. du Rivau (Muse historique de Loret, tome I. p.
63), et mourut en 1702.
3. Les généalogies ne mettent pas en doute la légimité de la branche
du Bois-Rogue.
■4. Ici, Beauvau, sans le signe du pluriel, dans le manuscrit.
3. Françoise de Beauvau du Rivau mariée à Jean de la Baume-le-
Blanc, seigneur de la Vallière, lieutenant de Roi au gouvernement
d'Amboise, mort le 27 décembre 16-47.
IQn MÉMOIRES [\1H]
père de la Vallière ', étoit Beauvau. Par un cas fort
étrange', la sixième aïeule paternelle du Roi étoit Beau-
vau', et il étoit au huitième degré de tous les Beauvau.
La parenté étoit bien éloignée ; mais au moins étoit-elle,
et à cela il n'y avoit point de parité avec M. de Châtillon,
qui n'en eut jamais l'apparence, et à qui il fut permis de
draper. Sur cet exemple, et cette sixième grand mère,
Mme la princesse de Conti obtint aussi de faire draper les
Beauvau*, qui, non plus que les Châtillons, n'y avoient
jamais songé jusqu'alors^.
Le Roi avoit déclaré que de trois mois il ne quitteroit
Marly à cause du mauvais air répandu à Versailles, et
qu'il recevroit à Marly, le lundi 20 avril, les compliments
muets de tout le monde, en manteaux et en mantes, soit
des gens qui étoient à Marly, soit de ceux qui étoient à
Bâtards Paris*. M. du Maine qui, comme on a vu'', n'avoit pas
obtiennent
4. Jean-François de la Baume-le-Blanc (tome XV, p. 87), père de
Charles-François, duc de la Vallière en 1723 (tome V, p. 299).
2. Quoique l'auteur ait mis un point très visible après ces cinq mots :
par un cas, etc., nous n'hésitons pas à les rattacher à la phrase suivante.
3. Isabeau de Beauvau, fille de Louis, seigneur de Champigny-sur-
Veude et de la Roche-sur-Yon, épousa en no4 Jean II de Bourbon,
comte de Vendôme, trisaïeul de Henri IV, et mourut en 1474, tandis
que sa sœur consanguine, Alix de Beauvau, épousait René de Beau-
vau, seigneur du Rivau, cinquième aïeul de Pierre-Madeleine, mar-
quis de Beauvau. Le contrat de mariage d'Isabeau et de Jean de
Bourbon, passé à Angers le 9 novembre 1454, a été imprimé dans
VHistoire généalogique de la maison de Beauvau par les frères de
Sainte-Marthe. C'est par cette union que la terre de la Roche-sur-
Yon, qui devait être érigée en principauté pour les cadets de Conti,
entra dans la maison de Bourbon et passa ensuite aux Condés.
4. Ni Dangeau, ni Sourchcs ne parlent de cette permission. Voyez
le premier récit de Saint-Simon (hnsles Écrits inédits, tome III, p. 175.
5. Ce dernier membre de phrase, depuis qui, semble avoir été ajouté
dans le blanc resté à la fin du paragraphe.
6. Dangeau écrit seulement le 19 avril (p. 388): « Le Roi, les princes
et les princesses verront demain tous les gens de qualité, tant hommes
que femmes, les hommes en grand manteau et les dames en mante ».
7. TomeXIX, p. 91.
(1711) DE SAIM-^^l.MON 1-21
perdu (io temps à mettre à profil, pour le rang de prince d'.Mrc visité»
(lu sang de ses enfants, la mort des seuls princes du sang p-,'!,"(.).'„"ia
n âge et en état de l'empùcher, se trouva bien autrement mort do
;i son aise de la mort de Monseigneur. (|ui avoit si mal reçu M«"«t;'gncur
ce rang nouveau de ses enfants' après avoir été si peu ^^^ ^'^ ^^^J
content du sien même. Il avoit plus (\uo raison d'appré-
fiender d'en tondxT sous son lègne, et on a vu- que Mon-
seigneur ne se contraignit pas là-dessus avec lui, et tjuel
fut son silence et celui de Mgr le duc de Bourgogne lorsque
le Roi s'humilia, |)()ur ainsi dire, devant eux poui' le leur-
faire agréei-, et «m obtenir quebjue parole si constamment
refusée, en leur présentant M. fin Maine pour les toucher.
Monseigneur mort, le duc du Maine n'eut plus affaire
c|u"à Mgr le duc de Bourgogne. C'éloit beaucoup trop;
mais pourquoi ne pas espérer d'en voii- la fin comme il
Novoit celle du père, et, on attendant, pousser son bidet ^?
Il connoissoit la foiblesse et l'incurie de M. le duc d'Or-
léans, dont le fils étoit enfant; il voyoit quel étoit M. le
duc de Berrv ; il sentit qu'avec Mme de Maintenon il n'avoit
plus rien à craindre pour s'élever aussi haut qu'il pourroit
dans le présent, et remit le futur à son industrie et à sa
bonne fortune. Le duc de Tresmes étoit en année* : c'en
étoit déjà une-', et il en sut profiter. Avec beaucoup d'hon-
neur et de probité, Tresmes étoit sans le moindre rayon
d'esprit que l'usage de la cour et du grand monde, et de
l'ignorance la plus universelle*; avec cela, plus valet que
nul valt't d'extraction, et plus avide de faire sa cour et de
plaire (jue le plus plat provincial. Avec ces qualités, ce fui
I. Tome XIX, p. 94-96. — 2. Ibidem, p. 101.
3. « On dit .se pousser dans le monde pour dire, s'y avancer, s'y
mettre en considération; .... on dit en ce sens pousser sa fortune,
pousser sa pointe, pousser son bidet; il est bas» (Académie, 1718).
Littrt' cite un exemple de Molière.
A. En année de premier gentihomme de la chambre.
."). l'ne bonne fortune.
6. Le duc de Luynes (Mémoires, tome VI. p. "284) parle cependant
:• sa connaissance du cérémonial.
Manteaux et
mantes à
12-2 MÉMOIRES [1714]
l'homme de M. du Maine. C'étolt à lui à recevoir et à
donner les ordres pour ces révérences de deuil. Il mit au
Roi en question si on iroit' les faire à ses enfants naturels
comme étant frères et sœurs de Monseigneur. Le Roi,
toujoui's éloigné de ces gradations* par lesquelles il a été
peu à peu mené à tout pour eux contre son sens, comme
on l'a vu sans cesse, trouva d'abord la proposition du duc
de Tresmes ridicule. Il ne répondit pourtant pas une
négative absolue; mais il marqua seulement que cela ne
lui plaisoit pas. M. du Maine, qui s'y étoit attendu par
toutes ses expériences pareilles, n'avoit lâché le duc de
Tresmes que le dimanche, pour ne laisser pas de temps,
mais pour donner lieu au Roi d'en parler le soir à Mme de
Maintenon. Nonobstant cette ruse, il n'y fut rien décidé;
mais c'étoit beaucoup que ce ne fût pas une négative, et
que Mme de Maintenon en eût assez fait pour le laisser
dans la balance^. Il y étoit encore le lundi matin, jour de
ces révérences ; mais, entre le Conseil et le petit couvert,
M. du Maine, secondé de son fidèle second, l'emporta, et
le duc de Tresmes, en ayant pris l'ordre du Roi, le publia
aussitôt. La surprise en fut si grande, que presque chacun
se le fit répéter. Le moment de la déclaration fut pris
avec justesse. Le Roi se mettoit à table, tout le monde y
étoit déjà, ou s'y alloit mettre, et la cérémonie commen-
çoit à deux heures, c'est-à-dire tout au sortir de dîner :
ainsi, point de temps à raisonner, encore moins à faire,
et on obéit avec la soumission aveugle et douloureuse à
laquelle on étoit si fort accoutumé. Par cette adresse, les
bâtards furent pleinement égalés aux fils et aux filles de
France, et mis en plein parallèle avec eux : pierre
d'attente* pour laquelle le Roi n'a pas tout à fait assez
vécu. Ce même jour lundi 20 avril, le Roi fit ouvrir les
portes de ses cabinets, devant et derrière, à deux heures
1. Avant iroit, Saint-Simon a biffé iro[it].
2. Il y a gradatations, par méî;;arcle, dans le manuscrit.
3. Tome XIX, p. 194. — 4. Tome XX p. 43 et 239.
(17411 DE SAl.NT-SIMO.N. Ii3
et demie'. On entroit par sa chambre. Il rloit en habit Marlv.
i. . . I 11 I i » !• Iniiécencpg et
ordinaire, mais avec son chapeau sous le bras, debout et- i,,nfu.ion
appuvé de la main droite sur hi table de son cabinet la parfaiu-.
plus proche de la porte de sa chambre. .Monsieur et Ma-
dame la Dauphine, M. et Mme la duchesse de Berry,
Madame, M. et Mme la duchesse d'Orléans, Madame la
Grand-Duchesse, Madame la Princesse, Madame la Du-
chesse, ses deu.K fils et ses deux filles, M. du' Maine et le
comte de Toulouse, se rangèrent en grand demi-cercle
au-dessous du Roi à mesure qu'ils entrèrent, tous en
grands* manteaux et en mantes, hors les veuves, qui n'en
portent point, et n'ont que le petit voilée Mme la prin-
cesse de Conti douairière*^ étoit malade dans son lit,
l'autre princesse de Conti, avec ses enfants, restée à Paris
à cause de l'air de la petite vérole, et Mme du Maine,
avec les siens, à Sceaux, pour la même raison'. Tout
Paris, vêtu d'enterrement*, ainsi que tout Marly, remplis-
soit les salons et la chambre du Roi. Douze ou quinze
duchesses entrèrent à la file les premières, puis dames
1. Voyez le récit de cette cérémonie dans le Journal de Dangeau,
p. 389-390 ; les Mémoires de Sourches n'en font qu'une simple men-
tion, p. 96. Nous donnerons ci-après, p. il3 et i21, les relations du
baron de Breteuil et de Desgranges.
2. Les mots debout et ont été ajoutés en interligne.
3. Avant du, il a bifîé et M' la.
4. Grd, en abrégé et au singulier dans le manuscrit.
5. Il a déjà été parlé du voile des veuves dans nos tomes VII, p. 35,
et VIII. p. 362 ; dans le tome XIX, p. 87, notre auteur a fait la des-
cription de la coiffure des princesses veuves.
6. Ici, doûairiaire.
7. « Mme la princesse de Conti la petite étoit demeurée à Paris
avec Monsieur son lils et Mesdemoiselles ses tilles, craignant la petite
vérole ; Madame la Duchesse navoit pas voulu que Monsieur le Duc
et les princesses ses sœurs vinssent ici pour la même raison, et .M. du
Maine avoit fait demeurer Mme du Maine à Sceaux » {Dangeau,
p. 390). Notre auteur s'est trompé lorsqu'il a dit. huit lignes plus haut,
que les lils et les tilles de Madame la Duchesse étaient présents.
8. On trouvera ci-apr«*s, à ra|)pt'Mdicf IV, la description du costume
de deuil tel qu'il se portait alur» à la cour.
124 MÉMOIRES [1714]
titrées et non titrées, comme elles se trouvèrent, et les
princesses étrangères, arrivées tard ' contre leur vigilance
ordinaire, y furent mêlées. Après les dames, l'archevêque
de Reims, suivi d'une quinzaine de ducs, et ces deux
têtes- en rang d'ancienneté, entrèrent, puis tous les
hommes titrés et non titrés, princes* étrangers et pré-
lats, mêlés au hasard. Quatre ou cinq pères ou fils de la
maison de Rohan se mirent ensemble à la file, en rang
d'aînesse, vers le milieu de la marche ; quelques gens de
qualité, qui s'aperçurent de cette affectation, les cou-
pèrent, en sorte qu'ils furent tous mêlés, et entrèrent
ainsi dans le cabinet. On alloit droit au Roi l'un après
l'autre, et, à distance de lui, on lui faisoit une profonde
révérence, qu'il rendoit fort marquée à chaque personne
titrée, homme et femme, et point du tout aux autres.
Cette révérence unique faite, on alloit lentement à l'autre
cabinet, d'où on sortoit par le petit salon de la chapelle.
La mante et le grand manteau étoit* une distinction réser-
vée aux gens d'une certaine qualité ; mais elle avoit dis-
paru avec tant d'autres, jusque-là qu'il en passa devant
le Roi que ni lui ni pas un du demi-cercle ^ ne connut, et
personne même de la cour qui pût*' dire qui c'étoit, et il
y en" eut plusieurs de la sorte. Il s'y mêla aussi des gens
de robe, ce qui parut tout aussi singulier. Il est difficile
que la variété des visages, et la bigarrure de l'accoutre-
ment de bien des gens peu faits pour le porter, ne four-
nisse quelque objet ridicule qui démonte^ la gravité la
4. Tard a été ajouté en interligne.
2. C'est-à-dire les duchesses, tête des dames, et les ducs, tête des
hommes.
3. Avant princes il a biffé et, pour le récrire avant prélats,
i. Estait est bien au singulier dans le manuscrit.
5. Ci-dessus, p. 423.
6. Il y a bien connut et pust dans le manuscrit.
7. En a été ajouté en interligne.
8. « Démonter signifie figurément mettre en désordre, déconcerter»
(^Académie, 1748).
(1711) DE SAINT-SI.MU.N. \ir,
plus concertée'. Cela arriva en cette occasion, où le Boi-
eut quelquefois peine à se retenir, et où même il suc-
comba une fois, avec toute l'assistance, au passage de je
ne sais plus quel pied plat ^ à demi abandonné de son
équipage ^ Quand tout fut fini chez le Roi, et cela fut
long, tout ce qui devoit être visité se sépara, pour aller
chacun chez soi recevoir les visites. Les visités ne furent
autres que les fils et filles de France, et les bâtards et
bâtardes, et M. le duc d'Orléans comme mari de Mme la
duchesse d'Orléans', et celui-là parut comique. Les moin-
dres d'aînesse ou de rang allèrent " chez leurs plus grands,
(jui ne leur rendirent point la visite, excepté Madame,
qui. comme veuve du grand-père de Madame la Dau-
phine, et grand mère de Mme la duchesse de Berry, fut
visitée des fils et filles de France, mais non M. et Mme la
duchesse d'Orléans. On alla donc comme on put faire
cette tournée : on entroit et sortoit pèle-mèle, et on ne
faisoit que passer, entrant par une porte et sortant par
une autre où il y avoit des dégagements''. C'est ce qui se Burlesque ruse
rencontra chez Madame la Duchesse, et, à la faveur de '^^ Madame
cette commodité, une subtilité de Madame la Princesse,
fort prompte à saisii- ses avantages tout dévotement. Sor-
tant de chez Madame la Duchesse par le dégagement de
son cabinet, on y trouva Madame la Princesse '' qui se
1. Pour les gens de basse classe, les fripiers, concurremment avec
les jurés-crieurs de corps et de vin (tome XV'I, p. 80) tenaient location
d'habits, manteaux, robes et ajustements pour suivre les convois et
enterrements. Le droit leur i-n lut reconnu en juin 1744.
2. Après Roj, il a bille lucsme. — 3. Tome VIII, p. 77.
4. C'est-à-dire, qui perdait en route une partie de son costume.
Torcy {Journal, p. 427) parle de la « bizarrerie de certaines tigures. »
5. Les deux autres bâtardes, la princesse de Conti douairière et
Madame la Duchesse, étaient veuves.
6. Alloieiit corrigé en allèrent.
7. Voyez aux Additions et corrections l'explication de ce mot.
8. Dangeau (p. AJO) dit an contraire qu'elle étoit dans la chambre
précédant celle où se tenait .Madame la Duchesse.
1-26 MÉMOIRES [i"ii]
présentoit à la compagnie pour recevoir les révérences,
qui ne lui étoient ni dues ni ordonnées. On en fut si sur-
pris, que beaucoup de gens passèrent sans la voir, beau-
coup plus sans faire semblant de s'apercevoir d'elle. Les
deux petits princes du sang^ ne s'y présentèrent point.
Le duc du Maine et le comte de Toulouse reçurent les
visites ensemble dans la chambre de M. du Maine, où on
entroit de plein pied et directement du jardin. Ils avoient
leur compte', et voulurent faire les modestes et les atten-
tifs pour ne pas donner la peine d'aller séparément chez
tous les deux. M. du Maine se dépeça ^ en excuses embar-
rassées* de la peine qu'on prenoit, et se tuoit^ à conduire
les gens titrés, et à en manquer tout le moins qu'il pou-
voit. M. le comte de Toulouse conduisoit aussi avec soin,
mais sans affectation. J'oubliois Mme de Vendôme, qui
parut aussi chez le Roi en rang d'oignon ®, mais qui ne fut
point visitée, parce que la bâtardise de son mari venoit
de plus loin. Elle ne s'embusqua point avec Madame sa
mère pour enlever les révérences aux passants''. Ni le
Roi, ni princes, ni princesses visités ne s'assirent, ni
1. Les deux fils du duc de Bourgogne.
2. a On dit Hgurément qu'îm homme a son compte pour dire qu'il
a ce qu'il désire » {Académie, 1718).
3. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait dépecer
qu'au propre, au sens de mettre en pièces, en morceaux. Littré cite
le présent exemple.
4. Embarrassés corrigé au féminin.
5. « On dit par exagération se tuer, pour dire se donner beaucoup
de peine » (Académie, 1718).
6. « On dit se mettre en rang d'oignon, pour dire se placer parmi
les autres, et cela se dit dans le discours familier ou d'une personne
de peu qui prend place parmi des personnes de grande qualité, de
grande considération, ou d'un enfant qui s'assied parmi des gens bien
plus âgés que lui « (Académie, 1718). C'est une allusion aux files ou
chapelets d'oignon, montés par les jardiniers sur une tige commune,
comme il est expliqué dans le Littré, n»* 1 et 5.
7. Dangeau (p. 390) dit au contraire qu'elle était avec Madame la
Princesse.
1 17411 DE SAINT-SIMON. 127
n'eurent de siège derrière eux. 8i on se fut assis chez
ceux où on le doit être, cela n'eut point fini de la jour-
née chez chacun, et des sièges sans s'asseoir auroient cul-
buté' le monde dans l'excès de la foule et des petits
lieux.
Le lendemain mardi 21 avril*, Monsieur et Madame la Monseigneui
Dauphine, M. et Mme la duchesse de Berrv, Madame, ,f Madame la
i,r\ I ' 11' 1'" > 1 ' Dauphine, etc..
M. et Mme la duchesse d Orléans allèrent 1 apres-dînee, en manies et
en même carrosse, à Saint-Germain, tous en mante et en enmanieaux. à
grand manteau ; ils allèrent droit chez le roi d'Angleterre,
où ils ne s'assirent point, ensuite chez la reine, où ils
s'assirent dans six fauteuils, M. et Mme la duchesse d'Or-
léans et M. du Maine sur un ployant^ chacun. Il étoit allé
les y attendre pour jouir de cet honneur et s'y égaler à
un petit-IUs de France. La reine fit des* excuses de n'être [Add. S'-S. 998
pas en mante pour les recevoir, c'est-à-dire en petit voile,
parce que, au moins en France, les veuves^ ne portent de
mante en nulle occasion^; elle ajouta que le Roi le lui
avoit défendu. Cette excuse fut le comble de la politesse".
Le Roi, très attentif à ne faire sentira la reine d'Angle-
terre rien de sa triste situation, n'avoit garde de soultrir
qu'elle prît une mante, ni le roi d'Angleterre un grand
manteau, pour recevoir le grand deuil de cérémonie d'un
Dauphin, et qui n'étoit pas roi. En se levant, ils voulurent
aller chez la princesse d'Angleterre ; mais la reine les
arrêta, et l'envoya chercher : elle se contenta que la visite
1. Au sens de faire tomber. Nous avons rencontré cet emploi
dans 1p tome XVII, p. 21"2.
2. Tout ce qui va suivre est presque textuellement pris à Dangeau
(p. 391-392). Les Mémoires de Sourclies placent cette visite au lende-
main 22 (p. 97-98).
3. Ployant surcharge autre. — 4. Dis corrige d'.
o. Contrairement à sou habitude, Sainl-Simon a écrit ici : veuves,
et non vefves.
6. Voyez ci-dessus, p. 123.
7. Comparez l'Addition indiquée ci-contre. Desgranges, dans ses
registres, a narré tout le cérémonial de cette visite.
I"28
MEMOIRES
[17411
Ministres
clranirers à
Versailles, où
les
Compagnies
haranguent.
Monseigneur
le Dauphin
traité par le
Parlement de
Monseigneur
par ordre du
Roi.
\Add. S'-S. 909]
tùt marquée. On ne se rassit point : la princesse, qui, à
cause de la reine, étoit sans mante, ne pouvoit avoir de
fauteuil devant elle, ni les fils et filles de France sans fau-
teuil' devant la reine dans le sien, ni garder le leur en
présence de la princesse d'Angleterre sur un ployant. La
visite finit de la sorte. De toute la cour de Saint-Germain,
aucune dame ne parut en mante, ni aucun homme en
manteau long, que le seul duc de Berwick, à cause de
ses dignités françoises^.
Le' lundi suivant, 29 avril*, le Roi s'en alla sur les
onze heures du matin à Versailles, où il reçut les compli-
ments^ de tous les ministres étrangers % après'' eux de
beaucoup d'ordres religieux, et, après son dîner au petit
couvert, les harangues du Parlement, de la Chambre des
comptes, de la Cour des aides, de celle des monnoies*, et
de la ville de Paris. La compétence® du Grand Conseil et
du Parlement mit une heure d'intervalle, après laquelle
il vint aussi faire sa harangue, suivi de l'Université et de
1. Etre sans fauteuil. — 2. Dangeau, p. 392.
3. Ici, la plume change. — 4. Non pas 29, mais 27.
5. Dangeau, p. 396-397 ; Sourches, p. 401-102 ; registres de Des-
granges, ms. Mazarine 2746, p. 27-75. Les lettres et circulaires adres-
sées aux cours et aux corps constitués sont dans le registre 0' 55, fol.
34-35. Le Dauphin etlaDauphine se tinrent debout pour le Parlement,
la Chambre des comptes et la Gourdes aides, jusqu'à ce que le premier
président de chacune de ces cours prît la parole ; mais ils restèrent assis
pour les autres compagnies.
6. Comme il n'y avait pas d'ambassadeurs, ce fut Cronstrom, en-
voyé de Suède, qui suivit immédiatement le nonce (Sourches, p. 404).
7. Avant après, il a biffé un et.
8. Les quatre derniers mots ont été ajoutés en interligne. C'est à
propos de la harangue de l'avocat du Roi près cette cour et d'une ré-
plique faite par lui à Desgranges et notée par Dangeau, que Saint-
\Add. S'-S. 1000] Simon a écrit l'Addition indiquée ci-contre. La relation de la présen-
tation des compliments du Parlement nous a été conservée dans les
manuscrits de l'avocat général Joly de Fleury, volume 2476, fol. 9-20.
9. Au sens de compétition, comme nous l'avons déjà rencontré plu-
sieurs fois Le Dictionnaire de l'Académie de 4748 donnait aussi le
sens de concurrence ou de prétention d'égalité.
[17411 DE SAI.\T-S1M(».\. |-i!t
l'Acadt'iiin' fi'ançoisc, pour la(|iirllc Saint- Kulaiic ' porta
fort hieii la parole-. Le l'arlt'iiit'ut alla aussi haraiij^'uci"
Monsoi^'ui'ur li" Dauphin ; le prcinici- président ne voulut
pas lui laissiT ignorer (|ue c'étoil par ordre du ï\oi qu'il
le hai'anguoit et qu'il le traitoit tie Monseigneur \ Cette
insolente haj^'atelN' rnériteroit des réllexions. Tout ce qui
avoit coinpIiintMité ou harangué le Hoi rendit aussi les mê-
mes devoirs à Monseigneur et à Madame la Dauphine. Le
Roi revint sui" le soir à Marly*.
Je perdis en même temps une amie (|Ui> je regrettai Mort et
fort : ce fut la duchesse de Viileroy, dont j'ai parlé plus cayact.re de la
d'une fois. C'étoif^ une* personne droite, naturelle, fran- ^'il|p^ov.
\Add. S'-S. iuUi\
\. Fran(;ois-Joso|)h Beaiipoii.inarnuis de Saint-Aiilairc, avait ou après
son pore la lieulenanci' {générale du goiivcrni'inont do Limousin ; il entra
à l'Acadômie rrani;aiso en juillet 17Uti. comme successeur de l'abbé Testu,
ma!f;ré l'opposition de Boilcau, et ne mourut que le 17 décembre 4743,
|u-esque centenaire. C'était un des familiers de Sceaux, où l'on goûtait
beaucoup les petites pièces de vers dans le genre d'Anacréon qu'il com-
posait avec une extrême facilité et qui forment tout son bagage littéraire,
avec son discours de réception et une épitre en vers à l'Académie. On
disait qu'il avait épousé secrètement en 1704 la marquise de Lambert.
Saint-Simon écrit S. Aulairc.
'2. « Il parla en peu de mois, mais parfaitement bien ». (Sourches,
p. 402). Son discours n'a pas été conservé dans les archives de l'Aca-
démie.
3. o On remarqua que le premier président du Parlement, ayant
traité M. le Dauphin de Monseigneur suivant l'ordre précis qu'il en
avoit reçu du Hoi. avoit glissé adroitement que, dans la tristesse
d'une si fatale conjoncture, le Parlement ne laissoil pas de sentir de
la joie en voyant que la tendresse que le Roi avoit pour lui l'obligeoit
à lui accorder des prérogatives qu'il n'avoit jamais accordées qu'à
Monseigneur » {Sourches, p. 404). Le texte de ce discours et le récit de
la visite se trouvent aux Archives nationales, dans le registre coté U 352.
4. Le Dauphin et la Dauphine revinrent une heure après lui, « fort
!as de tant de harangues, quoiqu'ils les eussent trouvées fort belles, »
dit Dangeau.
M. En dernier iii-u. dans le tome XVIII, [>. 372 et suivantes, à pro-
pos de la ru[iture du duc d'Orléans avec Mme d'Argenton. et dans le
tome XIX, p. 200 et 203-20-4.
H. Il faut rapprocher de ce portrait ce qu'il a déjà dit de Mme de
MÉUOIRES DE SillNT-SlMO.N. XXI U
130 MÉMOIRES [174i]
che, sûre, secrète, qui, sans esprit, étoit parvenue à faire
une figure à la cour, et à maîtriser mari et beau-père.
Elle étoit haute en tous points, surtout' pour la dignité,
en même temps qu'elle se faisoit une justice si exacte et
si publique sur sa naissance -, même sur celle de son
mari^ qu'elle en embarrassoit souvent*. Elle étoit fort
inégale, sans que, pour ce qui me regarde, je m'en sois
jamais aperçu. Elle avoit de l'humeur % son commerce
étoit rude et dur : elle tenoit fort, là-dessus, de sa famille.
Elle étoit depuis longtemps dans la plus grande^ intimité
de Mme la duchesse d'Orléans, et dans une grande confi-
dence de Madame la Dauphine, qui toutes deux l'ai-
moient", et la craignoient aussi. Elle avoit des amis et des
amies ; elle en méritoit. Elle étoit bonne, vive et sûre
amie, et les glaces ne lui coûtoient rien à rompre. Elle
devenoit personnage, et on commençoit à compter avec
elle. Son visage très singulier étoit vilain d'en bas, sur-
tout pour le rire, étoit^ charmant de tout le haut. Sérieuse
et parée, grande comme elle étoit, quoique avec les han-
ches et les épaules trop hautes, personne n'avoit si grand
air, et ne paroit tant les fêtes et les bals, où il n'étoit
Villeroy dans le tome XVIII, p. 8, et ce qu'il en dira encore dans la
suite des Mémoires, éd. 1873, tome XI, p. 489.
1. Le manuscrit porte sur p^ tout.
2. Elle était le Tellier, tille de Louvois, et nous avons vu que cette
famille-là ne se faisait pas illusion sur ce point (tome XIX, p. 44).
3. Voyez l'appendice XXIII de notre tome VI, p. 596, sur l'origine
desNeufville.
4. Comparez les Mémoires de l'abbé de Choisy, tome I, p. 88, et
notre tome X, p. o94.
5. Les cinq derniers mots ont été ajoutés en interligne. — Son
manque de patience occasionna un jour, à la table du Roi, entre elle
et l'ivrogne Bapaume, une scène réaliste que notre auteur a racontée
dans la notice du duché de Thouars : Écrits inédits, tome VIII, p.
-213.
6. Le manuscrit porte : la plus grd intimité.
7. Déjà dit dans les tomes XVIII, p. 320, et XIX, p. 200 et 238.
8. Il y a bien cette répétition d^estoit dans le manuscrit.
[mil DE SAINT-SIMON. 131
aucune brauté. cf bien plus {|u'flle, qu't'llc îieffaçàt'.
(Quelques mois avant sa mort, et toujours clans une santé
parfaite, elle disoit à Mme de Saint-Simon qu'elle étoit
trop heureuse, que, de quelque côté qu'elle se tournât,
son bonheur étoit parfait, que cela lui faisoit une peur
extrême, et que sûrement un état si fort à souhait ne pou-
voit durer ; qu'il lui arriveroit quelque catastrophe impos-
sible à prévoir, ou qu'elle mourroit bientôt. Le dernier
arriva. Son mari servoit de capitaine des gardes pour le
maréchal de Boufîlers, demeuré à Paris pour la mort de
son fils-. Klle craignoit extrêmement la petite vérole,
qu'elle n'avoit point eue. Malgré cela, elle voulut que
Madame la Dauphine la menât à Marly dans ces premiers
jours de la solitude du Roi, sous prétexte d'aller voir son
mari. Kien de tout ce qu'on put lui dire ne put l'en dé-
tourner, tant les petites distinctions de cour tournent les
têtes. Elle v eut une fraveur mortelle \ tomba inconti-
nent après malade de la petite vérole, et en mourut à
1. Au lomo VII, p. 56, Saint-Simon avait dit qu'elle « défaisoit
toutes les autres femmes et même plus belles qu'elle ». On ne connait
aucun portrait d'elle.
•2. Tome XX, p. 3'21. Le maréchal était encore en quarantaine à
cause du pourpre dont était mort son tils; desaulrescapitainesdes gar-
des. Harcourt, malade, allait se rendre i Bourbonne, et Villars devait
partir pour l'armée de Flandre le l"^"^ mai (Lettre inédite de la marquise
d'Huxelles. du '20 avril). Le major des gardes du corps tit les fonctions
de capitaine pendant une journée, jusqu'à ce que M. d'Harcourt fût
venu remplacer son collègue (Sourchcs, p. 97).
3. Les journaux de la cour ne parlent pas de cette circonstance,
dont Saint-Simon n'avait rien dit dans l'Addition indiquée ci-dessus ;
les Moiiuires de Sourchcs disent seulement, le '20 avril (p. 95): « On
apprit que la duchesse de Villeroy avoit à Versailles la petite vérole,
qu'elle avoit gagnée pour avoir parlé à son mari. » Mais le baron de
Breteuil (ms. Arsenal .SJSG'», p. io) est plus explicite : « La duchesse
de Villeroy, ayant été le mercredi à Marly et parlé au duc de Villeroy
son mari, capitaine des gardes du corps en quartier, qui n'avoit pas
changé d'habit depuis être revenu de Meudon, fut saisie de peur, tomba
malade dés le soir, et mourut de la petite vérole le quatrième jour de
sa maladie. »
I:î-2 MEMOIRES 1 171-1]
Versailles'. L'abbé de Louvois- et le duc de Villeroy
s'enfermèrent avec elle. Le premier en fut inconsolable ;
l'autre ne le fut pas longtemps, et bientôt jouit du plaisir
de se croire hors de page\ Il n'étoit pas né pour y être;
son père, trop tôt après, le remit sous son * joug ■'.
Mort de L'Empereur mourut en même temps à Vienne, de la
cmpcr.'ur nième maladie, et laissa peu de regrets". G'étoit un prince
.lospph. l'nnce ' r o r
1. Elle mourut dans la nuit du 22 au 23 avril, à l'hôtel de Villeroy,
où elle s'était fait transporter dès les premiers symptômes de maladie ;
elle n'avait que trente-deux ans (Dangcau, p. 388 et 393 ; Sourches,
p. 96-98 ; Gazette, p. 210 ; lettre de Mme de Maintenon à la princesse
des Ursins, dans le recueil Bossange, tome II, p. 174 ; Lettres histori-
ques et galantes de Mme Dunoyer, tome IV, p. 49). Elle fut inhumée
le 24 au Calvaire du Marais.
2. Son frère: tome XIX, p. 47.
3. « On dit hors de page, pour dire hors de la puissance, hors de
la dépendance d'autrui » (Académie, 1718).
4. Avant son, il a biffé sous j.
5. Voici la lettre de condoléances que Mme de Maintenon écrivit au
maréchal de Villeroy à l'occasion de la mort de sa belle-tille et qui a
passé en vente publique le iJO mai 1878: « A Marly, ce 23 avril 1711.
J'ai trop bien connu l'amitié, l'estime et la considération que vous
aviez pour Mme la duchesse de Villeroy, pour ne pas comprendre,
Monsieur, quelle est votre douleur. Je vous assure, Monsieur, que cette
perte est sentie à la cour, dans un temps où il semble qu'on ne pou-
voit compter celle des particuliers. Madame la Dauphine a bien versé
des larmes, et tout le monde regrette une personne qui, par toute
sorte d'endroits, remplissoit si bien sa place. M. le duc de Villeroy est
fort aimé, et son malheur est si grand, qu'il est impossible de n'en
être pas touché. J'espère que ni vous, ni lui, ni M. de Louvois, ne
douterez que je ne sois plus sensible qu'une autre, puisque je suis
plus que personne votre très humble et très obéissante servante. Main-
tenon. »
6. Il mourut le 17 avril, après neuf jours de maladie, n'ayant pas
encore trente-trois ans {Gazette, p. 231-232 et 243-244 ; Gazette
d'Amsterdam, n°~ xxxiii, xxxiv et Extraordinaire, et xxxv ; Journal
de Verdun, tome XIV, p. 428-430 ; Lettres historiques, tome
XXXIX, p. 520 et suivantes ; Gazette de Leyde, n"* 33 et suivants ;
Journal de Dangeau, p. 393, 398 et 399 ; Mémoires de Sourches,
p. 98, 100 et 102 ; Mercure de mai, 2* partie, p. 1-31 ; Lettres de
Mme Dunoyer, tome IV, p. 11-12; Lettres de Mme de Maintenon,
(I7M| DE SAINT-SIMON 133
emporft'', violent, rl't'sprit et de laliMiN an-dcssoii^ du mé- Eugi'no mal
d, • • • L t t I' ' 1 ri ' avec «on
locre', qui vivoit avec fort peu d «'gnrds pour 1 Inipera- gucccsbcur
trice sa mère', qu'il fit pourtant régente', peu de ten- [AddiP-s. lOOi]
dresse pour l'Inipéralrice sa femme*, et peu d'amitié et de
considération pour 1 Archiduc son frère. Sa cour étoit
orageuse, et les plus grands y étoient mal assurés de leur
état. Le prince Eugène fut peut-être le seul qui y perdit :
il avoit toute sa confiance % et il étoit fort mal avec l'Archi-
duc, qui se prenoit à lui du peu de secours qu'il recevoit
de Vienne, et qui ne lui pardonnoit pas d'avoir refusé
d'aller en Espagne**. Ce mécontentement ne fut que replâ-
tré" par le besoin et les conjonctures; mais jamais le
prince Eugène ne se remit bien avec lui : il n'y eut que
du dehoi's, sans amitié et sans confiance, et, quant à la
recueil Bossange, lome II, p. 174, 176 et IS'î, et édition 1806, tome
IV, p. 23'2--233 ; Mémoires de Villars. lome III. p. 104). Le duc de
Bourfrofjne écrivit à son frère le roi d'Espagne une lettre qu'a publiée
l'abbé Baudrillart (3/As\sîO« e?i Espagne, p. 77-78), et Philippe V crut
devoir adresser à l'Archiduc une lettre de condoléances, (\m lut ren-
voyée sans avoir été ouverte {Mémoires de Noailles, p. '240-'2tl). Il y a
des détails sur sa mort dans le volume Guerre "i'iiOO, n" 386.
1. C'est ce qui a déjà été dit dans le tome XV, p. 49'2. On préten-
dait en outre qu'il était inhabile à procréer, et le frère Jacques (notre
tome X, p. 322) fut appelé pour lui donner des soins à ce sujet.
2. Éléonore-Madeleine-Thérèse de Baviére-Neubourg, troisième
femme de l'empereur Léopold.
3. Pour les Etals héréditaires seulement (Gazette, p. 244).
4. Wilhelniine-Amélie de Brunswick-IIanovre.
o. Avant 1704, l'empereur Joseph lui avait fait don de l'île Sainte-
Marguerite, près Vienne (Gazette, p. 2o6).
(). On a vu, dans le tome XV, p. 436, qu'Eugène avait en etl'el re-
fusé d'aller en Espagne, trouvant l'armée impériale dans ce pays trop
peu importante, et qu'il y avait été remplacé par Stahrenberg, qui sut
profiter aux dé|i('ns d'Eugène du nu'conicntement de l'Archiduc.
Saint-Simon revieiulra sur c«' sujet dans le prochain volume.
7. Ce mot, qui n'entra dans le Dictionnaire de l'Académie qu'en
1762, signifie « raccommoder d'une manière précaire », plutôt que
« chercher à couvrir quelque faute, quelque sottise », seule déiinition
que donnât le Dictionnaire de Trévoux pour le sens ligure. Il a déjà
passé, mais sans note, ilans notre tome II, |i. 183.
134 MÉMOIRES [1741]
considération et au crédit, ce qui seulement ne s'en pou-
volt refuser, quoi que le prince Eugène pût faire sans se
lasser de ramer ' inutilement là-dessus jusqu'à la mort.
Celle de l'Empereur fut un grand coup, et de ces fortunes
inespérables, pour conduire à la paix et conserver la mo-
narchie d'Espagne-. Je ne m'arrêterai pas à ces grandes
suites parce qu'elles font partie de ce qui se passa en
Angleterre pour préparer au traité de paix signé à Utrecht,
et ensuite avec l'Empereur nouveau, et que ces choses se
trouveront mieux dans les Pièces^ que je ne pourrois les
raconter, comme y étant de main de maître ; je dirai seule-
ment ici que Torcy alla incontinent après trouver l'électeur
de Bavière à Compiègne, où il demeura un jour avec lui ''.
Mort de Voysin perdit Mme de Vaubourg sa sœur^ femme de
M mes de
1. Ci-dessus, p. 77.
2. L'abbé de Pomponne écrivit en juillet suivant un mémoire inti-
tulé « Essais politiques sur les mesures que la France peut prendre
dans le grand événement de la mort de l'Empereur » (Affaires étran-
gères, vol. France 309, fol. 33-57). Il y a d'autres mémoires sur le
même sujet, datés d'avril et mai, par M. de Bonnac, par Chamoy père,
par Gravelle, par Frischmann, et par d'autres diplomates, dans les vo-
lumes Autriche 89, fol. 71, 80, 116, 125, 133, 158 et 194, et 90, fol
311-326. On trouvera ci-après, à l'appendice V, un Mémoire que le
duc du Maine présenta au Roi en mai 1741. — Les pièces relatives à
l'élection du successeur ont été insérées dans le recueil de Lamberty
(tome VI, p. 623-668). A l'occasion de cette mort, le cardinal de
Noailles publia un mandement que la cour de Vienne jugea offensant
(Lettres historiques, tome XXXIX, p. 676-680).
3. En marge du manuscrit : « Voir les Pièces ».
4. Journal de Dangeau, p. 397 ; Mémoires de Sourches, p. 102 ;
Journal du marquis de Torcy, p. 428-429. L'objet du voyage était de
conférer avec l'Electeur sur les modifications que la mort de l'Empe-
reur allait amener dans la politique européenne. Depuis l'année pré-
cédente, M. de Bavière, très inquiet de la tournure que prenaient les
événements, ne cessait de tourmenter les cours de Versailles et de
Madrid, soit pour qu'on ne traitât pas sans son intervention, soit pour
obtenir de négocier séparément avec les alliés {Journal de Torcy,
p. 89, 99-103, 105-115, 133-134, 141-147, 201-202, 236-240, etc.; vol.
Espagne 203, passim ; vol. Bavière Supplément 2).
5. Marie-Madeleine Voysin : tome XVII, p. 452. Elle mourut le
117111 DE SAINT-SIMON. IS'l
mérite dont le mari, conseiller d'État, capable et d'une Vaubourg et
grande vertu, étoit frère de Desmaretz'. Ce lien les entre- ^^^° '
tenoit ersemble, et sa rupture eut des suites entre eux.
Peletierce Souzy perdit aussi MmeTurgot, sa fdle-, qu'il
aimoit av?c passion*, et avec grand raison. Son gendre^
étoit un bitor"^ qu'il ne put jamais soutenir dans les inten-
dances, ni faire conseiller d'État*^. Le fils de celui-là'' l'est
devenu avec beaucoup de réputation*, après s'en être
acquis une grande d'intégrité et de capacité dans la place
de prévôt des marchands, et dans des temps fort diffi-
ciles ^ Le vieux Caravas '^ mourut aussi, qui alloit mentir Mori
de Caravas*.
[Add. S'-S 1003]
y mai, à l'âge de quarante-six ans (Dangeau, p. 404 ; Gazette, p. '"2o"2 ;
Mercure de mai, '2'" partie, p. 78-80).
1. Il a été parlt de M. de Vaubourg en dernier lieu dans le tome
XX, p. 16U66.
"1. Marie-Claude le Pelelier de Souzy avait épousé en 4688 Jacques-
Etienne Turgot deSousmont ; elle mourut le 4 mai, après une longue
maladie et des suitts de la grande opération (Dangeau, p. 402; Sour-
ches, p. 104 et lOo..
3. C'est aussi ce oue disent les Mémoires de Sourches.
4. Tome XVIII, {. 114.
5. Mot déjà rencoitré dans le tome VII, p. 87.
6. Comparez la prmière rédaction en 1709 : tome XVIII, p. 114.
7. Michel-Etienne Turgot: ibidem, p. llo.
8. Au moment oi Saint-Simon écrit (1742), répétant ce qu'il avait
déjà dit sous l'année 1709 (tome XVIII, p. 114), ce Turgot n'est en-
core que conseiller dEtat semestre depuis 1737, et il ne passera ordi-
naire qu'en 1744.
!). II occupa ces t'oictions de 1729 à 1740.
10. Louis-Armand Couffîer, comte de Caravas, avait été cornette aux
chevau-légers de Cordé pendant le séjour de celui-ci en Flandre; il
quitta son parti en 1(54, et se retira on Hollande, où il lit le mariage
dont il va être question, mais revint peu après en France ; il eut un tils,
qui fut tué à Nerwirde. Il est parlé de lui et de sa femme dans le
Voyage à Paris de dutx jeunes Hollandais, p. 123, 170-171 et 340.
In arrêt du Conseil rMatif aux biens que Mme de Caravas possédait en
Hollande est dans le registre E 1897 des Archives nationales, 19 oc-
tobre 1696.
* .Manchette placée •rois lignes trop bas dans le manuscrit.
136
MEMOIRES
[niij
Mariage des
deux filles de
partout' à gorge déployée-. Il étoit Goufiier^ et avoit,
par je ne sais quelle* aventure, épousé autrefois en Hol-
lande la tante paternelle ^ de ce Ripperda dont la subite
élévation au premier ministère d'Espagne, la rapide
chute et la fin ont tant tait de bruit dans le monde ^
Beauvau qui avoit été capitaine des gardes de .Monsieur'',
1. Le mot partout a été ajouté en interligne.
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donoait que rire à
gorge déployée, c'est-à-dire de toute sa force.
3. D'une branche issue du troisième tils du grand éfuyer; elle n'eut
que trois générations et s'éteignit avec celui dont il est ici question.
4. Quel, par mégarde, dans le manuscrit.
8. Elisabeth de Ripperda, tille d'un député de la province de Guel-
dres aux États-Généraux, épousa M. de Caravas en 4656, tandis que
son frère épousait la sœur de son mari.
6. Jean-Guillaume, baron puis duc de Ripperda, né à Groningue le
7 mars 1682, commença par avoir un régiment ^'infanterie hollan-
daise, puis fut envoyé à Madrid en février 1715 comme ambassadeur
des Provinces-Unies. Rappelé au commencement ie 1718, il retourna
à Madrid en août de la même année, dans l'inteJlion de s'établir en
Espagne, et embrassa à cet effet la religion catholique. Il installa alors,
tant en ce pays qu'en Portugal, des manufacture^ de draps, qui réus-
sirent mal. Il était cependant en rapports constants avec la cour, si
bien qu'au commencement de 1725, il fut envoyé à Vienne en mission
extraordinaire et réussit à signer, le 30 avril, un traité de paix et de
commerce avec l'Empereur. A son retour, il reçut la grandesse et le
titre de duc, et partit pour une nouvelle mission à Vienne. Revenu en
décembre, il fut nommé secrétaire du despacho et, en janvier 1726,
les secrétaireries d'Etat de la guerre et des finances furent unies à ses
fonctions. Disgracié le 24 mai suivant et enfermé au château de Sé-
govie, il réussit à s'échapper le 2 septembre '^^28, passa en Angle-
terre, puis en Hollande, et enfin se rendit au Mafoc vers la fin de 1731.
S'étant insinué dans les bonnes grâces du Sultan, il embrassa l'isla-
misme, et, parmi des alternatives de faveur et de disgrâce, forma le
projet de réformer la religion musulmane. Il f.it enfin obligé de se
retirer à Tétuan en 1734, et y mourut au commencement de novembre
1737. De nos jours, feu M. G. Syveton en Fraice, M. Duckett-Bulau
en Angleterre, et M. Rodriguez-Villa en Espagne, ont étudié les points
mystérieux de sa biographie. Saint-Simon, qui le connut à Madrid
en 1721, reparlera fréquemment de lui dans la suite des Mémoires.
7. Gabriel-Henri, marquis de Beauvau, de la branche de Mont-Gaugé
(IIHI OF SAINT-SIMON 137
et qui (s'étoit'l retiré de la eoiir, et prescjiie du monde, Boanvau avec
, . , . ,, •' i- 1 I ' •( l'.r-auvau nt
depuis lonj^'ttMiips, d une manière loil obscure, n avoil choiscul.
(jue deux lilles' fort riches' : ii les maria toutes deux
en ce temps-ci ^ l'une au comte de Beauvau, mort bien
longtemps depuis lieutenant général, gouverneur de
Douay, et chevalier de l'Ordre de 1724\ l'autre au mar-
quis deChoiseul\ le seul de cette grande maison" qui
fût à son aise\
Ce seroit ici le lieu de présenter un nouveau tableau
(château do la communo actiipllede Chérac, enSaintonge), eut d'abord
une compafinie de gendarmerie, puis acheta en 1682 la charge de capi-
taine des gardes de Monsieur; il ne mourut que le t"2 juillet 1727, à
quatre-vingt-trois ans.
1. S'estoit. ajouté en interligne, a été ensuite biflé par mégarde.
i. Marie-Thérèse, mariée à son cousin le comte de Beauvau, dame
de la duchesse de Berry de 1715 à 1717, morte le 7 septembre 1736,
à cinquante-et-un ans; et Henriette-Louise, qui épousa M. de Choi-
scul, et qui mourut, au môme i\ge que sa sœur, le 28 mars 1737. Elles
étaient (illes du ()remicr mariage de Gabriel-Henri avec Marie-Angé-
lique de Saint-André, hlle d'un trésorier général de la marine et des
galères (20 octobre 1682; contrat du 18 dans le registre Y 243^
fol. 82 V"). Leur père avait épousé en secondes noces en 1694 Marie-
Madeleine de Brancas, dont il avait plusieurs entants.
3. Lorsqu'on 1708, il avait été question du mariage de l'aînée avec
un Polignac, l'annotateur des Mémoires de Sourches lui attribuait
deux cent cinquante mille livres de dot (tome XI, p. 86).
4. Le double mariage eut lieu le 28 avril ; Dangeau (p. 399) en an-
nonce la nouvelle le 30. Les deux contrats, du 27, existent dans le
minutier do l'étude Crémory.
o. Piorro-Madoloine : tome XVIll, p. InO et .MO; il osl mort le
30 mai 1734.
6. Hubert do Choiseul do la Uivière, dit le marquis do Choisoul,
mestre de camp du régiment de cavalerie de la Reine en 1692, briga-
dier en 1702, avait cjuitté le service t^n 1706 et était voul" depuis le
26 novembre 1710 t\c Mario do Lambortye, (|u'il avait épousée le
20 mars 1691 ; il mourut dos suites tic l'opération (\o la laille, le 10
juin 1727, :igé de .soixante-trois ans.
7. Il en a été parlé dans le tome XX, p. 323.
8. C'est Dangeau (jui a dit (p. 39!)) : « On ra|>pelle le riclie Clnù-
seul, pour le distinguer de ceux qui portent ce nom. (jui sont en
grand nombre et moins bien dans leurs alVaires. »
138
MÉMOIRES
11711]
Reprise de
Taffaire
d'Épernon.
Force
prétentions
semblables
prêtes à
éclore ; le ir
impression sur
les parties du
procès
d'Epernon.
\Add. S'-S. 1004]
de la cour après un changement de théâtre qui dérangea
si parfaitement toute la scène ; mais cette nouvelle qui
succéda' a tant de liaison avec toutes les suites, qu'il
esta propos delà rejeter après le récit d'une ^ affaire
trop importante pour être omise ^ quelque longue et
ennuyeuse^ qu'elle puisse être, et qui eut tant de trait à
d'autres temps, d'autant plus que, commencée avant la
mort de Monseigneur, elle a été différée jusqu'au temps
de sa conclusion pour ne la pas interrompre. Il faut
donc retourner sur nos pas. Outre l'importance, il ne
laissera pas de s'y trouver quelques traits curieux.
C'est de l'affaire de d'Ântin qu'il s'agit de reprendre "
jusqu'à sa conclusion*. Ce n'étoit pas la seule dont il pût
être question. Une quinzaine de chimères, plus absurdes
les unes que les autres, étoient prêtes à éclore. Les vi-
sions attendoient l'événement de celle de d'Ântin pour
différer à un autre temps, ou pour entrer en lice" si la
sienne réussissoit, avec la confiance que le Roi et les juges
les protégeroient volontiers, pour montrer que, sans être
1. La nouvelle scène qui succéda à la précédente.
2. Un, par mégarde, dans le manuscrit.
3. Le commencement à^obmise surcharge les lettres ad.
■4. Saint-Simon a écrit après ennuyeuse un que inutile.
5. Le récit est resté suspendu dans notre tome XX, p. 290. A la
suite de la permission que lui avait accordée le Roi et dont il a été
parlé au même tome, p. 261-264, M. d'Antin avait obtenu, le 13 jan-
vier 1711, un arrêt en forme l'autorisant à poursuivre devant le Par-
lement ce qu'il aviserait bon, et levant la défense portée le 7 juillet
1665, à la suite de l'opposition des ducs (ibidem, p. 263, note 3). Dès
le 27 janvier, l'instance de 1663 fut reprise, et, le 31, il adressa une
requête en permission d'assigner les successeurs des opposants de
1663, et demandant à être reçu à prêter serment. C'est alors que fut
rédigé par Magueux le mémoire pour les ducs dont nous avons parlé
au tome XX, p. 271, note 3. Saint-Simon rappellera dans la suite des
Mémoires (tome IX de 1873, p. 31) qu'il présenta cette pièce au duc
de Bourgogne, et que le jeune prince l'approuva.
6. Avant conclusion, Saint-Simon a effacé du doigt le mot fin.
1. « On dit figurément entrer en lice, pour dire s'engager publi-
quement dans quelque contestation » {Académie, 1718).
II71I| PE SAl.NT-SIMO.X. 139
favori, on gagnoil dos causos contre toutes sortes do
règles. I.t's prooos existants t'toiont celui de M. de Luxem-
bourg, »|u'il MMioit de remettre en train judiciaire', en
même temps (|u'il s'étoit joint aux opposants à la pré-
tention tie d Antin, et j'agissois déjà pour tâcher d'annu-
ler l'arrêt sans force et sans mesure qu'il avoit obtenu -,
et le réduire à l'ancien détroit^ d'option entre son érec-
tion nouvelle, ou n'être point pair; je passe légèrement
sur cette affaire si bien expliquée au commencement de
ces .\fp/noirfs^, et par les factums imprimés de part et
d'autre" qui sont entre les mains de tout le monde, et
celui' d'entre M. de la Rochefoucauld et moi' ; ceux qui
n'étoient pas encore formés, mais tout prêts à l'être, celui
d'Aiguillon et celui d"Estouteville^ Les chimères encore re-
cluses', mais qui n'attendoient pas moins impatiemment la
conjoncture de paroître en prétentions, étoient celle de l'an-
cienneté de Chevrousede l'érection en faveur des Lorrains'",
et celle de Chaulnes, toutes deux dans la tête et dans la
volonté du duc de Chevreuse" ; celle de l'ancienneté de
t. « Train se dit aussi tigurônienl: le train des affaires, le train du
monde » (Académie, 1718).
'2. Dont il a parlé en dernier lieu dans le tome X, p. 49.
3. Au sens de passage resserré et, par conséquent, d'alternative
difficile. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait pas ce
ternie au lifiuré. LiUré en cite des exemples de Fontonelle, de Mar-
monlol et d'André Ghénicr, et nous le retrouverons dans la suite dos
Mémoires, éd. 1873, tomes XI, p. 31. XII, p. 443, XVI, p. 171, et
XVII. p. 3-2"2.
'». Dans nos tomes II et III.
.'». Voyez tome II, appendice I, et tome III, appendice IX.
<». El sur celui, pour celle (alVaire).
7. Il a été parlé en dernier lieu de cette contestation dans nos
tomes X, p. .oO-.')l, et XIX, p. (i-7.
8. Dans notre tome XX, p. 9o-9(i, et appendice XII.
9. Terme déjà rencontré ci-dessus, p. \'2, à propos de Mlle de Clioin,
mais avec une application particulière ici.
10. Tome II. p. 91.
11. Tome XX. p. '28'2. Saint-Simon va v revenir plus loin, p. 163-171
et 18-2-185.
I'.n MÉMOIRES inii]
Rohan, du grand-père maternel du duc de Rohan Cha-
bot' ; celle des premières érections d'Albret et de Châ-
teau-Thierry, dont M. de Bouillon ne pouvoif se départir^,
et dont on a vu ailleurs que le premier président llarlay
s'étoit moqué si cruellement en parlant à sa personne^.
Il n'y avoit pas jusqu'aux Bissy à qui l'ivresse de la faveur
de leur évèque de Meaux ne tournât la tête, jusqu'à pré-
tendre la dignité de Pont-de-Vaux\ et cinq ou six autres
de même espèce, dont, par les tortures prétendues" ap-
plicables aux duchés femelles, eussent eu lieu, et tom-
bées dans la boue par des alliances et des arrière-al-
liances'^ déjà contractées'. C'est ce qui nous faisoit peur,
pour le renversement entier de tout ordre et de toute
règle parmi nous, par l'achèvement de toute ignominie
1. Ce duché, érigé en 4603, pour le fameux chef des Huguenots
Henri de Rohan (tome V, p. 246), s'était éteint en 4638 par la mort
du titulaire et avait été érigé de nouveau en 4645-4648 après le ma-
riage de sa tille avec Henri Chabot.
2. Nos tomes H, p. 64 et 94, XIV, p. 244, et XX, p. 283.
3. Tome II, p. 94.
4. La terre de Pont-de-Vaux, en Bresse, fut érigée en duché par
lettres de février 4623, en faveur de Charles-Emmanuel de Gorrevod
et à la prière du duc de Savoie, dont il était le favori. Cette érection
ne fut enregistrée au parlement de Dijon qu'en 4627, après la mort
du bénéficiaire, et pour son (ils Philippe-Eugène; la dignité s'éteignit
en 4684, à la mort de celui-ci sans postérité. Saint-Simon lui a consa-
cré un article dans ses Duchés vérifiés éteints {Écrits inédits, tome VII,
p. 236-264); voyez aussi Guichenon, Histoire de Bresse, troisième
partie, p. 493-204. Les Bissy faisaient venir leurs prétentions de
Marguerite de Busseuil, qui était fille d'Antoinette de Gorrevod, et
qui avait épousé Héliodorc de Thiard de Bissy le 48 octobre 4388. Les
BaufTremont, les Thiange et d'autres familles moins connues préten-
daient également à la succession, sinon au duché. On trouvera aux
Additions et corrections quelques notes sur l'érection de Pont-de-Vaux.
o. La première lettre de prétendues surcharge un d.
6. Il écrit arriéres alliances.
7. Tel est bien le texte du manuscrit. Saint-Simon veut dire que ces
chimères ne pouvaient exister qu'en torturant les règles prétendues
applicables aux duchés femelles, et qu'elles étaient déjà tombées dans
la boue par des alliances de bas étage.
Iiiiii in: sAi.\-siM(i.\, ui
dans la transmission de ces digmli-s sans nicsui"»', cl,
nu'ini' l'n rt'ussissani ((inlrc cik's, par une vii' mist'rable
dt'cijifant's, de procès et do pruct'drs, t'Iiacun ne inan<juant
point d»' tliicaïu's vi. de subtiTluges pour détourner di' des-
sus soi la condamnation deson voisin, cl même de son sem-
blable,et se présenter liardimeni sous des apparences d'es-
pèces difté rentes. C'étoit néanmoins ce (jui nous pouvoit
arriver de mieux que de gagner en luttant, et de nous con-
sumer en luttes. Nous ne cessions de nous plaindre de ces
amas de prétentions et de procès, que nous nous voyions
pendre sur la tète par le fait de d'Antin, (jue son exemple
avoit ranimés, et nous nous servions de ce débordement
pour aggi'aver ' l'importance de laisser les choses dans
les règles de tout temps suivies et reconnues. DAntin,
qui s'en aperçut, et que ce que nousalléguions là-dessus ne
nousétoit pas inutile, sut tourner court, et prendre au bond
cette balle - avec finesse, pour s'en servir lui-même avec
avantage. Outre tout le mauvais de sa cause en soi, dont
il fut toujouis très peisuailé, comme il nous la avoué
depuis, il sentoit lextiême embarras où il alloit tomber
par nos fins de [non] recevoir\ qu'il ne pouvoit assez
s'étonner que nous eussions découvertes, ce qui étoit
l'ouvrage de Vesin', l'un de nos meilleurs avocats. La
clause dirimanle* par la mésalliance de Zamet', de la-
quelle seule il tiroit son piM'lcndu di'oit, étoit sans i-é-
1. Aagraver, dans le manuscrit.
'î. « On dit tigiirément prendre Ut balle au homl, |iniir dire se
servir de ("occasion » (Académie, 1718).
3. « Fin de non-recevoir est une exception par laquelle on soutient
qu'un liommc n'est pas recevable à intenter une action, une demande »
{Académie, 1718). — Saint-Simon a oublié tion avant recevoir.
'♦. Pierre Vesin. secrétaire du Roi et ancien bâtonnier de l'ordre
des avocats, mourut le o juillet \l'2o, à soixante-quinze ans: voyez
notre tome XX. p. -ÎSV>, note 3.
ii. « Dirimant, terme de droit canon : (|ui emporte la nullité »
(Académie, 1718).
G. Tome XX, p. iSS-'ldO.
\M MÉMOIRES [1711]
ponse, et il n'avolt garde d'être tranquille sur son acqui-
sition d'Épernon', autre fait dirimant. Monseigneur, qui
Y étoit mêlé, eût pu le lui reprocher durement, et don-
ner lieu à ses ennemis de Meudon, qui commençoient à
prévaloir, de lui faire un crime auprès de ce prince
d'avoir abusé de sa faveur pour une acquisition dont
il ne lui avoit pas montré l'objet, et lui faire faire bien
du chemin- dans la descente ^ Il s'y joignoit un mal-
aise du Roi, importuné de ses absences, qui pouvoit
aisément se tourner en dégoût, ou en habitude de
se passer de lui pour les bagatelles dont il savoit faire un
si habile usage. Un contraste* assez ferme qu'il eut à la
porte de Dongois, greffier du Parlement % avec les ducs
de Charost et de Berwick, sur des procédés, et qui
furent poussés assez loin de la part des nôtres, sur quel-
ques longueurs dont il voulut se plaindre, tandis qu'il
nous y avoit forcés par un piège, et la hauteur dont la
chose fut prise de notre part à tous, enfin le changement
de l'air du monde, et môme de celui de la cour, le bruit
sourd du Palais, qui ne lui étoit pas favorable % toutes
ces choses ensemble l'avoient effrayé dès le carême,
jusqu'à le désespérer intérieurement du succès, et lui
faire craindre de perdre encore autre chose que son
procès. Ces mêmes choses firent une impression pareille
au duc de Chevreuse pour ce qui le regardoit, qui,
né timide et chancelant, crut voir sa condamnation
1. Tome XX, p. 287.
2. « On dit proverbialement qu'on fera voir bien du chemin à
quelqu'un, pour dire, qu'on lui donnera bien de l'exercice et de la
peine » (^Académie, 1718). Ici l'expression est un peu différente.
3. C'est-à-dire dans la diminution de son crédit.
4. Débat de paroles : tome XX, p. 319.
5. Nicolas Dongois: tome II, p. 237.
6. C'est pour cela qu'il avait songé à récuser comme parents de quel-
qu'un des ducs et pairs les présidents de Mesmes, de Xovion, le Bail-
leul, de Menars, de Maisons, d'Aligre, de Lamoignon et Mole (vol.
France 222, p. 209-210).
\\-i\\ DK SAlNT-SI.Md.N. 143
(•crilf' par l«'s cpiiios (|ik' le lavori ('proiivoit. Kuiicinis d»*
cabale, ot sur toute autre chose, mais liés tous* deux sur
ces matiôres, tant l'intérêt a de pouvoir jusque sur les
plus honnêtes gens tels que l'étoit Chevreuse, il tourna
M's pensées au souvenir d'un règlement général projeté
lors du procès de feu M. de Luxembourg, et il espéra
du crédit de d'Antin de remettre ce règlement sus, et de
faire passer son second fds duc de Chaulnes avec lui, en
abandonnant leui's prétentions de l'ancienneté d'Eper-
non et de celle de Chevreuse. Ce point, si funestement ca-
pital, mérite d'être un peu plus expliqué dès son ori-
gine.
Loi's du plus grand iiioiiv«'rnent, en 1694, du procès Ancien projet
entrepris par M. de Luxernbouri^ contre ses anciens, il e r. g .mon
r I o ' sur les duchts-
fut fait un projet, cjue j'ignorai longtemps depuis\ qui pairies en
réeloit en foi'me de déclaration du Hoi les transmissions tp-''*; *"" sort
, I 1 1- • / I I -1 II I • '"'o'"* ; pcrver-
contestees de la dignité de duc et pair, laquelle excluoit site du premier
presque entièrement les femelles, mais qui, avec cet pn-sident
' , Il -, i 1''. Il- . 1 d'IIarlav, qui
appal aux ducs, les assommoil* par 1 établissement du le dressa.
grand rang des enfants naturels du Koi. Ilailay, premier
président, qui papegeoit pour la place ^ de chancelier*,
que le cadavre de Boucherai remplissoit enco^e^ qui,
1. Écrittes corrigé en écritte, dans le manuscrit.
2. Le commencement de tous surcharge d'.
\\. Il n'en a point parlé en effet en 1694-4696.
4. Ce mot n'était pas donné au sens figuré dans le Dictionnaire de
l'Académie de 1718. Nous avons eu assommoir et assommant dans le
tome XIV. p. 64 et '265.
;i. Qui visait à la place. Ce verbe, que ne donne aucun dictionnaire
ou lexique, et dont Littré lui-m(>me n'a pas relevé le présent exemple,
se retrouve dans le Jaurunl de Ddni/cnu (tome VII, p. iO'î) et dans
les Mémoire>i de Sourches (t. III, p. 164), en parlant des cardinaux
qui visent au souverain pontilical. Il n'aurait donc pas de rapport
avec le nom du papegeai. cet oiseau de carton ou de bois peint que l'on
plantait au bout d'une perche pour s'exercer au tir.
6. Tomo IL p. rifiet lOS.
7. En 1694. lioiicherat avait soixanle-dix-huit ans.
• Aprt'-s alors, S.iint-Simon i liifTi- (/ lians ce temp$ cy.
U4 MÉMOIRES [17111
procureur général, avoit ouvert la voie en faisant légiti-
mer le chevalier de Longueville, tué depuis, sans nom-
mer la mère ', qui avoit eu, pour cet exécrable service,
parole réitérée des sceaux, voulut, vil et détestable es-
clave du crime et de la faveur, cueillir les fruits de son
ouvrage par ce couronnement inouï de ces enfants, qui,
sans lui et son invention cauteleuse et hardie, eussent
forcément été ceux de M. de Montespan, peut-être des
enfants trouvés, dans l'impuissance d'énoncer père ni
mère-. C'étoit donc bien moins en faveur de la paix que
cette déclaration avoit été conçue, et pour mettre des
bornes fixes et précises aux transmissions des duchés fe-
melles, que pour la grandeur des bâtards. Harlay y avoit
fait consentir M. de Luxembourg et son fils; mais ce
projet fut tant tourné, rebattu, rajusté, que le Roi, du
goût duquel ces choses ne furent jamais, l'abandonna
sitôt que, par une voie plus militaire ', et, telle qu'elle a
été racontée*, il eut trouvé plus court de donner à ses
fils naturels, et bientôt après à leur postérité'', en la per-
sonne du duc de Vendôme, une préséance énorme, qui,
lui ayant paru alors le comble de leur grandeur et de sa
toute-puissance, ne devint pourtant que le piédestal des
Duc horribles prodiges qu'on a vus depuis en ce genre*. Le
do Chcvreuse*, ^jy^ ^jg Chevreuse, d'accord avec d'Antin, parla au Ghan-
de concert avec i- n i • i • i i i • d
d'Antin, gagne ceiier. 11 iui donna envie de la gloire d un ouvrage qui
le Cliancelier finiroit toutes ces fàcheuses contestations, et toucha
^ment "u^ce*^' peut-être en lui la partie foible du courtisan désireux d'a-
1. Tome II, p. 56.
2. Saint-Simon a écrit par mégarde père ny père.
3. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait pas d'emploi
de cet adjectif au ligure comme nous l'avons ici. On disait seulement :
recouvrement par la voie militaire, manu militari.
A. Tome II, p. 104-107.
5. Ces deux mots sont en interligne, au-dessus d'un premier leur
postérité, biffé après que Saint-Simon eut corrigé leur en leurs.
6. Ces trois derniers mots ont été ajoutés en interligne.
• Après Chevreuse, il a biffé guigne.
[17111 DE SAINT-SIMON Ur,
planir à son riiaîtrt' la voie tl l'K'xcr (.!<■ j)lus en plus ses modMe. Lo
.•nfatils iKituirls. ft iraclu'viT la forluiu' de son favori vn ^|""'"lier
_ m ••[! coiilie
se conciliant ces graiids personnages du t(iii|i-. pit-^ent. iiiic»- et lan-
Le ChaniM'Iici-, L'agrir, in'tMi parla tl'ahord aNcc une en- cien projet*;
.... • . •. 1 . , raison»" qui
tu're ouverture, mais uin' ini[)<isiti()n ctroilc tiu secret', m'y font entrer
Nous agitâmes la mati«'rt', cl j'avouerai à ma lionl»', ou «ans c-n prévoir
ni- , • •• , "l f • » I I 11' funeste, <t
e (I autrui, (juc. n imagiiiaiH pas (|u il tut dans la j'y travaille
possibilité de trouver^ poui* les bâtards rien au di'là de seul avec lo
<•»• qu'ils avoient. il ne m'entra pas dans l'esprit qu'ils Ghanccher.
prolita-^sent du règlement (|ui se pouvoit mettre sur le
tapis autrement que par une confirmation de tout ce
dont ils étoient en possession, qui n'ajoutoit rien à leur
droit ni à leur jouissance, (^e fut par oii nous commen-
çâmes. Le Chancelier me fit bien entendre, et sans peine,
que le chausse-pied de la déclaration, ce fut son terme,
seroit inévitablement l'intérêt des bâtards, causa sine
qua^ non du Hoi en toutes ces matières; mais, avec ma
sotte présupposition \ qu'il appuya, et, je crois, de bonne
foi alors, je conclus qu'il valoit mieux, à ce prix, sortir
tout d'un coup, par une bonne déclaration, de tant d'af-
fa'res^ que de nous y laisser consumer. Je pensois que
couper à jamais toutes racines de questions de préséance
entre nous nous mettroit à couvert des schismes qui se
mettoient si sou\ent parmi nous, et que nous délivrer
une bonne fois des ambitions femelles nous délivreroit*
\. Emploi à'' imposition avec régimt' relevé par Litlré.
'1. De trouver est en interligne, au-dessus de d'imaginer, biffé.
3. Il a écrit qud, avec accent circonflexe, mais sans souligner ces
mots latins.
4. a Prcsupposition, supposition préalable » (^Académie, 1718).
5. Les mots tout d'un coup sont répétés, par mégarde, après af-
faires.
6. Delivreroient (sic) est en interligne, au-dessus de mettraient à
couvert, biffé.
•Après projet, il a bifT<< J'y entre sottem' sans en prévoir le funeste.
•* Les pn-mière» lettres de rniMont et d'entrer, plus loin, surcbarf^ent
d'autres lettres effacées du duigt.
MKMOIKES DE SAINT-SIMON. XXI 10
U6 MÉMOIRES [1711]
des désordres et des successions indignes qui achevoient
la confusion. Je considérois une barrière aux favoris pré-
sents et futurs d'autant plus à désirer, que l'âge du Roi
en faisoit craindre de capables de s'en prévaloir avec
hardiesse ; et il est vrai encore que mon repos particulier
acheva de me déterminer, parce que le poids de toutes
ces sortes d'affaires tomboit toujours sur moi, en tout ou
en la plus grande ' partie, pour le travail dont je ne me
pouvois défendre, et pour la haine qui en résultoit, avec
peu ou point de secours ni d'appui. Ce parti bien pris en
moi-même, et justement fondé sur nos misères inté-
rieures, dont je n'avois qu'une trop continuelle expé-
rience, il fut question d'y travailler. Pour le faire utile-
ment, le Chancelier me montra- le projet du premier
président d'Harlay. Nous l'examinâmes ensemble, et,
pour mieux faire, il me le confia pour en tirer une copie,
et pour, sur cette copie, faire mes notes, afin de les dis-
cuter après avec lui, et arrêter ensemble un nouveau
projet sur cet ancien, qui nous fît trouver notre compte
par des lois sages et justes, et par des avantages qui,
autant que le temps le pouvoit comporter, nous dédom-
mageassent de la confirmation de la grandeur des bâtards,
qu'il falloit bien s'attendre devoir être énoncée dans ce
règlement.
Pour mieux entendre ce qu'il en arriva, il ne sera pas
peu à propos, ni peu curieux, d'insérer ici, plutôt que le
renvoyer aux Pièces, cet ancien projet du premier prési-
dent d'Harlay, avec les notes que je mis à chaque article
de ce que je crus qui y devoit être changé, retranché ou
ajouté, l'ancien projet d'un côté à mi-marge, mes notes
de l'autre vis-à-vis chaque article, tel que je le donnai
au Chancelier. Cet ancien projet avoit été concerté entre
le Chancelier, lors contrôleur général et secrétaire d'Etat
de la maison du Roi et ministre, le premier président
\. La plus grd partie, dans le manuscrit.
2. Monstra est en interligne, au-dessus de donna, biffé.
[nui
DE SAI NT-SIMON
\M
d'IIarlav, ot Da{:^u«'ss»'au, lors avocat ^rnrral, aujour-
dliui chancelier ', communiqué par ordi'e du Koi, et
revu par le duc de Chevreuse, qui en avoit, disoit-il,
perdu la copie qu'il en avoit eue, et convenu pour lui-
même, et par MM. de Luxembourg père et lils pour eux,
et resté en 1096 fixé entre eux tel qu'il suit:
ANCIEN PROJET.
.[!]'■
« Les princes du sang se-
ront honorés en tous lieux
suivant le respect qui est dû
à leur naissance, et, en con-
séquence, auront droit d'en-
trée, séance et voix déli-
bérative au parlement de
Paris\ à l âge de. . . , tant aux
audiences qu'au conseil,
sans aucune formalité.
H.
« Les enfants naturels des
rois qui auront été légiti-
més, et leurs enfants et
descendants mâles qui pos-
séderont des duchés-pai-
ries, auront droit d'entrée,
séance et voix délibérative
en ladite cour, à l'âge
de... ans, en prêtant le ser-
ment ordinaire des pairs,
NOTES.
« Ce premier article
pourroit être omis, comme
tout à l'ait inutile.
Ancien projet
et mes notes
dessus.
« Ce second article pour-
roit être omis, comme tout
à fait inutile. Il y en a une
déclaration expresse \ qui
n'étoit pas lors, et qui est
enregistrée, et confirmée
par un usage constant de-
puis.
i. Dagnossoau, nommé chancelier on 1717, ne sp dômil do celte
charge que le -27 novembre 1750; on a vu que Saint-Simon écrit tout
le présent récit en 17i'i.
i. Saint-Simon a omis ce chiffre I.
3. Les lettres de P surchargent à l.
4. C'est la déclaration du 3 mai 1694 que nous avon.s vue se pro-
\ duire au tome II, f». 107.
148
MEMOIRES
[1711]
ANCIEN PROJET.
avec séance immédiatement
après et au-dessous des
princes du sang, et y pré-
céderont, ainsi qu'en tous
autres lieux, tous les ducs
et pairs, quand leurs du-
chés-pairies seroient moins
anciennes que celles desdits
ducs et pairs.
m.
« Les ducs et pairs auront
rang et séance entre eux
du jour de l'arrêt de l'enre-
gistrement qui sera fait au
NOTES.
« Le duché de Brancas
n'est point vérifié au parle-
ment de Paris, et c'est le seul
existant-. Il est du feu Roi ',
parlement de Paris des let- et perdroit beaucoup à
très portant érection du prendre rang de l'enregis-
duché-pairie qu'ils possè-
dent', et seront reçus audit
parlement à l'âge de vingt-
cinq ans, en la manière ac-
coutumée.
trement qu'il en faudroit
faire présentement au par-
lement de Paris, aux termes
de ce troisième article. On
n'oseroit proposer d'y ajou-
ter la pairie pour dédom-
magement, en prenant la
1. Possèdent corrige posséderont.
2. La terre de Villars, au diocèse d'Apt, en Provence, fut érigée
en duché en faveur de Georges de Brancas, gouverneur du Havre, en
septembre 1627, comme compensation de son gouvernement et de la
lieutenance générale de Normandie ; mais l'érection ne fut enregistrée
qu'au parlement d'Aix, le 24 juillet 1628. En juillet 1651, le même
Georges de Brancas obtint l'érection en pairie ; mais l'enregistrement
n'eut lieu encore qu'au parlement de Provence, le 15 juillet 1657 : ce
qui lit qu'il n'était pas considéré comme pair, le parlement de Paris
ayant seul le titre de cour des pairs. Tallemant des Beaux (Histo-
riettes, tomes I, p. 213, et VI, p. 409) a parlé de cette double érec-
tion. Notre auteur y reviendra avec plus de détails, dans la suite des
Mémoires, tome XIII de 1873, p. 125.
3. C'est-à-dire de Louis XIII ; ces « notes» sont rédigées en 1711.
(<"il) DE SAL\T-SIMO.\ i49
A>CIE> PnOJET. NOTES.
queue do tout, par un en-
registrement de duché-pai-
rie au parlement de Paris',
laissant caduc' celui du
parlement d'Aix'.
« Il y a de grandes rai-
sons pour fixer le rang des
pairs au jour de la réception
de l'impétrant au Parle-
ment; celui de l'enregistre-
ment fîxeroit* le rang des
ducs vérifiés qui ne sont
pas pairs.
« Quant' à l'âge, on ne
peut contester l'indécence
et l'inconvénient d'un trop
jeune âge; mais on ne peut
contester aussi qu'il n'y en
a non plus de réglé pour les
pairs que pour les princes
du sang, témoin le feu duc
1. C'est pourtant ce qu'il proposera dans son Projet de rétablisse-
ment du roijaume de France, rédigé au commencement de l'année
suivante (Écrits inédits, tome IV. p. 227).
2. « On dit en termes de Palais leg!< caduc, succession caduque,
pour signifier un legs, une succession qui n'a pas lieu Faute d'héritiers
ou de fonds, ou faute d'accomplir certaines conditions » (Académie,
I71H).
3. Après Aix, il a elfacé du doigt le mot i7, pour commencer un
autre paragraphe. — Le parlement d'Aix fut créé sous Louis XII par
un édit de juillet 15(11, pour la Provence et les pays en dépendant ;
cette création fut conhrmée par la déclaration du 26 juin suivant. Son
ressort comprenait douze sénéchaussées et unecinquantaine de justices
royales.
'4. Le mot fixerait, écrit à la lin d'une ligne, a été répété au com-
mencement de la suivante.
5. En face de ce paragraphe, il a biiïé, dans l'autre colonne, le
chiffre IV, pour laisser de la place à sa note.
ISO MÉMOIRES [1741]
ANCIEÎS PROJET. 'NOTES.
de Luynes\ reçu à dix-neuf -
ans S et bien d'autres. Puis,
donc, qu'un âge ne peut être
fixé sans faire une nou-
veauté intéressante, et que
les pairs les plus avancés en
âge ne savent pas plus de
jurisprudence que les plus
jeunes, dont l'étude est la
raison principale qui a fixé
l'âge pour la magistrature*,
à laquelle étude les pairs ne
sont en rien assujettis, il
paroît qu'un tempérament
convenable seroit de fixer
l'âge de la réception des
pairs à vingt ans, pour dif-
férence d'avec les magis-
trats.
« Si on omet les deux
premiers articles, il seroit^
1. Louis-Charles d'Albert, père de M. de Chevreuse : tome II, p. 92.
2. 15 corrigé en 19.
3. M. de Luynes fut reçu au Parlement le 24 novembre 1639, et,
comme il était né en 1620, il avait bien dix-neuf ans. Sur la réception,
voyez les Écrits inédits, tomes III, p. 82-83, et VIII, p. 269-270.
4. C'est une ordonnance de novembre 1661 qui avait fixé à vingt-
cinq ans l'âge requis pour être nommé aux charges de judicature,
pour que, disait le préambule, la justice soit rendue par des personnes
dont l'âge, la capacité et la prudhomie soient tels que les peuples en
ressentent le soulagement nécessaire. » D'autres édits d'août 1669 et
février 1672 complétèrent ou modifièrent légèrement les règles fixées
par l'ordonnance de 1661. Entin la déclaration du 22 décembre 1699
fixa à vingt-sept ans l'âge des conseillers au Parlement, à trente-trois
celui des maîtres de requêtes ; mais on pouvait assez facilement obte-
nir des dispenses.
0. Serait est répété deux fois.
17111
DE SAINT-SIMON.
\M
ANCIEN PROJET.
rv.
« Les termes à'ai/ant
cause^ n'auront aucun effet
dans les lettres d'érection
des duchés-pairies^ qui au-
ront été accordées jusqu'à
NOTES.
utile d'ajouter en celui-ci
que les pairs auront entrée,
séance et voix délibérative',
tant aux audiences qu'au
conseil, pour éviter équi-
voque par une expression
différente et- tacite.
« Il seroit nécessaire, pour
couper court à mille nou-
velles et insoutenables diffi-
cultés, d'ajouter que les
pairs garderont dans tous
les parlements du Royaume
la môme forme d'entrer
dans le lieu de la séance et
d'en sortir qu'ils ont accou-
tumé de garder en celui de
Paris, cour ordinaire des
pairs et le premier de tous
les parlements, dont l'exem-
ple ne peut et ne doit être
refusé d'aucun autre.
« Il ne faut point suppri-
mer un terme consacré par
un long usage, et qui, en
effet, est essentiel, mais lui
donner seulement une in-
i. C'est la formule obligatoire. «On dit voix délibérative, pour
dire, droit de dire son avis dans une compagnie » {Académie, 1718).
2. Ou corrigé en et.
3. « Cau.se signitic aussi droit ccdc ou transmis d'une personne à
une autre, et il n'est en usage qu'en cette façon de parler ayant
cause n (Académie, 1718).
•4. Les premières lettres do Duchés surchargent Pair[ies\.
152
MÉMOIRES
[4711]
ancie:» projet.
cette heure où ils auroient
été mis, et ne ' seront plus
insérés dans aucunes lettres
à l'avenir.
V.
« Les clauses générales
insérées ci-devant en quel-
ques lettres d'érection de
duchés -pairies en faveur
des femelles n'auront au-
cun effet qu'à l'égard de
celles qui descendront et se-
NOTES.
terprétation générale pour
toutes les lettres, tant expé-
diées^ qu'à expédier, qui
soit fixe et certaine. Il faut
donc exprimer que', par
ayant cause, le concesseur *
entend les mâles issus de
l'impétrant^ étant de son
nom et maison, en quel-
que degré et ligne collaté-
rale que ce puisse être, en
gardant entre eux l'ordre et
le rang de branche et d'aî-
nesse, afin que la dignité se
conserve et perpétue dans
les issus mâles de l'impé-
trant de son nom et mai-
son tant et si longtemps
qu'il restera un seul mâle
issu de l'impétrant de son
nom et maison.
« Ajouter à cet article, où
aucun mot n'est à changer,
que du mariage d'une fille
qui, aux termes dudit ar-
ticle, fera son mari duc et
pair, sortira une race du-
cale masculine, c'est-à-dire
1 . Avant ne, il a biffé qu'ils. — 2. Avant expédiées, il a biffé à.
3. Que a été ajouté en interligne.
4. Second exemple de ce mot que nous avons déjà dit ne pas se
trouver ailleurs (tome VI, p. 70).
o. K Impétrant, terme de pratique, qui n'a d'usage qu'en parlant de
celui qui impètre des lettres du prince où quelque bénéfice » (Acadé'
mie, 1718).
17H1
DE SAINT-SIMON
iS3
a:<cie> projet.
ront du nom et maison de
l'impétrant', et à la charge
qu'elles épouseront des per-
sonnes que le Hoi jugera
dignes de posséder cet hon-
neur, et dont S. M. aura
agréé le mariage par des
lettres patentes, qui seront
adressées au Parlement.
a On peut ajouter : Si ce
n'est qu'il plaise au Roi
d'étendre sa grâce aux filles
des filles par une clause
expresse.
NOTES.
qu'en la personne du fils de
cette fille la duché-pairie
femelle deviendra mascu-
line, dont la succession à la
dignité sera semblable en
tout à la succession de toute
autre dignité de duc et pair
qui n'a jamais été femelle
et qui n'a été érigée qu'en
faveur des seuls mâles.
« Exprimer si le gendre
aura le même rang que le
beau-père, ou de ^ la date
des lettres patentes adres-
sées au Parlement pour son
mariage, et alors, consé-
quemment, de sa réception,
s'il est pair, ce qui fixe le
rang de ce duché, devenu
alors masculin. 11 semble
qu'avec cette restriction ap-
portée aux duchés femelles,
on pourroit laisser au gen-
dre le rang de son beau-
père : bien entendu que cet
édil ait un efïet rétroactif
en tous ses points et arti-
cles. Pour ce qui est des
filles des filles, c'est une
chose à bannir et à proscrire
à jamais, comme une porte
funestement ouverte aux in-
t. L'article élidc surcharge une, et, après Impétrant, Saint-Simon
a mis un signe de renvoi qui se retrouve au commencement du para-
graphe suivant : « On peut ajouter, etc. »
'2. De est en interligne.
154
MEMOIRES
M7H1
ANCIEN PROJET.
VI.
(( Permettre à ceux qui
ont des duchés d'en substi-
tuer à perpétuité, ou pour
un certain nombre de per-
sonnes plus grand que celui
de deux, outre l'institué,
prescrit par l'ordonnance de
Moulins' art. 59-, le chef-
lieu avec une certaine par-
tie de leur revenu, montant
jusqu'à de rente, auquel
le titre et dignité des du-
chés-pairies demeurera an-
nexé , sans pouvoir être
sujet à aucunes dettes ni
détractions ', de quelque
nature qu'elles puissent
être, après qu'on aura ob-
servé les formalités prescri-
tes par les ordonnances
NOTES.
convénients contre lesquels
cet édit est principalement
salutaire.
« Il seroit beaucoup plus
à propos qu'à l'exemple des
majorasquesM'Espagne, cet
édit marquât que toute érec-
tion de duché porte substi-
tution perpétuelle de la terre
érigée, c'est-à-dire du chef-
lieu et d'un certain nombre
de paroisses aux environs,
faisant un revenu de quinze
mille livres de rentes, avec
privilège, outre ceux conte-
nus en ce sixième article,
que ce revenu ne pourra
être saisi pour aucune cause
que ce puisse être; que, s'il
y a des duchés entiers qui
ne les valent pas, tant pis
pour leurs titulaires posses-
seurs, qui néanmoins les
1. C'est en janvier et février 1366, que Charles IX, tint à Moulins,
sur l'initiative du chancelier Michel de l'Hospital. une assemblée de
notables et de jurisconsultes, qui rédigea en quatre-vingt-six articles la
célèbre ordonnance dite de Moulins, sur la réformation de la justice.
Elle fut enregistrée au parlement de Paris le 23 juillet suivant, et
resta jusqu'à la Révolution comme la loi organique de la justice fran-
çaise.
2. Par l'article 57 (et non 59), l'ordonnance réglait que les substitu-
tions pourraient s'étendre jusqu'au quatrième degré, outre l'institué.
3. Le Dictionnaire de l'Académie de 4718 ne donnait ce mot qu'au
sens de médisance ; mais, en jurisprudence, c'est le droit du souverain
de distraire une partie de succession au protit d'un étranger.
4. Terme déjà relevé dans notre tome IX, p. 154.
[il\\\ DE SAI.NT-SIMO.N 15.H
\>CIEN l'KOJET. >OTES.
pour la publication des pourront accroître par des
substitutions'. acquisitions; que, s'il se
trouve des ducs trop obérés
pour que cette concession
ne préjudiciàt pas à leurs'
créanciers, donner pouvoir
aux petits commissaires de
la grand chambre du parle-
ment de Paris ^ de changer
l'hypothèque des créanciers
sur les biens libres de la
femme du duc, et de faire
en sorte de rendre le duché
capable de jouir du bénéfice
de cette disposition, qui,
une fois connue, ne peut
plus préjudicier à l'avenir,
et assure une subsistance
modique aux plus grands
dissipateurs pour soutenir
leur dignité, et délivre les
maisons de la négligence de
plusieurs ducs à se servir
de cette grâce, si elle n'étoit
qu'offerte et ouverte à vo-
lonté, comme elle l'est dans
cet article sixième. On sait
1. L'article 57 de l'ordonnance de Moulins réglementait la forme et
les délais de la publication des substitutions. Il a déjà été parlé de cela
dans nos tomes V, p. 3"2o, et XV, p. 444.
2. Saint-Simon a écrit ses, par mégarde, au lieu de leurs.
3. Il a été déjà parlé des petits commissaires dans le tome II, p. T'i.
D'après le Dictionnaire de rAcadémie de 1718, lorsque les conseillers
et le président chargés d'examiner une alTairr se réunissaient au Pa-
lais, on les appelait grands commissaires, et petits commissaires, s'ils
s'assemblaient chez le président. Il pouvait y avoir des commissaires
dans toutes les chambres.
iS6
MEMOIRES
[\1H]
ANCIEN PROJET
VII.
« Permettre aux mâles
descendants en ligne di-
recte de l'impétrant de re-
tirer le duché -pairie des
filles qui se trouveront en
être propriétaires, en leur
en remboursant le prix
dans... sur le pied du de-
nier... du revenu actuel.
VIII.
« Ordonner que ceux qui
voudront former quelque
NOTES.
que les fiefs de dignité sont
à peu près revêtus de tous
ces avantages par toute l'Al-
lemagne, que ceux d'Italie
ne se peuvent, à propre-
ment parler, réputer tels,
hors les vraies souveraine-
tés, et que ceux d'Angle-
terre ne sont que des noms
et des titres vains, jamais
possédés par ceux qui les
portent*.
« Le remboursement du
prix doit être- reçu forcé-
ment par les femelles, et
réduit à un denier fort au-
dessous du revenu de la
terre, payable par un con-
trat de constitution. La pra-
tique très embarrassante
de cet article seroit suppri-
mée par la substitution de
droit perpétuelle, proposée
sur l'article précédent.
<( Bon ; pourvu qu'il n'é-
mane aucun arrêt, qui, dès
1. A la suite, Saint-Simon a biffé le paragraphe suivant, qu'on re-
trouve presque textuellement ci-contre, sous le n° VII : « Permettre
aux masles descendans de l'Impétrant de son nom et Maison, de les re-
tirer des tilles qui se trouverront en estre propriétaires, au cas de non
substitution faitte auxd. masles, en remboursant lesd. tilles propriétai-
res en sur le pied du denier... du revenu actuel. »
2. Il y a doit est dans le manuscrit.
[17H|
DE SAINT-SIMON
157
ANCIEN PROJET.
contestation sur le sujet des
duclu's-pairies, etdes rangs,
honneui^s et préséances ac-
cordés par le Hoi aux ducs
et paii"s, princes et seigneui*s
de son rovaume, seront te-
nus de représenter chacun
en particulier à S. M. l'in-
térêt qu ils prétendent y
avoir, alin d'en obtenir la
permission de le poursuivre,
et qu elle puisse y pronon-
cer elle-même, si elle le
trouve à propos, ou ren-
voyer par un arrêt de son
conseil d'État les parties,
pour procéder et être ju-
gées en son l*arlement; et,
en cas qu'après y avoir ren-
voyé une demande, les par-
ties veulent ' en former
d'autres incidemment, qui
soient ditTérentes de la pre-
mière, elles soient tenues
d'en obtenir de nouvelles
permissions de S. iM.
NOTES.
là (jue ce seroit un arrêt,
attacjueroit le di-oit et la di-
gnité de la cour des pairs,
mais bien un ordre verbal
(lu Roi, ou une lettre de
cachet au Parlement, ou du
secrétaire d'État de la mai-
son du Roi au premier pré-
sident, au procureur géné-
lal et au premier avocat
général du parlement de
Paris, marquant la volonté
du Roi par son ordre.
« Il paroît équitable de
donner aux ducs vérifiés
non pairs, et aux duchés
vérifiés sans pairie, les mê-
mes avantages qu'aux ducs
et pairs et aux duchés-
pairies, en les comprenant
en cet édit, si ce n'est que
le revenu perpétuellement
substitué des duchés véri-
fiés non pairies pourroit
être modéré à dix mille li-
vres de rente.
IX.
« Ordonner enfin que « A la bonne heure, mais
M. de Luxembourg* aura en dha.nt. et voula/it traiter
son rang de 1GG2. » favorablement, etc., parce
1. Il y a bien veulent, et non veuillent.
2. Ici il y a un signe de renvoi dans le manuscrit, qui se réfère au
passage suivant placé en dessous de l'article: « M. de Lbg et ceux dont
il prend conseil ont paru avoir beaucoup de soumission p"" tout ce
158
MEMOIRES
[ilH]
ANCIEN PROJET.
NOTES.
que ce rang, même aujour-
d'hui, n'est pas invulnéra-
ble, et qu'il ne faut pas ré-
voquer en doute ce qui le
peut et doit attaquer, chose
en soi très indifférente à
M. de Luxembourg par
quels termes il conserve ce
rang, dès là qu'il le con-
serve, et que c'est par des
termes honnêtes pour lui. »
Grâce
de substitution
accordée au
ducdllarcourt
enfourne
ce r^glenoent.
Sagesse
et franchise
d'IIarcourt
avec moi sur
les bâtards.
Tel étoit l'ancien projet, et telles les notes que j'y mis,
ce qui fut bientôt fait de ma part, mais * non pas si tôt
convenu entre le Chancelier et moi. Avant de rapporter
cette dispute, qu'interrompit mon voyage de Pâques à la
Ferté, et la mort de Monseigneur ensuite, il est à pro-
pos d'expliquer comment la chose s'enfourna^ parmi
nous.
Le duc d'Harcourt, toujours attentif à ses affaires, de-
mandoit en ce temps-là une grâce qui donna le branle à
tout. C'étoit une déclaration du Roi qui donnât une pré-
férence à tous ses issus mâles, exclusive de tout issu par
femelles, à la succession de son duché-pairie, pour éviter
l'inconvénient des héritières des branches aînées, qui,
emportant la terre à titre de plus proches, mettoient par
là, ou par un prix trop fort, les cadets mâles hors d'état
qu'ils pourroient connoistre qu'il seroit agréable au Roy ; et quand S. M.
trouverroit bon qu'on les avcrtist de la disposition de l'article V de cet
édit, son inlerest joint à son inclination, lui feroient aisément accepter
un parti auquel il a paru d ailleurs très disposé. Los Ducs et Pairs
plus anciens ^aignent leur cause, et les nouveaux ne sont plus parties. »
4. Mais est répété deux fois.
2. Nous avons déjà rencontré l'expression mal enfourné dans le
tome XIV, p. 40.
(17111 DE SAINT-SIMKN. ir.9
de ivoiu'illir un»' },'IM)e ', sans la possession de laquelle ils
ne peuvent recueillir la dignité, qui s'éteint ainsi sur eux
forcément, comme il avoit pensé arriver tout récemment
aux ducs de brissac - et de Duras ^ Le Roi y consentit;
mais la forme n'étoit pas aisée, parce qu'Ilarcourt, qui
vouloit travailler solidement, cherchoit à la rendre telle
que la coutume de Normandie \ où son duché étoit situé %
ne put, en d'autres temps, donner atteinte à son ouvrage*.
Quand donc j'eus consenti, le Chancelier me permit d'en
parler à Ilarcourt, qui, pour une saignée au pied ^ qui
avoit peine à se fermer, gardoit la chambre dans l'appar-
tement des capitaines des gardes en quartier", qu'il ser-
1. « Glèbe, motte de terre. Il ne se dit qu'en termes de pratique et
de coutume, et il si^nitie un liéritanc. On dit communément : nul fief
sanx gléhe, gens attaches à la glèbe, le patronage suit la glcbe >i (Aca-
démie, 17 IS). Nous retrouverons ce terme ci-après p. 180. et notre
auteur parlera de la « glèbe de la couroone » dans la suite des Mé-
moires, tome XIV, p. 3-40.
•2. Voyez notre tome VI. p. 62-71.
3. Tome XVII, p. 348 ; Mémoires de Sourches, tomes VI, p. 124 et
128, et IX, p. 99.
4. Celte coutume, rédigée oripnairement au treizième siècle, et
dont on possède un texte de celte époque, avait subi avec le temps di-
verses modiiicalions, et le texte primitif avait été complété par des
disftositions addilionnelles. Les diverses rédactions en ont été publiées
parM.J. Tardit (1881-11(03) pour la Société de l'Histoire de Normandie.
5. Le duché-pairie d'ilarcourt avait été assis, en septembre 1709,
sur les terres de Tluiry et de la Motlie-Harcourt, situées proche de
Falaise, la terre originaire d'Harcourt, dans le comté d'Evreux, près
Brionne, appartenant aux Lorrains.
6. M. d'Harcourt redoutait sans doute l'application de l'article IX
du <c Très ancien coulumier », qui disait : « Tout franc lénemenl doit
être départi entre so-urs. »
7. Il a été parlé de la saignée dans notre tome XII. p. 49. La sai-
gnée au [lied, moins Iréquente qu'au bras et plus délicate (les chirur-
giens du Hoi touchaient trois cents livres pour le bras, et le double
pour le (lied), était réputée pins cUicace dans certains cas, et nous ver-
rons L>uis XV sauvé en 1721, au dire ili- Sainl-Simon (suite des Mé-
moires, tome XVII, p. 2t)0j, par une opération de ce genre.
8. Tome XVI, p. 379.
160 MÉMOIRES [1741]
voit pour le maréchal de Boufflers navré de douleur de la
mort de son fils', et que le duc de Villeroy servit bientôt
après, pour laisser Harcourt se préparer à son départ pour
Bourbonne et pour le Rhin -. Harcourt trouvoit double-
ment son compte dans la proposition que je lui fis, puis-
que la grâce qu'il demandoit devenoit bien plus sûre par
un article exprès d un édit général, et par se voir délivré
d'être la partie ^ du favori ; mais ma surprise fut extrême
lorsque j'entendis ce courtisan intime de Mme de Main-
tenon et de M. du Maine, auquel je savois qu'il s'étoit
prostitué par des traits de la dernière bassesse, me dire
sans détour que, dès qu'on ne pouvoit espérer de décla-
ration du Roi qu'en y confirmant les avantages des
bâtards, car ce fut son propre terme, et avec un ton de
dépit, rien n'en pouvoit être bon. Je répondis que cette
confirmation n'ajoutoit rien à ce qu'ils avoient, et, par-
tant, ne nous nuiroit pas davantage. « Voyez-vous, Mon-
sieur, me répliqua-t-il avec feu, je vis très bien avec eux
et suis leur serviteur ; mais je vous avoue que leur rang
m'est insupportable. Il n'y a de parti présent que de se
taire ; mais, dans d'autres temps, il faut culbuter tout cela,
comme on renverse toujours les choses violentes et
odieuses, comme le rang de Joyeuse et d'Epernon a fini
avec Henri HI*, et comme, dans eux-mêmes, le rang du
bonhomme ^ Vendôme finit avec Henri IV ^ C'est ce que
1. Tome XX, p. 327-329, et ci-dessus, p. 134.
2. Ce détail n'est pas pris à Dangeau.
3. Au sens juridique de partie adverse, comme dans notre tome IV,
p. 94.
4. La cause de cette préséance et son abrogation sont exposées au
long par notre auteur dans ses Ecrits inédits, tome V, p. 307-348.
5. « Bonhomme se dit d'un vieillard » (Académie, 4748), comme
nous l'avons vu aux tomes II, p. 70, et IV, p. 463-466, et comme on
en rencontre de nombreux exemples dans le Journal de Dangeau,
tomes I, p. 59, IV, p. 443, VI, p. 49 et 36, VII. p. 479, etc. Ici, il
s'agit du premier duc de Vendôme, le bâtard de Henri IV.
6. Par une déclaration du 44 avril 4640, Henri IV avait fixé le rang
[ITIll DE SAI.M-SIMO.N. Itil
iu)us tli'vons tinijuui-s avoir devant les yeux connue ce
(ju il y a de plus important; ear c'est là ce qui nous blesse
le plus essentiellement. Ainsi, avec ce dessein-là, que
nous ne devons jamais periire de vue, je ne puis être
li'avisde passer une d«''claration qui foi'tilie ce qui ne l'est
déjà que trop, et ce que nous devons détruire. Je vous
parle à cœur ouvert, ajouta-t-il avec un air plus serein,
sentant peut-être ma surprise ; je sais qu'on peut vous
parler ainsi : tous ceux qui ont un reste de sentiment ne
peuvent penser autrement. » Quelque étourdi que je fusse
d une franchise si peu atlentlue, je lui avouai que je sen-
tois la même peine que lui sur les bâtards, ravi de le trou-
ver sur ce chapitre tout autre que j'avois lieu de croire.
Nous nous y étendîmes un peu avec ouverture, et une
secrète admiration en moi-même de tout ce que cachent
It's leplis du cœui' d'un véritable courtisan. Ensuite je lui
dis qu étant entièrement de son avis sur le futur, je
croyois pouvoir' n'en être pas sur le présent, parce que,
ce qui étoit fait ne subsistant pas, il ne falloit pascomptoi-
qu'une conlirmation de plus ou de moins fût le salut ou
la ruine de rangs de cette nature ; que si, dans la suite,
ils se pouvoient renverser, l'article de l'édit dont je lui
parlois ne seroit pas plus considérable que les déclara-
tions enregistrées qui les regardoient expressément, ni
que leur possession ; que cet article, regardé alors du
même œil, et d'un œil sain, seroit détaché de l'édit sans
en altérer le corps, dont la disposition, en soi juste, con-
serveroit toute sa force et ne blessoit personne, et que
nous pouvions aisément compter sur ce crédit, si nous en
avions assez pour réussir dans une chose aussi considé-
rable que de remettre les bâtards à raison -, et au rang
de ses bâtards immédiatement après les princes du sanj; ; mais, peu
apn-s la mort du Hoi, le duc de Guise exigea avec hauteur de précéder
les Vendôme.
I. Avant pouvoir, il a biffé n'en.
"2. Le Dictionnaire de l'Académie de 1716 donnait les exemples
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 11
[(.ri
MEMOIRES
[1711]
Je joins
le mari'chal de
Boiiiîlers au
secret, qui est
restreint,
d'une part,
entre nous
deux et Har-
court, en gé-
néral d'une
part*, de l'autre
entre
Chevreuse** et
d'Antin, en
général, et sans
nous*"
rien commu-
niquer ****.
Harcourt
parle au Roi,
et la chose
s'enfourne.
de leur ancienneté parmi nous ; que si, au contraire, ils
demeuroient ce qu'ils ont été faits, ce seroit un assez
grand malheur pour nous, pour ne pas y vouloir joindre
celui de nous priver d'un édit aussi avantageux pour tout
le reste, dont je lui fis sentir toute l'importance. Ce rai-
sonnement l'ébranla, et il s'y rendit le lendemain. Je ne
voulus point passer outre sans obtenir du Chancelier la
liberté de m'ouvrir au maréchal de Boufflers, que je
regardois avec une tendresse et un respect de fils à père,
et qui vivoit avec moi, depuis bien des années, dans la
plus entière confiance. Le Chancelier y consentit, et je
persuadai ce maréchal par le même raisonnement qui
avoit emporté l'autre. Après cela, il fut question d'entamer
l'aiïaire. Le comment fut résolu d'un côté entre* Bouf-
flers, Harcourt et moi, qui, seuls des opposants à d'Antin,
en avions le secret ; de l'autre, entre Chevreuse et d'Antin,
et le Chancelier au milieu de nous, qui nous servoit là-
dessus de lien, sans nous rien communiquer d'un côté à
l'autre. Ce comment fut qu'il- falloit s'y prendre par la
demande qu'Harcourt avoit faite pour son duché ^, et à ce
propos, remettre l'ancien projet sus^. Harcourt, guéri, vit
le Chancelier, et parla au Roi comme pour fortifier sa
demande de cet ancien projet, dont il avait ouï parler
confusément. Le Roi lui dit qu'en effet il y en avoit eu
un, et d'en parler au Chancelier et au duc de Chevreuse,
suivants : « se mettre à la raison, amener quelqu'un à la raison, en-
tendre raison ».
1. Entre surcharge un par, effacé du doigt, et il en est de môme
plus loin, avant Chevreuse.
2. Le pronom il, oublié, a été ajouté en interligne.
3. Ci-dessus, p. 158.
4. Nous avons annoté mettre sus dans notre tome XVI, p. 380, et
a reparu ci-dessus, p. 443.
* Les mots d'une part sont ainsi répétés dans le manuscrit.
** Écrit par erreur Cheveurse.
*** La seconde lettre de nous corrige une autre lettre.
**" A la fin de la manchette, Saint-Simon a biffé et privatim^ à eux
tu[us].
11711] \)K SAINT-SIMON. 10'.
qui, tous (k'u\, s'en (Icvoinit souvenir. Le lloi, aussitôt
après, parla au Chancelier de cet ancien projet, avec sur-
prise et chagrin de ce que quelques ducs en avoient eu con-
noissance, puis(jue llarcourt lui en avoit parié. Le Chan-
celier le lit souvenir que, par son ordre, le duc de Che-
vreuse et feu M. de Luxembourg en avoient eu part, d'où
cela avoit pu se répandre à quelques autres. Le Roi, con-
tenté là-dessus, demanda au Chancelier s'il en ' avoit
encore quelque chose, et, sur ce qu'il lui dit en avoir
conservé soigneusement tous les papiers, il en reçut ordre
de les revoir pour lui en pouvoir rendre compte. On en
étoit là lorsque la semaine sainte sépara la compagnie,
qui fut suivie de celle de Pâques, et, tout de suite, de la
maladie et de la mort de Monseigneur, sur laquelle il
nous parut indt'ceni de commencer nos plaidoiries, que
nous remimes à un peu d'éloignement, de concert avec
d Antin et le premier pi'ésident. Je prendrai cet intervalle
pour exposer courtement l'intérêt du duc de Chevreuse,
(jui prétendoit en avoii- deux, Tun et l'autre parfaitement
pitoyables -.
Sans s'étendre sur la prodigieuse fortune des Luynes, Chimères
ni sur leur généalogie \ tout le monde sait que MM. de ^e Chc ^^^
" " ^ etdeLhaulnes.
i. En a été ajouté en interligne.
"i. « Pitoijable sipnilie encore méprisable clans son genre, qui est
inau%'ais à faire pilié » {Académie, ITIH).
3. La maison d'Albert, ou plutôt Aiberti, forme méridionale, était
établie dans Ir Comtat-Venaissin dc[mis le commencement du (juin-
/ième siècle. La plupart des généalogistes ont essayé de la rattacher à
la famille des Albcrti de Florence ; mais il ne semble pas que cette
tiliation soit parfaitement établie. Les auteurs de VHistoire géncalo-
^ique (tome IV, p. '2()3-"26i) se sont contentés de faire un rapproche-
ment entre l'époque à laquelle les Aiberti, chassés de Florence, pas-
>i"rent les monts, et celle à laquelle apparaît le premier Aiberti du
Pont-Saiiit-E>prit. Les généalogistes postérieurs n'ont point résolu la
ini'slioii. Un peut voir à cet égard les manuscrits Dupiiy 311, fol.
.1, et bti-i. fol. 'M-oi, ceux de Clairambault, n - IlH-i-Haa et 1148,
le manuscrit Duchesne 58, fol. Xo, le nis. Languedoc lUIi, fol. 47 bis
à .'17. les Mcmoires de Castelnau par le Laboun'nr, lomc II, p. M8-
164 MÉMOIRES [1711]
Luynes, Brantes' et Cadenet* otoient frères, que l'aîné fut
duc et pair de Luynes et connétable, que Brantes fut duc
et pair de Piney-Luxembourg par son mariage, dont il a
été amplement parlé en son lieu^ sur le procès de pré-
séance prétendue par le maréchal-duc de Luxembourg,
et que Cadenet, ayant épousé l'héritière d'Ailly *, fut fait
duc et pair de Chaulnes, étant déjà maréchal de France ^
Il résulte de là qu'il étoit oncle du duc de Luynes % et
grand-oncle du duc de Chevreuse. Cette érection est de
mars 1621", huit mois avant la mort du connétable ^
M. de Chaulnes laissa deux fds'. L'aîné, gendre du pre-
424, les Historiettes de Talleniant des Réaulx, tome I, p. 398 et 410,
les Mémoires de Richelieu, édition de la Société de l'histoire de France,
tome I, p. 304, ceux de Bassompierre, tome II, p. 422, une note de
M. Tamizey de Larroque dans les Notices et documents publiés à
l'occasion du cinquantenaire de la Société de l'histoire de France,
p. 379, enfin Gli Alberti di Firenze, par L. Passerini, tome II, p. 416-
133, et Mazon, Notes et documents historiques sur les huguenots
du Vivarais, tome I, p. 192 et suivantes. Au dix-huitième siècle, il
existait en Provence une famille d'Albert, qui, au témoignage du duc
de Luynes {Mémoires, tomes X, p. 201, et XI, p. 43-44), n'était point
de leur maison. Nous donnerons à l'Appendice, n" VI, ce qu'en disait
Clairambault en 1706.
1. Léon d'Albert : tome II, p. 29. C'est par erreur qu'on l'a appelé
alors Marie-Léon.
2. Honoré d'Albert : ibidem, p. 30.
3. Tout cela a déjà été dit dans notre tome II, p. 29 et suivantes.
4. Claire-Charlotte d'Ailly épousa Honoré d'Albert le 13 janvier
1620, et mourut le 17 septembre 1681. — La maison d'Ailly, dont la
terre patrimoniale était Ailly-Haut-Clocher en Ponthieu, était une des
plus illustres et des plus anciennes de Picardie; elle avait acquis le
vidamé d'Amiens en 13i2 par le mariage d'une héritière de la maison
de Picquigny, et possédait le comté de Chaulnes.
o. Il était maréchal de France depuis 1619, et sa terre de Chaulnes
fut érigée en duché-pairie par lettres patentes de janvier 1621.
6. Louis-Charles d'Albert, mort en 1690 : tome II, p. 92.
7. Les lettres patentes sont du mois de janvier, comme on vient de
le dire ci-dessus : mais elles ne furent enregistrées au Parlement que
le 6 mars suivant. Voyez la notice du duché dans les Ecrits inédits
de notre auteur, tome VI, p. 43 et suivantes.
8. Il mourut le lo décembre 1621.
9. Un troisième, titré marquis de Raineval, fut tué en 1647.
(HH) DE SALNT-SIMON. 165
rnirr marcchal ci»' \ illerov ', mourut sans onfants - ; son
frère cadet devint ainsi duc de (ihaulnos. Il fut célèbre
par sa capacité dans ses diverses ambassades, gouverneur
do Brotaf^'ne, puis de Guvenne, et il a été souvent fait
mention de lui ici en divei-s endroits '. Il étoit donc cou-
sin germain du duc de Luynes père du duc de Che-
vreuse. Lorsque ce dei'nier épousa la fille aînée de
M. Colbert au commencement de llJljTS M. de Chaulnes
lit donation de tous ses biens au second mâle qui naîtroit
de ce mariage, au cas qu'il n'eût point d'enfants^ Le cas
arriva en 1098*, et le vidame d'Amiens, second fds du
iluc de Chevreuse, hérita des biens de M. de Chaulnes,
fort chargés' de dettes, dont il ne s'étoit pas soucié de
débarrasser son héritier*, et le duché de Chaulnes fut
1. Henri-Louis d'Albert, né le 15 juin 1625, d'abord titré vidame
d'Amiens, devint duc de Chaulnes, gouverneur d'Amiens et d'Auvergne
à la mort de son père en 1649, et mourut le 21 mars 1653. Il avait
épousé, le 3 mai 1646, Françoise de Neufville-Villeroy, qui se remaria
■ Il 1667 à un Vignier d'Hauterive (notre tome VII, p. io).
•1. Il cul deux lilles : l'aînée, Madeleine-Charlotte, épousa le 6 jan-
vier 1664 le duc de Randan-Foix-Candale. et mourut en couches le 3
août 1665; la seconde, et peut-être une troisième, moururent en bas âge.
3. En dernier lieu, dans notre tome XIX, p. 20.
4. Le contrat de mariage du l"^"" février 1667 est transcrit dans les
registres Y, 232, loi. 492, et rappelé dans le dossier bleu Maillv,
vol. il6, fol. 232, au Cabinet des titres, et dans le manuscrit Clairam-
baull 1170, fol. 1 i9 v". On peut consulter sur cette union le Journal
d'Olivier d'Ormcsson, tome II, p. 483, 486 et 500 ; les Lettres de Col-
bert. tome VII, p. 349, la Gazette de 1667, p. 132, les Gazettes en vers,
tome II, p. 634, 635, 648 et 657, les Œuvres de Louis XIV, tome V,
p. 402-403. Guy Patin écrivait à cette occasion (Lettres, tome III,
p. 632-633): « Voilà deux favoris qui font de leur côté chacun un grand
pas. » Le P. Léonard raconte (Archives nationales, MM 828, fol.
12) que le mariage fut négocié par l'abbé de Boui-zeis, et qu'en récom-
pense Colbert lit épouser à la nièce de l'abbé un partisan fort riche
nommé Chevalier.
5. Déjà dit aux lomos II. p. 255, et V, p. 345.
6. Par la mort du duc de Chaulnes le 4 septembre.
7. Il y & chargées, au féminin, dans le manuscrit.
S. Tomes V. p. 345-346, et XII, p. 5.
16fi MÉMOIRES \il\\]
('teint. M. tic Chevreiise étoit petit-fils du connétable, cl
ne venoit point du premier duc de Chaulnes ; le duché de
Chaulnes n'étoit que pour l'impétrant et les mâles issus
de lui, aucun autre n'y étoit appelé. Rien donc de plus
manifeste que son extinction à faute d'hoirs mâles issus
par mâles de l'impétrant. M. de Chevreuse, déplus, étoit
personnellement exclus des biens du dernier duc de
Chaulnes par son propre contrat de mariage, qui étoient
donnés au second fils qu'il auroit : tellement qu'à toute'
sorte de titres, on ne peut concevoir quel pouvoit être le
fondement de M. de Chevreuse de prétendre pour lui-
même, et aussi pour son second fils, la dignité de Chaul-
nes, dont lui ne pouvoit posséder le duché, et auquel lui
et ses enfants n'étoient point appelés, ni sortis du pre-
mier duc de Chaulnes. A force d'esprit et de désir,
d'interprétations sans bornes des termes de succrsseur et
ayant cnuse^, employés dans l'érection de Chaulnes
comme en toutes les autres, par des raisonnements sub-
tils, forcés, faux, à force d'inductions^ multipliées et de
sophismes entortillés, M. de Chevreuse, dupe de son
cœur et de son trop d'esprit et d'habileté, se persuada pre-
mièrement* à lui-même qu'il avoit droit, et son second
fils après lui, et voulut après en persuader les autres.
Sur Chevreuse, voici le fait: cette terre fut érigée en fa-
veur du dernier fils de M. de Guise^ tué aux derniers États
de Blois en décembre 1588. Ce dernier fils, si connu sous
le nom de duc de Chevreuse, le fut, comme on dit impro-
prement, à brevet depuis 1612, que l'érection fut faite
pour lui et ses descendants mâles, jusqu'en 1627, que ce
\. Toutle est en interligne, au-dessus d'un premier touttc, biffé, qui
surchargeait d'autres mots illisibles.
2. Ces trois mots ne sont pas soulignés dans le manuscrit.
3. « Induction se dit aussi de l'énumération de plusieurs choses
pour prouver une proposition » (Académie, 1718).
4. Ce mot est écrit p', dans le manuscrit.
5. Claude de Lorraine, fils du duc Henri !«■• : tome V, p. 231-
232.
[ilW] DE SAINT-SIMON. 167
duchi'-pairic fut rnrogistiv '. i'.o duc do Chevrousc épousa
Marie de Hohan, veuve du connétable de Luvnes', et
mère du duc de Luvnes père du duc de Chevreuse dont
il s'agit ' ; et c'est cette Mme de Chevreuse qui a fait tant
de ligure et de bruit, surtout dans les troubles de la mino-
rité de Louis XIV. Klle n'eut que deux filles du Lorrain,
dont aucune ne fut mariée ^ Elle survécut à ce second
mari*, et eut le duché de Chevreuse pour ses reprises",
et elle le donna au <luc de Luvnes, son fils du premier lit'.
i. Los lettres d'érection de Chevreuse en duché-pairie, datées de
mars 46 12. en faveur de Claude de Lorraine, sont dans l'Histoire gé-
néalogique, tome IV. p. 3i9 ; le Parlement ne se décida à les enregis-
trer que le -21 août 16-27 (ibidem, p. 3.">0-3")l).
5. Tome V. p. '231. Le oontrat de mari:i);e, du 1!) avril 16'2"2, est
dans le manuscrit Clairambault 378, à la Bibliothèque nationale,
fol. Ii8.
3. Ci-dessus, p. 16-4.
4. Non pas deux, mais trois tilles : 1° Anne-Marie de Lorraine, née
à Richmond en lG2o, coadjutrice de Remiremont, puis abbesse du
Pont-aux-Diimes en 165-1, après avoir dû épouser le duc de Beaufort,
puis le prince de Conti. et qui mourut à vinfj;t-huit ans. le 5 août 1632;
2'' Charlotte-Marie, demoiselle de Chevreuse, née en -1627, et morte
sans alliance le 7 novembre 46.52; 3° Henriette, née en 4634, qui fit
profession à Montmartre le 3 mai 4646. devint abbesse du Ponl-aux-
Dames en 4652. puis de Jouarre en 4633, et mourut le 23 janvier
4694.
3. Il mourut le 24 janvier 4637, octogénaire, et sourd depuis plu-
sieurs ■ànni'd {Gazette, p. 93-96; J/».<if historique de Loret, t. II, p.
293 ; Lettres de Guy Patin, tome II, p. 273 ; Mémoires de Mme de
Motteville, tome II, p. 446-447), et elle en 1679.
6. « On appelle reprises, en termes de pratique, ce que les veuves,
les enfants doivent reprendre sur une succession avant toutes choses »
(^Académie, 4718). Nous avons déjà rencontré ce terme dans notre
tome III. p. 178. — Ce n'est pas après la mort de son mari que Marie
de Rohan eut le duché de Chevreuse « pour ses reprises », mais lors
de la séparation de biens qui intervint entre eux quelques années au-
paravant, et aussi pour ren)boursenient d'une somme de trois cent
mille francs due |)ar le duc à sa belle-mère Mme de Montbazon (voyez
l'acte du 13 octobre 4633 inséré dans l'Histoire généalogique, [omc V,
p. 677-678, et la Muse historique de Loret, tome I, p. 48-49).
7. Par acle du I'''" mai 1663 : Archives nationales, rcg. V 203, fol.
168 MEMOIRES [4711]
Le duc de Liiynes le donna en mariage à son fils',
qui, par le crédit de Colbert son beau-père, obtint une
nouvelle érection en sa faveur de Chevreuse en duché
sans pairie -, qui fut vérifié ^ tout de suite ^ De prétendre
de là la pairie et l'ancienneté de M. de Chevreuse-Lor-
raine, mieux encore l'ancienneté de l'érection en duché
sans pairie, enregistrée ^ en looo pour le cardinal Charles
de Lorraine*, qui fut éteint par sa mort", c'est ce qui est
inconcevable. On feroit un volume des absurdités de ces
chimères. Cependant ce furent ces chimères qui portèrent
164, et 232, fol. 543; reg. X^*^ 8666, fol. 69 ; Histoire généalogique,
tome V, p. 678-679.
\. Il s'appelait alors le marquis d'Albert. L'acte de don, du 9 sep-
tembre 1663, est dans les registres Y 204, fol. 202 v, et X^^ 8666, fol.
72 v», et dans VHistoire généalogique, p. 679-680.
2. Les lettres patentes d'homologation du contrat intervenu entre la
duchesse et son tils, et de nouvelle érection en duché, « en tant que
besoin seroit, » datées du mois de décembre 1667, sont dans VHistoire
généalogique, p. 681-682. Le Roi y disait : « La seule dignité de pairee
unie audit duché par les lettres de 1612 a été éteinte et supprimée,
la qualité de duché subsistant toujours ;... ce titre, étant réel et féodal,
inséparablement attaché à la terre, a pu passer de la personne du feu
sieur duc de Chevreuse en celle de la dame duchesse son épouse, » et
d'elle à son tils. En conséquence, le Roi autorisait ce dernier à jouir
des titres, honneurs, etc., ainsi qu'en avaient joui le cardinal de Lor-
raine et le duc de Chevreuse-Lorraine, et érigeait à nouveau la terre
en duché « en la même forme et manière portée par les lettres de la
première érection du mois d'avril looo. » Dans le manuscrit Baluze
214, fol. 21-26, il y a un mémoire, postérieur à 1656, qui cherche à
établir que la terre de Chevreuse avait conservé le titre de duché,
quoique la descendance du premier bénéficiaire fût éteinte.
3. Il y a bien ici vérifié, au masculin, dans le manuscrit.
4. L'enregistrement au Parlement est du 16 mars 1668.
5. Le manuscrit porte enregistrées au féminin pluriel.
6. Tome II, p. 284.
7. Les lettres d'érection, du mois d'avril 1555, enregistrées le 10 mai
suivant, ont été insérées, avec les pièces annexes, dans VHistoire gé-
néalogique, tome IV, p. 343-3 i8. Le cardinal fit transférer à son profit
l'érection faite en décembre 1545 en faveur de Jean de Brosse et d'Anne
de Pisseleu, duchesse d'Étampes (Écrits inédits, tome VII, p. 157-
158).
(1711) DE SAINT-SIMON. ^69
toujours M. (Ir Clicvrcusf tju cùh' do loulos celles qui se
présenteront, et, sinon à prendre parti poui- elles à décou-
vert et en jonction', à demeurer au moins neutre en
apparence, et leur fauteur et défenseur en eflet. J'avois
vécu avec lui dans la confiance et l'amitié la plus intime
et la plus réciproque. Il n'ignoroit donc pas que l'inté-
rêt de la dignité en général, et celui de mon rang en
particulier, ne l'emportassent à cet égard sur tout autre
sentiment et sur toute autre considération : ainsi il voulut
essayer de me pei-suader, et n'oublia rien, en plusieurs
diflFérents temps, pour m'emporter par- toute la séduction
de' l'amitié et celle du raisonnement jointes ensemble. Il
me trouva inébranlable. Sur l'amitié, je lui dis que je
serois très aise qu'il fît obtenir des lettres nouvelles à son
second (ils, mais que je ne pouvois trahii* ma dignité en
connivant* à un abus si préjudiciable que seroit celui
d'une si vaste et si large succession de dignité, telle qu'il
le prélendoit. Sur le raisonnement, je démêlai ses
sophismes, que je ne rendrai point ici, pour n'allonger
point ce récit d'absurdités si arides et si subtilisées^, et
inutiles, puisque la prétention n'osa se présenter en forme.
Je dirai seulement, pour en donner une idée, que je le
poussai, un jour entrt' autres, d'absurdités en absurdités,
auxquelles son raisonnement le jetoit nécessairement,
1. Le Dictionnaire de l'Académie de M [S dàûnissill ce mot: « union,
assemblage ».
"2. Par est répété deux lois, à la tin d'une iif,'ne et au commencement
de la ligne suivante.
3. Avant de, Saint-Simon a biffé et.
•4. a Conniver, dissimuler, faire semblant de ne |)as voir un mal qu'on
peut et (ju'on doit empêcher » (Académie, iTlH). Outre plusieurs
exemples d<' notre auteur, on trouve ce verbe non seulement dans
Brantôme et dans Pierre de l'Estoile. mais aussi dans les grands écri-
vains du dix-septième siècle. Nous aurons ci-après, p. io-S, le sub-
stantif connivence.
5. « Subtiliser, au neutre, signifie aussi raffiner, chercher beaucoup
de finesse dans une question, dans une alfaire » (Académie, 1718).
(Chapelain se servait du substantif subtiliscur.
170 MÉMOIRES [4711]
jusqu'au point de me soutenir qu'un duc et pair dont le
duché seroit situé dans la même coutume ' où Chaulnes
est situé-, et qui auroit deux fils, pourroit, de droit et
sans aucune difficulté, ajuster^ les deux partages en sorte
que, l'aîné ayant pour la quantité de biens tous les avan-
tages de l'aînesse, le cadet seroit néanmoins duc et pair
à son préjudice en faisant tomber le duché-pairie dans son
lot, sans que l'aîné eût^ démérité, ni qu'il pût l'empêcher.
Quelquefois des conséquences si grossières dont il ne se
pouvoit tirer lui donnoient quelque sorte de honte ; mais
sa manière de raisonner, subtile au dernier point, le
réconfortoit à son propre égard, l'empêchoit de se laisser
aller à la droite et vraie raison, et le laissoit en liberté de
poursuivre avec candeur la plus déplorable de toutes les
thèses. Je finis avec lui par lui dire qu'il étoit inutile de
disputer davantage là-dessus ; que, s'il entreprenoit ce
procès, il devoit compter de me trouver contre lui de
toutes mes forces, sans pour cela l'aimer moins, et que
la plus grande preuve que je lui en pusse donner étoit
mon souhait sincère qu'il réussît pour son second fils par
des lettres nouvelles. Cette marque d'amitié étoit, en
effet, grande pour moi, et il en sentit le priîi, parce qu'il
connoissoit parfaitement mon éloignement extrême de ^
notre multiplication, et l'extrême raison de cet éloigne-
ment. Nous demeurâmes donc de la sorte muets sur
Chaulnes, qu'il avoit bien plus à cœur que son ancien-
neté de Chevreuse, qu'il ne regardoit qu'en éloignement,
moi en garde avec lui sur Epernon, et lui refusant quel-
i. Ce sens extensif du mot coutume signifiant la contrée régie par
une coutume n'était pas donné dans les lexiques.
2. La terre de Chaulnes, en Picardie, élection de Péronne, était sou-
mise à la coutume de cette province, et peut-être à celle particulière
de Péronne.
3. Au sens de disposer, accommoder, différent de celui que nous avons
eu dans notre tome XX, p. 356.
4. Eut et non eust, dans le manuscrit.
5. De surcharge p"^.
(1111) DE SAINT-SIMON \1\
quefois iKMU'nicnl toute n'-poiisc à sos (nn'stions là-dos-
sus, mais (iii rosfo aussi ('troitement unis et en confiance
aussi entière, sur tout ce qui ne touchoit pas ces matières,
que nous étions auparavant '. Quelque uns-, car c'est trop Duc
di- • f i 1 1 M I /-^L «t de Bcauvillier
e dire unis, que tussent en tout M. de Chevreuse et „ -approuve pas
M. de Beauvillier, ce dernier étoit bien éloigné d'approu- les cliim.res;
ver les chimères de son beau-frère. On l'a vu par le con- "*:'"'").
. , . , , poiin.inl être
seil qu'il me donna, sans que je lui demandasse, de admis au secret
m'opposer sagement, mais fermement, à la prétention f^" r." gUmcnt
d'Épernon % et par le même qu'il me dit avoir donné à
son frère*, qui fut fidèlement des nôtres ; mais, par^ son
unité d'ailleurs avec M. de Chevreuse, il ne vouloit pas
le blâmer, et se tenoit là-dessus tellement à l'écart,
qu'avec le plus qu'éloignement qui étoit entre lui et le
Chancelier, il ne put être question que, quoique sans
aucun secret mien pour lui, je pusse lui parler du règle-
ment de ce dont il s'agissoit. C'est où nous en étions
lorsqu'après la mort de Monseigneur il fut enfin temps de
commencer nos plaidoiries sur la prétention d'Epernon,
ou de finir tout par le règlement en forme de déclaration
ou dédit dont j'ai parlé ''.
Le duc de Chevreuse et M. d'Antin le désiroient pas-
sionnément par les raisons que j'ai racontées", et je ne
le désirois pas moins par celles que j'ai rapportées*.
Ce secret, comme je l'ai dit', étoit renfermé entre eux Secret de**
deux d'une part, les maréchaux de Bouflllers et d'IIar- «ou t ce qui se
• ,> I r^i I- • •!• Ul sur 10 règle-
court et moi d autre part, et le Chancelier, point milieu '" mcniuniquc-
I. Ecrit auparavent.
i. Ellipse pour dire, comnio plusieurs fois déjà, (m'ils u'étaienl
qu'un.
3. Tome XX. p. -207.
4. Le duc de Sainl-Aignan : voyez fome XX, p. "ifiS.
r>. Par, oublié, a été ajouté en interligne. — G. Ci-dessus, p. \V.\.
7. Ci-dessus, p. 1 4'2. — 8. Ci-dessus, p. li^j. — !). Ci-dessus, p. 16''2
10. (I Miliext, le centre d'un lieu, l'endroit qui est é{;alcment distant
* Cette manchette est placée une ligne trop bas dans le manuscrit.
■ Le mot de surcharge sur.
172
MEMOIRES
741]
mont entre
le Chancelier
avec moi.
des deux côtés, qui ne se communiquoient que par lui,
et, à la fin, se renferma uniquement entre le Chancelier
et moi seul pour tout ce qu'il s'y fit. Le maréchal de
Boufïlers s'en alla malade à Paris dès que la revue des
gardes du corps fut faite ' ; Ilarcourt partit assez tard
pour Bourbonne, et de là pour le Rhin-, et'' on verra
pourquoi je ne fus pas pressé de lui parler* ; d'Antin et
moi n'étions pas en mesure de nous entretenir d'affaires ;
le duc de Chevreuse demeura le seul à qui je pusse
parler, mais tellement en général, que je n'eus pas la li-
berté de lui avouer que j'eusse connoissance du projet
du premier président d'Harlay, moins encore de tout ce
qui se passoit sur cette base. Tel étoit le secret que le
Chancelier m'avoit imposé, ne me laissant que la simple
liberté de parler en général à M. de Chevreuse, comme
sachant bien qu'on pensoit à un règlement, comme le
désirant, mais rien du tout au delà. Nous étions à Marly^;
ce séjour rendoit tout lent et incommode, et me faisoit
un contretemps continuel. Le Chancelier, passionné pour
sa maison de Pontchartrain % n'alloit presque plus à
Marly, et n'y venoit que pour les conseils. Du mercredi
au samedi il étoit à sa chère campagne, l'autre'' partie à
Versailles, pour être les matins au Conseil à Marly, et
s'en retournoit dîner à Versailles. Le lundi, qui lui
étoit libre, il tenoit le matin conseil des parties % et le
de la circonférence, des extrémités; on dit dans ce sens le point milieu
pour dire le point du milieu » (Académie, 1718).
1. La revue de la maison du Roi, avant son départ pour l'armée,
eut lieu le 18 avril (Dangeau, p. 386-387).
2. Il ne prit congé que le 13 mai (ibidem, p. 405).
3. La phrase qui va suivre a été ajoutée en interligne.
4. Ci-après, p. 220.
o. La cour resta à Marly du 15 avril au 14 juillet, qu'elle partit
pour Fontainebleau.
6. Voyez l'appendice XIII de notre tome VI, p. 555-557.
7. Les premières lettres de l'autre surchargent le.
8. Ou conseil privé : voyez l'Appendice de notre tome IV, p, 379 et
suivantes.
(17111 DE SAINT-SIMON. 173
sceau' raprt's-tlîiit'»', dr sorto (jiiil iiv avmt prcscjuc (ju»'
l'après-dînét' du mardi d'accessible chez lui à Versailles
Nous avions, lui et moi, beaucoup à conférer ; ainsi,
tout étoit coupé et retardé, et nous jctoit sans cesse dans
les lettres de I un à l'autre. Les ducs de Charost et d'Hu-
mières étoient à l'ai'is: cela me sauvoitdu juste embarras
d'avoir la bouche fermée pour des amis intimes, dans un
intérêt commun, et cpii avoient le timon de l'affaire
d'Épernon, auxquels n<'>anmoins il fallut bien tenir ri-
j,'ueur jusqu au bout. D \ntin, à la fin, informé par le
Chancelier de l'ordre qu'il avoit reçu du Roi sur le pro-
jet ancien après qu'IIarcourt en eut parlé au Hoi -, se-
conda la chose par un trait hardi de ratliné courtisan ^ Il
avoit embarqué* son affaire par des protestations au Roi
qu'il ne lui demandoit pour toute grâce que la permission,
qu'il ne refusoit à personne, de pousser son procès. Cela Trait hardi et
ne l'embarrassa point quand il lui convint de changer de "ffine du jjIus
, -1 1-. Il • <'.•<• I I- I I délié courtisan
langage: n dit au noi que son procès etoit mdubilable, de d'Antin,
mais cependant qu'il croyoit que son crédit souliendroil qui garle au
dillicilement le nôtre; que deux autres choses lui faisoieni
aussi beaucoup de peine : la longueur, qui le priveroit
d'une assiduité auprès de sa personne qui faisoit tout son
devoir et tout son bonheur, et une aigreur qui lui altiroit
tous les ducs, lui qui ne cherchoit qu'à être bien avec
tout le monde; que, quelque bonne que fût son affaire,
il avouoit qu'il auroit toujours à contre cœur de devoii"
Non élévation à la justice de sa cause, au lieu de la rece-
voir de sa grâce et de sa libéralité, qui seroit la seule
1. « On dit qu'iV y aura sceau uii tel jour, pour dire qu'on scel-
lera publiquement ce jour-là;... on dit dans le mùnic sens le Chance-
lier tenait le sceau » {Académie, 171S).
2. Ci-tk'ssus. p. IG2.
3. Après courtisan, Saint-Simon a biffé et l'embarqua, mais sans
biffer la virgule qui précédait et.
■'t. Nous avons déjà rencontré embarquer quelqu'un ci-dessus,
p. 39; l'emploi de ce verbe avec un nom de chose est irrégulier, et
Litlré n'en cite pas d'exemple.
Roi.
174 MÉMOIRES [nil]
chose qui lui feroit plaisir ; que ce plaisir même le tou-
cheroit de telle sorte, qu'il lui sacritieroit de tout son
cœur toute l'ancienneté qu'il avoit lieu d'attendre, et
qu'il se verroit avec cent t'ois plus de joie le dernier pair
par la bonté du Koi avec les bonnes grâces des autres,
que le second par l'heureuse issue de son procès; que
ce n'étoit pas, encore une fois, qu'il ne le crût indubi-
table ; qu'il arrivoit encore de Paris, où il avoit vu les
meilleures têtes du Parlement', qui l'en avoient assuré
(il mentoit bien à son escient-, comme il l'a avoué depuis),
mais qu'il se déplaisoit tellement en cette vie de courses
et d'éloignement d'auprès de lui, qu'il étoit si ^ accoutumé
à ne rien tenir [quej de lui, qu'il osoit le conjurer d'a-
bréger toutes ses peines en lui donnant comme une grâce*
la dernière place parmi les ducs et pairs, où il étoit per-
suadé que la seconde lui étoit due. Cela, dit en distance
de plusieurs mois qu'il avoit dit tout le contraire pour
enfourner son afï"aire% et dit dans un moment d'ébran-
lement sur l'ancien projet de règlement, mit le Roi au
large de contenter tout le monde, et en ^ chemin d'être
conduit où on vouloit. 11 ne répondit rien de précis à
d'Antin ; mais il ne' le lit point souvenir non plus qu'il
l'avoit assuré d'abord qu'il ne* lui demanderoit point de
Le Roi grâce. Ensuite, il lui parla de lui-même de cet ancien
suspend la
t. « On dit d'un homme que c^est une bonne tête,... pour dire que
c'est un homme de beaucoup d'esprit, de beaucoup de jugement, de
beaucoup de capacité : c'est une des meilleures tètes du Conseil »
(^Académie, 1718). Nous avons eu, dans un sens analogue, « les grosses
tètes » dans le tome XVII, p. 410.
2. « On dit faii'S quelque chose à bon escient, et plus ordinaire-
ment à son escient, pour dire sciemment et sachant bien ce qu'on l'ait;
il est vieux » (Académie, 4718). Nous avons déjà rencontré à bon
escient dans le tome IV, p. 204.
3. Si est en interligne.
4. Les mots co'^ une grâce ont été aussi ajoutés en interligne.
5. Tome XX, p. 262 et suivantes. — fci. En surcharge un d.
7. Avant ne, il a biffé une /, du doigt.
8. Ne répété deux fois dans le manuscrit.
IITIII l>K SAINT-SIMON. I"'«
[trojt't : :i (juoi d'Aiitin, tout pn-paiv, prit d»' fagon ' (pril plaidoirie sur
s«' lit ordonner de voir là-dessus le duc de Chevreuse et c^mmoncorsur
le Chancelier. L'amorce- prise, le Chancelier représenta la pn i.niion
au Roi (pi'il étoit à propos de suspendre les plaidoiries '' Eptrnon.
qui alloient commencer sur la prétention d'Kpernon, en
cas qu'il voulût reprendre les anciens errements du re-
pliement, et, quoi(jue le Roi n'y fût pas encore résolu, il
consentit à la suspension. Le Chancelier la fit aussitôt
savoir au premier président, aux gens du Roi et aux par-
ties. La surprise en fut grande parmi les opposants à
dWntin et parmi les avocats : ils ne savoient à quoi attri-
buer ce coup d'autorité ; ils ne doutèrent même pas que
ce ne fût un trait de favori inquiet de la l'ace que son
alVaire avoit prise. Tout ce que je pus faire pour les ras-
-<urer fut de dire aux ducs de Charost et d'Humières de
n«> s'inquiéter point, et, à nos avocats, d'avoir bon courage.
Alors il fut question entre le Chancelier et moi d'en Discussion
venir à un sérieux examen de cet ancien projet du pre- du projet de
inu'r président d llarlay, que j avois copu' et note ', qui euire
devoit servir de base au règlement qu'on vouloit faire, le Chancelier
Le* premier article devint la première matière de con-
testation : c'étoit celui des princes du sang, qui étoit
vague, hors d'œuvre% et qui ne disoit rien**. Par cela
même, j'en craignois une approbation implicite des usur-
pations à notre égard, dont M. le prince de Conti conve-
iioit de si bonne foi du nombre et de l'injustice", et, sans
mexpliquer là-dessus avec le Chancelier, j'insistai sur
l'inutilité, et dès là sur l'indécence d'un article qui ne
it'gloit rien, parce qu'il n'y avoit rien alors à décider à
I. Au sens de parla de telle sorte que.
■2. H Amorce se dit ligurôment do tout ce qui attire agréablcini'iil i
volonté en flattant les sens ou l'esprit « (Acadtn.tc, \'i\H).
3. Ci-dessus, p. l-47-lo8. — 4. Ici. la i)lumo change.
5. « Hors (l'opuvre se dit en matière do bàtimonl, en parlant d'une
pièce détachée du corps d'un bûlinionl » (Acadrrnie, 1718).
6. Voyez ci-dessus, p. li". — 7. Tonio XVII. p. 1-2».
17G MEMOIRES [1711]
cet égard. Le Chancelier me l'épondit qu'ayant nécessai-
rement à parler des légitimés, on ne pouvoit passer sous
silence les légitimes. Je ne voyois point cette nécessité : il
ne s'agissoit de rien sur les princes du sang ; il n'y avoit
point de concessions à confirmer pour eux comme pour
les bâtards, puisqu'on vouloit prendre cette occasion de
le faire ; mais cette bienséance de ne pas parler de ceux-
ci sans avoir d'abord fait mention de ceux-là parut au
Chancelier une raison péremptoire. Comme, dans le
fait, ce premier article n'énonçoit rien, je ne m'opiniâ-
trai pas trop ; mais j'essayai' de faire supprimer le second,
qui portoit la confirmation dont je viens de parler, et
avec lequel le premier tomboit de soi-même^. Mais le
Chancelier, ferme sur son principe que cet article seul
seroit le chausse-pied du règlement, m'ôta toute espé-
rance qu'il pût être supprimé, et je me tournai à le faire
dresser en sorte qu'il ne donnât pas au moins une force
nouvelle à ce qui avoit été fait pour les bâtards, et que
la confirmation, puisqu'il en falloit passer par là, fût la
Friponnerie plus simple et la plus exténuée' qu'il seroit possible. Le
insigne troisième article fut uue ample matière. Harlay, parce
et âlTlDltlGllSC . .
du premier projet, ne songeoit qu'à son ambition. 11 avoit parole
président réitérée d'être chancelier pour ses bons services aux bâ-
tards\ Le brillant de M. de Luxembourg, soutenu de la
faveur pleine de M. de Chevreuse, l'avoit ébloui jusqu'à
lui faire tenir la partiale conduite^ qui le fit récuser dans
4. Il y a.j'essay, par mégarde, dans le manuscrit.
2. Ci-dessus, p. 147.
3. « Exténuer, atténuer, affoiblir p'eu à peu; c'est aussi un terme
de pratique pour dire, affoiblir, diminuer : on a fort exténué le crime,
Vaccusation » (Académie, •1718). Nous avons rencontré exténuation
dans le tome Vil, p. 305.
4. Ci-dessus, p. 143.
5. En écrivant conduitte, qui est le premier mot de la page 1117,
Saint-Simon avait commencé co trop bas sur la page nouvelle; il l'a
effacé du doigt pour le remonter à la place ordinaire.
* Les mots insigne et ont été ajoutés en interligne.
d'Harla\
(17111 DK SAINT-SIMON. 177
(t'ttt' ;ilVaiit> (le |)ivs«''aiic(', et (jiii nous fit ronipro tous
ouverti'iiKMit avec lui'. Il «'luit lois au ioi't de celle
brouillerie dans laqucllf l»- Auc dr la Kochofoucauld se
montra des plus animés-, llarlay le redouta pour les
Meaux, et le vt>ulul ramènera soi pai' la même voit' (jui
l'en avoit aliéné. Il étoil bien au fait de la question de
préséance qui étoit entre lui et moi, et, sans faire sem-
blant d'y penser, il dressa ce troisième article pour m'é-
trangler sans que je m'en défiasse, et pour se raccommoder
j)ar là avec M. de la Kochefoucauld. Comme cet article
fut la matière de diveis mouvements auxquels il faudra
revenir plus dune fois, je passerai aux auti'es sans m'ai-
rèter maintenant à celui-ci, sinon sur ce qui ne me re-
garde pas en particulier. Je trouvois juste que les duchés
ne fussent vérifiés qu'à Paris, cour des paiis et le pre-
mier de tous les parlements: ce fut pour cela que, sans
la plus légère liaison avec les Brancas, je proposai ce qui
se voit dans la note sur cet article ' ; mais, comme les
choses se régloient avec le Roi bien plus par goût que
|)ar principes, cela fut laissé à côté' dès qu'il ne fut plus
(Question tl enregistrement, comme on verra clans la suite.
L'âge compris dans cet article forma une grande dispute
entre le (chancelier et moi. La réception des pairs n'y
avoit jamais été assujettie ; je ne pouvois souffrir qu'elle
la fût et uniquement pour servir de degré à la distinc-
tion sur eux des bâtards et des princes du sang, qui tous
ne peuvent nier, malgré toutes leurs usurpations, qu'ils
n'entrent au Parlement que comme pairs, et, malgré
toutes leurs distinctions, comme pairs tels que tous les
autres. La raison de 1 âge j)0ur les gens de loi, et qui n'a
rien de commun avec les paiis, fut par moi déployée
I. Tome 11. |«. 117-1-2-2. — i. Tome 11. |). 38 cl suivantos.
."{. Le duché do Hi-ancus n'avait été vérilié qu'au parlemenl de
Provence : ci-dessus, p. l-48-i-49.
i. n A côté si^nilip aussi à l'écart : mettez cela à côté » {Académie,
i718).
MÉVOIHEh Ue SAINT-SIMO.N. XXI 12
d78 MÉMOIRES [iTil]
dans toute sa force. Le malheur étoit que celui contre
qui je disputois étoit juge et partie*. L'homme de loi, le
magistrat blessé en lui de cette différence, se sentit en
situation de l'anéantir; il se garda bien d'en manquer
l'occasion si favorable, et, à faute de mieux, de ne pas
mettre, pour l'âge, les pairs à l'unisson des magistrats.
Apophthegme Le vieux maréchal de Villeroy disoit avec un admirable
du premier g^j^g g^'j} aimeroit mieux pour soi un premier ministre
m n ro c h si 1
de Villeroy. SOU ennemi, mais homme de qualité, qu'un bourgeois
son ami^ Je me trouvai ici dans le cas. Le Chancelier,
qui m'en vouloit détourner l'esprit, s'appuya tant qu'il
put de l'indécence et de l'inconvénient même quelquefois
du pouvoir d'opiner dans les plus grandes affaires avant
l'âge sagement prescrit pour pouvoir disposer des siennes
particulières. J'opposai ^ l'extrême rareté de ces occa-
sions de juger pour les pairs, et le continuel usage des
dispenses d'âge des magistrats S qui jugent tous les jours
de leur vie. J'eus beau me récrier sur l'iniquité de la
disparité d'avec^ les princes du sang et les bâtards, et la
\. Cette locution, qui signifie qu'on a un intérêt personnel dans une
affaire qu'on est appelé à décider, n'était point relevée dans les lexi-
ques du temps.
2. Il a déjà cité un mot du même maréchal sur les ministres, dans
le tome XII, p. 124.
3. Opposay corrige opposais.
i. On peut voir à propos des dispenses d'âge accordées aux magis-
trats les Mémoires sur Claude Pellot, tome II, p. 437-438, les Mémo-
riaux du Conseil de 1661, tome I, p. 125-126, et les Souvenirs du
président Joly de Blaisy, p. 34 et 38-39. En 1672, le Roi avait fixé
à vingt-sept ans l'âge minimum pour être reçu magistrat, « ne voulant
plus, dit l'édit, qu'aucun fût reçu dans les offices de judicature qu'il
n'eût l'âge, l'expérience et la capacité requises pour soutenir avec
créance et dignité le poids et la grandeur d'un si saint ministère » ;
mais, dès 1673, cet édit fut révoqué, ou plutôt les dispenses continuè-
rent à être accordées, par laveur, comme dans le passé, et malgré cette
facilité les impétrants n'hésitaient pas parfois à falsifier leurs actes de
baptême (Journal d'Olivier d'Ormesson, tome II, p. 110); voyez ci
dessus, p. 149-130.
3. Le d' a été ajouté après coup avant avec.
1
|I7II| nE SATXT-SIMOX. 179
parité entière avoc les nia^'istrats, jusqu'alors inouïe ; je
|»arlois à un sourd' enveloppé de sa robe, qui lui étoit
plus rfiére tpif justice, raison ni amitié, et il fallut passer
aux aulies articles.
J'eus bon marché du qualrième et cinquième-, qui
regardoient les ayant-cause et les duchés femelles ^ Ce
détlommagoment étoit bien mince des trois premiers;
mais le contraire auroit été fort nuisible dans un temps
■^i malheureux, et, si nous n'y gagnâmes rien, au moins
tùnies-nous à l'abri d'y perdre. 11 n'y avoit que les au-
diences du parlement de Paris d'exprimées; je craignis
les suites d'une omission de cette nature sur l'exemple
de celle qui, par la faute des pairs de ces temps-là, nous
a par la suite exclus du conseil des parties*. Je fis donc
ajouter, et sans peine, le conseil, c'est-à-dire les procès
par écrit % et les autres parlements à celui de Paris.
J'essayai après d'y faire cesser les ineptes ditllcultés que
font quelques autres parlements sur la manière d'entrer
et de sortir de séance, et de faire ajouter un mot qui les
fixât tous à celle dont les pairs entrent et sortent de
séance au parlement de Paris, le plus ancien et le modèle
(le tous les autres; mais le magistrat se trouva encore ici
avec sa précieuse robe, qui me répondit que c'étoit des
choses étrangères à la matière dont il s'agissoit dans ce
lèglement, et que le Roi ne pouvoit entrer dans ces
1. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne citait pas cette locu-
tion et donnait seulement : faire le sourd et // n'est point de pire
sdi/n/ que celui qui ne veut pas entendre.
"2. Il y a du 4 et 5 dans le manuscrit.
3. Ci-<lessus, p. I.M-lo3.
4. Ci-dessus, p. i'i'l. C est dans le règlement du Conseil rtVligé on 1673
par le chancelier Ségiiier que les |)airs ne lurent point désignt's parmi
ceux qui avaient entrée et séance au conseil des parties : voyez le mé-
moire des « Changements arrivés à la dignité de duc et pair », dans
les Écrits inédits, tome III, p. 137-139.
5. Les procès à juger sur rapport, à la difTérence de ceux qui don-
naient matière h plaidoiries, étaient examinés par les tribunaux en
chambre du conseil.
180 MÉMOIRES [1711]
vétilles, terme très familier à ceux qui n'ont rien de
fâcheux à essuyer. Ainsi, en choses' de parlement un
homme de robe, en celles qui regardoient les princes du
sang ou les bâtards un courtisan, étoit ce que j'avois en
tête, et- avec qui lutter trop inégalement. Ces deux articles
et les deux suivants* n'avoientrien qui touchât aux princes
du sang, aux bâtards, ni à la robe. C'étoient néanmoins
les importants pour finir tous les procès de ^ préséance, et
nous garantir des plaies de la faveur et des prétentions de
toute espèce qui renversent tout droit, et tout ordre dans
la dignité. Aussi le Chancelier m'en fit-il bon marché :
nous les tournâmes tout aussi avantageusement que je
voulus, et mieux encore, non seulement^ sur l'ayant-
cause, mais sur les femelles, où le gendre fut exclu de
l'ancienneté du beau-père. Ce furent deux grands points.
Le sixième ® fut extrêmement discuté, non par la fantai-
sie du Chancelier, mais par la difficulté de sa nature. Ma
pensée étoit que la faculté de substituer étoit insuffisante
à des ducs indifférents, mal entendus, ou mal dans leurs
affaires, et mon dessein étoit de conserver la dignité
et sa glèbe ' perpétuellement à tous les appelés, de les
dérober à l'incurie de leurs auteurs jusqu'à extinction
de race, et, tout à la fois, de procurer aux ducs de quoi
vivre au moins, dans la plus grande décadence de leurs
affaires, avec un lustre à leur dignité, de la solidité
duquel ils tireroient leur subsistance. Il faut dire, à
l'honneur du Chancelier, qu'il entra parfaitement dans
ces vues, et qu'il n'y eut que les obstacles insurmontables
de l'exécution par les difficultés de la chose en elle-même,
et qui ne se purent résoudre, qui empêchèrent la substi-
i. Le signe du pluriel a été ajouté après coup à chose.
1. Et a été ajouté à la fin d'une ligne. — 3. Ci-dessus, p. 154-153.
4. De est répété deux fois en fin de ligne et au commencement de
la ligne suivante.
5. Non seulem' a été ajouté en interligne.
6. Ci-dessus, p. 134. — T. Ci-dessus, p. 158,
[MW] \)K SAl.NT-SIMON. l«l
liifion (le droit par l'rrortion, ri (jiii l:i ri-duisii-cnl à la
siniplr tacullt- aux ducs de la lairo, à laquelle nous don-
nâmes toutr Irtciiduc possibK' pour remplir toutes les
vues que je viens d'expliquer. Le septième article ' fut
encore extrêmement discuté. Je voulois un denier plus
foible : l'équité en exigea un plus fort, et je m'y rendis.
Le Chancelier alla plus loin que moi ; il ne faut pas lui en
dérober l'honneur. Je ne pensois qu'au premier mâle en
ordre de succéder; le Chancelier étendit de lui-même la
faculté du remboursement forcé de la femelle à tout mâle
appelé à la dignité, chacun en son ordre, au refus par
incurie ou par impossibilité des mâles avant appelés, ce
qui fut une extension très avantageuse pour la conserva-
tion des ilignités dans la descendance de l'impétrant. Le
huitième article- passa sans difficulté entre nous deux,
sinon que je m'opposai tellement à la forme d'un arrêt
du Conseil pour le renvoi des causes de prétentions du-
cales au Parlement, que j'obtins que cette forme d'arrêt
du Conseil seroit omise. Ma raison fut que les magistrats
du Conseil ne sont pas juges compétents de ces matières.
L'article neuvième^ alloit tout seul. La prétention de
l'ancienne érection de Piney étoit éteinte par les articles
précédents; le rang de sa réérection ^ de 1662, laite pour
le feu maréchal de Luxembourg, fut établi par celui-ci, et,
en même temps, l'érection nouvelle et le rang nouveau de
d'Antin y fut compris. Le premier avoit été le motif de
l'ancien projet, le second de le remettre sur le tapis. Il
linissoit ces deux affaires, et il étoit devenu épineux de
taire juridiquement déclarer Piney éteint de la première
et de la seconde érection, depuis le monstrueux arrêt de
1. Ci-dessus, p. to6.
2. Ci-dessus, p. io()-io7. — 3. Ci-dessus, p. \"û.
't. Ce terme se retrouve dans la suite des Mémoirat (tome XVII île
1X73. p. '•2''27) et dans les Écrits inéclitx (tome VI. p. S.'iS); Littré n'a
cité d'exemples (jue de notre auteur, et il n'a jamais été admis par
l'Académie
182
MEMOIRES
[i7H]
Je fais
comprendre
les ducs
vérifies en
l'édit.
l'inique Maisons, qui' a été expliqué en son temps^, chose
néanmoins à laquelle nous allions donner tous nos soins,
si ceci ne nous en eût ôté la peine.
Jusqu'ici, il ne s'agissoit du tout^ que des pairs, et l'an-
cien projet ne faisoit aucune mention des ducs simple-
ment vérifiés ou héréditaires, comme on les appelle mal
à propos, puisque les pairs le sont aussi. L'équité, aiguisée
de l'intérêt de la maison de Mme de Saint-Simon, me fit
penser à eux, par celui de l'aîné de sa maison et son cou-
sin germain, de son frère et de son beau-frère, tous trois
ducs vérifiés*. Je proposai donc au Chancelier d'ajouter à
la fin de l'édit un article qui y^ comprît les ducs simple-
ment vérifiés, autant qu'ils en étoient susceptibles. Il ne
m'en fit aucune difficulté.
Tout cela convenu entre lui et moi, je vins^ à mon fait
particulier de l'ancienneté à régler par la date de l'enre-
gistrement des lettres, comme M. de la Rochefoucauld le
prétendoit contre moi, et comme le portoit l'ancien projet
du premier président d'Harlay pour lui complaire et se
le rapprocher, ou, comme je le prétendois, par la date de
la réception de l'impétrant au Parlement. Je diffère à
expliquer plus bas les raisons de part et d'autre^ pour ne
pas interrompre la suite du récit du règlement : il suffit ici
de dire que je convainquis le Chancelier de mon droit. Je
mis ensuite sur le tapis ce qui regardoit M. de Chevreuse*.
■1. Qui est en interligne, au-dessus de dont il, biffé.
2. Tome III, p. 404-iOo.
3. « Du tout se joint avec les négatives rien et pomi,'rend la néga-
tion plus absolue, et signifie en aucune façon, nullement, absolument
rien » (Académie, 4748). Ici c'est plutôt le sens d'en tout.
4. Les ducs de Duras, de Quintin-Lorge et de Lauzun.
o. L'y a été intercalé après coup.
6. Les neuf mots qui précèdent avaient été d'abord placés à la fin
de l'alinéa précédent, puis biffés, et écrits à nouveau de manière à
commencer un autre paragraphe.
7. Voyez le mémoire donné ci-après, p. 494 et suivantes.
8. Ci-dessus, p. 463 et suivantes.
1711]
DE SAI.NT-SIMON.
183
C'étoit un des grands épisodes'. Do l'ancienneté de Che-
vreuse-Lorraine, ce n'étoit pas le plus pressé : Luynes
étoit plus ancien'; le point pressant étoit Chaulnes*. Il
n'existoit plus depuis KillS, que le dernier duc de Chaul-
nes étoit mort; et le vidame d'Amiens, second fds
de M. de Chevreuse', se morfondoit"' cependant, et, sui-
vant Monsieur son père, sout^roit, et lui aussi, une grande
injustice, sans toutefois que ni lun ni l'autre eussent osé
encore se présenter juridiquement à recueillir cette di-
gnité. Le Chancelier et moi convînmes bientôt que cette
prétention ne pouvoit se soutenir. Mors je lui dis que
c'étoit là une occasion essentielle de se souvenir de l'ami-
tié personnelle qui avoit toujours été entre M. de Che-
vreuse et lui, et je l'exhortai à le servir en cette occasion
si impoi-tante pour obtenir à son second fils des lettres
nouvelles avec un nouveau rang. Le Chancelier ne se fit
point prier, et me répondit d'un air ouvert qu'il étoit ravi
de me voir dans ce sentiment, et que cela même le met-
toit là-dessus à son aise. Nous discourûmes de la manière
de s'y prendre; nous convînmes que l'unique étoit de ne
pas faire au Roi la prétention si mauvaise, afin d'y laisser
une queue* d'équité de la terminer par une nouvelle
érection : à quoi le Chancelier me promit de faire tout
son possible. Mme de Saint-Simon avoit quitté Marly avec
1. (c On appelle ainsi, dans la composition du poème épique ou de
la tra;4é(lie, toute action que le poète emploie pour étendre l'action
principale et |>our rombeilir » (Académie, 1718).
"2. Le duché de Luynes avait été enrej^istré au Parlement dès i6"20,
celui de Chevreuse-Lorraine seulement en 16'27.
3. Ci-dessus, p. 46-4. — 4. Ci-dessus, p. 165.
.*). « On dit figurément qu'un homme se morfond, pour dire qu'il
perd bien du temps !\ la poursuite d'une affaire, d'une entreprise qui
ne réussit point, dans l'attente d'un succès qui n'arrive point » (Aca-
démie, 1718).
r». Tome XX, p. 3-24 .
L'amitic
m'intéresse
aux lettres
nouvelles de
Chaulnes'.
Le Chancelier
s'y porte de
bonne pràce ;
je l'y soutiens
avec peine,
dépité qu'il
devient des
sophismcs du
duc
do Chcvreusc.
* Après Chauhtex, Saint-Simon a liilTi' ('/ i/i/o//, et, plus loin, s'// cor-
rige se.
184 MEMOIRES |nil]
la fièvre ; elle étoit demeurée depuis à Paris assez incom-
modée, et je l'y allois voir le plus souvent que je pou-
vois'. Le duc de Chevreuse y étoit aussi, qui, fort mal à
propos pour ses vues de Chaulnes, avoit esquivé ce Marly,
dont " le Roi n'étoit pas trop content ; car, à lui qui étoit
réellement ministre bien (\\\ incognito^, il lui falloit des
permissions pour ces absences, que le Roi ne lui donnoit
pas volontiers. L'inquiétude le prit : il me vint trouver à
Paris ; il se mit à me haranguer avec ses longueurs ordi-
naires, moi à lui couper court ^ que sa prétention de
Chaulnes étoit insoutenable, et n'auroit pas un plus ardent
adversaire que moi, s'il se mettoit à la plaider. J'ajoutai
tout de suite que, pour lui montrer la vérité de mon ami-
tié, je lui promettois tous bons offices, s'il en avoit besoin,
pour des lettres nouvelles, et je lui dis ce qui s'étoit passé
là-dessus entre le Chancelier et moi, mais sans un seul
mot qui approchât du règlement. Cette franchise le char-
ma ; il me fît mille remerciements, et me pria de soute-
nir le Chancelier dans ce bon dessein. Dès qu'il m'eut
quitté, il se mit à travailler à un mémoire, qui ne valut
rien, parce que sa prétention étoit sans aucune sorte de
fondement. Il l'envoya au Chancelier. Les raisonnements
en étoient tellement tirés à l'alambic ^ qu'ils l'impatien-
i. Dangeau ne parle pas de cette indisposition, que l'auteur des
Mémoires de Sourches a mentionnée au 23 avril (p. 98) : « On apprit
que la duchesse de Saint-Simon, ayant eu une ébullition de sang,
c'est-à-dire des marques rouges sur les mains, qui paroissoient et dis-
paroissoient, cependant sans mal de tète, mal de cœur, ni fièvre,
n'avoit pas laissé de s'en aller à Paris, de peur que ce ne fût la petite
vérole. » Elle revint au bout de quelques jours reprendre son service
auprès de la duchesse de Berry.
2. Dont pour ce dont. — 3. Tome XV, p. 402-403.
4. « On dit couper court à quelqu'un pour dire le quitter brusque-
ment et lui faire une réponse décisive qui l'empêche de continuer son
discours » (Académie, 4718). Mais, ici, il y a une phrase incidente,
comme si l'auteur avait ajouté en disant.
5. « On dit tigurément qu'une affaire a passé par l'alambic, pour
dire qu'elle a été exécutée avec un grand soin, avec une grande exao-
inni DE SAINT-SIMON. 185
ItTcnt, t't plus iMicor»' inic couvri-saliou (in'il <'nl !iv<'f lui
à Versailles, où il l'alla trouver : tellcriit'iit «|u'il lui f;raii<l
besoin <|ue je remisse le Chancelier de rette mauvaise
humeur (ju'il avoit prise. Je n'en voulus pas donner l'in-
quiétude à M. de Chevreuse, quoiqu'il s'en fût un peu
aperçu.
Le Chancelier cependanl travailla avec le Koi. (-e tète- Le Chancolior
à-tète non accoutumé réveilla tout le monde', qui, joignant j,^"JJ^ Rorsur
à cette singularité la surséance arrivée à notre affaire de le roglomcnt ;
d'.\ntin-, ne douta pas qu'il n'v en fût question. Le Chan- «on aversion
' _ ' • . ' • 1 < I ^^^ ducs, et sa
celier proposa au Hoi de conununiquer le projet de règle- cause.
ment à quelques ducs, et de travailler là-dessus avec eux,
puisqu'il s'agissoit de faire une loi à eux si importante.
Le Roi, hérissé 3 de la proposition, répondit avec un mé-
pris assez juste sur leur capacité en affaires, et la diffi-
culté d'en trouver ()uel(|ues-uns qui entendissent celle-là*
assez bien. Le Chancelier lui en nomma (jut'lques-uns,
moi entre autres, et" en prit occasion de faii-e valoir son
amitié sans la montrer trop. Il insista même assez ferme ;
mais le Roi demeura inébi'anlable en ses usages, ses pré-
jugés, et ses ombrages mazarins* d'autorité qui l'animoient
contre les ducs', dont la dignité lui étoit odieuse par sa
grandeur intrinsèque, indépendante par sa nature des
accidents étrangers. Elle lui faisoit toujours peur et
titudc, qu'elle a été discutée et approfondie » {Acadrmic, 4718), mais
ici, comme Liîtré l'a remarqué, c'est le sens de subtiliser, raffiner.
1. Danpeau écrit le \i mai (p. 40."}) : « Après son dîner, le Roi tra-
vailla chez lui avec M. Ii' Cliancelier, ce qu'il n'a pas accoutumé de
faire. »
•2. Ci-dessus, p. 175. — 3. Même sens qu'au louic XIX. p. I 'k
-4. Ln, ouhlié. a été ajouté eu interligne. — 'i. El surcliar^;o p''.
6. C'est-à-dire, inculqués par le cardinal Mazariu, comme il va
l'expliquer quatre li{;ne plus bas. Nous avons déjà rencontré « race
demi-mazarine » dans le tome XIII, p. 104, et cet adjectif avait été
fré(jucnimenl employé dans les pamphlets contre le cardinal {Choix de
mazdrinadcs, tome II, p. -IW, "240, 'S.'l-i, i^rl, 37'», etc.).
7. Le» corrige la, et, avant (/«c«, Saint-Simon a bilVé diynitc des.
186 MÉMOIRES [1714]
peine, par los impressions " que ce premier ministre italien
lui en avoit données pour son intérêt particulier, et lui
avoit sans cesse fait inspirer par la Reine mère, ce qui^ le
rendit si constamment contraire, jusqu'à franchir les in-
justices^ les plus senties, et même avouées en* bien des
occasions. Le projet, tel que le Chancelier et moi étions
convenus, fut par lui communiqué au premier président
et au procureur général : Peletier, qui n'étoit pas grand
clerc, ne fit que le voir à sa campagne ^ où il étoit allé, et
le renvoya aussitôt ; Daguesseau écrivit un long verbiage
qui, pour en dire le vrai, ne signifioit rien ^ Le Chance-
lier, content de sa communication de bienséance, poussa
sa pointe. M. de Chevreuse, en éveil sur ce travail du Roi
avec le Chancelier seul, redoubla d'un mémoire à celui-
ci''. Ce mémoire n'étoit point correct dans ses principes,
peu droit dans ses raisonnements, qui tous conduisoient
à ses fins, comme le Chancelier me le manda avec dégoût,
et même amertume. Il ajouta qu'en le lui donnant, M. de
Chevreuse lui avoit dit, pour le faire valoir, qu'il m'avoit
1. Impressions est en interligne, au-dessus de teintures, biffé.
2. Ce qui corrige et que.
3. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait comme
exemple que franchir les limites, les bornes, les difficultés, les obsta'
des, le mot, le secret.
4. En surcharge et.
5. Villeneuve-le-Roi, non loin de la Seine, au sud-est de Paris. Les
le Peletier avaient acquis cette terre du garde des sceaux du Vair, et
l'ancien contrôleur général Claude le Peletier s'y était retiré en 1697
et l'avait fort embellie.
6. C'est sans doute ce mémoire qui fit croire au duc de Luynes que
Daguesseau était l'auteur du projet d'édif : voyez sa note sur le Jour-
nal de Dangeau, tome XIII, p. 407. Le mémoire de Daguesseau a été
imprimé dans ses Œuvres, tome VII, p. 598-615.
7. Dans les cartons des Archives nationales cotés K 621 (n° 3) et
622 (n°* 9 et 11), il y a divers mémoires du duc de Chevreuse sur
les duchés pairies femelles, sur le bonnet, sur la séance aux bas
sièges etc., et une récapitulation des « avantages accordés aux ducs
et pairs » de 1664 à 1711.
[1711] DE SAINT-SIMON. 187
fait presque convenir de tout. Il n'en étoit rien, et je le
sus bien dire à l'un et à l'autre. Quelque étrange qu'un
semblable allégué ' doive paroître à qui n'a pas connu le
duc de Chevreuse, je suis convaincu qu'il se trompoit
soi-même, et qu'à force de désirer, de se figurer, de se
persuader, il croyoit tout ce qu'il souhailoit et tout ce
dont il se persuadoit de la chose, de lui-même, et des
autres. Toutefois, je ne pus m'empècher de lui en parler
avec force ; mais, en même temps, je soutins le Chancelier
dépité, et avec travail, qui vouloit laisser faire M. de Che-
vreuse, l'abandonner à ses sophismes, et à tout ce qu'il
en pourroit tirer, sans autre secours pour son affaire.
Ce qui le gàtoit encore avec le Chancelier, c'est que, se
doutant bien qu'il étoit question d'un règlement, puis-
qu'il en avoit parlé lui-même, il le tracassoit pour péné-
trer ses sentiments, et encore pour avoir communication
de l'ancien projet qu'il avoit vu dans le temps que le
premier président d'Harlay le fit% qu'il jugeoit bien devoir
servir de base à ce qu'on alloit faire, mais dont il ne lui
restoit rien qu'en gros et imparfaitement dans la mé-
moire. Or le Chancelier s'en trouvoit d'autant plus impor-
tuné, qu'il ne voulut' ni lui communiquer l'ancien projet,
ni moins encore lui laisser rien entrevoir de ce qui entre-
roit, ni de ce qu'il pensoit devoir entrer dans ce qu'on
vouloit faire. Je n'étois pas moi-même moins circonvenu
toutes les fois que je venois à Paris, et je n'avois pas peu
à me défendre d'un ami si intime, si supérieur en âge et
en situation, et si adroit à pomper*, dans la pensée que le
Chancelier me communiquoit tout et ne me cachoitrien.
Il eut beau faire ; jamais il ne put rien tirer de moi que
des avis sur son fait, et des services très empressés et
très constante auprès du Chancelier, qui ne furent pas
inutiles.
1. Terme déjà rencontré dans le tome V, p. Si.
•2. Ci-dessus, p. 163.
;i Avant voulut, Saint-Simon a bitTé luy. — i. Tome XVII, p. 16*2,
18S MÉMOIRES fl7M]
Scéicratcsso Le Chancelier avoit travaillé avec le Roi trois fois tête
presidenr ^ tête'. J'appris de lui, après ce troisième- travail, que le
d'Harlay sur le Roi s'étoit souvenu de deux articles de l'ancien projet du
sacre et la premier président d'Harlay que ie n'avois point vus dans
propagation ' • i i . *^ , . . ,
des* bâtards, la copie que le Chancelier m'avoit communiquée : c'étoient
les deux derniers coups de foudre. Le premier étoit la
représentation des six anciens pairs au sacre ^, attribuée,
exclusivement aux pairs ^, à tous les princes du sang, à
leur défaut aux^ légitimés pairs, sans que les autres pairs
y pussent être admis qu'à faute de nombre des uns et
des autres. L'autre étoit l'attribution aux légitimés qui
auroient plusieurs^ duchés-pairies de les partager entre
leurs enfants mâles, qui deviendroient ainsi ducs et pairs,
et feroient autant de souches de ducs et pairs avec les
rangs, honneurs et privilèges maintenant accordés aux
légitimés au-dessus de tous autres pairs plus anciens
qu'eux. Ce que je sentis à deux nouveautés tout à la fois
si inimaginables et si destructives, seroit difficile à rendre.
Je disputai contre le Chancelier, qui me montra l'article
du sacre dans la minute de cet exécrable Harlay, qu'il
n'avoit, disoit-il, recouvrée que depuis peu. Je lui remon-
1. Dangeau ne mentionne qu'une fois, le 42 mai (p. 40o).
2. Le chiffre â« surcharge un t.
3. Il a déjà été parlé des six anciens pairs laïcs et de leur représen-
tation au sacre des rois, dans le tome III, p. 316, note 3. Sur les douze
anciens pairs et leur origine, on peut voirie mémoire inséré dans l'Ap-
pendice de notre tome IX, p. il6-418, Brussel, Usages des fiefs, livre II,
chapitre xLi, le Mémoire sur de la généralité de Paris en 1698, p. 474-
472, les Lettres de Colbert, tome VI, p. 226-227, J. Flach, les Origi-
nes de l'ancienne France, tome I, p. 2o3-2oo, P. Guilhiermoz, les Deux
condamnations de Jean sans Terre et l'origine des pairs de France
(4899), etc.
4. « Exclusivement signifie en excluant, à l'exception de » (Acadé-
mie, 4748).
5. Aux surcharge à et un mot effacé du doigt.
6. Plusieures corrigé en plusieurs.
* Les mots la propagation ont été ajoutés au-dessus de sur, hififé, et
les a été corrigé en des.
flTIl) DE SALXT-SIMON. 489
trai l'antiquitt' il(^ la fonction des pairs égale à celle du
sacre même, et non interrompue jusqu'à présent, qu'il
n'y en avoit jamais eu où les paii's, quand il s'y en trou-
voit', n'eussent servi lors même qu'il y avoit plus de
princes du sang qu'il nen falloit pour cet auguste ser-
vice. Je le lis souvenir de la préférence des pairs par
ancienneté sur les princes du sang aux sacres d'Henri II
et de ses fils*. Je lui démontrai que cette loi si juste par
laquelle Henri III fait tous les princes du sang pairs à
titre de naissance, et leur donne la préséance sur tous les
autres pairs', n'avoit fait aucune altération à leurs fonc-
tions du sacre. Je lui expliquai le fonds, la raison, l'esprit
de cette grande cérémonie par l'histoire, et tout ce qu'elle
a de figuratifs dont il n'est pas possible de [dis]conve-
venir"'. Je lui rendis évident le peu de solidité d'un cou-
ronnement fait par tous les parents masculins d'un roi
héréditaire, et d'une monarchie qui est l'unique soumise
à la loi salique^. Je lui fis honte de l'infamie d'une repré-
sentation si éminente par des bâtards, et à titre de bâtards.
Enfin je n'oubliai rien tie ce que la douleur la plus pathé-
i. Quand il y s'en trouvait, dans le manuscrit, et s' a été intercalé
après coup, comme si Saint-Simon avait d'abord voulu mettre quand
il y en avoit.
2. Dans le volume 3H de ses papiers (aujourd'hui France 193),
Saint-Simon avait la relation des sacres de François II en loo9 et de
Charles IX en 1361.
3. Edil de décembre 1576.
4. Le Dictionnaire de i Académie de 1718 ne donnait pas encore
cet adjectif, qu'on retrouve dans les Écrits inédits, tome III, p. 80.
5. Le manuscrit porte bien convenir, et non disconvenir.
6. La loi salique, ou loi des Francs Saliens, n'est en réalité qu'un
code pénal et qu'un code de procédure ; quelques articles seulement
ont l'apport au droit privé. C'est dans le titre lix que se trouve la
fameuse règle qui exclut les femmes de la succession à la terre, et
qui fut appliquée à partir du quatorzième siècle pour la succession à
la couronne. Aucune autre monarchie d'Europe ne s'y soumit. Notre
auteur en avait parlé avec plus de détails, en 171:2, dans ses Projets
de rétablissement du royaume de France (Écrits inédits, tome IV,
p. -iOU-iO-i;.
490 MÉMOIRES [1711]
tique et l'instruction la plus puissamment réveillée me
purent suggérer. Mais ce fut là où je trouvai tout à la fois
le magistrat et le courtisan, contre lequel j'eus enfin peine
à me retenir. Il me protesta que ce souvenir étoit venu
du Roi tout seul, et qu'il n'avoit pu le détourner de cet
article non plus que de l'autre, à quoi je pense bien qu'il
n'épuisa pas ses efforts. J'essayai de le frapper par le
nombre et le poids de nos pertes'. Voyant enfin que je
ne gagnois rien, je me tournai à le prier de faire arrêter
le projet de règlement. Ce fut là que les grands coups se
ruèrent- de part et d'autre. Il ne put souffrir cette pro-
position, ni moi de m'en désister. Je lui soutins que cette
plaie portoit droit au cœur, et qu'en attaquant jusqu'à cet
excès tout ce que la dignité avoit de plus ancien, de plus
auguste, de plus inhérent % rien ne pouvoit être bon. Il
étala les avantages de tous les procès retranchés par les
articles des ayant-cause et des femelles, et de ceux des
substitutions, et du rachat forcé des héritières femelles. Je
convins de l'avantage de ces articles ; mais j'ajoutai que
non seulement ceux-là, mais qu'un règlement composé
par moi-même * en pleine liberté et tout à mon gré, mais
à condition de cet article du sacre, ne nous pourroit être
que parfaitement odieux. Je le pressai de reparler au Roi
là-dessus, qui avoit souvent dit lui-même qu'outre des
princes du sang il falloit des pairs pour représenter les
anciens au sacre, [et] qui pouvoit être ramené sur une
chose qu'il ne pouvoit jamais voir. Le Chancelier fut
ébranlé; il me promit même toute assistance; mais j'eus
lieu de croire, par une réponse que j'en reçus le lende-
1. Comparez le mémoire sur les « Changements arrivés à la dignité
de duc et pair «, dans le tome III des Écrits inédits.
2. Expression rencontrée en dernier lieu dans le tome XVIII,
p. 26.
3. « Inhérent, ce qui est attaché à un sujet comme l'accident l'est
à la substance. N'est bon que dans le dogmatique et n'est guère en
usage qu'en cette phrase : qualité inhérente « {Académie, 4718).
4. Mesme a été ajouté en interligne.
17111
DE SAINT-SIMON.
\9[
main à uno lettre dont j'avois redoublé mon instance, que
l'homme de robe, bien' tranquille sur une ('mormité qui
ne la - touchoit pas, avoit laissé faire le Hoi en courtisan
qui veut plaire et qui sent bien que ce n'est pas à ses
dépens. Cet article plutôt contraint par l'heure qu'épuisé,
nous vînmes au second. Il est si étrange, si monstrueux,
et si* surprenant, qu'il est inutile de s'y étendre après
l'avoir expliqué, il avoit été suggéré parle duc du Maine,
à qui le Hoi parla d'abord de ce dont il étoit question, et
qui ne s'épargna pas à en profiter. Je m'étendis avec le
Chancelier sur un pouvoir donné à des bâtards, comme
tels, à exercer indépendamment du Roi, sur un privi-
lège à raison de dignité multipliée dont ils sauroient bien
ne pas manquer, qui revonoit pour l'efï'et au même que
l'édit d'Henri III qui avoit fait les princes du sang pairs-
nés*, en un mot sur un rang monstrueux qui, en nombre
comme en choses, n'auroit plus de bornes. Finalement je
me tus, voyant bien que ce qui étoit imaginé, demandé,
et accordé pour le duc du Maine en faveur de sa bâtar-
dise, ne pouvoit^ plus être abandonné par le Roi, qui en
faisoit son idole d'amour et d'orgueil. Je me rabattis
donc à quelque sorte de dédommagement. Tous étoient
bien ditHciles à tirer du Hoi, si jaloux d'une dignité qu'il
avoit continuellement mutilée, et qui s'effaroucheroit de
toute restitution, surtout si elle touchoit autrui. Cette
considération me porta à en proposer*^ un très médiocre,
et qui ne portoit sur personne : ce fut la double séance
au Parlement des pairs démis avec leurs fils pairs par
leur démission '. Je fis remarquer au Chancelier que cette
nouveauté n'étoit aux dépens de personne, que les pairs
t. Le 6 (le bien surcliar^e un (/. — ^2. Saint-Simon a corrigé le en la.
3. Il y a s'y, par mégarde, dans le manuscrit. — 4. Ci-dessus, p. 189.
5. Powj;oit corrige pourvoit. — 6. Le manuscrit porte : prôner.
1. Voyez tome IX, p. :2(îl et suivantes. Pour l'époque de Louis XV,
on a un mémoire contre l'habitude abusive des ducs de se démettre au
protit d'un de leurs lils. dans le carton 0' "IHi des Archives nationales,
"2« dossier.
Je propose
le très foible
dédommage-
ment de la
double séance
de pairs démis.
492 MÉMOIRES [1714]
démis ne se privoient par leur démission que de la séance
au Parlement ; que cela ne changeoit donc rien pour eux,
ni pour leur rang, ancienneté, préséance et honneurs en
pas un autre ' lieu, puisque leur démission ne les excluoit
d'aucune cérémonie, ni de la jouissance partout de ce
qu'ils avoient avant leur démission - ; que les ducs vérifiés
ne perdoient rien à la leur, parce qu'il n'y avoit à y
perdre que l'entrée au Parlement, qu'ils n'ont pas ; que
ce ne seroit même rien de nouveau en soi dans le Parle-
ment, puisque les présidents à mortier qui cèdent leurs
charges à leurs fils n'y sont privés de rien, sinon de pou-
voir présider en chef, mais jouissent d'ailleurs de leur
séance, et de leur ancienneté, et de leur voix délibéra-
tive^ ; que la même chose se pouvoit faire en faveur des
pairs, si on vouloit conserver un air d'apparence, sinon
de justice, lorsqu'on s'en éloignoit à leur égard d'une
manière si violente et si inouïe. Le Chancelier contesta
peu là-dessus. Il ne laissa pas d'alléguer que le père et le
fils ne pouvoient ^ siéger ensemble. Je lui demandai pour-
quoi cette exclusion, tandis qu'elle n'étoit pas pour la
robe ; qu'en cela seulement il étoit juste qu'il en fût des
pairs père et fils comme des magistrats père et fils ;
qu'étant de même avis, leurs voix ne seroient comptées^
que pour une, et que, d'avis différent, elle seroit caduque.
J'ajoutai que ce n'étoit qu'une extension à tous d'un droit
qui appartenoit à quelques-uns ; que MM. de Richelieu,
Bouillon ® et Mazarin avoient chacun deux duchés-pairies'' ;
1. Un autre surcharge d'autres lettres.
2. Sur les honneurs conservés par les ducs démissionnaires voyez
l'Addition n° 547, dans notre tome XII, p. 481.
3. Ci-dessus, p. loi. — 4. Pouvoint, dans le manuscrit.
5. Le manuscrit porte leur voix ne seroit comptée, au singulier.
6. Les premières lettres de Bouillon surchargent et B, effacé du
doigt.
7. M. de Richelieu possédait les duchés de Richelieu et de Fronsac,
M. de Bouillon ceux d'Albret et de Château-Thierry, le duc Mazarin
ceux de la Meilleraye et de Mazarin.
17111
DE SAINT-SIMON.
193
Le Roi,
favorable à
M. de la Ro-
chefoucauld
contre moi.
que les deux derniers s'étoient démis de l'une des deux' ;
que par consécjuont c'étoienl deux pères et deux fds sié-
geant - ens(Mnblo au Parlemenl toutes fois et quanlcs bon
leur scmbloit et sembleroit, sans moyen aucun de l'empê-
cher, et sans qu'on se fût avisé jusqu'à cette heure d'y
trouver le moindre inconvénient. Le Chancelier n'eut
point de réplique à me faire ; il avoua la proposition très
raisonnable, et me promit de faire tout de son mieux pour
la faire passer. Ce point achevé, il me dit que le Roi
n'avoit pu goûter mes raisons contre M. de la Rochefou- uniquement
. . . . . pour
cauld, quoi qu'il eût pu lui dire^; que la réplique du son autorité,
Roi avoit^ été que son autorité y seroit intéressée, et qu'il
étoit demeuré fermé ^ là-dessus. Un homme moins sen-
sible que je ne l'étois en auroit eu sa suftisance de ces
trois points dans une même conversation. Ce dernier,
néanmoins, qui, étant seul, m'eût extrêmement touché,
ne me fit pas grande impression, tant celle des deux
autres me fut douloureuse : elles attaquoient tout, et mon
affaire ne touchoit presque pas la dignité. Je ne laissai
pas de disputer ma cause avec le Chancelier, qui, pour
toute réponse, convint et" haussa les épaules, m'avoua
qu'il étoit pour moi, qu'il avoit combattu le Roi tant qu'il
lui avoit été possible, que les réponses du Roi sur le fonds
et sur le droit avoient été nulles, et qu'il n'avoit répliqué
que par le seul intérêt de son autorité. Je priai le Chance-
lier de ne me pas tenir pour battu, ni lui non plus en por-
tant ma cause; je lui dis que, dès qu'il la trouvoit bonne
par le mérite du fonds, du droit, des règles et de la jus-
tice, qui ne touchoient point celle du Roi, affranchi
d'avoir à le persuader, lui, puisque, de son aveu, il
1 . Il veut dire « les deux premiers. » MM. de Richelieu et de Bouil-
lon avaient cédé à leurs lils aînés leurs duchés de Fronsac et d'Albret.
"2. Il y a siéfjant dans le manuscrit. — 3. Ci-dessus, p. 18:2.
4. Avant avoit, il a biffé un auroit.
5. Au sens de fixé, comme dans le tome XIX, p. '22'2.
6. Et surcharge un que.
MEMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI
13
494
MEMOIRES
[1711]
Chaulnes
enfourné.
Mémoire
uniquement
portant sur
l'autorité du
l'étoit, j'allois me tourner à persuader le Roi sur son auto-
rité comme je pourrois par un autre mémoire ; que je
prévoyois bien qu'il ne le trouveroit pas bon, mais qu'il
se souvînt du premier qu'il avoit trouvé tel, et qu'il se ser-
vît de celui que j'allois faire en faveur de l'autre, puisque
ce n'étoit que par là que je pouvois réussir. Nous finîmes
par l'article de Chaulnes, qu'il me dit avoir enfourné
assez heureusement. Après cet entretien dans son cabinet
à Versailles \ qui dura plus de trois heures, je m'en allai
dans la situation de cœur et d'esprit qu'il est aisé d'ima-
giner. En arrivant chez moi, je me mis à travailler au
mémoire dont il vient d'être parlé. J'étois fâché : je le
brusquai en deux heures, pour- l'envoyer au Chancelier
aussitôt, qui devoit travailler incessamment avec le Roi et
essayer, avec ce nouveau secours, de remettre ma préten-
tion à flot. L'adresse réussit ; elle est telle, que je l'insère
ici plutôt que dans les Pièces : c'est un mémoire curieux
pour bien connoître Louis XIV, qui, uniquement sur cette
pièce, me donna partout la préséance sur M. de la Roche-
foucauld. La voici'' :
« On n'a pas dessein d'entrer dans le fond de la ques-
tion par ce mémoire ; on s'y propose seulement de faire
très succinctement l'histoire de ce qui s'est passé entre les
1. Les mots a Versailles ont été ajoutés en interligne.
2. L'abréviation p^ surcharge un et, et l'envoyer corrige ren-
voyay.
3. Le mémoire qui va suivre ne se trouve pas en autographe dans
les Papiers de Saint-Simon, bien que le volume 51 (aujourd'hui France
206) renferme, fol. 224 et suivants, diverses pièces et mémoires de la
main de notre auteur sur cette affaire; mais il en existe une copie dans
le volume 65 {France 220), fol. 147-125. Ce volume et le suivant
(France 221) contiennent d'ailleurs toutes les pièces relatives à cette
question de préséance, depuis 4643 jusqu'en 1714. Nous avons colla-
tionné le texte que Saint-Simon insère ici dans ses Mémoires avec celui
de cette copie, datée de 1741, et nous indiquerons les principales va-
riantes qui s'y trouvent; elles proviennent presque toutes de correc-
tions ou d'améliorations apportées par Saint-Simon au texte primitif
lorsqu'il le transcrivit sur le manuscrit des Mémoires.
(17111 DE SAINT-SIMON. 195
titulaires ' do ces deux duchés-pairies depuis leur érection Uoi. qui mr-
jusqu'à présent, et d'y ajouter, dans les endroits néces- ^^"'^ ^ P"^^'
* _ T r "^ . , , . seanco sur
saires, de courtes réflexions, d'où on espère qu'il résul- M. de la Ro-
tera avec évidence que cette question n'en fut^ jamais , ?'.^?^°"f ^"'^'
• 1 -1' -1 »» 1 I r^ II- !■'*'"*■ ^'^- '005]
une, et que, si la considération de M. de la nochelou-
cauld l'a tenue jusqu'à présent sans être jugée, tous les
préjugés \ même du Roi, lui ont été manifestement et
uniformément contraires. Il est seulement bon de représen-
ter en un mot que, s'il arrivoit qu'il fût besoin d'une plus
ample instruction, et d'entrcrdanslefondde l'affaire, on est
prêt d'y satisfaire par un mémoire tout fait il y a sept ou
huit ansS et de suppléer encore à ce mémoire, s'il n'étoit
pas trouvé sufllisant, sans demander une heure de délai.
« L'érection de la Rochefoucauld est de 1622"; l'enre-
gistrement est de 1631^. On supprime ici, avec un reli-
gieux silence, les causes d'un si long délai, et la manière
dont cet enregistrement fut fait : ni l'un ni l'autre ne
seroient pas favorables' à la cause de M. de la Rochefou-
cauld, et, si cette remarque, toute monosyllabe^ qu'elle
est, n'étoit indispensable pour faire voir que ce n'est pas
se prévaloir de la négligence de M. de la Rochefoucauld,
on n'en auroit fait aucune mention ^
l. La première lettre de ce mot corrige un d.
"2. Il y a n'en fust, par erreur, dans le manuscrit ; les éditeurs pré-
cédents avaient lu fait ; mais dans la copie il y a bien fut.
3. Au sens de jugement antérieur, comme dans le tome XV, p. 138.
4. C'est sans doute le mémoire fait en 4"0'2 par l'abbé Levasseur,
lors de la réception de notre auteur au Parlement. Il se trouve dans le
volume 66 des Papiers de Saint-Simon (France 221), fol. i-140.
5. Les lettres d'érection, du mois d'avril, sont insérées dans VIlis
toire généalogique, tome IV, p. 414-416.
G. Ci-après, p. 223-229.
7. Favorable, dans le manuscrit, au singulier quoique le verbe soit
au pluriel.
8. On a déjà rencontré ce mot à diverses reprises, notamment dans
nos tomes XII, p. 373, et XIX, p. 434. VAcadémie, en le qualitiant
d'adjectif, dit qu'il s'employait plutôt comme substantif.
9. Copie de 1711 : on n'en auroit pas fait mention du tout.
496 MÉMOIRES [1711]
Défaut de foi « On souhaiteroit encore pouvoir taire un autre incon-
Ex HcaiTo^n et '^'^'"^'^'^t ^l^i a même jeté M. le duc de Saint-Simon dans
nécessité un grand embarras, lorsqu'il a été obligé de faire travail-
Je cet acte. jgj. à cette affaire, pour n'en pas tirer un avantage trop
ruineux à M. le duc de la Rochefoucauld : c'est le défaut
d'hommage rendu au Pioi. Une érection en duché, mar-
quisat ou comté, plus essentiellement en duché-pairie,
est constamment' la remise d'un fief que le vassal possède
entre les mains du Roi, que le Roi, après l'avoir repris,
lui- rend avec une dignité dont il l'investit par l'érection
aux conditions portées par icelle, qui sont respectives %
savoir d'honneur et d'avantage pour le sujet, d'hommage
et de service'' envers le seigneur, dont la principale, qui
donne l'être aux autres, est constamment l'hommage ^.
Par l'érection le Roi investit son sujet; par l'hommage le
sujet accepte, et se soumet aux conditions sans lesquelles
le Roi n'entend lui rien donner, et le sujet n'entend rien
recevoir. Cela n'est pas douteux. Dans l'hommage du
sujet nouvellement investi consiste donc toute la forme,
la force et la réalité de l'effet de l'érection et de l'inves-
titure : sans quoi les choses demeureroient nulles et
comme non avenues, puisque le sujet ne fait point de sa
part ce qui est requis pour recevoir la grâce que son sou-
verain lui fait, qui est de l'accepter de sa main, et de le
reconnoître pour son seigneur singulier* en ce genre.
Cette action d'hommage ne se peut faire qu'en trois
1. Nous avons déjà signalé ce sens vieilli de l'adverbe constamment,
pour dire comme il est constant et indiscutable.
2. Avant luy, Saint-Simon a biffé de.
3. « Re>ipectif, terme de pratique, réciproque » (Académie, 1748).
4. Copie : de service et d'hommage.
5. L'hommage féodal a été détini dans le tome IX, p. 248. Saint-Simon
avait réuni dans ses Papiers (volumes 46 et 60, aujourd'hui France
168 et Ho) divers documents sur les hommages rendus au Roi par les
grands vassaux.
6. Au sens d'unique, de particulier, qui est le premier donné par
VAcadémie.
fnill DE SAINT-SIMON. 197
façons : ou au Roi iiirnio eu |)('tsonn(\ ce «jui ost devenu
très rarp ' ; ou, cii la- placo de S. M., à son chancelier,
(|ui la litMil [)()ur ce ; ou cncori.' on la Ciianihro «les comnios '.
Il <Mi (leincure un acte solennel au souverain et au nou-
veau vassal •, (|ui csi je lihe du cliangement tie son fief en
dignité plus éininentc et on mouvance plus auguste, puis-
que, alors, ce fief érigé ne relève plus que de la cou-
ronne ; et c'est l'instrument qui déclare au public le chan-
gement arrivé dans le lief et dans son possesseur, puisque
l'érection, sans cela, n'est qu'un témoignage de la volonté
du Roi demeurée imparfaite dès là que, par l'omission de
Ihommage, condition si essentielle, le sujet n'accepte pas
la grâce de son seigneur S et ne se lie pas à son joug par
un nouveau serment et acte d'obéissance, de service et
de fidélité.
« C'est néanmoins ce qui ne se trouvera pas que feu
M. le duc de la Rochefoucauld ait fait, en aucun temps,
Ml Roi, à son chancelier, ni à la Chambre des comptes,
chose pourtant si essentielle, qu'on ne craint point d'a-
vancer que la dignité de duc et pair pourroit* être juste-
ment contestée à M. de la Rochefoucauld. Rien ne peut
couvrir ce défaut que la bonté du Roi en lui accordant
un rang nouveau en faisant présentement son hommage,
et c'est à cet étrange inconvénient que M. de Saint-Simon
i. On en a vu un exemple en 1699 pour le duc de Lorraine : tome
VI. p. 391-395.
2. Sa corrigé en h.
3. Le règlement du iH juillet I70"2 avait, peu d'années auparavant,
spécifié à nouveau les conditions et la forme des hommages rendus en
la Chambre des comptes par les vassaux immédiats du Roi.
■'t. Les registres des Archives nationales cotés P 18 à 2i renferment
ce qui reste des hommages rendus au Roi en personne, au chancelier
nu en la Chambre des comptes sous les règnes de Louis XIII et de
Louis XIV ; mais cette collection est certainement très incomplète. Il
semble que cet usage était pt>u à peu tombé en désuétude.
n. Copie : de son souverain.
6. Copie : pouvoil.
198 MÉMOIRES [Hil]
a cherché par tous moyens de pallier S pour n'émouvoir
pas une question si fâcheuse à un seigneur qu'il respecte,
et qu'il a toujours constamment honoré-. Pour en venir à
bout, M. de Saint-Simon s'est trouvé réduit à dire que,
lorsque feu M. de la Rochefoucauld prêta serment en la
manière accoutumée lorsqu'il fut reçu au Parlement ^ ce
serment emporta hommage, qui donc au moins ne fut
rendu qu'en cet instant, et pareillement que la Chambre
des comptes, établie si spécialement sur les foi et hom-
mages*, aveux et dénombrements^ de la couronne, ne
le put reconnoître, à faute d'hommage, qu'alors, et deux
mois après, lorsque son érection y fut vérifiée, c'est-à-
dire en 1637 ^
« Deux ans auparavant, c'est-à-dire en 1635, le 2 fé-
vrier", l'érection de Saint-Simon^ avoit été faite et fut en-
[. Le Dictionnaire de V Académie de 4718 ne donnait pas d'exem-
ple de pallier à quelque chose, non plus que les autres lexiques, et
il est à croire que cet à est une inadvertance de Saint-Simon, car il ne
se trouve pas dans la copie.
2. Copie: respecté. — 3. Ci-après, p. 227.
4. Il y a bien homages, au pluriel, dans le manuscrit.
5. K Aveu signifie une reconnaissance que le vassal donne à son sei-
gneur de fief pour raison des terres qu'il tient de lui. — Dénombrement
se dit en parlant du détail qu'un vassal donne à son seigneur de tout
ce qu'il tient de lui en fief: donner un aveu et dénombrement » (Aca-
démie, 1718).
6. Le 26 août 1637 (Histoire généalogique, tome IV, p. 417).
7. Les dates de mois et de jour ne sont pas dans la copie, non plus
que le fut qui se trouve quelques mots plus loin.
8. Il a été parlé de l'érection du duché de Saint-Simon dans l'ap-
pendice II de notre tome I. p. 437-441. Voici comment le généalo-
giste Henri de Maubreuil, cité dans le tome I, p. 390 et suivantes,
décrivait les lieux en 1663 : « Cette terre est située dans leVermandois,
le long de la Somme entre les villes de Saint-Quentin, la Fère, Chauny,
Noyon et Ham ; le château est placé sur une petite éminence, ayant
par derrière un petit bois de haute futaie et un autre de côté vers le
couchant, et au bas à l'orient et au midi, plusieurs fontaines qui font
un petit ruisseau, des étangs et plusieurs belles prairies, et au septen-
trion la rivière de Somme avec un grand et large marais. » Lorsque, en
[MU]
DE SAINT-SIMON.
i99
registrée'. Fou M. le duc de Saint-Simon avoit rendu sa
foi et hommage-; il avoit été reçu duc et pair^ au Parle-
ment, et feu M. le duc de la Rochefoucauld n'y avoit
formé nulle opposition pour son rang. H est vrai qu'étant
reçu deux ans après, il prétendit la préséance, et il ne
l'est pas moins qu'il ne la put jamais obtenir, chose qui
s'accorde * si aisément par provision à ceux dont le droit
est jugé le meilleur en attendant un jugement définitif,
comme il est arrivé en pairie en tant d'occasions, et
comme il en subsiste encore un exemple dans l'affaire de
M. de Luxembourg". M. le duc de l\etz**se trouvoit dans
le même cas à l'égard de M. le duc de la Rochefoucauld',
et ils s'accommodèrent ensemble, sans qu'on ait pu en
démêler la raison, à se précéder alternativement**. Ces ac-
cords se peuvent pour les cérémonies de la cour quand
le Roi le trouve bon ; mais, au Parlement, il faut un titre.
C'est ce qui fut cause d'un brevet du Roi du G sep-
tembre 1645', qui, en attendant le jugement, ordonna
1736. le duché lut vendu à M. de Chezellcs par la comtesse de Valen-
linois. le comte de Saint-Simon-Sandricourt adressa un placet au Roi
pour obtenir le droit de retrait féodal qui lui appartenait (Papiers
communiqués en 1803 par M. Maxime Duval, postérieurement à l'ap-
parition de notre tome I).
1. Non pastel, mais le i'''" février (Histoire généalogique, tome
IV, p. 391, arrêt d'enregistrement au Parlement). L'enregistrement à
la Chambre d?s comptes eut lieu le 30 mars suivant : Arch. nat.
P 2363, p. 199, et P 2679, 2« partie, fol. S2 v.
2. Nous n'avons trouvé d'hommage rendu par Claude de Saint-
Simon qu'à la date du 2 mai I6IG (Arch. nat., P 18-, n° 336). VHis-
toire généalogique n'a publié (p. 393) que l'acte do l'hommage rendu
par notre autour, le 5 mars lG9i, lorsqu'il succéda à son père.
3. Copie : reçu pair. — 4. Copie : se donne.
o. Tome III, p. 104-Ht. — 6. Pierre de Gondy : tome XV, p. 129.
7. Le duché de Retz avait été érigé à nouveau on 163 i. en faveur de
Pierre de Gondy (Histoire généalogique, tome III. p. 888-889).
8. On a dans les collections dofactumsune pièce de I6i4 intitulée:
Moyens de préséance pour M. le duc de la Rochefoucauld contre
MM. les ducs de Retz et de Saint Simon, et la réponse de ceux-ci.
9. Un texte de oc brevet se trouve dans le vol. 51 des Papiers de
Alternative
ordonnée en
attendant
jugement, et
commencée
par la tirer ati
sort.
s
imon.
200 MEMOIRES [471i]
cette alternative, dont le commencement solennel fut au
lit de justice du* lendemain % et, comme il importoit aux
parties par laquelle la préséance commenceroit, le sort
en décida contre M. de la Rochefoucauld^. Il ne se peut
une balance plus exacte. Depuis, l'alternative a toujours
subsisté ; Retz s'est éteint^ ; Saint-Simon seul est resté dans
cet intérêt, qui, quant à présent, ne regarde aucun autre
duc que MM. de la Rochefoucauld et Sainte-Simon.
Préjugés (( Cette question a toujours paru au Roi, sinon* si sûre
célèbres du Roi ^^^ faveur de M. de Saint-Simon, c'est-à-dire de la pre-
en laveur de ., , . ,., / , i i i
M de Saint- mière réception, qu il en est émané de S. M. deux grands
préjugés' célèbres dans une de ses plus augustes fonctions.
Le Roi ayant élevé, à la fin de 1663, quatorze seigneurs
à la dignité de pairs de France, S. M. tint son lit de
justice, et, en sa présence, fit enregistrer les érections et
recevoir les nouveaux pairs l'un après l'autre dans le
rang qu'elle avoit déterminé de leur donnera M. le duc
Saint-Simon (France 206), fol. 222, et il a été imprimé dans V His-
toire généalogique, tome IV, p. 392-393, et dans [''Histoire de la mai-
son de Gondy, p. 617-620. Il y a en outre divers mémoires et pièces
dans le volume 63 de Saint-Simon (France 220).
1. Le d de du surcharge une l.
2. Ce lit de justice fut tenu par le jeune Louis XIV pour l'enregis-
trement de dix-huit édits bursaux. Le procès-verbal s'en trouve dans
le registre du Parlement côté X^^ 8388 : le duc de Retz y est en effet
assis au-dessus du duc de la Rochefoucauld ; quant au duc de Saint-
Simon, il n'y assista pas.
3. Ceci est constaté dans le brevet royal.
4. En 1676, parla mort de Pierre de Gondy.
5. L'abréviation S. surcharge de, et la copie porte : de Saint-Simon.
6. Il y a bien dans le manuscrit ce sinon, qui rend la phrase boi-
teuse ; mais Saint-Simon a mal transcrit : voici en effet la phrase de la
copie ; elle est correcte : (e Cette question a toujours paru au Roi, sinon
si sûre en faveur de la première réception, au moins si fort une grande
question, qu'il en est émané, » etc.
7. Ci-dessus, p. 19o.
8. C'est l' « étrange fournée » dont il a été parlé bien des fois,
notamment dans le tome IV, p. 109 et note 5. L'enregistrement de
ces lettres patentes se trouve au registre du Parlement X^^ 8663,
[1711] DE SAINT-SIMON. 201
de Bouillon avoit été fait duc et pair quelques années
auparavant', avec une clause d'ancienneté première de-
Chàteau-Thierry et d'Albret^, que le Parlement modifia,
on enregistrant* le contrat d'échange de Sedan, au jour de
la date de ce contrat % pour, en modérant une ancien-
neté*^ qui l'eût mis à la tête de tous les ducs et pairs, lui
on donner une insolite en manière de dédommagement, et
la fixer avant l'enregistrement de ses lettres et avant sa
première réception, ce que le Roi trouva si juste, attendu
le jeune âge de M. de Bouillon depuis" grand chambellan
de France, et sentit en même temps si bien qu'il perdroit
son ancienneté s'il n'y étoit autrement pourvu, qu'il fit
prononcer par M. le Chancelier un arrêt exprès pour la
conservation de son rang du ^ jour de la date susdite en
ce même lit de justice ^ Il y a plus: M. le maréchal de
la Meilleraye, l'un des quatorze nouveaux pairs, étoit lors
fol. 461 et suivants. Comparez les Papiers de Saint-Simon, volumes 27 et
61 (France 18"2 et 216). — Dans la copie, il y a: de leur donner en-
semble.
1. Par le contrat d'échange de Sedan du 20 mars 1651.
2. Ici la copie porte : des duchés pairies de.
3. Albret avait été érigé en duché-pairie en décembre 1536 pour le
roi et la reine de Navarre ; quant à Château-Thierry, son érection en
faveur de Louis d'Orléans, frère de Charles VI, remontait à l'année 1400.
4. Copie : en vérifiant.
5. L'arrêt d'enregistrement du contrat d'échange (20 février 1632)
disait : (f Et ne pourront lesdiles pairies d'AIbret et de Château-Thierry
avoir leur effet et rang que du jour du présent arrêt, et en obtenant par
ledit de la Tour d'Auvergne lettres dudit seigneur Roi » (Histoire généa-
logique, tome IV, p. 319). En conséquence, le Roi accorda immédiate-
ment de nouvelles lettres d'érection (ibidem, p. 520-521).
6. Ancienneté corrige ancienne.
7. Copie : aujourd'hui, et il n'y a pas les mots de France.
8. Du corrige au, qui est dans la copie.
9. On trouvera aux Additions et corrections la relation de co qui se
passa à ce sujet dans le lit de justice du 15 décembre 1663 ; c'est plus
d'un an auparavant, en août 1662, que le jeune duc de Bouillon, Go-
defroy-Maurice de la Tour, avait obtenu des lettres de confirmation
du rang de sa dignité (Histoire généalogique, tome IV, p. 321).
202 MÉMOIRES [ITl'l]
absent, et en Bretagne pour le service du Roi ; il ne parut
pas juste à S. jM. que son absence préjudiciàt au rang
qu'elle lui avoit destiné le quatrième parmi les autres, et
il fut encore rendu un autre arrêt pour la conservation de
son rang^ Il faut convenir que rien n'est plus formel en
faveur de M. de Saint-Simon que ces deux arrêts^ si so-
lennels sur cette même et précise question, émanés du
Roi même séant en son lit de justice ^ uniquement tenu
pour les pairs.
Singulier « Lorsqu'en 1702 M. le duc de Saint-Simon d'aujour-
procede entre ^'j^^j songea, avec la permission du Roi, à se faire rece-
SaintSimon voir au Parlement*, il supplia M. le duc de la Rochefou-
et de la cauld de s'y trouver et de l'y précéder sans rechercher
Rochefoucauld . -ii -v i,--iii)*
lors et à la suite qui avoit OU la demiere alternative', dont 1 âge avance
de la réception de feu M. de Saiut-Simou et la jeunesse de celui-ci,
du premier, avoient ôté les occasions depuis longtemps. M. de la Ro-
chefoucauld fut sensible à l'honnêteté, qui certainement
étoit grande, mais embarrassé. On étoit à Marly. M. le
duc de Saint-Simon fut à Paris voir M. le premier prési-
dent d'Harlay, qui lui demanda comment il feroit avec
M. le duc de la Rochefoucauld*^. M, de Saint-Simon
lui dit' l'honnêteté qu'il lui avoit faite, qui levoit tout em-
barras ; mais il ne fut pas peu surpris de la réponse de ce
magistrat, qui se piquoit de n'ignorer rien. Cette réponse
fut que les rangs des pairs entre eux ne dépendoient pas
1 . Il n'y eut pas d'arrêt spécial ; mais les lettres d'érection furent
enregistrées, immédiatement après celles des duchés d'Estrées et de
Gramont, nonobstant l'absence du maréchal (reg. X^'^ 8394, 15 dé-
cembre IQQS) ; voyez ci-après, aux Additions et corrections.
2. Copie : actes. — 3. Ici la copie ajoute: si célèbre et.
A. Voyez notre tome X, p. 47-o2.
o. En 1702, Saint-Simon n'a point parlé de ce qu'il fit à l'égard de
M. de la Rochefoucauld, et a remis ce récit à l'époque présente (ibi-
dem, p. 50-31).
6. Comparez la Notice du duché de Saint-Simon dans le tome XXI
de l'édition de 1873, p. 214.
7. Copie : lui rendit compte de.
[ili\] DE SAINT-SIMON. 203
d'eux au Parlement, etque cela ne levoit aucune difficulté.
M '. de Saint-Simon étoit jeune; il craignoit les exemples
des réponses fâcheuses de ce premier président - ; il s'y
vouloit d'autant moins exposer qu'il savoit par l'ex-
périence de ses aff'aires que, depuis le procès de M.
de Luxembourg, il étoit fort mal avec lui, et que
d'ailleurs il avoit cherché à se racommoder par feu^
Mme de la Trémoïlle* avec M. de la Rochefoucauld, que
ce même procès avoit brouillé avec lui\ Ainsi M. de
Saint-Simon se tut, et ne jugea pas à propos de l'irriter
en lui parlant du brevet de 1645 que le Parlement avoit
enregistré ^ que ce magistrat ignoroit ou vouloit ignorer,
et se retira sans lui rien répondre là-dessus. De retour
qu'il fut le soir même à Marly, il apprit par feu M. le
duc de la TrémoïUe ^ que M. de la Rochefoucauld desi-
roit que le procès se jugeât entre eux. M. de Saint-Simon
pria -M. de la Rochefoucauld de s'expliquer franchement
avec lui, lequel lui dit que, Retz étant éteint% l'âge et
l'état de la famille de feu M. de Saint-Simon avoit tou-
jours fait juger que sa dignité s'éteindroit de mème^,
que cette considération avoit toujours arrêté " toute pen-
1 . Dans la copie, cette phrase est ainsi rédigée : (f M. de Saint-Simon,
qui étoit jeune, qui craignoit et qui s'y vouloit fort mal avec
M. le Premier Président, qui d'ailleurs avoit cherché à se raccommoder
par feu Mme la duchesse de la Trémoïlle avec M. de la Rochefoucauld,
M. de Saint-Simon, dis-je, se tut, et ne jugea pas à propos d'irriter M. le
Premier Président en lui parlant du brevet de 1613, que ce magistrat
apparemment ignoroit, » etc.
2. Voyez les anecdotes racontées dans le tome XIV^, p. 37'2 et sui-
vantes.
3. Il écrit feue.
■'t. Madeleine de Créquy, que nous avons vue mourir en 1707 : tome
XV, p. t6i.
o. Ci-dessus, p. 177. — 6. Ci-dessus, p. 199.
7. Charlos-Belgique-Hollande, mort en 1709: tome XVII. p. 373.
8. Depuis 167H : ci-dessus, p. "200.
9. Voyez dans le tome XX, p. 581, l'addition à la note 6 de la page 291.
10. Copie : avoit arrêté.
204 MÉMOIRES [1711]
sée de jugement, mais que, présentement, l'état des cho-
ses, qui avoit changé, faisoit aussi changer de sentiment,
et qu'il desiroit que l'affaire fût jugée. Ils parlèrent en-
suite de la manière d'en user réciproquement, et M. de
la Rochefoucauld voulut des arbitres pairs. M. de Saint-
Simon lui représenta que le Roi seul ou le Parlement
étoient les juges uniquement compétents, et que ja-
mais un autre jugement ne pourroit être solide ; mais
il n'y eut pas moyen de le persuader, et tous deux
convinrent de sept juges, qui furent Messieurs de Laon',
Sully ^, Chevreuse, Reauvillier, Noailles, Coislin^ et
Charost^. M. de Saint-Simon insista pour qu'il y eût au
moins un magistrat rapporteur. Cela fut également^ rejeté
par M. de la Rochefoucauld: tellement qu'il fut^ convenu
que Monsieur de Laon présideroitet rapporteroit en même
temps, et que, pour tenir lieu de significations, les copies
des pièces et des mémoires dont on voudroit se servir' se-
roient remises à Monsieur de Laon par les parties, signées
d'eux, et communiquées de l'une à l'autre par Monsieur
de Laon, qui auroit pouvoir de limiter les temps qu'on
seroit obligé de les lui rendre.
« Les choses en cet état, agréées par le Roi, M. de
Saint-Simon demanda du temps pour revoir une affaire
si vieillie, et qu'il comptoit laisser en alternative tant
1. Louis-Armand de Clermont-Chaste, évêque duc de Laon.
2. Maximilien-Henri de Béthune, qui avait succédé à son père en
1694.
3. Anne-Jules, maréchal-duc de Noailles, et Armand du Cambout,
duc de Coislin, morts, le premier en 1708, le second en septembre
4702.
4. Tous ces noms, dans la copie, sont précédés de la préposition de.
— Dans le volume France 220, fol. 110, il y a la copie de la lettre
du 17 juillet 1703 par laquelle Saint-Simon annonça au duc de Che-
vreuse que lui et M. de la Rochefoucauld l'avoient choisi comme juge,
avec les ducs de Noailles et de Coislin.
5. Copie : pareillement.
6. Copie : et il fut.
7. Copie : des mémoires et des pièces dont on se voudroit servir.
[1711] DE SAINT-SIMON. 203
qu'il plairoit à M. de la Rochefoucauld, et que cela lui
j)lairoit toujours. Ce fut alors que M. de Saint-Simon fut
arrêté, et fort embarrassé de l'omission de foi et hommage
par feu M. de la Rochefoucauld, qu'il suppléa, comme il
a été dit ci-dessus', pour ne se pas donner la douleur de
faire perdre à M. de la Rochefoucauld un rang si ancien,
et le réduire à prendre la queue de tous les ducs en lui
contestant, comme il seroit trop bien fondé à le faire, la
validité de sa dignité.
« Lorsque M. de Saint-Simon fut prêt, il le déclara à
Monsieur de Laon pour le dire à M. de la Rochefoucauld,
lequel fut longtemps à prétendre que M. de Saint-Simon
communiquât ses papiers le premier. M. de Saint-Simon
répondit que c'étoit à M. de la Rochefoucauld à commen-
cer, puisque c'étoit lui qui ne vouloit plus l'alternative,
et qui desiroit- le jugement; que, ne donnàt-il que six
lignes contenant sa prétention toute nue, avec ses lettres
d'érection et ses autres pièces conséquentes^, M. de Saint-
Simon s'en contenteroit et répondroit*. Après un assez
long temps, on ne sait quel en fut le motif, M. de la Ro-
chefoucauld déclara à Monsieur de Laon, en lui donnant
sa^ prétention toute sèche en douze lignes ^ qu'il n'avoit
pièces ni raisons quelconques à présenter, et qu'il n'en
vouloit plus ouïr parler. On n'oseroit dire' qu'il paya
d'humeur ; mais on ne peut taire qu'il ne paya d'aucune
raison. Il y a sept ou huit ans que les choses en sont là,
sans que M. de la Rochefoucauld se soit présenté en au-
cune occasion d'alternative, ne s'étant pas même trouvé
à la réception de M. le duc de Saint-Simon, qui, avant
1. Ci-dessus, p. 197-198. — 1. Le d de desiroit surcharge un v.
3. Conséquent semble bien être pris ici au sens de consécutif: la
suite des pièces annexes.
4. Il y a réponderoit par mégarde dans le manuscrit.
o. Ses corrigé en sa.
6. La copie de ces « douze lignes » se trouve dans le volume France
220, fol. 109.
7. La copie ajoute : j^ai' respect.
206
MEMOIRES
[1744]
Autre préjuge
du Roi
tout récent en
faveur de
M. de Saint-
Simon.
L'autorité
du Roi
favorable à
tout, a songé à se conserver l'honneur de l'amitié de
M. le duc de la Rochefoucauld, et n'a pas parlé depuis
de leur affaire, qui est demeurée là.
« Deux courtes observations finiront ce mémoire.
« La première : qu'on ne peut pas dire qu'il n'y ait
pas un procès certainement existant, et très ancien, entre
MM. de Saint-Simon et de la Rochefoucauld, repris et
laissé en divers temps entre leurs pères, et depuis par*
eux-mêmes ;
« Que le Roi en a eu en tous les temps une connois-
sance si effective, qu'il est émané de S. M. un brevet
pour l'établissement d'une alternative au Parlement, qui
exclut toute provision de préséance, et deux arrêts en
plein lit de justice, qui sont un préjugé formel, et le plus
précis qui puisse être en faveur de M. de Saint-Simon ;
« Que, tout nouvellement-, le Roi, sur la représenta-
tion de M. le maréchal de Villars de lui accorder un arrêt
semblable à ceux de Bouillon et de la Meilleraye^, ou
d'empêcher que M. le maréchal d'Harcourt fût reçu* pair
au Parlement^ avant que sa blessure lui eût permis de
l'être lui-même, S. M. a pris ce dernier parti, ce qui n'est
pas un moindre préjugé en faveur de M. de Saint-Simon
que les deux autres ;
« Conséquemment, que le Roi a, dans tous les temps,
regardé cette question comme une vraie et très impor-
tante question, et, par plusieurs actes solennels émanés
de S. M. jusque tout récemment, comme une question
très favorable pour M. le duc de Saint-Simon. Voilà pour
ce qui est de la chose en soi.
« L'autre observation regarde l'autorité du Roi.
« Rien ne seroit plus contraire au devoir de vassal à
son seigneur, bien pis encore d'un sujet à son souverain,
1. Copie: entre. — 2. Tome XIX, p. 6-7.
3. Ici, Mélleraye. — Voyez ci-dessus, p. 201-202.
4. Fust receu est en interligne.
5. Ces trois mots manquent dans la copie.
[17141 DE SAINT-SIMON. 207
que de jouir de l'efifet d'une grâce, qui est ce que le M. do Saini-
prince donne, sans rendre foi et hommage', qui est un ^'^on.
lien prescrit par sa grâce même, et un échange pour la
grâce que le sujet, en la recevant, rend au prince qui
l'honore d'un nouveau titre, en conséquence duquel il lui
est, par la foi et hommage pour raison de ce, plus nou-
vellement et plus étroitement soumis, attaché et fidèle.
C'est néanmoins ce qui manque à M. de la Rochefoucauld,
et ce qui n'a pu être suppléé que par son serment de
pair, prêté en lt)37, deux ans après Thommage de feu
M. le duc de Saint-Simon, et sa réception au Parlement
postérieure à cet hommage.
« Rien ne marqueroit moins l'autorité du Roi que la
fixation du rang des pairs à la date de l'enregistrement
de leurs lettres, et rien, en particulier, n'y seroit plus
spécialement opposé que la fixation du rang de M. de la
Rochefoucauld à la date de l'enregistrement des siennes.
Sur le premier point, il est constant que ce seroit pren- Enregistre-
dre rang par l'autorité du Parlement, qui a toujours ™ent sauvage
prétendu pouvoir admettre, retarder-, avancer, ou rejeter d'érection de
les enregistrements des lettres, et qui souvent l'a osé '^ Rochefou-
<• • I 1 • ) I) ' » • cauld.
faire ; sur le second point, c est 1 espèce' présente, puis-
que les lettres de la Rochefoucauld furent enregistrées
pendant la disgrâce de feu M. de la Rochefoucauld % et
contre la volonté du Roi connue, et lors absent de Paris,
Ce fait est certain, et M. de la Rochefoucauld, qui se
souvient bien de la manière dont cela se passa pour l'avoir
ouï souvent raconter chez lui, n'en disconviendra pas.
« Reste donc, pour faire chose séante à l'autorité royale,
de fixer le rang à la date des lettres ou à la réception de
l'impétrant au Parlement, puisqu'on vient de montrer
I. Ci-dessus, p. 196.
H. Retarder n'est pas dans la copie.
3. « Espèce, en termes de jurisprudence, signilie un cas particulier
sur lequel il faut opiner » (Académie, 1718).
4. Ci-après, p. '2-23 et suivantes.
208 MÉMOIRES [1714]
l'indécence de le* fixer à la date de l'enregistrement des
lettres. De le faire à la date de leur expédition ^ est im-
possible, puisque des lettres non enregistrées n'opèrent
qu'une volonté du Roi non effective ni effectuée % qui ne
produit que ce qu'on appelle improprement duc à brevet,
comme l'est encore M. de Roquelaure, c'est-à-dire un
homme que le Parlement ne reconnoît point duc et pair,
qui n'a nul rang, qui ne jouit que de quelques honneurs
qui ne peuvent passer à son fils sans grâce nouvelle, et
dont les lettres sont incapables de lui fixer un rang parmi
ceux du nombre desquels il ne peut être tant que ses
lettres demeurent sans vérification.
« On ne peut donc fixer le rang d'ancienneté qu'à la
réception de l'impétrant par deux grandes raisons : la
première, parce qu'alors seulement la dignité se trouve
complète et parachevée sans que rien de ce qui est d'elle
y puisse plus être ajouté, comme on le montreroit évidem-
ment^, si on entroit dans le fonds; l'autre c'est qu'alors
seulement la volonté du Roi, non suffisante par l'expédi-
tion des lettres d'érection, non toujours suivie pour leur
enregistrement, et spécialement en celle ^ de la Rochefou-
cauld, est la règle unique de cette réception, dont on ne
trouvera aucun exemple contre la volonté des Rois. C'est
donc alors seulement qu'opère ^ indépendamment de tout
le reste, la puissance de cette volonté souveraine, qui
vainement a érigé, qui, pour l'enregistrement, n'est pas
toujours obéie, et qui, quand elle la seroit, feroit donner
par le Parlement ce qu'elle-même n'a pu donner sans son
concours, mais qui, seule, suspend ou presse à son gré la
1. Il y a /a dans le manuscrit. — 2. Copie : à leur date.
3. Effective, au sens de qui existe réellement; effectué, à celui de
mis à exécution.
4. Copie: démontreroit entièrement .
5. En est en interligne, et celle surcharge un à.
6. « Opérer, faire, produire quelque effet; on s'en sert aussi abso-
lument et sans régime » {Académie, 4718).
[17H] DE SAINT-SIMON. 209
réception au Parlement de celui qu'elle a fait pair de
France; et, par cet acte, elle le tient suspendu en ses
mains tant que bon lui semble, et tient ainsi ' sa fortune
en l'air, quoique achevée, et, ce semble, déterminée par
la puissance étrangère de l'enregistrement, et permet
seulement que tout acte de pairie s'achève en eflfet- et
s'accomplisse en l'impétrant, quand elle veut, par cette
grâce ^ dernière de sa première réception au Parlement,
couronner toutes les autres qui n'y sont qu'accessoires, et
manifeste* seulement alors à l'Etat un assesseur^ et un
conseiller nouveau qu'elle s'est choisi, aux grands vas-
saux de la couronne un compagnon qu'ils ont reçu de sa
main toute-puissante, et à tous ses sujets un juge*^ né
qu'elle a élevé sur eux. Alors, la dignité complète est seu-
lement proposée telle, et le rang d'ancienneté fixé pour
jamais dans cette famille par un dernier coup de volonté
pleine, qui ne dépend que du Roi tout seul, sans concours
du Parlement, et sans qu'autre que la majesté royale mette
la main à l'ouvrage, alors entier" et en sa perfection.
« C'est ce que plus de loisir et de licence d'entrer dans
un fond plus détaillé de la matière du procès pendant
entre MM. de Saint-Simon et de la Rochefoucauld, et
pour le droit en soi, et pour le fait en exemples, démon-
treroit encore plus invinciblement. En voilà assez au
moins, sinon pour déterminer le Roi en faveur de son
autorité et de son incommunicable puissance % des préjugés
1. Copie : aussi.
2. Au sens relevé dans notre tome XX. p. 102; ces deux mots
n'existent pas dans la copie.
3. Avant grâce, il a biiïé un premier d'"'^.
i. Sens relevé dans notre tome XVIII, p. 169.
0. « Assesseur, officier de robe longue qui est adjoint à un juge
principal pour juger conjointement avec lui dans un présidial, dans un
bailliage, et qui préside en son absence » {Académie, i71<<).
6. La dernière lettre de juge surcharge une n.
1. Copie : alors en son entier.
8. Copie: et de respect de son incommutable puissance.
uiMOIBES DE SAI.NT-SniON, XXI W
210 MÉMOIRES [17H]
émanés de S. M. même, en tous les temps et avec grande
solennité, et de la bonté en soi de la cause de M. de Saint-
Simon, pour détourner au moins sa bonté, et on ose
ajouter son équité, de décider rien là-dessus sans lui avoir
fait la grâce de l'entendre, sinon par elle-même, au
moins par ceux sur qui elle s'en voudra décharger, dont
M. de Saint-Simon n'aura aucun possible* pour suspect
par sa confiance- en la bonté et en la justice de son
droite »
Chancelier.
Deux lettres que nous nous écrivîmes, le Chancelier et
moi, donneront maintenant toute la lumière dont la suite
de cette affaire a besoin. La première est du lendemain
que j'eus appris de lui à Versailles les articles du sacre et
de l'extension des bâtards en autant de pairs qu'ils au-
roient de pairies^ ; l'autre, aussitôt que j'eus achevé le
mémoire ci-dessus. Ce ^ fut le 3 mai, à Paris, où j'étois
venu coucher.
Lettres « Je VOUS avoue. Monsieur, que je revins hier plus affligé
deSaiiitSim ^^® i^ ^^ P"'^ vousle dire, et qu'après avoir pensé à^ la
à M. le nouvelle et horrible plaie générale, je songeai à la mienne
particulière. Ce matin, j'ai fait un mémoire sur mon
affaire, le plus court et précis que j'ai pu, et je viens de
vous écrire une lettre ostensible, compassée au mieux
que j'ai pu, pour y joindre. D'Antin a dit le fait à M. de
Ghevreuse, puisqu'il ' l'a su sans vous, et ce dernier me
l'a dit à moi*, comme je vous en rendis hier compte. J'es-
1. Aucun de ceux que le Roi pourra désigner.
2. Copie : conscience. — 3. Le tiret qui suit est bien au manuscrit.
4. Ci-dessus, p. 188.
5. Cette dernière phrase est ajoutée à la fin du paragraphe, et les
mots à Paris sont en interligne.
6. A est répété deux fois, en fin de ligne et au commencement de
la ligne suivante.
7. Puisqu' surcharge et ce cl. — 8. A moy surcharge hier.
[ITIIJ DE SAINT-SIMON. 211
pérois que mon mémoire seroit assez tôt mis au net pour
pouvoir vous le porter ce soir ; mais mon lambin • de
secrétaire- ne finit point. Il me seroit néanmoins très
important d'avoir l'honneur de vous entretenir, et je vois
vos journées si prises, que je ne sais pas quand. D'aller
à Pontchartrain ne me semble pas trop à propos dans cette
conjoncture, etje ne vois que samedi prochain, comme
hier à Versailles, ce qui est long et étranglée En atten-
dant, je vous enverrai mon mémoire, que j'aurai grand
regret de vous laisser lire tout seul. Cependant comman-
dez à votre serviteur, muet comme un poisson '% et qui va
être, en général et en particulier, brisé comme vile argile^.
Qu'il y auroitun beau gémissement** à faire là-dessus,
qui me feroit encore dérouiller du latin ^ et des passa-
1. « Lambin, celui qui est extrêmement lent à tout ce qu'il fait ; il
est bas et populaire « {Académie, 1T18).
2. On connaît plusieurs secrétaires de Saint-Simon : le premier en
date est Jean-Antoine Fosse de Boismartin, avocat au Parlement,
qu'on rencontre en 1097 (Dictionnaire critique de Jal, p. 1137), et
aussi dans un acte de 1702 (reg. Y 275, fol. 406 \°) en même temps
que Claude de Maubreuil. Saint-Simon parle encore de ce dernier
dans une lettre de 1717 (Mémoires, éd. 1873, tome XIX, p. 289). En
1718, il se sert d'André Charpentier, qui est en même temps receveur
général de la comtau de Blaye. Dans son ambassade d'Espagne, il fut
accompagné par Marc-Antoine Dathosc (Drumont, p. 106, a estropié
le nom), qu'on retrouve encore en 1748. Entin l'on sait qu'il employa
un nommé Galland pour l'annotation du Journal de Dangeau.
3. Long comme délai d'entrevue, et étranglé comme temps libre.
4. « On dit proverbialement, d'un homme qui demeure interdit et
qui ne répond rien aux questions qu'on lui fait, qu'«7 est muet comme
un poisson » (Académie, 1718).
5. Réminiscence du verset 6 du chapitre xviii des prophéties de
Jérémie : Ecce sicut lutum in manu pguli.
6. Ce peut être une allusion aux Lamentations de Jérémie, plutôt
qu'aux Gémissements sur la destruction de Port-Royal dont il a été
parlé dans le tome XVIII, p. 284, note 2.
7. Expression qu'on retrouvera encore dans la suite des Mémoires,
tome XVIII de 1873, p. 330. — « En parlant d'un jeune homme à qui
le commerce du monde a façonné et poli l'esprit, en lui faisant perdre
l'air gauche et les manières grossières qu'il avoit, on dit que les bonnes
"212 MÉMOIRES [1711]
ges ' I Mais vous diriez que ce seroit les profaner. Permettez-
moi du moins un heu- 1 profondément redoublé, en vous
assurant d'un attachement et d'une reconnoissance par-
faite. »
Le Chancelier, qui, en magistrat et en courtisan,
comptoit pour rien les deux nouveaux articles du sacre
et des bâtards, qui espéroit, en quelque dédommagement
du second, faire passer la double séance des pères démis^,
piqué de n'avoir pu emporter ma préséance sur M. de la
Rochefoucauld, de la justice de laquelle il étoit con-
vaincu, et se voulant persuader, et plus encore à nous,
que nous devions être gorgés^ et nous tenir comblés^ des
autres articles, me renvoya sur-le-champ ma lettre, dont
il déploya l'autre feuille, sur laquelle il m'écrivit cette
réponse * :
De M. le « Permettez-moi, Monsieur, cette manière de vous ré-
Chancelier pondre pour une fois seulement et pour abréger, et per-
à M. le duc de ^ ' . . , , '^ , '
Siint Simon, mettez-moi aussi de vous gronder en peu de mots en
attendant plus. N'avez-vous point de honte de n'être
jamais content de ce que pensent les autres ? serez-vous
toujours partial en toute affaire ? ramperez-vous toujours
dans le rang des parties sans entrer jamais dans l'esprit
de législateur"? La besogne est bonne; je la soutiens
compagnies Vont dérouillé, lui ont dérouillé l'esprit » (Académie,
1718). Ici Littré a interprété par « faire montre de quelque connais-
sance mise depuis longtemps en oubli ». Ne serait-ce pas plutôt le
sens de débiter, dégoiscr ?
1. C'est-à-dire des citations, sans doute des livres saints.
2. Exclamation de douleur en latin.
3. Ci-dessus, p. 191 et suivantes.
4. « Gorger signifie figurément combler, remplir, et il ne se dit
qu'en parlant des richesses » (Académie, 1718).
5. Le b de comblés corrige un p.
6. Est-il besoin de dire que ces lettres, de caractère familier et
autographes, ne se retrouvent pas an copie dans les registres de la
correspondance du Chancelier venus, avec le fonds Mortemart, au
Cabinet des manuscrits?
7. « Législateur, celui qui établit des lois pour tout un peuple »
[1711] OE SAI.NT-SF.MON. 213
tollo, et si bonne que c'est pour l'être trop qu'elle ne
passera peut-être pas ; et cette bonne besogne, c'est pour
vous une horrible plaie générale, et une plaie particulière
qui vousatîlige au delà de l'expression. Qu'entendez-vous
par une lettre ostensible? à qui la voudrois-je ou pour-
rois-je montrer? Non, Monsieur, il n'y a que samedi
prochain de praticable' ; un siècle entier de conversation
vous paroîtroit un moment étranglé-, si on ne finissoit
par être de votre avis. Envoyez-moi toujours votre mé-
moire, Monsieur ; cela en facilitera une seconde lecture
avec vous et la rendra plus intelligible. Soyez toujours
très muet ; mais exaltez-vous dans l'esprit de vérité ', et
ne vous abaissez pas au-dessous de l'argile pour perdre*
un cheveu de votre perruque^' quand vous en gagnez une
entière. Permettez-moi, à mon tour, un hf^u ! profondé-
ment redoublé sur les torts d'un ami aussi estimable que
vous l'êtes pour moi, et aussi aimable en toute autre
chose*. »
{Académie , 1718). On en trouvera un autre exemple ci-après, p. 216.
Ici, le sens est bien déterminé par le mot parties qui lui est opposé.
\. Saint-Simon écrit pratiquable. — 2. Ci-dessus, p. 211.
3. Cette citation ne semble pas être tirée de la Bible, mais peut-être
est-elle d'un Père de l'Egliso. Il en est de même de celle qui va suivre.
•4. Au sens de : lorsque vous perdez.
'). Avant perruque, il y a un premier perruque, biti'é, qui surchar-
geait teste.
6. Saint-Simon envoya son mémoire et y joignit une lettre dont
nous n'avons plus le texte, mais à laquelle il ajouta le post-scriptum
suivant : « Depuis mon mémoire fait un peu à la hâte, et ma lettre
écrite, je me suis avisé d'ajouter un extrait très court de mon mémoire,
que je vous supplie. Monsieur, de vouloir bien lire, et qui, tout extrait
qu'il est. contient quelques choses en faits et en raisonnements qui
ne sont pas dans le mémoire. Pardonnez-moi, Monsieur, cette nouvelle
importunité et que l'extrait soit de ma main, n'ayant pas eu le temps
de l'envoyer copier à Paris, comme j'ai fait du mémoire. » Cet « extrait »
(autographe dans France 206, fol. 225; copie dans France 220) est
intitulé : ÀJiali/sc du mémoire très sommaire sur la préséance prétendue
par M. le duc de Saint-Simon sur M. le duc de la Rochefoucauld. A
la lin, Saint-Simon a transcrit le |)osl-scriplum donné ci-dessus.
214 MÉMOIRES [1714]
Ces deux lettres caractérisent merveilleusement ceux
qui les ont écrites, et, pour le moins, aussi bien celui à
qui ils avoient affaire. Les deux suivantes le feront encore
mieux. Voici celle du Chancelier, du 5 mai :
De M. le « J'ai lu. Monsieur, et relu avec toute l'attention et le
Chancelier à pjg^jgjp qu'une telle lecture donne à un homme comme
M. le duc de r n i /« • ,-, ,
Saint-Simon, moi, et avec toutes les pauses et les réflexions réitérées
qu'une pareille matière exige, et votre lettre, et votre
mémoire, et votre abrégé de mémoire K Je vous renvoie la
lettre : les raisons de ce renvoi sont dans ma réponse
d'hier. Je garde le reste : il est pour moi, s'il vous plaît-;
vous en avez la source dans votre esprit, les minutes dans
vos papiers ; ce que je garde me tiendra lieu de tout
cela ; c'est beaucoup pour moi. A l'égard de la question,
je suis pour vous, Monsieur ; je vous l'ai déjà dit ; mon
suffrage sera toujours à votre avantage. Ce qui vous sur-
prendra, c'est que ce ne seroit pas par vos raisons. Votre
première et grande raison, que vous tirez des foi et hom-
mages^, n'est pas vraie dans le principe des fiefs, et votre
dernière grande raison, que vous tirez de l'intérêt des
rois mêmes, n'est en bonne vérité qu'un jeu d'esprit, et
qu'un sophisme aussi dangereux qu'il est aussi '* bien
tourné qu'il puisse l'être, et aussi noblement et artiste-
ment conçu qu'on puisse l'imaginer ; mais, après mille et
mille ans de discussion ou sans en rien dire davantage,
trouvez-vous, suivant votre terme d'hier, que cette dis-
cussion soit étranglée, puisque je me déclare pour vous,
et que je ne me départirai jamais de cet avis tant que ce
sera mon avis qu'on me demandera? Mais, quand, après
avoir tout représenté, je n'ai plus qu'à écrire ce que l'on
me dicte, et qu'à obéir, puis-je faire autrement? D'ail-
leurs, en bonne foi, quant tout l'ouvrage, en lui-même,
est si bon et si désirable, que vous consentez vous-même
4. C'est 1' « Analyse » indiquée dans la note ci-dessus.
2. Avant plaist, il a biffé un premier plaist.
3. Ci-dessus, p. 196. — 4. Aussy a été ajouté en interligne.
.mil DE SAINT-SIMON. 2i.'i
q'jc l'on juge deux procès existants sans entendre les par-
ties, et que l'on ' en prévienne douze prêts- à éclore sans
y appeler aucune des parties, pouvez-vous, en justice, en
honneur, en conscience, désirer que l'on fasse renaître le
vôtre oublié du Parlement comme du Roi même, et que
l'on renverse un projet d'édit de cette importance, bon de
votre propre aveu en tout ce qui est de votre goût, et qui
ne regarde point votre petit intérêt, à qui vous voulez
que tout cède? J'en appelle à la noblesse de votre cœur
et à votpî droite raison, Monsieur: vous êtes citoyen^
avant d'être duc ; vous êtes sujet avant d'être duc ; vous
êtes fait pir vous-même pour être homme d'Etat, et vous
n'êtes duc eue par d'autres. Pour me confirmer davantage
dans mon î.vis, donnez-moi, je vous conjure, une copie
du brevet do 164o ; expliquez-moi bien 1622, 1631, et la
réception, lo37^ Je vois que, par un excès de charité,
vous en faites une réticence ^ éloquente dans votre mé-
moire ; moi, cui ne suis ni éloquent ni charitable, que
j'en sache, je vous prie, l'anecdote dans tous ses points
et dans tous ses détails. Vous savez comme moi tout ce
que je vous suis. Monsieur. »
Voici ma répense à cette lettre, de Marly, 6 mai : De M. le duc
« J'ai reçu ce matin. Monsieur, l'honneur de vos deux deSa.nt Simon
dernières lettres, l'une revenue de Paris, l'autre droit ici. Chancelier.
J'en respecte la gronderie, j'en aime l'esprit, permettez-
moi la liberté du terme ; je reçois avec action de grâce ^
1 . L'apostrophe a été ajoutée après coup entre l et on.
2. Avant prests, Saint-Simon a bifi'é prcsts à cclorre pouvés v" en
justice en honneur en conscience, qui était déjà précédé du mot prests
surcliar{,'caiit à éd.
3. TomosIX.p.32'2, XV, p. GO, etc. — i. Voyez ci-dessus, p. 195 eH98.
5. « Réticence, suppression ou omission volontaire d'une chose
(|u'on devrait dire. C'est aussi une figure de rhétorique par laquelle
l'orateur fait entendre une chose sans l'exprimer » {Académie, 1718).
Saint-Simon écrit : rctiscencc.
(i. VAcatlémie, en 1718, donnait indifféremment action de grâce
cl de grâces.
^216 MÉMOIRES [nii]
le rendez-vous de samedi à Versailles. Je suis ravi de la
peine que vous avez bien voulu prendre de tout lire, et
je ne puis différer de vous remercier très humblement
des éclaircissements que vous me demandez'. J'aurai l'hon-
neur de vous les porter samedi avec votre lettre même,
pour que, sans rappeler votre mémoire, vous voyiez si je
satisfais à tout. J'aurois trop à m'ctendre sur ce qu'il vous
plaît de me dire de flatteur : en m'y arrêtant, je m'enfle-
rois trop ; j'aime mieux m'arrêter au blâme, et >ous ren-
dre courtement et sincèrement compte de mes sentiments
comme on rend raison de sa foi.
« Pour mes sentiments, pardonnez-moi si, avec tout
respect, je demeure navré de - ce qui regarde te sacre, et,
si je suis trop partie, ne soyez vous-même législateur
qu'en vous mettant en la place de sur qui portent les
lois. C'est notre fonction la plus propre, la plus ancienne,
la plus auguste, dont rien ne peut consoler, et à laquelle,
d'ailleurs, je ne me flatterois pas personnellement de pou-
voir prétendre. Ainsi, ce n'est pas moi que je pleure, mais
la plaie de la dignité. Du reste, tout est si excellemment
bon, que, si on venoit à mon avis que tout le reste passât
tel qu'il est maintenant, ou que tout ce reste demeurât
comme non avenu, je le ferois plutôt signer, sceller et
enregistrer ce soir que demain matin, encore que le
second article^ soit fâcheux en général, et que, par un
autre article*, je perde une cause personnelle que je tiens
sans question de bonne foi^, et que vous-même trouvez
bonne et juste. Voyez, Monsieur, si c'est là être attaché
à ses intérêts particuliers ; et je vous parle en toute vérité
i. Ces « éclaircissements » en un feuillet autographe sont dans le
volume France 206, fol. 224; c'est un résumé des éléments de l'affaire,
par ordre chronologique. Il porte la mention : « Fait le 9 mai 4711 ;
envoyé copie à M. le Chancelier. »
2. Avant de, il a biffe du sacre. — 3. Ci-dessus, p. 147 et 176.
4. Le troisième : p. 147 et 176-177.
5. Que je regarde, de bonne foi, comme n'étant pas en question.
|17H| DE SAINT-SIMON iH
« A l'ôpiard do mon mémoire, osorois-jo vous dire que
je ne nie crois pas tout à fait battu sur le défaut et la
nécessité de l'honjuiage, et que, s'il en étoit question, et
que vous me voulussiez traiter comme Corneille faisoit
sa grossière servante', je crois que vous ne trouveriez pas
mon opinion si déraisonnable. Je sais que la grande et
l'indisputable* raison est celle des oftices et des otîîciers' ;
mais, comme elle n'est pas entrée lorsqu'elle a été mieux
représentée que je ne pourrois faire en cent ans, je l'ai
omise. Pour ce qui est ce que vous appelez sophisme sur
l'autorité des rois, trouvez bon (jue je vous suggère un
terme plus fort et plus vrai : c'est une fausse raison; non
que le raisonnement n'en soit juste et certain, mais c'est
que ce n'est pas par là (jue la question se doit décider.
Cependant c'est uni()uement par rapport à l'autorité
qu'on se détermine contre moi. Puisque je l'ai pour moi,
n'ai-je pas raison de l'expliquer, et, puisque ma cause est
bonne et juste, ne dois-je pas lever la difficulté qui me
la fait perdre, et prendre mon juge par l'endroit dont il
est unicjuement susceptible, et appuyer dessus en disant
ce (jui est, puisque sur cela seul je serai jugé, sans au-
cune considération pour nulle autre raison?
« De m'opposer qu'il est injuste à moi de prétendre
être ouï, tandis cjue j'approuve que tant d'autres soient
\. Saint-Simon fait confusion ici entre Corneille et Molière. C'est
évidommonl une allusion à la Iéf;ondc qui prétendait que ce dernier
prenait l'avis de sa servante Lalorèt, lorsqu'il écrivait ses pièces, et
notamiiient //,' Misanthrope. Bien que Hoileau se soit fait l'écho de
cette tradition, il no semble pas (ju'elle ail un fondement sérieux. Jal
a parlé lonfincmcnt de Laforéf dans son Dictionnaire critique, p. It2G
Sauvai (Antiiiiiitcn de Paris, tome I, p. 3'25) rapporte, d'après Pel-
lisson, que Malherbe n'avait pas plus tôt composé quelque chose qu'il
le lisait à sa servante. Voyez aux Additions et corrections.
■2. Littré ne cite pas d'exemple de cet adjectif avant Jean-Baptiste
Housseau.
'.\. Il veut dire que les ofïiciers de justice ou autres n'étaient investis
de tous leurs pouvoirs qu'après leur réception.
218 MÉMOIRES [1711]
jugés sans être entendus, un mot vous fera voir, Mon-
sieur que cela ne doit pas m'ètre objecté.
« De tout ce nombre de prétendants prêt à éclore ',
aucun jamais n'a intenté de procès ; un seul en a eu la
permission-, et il en est encore à en faire le premier usage,
par quoi il est encore dans la condition des autres qui
ont des prétentions, mais n'ont jamais eu de procès. Ceux-
là, qu'on les juge par un règlement sans les entendre,
que peuvent-ils opposer? Leurs prétentions sont dans
leurs têtes ; est-on tenu de les supposer, et de discuter
des êtres de raison ^ qui n'ont pas la première existence,
et n'est-ce pas, au contraire, très bien fait d'ôter aux
chimères, aux êtres de raison, toute possibilité d'exis-
ter*? Mais, pour ceux dont^ les prétentions sont, par l'a-
veu du Roi, juridiquement au jour S expliquées à des
juges, ou naturels, ou pour ce permis, qu'un tribunal est
saisi, que les parties sont en pouvoir de faire juger entre
elles', il ne paroît pas juste de former un article entre
elles sans y avoir égard, et c'est en efïet ce qui a été
trouvé si peu juste par le Roi et par vous même, que le
consentement de feu M. de Luxembourg fut demandé* et
intervint sur le point qui le regarde dans le règlement
projeté de son temps ^, ce qui fait que le consentement de
son fils n'est plus aujourd'hui nécessaire, puisqu'il n'y a
rien de changé là-dessus d'alors. M. d'Antin forme un
procès, qui même est encore dans tout son entier ; on veut
son consentement ; on le satisfait ; il acquiesce ; à la
1 . Il y a bien prest, au singulier. — 2. Le duc d'Antin.
3. « On appelle, en termes de logique, être de raison ce qui n'est
point réel et qui ne subsiste que dans l'imagination « (Académie, iliS).
4. Saint-Simon n'a pas mis ici de point d'interrogation.
5. Le d de dont surcharge une s.
6. « On dit mettre un livre, un ouvrage au jour pour dire le faire
imprimer, le rendre public; on dit aussi mettre au jour pour divul-
guer » (Académie, 1718).
7. Ici et à la ligne suivante, il écrit entrelles.
8. Ci-dessus, p. 147. — 9. Article IX : ci-dessus, p. 157.
[17111 OE SAINT-SIMOX, 210
bonne hoiiro. No serois-jo pas malheureux, si, n'y ayant
que ces deux hommes et moi en procès, je me trouvois
seul traité comme ceux qui n'en ont point, eux consultés
et contentés, moi condamné et pendu, pour ainsi dire,
avec ma grâce au cou', moi avec un procès pendant au
Parlement, avec une compétence ordonnée par le Roi,
enregistrée au Parlement, deux préjugés du Roi en plein
lit de justice, renouvelés tout à l'heure à l'occasion de
MM. de Villars et d'IIarcourt-, tandis que M. de Luxem-
bourg, avec un préjugé contraire à lui par la provision
de préséance sur lui, M. d'Ântin pas seulement duc, et
des plaidoyers seulement préparés et non commencés,
sont ménagés en sorte que l'un l'este pair, chose autre-
ment à lui très mal sûre, et pair précédant plus de la
moitié des autres, et l'autre le devient, l'autre, dis-je, qui,
avec toute sa faveur, voit son procès perdu, s'il se juge?
« Encore une fois. Monsieur, au point du sacre près,
j'aime mieux perdre mon affaire, et que le règlement
passe ; mais quelle impossibilité que le règlement passe
et que je ne la perde pas, votre cœur et votre esprit
m'honorant, l'un de son amitié, l'autre de son suffrage et
de sa persuasion que mon droit est bon ? Que si, malgré
raison, on veut que je perde, n'en pourrois-je point être
récompensé, et, pour n'avoir ni charge, ni gouvernement
de province, ni barbe grise comme M. de Chevreuse',
mettez la main à la conscience, n'ai-je pas plus de droit
que lui, par voie d'échange, d'obtenir une grâce pour
l'un de mes tils, en abandonnant le tiroil de mon rang?
Permettez-moi de vous supplier de ne pas regarder
comme une extravagance cette pensée, qui se peut tourner
de plus d une manière, et de considérer que, dans toutes
1. Dans bien des cas, les coiulamnés étaient exécutés avec l'inslru-
mcnl du crime ou quelque représentation suspendus à leur cou.
2. Ci-dessus, p. 200 et 206.
3. Le duc de Clievreuse, qui était né en IGiO, avait alors soixante-
cinq ans.
220 MÉMOIRES [1714]
les circonstances présentes, il seroit dur d'être regardé à
trente-six ans' comme un enfant.
« Outre ce que m'a dit M. de Ghevreuse instruit par
d'Antin du règlement-, M. le duc d'Orléans m'a dit savoir
de d'-Vntin même qu'il alloit être fait duc et pair. N'en
est-ce pas assez pour qu'un homme qui est sur les lieux
puisse être en peine de son autre cause, et s'adresser
pour cela à vous, qu'on sait avoir travaillé insolitement*
avec le Roi, en le faisant avec toutes les mesures pos-
sibles?
« Mais en voilà trop pour une lettre, et assez pour un
supplément de mémoire. Trouvez bon que je vous sup-
plie de le peser avec bonté et réflexion réitérée. Pour le
secret, je le garde tel, qu'encore que vous m'ayez permis,
dans tout le cours de ceci, de tout dire à M. d'Harcourt,
je l'ai néanmoins traité en dernier lieu comme les*^ autres,
c'est-à-dire comme MM. de Ghevreuse et de Charost, à
qui j'ai constamment dit que je n'ai pu rien tirer de vous
sur votre travail avec le Roi, et que S. M. vous avoit dé-
fendu d'en dire une parole. Ge qui m'a obligé d'en user
ainsi avec M. d'Harcourt a été le point sensible du sacre,
et que je me suis cru plus sûr d'arrêter M. d'Harcourt,
tout mesuré qu'il est, en le lui taisant, et, pour le lui
tai/e, en lui taisant tout détail, qu'après le lui avoir dit.
Comptez donc. Monsieur, quoi qu'il arrive, sur ma fidé-
lité, sur une inexprimable reconnoissance, et sur un atta-
chement sans mesure. »
Il faut maintenant expliquer deux choses : ma citation
i. Saint-Simon était entré dans sa trente-septième année le 46 jan-
vier 4744.
2. Les mots du règlement ont été ajoutés en interligne.
3. Cet adverbe n'était pas donné dans le Dictionnaire de l'Acadé-
mie, et Littré n'en a pas relevé d'exemple. Saint-Simon écrit : insolit-
tement. — Voyez ci-dessus, p. 485.
4. Les surcharge le commencement d'une M.
inil] DE SAI.NT-Sl.MO.N. 221
de M. le duc d'Orléans sur d'Anlin, et ma pensée pour
un de mes fils.
Le Roi. comme on l'a vu, avoil rejeU' toute communi- Éclaircissc-
cation du proiet de rèi(lemenl à (luelques ducs (luc le '"'^^
r J D 11 1 , quelques
Chancelier lui avoit proposé, moi entre autres, et comptoit endroits de
que nous ignorions ce (|ui se passoit là-dessus'. Ainsi, le mes lettres.
Chancelier m avoit renvoyé cette lettre ostensible au Roi
que je lui avois écrite-. La vivacité de son style montre
combien il trouvoit impralicable de la lui montrer, parce
que c'étoit lui montrer en même temps que j'étois dans
la bouteille^. Tant qu'il l'ignoroit, je ne pouvois me
présenter, et il m'importoit extrêmement de le faire pour
le contenir entre son penchant pour M. de la Rochefou-
cauld, et^ sur la prévention de son autorité contre ma
cause, parce que, tel qu'il étoit, il ne laissoit pas de vou-
loir garder des mesures, et d'en être contraint : ce qui
fut sa vraie raison de rejeter la communication à quel-
ques-uns de nous. Or, dès que l'affaire transpiroit et que
je pouvois citer ce que ^L le duc d'Orléans m'en avoit
dit, je pouvois paroitre, m'adresser au Chancelier, et, lui,
en rendre compte au Roi, sans rien craindre de personnel,
puisque c'étoit d'Anlin qui avoit parlé à M. le duc d'Or-
léans, et ce prince qui me l'avoit rendu. Je mettois donc
le Chancelier à son aise là-dessus, et en état de dire au
Roi sans embarras ce qu'il auroit jugé à |)ropos.
A l'égard de mes enfants, surpris au dernier point de la
manière dont le Roi avoit répondu au Chancelier sur ma
question de préséance, je craignis que cette idée de son
autorité ne se pût détruire parce qu'elle lui étoit entrée
si avant dans la tète. Il me vint donc en pensée, lorsque
le Chancelier me le conta, d'essayer à faire démordre'^ le
i. Ci-<Jessus. p. 18;j.
-2. Ci-dessus, p. '210. 213 et 2li.
3. Expression rencontrée en «lernier lieu dans le tome XIX, p. 3l!l.
4. Avant et, Saint-Simon a hilTé etmoy.
o. « D'.moidrc signiac ligurcment se départir de quelque entre-
^m MÉMOIRES [1711]
Roi par un équivalent plus difficile, ou d'obtenir cet
équivalent, que j'eusse sans comparaison préféré : c'étoit
de faire mon second fils duc et pair, puisque, sans raison,
il étoit bien question de faire celui de M. de Chevreuse^
et d'Antin, et, moyennant cela, ne contester plus avec le
Roi, et lui laisser le plaisir et le repos de faire gagner le
procès à son ami M. de la Rochefoucauld, et à ce qu'il
croyoit être, non de la justice, à quoi il n'eut jamais que
répondre, ni ne s'en mit en fait, mais de son autorité,
qu'il mit toujours en avant. Le Chancelier ne répudia pas
cette pensée, et je la croyois d'autant meilleure, que je
voyois le Roi en une veine présente de telle facilité à mul-
tiplier ces dignités, qu'il n'étoit question que d'en fabri-
quer le chausse-pied. D'autre part, je craignois encore le
crédit mourant de M. de la Rochefoucauld- : ses infirmi-
tés l'avoient dépris ^ des chasses et des voyages depuis
quelque temps, mais non pas de faire de fois à autre des
incursions dans le cabinet du Roi, où il se faisoit mener
pour l'intérêt de quelque valet ou de quelque autre rap-
sodie*, où très souvent il arrachoit à force d'impétuosité
ce qu'il vouloit du Roi, et que souvent aussi le Roi ne
vouloit pas, qui haussoit les épaules à l'abri de son aveu-
glement", et qui lâchoit enfin, partie de compassion et d'an-
cienne amitié, partie pour s'en défaire ^. Je redoutois
donc la crainte du Roi des clabauderies de ce vieil aveu-
gle, qui ne manqueroit pas de lui venir faire une sortie
dès qu'il se sauroit condamné, et qui, à force de gémir,
de gronder et de crier, me donneroit peut-être encore à
courre '. Tout cela me fit donc juger que ma proposition
prise, de quelque dessein, abandonner une opinion, un avis qu'on
soutenoit avec chaleur » (Académie, 1718).
1. Ci-dessus, p. 166 et 183. — 2. Voyez tome XVII, p. 343.
3. Au sens de détaché, seul donné par l'Académie.
4. Tome III, p. 49. — 5. Au sens de cécité.
6. Cela a déjà été dit dans le tome XVII, p. 343 et 345-346.
7. « On dit que c'est à quelqu'un à courre, qu'on lui a donné à
courre, quand son adversaire, par adresse ou autrement, a pris quel-
[ITIII
DE SAINT-SIMON
293
n'étoit point inepte en soutenant d'ailleurs mon droit,
mais dans le génie' du Hoi, c'est-à-dire en me restreignant
à mettre son autorité de mon côté. Mais, comme cette
façon de combattre ne pouvoit être de mise que pour lui
seul, ni même imaginée, quoique l'expérience de tous
les jours apprît l'inutilité de toute autre avec lui, en quel-
que occasion que ce fût où il se figurât ^ que son autorité
pouvoit être le moins du monde intéressée ^ j'estime qu'il
est à propos de présenter ici l'état de la question qui
étoit entre M. de la Rochefoucauld et moi, et les vérita-
bles raisons de part et d'autre, sur lesquelles tout juge
éclairé et équitable* avoit uniquement son jugement à
fonder. Outre que l'attaire est déjà ici nécessairement
entamée, le récit n'en sera pas assez long pour le séparer
de ce (]ui en a déjà été dit en le renvoyant aux Pièces,
d'autant qu'il est dans l'ordre des temps de le commen-
cer par celui de l'anecdote dont le Chancelier me de-
manda, comme on a vu, l'éclaircissement entier % qui
doit, par cette raison, avoir ici sa place.
En 1622, le comté de la Rochefoucauld fut érigé en
duché-pairie par Louis XIII ^ Par cette grâce, M. de la
Rochefoucauld devint ce qu'on appelle improprement duc
à brevet. Les brouilleries d'Ltat où les seigneurs de la
Rochefoucauld, aînés et cadets, se sont très particulière-
ment signalés contre les rois depuis Henri II jusqu'à ^
Louis XIV, et jusqu'à son favori M. le duc de la Roche-
foucauld inclusivement ^ avec qui j'avois ce procès à faire
que avanlafçe sur lui qui le met en peine et l'oblige de chercher les
moyens d'en tirer raison dans quelque querelle, procès ou contesta-
tion » (Académie, 1718).
1. Au sens de caractère, comme dans le tome X, p. 58.
"2. La lettre r, dans figurast, surcharge un a.
3. Avant ce mot, Saint-Simon a biiïé estre.
4. Equitable surcharge jw[s(e].
o. Ci-dessus, p. '215. — 6. Ci-dessus, p. i%.
7. Jusque a été répété deux fois, à la lin de la page 1127 du manu-
scrit, et au commencement de la page 11'28.
8. Voyez notre louie XVII, p. 3"2y.
Anecdote
curieuse de
l'enrogistrc-
ment de
la Rochefou-
cauld.
224 MÉMOIRES [171^]
décider, les brouilleries, dis-je, qui survinrent dans l'Etat
entraînèrent celui en faveur de qui l'érection s'ctoit faite
contre celui qui l'en avoit honoré, et le mirent hors d'état
de la faire vérifier au Parlement. Il étoit encore dans la
même situation, c'est-à-dire en Poitou, exilé après s'être^
engagé contre le Roi, lorsque le cardinal de Richelieu,
premier ministre alors, fut - fait duc et pair ^ : il voulut
être reçu au Parlement en cette qualité le même jour et
tout de suite de l'enregistrement de ses lettres ^ Tandis
qu'on y procédoit, le Parlement assemblé et les pairs en
place, le cardinal de Richelieu étoit à la cheminée de la
grand chambre, comme on s'y tient d'ordinaire jusqu'à ce
que le premier huissier vienne avertir d'aller prêter le
serment'. On peut juger qu'il y étoit environné d'une
grande suite et de nombreuse compagnie. Monsieur le
Prince^, cependant, étoit avec les autres pairs en place
avec double intention ^ Son dessein étoit de payer d'un
4. Les mots exilé après s'estre ont été ajoutés en interligne.
2. La première lettre de fut surcharge un a.
3. Les lettres patentes d'érection sont du mois d'août i634 (Histoire
généalogique, tome IV, p. 3o4-3do). Le duché se composait de dix
seigneuries ne donnant pas plus de seize mille livres de rente. Voyez sa
notice dans les Écrits inédits de Saint-Simon, tome VIII, p. 335-409.
4. En réalité, l'enregistrement des lettres patentes eut lieu dans
l'audience du 4 septembre (registres du Parlement, aux Archives na-
tionales, X^'^ 20io et 8651); mais la réception n'eut lieu que le lende-
main 5 septembre (X^^^ 2043 ; Histoire généalogique, tome IV, p. 353
et 338). La Gazette donna une relation complète de la cérémonie.
On trouvera aux Additions et corrections une lettre de Bullion à ce
sujet, qui montre que le cardinal se préoccupait de l'enregistrement
des lettres de la Rochefoucauld et avait cru y parer.
5. Voyez en dernier lieu le récit de la réception de Boufïlers : tome
XVII, p. 223.
6. Henri II, qui mourut en 1646.
7. Le récit qui va suivre, que notre auteur tenait sans doute de son
père, n'est pas absolument exact, et les registres du Parlement permet-
tent de le rectiiier. L'enregistrement des lettres patentes d'érection des
duchés de Richelieu et de la Rochefoucauld eut lieu dans la séance
du Parlement du 4 septembre, où se trouvaient le premier président
[4714] DE SAINT-SIMON. 225
trait aussi hardi qu'important les services que lui et les
siens avoient reçus de M. de la Rochefoucauld' et de ses
pères, et, s'il eut ^ le don de prophétie, ceux que Mes-
sieurs ses enfants dévoient recevoir du fils et du petit-fils
de M. de la Rochefoucauld ^ Il y avoit non seulement
défaut de permission d'enregistrer ses lettres, mais une
défense expresse du Roi, et réitérée, au Parlement, de le
faire. Monsieur le Prince, de concert avec le premier
président le Jay^ et avec Lamoignon, conseiller en la
grand chambre", père du premier président Lamoignon,
complota de saisir le moment le plus confus et le plus
inattendu, avec hardiesse, pour faire passer l'enregistre-
ment des lettresde la Rochefoucauld, et choisirent*^ comme
véritablement tel l'instant entre l'enregistrement de celles
de Richelieu et le rapport de la vie et mœurs du cardi-
le Jay, les présidents de Bellièvre, Potier, Séguier et le Bailleul, et
vingt et un conseillers seulement ; comme pairs, il n'y avait que le prince
de Condé et l'archevêque de Reims. C'est ce jour-là que se passa la
scène d'escamotage qui va être racontée. Le lendemain o, eut lieu la
réception du cardinal, en présence du Parlement au grand complet, des
ducs de Montmorency, de Retz, de Montbazon, de Lesdiguières et de
Chevreuse, comme pairs, et des maréchaux de Vitry et d'Etliat ; le prince
de Condé ne s'y trouvait pas. (Registres du conseil du Parlement,
X^-^ 2043, aux 4 et 5 septembre 1631 ; dans les minutes, carton X^^
4234, l'arrêt d enregistrement de la Rochefoucauld est le dernier de
la liasse du 4 septembre, il est signé de MM. le Jay et de Lamoignon.)
4. François V, né en 4388, fut gouverneur de Poitou, chevalier des
ordres du Roi, et mourut en 4630.
2. Il y a bien s'il eut au manuscrit : n'eùt-il pas fallu s'il eût eu ?
3. Le duc François VI, l'auteur des Maximes, mort en 1680, et son
fils François VII, le grand veneur actuel, sous le nom de prince de
Marcillac, prirent parti pour le Grand Condé pendant la Fronde, se
retirèrent comme lui en Flandre et suivirent sa fortune jusqu'au bout.
4. Nicolas le Jay (notre tome XI, p. 203-204) avait été nommé pre-
mier président en 4630; voyez aux Additions et corrections.
3. Chrétien de Lamoignon, seigneur de Bàville, né le 22 août 1367,
devint conseiller au Parlement en 1393, et fut pourvu d'une charge de
président nouvellement créée en avril 4633 ; il mourut le 48 janvier
1636.
6. Il y a bien choisirent, au pluriel, dans le manuscrit.
.MEMOIRES OE SAINT-SIMON. XXI 15
226 MÉMOIRES [iUi]
nal' pour sa réception, comptant bien que, parmi le bruit
et la foule qui accompagne toujours tels actes, on ne se
douteroit et on ne s'apercevroit même pas du coup qu'ils
vouloient faire réussir. Tout convenu avec un petit nom-
bre de ce qui devoit être et se trouva en séance pour don-
ner branle au reste ^ Monsieur le Prince, sans attendre
que le second rapporteur pour l'information de vie et
mœurs eût la bouche ouverte pour parvenir à la récep-
tion du cardinal de Richelieu, et^ qu'on montât aux
hauts sièges pour ouïr l'avocat et l'avocat général et y
recevoir le cardinal, comme on faisoit alors^. Monsieur le
Prince, dis-je, regarda le premier président, qui, sachant
ce qui s'alloit faire, ne se hâtoit pas de donner la parole
à ce rapporteur, et demanda s'il n'y avoit pas quelque
autre enregistrement à faire, parce qu'il lui sembloit qu'il
y en avoit. Le Jay, effrayé au moment de l'exécution,
répondit fort bas qu'il y avoit celui des lettres de la Roche-
foucauld, déjà anciennes, mais qui avoient toujours été
arrêtées par le Roi. « Bon ! reprit Monsieur le Prince,
cela est vieux et usé : je vous réponds que le Roi n'y pense
plus ; » et ajouta tout de suite, en se tournant vers Lamoi-
gnon : « Quelqu'un ne les a-t-il point là? » Lamoignon
se découvre, et les montre. A l'instant, Monsieur le
Prince, fortifiant le Jay de ses regards : « Rapportez-les
nous, dit-il à Lamoignon ; Monsieur le premier président
1. On n"a pu retrouver celte information de vie et mœurs du cardi-
nal dans les Papiers de la pairie aux Archives nationales, K 6t 6-623,
ni dans les dossiers du Cabinet des litres, et Aubery ne l'a point insé-
rée dans son ouvrage. La Gazette du 12 septembre dit qu'elle fut faite
par M. Bouchet, doyen du Parlement, et que les témoins furent M. de
Gondy, archevêque de Paris, le duc de Créquy, le maréchal d'Effiat,
MM. de BuUion et de Chevry et le sieur Duval, docteur de Sorbonne.
Le duc de la Valette fut reçu immédiatement après.
2. Expression déjà relevée dans le tome XVIII, p. 7.
3. Tout ce qui suit, jusqu'à alors, a été ajouté en interligne et sur
la marge, avec un signe de renvoi.
4. Cela sera expliqué en son temps.
fnil] DE SAINT-SIMON. 227
le veut. » Lamoignon ne se le fit pas dire deux fois: il
enfile la lectui-o des lettres, la drpèche le plus vite qu'il
peut, et opine après en deux mots à leur enregistrement.
Les magistrats, dont les trois quarts ignoroient la défense
du Roi (le les (Miregistrer, et dont presque aucun, parmi
ce brouhalia de la l'oule (jui remplissoit la grand chambre,
n'avoit pu entendre le dialogue si court de Monsieur le
Prince avec le premier président, opinèrent du bonnet '
avec le reste de la séance-, comme c'est l'ordinaire en ces
enregistrements, et attribuèrent la précipitation dont on
usoit à l'égard d'abréger tant qu'on pouvoit l'attente' du
premier ministre d'être mandé pour être reçu. Ils n'eurent
ni le temps, ni l'avisement* de faire réflexion que, s'il
n'y eût pas eu là quelque chose d'extraordinaire, il eût
été de la bienséance de procéder à la réception du cardi-
nal de Richelieu avant de faire ce second enregistrement,
pour ne le pas faire attendre si longtemps, et pour qu'étant
reçu et en place, il en eût aussi été juge. L'arrêt de véri-
fication des lettres de la Rochefoucauld fut prononcé
d'abord après les opinions prises ^ et cette grande afïaire
fut ainsi emportée, pour ne pas dire dérobée, à la barbe
du premier ministre** présent dans la grand chambre, qui
ne pensoit à rien moins, et qui, parmi tout ce monde et
ce bruit dont il étoit environné" à cette cheminée, croyoit
1. « On d'\l opiner du bonnet pour dire se drclarer de l'avis d'un
autre sans l'appuyer d'aucune raison » {Académie, t718).
2. « On appelle aussi séance l'assemblée d'une compagnie célèbre »
(Académie, 1718). Voyez tome XIV, p. io6. Notre auteur a employé
de même audience.
3. Attende corrigé en attente. — 4. Tome XI, p. 158.
5. Voyez VHistoirc généalogique, tome IV, p. 416-417. Aucun des
historiens du Cardinal, non plus que la Gazette, ne parle de cet
« escamotage. », qui d'ailleurs ne se passa pas comme le rapporte
Saint-Simon, ainsi qu'on Ta vu ci-dessus, p. 'l'I't, notes 4 et 7.
6. « On dit faire quelque chose à la barbe de quelqu'un, à la barbe
de Pantalon, pour dire faire quelque chose en sa présence et comme
en dépit de lui » {Académie, 1718).
7. Le manuscrit porte environnée, au féminin.
228 MÉMOIRES [ilH]
toujours que c'étoit son affaire qui se faisoit. Aussitôt
après l'arrêt d'enregistrement de la Rochefoucauld pro-
noncé, on procéda à ce qui regardoit la réception du car-
dinal, qui prêta son serment, et toute sa cérémonie
s'acheva. Au sortir du Palais, il apprit ce qu'il s'y étoit
passé, et ne put le croire : il manda le premier président,
qui s'excusa sur Monsieur le Prince, mais qui n'en essuya
pas moins' une rude réprimande. Monsieur le Prince en
fut brouillé quelque temps, et la disgrâce de M. de la
Rochefoucauld approfondie ; mais l'enregistrement n'en
demeura pas moins fait et consommé-. C'est ce qui atta-
cha de plus eu plus M. de la Rochefoucauld à Monsieur le
Prince, et ses enfants aux siens ; c'est ce qui forma l'inti-
mité héréditaire de MM. de la Rochefoucauld avec les
Lamoignons'; c'est ce qui fit durer l'exil de M. de la
Rochefoucauld bien au delà de la fin de tous les troubles,
et de la réconciliation de tous ceux qui y avoient eu part.
Cet exil duroit encore lorsqu'en 1634 il y eut de nou-
velles lettres d'érection ^ de Retz % en faveur du gendre
1. Moins, omis, a été ajouté en interligne.
2. Néanmoins les lettres patentes d'érection de la Rochefoucauld ne
furent pas transcrites sur les registres du Parlement à la suite de celles
de Richelieu et de la Valette ; on attendit pour cela jusqu'au moment
de la réception de M. de la Rochefoucauld au Parlement, 24 juillet
■1637, tout en conservant la date de 1631 à l'arrêt d'enregistrement. Mais,
comme les greifiers, toujours en relard pour les transcriptions d'actes
sur les registres, n'étaient alors qu'aux enregistrements du mois de
mars 1636, on ne voulut pas faire attendre M. de la Rochefoucauld, et
la pièce fut transcrite immédiatement parmi les actes de mars 1636, en
dehors de son rang chronologique : voyez le registre du Parlement coté
XiA 8633, fol. i. Le 13 juin précédent, 1637, M. de la Rochefoucauld
avait écrit au cardinal de Richelieu une lettre, dont l'original est aux
Archives nationales (KK 601, p. 97-98), pour lui demander de prêter
serment au Parlement avant tout autre.
3. Saint-Simon reviendra sur cette intimité dans la suite des Mé-
moires, tome XI de 1873, p. 130.
4. D'érection surcharge d'enreg[istrem'], effacé du doigt.
3. Ci-dessus, p. 199.
[ITM] DE SAINT-SIMO.N. -2-29
après le beau-père', avec rang nouveau, et qu'au com-
mencement- de 163o mon père fut fait duc et pair\ et
tous deux vérifiés* et reçus au Parlement sans la moindre
opposition lïo la part de M. do la Rochefoucauld, qui appa-
remment n'imnginoit pas encore do les précéder, et se
tenoit^ bien heureux d'avoir sa dignité assurée. Revenu
après en grâce, il se fit recevoir en 1637, et prétendit la
préséance sur M. de Retz et mon père*. C'est ce qui forma
la question entre la priorité d'enregistrement, d'une part,
et la priorité de première réception au Parlement, de
l'autre. Il est temps de l'expliquer dans tout son jour,
après avoir raconté les faits, tant anciens que nouveaux,
depuis la naissance de cette dispute. On ne s'arrêtera point
aux écrits trop prolixes de part et d'autre; on se renfer-
mera dans le pur nécessaire à l'éclaircissement de la
question.
On ne répétera point ce qui a été expliqué dans le Courte
précédent mémoire sur la foi et hommage", qui, n'en et foncière
déplaise à la première vue de M. le Chancelier, est un la^q.'iest'ion de
moven sans réplique ; on ne s'arrêtera pas non plus préséoncomtro
aux trois préjuerés du Roi, que chaque partie peut tirer If pr^murc
i ^ o ,.'. .' ' '. réception du
a son avantage, encore qu'd soit évident que celui qu'en pair au Parle-
tiro M. do Saint-Simon ait bien plus de force et soit bien ment et la date
I .18 ' -i ' ' -i I I de 1 enregistre-
plus naturel ; on no s arrêtera qu aux moyens véritables ment de la
des deux côtés, qui, sans sortir du fonds do la question, pairie,
doivent être la matière uiii(|iii' du jugement entre la prio-
rité d'enrogistreinont do-^ lettres d'érection, soutenue par
M. do la Rochefoucauld comme règle et fixation de l'an-
I. Kn faveur de Pierre de Gondy, qui avait épousa en 1633 Cathe-
rine de Gondy, tille de Henri, duc do Retz, son cousin germain.
•2. Comencem' a été ajo;ité sur la marge, à la lin d'une ligne, et coin
biffé en tête de la ligne suivante.
3. Ci-dessus, p. lOH-lOO. — i. Verifiéx corrige r\eceus].
S. Tenait est en interligne, au-ilessus de trouvoit, biffé.
G. Ci-dessus, p. t09. — 7. Ci-dessus, p. 196.
f<. Los cinq derniers mots ont été ajoutés en interligne.
230 MÉMOIRES [1711]
cienneté, et la priorité de la première réception du nou-
veau pair érigé en cette ' qualité de pair de France au
Parlement, que M. de Saint-Simon prétend- fixer le rang
d'ancienneté parmi les pairs de France.
M. de la Rochefoucauld pose en fait que l'enregistre-
ment des lettres d'érection forme, constate, opère ^ la di-
gnité, qui jusqu'alors n'est que voulue par le Roi, et si
peu exécutée, que celui qui a des lettres d'érection non
enregistrées n'a que des honneurs sans être, sans rang,
sans succession aux siens, toutes choses qui ne s'acquiè-
rent que par l'enregistrement des lettres d'érection, qui,
par la conséquence qu'il en tire, réalisant la dignité, en
fixe* en même temps le rang d'ancienneté.
Il ajoute, pour confirmer cette maxime, que, si on
admettoit celle de la fixation du rang d'ancienneté par la
première prestation de serment et réception au Parlement
du pair nouvellement érigé, les rangs des pairs entre eux
changeroient à chaque réception de pair, d'où il arriveroit
que le fils du plus ancien se trouveroit le dernier de
tous, et un changement continuel de rang suivant les
dates des réceptions dont on n'a jamais ouï parler parmi
les pairs, et qui, en cela, les égaleroit avec les charges
les plus communes et les plus petits offices. Toutes ses
preuves ne sont que des raisonnements diffus et peu con-
cluants, des déclamations, force sophismes, qui n'ajou-
tent rien à l'exposition simple de ces deux propositions
telles qu'on vient de les présenter. Le spécieux ^ en est
éblouissant à qui n'approfondit pas; moi-même j'en ai été
un temps pris. Je dois à l'abbé le Vasseur, qui a long-
temps et utilement pris soin des affaires de mon père et
1. Ce<(c surcharge une s.
2. Saint-Simon avait d'abord écrit prendre ; il a surchargé les trois
dernières lettres par tend, ce qui fait prcntend.
3. Ci-dessus, p. 208.
4. Saint-Simon avait d'abord écrit fixent et a biffé le signe du pluriel.
5. Terme déjà relevé comme substantif dans le tome XVI, p. 221 et
234.
flTlt] DE SAINT-SIMON 23<
des miennes jusqu'à sa mort, arrivée, comme je l'ai dit
ailleurs', en 1709, de m'en avoir fait honte. Je ne voulois
point disputer, parce que je ne croyois pas avoir raison,
et, après avoir étudié la matière, je fus honteux de m'ètre
si lourdement abusé.
Pour réfuter les deux propositions de M. de la Roche- Nature
foucauld-, il faut remonter à la nature de la dignité dont * igmte.
il s'agit ce fixer l'ancienneté pour ceux que le Roi en
honore, ei voir ce qui la fixoit anciennement ^ Qu'on ne
s'étonne point d'un principe qui doit être posé, parce
qu'il est de la première certitude. La dignité de pair est
une, et la même qu'elle a été dans tous les temps de la
monarchie ; les possesseurs ne se ressemblent plus. Sur
cette dissemblance, on consent d'aller aussi loin qu'on
voudra ; sur la mutilation des droits de la pairie, encore.
C'est l'ouvrage des temps et des rois; mais les rois ni
les temps n'ont pu l'anéantir : ce qui en reste est toujours
la dignité ancienne, la même qui fut toujours; jusque
dans son dépouillement, cette vérité brille. Il faut une
injustice connue* par une loi nouvelle pour préférer les
princes du sang et les bâtards aux autres pairs dans la
fonction du sacre"', sans oser les en exclure, et ces princes
du sang et ces bâtards comme pairs, les uns à titre de
naissance par l'édit d'Henri III, les autres comme ayant
1. Tome XVIII, p. 294 et 304.
i. Les mois de M. de la Rochef. sont en iiilerligne, au-dessus de
dont il s'agit, biffé.
H. Saint-Simon avait dans ses papiers un f;rand nombre de discours,
mémoires et plaidoyers sur l'origine des pairs de France, qui sont
actuellement conservés dans les volumes France 14"28 à 4435 du Dépôt
des affaires étrangères ; mais en 4704 (tome IX, p. 246), après s'être
excusé d' « entrer dans un détail qui feroil un volume, » il s'est borné
à faire un parallèle des duchés-pairies avec les grandesses d'Espagne.
Puisqu'il revient maintenant sur les origines et le caractère de la pai-
rie, il ne sera pas inutile d'énuniérer à l'Aiipendice ("ci-après, p. 4(i4)
les titres des ouvrages qu'il |)Ouvoit avoir à sa disposition en 47i"2.
4. Au manuscrit, connùec; il semble qu'il vaudrait mieux commise.
o. Ci-dessus, p. 488.
232 MÉMOIRES [17ii]
des pairies dont ils sont titulaires et revêtus. Jusque
dans sa dernière décadence, sous le plus jaloux et le plus
autorisé des rois, il a fallu, de son aveu même, l'inter-
vention des pairs invités de sa part chacun chez lui par
le grand maître des cérémonies, au grand regret et dépit
de ce bourgeois, qui n'oublia rien pour en être dispensé,
invité, dis-je, à se trouver au Parlement pour les renon-
ciations respectives aux couronnes de France et d'Espagne
des princes en droit de les recueillir*, par l'indispensable
nécessité de la pairie aux grandes sanctions- de l'État. On
ne parle, pour abréger, que de ce qui est si moderne et
dans la plus grande décadence de cette dignité : plus on
remonteroit, plus trouveroit-on des preuves augustes de
la vérité que j'avance. Les lettres d'érection y sont en
tout formelles, jusque par leurs exceptions, et les évêques-
pairs sont encore aujourd'hui exactement et précisément
les mêmes qu'ils ont été en tout temps pour les posses-
sions et pour la naissance, et pour le fonds et l'essence
de la dignité, en sorte que ce ne sont^ pas des images
parlantes de ce qu'ils furent autrefois, mais des vérités,
des réalités, et la propre existence même, égaux en dignité
aux six anciens pairs laïques, quoique si disproportionnés
d'ailleurs*. Cette vérité admise sur la question présente,
et qui se trouvera peut-être ailleurs démontrée avec plus
d'étendue % il faut voir comment l'ancienneté se régloit
parmi ces anciens pairs. Les douze premiers n'ont point
d'érection ; elle ne fixoit donc pas leur rang. Depuis qu'il
y® a eu des érections, il n'y avoit point de cour, telle
qu'est aujourd'hui celle connue sous le nom de Parle-
1. Voyez la suite des Mémoires, tome IX de 1873, p. <4ol-465.
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 1748 ne donnait sanction
qu'au sens de « constitution, ordonnance ».
3. Les mots ce ne sont sont en interligne, au-dessus de c'en sont
non, biffé, et, après ce, dans l'interligne, Saint-Simon a bifîé n'en.
4. Tout ce qui précède, depuis égaux, a été ajouté sur la marge
avec un signe de renvoi.
o. Ce sera pour l'année 1714. — 6. Y est en interligne.
[ilH]
DE SAINT-SIMON.
233
ment, où ces érections pussent être enregistrées; ainsi,
l'enregistrement, qui n'cxistoit point, ne fixoit point le
rang des pairs. Il résulte donc que ce rang ne se régloit
ni par la date de l'érection, ni par celle de l'enregistre-
ment. Il faut donc chercher ailleurs ce qui fixoit leur rang
puisqu'il l'a toujours été entre eux, et, de ce qui vient d'être
exposé, M. de la Rochefoucauld conclura que ce n'est pas
la première réception du nouveau pair au Parlement, puis-
que le Parlement, tel (ju'il ' est maintenant, et qu'il reçoit
et enregistre, n'existoit pas dans les temps dont on parle ;
et cela est aussi très^ certain. Mais il est également cer-
tain aussi qu'il y a eu dans tous les temps une formalité
par laquelle tous ont passé et passent encore, dont les
accessoires et l'extérieur a changé avec les temps, mais
dont la substance et la réalité est toujours demeurée la
même; et cette formalité est la manifestation ^ Avant
qu'on écrivît des patentes, qui est l'érection, avant qu'on
les présentât à un tribunal certain pour y être admises,
qui est l'enregistrement, il falloit bien qu'il y eût une
manière ou une forme de faire des pairs puisqu'il y a eu
dès lors des pairs. Il falloit encore que ces pairs eussent
entre eux un rang fixé puisqu'il ^ l'a été dès lors parmi
eux, et cette manière ou cette forme n'a pu être que
l'action de manifester un seigneur dans l'assemblée des
autres de pareil degré, d'y' déclarer l'élévation de celui-
ci aux mêmes droits, fonctions, rangs, honneurs, distinc-
tions, privilèges, etc., que ces autres, de l'y faire seoir
parmi eux, c'est-à-dire au-dessous du dernier, mais en
même ligne et niveau, de l'y associer aux mêmes conseils
et aux mêmes jugements qui faisoient la matière de leur
i. // est en interligne. — 2. Très a été ajouté en interligne.
3. On a eu ci-dessus manifester au même sens de publicité ofiicielle,
et on le retrouvera plusieurs fois ci-après.
4. Puisqu' a été ajouté en lin de ligne, et, au commencement de la
ligne suivante, il y a un que qui n'a pas été bifîé.
o. Saint-Simon avait d'abord écrit de l'y ; il a bille l'y et corrigé de
en d'y.
Ce qui de tout
temps fixoit
l'ancienneté du
rang des pairs,
l'a fixé
toujours, et le
fixe encore
aujourd'hui.
234 MÉMOIRES [1711]
assemblée. Ce ne pouvoit être que par là, avant les
usages postérieurs des érections et des enregistrements,
que les rois pouvoient déclarer l'élévation d'un de leurs
sujets et vassaux à la première dignité de leur couronne,
en manifestant de fait un conseiller-né et un assesseur
à la couronne, et à eux^ un compagnon, et, comme on
parloit alors, un compair- aux autres pairs, un juge aux
grands vassaux, etc., pour être dès lors et de là en avant^
reconnu pour tel. Que, dans la suite, il y ait eu ce qu'on
appelle érection, et, postérieurement encore, ce qu'on
appelle enregistrement, cela n'a point changé l'ancien
usage: il a toujours fallu manifester le pair nouvellement
érigé, et l'installer dans son office. Qu'on y ait joint en-
suite des formalités nouvelles, un serment, puis le même
serment varié, repris après son premier état, après cela
une information de vie et mœurs préalable, puis un chan-
gement dans cette information sur la religion catho-
lique, etc., tout cela sont les accessoires, les choses ajou-
tées, jointes, concomitantes*, mais non pas la chose
même, la manifestation % l'installation, qui subsiste tou-
jours la même, et qui n'est autre que ce qu'on connoît
maintenant sous le nom de première réception au Parle-
ment. C'est donc à cette première réception qu'il faut
recourir comme à la suite, jusqu'ici non interrompue et
non contestée, de l'antiquité la plus reculée jusqu'à nous,
1. Il y avait d'abord dans le texte et à ceux de rassemblée ; Saint-
Simon a biffé les trois derniers mots et corrigé ceux en eux.
2. Il écrit conpair. Ce mot ne figure pas dans les lexiques, même
dans ceux de la langue du moyen âge, et Littré n'en a relevé que deux
exemples de notre auteur.
3. Expression du langage de la chancellerie, déjà surannée à l'époque
de Saint-Simon, et dont on retrouvera un autre emploi dans la suite
des Mémoires, tome XIX, p. 152. Comparez avec d'ores en avant, que
nous avons rencontré dans le précédent volume.
4. « Concomitant, qui accompagne ; ne se dit guère que dans cette
phrase: la grâce concomitante » (Académie, 1718). Voyez ci-après,
p. 238, le substantif concomitance.
5. Ci-dessus, p. 233.
[1711] DE SAINT-SIMON. 235
de ce qui a perpétuellement et constamment fixé l'ancien-
neté des pairs de tous les âges, et non pas à des usages
modernes qu'une sage police peut avoir introduits, mais
qu'elle n'a pu substituer à ce qui est de toute antiquité
la règle connue, et l'unique qui la pût être jusqu'à ces
établissements nouveaux qui ont ajouté simplement des
choses extérieures, mais sans aucun changement, bien
moins de destruction, de la nature essentielle des choses.
En voilà assez pour faire entendre combien la prétention
de M. de la Rochefoucauld sur la priorité de vérification
ou d'enregistrement, qui est la même chose, est destituée
de fondement. Il faut montrer ensuite combien l'est, s'il
se peut, moins encore' son objection du changement in-
connu du rang des pairs par date de chaque réception en
même pairie, si la fixation du rang d'ancienneté avoit lieu
de la première réception au Parlement : c'est ce que
M. de la Rochefoucauld prévit qui lui seroit répondu là-
dessus, qui lui donna tant d'éloignement de procéder au
Parlement, et qui, par autorité d'âge et de faveur, lui fit
emporter une manière de juger qui auroit pu être bonne
en soi, mais qui n'avoit point d'exemple, et que l'intérêt
du Parlement de juger ces causes - majeures ^ auroit cer-
tainement rendue* caduque.
On ne peut s'empêcher de remarquer l'indécence. Fausse
dans^ la bouche d'un pair de France, de cette proposi- «t indécente
... Aiiinii- Il , difficulté
tion * que .M. de la noctietoucauld avance en conséquence tombée de la
du faux principe qu'il avoit posé, et dont on vient de date de chaque
démontrer la foiblesse, que, si l'ancienneté parmi les pairs sucœsslvc.
se tiroit de la première réception au Parlement, elle
1. Combien est encore moins fondée.
2. Le commencement de causes surcharge un g.
3. En droit canonique, on appelait causes majeures « les affaires
ecclésiastiques dont le jugement appartient au pape » (Académie,
1718).
4. Par mégarde, il a écrit, au masculin, rendu.
•S. Dans surcharge de la.
''. Il y a proposion, par mégardc, dans le manuscrit.
236
MÉMOIRES
[1711]
changeroit à chaque mutation dans la même pairie par
les diverses dates des diverses réceptions. Son principe de
la date de l'enregistrement tombé pour la fixation de
l'ancienneté, la conséquence^ tombe aussi. On vient de
voir que c'est la manifestation du nouveau pair qui, dès
la première antiquité, a toujours fixé l'ancienneté parmi
eux. Cette manifestation n'est qu'une pour chaque race
et filiation de pair, puisque la dignité est héréditaire,
conséquemment les réceptions subséquentes de chaque
filiation n'est- plus la manifestation, mais seulement la
succession annoncée et manifestée dans le premier de la
race, laquelle ne peut intervertir le rang établi de la
même pairie, qui demeure dans le rang qu'a tenu le pre-
mier de cette filiation. Cela est évident en soi ; cela l'est
par l'exécution constante depuis la première antiquité
jusqu'à présent; cela l'est encore parce [que], dans ce
grand nombre de chimères et de prétentions mises en
avant de temps en temps sur les rangs entre eux des pairs
et la succession à cette dignité, M. de la Rochefoucauld est
le premier et l'unique qui ait imaginé cette interversion de
rangs par chaque réception dans la même pairie, consé-
quence insoutenable et monstrueuse d'un principe destitué
de tout fondement, de laquelle on va démontrer l'ineptie
encore plus singulièrement, c'est-à-dire par les principes
et par la nature de la dignité de duc et pair de France.
Dignité de duc On ne peut lui contester qu'elle ne soit, par sa nature
^* ^dè'^g^f^*^ singulière et unique, une dignité mixte de fief et d'office.
et d'office, et Le duc est grand vassal, le pair est grand officier; l'un a
unique toute la réalité de mouvance nue de la couronne, de ius-
dc ce genre. . i- , , ,, , , , i i-, . i
tice directe, etc. ; 1 autre, toute la personnalité, ou les
fonctions au sacre, au Parlement, etc. Tous deux ont un
rang, des honneurs, etc. C'est ce mixte ^ qui constitue
1. La surcharge son, et le commencement de conseguence surcharge
des lettres illisibles effacées du doigt.
2. Il y a bien au manuscrit n'est, au singulier.
3. « Mixte est aussi substantif, et, dans cette acception, il ne se dit
[nil] DE SAINT-SIMON. 237
une dignité unique, qui, sans l'office, ne pourroit être
distincte des ducs vérifiés, sans le fief, des officiers de la
couronne, et qui, pour le fief et pour l'office, a ses lois
communes avec les autres ' grands fiefs et grands offices,
et ses lois aussi particulières à elle-même ; fief et office
également parties intégrantes- et constituantes, sans les-
quelles la dignité ne pourroit exister, ni même être con-
çue, conséquemment de même essence, qui opèrent en
l'un plénitude nécessaire de mouvance, en l'autre pléni-
tude nécessaire de fonctions; à tous les deux, rangs et^
honneurs qui en sont* parties décentes % non intégrantes,
suites et^ accompagnements qui ont été de tout temps
attachés à la dignité, mais qui ne la constituent pas, si
bien que, sans cela, elle pourroit exister, et être conçue.
Telles sont les lois de la dignité en elle-même, avec plu-
sieurs autres qui ne font rien à la question dont il s'agit.
Ses lois, communes avec les autres grands fiefs, sont
l'enregistrement, depuis qu'il est établi pour constater
la' dignité, et en assurer la possession à l'impétrant et à
sa postérité au désir des lettres ^ avec les autres grands
que d'un corps mixte : toutes les parties d'un mixte, réduire les mixtes
en leurs principes « (Académie, 1748).
i. Autres a été ajouté en interligne.
2. « Intégrant, adjectif verbal du verbe intégrer, qui n'est point en
usage. Il ne se dit qu'en celle phrase : les parties intégrantes. On
appelle ainsi en philosophie les parties qui composent l'intégrité d'un
tout, à la différence des parties qui sont essentielles et sans lesquelles
une chose ne sauroit subsister » (Académie, 1718).
3. Et est en interligne.
4. Le manuscrit porte font ; c'est sans doute une erreur de Saint-
Simon.
o. Au sens de convenable, comme le latin decet.
6. Et surcharge un rf.
7. La est répété deux fois, en fin de ligne et au commencement de
la suivante.
8. « On dit, en termes de pratique, au désir de l'ordonnance, au dé-
sir de la coutume, pour dire, suivant l'ordonnance, suivant la cou-
tume » (Académie, 1718).
238 MÉMOIRES [1711]
offices, d'être reçu publiquement au serment de l'office,
et d'en prendre une actuelle possession avec les formali-
tés établies. La dignité de duc et pair, quelque éminente
qu'elle soit dans l'Etat par sa nature, n'a point de dis-
pense là-dessus pour le fief ni pour l'office, et M. de la
Rochefoucauld, qui le prétendroit en vain, ne peut dis-
convenir, à l'égard de l'office, de ce qu'il soutient à l'égard
du fief. De là il résulte qu'ayant accompli la loi quant au
fief, il s'est assuré, et à sa postérité, la dignité du fief en
entier, et la faculté de l'office ; mais, quant à celui-ci, il
est demeuré à la simple faculté jusqu'à l'accomplissement
par lui de la loi imposée de tout temps à tout officier
pour* tout office, d'y être reçu par le serment et la prise
de possession personnelle essentiellement requis, qui l'en
investit, qui le déclare, et le manifeste officier. Les for-
malités plus ou moins anciennes ou variées qui accom-
pagnent la réception n'en sont que les concomitances^, et
n'en changent point la nature ; et c'est cette réception
qui, dans tous les âges, a fixé le rang des pairs entre eux,
qui, sans interruption, s'y sont accordés depuis les pre-
miers temps jusqu'aux nôtres. De cette explication il ré-
sulte qu'avoir accompli la loi des fiefs par l'enregistre-
ment, et non celle des offices par la réception, que ce
n'est point être en possession, ni avoir rendu en soi en-
tière et complète une dignité mixte de fief et d'office qui
tient de l'un et de l'autre son existence en toute égalité,
conséquemment que le rang de cette dignité ^, quoique
assurée, ne peut être fixé en^ cet état, et ne l'est point:
d'où il se démontre que celui qui, postérieurement à
l'accomplissement de l'une de ces lois, et antérieurement
à l'accomplissement de l'autre, lésa, lui, accomplies toutes
les deux, que celui-là, dis-je, a rendu sa dignité entière
1. L'abréviation p' surcharge de.
2. Voyez ci-dessus, p. "234, un emploi de V&djeciit concomitant.
3. Dignités corrigé en dignité.
-4. En surcharge et n[e].
[1711] DE SAINT-SIMON. 239
et complète en lui, qu'il est grand officier avant l'autre ^
grand vassal même avant l'autre, puisque, tous deux
n'ayant point été faits séparément ducs, séparément pairs,
par deux érections différentes et distinctes, mais ducs et
pairs chacun par une seule et même érection, cet autre,
tout enregistré qu'il est, ne peut être valablement et
réellement grand vassal qu'il n'ait fait ce qu'il faut pour
être aussi grand officier, puisqu'il est fait l'un et l'autre
ensemble, par une seule et même dignité mixte de grand -
fief et de grand office, dont le fief et l'office ensemble
et par indivis forment ensemblement^ l'existence, en sont
également, conjointement, concurremment parties inté-
grantes ; tellement que, sans ces deux choses achevées
également et accomplies suivant leurs lois, il ne se peut
dire qu'aucune d'elles le soit véritablement et par effet.
Venons maintenant à la prétendue difficulté, proposée L'impétrant
par M. de la Rochefoucauld, du changement de rang et sa posienié
1) • . ' 1 • 1 » • • , • ,11 appelée et
d ancienneté des pairs de même pairie*, suivant la date installée avec
des réceptions successives de ces pairs au Parlement, et lui en la dignité
, -, I / , • • 1 ' . . -de pair à la
traitons-la expressément, quoique idée toute neuve qui différence
doit tomber de soi-même par ce qui vient d'être expliqué, de tout autre
et répudié par M. de la Rochefoucauld même avant de
l'avoir imaginée, par tout ce qu'il a énoncé avec nous,
contre les duchés-pairies femelles, sur la manière de suc-
céder à la dignité de duc et pair^ Un seul mot tranche
la difficulté . c'est qu'à l'office de pair est appelé non seu-
lement l'impétrant, mais, avec lui, par une seule et même
vocation ^ tous ses descendants masculins à l'infini, tant
et si longtemps que la race en subsiste, au lieu qu'à tous
1. L'autre surcharge luy.
"1. Les lettres grd surcharge une F.
3. Vieux mot que le Dictionnaire de Trévoux est seul à relever,
comme n'étant plus usité. Littré n'en cite aucun exemple,
i. L'initiale de Pairie est un p corrigé en majuscule.
5. Lors du procès avec M. de Luxembourg.
6. Nous avons déjà eu ce mot, au sens d'appel, dans le tome XIX,
p. 181.
oCEcier.
240 MÉMOIRES [ilU]
autres offices, quels qu'ils soient, une seule personne est
appelée, et nulle autre avec elle ; et c'est la distinction
essentielle et par nature de l'office de pair de tous les
autres offices de la couronne, et autres tous tels qu'ils
soient en France, sans aucune exception. De là suit invin-
ciblement, par droit tiré de la nature de la chose, et con-
firmé par l'usage de tous les temps jusqu'à aujourd'hui,
que c'est cette première réception qui fixe le rang d'an-
cienneté pour tous ceux qui, par la vocation, y sont suc-
cessivement appelés, auquel la réception subséquente de
chacun d'eux ne peut apporter d'interversion. Pour s'en
convaincre, il n'est besoin que de se souvenir de ce qui
a été expliqué. La manifestation ou installation des pairs
dans leur office est ce qui a fixé leur ancienneté avant
qu'il y eût érection, enregistrement, tribunal enregis-
trant. C'est donc, comme on l'a vu, pour ne rien répéter,
ce qui l'a dû fixer depuis, et ce qui l'a aussi toujours
fixée', sans aucun exemple ni prétention contraire. Le
fixant pour l'impétrant, il le fixe dans lui et par lui à
toute sa postérité appelée avec lui, installée, reconnue,
manifestée avec lui d'une manière également invariable
et unique à cet office, à la différence de tous autres, en
sorte que tout est consommé pour tous les héritiers suc-
cessifs de la même pairie. Cet essentiel accompli % il reste
des formalités à faire à chaque héritier de la même pairie,
mais formalités simples, qui ne sont rien moins que
l'essence de la dignité, mais des choses uniquement per-
sonnelles, ajoutées, changées, variées en divers temps
pour s'assurer si l'héritier, pair de droit et de fait indé-
pendamment^ de tout cela, est personnellement capable
d'en exercer les fonctions. Ainsi, le serment, l'informa-
i. Fixé est au masculin dans le manuscrit, s'accordant avec le mot
rang, sous-entendu.
2. La lettre m du mol accompli surcharge un p.
3. Il y a indepcnd' dans le manuscrit, ce qu'on pourrait aussi bien
lire indépendant.
I
[1711] DE SAINT-SIMON. 244
tion do vie et mœurs, et les autres formalités qui lui son!
personnolloiuonl imposées, ne peuvent changer son rang
d'ancienneté, puistju aucunes ne lui confèrent rien de
nouveau, que toutes en sont incapables, et qu'elles ne
sont ajoutées que pour s'assurer d'un exercice digne en
sa personne de ce qu'il ne reçoit pas de nouveau, rtiais de
ce qu'il a en lui essentiellement et d'une manière inhé-
rente. Telle est donc la nature singulière et unique de la
dignité de pair de France, dont l'office est un et le même
dans toute une postérité appelée, et qui, par conséquent,
ne peut changer de rang d'ancienneté première de l'im-
pétrant de qui elle sort, à la différence de tous ceux de
la couronne, et de tous autres offices et officiers, quels
qu'ils soient en France, qui, n'étant appelés qu'un seul à
la fois à un office, changent de rang d'ancienneté à cha-
que nmtation de personne ', par une conséquence néces-
saire. Je- pense avoir expliqué la question avec une évi-
dence qui dispense de s'y arrêter davantage. Suivons-en
maintenant la décision en reprenant l'édit.
Quelques jours d'un temps si vif se passèrent en lan- Reprise de
gueur par l'interruption du travail du Roi avec le Chan-
celier. Je tâchai de profiter de ce loisir auprès de lui, et,
comme la séparation de lieu et ses occupations, que j'ai
remarquées ailleurs % rendoientle commerce incommode,
je lui écrivis de Mariy, l'onze mai% la lettre suivante.
i. Les mots de personne ont été ajoutés en interligne.
2. Avant Je, il y a dans le manuscrit un peu de blanc, ce qui est con-
traire aux habitudes de Saint-Simon quand il passe à une autre phrase.
3. Au sens d'important, mouvementé, rempli. — 4. Ci-dessus, p. i7'2.
5. A propos de cet adjectif numéral, le Dictionnaire de l'Académie
de 4718 disait : ^t II faut remarquer qu'encore que ce mot et celui d'on-
zième commencent par une voyelle, cependant il arrive quelquefois, et
surtout quand il est question de dates, qu'on prononce et qu'on écrit
sans élision l'article, ou la préposition ou particule qui les précède :
De onze enfants qu'ils étaient il en est mort dix ; la onzième année.
— Onze se prend quelquefois pour le nombre d'ordre qu'il forme, et
alors on dit presque indiiïéremment : le onze du mois, l'onze du mois »
{Académie, 4748).
UbUOIKEb DL S.VI.NT -àlUU.N XXI IG
l'édit.
242
MEMOIRES
inii]
Lettre de
M. le duc de
Saint-Simon
à M. le
Chancelier.
Pour l'entendre, il faut dire que l'anniversaire de
Louis XIII' se faisoit tous les ans à Saint-Denis, comme
il se fait encore, et qu'à l'exemple de mon père, je n'y
ai jamais manqué-. Il fut avance au 13 mai, cette
année, parce que l'Ascension tomboit au 14, son jour
naturel^.
« Jamais, Monsieur, l'anniversaire du feu Roi ne me
vint si mal à propos, encore qu'il m'ait fait forcer une
fois la fièvre actuelle, une^ autre le commencement d'une
rougeole, et une troisième un bras tout ouverte A cette
fois, il faut encore que le bienfaiteur l'emporte sur le
bienfait, et je porterai à Saint-Denis un cœur incisé* et
palpitant. Cette dernière violence ne me sera pas la
moins sensible ; mais c'est un hommage trop justement
dû. Si je m'en croyois, je partirois tard demain, et pas-
serois à Versailles ; mais je me défie de ces hasards qui
découvrent tout, et, en attendant jeudi, j'ose vous de-
mander" quatre lignes de mort ou de vie, demain au
soir, pour remercier Dieu, ou pour demander justice à
mon maître de son fils. Sauvez-nous le sacre, nos plus
sensibles entrailles ^ de préférence à tout; puis, souve-
nez-vous de faire passer le projet avec le plus de mes
notes qu'il se pourra ; deinde^, du point de la séance des
pères et des fils conjointement, et en l'absence l'un de
i. Avant de Louis XIII, il a biffé se faisoi[t].
2. Déjà dit dans le tome XVI, p. 129.
3. En \~\\, ce fut l'évêque de Québec qui fut désigné par le grand
aumônier pour célébrer la messe d'anniversaire.
4. Il y a un autre dans le manuscrit.
5. En 1704 (tome XII, p. 49-51), à la suite de l'opération que Ma-
reschal lui avait faite au bras dans le courant d'avril.
6. Le Dictionnaire de V Académie de 1718 ne donnait ce participe
qu'au sens propre. Littré a négligé le présent emploi au figuré.
7. J'ose vous demander corrige je vous demande.
8. Tome XVI, p. 382. Mme de Sévigné appelait sa petite-fille mes
petites entrailles.
9. Ce mot, écrit à la française deindé, n'est pas souligné dans le
manuscrit.
[17U] UE SAINT-SIMON. 243
l'autre; enfin, do mon fait particulier, pour lequel vous
avez une lettre ostensible, une analyse de ce mémoire
ostensible, enfin des éclaircissements de l'un et de l'autre
encore ostensibles, car le mémoire même seroit trop long
pour être montré, et une seconde lettre en supplément
de mémoire. Souvenez-vous encore avec bonté que ma
cause dépend de l'autorité royale, que j'ai mise de mon
coté par un raisonnement en soi véritable, et que le
juge' ne considérera pas comme étranger au fait, bien
qu'il le soit, mais comme le seul motif de décision ; et
n'oubliez pas que vous croyez que, si on s'obstine contre
moi, un dédommagement pour moi dans mon second
iils- peut ne pas être regardé comme bien solide à espé-
rer, mais ne doit pas aussi être regardé comme une chi-
mère à n'oser proposer. Après tout cela, ne seroit-ce
point outrecuidance de vous remémorer Chaulnes en nou-
velle érection par amitié vôtre, non par votre propre per-
suasion ? Pardonnez-moi, Monsieur, toutes ces redites,
vous qui savez et possédez trop mieux ^ tous les points
que je range ici, selon mon désir, les uns de préférence
aux autres, suivant que je les ai mis. L'assignation à de-
main (du travail décisif avec le Roi) ' me donne le frisson
et la sueur. J'en dis pour mon âme, avec toute la résigna-
tion que je puis, mon In mamis^ à Dieu, et je vous le dis
à vous. Monsieur, pour cette dignité, squelette le plus
chéri et le plus précieux de tous biens que je tienne des
libéralités royales. Après tout, il n'y a qu'à s'abandonner
4. Et est en interligne, eiJvge est écril pur une majuscule
•2. Ci-dessus, p. 221-222.|
3. Trop mieux n'est pas dans le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ;
mais Lillré l'a relevé dans Gresset.en notant le présent passaf^e. Nous
avons déjà rencontré trop plus que dans le tome XVII, p. 3'24.
\. Ce passage est ainsi placé entre parenthèses comme ne figurant pas
ilans la lettre originale.
o. In manus tuas. Domine, commendo spiritum meum (Évangile
selon saint Luc. cliap. xxiii, verset 46). Cette fois encore, les deux
mots latins ne sont pas soulignés.
«JU
MEMOIRES
[1714]
Lettre de M. le
Chancelier à
M. le duc de
Saint-Simon.
à la volonté de Dieu, à vos nerveux et vifs raisonne-
ments, aux effets de la grâce ou de la nature, et, quoi
qu'il en arrive, à une reconnoissance et à un dévoue-
ment pour vous. Monsieur, que ces occasions uniques me
font sentir qui peuvent s'enfoncer, s'il se pouvoit, plus
avant que le cœur. Pour le secret, il est, Monsieur, et
sera entier. »
Au sortir d'avec le Roi, le lendemain 12, le Chancelier
m'écrivit ce billet :
« Je ne puis encore vous tirer des limbes' aujourd'hui.
Monsieur. Supportez vos ténèbres encore quelques jours;
mais supportez-les avec espérance d'en sortir bientôt avec
avantage ; et, si le soleil ne vous paroît pas aussi favo-
rable que vous le voudriez, vous aurez tort, si je ne me
trompe, et très grand tort. Je suis à vous. Monsieur, mais
à condition que vous n'aurez aucun tort. »
Deux - jours après, je retournai à Marly par Versailles,
c'est-à-dire le samedi, où je vis le Chancelier à mon aise,
l't^dlt résolus^ Là, j'appris que mon mémoire sur l'autorité du Roi l'avoit
ramené à mon point, et que la fixation du rang seroit
réglée à la réception de l'impétrant, et non plus à l'enre-
gistrement des lettres. Ainsi, après avoir perdu ma cause
sur des raisons invincibles pour moi, qui ne purent ni
faire d'impression, ni trouver de réponse, je la gagnai
sur d'autres tout à fait ineptes ^ à ce dont il s'agissoit,
mais qui remuèrent le premier mobile du juge ; et voilà
que sert d'être bien averti et servi. Je rendis mille grâces
au Chancelier, qui ouvrit la conversation par là, appa-
i. « On appelle limbes le lieu où, selon le langage de quelques théo-
logiens, étoient les âmes de ceux qui étoient morts en la grâce de Dieu
avant la venue de Notre-Seigneur » (Académie, i7i8). V Académie en
fait un substantif masculin ; Saint-Simon le mettra cependant au fémi-
nin ci-après, p. 248.
2. Ici, la plume change.
3. Mot déjà rencontré au sens d'inapte, inapplicable, dans le tome
XVI, p. 204; on le trouve au sens moderne, ci-dessus, p. 2 et 223,
et ci-après, p. 2oy.
J'apprends
du Chancelier
les articles de
[1711] UE SAI.NT-SIMO.X. 245
remmen* pour mo calmer sur le reste, et ce ne fui pas
sans réflexions sur les motifs des jugements. Il me dit
ensuite que la double séance du père et du fils, môme
ensemble, avoit enfin passé après de grands débats, en
considération de la nouvelle faveur à la postérité légiti-
mée. Ce point me fit encore plaisir. Le venin fut à la
queue', je veux dire le point du sacre-, sur lequel le
Chancelier m'assura avoir insisté de toutes ses forces, mais
vainement, la considération des bâtards seule ayant fait
tenir ferme au Roi. Alors je sentis bien que c'étoit une
affaire conclue, et sans nulle espérance de retour, et,
après les premiers élans, que je ne pus arrêter, je con-
traignis le reste pour éviter des remontrances là-dessus
insupportables. Les articles des femelles, des ayant-
cause, etc., ceux de la substitution, et du rachat par les
mâles, tels que nous les avions projetés^, et Chaulnes,
favorablement résolus, je m'informai après des raisons
pour lesquelles le règlement demeuroit encore secret. Le
Chancelier m'avoua qu'il n'en devinoit aucune, ayant vu
la chose dix fois prête à éclore, sinon que le Roi avoit
peut-être dessein de faire voir ce projet au duc du Maine
avant qu'il fut déclaré, pour être en état d'y changer, si
ce cher fils y trouvoit quelque chose encore à désirer*.
Cela^ même me fit grand peine, pour ce peu qui s'y trou-
voit de bon. Je pressai le Chancelier de finir cette affaire
dès ce qu'ih y verroit le moindre jour, et je regagnai
I. Traduction do l'adago latin : In cauda venenum. o On dit prover-
bialement et tigurémeni à la queue le venin, pour dire que c'est sou-
vent à la lin des alTaires que l'on trouve le plus do <lifliculté » (Acadé-
mie, 171 S).
■2. Ci-dossus. p. 188. — :H. Ci-dessus, p. 179-181.
4. Celle crainte n'était pas superflue ; on trouvera ci-après, p. ■iH'i,
un court mémoire du duc du Maine au Chancelier qui semble bien mon-
trer quoique désir do faire compléter l'article de l'édit qui le rofjardait.
5. Cela surcharge sa.
6. Xous avons déjà rencontré, tome XIX, p. H)t, celte locution dès
ce que, qui semble particulière à Saint-Simon.
2;6
MEMOIRES
[1741]
Je* confie
au duc
de Beauvillier
et au duc et à
la duchesse
de Chevreuse
que Chaulnes
va être réérigé
pour leur
second fils.
L'édit en gros
s'évente.
Mouvements
de Matignon
et des Rohans ;
leur intérôt.
Marly pénétré du sacre, et en grand soupçon de la
double séance, et en repos sur mon affaire particulière
par la raison qui me la faisoit gagner après l'avoir perdue.
Arrivé à Marly, je ne pus me contenir de confier au
duc de Beauvillier, dont je connoissois le profond secret,
celui qui lui causeroit tant de joie. Il étoit déjà couché :
j'ouvris son rideau, et lui dis sous le secret, dont j'étois
si sûr avec lui, que son neveu alloit être fait duc et pair.
Il en tressaillit de joie. Il me parut comblé de la mienne,
et de la part que j'avois eue en une affaire qu'il desiroit
si fort, mais dont aussi il ne connoissoit pas moins que
moi le peu de fondement, comme il me l'a souvent avoué
devant et après. Je ne voulus lui confier rien ^ du reste,
qui ne le touchoit pas si précisément, et j'allai écrire à
Mme de Saint-Simon, qui étoit encore à Paris. Dès le len-
demain matin, elle envoya prier la duchesse de Che-
vreuse, notre très proche voisine-, de venir chez elle.
Elle la transporta de la plus sensible joie et de la plus
vive reconnoissance pour moi en lui apprenant le comble
de ses désirs sous un secret entier, excepté pour le duc de
Chevreuse, qui ne tarda pas à lui en venir témoigner au-
tant. Cependant la mine commença à s'éventer^ sur le
règlement. J'en fus en peine pour la chose en elle-même,
et plus encore sur mon compte particulier avec le Chan-
celier ; mais' le Roi avoit parlé à d'Antin, et celui-ci à
d'autres, comme nous le vérifiâmes presque aussitôt. Là-
dessus, grands mouvements* de Matignon et de toute sa
séquelle. Le mariage de son fils unique, infiniment riche,
1. Rien est en interligne.
2. On a vu dans le tome II, p. 342, que l'hôtel de Chevreuse ou de
Luynes était situé rue Saint-Dominique, en face l'église Saint-Thomas-
d'Aquin.
3. Locution déjà rencontrée dans le tome XIX, p. 210.
4. Il y a grds au pluriel, et mouvem' au singulier.
"Je surcharge d'autres lettres, probablement J'apfprejids], qui a com-
mencé la manchette précédente.
[171 1| DE SAINT-SIMON 147
ôtoit arrêté avec une fille du prince de Hohan ' moyen-
nant qu'il fût duc d'Estouteville', et les Rohans ne s'y
épargnèrent pas. Je craignis d'autant plus ce contre-
temps (jue, le 17 mai, rien ne se déclara, quoique le Chan-
celier eût encore travaillé avec le Roi', et, à ce qu'il
m'avoit dit, pour la dernière fois. L'inquiétude me fit lui
écrire ce mot de Marly à Versailles :
« Vous êtes demeuré seul. Monsieur, un quart d'heure Lettre
avec le Roi après le Conseil, et vous n'êtes pas demeuré , ®c • . c- "*^
r ' r desaint-biruon
pour un autre cette après-dînée, qui a duré une heure et à M. le
demie, et qui a rompu chasse, chiens et vêpres ^ Les Chancelier
affaires d'État, je les respecte et m'en distrais^; les autres
qui se dévoient déclarer aujourd'hui me poignent^ par
leur silence. Mme de Ventadour auroit-elle tout troublé
hier avec son inepte Estouteville ', ou le Roi veut-il que
l'enregistrement soit fait pour le général avant de rien
I. Nous avons vu dans le tome XVII. |i. 77-78, que cette Rohan
n'épousa pas M. de Matignon, mais devint duchesse de la Meilleraye,
tandis que Matignon épousa Mlle de Monaco.
"2. Tome XX, p. 285.
3. Dangeau n'a pas mentionné ce travail ; mais, ce jour, dimandie
17 mai, il dit : « Il va paroître une déclaration du Roi sur les duchés;
elle doit être registrée jeudi. Les duchés femelles ne passeront aux
lilles qu'une fois, et ces filles ne pourront être mariées que de l'agré-
ment du Roi. et puis la duché deviendra masculine. Les enfants des
princes légitimés de France précéderont les autres pairs, pourvu qu'ils
aient des pairies, quelque nouvelles qu'elles soient, et représenteront
même au sacre les anciens pairs du royaume. Ils ne seront reçus au
Parlement qu'à vingt ans; les princes du sang y sont reçus à quinze,
quand même ils n'auroienl pas de pairie. Il y a encore d'autres choses
dans cette déclaration que nous ne savons pas encore. » Les Mémoires
de Sourches n'en parlent qu'au 24 mai, en donnant le texte de l'édil.
i. Voyez ci-après, p. 2i9, l'explication de ce passage.
ri. Saint-Simon a écrits : distraits.
G. Nous avons eu, dans le tome XIX, p. 80, un premier eni|)loi de
ce verbe.
7, Mme de Ventadour était mère de la princesse de Rohan et poussait
beaucoup au mariage de sa petite-fille avec le fils de Matignon, moyen-
nant la rééreclion du duché d'Estouteville.
2'f8
MEMOIRES
[17H]
De M. le
Chancelier à
M. le duc de
Saint Simon.
déclarer? Enfin, Monsieur, a-t-on changé en tout ou en
partie, et ces limbes' perpétuelles s'invoqueront-elles tou-
jours successivement? Pardonnez-moi, s'il vous plaît,
toutes ces questions ; mais sachez, s'il vous plaît, que
M. de la Rocheguyon et MM. de Cheverny et de Gama-
ches- m'ont parlé aujourd'hui d'un règlement prêt à
éclore pour couper court à toute prétention, et d'Antin à
la queue : à quoi j'ai répondu avec une ignorance natu-
relle. Cependant il faut bien que quelqu'un ait parlé, et
je me flatte que vous croyez bien que ce n'est pas moi.
Personne ne parle du détail, mais seulement en gros^. Je
vais demain*, après dîner, à Paris, et je serai à la tor-
ture, si vous n'avez pitié de moi par quatre lignes. Je me
prépare à tout, et suis à vous, Monsieur, avec tout dévoue-
ment possible ^ »
Ce billet me fut renvoyé sur-le-champ, avec cette ré-
ponse sur la feuille à côté :
« Demeurez en repos, Monsieur, tout est remis à
mardi ^ Ce qu'on a changé aujourd'hui est peu de chose.
Les grands principes subsistent toujours ; rien de tout ce
que vous faites entrer dans le délai n'y entre. Il faut se
déterminer : on veut, et on ne veut pas ; et voilà tout.
J'ignore le sujet, le détail, et le résultat du Conseil dont
vous me parlez. Monsieur. Je ne m'étonne point que ces
Messieurs vous aient dit ce qu'ils vous ont dit ; cela n'est
que trop public ; l'essentiel est que le détail s'ignore; car
il blesseroit sans doute autant que le gros est indifférent.
Je suis tout à vous. Monsieur. »
1. Ci-dessus, p. 244.
2. Claude-Jean-Baptiste-Hyacinthe Rouault (tome I, p. 104), qui
avait quitté depuis 1704 le titre de comte de Cayeux pour celui de
marquis de Gamaches.
3. Voyez l'article de Dangeau reproduit ci-dessus, p. 247, note -3.
4. Le lundi 18 mai. — Avant demain Saint-Simon a bifië disner.
5. Ainsi, dans le manuscrit.
6. Voyez en effet l'article du 19 mai dans le Journal de Dangeau,
p. 408.
qu'ils y sont.
f 171 11 DE SAIXT-SIMON. ^2iO
Soil (lil ontro pnrcnthi'sc qu'im courrior d'Anglcforre
arrivô pendant le dîner du Hoi, et après le départ du
Chancelier, fit rassembler le Conseil sans lui', auquel le
Hoi fit lire au Conseil suivant la- dépêche et la réponse.
Telle étoit l'incomniodité de Marly.
Ce 17 susdit étoit un dimanche, jour de conseil d'États
Le lundi se passa en inquiétude de ma* part sur ce peu de
chose que le Chancelier m'avoit mandé avoir été changé.
Son langage m'avoit appris que peu de chose en cette ma-
tière étoit beaucoup. Le mardi 19, jour de conseil de fi- Ledit passe,
nances^ et le premier après celui du dimanche, un quart aontj apprends
d heure de tète-a-tètc du Chancelier avec le Roi mit la dcr- Her tous les
nière main à l'édit". Le Chancelier le fit mettre en forme articles tels"
aussitôt après à Versailles, l'y scella, et l'envoya au Par-
lement, où il fut enregistré le surlendemain, jeudi 21 mai'.
1. Dangeau (p. 407) ne parle pas de courrier d'Angleterre ; il dit
seulement : « Le Roi devoit aller tirer l'après-dînée ; mais il changea
de dessein et renvoya chercher le Dauphin et les ministres et travailla
encore une heure avec eux. » Il n'en est pas question dans les Mémoires
(le Sourches, et le Journal de Torcy présente une lacune à cette date.
2. Avant la, Saint-Simon a biffé lire, répété par mégarde.
3. Le conseil d'État ou conseil d'En-haut se tenait le mercredi, le
jeudi et le dimanche (notre tome V, appendice I, p. 441).
4. Ma surcharge un premier ma.
6. Notre tome VL appendice I, p. 498. Ce même jour, il y avait
conseil de dépêches l'après-midi.
(i. Danç/eau, p. 408 : « M. le Chancelier demeura quelque temps
bcul avec le Roi après le conseil de dépèches, pour recevoir ses der-
niers ordres sur la déclaration qui doit être registrée au Parlement
jeudi. »
7. Registres du Parlement, X'A 8427, fol. i43, et 8708, fol. 243
registres du Secrétariat de la maison du Roi, 0' .^.H, fol. 0)8-72. Le
texte en est donné an long dans les Mémoires de Sourches, lonie XIH,
|). 114-1 lil. Outre les réflexions de notre auteur dans ses Ecrits inc-
dit/i, ((ime III, p. 17-22, on tnuivera des « Observations « anonymes
dans le carton K 620 des Archives nationales, n° 7. d'autres dans le
Souieau Mercure historique de mai, p. 115-123, et I' « Avis « de Da-
-iiesseau au tome VII de ses (Euvres, p. 398-607. Saint-Simon avait fait
• L'initiale de (vis surchar^'e une / effacée du doi^t.
250
MEMOIRES
[-1741]
Double séance
rejetée,
et Chaulnes
différé, après
avoir été
accordés.
J'allai ' trouver le Chancelier à Versailles, de qui j'ap-
pris que ce peu de chose qu'il m'avoit mandé avoir été
retranché étoit la double séance des pères démis, et
Chaulnes ; que le Roi, après avoir accordé l'un [et
rjautre, n'avoit pu enfin se résoudre à la double
séance, et que, prêt à lâcher le mot sur Chaulnes comme
il l'avoit résolu avec le Chancelier, il avoit payé de pro-
pos d'espérance certaine, mais sans avoir pu être per-
suadé de passer outre actuellement. Le dernier billet du
Chancelier m'avoit fait douter de la double séance : j'y
étois préparé; je ne l'étois point au délai en l'air- de
Chaulnes, et j'en fus d'autant plus fâché que j'y avois
plus compté, et que j'en avois donné la joie à M. de
Beauvillier, et fait donner par Mme de Saint-Simon à
M. et à Mme de Chevreuse^. Les arrangements de M. de
Chevreuse lui ont coûté cher plus d'une fois ^ S'il avoit
été à Marly, son affaire s'y seroit sûrement finie, comme
je sus bien le lui reprocher vivement^. Je ne répondrois
pas que la pique ^ du Roi sur ses absences ne lui ait' valu
ce tire-laisse ^ Il est^ certain que, depuis que la chose fut
accordée en travaillant avec le Chancelier, elle ne balança
plus ; mais le Roi se plut à faire durer cette inquiétude,
un premier récit de la part qu'il prit à la rédaction de l'édit dans la
Notice sur la maison de Saint-Simon : tome XXI et supplémentaire
de l'édition des Mémoires de 1873, p. 128-129.
1. Ici, la plume et l'écriture changent, indiquant un arrêt dans le
travail.
2. Tome XVI, p. 299. — 3. Ci-dessus, p. 246.
4. Voyez le tome XIX, p. 30, et ci-après, p. 253.
5. Ce qui précède, depuis co'^, a été ajouté en interligne.
6. On a eu pique, au sens de dispute, dans le tome XIX, p. 348
ici c'est plutôt celui de mécontentement.
7. Le mot ait surcharge peut-être ay.
8. Mot déjà rencontré dans le tome I, p. 50. « Tire-laisse, terme du
discours familier et bas, qui se dit lorsqu'un homme vient à être frus-
tré tout d'un coup d'une chose qu'il croyoit ne lui pouvoir manquer »
(Académie, 1718).
^ Il est surcharge les lettres ccrt.
[17111 DE SAINT-SIMON. 2.H4
et à la pousser quelques mois'. L'éclit fit, à l'ordinaire, le
bruit et la matière des conversations que font les choses
nouvelles. Nous y perdions trop pour être contents, nous
y gagnions trop pour montrer du chagrin, et- sur chose
qui touchoit si personnellement le Roi, et qui étoit faite.
Notre parti fut une sagesse sobre, modeste, et peu répan-
due en propos, ni même en réponse. Le Chancelier, con-
tent au dernier point de son édit, trouvoit que je le devois
être parce que j'y gagnois deux pi-ocès en commun, et un
en particulier ^ ; mais aucun gain ne pouvoit me compen-
ser les deux premiers articles. L'édit est entre les mains
de tout le monde ; ainsi, je l'ai omis parmi les Pièces*.
J'allai faire mon complimenta d'Antin^ : je ne sais^ si D'Antin,
le chaudement de la face de la cour par la mort de Mon- reçu duc et pair
" . . . J , . au Parlement ;
seigneur lui fit quelque impression à mon égard ; quoi- In'in^ite seul
que, dès l'introduction de l'affaire, il m'eût parlé avec d'étranger au
des politesses qui allèrent aux respects^ il me les prodi- se montre
gua en cette visite. Il ne tarda pas à profiter de la grâce content que j'y
qu'il avoit su si habilement se procurer : il fut enregistré
et reçu au Parlement le même jour, 5 juin suivant*. Il
i. Nous verrons dans le prochain volume que le duché de Chaulnes
ne fut érigé en faveur du vidame d'Amiens qu'en octobre 1711.
2. Et est en interligne.
3. Ceux contre le duc de Luxembourg et contre d'Antin, et celui
contre M. de la Rochefoucauld.
4. Nous en donnerons cependant le texte à l'Appendice, no VII.
Voyez aussi aux Additions et corrections, ci-après, p. 506.
5. La nouvelle de la conclusion de son affaire courut le 19 mai :
Sourches, p. iO"! et 144.
6. Scay surcharge des lettres effacées du doigt.
7. Tome XX, p. 276.
8. Registres du Parlement, X'A 8-427, fol. 445 v», et 8708, fol. 248
Journal de Dangeau, p. 449 ; Mémoires de Sourches, p. 427. Les
lettres d'érection ont été imprimées dans l'Histoire généalogique,
tome V, p. 467-170 ; elles furent enregistrées à la Chambre des comptes
le 3 septembre, et au parlement de Toulouse le 48 novembre.
* Le surcharge se, et, après monstre, Saint-Simon a bifîo conla[nt] ; de
plus aye corrige eu«[«cj.
2N2
MEMOIRES
7111
donna ensuite un
qu'une quinzaine de
grand dîner chez
lui, où il n'y eut
personnes d'invités', hommes et
Adresse
et impudence
de d'Antin.
Sagesse et
dignité
de BoufQers.
femmes de sa famille ou de ses plus particuliers amis.
Charost et moi y fûmes les deux seuls étrangers ; encore
Charost avoit-il toujours vécu avec lui à l'armée. Il s'en
falloit tout-, comme on l'a vu, que j'en fusse là avec lui,
Non content de m'envoyer prier chez moi, de m'en prier
lui-même dans le salon à Marly, il m'en pressa encore
tellement au Parlement pendant la buvette ^ qu'il n'y eut
pas moyen de l'éviter. Il me fit les honneurs du repas et
de sa maison avec une attention singulière* et, de retour
à Marly, je m'aperçus aisément, aux gracieusetés que le
Roi chercha à me faire, que je lui avois fait ma cour
d'avoir été de ce dîner. Le favori mit son duché-pairie sur
sa terre d'Antin ^ en courtisan leste et délié : il dit que ce
nom lui étoit trop heureux pour le changer; il pouvoit
ajouter, quoique de bien autre naissance que le favori
d'Henri IIP, que ce nom d'Épernon, qu'il avoit rendu si
grand et si célèbre, lui seroit, et aux siens, trop difficile
à soutenir. Il fit' un trait d'impudence au delà de tous
les Gascons * : il osa prier le maréchal de Boufïlers d'être
l'un de ses témoins. Le maréchal en fut piqué, sans oser
1 . Il y a bien invités, au masculin dans le manuscrit.
2. « Falloir se dit aussi dans le sens de manquer, et alors il ne
s'emploie qu'avec la particule en et le pronom de la troisième per-
sonne : il s'en est peu fallu, il ne s'en est presque rien fallu ^^ {Aca-
démie, 1718).
3. Tome XIX, p. 109.
4. Singulières corrigé en singulière.
0. La terre d'Antin, située en Bigorre, à quatre lieues et demie
N. E. de Tarbes, avait été érigée en marquisat en 1612, en faveur du
bisaïeul du nouveau duc. Quatre seigneuries voisines furent unies à
celle d'Antin pour constituer la valeur d'un duché.
6. Jean-Louis de Nogaret, premier duc d'Epernon : tome II, p. 22.
7. Il semble qu'il y a fut, dans le manuscrit, corrigé en fit par
l'addition d'un point sur le premier jambage de Vu.
8. On a vu dans le tome XV, p. 411-113, combien il était décrié au
point de vue de la bravoure.
(ITllI l)K SAINT-SIMON l-oA
refuser une chose cjui ne se refuse |)oiiil ; mais il ne vou-
lut point sigULM* le témoignage banal '.qu'on lui apporta,
il en lit un qu'il me montra pour lui en dire mon avis.
J'y aclniiiai connuenl la vertu sup[)lée à tout: sans rien
de grossier, il ne s'y rendit coupable d'aucun mensonge,
et j'ai toujours eu envie d'en avoir une copie, tant il
ni'avoit plu -.
Matignon lut ;ui dc-sespoir : il s'étoit mis la chimère , Douleur
,,„ 111 I . )i , • ,. • , .de Matignon,
tl hstouteville dans la tête', qu d esperoil laii'e r<'ussir et son affair<
par le mariage île son (ils avec une fille du prince de avec le duc
Hohan '. Il ny en avoit point de si folle ; je me contente
de ce mot parce qu'il n'en fut tpiestion que dans leur
projet. Cela seul lui avoit fait entreprendre un grand pro-
cès contre la duchesse de Luynes^ : il le perdit sans per-
dre son dessein de vue, et il étoit entré en accommode-
ment pour faire en sorte que la terre d'Estouteville lui
demeurât, en payant cher la connivence ^ C'étoit cette
affaire prête à conclure qui avoit empêché M. de Che-
vreuse d'aller à Marly '. Il nous donnoit un procès par cet
accommodement, auquel l'édit coupa pied* ; mais il étoit
ami des chimères de cette sorte, et il trouvoit un grand
profit dans cet accommodement. Sa lenteur ordinaire, et
ses demandes, énormes au gré de Matignon, avoient
I. Il écrit bannal.
"2. On trouvera le texte de ce « témoignage » dans l'appendice VIII,
ci-après, p. 465, avec ceux des autres témoins: M. de la Briic, curé
de Sainl-Germain-l'Auxerrois, le duc d'Aumont, le marquis de Biron
et le comte de Sainte-Maure, d'après l'expédition authentique, signée
du greflier Dongois, qui se trouve aux Archives nationales, carton
K617. n-tl.
3. Tome XX, p. -285 et appendices XII et .Mil.
4. Ci-dessus, p. '247. — 3. Tome X.K. p. 'J5 et 283.
G. « Connivence, tolérance, dissimulation dans les choses qu'on doit
ou qu'on peut empêcher » {Académie, 1718). On a eu ci-dessus, p. 169,
le verbe conniver.
7. Ci-dessus, p. 2.30.
8. .< On dit couper la racine d'un mal pour dire en ôler la cause,
et on dit en ce sens couper pied a quelque abus » {Académie, 1718).
^254 MÉMOIRES [1711]
traîné' l'affaire, qu'aucun des- deux ne vouloit rompre,
l'un par intérêt pécuniaire, l'autre par intérêt d'ambition :
tous deux espéroient de se faire venir l'un l'autre à son
point ^. Avec ces pourparlers, l'affaire languit jusqu'au
temps de l'édit, et ne fut conclue et signée que la sur-
veille de sa déclaration. M. de Chevreuse, instruit par
d'AntinS vit bien alors qu'il n'y avoit plus de temps à
perdre, et Matignon, ravi d'aise d'avoir enfin Estouteville,
et à meilleur marché qu'il n'avoit espéré, se hâta de finir.
Trois jours après la signature, il apprit l'édit et son con-
tenu, qui lui ôtoit toute espérance du seul usage d'Estou-
teville pour lequel il s'en étoit si chèrement accommodé.
Le voilà donc aux hauts cris : il prétendit que le duc de
Chevreuse ne s'étoit pressé tout à coup de conclure que
de peur de n'y être plus à temps après l'édit, et qu'il
étoit ^ cruellement lésé dans une affaire qu'il n'avoit ter-
minée que pour un objet connu à M. de Chevreuse, et
connu lors de la conclusion pour ne pouvoir plus être
rempli. M. de Chevreuse, à son ordinaire tranquille, sage
et froid, laissa crier, et prétendit de son côté que Mati-
gnon y gagnoit encore pécuniairement ce qu'il avoit bien
voulu donner à la paix et à son repos. Les Rohans, déçus
de leurs espérances, retirèrent leur parole, qui n'étoit
donnée qu'au cas de succès de la chimère, et, honteux
d'avoir porté si publiquement l'intérêt de Matignon contre
M. de Chevreuse, dont ils étoient si proches®, dans le pro-
cès que Matignon avoit perdu, ne se voulurent pas mêler
4. Au sens de faire traîner. — 2. Des surcharge ne.
3. <c On dit faire venir quelqu'un à son point, pour dire l'obliger,
l'engager adroitement à faire ce qu'on veut, le faire condescendre à
ce qu'on souhaite » (Académie, ITdS).
4. On a vu dans le tome XX, p. 282, que M. de Chevreuse ne
s'était point rangé du côté des ducs contre les prétentions de M. d'Antin.
5. Estait surcharge avoit, effacé du doigt.
6. Le connétable de Luynes, grand-père de M. de Chevreuse, avait
épousé Marie de Rohan-Montbazon, et il y avait eu depuis plusieurs
autres alliances entre les deux familles.
Duc de la
Roclioguyon
avec moi.
[1711] DE SALXT-SIMON. ioo
do SOS plaintos. La réputation si ' bien ôtablie de M. de
Chevreuso riicrva- tout ce que Matignon voulut dire, et
les immenses richesses que ce ilernier avoit tirées de
l'abandon d'amitié de Chamillart pour lui ' rendirent le
monde ioit dur sur sa mésaventui'o.
Ln mois après l'enregistrement de l'édit, le Chancelier
me manda qu'il seroit bien aise de m'entretenir sur une fait au
visite qu'il avoit reçue du duc de la Rocheguyon*. Il Chancelier des
,,. •. I • , < I • < . j M 11' Il 1 plaintes de
S etoit plaint a lui amèrement, au nom de M. de la Roche- l'/dit, prétend
foucauld et au sien, de la décision que l'édit faisoit en en revenir
ma faveur sur notre question de préséance, et lui dit leur ^^^ 3séancc
dessein d'en parler au Roi. Le Chancelier lui objecta les qui le refroidit,
arrêts de Bouillon et de la Meilleraye en lit de justice ^ ,^^-}'^,^^^
, i. , 11 • j T> • 1) I ' • 1 ' de > illeroy,
un edit récent, et le dessein du Roi dy décider ce pro- entièrement et
ces avec tous les autres. La Rocheguyon insista. Le Chan- P"""" toujours
celierse tint couvert \ mais sans lui dissimuler qu'il savoit
l'état de la question. L'autre, dans le dessein d'en tirer
au moins quelque parti, glissa quelque chose tendant au
même règlement qui subsiste entre les ducs d'Lzès et de
la Trémoïlle", chose inepte^ parce que nos pères n'ont pas
\. Si corrige d[e], et, après bie7i, la plume change.
"l. Verbe déjà rencontré au ligure dans nos tomes V, p. 144, et
xviH. p. an.
3. Déjà dit tomes L\, p. 36-37, XV, p. 381, et XVI. p. 398.
4. Voyez à l'Appendice, n-^ VII, une lettre du Chancelier que Saint-
Simon avait peut-être sous les yeux lorsqu'il écrivait le présent passage.
o. Ci-dessus, p. "lOO-'lOU.
6. Nous avons eu se tenir clos et couvert dans le tome XIX, p. 269.
7. Dangeau dit au 11 décembre 1688 (Journal, tome II, p. 228-
229): « M. le duc d'Uzès, qui a été nommé après M. de la Tré-
moïlle pour la cérémonie des chevaliers [de l'ordre du Saint-Esprit],
prélendoit qu'il dcvoil être nommé le premier, comme plus ancien pair ;
mais S. M. a jugé en laveur de M. de la Trémoïlle, parce qu'il est plus
ancien duc, et que c'est ici une cérémonie de cour où l'on marche selon
l'ancienneté des duchés ; mais, au sacre des Rois, aux parlements et
aux Etats, on marche selon le rang des pairies. » Le duché de la Tré-
moïlIe-Thouars, érigé en 1533, n'était devenu pairie qu'en 1.393, tandis
que celui d'Uzès, érigé en 1303, a%ait étéélevé au rang de pairie dès 1372
8. Ci-dessus, p. 244. Ici ce mot est pris dans le sens moderne.
236
MEMOIRES
[1711
été séparément faits ducs, et après pairs, comme ceux de
MM. d'Uzès et de la TrémoïUe. Il finit en soutenant sa
pointe', et proposant des écrits qu'il alloit faire préparer.
Le Chancelier lui dit qu'il étoit le maître, et reconduisit
honnêtement. La chose en demeura là pour lors ; on en
verra les suites en leur temps-, qui ne réussirent pas à
M. de la Rochegujon ; mais cette affaire, venue à la suite
de la mort de la duchesse de Villeroy % refroidit tout à
fait l'amitié et le commerce étroit qui avoit été jusqu'alors
entre les ducs de \ illeroy, de la Uocheguyon et moi : il
se réduisit peu à peu aux bienséances communes, et en
est toujours demeuré là depuis, jusqu'à leur mort longues
années après ^.
Fâcheux M. de Luxembourg fit, à l'occasion de l'édit, un per-
^^"^^duc^de " sonnage dont un peu d'esprit ou de mémoire lui auroit
Luxembourg épargné la façon. On a vu ^ que le projet qui servit de
base à l'édil avoit été fait par le premier président d'Har-
lay de concert avec Daguesseau depuis chancelier, et
avec le Chancelier lors secrétaire d'Etat et contrôleur gé-
néral ; qu'Harlay étoit le conseil, l'ami, pour ne pas dire
l'âme damnée du maréchal de Luxembourg jusqu'à s'être
déshonoré par la partialité criante et publique dont les
injustices les plus inconsidérées nous forcèrent à sa récu-
sation ; enfin, que, ce projet communiqué, par la permis-
sion du Roi, au maréchal de Luxembourg pour ce qui le
regardoit, et à M. de Ghevreuse, il y avoit pleinement
consenti, et ne l'avoit pas fait sans avoir bien sondé sa
cause, et sans le conseil du premier président d'Harlay^
d. On a déjà eu suivre sa pointe dans le tome V, p. 54.
2. Voyez la suite des Mémoires, tome X de 1873, p. 86-87 et 143-
448.
3. Ci-dessus, p. 429-434.
4. Le duc de la Rocheguyon, devenu duc de la Rochefoucauld,
mourut en 4728, et le duc de Viileroy en 4734.
o. Ci-dessus, p. 443, 444 et 447. — 6. Ci-dessus, p. 444.
* Avant cette manchette, Saint-Simon a biffé la suivante, qu'il avait
d'abord écrite sur la marge : a Duc de Luxembourg à Rouen. »
sur l'édit ; est
à Rouen, et
pourquoi*.
[1711] UE SALNT-SIMON. 257
Le niarcclial de Luxembourg vivoit avec son fils dans une
union et une confiance peu communes', à laquelle ce fils
répondoit pleinement, et cette intimité n'éloit ignorée de
personne. Il avoit donc- eu connaissance du projet en
même temps que son père et que le duc de Chevreuse
son beau-père^, dont la liaison avec eux étoit au plus
intime, et qui étoit leur conseil. Le fils avoit le même
intérêt que le père en ce qui les regardoit dans le projet,
et son consentement avoit été donné avec le sien. Il étoit
à Rouen lorsque l'édit fut résolu. Il y avoit eu du désordre
pour les blés*. Courson', intendant de Rouen, iils de
Bàville, en avoit toute la hauteur et toute la dureté, mais
il n'en avoit pas pris davantage*'. C'étoit un butor", bru-
tal, ignorant, paresseux, glorieux, insolent du crédit et
de l'appui de son père, et surtout étrangement intéressé.
Cesqualités^ dont il n'avoit pas le sens de voiler aucune,
1. Commune corrigé au pluriel.
2. Donc est répété deux fois, en fin de ligne et au commencement
(le lu ligne suivante.
3. Le duc de Ijuxombourg avait épousé en premières noces, le 28
aoiit 1(386. Marie-Anne d'Albert, tille du duc de Chevreuse, née en
i(371 et qui mourut le 18 septembre 169i. Il s'était remarié en 1696
avec Mlle Gillier de Clérembault, que nous avons vue mourir en 1709
(tome XVIII. p. 230).
4. Il a déjà été parlé de celle sédition, arrivée en juillet 1709 à
Rouen et à Darnetal, dans le tome XVIIl, p. 113, cl notes 4 et 6.
Aux références indiquées alors, on peut ajouter le Journal de Dan-
geau, tomes XII, p. A(i\, et XIII. p. 3, les Mémoires de Sourches,
tome XII, p. 0-7. les lettres de Mme de Muintenon, recueil Ijossange,
tome I, p. 434 et 436, et un récit conservé dans le ms. Mazarine 2332,
fol. 182 v. Dangeau n'en avait dit que quelques mois au 3 Juillet 1709,
et les Mémoires de Sourches, un peu plus. Les éditeurs du Journal
ont ajouté en note un fragment de lettre de la marquise d'Huxelles.
M. de Luxembourg était resté dt'|)uis lors en Normandie.
5. riuiilaume-L'rbain de Lamoignon : tome XIV, p. 384 et 646.
6. Mi'nies term(>s (|ue dans le tome XVIII, p. 1 13.
7. Saint-Simon écrit ici : butort; le mot hn(((iln été ajouté en inter-
ligne, et Saint-Simon a écrit parmégarde ni(//iO;(/»^
8. Qualité, au singulier par mégarde.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 17
258 MÉMOIRES [1711]
lui avoient révolté * la province. La disette de blé, qui se
trouva factice et qui fut découverte, révolta la ville, qui
se persuada que Courson faisoit l'extrême cherté pour en
profiter, et qui, poussée à bout par ses manières autant
que par ses faits, et ayant manqué tout à fait de pain plus
d'une fois, s'en prit enfin à lui -, et l'eût accablé à coups
de pierres, s'il ne se fût sauvé de chez lui, et, toujours
poursuivi dans les rues, se sauva enfin chez le premier
présidents Voysin et sa femme, amis de M. de Luxem-
bourg dès la Flandre % saisirent cette occasion de lui pro-
curer l'agrément, devenu si rare à un gouverneur de pro-
vince, d'y aller faire sa charge. Voysin, dans la première
fleur ^ de sa place et de sa faveur, l'obtint aisément. M. de
Luxembourg, apparemment, s'y trouva bien, ou voulut
accoutumer le Koi à le voir en Normandie sans nécessité :
il y demeura donc après que tout fut apaisé, ce qui ne se
put qu'en pourvoyant effectivement aux blés, et en ôtant
à Rouen et à la province un intendant aussi odieux. Un*
autre auroit été chassé du moins, depuis que la robe met
à couvert de toute autre punition ; mais le fils de Bâville
eut un privilège spécial pour désoler et piller de province
en province : on l'envoya à Bordeaux'', où il se retrou-
vera*. Il faut encore se souvenir que, lorsque d'Antin
commença son affaire, M. de Luxembourg se joignit à
1. Avaient révolté contre lui.
2. L'épisode est raconté dans la Correspondance des contrôleurs
généraux, tome III, n° 473.
3. Pierre-Nicolas Camus de Pontcarré: tome X, p. 200. M. de Cour-
son était cependant en conflit permanent avec le Parlement, à pro-
pos du commerce des blés (Correspondance, n° 392).
4. Tome XVII, p. 4o4-4o6.
o. « Fleur se dit figurément, en parlant de certaines choses, pour
signifier le temps où elles sont dans leur plus grande beauté, comme
un arbre chargé de fleurs; il se prend aussi figurément pour la première
vue, le premier usage d'une chose nouvelle » (Académie, 1718).
6. Une, dans le manuscrit.
7. Déjà dit en 1709, au tome XVIII, p. 113.
8. Le manuscrit porte : se tretrouverra.
[mi] DE SAINT-SIMON. 259
nous contre lui ', et qu'en même temps il reprit contre
nous la sienne, qu'il avoit laissé dormir depuis long-
temps, qui fut tout à la fois une bigarrure singulière.
L'édit résolu, le Chancelier, qui, amoureux de son
ouvrage, le vouloit rendre autant qu'il étoit possible
agréable- à tout le monde, fit souvenir le Roi du consen-
tement donné par feu M. de Luxembourg au projet^qui,
par rapport à lui, ne contenoit que la même disposition
de l'édit, et, sur ce principe, lui proposa de lui permettre
d'en écrire à celui-ci. Il ne se rebuta point du refus qu'il
reçut, et revint quelques jours après à la charge, et l'em-
porta. 11 écrivit donc à M. de Luxembourg, le plus poli-
ment du monde, pour lui faire bien recevoir la décision
que son père et lui avoient approuvé autrefois *. Il fut huit
ou dix jours sans réponse. Le Roi, impatient de savoir
comment M. de Luxembourg auroit pris la chose, et qui
n'avoit permis cette communication qu'à regret, se piqua
du délai de réponse, et commanda au Chancelier de
récrire, et sèchement. Celui-ci, fâché du reproche que
cela lui attiroit du Roi, obéit fort ponctuellement. M. de
Luxembourg, que la première lettre avoit fort surpris, et
embarrassé sur la réponse au point d'un si long délai sans
la faire, le fut bien plus de la recharge, et du st^le dont
il la trouva. 11 fallut pourtant répondre; mais il fut encore
cinq ou six jours à composer une lettre pleine de propos
confus et de raisons frivoles. Le Chancelier en fut piqué
au vif. Son honnêteté prodiguée, un succès tout contraire
à celui dont il n'avoit pas douté, le reproche du Roi,
qui se fâcha à lui d'une communication inutile et qui
tournoit si mal, mirent le maître et le ministre de mau-
vaise humeur. Le Roi voulut que le Chancelier répliquât
1. Tome XX, p. 278.
•2. Avant agréable, Saint-Simon a biffé un second rendre.
3. Ci-dessus, p. i44.
4. Voyez la note 1 de la page suivante.
260 MÉMOIRES [171i]
durement, qui n'eut aucune peine à exécuter cet ordre'.
M. de Luxembourg, qui, sans aucun esprit, étoit fort glo-
rieux, et sensible au dernier point-, fut outré. Il n'osa
répondre du même style. Son dépit redoubla à la vue de
l'édit avec son nom dedans, et sa cause à son gré per-
due. Le monde n'en jugea pas de même : le consente-
ment de son père, avec qui sa considération étoit tombée,
excita un parallèle peu agréable, et on le trouva heureux
de sortir de la sorte d'un méchant procès qui pouvoit lui
coûter sa dignité de duc et pair de Piney, et le réduire à
la sienne de duc vérifié '. La mort de Monseigneur avoit
l . De ces trois lettres successives adressées par Pontchartrain nu duc
de Luxembourjï, au dire de Saint-Simon, une seule nous a été con-
servée, la première, datée du 13 mai, et qui se retrouve à la Biblio-
thèque nationale, dans la copie de la correspondance du Chancelier,
ms. Fr. 21 433, fol. 403 ; on en donnera le texte ci-après, à l'Ap-
pendice, n° IX. Si l'on fait attention à sa date, 13 mai, et à celle
où l'édit fut enregistré au Parlement, 21 mai, on constate qu'il n'y
eut qu'une semaine d'intervalle, et l'on peut se demander si le récit
de notre auteur est exact. Saint-Simon, après avoir parlé de la pre-
mière lettre, dit qu'elle fut « huit ou dix jours sans réponse » ; cela
reporterait au 21 mai pour le moins la date de la seconde lettre, qui
fut suivie, «cinq ou six jours » après, de la réponse «pleine de propos
confus » du duc, et de la réplique « dure » du Chancelier, et néan-
moins M. de Luxembourg reçut celle-ci avant d'avoir connaissance de
l'édit (ci-après). De ce que les deux dernières lettres dont parle notre
auteur ne se trouvent point dans la copie de la correspondance du
chancelier, et aussi de ce qu'elles n'ont pu être envoyées dans le
court délai indiqué par Saint-Simon, ne serait-on pas en droit de con-
clure qu'elles n'ont point existé, et que notre auteur a supposé leur
existence d'après les propos vagues que Pontchartrain, mécontent du
retard de la réponse, a pu tenir devant lui ? Telles que devaient être
ces lettres écrites par ordre du Roi même, il aurait dû en être gardé
copie par les bureaux ou par le secrétaire particulier du Chancelier
qui exécuta la transcription versée plus tard à la Bibliothèque du Roi.
2. Point corrige p'.
3. M. de Luxembourg n'était duc et pair de Piney que par sa mère,
héritière de la maison de Luxembourg. Ayant acquis la seigneurie de
Beaufort, en Champagne, l'ancien duché des Vendôme, il avait obtenu
du Roi, en mai 1688, l'érection de cette terre en duché vérilié sous le
nom de Beaufort-Montmorency, ou plus simplement Montmorency.
[1711]
DE SAINT-SIMON.
261
achevé de lui ôter sa considération. On a vu ailleurs', à*
l'occasion de l'éclat avec lequel Mlle Choin fut renvoyée
par Mme la princesse de Conti, à quel point <\r liaison
intime de cabale le père et le fils éloient avec elle, et avec
Clermont, son amant, qui en fut perdu. Cette liaison,
qui avoil toujours subsisté, avoit initié M. de Luxem-
bourg dans tout auprès de Monseigneur, sous le règne
duquel il avoit lieu de se promettre beaucoup, et il étoit
encore dans la première douleur de la perte de toutes ses
espérances, lorsque cet édit acheva de l'affliger.
Jamais changement ne fut plus grand ni plus marqué
que celui que fit la mort de ce prince. Eloigné encore du
trône par la ferme santé du Roi, sans aucun crédit, et
par soi de nulle espérance, il étoit devenu le centre de
toutes les espéi'ances et de la crainte de tous les person-
nages, par le loisir qu'une formidal)le cabale avoit eu de
se former, de s'affermir, de s'emparer totalement de lui,
sans que la jalousie du Roi, devant qui tout trenibloit,
s'en mît en peine, parce que son souci ne daignoit pas
s'étendre par delà sa vie, pendant laquelle il ne' crai-
gnoit lien avec raison. On a déjà vu les impressions si
(lifl'érentes qu'elle fit dans l'état et le cœur du nouveau
Dauphin et* de son épouse, dans le cœur de M. le duc
(le Rcrry et dans l'esprit de la sienne", dans la situation
de M. et de Mme la duchesse d'Orléans^, et dans l'âme
de Mme de Maintenon ", délivrée pour le présent de toute
mesure, et de toute épine pour l'avenir. M. du Maine
i. TomoII, p. 187-188.
2. A surcharge une /.
3. Ne est rrpété deux fois, à la lin de la pape WM) du manuscrit, el
au commencemonl do la pap;e H37.
4. Et est en intcrlif^ne, et, après espoune, qui suit, un autre et a
•'■lé biiï»'-.
5. Ces six derniers mois sont on inlerlifjne au-dessus de de son
cxpoiisr. et, biffés. — Voyez ci-<lessus. p. XV?,^, 8;^-S{ el OS- 101.
♦). Ci-dessus, p. Iti-lS ot •2S--2r). — 7. Ci-dessus, p. S!j.
Grand change-
ment à la cour
par la mort de
Monseigneur,
et SCS
impressions
difTérentes.
Duc
du Maine
562 MÉMOIRES [1711]
partagea de bon cœur ces mêmes affections* avec son*
ancienne gouvernante, devenue sa plus tendre et sa plus
abandonnée protectrice. Foncièrement mal de tout
temps, comme on l'a dit*, avec Monseigneur, il avoit vio-
lemment tremblé de la manière dont on a vu que ce
prince avoit reçu les* divers degrés de son élévation, et,
en dernier lieu surtout, celui de ses enfants ^ Il étoit loin
d'être rassuré là-dessus du côté du nouveau Dauphin et
de Madame la Dauphine ; mais un et un sont ® deux ^ Déli-
vré de tous les princes du sang en âge et en maintien,
dont il avoit su si tôt et si grandement profiter, Monsei-
gneur de moins, et possédé par Madame la Duchesse, lui
fut un soulagement dont il ne prit pas même la peine de
cacher l'extrême contentement. Il avoit de trop bons yeux
pour ne s'être pas aperçu que Madame la Dauphine n'igno-
roit rien de la protection qu'il avoit prodiguée au duc de
Vendôme sur tout ce qui s'étoit passé en Flandres, pour
ne pas sentir ce que les maximes du nouveau Dauphin
lui faisoient penser sur la grandeur qu'il s'étoit formée,
et qu'il ne captiveroit pas aisément^ par ses souplesses
ceux qui pouvoient, et qui, selon toute apparence, pour-
roient le plus sur lui ; mais la santé du Roi lui faisoit
espérer encore un long terme de son aveuglement pour
lui, pendant lequel il pouvoit arriver' de ces heureux
1. Au sens de sentiments, «manière d'être de l'âme considérée
comme touchée de quelque objet », dit le Littré, 2°, qui cite des
exemples de Bourdaloue.
2. Sa corrigé en son. — 3. Ci-dessus, p. 73-74.
4. Ses corrigé en les. — o. Tome XIX, p. 96 et 101.
6. Il y a son, par erreur, dans le manuscrit.
7. Cette locution n'a pas ici le même sens que deux et deux font
quatre donné par le Dictionnaire de VAcadémie de 1718 ; elle signifie
qu'un et un sont deux choses différentes, comme on dit proverbialement
dire et faire sont deux. Comparez ci-après, p. 315 : « vouloir et faire
....fut pour elle une seule et même chose. »
8. La fin de pas et le commencement d'atsém' surchargent d'autres
lettres illisibles.
0. Arriver surcharge esper[er].
[1711] DE SAINT-SIMON 163
hasards qui mettent le comble à la fortune. L'esprit léger
deM. io duc d'OrK'ans lui parut inoiii>^un obstacle qu'une
faciiilt' à en tirer parti d'une façon ou d'une autre. Celui
de M. Io duc de Berry n'étoit pas pour l'inquirter ; mais
il résolut d«' n"oid)li('r ri<'n pour ne trouver pas une enne-
mie dans Mme la duchesse de fierry, et il la cultiva avec
adresse'. Il commençoit à goûter un si doux repos lors- Duc
que, surpris peu de jours après-, à Marly, d'un mal du Maino
étrange^ dans la nuit, son valet de chambre l'entendit Marlv.
râler, et le trouva sans connoissance. Il cria au secours :
Mme la duchesse d'Orléans accourut en larmes, Madame
la Duchesse et Mesdemoiselles ses fdles par bienséance*, et
i)eaucoup de gens pour faire leur cour, dans l'espérance
que le Roi sauroit leur empressement. M. du Maine fut
saigné et accablé de remèdes parce qu'aucun ne réussis-
soit. Fagon, à qui deux heures à peine sullisoient pour
s'habiller par degrés*, n'y vint qu'au bout de quatre, à
cause de sa sueur de toutes les nuits'. Il étoit celui de
tous le plus nécessaire en cette occasion, parce qu'il con-
noissoit ce mal par sa propre expérience, quoique jamais
1 . Ici. Saint-Simon avait terminé le paragraphe et commencé à écrire
en alinéa M' la P-", qui est le commencement du paragraphe qui suit
(p. "264); il a efîacé ces mots du doigt, pour écrire, à la suite d^adresse,
et sans alinéa, le récit de la maladie de M. du Maine.
2. Dans la nuit du 6 au 7 juin : Dangeau, p. 419-421 ; Sourches,
p. 128-130.
3. Indigpftion, apoplexie, ou empoisonnement par des champignons,
dit-on dans le public. Notre auteur va faire allusion plus loin à une
maladie qu'il aurait eue en commun avec Fagon. On trouvera ci-après,
à l'Appendice, n" X, le récit de Dangeau (tome XIII, p. 420), celui
des Memoiret de Sourches (tome XIII, p. 128), et la lettre par
laquelle le prince lui-même raconta l'accident à son ami le duc de
Guiche.
4. Elles étaiont à « faire médianoche « dans le parc, lorsqu'elles appri-
rent l'événemonl (Dangeau, p. 420).
ri. C'est-à-dire, à diverses reprises, par suite sans doute de son
tempérament délicat.
6. Ce détail de la santé de Fagon n'est donné que par notre auteur.
Conti.
264 MÉMOIRES [1711]
si rudement attaqué*. Il gronda fort de la saignée et de
la plupart des remèdes. On tint conseil si on éveilleroit
le Roi, et il passa que non à la pluralité des voix. Il
apprit à son petit lever toutes les alarmes de la nuit, qui
étoient déjà bien calmées ; il alla voir ce cher fils dès qu'il
fut habillé, et y fut deux fois le jour pendant les deux ou
trois premiers, et une ensuite tous les jours jusqu'à ce
qu'il fût tout à fait bien -. Mme du Maine étoit cependant
à Sceaux ^ au milieu des fêtes qu'elle se donnoit. Elle
s'écria qu'elle mourroit si elle voyoit M. du Maine en cet
état, et ne sortit point de son palais enchanté. M. du
Maine, accoutumé à en approuver tout servilement, ap-
prouva fort cette conduite, et l'alla voir à Sceaux dès
qu'il put marchera
Princesse de Mme la princesse de Conti fut celle qui regretta le plus
Monseigneur, et qui y perdit le moins. Elle l'avoit pos-
sédé seule et avec empire fort longtemps. Mlles^ de Lille-
bonne, qui ne bougeoient de chez elle, l'avoient peu à
peu partagé, mais avec de grandes mesures de déférence.
Le règne de Mlle Choin avoit tout absorbé ce qui^ étoit
resté à sa maîtresse'', pour qui Monseigneur ne conserva
i. Serait-ce donc le haut-mal, l'épilepsie? Il ne semble pas cepen-
dant que le duc du Maine, boiteux par accident et d'une santé très
délicate dans son enfance, en ait été atteint, non plus que Fagon, que
les contemporains dépeignent comme cacochyme, asthmatique et de
très faible comploxion {Mémoires de Sourchcs, tome X, p. 296; Mé-
moires de l'abbé de Choisy, tome II, p. 47-48), mais non point comme
sujet au « haut mal ». L'auteur des Mémoires de Sourches donne
des détails tout à fait précis, comme il en a l'habitude quand il s'agit
de maladies et de médecine : voyez ci-après p. 470-474.
2. D'après les Mémoires de Sourches, le Roi fit une visite le 7, et
une autre le 8. Dès le 9, le prince était à peu près rétabli.
3. Ecrit Seaux, par mégarde.
4. Dangeau dit le 28 juillet (p. 432) : « La santé de M. le duc du
Maine s'est fort rétablie à Sceaux, où il a passé quelques jours depuis
la cruelle attaque qu'il eut ici. »
5. Mlle corrigé en Mlles.
6. Ce qui surcharge la, précédé d'un mot illisible.
7. C'est-à-dire à Mme de Conti.
[1711] DE SAINT-SIMON. -265
que de la hiens(^ance accompagnée d'ennui, et souvent
tlo dégoût, que l'amusement qu'il trouva chez Madame la
Duchesse ne lit «ju'accroître. Mme la princesse de Conti
M étoit donc fie rien tiepuis bien des années, avec l'amer-
tume (!(> savoir Mlle de Lillebonne, sa protégée et son
amie, en possession des matinées libres de Monseigneur
chez elle ', dans un sanctuaire scellé - pour tout autre que
Mme d'Espinoy, où se traitoient les choses de confiance ^
Mlle Choin. son infidèle domestique, devenue la reine du
cœui" et de l'àme île Monseigneur, et Madame la Duchesse
intimement liée à elles, en tiers de tout avec elles et
Mon-eigneui-, qu'elle possédoitchez elle encour publi([ue.
Il falloit lléchir avec toutes ces personnes, ne rien voir,
leur plaire, et, malgré ses humeurs, sa hauteur, son
aigreur, elle s'y étoit ployée, et fut assez bonne pour être
si touchée, qu'elle pensa suffoquer deux ou trois nuits
après la mort de Monseigneur, en sorte qu'elle se con-
fessa au curé de Marly*. Elle logeoit en haut du château ^
Le Roi l'alla voir. Le degré étoit inconmiode ; il le fit
rompre pendant I-'ontainebleau ^, et en fit un grand et
commode". Il y avoit plus de dix ans qu'il n'avoit eu
i. Ci-dessus, p. 6.S.
"2. Est-ce une réminisconcp de la fontaine scellée, fons signatus, de
l'Ecriture (Cantique des cantiques, chap. iv, verset 1-2)?
3. Ci-dessus, p. 63.
4. « Le 20 avril au matin, on apprit <]ue la princesse de Conti avoit
pensé mourir la nuit précédente d'une violente oppression, qu'elle
avoit envoyé chercher en même temps le médecin, le chirurgien et le
confes.<our. qu'elle s'étoil confessée au curé de Marly, qu'on l'avoit
.saif^née du bras, ce qui l'avoit un peu soulagée, et qu'on alloit encore
la saigner du pied » (Mémoires de Sourches, p. î)o). Dangeau (p. 31)0)
jiarlc de « catarrhe .sulVo(|uant » ; voyez aussi la lettre lxxx de
Mme Dunoyer, tome IV, p. \. Le curé de Marly était Antoine Morand,
locteur de Sorbonne, qui possédait aussi le prieuré du bourg.
a. C'est-à-dire au premier étage : notre tome XIX, p. 2'23, note 3.
6. I^ cour resta à Fontainebleau du 16 juillet au \'t septembre.
7. Pour l'établir, on supprima une des chambres d'un des quatre
appartements du rcx-de-chausbéc. Le baron de Brolcuil, dans le pas-
266 MÉMOIRES [1711]
l'occasion de monter à Marly, et il falloit de ces occa-
sions uniques pour lui faire faire l'essai de ce nouveau
degrés Mme la princesse de Conti guérit à nos dépens.
Nous avions le second pavillon du côté de Marly ^ fixe%
le bas pour nous, le haut pour M. et Mme de Lauzun*.
Il est aussi près du château que le premier, et n'en a pas
le bruit. On nous y ^ mit pour donner le second à Mme la
princesse de Conti, seule avec sa dame d'honneur. Quoi-
[que] ennemie de l'air et de l'humidité, elle le préféra à
son logement du château pour s'attirer plus de monde par
la commodité de l'abord, et y tint depuis ses grands^
jours", avec la vieillesse de la cour^ qu'elle y rassembla,
et qui, faute de mieux, et par la commodité d'un réduit
toujours ouvert, s'y adonna toutes
sage de ses Mémoires, cité ci-après, p. 415, dit que ce fut à l'occasion
des visites faites aux membres de la famille royale lors de la mort de
Monseigneur, que le Roi décida de démolir l'ancien escalier pour en
rebâtir un plus vaste.
1. Le Roi alla le montrer au Dauphin et à la Dauphine le 24 sep-
tembre (Dangeau, p. 485).
2. Il a été parlé des douze pavillons de Marly dans le tome XVI, p. 34.
3. C'est-à-dire régulièrement à tous les voyages, sans changement.
4. Tome V, p. 175. Le ménage Saint-Simon fut de nouveau logé
dans le second pavillon en 1712 (suite des Mémoires, tome IX de 1873,
p. 208).
5. Dans le premier pavillon.
6. Grcl, au singulier, dans le manuscrit.
7. « On appelle grands jours une assemblée ou compagnie extra-
ordinaire de juges, tirés ordinairement des cours supérieures, qui ont
commission d'aller dans les provinces éloignées pour écouter les plaintes
des peuples et faire justice. On dit tigurément et proverbialement qu'wn
homme tient ses grands jours, et cela se dit par une manière de
reproche honnête qu'on fait à un homme avec qui on avoit accoutumé
de vivre familièrement, et qui fait le réservé, ou à un homme qu'on
avoit accoutumé de voir souvent, et qu'on a été quelque temps sans
voir » (Académie, 1718). C'est plutôt ici le sens donné par cette défi-
nition du Dictionnaire de Trévoux: « On dit qu'une personne tient ses
grands jours, quand elle reçoit chez elle beaucoup de monde. «
8. Les mots de la cour ont été ajoutés en interligne.
9. La princesse avait alors près de quarante-cinq ans ; sa dame d'hon-
[1714] DE SAINT-SIMON. 267
On luffera aisément du désespoir et de la consternation Cabale,
de cette puissante cabale si bien organisée, que 1 audace jeVcndômc.
avoit conduite aux attentats qu'on en a rapportés. Quoique
l'héritier de la couronne, qu'elle' avoit porté par terre-,
se fût enfin relevé, et que son épouse, unie à Mme de
Maintenon, se tut vengée de l'acteur principal d'une
scène si incroyable ^ la cabale se tenoit ferme, gouvernoit
Monseigneur, ne craignoit point qu'il lui échappât, l'en-
tretenoit dans le plus grand éloignement de son fils et de
sa belle-fille, dans le dépit secret^ de la disgrâce de Ven-
dôme, se^ promettoit bien de monter sur le trône avec
lui, et d'en anéantir l'héritier sous ce règne. Dieu souffle
sur leurs desseins * : en un instant il les renverse et les
asservit sans espérance à celui pour la perte duquel ils
n'avoient rien oublié, ni ménagé. Quelle rage, mais
quelle dispersion ! Vendôme en frémit en Espagne, où il
ne s'étoit jeté qu'en passant. De ce moment il résolut ''
d'y fixer ses tabernacles % et de renoncer à la France après
ce qu'il avoit attenté, et ce qui l'en avoit fait sortir ; mais
la guerre, par où il comptoit de se rendre nécessaire,
n'étoit pas pour durer toujours. Le Dauphin et le roi
d'Espagne s'étoient toujours tendrement aimés ; leur sépa-
neur, la marquise d'Urfé, ses filles d'honneur et ses principales amies,
comme les Lillebonne, étaient ses contemporaines ou ses aînées; cela
n'attirait point les jeunes femmes de la cour, qui préféraient les salons
de la Dauphine ou de la duchesse de Berry.
4. Qu'elle surcharge qu'ils av[oienf].
2. « On dit porter quelqu'un par terre, pour dire le renverser par
terre » (Académie, 4748).
3. Le duc de Vendôme. — 4. Secret a été ajouté en interligne.
5. Avant se, Saint-Simon a biffé et.
6. Réminiscence de ce passage d'Isaïe (chap. xl, verset 21) : Flavit in
eos, et arruerunt. Littrécite des emplois par Bossuet et par Massillon.
7. La première lettre de résolut surcharge un y.
8. <f Tabernacles n'a d'usage que pour dire les tentes et pavillons
des Israélites » (Académie, 4718). Nous avons déjà rencontré la même
locution sous la plume de notre auteur, dans un Appendice du tome
Xlll, p. 546, et les « tabernacles éternels » dans le tome VI, p. 564.
et ses nièces.
268 MÉMOIRES [1711]
ration n'y avoit rien changé ; la reine d'Espagne, qui y
pouvoit tout, étoit sœur de son ennemie, et intimement
unie avec elle ; le besoin passé, son état pouvoit triste-
ment changer. Sa ressource fut de se lier le plus étroite-
ment qu'il put à la princesse desUrsins, et de devenir son
courtisan après avoir donné la loi à nos ministres et à
notre cour'. On en verra bientôt les suites.
Vaudémont Le Vaudémont se sentit perdu. Moins bien de beaucoup
auprès du Roi depuis la chute de Chamillart^, il ne lui
restoit plus de protecteur. Torcy ne s'étoit jamais fié à lui,
et Voysin n'avoit jamais répondu que par des politesses
crues ^ à toutes les avances qu'il lui avoit prodiguées. Il
étoit sans commerce étroit avec les autres ministres, et
dans la plus légère bienséance avec les ducs de Chevreuse
et de Beauvillier, si même il y en avoit. Tessé, bien
traité, mais connu de Madame la Dauphine, la maréchale
d'Estrées, qu'il s'étoit dévouée par d'autres contours,
avoient les reins trop foibles * pour le soutenir auprès de
Madame la Dauphine si justement irritée contre ses nièces,
et contre lui si uni à M. de Vendôme et à Chamillart.
Elle s'étoit à la fin dégoûtée de la maréchale d'Estrées ;
Mme de la Yallière, la plus spirituelle et la plus dange-
reuse des Noailles^ lui avoit enlevé la faveur et la con-
i. Par les deux lettres de la princesse, des 7 novembre et 42 dé-
cembre 4741, dont la copie se trouve dans le ms. Fr. 44 178, fol. 475 v°
et 485 v, il ne semble pas que sa liaison politique avec Vendôme ait été
bien intime ; mais ces copies du chevalier de Bellerive sont-elles fidèles ?
•2. On a vu dans le tome IX, p. 43-46, quelle était sa liaison et celle
de ses nièces avec ce ministre.
3. « Crû se dit figurément d'un discours qu'on tient à quelqu'un,
et oîi il y a quelque chose de fâcheux qu'on ne prend pas la peine
d'adoucir « (Académie, 4748). Ici, c'est plutôt ce que Fénelon appe-
lait le langage « crû et informe » de Ronsard ; des politesses, sans plus.
4. (c On dit tigurément et proverbialement m'oir les reins trop foi-
bles, en parlant de ceux qui entreprennent quelque chose qui est au-
dessus de leurs forces » (Académie, 4748) ; voyez ci-après, p. 284.
5. Déjà dit, en d'autres termes, dans le tome XIV, p. 264. C'était
la sœur cadette de la maréchale d'Estrées.
flTll] DE SAINT-SIMON. 269
liance, et n'avolt rien de commun avec une cabale qui
marchoit sous l'étendard ' de la Clioin, toujours en garde
contre tout ce qui tenoit à son ancienne maîtresse. Vau-
démont n'avoit- donc plus de vie effective que par le
tout-puissant crédit de ses nièces sur Monseigneur, qui lui
en donnoit un direct avec lui, et un autre, par réflexion,
de l'attente du futur. Cette corde rompue ^ il ne savoit
plus où se reprendre. La conduite toute autrichienne du
duc de Lorraine portoit un peu sur lui depuis que Cha-
millart n'étoit* plus. Bien qu'à l'extérieur on n'eût pas
donné attention aux circonstances si marquées, et qui ont
été rapportées ^, de la conspiration tramée en Franche-
Comté, qui fut déconcertée par la victoire du comte du
Bourg et par la capture de la cassette de Mercy, cela
n'avoit pas laissé d'écarter encore plus ce Protée®. Mlle de [Add.S'-S. Î006]
Lillebonne", pénétrée d'une si profonde chute person-
nelle et commune, trop sûre de '^ sa situation avec Ma-
dame la Dauphine, et avec tout ce qui approchoit intime-
ment le Dauphin, n'étoit pas^ pour se pouvoir résoudre"*,
altière comme elle étoit, à traîner dans une cour où elle
avoit régné toute sa vie. Son oncle et elle prirent donc le
parti d'aller passer l'été en Lorraine pour se dérober à
ces premiers temps de trouble, et se donner celui de se
former un plan de vie tout nouveau. La fortune secou-
1. « On dit ligiirément suivre les étendards de quelqu'un, pour
dire embrasser son parti » {Académie, 4718).
2. Le commencement de n'avoit corrige ne.
3. On a eu ci-dessus, p. 89, corde qui casse.
4. N'y estoit corrigé en n'estoit.
5. En 1709 : tome XVIII, p. 170-173.
6. Il a déjà appliqué ce sobriquet à Vaudémont dans le tome XV,
7. Il a écrit encore ici par mégarde : Lisbonne, au lieu de Lislebonne .
8. Les mots seure de, oubliés en transcrivant, ont été ajoutés en
interligne lors de la revision.
9. Les mots n'estoit pas sont en interligne.
10. Les lexiques du temps ne donnaient pas cette locution de n'être
pas pour faire quelque chose, au sens de n'être pas disposé à.
570 MÉMOIRES [ilM]
rut cette fée^ La petite vérole enleva tout de suite plu-
sieurs enfants à M. de Lorraine", entre autres une fille ^
de sept ou huit ans*, qu'il avoit fait élire abbesse de
Remiremont % il y avoit deux ans, après la mort de Mme
de Salm^ Cet établissement parut à l'oncle et à la nièce
une planche après le naufrage', un état noble et honnête
pour une vieille fille % une retraite fort digne et sans
contrainte, une espèce de maison de campagne pour
quand elle y voudroit aller sans nécessité de résidence
assidue, ni d'abdiquer Paris et la cour, et un prétexte de
4. Nom qu'il a déjà appliqué à plusieurs reprises à Mme de Main-
tenon, et, en dernier lieu, à Mlle Choin (ci-dessus, p. 2).
2. Dangeau, tome XIII, p. 403 et 406; Sourches, p. 106-107 et
109. Le duc de Lorraine perdit, le 4 mai, sa tille aînée (ci-après), le
10 mai son tils aîné, Louis de Lorraine, né le 28 janvier 1704, et, le
il mai, sa seconde tille, Gabrielle, née le 10 décembre 1702. Le Jour-
nal de Verdun, tome XIV, p. 430-432, donne des détails sur leur
maladie.
3. Fille surcharge enf[ant] ; mais un n'a pas été corrigé au féminin.
4. Charlotte de Lorraine, née le 21 octobre 1700, élue abbesse de
Remiremont en 1707, morte à Lunéville le 4 mai 1711, dans sa onzième
année; elle était fort belle et promettait beaucoup, au dire des contem-
porains.
5. Cette abbaye du diocèse de Toul, fondée vers 620, par saint Ro-
meric ou Romaric, pour des filles nobles, suivit d'abord la règle de
saint Renoît. Au onzième siècle, elle fut transformée en un chapitre
de quatre-vingts demoiselles, faisant preuves de quatre degrés de no-
blesse paternelle et maternelle. L'abbesse, qui jouissait de trente-six
mille livres de rente et de droits seigneuriaux considérables, était
élective; chaque prébende valait quatre mille livres. Voyez ci-après aux
Additions et corrections.
6. Dorothée de Salm, de la famille des Rhingraves, élue en 1662,
était morte en 1707.
7. « On dit aussi, quand quelqu'un a pu conserver quelque chose
de son bien qu'on décrétoit, que c'est une planche qu'il a sauvée du
naufrage, et, en parlant du sacrement de pénitence, on dit que c'est
une seconde planche après le naufrage » (Dictionnaire de Trévoux).
Nous avons eu déjà de nombreux emplois de planche au sens de transi-
tion, de passage facile d'un fait à un autre.
8. Née en 1662, elle avait quarante-neuf ans.
[ili\]
DE SAINT-SIMON.
274
l'en tirer à sa volonté, avec quarante mille livres de rente
à qui en avoit peu, et se trouvoit privée des voitures de
Monseigneur et de toutes les commodités qu'elle en tiroit.
Elle n'eut que la peine de désirer cet établissement : tout
en arrivant en Lorraine, son élection se fit aussitôt^ Sa
sœur, mère de famille, plus douce et plus flexible-, ne
se croyoit pas les mêmes raisons d'éloignement ; son
métier d'espionne de Mme de Maintenon, dont on a vu
d'avance, p. [014] \ un étrange trait, lui donnoit de la
protection et de la considération, dont le ressort étoit
inconnu, mais qui étoit marquée. Elle ne songea donc
pas à quitter la cour, ce qui entroit aussi dans la poli-
tique de sa sœur et de son oncle. Mme d'Espinoy donna
plutôt part qu'elle ne demanda permission de Remire-
mont pour sa sœur*, laquelle passa avec la facilité pour
eux ordinaire. Mlle de Lillebonne prit le nom de Madame
de Remiremont, dont je l'appellerai désormais pour le peu
de mention^ que j'aurai à faire d'elle dans la suite ^
L'affaire de Remiremont se fit si brusquement, que j'arri-
vai le soir de la permission donnée, sans en rien savoir,
dans le salon, après le souper du Roi'. Je fus surpris de
voir venir à moi, au sortir du cabinet du Roi, Madame la
Dauphine, avec qui je n'avois aucune privance, m'envi-
1. Dangeau dit, le 13 juin (p. 4"23) : « Mme la princesse d'Espinoy
vint, hier au soir, dire au Roi que les chanoinesses de Remiremont
avoient élu Mlle de Lillebonne, sa sœur, pour leur abbesse, et qu'elle
ne vouloit point accepter cette place sans savoir si cela agréeroit à
S. M. ..
"2. Déjà dit dans le portrait qu'il a fait de la princesse d'Espinoy en
-1707 : tome XV, p. 6.
3. Saint-Simon a laissé en blanc le numéro de cette page de son
manuscrit; elle correspond aux pages 8-10 de notre tome XV.
4. Voyez le passage de Dangeau reproduit ci-dessus (note 1).
5. Ce mot est bien au singulier dans le manuscrit.
6. Ci-après, p. "274. Cependant il dira encore Mlle de Lillebonne, ci-
après, p. 281. Elle ne sera plus mentionnée que quatre ou cinq fois dans
toute la suite des Mémoires.
7. Après Roy, il a biffé sans en rien scavoir, répété par inégarde.
Mlle
de Lillebonne
abbesse de
Remiremont.
272 MÉMOIRES [1714]
ronner et me rencoigner * en riant avec cinq ou six dames
de sa cour plus familières, me donner à deviner qui étoit
abbesse de Remiremont. Je reculois toujours, et le rire
augmentoit de ma surprise d'une question qui me parais-
soit si hors de toute portée, et de ce que je n'imaginois
personne à nommer. Enfin elle m'apprit que c'étoit Mlle
de Lillebonne, et me demanda ce que j'en disois. a Ce
que j'en dis? Madame, lui répondis-je aussi en riant, j'en
suis ravi, pourvu que cela nous en délivre ici, et, à cette
condition, j'en souhaiterois autant à sa sœur. — Je m'en
doutois bien, répliqua la princesse, » et s'en alla en riant
de tout son cœur. Deux mois plus tôt, outre que l'occa-
sion n'en eût pu être, une telle déclaration n'eût pas été
de saison, quoique mes sentiments ne fussent pas ignorés.
Alors, passé les premiers moments, où cette hardiesse ne
laissa pas de retentir, il n'en fut pas seulement ques-
tion.
Madame la Duchesse fut d'abord abîmée dans la dou-
leur. Tombée de ses - plus vastes espérances et d'une vie
brillante et toujours agréablement occupée qui lui mettoit
la cour à ses pieds, mal avec Mme de Maintenon, brouil-
lée sans retour et d'une façon déclarée avec Madame la
Dauphine, en haine ouverte avec M. du Maine, en équi-
valent avec Mme la duchesse d'Orléans, en procès avec
ses belles-sœurs^ sans personne de qui s'appuyer, avec un
fils de dix-huit ans, deux filles qui lui échappoient déjà
par le vol qu'elle leur avoit laissé prendre, tout le reste
enfant, elle se trouva réduite à regretter Monsieur le
Prince et Monsieur le Duc, dont la mort l'avoit tant sou-
lagée*. Ce fut alors que l'image si chérie de M. le prince
1. « Recogner, repousser; n'a d'usage qu'en langage familier »
(Académie, 1718). C'est plutôt ici : acculer dans un coin. On en a
déjà eu des exemples dans nos tomes X, p. 299, et XIV, p. 126, et on
le trouve dans les Écrits inédits, tome VI, p. 290, dans les Mémoires
de Sourches, tomes VII, p. 376, et VIII, p. 167, dans la Gazette, etc.
2. Le manuscrit porte des ses. — 3. Tome XX, p. 315 et suivantes.
4. Tomes XVII, p. 232, et XIX, p. 86.
[17111 DE SAINT-SIMON. 273
de Gonti se présenta sans cesse à sa pensée et à son cœur,
qui n'auroit plus trouvé d'obstacle à son penchant, et ce
prince, avec tant de talents que l'envie avoit laissés^ inu-
tiles, réconcilié peu avant sa mort avec Mme de Mainte-
non -, intimement lié avec le Dauphin par les choses pas-
sées^, et de toute sa vie avec les ducs de Chevreuse et de
Beauvillier" et l'archevêque de Cambray % uni à Madame
la Dauphine par la haine commune de Vendôme et par
la conduite et les propos qu'il avoit tenus pendant la
campagne de Lille ^, auroit été bientôt le modérateur' de
la cour, et de l'Etat dans la suite. G'étoit le seul à qui
Madame la Duchesse eût été fidèle ; elle étoit l'unique
pour qui il n'eût pas été volage ^ ; il lui auroit fait hom-
mage de sa grandeur, et elle auroit brillé de son lustre.
Quels souvenirs désespérants, avec Lassay fds pour tout
reconfort' ! Faute de mieux, elle s'y attacha sans mesure,
et l'attachement dure encore après plus de trente ans.
Une désolation si bien fondée cessa pourtant bientôt quant
à l'extérieur : elle n'étoit pas faite pour les larmes ; elle
voulut s'étourdir, et, pour faire diversion, elle se jeta
dans les amusements, et bientôt dans les plaisirs jusqu['à]
la dernière indécence pour son âge et son état". Elle cher-
cha à y noyer ses chagrins, et elle y réussit. Le prince de Prince
Rohan", qui avoit jeté un million dans l'hôtel de Guise ^^ Rohan
devenu un admirable palais entre ses mains*-, lui donna
1. Il y a laissé, sans accord, dans le manuscrit.
2. Tome XVII, p. 434. — 3. Ibidem, p. 128.
4. Ici, il a écrit Beauviller. — 5. Tome XVII, p. i23.
6. Tome XVI, p. 271.
7. Terme déjà rencontré plusieurs fois; en dernier lieu, tome XVI,
p. 106.
8. Tome XVII, p. 129. — 9. Tome XX, p. 357.
40. C'est ainsi qu'elle faisoit médianoche avec ses filles, dans les jar-
dins de Marly lors de l'accident du duc du Maine (ci-dessus, p. 263) ;
elle avait alors trente-huit ans.
44. Ci-dessus, p. 247.
12. Voyez ce qu'il a dit de cet hôtel à propos de la mort de Mme de
Soubise: tome XVII, p. 75-76.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 18
274 MÉMOIRES [47H]
des fêtes, sous prétexte de lui faire voir sa maison*. On a
vu ailleurs combien il étoit uni à Mesdames de Remire-
mont et d'Espinoy - ; cette ^ union l'avoit lié à Madame la
Duchesse. Sa chute, l'état où le procès de la succession
de Monsieur le Prince mettoit^ ses affaires, le nombre
d'enfants qu'elle avoit, lui fit espérer^ que le rang et les
établissements de son fîls% de son frère'', de sa maison,
avec ce palais et des biens immenses, pourroient tenter
Madame la Duchesse de se défaire pour peu d'une de ses
filles en faveur de son fils, et que le souvenir de sa mère
pourroit encore assez sur le Roi, avec la protection de
Mme d'Espinoy auprès de Mme de Maintenon, pour**
lever la moderne difficulté des alliances avec le sang
royal '. Il redoubla donc de jeu, de soins, de fêtes, d'em-
pressements pour Madame la Duchesse. Il s' étoit servi de
sa situation brillante auprès de Monseigneur et de ce qui
le gouvernoit pour s'approcher de Madame la Dauphine
par un jeu prodigieux, une assiduité et des complaisances
sans bornes, qu'il redoubla en cette occasion " ; et la grande
4. Les journaux de la cour ne parlent pas de ces fêtes. Il faut remar-
quer d'ailleurs que M. de Soubise, père du prince de Rohan, vivait
encore et ne mourut qu'en août 1712.
2. Tome XV, p. 16. — 3. Il y a cet, par erreur, dans le manuscrit.
4. Saint-Simon a écrit par raégarde mettoient au pluriel.
5. Fit espérer au prince de Rohan.
6. Jules-François-Louis : tome XVII, p. il. En 1711, il n'avait que
quatorze ans et ne possédait aucun « établissement ». Saint-Simon n'a-
t-il pas voulu dire « de son père » et parler du vieux prince de Soubise?
7. L'abbé de Soubise, évêque de Strasbourg, qui allait devenir car-
dinal en 1712 et grand aumônier en 1713.
8. Saint-Simon avait écrit pourroit, il a biffé ourroit, pour cor-
riger en p'".
9. Notre auteur dit « moderne », parce qu'il savait bien qu'il n'en avait
pas toujours été ainsi : on trouve dans le volume 44 de ses Papiers (au-
jourd'hui France 199) tout un travail fort long et précis sur les « allian-
ces directes de seigneurs françois avec des filles du sang de nos rois. »
Nous en avons déjà parlé ci-dessus, p. 117, à propos des Châtillon.
10. Le prince avait un esprit fort médiocre, a-t-il dit dans le tome
XIV, p. 117 ; mais il avait été bien stylé par sa mère.
flTIl] DE SAINT-SIMON. 27.Ï
opinion qu'il avoit do sa figuro ' lui avoit fait hasarder des
galanteries par la Montauban sa cousine-, dont Madame la
Dauphine s'étoit fort moquée, mais fort en particulier, et
l'avoit toujours traité avec distinction et familiarité à
cause de .Monseigneur et de ses entours. Il songeoit par
là à donner une grande et durable ' protection à son rang
de prince étranger. La consternation étoit tombée sur Princes
toutes* ces usurpations étrangères, qui espéroient tout étrangers.
de Monseigneur par ceux des leurs ^ qui l'obsédoient, et
qui se crurent perdues sans ressource par le nouveau
Dauphin, dont ils redoutoient les sentiments, et de'' ce
qui pouvoit le plus sur lui. On a vu " qu'ils auroient pu
se trouver déçus dans leurs idées sur le père ; mais elles
étoient justes sur le fils, à qui la lecture avoit appris ce
qu'ils savoient faire, et dont l'équité, le jugement solide
et le discernement ne s'accommodoit* pas d'un ordre de
gens sortis, formés et soutenus par le désordre. Le prince
de Rohan ne put réussir dans ses vues auprès de* Madame
la Duchesse^": il enraya" promptement. Il n'eut garde de
1. Les Mémoires de Sourches (tome IV, p. 274) l'appellent « un des
|)lus beaux hommes du monde».
2. Charlotte Bautiu de Nogent, mariée depuis 1682 à Jean-Baptiste-
Armand de Rohan-Guémené, prince de Montauban : ci-dessus, p. 16.
3. Le commencement de durable surcharge une /.
4. Tous corrigé en touttes.
5. Il y a leur, au singulier, dans le manuscrit, conformément i\ un
usage que nous avons déjà signalé.
6. De a été ajouté en interligne. — 7. Ci-dessus, p. 65-66.
8. Ce singulier est bien au manuscrit.
9. De est répété deux fois, à la fin de la page 1139 du manuscrit et
au commencement de la page 1140.
10. Ses visées étaient connues de toute la cour, puisque notre auteur ré-
digea en décembre 1711 des « Réflexions sur le bruit répandu avec beau-
coup d'apparence du mariage du tils de M. le prince de Rohan avec une
tille de Madame la Duchesse », qu'on trouvera ci-après à l'Appendice, n°
XI, p. 472-484. La « moderne difficulté » dont il a parlé ci-dessus sub-
sista; car des six lilles de la duchesse de Bourbon, une seule se maria, qui
épousa son cousin le prince de Conti. On peut remarquer que l'arrière-
petite-iille du prince de Rohan devaitdcvenir princesse deCondé en 1753.
11. Ci-dessus, p. 18.
276 MÉMOIRES [17di]
se montrer fâché par une conduite trop marquée qui
auroit mis en évidence ce qu'il vouloit si soigneusement
cacher ; mais, n'ayant plus ni vues, ni besoin d'elle, il
se retira peu à peu, sans cesser de la voir, et Madame de
Remiremont et Mme d'Espinoy, qui n'avoient plus à
compter avec elle, s'en retirèrent aussi beaucoup peu à
peu. On a vu plus haut ce que devint Mlle Ghoin ^
D'Antin. D'Antin, mieux que jamais avec le Roi, parvenu si tôt
après la mort de Monseigneur au comble de ses désirs et
de la fortune -, n'eut pas besoin de grande réflexion pour
se consoler. On a vu, lors de la campagne de Lille ^, avec
quelle souple adresse il avoit su s'initier avec Madame la
Dauphine, qu'il n'avoit pas négligée depuis, et dont il
espéroit un puissant contrepoids aux mœurs du nouveau
Dauphin, et au plus qu'éloignement qui étoit entre lui et
ceux qui pouvoient le plus sur ce prince. Il comptoit que
la santé du Roi lui donneroit le temps de rapprocher* le
Dauphin, et de ramener peut-être à lui ceux qu'il y crai-
gnoit davantage. La mort de Monseigneur l'afîranchissoit
d'une assiduité auprès de lui fort pénible, qui lui ôtoit
un temps précieux auprès du Roi, et il n'en pouvoit rien
retrancher comme valet pris à condition de servir deux
maîtres^. Il se trouvoit délivré de la domination de Ma-
dame la Duchesse, par cela même réduite à compter avec
lui, et débarrassé de plus de tous les manèges indispen-
sables, et souvent très difficiles, pour demeurer uni avec
tous les personnages de cette cabale qui dominoit Monsei-
gneur, dont les subdivisions donnoient bien de l'exercice
aux initiés qui, comme d'Antin, vouloient aussi figurer
4. Ci-dessus, p. 93-95.
2. Par son élévation à la pairie: ci-dessus, p. 251.
3. Tome XVI, p. 255-257.
4. Avant ce verbe, il avait déjà écrit, puis biffé le pronom le. Nous
avons déjà rencontré plusieurs fois cet emploi de « rapprocher » avec
un complément direct. C'était un terme de vénerie.
5. Allusion au passage de l'Évangile : Nul ne peut servir deux
maîtres.
[1711] DE SAINT-SIMON. 277
avec eux, et qui avoil' plus d'une fois tâté de leur jalousie
et de leurs hauteurs. Enfin il espéra augmenter sa faveur
par une assiduité sans partage, qui le rendroit considé-
rable à la nouvelle cour, et lui donneroit les moyens de
s'y initier à la longue. Il songeoit toujours à entrer dans
le Conseil ; car a-t-on jamais vu un heureux se dire : C'est
assez.
Des adhérents de la cabale, ou des gens particulière- Huxelles,
ment bien avec Monseigneur, et qui se croyoient en situa- Harcourt"
tion de figure ou de fortune sous son règne, tous eurent Boufflers.
leur part de la douleur ou de la chute. Le maréchal
d'Huxelles fut au désespoir, et n'osa en faire semblant-,
mais, pour tenir ^, manégea sourdement une liaison avec
M. du Maine. Le premier écuyer, honteux de regarder
d'où son père étoit sorti*, paré de sa mère^ et de sa
femmes avoit osé plus d'une fois aspirer à être duc", et
n'espéroit rien moins de Monseigneur : tellement qu'il fut
affligé comme un homme qui a perdu sa fortune. Har-
court, plus avant qu'eux tous, se consola plus aisément
que pas un : il avoit Mme de Maintenon entièrement à
lui *, sa fortune complète, et il avoit su se mettre secrè-
tement bien avec la Dauphine, il y avoit longtemps, au
lieu que les deux précédents n'y avoient aucune join-
ture", ni avec le Dauphin, et se trouvoient fort éloignés
de ce qui l'approchoit le plus, pareils en ce dernier article
à Harcourt. Boufflers, assez avant avec Monseigneur pour
4. Il y a bien avoit, au singulier, se rapportant à d'Antin.
2. On a vu ci-dessus (p. 75) sa conduite indigne envers Mlle de Choin.
3. Au sens de se maintenir.
4. Henri Beringhen avait commencé par être premier valet de cham-
bre de Louis XIII : tome I, p. 193.
5. Anne du Blé d'Huxelles : tome XI, p. 36.
6. Fille du duc d'Auniont. — 7. Voyez notre tome XVI, p. 52.
8. Il venait en outre de se raccommoder avec Torcy (Correspondance
de Mme de Maintenon, recueil Bossange, tome II, p. 148).
9. Terme déjà rencontré, en dernier lieu dans le tome XVIII,
p. 400.
278
MEMOIRES
[i714J
Sainte-Maure,
Biron,
Roue Y,
la Vallière.
lui avoir fait ses plaintes des froideurs, pour ne rien dire
de plus, qu'il recevoit du Roi sans cesse depuis ses désirs
de l'épée de connétable', et qui en étoit favorablement
écouté, le regretta par amitié, en galand - homme [qu']il
étoit, encore plus à portée du nouveau Dauphin, qui sa-
voit mieux connoître et goûter la vertu. Je l'avois extrê-
mement rapproché des ducs de Chevreuse et de Beauvil-
lier; je m'en étois fait un travail^, et j'y avois assez réussi
pour m'en promettre des fruits. Ainsi Boufïlers n'avoit
qu'à* gagner, considéré d'ailleurs de Madame la Dau-
phine, et toujours très bien avec Mme de Maintenon, et
dans un comble de fortune.
De classe inférieure % Sainte-Maure, qui n'étoit bon
qu'à jouer^, perdit véritablement sa fortune. La Vallière
tenoit trop de toutes façons à Mme la princesse de Conti
pour attendre beaucoup d'un prince dans la main de
Mlle Choin ; il avoit épousé celle des Noailles qui avoit
le plus d'esprit', de sens, d'adresse, de vues, de ma-
nèges* et d'intrigue, qui gouvernoit sa tribu, qui étoit
comptée à la cour, et qui étoit dans la plus grande confi-
dence de la nouvelle Dauphine ; avec cela, hardie, entre-
prenante, mais avec des boutades et beaucoup d'humeur.
Biron et Roucy, qui, sans être menins, étoient de tout
temps très attachés, et de tous^ les voyages de Monsei-
gneur, crurent leur fortune perdue. Roucy eut raison*
il falloit être Monseigneur pour en faire une espèce de
favori '". Biron, prisonnier d'Audenarde ", conservoit le
1. Tome XVIII, p. 216-217. — 2. Le d de galand corrige un t.
3. Dans le sens où l'on dirait de nos jours : je m'en étais donné la
tâche.
4. Le au' surcharge un g.
5. Comme considération, mais non comme naissance.
6. Voyez tomes XIV, p. 397, et XIX, p 336. — 7. Ci-dessus, p. 268
8. Le signe du pluriel a été ajouté après coup à manège.
9. Avant toua, il a biffé toutt[cs], qui surchargeait un autre mot
illisible.
10. Voyez notre tome III, p. 193. — 11. Tome XVI, p. 193 et 198. '
[1711] I)K SAINT-SIMON. 270
chemin de la j^'iicrre ; il est aujourd'hui duc et pair',
comme ou le verra en son temps', et doyen des maré-
chaux de 1- r;ince \ Il étoit frère de Mme de Nogaret et de
Mme d'Lrft', amies intimes de Mme de Saint-Simon et les
miennes*, et neveu de M. de Lau/un ', de chez qui il ne
bougeoit ; \o l'avois approché de M. de Heauvillier, et
j avois rt'ussi à le hieii mettre avec lui ; par ce côté si
important, et par sa sœur auprès de Madame la Dauphine,
il eut de quoi espérer de la nouvelle cour.
Trois hommes à j)art peuvent tenir encore place ici : Ducs dr
les ducs de la Hoche^uyon, de Luxembourif et de Ville- Luxembourg.
, ,. , , lanocheguyon,
roy. On a vu les liens par*^ lesquels M. de Luxembourg Vilierov.
tenoit à Monseigneur", dont il avoit lieu de se promettre
une figure** autant qu'il en pouvoit être capable. D'ail-
leurs, il ne tenoit à rien ; car, hors quelques agréments
en Normandie®, Voysin ne pouvoit le mener plus loin. Le
Koi ne considéroit en lui que son nom. Il avoit conservé
des amis de son père, et il étoit fort du grand monde ;
mais c'étoit tout, malgré l'amitié de M. de Chevreuse, qui
senloit bien qu'il n'y avoit point de parti à en tirer. Il '"
('toit si grand seigneur, qu'il put se consoler dans soi-
même. Il en faut dire encore plus des deux autres, qui,
|iar leurs charges, existoient d'une façon plus importante
pour eux et plus soutenue. Les mêmes lettres dont j'ai
{)arle (juelque part ici ", qui causèrent leur disgrâce, dont
i. Depuis 17'23.
i. A la lin dos Méii.oircK : lonio XIX de l'idilion de 1873, p. 03.
3. Depuis 1738 ; notre autour écrit le présent passage en 1742.
i. Voyez lomo XVIII. p. iHi.
5. Mnio de Biron riait lille do Diane-Charlolte de Caumont, comtesse
de Xopent, sœur de Lauzun.
H. /'ar corrige qwj. — 7. Ci-dessus, p. ^(il.
H. « Fiijure signilio au>;si l'étal lion ou mauvais où une personne
est dans le monde à l'égard de ses aflaircs. de son crédit » (Acndcmu'.
1718).
0. Ci-dessus, p. 258. — 10. Avant j7, il y a un mais, biffé.
11. Tome XVII. p. 126-127, et Addition h Dangeau n" 121. d:ins
notre tome II, p. «07.
MEMOIRES
[1714]
La Feuillade.
Ministres
et financiers.
ils ne sont même personnellement jamais bien revenus
avec le Roi, les avoient bien mis avec Monseigneur, outre
l'habitude, et à peu près le même âge ; mais ils n'avoient
pas auprès de lui les mêmes ailes' que M. de Luxem-
bourg, et, comme lui, avoient perdu M. le prince de
Conti, leur ami intime', qui les avoit laissés à découvert
à M. de Vendôme et aux siens ^ Celui-ci n'y étoit plus;
mais il y existoit par d'autres, et seroit sûrement revenu
après le Roi. Ce n'étoit pas qu'ils fussent personnellement
mal avec lui ; mais les amis intimes de feu M. le prince
de Conti ne pouvoient jamais être les siens. Ces deux
beaux-frères, avec de si grands établissements, ne firent
donc pas une si grande perte.
Un quatrième se trouva dans un nouveau désarroi :
c'étoit la Feuillade. Perdu à son retour de Turin ^, il
avoit cherché à s'attacher à Monseigneur et à profiter du
peu de temps que Chamillart demeura en place pour
s'appuyer de Mlle de Lillebonne et de M. de Vendôme ^
On a vu ailleurs^ qu'il avoit percé jusqu'à Mlle Choin.
Le jeu d'ailleurs le soutenoit à Meudon. Il étoit de tous
les voyages, sans pourtant avoir rien gagné sur Monsei-
gneur. Néanmoins, avec de si puissants entours, il comp-
toit, sous lui, se ramener la fortune. Il en désespéroit du
reste du règne du Roi, et, pour celui qui le devoit suivre,
il avoit tout ce qu'il falloit pour en être encore plus éloi-
gné : aussi fut-il fort affligé.
Deux genres d'hommes fort homogènes*, quoique fort
1 . « On dit proverbialement et flgurément vouloir voler sans avoir
des ailes, pour dire, entreprendre une chose au-dessus de ses forces »
(Académie, 1718).
2. Tome XVII, p. 149. — 13. Ci-dessus, p. 64. — 4. Tome XIV, p. 9S-96.
5. Tome XVII, p. 174 et 418. — 6. Ibidem, p. 418.
7. Pourtant est en interligne, au-dessus de neantmoins, biffé.
8. « Homogène, terme dogmatique ; qui est de même nature» (Aca-
démie, 1718). Saint-Simon emploiera plusieurs fois cet adjectif, suivi
de la préposition à; on en trouvera un exemple, suivi d'avec, dans
la suite des Mémoires, tome XVI de 1873, p. 274.
[I71t| DE SAINT-SIMOiN. 581
disproportioniK's, le furent jusqu'au plus profond du
cœur: les ministres et les financiers. On a vu, à l'occa-
sion de rétablissement du dixième', ce que le nouveau
Dauphin pensoit de ces derniers, et avec quelle liberté il
s'en expliquoit. Mœurs, conscience, instruction, tout en
lui étoit pour eux cause très certaine des plus vives ter-
reurs. Celle des ministres ne fut guères moindre. Monsei-
gneur étoit le prince qu'il leur falloit pour régner en son
nom, avec plus, s'il se peut, de pouvoir qu'ils n'en avoient
usurpé, mais avec beaucoup moins de ménagement ; en
sa place, ils voyoient arriver un jeune prince instruit,
appliqué, accessible, qui voudroit voir et savoir, et qui
avoit, avec une volonté déjà soupçonnée, tout ce qu'il
falloit pour les tenir bas, et vraiment ministres, c'est-à-
dire exécuteurs-, et plus du tout ordonnateurs, encore
moins dispensateurs. Ils le sentirent, et déjà ils commen-
cèrent un peu à baisser le ton ; on peut juger avec quelle
douleur.
Le Chancelier perdoit tout le fruit d'un attachement Le Chancelier
qu'il avoit su ménager dès son entrée aux finances \ et et son fils.
qu'il avoit eu moyen et attention de cultiver très soigneu-
sement par Bignon son neveu, par du Mont, qu'il avoit
rendu son ami par mille services, par Mlle de Lillebonne
et Mme d'Espinoy, qu'il s'étoit aussi dévouées, en sorte
qu'il avoit lieu de se flatter sous Monseigneur, qui lui
marquoit amitié et distinction, du premier personnage
dans les affaires et d'une influence principale à la cour,
que ses talents étoient bastants pour soutenir et pour
porter fort loin, dans la primauté ^ de sa charge. L'échange
de ce qui succédoit étoit bien différent : rien, là, ne lui
I. Tomo XX. |). ITiMSO.
'2. G'fst le promior sens du mol ministre donné par les diction-
naires.
3. Tome VI, p. 193.
•'*. ((Primauté, prééminence, premier rang» (Académie, 1718).
Ce mol a déjà passé dans nos lomes V, p. 358, cl VIII, p. iil.
282 MÉMOIRES [1741]
rioit. Ennemi réputé des jésuites, et fort soupçonné de
jansénisme, brouillé dès son entrée aux finances avec le
duc de Beauvillier, et hors de bienséance ensemble par
les prises au Conseil, où ils étoient rarement d'accord, et
où, sur les matières de Rome, elles se poussoient quel-
quefois loin\ et sans ménagement de la part du Chan-
celier, déclaré de plus, même avec feu, contre l'arche-
vêque de Cambray dans tout le cours et les suites de son
affaire : c'en étoit trop, avec un caractère droit, sec,
ferme, pour ne se pas croire perdu, et pour que l'amitié
qui s'étoit maintenue entre le duc de Chevreuse et lui lui
pût être une ressource ; et il le sentit bien. Son fils, aussi
universellement abhorré qu'il étoit mathématiquement^
détestable, avoit encore trouvé le moyen de se faire éga-
lement craindre et mépriser^, d'user même la bassesse
d'une cour la plus servile, et de se brouiller avec les
jésuites, tout en faisant profession d intimité avec eux\
en les maltraitant en mille choses, jusque-là qu'au lieu de
lui savoir gré de l'inquisition et de la persécution ouverte
qu'il faisoit avec une singulière application à tout ce qu'il
croyoit qui pouvoit sentir le jansénisme, ils l'imputoient^
à son goût de faire du mal. C'étoit la bête ^ de la nouvelle
Dauphine, qui ne s'épargnoit pas à lui nuire auprès du
Roi. J'en dirai un trait entre plusieurs. Un soir que Pont-
chartrain sortoit de travailler avec le Roi, elle entra du
grand cabinet dans la chambre ; Mme de Saint-Simon la
suivoit avec une ou deux dames. Elle avisa auprès de la
1. Voyez notre tome VI, p. 286-287, et ci-après, p. 367 et 374.
2. « Mathématiquement, selon les règles des mathématiques » (Aca-
démie, 1718). Au figuré, dans le sens de rigoureusement parlant (Lit-
tré).
3. Saint-Simon a déjà peint à plusieurs reprises le caractère du
comte de Pontchartrain ; voyez notamment nos tomes XII, p. 323-324,
et XVI, p. 139 et suivantes.
4. Tome XVI, p. 141.
5. Les mots il l'imputoit ont été corrigés au pluriel après coup.
6. Terme déjà rencontré dans le tome XVII, p. 342
(ITllj DE SAIM-SIMON. 283
place où Pontcliartrain' avoit rtt'', de gros vilains crachats*
pleins do tabac : « Ah ! voilà qui est ctï'royablc ! dit-elle
au Roi ; c'est votre vilain borgne ; il n'y a que lui qui
puisse faire de ces horreurs-là^; » et de là à lui tomber
dessus de toutes les façons. Le Roi la laissa dire, puis, lui
montrant Mme de Saint-Simon, l'avertit que sa présence
la devoit retenir. « Bon! répondit *-elIe, elle ne le dira
pas comme moi ; mais je suis sûre qu'elle en pense tout
de même. Eh ! qui est qui ^ en pense autrement? » Là-
dessus, le Roi sourit, et se leva pour passer au souper
Le nouveau Dauphin n'en pensoit guères mieux, ni tout
ce qui l'approchoit. C'étoit donc une meule "^ de plus atta-
chée au cou du père, qui en sentoit tout le poids, et
Mme de Maintenon, de longue main brouillée avec le
père comme on l'a vu en son temps', n'aimoit pas mieux
le fils que sa princesse.
La Vrillière étoit aimé parce qu'il faisoit plaisir de bonne La Vrilllère.
grâce aux rares occasions que sa charge lui en pouvoit
fournir, mais qui n'avoit que des provinces sans autre
département ^ Lui et sa femme ensemble, et chacun à
part, étoient très bien avec Monseigneur, amis intimes de
1. La tin de l'abréviation Pontch. surcharge un d.
2. Nous avons vu (tome XV, p. 131) Mme de Nemours cracher par
terre en parlant au Roi. et (tome XVIL p. 67 et 480) Heudicourt, au
jeu, cracher derrière lui sans s'inquiéter des voisins. C'était donc une
licence permise à la cour. Les manuels de civilité disaient cependant
que, chez les grands, on devait cracher dans son mouchoir, mais que,
partout ailleurs, il fallait le faire à trois pas devant soi et mettre le
pied sur le crachat. Tallemant des Réaux (Historiettes, tome V, p. 145)
parle des cinquante-deux facjons de cracher sur le tapis.
3. « Horreur se prend aussi pour objet d'horreur ; dans le style
familier, on dit en parlant d'une chose extrêmement laide dans son
genre, c'est une horreur » {Académie, 1718).
4. Les premières lettres de repondit surchargent dit.
5. Nous avons déjà eu occasion de remarquer que Saint-Simon ne
se servait pas de la forme qui est-ce qui.
6. Tomes XVIIL p. 3o3, et XIX. p. 194. - 7. Tome X, p. 27-28.
8. Déjà dit tome XVI, p. 32, et répété ci-après, p. 320.
284 MÉMOIRES |17H]
du Mont, et parvenus auprès de Mlle Choin à une amitié
de confiance ', à quoi le premier écuyeret Bignon encore
plus, les avoient fort servis. La perte fut donc extrême.
Il ne tenoit d'ailleurs qu'au Chancelier, avec qui il vivoit
comme un fils, et cette liaison si naturelle- m'avoit été un
obstacle à l'approcher du duc de Beauvillier, à quoi
j'avois vainement travaillé. Mme' de Mailly, sa belle-
mère, n'avoit pas les reins assez forts* pour le soutenir.
Il avoit un malheur domestique ■', qu'il eut la sagesse
d'ignorer seul à la cour, et ce malheur creusoit^ sa ruine.
Mme de la Vrillière, en butte à Madame la Dauphine,
triomphoit d'elle en folle depuis bien des années sans mé-
nagemenf. Il y avoit eu jusqu'à des scènes, et Madame
la Dauphine ne haïssoit rien au monde tant qu'elle. Tout
cela présageoit un triste avenir.
Voysin. Voysin, sans nulle autre protection que celle de Mme de
Maintenon, sans art, sans tour, sans ménagement pour
personne, enfoncé dans ses papiers, enivré de sa faveur,
sec, pour ne pas dire brutal, en ses réponses, et insolent
dans ses lettres^, n'avoit pour lui que le manège de sa
femme % et tous deux nulle liaison avec la nouvelle cour,
trop nouveaux pour s'être fait des amis, et le mari peu
propre à s'en faire, peut-être moins à en conserver, avec
une '" place la plus enviée de toutes, et la moins difficile
à y trouver un successeur.
Torcy. Torcy, doux et mesuré, avoit pour soi la longue expé-
1. Il n'a pourtant point parlé de ces liaisons lorsqu'il a énuméré
les gens qui faisaient partie de la cabale de Meudon: tome XVIII, p. 10
et suivantes.
2. Ils étaient cousins, issus tous deux de M. d'Herbault, secrétaire
d'État sous Louis XIII.
3. Avant M', il a biffé et, et changé la virgule en point.
4. Ci-dessus, p. 268. — S. Tomes VII, p. 147, et XII, p. 272.
6. Au sens d'approfondir. — 7. Tome XII, p. 272-274 et 276-278.
8. Voyez le portrait déjà fait dans le tome XVII, p. 457-459.
9. Ibidem, p. 453-456.
10. Un, par mégarde, dans le manuscrit.
|I71 l| DE S.M.NT-Sl.MO.N. 285
rienco des atl'aires' et le secret de l'Ltat et des postes,
beaucoup d'amis, et point d'ennemis alors. Il étoit cou-
sin germain des duchesses de Chevreuse et de Beauvil-
lier, et gendre de Pomponne, pour qui MM. de Che-
vreuse et de Beauviilier avoient une confiance entière,
et une estime qui alloit à la vénération ; d'ailleurs sans
liaison avec Monseigneur, ni avec la cabale frappée-. Une
telle position sembloit heureuse à l'égard de la nouvelle
cour; mais ce n'étoit qu'une écorce^: au fonds, Torcy
n'étoit qu'en bienséance avec les ducs et les duchesses
de Chevreuse et de Beauviilier: ni la parenté, ni le com-
merce continuel et indispensable d'affaires n'avoient pu
fondre les glaces qui s'étoient mises entre eux*. Ils ne se
voyoient que par nécessité d'affaires ou de bienséance, et
cette froide bienséance n'étoit pas même poussée bien
loin. Torcy et sa femme vivoient dans la plus parfaite
union. Mme de Torcy, avec de l'humeur et de la hau-
teur, ne daignoit pas voiler assez ses sentiments. Son
nom^ les rendoit encore plus suspects*, et quelque chose
de plus que du crédit qu elle avoit pris sur son mari le
rendoit coupable d'après elle, et conséquemment, aux
yeux des deux ducs, dangereux dans le ministère". Il ne
i. Voici comment M. de Chevreuse le dépeignait à l'archevêque de
Cambray en ITUit {Correspondance de Fenclon, tome I, p. i89) :
« M. de Torcy est très bon secrétaire, entend même assez bien les
intérêts des princes et le nôtre; il n'est pas incapable de fournir des
expédients, et il sait les tours des négociations. Il a de la droiture et
veut bien remplir son devoir. Plus de t'eu et de vivacité pour pour-
suivre sans relâche ni délai ce qui est entre ses mains, plus de cou-
rage et de fermeté pour l'inculquer, sans se rebuter de choses en effet
très rebutantes, le rendroient un bon sujet. »
•2. Ci-dessus, p. 3i.
3. « Écorce, signitie tigurément superûcie, apparence » {Académie,
4718). Ce mot a été déjà rencontré plusieurs fois.
4. Un a fumet de jansénisme » le séparait d'eux, a-t-il dit dans le
tome XVIII, p. 18.
5. Elle était tille d'Arnauld de Pomponne, comme il vient d'être dit.
G. Voyez l'Addition au Journal de Danyeau, tome XVI, p. 68.
7. D'après l'aveu de Torcy lui-mèmo (Journal, p. '234), le Roi en
1710 affectait de le tenir à l'écart et même de le mortitier.
286 MÉMOIRES [17H]
fléchissoit point au Conseil sur les matières de Rome, où,
tout en douceur \ il soutenoit avec force et capacité les
avis que le Chancelier embrassoit après, et qui donnoient
lieu à ses prises avec le duc de Beauvillier, qui y souf-
froit beaucoup des raisons détaillées de l'un, soutenues
de la force et de l'autorité de l'autre-. Mme de Torcy
étoit moins aimée que Torcy, et plutôt éloignée qu'appro-
chée de la nouvelle Dauphine, pour^ qui elle ne s'étoit
jamais contrainte, encore moins pour qui que ce fût*. Elle
ne laissoit pas d'avoir des amis ainsi que Torcy, mais
dont pas un n'étoit d'aucune ressource pour le futur que ^
sa sœur^ par Madame la Duchesse, qui put leur faire
regretter Monseigneur.
Desmaretz. Desmaretz avoit assez longtemps tâté de la plus pro-
fonde disgrâce pour avoir pu faire d'utiles réflexions, et
il avoit été ramené sur l'eau'' avec tant de travail et de
peine, qu'il devoit avoir appris à connoître les amis de
sa personne, et à discerner ceux que les places donnent
toujours, mais qui ne durent qu'autant qu'elles. Il avoit
assez d'esprit et de sens pour que rien lui * manquât de
ce côté-là pour la conduite ^ et cependant il en manqua
1. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait pas cette
expression en douceur, au sens de sans éclat, avec modération.
2. Voyez notre tome XVIII, p. 9, et ci-dessus, p. 282.
3. L'abréviation p»" surcharge un à.
4. On a vu, tome XV, p. 241-251, son aventure à un souper du Roi.
5. Toute cette tin de la phrase a été ajoutée dans le blanc resté à la
fin du paragraphe et en interligne.
6. Non pas la sœur de Mme de Torcy, qui n'en avait point, mais
celle de son mari, Mme de Bouzols, dont on a vu à diverses reprises la
liaison avec Madame la Duchesse, et en dernier lieu au tome XIX, p. 18.
7. « On dit hgurément de ceux qui ont rétabli leurs affaires, quHls
sont revenus sur l'eau » (Académie, 1718). Saint-Simon a déjà em-
ployé une expression analogue, à propos du même Desmaretz, dans
le tome XV, p. 379.
8. Le manuscrit porte bien rien lui sans la négation ne.
9. Voyez le portrait qui sera donné de Desmaretz lors de sa mort,
dans la suite des Mémoires (tome XVII de 1873, p. 236-237).
[17111 DE SAINT-SIMON. 287
tout à fait. Le ministère l'enivra ; il se crut l'Atlas qui sou-
tenoit le monde', et dont l'État ne pouvoit se passer; il
se laissa séduire* j)ai' les nouveaux amis de coui-, et il
compta pour rien ceux de sa disgrâce. On a vu ailleurs^
que mon père, et moi à son exemple, avions été des
principaux, et que je l'avois fort servi auprès de Chamil-
lart et pour rentrer dans les finances*, et pour lui succé-
der dans la place de contrôleur générale On a vu qu'il ne
l'ignoroit pas, et tout ce qui se passa là-dessus entre lui
et moi "^. .\vec la déclaration que je lui avois faite, et que
je tins exactement, il devoit donc" être doublement à son
aise avec moi. Néanmoins, je m'aperçus bientôt qu'il se
refroidissoit. Je suivis de l'œil sa conduite à mon égard
pour ne me pas méprendre entre ce qui pouvoit être acci-
dentel dans un homme chargé d'atï'aires épineuses, et ce
que j'en soupçonnois. Mes soupçons devinrent une évi-
dence, qui me firent retirer de lui tout à fait, sans toute-
fois faire semblant de rien. Les ducs de Chevreuse et de
Beauvillier* s'aperçurent de cette retraite ; ils m'en par-
lèrent; ils me pressèrent; je leur avouai le fait et la cause.
Ils essayèrent de me persuader que Desmaretz étoit le
même pour moi, et qu'il ne falloit pas prendre garde au
froid et à la distraction que lui donnoient ses tristes occu-
pations. Ils' m'exhortèrent souvent d'aller chez lui; je
les laissois dire, et ne changeois rien à ce que je ra'étois
proposé. A la fin, lassés de mon opiniâtreté pendant le
dernier voyage de Fontainebleau '", ils me prirent un
t. Selon la mythologie grecque, Atlas était un géant, tils de Jupiter
et deClymène; on le représentait comme soutenant sur ses épaules
la voûte du ciel.
"2. Le commencement de séduire surcharge une /.
3. Tome VII. p. t;^6-t37 et o«9-o91. — 4. Tome XI, p. 2o2-2o6.
o. Tome XV, p. 371-373. — G. Ibidem, p. 375-382.
7. Donc est eu interligne. — 8. Ici, Beauvilliers.
9. Il y a i7, au singulier, par mégardc, dans le manuscrit.
10. On a vu ci-dessus (p. 265, note 6) que ce voyage dura de la mi
juillet à la mi-septembre.
288 MÉMOIRES [1711]
matin, et me menèrent dîner chez Desmaretz. Je résistai ;
ils le voulurent ; j'obéis et leur dis qu'ils auroient donc
le plaisir d'être convaincus par eux-mêmes. En effet, le
froid et l'inapplication ^ furent si marqués pour moi, que
les deux ducs, piqués, me l'avouèrent, et convinrent que
j'avois raison de cesser de le voir^ Eux-mêmes ne tar-
dèrent pas d'éprouver la même chose. L'honneur d'être
leur cousin germain étoit le plus grand relief de Desma-
retz ^ et leur situation un appui pour lui et une décora-
tion infinie. La relation nécessaire d'affaires avec eux étoit
un autre lien. Enfin c'étoit eux qui, à force de bras par
Chamillart et par eux-mêmes, l'avoient tiré d'opprobre
et remis en honneur et dans le ministère ^ Malgré tant de
raisons si majeures d'attachement et d'union, il les mit au
même point où j'étois avec lui. Ils ne se voyoient que de
loin à loin ^ par une rare bienséance, et fort peu de
communication d'affaires, qui ne se pouvoit éviter entiè-
rement avec le duc de Beauvillier, de qui je sus, vers ces
temps-ci, que lui ni le duc de Chevreuse ne lui parloient
plus de rien, et qu'ils étoient hors de toute portée avec
lui. Il alla jusqu'à persécuter ouvertement le vidame
d'Amiens, et les chevau-légers à cause du vidame®, qui
rompit ouvertement avec lui. Il n'en usa pas mieux avec
1. « Inattention, défaut d'application » {Académie, 1718). En citant
le présent emploi, Littré a fait observer que c'était une locution vieillie
dans le sens qu'on a ici.
2. Saint-Simon reviendra à maintes reprises, dans la suite des Mé-
moires, sur l'ingratitude de Desmaretz à son égard; voyez notamment
les tomes IX de l'édition de 1873, p. 7, X, p. 303, et XI, p. 402.
3. Ici, Desmaretz, et non plus Desmarests, comme à l'habitude.
4. Tomes XI, p. 252-256, et XV, p. 360-375.
5. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait que cette
locution de loin à loin, encore conservée dans la dernière édition
(1878), qui cependant donne aussi celle, plus habituelle de nos jours,
de loin en loin.
6. Nous avons vu, en 1704, le vidame succéder à son frère le duc
de Montfort, comme capitaine-lieutenant des chevau-légers de la garde ;
tome XII, p. 210.
flTlll DE SAINT-SIMON. 289
Torcv, sa mère' et sa sœur-, dont il avoit été le com-
mensal depuis ses premiers retours de Maillebois jusqu'à
son entrée dans le ministère, et il les poussa tous trois à
ne le plus voir du tout. Le Chancelier, qui, à la vérité,
n'avoit pas été heureux pour lui, mais qui avoit rompu
auprès du Roi les premières glaces pour le rappeler aux
finances du temps qu'il étoit contrôleur général ', étoit le
seul de tous les ministres qui ne fût pas payé en sorte
qu'il n'eût rien à se reprocher du côté de l'ingratitude,
dans une place et avec une * humeur féroce dont il n'étoit
pas maître, qui le rendoit redoutable aux femmes mêmes%
et d'une paresse qui ralentissoit tout''. Une conduite si
dépravée ne lui donnoit pas beau jeu pour l'avenir, et
son peu' d'accès auprès de Monseigneur et de son intime
cour ne lui faisoit rien perdre à ce qui venoit de dispa-
roître. Telle étoit, à la mort de Monseigneur, la situation
des ministres. Il faut venir maintenant à celle du duc de
Beauvillier, et de ceux qui trouvèrent leur ressource
dans ce grand changement, et voir après les effets de ces
contrastes.
Peu de gens parurent sur la scène du premier coup Duc
d'œil. Ceux-là même ne purent être guères aperçus, hors ^^ Beauvilher.
les principaux ou les plus marqués, par les mesures poli-
tiques dont ils se couvrirent^ ; mais on peut juger qu'il y
eut presse d'avoir part avec ces principaux, et avec ceux
i. Mme de Croissy : tome XII, p. 404. — '2. Mme de Bouzols.
3. En 1700, racontant (tome VII, p. 137-138) la permission donnée
à Chamillart de se servir des lumières de Desmarelz, l'auteur n'a pas
parlé de l'intervention antérieure de Pontchartrain.
4. Un, dans le manuscrit.
o. Par la suite, il le traitera d' « ogre », d' « animal bourru », de
« vizir rogue et brutal », etc.
6. Voyez tome VII, p. 131.
7. Les mots et son peu sont en interlij,'ne, au-dessus d'un premier
et son peu, biiïé. qui surchargeait telle estait.
8. Saint-Simon l'ait allusion à sa situation personnelle; ci-après,
p. 304-300.
MEMOlRKï DL SAINT-.SIMU.N . XXI 19
290 MÉMOIRES fl71d]
des autres qui purent être reconnus. On peut imaginer
encore quels furent les sentiments du duc de Beauvillier,
le seul homme peut-être pour lequel Monseigneur avoit
conçu une véritable aversion, jusqu'à ne l'avoir pu dissi-
muler', laquelle étoit sans cesse bien soigneusement
fomentée. En échange, Beauvillier voyoit l'élévation ines-
pérée d'un pupille qui se faisoit un plaisir secret de l'être
encore, et un honneur public de le montrer, sans que
rien eût pu le faire changer là-dessus. L'honnête homme
dans l'amour de l'État, l'homme de bien dans le désir du
progrès de la vertu, et, sous ce puissant auspice^, un
autre Monsieur de Cambray dans Beauvillier, se voyoit à
portée de servir utilement l'État et la vertu, de préparer
le retour de ce cher archevêque, et de le faire un jour
son coopérateur en tout. A travers la candeur et la piété
la plus pure, un reste d'humanité inséparable de l'homme
faisoit goûter à celui-ci un élargissement^ de cœur et
d'esprit imprévu, un aise* pour des desseins utiles qui
désormais se remplissoient comme d'eux-mêmes, une
sorte de dictature enfin d'autant plus savoureuse qu'elle
étoit plus rare et plus pleine, moins attendue et moins
contredite, et qui, par lui, se répandoit sur les siens, et
sur ceux de son choix. Persécuté au milieu de la plus
éclatante fortune, et, comme on l'a vu ici en plus d'un
endroit % poussé quelquefois jusqu'au dernier bord du
1. Il a dit ci-dessus, p. 73, que « Monseigneur n'eut que deux
hommes d'aversion dans toute la cour : ... le maréchal de Villeroy et
M. de Lauzun »; et qu'il en avait « une fort marquée pour les ducs de
Chevreuse et de Beauvillier; mais c'étoit l'effet de la cabale ».
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait auspice au
singulier que pour désigner les présages de l'antiquité.
3. Terme déjà relevé au figuré dans le tome XVIII, p. 391.
4. U Académie n'indiquait le mot aise qu'au féminin ; il n'y a peut-
être ici, de la part de notre auteur, qu'un lapsus de plume comme
ceux que nous avons relevés ci-dessus, p. 138, 242, 284, 289, et
ci-après, p. 300 et 383.
0. Tomes V, p. 144 et suivantes, et XVII, p. 138-167.
i
flTlll DE SAINT-SIMON. -291
précipice, il se trouvoit tout d'un coup fondé sur' le plus
ferme rocher-, et peut-être ne regarda-t-il pas sans quel-
que complaisance ces mêmes vagues, de la violence des-
(juelles il avoit pensé être emporté quelquefois, ne
pouvoir plus que de se briser à ses pieds \ Son âme, toute-
fois, parut toujours dans la môme assiette * : même sa-
gesse, même modération, même attention, même douceur,
même accès, même politesse, même tranquillité ^ sans le
moindre relent*^ d'élévation, de distraction, d'empresse-
ment. Une autre cause plus digne de lui le combloit
d'allégresse : sûr du fonds du nouveau Dauphin, il prévit
son triomphe sur les esprits et sur les cœurs dès qu'il se-
roit affranchi et en sa place, et ce fut sur quoi' il s'aban-
donna secrètement avec nous à sa sensibilité. Chevreuse,
un avec lui dans tous les temps de leur vie, s'éjouit* avec
lui de la même joie, et y en trouva les mêmes motifs ; et
leurs familles s'applaudirent d'un consolidement^ de for-
tune et d'éclat qui ne tarda pas à paroître. Mais celui de
tous à qui cet événement devint •" le plus sensible fut
Fénelon, archevêque de Gambray. Quelle préparation,
1. Sur surcharge un.
2. Allusion au Domus fundata super petram de l'Évangile selon
saint Luc, chap. vi, verset 48.
3. Est-ce un souvenir du Suave mari magno de Lucrèce ?
4. « Assiette se dit tigurément de l'état et de la disposition de l'es-
prit : U n'a pas l'esprit dans une bonne assiette, dans une égale
assiette » (Académie, 1718).
5. Ces deux mots ont été ajoutés en interligne.
6. Nous avons vu, tome XII, p. 45, que Saint-Simon écrit relan.
7. Quoy est en interligne, au-dessus de qui, biffé.
8. Les lexiques de l'époque ne donnaient plus le verbe s'éjouir,
dont le Littré cite des exemples de la Fontaine et de Pascal, et que
nous trouverons encore employé dans la suite des Mémoires (tome
XVII de 1873, p. -242).
9. On ne trouve dans les dictionnaires contemporains que le mot
consolidation. Littré n'a relevé pour consolidement que deux exemples
de Saint-Simon.
10. Devint est en interligne, au-dessus de fut, biffé.
292 MÉMOIRES [171i]
quelle approche d'un triomphe sûr et complet, et quel
puissant rayon de lumière vint à ' percer tout à coup une
demeure de ténèbres !
Fcnelon Continé depuis douze ans- dans son diocèse, ce prélat
archevêque de y yieillissoit SOUS le poids inutile de ses espérances, et
vojoit les années s'écouler dans une égalité qui ne pou-
voit que le désespérer. Toujours odieux au Roi, à qui
personne n'osoit prononcer son nom, même en choses in-
différentes, plus odieux à Mme de Maintenon parce qu'elle
l'avoit perdu, plus en butte que nul auLre à la terrible
cabale qui disposoit de Monseigneur, il n'avoit de res-
source qu'en l'inaltérable amitié de son pupille devenu
lui-même victime de cette cabale, et qui, selon le cours
ordinaire de la nature, le devoit être trop longtemps pour
que le précepteur pût se llatter d'y survivre, ni par con-
séquent de sortir de son état de mort au monde. En un
clin d'œil, ce pupille devient Dauphin ; en un autre,
comme on le va voir ^, il parvient à une sorte d'avant-
règne. Quelle transition pour un ambitieux I On l'a déjà
fait connoître lors de sa disgrâce*. Son fameux Télé-
maque '% qui l'approfondit plus que tout et la rendit incu-
1. Les mots vint à ont été ajoutés en tin de ligne, après lumière,
et, au commencement de la ligne suivante, perçant a été corrigé en
percer, mais sans biffer la cédille.
2. Depuis 4697 : tome IV, p. 105. — 3. Ci-après, p. 316.
4. Tome IV, p. 104-106.
5. Il a déjà été parlé du Télémaque dans notre tome VI, p. 156,
note d. C'est en avril 1699 que parut chez la veuve Claude Barbinj en
un volume in-12 et sans nom d'auteur, le commencement du récit,
sous le titre de Suite du quatrième livre de l'Odyssée d'Homère ou
les Aventures de Télémaque, fils d'Ulysse. Le privilège était daté du
6 avril; mais le volume s'arrête à la page 208, Fénelon, averti, en
ayant racheté tous les exemplaires et interdit la continuation (Lettres
de Madame, recueil Jseglé, t. I, p. 201). Déjà, l'année précédente,
des copies en avaient circulé sous le manteau, et c'est cette circons-
tance qui permit au libraire hollandais Adrien Moetjens, de la Haye,
de publier une édition complète de l'ouvrage dès 1699. Une autre,
tentée à Rouen, en février 1700, fut vite découverte et saisie par la
flTll] DE SAI.XT-SIMOX. -20.3
rable, le peint d'après nature. C'étoient les thèmes de son
pupille qu'on déroba, qu'on joignit, qu'on publia à son
insu dans la force de son aflPaire', M. de \oailles, qui,
comme on l'a vu, ne vouloit rien moins que toutes les
places du duc de Beauvillier-, disoit au Roi alors, et à
qui voulut l'entendre, qu'il falloit être ennemi de sa per-
sonne pour l'avoir composé^. Quoique si avancés ici dans
police (reg. 0' U, fol. 30, 60 et iOo, et 0» 362, fol. 339; Gazette
d'Amf<tcrdam, Extraordinaire xv). Le nom de l'auteur ne parut que
sur l'édition de iTOl du même Moetjens. En 1717, le neveu de Féne-
ion en donna une définitive, qu'il prétendit revue sur les manuscrits
de son oncle. Il a été parlé à différentes reprises de cet ouvra£;e dans
la Correspondance de Fénelon (tomes I. p. 97, II, p. 439, III, p. 247-
248, et X, p. 4'tO), qui s'est disculpé d'avoir voulu écrire un pamphlet
politique. Dans l'édition do ses Œuvres (tome XX, p. i et suivantes),
on trouvera une notice sur les manuscrits et les éditions du Télémaque,
et l'abbé Caron a publié en 1840 des Recherches bibliographiques sur
le Télémaque. Saint-Simon avait dans sa bibliothèque l'édition de 1724
(Catalogue, n°38o).
1. Nous venons de voir qu'il ne fut publié qu'en 1699, alors que
Fénelon était en disgrâce depuis deux ans. Il n'est pas douteux que
l'archevêque n'ait composé son récit pour l'instruction de son élève ;
mais il est difficile de croire, comme le dit Saint-Simon, que le canevas
en ait été « les thèmes de son pupille, qu'on déroba et qu'on joignit. »
L'opinion la plus communément admise est que le Télémaque, confié
à un domestique par le prélat, pour en faire une copie, fut communi-
qué par le copiste à diverses personnes, et que le succès obtenu en-
gagea l'infidèle à en vendre des copies, dont une ou plusieurs parvin-
rent aux mains des libraires. Un critique moderne disait naguère que
l'ouvrage fut écrit au prieuré de Carennac.
2. Tome V, p. 145.
3. Toute la cour voulut voir dans le Télémaque des allusions politi-
ques. « On avoit persuadé au Roi. a dit ailleurs notre auteur (Ecrits
inédits, tome IV, p. 438), qu'Astarbé et Pygmalion dans Tyr étoit sa
peinture et celle de Mme de Maintenon dans Versailles ; celle-ci n'y
pouvoit penser sans en frémir de rage. » La Beaumelle (Mémoires pour
servir d l'hiitoire de Mme de Maintenon, tome IV, p. 124-130) a écrit
un très curieux chapitre sur le Télémaque, la manière dont il fut connu,
et l'opinion qu'en conçut Louis XIV. Au dire de Madame (Lettres,
recueil J»glé, I. I, p. 217), le Roi en permettait encore la lecture en
manuscrit au duc de Bourgogne dans le courant de l'année 1700. L'ou-
294 MÉMOIRES [1711]
la connoissance d'un prélat qui a fait, jusque du fonds de
sa disgrâce, tant de peur', et une figure en tout état si
singulière, il ne sera pas inutile d'en dire encore un mot
ici. Plus^ coquet que toutes les femmes, mais en solide,
et non en misères, sa passion étoit de plaire, et il avoit
autant de soin de captiver les valets que les maîtres, et
les plus petites gens que les personnages^. Il* avoit pour
cela des talents faits exprès : une douceur, une insinua-
tion, des grâces naturelles et qui couloient de source, un
esprit facile, ingénieux, fleuri, agréable ^ dont il tenoit,
vrage fut très diversement apprécié. Si Madame (ibidem, p. 201) en
fait l'éloge, le cardinal de Noailles et son neveu l'évèque de Châlons
(Archives de la Bastille, tome IX, p. 91) le regardaient comme per-
nicieux ; c'était aussi l'opinion de Bossuet (Journal de l'abbé Ledieu,
tome II, p. 12-14 et 22). Voltaire en a fait la critique dans le chapitre
XXXII du Siècle de Louis XIV, et Boileau communiqua son sentiment à
son ami Brossette dans une lettre du 10 novembre 1699 qui a passé en
vente chez Etienne Charavay le 17 novembre 1894. L'ex-bénédictin
Gueudeville, converti au protestantisme et fondateur de l'Esprit des
cours de l'Europe, publia de 1700 à 1702, sous la rubrique de Cologne,
une Critique générale (en cinq parties) des Aventures de Télé-
maque.
i. Il a déjà dit, dans le tome XV, p. 366-367, que la haine et la
crainte restaient toujours chez ceux qui l'avaient renversé.
2. On peut rapprocher le portrait qui va suivre de celui qui a été pu-
blié dans les Écrits inédits (tome IV, p. 448 et suivantes), de celui
qui reviendra dans la suite des Mémoires (tome XI, p. 57 et suivantes),
et les comparer avec celui qu'on trouve dans le tome XIII des Œuvres
de Daguesseau (p. 167-169). Tous les contemporains s'accordent à re-
connaître l'amabilité de Fénelon, sa douceur, sa complaisance et la
séduction qu'il exerçait sur tout le monde. Mme de Maintenon s'y laissa
prendre une des premières, et le regarda comme « un saint » (Lettres
historiques et édifiantes, tome II, p. 50). Lorsqu'il mourut, le P. Sa-
nadon, l'ancien directeur de conscience de Saint-Simon, composa un
éloge funèbre, qui est conservé dans le ms. Arsenal 4258, fol. 49-53,
et où l'on retrouve la plupart des traits reproduits ici. Notre auteur
s'en est-il servi ?
3. Déjà dit au tome II, p. 340.
4. Avant il, Saint-Simon a biffé et.
5. « Le plus bel esprit et le plus chimérique du royaume », disait
Louis XIV, selon Daguesseau, « à tout prendre, un bel esprit et un
[I7H] DE SAI.XT-SIMO.X. 29o
pour ainsi dire, le robinet' pour en verser la qualité et
la quantité exactement convenable à chaque chose et à
chaque personne ; il se proportionnoit et se faisoit tout à
tous. Une figure fort singulière, mais noble, frappante,
perçante, attirante - ; un abord facile à tous ; une conver-
sation aisée, légère, et toujours décente ; un commerce
enchanteur ; une piété facile, égale, qui n'eflfarouchoit
point, et se faisoit respecter^ ; une libéralité bien enten-
due ; une magnificence qui n'insultoit point, et qui se
versoit sur les otïiciers et les soldats, qui embrassoit une
vaste hospitalité *, et qui, pour la table, les meubles et les
équipages, demeuroit dans les justes bornes de sa place ;
également officieux et modeste, secret dans les assistances
qui se pouvoient cacher, et qui étoient sans nombre, leste
et délié sur les autres jusqu'à devenir l'obligé de ceux à
qui il les donnoit, et à le persuader ; jamais empressé,
jamais de compliments, mais une politesse qui, en embras-
sant tout, étoit toujours mesurée et proportionnée, en
sorte qu'il sembloit à chacun qu'elle n'étoit que pour lui,
avec ^ cette précision dans laquelle il excelloit singulière-
grand homme », selon notre auteur (Addition au Journal de Dan-
geau, tome XV, p. 333).
1. « On dit d'un grand parleur que, quand une fois le robinet est
lâché, il a de la peine à finir; il est bas » (Académie, 4718).
2. On connaît plusieurs portraits du prélat ; tous ont été gravés :
l'un d'eux, par Vivien, appartient au musée de Verdun ; deux autres,
par Rigaud et Largillière, sont conservés dans des collections particu-
lières ; tous trois ont figuré en 1900 à l'exposition du palais du Troca-
déro. Dans la notice que Saint-Simon lui avait consacrée comme pré-
cepteur des enfants de France (Écrits inédits, tome IV, p. 449), il
disait : « Il étoit paré de la physionomie la plus perçante et qui pro-
mettoit le plus ; une figure noble, haute, maigre, un nez aquilin émincé,
un visage pûle et des yeux qui tenoie*it du prophétique. » Voyez aussi
la suite des Mémoires, tome XI de 1873, *p. 38.
3. Voyez Fénelon directeur de conscience, par l'abbé Moïse Cagnac
(1901).
4. Ci-après, p. 297.
5. Avec est on interligne à la suite à'adroit, biffé, et au-dessus d'un
premier adroit, surchargé en avec et bifl'é.
296 MÉMOIRES [1711]
ment. Adroit surtout dans l'art ' de porteries souffrances-,
il en usurpoit un mérite qui donnoit tout l'éclat au sien,
et qui en portoit l'admiration et le dévouement pour lui ^
dans le cœur de tous les habitants des Pays-Bas quels
qu'ils fussent, et de toutes les dominations qui les parta-
geoient*, dont il avoit l'amour et la vénération. Il jouis-
soit, en attendant un autre genre de vie qu'il ne perdit
jamais de vue% de toute la douceur de celle-ci, qu'il eût
peut-être regrettée dans l'éclat après lequel il soupira
toujours, et il en jouissoit avec une paix si apparente, que
qui n'eût su ce qu'il avoit été, et ce qu'il pouvoit deve-
nir encore, aucun même de ceux qui l'approchoient le
plus, et qui le voyoient avec le plus de familiarité, ne s'en
seroit jamais aperçu. Parmi tant d'extérieur pour le
monde, il n'en étoit pas moins appliqué à tous les devoirs
d'un évêque qui n'auroit eu que son diocèse à gouver-
ner® et qui n'en auroit été distrait par aucune autre
chose : visites d'hôpitaux \ dispensation large, mais judi-
cieuse, d'aumônes, clergé, communautés, rien ne lui
échappoit^ Il disoit tous les jours la messe dans sa cha-
pelle, officioit souvent, suffisoit à toutes ses fonctions épis-
copales sans se faire jamais suppléer, prêchoit quelque-
fois. Il trouvoit du temps pour tout, et n'avoit point l'air
occupé. Sa maison ouverte, et sa table de même, avoient
i. Le t d'art surcharge un d. — 2. De compatir aux souffrances.
3. Les mots p*" luy surchargent dans.
4. Une partie du diocèse de Cambray et ses deux suffragants de
Tournay et de Namur appartenaient aux Pays-Bas espagnols, tandis
que l'autre partie, avec les évêchés d'Arras et de Saint-Omer, se trou-
vait en France.
5. Ci-après, p. 298.
6. Dans la notice publiée au tome IV des Écrits inédits, p. 456-457
et 461-462, Saint-Simon avait énuméré plus longuement ses occupa-
tions épiscopales et celles de sa vie journalière.
7. Le commencement d'hospitaux surcharge dans.
8. Un mémoire de lui sur le séminaire de Beuvrages a été publié
dans le Bulletin du Comité des travaux historiques, année 1900, p.
391-396.
[1711] DE SATXT-SIMON. 297
l'air de celle d'un gouverneur de Flandres', et tout à la
fois d'un palais vraiment épiscopal ; et toujours beaucoup
de gens de guerre distingués, et beaucoup d'officiers par-
ticuliers, sains, malades, blessés, logés chez lui, défrayés
et servis comme s'il n'y en eût eu qu'un seul; et lui ordinai-
rement présent aux consultations des médecins et des chi-
rurgiens, faisant d'ailleurs auprès des malades et des bles-
sés les fonctions de pasteur le plus charitable, et souvent
par les maisons et par les hôpitaux ; et tout cela sans
oubli, sans petitesse, et toujours prévenant avec les mains
ouvertes. Aussi étoit-il adoré de tous. Ce merveilleux
dehors n'étoit pourtant pas tout lui-même. Sans entre-
prendre de le sonder, on peut dire hardiment qu'il n'étoit
pas sans soins et sans recherches de tout ce qui pouvoit
le raccrocher- et le conduire aux premières places^. Inti-
mement uni à cette partie des jésuites à la tête desquels
étoit le P. Tellier, qui ne i'avoient jamais abandonné, et
qui I'avoient soutenu jusque par delà leurs forces*, il
occupa ses dernières années à faire des écrits^ qui, vive-
ment relevés^ par le P. Quesnel et plusieurs autres, ne
firent que serrer les nœuds d'une union utile par où il
i. Voyez ce que notre auteur a dit dans le tome X, p. 185, de son
accueil aux offîciers qui se rendaient en Flandre ou qui en reve-
naient.
2. « Raccrocher signifie au figuré raccommoder des personnes qui
étoient brouillées, les remettre bien ensemble » (Académie, il \S). Ici,
ce serait plutôt k remettre sur pied ».
8. Madame {Correspondance, recueil Jreglé, tome I, p. l7o et 179)
disait aussi que, parle quiétisme, il n'avait voulu que s'assurer le pou-
voir.
4. Tomos IV, p. n, et XIX, p. 208-209.
5. Mandements ou Lettres pastorales sur le jansénisme et sur la doc-
trine du P. Quesnel, dont les principaux sont contenus dans les tomes
XlV-XVi de l'édition de ses œuvres complètes donnée par le libraire
Leclère de 1820 à 1824.
H. Les trois mots qui rivcm' relevés sont en interligne, ce qui semble
indiquer encore une l'ois, que Saint-Simon copiait une rédaction primi-
tive.
298 MÉMOIRES [1711]
espéra d'émousser l'aigreur du Roi'. Le silence dans
l'Eglise étoit le partage naturel d'un évêque dont la doc-
trine avoit, après tant de bruit et de disputes, été solen-
nellement condamnée : il avoit trop d'esprit pour ne le
pas sentir ; mais il eut trop d'ambition pour ne compter
pas pour rien tant de voix élevées contre l'auteur d'un
dogme proscrit et ses écrits dogmatiques, et beaucoup
d'autres qui ne l'épargnèrent pas sur le motif que le
monde éclairé entrevoyoit assez. Il marcha vers son but
sans se détourner ni à droit ni à gauche ; il donna lieu
à ses amis d'oser nommer son nom quelquefois ; il flatta
Rome, pour lui si ingrate - ; il se fît considérer par toute
la Société des jésuites comme un prélat d'un grand usage,
en faveur duquel rien ne devoit être épargné ; il vint à
bout de se concilier la Chétardye, curé de Saint-Sulpice,
directeur imbécile ^ et même gouverneur de Mme de
Maintenon. Parmi ces combats de plume, Fénelon, uni-
forme dans la douceur de sa conduite, et dans sa passion
de se faire aimer, se garda bien de s'engager dans une
guerre d'action. Les Pays-Bas fourmilloient de jansénistes
ou de gens réputés tels ; en particulier, son diocèse et
Cambray même en étoient pleins^ ; l'un et l'autre leur fu-
rent des lieux de constant asile et de paix. Heureux et
contents d'y trouver du repos sous un ennemi de plume,
ils ne s'émurent de rien à l'égard de leur archevêque, qui,
bien que si contraire à leur doctrine, leur laissoit toute
sorte de tranquillité. Ils se reposèrent sur d'autres de leur
1. Selon l'abbé de Longuerue, Fénelon aurait été un très faible théo-
logien, n'ayant rien lu que des vies de saints et n'ayant étudié à fond
n l'Écriture, ni les Pères (Longueruana, p. 78 ; marquis d'Argenson,
Essais dans le goût de ceux de Montaigne, p. 354-353).
2. On crut, lorsqu'il mourut, que le Pape l'avait nommé cardinal
in petto, se réservant de le déclarer lorsqu'il n'y aurait plus crainte de
mécontenter Louis XIV (Longueruana, p. 78).
3. Déjà dit dans le tome XVIII, p. 240.
4. Saint-Simon avait d'abord écrit : estaient pleins, qu'il a ensuite
corrigé par erreur au singulier.
[1711] DE SAINT-SIMON. Î99
défense dogmatique, et ne donnèrent point d'atteinte à
l'amour général que tous portoient à Fénelon. Par une
conduite si déliée, il ne perdit rien du mérite d'un prélat
doux et pacifique, ni des espérances d'un évêque dont
l'Église devoit tout se promettre, et dont l'intérêt étoit de
tout faire pour lui.
Telle étoit la position de l'archevêque de Cambray lors- Union
qu'il apprit la mort de Monseigneur, l'essor de son dis- j'^^r-^^^ u^'^"'^ t
ciple, l'autorité de ses amis. Jamais liaison ne fut plus de tout le petit
forte ni plus inaltérable que celle de ce petit troupeau * troupeau.
à part. Elle étoit fondée sur une confiance intime et fidèle,
qui elle-même l'étoit, à leur avis, sur l'amour de Dieu et
de son Église. Ils- étoient presque tous gens d'une grande
vertu, grands et petits, à fort peu près qui en avoient
l'écorce, qui étoit prise par les autres pour la vertu même.
Tous n'avoient qu'un but, qu'aucune disgrâce ne put dé-
ranger, tous qu'une marche compassée ^ et cadencée vers
ce but, qui étoit le retour de Cambray leur maître, et
cependant de ne vivre et ne respirer que pour lui, de ne
penser et de n'agir que sur ses principes, et de recevoir
ses avis en tout genre comme les oracles de Dieu même,
dont il étoit le canal. Que ne peut point un enchantement
de cette nature, qui, ayant saisi le cœur des plus hon-
nêtes gens, l'esprit de gens qui en avoient beaucoup, le
goût et la plus ardente amitié de personnes les plus fidèles,
s'est encore divinisé en eux par l'opinion ferme, ancienne,
constante, qu'en cela consiste piété, vertu, gloire de Dieu,
soutien de l'Église, et le salut particulier de leurs âmes,
à quoi de bonne foi tout étoit postposé* chez eux? Par
ce développement on voit sans peine quel puissant ressort
1. C'est le terme dont notre auteur se sert toujours; on l'appelait
ainsi par allusion au pusillus qrex de l'Évangile selon Saint Luc,
chap. XII, verset 32.
2. Il, au singulier, par mégarde, dans le manuscrit.
3. Et non composée, comme on l'avait imprimé dans la dernière
édition.
4. Mot déjà rencontré dans le tome XV, p. 21.
300 MÉMOIRES [1711]
étoit l'archevêque de Cambray à l'égard des ducs de Che-
vreuse et de Beauvillier et de leurs épouses, qui tous
quatre n'étoient qu'un cœur, une * âme, un sentiment,
une pensée. Ce fut peut-être cette considération unique
qui empêcha la retraite du duc de Beauvillier à la mort
de ses enfants-, et lorsqu'il eut achevé l'établissement
intérieur de sa famille^, enfin aux diverses occasions où
on l'a vu ici si près^ d'être perdu ^. Le duc de Chevreuse
et lui avoient un goût et un penchant entier à la retraite :
il y étoit si entier, que leur vie en tenoit^ une proximité''
tout à fait indécente à leurs emplois * ; mais l'ardeur de
leurs désirs d'être utiles à la gloire de Dieu, à l'Église, à
leur propre salut, le^ leur fit croire, de la meilleure foi
du monde, attaché à demeurer en des places qui pussent'"
ne rien laisser échapper sur le retour de leur père spiri-
tuel. Il ne leur fallut pas une raison à leur avis moins
transcendante pour essuyer " tout, glisser sur tout, et con-
jurer les orages, pour n'avoir pas à se reprocher un jour
le crime de s'être rendus inutiles à une œuvre à leurs
yeux si principale, dont les occasions leur pouvoient être
présentées'^ par les ressorts inconnus de la Providence,
encore que, depuis si longtemps, ils n'y eussent pu entre-
1. Ici encore un ame. — 2. Tome XIII, p. 178-179.
3. Lorsqu'il céda son duché à son frère en 1706 (tome XIV, p. 423-
127), et, en 1710, sa charge de premier gentilhomme de la chambre au
duc de Mortemart, son gendre (tome XIX, p. 33-37).
4. Pîesf corrigé en prés. — o. Ci-dessus, p. 290 et note 5.
6. Le commencement de tenait corrige un a.
1. « Proximité, voisinage d'une chose par rapport à une autre »
(Académie, 1718.) Nous avons déjà eu proximité de lignage dans le
tome I, p. 222.
8. Saint-Simon veut dire que leur existence journalière était si
semblable à une vie de retraite que cela ne convenait pas aux emplois
qu'ils avaient à la cour.
9. Leur salut.
10. Puisent est en interligne, au-dessus de pusse, biffé.
11. Dans les éditions précédentes, on a imprimé essayer.
12. Présentés corrigé en présentées.
[1711] DE SAINT-SIMON. 304
voir le moindre jour. Le changement subit arrivé par la
mort de Monseigneur leur parut cette grande opération de
la Providence, expresse' pour Monsieur de Cambray, si
persévéramment attendue, sans savoir d'où ni comment
elle s'accompliroit, la récompense du juste qui vit de la
foi, qui espère contre toute espérance-, et qui est délivré
au moment le plus imprévu. Ce n'est pas que je leur aie
ouï^ rien dire de tout cela ; mais^ qui les voyoit comme
moi dans leur intérieur y voyoit une telle conformité dans
tout le tissu de leur vie, de leur conduite, de leurs senti-
ments, que leur attribuer ceux-là, c'est moins les scruter^
que les avoir bien connus. Serrés sur tout ce qui pouvoit
approcher ces matières, renfermés entre eux autres an-
ciens disciples avec une discrétion et une fidélité merveil-
leuse, sans faire ni admettre aucuns prosélytes dans la
crainte de s'en repentir, ils ne jouissoient qu'ensemble
d'une vraie liberté, et cette liberté leur étoit si douce,
qu'ils la préféroient "^ à tout; de là, plus que de toute
autre chose, cette union ' plus que fraternelle des ducs et
des duchesses de Chevreuse et de Beauvillier; de là le
mariage du duc de Mortemart, fils de la disciple sans peur,
sans mesure, sans contrainte**; de là les retraites impé-
nétrables de la fin de chaque semaine à Vaucresson avec
un très petit nombre de disciples trayés, obscurs, et qui
s'y succédoient les uns aux autres ^ ; de là cette clôture de
1. Au sens de faite expressément. — 2. Ci-dessus, p. 4.
3. Il y a oii, dans le manuscrit.
4. Après mais, un à rend la phrase boiteuse.
5. he. Dictionnaire de V Académie àe. 1718, qui donnait les mots
scrutin et scrutateur, ne connaissait pas le verbe scruter, ni non plus
le Dictionnaire de Trévoux. Scruter ne tigura dans VAcadémie qu'en
1798, avec le sens d'examiner en cherchant à pénétrer jusqu'au fond
des choses. Littré en cite un exemple de Vauvenargues ; nous le re-
trouverons ci-après, p. 377.
G. Il y a prefereroient, par erreur, dans le manuscrit.
7. Avant union, il a biffé umno[n].
8. Voyez tome XI, p. 330-334. — 9. Tome XIX, p. 139.
302 MÉMOIRES [1711]
monastère qui les suivoit au milieu de la cour ; de là cet
attachement au delà de tout au nouveau Dauphin, soi-
gneusement élevé et entretenu dans les mêmes senti-
ments : ils le regardoient comme un autre Esdras, comme
le restaurateur du temple et du peuple de Dieu après la
captivités
Dans ce petit troupeau étoit une disciple des premiers
temps, formée par M. Bertau^ qui tenoit des assemblées
à l'abbaye de Montmartre ^ où elle avoit été instruite*
dès sa jeunesse, où elle alloit toutes les semaines avec
M. de Noailles, qui sut bien s'en retirer à temps ^: c'étoit
la duchesse de Béthune % qui avoit toujours augmenté de-
puis en vertu, et qui avoit été trouvée digne par Mme
Guyon'^ d'être sa favorite ^ C'étoit par excellence la
grande âme, devant qui Monsieur de Cambray même étoit
4. Esdras, fils et frère de deux grands prêtres, fut le chef des Juifs
qui revinrent de Babylone à Jérusalem vers 467 avant J.-C. ; il contri-
bua avec Zorobabel à la reconstruction du Temple et à la réorganisa-
tion du peuple juif. Trois livres de la Bible portent son nom ; mais les
deux derniers sont considérés comme apocryphes.
2. Ce Bertau, ou plutôt Berthod, devait être un neveu du fameux
chanteur Berthod, dit le Châtré, dont a parlé Tallemant, et, bon chan-
teur lui-même, il entra à l'Oratoire en \660 {Muse historique, tome III,
p. 192). C'est lui qui fut donné par la Mère Granger à Mme Guyon et
fut son premier initiateur. Saint-Simon parlera encore de lui, toujours
à propos de Mme de Béthune, en 1716.
3. Cette abbaye, située sur le sommet de la colline qui dominait Pa-
ris, avait été fondée en 1134 par le roi Louis le Gros, pour des Béné-
dictines, et le pape Eugène III en avait consacré lui-même l'église en
1147. Au temps des « assemblées » dont parle notre auteur, l'abbesse
était Françoise-Renée de Lorraine-Guise, qui mourut en 1682 et fut
remplacée par Marie-Anne de Lorraine-Harcourt.
4. Instruilte (sic') est en interligne, au-dessus de formée, biffé.
5. Dans la suite des Mémoires (tome XIII de 1873, p. 39-40), Saint-
Simon donnera plus de détails sur les relations passagères du futur
maréchal de Noailles avec ce « petit troupeau », prémices du quié-
tisme. Il en avait déjà parlé dans l'Addition n° 127 (notre tome II,
p. 413).
6. Marie Foucquet : tome II, p. 34S.
7. Le G de Guyon surcharge un d. — 8. Tome V, p. 173.
[1711] DE SAINT-SIMON. 303
en respect, et qui n'y étoit à son tour que par humilité et
par ditïérence de sexe. Cette confraternité avoit fait de la
fille du surintendant Foucquet l'amie la plus intime des
trois filles de Colbert et de ses gendres, qui la regar-
doient avec la plus grande vénération '. Le duc de Bé-
thune, son mari -, n'étoit qu'un frère coupe-choux % qu'on
toléroit à cause d'elle ; mais le duc de Charost son fils
recueillit tous les fruits de la béatitude de sa sainte mère.
Une ^ probité exacte, beaucoup d'honneur, et tout ce qu'il
y pouvoit ajouter de vertu à force de bras % mais rehaus-
sée de tout l'abandon à Monsieur de Cambray qui se pou-
voit espérer du fils de*' la disciple mère", faisoit le fonds
du caractère de ce fils, d'ailleurs* incrusté^ d'une ambi-
tion extrême, de jalousie à proportion, d'un grand amour
du monde, dans lequel il étoit fort répandu et auquel il
étoit fort propre ; l'esprit du grand monde, aucun d'af-
faires, nulle instruction de quelque genre que ce fût, pas
même de dévotion excepté celle qui étoit particulière au
petit troupeau, et d'un mouvement de corps'" incroyable ;
fidèle à ses amis et fort capable d'amitié, et secret à sur-
prendre à travers cette insupportable afïluence de paroles
1. Ibidem. — 2. Tome III, p. 93.
3. « Frère coupe-choux, religieux qui n'est d'aucune considération
dans son couvent ; par extension, homme sans considération ; » telle
est la définition donnée par le Dictionnaire de Littré pour cette locu-
tion, qui ne tigure dans aucun lexique du dix-huitième siècle. Littré,
outre le présent exemple, n'en a relevé d'autre que dans les Chansons
de Béranger. Saint-Simon écrit coupe chou.
i. En 1715, Saint-Simon reprendra, en les abrégeant, les principaux
traits du portrait qui va suivre.
5. Expression déjà relevée dans le tome XIX, p. 221, et que nous
allons retrouver encore.
6. Du corrige de, et les mots fils de ont été ajoutés en interligne.
7. Voyez ce qu'il a déjà dit, dans le tome V, p. 174, de la « dévo-
tion » du duc de Charost à Monsieur de Cambray.
8. D'ailleurs est en interligne, au-dessus de mats, biffé.
9. Mot déjà relevé dans le tome XX, p. 79.
10. Au sens moderne d' « agitation ».
304 MÉMOIRES [1714]
héréditaire chez lui de père en fils'. Il a peut-être été le
seul qui ait su joindre une profession publique de dévo-
tion de toute sa vie avec le commerce étroit des libertins^
de son temps, et l'amitié de la plupart, qui tous le recher-
choient, et l'avoient tant qu'ils pouvoient dans leurs par-
ties où il n'y avoit pas de débauche, et non seulement
sans se moquer de ses pratiques si contraires aux leurs, je
dis la meilleure compagnie et la plus brillante de la cour
et des armées, mais avec liberté et confiance, retenus^
même par considération pour lui, et sans que leur gaieté
ni leur liberté en fût altérée. Il étoit de fort bonne com-
pagnie et bon convive, avec de la valeur, de la gaieté, et
des propos et des expressions souvent fort plaisantes. La
vivacité de son tempérament lui donnoit des passions aux-
quelles sa piété donnoit un frein pénible, mais qui en pre-
noit le dessus à force de bras^, ce ^ qui fournissoit sou-
Duc vent avec lui à la plaisanterie. M. de Beauvillier avoit fort
et duchesse de souhaité autrefois que Charost et moi liassions ensemble %
et cette liaison, qui s'étoit faite", avoit réussi jusqu'à ^ la
plus grande intimité, qui a toujours duré depuis entre
nous. Je n'ai jamais connu Monsieur de Cambray que de
visage ; j'étois à peine entré dans le monde lors du^ déclin
de sa faveur; je ne me suis jamais présenté aux mystères
du petit troupeau : c'étoit donc être bien inférieur au duc
de Charost à l'égard des ducs de Ghevreuse et de Beau-
villier, dont on lui verra bientôt recueillir le fruit ; et
i. Il a déjà parlé du bavardage du « bonhomme Béthune » dans le
tome V, p. 174.
2. Tome XIV, p. 302.
3. Avant retenus, Saint-Simon a biffé un et.
4. Ci-dessus, p. 303. — 5. Et surchargé en ce.
6. Le Dictionnaire de l'Académie de 17'! 8 ne donnait pas lier, pris
dans le sens absolu ; Littré semble avoir négligé cette acception, qui
a déjà été relevée dans le tome IV, p. 139.
7. Voyez tome V, p. 175.
8. La préposition à a été ajoutée après coup entre jusque et la.
9. Du corrige de.
[1714] DE SAINT-SIMON. 305
néanmoins il en étoit demeuré avec eux à la confiance de
leur gnose', tandis que je l'avois entière sur tout ce qui
regardoit l'I^tat, la cour, et la conduite du Dauphin. Sur
leur gnose, ils ne m'en parloient pas ; mais ils étoient à
cœur ouvert avec moi sur leur attachement et leur admi-
ration de Monsieur de Cambray, sur les désirs et les me-
sures de son retour. Dampierre et Vaucresson ^ m'étoient
ouverts en tout temps ; les condisciples obscurs y parois-
soient librement devant moi, et y conversoient de même,
et j'étois l'unique non initié en leur gnose dans ce genre
de confiance et de liberté avec eux. Il y avoit déjà bien
des années que je m'étois aperçu qu'il s'en falloit tout^
que Charost ne fût aussi avant que moi dans leur con-
fiance par bien des choses dont il se plaignoit à moi de
leur réserve, que je lui laissois ignorer qu'ils m'avoient
confiées, et je ne vis pas depuis qu'il avançât là-dessus
avec eux, tandis qu'ils me disoient et consultoient avec
moi toutes choses. Dans ma surprise de cette différence
d'un homme si fort mon ancien d'âge, et de cette sorte
d'amitié si puissante avec eux, j'en ai souvent cherché les
causes. Son activité étoit toute de corps^. Il étoit bien plus
répandu que moi dans le monde ; mais^ il savoit peu, et
ne suivoit guères ce qui s'y passoit de secret et d'impor-
tant ; il ignoroit donc les machines de la cour, que me
découvroit ma liaison avec les acteurs principaux des deux
sexes \ et mon application à démêler, à savoir et à suivre
journellement toutes ces sortes de choses toujours curieu-
ses, ordinairement utiles, et souvent d'un grand usage.
Mme de Saint-Simon étoit aussi tout à fait dans la con-
fiance de MM. et de Mmes de Chevreuse et de Beauvil-
1. Mot déjà employé dans le tome XIX, p. 36, pour signifier la doc-
trine des partisans de Fénelon.
2. La demeure des Chevreuse et celle des Beauvillier.
3. Expression déjà rencontrée ci-dessus, p. 252.
4. Ci-dessus, p. 303. — 5. Mais est en interligne.
6. Avant ce mot, il a biffé un premier sexs mal écrit, et corrigé en
sexes.
MbMOIHES DE SAINT-SIMO.N . XXI 20
306 MEMOIRES [1744]
lier, qui avoient une grande opinion de sa vertu, de sa
conduite, du caractère de son esprit*. J'avois avec eux la
liberté de leur tout dire, qui n'eût pas sié^ de même à
la dévotion du duc de Charost. Enfin, j'avois eu les^
occasions qu'on a vues ici de les avertir de choses fort
peu apparentes et de la plus extrême importance*, qu'ils
n'avoient même pu croire que par les événements ; et cela
avoit mis le dernier degré à leur ouverture sur tout avec
moi, dont ils avoient de plus éprouvé en tout la plus cons-
tante et la plus fidèle amitié de toute préférence ^ Ce me
fut donc une joie bien douce et bien pure de me trouver
le seul homme de la cour dans l'amitié la plus intime, et
dans la plus entière confiance de ce qui, privativement à
tout autre, et sans crainte de revers, alloit figurer si
grandement à la cour, et si puissamment sur le nouveau
Dauphin qui alloit donner le ton à toutes choses ^ Plus
ma liaison intime étoit connue avec les deux ducs, et plus
je me tins en garde contre tout extérieur trop satisfait, et
plus encore important, et plus j'eus soin que ma conduite
et ma vie se continssent dans tout leur ordinaire à tous
égards.
Conduite Dans ce grand changement de scène il ne parut donc
des ducs de
4. Ce passage est à rapprocher de ce qui a déjà été dit de l'opinion
de Beauvillier, de Chamillart et du Chancelier, sur Mme de Saint-
Simon, dans le tome XIII, p. 239-240.
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 4748, non plus que celui de
4878, n'indiquait pas ce participe passé du verbe seoir, mais seulement
la périphrase être séant. Saint-Simon a employé la forme siéoit dans le
tome XVIII, p. 223.
3. Des corrigé en les.
4. Nous avons eu occasion de remarquer combien Saint-Simon se
faisait d'illusions sur cette importance, et aussi peut-être sur l'opinion
que M. de Beauvillier avait de lui.
5. Par préférence à tous autres.
6. « On dit tigurément qu'wn homme donne le ton à la conversa-^
tien, pour dire qu'il s'en rend le maître et que, par autorité ou par
insinuation, il oblige les autres à penser et à parler comme lui » (Aca-
démie, 4748).
[1711] DE SAINT-SIMON. 307
d'abord que deux personnages en posture d'en profiter : Chevreuse et
le duc de Beauvillier, et, par lui, le duc de Chevreuse, ^^ Bea^villier.
et un troisième en éloignement, l'archevêque de Cambray.
Tout rit aux deux premiers tout à coup ; tout s'empressa
autour d'eux, et chacun avoit été de leurs amis dans tous
les temps ; mais, en eux, les courtisans n'eurent pas affaire
à ces champignons ' de nouveaux ministres tirés en un
moment de la poussière, et placés au timon de l'Etat,
ignorants également d'affaires et de cour, également enor-
gueillis et enivrés, incapables de résister, rarement même
de se défier de ces sortes de souplesses, et qui ont la
fatuité d'attribuer à leur mérite ce qui n'est prostitué qu'à
la faveur. Ceux-ci, sans rien changer à la modestie de
leur extérieur, ni à l'arrangement de leur vie, ne pen-
sèrent qu'à se dérober le plus qu'il leur fut possible aux
bassesses entassées à leurs pieds, à faire usage de leurs
amis d'épreuve, à se fortifier près du Roi par une assi-
duité redoublée, à s'ancrer de plus en plus près de leur
Dauphin, à le conduire à paroître ce qu'il étoit, sans
avoir surtout l'air de le conduire, et pour faire que^, tant
du côté de l'estime et des cœurs, que de celui de l'auto-
rité, il différât entièrement de son père. Ils n'oublièrent
pas de tâcher à s'approcher de la Dauphine, du moins à
ne la pas écarter d'eux. Elle l'étoit par une grande oppo-
sition d'inclinations et de conduite ; elle l'étoit encore par
Mme de Maintenon. Leur vertu, austère à son gré parce
qu'elle n'en connoissoit que l'écorce, lui faisoit peur par
leur influence sur le Dauphin ; elle les craignoit encore
plus directement par un endroit plus délicat^, qui étoit
celui-là même qui la devoit véritablement attacher à eux,
4. Champignons est en interligne, au-dessus de potirons, biffé. —
Nous avons déjà rencontré cette locution dans le tome XVI, p. 88.
2. Ces quatre derniers mots ont été ajoutés en interligne.
3. Avant plus, Saint-Simon a biffé encore, et délicat corrige di-
rect, effacé du doigt. — C'est une allusion aux relations galantes,
avec Nangis, Maulévrier, l'abbé de Polignac, qu'il a prêtées à la prin-
cesse (notre tome XII, p. 269 et suivantes).
308 MEMOIRES [17d4]
si, avec tout son esprit, elle eût su discerner les effets de
la vraie piété, de la vraie vertu, de la vraie sagesse, qui
est ^ d'étouffer et de cacher avec le plus grand soin et
les plus extrêmes précautions, dont j'ai vu souvent ces
deux ducs très occupés, ce qui peut altérer la paix et la
tranquillité du mariage. Ainsi, elle trembloit des avis
fâcheux du lieu même de sa plus entière sûreté. Toutes
ces raisons avoient mis un froid et un malaise, que tout
l'esprit et la faveur de Mme de Levis^ n'avoit pu vaincre,
et dont ces deux seigneurs et leurs épouses s'étoient aper-
çus de bonne heure à travers les ménagements et la con-
sidération que la ^ princesse ne pouvoit leur refuser, mais
dont les sentiments étoient soigneusement entretenus par
les Noailles, et par la comtesse de Roucy, autant que
celle-ci le pouvoit, qui, en communiant tous les huit
jours, ne pardonna jamais au duc de Beauvillier, ni aux
siens, d'avoir opiné contre elle dans ce grand procès qu'elle
gagna devant le Roi contre M. d'Ambres, dont j'ai parlé
ailleurs*, et dans lequel Mme de Maintenon, contre sa
coutume, se déclara si puissamment pour elle et pour la
duchesse d'Arpajon, sa mère. Le printemps, qui est la
saison de l'assemblée des armées, fit apercevoir bien dis-
tinctement à Gambray le changement qui étoit arrivé à la
cour. Gambray devint la seule route de toutes les diffé-
rentes parties de la Flandre. Tout ce qui y servoit de
gens de la cour, d'officiers généraux, et même d'officiers
moins connus, y passèrent tous, et s'y arrêtèrent le plus
qu'il leur fut possible. L'archevêque y eut une^ telle
cour, et si empressée, qu'à travers sa joie il en fut peiné
dans la crainte du retentissement et du mauvais effet qu'il
en craignoit du côté du Roi. On peut juger avec quelle
i. Il y a bien qui est, au singulier dans le manuscrit.
2. Fille du duc de Ghevreuse.
3. Les mots que la surchargent ne leur.
4. Dans le tome V, p. 146 et 474, note 8.
5. Encore un, par mégarde, dans le manuscrit.
de Chevreuse.
[1741] DE SAINT-SIMON. 309
affabilité, quelle modestie, quel discernement il reçut tant
d'hommages, et le bon gré que se surent les raffinés' qui
de longue main l'avoient vu et ménagé dans leurs voyages
en Flandres. Cela fit grand bruit en effet ; mais le prélat
se conduisit si dextrement-, que le Roi ni Mme de Main-
tenon ne témoignèrent rien de ce concours, qu'ils vou-
lurent apparemment ignorer. A l'égard des ducs de Che-
vreuse et de Beauvillier, le Roi, accoutumé à les aimer,
à les estimer, à y avoir sa confiance jusque dans les rudes
traverses qu'ils avoient quelquefois essuyées, ne put s'effa-
roucher de leur éclat nouveau, soit qu'il ne perçât pas
jusqu'à lui, chose bien difficile à croire, soit plutôt qu'il
ne pût être détourné de ses sentiments pour eux. Mme de
Maintenon aussi ne montra rien là-dessus.
Il y avoit déjà des années que le duc de Beauvillier Duc
avoit initié ^ le duc de Chevreuse auprès du Dauphin, et
qu'il l'avoit accoutumé à le considérer comme une seule
chose avec lui. Le liant naturel et la douceur de l'esprit
de Chevreuse, son savoir et sa manière de savoir et de
s'expliquer, ses vues fleuries, quoique sujettes à se per-
dre, furent des qualités faites exprès pour plaire à ce
jeune prince avec lequel il avoit souvent de longs tête-à-
tête, et qui le mirent si avant dans sa confiance, que
M. de Beauvillier s'en servit souvent pour des choses
qu'il crut plus à propos de faire présenter par son beau-
frère que par lui-même. Comme ils n'étoient qu'un, tout
entre eux marchoit par le même esprit, couloit des
mêmes principes, tendoit au même but, et se référoit*
entre eux deux, en sorte que le prince avoit un seul con-
d. Le Dictionnaire de l'Académie de il \8 ne connaissait pointée
substantif verbal.
2. Cet adverbe, quoique usité alors comme aujourd'hui, n'a trouvé
place que de nos jours dans VAcadémie; voyez ci après, p. 483.
3. Il a écrit : intié, par mégarde.
4. UAcadémie ne donnait que .se référer à quelque chose. Ici c'est
plutôt le sens juridique d'être l'objet d'un rapport, d'un examen, dont
Littré cite un exemple dans les plaidoyers de Palru.
310 MEMOIRES [1711]
ducteur en deux différentes personnes, et qu'il avoit pris
beaucoup de goût et de confiance au duc de Ghevreuse,
qui depuis longtemps étoit bien reçu à lui dire tout ce
qu'il pensoit de lui et ce qu'il desiroit sur sa conduite,
et toujours avec des intermèdes* d'histoire, de science et
de piété; mais la supériorité en confiance, en amitié, et
toute la déférence, étoit demeurée entière au duc de
Beauvillier. On peut croire que ces deux hommes ne lais-
soient pas refroidir dans le prince ses vifs sentiments
pour l'archevêque de Gambray. Le confesseur^ étoit d'in-
telligence avec eux sur cet article, et en totale déférence
sur tous autres ; et jusqu'alors il n'y avoit pas eu de qua-
Monseigneur trième admis en cet intime intérieur du prince. Le prè-
le Dauphin, j^ier soin ^ des deux ducs fut de le porter à des mesures
encor plus grandes, à un air de respect et de soumission
encore plus marqué, à une assiduité de courtisan à l'égard
du Roi, si naturellement jaloux, et déjà éprouvé tel en
diverses occasions par son petit-fils. Secondé à souhait
par son adroite épouse, en possession elle-même de toute
privance avec le Roi et du cœur de Mme de Maintenon,
il redoubla ses soins auprès d'elle, qui, dans le transport
de trouver un Dauphin sur qui sûrement compter, au
lieu d'un autre qui ne l'aimoit point, se livra à lui, et par
cela même lui livra le Roi. Les premiers quinze jours
rendirent sensible à tout ce qui étoit à Marly un change-
ment si extraordinaire dans le Roi, si réservé pour ses
enfants légitimes et si fort roi avec eux. Plus au large par
un si grand pas fait, le Dauphin s'enhardit avec le monde,
qu'il redoutoit du vivant de Monseigneur, parce que,
1. \J Académie de 1718 ne connaissait ce mot qu'au sens spécial de
« divertissement entre les actes d'une pièce- de théâtre. » Nous le re-
trouverons tout à l'heure, p. 312.
2. Le P. Martineau (tome VII, p. 189).
3. Les mots p»" soin sont en interligne, au-dessus de soin, biffé,
avant lequel Saint-Simon avait voulu ajouter p*", qu'il a biffé ensuite
pour écrire les deux mots en interligne.
[17111 DE SAINT-SIMON. 311
quelque grand qu'il fût, il en essuyoit les brocards'
applaudis. C'est ce qui lui donnoit cette timidité qui le
renfermoit dans son cabinet, parce que ce n'étoit que- là
qu'il se trouvoit à l'abri et à son aise ; c'est ce qui le fai-
soit paroître sauvage et le faisoit craindre pour l'avenir,
tandis qu'en butte à son père, peut-être alors au Roi
même, contraint d'ailleurs par sa vertu, en butte à une
cabale audacieuse ennemie, intéressée à l'être, et à ses
dépendances qui formoient le gros et le fort de la cour,
gens avec qui il avoit continuellement à vivre, enfin en
butte au monde en général comme monde, il menoit une
vie d'autant plus obscure qu'elle étoit plus nécessairement
éclairée, et d'autant plus cruelle qu'il n'en envisageoit
point de fin.
Le Roi ^ revenu pleinement à lui, l'insolente cabale tout
à fait dissipée par la mort d'un père presque ennemi
dont il prenoit la place, le monde en respect, en atten-
tion, en empressement, les personnages les plus opposés
en air de servitude, ce même gros de la cour en soumis-
sion et en crainte, l'enjoué et le frivole, partie non mé-
diocre d'une grande cour, à ses pieds par son épouse,
certain d'ailleurs de ses démarches par Mme de Mainte-
non, on vit ce prince timide, sauvage, concentré, cette
vertu précise, ce savoir déplacé, cet homme engoncé*,
étranger dans sa maison, contraint de tout, embarrassé
partout, on le vit, dis-je, se montrer par degrés, se dé-
1. il Brocard, parole de moquerie, raillerie piquante» (Académie,
4718). Ce mot a déjà été employé par Saint-Simon dans le tome XX,
p. 318.
2. L'abréviation de que a été ajoutée après coup entre n'estoit
et là.
3. Il avait d'abord écrit Mgr mort, le Roy ; il a biffé les deux pre-
mier mots, et corrigé le en Le.
4. Mot déjà passé au propre dans le tome V, p. 35. Le Dictionnaire
de l'Académie n'en indiquait pas d'emploi au figuré, et Littré, ayant
cité le premier exemple, n'a pas relevé celui-ci, au sens de gêné,
contraint.
312 MÉMOIRES [1711]
ployer peu à peu, se donner au monde avec mesure, y
être libre, majestueux, gai, agréable, tenir le salon de
Marly dans des temps coupés', présider au cercle ras-
semblé autour de lui comme la divinité du temple, qui
sent, et qui reçoit avec bonté les hommages des mortels
auxquels il - est accoutumé, et les récompense de ses
douces influences. Peu à peu la chasse ne fut plus l'en-
tretien que du laisser-courre^, ou du moment du retour^
Une conversation aisée, mais instructive et adressée avec
choix et justesse, charma le sage courtisan et fit admirer
les autres. Des morceaux d'histoire convenables, amenés
sans art des occasions naturelles, des applications dési-
rables, mais toujours discrètes et simplement présentées
sans les faire, des intermèdes^ aisés, quelquefois même
plaisants, tout de source et sans recherche, des traits
échappés de science, mais rarement, et comme dardés*
de plénitude " involontaire, firent tout à la fois ouvrir
les yeux, les oreilles et les cœurs. Le Dauphin devint un
autre prince de Conti. La soif de faire sa cour eut en
plusieurs moins de part à l'empressement de l'environner
dès qu'il paroissoit, que celle de l'entendre et d'y puiser
une instruction délicieuse par l'agrément et la douceur
d'une éloquence naturelle qui n'avoit rien de recherché,
1. Même locution qu'au tome XVII, p. 342. — 2. Il, la Divinité.
3. «On dit, en termes de chasse, laisser courre, pour dire décou-
pler les chiens après la bête ; on fait même un substantif des deux in-
finitifs, qui signifie le lieu oîi l'on découple les chiens » (Académie,
1718). Plutôt que le lieu, c'est le temps où les piqueurs lâchent la
meute à la poursuite de l'animal, et l'action en elle-même. Littré a
mal interprété cette phrase de la Bruyère : « Il est au laisser-
courre ».
4. C'est-à-dire qu'on cessa de parler chasse autre part que pendant
le temps du laisser-courre ou pendant celui de la « retraite. »
5. Ci-dessus, p. 310.
6. « Darder, lancer une arme, ou quelque autre chose comme on
lancerait un dard ; quelquefois il se prend tigurément : le soleil dar-
dant ses rayons, darder un regard)^ (Académie, 1718).
7. Nous avons déjà eu plénitude au tome XIX, p. 22o.
1
[17H] DE SAINT-SIMON. 313
la justesse en tout, et, plus que cela, la consolation, si
nécessaire et si désirée, de se voir un maître futur si
capable de l'être par son fonds, et par l'usage qu'il mon-
troit qu'il en sauroit faire. Gracieux partout, plein
d'attention au rang, à la naissance, à l'âge, à l'acquis'
de chacun j choses- depuis si longtemps honnies et con-
fondues^ avec le plus vil peuple de la cour ; régulier à
rendre à chacune de ces choses ce qui leur étoit dû de
politesse, et ce qui s'y en pouvoit ajouter avec dignité ;
grave, mais sans rides % et en même temps gai et aisé :
il est incroyable ^ avec quelle étonnante rapidité l'admi-
ration de l'esprit, l'estime du sens, l'amour du cœur, et
toutes les espérances furent entraînées, avec ^ quelle roi-
.deur les fausses idées qu'on s'en étoit faites et voulu
faire furent précipitées, et quel fut l'impétueux tourbil-
lon du changement qui se fit généralement à son égard
La joie publique faisoit qu'on ne s'en pouvoit taire, et
qu'on se demandoit les uns aux autres si c'étoit bien là
le même homme, et si ce qu'on voyoit étoit songe ou
réalité. Cheverny, qui fut un de ceux à qui la question
s'adressa, n'y laissa rien à repartir' : il répondit que la
cause de tant de surprise étoit de ce qu'on ne connoissoit
pointée prince, qu'on n'avoit même pas voulu connoître ;
que, pour lui, il le trouvoit tel qu'il l'avoit toujours
i. « Acquis est aussi un substantif, et dans cette acception, on dit
qu'wn homme a de l'acquis, beaucoup d'acquis, pour dire qu'il est
très capable dans sa profession, et cela se dit ordinairement en parlant
d'un homme de lettres » (Académie, 4748). — Saint-Simon écrit: ac-
quit, comme s'il s'agissait du substantif correspondant au verbe ac-
quitter.
2. Chose est par méf^arde, au singulier.
3. Confondus corrigé en confondues.
4. C'est-à-dire sans l'air rébarbatif qui accompagne parfois la gravité
de la vieillesse ridée.
5. Incroyable est en interligne, au-dessus d^étonnant, biffé.
6. Avant avec, Saint-Simon a biffé et.
7. « Repartir, répliquer, répondre sur-le-champ et vivement » (Aca-
démie, 1718).
314 MÉMOIRES [1714]
connu et vu dans son particulier; que, maintenant que
la liberté lui étoit venue de se montrer dans* tout son
naturel, et aux autres de l'y voir, il paroissoit ce qu'il
avoit toujours été, et que cette justice lui seroit rendue
quand l'expérience de la continuité apprendroit cette
vérité. De la cour à Paris, et de Paris au fond de toutes
les provinces, cette réputation vola avec tant de prompti-
tude, que ce peu de gens anciennement attachés au Dau-
phin en étoient à se demander les uns aux autres s'ils
pouvoient en croire ce qui leur revenoit de toutes parts.
Quelque fondé que fût un si prodigieux succès, il ne faut
pas croire qu'il fût dû tout entier aux merveilles du jeune
prince. Deux choses y contribuèrent beaucoup : les me-
sures immenses et si étrangement poussées de cette cabale
dont j'ai tant parlé, à décrier ce prince sur toutes sortes
de points, et, depuis Lille, toujours soutenues pour for-
mer contre lui une voix publique dont ils pussent s'ap-
puyer auprès de Monseigneur, et en cueillir les fruits
qu'ils s'en étoient proposés dès le départ pour cette cam-
pagne, que le complot de l'y perdre avoit été fait ; et le
contraste de l'élastique ^ à la chute du poids qui lui écra-
soit les épaules, après lequel on le vit redressé, l'étonne-
ment extrême que produisit ce même contraste entre
l'opinion qu'on en avoit conçue et ce qu'on ne pouvoit
s'empêcher de voir, et le sentiment de joie intime de cha-
cun, par son plus sensible intérêt, de voir poindre une
aurore^ qui déjà s'avançoit, et qui promettoit tant d'ordre
et de bonheur après une si longue confusion et tant de
ténèbres.
Mme Mme de Maintenon, ravie de ces applaudissements par
de Maintenon amitié pour sa Dauphine, et par son propre intérêt de
point aux mi- ^ r ' r i i
i. Dans surcharge les premières lettres d'at'[ec].
2. « Élastique, adjectif, n'a d'usage que dans cette phrase vertu
élastique, c'est-à-dire la qualité par laquelle un corps fait ressort »
(Académie, 1718).
3. On a eu ci-dessus, p. 13, « la première pointe de l'aurore )/
[4711] DE SAINT-SIMON. 315
pouvoir compter sur un Dauphin qui commençoit à faire mstres, toute
r, , , , iM- Li- ) r ' au Dauphin.
l espérance et les délices publiques, s appliqua a en pres-
ser tout l'usage qu'elle put auprès du Roi. Quelque admi-
ration qu'elle voulût montrer pour tout ce qui étoit de
son goût et de sa volonté, et quelques mesures qu'elle
gardât avec tous ses ministres, leur despotisme et leur
manière de l'exercer lui déplaisoit* beaucoup. Ses plus
familiers avoient découvert en des occasions rares ses
plus secrets sentiments là-dessus, qu'Harcourt avoit beau-
coup fortifiés en elle -, tantôt par des demi-mots de ridi-
cule bien assenés, où elle excelloit, quelquefois par quel-
ques paroles plus sérieuses, bien qu'également étran-
glées', sur le mauvais de ce gouvernement. Elle crut
donc se procurer un avantage, à l'État un bien, au Roi
un soulagement, de faire en sorte qu'il s'accoutumât à
faire préparer les matières par le Dauphin, à lui en lais-
ser* expédier quelques-unes, et peu à peu ainsi à se dé-
charger sur lui du gros et du plus pesant des affaires, dont
il s'étoit toujours montré ^ si capable, et dans lesquelles® il
étoit initié puisqu'il étoit de tous les conseils, où il par-
loit depuis longtemps avec beaucoup de justesse et de dis-
cernement. Elle compta que cette nouveauté rendroit les
ministres plus appliqués, plus laborieux, surtout plus trai-
tables et plus circonspects. Vouloir et faire, sur les choses
intérieures, et qui, par leur nature, pouvoient s'amener
de loin par degrés avec adresse, fut toujours pour elle
une seule et même chose. Le Roi, déjà plus enclin à son
i. Il y a bien déplaisait, au singulier, dans le manuscrit.
2. Voyez tome X, p. 44-45, ce qu'il disait sur les ministres.
3. « Étranglé se dit aussi de quelques endroits d'un discours où
l'on ne s'est pas assez étendu » (Académie, 17i8). — Nous avons déjà
eu étrangler une affaire dans le tome II, p. 50, et ci-dessus, p. 211,
une acception analogue.
4. Luy en laisser est en interligne, au-dessus d'en, biffé.
5. La première lettre de monstre surcharge une s.
6. Lesquels, au masculin, par mégarde ou comme s'accordant avec
les substantifs gros et pesant.
316 MÉMOIRES [1744]
petit-fils, étoit moins en garde des applaudissements qu'il
recevoit sous ses yeux, qu'il ne l'avoit paru sur ceux de
ses premières campagnes. Biouin et les autres valets inté-
rieurs, dévoués à M. de Vendôme, n'avoient plus cet
objet, ni Monseigneur en croupe ; ils étoient en crainte et
en tremblements etM. du Maine, destitué de leur appui,
n'osoit plus ouvrir la bouche, ni hasarder que Mme de
Maintenon le découvrît contraire. Ainsi le Roi étoit sans
ces puissants contrepoids qui avoient tant manégé aupa-
ravant dans ses heures les plus secrètes et les plus libres.
Ministres La sage et flexible conduite de ce respectueux et assidu
ravaillent* petit-fils l'avoit préparé à se rendre facile aux insinua-
i Dauphin, tions de Mme de Maintenon : tellement que, quelque
accoutumé que l'on commençât d'être à la complaisance
que le Roi prenoit dans le Dauphin, toute la cour fut
étrangement surprise de ce que, l'ayant retenu un matin
seul dans son cabinet assez longtemps, il ordonna le
même jour à ses ministres d'aller travailler chez le Dau-
phin toutes les fois qu'il les manderoit, et, sans être man-
dés encore, de lui aller rendre compte de toutes les
affaires dont, une fois pour toutes, il leur auroit ordonné
de le faire-. Il n'est pas aisé de rendre le mouvement
prodigieux que fit à la cour un ordre si directement
opposé au goût, à l'esprit, aux maximes, à l'usage du Roi,
4. Réminiscence des livres saints : Cum timoré et tremore confite-
mini (Tohïe, chap. XIII, verset 6); Timor et tremor venerunt super
me (Psaume 54, verset 6).
2. Dangeau, p. 398, 28 avril : « Le Roi a ordonné à M. Desmaretz
d'aller assez souvent chez le Dauphin pour l'instruire sur les tinances.
Le Roi est bien aise que ce prince se rende capable d'affaires de plus
en plus, et le Dauphin est bien aise aussi d'être instruit, et s'applique
fort. » Les Mémoires de Sourches n'en parlent qu'au 49 mai (p. 442):
« On voyoit alors avec joie que M. le Dauphin, pour s'instruire à fond
des affaires, travailloit tous les jours en particulier avec le contrôleur
général Desmaretz et le secrétaire d'État Voysin. »
* Saint-Simon avait d'abord écrit : Ministres ont ordre de travailler;
il a biffé ont ordre de et corrigé travailler en travaillent.
[17H] DE SAINT-SIMON. 317
si constants jusqu'alors, qui, par cela même, marquoit
une confiance pour le Dauphin qui n'alloit à rien moins
qu'à lui remettre tacitement une grande partie de la dis-
position des affaires. Ce fut un coup de foudre sur les
ministres, dont ils' se trouvèrent tellement étourdis,
qu'ils n'en purent cacher l'étonnement^ ni le déconcerte-
ment'*. Ce fut un ordre, en effet, bien amer pour des
hommes qui, tirés de la poussière et tout à coup portés
à la plus sûre et la plus suprême puissance, étoient si
accoutumés à régner en plein sous le nom du Roi, auquel
ils* osoient même substituer quelquefois le leur, en
usage tranquille et sans contredit de faire et de défaire
les fortunes, d'attaquer avec succès les plus hautes, d'être
les maîtres des plus patrimoniales^ de tout le monde, de
disposer avec toute autorité du dedans et du dehors de
l'Etat, de dispenser à leur gré toute considération, tout
châtiment, toute récompense, de décider de tout hardi-
ment par un le Roi le veut^, de sécurité entière même à
l'égard de leurs confrères, de ce que qui que ce fût^ n'osoit
ouvrir la bouche au Roi de rien qui pût regarder leur
personne, leur famille, ni leur administration, sous peine
d'en devenir aussitôt la victime exemplaire pour qui-
conque l'eût hasardé, par conséquent en toute liberté de
taire, de dire, de tourner toutes choses au Roi comme il
leur convenoit, en un mot rois d'effet, et presque de re-
présentation. Quelle chute pour de tels hommes que
d'avoir à compter sur tout avec un prince qui avoit
Mme de Maintenon à lui^ et qui, auprès du Roi, étoit
i. Cet il est au singulier, par mégarde.
2. La première lettre f/'esfon/iem' surcharge un a.
3. Tome XVIII, p. 349. — 4. Encore il, au singulier.
5. Des fortunes les plus patrimoniales.
6. Ces mots ne sont pas soulignés dans le manuscrit. — Dans le
tome XVII, p. 459, il a dit que c'était la réponse ordinaire de Voy-
sin.
7. Les sept derniers mots ont été ajoutés en interligne, et, avant
qui, Saint-Simon a biffé personne.
348 MEMOIRES [17H]
devenu plus fort qu'eux dans* leur propre tripot^, un
prince qui n'avoit plus rien entre lui et le trône, qui
étoit capable, laborieux, éclairé, avec un esprit juste et
supérieur, qui avoit acquis sur un grand fonds tout fait
depuis qu'il étoit dans le Conseil', à qui rien ne man-
quoit pour les éclairer, qui, avec ces qualités, avoit le
cœur bon, étoit juste, aimoit l'ordre, qui avoit du discer-
nement, de l'attention, de l'application à suivre et à
démêler, qui savoit tourner et approfondir, qui ne se
payoit que de choses, et point de langage, qui vouloit
déterminément * le bien pour le bien, qui pesoit tout au
poids de sa conscience, qui, par un accès facile et une
curiosité de dessein et de maximes, seroit instruit par
force canaux, qui sauroit comparer et apprécier^ les
choses, se défier et se confier à propos par un juste dis-
cernement et une application sage, et en garde contre les
surprises de toutes parts ; qui, ayant le cœur du Roi,
avoit aussi son oreille à toute heure, et qui, outre les
impressions qu'il prendroit d'eux pour quand il seroit
leur maître, se trouvoit dès lors en état de confondre le
faux et le double ^ et de porter une lumière aussi péné-
trante qu'inconnue dans l'épaisseur de ces ténèbres qu'ils
4. Le commencement de dans surcharge une s.
2. Nous avons rencontré tripot, au sens de maison de jeu, dans le tome
XX, p. 283. Ici c'est l'acception à laquelle se rapporte cette définition
du Dictionnaire de l'Académie de 4718 : « On dit figurément et fami-
lièrement qu'un homme est dans son tripot, pour dire qu'il est dans
un lieu où il a de l'avantage pour la chose dont il s'agit, qu'il excelle
dans les matières dont il est question. » Mme de Sévigné et d'autres
contemporains ont employé tripot dans le même sens. Nous le trou-
verons encore dans la suite des Mémoires, tomes XI, p. 347, et XVI,
p. 3-4, et dans les Écrits inédits, tome III, p. 337.
3. C'est-à-dire : qui, possédant déjà un grand fonds, l'avait aug-
menté depuis qu'il entrait au Conseil.
4. Tome XV, p. 422. — 5. Il écrit appretier.
6. « Double signifie figurément dissimulé, traître », dit le Diction-
naire de l'Académie de 4748, qui ne donne pas d'exemple de l'emploi
de ce mot comme substantif emportant l'idée de duplicité.
[1714] DE SAINT-SIMON. 349
avoient formées et épaissies avec tant d'art, et qu'ils en-
tretenoient de même. L'élévation du prince et l'état de
la cour ne comportoit plus le remède des cabales, et la
joie publique d'un ordre qui rendoit ces rois à la condi-
tion de sujets, qui donnoit un frein à leur pouvoir, et une
ressource à l'abus qu'ils en faisoient, ne leur laissoient
aucune ressource. Ils n'eurent donc d'autre parti à pren-
dre que de ployer les épaules * à leur tour, ces épaules
roidies à la consistance du fer. Ils^ allèrent tous, avec un
air de condamnés, protester^ au Dauphin une obéissance
forcée, et une joie feinte de l'ordre qu'ils avoient reçu.
Le prince n'eut pas de peine à démêler ce qu'eux-mêmes
en* avoient à cacher. Il les reçut avec un air de bonté et
de considération ; il entra avec eux dans le détail de leurs
journées pour leur donner les heures les moins incom-
modes à la nécessité du travail et de l'expédition, et, pour
cette première soumission, n'entra pas avec eux en
affaires, mais ne différa pas de commencer à travailler
chez lui avec eux.
Torcy , Voysin et Desmaretz furent ceux sur qui le poids
en tomba par l'importance de leurs départements. Le
Chancelier, qui n'en avoit point, n'y eut que faire. Son
fils, voyant les autres y travailler assidûment, auroit bien
voulu y être mandé aussi ; il espéroit s'approcher par là
du prince, et il étoit fort touché de l'air important; mais
sa marine étoit à bas, et les délations du détail de Paris,
dont il amusoit le Roi tous les lundis aux" dépens de tout
4. « On dit figurément plier les épaules, pour dire recevoir une
chose fâcheuse, désagréable, avec soumission « (Académie, 4748).
2. Encore il, dans le manuscrit.
3. Les lexiques du dix-huitième siècle indiquaient l'emploi de pro-
tester avec un complément direct, emploi qui n'est plus guère usité de
nos jours.
4. En a été ajouté en interligne, et, après avoient, Saint-Simon a
biffé tant de peine. C'est l'explication du sens de ce membre de
phrase.
0. Aux surcharge un autre mot illisible.
320
MEMOIRES
[1714]
le monde, et dont Argenson lui avoit adroitement laissé
usurper tout l'odieux \ n'étoient ni du goût du Dauphin,
ni chose à laquelle il voulût perdre son temps. D'ailleurs,
la personne de Pontchartrain lui étoit désagréable, comme
on le verra bientôt-, et il ne put parvenir à être mandé,
ni trouver sans cela de quoi oser aller rendre compte,
dont il fut fort mortifié. La Vrillière n'avoit que le détail
courant de ses provinces, par conséquent point de ma-
tière pour ce travail ; le département de sa charge étoit
la religion prétendue réformée ^ et tout ce qui regardoit
les huguenots ; tout cela étoit tombé depuis les suites de
la révocation de l'édit de Nantes, tellement qu'il n'avoit
point de département *.
Ce seroit ici le lieu de parler de la situation dans
laquelle je me trouvai incontinent avec le Dauphin, et la
confiance intime sur le présent et l'avenir, et toutes les
mesures qui y étoient relatives où je fus admis entre le
duc de Beauvillier et le Dauphin, et le duc de Chevreuse.
La matière est curieuse et intéressante ; mais elle mène-
roit trop loin à la suite de la longue parenthèse que la
mort de Monseigneur et ses suites, et que ^ l'affaire de
d'Antin et de l'édit qu'elle produisit, a mise au courante
Il le faut reprendre jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je
reviendrai après à ce que, pour le présent, je diffère.
Voyages Le '^ maréchal de Villars étoit allé de bonne heure en
des généraux Flandres dans le dessein d'y faire le siège de Douay *. Le
d'armées.
1. Déjà dit plusieurs fois, en dernier lieu dans le tome XVIII, p. 84.
2. Dans le prochain volume. On a vu ci-dessus (p. 282-283) com-
bien la Dauphine le détestait.
3. Ces trois mots sont écrit R. P. reformée.
4. « Une charge caponne », a-t-il dit dans le tome XVI, p. 52;
voyez ci-dessus, p. 283.
5. Que a été ajouté après coup.
6. C'est-à-dire : a intercalé dans le récit courant.
7. Ici, l'écriture, ou plutôt la plume a changé.
8. Dangeau (p. 330) annonce son départ le 28 janvier.
[4714] DE SAINT-SIMON. 321
maréchal de Montesquieu avoit fait pour cela les disposi-
tions nécessaires; mais l'exécution ne put avoir lieu'.
Villars revint à la cour jusqu'au temps de l'ouverture de
la campagne-, qu'il s'en retourna prendre le comman-
dement de l'armée ^ En attendant, Permanele^, maréchal Permangle bat
1 . I • I /-- w • ) - et brûle un
de camp, qui commandoit dans Londe, eut avis quun-* grand convoi,
convoi de vivres des ennemis étoit sur l'Escaut prêt à
entrer dans la Scarpe% escorté de deux bataillons avec
un officier général'. Permangle* y marcha avec huit cents**
hommes, défit les deux bataillons, en prit le comman-
dant, et, de trente-six bélandres'" portant cent milliers
chacune", en brûla vingt-cinq*^.
M. d'Harcourt partit les premiers jours de mai pour
1. Le siège de Douay ne se fera qu'en 1742.
"2. Villars revint à la cour le 2 mars, et n'en repartit pour la Flandre
que le 22 avril {Dangeau, p. 356 et 392; Sourches, p. 98).
^. Ici, il y a dans le manuscrit un renvoi en forme d'X, qui indique
qu'il faut intercaler en cet endroit les lignes qui vont suivre sur Per-
mangle, quoique, dans le manuscrit, elles se trouvent placées après la
phrase relative à Bonnac (ci-après, p. 323).
4. Tome XVI, p. -447. — 3. L'abréviation de qu surcharge un d.
6. Cette rivière, affluent de gauche de l'Escaut, prend sa source un
peu au-dessus d'Arras, traverse Arras, Douay et Saint-Amand, et se
jette dans l'Escaut à Mortagne.
7. C'était le brigadier suisse Chambrier, qui devait faire les fonc-
tions de major général de l'armée du prince Eugène.
8. Ce nom a été ajouté en interligne. — 9. 600 corrigé en 800.
10. Bateaux flamands, dont il a été parlé dans le tome XIX, p. 441.
11. Elles étaient chargées de farine, foin, avoine, poudre, etc., et
destinées au ravitaillement des armées ennemies.
12. Cette petite affaire se passa le 9 mai et fit grand honneur à Per-
mangle. Le convoi se composait en réalité de quarante-cinq bateaux,
dont douze seulement parvinrent à s'échapper. Voyez la Gazette,
p. 2o4-2o2 et 262-263, le Journal de Dangeau, p. 404 et 442, les
Mémoires de Sourches, p. 107-408, ceux de Villars, tome III, p. 406-
407, ceux du chevalier de Quincy, tome III, p. 65-66, l'Histoire mi-
litaire, tome VI, p. 503, les Mémoires militaires, tome X, p. 390, la
Gazette d'Amsterdam, n» xli, le Nouveau Mercure, mai 4744, p. 423-
427, etc.; il y en a des relations dans le volume 2300 du Dépôt de la
Guerre, n° 59, et dans le volume 2303.
UÉMOIRES DE SAIiNT-SIMON. XXI 21
322
MEMOIRES
[1741]
Duc
de Noailles
près du roi
d'Espagne,
avec ses
troupes, sous
Vendôme.
La reine
d'Espagne
attaquée
d'écrouelles.
Bonnac relève
Blécourt
à la cour
d'Espagne.
les eaux de Bourbonne'. Le maréchal de Bezons étoit
déjà à Strasbourg ; il commanda l'armée du Rhin en ^
l'attendant % et le duc de Berwick partit bientôt après
pour le Dauphiné*.
On ne laissa que quelques régiments d'infanterie sur
le Ter^ Le duc de Noailles étoit demeuré auprès du roi
d'Espagne depuis qu'il y étoit passé après la prise de
Girone^ et l'armée qui lui étoit destinée passa en Ara-
gon, où il eut ordre de la commander à part, ou jointe
à celle de M. de Vendôme, mais à ses ordres de l'une ou
de l'autre manière, suivant ce que Vendôme'^ jugeroit à
propos pour le service du roi d'Espagne ^ Il y avoit déjà
quelques mois que la santé de la reine d'Espagne étoit
altérée® : il lui étoit venu des glandes au cou, qui peu à
peu dégénérèrent en écrouelles*". Elle eut des rechutes
1. Dangeau, p. 401 et 405; Sourches, p. 409.
2. 11 y a et, par mégarde dans le manuscrit au lieu d'en.
3. Harcourt ne rejoignit l'armée que vers le 24 juin {Dangeau,
p. 428-429).
4. Le 26 mai (ibidem, p. 413).
5. Fleuve de Catalogne oîi nous avons vu M. de Noailles remporter
une victoire le 28 mai 4694 : tome II, p. 4o3.
6. Tome XX, p. 298.
7. Avant Vendosme, Saint-Simon a biffé il jugeroit.
8. Ce détail ne vient pas de Dangeau.
9. Il a déjà été parlé, dans le tome XX, p. 148, note 3, et p. 434,
de cette maladie constitutionnelle de la reine. Elle avait voulu, sur
l'avis des médecins, aller prendre les eaux à Bagnères-de-Bigorre, et il
y eut à ce propos diverses lettres échangées entre elle et Louis XIV
et entre les secrétaires d'État Voysin et Torcy et les autorités de la
province (Archives des affaires étrangères, \-o\. Espagne 203, fol. 449-
433, 49d, 562 et 569; vol. Guerre 2253, n° 256, et 2256, n^^ 44 et 47;
Œuvres de Louis XIV, tome VI, p. 240-214; Journal de Torcy,
p. 311). Elle renonça à ce projet pour ne point s'éloigner de son
époux après la victoire de Villaviciosa. Saint-Simon reviendra sur cette
maladie dans le prochain volume, et nous donnons à l'appendice XII
deux lettres à ce sujet.
10. Il a été parlé de ce mal et du prétendu pouvoir qu'avaient les
rois de France de le guérir dans notre tome XVII, p. 74.
[1711] DE SAINT-SIMON. 323
de fièvre fréquentes' ; mais elle ne s'appliqua pas moins
au rétablissement des affaires^. Bonnac^, neveu de Bon-
repaus, alla relever en Espagne Blécourt*, dont on a sou-
vent parlé ^
Le^ 8 mai, le lansquenet et les autres jeux recommen- Marly en jeu
cèrent dans le salon de Marly', qui, faute de ces amuse- *^* en sa forme
, , „ 1, 1 • I 11» • ordinaire;
ments, avoit ete tort désert depuis la mort de Monseï- cause
gneur. Madame la Dauphine s'étoit mise à jouer à l'oie ^, de sa singulière
ne pouvant mieux, mais en particulier chez elle. Elle fut ^d S'-S.1007\
encore huit ou dix jours sans jouer dans le" salon "^. A la
fin tout prit à Marly la forme ordinaire". Les petites véroles
1. Dangeau, p. 394, 400, 403 et 406; Sourches, p. 106 et 119.
2. La phrase qui va suivre a été ajoutée dans le blanc resté à la fin
du paragraphe.
3. Jean-Louis Dusson de Bonnac : tome IV, p. 282, que nous
avons vu successivement envoyé à Cologne, en Suède, en Pologne.
Nous le retrouverons en 1713 à l'ambassade de Constantinople.
4. Dangeau annonce cette nomination le 20 mai (p. 410), et les
Mémoires de Sourches, le 27 (p. 122). Voyez l'ouvrage; du P. Bau-
drillart, tome I, p. 443 et suivantes, et 683-686.
o. En dernier lieu dans le tome XVIII, p. 19.
6. C'est avant ce paragraphe que se trouvait d'abord l'article sur lo
succès de Permangle, que l'auteur a voulu reporter ci-dessus.
7. Notre auteur lit mal Dangeau qui dit (p. 403) : « Le Roi a permis
qu'on rejouât ici dans le salon, hormis au lansquenet ; les jeux ont
recommencé; mais la Dauphine ne joue encore qu'à l'oie, et dans son
appartement. » De même les Mémoires de Sourches, p. 106.
8. « On appelle j'ew de l'oie, certain jeu où il y a des oies marquées,
et où on joue avec des dés » {Académie, 1718). Ce jeu, très ancien
sans doute, puisqu'on le prétendait « renouvelé des Grecs », du moins
usité dès la fin du moyen âge, fut extrêmement en vogue au dix-
huitième siècle; dans un des massifs du parc de Chantilly, le prince
de Condé avait fait tracer un jeu d'oie de grandeur naturelle, dont les
principales ruines : pont, puits, rivière, etc., se retrouvent encore de
nos jours sous la végétation.
9. Il y a la, par mégarde, dans le manuscrit.
10. « L'après dînée [du 27 maij, on recommença dans le salon de
Marly à jouer au lansquenet, au grand contentement des dames, qui
s'ennuyoient beaucoup » (Sourches, p. 122).
11. Sur le désir formel du Roi, qui le manifesta aux dames dans le
jardin de Marly (ci-après, p. 479).
mariage de
Belle-Isle.
3-24 MÉMOIRES [1711]
qui accabloient Versailles retinrent le Roi à Marly pen-
dant les fêtes de la Pentecôte pour la première fois ^ ; il
n'y eut point de cérémonie de l'Ordre ; et la même raison
l'y retint aussi à la Fête-Dieu-.
Premier* Belle-Isle% qui, à travers tant de diverses fortunes, en
a fait une si prodigieuse pour le petit-fils du surinten-
dant Foucquet ^, épousa, avant partir pour l'armée ^,
Mlle de Civrac% de la maison de Durfort'. Elle étoit
1. Le Roi avait toujours soin de se trouver à Versailles pour la
Pentecôte, afin de célébrer à la chapelle la tète patronale de Tordre du
Saint-Esprit.
2. «Le 12 mai, le Roi, après avoir fait faire bien des perquisitions
à Versailles sur l'état des maladies qui y régnoient, se détermina à
n'y point aller à la Pentecôte, comme on l'avoit cru, et par consé-
quent à ne point toucher les malades en grand nombre, comme il l'au-
roit fait, et à ne pas faire la marche de l'ordre du Saint-Esprit, à la-
quelle il n'avoit presque jamais manqué ; et il décida qu'il resteroit à
Marly jusqu'au 13 de juin» (Sourches, p. 108; voyez Dangeau,
p. 405). Sur les nombreux cas de petite vérole à Versailles et à Paris,
on peut voir le Journal de Dangeau, p 402, et surtout les Mémoires
de Sourches, p. 106, 11''. et 112.
3. Charles-Louis-Auguste Foucquet : tome XV, p. 154.
4. Déjà dit dans le tome XVII, p. 364-368. Depuis lors, il a été
publié en 1908 un volume posthume que feu Pierre d'Echerac avait
présenté comme thèse à l'Ecole des chartes (1905), sous le titre de : la
Jeunesse du maréchal de Belle-Isle, et qui va de 1684 à 1726.
5. En août 1710, on avait annoncé son mariage avec « la jeune et
belle veuve du marquis de Locmaria », qu'on prétendait être enceinte
de ses œuvres (Sourches, tome XII, p. 337).
6. Henriette-Françoise de Durfort de Civrac, de même maison que
les maréchaux de Duras et de Lorge, mourut à Bordeaux en janvier 1 723
et fut enterrée le 16 au couvent des Grands Carmes de cette ville :
voyez ci-après, aux Additions et corrections. Saint-Simon écrit Sivrac.
7. Le contrat fut signé le 16 mai par devant les notaires Lemoine
et Navarre, et le mariage fut célébré le 20 à l'église Saint-Jacques ; la
noce se tit chez la duchesse de Vendôme, qui logea les époux au
Temple. Le marié eut en dot les deux tiers du domaine de Belle-
Isle et les quatre cent mille francs restant dus pour le rachat des for-
titications de cette place (Dangeau, p. 410; Sourches, p. 110; Mer-
*P' a été ajouté après coup au commencement de la manchette.
[4741] DE SAINT-SIMON. 3-2S
riche, extrêmement laide, encore plus folle*: elle s'en
entêta, et ne le rendit pas heureux, ni père. Son bonheur
l'en délivra quelques années après-, et le malheur de la
France le remaria longtemps après ^
Montboissier* épousa en même temps Mlle deMaillé^ Mariage de
belle, riche, et de beaucoup d'esprits II a succédé long- ■^^^"c^MUe*'
temps depuis à Canillac, son cousin % chevalier de l'Ordre de Maillé.
en 1728, capitaine de la seconde compagnie des mous-
quetaires*.
cure de mai, -2^ partie, p. 95-96; Cabinet des titres, Pièces originales,
vol. 1218, fol. 347; la Jeunesse de Belle-Isle, p. 53-o5.
t. Voyez la suite des Mémoires, tome XII de 4873, p. 283.
2. En 1723, comme on l'a vu dans la note 6 de la page précédente.
3. Il épousa en secondes noces, le 13 octobre 1729, Marie-Casimire
de Béthune, veuve du marquis de Grancey : tome XV, p. 154. Lors-
qu'elle mourut, en mars 4755, le duc de Luynes lui consacra une no-
tice élogieuse (Mémoires, tome XIV, p. 74-76), où il loue surtout son
ardeur pour tout ce qui pouvait intéresser la gloire et l'avantage de
son mari. Est-ce cela que Saint-Simon veut lui reprocher?
4. Philippe-Claude de Montboissier-Beaufort, marquis de Montbois-
sier, mousquetaire en 1692 et capitaine de cavalerie en 1695, eut un
régiment d'infanterie de son nom en 4702, et passa à la tête du régi-
ment de Condé en avril 1740 ; il le vendit en mars 4742 pour acheter
une cornette à la seconde compagnie des mousquetaires, dont il devint
enseigne en 1716 et sous-lieutenant peu de mois après; nommé bri-
gadier de cavalerie en 1749, il succéda à son cousin Canillac comme
capitaine-lieutenant des mousquetaires le 42 avril 1729, fut maréchal
de camp en 1734, lieutenant général en 1738, et mourut le 30 sep-
tembre 1765, à quatre-vingt onze ans.
5. Marie- Anne-Geneviève de Maillé-Bénehart, de même famille que
la femme du grand Condé, épousa le marquis de Montboissier le 8
juin 1711, et mourut le 7 juin 1742, à l'âge de quarante-huit ans.
Notre auteur écrivait donc le présent passage avant le mois de juin
1742, puisqu'il parle d'elle comme vivant encore.
6. Le contrat de mariage fut signé le 6 juin (Dangeau, p. 417 et
449 ; Sourches, p. 428). La fiancée eut deux cent mille livres de dot
et devait être fort riche plus tard. Il y a dans le Mercure de septembre
4742, p. 49-56, des vers relatifs à ce mariage.
7. Jean de Montboissier, comte de Canillac, dont on trouvera la
notice ci-après aux Additions et corrections.
8. En 1729, comme on l'a vu ci-dessus, note 4.
326
MEMOIRES
[1711]
Mariage
de Parabère,
avec Mlle de
la Vieu ville.
Course
à Marly de
l'électeur
de Bavière.
Parabère^ épousa aussi la fille- de Mme de la Vieuville,
dame d'atour de Mme la duchesse de Berry % qui, peu
après son mariage, fit parler d'elle, et qui enfin a si pu-
bliquement vécu avec M. le duc d'Orléans, et, après lui,
avec tant d'autres.
L'électeur de Bavière, à qui Torcy avoit été par ordre
du Roi porter à Compiègne la nouvelle de la mort de
l'Empereur aussitôt qu'il l'eut reçue '% et conférer avec
lui, vint quelque temps après passer quelques jours en
une maison qu'il emprunta auprès de Paris ^ Deux jours
après, il vint à Marly sur les deux heures et demie ;
c'étoit le 26 mai^ Il fut descendre dans l'appartement
1. César-Alexandre de Baudéan, comte de Parabère, chanoine-né
de la cathédrale d'Auch, mestre de camp de cavalerie en septembre
1702, brigadier de cavalerie en 1710, mourut le 13 février 1716, âgé
de quarante-cinq ans. Il était petit-tils de cette Mme de Neuillan chez
laquelle Mme de Maintenon passa une partie de sa jeunesse, et dont
on a parlé dans le tome VII, p. 21-22.
2. Marie-Madeleine de la Vieuville, fille de l'ancien chevalier d'hon-
neur de la Reine, mariée le 8 juin 1711 au comte de Parabère, mou-
rut le 13 août 1735, à soixante-deux ans. Sans être belle, elle avait
une figure noble et agréable au dire du duc de Luynes, qui ne la
connut que sur le tard {Mémoires, tome XIV, p. 237). Le contrat, du
6 juin, est dans le registre Y 287, fol. 351, aux Archives nationales; le
mariage fut célébré le 8 (Dangeau, p. 417 et 419 ; Sourches, p. 128 ;
Mercure de juin, 4^ partie, p. 61-70). A l'occasion du mariage, Ri-
gaud fit leur portrait à tous deux, moyennant cinq cents livres chacun.
La musée de Caen a cru longtemps posséder un portrait de Mme de
Parabère ; mais cette attribution a été reconnue fausse (Bulletin de
la Société des antiquaires de Normandie, tome XVIII, p. 69-88).
3. Tome XIX, p. 326-327.
4. D'après Dangeau (p. 395 et 397), on avait envoyé, le 25 avril,
un courrier à l'Electeur pour lui apprendre la mort de l'Empereur, et
M. de Torcy n'alla que le 27 «le voir de la part du Roi »; comparez
les Mémoires de Sourches, p. 102.
5. L'Électeur arriva le 25 mai et alla descendre dans la maison des
Moreau deSéchelles à Villiers-la-Garenne, où il avait déjà logé en 1709
et où nous le verrons descendre de nouveau le mois suivant (Dan-
geau, p. 412 ; Sourches, p. 121, et ci-après, p. 337).
6. Sur cette visite, on peut voir le Journal de Dangeau, p. 412-
[i7ii] DE SAINT-SIMON. 327
que feu Monseigneur occupoit. Au bout d'un quart
d'heure, il passa dans le cabinet du Roi, où il le trouva
avec les deux fils de France, Madame la Dauphine et
toutes les dames de cette princesse. La conversation s'y
passa debout à portes ouvertes, pendant un quart d'heure,
après quoi tout sortit, et le Roi demeura seul assez long-
temps avec l'Electeur, les portes fermées. 11 vint ensuite
dans le salon, où Monsieur et Madame la Dauphine l'atten-
doient. La conversation dura debout quelque temps, et
il s'en retourna à sa petite maison '. Le Roi lui avoit pro-
posé de revenir le surlendemain à la chasse : il y vint, se
déshabilla après dans ce même appartement de descente-,
et suivit après le Roi dans les jardins, qui le fit monter
seul avec lui dans son chariot^; ils se promenèrent fort
dans les hauts ^ de Marly. Au retour, il fut assez long-
temps ^ seul avec le Roi dans son cabinet. Il vint après
dans le salon ; Madame la Dauphine y jouoit au lansque-
net, qui le fit asseoir auprès d'elle. Sur les huit heures, il
alla souper chez d'Antin avec compagnie d'élite ; le repas
fut gai, et dura trois heures. ^ Tl parut partir fort content
pour sa petite maison, d'où il regagna Compiègne par
Liancourt^
413, les Mémoires de Sourches, p. 424 ; le Journal de Torcy, p. 435-
437, et une lettre de Mme de Maintenon à la princesse des Ursins,
recueil Bossange, tome II, p. 485. On trouva que le prince avait
beaucoup vieilli depuis son dernier voyage, et Madame (Correspon-
dance, recueil Jaeglé, tome II, p. 450) prétend qu'il était changé en
casse-noisette.
4. Dangeau, p. 443 ; Sourches, p. 421 ; Journal de Torcy, p. 444.
Torcy raconte (p. 436 et suivantes) les négociations qui se trai-
tèrent pendant le séjour de l'Electeur ; celui-ci désirait que le roi
d'Espagne lui cédât les Pays-Bas pour compenser la perte de ses
Etats. Nous verrons son désir exaucé, ci-après, p. 337.
2. C'est-à-dire celui où il était déjà descendu à sa première visite.
3. Tome XVIII, p. 223. — 4. Les jardins hauts: tome XII, p. 404.
5. L's a été ajoutée après coup à longtemps.
6. Dangeau, p. 444; Sourches, p. 422-424.
7. Il a été parlé de cette terre dans le tome XIX, p. 125.
328
MEMOIRES
[47ii]
Mort
de Langeron,
lieutenant gé-
néral des ar-
mées navales.
Mort,
caractère,
descendance et
titres du
Ce même jour, Langeron, lieutenant général des armées
navales, et fort bon marin ', mourut à Sceaux d'apoplexie,
sans être gros ni vieux-. Il étoit fort attaché à M. et à
Mme du Maine, et sa famille à la maison' de Condé,
sa sœur en particulier à Madame la Princesse ^ Il étoit
frère de l'abbé de Langeron mort àCambray depuis peu ^
Le duc d'Albe, ambassadeur d'Espagne®, étoit mort la
veille après une assez longue maladie". Il l'étoit depuis
plusieurs années ^ et y avoit acquis une grande réputa-
1. Joseph Andrault, comte de Langeron : tomes XV, p. 224, et XX,
p. 83.
2. Le 28 mai : Dangeau, p. 413 et 444 ; Sourches, p. 422 et 424 ;
Gazette, p. 300; Mercure de juin, 4^ partie, p. 40-43. Il avait eu une
pension de deux mille livres en février 4688, et avait été pourvu le
ler juillet 4704 de la lieutenance générale des quatre évêchés de
Basse-Bretagne. Lorsqu'il fut envoyé à Toulon en juin 4707 pour y
commander la marine, on ne lui donna point de lettres de service
comme lieutenant général, parce qu'il se serait trouvé l'ancien de
ceux de terre. Il n'était pas heureux en ménage (Correspondance de
Fénelon, tome II, p. 293), et Bussy raconte (Correspondance, tome III,
p. 348) une aventure galante qui lui arriva à Messine, lors de l'expé-
dition de 4676.
3. La première lettre de maison corrige une M.
4. Charlotte Andrault de Langeron (tome XX, p. 83). dame d'hon-
neur de la princesse de Condé, était tante, et non sœur de ce marin.
5. Tome XX, p. 83.
6. Il avait le titre d'ambassadeur, quoique, à Madrid, Blécourt n'eût
que celui d'envoyé, et cette différence avait failli occasionner son rap-
pel (Sourches, tome XII, p. 9).
7. Les journaux de la cour ne mentionnent sa maladie que le 23
mai, et il mourut dans la nuit du 27 au 28, n'ayant que trente-neuf
ans (Dang eau, p. 414 et 443; Sourches, p. 443 et 422; Gazette,
p. 276 ; Recueil des instructions aux ambassadeurs en Espagne, tome
III, p. 440-442 ; Mercure de juin, 3^ partie, p. 39, 4^ partie,
p. 47-48, et d'août, 4« partie, p. 37-43.
8. Depuis novembre 4703 (tome XI, p. 324). Sa correspondance
avec la cour d'Espagne, de 4704 à 4744, est conservée aux archives
d'Alcala de Hénarès. La lettre en date du 22 juillet 4702, par laquelle
Louis XIV le nomma chevalier de l'Ordre, figure sous le n° 223 dans le
catalogue des documents exposés au palais de Liria, que publia en 1898
la feue duchesse d'Albe et de Berwick morte à Paris le 27 mars 4904.
[1711]
DE SAINT-SIMOxN.
329
tion de sagesse, d'esprit, de prudence et de capacité ; il
avoit aussi beaucoup de probité et de piété. Il s'étoit
acquis l'estime et la confiance du Roi et des ministres, et
une considération générale '. Il vivoit avec la meilleure
compagnie, et avec magnificence et beaucoup de politesse
et de dignité-. Le roi d'Espagne fit payer toutes ses
dettes ^ et continua quatre mois durant les appointements
1. Les contemporains s'accordent avec notre auteur pour faire l'éloge
du duc d'Albe, et pour reconnaître son dévouement sans bornes à
Philippe V ; la princesse des Ursins l'estimait et lui tit obtenir, en
1706, une commanderie que la mort de l' Amirauté laissait vacante ; en
1709, il avait été désigné, avec Bergeyck, comme plénipotentiaire aux
conférences qui durent s'ouvrir en Hollande (Lettres de Mme de Main-
tenon et de la princesse des Ursins, recueil Bossangc, tomes II, p. 184,
186-187, 190, 19-2 et 197, et III, p. 343-344, 358-359 et 371 ; Mémoires
de Sourches, tome X, p. 116; Mercure, décembre 1704, p. 314-315,
et décembre 1706. p. 237-239; Mémoires de Noailles, p. 213; nos
tomes XII, p. 400, et XIV, p. 116). L'abbé de Vayrac, dans son Ta-
bleau de l'Espagne, éd. 1819, tome III, p. 12, lui a consacré quelques
phrases élogieuses qu'on trouvera aux Additions et corrections.
2. Depuis son arrivée à Paris, il habitait une maison de la rue de
Grenelle appartenant au président Talon, voisine de l'hôtel de Ven-
dôme, et qui devint plus tard l'hôtel de Galliffet, puis le ministère des
Relations extérieures, aujourd'hui l'ambassade d'Italie. A Versailles,
il logeait rueDauphine, près la Paroisse. Les fêtes qu'il donnait chaque
année, et surtout celle de l'anniversaire de naissance du roi d'Espagne,
étaient renommées pour leur éclat; il ne semble pas que les Saint-Simon
y eussent jamais été invités (nos tomes XII, p. 400, note 6, et XV,
p. 229; Mercure de décembre 1704, p. 291-298, et de janvier 1711,
p. 250-259). En 1707, il avait obtenu la permission de se faire faire un
milieu de table et des seaux et plats d'argent (registre 0' 51, fol. 69 v°
et 81). Comme chez la plupart des ambassadeurs, on jouait chez lui à
la bassette (rég. 0' 366, fol. 12 v°).
3. La marquise d'Huxelles écrivait à M. de la Garde, le 3 février
1704 (lettre inédite, ms. Avignon 1419) : «M. le duc de Beauvillier a
conseillé à M. le duc d'Albe de se retrancher et de ne se pas endetter
ici comme a fait l'autre (le marquis de Castel dos Rios), parce que
cela ne servoit de rien, selon nos manières, pour sa grandeur, ni pour
celle du roi son maître. » Malgré ces conseils, le duc, qui ne recevait que
des appointements très irrégulièrement payés, sacrifia toutes ses res-
sources pour soutenir dignement son rang : si bien qu'il se trouva rc-
duc d'Albe,
ambassadeur
d'Espagne
en France.
Sa Bucccssion.
[Add. S'-S. 1008]
330 MÉMOIRES |17i4]
de l'ambassade à la duchesse d'Albe, qui ne partit point
que tout ne fût payé'. Le corps fut envoyé en Espagne'-.
Son nom est Tolède, tiré de la ville de Tolède, mais avec
celui d'Alvarez pour distinguer cette maison, l'une des
premières d'Espagne, de quelques autres différentes qui
le portent aussi avec d'autres noms ^ Jean II, roi de Cas-
duit, dans certains moments, à vendre son argenterie et à ne vivre
que de chocolat (notre tome XIII, p. 56 et 445, note 2 ; lettres de
Mme de Maintenon, recueil Bossange, tome I. p. 41-42 et 60-61, et
recueil Geffroy, tome II, p. 99-100; lettre du duc de Gramont, dans le
volume Espagne 160, fol. 21).
1. Dangeau, p. 428: Le roi d'Espagne a mandé à la duchesse
d'Albe.... qu'il feroit payer toutes les dettes que son mari avoit faites
en France durant son ambassade, qu'il lui continueroit, à elle, du-
rant quatre mois, les mêmes appointements qu'il donnoit au duc son
mari, et qu'il lui feroit payer ce qui pouvoit leur être encore dû de
leurs appointements, afin qu'elle eût de quoi récompenser les domes-
tiques qui ne voudroient pas la suivre en Espagne, et qu'elle eût de
quoi sortir de France honorablement. Outre cela, le roi lui donne deux
mille pistoles d'or de pension, et lui a écrit la lettre du monde la plus
obligeante. Elle compte pouvoir partir dans deux mois, quand elle
aura vu ses créanciers payés ; ils en ont tous usé à merveille avec
elle... » Comparez les Mémoires de Sourches, p. 138, et les Lettres
de la princesse des Ursins, recueil la Trémoille, tome V, p. 198 et
204. La duchesse ne quitta Paris qu'en septembre 1712, accompagnée
de l'abbé de Castiglione, qu'elle ne devait pas tarder à épouser, et le
Roi lui fit un présent de dix mille écus (Dangeaii, tomes XIII, p. 438
et 482, et XIV, p. 226 et 228).
2. Ce détail n'est pas pris à Dangeau. Jal (Dictionnaire critique,
p. 20-21) a publié, d'après les registres de Saint-Sulpice, le procès-
verbal des obsèques; elles furent célébrées le 6 juin dans la chapelle
des Carmélites de la rue de Grenelle, où le corps avait été transporté
le 3 par le curé de Saint-Sulpice et où il devait rester jusqu'à ce que
la famille décidât de le faire ramener en Espagne. D'après le duc de
Luynes (Mémoires, tome IV, p. 175), le duc avait voulu être enseveli
avec une chemise neuve garnie de point, un habit de drap de la ma-
nufacture Van Robais brodé d'argent, une perruque neuve, sa canne
et son épée.
3. Il a déjà été parlé de la maison de Tolède dans nos tomes VII,
p. 259, VIII, p. 544, IX, p. 159, note 2, et XI, p. 325-326. L'abbé de
Y ayrac (Tableau de l'Espagne, tome III, p. 14) s'exprime comme notre
auteur et ajoute que cette maison a donné naissance aux Suarez de
[1711] DE SAINT-SIMON. 331
tille', mit dans cette maison la ville d'Alva par don-, que
nous appelons Albe, et qui est auprès de Salamanque,
avec d'autros adjonctions en titre de comté, en 1430. Le
troisième comte d'Albe ^ fut fait duc d'Albe par Henri IV*,
en 1469, et c'est le bisaïeul de^ mâle en mâle du fameux
duc d'Albe^ gouverneur des Pays-Bas sous Philippe II,
qui" mourut en 1582 et laissa deux fils. L'aîné, qui
avoit été fait duc d'Huesca, mourut sans enfants après
son cadet, dont le fils lui succédai II épousa Antoinette^
Enriquez de Ribera'", dont le frère étant mort sans
enfants", elle fit entrer dans la maison de son mari ses
biens et son nom'-. Ainsi, ce sixième" duc d'Albe, et*
d'Huesca par soi, fut, par sa mère héritière de la maison
Toledo, aux marquis de Villafranca et ducs de Fcrrandina, aux comtes
d'Oropesa, aux marquis de Maiicera. Ses armoiries étaient : échiqueté
d'azur et d'argent, avec neuf étendards en bordure.
i. Tome VIII, p. 198.
H. Déjà dit tome XI, p. 3"2o, ainsi que ce qui va suivre.
3. Garcia Alvarez de Tolède : tome XI, p. 323.
4. Roi de Castille : tome VIII, p. 114-llS.
o. Le d de de surcharge le commencement d'un m, et la lettre s du
second masle a été ajoutée après coup.
6. Ferdinand Alvarez de Tolède : tome XI, p. 326.
7. Ce qui est en interligne, au-dessus d'et il, bitfé.
8. Tout cela a déjà été dit dans le tome XI, p. 326, d'après VHistoive
généalogique.
9. Ant., dans le manuscrit surchargeant la ; ensuite, Enriques est en
interligne, au-dessus de Manriques, biffé.
10. Elle était fille du marquis de Villanueva-del-Rio, et mourut le 23
novembre 1623. Son mari se remaria avec une Pimentel de Bena-
vente.
■11. Il s'appelait Antoine IV, marquis de Villanueva-del-Rio, et mou-
rut par accident le 24 décembre 1619.
12. Outre le marquisat de Villanueva, qui venait de son frère, An-
toinette de Ribera hérita du comté d'Osorno et du duché de Galisteo,
par suite de la mort d'Anne-Apollonie Manrique de Luna, marquise
de Malpica, comtesse d'Osorno et duchesse de Galisteo, dont elle était
cousine germaine par sa mère Marie Manrique de Luna (Imhof, Grands
d'Espagne, p. 6-7).
13. Ce corrige 5<^. — 14. Et surcharge un d ciVacé du doigt.
335 MÉMOIRES [1711
de Beaumont si célèbre en Navarre et en' Aragon-, comte
de Lerin et connétable et chancelier héréditaire de Na-
varre, et, par sa femme, duc de Galisteo, comte d'O-
sorno% etc. Il fut grand-père du duc d'Albe qui mourut
à Madrid d'une façon si singulière '*, et qui ^ a été racon-
tée % peu de temps [après] l'arrivée de Philippe V à
Madrid ; et c'est le fils de celui-là, ambassadeuren France,
de la mort duquel on parle ici. On a vu ailleurs'' qui et
quelle étoit la duchesse d'Albe, et qu'ils avoient perdu
leur fils unique à Paris*. Le marquis del Carpio, frère du
père du duc d'Albe ^, lui succéda en ses grandesses et en
ses biens. Il étoit grand d'Espagne par sa femme'", fille et
héritière de don Gaspard de Haro ", marquis del Carpio '-
et d'Eliche", comte-duc d'Olivarès, ambassadeur à Rome,
mort vice-roi de Naples'^ et fils du célèbre don Louis
1. Au lieu à' et en, il y a en en, par mégarde, dans le manuscrit.
:2. Briande de Beaumont : tome XI, p. 326.
3. Galisteo est une ville d'Estrémadure, dans le district actuel de
Plasencia ; Osorno est dans la Vieille-Castille, au diocèse de Pa-
lencia.
4. Antoine Alvarez de Tolède : tome XI, p. 326.
3. Que corrigé en qui. — 6. Au tome XI. p. 327-328.
7. Ibidem, p. 329. — 8. En 1709 : tome XVIII. p. 109.
9. François de Tolède et Silva, tils du second mariage du duc An-
toine I*"" avec une Silva, épousa, le 28 février 4688, Catherine de Haro
et Guzman, devint premier écuyer de Charles II en septembre 1693,
et mourut le 22 mars 1739, à soixante-seize ans.
10. Voyez la note précédente, et notre tome IX, p. 330 et 456.
11. Il y a bien ici de Haro, et trois lignes plus loin, d'Haro, comme
dans notre tome VIII, p. 210.
12. Cette localité, à deux lieues de la ville de Ciudad-Rodrigo, avait
été érigée en grandesse, pour don Louis de Haro, en janvier 1660.
13. Heliche, et non Eliche, dans la province de Séville, érigé en gran-
desse en 1624, appartient encore aux descendants du duc de Berwick-
Albe.
11. Gaspard de Haro et Guzman, né en 1629, titré d'abord marquis
d'Hcliche, ou plutôt de Liche, comme on disait en France, fut arrêté
et emprisonné en 1662 pour un complot contre le duc de Medina-Ccli ;
remis en liberté l'année suivante, il entra au conseil d'Etat en 1663,
et se distingua en 1668 à la bataille de Badajoz contre les Portugais,
1171 1| DE SAINT-SIMON. 333
d'Haro ' qui traita la paix des Pyrénées avec le cardinal Ma-
zarin, et qui avoit hérité des biens, dignités et premier
ministère du comte-duc d'Olivarès-, son oncle maternel \
Ce marquis del Carpio, dont la femme étoit^ fille de la
sœur de l'amirante de Castille % s'étoit laissé entraîner par
6116*= dans le parti de l'Archiduc, et ils étoient à Vienne',
où ils marièrent leur fille au frère du duc del Infantado %
où il fut fait prisonnier, ce qui ne l'empêcha pas d'être chargé des né-
gociations de la paix; il fut nommé gouverneur de la Zarzuela en 1673,
ambassadeur à Rome en 1674. gentilhomme de la chambre en '1678,
fut envoyé à Naples comme vice-roi en août 1682. et y mourut le 13
novembre 1687, avec les titres héréditaires de grand chancelier des
Indes et de grand commandeur de l'ordre d'Alcantara. Il est question de
lui. de sa bibliothèque et de ses manuscrits dans les Mémoires de Gra-
mont, p. 3"2o-3"27, dans \e Journal du voyage d'Espagne par Bertaut,
p. 322, et dans la Relation de Mme d'Aulnoy, tome II. p. 109. Sa iillo
n'épousa le tils du duc d'Albe que l'année suivante, et on pensait alors
qu'elle pourrait se marier avec le prince Eugène (Dangeau, tome II,
p. 77 et 108).
1. Tome VIII, p. 210, à propos de son second fils Monterey.
2. Tome XI. p. 249.
3. La mère de don Louis de Haro était Françoise de Guzman, sœur
d'Olivarès.
4. Après estoit, Saint-Simon a biffé un second estait.
5. Thérèse Enriquez de Cabrera, mariée en février 1671 à don Gas-
pard de Haro, épousa en secondes noces, le 20 mai 1688, Joacliim
Ponce de Léon, duc d'Arcos. Elle était sœur de Jean-Thomas Enriquez
de Cabrera, duc de Médina del Rioseco et amirante de Castille, mort
en 1703 (tome VII. p. 123 et 250).
6. Dans son Portrait de la cour d'Espagne en 1701 (tome VIII, ap-
pendice XII. p. 340), Saint-Simon a déjà parlé des intrigues de la mar-
quise del Carpio. Elle et son mari, exilés de ce fait vers cette époque
{Mémoires de Louville, tome I, p. 154), furent amnistiés en 1707,
lors de la naissance du prince des Asturies {Gazette, p 438) ; mais ils
n'en prolilèrent pas et se rallièrent à l'Archiduc, que la marquise et sa
hlle ont suivi en 1711, lorsqu'il s'est retiré à Barcelone {Dangeau,
tome XIII. p. 3i4 et »13 ; notre tome XX, p. 129).
7. Le V de Vienne corrige un v minuscule.
8. Dans l'édition de 1873. on avait imprimé leurs filles, au pluriel;
mais le manuscrit porte bien le singulier. Le marquis del Carpio n'eut
en effet qu'une tille, Marie-Thérèse de Tolède, qui épousa en 1710,
334
MEMOIRES
[4744]
Le fils
d'Amelot pré-
sident à mor-
tier. Digne
souvenir du
Roi des services
de Mole,
premier prési-
dent et garde
des sceaux.
qui avoit suivi le ' même parti-. Ils revinrent long-
temps après à Madrid, où ce duc d'Albe aida au duc
del Arco^ parrain de mon second fils, à faire les hon-
neurs le jour de sa couverture ^ J'aurai alors occasion de
parler de plusieurs autres grands de cette maison de
Tolède, dont ctoit ce digne marquis de Mancera dont il
a été mention plusieurs fois^
Amelot, à qui ses ambassades, où il avoit si bien servi,
et surtout celle d'Espagne, qui ne lui avoit rien valu
après l'avoir mis à portée de tout^ eut enfin pour son
fils" la charge de président à mortier de Champlâtreux*,
qui mourut d'apoplexie en s'habillant pour aller à la ré-
ception de d'Antin ®, et qui ne laissa personne en état ni
en âge de la recueillir^" ; car le Roi se souvenoit toujours
Emmanuel-Marie-Joseph de Silva Mendoza, titré comte de Galve, né
le 48 octobre 4677, et veuf d'une Villafranca, qui mourut à Madrid le
7 octobre 4728 ; sa femme survécut jusqu'en octobre 4732 (voyez notre
tome VIII, p. 676).
1. La corrigé en le.
2. Le comte de Galve s'était rallié à l'Archiduc en 4705, et ses biens
avaient été confisqués par Philippe V en décembre 4706. L'Archi-
duc l'a chargé d'une mission à Vienne en 4707, où on lui donna
un régiment de cuirassiers; il ne rentrera en Espagne qu'en 1725.
Nous le retrouverons dans la suite des Mémoires, tome XVII, p. 428.
3. Tome VIII, p. 467.— 4. Déjà dit dans le tome VIII, p. 467-468.
5. En dernier lieu, au tome XX, p. 423-430.
6. Tome XVIII, p. 225. — La phrase est incorrecte, mais n'a pas
besoin d'explication.
7. Michel-Charles Amelot: tome XV, p. 1^^; voyez Dang eau, p 424.
8. Jean-Baptiste-Mathieu Mole, arrière petit-fils du célèbre premier
président : tome XVII, p. 40.
9. Dangeau dit, le 5 juin (p. 449) : « M. d'Antin fut reçu duc et
pair au Parlement. Le président de Champlâtreux, qui s'étoitlevé pour
aller à sa réception, tomba en apoplexie en s'habillant et mourut deux
heures après. Il n'avoit que trentre-quatre ans. » Tombé à neuf heures
du matin, il mourut à midi sans avoir pu recevoir les sacrements,
disent les Mémoires de Sourches, p. 427. Il avait en réalité trente-six
ans (Gazette, p. 300), étant né en 4675.
40 II ne laissait qu'un fils âgé de six ans, et sa femme était morte le
44 janvier précédent.
(171 II DE SAINT-SIMON. 33.'i
du premier président Mole, garde des sceaux, et leur
conserva cette charge tant qu'il y eut dans cette famille
à qui la donner, qui y est revenue depuis'. Bergeyck vil Bergeyckà
assez longtemps le Roi en particulier, et les ministres en^ Espagne "
séparément, passant de Flandres en Espagne, où le roi
d'Espagne le mandoit avec empressement-, et d'où Mme
des Ursins en cut^ beaucoup plus à le renvoyer prompte-
ment. Le roi d'Angleterre partit en ce même temps pour Voyage du roi
aller voyager par le rovaume S ennuyé apparemment de AngftpiTc
J o i 1/ J ir par le royaume.
ses tristes campagnes incognito •', et plus encore de de-
meurer à Saint-Germain pendant la guerre. On soupçonna
du mystère en ce voyage sans qu'il y en eût aucune II
1. Saint-Simon veut parler de la charge de président à mortier que
le tils de Champlàtreux obtint en -1731 ; il ne put voir ce fils parvenir
en 1757 à la première présidence.
2. On a vu, dans le tome XX, p. 302, que lors de son voyage à
Paris en février, il était déjà question qu'il passât de Flandre en
Espagne pour prendre la direction des finances ; mais il était alors
rentré à Namur pour liquider ses affaires privées C'est seulement en
juin qu'on sut que, délinilivement, Philippe V l'appelait pour lui con-
fier « les affaires les plus considérables », et, en passant par Paris, il
eut, le 6 juin, une très longue audience du Roi. Aux frontières d'Es-
pagne, une escorte de mille hommes protégea sa traversée des monta-
gnes, et Philippe V lui confia les finances et même la principale direc-
tion des conseils ; mais ce fut pour deux mois à peine, au bout desquels,
en novembre, il fut dépossédé, sous prétexte de lui donner une des
trois places de plénipotentiaire aux conférences qui allaient s'ouvrir à
Bruxelles. C'est en cette qualité qu'il reverra encore Louis XIV le 28
mars 1712. Ses fonctions à Madrid le mirent en relation avec Vendôme,
et il existe aux archives de Chantilly, registre S xvii, fol. 288 et sui-
vants, de nombreuses lettres de lui à ce général, dont une partie se
trouve en copie dans le ms. Fr. 44178, fol. 339 à 471 passim. Il aurait
voulu réorganiser à la française les finances d'Espagne (vol. Guerre
2329, n- 143, 240, 234 et 270).
3. En eut est en interligne au-dessus de le renvoya avec, biffé.
4. Il prit congé du Roi le 14 juin et partit le 16 (Dangeau, p. 424 ;
Soitrches, p. 132).
o. En 1710, à l'armée de Flandre : tome XIX, p. 373.
6. C'est Dangeau qui dit cela (p. 42i), et la Gazette d'Amsterdam
(Extr. un et uv) parle aussi de ces bruits.
336 MÉMOIRES [1711J
alla, avec une petite suite, d'abord à Dijon, puis en
Franche-Comté, en Alsace, et voir l'armée d'Allemagne ;
de là, par Lyon, en Dauphiné, à l'armée du duc de Ber-
wick, voir les ports de Provence, et revenir par le Lan-
guedoc et la Guyenne ^
Grand Prieur Le Grand Prieur, gobé" comme on l'a marqué en son
à Soleure. temps^, obtint enfin sa liberté, sur sa parole de ne point
sortir de Soleure jusqu'à ce qu'il eût obtenu la liberté de
ce brigand de fils de Massener, prisonnier à Pierre-
Encise*^, que le Roi ne voulut point accorder ^
Deuil II avoit porté quelques jours de plus le deuil des
de l'Empereur enfants de Mme de Lorraine % par paresse de changer
et^sa^cau^è. d'habit, ce qu'il n'aimoit point, comptant à tous moments
de le prendre de l'Empereur' ; mais l'Impératrice mère,
qui gouvernoit en attendant l'Archiduc, s'avisa, dans la
lettre par laquelle elle lui en donnoit part, de parler fort
peu à propos de la joie qu'elle auroit de revoir son autre
fils le roi d'Espagne, etc., avec tous ses titres. Cela sus-
pendit le deuil, et lui fit renvoyer sa lettre ^
Saint-Frémond mena un gros détachement de l'armée
i. Les journaux de la cour ne font que quelques brèves mentions de
son itinéraire ; il rentra le 4 novembre à Saint-Germain (Dangeav,
tomes XIII, p. 429-430, 436 et 444, et XIV, p. 9 et 20 ; Sourches, p.
p. 148,450, 451, 222 et 234).
2. Au sens de saisi brusquement; nous avons eu ce verbe, au flguré,
dans le tome XX, p. 487.
3. Tome XX, p. 203-206, et appendice VI.
4. Les Mémoires de Sourches annoncent cette nouvelle le 7 juillet
(p. 449), d'après les gazettes de Hollande ; voyez la Gazette d'Amster-
dam (Extr. XLix, et n° l). Dangeau en parle dès le 46 juin (p. 423).
5. Dans le prochain volume, nous verrons le Grand Prieur remis
définitivement en liberté, et il y aura lieu alors de terminer le récit du
procès de Masner, commencé dans l'Appendice de notre tome XX.
6. Ci-dessus, p. 270.
7. C'est Dangeau qui dit cela (p. 424).
8. Dangeau, p. 423 ; Sourches, p. 134 et 433. Au Dépôt des affaires
étrangères, vol. Autriche 89, fol. 244, il y a mention que la lettre
de l'Impératrice au Roi fut renvoyée à Vienne, parce que l'Archiduc y
était appelé roi d'Espagne.
[4714]
DE SAINT-SIMON.
337
de Flandres en Allemagne'. Les ennemis y en firent un
plus gros, et, sur le bruit que le prince Eugène l'y devoit
mener lui-même, on en fit un autre pour le devancer-.
On sut en même temps que le roi d'Espagne donnoit en
toute souveraineté à l'électeur de Bavière tout ce qui
lui restoit aux Pays-Bas : de places, il n'y avoit que
Luxembourg, Namur, Charleroy et Nieuport ; il y avoit
longtemps que cela lui étoit promise II arriva en même
temps à une petite maison des Moreau, riches marchands
de drap S au village de Villiers, près Paris % d'où il vint
à Marly descendre à l'appartement de feu Monseigneur.
Torcy l'y fut trouver et y conféra longtemps avec lui ^ Il
le mena ensuite dans le cabinet du Roi, où il demeura
1. Ce détachement, fort de quinze escadrons et de quinze bataillons,
quitta la Flandre le il juin (Dangeau, p. 421).
2. Dangeau, p. 424-426 ; Mémoires militaires, tome X, p. 398-408
et 613-620.
3. Dangeau, p. 427; Sourches, p. 139; Gazette d'Amsterdam, n"
LU. L'acte olliciel de donation est daté du 2 janvier 1712 ; il est im-
primé dans le Corps diplomatique de Du Mont, tome VIII, l-'e partie,
p. 288-290.
4. Pierre Moreau avait acheté une charge de secrétaire du Roi,
puis celle de contrôleur du sceau ; il devint plus tard trésorier généra
des Invalides, et mourut dans sa maison de Villiers le o mai 1723, âgé
de soixante-deux ans. Ses deux lils furent MM. Moreau de Beaumont,
intendant des finances et économiste, et Moreau de Séchelles, contrô-
leur général de 1734 à 1756.
5. La paroisse de Villicrs-la-Garenne, au nord-ouest de Paris et au
nord du bois de Boulogne, avait été fondée sur le territoire de l'ancien
domaine mérovingien de Clichy ; elle a été divisée entre les communes
actuelles de Neuilly et de Levallois-Perret. En 1709, elle ne comptait
qu'une vingtaine de feux. Dans l'église, il y avait, au-dessus de l'autel,
un tableau représentant les disciples d'Emmaùs, qui avait été donné
par l'électeur de Bavière en souvenir de ses séjours. La maison des
Moreau était située non loin de l'église et près de la croisée des che-
mins qui allaient du faubourg du Roule à la Seine et de Neuilly à
Clichy. Nous avons vu (ci-dessus, p. 326) l'Électeur y descendre à son
précédent voyage.
6. Dangeau, p. 422, 427 et 430 ; Sourches, p. 140 ; Gazette d'Am-
sterdam, n° LUI.
Le roi
d'Espagne
donne ce qui
lui reste aux
Pays-Bas à
l'électeur
de Bavière,
qui passe â
Marly allant à
Namur, et
envole le
comte d'Albert
en Espagne.
Comte
de la Marck
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XII
22
338
MEMOIRES
[17441
suit l'Électeur
de la part
du Roi, sans
caractère.
Gassion bat en
Flandres douze
bataillons et
dix escadrons ;
son mérite et
son extraction.
jusqu'à cinq heures, et en sortit avec l'air très satisfait.
On fut de là courre le cerf. L'Electeur joua au lansquenet
dans le salon avec Madame la Dauphine après la chasse,
et, à dix heures, fut souper chez d'Antin K II retourna
coucher à Yilliers, et partit trois ou quatre jours après
pour Namur-. Il envoya le comte d'Albert^ faire ses
remerciements en Espagne, et y prendre* soin de ses
affaires. En même temps, le comte de la Marck ' alla
servir de maréchal de camp et de ministre sans caractère
public auprès de l'électeur de Bavière ^ Fort peu après,
Gassion' défit douze bataillons et dix escadrons des enne-
mis auprès de Douay% sur lesquels il tomba à deux
heures après minuit. Il avoit fort bien dérobé sa marche, et
ils ne l'attendoient pas ; il leur tua quatorze ou quinze cents
hommes, et ramena douze ou treize [cents] chevaux ^. Ce
Gassion étoit petit-neveu du maréchal de Gassion ", et il
4. Comme à son précédent voyage (ci-dessus, p. 327).
2. Il partit le 4 juillet, étant revenu voir le Roi le 30 juin et ayant
assisté à deux représentations de l'Opéra : Dangeau, p. 433 et 438 ;
Sourches, p. 444 ; Gazette d'Amsterdam, n"^ liv et lv.
3. Le frère du duc de Chevreuse, confident de l'Électeur, dont il
devait plus tard épouser la maîtresse, Mlle de Montigny (tome XX, p.
74-72).
4. Prendre surcharge avoir.
5. Louis-Pierre-Engilbert : tome VII, p. 93.
6. Dangeau, p. 434 et 438 ; Sourches, p. 454. Le comte avait en
réalité pour mission de nouer des négociations secrètes avec l'électeur
de Brandebourg et avec le Palatin. Ses instructions ont été publiées
par M. André Lebon dans le Recueil des instructions des ambassadeurs
en Bavière, p. 433 et suivantes.
7. Jean, chevalier puis comte de Gassion : tome XIII, p. 373.
8. Sur cette action du 44 juillet, voir les récits de la Gazette, p. 397-
400 (pour 357-360), des Mémoires de Sourches, p. 452-454, du Journal
de Dangeau, p. 444, de VHistoire militaire, tome VI, p. 509-542, des
Mémoires militaires, tome X, p. 409-444 et 624-626, et les correspon-
dances du Dépôt de la guerre, vol. 2304. La Gazette d'Amsterdam
essaya d'en dissimuler la réussite (n° lvii).
9. Ces détails sont pris de Dangeau. Saint-Simon a écrit, par mé-
garde 12 ou 13 chevaux.
40. Tome XV, p. 439.
[17141
DE SAINT-SIMON.
8:59
avoit quitté les gardes du corps, à la tête desquels il étoit
arrivé*, pour servir en liberté et en plein de lieutenant
général, et arriver au bâton de maréchal de France-.
C'étoit un excellent officier général et un très galand
homme ^.
L'assemblée extraordinaire du clergé, qui finissoit, vint
haranguer le Roi à Marly^ Le cardinal de» Noailles, qui
en étoit seul président, étoit à la tête. Nesmond% arche-
vêque d'Alby, porta la parole, dont je ne perdis pas un
mot. Son discours, outre l'écueil inévitable de l'encens
répété et prodigué, roula sur la condoléance de la mort
de Monseigneur, et sur la matière qui avoit occupé
l'assemblée \ Sur le premier point, il dit avec assez d'élo-
1. Il était lieutenant de la compagnie de Villeroy depuis 4687, et
quitta en 4703 (Sourches, tome IX, p. 494-495).
2. Il n'y parvint pas, étant mort de maladie en novembre 4743.
3. Dans le manuscrit, à la suite de ce paragraphe, et jusque sur la
marge, Saint-Simon a tracé divers signes, imitant peut-être des larmes,
au milieu desquelles se détache une croix. Serait-ce une sorte de repère
pour indiquer à quel endroit il se trouvait de sa rédaction lorsqu'il
perdit sa femme, morte à la Ferté-Vidame le 24 janvier 4743 ? On a vu
dans notre tome I, p. 4, que Saint-Simon, à la suite de cette perte
cruelle, interrompit pendant six mois son travail de rédaction des Mé-
moires, et ne le reprit qu'après avoir placé en tête de son manuscrit les
Considérations préliminaires que nous avons reproduites à leur place.
4. C'est le dimanche 42 juillet que l'assemblée vint prendre congé
du Roi: Dangcau, p. 439-440; Sourches, p. 452; Gazette, p. 400 (pour
300). Après avoir pris ce t'ait dans le Journal de Dangcau et y avoir joint
ses propres souvenirs, Saint-Simon reviendra sur la séance d'ouverture,
qui n'avait pas été moins émouvante, mais la résumera beaucoup plus
sommairement, tandis que Dangeau y avait consacré un article assez
long, que nous reproduirons ci-après, p. 342.
5. L'initiale de de surcharge un q.
6. Henri de Nesmond, abbé de Chézy en 4682, fut nommé à l'évêché
de Montauban en 4687 et passa à l'archevêché d'Alby en 4703 ; en
4749, le Régent le nommera à l'archevêché de Toulouse, où il mourra
le 27 mai 4727. En 4740, il avait été élu à l'Académie française à la
place de Fléchier. On publia en 4754, en un volume in-42, un recueil
de ses sermons et discours.
7. Le texte de ce discours du 42 est donné dans la Collection des
Clôture
de rassemblée
extraordinaire
du clergé.
Admirable et
hardie haran-
gue au Roi
de Nesmond,
archevêque
d'Alby.
Le Dauphin
340 MÉMOIRES [1741]
montré quence ce dont il étoit susceptible, sans rien outrer. Sur
ar le^R^l l'autre, il surprit, il étonna, il enleva ; on ne peut rendre
avec quelle finesse il toucha la violence effective avec la-
quelle étoit extorqué leur don prétendu gratuit, ni avec
combien d'adresse il sut mêler les louanges du Roi avec
la rigueur, déployée à plein, des impôts. Venant^ après
au clergé plus expressément, il osa parcourir tous les
tristes effets d'une si grande continuité d'exactions sur la
partie sacrée du troupeau de Jésus-Christ qui sert de pas-
teurs à l'autre, et ne feignit point [de] dire - qu'il se croiroit
coupable de la prévarication la plus criminelle, si, au
lieu d'imiter la force des évêques qui parloient à de mau-
vais princes et à des empereurs païens, lui qui se trouvoit
aux pieds du meilleur et du plus pieux de tous les rois,
il lui dissimuloit que le pain de la parole manquoit au
peuple, et même le pain de vie, le pain des anges *, faute
de moyens de former des pasteurs, dont le nombre étoit
tellement diminué, que tous les diocèses en manquoient
sans savoir où en faire. Ce trait hardi fut paraphrasé avec
force et une adresse admirable de louanges pour le faire
passer. Le Roi remercia *^ d'une manière obligeante pour
procès-verbaux des assemblées du clergé de France, tome VI, col.
i23o-i240. L'annotateur des Mémoires de Sourches dit que le prélat
parla « un peu longuement » ; mais le Roi, de son côté, fut plus laco-
nique qu'à l'ordinaire.
1. Si l'on compare avec le résumé qui va suivre le texte officiel
que nous venons d'indiquer, on verra que Saint-Simon a beaucoup
exagéré la vigueur des expressions employées par M. de Nesmond, et
que celles même qui semblent le plus provenir de la harangue ne s'y
rencontrent pas.
2. Nous avons déjà eu l'expression ne feindre point de dans le tome
XIV, p. 164 ; Saint-Simon a oublié ici un de avant dire.
3. Expression employée fréquemment par les Pères pour désigner
l'Eucharistie, et dont les exemples les plus connus sont le Panis ange-
licus et VEcce panis angelorum employés par saint Thomas d'Aquin
dans ses proses pour la fête du Saint-Sacrement.
4. Il y a remeria, par mégarde, dans le manuscrit. — Les paroles
du Roi sont très brièvement résumées dans les Procès-verbaux, col.
[1711] DE SAINT-SIMON SM
celui qui avoit si bien parlé. Il ne dédaigna pas de mêler
dans sa réponse des espèces d'excuses et d'honnêtetés
pour le clergé. Il finit, en montrant le Dauphin, qui étoit
près de lui, aux prélats, par dire qu'il espéroit que ce
prince, par sa justice et par ses talents, feroit tout mieux
que lui, mêlant quelque chose de touchant sur son âge et
sa mort peu éloignée ; il ajouta que ce prince répareroit
envers le clergé les choses que le malheur des temps l'avoit
obligé d'exiger de son affection et de sa bonne volonté. Il
en tira pour cette fois huit millions d'extraordinaire'.
Toute l'assistance fut attendrie de la réponse, et ne put
se^ taire sur les louanges de la liberté si nouvelle de la
harangue et l'adresse ^ de l'encens dont il sut l'envelop-
pera Le Roi n'en parut point choqué, et la loua en gros
et en peu de mots, mais obligeants, à l'archevêque, et le
Dauphin parut touché et peiné de ce que le Roi dit de
lui. Le Roi fit donner un grand dîner à tous les prélats et
députés du second ordre, et de petits chariots ^ ensuite
pour aller voir les jardins et les eaux. A la harangue de
l'ouverture, que prononça le cardinal de Noailles^ le
1244, et il est bien possible que notre auteur les ait « embellies »
comme la harangue de l'archevêque d'Alby. Dans ce résumé, il n'est
point question des allusions au Dauphin et à son règne futur.
1. Procès-verbaux, col. 1184-i2i4.
2. Saint-Simon a biffé se avant put, pour le reporter en interligne
après ce verbe.
3. Avant l'adresse, il y a un de biffé.
4. La réputation d'orateur de M. de Nesmond était bien établie.
Lorsque, en 4710, il fut reçu à l'Académie française, la marquise
d'Huxelles écrivait à M. de la Garde (lettre inédite du 48 juillet) :
« Le discours de M. l'archevêque d'Alby à l'Académie se débite avec
un grand applaudissement. Il fut lu et relu hier deux fois de suite
dans un lieu où j'étois et où il y avoit de bons connoisseurs. Feu
M. l'évêque de Nîmes y est loué selon son mérite, et il passa tout d'une
voix qu'il ne se peut un plus grand orateur que son successeur. »
n. Nous avons déjà vu mention de ces chariots à diverses reprises,
en dernier lieu, ci-dessus, p. 327.
6. Le 47 juin ; le texte du discours du cardinal est donné dans la
Collection des Procès-verbaux, col. 4176-4484, mais non pas celui de
342
MEMOIRES
[1711]
Services de
Monseigneur
à Saint-Denis
et à
Notre-Dame.
Merveilles
Roi, en montrant le Dauphin au clergé, avoit dit: « Voilà
un prince qui, par sa vertu et sa piété, rendra l'Église
encore plus florissante et le royaume plus heureux ^ »
C'étoit aussi à Marly. Le Dauphin fut fort attendri, et
s'en alla, aussitôt après la réponse du Roi, recevoir dans
sa^ chambre la harangue des mêmes députés par le car-
dinal de Noailles, qui le traita de Monseigneur, et sans
ajouter, comme avoit fait le premier président à la tête
de la députation du 'Parlement, que c'étoit par l'ordre
exprès du Roi^. La harangue fut belle*, et la réponse^
courte, sage, polie, modeste, précise ^ Madame la Dau-
phine les reçut ensuite chez elle, le cardinal de Noailles
portant toujours la parole''. Revenons aux obsèques de
Monseigneur.
On a vu p. 1098* que le genre de la maladie dont il
étoit mort n'avoit permis aucunes cérémonies, et avoit fait
tout aussitôt après brusquer son enterrement. Le 18 juin,
qui étoit un jeudi, fut pris pour le service de Saint-
la réponse du Roi, qui est seulement résumée (col. 1184), ainsi que
dans les Mémoires de Sourches, p. 134.
1. Voici le récit de Dangeau (17 juin, p. 425-426) : « L'après dînée,
le Roi reçut la harangue de l'assemblée du clergé. Le cardinal de
Noailles, qui en est seul président, porta la parole avec beaucoup de
dignité et d'éloquence, et le Roi y fit une réponse si noble, si sage et
si touchante, que tous les évêques et les courtisans furent attendris.
Le Dauphin, que le Roi présenta au clergé en leur disant : « Voilà un
prince qui me succédera bientôt, et qui, par sa vertu et sa piété, rendra
l'Eglise encore plus florissante et le royaume plus heureux, » le
Dauphin s'en alla dans sa chambre fort attendri et fondant en larmes. »
2. Il y a la, au manuscrit, et non sa, comme dans le récit de
Dangeau.
3. Lors des compliments de condoléances des cours souveraines à
l'occasion de la mort de Monseigneur : ci-dessus, p. 129.
4. Elle est insérée dans les Procès-verbaux, col. 1181-4182.
5. Repose corrigé en réponse.
6. Dangeau n'en dit rien, non plus que les Procès-verbaux, ni les
Mémoires de Sourches.
7. Procès-verbaux, col. 1182-1183.
8. Ci-dessus, p. 83.
[1711] DE SAINT-SIMON. 343
Denis', où se trouvèrent, à l'ordinaire, le clergé et- les du Dauphin
cours supérieures. Le Dauphin, M. le duc de Berry et ^.^^j j,jj"g g-
M. le duc d'Orléans firent le deuils Le duc de Beauvil- trouve,
lier, premier gentilhomme de la chambre unique du Dau- ^H"j^s*5r?°^
phin, assisté de Sainte-Maure, un des menins de Monsei-
gneur, et d'O, qui l'étoit du Dauphin, porta sa queue.
Béthune-Orval, depuis devenu duc de Sully S lors pre-
mier gentilhomme de la chambre de M. le duc de Berry,
et Pons % maître de sa garde-robe, portèrent la sienne.
Simiane*^ et Armentières", tous deux premiers gentils-
hommes de la chambre de M. le duc d'Orléans, portèrent
la sienne : ainsi, il en eut deux comme M. le duc de
Berry, et cette égalité parut extraordinaire. Comme il
n'y avoit point d'enterrement, il n'y eut point d'hon-
t. Dangeau, p. 426; Sourches, p. 134-136; Mercure de juillet,
4" partie, p. 85-110; registre de Desgranges, ms. Mazarine 2746,
fol. 49-51. On trouvera à l'Appendice, n» XIII, la relation de cette
cérémonie par le baron de Breteuil.
2. Les mots le clergé et ont été ajoutés en interligne.
3. Les Mémoires de Sourches donnent (p. 135) de curieux détails
sur le costume porté par les princes du deuil : « M. le Dauphin étoit
vêtu d'une robe faite à peu près comme celle des présidents [du Par-
lement], avec un domino dont le capuchon pcndoit derrière le col, et
le devant, qui étoit plissé, faisoit paroître le rabat par-dessous, et il
avoit sur la tête un bonnet carré. Les ducs de Berry et d'Orléans
étoient vêtus de la même manière. » Sur cet accoutrement, on jetait
le grand manteau de deuil, dont la queue, pour le Dauphin, avait
douze aunes de long. Voyez ci-après l'appendice IV.
4. Tome XX, p. 213. — 5. Ibidem, p. 216.
6. Louis de Simiane, marquis d'Esparron, élait entré jeune dans la
gendarmerie et avait été grièvement blessé à la Marsaille; il épousa
Pauline de Grignan, petile-iille de Mme de Sévigné, par contrat du
28 novembre 1695, acheta en 1701 une sous-lieutenance aux gen-
darmes écossais, puis, en 1710, la charge de premier gentihomme de
la chambre du duc d'Orléans, devint en 1713 lieutenant de Roi du
comté Nantais, par héritage du marquis de Sévigné, oncle de sa femme,
et, en 1715, lieutenant général de Provence à la mort du comte de
Grignan son beau-père ; mais il mourut le 23 février 1718, à l'âge de
quarante-sept ans.
7. Tome XX, p. 156.
344 MÉMOIRES [1711]
neurs^ ni personne, par conséquent, pour les porter.
L'archevêque-duc de Reims, depuis cardinal deMailly-,
officia, et Poncet, évêque d'Angers % y fit une très mé-
chante oraison funèbre *. Le Roi eut envie que les ducs
y assistassent, et fut sur le point de l'ordonner. Après,
l'embarras des séances ^ le retint ; mais, désirant toujours
qu'ils y allassent, il s'en laissa entendre. Je contribuai à
les en empêcher, de sorte qu'il ne s'y^ en trouva aucun
autre que le duc de Beauvillier, par la nécessité de sa
1. Nous avons vu ce qu'étaient les « honneurs » pour le baptême
au tome XIV, p. 211. Lors des obsèques du duc et de la duchesse de
Bourgogne en ITl^, les « honneurs » furent le manteau et la cou-
ronne.
2. Ci-dessus, p. 124. Il était assisté des évêques d'Auxerre, de Qué-
bec, d'Autun et de Séez, tous anciens aumôniers du Roi.
3. Michel Poncet de la Rivière, docteur de Sorbonne, abbé de Saint-
Pierre de Vierzon (1673), prieur et doyen de JVavacelles et vicaire
général de son oncle l'évêque d'Uzès, avait été nommé évêque d'An-
gers en 1706 ; il eut l'abbaye de Saint-Florent de Saumur en 1730, et
mourut le 2 août de la même année, âgé d'environ cinquante-huit ans.
Il entra à l'Académie française en 1706, et son discours de réception
du 24 novembre se trouve aux Affaires étrangères, vol. France 1145,
fol. 281. En 1714, il fut un des trois prélats parmi lesquels le Roi
choisit le précepteur du futur Louis XV.
4. Il avait été désigné, dès le 24 avril, par le Roi pour prononcer
l'oraison funèbre à Saint-Denis, et le P. de la Rue à Notre-Dame (ci-
après). Dangeau ne dit rien du discours, et les Mémoires de Sourches
reconnaissent que le prélat parla « avec son éloquence ordinaire ».
Cependant le couplet suivant du Chansonnier (ms. Fr. 12 695, p. 9)
confirme les dires de Saint-Simon :
Quatre grands hommes ont traité
Différemment la vérité :
Poncet en orateur comique,
Massillon en parfait chrétien,
La Rue en rusé politique,
Porée en bon rhétoricien.
5. Non pas des séances entre eux, puisqu'elles étaient réglées par
l'édit du mois de mai (ci-dessus, p. 148), mais plutôt entre les ducs et
les princes étrangers, qui se contestaient toujours la préséance.
6. Ne s'y corrige n'en.
[ITHJ DE SAINT-SIMON. 3i5
charge. Cela fut trouvé mauvais, et le Roi se montra un
peu blessé de ce qu'aucun de ceux qui étoient à Marly
n'avoient' disparu ce jour-là, et plus encore quand il sut
qu'il ne s'en étoit trouvé aucun autre à Saint-Denis-. Per-
sonne ne répondit; on ^ laissa couler la chose, et on tint
la même conduite pour le service à Notre-Dame, où pas
un duc ne se trouva. Ce fut le vendredi 3 juillets Les
trois mêmes princes y firent le deuil. M. le duc de Berry
et M. le duc d'Orléans eurent les mêmes portequeues. Le
duc de Beauvillier porta celle du Dauphin, et y fut assisté
par d'Urfé^ menin de Monseigneur, et Gamaches, qui \Add. S'-S. 1 009]
l'étoit du Dauphin ^ Le clergé et les cours supérieures
s'y trouvèrent à l'ordinaire. Les trois princes s'habillèrent
à l'Archevêché, et vinrent à pied, en cérémonie, de
l'Archevêché au grand portail de Notre-Dame, par où ils
entrèrent. Le cardinal de Noailles officia, et le P. la Rue",
jésuite, tira d'un si maigre sujet une oraison funèbre qui
acheva d'accabler celle de l'évêque d'Angers*. Le cardi-
nal de Noailles traita ensuite les trois princes à un dîner
magnifique ; le Dauphin le fit mettre à table, et les sei-
gneurs qui l'avoient suivi. Il se surpassa en attentions et
en politesses, mais mesurées avec discernement. Il voulut
que toutes les portes fussent ouvertes, et que la foule
1. Il y a bien n'avoient, au pluriel, dans le manuscrit.
"2. Les journaux de la cour n'ont pas relevé l'absence des ducs; mais
les Mémoires de Sourches (p. 136) relatent divers démêlés qu'il y eut
à la cérémonie, en ajoutant qu'elles étaient « toujours sujettes à de
pareils inconvénients ».
3. Avant on, Saint-Simon a biffé un et.
4. Dangcau, \). 434-430; Sourches, p. 145-146; Gazette, p. 336;
Mercure de juillet, quatrième partie, p. 83-110; Gazette d'Amsterdam,
n° Lv; registre de Desgranges, ms. Mazarine, 2746, fol. 31-53.
3. Joseph-Marie de Lascaris, marquis d'Urfé: tome III, p. 203.
6. Ci-dessus, p. 248.
7. Le confesseur de la duchesse de Bourgogne : tome IV, p. 85.
8. Cette oraison funèbre fut imprimée sur le moment même, puis
insérée dans le recueil des Sermofis et discours du Père publié
en 1719.
346 MÉMOIRES [1711]
même le pressât. Il parla à quelques-uns de ce peuple
avec une affabilité qui ne lui fit rien perdre de la gravité
qu'exigeoit la triste écorce^ de la cérémonie, et il acheva
de charmer cette multitude par le soin qu'il fit prendre
d'une femme grosse - qui s'y étoit indiscrètement four-
rée, et à qui il envoya d'un plat dont elle n'avoit pu dis-
simuler l'extrême envie qui lui avoit pris d'en manger^.
Ce ne furent que cris d'acclamations et d'éloges à son
passage à travers Paris, qui du centre gagnèrent bientôt
le sentiment des provinces : tant il est vrai qu'en France
il en coûte peu à ses princes pour s'y faire presque ado-
rer. Le Roi remarqua bien la conduite des ducs à ce
second service ; mais il n'en témoigna rien *. La fin de
cette cérémonie fut l'époque de la mitigation ^ du salon
1. Ci-dessus, p. 285.
2. « Grosse, en parlant d'une femme, signifie quelquefois enceinte...
La distinction que l'usage a mise dans le mot de grosse en parlant
d'une femme, c'est que, toutes les fois que l'adjectif grosse suit immé-
diatement le substantif femme, il signifie enceinte, et que, hors de là,
il n'a point d'autre signification que celle du masculin gros » (^Aca-
démie, 1718).
3. Dangeau ne parle pas de cet épisode; mais les Mémoires de
Sourches le racontent ainsi : « Une bourgeoise, qui étoit grosse, ayant
témoigné beaucoup d'envie d'une tourte dont il mangeoit, sur le rap-
port qu'on lui en fit, il lui en envoya un morceau, et, comme elle
voulut lui en venir rendre grâces, il le trouva bon et lui répondit qu'il
étoit plus aise de le lui avoir envoyé qu'elle ne l'étoit de l'avoir reçu. »
4. Outre ces deux oraisons funèbres, il y en eut beaucoup d'autres
prononcées tant à Paris qu'en province, et même à l'étranger. On peut
citer celles de Massillon à la Sainte-Chapelle, du P. Porée au collège
Louis-le-Grand, du P. Poisson aux Cordeliers, du P. du Cerceau à la
cathédrale de Bourges, du P. Augustin de Picquigny et du P. Beaufils
à Arras, des PP. Mathieu, Fellon et Kuhn à Dijon, Marseille et Stras-
bourg, du chanoine Brayer à Metz, du P. d'Aubenton à Rome, en
l'église Saint-Louis-des-Français, etc. On trouvera des listes de celles
qui furent imprimées dans la Bibliothèque historique du P. Lelong,
tome II, p. 688.
5. (c Mitigation, adoucissement, par opposition à réforme : cet ordre
est trop austère, il auroit besoin de mitigation » {Académie, 1718).
Littré eu cite un exemple de Bossuet.
[1711] DE SAINT-SIMON. 347
de Marly, qui reprit sa forme ordinaire comme on l'a dit
d'avance p. 1151 '.
Il - est temps à présent d'en venir à la situation où je
me trouvai avec le nouveau Dauphin, qui développera
bien de grandes parties de ce prince et de choses curieu-
ses; mais il faut auparavant essuyer une bourre^ que je
voudrois pouvoir éviter, mais qu'on ^ verra, par une
prompte suite, inévitable à faire précéder un récit plus
intéressant.
Il faut se souvenir de ce qui se trouve aux pages 433, Création
861, ^ des usurpations sur les droits de gouverneur de d officiers
1 o _ _ garde-cote.
Blaye que le maréchal de Montrevel ne cessoit de faire Pontchartrain
comme commandant en chef en Guyenne, et qui m'empê- ^" abuse, et de
I ' ,1) Il 1 > ji-TAn 1 1' Al •) • mon amitie,
cherent dy aller, lorsqu en 170y les dégoûts que j ai me trompe,
détaillés alors me résolurent à me retirer pour toujours m'usurpe, et
de la cour, et qui finirent en m'y ^ rattachant plus que ^^ ^.gç lyj
jamais à la fin de cette année et au commencement de la
suivante, comme je l'ai raconté sur ces temps-là '. Cha-
millart, avant de quitter à Desmaretz le contrôle général
des finances, avoit fait un édit de création, jusqu'alors
inconnue, d'offices militaires, mais héréditaires, pour com-
mander les garde-côtes ^, c'est-à-dire les paysans dont les
i. Ci-dessus, p. 323. — 2. Ici, l'écriture change.
3. Terme déjà relevé dans le tome XVIII, p. 44.
4. Les mots mais qu' sont en interligne au-dessus de mais, effacé
du doigt, et que Saint-Simon avait essayé de corriger en et que.
5. Il y a ici un blanc dans le manuscrit. Saint-Simon aurait dû indi-
quer les pages 433, 842 et 861 de son manuscrit, qui correspondent
aux pages 47 de notre tome XII, 3-4 et 89-90 du tome XVIII.
(). En m'y, corrigeant en me, a été écrit en interligne, au-dessus
de à m'y, biffé et rattachant corrige rattacher.
7. Voyez tome XVIII, p. 1-5, 89-94 et 291 et suivantes.
8. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 n'appliquait pas ce nom
aux troupes elles-mêmes, mais seulement aux « officiers préposés pour
garder le pays qui est sur la côte de la mer ». — Les garde-côtes
n'étaient pas une invention nouvelle; ils existaient dès le seizième
siècle, et leur organisation avait été vivement critiquée par Vauban
en 1694 (Jal, Dictionnaire critique, col. 123G). Le Grand Diction-
348 MÉMOIRES [1711]
paroisses bordent les côtes des deux mers qui baignent la
France, et qui, sans autre enrôlement que le devoir et la
nécessité de leur situation, sont obligés, en temps de
guerre, de garder leurs côtes, et de se porter où il est
besoin. Cette érection fut assaisonnée, comme toutes les
autres de ce genre de finances, de tous les appâts de
droits et de prérogatives propres à en tirer bien de l'ar-
gent^ des légers et inconsidérés François, qui n'ont pu
se guérir de courre après ces leurres-, quoique si conti-
nuellement avertis de leur néant par la dérision que les
pourvus essuient sans cesse au Conseil dès qu'ils y portent
des plaintes du trouble qu'ils reçoivent ^ dans leurs privi-
lèges, et à qui, à la paix, on supprime les titres mêmes
qu'ils ont achetés. Cette drogue^ bursale fut aussitôt don-
née à Pontchartrain pour en tirer ce qu'il pourroit en
déduction de ce qui étoit dû à la marine. Celui-ci, ardent
naire géographique d'Expilly a donné un exposé sommaire du fonc-
tionnement de cette institution. Chamillart, par nécessité fiscale, fit
rendre, en février 1705^ un édit qui abolissait les anciennes charges
de capitaines garde-côtes et créait quatre-vingt-dix capitaineries géné-
rales (portées à cent dix en juillet 1707), avec des places de lieutenants
généraux, majors, aides-majors, etc. De nouvelles créations furent
encore faites en 4743 ; mais toutes furent supprimées par l'édit de
juillet 4746, et le règlement du 44 février suivant réorganisa sur de
nouvelles bases l'institution des garde-côtes. Au milieu du règne de
Louis XV, l'effectif total des compagnies atteignait vingt-quatre mille
hommes. On trouvera des documents sur les créations de 4705 et 4707
aux Archives nationales dans les cartons G' 45o8 et AD vu S, et dans
le tome II de la Correspondance des contrôleurs généraux.
4. Le règlement dressé par le Conseil pour la vente des offices est
dans le registre E 4949 des Archives nationales, fol. 60.
2. Au propre, le leurre est un appât pour les oiseaux de fauconnerie.
« Il se dit figurément d'une chose dont on se sert artificieusement
pour attirer quelqu'un afin de le tromper » (Académie, 1748).
3. Avant reçoivent, Saint-Simon a biffé recevoilenf].
4. « Drogue se dit figurément de ce qui est mauvais dans son espèce.
On dit Voilà de bonne drogue, pour signifier que ce qu'on offre, ce
qu'on veut donner pour bon. ne vaut rien » (Académie, 4748). Drogue
bursale correspond à édits bursaux.
[1711] DE SAINT-SIMON. 349
à usurper et à étendre sa domination, trouva cette affaire
fort propre à grossir' ses conquêtes. Il prit thèse de ce
qu'elle lui étoit donnée pour remplacement des fonds
très arriérés de la marine, et, pour cela même, de la rai-
son de l'augmenter- et de l'en laisser le maître ; il s'en fit
donner le projet d'édit, et le changea, le grossit et le
dressa comme il lui plut^ Il ne négligea pas d'y couler
une clause par laquelle ces nouveaux officiers garde-côtes
n'obéiroient qu'aux seuls gouverneurs, commandants en
chef et lieutenants généraux des provinces, et seroient
sous la charge de l'Amiral, et du département de la ma-
rine. Il en ôta celle qui restreignoit la création aux lieux
où la garde des côtes étoit seulement en usage de tout
temps* ; et, non content d'y comprendre toute la vaste
étendue des côtes des deux mers, il y ajouta les deux
bords des rivières qui s'y embouchent % en remontant fort
haut, et y prit la précaution de dénommer les lieux jus-
qu'où cela devoit s'étendre sur chacune. Il forma ainsi
des capitaines garde-côtes, non seulement le long des
deux mers, mais fort avant dans les terres par le moyen
des bords des rivières, et mit tous ces pays en proie aux
avanies et aux vexations de ceux qu'il pourvut de ces
charges. Je ne sus rien de tout cela que lorsque Pont-
chartrain eut bien consommé son ouvrage, et qu'il me dit
alors, sans aucune explication, que je ferois bien de cher-
t. Grossir est en interligne, au-dessus d''estendre, biffé.
^2. L'augmenter est en interligne, au-dessus de la grossir, biffé.
3. Ceci, et ce qui va suivre, est encore un exemple de l'exagération
habituelle de notre auteur. La clause relative à la subordination des
garde-côtes à l'Amiral, aux gouverneurs, commandants, etc. des pro-
vinces est dans l'édit, ainsi que celle qui faisait contresigner leurs pro-
visions par le secrétaire d'État de la marine; mais pouvait-on res-
treindre l'institution à une partie seulement des côtes, et n'y pas com-
prendre les embouchures des fleuves, Gironde, Loire et Seine ?
4. Ces trois mots ont été ajoutés en interligne.
5. « S'emboucher ne se dit que d'une rivière qui se jette dans une
autre, ou qui se décharge dans la mer; et encore n'est-il pas beaucoup
en usage » (Académie, 1718).
350 MÉMOIRES [17H]
cher quelqu'un qui me convînt pour la garde-côte ^ de
mon gouvernement. Je pris cet avis pour un désir de
trouver à débiter sa marchandise, et je ne m'en inquiétai
pas. Assez longtemps après, il m'en reparla, et me pressa
de lui trouver quelqu'un pour éviter qu'un inconnu venu
au hasard ne me fît de la peine. Je lui répondis que qui
que ce fût qui prît cette charge de garde-côte ne pouvoit
s'empêcher d'y être sous mes ordres, et qu'ainsi peu
m'importoit qui le fût. Il ne m'en dit pas davantage, et
la chose en demeura là pour lors. Dans la suite, je vou-
lus faire régler mon droit et les prétentions du maréchal
de Montrevel par Chamillart, pour sortir d'affaires ; Mon-
trevel ne l'osa refuser, et il céda d'abord les milices
de Blaye^ Elles avoient, dans tous les temps, été sous la
seule autorité de mon père, et leurs officiers pourvus par
des commissions en son nom^. M. de Louvois, avec qui il
n'avoitjamaisétébien, etquin'ignoroit pas cet usage, n'avoit
Usurpation très jamais songé à le contester. Chamillart, tout mon ami
attentive des q^'\\ étoit, fut plus secrétaire d'État que Louvois ; il me
sGcrctîiirGs
d'Etat, fit entendre que le Roi ne s'accommoderoit pas de cet
usage, dont toutefois il s'étoit toujours accommodé, mais
dont, en style de secrétaire d'Etat, le pauvre Chamillart
ne s'accommodoit pas lui-même ; mais il me dit que je
n'avois qu'à nommer, et que, sur ma nomination, l'expé-
dition se feroit en ses bureaux. Alors Pontchartrain, qui
suivoit sournoisement et avec grande attention les suites
de mes contestations avec le maréchal de Montrevel, et
aux questions duquel je répondois sans défiance parce
que je ne lui voyois point d'intérêt là-dedans, me dit* que,
4. La charge de capitaine de la compagnie ou de la milice des
garde-côtes.
2. Tomes XVII, p. 445, et XVIII, p. 3-4 et 89, note 9.
3. On peut voir, comme type de ces commissions, dans le recueil
Thoisy, vol. 122, fol. S02, un brevet de capitaine des milices garde-
côtes en Normandie, délivré en 4689 par M. de Beuvron, lieutenant
général de la province.
4. Les mots me dit ont été ajoutés en interligne.
[17 H] DE SAINT-SIMON. H51
puisqu'il falloit une expédition au nom du Roi sur ma
nomination, comme il pensoit de même que Chamillart,
et par le même intérêt, c'étoit aux bureaux de la marine,
et non en ceux de la guerre qu'elle devoit être faite,
fondé sur ce ' que ces officiers nommés par moi serviroient
sous- la Motte-Dey rand, capitaine de vaisseau^, qu'il avoit
destiné * garde-côte pour Blaye et tout ce pays-là, et qu'aux
termes de l'édit, ces capitaines garde-côtes étoient sous la
charge de l'Amiral et du département de la marine.
Chamillart, au contraire, regardoit ces milices comme
troupes de terre, ainsi qu'elles avoient toujours été, et il
s'appuyoit sur leur comparaison avec les milices du Bou-
lonnois, qui borde la mer, qui avoit ' un capitaine garde-
côte de cette nouvelle création, lesquelles cependant
étoient demeurées troupes de terre, et dont les officiers^
s'expédioient aux bureaux de la guerre sur la nomination
de M. d'Aumont" gouverneur de Boulogne ^ Ces deux
secrétaires d'État, de longue main aigris et hors de mesure
i. Avant ce, Saint-Simon a biffé les termes de l'édit.
■2. Saint-Simon, ayant répété deux fois, par mégarde, serviroient
sous, a biffé le premier sous et le second serviroient.
3. Jean-Paul, d'abord titré chevalier de Boisjoly, puis marquis de
la Motte-Deyrand, g;arde-marine en 1673, enseigne en 1680, lieutenant
de vaisseau en 1684, avait été nommé capitaine de vaisseau en 1697,
et attaché au port de Rochefort; c'est à cause de cette circonstance
qu'il fut choisi en 1741 pour commander les milices garde-côtes de la
région de Blaye; il se retira en 17:27 avec une pension de quatre mille
livres, et mourut à Libourne le 10 novembre 1733. Saint-Simon écrit
la Moite d'Ayran.
•4. Destiné est en interligne, au-dessus de fait, biffé.
3. Avoit est bien au singulier, se rapportant à Boulonnais.
6. Il faut entendre les brevets des officiers.
7. Louis, duc d'Aumont, qui avait succédé à son père en 1704.
8. S'il en était ainsi, ces nominations étaient en contradiction for-
melle avec les termes de l'édit de 1703, qui réservait l'expédition des
provisions au secrétaire d'Etat de la marine. Les capitaines généraux
avaient la nomination des capitaines et des lieutenants des compa-
gnies de milices garde-côtes, sous le visa du gouverneur de la pro-
vince.
352 MÉMOIRES [1711]
ensemble', s'opiniâtrèrent dans leurs prétentions, et à en^
porter le jugement au Roi. Le plus court et le plus simple
étoit de me laisser suivre l'ancien usage, qui n'avoit point
été contredit, et d'éviter cette nouvelle querelle entre
eux en me laissant donner les commissions en mon nom;
mais cette sagesse n'accommodoit pas l'usurpation com-
mune de leurs charges aux dépens de la mienne, quoi
[que] si intimement lié avec tous les deux. Ils l'eussent
également mis à couvert en acceptant la proposition que
je leur fis^ de faire expédier aux bureaux de la Vrillière,
secrétaire d'État ayant la Guyenne dans son département *.
Aucun des deux n'y voulut entendre, ni démordre de sa
prétention. Chamillart, dans la faveur où il étoit alors
et appuyé de l'exemple de Boulogne, l'auroit emporté, et
Sottise Pontchartrain en auroit eu tout le dégoût. C'étoit com-
damitie. mettre mes deux amis, si ennemis, ensemble ; je crus
donc devoir suspendre ma nomination. Le Chancelier et
son fils m'en remercièrent, et parurent sentir l'amitié de
ce sacrifice, piqué au point où je l'étois contre Montrevel,
et aussi intéressé à me remettre en possession de mes
milices et dégrossir"' d'autant les contestations à décider
entre nous. Dans cette situation, le temps s'écoula jus-
qu'à la chute de Chamillart, comme je crois l'avoir
raconté en son lieu*^, et Montrevel refusa tout net le ma-
réchal de Boufïlers d'en passer par son avis''. Pendant
tout cela, je voulus profiter de la nouveauté de Voysin
dans la charge de Chamillart, qui n'auroit pas l'éveil de
cette dispute, et faire expédier aux bureaux de la marine.
La vie coupée ** delà cour, le mariage de Mme la duchesse
de Berry avec tout ce qui précéda et suivit cette grande
1. Comme nous l'avons vu au tome XV, p. 414.
2. En est en interligne. — 3. Fils, écrit parmégarde, corrigé en fis.
4. Déjà dit au tome XIII, p. 211.
o. « Dégrossir se dit tigurément des affaires, des sciences, pour
dire commencer à les éclaircir, à les débrouiller » (Académie, 1718).
6. Tome XVIIL p. 3-4.
7. Ibidem, p. 89-90. — 8. Tome XVII, p. 342.
(I71l| DE SAINT-SIMON. 353
affaire, et mille autres enchaînements traînèrent ma nomi-
nation jusqu'à l'hiver qui précéda la mort de Monseigneur.
Je voulus donc enfin terminer une chose dont le délai
étoit indécent, et nuisible même au service ; mais quelle
fut ma surprise lorsque, sur le point de nommer, Pont- Trahison noire
chartrain me déclara que c'étoit un droit du capitaine „ ,^® .
1 », . • I --A, 1 n» ., T-. 1 Fontchartnun.
garde-cote', ajoutant aussitôt que la Motte-Dey rand ne
l'exerceroit qu'avec mon agrément, par où il n'auroit
que l'apparence, dont je conserverois la réalité I J'eus la
sagesse de me contenir, et de descendre jusqu'à plaider
ma cause : j'alléguai^ les commissions de mon père, que
j'étois en état de rapporter, le droit immémorial, et la
clarté de ce droit par la cession de Montrevel même, qui,
si actif et si roide en prétentions, s'étoit vu forcé d'aban-
donner celle-là de lui-même après l'avoir si vivement
soutenue-^ ; l'étrange constraste d'être dépouillé d'un droit
si certain par un homme qui m'étoit nécessairement
subordonné, et que j'exerçois indépendamment du gou-
verneur de la province représenté en tout par le comman-
dant en chef. Je ne dédaignai pas de lui dire qu'il étoit
plus honorable pour lui d'expédier sur ma nomination
que sur celle d'un capitaine garde-côte. Enfin, je le fis
souvenir du sacrifice que je lui avois fait, trois ans
durant, de suspendre ma nomination, que ni lui ni Gha-
millart ne me contestoient, mais qui vouloient chacun
expédier dessus ; les remerciements que le Chancelier et
lui m'avoient faits* de ne les pas commettre avec ce mi-
nistre dans sa faveur si supérieure, et l'indigne fruit que
j'en retirois par la perte de mon droit, qui étoit ce que
je pouvois attendre de pis d'un ennemi en sa place, lui si
\. Voyez ci-dessus, p. Soi, note 8.
"2. Comparez ce qui va suivre avec le mémoire que Saint-Simon avait
présenté en 1704 contre M. de Sourdis, à l'occasion de la levée d'un
régiment de dragons de milice dans le gouvernement de Blaye, et qui
est conservé au Dépôt de la guerre, vol. 1792.
3. Ci-dessus, p. 350. — 4. Il y a fait sans accord dans le manuscrit.
MEMOIRES DE S.\INT-SIMON . .NXI 23
354 MEMOIRES [1714]
personnellement engagé dans ce fait même, et en gé-
néral par l'alliance si proche et une si longue et si intime
amitié et si éprouvée de sa part, à chercher à augmenter
mon autorité à Blaye, et non pas à me dépouiller de
celle que j'y avois de droit, d'usage et de tout temps
Rien de tout cela ne fut contesté ; j'eus un aveu formel
sur chaque article ; toutefois, je parlois aux rochers'.
Pontchartrain se retrancha sur l'attribution formelle de
l'édit, et, par cela même, se chargeoit d'un nouveau
crime, puisqu'il l'avoit changé et amplifié à dessein. Je
me défendis sur la notoriété publique que ces édits, uni-
quement faits pour tirer de l'argent, n'avoient point
d'effet contre des possessions et des titres, souvent même
contre ce qui n'en avoit point. J'en donnai l'exemple de
M. d'Aumont pour Boulogne, rivage de la mer vis-à-vis
l'Angleterre, moi si loin d'elle et si avancé dans les terres,
et celui des divers édits de création de charges munici-
pales, dont les traitants avoient voulu jouir à Blaye, où
j'avois toujours maintenu les jurats de ma nomination-.
Pontchartrain répliqua que les édits ne pouvoient nuire
au service; qu'il en étoit que les milices de Boulogne, si
voisines de la frontière, continuassent d'y servir', ce qui
emportoit exception de l'édit à leur égard, ce qui n'étoit
point à l'égard de Blaye, nommément compris dans l'édit
pour une capitainerie garde-côte, c'est-à-dire dans un
supplément postérieur de l'édit qu'il avoit fait ajouter ;
que ce qui m'étoit arrivé pour les jurats de Blaye mar-
quoit bien que j'aurois pu avoir le même succès sur l'édit
des garde-côtes, si je m'en fusse plaint à temps, mais
qu'il étoit maintenant trop tard. Je répondis que je
1. « On dit figurément parler aux rochers, pour dire parler à des
gens qui ne sont point touchés de ce qu'on leur dit » {Académie, 1718)
Voyez aux Additions et corrections.
2. Voyez la lettre du 7 février 1710, relative à ce sujet, dans l'Ap-
pendice de notre tome XX, p. S53-5S4.
3. De servir sur la frontière.
flTIl] DE SAINT-SIMON. 355
n'avois parlé sur les jurats que lorsque les traitants
avoient voulu vendre ces charges à Blaye, et longtemps
après les édits rendus', que Chamillart, puis Desmaretz,
m'avoient, l'un après l'autre, fait justice au moment que
je l'avois demandée, quoiqu'ils n'y fussent pas tenus,
comme lui l'étoit par une obligation réelle et essentielle
sur ce même fait, laquelle il me donnoit maintenant pour
un obstacle invincible. Ces derniers mots, prononcés avec
feu, coupèrent la parole à Pontchartrain : il se jeta dans
les protestations que ma satisfaction lui étoit si chère,
qu'il feroit jusqu'à l'impossible pour me la procurer, et
que nous en reparlerions une autre fois. L'embarras du
procédé et de la misère des raisons le réduisoit^ à
chercher à finir une conversation si difficile pour lui à
soutenir; le dépit, qui de moment à autre s'augmentoit en
moi d'une tromperie si préparée et si étrangement conduite
par une si noire ingratitude, avoit besoin de n'être plus
excité : je ne cherchai donc aussi qu'à la finir.
J'ai annoncé de la bourre*, et je suis obligé d'avertir Étrange
que ce n'est pas fait, mais qu'elle est absolument néces- proc('<lé de
, * . , . ^ , , . , , , Pontcluirtrain,
saire aux choses qui la suivront, et qui en dédommage- qui me veut
ront. Pour la continuer, Mme de Saint-Simon, aussi sur- leurrer par
prise que moi de ce que je lui racontai, mais toujours plus
sage, m'exhorta à ne rien marquer, à vivre avec Pontchar-
train à l'ordinaire, à laisser reposer cette fantaisie, à la
laisser dissiper, et à ne pas croire qu'il pût s'aheurter* à
une prétention qui le devoit toucher si peu, et sur laquelle
il^ me voyoit si sensible. J'en usai comme elle le désira,
4. Voyez la lettre indiquée à la note 2 de la page précédente.
2. Le est en interligne, et réduisoient est au pluriel par erreur dans
le manuscrit.
3. Ci-dessus, p. 347.
4. « S'aheurter, s'opiniâtrer, s'obstiner» (Académie, 4718). Ce
mot, aujourd'hui disparu, se retrouve dans Molière, Spanhcim, Dan-
geau et dans les Mémoires de Sourchcs.
5. Les mots et sur laquelle il sont en interligne, au-dessus d'ef
qu'il, biffé.
Aubenton.
356 MEMOIRES [1741]
accoutumé par amitié et par une heureuse expérience à
déférer à ses avis. Au bout de quelque temps, elle lui
parla ; il se confondit en respect, mais sans rien de plus
solide. Peu après, étant à Marly, il me dit qu'il étoit résolu
à tout faire pour me contenter; qu'il croyoit néanmoins
qu'il valoit mieux ne point traiter l'affaire ensemble, et
qu'il me prioit de trouver bon d'entendre là-dessus d'Au-
benton, un de ses premiers commis*. J'y consentis, sans
entrer plus avant en matière. Deux jours après, Aubenton
vint un matin chez moi. J'écoutai patiemment une flat-
teuse rhétorique pour me faire goûter ce que Pontchar-
train m'avoit proposé. Je voulus bien expliquer les
mêmes raisons que j'ai abrégées plus haut. Aubenton n'eut
rien à y répondre, sinon d'essayer de me persuader que,
par la nécessité de mon agrément, j'avois le fonds de la
chose, et le capitaine garde-côte l'écorce- par sa nomina-
tion. Je voulus bien encore parler honnêtement ; je répon-
dis qu'il étoit du bon sens, de la prudence et de l'usage
de terminer les choses durables d'une manière qui le fut
aussi ; que je voulois bien ne pas douter qu'aucune nomi-
tion du capitaine garde-côte ne seroit expédiée que de
mon agrément tant que Pontchartrain et moi serions, lui
en place d'expédier, moi d'agréer ou non, mais que cela
1. François-Ambroise d'Aubenton, sieur de Villebois, frère du
confesseur de Philippe V, né à Provins vers 4648, fut d'abord em-
ployé dans les vivres des armées et chargé, avec Orry, de leur direc-
tion pour l'armée d'Italie, de 1690 à 4697 ; en 1698 il fut envoyé au
Canada comme directeur de la régie des fermes pour concilier les dif-
férends entre les fermiers généraux et les Etats de Québec ; revenu en
4699, il dut être mêlé à des affaires peu honorables qui le tirent en-
voyer en prison, si l'on en croit une lettre de Mme des Ursins à Torcy
du 17 août 1703, alors qu'il venait d'être nommé directeur de la ma-
rine et du commerce français en Espagne ; nommé secrétaire du Roi
en 4707, chevalier de Saint-Michel en 4708, il quitta définitivement
l'Espagne en 4740, en même temps que les autres Français. Pont-
chartrain le prit alors pour un de ses premiers commis ; il mourut à
Versailles en 4733.
2. Ci-dessus, p. 285.
[1711] DE SALXT-SIMON. 357
pouvoit changer par la mutation de toutes les choses de ce
monde ; qu'alors je serois pris pour dupe par un autre
secrétaire d'État qui ne se croiroit pas tenu aux mêmes
égards; qu'avec Pontchartrain même, ces égards pouvoient
devenir susceptibles de mille queues fâcheuses lorsque le
capitaine garde-côte et moi ne serions pas d'accord sur les
choix; qu'il étoit donc plus court et plus simple de me
laisser continuer à jouir de mon droit, et qu'après tout
ce qui s'étoit passé là-dessus de si personnel à Pontchar-
train de ma part, je ne pouvois croire qu'il aimât mieux
un capitaine garde-côte que moi, jusqu'à l'enrichir de ma
dépouille. Honnêtetés de ma part, mais avec grande fer-
meté, respects et protestations de celle d'Aubenton termi-
nèrent cette inutile visite. Il me pressa de lui accorder
encore une audience, et de penser moi-même à quelque
expédient que Pontchartrain embrasseroit sûrement avec
transport de joie. Huit jours après, Aubenton revint avec
force compliments pour toutes choses. J'avois cependant
rêvé à quelque expédient pour me tirer d'embarras sans
tout perdre, et sans me brouiller. J'en étois retenu parle
respect d'une liaison de vingt ans, de la mémoire de celle
dont l'alliance l'avoit formée', de l'intimité du Chancelier
et de la Chancelière, auxquels je n'avois pas dit un mot
de tout cela jusqu'alors, pour en attendre le dénouement;
et ces considérations enchaînèrent ma colère d'un procédé
si double- et si indigne. Je les fis donc sentir à d'Auben-
ton, et lui dis qu'elles m'avoient amené à un expédient
où je mettois tant au jeu^ que j'étois surpris moi-même
d'avoir pu m'y résoudre, mais que l'amitié l'avoit em-
porté : c'étoit d'accepter la nomination des oiticiers des
milices de Blaye par le capitaine garde-côte, qui ne seroit
1. Mme de Pontchartrain, née de la Rochefoucauld-Roye, cousine
germaine de Mme de Saint-Simon.
2. Ci-dessus, p. 348.
3. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait pas l'exprès
sion de mettre au jeu, ni l'emploi de mise dans le même sens.
358 MÉMOIRES [4714]
expédiée que de mon agrément, comme Pontchartrain le
proposoit, mais d'y ajouter au moins, pour que cet agré-
ment demeurât solide et nécessaire, la nécessité de mon
attache sur les expéditions, à l'exemple en très petit de
l'attache du colonel général de la cavalerie sur les com-
missions de tous les officiers de la cavalerie'. Aubenton,
avec esprit, me laissât voir qu'il goùtoit fort l'expédient,
et en même temps qu'il n'espéroit pas qu'il fût accepté.
Il me quitta en prenant jour pour la réponse. Elle fut
telle qu'Aubenton l'avoit prévue : il me dit que Pontchar-
train n'osoit expédier en une forme insolite sans permis-
sion du Roi, à qui il ne croyoit pas qu'il fût à propos
pour moi de la demander. Je répondis à d'Aubenton, en
remontant mon ton^, sans sortir pourtant d'un air de poli-
tesse pour lui et de modestie pour moi, que je n'étois
pas surpris qu'une telle affaire eût une pareille issue
depuis que Pontchartrain en avoit fait la sienne propre ;
que c'étoit le prix de vingt ans d'amitié, et de ma com-
plaisance du temps de Chamillart, pour n'en pas dire
davantage; qu'après ce sacrifice, si bien senti alors par lui,
et dans une alliance si proche qu'il pouvoit un peu
compter, il me faisoit un tour que je ne pourrois attendre
d'un autre secrétaire d'Etat, en sa place, avec qui je serois
dans la plus parfaite indifférence ; que j'entendois bien le
nœud de la difficulté, qui étoit qu'à l'ombre d'une nomina-
tion subalterne et obscure d'un capitaine^ garde-côte si
fort sous sa main, il feroit de ces emplois les récompenses
de ses laquais; qu'il y avoit tant de distance de l'étendue
du pouvoir de sa charge aux bornes si étroites de mon gou-
1. C'était un des privilèges des colonels généraux ; il n'existait plus
que pour la cavalerie, la charge de colonel général de l'infanterie
ayant été supprimée en 4664 à la mort du duc d'Epernon. Les gou-
verneurs de province mettaient leur attache sur les provisions des
officiers dépendant de leur gouvernement : tome XII, p. 449.
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 4748 ne donnait que hausser
le ton.
3. Cap'^ corrigé en cap^ écrit par une initiale minuscule.
[1711] DE SAINT-SIMON. 3o9
vernement, que je ne laissois pas d'être surpris qu'il pût
être touche de l'accroître de ma dépouille, jusqu'à l'avoir
si adroitement, si longuement et si ténébreusement ména-
gée ; que, tant que j'avois cru n'avoir affaire qu'à un
édit bursal et à un capitaine garde-côte, l'évidente bonté
de mes raisons me les avoit fait soutenir; que voyant
clair enfin, et ne pouvant plus méconnoître ce que je
m'étois caché à moi-même tant que j'avois pu, je savois
trop la disproportion sans bornes du crédit de la' place
de Pontchartrain à celui d'un duc et pair, et d'un homme
de ma sorte, pour prendre le parti de lutter avec lui;
que je sentois dans toute son étendue la facile victoire
qu'il remportoit sur moi, et les moyens obscurs qui pied
à pied la lui acquéroient ; que' je cédois dans la pleine
connoissance de mon impuissance, mais qu'en cédant je
cédois tout, et n'entendrois jamais parler sur quoi que ce
pût être des milices de Blaye. Aubenton, effrayé d'une
déclaration si compassée, car je me possédai tout entier,
mais si nette et si expressive dans ses termes, dans son
ton, dans toute ma contenance, et peut-être par le feu
échappé de mes regards, déploya pour me ramener le reste
de son bien-dire- : il m'étala les respects et les désirs de
Pontchartrain, il me représenta adroitement qu'en aban-
donnant jusqu'à la discipline et au commandement des
milices de Blaye, je me faisois un tort à quoi rien ne
m'obligeoit, et qui, dans la suite, me pourroit sembler trop
précipité. Je sentis à son discours et à son maintien
l'extrême honte que lui donnoit sa misérable ambas-
sade, et les suites que, tout premier commis qu'il étoit
d'un cinquième roi de France^, il n'étoit pas hors d'état
de prévoir. Toute ma réponse fut un simple sourire, et de
me lever. Alors, il me conjura de ne pas regarder l'affaire
comme finie; je l'interrompis par des honnêtetés person-
nelles, et de la satisfaction de l'avoir connu, et je l'écon-
i. Sa corrigé en la. — 2. Ci-dessus, p. 83.
3. Le Roi et les quatre secrétaires d'État: voyez p. 349, ligne 4.
360
MEMOIRES
[1714]
embarras de
Pontchartrain
duisis' de la sorte. Outré de colère et d'indignation, je
me donnai quelques jours. Mené après toujours par les
mêmes motifs, je voulus abuser de ma patience, et jouir
Impudence et aussi de l'embarras d'un si misérable ravisseur. Il me dit
en paroles entrecoupées qu'il s'estimoit bien malheureux
que mon amitié fût au prix de l'impossible. Je répondis
d'un air assez ouvert que je la croyois bien au-dessous ;
qu'apparemment il avoit vuAubenton; que, cela étant,
la matière étoit fort épuisée et inutile à traiter. Il répliqua
d'un air confondu quelques demi-mots sur l'ancienneté
de l'amitié. Je lui dis d'un air simple que je ne demandois
jamais ce qu'on ne pouvoit pas, que je cédois tout, et
qu'après cela il n'y avoit plus à en parler. Là-dessus, il
me donna carte blanche- pour nous en rapporter à qui je
voudrois. Je n'ignorois pas quel jugement je pouvois
attendre entre lui et moi dans une cour aussi servile ;
ainsi je répondis qu'à une affaire finie il ne falloit point
de juge. Alors il me proposa son père; je n'eus pas la
force de le refuser. Jusqu'alors, qui que ce soit n'avoit su
ce qui se passoit entre nous. J'ai dit ci-devant ce qui me
retenoit d'éclater^ et il n'avoit garde aussi de montrer
son tissu d'infamie.
Revenus à Versailles, car le Chancelier ne paroissoit à
Marly qu'aux conseils, je lui contai ce qu'il ignoroit
depuis la chute de Chamillart. Il ne balança pas à me
réitérer*^ ses remerciements de la suspension de ma nomi-
nation avant cette chute, fit après une longue préface sur
son peu d'indulgence pour son fils, ses défauts, ses
sottises, la parfaite connoissance et la parfaite douleur
qu'il en avoit, et de là me répéta toutes ses raisons entor-
1. Saint-Simon a écrit par mégarde : écondusis.
2. « On dit tigurément donner la carte blanche à quelqu'un, pour
dire laisser quelqu'un maître d'une affaire, offrir d'en passer par tout
ce qu'il voudra » (Académie, 1718). Nous avons déjà eu cette locution
dans nos tomes XVI, p. 329, et XVIII, p. 89.
3. Ci-dessus, p. 357.
4. Il y a reiter, par mégarde dans le manuscrit.
Le Chancelier
soutient le vol
de son fils
contre moi.
[1711] DE SAINT-SIMON. 364
tillées' de sophismes, qu'il avoit excellemment à la main
quand il en avoit besoin, les entremêla d'autorité, et pré-
tendit enfin que je réduisois son fils à l'impossible. Mon
extrême surprise m'ôta toute repartie ; je lui dis seule-
ment que je ne me croyois de tort que de n'avoir pas
nommé sans ménagement du temps de Chamillart; mais
la parole me rentra tout à fait dans la poitrine par sa
réplique que j'aurois bien fait d'avoir nommé alors, et je
ne songeai qu'à gagner la porte. On a vu en différents
endroits dans quelle amitié et dans quelle confiance réci-
proque je vivois avec le Chancelier, et avec quelle adresse,
de concert avec Mme de Saint-Simon, il m'empêcha de
quitter la cour à la fin de 1709-, où je metrouvois main-
tenant dans la situation la plus agréable, et, comme on le
verra incontinent^ dans les espérances les plus flatteuses
et les plus solidement fondées. Ce contraste avec l'état où
je me serois trouvé dans la retraite que je voulois faire,
éteignit à son égard la colère de le voir soutenir la perfi-
die de son fils, mais, à la vérité, pour la porter sur ce fils
toute entière, tellement que je finis une seconde conver-
sation avec le Chancelier par lui dire que la matière étoit
épuisée, que nous ne nous persuaderions pas l'un l'autre,
que je ne répondrois plus un seul mot à tout ce qu'il
pourroit m'en dire, mais qu'il trouveroit bon aussi que je
demeurasse dans ma résolution de n'ouïr jamais parler en
rien des milices de Blaye, et d'en laisser faire à son fils
et à son capitaine garde-côte tout ce que bon leur semble-
roit. Le Chancelier entendit ce françois*; il me répondit
avec embarras et quelque honte que je faisois mal, mais
que j'étois le maître. Lui, la Chancelièreet Pontchartrain
pressèrent extrêmement Mme de Saint-Simon de m'enga-
ger à acheter la capitainerie garde-côte de Blaye, et il
parut bientôt qu'ils n'avoient pas prévu l'embarras où les
1. Entortillés, au masculin, dans le manuscrit.
2. Tome XVIII, p. 294-296. — 3. Dans le prochain volume.
4. Locution déjà relevée dans le tome X, p. 206.
362
MEMOIRES
flTll
Peine et
proposition
des
Pontchartrain :
ma conduite
avec eux.
jetoit ma fermeté, à laquelle ils ne s'étoient pas attendus,
et qu'ils auroient bien voulu ne s'être pas engagés si
avant, c'est-à-dire le fils, dans une si vilaine affaire, pro-
jetée et conduite à son ordinaire sans la participation de
son père, et celui-ci à ne l'y pas soutenir quand il l'eut
apprise pour être arbitre entre nous deux. Pour se tirer
d'un si mauvais pas, ils proposèrent à Mme de Saint-Simon
d'emprunter de celui qu'ils lui nommeroient le prix de
cette capitainerie, soit que ce fût un prêteur eiïectif, soit
qu'il ne donnât que son nom pour couvrir leur bourse,
avec stipulation expresse qu'il se contenteroit des gages de
la charge pour tout intérêt de la somme, et sans être tenus
de les lui faire bons^ au cas qu'ils ne fussent point payés ;
de n'avoir que la charge même pour toute hypothèque,
et, à sa perte, si elle se supprimoit et étoit mal ou point
payée, sans pouvoir nous en jamais rien demander; et de
porter seul toutes les taxes, augmentations de gages- et
toute autre espèce de choses dont on accabloit tous les
jours ces nouvelles créations, sans que nous y puissions
entrer pour rien. G'étoit, en un mot, que je voulusse bien
recevoir la charge sans bourse délier, et sans pouvoir y
courir aucune sorte de risque. J'étois si aigri, que je^ fus
longtemps sans en vouloir ouïr parler. Je consentis enfin,
par complaisance pour Mme de Saint-Simon, mais à con-
dition que, devant ni après la chose faite, et qui ne se fit
point, ils ne m'en parleroient jamais. Je vis rarement et
sérieusement Pontchartrain depuis cette rare affaire, et
c'est où nous en étions à la mort de Monseigneur. Pour le
i. « Dans les jeux où on joue de l'argent, on dit faire bon pour
dire s'engager à payer toute la somme qu'on pourra perdre » {Acadé-
mie, 4748).
2. Lorsque le Roi voulait mettre de nouvelles taxes sur les offices,
il augmentait les gages ou appointements des titulaires, mais en tirant
d'eux une somme correspondante au capital que représentait l'aug-
mentation d'émoluments.
3. Je répété deux fois, à la tin d'une page et au commencement de
la suivante.
[17111
DE SAINT-SIMON.
363
Chancelier, je vécus avec lui tout à mon ordinaire; elle
n'apporta pas le moindre refroidissement entre nous
comme on le peut voir par ce qui a été rapporté sur la
prétention d'Épernon et de Chaulnes et l'édit de 1711',
tant la reconnoissance eut de pouvoir sur moi. On verra
bientôt qu'elle ne se borna pas là.
Le duc de Beauvillier jouissoit avec splendeur de l'état
si changé de son pupille. Il étoit affranchi des inquié-
tudes de la cour de ^lonseigneur, et des mesures à l'égard
du Roi, par la confiance que ce monarque donnoit à son
petit-fils, et la solidité qu'y ajoutoit- le goût et l'intérêt
de Mme de Maintenon, ravie d'aise pour sa Dauphine, et
d'avoir un Dauphin sur lequel elle pouvoit sûrement
compter dans tous les temps. Beauvillier commençoit
donc à marcher plus tête levée ^, à cacher moins que le
temps étoit venu de commencer à compter avec lui ; il
montroit un maintien plus dégagé et une liberté moins
mesurée ; ses propos avec moi plus fermes, et à lui tout
à fait étrangers ^ J'aperçus un changement inespéré dont
je ne le croyois pas susceptible ; je vis un homme consolidé,
nerveux, actif, allant droit au fait, et se dépouillant des
entraves. Il repassa toute la cour avec moi sans se héris-
ser de ma franchise sur les portraits, et sans disputer
avec moi : il se souvenoit que je lui avois toujours parlé
juste dans tous les temps ; l'expérience lui avoit appris
que j'en savois plus que lui en connoissances'^ de gens
que sa charité et son enfermeriez éloignoient de voir et
i. Ci-dessus, p. 145 et 483.
'2. Le verbe ajoustoit est bien au singulier.
3. « On dit proverbialement et tigurément, d'un homme à qui on
ne peut faire aucun reproche avec justice, qu'î7 peut aller partout
la tête levée » (Académie, -1718). Ici, c'est plutôt le sens de marcher
et agir avec assurance.
4. A bien des reprises, il a dit combien Beauvillier était timoré et
craintif.
o. Il y a bien connoissances, au pluriel dans le manuscrit.
6. Ci-dessus, p. 94.
Splendeur du
duc de
Beauvillier ;
causes, outre
l'amitié, de sa
confiance
entière en
moi ;
discussion de
la cour entre
lui et moi.
364 MÉMOIRES [17M]
d'apprendre. Mon avis sur Harcourt, p. 794 ^ ma prédic-
tion sur l'abbé de Polignac suivie de l'effet si peu
croyable, p. 683-, et, p. 687\ celle de la campagne de
Lille si précisément accomplie en effets prodigieux, ne
lui étoient point sortis de l'esprit et avoient^ plojé le sien
à tout à mon égard. Il étoit sûr de mon secret ^ j'ose dire
de ma vérité et de ma probité ; il ne pou voit douter de
ma confiance, de mon dévouement, de mon attachement
pour lui sans réserve et à toute épreuve, et d'une amitié
de toute préférence depuis plus de seize ans que j'étois à
la cour, et que mon désir de son alliance^ nous avoit
étroitement unis. Il me parloit donc sans réserve, et la
disproportion d'âge et de fortune n'en mettoit plus dans
l'épanchement entier sur toutes matières, qui étoit plei-
nement réciproque et continuel. Cet examen entre lui et
moi de toute la cour alloit à discuter qui il étoit bon
d'approcher ou d'éloigner du Dauphin'. La ville eut aussi
son tour, c'est-à-dire la robe, non pas pour approcher ou
écarter des gens que leur état n'en rendoit pas susceptibles,
mais pour nous concerter tous deux, car il m'avoit mis
à cette portée, et placer au Dauphin du bien* de ceux
que nous estimerions propres aux emplois, et au contraire
sur les autres. Quatre ou cinq longues conversations près
à près que nous eûmes tète à tète, ce que je remarque
parce que le duc de Chevreuse ne s'y trouva pas, achevè-
4. Page du manuscrit correspondant aux pages 158-166 de notre
tome XVII.
2. Tome XV, p. 474-477. — 3. Tome XVI, p. 6 et suivantes.
4. Avoit, au singulier, a été corrigé en avoient au pluriel.
5. Secret, au sens de discrétion, qualité d'une personne qui sait se
taire, n'était pas donné par les lexiques du temps. Littré en cite des
exemples de Bossuet, Bourdaloue, etc.
6. Tome II, p. 5-13.
7. Après ce mot, Saint Simon avait écrit en interligne : car il m'avoit
mis à cette portée avec ce Prince, puis il a biffé cette phrase incidente
pour la reporter quatre lignes plus bas, en interligne, après tous deux.
8. Pour dire, insinuer du bien.
[17111 DE SAINT-SIMON. 36S
rent à peu près cette importante matière. Suivit un autre
tête-à-tète, où le duc se déboutonna* sur tous ceux qui
avoient part aux affaires. Je l'avois averti, il y avoit déjà
longtemps, de l'intime liaison que je voyois se former
entre d'.\ntin et Torcy. La Bouzols, sœur du dernier, Torcv
d'une figure hideuse, mais pleine de charmes d'esprit et
forte en intrigue, et de tout temps en^ toute intimité avec
Madame la Duchesse \ en étoit le principal instrument.
Celle qui commençoit à se montrer entre d'Antin et
Mlle de Tourbes % qui ne fît que croître, et qui dura
autant que leur vie, y servit encore puissamment. G'étoit
un autre démon d'esprit, et qui aimoit à dominer, amie
intime de ïorcy, de sa sœur, peu à ses frères le maréchal
et l'abbé d'Estrées, toute à Madame la Duchesse de toute
leur vie. Rien n'étoit plus opposé au duc de Beauvillier
que cette cabale de Madame la Duchesse, qui palpitoit
encore, et que d'Antin personnellement. Le duc et Torcy
étoient éloignés l'un de l'autre, mais en gens sages
et mesurés : l'écorce^ entre eux étoit conservée ; le
duc de Chevreuse la ménageoit, quoique aussi refroidi
que son beau-frère ; l'idée de la cour ne s'en apercevoit
pas : elle étoit accoutumée à l'union singulière de toute
la famille de Colbert ; elle avoit été témoin de celle des
deux ducs avec Pomponne depuis son retour jusqu'à sa
mort^ qui étoit de toute confiance; la communication
d'affaires et les bienséances voiloient au monde prévenu,
et jusqu'aux plus éveillés, le fonds de leur situation en-
i. Verbe déjà relevé dans le tome XIX, p. 12.
'i. En est en interligne, au-dessus de dans, biffé.
3. Tout cela a déjà été dit, en dernier lieu, dans le tome XVIII,
p. 48.
4. Elisabeth-Rosalie d'Estrées, demoiselle de Tourbes ou de
Tourpes: tome IV, p. 320. Il ne semble pas que les mauvaises langues
de la cour aient rien trouvé à redire à cette « intimité ».
ij. Ci-dessus, p 263.
6. Tome VI, p. 330.
•Cette manchette est placée cinq lignes plus bas dans le manuscrit
366 MEMOIRES |17M1
semble, et eux-mêmes avoient soin d'entretenir ce voile*
par le dehors de leur conduite ; mais le fonds le voici.
On a vu quelle étoit l'extrême piété du duc de Beauvil-
lier, et quel aussi son abandon pour Mme Guy on, surtout
pour Monsieur de Cambray, et pour tout ce petit trou-
peau -, qui l'avoit pensé perdre plus d'une fois sans l'en
avoir pu détacher le moins du monde, conséquemment
pour les jésuites et pour la partie sulpicienne, qui n'a-
voient jamais abandonné Monsieur de Cambray dans
aucun temps ='. De là un aveuglement sur les matières de
Rome et sur le jansénisme qui ne lui permettoit pas de
rien voir ni de rien entendre. Plus le Roi avançoiten âge,
plus sa foiblesse, toujours sans contrepoids sur ces
matières, qu'il ignoroit profondément, se trouvoit en
proie aux jésuites et aux directeurs de Mme de Mainte-
non par elle ; plus donc Rome d'une part, les jésuites de
l'autre, gagnoient du terrain, et plus M. de Beauvillier y
donnoit à bride abattue S et c'étoit principalement depuis
la mort de Pomponne que le grand cours de ces choses
avoit commencé, et sans cesse s'étoit augmenté. Torcy
pensoit là-dessus tout différemment. Il connoissoit l'ines-
timable prix de la conservation des droits de la couronne,
de^ celle des libertés de l'École % et de celle de l'Église
gallicane' ; il ne connoissoit pas moins les ruses des
jésuites et la grossièreté des sulpiciens ; il étoit donc
souvent opposé sur ces matières au duc de Beauvillier au
1. Saint-Simon avait d'abord écrit de V entretenir ; il a corrigé de
V en d', et ajouté ce voile en interligne.
2. Ci-dessus, p. 299. — 3. Ci-dessus, p. 297.
4. « On dit tiguréraent courir bride abattue après les plaisirs, pour
dire s'y porter sans aucune retenue, et qu'«m homme court à bride
abattue à sa ruine, à sa perte, pour dire qu'il se porte ardemment et
inconsidérément à quelque chose, sans voir que ce qu'il recherche est
capable de le perdre » {Académie, 1718).
5. Avant de, Saint-Simon a biffé et.
6. Terme déjà relevé au tome XX, p. 84.
7. Gallicane cornue anglicane.
(ITHl DE SAINT-SIMOx\. [idl
Conseil'. Il étoit extrêmement instruit, avoit beaucoup
d'esprit, d'honneur, de probité, de lumières ; mais sage,
retenu, timide même, il ne disoit que ce qu'il falloit dire
avec douceur et mesure, respect même ; mais il le disoit
bien parce qu'il avoit le don de la parole, et celui encore
de l'écriture-. Presque toujours encore la raison étoit de
son côté. M. de Beauvillier, dont le rang d'opiner étoit
le pénultième des ministres, suoit de l'encre^ d'entendre
Torcy, et plus encore à réfuter son avis, qui entraînoit
plus que très souvent les autres ministres. Il sentoit qu'il
alloit essuyer le feu du Chancelier, qui opinoit immé-
diatement après lui et qui ne le ménageoit pas, quel-
quefois môme jusqu'à l'indécence : tellement qu'il
regardoit Torcy comme un avec le Chancelier sur ces
matières, et qui lui fournissoit des armesdont le Chancelier
se servoit contre lui avec impétuosité, et en général ajoutoit
aux raisons de Torcy le poids de son esprit, de sa liberté, de
son autorité. Cela s'appeloit chez M. de Beauvillier être
janséniste, et être janséniste étoit chez lui quelque chose
de plus odieux et de plus dangereux qu'être protestant.
Torcy avoit encore deux crimes envers lui : l'un de
n'avoir jamais eu de liaison avec Monsieur de Cambray ;
l'autre, d'être mari de Mme de Torcy, qui avoit en
effet un véritable pouvoir sur lui, qui du cœur passoit à
l'esprit'. Elleen avoit beaucoup elle-même^ et sa voit beau-
1. Voyez notre tome XVIII, p. 9. Le Journal de Torcy est plein de
mentions do conflits de ce genre.
"2. On lui reconnaissait gcnéralomont un « talent singulier et ini-
mitable d'écrire » (Depping, Correspondance administrative, tome
IV, p. 248).
3. Le Dictionnaire de l'Académie de -1718 donnait cette définition :
« On dit par exagération qu'un homme sue de l'encre, de l'huile, pour
dire que sa sueur a quelque chose de noir, de gluant, d'huileux »; mais
il ne donnait pas d'emploi au ligure. Ici, c'est à peu près l'équivalent
de suer à grosses gouttes.
i. Ci-dessus, p. '285.
o. Les mots elle-7nesme ont été ajoutés en interligne.
368 MÉMOIRES [17H]
coup aussi ; avec cela, libre et* peu capable de cacher
ses sentiments, qui étoient tout à fait conformes à son
nom-. Ce n'étoit pas pourtant qu'elle fût imprudente,
encore moins qu'elle affichât rien ; mais on la démêloit.
C'étoit donc aux yeux de M. de Beauvillier une manière
d'hérétique qui pervertissoit son mari, et qui le tenoit de
trop près et de trop court ^ pour espérer de le convertir,
même de le rendre moins opposé, ou plus complaisant.
M. de Chevreuse, malgré son abjuration de Port-Royal,
où il avoit été élevé, n'étoit pas si outré que son beau-
frère. C'étoit un composé fort bizarre à cet égard. Non
moins abandonné à Mme Guyon, à Monsieur de Cambray
surtout, et à toute sa gnose S il avoit retenu de son édu-
cation une aversion parfaite des jésuites, qu'il cachoit
avec soin, où je le surpris plus d'une fois, et qu'il ne me
désavoua pas avec le secret et la confiance qui étoit
établie entre nous ; par conséquent, toujours en garde
contre eux, et, comme plus foncier^ que M. de Beau-
villier, moins livré aux entreprises de Rome : je dis moins
parce qu'il l'étoit encore beaucoup. Ces gens de Port-Royal
qu'il avoit abdiqués®, l'estime et l'affection pour eux
n'avoient pu s'effacer en lui : il me l'a avoué de presque
tous; et néanmoins, en spéculation" à eux, il leur étoit
i. Et a été ajouté à la fin d'une ligne, en surcharge d'une virgule
bifTée.
2. Le nom d'Arnauld.
3. (f On dit tigurément tenir quelqu'un de court, pour dire lui donner
peu de liberté » (Académie, 4718); voyez notre tome VII, p. 479.
4. Ci-dessus, p. 305.
5. « On dit d'un homme qui a de l'habileté, de la science dans son
métier, quHl est foncier » (Académie, 4718). Nous trouverons un
exemple analogue dans la suite des Mémoires, tome XIV de 4873,
p. 204.
6. Cet emploi d'abdiquer au sens d'abandonner quelqu'un, le re-
nier, n'était pas donné par le Dictionnaire de l'Académie de 4718 et
n'a point été relevé par Littré.
7. L'm de spéculation surcharge une / effacée du doigt. Terme
déjà rencontré, au sens de théorie, dans le tome XV, p. 442,
[17H1 DE SAINT-SIMON. 369
contraire en pratique. Ce composé ne peut s'expliquer ;
mais il étoit tel que je le représente. Cette façon d'être,
jointe avec sa douceur naturelle, son esprit compassé et
si naturellement tourné à être amiable compositeurs le
défaut d'occasion d'opinions contraires au Conseil, où il
n'entroit pas, quoique effectivement et véritablement
ministre, l'écartoient moins de Torcy que le duc de
Beauvillier, et l'appliquoient à conserver tous les dehors
entre eux, n'y pouvant davantage. Torcy, qui sentoit
parfaitement tout ce que le monde ne voyoit pas dans
cet intérieur de famille, n'avoit pas tort de vouloir s'ap-
puyer de d'Antin, et celui-ci, qui frappoit en dessous à
la porte du Conseil, avoit raison de se lier à un homme
dont la place lui pouvoit donner des moyens de se la faire
ouvrir. En même temps, moi qui connaissois cet intérieur,
je ne fus pas surpris que le duc de Beauvillier, discutant
les ministres avec moi, mît Torcy le premier sur le tapis
et m'en parlât comme d'un- homme qu'il étoit absolument
nécessaire de remercier^. Lié où il i'étoit, et dans une
place qui ne me donnoit ni rapport avec lui ni aucun
besoin de lui, je ne le connoissois alors que comme on
connoît tout le monde : je n'allois jamais chez lui ; lui
aussi ne m'avoit jamais fait aucune avance, quoique nous
eussions des amis communs. Je n'étois pas content de
lui sur M. le duc d'Orléans, et, s'il faut tout dire, son
indifférence pour moi m'avoit déplu. Je n'entrepris donc
pas sa défense avec M. de Beauvillier, qui passa outre,
et me demanda qui je pensois qu'on pût mettre en sa
place. Amelot étoit bien le meilleur ; mais il étoit trop
lié à la princesse desUrsins% trop bien par conséquent
1. « On appelle amiable compositeur celui qui accommode un diffé-
rend par les voies de la douceur » (Académie, 1718).
2. D'un corrige d'h[omme].
3. « On dit aussi remercier de certains officiers que l'on destitue
honnêtement, sans vouloir leur faire injure » (Académie, 1718).
4. Elle n'aspirait qu'à le voir revenir à Madrid.
MEMOIRES DE S.ilNT-SIMON. XXI 24
MTO MÉMOIRES flTl-l]
avec Mme de Maintenon, pour que ce fût l'homme de
M. de Beauvillier, ni le mien par rapport à M. le duc
d'Orléans, que je voulois unir de plus en plus avec le
Dauphin. Je proposai donc Saint-Contest ' qui étoit
fort de mes amis, et d'amitié de père ^ en fils. C'étoit un
homme de beaucoup d'esprit, et du plus délié, sous un
extérieur épais, appliqué travailleur, et qui, avec les
manières les plus pleinement bourgeoises, connoissoit
pourtant le monde, la cour et les gens extrêmement bien,
et qui, dans son intendance de Metz, avoit toujours
réussi^ dans les affaires ou les négociations qu'il avoit
eues fort souvent avec l'électeur palatin, celui de Trêves,
le duc de Lorraine, et plusieurs petits princes de ses en-
virons ; il étoit doux, liant, insinuant, et savoit aller à ses
fins avec adresse et en contentant ceux avec qui il avoit
à traitera M. de Beauvillier le connoissoit et le goùtoit
assez, et il approuva beaucoup ma pensée, en sorte que
cela demeura comme arrêté entre nous.
Desmareîz. Desmaretz nous fit disputera Le duc en étoit, comme
1. Dominique-Claude Barberie de Saint-Contest, né le 2 novembre
1668, fut conseiller au Châtelet en 1G86, puis au Parlement en 4688,
et devint maître des requêtes avec dispense d'âge en janvier 1696. En
'1699, Chamillart avait pensé à lui pour le mettre à la tète de ses bu-
reaux ; mais on préféra lui confier en tTOO l'intendance de Metz, très
importante et difïicile à cause de la guerre qui allait s'ouvrir. Il fut
nommé conseiller d'Etat semestre en 1716, passa ordinaire en llii,
après avoir été désigné, en 1720, comme commissaire au conseil du
commerce. Entre temps il avait été un des plénipotentiaires de France
aux congrès de Bade et de Cambray. Il mourut le 22 juin 1730. dans sa
soixante-deuxième année.
2. Le père de cet intendant était Michel Barberie de Saint-Contest,
conseiller au parlement de Rouen (1637), puis à celui de Paris (1659),
maître des requêtes en 1663, intendant à Limoges en 1686, mort le
23 avril 1692.
3. Réussy est ajouté en interligne.
4. Saint-Simon refera son portrait dans la suite des Mémoires,
tomes XII, p. 237, et XIY, p. 344. Dangeau (tome X, p. 233) et
Sourches (tome I, p. 366) contirment les éloges de notre auteur.
3. Ce fut une occasion de dispute entre nous.
[1711] DE SAIXT-SIMOX. :^71
je l'ai remarqué p. [1143'], à n'oser plus lui parler de
lien. Il ne pouvoit donc se dissimuler son humeur intrai-
table, ni l'excès de son ingratitude; mais ces défauts ne
touchoient point à la religion. 11 ne donnoit nul soupçon
de jansénisme, et il étoit bien loin encore de revenir au
monde lors de la disgrâce de l'archevêque de Cambray.
Net sur des points à l'égard du duc si capitaux, d'autres
le sauvoient : il étoit neveu de Colbert; élevé dans les
finances à son école, il en avoit pris, à ce que l'on pen-
soit, les principes et les maximes; il passoit pour l'homme
le plus capable en finances ; enfin M. deBeauvillier l'avoit
ramené sur l'eau ^ à force de sueu^s^ de temps et de
ramesS et, quel qu'il l'éprouvât, il ne put se résoudre à
détruire son ouvrage, et tout ce que j'alléguai ne fit que
blanchira II ne trouva jamais mieux à mettre en sa place,
et il se ferma *^ à l'y laisser.
1. Ce chiffre est en blanc dans le manuscrit, il correspond aux
pages 287-288, ci-dessus.
2. Cette locution, déjà employée pour le même personnage dans le
tome XV, p. 379, a été mentionnée ci-dessus, p. 286, avec la défini-
tion de r Académie de 4718.
3. Sueurs a été annoté ci-dessus, p. 38, et nous avons aussi relevé
la locution à force de bras aux pages 303 et 304.
A. Le Dictionnaire de l'Académie de -1718 ne donnait pas d'exemple
de rame employé au figuré. Nous en trouvons un autre emploi par
notre autour dans les Écrits inédits, tome VII, p. 240, et celui-ci a été
relevé par Liltré.
5. « On dit figuréraent qu'un coup de mousquet ou de pistolet n'a
fait que blanchir, quand il a porté sur les armes sans les fausser, et
que fous les efforts qu'on a faits pour faire réussir quelque chose
n'ont fait que blanchir, qu'un homme n'a fait que blanchir dans
une affaire, pour dire, que tous les efforts qu'on a faits ont été inu-
tiles, que, quelque peine qu'il se soit donnée, il n'a pu réussir »
{Académie, 1718). Furelière disait qu'on employait cette expression
par analogie aux coups de canon, qui, arrivant sans la force suffisante
contre une muraille, n'y laissent qu'une marque blanche. On peut en
citer des exemples de Brantôme, de Pontis, de Dubuisson-Aubenay,
de Molière, de Mme de Sévigné, de la Fontaine, etc.
6. Au sens de se tint fixé, comme dans le tome XIX, p. 222, et ci-
dessus, p. 193.
375 MÉMOIRES [iTil]
La Vrillicre. Nous fûmes aisément de même avis sur la Vrillière.
Il convint avec moi que, pour ce que ce secrétaire d'État
faisoit, et quand même il seroit chargé de plus, il le
faisoit très bien, et qu'il n'y avoit point à chercher
mieux.
Voysin. Voysin nous parut également à tous deux nécessaire à
renvoyer : nulle capacité, probité de cour, connoissance
de personne, dureté et rusticité, créature de Mme de
Maintenon jusqu'au dernier abandon. Je voulus sonder le
duc sur Charaillart, et je fus édifié, touché même de sa
réponse : il me dit qu'il étoit son ami depuis quarante ans,
et que, cette liaison, il l'avoit resserrée lui-même par le
mariage de sa nièce avec son fils*; qu'il connoissoit sa
probité à toute épreuve, et ses lumières fort au-dessus
de l'idée qu'on en avoit prise, mais qu'il croyoit le Dau-
phin un obstacle invincible à son retour-; d'ailleurs que
Chamillart avoit deux défauts qu'il croyoit incompa-
tibles avec le bien de l'Etat et dont il le savoit incorri-
gible, avec lesquels il se feroit un grand scrupule de le
replacer : une opiniâtreté invincible, dont il me conta
des traits qui m'étonnèrent, quelque connoissance que
j'eusse de cette opiniâtreté dont j'ai rapporté quelques-
uns^, et des amis sur lesquels il étoit incapable de
revenir, et dont l'entêtement étoit extrêmement dan-
gereux^. De ce dernier j'en avois une parfaite expé-
rience, qui se trouve répandue ici en plus d'un endroit.
Je fus aftligé avec d'autant plus d'amertume que je fus
convaincu, et qu'il me fallut me détacher du plaisir
1. Nous avons vu Mlle de Mortemart épouser le marquis de Cany
en 4708: tome XV, p. 370-371.
2. A cause de sa conduite dans la campagne d'Audenarde : tome
XVI, p. 247-248.
3 Notamment au tome XVII, p. 4i6-42i, à propos de Mlle Choin.
4. Les Matignon, M. de Marsan, Vaudémont et ses nièces, etc.
(tome IX, p. 33 et suivantes). — La phrase signifie que l'entêtement
de Chamillart pour ces anciens amis était extrêmement dangereux
pour lui, et peut-être pour la bonne gestion des affaires.
[ITil] DE SAINT-SIMON. 373
extrême de contribuer à remettre mon ami en selle, ce
qui en eflfet n'étoit plus possible avec ce que j'ai expliqué
des choses de Flandres', indépendamment de tout le
reste. Je proposai donc la Houssaye', que je neconnoissois
point, mais par ce qu'il^ m'étoit revenu de sa conduite
dans l'intendance d'Alsace, où il étoitS et il falloit un
intendant de frontières et de troupes, et M. de Beauvillier
l'approuva.
Je trouvai sur Pontchartrain les dispositions les plus Pontcharfrain
funestes, et qui pouvoient le plus flatter celles qu'il avoit P'^^*' ^' ^'^^'
méritées de moi % mais qui m'épouvantèrent parce qu'il
avoit un père à qui j'étois lié d'amitié, de reconnoissance
et de confiance la plus intime, une mère que j'aimois et
respectois véritablement, et que sa femme, si proche de "^
la mienne^ et si parfaitement unie avec elle, lui avoit
laissé des enfants*. Je vis leur sort, je vis le Chancelier
ou éconduit, ou retiré de lui-même avec le poignard dans
le cœur', et survivre à sa prodigieuse fortune, en proie à
i. Dans le tome XVI.
2. Félix le Pelletier de la Houssaye, d'abord conseiller au Chàtelet,
puis conseiller au Parlement en 4686 avec dispense d'âge, devint maî-
tre des requêtes en 1690, fut envoyé comme intendant à Soissons en
t694, à Montauban en 4698, et en Alsace en 4700, où il resta jus-
qu'en 4713, fut nommé conseiller d'Etat semestre en 4708, passa or-
dinaire en 1749, devint, la même année, chancelier et chef du conseil
du Régent, contrôleur général des finances en décembre 4720, et
mourut le 20 septembre 1723. Il avait eu la charge de prévôt et maî-
tre des cérémonies de l'Ordre en mai 4721. Il ne faut pas confondre
cette famille avec celle de M. le Peletier, le ministre d'État.
3. Qui corrigé en qu'il.
4. Saint-Simon fera son portrait en 4720 dans la suite des Mémoi-
res, tome XVII de 1873, p. 452-453.
5. Ci-dessus, p. 347 et suivantes. — 6. De surcharge et si.
7. Ci-dessus, p. 357.
8. Il lui restait trois fils de ce mariage : ci-après, p. 382.
9. « On dit qu'wn homme à le poignard dans le cœur, dans le sein,
pour dire qu'il a une douleur, un déplaisir extrême de quelque
chose, de quelque méchante affaire qui lui est arrivée » (Académie,
1718).
374 MÉMOIRES [17HJ
l'horreur de son fils et au néant de ses petits-fils. J'avois
caché mon ressentiment et ses causes, et plus au duc de
Beauvillier qu'à personne, dans la situation où je le con-
noissois avec le Chancelier ^ Il s'ouvrit à moi sur le père
et sur le fils plus qu'il n'avoit fait encore, car il s'ouvrit
tout à fait. Rome, le jansénisme, et, plus que tout, la diffé-
rence extrême de sentiments sur la personne et la doctrine
de Monsieur de Cambray , avoit- achevé de cimenter le mur
qui avoit commencé à s'élever entre le duc et lui dès son
arrivée à la tête des finances. Les escarmouches au Con-
seil étoient continuelles. Outre ce que j'en ai touché ici
il n'y a pas longtempsS le Chancelier s'y aidoit souvent
d'une légèreté qui lui étoit naturelle, et qui mettoit les
rieurs de son côté. Il passoit quelquefois jusqu'à porter
des bottes^ indécentes, et parfois scandaleuses, quidécon-
certoient une gravité qui, sur ces matières, avoit rare-
ment raison. Ailleurs, le Chancelier n'étoit pas plus
mesuré : ils avoient même été plus d'une fois jusqu'à cesser
de se rendre les devoirs communs de civilité réciproque,
et, quoiqu'ils n'en fussent pas là alors, ils n'en étoient
pas mieux ensemble, quoique le duc de Ghevreuse et le
Chancelier fussent toujours demeurés amis. L'éclat^ ancien,
qui n'avoit fait qu'augmenter depuis, avoit engagé dès
lors le duc de Beauvillier de retirer de la marine ceux
qu'il y protégeoit, et qu'il y avoit mis du temps de Col-
bert et de Seignelay. Les blessures étoient devenues si
continuelles et si profondes, que ces deux hommes ne se
pouvoient pardonner, et que leur haine étoit publique. Le
duc, avec^ toute sa piété et ses mesures, se permettoit à cet
i. Ci-dessus, p. 367.
2. Avoit est bien au singulier. — 3. Ci-dessus, p. 367.
4. (c Botte, coup que l'on porte avec un fleuret ou avec une épée à
celui contre qui on se bat. On dit figurément d'un homme qui, dans
une dispute avec un autre, lui a fait quelque objection pressante, qu'î7
lui a porté une étrange botte, une rude botte » (Académie, 4718).
o. Au sens de rupture éclatante.
6. Avec surcharge se, qui se trouvera plus loin.
[JTllJ DE SAINT-SIMON. 375
égard plus de choses qu'il n'en étoit naturellement capa-
ble. Sûr du Roi et de son pupille dans les matières qui
formoient leurs disputes, il se défendoit ordinairement
avec hauteur, et jetoit quelquefois au Chancelier des
choses et des faits qui l'embarrassoient, et le poussoit alors
avec hardiesse. J'appris alors mille détails là-dessus du
duc de Beauvillier, que ses mesures si resserrées m'avoient
cachés jusque-là*, et que le Chancelier n'avoit eu garde
de me dire par considération pour moi dans la plus qu'in-
time liaison où il me savoit avec le duc, non par manque
de confiance, car il m'en disoit assez tous les jours pour ne
me laisser pas ignorer l'état où ils étoient ensemble. Bien
que la séparation intérieure de Pontchartrain d'avec son
père passât souvent jusqu'à l'extérieur, et que les^ mesu-
res qu'il gardoit avec M. deBeauvillierfussentlesplus res-
pectueuses, il ne l'en aimoit pas mieux au fonds, et ce fonds
étoit bien aperçu. L'entreprise d'Ecosse, que j'ai racontée
en son lieu^ et dont la triste issue lui fut justement impu-
tée, lui étoit devenue un péché irrémissible auprès des
ducs de Beauvillier et de Chevreuse, qui en avoit été
l'auteur et le promoteur*. D'ailleurs son pernicieux carac-
tère achevoit de le leur rendre odieux. On en a vu quelque
chose p. 1141% combien peu la Dauphine le ménageoit
auprès du Roi, et que le Roi, si en garde en faveur de ses
ministres, la laissoit dire avec complaisance ; mais il ne sera
pas inutile de le faire connoître davantage. Gomme il est
depuis longtemps tout à fait mort au monde, j'en parlerai,
quoique vivant encore, comme d'un homme qui n'est plus''.
1. Là est en interligne, au-dessus d'alors, biffé.
!2. Ses corrigé en les.
3. Tome XV, p. 402-407 et 412-433.
4. Il a raconté dans le tome XV, p. 403-107, comment le duc de
Chevreuse fit admettre le projet de l'expédition d'Ecosse au Chan-
celier, puis, par lui, à son tils.
5. Ci-dessus, p. 282-283.
6. Il ne mourut qu'en février 1747, et Saint-Simon écrivait ceci dans
le courant de l'année 1743.
376 MÉMOIRES [1711]
Caractère de Sa taille étoit ordinaire, son visage long', mafflé^ fort
Pontcharirain. jjppy^ dégoûtant^, gâté de petite vérole, qui lui avoit crevé
un œil. Celui de verre dont il l'avoit remplacé étoit tou-
jours pleurant, et lui donnoit une*^ physionomie fausse,
rude, refrognée^, qui faisoit peur d'abord, mais pas tant
encore qu'il en devoit faire®. Il avoit de l'esprit, mais
parfaitement de travers, et, avec quelques lettres et quel-
que teinture d'histoire', appliqué, sachant bien sa ma-
rine ^ assez travailleur, et le vouloit paroître beaucoup
plus qu'il ne l'étoit. Son naturel pervers, que rien n'avoit
pu adoucir ni redresser le moins du monde, perçoit
partout ; il aimoit le mal pour le mal, et prenoit un
plaisir singulier à en faire^ Si quelquefois il faisoit du bien,
c'étoit une vanterie qui en faisoit perdre tout le mérite,
et qui devenoit synonyme au reproche ; encore l'avoit-il '•
fait acheter chèrement par les refus, les diflfîcultés, dont
il étoit hérissé pour tout jusque pour les choses les plus
communes, et parles manières de le faire", qui piquoient,
qui insultoient même, et qui lui faisoient'- des ennemis
de presque tous ceux qu'il prétendoit obliger ; avec cela,
1. Il y a au Musée de Versailles, n° 3667, un portrait de Jérôme de
Pontchartrain, qui vient de l'ancien ministère de la marine.
2. « Maf/lé, qui a de grosses joues ; il est populaire » (Académie,
1718). Littré en cite un exemple de Diderot ; on disait aussi mafflu.
3. Avant ce mot, Saint-Simon a biffé un et.
4. Un, par mégarde, dans le manuscrit.
5. Il écrit refroigné. Le mot et l'orthographe ont déjà été relevés dans
le tome XVIII, p. 312.
6. Dans la suite des Mémoires (tome X de 1873, j). 66), il dira que
« sa figure, hideuse et dégoûtante à l'excès, étoit agréable et même
charmante en comparaison de tout le reste. »
7. Sa correspondance et ses relations familières avec les gens de
lettres feraient croire à plus que ne dit notre auteur.
8. Ces quatre mots ont été ajoutés en interligne.
9. Cela a déjà été dit à mainte reprise, et sera répété plusieurs fois
encore.
10. Il est en interligne.
11. Le a été ajouté en interligne, et, après faire, il a biffé si bien.
12. Faisoit corrigé en faisoient.
[1711] DE SAINT-SIMON. 377
noir, traître, et s'en applaudissoit ; fin à scriiter\ à suivre,
à apprendre, et surtout à nuire ; pédant en régent de
collège- avec tous les défauts et tout le dégoût d'un
homme né dans le ministère et gâté à l'excès. Son com-
merce étoit insupportable par l'autorité brutale qu'il y
usurpoit, et par ses infatigables questions. Il se croyoit
tout dû, et il exigeoit tout avec toute l'insolence d'un
maître dur; il s'ctablissoit le gouverneur de la conduite
de chacun, et il en exigeoit compte. Malheur à qui l'y
avoit accoutumé par besoin, par lâcheté ; c'étoit une
chaîne qui ne se pouvoit rompre qu'en rompant avec lui.
Outre qu'il étoit méchant, il étoit malin' encore, et per-
sécuteur jusqu'aux enfers'', quand il en vouloit aux gens.
Ses propos ne démentoient point les désagréments^ dont
il étoit chamarré^ : ils étoient éternellement divisés en
trois points, et sans cesse demandoit, en s'applaudissant,
s'il se faisoit bien entendre ; avec qui que ce fût, maître
de la conversation", interrompant, questionnant, prenant
la parole et le ton ^ avec des ris forcés à tous moments qui
donnoient envie de pleurer ; une expression pénible,
1. Même verbe que ci-dessus, p. 301.
2. Ces quatre mots sont en interligne au-dessus d'à l'excès, biffé, et
de est écrit d, sans e. — « On appelle régent celui qui enseigne dans
un collège » (Académie, 1748). Nous avons eu régenter dans le tome
XX, p. 81. On dirait de nos jours: en maître d'école, et il va employer
cette dernière locution quelques lignes plus loin.
3. Le sens propre de malin est : « qui prend plaisir à faire ou à dire
du mal », tandis que celui de méchant est : « qui l'ait du mal ».
4. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait pas cette locu-
tion, qui peut signifier jusqu'aux dernières limites, jusque dans le
fond des abîmes.
5. Le desagrem' corrigé eu les desagrem"'.
6. Même emploi de ce verbe que dans le tome III, p. 191.
7. Après conversation, il y a une s effacée du doigt.
8. « On dit ligurément qu'un homme donne le ton àla conversation,
pour dire qu'il s'en rend le maître et que, par autorité ou par insinua-
tion, il oblige les autres à penser et à parler comme lui » {Académie,
1718).
378 MÉMOIRES [1711]
maussade, pleine de répétitions, avec un air de supé-
riorité d'état et d'esprit qui faisoit vomir* et qui révoltoit
en même temps ^ ; curieux de savoir le dedans et le dessous
de toutes les familles et des intrigues'' ; envieux et jaloux
de tout, et dans sa marine comme un comité* sur ses
galériens. Aucun officier, même généraux ^ même pour
des riens, n'étoit à couvert de ses sorties en pleine audience
publique, et nul homme ni femme de la cour de ses airs
d'autorité. Il disoit aux gens les choses les plus désa-
gréables avec volupté, et réprimandoit durement, en
maître d'école, sous prétexte d'amitié et en forme d'avis.
Son délice étoit de tendre des panneaux, et la joie de son
cœur de rendre de mauvais offices ; en garde surtout
contre son père et sa mère et leurs amis, et contre toutes
les grâces et tous les plaisirs qu'ils pouvoient désirer de
lui; il s'en piquoit même, pour ne pas paroître sous
leur férule*', au point que le Chancelier et la Chancelière
s'étoient fait une règle de ne lui rien demander ni re-
commander, et ne s'en cachoient point, parce que la
négative étoit certaine. En général, il triomphoit de
refuser et de faire mystère des choses mêmes les plus
futiles, surtout d'être hérissé de difficultés sur les choses
qui en soufîroient le moins. L'importance lui tournoit la
tête; son ver rongeur'' étoit de n'être point ministre*.
D'ailleurs incapable de société, d'amusement, de conver-
4. « On dit figurément cela fait vomir, pour dire cela est fort dé-
goûtant ■>■> {Académie, 1718).
2. Les six derniers mots ont été ajoutés en interligne.
3. Notre auteur lui a déjà reproché plus d'une fois de se servir de
la police pour son plaisir et pour l'amusement du Roi, et va y revenir
encore.
4. Même emploi que pour Bâville : tome XX, p. 178.
5. Il y a bien généraux dans le manuscrit.
6. « On dit figurément être sous la férule de quelqu'un, pour dire
être sous sa correction » (Académie, 1718).
7. Locution relevée dans le tome III, p. 48.
8. C'est-à-dire, ministre d'État, comme son père, comme Torcy,
Desmaretz et les ducs de Beauvillier et de Ghevreuse.
[1711] DE SALNT-SIMOX. 379
sation ordinaire ; toujours plein de ses fonctions, de ses
occupations, et, avec qui que ce fût, hommes et femmes,
roi' de ses moments et de ses heures, et le tyran de sa
famille et de ses familiers. Sa première femme, si par-
faite en tout, en mourut à la fin à force de vertu ; la
seconde- l'a vengée'. On a vu sa conduite avec le comte
de Toulouse, d'O et le maréchal d'Estrées*. Les femmes
des deux derniers l'avoient perdu auprès de Ma-
dame la Dauphine, et, auprès du Dauphin, tout ce qui
avoit pu l'approcher. Mme de Maintenon, qui aimoit fort
sa première femme, et qui a toujours conservé du goût et
et de la considération personnelle pour la Chancelière,
ne le pouvoit supporter. Il ne tenoit auprès du Roi que
par l'amusement malicieux des délations de Paris, qui
étoit de son département^ et qui lui avoit causé force
prises avec Argenson, lieutenant de police, qu'il vouloit
tenir petit garçon^ sous lui. Argenson en savoit plus que
lui ; il s'étoit habilement saisi de la confiance du Roi, et,
par elle, du secret de la Bastille, et des choses importantes
de Paria ; il les avoit enlevées à Pontchartrain, à qui en
habile homme, il n'avoit laissé que les délations des sot-
tises des femmes et des folies des jeunes gens ; il s'étoit
1. Au sens de maître absolu.
2. Hélène-Rosalie-Angélique de l'Aubespine, demoiselle de Verdc-
ronne, que nous verrons épouser Jérôme de Pontchartrain le 31 juillet
1713 ; elle ne mourut que le 10 octobre 4770, dans sa quatre-vingtième
année.
3. Cette seconde comtesse de Pontcliartraiii vécut très retirée depuis
la disgrâce de son mari en 1713, et les contemporains se taisent sur
son compte. Saint-Simon lui-même, lorsqu'il relatera le mariage en
1713. ne renouvellera pas la présente allusion, qui ne se rapporte sans
doute qu'à quelque défaut de caractère.
4. Tome XII, p. 3-23-326.
5. Ci-dessus, p. 378. note 3.
6. « Traiter quelqu'un en petit garçon, c'est le traiter comme si on
avait une grande supériorité sur lui, » dit le Dictionnaire de Littré
Los lexiques du di.\-huitième siècle ne mentionnaient pas cette locu-
tion, qui a déjà passé dans notre tome V, p. 139.
380 MÉMOIRES [474i]
ainsi déchargé sur lui de l'odieux de sa charge, surtout
des lettres courantes de cachet, et se conservoitle mérite,
envers beaucoup de gens considérables de tous états,
d'avoir sauvé leurs proches de ses griffes, soit en faisant
en sorte de lui en souffler ^ les aventures, ou en diminuant
et raccommodant auprès du Roi ce qu'il y avoit gâté-. Les
jésuites, sulpiciens, etc., regardoient Argenson^ comme
leur appui fidèle * et le servoient comme tel auprès du Roi et
de MmedeMaintenon, tandis que, comme on l'a déjà dit^,
ilsn'avoientquede l'aversion pour Pontchartrain, tant il les
servoit de mauvaise grâce, et n'imputoient la chasse qu'il
ne cessoit de faire aux moindres soupçons de jansénisme,
qu'au plaisir qu'il prenoit à faire du mal. La singularité
d'un si détestable caractère m'a engagé à m'y étendre ;
la suite en fera voir encore davantage la nécessité. Avec
tant de vices et d'insolence, il étoit d'une vérité à sur-
prendre sur sa naissance ; il n'en disoit pas le tout, mais
bien qu'ils étoient de petits bourgeois de Montfort-l'A-
maury® et assez pour désespérer la Yrillière, qui étoit
glorieux là-dessus fort mal à propos : j'en ai quelquefois
1. (f On dit souffler à quelqu'un un emploi, une charge, pour dire,
lui enlever un emploi, une charge, etc., à quoi il s'attendoit » {Aca-
démie, -1748). Ce verbe a déjà passé en ce sens, sans être annoté, dans
nos tomes XII, p. 6S, et XIV, p. 447, et, pour le même d'Argenson,
dans le tome XVIII, p. 84.
2. Déjà dit, plus brièvement, dans le tome XVIII, p. 84.
3. Argenson a été ajouté en interligne, et, avant regardoient, Saint-
Simon a biffé le.
4. Voyez tome XX, p. 3-28. — 5. Tome XVIII, p. 84.
6. Peut-être cela veut-il dire qu'ils n'étaient que de petits bourgeois
devenus seigneurs de belles terres au comté de Montfort. Ils devaient
être originaires du Blaisois, et le père du premier Pontchartrain secré-
taire d'État, auteur des Mémoires, n'était que conseiller au présidial
de cette ville. Avant lui on ne voit que de simples bourgeois, et c'est
sans doute pourquoi les continuateurs du P. Anselme ont préféré se
dispenser d'en reconstituer la filiation en anoblissant et embellissant les
générations antérieures à la fin du seizième siècle, comme le faisaient
les commissaires aux preuves de l'ordre de Malte ou autres. Voyez
l'appendice XIII de notre tome VI.
perdu.
[1711] DE SAINT-SIMON. 381
vu des scènes très plaisantes entre eux deux. Comme
secrétaire d'État, l'orgueil même'.
Le duc de Beauvillier m'allégua la plupart de ces choses, Je sauvo
et j'en sentois à mesure la vérité. 11 m'en fit des plaintes Pontchariram
amères, et les parades- que j'y donnai^ ne furent reçues
que très foiblement. Je le vis si arrêté dans sa résolution,
que je ne jugeai pas à propos de [le] heurter* par une ré-
sistance opiniâtre; je glissai donc, et ne^ butai" qu'à laisser
une queue" pour pouvoir traiter encore un chapitre si
délicat. Gela donnoit lieu à reposer ses idées, et à moi,
qui les avois aisément prises, du temps pour le tourner et
tâcher de les changer. Nous parlâmes donc d'autre chose,
et Pontchartrain ne revint sur le tapis, entre nous deux,
de trois ou quatre jours. Ce fut le duc qui m'écarta aune
promenade du Roi pour en faire une avec lui tête à tête,
et qui reprit aussitôt ce chapitre, et je vis bien qu'il lefai-
soit à dessein. Le mien étoit tout préparé; le sien étoit
de m'emporter^ par une foule de raisons qui toutes n'é-
toient que trop bonnes : je lui laissai dire tout ce qu'il
voulut. 11 me pressa sur beaucoup de choses et de faits de
Pontchartrain : son humeur étrange, sa malice, ses mau-
vais offices, sa satisfaction à faire du mal, son plaisir à
nuire, sa mauvaise grâce à faire du bien et sa peine à bien
faire, sa passion de s'étendre et d'usurper, son attention
à tout abaisser devant lui, l'aversion publique, ses procé-
■1. Celte dernière phrase a été ajoutée après coup à la (in du para-
graphe.
2. « Parade est aussi un terme d'escrime, et signifie l'action par la-
quelle on pare un coup « (Académie, 1718).
3. Donnay est en interligne, au-dessus de fis, biffé.
4. AvAnl heurter, Saint-Simon a biffé un le, par mégarde.
5. Ne est en interligne, au-dessus de me, biffé.
6. Au sens de prendre pour but, déjà rencontré plusieurs fois.
7. Une suite à prévoir.
8. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 donnait emporter une
place, mais non pas emporter quelqu'un, au sens d'avoir raison de
ses arguments.
38-2 MÉMOIRES [1741]
dés indignes avec un^ nombre infini de gens de tous états,
et des plus considérables. Il ne m'apprenoit rien surtout
cela, et de ce dernier point j'en avois l'expérience la plus
étrange et la plus fraîche-. Ce ne fut pas sans combat inté-
rieur que je l'étouffai dans une crise si décisive. Quand
il en eut bien dit, je lui répondis que, n'ayant ni la force
de crédit ni la volonté, quand bien même j'aurois la puis-
sance, de m'opposer jamais en quoi que ce fût à lui, je
ne pouvois pourtant me résoudre à lui abandonner le fils
du Chancelier, tout imparfait, et plus encore, que je le
reconnoissois. Je lui parlai d'une manière touchante de
mon attachement plein de reconnoissance pour le père et
de ma tendresse pour les petits-fils^. Cette manière de
résister à un homme naturellement bon et plein de senti-
ments le rendit rêveur^. Je m'aperçus qu'il commençoit
à flotter^ entre la peine de me voir si ferme, et une sorte
de satisfaction de la cause que je lui venois d'avouer et de
paraphraser. Il ne laissa pas d'insister encore, et moi de
répondre sur le même ton sans l'aigrir par des négatives
fausses et grossières, mais en lui demandant s'il croyoit
Pontchartrain entièrement incorrigible. Il ne répliqua
point ; je me tus, et il demeura un peu de temps en
i . Un est en interligne, au-dessus d'un premier un, mal écrit et biffé.
2. A propos des milices de Blaye : ci-dessus, p. 347 et suivantes.
3. Jérôme de Pontchartrain avait trois tils de son premier mariage :
1° Jean-Frédéric, titré comte de Maurepas (tome X, p. 19) ; 2° Paul-
Jérôme, chevalier puis marquis de Pontcharlrain, né le 2o avril 1703,
sous-lieutenant des gendarmes de la Reine en 1719, capitaine-lieute-
nant des gendarmes anglais en 1726, brigadier en 1734, maréchal de
camp en 1738, lieutenant général en 1743 et inspecteur général de
la cavalerie, gouverneur de Ham en 1754, mort le 12 avril 1775 ;
3° Charles-Henri, abbé de Pontchartrain, né le 14 juin 1706, abbé de
Royaumont en 1728, docteur de Sorbonne en 1732, nommé à l'évèché
de Blois en mai 1734, mais qui mourut le 24 juin suivant, avant d'avoir
reçu ses bulles.
4. Il a écrit rêveur.
5. « Flotter signifie figurément chanceler, être irrésolu, agité »
{Académie, 1718).
[17H1 DE SAINT-SIMON. 383
silence et comme en méditation à part soi. Il en sortit par
me dire qu'avec toutes mes défenses, et qui n'étoient d'aloi '
que pour moi seul, il vouloit bien me dire que Pontchar-
train étoit actuellement en un péril très grand; que, pour
l'amour de moi, puisque je m'obstinois si fort à le proté-
ger, il vouloit encore bien me dire que le Dauphin ne le
pouvoit souffrir ; que la Dauphine avoit juré sa perte,
poussée par tout ce qui l'approchoit, par le cri public,
par son propre dégoût, par Mme de Maintenon même,
qui, d'ancienneté brouillée avec le père, ne pouvoit per-
sonnellement supporter le fils, par une- aversion particu-
lière que ses manières et tout ce qui lui en revenoit lui
avoient donnée ; que le Roi seul paroissoitplus indifférent
là-dessus, mais sentir bien tous les défauts de Pontchar-
train, et ne serabloit pas préparer une grande résistance
à tant et de telles batteries' prêtes à jouer. Le duc ajouta
que, pour lui, s'il étoit sensible à la vengeance, je pou-
vois bien juger de ce qu'il penseroit et feroit, mais qu'au
défaut d'une affection* que le christianisme lui défendoit,
il étoit poussé par tout ce qu'il voyoit et par tout ce qu'il
lui revenoit chaque jour de Pontchartrain; que sa chute,
pour laquelle il n'avoit seulement qu'à laisser faire, il ne
la pouvoit regarder que comme un bien public et avanta-
geux à l'Etat ; que, pensant de la sorte, c'étoit à Pont-
chartrain, s'il en avoit le loisir, à changer si promptement
de conduite, qu'il le convainquît qu'il étoit corrigible ;
après quoi on verroit ce qu'il seroit à propos de faire à
son égard. Comme nous nous parlions toujours sous le
1. « Aloi, lo titre que l'or et l'argent doivent avoir;... on appelle
marchandises de mauvais aloi des marchandises qui ne sont pas de la
qualité requise par les règlements, par les ordonnances » {Académie,
4748). — Saint-Simon écrit: alloy.
2. Un dans le manuscrit.
3. « On dit qu'un homme dresse de bonnes batteries, pour dire
qu'il emploie de puissants moyens pour réussir dans une affaire »
{Académie, 1748).
4. Au sens de sentiment, comme ci-dessus, p. 262.
384 MÉMOIRES [4714]
plus sûr secret et sans mesures, je lui demandai si ce
qu'il me disoit là étoit une menace d'une chose possible
par celles qui existoient, ou un orage tout formé, et des
desseins pris et prêts à éclore. Il me répondit nettement
que c'étoit le dernier. J'en frémis, et, n'osant le presser
sur le détail de cette affaire, je me contentai de le con-
jurer d'accorder un court loisir avant que de perdre un
homme au moins si instruit de sa marine, et que son suc-
cesseur encore feroit peut-être regretter. Je n'ai point su
quel il étoit; mais j'ai cru que Desmare tz pouvoit être le
désigné. 11 avoit très bien pris avec le Roi, mieux encore
avec Mme de Mainlenon, par les charmes de la finance et le
goût qu'elle commençoit à prendre pour sa femme, quoi-
que revenu en place malgré la fée*, qui vouloit Voysin,
mais dont la place de secrétaire d'Etat de Chamillart,
qu'elle lui avoit fait donner, l'avoit dépiquée. Desmaretz
avoit pour soi Madame la Dauphine, parles manèges de sa
femme, et par les soins qu'il avoit de plaire pécuniaire-
ment^ à tout ce qui l'approchoit véritablement. On a vu
plus haut^ que son humeur féroce et son ingratitude
n'avoit pu déprendre de lui les ducs de Chevreuse et de
Beauvillier, et les causes de leur persévérance ; et c'est
ce groupe de choses qui m'a persuadé que c'étoit Desma-
retz qu'ils vouloient porter à la plénitude^ des charges de
son oncle Colbert.
Sur mes instances, que je rendis les plus pressantes,
M. de Beauvillier me permit d'avertir Pontchartrain de
dominer son humeur dans ses audiences et avec tout le
monde, de rapporter devant le Roi avec moins de pen-
chant au mal, de rendre compte au^ conseil des dépêches
4. Les mots la fée, qui désignent Mme de Maintenon. sont en inter-
ligne, au-dessus d'elle, biffé ; voyez ci-dessus, p. 2 et 270.
2. Cet adverbe n'était pas donné dans le Dictionnaire de l'Aca-
démie de 4748.
3. Ci-dessus, p. 374. — 4. A recueillir la totalité.
5. Des corrigé en au.
[171 1| DE SAINT-SIMON. 385
des affaires dont il étoit chargé avec un goût moins enclin
à la sévérité, de lui en spécifier quelques-unes en particu-
lier que le duc m'expliqua, où ses manières dures et
enclines au mal', tant en ce conseil qu'en ses audiences,
et môme dans son travail tête à tête avec le Roi, où ^ Mme de
Maintenon étoit toujours présente, avoient fait de fâ-
cheuses impresssions, et étoient vivement revenues ; mais
il me défendit d'aller plus loin, et de lui laisser apercevoir
d'où je pouvois être instruit. Je rendis grâces au duc de
Beauvillier, comme d'une obligation du premier ordre,
de ce qu'il vouloit bien que je fisse, et je le conjurai de
nouveau de suspendre l'orage jusqu'à ce qu'il eût vu le
fruit de ces avis. Il ne voulut s'engager à rien ; je crus
apercevoir qu'il craignoit le plaisir de la vengeance, que
ce principe le fit rendre un peu à mes instances, et qu'il
résista par le même, et par modestie, à la satisfaction de
me laisser voir combien il influoit sur le sort de Pont-
chartrain. De cela même, je m'ouvris à l'espérance. Ainsi
finit cette importante conversation.
Elle me donna lieu à de grandes réflexions. Outre celles
que j'ai déjà expliquées sur l'état du Chancelier et de ses
petits-fils, son fils chassé^, je sentis encore que, ce coup
paré, si tant étoit que j'en pusse venir à bout, ils ne
seroient encore en aucune assurance. Pontchartrain, fait
comme il étoit, ne pourroit se contenir longtemps ; ses
rechutes deviendroient mortelles, avec cette horreur
générale qu'il avoit si justement encourue, et cet éloi-
gnement extrême, pour ne rien dire de plus, toujours
subsistant entre son père et le duc de Beauvillier, dans la
posture nouvelle et stable où se trouvoit alors ce dernier.
Toute ma vie j'avois désiré avec la passion la plus vive
de les voir solidement réconciliés, mais comme on désire
quelquefois des choses imaginaires et impossibles. Deux
•1. Les quatre derniers mots ont été ajoutés en interligne.
2. Où surcharge un et et le commencement d'une autre lettre.
3. Tome XVIII, p. 84-89, et ci-dessus, p. 373 et suivantes.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 2S
386
MEMOIRES
[1714]
hommes en tout si dissemblables, excepté en probité et
en amour de l'Etat, n'avoient rien en quoi ils pussent
compatir^ ensemble. Leurs liaisons, leurs vues, leurs
sentiments, leur tempérament, se trouvoient tellement
contraires qu'il ne s'y pouvoit rien ajouter, et jusqu'à la
religion dans deux très hommes de bien, de la façon
dont ils la prenoient l'un - et l'autre, leur étoit devenue
un très puissant motif d'aversion. Cependant, par la face
nouvelle que la cour avoit prise, je voyois le Chancelier
et son fils perdus sans cette réconciliation sincère, et sa
nécessité me parut si démontrée, que, quelque impossible
et chimérique qu'elle me semblât^, je me mis dans la
Je conçois tête d'y oser travailler. Sans ce remède unique, je ne
le dessein* yoyois aucun moyen de subsister pour le Chancelier, dans
réconciliation la nouvelle et durable face que la cour avoit prise, et je
sincère entre ^6 trouvois d'épines, dans le riant* de ma situation parti-
Beauvillier et culière, que la peine extrême, et qui troubloit toute ma
le Chancelier, joie, de voir mes deux plus intimes amis en état ensemble
que l'un infailliblement seroit perdu et anéanti par l'au-
tre. Il ne falloit pas un motif moins puissant pour me
faire entreprendre un ouvrage si voisin de l'impossible,
et que l'extrême nécessité cessa lors, pour la première
fois, de me laisser envisager comme une folie.
Dès le soir même, après que les soupeurs^ se furent
retirés de chez Pontchar train, j'entrai chez lui, où je
n'allois plus familièrement, et même très rarement.
L'heure ajouta à sa surprise. Je lui dis d'abordée, et d'un
4. Au sens général de s'accorder, s'accommoder, déjà relevé dans le
tome XIX. p. ^oo.
2. L'une corrigé en Vun.
3. Semblast est en interligne, au-dessus de parust, biffé.
4. Encore un adjectif pris substantivement. Littré ne le signale que
chez notre auteur.
5. Ce mot n'était pas donné par VAcadémie, ni par les lexiques du
dix-huitième siècle. Littré en cite des exemples de Montaigne et de
Voltaire.
* Le dessein surcharge la rec[onciliation].
[1711] DE SAINT-SIMON. 387
air grave et froid, que, quoique ma coutume ne fût pas de
lui faire des leçons, et que j'eusse lieu d'en être encore
plus éloigné que jamais, j'avois pourtant des choses à
lui dire dont je ne pouvois me dispenser ; qu'il ne me
demandât ni mes raisons, ni d'où je prenois ce que j'avois
à lui dire ; qu'il se contentât d'apprendre qu'il ne pouvoit
m' écouter avec trop d'attention, ni prendre trop de soin
d'en profiter sans délai. Après une préface si énergique, je
lui dis, comme si j'en avois été l'auteur, tout ce que j'avois
permission de lui dire, et cela tout de suite, comme une
leçon apprise par cœur. Je fus écouté avec toute l'atten-
tion que demandoit ma préface et la matière qui la suivit.
Pontchartrain sentit aisément que les faits singuliers que
je lui spécifiai ne pouvoient m'être venus que d'endroits
importants. Il voulut s'excuser sur certaines choses ; sur
d'autres il avoua et accusa son humeur. Je répondis
qu'avec moi tout cela étoit inutile, que son affaire étoitde
profiter de ce qu'il venoit d'entendre, la mienne de m'aller
coucher ; et là-dessus je le quittai aussi brusquement
que je l'avois abordé. Je rendis compte le lendemain de
ce que j'avois dit à Pontchartrain au duc de Beauvillier ;
il augmenta ma frayeur par ce qu'il me laissa voir de
l'imminence de la chute, et néanmoins il convint d'at-
tendre ce que produiroit ma remontrance ^ A quelques
jours de là, me promenant après minuit en tiers avec le
Dauphin et l'abbé de Polignac, la conversation tomba sur
le gouvernement d'Hollande, sur sa tolérance de toutes les
sectes, et bientôt sur le jansénisme. L'adroit abbé n'en
perdit pas l'occasion, et dit tout ce qu'il falloit pour
plaire. Le Dauphin me donna lieu d'entrer assez dans la gj
conversation : je parlai suivant mes sentiments et sans hasard sur le
affectation. La promenade se poussa tard par le plus beau J^^^s^^isme.
1. Saint-Simon avait ici commencé un nouvel alinéa en écrivant A
en retrait; il a effacé du doigt cet A, pour l'écrire à nouveau dès le
commencement de la ligne, de sorte que quelques se trouve surcharger
l'A primitif.
singulier
388 MÉMOIRES [1711]
temps du monde, et je quittai le Dauphin comme il alloit
rentrer au château. J'expliquerai ailleurs ce que je pense
sur cette matière', parce qu'elle entrera dans plus d'une
chose dans la suite, et ma façon de voir et d'être avec le
Dauphin. Dès le lendemain matin, M. de Beauvillier me
prit dans le salon, et me conta que le Dauphin venoit de
lui dire avec beaucoup de joie qu'à des discours qu'il
m'avoit ouï tenir le soir précédent à sa promenade,
il me croyoit éloigné du jansénisme, et tout de suite me
demanda de quoi il avoit été question, que le Dauphin
n'avoit pas eu le temps de lui expliquer. Il me dit, après
lui en avoir rendu compte, qu'il avoit tout à fait confirmé
le Dauphin dans cette opinion sur moi, et cela mit en effet
sa confiance pour moi au large sur toutes sortes de cha-
pitres ; et voilà ce que font les hasards. 11^ fit encore qu'à
ce propos le duc me dit tout de suite que le Dauphin
soupçonnoit fort Pontchartrain de jansénisme, lui qui fai-
soit sa cour au Roi du zèle de cette persécution. La déli-
catesse de M. de Beauvillier étoit là-dessus si étrange,
qu'après ce qu'il m'avoit dit lui-même que les jésuites et
les sulpiciens imputoient au goût malfaisant de Pontchar-
train la persécution qu'il faisoit aux jansénistes^, je ne le
pus faire revenir de ses soupçons là-dessus qu'en lui répon-
dant de Pontchartrain sur ce chapitre, et que, différent
en tout d'avec son père, ils étoient aussi parfaitement
divisés sur les jésuites et l'Oratoire. La fréquentation de
Pontchartrain, lors de la mort de sa femme, avec le P. de
la Tour, général de l'Oratoire \ et encore quelques mois
après, avoit répandu des soupçons; mais j'assurai le duc,
comme il étoit vrai, que Pontchartrain, avec la dernière
indécence, avoit quitté le commerce du P. de la Tour
comme une chemise sale^, et n'en avoit pas ouï parler
1. Dans le prochain volume. — 2. Le hasard.
3. Ci-dessus, p. 3H0. — 4. Tome XVI, p. 144 et suivantes.
5. Le Dictionnaire de Littré ne cite de cette locution familière que
le présent exemple.
[1711] DE SAL\T-SlMOx\. 389
depuis. Nous nous revîmes le même jour sur le soir. Dans
l'entre-deux, M. de Beauviilier, sur ma parole, avoit ré-
pondu de Pontchartrain au Dauphin sur le jansénisme.
Il me le confia; et ce fut le premier bon ofKce qu'il lui
rendit auprès de ce prince. De là, le duc me dit qu'il n'en-
tendoit pas deux choses, Pontchartrain étant tel là-dessus
que je le lui avois si fort assuré : l'une, qu'il étoit très
suspect aux jésuites, l'autre, comment l'affaire d'un ecclé-
siastique d'Orléans étoit si mal entre ses mains; que les
jésuites attribuoient à son goût de faire du mal sa facilité
à maltraiter les jansénistes que l'on exiloit ou qu'on ôtoit
de places, et n'en étoient pas moins en garde contre lui,
parce qu'il leur étoit aussi contraire qu'il lui étoit pos-
sible; et que cet ecclésiastique si opposé aux jansénistes,
et qui tiroit delà tout son appui, ne pouvoit être plus
mal servi qu'il l'étoit de Pontchartrain pour l'union d'un
bénéfice, qui étoit néanmoins très essentielle au bon
parti'. Il s'échaufïa assez là-dessus, et, de lui-même, me
permit d'avertir Pontchartrain, mais comme de moi-
même, de la disposition des jésuites à son égard ; qu'il lui
importoit fort de la changer par une conduite opposée; et,
sur cet ecclésiastique, de lui dire, non plus comme de moi-
même, mais de sa part à lui comme en avis, de rapporter
son affaire au premier conseil de dépêches, d'y donnerun
tour favorable, et d'ajouter que cela lui étoit plus impor-
tant qu'il ne pensoit. Je fis ce même soir, vers le minuit,
une seconde visite à Pontchartrain, toute semblable à la
première, dont l'heure et le ton ne le surprit pas moins,
et bien plus encore que la première pour- les choses. II
s'étoit peut être douté à la première d'où lui venoient mes
avis; à cette seconde, il ne put plus l'ignorera C'étoit
1. Les registres du conseil des dépêches ne contiennent pas, pour l'épo-
que à laquelle nous sommes, d'arrêt relatif à une union de bénétice pour
un ecclésiastique d'Orléans. Notre auteur a peut-être fait confusion.
2. L'abréviation f a été ajoutée après coup entre p'* et les.
3. L'ignorer surcharge en do[uter].
390
MEMOIRES
[i74i]
en insolence le premier homme du monde lorsqu'il ne
craignoit point les gens, et le premier aussi en bassesse,
où personne ne le surpassoit, à proportion de son besoin
et de sa frayeur. Ainsi, on peut juger de tout ce qu'il me
pria de direàM. deBeauvillier, de quelle façon il se mit
à en user avec les jésuites, et comment tourna l'affaire de
l'ecclésiastique d'Orléans. M. de Beauvillier en fut si con-
tent qu'il voulut bien que je lui disse, mais comme de
moi-même, le péril en gros où il étoit auprès du Dauphin,
et les moyens de le rapprocher peu à peu, tous opposés
à son génie et à ses manières accoutumées. Le duc alla
jusqu'à me charger de lui dire qu'il lui ménageroit des
occasions de travailler avec le Dauphin, qu'il l'en averti-
roit d'avance, et de la faconde s'y conduire. Je revis donc
aussitôt Pontchartrain pour la troisième fois. Je ne vis
jamais' homme si transporté: il se crut noyé et sauvé au
même instant, et les protestations qu'il me fit, tant pour
M. de Beauvillier que pour moi, furent infinies. Sur mon
compte, je sus bien qu'en penser, puisque c'étoit trois
Beauvillier. semaines après qu'il m'eut envoyé d'Aubenton- ; aussi les
reçus-je pour moi avec le froid le plus dédaigneux, et
je lui fis sentir, au choix de mon peu de paroles, la
nullité de part que sa personne devoit prendre au salut
inespéré^ que je lui procurois. Le duc tint parole : Pont-
chartrain fut averti et instruit, et, comme M. de Beau-
villier ne voulut pas s'y montrer, je fus toujours le
canal entre eux, sous le plus entier secret. Pontchar-
train travailla chez le Dauphin ; le duc avoit préparé les
choses ; le prince fut content. Cela dura le reste du
voyage de Marly, qui, d'une tirade S nous conduisit à
Pontchartrain
sauvé par
le duc do
i. La première lettre de jamais surcharge une h.
2. Ci-dessus, p. 355 et suivantes.
3. Inespéré corrige un inespable, incomplet.
4. « On dit proverbialement tout d'une tirade, pour dire tout
de suite , sans s'arrêter ; il est du style familier » (Académie,
4748).
[17111
DE SAINT-SIMON.
391
Fontainebleau, sans retourner à Versailles' à cause du
mauvais air -.
Dans ces entrefaites et sur la fin de Marly, je pris en
particulier le premier écuyer, non pour lui confier quoi
que ce soit de ce qui vient d'être raconté, mais pour
m'en servir à ma manière au dessein de réconciliation que
j'avois conçu. C'étoit^ un grand homme froid, de peu
d'esprit, de beaucoup de sens, fort sage, fort sûr, fort
mesuré, qui, à force d'être né et d'avoir passé sa vie à la
cour, fils d'un homme qui y étoit maître passé et dans
une considération singulière, et lui* dans les cabinets les
plus secrets de le Tellier, Louvois et Barbezieux, dont il
étoit si proche par sa femme', et qui l'avoient admis à tout
avec eux, avoit acquis une grande connoissance de la
cour et du monde, y étoit fort compté, s'y étoit mêlé de
beaucoup de choses, et y étoit enfin devenu une espèce
de personnage. Il étoit de tout temps fort bien avec le
Roi ; il * avoit des particuliers quelquefois avec lui ; et il
avoit eu l'art d'être fort bien avec tous les ministres, et
intimement avec le Chancelier, qui avoit beaucoup de
créance en lui. J'ai parlé de lui à l'occasion de la mort de
Monseigneur", duquel il espéroit beaucoup, et rien de
la cour nouvelle, avec qui il n'avoit nulle liaison, même
quelque chose de moins avec les ducs de Chevreuse et
de Beauvillier, par l'ancien chrême* des Louvois, si op-
posés à tout ce qui étoit Colbert, et tous leurs commerces
et leurs allures tout à fait difîérentes^ Je crus donc '° que
i. Le séjour à Marly dura du 15 avril au li juillet; le 15, le Roi
partit pour Fontainebleau, on s'arrêtant une nuit à Petit-Bourg.
"2. Ci-dessus, p. 3'-23-3"24.
3. Comparez un autre portrait placé en 1715: tome XII, p. 240.
i. Luy est en interligne.
5. Fille du duc d'Auraont et d'une sœur de Louvois.
6. 7/ surcharge un et. — 7. Ci-dessus, p. 277. — 8. TomeXVII, p. 256.
9. Différentes est en interligne, au-dessus d^opposées, biffé.
10. Cette conjonction donc est ajoutée en interligne.
• Bering. surcLarge le P.
Conversation
sur los
Pontcharlrain
avec
Boringhen*,
premier
écuyer ; son
caractère.
392 MÉMOIRES [ITii]
c'étoit le seul homme dont je pusse m'aider pour attaquer
le Chancelier sur sa conduite avec le duc de Beauvillier.
Je lui dis qu'ami au point où je l'étois de M. de Beau-
villier et du Chancelier, je voyois de tout temps leur éloi-
gnement avec une peine extrême ; que jusqu'alors je
m'étois contenté de m'en affliger en moi-même, mais que,
dans la face nouvelle que la cour venoit de prendre, et
qui se fortifioit de jour en jour, je ne pouvois dormir en
repos comme j'avois fait tant que leur inimitié n'avoit pu
être fatale à aucun des deux ; que le Dauphin devenoit
rapidement le maître des affaires, et, par lui, son gouver-
neur, qui le seroit sans mesure lorsque son pupille auroit
succédé au Roi ; que le danger présent étoit grand par la
haine publique que Pontchartrain avoit encourue, et, s'il
subsistoit le reste* de ce règne, ce qui meparoissoit bien
difficile, il me sembloit impossible qu'il pût durer au
delà; que, tombant, je ne voyois pas ce que- pourroit
devenir le père d'un homme chassé dans une cour où
tout le crédit seroit contre lui, où il survivroit à sa for-
tune et à soi-même, et où la décence ni sa propre
humeur ne pourroit lui permettre d'y rester, et d'y ha-
sarder de se voir chasser lui-même sur quelque aventure
de Rome et de jansénisme, et se voir bombarder un
garde des sceaux; qu'en vain s'appuyoit-il sur l'autorité de
sa place, sur son esprit, sur sa capacité, sur sa réputation,
puisque ce ne seroit pas lui qu'on attaqueroit, mais^ son
fils, qui n'avoit aucun de ces boucliers, qui s'étoit rendu
la bête de tout le monde *^, et dont la chute auroit les ap-
plaudissements publics. Beringhen connoissoit parfaite-
ment Pontchartrain ; il m'avoua la vérité de ce que je
lui représentois, sa crainte extrême de ce que je pré-
1. Reste a été écrit en interligne, au-dessus d'un premier reste,
biffé, qui surchargeait règne.
2. Ce que, oublié, a été ajouté en interligne.
3. Après mais, il y a un que, biffé.
4. Locution déjà relevée dans letomeXVII, p.342; ci-dessus, p. 282.
[1741] DE SAIi\T-SIMO>". 393
voyois, et me pressa de travailler à une réconciliation si
capitale à la fortune du père et du fils, comme le seul
homme qui la put entreprendre par l'amitié et la confiance
que le duc et le Chancelier avoient également et entière-
ment pour moi. Je lui répondis que c'étoit toute ma
passion, mais que je travaillerois en vain tant que le
Chancelier s'escarmoucheroit* avec le duc sans cesse au
Conseil, et ne se mesureroit pas ailleurs à son égard ;
qu'il nourrissoit ainsi une haine, pour parler nettement, de
longue main enracinée ; qu'il l'augmentoit tous les jours,
loin de songer à l'émousser, en quoi pourtant^ consistoit
son salut et celui ^ de sa famille; que c'étoit à lui,
Beringhen, son ami, et qui ne lui seroit point suspect
sur M. de Beauvillier, avec qui il savoit bien qu'il n'avoit
point de liaison, à lui ouvrir les yeux sur le danger de
voir périr toute la fortune prodigieuse qu'il avoit faite, et
de lui faire comprendre qu'elle valoit bien la peine de se
contraindre, et de ployer à la nécessité des temps; qu'a-
près qu'il l'auroit rendu capable d'un vrai changement de
conduite à cet égard, je verrois à tâcher de le mettre à
profit auprès de M. de Beauvillier, et peu à peu ainsi les
rapprocher, et, de là, les réconcilier enfin, si je pouvois.
Le premier écuyer, ou timide comme il l'étoit naturel-
lement, ou désespérant de faire entendre raison au
Chancelier, vif et décidé comme il le connaissoit, ou
véritablement court de temps, me dit qu'il en auroit peu
pour parler suffisamment au Chancelier, qui n'étoit point
à Marly, qui n'y venoit que pour les conseils*, et qui,
ces jours-là, s'en retournoit dîner à Versailles, et les
autres jours se tenoit à Ponchartrain ; qu'il avoit de-
mandé congé au Roi de s'en aller dans quelques jours
1. Le Dictionnaire de l'Académie de iT18 disait qu'on employait
parfois ce verbe avec le pronom réfléchi. Littré en cite deux exemples
de Montesquieu à côté de celui-ci.
2. Pourtant a été ajouti en interligne.
3. Ccluy semble surcharger sa. — i. Déjà dit ci-dessus, p. 17:2.
394 DE SAINT-SIMON [4711]
chez lui à Armainvilliers', et qu'il y passeroit presque
tout le voyage de Fontainebleau, où la cour allait inces-
samment-. 11^ finit par me presser de nouveau de* tra-
vailler à une aussi bonne œuvre, que nul autre que moi
ne pouvoit exécuter, et moi par l'exhorter de parler au
moins avant de partir, et de parler sans ménagement. La
suite de ceci se verra bientôt à Fontainebleau ; avant d'y
conduire la cour, il faut reprendre des choses qui ont pré-
cédé ce voyage.
1. Armainvilliers, en Brie, dans le canton actuel de Tournan, avait
été érigé en comté en juin 1704 pour M. de Beringhen. Le baron
Olivier de Lavigerie a fait paraître en 1890 une notice sur le château.
— Saint-Simon écrit : Arminvilliers.
2. Ci-dessus, p. 391, note 1.
3. Il surcharge un et.
4. A corrigé en de.
APPENDICE
PREMIÈRE PARTIE
ADDITIONS DE SAINT-SIMON
AU JOURNAL DE DANGEAU
987. Monseigneur ; son caractère.
(Page 45.)
iS avril 1711. — Jamais douleur ne fut plus courte que celle de la
mort de Monseigneur. C'étoit un gros homme très épais de corps et
d'esprit, tenu bas à l'excès, et tout fait pour s'y laisser tenir, et qui
n'avoit de considération que celle que lui donnoit une succession à la
couronne que l'âge du Roi faisoit tous les ans juger plus prochaine ;
sans goût, sans choix, sans discernement, sans connoissance et sans
curiosité sur rien. Extrêmement glorieux, entièrement entassé dans la
matière, bon et familier avec les bas valets, ce qui le faisoit aimer du
bas peuple ; né dur et le montrant; ennuyé né, et très difficile à amu-
ser ; livré à un petit nombre de gens qui lui faisoient accroire les
choses les plus abstruses et qui le gouvernoient avec mépris, mais avec
un extérieur de respect qu'il lui falloit, et avec un ennui de sa compagnie
que l'espérance seule de l'avenir faisoit supporter. Jamais tils n'a été si
constamment tils, ni tenu bas si constamment. Il n'avoit pas le crédit
de la moindre bagatelle, et il étoit continuellement aux expédients pour
les dépenses de son plaisir, c'est-à-dire de ses bâtiments de Meudon et des
tables qu'il y tenoit. Ce qui l'environnoit étoit parvenu à lui faire haïr
Mgr le duc de Bourgogne, craindre et n'aimer point Mme la duchesse
de Bourgogne, et détester M. le duc d'Orléans. Jamais, par jalousie,i 1
n'avoit pu souffrir M. du Maine; mais il aimoitassezlecomtedeToulouse.
Son éloignement pour Mme de Maintenon étoit fort marqué, quoique fort
ployant sous elle ; mais il ne la voyoit guère, et le surprenant est qu'avec
cette aversion il fut pour sa Choin comme le Roi pour sa Maintenon ;
mais on est comme sûr qu'il ne l'avoit pas épousée. Cependant elle fut à
Meudon jusqu'à son dernier moment; elle y vit tous les jours Mme de
396 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
Maintenon, et le Roi souvent, outre qu'elle étoit sans cesse dans la
chambre de Monseigneur, même Mme la princesse de Conti présente,
qui en fit le sacrifice à Monseigneur de bonne grâce. Il vaqua je ne sais
quoi à la convenance de Casaus, qui étoit neveu de du Mont, qui avoit
été élevé page de Monseigneur, et qui, devenu son écuyer sous son
oncle, couroit toujours à la chasse devant lui. Monseigneur, qui de-
mandoit rarement, hasarda de demander pour Casaus et fut durement
refusé ; il revint outré de Versailles, et dit à Casaus d'avoir patience,
qu'il n'y perdroit rien quand il seroit roi, et que de sa vie il ne s'ex-
poseroit à aucune demande ; il fut outré de déplaisir. Il y avoit fort peu
de jours qu'il s'étoit amusé avec la Choin en grand particulier à Meudon
à regarder des estampes des différentes cérémonies du sacre. On étoit
bercé de tout temps sur lui de cette prédiction : « Fils de roi, père de
roi et jamais roi. » L'avènement de Philippe V à la couronne d'Es-
pagne la vérifia à l'excès. Hors ses valets et sept ou huit courtisans,
hommes et femmes, qui pour leurs intérêts furent très-afïligés, qui que
ce soit ne s'en soucia, et la plupart du monde regarda cet événement
comme une délivrance. Mme de Maintenon en fut fort soulagée, le Roi
aussi dès le lendemain, et M. et Mme la duchesse de Bourgogne y ga-
gnèrent toutes choses, mais, le sentant bien, se comportèrent très-digne-
ment. M. de Berry, le fils bien-aimé, fut d'autant plus touché, que sa
femme, pleine de projets extravagants et d'une noire ingratitude, fut
outrée de voir Mgr et Mme la duchesse de Bourgogne faire un si grand
pas. Ce pauvre Dauphin de Meudon mangea en son temps bien des
perdrix, des poulardes et des soles, et s'ennuya bien partout. On dit
qu'il avait le sens droit quand on parloit d'affaires ; après qu'il fut en-
tré dans le conseil d'Etat, il ne paroissoit pas prendre à grand chose,
mais bien en proie aux plus grossières impulsions d'autrui. Pour de
lectures, il n'en avoit de sa vie fait d'autres que de l'article de Paris de
la Gazette de France. Jusqu'à ses galanteries, il y a des contes à mourir
de sa grossièreté et de son indifférence. Il avoit peur de tout, et n'avoit
pas brillé à la guerre plus que dans le Conseil. Les médecins le lais-
sèrent mourir sans sacrements, et personne ne s'avisa d'y penser pour
lui, pas même le P. Tellier, qui étoit son confesseur, ainsi que du
Roi, et qui étoit dans Meudon. Le curé du lieu qui accourut lui donna
l'absolution sans connoissance ; le bon P. Tellier étoit couché. La qua-
lité de la maladie empêcha toutes cérémonies funèbres, et rendit les
premières fort indécentes.
988. Ridicule aventure de Monseigneur.
(Page 70.)
21 septembre 1693. — La femme de Raisin étoit parfaitement belle
et excellente actrice. Monseigneur en fut amoureux. Du Mont, sou
écuyer principal et son favori, la lui mena un soir avec une autre qui
l'accompagnoit. Celle-ci se trouva la première à la porte que Monseigneur
AU JOURNAL DE DANGEAU. 397
ouvrit et la tira dedans, et ne tardant pas à se satisfaire sans dire un
mot. Du Mont frappa à la porte et cria qu'il se méprenoit. Il n'étoit
plus temps : Monseigneur la remit dehors et dit que ce seroit pour une
autre fois, et s'en retourna à tâtons. Plus le conte est étrange, plus il
mérite de n'être pas oublié, parce qu'il est vrai. La revanche fut prise,
et cette inclination dura assez pour qu'il y eût des enfants et mériter
les soins des courtisans éveillés et même ceux du maréchal de Noailles,
qui, avec sa grande dévotion, lui en rendoit beaucoup.
989. Retraite de Mademoiselle de Choin.
(Page 93.)
16 avril 1711. — Mlle Choin ne demanda rien, et s'alla enterrer
chez elle à Paris, où elle vit ses amis. Beaucoup la négligèrent tout
d'abord, et depuis un plus grand nombre s'en retirèrent peu à peu.
Elle y parut peu sensible, comme s'y attendant bien. Il lui en demeura
plusieurs avec qui elle se consola des autres, et mena une vie retirée,
honnête et modeste, sans presque plus sortir de chez elle. Elle fut tou-
jours parfaitement désintéressée et ne regretta que Monseigneur
Mme d'Espinoy et sa sœur la virent toujours fort assidûment et en
prirent un grand soin jusqu'à sa mort, qui arriva en* 1732, dans une
maison près le Petit-Saint-Antoine, où elle avoit toujours logé, dans
de grandes intirmités sur les tins, et depuis longtemps dans une grande
piété.
990. La princesse d'Angleterre et la Dauphine.
(Page 97.)
16 avril 1711. — La princesse d'Angleterre, n'étant héritière que
possible et accidentelle, ne pouvoit précéder des héritiers directs, né-
cessaires et présomptifs ; ainsi elle céda toujours à Madame la Dau-
phine.
991. Le deuil de Monseigneur.
(Pape 97.)
18 avril 1711. — La règle est que les ducs, les officiers de la cou-
ronne, les princes étrangers et les grands officiers de la maison du Roi
ne drapent que lorsque le Roi drape, qui est le modèle de la cour, et,
le Roi ne portant point le deuil de ses enfants, personne ne dcvoit
draper que les princes du sang, par le respect et l'honneur de la pa-
renté. Il en avoit été usé ainsi à la mort de Madame la Dauphine femme
de Monseigneur; le Roi le voulut autrement pour Monseigneur.
1. Les mots en 1732 ont été ajoutés après coup en interligne au-des-
sus de vers 1730, bitTé ; ce qui suit jusqu'à logé, a été également ajouté
en interligne. Voyez ci-dessus, p. 93, note 8.
398 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
992. Le duc et la duchesse de Berry
présentent le service au Dauphin et à la Dauphine.
(Page 108.)
47 avril ilii. — M. le duc de Berry se porta avec amitié et de la
meilleure grâce du monde à présenter le service à Monsieur le Dauphin,
qui l'embrassa et le reçut de lui avec peine et tendresse ; Mme la du-
chesse de Berry, qui devoit son mariage à Madame la Dauphine, dif-
féra tant qu'elle put à le lui présenter, et ne le tit que lorsqu'il lui fut
impossible de reculer davantage. Madame la Dauphine n'en tit jamais
semblant, et le reçut avec toutes les grâces qui étoient en elle. Mme la
duchesse de Berry trouvoit pourtant fort mauvais que les princesses
du sang évitassent de le lui présenter, et, y ayant longtemps remarqué
de l'affectation, elle attrapa un jour Mme la princesse de Conti, tille
de Madame la Duchesse, qui l'étoit venue voir gardant son lit : elle
demanda un moment après une chemise, et il fallut bien que Mme la
princesse de Conti la lui donnât.
993. Réprimande du Roi à la duchesse d'Uzès.
(Page 112.)
48 novembre 1687. — On avoit résolu de se passer des draps étrangers,
et les manufactures de France en avoient fabriqué de rayés. Cela étoit
fort vilain et aussi ne dura pas. Le Roi avoit défendu qu'on en portât
d'autres, et y étoit fort sévère ; d'où vint cette réprimande pour l'habit
de Monseigneur, qui n'étoit pas de nos draps ; et M. de Montausier,
comme ayant été gouverneur de Monseigneur, étoit demeuré premier
gentilhomme de sa chambre et maître de sa garde-robe, de laquelle il
laissoit le soin à sa tille la duchesse d'Uzès.
994. Le duc de Beauvillier obtient la garde-robe du Dauphin.
(Page 113.)
19 avril 1711. — Les Mémoires se contredisent ici. On y a vu la
duchesse d'Uzès, tille de M. de Montausier vivant alors, avoir une af-
faire avec le Roi pour un habit de Monseigneur ', dans le temps qu'il
voulut que tout le monde fût vêtu de draps rayés des manufactures de
France. Il se trouva que les raies de cet habit de Monseigneur
étoient contrefaites, et le drap n'être point de ces manufactures. C'étoit
donc M. de Montausier, et sa tille pour le soulager, qui avoit le soin
de la garde-robe de Monseigneur ; mais, après la mort de M. de Mon-
tausier, personne ne pouvoit plus avoir cette garde-robe que M. de la
Rochefoucauld, et, comme il étoit fort attaché à tout avoir et à tout
1. Voyez l'Addition précédente.
AU JOURNAL DE DANGEAU. 399
conserver, il prôlondit lu gardo-robo du fils parce qu'il avoit celle du
père, et lut tondu par M. de Beauvillier. qui avoit pour lui le droit et
l'exemple de M. de Moiitausier tant qu'il avoit vécu.
99o. Le duc de Bourgogne
veut être appelé Monsieur le Dauphin.
(Page lli.)
16 avril 1711. — Les langues allemande et espagnole ne comportent
point le Monsieur, car elles n'ont point de Monseigneur, en parlant
d'un tiers. Une femme et un tils, en parlant de son père ou de son
mari, ne disent jamais que le duc ou le comte un tel ; c'est la vraie
raison de ce que rapportent les Mémoires et non pas un air ou un raf-
finement de grandeur ; aussi cet usage ne put être de mise ici, oîi
on dit constamment Monsieur et Madame la Dauphineen parlant d'eux.
Monsieur le Dauphin, qui étoit instruit et qui voyoit avec peine le Mon-
seigneur prodigué en parlant aux princes du sang, voulut être appelé
Monsieur, et reprit souvent ceux qui lui disoient Monseigneur, jus-
qu'à ce qu'on se fût défait de cette habitude.
996. Le chevalier de Châtillon.
(Page 116.)
27 février 1685. — Le* chevalier de Cliàtillon étoit fils de Bois-Ro-
gue, gentilhomme servant de Monsieur Gaston, qui étoit dans une
grande pauvreté, et qui, depuis des siècles, pouvoit prouver une roture
de mère en mère très complète. Il eut deux lils : ce cadet-ci perça avec
peu ou point d'esprit, mais avec la plus noble et la plus aimable ligure
qu'on pût avoir, qui l'introduisit chez Monsieur de charge en charge
jusqu'à premier gentilhomme de sa chambre très favori, qui lui donna
intinimeut, et les dames aussi, surtout la duchesse de Cleveland, qu'il
ruina. Il eut la nomination de Monsieur à la promotion de l'Ordre de
1688, dont il [fut] reçu le dernier. Lui et sa femme se brouillèrent au-
tant qu'ils s'étoient aimés, et se séparèrent. Il n'en eut que deux lilles,
mariées, l'une à Goësbriand, l'autre au lils d'un richard de Rouen
premier président de la Chambre des comptes, fort nouveau. Sur la tin
de la vie de Monsieur. M. de Châtillon s'accommoda de la moitié de
sa charge avec son frère aîné, qui, avec aussi peu d'esprit et point de
tigure, avoit percé à force de temps jusques à devenir brigadier de ca-
valerie, et qui se maria aussi petitement que ses pères. Son tils unique
épousa une lille du chancelier Voysin, dont il n'eut qu'une tille, puis
une le Veneur-Tillieres, veuve sans enfants d'un Madaillan qu'on ap-
peloit Manicamp. C'est le marquis de Châtillon d'aujourd'hui, mestre
1. Cette Addition eût été mieux placée en regard des pages 206-207
de notre tome H.
400 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
de camp général de la cavalerie et chevalier de l'Ordre, qui promet
plus que ses pères. Les généalogistes ne conviennent pas tous que
cette très grande et très illustre maison ne soit pas éteinte il y a bien
longtemps ; mais, si ceux-ci en sont, c'en est le reste.
997. Les visites de deuil pour la mort de Monseigneur.
(Page 121.)
20 avril 1711. — Rien de plus indécent que cette cérémonie, oîi
tout fut confondu. Il y eut des gens du plus bas étage qui passèrent
en revue en manteau ; on s'en moqua, et ce fut tout. Le Roi voulut
égaler ses bâtards à ses autres enfants, en ordonnant à tout le monde
sans exception d'aller chez eux en manteau et en mante, comme chez
M. et Mme la duchesse de Berry. Cela fît du bruit; mais on obéit, et
nul n'osa y manquer.
998. La reine d'Angleterre
ne met point de mante pour le deuil du Dauphin.
(Page 127.)
24 avril 1741. — Cette excuse de la reine d'Angleterre à Madame la
Dauphine de n'être pas en mante étoit une grande honnêteté. Le Roi,
qui avoit grand soin de ne lui faire sentir en rien sa triste situation,
n'avoit garde de la laisser mettre en mante pour un prince qui n'étoit
pas roi, c'est-à-dire un petit voile ; car les veuves, au moins en France,
ne portent plus de mantes en nulle occasion, mais seulement le même
petit voile, qui se met toujours quand on est en mante. Dès que la reine
d'Angleterre n'étoit point en mante, personne de sa cour ne pouvoit
être en mante ni en manteau que le seul duc de Berwick, comme Fran-
(;ois par ses dignités françoises.
999. Le Dauphin traité de Monseigneur par le Parlement.
(Page 128.)
27 avril 474 1. — Le Parlement et le premier président furent morti-
fiés de cet ordre d'aller chez Monsieur et Madame la Dauphine, et de
traiter Monsieur le Dauphin de Monseigneur. Le Roi le leur avoit fait
dire pour que la harangue fut prête et qu'il n'y eût point de représen-
tations au moment d'y aller. La vérité est que, depuis Henri II, il n'y
avoit eu que le dernier Dauphin en état d'être harangué par le Parle-
ment, qui l'avantagea volontiers de toutes occurrences ^ On a vu, à la
mort de Mme la dauphine de Bavière, comme cela se passa à cet égard.
1. Les sept derniers mots ont été biffés sur le manuscrit par un cor-
recteur postérieur.
ALI JOURNAL DE DANGEAU. 404
1000. On ne doit point interrompre les gens du Roi.
(Page 128 note.)
27 avril 1711. — II* est vrai qu'on n'interrompt point les gens du Roi ;
mais c'est quand ils plaident, par respect pour celui pour qui ils par-
lent, ou pour le public pour lequel ils parlent, dans des causes de mi-
neurs ou de droit public.
1001. Mort et portrait de la duchesse de Villeroy.
(Page 129.)
23 avril 1711. — La duchesse de Villeroy, avec un visage singulière-
ment agréable, une grande taille mais des hanches hautes, paroit ex-
trêmement un bal, et sans esprit étoit parvenue à faire une tigure à la
cour. Elle étoit haute naturellement, et quelquefois tenoit de la bru-
talité des le Tellier, et comme eux se faisoit justice entière et publique
sur sa naissance, même sur celle de son mari, qu'elle avoit subjugué,
ainsi que son beau-père. Elle étoit dans l'intimité de Mme la duchesse
d'Orléans et dans les confidences de Madame laDauphine; toutes deux
'l'aimoient fort, mais ne la craignoient guère moins. Elle étoit bonne,
vive et sûre amie, et avoit des amis et des amies. Peu avant sa mort,
elle dit qu'elle se trouvoit si heureuse que cela lui faisoit peur. Elle
craignoit fort la petite vérole, et, malgré cette frayeur, elle eut la pe-
titesse de courir après la distinction de suivre Madame la Dauphine à
Marly le lendemain de la mort de Monseigneur, sous prétexte d'aller voir
son mari en quartier de capitaine des gardes, et en effet pour cette
petite distinction. Elle étoit saisie de peur. On tit ce qu'on put pour
l'empêcher d'y aller ; mais elle le voulut, et en mourut. Son mari y
perdit beaucoup, s'enferma avec elle, et s'en consola très-promptement.
4002. Mort de l'empereur Joseph.
(Pages 132-133.)
2o avril 1711. — L'empereur Joseph fut peu regretté des siens.
G'étoit un prince emporté et violent, et d'esprit et de talents au-dessous
du médiocre, et qui vivoit avec peu d'égards pour l'Impératrice sa
mère, et peu d'amitié pour l'Archiduc son frère, qui lui succéda. Le
prince Eugène y perdit.
4003. Le comte de Caravas.
(Page 13o.)
30 avril 1741. — Ce comte de Caravas étoit Gouffier, qui étoit fort
1. Cette Addition a trait aune anecdote que rapporte Dangeau à pro-
pos des harangues des cours pour la mort de Monseigneur, mais que
Saint-Simon n'a pas reproduite.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 26
402 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
pauvre et assez dans le monde ; il a laissé des enfants d'une demoiselle
hollandoise qu'il avoit épousée en Hollande, et qui étoit tante pater
nelle de ce duc de Ripperda, premiei' ministre d'Espagne, qui a fait
tant de bruit et si court sous Philippe V*, et qui s'est sauvé en Afrique.
1004. Le procès du marquis d'Antin et Védit
sur les duchés-pairies.
(Page 138.)
20 mai 17ii. — L'édit de 1711 sur les duchés étant entre les mains
de tout le monde, et les factums pour et contre la prétention de
M. d'Antin à la dignité d'Epernon, on s'abstiendra d'en charger ces
courtes notes. Ce procès fut un chausse-pied à cet habile courtisan
pour arriver où il ne pouvoit parvenir, et il ne l'entreprit que dans
cette espérance. Toutes ces étranges prétentions, et celle entre autres
de M. de Luxembourg, qui n'étoit point définitivement jugée, celle de
MM. de Saint-Simon et de la Rochefoucauld l'un contre l'autre, celle
du marquis de Richelieu pour Aiguillon, celle que M. de Chevreuse
n'osa tenter pour Chaulnes, mais qui lui servit de chausse-pied aussi
en particulier auprès du Roi, celle de d'Antin ^ furent les principales
causes d'un éditqui, en donnant des choses médiocres, ou, pour mieux
dire, assurant aux ducs des choses médiocres qu'ils avoient toujours
eues, les dépouillèrent en faveur des bâtards de leurs droits certains
et les plus fondamentaux ; et, sans cet intérêt des bâtards, le Roi
n'eût jamais pensé à cet édit. On en dit autant à plus forte raison sur
l'affaire de la Constitution Unigenitus, qui a enfanté tant de volumes
historiques et doctrinaux. Le P. le Tellier, à bout sur l'affaire de la
Chine, songea à se venger de l'indépendance du cardinal de Noailles,
et à donner du même coup tant d'affaires au Pape et tant de besoin
de lui, qu'il lui fît quitter prise sur la Chine, et il sut pleinement
réussir à l'un et à l'autre.
1005. Dispute de préséance
entre les ducs de Saint-Simon et de la Rochefoucauld.
(Pages 194-195.)
17 mars 1714. — On s'est déjà expliqué que ces Additions ne pou-
voient contenir les procès de préséance, on se contentera donc ici des
faits que les Mémoires ignorent ou qu'ils ont cru devoir voiler. La
Rochefoucauld fut érigé en comté par François I""" en 1328, et la juris-
diction de ce bailliage ne fut réglée qu'en 1566 sous Charles IX. En
1622, Louis XIII érigea ce comté en duché-pairie, qui ne fut enregistré
qu'en septembre 1631, parce que, dans l'intervalle, le nouveau duc
i. Ici le correcteur a ajouté en interligne : en 1726.
2. Ces quatre mots ont été biffés par le correcteur.
AU JOURNAL DE DANGEAU. 403
entra fort avant dans toutes les factions d'Etat, qui le rendirent crimi-
nel. L'enregistrement fait, ce duc se rengagea de nouveau si publique-
ment avec les factieux qu'il essuya les mêmes condamnations et les
mêmes peines : ses bois de haute futaie furent coupés à hauteur
d'homme, ses châteaux furent rasés, et entre autres Verteuil, sa belle
maison et sa résidence quand il étoit en province. La paix ayant été
rendue à l'État et les abolitions accordées, le duc de la Rochefoucauld
songea à se faire recevoir pair au Parlement et le fut en effet le 24
juillet 1637. Ce ne fut donc pas, comme disent les Mémoires, parce que
M. de la Rochefoucauld fut employé pendant tout ce temps-là qu'il ne
put être ni enregistre ni reçu, mais par les raisons qu'on vient de
dire, et que les histoires et les mémoires, les pièces des procès faits
aux rebelles et leurs abolitions prouvent authcntiquement. Cependant
M. de Saint-Simon, gouverneur de Blaye alors, premier écuyer du
Roi, premier gentilhomme de sa chambre, chevalier du Saint-Esprit,
etc., fut fait duc et pair par lettres de janvier i63o, enregistrées, et lui
reçu pair au Parlement, le 4«'" février suivant. M. de Retz, gendre
d'autre duc de Retz qui n'avoit point de flls, et son cousin germain,
avoit obtenu en faveur de ce mariage de nouvelles lettres d'érection
de Retz en iG34, et avoit été reçu en conséquence au Parlement. M.
de la Rochefoucauld y étant reçu, pour la première fois depuis son
érection, en 1637, prétendit avoir rang de la date de son enregistre-
ment ou vérification de 4631, et MM. de Retz et de Saint-Simon le lui
contestèrent, si bien qu'il fut obligé de recourir au Roi, qui renvoya
au Parlement le jugement de cette dispute, et, en attendant, ils convin-
rent de se trouver et de s'absenter alternativement à toutes les céré-
monies. Cela dura de la sorte jusqu'au lit de justice du 7 septembre
1643. Le Roi ayant voulu être accompagné de tous les pairs qui s'en
Irouvoient à portée, M. de la Rochefoucauld voulut s'en excuser, parce
que c'étoit le tour de M. de Retz, (jui étoit à Paris, et qui, ayant un
intérêt en cela commun avec M. de Saint-Simon qui étoit à Blaye,
faisoit également pour lui. La Reine mère, qui étoit régente et qui
voulut l'assistance de tous les pairs, ht expédier la veille du lit do
justice un brevet par Loménie, secrétaire d'Etat, portant l'alternative
de préséance entre eux en toutes cérémonies, même au Parlement, et
de tirer au sort la préséance du lendemain, ce qui fut exécuté. Elle
échut au duc de Retz, qui y précéda le duc de la Rochefoucauld, et
ce brevet, quoique brevet et non lettres patentes enregistrées, ne laissa
pas d'être mis sur les registres du Parlement et d'avoir lieu pour la
brièveté du temps. Les choses en demeurèrent en ces termes jusqu'en
•1702, que le duc de Saint-Simon d'aujourd'hui fut reçu au Parlement.
Retz étoit éteint, il y avoit longtemps, de sorte qu'il étoit resté seul en
cause. Le procès de préséance entre M. le maréchal-duc de Luxem-
bourg, et son tîls après lui, avoit formé de la liaison entre M. de Saint-
Simon et les autres ducs intéressés dans la même cause, quoique fort
disproportionnés d'âge, tellement que, voulant être reçu au Parlement,
^04 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
il alla en prier M. de la Rochefoucauld, et y ajouta que, sans s'infor-
mer qui étoit en tour, il le prioit de le précéder, pourvu qu'il voulût
bien lui promettre de se trouver aussi à la première réception qui
arriveroit et de lui laisser prendre son tour. Peu de jours après, le
duc de la Trémoïlle lui vint proposer de la part de M. de la Roche-
foucauld de faire juger le procès et de trouver bon en attendant qu'ils
ne se trouvassent point ensemble. M. de Saint-Simon, qui vouloit
éviter un procès, fut trouver M. de la Rochefoucauld. Celui-ci tint
ferme, et proposa que, pour éviter le procès et les aigreurs qui trop
naturellement suivent ceux de cette espèce, ils prissent des pairs
pour juges et Daguesseau, procureur général, pour rapporteur. M. de
Saint-Simon eut beau lui représenter que cette forme seroit destituée
d'un pouvoir qui n'appartenoit qu'au Roi, ou qu'au Parlement par le
renvoi, le favori vieillard ne voulut pas être contredit, et, quoique cela
ne pût mener à rien de la sorte, il en fallut passer par là. Ils convin-
rent de pairs de part et d'autre qui acceptèrent, et M. de Saint-Simon
en choisit quelques-uns, malgré eux, parce qu'ils s'étoient ouverts
contre lui dans l'ignorance du fonds de la question. Quoique convenus
de parler au Roi ensemble, M. de la Rochefoucauld le prévint seul, et
cependant le Roi parut content de ce que M. de Saint-Simon lui dit
ensuite. Il avoit été convenu aussi que les titres et les mémoires
seroient signés par chacun, remis à l'évêque-duc de Laon, l'ancien des
commissaires, et par lui communiqués à l'autre partie, et ainsi des
l'éponses. M. de la Rochefoucauld pressa vivement. Quand M. de Saint-
Simon se trouva prêt, il en avertit Monsieur de Laon pour que M. de
la Rochefoucauld formât sa demande. Celui-ci vouloit que l'autre par-
lât le premier, qui se retranchoit à dire qu'il ne demandoit rien ; qu'il
se trouvoit content de l'alternative, mais que, M. de la Rochefoucauld
ayant absolument voulu être jugé, et jugé en cette forme, il se con-
tentoit d'être prêt à répondre à la prétention que Monsieur de Laon
lui communiqueroit. Ce débat, qui dura quelque temps, mit M. de la
Rochefoucauld de mauvaise humeur, qui, désespérant de faire parler
un homme qui avoit résolu de se taire, délivra entin sa demande à
Monsieur de Laon, qui ne contenoit que le fait en quatre lignes, tout
nu et sans aucun raisonnement. M. de Saint-Simon y répondit par un
mémoire de ses raisons que Monsieur de Laon communiqua. Alors
M. de la Rochefoucauld changea d'avis, se mit en colère, dit qu'il
n'avoit rien à dire ni à répondre de plus que les quatre lignes qu'il
avoit données ; que ses titres et papiers avoient été brûlés avec une
partie de son hôtel à Paris, il y avoit quinze ou seize ans, et que ces
Messieurs jugeassent et tissent tout comme il leur plairoit, pourvu
qu'il n'en entendît plus parler. Ce que l'on crut humeur étoit réso-
lution. M. de Saint-Simon, ravi de n'avoir point à être jugé si peu
juridiquement, se garda bien de s'en plaindre, et l'affaire, entamée
depuis quatre ou cinq mois au plus, en resta là tout court. En 4711,
l'intérêt des bâtards, sous l'apparence de celui des pairs et d'ôter
AU JOURNAL DE DANGEAU. 405
occasion aux procès ineptes et chimériques en prétention de pairies et
d'ancienneté de pairies dont on entendoit parler tous les jours, et que
celui de M. de Luxembourg avoit fait naître, fit prendre la voie d'un
édit' pour les régler et diverses autres choses qui y avoient rapport. La
question de MM. de Saint-Simon et de la Rochefoucauld se trouva
décidée avec plusieurs autres. M. de la Rocheguyon, qui ne le vit
qu'après son enregistrement, se plaignit amèrement d'avoir été con-
damné sans avoir été entendu, et amena Monsieur son père aveugle
au Roi, qui tit des cris si lamentables, que, malgré un édit enregistré,
il obtint que son affaire seroit examinée et jugée tout de nouveau
comme si elle ne l'avoit jamais été, et qu'il n'y eut point eu d'édit ;
mais le Roi ne voulut soumettre cette partie de son édit qu'à lui-
même, ni le rapport de l'affaire qu'à celui qui avoit dressé l'édit, et il
fut décidé que les parties mettroient leurs titres, pièces et raisons
signées d'eux au Chancelier, alors M. de Pontchartrain, qui les com-
muniqueroit de l'un à l'autre sans signification, et qui rapporteroit
seul l'affaire au Roi, lequel tête à tête avec lui la jugeroit définitive-
ment. Ce fut encore la même chose qu'avec les arbitres à qui parleroit
le premier. Les mois s'écoulèrent et se redoublèrent ; enfin, comme
l'autre fois, M. de la Rochefoucauld se vit forcé par le silence de
l'autre ; mais comme il avoit porté l'affaire devant le Roi, il n'y eut
pas moyen de ne donner que quatre lignes, ni encore moins pour
réplique d'envoyer promener le jugement. Il forma donc une demande
raisonnée ; la réponse la fut pareillement. On avait commencé civile-
ment de part et d'autre ; mais la politesse ne dura pas longtemps. La
finesse consistoit d'un côté à piquer le Roi de jalousie et à lui faire
entendre que M. de la Rochefoucauld soutenoit son droit de pouvoir
seul faire des pairs, tandis que M. de Saint-Simon ne pouvoit soutenir
sa cause qu'en attribuant indirectement au Parlement le pouvoir d'y
concourir et de faire par ce concours nécessaire un pair conjointement
avec le Roi, en confirmant son autorité par la sienne. Cet artifice, qui
toucha le Roi, et qui pensa sans autre examen emporter la cause, fut
rendu plus sensible à M. le duc de Saint-Simon par quelques traits
semés dans l'écrit avec une indiscrétion hasardée, tellement qu'ayant
évité jusqu'alors tout ce qui pouvoit déplaire, jusqu'à en affoiblir sa
cause, il se lâcha dans une réplique qu'il fit lui-même, expressément
avec peu de mesure sur ce qui l'avoit choqué, et il s'étendit sur les
rébellions qui avoient arrêté l'enregistrement puis la réception de M.
de la Rochefoucauld depuis tant d'années, dont il fit le parallèle avec
la fidélité et les services de son père. Des amis communs, alarmés
d'une si forte repartie, firent entendre à M. de la Rocheguyon combien
il y étoit intéressé. A peine fut-elle donnée au Chancelier, qu'ils firent
les derniers efforts pour qu'elle n'allât pas plus loin. M. de la Roche-
1. Le texte primitif était fit prendre un édit ; Saint-Simon a, de sa
main, corrigé un en d'un, et ajouté la voye en interligne.
406 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
guyon fit des excuses de l'écrit qui avoit blessé, le rejeta sur ses gens
d'affaires, le supprima entièrement, et il obtint enfin que la réplique,
dont quelques copies avoient déjà couru, ne seroit point imprimée.
Dans la suite, il prit fort garde qu'il n'échappât rien de sa part que de
correct, et l'honnêteté de part et d'autre fut rétablie, à quoi le duc de
Noailles contribua beaucoup. Enfin le jugement approchant, M. de la
Rocheguyon fit proposer, puis presser M. de Saint-Simon, et à plusieurs
reprises, de consentir à un accommodement qui donnât à l'un la pré-
séance à la cour, et la préséance à l'autre au Parlement et en toutes
les cérémonies d'État et de la couronne, et cette dernière à M. de
Saint-Simon ; mais celui-ci, qui croyoit sa cause bien fondée, et qui
ne se trouvoit point en pareils termes que MM. d'Uzès et de la Tré-
moïlle, qui se précèdent ainsi, refusa toujours, d'y consentir, et finale-
ment gagna le total, comme les Mémoires le rapportent. MM. de la
Rochefoucauld et de la Rocheguyon en furent outrés, et ne purent
s'en cacher ; l'arrêt fut présenté et enregistré au Parlement, et l'affaire
demeura consommée. Le lendemain de la mort du Roi, M. de la
Rocheguyon, lors duc de la Rochefoucauld par la mort de son père,
se fit recevoir au Parlement un quart d'heure avant que M. le duc
d'Orléans et la plupart des pairs y arrivassent pour l'ouverture du tes-
tament du Roi, déposé alors au Parlement. De Mesmes. premier pré-
sident, ami de la Rochefoucauld et fort mal avec Saint-Simon, proposa
au premier de protester, de demander au Parlement la revision de son
procès de préséance et de le recommencer de nouveau ; mais il eut le
chagrin que M de la Rochefoucauld se montra plus équitable et plus
raisonnable que lui. Il insista inutilement, et jamais M. de la Roche-
foucauld n'y voulut entendre et déclara qu'il se trouvoit bien condamné.
Peu après, M. de Saint-Simon arriva, qui se mit sans difSculté au-
dessus de lui ; il s'y mit de même à la séance de l'après-dînée, au lit
de justice qui suivit peu après et toujours depuis, sans que M. de la
Rochefoucauld ait évité, ni témoigné de peine ; mais, quand M. de
Saint-Simon fut nommé chevalier du Saint-Esprit en 1728, M. de la
Rochefoucauld, qui l'étoit dès 1724, lui envoya Breteuil, prévôt et grand
maître des cérémonies de l'Ordre, qui, sous prétexte de visite de
civilité, lui dit comme de lui-même qu'il ne savoit pas s'il n'y auroit
pas quelque difficulté entre lui et M. de la Rochefoucauld. Ils ne
s'étoient trouvés ensemble en aucune cérémonie qu'au Parlement, et
M. de Saint-Simon, qui avoit prévu quelque tentative, avoit mis à part
les pièces principales de cette affaire, l'arrêt rendu par le Roi et son
enregistrement. Il demanda à Breteuil d'oîi lui venoit ce soupçon, et
ajouta qu'il l'alloit rendre juge s'il pouvoit être fondé, puis lui montra
ce qu'il avoit préparé. Rreteuil, qui, sur ce qu'on lui avoit dit, croyoit
au moins la chose douteuse, demeura fort étonné, et dit qu'il diroit
nettement à M. de la Rochefoucauld qu'il n'y avoit pas de question,
qui, ayant les mêmes pièces, n'auroit pas dû la tâtonner. Breteuil
revint quelques jours après; il assura M. de Saint-Simon qu'il ne
AU JOURNAL DE DANGEAU. 407
irouveroit aucune difficulté, mais que M. de la Rochefoucauld l'avoit
prié de le faire entendre à sa femme. Il ne fut donc plus question de
rien à cet égard. Cependant, M. de Saint-Simon ayant reçu l'Ordre à
la Chandeleur 17:28, et marchant de l'autel à sa place de profès au
bas de la chapelle, près du prie-Dieu du Roi, il eut quelque inquié-
tude, parce que. approchant tout contre, M. de la Rochefoucauld ne
hranloit point ; il attendit en effet que M. de Saint-Simon fût vis-à-vis
de lui, et alors il se baissa et lui tit une place au-dessus de lui, qu'il
prit. Il se trouva ainsi entre deux hommes qui moururent bientôt
après : M. de la Rochefoucauld avant la Pentecôte, et M. de Sully à la
Chandeleur un an après.
1006. Mademoiselle de Lillebonne abbesse de Remiremont.
(Page 269.)
13 juin 1711. — Mlle de Lillebonne, tombée de tout par la mort de
Monseigneur, trouva un établissement et une retraite honnête, et qui
ne la contraignoit en rien. Elle se mit à passer une partie de l'année à
Nancy ou à Remiremont, et huit ou neuf mois à Paris et à la cour.
Peu à peu elle allongea ses absences, et sa sœur, qui les faisoit bien
plus courtes, lui tenoit souvent compagnie.
1007. La mort du Dauphin fait suspendre le jeu à Marly.
(Page 323.)
;> mai 17M. — La mort de Monseigneur interrompoit le jeu à Marly,
cl introduisit l'oie en particulier, pour amuser Madame la Dauphino,
qui u'avoit pas lieu d'être affligée, et qui ne l'étoit pas aussi.
1008. Le duc d'Albe et sa maison.
(Pages 328-329.)
•28 mai 1711. — Le fameux don Ferdinand de Tolède, duc d'Albe,
si connu sous Charles V et sous Philippe II par la révolte des Pays-
Bas et par la conquête du Portugal, qui fut son dernier exploit, eut
(le mâle en mâle pour bisaïeul le troisième comte d'Albe, fait duc
en 1469 par Henri IV, roi de Castille, qui le tit aussi marquis de
Cauria. Le père de ce premier comte d'Albe étoit neveu de Guttiere
Gomez de Tolède, mort archevêque de Tolède, qui légua le comté
d'Albe à ce iils de son frère, et duquel Jean II, roi de Castille, lui avoit
fait don avec titre de comté en 1430. Le tils du tils de ce célèbre duc
d'Albe épousa l'héritière de la maison de Beaumonl, si connue en
Navarre et dans les pays voisins, bâtarde des comtes de Lerin de la
maison de France ; elle étoit héritière du comté de Lerin et des titres
de connétable et de chancelier de Navarre. Leur fils fut Ferdinand,
duc d'Albe, père du père du duc d'Albe dont il s'agit, mort ambassa-
408 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
deur en France. Comme il avoit perdu son 6Is unique, et qu'il n'avoit
point de fille, ses grandesses et tous ses biens passèrent à son oncle
paternel, qui prit le nom de duc d'Albe, et qui jusqu'alors avoit porté
le nom de marquis del Carpio par sa femme héritière, qui l'a fait
grand d'Espagne et qui est fille du fils du célèbre don Louis d'Haro,
des conférences de l'île des Faisans avec le cardinal Mazarin, où ils
firent la paix des Pyrénées et le mariage du feu roi.
1009. La maison d'Urfé.
(Page 345.)
2 novembre 1685. — Le nom de M. d'Urfé est Urfé, tout des meil-
leurs de Bresse. Lascaris était alliance et jonction de nom d'une
branche des Lascaris venue de Constantinople en Italie à la chute
dernière de cet empire, oîi il y a eu des Lascaris qui ont régné.
Comme la maison d'Urfé est éteinte, il est inutile de s'étendre là-
dessus.
APPENDICE
SECONDE PARTIE
MORT, DEUIL ET OBSÈQUES DE MONSEIGNEUR '
Nous réunissons dans cet appendice diverses relations de la mort
de Monseigneur et de ses obsèques, ainsi que d'autres pièces qui s'y
rapportent. En premier lieu, nous extrayons de la copie de la Correspon-
dance du duc du Maine, dont nous devons la bienveillante communica-
tion à feu Monsieur le Comte de Paris, et à laquelle nous avons déjà
fait de fréquents emprunts, une lettre écrite dès le début de la maladie.
Le duc du Maine à Mme de Maintenon -.
« Versailles, le 11 avril 1711.
«Voilà donc la petite vérole déclarée, Madame. Vous savez qu'elle ne
doit pas nous avoir surpris ; mais permettez-moi de vous redire encore
un mot sur l'extrême inquiétude que j'ai pour la personne du Roi. Ne
voyons point trop noir ; songez seulement, je vous en conjure, que
dans un air de venin la petite vérole n'est pas le seul mal que l'on
puisse prendre, et où nous en serions si S. M. alloit être incommo-
dée. Au nom de Dieu, Madame, que le peu de succès que vous avez
lieu d'attendre de vos représentations ne vous empêche point de les
faire bien vivement, et de vous joindre pour cela avec M. Fagon. J'ai
eu le cœur vraiment touché ce matin des dispositions de tendresse que
j'ai vues à M. le duc de Bourgogne ; il m'a fait l'honneur de me mon-
trer la lettre qu'il écrit au Roi, et m'a dit qu'il vous en écrivoit une
encore plus forte. Le Roi ne doit point se regarder comme un simple
particulier: qu'il s'expose pour sauver son État à un danger indispen-
sable, nous tremblerons ; mais nous ne l'en détournerons pas. Mais
1. Ci-dessus, p. 5, 8ij et suivantes.
2. Correspondance du duc du Maine, 2* registre, fol. 171.
4i0 APPENDICE I.
ici c'est tout lo contraire, et le salut de son État lui demande de ne se
point exposer. Il peut en se ménageant satisfaire à son inquiétude :
étant au château neuf, ou du moins n'entrant point dans la chambre
de Monseigneur, il peut en avoir des nouvelles à toute heure. Qu'il
se dise à lui-même ce qu'il nous a dit à tous; qu'il songe à la con-
joncture où nous sommes, et que tout réside en lui ; que le péril de
Monseigneur le doit presser de ménager le sien davantage. Enfin,
Madame, n'ayez rien à vous reprocher pour sa précieuse conservation ;
vous ne sauriez vous imaginer en quelle agitation je suis, et ce qui se
passe en moi séparé du Roi ; le style de cette lettre, que je vous sup-
plie d'excuser, vous donnera quelque idée de mon trouble ; il est en
vérité bien incommode de tant aimer. »
Bien que la lettre qui va suivre ait déjà été imprimée plusieurs fois,
elle présente des détails si curieux, si précis et si intimes que nous
croyons devoir en insérer ici le texte, d'après la copie qui s'en trouve
au Musée Britannique, ms. Addit. 20920, et que A. Geffroy a reproduite
dans son recueil (tome II, p. 276-280).
Mme de Maintenon à la princesse des Ursins.
« Marly, le 16 avril 1711.
<f... Quel sujet de lettre. Madame, ai-je à traiter aujourd'hui avec
vous, pour vous rendre compte de l'état de notre cour et de tant de
personnes auxquelles vous vous intéressez ! Vous aurez su, Madame,
qu'après trois jours de maladie, oîi les médecins jugèrent qu'il y avoit
de la malignité, la petite vérole se déclara samedi, onzième du mois, à
six heures et demie du matin. Nous entrâmes dans l'inquiétude de la
manière dont elle sortiroit, à cause d'un assez grand assoupissement ;
mais elle augmenta dès huit heures, la fièvre diminua, il vint des
sueurs qui parurent très-favorables, et nous demeurâmes dans cet état
d'espérance et de joie jusqu'à mardi, que le Roi, entrant dans ma
chambre, suivi de M. Fagon, me dit : «Je viens de voir mon fils, qui
« m'a si fort attendri que j'ai pensé pleurer; sa tête est grossie depuis
« trois ou quatre heures prodigieusement, il est presque méconnois-
« sable, ses yeux commencent à se fermer; mais on m'assure que tout
« se passe ainsi dans la petite vérole, et Madame la Duchesse et
« Mme la princesse de Conti disent qu'elles ont été tout de même. Sa
« tète est fort libre, et il me dit qu'il espéroit me voir demain en
« meilleure santé. » Et sur cela le Roi se mit à travailler avec M. Voysin
et M. Desmaretz.
(c Comme vous savez, Madame, que je n'ai pas de disposition à me
flatter, je crus voir de l'inquiétude sur le visage de M. Fagon ; mais je
n'osai le questionner à cause du Roi. J'envoyai seulement faire part de
ma peine à Mme la princesse de Conti, et Mme d'Urfé eut la bonté de
venir me dire de sa part qu'elle connoissoit parfaitement bien l'état de
MORT DE MONSEIGNEUR. 411
Monseigneur par celui où elle avoit passé. Elle ne l'a pas quitté et le
servoit avec beaucoup d'affection et de courage.
« Le Roi alla souper, comme à son ordinaire, avec ces deux prin-
cesses et les dames de leur suite; car nos princes et ce qui s'appelle
maintenant Madame la Dauphine étoient demeurés à Versailles par
ordre du Roi. Sur les onze heures, on vint le chercher, en lui disant
que Monseigneur étoit très mal. On descendit; on le trouva avec des
convulsions et sans aucune connoissance. Le curé de Meudon arriva
avant le P. le Tellier, que le Roi avoit pourtant eu la précaution de
l'aire tenir à Meudon, et cria : « Monseigneur, n'ètcs-vous pas bien
« fâché d'avoir offensé Dieu?» Mareschal, qui le tenoit, assure qu'il
répondit : « Oui ». Le curé reprit : « Si vous étiez en état de vous con-
« fesser, ne le feriez-vous pas?» Le prince répondit: «Oui». Le
P. le Tellier assure qu'il lui serra la main, après quoi il lui donna
l'absolution.
« Quel spectacle, Madame, quand j'arrivai dans le grand cabinet de
Monseigneur ! Le Roi assis sur un lit de repos sans verser une larme,
mais avec un frisson et un tremblement depuis les pieds jusqu'à la
tête. Madame la Duchesse se désespérant, Mme la princesse de Conti
pénétrée, tous les courtisans en silence, interrompu par des sanglots
et par les cris qu'on entcndoit qui se faisoient dans la chambre à cha-
que moment qu'on croyoit qu'il expiroit.
(c Le Roi \ étoit entré trois ou quatre fois avant que j'arrivasse,
pour voir s'il n'y auroit pas quelque moment pour introduire le P. le
Tellier, et pour envoyer chercher l'extrème-onction. Les carrosses du
Roi vinrent. J'avois fait avertir Mme la duchesse de Bourgogne de se
trouver sur le chemin du Roi, parce qu'elle vouloit venir avec lui à
Marly. Car il faut vous dire en passant que sa conduite est merveil-
leuse ; elle se partage continuellement entre le Roi, M. le duc de Bour-
gogne et M. le duc du Berry. Le Roi prit le premier de ses carrosses
qui se présenta, et s'y mit avec Madame la Duchesse et Mme la prin-
cesse de Conti ; il voulut que j'eusse l'honneur de les accompagner.
Ces princesses le prioient en chemin de ne plus se contraindre et
de pleurer, craignant son saisissement; mais il ne le put jamais. Ma-
dame la Duchesse faisoit des cris à percer le cœur, et retomboit dans
un silence affreux. On trouva Mme la duchesse de Bourgogne entre
les deux écuries : elle vint bien vite au carrosse ; le Roi la conjura de
de n'y pas monter, étant rempli de personnes qui sorloient de la
chambre de Monseigneur, et son premier devoir étant d'aller trouver
M. le duc de Bourgogne et de lui apprendre cette mort. Nous arrivâmes
à Marly, où l'on ne nous attendoit pas et où personne n'avoit ce qui
lui étoit nécessaire. On l'attendit avec le Roi jusqu'à «lualie heures du
matin, qu'il alla se coucher.
« Dans le moment que Monseigneur rendit l'esprit, tout son corps
fut couvert de pourpre, ce qui oblige à l'enterrer sans cérémonie. Il
ne sera point ouvert ; on le portera dans son carrosse ; un premier gen-
412 APPENDICE I.
tilhomme de la chambre, un aumônier, douze gardes et douze flam-
beaux l'accompagneront ; et, en arrivant à Saint Denis, on le mettra
dans la cave : voilà où se termine toute grandeur !
(c Notre douleur ne nous a point empêchés de songer à celle qu'aura
le roi d'Espagne. Oserois-je vous supplier. Madame, de lui nommer
mon nom dans cette triste occasion ? J'ai épuisé toutes mes forces à vous
faire cette relation, croyant qu'il seroit plus consolé de savoir ce détail
que de l'ignorer ; je n'aurai donc point l'honneur d'écrire à LL. MM.
Cette lettre-ci me coûte trop de larmes : elles en seroient accablées,
et leur excessive bonté les porteroit peut-être jusqu'à me faire réponse.
« Madame la Dauphine vient ici tous les jours ; Monsieur le Dau-
phin, M. le duc de Berry et tout ce qui est à Versailles de leur suite
y viendront dimanche en cérémonie, et le Roi verra tout le monde :
ce sont des suites bien cruelles, et qui renouvellent à chaque moment
la douleur. Nous attendons ce soir la reine d'Angleterre ; je ne sais
si le roi viendra ; car il est assez mal de ses vapeurs, et il n'a jamais
eu la petite vérole, non plus que la princesse sa sœur.
« M. le duc de Bourgogne est transi, pâle comme la mort, ne disant
pas une parole, levant les yeux au ciel : il a écrit au Roi une lettre
fort touchante. M. le duc de Berry a eu une autre sorte de douleur ;
toujours près d'étouffer, il fallut le déshabiller à moitié dans la cham-
bre de Mme la duchesse de Bourgogne.
(c Monseigneur étoit très aimé ; tout Paris est affligé. Deux haren-
gères de la halle le vinrent voir ; il les tit entrer ; elles lui promirent
d'aller faire chanter un Te Deurti pour le bon état où elles le trou-
voient. Il leur répondit qu'il n'en étoit pas encore temps. Il a toujours
été frappé de son âge, disant : « J'ai la petite vérole : mais j'ai cin-
« quante ans. » Il marquoit une grande peine de voir que le Roi s'ex-
posait si souvent au mauvais air.
« Adieu, Madame ; j'espère que le Roi se portera bien, quelque
pénétré qu'il paroisse, malgré les soins qu'il prend de le cacher. Il
étoit changé hier matin à n'être pas reconnoissable ; mais il étoit beau-
coup mieux le soir parce qu'il avoit pris l'air. Il déclara dès hier à
Madame la Dauphine qu'il ne vouloit plus souffrir de séparation entre
eux, ni que nos princes eussent d'autres maisons de plaisance que les
siennes. Cet ordre -là ne lui déplut pas. »
Extraits des Mémoires du baron de Breteuil * .
« Le mardi 14 du mois d'avril, jour qui doit à jamais être déplorable
à la France, Louis Dauphin de France, le prince le plus digne d'être
aimé et pleuré des François qui jamais ait dû monter sur le trône, mou-
rut de la petite vérole sur les onze heures du soir dans son château de
1. Bibl. de l'Arsenal, ms. 3864, p. 13-24.
MORT DE MONSEIGNEUR. 413
Meiidon. Agô quaranle-nouf ans cinq mois et quatorze jours '. Le ve-
nin lo suH'oqiia si brusquement au moment qu'on le croyoit sans dan-
ger, que sa mort n'eût pas été plus imprévue s'il étoit mort d'apoplexie,
et le Roi, qui aciievoit de souper quand il tut averti que ce prince tou-
choit à son dernier moment, le trouva déjà sans connoissance, quelque
diligence qu'il fît pour descendre dans sa chambre. Il ne put être con-
fessé et reçut seulement Textrème-onction un peu avant de mourir.
« Dés qu'il eut expiré, le Roi partit de Meudon et alla coucher à Marly,
qui en est à près de quatre lieues, S. M. ne voulant pas s'arrêter à Ver-
sailles, parce que tous les jeunes princes et princesses ses petits-enfants
et arrière petits-enfants y étoicnt, et que ceux qui environnoient S. M.
avoicnl été dans l'air de la petite vérole et auroient pu la leur porter.
« Marly est une maison de plaisance plutôt qu'une demeure royale ;
le Roi n'y donne aucune audience, ni aux ministres étrangers, ni à ses
sujets, et même depuis quelques années les ofïiciers de sa maison, qui
partout ailleurs où S. M. est, ont les plus grandes entrées, n'ont pas
permission de s'y montrer devant le Roi, à moins qu'ils ne soient nom-
més pour y demeurer pendant tout le séjour qu'elle y fait. Au com-
mencement que S. M. a fait usage de cette maison, les séjours qu'elle
y faisoit n'étoient que de deux ou trois jours, et tout le monde pouvoit
y aller faire sa cour. Peu à peu, les séjours se sont allongés, la retraite
est augmentée, et dans le plus rude hiver S. M. va faire de longs sé-
jours dans le magnilique jardin ; car il ne peut pas porter le nom de
château : la maison, qui à peine seroit assez grande pour un partisan
riche, est plantée au milieu des jardins sans aucune cour qui la pré-
cède, et les logements des courtisans sont dans des pavillons séparés,
qui ne se communiquent que par des berceaux, ou dans des cours de
derrière très laides : ils sont depuis quelqu'années très nombreux, et
on y en fait de nouveaux.
« L'entrée de Marly étant interdite à tout le monde, et la coutume
étant qu'aux occasions de la mort des parents les plus proches du Roi,
les officiers de la couronne, les grands ofificiers de sa maison, et les
gens d'une qualité distinguée aillent en grand manteau de deuil traî-
nant à terre, et les dames en mante, faire la révérence à S. M., et
qu'il est aussi d'usage que les ambassadeurs et autres ministres étran-
gers prennent en semblables occasions des audiences publiques en cé-
rémonie pour faire des compliments de condoléances à S. M. et à toute
la famille royale, comme aussi que le Parlement et les autres cours
supérieures de Paris viennent faire des harangues à S. M., elle or-
donna, le jeudi 16, que, le lundi 20, toute la cour viendroit dans ce
grand deuil lui faire la révérence à Marly. Mais, comme, dans cette
maison, il n'y a point de salle de gardes qui précède l'appartement du
Roi, pour recevoir les ambassadeurs avec les cérémonies accoutumées
1. En note dans le manuscrit : « 11 est mort dans le cinquième jour
de sa maladie. »
iU APPENDICE I.
lo jour lies audiences publiques, ni de grandes salles pour y faire at-
tendre le Parlement et les autres cours et corps de ville de Paris qui
doivent faire des harangues au Roi en pareille occasion, le Roi prit le
parti d'aller le lundi 27 à Versailles, sans y coucher, pour y recevoir
le matin les compliments des ministres étrangers, et l'après-dînée les
harangues des cours supérieures et autres corps.
« Dès que S. M. eut marqué ce jour, j'allai de sa part donner part
au Nonce, le seul ambassadeur qui fût pour lors à notre cour en état
de prendre audience publique *, de la mort de Monseigneur le Dauphin,
suivant la coutume...
« Le Roi fut deux ou trois jours sans décider de quelle manière sa
cour porteroit le deuil, et combien de temps on le porteroit. Il dit
d'abord qu'il n'y avoit qu'à se régler sur ce qui avoit été fait à la
mort de Madame la Dauphine, pour laquelle les officiers de la couronne
et les grands officiers de la maison du Roi n'avoient point drapé leurs
carrosses, et dont le deuil n'avoit duré que six mois pour la cour ; mais
on se souvint qu'on avoit, lors de ce deuil, prétendu que les officiers
de la couronne et les grands officiers de la maison du Roi avoient fait
une faute de ne pas draper. La raison de douter étoit qu'un père ne
portant point le deuil de ses enfants, les officiers de la couronne, qui
ne drapent leurs carrosses que lorsque le Roi drape le sien de violet,
ne dévoient point draper, S. M. ne drapant point; mais, si cette raison
avoit lieu, les officiers de la couronne, et ceux de la maison, ne devroient
point porter le deuil du Dauphin, ni de la Dauphine, parce que le Roi
leur père ne le porte point ; ce qui seroit une chose insoutenable. Ainsi
il fut réglé que le deuil dureroit un an et que les officiers de la cou-
ronne, et les grands officiers de la maison du Roi draperoient.
« Le lundi 20, sur les trois heures après dîner, tous les courtisans
et les dames de qualité venus de Paris ou de Versailles entrèrent dans
le salon de Marly, l'unique lieu oCi on peut s'assembler dans ce château,
et, peu de temps après, le Roi étant dans son appartement, qui est de
plein pied à ce salon, et dans son cabinet, debout et découvert auprès
de sa table. Madame la Dauphine et les autres princesses vinrent lui
faire la révérence, suivies de toutes les dames en mante, et de tous les
courtisans en manteau long. Le nombre en étoit très grand, et, comme
l'appartement du Roi perce de deux côtés dans de petits salons qui
rentrent dans le salon du milieu qui est au centre de la maison, tout le
monde entra par une des portes de cet appartement et sortit par l'autre,
chacun faisant une profonde révérence en passant devant S. M. sans
lui parler. Les quatre appartements qui environnent le salon sont égaux
et entrent et sortent pareillement dans ces petits salons, de manière
1. En note dans le manuscrit : « Le duc d'Albe, ambassadeur d'Es-
pagne n'a pas fait à son arrivée les cérémonies nécessaires pour pren-
dre des audiences publiques, c'est-à-dire qu'il n'a pas fait d'entrée, ni
eu de première audience publique.»
MORT DE MONSEIGNEUR. 4lo
qu'en sortant do chez le Roi toutes les dames en mante et les hommes
en long nianleau liront la même chose chez Monsieur et Madame la
Dauphine, et chez Madame, qui occupoient les autres appartements
bas, et ensuite on monta dans les attiques qui sont au-dessus de ces
quatre petits salons et des quatre appartements, car rien n'est au-des-
sus du salon du milieu, pour taire la révérence à Mgr le duc de Berry,
Mme la duchesse de Berry et Madame la Duchesse, et à Mme la prin-
cesse de Conti, lille du Roi, qui y étoient logés. Le degré qui y conduit
étoit si peu digne d'une si grande cour, que le Roi prit ce jour-là la
résolution d'en faire faire un autre en perdant une des chambres qui
composent l'un des quatre appartements bas...
« Je ne puis m'empêcher de dire, quoique au grand déshonneur de
notre cour, que la mémoire de Monseigneur le Dauphin, qui en devoit
faire l'adoration, par la bonté infinie avec laquelle il en avoit usé avec
tous les courtisans, a été effacée presque aussitôt qu'il a été sans vie,
hors dans le cœur d'un très petit nombre de ceux qui l'approchoient
le plus souvent.
« Mais de quoi on ne sauroit trop s'indigner, c'est de la manière
dont ce prince fut abandonné incontinent après qu'il eut expiré. La
vive douleur dont le Roi fut pénétré par la mort d'un tils qui n'avoit
été occupé pendant tout le cours de sa vie que du soin de lui plaire et
de lui obéir, ne permit pas à S. M. de donner une attention particulière
aux suites lugubres que la mort traîne après elle, pour rendre aux
tristes restes de ce qu'on a aimé ce que la coutume veut qu'on fasse
de pompe et de magnificence funèbres. S. M., après avoir donné ordre
en général qu'on fît tout ce qu'il falloit faire, s'en reposa sur les offi-
ciers des cérémonies ; mais ils furent apparemment si consternés de la
mort du Dauphin, qu'ils oublièrent ce qui devoit se faire pour garder
et enterrer dignement le corps d'un si grand prince, et ses domestiques
furent si frappés de la peur de prendre un mal aussi dangereux et aussi
contagieux que celui dont il mourut, qu'ils s'enfuirent tous de Meudon.
Aucun aumônier du Roi, aucun prêtre ne demeura auprès de son
corps ; les Feuillants de Paris qui y accoururent pour le garder, sui-
vant le droit qu'ils ont de longue main de prier Dieu auprès des corps
de nos Rois et de leurs enfants, tant qu'on les garde à leur palais, en
furent chassés par le maître des cérémonies, sur le prétexte qu'on n'en
feroit aucune pour ce prince, en sorte que du Mont, gouverneur de
Meudon, fut réduit à y mettre six capucins de ceux qui habitent le
monastère qui est dans le parc de ce château. On n'ouvrit ni on n'em-
bauma le corps de ce prince ; on mit dans son cercueil du son, comme
au dernier des pauvres, et l'ouvrier qui le fit, l'ayant fait trop étroit,
ne lit entrer le corps dedans qu'à force de trépigner de ses genoux sur
le ventre du Dauphin. Enfin tout ce qui se passa à cette occasion est
inouï. Ceux qui dévoient le venir prendre de la part du Roi pour l'ac-
compagner à Saint-Denis ayant témoigné de la frayeur d'entrer dans
son appartement, à cause de l'air de la petite vérole, on le porta dans
416 APPENDICE I.
sa chapelle, où il fut mis sur deux tréteaux, sans qu'aucun poêle cou-
vrît le cercueil. Le maître des cérémonies, loin d'avoir l'attention d'en
faire venir un de ceux qu'on conserve pour les princes, n'eut pas de
honte d'ordonner qu'on y mît celui de la paroisse de Meudon qui sert
à tous les paysans ; mais du Mont l'empêcha et aima mieux qu'il de-
meurât découvert. Les quatre cierges de l'autel de cette chapelle
furent le seul luminaire qui fut autour de son corps.
« La manière dont il fut porté de Meudon à Saint-Denis ne fut pas
moins indigne : on ne se donna pas l'attention d'avoir un carrosse de
deuil, quoique les moindres particuliers ne manquent pas d'en avoir
en semblable occasion, et que, huit jours après, on vînt avec quatre
carrosses de deuil et une infinité de domestiques en deuil enlever à
Versailles le corps de la duchesse de Villeroy, qui y mourut du même
mal. Au lieu de cela, on mit le corps du Dauphin dans un des carrosses
de sa suite, de velours cramoisi, qui s'étant trouvé trop court, on en
ôta la glace de devant, par oià une partie du cercueil sortoit du carrosse.
Le duc de la Trémoïlle, premier gentilhomme de la chambre du Pioi, et
l'évêque de Metz, premier aumônier de S. M., furent les seuls qui ac-
compagnèrent le corps. Le carrosse n'étoit accompagné que d'un seul
autre, douze pages du Roi avec la livrée portèrent les seuls douze
flambeaux de cire blanche qui éclairèrent le convoi, et les dix-huit
gardes de la salle du feu Dauphin avec les deux officiers qui les com-
mandoient furent toute la pompe qui conduisit l'héritier de la couronne,
le plus aimable des princes, jusqu'à Saint-Denis. Le peuple de Paris,
qui l'aimoit, en fut si offensé, que les harengères de la Halle disoient
que, si on avoit voulu leur laisser le soin de faire le convoi de ce prince
à leurs dépens, elles auroient trouvé un million, s'il avoit fallu, pour
en faire la dépense avec la magnificence qu'il convenoit de le faire. »
Eîi marge dans le manuscrit :
« Il traitoit avec tant de bonté, et de familiarité le peuple même du
plus bas étage, que le propre jour de sa mort, la dame Gelée, fameuse
harengère de la Halle, étant venue avec deux autres à Meudon s'in-
former des nouvelles de sa santé, et de la part de toute la Halle, le
Dauphin à qui on dit qu'elles étoient dans son antichambre et deman-
doient à parler à son premier médecin, ordonna qu'on les fît entrer à
la ruelle de son lit, les remercia lui-même des marques de leur affec-
tion, les pria d'en remercier le peuple de sa part, et de lui dire de
prier Dieu qu'il lui rendît la santé. »
EXTRAITS DES REGISTRES DU MAÎTRE DES CÉRÉMONIES DESfiRANGES *
Pompe funèbre de Monseigneur le Dauphin.
« Monseigneur Louis Dauphin, étant en son château de Meudon,
1. Arch. nat. 04043, rédaction corrigée de la main de Desgranges
et ms. Mazarine 2746, fol. 27 et suivants.
MORT DE MONSEIGNEUR. 417
omba malade de la petite vérole le jeudi 9« avril ilii, et, dans le
temps qu'on le croyoit en sûreté contre cette dangereuse maladie, il
mourut le ii" à onze heures trois quarts du soir.
« Il avoit dès le commencement de sa maladie recommandé qu'on
l'avertît s'il arrivoit qu'il tût au moindre danger ; mais les médecins
ne le connurent que sur les sept à huit heures du soir de ce jour-là,
et la maladie augmenta si fort, qu'il se trouva hors d'état de se con-
fesser. Le curé de Meudon lui donna l'absolution, après que ce prince
lui eut donné quelques marques de connoissance et quelques signes
qu'il entendoil les exhortations qu'il lui taisoit.
« Le Koi partit aussitôt qu'il fut expiré, pour aller coucher à Marly.
Sur cette triste nouvelle, que j'appris seulement le 13 au matin à Pa-
ris, j'allai à Meudon pour dire aux oificiers ce qu'ils avoicnt à faire,
et je me rendis à Marly, où M. le marquis de Dreux, grand maître des
cérémonies, étoit déjà arrivé. M. le duc de Bourgogne, Mme la duchesse
de Bourgogne, M. le duc de Berry et les autres princes et princesses,
à qui le Roi, pendant la maladie, avoit ordonné de rester à Versailles,
se rendirent aussi à Marly ce jour-là, pour voir le Roi à son lever.
S. M. tit entrer M. le Chancelier et ses ministres, qui furent un instant
dans .son cabinet, et, à leur sortie, on dit que M. le duc de Bourgogne
prendroit le nom de Dauphin. S. M. tit ensuite entrer M. de Dreux et
moi, et, nous ayant demandé ce qu'il convenoit de faire en pareil cas,
nous lui dîmes qu'à cause du genre de maladie dont Monseigneur étoit
mort, il seroit inutile de lui rendre à Meudon les honneurs qui lui
étoient dus, parce que personne n'y viendroit. Ainsi il fut résolu que,
dès le lendemain, son corps seroit porté à Saint-Denis sans cérémonies,
sauf à faire dans le temps les services solennels accoutumés en pareil
cas pour un prince de ce rang.
« Le 46"^, il fut enseveli et mis dans un cercueil de plomb par les
officiers de sa chambre, avec une inscription sur ce cercueil gravée sur
une lame de cuivre, en ces termes :
Ici est le corps de très haut, très puissant et excellent prince
Louis Dauphin, décédé en son château de Meudon le i4« avril mil
sept cent onze.
« Ce cercueil fut mis dans un autre cercueil de bois couvert de ve-
lours noir croisé de moire d'argent, avec pareille inscription.
« Je dis qu'il fut enseveli par les oificiers de sa chambre, parce que
cela devoit être ainsi et que le chirurgien et l'apothicaire qui étoient
de service près de lui auroient dû l'embaumer, pour être mis dans le
cercueil par un premier gentilhomme de la chambre, s'il y en avoit eu
un, et les autres officiers de sa chambre ; mais, au moment de la mort,
le chirurgien et l'apothicaire sortirent de Meudon et s'en allèrent à
Versailles. J'écrivis à M. Boudin, premier médecin de Monsieur le
Dauphin, qui étoit à Marly', de les envoyer pour faire leur devoir.
1. Les sept derniers mots ont été ajoutés par Desgranges en interli-
ligne, au-dessus de Monseigneur, biffé, et sur la marge.
MÉMOIRES OE SAINT-SIMON. XXI 27
/*48 APPENDICE I.
Mais, comme Beaulieu, autre apothicaire, de quartier auprès du Roi*,
avoit eu l'indiscrétion de demander au Roi s'il vouloit qu'on l'ouvrît,
à quoi S. M. dans sa douleur répondit que non, ils furent bien aise de
prendre cela pour un ordre, et Beaulieu, sans autre explication, écri-
vit à Biet, l'apothicaire qui avoit servi Monseigneur, que le Roi ne
vouloit pas qu'on l'ouvrît. Biet, sur ce bel avis, ne vint pas même
pour faire le simple embaumement -, en sorte que M. de Nyert fils,
premier valet de chambre du Roi en survivance, qui étoit de service
près de ce prince, fut obligé de faire venir les sœurs de la Charité
établies au village de Meudon, pour ensevelir le corps, et cela se fit
avec si peu de soin, qu'il fallût que ces sœurs envoyassent au village
chercher du son pour mettre dans le cercueil, au lieu des baumes,
poudres et autres choses pareilles que cet apothicaire auroit dû
fournir.
« Le cercueil fut porté par les valets de chambre jusques à la salle
des gardes, où ceux-ci le prirent, et le portèrent jusques à la chapelle
du château, sans aucune cérémonie. Il y fut couvert d'un poêle
noir, et le curé accompagné de quelques capucins firent quelques
prières.
« A^ cause du genre de la maladie, ni M. le duc de Bourgogne, ni
aucuns princes et princesses ne vinrent point lui jeter de l'eau bénite,
comme on auroit dû le faire sans cet empêchement.
« Le 46e du mois, à six heures du soir, M. l'évèque de Metz, pre-
mier aumônier du Roi, en camail et rochet, vint lever le corps, qui
fut mis dans un carrosse du Roi, parce que c'étoit sans cérémonie. On
fut obligé, pour l'y faire entrer, d'enlever la glace de devant, et on
assura le cercueil sur les sièges de ce carrosse, de manière qu'on ne
fut point obligé d'y mettre personne pour le tenir pendant la marche.
Je dis carrosse du Roi, quoique ce fût un carrosse aux armes de Mon-
seigneur dont il avoit accoutumé de se servir, parce que, le Dauphin
n'ayant en propre ni équipages ni officiers, tout ce qu'il en a est censé
être au Roi. Ce carrosse fut précédé d'un autre carrosse du Roi, où
étoient l'évèque de Metz, le duc de la Trémoïlle, premier gentilhomme
de la chambre, que le Roi avoit nommé pour ce convoi, le grand maître
des cérémonies, M. l'abbé deBrancas, aumônier du Roi, qui étoit de
quartier près de Monseigneur, en rochet, et le curé de Meudon en étole
et surplis.
« On alla par le pont de Sèvres, le bois de Boulogne et la croix de
Saint-Ouen. La marche étoit : deux gardes du Roi, deux pages avec
flambeaux pour éclairer le premier carrosse, vingt-deux pages, aussi
avec flambeaux, devant le carrosse où étoit le corps, M. de la Billarde-
1. Ce qui précède, depuis Beaulieu a été ajouté par Desgranges, à la
place d'un d'eux, biffé.
2. Tout ce qui précède, depuis et Beaulieu a été ajouté par Desgranges
en interligne et sur la marge.
3. Ce paragraphe a été ajouté par Desgranges sur la marge.
MORT DE MONSEIGNEUR. 419
rie, enseigne des gardes, M. de Mézières', exempt, et vingt gardes
portant des flambeaux. Les pages étoient douze de la grande et douze
de la petite écurie, les premiers ayant la droite, et les autres la
gauche.
« En arrivant à Saint-Denis, le corps fut tiré par huit gardes, qui
avoient été envoyés exprès pour cette fonction, et mis sur des tréteaux
à l'entrée de l'église.
« Sur- mon certiticat, ces huit gardes et un brigadier ont été payés
par le trésorier des menus vingt livres au brigadier et dix livres à
chaque garde, sur le pied de dix livres par jour au brigadier et cinq
livres aux gardes.
« Il y avoit aussi douze suisses de la garde du Roi qui gardoient les
portes, et une compagnie du régiment des gardes suisses, qui est en
quartier à Saint-Denis, étoit sous les armes. Les ^ suisses ont été
aussi payés pour deux jours à trois livres par jour chacun.
« Le prieur et les religieux de Saint-Denis, tous en chapes, ayant un
cierge à la main, attendoient à l'entrée de l'église. Là, l'évêque de
Metz, qui s'étoit revêtu de chape et mitre, qui lui furent fournis par
les religieux, Ht un discours au prieur, qui lui répondit par un autre
discours ; ils sont tous deux transcrits ci-après. Ensuite de quoi, on
porta le corps au chœur de l'église, sur deux tréteaux, couvert du poêle
de la couronne. On tit les prières accoutumées, et le cercueil fut aus
sitôt mis à la cave par les gardes du Roi.
Compliment fait par M. l'évêque de Metz.
« Nous apportons, mon Père, dans cet auguste temple, déposi-
« taire des cendres de nos rois, le corps de très haut, très puissant
« et excellent prince Louis Dauphin, décédé dans son château de Meu-
« don, dans la communion de l'Eglise catholique, apostolique et ro-
« maino. Saisi de ma propre douleur, pénétré de celle que j'ai vu
« peinte dans la Majesté Royale, encore troublé de l'avoir vu s'exposer
« à un danger que l'amour paternel lui a fait mépriser, et dont l'inté-
« rèt de l'État lié à sa conservation nous a fait trembler, tout se con-
« fond dans mes pensées, tout s'éteint dans mon esprit, tout usage est
« presque interdit à ma langue, plus prêt à verser des larmes qu'à pro-
« noncer des paroles. Nous pleurons la perte d'un prince qu'un grand
« fond de religion, qu'un courage magnanime, qu'un accès doux et
« facile ont rendu longtemps l'espérance de la France et l'amour des
« peuples, un tils tendrement aimé du meilleur de tous les pères, à
« qui il fut toujours et respectueusement soumis et inviolablement at-
1. Ces trois mots ont été écrits par Desgranges en interligne, au-dessus
d'un, bitTé.
2. Ce paragraphe a été ajouté par Desgranges sur la marge.
3. Phrase encore ajoutée sur la marge par Desgranges.
AW APPENDICE I.
« taché. Hélas ! le Seigneur nous l'avoit montré, et il nous l'a ravi.
« Bien douloureusement nous fait-il payer le bonheur de l'avoir pos-
« sédé par de plus vifs regrets de l'avoir perdu.
« Nous venons joindre nos prières à celles que votre piété, votre
« zèle, votre ferveur rendront encore plus agréables à Dieu.
a Demandons ardemment et tâchons d'obtenir du Père des miséri-
« cordes l'entière expiation et le parfait repos de l'âme dont le corps
« ici déposé attendra le jour de son heureuse résurrection. »
Discours du supérieur de l'abbaye de Saint-Denis.
« Monseigneur,
« Comme l'art de bien mourir est celui de bien vivre, nous n'avons
« jamais douté que très haut, très puissant et sérénissime prince Mon-
te seigneur le Dauphin, Hls unique du Roi, ne soit mort dans les senti-
« ments d'une piété solide et véritable, et que sa mort n'ait été aussi
« précieuse devant Dieu que sa vie étoit chère à toute la France. Nous
« ne pouvons cependant, Monseigneur, refuser à ce bon prince le juste
« tribut de nos larmes, et nous devons dire à son sujet ce que saint Am-
« broise disoit autrefois au sujet de l'empereur Valentinien le jeune :
« Solvamus bono principi stipendiarias lacrymas, parce qu'il nous a
« laissé dans une seule mort un sujet commun de deuil et de tristesse :
« Privatum funus, sed fletus publicus.
« Dans les éloges qu'on entreprend des personnes extraordinaires
« et des grands princes, on est obligé de tirer souvent le rideau sur
« les premières années de leur vie ; on laisse dans un sage oubli un
« temps oîi ils se sont oubliés eux-mêmes ; on ne leur donne ni enfance,
« ni jeunesse, et on ne commence leurs histoires que par où on peut
(c commencer leurs éloges. Mais, grâces au ciel ! nous ne sommes pas
« resserrés dans ces bornes étroites à l'égard de Monseigneur le Dau-
« phin, toujours, dès sa plus tendre jeunesse et dès ses premières an-
« nées jusqu'au moment fatal qui nous l'enleva, toujours respectueux
(c et soumis au Roi. Son obéissance à ce sujet n'a jamais souffert
« aucune éclipse, ni senti aucune défaillance ; il a toujours marché
« d'un pas égal et constant dans le respect et la soumission qu'il devoit
« à son père et à son souverain. Sa dignité à l'égard des grands, son
« affabilité envers les petits, son amour et sa tendresse pour les peuples
« et pour les pauvres, son courage et sa valeur contre les ennemis de
« l'État, son cœur droit, noble, royal et bientaisant, toujours au-dessus
« de sa dignité et de son rang, toujours à portée de la misère et de
« l'infortune, maître généreux et libéral, tils soumis et obéissant, père
« commun des peuples, qualités que Dieu a récompensées dès ce monde
« par les trois princes qu'il nous a laissés, dont le premier, Mgr le duc
« de Bourgogne, fait toute l'espérance de la France par les talents
« supérieurs de religion, de piété et de sagesse qu'il possède, le second
« toute la ressource des Espagnes, et le troisième l'appui de l'État,
MORT DE MONSEIGNEUR. 421
(( qualités, et une infinité d'autres que je passe, qui font couler les
« larmes de nos yeux sur la mort de ce bon prince : Solvamus bono
K principi stipendiarias laoymas.
« Mais, Monseigneur, que nos larmes et nos yeux ne soient pas les
« seuls qui prennent part à cette perte publique ; que nos lan;îues et
« nos bouches s'emploient à crier vers le ciel pour le repos de son âme,
« et, prosternés aux pieds de nos autels, demandons à Dieu qu'il lui
<c donne un repos qui ne finisse jamais, et qu'après que son corps, que
« vous nous faites l'honneur de nous présenter, Monseigneur, aurare-
« posé avec ce grand nombre de rois et de reines, de princes et de
« princesses de son sang, ses pères et ses illustres ancêtres, qui sont
(c inhumés dans ce royal et cet auguste temple, il le rejoigne, ce corps,
« avec son âme, pour jouir à jamais et au delà de tous les temps dans le
« ciel d'une éternité certaine et bienheureuse. »
Deuil et visites pour la mort de Monseigneur ^ .
« Le Roi, après avoir agité de quelle manière on prendroit le deuil,
a ordonné qu'on le porteroit le plus grand, en sorte que les princes
et princesses du sang, les princes étrangers, les ducs et pairs, les
officiers de la couronne, et les principaux officiers de sa maison ont
drapé leurs carrosses, fait habiller leurs gens de noir, et pris eux-mêmes
le deuil avec toile de batiste à grand ourlet et manchettes plates,
point de poignets aux chemises, souliers et gants bronzés, et crêpes aux
chapeaux ; les femmes de même, à proportion.
« Beaucoup de gens se sont intrigués sur la manière dont ilslepor-
teroient, les uns craignant de trop faire, les autres trop peu, et, comme
il n'a été fait sur cela aucune question qui ait été jusqu'au Roi, je
n'en dis rien ici, M. de Dreux ni moi n'ayant point eu occasion de lui
demander ses ordres.
« M. de Châtillon, gendre de M. Voysin, a fait demander permission
(le draper, et il l'a obtenue.
« L'appartement de Monsieur le Dauphin à Versailles étoit tendu
de deuil, c'est-à-dire la salle des gardes et l'antichambre de feu Mon-
seigneur, que Monsieur le Dauphin occupe à présent.
« L'appartement do Madame la Dauphine a été tendu de même,
c'est-à-dire la grande anticiiambre et la pièce qui suit, que l'on appelle
le grand cabinet.
« M. le duc de Berry étant fort étroitement logé, on lui a donné,
pour recevoir ses visites, le petit appartement qu'avoit Monsieur le
Dauphin étant duc de Bourgogne, et on a tendu l'antichambre et la
chambre.
« Chez Madame, il a été tendu seulement son antichambre, avec
1. Extrait du même registre du cérémonial de Desgranges, ms. Maza-
rine 2746, fol. 33 v" et suivants.
422 APPENDICE I.
son dais, pour recevoir ses visites, et cette tenture a été faite à ses dé-
pens.
« Chez M. le duc d'Orléans, on a fait la même chose.
« Chez Mme la duchesse d'Orléans, on a fait la même chose.
« Pour les princes et princesses du sang, ils ne tendent point de
deuil dans la maison du Roi. On avoit agité si, le Roi ne portant point le
deuil, tous les gens de livrée qui servent Monsieur le Dauphin, de même
que les carrosses, qui sont censés être au Roi, resteroient avec la livrée
du Roi sans les habiller de noir, ni sans draperies carrosses. Il a été
décidé que les carrosses et cochers servant Monsieur le Dauphin et ses
valets de pied seroient en deuil, et on a effectivement habillé vingt-
deux valets de pied, huit cochers ou postillons, et quatre garçons
d'attelages, et drapé deux carrosses aux armes de Monsieur le Dau-
phin.
« Le 20, le Roi, qui étoit à Marly, se fit voir aux courtisans ; il
étoit vêtu de gris, debout dans son cabinet, accompagné de tous les
princes et princesses du sang et légitimés, les princes en manteaux
longs, savoir Monsieur le Dauphin, M. le duc de Berry, M. le duc
d'Orléans, M. le duc du Maine et M. le comte de Toulouse, légitimés.
Les princesses étoient en mantes.
« A trois heures, tout le monde entra chez le Roi, les dames les
premières, toutes en mantes, et les hommes en manteau long, ra-
bat de batiste, manchettes au justaucorps et à la veste, les souliers
bronzés, et le crêpe au chapeau. On saluoit le Roi en passant, et on
sortoit par une autre porte. Il y avoit un monde extraordinaire, et
bien des gens qui n'auroient pas dû y venir ; mais, le Roi n'ayant
prescrit aucune borne, chacun se crut en droit de paroître.
« Après avoir salué le Roi, on vit chez eux Monsieur le Dauphin,
Madame la Dauphine, M. le duc de Berry, Mme la duchesse de Berry,
Madame douairière, M. le duc d'Orléans, Mme la duchesse d'Orléans,
Madame la Duchesse, veuve de feu M. le duc de Bourbon, Mme la
princesse de Conti douairière, M. le duc du Maine et M. le comte de
Toulouse, légitimés. Il fut principalement question si on verroit
MM. les ducs du Maine et comte de Toulouse légitimés, parce qu'ils
sont enfants de S. M. et frères de feu Monseigneur ; le Roi dit qu'il
ne l'ordonnoit point, mais que ceux qui les verroient lui feroient plai-
sir. Presque tout le monde les vit.
« Le matin de ce même jour, tant les hommes que les dames
avoient rendu visite à MM. les ducs de Bretagne et d'Anjou, enfants
de Monsieur le Dauphin, qui étoient restés à Versailles.
« Le 22, le roi d'Angleterre, la reine d'Angleterre et la princesse
d'Angleterre allèrent à Marly, rendre visite au Roi, à Monsieur le
Dauphin, à Madame la Dauphine, à M. le duc de Berry, à Mme la
duchesse de Berry, à Madame douairière, à M. le duc d'Orléans, et à
Mme la duchesse d'Orléans.
MORT DE MONSEIGNEUR. -453
« Le roi d'Angleterre étoit en grand deuil violet, la reine et la
princesse aussi en grand deuil, de même que toute leur suite, qui
toutefois n'éfoicnt ni en manteau long, ni mante, le Roi les ayant
tait pn?r de n'en point prendre, pour leur en épargner l'embarras.
« Le 23, Monsieur le Dauphin, Madame la Dauphine, M. le duc de
Berry, Mme la duchesse de Berry. Madame douairière, M. le duc d'Or-
léans, Mme la duchesse d'Orléans et M. le duc du Maine allèrent à
Saint-Gtrmain, tous en grand manteau, eux et leur suite, et les
dames e:i mante, rendre visite au roi, à la reine et à la princesse
d'Angleterre, qui les reçurent avec leurs habits ordinaires de deuil,
sans manteau ni mante.
« Dans les occasions comme celle-ci, les cours ont coutume d'en-
voyer les sens du Roi pour demander à S. M. la permission de venir
lui faire compliment ; cela se pratiquoit ainsi lorsqu'il étoit à Paris,
et, quand il en est éloigné, ces mêmes gens du Roi s'adressent au
secrétaire d'État, qui en demande la permission au Roi. M. de Pont-
chartrain les a prévenus sur cela, et a pris l'ordre du Roi pour leur
écrire de lui venir faire compliment, ce qui n'est pas dans la règle, ni
dans la décence, parce que ce n'est pas au Roi à ordonner qu'on lui
vienne faire des compliments, mais bien le permettre, quand on prend
la liberté de le lui demander, et qu'il l'a agréable. M. de Pontchar-
train leur a donc écrit, le 20, de se rendre à Versailles le 27, où le
Roi est venu de Marly le matin. Il a, ce même matin, reçu les com-
pliments du nonce du Pape, et de tous les autres ministres qui sont à
la cour, savoir: M. Cronstrom, envoyé de Suède ; M. Barrois, en-
voyé de Lorraine ; le comte de Rivazzo, envoyé de Parme ; le baron
Siméoni, envoyé de l'électeur de Cologne, et le comte Bardi, envoyé
de Toscane, tous en grand manteau de deuil.
« Tous ces ministres ont été conduits de même chez Monsieur le
Dauphin, chez Madame la Dauphine, chez M. le duc de Berry, chez
Mme la duchesse de Berry, Madame douairière, M. le duc d'Orléans
et Mme la duchesse d'Orléans, le tout par M. deBreteuil, introducteur
des ambassadeurs, qui étoit aussi en manteau long.
« A l'égard des cours, elles se sont rendues l'après-dîner aux lieux
que je leur avois marqués pour leur descente, à l'effet de quoi j'avois
dit à le Bel, concierge, de mettre un homme à la porte du château,
qui leur montreroit l'endroit destiné, savoir : le Parlement, dans la
chambre du Conseil ; la Chambre des comptes, dans l'autre salle du
même Conseil ; la Cour des aides, dans l'appartement de M. le duc
de la Rocheguyon, grand maître de la garde-robe, qui est au pied de
l'escalier du Roi ; la Cour des monnoies, dans la chambre de M. d'Ar-
magnac, grand écuyer ; la Ville, dans l'antichambre de M. d'Arma-
gnac ; l'Université, dans une chambre de Madame la Princesse ; l'Aca-
démie françoise, dans son antichambre, et le Grand Conseil, dans le
grand cabinet de son appartement.
424 APPENDICE I.
« Le Roi ayant dîné, M. de Dreux et moi avons été prendre le Par-
lement dans la chambre du Conseil, de même que M. de Pontchartrain,
qui y est venu aussi, et l'avons conduit chez le Roi et ramené dsns la
même chambre. Nous étions en manteau, quoique nous ne dussions
pas y être, et encore moins les courtisans, puisque le Roi n'étoit pas
en deuil. Pareille chose a été pratiquée pour la Chambre des comptes
et la Cour des aides, lesquelles cours M. de Pontchartrain est venu
prendre avec nous, auquel temps il s'est assis et couvert, et, à la fin
du discours, s'est levé et découvert pour voir partir Messieurs du Par-
lement, qui l'ont tous salué deux à deux, autant que l'espace a pu le
permettre.
« Monsieur le Dauphin a observé la même chose pour la Chambre
des comptes et la Cour des aides; à l'égard de la Cour des monnoies,
de la Ville, de l'Université et de l'Académie, il ne s'est point levé ; il
s'est seulement découvert lorsqu'ils sont entrés et lorsqu'ils sont sortis.
« Madame la Dauphine a ensuite donné audience aux mêmes com-
pagnies, et a observé de se lever pour celles pour lesquelles Monsieur
le Dauphin s'étoitlevé.
(f Après les audiences données par le Roi au Grand Conseil, à
l'Université et à l'Académie, nous avons observé pour le Grand Conseil
tout ce que nous avons observé pour le Parlement, et l'avons mené
chez Monsieur le Dauphin, qui l'a reçu comme le Parlement, à la suite
duquel nous lui avons présenté comme chez le Roi, l'Université et
l'Académie. Nous avons observé la même chose chez Madame la Dau-
phine pour le Grand Conseil, l'Université, et l'Académie. »
Après ces relations d'un caractère ofiBciel, il semble intéressant de
donner un récit écrit par le duc du Maine dans le mois qui suivit les
événements et qui nous a été conservé dans le 2" registre de sa Corres-
pondance, fol. 187 v» et suivants. Ce morceau a déjà été publié dans
V Annuaire-Bulletin de la Société de l'histoire de France, année 1893 ; il ne
sera pas néanmoins inutile de le reproduire ici :
Histoire de la mort de Monsieur le Dauphin, et des cérémonies qui
l'ont suivie. Fait à Marly, ce 24 mai 1711.
« Le 44 avril 1714, un peu avant minuit, Louis Dauphin, fils de
Louis XIV, mourut de la petite vérole à Meudon, sa maison de plai-
sance. Il y étoit allé le mercredi précédent, et s'étoit trouvé indisposé
ce même soir.
« Il devoit aller courre le loup (qui étoit sa chasse favorite) le len-
demain. Le jeudi, n'ayant pas passé une trop bonne nuit, il se leva à
son heure ordinaire, et, s'étant mis sur sa chaise percée comme il avoit
coutume de le faire, il y eut une espèce de foiblesse, qui, jointe à quel-
ques douleurs et des lassitudes qu'il ressentoit par tout le corps, l'obli-
gèrent à contremander sa chasse et à la remettre au samedi. Cet acci-
MORT DE MONSEIGNEUR. 423
dent parut si foible, quoiqu'on remarquât quelque altération à son
pouls, que le marquis d'Anlin, un de ses menins, qu'il honoroit d'une
bonté et d'une conliance particulières, se trouvant obligé (comme di-
recteur général des bâtiments) de suivre le Roi à Marly, qui devoit y
aller ce jour-là, vint à Versailles et parla à S. M. de cette indisposition
d'une manière peu effrayante, et qui, n'étant point aggravée par un
écuyerquo le Roi avoit sur-le-champ envoyé aux nouvelles, n'empêcha
pas S. M. d'aller taire sa promenade à Marly. Mgr le duc de Bourgogne
alla ce jour même dîner à Meudon ; il trouva Monsieur le Dauphin
couché, ayant toujours le pouls hors du naturel, étant assoupi, assez
abattu, et ressentant quelque mal de reins. J'allai à Meudon, et, sur
les deux heures après midi, comme j'élois dans la ruelle du lit de Mon-
seigneur, que je trouvai rouge avec les yeux tort chargés, il dit qu'il
commençoit à avoir mal à la tête. Cependant il vit un moment la com-
pagnie, quand elle sortit de table, et, ayant marqué que le monde l'in-
commodoit, l'on se retira dans le grand cabinet, où étant encore resté
trois quarts d'heure, j'entendis déjà parler de cordiaux. Presque toute
la cour alla à Meudon. Mme la princesse de Conti, ma sœur, y fut cou-
cher, aussi bien que Madame la Duchesse, qui pour lors étoit à Paris,
ne pouvant mieux faire pour répondre aux bontés singulières dont
Monseigneur les honoroit. M. Fagon, premier médecin du Roi, et qui
ne se transplante pas aisément, y alla aussi, et ordonna une saignée,
qui fut faite aussitôt. Le vendredi, le Roi, inquiet de voir que, quoique
les accidents n'augmentassent pas, ils ne diminuoient point, résolut
d'aller coucher à Meudon, pour être témoin lui-même de ce que le
mal deviendroit, et, comme l'assoupissement continuel et le pouls em-
barrassé de Monseigneur faisoient soupçonner un mal de venin, S. M.
défendit à Mgr le duc de Bourgogne, à Mme la duchesse de Bourgogne,
à Mgr le duc de Berry, à Mme la duchesse de Berry (qui, pour lors,
étant grosse, se trouvoit dans son lit pour une saignée) et à moi, d'avoir
l'honneur de le suivre, parce que nous n'avions point eu la plupart la
petite vérole. Mme la duchesse de Bourgogne représenta qu'elle l'avoit
eue et qu'elle ne la craignoit point : les autres dirent qu'étant logés à
Meudon au château neuf, ils ne seroient point dans le mauvais air ;
cependant tout cela ne fléchit point le Roi, et il défendit à tous les ci-
dessus nommés de le suivre. Mon frère, comme ayant eu la petite vé-
role, l'y accompagna. Quoique Mme la duchesse d'Orléans l'eût eue, il
lui fut ordonné de ne pas découcher de Versailles, et le Roi défendit
à M. le duc d'Orléans de retourner à Meudon. S. M. partit sur les onze
heures du matin, ne sachant pas encore positivement s'il ne reviendroit
point le lendemain coucher à Versailles. Nous restâmes à Versailles
tout ce jour-là, Mme la duchesse du Maine et moi.
<c Le samedi matin, nous apprîmes qu'entre sept et huit heures du
matin, la petite vérole de Monseigneur avoit commencé à paroître.
Aussitôt j'allai chez Mgr le duc de Bourgogne. l\ étoit dans son cabi-
net, et il vint lui même m'en ouvrir la porte. Je le trouvai fort eflVayé,
426 APPENDICE I.
tant du mal de Monseigneur que de voir le Roi exposé à un si mauvais
air. Il écrivit à S. M. d'une manière fort respectueuse, fort touchante
et fort pressante, pour la conjurer de ne point exposer sa santé ; il me fit
l'honneur de me montrer sa lettre et de me demander si je la trouvois
bien et si je croyois qu'il la put envoyer ; je lui dis qu'elle me parois-
soit à merveille, que j'étois persuadé qu'elle ne produiroit aucun effet,
mais qu'il étoit toujours très bon de l'envoyer. Il écrivit en même temps
à Mme de Maintenon sur le même ton. Ensuite, j'allai chez Mme la du-
chesse de Bourgogne. Elle étoit seule dans son cabinet, fort émue, et
y écrivoit ; elle m'y fit entrer et asseoir ; mais, après avoir un peu parlé
des sujets d'inquiétude que pouvoit donner la nouvelle qu'on venoit
de recevoir, je me retirai, et, l'après-dîner, nous allâmes à Sceaux,
Mme la duchesse du Maine et moi.
« Avant que de partir, j'écrivis à Mme de Maintenon pour l'encou-
rager à faire tout son possible pour empêcher le Roi d'entrer dans la
chambre de Monseigneur*. Le soir, mon frère me manda que la tièvre
de Monseigneur n'étoit pas violente, que la petite vérole sortoit bien,
mais que l'assoupissement continuoit.
« Le dimanche et le lundi, j'en eus des nouvelles deux fois le jour,
à peu près conformes aux précédentes, excepté qu'on me marquoit,
dans les dernières, que l'assoupissement diminuoit et que la maladie
alloit aussi bien qu'on pouvoit l'espérer. Mes nouvelles du mardi ma-
tin furent aussi très bonnes et remplies d'espérance. Celles que je re-
çus à neuf heures du soir (qui étoient datées de sept heures et demie)
portoient que Monseigneur soufîroit plus qu'il n'avoitfait, parce que la
petite vérole commençoit à suppurer, que la tièvre étoit un peu plus
forte, mais que tout cela n'alarmoit pas, et, à deux heures après minuit,
je fus réveillé par un courrier qui s'étoit égaré et qui m'apporta une
lettre de mon frère, datée de minuit, par laquelle il me marquoit que
Monseigneur étant tombé en convulsions et ayant perdu connoissance
à dix heures et demie, avoit été vainement saigné du pied ; que,
l'émétique, les gouttes d'Angleterre et le lilium qu'on lui avoit donnés
n'ayant aussi produit aucun effet, il venoit de mourir, et que le Roi
étoit déjà parti pour Marly. Aussitôt je me jetai à bas du lit, saisi et
pénétré, tant de la cruelle nouvelle que de la surprise ; j'envoyai cher-
cher Malezieu, et nous allâmes dire à Mme la duchesse du Maine le
malheur qui étoit arrivé. Toute la maison fut sur pied, et il ne fut pas
question de fermer l'œil de toute la nuit.
« Le mercredi 15, à six heures et demie du matin, je partis pour Ver-
sailles, où j'arrivai pour le lever de Mgr le duc de Bourgogne. Je le
trouvai étouffant de douleur, parce qu'il ne pouvoit verser une larme.
J'appris que Mgr le duc de Berry étoit tombé en foiblesse la veille en
apprenant la mort de Monseigneur ; que le Roi avoit passé à Versailles
sur le minuit et demi ; qu'il avoit défendu à Mgr le duc de Bourgogne
1. C'est la lettre donnée ci-dessus, p. 409.
MORT DE MONSEIGNEUR. 427
et à Mgr le duc de Berry de le voir, et que Mme la duchesse de Bour-
gogne l'avoit vu en passant.
« J'allai rendre mes devoirs à Mme la duchesse de Bourgogne et à
Mgr le duc et à Mme la duchesse du Berry, et j'écrivis à Mme de Main-
tenon que je serois bien aise qu'il me fût permis de m'aller établir à
Marly pour satisfaire à l'inquiétude mortelle que j'avois pour la santé
du Roi. On me manda que le Roi étoit dans une extrême affliction, et
que je ne devois songer à aller à Marly que lorsque Mgr le duc de
Bourgogne iroit.
« Mme la duchesse de Bourgogne alla, ce jour-là, voir le Roi à
Marly. Elle revint dîner à Versailles, et retourna encore à Marly après
dîner. Mme la duchesse d'Orléans et M. le duc d'Orléans furent, ce
jour même, coucher à Marly. Madame la Duchesse, Mme la princesse de
Conti et mon frère y étoient allés en même temps que le Roi ; pour
moi, je m'en retournai à Sceaux, d'oià Mme la duchesse du Maine par-
tit sur les trois heures après midi pour aller faire ses compliments à
Versailles ; après quoi, elle revint à Sceaux,
« La nuit du mercredi au jeudi, le corps de Monseigneur, sans avoir
été ni ouvert ni embaumé, ayant été enseveli par des sœurs grises (per-
sonne autre n'en ayant pu soutenir la puanteur), fut emporté sans au-
cune cérémonie à Saint-Denis, dans un carrosse escorté seulement
par sa maison et par les gardes du corps qui servoienl pour lors auprès
de sa personne. Ce furent M. l'évêque de Metz, premier aumônier, et
M. de laTrémoïlIe, premier gentilhomme de la chambre, qui condui-
sirent le corps.
« Le jeudi 16, le Roi déclara qu'à l'avenir Mgr le duc de Bourgogne
se nommeroit Monsieur le Dauphin, et il ordonna qu'en lui parlant
on l'appelât Monsieur, et non Monseigneur, S. M. se ressouvenant
que ce n'étoit qae par une habitude qu'elle avoit prise elle-même,
pendant l'enfance de feu Monseigneur le Dauphin, de l'appeler Monsei-
gneur, qu'elle avait donné lieu à cet abus. Il fut aussi réglé que toute
la cour prendroit le deuil comme on le prend d'un père, c'est-à-dire
avec des pleureuses et de petites manchettes.
« Le dimanche 49 du même mois, Monsieur le Dauphin, Madame
la Dauphine, Mgr le duc de Berry, Mme la duchesse de Berry et moi,
eûmes la permission d'aller le soir nous établir à Marly. Nous y arri-
vâmes en deuil sur les sept heures du soir. Le reste de la cour ne le
prit que le lendemain.
« Quand j'arrivai à Marly, personne n'avait songé à demander si
nous recevrions des visites de compliments, et de quelle manière on en
useroit : ce fut moi qui mis tout cela en mouvement.
« Lundi 20, le Roi reçut les compliments de tous les princes, prin-
cesses, seigneurs et dames de la cour et de la ville, les hommes en
manteau, et les dames en mante. Le Roi trouva bon que tous ceux qui
avoient quelque frayeur de la petite vérole s'exemptassent de cette cé-
rémonie ; plusieurs dames profitèrent de cette permission, entre autres
448 APPENDICE I.
Mme la princesse de Conti, ma belle-sœur, et toute sa famille, et
Mme la duchesse du Maine et ses enfants, elle et le prince de Bombes
n'ayant point eu la petite vérole. Madame la Duchesse fit aussi prier
S. M. d'agréer que ses enfants n'y vinssent pas, et elle déclara qu'elle
vouloit être quarante jours sans les voir, qui est le temps ordinaire
marqué pour être entièrement purifié du mauvais air.
« Ce même lundi matin, les ducs tirent demander au Roi par M. le
duc de Tresmes, qui pour lors étoit en service de sa charge de premier
gentilhomme de la chambre, s'ils ne viendroient pas complimenter en
manteau Madame la Duchesse, Mme la princesse de Conti ma sœur,
mon frère et moi, et ils Hrent entendre que ce n'étoit qu'à cause de la
consanguinité qu'ils s'y présentoient, ne croyant pas être tenus en
cette occasion, de visiter les princes et les princesses du sang. S. M.
répondit qu'elle n'étoit point assez instruite sur ce point, et pour dire
par quelle raison ils dévoient venir chez nous, mais qu'elle croyoit
qu'à cause de ce que nous lui étions tous quatre, ils ne feroient
pas de difficulté de nous voir.
<f Le Roi m'envoya chercher pour me dire tout cela, et je fus en
donner part à Madame la Duchesse ; ensuite, je montai chez Mme la
duchesse d'Orléans, et je lui demandai si nous ferions le compliment
d'aller chez elle en cérémonie. Elle me répondit que non, parce que,
outre que les parents du mort au même degré étoient exempts de se
visiter, ce seroit un grand embarras à M. le duc d'Orléans et à elle de
revenir chez nous comme ils y seroient obligés, si nous avions été chez
eux.
« L'heure de trois heures après midi étant celle que le Roi avoit dé-
signée pour recevoir la compagnie. Monsieur le Dauphin attendit
chez lui tous les princes pour le suivre chez le Roi, et il se mit en
marche quand M. le duc de Berry, M. le duc d'Orléans, mon frère et
moi fûmes arrivés. Notre marche fut assez régulière jusqu'à la porte de
la chambre du Roi ; mais, les princesses, Madame la Dauphine à la
tête, nous ayant coupés, il y eut quelque désordre, et nous entrâmes
pêle-mêle dans le cabinet, où S. M. étoit debout, appuyée sur le coin
de sa table qui est entre les deux fenêtres vis-à-vis de la cheminée.
« Nous nous rangeâmes tous à la gauche du Roi, princes et prin-
cesses, suivant notre rang, et nous restâmes dans le cabinet jusqu'à ce
que toutes les révérences fussent faites. Après nous, tous les seigneurs
et toutes les dames passèrent un à un, sans qu'il y eût de rangs obser-
vés, chacun faisant sa révérence et, sans s'arrêter, ressortant par l'autre
porte. La cérémonie ne dura que trois quarts d'heure, quoique l'af-
fluence fût fort grande. Le Roi faisoit une inclinaison de tête à
chacun, et, quand tout le monde eut défilé, il vint faire une honnêteté
aux princesses, et il nous dit, en sortant, à moi et à mon frère, que
les dames avoient demandé si elles ne viendroient pas chez nous, mais
qu'ayant appris (par M. le marquis d'O) que j'avois dit qu'il falloit
éviter cela, et que nous en serions embarrassés, il avoit répondu qu'il ne
MORT DE MONSEIGx\EUR. 429
falloit pas qu'elles prissent cette peine-là, et que nous serions très fâchés
et très embarrassés, si elles se la donnoient. S. M. passa ensuite chez
Mnae de Maintenon, et tout le monde alla taire la ronde chez Monsieur
le Dauphin, Madame la Dauphine, M. le duc de Berry, Mme la du-
chesse de Berry, Madame, M. le duc d'Orléans, Mme la duchesse
d'Orléans, Madame la Duchesse. On ne tut point chez Mme la prin-
cesse de Conti, parce qu'elle avoit pensé mourir la nuit de devant d'une
fluxion de poitrine, et l'on vint chez moi, où mon frère recevoit
aussi les compliments pour le soulagement du public. Madame la Prin-
cesse, qui auroit dû aller chez M. le duc d'Orléans et chez Mme la du-
chesse d'Orléans, prit occasion de n'y point aller sur ce que Mme la
duchesse d'Orléans m'avoit dit que, devant nous rendre nos visites,
cela seroit embarrassant, ou, pour mieux dire, fatigant. Pourtant le
discours de Mme la duchesse d'Orléans n'étoit pas pour lors interprété
avec précision, puisqu'elle ne me l'avoit tenu que pour mes autres
sœurs et mon frère, qui étions parents au même degré et qui habi-
tions à Marly. Madame la Princesse crut cependant pouvoir en prendre
pour elle cette partie, à cause de l'obligation de la reddition de la vi-
site, n'ayant point à Marly de lieu pour la recevoir, et ne pouvant
aussi, sans de grandes conséquences, faire civilité sur cette cérémonie.
Madame la Princesse me dit qu'elle se souvenoit positivement d'avoir été
visitée en cérémonie à la mort de la Heine, ce qui est à remarquer, à
cause de ce que les dues disoient qu'ils ne croyoient pas être obligés,
dans ces sortes d'occasion, de visiter les princes et princesses du sang.
Je fus donc chargé, pour éviter toute tracasserie, de faire là-dessus
un assez mauvais compliment, qui ne fut bien reçu que parce que j'en
étois chargé. Mon frère vint dans ma chambre recevoir avec moi ces
compliments, pour abréger la cérémonie et pour sauver de la peine à
la cour. Tous les princes étrangers et tous les ducs nous visitèrent.
<f On entroit dans mu chambre par la fenêtre, et nous étions debout
en manteau. Personne ne voulut s'asseoir.
« Le mardi il, Monsieur le Dauphin alla à Saint-Germain, visiter
en cérémonie le roi et la reine d'Angleterre, et non seulement il trouva
bon que j'eusse l'honneur de le suivre, mais il m'otîrit, dans son car-
rosse, une place, que je refusai, non tant parce qu'il éloit déjà fort
plein, que parce qu'après la visite, je voulois aller à Versailles, oix
j'avois à laire.
« Monsieur le Dauphin, peu instruit de ces sortes de cérémoniaux,
avoit oublié qu'il auroit dû me faire avertir de le suivre ; mais, dès que
M. le marquis d'O lui eut dit que je demandois s'il ne le trouveroit
pas bon, il répondit que même cela se devoit.
« Mon frère ne fut point de ce voyage, parce que, n'en ayant point
été averti, il avoit été dès le matin à Rambouillet. Madame la Duchesse
ne fut pas non plus de la visite, parce que, outre que sa santé n'étoit
pas trop bonne, elle n'avoit point été avertie de la part de Madame la
Dauphine, comme elle auroit dû l'être.
430 APPENDICE I.
« J'allai à Saint-Germain dans mon carrosse, et j'attendis chez M. le
duc de Berwick l'arrivée de Monsieur le Dauphin. Dans ces sortes de
cérémonies, les hommes, d'ordinaire, vont dans un carrosse, et les
dames dans un autre ; mais, à celle-là (je crois, manque d'attention),
il n'en fut pas ainsi, et la carrossée étoit composée de Monsieur le
Dauphin, de Madame la Dauphine, de M. le duc de Berry, de Mme la
duchesse de Berry, de Madame, de M. le duc d'Orléans et de Mme la
duchesse d'Orléans. Quand on me dit que Monsieur le Dauphin arrivoit,
je montai dans la salle des gardes du roi d'Angleterre, pour y prendre
mon manteau et pour me mettre du cortège. Dès que Monsieur le Dau-
phin me vit, il vint à moi; il me dit que je savois bien quej'avois étéle
maître d'aller dans son carrosse, et qu'il me presseroit d'y retourner,
n'étoit qu'on lui avoit dit que je voulois aller à Versailles. Je répondis
par un respectueux remercîment à toutes ses honnêtetés.
« Nous allâmes ensuite, princes et princesses, l'un après l'autre sui-
vant notre rang, chez le roi d'Angleterre, qui nous reçut debout, et,
après y avoir resté quelque temps, nous allâmes dans le même ordre
chez la reine, où nous trouvâmes des fauteuils et des sièges pliants
préparés. La reine prit le fauteuil du milieu, et Monsieur le Dauphin,
Madame la Dauphine, Mgr le duc de Berry, Mme la duchesse de Berry
et Madame se mirent aussi dans des fauteuils à droit et à gauche ; et
M. le duc d'Orléans, Mme la duchesse d'Orléans, et moi, sur des sièges
attenant les fauteuils. On apporta aussi des sièges aux duchesses.
Quand on eut été quelque temps assis, on se leva, et la conversation
se continua, pendant laquelle la princesse d'Angleterre vint trouver la
compagnie.
« Après avoir été ainsi debout encore un demi-quart d'heure, Mon-
sieur le Dauphin sortit et retourna à Marly.
« Le lundi 27, le Boi, en sortant de sa messe, alla à Versailles pour
y recevoir en cérémonie les compliments des ambassadeurs et envoyés,
et des principales compagnies de Paris. Il donna audience, avant dîner,
à M. le Nonce, à l'envoyé de Suède, à celui de Cologne, à celui du
Grand-Duc, à celui de Gènes, à celui de Parme, et à celui de Lorraine.
Toute la cour étoit en manteau.
ce Le Boi reçut ces audiences dans la ruelle de son lit, ayant derrière
lui ses grands officiers, et M. le duc d'Orléans à sa droite, moi à sa
gauche, et mon frère auprès de M. le duc d'Orléans.
« Le Boi reçut, après son dîner, les compliments des compagnies. Son
fauteuil avoit le dos à la cheminée de sa chambre. J'étois à sa droite,
et mon frère à sa gauche, et ses grands officiers derrière sa chaise.
M. le Chancelier étoit tout contre moi, un peu reculé.
« Le Parlement parut le premier. M. le Peletier, premier président,
porta la parole. Quand il eut cessé de parler, et que le Boi lui eut ré-
pondu, S. M. lui ordonna d'aller chez Monsieur le Dauphin et chez
Madame la Dauphine, étant besoin d'un ordre pour que le Parlement
fasse ces visites. Quand le Parlement fut retiré, les gens du Boi
MORT DE MONSEIGNEUR. 434
s'avancèrent et firent un compliment très court, le Roi ne leur ayant
permis de lui parler qu'à cette condition. Après le Parlement, vint la
Chambre des comptes. Ce que dit M. Nicolay ne fut pas long; mais il
fut très touchant. L'ordre dans lequel vinrent les autres compagnies
ne me paroît pas bien important, et il sutïit de nommer celles qui eurent
l'honneur de se présenter devant le Roi. Il y en eut dix en tout. J'ai
nommé les deux premières ; les huit autres étoient la Cour des aides,
la Cour des monnoies, les Trésoriers de F'rance, le Grand Conseil, la
Ville de Paris, l'Université, l'Académie françoise, à la tête de laquelle
le sieur de Saint-Aulaire portoit la parole, et la Chambre aux de-
niers * .
« Le Roi se reposa une heure et demie dans son cabinet entre ces
audiences, et travailla avec M. le Chancelier à l'examen d'un projet de
déclaration touchant les pairies, à laquelle le procès de M. le marquis
d'Antin a donné lieu, et le Roi ordonna que ledit procès fût sursis
jusqu'après la Pentecôte. Après tout cela fait, le Roi retourna à Marly.
« Monsieur le Dauphin et Madame la Dauphine eurent les mêmes
visites que le Roi ; mais M. le duc de Berry, Mme la duchesse de Berry,
Madame, M. le duc d'Orléans et Mme la duchesse d'Orléans, qui étoient
aussi allés à Versailles, ne furent visités que par les ambassadeurs et
envoyés, auxquels S. M., par la crainte du mauvais air, ne voulut pas
permettre d'aller chez Mgrs les ducs de Bretagne et d'Anjou. Monsieur
le Dauphin reçut ses visites dans l'appartement de feu Monseigneur le
Dauphin, qui doit devenir présentement le sien. Le premier président,
en le haranguant l'appela Monseigneur. Mgr le duc de Berry reçut
ses visites dans l'ancien appartement de Monseigneur son frère.
« Les ambassadeurs et envoyés s'assemblèrent dans la salle des
Ambassadeurs, et le. Roi avoit aussi lait donner à chaque compagnie
une chambre pour s'assembler et pour se reposer. On put véritablement
appeler tout ce jour-là une journée de fatigues. Le Roi parut plus
d'une fois attendri pendant les harangues, et il répondit à toutes avec
beaucoup de bonté et de majesté. Il reçut dans son petit cabinet en
particulier, et sans cérémonies, une députation de capucins, qui vinrent
le remercier d'avoir nommé à un évèché un de leurs pères qui se nomme
le P. Mégrigny. Les Pères avoient promis qu'ils ne diroient qu'un
mot ; cependant le discours fut assez long.
« Monseigneur le Dauphin a été universellement regretté, et surtout à
Paris, dont, sans qu'il y parût trop, il avoit trouvé le secret de gagner
les cœurs.
« Je ne puis m'empêcher de dire, en finissant ce triste ouvrage, que,
si la vie des grands est éblouissante, l'aspect de leur mort est plus
humiliant et plus affreux que celui de la mort des particuliers. »
1. Il est à remarquer que la relation ofiScielle du maître des cérémo-
nies donnée ci-dessus ne parle pas des Trésoriers de France ni de la
Chambre aux deniers; c'est sans doute une erreur du duc.
432 APPENDICE I.
On a dit ci-dessus, p. 88, que le Roi avait adressé aux évêques et
aux gouverneurs de provinces des lettres missives pour demander des
prières pour le repos de l'âme de Monseigneur. Celle qui fut adressée
au maréciialde Villeroy, comme gouverneur de Lyonnais, a passé dans
le catalogue de la vente Loménie, le 14 décembre 1883, n" 4 ; nous la
reproduisons ci-après. La minute de celles qu'envoya Pontchartrain fils
aux gouverneurs des provinces de son département est dans le registre
0' 00, fol. 32 v.
Louis XIV au maréchal de Villeroy.
Mon cousin, la tendresse que j'avois pour mon fils, lui seroit pré-
sentement bien inutile, si je donnois simplement des larmes au
souvenir de ses vertus et de l'attachement qu'il m'a toujours témoigné.
La douleur que je ressens de sa perte doit paroître plus chrétienne-
ment, et, comme mes sujets la partagent avec moi, mon intention est
aussi qu'ils joignent leurs prières aux miennes pour implorer la misé-
ricorde de Dieu envers un lils que j'avois tant de raison d'aimer. C'est
pour cet effet que j'écris aux archevêques et évêques de faire faire des
prières publiques dans l'étendue de leurs diocèses, et je désire que
vous y assistiez dans le lieu où vous vous rencontrerez et que vous
teniez la main à ce que les officiers de justice et autres corps aient à
s'y trouver. Et la présente n'étant à autre tin, je prie Dieu qu'il vous
ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde. Ecrit à Marly, le 25^
avril 4741.
Louis, et plus bas -. Colbert.
Enfin, voici pour terminer un fragment d'une lettre inédite de la
marquise d'Huxelles (ms. Avignon 1420), du 20 avril 1711, classée par
erreur au 20 avril 1710 :
« C'est M. de la Trémoïlle qui a été à la conduite du corps, et non
M. le duc d'Aumont, comme aucuns l'avoient dit. Le Dauphin d'à
présent a remercié du château de Meudon, qu'il avoit par préférence
suivant le droit d'aînesse, disant n'avoir pas besoin de maison de cam-
pagne que celles du Roi, qu'il ne vouloit jamais quitter. Feu Monsei-
gneur laisse des dettes, et beaucoup de diamants, que les trois princes
ses enfants partageront ; on en a déjà écrit au roi d'Espagne ainsi.
Monsieur le Dauphin n'a point voulu des cinquante mille francs par
mois qu'on donnoit à Monseigneur, et a dit que trente mille livres lui
suffisoient, même moins, parce qu'il convenoit mieux d'en donner
l'argent à de pauvres officiers qu'on ne payoit point que de l'employer
en bagatelles. On parle encore d'une très belle lettre qu'il a écrite à
S. M. pour la prier de conserver sa santé, qu'elle devoit à ses peuples
plutôt qu'à l'affliction. Tous les menins lui sont conservés. M. d'Antin
MORT DE MONSEIGNEUR. 433
a mis Monsieur son fils en sa place. J'ai ouï dire que le Roi en payera
les pensions, comme celle de douze mille francs à Mlle de Choin, la
première année portée en espèces par M. d'Antin. La douleur est
extrême de ce côté-là, particulièrement aussi à Mgr le duc de Berry.
Il n'est point décidé si Meudon lui sera donné ou non. Le deuil se
portera un an, carrosses drapés et livrées noires, mantes et longs man-
teaux pour cette première audience d'aujourd'hui. On dit des deux
frères que, le cadet s'étant présenté pour donner la chemise à Mon-
sieur le Dauphin, il répondit : « Point de cérémonies entre nous, mais
« de l'amitié ! » Enlin il n'y a point de sagesse qu'on ne rapporte de ce
prince. »
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 28
434 APPENDICE II.
II
LE CARACTÈRE DE MONSEIGNEUR i
Lettre du duc d'Antin au P. de la Rue,
chargé de faire l'oraison funèbre de Monseigneur^.
« A Marly, le 26 de mai 1711.
« Je peux bien dire, mon Révérend Père, avec bien plus de raison
que feu Monsieur de Meaux dans l'oraison funèbre de Madame :
« Étois-je donc destiné à une aussi triste commission que d'avoir à
« reparler d'un prince dont je pleurerai la perte toute ma vie ? » Cepen-
dant j'obéis aux ordres du Roi.
« Il y a peu de faits marqués dans la vie de Monseigneur dont un
orateur puisse faire un grand usage. Je n'ai point eu l'honneur d'être
témoin de son enfance ; le Roi me mit auprès de lui après la mort de
la Reine.
« Voici, à peu près et en gros, ce que j'ai connu en lui, dont je
puis rendre un fidèle et sûr témoignage, l'ayant peu quitté depuis
vingt-huit ans.
« Rien ne peut approcher du respect, de l'amitié et de la soumission
que Monseigneur avoit pour le Roi , il l'aimoit tendrement et le crai-
gnoit de cette crainte filiale que l'amitié donne ; il étoit occupé de lui
plaire comme son premier courtisan, réglant ses actions et même ses
goûts sur ceux de S. M. Il poussoit son attention jusques aux moindres
choses ; quand le Roi devoit venir chez lui, il étoit dans une inquié-
tude continuelle pour le temps et pour les plus petits mouvements,
occupé de tous les soins qui peuvent plaire, comme j'aurois pu faire
chez moi, quand je reçois un aussi grand honneur.
« Quoique assez ferme dans ce qu'il vouloit, il n'a jamais eu d'au-
tres volontés que celle du Roi dans les grandes comme dans les petites
choses.
« Ses sentiments étoient si sincères et si tendres que, malgré l'ordre
de la nature, il n'a jamais envisagé qu'il pût être roi. Tout le monde a
vu sa sensibilité dans la grande opération que le Roi essuya, dans son
anthrax et dans les moindres incommodités. Pendant sa dernière mala-
1. Ci-dessus, p. 43 et suivantes.
2. D'après l'original, qui a passé en vente chez Etienne Charavay, le
21 janvier 1888. Le texte s'en trouve en copie dans le ms. Arsenal 6033,
fol. 1-8.
LE CARACTERE DE MONSEIGNEUR. 435
die, touché dans le fond du cœur de l'excès de l'amitié que le Roi lui
témoignoit en se livrant tous les jours, et plusieurs fois par jour, à ua
air aussi empesté qui faisoit trembler tout le monde, sa plus grande
peine étoit de voir le Roi dans sa chambre ; il chargeoit à tout
moment les Princesses, qui ne le quittoient point, de l'en empêcher ;
il me tit l'honneur de me dire, et même plusieurs fois, qu'il mourroit
de douleur, si le Roi avoit seulement mal à la tête.
« Sa soumission étoit égale à son respect et à son amitié. Il n'a
jamais rien souhaité, voulu ni demandé qu'à proportion qu'il croyoit
que cela étoit agréable au Roi. Employé à plusieurs reprises à com-
mander les armées, remis à la chasse et dans la plus grande oisiveté,
il suffisoit que le Roi le voulût pour qu'il tût content, sans chercher
même à s'en faire un mérite : il savoit bien qu'il n'en avoit que faire
avec le Roi, qui avoit pour lui en abondance tous les sentiments qu'il
méritoit.
« Quel secret dans les affaires et jusques dans les moindres choses !
Ceux qui ont eu l'honneur de l'approcher de plus près peuvent rendre
témoignage de n'avoir jamais rien pu découvrir des moindres affaires
que le Roi lui avoit contiées. Aussi S. M. n'avoit rien de caché pour
lui. Sa discrétion étoit telle qu'il demandoit rarement des grâces au
Roi, sachant bien que S. M. ne lui pouvoit rien refuser et qu'il avoit
peur de contraindre son goût ou ses destinations. Aussi on peut dire
avec vérité que l'on n'a jamais vu un si bon tils ni plus regretté d'un
aussi bon père.
« Il n'étoit pas moins bon père que bon fils : il avoit pour les princes
ses enfants une véritable tendresse ; il ne se répandoit point en
démonstrations extérieures qui n'aboutissent souvent à rien ; mais il
étoit ravi du bien que l'on disoit d'eux et de tout ce qui étoit à leur
avantage ; il étoit charmé de les avoir avec lui dans toutes les parties ;
il avoit les mêmes sentiments pour Mme la duchesse de Rourgogne,
qu'il chérissoit fort.
« Sa première campagne fut fort belle ; il prit dans une arrière-
saison Philipsbourg, Mannheim et Frankenthal, et se rendit maître de
tout le Palatinat, et s'y exposa comme il convient à une personne
comme lui, pour faire voir dans ces premières épreuves le courage
qu'il avoit, ce qui n'est quasi point une louange dans cette auguste
maison.
« Le compte qu'il rendoit tout seul au Roi faisoit bien voir de quoi
il étoit capable, quoique ce fût sa première campagne. S. M., qui
en étoit charmée, en faisoit souvent part à ses courtisans en les rece-
vant.
« On ne poussa [jamais à] tel point la compassion et la libéralité,
que le Roi lui avoit tant recommandée en lui donnant de quoi y
/i36 APPEiNDICE II.
fournir ; la bonne action attiroit sur l'heure une distinction ; les
moindres étoient récompensées ; les secours et l'argent arrivoient chez
les blessés souvent avant eux-mêmes. Le besoin étoit une raison suffi-
sante pour aider de pauvres officiers ; les accidents n'alarmoient point
les malheureux ; les secours étoient toujours proportionnés à leurs
pertes ; les louanges, les paroles de consolation étoient employées à
leurs places.
« Le soldat et le cavalier le bénissoient ; ils reconnoissoient le Roi
dans tous les soins qu'il prenoit d'eux, dans sa libéralité et dans son
exactitude pour le service et pour la discipline, le voyant jour et nuit
à cheval et dans les endroits les plus périlleux.
« Nous qui avions l'honneur d'être ses aides de camp, avions ordre
sur tout de lui marquer tous les matins les officiers que nous connois-
sions avoir besoin de ses grâces ; il est étonnant la quantité d'argent
que nous avons distribué par ses ordres, outre celui que nous répan-
dions de sa part dans les tranchées et aux batteries.
« La campagne de 1690, celle qu'il fit sur le Necker, et la dernière
en Flandres, si fameuse par la marche incompréhensible de son armée
de Vignamont sur l'Escaut pour y devancer les ennemis, ont été sur
le même patron, et, s'il ne les a pu illustrer par quelque action d'éclat,
ce n'a été que faute d'occasions favorables, le bien de l'Etat étant
toujours son premier soin.
« Il étoit affable et honnête pour tous les officiers, les connoissant
tous et leur parlant à chacun suivant leurs conditions et leurs emplois.
Aussi avoit-il le cœur et l'estime de tous ceux qui avoient servi sous
lui ou qui en avoient ouï parler.
« Tout le monde connoissoit sa probité. On peut lui donner cette
belle louange qu'il étoit un des plus honnêtes hommes du royaume
Ceux qui avoient l'honneur de l'approcher admiroient souvent de ne
l'avoir jamais vu se démentir sur aucun principe.
(c II n'avoit aucun vice et, s'il se peut, point de défaut. Ce secret
qu'il observoit si religieusement pour les affaires d'Etat, il avoit le
même pour celles des particuliers qui étoient à portée de lui faire des
contidences ; jamais on ne pouvoit démêler s'il savoit une affaire,
même s'il l'avoit sue, quand elle devenoit publique.
« Il ne connoissoit point le mensonge, et, quand quelque indiscret
ui faisoit quelque question embarrassante, il se taisoit tout à fait
plutôt que de trahir la vérité, pour laquelle il a toujours eu un res-
pect singulier.
« On peut dire que Monseigneur excelloit en bonté. Jamais en sa
vie il ne lui est échappé une parole d'aigreur contre un courtisan, ni
même contre un domestique, aimant la commodité de tout le monde,
s'accommodant de tout, avec cependant un grand discernement de ceux
qui étoient véritablement attachés à lui et qui lui faisoient une cour
plus assidue.
« Dans sa maison de campagne, jamais particulier n'a été plus aisé
LE CARACTÈRE DE MONSEIGNEUR. «7
à vivre, ni plus attentif que tout le monde y fiât à son aise. S'il est
permis de le dire, on trouvoit dans le maître la personne d'un ami. Il
faisoit grand cas de l'amitié et se piquoit d'en avoir, dont il a donné
assez de marques, compatissant au mal, prenant part au bien, enfin
méritant l'attachement outre le respect.
« Jamais les rapports ni les mauvais offices n'ont eu d'accès auprès
de lui. Son sérieux et son silence glaçoient le cœur de l'audacieux
calomniateur et même de ceux qui emploient leur esprit à faire valoir
les défauts des autres. Il est avéré qu'il n'a jamais pu souffrir ces
âmes basses que l'enfer a formées pour troubler la société et surtout
les cours.
« Sa religion étoit très véritable, et sa foi pure et simple. S'il a eu
quelque égarement dans sa jeunesse, la fragilité et l'occasion y ont eu
plus de part que le libertinage, et, depuis dix ans, sa vie étoit exemple
du moindre reproche. Attaché plus que personne aux devoirs du
christianisme, il n'a jamais manqué à ses prières du soir et du matin,
à la messe, aux jeîines de l'Église et à l'observation du carême, tant
que les médecins lui ont permis.
« L'impie n'approchoit point de lui, et je ne l'ai vu sévère que
pour ceux qui manquoiont publiquement au culte et à l'observation de
la loi. Il n'est pas possible qu'un aussi bon prince et un aussi honnête
homme n'eût une conscience timorée, et je peux avancer que rarement
il coramettoit un péché.
« Son âme généreuse ne connoissoit le prix de l'argent que pour
.e distribuer avec discernement. Il avoit de l'ordre et de l'arrangement
dans ses affaires. Tout ce qu'il recevoit du Roi, il le donnoit ou l'em-
ployoit utilement ; il s'éloit même ôté le jeu pour n'être point en
occasion de déranger la destination qu'il avoit faite de ses menus
plaisirs ; à quoi il ne manquoit jamais de satisfaire dès les premiers
du mois. Enfin toutes les vertus qui peuvent faire respecter, aimer et
regretter un prince, Monseigneur les avoit toutes ; aussi ai-je souvent
entendu de la bouche du Roi, dans l'amertume de sa douleur, que
c'étoit un fils fait exprès.
« Je ne connois point dans sa vie de ces actions d'éclat ou de ces
réponses que les historiens ont transmis à la postérité. Toujours simple,
toujours vrai, sans fard, sans ostentation, attaché par préférence à
ses devoirs, amoureux de la vertu et de la vérité dans le repos et dans
le silence, fils tendre et respectueux, bon père, bon maître, bon prince,
bon chrétien, voilà comme il me paroît qu'il faut regarder Monseigneur
que nous regrettons. »
Le Journal de Verdun publia dans son numéro de juin (tome XIV,
p. 374-381) une lettre écrite le 18 avril, sur la mort de Monseigneur, par
l'ancien commissaire des guerres AUiot à M. d'Andrezel, secrétaire des
commandements du feu Dauphin. Au milieu de beaucoup de considéra-
tions pieuses et de lamentations plus ou moins déclamatoires, on y ren-
438 APPENDICE II.
contre quelques phrases sur le caractère du prince. M. d'Andrezel fut
d'ailleurs tellement frappé par la mort subite de son maître, qu'il quitta
le monde et termina sa vie dans la retraite et la dévotion {Journal de
Dangeau, tome XIV, p. 29-30). Voici un passage qui pourra faire juger
du reste de la lettre :
« Ce héros, qui avoit envisagé tant de fois la mort dans ses campa-
gnes glorieuses, l'attendoit avec cette intrépidité courageuse d'un
prince chrétien, sentiments que la vertu avoit produits en lui et qu'il
avoit apportés en naissant de tant de rois glorieux, qui sans interrup-
tion commandent depuis douze cents ans à la France.
« La vertu, la sagesse, la piété, la vénération du Roi pour la reli-
gion, sa magnanimité et sa fermeté inébranlable, toutes ces sublimes
qualités se rencontroient dans l'auguste prince que je regrette. De
pareils avantages le disposoient chaque jour à ce qu'il savoit pouvoir
arriver à tout moment. Avec un assemblage de tant de vertus,
l'homme espère et ne peut être surpris... Pendant que vous et moi le
pleurons, il jouit d'une félicité que Dieu lui a fait goûter prématuré-
ment, par l'activité de sa miséricorde à récompenser la fidélité du
prince le plus débonnaire qui fut jamais. Il avoit comme David cette
éminente qualité, qualité si agréable à Dieu que l'Ecriture ne cesse
de la rapporter, étant selon son cœur. »
On a vu ci-dessus (p. 71-72) que la «ridicule aventure» de Monsei-
gneur avec une fille de l'Opéra fut aussitôt connue de toute la cour.
C'est ce qui explique que le pamphlétaire Gatien des Gourtilz de San-
dras put l'insérer dans ses Annalen de la cour pour 1697-1698 (tome II,
p. 387-389), qu'il publiait en Hollande. Son récit ne diffère guère, quant
au fond, de celui de Saint-Simon ; mais il est plus développé, et il con-
tient des détails omis par notre auteur, et peut-être inventés par le
libelliste :
« Monseigneur étoit bon naturellement et ennemi de toute sorte de
contrainte ; aussi n'étoit-il pas capable d'aucune attache pour les
femmes, et, quoiqu'il en eût aimé une ou deux, comme il savoit que
le beau sexe demandoit de la complaisance, il ne se soucioit pas tant
que celles qu'il voyoit eussent de la vertu que de la facilité. Du Mont,
l'un de ses écuyers, qui n'étoit pas mal auprès de lui, les lui amenoit
par un degré dérobé, quand il en avoit affaire, et les renvoyoit tout
aussitôt qu'il en avoit fait. Ce prince les choisissoit d'ordinaire entre
les opératrices * ou les comédiennes, et il lui arriva une plaisante chose
là-dessus et qui mérite d'être lue. Ayant fait parler par du Mont à
une de ces opératrices, et celui-ci étant convenu avec elle qu'elle le
viendroit trouver à Meudon, afin qu'il l'introduisît dans le cabinet de
Monseigneur par le petit escalier dont je viens de parler, il lui marqua
1. Au sens de « fille d'opéra ».
LE CARACTÈRE DE MONSEIGNEUR. «9
le jour et l'heure qu'elle devoit y venir. L'opératrice, quoique per-
sonre sans façon, croyant de la bienséance de ne pas aller là toute
seult, y mena une de ses sœurs avec elle. Monseigneur avoit quelqu'un
dans «on cabinet quand elles arrivèrent, ce qui fut cause que du Mont
leur dt de l'attendre dans un endroit oîi il les posta tout auprès de ce
cabine.. Il fut faire signe en même temps à Monseigneur de la venue
de la bi'Ile, atin qu'il se défît de sa compagnie. Monseigneur lui donna
l'ordre ^'aller quelque part, et, étant sorti par le grand escalier, ceux
qui étoient avec Monseigneur sortirent ensuite, s'apercevant qu'ils
commençaient à l'incommoder. Comme du Mont avoit laissé entr'ou-
vcrte la porte par laquelle il éloit allé trouver Monseigneur, la sœur
de l'opéra rice, n'entendant plus personne causer avec lui, eut la
curiosité dî vouloir voir ce qu'il faisoit. Monseigneur, qui n'attendoit
que le retoir de du Mont pour faire entrer sa sœur, ayant par hasard
les yeux tournés du côté par où l'autre regardoit, ne vit pas plus tôt
une coiffe oar l'ouverture de la porte, que, croyant que c'étoit celle
qu'il vouloit il lui dit d'entrer. Elle crut qu'il falloit obéir, quoique
ce ne fût pas elle qu'il attendît, et soit qu'il eût, ce jour-là, les yeux
troubles, ou qu'il fût si pressé qu'il n'eût pas le temps de la bien
considérer, il la traita tout de même qu'il eût pu faire celle à qui il
avoit donné lendez-vous. Comme il n'aime pas les longues conversa-
tions avec les dames, il la renvoya aussitôt. Elle ne dit rien à sa sœur
de ce qui vencit de se passer. Celle-ci attendoit le retour de du Mont
pour l'annonce-, et il lui tardoit fort qu'il ne revînt. Il revint enfin
par le petit escilier, et du Mont lui dit qu'il alloit parler à Monsei-
gneur, afin de 'introduire. Monseigneur lui répondit, quand il lui en
voulut dire un uot, qu'il avoit eu avec elle toute la conversation qu'il
y vouloit avoir, qu'il lui donnât cinq cents louis et qu'elle s'en retour-
nât chez elle. Di Mont, à qui elle avoit témoigné l'impatience qu'elle
avoit d'entrer, m sut ce que cela vouloit dire, et tlt expliquer Monsei-
gneur. Il sut ce qui venoit de se passer ; mais, ne sachant pas avec
qui c'étoit, il fui redire à l'opératrice que, si elle avoit si bon appétit,
il n'en étoit pas de même de Monseigneur. L'opératrice fut surprise de
son compliment; elle reconnut par là que sa sœur l'avoit trompée, et
elle en eut tant de chagrin, qu'elle ne se seroit jamais raccommodée
avec elle, si elle n'eût consenti à lui faire part des cinq cents louis
d'or que ce prince avoit envoyés à celle-ci pour son payement. »
MO APPENDICE III.
III
LES MAISONS DE CHATILLON ET DE BEAUVAU/
(Fragments inédits de Saint-Simon*.)
Maison de Chàtillon^. /
« La maison de Châtillon-sur-Marne, ou tout court de Châtillon,
n'a pas besoin qu'on la fasse connoître, déjà grande et illustre dès le
ix'= siècle.
« Ses branches, outre le tronc, furent celles de Blois, de Fenthièvre,
de Saint-Pol, de Leuze, de Porcien, de Dampierre, de h Ferté, qui
est l'unique subsistante, de Marigny, de Dours, de Bonntuil, de Ro-
soy, vidâmes de Laon, de Fère-en-Tardenois ; treize out'e le tronc.
Du Chesne y compte une première branche, antérieure à toutes, qu'il
appelle de Savigny.
(c On se gardera bien d'entreprendre d'effleurer ici l'histoire, les
grandeurs, le lustre en tout genre de cette maison, tels qu'elle ne le
peut céder à pas une d'origine non souveraine, et qu'elle peut à beau-
coup de titres prétendre une grande supériorité sur la plupart. Il faut
dire néanmoins que le lieu d'oià elle tire son origine, son nom et sa
première seigneurie, qui est celui de Châtillon-sur-Marne, est un fief
de très médiocre étendue et qui ne promettoit pas un si grand vol.
Aussi l'affection pour lui a-t-elle été pareille. Il y a des siècles qu'il
est sorti de cette maison, sans qu'aucun d'elle ait jamais songé à l'y
faire rentrer. Il est actuellement possédé par M. Barrifon, ancien maî-
tre des requêtes, fils du conseiller d'État qui étoit ambassadeur en
Angleterre lors de l'invasion du prince d'Orange, et lorsqu'en 1736
M. de Châtillon, gouverneur de Monseigneur le Dauphin, a été fait duc
et pair, il a mieux aimé faire donner le nom de Châtillon à la terre
qu'il a achetée pour la faire ériger en duché-pairie, que de racheter
l'ancienne glèbe de son nom et maison et mettre sa dignité dessus.
« Les plus grandes terres, et même des provinces, les plus hauts
emplois, les premiers offices de la couronne, les alliances les plus con-
tinuellement distinguées et relevées, celles avec le sang royal en grand
nombre, et les directes avec nos rois et avec d'autres couronnes, sont
familières dans cette maison. C'est dommage qu'une si longue éclipse
1. Ci-dessus, p. 116.
2. Extrait du mémoire intitulé : Alliances directes des seigneurs fran-
çais avec des filles du sang de nos rois ; branche de Dreux-Bretagne ; au-
tographe de Saint-Simon, vol. 44 de ses papiers, aujourd'hui France 199,
fol. 61.
MAISONS DE CHATILLO.X ET DE BEAUVAU. Ui
en tous ses genres l'ait plus que couverte dans ces derniers temps, dont
le retour de la fortune lui promet maintenant de la dédommager.
« Le tronc, ou branche directe première et aînée, a duré en neuf gé-
nérations jusqu'au "28 juin 1279, que mourut Jean de Cliàtillon, comte
de Blois, de Chartres, de Dunois, seigneur d'Avesnes. nommé par le
roi Philippe III le Hardi tuteur, défenseur et garde du royaume et de
ses enfants, en cas que le comte d'Alençon vînt à mourir, ce qui n'ar-
riva pas. C'est ce même Jean de Chàtillon qui donne lieu à cet article
par son mariage avec Alix de Bretagne. Il n'en vint qu'une tille unique
que nous verrons en son temps épouser un tils de saint Louis, faire
des fondations à la chartreuse de Paris et mourir sans postérité en
4298. Les héritières de Saint-Pol, des comtés de Nevers, Auxerre et
Tonnerre, du comté de Blois, et d'Avesnes, Guise, Leuze et Landrecies,
entrèrent dans cette première branche.
« La branche de Blois sortit de Guy, frère puîné de Jean de Chà-
tillon qui finit la branche aînée directe, qui épousa Mahaut de Bra-
bant, veuve de Bobert, frère de saint Louis. On verra en son temps
leur petit-fils épouser la sœur du roi Philippe VI de Valois. Elle eut
cinq générations et finit en 1397. La tille unique et héritière de Jean
d'Hainaut, comte de Soissons, seigneur de Beaumont, Chimay, Condé,
Valenciennes, entra dans cette branche, qui finit parce que le dernier
d'icelle n'eut point d'enfant de la tille de Jean, duc de Berry, fils et
frère des rois Jean et Charles V.
« La branche de Penthièvre, décorée du duché de Bretagne, sortit
de Guy de Chàtillon, comte de Blois, et de Marguerite, sœur du roi
Philippe VI de Valois, par leur second fils Charles de Chàtillon, dit
le Saint, qui épousa Jeanne de Bretagne, nièce du duc Jean III, fille de
son second frère Guy, comte de Penthièvre et de Goëllo, et nièce de
Jean, comte de Montfort, troisième frère du même duc, qui, n'ayant
point d'enfants, maria cette nièce comme héritière de Bretagne en
présence de ce troisième frère, qui y consentit, et qui, après la mort
du duc, contesta avec divers succès des armes la Bretagne à Charles
de Chàtillon qui s'en maintint longtemps en possession, et qui la per-
dit avec la vie à la bataille d'Auray, 29 septembre 4364, contre le fils
du précédent comte de Montfort, qui en devint, sous le nom de Jean V,
duc effectif et paisible de Bretagne, et la postérité de Chàtillon réduite
à l'état particulier par le traité de Guérande fait avec ce duc, la veille
de Pâques, 12 avril même année, qui lors en étoit le dernier jour.
« Cette branche qui eut beaucoup de tètes en trois générations
qu'elle dura, essuya d'étranges traverses, finit avant 1434 et fondit
par l'unique fille héritière dans la maison de Brosse dont l'héritière
épousa un Luxembourg-Martigues, desquels le fils, ce fameux Sébas-
tien, fut fait duc de Penthièvre et ne laissa qu'une fille qui épousa le
trop fameux duc de Mercœur, dont la fille unique héritière fut un peu
forcément mariée, au débris de la Ligue, à César, duc de Vendôme,
bâtard d'Henri IV. N'oublions pas que nous verrons en son temps la
442 APPENDICE III.
dernière fille de Charles de Châtillon, duc de Bretagne, épouser Louis,
duc d'Anjou, roi des Deux-Siciies, tils et frère des rois Jean et Char-
les V.
« La branche de Saint-Pol sortit de Guy de Châtillon, chef de la
branche de Blois, et de Mahaut de Brabant, veuve de Bobert, frère de
saint Louis, par leur second tils, Guy de Châtillon, comte de Saint-
Pol, grand bouteiller de France, qui épousa Marie, fille de Jean II,
duc de Bretagne, et de Béatrix d'Angleterre, et leur fille aînée fut troi-
sième femme de Charles, comte de Valois, fils puîné du roi Philippe
le Hardi. Cette branche, qui n'eut que trois générations, finit en 4360
et fondit par le mariage de la fille héritière dans la maison de Luxem-
bourg de la branche de Ligny, qui en eut le comté de Saint-Pol entre
autres biens.
« La branche de Leuze eut la même origine que la dernière : deux
frères en furent les chefs. Jacques de Châtillon le fut de celle-ci. Nous
verrons en son lieu qu'elle donna une femme à Jacques P"" de Bourbon,
comte de la Marche, connétable de France, à qui elle porta les sei-
gneuries de Leuze, Condé, Carency et Aubigny. Cette branche n'eut
que quelques générations et s'éteignit peu après l'an 4400.
« La branche de Porcien sortit d'Hugues de Châtillon, comte de
Saint-Pol, pénultième du tronc ou branche aînée et directe, et de
Marie d'Avesnes, comtesse de Blois, sa seconde femme, par Gaucher
de Châtillon, leur troisième fils et frère cadet du chef de la branche de
Saint-Pol. Gaucher II, fils de Gaucher P"", chef de cette branche de
Porcien, fut connétable de France, et Jean, fils de ce connétable, fut
souverain maître d'hôtel du Boi : l'un par Philippe le Bel, après le
connétable Baoul II de Clermont-en-Beauvoisis, seigneur de Nesle,
depuis environ 4286 jusqu'en 4343 qu'il mourut et que Baoul I" de
Brienne, comte d'Eu et de Guines, lui succéda en l'office de conné-
table. L'autre fut souverain maître d'hôtel du roi Jean en 4331, après
Bobert de Dreux III, de la branche de Bû. Mais Jean de Châtillon ne
le fut pas un an, quoiqu'il ne soit mort qu'en 4363, et Jean III de
Melun, comte de Tancarville, lui succéda en cet office. Cette branche
eut six générations et ne dura guères au-delà de l'an 4400. Le comté
de Porcien fut vendu en 4400 par Jean de Châtillon. dernier de cette
branche, à Louis, duc d'Orléans, frère de Charles VI, et Charles, duc
d'Orléans, son fils, le revendit en 4433 à Antoine de Croy, seigneur
de Benty. On explique cette bagatelle à cause du prince de Porcien,
qui étoit Croy, si connu dans l'histoire de son temps, et dont la veuve
Nevers-la Marck-Clèves épousa en deuxième noces le duc de Guise
tué aux derniers Etats de Blois, qui eut d'elle tous ses enfants. La
sœur héritière du dernier de cette branche de Châtillon épousa Guil-
laume de Fayel, dit le Bègue, vicomte de Breteuil, dont elle eut pos-
térité.
« La branche de Dampierre sortit de Gaucher III de Châtillon, fils
aîné du connétable de Châtillon, fils du chef de la branche de Porcien,
MAISONS DE GHATILLON ET DE BEAUVAU. 443
et de Marguerite de Darapierre par leur second fils, Jean de Châtillon.
seigneur de Dampierre. Le dis et le petit-Hlsde celui-là furent Hugues
et Jacques de Châtillon, le premier, grand-maître des arbalétriers de
France, 1364, par Charles V, après Beaudoin de Lens, sire d'Anne-
quin, tué la même année à la bataille de Cocherel, et peut-être après
Nicolas de Ligne, seigneur d'Olignies, qui ne se trouve que dans Frois-
sart, et, s'il le fut, il ne le demeura que quelques mois. Hugues de
Châtillon fut ôté de sa charge en faveur de Guichard I*"" Dauphin en
1379 jusqu'en •1382 que Hugues fut rétabli. En 1388, Guichard fut en-
core mis en sa place, et Hugues mourut deux ans après. Jacques de
Châtillon, fils de cet Hugues, fut fait amiral de France en 4408 par la
faction de Bourgogne, qui destitua Pierre de Breban dit Clignet, qui
étoit du parti d'Orléans et qui en conserva toujours la prétention et
le titre. Il vivoit encore en 4428. Jacques de Châtillon étoit mort en
4443 à la bataille d'Azincourt, et en 4447 Bobert de Braquemont, dit
Bobinet, fut amiral de Frauce.
V Autre Jacques de Châtillon, fils de notre amiral, fut fait par Char-
les VI grand pannetier de France après la mort de Jean, seigneur de
Naillac, qui lui fut adjugée par arrêt du Parlement, 4439, contre Bo-
land de Donquerre, qui la lui disputoit. Jacques mourut sans posté-
rité peu après 4446, et Antoine de Chabannes fut grand pannetier,
le même qui dans la suite fut grand maître de France et qui étoit
comte de Dammartin. Cette branche de Châtillon-Dampierre tinit à la
quatrième génération, après 4471, et fondit par les deux filles héri-
tières dans les maisons de Lannoy et de Soissons-Moreuil.
a La branche de la Ferté-en-Ponthieu est la seule qui subsiste en-
core aujourd'hui et réduite à deux têtes, le duc de Châtillon, pair de
France, gouverneur de Monseigneur le Dauphin, et le marquis de
Châtillon, doyen de l'ordre du Saint-Esprit, frère cadet de son père,
et est sortie de Jean, second fils du connétable Gaucher de Châtillon
et de sa première femme, Isabelle de Dreux-Bù, lequel Jean de
Châtillon, chef de cette branche, fut grand queux, puis grand maître
de France ou souverain maître d'hôtel du Boi comme on parloit
alors. Il fut grand queux de France après Jean Bonnet et assista en cette
qualité, en 4328, au sacre de Philippe VI de Valois. Bernard VI,
sire de Moreuil, maréchal de France, lui succéda en cet office, lors-
qu'il fut pourvu de celui de souverain maître d'hôtel du roi Jean,
comme on l'a vu en la page précédente sous la branche de Porcien.
« Cette branche est en la personne du duc de Châtillon à sa
douzième génération depuis le connétable Gaucher de Châtillon. Elle
a eu deux grand queux et deux grands maîtres des Eaux et forêts de
France et un souverain maître d'hôtel de la Beine, savoir :
« Deux fils du chef de cette branche. Gaucher et Charles : Gaucher de
Châtillon, souverain maître d'hôtel de la reine Jeanne de Bourbon,
femme de Charles V et mère de Charles VI, fut institué souverain maître
etréformateur desEauxet forêtsdeFranceen4364aprèsRobertII, comte
444 APPENDICE III.
deRoucy. Après lui, Hugues de Prouverville, écuyer, et Jacques l'Em-
pereur, général des aides, eurent l'un après l'autre commission de
maître enquêteur des Eaux et forêts, et, après ceux-là, Charles de
Châtillon, frère de notre Gaucher, fut institué en 4384 par Charles VI
souverain et général réformateur des Eaux et forêts de France, et il
le fut jusqu'en 1394, que Guillaume IV, vicomte de Melun, comte de
Tancarville, lui succéda en cet olTice. Pour Charles de Châtillon, il fut
en 4390 grand queux de France par la mort de Guillaume, châtelain
de Beauvais. Il mourut lui-même en 4404, et Philippe, seigneur de
Linières, lui succéda en cet office. Pour Gaucher, son frère aîné
ci-dessus, qui continua la postérité et qui mourut en 4377, son petit-fils
Guillaume de Châtillon fut fait en 4418 par Charles VI grand queux
de France, après Philippe de Linières, dont on vient de parler. An-
toine de Prie lui succéda en cet office en 4434 et vivoit encore en
1484, et il a été le dernier grand queux de France, cet office ayant été
supprimé en 4490 par Charles VIII et ses fonctions réunies à celles de
grand maître de France. François de Montfort-en-Bretagne, dit
Guy XIV, comte de Laval et de Montfort, étoit lors grand maître de
France et servit comme tel au sacre de Charles VIII, puis mourut sans
enfants en 4500.
« La branche de Marigny, sortie de Charles II de Châtillon, sei-
gneur de Survilliers, un des chambellans de Charles VIII, et de Ca-
therine Chabot, tille de Thibaut IV Chabot, seigneur de la Grève, et
de Brunissénde, dame d'Argenton, quatrième génération de la branche
de la Ferté, par leur second fils Jacques de Châtillon, seigneur de
Marigny, n'eut aucune illustration et seulement deux bonnes alliances
en cinq générations, et finit vers 46S0 fondue dans la maison de Con-
flans par le mariage de l'héritière, morte à soixante-treize ans en
4683.
« La branche de Dours, sortie de Jean de Châtillon, chef de la
branche unique subsistante de la Ferté-en-Ponthieu, et d'Eléonor de
Roye, sa première femme, par leur troisième fils Gaucher de Châtil-
lon, n'eut aucune illustration en trois générations qu'elle dura que
quelques alliances. Charles, dernier de cette branche, qui mourut sans
enfants, et qui étoit un des chambellans du duc de Bourgogne, vendit
à Pierre de la Trémoïlle sa terre de Dours en 4413, qui a fait une
branche de Dours dans la maison de la Trémoïlle. Les biens de cette
branche de Châtillon-Dours, qui étoient fort médiocres, tombèrent par
ses héritières dans les maisons de Trelon et de Roye.
« La branche des vidâmes de Laon, sortie de Gaucher de Châtillon,
connétable de France, comte de Porcien et d'Isabelle de Dreux-Bû,
sa première femme, par Hugues, seigneur de Rosoy, n'eut que deux
générations et aucune illustration que par quelques alliances. Elle ne
subsista guères après l'an 4367, et les biens pour la plupart par les
filles héritières tombèrent dans la maison de Craon.
« La branche de Fère-en-Tardenois, sortie du connétable Gaucher
MAISONS DE CHATILLON ET DE BEAUVAU 443
de Châtillon et de sa seconde femme Hélisende de Vergy par leur fils
unique cadel du connétable, qui s'appcloit Guy, n'eut que deux géné-
rations, et tinit en 1404. Guy s'illustra par son mariage avec Marie,
tille de Thibaut, duc et marchis de Lorraine. Leur fils n'eut que des
filles d'une Coucy, qui portèrent les biens de cette branche dans les
maisons de Montbéliard et de Ghistelles.
« On laisse aux critiques les raisonnements sur la décadence subite
et si marquée de cette grande maison. »
Maison de Beauvau^
IsABEAU DE Beauvau épousa à Angers, 9 novembre 1434, Jean II
de Bourbon, comte de Vendôme.
Il se trouva à toutes les expéditions de guerre et à toutes les grandes
fonctions de son temps. Il mourut en son château de Lavardin, près
Vendôme, 6 janvier 1477, que nous dirions 78, et laissa François, son
successeur, Louis, prince delà Roche-surYon, tige des ducs de Mont-
pensier, quatre filles mariées et deux abbesses.
Isabeau son épouse étoit fille unique et héritière de Louis de Beau-
vau, seigneur de Champigny et de la Roche-sur- Yon et de Marguerite
de Chambley. Il étoit sénéchal d'Anjou, attaché au bon roi René de
Sicile, duc d'Anjou, son premier chambellan, etc., et le dernier de la
branche aînée directe de Beauvau, et la sixième génération depuis
René, seigneur de Beauvau, auquel MM. de Sainte-Marthe commen-
cent la généalogie de celte maison. Il falloit qu'elle fût dès lors consi-
dérable, puisque ce René accompagna en l'263 Charles, comte d'Anjou,
frère de saint Louis, en son expédition de Naples, avec distinction, où
il mourut l'année suivante. Mathieu, son fils, fut sénéchal d'Anjou,
qui de Jeanne de Rohan eut Jean II, qui continua la lignée, et autre
Mathieu, qui a fait la branche du Rivau. Jean II fut grand père de
Pierre I, gouverneur et sénéchal d'Anjou, exécuteur du testament de
Louis II d'Anjou, roi des Deux-Siciles, et ambassadeur du roi
Louis III, son fils, pour son mariage avec Marguerite, fille du duc
Amédée de Savoie. De Jeanne de Craon il eut deux fils : Louis, père
de notre comtesse de Vendôme, et Jean IV, seigneur de Beauvau,
qui continua la postérité. Il fut sénéchal d'Anjou, chambellan du bon
roi René, et laissa Pierre II, son fils, qui fut aussi au même roi René,
et sénéchal de Lorraine, où ses enfants s'établirent, et eurent toujours
de père en fils des emplois de confiance et distingués en Lorraine.
Son sixième petit-fils en ligne directe est Marc de Beauvau, qui porte
aujourd'hui le nom de prince de Craon.
1. Extrait du mémoire intitulé: Alliances directes de filles de seigneurs
particuliers français avec des seigneurs ou princes du sang ; autographe
de Saint-Simon, vol. 14 de ses papiers, aujourd'hui France 199, fol.
118 v.
446 APPENDICE III.
Il a épousé en décembre 4706 Marguerite de Ligneville, pour la-
quelle le duc de Lorraine Léopold, gendre de Monsieur frère de
Louis XIV, a eu la plus singulière amitié, qui leur a procuré des ri-
chesses immenses pour un pays, encore plus pour un petit Etat comme
la Lorraine, et, à la paix d'Utreclit, le duc de Lorraine remit au roi
d'Espagne pour trois millions de prétentions liquidées, dont il donna
quittance moyennant la grandesse d'Espagne qui fut accordée à M. de
Craon, pour lequel M. de Lorraine obtint encore de l'Empereur de le
faire prince de l'Empire. Il est grand écuyer du duc de Lorraine
comme il l'avoit été de son père, et sa femme vient de remettre sa
place de dame d'honneur de Mme la duchesse de Lorraine petite-tille
de France. M. et Mme de Craon s'en vont à Florence avec commission
dé M. de Lorraine [de] veiller à ses intérêts pendant la vie du grand-
duc, dont les Etats lui sont assurés par la paix de cette année 1737 ' en
échange des duchés de Lorraine et de Bar cédés en toute propriété au
roi Stanislas de Pologne, et après lui incommutablement à la couronne
de France. M. de Craon a beaucoup d'enfants, tils et Hlles très bien
mariées, dont deux déjà veuves. Telle est la branche directe aînée de
Beauvau, où les bonnes alliances sont très ordinaires, mêlées de plus
illustres et de très communes.
Les branches de Rorté et de Pange ont été attachées aux ducs de
Lorraine et y ont eu des emplois considérables.
Celle de Précigny ou de Pimpéan a eu des emplois considérables
chez les ducs d'Anjou, rois des Deux-Siciles, et des alliances fort bonnes
en petit nombre. Elle a tini en 4397 en la personne de Jean-Baptiste de
Beauvau, seigneur de Pimpéan et des Roches, sans enfants d'une sœur
du cardinal-duc de Richelieu, longtemps avant les premiers commence-
ments de la fortune de ce premier ministre, son cadet de beaucoup
d'années. C'est cette sœur qui s'emmouracha depuis de René Vigne-
rot, bisaïeul de mâle en mâle du duc de Richelieu d'aujourd'hui.
René Vignerot et sa femme furent longtemps sans que personne de
la parenté de cette femme les voulût voir, et le cardinal de Richelieu
et le monde auroient vu avec plus de plaisir la maison de Reauvau, s'il
y eût eu des enfants du premier mariage, protiter de la prodigieuse
fortune qu'à leur défaut ont fait les enfants de cet étrange second
lit.
La branche de Passavant, qui avoit eu des alliances illustres dans ses
premières générations, n'en a eu depuis que de fort communes, et
même de moindres.
La branche du Rivau n'a eu que les alliances les plus communes,
1. C'est donc en 1737 que Saint-Simon rédigea les mémoires sur les
alliances de la maison royale d'où est extraite la présente notice. On a
vu dans l'Avertissement de notre tome 1" (p. xxxi-xxxn) que c'est en
1738 ou 1739 qu'il commença la rédaction de ses Mémoires proprement
dits.
MAISONS DE CHATILLON ET DE BEAUVAU. 447
avec très peu de bonnes et encore moins d'illustres. Elle vient de finir
en 4734, en la personne de Pierre-Madeleine, marquis de Beauvau du
Rivau, lieutenant général des armées du Roi, chevalier de ses ordres
en i7'24, et gouverneur de Douay, où il est mort, frère de l'archevê-
que de Narbonne, encore vivant, et commandeur de l'ordre du Saint-
Esprit en même promotion que lui. Il ne reste de cette branche que la
tille unique de ce même marquis de Beauvau, veuve sans enfants du
duc de Rochechouart, pair de France et premier gentilhomme de la
chambre du Roi par démission du duc de Mortemart son père.
Entin la branche de Rivarennes ou de Montgaugé n'a eu aucune
alliance. Elle va finir en la personne de Gabriel-Henri de Beauvau,
qui a été autrefois capitaine des gardes de Monsieur frère de
Louis XIV, vieux et in.irme, qui n'a eu que des filles, mariées au
marquis de Beauvau, chevalier de l'Ordre, dont on vient de parler, au
comte de Choiseul, au marquis de Flamarens, et quelques-unes res-
tées filles. Il avoit épousé une fille d'afïaires, dont sont les deux pre-
mières ; les autres sont de son second mariage avec une sœur du
second lit du duc de Brancas et de même lit que la marquise de Bran-
cas, la seule alliance de cette branche. Il a eu un frère mort évêque
de Nantes en 4747.
448 APPENDICE IV.
IV
LE COSTUME DE DEUIL A LA COUR '
(Extrait des registres du maître des cérémonies -.)
« A la mort de Madame la Dauphine [Bavière], le Roi ne prit point
le deuil ; la cour le prit. Les princes du sang drapèrent leurs carrosses
et habillèrent leurs livrées de deuil pendant un an et quarante jours.
Les princes étrangers et les ducs ne tirent point draper leur carrosses;
leur deuil dura six mois.
« Les princes étrangers et les ducs ne firent point draper leurs car-
rosses ; leur deuil dura six mois.
« Les princes étrangers et les ducs représentèrent au Roi. depuis,
qu'ils n'avoient pas à la vérité drapé leurs carrosses au deuil de Ma-
dame la Dauphine par ordre, mais que, dans toutes les occasions de
cérémonie de grand deuil, ils avoient été en possession défaire draper
leurs carrosses, et qu'ils espéroient que S. M. trouveroit bon qu'ils le
fissent à l'avenir.
(c On porta des pleureuses ^ six semaines ; épée noire, crêpe, boucles
noires et souliers noirs, cravates, manchettes du plus grand deuil six
semaines.
« La cour a porté le deuil de Monseigneur six semaines avec des cra-
vates de toile épaisse de batiste, des pleureuses aux manches du
justaucorps, et des manches plates à la veste, sans aucune manchette
au poignet, un crêpe au chapeau et les boucles des souliers noires.
« Au bout des six semaines, on a quitté les pleureuses, remis les
boutons aux manches du justaucorps ; mais on a laissé les manches
plates à la veste, sans mettre de manchettes au poignet ; le deuil a en-
core duré de cette façon pendant six autres semaines, et, au bout de
trois mois, on a quitté les manchettes plates, et on a pris des cravates
plus claires avec de l'effilé autour et des manchettes au poignet avec
de l'effilé autour.
« Au deuil de la reine Marie-Thérèse d'Autriche en 1683, le Roi
1. Ci-dessus, p. 123.
2. Extraits copiés par le baron de Breteuil sur la marge du manu-
scrit de ses Mémoires, ms. Arsenal 3864, fol. 17 et suivants.
3. « On appeloit ainsi de certains morceaux de toile qu'on attachoit au
haut des manches du justaucorps, et d'autres plus petits qu'on attachoit
au bout des manches des vestes » {Mémoires de Sourches, tome XIII,
p. 89, note).
LE COSTUME DE DEUIL A LA COUR 449
prit les chausses, le pourpoint et le manteau long de drap violet : les
chausses ouvertes et un peu larges, le pourpoint boutonné jusqu'au
bas sans laisser voir la chemise, les manches fermées jusqu'au poing et
garnies de petites manchettes plates cousues, le collet garni d'un ra-
bat de toile d'Hollande, la queue du manteau de cinq pieds, les bas de
laine violette, les souliers de drap violet avec les boucles d'acier tirant
sur le violet, l'épée garnie d'acier de même couleur avec le ceinturon
de drap violet, le chapeau noir garni d'un grand crêpe violet pendant
jusqu'aux jarrets, les gants violets avec garnitures.
« Monseigneur le Dauphin, Monsieur et les princes du sang prirent
le grand deuil de drap noir. Le manteau de Monseigneur traînoit de
quatre pieds, celui de Monsieur de trois pieds et demi, et ceux des
princes du sang de deux, les crêpes des chapeaux pendoient à propor-
tion de la longueur des manteaux. Comme les distinctions sont inutiles si
elles ne sont fort sensibles, la queue du manteau de Monsieur ne devoit
être que de trois pieds la distinction d'un demi-pied n'étant pas consi-
dérable.
« Les princes étrangers, les ducs, les maréchaux de France, les officiers
de la couronne, les grands officiers de la maison du Roi, prirent aussi
le grand deuil avec cette différence que les manteaux ne traînoient que
de trois ou quatre doigts.
« Le Chancelier ne prit point le deuil. Tous les autres officiers de la
maison du Roi prirent le deuil en justaucorps et cravates. Tous les offi-
ciers de la maison de la Reine prirent le grand deuil en manteau long.
Les gens de livrées de toutes les personnes dont je viens de parler
furent habillés de noir. »
UÉHOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 39
4S0 APPENDICE V.
MEMOIRE DU DUC DU MAINE SUR LA MORT DE
L'EMPEREUR
Présenté au Roi le 7 mai 1711 K
« Les secrets replis de la divine Providence commencent pour nous à
se développer, et la justice toute miséricordieuse de Dieu se manifeste
à nos yeux de la façon la plus sensible. C'est ce même Dieu qui, par
l'ordre de sa sagesse, prescrit à la mer de certaines bornes qu'elle
n'ose passer, qui se rend aussi protecteur des Etats et qui les soutient
dans la juste étendue convenable au bien de la société civile et au
partage de la terre. C'est encore ce même Dieu, qui, ayant créé toutes
choses, qui, aimant tous ses ouvrages, et qui, voulant qu'aucuns ne pé-
rissent absolument, a permis la mort de l'Empereur dans la conjoncture
où elle est survenue. Cet événement est si considérable pour l'Europe,
dont il peut changer la face, et surtout pour le royaume de France,
que tout François à qui il est permis de parler sur d'aussi graves ma-
tières doit le faire pour sa propre satisfaction et pour l'acquit de sa
conscience, avec la soumission d'un sujet qui recherche plus la gloire
de son prince et celle de sa patrie que le mérite d'avoir pensé quelque
chose dont personne ne se soit avisé. Je crois qu'on doit aujourd'hui
parler d'autant plus hardiment, qu'il ne s'agit que d'exposer les révo-
lutions que la catastrophe présente offre à l'imagination, sans s'avancer
avec trop de confiance à proposer les moyens d'en profiter, qui ne peu-
vent être connus que de ceux qui, tenant le timon des affaires, ont
une notion parfaite de tous les secrets d'Etat, des termes où l'on est
avec chaque potentat, des ressorts capables de les émouvoir, et de la
puissance où l'on se trouve de les mettre en pratique.
« Il est certain qu'en quelque temps que soit arrivée la mort de
l'Empereur, elle auroit infailliblement changé la face des affaires, et il
est encore plus certain que cette mort ne pouvoit arriver dans une con-
joncture qui nous fût plus favorable.
« Les spéculatifs, donnant dans le cabinet carrière à leur zèle et à leur
imagination, ne trouvoient pour sortir de la violente situation où nous
sommes que l'armement du Tuix ou la mort de l'Empereur, et les voilà
tous deux arrivés en même temps. Est-il rien de plus flatteur pour
nous que ce premier coup d'œil ?
1. Ci-dessus, p. 134. Extrait de la Correspondance du duc du Maine,
2« registre, fol. 176 v» et suivants.
MÉMOIRE DU DUC DU MAINE. 451
« Le choix d'un Empereur intéresse toute l'Europe ; l'armement du
Turc menace l'Empire ; l'interrègne afîoiblit l'Empire ; entin les forces
ottomanes sont excitées et conduites par le roi de Suède, dont il est
à présumer que le loisir de réfléchir sur les causes de sa disgrâce n'a
servi qu'à fortitier, s'il se peut, l'ardeur guerrière, et à rendre l'ambi-
tion plus redoutable.
« L'Empereur, étant mort sans enfant mâle, laisse à tous les princes
de l'Europe une libre prétention à l'Empire, et tous ceux qui s'en sou-
cient ont des forces à peu près égales, soit par leurs troupes, par leur
argent ou par leurs amis. Qui plus est, la différence de religion entraîne
nécessairement deux cabales toujours opposées l'une à l'autre.
K Les électeurs ecclésiastiques ne peuvent aspirer à l'Empire ; il n'y
a donc parmi les princes catholiques que l'électeur de Bavière, l'élec-
teur palatin, l'Archiduc et le duc de Savoie qui puissent y penser.
« Aucun prince n'a de droit à l'Empire. M. de Bavière, qui est au
ban de l'Empire, doit se trouver heureux de profiter de la conjoncture
pour être réhabilité et pour rentrer dans ses Etats ; le duc de Savoie,
accoutumé à l'air d'Italie et à y jouer le principal rôle *, préférera
peut être à tout de s'y agrandir et d'y augmenter sa puissance ;
l'électeur palatin ne fera point une cabale différente de celle de son
neveu, et l'Archiduc, foible par lui-même d'esprit, de corps et de
moyens, ne sauroit réussir que par ses amis. Je le dis foible de moyens,
parce que ses pays héréditaires sont épuisés, qu'il n'est pas seulement
reconnu roi de Bohème ni de Hongrie, et que la Hongrie ne manquera
pas vraisemblablement cette occasion d'essayer de recouvrer son an-
cienne liberté en secouant le joug et se nommant un roi, sentant d'ail-
leurs qu'elle peut être appuyée par le Grand Seigneur, ennemi irré-
conciliable de l'Empire, et par le roi de Suède, qui est peu prévenu
en faveur de la maison d'Autriche, et qui certainement protégera au-
tant qu'il le pourra la religion protestante.
« L'Archiduc, à moins d'anciens traités secrets entre les alliés, ne
peut donc se faire empereur que par la protection des princes catho-
liques qui sont en état de lui fournir des troupes. Pour cela il faut
qu'il songe à se concilier leur amitié et qu'il aille se mettre à la tête
de son parti ; il faut qu'il abandonne les rebelles d'Espagne, qui ne
sont retenus, à ce qu'il paroît, que par sa présence. De plus, il a be-
soin de la pluralité des voix, et il ne peut compter que sur celles des
catholiques, les électeurs protestants ayant un grand intérêt à tâcher
de rendre l'Empire alternatif entre les deux religions. Il faut donc
qu'il contribue de son crédit au rétablissement des électeurs de Cologne
et de Bavière, ce qui nous seroit toujours très bon, à cause de la peine
que nous aurions à les dédommager de ce qu'ils ont perdu pour nous.
« L'Archiduc ne peut se mettre à la tête de son parti sans abandon-
1. [ci en note : a Sans compter que, pour pouvoir être empereur, il
faut être allemand de naissance ou d'origine. »
4K2 APPENDICE V.
uer la Catalogne, et il ne sauroit, à ce que je crois, s'en éloigner sans
avoir avec lui M. de Stahrenberg, qui est son conseil encore plus que
son bras, et qui, par son goût particulier, désire fort de quitter l'Es-
pagne, tant parce qu'il s'y voit exposé à perdre d'un moment à l'autre
une réputation qu'il a été longtemps à acquérir, que parce qu'il a un
extrême désir de se retirer de l'embarras des affaires.
« Je sais des gens d'esprit qui disent que, si l'Archiduc devenoit em-
pereur, nous resterions comme nous sommes et que nous ne nous sen-
tirions point de la révolution. Je ne puis en convenir avec eux. En
supposant même une élection brusque et unanime, supposition que je
crois frivole, du moins seroit-il certain que l'élection ne se peut faire
sans que l'Archiduc quitte la Catalogne et que sa défection ne peut
devenir infructueuse au roi d'Espagne, quand même M. le duc de
Savoie se substitueroit en personne pour son antagoniste, puisqu'il ne
le pourroit faire encore sans passer en Catalogne, et sans laisser ses
États exposés à l'invasion de l'armée de M. le duc de Berwick, qui
pourroit choisir en ce cas d'entrer en Piémont ou de tourner vers les
Pyrénées. Ainsi, de quelque façon que l'on regarde les choses, on ne
sauroit disputer que sur le plus ou le moins d'avantage que nous en
pouvons retirer.
« On pousse plus loin la noirceur des idées, et l'on dit que les alliés,
ayant prévu il y a longtemps la possibilité de l'événement qui vient de
s'accomplir, ont fait un traité secret, par lequel ils s'engagent à déférer
l'Empire à l'Archiduc, en remettant ses prétentions sur l'Espagne à
M. de Savoie *. Je veux bien que cela soit ; mais ce projet ne peut s'ef-
fectuer que comme je l'ai dit ci-dessus.
a Cependant je ne pense pas que ce fût un mal pour nous que l'Ar-
chiduc devînt empereur. Je voudrois seulement qu'il en eût l'obligation
ou qu'il crût l'avoir à la France, et qu'on lui fît entendre qu'il pour-
roit aisément se faire un mérite auprès du Roi et de S. M. Catholique
en se désistant de ses chimères sur le royaume d'Espagne, en remet-
tant de bonne grâce à son légitime souverain la ville de Barcelone,
qu'il sera hors d'état de soutenir dans sa révolte, et en contribuant de
son mieux à engager au repos M. le duc de Savoie, en le rendant sans
coup férir un prince très puissant, et lui donnant enfin toutes sortes
de satisfactions. Il seroit bon, à ce qu'il me semble, de faire de telles
ouvertures à l'Archiduc dans ces commencements, de l'assurer que,
s'il y adhéroit, nous le protégerions avec joie, et que les troupes que
nous avons sur le Rhin feroient des mouvements relatifs à ses intérêts.
Je crois qu'après cela, si l'Archiduc manquoit pour nous de reconnois-
sance et ne devenoit pas notre ami, il auroit honte du moins dans la
suite d'être notre ennemi.
« Je me démontre aussi que l'ambition du duc de Savoie devroit être
1. En marge on lit ces mots: «En ce cas, c'est avec les Électeurs qu'il
faudroit que fût le traité. »
MÉMOIRE DU DUC DU MAINE. 453
satisfaite du don qui lui seroit fait du Milanois par S. M. Catholique
et par le consentement de l'Archiduc, scellé par l'aj^rément du Roi, à
condition d'être amis et de concourir à l'élection de l'Archiduc, qui
deviendroit bien sur de son fait, ayant de telles puissances dans ses
intérêts. Il me semble donc que les deux Couronnes devroient, sans
perdre de temps, commencer à négocier avec ces deux princes.
L'Empire doit être, par une espèce de loi, entre les mains d'un
prince catholique ; mais croit-on que les princes protestants, qui sont
les plus puissants d'Allemagne, ne fassent pas tous leurs efforts pour
essayer de le rendre alternatif entre les deux religions, et que le roi
de Suède n'y concoure pas de toutes ses forces, pour se rendre re-
commandable par un si grand et si brillant service rendu à la sienne.
Je ne connois que M. de Hanovre dont la reconnoissance pour la mai-
son d'Autriche puisse combattre l'intérêt personnel.
« Dès que l'on admettra la prétention des princes protestants, il faut
admettre autant d'émulés qu'il se trouve d'électeurs dans ce déplorable
schisme ; et, comme ils ne sont puissants et accrédités que par le
nombre de leurs troupes, il est nécessaire pour travailler à leur propre
grandeur qu'ils les retirent auprès d'eux, ou qu'ils ordonnent à ceux
qui les commandent chez les princes à qui ils les ont vendues, de ne
les point exposer, pour être toujours prêtes d'un moment à l'autre de
revenir chez eux. Or, après de tels ordres, que deviendra l'armée des
ennemis en Flandres, dont la plus grande partie est composée de
troupes allemandes à la solde de Hollande? Elle s'anéantira, ou, si
elle reste assemblée, ce sera un corps inanimé, toujours prêt à se dis-
soudre et attentif uniquement à ce qui se passera loin de lui.
« Que deviendront les troupes de l'Empereur sans chef et sans
maître ? L'Archiduc préférera-t-il la passion de sa maison contre nous
à ses intérêts particuliers, et, dans le temps qu'il aura besoin de ses
forces pour le point le plus important de sa vie, les laissera-t-il pour
servir l'ambition effrénée des Ilollandois, ou pour être sacrifiées à la
gloire du duc de Marlborough ? J'y vois peu d'apparence.
« Ainsi rien ne me paroît plus à craindre cette année en Flandres
qu'un coup de désespoir de la part du Mylord, qui, ne se souciant que
de lui-même, et se sentant perdu en Angleterre, s'il cesse d'occuper
un poste aussi considérable que celui qu'il occupe, tentera les coups
d'un désespéré, pour chercher dans l'imprudence ce que la sagesse ne
peut lui faire envisager, et il me paroît que le meilleur parti que nous
ayons à prendre est celui de la sagesse, jusqu'à ce que nous voyions
l'effet que la mort de l'Empereur produira dans l'Europe.
« La haine que l'on porte à la France seroit capable, si nous ten-
tions présentement des entreprises éclatantes, de réunir contre nous
les intérêts les plus opposés, comme nous l'éprouvons depuis long-
emps, et de cimenter la ligue peut-être à la veille de sa ruine. La
'terre tremble ; attendons en lieu sûr le débris des grands édifices pour
être en état d'en recueillir ce qu'il nous en conviendra ; négocions
454 APPENDICE V.
sous main auprès de tous les princes, afin de parvenir à négocier pu-
bliquement ; n'en méprisons aucun ; tâchons de nous faire des amis ;
mais tenons la foudre suspendue, et que tous craignent d'en être frap-
pés ; nos armées ne seront point inutiles étant au commencement de
cette campagne dans l'inaction.
« Parla sagesse à laquelle je viens d'exhorter, je n'entends point la
pusillanimité ; ce n'est que la témérité que je conseille d'éviter. Je
serois au désespoir qu'on crût que mon sentiment fût de tout souffrir.
Pour les batailles à la vérité, j'ose avancer qu'il les faut éluder, mais
par des précautions dans les postes, et non par des retraites honteuses
auxquelles il est facile à un général avisé de ne se point exposer ; et
je ne prétends point inférer de ma maxime générale qu'il faille tout
endurer ni ne pas faire des diversions ou des entreprises qui ne se-
roient audacieuses qu'en apparence, ni ne pas attaquer Douay, si les
ennemis s'arrétoient au siège de Saint-Omer, ou de quelque autre
place. Je pense seulement qu'il faut attendre et écouter pour être en
état de se faire craindre.
« Il n'est pas possible que les HoUandois ne fassent des retours sur
eux-mêmes, qu'ils ne sentent des remords continuels de ce qu'ils ont
manqué en 1740, et que l'inquiétude qu'ils auront de voir leur sort
dépendre des intrigues des princes d'Allemagne, ne les invite au plus
tôt à songer à leurs propres intérêts. J'irai plus loin : je ne doute pas
que les HoUandois, voyant que nous ne leur parlons pas, ne s'empres-
sent de nous parler ; mais je voudrois qu'en ce cas, oubliant notre
style précédent, nous prissions le leur, en en retranchant simplement
l'arrogance, et les écoutant sans ardeur ni brutalité.
« La mort de l'Empereur a déjà produit la contre-marche du prince
Eugène, dont la présence à l'armée de Flandres est d'un très-grand
poids, tant par sa capacité que pour son audace, et par l'ascendant
qu'il a pris sur les HoUandois, qui, par le génie de leur nation, répu-
gnent à toutes les entreprises un peu hasardeuses.
« Ce n'est que petit à petit et avec de la patience qu'on peut délier
un nœud gordien, quand on n'est point en état de le couper comme
fit Alexandre. Gardons-nous de l'impatience françoise ; ce n'est point
en un instant qu'arrivent les grandes révolutions. Sentons notre bonheur
que celle-ci vienne dans un temps où nos armées et les affaires du roi
d'Espagne sont en meilleur état qu'elles n'ont été depuis trois ans.
« Ce n'est qu'en tant que l'Archiduc nous eût l'obligation d'être
élevé à l'Empire, et qu'il voulût faire tout ce que j'ai ci-devant proposé,
que j'ai avancé que la France ne devroit pas être fâchée de le voir
empereur ; car, s'il y manquoit quelqu'une de ces conditions, ce ne
seroit plus pour nous la même chose, et nous n'aurions à fonder nos
espérances que sur la tranquillité dont nous jouirons vraisemblable
blement cette campagne, et sur la facilité que trouvera S. M. Gatho
lique à reconquérir la Catalogne. A la vérité, ces deux choses ne lais-
sent pas que d'être pour nous un avantage, puisque c'étoit avant ceci
MEMOIRE DU DUC DU MAINE. 45S
le seul objet de nos désirs ; mais il faut, à mon avis, tâcher de gagner
un peu plus à la mort de l'Empereur, et songer à contrecarrer la mai-
son d'Autriche, si elle paroît mépriser notre assistance.
« L'intérêt véritable de la France seroit que l'Empire devint alter-
natif entre les deux religions, et j'avance cette proposition hardiment
sans craindre que cela fît tort à la religion catholique, non-seulement
parce que l'Empire, ne pouvant rester dans la même maison, perdroit
de sa considération, mais encore parce que je vois que Léopold I»"",
le plus catholique et le plus dévot de tous les empereurs, n'a protégé,
favorisé et relevé que les protestants.
« Tous les princes d'Allemagne doivent être jaloux de la grandeur
de la maison d'Autriche, qui les a tenus toujours armés pour ses
querelles particulières, et dont les empereurs, oubliant qu'ils n'étoient
que les premiers du corps germanique, ont fait par autorité plusieurs
innovations et se sont accoutumés à parler en maîtres à tous les
membres de l'Empire. Les Vénitiens, d'un autre côté, souffrent impa-
tiemment de la voir si puissante, étant entourés de ses terres. Ainsi,
je suis très-persuadé que, si la France ne pouvoit aisément faire em-
pereur le prince qu'elle voudroit, du moins pourroit-elle facilement
exclure de l'Empire l'Archiduc.
« Pour rendre tout possible à la France, elle n'a besoin que d'avoir
la paix avec le duc de Savoie. C'est un prince de bon sens, mais plus
tidèle à son intérêt qu'à sa parole. Il ne sera point flatté, que je crois,
de l'idée chimérique de se faire roi d'Espagne ; il a trop d'esprit pour
ne pas sentir la difficulté de cette besogne, et il peut soupçonner jus-
tement que les Espagnols seront toujours moins portés d'inclination
pour lui que pour un Autrichien. Ainsi, quand on lui fera une bonne,
grande et solide condition dans son pays, il ne quittera jamais assuré-
ment le certain pour l'incertain.
« Il me semble qu'un homme bien instruit des affaires et capable
de les manier avec esprit seroit à cette heure très-nécessaire en Italie.
Il peut toujours être reçu à Rome, commencer de là à parler, engager
des correspondances, et peut-être ne tarderoit-il pas à pouvoir se por-
ter lui-même auprès de plusieurs princes de ce pays. M. d'Antin ou
M. l'abbé de Polignac me paraîtroient fort propres pour une telle com-
mission, et pour ramener les Vénitiens, avec qui il me semble qu'on
devroit présentement avoir quelque regret d'être en froideur. Cepen-
dant, pour conclure cet article, il faut convenir que M. de Savoie sera
certain de sa grandeur, quand il sera réuni avec la France, et qu'aussi
la France, amie de M. de Savoie, exclura sans peine l'Archiduc de sa
prétention à l'Empire.
« Il n'est pas moins certain que les seules troupes de l'armée de
Dauphiné, portées en partie sur le Rhin, feroient trembler l'Empire
et donneroient un furieux branle à l'élection, les princes d'Italie avan-
çant aussi des troupes vers le Trentin, et le roi de Suède s'approchant
de la Hongrie.
456 APPENDICE V.
« Celui qui est destiné pour commander l'armée d'Alsace étant éga-
lement capable des fonctions d'un négociateur et de celles d'un géné-
ral, il n'y en a point d'autres à proposer. Si l'on joignoit à lui M. le
maréchal d'Huxelles, qui sait parfaitement les affaires d'Allemagne,
cela ne pourroit, à ce qu'il paroît, produire qu'un bon effet, ces deux
Messieurs étant fort unis et ayant une grande estime l'un pour l'autre.
« Il ne me reste plus qu'à demander de l'indulgence pour cet ou-
vrage. Si j'étois plus souvent questionné sur de telles matières, j'en
parlerois plus pertinemment, et je deviendrois peut-être capable d'être
utile à mon prince et à ma patrie ; mais, à présent, je n'ai que mon
zèle qui me puisse faire excuser. Qu'on me fasse encore grâce sur
mon style : ce sont des choses et non des paroles que j'ai prétendu
mettre dans ce mémoire. »
ORIGINE DE LA FAMILLE DE LUYNES. 457
VI
L'ORIGINE DE LA FAMILLE D'ALRERT DE LUYNES
d 'ap rès Cla irambau It^.
« Le peu de bien que l'onavoit vu au connétable de Luynes et à ses
frères avant la prodigieuse fortune où il parvint, après avoir été gen-
tilhomme ordinaire de la maison du Roi, et l'extrême faveur dont
l'honora le feu Roi après la mort du maréchal d'Ancre l'an 1617,
ayant soulevé tout le monde contre lui, parce qu'il ne ménagea per-
sonne, jamais favori ne fut déchiré par autant de libelles et de satires,
par lesquelles on l'attaqua sur sa naissance. Cependant, quoique sa
noblesse ne fût pas des plus connues ni des plus titrées, il est certain
que Thomas Aubert, dit depuis Albert, son quatrième aïeul, étoit
seigneur de Boussargues en Languedoc et bailli de Vivarois, et qu'il
est qualifié écuyer et damoiseau par un titre de l'an 1419, 1421, etc.
« Voilà au moins une possession de noblesse établie depuis ce
temps là ; car au-dessus on n'a jamais connu ni bien ni mal de ses
ancêtres.
« C'est de là que descendoit le connétable de Luynes, Charles d'Al-
bert, et ses deux frères, le maréchal de Chaulnes et le duc de Luxem-
bourg, et quoique aussi pauvre qu'il se trouva jusqu'à l'âge de près
de quarante ans, il ne laissoit pas d'être fils d'un homme qui possédoit
les terres de Luynes, de Cadenet et de Brantes, qui avoit été chambel-
lan de François, fils de France, duc d'Alençon, frère des rois Charles
IX et Henri III, colonel des bandes françoises et maître de l'artillerie
en Languedoc, viguier de la ville de Beaucaire et gouverneur du Châ-
teau-Dauphin et du Pont-Saint-Esprit sur le Rhône. »
1. Ci-dessus, p. 163-164. — Bibl. nat., ms. Glairambault 719, p. 41.
458 APPENDICE VII.
VII
L'ÉDIT SUR LES DUCHÉS-PAIR lES*.
Bien que cet édit ait été imprimé en feuille volante dès sa promulga-
tion, et qu'il se trouve dans un grand nombre d'ouvrages, nous croyons
intéressant d'en reproduire un texte collationné sur les expéditions ori-
ginales, étant donné l'importance que Saint-Simon a attribué à ce rè-
glement et le long passage de ses Mémoires qu'il lui a consacré. On
pourra ainsi le comparer avec le texte du premier président de Harlay
(ci-dessus, p. 146-158) et se rendre compte de la mesure dans laquelle
les observations de Saint-Simon au Chancelier ont pu faire modifier la
rédaction primitive.
Édit du Roi
portant règlement général pour les duchés et pairies.
Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous
présents et à venir, salut. Depuis que les anciennes pairies laïques
ont été réunies à la couronne, dont elles étoient émanées, et que,
pour les remplacer, les Rois nos prédécesseurs en ont créé de nou-
velles, d'abord en faveur des seuls princes de leur sang, et ensuite en
faveur de ceux de leurs sujets que la grandeur de leur naissance et
l'importance de leurs services en ont rendus dignes, les titres de pairs
de France, aussi distingués autrefois par leur rareté, qu'ils le seront
toujours par leur élévation, se sont multipliés ; toutes les grandes
maisons en ont désiré l'éclat ; plusieurs l'ont obtenu, et par une
espèce d'émulation de faveur et de crédit, elles se sont efforcées à
l'envi de trouver, dans le comble même des honneurs, de nouvelles
distinctions, par des clauses recherchées avec art, soit pour perpétuer
la pairie dans leur postérité au delà de ses bornes naturelles, soit
pour faire revivre en leur faveur des rangs qui étoient éteints et des
titres qui ne subsistoient plus.
Dans cette multitude de dispositions nouvelles et singulières, que
l'ambition des derniers siècles a ajoutées à la simplicité des anciennes
érections, les officiers de notre parlement de Paris, juges naturels
sous notre autorité des différends illustres qui se sont élevés au sujet
des pairies, entraînés d'un côté par le poids des règles générales et
retenus de l'autre par la force des clauses particulières qu'on opposoit
à ces mêmes règles, ont cru devoir suspendre leur jugement, et se
1. Ci-dessus, p. 231.
ÉDIT SUR LES DUCHES-PAIRIES. 459
contenter de rendre des arrêts provisionnels, comme pour nous mar-
quer par là que leur respect attendoit de nous une décision suprême,
qui, fixant pour toujours le droit des pairies, pût distinguer les diffé-
rents degrés d'honneur qui sont dus aux princes de notre sang, à nos
enfants légitimés et aux autres pairs de France ; afTermir les véritables
principes de la transmission des pairies, ou masculines ou féminines,
et déterminer souverainement le sens légitime de toutes les expres-
sions équivoques, à l'ombre desquelles on a si souvent opposé en cette
matière la lettre de la grâce à l'esprit du prince qui l'avoit accordée.
C'est cette loi désirée depuis si longtemps que nous avons enfin résolu
d'accorder aux souhaits des premiers magistrats, à l'avantage des
grandes maisons de notre royaume, au bien même de notre Etat, tou-
jours intéressé dans les règlements qui regardent une dignité si émi-
nente. Xous avons cru devoir y ajouter des dispositions non moins
importantes, soit pour conserver l'éclat et la splendeur des maisons
honorées de cette dignité, soit pour prévenir tous les différends qui se
pourroient former à l'avenir à l'occasion de l'érection ou de l'extinc-
tion des pairies, soit enfin pour terminer les contestations qui sont
pendantes en notre cour de Parlement, tant entre plusieurs desdits
ducs et pairs et notre cousin le duc de Luxembourg, qu'entre le sieur
marquis d'Antin et plusieurs autres desdits ducs et pairs, et réunir
par l'autorité souveraine de notre jugement les esprits et les intérêts
des personnes qui tiennent un rang si considérable auprès de nous.
A ces causes, de notre propre mouvement, pleine puissance et au-
torité royale, nous avons dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et
ordonnons par le présent édit :
Article premier.
Que les princes du sang royal seront honorés et distingués en tous
lieux suivant la dignité de leur rang et l'élévation de leur naissance.
lis représenteront les anciens pairs de France au sacre des Rois, et
auront droit d'entrée, séance et voix délibérative en nos cours de
Parlement à l'âge de quinze ans, tant aux audiences qu'au conseil,
sans aucune formalité, encore qu'ils ne possèdent aucunes pairies.
II
Nos enfants légitimés et leurs enfants et descendants mâles qui pos-
séderont des pairies représenteront pareillement les anciens pairs aux
sacres des Rois, après et au défaut des princes du sang, et auront
droit d'entrée et voix délibérative en nos cours de Parlement, tant aux
audiences qu'au conseil, à l'âge de vingt ans, en prêtant le serment
ordinaire des pairs, avec séance immédiatement après lesdits princes
du sang, conformément à notre déclaration du o mai 161)i, et ils y
précéderont tous les ducs et pairs, quand même leurs duchés et
pairies seroienl moins anciennes que celles desdits ducs et pairs ; et
460 APPENDICE VII.
en cas qu'ils aient plusieurs pairies et plusieurs enfants mâles, leur
permettons (en se réservant une pairie pour eux) d'en donner une à
chacun de leurs dits enfants, si bon leur semble, pour en jouir par
eux aux mêmes honneurs, rang, préséance, et dignités que ci-dessus,
du vivant même de leur père.
III
Les ducs et pairs représenteront aux sacres les anciens pairs, lors-
qu'ils y seront appelés au défaut des princes du sang et des princes
légitimés qui auront des pairies ; ils auront rang et séance entre eux,
avec droit d'entrée et voix délibérative, tant aux audiences qu'au
conseil de nos cours de Parlement, du jour de la première réception
et prestation de serment en notre cour de parlement de Paris après
l'enregistrement des lettres d'érection, et seront reçus audit Parlement
à l'âge de vingt-cinq ans, en la manière accoutumée.
IV
Par les termes d'hoirs et successeurs et par les termes à'ayant
cause, tant insérés dans les lettres d'érections ci-devant accordées,
qu'à insérer dans celles qui pourroient être accordées à l'avenir, ne
seront et ne pourront être entendus que les enfants mâles descendus
de celui en faveur de qui l'érection aura été faite et que les mâles
qui en seront descendus de mâles en mâles, en quelque ligne et degré
que ce soit.
Les clauses générales insérées ci-devant dans quelques lettres
d'érection de duchés et pairies en faveur des femelles, et qui pourroient
l'être en d'autres à l'avenir, n'auront aucun effet qu'à l'égard de celle
qui descendra et sera de la maison et du nom de celui en faveur
duquel les lettres auront été accordées, et à la charge qu'elle n'épou-
sera qu'une personne que nous jugerons digne de posséder cet
honneur, et dont nous aurons agréé le mariage par des lettres patentes
qui seront adressées au parlement de Paris, et qui porteront confir-
mation du duché en sa personne et descendants mâles, et n'aura ce
nouveau duc rang et séance que du jour de sa réception audit Parle-
ment sur nos dites lettres.
VI
Permettons à ceux qui ont des duchés et pairies, d'en substituer à
perpétuité le chef-lieu, avec une certaine partie de leur revenu, jus-
qu'à quinze mille livres de rente, auquel le titre et dignité desdits
duchés et pairies demeurera annexé, sans pouvoir être sujet à aucunes
dettes ni détractions, de quelle nature qu'elles puissent être, après que
l'on aura observé les formalités prescrites par les ordonnances pour la
publication des substitutions, à l'effet de quoi dérogeons au surplus à
ÉDIT SUR LES DUCHÉS-PAIRIES. 464
l'ordonnance d'Orléans et à celle de Moulins, et à toutes autres ordon-
nances, usages et coutumes qui pourroient être contraires à la pré-
sente disposition.
VII
Permettons à l'aîné des mâles descendant en ligne directe de celui
en faveur duquel l'érection des duchés et pairies aura été faite, ou à
son défaut ou refus à celui qui le suivra immédiatement, et ensuite à
tout autre mâle de degré en degré, de les retirer des tilles qui se
trouveront en être propriétaires, en leur en remboursant le prix
dans six mois, sur le pied du denier vingt-cinq du revenu aciuel,
et sans qu'ils puissent être reçus en ladite dignité qu'après en
avoir fait le payement réel et effectif, et en avoir rapporté la
quittance.
VIII
Ordonnons que ceux qui voudront former quelque contestation sur
le sujet desdits duchés et pairies, et des rangs, honneurs et préséance
accordés par nous auxdits ducs et pairs, princes et seigneurs de notre
royaume, seront tenus de nous représenter, chacun en particulier,
l'intérêt qu'ils prétendent y avoir, atin d'obtenir de nous la permission
de le poursuivre, et de procéder en notre parlement de Paris, pour y
être jugés, si nous ne trouvons pas à propos de les décider par nous-
mêmes ; et, en cas qu'après y avoir renvoyé une demande, les parties
veuillent en formuler d'autres incidemment, ou qui soient différentes
de la première, elles seront tenues pareillement d'en obtenir de nous
de nouvelles permissions, et sans qu'en aucun cas ces sortes de con-
testations et de procès puissent en être tirées par la voie des évoca-
tions.
IX
Voulons que notre cousin le duc de Luxembourg et de Piney ait
rang, tant entre notre cour de parlement de Paris qu'en tous autres
lieux, du :22 mai 1662, jour de la réception du feu duc de Luxem-
bourg son père, en conséquence de nos lettres du mois de mars de
l'an 1661, et que les arrêts rendus le 20 de mai 4 662 et le 43 avril
4696, soient exécutés définitivement, sans que notre dit cousin puisse
prétendre d'autre rang, sous quelque titre et prétexte que ce puisse
être, et, à l'égard dudit marquis d'Antin, voulons pareillement qu'il
n'ait rang et séance que du jour de sa réception, sur les nouvelles
lettres que nous lui accorderons.
Voulons et ordonnons que ce qui est porté par le présent édit pour
les ducs et pairs ait lieu pareillement pour les ducs non pairs, en ce
qui peut les regarder.
462 APPENDICE VII.
Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens
tenant notre cour de Parlement à Paris, que notre présent édit ils
aient à faire lire, publier Qt enregistrer, et le contenu en iceluy garder
et observer selon sa forme et teneur : car tel est notre plaisir. Et afin
que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait apposer
notre scel.
Donné à Marly, au mois de mai, l'an de grâce mil sept cent onze,
et de notre règne le soixante-neuvième. Signé : Louis, et plus bas :
Par le Roi : Phélypeaux.
Registre, etc., à Paris en Parlement, le vingt-unième mai mil sept
cent onze.
Signé : Dongois.
Nous joignons au texte de l'édit, ainsi qu'on l'a annoncé ci-dessus,
p. 245, un court mémoire du duc du Maine, qui semble bien, par sa
date et son sujet, se rapporter à la partie du règlement qui avait trait
aux rang et honneurs des princes légitimés. Il esl extrait du deuxième
registre de sa Correspondance, fol. 172 v".
Pour servir de mémoire à M. le Chancelier
touchant le brevet pour nos honneurs à la cour ;
à Marly, le 20 avril 1711.
« Le Roi, suivant même sa façon de penser, ne doit faire aucune
difficulté touchant le brevet :
« i" Parce qu'on ne doute pas que nous ne l'ayons déjà ;
« 2° Parce qu'il n'apporte aucune augmentation aux honneurs dont
nous jouissions ;
« 3° Parce que nous ne le produirons qu'en cas d'un besoin comme
impossible à prévoir ; et que, quand le Roi accorde une grâce, ne
l'ayant fait qu'après mûre réflexion, il veut qu'elle soit solide ;
« 4° Parce que, quoiqu'il soit le maître, il n'y avoit que ce qui est
d'éclatant, et ce qu'il a déjà fait, qui pût lui donner quelque espèce
d'embarras ;
« 5° Parce que lesdits honneurs de sa cour, à nous et à mes enfants,
ont été accordés avec la participation et l'agrément de feu Monsei-
gneur le Dauphin et de Monsieur le Dauphin d'à présent.
La note que le Roi a ordonné à M. de Pontchartrain de mettre sur
ses registres de la grâce accordée à mes enfants, marque assez que
S. M. désire que quelque chose en fasse foi à l'avenir.
Or il est bon que S. M. sache que le crédit d'une telle note n'est
quasi rien, et qu'elle ne fait que désigner une pièce particulière ; ce
qui est si vrai, qu'il ne faudra point la changer en faisant expédier un
brevet.
Ce qui m'a avisé que, pour lesdits honneurs de la cour pour nous et
pour mes enfants, un brevet ne seroit pas inutile, ce n'est pas que je
EDIT SUR LES DUCHES-PAIRIES. 463
croie qu'ils nous puissent être disputés après en avoir joui, mais c'est
que je vois des curieux demander à voir notre titre, et que ce titre,
qui peut-être, quand nous l'aurons, ne sera jamais produit, n'est rien
pour le Roi, après la jouissance publique dont il nous amis en posses-
sion, et contre laquelle personne n'a murmuré.
A la vérité les princes du sang jouissent desdits honneurs sans bre-
vet, mais il n'est pas à présumer qu'on puisse jamais les leur
disputer.
D'ailleurs, vu le rang que nous avons en France par la déclaration
registrée au Parlement*, les honneurs qui nous sont accordés à la
cour et le brevet dont je parle sont bien moins par proportion que
les grâces honoraires que le Roi accorde tous les jours dans la noblesse
de son royaume.
« Quoique mon frère ait paru moins vit" que moi dans cette affaire,
je demande, à son insu, même chose pour lui que pour moi.
« Surtout il faut bien prendre son temps pour parler de ceci : car,
pourvu qu'on écoute un demi quart d'heure, la chose ne peut recevoir
de difficulté ni être regardée pour une grâce que parce qu'elle est
demandée. »
Enfin, nous reproduisons, d'après l'original vendu par M. Eugène
Charavay le 24 février 1883 2, une lettre du Chancelier à Saint-Simon,
par laquelle il lui faisait part des réclamations du duc de la Roche-
guyon à propos du règlement de leur contestation de préséance (ci-des-
sus, p. 2oo). Cette lettre a déjà été publiée dans le tome XXI et supplé-
mentaire de l'édition de nos Mémoires faite en 1873, p. 393.
« Versailles, mardi [fin juin 1711].
« J'aurois bien voulu pouvoir vous entretenir, Monsieur, un
moment ce matin ; mais ni le temps ni le lieu ne le permettoient pas.
Je vous aurois dit fort au long que M. de la Rocheguyon m'est venu
trouver ce matin chez mon tils ; qu'il m'a expliqué amplement ses
griefs contre l'édit, au nom de M. de la Rochefoucauld, avec son chan-
celier Prévost, et me consultant sur ce qu'il avoit à faire, résolu
cependant d'en porter ses plaintes au Roi et de lui en demander
justice. Je lui ai dit tout ce que j'ai cru lui pouvoir dire pour l'apaiser
et pour lui faire connoîtrc la justice de la décision du Roi, affirmant
cependant que j'ignorois le procès prétendu pendant, mais avouant
que je savois la question en général ; et je lui ai môme cité ce qui
s'est passé, par le Roi même, sur M. de Rouillonet sur M. de la Meil-
leraye, pour lui faire voir que c'est le Roi qui a voulu juger la ques-
tion cette fois-ci délinitivement. Il a pris le tout ad référendum à
M. de la Rochefoucauld, dont j'attends aujourd'hui une rude visite
1. Celle du 5 mai 1694.
2. Cette lettre a passé de nouveau en vente le 3 avril 1890.
464 APPENDICE VII.
avec de grands mémoires. M. de la Rocheguyon, pressé ou par mes
honnêtetés ou par la force des raisons, m'a rejeté sur une question
subordonnée, ditTérenciant, sur mes principes, le duché d'avec la
pairie, à l'exemple de M. de la Trémoïlle et de M. d'Uzès. Je ne me
suis point ouvert, et je l'ai remis à une autre fois, comme je vous y
remets aussi : car en voilà assez dit pour vous occuper. Brûlez cette
lettre, avec ce qui peut vous rester des autres ; mais n'oubliez jamais
tout ce que je vous suis, Monsieur. »
PONTCHARTRAIN.
Pour la rédaction des notes sur l'origine de la pairie qui ont trouvé
place dans le corps des Mémoires (ci-dessus, p. 231-241), Saint-Simon
pouvait utiliser un certain nombre d'ouvrages spéciaux parus sur la
matière avant 1742, époque à laquelle il écrivait le texte de l'année
1711.
En premier lieu il possédait dans sa bibliothèque : les Recherches de
la France d'Etienne Pasquier, édition de 1713, dont les chapitres ix et x
du livre 11 traitent des douze pairs ; — les Mémoires concernant les pairs
de France, par l'avocat Sacy, parus chez Coustelier en 1720, en un vo-
lume in-folio ; — enfin les trois volumes de l'Histoire de la pairie de
France et du parlement de Paris, par Boulainvilliers, qui venaient de
paraître en 1740. En outre, il avait dans ses papiers (vol. 55, aujour-
d'hui France 214) une copie de l'Histoire manuscrite de la Pairie, par
J. le Laboureur.
II pouvait consulter :
Claude Fauchet, Origines des Dignités, paru en 1584 ; — Jean du Til-
let, Mémoire des pairs de France, inséré dans son Recueil des rois de
France, Paris, 1618, in-4 ; — Guy Coquille, Traité des pairs de France,
leur origine, fonctions, rangs et dignités, Paris, 1665, in-folio (tome I" de
ses Œuvres).
Enfin Clairambault pouvait mettre à sa disposition les quelque trente
volumes manuscrits de son recueil de la Pairie, arsenal immense de piè-
ces, de mémoires, de facturas, de lettres patentes, d'édits, de déclara-
tions, etc., et, en outre, la Bibliothèque du Roi ou les collections parti-
culières renfermaient un grand nombre de mémoires manuscrits dont
les principaux sont énumérés dans la Bibliothèque historique de la France
par le P. Lelong, tome 111, p. 130-131.
RECEPTION DU DUC D'AiNTIN. 465
VIII
LA RÉCEPTION DU DUC D'ANTIN AU PARLEMENT*
Le duc d'Antin, dans ses Mémoires inédits (ms. Mazarine 2331), n'a
parlé qu'en deux lignes de sa réception au Parlement. On se conten-
tera de donner ci-après l'Information de vie et mœurs, à propos de
laquelle Saint-Simon a raconté un trait d'habile homme du maréchal
de Boufïlers : ci-dessus, p. 232.
Information de vie et mœurs ^.
« Information d'office à la requête du procureur général du Roi,
faite par nous Jean Lenain, doyen des conseillers du Parlement, des
vie, mœurs, conversation, religion catholique, apostolique et ro-
maine, fidélité au service du Roi, valeur et expérience au fait des ar-
mes de Messire Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, marquis
d'Antin, de Montespan et de Gondrin, lieutenant général des armées
du Roi et de la Haute et Basse-Alsace, Haguenau et Brisgau, gouver-
neur et lieutenant général pour le Roi des ville et duché d'Orléans,
Pays orléanois, chartrain, Perche-Gouët, Sologne, Vendômois, Blai-
sois et dépendances d'iceux, et de la ville et château d'Amboise, et
directeur général des bâtiments, jardins, arts et manufactures du Roi,
poursuivant sa réception en la qualité et dignité de duc et pair de
France.
« Du cinquième juin mil sept cent onze 3.
« Messire Etienne de la Briie, prêtre, curé de l'église royale et pa-
roissiale de Saint-Germain-l'Auxerrois, âgé de quarante-huit ans,
après avoir mis la main ad pectus, a dit que M. d'Antin, paroissien de
ladite église, fait profession de la foi catholique, apostolique et ro-
maine ; qu'il l'a vu assister au service divin ; qu'il sait qu'il fréquente
les sacrements, et, par un témoignage très digne de croyance, qu'il a
satisfait à son devoir pascal, à la fête de Pâques dernière, à Versail-
les, où est son principal domicile et où ses emplois l'attachent indis-
pensablement auprès de la personne du Roi, et qu'au reste son illustre
naissance, ses alliances avec ce qu'il y a de plus grand dans l'État,
ses grands et importants services, sa fidélité et son application à exé-
i. Ci-dessus, p. 233.
2. Arch. nat., K 617, n» 2.
3. On remarquera que cette information est datée du jour même de
la réception du duc au Parlement.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 30
i66 APPENDICE VIII.
cuter les ordres de S. M. sont si connus que personne n'a douté
qu'il ne lui plût de l'élever à la première et plus considérable dignité
du royaume.
« Et a signé : La Brue.
« Messire Louis d'Aumont de Rochebaron, duc d'Aumont, pair de
France, premier gentilhomme de la chambre du Roi, gouverneur du
Boulonnois, âgé de quarante-quatre ans, après serment de dire vérité,
« A dit qu'il a l'honneur de connoître particulièrement M. le duc
d'Antin ; qu'il a toujours remarqué en lui des qualités dignes de sa
haute naissance ; que son zèle pour le bien et la gloire de l'Etat, son
parfait attachement pour la personne du Roi , son dévouement si vif et si
marqué pour celle de feu Monseigneur le Dauphin, sous qui il a servi
avec considération en Flandre et en Allemagne, son exactitude et ses res-
sources dans l'exécution de tous les ordres dont il a été chargé, son
application constante à remplir avec promptitude toute l'étendue de
ses devoirs, l'élévation de son esprit, la noblesse et la droiture de son
cœur ne pouvoient manquer de déterminer les grâces de S. M., qui,
après l'avoir fait passer par les dignités militaires, convenables à son
rang et à ses services, qu'il a toujours soutenus avec magnificence, a
voulu lui donner dans sa personne et dans sa postérité les marques
les plus éclatantes de sa confiance, et a estimé à cet effet devoir
l'élever à la dignité de duc et pair, la plus éminente du royaume ; que
cette promotion dans un sujet aussi susceptible que lui de toutes les
distinctions brillantes, avoit été prévenue par les désirs de tous ceux
qui ont l'avantage d'être en possession des mêmes titres; et qu'enfin
tant de circonstances concouroient à le rendre digne de l'honneur que
S. M. vient de lui faire, qu'il est même flatteur et glorieux d'être
choisi pour lui rendre tous les témoignages qu'il mérite.
« Et a signé : Louis d'Aumont de Rochebaron, duc d'Aumont.
« Messire Louis-François, duc de Boufflers, pair et maréchal de
France, chevalier des ordres du Roi et de la Toison d'or, capitaine
des gardes du corps de S. M., gouverneur et lieutenant général pour
le Roi des provinces de Flandre et de Hainaut, gouverneur particulier
de la ville et citadelle de Lille, souverain bailli de ladite ville et châ-
tellenie dudit Lille, grand bailli de Beauvais et du Beauvoisis, capi-
taine et gouverneur héréditaire de ladite ville de Beauvais, âgé de
soixante-sept ans et demi, après serment de dire vérité,
« A dit qu'il a l'honneur de connoître M. le duc d'Antin pour un
des seigneurs du royaume des plus distingués par son illustre naissance
et par ses alliances avec ce qu'il y a de plus élevé en France ; qu'ayant
porté les armes dès sa première jeunesse, il a passé par tous les grades
militaires de colonel, de brigadier, de maréchal de camp et de lieute-
nant général des armées du Roi, desquels emplois il a rempli tous les
devoirs et les fonctions avec tant de zèle, d'application, d'intelligence
RÉCEPTION DU DUC D'ANTIN. 467
et de capacité, qu'il s'est rendu utile et nécessaire à tous les généraux
sous lesquels il a servi ; qu'ayant été mis auprès de feu Monseigneur
le Dauphin en qualité de l'un de ses menins, il l'a servi avec tant
d'attachement, qu'il s'éloit acquis près de ce prince une privance parti-
culière ; que, son génie, capable de ce qu'il y a de plus grand, lui
ayant fourni les occasions de s'approcher de la personne du Roi, il a
su mériter l'honneur de sa bienveillance et de sa contiance par le
même attachement à lui plaire, et en exécutant ses ordres avec un ta-
lent merveilleux, qui lui rend faciles les choses qui paroîtroient impos-
sibles à tout autre qu'à lui ; qu'ainsi, par son attachement personnel
pour le Roi, par sa naissance distinguée, par ses grandes alliances, par
ses rares et singuliers talents, et entin par toutes sortesde raisons, il est
très digne de la grâce qu'il a plu à S. M. de lui faire en l'honorant de
la dignité de duc et pair de France, la plus éminente de l'État, et qu'il
le croit un des sujets du royaume des plus capables d'en remplir parfai-
tement les devoirs et les fonctions, et de concourir à en soutenir l'éclat.
« Et a signé : Le maréchal-duc de Boufflers.
« Messire Charles-Armand de Gontaut de Biron, lieutenant général des
armées du Roi, âgé de quarante-six ans, après serment de dire vérité,
« A dit qu'il a l'honneur de connoître particulièrement M. le duc
d'Antin; qu'il l'a vu servir depuis 1684 dans les armées du Roi avec
tout le zèle et toute l'application possible, et s'acquitter de tous les em-
plois qui lui ont été conliés avec tant de valeur, de sagesse et de conduite,
qu'il s'est acquis l'estime et l'admiration universelle ; son parfait atta-
chement pour la personne et le service du Roi ont porté S. M. à
l'honorer de la dignité de duc et pair de France, la plus éminente
du royaume.
« Et a signé : Charles-Armand de Gontaut de Biron.
« Messire Honoré, comte de Saint-Maure, menin de Monsieur le
Dauphin, marquis d'Archiac, baron de la Tour-Blanche, de la Feuil-
lade et autres lieux, âgé de cinquante-quatre ans ou environ, après
serment de dire vérité,
« A dit que l'antiquité et la noblesse de la maison de Pardaillan de
Gondrin et les services importants rendus à l'État depuis plusieurs
siècles par ceux qu'elle a produits sont connus de tout le monde ; que
M. le duc d'Antin, qui poursuit sa réception à la dignité de pair de
France, joint à son illustre naissance beaucoup d'honneur, de reli-
gion et de sagesse, et a mérité par ses services la grâce que le Roi
vient de lui faire de l'élever à la plus éminente dignité du royaume.
« Et a signé : Sainte-Maure.
« Fait par nous, conseiller et commissaire susdit, les jour et ans que
dessus.
« Signé : Lenain.
« Signé : DONGOIS. »
468 APPENDICE IX.
IX
LETTRE DU CHANCELIER AU DUC DE LUXEMBOURG.
On a vu ci-dessus, p. 259-260, Saint-Simon raconter que le chance-
lier de Pontchartrain écrivit au duc de Luxembourg, alors à Rouen,
et à propos de l'édit projeté sur les duchés pairies, trois lettres succes-
sives, dont deux « sèches » et « dures». Nous avons expliqué les raisons
qui peuvent faire penser que notre auteur s'est abusé au sujet des deux
dernières. Les registres de la correspondance du Chancelier ne renferment
que la première des trois, probablement la seule écrite ; en voici le
texte, d'après le manuscrit Français 21 133 de la Bibliothèque natio-
nale, fol. 40o.
« Versailles, le 13 mai 1711.
« Monsieur,
« Le Roi s'est fait remettre depuis peu devant lui des mémoires
qui furent faits par ses ordres, il y a quinze ou seize ans, par M. le premier
président de Harlay, sur tout ce qui peut regarder les duchés-pairies
et les contestations qui étoient pendantes au Parlement, afin de ter-
miner dès lors ces contestations par un édit, et de prévenir même
celles qui pourroient naître dans la suite. Le procès de M. d'Antin
pour le duché d'Epernon a excité de nouveau S. M. à reprendre ses
premières vues, et c'est sur ces principes qu'elle a fait surseoir le juge-
ment de toutes ces contestations au Parlement, et qu'elle s'est fait re-
mettre les mémoires dont je viens d'avoir l'honneur de vous parler,
dans la résolution d'en faire usage et d'exécuter présentement ce
qu'elle ne fit pour lors que projeter; mais, comme le Roi trouve, dans
ces mémoires et dans ces projets de règlements, un article qui détruit
absolument vos prétentions de préséance et qui fixe votre rang aux
lettres de 4661, S. M. m'a ordonné de vous le faire savoir, et de vous
dire en même temps que feu M. le maréchal de Luxembourg, qui eut
pour lors communication de ces mémoires et de ce projet, y consentit
avec soumission, et j'ose dire même avec plaisir, sachant que c'étoit
une espèce d'accommodement qui le tiroit d'affaire et qui lui donnoit
un rang assez ancien pour se consoler de ne pas courre le risque de
tout perdre en voulant avoir davantage ; et, quoique le Roi ne doute
pas que vous ne suiviez volontiers les sentiments de feu M. le maréchal
de Luxembourg, n'étant pas moins bien instruit de vos véritables in-
LETTRE DU CHANCELIER. 469
térêts qu'il l'étoit des siens, qui sont les mêmes, cependant S. M. dé-
sire de le savoir par vous-même et m'ordonne de vous les demander.
Ses bontés, et sa considération pour vous, que vous méritez par vos
services, l'engagent à retarder jusque là l'exécution d'une chose dont
elle connoît à présent la nécessité et qu'elle veut absolument tinir.
« Je vous prie d'être persuadé que personne ne vous honore plus
que je fais, et n'est plus véritablement que je suis, etc.
« PONTCHARTRAIN. »
470 APPENDICE X.
LA MALADIE DU DUC DU MAINE *
Saint-Simon a laissé entendre avec tant d'insistance que la courte
indisposition du duc du Maine, dans les premiers jours de juin 1711,
était due à un mal étrange et mystérieux, dont le médecin Fagon n'au-
rait pas lui-même été exempt, qu'il n'est pas inutile de reproduire le
récit des deux journaux de la cour. Le second, inconnu jusqu'à nos
jours et rédigé en grand secret par son auteur, n'a point le caractère
quasi officiel du Journal de Dangeau et n'aurait point manqué d'expri-
mer au moins le soupçon d'épilepsie, s'il s'y était trouvé quelque appa-
rence, étant donné surtout la prédilection marquée de l'auteur des
Mémoires de Sourches pour les détails de médecine. Voici d'abord le récit
de Dangeau (tome XIII, p. 420) :
« Le mal de M. du Maine a été si grand, qu'on l'a cru mort durant
quelque minutes. Cette nuit, il a été plus de trois heures sans con-
noissance, et, sans un valet de chambre quicouchoit dans sa chambre,
il seroit mort infailliblement. Ce valet heureusement ne dormoit point;
il appela promptement du secours. Mareschal y vint en pantoufles, qui
le saigna au milieu de ses convulsions. On lui donna tous les remèdes
les plus violents. La parole lui revint, et il parla latin assez longtemps ;
mais enfin la connoissance lui revint tout à fait, après que les remèdes
violents qu'on lui avoit donnés l'eurent beaucoup fait vomir. Madame
la Duchesse et les princesses ses filles, qui avoient fait médianoche,
se promenoient dans le jardin quand le mal commença, qui fut avant
deux heures ; elles coururent dans sa chambre, et y passèrent la nuit.
Sur les sept heures, il se confessa, et on le laissa dormir ensuite. Il
passa le reste de la journée assez tranquillement. Quand on lui pro-
posa, après sa confession, de dormir, il répondit: «Je crains de ne pas
« me réveiller. )> Mme la duchesse d'Orléans et M. le comte de Toulouse
passèrent la nuit auprès de lui. Madame la Princesse et Mme de Ven-
dôme y vinrent de Paris le matin ; mais elles ne le virent point.
... Mme la duchesse du Maine n'a point su l'état où il a été ; on lui a
caché avec grand soin, parce qu'elle est malade à Sceaux. »
Les Mémoires de Sourches, de leur côté, disent (tome XIII, p. 128):
« Le 7, à la pointe du jour, on apprit que le duc du Maine, lequel
avoit couru le cerf le jour précédent, qui avoit bien soupe, et qui avoit
1. Ci-dessus, p. 263.
LA MALADIE DU DUC DU MAINE. 471
paru très gai dans le cabinet du Roi, avoit pensé mourir entre deux et
trois heures après minuit ; qu'on avoit en même temps été chercher
le confesseur, le chirurgien et les médecins; qu'il avoit été trois heures
sans connoissance. quoiqu'il eût de grandes convulsions au visage et
aux bras; qu'on l'avoit saigné; qu'on lui avoit donné toutes les drogues
imaginables pour le faire revenir, et entre autres des gouttes d'Angle-
terre, quinze grains d'émétique, et six gros de vin d'Espagne émétique,
sans que cela le fît revenir, et qu'enhn on l'avoit cru mort pendant
quelques moments; mais que, tout d'un coup, quand on s'y attendoit
le moins, il s'étoit réveillé comme d'un profond sommeil et avoit parlé,
quoique les remèdes n'eussent point encore paru opérer ; qu'après cela
l'émétique avoit commencé à faire son effet, qu'il avoit beaucoup vomi et
s'étoit beaucoup vidé par en bas, et qu'on espéroit qu'il se tireroit de cet
accident, sur lequel les sentiments étoient différents, les uns disant
naïvement que c'étoit une apoplexie, les autres soutenant que ce
n'étoit qu'une forte indigestion*, et les autres qu'il avoit assurément
mangé des champignons, qui étoient mortels sur le terroir de Marly,
comme on en avoit vu plusieurs exemples. Le Roi alla voir ce prince
immédiatement après sa messe, et le trouva en assez bon état, les mé-
decins disant tous qu'il étoit hors de danger ; sur le midi, la princesse
de Condé et la duchesse de Vendôme arrivèrent à Marly ; pour la du-
chesse du Maine, comme elle avoit depuis quelques jours de grandes
vapeurs, et que, depuis qu'elle avoit vu mourir le marquis de Lan-
geron en sa présence, elle appréhendoit terriblement l'apoplexie, on
ne voulut pas lui faire savoir les choses comme elles étoient, et on lui
manda que le prince son époux avoit eu une grande colique. »
Le prince lui-même se moqua de sa « bizarre aventure » dans une
lettre intime à son ami le duc de Guiche 2 :
Lettre du duc du Maine au duc de Guiche.
« A Sceaux, le 14 juin 1711.
« Je vous assure, Monsieur, que je ne doute en façon quelconque de
la sincérité de toutes les honnêtetés que vous voulez bien me faire sur
ma bizarre aventure. Jamais apoplexie n'a été traitée si cavalièrement:
on n'a pas seulement daigné en dire un mot dans la Gazette, et l'on a
la dureté de me répandre la fausse et ignominieuse réputation d'avoir
pensé crever d'une indigestion. Prenez mon parti, je vous en conjure,
et comptez que Dieu, en me conservant, vous a conservé, Monsieur, un
serviteur très digne de votre amitié. »
1. Note de l'annotateur : C'étoit le sentiment de Fa^on.
2. Correspondance du duc du Maine, 2« registre, fol. 208.
472 APPENDICE XI.
XI
PROJET DE MARIAGE DU JEUNE PRINCE DE ROHAN
AVEC UNE PRINCESSE DU SANG
(Morceau inédit de Saint-Simon').
Réflexions sur le bruit répandu avec beaucoup d'apparence du
mariage du fils de M. le prince de Rohan avec une fille de Madame
la Duchesse, décembre 1711^.
« Pour peu qu'on ait quelque idée de la situation de la cour depuis
quelques années et qu'on l'ait suivie parmi tous les changements qui
y sont arrivés, on découvrira sans peine le danger de ce mariage pour
son repos, comme la haute noblesse du royaume y verra aisément
l'accomplissement entier de sa totale décadence. C'est sur ces deux
matières que j'ai dessein de faire rouler mes réflexions, et je laisse à
de plus capables l'examen d'une troisième ; c'est la prétention aussi
réelle que mal fondée que conserve chèrement sur la Rretagne la
maison de Rohan, et que tout montre constamment en elle des désirs
et des desseins très suivis de la faire valoir en son temps, s'il se peut
jamais trouver pour elle.
« Je voudrois sincèrement que ce qui regarde la cour se pût traiter
comme un raisonnement sur de simples choses, et surtout qu'il ne
fallût pas remuer des matières très désagréables par elles-mêmes ;
mais il se faut souvenir que, la cour étant toute occupée et animée
de divers intérêts et de vues continuelles dans la plupart de ceux et de
celles qui la composent, ce sont ces vues, ces intérêts et la manière de
les conduire qui forment l'histoire présente de chaque jour et qui
composent celle de ces temps, comme ce que nous lisons de sem-
blable dans les livres nous découvre celle des cours et des temps
passés. Sans cette connoissance, il n'est pas possible d'apercevoir rien
des dangers, des rapports, des convenances des choses ; c'est cette
connoissance qui instruit et qui guide chacun ; il n'est question que de
l'avoir exacte, sans préjugés et sans scrupule, puisqu'on ne doit pas se
cacher ce qui est vrai et ce qu'il est utile de connoître et que la
charité n'a jamais prescrit le mensonge ni l'erreur. C'est une légère
préface, mais solide, ce me semble, que j'ai cru devoir mettre au
devant de ces réflexions pour ma propre satisfaction, et je puis dire
ce que je pense avec toute la franchise que je dois et toute la cir-
1. Gi-dessus, p. 275.
2. Autographe; vol. 4o des Papiers de Saint-Simon, aujourd'hui
France 200, fol. 1-4.
MARIAGE DU JEUNE PRINCE DE ROHAN. 473
conspection possible pour ne rien dire que de très vrai et d'une vérité
aussi exactement prouvée qu'il est possible, hors les formes judi-
ciaires des procès, dont ceci n'est pas susceptible par sa nature.
« Avant les derniers changements arrivés à la cour, sa face présen-
toit un roi âgé, affermi par un long règne dans une même manière de
gouverner, que l'ambition ni la faveur d'aucun courtisan n'avoit jamais
pu entamer sur rien; un ministère établi •, nulle porte que par cette
voie et nulle entrée dans le ministère pour les courtisans ; un dauphin
âgé pour ce titre, peu avant dans les affaires, plus porté à s'en déchar-
ger, lorsqu'elles lui viendroient, qu'à y travailler beaucoup lui-même ;
un duc de Bourgogne plein d'esprit, d'application, de génie, de con-
noissances, de religion, de sagesse, d'une réputation éclatante ; point
de cabale autour du Roi, dont les goûts affermis n'étoient pas suscep-
tibles d'attaques ; point de cabale autour de son petit-fils, éloigné du
trône et très judicieux à peser, à mesurer et à examiner, par consé-
quent trop de peine et trop peu de profit en des cabales auprès de lui ;
mais sur Monseigneur fondoient toutes les cabales, comme sur l'héri-
tier immédiat et prochain et sur un prince qu'on jugeoit susceptible
d'être gouverné. La plus ancienne des cabales étoit celle de Mlle de
Lillebonne et de Mme d'Espinoy, sa sœur, l'une pleine de hautes
pensées et de vastes projets, l'autre, avec beaucoup moins d'esprit,
plus propre par sa souplesse et son infatigable application à les faire
réussir, toutes deux une en tout, et mises en état de tout par une
longue habitude avec Monseigneur, devenue intimité solide, fruit de
celle de Mme la princesse de Conti. L'aventure de Mlle Choin ayant
peu à peu éloigné Monseigneur de cette sœur, Mlle de Lillebonne et
la sienne sentirent tout aussitôt que l'utile étoit de rester liées à
Mlle Choin et ne balancèrent pas à se jeter tout de ce côté, dont elles
fomentèrent et facilitèrent le commerce dans les premiers temps et
les plus secrets, et n'eurent aucun embarras de la découverte qu'en fit
Mme la princesse de Conti, ni de la douleur extrême qu'elle ressentit
de voir une personne contre laquelle elle avoit des sujets de mécon-
tentement si vifs et si sensibles lui enlever toute la confiance de
Monseigneur, et de trouver dans Mlles de Lillebonne, ses plus intimes
amies et qu'elle-même avoit mises à ce point auprès de Monseigneur,
les instruments de Mlle Choin et le lien de Monseigneur avec elle.
Mme de Soubise, si habile dans l'art de la cour, amie de tout temps
de Mme de Lillebonne et de ses filles, étoit l'âme de leur conseil, et
son premier soin, dès que le prince de Rohan fut dans le monde par
la mort de son aîné, fut de l'initier dans leur commerce et de l'unir
étroitement avec Mlles de Lillebonne, à quoi servit encore le mariage
de la cadette avec le prince d'Espinoy, ouvrage de Mme de Soubise,
sa tante. Monseigneur s'étant tourné du côté de Madame la Duchesse,
Mlles de Lillebonne, je continuerai pour abréger de les nommer
1. Establi est en interligne au-dessus d'affermi, biffé.
474 APPENDICE XI.
ainsi , auxquelles toute la confiance que Monseigneur partageoit entre
Mme la princesse de Conti et elles étoit passée, n'eurent garde de l'en
détourner. Il falloit qu'il s'amusât, et il aimoit que ce fût hors de son
appartement à Versailles et à Marly. Elles n'étoient plus bien avec
Mme la princesse de Conti qu'à l'extérieur, et cette princesse, réduite
à les ménager pour se conserver au moins les dehors de Monseigneur,
n'avoit en effet conservé que cette écorce d'amitié avec elles. Il étoit
donc de leur intérêt de laisser Monseigneur suivre son nouveau goût,
et d'y donner en même temps assez, pour devenir aussi amies de
Madame la Duchesse, avec laquelle il n'y avoit pas d'obstacle par
Mlle Choin comme avec Mme la princesse de Conti. C'est ce qui forma
ce triumvirat puissant de Mlle Choin, Mlles de Lillebonne et Madame
la Duchesse, si uni et si fortement lié qu'il a justement fait la terreur
de la cour, et qu'on s'attendoit bien, comme on l'a vu par expé-
rience, que rien ne seroit capable de désunir en rien durant la del-
phinité du prince, qu'elles n'avoient garde de dégoûter par aucune
division, ni d'embarrasser par des nécessités de choix et de préfé-
rence, réservant tous leurs efforts particuliers les unes contre les
autres pour un temps futur auquel le timon des choses jetteroit la
jalousie à qui s'en pourroit emparer et se dépister les unes les autres.
C'est ce qui s'est vu bien nettement par la disposition réciproque
de ce sage et si habile triumvirat. Les plus intimes de Mlle Choin
savoient bien qu'elle avoit plus d'apparence que de confiance en
Mlles de Lillebonne, et Madame la Duchesse a essayé une seule fois
par voie de plaisanterie un peu forte avec Monseigneur de porter des
coups à Mlle Choin, dont la réception hérissée lui fit comprendre que
les temps de la lutte n'étoient pas encore arrivés.
Dans cet état des choses, deux hommes qui avoient continuellement
lutté ensemble pour la faveur de Monseigneur, et aussi différents en
mérite qu'en naissance, pensèrent à s'aider chacun de ce triumvirat
qui dominoit couvertement la cour: le prince de Conti, éloigné douce-
ment par le Roi, mais présenté par Madame sa belle-sœur tant qu'elle
avoit eu du crédit, et ensuite par Madame la Duchesse, d'avec qui
une couronne ne l'a pu séparer, et M. de Vendôme, présenté par sa
propre audace et protégé du Roi. Ces deux compétiteurs s'étoient plus
d'une fois vaincus l'un l'autre près de Monseigneur, lorsque M. de
Vendôme sentit qu'il avoit besoin de troupes auxiliaires, qu'il avoit
jusque-là dédaignées. A ce qui s'étoit passé en Italie entre lui et
M. de Vaudémont, on n'eut jamais pensé qu'il eût choisi ses nièces ;
ce furent pourtant elles avec qui il se lia. La conduite de M. de Ven-
dôme sur leur oncle les avoit fait souvent trembler. Toutes les avenues
étoient fermées par leur adresse ; ministres, officiers, personne n'osoit
se commettre avec elles, et Chamillart trompé se persuadoit tout ce
qu'il leur plaisoit et étoit ' enfin à ce point de ne plus rien voir que
1. Ce mot, très mal écrit, est douteux.
MARIAGE DU JEUNE PRINCE DE ROHAN. 475
par les yeux de Vaudémont. M. de Vendôme restoit seul, dont les
privances avec le Roi et avec Monseigneur même étoient redoutables,
parce qu'il n'avoit rien à craindre, par la faveur et la grandeur à
laquelle il avoit été successivement porté. Mais il fut susceptible des
craintes et des mesures de l'avenir, et, plus que tout, de cette jalousie
ancienne du prince de Conti qu'il voyoit bien avec Mlle Choin, dont il
n'étoit connu que de nom et pour l'avoir vue autrefois à la cour sans
liaison aucune, et de manière avec Madame la Duchesse qu'il lui seroit
toujours obstacle et barrière à tout. C'en fut assez pour s'unir étroite-
ment avec Mlles de Lillebonne et leur oncle au retour d'Italie. Tous
étoient trop ambitieux et y trouvoient trop entièrement leur compte
pour manquer cette réunion. Le prince de Rohan, si un avec Mlles de
Lillebonne, s'étoit déjà rendu assidu auprès de Madame la Duchesse
et y fut depuis puissamment présenté par Mlles de Lillebonne. Initié
dans tout avec elles et indépendamment d'elles avec Mlle Choin par Mme
de Soubise, amie intime et le conseil de cette tille jusqu'à la mort, il
devint d'autant plus aisément l'âme du triumvirat qu'il parut dans la
dépendance de chacune de celles qui le composoient, que ses vues,
ses desseins, une continuité infatigable d'application et de suite est
précisément tout son esprit, qui ne se montre guères d'ailleurs et ne
paroît pas à craindre, ni presque exister au dehors, et que, tourné
tout à ses plans, il les suit sans relâche sous toutes sortes de formes,
prodigue soins, argent au jeu et en magnificence, complaisance et
tout ce qui peut être en lui, et cependant ne prend pas moins de soin
à se cacher et à ne paroître penser à rien, tandis qu'il ne fait jamais
un pas qui ne le porte digne fils de Mme de Soubise. M. de Ven-
dôme, réuni avec Mlles de Lillebonne et en communauté d'intérêts
contre le prince de Conti, devint aisément l'ami du prince de Rohan,
comme il a bien paru en Flandres, et pensa à contrebalancer le goût
de Madame la Duchesse qui l'entraînoit puissamment contre lui, par
un mariage dont l'intérêt solide l'obligeât au moins à ne lui pas nuire
et peu à peu dans la suite à se tourner vers lui. Monsieur le Duc, qui
avoit aussi contre le prince de Conti des jalousies cuisantes de plus
d'une espèce, et qui pour cela même s'étoit toujours conservé en
quelque liaison avec M. de Vendôme, fut celui par qui il chemina
pour le mariage de sa sœur. Madame la Duchesse n'osa rien dire ;
mais Monsieur le Prince s'emporta tellement contre son fils dès la
simple ouverture qu'il lui en fit, qu'ils ne pensèrent plus qu'à y faire
venir Monsieur le Prince par le Roi, et que Monsieur le Prince, qui
en eut lèvent, fut deux ans sans venir à la cour sous prétexte de mala-
die, de peur que le Roi ne lui parlât et qu'il n'osât résister. Il devint
cependant efTectivement malade, et par sa mort laissa champ libre à
sa famille pour un mariage que Monsieur le Duc n'a pas vu et qui
s'est accompli depuis par d'autres raisons qui ont succédé aux pre-
mières, que les changements des choses avoient dissipées.
« Tandis que toutes ces cabales se remuoient de la sorte sous une
476 APPENDICE XI.
apparente tranquillité, la réputation de l'héritier de la couronne prit
un essor qui les troubla. A tout ce qui en a été dit en le nommant au
commencement de ce discours, se joignit le succès de ses deux pre-
mières campagnes, où ses grandes qualités, développées en un champ
plus vaste et plus libre que la cour, charmèrent les armées et, par le
retour des officiers chez eux, les provinces, et les pays étrangers
ensuite par le vol de la renommée. Les marques de courage solide et
vrai, rehaussées de modestie non moins véritable et de ce naturel qui
donne toujours le plus grand prix partout où il se rencontre, augmen-
tèrent iniiniment les espérances des bons François à Nimègue et à
Brisach, et rehaussèrent l'éclat des autres vertus. Le Roi y parut
extrêmement sensible ; Monseigneur s'y complut autant qu'il étoit en
lui ; l'admiration générale retentit de tous côtés ; la foule s'empressa
autour du jeune prince, sans autre objet que le plaisir de le voir.
C'en fut assez pour donner à la puissante et paisible cabale de nou-
veaux soins et de cuisants soucis. Je dis exprès la cabale ; car il n'y
eut qu'un côté du triumvirat qui s'en émut, et la suite des choses le
montre avec évidence. Ce côté fut la réunion nouvelle déjà tellement
cimentée aux dépens des vérités d'Italie. M. de Vendôme et Mlles de
Lillebonne, fortifiées de la présence de leur oncle, sentirent combien
il étoit naturel que Monseigneur, devenu roi dans la suite des temps,
s'abandonnât à la conduite d'un tils d'un si grand mérite, que l'ordre
de la nature lui destinoit pour successeur, dont la piété et la probité,
les principes, la conduite écartoient toute crainte, et que tout appeloit
d'ailleurs à la connoissance, et dès là à la conduite des affaires. Ils
comprirent dès là le renversement de leurs vues, de leurs desseins,
de leurs projets de gouvernement et du prince et du royaume, chacun
à part soi, et qu'il ne seroit pas temps de lutter pour de si grandes
choses contre un duc de Bourgogne devenu dauphin, s'ils n'y mettoient
ordre de bonne heure. Pour cela il n'y avoit de moyen que de faire
tomber cette réputation si bien établie. Ce moyen étoit difficile et plein
de dangers ; mais l'objet en étoit trop grand, trop prochain, trop sen-
sible, après s'être tant donné de peine pour se mettre en état d'y
atteindre et s'être vus les mains dessus, pour ne pas risquer pour se
le conserver, et ne pas employer le reste du règne présent à préparer
et assurer le leur sous le règne qui naturellement devoit suivre. C'est
ce qui fut prévu par un courtisan qui le dit à un autre à Marly un
peu avant la déclaration de l'envoi de Mgr le duc de Bourgogne en
Flandres et de M. de Vendôme sous lui'. Il assura qu'en rien ils ne
s'accorderoient, et que, quelque raison qu'eût l'héritier, Vendôme
l'emporteroit sur lui jusque dans la maison paternelle et l'y terrasse-
roit. Le courtisan à qui cela fut prédit trouva la chose si étonnante,
que les raisons du prophète l'irritèrent presque et ne le persuadèrent
1. Ce courtisan est Saint-Simon lui-même : voyez notre tome XVI,
p. 6 et suivantes.
MARIAGE DU JEUNE PRIXCE DE ROHAN. 477
pas. Le cours de cette campagne passé au delà de toute idée possible
donna souvent lieu au prophète de mettre le doigt sur la lettre à l'au-
tre, et alors de s'irriter ensemble. Et voilà à quoi sert de savoir les
intrigues des cours : on infère des unes les autres, et on découvre de
la connoissance des gens et de leurs liaisons, de leurs vues et de
leurs intérêts, ce qu'ils seront capables premièrement de vouloir et
puis de faire, et par là on prévoit ce qui doit arriver et conséquem-
ment ce qu'il faudroit faire ou éviter. Durant cette campagne, dont il
seroit trop amer et trop long de rapporter les succès de cour et de
guerre, M. de Vaudémont et ses nièces, effrayés de voir la conduite
de la digne épouse du jeune prince opprimé et de Mme de Maintenon,
se contentèrent du silence en public, tandis qu'en particulier les
nièces aigrissoient Monseigneur, qui, avec toute sa réserve accoutu-
mée, ne put se contenir par deux fois en public, l'une à son grand
coucher à Marly et une autre fois à Versailles, et l'oncle fascinoit les
yeux à Chamillart, qui, persuadé par lui et impénétrable à tout le
reste des hommes, plaida au Roi la cause de Vendôme, affligé jusqu'à
l'extrême de le faire, mais s'y fortifiant contre tout événement par les
sentiments d'honneur, de probité, d'affection au Roi et à la France
qui l'ongageoient à dire vérité, tandis que ces vérités n'étoient que
le fruit des persuasions et des voilements de M. de Vaudémont, que
le ministre n'étoit pas en état de développer par l'excès de ses pré-
ventions en faveur de cet homme connu publiquement pour le seul
qui non seulement eiit de la créance sur son esprit, mais qui le
gouvernoit par une autorité de persuasion jusque contre ses propres
idées qui tenoit pour ainsi dire du charme et du surnaturel.
Mlle Choin cependant, peu soucieuse de ces choses, laissoit faire,
s'intéressant néanmoins en gros au fils de Monseigneur, et Madame
la Duchesse, que la victoire du compétiteur du prince de Conti n'ac-
commodoit pas, étoit fâchée de ce qui se passoit, mais non pas jusqu'à
s'en faire une affaire auprès de Monseigneur par rapport aux déplai-
sirs mortels de Mme la duchesse de Bourgogne qui consoloient la
haine que Madame la Duchesse avoit amère contre elle, et qui, jointe
à son intimité avec Monseigneur, l'avoit aveuglée jusqu'à menacer
qu'elle la perdroit, jusqu'à n'y rien négliger et jusqu'à mille autres
excès surprenants, dans la confiance de sa toute-puissance, qui feroient
descendre dans trop de petits détails et qui sont connus.
« Le retour de la campagne produisit un changement dans la situa-
tion du duc de Vendôme uniquement dû à Mme la duchesse de Bour-
gogne, qui lui fit un honneur qui ne mourra jamais. La conduite de
ce duc fit bien voir jusqu'à quel point il avoit lieu de compter sur
Monseigneur, puisqu'il osa se retrancher dans Meudon contre Marly
et remplir Anet de propos qui couroient après par les provinces et
par les cafés et les marchés de Paris, qu'il suffit de citer simplement
ici. Il fallut donc, après un assez long temps, un nouvel effort de
l'admirable princesse pour arracher Vendôme de l'asile qu'il s'étoit
478 APPENDICE XI.
fait, et ce fut ce nouveau coup et le soutien de cette même conduite
dans Mme la duchesse de Bourgogne qui troubla la douceur du repos
que goûtoit la cabale d'avoir opprimé Mgr le duc de Bourgogne.
Cependant on comptoit les jours du règne présent ; on les employoit
tous à semer dans l'esprit de Monseigneur tout ce qui le pourroit éloi-
gner de sa belle-fille, et cet éloignement, à diverses fois ménagé pour
réussir sans cependant rien risquer, avoit fait de tels progrès, que les
derniers temps de la vie de Monseigneur ont été continuellement
marqués d'un éloignement, jusqu'à quelque chose de plus fort, de
Monseigneur pour Mme la duchesse de Bourgogne, sans que ses soins,
ses complaisances jusqu'au travail sans se rebuter de rien, aient pu
amortir des impressions si continuellement et si solidement gravées
dans l'esprit de Monseigneur. C'étoit précisément le but de la cabale.
La piété, la charité, la bonté de Mgr le duc de Bourgogne, peut-être
poussées au-delà des justes bornes, avoient ôté toute crainte de lui et
mis quelque chose en sa place dont nul prince ne mérita jamais d'être
plus éloigné que lui. On ne craignoit donc que Mme la duchesse de
Bourgogne, et on se mettoit de plus en plus en état de la faire crain-
dre elle-même. Ainsi on demeuroit tranquillement attentifs en atten-
dant un changement de règne. Cependant la mort de M. le prince de
Conti, de Monsieur le Prince et de Monsieur le Duc frayèrent, quant
aux deux premiers, le chemin du mariage au duc de Vendôme, qui,
dans son état de disgrâce, songeoit pour lors également à se soutenir
en attendant les temps et à appuyer son rang par cette alliance. Il
espéroit trouver Madame la Duchesse moins contraire depuis la mort
du prince de Conti, et, si celle de Monsieur le Duc lui ôta son appui
pour le mariage, celle de Monsieur le Prince mit le duc du Maine au
large pour le conclure à l'insu et comme malgré toute la famille. Ce
duc étoit le bras droit de Vendôme, son appui dans tous les temps
envers et contre tous. L'union de la même origine et des mêmes pré-
tentions, que depuis M. du Maine a encore plus étendues, les avoient
étroitement liés, et jusqu'au Grand Prieur avec eux tant qu'il est resté
en France. Rien ne se faisoit sans le conseil et la participation de
M. du Maine sur tout ce qui regardoit M. de Vendôme ; par lui
passoient les choses les plus secrètes, et le souvenir des vérités de
Nimègue le laissoit agir encore plus au large dans quelque occasion
que ce pût être et contre qui que ce pût être en faveur du duc de
Vendôme, qu'il regardoit d'ailleurs comme très propre à le raccom-
moder avec Madame la Duchesse dans les suites après la tin de leurs
procès, lorsque cependant les intérêts de cour et Mlles de Lillebonne
auroient bien remis M. de Vendôme avec elle. En même temps tomba
sur Madame la Duchesse la bombe du mariage de M. le duc de Berry
que, par adresse et à force ouverte, elle prétendoit pour Mlle de
Bourbon, à quoi Monseigneur étoit engagé par tout le triumvirat
ensemble et qui résista au Roi sur cette affaire plus qu'il n'avoit fait
en toute sa vie sur aucune.
MARIAGE DL' JEUNE PRINCE DE ROHAN. /.79
« C'est proprement là l'époque des pensées du prince de Rohan
pour le mariage de son fils avec une fille de Madame la Duchesse. Dé-
livré de Monsieur le Duc, à qui personne n'en eût osé hasarder la
proposition, délivré de M. le duc de Berry. dont l'entrée dans cette
famille eût pu former un obstacle, il commença à croire qu'un fils
unique avec rang de prince et plus de cent mille écus de rente pouvoit
aspirer à une princesse du sang que les procès de sa famille rédui-
soient à deux cent mille livres de bien, dès que le duc de Vendôme,
avec un bien fort obéré, une santé très suspecte et une situation très peu
avantageuse, en venoit d'épouser la tante paternelle avec plusieurs
millions. Il n'y avoit plus de princes du sang qu'enfants, et leur nom-
bre ne pouvoit suffire au quart de l'établissement de dix filles prin-
cesses du sang toutes de différents âges. Personnellement et de longue
main intime de Madame la Duchesse chargée de quatre filles, intime,
comme j'ai dit, de Mlles de Lillebonne et un autre elles-mêmes, bien
avec Mlle Choin au dernier point par feu Mme de Soubise. et par lui
conséquemment en état de tout, et de soi et par ces appuis, auprès de
Monseigneur, il bannit tout autre mariage pour son fils de sa pensée,
sûr de M. de Vendôme et délivré surtout de M. le prince de Conti.
« La mort de Monseigneur, qui a changé toute la face de la cour et
donné au triumvirat la plus terrible secousse qu'il pût recevoir, a pour
ainsi dire ôté les serrures de dessus les yeux et les bouches à l'égard du
nouveau dauphin, et le scellé rais en 1708 s'est de soi-même et tout à
coup levé en 1744. Dans cette nouvelle situation des choses, le reste
du triumvirat, revenu du premier étourdissement, s'est réuni de plus
en plus ; il a tout espéré de la religion de Monsieur le Dauphin et de
ses pratiques peut-être excessives. Miles de Lillebonne, cédant au
temps, prennent dans la cadette et vont prendre dans l'aînée toutes
sortes de formes pour plaire au soleil levant ; leur prince de Rohan,
qui, à tout hasard et pour avoir un pied partout, a toujours cultivé
Madame la Dauphine, s'y jette de plus en plus en assiduités, en com-
plaisance, en jeu, et M. du Maine, qui compte sur cette même
piété de Monsieur le Dauphin et peut-être sur quelque légèreté dans
Madame la Dauphine, maintenant qu'elle n'a plus rien à craindre, fait
toutes sortes de batteries et ouvre des tranchées de toutes parts pour
s'approcher de l'un et de l'autre sans montrer encore son duc de Ven-
dôme en croupe. Madame la Duchesse d'abord affligée, puis gaie de
commande sur un mot du Roi à Mlle de Tourbes et Mme de Bouzols
dans le jardin de Marly, se donne toute aux plaisirs et ne s'approche
point de Madame la Dauphine avec son ordinaire abri de frivole pour
cacher ses desseins, tandis que d'Antin, son pilote de cour, embar-
rassé pour lui-même sur l'avenir, s'épuise en fêtes, en jeu, en com-
plaisance, en hasards de rebuts, pour circonvenir Madame la Dauphine
et puis Monsieur le Dauphin, pense à s'ancrer pour soi, en est peut-être
très proche, sans que ceux dont il s'agit s'en aperçoivent ; après quoi
Madame la Duchesse paroîtra en son temps. Tels sont les projets, et
480 APPENDICE XI.
les démarches qui ont vérifié de point en point les uns et qui vérifient
les autres, et qui montrent à la cour, au lieu du triumvirat passé
avec sa cause, une autre cabale terrible dont les principaux acteurs
sont liés de tout temps et dont aucun n'est en rien médiocre, et qui
tous ont été dans les intérêts et dans les exécutions continuelles les
plus dommageables à la cour et à l'Etat et les plus opposés à Monsieur
le Dauphin d'aujourd'hui et à Madame la Dauphine, qui, chose de sa
nature incroyable et de sa nature impossible, mais dans son effet vi-
sible et palpable très vraie, en ont été profondément perdus, et, avec
le Roi pour eux, n'en sont sortis que par une disposition singulière de
la Providence qui n'étoit pas dans l'ordre de la nature. C'est donc
avec ces considérations qu'il est important de peser si le mariage dont
il est question est bon ou dangereux à laisser faire, auxquelles on
peut ajouter celle des établissements qui sont déjà entre les mains de
cette cabale, outre leurs biens immenses, et les biens et les établisse-
sements que le prince de Rohan et son frère y apportent de nouveau
en scellant la cabale par ce mariage, qui se peut sans excéder appeler
redoutable. Il y auroit vaste matière à grossir infinement ces justes ré-
flexions ; mais celles-ci suffisent pour présenter succinctement les
choses comme elles sont. Passons maintenant aux autres qui regardent
la haute noblesse du royaume, et par conséquent la France et ses rois ;
comme il n'i^ a que des choses sans récit et sans détail, elles seront
très courtes
« Rien n'est naturellement moins extraordinaire que le mariage dont
il s'agit, et il ne faut pas être fort instruit pour savoir que les alliances
du sang des rois avec la haute noblesse du royaume, soit par mâles,
soit par femelles, ont toujours été si usitées et si fréquentes, que tout
est encore rempli en France de seigneurs sortis de ces princesses,
et que toute la maison régnante sort aussi de demoiselles, pour ne
parler plus des autres branches de cette même maison qui se sont
éteintes, les unes sur le trône, les autres sans y être arrivées. La conti-
nuation de cet usage seroit un si grand honneur, qu'on seroit bien
éloigné de le combattre, s'il étoit espérable ; mais les choses ont telle-
ment changé de toutes les manières depuis son interruption première
naturelle, et dans la suite affectée, que la haute noblesse ne peut plus
se flatter d'y atteindre et qu'elle ne peut voir sans une vive douleur
que, si quelques-uns de son corps y parviennent, ce ne soit qu'à titre
de n'en être plus. Après avoir examiné courtement ces deux vérités
affligeantes, il s'en trouvera résulter une troisième par rapport à l'in-
térêt du Roi et de l'Etat.
« La véritable époque de la cessation des alliances mutuelles du
sang royal avec la haute noblesse ne se peut établir qu'au temps de la
réduction de la maison régnante à trois têtes, ce qui arriva après la tin
des restes de la Ligue. Henri IV, le prince de Condé et le comte de
Soissons demeurèrent seuls, et, bien que les deux princes du sang
épousassent deux demoiselles, on ne vit plus de filles de princes du
MARIAGE DU JEUNE PRINCE DE ROHAN. 481
sang épouser des seigneurs, parce que leur rareté les rendoit meil-
leurs et plus désirables partis. On a seulement vu de nos jours M. de
Longueville épouser deux princesses du sang l'une après l'autre ; mais
on en a su les causes, outre que les avantages dont il jouissoit, très
distingués alors, très médiocres pour le temps d'aujourd'hui, le ren-
doient plus digne de ces hautes alliances. Mme de Guise, sortie d'un
mariage très longuement contesté et jamais goûté, d'ailleurs fort défi-
gurée, tille d'une Lorraine, et Mademoiselle, sa sœur d'un autre lit,
dont on sait l'histoire, sur laquelle le Roi daigna honorer toute sa
haute noblesse par une lettre qu'il écrivit à tous ses ambassadeurs
pour déclarer que la rupture du mariage de M. de Lauzun n'étoit
fondée que sur sa personne et point sur sa naissance, on n'a point vu
depuis d'autres alliances du sang royal avec les seigneurs du royaume.
« Pour peu qu'on fasse d'attention à la différence des temps, on
verra sans peine toutes les causes qui ôtent pour jamais à la haute no-
blesse l'espérance de i-evenir à l'alliance du sang royal. Du temps
qu'elles étoient communes, les princes du sang n'avoient de rang que
celui de leurs dignités et de leurs charges, et ensuite, sous les der-
niers Valois, les premiers rangs parmi les pairs, dont plusieurs
étoient des seigneurs comme ceux d'aujourd'hui. Il y avoit donc une
disproportion bien moins sensible entre les princes du sang et les
grands seigneurs, même sans titre, et par cela même une bien plus
plus grande facilité pour s'allier.
« Chacun vivoit dans ses terres. La cour n'étoit habitée que par les
grands ou moindres officiers, et de temps en temps, les grands seigneurs
y venoient rendre leurs respects. Du reste, ils vivoient chez eux avec
abondance des fruits de leurs biens et avec splendeur au milieu d'un
grand domestique et d'un diminutif de cour de leurs voisins et de leurs
vassaux. Chacun se connoissoit alors, et ce n'est point exagérer que
dire qu'il y avoit plus de différence entre un grand seigneur et un
autre seigneur moindre, quoique distingué aussi en naissance et en
biens, qu'il n'y en a maintenant entre un officier de la couronne et un
bourgeois à son aise sans emploi. Ainsi donc une princesse du sang
étoit bien mariée à un grand seigneur. Les rangs, rares et d'ailleurs
peu sensibles par la .séparation de chacun chez soi, compensée d'ail-
leurs par la justice exacte que chacun se faisoit et qu'il n'étoit alors ni
sûr, ni en usage, de ne se point faire, n'étoient pas des obstacles à
ces alliances, bien moins encore la considération du rang des enfants
sortis de ces mariages.
« Cette justice réciproque et cet état certain de chacun fondé sur la
réalité effective de son état conservoit alors les grandes maisons et les
maisons considérables et anciennes, mais inférieures, et ainsi toutes
par étages, dans leur splendeur entière par des alliances égales à peu
près et par une suite de mères qui décoroient beaucoup la généalogie
paternelle. Rien donc de commun dans les alliances de ces maisons
principales, et rien dans leur parenté qui pût déplaire à une princesse
MÉMOIRES DE SAINT-SIMOX. XXI 31
482 APPENDICE XI.
du sang entrée dans leur famille. Tout se soutenoit, rangs entre eux,
considération, biens, noblesse, alliances; tout se répondoit; tout étoit
digne et capable d'être mêlé au sang royal.
« Peu ou point de luxe, sinon dans des occasions si rares qu'elles
ne pouvoient incommoder, peu d'impôts, peu de gens à les lever, nuls
à s'en engraisser. De là tout à bon marché et en abondance par la faci-
lité du commerce, moins de besoins réels que la mollesse et l'habitude
se forment, moins de ces autres besoins de bienséance que l'exemple
fait naître, alors entièrement inconnus. Subsistance facile du produit
en espèces des terres qu'on habitoit, conséquemment abondance en-
tière, sortie des mêmes sources qui ne suffisent plus maintenant aux
moindres entretiens, tellement que le même homme avec les mêmes
fonds ne peut plus approcher des mêmes entretiens et du même état de
son bisaïeul, qui sutïisoit de reste à l'entretien d'une princesse du sang,
et qui maintenant ne payeroit pas ses seuls habits.
« De cette diminution de biens et de cette augmentation de dé-
pense, de nécessité et de luxe, sont sortis ces mariages monstrueux
qui de ce règne ont infecté les plus grandes maisons et n'en ont laissé
aucune entière, et, s'il est permis de se servir de ce terme consacré,
comme un abîme invoque un autre abîme \, d'une mésalliance s'en
forme une autre, et le peuple le plus abject s'est mêlé avec la plus
haute noblesse, tellement qu'une princesse du sang qui épouseroit
maintenant les plus grands seigneurs compteroit souvent parmi ses
parents, et les plus proches, autant de lie que de gens de qualité, et
d'ailleurs ne trouveroit pas un entretien dont elle se pût passer qui ne
ruinât son mari et ne mît ses enfants dans des détresses d'autant plus
fâcheuses, que les nuances d'une princesse du sang à une tille de basse
robe ou de finance seroient étranges, et les autres moins honteuses,
embarrassantes et d'un médiocre soulagement.
« En voilà donc trop pour n'ôter pas toute espérance à la haute no-
blesse de se remêler plus avec le sang des Rois : 4" état nouveau
porté dans les nues pour le sang royal ; 2° abaissement et confusion
de toute la haute noblesse ; 3° rangs recherchés, marqués sans dé-
dommagements anciens, multipliés, ditïéremment dispensés ; 4° vie à
part distinguée, honorée, abondante, maintenant confondue sous toute
main, souvent tombée en indigence, au moins presque jamais sans
malaise; 5° luxe, diminution de biens, vie errante, augmentation de
charges ; 6'^ mésalliances qui ont tout empoisonné, défiguré, désho-
noré. Nulle espérance d'aucun rétablissement, et, quand, par impos-
sible, il y en auroit, la réédification est toujours plus longue que la
destruction, et combien faudroit-il d'années pour réparer tant de maux
et purifier tant de sang illustre que près d'un siècle ont comme anéanti,
et pour remettre la haute noblesse en possibilité et en mesure de re-
tourner à ses premières alliances avec les princesses du sang ?
1. Ahyssus abyssum invocat (Psaume XLI, verset 8).
MARIAGE DU JEUNE PRINCE DE ROHAN, 483
« Que si c'est une des plus sensibles douleurs et une des plus fu-
nestes chutes qui aient pu arriver à la haute noblesse, que de se voir
privée de ces alliances, quel surcroît d'ignominie ne seroit-ce point
pour elle que d'en voir revenir l'usage en faveur d'une espèce de gens
qui, peu à peu sortis dextrement de son sein, se sont établi de ce
règne des honneurs, des distinctions, des rangs que toute politique
redoute, que toute justice réprouve, que toute vérité anéantit, que
tout exemple confond, que les lois ignorent jusqu'à maintenant avec
constance, dont les sources et les appuis, et souvent jusqu'à l'usage
même ne sont que félonie suivant les moyens, et dont l'existence in-
cite puissamment ses semblables, c'est-à-dire toute la haute noblesse,
par une tentation continuelle et par un cri puissant à une imitation
dangereuse pour arriver aux dépens des Rois et de la France au même
état que ces princes factices et par les mêmes chemins qu'eux. Il ne
s'agit pas maintenant de prouver ces tristes, mais importantes vérités,
qui se trouvent brèvement ramassées dans un mémoire exprès ; mais
on ne peut se dispenser de mettre ici en gros cette considération de-
vant les yeux pour montrer combien il seroit douloureux à la haute
noblesse, exclue désormais des alliances du sang royal, de les voir re-
commencer et à ses dépens avec une autre sorte d'hommes de son es-
pèce radieux de l'avoir abdiquée, consolider par le péril même des routes
qu'ils ont tenues pour arriver à ce point, élever sur elle par un rang
prodigieux, et former entin comme un plancher solide et impénétrable
par ces alliances entre la maison .régnante et elle, à la suite de laquelle
elle avoit jusqu'ici coutume de venir sans intervalle. Ainsi la haute
noblesse, dépouillée par degrés et en bien peu d'années, depuis avoir
porté seule Henri IV sur le trône de ses ancêtres, dépouillée, dis-je,
de sa considération dans ses terres, de sa demeure dans ses terres, de
sa distinction, de la pureté de son sang par les mésalliances, de ses
biens, de l'honneur de se mêler avec le sang royal, de toute raison-
nable espérance d'y revenir, entin confondue et presque anéantie sous
toutes sortes de besoins et de mains, a vu former par les voies les
plus criminelles des rangs inconnus, se consolider sur elle en faveur
de ceux de ses membres qui maintenant sont honteux de l'avoir été,
et verroit encore se former par eux à l'abri de l'alliance des princesses
du sang un étage entre ce sang et la haute noblesse pour l'en séparer à
jamais.
« Ces choses sautent tellement aux yeux qu'elles n'ont pas besoin
d'être plus expliquées, et sont de nature à se faire si bien sentir qu'il
seroit inutile d'en presser davantage le trop véritable et trop solide
raisonnement. Ce sont de ces vérités nues que leur simplicité fortitie,
à laquelle il les faut abandonner et qui ne peuvent que perdre et frap-
per moins par l'ofTusquement des paroles. Pour peu qu'elles se fassent
sentir, il en résulte bien naturellement une autre, qui est que ce qui
décourage, ce qui achève l'abattement, l'avilissement, la destruction
d'espérance de toute la haute noblesse, ce qui d'autre part en même
484 APPENDICE XI.
temps la pique d'une émulation vive et puissante, ce qui la tente, ce
qui ne lui présente que des chemins pertides, mais heureusement
frayés par d'autres pour arriver à ce but qui les irrite et les séduit
par l'exemple, ne peut être utile au Roi ni à l'Etat, quelque avantage
qui puisse être proposé en compensation, qui même sur le fait pré-
sent n'existe pas, et ne va* qu'à débarrasser Madame la Duchesse
d'une de ses tilles non moins dangereusement pour l'intérieur de la
cour que dommageablement pour l'Etat en général et amèrement pour
tout ce qui en fait les vraies et saines parties, comme il vient d'être
représenté succinctement par les considérations très abrégées de ce
mémoire. »
1. 11 y a dans le manuscrit ne vont et n'exislenl pas, comme si avan-
tage était au pluriel.
LA MALADIE DE LA REINE D'ESPAGNE. AHf
XII
LA MALADIE DE LA REINE D'ESPAGNE»
La reine d'Espagne à Louis XI V'.
« A Yitoriii, ce 28' novembre 1710.
« Ayant éprouvé toutes sortes de remèdes pour guérir des glandes
que j'ai depuis quatre ans très inutilement, et craignant qu'elles ne
grossissent assez à l'avenir pour me déligurer, j'ai trop d'intérêt à ne
le pas être par rapport au roi et à nos sujets, pour manquer à cher-
cher le seul remède que tous les médecins m'ont assuré être le plus
sur, qui sont les bains et les eaux chaudes. C'est par cette raison, que,
me trouvant à cinquante lieues de Ragnères, j'ai cru devoir profiter de
cette occasion pondant que je ne puis être auprès du roi et que je ne
lui suis ici d'aucune utilité. C'est ce qui m'a obligé à savoir de lui et
de M. de Vendôme ce qui leur sembloit, et l'ayant fort approuvé, il
ne me reste plus qu'à vous supplier de me donner votre approbation.
On trouvera peut-être que la saison où nous sommes n'est pas favora-
ble comme le printemps et l'automne; mais la nécessité, comme Votre
Majesté sait, fait prendre des partis forcés. Je sais néanmoins que les
peuples d'alentour de Ragnères prennent d'ordinaire ces bains, qu'ils
croient tout aussi bons, tout l'hiver, et qu'ils s'en trouvent bien. Je
serai obligé de mener mon tils avec moi. Comme il est fort et robuste
et que nous le mettrons dans une bonne litière, où il n'aura point de
froid en passant les montagnes, j'espère que cela ne lui fera aucun
mal et que nous reviendrons tous en bonne santé, sans que cela me
retarde le plaisir de revoir le roi, puisqu'il veut rester à son armée
jusqu'à ce qu'il voie que les ennemis se soient entièrement retirés et
peut-être réduits à se désister de leur injuste entreprise. Comme le
duc de Vendôme croit que nos affaires n'ont point été en meilleur
état qu'elles sont, je m'en irai sans inquiétude ; mais les Espagnols,
qui sont naturellement un peu soupçonneux et dont le zèle est extrême
pour nous, aimeroient peut-être mieux que je ne misse pas le pied en
France.
« Pour moi, je me lie entièrement à vous, et je serois bien fâché
d'avoir la moindre détiance, persuadée que rien au monde ne seroit
capable de vous obliger à me retenir dans votre royaume. Je vous
supplie néanmoins de m'honorer d'une réponse le plus promplement
1. Ci-dessus, p. 322.
2. Affaires étrangères, vol. Espayne 203, fol 452, copie
48fi APPENDICE XII.
qu'il vous sera possible de votre main, que je puisse montrer aux
seigneurs qui m'ont suivie. Encore une fois, je répète à Votre Majesté
que je ne me pardonnerois pas moi-même s'il m'avoit passé un
moment par la tête la moindre pensée qui fût contre sa gloire et la
tendresse que le roi son petit-tils et moi nous flattons que vous avez pour
nous. Plût à Dieu que nous fussions les uns et les autres assez tran-
quilles pour que je pusse vous aller rendre une visite à Marly, y
embrasser ma sœur de tout mon cœur et y jouir en si bonne compa-
gnie des plus délicieux lieux du monde que vous y avez faits. L'idée
seule m'en ravit ; jugez de ce que ce seroit si la chose étoit réelle.
Conservez-moi, je vous supplie, un peu de part dans votre amitié.
« Marie-Louise. »
La princesse des Ursins au duc de Vendôme^.
« A Vitoria, le 18 novembre 1710 2.
« La reine, Monsieur, écrit ce soir au roi sur une affaire qui
regarde sa santé, et dont elle m'ordonne de vous informer aussi afin
que vous me fassiez l'honneur de m'en mander votre sentiment avec
cette sincérité qui vous est si naturelle, et qui est si estimable. S. M.
Monsieur, s'apercevant que les glandes qu'elle a depuis longtemps,
et pour lesquelles elle a fait plusieurs remèdes inutiles, s'augmentent
plutôt que de diminuer, croit, sur le rapport des médecins, que, si
elle en peut guérir, ce sera en prenant des eaux et des bains chauds
qui fondent et dissipent les humeurs qui causent ces sortes de maux,
et qu'il n'y en a point de plus propres que ceux de Bagnères, dont on
entend tous les jours les effets admirables. Elles se trouvent à moins
de cinquante lieues d'ici. Ces bains sont bons en toute sorte de
saisons, quoiqu'on les prenne plus ordinairement au printemps et en
automne, à cause de la commodité de ceux qui y vont ; mais les gens
du pays s'en servent l'hiver et s'en trouvent aussi bien : ce qui oblige
S. M., Monsieur, à désirer de faire ce voyage présentement, pour ne
pas perdre de temps et pouvoir retourner à Madrid ou à Valladolid
quand le roi jugera y pouvoir faire aller la reine. D'ailleurs, la dépense
seroit beaucoup moins considérable que si elle étoit obligée de faire
ce voyage exprès de Madrid à Bagnères. La bienséance voudroit alors
que S. M. fût avec la magnificence qui lui conviendroit. A cette
heure, elle ne sauroit qu'être louée de se retrancher tout ce qui ne
lui est pas absolument nécessaire, et il suffira que S. M. ne mène de
sa maison que les gens dont elle ne pourra se passer. Il est si fâcheux
1. Archives de Chantilly, S XIV, 39.
2. On remarquera que cette lettre est antérieure de dix jours à celle
qu'on vient de lire. La reine avait d'abord écrit à son mari pour avoir
son agrément, et elle avait en même temps chargé sa « camarera
mayor » d'en écrire au général dont elle connaissait l'influence sur le
jeune monarque; elle en parle dans la lettre reproduite ci-dessus.
Il
LA MALADIE DE LA REINE D'ESPAGNE. iST
à une grande princesse comme elle, qui est exposée aux yeux du
public, d'avoir une incommodité qui la force à cacher une partie de
son visage et de sa gorge, et qu'on craindroit qui ne devînt pire, si
on n'y remédioit pas, que S. M. ne doit rien négliger de tout ce qu'on
juge qui pourroit la déraciner. De plus, l'expérience lui a fait con-
noître que les grossesses y sont fort contraires: de sorte. Monsieur,
que tout semble concourir pour faire prendre la résolution de profiter
de l'occasion qui s'offre si naturellement. Tout va présentement trop
bien en Espagne pour que les Espagnols puissent craindre que ce soit
un prétexte pour l'abandonner, surtout le roi demeurant à la tête de
son armée, qui est un assez bon gage. Ce voyage ne seroit que de six
semaines, après quoi le roi et la reine jouiroient plus du plaisir de se
revoir en bonne santé. Mgr le prince des Asturies en a, grâces
à Dieu, une parfaite, et, le mettant dans une bonne litière, il n'auroit
rien à souftYir. Il seroit impossible de laisser un prince si précieux de
toutes manières sans le roi ou sans la reine, et S. M. ne pourroit
s'empêcher de le conduire avec elle. Voilà, Monsieur, le fait fort
nettement ; faites-moi l'honneur de me répondre ce qui vous en paroît
si vous le trouvez raisonnable. Conseillez, s'il vous plaît, au roi qu'il
permette à la reine d'exécuter son projet ; sinon, ayez la bonté de me
dire les obstacles que vous y trouverez. Tout sera bien reçu de vous.
Je suis ravie que vous trouviez les ennemis dans une si mauvaise
situation. La reine a lu votre lettre plusieurs fois avec une grande
satisfaction. J'espère que vous serez toujours plus confirmé dans votre
opinion que l'Archiduc sera très embarrassé. Par ce que l'on me
mande de la cour de France, par le courrier extraordinaire que le Roi
a dépêché à S. M. Cath. le 10'= de ce mois, il me paroit. Monsieur, qu'il
n'est plus question de paix et qu'on est fort attentif à la guerre. Ici,
c'est tout ce que nous pouvions espérer de mieux. Je vous honore
comme je le dois.
« La princesse des Ursins. »
488 APPENDICE XII
XIII
LE SERVICE FUNÈBRE DE MONSEIGNEUR
A SAINT-DENIS ET A NOTRE-DAME'
« La maladie contagieuse dont feu Monseigneur est mort n'ayant
pas permis qu'on le gardât dans son appartement pendant quarante
jours, ainsi que c'est la coutume pour les princes, ni qu'on lui rendît,
incontinent après sa mort, tous les honneurs dus à sa haute naissance
avec les cérémonies accoutumées dans ces tristes occasions, on le porta,
le surlendemain de sa mort, à Saint-Denis sans aucune pompe, et on
le mit dès le même jour dans la cave de nos rois, sans laisser son
corps un seul jour en dépôt dans le chœur de l'église. Ainsi, rien ne
pressant pour faire son service, on n'observa point de le faire au
bout de quarante jours suivant la coutume, et ce ne fut que le 17
juin qu'il se fit à Saint-Denis. Monsieur le Dauphin et Mgr le duc de
Berry, ses enfants, et M. le duc d'Orléans, son cousin germain, furent
les trois princes qui assistèrent à cette cérémonie 2. L'église de Saint-
Denis étoit ornée d'un appareil funèbre dont la décoration étoit assez
simple, mais noble et bien entendue, quoiqu'elle ne répondît point à
la magnificence que les funérailles d'un si grand prince méritoient.
« La messe fut célébrée par l'archevêque de Reims, assisté de quatre
évêques qui avoient tous été, aussi bien que lui, aumôniers du Roi ;
l'oraison funèbre fut faite par l'évêque d'Angers. Le service commença
à onze heures et demie et dura jusqu'à quatre heures un quart après-
midi. La musique du Roi, très nombreuse par elle-même, et fortifiée
de tous les musiciens de l'Opéra de Paris, chanta le De Profundis.
« Les trois princes avoient des chapeaux et des bonnets carrés sur
leurs têtes, comme c'est l'usage dans les occasions lugubres. La queue
du Dauphin, qui avoit onze aunes, étoit portée par le duc de Beau-
villier, son premier gentilhomme de la chambre, parce qu'il a été son
gouverneur, à une grande distance du duc de Beauvillier, c'est-à-dire
au milieu de la longueur de la queue, par le comte de Sainte-Maure,
le plus ancien des menins de feu Monseigneur et qui l'est du Dauphin
d'aujourd'hui, l'extrémité par le marquis d'O, menin du Dauphin
d'aujourd'hui avant la mort de son père. Celle de Mgr le duc de Berry,
i. Ci-dessus, p. 343. — Extrait des Mémoires du baron de Breteuil, ms.
Arsenal 3864, p. 43 et suivantes.
2. En note dans le manuscrit : « Le prince de Gonti, déjà âgé de quinze
ans, qui étoit pour lors à Paris, ni le duc du Maine et ses enfants, ni
le comte de Toulouse, tous deux enfants naturels du Roi, ayant rang de
princes du sang, et qui étoient à la cour, n'y assistèrent. »
SERVICE FUNÈBRE DE MONSEIGNEUR. 489
qui étoit de neuf aunes, éloit portée par le marquis de Béthune, l'un
de ses deux premiers gentilshommes de la chambre, et par le marquis
de Pons, maître de sa garde-robe, à cause de l'absence du duc de
Saint-Aignan, son autre premier gentilhomme de la chambre, et celle
du duc d'Orléans, qui étoit de sept aunes, étoit portée par le marquis
de Simiane et le marquis d'Armentières, ses deux premiers gentils-
hommes de la chambre'. Madame la Dauphine, ni aucune autre prin-
cesse ne vinrent à cette pompe funèbre. Ce n'est pas la coutume
qu'elles y aillent ; mais ce qui est très surprenant, pour ne pas me
servir d'un terme plus dur, c'est qu'aucun officier de la couronne ni
aucun courtisan, à l'exception de ceux qui sont domestiques des trois
princes que j'ai ci-dessus nommés, ou qui l'avoient été de feu Monsei-
gneur, qui n'en avoit qu'un très petit nombre, attendu que l'héritier
de la couronne n'en doit point avoir, aucun, dis-je, oificier de la cou-
ronne, ni courtisan de quelque espèce que ce soit, n'eut la reconnois-
sance ou le courage d'assister à cette pompe funèbre, à l'exception du
duc d'Aumont, premier gentilhomme de la chambre du Roi, et de moi,
qui n'y avois aucune fonction par rapport à ma charge, parce que les
ambassadeurs ont cessé à la mort de la reine Marie-Thérèse, femme
du Roi, d'aller aux pompes funèbres, par les raisons que j'ai ample-
ment spécitîées dans mes mémoires de l'année 1701, à l'occasion de la
mort de feu Monsieur, frère du Roi.
« Le 2 juillet, on fit un pareil service à Notre-Dame. Le cardinal de
Noailles, archevêque de Paris, célébra la messe, et le P. de la Rue,
jésuite, fit l'oraison funèbre. Le chœur de Notre-Dame étoit un peu
plus orné que ne l'avoit été celui de Saint-Denis ; mais il n'y eut point
d'autre musique que celle de cette église. Du surplus, la cérémonie
fut toute semblable. La queue du Dauphin étoit portée par le duc de
Beauvillier, par le marquis d'Urfé. menin de feu Monseigneur, qui la
porta à la place de Sainte-Maure, et par le marquis de Gamaches, menin
du Dauphin d'aujourd'hui, qui la porta à la place du marquis d'O ;
celles des autres princes furent portées par ceux de leurs oificiers qui
l'avoient portée à Saint-Denis 2. «
1. En note dans le manuscrit : «On avoit voulu que M. le duc d'Or-
léans n'eut qu'un porte-queue ; mais le Roi décida qu'il en auroit
deux. »
2. Il y a une relation latine de la cérémonie de Notre-Dame dans les
Registres capitulaires : Archives nationales, reg. LL 232'', et une autre
en français des deux cérémonies dans le carton K 1003, n»' 13-14.
i90 APPENDICE XIV.
XIV
LA FILLE
DE MONSEIGNEUR ET DE MADAME DU ROURE.
Saint-Simon a parlé ci-dessus (p. 69) de la fille que Monseigneur eut
de la Raisin et qui fut mariée par la princesse de Conti à M. du Bois
d'Avaugour. Il a été rappelé à ce sujet que ce ne fut pas la seule liaison
du Grand Dauphin, et notre auteur a raconté dans le tome II des Mé-
moires (p. 136-138) qu'il avait eu, au su de toute la cour, des relations
galantes avec une fille d'honneur de la Dauphine, Marie-Anne-Louise de
Gaumont-la-Force. Pour faire cesser ce commerce, le Roi avait marié la
demoiselle en 1688 au jeune marquis du Roure, qu'on avait gratifié pour
la circonstance de la charge de lieutenant général de Languedoc, et
qu'on envoya aussitôt dans cette province afin d'éloigner sa femme de
la cour. Mais, M. du Roure ayant été tué en 1690 à la bataille de Fleu-
rus, sa jeune veuve ne tarda guère à reparaître à Versailles, et, dit
Saint-Simon, « le feu mal éteint se ralluma », si bien que le Roi dut
exiler « la dame en Normandie dans les terres de son père », puis à
Montpellier, où elle était encore quand Monseigneur mourut*.
De cette liaison était issue une fille, sur l'existence de laquelle nous
avons pu réunir quelques renseignements d'après des documents conser-
vés à Nantes, au musée Dobrée, et d'après diverses correspondances
que renferme le manuscrit Glairambault 1184, à la Bibliothèque na-
tionale.
Cette fille, nommée Louise-Emilie, naquit à Courtomer, près Séez, en
Normandie, le 14 octobre 1694, et, dès le lendemain, fut conduite à
Paris et baptisée sous un nom supposé en l'église Saint-Eustache. Deux
ans après, sa mère la fit ramener en Normandie pour la placer dans le
couvent des Ursulines d'Essai, non loin d'Alençon, où elle fut élevée
par une femme de confiance appelée Mlle des Ablais, dont la sœur avait
épousé un bas officier de la maison du Roi, et qui était parente du curé
deSaint-Germain-en-Laye. Elle resta dans ce couvent une quinzaine d'an-
nées, etelle dut le quitter trois mois environ avant lamort de Monseigneur,
parce que Mme du Roure ne payait plus sa pension. Elle se réfugia d'abord
chez sa nourrice, près du château de Gourtomer, habité alors par une
sœur de sa mère mariée à un Saint-Simon d'une autre maison que celle
de l'auteur des Mémoires. Enfin, en décembre 1711, ayant obtenu sur les
instances de Mme du Roure une pension de six cents livres, à laquelle le
1. Mme du Roure fut internée en mai 1713 au couvent des Ursulines
de Montauban, et il est probable qu'elle y mourut, à une date qu'on
ignore.
LA FILLE DE MONSEIGNEUR. 491
duc de Bourgogne ajouta quelque cliose, elle fut ramenée à Paris, sépa-
rée de sa gouvernante, et, par l'intermédiaire deM.de Benoist, curé de
Saint-Germain-en-Laye, mise comme pensionnaire au couvent des Ursu-
lines de Poissy. On aurait bien voulu en haut lieu qu'elle y fît profes-
sion; sa répugnance pour la vie religieuse l'en empêcha. Elle était encore,
à Poissy en 1717; mais il ne semble pas qu'elle y ait passé les derniers
temps de sa courte et triste vie : elle dut revenir vers cette époque, et
peut-être à cause de sa mauvaise santé, habiter à Paris, sous le nom de
Mlle de Vaudetar, chez le duc de la Force, frère de sa mère, dans son
hôtel de la rue Taranne. C'est là qu'elle mourut, à l'âge de vingt-quatre
ans, le 3 avril 1719 ; ses obsèques eurent lieu le lendemain à Saint-Sul-
pice.
Dans son manuscrit 1184, dont il a été parlé ci-dessus, Clairambault
nous a conservé (notamment aux folios 21-38, 41-42 et 179-198) un cer-
tain nombre de lettres de Mme du Roure, de cette jeune fille, de sa
gouvernante et du curé de Saint-Germain; on trouvera ci-après les plus
intéressantes.
Mademoiselle dea Ablais à la marquise du Roure K
« Ce 2o« juin 1711.
« Madame,
« Il y a longtemps que je résiste contre une idée qui m'est venue au
sujet de ma chère enfant dans la crainte que Madame n'approuve pas la
liberté que je j)rends ; mais l'état où je la vois réduite, si on ne pense
incessamment à lui taire avoir quelque chose, me fait passer par-des-
sus toutes autres considérations et vous venir demander, Madame,
votre agrément pour la mener présenter un placet au Roi que, faite
comme elle est et de la ressemblance qu'elle a de feu Monseigneur»
elle obtiendroit immanquablement du moins une pension ; et, si on
attend davantage, il ne sera plus temps. Que deviendra[-t-]elle, Ma-
dame, puisque vous ne lui pouvez pas donner son plus petit entretien ?
Et si au contraire, en faisant une prompte diligence, je me flatte
qu'elle obtiendra de quoi se tirer de la misère où elle est réduite à
faire pitié à tout le monde, et que, quand il va de la compagnie au
château, les jours de fête ou dimanche, on nous dépêche juste un
courrier pour nous venir dire de n'aller pas à la messe, crainte qu'on
ne nous voie. Nous sommes à la veille, la semaine prochaine, d'encou-
rir ce même risque, mais pour longtemps, par l'arrivée de Mme la
comtesse de Courtomer-, qui y doit séjourner, et Madame la marquise ne
1. Sur l'adresse : « A Madame la Marquise du Roure, en main propre,
à Montpellier, en diligence. »
2. Jeanne de Caumont-la Force, mariée le 26 avril 1682 à Claude-
Antoine de Saint-Simon, marquis de Courtomer, était veuve depuis le
14 octobre 17Uo; elle mourut de la petite vérole le 8 mai 1716.
W2 APPENDICE XIV.
veut pas même que nous soyons dans le [même] lieu ; je ne sais où nous
pourrons aller. Elle no sait, dit-elle, personne où nous mettre, et moi
non plus, attendu que quelques-uns de la famille de MM. deCourtomer
ont dû dire que la pauvre E[milie] étoit une charge pour Madame et
Messieurs ses iils, ayant appris, comme on le sait partout, qu'on nous
a mises hors le couvent et que c'est elle qui nous fournit de quoi vivre,
ce qui ne nous doit guère faire de profit, puisque de tous les endroits la
vie nous est bien reprochée. Quelle joie, Madame, n'auriez-vous pas
de voir cette pauvre enfant exempte de toutes ces peines ? Donnez donc
votre consentement, s'il vous plaît, et nous ferons ce voyage, pendant
que Madame la comtesse sera ici. Je vous puis assurer, Madame, que
vous pouvez vous fier à moi et que je conduirai si bien toute chose,
que vous ne serez point commise en rien. Je mènerai E[milie] chez ma
sœur ; on ne saura pas qui elle est, et mon beau-frère, qui est toujours
chez le Roi, nous trouvera un endroit où nous pourrons donner notre
placet sans être vues de beaucoup de monde. J'attends incessamment
votre réponse, Madame.
« Je vous prie de trouver bon que, si, au bout de dix-huit jours
qu'il faut [au] plus pour la recevoir, [elle n'est pas arrivée,] je fasse
partir mon enfant, et je vous promets par avance, Madame, que nous
réussirons. C'est l'avis de plusieurs de mes amis qui sont gens considé-
rables et presque de tous les autres, et je ne puis me persuader que
nous ne fassions un bon voyage. Je suis très respectueusement à
Madame. »
(Sans signature.)
La marquise de Roiire au comte de Pont char train, secrétaire
d'État de la maison du RoiK
« Ce 14 août 1711.
« J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire, avec mon ordonnance du mois de mars, dont je vous rends
mille grâces. Je l'ai voulu remettre à mes créanciers ; mais ils n'en ont
point voulu, ce qui m'oblige à vous prier de vouloir supplier le Roi
d'ordonner que je sois payée régulièrement.
« J'attends la réponse de deux lettres que j'ai écrites pour vous en-
voyer le mémoire ou l'histoire de cette petite tille. Je vous aurai beau-
coup d'obligation de vouloir parler en sa faveur. Vous verrez par une
lettre que je vous envoie 2, Monsieur, l'état où elle est réduite et ce
que sa gouvernante vouloit faire ; à quoi vous jugez bien que je me
suis opposée, vous assurant que jamais cette femme ne le fera, quoique
1. Apostille au crayon : « Les gens qu'elle cite disent qu'il [n'y a]
point de preuve. »
-2. Probablement la lettre du 23 juin, ci-dessus.
F.A FILLE DE MONSEIGNEUR. 493
je sois rôsoluo à no rioii ouMior pour cllo. EIlo l'-toit liors du couvent
trois mois avant la mort de M[oiiseigneur], à qui je l'avois fait dire et
ù qui j'avois fait demander pour elle deux mille francs, pour lui être
envoyés à Courtomer. Celui à qui je m'élois adressée me lit mander
par une de mes amies que, d'abord qu'il auroit lini l'affaire dont je lui
parlois dans ma lettre, il y feroit réponse et qu'on lui avoit fait espé-
rer que ce seroit bientôt. Malheureusement, M[onseigneur] mourut, et
elle a resté où elle est et où elle sera jusqu'à ce que je sois payée de
ce qui me reste dû de mes pensions, qui étoient engagées pour onze
mille francs, et n'en ayant encore touché que quinze [cents] et fait par-
tir mon lils pour l'armée, m'ont mise hors d'état de la secourir, ce que
je ferai bien sûrement du premier argent que j'aurai. Au nom de
Dieu, Monsieur, ne montrez mes lettres à qui que ce soit qu'au Roi
seul, si vous le jugez à propos, étant persuadée que S. M. a trop de
religion pour abandonner cette pauvre malheureuse lorsqu'il accable
de bien tant de sortes de gens par pure bonté. De plus. Monsieur, je
n'avancerai rien que je ne puisse prouver. Qu'on fasse parler M. du
-Mont et qu'on le force à dire la vérité ; il ne pourra pas dire que j'aie
brigué sa bienveillance ni démentir d'avoir été presque tous les ans la
voir dans son couvent et me persécuter plusieurs années pour que je
la lui remisse. C'est ce que je vous redirai encore dans mon histoire.
En attendant je vous supplie d'être persuadé, etc.
« De Cal'mont du Uoure. «
La marquise du Roure au comte de Pontchar train.
« 23 août 1711
« Je viens de recevoir une lettre, Monsieur, de la gouvernante de cette
j)auvre malheureuse, qui m'apprend qu'elles n'ont pu rester davantage
dans le lieu où elles étoient par le désagrément qu'elles avoient d'en-
tendre parler sur leur sujet. Elles sont venues à Saint-Germain, d'où
est la personne qui l'a élevée. Elles veulent fort me venir trouver ; mais
je m'y oppose fortement. Cela feroit une nouvelle scène cruelle pour
moi dans ce pays-ici. Dès que j'aurai reçu quelque argent, je leur
envolerai de quoi se mettre dans un couvent. Au nom de Dieu, Mon-
sieur, s'il est possible, faites quelque chose pour elle ; accordez-lui
votre protection. C'est une action digne de vous que de travailler à la
rendre heureuse, ou du moins à la tirer de la misère où ma mauvaise
fortune ne peut l'empêcher de tomber, si on ne m'en donne les
moyens. C'est avec la douleur du monde la plus vive que je me vois
forcée à agir sur un pareil sujet ; mais. Monsieur, c'est aussi avec une
entière conhance, convaincue de vos bontés pour moi ; je vous en
demande la continuation avec tous les sentiments de la plus parfaite
reconnoissance du monde...
« De Caumont du Roure. »
494 APPENDICE XIV.
La marquise du Roure au comte de Pontchartrain^ .
« Ce 2o* octobre 17H.
« J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire du ■14e octobre. Je ne suis point surprise de ce que vous
m'aviez déjà mandé de la résolution que le Roi a prise au sujet de la
demoiselle. Tout cela ne m'étonne pas. Si elle a jamais le bonheur
d'en être vue, S. M. pourroit changer de sentiment pour elle ; la na-
ture est accoutumée à faire de plus grands efforts, et la ressemblance
qu'elle aavecM[onseigneur] peut sans miracle changer les choses en sa
faveur. Puisque vous désirez, Monsieur, savoir comme elle est faite,
je vais vous faire à peu près son portrait sur ce qu'on m'en a mandé
plusieurs fois, y ayant près de douze ans que je ne l'ai vue. Elle a eu
dix-huit ans ce mois-ici. Elle est grande et la taille belle, les cheveux
châtains, les yeux comme moi, tirant sur le noir, le teint blanc, beau
et uni, le nez assez bien fait, la bouche, le bas du visage, le son de la
voix et le parler gras de M[onseigneur], à qui on m'a mandé qu'elle
ressemble à ne pouvoir pas s'y méprendre, la gorge et les mains
belles, une belle voix, un air de douceur et de modestie qui intéresse
pour elle, beaucoup d'esprit, et une tristesse dans la physionomie qui
fait croire qu'elle sent son malheur. Je ne sais si elle sait qui elle est ;
mais on m'a mandé qu'à la mort de M[onseigneur] elle fut longtemps
à verser des larmes sans dire la moindre chose, et, quand on lui en de-
mandoit la raison, ses pleurs et ses sanglots redoubloient sans qu'on pût
tirer d'elle une parole. Elle est née à Courtomer, chez ma sœur, et,
deux jours après sa naissance, elle fut menée à Paris dans mon car-
rosse avec sa nourrice, femme de mon cocher, une femme à moi, pour
être sa gouvernante, nommée Mlle des Ablais, fort connue de M[on-
seigneur], qui ne l'a jamais quittée et qui est encore auprès d'elle. Un
vieux gentilhomme à moi les conduisit, nommé M. de la Croix, qui la
fit baptiser sous des noms empruntés et qui fut en arrivant rendre
compte à M. du Mont de sa commission, de qui il est fort connu. Il vit
encore et est présentement auprès de mon frère. Je lui écris par ce
courrier pour le prier de se rendre incessamment auprès de vous,
pouvant mieux que qui que ce soit vous donner tous les éclaircisse-
ments que vous pouvez désirer et vous détailler toutes choses, ayant
eu toute la conduite de cette affaire. Je reviens à elle pour vous dire,
Monsieur, qu'elle a resté à Paris tant qu'elle a été à la mamelle. Elle
1. En apostille, à l'encre, et biffé : « Passer cette lettre par le feu à
cause de l'ord... Me parler de ces deux lettres et ne rien faire que je
ne vous aie vu ; me faire seulement écrire au plus tôt au curé de Saint-
Germain, homme de mérite, de prendre la peine de me venir parler au
plus tôt. »
LA FILLE DE MONSEIGNEUR. 495
n'avoil auprès d'elle que sa nourrice, sa gouvernante et une servante
pour les servir. M. de la Croix, logé dans une autre maison, avoit
soin de fournir à mes dépens tout ce qui leur étoit nécessaire. M. du
Mont, qui a été les voir plusieurs fois, peut en rendre témoignage. Dès
qu'elle fut sevrée, je les lis venir en Normandie tout droit au couvent
d'Essai', où j'avois arrêté un logement comme pour une de mes amies
et pour sa tille, sous le nom d'Emilie, qu'elle a toujours porté et
qu'elle porte encore aujourd'hui, passant, comme j'ai l'honneur do vous
le dire, pour la tille de sa gouvernante. Avant que M. du Mont ait lait
plusieurs voyages à ce couvent, elle y a eu toujours deux personnes
auprès d'elle pour la servir. Je payois cinquante écus pour chacune de
pension ; je n'assurerois pas pourtant si c'étoit plus ou moins, parce
que j'envoyois de l'argent à Mlle des Ablais, et c'étoit elle qui payoit.
De plus, on taisoit dans leur appartement un ordinaire pour Emilie,
celui du couvent étant trop mauvais ; on ne leurfournissoit même que
le logement. Ainsi je donnois de l'argent à Mlle des Ablais, et, quand
il étoit tini, je lui en renvoyois, soit pour la pension ou pour l'entre-
tien de cette pauvre innocente, et cela le mieux qu'il m'a été possible;
car quand je n'ai pas eu de quoi lui acheter des habits, je lui en ai
envoyé des miens. Elle a resté dans ce couvent quatorze ou quinze
ans et n'en est sortie que depuis sept ou huit mois, que, n'étant pas
en état de payer, la gouvernante se brouilla avec l'abbesse pour le re-
tardement de la pension, qui la voulut faire sortir du couvent. Emilie
ne voulut point s'en séparer et sortit avec elle ; elles furent à Courto-
mer-, qui n'est qu'à trois lieues de là, chez la nourrice qui y est éta-
blie. Ma sœur avoit soin de leur envoyer ce qui leur étoit nécessaire ;
elles y ont resté environ six mois. Mais, ma sœur ayant été obligée
d'en partir, n'étant pas riche d'ailleurs pour pouvoir la faire subsister,
en son absence la gouvernante prit sur elle de la mener à Saint-Ger-
main chez ses parents pour y attendre mes ordres. Je lui mandai de s'y
tenir cachée. Elle y est ; du moins, elle y doit être : je dis, doit être,
parce qu'il y a trois semaines que je n'ai pas de ses nouvelles. Le curé
de Saint-Germain-en-Laye, à qui j'adresse mes lettres et qui est des
parents de Mlle des Ablais, pourra, Monsieur, vous en donner des
nouvelles. J'ai déjà mandé à cette tille, et je le fais encore par ce cour-
rier, de se mettre en chemin pour vous aller parler et de mener Emilie
avec elle, sur le moindre ordre qui lui viendra de votre part. Je serai
bien aise, Monsieur, que vous voyiez cette pauvre créature, persuadée
que vous serez touché pour elle de compassion. Au surplus, je vous
ai déjà mandé que, lorsqu'elle fut hors du couvent, je le tis dire à
M[onseigneurj et le tis supplier de l'assister, étant dans l'impossibilité
de le faire. On m'avoit mandé que je serois contente ; mais malheu-
1. Département de l'Oine, canton du Mesle-sur-Sartlie; il y avait dans
ce bourg un couvent d'Augustines.
2. Orne, arrondissement d'Alcnçon,
i9(i APPENDICE XiV.
reiisement il est mort. Je tire le rideau sur cette funeste image ; mais
je dois vous dire que jamais on n'a rien donné pour la pension ni
l'entretien de cette pauvre innocente. Quand vous me dites, Monsieur,
que le Roi n'admet pas à beaucoup près tous les faits que ma dernière
lettre contient, S. M. est la maîtresse, et peut dire tout ce qui lui
plaît; mais j'aimerois mieux expirer que d'avancer rien qui ne fût la
vérité pure. Je vous ai fait. Monsieur, un récit historique avec la plus
exacte fidélité du monde, je vous le proteste ; je n'ai point été trou-
blée dans son temps de ce que je vous ai avancé, il me conviendroit
mal à présent d'en vouloir tirer vanité. Je puis encore vous assurer,
Monsieur, que je n'en ai jamais parlé qu'à ma sœur. Rien ne seroit si
mortifiant pour moi que si le Roi pouvoit penser que j'eusse été capable
d'inventer pareille chose. Et pourquoi, au reste, cette audace ? Je ne
demande rien pour moi, et je suis persuadée que S. M. trouvera na-
turel que je lui demande des grâces pour cette jeune personne, et
pour mon fils, qui est depuis trois ans capitaine de cavalerie et que
j'ai toutes les peines du monde à faire subsister. Quoi qu'il arrive et
de quelque manière que les choses tournent, j'aurai toute ma vie un
respect et une vénération pour S. M. à toute épreuve. Si je ne m'étois
pas fait une loi par-dessus toutes les autres de lui obéir avec une en-
tière soumission, Emilie peut-être, et je puis l'assurer, ne seroit pas si
malheureuse ; mais j'ai fait mon devoir, j'ai obéi à mon roi et à mon
maître, à qui je dois tout. Je vous demande toujours, Monsieur, de con-
tinuer vos bontés et à faire de votre mieux pour cette infortunée et pour
mon fils. Je vous en aurai une très sensible obligation ; je vous dirai
cependant que je crois fortement que le Roi leur sera tôt ou tard favo-
rable. Cela ne peut être autrement, le sang ne pouvant jamais se dé-
mentir. Je ne doute pas, Monsieur, que vous ne soyez surpris de ma
confiance; mais je vous jure, par tout ce qu'il y a de plus sacré, qu'elle
vient uniquement de la bonne opinion que j'ai du maître. Au nom de
Dieu, Monsieur,que qui que ce soit ne voie mes lettres, que je vous
supplie de me renvoyer, et de me croire, etc.
« Trouvez bon que je ne signe pas.
« Pardonnez-moi, Monsieur, je vous supplie, toutes les ratures et le
défauts de ma lettre. Vous pouvez juger que ce n'est pas sans émotion
qu'elle est écrite. »
M. (le Benoist, curé de Saint-Germain-en-Laye, au comte de
Pontchar train.
« Saint-Germain-en-Laye, 20 novembre [1711).
(f Monseigneur,
« Par la lettre que j'eus l'honneur de vous écrire,... j'eus celui de
vous marquer que Mlle des Ablais avoit été obligée de différer son
départ pour aller chercher Mlle Emilie, parce qu'il ne se trouva point de
LA FILLE DE MONSEIGNEUR. 497
placo au coclio, ol qu'elle m'avoit assuré qu'elle en avoit arrêté une
pour demain. Cependant j'ai envoyé chez elle aujourd'hui pour savoir
si elle étoit partie. L'on m'a répondu qu'elle étoità Versailles et qu'on
ne savoit pas quand elle reviendroil. Je crains qu'elle ne cherche quel-
que recommandation auprès de vous, Monseigneur, ou auprès du Roi ;
car, n'ayant point voulu selon vos ordres lui déclarer positivement ce
que l'on feroit pour elle, lui marquant même que S. M. ne voudroit
pas probablement entrer dans ses idées, et que j'avois pris d'autres
mesures que la Providence m'avoit ouvertes par le moyen de M. du
Ghesne, à qui elle avoit déjà parlé, ou par quelque autre voie que je ne
pouvois pas encore lui dire, je lui ai marqué que cela étoit dans un
mouvement ù en attendre un heureux succès, qu'il falloit qu'elle fût
chercher incessamment la demoiselle, que sa présence éloit nécessaire,
et que, on la taisant venir, elle ne feroit point une fausse démarche.
Je lui ai même donné vingt écus pour payer son voyage et son retour
avec Mlle Emilie et sa nourriture en chemin. J'ai tâché de lui faire une
confusion d'idées, atin de mieux cacher vos ordres ; mais je ne sais si
son inquiétude, qu'elle m'a néanmoins assez dissimulée, ne lui fera
point prendre d'autres voies. Je saurai demain si elle revient à Saint-
Germain.
« J'ai arrêté une chambre aux Ursulines de Poissy, sans dire pour
qui je la demandois, et j'en garderai le secret. La demoiselle des Ablais
vouloit descendre à Paris chez un fameux oculiste de sa connoissance.
Je n'ai pas cru convenable de l'exposer dans une maison où le public
aborde. Je l'ai adressée au couvent de Liesse, ou Mme Hébert, belle
sœur de Monsieur l'Intendant, est prieure * : c'est une maison derrière
les Invalides et par conséquent hors de Paris, très séparée des visites,
et personne ne saura quelle elle est, non pas même Madame la prieure,
à qui j'écrirai de donner entrée pour un jour à une demoiselle de ma
connoissance que j'irai prendre le lendemain chez elle. Le coche de
demain arrivera dans cinq ou six jours à Séez et partira le dimanche
suivant ; si toutes les places ne sont point prises, elle compte de reve-
nir avec Mlle Emilie et de me donner avis du jour de leur arrivée.
J'irai la prendre à Liesse dans un carrosse, sans lui dire dans le moment
où je la mène, et je congédierai en même temps la des Ablais en lui
remettant pour la consoler l'ordonnance des cent écus entre ses mains.
J'avois eu l'honneur do vous mander, Monseigneur, que si l'on avoit
|iu lui donner pour celle année les cent écus comptant, que cela au-
roil empêché son séjour à Paris pour solliciter l'ordonnance, et les
plaintes qu'elle auroit pu faire ou ses discours sur la séparation, qui
lui sera très sensible dans les premiers moments Elle doit m'écrire
1. Le couvent des Bénédictines de Notre-Dame de Liesse, situé à
l'extrémité de la rue de Sèvres, avait pour prieure Marie-Anne-Margue-
rite Hébert, sœur d'Agnés-Françoise, qui avait épousé en 1697 Armand
Roland Bignon de Blanzy, intendant de la généralité de Paris.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 32
498 APPENDICE XIV.
dans les temps qu'elle partira, pour m'avertir du jour de son arrivée,
et je me trouverai à Paris pour la conduire aussitôt à Poissy. Je ne
perdrai point de temps pour exécuter les ordres de S. M. Vous en
serez, Monseigneur, informé aussitôt. Je ne fais que recevoir votre
lettre; Monseigneur, en date du 47e ; je n'eusse pas si longtemps dif-
féré de répondre à vos ordres. Je suis etc..
« De Benoist. «
M. de Benoist au comte de Pontchartrain.
« Saint-Germain-en-Laye, 12 décembre [17Hi].
« Monseigneur,
« Je viens de recevoir une lettre de la demoiselle des Ablais qui me
marque qu'elle doit partir le dO de ce mois avec Mlle Emilie pour arri-
ver le 15 à Paris, pourvu que les grandes eaux ne retardent point les
voitures. J'irai la revoir à Paris à l'adresse dont nous sommes conve-
nus. Je me donne l'honneur de vous en informer, Monseigneur, atin
que si vous voulez me faire l'honneur de m'adresser l'ordonnance pour la
demoiselle des Ablais, je puisse la lui remettre entre les mains en les
séparant. Vous avez eu la bonté de me dire que cette ordonnance se-
roit telle qu'elle seroit payable promptement pour cette première fois,
atin d'éviter les discours que la douleur d'une séparation récente, jointe
au délai du paiement, pourroit exciter. Je suis, etc..
(c De Benoist.
La marquise de Roure au comte de Pontchartrain.
« 3 janvier 1712 2. »
« Je sens. Monsieur, dans toute sa force le coup qui vient de tomber
sur moi, et j'y suis sensible comme je dois. Mais je crois que je dois
renfermer ma douleur en moi-même, la cacher au public et me taire.
Je voudrois de tout mon cœur que Mlle des Ablais fut brûlée toute
vive pour la punir de la conduite qu'elle a tenue. Pour ce qui me re-
garde personnellement. Monsieur, tout le monde sait ici que, depuis
la mort de M[onseigneur], je ne suis occupée qu'à mettre mes affaires
en état pour aller finir mes jours à Paris. Vous n'ignorez pas le désor-
dre où elles sont, vous ayant supplié plusieurs fois de demander au
Roi pour moi des lettres d'état sans que j'aie pu les obtenir. Je vous
assure, Monsieur, que j'ai plus d'ennui de quitter ces lieux qu'on n'en
a de m'en voir sortir. Mais je ne puis point aller comme une vagabonde,
1. Apostilles à l'encre: « M'en parler demain sans faute. » Au crayon :
a Le gentilhomme est arrivé, La Croix. »
2. En apostille : « Lu au Roi ; m'en parler au plus tôt. M. de Mesmes
premier, M. du Maine, M. d'O. »
LA FILLE DE MONSEIGNEUR. /.99
ni mendier mon pain. Voilà des persécutions qui sont sans exemple,
que je supporte pourtant sans en être abattue, mon courage étant au-
dessus de tout. Comme je n'ai plus de grâce à demander de ma vie,
permettez-moi de vous remercier ici de toutes les bontés que vous avez
eues pour moi et que je vous proteste avec vérité que je verserois une
partie de mon sang pour vous en marquer ma reconnoissance. Faites-
moi la justice d'en être persuadée, etc.
« De Gaumont du Roure. »
M. de Benoist au comte de Ponte har train.
[1712.]
« Monseigneur,
« Les deux malheurs qui sont arrivés à la France dans ce carême
par la mort de Monseigneur et de Madame laDauphine, m'ont fait dif-
férer de vous rendre compte des affaires de Mlle Emilie. J'ai cru que
de prendre alors la liberté de vous informer de ses besoins étoit un
contre-temps. La maladie du roi d'Angleterre, qui depuis a exigé de
moi quelques assiduités auprès de lui, m'a empêché encore de vous
présenter son mémoire comme je me proposois d'avoir cet honneur.
Mais rien n'échappe, Monseigneur, à votre attention au milieu des
grandes affaires qui vous environnent, et toute ma peine est de lui
laisser ignorer si longtemps son bienfaiteur et les obligations essentielles
qu'elle vous a.
« Sa conduite est très régulière. Je n'aurois rien à exiger d'elle que
de cacher davantage son éloignement pour les convents, qui est insur-
montable. La mort de Monsieur le Dauphin l'a attristée jusqu'à la
rendre malade ; elle ne sait point encore si c'est par lui qu'elle a reçu
les secours qu'elle a eus jusqu'à cette heure. Cependant la cause de
de sa tristesse a toujours été inconnue, et, de l'humeur dont elle pa-
roît, jamais elle ne révélera rien de tout ce que l'on souhaite tenir
caché. Les dames de l'abbaye de Poissy et quelques-unes des Ursulines
ont parlé diversement de son sort, et, quelque question qu'on lui ait
faite sur sa naissance, son pays et le lieu de sa demeure jusqu'à cette
heure, personne n'a aucun soupçon, ni n'approche de son histoire.
Elle se tient renfermée exactement pour ses lettres dans les bornes que
je lui ai prescrites selon vos intentions. Monseigneur. La demoiselle
des Ablais a toujours son domicile à Saint-Germain, où elle ne séjourne
pas beaucoup. Je la crois religieuse au silence qu'on lui a imposée. Si
elle en fût sortie, je n'eusse pas manqué d'en avoir quelque connois-
sance. Elle ne paroît point savoir où est Mlle Emilie.
« Je prends la liberté de vous envoyer le mémoire des hardes les
plus indispensables que vous demandez. Cela ne laissera pas que de
monter à près de deux cents écus, et, si il n'y a dans ce mémoire ni de
quoi travailler ni de quoi lire, selon ce que S. M. accordera, on pourra
500 APPENDICE XIV.
diminuer ou augmenter ; mais, avec les cent écus que vous avez obte-
nus pour elle, Monseigneur, elle ne peut pas commencer à acheter ce
nécessaire.
« Si vous voulez bien, Monseigneur, me faire donner les 124** 46»
que vous avez la bonté de me marquer pour le remboursement de ce
que j'ai avancé par un article séparé, je vous en serois très redevable.
« Je suis avec un très profond respect, etc.
« De Benoist*. »
Mémoire des hardes absolument nécessaires à Mlle Emilie.
« Douze chemises, douze mouchoirs, deux douzaines de serviettes,
une garniture de nuit et de jour pour la tète, un habit et un jupon,
une commode pour meuble, une table, une cuiller, une fourchette, un
couteau, une écuelle et un gobelet d'argent pour boire, tels qu'en ont
toutes les pensionnaires, et un petit chandelier.
« Je ne parle point des meubles de la chambre, ni d'un lit. J'ai fait
en sorte que les religieuses le fournissent. Cela ne peut guère aller à
moins de deux cents écus ».
M. de Benoist au comte de Pontchar train.
« Saint-Germain, 13 janvier [1713].
« ....Mlle Emilie a été assez longtemps malade; sa santé est meilleure
à présent ; elle continue toujours de se contenter dans la maison. Vous
lui feriez. Monseigneur, un grand plaisir si vous lui permettiez de voir
Mlle des Ablais ; elle le désire avec empressement. Si vous voulez me
permettre, Monseigneur, de vous en dire ma pensée, je crois que vous
pourriez lui accorder cette grâce sans aucun risque. La demoiselle des
Ablais me paroît très discrète, et, si elle ne Fétoit pas, elle auroil pu,
demeurant ici, parler mal à propos. Je pourrois même, lui permettant
de votre part, lui prescrire des mesures et des règles qu'elle ne passe-
roit pas. Mlle Emilie, qui la sait à sa porte, a peine de ne point voir
une tille à qui elle est redevable de son éducation. Je ne sais si la de-
moiselle des Ablais a connoissance du lieu de retraite où est Mlle
Emilie. J'aurai l'honneur, Monseigneur, d'aller recevoir sur cela vos
ordres...
« De Benoist. »
1. Minute de réponse portée en marge de la lettre : « J'ai reçu, Mon-
sieur, votre lettre, etc. Le Roi, a qui j'en ai rendu compte, a bien voulu
accorder 900** pour acheter tout ce qui sera nécessaire à Mlle Emilie, et
S. M. s'attend que vous trouverez sur ce fonds à lui procurer de quoi
lire et travailler. Continuez à mander, etc. »
LA FILLE DE MONSEIGNEUR. 501
.V. de Benoiat au comte de Pontchartrain.
« 24 janvier [1713].
<f Mlle Emilie ne se dément en rien ; elle est toujours sage,
discrète et de plus en plus éloignée de se faire religieuse, quoi-
qu'elle connoisse que c'est le meilleur parti qu'elle puisse prendre.
Elle fut malade l'année passée et sa santé n'est pas encore parfaite.
Cela lui a coûté de l'argent, en sorte qu'elle ne perdra guère sur les
décris des monnoies. Elle est bien sensible à l'honneur que vous lui
faites, Monseigneur, de vous souvenir d'elle. Dans la triste situa-
tion où elle est et qu'elle ressent très vivement, elle a grand besoin de
celui de votre protection. Si vous avez la bonté de lui en donner des
marques en la mariant, c'est tout ce qu'elle pourroit souhaiter: une
personne de votre main ne peut que lui être un parti très avantageux.
Je ne puis rien proposer dans l'incertitude de ce que l'on peut faire
pour elle. Si l'on connoissoit son mérite, cela lui tiendroit lieu d'une
grosse dot ; mais il y a des avantages que l'on estime plus que celui-là
dans le monde. Je suis, etc..
« De Benoist. »
Louise-Emilie au comte de Pontchartrain '.
a Ce U avril 1713.
« Monseigneur,
« Je n'ay osé jusqua cette heure prendre la liberté de vous assurer
de mes très humbles respects dans la crainte dinterrompre les momens
que vous donés au service de lestât. Mais jespere que vous me per-
mettres dans ces jours consacrés a la pieté de vous assurer que ne pou-
vant reconnoistre les obligations intinie que je vous ay que devant le
Seigneur je ne cesse de luy demander quil vous rende le fruit de la
charité que vous exercez a mon esgart. Je nay dautres recours dans mes
malheurs que vostre bonté et les assurence que vous avez bien voulu
me donner de men continuer les marques. Que deviendrois je sans
vostre protection. Monseigneur? Je feray mon posible pour men rendre
digne en réfléchissant souvent sur les advis que vous mavcz fait Iho-
neur do me donner. Je me flate que vous croyez que mareconnoissance
respond au profond respect avec lequel je suis,
« Monseigneur,
« Vostre très humble et très obéissante servante
M Louise Emilie 2. »
1. Nous conservons l'orthographe de cette lettre et de la dernière.
2. Une antre lettre, du 2 janvier 1714 porte en apostille : « Nous en
parlerons; — Mariage; — Au curé. »
502 APPENDICE XIV.
M. de Benoist au comte de Ponchartrain.
« Saint^Germain-en-Laye, 13 avril [1713].
(f Monseigneur, je n'ai pu refuser à Mlle Emilie de prendre la liberté
de vous envoyer une lettre qu'elle se donne l'honneur de vous écrire.
J'espère, Monseigneur, que vous ne trouverez point mauvais qu'elle
vous assure de ses reconnoissances très respectueuses ; vous êtes son
unique appui, et, par tous les biens qui me reviennent sans cesse d'elle,
elle mérite bien de vous demander la continuation de l'honneur de
votre protection. Je suis, etc.
« De Benoist. »
Louise-Emilie au comte de Pontchartrain.
« Aux Ursuline de Poicy ce 7* décembre 1714.
« Monseigneur,
a II faut autant de confiance que jen ay sur les bontez dont vous mo-
norez pour oser prendre sy souvant la liberté de vous assurer de mon
très profond respect. Cest apuié sur elles. Monseigneur, que je vous
suplie très humblement de me continuer Ihoneur de vostre protection
qui est mon seul apui et toute ma consolation dans labisme infiny de
mes malheurs. Sy vous navez pitié de moy que puis je devenir? Vous
avez desjà signalé vostre charité a mon esgard d'une manière digne de
vostre pieté ; elle est lazille de tous les affligez. Personne ne lest plus
que moy. Cest ce qui me fait espérer, Monseigneur, que vous voudras
bien me permettre de vous représenter lestât ou la cherté présente me
réduit. On sen aperçoit baucoup dans les comunautés ; elle a mesme
obligé les dames religieuses de retrancher bien des chose dans leur
maison qui font souffrir les personnes qui y sont. Sans mesme oser
men plaindre, je suis très souvent malade et en mesme tems hors des-
tat de prendre les soulagement nécessaire pour me rétablir comme il
faut. Pardonnez moy sil vous plaist, Monseigneur, ce petit destail, je
ne puis avoir recours qua vous ; je vous suplie de me faire la grâce dy
avoir un peu d'attention et de ne point abandonner une jeune et infor-
tunée personne qui livre pour toujours son sort entre vos charitables
mains et qui ne cessera jamais doffrir des prières au Seigneur pour
vostre conservation. Cest la seule marque que je puis vous donner de
ma vive reconnoissance ; jy joins la parfaite soumission avec laquelle
je me feray toujours gloire dexecuter vos ordre ayant Ihoneur destre,
etc.
« Louise Emilie. «
ADDITIONS ET CORRECTIONS
Page 36, note 2. A propos de Madame se remettant en grand habit
en pleine nuit lors de la mort de Monseigneur, on peut citer ce pas
sage de sa correspondance en 4695 (recueil Brunet, tome I, p. 13):
« Je ne vois pas pourquoi il faut aux gens tant de costumes divers.
Mes seuls vêtements à moi sont le grand habit et un costume de chasse
quand je monte à cheval. Je n'en ai point d'autre. Je n'ai de ma vie
porté ni robe de chambre ni manteau, et je n'ai dans ma garde-robe
qu'une seule robe de nuit pour me lever et pour me mettre au lit. »
Page 87, note 7. Desgranges, dans ses registres (ms. Mazarine2746,
fol. 30-34) donne l'énumération des cercueils des membres de la fa-
mille des Bourbons qui se trouvaient à Saint-Denis lors de la mort de
Monseigneur, et l'ordre dans lequel il les fit ranger : « J'ai marqué
dans le volume l*"" de mes relations la disposition des cercueils qui se
(rouvoient dans le caveau en 4693. Comme il manquoit des tréteaux
de fer, j'en ai fait faire de nouveaux, et j'ai fait ranger les cercueils
ainsi qu'il est tiguré ci-après : 4. Henri IV, mort le 4 mai 4640 ; 2. La
reine MariedeMédicis, 3 juillet 4642; 3. Louis XIII, 44 mai 4643; 4. La
reine Anne d'Autriche, 20 janvier 4666; 5. La reine Marie-Thérèse, 30
juillet 4683 ; 6. Madame la Dauphine. 20 avril 4690 ; 7. Louis Dauphin,
44 avril 4744 ; 8. Le duc d'Orléans, 47 novembre 1644 ; 9. Marie de
Bourbon de Montpensier, première femme de Gaston d'Orléans. 4 juin
1627 ; 10. Le duc de Valois, (ils de M. le duc d'Orléans, le 10 août
1652; 44. Anne-Marie d'Orléans de Chartres, lille de M. le duc d'Or-
léans, le 47 août 4656; 42. Monsieur Gaston-Jean-Baptiste, duc d'Or-
léans, 7 février 4660 ; 13. Anne-Elisabeth de France, 30 décembre 4662 ;
44. Marie-Anne de France, 26 novembre 4664 ; 45. Mademoiselle,
lille de M. le duc d'Orléans, 8 juillet 4665 ; 46. Philippe-Charles d'Or-
léans, duc de Valois, fils de Monsieur Philippe de France, duc d'Or-
léans, 8 décembre 4666 ; 47. Henriette-Marie de France, reine d'An-
gleterre, 40 septembre 4669 ; 48. Henriette-Anne d'Angleterre,
première femme de Philippe de France, duc d'Orléans, 30 juin 4670 ;
49. Philippe de France, duc d'Anjou, 40 juillet 4674 ; 20. Marie-Thé-
rèse de France, 4«'' mars 4672 ; 24. Marguerite de Lorraine, seconde
femme de Monsieur Gaston-Jean-Baptiste, duc d'Orléans, 3 avril 4672;
22. François-Louis de France, duc d'Anjou, 4 novembre 4672 ; 23.
504 ADDITIONS ET CORRECTIONS.
Alexandre-Louis, duc de Valois, fils de Monsieur Philippe de France,
duc d'Orléans, 16 mars 1676; 24. Anne-Marie-Louise d'Orléans, fille
de Monsieur Gaston-Jean-Baptiste, duc d'Orléans, 3 avril 1693 ;
25. Philippe de France, duc d'Orléans, frère du Roi, 9 juin 1701. »
Page 114, note 6. Les Mémoires de Sourches disent le 15 avril :
« En entrant à table, même avant que de s'asseoir, le Roi dit tout haut
qu'on ne traiteroit plus le nouveau Dauphin de Monseigneur, qu'en
lui parlant on lui diroit Monsieur, et qu'en parlant de lui on diroit
Monsieur le Dauphin ; que cela étoit mieux, et que ç'avoit été un abus
de traiter défunt Monsieur le Dauphin de Monseigneur, et qu'il étoit
tombé lui-même dans cet abus, l'appelant ainsi dans sa jeunesse. »
Page 125, note 7. « On appelle dégagement dans une maison, dans
an appartement, une issue secrète et dérobée qui sert pour la commo-
dité du logement ». Académie, 1718.
Page 140, note 4. A propos de l'érection de la terre de Pont-de-
Vaux en duché en faveur de Charles-Emmanuel de Gorrevod, mar-
quis de Marnay, M. le prince-duc de Bauffremont a bien voulu nous
communiquer un extrait d'un manuscrit de sa bibliothèque intitulé :
Descentes généalogiques de plusieurs familles illustres de la comté
de Bourgogne et autres. Au folio 54 v° on lit ce qui suit : « Le mar-
quis de Marnay, ayant reçu l'honneur du collier de l'ordre [de la Toi-
son d'or], persévéra encore huit années dans les bonnes grâces de
S. A. l'Archiduc, et fut gouverneur des pays et duché de Limbourg.
Mais, à la fin, étant devenu amoureux de dame Isabelle de Bour-
gogne, fille de Bernard [pour Hermann] de Bourgogne, comte de Fa-
lais, ... dame de l'Infante, laquelle en même temps étoit recherchée en
mariage parle duc d'Aumale, de la maison de Lorraine, retiré aux
Pays-Bas, cette jeune demoiselle, belle en ce temps-là, témoigna
d'avoir plus d'inclination à ce prince Lorrain, quoiqu'il fût âgé, à
cause qu'il étoit duc et que, devant l'Infante, sa maîtresse, elle eût eu
le carreau pour cette raison, ainsi que l'ont les grands d'Espagne. Le
marquis de Marnay envoya à Paris Rosaret, son secrétaire et depuis
greffier de la cour du Parlement, désirant venir à bout de sa recherche,
et afin d'obtenir l'érection de sa comté de Pont-de-Vaux en duché, ce
qui réussit. Moyennant cela, il épousa Isabelle de Bourgogne le 8 fé-
vrier 1621. Mais l'Archiduc, ayant su cette érection en duché que le
marquis avait envoyé demander et solliciter à la cour de France, res-
sentit cela étrangement et dit un jour au marquis en espagnol : « No
puedo yo os hazer mercedes », de sorte que le marquis, étant bien en
peine, ne leva point de dépêche de son nouveau duché qu'après la
mort de S. A. l'Archiduc, ce qui fut fait sans lui avoir donné le titre
de pair de France... Sa femme, pendant la vie de son mari, ni depuis,
n'eut jamais de carreau devant l'Infante ; mais, quand la reine Marie
de Médicis se retira aux Pays-Bas et que cette dame y vint pour affaire,
cette reine lui donna le tabouret comme à une duchesse en
France. »
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 50.S
Page '201, note 9. Voici l'extrait du procès-verbal officiel du lit de
justice, relatif à M. de Bouillon (Archives nationales, X*» 8864) :
« M. le Chancelier a dit que, le défunt Roi ayant accordé l'érection
des terres de Château-Thierry et d'Albret en faveur de M. le duc de
Bouillon par le contrat d'échange de Sedan, pour tenir rang du temps
de la première et ancienne érection desdites terres, et le Parlement,
par arrêt de vérilication dudit contrat du 20"^ février 16o'2, ayant arrêté
que ce seroit seulement pour tenir rang du jour dudit arrêt, et ledit
sieur de Bouillon n'ayant pu depuis ce temps-là se faire recevoir en
ladite dignité, attendu qu'il n'a pas encore l'âge, la volonté du Roi est
que l'on procède à sa réception et à l'enregistrement de ses lettres,
aussitôt qu'il aura atteint l'âge, et que son rang et séance lui soient
conservés du jour dudit arrêt du 20 février 4652. Séguier. »
Pai;e 202, note 1. A propos du maréchal de la Meilleraye, le pro-
cès-verbal du lit de justice dont il vient d'être parlé, contient la men-
tion suivante : « Lecture a été faite des lettres de M. le maréchal de
la Meilleraye, par Messire Pierre de Brilhac, le soit montré rais sur sa
requête, son information faite, et, après des conclusions du procureur
général, a été jugé, et, son arrêt de réception ayant été prononcé par
M. le Chancelier, il a dit en même temps que la volonté du Roi est
qu'encore que le sieur maréchal de la Meilleraye ne piit prêter pré-
sentement le serment à cause qu'il est absent pour le service dudit
seigneur Roi, néanmoins son rang lui soit conservé comme s'il avoit
été présent et prêté le serment présentement et avant ceux qui le prê-
teront ensuite. »
Page 217, note 1. D'après Pellisson, Pierre de l'Estoile, quand il
avait composé un ouvrage, le lisait à sa servante (Historiettes de Tal-
lemnnt des Réaux, tome V, p. 93, note 4). — Alfred de Musset fait
allusion à la légende de la servante de Molière dans deux strophes
du second chant de son poème de Namoima.
Page 224. note 4. A propos de la réception du cardinal de Riche-
lieu, le secrétaire d'Etat BuUion, auquel se joignirent MM. de Châ-
toauneuf etd'Effiat, lui écrivit (Archives nationales, KK 600, fol. 191):
« De Paris, ce jeudi malin à onze heures et demie [4 novembre 1631].
Monseigneur, c'est pour vous donner avis que ce matin votre informa-
tion a été jugée avec tout l'honneur et approbation qu'on se puisse
imaginer, et a été ordonné que serez reçu à faire le serment de
duc et pair, et n'a été rien résolu sur la réception de MM. de la
Valette et la Rochefoucauld ; cela est remis au lendemain, après que
vous aurez prêté le serment. Le Parlement se promet que vous serez
ici ce soir, afin de prêter le serment demain, et nous estimons qu'il
est très à propos que vous veniez coucher en cette ville ; tous vos ser-
viteurs vous y souhaitent, alin de parachever cette affaire heureuse-
ment. Ne soyez en peine de l'affaire de M. de la Rochefoucauld, M. le
garde des sceaux y a pourvu par le commandement qu'il a fait à M. le
procureur général, attendant que les lettres du Roi soient arrivées.
506 ADDITIONS ET CORRECTIONS.
Nous prions Dieu qu'il vous conserve en santé longue et heureuse vie,
et demeurons etc. Bullion, Chàteauneuf, d'Effiat. »
Page 235, note 4. Il y a une notice détaillée sur le premier prési-
dent le Jay et sur sa famille dans VHistoire seigneuriale, civile et
paroissiale de Saintry (arrondissement deCorbeil, Seine-et-Oise), par
Emile Creuzet (Paris. 1907, in-S"), p. 86-408.
Page 251, note 4. Saint-Simon a omis de relever une des consé-
quences de l'édit sur les duchés-pairies : c'est l'érection du marquisat
de Rambouillet en duché-pairie en faveur du comte de Toulouse, faite
en ce même mois de mai 4711, pour lui assurer deux duchés-pairies (il
avait déjà celui de Penthièvre), comme son frère possédait les duchés
d'Eu et d'Aumale.
Page 270, note 5. La baronne d'Oberkirch, dans ses Mémoires
(tomes I, p. 159-461, et II, p. 38-40), a donné des détails sur le
chapitre de Saint-Pierre de Remiremont, sur les diverses dignitaires,
sur les deux classes de chanoinesses qu'on appelait les tanics et les
nièces, etc. La Gazette de 1631, correspondance de Bruxelles du 7 no-
vembre, dit que le chapitre se composait alors de cinquante-deux « des
plus gentilles damoiselles de Lorraine », et qu'elles portaient sur la
tête une sorte de petite enseigne qu'on appelait le mari.
Page 324, note 6. La vie de la première femme du maréchal de
Belle-Isle, Henriette-Françoise de Durfort-Civrac, est à peu près in-
connue. En dehors de son contrat de mariage, dont des extraits se
trouvent dans les dossiers bleus Foucquet à la Bibliothèque nationale,
et que M. d'Echérac a analysé dans la Jeunesse du maréchal de Belle-
Isle, on ignore tout d'elle, même la date de sa mort, et les dossiers généa-
logiquesdu Cabinetdes titres ne contiennent aucun renseignement. Nous
avons été assez heureux pour retrouver dans les papiers séquestrés des
Durfort-Civi'ac, aux Archives nationales, T 321, 7'' liasse, la pièce sui-
vante, qui élucide au moins ce dernier point : « Aujourd'hui a été
enterrée dans notre église Mme la comtesse de Belle-Isle, fille de Mes-
sire Charles de Durfort, marquis de Civrac, et de Mme Angélique Zaca-
riede Bordet (sic), dans la sépulture de Messieurs ses ancêtres, qui
est sous la lampe du grand autel. A Bordeaux ce 16 janvier 1723. —
Je déclare et certifie que le présent extrait a été tiré mot à mot, sans
y avoir rien ajouté ni diminué, des registres mortuaires des Grands
Carmes de Bordeaux. En foi de quoi, j'ai livré le présent extrait. A
Bordeaux, le 7 août 1782. F. Dumau, sacristain des Grands Carmes. »
Une autre pièce du même dossier dit que Mme de Belle-Isle avait été
séparée de biens de son mari et avait fait son testament en faveur de
son oncle Emeric de Durfort.
Page 325, note 7. Jean de Montboissier, comte de Canillac, né le
11 septembre 1661, fut d'abord page du Roi, entra aux mousquetaires
en 1682, devint lieutenant aux gardes en 1684, et capitaine en 1687 ;
il acheta en 1693 une charge d'enseigne aux mousquetaires noirs,
assa sous-lieutenant en 1699, devint brigadier en 1702, maréchal de
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 507
camp en 1704, lieutenant général en 17i0, eut le gouvernement d'Agde
en 1707. entra au conseil de Régence en 17io, fut nommé capitaine
des mousquetaires noirs en 1716, conseiller d'État d'épée en 1720, eut
le gouvernement d'Amiens en avril 4721, l'ordre du Saint-Esprit en
4724 (et non en 1728, comme le dit notre auteur), et mourut à Paris
lo 40 avril 172fl. Il avait épousé en février 1697 Elisabeth Ferrand,
veuve de l'ambassadeur Girardin, « riche de dix-huit mille livres de
rente et encore aimable », dit le Chansonnier (ms. Fr. 12692, p. 247),
qui ajoute que Canillac était poussé par Monsieur dont il partageait
les goûts contre nature. Ce Canillac a une notice dans le volume 45
des Papiers de Saint-Simon, aujourd'hui France 200, fol. 190.
Page 329, note i. A propos de la mort du duc d'Albe, l'abbé de
Vayrac dit dans son Tableau de l'Espagne, édition 1719, tome III,
p. 42-13: « Certainement Philippe V ne pouvait faire un plus digne
choix; car, depuis le 41 novembre de l'année 1703, qu'il arriva à Pa-
ris, jusqu'en l'année 1741 qu'il mourut, il donna dans toutes les occa-
sions des marques éclatantes de sa magnificence, et la prudence avec
laquelle il se comporta lui attira plusieurs fois des éloges très avanta-
geux de la part de Louis le Grand. S. M. Catholique étoit si satisfaite
de sa conduite, qu'elle le nomma plénipotentiaire de la paix et l'honora
de la charge de grand chambellan ; mais la douleur que lui causa la
mort du fils unique qui lui restoit avança si fort la sienne, qu'il ne put
remplir les devoirs d'aucun de ces emplois. » Et plus loin : « Tous les
seigneurs de la maison de Tolède ont servi les rois catholiques avec
tant de désintéressement, qu'au lieu de s'enrichir en les servant par les
appointements de leurs emplois, comme font presque tous les autres,
ils ont toujours consommé au delà de leurs revenus, et, quoiqu'ils
aient possédé des biens immenses, ils n'ont jamais été opulents, tant
ils ont été magnifiques et généreux. »
Page 3o4, note 1. Virgile avait dit dans VEnéide, livre vi, vers 471-
472 :
Nec magis incepto... sermone movetur
Quam si dura silex aut stet Marpesia cautes.
TABLES
TABLE DES SOMMAIRES
QUI SONT EN MARGE DU MANUSCRIT AUTOGRAPHE.
Suite de 1711.
Pages
Mon embarras à l'égard de Monseigneur et de sa cour inté-
rieure 1
Maladie de Monseigneur 5
Le Roi à Meudon 6
Le Roi mal à son aise hors de ses maisons, Mme de Mainte-
non encore plus 9
Contrastes dans Meudon 12
Versailles 13
Harengères à Meudon; bien reçues 14
Singulière conversation avec Mme la duchesse d'Orléans chez
moi 16
Spectacle de Meudon 18
Extrémité de Monseigneur 19
Mort de Monseigneur. Le Roi va à Marly 22
Spectacle de Versailles 23
Surprenantes larmes de M. le duc d'Orléans 28
Continuation du spectacle de Versailles 30
Plaisante aventure d'un Suisse 36
Horreur de Meudon 42
Confusion de Marly 44
Caractère de Monseigneur 45
Problème si Monseignenr avoit épousé Mlle Choin 52
Monseigneur sans agrément, sans liberté, sans crédit avec le
Roi 57
Monsieur et Monseigneur morts outrés contre le Roi 59
Monseigneur peu à Versailles 60
Complaisant aux choses du sacre 61
512 TABLE DES SOMMAIRES.
Monseigneur et Mme de Maintenon fort éloignés 62
Cour intime de Monseigneur 63
Monseigneur plus que sec avec Mgr et Mme la duchesse de
Bourgogne, aime M. le duc de Berry et traite bien Mme la
duchesse de Berry 64-65
Monseigneur favorable aux ducs contre les princes 65
Monseigneur fort vrai ; Mlle Choin aussi 66
Opposition de Monseigneur à l'alliance du sang bâtard pré-
tendue »
Désintéressement de Mlle Choin 67
Monseigneur attaché à la mémoire et à la famille du duc de
Montausier 68
Amours de Monseigneur 69
Ridicule aventure 70
Monseigneur n'aime point M. du Maine et traite bien le comte
de Toulouse 73-74
Cour plus ou moins particulière de Monseigneur 74
Infamies du maréchal d'Huxelles 75
Aversions de Monseigneur »
Eloignement de Monseigneur de Mgr et de Mme la duchesse
de Bourgogne 76
M. et Mme la duchesse de Berry bien avec Monseigneur. . . 79
Crayon et projets de Mme la duchesse de Berry «
Affection de Monseigneur pour le roi d'Espagne 84
Portrait raccourci de Monseigneur 83
Ses obsèques »
Mme de Maintenon à l'égard de Monseigneur et de Mgr et de
Mme la duchesse de Bourgogne 89
Genre de la douleur du Roi ; ses ordres sur les suites de la
mort de Monseigneur ; ses occupations des premiers jours. 90
'12 000**^ de pension à Mlle Choin ; bien traitée du nouveau
Dauphin et de la Dauphine. Gène de sa vie. Sagesse de sa
conduite après la mort de Monseigneur ; n'est point aban-
donnée 93
Princesse de Conti veut inutilement se raccommoder avec
Mlle Choin 96
Du Mont justement bien traité, et Casaus «
Princesse d'Angleterre cède à Madame la Dauphine en lieu tiers. 97
Deuil drapé de Monseigneur »
Situation de M. et de Mme la duchesse de Berry 98
Les deux battants des portes chez les fils et tilles de France
ne s'ouvrent que pour les tils et filles de France. Colère de
Mme la duchesse de Berry 101-102
TABLE DES SOMMAIRES. 543
Orage tombé sur Mme la duchesse de Berry 103
Elle avoue à Mme de Saint-Simon ses étranges projets avor-
tés par la mort de Monseigneur, laquelle l'exhorte à n'ou-
blier rien pour se raccommoder avec Madame la Dauphine. 405-406
Mme la duchesse de Berry se raccommode avec Madame la
Dauphine 107
Service de M. et de Mme la duchesse de Berry à Monseigneur
et à Madame la Dauphine 108
Singulier avis de Mme de Maintenon à Madame la Dauphine. 111
Duc de la Rochefoucauld prétend la garde-robe du nouveau
Dauphin et la perd contre le duc de Beauvillier 112
Soumission et modération de Monseigneur le Dauphin. . . . 113
Veut être nommé et appelé .Uonszewr, non 3/o?îse25ffteMr. . . 114
Marly repeuplé 115
Châtillons et Beauvaus obtiennent de draper. Deuil singulier
pour Monseigneur 116
Bâtards obtiennent d'être visités en fils de France sur la mort
de Monseigneur 420-121
Manteaux et mantes à Marly 422
Indécences et confusion parfaite 423
Burlesque ruse de Madame la Princesse 425
Monseigneur et Madame la Dauphine, etc., en mantes et en
manteaux, à Saint-Germain 127
Ministres étrangers à Versailles, où les Compagnies haran-
guent. Monseigneur le Dauphin traité par le Parlement de
Monseigneur par ordre du Roi 128
Mort et caractère de la duchesse de Villeroy 129
Mort de l'empereur Joseph. Prince Eugène mal avec son suc-
cesseur 432-133
Mort de Mmes de Vaubourg et Turgot 134-135
Mort de Caravas 135
Mariage des deux filles de Beauvau avec Beauvau et Choiseul. 436-137
Reprise de l'affaire d'Epernon. Forces prétentions semblables
prêtes à éclore, leur impression sur les parties du procès
d'Epernon 138
Ancien projet de règlement sur les duchés-pairies en 1694 ;
son sort alors ; perversité du premier président d'Harlay,
qui le dressa 143
Duc de Chevreuse, de concert avec d'Antin, gagne le Chan-
celier pour un règlement sur ce modèle. Le Chancelier
m'en contie l'idée et l'ancien projet ; raisons qui m'y font
entrer sans en prévoir le funeste, et j'y travaille seul avec le
Chancelier 144-145
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI 33
oi4 TABLE DES SOMMAIRES.
Ancien projet et mes notes dessus 147
Grâce de substitution accordée au duc d'Harcourt enfourne
ce règlement. Sagesse et franchise d'Harcourt avec moi sur
les bâtards iS8
Je joins le maréchal de Boufflers au secret, qui est restreint
d'une part, entre nous deux et Harcourt, en général d'une
part, de l'autre entre Chevreuse et d'Antin, en général, et
sans nous rien communiquer 162
Harcourt parle au Roi, et la chose s'enfourne »
Chimères de Chevreuse et de Ghaulnes 163
Duc de Beauvillier n'approuve pas les chimères ; ne peut
pourtant être admis au secret du règlement par moi. . . . 171
Secret de tout ce qui se tit sur le règlement uniquement entre
le Chancelier avec moi 171-172
Trait hardi et raffiné du plus délié courtisan de d'Antin, qui
parle au Roi 173
Le Roi suspend la plaidoirie sur le point de commencer sur
la prétention d'Épernon 174-175
Discussion du projet de règlement entre le Chancelier et moi. 175
Friponnerie insigne et ambitieuse du premier président
d'Harlay 176
Apophthegme du premier maréchal de Villeroy 178
Je fais comprendre les ducs vérifiés en l'édit 182
L'amitié m'intéresse aux lettres nouvelles de Chaulnes. Le
Chancelier s'y porte de bonne grâce; je l'y soutiens avec
peine, dépité qu'il devient des sophismes du duc de Che-
vreuse 183
Le Chancelier travaille seul avec le Roi sur le règlement ;
son aversion des ducs, et sa cause 185
Scélératesse du premier président d'Harlay sur le sacre et la
propagation des bâtards 188
Je propose le très faible dédommagement de la double séance
de pairs démis 191
Le Roi, uniquement pour son autorité, favorable à M. de la
Rochefoucauld contre moi 193
Chaulnes enfourné 194
Mémoire uniquement portant sur l'autorité du Roi qui me
vaut la préséance sur M. de la Rochefoucauld 194-195
Défaut de foi et hommage. Explication et nécessité de cet
acte 196
Alternative ordonnée en attendant jugement, et commencée
par la tirer au sort 199
Préjugés célèbres du Roi en faveur de M. de Saint-Simon. . 200
TABLE DES SOMMAIRES. 5-15
Singulier procédé entre les ducs de Saint-Simon et de la
Rochefoucauld lors et à la suite de la réception au Parle-
ment du premier 202
Autre préjugé du Roi tout récent en faveur de M. de Saint-
Simon 206
L'autorité du Roi favorable à M. de Saint-Simon 206-207
Enregistrement sauvage des lettres d'érection de la Roche-
foucauld 207
Lettres de M. le duc de Saint-Simon à M. le Chancelier. . . 210
De M. le Chancelier à M. le duc de Saint-Simon 242
De M. le Chancelier à M. le duc de Saint-Simon 214
De M. le duc de Saint-Simon à M. le Chancelier 215
Éclaircissement de quelques endroits de mes lettres 221
Anecdote curieuse de l'enregistrement de la Rochefoucauld. 223
Courte et foncière explication de la question de préséance
entre la première réception du pair au Parlement et la
date de l'enregistrement de la pairie 229
Nature de la dignité 231
Ce qui de tout temps fixoit l'ancienneté du rang des pairs,
l'a tixé toujours, et le fixe encore aujourd'hui 233
Fausse et indécente difficulté tombée de la date de chaque
réception successive 235
Dignité de duc et pair mixte de fief et d'office, et unique de
ce genre 236
L'impétrant et sa postérité appelée et installée avec lui en la
dignité de pair à la différence de tout autre officier 239
Reprise de l'édit 241
Lettre de M. le duc de Saint-Simon à M. le Chancelier. . . . 242
Lettre de M. le Chancelier à M. le duc de Saint-Simon. . . . 244
J'apprends du Chancelier les articles de l'édit résolus »
Je confie au duc de Beauvillier et au duc et à la duchesse de
Chevreuse que Chaulnes va être réérigé pour leur second
fils 246
L'édit en gros s'évente. Mouvements de Matignon et des Ro-
hans ; leur intérêt »
Lettre de M. le duc de Saint-Simon à M. le Chancelier. . . . 247
De M. le Chancelier à M. le duc de Saint-Simon 248
L'édit passé, dont j'apprends par le Chancelier tous les arti-
cles tels qu'ils y sont 249
Double séance rejetée, et Chaulnes différé, après avoir été
accordés 250
D'Antin reçu duc et pair au Parlement; m'invite seul d'étran-
ger au repas. Le Roi se montre content que j'y aie été. . . 251
S16 TABLE DES SOMMAIRES.
Adresse et impudence de d'Antin. Sagesse et dignité de Bouf-
flers 252
Douleur de Matignon et son affaire avec le duc de Chevreuse. 253
Duc de la Rocheguyon fait au Chancelier des plaintes de l'é-
dit, prétend en revenir contre ma préséance, qui le refroi-
dit, et le duc de Villeroy, entièrement et pour toujours
avec moi 255
Fâcheux personnage du duc de Luxembourg sur l'édit ; est à
Rouen et pourquoi 256
Grand changement à la cour par la mort de Monseigneur et
ses impressions différentes 261
Duc du Maine «
Duc du Maine fort mal à Marly 263
Princesse de Conti 264
Cabale. Duc de Vendôme 267
Vaudémont et ses nièces 268
Mlle de Lillebonne abbesse de Remiremont 271
Madame la Duchesse 272
Prince de Rohan 273
Princes étrangers 275
D'Antin 276
Huxelles, Beringhen, Harcourt, Boufïlers 277
Sainte-Maure, Biron, Roucy, la Vallière 278
Ducs de Luxembourg, la Rocheguyon, Villeroy 279
LaFeuillade 280
Ministres et financiers »
Le Chancelier et son fils 281
LaVrillière 283
Voysin 284
Torcy »
Desmaretz 286
Duc de Beauvillier 289
Fénelon, archevêque de Cambray. 292
Union de Monsieur de Cambray et de tout le petit troupeau. 299
Duc de Charost, et sa mère 302
Duc et duchesse de Saint-Simon 304
Conduite des ducs de Chevreuse et de Beauvillier 306-307
Duc de Chevreuse 309
Monseigneur le Dauphin 310
Mme de Maintenon point aux ministres, toute au Dauphin. . 314-315
Ministres travaillent chez le Dauphin 316
Voyages des généraux d'armée 320
TABLE DES SOMMAIRES. o4T
Permangle bat et brûle un grand convoi S'iil
Duc de Noailles près du roi d'Espagne, avec ses troupes, sous
Vendôme. La reine d'Espagne attaquée d'écrouelles. Bon-
nac relève Blécourt à la cour d'Espagne 3'2"2
Marly en jeu et en sa forme ordinaire ; cause de sa singulière
prolongation 323
Premier mariage de Belle-Isle 324
Mariage de Montboissier avec Mlle de Maillé 325
Mariage de Parabère avec Mlle de la Vieuville 326
Course à Marly de l'électeur de Bavière »
Mort de Langeron, lieutenant général des armées navales.. . 328
Mort, caractère, descendance et titres du duc d'Albe, ambassa-
deur d'Espagne en France. Sa succession 328-329
Le fils d'Amelot président à mortier. Digne souvenir du Roi
des services de Mole, premier président et garde des sceaux. 334
Bergeyck à Marly ; mandé en Espagne 335
Voyage du roi d'Angleterre par le royaume »
Grand Prieur à Soleure 336
Deuil de l'Empereur suspendu, et sa cause »
Le roi d'Espagne donne ce qui lui reste aux Pays-Bas à l'élec-
teur de Bavière, qui passe à Marly allant à Namur, et en-
voie le comte d'Albert en Espagne. Comte de la Marck suit
l'Électeur de la part du Roi, sans caractère 337-338
Gassion bat en Flandres douze bataillons et dix escadrons ;
son mérite et son extraction 338
Clôture de l'assemblée extraordinaire du clergé. Admirable
et hardie harangue au Roi de Nesmond, archevêque d'Al-
by. Le Dauphin montré au clergé parle Roi 339-340
Services de Monseigneur à Saint-Denis et à Notre-Dame. Mer-
veilles du Dauphin à Paris. Nul duc ne s'y trouve, quoique
le Roi l'eiàt désiré 342
Création d'officiers garde-côte. Pontchartrain en abuse, et de
mon amitié, me trompe, m'usurpe, et je me brouille avec
lui 347
Usurpation très attentive des secrétaires d'État 350
Sottise d'amitié 352
Trahison noire de Pontchartrain 353
Étrange procédé de Pontchartrain qui me veut leurrer par
Aubenton 355
Impudence et embarras de Pontchartrain 360
Le Chancelier soutient le vol de son fils contre moi »
Peine et proposition des Pontchartrain ; ma conduite avec eux. 362
Splendeur du duc de Beauvillier ; causes, outre l'amitié, de
518 TABLE DES SOMMAIRES.
sa confiance entière en moi ; discussion de la cour entre
lui et moi 363
Torcy 365
Desmaretz 370
La Vrillière 372
Voysin »
Pontchartrain père et fils 373
Caractère de Pontchartrain 376
Je sauve Pontchartrain perdu 381
Je conçois le dessein d'une réconcilation sincère entre le duc
de Beauvillier et le Chancelier 386
Singulier hasard sur le jansénisme 387
Pontchartrain sauvé par le duc de Beauvillier 390
Conversation sur les Pontchartrain avec Beringhen, premier
écuyer ; son caractère 391
II
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS PROPRES
ET DES MOTS OU LOCUTIONS ANNOTÉS DANS LES MÉMOIRES.
N. B. Nous donnons en italique l'orthographe de Saint-Simon, lorsqu'elle
diffère de celle que nous avons adoptée.
Le chiffre de la page où se trouve la note principale relative à chaque mot
est marqué d'un astérisque.
L'indication (Add.) renvoie aux Additions et Corrections.
Abbatial (1'), *^-
Abdiquer quelqu'un, *368.
Académie française (F), 129.
Acquis (1'), *313. — Acquit.
Affection, sentiment, *262.
Age (les dispenses d'), *178.
Aheurter (s'), *3o5.
Aiguillon (le duché d'), 139.
Ailes (avoir des), au figuré, *280.
AiLLY (la maison d'), *164.
Airer, aérer, *92.
Aix (le parlement d'), *149.
Ajuster quelque chose, *170.
Alambic (tirer à 1'), *184.
Albe (les ducs d'), 331-332,
334.
Albe (Garcia Alvarez de Tolède,
comte, puis duc d'), 331 .
Albe (Antoine I Alvarez de To-
lède, ducd'), 331.
Albe (Antoine II Alvarez de To-
lède, duc d'), 332.
Albe (Antoine-Martin de Tolède,
duc d'), 328, 329 (Add.), 330.
Albe (Diègue Alvarez de Tolède,
ducd'), 331.
Albe (Ferdinand Alvarez de To-
lède, ducd'), *331.
Albe (Antoinette Enriquez de Ri-
bera, duchesse d'), *331, 332.
Albe (Briandede Beaumont, du-
chesse d'), 331, 332.
Albe (Isabelle-Zacharias Ponce de
Léon, duchesse d'), 330, 332.
Albe (la ville d'), 331.
Albe (le comté puis duché d'),
en Espagne, 331.
Albe (la maison d'), 330-334.
Albergotti (François -Zénoble-
Philippe, comte), 74.
Albert (Louis-Joseph d'Albert
de Luynes, comte d'), 338.
Albert de Luynes (la maison
d'), M63-166.
Albret (le duché d'), 140, 192,
193, 201.
Alby (l'archevêque d'). Voyez
Nesmond (Henri de).
520
TABLE ALPHABETIQUE.
Allemagne (F), ISG, 336, 337.
Allemagne (les empereurs d').
Voyez Charles VI, Joseph h''.
Allemagne (les impératrices d').
Voyez Bavière-Neubourg. (El. -
Mad.-Thér. de), Hanovre (W.-
A. de Brunswick-).
Aloi (être d'), *383. — Alloy.
Alsace (1'), 336.
Alsace (l'intendance d'), 373.
Alva (la ville d'). Voyez Albe
(la ville d').
Alvarez (le nom d'), 330.
Ambassadeurs (les), en France,
128.
Ambres (Fr. de Gelas, marquis
d'), 308.
Amelot (Michel-Jean), marquis
de Gournay, 334, 369, 370.
Amelot de Gournay (Michel-
Charles), 334.
Amiable compositeur (un), *369.
Amiens (Louis-Auguste d'Albert
de Chevreuse, vidame d'), plus
tard duc de Chaulnes, 143, 463,
166, 169, 170, 183, 288.
Amiral de France (la charge d'),
349, 351.
Amirauté de Castille (J.-Thomas
Enriquez de Cabrera, duc de
Médina delRioseco, dit 1'), 333.
Amorce (une), au figuré, *175.
Andrault de Langeron (la fa-
mille), 328.
Angers (l'évèque d'). Voyez Pon-
CET DE LA Rivière (Michel).
Angleterre (P), 134, 156, 249,
354.
Angleterre (le roi d'). Voyez
Jacques 111.
Angleterre (la reine d'). Voyez
Este (M.-B.-E. d').
Angleterre (la princesse d').
Voyez Stuart (Louise-Marie).
Anjou (Louis de France, duc d'),
plus tard Louis XV, 126.
Anne d'AuTRiCHE, reine de
France, 186.
Antin (le marquis, puis duc d'),
2, 3, 58, 67, 68, 74, 78, 93,
138, 139, 141-145, 163, 171-
175, 181, 185, 210, 218-222,
246, 248, 251-254, 258, 259,
276, 277, 320, 327, 334, 338,
365, 369.
Antin (Julie-Françoise de Crus-
sol, marquise, puis duchesse
d'), *68.
Antin (la terre et le duché d'),
*2o2.
Apertement, *31.
Appuyé, soutenu, *40.
Aragon (le royaume d'), 322, 332.
Archevêché (le palais de 1'), à
Paris, 345.
Archiduc (1'). Voyez Charles III
(le roi).
Arco (Alphonse Manrique de
Lara, duc del), 334.
Arcos (Thérèse Enriquez de Ca-
brera, marquise del Carpio, puis
duchesse d'), *333.
Argenson (Marc-René de Voyer,
marquis d'), 320, 379, 380.
Armainvilliers (la terre d'),
*394. — Arminvilliers.
Armentiêres (Michel de Con-
flans, marquis d'), 343.
Arnauld (la famille), 368.
Arpajon (Catherine - Henriette
d'Harcourt-Beuvron, duchesse
d'), 308.
Ascension (la fête de 1'), 242.
Assesseur (un), *209.
Assommer, au figuré, *143.
Assiette (F), au figuré, *291.
Atlas (le géant), *287.
Aubenton (François - Ambroise
d'), *356-360, 390.
Audenarde (la bataille d'), 278.
Augmentations de gages (les),
*362.
TABLE ALPHABETIQUE.
321
AuGUSTiNES (le couvent des), à
ChaiUot, *73.
AuMONT (Louis, ducd'),*351,354.
Auspice (un), *290.
AvAUGOUR (Antoine-Erard du
Bois d'Avaugour, dit le mar-
quis d'), *T3.
AvAUGOUR (N. de Fleury, mar-
quise d'), *"2, 73.
Aveu féodal (1'), *198.
Ayant-cause (les), *15i.
B
Balayeur (un), au figuré, *34.
Balle au bond (prendre la), *141.
Barbe de quelqu'un (à la), *227.
Barbezieux (Louis-François-Ma-
rie le Tellier, marquis de),
39i.
Bastille (la), 379.
Bâtards du Roi (les), 57, 66, 114,
424, 122, d2o, 143-448, 460,
162, 476-178, 480, 488, 189,
194, 240, 242, 231, 245.
Batteries (les), au figuré, *383.
Bavière (Maxirailien-Emmanuel,
électeur de), 134, 326, 327,
337, 338.
Bavière-Xeubourg (Éléonore -
Madeleine-Thérèse de), impé-
ratrice d'Allemagne, 133, 336.
Bàville (Nicolas de Lamoignon,
marquis de), 257, 258.
Beaumont (la maison de), en Es-
pagne, 332.
Beauvau (la maison de), 119,
120.
Beauvau (Gabriel- Henri, mar-
quis de), * 136-137.
Beauvau ( Pierre - Madeleine ,
comte de), 437.
Beauvau (Marie -Thérèse de
Beauvau, comtesse de), *437.
Beauvillier (le duc de), 3, 41,
30, 35, 40, 76, 90, 97, 113,
171, 204, 246, 250, 268, 273,
278, 279, 282. 284-293, 300-
310, 320, 343-345, 363-375,
381-393.
Beauvillier (Paul-Jean-Baptiste,
dit le marquis de). -300, 303.
Beauvillier (Henriette Colbert,
duchesse de), 285, 300, 301,
303. 305, 306, 308.
Belle-Isle (Charles - Louis-Au -
guste Foucquet, comte et ma-
réchal de), 324, 325.
Belle-Isle (Henriette-Françoise
de Durfort de Civrac, comtesse
de), *324 (Add.), 325.
Belle-Isle (Marie-Casimirede Bé-
thune, marquise de Grancey,
puis maréchale de), 325.
Bergeyck (Jean de Brouchoven,
comte de), 335.
Beringhen (Henri l^^ de), 277,
391.
Beringhen (Jacques-Louis, mar-
quis de), 58, 74, 277, 284, 391-
394.
Beringhen (Anne du Blé d'Hu-
xelles, dame de), 277.
Beringhen (Marie-Madeleine-Éli-
sabeth-Fare d'Aumont, mar-
quise de), 277, 391.
Berline (une), *22. — Breline.
Berry (le duc de), 3, 10-12, 44,
\Q, 24, 30, 34, 33-36, 40-42,
53, 63, 66, 77, 79. 84-84, 94,
96-400, 403,107-110,445,421,
123, 127,264, 263, 327, 343,
345.
Berry (la duchesse de), 14, 14,
46, 48, 23, 24, 30, 34, 33, 34,
40-42, 53, 65, 79-84, 99-410,
115, 123, 125, 127, 261, 263,
326, 352.
Berthod (l'abbé), *302. — Ber-
tau.
Berwick (le maréchal-duc de),
128, 142, 322, 336.
TABLE ALPHABETIQUE.
Béthune (Armand I^r de Bé-
thune, marquis puis duc de
Charost, enfin duc de), 303, 304.
Béthune (Marie Foucquet, du-
chesse de), 302, 303.
Béthune-Orval (Louis - Pierre -
Maximilien, marquis de), puis
duc de Sully, 343.
Bezons (le maréchal de), 322.
Bidet (pousser son), *124.
Bien-dire (le), * 83, 359.
BiGNON DE Blanzy (Armand-Bo-
land), 63-67, 284, 284.
BiRON (Charles-Armand de Gon-
taut, marquis de), 61, 71, 278,
279.
BissY (Henri de Thiard, cardinal
de), évêque de Toul, puis de
Meaux, 140.
BissY (la maison de), 140.
Blanchir (ne faire que), *371.
Blaye (le gouvernement de), 347,
350, 351,354, 355, 357, 359,
361.
Blécourt (Jean-Denis, marquis
de), 323. ^
Blois (les États généraux de),
166.
Blouin (Louis), 45, 316.
Bois-Bogue (la seigneurie du),
*118. — Boîsrogues.
Boîte (une), présent, *52.
Bon (faire), *362.
Bonhomme (un), *160.
BoNNAC (Jean-Louis Dusson, mar-
quis de), 323.
Bonnet (opiner du), * 227.
Bonrepaus (François Dusson de),
323.
Bordeaux (la ville de), 258.
BossuET (Jacques-Bénigne), évê-
que de Condom, puis de Meaux,
54, 68.
Botte (porter une), *374.
Boucherai (Louis), chancelier de
France, 143.
Boudin (Jean), 5, 18, 19.
BouFFLERS (le maréchal de), 74,
131, 160, 162, 171, 172, 252,
253, 277, 278, 352.
BouFFLERS (Antoine - Charles -
Louis, comte de), 131, 160.
Bougies (les), *27.
Bouillon (Frédéric-Maurice de la
Tour-d'Auvergne, duc de), 201,
255.
Bouillon (Godefroy-Maurice de
la Tour-d'Auvergne, duc de), 7,
92, 140, 192, 201 (Add.), 206.
Bouillon (Marie-Elisabeth de la
Tour- d'Auvergne, demoiselle
de), *7.
Boulogne (le bois de), 87.
Boulogne-sur-Mer (la ville de),
351,352, 354.
Boulonnais (le), 351.
Bourbon (le duc et la duchesse
de). Voyez Duc (Monsieur le),
Duchesse (Madame la).
Bourbon (Louise -Elisabeth de
Bourbon-Condé, demoiselle de),
2, 66, 81, 123, 263, 272.
Bourbonne (les eaux de), 160,
272, 322.
Bourdonner, *22.
Bourg (Éléonor du Maine, comte
du), 269.
Bourgogne (le duc de), dauphin
de France, dit Monsieur le
Dauphin, 3, 5, 6, 10-14, 24,
26, 30, 31, 33-36, 41, 42,
64, 65, 76-85, 90, 91, 93,
96-99, 101, 107-110, 112-115,
121, 123, 127, 129, 261, 262,
267, 269, 273, 275-278, 281,
283, 290-293, 299, 302, 303-
307, 309-320, 327, 341-343,
345-347, 363-365, 370, 372,
379,383, 384, 387-390, 392.
Bourgogne (la duchesse de),
Dauphine de France, dite Ma-
dame la Dauphine, 1-3, 5-8,
TABLE ALPHABETIQUE.
523
iO, H, 13, i-i, 24-27. 29-31,
33-33,40-42, 53, 57, 61, 62,
65, 76-79, 81-84, 90, 92-93,
97-104, 106-111,114,115,123,
125, 127, 129-131, 261, 262,
267-269, 271-279, 282-284,
286, 307, 308, 310-312, 314,
320, 323, 327, 338, 342, 375,
379, 383, 384.
Boutique (être de la), *31.
BouzoLS (M.-Fr. Colbertde Crois-
sy, marquise de), 286, 289,
365.
Braxcas (Louis de Brancas-Cé-
reste, maréchal he), 87.
Brancas (H. -Ignace de Brancas-
Céreste, abbé de), évèque de
Lisieux, *87.
Braxcas (la maison de Villars-),
177.
Brancas (le duché de Villars-),
*148, 177.
BRANTEs(Léon d'Albert, seigneur
de), 164. Voyez Luxembourg
(le duc de Piney-).
Bretagne (Louis de France, duc
de), 126.
Bretagne (la), 163-202.
Bretagne (le duché de). 116.
Bride abattue (à), au figuré, *366.
Brioxne (Henri de Lorraine-Ar-
magnac, comte de), 43.
Brissac (Charles-Timoléon-Louis
de Cossé, duc de), 159.
Brocard (un), *31l.
Bû (Robert de Dreux, seigneur
de), *118. — Beu.
Cacherie (la), *94.
Cadenet (Honoré d'Albert, sei-
gneur de), *164. Voyez Chaul-
nes (H. d'Albert de Cadenet,
duc de).
Caduc, *149.
Camard, *52.
Ombray (l'archevêque de). Voyez
Fénelox (François de Salignac
de la Mothe-).
Cambray (le diocèse de), *296,
298, 299.
Cambray (la ville de), 298, 308,
328.
Caxillac (Jean de Montboissier,
comte de), 323 (*Add.).
Caxy (Michel II Chamillart, mar-
quis de), 372.
Cany (Marie-Françoise de Roche-
chouart-Mortemart, marquise
de), 372.
Capucins (le couvent des), àMeu-
don, *43, 44. 51, 86.
Caravas (Louis-Armand Gouf-
fier, comte de), * 135-136.
Caravas (Elisabeth de Ripperda,
comtesse de), *136.
Carpio (François de Tolède et
Silva, marquis del), puis duc
d'Albe,* 332-334.
Carpio (Gaspard de Haro, mar-
quis del), comte-duc d'Olivarès,
* 332-333.
Carpio (Catherine de Haro et
Guzman. marquise del), 332.
Carpio (Thérèse Enriquez de Ca-
brera, marquise del), plus tard
duchesse d'Arcos, *333.
Carpio (le marquisat del), *332.
Carte blanche à quelqu'un (don-
ner la), *360.
Casaus (Henri de), *44, 47, 59, 96.
Castille (les rois de). Voyez
Henri IV, Jean II.
Castries (Marie-Elisabeth de Ro-
chechouart-Vivonne, marquise
de), 36, 37.
Catinat (le maréchal), 74.
Causes majeures (les), *235.
Caylus (Marthe -Marguerite de
Valois-Villette, comtesse de), 8,
45.
524
TABLE ALPHABETIQUE.
CHAiLLOT(lesAugustinesde), *73.
Chambre des comptes (la), 128,
197, 198.
Chamillart (Michel), 63, 75, 255,
268, 269, 280, 287, 288, 347,
350-353, 355, 358, 360, 361,
372, 373, 384.
Champlâtreux (Jean -Baptiste-
Mathieu Mole, marquis de),
*334.
Chancelier de France (la charge
de), 143, 197, 201.
Chandelle (la), * 44.
Charleroy (la ville de), 337.
Charles VI, empereur d'Allema-
gne, ci-devant le roi Charles III,
133, 134, 336.
Charles II, roi d'Espagne, 48.
Charles III (Charles, archiduc
d'Autriche, dit le roi), en Es-
pagne, puis empereur, 133,
134, 336.
Charles IX, roi de France, 189.
Charolais (Charles de Bourbon-
Condé, comte de), 123.
Charolais (Louise-Anne de Bour-
bon-Condé, demoiselle de), 2,
123, 263, 272.
Charost (Armand II de Béthune,
duc de), 142, 173, 175, 204,
220, 252, 303-306.
Chartres (Louis d'Orléans, duc
de), 121.
Chasse au loup (la), * 50, * 51, 92.
Château-Thierry (le duché de),
140, 192, 201.
Chàtillon (Alexis-Madeleine-Ro-
salie, comte de), 116-120.
Chàtillon (Claude-Elzéar, comte
de), 118.
Chàtillon (François de), seigneur
du Bois-Rogue, *118, 119.
Chàtillon (Alix de Dreux, dame
de), *118.
Chàtillon (Anne-Thérèse Moret,
comtesse de), *117.
Chàtillon (Isabelle de Dreux,
dame de), *118.
Chàtillon (Madeleine-Françoise
Honoré, comtesse de), *117.
Chàtillon-sur-Marne (la maison
de), M16-120.
Chaulnes (Charles d'Albert d'Ail-
ly, duc de), 164-166, 183.
Chaulnes (Henri-Louis d'Albert,
vidame d'Amiens puis duc de),
164, 165. Voyez Amiens (le vi-
dame d').
Chaulnes (Honoré d'Albert de
Cadenet, duc de), *164, 166.
Chaulnes (Claire-Charlotte d'Ail-
ly, duchesse de), *164.
Chaulnes (Françoise de Neufville-
Villeroy, duchés, e de), 164.
Chaulnes (la terre et le duché
de), 139, 143, 164-166, * 170,
183, 184, 194, 243, 245, 250,
363-365.
Cha VILLE (le village et le château
de), 5, 10.
Chemin à quelqu'un (faire faire
du), au tiguré, *142.
Chemise sale (une), au figuré,
*388.
Chétardye (Joachim Trotti de la),
curé de Saint-Sulpice, 298.
Cheverny (Louis de Clermont-
Monglat, comte de), 248,313.
Chevreuse (Charles-Honoré d'Al-
bert, duc de), 3, 76, 139,
142-144, 147, 162-172, 175,
176, 182-187, 204, 210, 219,
220, 222, 246, 250, 253-
257, 268, 273, 278, 279, 282,
285, 287, 288, 291, 300-310,
320, 364-366, 368, 369, 374,
375, 384, 391.
Chevreuse (Claude de Lorraine-
Guise, duc de), M66-168.
Chevreuse (Marie de Rohan-
Montbazon, connétable de Luy-
nes, puis duchesse de), 167.
TABLE ALPHABETIQUE.
525
Chevreuse (Jeanne-Marie Col-
bert, duchesse de), 163, 246,
250, 283, 300, 301, 303, 303,
306, 308.
Chevreuse (Charlotte-Marie de
Lorraine, demoiselle de), *467.
Chevreuse (la terre et le duché
de), 139, 143, 166, *167, 168,
178, 483.
Choix (Marie-Emilie JoUy de), 2,
7,-12,43,43,49-34,61,63.65-
68, 74, 73, 84, 93-96, 264,
264, 265, 269, 276, 278, 280,
284.
Choiseul (Claude de Choiseul-
Francières, maréchal de), 74.
Choiseul (Hubert de Choiseul de
la Rivière, dit le marquis de),
*437.
Choiseul (Henriette- Louise de
Beauvau, marquise de), *437.
Choiseul (la maison de), 437.
CiVRAC (Henriette-Françoise de
Durfort, demoiselle de), *324.
Voyez Belle-Isle (la comtesse
de).
Clergé (l'assemblée du), 339-
342.
Clermont-Chaste (François -Al-
phonse, chevalier de), 65, 74,
371.
Clermoxt-Chaste (Louis-Anne
de), évèque-duc de Laon, 65,
66, 74, 204, 203.
Clôture religieuse (la), *443.
Coëtaxfao (François -Toussaint
de Querhoent-Kergounadech,
marquis de), 46.
CoLBERT (J.-B.), ministre, 463,
468, 303, 374, 374.
CoLBERT (la famille), 365, 394.
CoiSLiN (Henri-Charles du Cam-
bout, duc de), évêque de Metz,
87.
CoiSLiN (Armand du Cambout,
duc de), 204.
Colonel général de la cavalerie (la
charge de), '358.
Comble (mettre le), *83.
Commissaires (les petits), au Par-
lement, *455.
Compair (un), *234. — Conpair.
CoMPiÈGXE (la ville et le château
de), 434, 326, 327.
Compte (avoir son), *426.
Compter, rendre compte, *93.
Concomitance (la), *238.
Concomitant, *234.
CoNDÉ (le prince et la princesse
de). Voyez Prince (Monsieur
le), Princesse (Madame la).
CoxDÉ (la maison de), 328.
Coxdé-sur-Escaut (la ville de),
324.
Connétable de France (la charge
de), 278.
Connétable de Navarre (la charge
de), 332.
Connivence (la), *253.
Conniver, *469.
Conseil d'État (le), 4, 9, 23, 59,
422, 437, 472, 184, 247-249,
277, 282, 286, 318, 348, 367,
369, 374, 393.
Conseil de dépèches (le), 14, 18,
49, 30, 60, 384, 383.
Conseil des finances (le), 44, 60,
97, 249.
Conseil des parties (le), 472, 179.
Conseils du Roi (les), 345, 360,
393.
Conséquent, *205.
Consolidement (un), *291.
Constamment, *496.
CoxTi (François-Louis de Bour-
bon-Condé, prince de), 46, 64,
74, 473, 273, 280, 342.
CoxTi (Louis-Armand de Bour-
bon-Condé, prince de), 423.
CoxTi (Marie-Anne, légitimée de
France, princesse de), 6, 42,
43, 18-23, 45, 63, 63, 73, 96,
526
TABLE ALPHABETIQUE.
149, 120, 123, 261,264-266,
269, 278.
CoxTi (Marie-Thérèse de Bour-
bon-Condé, princesse de), 123,
272.
CoxTi (Marie-Anne de Bourbon-
Conti, demoiselle de), 123.
Contrariété, contradiction, *19.
Corde qui casse (une), *89, 269.
Corneille (Pierre), 217 (Add.).
Costume d'enterrement (le), *123.
Côté (à), de côté, *177.
Coupe- choux (un frère), *303.
Coupée (une voix), *28.
Couper court à quelqu'un, *184.
Couper pied à quelque chose, *2o3.
Courage, passion, *99, 106.
Cour des aides (la), 128.
Cour des monnaies (la), 128.
Cour des pairs (la), 151, 157,
177.
Courre à quelqu'un (donner à),
*222.
Cours supérieures (les), 343, 345.
CouRSON (Guillaume-Urbain de
Lamoignon, comte de), 257,
258.
Court à quelqu'un (couper), *184.
Court (tenir quelqu'un de), *368.
Coutume (une), *170.
Couvert (le petit), 122.
Crachats (les), *283.
Crève (orage qui),* 103.
Crever de dépit, * 104.
Croissy (Françoise Béraud, mar-
quise de), 289.
Croix (Claude-François de la),
95, 97.
Crû, adjectif, *268.
D
D AGUE SSE Au(H en ri-Fran ço i s) , 1 4 7 ,
186, 256.
Dames du palais (les), 42.
Dampierre (le château de), 305.
Dangeau (Philippe de Courcil-
lon, marquis de), 58.
Dangeau (Sophie de Bavière-Le-
venstein, marquise de), 8, 45,
58.
Darder, au figuré, *312.
Dauphin de France (le), 49.
Voyez Bourgogne (le duc de).
Monseigneur (Louis, dauphin
de France, dit).
Dauphin (le titre de Monsieur le),
114 (Add.).
Dauphine (Marie-Anne-Christine-
Victoire de Bavière, dite Ma-
dame la), 9, 98.
Dauphine (Madame la). Voyez
Bourgogne (la duchesse de).
Dauphine (le), 322, 336.
Dégagement, issue, 125 (*Add.).
Dégrossir quelque chose, *352.
Démonter, déconcerter, *124.
Démordre, *221.
Dénombrement féodal (le), *198.
Dépecer (se), *126.
Dépersuader, *2.
Déprendre, *222.
Dépuration (la), *17, 19.
Dérouiller du latin, *211.
Dès, préposition, *103.
Déshabillé (un), 24, *36.
Désir de (au), *237.
Desmaretz (Nicolas), 135, 286-
289, 319, 347, 355, 370, 371,
384.
Desmaretz (Madeleine Bécha-
meil, dame), 384.
Détraction (une), *154.
Détroit (un), au figuré, *139.
Deuil de cour (le), 97-98, 115,
116, 122-124.
Deuil des veuves (le), 127.
Dextrement, *309.
Dijon (la ville de), 336.
Dirimant, *141.
DoMBES (Louis-Auguste de Bour-
bon, prince de), 121, 262.
TABLE ALPHABETIQUE.
527
DoNGOis (Nicolas), 142.
DouAY (le gouvornementde), 137.
DouAY (la ville de), 3-20, 338.
Double (le), au sens de duplicité,
*318.
Douceur (en), *286.
Douloureux (un personnage), *38.
Draper (le privilège de), 116-120.
Draps de France (les), * 112, 113.
Dreux (la maison royale de), *118.
Dreux-Brezé (le marquis de), 87.
Drogue (une), au figuré, *3i8.
Duc (Louis III, de Bourbon-
Condé, duc de Bourbon, dit
Monsieur le), 3, 272.
Duc (Louis-Henri de Bourbon-
Condé, duc de Bourbon, dit
Monsieur le), 123, 272.
Duchés femelles (les), 140, 143-
145, 152, 153, 156, 179-181,
190, 239, 2i5.
Duchés pairies (les), 138-261.
Duchesse (Louise-Françoise, lé-
gitimée de France, duchesse de
Bourbon, dit Madame la), 2, 3,
6, 9, 12, 20, 22, 23, 45, 53,
61, 64-67, 77, 78, 95, 123,
125, 262-265, 272-276, 286,
365.
Duchesses (les), 123.
Ducs à brevet (les), 166, 208,
223.
Ducs et pairs (les), 61, 65, 66, 98,
124, 138-261, 279, 344-346,
359.
Ducs vérifiés (les), 149, 157, 182,
237, 260.
Duras (le maréchal de), 74.
Duras (Jean-Baptiste de Durfort,
duc de), 159, 182.
Durfort (la maison de), 182,
324.
E
Eau (ramener sur 1'), *286, 371.
Écharpe de femme (une), *26.
Echoir, *1.
Ecorce (une), au figuré, *28o,
346, 356, 365.
Ecosse (F), 375.
iiiCuries (les), à Versailles, 25, 30.
Église gallicane (1'), 366.
Éjouir(s'), *291.
Élastique (F), *314.
Électeur palatin (1'). Voyez Pala-
tin.
Embarquer quelqu'un, 39.
Embarquer une affaire, *173.
Emboucher (s'), *349.
Emporter quelqu'un, *381.
Encre (suer de F), *367.
Enfance (une), enfantillage, *57.
Enfermerie (F), *94, 363.
Enfers (jusqu'aux), *377.
Englober, *76,
Engoncé, au figuré, *311.
Enrayer, M8, 275.
Enrayure(F), *18.
Enriquez de Ribera (Antoi-
nette), *331. Voyez Albe (la
duchesse d').
Enterrement (le costume d'), *123.
Éparsement, *89. — Esparse-
ment.
Épaules (ployer les), *319.
Épernon (Jean-Louis de Noga-
^ ret, duc d'), *252.
Épernon (la terre et le duché-
pairie d'), 3, 142, 143, 160,
170, 171, 173, 175, 252, 363.
Épines (roses sans), *94.
Épisode (un), *183.
Escalier (le grand), à Versailles,
*27.
Escarmoucher (s'), *393.
Escaut (F), 321.
Escient (à son), *174.
Esdras (le grand prêtre), *302.
Espagne (F), 133, 134, 136, 154,
232, 267, 323, 328, 330, 332,
334, 335, 338.
528
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Espagne (les rois d'). Voyez
Charles II, Philippe II, Phi-
lippe V.
Espèce juridique (F), *207.
Espérer contre toute espérance,
*4,304.,
EspiNOY (Elisabeth de Lorraine-
Lillebonne, princesse d'), 2, 3,
6, 42, 13, 45, 53, 61, 63, 65-
67, 78, 90, 95, 26i, 265, 268,
269, 271, 272, 274, 2J6, 281.
Este (Marie -Béatrix-Éléonore
d'), reine d'Angleterre, 92, 97,
127, 128.
Estouteville (la terre et le du-
ché d'), 139, 247, 253, 254.
Estrées (Victor-Marie, comte et
maréchal d'), 365, 379.
Estrées (Jean, abbé d'), 365.
Estrées (Lucie - Félicité de
Noailles, maréchale d'), 268,
^ 379.
Etats généraux de Blois (les),
, 166.
Étendard de quelqu'un (marcher
^ sous F), *269.
Étranglé, au tiguré, *211, *315.
Être de raison (un), *218.
Être à soi, *21.
Être pas pour (n'), *269.
Eu (Louis-Charles de Bourbon,
comte d'), 121, 262.
Eugène (Eugène-François de Sa-
voie-Soissons, dit le prince),
133, 134, 337.
Exténuer, atténuer, *176.
Fagon (Guy-Crescent), 5, 14, 17,
20-22, 30, 263, 264.
Falloir tout (s'en), *252, 304.
Fénelon (François de Salignac
de la Mothe-), archevêque de
Gambray, 273, 282, 290-310,
366-368, 371, 374.
Ferté (la maréchale de la), 144.
Ferté-Vidame (la terre et le châ-
teau de la), 4, 7-9, 14, 103,
158.
Férule de quelqu'un (être sous
la), * 378.
Fête-Dieu (la), 324.
Feuillade (Louis d'Aubusson,
duc de la), 280.
Figuratif, * 189.
Figure (une), au figuré, *279.
Fil de l'eau (le), *77.
Fin de non recevoir (une), *141.
Fleur (la première), *258.
Flandre (la), 3, 67, 79, 258, 262,
297, 308, 309, 320, 335, 337,
373.
Fleury (N., dite Mlle de), mar-
quise d'Avaugour, *72, 73.
Flotter, au tiguré, *382.
Foix (Madeleine-Charlotte d'Al-
bert, duchesse de), *165.
Foncier (être), *368.
Fontaine (Gabriel de la), *8, 9.
Fontainebleau (la ville et le châ-
teau de), 10, 72, 265, 287,320,
391, 394.
Forger quelque chose, au figuré,
*116.
FoucQUET (Nicolas), surintendant,
303, 324.
Foucquet. Voyez Belle-Isle.
Français (les), 348.
France (la), 127, 232, 240, 241,
325, 332, 346, 348.
France (les rois de), 208, 209,
214, 217, 231-234, 359. Voyez
Charles IX, François II,
Henri II, Henri HI, Henri IV,
Louis XIH, Louis XIV.
France (les reines de). Voyez
Anne d'Autriche.
France (les tils, tilles, petits-fiis
et petites-filles de), 6, 82, 102,
117, 122, 125, 127, 128.
France (la maison de), 116.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
j29
Frangine (Jean-Nicolas Francini,
dit), *T0.
Franche-Comté (la), 269, 336.
François II, roi de France, 189.
Frère coupe-choux (un), *303.
Fronsac (le duché de), 192, 193.
Frotteurs du Roi (les), *37, 85.
G
Gaillon (la porte), à Paris, *75.
Galisteo (le duché de), *33i, 332.
Galve (Emmanuel-Marie-Joseph
de Silva-Mendoza, comte de),
*333, 334.
Galve (Marie-Thérèse de Tolède,
comtesse de), *333.
Gamaches (Claude-Jean-Baptiste
Rouault, comte de), 248, 345.
Garde-côtes (les milices), *347-
362.
Gascons (les), 252.
Gassion (Jean, maréchal de), 338.
Gassion (Jean, chevalier, puis
comte de), 338, 339.
Gaston (Monsieur). Voyez Mon-
sieur.
Gazette de France (la), 56.
Gentilshommes servants (les),
*448.
GiRONE (la ville de), 322.
Gîter, *45.
Glèbe (la), * 159, 180.
Godant (un), *2.
GoNDRiN (Louis de Pardaillan,
marquis de), 93.
Gorge déployée (mentir à), 135,
*436.
Gorgé (être), *212.
GouFFiER (la maison), 135.
Gouverneurs de provinces (les),
258.
Grand chambellan (la charge de),
7.
Grand'chambre du Parlement (la),
227.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXI
Grand Conseil (le), 128.
Grande-Duchesse (Madame la).
Voyez Toscane (M.-L. d'Or-
léans, grande-duchesse de).
Grand maître de la garde-robe du
Roi (la charge de), *412.
Grand Prieur (le). Voyez Ven-
dôme (Philippe de), grand
prieur de France.
Grands d'Espagne (les), 332.
Grands jours (tenir ses), au figu-
ré, *266.
Grands officiers de la couronne
(les), 98, 236, 237.
Grands vassaux (les), 236, 238,
239.
Griller de quelque chose, *27.
Gros de faire quelque chose
(être), *16.
Grosse (une femme), *346.
Guise (Henri I^'' de Lorraine, duc
de), 466.
Guise (l'hôtel de), à Paris, 273,
274.
Guyenne (la), 165, 336, 347, 352.
GuYON (Mme), 302, 366, 368.
H
Halles (les), à Paris, 89.
Hanovre (Wilhelmine-Amélie de
Brunswick-), impératrice d'Al-
lemagne, *133.
Harcourt (le maréchal-duc d'),
58, 74, 158-163, 171-173, 206,
219, 220, 277, 315, 321, 322,
364.
Harcourt (le duché d'), *159,
162.
Harlay (Achille III de), 140,
143, 144, 146, 147, 172, 175-
177, 182, 187, 188, 202, 203,
256.
Haro (Louis de), comte-duc d'O-
livarès, 334.
Heliche (la ville d'),*332.-E/îc/te.
34
530
TABLE ALPHABETIQUE.
Henri IV, roi deCastille, 331.
Henri II, roi de France, 489,
223.
Henri III, roi de France, 160,
189, 191, 231, 252.
Henri IV, roi de France, 160.
Heu (un), •212, 213.
Hollande (la), 136, 387.
HoussAYE (Félix le Pelletier de
la), *373.
Homogène, '280.
Horreur (une), au figuré, *283.
Hors de page (être), *132.
Hors d'œuvre (un), *n5.
HuESCA (Frédéric- Alphonse Alva-
rez de Tolède, duc d'), 331.
Huissiers de la chambre du Boi
(les), 101,102.
Humières (Louis-François d'Au-
mont, duc d'), 173, 175.
HuxELLES (Nicolas de Laye du
Blé, maréchal d'), 58, 74, 75,
277.
I
Impératrices d'Allemagne (les).
Voyez Bavière-Neubourg (Élé-
onore-Madeleine- Thérèse de),
Hanovre (Wilhelmine-Amélie
de Brunswick-).
Impétrant (F), *152, 153.
Inapplication (1')» *288.
Incisé, au figuré, *242.
Indisputable, *217.
Induction (une), *166.
Infantado (Jean-de-Dieu de Silva-
Mendoza, duc del), 333.
In manus (dire son), *243.
Inhérent, *190.
Insolitement, *220. — Insolitte-
ment.
Intégrantes (les parties), *237.
Intermède (un), *310, 312.
Italie (!'), 156.
Jacques III, roi d'Angleterre, 92,
97, 127, 128, 335.
Jansénistes (les), 298, 299, 366,
367, 371, 374, 380, 387-389,
392.
Jay (Nicolas le), *225 (Add.),
226-228.
Jean II, roi de Castille, 330.
Jésuites (les), 297, 298, 366, 368,
380, 388-390.
Jeu (mettre au), *357.
Jonction (en), *169.
Jour (mettre au), *218.
Joseph I^"", empereur d'Allema-
gne, 132-134, 326, 336.
Joyeuse (le duché de), 160.
Juge et partie (être), *178.
Lâcher (se), *17.
Laisser courre (le), *312.
Lambin (un), *211.
Lamoignon (Chrétien de), *225-
227.
Lamoignon (la famille de), 228.
Langeron (Joseph Andrault, com-
te de), 328.
Langeron (François Andrault,
abbé de), 328.
Langeron (Charlotte Andrault,
demoiselle de), 328.
Langoureusement, *17.
Languedoc (le), 336.
Laon (l'évêque de). Voyez Cler-
mont-Chaste (L.-A. de).
Lassay (Léon de Madaillan de
Lesparre, comte puis marquis
de), 273.
Lauzun (le duc de), 75, 76, 182,
266, 279.
Lauzun (Geneviève-Marie de Lor-
ge, duchesse de), 266.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
531
Législateur (le), *'ÎU.
Lerin (le comté de), 332.
Leurre (un), au figuré, *348.
Levis (M.-Fr. d'Albert de Che-
vreuse, marquise de), 38, 41,
308.
LiANCODRT (le château de), 327.
Lice (entrer en), *i38.
Lie du peuple (la), *117.
Lier, pris absolument, *304.
Lille (la ville de), 64, 67, 77,
273, 276, 364.
Lillebonne (Béatrix-Hiéronyme
de Lorraine, demoiselle de),
abbesse de Remiremont, 2, 3,
6, 12, 43, 53, 61, 63, 65-67,
78, 95. 264. 265, 268-272, 274,
276, 280, 281.
Limbes (les), *244, 248.
Lisière (tenir une), *101.
LisiEDX (l'évêque de.)Voyez Bran-
cas (H.-J., abbé de).
LisiEux (l'évêché de), *87.
Lit de veille (un), *36.
Loi salique (la), *189.
Loin à loin (de), *288.
Longueville (Charles-Louis d'Or-
léans, chevalier de), 144.
LoRGE (le maréchal de), 74.
LoRGE (Guy-Nicolas de Durfort,
duc de), 182.
Lorraine (Léopold, duc de),
269, 270, 370.
Lorraine (Louis, prince de),
*270, 336.
Lorraine (Charles, cardinal de),
168.
Lorraine (Elisabeth -Charlotte
d'Orléans, duchesse de), 336.
Lorraine (Charlotte de), abbesse
de Remiremont, *270, 336.
Lorraine (Gabrielle de), *270,
336.
Lorraine (la maison de), 139.
Lorraine (la), 269, 271.
Lorraine-Ghevreuse (Anne-Ma-
rie de), *167. Voyez aussi
Chevreuse.
Lorraine-Chevreuse (Henriette
de), *167.
Louis XIII, roi de France, 148,
223, 242.
Louis XIV. roi de France, 1, 4-7,
9-14, 16, 18, 20-24, 26, 30, 32,
38,41, 42,44, 45, 48, 50,53,
54, 56-63, 66, 69, 76, 78, 83,
84,86-94 97,98,101-103,105,
110-116, 119-129, 131, 138,
142-147, 153, 157-160. 162,
163, 167, 173-175, 177, 179,
183-186, 188, 190, 191,193-197,
199-202, 204, 206-210, 215,218-
227, 229-231 , 241 . 243-247, 249-
252, 255, 256, 258, 259, 261-
265, 268, 271, 274, 276, 278-
280, 282, 283, 289, 292, 293,
298, 307-311, 315-319, 324,
326, 327, 334-337, 339-342,
344-346, 350-352, 358, 363,
366, 375, 379-381, 383-385,
391-393.
Louvois (le marquis de), 350,
391.
Louvois (Camille le Tellier, abbé
de), 132.
Lucifer (Madame), 79.
LuDE (la duchesse du), 40.
Lully (Jean-Baptiste), *70.
Luxembourg (Léon d'Albert de
Brantes, duc de Piney-), 164.
Luxembourg (François-Henri de
Montmorency, maréchal -duc
de), 58, 74, 143, 144, 147,
163, 164, 176, 177, 181,203,
218, 219, 256, 257, 259, 261,
279.
Luxembourg (Charles -François-
Frédéric de Montmorency, duc
de), 74, 139, 144. 147, 157,
158, 199, 203, 256-261, 279,
280.
Luxembourg (la ville de), 337.
532
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LuYNES (Charles d'Albert, conné-
table de), 164, 466, 467.
LuYNES (Louis-Charles d'Albert,
duc de), 450, 464, 463, 467,
468.
LuYNES (Louise-Léontine-Jacque-
line de Bourbon-Soissons-Neu-
chàtel, duchesse de), 253, 254.
LuYNES(le duché de), *483.
LuYNES (la maison d'Albert de).
Voyez Albert (la maison d').
Lyon (la ville de), 336.
M
Madame (Elisabeth-Charlotte de
Bavière, duchesse d'Orléans,
dite), 44, 27, 35, 36 (Add.),
400, 402, 405, 423, 425, 427.
Mademoiselle. Voyez Berry (la
duchesse de).
Madrid (la ville de), 332-334.
Mafflé, *376.
Magistrats (l'âge des), *150.
Maillé (M.-A.-G. de Maillé-Bé-
nehart, demoiselle de), * 325.
Voyez MoNTBOlssiER (la mar-
quise de).
Maillebois (le château et la terre
de), 289.
Mailly (Louis, comte de), 74.
Mailly (François de), archevêque-
duc de Beims, puis cardinal,
424, 344.
Mailly (M. -A. -F. de Saint-Her-
mine, comtesse de), 74, 444,
284.
Maine (le duc du), 57, 74, 420-
423, 426, 127, 460, 494, 245,
264-264, 272, 277, 316, 328.
Maine (la duchesse du), 423,
264, 272, 328.
Maintenon (la marquise de), 7,
8. 40, 43, 20-23, 30, 45, 53,
54,58,62,63,83,84,89,90,92,
97, 400, 403-405, 444, 415,
119, 121, 122, 160, 261, 262,
267, 271-273, 277, 278, 283,
284, 292, 298, 307-311, 314-
317, 363, 366, 370, 372, 379,
380, 383-385.
Maison du Boi (les ofiBciers de
la), 98, 116.
Maisons (Jean de Longueil, prési-
dent de), 182.
Maître de la garde-robe du Dau-
phin (la charge de), 113.
Malin, *377.
Mangera (Antoine-Sébastien de
Tolède, marquis de), 334.
Mantes et manteaux de deuil
(les), 124.
Marck (Louis-Pierre-Engilbert,
comte de la), 338.
Maréchaux de France (les), 164,
279, 339.
Marly (le château de), 1,5-7,10,
23,24, 38, 41, 44, 45, 61, 77,
88, 92, 93, 97, 98, 103, 144,
443-115, 420, 423, 429, 434,
472, 483, 484, 202, 203, 245,
244, 244, 246, 247, 249, 250,
252, 253, 263, *265, 266, 340,
342, 323, 324, 326, 327, 337,
339, 342, 345, 347, 356, 360,
390, 394, 393.
Marly (l'escalier de), *265, 266.
Marly (les pavillons de), 266.
Marly (le curé de). Voyez Mo-
rand (Antoine).
MARTiNEAu(le P. Isaac), 340.
Masner (Thomas), 336.
Mathématiquement, au figuré,
*282.
Matignon (Jacques HI, comte de),
246, 253-255.
Maurepas (Jean-Frédéric Phély-
peaux de Pontchartrain, comte
de), 373, 374, 382, 385.
Mazarin (le cardinal), 486, 333.
Mazarin (Armand-Charles de la
TABLE ALPHABETIQUE.
533
Porte de la Meilleraye, duc),
492.
Mazarin (le duché de). i92.
Mazarin, adjectif, *18o.
Meaux (l'évêque de). Voyez Bis-
SY (Henri de Thiard, cardinal
de), BossuET (J.-B.).
Méconnaître, ne pas reconnaître,
*18.
Meilleraye (le maréchal de la),
201 (Add.), 202, 206, 235.
Meilleraye (Marie-Isabelle de
Rohan, duchesse de la), 247,
233.
Meilleraye (le duché de la),
192.
Mercy (Charles-Florimond, comte
de), 269.
Melun (Anne-Julie, demoiselle
de), 6, 43.
Mémoires de Saint-Simon (les),
139.
Ménagerie (la), à Versailles, 78.
Menins du Dauphin (les), 58, *93.
Mentir à gorge déployée, 135,
*136.
Metz (l'évêque de). Voyez Cois-
Lix (H.-Ch. de).
Metz (l'intendance de), 370.
Mecdon (le château et le village
de), 1-6, 8, 10-14, 16-18, 23,
24, 37, 38, 41-43, 50, 51, 53,
54, 59-61, 77, 84-88, 93-96,
101, 113, 114, 142, 280.
Meldon (le curé de). Voyez Rond
(Louis de).
Meudon (la Capitainerie, à), 44.
Mecdon (les capucins de), *43, 31 .
Milieu (le point), *171.
Militaire (une voie), au tiguré,
*144.
Ministres (les), 9, 23, 58, 60,
281,307, 316-319, 333, 391.
Ministres d'État (les), 184, 378.
Mitigation (la), *346.
Mixte (le), *236.
MoLÉ (Mathieu), 335.
MoLÉ (la famille), 335. Voyez
Champlàtreux (M. de).
Monosyllabe, adjectif, *195.
Monseigneur (Louis, dauphin de
France, dit), 1-14, 17-24, 29-
32, 42, 43, 45-72, 74-79, 81-
91, 93-100, 103,105-108, 111-
114, 121,122, 128, 138, 142,
158, 163, 171, 251, 260-262,
264, 265. 267, 269, 271, 274-
286, 289, 290, 292, 299, 301,
307,310,311, 314, 316, 320,
323, 327, 337, 339, 342, 343,
345, 333. 362, 363,391.
Monseigneur (l'appellation de),
114 (Add.), 113, 129,342.
Monsieur (Gaston, duc d'Orléans,
dit), 118, 119.
Monsieur (Philippe, duc d'Or-
léans, dit), 59, 89. 108, 125,
136.
Monsieur (l'appellation de), 114,
115.
Mont (Hyacinthe de Gaureaul,
sieur du), 3, 6, 44, 70, 72, 91,
96, 281, 284.
MoNTACBAN (Charlotte Bautru de
Nogent, princesse de), 16, 275.
Montausier (le duc de), 50, 54,
68, 69, 112, 113.
Montboissier (Philippe - Claude
de Montboissier-Beaufort, mar-
quis de), *325.
Montboissier (Marie -Anne -Ge-
neviève de Maillé - Bénehart,
marquise de), *325.
Montespan (le marquis de), 144.
MoNTESQuiou (Pierre de Montes-
quiou d'Artagnan, maréchal
de), 321.
Montfort-l'Amaury (le bourg
de), *380.
Montmartre (l'abbaye de), *302.
MoNTREVEL (le maréchal de), 347,
350, 352, 353.
534
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Morand (Antoine), curé de Mar-
!y, *265.
MoREAU (Pierre), *337.
MoREAu(la famille), *337.
Morfondre (se), *183.
MoRPHÉE (le dieu), *42.
MoRTEMART (Louis II de Roche-
chouart, duc de), 301, 303.
MoRTEMART (M. -A. Colbert, du-
chesse de), 301, 303.
MoRTEMART (la maison de), 17.
Motte-Deyrand (Jean-Paul, che-
valier de Boisjoli, puis mar-
quis de la), * 351, 355. — La
Motte d'Ayran.
Moucher (le), *35.
Moulins (l'ordonnance de),*154.
Muet comme un poisson (être),
*211.
Mugissement (un), *31.
N
Namur (la ville de), 337, 338.
Nantes (l'édit de), 320.
Naples (la ville et le royaume
de), 332.
Narratif, *28.
Navarre (le royaume de), 332.
Navarre (Nicolas-Joseph Alvarez
de Tolède, connétable de), 332.
Nesmond (Henri de), archevêque
d'Alby,* 339-341.
Neufville-Villeroy (la famille
de), 130.
Neuve (l'aile), à Versailles, 16.
NiEUPORT (la ville de), 337.
NÎMES (l'évêque de). Voyez Flé-
CHiER (Esprit).
NoAiLLES (Anne-Jules, maréchal-
duc de), 72, 204, 293, 302.
NoAiLLES (Adrien-Maurice, duc
de), 322.
NoAiLLES (le cardinal de), 339,
341, 342, 345.
NoAiLLES (la maison de), 95, 268,
278, 308.
NoGARET (Marie-Madeleine-Agnès
deGontaut-Biron, marquise de),
61, 62,111, 279.
Normandie (la), 4, 258, 279.
Normandie (la coutume de), *159.
Notre-Dame (l'église), à Paris,
345.
o
0 (le marquis de Villers d'), 38,
343, 379.
0 (Marie-Anne de la Vergne de
Guilleragues, marquise d'), 379.
Oie (le jeu de 1'), *323.
Oignon (en rang d'), *126.
Olivarès (Gaspard de Guzman,
comte-duc d'), 333.
Olivarès (Gaspard de Haro, mar-
quis del Carpio et de Heliche,
comte-duc d'). Voyez Carpio
(le marquis del).
Onction (1'), *60.
Onze (1'),* 241.
Opéra (1'), à Paris, *70.
Opérer, pris absolument, *208.
Orage qui crève (un), *103.
Oratoire (la congrégation de 1'),
388.
Orléans (Gaston, duc d'). Voyez
Monsieur.
Orléans (Philippe, ducd'). Voyez
Monsieur.
Orléans (Philippe, duc d'), 3, 11,
16, 26-29, 76, 79-83, 100, 104,
105, 107, 109, 115, 119, 121,
123, 125, 127, 220, 221, 261,
263, 326, 343, 345, 369, 370.
Orléans (Mlle de Blois, légitimée
de France, duchesse d'), 3,11,
16-18, 26, 27. 29, 36, 37, 79,
81-83, 100-105, 107, 123, 125,
127, 130, 261, 263, 272.
Orléans (la ville d'), 389, 390.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
535
OsoRNO (le comté d'), 331, ♦332.
P
Pairs de France (les anciens),*188-
190, 23-2.
Pairs (les). Voyez Ducs et pairs
(les).
Pairs (la cour des), 151, 157, 177.
Palais (le), à Paris, 142, 228.
Palatin (Jean-Guillaume-Joseph
deBavière-Neubourg, électeur),
370.
Pallier à quelque chose, *198.
Papeger, *143.
Pâques (la fête de), 1, 4, 5, 158,
163.
Parabère (César-Alexandre de
Baudéan, comte de), *326.
Parabère (Marie-Madeleine de la
Vieuville, comtesse de), *326.
Parade (une), * 381.
Paris (la ville de), 9, 13, 15,19,
43,89, 95,120, 123,128, 131,
172-174, 177, 179, 184, 187,
202, 210, 215, 246, 248, 270,
314, 319, 326, 332, 337, 346,
379, 380.
Parlement de Paris (le), 120, 129,
142, 147-149, 151, 153, 155,
157, 174, 177, 179, 181, 182,
191-193, 198, 199, 201-204,
206-209, 215, 219, 224, 225,
229, 230, 232-236, 239, 249,
251,252, 342.
Parlements (les), 151, 179.
Parler aux rochers, *3d4 (Add.).
Parvulo(\es), 1, 53, 65, 79, 82.
Pavillon de lit (un), *36.
Pays-Bas-Espagnols (les), 296,
298, 331,337.
Pécuniairement, *384.
Peletier (Louis le), 129, 163,
175, 186.
Peletier de Souzy (Michel le),
135.
Pentecôte (la fête de la), 324.
Permangle (Gabriel de Chouly,
comte de), 321.
Petit garçon (tenir quelqu'un),
*379.
Pied (couper), *253.
Pied à rétrier (le), *93.
Pied de la lettre (prendre quelque
chose au), *100.
Phêlypeaux (la famille), *380.
Philippe II, roi d'Espagne, 84, 91,
267, 268, 322, 329, 331, 332,
335-337.
Pièces justificatives des Mémoires
de Saint-Simon (les), 134, 146,
194, 223, 251.
Pierre-Encise (le château de),
336.
PiNEY (le duché de), 181, 260.
Piney-Luxembourg (le duc de.
Voyez Luxembourg (M. - L.
d'Albert de Branles, duc de
Piney-).
Pitoyable, *163.
Pleureux, *29.
Ployer les épaules, *319.
Poêle de deuil (le), *86.
Poignant, *4.
Poignard dans le cœur (avoir le),
*373.
Point (faire venir quelqu'un à
son), *254.
Point milieu (le), *171.
Pointe de l'aurore (la), *13.
Poitou (le), 224.
Polignac (Melchior, abbé de),
364, 387.
Pomponne (Simon Arnauld, mar-
quis de), 285, 365, 366.
Poncet de la rivière (Michel),
évéque d'Angers, *344, 345.
Pons (Renaud-Constant, marquis
de), 343.
PoNTCARRÉ (Pierre-Nicolas Camus
de), 258.
PoNTCHARTRAiN (le chancelier
de), 6, 14, 16, 17, 23, 58,
o36
TABLE ALPHABETIQUE.
74, 90, 91, 114, 144-146, 158,
159, 162. 163, 171-173, 175-
193, 210-212, 214-223, 229,
241-251, 255, 256, 259, 281-
286, 289, 319, 352, 353, 357,
360-363, 367, 373-375, 378,
379, 382-386, 391-393.
PoNTCHARTRAiN (Jérôme, comte
de), 23, 43, 190, 191, 194,
282, 283, 319, 320, 348-350,
352-362, 373-390, 392, 393.
PoNTCHARTRAiN (Paul -Jérôme,
chevalier puis marquis de),
374, *382, 385.
PONTCHARTRAIN (Charles-Henri,
abbé de), puis évêque de Blois,
373, 374, *382, 385.
PONTCHARTRAIN (Marie de Mau-
peou, chancelière de), 357,
361, 362, 373, 378, 379.
PoNTCHARTRAiN (Eléoiiore-Chris-
tine de la Rochefoucauld-Roye,
comtesse de), 357, 373, 379, 388.
PoNTCHARTRAiN (Hélène-Rosalie
de l'Aubespine de Verderonne,
comtesse de), *379.
PoNTCHARTRAiN (la terre et le
château de), 172, 211, 393.
Pont-de-Vaux (le duché de),
*140 (Add.).
Porter quelqu'un parterre, *267.
Port-Royal (l'abbaye de), 368.
Poupée de quelqu'un (faire sa),
*100.
Pour au, *60.
Présupposition (une), *145.
Prévôt des marchands (la charge
de), 135.
Primauté (la), *281.
Prince (Henri H de Bourbon,
prince de Condé, dit Monsieur
le), 224-228.
Prince (Henri-Jules de Bourbon,
prince de Condé, dit Monsieur
le), 9, 272, 274.
Princes du sang (les), 64, 98,
114, 115, 121, 126, 127, 147-
149, 175, 176, 178, 180, 188-
191, 231, 262, 346.
Princes étrangers (les), 65, 98,
124, 275.
Princesse (Anne, palatine de Ba-
vière, princesse de Condé, dite
Madame la), 123, 125, 126, 328.
Princesses étrangères (les), 124.
Production, au tiguré, *85.
Protée (le dieu), 269.
Protestants Qes,), 367.
Protester quelque chose à quel-
qu'un, *319.
Provence (la), 336.
Proximité, voisinage, *300.
Pyrénées (la paix des), 88, 333.
QuASiM0D0(le dimanche de), 4, 8.
QuESNEL (Pasquier), 297, 298.
Queue (le village de la), 8.
Queue (le venin à la), *245.
R
Raccrocher, au tiguré, *297.
RaflQné (un), *309.
Raisin (Françoise Pitel de Long-
champ, dame), 72.
Raison (mettre quelqu'un à), *161.
Ramer contre le fil de l'eau, *77,
134.
Rames (à force de), *371.
Rassemblé, *31.
Reclus (un), *12, 32, 43.
Reclus, renfermé, * 139.
Recogner quelqu'un, *272. —
Rencoigner.
Réérection (la), *181.
Référer (se), *309.
Régent de collège (un), *377.
Rehaussement (le), au tiguré, *90.
Reims (l'archevêque -duc de).
Voyez Mailly (Fr. de).
TABLE ALPHABETIQUE.
537
Reins trop faibles (avoir les),
•268, 284.
Remercier, renvoyer, *369.
Remiremont (l'abbaye de), *270
(Add.), 274, 272.
Remiremont (l'abbesse de). Voyez
LiLLEBONNE (Mlle de). Lor-
raine (Charlotte de), Salm
(Dorothée de).
Renversement (un), *24.
Repartir, répliquer, *313.
Repos (le), à Marly, 10.
Replâtrer, au tiguré, *i33.
Reprises dotales (les), *167.
Respectif, *496.
Ressort (un), au figuré, *39.
Retaper quelque chose, *29.
Réticence (une), *245. — Rétis-
cence.
Retz (Henri de Gondy, duc de),
229.
Retz (Pierre de Gondy, duc de),
499, 228, 229.
Retz (le duché de), *200, 203,
228.
Rhin (le), 460, 472, 322.
Riant (le), *386.
Richelieu (le cardinal de), 224
(Add.), 225-228.
Richelieu (A.-J. de Vignerot du
Plessis, duc de), 192, 193.
Richelieu (le duché de), 192,
224, 225.
Rideau (tirer le), *41.
RiPPERDA (Jean-Guillaume, ba-
ron puis duc de), *136.
RiVAu (Jacques III de Beauvau,
marquis du), *118-449.
RiVAu (Diane-Marie de Campet,
marquise du), *449.
Robinet (le), au tiguré, *295.
RocHEFORT (Marie de Laval-Bois-
dauphin, maréchale de), 27.
Rochefoucauld (François V, duc
de la), *225, 228, 229.
Rochefoucauld (François VIj
duc de la), 497, 499, 200,205-
207, 223-225, 228.
Rochefoucauld (François VII,
duc de la), 74, 442, 443, 439,
177, 182, 193-200, 202-207,
209, 212, 221-223, 225, 228-
233, 235, 236, 238, 239, 255.
Rochefoucauld (la maison de la),
223.
Rochefoucauld (le duché de la),
195, 198, 203, 207, 208, 223;
225-228.
Rocheguyon (François VIII de la
Rochefoucauld, duc de la), 74,
255, 256, 279, 280.
Roche-sur-Yon (Louise- Adélaïde
de Bourbon-Conti, demoiselle
de la), 123.
Rochers (parler aux), * 354 (Add.).
Rohan (Henri, duc de), 140.
RoHAN (le prince de). Voyez Ro-
han-Rohan (le duc de).
Rohan (la maison de), 124, 247,
254, 274.
RoHAN (le duché de), 140.
Rohan-Chabot (Louis, duc de),
140.
RoHAN-RoHAN (Hercule-Mériadec
de Rohan-Soubise, prince de
Rohan, puis duc de), 247,253,
273-276.
Roi de quelque chose (être),* 379.
Rome (la ville et la cour de), 3,
282, 286, 298, 332, 366, 368,
374, 392,
Rond (Louis de), curé de Meudon,
20, *51, 86,265.
Roquelaure (Gaston-Jean-Bap-
tiste-Antoine, duc de), 208.
Roucy (François II de la Roche-
foucauld-Roye, comte de), 74,
278.
RoucY (Catherine-Françoise d'Ar-
pajon, comtesse de), 38, 308.
Rouen (la ville de), 257, 258.
Rue (le P. de la), 345.
538
TABLE ALPHABETIQUE.
RuFFEC (Armand-Jean de Saint-
Simon, marquis de), 219, 224,
22-2, 243, 334.
RuFFEC (Jacques-Louis de Saint-
Simon, duc de), 219, 221.
Sacre des rois de France (le), 61 ,
188-190, 210, 212, 219, 231,
242, 245, 246.
Saint-Aignan (Paul-Hippolyte de
Beauvillier, duc de), 171.
Saint-Aignan (Louis de Beauvil-
lier, comte de), 300, 303.
Saint-Antoine (le Petit), à Paris,
75, 95.
Saint-Aulaire (Fr.-J. Beaupoil,
marquis de), *129. — S. Au-
laire.
Saint - Contest (Dominique -
Claude Barberie de), *370.
Saint-Contest (Michel Barberie
de), *370.
Saint-Cyr (la maison de), 10.
Saint-Denis (l'abbaye de), 87,
107, 242, 343, 345.
Saint-Esprit (l'ordre du), 137,
324, 325.
Saint-Frêmond (J.-Fr. Ravend,
marquis de), 336, 337.
Saint-Germain-en-Laye (le châ-
teau et la ville de), 92, 97,127,
128, 335.
Saint-Louis (L. le Loureux de), 4.
Saint-Ouen (la plaine de), 87.
Saint-Simon (Claude, duc de),
199, 202, 206, 207, 229, 230,
242, 287, 333, 370.
Saint-Simon (Louis, duc de), 1-4,
7-11, 14-18, 23-29, 38-42, 44,
58, 59, 62, 66, 67, 71, 74, 76,
80, 88, 90, 95, 98, 103-106,
111, 112, 114, 116, 119, 129,
430, 434, 439, 445, 446, 458-
160, 162, 163, 469-173, 175-
498, 200, 202-207, 209-224,
229-234, 244-253, 255, 256,
266, 274, 272, 278, 279, 287,
288, 304, 304-308, 320, 334,
339, 344, 347, 349-365, 368-
375, 380-394.
Saint-Simon (Marie-Gabrielle de
Lorge, duchesse de), 4, 7, 9,
44, 46-48, 23, 25, 36, 40-42,
400, 102-108, 134, 182-184,
246, 250, 266, 279. 282, 283,
305, 355, 356, 364, 362, 373.
Saint-Simon (les secrétaires du
duc de), *244.
Saint-Simon (le duché de), 495,
*498, 200, 203.
Saint-Simon (le régiment de), 4.
Saint-Sulpice (la congrégation
de), 366, 380, 388.
Saint-Sulpice (le curé de). Voyez
Chétardye (Joachim Trotti de
la).
Sainte -Maure (Honoré, comte
de), 68, 69, 74, 278, 343.
Salamanque (la ville de), 334.
Sale (la), *440. — Salle.
Salm (Dorothée de), abbesse de
Remiremont, *270.
Sanction (une), *232.
Saujon (A. -M. de Campet, de-
moiselle de), *449.
Savoie (Marie-Louise de), reine
d'Espagne, 268, 322, 323.
ScARPE(la), *324.
Sceau (tenir le), *473.
Sceaux (le château de), 423, 264,
328.
Scruter quelqu'un, *304, 377.
Séance (la), réunion, *227.
Secret (le), discrétion, *364.
Secret de la comédie (le), *94.
Secrétaires d'État (les), 350-352,
357, 359.
Sedan (la principauté de), 204.
Seignelay(J.-B. Colbert, marquis
de), 374.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
539
Semaine sainte (la), *I9.
Senon'Ches (la tPTP dp), *^-
Sèvres (le pont de), 87.
Sforza (Louise-Adélaïde Damas
de Thiange, duchesse), 36.
Sié, participe de seoir, *306.
SiMiANE (Louis de), marquis d'Es-
parron, *343.
Singulier, unique, '196.
Sobrement (pour parler), * 106.
Sœurs grises (les), *8o.
SoLEURE (la ville de), 336.
SouBiSE (Armand-Gaston de Ro-
han, abbé de), 274.
SouBiSE (Jules-François-Louis de
Rohan, prince de), 274.
SoDBiSE (Anne de Rohan-Chabot,
princesse de), 274.
SouBiSE (l'hôtel de), à Paris, 273,
274.
Souffler quelque chose à quel-
qu'un, *380.
Soupeur (un), *386.
Sourd (parler à un), *i79.
Strasbourg (la ville de), 322.
Stuart (Louise-Marie), princesse
d'Angleterre, 92, 97, 127, 128.
Subtiliser, *169.
Suer de l'encre, *367.
Sueurs (les), au tiguré, *38, 81.
Suisses du Roi (les), *37.
ScLLY (Max. -Henri de Béthune,
duc de), 204.
Sdlly (le duc de). Voyez Béthu-
ne-Orval (L.-P.-M., marquis
de).
Sultane (une), au figuré, *63.
Sus (remettre), 143, 162.
Tabernacles (les), •267.
Talons (tirer quelque chose de
ses), *32.
Tapissiers du Roi (les), *10.
Te Dcum (le), 15.
Télémaque (les Aventures de),
•292,*293.
TELLiER(leP. le), 13, 21, 297.
TELLiER(le chancelier le), 10, 391 .
Tellier de Louvois (la famille
le), 130, 391.
Tenant (un), *2.
Ter (le), *322.
Terre (porter quelqu'un par),
*267.
Tête (une bonne), *174.
Tète dans un sac (la), *80.
Tète levée (marcher), *363.
Tessé (le maréchal de), 268.
Tirade (tout d'une), *390.
Tire-laisse (un), *2o0.
Tolède (la ville de), 330.
Tolède (la maison de), 330, 331,
334.
Tome (le second), au figuré, *lo.
Ton (prendre le), *377.
Ton (remonter le), *358.
Tondu (être), au tiguré, *113.
ToRCY (le marquis de), 134, 268,
284-286, 289, 319, 326, 337,
365-369.
ToRCY (C.-F. Arnauld de Pom-
ponne, marquise de), 285, 286,
367, 368.
Toscane (Marguerite-Louise d'Or-
léans, grande - duchesse de),
dite Madame la Grande-Du-
chesse, 123.
Toulouse (Louis -Alexandre de
Bourbon, comte de), 74, 123,
126, 379.
Tour (le P. de la), 388.
Tout (du), *182.
Tourbes (Elisabeth-Rosalie d'Es-
trées, demoiselle de), *36o.
Train (remettre en), '139.
Traître, adjectif, '9.
Transisscmcnt (le), *31.
Trappe (l'abbaye de la), 4.
Travail (se faire un), *278.
TfiÊ.MOÏLLE(Charles-Belgique-Hol
540
TABLE ALPHABÉTIQUE.
lande, duc de la), 203, 255,
256.
Trémoïlle (Charies-Louis-Breta-
gne, duc de la), 87.
Trémoïlle (Madeleine de Créquy,
duchesse de la), 203.
Trempe (la), au figuré, *76.
Tresmes (Bernard-François Po-
tier, duc de), 124, 122.
Trêves (l'électeur de), 370.
Tripot (un), *318.
Trompette du désespoir (la) ,
*34.
Trop mieux, *243.
Troupes (retirer ses), au figuré,
*82.
Troupeau (le petit), *299, 302-
304, 366.
Tuer à faire quelque chose (se),
M26.
TuRENNE (le maréchal de), 4.
TuRGOT (Michel-Etienne), 135.
TuRGOT DE SousMONT (Jacques-
Etienne), 135.
TuRGOT DE SousMONT (Marie-
Claude le Peletier de Souzy,
dame), *135.
Turin (la ville de), 280.
u
Un et un sont deux, *262.
Université de Paris (1'), 128.
Urfé (Joseph-Marie de Lascaris,
marquis d'), 345.
Urfé (Louise de Gontaut-Biron,
marquise d'), 279.
Ursins (la princesse des), 84,
268, 333, 369.
Utrecht (le traité d'), 134.
UzÈs (Jean-Charles de Crussol,
duc d'), 235, 256.
UzÈs (Julie-Françoise de Sainte-
Maure, duchesse d'), 68, 112,
113.
VALENTiNOis(J.-Fr. de Matignon,
comte de Torigny, plus tard
duc de), 246, 253.
Valetage (le), *108.
Vallière (Charles-François de la
Baume-le-Blanc, marquis puis
duc de la), 43, 44, 86, 119,
120, 278.
Vallière (Jean-François de la
Baume-le-Blanc, marquis de la),
120.
Vallière (Françoise de Beauvau
du Rivau, dame de la), *119,
120.
Vallière (Louise de la Baume-le-
Blanc, duchesse de la), 119.
Vallière (Marie-Thérèse de No-
ailles, marquise, puis duchesse
de la), 268, 269, 278.
Vasseur (Guillaume, abbé le),
230.
Vaubourg (J.-B. Desraaretz de),
135.
Vaubourg (Marie-Madeleine Voy-
sin, dame de), 134.
Vaucresson (la terre de), 301,
305.
Vaudèmont (le prince de), 3,
268-271.
Vendôme (César, duc de), 160.
Vendôme (Louis, duc de), 64, 74,
77, 126, 144, 262, 267, 268,
273, 280, 316, 322.
Vendôme (Philippe de), grand
prieur de France, 336.
Vendôme (Isabeau de Beauvau,
comtesse de), *120.
Vendôme (Marie-Anne de Bour-
bon-Condé, duchesse de), 126,
272.
Venin à la queue (le), *24d.
Ventadour (C.-É. m. de la Motte-
Houdancourt, duchesse de),
247
TABLE ALPHABETIQUE.
541
Versailles (la ville et le château
de), 8-41, 13, 14, 18, 23, 24,
30, 35, 45,61, 71, 90, 97, 98,
111, 115, 120, 128, 132, 172,
173, 185, 194, 210, 211, 216,
242, 244, 247, 249, 250, 324,
360, 388, 391,393.
Vesin (Pierre), *141.
Vienne (la ville et la cour de), en
Autriche, 132. 133, 333.
Vieuville (Marie-Louise de la
Chaussée d'Eu d'Arrest, mar-
quise de la), 326.
Villanueva-del-Rio (Antoine IV
Enriquez de Ribera, marquis
de), *331.
ViLLANUEVA-DEL-Rio (le marqui-
sat de), *331.
ViLLARS (le maréchal -duc de),
206, 219, 320, 321.
Villars-Brancas (la terre et le
duché de), *148.
ViLLENEUVE-LE-Ror (la terre de),
*186.
Villeroy (François de Neufville,
maréchal de), 75, 76, 130, 132.
Villeroy (Louis-Nicolas de Neuf-
ville, duc de), 74, 130, 131,
132, 160, 256, 279, 280.
Villeroy (Nicolas IV de Neufvil-
le, maréchal de), 165, 178.
Villeroy (Marguerite leTellier de
Louvois, duchesse de), 27, 28,
36, 38, 129-132, 256.
Villiers-la-Garenne (le village
de), 326, *337, 338.
Vomir (faire), au figuré, *378.
VoYSiN (Daniel-François), 43, 97,
116-119, 134, 258, 268, 279,
284, 319, 352, 372, 384.
VoYSiN (Charlotte Trudaine, da-
me), 258, 284.
Vrillière (Louis II Phélypeaux,
marquis de la), 283, 284, 320,
352, 372,380,381.
Vrillière (Françoise de Mailly,
marquise de la), 283, 284.
Zamet (la famille), 141.
III
TABLE DE L'APPENDICE
PREMIÈRE PARTIE
ADDITIONS DE SAJNT-SmON AU JOURNAL DE DANGEAU.
(Les chiffres placés entre parenthèses renvoient au passage
des Mémoires qui correspond à l'Addition.)
Pige»
987. Monseigneur; son caractère (p. 45) 395
988. Ridicule aventure de Monseigneur (p. 70) 396
989. Retraite de Mlle Ghoin (p. 95) 397
990. La princesse d'Angleterre et la Dauphine (p. 97) »
991. Le deuil de Monseigneur (p. 97) »
992. Le duc et la duchesse de Berry présentent le service au
Dauphin et à la Dauphine (p. 108) 398
993. Réprimande du Roi à la duchesse d'Uzès (p. ii2). ... »
994. Le duc de Beauvillier obtient la garde-robe du Dauphin
(p. 113)
993. Le duc de Bourgogne veut être appelé Monsieur le Dau-
phin (p. ii4) 399
996. Le chevalier de Châtillon (p. 116)
997. Les visites de deuil pour la mort de Monseigneur (p. 121). 400
998. La reine d'Angleterre ne met point de mante pour le
deuil du Dauphin (p. 127) »
999. Le Dauphin traité de Monseigneur par le Parlement
(p. 128)
1000. On ne doit pas interrompre les gens du Roi (p. 128). . . 401
1001. Mort et portrait de la duchesse de Villeroy (p. 129). . . j»
1002. Mort de l'empereur Joseph (p. 132-133) »
1003. Le comte de Caravas (p. 135) »
1004. Le procès du marquis d'Antin et l'édit sur les duchés-
pairies (p. 138) 402
1005. Dispute de préséance entre les ducs de Saint-Simon et
de la Rochefoucauld (p. 194-195) »
544 TABLE DE L'APPENDICE.
4006. Mademoiselle de Lillebonne abbesse de Remiremont
(p. ^269) 407
1007. La mort du Dauphin fait suspendre le jeu à Marly (p. 323). »
4008. Le duc d'Albe et sa maison (p. 328-329) »
1009. La maison d'Urfé (p. 345) 408
SECONDE PARTIE
I
Mort, deuil et obsèques de Monseigneur 409
II
Le caractère de Monseigneur 434
III
Les maisons de Ghâtillon et de Beauvau ; fragments inédits de
Saint-Simon 440
IV
Le costume de deuil à la cour ; extrait des registres du maître
des cérémonies 448
V
Mémoire du duc du Maine sur la mort de l'Empereur 450
VI
L'origine de la famille d'Albert de Luynes, d'après Clairambault. 457
VII
L'édit sur les duchés-pairies 458
VIII
La réception du duc d'Antin au Parlement 465
IX
Lettre du Chancelier au duc de Luxembourg 468
X
La maladie du duc du Maine 470
TABLE DE L'APPENDICE. 545
XI
Projet de mariage du jeune prince de Rohan avec une princesse
du sang ; fragment inédit de Saint-Simon 472
XII
La maladie de la reine d'Espagne 485
XIII
Le service funèbre de Monseigneur à Saint-Denis et à Notre-
Dame ; extrait des Mémoires du baron de Breteuil 488
XIV
La tille de Monseigneur et de Madame du Roure 490
MEMOIUES DE SAINT-SIMON. X.XI ■ 33
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE VINGT-ET-UNIEME VOLUME.
Pages.
MEMOIRES DE SAINT-SIMON (1711) 4
APPENDICE.
Première partie. — Additions de Saint-Simon au Journal
de Dangeau (no^ 981-iQ09) 395
Seconde partie. — Notices et pièces diverses 409
ADDITIONS ET CORRECTIONS 503
TABLES.
I. Table des sommaires qui sont en marge du manuscrit. 5il
II. Table alphabétique des noms propres et des mots ou
locutions annotés dans les Mémoires 519
III. Table de l'Appendice 543
FIN DU TOME VINGT-ET-UNIEME.
CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
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University of Toronto
Library
Acme Library Card Pocket
LOWE-MARTIN CO. LIMITED
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