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Full text of "Mémoires"

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LES 

GRANDS    ÉCRIVAINS 

DE   LA    FRANGE 

NOUVELLES   ÉDITIONS 

PUBLIEES   SOUâ    LA    DIRECTION 

DE  M.  AD.  REGIVIER 

Membre  de  l'Inslilul. 


CHARTRES.   —  IMPRIMERIE  DURAND 

Rue  Fulbert,  g. 


MEMOIRES 


SAINT-SIMON 


TOME     XXI 


)l'D'5rrx 


ME310iaES 

DE 


SA  INT  SIMON 


NOUVELLE  ÉDITION 

COLLATIONNÉE     SUR     LE     MANUSCRIT    AUTOGRAPHE 

AUGMENTÉE 
DES     ADDITI05S    DE    SAIMT-SIMON    AU    JOURNAL    UE    DANCEAU 

et   de    notes    et    appendices 

PAR    A.    DE   BOISLISLE 

Membre  de  Tlnstitut 

AVEC    LA    COLLABORATION    DE    L.    LECESTRE 
ET    DE    J.    DE    BOISLISLE 


TOME     VINGT-ET-UNIEME 

PARIS  y\y\ 

LIBRAIRIE    HACHETTE    Et    (^*  \ 

BOULEVARD    SAINT-GEHMAIN,     79     ^ 

Tous  droits  réservés. 


MÉMOIRES 


DE 


SAINT-SIMON 


Cette  année,  le  dimanche  de  Pâques'  échut-  au  5  avril.   (Suite de ITil.) 

Le  mercredi  suivant  8,  Monseierneur,  au  sortir  du  Con-   •^io"/'niDarras 

.,,,,,  o  '  al  égard  de 

seil,  alla  dîner  a  Meudon  en  parvulo,  et  y  mena  Mme  la     Monseigneur 

duchesse  de  BourL'otrne   tète  à  tète.  On    a  expliqué  ail-    et  de  sa  cour 
I  ,  ,..    •.  r.  T  •  intérieure. 

leurs  ^  ce  que  c  etoit  que  ces  Parvulo.  Les  courtisans 
avoient  demandé  pour  Meudon,  où  le  voyage  devoit  être 
de  huit  jours  jusqu'à  celui  de  Marly,  annoncé  pour  le 
mercredi  suivante  .le  m'en  étois  allé  dès  le  lundi  saint, 
pour  me  trouver  à  Marly  le  même  jour  que  le  Roi.  Les 
Meudons   m'embarrassoient    étrangement;    depuis  cette 

t.  Les  mots  de  Pasq.  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

'i.  «  Echoir  se  dit  aussi  des  choses  qui  se  doivent  faire  dans  des 
termes  prétix  »  (Académie,  1718). 

^^.  Tome  XIV,  p.  .SÎtS. 

4.  Dangeau  écrit  le  8  avril  (tome  XIII,  p.  37fi):  «  LoRoi  tint  le  conseil 
d'Étal  ;  .Monseigneur  en  sortit  à  midi  et  un  quart  pour  aller  à  Meu- 
don, où  il  mène  dîner  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  en  particu- 
lier, ce  qu'on  appelle  ici  en  badinant  les  dîners  in  parvulo.  Monsei- 
gneur demeure  à  Meudon  pour  jusqu'au  voyage  de  Marly,  qui  sera 
mercredi.  » 

MÉMOIRES    DE   SAl.NT-SIMON.   XXI  1 


2  MÉMOIRES  [1714] 

rare  crédulité  de  Monseigneur  qui  a  été  rapportée^ ,  et  que 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  l'avoit  dépersuadé  ^  jus- 
qu'à lui  en  avoir  fait  honte,  je  n'avois  osé  me  commettre 
à  Meudon.  G'étoit  pour  moi  un  lieu  infesté  de  démons  : 
Madame  la  Duchesse,  délivrée  des  bienséances  de  sa  pre- 
mière année  %  y  retournoit  régner,  et  y  menoit  Mesde- 
moiselles ses  filles;  d'Antin  y  gouvernoit;  Mlle  de  Lille- 
bonne  et  sa  sœur  y  dominoient  à  découvert;  c'étoient  mes 
ennemis  personnels;  ils  gouvernoient  Monseigneur;  c'étoit 
bien  certainement  à  eux  à  qui  je  devois  cet  inepte  et 
hardi  godant  '*  qu'ils  avoient  donné  à  Monseigneur,  et  qui 
l'avoit  mis  dans  une  si  grande  colère.  Capable  de  prendre^ 
à  celui-là,  et  eux  capables  d'oser  l'inventer  et  y  réussir 
en  plein,  à  quoi  ne  pouvois-je  point  m'attendre,  tout  ce 
qui  étoit  là,  à*^  leurs  pieds,  ne  songeant  qu'à  leur  plaire, 
et  ne  pouvant  espérer  que  par  eux?  Par  conséquent  moi 
tout  à  en  craindre,  dès  qu'il  conviendroit  à  des  ennemis 
si  autorisés  de  me  susciter  quelque  nouvelle''  noirceur 
sur  leur  terrain  ;  Mlle  Choin,  la  vraie  tenante*,  en  mesures 
extrêmes  et  en  tous  ménagements  pour  eux,  fée  invisible 
dont  on  n'approchoit  point,  et  moi  moins  que  personne, 
et  qui,  en  étant  inconnu,  ne  pouvois  rien  espérer  d'elle, 


1.  Tome  XX,  p.  181-195. 

2.  Ce  verbe  n'était  pas  dans  le  Dictionnaire  de  V Académie  de  1718, 
non  plus  que  dans  la  dernière  édition.  Littré  en  cite  un  exemple  de 
J.-J.  Rousseau. 

3.  De  sa  première  année  de  deuil. 

4.  Conte,  tromperie.  Ce  mot  n'était  pas  donné  par  les  lexiques  du 
temps  ;  on  en  trouve  des  exemples  dans  les  Lettres  de  Tessé,  recueil 
Rambuteau,  p.  119,  et  dans  les  Mémoires  du  chevalier  de  Quincy, 
tome  III,  p.  138.  Littré  en  a  donné  la  délinition  et  a  proposé  une  éty- 
mologie. 

5.  Voyez  ci  après,  p.  53. 

6.  La  préposition  à  a  été  ajoutée  en  fin  de  ligne,  sur  la  marge. 

7.  Nouvelle  a  été  ajouté  en  interligne. 

8.  «  On  dit  d'un  homme  qui  va  souvent  dans  une  maison,  et  qui  y 
est  comme  le  maître  qu'il  est  le  tenant»  (Académie,  1718). 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  3 

et  du  Mont  pour  toute  ressource',  sans  force  et  sans  es- 
prit I  Je  ne  pouvois  douter  qu'ils  ne  me  voulussent  perdre 
après  l'échantillon  que  j'en  avois  éprouvé,  et  ce  qui  les 
excitoit  contre  moi  n'étoit  pas  de  nature  à  s'émousser, 
beaucoup  moins  à  pouvoir  jamais  me  raccommoder  avec 
eux.  Ce-  qui  s'étoit  passé  à  l'égard  de  feu  Monsieur  le 
Duc  et  de  Madame  la  Duchesse,  les  choses  de  rang  à 
l'égard  des  deux  Lorraines  et  de  leur  oncle  le  Vaudé- 
mont,  l'afFaire  de  Rome  pour  d'Antin,  et  de  nouveau  sa 
prétention  d'Épernon^  les  choses  de  Flandres,  ma  liaison 
intime  avec  ce  qu'ils  ne  songeoient  qu'à  anéantir,  Mgr  et 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  M.  et  Mme  la  duchesse 
d'Orléans,  les  ducs  de  Chevreuse  et  de  Beauvillier,  la  part 
qu'ils  me  donnoient  au  mariage  de  M.  le  duc  de  Berry, 
qui  avoit  comblé  leur  rage,  c'en  étoit  trop,  et  sans  aucun 
contrepoids,  pour  ne  me  pas  faire  regarder  cette  cour 
comme  hérissée  pour  moi  de  dangers  et  d'abîmes.  Je 
poussois  donc  le  temps  avec  l'épaule  ^  sur  les  voyages  de 
Meudon,  embarrassé  de  Monseigneur  et  du  monde,  en  ne 
m'y  présentant  jamais,  beaucoup  plus  en  peine  d'y  hasar- 
der des  voyages.  Si  ce  continuel  présent  me  causoit  ces 
soucis,  combien  de  réflexions  plus  fâcheuses  la  perspec- 
tive d'un  avenir  qui  s'avançoit  tous  les  jours,  qui  mettroit 
Monseigneur  sur  le  trône,  et  qui,  à  travers  le  chamaillis  ^ 
de  ce  qui  le  gouvernoit  et  le  voudroit  dominer  alors  à 
l'exclusion  des  autres,  porteroit  très  certainement  sur  le 
trône  avec  lui  les  uns  ou  les  autres  de  ces  mêmes  ennemis 
qui  ne  respiroient  que  ma  perte,  et  à  qui  elle  ne  coûte- 
roit  alors  que  le  vouloir  I  Faute  de  mieux,  je  me  soute- 
nois  de  courage;  je  me  disois  qu'on  n'éprouvoit  jamais  ni 
tout  le  bien  ni  tout  le  mal  qu'on  avoit,  à  ce  qu'il  sembloit, 

1.  Tome  XX,  p.  184. 

'2.  Toute  rénumération  qui  va  suivre  a  déjà  été  faite  dans  le  tome  XX, 
p.  488. 
3.  Tome  XX.  p.  238  et  suivantes.  — 4.  Ibidem,  p.  114. 
o.  Tome  XVIII,  p.  424. 


K  MÉMOIRES  fHdd] 

le  plus  de  raison  de  prévoir;  j'espérois  ainsi  contre  toute 
espérance  '  de  l'incertitude  attachée  aux  choses  de  cette 
vie,  et  je  coulois  le  temps  ainsi  à  l'égard  de  l'avenir,  mais 
dans  le  dernier  embarras  sur  le  présent  pour  Meudon. 
J'allai  donc  rêver  et  me  délasser  à  mon  aise  pendant  cette 
quinzaine  de  Pâques,  loin  du  monde  et  de  la  cour^,  qui, 
à  celle  de  Monseigneur  près,  n'avoit  pour  moi  rien  que 
de  riant  ;  mais  cette  épine,  et  sans  remède,  m'étoit  cruel- 
lement poignante  ^  lorsqu'il  plut  à  Dieu  de  m'en  délivrer 
au  moment  le  plus  inattendu.  Je  n'avois  à  la  Ferté  que 
M.  de  Saint-Louis  %  vieux  brigadier  de  cavalerie  fort  es- 
timé du  Roi,  de  M.  de  Turenne  et  de  tout  ce  qui  l'avoit 
vu  servir,  retiré  depuis  trente  ans  dans  l'abbatial  ^  de  la 
Trappe,  où  il  menoit  une  vie  fort  sainte,  et  un  gentil- 
homme de  Normandie  qui  avoit  été  capitaine  dans  mon 
régiment,  et  qui  m'étoit  fort  attachée  Je  m'étois  promené 
avec  eux  tout  le  matin  du  samedi  11,  veille  de  la  Quasi- 
modo,  et  j'étois  entré  seul  dans  mon  cabinet  un  peu  avant 
le  dîner,  lorsqu'un  courrier  que  Mme  de  Saint-Simon 
m'envoya  m'y  rendit  une  lettre  d'elle  qui  m'apprit  la  ma- 
ladie de  Monseigneur. 

4.  7/1  spem  conf  m  spem  (Epître  de  saint  Paul  aux  Romains,  chap.  iv, 
verset  48);  peut-être  est-ce  une  réminiscence  des  vers  du  Misanthrope  : 

Belle  Philis,  on  désespère, 

Alors  qu'on  espère  toujours. 
Nous  retrouverons  cette  locution  plus  loin,  p.  301 ,  et  dans  une  citation 
de  Bossuet,  ci-après,  p.  55,  note  2. 

2.  On  a  dit  à  diverses  reprises  que  Saint-Simon  allait  toujours  pas- 
ser le  temps  de  Pâques  à  la  Ferté.  Dans  les  lettres  publiées  au 
tome  XIX  de  l'édition  de  4873  des  Mémoires  (p.  258  et  259),  on  voit 
qu'il  y  fit  cette  année  quelques  réparations  et  plantations. 

3.  «  Piquante  »  ^Académie,  4748).  —  4.  Tome  V,  p.  390. 

5.  Abréviation  pour  dire:  logis  abbatial.  Le  Dictionnaire  de  l'Aca- 
démie n'admet  pas  ce  mot  comme  substantif  dans  sa  dernière  édition, 
pas  plus  qu'en  1748.  Notre  auteur  a  expliqué  en  4698,  que  M.  de 
Rancé  avait  construit  ce  logis  au  dehors  pour  que  les  abbés  commen- 
dataires,  après  lui,  ne  «  troublassent  pas  la  régularité  du  dedans.  » 

6.  Les  noms  des  capitaines  du  régiment  de  cavalerie  de  Saint-Simon 


|I71I|  PE  SAINT-SIMON.  ?i 

(]('   prince',  allant,   coinmo  je   l'ai -dit',  à  Meiulon   le      Maladie  do 
Il  1        fM         I      i>>  1        '    r>L.      'Il     1  MonspiLMioiir. 

lendemain  des  tètes  de  l'aqiies,  rencontra  a  Lhaville*  un  '=' 

prêtre  qui  portoit  Notre-Seigneur  à  un  malade,  et  mit 
pied  à  terre  pour  l'adorer  à  genoux  avec  Mme  la  du- 
chesse de  Bourgogne '.  Il  demanda  à  (juci  malade  on  le 
portoit  :  il  apprit  que  ce  malade  avoit  la  petite  vérole.  Il 
y  en  avoit  partout  (juanlité.  Il  ne  l'avoit  eue  cjuc  légère, 
volante,  et  entant  ;  il  la  craignoit  fort.  Il  en  fut  frappé,  et 
dit  le  soir  à  Boudin,  son  premier  médecin^,  qu'il  ne  seroit 
pas  surpris  s'il  l'avoit.  La  journée  s'étoit  cependant  pas- 
sée tout  à  fait  à  l'ordinaire,  il  se  leva,  le  lendemain  jeudi  9, 
pour  aller  courre  le  loup"  ;  mais,  en  s'habillant,  il  lui  prit 
une  foihN'sse  qui  le  fit  tomber  dans  sa  chaise.  Boudin  le 
lit  remettre  au  lit.  Toute  la  journée  fut  etï'rayante  par 
l'état  du  pouls.  Le  Roi,  qui  en  fut  foiblement  averti  pai- 
l'agon,  crut  que  ce  n'étoit  rien,  et  s'alla  promener  à  Marly 
après  son  dîner,  où  il  eut  plusieurs  fois  des  nouvelles  de 
Meudon.  Mgr  et  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  y  dînè- 
rent, et  ne  voulurent  pas  quitter  Monseigneur  d'un  mo- 

(iiil  i'ié  lionnes  dans  le  tome  II,  p.  lo-'î,  note  3.  Plusieurs  d'entre  eux, 
notamment  M.M.  de  Lif^non  et  de  Billy,  pouvaient  appartenir  à  la  no- 
blesse normande. 

1.  On  remarquera  que  tout  ce  lonj;  récit  de  la  maladie  et  de  la  mort 
de  Monseigneur,  reconnu  pour  un  vrai  chef-d'œuvre,  porte  très  peu 
de  corrections  de  texte,  comme  si  c'était  la  mise  au  net  d'une  rédac- 
tion primitive  particulièrement  soignée  et  revisée.  Sainte-Beuve  s'est 
étendu  sur  la  perfection  de  ce  morceau  dans  ses  Causeries  du  lundi, 
tome  III,  p.  •28-2--287. 

'2.  Il  a  écrit  l'ait,  par  mégarde.  —  3.  Ci-dessus,  p.  i. 

4-.  Il  va  être  parlé  plus  loin,  p.  10,  de  ce  village,  dont  il  a  déjà  été 
question  dans  nos  tomes  VI  et  XIX. 

n.  C'était  l'usage  habituel  (Mémoires  de  Luynes,  tome  XI,  p.  il3- 
il4);  le  Roi  lui-même  ne  s'en  exemptait  pas  et  accompagnait  parfois 
le  prêtre  chez  le  mourant  (.Vcmones  de  la  Fare,  p.  288).  En  Espagne, 
il  en  était  de  même,  avec  un  cérémonial  encore  plus  rigoureux  (His- 
toriettes de  Talkmant  des  Réaux,  tome  II,  p.  170-171). 

H.  Tome  XX,  p.  2-28. 

7.  Nous  verrons  plus  loin,  \>.  .'il,  (|ue  c'était  sa  distraction  presque 
quotidienne. 


Meudon*. 


fi  MÉMOIRES  fi7lll 

ment.  La  princesse  ajouta  aux  devoirs  de  belle-fille  toutes 
les  f^ràces  qui  étoient  en  elle,  et  présenta  tout  de  sa  main 
à  Monseigneur.  Le  cœur  ne  pouvoit  pas  être  troublé  de 
ce  que  l'esprit  lui  faisoit  envisager  comme  possible  '  ;  mais 
les  soins  et  l'empressement  n'en  furent  pas  moins  mar- 
qués, sans  air  d'affectation  ni  de  comédie.  Mgr  le  duc  de 
Bourgogne,  tout  simple,  tout  saint,  tout  plein  de  ses  de- 
voirs, les  remplit  outre  mesure;  et,  quoiqu'il  y  eût  déjà 
un  grand  soupçon  de  petite  vérole,  et  que  ce  prince  ne 
l'eût  jamais  eue,  ils  ne  voulurent  pas  s'éloigner  un  mo- 
ment de   Monseigneur,  et  ne   le  quittèrent  que   pour  le 
souper  du  Roi -.  A  leur  récit,  le  Roi  envoya  le  lendemain 
matin,  vendredi  10,  des  ordres  si  précis  à  Meudon,  qu'il 
apprit  à  son  réveil  le  grand  péril  où  on  trouvoit  Monsei- 
Le  Roi  à       gncur.  Il  avoit  dit  la  veille,  en  revenant  de  Marly,  qu'il 
iroit  le  lendemain  matin  à  Meudon  pour  y  demeurer  pen- 
dant toute  la  maladie  de  Monseigneur,  de  quelque   na- 
ture qu'elle  pût  être  ;  et,  en  effet,  il  s'y  en  alla  au  sortir 
de  la  messe.   En  partant,    il  défendit  à  ses  enfants  d'y 
aller;  il  le  défendit  en  général  à  quiconque  n'avoit  pas 
eu  la  petite  vérole,  avec  une  réflexion  de  bonté,  et  permit 
à  tous  ceux  qui   l'avoient  eue  de  lui   faire   leur  cour  à 
Meudon,  ou  de  n'y  aller  pas,    suivant  le  degré  de  leur 
peur  ou  de  leur  convenance.  Du  Mont  renvoya  plusieurs 
de  ceux  qui  étoient  de   ce  voyage  de  Meudon,  pour  y 
loger  la  suite  du  Roi,  qu'il  borna  à  son  service  le  plus 
étroit,  et  à  ses  ministres,  excepté  le  Chancelier  qui  n'y 
coucha  pas,  pour  y  travailler  avec  eux.  Madame  la  Du- 
chesse et  Mme  la  princesse  de  Conti,  chacune  unique- 
ment avec   sa   dame    d'honneur,    Mlle    de    Lillebonne, 
Mme  d'Espinoy  et  Mlle  de  Melun  ^  comme  si  particulière- 

1.  Ci-après,  p.  44. 

'i.  Journal  de  Dangeau,  tome  XIII,  p.  377;  Mémoires  de  Sourches, 
tome  XIII,  p.  82-83. 

3.  Anne-Julie  :  tome  V,  p.  334. 

*  Cette  manctiette  se  trouve  deux  lignes  trop  bas  dans  le  manuscrit. 


(I7II1  DE  SAINT-SIMON.  7 

ment  attachées  à  Monseigneur,  «t  Mlle  d»-  liouillon', 
parce  qu'elle  ne  quittoit  point  son  père,  qui  suivit  comme 
grand  cliaiiilx'llan,  y  avoient  devanci'  le  Uni,  et  furent 
les  s«nil»'s  daiiK's  <|ui  y  deiiieuièrenf,  et  (jui  mangèrent 
les  soirs -avec  l«'  iU)i,  (|ui  diiia  seul  comme  à  Marly.  Je 
ne  parle  point  de  Mil»'  Clioiri,  (pii  y  dîna  dès  le  mercredi, 
ni  de  Mme  de  Maintenon,  qui  vint  trouver  le  Boi  après 
diner  avec  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne.  Le  Roi  ne 
voulut  point  cpTellf  approcliàf  de  l'appartement  de  Mon- 
seigneur, et  la  renvoya  assez  promptement'.  C'est  où  en 
étoient  *  les  choses  lorsque  Mme  de  Saint-Simon  m'envoya 
le  courrier",  les  médecins  souhaitant  la  petite  vérole, 
dont  on  étoit  persuadé,  quoiqu'elle  ne  fût  pas  encore 
déclarée. 

Je  continuerai  à  parler  de  moi  avec  la  même  vérité 
dont  [je]  traite  les  autres,  et  les  choses*  avec  toute  l'exac- 
titude qui  m'est  possible.  A  la  situation  où  j'étois  à  l'égard 
de  Monseigneur  et  de  son  intime  cour,  on  sentira^  aisé- 
ment quelle  impression  je  reçus  de  cette  nouvelle  :  je 
compris,  par  ce  qui  ra'étoit  mandé  de  l'état  de  Monsei- 
gneur, que  la  chose  en  bien  ou  en  mal  seroit  prompte- 
ment  décidée  ;  je  me  trouvois  fort  à  mon  aise  à  la  Ferté  : 
je  résolus  d'y  attendre  des  nouvelles  de  la  journée  ;  je 
renvoyai  un  courrier  à  Mme  de  Saint-Simon,  et  je  lui  en 
demandai  un  pour  le  lendemain.  Je  passai  la  journée 
dans  un  mouvement  vague  et  de  flux  et  de  reflux  qui 
gagne  et  qui  perd  du  terrain,  tenant  l'homme  et  le  chré- 
tien en  garde  contre  l'homme  et  le  courtisan,  avec  cette 

1.  Marie-EIisaboth  de  la  Tour  d'Auvergne,  qui  ne  se  maria  pas  et 
mourut  on  17-25. 

•2.  Il  avait  d'abord  écrit  soir  et  matin  ;  il  a  biffô  les  deux  derniers 
mois,  mis  /es  en  lin  de  ligne  et  le  signe  du  pluriel  i  soir,  et  ajoute  on 
interligne  après  Hoy  les  mots  qui  disna  seul  co*  à  Marly. 

;H.  Danrjean,  p.  .377-378. 

4.  Saint-Simon  a  corrigé  estait  en  estoicnt. 

5.  Ci-dessus,  p.  4.  —  G.  Il  faudrait  et  des  choses. 

7.  Sentira  est  en  interligne,  au-dessus  de  comprendra,  biffé. 


8  MÉMOIRES  [1711] 

foule  de  choses  et  d'objets  qui  se  présentoient  à  moi  dans 
une  conjoncture  si  critique,  qui  me  faisoit  entrevoir  une 
délivrance  inespérée,  subite,  sous  les  plus  agréables  ap- 
parences pour  les  suites.  Le  courrier,  quej'attendois  impa- 
tiemment, arriva  le  lendemain,  dimanche  de  Quasimodo', 
de  bonne  heure  dans  l'après-dînée.  J'appris  par  lui  que 
la  petite  vérole  étoit  déclarée,  et  alloit  aussi  bien  qu'on 
le  pouvoit  souhaiter,  et  je  le  crus  d'autant  mieux,  que 
j'appris  que,  la  veille,  qui  étoit  celle  du-  dimanche  de 
Quasimodo,  Mme  de  Maintenon,  qui,  à  Meudon,  ne  sor- 
toit  point  de  sa  chambre,  et  qui  y  avoit  Mme  de  Dan- 
geau  pour  toute  compagnie,  avec  qui  elle  mangeoit,  étoit 
allée  dès  le  matin  à  Versailles,  y  avoit  dîné  chez  Mme  de 
Caylus,  où  elle  avoit  vu  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne, 
et  n'étoit  pas  retournée  de  fort  bonne  heure  à  Meudon  ^ 
Je  crus  Monseigneur  sauvé,  et  voulus  demeurer  chez  moi  ; 
néanmoins,  je  crus  conseils  comme  j'ai  fait  toute  ma  vie, 
et  m'en  suis  toujours  bien  trouvé  :  je  donnai  ordre  à 
regret  pour  mon  départ  le  lendemain,  qui  étoit  celui  de 
la  Quasimodo,  13  avril,  et  je  partis  en  effet  de  bon  matin. 
Arrivant  à  la  Queue  S  à  quatorze  lieues  delà  Ferté  et  à  six* 
de  Versailles,  un  financier,  qui  s'appeloit  la  Fontaine"  et 
que  je  connoissois  fort  pour  l'avoir  vu  toute  ma  vie  à  la 

1.  Le  12  avril.  —  Les  mots  de  Quasimodo  ont  été  ajoutés  en  inter- 
ligne. 

2.  Les  mots  estoit  celle  du  sont  en  interligne,  au-dessus  d^estoit  le, 
bifîé. 

3.  C'est  l'article  de  Dangeau  du  H,  p.  378-379. 

4.  Locution  déjà  rencontrée  dans  le  tome  XIX,  p.  332. 

5.  C'est  de  ce  village  qu'était  seigneur  le  mari  de  la  bâtarde  du  Roi 
dont  il  a  été  parlé  dans  le  tome  XII,  p.  106. 

6.  Le  chitfre  6  surcharge  un  /. 

7.  Gabriel  de  la  Fontaine,  receveur  général  des  domaines  des  Con- 
dés,  prit  à  bail  les  domaine  et  forêt  de  Senonches  et  dépendances,  en 
1676  pour  quarante-huit  mille  livres,  en  1686  pour  quarante-deux 
mille,  en  1694  pour  trente-sept  mille  (archives  de  Chantilly,  registres 
des  comptes). 


DE  SAINT-SIMON. 


maisons, 
Mme  de  Main- 
tenon  encore 
plus. 


Ferté  chaie:é  de  Senonches '   et  des  autres  biens  de  feu 

Monsieur  le  Prince  de  ce  voisinage-,  aborda  ma  chaise^ 

comme  je  relayois;  il  venoit  de  Paris  et  de  Versailles,  où 

il  avoit  vu  des  gens  de  Madame  la  Duchesse  :  il  me  dit 

Monseigneur  le  mieux  du  monde,  et  avec  des  détails  qui 

le  faisoient  compter  hors  de  danger.  J'arrivai  à  Versailles 

rempli  de  cette  opinion,  qui  me  fut  confirmée  par  Mme  de 

Saint-Simon  et  tout  ce  que  je  vis  de  gens,  en  sorte  qu'on 

ne  craignoit  plus  que  par  la  nature  traîtresse*  de  cette 

sorte  de  maladie  dans  un  homme  de  cinquante  ans  fort 

épais''.  Le  Roi  tenoit  son  Conseil  et  travailloit  le  soir  avec   Le  Roi  mal  à 
...  <    p      j-      •         Ti  -^  \f  •  son  aise  hors 

ses  ministres,  comme  a  1  ordmaire.  11  voyoït  Monseigneur         de  ses 
les  matins  et  les  soirs,  et  plusieurs  fois  l'après-dînée,  et 
toujours  longtemps  dans  la  ruelle  de  son  lit.  Ce  lundi  que 

1.  Cette  terre  avait  été  achetée  en  4667  par  Monsieur  le  Duc,  sur 
les  conseils  de  Gourville,  avec  l'argent  venu  à  Madame  la  Duchesse 
de  la  succession  de  la  reine  de  Pologne  Marie  de  Gonzague  ;  elle  rap- 
portait de  quarante  à  cinquante  mille  livres  (Mémoires  de  Gourville, 
tome  II,  p.  35).  Les  Broglie,  qui  cédèrent  le  domaine  aux  Condés, 
l'avaient  acquis  en  4654  du  duc  de  Mantoue,  et  ce  fut  l'occasion  de 
longs  procès  entre  eux  et  le  duc  Mazarin  d'abord  (Dangeau,  tome  I, 
p.  123),  puis  avec  les  Condés  en  17-28.  Les  titres  du  domaine  sont  aux 
Archives  nationales,  R^  168-473  et  339-344,  et  aux  archives  de  Chan- 
tilly, A  23. 

2.  Le  principal  de  ces  «  autres  biens  »  était  la  terre  de  Brezolles. 
Sur  Senonches  et  ses  dépendances,  voyez  VÉtat  de  la  généralité 
d'Alençon  en  1698,  publié  par  Louis  Duval,  p.  144. 

3.  Il  a  déjà  été  parlé  des  chaises  de  poste  dans  le  tome  XIV, 
p.  353.  C'est  en  janvier  1664  que  les  marquis  de  Sourches  et  de  Cre- 
nan  avaient  obtenu  un  privilège  pour  des  «  chaises  roulantes  de 
poste  »  inventées  par  le  sieur  de  la  Grujère  (Archives  nationales,  re- 
gistres du  Parlement,  X'-^  8664,  fol.  29  ;  Muse  historique  de  Loret, 
lome  IV,  p.  176  ;  Lettres  de  Mme  de  Sévigné,  tome  VII,  p.  274  ; 
Monteil,  Histoire  des  Français  des  divers  étals,  1839,  tomes  VII,  p 
321-323  et  328-330.  et  VIII,  p.  467-470). 

4.  «  Traître  se  dit  aussi  de  certaines  choses  pour  dire  qu'elles  sont 
plus  dangereuses  qu'il  ne  paroît  :  ces  sortes  de  maux-là  sont  traîtres  » 
(Académie,  1718). 

o.  Dangeau,  \).  3S0,  hindi  13  avril  :  «  Les  médecins  disent  toujours 
que  la  maladie  de  Monseigneur  va  bien  ;  cela  n'ôtc  pas  l'inquiétude.  » 


iO  MÉMOIRES  [17H] 

j'arrivai,  il  avoit  dîné  de  bonne  heure,  et  s'étoit  allé  pro- 
mener à  Marly,  où  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  l'alla 
trouver.  Il  vit,  en  passant  au  bord  des  jardins  de  Ver- 
sailles, Messeigneurs  ses  petits-fils',  qui  étoient  venus  l'y 
attendre  -,  mais  qu'il  ne  laissa  pas  approcher,  et  leur  cria 
bonjour.  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  avoit  eu  la 
petite  vérole  ;  mais  il  n'y  paroissoit  point.  Le  Roi  ne  se 
plaisoit  que  dans  ses  maisons,  et  n'aimoit  point  à  être  ail- 
leurs. C'est  par  ce  goût  que  ses  voyages  à  Meudon  étoient 
rares  et  courts,  et  de  pure  complaisance^.  Mme  de  Main- 
tenon  s'y  trouvoit  encore  plus  déplacée.  Quoique  sa 
chambre  fût  partout  un  sanctuaire  où  il  n'entroit  que  des 
femmes  de  la  plus  étroite  privance,  il  lui  falloit  par- 
tout une  autre  retraite  entièrement  inaccessible,  sinon  à 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  encore  pour  des  ins- 
tants, et  seule.  Ainsi,  elle  avoit  Saint-Cyr  pour  Versailles 
et  pour  Marly,  et,  à  Marly  encore,  ce  Repos  dont  j'ai  parlé 
ailleurs*;  à  Fontainebleau,  sa  maison  à  la  ville ^  Voyant 
donc  Monseigneur  si  bien,  et  conséquemment  un  long 
séjour  à  Meudon,  les  tapissiers  du  Roi  ^  eurent  ordre  de 
meubler  Chaville,  maison  du  feu  chancelier  le  Tellier 
que  Monseigneur  avait  achetée  et  mise  dans  le  parc  de 
Meudon  "  ;   et  ce  fut  à  Chaville  où  Mme  de  Maintenon 

1.  Petit/ils,  dans  le  manuscrit. 

2.  Au  bas  de  la  fontaine  de  JVeptune  (Dangeau,  p.  380). 

3.  Il  a  été  parlé  dans  les  tomes  XVI,  p.  79,  et  XVII,  p.  323,  des 
promenades  que  le  Roi  allait  faire  parfois  à  Meudon,  pour  y  dîner 
avec  Monseigneur. 

4.  Tome  XIX,  p.  233. 

5.  Elle  l'appelait  aussi  «  le  Repos  »  :  Mémoires  de  Mlle  d'Aumale, 
tome  I,  p.  Lxxviiet  183. 

6.  Selon  VÉtat  de  la  France  (1712),  tome  I,  p.  179-180,  il  y  avait 
huit  tapissiers  du  Roi,  qui  avaient  le  titre  de  valets  de  chambre  et 
qui  servaient  par  quartiers.  «  Ils  ont  en  garde,  aux  lieux  de  séjour 
de  la  cour,  les  meubles  de  campagne  du  Roi,  et  font  les  meubles 
de  S.  M.  » 

7.  C'est  le  18  décembre  4596  que  Michel  le  Tellier,  correcteur  des 
comptes  et  grand  père  du  Chancelier,  acquit  pour  seize  cents  écus  le 


|171l|  DE  SAINT-SIMON.  Il 

destina  ses  retraites  pendant  la  journée'.  Le  Roi  avoit 
commandé  la  revue  des  gendarmes  et  des  chevau-légers 
pour  le  mercredi  :  tellement  que  tout  sembloit  aller  à 
souhait.  J'écrivis,  en  arrivant  à  Versailles,  à  M.  de  Beau- 
villier,  à  Meudon,  pour  le  prier  de  dire  au  Roi  que  j'étois 
revenu  sur  la  maladie  de  Monseigneur,  et  que  je  serois 
allé  à  Meudon,  si,  n'ayant  pas  eu  la  petite  vérole,  je  ne 
me  trouvois  dans  le  cas  de  la  défense.  Il  s'en  acquitta, 
me  manda  que  mon  retour  avoit  été  fort  à  propos,  et  me 
réitéra  de  la  part  du  Roi  la  défense  d'aller  à  Meudon, 
tant  pour  moi  que  pour  Mme  de  Saint-Simon,  qui  n'avoit 
point  eu  non  plus  la  petite  vérole.  Cette  défense  parti- 
culière ne  m'aftligea  point  du  tout.  Mme  la  duchesse  de 
Berry,  qui  l'avoit  eue,  n'eut  point  le  privilège  de  voir 
le  Roi  comme  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  :  leurs 
deux  époux  ne  l'avoient  point  eue.  La  même  raison  exclut 
M.  le  duc  d'Orléans  de  voir  le  Roi;  mais  Mme  la  du- 
chesse d'Orléans,  qui  n'étoit  pas  dans  le  même  cas,  eut 
permission  de  l'aller  voir,  dont  elle  usa  pourtant  fort 
sobrement.   Madame  ne  le  vit  point,  quoiqu'il  n'y  eût 

château  et  la  seigneurie  de  Chaville,  où  il  possédait  déjà  une  petite 
maison.  Son  petit-tils  obtint  du  Roi  la  permission  d'y  faire  un  parc  et 
de  le  clore  (registres  du  Parlement,  X^'^  8663,  fol.  322,  et  8671,  fol 
249);  il  lit  bâtir  le  château  par  l'architecte  Chamois.  C'est  alors  (1679) 
que  Santeul  composa  sa  poésie  la  Nymphe  de  Chaville.  Après  la  mort  du 
Chancelier,  sa  veuve  vendit  au  Roi  le  domaine  pour  trois  cent  quatre- 
vingt-dix  mille  livres,  par  contrat  du  11  décembre  1693,  et  Louis  XIV 
en  tit  présent  à  son  tils  pour  agrandir  son  parc  de  Meudon  (Archives 
nationales,  E  1892,  6  décembre,  et  X^a  8690,  fol.  213  v"  ;  Dangeau, 
tome  V,  p.  315,  318,  320  et  321  ;  vicomte  de  Grouchy,  Meudon,  Bel- 
levue  et  Chaville,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  l'Histoire  de 
Paris,  1893,  p.  155-163).  Monseigneur  conserva  le  château,  et  il  y 
donnait  parfois  des  collations  à  ses  invités  (Dangeau,  tomes  VIII, 
p.  492,  et  XI,  p.  230).  En  1712,  Torcy  en  eut  la  jouissance,  puis  le 
prince  de  Talmond  en  1717  ;  cntin,  le  comte  de  Tessé,  l'ayant  reçu 
en  usufruit  en  1766,  le  fit  démolir.  Les  titres  relatifs  à  la  propriété  sont 
aux  Archives  nationales,  cartons  0'  3830-3839. 
1.  Ces  détails  ne  sont  pas  pris  à  Dangeau. 


Conlrasles 
dans   Meudon. 


12  MÉMOIRES  [1711] 

point  pour  elle  de  raison  d'exclusion,  qui,  excepté  les 
deux  fils  de  France,  par  juste  crainte  pour  eux,  ne  s'éten- 
dit dans  la  famille  royale  que  selon  le  goût  du  Roi.  Meu- 
don, pris  en  soi,  avoit  aussi  ses  contrastes  :  la  Clioin  y 
étoit  dans  son  grenier'  ;  Madame  la  Duchesse,  Mlle  de 
Lillebonne  et  Mme  d'Espinoy  ne  bougeoient-  de  la  cham- 
bre de  Monseigneur,  et  la  recluse^  n'y  entroit  que  lorsque 
le  Roi  n'y  étoit  pas,  et  que  Mme  la  princesse  de  Conti, 
qui  y  étoit  aussi  fort  assidue,  étoit  retirée  \  Cette  prin- 
cesse sentit  bien  qu'elle  contraindroit  cruellement  Mon- 
seigneur, si  elle  ne  le  mettoit  en  liberté  là-dessus,  et  elle 
le  fit  de  fort  bonne  grâce  :  dès  le  matin  du  jour  que  le 
Roi  arriva,  et  elle  y  avoit  déjà  couché  %  elle  dit  à  Mon- 
seigneur qu'il  y  avoit  longtemps  qu'elle  n'ignoroit  pas  ce 
qui  étoit  dans  Meudon,  qu'elle  n'avoit  pu  vivre  hors  de  ce 
château  dans  l'inquiétude  où  elle  étoit,  mais  qu'il  n'étoit 
pas  juste  que  son  amitié  fût  importune  ;  qu'elle  le  prioit 
d'en  user  très  librement,  de  la  renvoyer  toutes  les  fois  que 
cela  lui  conviendroit,  et  qu'elle  auroit  soin,  de  son  côté, 
de  n'entrer  jamais  dans  sa  chambre  sans  savoir  si  elle 
pouvoit  le  voir  sans  l'embarrassera  Ce  compliment  plut  in- 
finiment à  Monseigneur.  La  princesse  fut  en  effet  fidèle  à 
cette  conduite,  et  docile  aux  avis  de  Madame  la  Duchesse 
et  des  deux  Lorraines  pour  sortir  quand  il  étoit  à  propos 
sans  air  de  chagrin  ni   de  contrainte,   et  revenoit  après, 

1.  Ou  plutôt  sa  petite  chambre  dans  un  entresol,  dont  il  a  déjà  été 
parlé  dans  le  tome  XIV,  p.  397-398. 

2.  Bougeoient  corrige  sorto[ient]. 

3.  Mlle  Clioin.  —  «  Reclus,  dit  VAcadémie,  en  1718,  se  met  quel- 
quefois substantivement  :  c'esï  wn  reclus,  vivre  comme  un  reclus.» 
Saint-Simon  écrit  récluse,  et  nous  retrouverons  ce  terme  ci-après,  p.  139. 

4.  Voyez  ce  qu'il  a  déjà  dit  de  la  vie  de  Mlle  Choin  à  Meudon  dans 
le  tome  XIV,  p.  396-398. 

o.  Ces  six  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

6.  L'appartement  de  Mme  de  Conti  était  au  rez-de-chaussée  du 
château,  comme  celui  de  Monseigneur,  et  contigu  à  celui  de  Mme  de 
Maintenon. 


|17ll|  DE  SAINT-SIMON  13 

(juaiul  «t'hi  se  puiivoit,  sans  la  plus  Icgcif  Imincur  :  en 
(jiioi  rllc  nu'rita  de  vraies  louanges.  C'étoit  Mil»*  (llioin 
dont  il  t'toif  (juostioii,  t|iii  fif^moit  à  Meiidori  avfc  I»' 
V.  Tellier,  d'une  faijon  tout  à  lait  étrange  :  tous  deux 
incognito,  relt'gués  chacun  dans  leur  grenier',  servis  seuls 
chacun  dans  leur  chaud)!»',  vus  des  seuls  indispensables, 
et  sus  pourtant  de  chacun,  avec  cette  difVérence  que  la 
demoiselle  voyoit  Monseigneur  nuit  et  jour  sans  mettre 
le  pied  ailleurs,  et  que  le  confesseur  alloit  chez  le  Roi  et 
partout,  except»'  tians  l'appartement  de  Monseigneur,  ni 
ilans  tout  ce  qui  en  approchoit.  Mme  d'Kspinoy  portoit 
et  rapportoit  les  compliments  entre  Mme  de  Maintenon  et 
Mlle  Choin.  Le  Roi  ne  la  vit  point.  11  croyoit  que  Mme  de 
Maintenon  lavoie  vue  :  il  le  lui  demanda  un  peu  sur  le 
tard  ;  il  sut  que  non,  et  il  ne  l'approuva  pas.  Là-dessus, 
Mme  de  Maintenon  chargea  Mme  d'Kspinoy  d'en  faire 
ses  excuses  à  Mlle  Choin,  et  de  lui  dire  qu  elle  espéroit 
qu'elles  se  verroient  :  compliment  bizarre  d'une  chambre  à 
l'autre  sous  le  même  toit.  Elles  ne  se  virent  jamais  depuis  -. 

Versailles  pi'ésentoit  une  autre  scène  :  Mgr  et  Mme  la  Versailles, 
duchesse  de  Bourgogne  y  tenoient  ouvertement  la  cour, 
et  cette  cour  ressembloit  à  la  première  pointe  de  l'aurore^. 
Toute  la  cour  étoit  là  rassemblée;  tout  Paris  y  abondoit, 
et,  comme  la  discrétion  et  la  précaution  ne  furent  jamais 
françoises,  tout  Meudon  y  venoit,  et  on  en  croyoit  les 
gens  sur  leur  parole  de  n'être  pas  entrés  chez  Monsei- 
gneur ce  jour-là.  Lever  et  coucher,  dîner  et  souper  avec 
les  dames,  conversations  publicjues  après  les  repas,  pro- 
menades, étoient  les  heures  de  faire  sa  cour,  et  les  appar- 
tements ne  pouvoient  contenir  la  foule  ;  courriers  à  tous 

1.  Ci-<lessus,  p.  1*2. 

2.  Cette  dernière  plirase  a  été  ajoutée  dans  le  blanc  rcsU-  à  la  lin 
du  paragraphe. 

.S.  «  On  dit  la  pointe  du  jour,  pour  dire  le  point  du  jour,  la  pn-- 
mière  apparence  du  jour»  {Académie,  1718).  Nous  avons  eu  «  la  pre- 
mière pointe  du  printemps  »  dans  le  tome  I,  p.  "27. 


i;  MÉMOIRES  11711] 

quarts  d'heure,  qui  rappeloient  l'attention  aux  nouvelles 
de  Monseigneur',  cours  de  maladie  à  souhait,  et  facilité 
extrême  d'espérance  et  de  confiance  ;  désir  et  empresse- 
ment de  tous  de  plaire  à  la  nouvelle  cour  ;  majesté  et  gra- 
vité gaie  dans  le  jeune  prince  et  la  jeune  princesse, 
accueil  obligeant  à  tous,  attention  continuelle  à  parler  à 
chacun,  et  complaisance  dans  cette  foule,  satisfaction 
réciproque  ;  duc  et  duchesse  de  Berry  à  peu  près  nuls. 
De  cette  sorte  s'écoulèrent  cinq  jours,  chacun  pensant 
sans  cesse  aux  futurs  contingents^,  tâchant  d'avance  de 
s'accommoder  à  tout  événement. 

Le  mardi  14  avril,  lendemain  de  mon  retour  de  la  Ferté 
à  Versailles,  le  Roi,  qui,  comme  j'ai  dit,  s'ennuyoit  à 
Meudon,  donna  à  l'ordinaire  conseil  des  finances  le  ma- 
tin, et,  contre  sa  coutume,  conseil  de  dépêches  l'après- 
dînée,  pour  en  remplir  le  vuide.  J'allai  voir  le  Chancelier 
à  son  retour  de  ce  dernier  conseil,  et  je  m'informai  beau- 
coup à  lui  de  l'état  de  Monseigneur.  Il  me  l'assura  bon,  et 
me  dit  que  Fagon  lui  avoit  dit  ces  mêmes  mots^  :  que 
les  choses  alloient  selon  leurs  souhaits,  et  au  delà  de 
leurs  espérances*.  Le  Chancelier  me  parut  dans  une 
grande  confiance,  et  j'y  ajoutai  foi  d'autant  plus  aisé- 
ment, qu'il  étoit  extrêmement  bien  avec  Monseigneur,  et 
qu'il  ne  bannissoit  pas  toute  crainte,  mais  sans  en  avoir 
d'autre  que  celle  de  la  nature  propre  à  cette  sorte  de 
Harcngères  à    maladie  ^  Les  harengères  "^  de  Paris,  amies  fidèles  de  Mon- 

Meudon  ;  bien 

reçues.  j    ^^  jj  ^^^^^  ^  Meudon  des  pages  de  Mgr  le  duc  de  Bourgogne  et  de 

Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  qui,  toutes  les  heures,  leur  portent 
des  nouvelles  à  Versailles»  {fiangeau,  p. 378). 

2.  Tome  XVIII,  p.  73. 

3.  Ces  mots  mêmes  ;  tournure  de  phrase  fréquente  à  l'époque,  et 
dont  l'exemple  le  plus  souvent  cité  est  dans  le  Ciel  de  Corneille,  acte 
II,  scène  ii. 

4.  Mémoires  de  Sourches,  p.  86,  14  avril:  «  Monseigneur  avoit  assez 
bien  passé  la  nuit,  et,  pendant  le  jour,  on  le  trouvoit  en  assez  bon  état.  » 

5.  Ci-dessus,  p.  9. 

6.  Ce  nom  déjà  rencontré  à  diverses  reprises  (tomes  II,  p.  40,  VIII, 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  <K 

seignoiir,  qui  s'ôtoient  cN'jà  signalées  à  cotte  forte  indiges- 
tion qui  fut  prise  pour  apoplexie',  donnèrent  ici  le 
second  tome-  de  leur  zèle.  Ce  même  matin,  elles  arri- 
vèrent en  plusieurs  carrosses  de  louage  à  Meudon.  Mon- 
seigneur les  voulut  voir  :  elles  se  jetèrent  au  pied  de  son 
lit,  qu'elles  baisèrent  plusieurs  fois,  et,  ravies'  d'apprendre 
de  si  bonnes  nouvelles,  elles  s'écrièrent,  dans  leur  joie, 
qu'elles  alloient  réjouir  tout  Paris  et  faire  chanter  le  Te 
Deum^.  Monseigneur,  qui  n'étoit  pas  insensible  à  ces 
marques  d'amour  du  peuple',  leur  dit  qu'il  n'étoit  pas 
encore  temps,  et,  après  les  avoir  remerciées,  il  ordonna 
qu'on  leur  fît  voir  sa  maison,  qu'on  les  traitât  à  dîner,  et 
qu'on  les  renvoyât  avec  de  l'argenté  Revenant  chez  moi 

p.  -243,  et  IX.  p.  68),  était  couramment  usité  alors  pour  désigner  les 
«  dames  de  la  halle  »  :  voyez  la  .Uh.sc  historique  de  Loret,  tomes  I, 
p.  333,  et  II,  p.  3-44.  la  Gazette  de  1(349,  p.  719.  les  Lettres  de  Mme 
de  Maintenon,  recueil  Geffroy,  tome  II,  p.  160,  les  Archives  de  la 
Bastille,  tome  VII,  p.  2'24.  Le  curé  Brousse  appelait  les  nièces  de 
Mazarin  «  petites  haren^jères  de  Rome». 

1.  En  1701:  tome  VIII,  p.  243--244. 

2.  Cette  locution  figurée,  au  sens  de  répétition,  n'est  pas  mention- 
née dans  les  lexiques  ;  nous  l'avons  déjà  rencontrée  dans  nos  tomes 
X,  p.  374,  et  XVIII,  p.  63.  —  La  particulière  affection  des  haren- 
gères  pour  Monseigneur  datait  de  sa  naissance  (1661),  à  l'occasion  de 
laquelle  elles  avaient  fait  des  réjouissances  extraordinaires.  Par  la 
suite,  elle  reportèrent  leur  tendresse  sur  le  dauphin  fils  de  Louis  XV, 
célébrèrent  la  naissance  (Mémoires  de  Luyncs,  tome  XI,  p.  'i-îi),  et, 
quand  il  revint  de  Metz  en  1744.  après  la  maladie  du  Roi,  elles  tin- 
rent à  le  complimenter  en  corps  (^Catalogue  des  estampes  de  la  collec- 
tion Hennin,  n°  8476). 

3.  Ravis  a  été  corrigé  en  ravies. 

4.  Comme  en  1701  :  tome  VIII,  p.  244. 

5.  Le  P.  Léonard  raconte  (Archives  nationales.  M  766,  31  décembre 
1701)  qu'une  harengère  ayant  choisi  Monseigneur  pour  parrain  de  son 
enfant,  celui-ci  se  lit  représenter  par  le  petit  Bontcm|)s.  que  Saint- 
Eustache  fui  tout  illuminé  pour  la  circonstance  et  (jue  toute  la  halle  se 
trouva  au  festin. 

G.  «  Pour  marque  de  l'amitié  que  le  peuple  de  Paris,  et  même  le 
peuple  le  plus  bas,  avoit  pour  Monseigneur,  les  harengères  avoienl  dé- 
puté deux  d'entre  elles,  qui  vinrent  sur  les  trois  heures  à  Meudon,  sa- 


d6 


MEMOIRES 


[1714] 


Singulière 
conversation 
avec  Mme  la 

duchesse 

d'Orléans  chez 

moi. 


de  chez  le  Chancelier,  par  les  cours,  je  vis  Mme  la  du- 
chesse d'Orléans  se  promenant  sur  la  terrasse  de  l'aile 
Neuve,  qui  m'appela,  et  que  je  ne  fis  semblant  de  voir 
ni  d'entendre  parce  que  la  Montauban  étoit  avec  elle  *,  et 
je  gagnai  mon  appartement  l'esprit  fort  rempli  de  ces 
bonnes  nouvelles  de  Meudon.  Ce  logement  étoit  dans  la 
galerie  haute  de  l'aile  Neuve  -,  qu'il  n'y  avoit  presque 
qu'à  traverser  pour  être  dans  l'appartement  de  M.  et  de 
Mme  la  duchesse  de  Berry-^  qui,  ce  soir-là,  dévoient 
donner  à  souper  chez  eux  à*  M.  et  à  Mme  la  duchesse 
d'Orléans  et  à  quelques  dames,  dont  Mme  de  Saint-Simon 
se  dispensa  sur  ce  qu'elle  avoit  été  un  peu  incommodée. 
Il  y  avoit  peu  que  j'étois  dans  mon  cabinet  seul  avec  Coët- 
tenfao^  qu'on  m'annonça  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  qui 
venoit  causer  en  attendant  l'heure  du  souper.  J'allai  la 
recevoir  dans  l'appartement  de  Mme  de  Saint-Simon,  qui 
étoit  sortie,  et  qui  revint  bientôt  après  se  mettre  en  tiers 
avec  nous.  La  princesse  et  moi  étions,  comme  on  dit, 
gros  de  nous  voir  et  de  nous  entretenir^  dans  cette  con- 
joncture, sur  laquelle  elle  et  moi  nous  pensions  si  pareil- 
lement. Il  n'y  avoit  guères  qu'une  heure  qu'elle  étoit 
revenue  de  Meudon,  où  elle  avoit  vu  le  Roi,  et  il  en  étoit 

voir  de  ses  nouvelles  et  disant  qu'elles  n'oseroient  retourner  à  Paris 
sans  l'avoir  vu.  Monseigneur  eut  la  bonté  de  les  faire  entrer,  et, 
comme  on  le  croyoit  presque  hors  de  danger,  elles  lui  dirent  qu'elles 
alloient  faire  chanter  le  Te  Deum.  Monseigneur  leur  dit:  «Il  n'est 
pas  encore  temps,  mes  pauvres  femmes.  »  En  sortant,  elles  jetèrent  de 
l'argent  aux  soldats  de  la  garde,  pour  boire  à  la  santé  de  Monsei- 
gneur. »  (Dangeau,  p.  381.)  Comparez  le  récit  du  baron  de  Breteuil  ; 
ci-après,  Appendice,  p.  416. 

i.  Charlotte  Bautru  deNogent;  voyez  ce  qu'il  a  dit  de  cette     es- 
pèce de  monstre  »  dans  le  tome  XII,  p.  :283-286. 

2.  Tome  XIX,  p.  338,  note  5. 

3.  Ibidem,  p.  334. 

4.  Avant  à,  Saint-Simon  a  biffé  à  M.  et  à  M''  la  Duch.  de  J3«. 

5.  Son  «  ami  de  tout  temps  »,  a-t-il  dit  dans  le  tome  XX,  p.  219. 

6.  «  On  dit  figurément  être  gros  de  savoir,  de  faire,  de  dire  quel- 
que chose,  pour  dire  en  avoir  une  extrême  envie  »  (Académie,  4 71 8). 


|17II|  DE  SAINT-SIMON.  M 

alors  huit  du  soir  de  ce  même  mardi  14  avril.  Elle  me  dit 
la  même  expression  dont  Fagon  s'étoit  servi,  que  j'avois 
apprise  du  Chancelier;  elle  me  rendit  la  confiance  qui 
régnoit  dans  Meudon  ;  elle  me  vanta  les  soins  et  la  capa- 
cité des  médecins,  qui  ne  négligeoient  pas  jusqu'aux  plus 
petits  remèdes  qu'ils  ont  coutume  de  mépriser  le  plus  ; 
elle  nous  en  exagéra  le  succès,  et,  pour  en  parler  fran- 
chement et  en  avouer  la  honte,  elle  et  moi  nous  lamen- 
tâmes ensemble  de  voir  Monseigneur  échapper,  à  son  âge 
et  à  sa  graisse,  d'un  mal  si  dangereux.  Elle  rétléchissoit 
tristement,  mais  avec  ce  sel  et  ces  tons  à  la  Mortemart', 
qu'après  une  dépuration  -  de  cette  sorte  il  ne  restoit  plus 
la  moindre  pauvre  petite  espérance  aux  apoplexies,  que 
celle  des  indigestions  étoit  ruinée  sans  ressources  depuis 
la  peur  que  Monseigneur  en  avoit  prise,  et  l'empire  qu'il 
avoit  donné  sur  sa  santé  aux  médecins;  et  nous  conclûmes 
plus  que  langoureusement  '  qu'il  falloit  désormais  compter 
que  ce  prince  vivroit  et  régneroit  longtemps  :  de  là  des 
raisonnements  sans  fin  sur  les  funestes  accompagnements 
de  son  règne,  sur  la  vanité  des  apparences  les  mieux  fon- 
dées d'une  vie  qui  promettoit  si  peu,  et  qui  trouvoit  son 
salut  et  sa  durée  au  sein  du  péril  et  de  la  mort.  En  un 
mot,  nous  nous  lâchâmes'»,  non  sans  quelque  scrupule 
qui  interrompoit  de  fois  à  autre  cette  rare  conversation, 
mais  qu'avec  un  tour  languissamment  plaisant  elle  rame- 
noit  toujours   à  son    point.    Mme  de   Saint-Simon,   tout 

1.  Tome  XVII,  p.  82. 

'2.  Action  de  dépurer,  la  dépuration  du  sang.  Ce  terme  n'était  pas 
admis  par  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718;  il  n'y  entra  qu'en 
176-2. 

3.  «  On  dit  par  dérision  qu'un  homme  fait  le  langoureux  auprès 
d'une  femme  pour  dire  qu'il  fait  le  passionné  auprès  d'elle  »  (Acadé- 
mie, 1718).  C'est  ici  plutôt  le  sens  de  douloureusement.  Comparez  cet 
adverbe  avec  languissamment,  qui  va  se  rencontrer  quelques  lignes 
plus  bas. 

4.  Au  sens  de  se  laisser  aller,  comme  «  un  ressort  qui  se  lâche  ». 
seul  exemple  donné  parle  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718. 

MÉMOIRES    DE    S.\INT-SIUON.  XXI  i 


18  ME'MOIRES  [17111 

dévotement,  enrayoit*  tant  qu'elle  pouvoit  ces  propos 
étranges;  mais  Tenrayure-  cassoit,  et  entretenoit  ainsi  un 
combat  très  singulier  entre  la  liberté  des  sentiments 
humainement  pour  nous  très  raisonnables,  mais  qui  ne 
laissoit  pas  de  nous  faire  sentir  qui  n'étoient  pas  selon  la 
religion  ^  Deux  heures  s'écoulèrent  de  la  sorte  entre  nous 
trois,  qui  nous  parurent  courtes,  mais  que  l'heure  du  souper 
termina.  Mme  la  duchesse  d'Orléans  s'en  alla  chez  Madame 
sa  fille,  et  nous  passâmes  dans  ma  chambre,  où  bonne  com- 
pagnie s'étoit  ce  pendant  assemblée,  qui  soupa  avec  nous. 
Spectacle  de  Tandis  qu'on  étoit  si  tranquille  à  Versailles,  et  même  à 
Meudon.  Meudon,  tout  y  changeoit  de  face.  Le  Roi  avoit  vu  Mon- 
seigneur plusieurs  fois  dans  la  journée,  qui  étoit  sensible* 
à  ces  marques  d'amitié  et  de  considération.  Dans  la  visite 
de  l'après-dînée,  avant  le  conseil  des  dépêches,  le  Roi  fut 
si  frappé  de  l'enflure  extraordinaire  du  visage  et  de  la 
tête,  qu'il  abrégea,  et  qu'il  laissa  échapper  quelques 
larmes  en  sortant  de  la  chambre.  On  le  rassura  tant  qu'on 
put,  et,  après  le  conseil  des  dépêches,  il  se  promena  dans 
les  jardins.  Cependant  Monseigneur  avoit  déjà  méconnu^ 
Mme  la  princesse  de  Conti,  et  Roudin  en  avoit  été  alarmé. 
Ce  prince  l'avoit  toujours  été  •^.  Les  courtisans  le  voyoient 

\.  «  Enrayer  signifie  arrêter  une  roue  par  les  rais,  en  sorte  qu'elle 
ne  tourne  point,  mais  qu'elle  ne  fasse  que  glisser  »  (^Académie, 
1718).  Les  lexiques  n'en  donnaient  pas  l'emploi  au  tiguré. 

2.  «  Enrayure,  ce  qui  sert  à  enrayer.  »  L'Académie  n'a  admis  ce 
substantif  qu'en  1740  ;  Littré  ne  cite  que  le  présent  exemple. 

3.  Il  est  curieux  de  remarquer  que  Saint-Simon,  à  propos  de  a 
mort  de  Monseigneur,  n'a  pas  rappelé  ici  le  fameux  horoscope  :  pis  de 
roi,  père  de  roi,  jamais  roi,  qui,  au  dire  du  Journal  de  Verdun 
(tome  XFV,  1711,  p.  36.'))  était  connu  depuis  plus  de  trente  ans  lors- 
qu'il mourut,  et  que  d'ailleurs  notre  auteur  a  inséré  dans  l'Addition 
987,  ci-après,  p.  396. 

4.  Sensibles  corrigé  en  sensible. 

o.  «  Méconnaître,  ne  pas  reconnaître  »;  c'est  le  seul  sens  donné  par 
le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718. 

6.  Comparez  ci-dessus,  p.  15,  note  6,  ce  qu'il  a  répondu  aux  ha- 
rengères. 


(1711)  DE  SAINT-SIMON.  19 

tous  les  uns  après  les  autres;  les  plus  familiers  n'en  bou- 
geoienl  jour  cl  nuit.  Il  sinl'orinoil  sans  cesse  à  eux  si  on 
avoit  cuutuuio  d'être,  dans  cette  maladie,  dans  l'état  où 
il  se  seutoit.  Dans  les  temps  où  ce  qu'on  lui  disoit  pour 
le  rassurer  lui  faisoit  le  plus  d'impression,  il  iondoit  sur 
cette  ik'puration  '  des  espérances  de  vie  et  de  santé,  et,  en 
une  de  ces  occasions,  il  lui  échappa  d'avouer  à  Mme  la 
princesse  de  Conti  qu'il  y  avoit  longtemps  qu'il  se  sentoit 
fort  mal  sans  en  avoir  voulu  rien  témoigner,  et  dans  un 
tel  état  de  foiblesse,  que,  le  jeudi  saint  dernier-,  il  n'avoit 
pu,  durant  l'office,  tenir  sa  Semaine  sainte^  dans  ses 
mains.  Il  se  trouva  plus  mal  vers  quatre  heures  après  midi, 
pendant  le  conseil  des  dépèches  :  tellement  que  Boudin 
proposa  à  Fagon  d'envoyer  quérir  du  conseil,  lui  repré- 
senta qu'eux,  médecins  de  la  cour,  qui  ne  voyoient  jamais 
aucune  maladie  de  venin*,  n'en  pouvoient  avoir  d'expé- 
rience, et  le  pressa  de  mander  promptement  des  méde- 
cins de  Paris  ;  mais  Fagon  se  mit  en  colère,  ne  se  paya 
d'aucunes  raisons,  s'opiuiàira  au  refus  d'appeler  per- 
sonne %  à  dire  qu'il  étoit  inutile  de  se  commettre  à  des 
disputes  et  à  des  contrariétés",  soutint  qu'ils  feroient  aussi  Extrémité  de 
bien  et  mieux  que  tout  le  secours  qu'ils  pourroient  faire  ^^«"seigneur. 
venir,  voulut  enfin  tenir  secret  l'état  de  xMonseigneur, 
quoiqu'il  empirât  d'heure  en  heure,  et  que,  sur  les  sept 
heures  du  soir,  quelques  valets,  et  quelques  courtisans 
même,  commençassent  à  s'en  apercevoir  ;  mais  tout  en  ce 

1.  Ci-dessus,  p.  17. 

;2.  Le  2  avril,  moins  de  quinze  jours  auparavant. 

3.  Livre  contenant  les  prières  et  les  ollices  de  tous  les  jours  de  la 
semaine  sainte  depuis  le  dimanche  des  rameaux  jusqu'au  jour  de  Pâ- 
ques. De  nos  jours,  on  l'appelle  plutôt  Quinzaine  de  Pâques. 

4.  Tome  Vlil,  p.  9i. 

o.  Voyez  une  lettre  de  la  marquise  d'Huxelles  publiée  par  les  édi- 
teurs du  Journal  de  Dam^eau,  p.  381,  qui  accuse  au  contraire  Boudin 
de  n'avoir  pas  voulu  pratiquer  une  saignée  comme  le  demandait  Faj^'on. 

G.  Au  sens  de  contradiction,  comme  dans  le  tome  IX,  p.  "ISA. 
w  Opposition  entre  des  choses  contraires  »  {Académie,  ITIS). 


20  MÉMOIRES  [m\] 

genre  trembloit  sous  Fagon  :  il  étoit  là,  et  personne  n'osoit 
ouvrir  la  bouche  pour  avertir  le  Roi  ni  Mme  de  Mainte- 
non.  Madame  la  Duchesse  et  Mme  la  princesse  de  Conti, 
dans  la  même  impuissance,  cherclioient  à  se  rassurer.  Le 
rare  fut  qu'on  voulut  laisser  mettre  le  Roi  à  table  pour 
souper,  avant  d'effrayer  par  de  grands  remèdes,  et  laisser 
achever  son  souper  sans  l'interrompre  et  sans  l'avertir  de 
rien',  qui-,  sur  la  foi  de  Fagon  et  le  silence  public, 
croyoit  Monseigneur  en  bon  état,  quoiqu'il  l'eût  trouvé 
enflé  et  changé  dans  l'après-dînée,  et  qu'il  en  eût  été  fort 
peines  Pendant  que  le  Roi  soupoil  ainsi  tranquillement, 
la  tête  commença  à  tourner  à  ceux  qui  étoient  dans  la 
chambre  de  Monseigneur.  Fagon  et  les  autres  entassèrent 
remèdes  sur  remèdes,  sans  en  attendre  l'effet.  Le  curé'% 
qui,  tous  les  soirs  avant  de  se  retirer  chez  lui,  alloit 
savoir  des  nouvelles,  trouva,  contre  l'ordinaire,  toutes  les 
portes  ouvertes  et  les  valets  éperdus.  Il  entra  dans  la 
chambre,  où,  voyant  de  quoi  il  n'étoit  que  trop  tardive- 
ment question,  il  courut  au  lit,  prit  la  main  de  Monsei- 
gneur, lui  parla  de  Dieu,  et,  le  voyant  plein  de  connois- 
sance,  mais  presque  hors  d'état  de  parler,  il  en  tira  ce 
qu'il  put  pour  une  confession,  dont  qui  que  ce  soit  ne 
s'étoit  avisé,  lui  suggéra  des  actes  de  contrition.  Le 
pauvre  prince  en  répéta  distinctement  quelques  mots, 
confusément  les  autres,  se  frappa  la  poitrine,  serra  la 
main  au  curé,  parut  pénétré  des  meilleurs  sentiments,  et 
reçut  d'un  air  contrit  et  désireux  l'absolution  du  curé^ 

1.  «  Le  Roi  ne  sut  qu'après  son  souper  l'extrémité  du  mal  »,  dit  Dan- 
geau  (p.  380). 

2.  Avant  qui,  W  y  a  le  Roy  ajouté  en  interligne,  et  ensuite  bifTé. 

3.  Ci-dessus,  p.  18. 

4.  Le  curé  de  Meudon  était  Louis  de  Rond,  bactielieren  théologie; 
il  était  en  même  temps  chapelain  du  château  et  avait  de  ce  fait  six 
cents  livres  de  pension  (État  de  la  France,  1712,  tome  I,  p.  370). 

o.  Ces  détails  sont  confirmés  par  le  registre  paroissial,  cité  par 
M.  de  Grouchy,  dans  Meudon,  Bellevue  et  Chaville,  p.  112  ;  voyez  aussi 
notre  Appendice  I,  ci-après,  p.  411. 


[1711]  OE  SAINT-SIMOX.  21 

Ce  pendant  le  Roi  sortoit  de  talile,  et  pensa  tomber  à  la 
renverse  lorsque  Kagon,  se  présentant  à  lui,  lui  cria,  tout 
troublé',  que  tout  étoit  perdu.  On  peut  juger  quelle  hor- 
reur saisit  tout  le  monde  en  ce  passage  si  subit  d'une 
sécurité  entière  à  la  plus  désespérée  extiémité. 

Le  Roi,  à  peine  à  lui-même-,  prit  à  l'instant  le  chemin 
de  l'appartement  de  Monseigneur,  et  réprima  très  sèche- 
ment l'indiscret  empressement  de  quelques  courtisans  à 
le  retenir,  disant  qu'il  vouloit  voir  encore  son  fils,  et  s'il 
n'y  avoit  plus  de  remède.  Comme  il  étoit  près  d'entrer 
dans  la  chambre,  Mme  la  princesse  de  Conti,  qui  avoit  eu 
le  temps  d'accourir  chez  Monseigneur  dans  ce  court  inter- 
valle de  la  sortie  de  table,  se  présenta  pour  l'empêcher 
d'entrer;  elle  le  repoussa  même  des  mains,  et  lui  dit  qu'il 
ne  falloit  plus  désormais  penser  qu'à  lui-même.  Alors,  le 
Roi,  presque  en  foiblesse  d'un  renversement^  si  subit  et  si 
entier,  se  laissa  aller  sur  un  canapé  qui  se  trouva  à  l'entrée 
de  la  porte  du  cabinet  par  lequel  il  étoit  entré,  qui  don- 
noit  dans  la  chambre;  il  demandoit  des  nouvelles  à  tout 
ce  qui  en  sortoit,  sans  que  presque  personne  osât  lui 
répondre.  En  descendant  chez  Monseigneur,  car  il  logeoit 
au-dessus  de  lui,  il  avoit  envoyé  chercher  le  P.  Tellier*, 
qui  venoit  de  se  mettre  au  lit.  Il  fut  bientôt  rhabillé"  et 
arrivé  dans  la  chambre;  mais  il  n'étoit  plus  temps,  à  ce 
qu'ont  dit  depuis  tous  les  domestiques,  quoique  le  jésuite, 
peut-être  pour  consoler  le  Roi,  lui  eût  assuré  qu'il  avoit 
donné  une  absolution  bien  fondée.  Mme  de  Maintenon, 
accourue  auprès  du  Roi  et  assise  sur  le  même  canapé, 
tàchoit  de  pleurer.  Elle  essayoit  d'emmener  le  Roi,  dont 
les  carrosses  étoient  déjà  prêts  dans  la  cour;  mais  il  n'y 

1.  Ces  doux  mots  ont  été  ajoutés  en  inforligne. 

■2.  Lo  Dictionnaire  de  l'Académie  do  1718  elle  l'exemple  être  â  soi, 
mais  sans  en  donner  la  définition. 

3.  «  Action  de  renverser  ;  se  dit  aussi  au  liguri'  :  le  renversement 
des  lois,  de  l'État  »  (Académie,  1718). 

'*.  Ci-dessus,  p.  13.  —  ."».  Saint-Simon  écrit  rabillc. 


Où) 


MÉMOIRES  [17111 


eut  pas  moyen  de  l'y  faire  résoudre  que  Monseigneurne 

fût  expiré.  Cette  agonie  sans  connoissance  dura  près  d'une 

heure  depuis  que  le  Roi  fut  dans  le  cabinet.  Madame  la 

Duchesse   et  Mme  la  princesse  de  Conti   se  partageoient 

entre  les  soins  du  mourant  et  ceux  du  Roi,  près  duquel 

elles  revenoient  souvent,  tandis  que  la  Faculté  confondue, 

les  valels  éperdus,  le  courtisan  '  bourdonnant  -,  se  pous- 

soient  les  uns  les  autres,  et  cheminoient  sans  cesse  sans 

presque  changer  de  lieu.  Enfin  le  moment  fatal  arriva  : 

Mort  de        Fagon  sortit,  qui  le  laissa  entendre.  Le  Roi,  fort  affligé, 

Monseigneur.    ^^  ^^^^  peiné  du  défaut  de  confession  '\  maltraita  un  peu 

Le  Roi  va  à  r  ,  ,      .  •  l-l  >  t»i  i 

Marly.  ce  premier  médecin,  puis  sortit,  emmené  par  Mme  de 
Maintenon  et  par  les  deux  princesses*.  L'appartement  étoit 
de  plein  pied  à  la  cour,  et,  comme  il  se  présenta  pour 
monter  en  carrosse,  il  trouva  devant  lui  la  berline^  de 

i.  Saint-Simon  a  écrit  par  erreur  courtisant. 

2.  «  Bourdonner  se.  dit  aussi  pour  exprimer  le  bruit  sourd  et  confus 
que  font  plusieurs  personnes  qui  n'approuvent  pas  ce  qui  a  été  dit  ou 
fait»  (Académie,  1748). 

3.  Mme  de  Maintenon  écrivait  peu  après  (Lettres,  éd.  1806,  tome 
VI,  p.  62)  :  «  Il  avoit  son  confesseur  dans  sa  maison  et  les  meilleurs 
médecins  de  France  :  il  meurt  dans  un  moment  et  sans  confession.  « 

4.  Sur  la  mort  de  Monseigneur,  on  peut  voir  l'article  du  Mercure 
d'avril,  p.  1-7,  ceux  de  la  Gazette,  p.  204,  et  de  la  Gazette  d'Amster- 
dam, n"  XXXIII,  la  Correspondance  de  Madame,  recueil  Jaeglé, 
tome  II,  p.  143  et  suivantes,  les  Lettres  historiques  de  Mme  de  Main- 
tenon, tome  II,  p.  302-303,  et  recueil  Gefîroy,  tome  II,  p.  275-278, 
les  Lettres  de  Mme  Dunoyer,  lettre  lxxx,  le  Journal  de  P.  Nar- 
bonne,  p.  11-13,  une  lettre  d'un  Hollandais  conservée  au  Dépôt  de  la 
guerre,  vol.  2299,  n"  392,  le  Nouveau  siècle  de  Louis  XIV,  tome  III, 
p.  383.  M.  le  comte  d'Haussonville,  dans  la  Duchesse  de  Bourgogne 
(t.  IV,  p.  93-96),  a  publié  les  lettres  que  le  duc  écrivit  à  cette  occa- 
sion à  son  frère  Philippe  V. 

5.  La  berline  (Saint-Simon  écrit  breliné)  était  une  sorte  de  car- 
rosse inventé  à  Berlin,  avec  caisse  posée  sur  des  brancards  et  soutenue 
par  des  soupentes  ;  on  disait  aussi,  mais  à  tort,  brelinde  et  brelingue 
(Dictionnaire  de  Trévoux).  D'abord  faites  pour  deux  personnes  seu- 
lement, on  en  construisit  ensuite  à  quatre  et  à  six  places  ;  elles  ser- 
vaient surtout  pour  les  voyages,  comme  plus  légères  et  mieux  suspen- 
dues que  les  chaises  de  poste. 


(17111  r>E   SAINT-SIMON.  i.S 

Monsoitjnour  ;  il  fit  signo  de  la  main  qu'on  lui  ann>nàt 
un  autre  carro!>so,  par  la  peine  (jue  lui  faisoit  celui-là. 
Il  n'eu  fut  |>as  néainuoins  tellement  occupé,  (]ue,  voyant 
Pontcharlrain,  il  ne  l'appelât  pour  lui  dire  d'avertir  son 
père  et  les  autres  ministres  de  se  trouver  le  lendemain 
matin,  un  peu  lard,  à  Marly,  pour  le  conseil  d'Ktat  or- 
dinaire du  mercredi.  Sans  commenter  ce  sens  froid,  je 
me  contenterai  de  rapporter  la  surprise  extrême  de  tous 
les  témoins  et  de  tous  ceux  qui  l'apprirent.  Pontchartrain 
répondit  que,  ne  s'agissant  que  d'affaires  courantes,  il 
vaudroit  mieux  remettre  le  Conseil  d'un  jour  que  de  l'en 
importuner.  Le  Roi  y  consentit.  Il  monta  avec  peine  en 
carrosse,  appuyé  des  deux  côtés,  Mme  de  Maintenon  tout 
de  suite  après,  qui  se  mit  à  côté  de  lui  ;  Madame  la  Du- 
chesse et  Mme  la  princesse  de  Conti  montèrent  après  elle  ', 
et  se  mirent  sur  le  devant.  Une  foule  d'officiers  de  Mon- 
seigneur se  jetèrent  à  genoux  tout  du  long  de  la  cour,  des 
deux  côtés,  sur  le  passage  du  Roi,  lui  criant  avec  des 
hurlements  étranges  d'avoir  compassion  d'eux,  qui  avoient 
tout  perdu  et  qui  mouroient  de  faim. 

Tandis  que  Meudon  étoit  rempli  d'horreur-,  tout  étoit  Spoctaclc  de 
tranquille  à  Versailles  sans  en  avoir  le  moindre  soupçon. 
Nous  avions  soupé^;  la  compagnie,  quelque  temps  après, 
s'étoit  retirée,  et  je  causois  avec  Mme  de  Saint-Simon,  qui 
achevoit  de  se  déshabiller  pour  se  mettre  au  lit,  lorsqu'un 
ancien  valet  de  chambre  à  qui  elle  avoit  donné  une 
charge  de  garçon  de  la  chambre  de  Mme  la  duchesse  de 
Berry,  et  qui  y  servoit  à  table*,  entra  tout  effarouché.  Il 

I .  Elle  a  été  ajouté  en  interligne. 

'•i.  Taine  dans  ses  Essais  de  critique  et  d'histoire  (i88i).  p.  'iii^- 
i'to,  a  écrit  trois  pages  saisissantes  sur  ce  «  spectacle  de  Versailles  » 
à  la  mort  de  Monseigneur  :  «  Farce  funèbre,  dit-il,  où  nous  contem- 
plons en  face  la  grimace  de  la  vérité  et  de  la  mort.  » 

3.  Ci-dessus,  p.  18. 

4.  D'après  la  lettre  donnévc  dans  l'Appendice  du  tome  XX  (p.  508), 
la  duchesse  s'était  intéressée  au  sieur  Lemaire  pour  lui  procurer  une 
place  dans  la  maison  de  Mme  de  Berry.  Mais  VÉtat  de  la  France  de 


Versailles. 


24  MÉMOIRES  [1711] 

nous  dit  qu'il  falloit  qu'il  y  eût  de  mauvaises  nouvelles  de 
Meudon;  que  Mgr  le  duc  de  Bourgogne  venoit  d'envoyer 
parler  à  l'oreille  à  M.  le  duc  de  Berry,  à  qui  les  yeux 
avoient  rougi'  à  l'instant;  qu'aussitôt  il  étoit  sorti  de  table, 
et  que,  sur  un  second  message  fort  prompt,  la  table,  où  la 
compagnie  étoit  restée,  s'étoit  levée  avec  précipitation,  et 
que  tout  le  monde  étoit  passé  dans  le  cabinet.  Un  chan- 
gement si  subit  rendit  ma  surprise  extrême;  je  courus 
chez  Mme  la  duchesse  de  Berry  aussitôt  :  il  n'y  avoit  plus 
personne  ;  ils  étoient  tous  allés  chez  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne.  J'y  poussai  tout  de  suite.  J'y  trouvai  tout 
Versailles  rassemblé  ou  y  arrivant,  toutes  les  dames  en 
déshabillé,  la  plupart  prêtes  à  se  mettre  au  lit,  toutes  les 
portes  ouvertes,  et  tout  en  trouble.  J'appris  que  Mon- 
seigneur avoit  reçu  l'extrême-onction,  qu'il  étoit  sans 
connoissance  et  hors  de  toute  espérance,  et  que  le  Roi 
avoit  mandé  à  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  qu'il  s'en 
alloit  à  Marly,  et  de  le  venir  attendre  dans  l'avenue, 
entre  les  deux  écuries-,  pour  le  voir  en  passant.  Le 
spectacle  attira  toute  l'attention  que  j'y  pus  donner  parmi 
les  divers  mouvements  de  mon  âme  et  ce  qui  tout  à  la 
fois  se  présenta  à  mon  esprit.  Les  deux  princes  et  les 
deux  princesses  étoient  dans  le  petit  cabinet  derrière  la 
ruelle  du  lit  ;  la  toilette  ^  pour  le  coucher  étoit  à  l'ordinaire 
dans  la  chambre  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  rem- 
plie de  toute  la  cour  en  confusion  ;  elle  alloit  et  venoit  du 
cabinet  dans  la  chambre,  en  attendant  le  moment  d'aller 
au  passage  du  Roi,  et  son  maintien,  toujours  avec  ses 
mêmes  grâces,  étoit  un  maintien  de  trouble  et  de  com- 
passion que  celui  de  chacun  sembloit  prendre  pour  dou- 

1712  indique  comme  garçons  de  la  chambre  les  sieurs  Dupuis,  Leroy  et 
Bertheauneau  ;  par  contre,  il  y  a  un  Lemaire  tailleur  de  la  garde-robe. 

1 .  Roougi,  dans  le  manuscrit. 

2.  Il  a  été  déjà  parlé  dans  le  tome  XII,  p.  104,  de  ces   deux  bâti- 
ments, situés  vis-à-vis  du  château  de  chaque  côté  de  l'avenue  de  Paris. 

3.  Tome  XIX,  p.  248. 


(I7H1  DE  SAI.NT-SIMO.V  -2r> 

leur;  elle  disoit  ou  réponcioit,  on  passant  devant  les  uns 
et  les  autres,  quelques  mots  rares.  Tous  les  assistants 
étoient  des  personnages  vraiment  expressifs;  il  ne  falloit 
qu'avoir  des  yeux,  sans  aucune  connoissance  de  la  cour, 
pour  distinguer  les  intén^ts  peints  sur  les  visages,  ou  le 
néant  de  ceux  qui  n'étoient  de  rien  :  ceux-ci  tranquilles  à 
eux-mêmes,  les  autres  pénétrés  de  douleur,  ou  de  gravité 
et  d'attention  sur  eux-mêmes  pour  cacher  leur  élargisse- 
ment' et  leur  joie.  Mon  premier  mouvement  fut  de  m'in- 
former  à  plus  d'une  fois,  de  ne  croire  qu'à  peine  au  spec- 
tacle et  aux  paroles,  ensuite  de  craindre  trop  peu  de 
cause  pour  tant  d'alarme,  enfin  de  retour  sur  moi-même 
par  la  considération  de  la  misère  commune  à  tous  les 
hommes,  et  que  moi-même  je  me  trouverois  un  jour  aux 
portes  de  la  mort.  La  joie,  néanmoins,  perçoit  à  travers 
les  réflexions  momentanées  de  religion  et  d'humanité  par 
lesquelles  j'essayois  de  me  rappeler-;  ma  délivrance  par- 
ticulière me  sembloit  si  grande  et  si  inespérée,  qu'il  me 
sembloit,  avec  une  évidence  encore  plus  parfaite  que  la 
vérité,  que  l'État  gagnoit  tout  en  une  telle  perte.  Parmi 
ces  pensées,  je  sentois  malgré  moi  un  reste  de  crainte  que 
le  malade  en  réchappât,  et  j'en  avois  une  extrême  honte. 
Enfoncé'  de  la  sorte  en  moi-même,  je  ne  laissai  pas  de 
mander  à  Mme  de  Saint-Simon  qu'il  étoit  à  propos  qu'elle 
vînt,  et  de  percer  de  mes  regards  clandestins  chaque  vi- 
sage, chaque  maintien,  chaque  mouvement,  d'y  délecter 
ma  curiosité,  d'y  noui'rir  les  idées  que  je  m'étois  formées 
de  chaque  personnage,  (|ui  ne  m'ont  jamais  guères 
trompé,  et  de  tirer  de  justes  conjectures  de  la  vérité  de 
ces  premiers  élans  dont  on  est  si  l'arement  maître,  et  qui, 
par  là,  à  qui  connoît  la  carte*  et  les  gens,  deviennent  des 

I.  Tome  XVIII.  p.  :W1. 

i.  Au  sens  moderne  de  rappeler  à  l'ordre,  aux  convenances. 
;i  Enfoncé  est  en  interligne,  au-dessus  de  renfermé,  biffe. 
\.  Expression  déjà  rencontrée  dans  les  tomes  VII,  p.  201,  et  XII, 
(I.  40-2  et  406  :  la  carte  de  la  cour  ;  voyez  ci-après,  p.  38. 


26  MÉMOIRES  \\li\] 

indications'  siiros  des  liaisons  et  des  sentiments  les  moins 
visibles  en  tous  autres  temps  rassis.  Je  vis  arriver  Mme  la 
duchesse  d'Orléans,  dont  la  contenance  majestueuse  et 
compassée  ne  disoit  rien  ;  elle  entra  dans  le  petit  cabinet, 
d"où,  bientôt  après,  elle  sortit  avec  M.  le  duc  d'Orléans, 
duquel  l'activité  et  l'air  turbulent  marquoient  plus  l'émo- 
tion du  spectacle  que  tout  autre  sentiment.  Ils  s'en  allè- 
rent, et  je  le  remarque  exprès  par  ce  qui  bientôt  après 
arriva  en  ma  présence.  Quelques-  moments  après,  je  vis 
de  loin,  vers  la  porte  du  petit  cabinet,  Mgr  le  duc  de 
Bourgogne  avec  un  air  fort  ému  et  peiné  ;  mais  le  coup 
d'œil  que  j'assenai'  vivement  sur  lui  ne  m'y  rendit*  rien 
de  tendre,  et  ne  me  rendit  que  l'occupation  profonde 
d'un  esprit  saisi.  Valets  et  femmes  de  chambre  crioient 
déjà  indiscrètement,  et  leur  douleur  prouva  bien  tout  ce 
que  cette  espèce  de  gens  alloit  perdre.  Vers  minuit  et 
demi,  on  eut  des  nouvelles  du  Roi,  et  aussitôt  je  vis 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  sortir  du  petit  cabinet 
avec  Mgr  le  duc  de  Bourgogne,  l'air  alors  plus  touché 
qu'il  ne  m'avoit  paru  la  première  fois,  et  qui  rentra  aus- 
sitôt dans  le  cabinet.  La  princesse  prit  à  sa  toilette  son 
écharpe  '  et  ses  coiffes*,  debout  et  d'un  air  délibéré,  tra- 
versa la  chambre  les  yeux  à  peine  mouillés,  mais  trahie 
par  de  curieux  regards  lancés  de  part  et  d'autre  à  la  dé- 

1.  Saint-Simon  a  écrit  par  mégarde  :  indictions. 

2.  II  y  a,  dans  le  manuscrit,  quelque  sans  pluriel. 

3.  Ecrit  acénay,  comme  toujours. 

4.  Au  sens  de  montrer,  renvoyer,  faire  voir. 

5.  «  Écharpe,  sorte  de  vêtement  que  les  femmes  mettent  sur  leurs 
épaules,  quand  elles  sortent  en  habit  négligé  «  (Académie,  1748).  On 
en  faisait  on  soie,  en  taffetas,  en  gaze  ou  en  dentelle.  Selon  Madame, 
elles  étaient  mal  portées  (recueil  Jseglé,  tome  I,  p.  107)  ;  mais  elles 
devinrent  plus  tard  fort  à  la  mode.  Quicherat  (Histoire  du  Costume, 
p.  53o),  dit  qu'après  1700.  on  porta  des  éctiarpes  ornées  de  dentelles 
et  de  falbalas  et  assez  étoffées  pour  couvrir  la  tête,  comme  la  cape  ou 
comme  la  mante. 

6.  Nous  avons  déjà  rencontré  ce  synonyme  de  bonnet  dans  le  tome 
XII,  p.  43  et  236. 


inill  OK   SAINT-SIMON  27 

robée,  et,  suivie  soulcmcnt  (\o  sos  diinics.  gagna  son  car- 
rosse par  le  grand  oscalitM-V  (^.oninic  elle  sortit  do  sa 
chambre,  je  pris  mon  temps  ponr  ;dlcr  cliez  Mme  la  du- 
chesse d'Orléans,  avec  qui  je  grillois  dèlre-.  Entrant  chez 
elle,  j'appris  qu'ils  efoient  chez  Madame  ;  je  poussai 
jusque-là  à  travers  leurs  appartements.  Je  trouvai  Mme  la 
duchesse  d"()rl»''ans  qui  retournoit  '  chez  elle,  et  qui,  d'un 
air  fort  sérieux,  me  dit  de  revenir  avec  elle.  M.  le  duc 
d'Orléans  étoit  demeuré.  Elle  s'assit  dans  sa  chambre,  et 
auprès  d'elle  la  duchesse  de  Villeroy,  la  maréchale  de 
Rochefort,  et  cinq  ou  six  daines  familières.  Je  pctillois 
cependant  de  tant  de  compagnie.  Mme  la  duchesse  d'Or- 
léans, qui  n'en  étoit  pas  moins  importunée,  prit  une  bou- 
gie* et  passa  derrière  sa  chambre.  J'allai  alors  dire  un 

1.  Appelé  aussi  prand  de«;ré,  ou  escalier  de  la  Reine,  il  donnait 
directement  accès  dans  l'appartement  du  Roi.  par  la  salle  des  gardes, 
dans  celui  de  Mme  de  Maintenon  et  dans  celui  du  ducet  de  la  duchesse 
de  Bourgogne,  comme  il  a  été   expliqué  au  tome  XVI.  p.  469  et  471. 

2.  a  On  dit  tigurément  et  bassement  :  Je  grille  d'impatience,  pour 
dire,  je  meurs,  je  brûle  d'impatience  ;  on  dit  aussi  absolument  :  Je 
grille  n  (Académie,  1718). 

3.  Après  retournoit,  il  y  a  dans  le  manuscrit  un  et  inutile. 

■4.  Bien  qu'on  ait  prétendu  que  la  bougie  avait  été  inventée  sous 
François  1"='  par  le  peintre  Ch.  Carmoy.  de  la  maison  du  cardinal  du 
Bellay,  et  par  Philibert  Dclorme,  son  architecte,  il  est  avéré  que  le 
mot  et  la  chose  sont  bien  plus  anciens.  Au  quatorzième  siècle,  le  Mé- 
nagier  de  Paris  parle  déjà  de  bougies  de  cire  ou  de  chandelles  de 
bougie,  et.  si  l'origine  du  nom  est  bien  la  ville  de  Bougie,  en  Afrique, 
où  l'on  faisait  un  grand  commerce  de  cire  et  où  l'on  aurait  commencé 
à  fabriquer  ce  genre  de  luminaire,  il  pourrait  se  faire  que  son  intro- 
duction en  Occident  remontât  à  l'époque  des  croisades.  A  cause  de 
leur  prix  élevé,  les  bougies  étaient  encore  peu  répandues  au  dix- 
.septième  siècle  {Caractères  de  la  Bruyère,  tome  I,  p.  29t)),  et  l'on 
reprocha  comme  une  prodigalité  à  Mme  Scarron.  dans  sa  détresse  de 
1601,  d'avoir  continué  à  en  brûler.  C'est  en  166H  que  l'on  commenta 
à  fournir  la  bougie,  avec  le  bois,  aux  logements  des  courtisans  (Lettres 
de  Colbert,  tome  VI,  p.  470).  Les  théâtres  n'étaient  éclairés  qu'avec 
des  chandelles,  et  ce  lut  Law  qui,  en  1719,  donna  les  fonds  nécessaires 
pour  qu'à  l'Opéra  on  pût  se  servir  de  bougies  (Dangeau,  tome  XV^III, 
p.  IH!)).  A  Voi-saillcs,  dans  les  appartements  et  galeries,  on  n'usait  que 


28  MÉMOIRES  [1711] 

mot  à  l'oreille  à  la  duchesse  de  Villeroy  :  elle  et  moi 
pensions  de  même  sur  l'événement  présent;  elle  me 
poussa,  et  me  dit  tout  bas  de  me  bien  contenir.  J'étouffois 
de  silence  parmi  les  plaintes  et  les  surprises  narratives' 
de  ces  dames,  lorsque  M.  le  duc  d'Orléans  parut  à  la 
porte  du  cabinet  et  m'appela.  Je  le  suivis  dans  son  ar- 
rière-cabinet en  bas  sur  la  galerie-,  lui  près  de  se  trouver 
mal,  et  moi  les  jambes  tremblantes  de  tout  ce  qui  se  pas- 
Surprenantes  soit  sous  mes  yeux  et  au  dedans  de  moi.  Nous  nous  as- 
j^^  ■  sîmes  par  hasard  vis-à-vis  l'un  de  l'autre  ;  mais  quel  fut 
d'Orléans,  mon  étonuemeut  lorsque,  incontinent  après,  je  vis  les 
larmes  lui  tomber  des  yeux.  «  Monsieur  I  »  m'écriai-je 
en  me  levant  dans  l'excès  de  ma  surprise.  Il  me  comprit 
aussitôt  et  me  répondit  d'une  voix  coupée^,  et  pleurant 
véritablement  :  «  Vous  ^  avez  raison  d'être  surpris,  et  je 
«  le  suis  moi-même;  mais  le  spectacle  touche.  C'est  un 
«  bon  homme  ^  avec  qui  j'ai  passé  ma  vie;  il  m'a  bien 
«  traité  et  avec  amitié  tant  qu'on  l'a  laissé  faire  et  qu'il 
«  a  agi  de  lui-même.  Je  sens  bien  que  l'affliction  ne 
«  peut  pas  être  longue  ;  mais  ce  sera  dans  quelques  jours 
«  que®  je  trouverai  tous  les  motifs  de  me  consoler  dans 

de  ce  genre  d'éclairage,  et  ce  n'était  pas  un  des  moindres  profits  des 
officiers  de  la  chambre  (Mémoires  de  Luynes,  tomes  II,  p.  366,  369  et 
370,  V,  p.  215,  X,  p.  204,  et  XI,  p.  325-326).  Les  bougies  de  couleur 
et  en  cire  parfumée  figuraient  dans  les  présents  offerts  par  les  villes, 
avec  les  confitures  et  les  dragées.  Sous  Louis  XV,  l'usage  s'en  répandit 
dans  la  bourgeoisie  aisée,  sans  néanmoins  remplacer  celui  de  la  chan- 
delle pour  les  classes  inférieures. 

i.  «  Narratif,  qui  narre  :  Discours  narratif,  style  narratifs  (Aca- 
démie, 4718). 

2.  Il  a  déjà  été  parlé  de  cet  arrière-cabinet  dans  le  tome  XVIII, 
p.  314. 

3.  «  On  dit  que  les  sanglots,  les  soupirs  coupent  la  voix,  pour  dire 
qu'ils  font  perdre  la  parole  »  (Académie,  1718). 

4.  Ce  discours  est  tout  encadré  de  guillemets. 

5.  Ainsi,  en  deux  mots,  dans  le  manuscrit. 

6.  Que,   écrit  en  fin  de  ligne,  est  répété  au  commencement  de  la 
ligne  suivante. 


|171l|  DE  SAINT-SIMON.  29 

«  l'état  où  on  m  avoit  iiii>  :i\rc  lui  ;  mais  pivsenlenit'nt 
«  le  sang,  la  proximité,  I  liuiuaiiilc,  tout  louche,  et  les 
«  entrailles  s'émeuvent.  ->  Je  louai  ce  sentiment  ;  mais  ' 
j'en  avouai  mon  extrême  surprise  par  la  façon  dont  il 
étoit  avec  .Monseigneur.  Il  se  leva,  se  mit  la  tête  dans  un 
coin,  le  nez  dedans-,  et  pleura  amèrement  et  à  sanglots, 
chose  que,  si  je  n'avois  vue,  je  n'eusse  jamais  crue.  Après 
quelque  peu  de  silence,  je  l'exhortai  à  se  calmer  ;  je  lui 
représentai  qu'incessamment  il  faudroil  retourner  chez 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  et  que,  si  on  l'y  voyoit 
avec  des  yeux  pleureux  ',  il  n'y  avoit  personne  qui  ne 
s'en  moquât  comme  d'une  comédie  très  déplacée,  à  la 
façon  dont  toute  la  cour  savoit  qu'il  étoit  avec  Monsei- 
gneur. Il  fit  donc  ce  qu'il  put  pour  arrêter  ses  larmes,  et 
pour  bien  essuyer  et  retaper*  ses  yeux.  II  y  travailloit 
encore  lorsqu'il  fut  averti  que  Mme  la  duchesse  de  Bour- 
gogne arrivoit,  et  que  Mme  la  duchesse  d'Orléans  alloit 
retourner  chez  elle.  Il  la  fut  joindre,  et  je  les  y  suivis  \ 

1.  Mais  semble  avoir  été  ajouté  après  coup  dans  la  marge. 
'2.  Saint-Simon  a  écrit  par  mégarde  :  le  nez  de  dedans. 

3.  «  Avoir  les  yeux  tout  pleureux  se  dit  d'une  personne  qui  a  les 
yeux  encore  tout  moites,  tout  rouges  d'avoir  pleuré  »  (Académie, 
d'iS). 

4.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  ne  donna  ce  verbe  que  dans 
l'édition  de  i76-2,  avec  la  délinition  suivante  :  «  Retrousser  les  bords 
d'un  chapeau  contre  la  forme  »  ;  ici,  c'est  le  sens  moderne  :  Remettre 
en  état  ce  qui  a  été  froissé  ou  abîmé. 

o.  Voici  comment  avait  été  racontée  cette  scène  dans  la  Notice  sur 
la  maison  de  Saint-Simon  (tome  XXI  et  supplémentaire  de  l'édition 
de  1873,  p.  17 1-17-2):  «  Mme  la  duchesse  dOrléans  pria  M.  de  Saint- 
Simon,  qui  causoil  avec  la  duchesse  de  Villeroy,  d'aller  trouver  M.  le 
duc  d'Orléans.  11  y  fut,  le  trouva  seul  dans  un  arrière-cabinet,  le  dos 
tourné,  qui  ne  branla  pas  l'entendant  entrer.  M.  de  Saint-Simon  lui 
demanda  ce  qu'il  faisoit  là,  et  le  lit  retourner  avec  peine,  mais,  quelle 
fut  sa  surprise  !  tondant  en  larmes.  «  Monsieur,  s'écria-t-il  avec  cette 
liberté  d'ancien  serviteur,  est-ce  que  vous  devenez  fou  tout  d'un 
coup  ?  —  A  qui  en  avez-vous?  demanda  le  prince,  honteux  et  en  san- 
glotant. Vous  voyez,  répondit-il ,  je  sais  tout  ce  que  vous  m'allez  dire, 
et  je  le  sentirai  dans  quelque  temps.  Pour  à  cette  heure,  c'est  foiblesse, 


;{0 


MEMOIRES 


[1711] 


Continuation 
du  spectacle 
de  Versailles. 


Mme  h  duchesse  de  Bourgogne,  arrêtée  dans  l'avenue 
entre  les  deux  écuries,  n'avoit  attendu  le  Roi  que  fort 
peu  de  temps  ;  dès  qu'il  approcha,  elle  mit  pied  à  terre 
et  alla  à  sa  portière.  Mme  de  Maintenon,  qui  étoit  de  ce 
même  côté,  lui  cria:  «Où  allez-vous.  Madame?  N'ap- 
prochez pas;  nous  sommes  pestitérés.  »  Je  n'ai  point 
su  quel  mouvement  fit  le  Roi,  qui  ne  l'embrassa  point  à 
cause  du  mauvais  air.  La  princesse,  à  l'instant,  regagna 
son  carrosse,  et  s'en  revint.  Le  beau  secret  que  Fagon 
avoit  imposé  sur  l'état  de  Monseigneur  avoitsi  bien  trompé 
tout  le  monde,  que  le  duc  de  Beauvillier  étoit  revenu 
à  Versailles  après  le  conseil  de  dépêches,  et  qu'il  y  cou- 
cha, contre  son  ordinaire  depuis  la  maladie  de  Monsei- 
gneur. Comme  il  se  levoit  fort  matin,  il  se  couchoit  tou- 
jours sur  les  dix  heures,  et  il  s'étoit  mis  au  lit  sans  se 
défier  de  rien.  Il  n'y  fut  pas  longtemps  sans  être  réveillé 
par  un  message  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  qui 
l'envoya  chercher,  et  il  arriva  dans  son  appartement  peu 
avant  son  retour  du  passage  du  Roi.  Elle  retrouva  les 
deux  princes  et  Mme  la  duchesse  de  Berry,  avec  le  duc 
de  Beauvillier,  dans  ce  petit  cabinet  oii  elle  les  avoit 
laissés'.  Après  les  premiers  embrassements  d'un  retour 
qui  signifioit  tout,  le  duc  de  Beauvillier,  qui  les  vit  étouf- 
fants dans  ce  petit  lieu,  les  fit  passer  par  la  chambre  dans 
le  salon  qui  la  sépare  de  la  galerie,  dont,  depuis  quelque 


si  vous  voulez  ;  mais  il  étoit  bon  homme  ;  il  m'avoit  aimé  tant  qu'on 
l'avoit  laissé  à  lui-môme  ;  les  entrailles  parlent  :  laissez-moi  pleurer.  » 
L'admiration  succéda  à  la  surprise  dans  Saint-Simon.  Il  se  tut,  baissa 
les  yeux  et  demeura  abîmé  dans  la  contemplation  d'une  vertu  si  pure, 
si  simple,  si  étrangement  rare,  et  si  inconnue  de  tous  les  hommes 
dans  ce  prince  par  les  cruelles  enveloppes  que  le  tissu  de  sa  vie  y  avoit 
su  mettre,  quoique  faussement.  Ils  demeurèrent  ainsi  en  silence  plus 
d'un  gros  quart  d'heure,  au  bout  duquel  M.  de  Saint-Simon,  inquiet 
de  la  vraisemblance  et  de  l'accusation  d'une  ridicule  comédie,  l'exhorta 
d'arrêter  ses  larmes  et  de  mettre  ses  yeux  en  état  de  paroître  devant  le 
monde.  » 
i.  Ci-dessus,  p.  24. 


[17111  DE  SAINT-SIMO.X.  34 

temps,  on  avoit  ft'i-iiu'''  i'«>  salon  il  iiiir  [mr  N-  |»onr  ru  iain; 
un  grand  tabiin'l.  Un  v  Duvril  îles  fcnèties,  et  les  deux 
princes,  avant  chacun  sa  [)iincesse  à  son  côté,  s'assirent 
sur  un  ni'*'ine  canapé  près  des  fenêtres,  le  dos  à  la  gale- 
rie ;  tout  le  monde  épars,  assis  et  debout,  et  en  confusion 
dans  ce  salon,  et  les  dames  les  plus  familières  par  terre', 
aux  pieils  ou  proche  du  canapé  des  princes.  Là,  dans  la 
chand)re,  et  par  tout  l'appartement,  on  lisoit  apertement^ 
sur  les  visages.  Monseigneur  n'étoit  plus  ;  on  le  savoit, 
on  le  disoit  ;  nulle  contrainte  ne  retenoit  plus  à  son 
égard,  et  ces  premiers  monients  étoient  ceux  des  pre- 
miers mouvements  peints  au  naturel,  et  pour  lors  afïran- 
chis  de  toute  politi(|ue,  quoique  avec  sagesse,  par  le 
trouble,  l'agitation,  la  surprise,  la  foule,  le  spectacle  con- 
fus de  cette  nuit  si  rassemblée^  Les  jiremières  pièces 
oftroient  les  mugissements'"  contenus  des  valets,  désespé- 
rés' de  la  perte  d'un  maître  si  fait  exprès  pour  eux,  et 
pour  les  consoler  d'une  autre  "  qu'ils  ne  prévoyoient 
qu'avec  transissement^  et  qui,  par  celle-ci,  devenoit  la 
leur  propre.  Parmi  eux  s'en  remarquoient  d'autres  des 
plus  éveillés  de  gens  principaux  de  la  cour,  qui  étoient 
accourus  aux  nouvelles,  et  qui  montroient  bien,  à  leur 
air,  de  quelle  boutique*  ils  étoient  balayeurs'".  Plus  avant 

i.  Fermé  est  en  interligne,  au-dessus  de  séparé,  bifîé. 

2.  Tome  XL\.  p.  "6. 

3.  o  Apcrtemcnt,  manifestement  ;  commence  à  vieillir»  (Académie, 

A.  Au  sens  de    «  passée  ensemble  »,  ou  plutôt  à  celui  de  «  pleine 
d'événements  ». 

n.  ('  M ug isscnicnt,  mougWmcni,  cri  quefont  les  taureaux  et  les  vaclies  » 
(Académie,  illH). 

G.  Saint-Simon  a  écrit  dcsesprcrcs.  —  1.  Celle  du  Roi. 

8.  a  Trunsissemi'nt,  l'étal  où  est  un  homme  transi  «(Académie,  1718). 

y.  «  En  parlant  d'une  chose  qui  se  dit  sans  nom  d'auteur,  on  dit  que 
cela  vii'nt  de  la  bontiipte  d'un  tel,  pour  dire  que  cela  est  de  l'inven- 
tion, du  crû  d'un  tel  ;  et  ordinairement  cela  se  dit  en  mauvaise  part  » 
(Académie,  1718). 
10.  «  Balayeur,  celui  (pii  balaye  »  (Académie,  1718).  Littré  ne  cite 


32  MÉMOIRES  [1711] 

commençoit  la  foule  des  courtisans  de  toute  espèce.  Le 
plus  grand  nombre,  c'est-à-dire  les  sots,  tiroient  des  sou- 
pirs de  leurs  talons',  et,  avec  des  yeux  égarés  et  secs, 
louoient  Monseigneur,  mais  toujours  de  la  même  louange, 
c'est-à-dire  de  bonté,  et  plaignoient  le  Roi  de  la  perte 
d'un  si  bon  fils.  Les  plus  fins  d'entre  eux,  ou  les  plus 
considérables,  s'inquiétoient  déjà  de  la  santé  du  Roi  ; 
ils  se- savoient  bon  gré  de  conserver  tant  de  jugement 
parmi  ce  trouble,  et  n'en  laissoient  pas  douter  par  la 
fréquence  de  leurs  répétitions.  D'autres,  vraiment  affli- 
gés, et  de  cabale  frappée^,  pleuroient  amèrement,  ou  se 
contenoient  avec  un  elïort  aussi  aisé  à  remarquer  que  les 
sanglots.  Les^  plus  forts  de  ceux-là,  ou  les  plus  politiques, 
les  yeux  fichés  à  terre,  et  reclus  en  des  coins,  méditoient 
profondément  aux  suites"'  d'un  événement  si  peu  attendu, 
et  bien  davantage  sur  eux-mêmes.  Parmi  ces  diverses 
sortes  d'affligés,  point  ou  peu  de  propos,  de  conversation 
nulle,  quelque  exclamation  parfois  échappée  à  la  douleur, 
et  parfois  répondue  par  une  douleur  voisine,  un  mot  en 
un  quart  d'heure,  des  yeux  sombres  ou  hagards,  des 
mouvements  de  mains  moins  rares  qu'involontaires,  im- 
mobilité du  reste  presque  entière  ;  les  simples  curieux  et 

que  cet  emploi  au  figuré.  La  phrase  signifie  que  l'air  de  ces  valets  fai- 
sait juger  à  laquelle  des  cabales  de  la  cour  appartenaient  les  maîtres 
qu'ils  servaient. 

1.  S'efforçaient  de  soupirer  du  plus  profond  de  leur  personne. 
Littré  ne  cite  que  le  présent  exemple. 

2.  Ils  se  corrige  et  se. 

3.  C'esl-à-dire  appartenant  à  la  cabale  qui  était  ruinée  par  la  mort 
de  Monseigneur.  Geffroy  {Lettres  de  Mme  de  Maintenons  tome  II,  p. 
280)  a  expliqué  quelle  déception  était  cette  mort  pour  la  coterie  de 
Meudon,  dirigée  par  Madame  la  Duchesse  et  les  deux  Lillebonne. 
«  Rien  n'est  égal  à  la  douleur  de  Madame  la  Duchesse,  écrivait  Mme  de 
Maintenon  au  duc  de  Xoailles  ;  aussi  tombe-t-elle  de  bien  haut  »  (Ibidem, 
p.  28'2).  La  même  expression  reviendra  ci-après,  p.  283. 

■'t.  Avant  les,  Saint-Simon  a  biffé  et. 

o.  Littré  cite  des  emplois  de  méditer  à  quelque  chose  dans  Descartes, 
Mme  de  Sévigné  et  Jean-Jacques  Rousseau. 


fl711|  DE  SAINT-SIMON.  33 

peu  soucii'ux  presque  nuls',  hors  les  sots  qui  avoient  le 
caquet-  en  partage;  les  questions  et  le  redoublement  du 
désespoir  des  aftligés,  et  l'importunité  pour  les  autres. 
Ceux  qui  déjà Mvgardoient  cet  événement  conmie  favo- 
rablt'  avoient  beau  pousser  la  gravité  jusqu'au  maintien 
chagrin  et  austère  ;  le  tout  n'étoit  qu'un  voile  clair,  qui 
n'empèchoit  pas  de  bons  yeux  de  remarquer  et  de  distin- 
guer tous  leurs  traits.  Ceux-ci  se  tenoient  aussi  tenaces 
en  place  que  les  plus  touchés,  en  garde  contre  l'opinion, 
conti'O  la  curiosité,  contre  leur  satisfaction,  contre  leurs 
mouvements;  mais  leurs  yeux  suppléoient  au  peu  d'agi- 
tation de  leurs  corps.  Des  changements  de  posture, 
comme  des  gens  peu  assis  ou  mal  debout;  un  certain 
soin  de  s'éviter  les  uns  les  autres,  même  de  se  rencontrer 
des  yeux  ;  les  accidents  momentanés  qui  arrivoient  de 
ces  rencontres;  un  je  ne  sais  quoi  de  plus  libre*  en 
toute  la  personne,  à  travers  le  soin  de  se  tenir  et  de  se 
composer;  un  vif,  une  sorte  d'étincelant  autour  d'eux, 
les^  distinguoit  malgré  qu'ils  en  eussent.  Les  deux 
princes  et  les  deux  princesses  assises  à  leurs  côtés, 
prenant  soin  d'eux,  étoient  les  plus  exposés  à  la  pleine 
vue.  Mgr  le  duc  de  Bourgogne  pleuroit  d'attendrissement 
et  de  bonne  foi,  avec  un  air  de  douceur,  des®  larmes  de 
nature,  de  religion,  de  patience.  M.  le  duc  de  Berry, 
tout  d'aussi  bonne  foi,  en  versoit  en  abondance,  mais  des 
larmes  pour  ainsi  dire  sanglantes,  tant  l'amertume  en 
paroissoit  grande,  et  poussoit  non  des  sanglots,    mais  des 

i.  C'esl-à-dirc,  no  témoignant  aucun  sentiment,  et  ne  disant  rien, 
hormis  les  sots,  qui  bavardaient. 

2.  Tome  X.K,  p.  308.  —  3.  Déjà  a  rté  ajouté  en  interligne. 

4.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  un  je  ne  sais  quoy  de  plus  vif,  de 
plus  libre  ;  s'apercevant  que  vif  se  rencontrait  encore  à  la  ligne  sui- 
vante, il  a  bilTé  l'adjectif;  mais  il  a  laissé  de  plus,  qui  se  trouve  ainsi 
répété  deux  fois. 

o.  Avant  les,  Saint-Simon  a  biffé  qui. 

6.  De  est  corrigé  en  des,  et  les  quatre  mois  larmex  de  nnturr  de 
ont  été  ajoutés  à  la  lin  d'une  ligne  et  aucommeuccment  de  la  suivante. 

MÉMOIRES    DE   SAINT-SIMON.    XXI  -i 


34  MÉMOIRES  [\1\\\ 

cris,  mais  des  hurlements'.  Il  se  taisoit  parfois,  mais  de 
suffocation,  puis  éclatolt,  mais  avec  un  tel  bruit,  et  un 
bruit  si  fort,  la  trompette  forcée  du  désespoir-,  que  la 
plupart  éclatoient  aussi  à  ces  redoublements  si  doulou- 
reux, ou  par  un  aiguillon  d'amertume,  ou  par  un  aiguil- 
lon de  bienséance.  Cela  fut  au  point  qu'il  fallut  le  désha- 
biller là  même,  et  se  précautionner  de  remèdes  et  de  gens 
de  la  Facultés  Mme  la  duchesse  de  Berry  étoit  hors 
d'elle;  on  verra  bientôt  pourquoi ^  Le  désespoir  le  plus 
amer  étoit  peint  avec  horreur  sur  son  visage  ;  on  y 
voyoit  comme  écrit  une  rage  de  douleur,  non  d'amitié, 
mais  d'intérêt  ;  des  intervalles  secs,  mais  profonds  et  fa- 
rouches, puis  un  torrent  de  larmes  et  de  gestes  involon- 
taires, et  cependant  retenus,  qui  montroient  une  amer- 
tume d'àme  extrême,  fruit  de  la  méditation  profonde 
qui  venoit  de  précéder.  Souvent  réveillée  par  les  cris  de 
son  époux,  prompte  à  le  secourir,  à  le  soutenir,  à  l'em- 
brasser, à  lui  présenter  quelque  chose  à  sentir,  on  voyoit 
un  soin  vif  pour  lui,  mais  tôt  après  une  chute  profonde 
en  elle-même,  puis  un  torrent  de  larmes  qui  lui  aidoient 
à  suffoquer  ses  cris.  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  con- 
soloit  aussi  son  époux,  et  y  avoit  moins  de  peine  qu'à 
acquérir  le  besoin  d'être  elle-même  consolée,  à  quoi 
pourtant,  sans  rien  montrer  de  faux,  on  voyoit  bien 
qu'elle  faisoit  de  son  mieux  pour  s'acquitter  d'un  devoir 
pressant  de  bienséance  sentie,  mais  qui  se  refuse  au  plus 

1 .  Ici,  heurlements,  tandis  qu'il  a  écrit  :  hurlements  ci-dessus  (p.  23), 
et,  plus  loin  (p.  33),  hurlante. 

'i.  Littré  cite  des  exemples  de  pareille  locution  dans  Bossuet  et  dans 
Mme  de  Sévigné. 

3.  Mme  de  Maintenon  écrivait  quelques  jours  plus  tard  à  la  princesse 
des  Ursins  (recueil  Geffroy,  tome  II,  p.  279)  :  «  M.  le  duc  de  Bour- 
gogne est  transi,  pâle  comme  la  mort,  ne  disant  pas  une  parole,  levant 
les  yeux  au  ciel M.  le  duc  de  Berry  a  eu  une  autre  sorte  de  dou- 
leur :  toujours  près  d'étouffer,  il  fallut  le  déshabiller  à  moitié  dans  la 
chambre  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne.  » 

4.  Ci-après,  p.  83. 


|nil|  DE  SAINT-SIMON.  35 

grand  besoin:  le  fn-quent  moucher'  lépondoit  aux  cris 
du  prince  son  beau-frèri'  ;  (juelcjues  larmes  amenées  du 
spectacle,  et  souvent  entretenues  avec  soin,  fournissoient 
à  l'art  du  mouchoir  pour  rougir  et  grossir  les  yeux  et 
barbouiller  le  visage,  et  cependant  le  coup  d'œil  fré- 
quemment dérobé  se  promenoit  sur  l'assistance  et  sur  la 
contenance  de  chacun.  Le  duc  de  Beauvillier,  debout 
auprès  d'eux,  lair-  tranquille  et  froid  comme  à  chose 
non  avi'nue,  ou  à  spectacle  ordinaire,  donnoit  ses  ordres 
pour  le  soulagement  des  princes,  poui-  que  peu  de  gens 
entrassent  quoicjue  les  portes  fussent  ouvertes  à  chacun, 
en  un  mol  pour  tout  c(>  (ju'il  éloil  besoin,  sans  empresse- 
ment, sans  se  méprendre  en  quoi  que  ce  soit  ni  aux  gens 
ni  aux  choses  :  vous  l'auriez  cru  au  lever  ou  au  petit 
couvert,  servant  à  l'ordinaire.  Ce  flegme  dura  sans  la 
moindre  altération,  également^  éloigné  d'être  aise  par 
religion  et  de  cacher  aussi  le  peu  d'aftliction  qu'il  res- 
sentoit,  pour  conserver  toujours  la  vérité.  Madame,  rha- 
billée en  grand  habit,  arriva  hurlante,  ne  sachant  bon- 
nement pourquoi  ni  l'un  ni  l'autre,  les  inonda  tous  de 
ses  larmes  en  les  embrassant,  fit  retentir  le  château  d'un 
renouvellement  de  cris  S  et   fournit  un  spectacle  bizarre 

1.  Les  lexiques  du  dix-huitième  siècle,  non  plus  que  les  modernes, 
ne  donnaient  ce  verbe  comme  pris  substantivement.  Litfré,  outre  le 
présent  exemple,  en  cite  un  de  Pascal. 

'2.  Entre  iair  et  tranquille,  il  y  a  dans  le  manuscrit  un  la,  placé 
par  mi'f;arde  et  peut-tHre  après  coup. 

3.  Ègalcm^  surcharge  eloi[gné]. 

•4.  Au  fond,  elle  n'était  guère  affligée  :  dès  le  surlendemain,  16  avril, 
elle  écrivait  à  sa  tante  de  Hanovre  (recueil  Jaeglé,  tome  H,  p.  146):  «  Ceux 
qui  ont  cru  me  causer  un  grand  dommage  en  m'aliénant  M.  le  Dauphin 
m'ont  peut-être  sauvé  la  vie  ;  car,  si,  lui  et  moi,  nous  avions  encore  été  sur 
le  même  pied  qu'avant  la  mort  de  Monsieur,  j'aurais  peut-être  pu  tomber 
malade  de  frayeur  et  d'alTliclion,  ou  bien  même  en  devenir  inconsolable, 
tandis  que  présentement  jf  supporte  ce  mallieur  patiemment  et  n'ai  de 
souci  qu'au  sujet  du  Roi.  Je  plains  M.  Ir  Dauphin  à  la  vérité  ;  mais  je  ne 
peux  m'allligcr  autant  de  la  perte  d'un  homme  qui  ne  m'aimait  pas  et  qui 
m'avait  entièrement  abandonnée,  que  s'il  était  toujours  resté  mon  ami.  » 


36 


MEMOIRES 


[1744] 


Plaisante 

aventure  d'un 

Suisse. 


d'une  princesse  qui  se  remet  en  cérémonie  en  pleine  nuit 
pour  venir  pleurer  et  crier  parmi  une  foule  de  femmes 
en  déshabillé  de  nuit',  presque  en  mascarades^.  Mme  la 
duchesse  d'Orléans  s  étoit  éloignée  des  princes,  et  s'étoit 
assise  le  dos  à  la  galerie,  vers  la  cheminée,  avec  quelques 
dames.  Tout  étant  fort  silencieux  autour  d'elle,  ces 
dames  peu  à  peu  se  retirèrent  d'auprès  d'elle,  et  lui 
firent  grand  plaisir.  Il  n'y  resta  que  la  duchesse  Sforze, 
la  duchesse  de  Villeroy,  Mme  de  Castries,  sa  dame  d'a- 
tour,  et  Mme  de  Saint-Simon.  Ravies  de  leur  liberté,  elles 
s'approchèrent  en  un  tas,  tout  le  long  d'un  lit  de  veille^ 
à  pavillon  %  et  le  joignant,  et,  comme  elles  étoient  toutes 
affectées  de  même  à  l'égard  de  l'événement  qui    rassem- 

4 .  «  Déshabillé,  les  hardes  de  nuit  dont  on  se  sert  quand  on  est  désha- 
billé. En  ce  sens,  il  n'a  d'usage  qu'avec  la  préposition  en,...  et  n'a  guère 
d'usage  que  pour  les  femmes  »  (Académie,  1718);  voyez  ci-dessus,  p.  24. 

2.  Voici  ce  qu'elle  écrivait  dans  cette  même  lettre  du  16  avril  (re- 
cueil Jseglé,  tome  II,  p.  1  44)  :  «  Vous  imaginez  bien  l'horrible  frayeur 
que  causa  la  nouvelle  de  la  mort.  Je  tis  chercher  ma  voiture,  et  me  rhabil- 
lai en  toute  hâte.  Puis,  je  courus  chez  la  duchesse  de  Bourgogne,  où 
j'assistai  à  un  spectacle  navrant:  le  duc  et  la  duchesse  de  Bourgogne 
étaient  bouleversés,  pâles  comme  la  mort  et  ne  disant  pas  un  mot  ;  le 
duc  et  la  duchesse  de  Berry  étaient  étendus  par  terre,  les  coudes  sur 
un  lit  de  repos,  et  crioient  tellement  qu'on  les  enlendoit  à  trois  pièces 
de  là  ;  mon  tils  et  Mme  d'Orléans  pleuraient  en  silence  et  faisaient  leur 
possible  pour  calmer  le  duc  et  la  duchesse  de  Berry  ;  toutes  les  dames 
étaient  par  terre  à  pleurer  autour  de  la  duchesse  de  Bourgogne.  J'ac- 
compagnai le  duc  et  la  duchesse  de  Berry  à  leur  appartement  ;  ils  se  cou- 
chèrent, mais  n'en  continuèrent  pas  moins  à  crier.  »  Ce  tableau  s'accorde 
bien  avec  celui  que  nous  avons  ici.  Voyez  aux  Additions  et  corrections. 

3.  «  On  appelle  lit  de  veille  un  lit  qu'on  accommode  à  terre  dans  la 
chambre  d'un  malade  pour  le  veiller  »  (Académie,  1718).  Dans  les 
maisons  royales,  on  en  dressait  un  chaque  soir  dans  la  chambre  du 
Roi,  au  pied  de  son  lit,  pour  le  premier  valet  de  chambre  (État  de  la 
France,  1712,  tome  I,  p.  303),  et  d'autres  aussi  dans  les  galeries  et 
antichambres,  pour  les  suisses,  huissiers  et  garçons  de  chambre  de  ser- 
vice, comme  notre  auteur  va  le  dire  quelques  lignes  plus  loin. 

4.  «  On  appelle  aussi  pavillon  un  tour  de  lit  plissé  par  en-haut  et 
suspendu  au  plancher,  ou  attaché  à  un  petit  mât  vers  le  chevet  «  (Aca- 
démie, 1718). 


flTlll  DE  SAINT-SIMON.  37 

bloit  là  tant  tic  nif)n(l»',  rlNs  ^e  mirent  à  ni  deviser  tout 
bas  ensemble  clans  ce  groupe  avec  liberté.  Dans  la  f^ale- 
rie  et  ilans  ce  salon  il    v    avoit   pinsieui-s   lits   de    veille, 
comme  dans  tout  le  grand   aj)|)artement,    pour  la   sûreté, 
où  couclioient  des  Suisses  de  l'appartement  '  et  des  frot- 
teurs'.  et   ils   v  avoieni  t'-té  mis    à    l'ordinaire    avant   les 
mauvaises  nouvelles  de  Meudon.  Au  fort  de  la    conversa- 
tion de  ces  dames,  Mme  de  Castries,  qui  touchoit  au  lit, 
le  sentit  renuu'r,  et  en  fut  foit  efTravée,  car  elle  l'étoit  do 
tout,  quoique  avec  beaucoup  d'esprit.  Un   moment  après 
elles  virent  un  gros  bras  presque  nu  relever  tout  à  coup 
le  pavillon,  qui  leur    montra   un    bon  gros  Suisse    entre 
deux  draps,  demi-éveillé  et  tout  ébahi,  très  long  à  recon- 
noître   son    monde,    (|u  il  regardoit  fixement   l'un   après 
l'autre,  qui,  enfin,  ne  jugeant  pas  à  propos  de  se  lever  en 
si  grande  compagnie,    se  renfonça  dans  son  lit  et  ferma 
son  pavillon.  Le  bonhomme  s'étoit  apparemment  couché 
avant  que  personne  eût  rien  appris,   et  avoit   assez   pro- 
fondément dormi  depuis  pour  ne  s'être  réveillé  qu'alors. 
Les  plus  tristes  spectacles  sont  assez    souvent   sujets   aux 
contrastes  les  plus   ridicules:    celui-ci^   fit  rire   quelque 
dame  de  là  autour,  et  quelque  peur*  à  Mme  la  duchesse 
d'Orléans  et  à  ce  qui  causoit  avec  elle,  d'avoir  été  enten- 
dues; mais,  réflexion  faite,  le  sommeil  et   la  grossièreté 

t.  Il  a  déjà  été  parié  dos  suisses  employés  dans  les  châteaux  royaux, 
aux  tomes  XII,  p.  417,  XIII.  p.  153,  et  XVI,  p.  âO-i-^iOS.  Entre  autres 
consignes,  ils  avaient  celle  d'interdire  l'entrée  des  appartements  et  des 
jardins  à  toute  personne  armée,  même  aux  gardes  du  corps  et  aux 
pardes  frani;aises  quand  ils  n'étaient  pas  de  service  :  voyez  le  Château 
de  Versailles,  par  M.  de  Noihac.  p.  !2o3--267.  La  Reine  et  les  princes 
avaient  aussi  leurs  suisses,  et  l'usage  d'en  avoir  [)our  portier  ou  con- 
cierge s'était  répandu  dans  la  noblesse  et  la  bourgeoisie  riche. 

2.  «  Il  y  a  un  Trotteur  ordinaire  de  la  chambre  et  des  cabinets  du 
Roi,  par  commission,...  qui  est  payé  tous  les  mois  sur  la  cassette  par 

es  premiers  valets  de  chambre,  et  a  par  an  5i0  livres  »  (État  de  la 
France,  171'2,  tomo  I,  p.  186).  Il  avait  sous  lui  des  gar(,ons  Trotteurs. 

3.  Cy,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne. 

4.  Et  lit  quelque  peur. 


38  MEMOIRES  [MM] 

du  personnage  les  rassura.  La  duchesse  de  Villeroy, 
qui  ne  faisoit  presque  que  les  joindre,  s'étoit  fourrée  un 
peu  auparavant  dans  le  pelil  cabinet',  avec  la  comtesse  de 
Roucy  et  quelques  dames  du  palais,  dont  Mme  de  Levis 
n'avoit  osé  approcher-  par  penser  trop  conformément  à  la 
duchesse  de  Villeroy.  Elles  y  étoient  quand  j'arrivai.  Je 
voulois  douter  encore,  quoique  tout  me  montrât  ce  qui 
étoit;  mais  je  ne  pus  me  résoudre  à  m'abandonner  à  le 
croire  que  le  mot  ne  m'en  fût  prononcé  par  quelqu'un  à 
qui  on  pût  ajouter  foi.  Le  hasard  me  fit  rencontrer 
M.  d'O,  à  qui  je  le  demandai,  et  qui  me  le  dit  nettement. 
Cela  su,  je  tâchai  de  n'en  être  pas  bien  aise.  Je  ne  sais 
pas  trop  si  j'y  réussis  bien  ;  mais  au  moins  est-il  vrai  que 
ni  joie  ni  douleur  n'émoussèrent  ma  curiosité,  et  qu'en 
prenant  bien  garde  à  conserver  toute  bienséance,  je  ne 
me  crus  pas  engagé  par  rien  au  personnage  douloureux'. 
Je  ne  craignois  plus  les  retours  du  feu  de  la  citadelle  de 
Meudon,  ni  les  cruelles  courses  de  son  implacable  garni- 
son, et  je  me  contraignis  moins  qu'avant  le  passage  du 
Roi  pour  Marly*,  de  considérer  plus  librement  toute  cette 
nombreuse  compagnie,  d'arrêter  mes  yeux  sur  les  plus 
touchés  et  sur  ceux  qui  l'étoient  le  moins  avec  une 
affection  diiïérente,  de  suivre  les  uns  et  les  autres  de  mes 
regards,  et  de  les  en  percer  tous  à  la  dérobée.  Il  faut 
avouer  que,  pour  qui  est  bien  au  fait  de  la  carte  intime 
d'une  cour,  les  premiers  spectacles^  d'événements  rares  de 
cette  nature  si  intéressante  à  tant  de  divers  égards,  sont 
d'une  satisfaction  extrême  :  chaque  visage  vous  rappelle 
les  soins,  les  intrigues,  les  sueurs^  employées  à  l'avance- 

1.  Ci-dessus,  p.  24.  —  2.  Approché  corrigé  en  approcher. 

3.  Au  sens  de  «  qui  marque  de  la  douleur  »,  donné  par  le  Diction- 
naire de  l'Académie  de  1718. 

4.  Ci-dessus,  p.  26  et  30. 

0.  Le  signe  du  pluriel  a  été  ajouté  à  les  et  à  spectacles,  mais  non 
pas  à  premiers,  écrit  pp. 

6.  «  Sueurs  se  dit  figurément,  au  pluriel,  des  peines  qu'on  s'est 
données  pour  réussir  à  quelque  chose  »  (Académie,  1718). 


(17111  DE  SAINT-SIMON.  i^O 

ment  dos  fortunes,  à  la  formation,  à  la  force  des  cabales, 
les  adresses  à  se  maintenir  et  à  en  écarter  d'autres,  les 
moyens  de  toute  espèce  mis  en  œuvre  pour  cela,  les  liai- 
sons plus  ou  moins  avancées,  les  éloignements,  les  froi- 
deui"s,  los  haines,  les  mauvais  ofTices,  les  manèges,  les 
avances,  les  ménagements,  les  petitesses,  les  bassesses 
de  chacun,  le  déconcerfement'  des  uns  au  milieu  de  leur 
chemin,  au  milieu  ou  au  comble  de  leurs  espérances,  la 
stupeur  de  ceux  qui  en  jouissoient  en  plein,  le  poids 
donné  du-  même  coup  à  leurs  contraires  et  à  la  cabale 
opposée,  la  vertu  de  ressort^'  qui  pousse  dans  cet  instant 
leurs  menées  et  leurs  concerts  à  bien,  la  satisfaction 
extrême  et  inespérée  de  ceux-là,  et  j'en  étois  des  plus 
avant,  la  rage  qu'en  conçoivent  les  autres,  leur  embarras 
et  leur  dépit  à  le  cacher,  la  promptitude  des  yeux  à  voler 
partout  en  sondant  les  âmes  à  la  faveur  de  ce  premier 
trouble  de  surprise  et  de  dérangement  subit,  la  combi- 
naison de  tout  ce  qu'on  y  remarque,  l'étonnement  de  ne 
pas  trouver  ce  qu'on  avoit  cru  de  quelques-uns,  faute  de 
cœur  ou  d'assez  d'esprit  en  eux,  et  plus  en  d'autres  qu'on 
n'avoit  pensé  :  tout  cet  amas  d'objets  vifs  et  de  choses  si 
importantes  forme  un  plaisir  à  qui  le  sait  prendre,  qui, 
tout  peu  solide  qu'il  devientS  est  un  des  plus  grands  dont 
on  puisse  jouir  dans  une  cour.  Ce  fut  donc  à  celui-là  que 
je  me  livrai  tout  entier  en  moi-même,  avec  d'autant  plus 
d'abandon  que,  dans  une  délivrance  bien  réelle,  je  me 
trouvois  étroitement  lié  et  embarqué^  avec  les  têtes  prin- 

i.  TomeXVm.  p.  AV.). 

2.  Avant  du,  Saint-Simon  avait  écrit  :  à  leurs  contraires,  qui  va  se 
retrouver  plus  loin  ;  il  a  biffé  les  deux  derniers  mots,  mais  non  à. 

3.  «  On  appelle  ressort,  en  termes  de  physique,  la  propriété  par  la- 
quelle les  corps  se  remettent  dans  leur  première  situation,  après  en 
avoir  été  tirés  par  force  »  (Académie,  1718).  Ce  mot  reviendra  à  la  page 
suivante. 

'4.  Est  corrigé  en  devient. 

S.  Embarquer,  au  figuré,  a  déjà  été  relevé  dans  notre  tome  XVII, 
p.  "270;  on  en  trouvera  ci-après,  p.  173,  un  autre  exemple. 


40  MÉMOIRES  [1714] 

cipales  qui  n'avoient  point  de  larmes  à  donner  à  leurs 
yeux.  Je  jouissois  de  leur  avantage  sans  contrepoids,  et 
de  leur  satisfaction,  qui  augmentoit  la  mienne,  qui 
consolidoit  mes  espérances,  qui  me  les  élevoit,  qui 
m'assuroit  un  repos  auquel,  sans  cet  événement,  je 
voyois  si  peu  d'apparence  que  je  ne  cessois  point  de 
m'inquiéter  d'un  triste  avenir',  et  que,  d'autre  part, 
ennemi  de  liaison  et  presque  personnel  des  principaux 
personnages  que  cette  perte  accabloit,  je  vis,  du  pre- 
mier coup  d'œil  vivement  porté,  tout  ce  qui  leur  échap- 
poit  et  tout  ce  qui  les  accableroit,  avec  un  plaisir  qui 
ne  se  peut  rendre.  J'avois  si  fort  imprimé  dans  ma 
tête  les  différentes  cabales,  leurs  subdivisions,  leurs  ^ 
replis,  leurs  divers  personnages  et  leurs  degrés,  la  con- 
noissance  de^  leurs  chemins,  de  leurs  ressorts,  de  leurs 
divers  intérêts,  que  la  méditation  de  plusieurs  jours  ne 
m'auroit  pas  développé  et  représenté  toutes  ces  choses 
plus  nettement  que  ce  premier  aspect  de  tous  ces  visages, 
qui  me  rappeloient  encore  ceux  que  je  ne  voyois  pas,  et 
qui  n'étoient  pas  les  moins  friands  à  s'en  repaître.  Je 
m'arrêtai  donc  un  peu  à  considérer  le  spectacle  de  ces 
différentes  pièces  de  ce  vaste  et  tumultueux  apparte- 
ment. Cette  sorte  de  désordre  dura  bien  une  heure,  où  la 
duchesse  du  Lude  ne  parut  point,  retenue  au  lit  par  la 
goutte \  A  la  fin,  M.  de  Beauvillier  s'avisa  qu'il  étoit 
temps  de  délivrer  les  deux  princes  d'un  si  fâcheux  public. 
Il  leur  proposa  donc  que  M.  et  Mme  la  duchesse  de 
Berry  se  retirassent  dans  leur  appartement,  et  le  monde 
de  celui  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne.  Cet  avis 
fut  aussitôt  embrassé.  M.  le  duc  de  Berry  s'achemina 
donc,  partie  seul,  et  quelquefois  appuyé^  par  son  épouse, 
Mme  de  Saint-Simon  avec  eux,  et  une  poignée  de  gens. 

1.  Ci-dessus,  p.  2  et  3.  —  2.  Leur,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 
3.  Avant  ce  de,  il  a  biffé  de  leur  interests.  —  4.  Tome  XIX,  p.  244. 
o.  Au  sens  de  soutenu,  qui  est  le  premier  donné  parle  Dictionnaire 
de  l'Académie  de  -1718. 


fl7H]  DE  SAINT-SIMON.  ',1 

Je  les  suivis  de  loin,  pour  ne  pas  exposer  ma  curiosité 
plus  longtemps.  Ce  prince  vouloit  coucher  chez  lui  ;  mais 
Mme  la  duchesse  de  Berry  ne  le  vouli:t  pas  quitter.  11 
étoit  si  sufl'oqué,  et  elle  aussi,  qu'on  fit  demeurer  auprès 
d'eux  une  P'aculté  complète  et  munie.  Toute  leur  nuit  se 
passa  en  larmes  et  en  cris'.  De  fois  à  autre,  M.  le  duc  de 
Berry  demandoit  des  nouvelles  de  Meudon,  sans  vouloir 
comprendre  la  cause  de  la  retraite  du  Roi  à  Marly.  Quel- 
quefois- il  s'informoit  s'il  n'y  avoit  plus  d'espérance,  il 
vouloit  envoyer  aux  nouvelles,  et  ce  ne  fut  qu'assez 
avant  dans  la  matinée  que  le  funeste  rideau  '  fut  tiré  de 
devant  ses  yeux,  tant  la  nature  et  l'intérêt  ont  de  peine 
à  se  persuader  des  maux  extrêmes  sans  remède.  On  ne 
peut  rendre  l'état  où  il  fut  quand  il  le  sentit  enfin  dans 
toute  son  étendue.  Celui  de  Mme  la  duchesse  de  Berry 
ne  fut  guères  meilleur,  mais  qui  ne  l'empêcha  pas  de 
prendre  de  lui  tous  les  soins  possibles.  La  nuit  de  M.  et 
de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  fut  plus  tranquille  ; 
ils  se  couchèrent  assez  paisiblement.  Mme  de  Levis  dit 
tout  bas  à  la  princesse  que,  n'ayant  pas  lieu  d'être  affli- 
gée, il  seroit  horrible  de  lui  voir  jouer  la  comédie.  Elle 
répondit  bien  naturellement  que,  sans  comédie,  la  pitié 
et  le  spectacle  la  touchoient,  et  la  bienséance  la  contenoit, 
et  rien  de  plus;  et  en  effet  elle  .se  tint  dans  ces  bornes- 
là  avec  vérité  et  avec  décence*.  Ils  voulurent  que  quel- 

i.  Voyez  ci-dessus  (p.  36.  note  2)  le  passage  cité  des  Lettres  de 
Madame. 

2.  Saint-Simon  a  écrit  quelafois,  par  mégarde. 

3.  ^'ous  avons  eu  déjà  dans  le  tome  XVII,  p.  49  :  derrière  ces  deux 
rideaux.  «  Tirer  le  rideau,  façon  de  parler  dont  on  se  sert  indifférem- 
ment tant  pour  dire,  cacher  quelque  chose  avec  le  rideau,  que  pour  dire, 
ôter  le  rideau  do  devant  quelque  chose.  Figurément,  pour  marquer 
qu'il  ne  faut  pas  parler  de  quel(|ue  chose  de  fâcheux,  de  désagréable, 
on  dit  que  c'est  une  chose  sur  laquelle  il  faut  tirer  le  rideau.  On  dit 
tigurément  et  proverbialement:  Tirez  le  rideau  ;  la  farce  est  jouée. 
pour  dire  qu'une  affaire  est  finie  et  qu'il  n'y  a  plus  rien  à  attendre  « 
(Académie,  1718). 

i.   Voici    ce  qu'elle   écrivait    quelques  jours  plus   tard   au  duc  de 


42  MÉMOIRES  [4741) 

ques-unes  des  dames  du  palais  passassent  la  nuit  dans 
leur  chambre  dans  des  fauteuils.  Le  rideau'  demeura 
ouvert,  et  cette  chambre  devint  aussitôt  le  palais  de 
Morphée-.  Le  prince  et  la  princesse  s'endormirent 
promptement,  s'éveillèrent  une  fois  ou  deux  un  instant  ; 
à  la  vérité,  ils  se  levèrent  d'assez  bonne  heure,  et  assez 
doucement.  Le  réservoir  d'eau  étoit  tari  chez  eux  ;  les 
larmes  ne  revinrent  plus^  depuis  que  rares  et  foibles,  à 
force  d'occasion.  Les  dames  qui  avoient  veillé  et  dormi 
dans  cette  chambre  contèrent  à  leurs  amis  ce  qui  s'y 
étoit  passé.  Personne  n'en  fut  surpris,  et,  comme  il  n'y 
avoit  plus  de  Monseigneur,  personne  aussi  n'en  fut  scan- 
dalisé. Mme  de  Saint-Simon  et  moi,  au  sortir  de  chez 
M.  et  Mme  la  duchesse  de  Berry,  nous  fûmes  encore 
deux  heures  ensemble.  La  raison,  plutôt  que  le  besoin, 
nous  fit  coucher,  mais  avec  si  peu  de  sommeil,  qu'à  sept 
heures  du  matin  j'étois  debout;  mais,  il  faut  l'avouer,  de 
telles  insomnies  sont^  douces,  et  de  tels  réveils  savoureux. 
Horreur  L'horreur  régnoit  à  Meudon.   Dès  que  le  Roi  en  fut 

parti,  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  gens  de  la  cour  le  suivirent, 
et  s'entassèrent  dans  ce  qui  se  trouva  de  carrosses^,  et 
dans  ce  qu'il  en  vint  aussitôt  après.  En^  un  instant,  Meu- 

Noailles  (lettre  citée  par  M.  le  comte  d'Haussonville,  la  Duchesse  de 
Bourgogne,  tome  IV,  p.  97):  «  J'ai  été  véritablement  touchée  de  la 
mort  de  Monseigneur;  mais  je  m'en  console  comme  les  autres;  je 
crois  même  avoir  plus  de  raisons.  Il  n'y  a  pas  assez  longtemps  que 
vous  êtes  hors  d'ici  pour  avoir  oublié  la  situation  de  la  cour,  et  par 
conséquent  pour  imaginer  grande  partie  de  ce  que  je  dois  penser.  » 

4.  Ici  c'est  le  sens  propre  de  rideau  du  lit,  et  non  plus  le  sens 
figuré  relevé  ci-dessus. 

2.  Morphée,  selon  la  mythologie  antique,  était  fils  du  Sommeil  et 
de  la  Nuit,  et  avait  pour  mission  spéciale  d'envoyer  des  songes  ;  Ovide 
en  parle  dans  le  onzième  livre  de  ses  Métamorphoses. 

3.  Dep[uis]  corrigé  en  plus. 

4.  Avant  sont,  Saint-Simon  a  biffé  un  premier  sonf,  qui  surchargeait 
peut-être  le  commencement  de  savoureuses. 

5.  L'o  de  carrosses  corrige  une  autre  lettre. 

6.  En  est  en  interligne,  au-dessus  de  dans,  biffé. 


de  Meudon. 


(nui  DE  SALN'T-SIMO.N  \:\ 

don  se  trouva  vide.  Mlle  de  Lillebonne  et  Mlle  de  Melun 
montèrent  chez  Mlle  Choin,  qui,  recluse  dans  son  gre- 
nier', ne  faisoit  que  commencer-  à  entrer  dans  les  transes 
funestes.  Elle  avoittout  ignoré;  personne  n'avoit  pris  soin 
de  lui  apprendre  de  tristes  nouvelles;  elle  ne  fut  instruite 
de  son  malheur  que  par  les  cris.  Ces  deux  amies  la  jetè- 
rent dans  un  carrosse  de  louage  qui  se  trouva  encore  là 
par  hasard,  y  montèrent  avec  elle^  et  la  menèrent  à 
Paris.  Pontchartrain,  avant  partir,  monta  chez  Voysin.  Il 
trouva  ses  gens  diffîciles  à  ouvrir,  et  lui  profondément 
endormi  ;  il  s'étoit  couché  sans  aucun  soupçon  sinistre, 
et  fut  étrangement  surpris  à  ce  réveil.  Le  comte  de 
BrionneMe  fut  bien  davantage.  Lui  et  ses  gens  s'étoient 
couchés  dans  la  même  confiance  ;  personne  ne  songea  à 
eux.  Lorsqu'au  se  levant  il  sentit  ce  ^  grand  silence,  il  vou- 
lut aller  aux  nouvelles,  et  ne  trouva  personne,  jusqu'[à] 
ce  que,  dans  cette  surprise,  il  apprit  enfin  ce  qui  étoit  ar- 
rivé. Cette  foule  de  bas  officiers  de  Monseigneur,  et  bien 
d'autres,  errèrent  toute  la  nuit  dans  les  jardins*'.  Plusieurs 
courtisans  étoient  partis  épars  à  pied.  La  dissipation  fut 
entière,  et  la  dispersion"  générale.  Un  ou  deux  valets,  au 
plus,  demeurèrent  auprès  du  corps,  et,  ce  qui  est  très 
digne  de  louange,  la  Vallière  fut  le  seul  des  courtisans 
qui,  ne  l'ayant  point  abandonné  pendant  sa  vie,  ne 
l'abandonna  point  après  sa  mort.  II  eut  peine  à  trouver 
quelqu'un   pour  aller  chercher  des  capucins^  pour  venir 

i.  Ci-tJcssus.  p.  \'2.  —  2.  Comenccr  surcliarge  un  premier  en[trer\ 

3.  La  virgule  corrij^e  une  s  mise  par  niéf^arde  après  elle. 

4.  Il  était  à  Moudon   comme   remplissant   les  fonctions  de    grand 
écuyer  à  la  place  de  son  père. 

5.  Les  mol?,  sentit  ce  sont  en  interligne,  au-dessus  de  trouia  un, 
bifTé. 

6.  Le  prince  était  très  bon  pour  eux  et  faisait  des  pensions  aux  plus 
pauvres  (Correspondance  des  contrôleurs  généraux,  tome  III,  n'M3fl8). 

7.  Ecrit  dispertion. 

8.  Monseigneur  avait  donné   aux  Capucins  une  maison  à  Meiidon, 
avec  un  enclos   de    trente  arpents,  pour  y  établir  un  couvent,  où  on 


U  MEMOIRES  [ni'lj 

prier  Dieu  auprès  du  corps*.  L'infection  en  devint  si 
prompte  et  si  grande,  que  l'ouverture  des  fenêtres  qui 
donnoient  en  portes  sur  la  terrasse  ne  suffit  pas,  et  que 
la  Vallière,  les  capucins  et  ce  très  peu  de  bas  étage-  qui 
étoit  demeuré  passèrent  la  nuit  dehors.  Du  Mont  et  Casaus^ 
son  neveu,  navrés  de  la  plus  extrême  douleur,  y  étoient 
ensevelis  dans  la  Capitainerie  \  Ils  perdoient  tout  après 
une  longue  vie  toute  de  petits  soins,  d'assiduité,  de  tra- 
vail, soutenue  par  les  plus  flatteuses  et  les  plus  raison- 
nables espérances,  et  les  plus  longuement  prolongées,  qui 
leur  échappoient  en  un  moment.  A  peine,  sur  le  matin, 
du  Mont  put-il  donner  quelques  ordres.  Je  plaignis  celui- 
là  avec  amitié. 
Confusion  de  On  s'étoit  reposé  sur^  une  telle  confiance,  que  personne 
'  ^^^'  n'avoit  songé  que  le  Roi  pût  aller  à  Marly.  Aussi  n'y 
trouva-t-il  rien  de  prêt  :  point  de  clefs  des  appartements, 
à  peine  quelque  bout  de  bougie,  et  même  de  chandelle ^ 

comptait  alors  une  quarantaine  de  religieux  (Mémoire  de  la  généralité 
de  Paris  en  1698.  p.  39). 
i.  Voyez  la  relation  du  baron  de  Breteuil:  ci-après,  p.  415. 

2.  Les  mots  de  bas  estage  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Henri  de  Casaus,  fils  d'une  sœur  de  du  Mont,  avait  été  sous- 
écuyer  de  Monseigneur  dès  1684,  puis  écuyer  ;  en  mai  1711,  il  obtint 
la  place  de  premier  maréchal  des  logis  du  duc  de  Berry,  et  il  reçut 
cinq  mille  livres  de  pension  à  la  mort  de  ce  jeune  prince.  Le  Roi  lui 
donna  une  place  de  gentilhomme  ordinaire  le  1'='"  juin  1717  ;  mais  il 
ne  l'accepta  pas  (registre  0'61,  fol.  89  et  98).  Il  obtint  en  décembre  1715, 
avec  son  frère,  colonel  d'infanterie,  un  privilège  pour  des  carrosses  à 
coulisses  (registre  Xi'^8717.  fol.  434  v")  ;  nous  ignorons  l'époque  de  sa 
mort.  Par  lettres  du  8  janvier  1713  (reg.  O'o7,  fol.  224),  le  Roi  lui 
accorda,  ainsi  qu'à  sa  femme,  trois  mille  livres  de  pension  sur  l'Opéra, 
à  prendre  après  le  décès  de  son  oncle  du  Mont,  qui  avait  le  privilège 
de  ce  théâtre  avec  Francine  (ci-après,  p.  70).  —  Saint-Simon  écrit  Casau. 

4.  Le  logement  du  capitaine  ou  gouverneur  de  Meudon  se  trouvait 
dans  les  communs  à  droite  du  château. 

5.  La  première  lettre  de  sur  corrige  un  d. 

6.  Comme  on  l'a  dit  ci-dessus,  p.  27,  à  propos  de  la  bougie,  l'usage 
de  la  chandelle  était  encore  très  généralement  répandu  au  commence- 
ment du  dix-huitième  siècle.  La  corporation  des  chandeliers  avait  le 


(17111  DE  SAINT-SIMON.  ir, 

Le  Roi  fut  plus  triino  liciirc  dans  col  ('tal,  avec  Mme  (l(^ 
Maintenon,  dans  son  anlichamhro  à  <'llo,  .Madame  la  Du- 
chesse, Mme  la  priiuesse  de  Conti,  Mmes  de  Dangeau  et 
de  Caylus,  celle-ci  accourue  de  Nersailles  auprès  de  sa 
tante.  Mais  ces  deux  dames  ne  se  tinrent  que  peu,  par-ci 
par-là,  dans  cette  antichambre,  par  discrétion.  Ce  qui  avoit 
suivi,  et  qui  arrivoit  à  la  lile,  étoit  dans  le  salon,  en 
même  désarroi,  et  sans  savoir  où  giter'.  On  fut  longtemps 
à  tâtons,  et  toujours  sans  feu,  et  toujours  les  clefs  mêlées, 
égarées  par  l'égarement  des  valets.  Les  plus  hardis  de  ce 
qui  étoit  dans  le  salon  montrèrent  peu  à  peu  le  nez  dans 
l'antichambre,  où  Mme  d'Espinoy  ne  fut  pas  des  der- 
nières, et,  de  l'un  à  l'autre,  tout  ce  qui  étoit  venu  s'y 
présenta,  poussés  de  curiosité  et  de  désir  de  tâcher  que 
leur  empressement  fût  remarqué.  Le  Roi,  reculé  en  un 
coin,  assis  entre  Mme  de  Maintenon  et  les  deux  princesses, 
pleuroit  à  longues  reprises.  Enfin  la  chambre  de  Mme  de 
Maintenon  fut  ouverte,  qui  le  délivra  de  cette  importu- 
nité.  11  y  entra  seul  avec  elle,  et  y  demeura  encore  une 
heure.  11  alla  ensuite  se  coucher,  qu'il  étoit  près  de 
quatre  heures  du  matin,  et  la  laissa  en  liberté  de  respi- 
rer et  de  se  rendre  à  elle-même.  Le  Roi  couché,  chacun 
sut  enfin  où  loger,  et  Bloin  eut  ordre  de  répandre  que 
les  gens  qui  desireroient  des  logements  à  Marly  s'adres- 
sassent à  lui,  pour  qu'il  en  rendît  compte  au  Roi  et  qu'il 
avertît  les  élus. 

Monseigneur-  étoit  plutôt  grand   que  petit,   fort  gros,     Caractère  do 

Monseigneur, 
monopole  de  la  vente  du  suif  et  delà  fabrication  des  chandelles  (H.  Mo-   l-"^^^-  ^''^-  ^*7] 
nin,  Ét'it  de  Paris  en  1789,  p.  435).  Ils  étaient  soumis  à  une  réglemen- 
tation très  sévère  :  voyez  le  recueil  d'ordonnances  et  d'arrêts  conservé 
dans  le  carton  ADxi  io,  aux  Archives  nationales. 

i.  «  Glter,  demeurer,  coucher;  il  est  bas  a  (Acudémie,  1718). 

'î.  Les  traits  du  portrait  qui  va  suivre  sont  presque  tous  confirmés 
par  les  conli-mporains,  que  nous  allons  citer  successivement  en  guise  de 
contrôle.  Floqiiet,  dans  son  livre  sur  Boasuel  précepteur  du  Dauphin, 
a  consacré  son  premier  chapitre  à  réfuter  les  dires  de  Saint-Simon  ; 
mais  il  est  juste  de  reconnaître  (ju'il  n'y  est  pas  parvenu  d'une   fat;on 


UJ  MÉMOIRES  [17H] 

mais  sans  être  trop  entassé  ',  l'air  fort  haut  et  fort  noble, 
sans  rien  de  rude  -,  et  il  auroit  eu  le  visage  fort  agréable, 
si  M.  le  prince  de  Conti  le  dernier  mort  ne  lui  avoit  pas 
cassé  le  nez  par  malheur  en  jouant,  étant  tous  deux  en- 
fants^  Il  étoit  d'un  fort  beau  blond*,  avoit  le  visage  fort 
rouge  de  hàle  partout,  et  fort  plein,  mais  sans  aucune 
physionomie,  les  plus  belles  jambes  du  monde,  les  pieds 
singulièrement  petits  et  maigres.  II  tâtonnoit  toujours  en 
marchant,  et  mettoit  le  pied  à  deux  fois  :  il  avoit  toujours 
peur  de  tomber,  et  il  se  faisoit  aider  pour  peu  que  le 
chemin  ne  fût  pas  parfaitement  droit  et  uni^  Il  étoit  fort 
bien  à  cheval  et  y  avoit  grand  mine^;  mais  il  n'y  étoit 

probante.  Un  éloge  du  Dauphin,  rédigé  par  le  duc  d'Antin  pour  servir 
à  son  oraison  funèbre  par  le  P.  de  la  Rue,  sera  donné  ci-après,  à 
l'appendice  II,  p.  434. 

1.  Expression  déjà  rencontrée  dans  nos  tomes  III,  p.  68,  et  XII, 
p.  208. 

"2.  Relation  de  Spanheim,  édition  Bourgeois,  p.  Ht  ;  Lettres  histo- 
riques de  Pellisson,  tome  I,  p.  i.H  et  49;  A.  de  Boislisle,  Recueil  de 
portraits  et  caractères  du  Musée  Britannique,  p.  22.  Selon  Madame 
(Lettres,  recueil  Brunet,  tome  II,  p.  223),  le  Roi  lui  trouvait  l'air  d'un 
fermier  allemand.  Voyez  ce  qui  va  être  dit  de  ses  portraits  ci-après 
p.  47. 

3.  C'est  en  1672,  à  la  mort  de  leur  mère,  que  les  jeunes  Conti  furent 
amenés  à  la  cour  pour  continuer  leur  éducation  avec  le  Dauphin.  Le 
dernier  mort  dont  il  est  question  ici  s'appelait  alors  la  Roche-sur- Yon. 

4.  Les  mots  estoit  d'un  fort  beau  blond  ont  été  ajoutés  en  interligne. 
—  «  Un  beau  prince  blond  »  ;  disent  les  Portraits  et  caractères  du  Mu- 
sée Britannique,  p.  22.  Il  avait  des  cheveux  admirables,  qu'il  porta 
dans  toute  leur  longueur  jusqu'en  4686  ;  à  cette  époque,  il  trouva  qu'ils 
le  gênaient  pour  la  chasse,  et  se  les  fit  couper,  au  désespoir  de  tout  le 
monde,  pour  les  remplacer  par  une  perruque  {Dangeau,  tomes  I,  p. 
422-423,  et  II,  p.  74  ;  Sourches,  tome  I,  p.  460). 

5.  «  Il  ne  faisoit  aucun  exercice  à  pied,  n'étant  pas  trop  bien  planté 
sur  ses  jambes.  »  (Mémoires  de  Sourches,  tome  I,  page  153,  note). 

6.  C'est  seulement  à  l'automne  de  1677  qu'il  avait  commencé  à  mon- 
ter à  cheval  {Gazette,  p.  880).  «  Il  étoit  fort  gros,  dit  l'annotateur  des 
Mémoires  de  Sourches  (tome  I,  p.  230),  mais  bien  planté  à  cheval  et 
avoit  quelque  chose  de  très  grand  dans  tout  son  air.  »  Il  aimait  beau- 
coup les  chevaux  et  avait  dans  son  écurie  des  coureurs  remarquables, 


(1711 1  DE  SAINT-SIMON.  47 

pas  hardi.  Casaus  cctuieul  (levant  lui  à  la  chasse  ;  s'il  le 
perdoit  de  \ue,  il  crovuit  tout  perdu;  il  n'alloit  guères 
qu'au  p<'tit  galop,  et  attendoit  souvent  sous  un  arbre  ce 
que  devenoit  la  chasse,  la  choichoil  lentement  et  s'en 
revenoit'.  Il  avoit  fort  aimé  la  table,  mais  toujours  sans 
indécence-.  Depuis  cette  granilt»  indigestion  qui  fut  prise 
d'abord  pour  apoplexie',  il  ne  faisoit  guères  qu'un  vrai 
repas,  et  se  contenoit  fort,  quoique  grand  mangeur  comme 
toute  la  maison  royale  ^  Presque  tous  ses  portraits  lui 
ressemblent  bien^  De  caractère,  il  n'en  avoit  aucun;  du 

dont  quelques-uns  venaient  d'Angleterre  ;  mais,  pour  la  chasse,  il  pré- 
férait des  bidets  normands  produits  par  son  haras  particulier  de  Nor- 
mandie. 

1.  «  Il  chasse  presque  constamment,  et  il  est  tout  aussi  content  d'al- 
ler au  pas  trois  ou  quatre  heures  durant,  sans  dire  un  mot  à  qui  que 
ce  soit,  que  de  faire  la  plus  belle  chasse  »  (Correspondance  de  Ma- 
dame, recueil  Ja?glé,  tome  I.  p.  '203).  Cela  pouvait  être  vrai  des  derniè- 
res années  de  sa  vie  ;  mais,  dans  celles  qui  suivirent  son  mariage,  il 
chassait  si  souvent  et  avec  une  telle  ardeur,  faisant  trente  et  quarante 
lieues  à  cheval  et  forçant  trois  et  quatre  cerfs  ou  loups  dans  la  même 
journée,  qu'il  épuisait  ses  chevaux  et  ses  officiers,  et  dut  se  restreindre 
à  ne  courir  qu'un  cerf  et  un  loup  par  semaine  ;  il  lui  arriva  même, 
après  une  chasse,  de  revenir  à  cheval  de  Fontainebleau  à  Versailles  en 
deux  heures  et  demie  (Dangeau,  tomes  I.  p.  '232.  244,  250-251.  326- 
327.  409  et  414.  et  II.  p.  113  ;  notre  tome  III.  p.  203).  Comme  le  Roi 
d'ailleurs,  il  était  insensible  au  froid  et  au  chaud  (Dangeau,  tome  XII, 
p.  303).  Les  seigneurs  qui  l'accompagnaient  dans  ses  chasses  devaient 
porter  une  sorte  d'uniforme,  une  casaque  ou  justaucorps  de  couleur 
verte  l'été,  feuille  morte  l'hiver,  et  cette  faveur  était  recherchée  (Dan- 
geauAome  II.  p.  48.  122-123  et  126;  Sourches,  tome  II,  p.  132; 
Journal  du  P.  Léonard,  manuscrit  Fr.  10263,  fol.  180  v  ;  Gazette 
d'Amsterdam,  1698.  n"  xcvi).  Quant  à  la  chasse  à  tir.  quoique  Dan- 
geau mentionne  qu'il  tua  trois  cents  pièces  en  une  soûle  journée 
(tome  II.  p.  444),  il  la  pratiquait  peu.  On  verra  ci-après  (p.  31)  ce  qui 
se  rapporte  à  la  chasse  du  loup  ;  à  l'occasion,  il  chassait  le  sanglier,  ' 
mais  avec  moins  de  plaisir,  et,  comme  terrain,  il  préférait  à  tout  la 
forêt  de  Fontainebleau  (Dangeau,  tome  X.  p.  117). 

2.  Mémoires  de  Sourchrs,  tome  I.  p.  309. 

3.  Ci-dessus,  p.  13.  —  4.  Tome  VIII,  p.  239. 

3.  Des  nombreux  portraits  de  Monseigneur,  le  plus  connu  est  celui 


48  MÉMOIRES  [1711] 

sens  assez,  sans  aucune  sorte  d'esprit',  comme  il  parut 
dans  ratïaire  du  testament  du  roi  d'Espagne  ^i  de  la 
hauteur,  de  la  dignité  par  nature,  par  prestance^,  par 
imitation  du  Roi;  de  l'opiniâtreté  sans  mesure,  et  un  tissu 
de  petitesses  arrangées,  qui  formoient  tout  le  tissu  de  sa 
vie  ;  doux  par  paresse  et  par  une  sorte  de  stupidité,  dur 
au  fonds  \  avec  un  extérieur  de  bonté  qui  ne  portoit  que 
sur  des  subalternes  et  sur  des  valets  ^  et  qui  ne  s'expri- 
moit  que  par  des  questions  basses  ;  il  étoit  avec  eux  d'une 

où  Mignard,  en  1689,  l'a  représenté  avec  la  Dauphine  et  ses  trois 
enfants  ;  ce  tableau  ornait  primitivement  le  château  de  Meudon,  et  est 
maintenant  au  Louvre,  n*  338;  il  y  en  a  des  copies  au  Musée  de  Ver- 
sailles, n"  :2116,et  dans  la  sacristie  de  l'église  Notre-Dame  à  Versailles. 
Rigaud,  en  1697,  en  Ht  un  nouveau  portrait,  jusqu'à  mi-jambes  (Ver- 
sailles, n»  !2083),  qui  fut  gravé  par  Drevel  ;  en  1698,  Person  le  repré- 
senta au  camp  de  Compiègne,  et  son  tableau  fut  exposé  au  Salon  de  1699  ; 
entin  il  existe  toute  une  série  de  portraits  du  prince  à  divers  âges, 
gravés  par  Trouvain  et  autres  artistes.  Comme  sculpture,  on  possède 
un  beau  buste  par  Coysevox  (Versailles,  n°  2044),  une  figurine  en  cire, 
qui  appartenait  au  baron  Jérôme  Pichon,  et  que  M.  Emile  Bourgeois  a 
reproduite  dans  son  Grand  siècle,  p.  137,  et  un  joli  médaillon  en  bas- 
relief,  exécuté  par  le  dijonnais  Du  Bois  pour  décorer  l'obélisque  com- 
mémoratif  du  séjour  que  le  prince,  alors  âgé  de  quatorze  ans,  fit  avec 
Bossuel  à  Plombières-lès-Dijon  en  1673. 

1.  Madame  dit  au  contraire  qu'il  avait  de  l'esprit,  mais  ne  le  mon- 
trait pas  par  paresse  (recueil  Brunet,  tome  I,  p.  173)  ;  avec  beaucoup 
de  mémoire,  il  l'appliquait  à  des  niaiseries  (notre  tome  XVI,  p.  328)  ; 
il  écrivait  avec  facilité  et  d'un  style  net  et  concis  que  le  président  Rose 
comparaît,  peut-être  par  flatterie,  à  celui  de  César  (Dangeau,  tome  X, 
p.  117  ;  Sourches,  tome  II,  p.  230).  Notre  auteur  reviendra  sur  sa«  nul- 
lité »,  ci-après,  p.  88. 

2.  Il  est  alors  sorti  «  de  sa  graisse  et  de  son  apathie  »  pour  parler 
énergiquement  en  faveur  de  l'acceptation  (tome  VII,  p.  307-309). 

3.  «  Prestance,  bonne  mine,  accompagnée  de  gravité  et  de  dignité  « 
{Académie,  1718).  Il  dira  plus  loin  (p.  89)  que  «  tout  son  mérite  étoit 
dans  sa  naissance  et  tout  son  poids  dans  son  corps.  » 

4.  Cependant,  dans  le  tome  XIX,  p.  282,  il  l'a  dit  «  bon  homme  au 
fonds  »,  et  c'est  aussi  le  terme  employé  par  le  duc  d'Orléans,  ci- 
dessus,  p.  28. 

5.  «  Il  est  naturellement  bienfaisant  ;  il  aime  ses  domestiques  et  les 
peuples  ))  (Caractères  de  1703,  p.  22)  ;  ci-dessus,  p.  43,  note  6. 


1 17111  DE  SAINT-SIMON.  /»9 

familiarité  prodigieuse,  d'ailleurs'  insensible  à  la  misère 
et  à  la  douleur  des  autres*,  en  cela  peut-être  plutôt  en 
proie  à  l'incurie  et  à  l'imitation  qu'à  un  mauvais  naturel  ; 
silencieux  jusqu'à  l'incroyable,  conséquemmont  tort  se- 
cret', jusque-là  qu'on  a  cru  qu'il  n'avoit  jamais  parlé 
d'afTaires  d'Étal  à  la  Cboin,  peut-être  parce  que  tous 
[deux]  n'y  entendoient  guères*.  L'épaisseur  d'une  part, 
la  crainte  de  l'autre,  formoient  en  ce  prince  une  retenue 
qui  a  peu  d'exemples;  en  même  temps,  glorieux  à  l'excès, 
ce  qui  est  plaisant  à  dire  d'un  Dauphin,  jaloux  du  res- 
pect, et  presque  uniquement  attentif  et  sensible  à  ce  qui 
lui  étoit  dû,  et  partout  \  Il  dit  une  fois  à  Mlle  Ghoin,  sur 
ce  silence  dont  elle  lui  parloit,  que,  les  paroles  de  gens 
comme  lui  portant  un  grand  poids,  et  obligeant  ainsi  à 
de  grandes  réparations  quand  elles  n'étoient  pas  mesu- 
rées, il  aimoit  mieux  très  souvent  garder  le  silence  que 
de  parler.  C'étoit  aussi  plus  tôt  fait  pour  sa  paresse  et  sa 

i.  Le  commencement  de  daillcurs  (sic)  surcharge  des  lettres  illi- 
sibles. 

2.  Los  contemporains  disent  de  même  qu'il  n'u  pas  son  pareil  en  in- 
sensibilité et  en  indilTérence,  que  son  caractère  est  «  inconcevable  et 
tournant  »,  qu'il  prend  volontiers  plaisir  à  faire  de  la  peine,  qu'il  est 
insensible  à  tout  ce  qui  peut  déranger  ses  projets,  qu'il  a  la  même  éga- 
lité d'humeur  dans  tous  les  événements,  etc.  (Correspondance  de  Ma- 
dame, recueil  Brunet,  tome  L  p.  281  ;  recueil  Jœglé,  tome  L  p.  tl-^ 
et  209  ;  Lettres  de  Mme  de  Maintenon,  recueil  Bossange.  tome  I,  p. 
368  ;  Dangeau,  tome  XU,  p.  305  ;  notre  tome  XVI,  p.  327-328). 

3.  Mémoires  de  l'abbé  de  Choisy,  tome  L  p.  106;  Relation  de  Span- 
hcim,  éd.  Bourgeois,  p.  I2i  ;  Dangeau,  tome  XII,  p.  348.  «  L'homme 
du  monde  le  plus  diilicile  à  entretenir:  car  il  ne  dit  mot  »  (Lettres  histo- 
riques et  édifiantes  de  Mme  de  Maintenon,  tome  II,  p.  to9). 

4.  Le  manuscrit  porte  :  «.  peut  estre  que  par  ce  que  tous  n'y  enten- 
doient gueres  ».  Il  semble  qu'il  faille  supprimer  le  premier  que,  et 
ajouter  deux  après  tous,  pour  rendre  la  phrase  compréhensible. 

."i.  «  Le  Roi  ayant  su  que  quelques  personnes  ne  gardoienl  pas  tout 
le  respect  qui  étoit  di!l  à  Monseigneur,  il  en  a  été  extrêmement  en  colère, 
et  lui  dit,  en  plein  Conseil,  qu'il  eût  à  se  faire  garder  le  respect  qu'on 
lui  devoit,  et  qu'il  lui  donnoit  tout  le  pouvoir  qu'il  avoit  pour  les  châ- 
tier »  (Journal  du  P.  Léonard,  ms.  Fr.  10  205,  fol.  28). 

«ilMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI  i 


50  MÉMOIRES  [1711] 

parfaite  incurie',  et  cette  maxime  excellente,  mais  qu'il 
outroit,  étoit  apparemment  une  des  leçons  du  Roi  ou  du 
duc  de  Montausier-  qu'il  avoit  le  mieux  retenue.  Son^ 
arrangement  étoit  extrême  pour  ses  affaires  particulières  : 
il  écrivoit  lui-même  toutes  ses  dépenses  prises  sur  lui*; 
il  savoit  ce  que  lui  coùtoient  les  moindres  choses,  quoi- 
qu'il dépensât  infiniment  '  en  bâtiments ^  en  meubles"', 
en  joyaux  de  toute  espèce ^  en  voyages  de  Meudon,  et  à 
l'équipage  du   loup',  dont  il  s'étoit  laissé  accroire  qu'il 

i.  Il  a  déjà  été  parlé  de  son  apathie  inémouvable  dans  le  tome  IV, 
p.  193  ;  voyez  aussi  les  lettres  de  Madame,  recueil  Brunet,  tome  II, 
p.  27,  et  recueil  Jae^lé.  tome  I,  p.  205. 

2.  Ci-après,  p.  oi-o6.  —  3.  Son  corrige  il,  effacé  du  doigt. 

4.  C'est-à-dire  sur  les  cinquante  mille  livres  que  le  Roi  lui  donnait 
mensuellement  en  dehors  du  budget  régulier  de  sa  maison. 

o.  Aussi  faisait-il  des  dettes,  que  le  Roi  payait  toujours,  sans  comp- 
ter des  dons  fréquents  en  argent  {Dangeau,  tomes  VI,  p.  84,  et  VII, 
p.  77  ;  notre  tome  VI,  p.  192  et  193;  Lettres  de  Mme  Dunoyer,  tome  I, 
p.  387-388). 

6.  Pour  ses  constructions,  soit  à  Choisy,  soit  à  Meudon,  il  était  tenu 
fort  en  brassière  par  le  Roi  et  ne  faisait  rien  sans  ses  avis  (Mémoires 
de  Sourches,  tome  IV,  p.  187). 

7.  Le  mobilier  de  son  appartement  de  Versailles  avait  été  fait  par 
Boulle  en  1685  ;  mais  il  avait  fait  aussi  fabriquer,  ou  avait  acheté 
pour  Meudon,  beaucoup  de  beaux  meubles.  Deux  commodes  conser- 
vées aujourd'hui  à  la  bibliothèque  Mazarine  sont  regardées  comme 
ayant  cette  origine. 

8.  Monseigneur  possédait  une  belle  collection  de  bijoux,  de  pierre- 
ries, de  curiosités  diverses,  et  quelques  tableaux,  dont  la  plupart  lui 
avaient  été  donnés  par  le  Roi.  La  bibliothèque  de  sir  Thomas  Philipps, 
à  Cheltenham,  possède  (no  825)  un  catalogue  des  «  agates,  cristaux, 
bronzes  et  autres  curiosités  »  de  son  cabinet  à  Versailles  en  1689,  avec 
les  prix  d'acquisition,  et  aussi  (n"  18  624)  un  catalogue  de  ses  livres. 
Les  Mémoires  de  Sourches  (tome  IV,  p.  143)  relatent  une  visite  du 
prince  aux  «  cabinets  des  curieux  »  à  Paris  en  1692. 

9.  Depuis  1682,  Monseigneur,  tout  en  se  servant  de  l'équipage  du 
loup  du  Roi,  avait  constitué  sur  sa  cassette  un  complément  d'équipage 
pour  ce  genre  de  chasse,  de  sorte  que  les  deux  réunis,  sous  les  ordres 
du  grand  louvetier  marquis  d'Heudicourt,  comprenaient  six  lieutenants 
ordinaires,  cinq  piqueurs,  une  vingtaine  de  valets,  cinquante  chevaux 
de  selle  et  une  meute  de  cent  chiens  {État  de  la  France,  1698,  tomes  I, 


inil)  DK   SAINT-SIMON.  M 

aitnoit  la  «liasse'.  Il  avoit  tort  aiiin''  toute  sorte  de  gros 
jeu*;  mais,  dejniis  (juil  s'eloit  mis  à  bâtir,  il  s'étoit  ré- 
duit à  des  jeux  médiocres';  <lu  reste,  avare  au  delà  de 
toute  bienséance,  excepté  de  très  rares  occasions,  qui  se 
bornoient  à  quelques  pensions  à  des  valets  ou  à  quelques 
médiocres  domestiques,  mais  assez  d'aumônes  au  curé  et 
aux  capucins  de  Meudon*.  Il  est  inconcevable  le  peu  qu'il 
donnoit  à  la  Choin,  si  fort  sa  bien-aimée  :  cela  ne  passoit 
point  quatre  cents  louis  par  quartier,  en  or,  quoi  qu'ils 
valussent \  faisant  pour  tout  seize  cents  louis  par  an.  I| 

p.  6i;i-Gi7.  et  II,  |).  1 1-1-2).  Il  y  a  dans  le  ms.  Arsenal  6602,  fol.  o, 
lin  compte  de  fournitures  faites  pour  la  louveterie  de  Monseigneur  en 
juillet  1710. 

i.  Monseigneur  n'avait  pas  moins  de  goût  pour  la  chasse  du  loup  que 
pour  celle  du  cerf  (ci-dessus,  p.  -i").  et  ni  le  froid,  ni  la  ctialeur,  ni  les 
deuils  de  famille,  ni  les  maladies  du  Roi,  ni  les  circonstances  politiques 
ne  rempècliaient  de  satisfaire  régulièrement  cette  passion.  Il  prenait 
dans  la  même  journée  cinq  et  six  loups,  si  bien  qu'il  en  avait  dépeuplé 
les  environs  de  Versailles.  .Marly  et  Fontainebleau.  Alors,  obligé  d'aller 
chercber  des  animaux  au  loin,  il  restait  à  coucher  à  Anel,  à  Rambouil- 
let, ou  dans  quelque  autre  gtte,  ce  qui  n'était  pas  sans  amener  des 
aventures  (^Dangenu,  tomes  I,  p.  69. 193.  197,  282,  293  et  322.  II,  p. 
205.  VI.  p.  342  et  «i.VIII.  p.  222,  228  et  230,  X,  p.  13;  et  138,  XII, 
p.  39,  2(i0  et  262.  etc.  ;  Sourchcs,  tomes  I.  p.  71  et  438,  IX,  p.  233,  et 

XII,  p.  13  ;  Relation  de  Spaitheim,  édition  Bourgeois,  p.  120  ;  Corres- 
pondance de  Madame,  recueil  Brunet.  tomes  I,  p.  26,  et  II,  p.  27  ; 
recueil  Ja'glé,  tome  I,  p.  203;  Histoire  amoureuse  de>i  Gaules,  tomes  III, 
p.  178-182,  et  IV,  p.  437  ;  Journal  de  P.  Narbonne,  p.  14-18).  En 
168-4,  étant  malade,  il  vit  de  son  lit  la  curée  du  loup  {Dangeau,  tome  I, 
p.  73),  et  dans  le  carnaval  de  1699,  il  voulut  conduire  lui-même  une 
mascarade  de  chasse  au  loup  (Dangeau,  tome  VII,  p.  29;  Gazette  de 
Rotterdam,  correspondance  de  Paris,  20  février  1699). 

2.  Nos  tomes  V.  p.  121,  VIII,  p.  243,  et  XII,  p.  1."^11  ;  Dangeau, 
tome  V,  p.  164  ;  Mémoires  de  Forbin,  p.  323. 

3.  Depuis  1701,  il  ne  jouait  plus  guère  qu'à  des  petits  jeux  comme 
le  papillon  (notre  tome  XII,  p.  322  ;  Uanyeau,  tomes  VIII,  p.  203,  et 

XIII,  p.  317).  Plus  loin  (p.  88;,  Saint-Simon  va  le  montrer  «  sifUant  dans 
un  coin  du  salon  de  .Marly  et  frappant  des  doigts  sur  sa  tabatière  »,  de- 
puis qu'il  avait  quitté  le  gros  jeu. 

■4.  Ci-dessus,  p.  -43. 

3.  Sur  les  variations  de  la  valeur  des  louis,  voyez  ce  qui  a  été  dit 


52 


MÉMOIRES 


[4744] 


les  lui  donnoit  lui-même,  de  l«i  main  à  la  main,  sans  y 
ajouter  ni  s'y  méprendre  jamais  d'une  pistole,  et  tout  au 
plus  une  boîte  '  ou  deux  par  an  ;  encore  y  regardoit-il  de 
fort  près.  Il  faut  rendre  justice  à  cette  fille,  et  convenir 
aussi  qu'il  est  difficile  d'être  plus  désintéressée  qu'elle 
l'étoit,  soit  qu'elle  en  connût  la  nécessité  avec  ce  prince, 
soit  plutôt  que  cela  lui  fût  naturel,  comme  il  a  paru  dans 
Problème  si  tout  le  tissu  de  sa  vie.  C'est  encore  un  problème  si  elle 
lonsoigneur    étoit  mariée;  tout  ce  qui  a  été  le  plus  intimement  initié 

avoit  epou'é  ,  t  .  *  ,      ■  ,  .         ,-\ 

Mlle'Choin.  dans  leurs  mystères  s'est  toujours  fortement  récrié-  qu'il 
n'y  a  jamais  eu  de  mariage^.  Ce  n'a  jamais  été*  qu'une 
grosse  camarde  ^  brune,  qui,  avec  toute  la  physionomie 
d'esprit%  et  aussi  le  jeu",  n'avoit  l'air  que  d'une  servante, 

dans  notre  tome  XIV,  p.  245,  le  Journal  de  Dangeau,  tomes  VII, 
p.  249,  VIII,  p.  494  et  202,  et  XII,  p.  449,  et  les  Mémoires  de  Sour- 
ches,  tome  XI,  p.  324  ^et  334.  En  mai  4709,  ils  ont  été  portés  à 
treize  livres. 

4.  «  Boite  se  dit  aussi  de  divers  petits  ustensiles  d'or,  d'argent,  etc., 
qui  ont  un  couvercle  »  (Académie,  4748).  C'était  un  genre  de  bijoux 
très  en  vogue. 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4748  ne  donne  d'exemple  de  se 
récrier  que  contre  quelque  chose,  ou  à  quelque  chose. 

3.  iV'olre  auteur  (tome  XIV,  p.  400)  a  déjà  nié  l'existence  d'un  ma- 
riage secret,  et  on  a  alors  réuni  dans  le  commentaire  les  renseignements 
qui  peuvent  corroborer  cette  opinion.  Cependant  Saint-Simon  hésite 
encore.  La  liaison  de  la  Choin  avec  Monseigneur  était  postérieure  à  la 
mort  de  la  Dauphine  ;  car  Spanheim,  si  bien  informé,  ne  parle  pas 
d'elle  dans  sa  Relation.  D'après  Madame  {Correspondance,  recueil 
Jîeglé,  tome  I,  p.  408  et  448),  il  avait  été  question  que  Monseigneur 
épousât  sa  tille,  la  future  duchesse  de  Lorraine. 

4.  Le  portrait  qui  va  suivre  est  contirmé  par  Madame  (recueil  Bru- 
net,  tome  II,  p.  98)  et  par  le  président  Hénault  (Jiémoù'es,  p.  424). 
Un  portrait  de  Mlle  Choin  a  été  donné  dans  le  tome  XIX  de  l'édition 
de  4840  de  nos  Mémoires. 

5.  «  Camard,  camus,  qui  a  le  nez  plat  et  écrasé»  (Académie,  4748). 
C'est  le  sobriquet  que,  dans  le  peuple,  on  a  longtemps  donné  à  la  Mort. 

6.  Au  sens  de  bel  esprit,  ou  de  personne  spirituelle,  comme  dans  le 
tome  XVII,  p.  470. 

7.  L'allure,  les  façons  de  bel  esprit. 
*La  corrigé  en  Mlle. 


[1711]  DE  SAl.NT-SIMO.N  ''T 

et  qui,  longtemps  avant  cet  événement-ci,  étoit  devenue 
excessivement  grasse,  et  encore  vieille  et  puante';  mais,  de 
la  voir  aux  Parvulo  de  Meudon  -  dans  un  fauteuil  devant 
Monseigneur ^  en  présence  de  tout  ce  (jui  y  étoit  admis, 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  et  Mme  la  duchesse  de 
Berry,  qui  y  fut  tôt*  introduite,  chacune  sur  un  tabouret, 
dire  devant  Monseigneur  et  tout  cet  intérieur  la  duchesse 
de  Bourfjntjne  et  hi  duchesse  de  liernj  et  le  duc  de  Berry, 
en  parlant  d'eux,  répondre  souvent  sèchement  aux  deux 
fdles  de  la  maison,  les  reprendre,  trouver  à  redire  à  leur 
ajustement,  et  quelquefois  à  leur  air  et  à  leur  conduite, 
et  le  leur  dire'",  on  a  peine,  à  tout  cela,  à  ne  pas  recon- 
noitre  la  belle-mère  et  la  parité  avec  Mme  de  Maintenon. 
A  la  vérité,  elle  ne  disoit  pas  Dnrjnonne  en  parlant  à 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  qui  l'appeloit  Mademoi- 
selle, et  non  ma  tante;  mais  aussi  c'étoit  toute  la  diffé- 
rence d'avec  Mme  de  Maintenon.  D'ailleurs  encore  cela 
n'avoit  jamais  pris  de  même  entre  elles'.  Madame  la  Du- 
chesse, les  deux  Lillebonnes,  et  tout  cet  intérieur  y  étoit 
un  obstacle;  et  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  qui  le 
sentoit  et  qui  étoit  timide,  se  trouvoit  toujours  gênée  et  en 
brassière  à  Meudon",  tandis  qu'entre  le  Roi  et  Mme  de 

i.  Madame  (recueil  Brunet,  tome  II,  p.  223,  et  recueil  Jseglé,  tome 
I,  p.  280-281)  et  les  chansons  du  temps  (Nouveau  siècle  de  Louis  XIV, 
tome  IV,  p.  116  et  122)  parlent  de  son  haleine  corrompue  et  de  son 
gousset  odorant. 

2.  Tome  XIV,  p.  398,  et  ci-dessus,  p.  1. 

3.  Déjà  dit  dans  le  tome  XIV,  p.  398-400. 

4.  Tout  a  été  ajouté  en  interligne. 

n.  Au  point  de  faire  pleurer  la  duchesse  de  Bourgogne,  a-t-il  dit  en 
1707  (tome  XIV.  p.  400). 

6.  Voyez  des  exemples  analogues  de  prendre  dans  le  tome  XIX,  p. 
319,  et  ci-dessus,  p.  2.  Saint-Simon  veut  dire  que,  pour  d'autres  raisons 
encore,  la  sympathie  n'avait  pu  naître  entre  la  duchesse  de  Bourgo- 
gne et  .Mlle  Choin  comme  entre  la  princesse  et  Mme  do  Maintenon. 

7.  Cependant,  au  dire  de  Madame  (notre  tome  XII,  p.  270,  note  1), 
elle  avait  eu,  dans  les  premières  années  de  son  séjour  en  France,  une 
grande  familiarité  avi(  Mnn^cl^^TH'iir  ;  ilic  alloit  même  jusqu'à  le  tutoyer, 


.H4  MEMOIRES  [ilU] 

Maintonon,  elle  jouissoit  de  toute  aisance  et  de  toute  li- 
berté. De  voir  encore  Mlle  Choin  à  Meudon,  pendant 
une  maladie  si  périlleuse,  voir  Monseigneur  plusieurs  fois 
le  jour,  le  Roi  non  seulement  le  savoir,  mais  demander 
à  Mme  de  Maintenon,  qui,  à  Meudon  non  plus  qu'ail- 
leurs, ne  voyoit  '  personne,  et  qui  n'entra  peut-être  pas 
deux  fois  chez  Monseigneur,  lui  demander,  dis-je,  si  elle 
avoit  vu  la  Choin,  et  trouver  mauvais  qu'elle  ne  l'eût 
pas  vue-,  bien  loin  de  la  faire  sortir  du  château,  comme 
on  le  fait  toujours  en  ces  occasions,  c'est  encore  une 
preuve  du  mariage  d'autant  plus  grande  que  Mme  de 
Maintenon,  mariée  elle-même,  et  qui  affichoit  si  fort  la 
pruderie  et  la  dévotion,  n'avoit,  ni  le  Roi  non  plus,  au- 
cun intérêt  d'exemple  et  de  ménagement  à  garder  là- 
dessus,  s'il  n'y  avoit  point  de  sacrement,  et  on  ne  voit 
point  qu'en  aucun  temps  la  présence  de  Mlle  Choin  ait 
causé  le  plus  léger  embarras.  Cet  attachement  incom- 
préhensible, et  si  semblable  en  tout  à  celui  du  Roi,  à  la 
figure  près  de  la  personne  chérie,  est  peut-être  l'unique 
endroit  par  où  le  fils  ait  ressemblé  au  père.  Monsei- 
gneur, tel  pour  l'esprit  qu'il  vient  d'être  représenté,  n'avoit 
pu  profiter  de  l'excellente  culture  qu'il  reçut  du  duc  de 
Montausier%  et  de  Bossuet*  et  de  Fléchier^  évêques  de 

et  nous  l'avons  vue,  dans  le  tome  XX,  p.  193,  raccommoder  Saint- 
Simon  avec  le  prince. 

1.  Il  y  a  un  et,  dans  le  manuscrit,  après  voyoit. 

2.  Ci-dessus,  p.  13. 

3.  Le  duc  de  Montausier  avait  été  désigné  en  1668  comme  gouver- 
neur du  jeune  Dauphin  ;  ses  lettres  de  provision,  du  21  septembre, 
sont  dans  le  registre  O'IO,  fol.  346  v».  Amédée  Roux  (le  Duc  de  Mon- 
tausier, p.  133  et  suivantes)  a  raconté  les  circonstances  dans  lesquelles 
ce  choix  fut  fait. 

4.  M.  de  Périgny,  précepteur  du  Dauphin,  étant  mort  en  septembre 
1670,  Bossuet,  qui  venait  d'être  nommé  évêque  de  Condom  et  n'était 
pas  encore  sacré,  fut  choisi,  le  13,  pour  le  remplacer  :  voyez  les 
Lettres  de  Colhert,  tome  V,  p.  302  et  suivantes. 

5.  L'abbé  Fléchier  avait  été  nommé  sous-précepteur  du  prince  dès  la 
constitution  de  la  maison  en  4668. 


|ITI1|  DE  SAINT-SIMON  ?>". 

Mt'aux  «'t  lie  Miiu's'.  Son  peu  de  lumière,  s'il  en  eut  ja- 
mais-, s'éteignit,  au  contraire,  sous  la  rigueur  d'une  édu- 

I.  Sur  la  «  ciiltiiro  »  litlôrairo  qui  lui  donnée  au  jouno  Daupiiin.on 
peut  voir  la  Relation  de  Spanhcim,  édition  Bourgeois,  p.  4I-2-11.-),  une 
lettre  i\o  Bossuet  au  pape  Innocent  XI  et  d'autres  lettres  à  Daniel  Muet, 
dans  le  tome  I  de  la  nouvelle  édition  de  la  Correspondance  de  Bossuet, 
un  article  de  (Charma  dans  les  Lectures  faites  à  la  Sorhonne,  If^G.'l,  p. 
63-8-2,  Druon,  Ili^tiu're  de  t'éttucation  des  princes  dans  la  maison  de 
Bourbon,  tome  I.  p.  217  et  suivantes.  Traité  de  l'éducation  de  M.  le  Dau- 
phin, par  Paul  Ilay  du  Cliastelet  (IGt)i).  et  surtout  l'ouvrage  d'Amable 
Floqnet,  Bossuet  précepteur  du  Dauphin.  Outre  le  Discours  sur  l'his- 
toire universelle  composé  spécialement  par  Bossuet  en  vue  de  l'instruc- 
tion du  jeune  prince,  outre  les  Mémoires  de  Louis  XIV  pour  son  édu- 
cation politique,  et  la  collection  des  classiques  ad  ut^um  Delphini 
entreprise  sur  l'ordre  du  duc  de  Montausier.  on  connaît  de  nombreux 
ouvrages  rédigés  pour  le  même  olijet,  notamment  le  Monarque  ou  les 
Devoirs  d'un  souverain,  par  le  P.  Senault,  l'Art  de  régner,  par  le  P. 
Lemoyne.  une  nouvelle  traduction,  par  le  chanoine  Claude  Jolv,  de 
l'Institution  du  prince  chrétien  d'Erasme,  etc.  Montausier  lui-même 
avait  composé  des  Réfle.rions  chrétiennes  et  politiques  pour  la  conduite 
d'un  prince  (ms.  Clairambauit  485.  fol.  229-"273),  et  toute  une  série  de 
Maximes,  dont  les  principales  sont  relevées  dans  le  ms.  Arsenal  2324, 
fol.  13-61.  Le  même  manuscrit  et  les  trois  suivants,  n"»  232o-'23'27. 
renferment  divers  morceaux,  instructions,  éloges  de  rois.  etc..  qui  ont 
eu  une  destination  pareille.  Entin  Colbert  avait  rédigé  un  Mémoire  sur 
la  situation  politique  et  financière  du  royaume  (ses  Lettres,  tome  II,  p. 
ccxii-ccxvii).  Il  y  a  dans  le  ms.  de  la  bibliothèque  de  Rouen  n°  3273 
des  devoirs  latins  et  français  du  jeune  prince,  corrigés  par  Bossuet,  et 
une  lettre  de  Leibnitz,  relative  à  l'édition  des  classiques,  à  laquelle  il 
collabora,  a  passé  en  vente  che^  Et.  Charavay,  le  13  janvier  1886. 

1.  Ceci  semble  contredit  par  ce  témoignage  de  Pellisson  (Lettres 
historiques,  tome  I,  p.  15)  :  «  Le  petit  prince  est  plus  joli  qu'on  ne  vous 
le  peut  exprimer  ;...  gai,  enjoué,  doux,  civil,  souple,  nullement  opi- 
niâtre ;  »  et  par  celui  de  Guy  Patin  {Lettres,  tome  III.  p.  689  et  698), 
qui  prétend  que  le  Dauphin  «  a|)prend  merveilleusement  bien  ».  Mais, 
il'autre  part,  Bossuet,  sur  le  point  de  quitter  ses  fonctions  écrivait  au 
maréchal  de  Bellefonds  le  6  juillet  1677  (Correspondance  de  Bossuet, 
édition  nouvelle,  tome  I,  p.  445-i46):  «  Me  voilà  quasi  à  la  lin  de  mon 
travail.  Monseigneur  le  Dauphin  est  si  grand,  qu'il  ne  peut  pas  être 
longtemps  sous  notre  conduite.  Il  y  a  bien  à  souffrir  avec  un  esprit  si 
inappliqué;  on  n'a  nulle  consolation  sensible,  et  on  marche,  comme 
dit  saint   Paul,  en  espérance  contre  l'espéranci'     'mi- l'ucore  qu'il  se 


S6  MÉMOIRES  [MW] 

ration  dure  et  austère',  qui  donna  le  dernier  poids  à  sa 
timidité  naturelle,  et  le  dernier  degré  d'aversion  pour 
toute  espèce,  non-  pas  de  travail  et  d'étude,  mais  d'amu- 
sement d'esprit*,  en  sorte  que,  de  son  aveu,  depuis  qu'il 
avoit  été  affranchi  des  maîtres,  il  n'avoit,  de  sa  vie,  lu 
que  l'article  de  Paris  de  la  Gazette  de  France  S  pour  y 
voir  les  morts  et  les  mariages  ^  Tout  contribua  donc  en 
lui,  timidité  naturelle,  dur  joug  d'éducation,  ignorance 
parfaite  et  défaut*^  de  lumière,  à  le  faire  trembler  devant 
le  Roi,  qui,  de  son  côté,  n'omit  rien  pour  entretenir  et 

commence  d'assez  bonnes  choses,  tout  est  encore  si  peu  afFermi,  que 
le  moindre  effort  du  monde  peut  tout  renverser.  Je  voudrois  bien  voir 
quelque  chose  de  plus  fondé;  mais  Dieu  le  fera  peut-être  sans  nous.  » 
i.  Le  Journal  du  valet  de  chambre  Dubois  (Bibliothèque  de  l'École 
des  Chartes,  2«  série,  tome  IV,  p.  38-44)  donne  des  détails  étonnants 
sur  les  corrections  corporelles  que  le  duc  de  Montausier,  qui  se  quali- 
fiait d'  «  exécuteur  des  hautes  œuvres  »,  infligeait  au  Dauphin  pour 
les  moindres  peccadilles  ;  voyez  aussi  l'ouvrage  d'Amédée  Roux,  p.  167 
et  suivantes,  et  Bossvet  précepteur  du  Dauphin,  p.  37-40. 

2.  Non    surcharge  un  d. 

3.  Mme  de  Maintenon  reconnaissait  les  inconvénients  qu'avait  eus 
pour  cette  éducation  le  choix  de  M.  de  Montausier,  sévère  et  trop  inti- 
midant (recueil  GefTroy,  tome  II,  p.  316  ;  recueil  Bossange,  tome  II, 
p.  376).  L'aversion  naturelle  du  prince  pour  l'étude  (Souvenirs  de  Mme 
deCaylus,  p.  72;  Spanheim,  édition  Bourgeois,  p.  ttS)  fut  augmentée 
par  cette  sévérité  exagérée,  à  tel  point  que  Monseigneur,  qui,  à  six  ans, 
savait  plus  de  mille  mots  latins,  n'en  connaissait  plus  un  seul  vingt  ans 
plus  tard  (lettre  de  Mme  de  Maintenon  à  Mme  de  Ventadour,  dans  le 
recueil  de  1806.  tome  V,  p.  270-271). 

4.  Tome  XVIII,  p.  1S2. 

5.  Saint-Simon  a  déjà  relevé  (tome  XVI,  p.  327-328)  un  exemple 
frappant  de  l'indifférence  de  Monseigneur  pour  les  nouvelles  politiques 
ou  militaires  qui  passionnaient  le  plus  la  cour.  Il  avait  cependant  été 
façonné  avec  soin  aux  choses  de  la  guerre  :  vers  l'âge  de  huit  ans,  le 
Roi  lui  avait  fait  fabriquer  par  le  sculpteur  Gissey  toute  une  armée  de 
soldats  en  carton,  composée  de  vingt  escadrons  et  de  dix  bataillons,  qui 
n'avait  pas  coûté  moins  de  trente  mille  livres.  Un  gardien  spécial,  aux 
gages  de  douze  cents  livres,  était  chargé  de  faire  manœuvrer  ce  corps 
de  troupes  au  moyen  de  quelque  mécanisme  ingénieux  (Dictionnaire 
critique  de  Jal,  p.  67). 

6.  Par  erreur  Saint-Simon  a  écrit  defau. 


II7H1  DF  SAINT-SIMON  S7 

prolonger cotti'  tt^rrt'ur  toute  sa  vie'.  Toujours  roi,  presqu»' 
jamais  père  avec  lui,  ou,  s'il  lui  en  échappa  bien  rare- 
ment quehjues  traits,  ils  ne  furent  jamais  purs  et  sans 
mélange  do  royauté,  non  pas  même  dans  les  moments  les 
plus  partiruliei-s  et  les  plus  intérieurs-.  Ces  moments  Monseigneur 
même  étoient  rares  tète  à  tête,  et  n'étoient  que  des  mo-  "^gansUbertr  ' 
ments,  prcs(|ue  toujours  en  présence  des  bâtards  (,'t  des  sans cn'dit avec 
valets  intérieurs,  sans  liberté,  sans  aisance,  toujours  en  ^^  "°'- 
contrainte  et  en  respect,  sans  jamais  oser  rien  hasarder  ni 
usurper,  tarnlis  <]ue,  tous  les  joui-s,  il  voyoit  faire  l'un  et 
l'autn^  au  duc  du  Maine  avec  succès,  et  Mme  la  duchesse 
de  Bourgogne  dans  une  habitude,  de  tous  les  temps  par- 
ticuliers, des  plus  familiers  badinages  et  des  privautés 
avec  le  Roi  quelquefois  les  plus  outrées^.  Il  en  sentoit 
contre  eux  une  secrète  jalousie,  mais  qui  ne  l'élargissoit 
pas.  L'esprit  ne  lui  fournissoit  rien  comme  à  M.  du  Maine, 
fils  d'ailleurs  de  la  personne  et  non  de  la  royauté,  et  en 
telle  disproportion  qu'elle  n'étoit  point  en  garde.  Il  n'étoit 
plus  de  l'âge  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  à  qui 
on  passoit  encore  les  enfances*  par  habitude  et  par  la 
grâce  qu'elle  y  mettoit  ;  il  ne  lui  restoit  donc  que  la  qua- 
lité de  fils  et  de  successeur,  qui  étoit  précisément  ce  qui 
tenoit  le  Roi   en  garde,  et   lui   sous  le  joug^   Il   n'avoit 

I.  .Notre  tome  XVII,  p.  416;  Lettres  de  Mme  Dunoyer,  tome  I,  p. 
3H7-388.  «  Il  n'eut  jamais  que  six  ans  pour  le  Roi  »,  va-t-il  dire  ci- 
après,  p.  90. 

"2.  On  a  vu,  tome  VIII,  p.  345.  qu'il  ne  s'asseyait  pas  dans  le  cabi- 
net (lu  Roi. 

3.  Tome  XII,  p.  270. 

4.  «  On  appelle  enfance  une  puérilité,  quelque  chose  qui  convient 
à  un  enfant,  et  en  ce  sens  il  a  un  pluriel  »  (Académie,  1718).  Ce  mot 
a  déjà  passé  dans  nos  tomes  IX,  p.  276,  X,  p.  loi,  et  XI,  p.  16,  à 
propos  de  la  comtesse  d'EsIrées. 

5.  Les  Mémoires  de  Sourches  (tome  IV,  p.  162,  note)  mentionnent 
une  réprimande  du  Roi  au  Dauphin  en  1602  et  insistent  sur  le  respect 
et  la  soumission  du  prince  à  l'éj^ard  de  son  père,  et  Mme  de  Mainte- 
non,  en  1707,  raconte  une  courte  dispute  qu'il  eut  avec  le  Roi  {Lettres 
historiques  et  édifiantes,  tome  II.  p.  t!)7). 


S8  MEMOIRES  [1711] 

donc  pas  l'ombre  seulement  de  crédit  auprès  du  Roi  *  ;  il 
suffisoit  même  que  son  goût  se  marquât  pour  quelqu'un, 
pour  que  ce  quoiqu'un  en  sentît  un  contrecoup  nuisible, 
et  le  Roi  étoit  si  jaloux  de  montrer  qu'il  ne  pouvoit  rien, 
qu'il  n'a  rien  fait  pour  aucun  de  ceux  qui  se  sont  atta- 
chés à  lui  faire  une  cour  plus  particulière,  non  pas  même 
pour  aucun  de  ses  menins-,  quoique  choisis   et  nommés 
par  le   Roi,  qui   même  eût  trouvé  très  mauvais  qu'ils 
n'eussent  pas  suivi  Monseigneur  avec  grande   assiduité. 
J'en  excepte  d'Antin,  qui  a  été  sans  comparaison  de  per- 
sonne ^  et  Dangeau,  qui  ne  l'a  été*  que  de  nom,  qui  tenoit 
au  Roi  d'ailleurs,  et  dont  la  femme  étoit  dans  la  parfaite 
intimité  de  Mme   de  Maintenon.   Les  ministres  n'osoient 
s'approcher  de  Monseigneur  ^  qui  aussi  ne  se  commettoit 
comme  jamais  à  leur  rien   demander,   et,  si   quelqu'un 
d'eux,  ou  des  courtisans  considérables,  étoient  bien  avec 
lui,  comme  le  Chancelier,  le  Premier^,  Harcourt,  le  ma- 
réchal d'Huxelles,  ils  s'en  cachoient  avec  un  soin  extrême, 
et  Monseigneur  s'y  prêtoit.  Si  le  Roi  en  découvroit,  il 
traitoit"  cela  de  cabale;  on  lui  devenoit  suspect,  et  on  se 
perdoit.  Ce  fut  la  cause  de  l'éloignement  si  marqué  pour 
M.  de  Luxembourg,  que   ni   la  privance  de   sa  charge*, 
ni  la  nécessité  de  s'en  servir  à  la  tête  des  armées,  ni  les 
succès  qu'il  y  eut,  ni  ^  toutes  les  flatteries  et  les  bassesses 

i.  Mémoires  de  Sourches,  tomes  I,  p.  192,  et  XI,  p.  64. 

2.  Voyez  ci-après,  p.  93. 

3.  Aussi  Monseigneur  avait-il  osé,  à  la  mort  de  Mansart,  demander 
au  Roi  la  surintendance  des  bâtiments  pour  ce  favori  (notre  tome  XVI, 
p.  o4),  donl  l'influence  sur  le  prince  avait  été  grandement  utile  pour 
la  conclusion  du  mariage  du  duc  de  Berry  (Journal  de  Torcy,  p. 
t96). 

4.  Qui  n'a  été  menin.  —  n.  Ci-après,  p.  60. 

6.  Le  premier  écuyer,  marquis  de  Beringhen. 

7.  Le  mot  traittoit  surcharge  d'autres  lettres. 

8.  Celle  de  capitaine  des  gardes  du  corps. 

9.  Après  ny,  Saint-Simon  a  ajouté  après  coup,  en  interligne,  un  que 
inutile,  que  nous  supprimons. 


inil]  OH  SAI.NT-SlMo.N  'i'I 

qu'il  employa,  ne  purent  jamais  rapprocher.  Au>si  Mon- 
seigneur, pressé'  de  s'intéresser  pour  queltju'un,  répon- 
iloit  franchement  (|iie  ee  seroit  le  moven  de  tout  gâter 
pour  lui-,  il  lui  est  quelquefois  échappé  des  monosyl- 
labes de  plaintes  am«>res  là-dessus,  quel(|uefois  après 
avoir  été  refusé  du  Hoi.  et  toujours  avec  sécheresse;  et, 
la  dernière  fois  de  sa  vie  qu'il  alla  à  Meudon,  d'où  il  ne 
revint  plus,  il  y  arriva  si  outré  d'un  refus  de  fort  peu  de 
chose  qu'il  avoit  demandé  au  Hoi  pour  Casaus,  (|ui  me  l'a 
conté,  qu'il  lui  protesta  qu'il  ne  lui  arriveroit  jamais 
plus  de  s'exposer  pour  personne,  et,  de  dépit,  le  consola 
par  les  espérances  d'un  temps  plus  favorable  lorsque  la 
natur(>  l'ordonneroit,  qui  éfoit,  pour  lui,  dire  comme  par 
prodige,  .\insi,  on  i-emarquera,  en  passant,  que  Monsieur  Monsieur  ni 
et  Monseigneur  moururent  tous  deux  dans  des  moments  moriTmitrés 
où  ^  ils  étoient  outrés  contre  le  Roi  K  La  part  entière  qu«"  contre  le  Roi. 
Monseigneur  avoit  à  tous  les  secrets  de  l'État  depuis  bien 
des  années,  n'avoit  jamais  eu  aucune  influence  aux  af- 
faires^ :  il  les  savoit,  et  c'étoit  tout.  Cette  sécheresse, 
peut-t'tre  aussi  son  peu  d'intelligence,  l'en  faisoit  retirer 
tant  qu'il  pouvoit*.  Il  étoit  cependant  assidu  aux  conseils 
d'État";  mais,  quoiqu'il  eût  la  même  entrée  en  ceux  de 

1 .  Pressés  corrigé  en  pressé. 

"2.  En  1709,  Mme  de  Maintenon  écrivait  (recueil  Geffroy,  tome  II, 
p.  -iOS)  :  M  Le  Dauphin  parle  davantage  et  écoute.  11  porte  même  au 
Roi  les  plaintes  qu'il  a  reçues  ;  mais,  après  tout  cela,  il  dit  :  «  J'ai 
«  parlé  »,  et  fait  |)ar  là  encore  plus  bhhiier  son  père.  » 

3.  Où  a  été  écrit  en  interligne,  au-dessus  de  que,  bilVé. 

4.  A  celte  réflexion  il  ajoutera,  dans  la  suite  des  Mémoires  (tome 
XIX  tie  l87i-{,  p.  "207).  (|iii'  .Miinsi'ij,'iicur  et  Miui-iiMii-  iiinufiin'iil  au 
même  ûge. 

5.  Il  ne  se  prononçait  jamais  sur  rien  avant  que  le  Roi  l'eût  déjà 
fait  (Relation  de  Spanhcim,  idiUon  Bourgeois,  p.  1  Ifi;  notre  tome  XVII, 
p.  i-2.'.). 

().  Madame  (recueil  Mrunet,  tome  II,  p.  '26-'27)  attribue  à  son  indo- 
lence et  à  sa  paresse  son  abstention  complète  de  la  politique. 

7.  Dangeau,  tome  VIII,  p.  "29'*.  S'il  y  manquait  parfois,  c'était  pour 
aller  à  la  chasse,  ou  pour  ue  pas  se  compromeltrc  (noire   Iimuc  XIV, 


60 


MEMOIRES 


\\1\]] 


Monseigneur 

peu  à 

Versailles. 


finance  et  de  dépêches,  il  n'y  alloit  presque  jamais  ^ 
Pour  au  '  travail  particulier  du  Roi,  il  n'en  fut  pas  ques- 
tion pour  lui,  et,  hors  de  grandes  nouvelles,  pas  un  mi- 
nistre n'alloit  jamais  lui  rendre  compte  de  rien  \  beau- 
coup moins  les  généraux  d'armée^,  ni  ceux  qui  revenoient 
d'être  employés  au  dehors.  Ce  peu  d'onction  ■'  et  de  con- 
sidération, cette  dépendance,  jusqu'à  la  mort,  de  n'oser 
faire  un  pas  hors  de  la  cour  sans  le  dire  au  Roi,  équiva- 
lent de  permission,  y  mettoit  Monseigneur  en  malaise.  II 
y  remplissoit  les  devoirs  de  fils  et  de  courtisan  avec  la 
régularité  la  plus  exacte,  mais  toujours  la  même  sans  y 
rien  ajouter,  et  avec  un  air  plus  respectueux^  et  plus 
mesuré  qu'aucun  sujet.  Tout  cela  ensemble  lui  faisoit 
trouver  Meudon  et  la  liberté  qu'il  y  goùtoit  délicieuse, 
et,  bien  qu'il  ne  tînt  qu'à  lui  de  s'apercevoir^  souvent  que 
le  Roi  étoit  peiné  de  ces  fréquentes  séparations,  et  par  la 
séparation  même,  et  par  celle  de  la  cour,  surtout  les  étés 

p.  154).  Il  y  parlait  rarement  et  brièvement,  disant  lui-même  qu'il 
«  n'étoit  point  harangueur  »  (Journal  de  Torcy,  p.  456). 

i.  C'est  en  juillet  1688  que  le  Roi  lui  avait  donné  voix  délibérative 
au  conseil  des  finances,  et,  à  la  mort  de  Louvois,  il  avait  eu  entrée  dans 
tous  les  autres  (Dangeau,  tomes  II,  p.  152,  et  III,  p.  370  ;  Sourches, 
tomes  II,  p.  183,  et  III,  p.  442). 

2.  Nous  avons  déjà  relevé  la  locution  pour  de  à  diverses  reprises,  et 
en  dernier  lieu,  tome  XVIII,  p.  385,  mais  non  pas  pour  à. 

3.  C'est  ainsi  que  Torcy  dit  être  allé  lui  communiquer  en  mars  1710 
l'instruction  aux  plénipotentiaires  de  Gertruydenberg,  parce  qu  il  n'avait 
pas  assisté  au  Conseil  où  elle  avait  été  discutée  {Journal  de  Torcy, 
p.  142). 

4.  Nous  l'avons  vu  cependant  travailler  avec  Villars  en  1709,  mais 
c'était  par  exception  (notre  tome  XVII,  p.  383-384  et  424)  ;  il  se  van- 
tait de  n'avoir  jamais  contredit  les  généraux  avec  lesquels  il  avait  servi 
(tome  XVI,  p.  328). 

5.  «  On  dit  qu'il  y  a  de  l'onction  dans  un  sermon,  dans  un  discours, 
pour  dire  qu'il  y  a  des  choses  qui  touchent  le  cœur  et  portent  à  la  dé- 
votion »  (Académie,  1718). 

6.  Le  manuscrit  porte  respecteux,  par  mégarde. 

7.  Ayant  écrit  l'élision  s'a  la  tin  d'une  ligne,  Saint-Simon  l'a  biffée 
pour  la  récrire  au  commencement  de  la  ligne  suivante. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  »il 

qu'elle  n'étoit  pas  nombreuse  à  cause  de  la  guerre,  il 
n'en  fit  jamais  semblant,  et  ne  changea  rien  en  ses 
voyages,  ni  pour  leur  nombre,  ni  pour  leur  durée.  Il 
étoit  fort  peu  à  Versailles',  et  rompoit  souvent  par  des 
Meudons  de  plusieurs  jours  les  Marlis,  quand  ils  s'allon- 
geoient  trop.  De  tout  cela,  on  peut  juger  quelle  pouvoit 
être  la  tendresse  de  cœur  ;  mais  le  respect,  la  vénération, 
l'admiration,  l'imitation  en  tout  ce  qui  étoit  de  sa  portée 
étoit  visible,  et  ne  se  démentit  jamais,  non  plus  que  la 
crainte,  la  frayeur  et  la  conduite-.  On  a  prétendu  qu'il 
avoit  une  appréhension  extrême  de  perdre  le  Roi  :  il 
n'est  pas  douteux  qu'il  n'ait  montré  ce  sentiment;  mais, 
d'en  concilier  la  vérité  avec  celles  qui  viennent  d'être 
rapportées,  c'est  ce  qui  ne  paroît  pas  aisé.  Toujours  est- 
il  certain  que,  quelques  mois  avant  sa  mort,  Mme  la  du- 
chesse de  Bourgogne  l'étant  allée  voir  à  Meudon,  elle 
monta  dans  le  sanctuaire  de  son  entresol',  suivie  de 
Mme  de  Nogaret,  qui,  par  Biron  et  par  elle-même  encore, 
en  avoit  la  privance,  et  qu'elles  y  trouvèrent  Monseigneur 
avec  Mlle  Choin,  Madame  la  Duchesse  et  les  deux  Lille- 
bonne,  fort  occupés  à  une  table  sur  laquelle  étoit  un 
grand  livre  d'estampes  du  sacre  ^,  et  Monseigneur  fort  Complaisant 
appliqué  à  les  considérer,  à  les  expliquer  à  la  compa-  *"^  choses  du 
gnie,  et  recevant  avec  complaisance  les  propos  qui  le 
regardoient  là-dessus,  jusqu'à  lui  dire  :  «  Voilà  donc 
celui  qui  vous  mettra  les  éperons,  cet  autre  le  manteau 
royal,  les  pairs  qui  vous  mettront  la  couronne  sur  la 
tète^  ;  »  et  ainsi  du  reste,  et  que  cela  dura  fort  longtemps. 

1.  La  première  lettre  de  Versailles  corrige  un  v. 
i.  La  manière  de  se  conduire  à  l'égard  du  Roi. 

3.  Celui  où  logeait  Mlle  Choin  :  ci-dessus,  p.  12. 

4.  Tome  XIV,  p.  391  et  note  6.  L'ouvrage  auquel  Saint-Simon  fait 
allusion  est  sans  doute  le  recueil  de  gravures  en  taille-douce  intitulé  la 
Pompeuse  et  magnifique  cérémonie  du  sacre  du  roi  Louis  XIV;  Paris, 
1655,  in-tolio. 

5.  Voyez  les  traités  publiés  par  Godefroy  dans  son  Cérémonial  fran- 
çais. 


sacre. 


63  MÉMOIRES  [17111 

Je  le  sus  deux  jours  après  de  Mme  de  Nogaret,  qui  en  fut 
fort  étonnée,   et  que  l'arrivée  de   Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne  n'eût  pas   interrompu  cet  amusement  singu- 
lier, qui  ne  marquoit  pas  une  si  grande  appréhension  de 
Monseigneur    perdre   le  Roi  et  de  le  devenir  lui-même.  Il  n'avoit  ja- 
ei  Mme  de      ,^^j,js,  p^  aimer  Mme  de  Maintenon,  ni'  se  ployer  à  obte- 
fon6k!ig"nTs.     nir  rien  par   son  entremise-.  Il  l'alloit  voir  un  moment 
au  retour  du   peu  de  campagnes  qu'il  a  faites  ^  ou  aux 

\.  Avant  ny,  il  a  biffé  luy. 

"2.  Non  seulement  il  ne  l'aimait  pas,  mais  il  la  craignait,  et  cette 
crainte  lui  inspirait  à  son  égard  une  certaine  déférence  de  surface  (nos 
tomes  VII,  p.  309.  et  XVII,  p.  424  ;  Dangeau,  tomes  V,  p.  480  note, 
et  XVI.  p.  6i-6o,  Addition  de  Saint-Simon  ;  Correspondance  de  Ma- 
dame, recueil  Jseglé,  tome  I,  p.  87-88).  La  Beaumelle  (tome  VII,  p. 
242-231)  a  publié  quelques  lettres  adressées  par  Monseigneur  à  Mme  de 
Maintenon,  et  il  en  existe  plusieurs  en  original  dans  les  manuscrits 
appartenant  au  duc  de  Moucliy.  Si  Ton  en  croit  l'Histoire  amoureuse 
des  Gaules,  tome  III,  p.  163-165,  il  ne  se  gênait  pas  dans  l'intimité  pour 
parler  familièrement  de  «  la  bonne  vieille  sa  belle-mère  ».  Saint-Simon 
va  revenir  sur  ce  point  ci-après,  p.  89. 

3.  Le  relevé  des  campagnes  de  Monseigneur  se  trouve  dans  la  Chro- 
nologie militaire  de  Pinard,  tome  I,  p.  557-559.  En  1688  et  1689,  il 
avait  commandé  l'armée  d'Allemagne  avec  les  maréchaux  de  Duras  et 
de  Lorge  ;  en  1690  et  1694,  le  Roi  le  mit  à  la  tète  de  celle  de  Flandre 
avec  M.  de  Luxembourg.  Sa  conduite  au  siège  de  Philipsbourg  en 
1688  lui  avait  fait  donner  par  les  flatteurs  le  surnom  de  Louis  le 
Hardi  ;  mais  ses  capacités  militaires  n'étaient  pas  estimées  de  même 
par  tout  le  monde,  si  l'on  en  croit  ce  couplet  du  Chansonnier  (ms.  Fr. 

12689,  p.  381): 

Retourne  en  cour 
Et  quitte  la  cuirasse  ; 

Retourne  en  cour, 
Laisse  là  Philipsbourg. 

Il  est  plus  doux 
De  courir  à  la  chasse 
Que  d'aller  aux  coups. 

Crains  les  jaloux  : 
On  ne  prend  pas  les  places 
Comme  on  fait  les  loups. 

En  1708  et  1709,  il  avait  été  question  de  le  mettre  à  la  tête  de  l'ar- 
mée de  Flandre.  Il  était  chéri  du  soldat,  comme  du  bas  peuple  et  de 
ses  valets,  pour  sa  bonhomie  et  sa  familiarité. 


(1711]  DE  SAI.NT-SIMON  63 

occasions  très  rares;  jamais  de  particulier;  quelquefois 
il  entroit  chez  elle  un  instant  avant  le  souper  pour  y 
suivre  le  Hoi'.  Elle  aussi  avoit  à  son  égard  une  conduite 
fort  sèche,  et  qui  lui  faisoit  sentir  qu'elle  le  comptoit  pour 
rien  *.  La  haine  '  commune  des  deux  sultanes*  contre  (Jha- 
millart,  et  le  besoin  de  tout  pour  le  renverser,  les  rappro- 
cha comme  il  a  été  dit^  et  fit  le  miracle  d'y  faire  entrer 
puissamment  Monseigneur*^,  mais  qui  ne  Teùl  jamais  osé 
sans  l'impulsion  toute-puissante  de  la  sienne,  la  sûreté 
de  l'appui  de  l'autre,  et  tout  ce  qui  s'en  mêla.  Aussi  ce  Courintimcfic 
rapprochement  ne  fil  depuis  que  se  refroidir  et  s'éloigner  '  °"*''*p°®"'"- 
peu  à  peu.  Avec  MlleChoin ',  sa  vraie  confiance  étoit  en 
Mlle  de  Lillebonne,  et,  par  l'intime  union  des  deux  sœurs, 
avec  Mme  d'Espinoy.  Presque  tous  les  matins  il  alloit 
prendre  du  chocolat  chez  la  première*.  C'étoit  l'heure 
des  secrets,  qui  étoit  inaccessible  sans  réserve,  excepté 
à  l'unique  Mme  d'Espinoy*.  Par  elles,  plus  que  par  soi- 
même,  tenoit  le  reste  de  considération  et  de  commerce 
avec  Mme  la  princesse  de  Conti'",  et  même  lamitié  avec 

I.  Mme  de  Mainlenon  se  plaignait  qu'il  ne  dît  pas  un  mot  quand  il 
était  en  visite  chez  elle  (Lettres,  recueil  GetTroy,  tome  II,  p.  -46). 

'2.  La  cause  en  était  peut-être  dans  l'opposition  persistante  de  Mon- 
seigneur à  la  déclaration  du  mariage  du  Roi  avec  elle,  quoique  Ma- 
dame pense  qu'il  s'y  fût  peut-être  résigné  (recueil  Ja?glé,  tome  II,  p.  52). 

3.  Hane,  au  manuscrit,  mal  corrigé  en  haine  par  un  point  mis  au- 
dessus  du  mot. 

4.  «  Sultane,  titre  qu'on  donne  aux  femmes  du  Grand-Seigneur  » 
(Académie,  1718).  Saint-Simon  a  déjà  appliqué  ce  terme  à  Mme  de 
Montespan  (Écrits  inédits,  tome  VI,  p.  315),  et  il  en  qualilicra  encore 
Mme  de  Maintenon  (suite  des  Mémoires,  tome  XII  de  1873,  p.  31). 

n.  Tome  XVII,  p.  4i"2  et  suivantes. 

6.  Mgr  a  été  ajouté  en  interligne.  —  Tome  XVII,  p.  itî  1-4-27  et 
430-431. 

7.  Choin  surcharge  d'autres  lettres  illisibles. 

8.  Déjà  dit  dans  le  tome  XV.  p.  Il-1'2. 

!).  On  a  vu  au  tome  XVI,  p.  3-27-3-2.S,  dans  quelle  franchise  familière 
elle  se  trouvait  avec  .Monseigneur. 
10.  Madame  a  raconté  (Correspondance,  recueil   Brunct,  tome  I,  p. 
234)  comment  le  prince  se  détacha  peu  à  peu  de  laDauphine  par  l'ha- 


64 


MEMOIRES 


117111 


Monseigneur 
plus  que  sec 
avec  Mgr  et 

Mme  la 
duchesse  de 
Bourgogne, 


Madame  la  Duchesse',  que  soutenoient  les  amusements 
qu'il  Irouvoit  chez  elle-;  par  là  encore,  cette  préférence 
du  duc  de  Vendôme  sur  le  prince  de  Conti  %  à  la  mort 
duquel  il  fut  si  indécemment  insensible*.  Un  tel  mérite  si 
reconnu  dans  un  prince  du  sang,  joint  à  la  privance  de 
l'éducation  presque  commune^  et  à*^  l'habitude  de  toute 
la  vie,  auroit  eu  trop  de  poids  sur  Monseigneur  devenu 
roi,  si  l'amitié  première  s'étoit  conservée,  et  les  sœurs, 
qui  vouloient  gouverner  ',  écartèrent  doucement  ce  prince. 
Cette  même  raison  fut,  comme  on  l'a  dit,  le  fondement 
de  cette  terrible  cabale  *  dont  les  effets  éclatèrent  dans  la 
campagne  de  Lille  ^  et  furent  soigneusement  entretenus 
depuis  dans  l'esprit  de  Monseigneur,  naturellement  éloi- 
gné de  la  contrainte  et  de  l'austérité  des  mœurs  de  Mgr  le 
duc  de  Bourgogne,  et  que  la  haine  de  Madame  la  Du- 

bitude  qu'il  prit  d'aller  jouer  chez  la  princesse  de  Conti  tous  les  jours 
qu'il  n'y  avait  pas  comédie,  si  bien  que,  lorsqu'il  était  en  campagne,  il 
écrivait  plutôt  à  la  princesse  qu'à  sa  femme  (Dangeau,  tomes  II,  p.  52, 
VIII,  p.  369,  et  IX,  p.  417  ;  Sourches,  tomes  I,  p.  447,  II,  p.  262,  et 
III,  p.  473  ;  Souvenirs  de  Mme  de  Caylus,  p.  183  ;  Relation  de 
Spanheim,  édition  Bourgeois,  p.  122  et  202  ;  Histoire  amoureuse 
des  Gaules,  tome  IV,  p.  136  et  suivantes)  ;  mais,  depuis  plusieurs 
années,  il  n'allait  plus  guère  chez  elle  que  par  habitude  (notre  tome 
XVIII,  p.  321  et  336). 

1 .  Saint-Simon  a  déjà  dit  (tome  XIX,  p.  249-230)  comment  le  prince, 
ne  sachant  pas  rester  chez  lui,  était  tombé  dans  les  Klets  de  Madame 
la  Duchesse. 

2.  «  Il  n'a  aimé  que  les  gens  qui  lui  procuraient  du  divertissement  », 
disait  Madame  (recueil  Brunet,  tome  I,  p.  231). 

3.  Nos  tomes  XV,  p.  17,  et  XVII,  p.  123  et  l^S  ;  Relation  de  Span- 
heim, édition  Bourgeois,  p.  123  et  214. 

4.  Tome  XVII,  p.  137-140. 

3.  Ibidem,  p.  128,  et  ci-dessus,  p.  46. 

6.  Cet  à  a  été  ajouté  en  interligne. 

7.  Il  a  déjà  remarqué,  tome  XIV,  p.  399,  combien  l'avènement  de 
Monseigneur  au  trône  était  escompté  par  elles  et  par  toute  une  partie 
de  la  cour. 

8.  Tomes  XVI,  p.  11-14  et  329,  et  XVIII,  p.  10-11. 

9.  Tome  XVI,  p.  204  et  suivantes. 


\nii\ 


DE  SAINT-SIMON. 


65 


de  Berrjf  et 
traite  bien 

Mme  la 

diichesbc  «le 

Bcrrv . 


chesse  pour  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne'  enlrelenoit  aimeM.l.duc 
poui"  tous  les  deux.   Par  les  raisons  contraires,  il  aimoit 
M.  le  duc  de  lierrv -,  que  celle  cabale  prolégeoil  pour  le 
diviser  d'avec  Mgr  et  Mme  la  duchesse  de    iJourgogue  : 
tellement  qu'après  toute  leur  opposiliun  el    leur  dépit  à 
tous  de  son  mariage,  Mme  la  duchesse  de  Berr^'  ne  laissa 
pas  d'être  admise  aussitôt  après  au  Parvu/u  \  sans  même 
l'avoir  demandé,  et  d'y  être  fort  bien  traitée.  Avec  tout 
cet  ascendant  des  deux  Lillebonnes'  sur  Monseigneur,  il 
est  pourtant  vi-ai  qu  il  n'épousoit  pas  toutes  leurs  fantai- 
sies, soit  par  la  Choin,  qui,  tout  en   les  ménageant,  les 
connoissoit  bien  et  ne  s'y  doit  point,  comme  Bignon  me 
l'avoit  dit^  soit  par  Madame  la  Duchesse,  qui  sûrement 
ne  s'y  fioit  pas  davantage,  et  qui  n'étoit  rien  moins  que 
coiffée'  de  leurs  prétentions.  Inquiet  à  cet  égard  pour  le 
futur,  j'employai  lévêquc  de  Laon  '  pour  découvrir  par 
la  Choin  les  sentiments  de  Monseigneur  entre  les  ducs  et 
les  princes.  Il  étoit  frère  de  Clermont  qui  avoit  été  perdu 
pour  elle  lorsque  Mme  la  princesse  de  Contl  la  chassa*, 
et  les  deux  fi-ères  éloienl  demeurés  dans  la   plus  intime 
liaison  avec  elle.  Je  sus  par  lui  qu'il  étoit  échappé  quel- 
quefois,  quoique  rarement,   des  choses  à  Monseigneur, 
(jui  montroient   que  tout   l'empire   que  ces  deux  sœurs 
avoient  sur  lui  n'alloit  pas  à  le  rendre  aussi  favorable^  à 
leur  rang  qu  elles  eussent  voulu,  et  que,  Mlle  Choin  l'ayant 
plus    particulièrement    sondé    là-dessus    à    la    prière   de 
l'évêque,   il  s'étoit  expliqué   fort  favorablement  pour  le 
rang  des  ducs,  et  contre  les  injustices  qu'il  étoit  persuadé 

1.  Tome  XVI.  p.  ihS. 

2.  C'élail  «  son  lils  favori  »  (tome  XIX.  p.  191);  voyez  ci-après,  p.  79. 

3.  Ci-dessus,  p.  1)3. 

4.  Ici   il  y   a  bien    Lislebonncs  au  pluriel,  comme  ci-aprt's,  p    GT  ; 
mais  plus  haut,  p.  61,  il  y  a  Lislcbonnc. 

5.  Tome  XIX,  p.  2o6.  —  6.  Tome  XX,  p.  187. 

7.  Louis-Anne  de  Clermont-Chasle  :  tome  XIX,  p.  "250. 

8.  Tomes  II,  p.  183  et  suivantes,  et  XIX,  p.  iVJ  el  -2.^0. 
'J.  Le  manuscrit  porte  favorables,  par  mégurdc. 

MtliOlKES    Wt    SAI.NT-SIMÙ.N.    XXI  H 


Monseigneur 

favorable  aux 

ducs  contre  les 

princes. 


66 


MEMOIRES 


[4741] 


Monseigneur 

fort  vrai. 
Mlle  Choin 


Opposition  de 

Monseigneur  à 

l'alliance  du 

sang  bâtard 

prétendue. 


qii'[ils]  Y  avoient  souffertes'.  Il'  étoit  incapable  non  seule- 
ment de  mensonge,  mais  de  déguisement,  et  la  Choin  tout 
aussi  peu  capable,  surtout^  avec  l'évêque,  duquel  elle  ne 
se  cachoit  pas,  non  plus  qu'à  Bignon,  de  sefe  secrets  sen- 
timents sur  Mlle  de  Lillebonne  et  Mme  d'Espinoy.  Cette 
réponse  de  Monsieur  de  Laon  me  fit  souvenir  de  celle 
que  Monseigneur  fit  au  Roi,  qui  le  trouva,  comme  je  l'ai 
raconté,  dans  ses  arrière-cabinets,  au  sortir  de  cette  au- 
dience que  je  lui  avois  emblée  dans  son  cabinet  sur  l'af- 
faire de  la  quête  ^,  et,  le  Roi  en  ayant  parlé  à  Monseigneur 
avec  satisfaction,  ce  prince,  à  qui  j'étois  au  moins  très 
indifférent,  et  qu'on  n'avoit  point  instruit  de  notre  part, 
lui  dit  qu'il  savoit  bien  que  j'avois  raison,  Mlle  Choin  a 
prétendu  et  soutenu  depuis  sa  mort,  car,  pendant  sa  vie, 
il  ne  sortoit  rien  d'elle,  qu'il  avoit  autant  d'opposition  au 
mariage  de  Mlle  de  Bourbon  qu'à  celui  de  Mademoiselle, 
parce  qu'il  ne  pouvoit  souffrir  le  mélange  du  sang  bâtard 
au  sien.  Peut-être  étoit-il  vrai  :  il  a  toujours  montré  une 
aversion  constante  à  tous  leurs  avantages,  et  il  ne  lui  est 
rien  échappé  de  marqué  en  faveur  de  Mlle  de  Bourbon 
pour  le  mariage  de  M.  le  duc  de  Berry  ;  mais  l'autorité  de 
Madame  la  Duchesse  étoit  si  entière  sur  lui,  et  si  solide- 
ment appuyée  de  celle  de  tout  ce  qui  le  gouvernoit,  et  la 
réunion  de  toute  la  cabale  étoit  si  grande  en  faveur  de 
Mlle  de  Bourbon,  et  se  montroit  si  assurée  là-dessus, 
qu'elle  l'y  eût  sans  doute  amené,  s'il  ne  l'étoit  déjà 
comme  on  eut  tant  de  raisons  de  le  croire,  opinion  qui 
servit  si  utilement  Mademoiselle  ^  La  Choin  a  même  avoué 
depuis  qu'elle-même  étoit  contraire  à  tous  les  deux  par 
cette  raison  de  bâtardise.  De  celui  de  Mademoiselle,  cela 
n'est  pas  douteux  :  on  a  vu,  par  ce  qui  se  passa  entre  Bi- 


4.  Notre  auteur  a  déjà  dit  que  Monseigneur  se  moquait  des  préten- 
tions des  princes  étrangers  (tome  XI,  p.  368-369). 

2.  Avant  il,    il  y  a  un  et  biffé  dans  le,  manuscrit. 

3.  Surtout  a  été  ajouté  en  interligne, 

4.  Tome  XI,  p.  364.  -  5.  Tome  XIX,  p.  242-243. 


(ITIll  DK  SAL\T-SIM(».\  67 

gnoii  v\  moi  ',  à  quel  poiDt  clK'  étoit  rloij^iH'e *  de  M.  lo  duc 
d'Orléans.  Do  l'autre,  il  se  pouvoit  bien  que  les  vues  de 
l'avonir  lui  faisoient  craindre  d'ajouter  ce  poids  d'union 
et  de  crédit  à  Madame  la  Duchesse;  mais  ses  liaisons  pré- 
sentes avec  elle,  par  ce  (ju'elie-mème  en  avoua  à  Bignon, 
et  qu'il  me  rendit^,  étoient  si  nécessaires,  si  grandes,  si 
intimes,  (|u'il  v  a  fort  à  douter  qu'elle  eût  pu  éviter  d'y 
ùtre  entraînée,  et  que,  éclairée  surtout  d'aussi  près  qu'elle 
l'étoit  par  un  aussi  grand  intérêt,  et  de  Madame  la  Du- 
chesse et  des  deux  Lillebonnes.  qui  en  prenoient  pour  les 
leurs  autant  que  Madame  la  Duchesse  elle-même,  et  par 
tl'Antin,  tout  elles  là-dessus,  Mlle  Choin  eût  osé  se  laisser 
apercevoir  contraire,  et  qu'avec'  un  prince  aussi  foible  et 
aussi  puissamment  environné,  elle  eut  osé  hasarder  de 
soutenir  contre  ce  lori'ent  toujours  présent,  elle  si  sou- 
vent absente.  Il    ne   faut  j^as  taire  un  beau  trait  de  cotte    Désintrrcssc- 

(illo  ou  femme  si   sineulièro '.  Monseiijnour,  sur  lo  point     ,,,T^rM    • 

!•  Il  1        I '         '        I      ri       1         I  '^'''*'  ^'''*'"- 

(I  aller    commander    l  armée    de    riandres   la   campagne 

d'après  celle  de  Lille,  où  pourtant  il  n'alla  pas^  fit  un 
testament,  et,  dans  ce  testament,  un  bien  fort  considé- 
rable à  Mlle  Choin  '.  Il  le  lui  dit,  et  lui  montra  une  lettre 
cachetée  pour  elle  qui  on  faisoit  mention,  pour  lui  être 
rendue,  s'il  mésarrivoit**  de  lui.  Elle  fut  extrêmement 
sensible,  comme  il  est  aisé  de  le  juger,  à  une  marque 
d'afTection  de  cette  prévoyance;  mais  elle  n'eut  point  de 
repos  qu'elle  no  lui   eût   fait  mettre  devant  elle  lo  testa- 

I.  Tome  XIX,  j).  -Ml  et  '266. 
•2.  Eloignée  a  élé  ajouté  en  interlif^no. 
;{.  Tome  XIX.  p.  -2o7-2o8. 

t.  L'abréviation  de  gu*  a  été  ajouté  en  surcharge  sur  les  lettres  av, 
écrites  avant  arec. 

."i.  Il  a  déjà  parlé  de  son  absolu  désinléressemenl,  ci-dessus,  p.  o2. 
H.  Tome  XVII.  p.  17-2,  année  1709. 

7.  Est-ce  de  Bignon  ou  de  du    Mont   (jut-   notre  auteur  tient  cette 
anecdote  ? 

8.  «  Mt'sarriver,  verl)e  impersonnel  qui  se  dit  d'un  accident  fâcheux 
qui  arrive  ensuite  do  (juclquc  cliusc  »  {Acudcutif,  I7IS) 


68 


MÉMOIRES 


['I74ij 


Monseigneur 

attaché  à  la 

mémoire  et  à 

la  famille  du 

duc  de 
Montausier*. 


ment  et  la  lettre  au  feu,  et  protesta  que,  si  elle  avoit  le 
malheur  de  lui  survivre,  mille  écus  de  rente  qu'elle  avoit 
amassés  seroient  encore  trop  pour  elle.  Après  cela,  il  est 
surprenant  qu'il  ne  se  soit  trouvé  aucune  disposition  dans 
les  papiers  de  Monseigneur. 

Quelque  dure  qu'eût  été  son  éducation  ',  il  avoit  con- 
servé de  l'amitié  et  de  la  considération  pour  le  célèbre 
évêque  de  Meaux,  et  un  vrai  respect  pour  la  mé- 
moire du  duc  de  Montausier^:  tant  il  est  vrai  que 
la  vertu  se  fait  honorer  des  hommes  malgré  leur 
goût  et  leur  amour  de  l'indépendance  et  de  la  liberté. 
Monseigneur  n'étoit  pas  même  insensible  au  plaisir 
de  la  marquer  à  tout  ce  qui  étoit  de  sa  famille,  et  jus- 
qu'aux anciens  domestiques  qu'il  lui  avait  connus. 
C'est  peut-être  une  des  choses  qui  a^  le  plus  soutenu 
d'Antin  auprès  de  lui  dans  les  diverses  aventures  de  sa 
vie,  dont  la  femme  étoit  fille  de  la  duchesse  d'Uzès*,  fille 
unique  du  duc  de  Montausier,  et  qu'il  aimoit  passionné- 
ment. Il  le  marqua  encore  à  Sainte-Maure  ^  qui,  embar- 
rassé dans  ses  affaires  sur  le  point  de  se  marier,  reçut  une 
pension  de  Monseigneur  sans  l'avoir  demandée  %  avec  ces 
obligeantes  paroles,  mais  qui  faisoient  tant  d'honneur  au 


1.  Ci-dessus,  p.  oi-56. 

2.  Déjà  dit  dans  l'Addition  n°  323  (notre  tome  VII,  p.  387).  Voyez 
le  Duc  de  Montausier,  par  Aniédée  Roux,  p.  490  et  suivantes.  En 
quittant  le  Dauphin,  la  veille  de  son  mariage,  Montausier  lui  avait 
dit  :  «  Monseigneur,  si  vous  êtes  honnête  homme,  vous  m'aimerez  ;  si 
«  vous  ne  l'êtes  pas,  vous  me  haïrez,  et  je  m'en  consolerai.  » 

3.  Il  y  a  bien  a,  au  singulier,  dans  le  manuscrit.  C'était  l'usage 
commun. 

4.  Julie-Françoise  de  Crussol,  mariée  à  M.  d'Antin  en  1686,  était 
fille  de  Julie-Françoise  de  Sainte-Maure,  qui  avait  épousé  le  duc  d'Uzès 
en  1664,  avant  que  M.  de  Montausier  ne  tût  gouverneur  du  Dauphin. 

5.  Honoré,  comte  de  Sainte-Maure  :  tome  XX,  p.  185. 

6.  En  1700,  il  lui  avait  fait  un  don  de  deux  mille  louis,  pour  com- 
penser ses  pertes  au  jeu  (tome  VII,  p.  187-188). 

'Cette  manchette  est  trois  lignes  trop  bas  dans  le  manuscrit. 


[1711]  DE  SAIXT-SIMOX.  69 

prince,  qu'il  ne  manqueroit  jamais  au  nom  et  au  neveu 

tle  M.  lie  Mi)ntausier '.  Sainte-Maure  se  montra  digne  de 

cette  grâce  :  son  mariage  se  rompit,  et  il  ne  s'est  jamais 

marié  ;    il    remit    la  pension  -   qui   n'étoit  donnée    qu'en 

faveur  du  mariage.  Monseigneur  la   reprit;  je    ne  dirai 

pas  qu'il  eût  mieux  fait  de  la  lui  laisser.  C'étoit  peut-      Amours  de 

être  le  seul  homme  de  qualité  qu'il  aidât   de  sa  poche.    '  onsoigneur. 

Aussi  tenoit-il  à  lui  par  des  confidences  tandis^  qu'il  eut 

des  maîtresses*,  que  le  Roi  ne   lui    souffrit  guères.  En 

leur  place,  il  eut  plutôt  des  soulagements  passagers   et 

obscurs  que  des  galanteries,  dont  il  étoit  peu   capable^, 

1.  Son  neveu  à  la  mode  de  Bretagne,  fils  de  son  cousin  ger- 
main. 

2.  Après  pension,  Saint-Simon  a  effacé  du  doigt  une  virgule. 

3.  Au  sens  de  tant. 

4.  La  chronique  scandaleuse  de  la  cour  lui  attribua,  à  tort  où  à  rai- 
son, des  galanteries  avec  la  marquise  du  Roure,  Mmes  de  Xogaret  et 
de  Florensac,  Mlle  de  Rambures,  la  marquise  de  Richelieu,  sans 
compter  les  femmes  de  chambre,  pour  lesquelles  il  aurait  eu  un  goût 
particulier  (nos  tomes  II,  p.  136-138,  III,  p.  196,  XII,  p.  620,  et  XIII, 
p.  48,  431  et  623  ;  Mémoires  de  Sourches,  tome  I,  p.  384-385  et  468- 
470  ;  Correspondance  de  Madame,  recueil  Brunet,  tomes  I,  p.  59- 
60,  et  II,  p.  274;  recueil  Jaeglé,  tomes  I,  p.  256,  et  II,  p.  208;  Rela- 
tion de  Spanheim,  édition  Bourgeois,  p.  117-119  ;  Souvenirs  de  Mme 
de  Caylus,  p.  111-112  ;  Lettres  de  Mme  Diinoyer,  lettre  xxxii,  tome  I, 
p.  386-387;  Correspondance  de  Bussy  Rabutin,  tome  V,  p.  415; 
Histoire  amoureuse  des  Gaules,  tome  III,  p.  185-204  et  493-509  ;  Nou- 
veau siècle  de  Louis  XIV,  tome  IV,  p.  112-116;  ms.  Clairambault 
491,  fol.  47  ;  Chansonnier,  ms.  Fr.  12691,  p.  29,  40,  289  et  376  ;  Ar- 
chives historiques  et  littéraires,  1889,  n°  1,  p.  9).  Mme  de  Caylus 
(Souvenirs,  p.  99  et  110)  prétend  que  la  façon  d'être  de  la  Dauphine 
contribua  à  écarter  d'elle  son  époux. 

5.  Mme  de  la  Fayette  dit  (Mémoires,  p.  216)  :  «  Monseigneur  est  un 
amant  si  peu  dangereux,  que  l'on  ne  parle  pas  seulement  de  lui, 
il  n'y  a  que  Madame  la  Dauphine,  qui  se  délie  de  la  force  de  ses  char- 
mes, qui  croie  qu'il  y  ait  autre  chose  que  les  lorgneries  qu'elle  lui 
voit.  »  Notre  auteur  a  raconté  dans  l'Addition  323  (tome  VII,  p.  387) 
quelle  était  son  «  innocence  »  lors  de  son  mariage  :  voyez  la  Correspon- 
dance de  Bussy-Rabutin,  tomes  III,  p.  374,  et  IV,  p.  105,  et  les  ÛEu- 
vres  de  J.  de  la  Fontaine,  tome  V,  p.  9. 


"0  MEMOIRES  [\1H] 

Ridicule       et   que  du  Mont   et    Francine',    gendre  de    Lully-,    et 
\Âdr^'^S'^s^988^   ^^'  eurent  si  longtemps  ensemble  l'Opéra ^    lui   fourni- 

1.  Jean-Nicolas  Francini.  dit  de  Francine,  d'une  famille  florentine 
établie  en  France  depuis  Henri  IV,  et  dont  un  membre  fut  le  créateur 
des  eaux  de  Versailles,  était  maître  d'hôtel  du  Roi  lorsqu'il  épousa,  le 
19  avril  1684,  Catherine-Madeleine  Lully  ;  à  la  mort  de  son  beau-père 
(1687),  il  obtint  la  direction  de  l'opéra  (ci-après,  note  3)  et  ne  la  quitta 
qu'en  4728,  moyennant  une  pension  de  dix-huit  mille  livres,  qui  lui 
fut  servie  jusqu'à  sa  mort,  6  mars  1733.  Sa  femme  était  morte  le 
2  janvier  4703.  Voyez  le  dossier  bleu  Francine  au  Cabinet  des  titres. 

2.  Jean-Baptiste  Lully  (il  signait  ainsi),  né  à  Florence  en  4633,  fut 
amené  en  France  par  le  chevalier  de  Guise  vers  4646  et  entra  dans  la 
maison  de  Mlle  de  Montpensier  (ses  Mémoires,  tome  IIL  p.  347-348). 
Ses  dispositions  musicales  le  firent  admettre  bientôt  parmi  les  musi- 
ciens de  la  princesse,  puis  au  nombre  des  vingt-quatre  violons  du 
Roi  (4652).  Dès  46S3,  il  obtint  un  brevet  de  compositeur  de  la 
musique  de  la  chambre  (reg.  0'  7,  fol.  46S)  et  de  chef  des  «  petits 
violons  du  Roi  »,  troupe  nouvelle  créée  pour  lui  ;  il  devint  en  mai  4664 
surintendant  de  la  musique  de  la  chambre  du  Roi  (Gazette,  p.  476). 
Des  lettres  de  naturalisation  lui  furent  accordées  en  décembre  de 
la  même  année  (reg.  P  2770,  p.  704),  et  il  épousa,  le  24  juillet 
suivant  la  tille  de  Michel  Lambert,  autre  musicien  du  Roi.  Par 
lettres  patentes  de  mars  4672  (reg.  X'*^  8669,  fol.  345),  il  obtint 
le  privilège  de  représenter  les  «  ouvrages  de  théâtre  en  musique  »  et 
de  gérer  l'Académie  royale  qu'on  appela  bientôt  l'Opéra  (ci-dessous). 
Louis  XIV  lui  permit  d'acquérir  une  charge  de  secrétaire  du  Roi  en 
4684,  et  il  se  tit  recevoir  le 30  décembre.  Au  commencement  de  4687, 
s'étant  blessé  au  pied  accidentellement,  il  négligea  de  se  soi- 
gner, et  mourut  de  la  gangrène  le  22  mars,  âgé  de  cinquante-quatre 
ans.  Sa  famille  lui  éleva  dans  l'église  des  Petits-Pères  un  beau  monu- 
ment, avec  pompeuse  épitaphc  (Raunié,  Épitaphier,  tome  I,  p.  235). 
Mignard  avait  fait  son  portrait,  qui  fut  gravé  en  4685  par  Roullet.  Son 
œuvre  musicale,  très  considérable  et  très  variée,  lui  procura  une  répu- 
tation européenne,  qui  persista  pendant  la  plus  grande  partie  du  dix- 
huitième  siècle,  et  qui  dure  encore  ;  la  liste  de  ses  œuvres  a  été  donnée 
par  Fétis,  dans  la  Biographie  des  musiciens,  et  par  F.  Clément,  dans 
les  Musiciens  célèbres  depuis  le  XVI''  siècle. 

3.  Opra  corrigé  en  opéra.  —  Il  a  été  parlé  de  la  création  de  l'Aca- 
démie royale  de  musique  ou  Opéra  dans  notre  tome  VI,  p.  387.  A  la 
mort  de  Lully,  qui  en  avait  dépossédé  Perrin  et  Cambert  en  4672,  le 
Roi  en  accorda  le  privilège  à  son  gendre  Francine,  pour  trois  ans 
d'abord  (brevet  du  27  juin  4687,  dans  le  registre  0*  34,   fol.   425  v). 


H711|  DE  SAIM-SIMO.N  7i 

rent'.  A  co  propos,  je  no  puis  m  empêcher  do  rnpporter  un 
échantillon  de  sa  délicatesse-.  H  avoit  ou  envie  dune  de  ces 
créatures  fort  jolie.  A  jour  pris,  elle  fut  introduite  à  Ver- 
sailles dans  un  premier  cabinet,  avec  une  autre,  vilaine, 
pour  l'accompagner.  Monseigneur,  averti  qu'elles  étoient 
ià,  ouvrit  la  porte,  et,  prenant  celle  qui  se  trouva  la  plus 
proche,  la  tira  après  lui.  Elle  se  défendit  :  c'étoit  la  vi- 
laine, qui  vit  bien  qu'il*  se  méprenoit.  Lui,  au  con- 
traire, crut  qu'elle  faisoit  des  façons,  la  poussa  dedans, 
et  ferma  sa  porte.  L'autre,  cependant,  rioit  de  la  méprise, 
et  do  l'affront  qu'elle  s'attendoit  qu'alloit  avoir  sa  com- 

puis  pour  dix  ans(l"='"  mars  t6S9).  En  169t,  Francine,  dont  les  affaires 
étaient  fort  embarrassées,  s'associa,  par  acte  du  14  mars,  le  linancier 
Montarsy,  qui  avança  près  de  cent  mille  livres,  dont  sa  succession 
n'était  pas  encore  entièrement  remboursée  en  janvier  t713.  Le  privi- 
lège venant  à  expiration,  Francine  obtint,  le  30  décembre  1698  (reg. 
0'  4'-2,  fol.  "iT'i  v"),  un  renouvellement  pour  dix  autres  années,  pour 
lui  et  du  Mont,  son  associé  pour  un  quart,  et  moyennant  certaines 
pensions  {Dangeait,  tome  VL  p.  471  ;  Sourches,  tome  VL  P-  96-97). 
L'exploitation  n'ayant  point  prolité  aux  deux  associés,  ils  cédèrent 
leurs  droits,  par  contrat  du  5  octobre  1704,  à  Pierre  Guyenet,  payeur 
des  rentes  assignées  sur  les  postes,  et  obtinrent,  le  7,  une  prorogation 
jusqu'en  1719,  avec  approbation  de  la  cession  faite  à  Guyenet  (reg. 
X'A  «699.  fol.  1.^  v,  et  0'  363,  fol.  1S8,  ^231  v»  et  238).  Mais,  ce 
dernier  étant  mort  insolvable  en  1712,  Francine  et  du  Mont  rentrèrent 
dans  leurs  droits  et  tirent  proroger  leur  privilège  jusqu'en  1732  (reg. 
0'  57,  fol.  222,  8  janvier):  le  Roi  édicta  en  même  temps  (fol.  223-227) 
un  règlement  en  dix-neuf  articles  pour  la  gestion  de  l'Académie  royale. 
On  trouvera  dans  les  registres  E  1970,  fol.  84  et  273,  et  1971,  fol.  100, 
trois  arrêts  du  Conseil  relatifs  h.  la  liquidation  des  créances  Montarsy  et 
Guyenet  (1713). 

1.  Saint-Simon  a  déjà  dit  dans  le  tome  XIII,  |).  322,  <iue  du  Mont 
gouvernait  sa  bourse   cl  ses   plaisirs. 

2.  Desnoiresterres,  dans  ses  Cours  galantes,  tome  1,  p.  277-280, 
Mme  Dunoyer,  dans  ses  Lettres,  tome  III,  p.  270-271,  Castil-Blaze, 
dans  V Académie  impériale  de  musique,  1833,  tome  I,  p.  69-71,  appli- 
quent l'anecdote  qui  va  suivre  aux  deux  sœurs  Loison  ou  aux  deux 
Moreau.  Selon  l'Addition  indiquée  plus  haut,  c'était  la  Raisin  (ci-après, 
p.  396). 

3.  //  est  en  interligne,  au-dessus  d'ci/e,  biffé. 


75  MÉMOIRES  [\U\] 

pagne'  d'être  renvoyée,  et  elle  appelée.  Fort  peu  après, 
du  Mont  entra,  qui,  fort  étonné  de  la  voir  là  et  seule,  lui 
demanda  ce  qu'elle  faisoit  là,  et  qu'étoit  devenue  son 
amie  :  elle  lui  conta  l'aventure.  Voilà  du  Mont  à  frapper  à 
la  porte,  et  à  crier:  «  Ce  n'est  pas  celle-là;  vous  vous 
méprenez.  »  Point  de  réponse.  Du  Mont  redouble  encore 
sans  succès.  Enfin  Monseigneur  ouvre  sa  porte,  et  pousse 
la  créature  dehors.  Du  Mont  s'y  présente  avec  l'autre,  en 
disant  :  «  Tenez  donc,  la  voilà.  —  L'afifaire  est  faite,  dit 
Monseigneur  ;  ce  sera  pour  une  autre  fois  ;  »  et  referma 
sa  porte.  Qui  fut  honteuse  et  outrée?  ce  fut  celle  qui  avoit 
ri,  et  plus  qu'elle  du  Mont  encore.  La  laide  avoit  profité 
de  la  méprise  ;  mais  elle  n'osa  se  moquer  d'eux.  La  jolie 
fut  si  piquée,  qu'elle  le  conta  à  ses  amis,  tellement  qu'en 
bref  toute  la  cour  en  sut  l'histoire ^  La  Raisin,  fameuse 
comédienne,  et  fort  belle ^,  fut*  la  seule  de  celles-là  qui 
dura  et  qui  figura  dans  son  obscurité  ^  On  la  ménageoit, 
et  le  maréchal  de  Noailles,  à  son  âge  et  avec  sa  dévotion, 
n'étoit  pas  honteux  de  l'aller  voir,  et  de  lui  fournir,  à 
Fontainebleau,  de  sa  table,  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  meil- 
leur*. Il  n'eut  d'enfants  de  toutes  ces  sortes  de  créatures 
qu'une  seule  fille  de  celle-ci  ',  assez  médiocrement  entre- 

i .  Le  mot  compagne  surcharge  campagne. 

2.  C'est  ainsi  qu'elle  fut  insérée  dans  les  Annales  de  la  cour  pour 
1697-1698;  on  trouvera  ce  passage  ci-après  à  l'appendice  II,  p.  438. 

3.  Tome  XVI,  p.  380. 

4.  Il  y  a  dans  le  manuscrit,  après  fut,  une  virgule  effacée  du 
doigt. 

5.  Voyez  les  détails  donnés  sur  cette  liaison  dans  le  tome  XVI, 
p.  380,  note  4,  et  la  Correspondance  de  Madame,  recueil  Jseglé, 
tome  I,  p.  142,  et  recueil  Brunet,  tome  II,  p.  52. 

6.  Déjà  dit  tome  XVI,  p.  38i. 

7.  iV.,  dite  Mlle  de  Fleury,  mariée  en  juin  1715  (ci-dessous),  morte  à 
Tours  en  août  1716;  Rigaud  fit  son  portrait  à  l'occasion  de  son  ma- 
riage {Dangeau,  tomes  XV,  p.  425,  426  et  431,  et  XVI,  p.  438  ;  Let- 
tres de  Mme  de  Maintenon,  recueil  Bossange,  tomes  III,  p.  145,  161 
et  175,  et  IV,  p.  528,  et  recueil  Geffroy,  tome  II,  p.  355-356;  Corres- 
pondance de  Madame,  recueil  Brunet,  tome  I,  p.  264  ;  recueil  Jseglé, 


(17111  DE  SAiM-SIMOX.  "73 

tenue  à  Chaillot,  chez  les  Augusfines'.  Cette  fille  fut  ma- 
riée, depuis  sa  mort,  par  Mme  la  princesse  de  Conti,  qui 
en  prit  soin,  à  un  gentilhomme  -  qui  la  perdit  bientôt 
après  '.  Ct'ttc  indigestion  qu'on  prit  pour  une  apoplexie ^ 

mit  fin  à  tous  ces  commerces.   A  son  éloignement  de  la    Monseigneur 

"  n  aime  point 

tome  II,  |).  150).  Mais  cette  tille  ne  fut  pas  le  seul  enfant  naturel 
de  Monseigneur  :  la  lettre  xxxvni  de  Mme  Dunoyer  dit  qu'il  eut 
deux  enfants  de  la  Raisin  avant  1701,  et  te  Journal  de  P.  Cartonne, 
p.  13,  lui  attribue  plusieurs  bâtards.  De  plus,  il  avait  eu  de  Mme  du 
Roure  une  tille,  nommée  Louise-Emilie,  sur  laquelle  on  trouvera 
(juelques  renseignements  à  l'appendice  XIV,  avec  des  lettres  de 
Mme  du  Roure,  de  la  jeune  tille,  de  sa  {gouvernante  et  du  curé  de 
Saint-Germain-en-Laye.  La  Beaumelle  (Mémoires  sur  Mme  de  Main- 
tenon,  tome  IV.  p.  217)  a  parlé  d'un  tils  que  le  prince  aurait  eu  d^ 
la  Raisin  et  qui  se  serait  tiré  de  la  misère  en  épousant  une  tille  du 
traitant  la  Jonchère;  mais  il  a  dû  faire  confusion  avec  une  tille  de 
la  Raisin,  lille  légitime,  qui  épousa  un  tils  de  ce  financier. 

1.  Il  y  a  dans  le  mai\n\scrï[  Augustunines  (sic),  en  interligne  au- 
dessus  de  Bcnedictines,  biffé.  —  Il  n'y  avait  pas  à  Chaillot  de  couvent 
d'Augustines,  non  plus  que  de  Bénédictines,  mais  seulement  une  mai- 
son de  Filles  de  Sainte-Marie,  dont  il  a  déjà  été  parlé  plusieurs  fois, 
notamment  dans  le  tome  IX,  p.  293. 

2.  Mlle  de  Fleury  épousa  le  13  juin  1713,  Antoine-Érard  d'Avau- 
gour,  seigneur  du  Bois  et  de  la  Motte-de-Thouaré,  dit  le  marquis 
d'Avaugour.  que  M.  Potier  de  Courcy,  dans  sa  continuation  de  VHis- 
toire  généalogique,  tome  IX,  2«  partie,  p.  174.  rattache  à  la  famille 
des  Avaugour.  de  la  maison  de  Bretagne,  ce  qui  semble  douteux.  Né  en 
1672,  et  d'abord  oHicier  de  gendarmerie,  M.  d'Avaugour,  qu'on 
appelait  aussi  M.  du  Bois  d'Avaucourt,  acheta  un  régiment  de  cavale- 
rie en  mars  1713,  et  devint  brigadier  en  1719;  il  mourut  à  quatre- 
vingt-quatre  ans  le  18  décembre  1736,  sans  enfants  de  ses  quatre  fem- 
mes. Il  était  parent  de  la  princesse  de  Conti  douairière,  sa  mère 
Célestine  Bruneau  de  la  Rabastelière  étant  tille  de  Marie  de  la  Baume 
le  Blanc,  tante  de  Mlle  de  la  Vallière.  Après  la  mort  de  Mlle  de 
Fleury,  il  se  remaria  trois  fois,  et  sa  dernière  femme,  Marie-Hya- 
cinthe Ralet  de  Chalet,  veuve  d'un  receveur  des  domaines,  épousa  en 
troisièmes  noces  le  maréchal  de  Nicolay. 

3.  En  août  1716  (ci-dessus,  p.  72,  note  7);  elle  avait  eu  cent  mille 
écus  de  dot,  dont  deux  cent  mille  livres  données  par  la  princesse  de 
Conti  sur  le  bénéfice  d'une  affaire  de  finances. 

■4.  Ci-dessus,  p.  loet  47. 


7-4  MEMOIRES  |17H| 

M.  du  Marne     bâtardise,  il  y  a  apparence  qu'il  n'eût  jamais  reconnu  au- 

cl  traite  bien  i  -  n       i-       ,       n       >         •."    •  •  ce   • 

le  comte  de  ^^^  sortes  d  entants.  Il  n  avoit  jamais  pu  souttrir 

Toulouse.  M.  du  Maine,  qui  l'avoit  peu  ménagé  dans  les  premiers 
temps,  et  qui  en  étoit  bien  en  peine  et  en  transe  dans 
les  derniers.  Il  traitoit  le  comte  de  Toulouse  avec  assez 
d'amitié,  qui  avoit  toute  sa  vie  eu  pour  lui  de  grandes 
Cour  plus  ou  attentions  à  lui  plaire,  et  de  grands  respects.  Ce  qui  étoit 
particulière  de  ^"  '^  mieux,  OU  le  plus  familièrement  avec  lui  parmi  les 
Monseigneur,  courtisans',  étoient  -  d'Antin  et  le  comte  de  Mailly,  mari 
de  la  dame  d'atour,  mais  mort  il  y  avoit  longtemps^. 
C'étoient,  en  petit,  les  deux  rivaux  de  faveur,  comme,  en 
grand,  M.  le  prince  de  Conti  et  M.  de  Vendôme  ^  Les  ducs 
de  Luxembourg,^  [de]  Villeroy  et  delà  Rocheguyon, 
et  ceux-là  sur  un  pied  de  considération  et  de  quelque 
confiance,  Sainte-Maure,  le  comte  de  Roucy,  Albergotti  * 
et  Biron,  voilà  les  distingués  et  les  marqués.  De  vieux 
seigneurs,  cela  l'étoit  moins,  et  qui  le  voyoient  très  peu 
chez  lui'  :  M.  de  la  Rochefoucauld,  les  maréchaux  deBouf- 
flers,  de  Duras,  de  Lorge,  Gatinat;  il  les  traitoit  avec  plus 
d'aflPabilité  et  de  familiarité.  Feu  M.  de  Luxembourg  et 
Clermont  frère  de  Monsieur  de  Laon*,  c'étoit  l'intimité  : 
j'en  ai  parlé  ailleurs^.  Le  maréchal  de  Choiseul  encore,  avec 
considération;  sur  les  fins,  le  maréchal  d'Iïuxelles,  mais 
qui  s'en  cachoit  comme  Ilarcourt'",  leChancelier  et  le  pre- 
mier écuyer",  qui  l'avoit  initié  auprès  de  Mlle  Choin,  qui 

1.  Dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XII,  p.  35-4,  Saint-Simon  dira 
qu'il  n'était  pas  difficile  sur  le  choix  de  ses  familliers. 

2.  Il  y  a  bien  estoicnt,  au  pluriel,  dans  le  manuscrit. 

3.  Louis,  comte  de  Mailly,  mort  en  1699  :  tome  I,  p.  88. 

4.  Tome  XVII,  p.  128,  et  ci-dessus,  p.  64. 

5.  Luxembourg  a  été  ajouté  après  coup  en  interligne  et  Saint-Simon 
a  oublié  de  répéter  le  de  avant  Villeroy. 

6.  Albergotti  a  été  ajouté  en  interligne,  mais  placé  par  erreur  après 
Biron. 

1.  Ces  huit  derniers  mots  ont  été  ajoutés  sur  la  marge  du  manuscrit. 
8.  Ci-dessus,  p.  63.  —  9.  Tome  II,  p.  47  et  184-187. 
10.  Tome  XI,  p.  43  el  56.  -  11.  Ci-dessus,  p.  58. 


(17H|  DE  SAINT-SIMON  7?> 

s'en  étoit   entètrc,    et  avoit  pei-suadé  à  Monsoignour  que 
c'étoit  le  plus  capable  '  hoiniiit'  du  nioude  pour  tout.  Klle     Infamios  du 
avoit  une  ehienne  dont  elle  iloil  folle-,  a  qui,  tous  les     d'Iluicllcs 
jours,  le  maréchal  d'Iluxellos,  de  la  porte  (iaillon''  où  il 
logeoit,  envovoil  des  tètes  de  lapins  polies  attenant  le  Petit- 
Saint-Antoine,  où  elle  logeoit,  et  où  le  niaiVchal  alloit  sou- 
vent, et  étoit  reçu  et  regardé  comme  un  orach'.  Le  lende- 
main de  la  mort  de  Monseigneur,  l'envoi  des  tètes  de  lapins 
cessa,  et  oncques  depuis  Mlle  Choin  ne  le  revit,  ni  n'en 
ouït  parler.  A  la  fin,  lorsqu'elle  fut  revenue  à  elle-même, 
elle  s'en  apercent;    elle   s'en  plaignit  même  comme  d'un 
homme  sur  qui  elle  avoit  eu  lieu  de  compter,  et  qu'elle 
avoit  fort  avancé  dans  l'estime  et  la  confiance  de  Monsei- 
gneur.  Le  maréchal  d'Huxelles  le  sut  :  il  n'en  fut  point 
embarrassé,   et   répondit   froidement   qu'il    ne  savoit  ce 
qu'elle  vouloit  dire,  qu'il  ne  l'avoit  jamais  vue  que  fort 
rarement  et  fort   généralement*,   et  que,   pour  Monsei- 
gneur, à  peine  en  éloit-il  connu.  C'étoit  un  homme  qui 
couroit  en  cachettes  %  mais  plus  bassement  et  plus  avide- 
ment que  pei'sonne,  à  tout  ce  qui  le  pouvoit  conduire, 
et  qui  n'aimoit  pas  à  se  charger  de  reconnoissance  inutile. 
Néanmoins,  cela  fut  su,  et  ne  lui  fit  pas  honneur.  Monsei-    Aversions  de 
gneur  n'eut  que  deux  hommes  d'aversion  dans  toute  la    ï^lo"''<?>g"^"''- 
cour,  et  cette  aversion  ne  lui   étoit  pas  inspirée  comme 
celle  de   Chamillart  et  de  quelques  autres  :    ces   deux 
hommes  étoient  le  maréchal  de  Villeroy  et  M.  de  Lauzun. 
Il  étoit  ravi  dès  qu'il  y  avoit  (;|uelque  bon  conte  sur  eux. 
Le  maréchal  étoit  plus  ménagé,  mais  pas  assez  pour  que 
lui-même  n'en  fût  pas  souvent  embarrassé.  Pour  l'autre, 

I.  Cn pahlc  vorr'if^e  cabl. 

"1.  Anecdote  déjà  raconter  dans  nos  loraos  XI,  p.  »S-4i,  et  XIX, 
p.   10. 

3.  Cette  porte  de  l'ancienne  enceinte,  située  à  rexlrémité  de  la  rue 
du  même  nom,  tombait  en  ruines  en  4700  et  fut  alors  démolie. 

•4.  Au  sens  de  sans  plus  de  familiarité  que  bien  d'autres,  d'une  ma- 
nière commune  à  un  ^Tand  nombre  de  personnes. 

o.  Tome  III,  p.  V6. 


76 


MÉMOIRES 


\1H] 


Éloignemenl 

de 
Monseigneur 

do  Mgr 

et  de  Mme  la 

duchesse  de 

Bourgogne. 


Monseigneur  ne  s'en  poiivoit  contraindre,  et  M.  de  Lauzun, 
au  contraire  du  maréchal,  ne  s'en  einbarrassoit  point.  Je 
n'ai  point  démêlé  où  il  avoit  pris  cette  aversion.  Il  en 
avoit  une  fort  marquée  pour  les  ducs  de  Chevreuse  et  de 
Beauvillier'  ;  mais  c'étoit  l'effet  de  la  cabale  aidée  de  l'en- 
tière disparité  des  mœurs. 

A  ce  qui  a  été  rapporté*  de  l'incompréhensible  crédulité 
de  Monseigneur  sur  ce  qui  me  regarde,  et  de  la  facilité 
avec  laquelle  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  l'en  fit 
revenir  jusqu'à  lui  en  donner  de  la  honte,  on  reconnoît 
aisément  de  quelle  trempe  *  étoit  son  esprit  et  son  discer- 
nement. Aussi  ceux  qui  l'avoient  englobé  *^,  et  qui  avoient 
si  beau  jeu  à  l'infatuer  de  tout  ce  qu'ils  vouloient,  n'eu- 
rent-ils aucune  peine  à  le  tenir  éloigné  de  Mgr  le  duc  de 
Bourgogne,  et  de  '  l'en  éloigner  de  plus  en  plus  par  le 
grand  intérêt  qui  a  été  mis  au  net  plus  d'une  fois®.  On 
peut  juger  aussi  '  ce  qu'eût  été  le  règne  d'un  tel  prince 
livré  en  de  telles  mains.  La  division  entre  les  deux  princes* 
étoit  remarquée  de  toute  la  cour.  Les  mœurs  du  fils^,  sa 
piété,  son  application  à  s'instruire,  ses  talents,  son  esprit, 
toutes  choses  si  satisfaisantes  pour  un  père,  étoient  autant 
de  démérites,  parce  que  c'étoient  autant  de  motifs  de 
craindre  qu'il  eût  pari  au  gouvernement  sous  un  père  qui 
en  eût  connu  le  prix.  La  réputation  qui  en  naissoit  étoit 
un  autre  sujet  de  crainte  ;  la  façon  dont  le  Roi  commen- 
çoit  à  le  traiter  en  fut  un  de  jalousie,  et  tout  cela  fut  mis 


1.  Ceci  sera  répété  ci-après,  p.  290. 

2.  Tome  XX,  p.  493-194. 

3.  «  On  dit  figurément  un  esprit  de  bonne  trempe,  pour  dire  un  es- 
prit ferme  et  solide  »  (Académie,  4718). 

4.  Au  sens  de  circonvenir. 

o.  On  remarquera  les  deux  prépositions  à  et  de  k  la  suite  de  l'ex- 
pression avoir  peine. 

6.  Notamment  tome  XVI,  p.  11  et  suivantes. 

7.  Aussy  est  en  interligne. 

8.  Prince,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 

9.  Les  mots  du  fils  ont  été  ajoutés  en  interligne,  et  les  corrige  ses. 


(17M]  DE  SAINT-SIMON.  77 

en  œuvre  déplus  en  plus'.  Le  jeune  prince  glissoit,  avec 
un  respect  et  une  douceur  qui  auroit  ramené  tout  autre 
qu'un  père  qui  ne  voyoit  et  ne  senloit  que  par  autrui*. 
Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  parlageoit  les  mauvaises 
grâces*  de  son  époux,  et,  si  elle  usurpoitplusde  liberté  et 
de  familiarité  que  lui,  elle  essuyoit  aussi  des  sécheresses, 
et  quelquefois  des  duretés,  dont  la  circonspection  du 
jeune  prince  le  garantissoit^  Il  voyoit  Monseigneur  plus 
en  courtisan  qu'en  (ils,  sans  particulier,  sans  entretien  tête 
à  tète,  et  on  s'apercevoit  aisément  que,  le  devoir  rempli, 
il  ne  cherchoit  pas  Monseigneur,  et  se  trouvoit  mieux  par- 
tout ailleurs  qu'auprès  de  lui.  Madame  la  Duchesse  avoit 
fort  augmenté  cette  séparation,  surtout  depuis  le  mariage 
de  M.  le  duc  de  Berry,  et,  quoique,  dès  auparavant. 
Monseigneur  commençât  à  traiter  moins  bien  Mme  la 
duchesse  de  Bourgogne,  plus  durement  pendant  la  cam- 
pagne de  Lille,  et  surtout  après  l'expulsion  du  duc  de 
Vendôme  de  Marly  et  de  Meudon,  les  mesures  s'étoient 
moins  gardées  depuis  le  mariage.  Cen'étoit  pas  que  Tadroite 
princesse  ne  ramàt  contre  le  lil  de  l'eau  S  avec  une  appli- 
cation et  des  grâces  capables  de  désarmer  un  ressentiment 
fondé,  et  que  souvent  elle  ne  réussît  à  ramener  Monsei- 
gneur par  intervalles;  mais  les  personnes  qui  l'obsédoient 
regardoientia  fonte  de  ces  glaces"^  comme  trop  dangereuse^ 

l.  Par  erreur,  ces  deux  derniers  mots  sont  répétés  dans  le  texte. 
'2.  Saint-Simon  a  déjà  dit,  tome  XVI,  p.  474,  avec  quelle  raideur 
MoDSt'igneur  exigeait  de  son  lils  les  égards  que  celui-ci  lui   devait. 

3.  Par  opposition  à  honnis  grâces;  locution  rarement  usitée. 

4.  Garaiitissoient,  au  pluriel,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 
Voyez,  dans  le  tome  XI V^,  p.  391)- iUU,  ce  qui  a  été  dit  des  rapports  de 
la  princesse  avec  .Mlle  Choin,  et  ci-dessus,  p.  \i. 

5.  «  Hamer  se  dit  ligurément  pour  uire  prendre  bien  de  la  peine, 
beaucoup  de  fatigue»  {Académie,  1718).  —  «  Un  dit  ligurément  aller 
contre  le  fil  de  l'eau  pour  dire  entreprendre  un  dessein  auquel  toutes 
choses  sont  contraires  »  (^Ibidem). 

6.  Nous  avons  eu  fondre  des  glaces  dans  le  tome  II,  p.  "256. 

7.  Dangereuses  est  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 


78  MÉMOIRES  inid] 

pour  leurs  projets,  pour  souffrir  que  la  fille  de  la  maison 
se  roiuil  en  grâces;  tellementque,  Mgr  le  duc  de  Bourgogne 
privé  des  secours  qu'il  avoit  auparavant  de  ce  côté-là  par 
elle,  tous  deux  se  trouvoient  de  jour  en  jour  plus  éloignés, 
et  moins  en  état  de  se  rapprocher.  Les  choses  se  pous- 
sèrent même  si  loin  là-dessus,  peu  avant  la  mort  de  Mon- 
seigneur, sur  une  partie  acceptée  par  lui  à  la  Ménagerie', 
et  qui  fut  rompue,  que  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne 
voulut  enfin  essayer  d'autres  moyens  que  ceux  de  la 
patience  et  de  la  complaisance,  qu'elle  avoit  seules^  em- 
ployées jusqu'alors,  et  qu'elle  fit  sentir  aux  deux  Lille- 
bonne  qu'elle  se  prendroit  à  elles  des  contretemps  qui 
lui  arriveroient  de  la  part  de  Monseigneur.  Toute  la  cabale 
trembla  de  la  menace,  moins  pour  l'avenir  que  pour  le 
temps  présent,  que  la  santé  du  Roi  promettoit  encore 
durable.  Ils  n'avoient  garde  de  quitter  prise  :  leur  avenir 
si  projeté  en  dépendoit;  mais  la  conduite  pour  le  présent 
leur  devenoit  épineuse  par  ce  petit  trait  d'impatience  et 
de  vigueur^.  Les  deux  soeurs  recherchèrent  une  explica- 
tion, qui  leur  fut  refusée  ;  Madame  la  Duchesse  s'alarma 
pour  elle  même,  et  d'An  tin  en  passa  de  mauvais  quarts 
d'heures.  Monseigneur  essaya  de  raccommoder  ce  qui 
s'étoit  passé  par  des  honnêtetés,  qu'on  sentit  exigées  ;  mais 
ils  tinrent  bon  sur  la  partie,  qui  ne  s'exécuta  point,  et, 
après  quelque  temps  de  bonace*  peu  naturelle,  les  choses 
reprirent  leur  cours,  toutefois  avec  un  peu  plus  de  ména- 
gement, mais  qui  servit  moins  [à]  montrer  les  remèdes 
qu'[à]  découvrir  le  danger  de  plus  en  plus^ 

1.  Tome  XII,  p.  iOi.  —  2.  Seuls  a  été  corrigé  en  seules. 

3.  On  lirait  aussi  bien  rigueur  dans  le  manuscrit. 

4.  Expression  déjà  relevée  dans  le  tome  XII,  p.  326. 

5.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit:  qui  servit  plus  à  monstrer  le 
danger  qu'à  en  monstrer  les  remèdes  ;  il  a  biffé  plus  à  montrer  le 
danger  qu'à  en,  a  écrit  au-dessus:  découvrir  de  plus  en  plus,  qu'il 
a  ensuite  biffé,  pour  mettre  moins  en  interligne  après  servit;  puis  a 
ajouté  que  découvrir  le  danger  de  plus  en  plus  après  remèdes,  mais  a 
oublié  les  deux  à. 


[17111  DK  SAINT-SIMON  ly 

On    a   vu,   à    propos   des  choses   do   l'Mnndros',   (pic   la    M*,  pt  Mm« 

im'-mo  cabale  (lui  tiavailloit  avec  tant  d'ardeur,  d'audace      J'"ili<-*n  «l»! 
1  I         I       L  Ik-rry  bien 

et   de   suite    à    pordi-e    Muio    la    duchesse   de   Bourgogne  avec 

au[)rès  de  MoUM'ij^'iieur,  et  à  aïK-arilii"  Mgi-  le  duc  de  Hour-  MonsfMgncm 
gogne,  ne  s  étoit  pas  moins  ap|)li(|uée  à  augiucMiter  l'ainitié 
(|ue  la  conformité  de  nururs  et  de  goût-  nourrissoit  en 
Monseigneur  pour  M.  le  duc  de  Berry,  du(juel  rien  n'/'toit 
à  craindre  pour  les  vues  de  l'avenir,  et  on  a  vu  depuis 
(jue,  quelle  rage  tju'ils  eussent  tous  de  son  mariage,  ils 
avoient  fait  bien  traiter  Mme  la  duchesse  de  Berry  par 
Monseigneur,  jusqu'à  la  faire  admettre  tout  de  suite,  et 
sans  qu  elle  l'eût  demandé,  dans  ce  sanctuaire  du  Par- 
vulo^.  Ils  vouloient  ainsi  ôter  le  soupçon  qu'ils  eussent 
dessein  d'éloigner  tous  les  enfants  de  la  maison,  et  tâcher 
de  diviser  les  deux  frères  si  unis,  et  semer  entre  eux  la 
jalousie.  La  moitié  leur  réussit  par  la  voie  la  plus  inat- 
tendue; mais  le  principal  leur  manqua:  jamais  l'union 
intime  des  frères^  ne  put  recevoir,  de  part  ni  d'autre, 
l'altération  la  plus  légère,  quelques  machines,  même 
domestiques',  (jui  s'y  pussent  employer.  Mais*  Mme  la 
duclii'sse  de  Berry  se  trouva  aussi  méchante  qu'eux,  et 
aussi  pleine  de  vues.  M.  le  duc  d'Orléans  appeloit  souvent       Crayon  et 

Mme  la  duchesse  d'Orléans  Mntlome  LHrifcr\ei(i\\Q  en  sou-      P^oJ^»»  d" 

...  ,    ,  Mme  la 

rioit  avec  complaisance.  Il  avoit  raison  :  elle  eût  été  un     duclio^se  da 

prodige  d'orgueil,  si  elle  n'eût  pas  eu  une  fille  ;  mais  cette         Berry. 

\.  Tome  XVI.  p.  318,  3-28  et  3-29. 

2.  Il  y  a  bion  <joii-t,  au  singiiliordans  le  manuscrit.  —  3.  Ci-dessus,  p.  65. 
4.  Les  mois  des  frères  ont  été  ajoutés  on  interligne, 
o.  Dans  le  manuscrit,  mesmes  est  au  pluriel,  et  domesliquca  est 
|ilacé  entre  deux  virgules. 

6.  Ce  mais  a  été  ajouté  en  interligne. 

7.  Avant  .V'.  Saint-Simon  avait  écrit  Lucif[er],  qu'il  a  etTacé  du 
doigt  et  surchargé  d'une  M,  biffée  ensuite.  —  Voyez  notre  tome  XIX. 
p.  tt-2  et  note  3.  et  la  suite  des  )fenwires.  tome  XI.  p.  188  et  3St.  Il 
appli(juera  le  même  terme  an  cardinal  de  liouillon  (ibidem,  p.  102)  et 
à  Vendôme  (Écrits  inédits,  tome  V,  p.  4713). 

*  Il  y  a  par  erreur  M-  et  M'. 


80  MÉMOIRES  [HH] 

fille  la  surpassa  de  beaucoup.  Il  n'est  pas  temps  ici  de 
faire  le  portrait  de  l'une  ni  de  l'autre  :  je  me  contenterai, 
sur  Mme  la  duchesse  de  Berry,  de  ce  qu'il  est  nécessaire 
d'expliquer,  sur  ce  dont  il  s'agit,  en  deux  mots*.  C'étoit 
un  prodige  d'esprit,  d'orgueil,  d'ingratitude  et  de  folie,  et 
c'en  fut*  un  aussi  de  débauche  et  d'entêtement.  A  peine 
fut-elle  huit  jours  mariée,  qu'elle  commença  à  se  déve- 
lopper sur  tous  ces  points,  que  la  fausseté  suprême  qui 
étoit  en  elle,  et  dont  même  elle  se  piquoit  comme  d'un 
excellent  talent,  ne  laissa  pas  d'envelopper  un  temps, 
quand  l'humeur  la  laissoit  libre,  mais  qui  la  dominoit 
souvent.  On  s'aperçut  bientôt  de  son  dépit  d'être  née  d'une 
mère  bâtarde,  et  d'en  avoir  été  contrainte,  quoique  avec 
des  ménagements  infinis,  de  son  mépris  pour  la  foiblesse 
de  M.  le  duc  d'Orléans,  et  de  sa  confiance  en  l'empire 
qu'elle  avoit  pris  sur  lui,  de  l'aversion  qu'elle  avoit  conçue 
contre  toutes  les  personnes  qui  avoient  eu  part  à  son 
mariage,  parce  qu'elle  étoit  indignée  de  penser  qu'elle 
pût  avoir  obligation  à  quelqu'un,  et  elle  eut  bientôt  après 
la  folie  non  seulement  de  l'avouer,  mais  de  s'en  vanter  ; 
ainsi,  elle  ne  tarda  pas  d'agir  en  conséquence.  Et  voilà 
comme  on  travaille  en  ce  monde  la  tête  dans  un  sac%  et 
que  la  prudence  et  la  sagesse  humaine  sont  confondues 
jusque  dans  les  succès  les  plus  raisonnablement  désirés, 
et  qui  se  trouvent  après  *  les  plus  détestables  ^  !  Toutes  les 

4.  Saint-Simon  fera  de  Mme  de  Berry  un  portrait  plus  complet,  à 
deux  reprises  différentes,  dans  la  suite  des  Mémoires,  tomes  XI  de 
4873,  p.  498-204,  et  XVI,  p.  279-281. 

2.  C'en  corrige  ce  et  fut  est  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier 
un,  biffé. 

3.  Cette  expression  figurée,  qui  signifie  être  dans  une  ignorance 
complète  ou  un  aveuglement  volontaire  de  ce  qui  peut  arriver,  n'était 
pas  donnée  par  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4718  ;  Littréen  cite  un 
exemple  de  Mme  de  Scvigné.  Voyez  notre  tome  XIII,  p.  398,  note  4. 

4.  Apres  est  en  interligne. 

3.  Voyez  ce  qu'il  a  déjà  dit  sur  le  même  sujet  dans  le  tome  XIX, 
p.  358-339. 


[17H)  DE  SAI.NT-SIMON  81 

machines  de   ce  mariage   avoient   porté  sur  deux    points 
d'ol)jet  principaux   :  l'un,  d'empêcher  celui   de   MUe  de 
Bourbon  par  tant  de  raisons,  et  si  essentielles,  qu  on  en 
a  vues'  ;  l'autre,  d'assurer  cette  union  si  heureuse,  si  dési- 
lable,  si  bien  cimentée  entre  les  deux  frères  et  Mme  la 
duchesse  de  Bourgogne,  qui  faisoit  le  bonheur  solide  et 
la  grandeur  «le  l'I^tat,  la  paix  et  la  félicité  de  la  famille 
rovale,  la  joie  et  la  tranquillité  de  la  cour,  et  qui  mctloit, 
autant  qu'il  étoit  possible,  un  frein  à  tout  ce  qu'on  avoit 
à  craindre  du  règne  de  Monseigneur.  Il  se  trouve,  par  ce 
qui  a  été  remarijué  de  Mlle  Choin-,  que  peut-être  le  ma- 
riage de  Mlle  de  Bourbon  ne  se  seroit  point  fait,  et  qu'on 
lui  substitue  une  furie  qui  ne  songe  qu'a  perdre  tout  ce 
qui  la  établie,  à  brouiller  les  frères,  à  perdre  sa  bienfai- 
trice' parce  qu'elle  l'est,  à  se  livrer  à  ses  ennemis  parce 
qu'ils  sont  ceux  de  Mgr  et  de  Mme  la  duchesse  de  Bour- 
gogne, et  à  se  promettre  de  gouverner  Monseigneur,  dau- 
phin et  roi,  par  des  personnes  outrées  contre  son  mariage, 
et  pleines*  de  haine  contre  M.  et  Mme  la  duchesse  d'Or- 
léans, qui  ont  attenté  et  attentoient  sans  cesse  à  l'anéan- 
tissement de  Mgr  et  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne, 
pour^  gouverner  seuls  Monseigneur  et  l'Etat  quand  il  en 
seroit  devenu  le  maître,  et  qui  n'étoient  pas  sûrement  pour 
abandonner  à  Mme  la  duchesse  de  Berry  le  fruit  de  leurs 
sueurs*^,  de  leurs  travaux  si  longs  et  si  suivis,  et  de  tant  de 
ce  qui  se  peut  appeler  crimes,  pour  arriver  au  timon  et  le 
gouverner  sans  concurrence.  Tel  fut  pourtant  le  sage,  le 
facile,  l'honnête  projet  que  Mme  la  duchesse  de  Berry  se 
mit  dans  la  tête  aussitôt  après  qu'elle  fut  mariée.  On  a  vu 
que,  pendant  tout  le  cours  des  menées  de  son  mariage, 

1.  Tome  XIX,  p.  19-2  el  suivantes. 
"2.  Ci-dessus,  p.  66. 
3.  Saint-Simon  écrit  bienfactrice. 

•4.  Et  surcharge  le  commenceracnl  d'un  p.   puis   pleines   corrig»' 
pleins. 

5.  Avant  p''  il  a  biffé  un  q'. 

•  "•     (ji-<lessus,  p.  38,  ot  ci-aprùs,  p.  371 

MLMOIHES    DE    SAINTSIMON      XXI  6 


8-2  MÉMOIRES  [4711] 

M.  le  duc  d'Orléans  ne  lui  en  avoit  rien  caché'  :  elle 
connut  ainsi  le  tableau  intérieur  de  la  cour,  la  cabale  qui 
gouvernoit  Monseigneur,  et  la  triste  situation  de  Mgr  et 
de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  avec  lui.  La  différence 
si  marquée  de  celle  de  M.  le  duc  de  Berry,  qu'elle  aperçut 
dès  qu'elle  fut  mariée,  et,  incontinent  après,  de  la  sienne 
même,  les  caresses  qu'elle  reçut  de  toute  la  cabale,  les 
agréments  qu'elle  éprouvoit  aux  Parvulo,  où  elle  étoit 
témoin  de  l'embarras,  des  sécheresses  et  des  duretés  qu'y 
essuyoit  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne-,  la  persuadèrent 
du  beau  dessein  qu'elle  se  mit  dans  l'esprit,  et  d'y  travail- 
ler sans  perdre  un  moment.  A  ce  qui  vient  d'être  dit,  on 
peut  juger  qu'elle  n'étoit  ni  douce  ni  docile  :  aux  premiers 
avis  que  Mme  la  duchesse  d'Orléans  lui  voulut  donner, 
elle  se  rebéqua^  avec  aigreur,  et,  sûre  de  faire  de  M.  le 
duc  d'Orléans  tout  ce  qu'elle  voudroit,  elle  ne  balança  pas 
de  faire  l'étrangère  et  la  fille  de  France  avec  Madame  sa 
mère.  La  brouillerie  ne  tarda  pas*,  et  ne  fit  qu'augmenter 
sans  cesse.  Elle  en  usa  d'une  autre  façon,  mais  pour  le 
fonds  de  même,  avec  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne, 
qui  avoit  compté  la  conduire  et  en  faire  comme  de  sa  fille, 
et  qui,  sagement,  retira  promptement  ses  troupes*  et  ne 
voulut  plus  s'en  mêler,  pour  éviter  noise,  et  qu'elle  ne 
lui  fît  des  affaires  avec  M.  le  duc  de  Berry,  qu'elle  avoit 
toujours  aimé  et  traité  comme  son  frère,  lequel  y  avoit 
répondu  par  toute  la  confiance  la  plus  entière,  et  le  res- 
pect le  plus  véritable.  Cette  crainte  ne  fut  que  trop  bien 
fondée,  quoique  toute  occasion  en  fût  évitée.  Le  projet  de 
Mme  la  duchesse  de  Berry  demandoit  la  discorde  entre 
les  deux  frères.  Pour  y  parvenir,  il  falloit  commencer  par 
la  mettre  entre  le  beau-frère  et  la  belle-sœur  ;  cela  fut 
extrêmement  difficile.  Tout  s'y  opposoit  en  M.  le  duc  de 
Berry  :  raison,  amitié,   complaisance,  habitude,   amuse- 

1.  Tome  XIX,  p.  289.  —2.  Ci-dessus,  p.  33. 

3.  Tome  X,  p.  394.  Ici,  rebecca.  —  4.  Ci-après,  p.  101  et  suivantes. 

o.  Métaphore  dont  on  ne  peut  citer  d'autre  exemple. 


117HJ  DE  SAl.NT-SIMON.  83 

ment,  plaisii-s,  conseils  et  appui  aiipics  du  Hoi  et  de 
Mme  de  Maintenon,  iiiliniité  avec  Mgr  le  duc  de  Bour- 
gogne. Mais  M.  le  duc  de  Berry  avoit  de  la  droiture,  de 
la  bonté,  de  la  vérité;  il  ne  se  doutoit  seulement  pas  ni 
lie  fausseté  ni  d'artifice  ;  il  avoit  peu  d'esprit,  et,  au  milieu 
de  tout,  peu  d'usage  du  monde;  enfin,  il  étoit  amoureux 
fou  lie  Mme  la  duchesse  de  Berry,  et'  en  admiration 
[)erpétuelle  de  son  esprit  et  de  son  bien-dire-.  Elle  réussit 
donc  peu  à  peu  à  l'éloigner  de  Mme  la  duchesse  de  Bour- 
gogne, et  cela  mit  le  comble  '  entre  elles.  C'étoient  là  des 
sacrifices  bien  agréables  à  la  cabale,  à  qui  elle  vouloit 
plaire,  et  à  qui  elle  se  dévoua.  C'est  où  elle  en  étoit 
loi'sque  Monseigneur  mourut,  et  c'est  ce  qui  la  jeta  dans 
cette  rage  de  douleur  que  personne  de  ce  qui  n'étoit  pas 
instruit  ne  pouvoit  comprendre^.  Tout  à  coupelle  vit  ses 
projets  en  fumée,  elle  réduite  sous  une  princesse  qu'elle 
avoit  payée  de  l'ingratitude  la  plus  noire,  la  plus  suivie, 
la  plus  gratuite,  qui  faisoit  les  délices  du  Uoi  et  de  Mme  de 
Maintenon,  et  qui,  sans  contrepoids,  alloit  régner  d'a- 
vance en  attendant  l'efTet.  Elle  ne  voyoit  plus  d'égalité 
entre  les  frères,  par  la  disproportion  du  rang  de  Dauphin. 
Cette  cabale,  à  qui  elle  avoit  sacrifié  son  âme,  étoit  perdue 
pour  l'avenir,  et,  pour  le  présent,  lui  devenoit  plus  qu'i- 
nutile, sans  secours  de  la  part  d'une  mère  offensée,  ni  du 
côté  d'un  père  foible  et  léger,  mal  raffermi  auprès  du 
Roi,  et  foncièrement  mal  avec  Mme  de  Maintenon,  réduite 
à  dépendre  du  Dauphin  et  de  la  Dauphine,  et  pour  le 
grand,  et  pour  l'agréable,  et  pour  l'utile,  et  pour  le  futile, 
et  à  n'avoir  de  considération  et  de  consistance  qu'autant 

I.   Et  surcharge  un  premier  en. 

'1.  «  Ce  mol  n'a  d'usage  que  dans  le  discours  familier  et  en  raillant 
de  quelqu'un  qui  se  pique  de  bien  parler  »  {Académie,  1718).  Nous 
l'avons  déjà  rencontré  dans  le  tome  VI.  p.  51.  et  nous  le  retrouverons 
ci-après,  p.  3oU. 

3.  Les  lexiques  ne  citent  pas  d'emploi  de  comble  pris  absolument, 
sans  complément. 

'•.  Ci-dessus,  [).  3i. 


84  MÉMOIRES  [1714] 

qu'ils  lui  en  voudroient  bien  communiquer;  et  nulle  res- 
source auprès  d'eux  que  M.  le  duc  de  Berry,  qu'elle  avoit 
comme  brouillé  avec  celle  qui  influoit  d'une  manière  si 
principale  sur  le  Roi,  sur  Mme  de  Maintenon,  et  sur  Mgr 
le  duc  de  Bourgogne,  dans  tout  ce  qui  n'étoit  point 
affaires.  Elle  sentoit  encore  que  M.  le  duc  de  Berry  seroit 
très  aisément  distingué  d'elle,  et,  de  plus,  elle  se  pouvoit 
dire  bien  des  choses  qui  la  mettoient  en  de  grands  dan- 
gers à  son  égard  pour  peu  qu'on  fût^  tenté  de  lui  rendre 
quelque  change  %  ce  qui  étoit  et  très  possible  et  très  im- 
punément. Voilà  aussi  pourquoi  elle  lui  marqua  tant*  de 
soins  et  tant  de  tendresse,  et  qu'au  milieu  de  son  déses- 
poir, elle  sut  mettre  à  profit,  à  son  égard,  leur  commune 
douleur.  Celle  de  M.  le  duc  de  Berry  fut  toute  d'amitié, 
de  tendresse,  de  reconnoissance  de  celle  qu'il  avoit  tou- 
jours éprouvée  de  Monseigneur,  peut-être  de  sa  situation 
présente  avec  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  et  d'avoir 
assez  pris  de  Mme  la  duchesse  de  Berry  pour  sentir  toute 
la  différence  de  fds  à  frère  de  dauphin  et  de  roi  et,  dans 
la  suite,  le  vide  de  Meudon  et  des  parties  avec  Monseigneur 
Affection  de  aux  plaisirs  et  à  l'amusement  de  sa  vie*.  Le  roi  d'Espagne 
Monseigneur    gu^gistoit  daus  le  cœur  de  Monseiarneur  par  le  sentiment 

pour  le  roi  ,..,,.  . 

d'Espagne.  Ordinaire  d  aimer  davantage  ceux  pour  qui  on  a  grande- 
ment fait,  et  dont  on  n'est  pas  à  portée  d'éprouver  l'in- 
gratitude ou  la  reconnoissance.  La  cabale,  qui  n'avoit  rien 
à  craindre  de  si  loin,  et,  de  plus,  liée,  comme  on  l'a  vu, 
avec  la  princesse  des  Ursins  au  point  où  elle  l'étoit^ 
entretenoit  avec  soin  l'amitié  de  Monseigneur  pour  ce 
prince,  et  lui  ôtoit  tout  soupçon  en  la  fomentant  pour 
deux  de  ses  fils,  d'aucun  mauvais  dessein  par  leur  con- 

1.  Il  y  a  fut,  à  l'indicatif,  dans  le  manuscrit.  —  2.  Tome  XIV,  p.  92. 

3.  Il  y  a  dans  au  manuscrit,  par  mégarde,  au  lieu  de  tant. 

4.  C'est-à-dire,  le  vide  qu'allait  causer  dans  les  plaisirs  et  les  amu- 
sements de  sa  vie  la  cessation  des  séjours  à  Meudon  et  des  parties  avec 
Monseigneur. 

5.  Tome  XVIII,  p.  71-73. 


[nW]  DE  SAINT-SIMON.  «'• 

duite  à  l'égard  de  l'aîné',  dont  Monseigneur  ne  voyoit 
que  ce  qui  se  passoit  auprès  de  lui  là-dessus 

De  ce  long  et  curieux  détail,  il  résulte  que  Monseigneur        Portrait 

*•  ••  !•»•  •  raccourci     de 

etoit  sans  vice  ni  vertu,  sans  lumières  ni  connoissances  j^jo^gj.;  „e,jr 
quelconques,  radicalement  incapable-  d'en  acquérir,  très 
paresseux,  sans  imagination  '  ni  production*,  sans  goût, 
sans  choix,  sans  discernement,  né  pour  l'ennui,  qu'il 
communiquoit  aux  autres,  et  pour  être  une  boule  rou- 
lante au  hasard  par  l'impulsion  d'autrui,  opiniâtre  et 
petit  en  tout  à  l'excès,  de  l'incroyable  facilité  à  se  préve- 
nir et  à  tout  croire  qu'on  a  vue ',  livré  aux  plus  perni- 
cieuses mains,  incapable  d'en  sortir  ni  de  s'en  apercevoir, 
absorbé  dans  sa  graisse  et  dans  ses  ténèbres,  et  que,  sans 
avoir  aucune  volonté  de  mal  faire,  il  eût  été  un  roi  per- 
nicieux. 

Le  pourpre®,  mêlé  à  la  petite  vérole  dont  il  mourut,  et  Ses  obsèques, 
la  prompte  infection  qui  en  fut  la  suite,  firent  juger  éga- 
lement inutile  et  dangereuse  l'ouverture  de  son  corps.  Il 
fut  enseveli,  les  uns  ont  dit  par  des  Sœurs"  grises ^  les 
autres  par  des  frotteursdu  château,  d'autres  par  les  plom- 
biers mêmes  qui  apportèrent  le  cercueil'.  On  jeta  dessus 

i.  Aisnée  corrigé  en  aisné. 

"2.  Les  deux  premières  lettres  de  ce  mot  ont  été  ajoutées  après  coup. 

3.  Saint-Simon  a  écrit  par  mégardc  imaginatin. 

•i.   Au  sens  de  faculté  de  produire,  de  composer  quelque  chose. 

o.  Ci-dessus,  p.  2.  —  6.  Tome  XX,  p.  3'29. 

7.  «  Soeurs  est  un  nom  que  l'on  donne  à  certaines  fliles  qui  vivent 
en  communauté,  sans  être  pourtant  religieuses  »  (Académie,  -1718). 

8.  On  appelait  Sœurs  grises,  à  cause  de  leur  costume,  les  Filles  de  la 
Charité,  fondées  en  1633  par  saint  Vincent  de  Paul  et  par  Mlle  Legras, 
Louise  de  Marillac,  et  dont  la  maison-mère  était  dans  la  rue  de  Sè- 
vres, en  face  des  Lazaristes.  Elles  avaient  un  établissement  dans  le  vil- 
lage de  Meudon. 

9.  Ce  furent  en  eflet  des  Sœurs  grises  qui  procédèrent  à  l'enseve- 
lissement, ainsi  qu'on  le  verra  dans  le  récit  de  Desgranges  qu'on 
trouvera  à  l'Appendice,  p.  418.  Le  baron  de  Breteuil  donne  des 
détails  macabres  sur  la  mise  en  bière  du  prince  (ci-après,  p.  415) 

*  Raccourci  a  été  ajouté  en  interligne. 


86  MÉMOIRES  [1714] 

un  vieux  poêle  '  de  la  paroisse,  et  sans  aucun  accompa- 
gnement que  des  mêmes  qui  y  étoient  restés,  c'est-à-dire 
du  seul  la  Vallière*,  de  quelques  subalternes,  et  des  capu- 
cins de  Meudon,  qui  se  relevèrent  à  prier  Dieu  auprès 
du  corps,  sans  aucune  tenture,  ni  luminaire  que  quelques 
cierges.  Il  étoit  mort  vers  minuit  du  mardi  au  mercredi  ; 
le  jeudi ^  il  fut  porté  à  Saint-Denis  dans  un  carrosse  du 
Rois  qui  n'avoit  rien  de  deuil,  et  dont  on  ôta  la  glace  de 
devant  pour  laisser  passer  le  bout  du  cercueil  ^  Le  curé 
de  Meudon^  et  le"  chapelain  en  quartier  chez  Monseigneur 
y  montèrent*.  Un  autre  carrosse  du  Roi  suivit,  aussi  sans 
aucun  deuil,  au*  derrière  duquel  montèrent  le  duc  de  la 

1.  Nous  avons  eu  le  «  poêle  «  de  mariage  dans  le  tome  XIX, 
p.  351  ;  ici,  c'est  le  «  drap  mortuaire  que  l'on  met  à  l'église  sur  le  cer- 
cueil »  (Académie,  1718).  Le  poêle  revenait  de  droit  aux  valets  de 
pied.  En  1712,  lors  des  obsèques  de  la  duchesse  de  Bourgogne,  la 
vente  du  poêle  de  velours  noir  orné  de  croix  d'argent  leur  valut  dix- 
huit  cents  livres. 

2.  Ci-dessus,  p.  43.  —  3.  Le  16  avril 

4.  Sur  les  obsèques  de  Monseigneur,  on  peut  consulter  les  Mémoires 
du  baron  de  Breteuil,  ms.  Arsenal  3864,  les  registres  ou  cérémonial 
de  Desgranges,  ms.  Mazarine  2746,  fol.  27  et  suivants,  les  dossiers  du 
grand  maître  des  cérémonies  réunies  dans  le  carton  0'  1043  des  Ar- 
chives nationales,  les  pièces  conservées  dans  le  carton  K  1716,  n°  2^, 
les  mémoires  et  lettres  relatifs  aux  fournitures  et  travaux  faits  pour  les 
obsèques  à  Saint-Denis  dans  le  carton  K  122,  n"  13,  le  Journal  de 
Dangeau,  p.  382  et  384,  les  Mémoires  de  Sourches,  p.  87,  la  Gazette, 
p.  215-216,  les  Lettres  de  Mme  de  Maintenon,  recueil  Gefîroy,  tome 
II,  p.  275-279,  et  recueil  Bossange,  tome  II,  p.  166-173,  etc.  On  en 
trouvera  diverses  relations  ci-après,  à  l'appendice  I. 

5.  Détail  confirmé  par  Breteuil  et  Desgranges  :  ci-après,  appen- 
dice I,  p.  416  et  418. 

6.  Ci-dessus,  p.  20.  — 7.  Le  est  en  interligne  au-dessus  d'un,  biffé. 
8.  Desgranges  (ci-après,  appendice  I)  dit  que    personne  ne  monta 

auprès  du  cercueil,  et  que  le  curé  de  Meudon  se  tint  avec  l'évêque  de 
Metz  et  le  duc  de  TrémoïUe  dans  l'autre  carrosse,  qui  précédait,  et  non 
pas  suivait,  le  carrosse  mortuaire  ;  il  ne  parle  pas  de  chapelain  de  quar- 
tier. Ce  chapelain  était  toujours  celui  qui  avait  servi  auprès  du  Roi  le 
quartier  précédent, 
y.  Au  est  en  interligne,  au-dessus  de  dans  le  ;  mais  Saint-Simon  a 


(1711)  DE  SAINT-SIMON.  87 

Tr«5moïllo,  promier  gonlilhoinnK^  de  la  clianibre  point  en 
année',  ef  Monsieur  de  Met/,  premier  aumônier;  sur  le 
(levant.  Drtiix.  ;,'r;mil  maître  des  cérémonies,  et  l'abbé  de 
Braneas.  aumômer  de  (|uartier  chez  Monseigneur',  de- 
puis évèipie  de  Lisieux\  et  frère  du  maréchal  de  Bran- 
cas*;  des  gardes  du  corps,  des  valets  de  pied,  et  vingt- 
quatre  pages  du  Roi  portant  des  flambeaux.  Ce  très 
simple  convoi  partit  de  Meudon  sur  les  six  ou  sept  heures 
du  soir,  passa  sur  le  pont  de  Sèvres,  traversa  le  bois 
de  Boulogne,  et.  par  la  plaine  de  Saint-Ouen^  gagna 
Saint-Denis,  où  tout  de  suite"  le  corps  fut  descendu 
dans  le  caveau    royal",   sans  aucune  sorte  de    cérémo- 

oublié  de  biffer  le  ;  en  outre,  deuil  semble  avoir  été  ajouté  sur  la 
marg»,  et  il  a  écrit  dcrnicre. 

{.  Le  Roi  l'avait  désigné  spécialement  pour  cette  fonction  (Des- 
grançes). 

2.  Henri-Ignace  de  Brancas-Céreste,  abbé  de  Saint-Gildas-des-Bois 
en  1706,  aumônier  du  Roi  en  novembre  i710  (brevet  du  "l"!  février 
171'.,  reg.  0'  00,  fol.  4  {•  v),  abbé  de  Chambre-Fontaine  en  171'2,  fut 
non'mé  évéque  de  Lisieux  le  l"i  août  171  i.  mourut  dans  cette  ville  le 
31  mars  ITtiO.  à  l'âge  de  soixante-seize  ans.  Mme  de  Maintenon  disait 
de  lui  en  1710  :  «  Sa  tigure  est  noble  et  modeste  ;  je  le  vois  déjà  un 
bor  évèque,  à  tout  ce  que  j'entends  dire.  » 

ù.  Cet  évêché,  regardé  comme  l'un  des  plus  considérables  du  royaume, 
comptait  cinq  cent  quatre-vingts  paroisses  et  rapportait  environ  qua- 
raite  mille  livres. 

4.  Louis  de  Brancas-Céreste  (tome  IX,  p.  HO),  qui  ne  devint  maré- 
chal de  France  qu'en  17 il. 

5.  Ou  plaine  Saint-Denis.  —  On  n'avait  pas  voulu  passer  par  Paris 
à  cause  de  la  simplicité  du  convoi,  et  de  «  l'etfroyable  douleur  où  tout 
Paris  étoil  de  la  perte  de  Monseigneur  »,  disent  les  Mémoires  de  Sour- 
dies,  p.  87,  l'annotateur  ajoutant:  «Cette  douleur  alla  jusqu'à  faire 
(ire  au  public  bien  des  extravagances.  »  Quant  à  la  populace,  elle  dés- 
approuva hautement  les  précautions  qu'on  prit  aux  dépens  du  céré- 
Donial  (Journal  de  Torcy,  p.  {"lo). 

fi.  On  se  contenta  df   réciter  un  court  oflice  :  ci-après,  p.  il9. 

7.  On  voit  par  le  registre  de  Desgranges  que.  depuis  Henri  IV,  les 
cercueils  des  membres  décédés  de  la  famille  royale  n'avaient  pas  été  en- 
fermés dans  des  tombeaux  particuliers,  mais  déposés  sur  des  tréteaux 
en  fer  dans  un  vaste  caveau.  Au  moment  où  on  y  amena  le    corps  de 


8R  MÉMOIRES  1 17111 

nies'.  Telle  fut  la  fin  criin  prince  qui  passa  près  de  cin- 
quante ans  à  faire  faire  tles  plans  aux  autres,  tandis  que,  sur 
le  bord  du  trône,  il  mena  toujours  une  vie  privée,  pour  ne 
pas  dire  obscure,  jusque-là  qu'il  ne  s'y  trouve  rien  de  mar- 
qué que  la  propriété  de  Meudon  et  ce  qu'il  y  a  fait  d'em- 
bellissement. Chasseur  sans  plaisir,  presque  voluptueux, 
mais  sans  goût,  gros  joueur  autrefois  pour  gagner,  mais, 
depuis  qu'il  bàtissoit,  sifflant  dans  un  coin  du  salon  de 
Marly  et  frappant  des  doigts  sur  sa  tabatière,  ouvrant  de 
grands  yeux  sur  les  uns  et  les  autres  sans  presque  regar- 
der-, sans  conversation,  sans  amusement,  je  dirois  volon- 
tiers sans  sentiment  et  sans  pensée  ;  et  toutefois,  par  la 
grandeur  de  son  être,  le  point  aboutissant',  l'âme,  la  vie  de 
la  cabale  la  plus  étrange,  la  plus  terrible,  la  plus  profonde, 
la  plus  unie  nonobstant  ses  subdivisions,  qui  ait  existé  de- 
puis la  paix  des  Pyrénées,  qui  a  scellé  la  dernière  fin  des 
troubles  nés  de  la  minorité  du  Roi.  Je  me  suis  un  peu 
longuement  arrêté  sur  ce  prince  presque  indéfinissable, 

Monseigneur,  il  y  avait  vingt-cinq  cercueils,  dont  Desgranges  donne  la 
liste.  On  profita  de  l'occasion  pour  renouveler  plusieurs  tréteaux,  ran- 
ger les  cercueils  dans  un  nouvel  ordre,  fermer  le  caveau  d'une  g:ille 
et  effectuer  divers  travaux  d'appropriation  (carton  K  422,  n"  13,  el  ci- 
après,  Additions  et  corrections). 

i.  Le  Roi  demanda  trois  mille  messes  au  cardinal  de  Noailles  pour 
le  repos  de  l'âme  de  son  fils,  deux  cents  aux  Quinze-vingts  et  cent  à 
l'abbé  de  Saint-Denis,  et  il  écrivit  aux  évêques  et  aux  gouverneurs 
des  provinces  pour  faire  faire  des  prières  publiques  (registre  0*  35, 
fol.  32-33);  l'on  trouvera  ci-après,  p.  432,  la  lettre  qui  fut  adressée  au 
maréchal  de  Villeroy  comme  gouverneur  du  Lyonnais.  —  Lors  de  !a 
violation  des  sépultures  royales  par  les  émissaires  de  la  Convention,  le 
14  octobre  1793,  le  corps  de  Monseigneur  fut  trouvé  dans  un  étit 
complet  de  putréfaction  liquide,  tandis  que  ceux  de  Henri  IV,  de 
Louis  XIII  et  de  Louis  XIV  étaient  bien  conservés  (Journal  de  Dora 
Druon  conservé  aux  Archives  nationales,  Armoire  de  fer,  carton  15, 
2»  liasse,  2"  dossier). 

2.  Il  a  parlé  de  «  ses  yeux  toujours  si  morts  »  dans  la  Notice  sur  la 
maison  de  Sai7it-Simon  (tome  XXI  et  supplémentaire  de  l'édition  des 
Mémoires  de  1873,  p.  171). 

3.  Locution  qui  n'a  été  relevée  dans  un  aucun  lexique. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  fiO 

parce  qnVm  uo  peut  le  faire  connoîlie  que  par  des  détails. 
On  seroit  inlini  à  les  rapporter  tous.  Cette  matière  d'ail- 
leurs est  assez  curieuse  pour  permettre  de  s'étendre  sur 
un  Dauphin  si  peu  connu,  qui  n'a  jamais  été  rien,  ni  de 
rien,  en  une  si  longue  et  si  vaine  attente  de  la  couronne, 
et  sur  qui  enfin  la  corde  a  cassé  '  de  tant  d'espérances,  de 
craintes  et  de  projets. 

Après  ce  qui  a  été  éparsement-  expliqué  sur  Monsei- 
gneur, on  a  vu  par  avance  quelle^  sorte  de  sensation  fit 
sur  les  personnes  royales  et  les  personnages,  sur  la  cour 
et  sur  le  public,  la  perte  d'un  prince  dont  tout  le  mérite 
étoit  dans  sa  naissance,  et  tout  le  poids  dans  son*  corps. 
Je  nai  jamais  su  qui  lui  avoit  captivé  les  halles  et  le 
has^  peuple  de  Paris",  si  ce  n'est  cette  gratuite  réputation 
(le  bonté  que  j'ai  touchée".  Si  Mme  de  .Maintenon  se  sen-  Mme  de 
tit  délivrée  par  la  mort  de  Monsieur,  elle  se  la  trouva     ^[f,'nte"o"à 

«                                                         '  1  égard  de 

bien  plus  par  celle  de  Monseigneur,  dont  toute  la  cour  Monseigneur 

intérieure  lui  fut  toujours  très  suspecte.  Jamais  ils^  n'eu-  ft  «^e  ^Igr  et 

rent  l'un  pour  l'autre  que  beaucoup  d'éloignement  réci-  duchesse  de 

proque  ^  lui  en  presse  avec  elle,  elle  en  mesure  avec  lui,  Bourgogne, 
et  en  attention  continuelle  à  l'observer,  et  à  s'instruire  de 
ses  plus  secrètes  pensées,  ou,  pour  mieux  dire,  de  celles 

1.  «On  dit  proverbialement  et  ligurénienl  :  Vous  verrez  beau  jeu 
si  la  corde  ne  rompt,  pour  dire,  vous  verrez  des  choses  fort  surpre- 
nantes dans  quelque  atTaire,  dans  quelque  entreprise,  si  les  moyens 
dont  on  se  sert  pour  y  parvenir  ne  manquent  pas»  (Académie,  t718). 
Littré  a  rapproché  cet  exemple  de  Saint-Simon  d'un  vers  de  VÉtourdi, 
acte  III,  scène  7.  Voyez  ci-après,  p.  "lifiO. 

'2.  Cet  adverbe  n'était  pas  donné  par  le  Dictionnaire  de  l'Académie 
(le  1718  ;  mais  Littré  Ta  relevé  dans  Froissart  et  dans  le  Dictionnaire 
il'Oudin.  Saint-Simon  écrit  esparsem'. 

3.  Quelle  surcharge  la  so[rtc].  —  i.  Son  corrige  luy. 

0.  Le  6  de  6a«  corrige  un /),  et.  plus  loin,  si  corrige  l'abréviation 
de  que. 

6.  Ci-dessus,  p.  14-15,  et  Lettres  de  Madame,  recueil  Brunet, 
tome  II.  p.  69. 

7.  Ci-dessus,  p.  48.  —  8.  Ils  est  répété  deux  fois  dans  le  manuscrit. 
9.  Voyez  ci-dessus,  p.  62. 


90 


MEMOIRES 


[\1U] 


Genre  de  la 
douleur  du 

Roi  ;  ses 

ordres  sur  les 

suites  de  la 

mort  de 

Monseigneur; 

ses 

occupations 

des  premiers 

jours. 


qui  lui  ctoient  inspirées  :  en  quoi  Mme  d'Espinoy  lui  ser- 
voit  despion  comme  il  parut  dans  la  suite,  et  comme  j'en 
ai  touché  ailleurs*  un  étrange  trait  d'original  S  et  peut- 
être  d'espion  double  '  à  tous  les  deux.  Fort  rapprochée  de 
Mgr  le  duc  de  Bourgogne  personnellement  depuis  la  cam- 
pagne de  Lille,  et  devenue  en  effet,  à  l'égard  de  Mme  la 
duchesse  de  Bourgogne,  et  elle  au  sien,  comme  une  bonne 
et  tendre  mère,  et  la  meilleure  et  la  plus  reconnoissante 
fille  et  la  plus  attachée,  elle  regardoit  leur  rehaussement* 
comme  la  sûreté  de  sa  grandeur,  et  comme  le  calme  et  le 
rempart  de  sa  vie  et  de  sa  fortune,  quelque  événement 
qui  pût  arriver.  Pour  le  Roi,  jamais  homme  si  tendre  aux 
larmes,  si  difficile  à  s'affliger,  ni  si  promptement  rétabli 
en  sa  situation  parfaitement  naturelle.  11  devoit  être  bien 
touché  de  la  perte  d'un  fils  qui,  à  cinquante  ans,  n'en 
avoit  jamais  eu  six  à  son  égard.  Fatigué  d'une  si  triste 
nuit,  il^  demeura  fort  tard  au  lit.  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  arrivée  de  Versailles,  attendoit  son  réveil 
chez  Mme  de  Maintenon^  et  toutes  deux  l'allèrent  voir 
dans  son  lit  dès  qu'il  fut  éveillé.  Il  se  leva  ensuite  à  son 
ordinaire.  Dès  qu'il  fut  dans  son  cabinet,  il  prit  le  duc  de 
Beauvillier  et  le  Chancelier  dans  une  fenêtre,  y  versa 
encore  quelques  larmes,  et  convint  avec  eux  que  le  nom, 
le  rang  et  les  honneurs  de  Dauphin  dévoient  dès  ce  mo- 
ment passer  à  Mgr  et  à  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne, 
que  désormais  je  ne  nommerai  plus  autrement^  Il  décida 


-1 .  Dans  le  tome  XV,  p.  8-10.  —  2.  Il  y  a  origninal  dans  le  manuscrit. 

3.  La  cinquième  lettre  de  double  surcharge  une  s. 

•4.  L'Académie  en  1718  ne  donnait  que  rehaussement  de  murailles 
et  rehaussement  des  monnaies.  Littré  ne  fait  pas  même  mention  de  ce 
mot  au  figuré. 

5.  Il  est  en  interligne. 

6.  (f  Le  Roi  se  leva  fort  tard,  étant  accablé  de  chagrin  et  de  lassi- 
tude. Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  arriva  ici  de  Versailles  avant 
qu'il  fût  éveillé,  et,  à  son  réveil,  elle  entra  dans  sa  chambre  »  (Dan- 
geau,  p.  381-382). 

7.  Dangeau,  p.  38i  et  390-392  ;  Sourches,  p.  86.  Voici  le  récit  du 


flTH]  DE  SAINT-SIMON  91 

ensuite  co  qui  rofjardoit  lo  cnrps  do  Monseirrneur  on  la 
manière  qui  a  été  racontée',  reeut  sa  cassette  et  ses  clefs, 
que  (lu  Mont  lui  apporta-,  rv^Ui  ce  qui  concernoit  le  petit 
nombre  des  (Jomestiques  peisonnels  du  feu  prince',  com- 
mit* le  Chancelier  au  partage  de  la  légère  succession 
entre  les  trois  princes  ses  petits-fds*,  et  descendit  après 

Journal  de  Torcy.  p.  Mi:  «On  se  rendit  au  lever  du  Roi  à  Marly. 
Lorsqu'il  fut  achevé.  S.  M.  appela  M.  le  Chancelier.  Elle  litentrer  ensuite 
les  autres  ministres  ;  mais  à  |)eine  elle  put  parler:  sa  douleur  et  ses 
larmes  lui  coupoient  la  parole  chaque  fois  qu'elle  vouloit  s'expliquer. 
Elle  dit  môme  que,  quoique  vivement  touchée  de  la  perte  qu'elle  ve- 
noit  de  faire,  elle  avoit  peine  à  comprendre  son  état  :  que  la  veille, 
elle  n'avoit  pas  jeté  une  larme,  et  que,  dans  ce  moment,  elle  ne  pou- 
voit  s'empêcher  d'en  répandre  abondamment.  Le  Roi  dit  ensuite  qu'il 
vouloit  savoir  nos  avis  sur  le  nom  qu'il  donneroit  à  M.  le  duc  de 
Bourgogne,  s'il  lui  feroif  prendre  celui  de  Dauphin,  ou  s'il  lui  laisse- 
roit  celui  qu'il  avoit  porté  jusqu'alors,  le  titre  de  Dauphin  n'étant  dû 
qu'au  tils  aîné.  Chacun,  touché  de  la  douleur  du  Roi  et  du  spectacle, 
pleuroit  sans  répondre.  Je  me  sentis  plus  de  fermeté,  et  je  dis  qu'il 
n'y  avoit  nulle  ditficulté  à  faire  prendre  le  titre  de  Dauphin  à  M.  le 
duc  de  Bourgogne  ;  qu'il  étoit  l'héritier  nécessaire  immédiatement 
après  le  Roi,  et  que  personne  ne  pouvoit  survenir  entre  S.  M.  et  lui 
qui  lui  fit  perdre  ses  droits.  Elle  dit  que  c'éfoit  aussi  son  avis,  et 
M.  le  Chancelier  reprit  que  c'étoit  ce  qu'il  venoit  de  dire.  » 

t.  (^i-dessus.  p.  8.^>-88.  —  2.  Trois  cassettes,  selon  Dangeau,  p.  382. 

.3.  Les  trois  gan.ons  de  la  chambre  et  les  trois  garçons  de  garde- 
robe  passèrent  au  service  du  duc  de  Bourgogne  (État  de  la  France, 
ITi'i,  tome  II,  p.  ii  et  14);  du  Mont  reprit  son  rang  parmi  les 
écuyers  du  Roi,  et  son  neveu  Casaus  devint  premier  maréchal  des 
logis  du  duc  de  Berry  (ci-après,  p.  96)  :  voyez  l'article  des  Mémoires  de 
Sourches,  p.  87-S8.  Il  y  eut  aussi  diverses  pensions  distribuées 
(reg.  0'  oo,  fol.  18-49).  On  trouve  dans  les  Papiers  du  Contrôle  géné- 
ral, G' 973,  un  état  des  gages  et  appointements  des  otTiciers  qui  avaient 
servi  le  Dauphin  en  même  temps  que  le  Roi. 

i.   Avant  commit,  il  y  a  un  et  biffé. 

5.  Saint-Simon  reviendra  dans  le  prochain  volume  sur  la  succession 
de  Monseigneur.  Dangeau  dit  (p.  386):  «  A  l'égard  du  bien  que  laisse 
Monseigneur,  qui  est  Meudon  et  Chaville,  ses  pierreries  qui  sont  fort 
belles,  et  pour  plus  de  deux  cent  mille  écus  de  bijoux  qui  sont  dans 
son  cabinet  à  Versailles,  on  ne  réglera  rien  qu'on  n'ait  eu  des  lettres  du 
roi  d'Espagne    là-dessus.   On  lui  en   a   écrit,    et    dès  (ju'on   aura  sa 


<>2  MÉMOIRES  [1744] 

jusqu'à  la  réduction  de  l'équipage  du  loup  au  pied  de 
son  premier  établissement'.  Il  remit  au  dimanche  suivant 
l'admission  dans  Marly  de  ce  qui  avoit  accoutumé  de  l'y 
suivre,  et  des  autres  qu'il  choisiroitsur  la  liste  des  deman- 
deurs-. Il  ne  voulut  jusque-là^  que  qui  que  ce  soit  y 
entrât  excepté  ceux  qui  y  étoient  arrivés  avec  lui,  et 
Madame  la  Dauphine  eut  seule  la  permission  de  l'y  venir 
voir,  très  peu  accompagnée  et  sans  y  manger  ni  coucher, 
pour  laisser  airer*  ce  qu'il  avoit  amené,  et  changer  d'ha- 
bits à  ce  même  monde.  En  même  temps,  il  envoya  le  duc 
de  Bouillon,  grand  chambellan,  à  Saint-Germain,  donner 
part  au  roi,  à  la  reine  et  à  la  princesse  d'Angleterre  de  la 
perte  qu'il  venoit  de  faire  ^  Il  se  promena  dans  ses  jar- 
dins, et  Madame  la  Dauphine  revint  passer  une  partie  du 
soir  avec  lui  chez  Mme  de  Maintenon.  Cette  princesse® 
s'y  trouva  tous  les  soirs  les  jours  suivants,  et  même  à  sa 

réponse,  les  lois  régleront  la  part  que  chacun  des  trois  enfants  de  Mon- 
seigneur doit  avoir.  L'aîné  a  de  grands  avantages  sur  les  terres  ;  Meu- 
don  et  Chaville  valent  environ  quarante  mille  livres  de  rente  ;  les  pierre- 
ries sont  fort  belles  :  car,  outre  les  pierreries  de  la  Reine,  il  en  avoit 
encore  acheté.  » 

4.  Dans  VÉtat  delà  France  de  4742,  tome  I,  630-633,  on  trouve 
l'état  de  la  louveterie  royale,  sans  les  augmentations  qu'y  avait  appor- 
tées Monseigneur  (ci-dessus,  p.  oO,  note  9).  «  S.  M.  ordonna  le  matin 
(47  avril),  au  marquis  d'Heudicourt,  de  supprimer  le  grand  état  de  la 
louveterie  et  de  la  réduire  sur  l'ancien  pied,  lui  disant  que  le  reste 
étoit  devenu  inutile  et  causoit  une  trop  grande  dépense  »  {Mémoires  de 
Sourches,  p.  89  ;  Dangeau,  p.  394). 

2.  Ces  détails  ne  viennent  pas  de  Dangeau.  Les  Mémoires  de  Sour- 
ches disent  (p.  87)  :  «  On  sut  aussi  que  le  Roi  avoit  fait  la  liste  pour 
Marly,  et  que  les  dames  nommées  y  viendroient  le  20  ». 

3.  Que,  biffé  avânl  jusque,  a  été  rétabli  en  interligne  après  là. 

4.  «  On  dit  qu'wnc  maison  a  été  bien  airiée  (sic),  pour  dire  qu'on  y  a 
fait  un  grand  feu  et  qu'on  y  a  brûlé  des  parfums  pour  en  chasser  le 
mauvais  air  »  (Académie,  4718).  Nous  retrouverons  encore  ce  mot 
dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XVII,  p.  42o.  On  dit  aujourd'hui 
aérer. 

5.  Dangeau,  p.  384. 

6.  Les  mots  cette  P"'  sont  en  interligne,  au-dessus  de  qui,  biffé. 


ll'ill 


DE  SAl.NT-SIMON. 


93 


promenade '.  Le  jeudi,  il  s'amusa  aux-  listes  pour  Marly^ 
Il  attacha  au  Dauphin  les  mêmes  mcnins*  quavoit  Monsei- 
gneur^  et  permit  à  d'Antin  d'en  donnera  son  fils  la  place 
qu'il  avoit.  Il  le  chargea*  d'aller  assurer  de  sa  part  Mlle 
Choin  de  sa  protection,  et  de  lui  porter  une  pension  de 
douze  mille  livres".  Elle  n'avoit  ni  demandé  ni  fait  nom- 
mer son  nom.  Monseigneur  et  .Madame  la  Dauphine  lui  en- 
voyèrent faire  toutes  sortes  d'amitiés,  et  tousdeuxUii  lirent 
l'honneur  de  lui  écrire  ^  Sa  douleur  fut  de  beaucoup  moins 
longue  et  moins  vive  qu'on  n'auroit  cru  :  cela  surprit  fort, 
et  persuada  qu'elle  enlroit  en  bien  moins  de  choses  qu'on 
ne  pensoit.  Sa  vie  étoit  infiniment  gênée  :  il  lui  falloit 
compter  de'  presque  tous  les  gens  qu'elle  voyoit;  jamais 
elle  n'eut  d'équipage  :  cinq  ou  six  domestiques  compo- 
soient  tout  son  train  ;  elle  ne  paraissoit  en  aucun  lieu 
public,  et,  si  elle  alloit  quelque  part,  c'étoit  en  cinq  ou 
six  maisons,  au  plus,  de  gens  de  sa  liaison,  où  elle  étoit 
sûre  de  n'en  point  trouver  d'autres  ;  toujours  le  pied  à 
rétrier'%  non  seulement  pour  tous  les  voyages  de  Meudon, 


1  a  ooo  **  d<^ 

pension  à 

Mlle  Choin; 

bien  traitée* 

du  nouveau 

Daupliin  et  do 

la  Dauphine. 

Giine  de  sa  vie. 

Sagesse  de  sa 

conduite  après 

la  nnort  de 
Monseigneur; 

n'est  point 
abandonnée. 


I.  Dangeau,  p.  384-388. 

•2.  Il  y  a  au,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

3.  Voyez  le  passage  des  Mémoires  de  Sourches  cité  ci-dessus, 
p.  9"2,  note  '2. 

'».  Ci-dessus,  p.  58. 

5.  Ces  menins,  au  nombre  de  neuf,  étaient  les  marquis  de  Florensac, 
d'Antin,  d'Urfé,  de  Biron,  de  la  Vallière  et  de  Pompadour,  les  comtes 
de  Sainte-Maure  et  de  Matignon,  le  chevalier  de  Grignan  (Dangeau, 
p.  38i;  Sourches,  p.  88  ;  État  de  la  France,  171"2.  tome  II.  p.  8). 
Chacun  recevait  un  traitement  de  six  mille  livres. 

().  Le  et  les  premières  lettres  de  chargea  surchargent  d'autres  lettres. 

7.  Dangeau,  p.  385  ;  Sourches,  p.  96;  le  brevet  n'en  fut  expédié 
que  le  "26  avril  1712:  registre  0'56,  loi.  103. 

8.  Ces  détails  ne  viennent  pas  de  Dangeau. 

9.  Au  sens  de  rendre  compte;  Litlré  (Compte  II")  a  relevé  la  même 
expression  dans  Pdlisson. 

10.  «  On  dit  qu'wn  homme  a  le  pied  à  l'étrier,  pour  dire  qu'il  est 
prêt  à  partir,  et  on  dit  qu'uH  homme  a   toujours  le  pied   à    l'étrier, 

Écrit  par  erreur  (raitk. 


94  MEMOIRES  [17141 

mais  pour  tous  les  diners,  sans  coucher,  que  Monseigneur 
y  alloit  faire.  Elle  alloit  toujours  la  veille*,  seule  avec  une 
femme  de  chambre  dans  un  carrosse  de  louage,  le  pre- 
mier venu,  tout  au  soir,  pour  arriver  de  nuit  la  veille  que 
Monseigneur  venoit,  et  s'en  retournoit  de  même  à  la  nuit 
après  qu'il  étoit  parti.  Dans  Meudon,  elle  logeoit  d'abord 
dans  les  entresols  de  Monseigneur,  après  dans  le  grand 
appartement  d'en  haut,  qu'occupoit  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne  quand  le  Roi  faisoit  des  voyages  à  Meudon  ; 
mais,  où  qu'elle  logeât,  elle  ne  sortoit  jamais  de  son  appar- 
tement que  le  matin,  de  bonne  heure,  pour  entendre  la 
messe  à  la  chapelle,  et  quelquefois,  sur  le  minuit,  l'été, 
pour  prendre  l'air.  Dans  les  premiers  temps,  elle  n'y 
voyoit  que  trois  ou  quatre  personnes  du  secret  :  cela 
s'étendit  peu  à  peu  assez  loin  ;  mais,  quoique  cela  fût 
devenu  le  secret  de  la  comédie^,  la  même  enfermeriez,  la 
même  cacherie*,  la  même  séparation  furent  toujours  de 
même.  A  cette  gêne  extérieure  étoit  jointe  celle  de  l'esprit, 
et  de  la  conduite  par  rapport  à  la  famille  royale,  à  cette 
cour  intérieure  de  Monseigneur  dont  il  a  été  tant  parlé, 
et  à  Monseigneur  lui-même,  qui  n'étoit  ni  sans  épines^  ni 

pour  dire  qu'il  s'arrête  peu  dans  un  même  lieu,  qu'il  fait  de  fréquents 
voyages  »  (Académie,  4718). 

4.  Saint-Simon  a  déjà  dit  tout  ce  qui  va  suivre,  presque  dans  les 
mêmes  termes,  dans  le  tome  XIV,  p.  396-400. 

2.  «En  parlant  d'une  chose  qui  est  sue  de  tout  le  monde  et  dont 
quelqu'un  veut  faire  un  secret,  on  dit  que  c'est  le  secret  de  la  comédie  » 
(Académie,  4748). 

3.  Affectation  de  s'enfermer.  Ce  mot  n'est  donné  par  aucun 
lexique,  et  Littré  ne  cite  que  cet  exemple  de  notre  auteur.  Au  moyen 
âge,  il  s'employait  pour  infirmerie,  et  il  est  resté  avec  ce  sens,  dans 
la  langue  populaire,  jusqu'au  dix-huitième  siècle.  On  le  retrouve,  ci- 
après,  p  363,  et  dans  la  suite  des  Mémoires,  tomes  XVI,  p.  476, 
XVIII.  p.  218,  et  dans  une  Addition  à  Dangeau  (Jowrna/,  tome  XVII, 
p.  492). 

4.  Même  observation  que  pour  enfermerie.  Saint-Simon  l'emploiera 
encore  dans  le  tome  XII  de  4873,  p.  447.  Littré  l'a  relevé  ici. 

5.  «  On  dit  point  de  roses  sans  épines,  pour  dire  qu'il  n'y  a  point 


|nH|  DE  SAINT-SIMON.  95 

sans  ennui.  J  en  ai  oui  parler  à  de  ses  amis  comme  d'une 
personne  d'esprit',  sans  ambition  ni  intérêt  quelconque, 
ni  désir  d'être  ni  de  se  mêler,  fort  décente,  mais  gaie, 
naturellement  libre,  et  qui  aimoit  la  table  et  à  causer. 
Une-  telle  contrainte,  et  de  toute  la  vie,  est  bien  pesante 
à  qui  est  de  ce  caractère,  et  qui  ne  s'en  propose  rien,  et 
la  rupture  de  la  chaîne  apporte  assez  tôt  consolation.  Elle  [Add.  S'-S.  989 
étoit  amie  intime,  de  tout  temps,  de  la  Croix,  riche  rece- 
veur général  de  Paris  '  et  fort  honnête  homme,  et  modeste 
pour  un  publicain*  qui  a  de  tels  accès.  Elle  logeoit  comme 
avec  lui  tlans  une  portion  de  maison  attenant  le  Petit- 
Saint-Antoine  ^  ;  elle  continua  d'y  demeurer  le  reste  de  sa 
vie  avec  le  même  domestique  qu'elle  avoit,  sans  se  répan- 
dre davantage  dans  le  monde.  11  ne  tint  pas  à  Madame  la 
Dauphine  que  sa  pension  ne  fût  de  vingt  mille  Mivres. 
Madame  la  Duchesse,  Mlle  de  Lillebonne",  Mme  d'Espi- 
noy,  les  intrinsèques '^  de  l'entresol  de  Meudon,  lesNoailles 
et  quelques  autres  amis  se  sont  constamment  piqués  de 
la  voir  souvent  depuis  la  mort  de  Monseigneur  jusqu'à  la 
sienne,  qui  n'arriva  que  dix  ou  douze  [ans]   après  ^,  et 

de  plaisir  sans  quelque   mélang;e   d'ennui,    de   chagrin  »  {Académie, 
1718).  Voyez  nos  tomes  X,  p.  182,  et  XIX,  p.  191  et  367. 

1.  Ci-dessus,  p.  52. 

2.  Il  y  a  un  dans  le  manuscrit. 

3.  Tome  XIV,  p.  396.  On  trouvera  dans  les  Mélanges  d'histoire 
nobiliaire,  1882,  p.  508,  divers  renseignements  sur  ce  la  Croix,  sur 
sa  femme  et  sur  ses  enfants  naturels. 

■i.  Tome  XX,  p.  481.  —  5.  Tomes  XI,  p.  i3,  et  XIV,  p.  396. 

6.  Les  chifïres  WUOO  sont  en  interligne  au-dessus  de  12000,  cor- 
rigé en  20000  ei  biffé. 

7.  Il  a  écrit  Lisbonne,  par  mégarde. 

8.  On  a  eu  l'intrinsèque  cour  de  Meudon  dans  le  tome  XVIII, 
p.  10  ;  ici  ce  sont  les  gens  intrinsèques,  comme  «  les  gens  intérieurs  » 
dans  le  tome  XIX.  p.  273. 

9.  On  a  dit  dans  le  tome  II,  p.  183,  qu'aucun  de  ses  biographes 
n'avait  pu  préciserla  date  de  sa  mort.  Elle  mourut  en  avril  1732,  vingt- 
et-un  ans  presque  jour  pour  jour  après  Monseigneur,  à  la  suite  d'une 
maladie  qui  dura  près  d'un  an  ;  ses  obsèques  se  tirent  à  l'église  Saint- 


96 


MEMOIRES 


74i] 


Du  Mont 

justement  bien 

traité,  et 

Casaus. 


qu'elle  mena  toujours  extrêmement  unie  et  fort  réservée 

Princesse  de    sur  tout  le  passé.  Malgré  tout  ce  qu'elle  avoit  fait  essuyer 

tonti  veut      ^  Mme  la  princesse  de  Conti,  qu'on  a  vu  en  son  lieu  \ 

inuluement  se  _       r  '    T  ' 

raccommoder    cette  princesse  avoit  fait  tout  ce  qu'elle  avoit  pu,  quel- 
,„,  ^^^.'^  ■        ques  années  après,  pour  se  raccommoder  avec  elle  et  pour 

Mlle  Choin.      /         .  •  •     i      z^i     •  a  i  i 

la  voir-,  sans  que  jamais  la  Lihom  y  eut  voulu  entendre, 
tant  l'extrême  faveur,  et  les  idées  qu'en  tous  états  on  s'en 
forme,  enfante^  d'étranges  effets.  Le  gouvernement  de 
Meudon*  fut  en  même  temps  confirmé  à  du  Mont  avec 
une  pension  %  qui,  avec  celle  qu'il  avoit  déjà  et  ses  appoin- 
tements, alloient^  à  plus  de  trente  mille  livres  de  rentes, 
tristes  débris  de  tant  et  de  si  plausibles  espérances.  Casaus 
eut  pour  rien  la  charge  de  premier  maréchal  des  logis  de 
M.  le  duc  de  Berry,  qui,  par  bonheur  pour  lui,  n'étoit  pas 
encore  vendue''.  Du  Mont,  en  honnête  homme  qu'il  étoit, 
soufîroit  impatiemment  les  glaces  de  Monseigneur  pour 
Mgr  le  duc  de  Bourgogne,  et  s'étoit  hasardé  plus  d'une 

Paul.  Un  résumé  de  son  testament,  avec  divers  documents  sur  sa  der- 
nière maladie  et  sur  ses  obsèques,  a  été  donné  dans  V Intermédiaire 
des  chercheurs  et  des  curieux,  1891,  col.  845-848.  Dans  l'Addition 
90  (notre  tome  II,  p.  394),  Saint-Simon  avait  bien  dit  qu'elle  était 
morte  en  1732,  et  cependant  il  se  trompe  ici  de  plus  de  dix  ans. 

1.  Tomes  II,  p.  i83  et  suivantes,  et  XIV,  p.  395-396. 

2.  On  a  vu  ci-dessus,  p.  1"2-13,  quelle  fut  la  conduite  de  la  princesse 
avec  Mlle  Choin  pendant  la  dernière  maladie  de  Monseigneur. 

3.  Il  y  a  bien  enfante,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 

4.  Le  titre  officiel  de  du  Mont  était  «  capitaine  et  gouverneur  des 
château,  parcs,  bois  et  buissons  de  Meudon,  Clamart,  Chaville  et  Viro- 
flay.  »  Le  gouvernement  rapportait  trois  raille  livres  d'appointements 
avec  divers  protits.  Nous  verrons  en  1718  la  duchesse  de  Berry  évincer 
du  Mont  et  le  remplacer  par  Rions,  son  favori  ;  mais  le  Régent  lui 
rendit  cette  charge  l'année  suivante. 

5.  Pension  de  trois  mille  livres;  le  brevet,  du  12  mai,  est  dans  le  re- 
gistre 0'  55,  fol.  48;  comparez  Dangeau,  p.  405,  et  Sourches,p.  108. 

6.  Il  y  a  bien  allaient,  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 

7.  Cette  charge  avait  été  estimée  quatre-vingt  mille  livres  (Dan- 
geau, p.  405).  L'annotateur  des  Mémoires  de  Sourches  dit  (p.  108) 
que  Casaus  «  avoit  grand  besoin  d'un  pareil  bienfait;  car  il  n'avoit  pas 
de  pain.  » 


|I7I1|  DE  SAI.NT-SIMOX.  97 

fois  tie  les  rapproclicr.  Ce  prince  ne  l'avoit  pas  oublié  : 
il  ne  dédaigna  pas  de  l'en  renmercier  avec  les  paroles  les 
plus  obligeantes,  à  quoi  le  duc  de  Beauvillier  le  porta 
fort,  et  y  ajouta  le  présent  d'une  ba[;ue  de  deux  mille  pis- 
toles  que  Monseigneur  portoit  ordinairement.  Il  en  donna 
une  autre  fort  belle  à  la  Croix  en  attendant  qu'il  fût  payé 
d'avances  considérables  qu'il  avoit  faites  à  Monseigneui"', 
dont  le  Dauphin  voulut  être  le  solliciteur-. 

Ce  même  jeudi,  jour  de  l'enterrement  de  Monseigneur, 
le  Roi  reçut  sans  cérémonie  la  visite  de  la  reine  d'Angle- 
terre ^  Elle  vint  de  Versailles,  où  elle  avoit  été  de  même 
voir  les  enfants  de  Monseigneur,  avec  la '•  princesse  d'An- 
gleterre, qu'elle  fit  mettre  au  salut,  qu'elle  entendit  avec  PHnccsso 
eux,  au-dessous  de  la  Dauphine,  parce  qu'elle  n'étoit  d  Angloierre 
héritière  que  possible,  et  non  présomptive  comme  le  Dau-  laDauphimen 

phin.  Elle  demeura  dans  le  carrosse  de  la  reine  à  Marlv      'i^u  tiers. 
r  ,  .       .  •  r^        i      .  I         •   iM       I   .  i^dd.  S'-S.  990] 

a  cause  du  mauvais  air,  qui  lit  rester^  le  roi  d  Angleterre 

à  Saint-Germaine  Le  vendredi,  le  Koi  fut  tirer  dans  son 

parc'.  Le  samedi**,  il  tint  le  conseil  de  finance,  et  fit  sur 

les  hauteurs  de  Marly  la  revue  des  gendarmes  et  des  che- 

vau-légers';  il  travailla  le  soir  avec  Voysin,  chez  Mme  de 

Maintenon  '''.  Le  même  jour,  il  fit  une  décision  singulière  :    Deuil  drapé  de 

il  régla  qu'encore  il  ne  prît  point  le  deuil,  il  seroit  d'un   ,^^?"*o,?."n'^';i 

o        i  r        r  [Add.  S-i.  991] 

1.  C'est  seulemont  au  in  janvier  1712  que  notre  auteur  trouve  dans 
Dangoau  la  mention  de  ces  deux  présents,  et  il  la  répétera  à  cette  date. 
Le  duc  de  Iioiirgoj!;ne  lit  rendre  à  la  Croix  le  principal  et  les  intérêts  de 
ce  qu'il  avait  prêté  à  Monseigneur  (Sourches,  tome  XIII,  p.  277). 

2.  «  Solliciteur,  celui  qui  est  employé  à  solliciter  les  procès,  les 
affaires  d'autrui  »  (Académie,  1718).  Ce  terme  a  été  conservé  avec  ce 
sens  par  la  langue  anglaise. 

3.  Dangcau,  p.  38i-38o.  —  4.  Avec  est  en  interligne,  et  la  corrige  sa. 
5.  Rester  est  en  interligne,  au-dessus  de  demeurer,  bitVé. 

H.  Tout  cela  est  la  copie  presque  textuelle  de  Dangeau. 

7.  Dangeau,  p.  385. 

8.  Samedy  est  en  interligne  au-dessus  de  vendredy,  biffé. 

9.  Les  mots  la  reveUe  des  Gensdarmcs  et  des  Chevaux  légers,  omis 
par  mégarde,  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

10.  Dangeau.  p.  386  ;  Sourchcs,  p.  89. 

MÉMOIRES    DE   .SAINT-SIMON.    XXI  7 


98  MEMOIRES  [1711] 

an,  et  que  les  princes  du  sang,  les'  ducs,  les  princes 
étrangers,  les  officiers  de  la  couronne  et  les  grands  offi- 
ciers de  sa  maison  draperoient  comme  ils  font  lorsqu'il 
drape  lui-même,  et  qui,  parce  qu'il  ne  prit  point  le  deuil 
de  Madame  la  Daupliine  de  Bavière,  ne  drapèrent  point-. 
J'ai  conduit  le  Roi  dans  sa  solitude  jusqu'au  dimanche, 
que  Marly  se  repeupla  à  l'ordinaire  ;  il  ne  sera  pas  moins 
curieux  de  voir  Versailles  pendant  ces  mêmes  jours. 
Situation  de  On  peut  jugerqu'onn'y dormitguèrescettepremièrenuit. 
M.  et  de  Mme  Monsieur  et  Madame  la  Dauphineouïrent  la messe  ensemble 
de  Berrv.  de  fort  bonne  heure  ;  j'y  arrivai  sur  la  fin,  et  les  suivis 
chez  eux.  Leur  cour  étoit  fort  courte  ^  parce  qu'on  ne 
ne  s'étoit  pas  attendu  à  cette  diligence.  La  princesse  vou- 
loit  être  à  Marly  au  réveil  du  Roi  \  Leurs  yeux  étoient 
secs  à  merveilles,  mais  très  compassés,  et  leur  maintien 
les  montroit  moins  occupés  de  la  mort  de  Monseigneur 
que  de  leur  nouvelle  situation.  Un  sourire  qui  leur  échappa 
en  se  parlant  bas  et  de  fort  près,  acheva  de  me  le  décla- 
rer. En  gardant  scrupuleusement,  comme  ils  firent,  toutes 
sortes  de  bienséances,  il  n'étoit  pas  possible  de  le  trouver 

l.  Les  mots  P.  du  S.  les  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

"i.  Dangeau,  p.  387.  Voici  ce  que  disent  les  Mémoires  de  Sour- 
ches  (p.  88-89)  :  «  Le  Roi  décida,  avant  que  d'aller  à  la  messe,  que  ses 
domestiques  feroient  draper  leurs  carrosses  et  habiller  leurs  livrées  de 
noir,  et  que  l'on  porteroit  chez  S.  M.  des  pleureuses  et  des  crêpes 
pendant  trois  semaines,  et  pendant  six  semaines  chez  les  princes,  les- 
quels porteroient  le  deuil  pendant  un  an,  et  la  maison  du  Roi  seule- 
ment six  mois...  Après  la  messe,  le  Roi  changea  son  ordre  pour  le 
deuil,  et  décida  que  tout  le  monde  le  porteroit  un  an,  que  ses  domes- 
tiques porteroient  des  pleureuses  six  semaines,  et  ceux  des  princes 
trois  mois,  et  qu'il  vouloit  que  tous  ses  bas  officiers  fussent  en  deuil.  » 
Voyez,  à  l'Appendice,  n°  I,  l'extrait  des  registres  de  Desgranges.  La 
Comédie  française  et  les  autres  théâtres  fermèrent  leurs  portes  du  14 
avril  au  12  mai.  Le  secrétaire  d'Etat  des  affaires  étrangères  lit  part  de 
la  mort  du  prince  aux  diverses  cours  d'Europe  (Journal  de  Torcy, 
p.  423);  les  lettres  de  condoléances  qu'on  reçut  de  celle  de  Turin  sont 
dans  le  volume /fa/îe  116,  fol.  203-208. 

3.  Au  sens  de  peu  nombreuse,  déjà  relevé.  —  4.  Ci-dessus,  p.  90. 


(17111  DE  SAINT-SIMON.  99 

mauvais,  ni  (jne  cela  fût  autrement,  à  tout  ce  qu'on  a  vu. 
Leur  premier  soin  fut  de  resserrer  de  plus  en  plus  l'union 
avec'  M.  le  duc  de  Berry,  de  le  ramener  sur  l'ancienne 
confiance  et  intimité  avec  Madame  la  Dauphine,  et  d'es- 
sayer, par  tout  ce  qui  se  peut  d'engageant,  de  faire  oublier 
à  Mme  la  duchesse  de  Berry  ses  fautes  à  leur  égard,  et  lui 
adoucir  l'inégalité  nouvelle  que  la  mort  de  Monseigneur 
mettoit  entre  ses  enfants.  Dans  cet  aimable  esprit,  rien 
ne  coûta  à  Monsieur  et  à  Madame  la  Dauphine,  et,  dès  ce 
même  jour,  ils  allèrent  voir  M .  le  duc  et  Mme  la  duchesse  de 
Berry  dans  leur  lit,  dès  qu'ils  les  surent  éveillés,  ce  qui  fut 
de  très  bonne  heure,  et,  l'après-dînée.  Madame  la  Dau- 
phine y  retourna  encore  -.  M.  le  duc  de  Berry,  qui  n'avoit 
pu  être  ébranlé  sur  l'attachement  à  Monseigneur  son  frère, 
fut,  au  milieu  de  sa  douleur,  extrêmement  sensible  à  ces  pré- 
venances d'amitié  si  promptement  marquées,  et  si  éloignées 
de  la  différence  qui  alloit  être  entre  eux,  et  il  fut  surtout 
comblé  '  des  procédés  de  Madame  la  Dauphine,  qu'il 
sentoit,  avec  bon  sens,  et  meilleur  cœur  encore,  qu'il 
avoit,  depuis  un  temps,  cessé  de  les  mériter  aussi  parfaits. 
Mme  la  duchesse  de  Berry  paya  d'esprit,  de  larmes  et  de 
langage.  Son  cœur  de  princesse,  même  si  elle  [en]  avoit 
un,  navré  de  tout  ce  qui  ne  sera  point  répété  ici  et  qu'on 
a  développé  plus  haut*,  frémissoit  au  fonds  de  lui-même 
(le  recevoir  des  avances  de  pure  générosité.  Un  courage^ 
déplacé,  qui  alloit  à  la  violence,  et  que  la  religion  ne  re- 
tenoit  pas,  ne  lui  laissoit  de  sentiments  que  pour  la  rage. 
Bercée,  pour  la  contenir,  qu'il  ^  se  falloit  contraindre  sur 

\.  A l'ec  surcharge  f/e. 

2.  Dangeau  no  parle  pas  de  ces  deux  visites. 

3.  Comblé,  écrit  à  la  lin  de  la  page  1100  du  manuscrit,  a  été  ré- 
pété au  commencement  de  la  page  1101. 

4.  Ci-dessus,  p.  HO  et  suivantes. 

o.  «  Courage  se  prend  aussi  quelquefois  pour  sentiment,  passion, 
mouvement  »  {Académie,  1718):  tome  XX,  p.  SiS  et  ci-après,  p.  i06. 

6.  A  remarquer  celte  ellipse  de  bercée  qu'il,  pour  bercée  dan>i 
l'idée  qu'il. 


400  MÉMOIRES  [4714] 

tout  pour  arriver  à  un  aussi  grand  mariage,  après  lequel 
elle  seroit  aflranchie  et  maîtresse  de  faire  tout  ce  qui  lui 
plairoit,  elle  avoit  pris  ces  documents  au  pied  de  la 
lettre'.  Entièrement  maîtresse  de  M.  le  duc  d'Orléans  et 
d'un  mari  dans  la  première  ivresse  de  sa  passion,  elle 
n'eut  pas  peine  à  secouer-  une  mère  trop  sage  pour  s'expo- 
ser à  ce  qui  ne  lui  étoit  que  trop  connu.  Madame  étoit 
nulle  de  tout  temps  à  la  cour  et  dans  sa  famille,  excepté 
les  devoirs  extérieurs  ;  point  de  belle-mère,  et  un  beau- 
père,  tant  qu'il  vécut,  nul  ou  favorable  ;  une  dame  d'hon- 
neur^ très  affligée  de  l'être,  qui,  par  avoir  été  forcée  d'en 
accepter  l'emploi,  n'en  faisoit  que  ce  qu'elle  en  vouloit 
bien  faire,  au  cérémonial  près,  et  qui  avoit  déclaré  bien 
formellement  qu'elle  n'en  seroit  pas  la  gouvernante. 
L'emploi  en  roula  donc  en  entier  sur  Mme  la  duchesse 
de  Bourgogne,  par  son  amitié  pour  Mme  la  duchesse 
d'Orléans  et  son  intimité  avec  Mme  de  Maintenon.  Ravie, 
à  son  âge,  de  se  trouver  le  chaperon^  d'une  autre,  elle 
compta  d'autant  mieux  d'en  faire  sa  poupée^,  qu'elle 
l'avoit  mise  dans  la  grandeur  où  elle  étoit.  Elle  s'y  mé- 
compta  ^  bientôt.  Mille  détails  là-dessus,  quoique  curieux 
dans  leur  temps,  perdent  leur  mérite  dans  d'autres  qui 
s'éloignent,  et  gâteroient  le  sérieux  de  ce  qui  s'expose 
ici.  Il  sufïit  de  dire  que  l'une,  quoique  douce  et  bonne, 

4 .  «  On  dit  prendre  une  chose  au  pied  de  la  lettre,  pour  dire,  l'expli- 
quer précisément  selon  le  sens  littéral,  selon  le  propre  sens  des  pa- 
roles »  (Académie,  4748,  Pied);  —  «Lettre  se  dit  du  sens  littéral  par 
opposition  au  sens  figuré  et  allégorique  :  il  ne  faut  pas  prendre  cela 
à  la  lettre,  au  pied  de  la  lettre  (ibidem.  Lettre). 

2.  Au  sens  de  secouer  le  joug,  se  débarrasser. 

3.  Mme  de  Saint-Simon.  —  4.  Tome  XIX,  p.  336. 

5.  «  On  dit  d'un  homme  qui  prend  plaisir  à  parer,  à  enjoliver  une 
petite  maison,  un  cabinet  et  autre  chose  semblable  et  qui  s'y  amuse 
beaucoup,  qu'î7  en  fait  sa  poupée  »  (Académie,  4748).  Voyez  les 
exemples  de  la  même  locution  déjà  rencontrés  dans  nos  tomes  III, 
p.  276,  et  XIII,  p.  419. 

6.  Verbe  déjà  relevé  dans  le  tome  XVI,  p.  43  et  486. 


|17ll|  OE  SAINT-SIMON.  HH 

fut  |)t'iit-rtro  Irop  cnfuiil  pour  Irnir  une  lisièn;',  et  que 
l'autre,  ileii  moins  (jue  tout  cela,  ne  put  souffrir  d'en  avoir 
une,  (juelijut'  làihe  et  lé^'èi'e  qu'elle  fût.  Le  dépit  de  ne 
se  trouver  que  de  la  cour  d'une  autre,  l'impatience  des 
déférences,  la  contrainte  des  heures,  le  poids  des  obliga- 
tions, des  dirticultés,  surtout  de  la  reconnoissance,  s'ac- 
cordoient  mal  avec  l'impression  de  la  pleine  liberté  de 
son  éducation,  de  ses  goûts  irréguliers,  de  ses  humeurs, 
dans  un  naturel  tel  qu'il  a  été  crayonné-,  et  gâté  encore 
par  de  pernicieuses  lectures.  L'idée  de  n'avoir  rien  à 
perdre,  et  celle  de  figurer  aux  dépens  de  Mgr  et  de  Mme 
la  duchesse  de  Bourgogne  en  se  livrant  aux  personnages 
de  Meudon,  achevèrent  de  tout  perdre,  et  brouillèrent 
les  deux  belles-sœurs  jusqu'à  ne  pouvoir  plus  se  soutTrir, 
à  force  d'échappées^  de  l'humeur  et  des  traits  les  plus 
méchants  de  Mme  la  duchesse  de  Berry.  Ainsi,  toutes 
deux  regardèrent  comme  une  délivrance  de  n'avoir  plus 
à  dîner  ensemble,  par  la  formation  qui  se  fit  des  deux  mai- 
sons*, et  les  domestiques  du  Roi  un  grand  soulagement '^ 
de  n'avoir  plus  à  servir  la  nouvelle  mariée.  Un  trait, 
entre  mille,  en  donnera  un  échantillon.  Un  nouvel  huis-  Les  deux 
sier  de  la  chambre  du  Roi**  servoit  chez  elle  un  matin     baitants  des 

III  II/-X   I'  •         <    I      r-        I  •      portes  chez  les 

que  Mme  la  duchesse  d  Orléans  arriva  a  la  nn  de  sa  toi-    fiis  et  filles  de 
lette  pour  quelque  ajustement.  L'huissier,  étourdi  et  neuf",     ,  France  ne 

s  ouvrent  que 

i.  «On  appelle  lisière  les  bandes  d'étoffe  ou  les  cordons  qui  sont 
attachés  par  derrière  aux  robes  des  petits  enfants  et  qui  servent  à  les 
tenir  quand  il  marchent»,  dit  VAcadémie  de  i7t8,  qui  ne  donne  pas 
d'exemple  de  ce  mot  pris  au  tiguré.  Nous  avons  eu  déjà,  plus  d'une 
fois,  tenir  en  lisière. 

2.  Ci-dessus,  p.  80  et  suivantes. 

ii.  Terme  déjà  relevé  dans  le  tome  XIX,  p.  228. 

i.  Tome  XX,  p.  207  et  suivantes. 

r».  Regardèrent  comme  un  grand  soulagement. 

6.  Ils  étaient  au  nombre  de  seize,  servant  par  quartier  (£fa<  de  la 
France,  1712.  tome  I.  p.  160-161). 

7.  Il  n'y  eut  pas  do  nomination  d'huissier  en  1710;  mais  on  trouve 
au  18  mai  1711  une  retenue  d'huissier  du  cabinet  du  Roi  pourCharles- 
Nicolas  Vassal. 


UYl  MEMOIRES  [\1\\] 

pour  les  fils  et  ouvrit  les   deux  battants  de    la   porte'.     Mme    la    du- 
les  filles  de      chessc  de  Berrv  devint  cramoisie  et  tremblante  de  colère  ; 

rranco.  «^ 

ColèrctleMme  elle  reçut  Madame  sa   mère  fort  médiocrement.  Quand 
la  duchesse  de   gjjg  f^^j  sortie,  elle  appela  Mme  de  Saint-Simon,  lui  de- 

Berrv.  .  .         *  '  .  .  i     m      •     • 

manda  si  elle  avoit  remarque  1  mipertmence  de  1  huissier, 
et  lui  dit  qu'elle  vouloit  qu'elle  l'interdît  sur-le-champ. 
Mme  de  Saint-Simon  convint  de  la  faute,  assura  qu'elle  y 
donneroit  ordre  de  façon  qu'on  ne  s'y  méprendroit  plus 
et  que  les  deux  battants  ne  seroient  ouverts  que  pour  les 
fils  et  les  filles  de  France,  comme  c'étoit  la  règle,  et 
comme  nuls  autres  ne  prétendoient  à  cet  honneur,  qu'ils 
n'avoient  pas  en  effet,  mais  que,  d'interdire  un  huissier 
du  Roi,  qui  n'étoit  point  à  elle  et  qui  ne  la  servoit  que 
par  prêt,  et  encore  pour  avoir  fait  un  trop  grand  honneur 
à  Madame  sa  mère,  et  pour  l'unique  fois  que  cela  étoit 
arrivé,  elle  trouveroit  bon  de  se  contenter  de  la  répri- 
mande qu'elle  alloit  lui  en  faire.  Mme  la  duchesse  de  Berry 
insista,  pleura,  ragea  ;  Mme  de  Saint-Simon  la  laissa 
dire,  gronda  doucement  l'huissier,  et  lui  apprit  son  céré- 
monial. 

Les  maisons  faites,  la  cour,  qui  trouvoit  en  Mme  la 
duchesse  de  Bourgogne  les  jeux,  les  ris-,  les  distinctions, 
les  espérances,  ne  se  partagea  point,  et  laissa  fort  soli- 
taire Mme  la  duchesse  de  Berry,  où  rien  de  tout  cela  ne 
s'offroit,  qui  s'en  prit  à  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne, 
et  fit  si  bien,  qu'elle  mit  M.  le  duc  de  Berry  de  son  côté, 
et  le  brouilla  avec  elle.  De  l'aveu  de  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  rien  de  si  sensible  ne  lui  est  jamais  arrivé  que 
cet  éloignement  et  cette  aigreur  sans  cause  ni  raison  d'un 
prince  avec  qui  elle  avoit  toujours  vécu  dans  l'intelligence 
la  plus  intime  et  la  plus  entière.    Quelques   contretemps 

1.  Il  a  déjà  été  parlé  de  ce  cérémonial  de  l'ouverture  des  deux  bat- 
tants dans  nos  tomes  VI,  p.  613,  et  X,  p.  49.  Voyez,  à  ce  sujet,  le 
Mémoire  sur  les  princes  du  sang  conservé  dans  le  carton  0*  1042  des 
Archives  nationales. 

2.  Même  locution  qu'au  tome  XIX,  p.  2o0. 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  103 

forts  et  trop  publics  arrives  à  Miik'  la  (IucIk'ssc  do 
Berrv,  dont  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  avoit  douce- 
ment al)aii(it)iin«''  toute  conduite  dès'  avant  oc  dernier 
trait-,  allèrent  jusqu'au  Uoi  et  à  Mme  de  Maintenon,  qui 
leur  ouvrirent  les  veux.  Celle-ci,  outrée  de  s'être  si  lour- 
dement trompée,  ne  put  se  taire,  et  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  poussée  à  bout  d'être  brouillée  avec  M.  le  duc 
de  Berrv  par  la  seule  malignité  de  Mme  la  duchesse  de 
Berrv  après  tout  ce  qu'elle  avoit  d'ailleurs  essuyé  d'elle, 
rompit  enfin  le  silence  qu'elle  avoit  gardé  jusqu'alors. 
Leschoses  tendoient  à  un  éclat;  mais  le  Roi,  qui  vouloit 
vivre  doucement  dans  sa  famille  et  s'y  faire  aimer,  es- 
péra que  la  frayeur  corrigeroit  Mme  la  duchesse  de  Berrv, 
et  voulut  se  contenli-r  qu'elle  sût  qu'il  n'ignoroit  rien,  et 
que,  pour  cette  fois,  il  vouloit  bien  n'en  rien  témoigner. 
Ce  ménagement  persuada  Mme  la  duchesse  de  Berrv  ou 
qu'on  n'osoit  lui  imposer,  ou  qu'on  ne  savoit  comment 
s'y  prendre:  au  lieu  de  s'arrêter,  elle  continua  avec  plus 
plus  de  licence,  et  se  mit  au  point  que  les  matières  com- 
bustibles (ju'elle  s'étoit  préparées  s'embrasèrent  tout  à 
coup  et  firent  un  grand  éclat  à  Marly.  J'étois  allé  faire  Orage  tombé 
seul  un  tour  à  la  Ferté.  Mme  de  Saint-Simon,  avertie  de  juchcssc^  de 
l'orage  prêt  à  crever  ',  craignit  d'y  être  enveloppée  pour  Bcrry. 
s'être  tenue  dans  le  silence.  Monseigneur  était  alors  plein 
de  vie  et  de  santé.  Elle  s'adressa  à  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  et,  par  son  avis,  elle  eut  un  entretien  avec 
Mme  de  Maintenon,  où  elle  apprit  avec  surprise  qu'elle 
ignoroit  peu  de  chose,  et  d'avec  qui  elle  sortit  fort  con- 
tente. Elle  crut  ensuite  devoirdire  un  mot  à  Mme  la  du- 
chesse de  Berry.  La  princesse,  d'autant  plus  outrée  qu'elle 

1.  Nous  ne  savons  par  suite  de  quelle  circonstance  la  proposition 
dès  ne  figure  pas  dans  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718,  bien 
qu'elle  se  trouve  dans  la  première  édition  de  1694. 

■2.   Avant  la  brouille  du  due  de  Berry  avec  sa  belle-sœur. 

3.  «  Crever,  s'ouvrir,  se  rompre  par  un  elTort  violent  :  l'orage  cri^- 
vera  bientôt  »  (Académie,  1718). 


lO;  MÉMOIRES  inii] 

ne  voyoit  pas  moyen  d'échapper,  s'en  prit  à  ce  qu'elle 
put,  et,  dans  la  pensée  que  Mme  de  Saint-Simon  y  avoit 
part,  elle  voulut  lui  répondre  sèchement.  Je  dis  exprès 
qu'elle  voulut,  parce  que  Mme  de  Saint-Simon  ne  lui  en 
laissa  pas  le  temps  :  elle  l'interrompit,  l'assura  d'abord 
qu'elle  n'avoit  part,  ni  étoit  entrée  en  rien,  qu'elle  n'a- 
voit  même  rien  appris  que  du  monde,  mais  qu'en  peine 
d'elle-même  pour  s'être  toujours  tenue  dans  le  silence, 
elle  avoit  parlé  à  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  et  à 
Mme  de  Maintenon,  puis  ajouta  qu'elle  ignoroit  peut-être 
la  manière  dont  elle  avoit  été  mise  auprès  d'elle,  com- 
bien cela  convenoit  peu  à  notre  naissance,  à  notre  di- 
gnité, à  nos  biens,  à  notre  union  ;  qu'il  étoit  bon  qu'elle 
l'apprît  une  fois  pour  toutes  ;  que,  pour  peu  qu'elle  le 
désirât,  elle  se  retireroit  d'auprès  d'elle  avec  tant  de  satis- 
faction qu'elle  y  étoit  entrée  avec  répugnance  après  un 
grand  nombre  de  refus,  dont  elle  lui  cita  Mme  la  duchesse 
de  Bourgogne  et  M.  et  Mme  la  duchesse  d'Orléans  pour 
témoins.  Elle  lui  dit  encore,  comme  il  étoit  vrai,  que,  sa 
conduite  n'étant  pas  telle  qu'elle  l'avoit  espérée,  elle  avoit 
pris  l'occasion  d'un  éclat  fait  sans  sa  participation  pour 
tenter  de  se  retirer  ;  que  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne 
et  Mme  de  Maintenon  l'avoient  conjurée  de  n'y  pas  pen- 
ser, et  que,  cela  s'étant  passé  depuis  vingt-quatre  heures, 
le  souvenir  leur  en  étoit  assez  présent  pour  qu'elle  pût 
leur  en  demander  la  vérité.  M.  le  duc  d'Orléans,  qui  sur- 
vint, apaisa  la  chose  le  mieux  qu'il  put.  Mme  la  duchesse 
de  Berry  n'avoit  point  interrompu  Mme  de  Saint-Simon  ; 
mais  elle  crevoit  de  dépit'  de  se  voir  sur  le  point  d'une 
sévère  réprimande,  et  son  orgueil  soufîroit  impatiemment 
ce  qu'elle  entendoit.  Elle  répondit  néanmoins,  avec  une 
honnêteté  forcée,  qu'elle  vouloit  demeurer^  persuadée 
que  Mme  de   Saint-Simon  n'étoit  entrée  en  rien  puis- 

i.  «  On  dit  crever  d'orgueil,  de  dépit,  de  rage,  pour  dire,  être  rem- 
pli d'orgueil,  de  dépit,  etc.  »  (Académie,  i7d8). 
2.  Demeurer  surcharge  est[re]. 


|17ll|  DK  SAlM-SninN.  I0Î4 

tjuV'llo  l(^  (lisoit.  Mme  do  Saint-Simon  la  laissa  là-dessus 
avec  M.  le  duc  d'Orlrans,  outrôe  de  mon  absence  dans 
l'ardeur  de  quitter  malgré  eux  tous,  quelque  dignement 
et  flatteusement  qu'elle  en  fut  traitée.  l'^lle  parla  aussi  à 
Madame,  avec'  (jui,  de  loul  temps,  elle  avoit  toujours  été 
très  bien,  et  à  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  qu'elle  voyoit 
sans  cesse  :  a|)rès  (juoi,  elle  attendit  ce  que  deviendroit 
l'orage.  Il  fondit  le  lendemain.  Le  Uoi,  avant  diner, 
manda  Mme  la  duchesse  de  Berry  dans  son  cabinet.  La 
romancine-  fut  longue,  et  de  l'espèce  de  celles  qu'on 
ne  veut  pas  avoir  la  peine  de  recommencer.  L'après-dî- 
née,  il  fallut  aller  chez  Mme  de  Maintenon,  qui,  sans  par- 
ler si  haut,  ne  paila  pas  moins  ferme.  Il  est  aisé  de  con- 
cevoir quelle  impression  cela  acheva  de  faire  en  Mme  la 
duchesse  de  Berry  à'  l'égard  de  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  sur  qui  tout  le  ressentiment  en  tomba.  Elle 
ne  tarda  guères  à  voir  que  Mme  de  Saint-Simon  n'y  avoit 
eu  aucune  part,  et  à  lui  en  parler  en  personne  qui  le  veut 
et  le  sait  témoigner  en  réparation  du  soupçon.  Cet  éclat 
fit  une  nouvelle  publique,  qui  mit  de  plus  en  plus  au 
désespoir  la  princesse  qui*  l'éprouvoit.  La  solitude  aug- 
menta chez  elle;  les  dégoûts  lui  furent  peu  ménagés.  Elle 
faisoit  quelquefois  des  efforts  pour  regagner  quelque 
terrain  ;  mais  la  répugnance  qui  les  accompagnoit  leur 
donnoit  si  mauvaise  grâce,  et  ils  étoient  d'ailleurs  si  froi- 
dement reçus,  qu'ils  en  devenoient  de  tous  les  côtés  de 
nouveaux  sujets  d'éloignement. 

Telle  étoit  la  situation  de  Mme   la   duchesse  de  Berry     Elle  avoue  à 
lorsque  Monseienour  mourut,  et  telles  les  causes  du  dés-     .,  .  ,  ^^^ 
espoir  extrême  ou  cette  perte  la  plongea.   Dans''  I  excès     «es  étranges 

de  sa  douleur,  elle  eut  la  léeèrcté,  pour  en  parler  sobre-  projets  avortés 

°  '  *  par  la  mort  de 

1.  L;i  première  lettre  d'ax^ec  surcharge  nii  7. 

-2.  Tomes  XI.  p.  33-2,  et  XIII.  p.  331. 

3.  La  préposition  à  surcharge  une  s. 

4.  Avant  qui,  Saint-Simon  a  bifîé  qu'il  regardoil. 

'>    La  première  lettre  de  dans  surcharge  le  mot  elle  eHacc  du  doigt. 


106 


MEMOIRES 


[1711] 


Monseigneur, 

laquelle 

rc\horlc  à 

n'oublier  rien 

pour  se 
raccommoder 
avec  Madame 
la  Daupliinc. 


ment',  d'avouer  à  Mme  de  Saint-Simon  les  desseins  qu'elle 
avoit  imaginés  et  sur*  lesquels  elle  cheminoit,  et  que  j'ai 
ci-devant  expliqués  %  avec  la  terrible  cabale  qui  gouver- 
noit  Monseigneur.  Dans  l'étonnement  d'entendre  de  si 
étranges  projets,  Mme  de  Saint-Simon  tâcha  de  lui  en 
faire  comprendre  le  peu  de  fondement,  pour  ne  pas  dire 
l'absurdité,  l'horreur  et  la  folie,  et  de  la  porter  à  saisir 
une  conjoncture  touchante  pour  se  rapprocher  d'une 
belle-sœur  bonne,  douce,  commode  à  vivre,  qui  l'avoit 
mariée,  et  qui,  nonobstant  tout  ce  qui  s'étoit  passé  de- 
puis, étoit  faite  de  manière,  pour  sa  facilité,  à  revenir 
si  on  savoit  s'y  prendre  ;  mais  c'étoit  la  nécessité  même 
de  le  faire,  et  de  le  bien  faire,  qui  aigrissoit  le  courage* 
de  celle  qui  se  sentoit  également^  chargée  de  torts  à  son 
égard,  et  de  besoins  pour  le  solide  et  l'agrément  de  sa 
vie  ;  cette  force  de  nécessité  révoltoit^  ce  courage  altier, 
et  l'extrême  répugnance  à  ployer,  même  en  apparence. 
Accoutumée  à  un  rang  égal,  ce  nom  et  ce  rang  de  Dau- 
phine,  qui  alloit  mettre  tant  de  différence  entre  elles, 
combloit  son  désespoir  et  son  éloignement,  pour  user  d'un 
terme  trop  doux.  Incapable  de  regarder  derrière  elle  et 
d'où  elle  étoit  partie  pour  monter  où  elle  se  voyoit, 
aussi  peu  de  se  faire  une  raison  que  ce  qui  venoit  d'ar- 
river devoit  arriver  tôt  ou  tard,  beaucoup  moins  encore 
que  cette  supériorité  qui  la  désoloit  n'étoit  qu'un  degré 
pour  monter  sur  le  trône  et  la  voir  reine,  de  qui  même 
elle  n'auroit  pas  l'honneur  d'être  la  première  sujette", 
elle  ne  pouvoit  supporter  l'état  nouveau  où  elle  se  trou- 

1.  «  On  dit  tigurément  parler  sobrement  pour  dire  parler  peu,  parler 
avec  circonspection,  avec  retenue  »  (Académie,  1718). 

2.  La  première  lettre  de  sur  corrige  un  d. 

3.  Ci-dessus,  p.  80  et  suivantes. 

4.  Ci-dessus,  p.  99.   «  On  dit  tenir  son  courage  pour  dire  persister 
dans  son  ressentiment,  dans  son  dépit  y>  (Académie,  1718). 

5.  Egalem'  surcharge  un  premier  char[gée]. 

6.  Révoltait  est  en  interligne  au-dessus  à'aigrissoit,  biffé. 

7.  Les  enfants  de  la  reine  passant  alors  avant  tous  autres  collatéraux. 


(«7111  l>K  SAI.\T-SIM(».\  107 

voit.  Apres  bien  des  plaintes,  des  larmes  et  des  élans, 
pressée  par  les  raisons  sans  nombre  et  sans  réplique, 
plus  encore  par  ses  besoins,  qu'elle  sentoit  uialj^ré  elle 
dans  toute  leur  étendue,  elle  promit  à  Mme  de  Saint- 
Simon  d'aller  le  lendemain  jeudi  '  chez  la  nouvelle  Dau-        Mmf  la 

..  111  1  !•  j  l't         duchesse  de 

phine,  de  lui  demander  une  audience  dans   son  cabmet,        Berrv  se 
et  d'v  faire  tout  son  possible  pour  se  raccommoder  avec    raccommode 
elle.  Ce  jeudi  étoit   le  jour  que   Monseigneur  fut   porté    J^'^paîJpJ^.'^ 
à  Saint-Denis*,   et  avec  lui   tous  les    beaux    projets    de 
Mme  la  duchesse  de  Berry.  Klle  tint  parole,  et   l'exécuta 
en  eiTet  très  bien.  Son  aimable  belle-sœur  lui    en  aplanit 
tout  le  chemin,  et  entra  en  propos  la   première.    Par   ce 
que  toutes  deux  ont  redit  séparément  de    ce   tète-à-tète, 
Madame  la  Dauphine  agit  et  parla  comme  si  elle-même  eût 
offensé  Mme  la  duchesse  de    Berry,  comme  si    elle    lui 
eût   tout    dû,   comme  si    elle    eût    tout    attendu    d'elle, 
et  Mme  la   duchesse   de   Berry   aussi    se  surpassa.    L'en- 
tretien   dura    plus     d'une    heure.    Elles ^    sortirent   du 
cabinet    avec    un    air    naturel    de    satisfaction    récipro- 
que,   qui    réjouit    autant   les   honnêtes   gens    qu'il   dé- 
plut à  ceux  qui  n'espèrent  qu'en    la   division   et  au   dés- 
ordre. M.  et  Mme  la  duchesse  d'Orléans  eurent  une   joie 
extrême  de  cette  réconciliation,  et  M.    le    duc  de    Berry 
en  fut  si  content,  que  sa  douleur  en  fut   fort  adoucie.    Il 
aimoit   tendrement   Monseigneur   le  Dauphin,    il  aimoit 
encore  beaucoup  Madame  la  Dauphine;  ce  lui  étoit  une 
contrainte  mortelle  de  se  conduire  avec  elle  comme  Mme 
la  duchesse  de  Berry  l'exigeoit  :  il  embrassa  cette    occa- 
sion de  tout  son  cœur,  et  en  vrai    bon    homme,   et.    Ma- 
dame la  Dauphine  les  étant  venue  voir  l'après-dînéc   du 
même  jour  que  cette  réconciliation  s'étoit  faite  le    matin, 
elle  prit  M.  le  duc   de  Berry  en   particulier,  et  ils  pleu- 

1.   Le  jeudi  16  avril,  lendemain  même  de  la  mort  de  Monseigneur, 
comme  Sainl-Simon  va  le  dire  quatre  lignes  plus  bas. 
i.  Ci-dessus,  p.  86. 
3.  Elle  est  au  singulier,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 


lOS 


MEMOIRES 


71  d] 


Service  de 
M.  et  de  Mme 
la  duchesse  de 
Berry  à 


rôront  ensemble  de  tendresse.  Ce  qui  s'étoit  passé  le 
matin  y  fut  confirmé  de  sa  part  avec  toutes  les  grâces 
qui  lui  étoient  si  naturelles;  mais,  de  celle  de  Mme  la 
duchesse  de  Berry,  il  se  trouva  bientôt  une  pierre  d'a- 
choppement' :  ce  lut  de  présenter  le  service-  à  Monsei- 
gneur et  à  Madame  la  Dauphine.  On  s'attendoit  chez  eux 
i]ue  ce  devoir  ne  seroit  pas  différé.  La  bonne  grâce  y 
étoit  même  à  la  suite  d'une  réconciliation  si  prompte  •% 
et  des  visites  si  peu  ménagées  *  et  si  redoublées  de  l'aîné 
au  cadet.  Néanmoins,  lorsque  Mme  de  Saint-Simon  leur 
voulut  insinuer,  ce  même  jeudi,  après  que  Madame  la 
Dauphine  fut  sortie  de  chez  eux,  d'aller  le  lendemain 
f-''xr'/"^"[  donner  la  chemise  %  l'un  à  Monseigneur  le  Dauphin, 
Dauphine.  l'autre  à  Madame  la  Dauphine,  Mme  laduchessede  Berry 
[Add.  S'-s.  99S]  s'éleva  avec  fureur,  et  prétendit  qu'entre  frères  ce  service 
n'étoit  point  dû,  que  l'exemple  de  Monsieur,  oncle  de  feu 
Monseigneur,  n'en  étoit  pas  un  pour  eux  S  et  s'emporta 
fort  contre  ce  devoir,  qu'elle  appeloit  un  valetage^  M.  le 
duc  de  Berry,  qui  savoit  que  cela  se  devoit,  et  que  son 
cœur  portoit  en  tout  vers  Monseigneur  et  Madame  la  Dau- 
phine, fit  tout  ce  qu'il  put  pour  la  ramener  par  raisons  et 
par  caresses.  Elle  se  fâcha  contre  lui,  le  maltraita,  lui  dit 
qu'elle  auroit  le  dernier  mépris  pour  lui  s'il  se  soumettoit 

i.  Locution  déjà  rencontrée  dans  le  tome  XIII,  p.  274. 

2.  Tome  VIII,  p.  346. 

3.  Le  mot  prompte  termine  une  ligne  et,  à  la  suite,  il  se  trouve  deux 
jambages  sur  la  marge  du  manuscrit. 

4-.  Il  y  a  ménagée,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 

5.  Tome  VIII,  p.  347  ;  État  de  la  France,  47t2,  tome  I,  p.  265- 
266. 

6.  L'État  de  la  France  de  1698  disait  (tome  I,  p.  267)  :  «  En  l'ab- 
sence de  Mgr  le  Dauphin,  si  Messeigneurs  ses  enfants,  Monsieur  frère 
du  Roi,  ou  M.  le  duc  de  Chartres  s'y  rencontrent,  le  grand  chambellan... 
leur  présente  pareillement  la  chemise.  » 

7.  Tome  VI,  p.  366.  Le  mot  n'entra  dans  le  Dictionnaire  de  l'Aca- 
démie qu'en  1798;  Littré  n'en  cite  que  deux  exemples  de  notre  auteur, 
et  un  de  Chamfort,  qui  avait  peut-être  vu  le  mot  dans  les  copies  manu- 
scrites des  Mémoires. 


[171 1|  l)K  SAINT-SIMON.  iOS 

à  une  chose  si  servilc  ;  et  de  là  aux  pleurs,  aux  sanglots. 
aux  hauts  cris,  de  façon  que  M.  le  duc  de  Berry,  qui 
avoit  compté  d'aller  le  lendemain  au  lever  de  Monsei- 
gneur le  Dauphin,  ne  Posa,  de  peur  de  se'  brouiller 
avec  elle.  Le  bruit  avec  lequel  cette  dispute  s'étoit  passée 
éveilla  la  curiosité,  qui  eut  bientôt  éventé  le  fait,  parce 
que  Mme  la  duchesse  de  Berry  -  en  étoit  si  pleine,  qu'elle 
se  répandit.  Fout  aussitôt,  voilà  les  dames  de  Madame  la 
Dauphine  en  l'air,  comme  sur  chose  qui  alloit  presque 
à  leur  déshonneur',  et  cette  atVaire  devint  publicjue. 
M.  le  duc  d  Orléans  accourut  au  secours  de  M.  le  duc  de 
Berry,  qui  n'osoit  presque  rien  dire  dans  cette  impétuo- 
sité. Tous  deux  ne  meltoient  pas  le  devoir  et  la  règle  en 
doute  ;  tous  deux,  si  aises  du  raccommodement,  sentoient 
le  danger  d'une  rechute,  l'atlront  certain  auquel  la  prin- 
cesse s'exposoit  d'en  recevoir  du  lloi  l'ordre  et  la  ré'pri- 
mande,  et  l'efi'et  intérieur,  et  au  dehors,  que  produiroit 
un  entêtement  si  mal  fondé,  et  dans  des  circonstances 
pareilles.  Tout  le  lendemain  vendredi  fut  employé  à  la 
persuader.  Enfin,  la  peur  de  l'ordre,  de  la  romancine  ^ 
et  de  l'atïront  arracha  d'elle  la  permission  à  M.  le  duc 
de  Berry  de  dire  qu'ils^  donneroient  la  chemise  et  le 
service,  mais  à  condition  de  délai  pour  se  résoudre  à 
l'exécution.  Elle  le  vouloit  aussi  pour  M.  le  duc  de 
Berry  ;  mais  ce  prince  fut  si  aise  d'être  affranchi  là-des- 
sus, qu'il  voulut  servir  Monsieur  le  Dauphin  le  samedi 
matin.  Monsieur  le  Dauj)liin  et  Madame  la  Dauphine  n'a- 
voient  pas  ouvert  la  bouche  là-dessus  ;  mais  ce  prince, 
pour  faire  une   honnêteté   à  Monsieur  son    frère,   refusa 

1.  La  surchargé  en  se. 

2.  Conirairi'mcnt  à  l'Iiabilude  de  Saint-Simon,  Berry  est  écrit  ici  en 
abrégé  dans  le  manuscrit,  ol  l'on  lirait  aussi  bien  liouigogiie  ;  mais  le 
sens  n'est  |)as  douteux.  D'ailli'urs  Saint-Simon  ne  dit  |)lus  maintenant 
la  duchuxxc  (te  liouriioijiie,  mais  la  Dauphine. 

3.  De  ce  que  .Mme  de  Bcriy  avait  traité  leur  service  de  «  valetage  ». 

4.  Ci-dessus,  p.  iUo. 

5.  //,  par  méjjarde,  au  singulier  dans  le  manuscrit. 


110  MEMOIRES  flTld] 

d'en  être  servi  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  vu  le  Roi.  Ils  le 
virent  le  dimanche  suivant  '  et,  le  lendemain  lundi, 
M.  le  duc  de  Berry  alla  exprès  au  coucher  de  Monsei- 
gneur le  Dauphin,  et  lui  donna  sa  chemise,  qui,  dans  le 
moment  qu'il  l'eut  reçue,  embrassa  tendrement  Monsieur 
son  frère  *.  Il  fallut  encore  quelques  jours  à  Mme  la  du- 
chesse de  Berry  pour  se  résoudre.  A  la  fin,  il  fallut  bien 
finir  :  elle  fut  à  la  toilette  de  Madame  la  Dauphine,  à  qui 
elle  donna  la  chemise  ^  et,  à  la  fin  de  la  toilette,  lui 
présenta  la  sale^  Madame  la  Dauphine,  qui  n'avoit  jamais 
fait  semblant  de  se  douter  de  rien  de  ce  qui  s'étoit  passé 
là-dessus,  ni  de  prendre  garde  à  un  délai  si  déplacé,  reçut 
ces  services  avec  toutes  les  grâces  imaginables  et  toutes  les 
marques  d'amitié  les  plus  naturelles.  Le  désir  extrême 
de  la  douceur  de  l'union  fit  passer  Madame  la  Dau- 
phine généreusement  sur  cette  nouvelle  frasque  %  comme 
si,  au  lieu  de  Mme  la  duchesse  de  Berry,  c'eût  été  elle 
qui  eût  eu  tout  à  y  gagner  ou  à  y  perdre. 

1.  Dangeau,  p.  388,  dimanche  49  avril:  «Le  Dauphin,  la  Dau- 
phine. Mgr  le  duc  de  Berry  et  Mme  la  duchesse  de  Berry  partirent  de 
Versailles  après  le  salut  et  vinrent  ici  ensemble.  Ils  virent  le  Roi  en 
arrivant  chez  Mme  de  Maintenon,  et  cette  première  entrevue  fut  d'une 
tristesse  telle  qu'on  peut  l'imaginer.  »  Comparez  les  Mémoires  de 
Sourches,  p.  90. 

2.  Dangeau,  p.  390;  les  Mémoires  de  Sourches,  p.  97  n'en  parlent  que 
le  lendemain  mardi,  21  avril  :  voyez  ci-après,  p.  433,  la  lettre  de  la 
marquise  d'Huxelles. 

3.  Saint-Simon  lit  mal  Dangeau,  qui  dit,  au  dimanche  49  avril,  im- 
médiatement après  le  passage  cité  ci-dessus,  note  4  :  «  Mme  la  du- 
chesse de  Berry  donna  le  matin  à  Versailles  la  chemise  à  la  Dauphine, 
qui  l'embrassa  ensuite  ;  elles  avoient  eu  deux  jours  auparavant  une 
grande  conversation  sur  cela,  et  en  étoient  sorties  fort  contentes  l'une 
de  l'autre.  »  Il  n'y  eut  donc  pas  un  délai  de  «  quelques  jours  »,  et, 
au  contraire,  Mme  de  Berry  présenta  le  service  à  sa  belle-sœur  avant 
que  son  mari  ne  le  présentât  au  Dauphin. 

4.  Il  a  déjà  été  parlé  de  cet  ustensile  d'étiquette  dans  notre  tome  XI, 
p.  29'2-293.  Saint-Simon  l'avait  alors  écrit  salve  ;  ici  il  y  a  salle.  Le 
Dictionnaire  de  l'Académie  de  4748  ne  donnait  pas  ce  mot. 

0.  Tome  IV,  p.  73. 


(t71l|  DE  SAINT-SIMON.  III 

J'ai  remar(|ut''  (|ii«'  Madaiiic  la  DaMphiiic  alloit  voir  le  Singulier  avis 
Roi  tous  les  ioui-s  à  Marlv  '.  Elle  v  reçut  un  avis  de  Mme  de  /!''  ^''"*'  '^" 
Maintonon  qui  ninita  sans  doute  quelque  surprise,  d  au-  Madame  la 
tant  plus  que  ce  fut  dès  sa  seconde  visite,  c'est-à-dire  dès  Dauphin.-. 
le  lendemain  de  la  mort  de  Monseigneur,  qu'elle  fut  voir 
le  Roi  à  son  réveil,  et  le  soir  encoi-e  chez  Mme  de  Main- 
tenon*  :  ce  fut  de  se  parer  avec  quelque  soin,  parce  que 
la  négligence  de  son  ajustement  déplaisoit  au  Roi  '.  La 
princesse  ne  crovoit  pas  devoir  songer*  à  des  ajustements 
alors,  et,  quand  elle  en  auroit  eu  la  pensée,  elle  auroit 
cru,  avec  grande  raison,  commettre  une  grande  faute 
contre  la  bienséance,  et  qui  lui  auroit  été  d'autant  moins 
pardonnée  qu'elle  gagnoit  trop  en  toutes  façons  à  ce  qui 
venoit  d'arriver  pour  n'être  pas  en  garde  là-dessus  contre 
elle-même.  Le  lendemain  donc,  elle  prit  plus  de  soin 
d'elle;  mais,  cela  n'ayant  pas  encore  sufli,  elle  porta  le  jour 
suivant  de  ''  quoi  s'ajuster  en  cachette  chez  Mme  de  Main- 
tenon,  où  elle  le  quitta  de  même  avant  d'en  revenir  à 
Versailles,  pour,  sans  choquer  le  goût  du  Roi,  ne  pas 
blesser  le  goût  du  monde,  qui  auroit  été  ditticilement 
persuadé  qu'il  n'enlroit  que  de  la  complaisance  dans  une 
recherche  de  soi-même  si  à  contretemps.  La  comtesse  de 
Mailly,  qui  trouva  cette  invention  de  porter  la  parure 
pour  la  prendre  et  la  quitter  chez  Mme  de  Maintenon,  et 
Mme  de  Nogaret,  qui  toutes  deux  aimoient  Monseigneur, 
me  le  contèrent,  et  en  étoient  piquées.  On  peut  juger 
de  là,  <'t  par  les  occupations  et  les  amusements  ordinaires, 

1.  Ci-dessus,  p.  9'2. 

'2.   bangenu,  p.  3Ki-382. 

3.  Au  dire  do  tous  les  contemporains  et  de  Mme  do  Mainlenon  elli^ 
même  (letlre  à  Mme  des  L'rsins,  dans  le  recueil  liossange,  tome  I,  p. 
I94j,  la  parure  t'-tail  nécessaire  à  la  Dauphine  pour  taire  valoir  la 
fraîcheur  de  son  teint  et  l'élcpance  de  sa  taille. 

4.  Avant  songer,  Saint-Simon  a  bitTc  un  premier  songer,  qui  surchar- 
geait un  autre  mot,  sans  doute  penser. 

5.  Avant  de,  Saint-Simon  a  bilTo  :  en  cachette  chés  M'  de  Mainte 
non,  qu'il  a  récrit  plus  loin. 


i\<î 


MEMOIRES 


nui 


Duc  de  la 
Rochefoucauld 

prétend  la 

garde-robe   du 

nouveau 

Dauphin,  et 

la  perd  contre 

le  duc  de 

Reauvillier. 


lAdd.  S'-S.  993] 


qui  l'oprirent  tout  aussitôt,  comme  on  l'a  vu',  leurs 
places  dans  les  journées  du  Roi  sans  qu'il  parût  en  lui 
aucune  contrainte,  que,  si  sa  douleur  avoit  été  amère, 
elle  avoit  aussi  le  sort  de  celles  dont  la  violence  fait  augu- 
rer qu'elles  ne  seront  pas  de  durée '. 

Il  y  eut  une  assez  ridicule  dispute  élevée  tout  aussitôt 
sur  la  garde-robe  du  nouveau  Dauphin  dont  M.  de  la 
Rochefoucauld  prétendit  disposer,  comme  il  faisoit  de 
celle  du  Roi,  par  sa  charge  de  grand  maître  de  la  garde- 
robe^.  11  aimoit  encore,  tout  vieux  et  aveugle  qu'il  étoit*, 
à  tenir  et  à  conserver,  et  il  alléguoit  qu'il  ne  demandoit, 
à  l'égard  du  nouveau  Dauphin,  que  ce  qu'il  avoit  eu  et 
sans  difficulté  exercé  pendant  la  vie  de  Monseigneur.  11 
avoit  oublié  sans  doute  qu'il  ne  se  mêla  de  la  garde-robe 
de  ce  prince  qu'après  la  mort  de  M,  de  Montausier,  qui 
s'en  faisoit  soulager  par  la  duchesse  d'Uzès  sa  fdle%  et  de" 
la  colère  où,  sur  les  fins  de  la  vie  du  duc  de  Montausier, 
le  Roi  se  mit  contre  elle  fort  au  delà  de  ce  que  la  chose 
valoit,  pour  un  habit  de  Monseigneur,  dans  le  temps  que 
le  Roi  avoit  entrepris  de  bannir  les  draps  étrangers  et  de 
donner  vogue  à  une  manufacture  de  France  dont  les 
draps  étoient  rayés  partout  ^  Je  me  souviens  d'en  avoir 

1.  Ci-dessus,  p.  97. 

2.  C'est  ce  qu'il  a  déjà  dit  du  «  genre  de  la  douleur  du  Roi  »  ci- 
dessus,  p.  90  et  suivantes. 

3.  L'État  de  la  France  de  1712  disait  (tome  I,  p.  192)  :  «  Le  grand 
maître  de  la  garde-robe  a  soin  des  habits,  du  linge  et  de  la  chaussure 
de  Sa  Majesté,  et  dispose  de  toutes  ses  hardes  quand  le  Roi  ne  veut 
plus  s'en  servir.  » 

4.  Nous  l'avons  vu  se  retirer  au  Chenil  en  1709  à  cause  de  ses  infir- 
mités (tome  XVII,  p.  345). 

5.  Julie-Françoise  de  Sainte-Maure:  tome  II,  p.  281,  et  ci-dessus, 
p.  68,  note  4. 

6.  Ainsi  dans  le  manuscrit,  comme  si  Saint-Simon  avait  commencé 
sa  phrase  par  //  ne  se  souvenait  plus. 

7.  Les  Mémoires  de  Sourches  disent  au  26  septembre  1687  (tome 
II,  p.  90)  :  «  En  ce  temps-là,  il  parut  à  la  cour  une  espèce  de  nouveaux 
draps  d'une  manufacture  de  France,  et  le  Roi  déclara  qu'on  lui  feroit 


|17II|  DE  SAlNT-SlMd.N  ll'i 

porté  coinnu'  tout  \v  luoiuK',  ot  que  cela  éloil  lurt  vilain. 
Les  raies  de  l'habit  de  Monseigneur  ne  parurent  pas  tout 
à  fait  comme  les  autres,  et  le  Roi  avoit  le  coup  d'œil  fort 
juste  ;  vérification  '  faite,  il  se  trouva  que  ce  drap  étoit 
étranger  et  contrefait,  et  que  Mme  d'Uzès  y  avoit  été 
attrapée-.  Le  duc  de  Beaux  illier  allégua  sa  charge,  et  ses  [AM  S'S.  994\ 
provisions  de  prenn'er  gentilhonune  de  la  chambre  et  de 
maître  de  la  garde-robe  du  prince  dont  il  avoit  été  gouver- 
neur, et  l'exemple  dernier  du  duc  de  Montausier  ;  il  n'en 
fallut  pas  davantage,  et  \o  duc  de  la  Rochefoucauld  fut 
tondu  ^ 

Le  Roi,  dès  les  premiei-s  jours  de  sa  solitude,  se  laissa    Soumission  et 

,1  I  I      i>  •II*  •      Il    "i  i  1        •  "     mixléralion  de 

•  nlendre  au  duc  de  IJeauvdlier,  qui  alloit  tous  les  jours  a     ;sio„5eignrur 

Maily,  (|u'il  ne  verroil  pas  \olonliersle  nouveau  Dauphin     le  Dauphin. 

faire  des  voyages  à  Meudon.  C'en  fut  assez  pour  que  ce 

plaisir  de  n'en  porter  pas  d'autres,  c'est-à-dire  que  ceux  qui  feroient 
faire  des  habits  neul's  ne  les  lissent  pas  taire  d'autres  draps  que  de 
ceux-là,  permettant  néanmoins  à  chacun  de  porter  les  habits  qu'ils 
auroient  fait  faire  auparavant.  »  Sur  la  prohibition  des  draps  étrangers 
pendant  la  guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg,  on  peut  voït  l'Histoire  de 
Louvois,  tome  ill.  p.  ii7-i-i8,et  les  documents  indiqués  ou  reproduits 
dans  le  tome  I  de  la  Correspondance  des  contrôleurs  généraux,  n"'  GOl , 
So-2,  lUUT,  1036,  etc. 

t.  Avant  ce  mol,  il  y  a  un  et  bitVé,  dans  le  manuscrit. 

i.  Voici  ce  que  Dangeau  écrivait  sur  cet  incident,  le  18  novembre 
1687  {Journal,  tome  II,  p.  67),  et  c'est  à  cette  occasion  que  Saint- 
Simon  a  fait  l'Addition  indiquée  ci-contre  :  «  Le  Roi  a  trouvé  fort  mau- 
vais que  Mme  la  duchesse  d'Uzès  ait  fait  peindre  des  raies  sur  un  jus- 
taucorps couleur  de  feu  que  Monseigneur  avoit  ;  il  veut  condamner  à 
l'amende  le  marchand  qui  a  vendu  le  drap,  et  le  peintre  qui  l'a  peint. 
Mme  la  duchesse  d'Uzès  les  justilie  en  s'accusant  elle  seule.  Le  Roi 
veut  que  le  justaucorps  de  Mon.seigneur  soit  brûlé,  et  qu'on  ne  porte 
plus  d'autres  draps  que  ceux  de  la  manufacture  nouvelle  de  France.  » 

3.  «  On  dit  ligurémcnt  d'un  homme  qu'i/  a  été  tondu  sur  le  peigne, 
et  plus  ordinairement  qu'//  a  été  tondu,  lorsque  son  avis  n'a  pas  été 
suivi,  quoi  qu'il  ait  pu  dire  pour  l'appuyer»  {Académie,  1718);  voyez 
notre  tome  III,  p.  111.  Nous  retrouverons  plusieurs  emplois  de  celte 
locution  dans  la  suite  des  Mcmoires,  et  l'on  peut  en  citer  des  exemples 
de  .Mme  de  Sévigné  et  de  Conrart.  —  Sur  la  contestation  entre  les  deux 
ducs,  voyez  l'article  de  Dangeau,  p.  38S-389. 

MtXOlRES    DE    ÏAINT-SIMON.    XXI  H 


tVf  MÉMOIRES  [ilH] 

prince  déclarât  qu'il  n'y  mettroit  pas  le  pied,  et  qu'il  ne 
sortiroit  point  des  lieux  où  le  Roi  se  trouveroit;  et  en 
effet  il  n'y  lit  jamais  depuis  une  seule  promenade ^  Le  Roi 
lui  voulut  donner  cinquante  mille  livres  par  mois,  comme 
Monseigneur  les  avoit:  Monsieur  le  Dauphin  en  remercia; 
il  n'avoit  que  six  mille  livres  par  mois;  il  se  contenta  de 
les  doubler,  et  n'en  voulut  pas  davantage'.  C'étoit  le 
Chancelier  qui,  étant  contrôleur  général,  avoit  fait  pousser 
le  traitement  de  Monseigneur  jusqu'à  cette  somme.  Ce 
désintéressement  plut  fort  au  public.  Monsieur  le  Dauphin 
ne  voulut  quoi  que  ce  fût  de  particulier  pour  lui,  et  per- 
sista à  demeurer  à  cet  égard  comme  il  étoit  pendant  la 
vie  de  Monseigneur.  Ces  augures  d'un  règne  sage  et 
mesuré  firent  concevoir  de  grandes  espérances. 
Veut  être  J'^i  expliqué  ailleurs^  la  très  moderne  et  fine  introduc- 

nommé  et      t[on  de  l'art  des  princes  du  sang,  et  de  leurs  valets  prin- 
Moim^ur  ''non    cipaux,  de  les  appeler  Monseigneur,  qui,  comme  tous  leurs 
Monseigneur,     autres  honneurs,  rangs  et  distinctions,  devinrent  bientôt 
[Add  S-..  995\   communs    avec   les   bâtards.    Rien    n'avoit    tant   choqué 
Mgr  le  duc  de  Bourgogne,  qui,  jusque-là,  n'avoit  jamais  été 
appelé  que  Monsieur,  et  qui  ne  le  fut  Moîiseigneur  que 
par  la  manie  de  les  y  appeler  tous''.  Aussi,  dès  qu'il  fut 
Dauphin,  il  en  fit  parler  au  Roi  par  Madame  la  Dauphine, 
puis,  avant  d'aller  à  Marly,  déclara  qu'il  ne  vouloit  point 
être  ni  nommé  ^  Monseigneur,  comme  Monseigneur  son 
père',  mais  Monsieur  le  Dauphin,  ni,  quand  on  lui  parle- 

1.  Promede,  dans  le  manuscrit,  surchargeant  promeda.  —  «  On  di- 
soit  qu'on  démeubloit  Meudon  entièrement,  et  qu'on  en  portoit  tous  les 
meubles  au  garde-meuble  du  Roi.  M.  le  Dauphin  ayant  fait  entendre 
au  Roi  les  bonnes  raisons  qu'il  avoit  pour  n'y  pas  aller  »  (Mémoires  de 
Sourches,  tome  XIII.  p.  89). 

2.  Dangeau,  p.  391  ;  Sourches,  p.  90.  -  3.  Tome  XVII,  p.  296-302. 

4.  Il  est  à  remarquer  que  Saint-Simon  jusqu'alors  ne  parlait  jamais 
du  prince  qu'en  le  traitant  de  Monseigneur  :  voyez  notre  tome  XVII, 
p.  302.  Plus  loin  p.  128  et  129,  il  va  cependant  lui  donner  ce  titre. 

5.  Nomé  est  en  interligne  au-dessus  d'appelé,  biffé. 

6.  Voyez  ce  qu'en  disait  en  1664  Brianville,  dans  son  Abrégé d'his- 


M7H1  DE  SAINT-SIMON.  MT, 

roit.  autromont  que  Monsirur\  Il  v  fut  même  altentif,  et 
repronoit  ceux  qui,  dans  les  comniencenients,  n'y  étoient 
pas  accoutumés*.  Cela  embarrassa'  un  peu  les  princes  du 
sang  ;  mais,  à  l'abri  de  M.  le  duc  de  Herry  et  de*  M.  le  duc 
d'Orléans,  ils  retinrent'  le  Monsfitjnfur,  c[uo  Monseigneur 
le  Dauphin  ne  leurauroit  pas  laissé,  s'il  fût  devenu  le  maître. 

Le  dimanche  18  avril ^  finit  la  clôture*  du  Floi  à  Marly.  Marly 

La"  famille  royale  et  les  pei-sonnes  élues  parmi  les  deman-  ""^P*^"?  • 
tleurs*  repeuplèrent  ce  lieu,  qui  avoit  été  quatre  jours 
entiers  si  solitaire.  Les  deux  fils  de  France  et  leurs 
épouses  y  arrivèrent  ensemble,  après  le  salut  ouï  à  Ver- 
sailles. Ils  entrèrent  tous  quatre  chez  Mme  de  Maintenon, 
où  le  Roi  étoit,  qui  les  embrassa'.  L'entrevue  ne  dura 
qu'un  moment  :  les  princes  allèrent  prendre  l'air  dans  les 
jardins,  le  Hoi  soupa  avec  les  dames,  et  la  vie  ordinaire 
recommença,  à  l'exception  du  jeu.  La  cour  prit  le  deuil 
ce  même  jour,  qui  fut  réglé  poui-  un  an  comme  de  père'". 
Les  différences  de  rang  à  porter  les  deuils  sur  sa  personne 
s'étoient  peu  à  peu  réduites  à  rien  depuis  dix  ou  douze 

toire  de  France,  p.  339-360.  Le  grammairien  Milleran,  en  1703, 
dans  SCS  youvelles  lettres,  p.  i'S",  s'exprimait  ainsi  :  «  Le  premier  iils 
de  nos  Rois  s'appelle  toujours  Dauphin  ilepuis  un  certain  temps....  On 
le  traite  ordinairement,  parlant  de  lui,  de  Monsieur  le  Dauphin,  ou  de 
Monseigneur  par  excellence,  comme  le  Roi  l'a  nommé  depuis  dix  ou 
douze  ans.  »  Voyez  ci-après  aux  Additions  et  corrections. 

i.  Le  commencement  de  Monsieur  surcharge  le.  —  Notre  tome  XX, 
p.  241  ;  Dangeau,  p.  38-4  ;  Sourches,  p.  86  ;  Lettres  de  Madame,  re- 
cueil Jaeglé,  tome  II,  p.  146  ;  Mémoires  de  Luyncs,  tome  I.  p.  417.  Cer- 
taines gens,  et  notamment  le  baron  de  Breteuil,  estimaient  qu'on  eût 
encore  mieux  fait  de  dire  le  Dauphin  tout  court,  sans  Monsieur, 
comme  on  disait  le  Roi,  l'Empereur,  l'Electeur. 

i.  Dangeau,  tome  XIII,  p.  44.3. 

i.  Il  y  a  embrassa  dans  le  manuscrit. 

4.  Le  manuscrit  porte  :  retirent.  —  5.  C'était  le  19. 

6.  «  Clôture  se  prend  aussi  pour  l'obligation  que  les  religieuses  ont 
de  ne  point  sortir  de  leur  monastère  »  {Académie,  1718). 

7.  La  corrige  ce.  —  8.  Ci-dessus,  p.  92-93. 
9.  Dangeau,  p.  388  ;  Sourches,  p.  90. 

10.  Ci-dessus,  p.  98,  note  -2. 


116 


MEMOIRES 


[1714] 


ans.  Je  Pavois  vue'  auparavant  observée^;  tout  s'étoit 
réduit  à  celle  de  draper,  qui,  jusqu'à  ce  deuil,  s'étoit 
maintenue  dans  les  règles ^  Plusieurs  petits  officiers  de  la 
maison  du  Roi,  comme  capitaine  des  chasses  et  autres, 
Chàiillons  cl  l'usurpèrent  en  celui-ci,  et,  comme  on  aimoit  la  confu- 
Bcauvaus  sjon  pour  anéantir  les  distinctions,  on  les  laissa  faire*.  Le 
Deuil    comte  de  Chàtillon'^  en  profita  pour  s'en  forger*  une  toute 


drapiT. 
singulier   pour 

Monseigneur. 
[Add  S'-S.  996\ 


nouvelle  à  laquelle  ses  pères  étoient  bien  loin  de  penser. 
Voysin,  son  beau-père,  étala  au  Roi  la  grandeur  de  la 
maison  de  Chàtillon",  le  duché  de  Bretagne  qu'elle  avoit 
prétendu,  et  possédé  quelques  années%  ses*  douze  ou 
treize  alliances  directes  avec  la  maison  royale,  même  avec 

1.  Il  y  a  veu,  sans  accord,  dans  le  manuscrit. 

2.  Il  faudrait  ici  le  pluriel,  puisque  ces  participes  se  rapportent  à 
différencefi. 

3.  Desgranges,  dans  ses  registres  (ms.  Mazarine  27i3,  fol.  143),  a 
énuméré  les  personnes  on  olficiers  qui  avaient  le  droit  de  draper  pour 
les  deuils  de  cour.  Celte  distinction,  en  règle,  était  réservée  aux  ducs 
et  pairs,  aux  officiers  de  la  couronne  et  aux  grands  officiers  de  la  mai- 
son du  Roi  et  de  celles  des  princes,  par  exemple  aux  dames  d'honneur 
des  princesses,  et  il  pouvait  arriver  que  le  mari  ne  drapât  point,  tandis 
que  la  femme  drapait  à  cause  de  sa  charge.  Le  privilège  en  était  aussi 
généralement  accordé  aux  alliés  de  la  famille  royale,  et  c'est  à  ce 
titre  que  nous  allons  voir  les  Chàtillon  et  les  Beauvau  l'obtenir. 

4.  Sur  les  usurpations  de  cérémonial  auxquelles  donna  lieu  le  deuil 
de  Monseigneur,  comparez  les  Ecrits  inédits,  tome  III,  p.  175. 

5.  Nous  l'avons  vu  épouser  Mlle  Voysin,  dans  le  tome  XX,  p.  238. 

6.  «  Forger,  signifie  ligurcment  inventer,  supposer,  controuver  » 
{Académie,  4718). 

7.  Les  généalogies  font  remonter  cette  maison  à  Guy  I"^"",  seigneur 
de  Châtillon-sur-Marne,  qui  vivoit  au  onzième  siècle.  Il  parut  en  4624 
une  Histoire  de  la  maison  de  Chastillon-sur-Marne,  par  André  du 
Chesne  en  un  volume  in-folio,  et  Saint-Simon  lui  a  consacré  une  no- 
tice généalogique  dans  le  tome  43  de  ses  Papiers  (vol.  France  200), 
qui  a  été  publiée  au  tome  IV  des  Écrits  inédits,  p.  373-394  ;  voyez 
ci-après,  appendice  III.  une  autre  notice. 

8.  Par  Charles  de  Chàtillon,  dit  de  Blois,  gendre  de  Jean  III,  duc 
de  Bretagne,  et  compétiteur  malheureux  de  Jean  de  Montfort  à  la  pos- 
session du  duché. 

9.  Ses  corrige  les. 


flTil]  DE  SAINT-SIMON  117 

des  fils  ou  des  iilles  tlo  France',  le  nombre  des  plus  grands 
offices  de  la  couronne  qu'elle  avoit  eus*,  et  les  prodigieux 
fiefs  qu'elle  avoit  possédés';  il  se  garda  bien  d'ajouter 
(jue,  de  toute  cette  splendeur,  il  n'en  rejaillissoit  rien,  ou 
«oninie  rien,  sur  son  gendre,  dont  la  mère  et  la  grand  mère 
paternelle*  étoient  de  la  lie  du  peuple',  que  toutes  les 
branches  illustres  de  Chàtillon  étoient  éteintes  depuis 
longtemps*,  que'  celle  de  son  gendre*  n'avoit  particip»'  à 

i.  Saint-Simon  a  rcievé  ces  alliances  dans  le  mémoire  intitulé  Allian- 
ces directes  de  seigneurs  français  avec  des  filles  du  sang  de  nos  rois, 
dans  le  volume  4i  de  ses  Papiers,  vol.  France  199.  Parmi  elles  on  peut 
citer  celle  de  Gaucher  IV  de  Cliûtillon  avec  Jeanne  de  France,  pelile- 
fille  de  Pliilippe-Auf;usto.  celle  de  Guy  de  Chitillon  avec  Marguerite 
lie  Valois,  sœur  de  Philippe  VI,  et  celle  du  connétable  Gaucher  avec 
Isabelle  de  Dreux.  L'annotateur  des  Mctnaires  de  Sourchcs  dit.  en  par- 
lant de  MM.  de  Chàtillon  (tome  1.  p.  198)  :  «  Ils  étoient  de  la  meil- 
leure maison  de  gentilshommes  qu'il  y  eût  en  France,  ayant  quatorze 
alliances  directes  avec  la  maison  royale.  » 

•2.  La  maison  de  Chàtillon  comptait  dans  ses  diverses  branches  un 
régent  de  France,  un  connétable,  deux  grands  maîtres  de  France,  un 
grand  bouteiller,  un  grand  panetier,  un  amiral,  deux  grands  queux  de 
France,  un  grand  maître  des  arbalétriers,  un  souverain  maître  d'hôtel 
de  la  Reine,  un  grand  maître  des  eaux  et  forêts,  qui  tous  ont  leur 
place  dans  l'ouvrage  du  P.  Anselme. 

3.  Lescomtésdc  Sainl-Pol,  de  Blois,  de  Chartres,  de  Dunois,  de  Pen- 
thièvre  et  de  Goëllo,  la  vicomte  de  Limoges,  les  seigneuries  d'Avesnes, 
If  Guise,  de  Dampierre,  d'Argenton,  d'Avaugour,  de  Mayenne,  etc. 

».  La  mère  de  M.  de  Chàtillon  était  Anne-Thérèse  Moret,  hlle  du 
Icrmier  général  Moret  de  Bournonville,  mariée  en  1684  et  morte  en 
1703  ;  sa  grand'mère  était  Madeleine-Françoise  Honoré,  dont  le  père, 
Jacques  Honoré,  sieur  du  Clos,  n'a  aucune  qualité  dans  les  généalogies. 
Voyez  le  commencement  de  l'Addition  indiquée  ci-dessus,  n"  996. 

.S.  «  On  dit  figurément  la  lie  du  peuple  pour  dire  la  plus  vile  et  la 
plus  basse  populace  »  (Académie,  1718). 

6.  La  branche  des  comtes  de  Saint-Pol  en  1360,  celle  des  comtes  de 
Blois  en  1.397,  celle  des  comtes  de  Penthièvrcen  1 434,  celle  des  comtes 
de  Porcien  quelques  années  plus  tôt. 

7.  L'abréviation  de  que  surcharge  des  lettres  illisibles,  et,  au-dessus, 
il  y  a  en  interligne  une  /  elTacée  du  doigt. 

H.  Le  rameau  des  seigneurs  du  Hois-Hogue,  sorti  de  la  branche 
d',\rgenton  au  commencement  du  xvir  siècle. 


118  MÉMOIRES  inil 

aucune  des  grandeurs  des  autres,  et  que,  s'il  sortoit  de 
deux  filles  de  la  branche  de  Dreux',  dont  même  la  seconde 
étoit  fille  du  chef  de  la  branche  de  Bû-,  et,  par  l'injustice 
des  temps,  n'étoit  pas  sur  le  pied  des  autres  du  sang  royal, 
c'étoit  avant  la  séparation  de  sa  branche  ;  qu'il  en  étoit  de 
même  des  deux  charges  de  souverain  maître  d'hôtel  et  de 
grand  maître  des  eaux  et  forêts ^  Il  se  garda  encore  mieux 
de  faire  mention  du  sieur  de  Bois-Rogue,  père  du  père  de 
son  gendreS  qui  étoit  gentilhomme  servant^'  de  Monsieur 
Gaston  avec  du  Rivau%  qui  fut  depuis  dans  ses  Suisses, 

i.  Alix  de  Dreux,  fille  de  Robert  de  France,  comte  de  Dreux,  mariée 
en  ilotj  à  Guy  II  de  Châlillon,  et  Isabelle  de  Dreux,  mariée  en  l'281  à 
Gaucher  IV  de  Chàtillon,  connétable  de  France.  —  La  maison  de  Dreux, 
dont  l'auteur  fut  Robert  de  France,  cinquième  fils  du  roi  Louis  VI  le 
Gros,  forma  plusieurs  branches  dont  les  deux  dernières,  celle  de  Beaus- 
sart  et  celle  de  Morainville,  .s'éteignirent  la  même  année,  1590. 

2.  Isabelle  de  Dreux  (ci-dessus)  était  fille  de  Robert  de  Dreux,  sei- 
gneur de  Bû  (Eure-et-Loir,  canton  d'Anet),  mort  en  1266,  second  fils 
du  comte  Robert  III  et  auteur  de  cette  branche,  qui  s'éteignit  au  com- 
mencement du  quinzième  siècle.  —  Saint-Simon  écrit  Beu. 

3.  Gaucher  V  de  Chàtillon  fut  souverain  maître  d'hôtel  de  la  reine 
femme  de  Jean  le  Bon,  et  Charles  de  Chàtillon,  de  la  branche  de  Gan- 
delus-Argenton,  fui  grand  maître  des  eaux  et  forêts  en  1384. 

4.  François  de  Chàtillon,  seigneur  du  Boi.s-Rogue,  mort  en  septembre 
1662,  à  cinquante-six  ans,  père  de  Claude-Elzéar  (tome  II,  p.  206).  — 
Le  Bois-Rogue  est  une  terre  du  Loudunois,  dans  la  commune  actuelle 
de  Rossay.  —  Saint-Simon  écrit  Boisrogues. 

5.  La  première  lettre  de  servant  surcharge  un  d.  —  Il  ne  faut  pas 
confondre  les  gentilshommes  servants  avec  les  gentilshommes  ordinaires. 
Les  fonctions  des  uns  et  des  autres  sont  bien  spécifiés  dans  l'État  de 
la  France  de  1698,  tome  I,  p.  67-69  et  238-240.  Tandis  que  les  se- 
conds avaient  pour  charge  d'accompagner  le  Roi  afin  d'exécuter  ses 
commandements  et  recevaient  des  missions  de  courtoisie  et  de  bien- 
séance, ou  même  diplomatiques,  les  premiers  remplissaient  à  la  table 
du  souverain  les  fonctions  de  panetier,  d'échanson  et  d'écuyer-tran- 
chant  ;    elles  étaient    les  mêmes    dans  la  maison  des  fils  de  France. 

6.  Jacques  III  de  Beauvau,  marquis  du  Rivau,  d'abord  capitaine  de 
cavalerie,  eut  un  régiment  en  1641,  et  devint  en  1631  capitaine  des 
Cent-suisses  de  Gaston  d'Orléans;  nommé  maréchal  de  camp  en  février 
1632,  il  eut,  en  juillet  de  la  même  année,  le  grade  de  lieutenant  géné- 
ral, obtint  le  gouvernement  du  Quesnoy  en  1654,  s'en  démit  en  1658, 


|1T11|  DE  SAINT-SIMON  119 

et  que  le  crédit  (\c  Mlle  de  Saujon  sur  Gaston  '  en  fit  enfin 
capitaine  par  le  mariage  de  sa  nièce*,  mais  (|ui  laissa 
Bois-IU)gue  gentilhomme  servant,  ^'ovsin,  sans  doute,  ne 
parla  pas  de  la  dispute  sur  la  légitimité  ou  la  bâtardise, 
(|ue  M.  le  tluc  d'Orléans  m'a  plus  d  une  fois  assurée,  et 
(|ue  les  Chàtillons  étoient  éteints  depuis  longtemps',  ^oy- 
sin  étoit  ministre  et  favori;  il  l'étoit  aussi  de  Mme  de  Main- 
tenon  ;  il  parloit  tète  à  tète,  elle  en  tiers  :  il  demanda  que 
son  gendre  drapât,  comme  ayant  l'honneur  d'appartenir 
au  Roi,  et  il  ne  lui  appai-tcnoil  en  aucun  degré;  mais  il 
n'avoit  point  de  contradicteur,  et  son  gendre  drapa.  Cette 
nouveauté  réveilla  la  Vallière  et  Mme  la  princesse  de  Conti 
pour  les  Beauvau  \  dont,  avec  trop  de  raison,  ils  s'hono- 
roient  fort  de  l'alliance.  La  grand  mère^  de  Mme  de  la 
Vallière,  mère  de  Mme  la  princesse  de  Conti  et  sœur  du 

et  quitta  alors  le  service  ;  il  ne  mourut  que  le  o  juillet  1702,  âgé  de 
soixante-seize  ans.  Il  avait  eu  en  1663  le  collier  de  Saint-Michel,  et  la 
terre  du  Rivau  avait  été  érigée  en  marquisat  en  sa  faveur  par  lettres 
patentes  du  1 '»  juillet  1634.  Il  est  parlé  de  lui  dans  les  lettres  de  Mme  de 
Sévigné  et  dans  celles  de  Bussy-Rabut  in.  qui  se  moquait  de  son  nez  écrasé. 

1.  Anne-Marie  de  Campet.  demoiselle  de  Saujon.  tille  d'honneur  de 
la  duchesse  d'Orléans,  devint  lu  maîtresse  de  Gaston  vers  1649  et  exerça 
sur  lui,  pendant  les  dernières  années  de  sa  vie,  une  influence  heu- 
reuse. Nommée  dame  d'atour  de  Madame  en  1630,  elle  quitta  la  cour 
après  la  mort  du  prince  et  mourut  à  Paris  le  10  février  1694,  à  soixante- 
six  ans.  Elle  avait  beaucoup  contribué  à  la  fondation  du  séminaire  de 
Saint-Sulpice.  auquel  elle  tit  un  don  de  trente-cinq  mille  livres  en  t6o9, 
.'t  avait  établi  en  1663,  rueGarancière,  une  communauté  de  tilles  sous  le 
vocable  de  la  Sainte- Vierge  (Arch.  nat.,  reg.  Y  197,  fol.  96,  et  Y  203, 
fol.  31  v).  Elle  était  en  relations  avec  M.  Ollier  et  avec  saint  Vincent 
de  Paul. 

2.  Non  pas  de  sa  nièce,  mais  de  sa  sœur,  Diane-Marie  de  Campet, 
qui  épousa  en  1630  M.  du  Rivau  (Muse  historique  de  Loret,  tome  I.  p. 
63),  et  mourut  en  1702. 

3.  Les  généalogies  ne  mettent  pas  en  doute  la  légimité  de  la  branche 
du  Bois-Rogue. 

■4.  Ici,  Beauvau,  sans  le  signe  du  pluriel,  dans  le  manuscrit. 

3.  Françoise  de  Beauvau  du  Rivau  mariée  à  Jean  de  la  Baume-le- 
Blanc,  seigneur  de  la  Vallière,  lieutenant  de  Roi  au  gouvernement 
d'Amboise,  mort  le  27  décembre  16-47. 


IQn  MÉMOIRES  [\1H] 

père  de  la  Vallière  ',  étoit  Beauvau.  Par  un  cas  fort 
étrange',  la  sixième  aïeule  paternelle  du  Roi  étoit  Beau- 
vau', et  il  étoit  au  huitième  degré  de  tous  les  Beauvau. 
La  parenté  étoit  bien  éloignée  ;  mais  au  moins  étoit-elle, 
et  à  cela  il  n'y  avoit  point  de  parité  avec  M.  de  Châtillon, 
qui  n'en  eut  jamais  l'apparence,  et  à  qui  il  fut  permis  de 
draper.  Sur  cet  exemple,  et  cette  sixième  grand  mère, 
Mme  la  princesse  de  Conti  obtint  aussi  de  faire  draper  les 
Beauvau*,  qui,  non  plus  que  les  Châtillons,  n'y  avoient 
jamais  songé  jusqu'alors^. 

Le  Roi  avoit  déclaré  que  de  trois  mois  il  ne  quitteroit 
Marly  à  cause  du  mauvais  air  répandu  à  Versailles,  et 
qu'il  recevroit  à  Marly,  le  lundi  20  avril,  les  compliments 
muets  de  tout  le  monde,  en  manteaux  et  en  mantes,  soit 
des  gens  qui  étoient  à  Marly,  soit  de  ceux  qui  étoient  à 

Bâtards        Paris*.  M.  du  Maine  qui,  comme  on  a  vu'',  n'avoit  pas 
obtiennent 

4.  Jean-François  de  la  Baume-le-Blanc  (tome  XV,  p.  87),  père  de 
Charles-François,  duc  de  la  Vallière  en  1723  (tome  V,  p.  299). 

2.  Quoique  l'auteur  ait  mis  un  point  très  visible  après  ces  cinq  mots  : 
par  un  cas,  etc.,  nous  n'hésitons  pas  à  les  rattacher  à  la  phrase  suivante. 

3.  Isabeau  de  Beauvau,  fille  de  Louis,  seigneur  de  Champigny-sur- 
Veude  et  de  la  Roche-sur-Yon,  épousa  en  no4  Jean  II  de  Bourbon, 
comte  de  Vendôme,  trisaïeul  de  Henri  IV,  et  mourut  en  1474,  tandis 
que  sa  sœur  consanguine,  Alix  de  Beauvau,  épousait  René  de  Beau- 
vau, seigneur  du  Rivau,  cinquième  aïeul  de  Pierre-Madeleine,  mar- 
quis de  Beauvau.  Le  contrat  de  mariage  d'Isabeau  et  de  Jean  de 
Bourbon,  passé  à  Angers  le  9  novembre  1454,  a  été  imprimé  dans 
VHistoire  généalogique  de  la  maison  de  Beauvau  par  les  frères  de 
Sainte-Marthe.  C'est  par  cette  union  que  la  terre  de  la  Roche-sur- 
Yon,  qui  devait  être  érigée  en  principauté  pour  les  cadets  de  Conti, 
entra  dans  la  maison  de  Bourbon  et  passa  ensuite  aux  Condés. 

4.  Ni  Dangeau,  ni  Sourchcs  ne  parlent  de  cette  permission.  Voyez 
le  premier  récit  de  Saint-Simon  (hnsles  Écrits  inédits,  tome  III,  p.  175. 

5.  Ce  dernier  membre  de  phrase,  depuis  qui,  semble  avoir  été  ajouté 
dans  le  blanc  resté  à  la  fin  du  paragraphe. 

6.  Dangeau  écrit  seulement  le  19  avril  (p.  388):  «  Le  Roi,  les  princes 
et  les  princesses  verront  demain  tous  les  gens  de  qualité,  tant  hommes 
que  femmes,  les  hommes  en  grand  manteau  et  les  dames  en  mante  ». 

7.  TomeXIX,  p.  91. 


(1711)  DE  SAIM-^^l.MON  1-21 

perdu  (io  temps  à  mettre  à  profil,  pour  le  rang  de  prince     d'.Mrc  visité» 
(lu  sang  de  ses  enfants,  la  mort  des  seuls  princes  du  sang     p-,'!,"(.).'„"ia 

n  âge  et  en  état  de  l'empùcher,  se  trouva  bien  autrement  mort  do 
;i  son  aise  de  la  mort  de  Monseigneur.  (|ui  avoit  si  mal  reçu  M«"«t;'gncur 
ce  rang  nouveau  de  ses  enfants'  après  avoir  été  si  peu  ^^^  ^'^  ^^^J 
content  du  sien  même.  Il  avoit  plus  (\uo  raison  d'appré- 
fiender  d'en  tondxT  sous  son  lègne,  et  on  a  vu-  que  Mon- 
seigneur ne  se  contraignit  pas  là-dessus  avec  lui,  et  tjuel 
fut  son  silence  et  celui  de  Mgr  le  duc  de  Bourgogne  lorsque 
le  Roi  s'humilia,  |)()ur  ainsi  dire,  devant  eux  poui' le  leur- 
faire  agréei-,  et  «m  obtenir  quebjue  parole  si  constamment 
refusée,  en  leur  présentant  M.  fin  Maine  pour  les  toucher. 
Monseigneur  mort,  le  duc  du  Maine  n'eut  plus  affaire 
c|u"à  Mgr  le  duc  de  Bourgogne.  C'éloit  beaucoup  trop; 
mais  pourquoi  ne  pas  espérer  d'en  voii-  la  fin  comme  il 
Novoit  celle  du  père,  et,  on  attendant,  pousser  son  bidet ^? 
Il  connoissoit  la  foiblesse  et  l'incurie  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans, dont  le  fils  étoit  enfant;  il  voyoit  quel  étoit  M.  le 
duc  de  Berrv  ;  il  sentit  qu'avec  Mme  de  Maintenon  il  n'avoit 
plus  rien  à  craindre  pour  s'élever  aussi  haut  qu'il  pourroit 
dans  le  présent,  et  remit  le  futur  à  son  industrie  et  à  sa 
bonne  fortune.  Le  duc  de  Tresmes  étoit  en  année*  :  c'en 
étoit  déjà  une-',  et  il  en  sut  profiter.  Avec  beaucoup  d'hon- 
neur et  de  probité,  Tresmes  étoit  sans  le  moindre  rayon 
d'esprit  que  l'usage  de  la  cour  et  du  grand  monde,  et  de 
l'ignorance  la  plus  universelle*;  avec  cela,  plus  valet  que 
nul  valt't  d'extraction,  et  plus  avide  de  faire  sa  cour  et  de 
plaire  (jue  le  plus  plat  provincial.  Avec  ces  qualités,  ce  fui 

I.  Tome  XIX,  p.  94-96.  —  2.  Ibidem,  p.  101. 

3.  «  On  dit  .se  pousser  dans  le  monde  pour  dire,  s'y  avancer,  s'y 
mettre  en  considération;  ....  on  dit  en  ce  sens  pousser  sa  fortune, 
pousser  sa  pointe,  pousser  son  bidet;  il  est  bas»  (Académie,  1718). 
Littrt'  cite  un  exemple  de  Molière. 

A.  En  année  de  premier  gentihomme  de  la  chambre. 

.").   l'ne  bonne  fortune. 

6.  Le  duc  de  Luynes  (Mémoires,  tome  VI.  p.  "284)  parle  cependant 
:•  sa  connaissance  du  cérémonial. 


Manteaux  et 
mantes  à 


12-2  MÉMOIRES  [1714] 

l'homme  de  M.  du  Maine.  C'étolt  à  lui  à  recevoir  et  à 
donner  les  ordres  pour  ces  révérences  de  deuil.  Il  mit  au 
Roi  en  question  si  on  iroit'  les  faire  à  ses  enfants  naturels 
comme  étant  frères  et  sœurs  de  Monseigneur.  Le  Roi, 
toujoui's  éloigné  de  ces  gradations*  par  lesquelles  il  a  été 
peu  à  peu  mené  à  tout  pour  eux  contre  son  sens,  comme 
on  l'a  vu  sans  cesse,  trouva  d'abord  la  proposition  du  duc 
de  Tresmes  ridicule.  Il   ne   répondit  pourtant  pas  une 
négative  absolue;  mais  il  marqua  seulement  que  cela  ne 
lui  plaisoit  pas.  M.  du  Maine,  qui  s'y  étoit  attendu  par 
toutes  ses   expériences  pareilles,  n'avoit  lâché  le  duc  de 
Tresmes  que  le  dimanche,  pour  ne  laisser  pas  de  temps, 
mais  pour  donner  lieu  au  Roi  d'en  parler  le  soir  à  Mme  de 
Maintenon.  Nonobstant  cette  ruse,  il  n'y  fut  rien  décidé; 
mais  c'étoit  beaucoup  que  ce  ne  fût  pas  une  négative,  et 
que  Mme  de  Maintenon  en  eût  assez  fait  pour  le  laisser 
dans  la  balance^.  Il  y  étoit  encore  le  lundi  matin,  jour  de 
ces  révérences  ;  mais,  entre  le  Conseil  et  le  petit  couvert, 
M.  du  Maine,  secondé  de  son  fidèle  second,  l'emporta,  et 
le  duc  de  Tresmes,  en  ayant  pris  l'ordre  du  Roi,  le  publia 
aussitôt.  La  surprise  en  fut  si  grande,  que  presque  chacun 
se  le  fit  répéter.  Le  moment  de  la  déclaration  fut  pris 
avec  justesse.  Le  Roi  se  mettoit  à  table,  tout  le  monde  y 
étoit  déjà,  ou  s'y  alloit  mettre,  et  la  cérémonie  commen- 
çoit  à  deux  heures,  c'est-à-dire  tout  au  sortir  de  dîner  : 
ainsi,  point  de  temps  à  raisonner,  encore  moins  à  faire, 
et  on  obéit  avec  la  soumission  aveugle  et  douloureuse  à 
laquelle  on  étoit  si  fort  accoutumé.  Par  cette  adresse,  les 
bâtards  furent  pleinement  égalés  aux  fils  et  aux  filles  de 
France,    et  mis   en    plein    parallèle   avec   eux  :    pierre 
d'attente*  pour  laquelle  le  Roi  n'a  pas  tout  à  fait  assez 
vécu.  Ce  même  jour  lundi  20  avril,  le  Roi  fit  ouvrir  les 
portes  de  ses  cabinets,  devant  et  derrière,  à  deux  heures 

1.  Avant  iroit,  Saint-Simon  a  biffé  iro[it]. 

2.  Il  y  a  gradatations,  par  méî;;arcle,  dans  le  manuscrit. 

3.  Tome  XIX,  p.  194.  —  4.  Tome  XX  p.  43  et  239. 


(17411  DE   SAl.NT-SIMO.N.  Ii3 

et  demie'.  On  entroit  par  sa  chambre.    Il  rloit  en  habit         Marlv. 

i.       .  .  I  11  I    i        »     !•      Iniiécencpg  et 

ordinaire,  mais  avec  son  chapeau  sous  le  bras,  debout  et-  i,,nfu.ion 
appuvé  de  la  main  droite  sur  hi  table  de  son  cabinet  la  parfaiu-. 
plus  proche  de  la  porte  de  sa  chambre.  .Monsieur  et  Ma- 
dame la  Dauphine,  M.  et  Mme  la  duchesse  de  Berry, 
Madame,  M.  et  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  Madame  la 
Grand-Duchesse,  Madame  la  Princesse,  Madame  la  Du- 
chesse, ses  deu.K  fils  et  ses  deux  filles,  M.  du'  Maine  et  le 
comte  de  Toulouse,  se  rangèrent  en  grand  demi-cercle 
au-dessous  du  Roi  à  mesure  qu'ils  entrèrent,  tous  en 
grands*  manteaux  et  en  mantes,  hors  les  veuves,  qui  n'en 
portent  point,  et  n'ont  que  le  petit  voilée  Mme  la  prin- 
cesse de  Conti  douairière*^  étoit  malade  dans  son  lit, 
l'autre  princesse  de  Conti,  avec  ses  enfants,  restée  à  Paris 
à  cause  de  l'air  de  la  petite  vérole,  et  Mme  du  Maine, 
avec  les  siens,  à  Sceaux,  pour  la  même  raison'.  Tout 
Paris,  vêtu  d'enterrement*,  ainsi  que  tout  Marly,  remplis- 
soit  les  salons  et  la  chambre  du  Roi.  Douze  ou  quinze 
duchesses  entrèrent  à  la  file  les  premières,  puis  dames 

1.  Voyez  le  récit  de  cette  cérémonie  dans  le  Journal  de  Dangeau, 
p.  389-390  ;  les  Mémoires  de  Sourches  n'en  font  qu'une  simple  men- 
tion, p.  96.  Nous  donnerons  ci-après,  p.  il3  et  i21,  les  relations  du 
baron  de  Breteuil  et  de  Desgranges. 

2.  Les  mots  debout  et  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Avant  du,  il  a  bifîé  et  M'  la. 

4.  Grd,  en  abrégé  et  au  singulier  dans  le  manuscrit. 

5.  Il  a  déjà  été  parlé  du  voile  des  veuves  dans  nos  tomes  VII,  p.  35, 
et  VIII.  p.  362  ;  dans  le  tome  XIX,  p.  87,  notre  auteur  a  fait  la  des- 
cription de  la  coiffure  des  princesses  veuves. 

6.  Ici,  doûairiaire. 

7.  «  Mme  la  princesse  de  Conti  la  petite  étoit  demeurée  à  Paris 
avec  Monsieur  son  lils  et  Mesdemoiselles  ses  tilles,  craignant  la  petite 
vérole  ;  Madame  la  Duchesse  navoit  pas  voulu  que  Monsieur  le  Duc 
et  les  princesses  ses  sœurs  vinssent  ici  pour  la  même  raison,  et  .M.  du 
Maine  avoit  fait  demeurer  Mme  du  Maine  à  Sceaux  »  {Dangeau, 
p.  390).  Notre  auteur  s'est  trompé  lorsqu'il  a  dit.  huit  lignes  plus  haut, 
que  les  lils  et  les  tilles  de  Madame  la  Duchesse  étaient  présents. 

8.  On  trouvera  ci-apr«*s,  à  ra|)pt'Mdicf  IV,  la  description  du  costume 
de  deuil  tel  qu'il  se  portait  alur»  à  la  cour. 


124  MÉMOIRES  [1714] 

titrées  et  non  titrées,  comme  elles  se  trouvèrent,  et  les 
princesses  étrangères,  arrivées  tard  '  contre  leur  vigilance 
ordinaire,  y  furent  mêlées.  Après  les  dames,  l'archevêque 
de  Reims,  suivi  d'une  quinzaine  de  ducs,  et  ces  deux 
têtes-  en  rang  d'ancienneté,  entrèrent,  puis  tous  les 
hommes  titrés  et  non  titrés,  princes*  étrangers  et  pré- 
lats, mêlés  au  hasard.  Quatre  ou  cinq  pères  ou  fils  de  la 
maison  de  Rohan  se  mirent  ensemble  à  la  file,  en  rang 
d'aînesse,  vers  le  milieu  de  la  marche  ;  quelques  gens  de 
qualité,  qui  s'aperçurent  de  cette  affectation,  les  cou- 
pèrent, en  sorte  qu'ils  furent  tous  mêlés,  et  entrèrent 
ainsi  dans  le  cabinet.  On  alloit  droit  au  Roi  l'un  après 
l'autre,  et,  à  distance  de  lui,  on  lui  faisoit  une  profonde 
révérence,  qu'il  rendoit  fort  marquée  à  chaque  personne 
titrée,  homme  et  femme,  et  point  du  tout  aux  autres. 
Cette  révérence  unique  faite,  on  alloit  lentement  à  l'autre 
cabinet,  d'où  on  sortoit  par  le  petit  salon  de  la  chapelle. 
La  mante  et  le  grand  manteau  étoit*  une  distinction  réser- 
vée aux  gens  d'une  certaine  qualité  ;  mais  elle  avoit  dis- 
paru avec  tant  d'autres,  jusque-là  qu'il  en  passa  devant 
le  Roi  que  ni  lui  ni  pas  un  du  demi-cercle  ^  ne  connut,  et 
personne  même  de  la  cour  qui  pût*'  dire  qui  c'étoit,  et  il 
y  en"  eut  plusieurs  de  la  sorte.  Il  s'y  mêla  aussi  des  gens 
de  robe,  ce  qui  parut  tout  aussi  singulier.  Il  est  difficile 
que  la  variété  des  visages,  et  la  bigarrure  de  l'accoutre- 
ment de  bien  des  gens  peu  faits  pour  le  porter,  ne  four- 
nisse quelque  objet  ridicule  qui  démonte^  la  gravité  la 

4.  Tard  a  été  ajouté  en  interligne. 

2.  C'est-à-dire  les  duchesses,  tête  des  dames,  et  les  ducs,  tête  des 
hommes. 

3.  Avant  princes  il  a  biffé  et,  pour  le  récrire  avant  prélats, 
i.  Estait  est  bien  au  singulier  dans  le  manuscrit. 

5.  Ci-dessus,  p.  423. 

6.  Il  y  a  bien  connut  et  pust  dans  le  manuscrit. 

7.  En  a  été  ajouté  en  interligne. 

8.  «  Démonter  signifie  figurément  mettre  en  désordre,  déconcerter» 
(^Académie,  1748). 


(1711)  DE  SAINT-SI.MU.N.  \ir, 

plus  concertée'.  Cela  arriva  en  cette  occasion,  où  le  Boi- 
eut  quelquefois  peine  à  se  retenir,  et  où  même  il  suc- 
comba une  fois,  avec  toute  l'assistance,  au  passage  de  je 
ne  sais  plus  quel  pied  plat  ^  à  demi  abandonné  de  son 
équipage  ^  Quand  tout  fut  fini  chez  le  Roi,  et  cela  fut 
long,  tout  ce  qui  devoit  être  visité  se  sépara,  pour  aller 
chacun  chez  soi  recevoir  les  visites.  Les  visités  ne  furent 
autres  que  les  fils  et  filles  de  France,  et  les  bâtards  et 
bâtardes,  et  M.  le  duc  d'Orléans  comme  mari  de  Mme  la 
duchesse  d'Orléans',  et  celui-là  parut  comique.  Les  moin- 
dres d'aînesse  ou  de  rang  allèrent  "  chez  leurs  plus  grands, 
(jui  ne  leur  rendirent  point  la  visite,  excepté  Madame, 
qui.  comme  veuve  du  grand-père  de  Madame  la  Dau- 
phine,  et  grand  mère  de  Mme  la  duchesse  de  Berry,  fut 
visitée  des  fils  et  filles  de  France,  mais  non  M.  et  Mme  la 
duchesse  d'Orléans.  On  alla  donc  comme  on  put  faire 
cette  tournée  :  on  entroit  et  sortoit  pèle-mèle,  et  on  ne 
faisoit  que  passer,  entrant  par  une  porte  et  sortant  par 
une  autre  où  il  y  avoit  des  dégagements''.  C'est  ce  qui  se  Burlesque  ruse 
rencontra  chez  Madame  la  Duchesse,  et,  à  la  faveur  de  '^^  Madame 
cette  commodité,  une  subtilité  de  Madame  la  Princesse, 
fort  prompte  à  saisii-  ses  avantages  tout  dévotement.  Sor- 
tant de  chez  Madame  la  Duchesse  par  le  dégagement  de 
son  cabinet,  on  y  trouva  Madame  la  Princesse  ''  qui  se 

1.  Pour  les  gens  de  basse  classe,  les  fripiers,  concurremment  avec 
les  jurés-crieurs  de  corps  et  de  vin  (tome  XV'I,  p.  80)  tenaient  location 
d'habits,  manteaux,  robes  et  ajustements  pour  suivre  les  convois  et 
enterrements.  Le  droit  leur  i-n  lut  reconnu  en  juin  1744. 

2.  Après  Roj,  il  a  bille  lucsme.  —  3.  Tome  VIII,  p.  77. 

4.  C'est-à-dire,  qui  perdait  en  route  une  partie  de  son  costume. 
Torcy  {Journal,  p.  427)  parle  de  la  «  bizarrerie  de  certaines  tigures.  » 

5.  Les  deux  autres  bâtardes,  la  princesse  de  Conti  douairière  et 
Madame  la  Duchesse,  étaient  veuves. 

6.  Alloieiit  corrigé  en  allèrent. 

7.  Voyez  aux  Additions  et  corrections  l'explication  de  ce  mot. 

8.  Dangeau  (p.  AJO)  dit  an  contraire  qu'elle  étoit  dans  la  chambre 
précédant  celle  où  se  tenait  .Madame  la  Duchesse. 


1-26  MÉMOIRES  [i"ii] 

présentoit  à  la  compagnie  pour  recevoir  les  révérences, 
qui  ne  lui  étoient  ni  dues  ni  ordonnées.  On  en  fut  si  sur- 
pris, que  beaucoup  de  gens  passèrent  sans  la  voir,  beau- 
coup plus  sans  faire  semblant  de  s'apercevoir  d'elle.  Les 
deux  petits  princes  du  sang^  ne  s'y  présentèrent  point. 
Le  duc  du  Maine  et  le  comte  de  Toulouse  reçurent  les 
visites  ensemble  dans  la  chambre  de  M.  du  Maine,  où  on 
entroit  de  plein  pied  et  directement  du  jardin.  Ils  avoient 
leur  compte',  et  voulurent  faire  les  modestes  et  les  atten- 
tifs pour  ne  pas  donner  la  peine  d'aller  séparément  chez 
tous  les  deux.  M.  du  Maine  se  dépeça  ^  en  excuses  embar- 
rassées* de  la  peine  qu'on  prenoit,  et  se  tuoit^  à  conduire 
les  gens  titrés,  et  à  en  manquer  tout  le  moins  qu'il  pou- 
voit.  M.  le  comte  de  Toulouse  conduisoit  aussi  avec  soin, 
mais  sans  affectation.  J'oubliois  Mme  de  Vendôme,  qui 
parut  aussi  chez  le  Roi  en  rang  d'oignon  ®,  mais  qui  ne  fut 
point  visitée,  parce  que  la  bâtardise  de  son  mari  venoit 
de  plus  loin.  Elle  ne  s'embusqua  point  avec  Madame  sa 
mère  pour  enlever  les  révérences  aux  passants''.  Ni  le 
Roi,   ni  princes,   ni  princesses  visités   ne    s'assirent,   ni 

1.  Les  deux  fils  du  duc  de  Bourgogne. 

2.  a  On  dit  Hgurément  qu'îm  homme  a  son  compte  pour  dire  qu'il 
a  ce  qu'il  désire  »  {Académie,  1718). 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  dépecer 
qu'au  propre,  au  sens  de  mettre  en  pièces,  en  morceaux.  Littré  cite 
le  présent  exemple. 

4.  Embarrassés  corrigé  au  féminin. 

5.  «  On  dit  par  exagération  se  tuer,  pour  dire  se  donner  beaucoup 
de  peine  »  (Académie,  1718). 

6.  «  On  dit  se  mettre  en  rang  d'oignon,  pour  dire  se  placer  parmi 
les  autres,  et  cela  se  dit  dans  le  discours  familier  ou  d'une  personne 
de  peu  qui  prend  place  parmi  des  personnes  de  grande  qualité,  de 
grande  considération,  ou  d'un  enfant  qui  s'assied  parmi  des  gens  bien 
plus  âgés  que  lui  «  (Académie,  1718).  C'est  une  allusion  aux  files  ou 
chapelets  d'oignon,  montés  par  les  jardiniers  sur  une  tige  commune, 
comme  il  est  expliqué  dans  le  Littré,  n»*  1  et  5. 

7.  Dangeau  (p.  390)  dit  au  contraire  qu'elle  était  avec  Madame  la 
Princesse. 


1 17411  DE  SAINT-SIMON.  127 

n'eurent  de  siège  derrière  eux.  8i  on  se  fut  assis  chez 
ceux  où  on  le  doit  être,  cela  n'eut  point  fini  de  la  jour- 
née chez  chacun,  et  des  sièges  sans  s'asseoir  auroient  cul- 
buté' le  monde  dans  l'excès  de  la  foule  et  des  petits 
lieux. 

Le  lendemain  mardi  21  avril*,  Monsieur  et  Madame  la    Monseigneui 
Dauphine,  M.  et  Mme  la  duchesse  de  Berrv,  Madame,   ,f  Madame  la 

i,r\   I  '  11'  1'"       >       1       '         Dauphine, etc.. 

M.  et  Mme  la  duchesse  d  Orléans  allèrent  1  apres-dînee,  en  manies  et 
en  même  carrosse,  à  Saint-Germain,  tous  en  mante  et  en  enmanieaux. à 
grand  manteau  ;  ils  allèrent  droit  chez  le  roi  d'Angleterre, 
où  ils  ne  s'assirent  point,  ensuite  chez  la  reine,  où  ils 
s'assirent  dans  six  fauteuils,  M.  et  Mme  la  duchesse  d'Or- 
léans et  M.  du  Maine  sur  un  ployant^  chacun.  Il  étoit  allé 
les  y  attendre  pour  jouir  de  cet  honneur  et  s'y  égaler  à 
un  petit-IUs  de  France.  La  reine  fit  des*  excuses  de  n'être  [Add.  S'-S.  998 
pas  en  mante  pour  les  recevoir,  c'est-à-dire  en  petit  voile, 
parce  que,  au  moins  en  France,  les  veuves^  ne  portent  de 
mante  en  nulle  occasion^;  elle  ajouta  que  le  Roi  le  lui 
avoit  défendu.  Cette  excuse  fut  le  comble  de  la  politesse". 
Le  Roi,  très  attentif  à  ne  faire  sentira  la  reine  d'Angle- 
terre rien  de  sa  triste  situation,  n'avoit  garde  de  soultrir 
qu'elle  prît  une  mante,  ni  le  roi  d'Angleterre  un  grand 
manteau,  pour  recevoir  le  grand  deuil  de  cérémonie  d'un 
Dauphin,  et  qui  n'étoit  pas  roi.  En  se  levant,  ils  voulurent 
aller  chez  la  princesse  d'Angleterre  ;  mais  la  reine  les 
arrêta,  et  l'envoya  chercher  :  elle  se  contenta  que  la  visite 

1.  Au  sens  de  faire  tomber.  Nous  avons  rencontré  cet  emploi 
dans  1p  tome  XVII,  p.  21"2. 

2.  Tout  ce  qui  va  suivre  est  presque  textuellement  pris  à  Dangeau 
(p.  391-392).  Les  Mémoires  de  Sourclies  placent  cette  visite  au  lende- 
main 22  (p.  97-98). 

3.  Ployant  surcharge  autre.  —  4.  Dis  corrige  d'. 

o.  Contrairement  à  sou  habitude,  Sainl-Simon  a  écrit  ici  :  veuves, 
et  non  vefves. 

6.  Voyez  ci-dessus,  p.  123. 

7.  Comparez  l'Addition  indiquée  ci-contre.  Desgranges,  dans  ses 
registres,  a  narré  tout  le  cérémonial  de  cette  visite. 


I"28 


MEMOIRES 


[17411 


Ministres 

clranirers  à 

Versailles,  où 

les 

Compagnies 

haranguent. 

Monseigneur 

le  Dauphin 

traité  par  le 

Parlement  de 

Monseigneur 

par  ordre  du 

Roi. 

\Add.  S'-S.  909] 


tùt  marquée.  On  ne  se  rassit  point  :  la  princesse,  qui,  à 
cause  de  la  reine,  étoit  sans  mante,  ne  pouvoit  avoir  de 
fauteuil  devant  elle,  ni  les  fils  et  filles  de  France  sans  fau- 
teuil' devant  la  reine  dans  le  sien,  ni  garder  le  leur  en 
présence  de  la  princesse  d'Angleterre  sur  un  ployant.  La 
visite  finit  de  la  sorte.  De  toute  la  cour  de  Saint-Germain, 
aucune  dame  ne  parut  en  mante,  ni  aucun  homme  en 
manteau  long,  que  le  seul  duc  de  Berwick,  à  cause  de 
ses  dignités  françoises^. 

Le'  lundi  suivant,  29  avril*,  le  Roi  s'en  alla  sur  les 
onze  heures  du  matin  à  Versailles,  où  il  reçut  les  compli- 
ments^ de  tous  les  ministres  étrangers  %  après''  eux  de 
beaucoup  d'ordres  religieux,  et,  après  son  dîner  au  petit 
couvert,  les  harangues  du  Parlement,  de  la  Chambre  des 
comptes,  de  la  Cour  des  aides,  de  celle  des  monnoies*,  et 
de  la  ville  de  Paris.  La  compétence®  du  Grand  Conseil  et 
du  Parlement  mit  une  heure  d'intervalle,  après  laquelle 
il  vint  aussi  faire  sa  harangue,  suivi  de  l'Université  et  de 


1.  Etre  sans  fauteuil.  —  2.  Dangeau,  p.  392. 

3.  Ici,  la  plume  change.  —  4.  Non  pas  29,  mais  27. 

5.  Dangeau,  p.  396-397  ;  Sourches,  p.  401-102  ;  registres  de  Des- 
granges, ms.  Mazarine  2746,  p.  27-75.  Les  lettres  et  circulaires  adres- 
sées aux  cours  et  aux  corps  constitués  sont  dans  le  registre  0'  55,  fol. 
34-35.  Le  Dauphin  etlaDauphine  se  tinrent  debout  pour  le  Parlement, 
la  Chambre  des  comptes  et  la  Gourdes  aides,  jusqu'à  ce  que  le  premier 
président  de  chacune  de  ces  cours  prît  la  parole  ;  mais  ils  restèrent  assis 
pour  les  autres  compagnies. 

6.  Comme  il  n'y  avait  pas  d'ambassadeurs,  ce  fut  Cronstrom,  en- 
voyé de  Suède,  qui  suivit  immédiatement  le  nonce  (Sourches,  p.  404). 

7.  Avant  après,  il  a  biffé  un  et. 

8.  Les  quatre  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne.  C'est  à 
propos  de  la  harangue  de  l'avocat  du  Roi  près  cette  cour  et  d'une  ré- 
plique faite  par  lui   à  Desgranges  et  notée  par  Dangeau,   que   Saint- 

\Add.  S'-S.  1000]  Simon  a  écrit  l'Addition  indiquée  ci-contre.  La  relation  de  la  présen- 
tation des  compliments  du  Parlement  nous  a  été  conservée  dans  les 
manuscrits  de  l'avocat  général  Joly  de  Fleury,  volume  2476,  fol.  9-20. 

9.  Au  sens  de  compétition,  comme  nous  l'avons  déjà  rencontré  plu- 
sieurs fois  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4748  donnait  aussi  le 
sens  de  concurrence  ou  de  prétention  d'égalité. 


[17411  DE  SAI.\T-S1M(».\.  |-i!t 

l'Acadt'iiin'  fi'ançoisc,  pour  la(|iirllc  Saint- Kulaiic  '  porta 
fort  hieii  la  parole-.  Le  l'arlt'iiit'ut  alla  aussi  haraiij^'uci" 
Monsoi^'ui'ur  li"  Dauphin  ;  le  prcinici-  président  ne  voulut 
pas  lui  laissiT  ignorer  (|ue  c'étoil  par  ordre  du  ï\oi  qu'il 
le  hai'anguoit  et  qu'il  le  traitoit  tie  Monseigneur  \  Cette 
insolente  haj^'atelN'  rnériteroit  des  réllexions.  Tout  ce  qui 
avoit  coinpIiintMité  ou  harangué  le  Hoi  rendit  aussi  les  mê- 
mes devoirs  à  Monseigneur  et  à  Madame  la  Dauphine.  Le 
Roi  revint  sui"  le  soir  à  Marly*. 

Je  perdis  en   même    temps  une  amie  (|Ui>  je   regrettai         Mort  et 
fort  :  ce  fut  la  duchesse  de  Viileroy,  dont  j'ai  parlé  plus  cayact.re  de  la 
d'une  fois.  C'étoif^  une*  personne  droite,  naturelle,  fran-        ^'il|p^ov. 

\Add.  S'-S.  iuUi\ 

\.  Fran(;ois-Joso|)h  Beaiipoii.inarnuis  de  Saint-Aiilairc,  avait  ou  après 
son  pore  la  lieulenanci'  {générale  du  goiivcrni'inont  do  Limousin  ;  il  entra 
à  l'Acadômie  rrani;aiso  en  juillet  17Uti.  comme  successeur  de  l'abbé  Testu, 
ma!f;ré  l'opposition  de  Boilcau,  et  ne  mourut  que  le  17  décembre  4743, 
|u-esque  centenaire.  C'était  un  des  familiers  de  Sceaux,  où  l'on  goûtait 
beaucoup  les  petites  pièces  de  vers  dans  le  genre  d'Anacréon  qu'il  com- 
posait avec  une  extrême  facilité  et  qui  forment  tout  son  bagage  littéraire, 
avec  son  discours  de  réception  et  une  épitre  en  vers  à  l'Académie.  On 
disait  qu'il  avait  épousé  secrètement  en  1704  la  marquise  de  Lambert. 
Saint-Simon  écrit  S.  Aulairc. 

'2.  «  Il  parla  en  peu  de  mois,  mais  parfaitement  bien  ».  (Sourches, 
p.  402).  Son  discours  n'a  pas  été  conservé  dans  les  archives  de  l'Aca- 
démie. 

3.  o  On  remarqua  que  le  premier  président  du  Parlement,  ayant 
traité  M.  le  Dauphin  de  Monseigneur  suivant  l'ordre  précis  qu'il  en 
avoit  reçu  du  Hoi.  avoit  glissé  adroitement  que,  dans  la  tristesse 
d'une  si  fatale  conjoncture,  le  Parlement  ne  laissoil  pas  de  sentir  de 
la  joie  en  voyant  que  la  tendresse  que  le  Roi  avoit  pour  lui  l'obligeoit 
à  lui  accorder  des  prérogatives  qu'il  n'avoit  jamais  accordées  qu'à 
Monseigneur  »  {Sourches,  p.  404).  Le  texte  de  ce  discours  et  le  récit  de 
la  visite  se  trouvent  aux  Archives  nationales,  dans  le  registre  coté  U  352. 

4.  Le  Dauphin  et  la  Dauphine  revinrent  une  heure  après  lui,  «  fort 
!as  de  tant  de  harangues,  quoiqu'ils  les  eussent  trouvées  fort  belles,  » 
dit  Dangeau. 

M.  En  dernier  iii-u.  dans  le  tome  XVIII,  [>.  372  et  suivantes,  à  pro- 
pos de  la  ru[iture  du  duc  d'Orléans  avec  Mme  d'Argenton.  et  dans  le 
tome  XIX,  p.  200  et  203-20-4. 

H.  Il  faut  rapprocher  de  ce  portrait  ce  qu'il  a   déjà  dit  de  Mme  de 

MÉUOIRES    DE    SillNT-SlMO.N.    XXI  U 


130  MÉMOIRES  [174i] 

che,  sûre,  secrète,  qui,  sans  esprit,  étoit  parvenue  à  faire 
une  figure  à  la  cour,  et  à  maîtriser  mari  et  beau-père. 
Elle  étoit  haute  en  tous  points,  surtout'  pour  la  dignité, 
en  même  temps  qu'elle  se  faisoit  une  justice  si  exacte  et 
si  publique  sur  sa  naissance  -,  même  sur  celle  de  son 
mari^  qu'elle  en  embarrassoit  souvent*.  Elle  étoit  fort 
inégale,  sans  que,  pour  ce  qui  me  regarde,  je  m'en  sois 
jamais  aperçu.  Elle  avoit  de  l'humeur  %  son  commerce 
étoit  rude  et  dur  :  elle  tenoit  fort,  là-dessus,  de  sa  famille. 
Elle  étoit  depuis  longtemps  dans  la  plus  grande^  intimité 
de  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  et  dans  une  grande  confi- 
dence de  Madame  la  Dauphine,  qui  toutes  deux  l'ai- 
moient",  et  la  craignoient  aussi.  Elle  avoit  des  amis  et  des 
amies  ;  elle  en  méritoit.  Elle  étoit  bonne,  vive  et  sûre 
amie,  et  les  glaces  ne  lui  coûtoient  rien  à  rompre.  Elle 
devenoit  personnage,  et  on  commençoit  à  compter  avec 
elle.  Son  visage  très  singulier  étoit  vilain  d'en  bas,  sur- 
tout pour  le  rire,  étoit^  charmant  de  tout  le  haut.  Sérieuse 
et  parée,  grande  comme  elle  étoit,  quoique  avec  les  han- 
ches et  les  épaules  trop  hautes,  personne  n'avoit  si  grand 
air,  et  ne  paroit  tant  les  fêtes  et  les  bals,  où  il  n'étoit 

Villeroy  dans  le  tome  XVIII,  p.  8,  et  ce  qu'il  en  dira  encore  dans  la 
suite  des  Mémoires,  éd.  1873,  tome  XI,  p.  489. 

1.  Le  manuscrit  porte  sur  p^  tout. 

2.  Elle  était  le  Tellier,  tille  de  Louvois,  et  nous  avons  vu  que  cette 
famille-là  ne  se  faisait  pas  illusion  sur  ce  point  (tome  XIX,  p.  44). 

3.  Voyez  l'appendice  XXIII  de  notre  tome  VI,  p.  596,  sur  l'origine 
desNeufville. 

4.  Comparez  les  Mémoires  de  l'abbé  de  Choisy,  tome  I,  p.  88,  et 
notre  tome  X,  p.  o94. 

5.  Les  cinq  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne.  —  Son 
manque  de  patience  occasionna  un  jour,  à  la  table  du  Roi,  entre  elle 
et  l'ivrogne  Bapaume,  une  scène  réaliste  que  notre  auteur  a  racontée 
dans  la  notice  du  duché  de  Thouars  :  Écrits  inédits,  tome  VIII,  p. 
-213. 

6.  Le  manuscrit  porte  :  la  plus  grd  intimité. 

7.  Déjà  dit  dans  les  tomes  XVIII,  p.  320,  et  XIX,  p.  200  et  238. 

8.  Il  y  a  bien  cette  répétition  d^estoit  dans  le  manuscrit. 


[mil  DE  SAINT-SIMON.  131 

aucune  brauté.  cf  bien  plus  {|u'flle,  qu't'llc  îieffaçàt'. 
(Quelques  mois  avant  sa  mort,  et  toujours  clans  une  santé 
parfaite,  elle  disoit  à  Mme  de  Saint-Simon  qu'elle  étoit 
trop  heureuse,  que,  de  quelque  côté  qu'elle  se  tournât, 
son  bonheur  étoit  parfait,  que  cela  lui  faisoit  une  peur 
extrême,  et  que  sûrement  un  état  si  fort  à  souhait  ne  pou- 
voit  durer  ;  qu'il  lui  arriveroit  quelque  catastrophe  impos- 
sible à  prévoir,  ou  qu'elle  mourroit  bientôt.  Le  dernier 
arriva.  Son  mari  servoit  de  capitaine  des  gardes  pour  le 
maréchal  de  Boufîlers,  demeuré  à  Paris  pour  la  mort  de 
son  fils-.  Klle  craignoit  extrêmement  la  petite  vérole, 
qu'elle  n'avoit  point  eue.  Malgré  cela,  elle  voulut  que 
Madame  la  Dauphine  la  menât  à  Marly  dans  ces  premiers 
jours  de  la  solitude  du  Roi,  sous  prétexte  d'aller  voir  son 
mari.  Kien  de  tout  ce  qu'on  put  lui  dire  ne  put  l'en  dé- 
tourner, tant  les  petites  distinctions  de  cour  tournent  les 
têtes.  Elle  v  eut  une  fraveur  mortelle  \  tomba  inconti- 
nent après  malade  de  la  petite  vérole,  et  en   mourut  à 

1.  Au  lomo  VII,  p.  56,  Saint-Simon  avait  dit  qu'elle  «  défaisoit 
toutes  les  autres  femmes  et  même  plus  belles  qu'elle  ».  On  ne  connait 
aucun  portrait  d'elle. 

•2.  Tome  XX,  p.  3'21.  Le  maréchal  était  encore  en  quarantaine  à 
cause  du  pourpre  dont  était  mort  son  tils;  desaulrescapitainesdes  gar- 
des. Harcourt,  malade,  allait  se  rendre  i  Bourbonne,  et  Villars  devait 
partir  pour  l'armée  de  Flandre  le  l"^"^  mai  (Lettre  inédite  de  la  marquise 
d'Huxelles.  du  '20  avril).  Le  major  des  gardes  du  corps  tit  les  fonctions 
de  capitaine  pendant  une  journée,  jusqu'à  ce  que  M.  d'Harcourt  fût 
venu  remplacer  son  collègue  (Sourchcs,  p.  97). 

3.  Les  journaux  de  la  cour  ne  parlent  pas  de  cette  circonstance, 
dont  Saint-Simon  n'avait  rien  dit  dans  l'Addition  indiquée  ci-dessus  ; 
les  Moiiuires  de  Sourchcs  disent  seulement,  le  '20  avril  (p.  95):  «  On 
apprit  que  la  duchesse  de  Villeroy  avoit  à  Versailles  la  petite  vérole, 
qu'elle  avoit  gagnée  pour  avoir  parlé  à  son  mari.  »  Mais  le  baron  de 
Breteuil  (ms.  Arsenal  .SJSG'»,  p.  io)  est  plus  explicite  :  «  La  duchesse 
de  Villeroy,  ayant  été  le  mercredi  à  Marly  et  parlé  au  duc  de  Villeroy 
son  mari,  capitaine  des  gardes  du  corps  en  quartier,  qui  n'avoit  pas 
changé  d'habit  depuis  être  revenu  de  Meudon,  fut  saisie  de  peur,  tomba 
malade  dés  le  soir,  et  mourut  de  la  petite  vérole  le  quatrième  jour  de 
sa  maladie.  » 


I:î-2  MEMOIRES  1 171-1] 

Versailles'.  L'abbé  de  Louvois-  et  le  duc  de  Villeroy 
s'enfermèrent  avec  elle.  Le  premier  en  fut  inconsolable  ; 
l'autre  ne  le  fut  pas  longtemps,  et  bientôt  jouit  du  plaisir 
de  se  croire  hors  de  page\  Il  n'étoit  pas  né  pour  y  être; 
son  père,  trop  tôt  après,  le  remit  sous  son  *  joug  ■'. 
Mort  de  L'Empereur  mourut  en  même  temps  à  Vienne,  de  la 

cmpcr.'ur      nième  maladie,  et  laissa  peu  de  regrets".  G'étoit  un  prince 

.lospph.  l'nnce  '  r  o  r 

1.  Elle  mourut  dans  la  nuit  du  22  au  23  avril,  à  l'hôtel  de  Villeroy, 
où  elle  s'était  fait  transporter  dès  les  premiers  symptômes  de  maladie  ; 
elle  n'avait  que  trente-deux  ans  (Dangcau,  p.  388  et  393  ;  Sourches, 
p.  96-98  ;  Gazette,  p.  210  ;  lettre  de  Mme  de  Maintenon  à  la  princesse 
des  Ursins,  dans  le  recueil  Bossange,  tome  II,  p.  174  ;  Lettres  histori- 
ques et  galantes  de  Mme  Dunoyer,  tome  IV,  p.  49).  Elle  fut  inhumée 
le  24  au  Calvaire  du  Marais. 

2.  Son  frère:  tome  XIX,  p.  47. 

3.  «  On  dit  hors  de  page,  pour  dire  hors  de  la  puissance,  hors  de 
la  dépendance  d'autrui  »  (Académie,  1718). 

4.  Avant  son,  il  a  biffé  sous  j. 

5.  Voici  la  lettre  de  condoléances  que  Mme  de  Maintenon  écrivit  au 
maréchal  de  Villeroy  à  l'occasion  de  la  mort  de  sa  belle-tille  et  qui  a 
passé  en  vente  publique  le  iJO  mai  1878:  «  A  Marly,  ce  23  avril  1711. 
J'ai  trop  bien  connu  l'amitié,  l'estime  et  la  considération  que  vous 
aviez  pour  Mme  la  duchesse  de  Villeroy,  pour  ne  pas  comprendre, 
Monsieur,  quelle  est  votre  douleur.  Je  vous  assure,  Monsieur,  que  cette 
perte  est  sentie  à  la  cour,  dans  un  temps  où  il  semble  qu'on  ne  pou- 
voit  compter  celle  des  particuliers.  Madame  la  Dauphine  a  bien  versé 
des  larmes,  et  tout  le  monde  regrette  une  personne  qui,  par  toute 
sorte  d'endroits,  remplissoit  si  bien  sa  place.  M.  le  duc  de  Villeroy  est 
fort  aimé,  et  son  malheur  est  si  grand,  qu'il  est  impossible  de  n'en 
être  pas  touché.  J'espère  que  ni  vous,  ni  lui,  ni  M.  de  Louvois,  ne 
douterez  que  je  ne  sois  plus  sensible  qu'une  autre,  puisque  je  suis 
plus  que  personne  votre  très  humble  et  très  obéissante  servante.  Main- 
tenon. » 

6.  Il  mourut  le  17  avril,  après  neuf  jours  de  maladie,  n'ayant  pas 
encore  trente-trois  ans  {Gazette,  p.  231-232  et  243-244  ;  Gazette 
d'Amsterdam,  n°~  xxxiii,  xxxiv  et  Extraordinaire,  et  xxxv  ;  Journal 
de  Verdun,  tome  XIV,  p.  428-430  ;  Lettres  historiques,  tome 
XXXIX,  p.  520  et  suivantes  ;  Gazette  de  Leyde,  n"*  33  et  suivants  ; 
Journal  de  Dangeau,  p.  393,  398  et  399  ;  Mémoires  de  Sourches, 
p.  98,  100  et  102  ;  Mercure  de  mai,  2*  partie,  p.  1-31  ;  Lettres  de 
Mme  Dunoyer,  tome  IV,  p.  11-12;  Lettres  de  Mme  de   Maintenon, 


(I7M|  DE   SAINT-SIMON  133 

emporft'',  violent,  rl't'sprit  et  de  laliMiN  an-dcssoii^  du  mé-     Eugi'no  mal 

d,  •      •       •  L  t      t  I'  '  1  ri         '  avec  «on 

locre',   qui  vivoit  avec  fort  peu  d  «'gnrds  pour  1  Inipera-      gucccsbcur 

trice  sa  mère',  qu'il  fit  pourtant  régente',  peu  de  ten-  [AddiP-s.  lOOi] 
dresse  pour  l'Inipéralrice  sa  femme*,  et  peu  d'amitié  et  de 
considération  pour  1  Archiduc  son  frère.  Sa  cour  étoit 
orageuse,  et  les  plus  grands  y  étoient  mal  assurés  de  leur 
état.  Le  prince  Eugène  fut  peut-être  le  seul  qui  y  perdit  : 
il  avoit  toute  sa  confiance  %  et  il  étoit  fort  mal  avec  l'Archi- 
duc, qui  se  prenoit  à  lui  du  peu  de  secours  qu'il  recevoit 
de  Vienne,  et  qui  ne  lui  pardonnoit  pas  d'avoir  refusé 
d'aller  en  Espagne**.  Ce  mécontentement  ne  fut  que  replâ- 
tré" par  le  besoin  et  les  conjonctures;  mais  jamais  le 
prince  Eugène  ne  se  remit  bien  avec  lui  :  il  n'y  eut  que 
du  dehoi's,  sans  amitié  et  sans  confiance,  et,  quant  à  la 

recueil  Bossange,  lome  II,  p.  174,  176  et  IS'î,  et  édition  1806,  tome 
IV,  p.  23'2--233  ;  Mémoires  de  Villars.  lome  III.  p.  104).  Le  duc  de 
Bourfrofjne  écrivit  à  son  frère  le  roi  d'Espagne  une  lettre  qu'a  publiée 
l'abbé  Baudrillart  (3/As\sîO«  e?i  Espagne,  p.  77-78),  et  Philippe  V  crut 
devoir  adresser  à  l'Archiduc  une  lettre  de  condoléances,  (\m  lut  ren- 
voyée sans  avoir  été  ouverte  {Mémoires  de  Noailles,  p.  '240-'2tl).  Il  y  a 
des  détails  sur  sa  mort  dans  le  volume  Guerre  "i'iiOO,  n"  386. 

1.  C'est  ce  qui  a  déjà  été  dit  dans  le  tome  XV,  p.  49'2.  On  préten- 
dait en  outre  qu'il  était  inhabile  à  procréer,  et  le  frère  Jacques  (notre 
tome  X,  p.  322)  fut  appelé  pour  lui  donner  des  soins  à  ce  sujet. 

2.  Éléonore-Madeleine-Thérèse  de  Baviére-Neubourg,  troisième 
femme  de  l'empereur  Léopold. 

3.  Pour  les  Etals  héréditaires  seulement  (Gazette,  p.  244). 

4.  Wilhelniine-Amélie  de  Brunswick-IIanovre. 

o.  Avant  1704,  l'empereur  Joseph  lui  avait  fait  don  de  l'île  Sainte- 
Marguerite,  près  Vienne  (Gazette,  p.  2o6). 

().  On  a  vu,  dans  le  tome  XV,  p.  436,  qu'Eugène  avait  en  etl'el  re- 
fusé d'aller  en  Espagne,  trouvant  l'armée  impériale  dans  ce  pays  trop 
peu  importante,  et  qu'il  y  avait  été  remplacé  par  Stahrenberg,  qui  sut 
profiter  aux  dé|i('ns  d'Eugène  du  nu'conicntement  de  l'Archiduc. 
Saint-Simon  revieiulra  sur  c«'  sujet  dans  le  prochain  volume. 

7.  Ce  mot,  qui  n'entra  dans  le  Dictionnaire  de  l'Académie  qu'en 
1762,  signifie  «  raccommoder  d'une  manière  précaire  »,  plutôt  que 
«  chercher  à  couvrir  quelque  faute,  quelque  sottise  »,  seule  déiinition 
que  donnât  le  Dictionnaire  de  Trévoux  pour  le  sens  ligure.  Il  a  déjà 
passé,  mais  sans  note,  ilans  notre  tome  II,  |i.   183. 


134  MÉMOIRES  [1741] 

considération  et  au  crédit,  ce  qui  seulement  ne  s'en  pou- 
volt  refuser,  quoi  que  le  prince  Eugène  pût  faire  sans  se 
lasser  de  ramer  '  inutilement  là-dessus  jusqu'à  la  mort. 
Celle  de  l'Empereur  fut  un  grand  coup,  et  de  ces  fortunes 
inespérables,  pour  conduire  à  la  paix  et  conserver  la  mo- 
narchie d'Espagne-.  Je  ne  m'arrêterai  pas  à  ces  grandes 
suites  parce  qu'elles  font  partie  de  ce  qui  se  passa  en 
Angleterre  pour  préparer  au  traité  de  paix  signé  à  Utrecht, 
et  ensuite  avec  l'Empereur  nouveau,  et  que  ces  choses  se 
trouveront  mieux  dans  les  Pièces^  que  je  ne  pourrois  les 
raconter,  comme  y  étant  de  main  de  maître  ;  je  dirai  seule- 
ment ici  que  Torcy  alla  incontinent  après  trouver  l'électeur 
de  Bavière  à  Compiègne,  où  il  demeura  un  jour  avec  lui  ''. 
Mort  de  Voysin  perdit  Mme  de  Vaubourg  sa  sœur^  femme  de 

M  mes  de 

1.  Ci-dessus,  p.  77. 

2.  L'abbé  de  Pomponne  écrivit  en  juillet  suivant  un  mémoire  inti- 
tulé «  Essais  politiques  sur  les  mesures  que  la  France  peut  prendre 
dans  le  grand  événement  de  la  mort  de  l'Empereur  »  (Affaires  étran- 
gères, vol.  France  309,  fol.  33-57).  Il  y  a  d'autres  mémoires  sur  le 
même  sujet,  datés  d'avril  et  mai,  par  M.  de  Bonnac,  par  Chamoy  père, 
par  Gravelle,  par  Frischmann,  et  par  d'autres  diplomates,  dans  les  vo- 
lumes Autriche  89,  fol.  71,  80,  116,  125,  133,  158  et  194,  et  90,  fol 
311-326.  On  trouvera  ci-après,  à  l'appendice  V,  un  Mémoire  que  le 
duc  du  Maine  présenta  au  Roi  en  mai  1741.  —  Les  pièces  relatives  à 
l'élection  du  successeur  ont  été  insérées  dans  le  recueil  de  Lamberty 
(tome  VI,  p.  623-668).  A  l'occasion  de  cette  mort,  le  cardinal  de 
Noailles  publia  un  mandement  que  la  cour  de  Vienne  jugea  offensant 
(Lettres  historiques,  tome  XXXIX,  p.  676-680). 

3.  En  marge  du  manuscrit  :  «  Voir  les  Pièces  ». 

4.  Journal  de  Dangeau,  p.  397  ;  Mémoires  de  Sourches,  p.  102  ; 
Journal  du  marquis  de  Torcy,  p.  428-429.  L'objet  du  voyage  était  de 
conférer  avec  l'Electeur  sur  les  modifications  que  la  mort  de  l'Empe- 
reur allait  amener  dans  la  politique  européenne.  Depuis  l'année  pré- 
cédente, M.  de  Bavière,  très  inquiet  de  la  tournure  que  prenaient  les 
événements,  ne  cessait  de  tourmenter  les  cours  de  Versailles  et  de 
Madrid,  soit  pour  qu'on  ne  traitât  pas  sans  son  intervention,  soit  pour 
obtenir  de  négocier  séparément  avec  les  alliés  {Journal  de  Torcy, 
p.  89,  99-103, 105-115,  133-134,  141-147,  201-202,  236-240,  etc.;  vol. 
Espagne  203,  passim  ;  vol.  Bavière  Supplément  2). 

5.  Marie-Madeleine  Voysin  :  tome  XVII,  p.  452.  Elle  mourut  le 


117111  DE  SAINT-SIMON.  IS'l 

mérite   dont  le  mari,  conseiller  d'État,  capable  et  d'une    Vaubourg  et 
grande  vertu,  étoit  frère  de  Desmaretz'.  Ce  lien  les  entre-  ^^^°  ' 

tenoit  ersemble,  et  sa  rupture  eut  des  suites  entre  eux. 
Peletierce  Souzy  perdit  aussi  MmeTurgot,  sa  fdle-,  qu'il 
aimoit  av?c  passion*,  et  avec  grand  raison.  Son  gendre^ 
étoit  un  bitor"^  qu'il  ne  put  jamais  soutenir  dans  les  inten- 
dances, ni  faire  conseiller  d'État*^.  Le  fils  de  celui-là'' l'est 
devenu  avec  beaucoup  de  réputation*,  après  s'en  être 
acquis  une  grande  d'intégrité  et  de  capacité  dans  la  place 
de  prévôt  des  marchands,  et  dans  des  temps  fort  diffi- 
ciles ^  Le  vieux  Caravas '^  mourut  aussi,  qui  alloit  mentir  Mori 

de  Caravas*. 
[Add.  S'-S  1003] 
y  mai,  à  l'âge  de  quarante-six  ans  (Dangeau,  p.  404  ;  Gazette,  p.  '"2o"2  ; 
Mercure  de  mai,  '2'"  partie,  p.  78-80). 

1.  Il  a  été  parlt  de  M.  de  Vaubourg  en  dernier  lieu  dans  le  tome 
XX,  p.  16U66. 

"1.  Marie-Claude  le  Pelelier  de  Souzy  avait  épousé  en  4688  Jacques- 
Etienne  Turgot  deSousmont  ;  elle  mourut  le  4  mai,  après  une  longue 
maladie  et  des  suitts  de  la  grande  opération  (Dangeau,  p.  402;  Sour- 
ches,  p.  104  et  lOo.. 

3.  C'est  aussi  ce  oue  disent  les  Mémoires  de  Sourches. 

4.  Tome  XVIII,  {.  114. 

5.  Mot  déjà  rencoitré  dans  le  tome  VII,  p.  87. 

6.  Comparez  la  prmière  rédaction  en  1709  :  tome  XVIII,  p.  114. 

7.  Michel-Etienne  Turgot:  ibidem,  p.  llo. 

8.  Au  moment  oi  Saint-Simon  écrit  (1742),  répétant  ce  qu'il  avait 
déjà  dit  sous  l'année  1709  (tome  XVIII,  p.  114),  ce  Turgot  n'est  en- 
core que  conseiller  dEtat  semestre  depuis  1737,  et  il  ne  passera  ordi- 
naire qu'en  1744. 

!).  II  occupa  ces  t'oictions  de  1729  à  1740. 

10.  Louis-Armand  Couffîer,  comte  de  Caravas,  avait  été  cornette  aux 
chevau-légers  de  Cordé  pendant  le  séjour  de  celui-ci  en  Flandre;  il 
quitta  son  parti  en  1(54,  et  se  retira  on  Hollande,  où  il  lit  le  mariage 
dont  il  va  être  question,  mais  revint  peu  après  en  France  ;  il  eut  un  tils, 
qui  fut  tué  à  Nerwirde.  Il  est  parlé  de  lui  et  de  sa  femme  dans  le 
Voyage  à  Paris  de  dutx  jeunes  Hollandais,  p.  123,  170-171  et  340. 
In  arrêt  du  Conseil  rMatif  aux  biens  que  Mme  de  Caravas  possédait  en 
Hollande  est  dans  le  registre  E  1897  des  Archives  nationales,  19  oc- 
tobre 1696. 

*  .Manchette  placée  •rois  lignes  trop  bas  dans  le  manuscrit. 


136 


MEMOIRES 


[niij 


Mariage  des 
deux  filles  de 


partout'  à  gorge  déployée-.  Il  étoit  Goufiier^  et  avoit, 
par  je  ne  sais  quelle*  aventure,  épousé  autrefois  en  Hol- 
lande la  tante  paternelle  ^  de  ce  Ripperda  dont  la  subite 
élévation  au  premier  ministère  d'Espagne,  la  rapide 
chute  et  la  fin  ont  tant  tait  de  bruit  dans  le  monde  ^ 
Beauvau  qui  avoit  été  capitaine  des  gardes  de  .Monsieur'', 

1.  Le  mot  partout  a  été  ajouté  en  interligne. 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donoait  que  rire  à 
gorge  déployée,  c'est-à-dire  de  toute  sa  force. 

3.  D'une  branche  issue  du  troisième  tils  du  grand  éfuyer;  elle  n'eut 
que  trois  générations  et  s'éteignit  avec  celui  dont  il  est  ici  question. 

4.  Quel,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

8.  Elisabeth  de  Ripperda,  tille  d'un  député  de  la  province  de  Guel- 
dres  aux  États-Généraux,  épousa  M.  de  Caravas  en  4656,  tandis  que 
son  frère  épousait  la  sœur  de  son  mari. 

6.  Jean-Guillaume,  baron  puis  duc  de  Ripperda,  né  à  Groningue  le 
7  mars  1682,  commença  par  avoir  un  régiment  ^'infanterie  hollan- 
daise, puis  fut  envoyé  à  Madrid  en  février  1715  comme  ambassadeur 
des  Provinces-Unies.  Rappelé  au  commencement  ie  1718,  il  retourna 
à  Madrid  en  août  de  la  même  année,  dans  l'inteJlion  de  s'établir  en 
Espagne,  et  embrassa  à  cet  effet  la  religion  catholique.  Il  installa  alors, 
tant  en  ce  pays  qu'en  Portugal,  des  manufacture^ de  draps,  qui  réus- 
sirent mal.  Il  était  cependant  en  rapports  constants  avec  la  cour,  si 
bien  qu'au  commencement  de  1725,  il  fut  envoyé  à  Vienne  en  mission 
extraordinaire  et  réussit  à  signer,  le  30  avril,  un  traité  de  paix  et  de 
commerce  avec  l'Empereur.  A  son  retour,  il  reçut  la  grandesse  et  le 
titre  de  duc,  et  partit  pour  une  nouvelle  mission  à  Vienne.  Revenu  en 
décembre,  il  fut  nommé  secrétaire  du  despacho  et,  en  janvier  1726, 
les  secrétaireries  d'Etat  de  la  guerre  et  des  finances  furent  unies  à  ses 
fonctions.  Disgracié  le  24  mai  suivant  et  enfermé  au  château  de  Sé- 
govie,  il  réussit  à  s'échapper  le  2  septembre  '^^28,  passa  en  Angle- 
terre, puis  en  Hollande,  et  enfin  se  rendit  au  Mafoc  vers  la  fin  de  1731. 
S'étant  insinué  dans  les  bonnes  grâces  du  Sultan,  il  embrassa  l'isla- 
misme, et,  parmi  des  alternatives  de  faveur  et  de  disgrâce,  forma  le 
projet  de  réformer  la  religion  musulmane.  Il  f.it  enfin  obligé  de  se 
retirer  à  Tétuan  en  1734,  et  y  mourut  au  commencement  de  novembre 
1737.  De  nos  jours,  feu  M.  G.  Syveton  en  Fraice,  M.  Duckett-Bulau 
en  Angleterre,  et  M.  Rodriguez-Villa  en  Espagne,  ont  étudié  les  points 
mystérieux  de  sa  biographie.  Saint-Simon,  qui  le  connut  à  Madrid 
en  1721,  reparlera  fréquemment  de  lui  dans  la  suite  des  Mémoires. 

7.  Gabriel-Henri,  marquis  de  Beauvau,  de  la  branche  de  Mont-Gaugé 


(IIHI  OF  SAINT-SIMON  137 

et  qui  (s'étoit'l  retiré  de  la  eoiir,  et  prescjiie  du  monde,    Boanvau  avec 

,  .       ,  .  ,,  •'  i-      1       I  '         •(         l'.r-auvau  nt 

depuis  lonj^'ttMiips,  d  une  manière  loil  obscure,  n  avoil  choiscul. 
(jue  deux  lilles'  fort  riches' :  ii  les  maria  toutes  deux 
en  ce  temps-ci  ^  l'une  au  comte  de  Beauvau,  mort  bien 
longtemps  depuis  lieutenant  général,  gouverneur  de 
Douay,  et  chevalier  de  l'Ordre  de  1724\  l'autre  au  mar- 
quis deChoiseul\  le  seul  de  cette  grande  maison"  qui 
fût  à  son  aise\ 

Ce  seroit  ici  le  lieu  de  présenter  un    nouveau   tableau 

(château  do  la  communo  actiipllede  Chérac,  enSaintonge),  eut  d'abord 
une  compafinie  de  gendarmerie,  puis  acheta  en  1682  la  charge  de  capi- 
taine des  gardes  de  Monsieur;  il  ne  mourut  que  le  t"2  juillet  1727,  à 
quatre-vingt-trois  ans. 

1.  S'estoit.  ajouté  en  interligne,  a  été  ensuite  biflé  par  mégarde. 

i.  Marie-Thérèse,  mariée  à  son  cousin  le  comte  de  Beauvau,  dame 
de  la  duchesse  de  Berry  de  1715  à  1717,  morte  le  7  septembre  1736, 
à  cinquante-et-un  ans;  et  Henriette-Louise,  qui  épousa  M.  de  Choi- 
scul, et  qui  mourut,  au  môme  i\ge  que  sa  sœur,  le  28  mars  1737.  Elles 
étaient  (illes  du  ()remicr  mariage  de  Gabriel-Henri  avec  Marie-Angé- 
lique de  Saint-André,  hlle  d'un  trésorier  général  de  la  marine  et  des 
galères  (20  octobre  1682;  contrat  du  18  dans  le  registre  Y  243^ 
fol.  82  V").  Leur  père  avait  épousé  en  secondes  noces  en  1694  Marie- 
Madeleine  de  Brancas,  dont  il  avait  plusieurs  entants. 

3.  Lorsqu'on  1708,  il  avait  été  question  du  mariage  de  l'aînée  avec 
un  Polignac,  l'annotateur  des  Mémoires  de  Sourches  lui  attribuait 
deux  cent  cinquante  mille  livres  de  dot  (tome  XI,  p.  86). 

4.  Le  double  mariage  eut  lieu  le  28  avril  ;  Dangeau  (p.  399)  en  an- 
nonce la  nouvelle  le  30.  Les  deux  contrats,  du  27,  existent  dans  le 
minutier  do  l'étude  Crémory. 

o.  Piorro-Madoloine  :  tome  XVIll,  p.  InO  et  .MO;  il  osl  mort  le 
30  mai  1734. 

6.  Hubert  do  Choiseul  do  la  Uivière,  dit  le  marquis  do  Choisoul, 
mestre  de  camp  du  régiment  de  cavalerie  de  la  Reine  en  1692,  briga- 
dier en  1702,  avait  cjuitté  le  service  t^n  1706  et  était  voul"  depuis  le 
26  novembre  1710  t\c  Mario  do  Lambortye,  (|u'il  avait  épousée  le 
20  mars  1691  ;  il  mourut  dos  suites  tic  l'opération  (\o  la  laille,  le  10 
juin  1727,  :igé  de  .soixante-trois  ans. 

7.  Il  en  a  été  parlé  dans  le  tome  XX,  p.  323. 

8.  C'est  Dangeau  (jui  a  dit  (p.  39!))  :  «  On  ra|>pelle  le  riclie  Clnù- 
seul,  pour  le  distinguer  de  ceux  qui  portent  ce  nom.  (jui  sont  en 
grand  nombre  et  moins  bien  dans  leurs  alVaires.  » 


138 


MÉMOIRES 


11711] 


Reprise  de 

Taffaire 
d'Épernon. 

Force 
prétentions 
semblables 

prêtes  à 

éclore  ;  le  ir 

impression  sur 

les  parties  du 

procès 

d'Epernon. 

\Add.  S'-S.  1004] 


de  la  cour  après  un  changement  de  théâtre  qui  dérangea 
si  parfaitement  toute  la  scène  ;  mais  cette  nouvelle  qui 
succéda'  a  tant  de  liaison  avec  toutes  les  suites,  qu'il 
esta  propos  delà  rejeter  après  le  récit  d'une ^  affaire 
trop  importante  pour  être  omise  ^  quelque  longue  et 
ennuyeuse^  qu'elle  puisse  être,  et  qui  eut  tant  de  trait  à 
d'autres  temps,  d'autant  plus  que,  commencée  avant  la 
mort  de  Monseigneur,  elle  a  été  différée  jusqu'au  temps 
de  sa  conclusion  pour  ne  la  pas  interrompre.  Il  faut 
donc  retourner  sur  nos  pas.  Outre  l'importance,  il  ne 
laissera  pas  de  s'y  trouver  quelques  traits  curieux. 

C'est  de  l'affaire  de  d'Ântin  qu'il  s'agit  de  reprendre  " 
jusqu'à  sa  conclusion*.  Ce  n'étoit  pas  la  seule  dont  il  pût 
être  question.  Une  quinzaine  de  chimères,  plus  absurdes 
les  unes  que  les  autres,  étoient  prêtes  à  éclore.  Les  vi- 
sions attendoient  l'événement  de  celle  de  d'Ântin  pour 
différer  à  un  autre  temps,  ou  pour  entrer  en  lice"  si  la 
sienne  réussissoit,  avec  la  confiance  que  le  Roi  et  les  juges 
les  protégeroient  volontiers,  pour  montrer  que,  sans  être 

1.  La  nouvelle  scène  qui  succéda  à  la  précédente. 

2.  Un,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

3.  Le  commencement  à^obmise  surcharge  les  lettres  ad. 
■4.  Saint-Simon  a  écrit  après  ennuyeuse  un  que  inutile. 

5.  Le  récit  est  resté  suspendu  dans  notre  tome  XX,  p.  290.  A  la 
suite  de  la  permission  que  lui  avait  accordée  le  Roi  et  dont  il  a  été 
parlé  au  même  tome,  p.  261-264,  M.  d'Antin  avait  obtenu,  le  13  jan- 
vier 1711,  un  arrêt  en  forme  l'autorisant  à  poursuivre  devant  le  Par- 
lement ce  qu'il  aviserait  bon,  et  levant  la  défense  portée  le  7  juillet 
1665,  à  la  suite  de  l'opposition  des  ducs  (ibidem,  p.  263,  note  3).  Dès 
le  27  janvier,  l'instance  de  1663  fut  reprise,  et,  le  31,  il  adressa  une 
requête  en  permission  d'assigner  les  successeurs  des  opposants  de 
1663,  et  demandant  à  être  reçu  à  prêter  serment.  C'est  alors  que  fut 
rédigé  par  Magueux  le  mémoire  pour  les  ducs  dont  nous  avons  parlé 
au  tome  XX,  p.  271,  note  3.  Saint-Simon  rappellera  dans  la  suite  des 
Mémoires  (tome  IX  de  1873,  p.  31)  qu'il  présenta  cette  pièce  au  duc 
de  Bourgogne,  et  que  le  jeune  prince  l'approuva. 

6.  Avant  conclusion,  Saint-Simon  a  effacé  du  doigt  le  mot  fin. 

1.  «  On  dit  figurément  entrer  en  lice,  pour  dire  s'engager  publi- 
quement dans  quelque  contestation  »  {Académie,  1718). 


II71I|  PE  SAl.NT-SIMO.X.  139 

favori,  on  gagnoil  dos  causos  contre  toutes  sortes  do 
règles.  I.t's  prooos existants  t'toiont  celui  de  M.  de  Luxem- 
bourg, »|u'il  MMioit  de  remettre  en  train  judiciaire',  en 
même  temps  (|u'il  s'étoit  joint  aux  opposants  à  la  pré- 
tention tie  d  Antin,  et  j'agissois  déjà  pour  tâcher  d'annu- 
ler l'arrêt  sans  force  et  sans  mesure  qu'il  avoit  obtenu  -, 
et  le  réduire  à  l'ancien  détroit^  d'option  entre  son  érec- 
tion nouvelle,  ou  n'être  point  pair;  je  passe  légèrement 
sur  cette  affaire  si  bien  expliquée  au  commencement  de 
ces  .\fp/noirfs^,  et  par  les  factums  imprimés  de  part  et 
d'autre"  qui  sont  entre  les  mains  de  tout  le  monde,  et 
celui'  d'entre  M.  de  la  Rochefoucauld  et  moi' ;  ceux  qui 
n'étoient  pas  encore  formés,  mais  tout  prêts  à  l'être,  celui 
d'Aiguillon  et  celui  d"Estouteville^  Les  chimères  encore  re- 
cluses', mais  qui  n'attendoient  pas  moins  impatiemment  la 
conjoncture  de  paroître  en  prétentions,  étoient  celle  de  l'an- 
cienneté de  Chevrousede  l'érection  en  faveur  des  Lorrains'", 
et  celle  de  Chaulnes,  toutes  deux  dans  la  tête  et  dans  la 
volonté  du  duc  de  Chevreuse"  ;  celle  de  l'ancienneté  de 

t.  «  Train  se  dit  aussi  tigurônienl:  le  train  des  affaires, le  train  du 
monde  »  (Académie,  1718). 

'2.  Dont  il  a  parlé  en  dernier  lieu  dans  le  tome  X,  p.  49. 

3.  Au  sens  de  passage  resserré  et,  par  conséquent,  d'alternative 
difficile.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  pas  ce 
ternie  au  lifiuré.  LiUré  en  cite  des  exemples  de  Fontonelle,  de  Mar- 
monlol  et  d'André  Ghénicr,  et  nous  le  retrouverons  dans  la  suite  dos 
Mémoires,  éd.  1873,  tomes  XI,  p.  31.  XII,  p.  443,  XVI,  p.  171,  et 
XVII.  p.  3-2"2. 

'».  Dans  nos  tomes  II  et  III. 

.'».  Voyez  tome  II,  appendice  I,  et  tome  III,  appendice  IX. 

<».  El  sur  celui,  pour  celle  (alVaire). 

7.  Il  a  été  parlé  en  dernier  lieu  de  cette  contestation  dans  nos 
tomes  X,  p.  .oO-.')l,  et  XIX,  p.  (i-7. 

8.  Dans  notre  tome  XX,  p.  9o-9(i,  et  appendice  XII. 

9.  Terme  déjà  rencontré  ci-dessus,  p.  \'2,  à  propos  de  Mlle  de  Clioin, 
mais  avec  une  application  particulière  ici. 

10.  Tome  II.  p.  91. 

11.  Tome  XX.  p.  '28'2.  Saint-Simon  va  v  revenir  plus  loin,  p.  163-171 
et  18-2-185. 


I'.n  MÉMOIRES  inii] 

Rohan,  du  grand-père  maternel  du  duc  de  Rohan  Cha- 
bot' ;  celle  des  premières  érections  d'Albret  et  de  Châ- 
teau-Thierry, dont  M.  de  Bouillon  ne  pouvoif  se  départir^, 
et  dont  on  a  vu  ailleurs  que  le  premier  président  llarlay 
s'étoit  moqué  si  cruellement  en  parlant  à  sa  personne^. 
Il  n'y  avoit  pas  jusqu'aux  Bissy  à  qui  l'ivresse  de  la  faveur 
de  leur  évèque  de  Meaux  ne  tournât  la  tête,  jusqu'à  pré- 
tendre la  dignité  de  Pont-de-Vaux\  et  cinq  ou  six  autres 
de  même  espèce,  dont,  par  les  tortures  prétendues"  ap- 
plicables aux  duchés  femelles,  eussent  eu  lieu,  et  tom- 
bées dans  la  boue  par  des  alliances  et  des  arrière-al- 
liances'^ déjà  contractées'.  C'est  ce  qui  nous  faisoit  peur, 
pour  le  renversement  entier  de  tout  ordre  et  de  toute 
règle  parmi  nous,  par  l'achèvement  de  toute   ignominie 

1.  Ce  duché,  érigé  en  4603,  pour  le  fameux  chef  des  Huguenots 
Henri  de  Rohan  (tome  V,  p.  246),  s'était  éteint  en  4638  par  la  mort 
du  titulaire  et  avait  été  érigé  de  nouveau  en  4645-4648  après  le  ma- 
riage de  sa  tille  avec  Henri  Chabot. 

2.  Nos  tomes  H,  p.  64  et  94,  XIV,  p.  244,  et  XX,  p.  283. 

3.  Tome  II,  p.  94. 

4.  La  terre  de  Pont-de-Vaux,  en  Bresse,  fut  érigée  en  duché  par 
lettres  de  février  4623,  en  faveur  de  Charles-Emmanuel  de  Gorrevod 
et  à  la  prière  du  duc  de  Savoie,  dont  il  était  le  favori.  Cette  érection 
ne  fut  enregistrée  au  parlement  de  Dijon  qu'en  4627,  après  la  mort 
du  bénéficiaire,  et  pour  son  (ils  Philippe-Eugène;  la  dignité  s'éteignit 
en  4684,  à  la  mort  de  celui-ci  sans  postérité.  Saint-Simon  lui  a  consa- 
cré un  article  dans  ses  Duchés  vérifiés  éteints  {Écrits  inédits,  tome  VII, 
p.  236-264);  voyez  aussi  Guichenon,  Histoire  de  Bresse,  troisième 
partie,  p.  493-204.  Les  Bissy  faisaient  venir  leurs  prétentions  de 
Marguerite  de  Busseuil,  qui  était  fille  d'Antoinette  de  Gorrevod,  et 
qui  avait  épousé  Héliodorc  de  Thiard  de  Bissy  le  48  octobre  4388.  Les 
BaufTremont,  les  Thiange  et  d'autres  familles  moins  connues  préten- 
daient également  à  la  succession,  sinon  au  duché.  On  trouvera  aux 
Additions  et  corrections  quelques  notes  sur  l'érection  de  Pont-de-Vaux. 

o.  La  première  lettre  de  prétendues  surcharge  un  d. 

6.  Il  écrit  arriéres  alliances. 

7.  Tel  est  bien  le  texte  du  manuscrit.  Saint-Simon  veut  dire  que  ces 
chimères  ne  pouvaient  exister  qu'en  torturant  les  règles  prétendues 
applicables  aux  duchés  femelles,  et  qu'elles  étaient  déjà  tombées  dans 
la  boue  par  des  alliances  de  bas  étage. 


Iiiiii  in:  sAi.\-siM(i.\,  ui 

dans  la  transmission  de  ces  digmli-s  sans  nicsui"»',  cl, 
nu'ini'  l'n  rt'ussissani  ((inlrc  cik's,  par  une  vii'  mist'rable 
dt'cijifant's,  de  procès  et  do  pruct'drs,  t'Iiacun  ne  inan<juant 
point  d»'  tliicaïu's  vi.  de  subtiTluges  pour  détourner  di'  des- 
sus soi  la  condamnation  deson  voisin,  cl  même  de  son  sem- 
blable,et  se  présenter  liardimeni  sous  des  apparences  d'es- 
pèces difté  rentes.  C'étoit  néanmoins  ce  (jui  nous  pouvoit 
arriver  de  mieux  que  de  gagner  en  luttant,  et  de  nous  con- 
sumer en  luttes.  Nous  ne  cessions  de  nous  plaindre  de  ces 
amas  de  prétentions  et  de  procès,  que  nous  nous  voyions 
pendre  sur  la  tète  par  le  fait  de  d'Antin,  (jue  son  exemple 
avoit  ranimés,  et  nous  nous  servions  de  ce  débordement 
pour  aggi'aver  '  l'importance  de  laisser  les  choses  dans 
les  règles  de  tout  temps  suivies  et  reconnues.  DAntin, 
qui  s'en  aperçut,  et  que  ce  que  nousalléguions  là-dessus  ne 
nousétoit  pas  inutile,  sut  tourner  court,  et  prendre  au  bond 
cette  balle  -  avec  finesse,  pour  s'en  servir  lui-même  avec 
avantage.  Outre  tout  le  mauvais  de  sa  cause  en  soi,  dont 
il  fut  toujouis  très  peisuailé,  comme  il  nous  la  avoué 
depuis,  il  sentoit  lextiême  embarras  où  il  alloit  tomber 
par  nos  fins  de  [non]  recevoir\  qu'il  ne  pouvoit  assez 
s'étonner  que  nous  eussions  découvertes,  ce  qui  étoit 
l'ouvrage  de  Vesin',  l'un  de  nos  meilleurs  avocats.  La 
clause  dirimanle*  par  la  mésalliance  de  Zamet',  de  la- 
quelle seule  il  tiroit  son   piM'lcndu    di'oit,    étoit    sans    i-é- 

1.  Aagraver,  dans  le  manuscrit. 

'î.  «  On  dit  tigiirément  prendre  Ut  balle  au  homl,  |iniir  dire  se 
servir  de  ("occasion  »  (Académie,  1718). 

3.  «  Fin  de  non-recevoir  est  une  exception  par  laquelle  on  soutient 
qu'un  liommc  n'est  pas  recevable  à  intenter  une  action,  une  demande  » 
{Académie,  1718).  —  Saint-Simon  a  oublié  tion  avant  recevoir. 

'♦.  Pierre  Vesin.  secrétaire  du  Roi  et  ancien  bâtonnier  de  l'ordre 
des  avocats,  mourut  le  o  juillet  \l'2o,  à  soixante-quinze  ans:  voyez 
notre  tome  XX.  p.  -ÎSV>,  note  3. 

ii.  «  Dirimant,  terme  de  droit  canon  :  (|ui  emporte  la  nullité  » 
(Académie,  1718). 

G.  Tome  XX,  p.  iSS-'ldO. 


\M  MÉMOIRES  [1711] 

ponse,  et  il  n'avolt  garde  d'être  tranquille  sur  son  acqui- 
sition d'Épernon',  autre  fait  dirimant.  Monseigneur,  qui 
Y  étoit  mêlé,  eût  pu  le  lui  reprocher  durement,  et  don- 
ner lieu  à  ses  ennemis  de  Meudon,  qui  commençoient  à 
prévaloir,  de  lui  faire  un  crime  auprès  de  ce  prince 
d'avoir  abusé  de  sa  faveur  pour  une  acquisition  dont 
il  ne  lui  avoit  pas  montré  l'objet,  et  lui  faire  faire  bien 
du  chemin-  dans  la  descente ^  Il  s'y  joignoit  un  mal- 
aise du  Roi,  importuné  de  ses  absences,  qui  pouvoit 
aisément  se  tourner  en  dégoût,  ou  en  habitude  de 
se  passer  de  lui  pour  les  bagatelles  dont  il  savoit  faire  un 
si  habile  usage.  Un  contraste*  assez  ferme  qu'il  eut  à  la 
porte  de  Dongois,  greffier  du  Parlement  %  avec  les  ducs 
de  Charost  et  de  Berwick,  sur  des  procédés,  et  qui 
furent  poussés  assez  loin  de  la  part  des  nôtres,  sur  quel- 
ques longueurs  dont  il  voulut  se  plaindre,  tandis  qu'il 
nous  y  avoit  forcés  par  un  piège,  et  la  hauteur  dont  la 
chose  fut  prise  de  notre  part  à  tous,  enfin  le  changement 
de  l'air  du  monde,  et  môme  de  celui  de  la  cour,  le  bruit 
sourd  du  Palais,  qui  ne  lui  étoit  pas  favorable  %  toutes 
ces  choses  ensemble  l'avoient  effrayé  dès  le  carême, 
jusqu'à  le  désespérer  intérieurement  du  succès,  et  lui 
faire  craindre  de  perdre  encore  autre  chose  que  son 
procès.  Ces  mêmes  choses  firent  une  impression  pareille 
au  duc  de  Chevreuse  pour  ce  qui  le  regardoit,  qui, 
né  timide    et   chancelant,    crut    voir   sa    condamnation 

1.  Tome  XX,  p.  287. 

2.  «  On  dit  proverbialement  qu'on  fera  voir  bien  du  chemin  à 
quelqu'un,  pour  dire,  qu'on  lui  donnera  bien  de  l'exercice  et  de  la 
peine  »  (^Académie,  1718).  Ici  l'expression  est  un  peu  différente. 

3.  C'est-à-dire  dans  la  diminution  de  son  crédit. 

4.  Débat  de  paroles  :  tome  XX,  p.  319. 

5.  Nicolas  Dongois:  tome  II,  p.  237. 

6.  C'est  pour  cela  qu'il  avait  songé  à  récuser  comme  parents  de  quel- 
qu'un des  ducs  et  pairs  les  présidents  de  Mesmes,  de  Xovion,  le  Bail- 
leul,  de  Menars,  de  Maisons,  d'Aligre,  de  Lamoignon  et  Mole  (vol. 
France  222,  p.  209-210). 


\\-i\\  DK  SAlNT-SI.Md.N.  143 

(•crilf'  par  l«'s  cpiiios  (|ik'  le  lavori  ('proiivoit.  Kuiicinis  d»* 
cabale,  ot  sur  toute  autre  chose,  mais  liés  tous*  deux  sur 
ces  matiôres,  tant  l'intérêt  a  de  pouvoir  jusque  sur  les 
plus  honnêtes  gens  tels  que  l'étoit  Chevreuse,  il  tourna 
M's  pensées  au  souvenir  d'un  règlement  général  projeté 
lors  du  procès  de  feu  M.  de  Luxembourg,  et  il  espéra 
du  crédit  de  d'Antin  de  remettre  ce  règlement  sus,  et  de 
faire  passer  son  second  fds  duc  de  Chaulnes  avec  lui,  en 
abandonnant  leui's  prétentions  de  l'ancienneté  d'Eper- 
non  et  de  celle  de  Chevreuse.  Ce  point,  si  funestement  ca- 
pital, mérite  d'être  un  peu  plus  expliqué  dès  son  ori- 
gine. 

Loi's  du  plus  grand    iiioiiv«'rnent,   en    1694,  du    procès    Ancien  projet 
entrepris  par  M.  de  Luxernbouri^  contre  ses   anciens,    il      e  r.  g  .mon 

r         I  o  '  sur  les  duchts- 

fut  fait  un  projet,  cjue  j'ignorai    longtemps  depuis\   qui       pairies  en 
réeloit  en  foi'me  de  déclaration  du  Hoi    les  transmissions    tp-''*;  *""  sort 

,         I      1       1-       •    /     I       I  -1  II  I       •      '"'o'"*    ;  pcrver- 

contestees  de  la  dignité  de  duc  et  pair,  laquelle  excluoit   site  du  premier 
presque  entièrement  les    femelles,    mais   qui,    avec    cet       pn-sident 

'        ,  Il  -,  i  1''.    Il-  .      1        d'IIarlav,  qui 

appal  aux  ducs,  les   assommoil*   par  1  établissement    du       le  dressa. 
grand  rang  des  enfants  naturels  du  Koi.  Ilailay,    premier 
président,  qui  papegeoit  pour  la  place ^    de   chancelier*, 
que  le    cadavre  de  Boucherai   remplissoit  enco^e^  qui, 

1.  Écrittes  corrigé  en  écritte,  dans  le  manuscrit. 

2.  Le  commencement  de  tous  surcharge  d'. 

\\.  Il  n'en  a  point  parlé  en  effet  en  1694-4696. 

4.  Ce  mot  n'était  pas  donné  au  sens  figuré  dans  le  Dictionnaire  de 
l'Académie  de  1718.  Nous  avons  eu  assommoir  et  assommant  dans  le 
tome  XIV.  p.  64  et  '265. 

;i.  Qui  visait  à  la  place.  Ce  verbe,  que  ne  donne  aucun  dictionnaire 
ou  lexique,  et  dont  Littré  lui-m(>me  n'a  pas  relevé  le  présent  exemple, 
se  retrouve  dans  le  Jaurunl  de  Ddni/cnu  (tome  VII,  p.  iO'î)  et  dans 
les  Mémoire>i  de  Sourches  (t.  III,  p.  164),  en  parlant  des  cardinaux 
qui  visent  au  souverain  pontilical.  Il  n'aurait  donc  pas  de  rapport 
avec  le  nom  du  papegeai.  cet  oiseau  de  carton  ou  de  bois  peint  que  l'on 
plantait  au  bout  d'une  perche  pour  s'exercer  au  tir. 

6.  Tomo  IL  p.  rifiet  lOS. 

7.  En  1694.  lioiicherat  avait  soixanle-dix-huit  ans. 

•  Aprt'-s  alors,  S.iint-Simon    i  liifTi-  (/  lians  ce  temp$  cy. 


U4  MÉMOIRES  [17111 

procureur  général,  avoit  ouvert  la  voie  en  faisant  légiti- 
mer le  chevalier  de  Longueville,  tué  depuis,  sans  nom- 
mer la  mère  ',  qui  avoit  eu,  pour  cet  exécrable  service, 
parole  réitérée  des  sceaux,  voulut,  vil  et  détestable  es- 
clave du  crime  et  de  la  faveur,  cueillir  les  fruits  de  son 
ouvrage  par  ce  couronnement  inouï  de  ces  enfants,  qui, 
sans  lui  et  son  invention  cauteleuse  et  hardie,  eussent 
forcément  été  ceux  de  M.  de  Montespan,  peut-être  des 
enfants  trouvés,  dans  l'impuissance  d'énoncer  père  ni 
mère-.  C'étoit  donc  bien  moins  en  faveur  de  la  paix  que 
cette  déclaration  avoit  été  conçue,  et  pour  mettre  des 
bornes  fixes  et  précises  aux  transmissions  des  duchés  fe- 
melles, que  pour  la  grandeur  des  bâtards.  Harlay  y  avoit 
fait  consentir  M.  de  Luxembourg  et  son  fils;  mais  ce 
projet  fut  tant  tourné,  rebattu,  rajusté,  que  le  Roi,  du 
goût  duquel  ces  choses  ne  furent  jamais,  l'abandonna 
sitôt  que,  par  une  voie  plus  militaire  ',  et,  telle  qu'elle  a 
été  racontée*,  il  eut  trouvé  plus  court  de  donner  à  ses 
fils  naturels,  et  bientôt  après  à  leur  postérité'',  en  la  per- 
sonne du  duc  de  Vendôme,  une  préséance  énorme,  qui, 
lui  ayant  paru  alors  le  comble  de  leur  grandeur  et  de  sa 
toute-puissance,  ne  devint  pourtant  que  le  piédestal  des 
Duc  horribles  prodiges  qu'on  a  vus  depuis    en  ce  genre*.  Le 

do  Chcvreuse*,   ^jy^  ^jg  Chevreuse,  d'accord  avec  d'Antin,  parla  au  Ghan- 

de  concert  avec  i-  n    i     •     i  •       i      i         i    •  d 

d'Antin,  gagne  ceiier.  11  iui  donna  envie  de  la  gloire  d  un  ouvrage  qui 
le  Cliancelier  finiroit  toutes  ces  fàcheuses  contestations,  et  toucha 
^ment  "u^ce*^'  peut-être  en  lui  la  partie  foible  du  courtisan  désireux  d'a- 

1.  Tome  II,  p.  56. 

2.  Saint-Simon  a  écrit  par  mégarde  père  ny  père. 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  pas  d'emploi 
de  cet  adjectif  au  ligure  comme  nous  l'avons  ici.  On  disait  seulement  : 
recouvrement  par  la  voie  militaire,  manu  militari. 

A.  Tome  II,  p.  104-107. 

5.  Ces  deux  mots  sont  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier  leur 
postérité,  biffé  après  que  Saint-Simon  eut  corrigé  leur  en  leurs. 

6.  Ces  trois  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

•  Après  Chevreuse,  il  a  biffé  guigne. 


[17111  DE  SAINT-SIMON  Ur, 

planir  à  son  riiaîtrt'  la  voie  tl  l'K'xcr   (.!<■  j)lus  en   plus    ses      modMe.  Lo 
.•nfatils  iKituirls.  ft  iraclu'viT  la  forluiu'  de  son  favori  vn       ^|""'"lier 

_  m  ••[!  coiilie 

se  conciliant  ces  graiids  personnages  du   t(iii|i-.   pit-^ent.     iiiic»-  et  lan- 

Le  ChaniM'Iici-,  L'agrir,  in'tMi  parla  tl'ahord  aNcc  une   en-    cien  projet*; 

....  • .       •.        1  .  ,        raison»"  qui 

tu're  ouverture,  mais  uin'  ini[)<isiti()n   ctroilc   tiu   secret',    m'y  font  entrer 

Nous  agitâmes  la  mati«'rt',  cl  j'avouerai   à   ma    lionl»',   ou    «ans  c-n  prévoir 

ni-       ,       •  ••  ,  "l    f  •  »       I  I         11'  funeste,  <t 

e  (I  autrui,  (juc.  n  imagiiiaiH   pas    (|u  il   tut    dans    la      j'y  travaille 

possibilité  de  trouver^  poui*  les  bâtards  rien  au  di'là  de  seul  avec  lo 
<•»•  qu'ils  avoient.  il  ne  m'entra  pas  dans  l'esprit  qu'ils  Ghanccher. 
prolita-^sent  du  règlement  (|ui  se  pouvoit  mettre  sur  le 
tapis  autrement  que  par  une  confirmation  de  tout  ce 
dont  ils  étoient  en  possession,  qui  n'ajoutoit  rien  à  leur 
droit  ni  à  leur  jouissance,  (^e  fut  par  oii  nous  commen- 
çâmes. Le  Chancelier  me  fit  bien  entendre,  et  sans  peine, 
que  le  chausse-pied  de  la  déclaration,  ce  fut  son  terme, 
seroit  inévitablement  l'intérêt  des  bâtards,  causa  sine 
qua^  non  du  Hoi  en  toutes  ces  matières;  mais,  avec  ma 
sotte  présupposition  \  qu'il  appuya,  et,  je  crois,  de  bonne 
foi  alors,  je  conclus  qu'il  valoit  mieux,  à  ce  prix,  sortir 
tout  d'un  coup,  par  une  bonne  déclaration,  de  tant  d'af- 
fa'res^  que  de  nous  y  laisser  consumer.  Je  pensois  que 
couper  à  jamais  toutes  racines  de  questions  de  préséance 
entre  nous  nous  mettroit  à  couvert  des  schismes  qui  se 
mettoient  si  sou\ent  parmi  nous,  et  que  nous  délivrer 
une  bonne  fois  des  ambitions  femelles  nous  délivreroit* 

\.  Emploi  à'' imposition  avec  régimt'  relevé  par  Litlré. 

'1.  De  trouver  est  en  interligne,  au-dessus  de  d'imaginer,  biffé. 

3.  Il  a  écrit  qud,  avec  accent   circonflexe,  mais  sans  souligner  ces 
mots  latins. 

4.  a  Prcsupposition,  supposition  préalable  »  (^Académie,  1718). 

5.  Les  mots  tout  d'un  coup  sont  répétés,   par  mégarde,  après  af- 
faires. 

6.  Delivreroient  (sic)  est  en   interligne,  au-dessus  de  mettraient  à 
couvert,  biffé. 

•Après  projet,  il  a  bifT<<  J'y  entre  sottem'  sans  en  prévoir  le  funeste. 
•*  Les  pn-mière»  lettres  de  rniMont  et  d'entrer,  plus  loin,  surcbarf^ent 
d'autres  lettres  effacées  du  duigt. 

MKMOIKES    DE   SAINT-SIMON.    XXI  10 


U6  MÉMOIRES  [1711] 

des  désordres  et  des  successions  indignes  qui  achevoient 
la  confusion.  Je  considérois  une  barrière  aux  favoris  pré- 
sents et  futurs  d'autant  plus  à  désirer,  que  l'âge  du  Roi 
en  faisoit  craindre  de  capables  de  s'en  prévaloir  avec 
hardiesse  ;  et  il  est  vrai  encore  que  mon  repos  particulier 
acheva  de  me  déterminer,  parce  que  le  poids  de  toutes 
ces  sortes  d'affaires  tomboit  toujours  sur  moi,  en  tout  ou 
en  la  plus  grande  '  partie,  pour  le  travail  dont  je  ne  me 
pouvois  défendre,  et  pour  la  haine  qui  en  résultoit,  avec 
peu  ou  point  de  secours  ni  d'appui.  Ce  parti  bien  pris  en 
moi-même,  et  justement  fondé  sur  nos  misères  inté- 
rieures, dont  je  n'avois  qu'une  trop  continuelle  expé- 
rience, il  fut  question  d'y  travailler.  Pour  le  faire  utile- 
ment, le  Chancelier  me  montra-  le  projet  du  premier 
président  d'Harlay.  Nous  l'examinâmes  ensemble,  et, 
pour  mieux  faire,  il  me  le  confia  pour  en  tirer  une  copie, 
et  pour,  sur  cette  copie,  faire  mes  notes,  afin  de  les  dis- 
cuter après  avec  lui,  et  arrêter  ensemble  un  nouveau 
projet  sur  cet  ancien,  qui  nous  fît  trouver  notre  compte 
par  des  lois  sages  et  justes,  et  par  des  avantages  qui, 
autant  que  le  temps  le  pouvoit  comporter,  nous  dédom- 
mageassent de  la  confirmation  de  la  grandeur  des  bâtards, 
qu'il  falloit  bien  s'attendre  devoir  être  énoncée  dans  ce 
règlement. 

Pour  mieux  entendre  ce  qu'il  en  arriva,  il  ne  sera  pas 
peu  à  propos,  ni  peu  curieux,  d'insérer  ici,  plutôt  que  le 
renvoyer  aux  Pièces,  cet  ancien  projet  du  premier  prési- 
dent d'Harlay,  avec  les  notes  que  je  mis  à  chaque  article 
de  ce  que  je  crus  qui  y  devoit  être  changé,  retranché  ou 
ajouté,  l'ancien  projet  d'un  côté  à  mi-marge,  mes  notes 
de  l'autre  vis-à-vis  chaque  article,  tel  que  je  le  donnai 
au  Chancelier.  Cet  ancien  projet  avoit  été  concerté  entre 
le  Chancelier,  lors  contrôleur  général  et  secrétaire  d'Etat 
de  la  maison  du  Roi   et   ministre,  le    premier    président 

\.  La  plus  grd  partie,  dans  le  manuscrit. 

2.  Monstra  est  en  interligne,  au-dessus  de  donna,  biffé. 


[nui 


DE  SAI  NT-SIMON 


\M 


d'IIarlav,  ot  Da{:^u«'ss»'au,  lors  avocat  ^rnrral,  aujour- 
dliui  chancelier ',  communiqué  par  ordi'e  du  Koi,  et 
revu  par  le  duc  de  Chevreuse,  qui  en  avoit,  disoit-il, 
perdu  la  copie  qu'il  en  avoit  eue,  et  convenu  pour  lui- 
même,  et  par  MM.  de  Luxembourg  père  et  lils  pour  eux, 
et  resté  en  1096  fixé  entre  eux  tel  qu'il  suit: 


ANCIEN     PROJET. 

.[!]'■ 
«  Les  princes  du  sang  se- 
ront honorés  en  tous  lieux 
suivant  le  respect  qui  est  dû 
à  leur  naissance,  et,  en  con- 
séquence, auront  droit  d'en- 
trée, séance  et  voix  déli- 
bérative  au  parlement  de 
Paris\  à  l  âge  de. . . ,  tant  aux 
audiences  qu'au  conseil, 
sans  aucune  formalité. 

H. 

«  Les  enfants  naturels  des 
rois  qui  auront  été  légiti- 
més, et  leurs  enfants  et 
descendants  mâles  qui  pos- 
séderont des  duchés-pai- 
ries, auront  droit  d'entrée, 
séance  et  voix  délibérative 
en  ladite  cour,  à  l'âge 
de...  ans,  en  prêtant  le  ser- 
ment ordinaire   des    pairs, 


NOTES. 

«  Ce  premier  article 
pourroit  être  omis,  comme 
tout  à  l'ait  inutile. 


Ancien  projet 

et  mes  notes 

dessus. 


«  Ce  second  article  pour- 
roit être  omis,  comme  tout 
à  fait  inutile.  Il  y  en  a  une 
déclaration  expresse  \  qui 
n'étoit  pas  lors,  et  qui  est 
enregistrée,  et  confirmée 
par  un  usage  constant  de- 
puis. 


i.  Dagnossoau,  nommé  chancelier  on  1717,  ne  sp  dômil  do  celte 
charge  que  le  -27  novembre  1750;  on  a  vu  que  Saint-Simon  écrit  tout 
le  présent  récit  en  17i'i. 

i.  Saint-Simon  a  omis  ce  chiffre  I. 

3.  Les  lettres  de  P  surchargent  à  l. 

4.  C'est  la  déclaration  du  3  mai  1694  que  nous  avon.s  vue  se  pro- 
\  duire  au  tome  II,  f».  107. 


148 


MEMOIRES 


[1711] 


ANCIEN    PROJET. 

avec  séance  immédiatement 
après  et  au-dessous  des 
princes  du  sang,  et  y  pré- 
céderont, ainsi  qu'en  tous 
autres  lieux,  tous  les  ducs 
et  pairs,  quand  leurs  du- 
chés-pairies seroient  moins 
anciennes  que  celles  desdits 
ducs  et  pairs. 

m. 

«  Les  ducs  et  pairs  auront 
rang  et  séance  entre  eux 
du  jour  de  l'arrêt  de  l'enre- 
gistrement qui  sera  fait  au 


NOTES. 


«  Le  duché  de  Brancas 
n'est  point  vérifié  au  parle- 
ment de  Paris,  et  c'est  le  seul 
existant-.  Il  est  du  feu  Roi  ', 


parlement  de  Paris  des  let-     et    perdroit    beaucoup     à 
très    portant    érection    du      prendre  rang  de  l'enregis- 


duché-pairie  qu'ils  possè- 
dent', et  seront  reçus  audit 
parlement  à  l'âge  de  vingt- 
cinq  ans,  en  la  manière  ac- 
coutumée. 


trement  qu'il  en  faudroit 
faire  présentement  au  par- 
lement de  Paris,  aux  termes 
de  ce  troisième  article.  On 
n'oseroit  proposer  d'y  ajou- 
ter la  pairie  pour  dédom- 
magement, en    prenant   la 

1.  Possèdent  corrige  posséderont. 

2.  La  terre  de  Villars,  au  diocèse  d'Apt,  en  Provence,  fut  érigée 
en  duché  en  faveur  de  Georges  de  Brancas,  gouverneur  du  Havre,  en 
septembre  1627,  comme  compensation  de  son  gouvernement  et  de  la 
lieutenance  générale  de  Normandie  ;  mais  l'érection  ne  fut  enregistrée 
qu'au  parlement  d'Aix,  le  24  juillet  1628.  En  juillet  1651,  le  même 
Georges  de  Brancas  obtint  l'érection  en  pairie  ;  mais  l'enregistrement 
n'eut  lieu  encore  qu'au  parlement  de  Provence,  le  15  juillet  1657  :  ce 
qui  lit  qu'il  n'était  pas  considéré  comme  pair,  le  parlement  de  Paris 
ayant  seul  le  titre  de  cour  des  pairs.  Tallemant  des  Beaux  (Histo- 
riettes, tomes  I,  p.  213,  et  VI,  p.  409)  a  parlé  de  cette  double  érec- 
tion. Notre  auteur  y  reviendra  avec  plus  de  détails,  dans  la  suite  des 
Mémoires,  tome  XIII  de  1873,  p.  125. 

3.  C'est-à-dire  de  Louis  XIII  ;  ces  «  notes»  sont  rédigées  en  1711. 


(<"il)  DE  SAL\T-SIMO.\  i49 

A>CIE>    PnOJET.  NOTES. 

queue  do  tout,  par  un  en- 
registrement de  duché-pai- 
rie au  parlement  de  Paris', 
laissant  caduc'  celui  du 
parlement  d'Aix'. 

«  Il  y  a  de  grandes  rai- 
sons pour  fixer  le  rang  des 
pairs  au  jour  de  la  réception 
de  l'impétrant  au  Parle- 
ment; celui  de  l'enregistre- 
ment fîxeroit*  le  rang  des 
ducs  vérifiés  qui  ne  sont 
pas  pairs. 

«  Quant'  à  l'âge,  on  ne 
peut  contester  l'indécence 
et  l'inconvénient  d'un  trop 
jeune  âge;  mais  on  ne  peut 
contester  aussi  qu'il  n'y  en 
a  non  plus  de  réglé  pour  les 
pairs  que  pour  les  princes 
du  sang,  témoin  le  feu  duc 

1.  C'est  pourtant  ce  qu'il  proposera  dans  son  Projet  de  rétablisse- 
ment du  roijaume  de  France,  rédigé  au  commencement  de  l'année 
suivante  (Écrits  inédits,  tome  IV.  p.  227). 

2.  «  On  dit  en  termes  de  Palais  leg!<  caduc,  succession  caduque, 
pour  signifier  un  legs,  une  succession  qui  n'a  pas  lieu  Faute  d'héritiers 
ou  de  fonds,  ou  faute  d'accomplir  certaines  conditions  »  (Académie, 
I71H). 

3.  Après  Aix,  il  a  elfacé  du  doigt  le  mot  i7,  pour  commencer  un 
autre  paragraphe.  —  Le  parlement  d'Aix  fut  créé  sous  Louis  XII  par 
un  édit  de  juillet  15(11,  pour  la  Provence  et  les  pays  en  dépendant  ; 
cette  création  fut  conhrmée  par  la  déclaration  du  26  juin  suivant.  Son 
ressort  comprenait  douze  sénéchaussées  et  unecinquantaine  de  justices 
royales. 

'4.  Le  mot  fixerait,  écrit  à  la  lin  d'une  ligne,  a  été  répété  au  com- 
mencement de  la  suivante. 

5.  En  face  de  ce  paragraphe,  il  a  biiïé,  dans  l'autre  colonne,  le 
chiffre  IV,  pour  laisser  de  la  place  à  sa  note. 


ISO  MÉMOIRES  [1741] 

ANCIEÎS   PROJET.  'NOTES. 

de  Luynes\  reçu  à  dix-neuf  - 
ans  S  et  bien  d'autres.  Puis, 
donc,  qu'un  âge  ne  peut  être 
fixé    sans    faire    une   nou- 
veauté intéressante,  et  que 
les  pairs  les  plus  avancés  en 
âge  ne  savent  pas  plus  de 
jurisprudence  que  les  plus 
jeunes,  dont  l'étude  est  la 
raison  principale  qui  a  fixé 
l'âge  pour  la  magistrature*, 
à  laquelle  étude  les  pairs  ne 
sont  en   rien   assujettis,    il 
paroît  qu'un  tempérament 
convenable  seroit  de  fixer 
l'âge  de   la   réception    des 
pairs  à  vingt  ans,  pour  dif- 
férence   d'avec   les   magis- 
trats. 

«   Si  on  omet  les  deux 
premiers  articles,  il  seroit^ 

1.  Louis-Charles  d'Albert,  père  de  M.  de  Chevreuse  :  tome  II,  p.  92. 

2.  15  corrigé  en  19. 

3.  M.  de  Luynes  fut  reçu  au  Parlement  le  24  novembre  1639,  et, 
comme  il  était  né  en  1620,  il  avait  bien  dix-neuf  ans.  Sur  la  réception, 
voyez  les  Écrits  inédits,  tomes  III,  p.  82-83,  et  VIII,  p.  269-270. 

4.  C'est  une  ordonnance  de  novembre  1661  qui  avait  fixé  à  vingt- 
cinq  ans  l'âge  requis  pour  être  nommé  aux  charges  de  judicature, 
pour  que,  disait  le  préambule,  la  justice  soit  rendue  par  des  personnes 
dont  l'âge,  la  capacité  et  la  prudhomie  soient  tels  que  les  peuples  en 
ressentent  le  soulagement  nécessaire.  »  D'autres  édits  d'août  1669  et 
février  1672  complétèrent  ou  modifièrent  légèrement  les  règles  fixées 
par  l'ordonnance  de  1661.  Entin  la  déclaration  du  22  décembre  1699 
fixa  à  vingt-sept  ans  l'âge  des  conseillers  au  Parlement,  à  trente-trois 
celui  des  maîtres  de  requêtes  ;  mais  on  pouvait  assez  facilement  obte- 
nir des  dispenses. 

0.  Serait  est  répété  deux  fois. 


17111 


DE  SAINT-SIMON. 


\M 


ANCIEN    PROJET. 


rv. 

«  Les  termes  à'ai/ant 
cause^  n'auront  aucun  effet 
dans  les  lettres  d'érection 
des  duchés-pairies^  qui  au- 
ront été  accordées  jusqu'à 


NOTES. 

utile  d'ajouter  en  celui-ci 
que  les  pairs  auront  entrée, 
séance  et  voix  délibérative', 
tant  aux  audiences  qu'au 
conseil,  pour  éviter  équi- 
voque par  une  expression 
différente  et-  tacite. 

«  Il  seroit nécessaire,  pour 
couper  court  à  mille  nou- 
velles et  insoutenables  diffi- 
cultés, d'ajouter  que  les 
pairs  garderont  dans  tous 
les  parlements  du  Royaume 
la  môme  forme  d'entrer 
dans  le  lieu  de  la  séance  et 
d'en  sortir  qu'ils  ont  accou- 
tumé de  garder  en  celui  de 
Paris,  cour  ordinaire  des 
pairs  et  le  premier  de  tous 
les  parlements,  dont  l'exem- 
ple ne  peut  et  ne  doit  être 
refusé  d'aucun  autre. 


«  Il  ne  faut  point  suppri- 
mer un  terme  consacré  par 
un  long  usage,  et  qui,  en 
effet,  est  essentiel,  mais  lui 
donner  seulement  une  in- 


i.  C'est  la  formule  obligatoire.  «On  dit  voix  délibérative,  pour 
dire,  droit  de  dire  son  avis  dans  une  compagnie  »  {Académie,  1718). 

2.  Ou  corrigé  en  et. 

3.  «  Cau.se  signitic  aussi  droit  ccdc  ou  transmis  d'une  personne  à 
une  autre,  et  il  n'est  en  usage  qu'en  cette  façon  de  parler  ayant 
cause  n  (Académie,  1718). 

•4.  Les  premières  lettres  do  Duchés  surchargent  Pair[ies\. 


152 


MÉMOIRES 


[4711] 


ancie:»  projet. 

cette  heure  où  ils  auroient 
été  mis,  et  ne  '  seront  plus 
insérés  dans  aucunes  lettres 
à  l'avenir. 


V. 

«  Les  clauses  générales 
insérées  ci-devant  en  quel- 
ques lettres  d'érection  de 
duchés -pairies  en  faveur 
des  femelles  n'auront  au- 
cun effet  qu'à  l'égard  de 
celles  qui  descendront  et  se- 


NOTES. 

terprétation  générale  pour 
toutes  les  lettres,  tant  expé- 
diées^ qu'à  expédier,  qui 
soit  fixe  et  certaine.  Il  faut 
donc  exprimer  que',  par 
ayant  cause,  le  concesseur  * 
entend  les  mâles  issus  de 
l'impétrant^  étant  de  son 
nom  et  maison,  en  quel- 
que degré  et  ligne  collaté- 
rale que  ce  puisse  être,  en 
gardant  entre  eux  l'ordre  et 
le  rang  de  branche  et  d'aî- 
nesse, afin  que  la  dignité  se 
conserve  et  perpétue  dans 
les  issus  mâles  de  l'impé- 
trant de  son  nom  et  mai- 
son tant  et  si  longtemps 
qu'il  restera  un  seul  mâle 
issu  de  l'impétrant  de  son 
nom  et  maison. 

«  Ajouter  à  cet  article,  où 
aucun  mot  n'est  à  changer, 
que  du  mariage  d'une  fille 
qui,  aux  termes  dudit  ar- 
ticle, fera  son  mari  duc  et 
pair,  sortira  une  race  du- 
cale masculine,  c'est-à-dire 


1 .  Avant  ne,  il  a  biffé  qu'ils.  —  2.  Avant  expédiées,  il  a  biffé  à. 

3.  Que  a  été  ajouté  en  interligne. 

4.  Second  exemple  de  ce  mot  que  nous  avons  déjà  dit  ne  pas  se 
trouver  ailleurs  (tome  VI,  p.  70). 

o.  K  Impétrant,  terme  de  pratique,  qui  n'a  d'usage  qu'en  parlant  de 
celui  qui  impètre  des  lettres  du  prince  où  quelque  bénéfice  »  (Acadé' 
mie,  1718). 


17H1 


DE  SAINT-SIMON 


iS3 


a:<cie>  projet. 

ront  du  nom  et  maison  de 
l'impétrant',  et  à  la  charge 
qu'elles  épouseront  des  per- 
sonnes que  le  Hoi  jugera 
dignes  de  posséder  cet  hon- 
neur, et  dont  S.  M.  aura 
agréé  le  mariage  par  des 
lettres  patentes,  qui  seront 
adressées  au  Parlement. 

a  On  peut  ajouter  :  Si  ce 
n'est  qu'il  plaise  au  Roi 
d'étendre  sa  grâce  aux  filles 
des  filles  par  une  clause 
expresse. 


NOTES. 


qu'en  la  personne  du  fils  de 
cette  fille  la  duché-pairie 
femelle  deviendra  mascu- 
line, dont  la  succession  à  la 
dignité  sera  semblable  en 
tout  à  la  succession  de  toute 
autre  dignité  de  duc  et  pair 
qui  n'a  jamais  été  femelle 
et  qui  n'a  été  érigée  qu'en 
faveur  des  seuls  mâles. 

«  Exprimer  si  le  gendre 
aura  le  même  rang  que  le 
beau-père,  ou  de  ^  la  date 
des  lettres  patentes  adres- 
sées au  Parlement  pour  son 
mariage,  et  alors,  consé- 
quemment,  de  sa  réception, 
s'il  est  pair,  ce  qui  fixe  le 
rang  de  ce  duché,  devenu 
alors  masculin.  11  semble 
qu'avec  cette  restriction  ap- 
portée aux  duchés  femelles, 
on  pourroit  laisser  au  gen- 
dre le  rang  de  son  beau- 
père  :  bien  entendu  que  cet 
édil  ait  un  efïet  rétroactif 
en  tous  ses  points  et  arti- 
cles. Pour  ce  qui  est  des 
filles  des  filles,  c'est  une 
chose  à  bannir  et  à  proscrire 
à  jamais,  comme  une  porte 
funestement  ouverte  aux  in- 


t.  L'article  élidc  surcharge  une,  et,  après  Impétrant,  Saint-Simon 
a  mis  un  signe  de  renvoi  qui  se  retrouve  au  commencement  du  para- 
graphe suivant  :  «  On  peut  ajouter,  etc.  » 

'2.  De  est  en  interligne. 


154 


MEMOIRES 


M7H1 


ANCIEN  PROJET. 


VI. 

((  Permettre  à  ceux  qui 
ont  des  duchés  d'en  substi- 
tuer à  perpétuité,  ou  pour 
un  certain  nombre  de  per- 
sonnes plus  grand  que  celui 
de  deux,  outre  l'institué, 
prescrit  par  l'ordonnance  de 
Moulins'  art.  59-,  le  chef- 
lieu  avec  une  certaine  par- 
tie de  leur  revenu,  montant 

jusqu'à de  rente,  auquel 

le  titre  et  dignité  des  du- 
chés-pairies demeurera  an- 
nexé ,  sans  pouvoir  être 
sujet  à  aucunes  dettes  ni 
détractions  ',  de  quelque 
nature  qu'elles  puissent 
être,  après  qu'on  aura  ob- 
servé les  formalités  prescri- 
tes   par     les    ordonnances 


NOTES. 

convénients  contre  lesquels 
cet  édit  est  principalement 
salutaire. 

«  Il  seroit  beaucoup  plus 
à  propos  qu'à  l'exemple  des 
majorasquesM'Espagne,  cet 
édit  marquât  que  toute  érec- 
tion de  duché  porte  substi- 
tution perpétuelle  de  la  terre 
érigée,  c'est-à-dire  du  chef- 
lieu  et  d'un  certain  nombre 
de  paroisses  aux  environs, 
faisant  un  revenu  de  quinze 
mille  livres  de  rentes,  avec 
privilège,  outre  ceux  conte- 
nus en  ce  sixième  article, 
que  ce  revenu  ne  pourra 
être  saisi  pour  aucune  cause 
que  ce  puisse  être;  que,  s'il 
y  a  des  duchés  entiers  qui 
ne  les  valent  pas,  tant  pis 
pour  leurs  titulaires  posses- 
seurs,   qui   néanmoins    les 


1.  C'est  en  janvier  et  février  1366,  que  Charles  IX,  tint  à  Moulins, 
sur  l'initiative  du  chancelier  Michel  de  l'Hospital.  une  assemblée  de 
notables  et  de  jurisconsultes,  qui  rédigea  en  quatre-vingt-six  articles  la 
célèbre  ordonnance  dite  de  Moulins,  sur  la  réformation  de  la  justice. 
Elle  fut  enregistrée  au  parlement  de  Paris  le  23  juillet  suivant,  et 
resta  jusqu'à  la  Révolution  comme  la  loi  organique  de  la  justice  fran- 
çaise. 

2.  Par  l'article  57  (et  non  59),  l'ordonnance  réglait  que  les  substitu- 
tions pourraient  s'étendre  jusqu'au  quatrième  degré,  outre  l'institué. 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4718  ne  donnait  ce  mot  qu'au 
sens  de  médisance  ;  mais,  en  jurisprudence,  c'est  le  droit  du  souverain 
de  distraire  une  partie  de  succession  au  protit  d'un  étranger. 

4.  Terme  déjà  relevé  dans  notre  tome  IX,  p.  154. 


[il\\\  DE  SAI.NT-SIMO.N  15.H 

\>CIEN    l'KOJET.  >OTES. 

pour     la     publication     des      pourront  accroître  par  des 
substitutions'.  acquisitions;    que,    s'il    se 

trouve  des  ducs  trop  obérés 
pour  que  cette  concession 
ne  préjudiciàt  pas  à  leurs' 
créanciers,  donner  pouvoir 
aux  petits  commissaires  de 
la  grand  chambre  du  parle- 
ment de  Paris ^  de  changer 
l'hypothèque  des  créanciers 
sur  les  biens  libres  de  la 
femme  du  duc,  et  de  faire 
en  sorte  de  rendre  le  duché 
capable  de  jouir  du  bénéfice 
de  cette  disposition,  qui, 
une  fois  connue,  ne  peut 
plus  préjudicier  à  l'avenir, 
et  assure  une  subsistance 
modique  aux  plus  grands 
dissipateurs  pour  soutenir 
leur  dignité,  et  délivre  les 
maisons  de  la  négligence  de 
plusieurs  ducs  à  se  servir 
de  cette  grâce,  si  elle  n'étoit 
qu'offerte  et  ouverte  à  vo- 
lonté, comme  elle  l'est  dans 
cet  article  sixième.  On  sait 

1.  L'article  57  de  l'ordonnance  de  Moulins  réglementait  la  forme  et 
les  délais  de  la  publication  des  substitutions.  Il  a  déjà  été  parlé  de  cela 
dans  nos  tomes  V,  p.  3"2o,  et  XV,  p.  444. 

2.  Saint-Simon  a  écrit  ses,  par  mégarde,  au  lieu  de  leurs. 

3.  Il  a  été  déjà  parlé  des  petits  commissaires  dans  le  tome  II,  p.  T'i. 
D'après  le  Dictionnaire  de  rAcadémie  de  1718,  lorsque  les  conseillers 
et  le  président  chargés  d'examiner  une  alTairr  se  réunissaient  au  Pa- 
lais, on  les  appelait  grands  commissaires,  et  petits  commissaires,  s'ils 
s'assemblaient  chez  le  président.  Il  pouvait  y  avoir  des  commissaires 
dans  toutes  les  chambres. 


iS6 


MEMOIRES 


[\1H] 


ANCIEN    PROJET 


VII. 

«  Permettre  aux  mâles 
descendants  en  ligne  di- 
recte de  l'impétrant  de  re- 
tirer le  duché -pairie  des 
filles  qui  se  trouveront  en 
être  propriétaires,  en  leur 
en  remboursant  le  prix 
dans...  sur  le  pied  du  de- 
nier... du  revenu  actuel. 


VIII. 

«  Ordonner  que  ceux  qui 
voudront    former   quelque 


NOTES. 

que  les  fiefs  de  dignité  sont 
à  peu  près  revêtus  de  tous 
ces  avantages  par  toute  l'Al- 
lemagne, que  ceux  d'Italie 
ne  se  peuvent,  à  propre- 
ment parler,  réputer  tels, 
hors  les  vraies  souveraine- 
tés, et  que  ceux  d'Angle- 
terre ne  sont  que  des  noms 
et  des  titres  vains,  jamais 
possédés  par  ceux  qui  les 
portent*. 


«  Le  remboursement  du 
prix  doit  être-  reçu  forcé- 
ment par  les  femelles,  et 
réduit  à  un  denier  fort  au- 
dessous  du  revenu  de  la 
terre,  payable  par  un  con- 
trat de  constitution.  La  pra- 
tique très  embarrassante 
de  cet  article  seroit  suppri- 
mée par  la  substitution  de 
droit  perpétuelle,  proposée 
sur  l'article  précédent. 


<(  Bon  ;  pourvu  qu'il  n'é- 
mane aucun  arrêt,  qui,  dès 


1.  A  la  suite,  Saint-Simon  a  biffé  le  paragraphe  suivant,  qu'on  re- 
trouve presque  textuellement  ci-contre,  sous  le  n°  VII  :  «  Permettre 
aux  masles  descendans  de  l'Impétrant  de  son  nom  et  Maison,  de  les  re- 
tirer des  tilles  qui  se  trouverront  en  estre  propriétaires,  au  cas  de  non 
substitution  faitte  auxd.  masles,  en  remboursant  lesd.  tilles  propriétai- 
res en sur  le  pied  du  denier...  du  revenu  actuel.  » 

2.  Il  y  a  doit  est  dans  le  manuscrit. 


[17H| 


DE  SAINT-SIMON 


157 


ANCIEN    PROJET. 

contestation  sur  le  sujet  des 
duclu's-pairies,  etdes  rangs, 
honneui^s  et  préséances  ac- 
cordés par  le  Hoi  aux  ducs 
et  paii"s,  princes  et  seigneui*s 
de  son  rovaume,  seront  te- 
nus de  représenter  chacun 
en  particulier  à  S.  M.  l'in- 
térêt qu  ils  prétendent  y 
avoir,  alin  d'en  obtenir  la 
permission  de  le  poursuivre, 
et  qu  elle  puisse  y  pronon- 
cer elle-même,  si  elle  le 
trouve  à  propos,  ou  ren- 
voyer par  un  arrêt  de  son 
conseil  d'État  les  parties, 
pour  procéder  et  être  ju- 
gées en  son  l*arlement;  et, 
en  cas  qu'après  y  avoir  ren- 
voyé une  demande,  les  par- 
ties veulent  '  en  former 
d'autres  incidemment,  qui 
soient  ditTérentes  de  la  pre- 
mière, elles  soient  tenues 
d'en  obtenir  de  nouvelles 
permissions  de  S.  iM. 


NOTES. 


là  (jue  ce  seroit  un  arrêt, 
attacjueroit  le  di-oit  et  la  di- 
gnité de  la  cour  des  pairs, 
mais  bien  un  ordre  verbal 
(lu  Roi,  ou  une  lettre  de 
cachet  au  Parlement,  ou  du 
secrétaire  d'État  de  la  mai- 
son du  Roi  au  premier  pré- 
sident, au  procureur  géné- 
lal  et  au  premier  avocat 
général  du  parlement  de 
Paris,  marquant  la  volonté 
du  Roi  par  son  ordre. 

«  Il  paroît  équitable  de 
donner  aux  ducs  vérifiés 
non  pairs,  et  aux  duchés 
vérifiés  sans  pairie,  les  mê- 
mes avantages  qu'aux  ducs 
et  pairs  et  aux  duchés- 
pairies,  en  les  comprenant 
en  cet  édit,  si  ce  n'est  que 
le  revenu  perpétuellement 
substitué  des  duchés  véri- 
fiés non  pairies  pourroit 
être  modéré  à  dix  mille  li- 
vres de  rente. 


IX. 


«    Ordonner    enfin    que  «  A  la  bonne  heure,  mais 

M.    de   Luxembourg*  aura      en  dha.nt.  et  voula/it  traiter 
son  rang  de  1GG2.  »  favorablement,  etc.,  parce 


1.  Il  y  a  bien  veulent,  et  non  veuillent. 

2.  Ici  il  y  a  un  signe  de  renvoi  dans  le  manuscrit,  qui  se  réfère  au 
passage  suivant  placé  en  dessous  de  l'article:  «  M.  de  Lbg  et  ceux  dont 
il  prend  conseil  ont  paru  avoir  beaucoup  de  soumission  p""   tout  ce 


158 


MEMOIRES 


[ilH] 


ANCIEN   PROJET. 


NOTES. 

que  ce  rang,  même  aujour- 
d'hui, n'est  pas  invulnéra- 
ble, et  qu'il  ne  faut  pas  ré- 
voquer en  doute  ce  qui  le 
peut  et  doit  attaquer,  chose 
en  soi  très  indifférente  à 
M.  de  Luxembourg  par 
quels  termes  il  conserve  ce 
rang,  dès  là  qu'il  le  con- 
serve, et  que  c'est  par  des 
termes  honnêtes  pour  lui.  » 


Grâce 
de  substitution 

accordée  au 
ducdllarcourt 

enfourne 

ce  r^glenoent. 

Sagesse 

et  franchise 

d'IIarcourt 

avec  moi  sur 

les  bâtards. 


Tel  étoit  l'ancien  projet,  et  telles  les  notes  que  j'y  mis, 
ce  qui  fut  bientôt  fait  de  ma  part,  mais  *  non  pas  si  tôt 
convenu  entre  le  Chancelier  et  moi.  Avant  de  rapporter 
cette  dispute,  qu'interrompit  mon  voyage  de  Pâques  à  la 
Ferté,  et  la  mort  de  Monseigneur  ensuite,  il  est  à  pro- 
pos d'expliquer  comment  la  chose  s'enfourna^  parmi 
nous. 

Le  duc  d'Harcourt,  toujours  attentif  à  ses  affaires,  de- 
mandoit  en  ce  temps-là  une  grâce  qui  donna  le  branle  à 
tout.  C'étoit  une  déclaration  du  Roi  qui  donnât  une  pré- 
férence à  tous  ses  issus  mâles,  exclusive  de  tout  issu  par 
femelles,  à  la  succession  de  son  duché-pairie,  pour  éviter 
l'inconvénient  des  héritières  des  branches  aînées,  qui, 
emportant  la  terre  à  titre  de  plus  proches,  mettoient  par 
là,  ou  par  un  prix  trop  fort,  les  cadets  mâles  hors  d'état 

qu'ils  pourroient  connoistre  qu'il  seroit  agréable  au  Roy  ;  et  quand  S.  M. 
trouverroit  bon  qu'on  les  avcrtist  de  la  disposition  de  l'article  V  de  cet 
édit,  son  inlerest  joint  à  son  inclination,  lui  feroient  aisément  accepter 
un  parti  auquel  il  a  paru  d  ailleurs  très  disposé.  Los  Ducs  et  Pairs 
plus  anciens  ^aignent  leur  cause,  et  les  nouveaux  ne  sont  plus  parties.  » 

4.  Mais  est  répété  deux  fois. 

2.  Nous  avons  déjà  rencontré  l'expression  mal  enfourné  dans  le 
tome  XIV,  p.  40. 


(17111  DE  SAINT-SIMKN.  ir.9 

de  ivoiu'illir  un»'  },'IM)e  ',  sans  la  possession  de  laquelle  ils 
ne  peuvent  recueillir  la  dignité,  qui  s'éteint  ainsi  sur  eux 
forcément,  comme  il  avoit  pensé  arriver  tout  récemment 
aux  ducs  de  brissac  -  et  de  Duras  ^  Le  Roi  y  consentit; 
mais  la  forme  n'étoit  pas  aisée,  parce  qu'Ilarcourt,  qui 
vouloit  travailler  solidement,  cherchoit  à  la  rendre  telle 
que  la  coutume  de  Normandie  \  où  son  duché  étoit  situé  % 
ne  put,  en  d'autres  temps,  donner  atteinte  à  son  ouvrage*. 
Quand  donc  j'eus  consenti,  le  Chancelier  me  permit  d'en 
parler  à  Ilarcourt,  qui,  pour  une  saignée  au  pied  ^  qui 
avoit  peine  à  se  fermer,  gardoit  la  chambre  dans  l'appar- 
tement des  capitaines  des  gardes  en  quartier",  qu'il  ser- 

1.  «  Glèbe,  motte  de  terre.  Il  ne  se  dit  qu'en  termes  de  pratique  et 
de  coutume,  et  il  si^nitie  un  liéritanc.  On  dit  communément  :  nul  fief 
sanx  gléhe,  gens  attaches  à  la  glèbe,  le  patronage  suit  la  glcbe  >i  (Aca- 
démie, 17 IS).  Nous  retrouverons  ce  terme  ci-après  p.  180.  et  notre 
auteur  parlera  de  la  «  glèbe  de  la  couroone  »  dans  la  suite  des  Mé- 
moires, tome  XIV,  p.  3-40. 

•2.  Voyez  notre  tome  VI.  p.  62-71. 

3.  Tome  XVII,  p.  348  ;  Mémoires  de  Sourches,  tomes  VI,  p.  124  et 
128,  et  IX,  p.  99. 

4.  Celte  coutume,  rédigée  oripnairement  au  treizième  siècle,  et 
dont  on  possède  un  texte  de  celte  époque,  avait  subi  avec  le  temps  di- 
verses modiiicalions,  et  le  texte  primitif  avait  été  complété  par  des 
disftositions  addilionnelles.  Les  diverses  rédactions  en  ont  été  publiées 
parM.J.  Tardit  (1881-11(03)  pour  la  Société  de  l'Histoire  de  Normandie. 

5.  Le  duché-pairie  d'ilarcourt  avait  été  assis,  en  septembre  1709, 
sur  les  terres  de  Tluiry  et  de  la  Motlie-Harcourt,  situées  proche  de 
Falaise,  la  terre  originaire  d'Harcourt,  dans  le  comté  d'Evreux,  près 
Brionne,  appartenant  aux  Lorrains. 

6.  M.  d'Harcourt  redoutait  sans  doute  l'application  de  l'article  IX 
du  <c  Très  ancien  coulumier  »,  qui  disait  :  «  Tout  franc  lénemenl  doit 
être  départi  entre  so-urs.  » 

7.  Il  a  été  parlé  de  la  saignée  dans  notre  tome  XII.  p.  49.  La  sai- 
gnée au  [lied,  moins  Iréquente  qu'au  bras  et  plus  délicate  (les  chirur- 
giens du  Hoi  touchaient  trois  cents  livres  pour  le  bras,  et  le  double 
pour  le  (lied),  était  réputée  pins  cUicace  dans  certains  cas,  et  nous  ver- 
rons L>uis  XV  sauvé  en  1721,  au  dire  ili-  Sainl-Simon  (suite  des  Mé- 
moires, tome  XVII,  p.  2t)0j,  par  une  opération  de  ce  genre. 

8.  Tome  XVI,  p.  379. 


160  MÉMOIRES  [1741] 

voit  pour  le  maréchal  de  Boufflers  navré  de  douleur  de  la 
mort  de  son  fils',  et  que  le  duc  de  Villeroy  servit  bientôt 
après,  pour  laisser  Harcourt  se  préparer  à  son  départ  pour 
Bourbonne  et  pour  le  Rhin  -.  Harcourt  trouvoit  double- 
ment son  compte  dans  la  proposition  que  je  lui  fis,  puis- 
que la  grâce  qu'il  demandoit  devenoit  bien  plus  sûre  par 
un  article  exprès  d  un  édit  général,  et  par  se  voir  délivré 
d'être  la  partie  ^  du  favori  ;  mais  ma  surprise  fut  extrême 
lorsque  j'entendis  ce  courtisan  intime  de  Mme  de  Main- 
tenon  et  de  M.  du  Maine,  auquel  je  savois  qu'il  s'étoit 
prostitué  par  des  traits  de  la  dernière  bassesse,  me  dire 
sans  détour  que,  dès  qu'on  ne  pouvoit  espérer  de  décla- 
ration du  Roi  qu'en  y  confirmant  les  avantages  des 
bâtards,  car  ce  fut  son  propre  terme,  et  avec  un  ton  de 
dépit,  rien  n'en  pouvoit  être  bon.  Je  répondis  que  cette 
confirmation  n'ajoutoit  rien  à  ce  qu'ils  avoient,  et,  par- 
tant, ne  nous  nuiroit  pas  davantage.  «  Voyez-vous,  Mon- 
sieur, me  répliqua-t-il  avec  feu,  je  vis  très  bien  avec  eux 
et  suis  leur  serviteur  ;  mais  je  vous  avoue  que  leur  rang 
m'est  insupportable.  Il  n'y  a  de  parti  présent  que  de  se 
taire  ;  mais,  dans  d'autres  temps,  il  faut  culbuter  tout  cela, 
comme  on  renverse  toujours  les  choses  violentes  et 
odieuses,  comme  le  rang  de  Joyeuse  et  d'Epernon  a  fini 
avec  Henri  HI*,  et  comme,  dans  eux-mêmes,  le  rang  du 
bonhomme  ^  Vendôme  finit  avec  Henri  IV ^  C'est  ce  que 

1.  Tome  XX,  p.  327-329,  et  ci-dessus,  p.  134. 

2.  Ce  détail  n'est  pas  pris  à  Dangeau. 

3.  Au  sens  juridique  de  partie  adverse,  comme  dans  notre  tome  IV, 
p.  94. 

4.  La  cause  de  cette  préséance  et  son  abrogation  sont  exposées  au 
long  par  notre  auteur  dans  ses  Ecrits  inédits,  tome  V,  p.  307-348. 

5.  «  Bonhomme  se  dit  d'un  vieillard  »  (Académie,  4748),  comme 
nous  l'avons  vu  aux  tomes  II,  p.  70,  et  IV,  p.  463-466,  et  comme  on 
en  rencontre  de  nombreux  exemples  dans  le  Journal  de  Dangeau, 
tomes  I,  p.  59,  IV,  p.  443,  VI,  p.  49  et  36,  VII.  p.  479,  etc.  Ici,  il 
s'agit  du  premier  duc  de  Vendôme,  le  bâtard  de  Henri  IV. 

6.  Par  une  déclaration  du  44  avril  4640,  Henri  IV  avait  fixé  le  rang 


[ITIll  DE  SAI.M-SIMO.N.  Itil 

iu)us  tli'vons  tinijuui-s  avoir  devant  les  yeux  connue  ce 
(ju  il  y  a  de  plus  important;  ear  c'est  là  ce  qui  nous  blesse 
le  plus  essentiellement.  Ainsi,  avec  ce  dessein-là,  que 
nous  ne  devons  jamais  periire  de  vue,  je  ne  puis  être 
li'avisde  passer  une  d«''claration  qui  foi'tilie  ce  qui  ne  l'est 
déjà  que  trop,  et  ce  que  nous  devons  détruire.  Je  vous 
parle  à  cœur  ouvert,  ajouta-t-il  avec  un  air  plus  serein, 
sentant  peut-être  ma  surprise  ;  je  sais  qu'on  peut  vous 
parler  ainsi  :  tous  ceux  qui  ont  un  reste  de  sentiment  ne 
peuvent  penser  autrement.  »  Quelque  étourdi  que  je  fusse 
d  une  franchise  si  peu  atlentlue,  je  lui  avouai  que  je  sen- 
tois  la  même  peine  que  lui  sur  les  bâtards,  ravi  de  le  trou- 
ver sur  ce  chapitre  tout  autre  que  j'avois  lieu  de  croire. 
Nous  nous  y  étendîmes  un  peu  avec  ouverture,  et  une 
secrète  admiration  en  moi-même  de  tout  ce  que  cachent 
It's  leplis  du  cœui'  d'un  véritable  courtisan.  Ensuite  je  lui 
dis  qu  étant  entièrement  de  son  avis  sur  le  futur,  je 
croyois  pouvoir'  n'en  être  pas  sur  le  présent,  parce  que, 
ce  qui  étoit  fait  ne  subsistant  pas,  il  ne  falloit  pascomptoi- 
qu'une  conlirmation  de  plus  ou  de  moins  fût  le  salut  ou 
la  ruine  de  rangs  de  cette  nature  ;  que  si,  dans  la  suite, 
ils  se  pouvoient  renverser,  l'article  de  l'édit  dont  je  lui 
parlois  ne  seroit  pas  plus  considérable  que  les  déclara- 
tions enregistrées  qui  les  regardoient  expressément,  ni 
que  leur  possession  ;  que  cet  article,  regardé  alors  du 
même  œil,  et  d'un  œil  sain,  seroit  détaché  de  l'édit  sans 
en  altérer  le  corps,  dont  la  disposition,  en  soi  juste,  con- 
serveroit  toute  sa  force  et  ne  blessoit  personne,  et  que 
nous  pouvions  aisément  compter  sur  ce  crédit,  si  nous  en 
avions  assez  pour  réussir  dans  une  chose  aussi  considé- 
rable que  de  remettre  les  bâtards  à  raison  -,  et  au  rang 

de  ses  bâtards  immédiatement  après  les  princes  du  sanj;  ;  mais,  peu 
apn-s  la  mort  du  Hoi,  le  duc  de  Guise  exigea  avec  hauteur  de  précéder 
les  Vendôme. 

I.  Avant  pouvoir,  il  a  biffé  n'en. 

"2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1716  donnait   les  exemples 

MÉMOIRES    DE   SAINT-SIMON.  XXI  11 


[(.ri 


MEMOIRES 


[1711] 


Je  joins 
le  mari'chal  de 

Boiiiîlers  au 
secret,  qui  est 
restreint, 
d'une  part, 
entre  nous 
deux  et  Har- 
court,  en  gé- 
néral d'une 
part*,  de  l'autre 

entre 
Chevreuse**  et 

d'Antin,  en 
général,  et  sans 

nous*" 
rien  commu- 
niquer ****. 


Harcourt 

parle  au  Roi, 

et  la  chose 

s'enfourne. 


de  leur  ancienneté  parmi  nous  ;  que  si,  au  contraire,  ils 
demeuroient  ce  qu'ils  ont  été  faits,  ce  seroit  un  assez 
grand  malheur  pour  nous,  pour  ne  pas  y  vouloir  joindre 
celui  de  nous  priver  d'un  édit  aussi  avantageux  pour  tout 
le  reste,  dont  je  lui  fis  sentir  toute  l'importance.  Ce  rai- 
sonnement l'ébranla,  et  il  s'y  rendit  le  lendemain.  Je  ne 
voulus  point  passer  outre  sans  obtenir  du  Chancelier  la 
liberté  de  m'ouvrir  au  maréchal  de  Boufflers,  que  je 
regardois  avec  une  tendresse  et  un  respect  de  fils  à  père, 
et  qui  vivoit  avec  moi,  depuis  bien  des  années,  dans  la 
plus  entière  confiance.  Le  Chancelier  y  consentit,  et  je 
persuadai  ce  maréchal  par  le  même  raisonnement  qui 
avoit  emporté  l'autre.  Après  cela,  il  fut  question  d'entamer 
l'aiïaire.  Le  comment  fut  résolu  d'un  côté  entre*  Bouf- 
flers, Harcourt  et  moi,  qui,  seuls  des  opposants  à  d'Antin, 
en  avions  le  secret  ;  de  l'autre,  entre  Chevreuse  et  d'Antin, 
et  le  Chancelier  au  milieu  de  nous,  qui  nous  servoit  là- 
dessus  de  lien,  sans  nous  rien  communiquer  d'un  côté  à 
l'autre.  Ce  comment  fut  qu'il-  falloit  s'y  prendre  par  la 
demande  qu'Harcourt  avoit  faite  pour  son  duché  ^,  et  à  ce 
propos,  remettre  l'ancien  projet  sus^.  Harcourt,  guéri,  vit 
le  Chancelier,  et  parla  au  Roi  comme  pour  fortifier  sa 
demande  de  cet  ancien  projet,  dont  il  avait  ouï  parler 
confusément.  Le  Roi  lui  dit  qu'en  effet  il  y  en  avoit  eu 
un,  et  d'en  parler  au  Chancelier  et  au  duc  de  Chevreuse, 

suivants  :  «  se  mettre  à  la  raison,  amener  quelqu'un  à  la  raison,  en- 
tendre raison  ». 

1.  Entre  surcharge  un  par,  effacé  du  doigt,  et  il  en  est  de  môme 
plus  loin,  avant  Chevreuse. 

2.  Le  pronom  il,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne. 

3.  Ci-dessus,  p.  158. 

4.  Nous  avons  annoté  mettre  sus  dans  notre  tome  XVI,  p.  380,  et 
a  reparu  ci-dessus,  p.  443. 

*  Les  mots  d'une  part  sont  ainsi  répétés  dans  le  manuscrit. 
**  Écrit  par  erreur  Cheveurse. 

***  La  seconde  lettre  de  nous  corrige  une  autre  lettre. 
**"  A  la  fin  de  la  manchette,  Saint-Simon  a  biffé  et  privatim^  à  eux 
tu[us]. 


11711]  \)K  SAINT-SIMON.  10'. 

qui,  tous  (k'u\,  s'en  (Icvoinit  souvenir.  Le  lloi,  aussitôt 
après,  parla  au  Chancelier  de  cet  ancien  projet,  avec  sur- 
prise et  chagrin  de  ce  que  quelques  ducs  en  avoient  eu  con- 
noissance,  puis(jue  llarcourt  lui  en  avoit  parié.  Le  Chan- 
celier le  lit  souvenir  que,  par  son  ordre,  le  duc  de  Che- 
vreuse  et  feu  M.  de  Luxembourg  en  avoient  eu  part,  d'où 
cela  avoit  pu  se  répandre  à  quelques  autres.  Le  Roi,  con- 
tenté là-dessus,  demanda  au  Chancelier  s'il  en  '  avoit 
encore  quelque  chose,  et,  sur  ce  qu'il  lui  dit  en  avoir 
conservé  soigneusement  tous  les  papiers,  il  en  reçut  ordre 
de  les  revoir  pour  lui  en  pouvoir  rendre  compte.  On  en 
étoit  là  lorsque  la  semaine  sainte  sépara  la  compagnie, 
qui  fut  suivie  de  celle  de  Pâques,  et,  tout  de  suite,  de  la 
maladie  et  de  la  mort  de  Monseigneur,  sur  laquelle  il 
nous  parut  indt'ceni  de  commencer  nos  plaidoiries,  que 
nous  remimes  à  un  peu  d'éloignement,  de  concert  avec 
d  Antin  et  le  premier  pi'ésident.  Je  prendrai  cet  intervalle 
pour  exposer  courtement  l'intérêt  du  duc  de  Chevreuse, 
(jui  prétendoit  en  avoii-  deux,  Tun  et  l'autre  parfaitement 
pitoyables  -. 

Sans  s'étendre  sur  la  prodigieuse  fortune  des  Luynes,       Chimères 
ni  sur  leur  généalogie \  tout  le  monde  sait  que  MM.  de    ^e  Chc     ^^^ 

"  "  ^  etdeLhaulnes. 

i.  En  a  été  ajouté  en  interligne. 

"i.  «  Pitoijable  sipnilie  encore  méprisable  clans  son  genre,  qui  est 
inau%'ais  à  faire  pilié  »  {Académie,  ITIH). 

3.  La  maison  d'Albert,  ou  plutôt  Aiberti,  forme  méridionale,  était 
établie  dans  Ir  Comtat-Venaissin  dc[mis  le  commencement  du  (juin- 
/ième  siècle.  La  plupart  des  généalogistes  ont  essayé  de  la  rattacher  à 
la  famille  des  Albcrti  de  Florence  ;  mais  il  ne  semble  pas  que  cette 
tiliation  soit  parfaitement  établie.  Les  auteurs  de  VHistoire  géncalo- 
^ique  (tome  IV,  p.  '2()3-"26i)  se  sont  contentés  de  faire  un  rapproche- 
ment entre  l'époque  à  laquelle  les  Aiberti,  chassés  de  Florence,  pas- 
>i"rent  les  monts,  et  celle  à  laquelle  apparaît  le  premier  Aiberti  du 
Pont-Saiiit-E>prit.  Les  généalogistes  postérieurs  n'ont  point  résolu  la 
ini'slioii.  Un  peut  voir  à  cet  égard  les  manuscrits  Dupiiy  311,  fol. 
.1,  et  bti-i.  fol.  'M-oi,  ceux  de  Clairambault,  n  -  IlH-i-Haa  et  1148, 
le  manuscrit  Duchesne  58,  fol.  Xo,  le  nis.  Languedoc  lUIi,  fol.  47  bis 
à  .'17.   les  Mcmoires  de  Castelnau  par  le  Laboun'nr,  lomc  II,  p.  M8- 


164  MÉMOIRES  [1711] 

Luynes,  Brantes'  et  Cadenet*  otoient  frères,  que  l'aîné  fut 
duc  et  pair  de  Luynes  et  connétable,  que  Brantes  fut  duc 
et  pair  de  Piney-Luxembourg  par  son  mariage,  dont  il  a 
été  amplement  parlé  en  son  lieu^  sur  le  procès  de  pré- 
séance prétendue  par  le  maréchal-duc  de  Luxembourg, 
et  que  Cadenet,  ayant  épousé  l'héritière  d'Ailly  *,  fut  fait 
duc  et  pair  de  Chaulnes,  étant  déjà  maréchal  de  France  ^ 
Il  résulte  de  là  qu'il  étoit  oncle  du  duc  de  Luynes  %  et 
grand-oncle  du  duc  de  Chevreuse.  Cette  érection  est  de 
mars  1621",  huit  mois  avant  la  mort  du  connétable  ^ 
M.  de  Chaulnes  laissa  deux  fds'.  L'aîné,  gendre  du  pre- 

424,  les  Historiettes  de  Talleniant  des  Réaulx,  tome  I,  p.  398  et  410, 
les  Mémoires  de  Richelieu,  édition  de  la  Société  de  l'histoire  de  France, 
tome  I,  p.  304,  ceux  de  Bassompierre,  tome  II,  p.  422,  une  note  de 
M.  Tamizey  de  Larroque  dans  les  Notices  et  documents  publiés  à 
l'occasion  du  cinquantenaire  de  la  Société  de  l'histoire  de  France, 
p.  379,  enfin  Gli  Alberti  di  Firenze,  par  L.  Passerini,  tome  II,  p.  416- 
133,  et  Mazon,  Notes  et  documents  historiques  sur  les  huguenots 
du  Vivarais,  tome  I,  p.  192  et  suivantes.  Au  dix-huitième  siècle,  il 
existait  en  Provence  une  famille  d'Albert,  qui,  au  témoignage  du  duc 
de  Luynes  {Mémoires,  tomes  X,  p.  201,  et  XI,  p.  43-44),  n'était  point 
de  leur  maison.  Nous  donnerons  à  l'Appendice,  n"  VI,  ce  qu'en  disait 
Clairambault  en  1706. 

1.  Léon  d'Albert  :  tome  II,  p.  29.  C'est  par  erreur  qu'on  l'a  appelé 
alors  Marie-Léon. 

2.  Honoré  d'Albert  :  ibidem,  p.  30. 

3.  Tout  cela  a  déjà  été  dit  dans  notre  tome  II,  p.  29  et  suivantes. 

4.  Claire-Charlotte  d'Ailly  épousa  Honoré  d'Albert  le  13  janvier 
1620,  et  mourut  le  17  septembre  1681.  —  La  maison  d'Ailly,  dont  la 
terre  patrimoniale  était  Ailly-Haut-Clocher  en  Ponthieu,  était  une  des 
plus  illustres  et  des  plus  anciennes  de  Picardie;  elle  avait  acquis  le 
vidamé  d'Amiens  en  13i2  par  le  mariage  d'une  héritière  de  la  maison 
de  Picquigny,  et  possédait  le  comté  de  Chaulnes. 

o.  Il  était  maréchal  de  France  depuis  1619,  et  sa  terre  de  Chaulnes 
fut  érigée  en  duché-pairie  par  lettres  patentes  de  janvier  1621. 

6.  Louis-Charles  d'Albert,  mort  en  1690  :  tome  II,  p.  92. 

7.  Les  lettres  patentes  sont  du  mois  de  janvier,  comme  on  vient  de 
le  dire  ci-dessus  :  mais  elles  ne  furent  enregistrées  au  Parlement  que 
le  6  mars  suivant.  Voyez  la  notice  du  duché  dans  les  Ecrits  inédits 
de  notre  auteur,  tome  VI,  p.  43  et  suivantes. 

8.  Il  mourut  le  lo  décembre  1621. 

9.  Un  troisième,  titré  marquis  de  Raineval,  fut  tué  en  1647. 


(HH)  DE  SALNT-SIMON.  165 

rnirr  marcchal  ci»' \  illerov ',  mourut  sans  onfants  -  ;  son 
frère  cadet  devint  ainsi  duc  de  (ihaulnos.  Il  fut  célèbre 
par  sa  capacité  dans  ses  diverses  ambassades,  gouverneur 
do  Brotaf^'ne,  puis  de  Guvenne,  et  il  a  été  souvent  fait 
mention  de  lui  ici  en  divei-s  endroits '.  Il  étoit  donc  cou- 
sin germain  du  duc  de  Luynes  père  du  duc  de  Che- 
vreuse.  Lorsque  ce  dei'nier  épousa  la  fille  aînée  de 
M.  Colbert  au  commencement  de  llJljTS  M.  de  Chaulnes 
lit  donation  de  tous  ses  biens  au  second  mâle  qui  naîtroit 
de  ce  mariage,  au  cas  qu'il  n'eût  point  d'enfants^  Le  cas 
arriva  en  1098*,  et  le  vidame  d'Amiens,  second  fds  du 
iluc  de  Chevreuse,  hérita  des  biens  de  M.  de  Chaulnes, 
fort  chargés'  de  dettes,  dont  il  ne  s'étoit  pas  soucié  de 
débarrasser  son   héritier*,  et  le  duché  de  Chaulnes  fut 

1.  Henri-Louis  d'Albert,  né  le  15  juin  1625,  d'abord  titré  vidame 
d'Amiens,  devint  duc  de  Chaulnes,  gouverneur  d'Amiens  et  d'Auvergne 
à  la  mort  de  son  père  en  1649,  et  mourut  le  21  mars  1653.  Il  avait 
épousé,  le  3  mai  1646,  Françoise  de  Neufville-Villeroy,  qui  se  remaria 
■  Il  1667  à  un  Vignier  d'Hauterive  (notre  tome  VII,  p.  io). 

•1.  Il  cul  deux  lilles  :  l'aînée,  Madeleine-Charlotte,  épousa  le  6  jan- 
vier 1664  le  duc  de  Randan-Foix-Candale.  et  mourut  en  couches  le  3 
août  1665;  la  seconde,  et  peut-être  une  troisième,  moururent  en  bas  âge. 

3.  En  dernier  lieu,  dans  notre  tome  XIX,  p.  20. 

4.  Le  contrat  de  mariage  du  l"^""  février  1667  est  transcrit  dans  les 
registres  Y,  232,  loi.  492,  et  rappelé  dans  le  dossier  bleu  Maillv, 
vol.  il6,  fol.  232,  au  Cabinet  des  titres,  et  dans  le  manuscrit  Clairam- 
baull  1170,  fol.  1  i9  v".  On  peut  consulter  sur  cette  union  le  Journal 
d'Olivier  d'Ormcsson,  tome  II,  p.  483,  486  et  500  ;  les  Lettres  de  Col- 
bert. tome  VII,  p.  349,  la  Gazette  de  1667,  p.  132,  les  Gazettes  en  vers, 
tome  II,  p.  634,  635,  648  et  657,  les  Œuvres  de  Louis  XIV,  tome  V, 
p.  402-403.  Guy  Patin  écrivait  à  cette  occasion  (Lettres,  tome  III, 
p.  632-633):  «  Voilà  deux  favoris  qui  font  de  leur  côté  chacun  un  grand 
pas.  »  Le  P.  Léonard  raconte  (Archives  nationales,  MM  828,  fol. 
12)  que  le  mariage  fut  négocié  par  l'abbé  de  Boui-zeis,  et  qu'en  récom- 
pense Colbert  lit  épouser  à  la  nièce  de  l'abbé  un  partisan  fort  riche 
nommé  Chevalier. 

5.  Déjà  dit  aux  lomos  II.  p.  255,  et  V,  p.  345. 

6.  Par  la  mort  du  duc  de  Chaulnes  le  4  septembre. 

7.  Il  y  &  chargées,  au  féminin,  dans  le  manuscrit. 
S.  Tomes  V.  p.  345-346,  et  XII,  p.  5. 


16fi  MÉMOIRES  \il\\] 

('teint.  M.  tic  Chevreiise  étoit  petit-fils  du  connétable,  cl 
ne  venoit  point  du  premier  duc  de  Chaulnes  ;  le  duché  de 
Chaulnes  n'étoit  que  pour  l'impétrant  et  les  mâles  issus 
de  lui,  aucun  autre  n'y  étoit  appelé.  Rien  donc  de  plus 
manifeste  que  son  extinction  à  faute  d'hoirs  mâles  issus 
par  mâles  de  l'impétrant.  M.  de  Chevreuse,  déplus,  étoit 
personnellement  exclus  des  biens  du  dernier  duc  de 
Chaulnes  par  son  propre  contrat  de  mariage,  qui  étoient 
donnés  au  second  fils  qu'il  auroit  :  tellement  qu'à  toute' 
sorte  de  titres,  on  ne  peut  concevoir  quel  pouvoit  être  le 
fondement  de  M.  de  Chevreuse  de  prétendre  pour  lui- 
même,  et  aussi  pour  son  second  fils,  la  dignité  de  Chaul- 
nes, dont  lui  ne  pouvoit  posséder  le  duché,  et  auquel  lui 
et  ses  enfants  n'étoient  point  appelés,  ni  sortis  du  pre- 
mier duc  de  Chaulnes.  A  force  d'esprit  et  de  désir, 
d'interprétations  sans  bornes  des  termes  de  succrsseur  et 
ayant  cnuse^,  employés  dans  l'érection  de  Chaulnes 
comme  en  toutes  les  autres,  par  des  raisonnements  sub- 
tils, forcés,  faux,  à  force  d'inductions^  multipliées  et  de 
sophismes  entortillés,  M.  de  Chevreuse,  dupe  de  son 
cœur  et  de  son  trop  d'esprit  et  d'habileté,  se  persuada  pre- 
mièrement* à  lui-même  qu'il  avoit  droit,  et  son  second 
fils  après  lui,  et  voulut  après  en  persuader  les  autres. 

Sur  Chevreuse,  voici  le  fait:  cette  terre  fut  érigée  en  fa- 
veur du  dernier  fils  de  M.  de  Guise^  tué  aux  derniers  États 
de  Blois  en  décembre  1588.  Ce  dernier  fils,  si  connu  sous 
le  nom  de  duc  de  Chevreuse,  le  fut,  comme  on  dit  impro- 
prement, à  brevet  depuis  1612,  que  l'érection  fut  faite 
pour  lui  et  ses  descendants  mâles,  jusqu'en  1627,  que  ce 

\.  Toutle  est  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier  touttc,  biffé,  qui 
surchargeait  d'autres  mots  illisibles. 

2.  Ces  trois  mots  ne  sont  pas  soulignés  dans  le  manuscrit. 

3.  «  Induction  se  dit  aussi  de  l'énumération  de  plusieurs  choses 
pour  prouver  une  proposition  »  (Académie,  1718). 

4.  Ce  mot  est  écrit  p',  dans  le  manuscrit. 

5.  Claude  de  Lorraine,  fils  du  duc  Henri  !«■•  :  tome  V,  p.  231- 
232. 


[ilW]  DE  SAINT-SIMON.  167 

duchi'-pairic  fut  rnrogistiv  '.  i'.o  duc  do  Chevrousc  épousa 
Marie  de  Hohan,  veuve  du  connétable  de  Luvnes',  et 
mère  du  duc  de  Luvnes  père  du  duc  de  Chevreuse  dont 
il  s'agit  '  ;  et  c'est  cette  Mme  de  Chevreuse  qui  a  fait  tant 
de  ligure  et  de  bruit,  surtout  dans  les  troubles  de  la  mino- 
rité de  Louis  XIV.  Klle  n'eut  que  deux  filles  du  Lorrain, 
dont  aucune  ne  fut  mariée  ^  Elle  survécut  à  ce  second 
mari*,  et  eut  le  duché  de  Chevreuse  pour  ses  reprises", 
et  elle  le  donna  au  <luc  de  Luvnes,  son  fils  du  premier  lit'. 

i.  Los  lettres  d'érection  de  Chevreuse  en  duché-pairie,  datées  de 
mars  46 12.  en  faveur  de  Claude  de  Lorraine,  sont  dans  l'Histoire  gé- 
néalogique, tome  IV.  p.  3i9  ;  le  Parlement  ne  se  décida  à  les  enregis- 
trer que  le  -21  août  16-27  (ibidem,  p.  3.">0-3")l). 

5.  Tome  V.  p.  '231.  Le  oontrat  de  mari:i);e,  du  1!)  avril  16'2"2,  est 
dans  le  manuscrit  Clairambault  378,  à  la  Bibliothèque  nationale, 
fol.  Ii8. 

3.  Ci-dessus,  p.  16-4. 

4.  Non  pas  deux,  mais  trois  tilles  :  1°  Anne-Marie  de  Lorraine,  née 
à  Richmond  en  lG2o,  coadjutrice  de  Remiremont,  puis  abbesse  du 
Pont-aux-Diimes  en  165-1,  après  avoir  dû  épouser  le  duc  de  Beaufort, 
puis  le  prince  de  Conti.  et  qui  mourut  à  vinfj;t-huit  ans.  le  5  août  1632; 
2''  Charlotte-Marie,  demoiselle  de  Chevreuse,  née  en  -1627,  et  morte 
sans  alliance  le  7  novembre  46.52;  3°  Henriette,  née  en  4634,  qui  fit 
profession  à  Montmartre  le  3  mai  4646.  devint  abbesse  du  Ponl-aux- 
Dames  en  4652.  puis  de  Jouarre  en  4633,  et  mourut  le  23  janvier 
4694. 

3.  Il  mourut  le  24  janvier  4637,  octogénaire,  et  sourd  depuis  plu- 
sieurs ■ànni'd  {Gazette,  p.  93-96;  J/».<if  historique  de  Loret,  t.  II,  p. 
293  ;  Lettres  de  Guy  Patin,  tome  II,  p.  273  ;  Mémoires  de  Mme  de 
Motteville,  tome  II,  p.  446-447),  et  elle  en  1679. 

6.  «  On  appelle  reprises,  en  termes  de  pratique,  ce  que  les  veuves, 
les  enfants  doivent  reprendre  sur  une  succession  avant  toutes  choses  » 
(^Académie,  4718).  Nous  avons  déjà  rencontré  ce  terme  dans  notre 
tome  III.  p.  178.  —  Ce  n'est  pas  après  la  mort  de  son  mari  que  Marie 
de  Rohan  eut  le  duché  de  Chevreuse  «  pour  ses  reprises  »,  mais  lors 
de  la  séparation  de  biens  qui  intervint  entre  eux  quelques  années  au- 
paravant, et  aussi  pour  ren)boursenient  d'une  somme  de  trois  cent 
mille  francs  due  |)ar  le  duc  à  sa  belle-mère  Mme  de  Montbazon  (voyez 
l'acte  du  13  octobre  4633  inséré  dans  l'Histoire  généalogique,  [omc  V, 
p.  677-678,  et  la  Muse  historique  de  Loret,  tome  I,  p.  48-49). 

7.   Par  acle  du  I'''"  mai  1663  :  Archives  nationales,  rcg.  V  203,  fol. 


168  MEMOIRES  [4711] 

Le  duc  de  Liiynes  le  donna  en  mariage  à  son  fils', 
qui,  par  le  crédit  de  Colbert  son  beau-père,  obtint  une 
nouvelle  érection  en  sa  faveur  de  Chevreuse  en  duché 
sans  pairie  -,  qui  fut  vérifié  ^  tout  de  suite  ^  De  prétendre 
de  là  la  pairie  et  l'ancienneté  de  M.  de  Chevreuse-Lor- 
raine,  mieux  encore  l'ancienneté  de  l'érection  en  duché 
sans  pairie,  enregistrée  ^  en  looo  pour  le  cardinal  Charles 
de  Lorraine*,  qui  fut  éteint  par  sa  mort",  c'est  ce  qui  est 
inconcevable.  On  feroit  un  volume  des  absurdités  de  ces 
chimères.  Cependant  ce  furent  ces  chimères  qui  portèrent 

164,  et  232,  fol.  543;  reg.  X^*^  8666,  fol.  69  ;  Histoire  généalogique, 
tome  V,  p.  678-679. 

\.  Il  s'appelait  alors  le  marquis  d'Albert.  L'acte  de  don,  du  9  sep- 
tembre 1663,  est  dans  les  registres  Y  204,  fol.  202  v,  et  X^^  8666,  fol. 
72  v»,  et  dans  VHistoire  généalogique,  p.  679-680. 

2.  Les  lettres  patentes  d'homologation  du  contrat  intervenu  entre  la 
duchesse  et  son  tils,  et  de  nouvelle  érection  en  duché,  «  en  tant  que 
besoin  seroit,  »  datées  du  mois  de  décembre  1667,  sont  dans  VHistoire 
généalogique,  p.  681-682.  Le  Roi  y  disait  :  «  La  seule  dignité  de  pairee 
unie  audit  duché  par  les  lettres  de  1612  a  été  éteinte  et  supprimée, 
la  qualité  de  duché  subsistant  toujours  ;...  ce  titre,  étant  réel  et  féodal, 
inséparablement  attaché  à  la  terre,  a  pu  passer  de  la  personne  du  feu 
sieur  duc  de  Chevreuse  en  celle  de  la  dame  duchesse  son  épouse,  »  et 
d'elle  à  son  tils.  En  conséquence,  le  Roi  autorisait  ce  dernier  à  jouir 
des  titres,  honneurs,  etc.,  ainsi  qu'en  avaient  joui  le  cardinal  de  Lor- 
raine et  le  duc  de  Chevreuse-Lorraine,  et  érigeait  à  nouveau  la  terre 
en  duché  «  en  la  même  forme  et  manière  portée  par  les  lettres  de  la 
première  érection  du  mois  d'avril  looo.  »  Dans  le  manuscrit  Baluze 
214,  fol.  21-26,  il  y  a  un  mémoire,  postérieur  à  1656,  qui  cherche  à 
établir  que  la  terre  de  Chevreuse  avait  conservé  le  titre  de  duché, 
quoique  la  descendance  du  premier  bénéficiaire  fût  éteinte. 

3.  Il  y  a  bien  ici  vérifié,  au  masculin,  dans  le  manuscrit. 

4.  L'enregistrement  au  Parlement  est  du  16  mars  1668. 

5.  Le  manuscrit  porte  enregistrées  au  féminin  pluriel. 

6.  Tome  II,  p.  284. 

7.  Les  lettres  d'érection,  du  mois  d'avril  1555,  enregistrées  le  10  mai 
suivant,  ont  été  insérées,  avec  les  pièces  annexes,  dans  VHistoire  gé- 
néalogique, tome  IV,  p.  343-3 i8.  Le  cardinal  fit  transférer  à  son  profit 
l'érection  faite  en  décembre  1545  en  faveur  de  Jean  de  Brosse  et  d'Anne 
de  Pisseleu,  duchesse  d'Étampes  (Écrits  inédits,  tome  VII,  p.  157- 
158). 


(1711)  DE  SAINT-SIMON.  ^69 

toujours  M.  (Ir  Clicvrcusf  tju  cùh'  do  loulos  celles  qui  se 
présenteront,  et,  sinon  à  prendre  parti  poui-  elles  à  décou- 
vert  et  en   jonction',  à   demeurer   au  moins  neutre  en 
apparence,  et   leur  fauteur  et  défenseur  en  eflet.  J'avois 
vécu  avec  lui  dans  la  confiance  et  l'amitié  la  plus  intime 
et  la  plus  réciproque.  Il    n'ignoroit  donc  pas  que  l'inté- 
rêt de  la   dignité  en  général,   et  celui   de   mon  rang  en 
particulier,  ne  l'emportassent  à  cet  égard  sur  tout  autre 
sentiment  et  sur  toute  autre  considération  :  ainsi  il  voulut 
essayer  de  me  pei-suader,  et  n'oublia  rien,  en  plusieurs 
diflFérents  temps,  pour  m'emporter  par-  toute  la  séduction 
de'  l'amitié  et  celle  du  raisonnement  jointes  ensemble.  Il 
me  trouva  inébranlable.  Sur  l'amitié,  je  lui  dis  que  je 
serois  très  aise  qu'il  fît  obtenir  des  lettres  nouvelles  à  son 
second  (ils,  mais  que  je  ne  pouvois  trahii*  ma  dignité  en 
connivant*  à  un  abus  si   préjudiciable  que  seroit  celui 
d'une  si  vaste  et  si  large  succession  de  dignité,  telle  qu'il 
le    prélendoit.     Sur     le     raisonnement,    je    démêlai   ses 
sophismes,  que  je  ne  rendrai  point  ici,  pour  n'allonger 
point  ce  récit  d'absurdités  si  arides  et  si  subtilisées^,  et 
inutiles,  puisque  la  prétention  n'osa  se  présenter  en  forme. 
Je  dirai  seulement,  pour  en  donner  une  idée,  que  je  le 
poussai,  un  jour  entrt'  autres,  d'absurdités  en  absurdités, 
auxquelles  son    raisonnement   le   jetoit    nécessairement, 

1.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  M  [S  dàûnissill  ce  mot:  «  union, 
assemblage  ». 

"2.  Par  est  répété  deux  lois,  à  la  tin  d'une  iif,'ne  et  au  commencement 
de  la  ligne  suivante. 

3.  Avant  de,  Saint-Simon  a  biffé  et. 

•4.  a  Conniver,  dissimuler,  faire  semblant  de  ne  |)as  voir  un  mal  qu'on 
peut  et  (ju'on  doit  empêcher  »  (Académie,  iTlH).  Outre  plusieurs 
exemples  d<'  notre  auteur,  on  trouve  ce  verbe  non  seulement  dans 
Brantôme  et  dans  Pierre  de  l'Estoile.  mais  aussi  dans  les  grands  écri- 
vains du  dix-septième  siècle.  Nous  aurons  ci-après,  p.  io-S,  le  sub- 
stantif connivence. 

5.  «  Subtiliser,  au  neutre,  signifie  aussi  raffiner,  chercher  beaucoup 
de  finesse  dans  une  question,  dans  une  alfaire  »  (Académie,  1718). 
(Chapelain  se  servait  du  substantif  subtiliscur. 


170  MÉMOIRES  [4711] 

jusqu'au  point  de  me  soutenir  qu'un  duc  et  pair  dont  le 
duché  seroit  situé  dans  la  même  coutume  '  où  Chaulnes 
est  situé-,  et  qui  auroit  deux  fils,  pourroit,  de  droit  et 
sans  aucune  difficulté,  ajuster^  les  deux  partages  en  sorte 
que,  l'aîné  ayant  pour  la  quantité  de  biens  tous  les  avan- 
tages de  l'aînesse,  le  cadet  seroit  néanmoins  duc  et  pair 
à  son  préjudice  en  faisant  tomber  le  duché-pairie  dans  son 
lot,  sans  que  l'aîné  eût^  démérité,  ni  qu'il  pût  l'empêcher. 
Quelquefois  des  conséquences  si  grossières  dont  il  ne  se 
pouvoit  tirer  lui  donnoient  quelque  sorte  de  honte  ;  mais 
sa  manière  de   raisonner,  subtile  au   dernier  point,  le 
réconfortoit  à  son  propre  égard,  l'empêchoit  de  se  laisser 
aller  à  la  droite  et  vraie  raison,  et  le  laissoit  en  liberté  de 
poursuivre  avec  candeur  la  plus  déplorable  de  toutes  les 
thèses.  Je  finis  avec  lui  par  lui  dire  qu'il  étoit  inutile  de 
disputer   davantage  là-dessus  ;  que,  s'il  entreprenoit  ce 
procès,  il   devoit  compter  de  me  trouver  contre  lui  de 
toutes  mes  forces,  sans  pour  cela  l'aimer  moins,  et  que 
la  plus  grande  preuve  que  je  lui  en  pusse  donner  étoit 
mon  souhait  sincère  qu'il  réussît  pour  son  second  fils  par 
des  lettres  nouvelles.    Cette  marque  d'amitié  étoit,   en 
effet,  grande  pour  moi,  et  il  en  sentit  le  priîi,  parce  qu'il 
connoissoit  parfaitement  mon   éloignement  extrême  de  ^ 
notre  multiplication,  et  l'extrême  raison  de  cet  éloigne- 
ment.   Nous  demeurâmes  donc  de   la   sorte  muets  sur 
Chaulnes,  qu'il  avoit  bien  plus  à  cœur  que  son  ancien- 
neté de  Chevreuse,  qu'il  ne  regardoit  qu'en  éloignement, 
moi  en  garde  avec  lui  sur  Epernon,  et  lui  refusant  quel- 

i.  Ce  sens  extensif  du  mot  coutume  signifiant  la  contrée  régie  par 
une  coutume  n'était  pas  donné  dans  les  lexiques. 

2.  La  terre  de  Chaulnes,  en  Picardie,  élection  de  Péronne,  était  sou- 
mise à  la  coutume  de  cette  province,  et  peut-être  à  celle  particulière 
de  Péronne. 

3.  Au  sens  de  disposer,  accommoder,  différent  de  celui  que  nous  avons 
eu  dans  notre  tome  XX,  p.  356. 

4.  Eut  et  non  eust,  dans  le  manuscrit. 

5.  De  surcharge  p"^. 


(1111)  DE  SAINT-SIMON  \1\ 

quefois  iKMU'nicnl  toute  n'-poiisc  à  sos  (nn'stions  là-dos- 
sus,  mais  (iii  rosfo  aussi  ('troitement  unis  et  en  confiance 
aussi  entière,  sur  tout  ce  qui  ne  touchoit  pas  ces  matières, 

que  nous  étions  auparavant  '.  Quelque  uns-,  car  c'est  trop  Duc 

di-  •  f  i  1       1  M      I     /-^L  «t    de  Bcauvillier 

e  dire  unis,  que  tussent  en  tout  M.  de  Chevreuse  et  „ -approuve  pas 

M.  de  Beauvillier,  ce  dernier étoit  bien  éloigné  d'approu-    les  cliim.res; 

ver  les  chimères  de  son  beau-frère.  On  l'a  vu  par  le  con-        "*:'"'"). 

.       ,    .     ,  ,  poiin.inl  être 

seil  qu'il    me   donna,  sans    que  je    lui  demandasse,   de  admis  au  secret 

m'opposer  sagement,  mais  fermement,  à  la  prétention  f^"  r." gUmcnt 
d'Épernon  %  et  par  le  même  qu'il  me  dit  avoir  donné  à 
son  frère*,  qui  fut  fidèlement  des  nôtres  ;  mais,  par^  son 
unité  d'ailleurs  avec  M.  de  Chevreuse,  il  ne  vouloit  pas 
le  blâmer,  et  se  tenoit  là-dessus  tellement  à  l'écart, 
qu'avec  le  plus  qu'éloignement  qui  étoit  entre  lui  et  le 
Chancelier,  il  ne  put  être  question  que,  quoique  sans 
aucun  secret  mien  pour  lui,  je  pusse  lui  parler  du  règle- 
ment de  ce  dont  il  s'agissoit.  C'est  où  nous  en  étions 
lorsqu'après  la  mort  de  Monseigneur  il  fut  enfin  temps  de 
commencer  nos  plaidoiries  sur  la  prétention  d'Epernon, 
ou  de  finir  tout  par  le  règlement  en  forme  de  déclaration 
ou  dédit  dont  j'ai  parlé ''. 

Le  duc  de  Chevreuse  et  M.  d'Antin  le   désiroient  pas- 
sionnément par  les  raisons  que  j'ai   racontées",    et  je   ne 
le  désirois  pas    moins   par    celles    que   j'ai   rapportées*. 
Ce  secret,  comme  je  l'ai  dit',  étoit    renfermé  entre  eux     Secret  de** 
deux  d'une  part,  les  maréchaux    de   Bouflllers  et   d'IIar-    «ou t  ce  qui  se 

•    ,>  I     r^i  I-  •  •!•  Ul  sur  10  règle- 

court  et  moi  d  autre  part,  et  le  Chancelier,  point  milieu  '"    mcniuniquc- 

I.  Ecrit  auparavent. 

i.  Ellipse  pour  dire,  comnio   plusieurs   fois  déjà,   (m'ils  u'étaienl 
qu'un. 

3.  Tome  XX.  p.  -207. 

4.  Le  duc  de  Sainl-Aignan  :  voyez  fome  XX,  p.  "ifiS. 

r>.  Par,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne.  —  G.  Ci-dessus,  p.  \V.\. 

7.  Ci-dessus,  p.  1  4'2.  —  8.  Ci-dessus,  p.  li^j.  —  !).  Ci-dessus,  p.  16''2 

10.  (I  Miliext,  le  centre  d'un  lieu,  l'endroit  qui  est  é{;alcment  distant 

*  Cette  manchette  est  placée  une  ligne  trop  bas  dans  le  manuscrit. 
■  Le  mot  de  surcharge  sur. 


172 


MEMOIRES 


741] 


mont  entre 

le  Chancelier 

avec  moi. 


des  deux  côtés,  qui  ne  se  communiquoient  que  par  lui, 
et,  à  la  fin,  se  renferma  uniquement  entre  le  Chancelier 
et  moi  seul  pour  tout  ce  qu'il  s'y  fit.  Le  maréchal  de 
Boufïlers  s'en  alla  malade  à  Paris  dès  que  la  revue  des 
gardes  du  corps  fut  faite  '  ;  Ilarcourt  partit  assez  tard 
pour  Bourbonne,  et  de  là  pour  le  Rhin-,  et''  on  verra 
pourquoi  je  ne  fus  pas  pressé  de  lui  parler*  ;  d'Antin  et 
moi  n'étions  pas  en  mesure  de  nous  entretenir  d'affaires  ; 
le  duc  de  Chevreuse  demeura  le  seul  à  qui  je  pusse 
parler,  mais  tellement  en  général,  que  je  n'eus  pas  la  li- 
berté de  lui  avouer  que  j'eusse  connoissance  du  projet 
du  premier  président  d'Harlay,  moins  encore  de  tout  ce 
qui  se  passoit  sur  cette  base.  Tel  étoit  le  secret  que  le 
Chancelier  m'avoit  imposé,  ne  me  laissant  que  la  simple 
liberté  de  parler  en  général  à  M.  de  Chevreuse,  comme 
sachant  bien  qu'on  pensoit  à  un  règlement,  comme  le 
désirant,  mais  rien  du  tout  au  delà.  Nous  étions  à  Marly^; 
ce  séjour  rendoit  tout  lent  et  incommode,  et  me  faisoit 
un  contretemps  continuel.  Le  Chancelier,  passionné  pour 
sa  maison  de  Pontchartrain  %  n'alloit  presque  plus  à 
Marly,  et  n'y  venoit  que  pour  les  conseils.  Du  mercredi 
au  samedi  il  étoit  à  sa  chère  campagne,  l'autre''  partie  à 
Versailles,  pour  être  les  matins  au  Conseil  à  Marly,  et 
s'en  retournoit  dîner  à  Versailles.  Le  lundi,  qui  lui 
étoit  libre,  il  tenoit  le  matin  conseil  des  parties  %   et  le 

de  la  circonférence,  des  extrémités;  on  dit  dans  ce  sens  le  point  milieu 
pour  dire  le  point  du  milieu  »  (Académie,  1718). 

1.  La  revue  de  la  maison  du  Roi,  avant  son  départ  pour  l'armée, 
eut  lieu  le  18  avril  (Dangeau,  p.  386-387). 

2.  Il  ne  prit  congé  que  le  13  mai  (ibidem,  p.  405). 

3.  La  phrase  qui  va  suivre  a  été  ajoutée  en  interligne. 

4.  Ci-après,  p.  220. 

o.  La  cour  resta  à  Marly  du  15  avril  au   14  juillet,   qu'elle  partit 
pour  Fontainebleau. 

6.  Voyez  l'appendice  XIII  de  notre  tome  VI,  p.  555-557. 

7.  Les  premières  lettres  de  l'autre  surchargent  le. 

8.  Ou  conseil  privé  :  voyez  l'Appendice  de  notre  tome  IV,  p,  379  et 
suivantes. 


(17111  DE  SAINT-SIMON.  173 

sceau'  raprt's-tlîiit'»',  dr  sorto  (jiiil  iiv  avmt  prcscjuc  (ju»' 
l'après-dînét'  du  mardi  d'accessible  chez  lui  à  Versailles 
Nous  avions,  lui  et  moi,  beaucoup  à  conférer  ;  ainsi, 
tout  étoit  coupé  et  retardé,  et  nous  jctoit  sans  cesse  dans 
les  lettres  de  I  un  à  l'autre.  Les  ducs  de  Charost  et  d'Hu- 
mières  étoient  à  l'ai'is:  cela  me  sauvoitdu  juste  embarras 
d'avoir  la  bouche  fermée  pour  des  amis  intimes,  dans  un 
intérêt  commun,  et  cpii  avoient  le  timon  de  l'affaire 
d'Épernon,  auxquels  n<'>anmoins  il  fallut  bien  tenir  ri- 
j,'ueur  jusqu  au  bout.  D  \ntin,  à  la  fin,  informé  par  le 
Chancelier  de  l'ordre  qu'il  avoit  reçu  du  Roi  sur  le  pro- 
jet ancien  après  qu'IIarcourt  en  eut  parlé  au  Hoi  -,  se- 
conda la  chose  par  un  trait  hardi  de  ratliné  courtisan  ^  Il 
avoit  embarqué*  son  affaire  par  des  protestations  au  Roi 
qu'il  ne  lui  demandoit  pour  toute  grâce  que  la  permission, 
qu'il  ne  refusoit  à  personne,  de  pousser  son  procès.  Cela  Trait  hardi  et 
ne  l'embarrassa  point  quand  il  lui  convint  de  changer  de  "ffine  du  jjIus 

,  -1     1-.  Il    •  <'.•<•      I    I-      I  I         délié  courtisan 

langage:  n  dit  au  noi  que  son  procès  etoit  mdubilable,  de  d'Antin, 
mais  cependant  qu'il  croyoit  que  son  crédit  souliendroil  qui  garle  au 
dillicilement  le  nôtre;  que  deux  autres  choses  lui  faisoieni 
aussi  beaucoup  de  peine  :  la  longueur,  qui  le  priveroit 
d'une  assiduité  auprès  de  sa  personne  qui  faisoit  tout  son 
devoir  et  tout  son  bonheur,  et  une  aigreur  qui  lui  altiroit 
tous  les  ducs,  lui  qui  ne  cherchoit  qu'à  être  bien  avec 
tout  le  monde;  que,  quelque  bonne  que  fût  son  affaire, 
il  avouoit  qu'il  auroit  toujours  à  contre  cœur  de  devoii" 
Non  élévation  à  la  justice  de  sa  cause,  au  lieu  de  la  rece- 
voir de  sa  grâce  et  de    sa  libéralité,    qui    seroit    la   seule 

1.  «  On  dit  qu'iV  y  aura  sceau  uii  tel  jour,  pour  dire  qu'on  scel- 
lera publiquement  ce  jour-là;...  on  dit  dans  le  mùnic  sens  le  Chance- 
lier tenait  le  sceau  »  {Académie,  171S). 

2.  Ci-tk'ssus.  p.  IG2. 

3.  Après  courtisan,  Saint-Simon  a  biffé  et  l'embarqua,  mais  sans 
biffer  la  virgule  qui  précédait  et. 

■'t.  Nous  avons  déjà  rencontré  embarquer  quelqu'un  ci-dessus, 
p.  39;  l'emploi  de  ce  verbe  avec  un  nom  de  chose  est  irrégulier,  et 
Litlré  n'en  cite  pas  d'exemple. 


Roi. 


174  MÉMOIRES  [nil] 

chose  qui  lui  feroit  plaisir  ;  que  ce  plaisir  même  le  tou- 
cheroit  de  telle  sorte,  qu'il  lui  sacritieroit  de  tout  son 
cœur  toute  l'ancienneté  qu'il  avoit  lieu  d'attendre,  et 
qu'il  se  verroit  avec  cent  t'ois  plus  de  joie  le  dernier  pair 
par  la  bonté  du  Koi  avec  les  bonnes  grâces  des  autres, 
que  le  second  par  l'heureuse  issue  de  son  procès;  que 
ce  n'étoit  pas,  encore  une  fois,  qu'il  ne  le  crût  indubi- 
table ;  qu'il  arrivoit  encore  de  Paris,  où  il  avoit  vu  les 
meilleures  têtes  du  Parlement',  qui  l'en  avoient  assuré 
(il  mentoit  bien  à  son  escient-,  comme  il  l'a  avoué  depuis), 
mais  qu'il  se  déplaisoit  tellement  en  cette  vie  de  courses 
et  d'éloignement  d'auprès  de  lui,  qu'il  étoit  si  ^  accoutumé 
à  ne  rien  tenir  [quej  de  lui,  qu'il  osoit  le  conjurer  d'a- 
bréger toutes  ses  peines  en  lui  donnant  comme  une  grâce* 
la  dernière  place  parmi  les  ducs  et  pairs,  où  il  étoit  per- 
suadé que  la  seconde  lui  étoit  due.  Cela,  dit  en  distance 
de  plusieurs  mois  qu'il  avoit  dit  tout  le  contraire  pour 
enfourner  son  afï"aire%  et  dit  dans  un  moment  d'ébran- 
lement sur  l'ancien  projet  de  règlement,  mit  le  Roi  au 
large  de  contenter  tout  le  monde,  et  en  ^  chemin  d'être 
conduit  où  on  vouloit.  11  ne  répondit  rien  de  précis  à 
d'Antin  ;  mais  il  ne'  le  lit  point  souvenir  non  plus  qu'il 
l'avoit  assuré  d'abord  qu'il  ne*  lui  demanderoit  point  de 
Le  Roi        grâce.  Ensuite,  il  lui  parla  de   lui-même   de    cet  ancien 


suspend  la 


t.  «  On  dit  d'un  homme  que  c^est  une  bonne  tête,...  pour  dire  que 
c'est  un  homme  de  beaucoup  d'esprit,  de  beaucoup  de  jugement,  de 
beaucoup  de  capacité  :  c'est  une  des  meilleures  tètes  du  Conseil  » 
(^Académie,  1718).  Nous  avons  eu,  dans  un  sens  analogue,  «  les  grosses 
tètes  »  dans  le  tome  XVII,  p.  410. 

2.  «  On  dit  faii'S  quelque  chose  à  bon  escient,  et  plus  ordinaire- 
ment à  son  escient,  pour  dire  sciemment  et  sachant  bien  ce  qu'on  l'ait; 
il  est  vieux  »  (Académie,  4718).  Nous  avons  déjà  rencontré  à  bon 
escient  dans  le  tome  IV,  p.  204. 

3.  Si  est  en  interligne. 

4.  Les  mots  co'^  une  grâce  ont  été  aussi  ajoutés  en  interligne. 

5.  Tome  XX,  p.  262  et  suivantes.  —  fci.  En  surcharge  un  d. 

7.  Avant  ne,  il  a  biffé  une  /,  du  doigt. 

8.  Ne  répété  deux  fois  dans  le  manuscrit. 


IITIII  l>K  SAINT-SIMON.  I"'« 

[trojt't  :  :i  (juoi  d'Aiitin,  tout  pn-paiv,  prit  d»' fagon  '    (pril     plaidoirie  sur 
s«'  lit  ordonner  de  voir  là-dessus  le  duc  de  Chevreuse  et  c^mmoncorsur 
le  Chancelier.  L'amorce-  prise,   le  Chancelier  représenta     la  pn  i.niion 
au  Roi  (pi'il  étoit  à  propos  de    suspendre    les    plaidoiries      ''  Eptrnon. 
qui  alloient  commencer  sur  la  prétention  d'Kpernon,    en 
cas  qu'il  voulût  reprendre  les  anciens  errements   du    re- 
pliement, et,  quoi(jue  le  Roi  n'y  fût  pas  encore    résolu,    il 
consentit  à  la  suspension.    Le  Chancelier    la    fit    aussitôt 
savoir  au  premier  président,  aux  gens  du  Roi  et  aux  par- 
ties. La  surprise  en    fut    grande    parmi   les    opposants  à 
dWntin  et  parmi  les  avocats  :  ils  ne  savoient  à  quoi  attri- 
buer ce  coup  d'autorité  ;  ils  ne  doutèrent  même  pas   que 
ce  ne  fût  un  trait  de  favori    inquiet  de   la   l'ace   que  son 
alVaire  avoit  prise.  Tout  ce  que  je  pus  faire  pour  les  ras- 
-<urer  fut  de  dire  aux  ducs  de  Charost  et  d'Humières  de 
n«>  s'inquiéter  point,  et,  à  nos  avocats,  d'avoir  bon  courage. 

Alors  il  fut  question  entre  le   Chancelier  et   moi   d'en      Discussion 
venir  à  un  sérieux  examen  de  cet  ancien  projet   du   pre-     du  projet  de 
inu'r  président  d  llarlay,  que  j  avois  copu'  et  note  ',    qui  euire 

devoit  servir  de  base  au  règlement  qu'on  vouloit  faire,  le  Chancelier 
Le*  premier  article  devint  la  première  matière  de  con- 
testation :  c'étoit  celui  des  princes  du  sang,  qui  étoit 
vague,  hors  d'œuvre%  et  qui  ne  disoit  rien**.  Par  cela 
même,  j'en  craignois  une  approbation  implicite  des  usur- 
pations à  notre  égard,  dont  M.  le  prince  de  Conti  conve- 
iioit  de  si  bonne  foi  du  nombre  et  de  l'injustice",  et,  sans 
mexpliquer  là-dessus  avec  le  Chancelier,  j'insistai  sur 
l'inutilité,  et  dès  là  sur  l'indécence  d'un  article  qui  ne 
it'gloit  rien,  parce  qu'il  n'y  avoit  rien  alors  à   décider  à 

I.  Au  sens  de  parla  de  telle  sorte  que. 

■2.  H  Amorce  se  dit  ligurôment  do  tout  ce  qui  attire  agréablcini'iil  i 
volonté  en  flattant  les  sens  ou  l'esprit  «  (Acadtn.tc,  \'i\H). 
3.  Ci-dessus,  p.  l-47-lo8.  —  4.  Ici.  la  i)lumo  change. 

5.  «  Hors  (l'opuvre  se  dit  en   matière  do  bàtimonl,  en  parlant  d'une 
pièce  détachée  du  corps  d'un  bûlinionl  »  (Acadrrnie,  1718). 

6.  Voyez  ci-dessus,  p.  li".  —  7.  Tonio  XVII.  p.  1-2». 


17G  MEMOIRES  [1711] 

cet  égard.  Le  Chancelier  me  l'épondit  qu'ayant  nécessai- 
rement à  parler  des  légitimés,  on  ne  pouvoit  passer  sous 
silence  les  légitimes.  Je  ne  voyois  point  cette  nécessité  :  il 
ne  s'agissoit  de  rien  sur  les  princes  du  sang  ;  il  n'y  avoit 
point  de  concessions  à  confirmer  pour  eux  comme  pour 
les  bâtards,  puisqu'on  vouloit  prendre  cette  occasion  de 
le  faire  ;  mais  cette  bienséance  de  ne  pas  parler  de  ceux- 
ci  sans  avoir  d'abord  fait  mention  de  ceux-là  parut  au 
Chancelier  une  raison  péremptoire.  Comme,  dans  le 
fait,  ce  premier  article  n'énonçoit  rien,  je  ne  m'opiniâ- 
trai  pas  trop  ;  mais  j'essayai'  de  faire  supprimer  le  second, 
qui  portoit  la  confirmation  dont  je  viens  de  parler,  et 
avec  lequel  le  premier  tomboit  de  soi-même^.  Mais  le 
Chancelier,  ferme  sur  son  principe  que  cet  article  seul 
seroit  le  chausse-pied  du  règlement,  m'ôta  toute  espé- 
rance qu'il  pût  être  supprimé,  et  je  me  tournai  à  le  faire 
dresser  en  sorte  qu'il  ne  donnât  pas  au  moins  une  force 
nouvelle  à  ce  qui  avoit  été  fait  pour  les  bâtards,  et  que 
la  confirmation,  puisqu'il  en  falloit  passer  par  là,  fût  la 
Friponnerie  plus  simple  et  la  plus  exténuée' qu'il  seroit  possible.  Le 
insigne        troisième  article  fut  uue  ample  matière.    Harlay,   parce 

et      âlTlDltlGllSC  .  . 

du  premier     projet,  ne  songeoit  qu'à  son    ambition.    11   avoit    parole 
président       réitérée  d'être  chancelier  pour  ses  bons  services  aux  bâ- 
tards\  Le  brillant  de  M.  de  Luxembourg,  soutenu  de  la 
faveur  pleine  de  M.  de  Chevreuse,  l'avoit  ébloui  jusqu'à 
lui  faire  tenir  la  partiale  conduite^  qui  le  fit  récuser  dans 

4.  Il  y  a.j'essay,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

2.  Ci-dessus,  p.  147. 

3.  «  Exténuer,  atténuer,  affoiblir  p'eu  à  peu;  c'est  aussi  un  terme 
de  pratique  pour  dire,  affoiblir,  diminuer  :  on  a  fort  exténué  le  crime, 
Vaccusation  »  (Académie,  •1718).  Nous  avons  rencontré  exténuation 
dans  le  tome  Vil,  p.  305. 

4.  Ci-dessus,  p.  143. 

5.  En  écrivant  conduitte,  qui  est  le  premier  mot  de  la  page  1117, 
Saint-Simon  avait  commencé  co  trop  bas  sur  la  page  nouvelle;  il  l'a 
effacé  du  doigt  pour  le  remonter  à  la  place  ordinaire. 

*  Les  mots  insigne  et  ont  été  ajoutés  en  interligne. 


d'Harla\ 


(17111  DK  SAINT-SIMON.  177 

(t'ttt'  ;ilVaiit>  (le  |)ivs«''aiic(',   et   (jiii    nous   fit  ronipro    tous 
ouverti'iiKMit  avec   lui'.    Il    «'luit    lois    au    ioi't    de    celle 
brouillerie  dans  laqucllf  l»-  Auc  dr   la    Kochofoucauld    se 
montra  des  plus  animés-,     llarlay     le    redouta    pour     les 
Meaux,  et  le  vt>ulul  ramènera  soi  pai'  la  même  voit'   (jui 
l'en  avoit  aliéné.  Il  étoil  bien  au  fait  de  la  question   de 
préséance  qui  étoit  entre  lui  et  moi,  et,   sans    faire    sem- 
blant d'y  penser,  il  dressa  ce  troisième  article  pour  m'é- 
trangler  sans  que  je  m'en  défiasse,  et  pour  se  raccommoder 
j)ar  là  avec  M.  de  la  Kochefoucauld.  Comme  cet  article 
fut  la  matière  de  diveis  mouvements   auxquels  il  faudra 
revenir  plus  dune  fois,  je  passerai  aux  auti'es  sans  m'ai- 
rèter  maintenant  à  celui-ci,  sinon  sur  ce  qui  ne  me  re- 
garde pas  en  particulier.  Je  trouvois  juste  que  les  duchés 
ne  fussent  vérifiés  qu'à  Paris,   cour  des   paiis  et   le  pre- 
mier de  tous  les  parlements:  ce  fut  pour  cela  que,  sans 
la  plus  légère  liaison  avec  les  Brancas,  je  proposai  ce  qui 
se  voit  dans  la  note  sur  cet  article  '  ;    mais,   comme    les 
choses  se  régloient  avec  le  Roi  bien    plus   par   goût    que 
|)ar  principes,  cela  fut  laissé  à  côté'  dès  qu'il  ne  fut  plus 
(Question  tl  enregistrement,  comme  on  verra  clans  la  suite. 
L'âge  compris  dans  cet  article  forma  une  grande  dispute 
entre  le  (chancelier  et  moi.    La  réception   des   pairs    n'y 
avoit  jamais  été  assujettie  ;  je  ne   pouvois  souffrir    qu'elle 
la  fût  et  uniquement  pour  servir  de  degré  à    la   distinc- 
tion sur  eux  des  bâtards  et  des  princes  du  sang,  qui  tous 
ne  peuvent   nier,  malgré    toutes  leurs  usurpations,  qu'ils 
n'entrent  au    Parlement  que    comme   pairs,   et,    malgré 
toutes  leurs  distinctions,    comme   pairs  tels   que   tous   les 
autres.  La  raison  de  1  âge  j)0ur  les  gens  de  loi,  et  qui  n'a 
rien  de  commun  avec  les    paiis,    fut    par    moi   déployée 

I.  Tome  11.  |«.  117-1-2-2.  —  i.  Tome  11.  |).  38  cl  suivantos. 

."{.  Le  duché  do  Hi-ancus  n'avait  été  vérilié  qu'au  parlemenl  de 
Provence  :  ci-dessus,  p.  l-48-i-49. 

i.  n  A  côté  si^nilip  aussi  à  l'écart  :  mettez  cela  à  côté  »  {Académie, 
i718). 

MÉVOIHEh    Ue   SAINT-SIMO.N.  XXI  12 


d78  MÉMOIRES  [iTil] 

dans  toute  sa  force.  Le  malheur  étoit  que  celui  contre 
qui  je  disputois  étoit  juge  et  partie*.  L'homme  de  loi,  le 
magistrat  blessé  en  lui  de  cette  différence,  se  sentit  en 
situation  de  l'anéantir;  il  se  garda  bien  d'en  manquer 
l'occasion  si  favorable,  et,  à  faute  de  mieux,  de  ne  pas 
mettre,  pour  l'âge,  les  pairs  à  l'unisson  des  magistrats. 
Apophthegme  Le  vieux  maréchal  de  Villeroy  disoit  avec  un  admirable 
du  premier     g^j^g  g^'j}  aimeroit  mieux  pour  soi  un  premier  ministre 

m  n  ro  c  h  si  1 

de  Villeroy.  SOU  ennemi,  mais  homme  de  qualité,  qu'un  bourgeois 
son  ami^  Je  me  trouvai  ici  dans  le  cas.  Le  Chancelier, 
qui  m'en  vouloit  détourner  l'esprit,  s'appuya  tant  qu'il 
put  de  l'indécence  et  de  l'inconvénient  même  quelquefois 
du  pouvoir  d'opiner  dans  les  plus  grandes  affaires  avant 
l'âge  sagement  prescrit  pour  pouvoir  disposer  des  siennes 
particulières.  J'opposai  ^  l'extrême  rareté  de  ces  occa- 
sions de  juger  pour  les  pairs,  et  le  continuel  usage  des 
dispenses  d'âge  des  magistrats  S  qui  jugent  tous  les  jours 
de  leur  vie.  J'eus  beau  me  récrier  sur  l'iniquité  de  la 
disparité  d'avec^  les  princes  du  sang  et  les  bâtards,  et  la 

\.  Cette  locution,  qui  signifie  qu'on  a  un  intérêt  personnel  dans  une 
affaire  qu'on  est  appelé  à  décider,  n'était  point  relevée  dans  les  lexi- 
ques du  temps. 

2.  Il  a  déjà  cité  un  mot  du  même  maréchal  sur  les  ministres,  dans 
le  tome  XII,  p.  124. 

3.  Opposay  corrige  opposais. 

i.  On  peut  voir  à  propos  des  dispenses  d'âge  accordées  aux  magis- 
trats les  Mémoires  sur  Claude  Pellot,  tome  II,  p.  437-438,  les  Mémo- 
riaux du  Conseil  de  1661,  tome  I,  p.  125-126,  et  les  Souvenirs  du 
président  Joly  de  Blaisy,  p.  34  et  38-39.  En  1672,  le  Roi  avait  fixé 
à  vingt-sept  ans  l'âge  minimum  pour  être  reçu  magistrat,  «  ne  voulant 
plus,  dit  l'édit,  qu'aucun  fût  reçu  dans  les  offices  de  judicature  qu'il 
n'eût  l'âge,  l'expérience  et  la  capacité  requises  pour  soutenir  avec 
créance  et  dignité  le  poids  et  la  grandeur  d'un  si  saint  ministère  »  ; 
mais,  dès  1673,  cet  édit  fut  révoqué,  ou  plutôt  les  dispenses  continuè- 
rent à  être  accordées,  par  laveur,  comme  dans  le  passé,  et  malgré  cette 
facilité  les  impétrants  n'hésitaient  pas  parfois  à  falsifier  leurs  actes  de 
baptême  (Journal  d'Olivier  d'Ormesson,  tome  II,  p.  110);  voyez  ci 
dessus,  p.  149-130. 

3.  Le  d'  a  été  ajouté  après  coup  avant  avec. 


1 


|I7II|  nE  SATXT-SIMOX.  179 

parité  entière  avoc  les  nia^'istrats,  jusqu'alors  inouïe  ;  je 
|»arlois  à  un  sourd'  enveloppé  de  sa  robe,  qui  lui  étoit 
plus  rfiére  tpif  justice,  raison  ni  amitié,  et  il  fallut  passer 
aux  aulies  articles. 

J'eus  bon  marché  du  qualrième  et  cinquième-,  qui 
regardoient  les  ayant-cause  et  les  duchés  femelles  ^  Ce 
détlommagoment  étoit  bien  mince  des  trois  premiers; 
mais  le  contraire  auroit  été  fort  nuisible  dans  un  temps 
■^i  malheureux,  et,  si  nous  n'y  gagnâmes  rien,  au  moins 
tùnies-nous  à  l'abri  d'y  perdre.  11  n'y  avoit  que  les  au- 
diences du  parlement  de  Paris  d'exprimées;  je  craignis 
les  suites  d'une  omission  de  cette  nature  sur  l'exemple 
de  celle  qui,  par  la  faute  des  pairs  de  ces  temps-là,  nous 
a  par  la  suite  exclus  du  conseil  des  parties*.  Je  fis  donc 
ajouter,  et  sans  peine,  le  conseil,  c'est-à-dire  les  procès 
par  écrit  %  et  les  autres  parlements  à  celui  de  Paris. 
J'essayai  après  d'y  faire  cesser  les  ineptes  ditllcultés  que 
font  quelques  autres  parlements  sur  la  manière  d'entrer 
et  de  sortir  de  séance,  et  de  faire  ajouter  un  mot  qui  les 
fixât  tous  à  celle  dont  les  pairs  entrent  et  sortent  de 
séance  au  parlement  de  Paris,  le  plus  ancien  et  le  modèle 
(le  tous  les  autres;  mais  le  magistrat  se  trouva  encore  ici 
avec  sa  précieuse  robe,  qui  me  répondit  que  c'étoit  des 
choses  étrangères  à  la  matière  dont  il  s'agissoit  dans  ce 
lèglement,    et  que    le    Roi   ne  pouvoit  entrer   dans  ces 

1.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  citait  pas  cette  locu- 
tion et  donnait  seulement  :  faire  le  sourd  et  //  n'est  point  de  pire 
sdi/n/  que  celui  qui  ne  veut  pas  entendre. 

"2.  Il  y  a  du  4  et  5  dans  le  manuscrit. 

3.  Ci-<lessus,  p.  I.M-lo3. 

4.  Ci-dessus,  p.  i'i'l.  C  est  dans  le  règlement  du  Conseil  rtVligé  on  1673 
par  le  chancelier  Ségiiier  que  les  |)airs  ne  lurent  point  désignt's  parmi 
ceux  qui  avaient  entrée  et  séance  au  conseil  des  parties  :  voyez  le  mé- 
moire des  «  Changements  arrivés  à  la  dignité  de  duc  et  pair  »,  dans 
les  Écrits  inédits,  tome  III,  p.  137-139. 

5.  Les  procès  à  juger  sur  rapport,  à  la  difTérence  de  ceux  qui  don- 
naient matière  h  plaidoiries,  étaient  examinés  par  les  tribunaux  en 
chambre  du  conseil. 


180  MÉMOIRES  [1711] 

vétilles,  terme  très  familier  à  ceux  qui  n'ont  rien  de 
fâcheux  à  essuyer.  Ainsi,  en  choses'  de  parlement  un 
homme  de  robe,  en  celles  qui  regardoient  les  princes  du 
sang  ou  les  bâtards  un  courtisan,  étoit  ce  que  j'avois  en 
tête,  et-  avec  qui  lutter  trop  inégalement.  Ces  deux  articles 
et  les  deux  suivants*  n'avoientrien  qui  touchât  aux  princes 
du  sang,  aux  bâtards,  ni  à  la  robe.  C'étoient  néanmoins 
les  importants  pour  finir  tous  les  procès  de  ^  préséance,  et 
nous  garantir  des  plaies  de  la  faveur  et  des  prétentions  de 
toute  espèce  qui  renversent  tout  droit,  et  tout  ordre  dans 
la  dignité.  Aussi  le  Chancelier  m'en  fit-il  bon  marché  : 
nous  les  tournâmes  tout  aussi  avantageusement  que  je 
voulus,  et  mieux  encore,  non  seulement^  sur  l'ayant- 
cause,  mais  sur  les  femelles,  où  le  gendre  fut  exclu  de 
l'ancienneté  du  beau-père.  Ce  furent  deux  grands  points. 
Le  sixième  ®  fut  extrêmement  discuté,  non  par  la  fantai- 
sie du  Chancelier,  mais  par  la  difficulté  de  sa  nature.  Ma 
pensée  étoit  que  la  faculté  de  substituer  étoit  insuffisante 
à  des  ducs  indifférents,  mal  entendus,  ou  mal  dans  leurs 
affaires,  et  mon  dessein  étoit  de  conserver  la  dignité 
et  sa  glèbe  '  perpétuellement  à  tous  les  appelés,  de  les 
dérober  à  l'incurie  de  leurs  auteurs  jusqu'à  extinction 
de  race,  et,  tout  à  la  fois,  de  procurer  aux  ducs  de  quoi 
vivre  au  moins,  dans  la  plus  grande  décadence  de  leurs 
affaires,  avec  un  lustre  à  leur  dignité,  de  la  solidité 
duquel  ils  tireroient  leur  subsistance.  Il  faut  dire,  à 
l'honneur  du  Chancelier,  qu'il  entra  parfaitement  dans 
ces  vues,  et  qu'il  n'y  eut  que  les  obstacles  insurmontables 
de  l'exécution  par  les  difficultés  de  la  chose  en  elle-même, 
et  qui  ne  se  purent  résoudre,  qui  empêchèrent  la  substi- 

i.  Le  signe  du  pluriel  a  été  ajouté  après  coup  à  chose. 

1.  Et  a  été  ajouté  à  la  fin  d'une  ligne.  —  3.  Ci-dessus,  p.  154-153. 

4.  De  est  répété  deux  fois  en  fin  de  ligne  et  au  commencement  de 
la  ligne  suivante. 

5.  Non  seulem'  a  été  ajouté  en  interligne. 

6.  Ci-dessus,  p.  134.  —  T.  Ci-dessus,  p.  158, 


[MW]  \)K  SAl.NT-SIMON.  l«l 

liifion  (le  droit  par  l'rrortion,  ri  (jiii  l:i  ri-duisii-cnl  à  la 
siniplr  tacullt-  aux  ducs  de  la  lairo,  à  laquelle  nous  don- 
nâmes toutr  Irtciiduc  possibK'  pour  remplir  toutes  les 
vues  que  je  viens  d'expliquer.  Le  septième  article  '  fut 
encore  extrêmement  discuté.  Je  voulois  un  denier  plus 
foible  :  l'équité  en  exigea  un  plus  fort,  et  je  m'y  rendis. 
Le  Chancelier  alla  plus  loin  que  moi  ;  il  ne  faut  pas  lui  en 
dérober  l'honneur.  Je  ne  pensois  qu'au  premier  mâle  en 
ordre  de  succéder;  le  Chancelier  étendit  de  lui-même  la 
faculté  du  remboursement  forcé  de  la  femelle  à  tout  mâle 
appelé  à  la  dignité,  chacun  en  son  ordre,  au  refus  par 
incurie  ou  par  impossibilité  des  mâles  avant  appelés,  ce 
qui  fut  une  extension  très  avantageuse  pour  la  conserva- 
tion des  ilignités  dans  la  descendance  de  l'impétrant.  Le 
huitième  article-  passa  sans  difficulté  entre  nous  deux, 
sinon  que  je  m'opposai  tellement  à  la  forme  d'un  arrêt 
du  Conseil  pour  le  renvoi  des  causes  de  prétentions  du- 
cales au  Parlement,  que  j'obtins  que  cette  forme  d'arrêt 
du  Conseil  seroit  omise.  Ma  raison  fut  que  les  magistrats 
du  Conseil  ne  sont  pas  juges  compétents  de  ces  matières. 
L'article  neuvième^  alloit  tout  seul.  La  prétention  de 
l'ancienne  érection  de  Piney  étoit  éteinte  par  les  articles 
précédents;  le  rang  de  sa  réérection  ^  de  1662,  laite  pour 
le  feu  maréchal  de  Luxembourg,  fut  établi  par  celui-ci,  et, 
en  même  temps,  l'érection  nouvelle  et  le  rang  nouveau  de 
d'Antin  y  fut  compris.  Le  premier  avoit  été  le  motif  de 
l'ancien  projet,  le  second  de  le  remettre  sur  le  tapis.  Il 
linissoit  ces  deux  affaires,  et  il  étoit  devenu  épineux  de 
taire  juridiquement  déclarer  Piney  éteint  de  la  première 
et  de  la  seconde  érection,  depuis  le  monstrueux  arrêt  de 

1.  Ci-dessus,  p.  to6. 

2.  Ci-dessus,  p.  io()-io7.  —  3.  Ci-dessus,  p.  \"û. 

't.  Ce  terme  se  retrouve  dans  la  suite  des  Mémoirat  (tome  XVII  île 
1X73.  p.  '•2''27)  et  dans  les  Écrits  inéclitx  (tome  VI.  p.  S.'iS);  Littré  n'a 
cité  d'exemples  (jue  de  notre  auteur,  et  il  n'a  jamais  été  admis  par 
l'Académie 


182 


MEMOIRES 


[i7H] 


Je  fais 
comprendre 

les  ducs 
vérifies  en 

l'édit. 


l'inique  Maisons,  qui'  a  été  expliqué  en  son  temps^,  chose 
néanmoins  à  laquelle  nous  allions  donner  tous  nos  soins, 
si  ceci  ne  nous  en  eût  ôté  la  peine. 

Jusqu'ici,  il  ne  s'agissoit  du  tout^  que  des  pairs,  et  l'an- 
cien projet  ne  faisoit  aucune  mention  des  ducs  simple- 
ment vérifiés  ou  héréditaires,  comme  on  les  appelle  mal 
à  propos,  puisque  les  pairs  le  sont  aussi.  L'équité,  aiguisée 
de  l'intérêt  de  la  maison  de  Mme  de  Saint-Simon,  me  fit 
penser  à  eux,  par  celui  de  l'aîné  de  sa  maison  et  son  cou- 
sin germain,  de  son  frère  et  de  son  beau-frère,  tous  trois 
ducs  vérifiés*.  Je  proposai  donc  au  Chancelier  d'ajouter  à 
la  fin  de  l'édit  un  article  qui  y^  comprît  les  ducs  simple- 
ment vérifiés,  autant  qu'ils  en  étoient  susceptibles.  Il  ne 
m'en  fit  aucune  difficulté. 

Tout  cela  convenu  entre  lui  et  moi,  je  vins^  à  mon  fait 
particulier  de  l'ancienneté  à  régler  par  la  date  de  l'enre- 
gistrement des  lettres,  comme  M.  de  la  Rochefoucauld  le 
prétendoit  contre  moi,  et  comme  le  portoit  l'ancien  projet 
du  premier  président  d'Harlay  pour  lui  complaire  et  se 
le  rapprocher,  ou,  comme  je  le  prétendois,  par  la  date  de 
la  réception  de  l'impétrant  au  Parlement.  Je  diffère  à 
expliquer  plus  bas  les  raisons  de  part  et  d'autre^  pour  ne 
pas  interrompre  la  suite  du  récit  du  règlement  :  il  suffit  ici 
de  dire  que  je  convainquis  le  Chancelier  de  mon  droit.  Je 
mis  ensuite  sur  le  tapis  ce  qui  regardoit  M.  de  Chevreuse*. 


■1.  Qui  est  en  interligne,  au-dessus  de  dont  il,  biffé. 

2.  Tome  III,  p.  404-iOo. 

3.  «  Du  tout  se  joint  avec  les  négatives  rien  et  pomi,'rend  la  néga- 
tion plus  absolue,  et  signifie  en  aucune  façon,  nullement,  absolument 
rien  »  (Académie,  4748).  Ici  c'est  plutôt  le  sens  d'en  tout. 

4.  Les  ducs  de  Duras,  de  Quintin-Lorge  et  de  Lauzun. 
o.  L'y  a  été  intercalé  après  coup. 

6.  Les  neuf  mots  qui  précèdent  avaient  été  d'abord  placés  à  la  fin 
de  l'alinéa  précédent,  puis  biffés,  et  écrits  à  nouveau  de  manière  à 
commencer  un  autre  paragraphe. 

7.  Voyez  le  mémoire  donné  ci-après,  p.  494  et  suivantes. 

8.  Ci-dessus,  p.  463  et  suivantes. 


1711] 


DE  SAI.NT-SIMON. 


183 


C'étoit  un  des  grands  épisodes'.  Do  l'ancienneté  de  Che- 
vreuse-Lorraine,  ce  n'étoit  pas  le  plus  pressé  :  Luynes 
étoit  plus  ancien';  le  point  pressant  étoit  Chaulnes*.  Il 
n'existoit  plus  depuis  KillS,  que  le  dernier  duc  de  Chaul- 
nes  étoit  mort;  et  le  vidame  d'Amiens,  second  fds 
de  M.  de  Chevreuse',  se  morfondoit"'  cependant,  et,  sui- 
vant Monsieur  son  père,  sout^roit,  et  lui  aussi,  une  grande 
injustice,  sans  toutefois  que  ni  lun  ni  l'autre  eussent  osé 
encore  se  présenter  juridiquement  à  recueillir  cette  di- 
gnité. Le  Chancelier  et  moi  convînmes  bientôt  que  cette 
prétention  ne  pouvoit  se  soutenir.  Mors  je  lui  dis  que 
c'étoit  là  une  occasion  essentielle  de  se  souvenir  de  l'ami- 
tié personnelle  qui  avoit  toujours  été  entre  M.  de  Che- 
vreuse  et  lui,  et  je  l'exhortai  à  le  servir  en  cette  occasion 
si  impoi-tante  pour  obtenir  à  son  second  fils  des  lettres 
nouvelles  avec  un  nouveau  rang.  Le  Chancelier  ne  se  fit 
point  prier,  et  me  répondit  d'un  air  ouvert  qu'il  étoit  ravi 
de  me  voir  dans  ce  sentiment,  et  que  cela  même  le  met- 
toit  là-dessus  à  son  aise.  Nous  discourûmes  de  la  manière 
de  s'y  prendre;  nous  convînmes  que  l'unique  étoit  de  ne 
pas  faire  au  Roi  la  prétention  si  mauvaise,  afin  d'y  laisser 
une  queue*  d'équité  de  la  terminer  par  une  nouvelle 
érection  :  à  quoi  le  Chancelier  me  promit  de  faire  tout 
son  possible.  Mme  de  Saint-Simon  avoit  quitté  Marly  avec 

1.  (c  On  appelle  ainsi,  dans  la  composition  du  poème  épique  ou  de 
la  tra;4é(lie,  toute  action  que  le  poète  emploie  pour  étendre  l'action 
principale  et  |>our  rombeilir  »  (Académie,  1718). 

"2.  Le  duché  de  Luynes  avait  été  enrej^istré  au  Parlement  dès  i6"20, 
celui  de  Chevreuse-Lorraine  seulement  en  16'27. 

3.  Ci-dessus,  p.  46-4.  —  4.  Ci-dessus,  p.  165. 

.*).  «  On  dit  figurément  qu'un  homme  se  morfond,  pour  dire  qu'il 
perd  bien  du  temps  !\  la  poursuite  d'une  affaire,  d'une  entreprise  qui 
ne  réussit  point,  dans  l'attente  d'un  succès  qui  n'arrive  point  »  (Aca- 
démie, 1718). 

r».  Tome  XX,  p.  3-24 . 


L'amitic 

m'intéresse 

aux  lettres 

nouvelles  de 

Chaulnes'. 

Le  Chancelier 
s'y  porte  de 

bonne  pràce  ; 

je  l'y  soutiens 
avec  peine, 
dépité  qu'il 
devient  des 

sophismcs  du 
duc 

do   Chcvreusc. 


*  Après  Chauhtex,  Saint-Simon  a   liilTi'  ('/  i/i/o//,  et,  plus  loin,  s'//  cor- 
rige se. 


184  MEMOIRES  |nil] 

la  fièvre  ;  elle  étoit  demeurée  depuis  à  Paris  assez  incom- 
modée, et  je  l'y  allois  voir  le  plus  souvent  que  je  pou- 
vois'.  Le  duc  de  Chevreuse  y  étoit  aussi,  qui,  fort  mal  à 
propos  pour  ses  vues  de  Chaulnes,  avoit  esquivé  ce  Marly, 
dont  "  le  Roi  n'étoit  pas  trop  content  ;  car,  à  lui  qui  étoit 
réellement  ministre  bien  (\\\  incognito^,  il  lui  falloit  des 
permissions  pour  ces  absences,  que  le  Roi  ne  lui  donnoit 
pas  volontiers.  L'inquiétude  le  prit  :  il  me  vint  trouver  à 
Paris  ;  il  se  mit  à  me  haranguer  avec  ses  longueurs  ordi- 
naires, moi  à  lui  couper  court  ^  que  sa  prétention  de 
Chaulnes  étoit  insoutenable,  et  n'auroit  pas  un  plus  ardent 
adversaire  que  moi,  s'il  se  mettoit  à  la  plaider.  J'ajoutai 
tout  de  suite  que,  pour  lui  montrer  la  vérité  de  mon  ami- 
tié, je  lui  promettois  tous  bons  offices,  s'il  en  avoit  besoin, 
pour  des  lettres  nouvelles,  et  je  lui  dis  ce  qui  s'étoit  passé 
là-dessus  entre  le  Chancelier  et  moi,  mais  sans  un  seul 
mot  qui  approchât  du  règlement.  Cette  franchise  le  char- 
ma ;  il  me  fît  mille  remerciements,  et  me  pria  de  soute- 
nir le  Chancelier  dans  ce  bon  dessein.  Dès  qu'il  m'eut 
quitté,  il  se  mit  à  travailler  à  un  mémoire,  qui  ne  valut 
rien,  parce  que  sa  prétention  étoit  sans  aucune  sorte  de 
fondement.  Il  l'envoya  au  Chancelier.  Les  raisonnements 
en  étoient  tellement  tirés  à  l'alambic  ^  qu'ils  l'impatien- 

i.  Dangeau  ne  parle  pas  de  cette  indisposition,  que  l'auteur  des 
Mémoires  de  Sourches  a  mentionnée  au  23  avril  (p.  98)  :  «  On  apprit 
que  la  duchesse  de  Saint-Simon,  ayant  eu  une  ébullition  de  sang, 
c'est-à-dire  des  marques  rouges  sur  les  mains,  qui  paroissoient  et  dis- 
paroissoient,  cependant  sans  mal  de  tète,  mal  de  cœur,  ni  fièvre, 
n'avoit  pas  laissé  de  s'en  aller  à  Paris,  de  peur  que  ce  ne  fût  la  petite 
vérole.  »  Elle  revint  au  bout  de  quelques  jours  reprendre  son  service 
auprès  de  la  duchesse  de  Berry. 

2.  Dont  pour  ce  dont.  —  3.  Tome  XV,  p.  402-403. 

4.  «  On  dit  couper  court  à  quelqu'un  pour  dire  le  quitter  brusque- 
ment et  lui  faire  une  réponse  décisive  qui  l'empêche  de  continuer  son 
discours  »  (Académie,  4718).  Mais,  ici,  il  y  a  une  phrase  incidente, 
comme  si  l'auteur  avait  ajouté  en  disant. 

5.  «  On  dit  tigurément  qu'une  affaire  a  passé  par  l'alambic,  pour 
dire  qu'elle  a  été  exécutée  avec  un  grand  soin,  avec  une  grande  exao- 


inni  DE  SAINT-SIMON.  185 

ItTcnt,  t't  plus  iMicor»'  inic  couvri-saliou  (in'il  <'nl  !iv<'f  lui 
à  Versailles,  où  il  l'alla  trouver  :  tellcriit'iit  «|u'il  lui  f;raii<l 
besoin  <|ue  je  remisse  le  Chancelier  de  rette  mauvaise 
humeur  (ju'il  avoit  prise.  Je  n'en  voulus  pas  donner  l'in- 
quiétude à  M.  de  Chevreuse,  quoiqu'il  s'en  fût  un  peu 
aperçu. 

Le  Chancelier  cependanl  travailla  avec  le  Koi.  (-e  tète-  Le  Chancolior 
à-tète  non  accoutumé  réveilla  tout  le  monde',  qui,  joignant  j,^"JJ^  Rorsur 
à  cette  singularité  la  surséance  arrivée  à  notre  affaire  de  le  roglomcnt  ; 
d'.\ntin-,  ne  douta  pas  qu'il  n'v  en  fût  question.  Le  Chan-     «on  aversion 

'   _      '  •        .  '  •        1        <     I         ^^^  ducs,  et  sa 

celier  proposa  au  Hoi  de  conununiquer  le  projet  de  règle-          cause. 

ment  à  quelques  ducs,  et  de  travailler  là-dessus  avec  eux, 
puisqu'il  s'agissoit  de  faire  une  loi  à  eux  si  importante. 
Le  Roi,  hérissé 3  de  la  proposition,  répondit  avec  un  mé- 
pris assez  juste  sur  leur  capacité  en  affaires,  et  la  diffi- 
culté d'en  trouver  ()uel(|ues-uns  qui  entendissent  celle-là* 
assez  bien.  Le  Chancelier  lui  en  nomma  (jut'lques-uns, 
moi  entre  autres,  et"  en  prit  occasion  de  faii-e  valoir  son 
amitié  sans  la  montrer  trop.  Il  insista  même  assez  ferme  ; 
mais  le  Roi  demeura  inébi'anlable  en  ses  usages,  ses  pré- 
jugés, et  ses  ombrages  mazarins*  d'autorité  qui  l'animoient 
contre  les  ducs',  dont  la  dignité  lui  étoit  odieuse  par  sa 
grandeur  intrinsèque,  indépendante  par  sa  nature  des 
accidents   étrangers.    Elle    lui    faisoit   toujours    peur    et 

titudc,  qu'elle  a  été  discutée  et  approfondie  »  {Acadrmic,  4718),  mais 
ici,  comme  Liîtré  l'a  remarqué,  c'est  le  sens  de  subtiliser,  raffiner. 

1.  Danpeau  écrit  le  \i  mai  (p.  40."})  :  «  Après  son  dîner,  le  Roi  tra- 
vailla chez  lui  avec  M.  Ii'  Cliancelier,  ce  qu'il  n'a  pas  accoutumé  de 
faire.  » 
•2.  Ci-dessus,  p.  175.  —  3.  Même  sens  qu'au  louic  XIX.  p.  I 'k 
-4.   Ln,  ouhlié.  a  été  ajouté  eu  interligne.  —  'i.  El  surcliar^;o  p''. 

6.  C'est-à-dire,  inculqués  par  le  cardinal  Mazariu,  comme  il  va 
l'expliquer  quatre  li{;ne  plus  bas.  Nous  avons  déjà  rencontré  «  race 
demi-mazarine  »  dans  le  tome  XIII,  p.  104,  et  cet  adjectif  avait  été 
fré(jucnimenl  employé  dans  les  pamphlets  contre  le  cardinal  {Choix  de 
mazdrinadcs,  tome  II,  p.  -IW,  "240,  'S.'l-i,  i^rl,  37'»,  etc.). 

7.  Le»  corrige  la,  et,  avant  (/«c«,  Saint-Simon  a  bilVé  diynitc  des. 


186  MÉMOIRES  [1714] 

peine,  par  los  impressions  "  que  ce  premier  ministre  italien 
lui  en  avoit  données  pour  son  intérêt  particulier,  et  lui 
avoit  sans  cesse  fait  inspirer  par  la  Reine  mère,  ce  qui^  le 
rendit  si  constamment  contraire,  jusqu'à  franchir  les  in- 
justices^ les  plus  senties,  et  même  avouées  en*  bien  des 
occasions.  Le  projet,  tel  que  le  Chancelier  et  moi  étions 
convenus,  fut  par  lui  communiqué  au  premier  président 
et  au  procureur  général  :  Peletier,  qui  n'étoit  pas  grand 
clerc,  ne  fit  que  le  voir  à  sa  campagne  ^  où  il  étoit  allé,  et 
le  renvoya  aussitôt  ;  Daguesseau  écrivit  un  long  verbiage 
qui,  pour  en  dire  le  vrai,  ne  signifioit  rien  ^  Le  Chance- 
lier, content  de  sa  communication  de  bienséance,  poussa 
sa  pointe.  M.  de  Chevreuse,  en  éveil  sur  ce  travail  du  Roi 
avec  le  Chancelier  seul,  redoubla  d'un  mémoire  à  celui- 
ci''.  Ce  mémoire  n'étoit  point  correct  dans  ses  principes, 
peu  droit  dans  ses  raisonnements,  qui  tous  conduisoient 
à  ses  fins,  comme  le  Chancelier  me  le  manda  avec  dégoût, 
et  même  amertume.  Il  ajouta  qu'en  le  lui  donnant,  M.  de 
Chevreuse  lui  avoit  dit,  pour  le  faire  valoir,  qu'il  m'avoit 

1.  Impressions  est  en  interligne,  au-dessus  de  teintures,  biffé. 

2.  Ce  qui  corrige  et  que. 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  comme 
exemple  que  franchir  les  limites,  les  bornes,  les  difficultés,  les  obsta' 
des,  le  mot,  le  secret. 

4.  En  surcharge  et. 

5.  Villeneuve-le-Roi,  non  loin  de  la  Seine,  au  sud-est  de  Paris.  Les 
le  Peletier  avaient  acquis  cette  terre  du  garde  des  sceaux  du  Vair,  et 
l'ancien  contrôleur  général  Claude  le  Peletier  s'y  était  retiré  en  1697 
et  l'avait  fort  embellie. 

6.  C'est  sans  doute  ce  mémoire  qui  fit  croire  au  duc  de  Luynes  que 
Daguesseau  était  l'auteur  du  projet  d'édif  :  voyez  sa  note  sur  le  Jour- 
nal de  Dangeau,  tome  XIII,  p.  407.  Le  mémoire  de  Daguesseau  a  été 
imprimé  dans  ses  Œuvres,    tome  VII,  p.  598-615. 

7.  Dans  les  cartons  des  Archives  nationales  cotés  K  621  (n°  3)  et 
622  (n°*  9  et  11),  il  y  a  divers  mémoires  du  duc  de  Chevreuse  sur 
les  duchés  pairies  femelles,  sur  le  bonnet,  sur  la  séance  aux  bas 
sièges  etc.,  et  une  récapitulation  des  «  avantages  accordés  aux  ducs 
et  pairs  »  de  1664  à  1711. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  187 

fait  presque  convenir  de  tout.  Il  n'en  étoit  rien,  et  je  le 
sus  bien  dire  à  l'un  et  à  l'autre.  Quelque  étrange  qu'un 
semblable  allégué  '  doive  paroître  à  qui  n'a  pas  connu  le 
duc  de  Chevreuse,  je  suis  convaincu  qu'il  se  trompoit 
soi-même,  et  qu'à  force  de  désirer,  de  se  figurer,  de  se 
persuader,  il  croyoit  tout  ce  qu'il  souhailoit  et  tout  ce 
dont  il  se  persuadoit  de  la  chose,  de  lui-même,  et  des 
autres.  Toutefois,  je  ne  pus  m'empècher  de  lui  en  parler 
avec  force  ;  mais,  en  même  temps,  je  soutins  le  Chancelier 
dépité,  et  avec  travail,  qui  vouloit  laisser  faire  M.  de  Che- 
vreuse, l'abandonner  à  ses  sophismes,  et  à  tout  ce  qu'il 
en  pourroit  tirer,  sans  autre  secours  pour  son  affaire. 
Ce  qui  le  gàtoit  encore  avec  le  Chancelier,  c'est  que,  se 
doutant  bien  qu'il  étoit  question  d'un  règlement,  puis- 
qu'il en  avoit  parlé  lui-même,  il  le  tracassoit  pour  péné- 
trer ses  sentiments,  et  encore  pour  avoir  communication 
de  l'ancien  projet  qu'il  avoit  vu  dans  le  temps  que  le 
premier  président  d'Harlay  le  fit%  qu'il  jugeoit  bien  devoir 
servir  de  base  à  ce  qu'on  alloit  faire,  mais  dont  il  ne  lui 
restoit  rien  qu'en  gros  et  imparfaitement  dans  la  mé- 
moire. Or  le  Chancelier  s'en  trouvoit  d'autant  plus  impor- 
tuné, qu'il  ne  voulut'  ni  lui  communiquer  l'ancien  projet, 
ni  moins  encore  lui  laisser  rien  entrevoir  de  ce  qui  entre- 
roit,  ni  de  ce  qu'il  pensoit  devoir  entrer  dans  ce  qu'on 
vouloit  faire.  Je  n'étois  pas  moi-même  moins  circonvenu 
toutes  les  fois  que  je  venois  à  Paris,  et  je  n'avois  pas  peu 
à  me  défendre  d'un  ami  si  intime,  si  supérieur  en  âge  et 
en  situation,  et  si  adroit  à  pomper*,  dans  la  pensée  que  le 
Chancelier  me  communiquoit  tout  et  ne  me  cachoitrien. 
Il  eut  beau  faire  ;  jamais  il  ne  put  rien  tirer  de  moi  que 
des  avis  sur  son  fait,  et  des  services  très  empressés  et 
très  constante  auprès  du  Chancelier,  qui  ne  furent  pas 
inutiles. 

1.  Terme  déjà  rencontré  dans  le  tome  V,  p.  Si. 

•2.  Ci-dessus,  p.  163. 

;i  Avant  voulut,  Saint-Simon  a  bitTé  luy.  —  i.  Tome  XVII,  p.  16*2, 


18S  MÉMOIRES  fl7M] 

Scéicratcsso         Le  Chancelier  avoit  travaillé  avec  le  Roi  trois  fois  tête 

presidenr     ^  tête'.  J'appris  de  lui,  après  ce  troisième-  travail,  que  le 

d'Harlay  sur  le  Roi  s'étoit  souvenu  de  deux  articles  de  l'ancien  projet  du 

sacre  et  la       premier  président  d'Harlay  que  ie  n'avois  point  vus  dans 
propagation       '  •  i        i  .       *^  ,        .  .       , 

des*  bâtards,    la  copie  que  le  Chancelier m'avoit communiquée  :  c'étoient 

les  deux  derniers  coups  de  foudre.  Le  premier  étoit  la 

représentation  des  six  anciens  pairs  au  sacre  ^,  attribuée, 

exclusivement  aux  pairs  ^,  à  tous  les  princes  du  sang,  à 

leur  défaut  aux^  légitimés  pairs,  sans  que  les  autres  pairs 

y  pussent  être  admis  qu'à  faute  de  nombre  des  uns  et 

des  autres.   L'autre  étoit  l'attribution  aux  légitimés  qui 

auroient  plusieurs^  duchés-pairies  de  les  partager  entre 

leurs  enfants  mâles,  qui  deviendroient  ainsi  ducs  et  pairs, 

et  feroient  autant  de  souches  de  ducs  et  pairs  avec  les 

rangs,  honneurs  et  privilèges  maintenant  accordés  aux 

légitimés    au-dessus    de  tous    autres  pairs   plus   anciens 

qu'eux.  Ce  que  je  sentis  à  deux  nouveautés  tout  à  la  fois 

si  inimaginables  et  si  destructives,  seroit  difficile  à  rendre. 

Je  disputai  contre  le  Chancelier,  qui  me  montra  l'article 

du  sacre  dans  la  minute  de  cet  exécrable  Harlay,  qu'il 

n'avoit,  disoit-il,  recouvrée  que  depuis  peu.  Je  lui  remon- 

1.  Dangeau  ne  mentionne  qu'une  fois,  le  42  mai  (p.  40o). 

2.  Le  chiffre  â«  surcharge  un  t. 

3.  Il  a  déjà  été  parlé  des  six  anciens  pairs  laïcs  et  de  leur  représen- 
tation au  sacre  des  rois,  dans  le  tome  III,  p.  316,  note  3.  Sur  les  douze 
anciens  pairs  et  leur  origine,  on  peut  voirie  mémoire  inséré  dans  l'Ap- 
pendice de  notre  tome  IX,  p.  il6-418,  Brussel,  Usages  des  fiefs,  livre  II, 
chapitre  xLi,  le  Mémoire  sur  de  la  généralité  de  Paris  en  1698,  p.  474- 
472,  les  Lettres  de  Colbert,  tome  VI,  p.  226-227,  J.  Flach,  les  Origi- 
nes de  l'ancienne  France,  tome  I,  p.  2o3-2oo,  P.  Guilhiermoz,  les  Deux 
condamnations  de  Jean  sans  Terre  et  l'origine  des  pairs  de  France 
(4899),  etc. 

4.  «  Exclusivement  signifie  en  excluant,  à  l'exception  de  »  (Acadé- 
mie, 4748). 

5.  Aux  surcharge  à  et  un  mot  effacé  du  doigt. 

6.  Plusieures  corrigé  en  plusieurs. 

*  Les  mots  la  propagation  ont  été  ajoutés  au-dessus  de  sur,  hififé,  et 
les  a  été  corrigé  en  des. 


flTIl)  DE  SALXT-SIMON.  489 

trai  l'antiquitt'  il(^  la  fonction  des  pairs  égale  à  celle  du 
sacre  même,  et  non  interrompue  jusqu'à  présent,  qu'il 
n'y  en  avoit  jamais  eu  où  les  paii's,  quand  il  s'y  en  trou- 
voit',  n'eussent  servi  lors  même  qu'il  y  avoit  plus  de 
princes  du  sang  qu'il  nen  falloit  pour  cet  auguste  ser- 
vice. Je  le  lis  souvenir  de  la  préférence  des  pairs  par 
ancienneté  sur  les  princes  du  sang  aux  sacres  d'Henri  II 
et  de  ses  fils*.  Je  lui  démontrai  que  cette  loi  si  juste  par 
laquelle  Henri  III  fait  tous  les  princes  du  sang  pairs  à 
titre  de  naissance,  et  leur  donne  la  préséance  sur  tous  les 
autres  pairs',  n'avoit  fait  aucune  altération  à  leurs  fonc- 
tions du  sacre.  Je  lui  expliquai  le  fonds,  la  raison,  l'esprit 
de  cette  grande  cérémonie  par  l'histoire,  et  tout  ce  qu'elle 
a  de  figuratifs  dont  il  n'est  pas  possible  de  [dis]conve- 
venir"'.  Je  lui  rendis  évident  le  peu  de  solidité  d'un  cou- 
ronnement fait  par  tous  les  parents  masculins  d'un  roi 
héréditaire,  et  d'une  monarchie  qui  est  l'unique  soumise 
à  la  loi  salique^.  Je  lui  fis  honte  de  l'infamie  d'une  repré- 
sentation si  éminente  par  des  bâtards,  et  à  titre  de  bâtards. 
Enfin  je  n'oubliai  rien  tie  ce  que  la  douleur  la  plus  pathé- 

i.  Quand  il  y  s'en  trouvait,  dans  le  manuscrit,  et  s'  a  été  intercalé 
après  coup,  comme  si  Saint-Simon  avait  d'abord  voulu  mettre  quand 
il  y  en  avoit. 

2.  Dans  le  volume  3H  de  ses  papiers  (aujourd'hui  France  193), 
Saint-Simon  avait  la  relation  des  sacres  de  François  II  en  loo9  et  de 
Charles  IX  en  1361. 

3.  Edil  de  décembre  1576. 

4.  Le  Dictionnaire  de  i Académie  de  1718  ne  donnait  pas  encore 
cet  adjectif,  qu'on  retrouve  dans  les  Écrits  inédits,  tome  III,  p.  80. 

5.  Le  manuscrit  porte  bien  convenir,  et  non  disconvenir. 

6.  La  loi  salique,  ou  loi  des  Francs  Saliens,  n'est  en  réalité  qu'un 
code  pénal  et  qu'un  code  de  procédure  ;  quelques  articles  seulement 
ont  l'apport  au  droit  privé.  C'est  dans  le  titre  lix  que  se  trouve  la 
fameuse  règle  qui  exclut  les  femmes  de  la  succession  à  la  terre,  et 
qui  fut  appliquée  à  partir  du  quatorzième  siècle  pour  la  succession  à 
la  couronne.  Aucune  autre  monarchie  d'Europe  ne  s'y  soumit.  Notre 
auteur  en  avait  parlé  avec  plus  de  détails,  en  171:2,  dans  ses  Projets 
de  rétablissement  du  royaume  de  France  (Écrits  inédits,  tome  IV, 
p.  -iOU-iO-i;. 


490  MÉMOIRES  [1711] 

tique  et  l'instruction  la  plus  puissamment  réveillée  me 
purent  suggérer.  Mais  ce  fut  là  où  je  trouvai  tout  à  la  fois 
le  magistrat  et  le  courtisan,  contre  lequel  j'eus  enfin  peine 
à  me  retenir.  Il  me  protesta  que  ce  souvenir  étoit  venu 
du  Roi  tout  seul,  et  qu'il  n'avoit  pu  le  détourner  de  cet 
article  non  plus  que  de  l'autre,  à  quoi  je  pense  bien  qu'il 
n'épuisa  pas  ses  efforts.  J'essayai  de  le  frapper  par  le 
nombre  et  le  poids  de  nos  pertes'.  Voyant  enfin  que  je 
ne  gagnois  rien,  je  me  tournai  à  le  prier  de  faire  arrêter 
le  projet  de  règlement.  Ce  fut  là  que  les  grands  coups  se 
ruèrent-  de  part  et  d'autre.  Il  ne  put  souffrir  cette  pro- 
position, ni  moi  de  m'en  désister.  Je  lui  soutins  que  cette 
plaie  portoit  droit  au  cœur,  et  qu'en  attaquant  jusqu'à  cet 
excès  tout  ce  que  la  dignité  avoit  de  plus  ancien,  de  plus 
auguste,  de  plus  inhérent  %  rien  ne  pouvoit  être  bon.  Il 
étala  les  avantages  de  tous  les  procès  retranchés  par  les 
articles  des  ayant-cause  et  des  femelles,  et  de  ceux  des 
substitutions,  et  du  rachat  forcé  des  héritières  femelles.  Je 
convins  de  l'avantage  de  ces  articles  ;  mais  j'ajoutai  que 
non  seulement  ceux-là,  mais  qu'un  règlement  composé 
par  moi-même  *  en  pleine  liberté  et  tout  à  mon  gré,  mais 
à  condition  de  cet  article  du  sacre,  ne  nous  pourroit  être 
que  parfaitement  odieux.  Je  le  pressai  de  reparler  au  Roi 
là-dessus,  qui  avoit  souvent  dit  lui-même  qu'outre  des 
princes  du  sang  il  falloit  des  pairs  pour  représenter  les 
anciens  au  sacre,  [et]  qui  pouvoit  être  ramené  sur  une 
chose  qu'il  ne  pouvoit  jamais  voir.  Le  Chancelier  fut 
ébranlé;  il  me  promit  même  toute  assistance;  mais  j'eus 
lieu  de  croire,  par  une  réponse  que  j'en  reçus  le  lende- 

1.  Comparez  le  mémoire  sur  les  «  Changements  arrivés  à  la  dignité 
de  duc  et  pair  «,  dans  le  tome  III  des  Écrits  inédits. 

2.  Expression  rencontrée  en  dernier  lieu  dans  le  tome  XVIII, 
p.  26. 

3.  «  Inhérent,  ce  qui  est  attaché  à  un  sujet  comme  l'accident  l'est 
à  la  substance.  N'est  bon  que  dans  le  dogmatique  et  n'est  guère  en 
usage  qu'en  cette  phrase  :  qualité  inhérente  «  {Académie,  4718). 

4.  Mesme  a  été  ajouté  en  interligne. 


17111 


DE  SAINT-SIMON. 


\9[ 


main  à  uno  lettre  dont  j'avois  redoublé  mon  instance,  que 
l'homme  de  robe,  bien'  tranquille  sur  une  ('mormité  qui 
ne  la  -  touchoit  pas,  avoit  laissé  faire  le  Hoi  en  courtisan 
qui  veut  plaire  et  qui  sent  bien  que  ce  n'est  pas  à  ses 
dépens.  Cet  article  plutôt  contraint  par  l'heure  qu'épuisé, 
nous  vînmes  au  second.  Il  est  si  étrange,  si  monstrueux, 
et  si*  surprenant,  qu'il  est  inutile  de  s'y  étendre  après 
l'avoir  expliqué,  il  avoit  été  suggéré  parle  duc  du  Maine, 
à  qui  le  Hoi  parla  d'abord  de  ce  dont  il  étoit  question,  et 
qui  ne  s'épargna  pas  à  en  profiter.  Je  m'étendis  avec  le 
Chancelier  sur  un  pouvoir  donné  à  des  bâtards,  comme 
tels,  à  exercer  indépendamment  du  Roi,  sur  un  privi- 
lège à  raison  de  dignité  multipliée  dont  ils  sauroient  bien 
ne  pas  manquer,  qui  revonoit  pour  l'efï'et  au  même  que 
l'édit  d'Henri  III  qui  avoit  fait  les  princes  du  sang  pairs- 
nés*,  en  un  mot  sur  un  rang  monstrueux  qui,  en  nombre 
comme  en  choses,  n'auroit  plus  de  bornes.  Finalement  je 
me  tus,  voyant  bien  que  ce  qui  étoit  imaginé,  demandé, 
et  accordé  pour  le  duc  du  Maine  en  faveur  de  sa  bâtar- 
dise, ne  pouvoit^  plus  être  abandonné  par  le  Roi,  qui  en 
faisoit  son  idole  d'amour  et  d'orgueil.  Je  me  rabattis 
donc  à  quelque  sorte  de  dédommagement.  Tous  étoient 
bien  ditHciles  à  tirer  du  Hoi,  si  jaloux  d'une  dignité  qu'il 
avoit  continuellement  mutilée,  et  qui  s'effaroucheroit  de 
toute  restitution,  surtout  si  elle  touchoit  autrui.  Cette 
considération  me  porta  à  en  proposer*^  un  très  médiocre, 
et  qui  ne  portoit  sur  personne  :  ce  fut  la  double  séance 
au  Parlement  des  pairs  démis  avec  leurs  fils  pairs  par 
leur  démission  '.  Je  fis  remarquer  au  Chancelier  que  cette 
nouveauté  n'étoit  aux  dépens  de  personne,  que  les  pairs 

t.  Le  6  (le  bien  surcliar^e  un  (/.  —  ^2.  Saint-Simon  a  corrigé  le  en  la. 

3.  Il  y  a  s'y,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit.  —  4.  Ci-dessus,  p.  189. 

5.  Powj;oit corrige  pourvoit.  —  6.  Le  manuscrit  porte  :  prôner. 

1.  Voyez  tome  IX,  p.  :2(îl  et  suivantes.  Pour  l'époque  de  Louis  XV, 
on  a  un  mémoire  contre  l'habitude  abusive  des  ducs  de  se  démettre  au 
protit  d'un  de  leurs  lils.  dans  le  carton  0'  "IHi  des  Archives  nationales, 
"2«  dossier. 


Je  propose 
le  très  foible 
dédommage- 
ment de  la 
double  séance 
de  pairs  démis. 


492  MÉMOIRES  [1714] 

démis  ne  se  privoient  par  leur  démission  que  de  la  séance 
au  Parlement  ;  que  cela  ne  changeoit  donc  rien  pour  eux, 
ni  pour  leur  rang,  ancienneté,  préséance  et  honneurs  en 
pas  un  autre  '  lieu,  puisque  leur  démission  ne  les  excluoit 
d'aucune  cérémonie,  ni  de  la  jouissance  partout  de  ce 
qu'ils  avoient  avant  leur  démission  -  ;  que  les  ducs  vérifiés 
ne  perdoient  rien  à  la  leur,  parce  qu'il  n'y  avoit  à  y 
perdre  que  l'entrée  au  Parlement,  qu'ils  n'ont  pas  ;  que 
ce  ne  seroit  même  rien  de  nouveau  en  soi  dans  le  Parle- 
ment, puisque  les  présidents  à  mortier  qui  cèdent  leurs 
charges  à  leurs  fils  n'y  sont  privés  de  rien,  sinon  de  pou- 
voir présider  en  chef,  mais  jouissent  d'ailleurs  de  leur 
séance,  et  de  leur  ancienneté,  et  de  leur  voix  délibéra- 
tive^  ;  que  la  même  chose  se  pouvoit  faire  en  faveur  des 
pairs,  si  on  vouloit  conserver  un  air  d'apparence,  sinon 
de  justice,  lorsqu'on  s'en  éloignoit  à  leur  égard  d'une 
manière  si  violente  et  si  inouïe.  Le  Chancelier  contesta 
peu  là-dessus.  Il  ne  laissa  pas  d'alléguer  que  le  père  et  le 
fils  ne  pouvoient  ^  siéger  ensemble.  Je  lui  demandai  pour- 
quoi cette  exclusion,  tandis  qu'elle  n'étoit  pas  pour  la 
robe  ;  qu'en  cela  seulement  il  étoit  juste  qu'il  en  fût  des 
pairs  père  et  fils  comme  des  magistrats  père  et  fils  ; 
qu'étant  de  même  avis,  leurs  voix  ne  seroient  comptées^ 
que  pour  une,  et  que,  d'avis  différent,  elle  seroit  caduque. 
J'ajoutai  que  ce  n'étoit  qu'une  extension  à  tous  d'un  droit 
qui  appartenoit  à  quelques-uns  ;  que  MM.  de  Richelieu, 
Bouillon  ®  et  Mazarin  avoient  chacun  deux  duchés-pairies''  ; 

1.  Un  autre  surcharge  d'autres  lettres. 

2.  Sur  les  honneurs  conservés  par  les  ducs  démissionnaires  voyez 
l'Addition  n°  547,  dans  notre  tome  XII,  p.  481. 

3.  Ci-dessus,  p.  loi.  —  4.  Pouvoint,  dans  le  manuscrit. 

5.  Le  manuscrit  porte  leur  voix  ne  seroit  comptée,  au  singulier. 

6.  Les  premières  lettres  de  Bouillon  surchargent  et  B,  effacé  du 
doigt. 

7.  M.  de  Richelieu  possédait  les  duchés  de  Richelieu  et  de  Fronsac, 
M.  de  Bouillon  ceux  d'Albret  et  de  Château-Thierry,  le  duc  Mazarin 
ceux  de  la  Meilleraye  et  de  Mazarin. 


17111 


DE  SAINT-SIMON. 


193 


Le  Roi, 


favorable  à 
M.  de  la  Ro- 
chefoucauld 
contre  moi. 


que  les  deux  derniers  s'étoient  démis  de  l'une  des  deux'  ; 
que  par  consécjuont  c'étoienl  deux  pères  et  deux  fds  sié- 
geant -  ens(Mnblo  au  Parlemenl  toutes  fois  et  quanlcs  bon 
leur  scmbloit  et  sembleroit,  sans  moyen  aucun  de  l'empê- 
cher, et  sans  qu'on  se  fût  avisé  jusqu'à  cette  heure  d'y 
trouver  le  moindre  inconvénient.  Le  Chancelier  n'eut 
point  de  réplique  à  me  faire  ;  il  avoua  la  proposition  très 
raisonnable,  et  me  promit  de  faire  tout  de  son  mieux  pour 
la  faire  passer.  Ce  point  achevé,  il  me  dit  que  le  Roi 
n'avoit  pu  goûter  mes  raisons  contre  M.  de  la  Rochefou-     uniquement 

.  .  .       .  .  pour 

cauld,  quoi   qu'il  eût  pu  lui  dire^;  que  la  réplique  du     son  autorité, 

Roi  avoit^  été  que  son  autorité  y  seroit  intéressée,  et  qu'il 
étoit  demeuré  fermé  ^  là-dessus.  Un  homme  moins  sen- 
sible que  je  ne  l'étois  en  auroit  eu  sa  suftisance  de  ces 
trois  points  dans  une  même  conversation.  Ce  dernier, 
néanmoins,  qui,  étant  seul,  m'eût  extrêmement  touché, 
ne  me  fit  pas  grande  impression,  tant  celle  des  deux 
autres  me  fut  douloureuse  :  elles  attaquoient  tout,  et  mon 
affaire  ne  touchoit  presque  pas  la  dignité.  Je  ne  laissai 
pas  de  disputer  ma  cause  avec  le  Chancelier,  qui,  pour 
toute  réponse,  convint  et"  haussa  les  épaules,  m'avoua 
qu'il  étoit  pour  moi,  qu'il  avoit  combattu  le  Roi  tant  qu'il 
lui  avoit  été  possible,  que  les  réponses  du  Roi  sur  le  fonds 
et  sur  le  droit  avoient  été  nulles,  et  qu'il  n'avoit  répliqué 
que  par  le  seul  intérêt  de  son  autorité.  Je  priai  le  Chance- 
lier de  ne  me  pas  tenir  pour  battu,  ni  lui  non  plus  en  por- 
tant ma  cause;  je  lui  dis  que,  dès  qu'il  la  trouvoit  bonne 
par  le  mérite  du  fonds,  du  droit,  des  règles  et  de  la  jus- 
tice, qui  ne  touchoient  point  celle  du  Roi,  affranchi 
d'avoir  à  le   persuader,    lui,    puisque,  de   son   aveu,    il 


1 .  Il  veut  dire  «  les  deux  premiers.  »  MM.  de  Richelieu  et  de  Bouil- 
lon avaient  cédé  à  leurs  lils  aînés  leurs  duchés  de  Fronsac  et  d'Albret. 
"2.  Il  y  a  siéfjant  dans  le  manuscrit.  —  3.  Ci-dessus,  p.  18:2. 

4.  Avant  avoit,  il  a  biffé  un  auroit. 

5.  Au  sens  de  fixé,  comme  dans  le  tome  XIX,  p.  '22'2. 

6.  Et  surcharge  un  que. 


MEMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI 


13 


494 


MEMOIRES 


[1711] 


Chaulnes 
enfourné. 


Mémoire 
uniquement 
portant  sur 
l'autorité  du 


l'étoit,  j'allois  me  tourner  à  persuader  le  Roi  sur  son  auto- 
rité comme  je  pourrois  par  un  autre  mémoire  ;  que  je 
prévoyois  bien  qu'il  ne  le  trouveroit  pas  bon,  mais  qu'il 
se  souvînt  du  premier  qu'il  avoit  trouvé  tel,  et  qu'il  se  ser- 
vît de  celui  que  j'allois  faire  en  faveur  de  l'autre,  puisque 
ce  n'étoit  que  par  là  que  je  pouvois  réussir.  Nous  finîmes 
par  l'article  de  Chaulnes,  qu'il  me  dit  avoir  enfourné 
assez  heureusement.  Après  cet  entretien  dans  son  cabinet 
à  Versailles  \  qui  dura  plus  de  trois  heures,  je  m'en  allai 
dans  la  situation  de  cœur  et  d'esprit  qu'il  est  aisé  d'ima- 
giner. En  arrivant  chez  moi,  je  me  mis  à  travailler  au 
mémoire  dont  il  vient  d'être  parlé.  J'étois  fâché  :  je  le 
brusquai  en  deux  heures,  pour-  l'envoyer  au  Chancelier 
aussitôt,  qui  devoit  travailler  incessamment  avec  le  Roi  et 
essayer,  avec  ce  nouveau  secours,  de  remettre  ma  préten- 
tion à  flot.  L'adresse  réussit  ;  elle  est  telle,  que  je  l'insère 
ici  plutôt  que  dans  les  Pièces  :  c'est  un  mémoire  curieux 
pour  bien  connoître  Louis  XIV,  qui,  uniquement  sur  cette 
pièce,  me  donna  partout  la  préséance  sur  M.  de  la  Roche- 
foucauld. La  voici''  : 

«  On  n'a  pas  dessein  d'entrer  dans  le  fond  de  la  ques- 
tion par  ce  mémoire  ;  on  s'y  propose  seulement  de  faire 
très  succinctement  l'histoire  de  ce  qui  s'est  passé  entre  les 

1.  Les  mots  a  Versailles  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

2.  L'abréviation  p^  surcharge  un  et,  et  l'envoyer  corrige  ren- 
voyay. 

3.  Le  mémoire  qui  va  suivre  ne  se  trouve  pas  en  autographe  dans 
les  Papiers  de  Saint-Simon,  bien  que  le  volume  51  (aujourd'hui  France 
206)  renferme,  fol.  224  et  suivants,  diverses  pièces  et  mémoires  de  la 
main  de  notre  auteur  sur  cette  affaire;  mais  il  en  existe  une  copie  dans 
le  volume  65  {France  220),  fol.  147-125.  Ce  volume  et  le  suivant 
(France  221)  contiennent  d'ailleurs  toutes  les  pièces  relatives  à  cette 
question  de  préséance,  depuis  4643  jusqu'en  1714.  Nous  avons  colla- 
tionné  le  texte  que  Saint-Simon  insère  ici  dans  ses  Mémoires  avec  celui 
de  cette  copie,  datée  de  1741,  et  nous  indiquerons  les  principales  va- 
riantes qui  s'y  trouvent;  elles  proviennent  presque  toutes  de  correc- 
tions ou  d'améliorations  apportées  par  Saint-Simon  au  texte  primitif 
lorsqu'il  le  transcrivit  sur  le  manuscrit  des  Mémoires. 


(17111  DE  SAINT-SIMON.  195 

titulaires  '  do  ces  deux  duchés-pairies  depuis  leur  érection     Uoi.  qui  mr- 
jusqu'à  présent,  et  d'y  ajouter,  dans  les  endroits  néces-     ^^"'^  ^  P"^^' 

*    _  T  r  "^     .  ,    ,  .  seanco  sur 

saires,  de  courtes  réflexions,  d'où  on  espère  qu'il  résul-  M.  de  la  Ro- 
tera avec  évidence  que  cette  question  n'en  fut^  jamais  ,  ?'.^?^°"f ^"'^' 
•  1             -1'      -1      »»      1     I     r^     II-  !■'*'"*■  ^'^-  '005] 
une,  et  que,  si  la  considération  de  M.  de  la  nochelou- 

cauld  l'a  tenue  jusqu'à  présent  sans  être  jugée,  tous  les 
préjugés \  même  du  Roi,  lui  ont  été  manifestement  et 
uniformément  contraires.  Il  est  seulement  bon  de  représen- 
ter en  un  mot  que,  s'il  arrivoit  qu'il  fût  besoin  d'une  plus 
ample  instruction,  et  d'entrcrdanslefondde  l'affaire,  on  est 
prêt  d'y  satisfaire  par  un  mémoire  tout  fait  il  y  a  sept  ou 
huit  ansS  et  de  suppléer  encore  à  ce  mémoire,  s'il  n'étoit 
pas  trouvé  sufllisant,  sans  demander  une  heure  de  délai. 

«  L'érection  de  la  Rochefoucauld  est  de  1622";  l'enre- 
gistrement est  de  1631^.  On  supprime  ici,  avec  un  reli- 
gieux silence,  les  causes  d'un  si  long  délai,  et  la  manière 
dont  cet  enregistrement  fut  fait  :  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
seroient  pas  favorables'  à  la  cause  de  M.  de  la  Rochefou- 
cauld, et,  si  cette  remarque,  toute  monosyllabe^  qu'elle 
est,  n'étoit  indispensable  pour  faire  voir  que  ce  n'est  pas 
se  prévaloir  de  la  négligence  de  M.  de  la  Rochefoucauld, 
on  n'en  auroit  fait  aucune  mention  ^ 

l.  La  première  lettre  de  ce  mot  corrige  un  d. 
"2.  Il  y  a  n'en  fust,  par  erreur,  dans  le  manuscrit  ;  les  éditeurs  pré- 
cédents avaient  lu  fait  ;  mais  dans  la  copie  il  y  a  bien  fut. 

3.  Au  sens  de  jugement  antérieur,  comme  dans  le  tome  XV,  p.  138. 

4.  C'est  sans  doute  le  mémoire  fait  en  4"0'2  par  l'abbé  Levasseur, 
lors  de  la  réception  de  notre  auteur  au  Parlement.  Il  se  trouve  dans  le 
volume  66  des  Papiers  de  Saint-Simon  (France  221),  fol.  i-140. 

5.  Les  lettres  d'érection,  du  mois  d'avril,  sont  insérées  dans  VIlis 
toire  généalogique,  tome  IV,  p.  414-416. 

G.  Ci-après,  p.  223-229. 

7.  Favorable,  dans  le  manuscrit,  au  singulier  quoique  le  verbe  soit 
au  pluriel. 

8.  On  a  déjà  rencontré  ce  mot  à  diverses  reprises,  notamment  dans 
nos  tomes  XII,  p.  373,  et  XIX,  p.  434.  VAcadémie,  en  le  qualitiant 
d'adjectif,  dit  qu'il  s'employait  plutôt  comme  substantif. 

9.  Copie  de  1711  :  on  n'en  auroit  pas  fait  mention  du  tout. 


496  MÉMOIRES  [1711] 

Défaut  de  foi  «  On  souhaiteroit  encore  pouvoir  taire  un  autre  incon- 
Ex  HcaiTo^n  et  '^'^'"^'^'^t  ^l^i  a  même  jeté  M.  le  duc  de  Saint-Simon  dans 
nécessité  un  grand  embarras,  lorsqu'il  a  été  obligé  de  faire  travail- 
Je  cet  acte.  jgj.  à  cette  affaire,  pour  n'en  pas  tirer  un  avantage  trop 
ruineux  à  M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld  :  c'est  le  défaut 
d'hommage  rendu  au  Pioi.  Une  érection  en  duché,  mar- 
quisat ou  comté,  plus  essentiellement  en  duché-pairie, 
est  constamment'  la  remise  d'un  fief  que  le  vassal  possède 
entre  les  mains  du  Roi,  que  le  Roi,  après  l'avoir  repris, 
lui-  rend  avec  une  dignité  dont  il  l'investit  par  l'érection 
aux  conditions  portées  par  icelle,  qui  sont  respectives  % 
savoir  d'honneur  et  d'avantage  pour  le  sujet,  d'hommage 
et  de  service''  envers  le  seigneur,  dont  la  principale,  qui 
donne  l'être  aux  autres,  est  constamment  l'hommage  ^. 
Par  l'érection  le  Roi  investit  son  sujet;  par  l'hommage  le 
sujet  accepte,  et  se  soumet  aux  conditions  sans  lesquelles 
le  Roi  n'entend  lui  rien  donner,  et  le  sujet  n'entend  rien 
recevoir.  Cela  n'est  pas  douteux.  Dans  l'hommage  du 
sujet  nouvellement  investi  consiste  donc  toute  la  forme, 
la  force  et  la  réalité  de  l'effet  de  l'érection  et  de  l'inves- 
titure :  sans  quoi  les  choses  demeureroient  nulles  et 
comme  non  avenues,  puisque  le  sujet  ne  fait  point  de  sa 
part  ce  qui  est  requis  pour  recevoir  la  grâce  que  son  sou- 
verain lui  fait,  qui  est  de  l'accepter  de  sa  main,  et  de  le 
reconnoître  pour  son  seigneur  singulier*  en  ce  genre. 
Cette    action  d'hommage   ne    se  peut  faire    qu'en  trois 

1.  Nous  avons  déjà  signalé  ce  sens  vieilli  de  l'adverbe  constamment, 
pour  dire  comme  il  est  constant  et  indiscutable. 

2.  Avant  luy,  Saint-Simon  a  biffé  de. 

3.  «  Re>ipectif,  terme  de  pratique,  réciproque  »  (Académie,  1748). 

4.  Copie  :  de  service  et  d'hommage. 

5.  L'hommage  féodal  a  été  détini  dans  le  tome  IX,  p.  248.  Saint-Simon 
avait  réuni   dans  ses  Papiers  (volumes  46  et  60,  aujourd'hui   France 

168  et  Ho)  divers  documents  sur  les  hommages  rendus  au  Roi  par  les 
grands  vassaux. 

6.  Au  sens  d'unique,  de  particulier,  qui   est  le  premier  donné  par 
VAcadémie. 


fnill  DE   SAINT-SIMON.  197 

façons  :  ou  au  Roi  iiirnio  eu  |)('tsonn(\  ce  «jui  ost  devenu 
très  rarp  '  ;  ou,  cii  la-  placo  de  S.  M.,  à  son  chancelier, 
(|ui  la  litMil  [)()ur  ce  ;  ou  cncori.'  on  la  Ciianihro  «les  comnios  '. 
Il  <Mi  (leincure  un  acte  solennel  au  souverain  et  au  nou- 
veau vassal  •,  (|ui  csi  je  lihe  du  cliangement  tie  son  fief  en 
dignité  plus  éininentc  et  on  mouvance  plus  auguste,  puis- 
que, alors,  ce  fief  érigé  ne  relève  plus  que  de  la  cou- 
ronne ;  et  c'est  l'instrument  qui  déclare  au  public  le  chan- 
gement arrivé  dans  le  lief  et  dans  son  possesseur,  puisque 
l'érection,  sans  cela,  n'est  qu'un  témoignage  de  la  volonté 
du  Roi  demeurée  imparfaite  dès  là  que,  par  l'omission  de 
Ihommage,  condition  si  essentielle,  le  sujet  n'accepte  pas 
la  grâce  de  son  seigneur  S  et  ne  se  lie  pas  à  son  joug  par 
un  nouveau  serment  et  acte  d'obéissance,  de  service  et 
de  fidélité. 

«  C'est  néanmoins  ce  qui  ne  se  trouvera  pas  que  feu 
M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld  ait  fait,  en  aucun  temps, 
Ml  Roi,  à  son  chancelier,  ni  à  la  Chambre  des  comptes, 
chose  pourtant  si  essentielle,  qu'on  ne  craint  point  d'a- 
vancer que  la  dignité  de  duc  et  pair  pourroit*  être  juste- 
ment contestée  à  M.  de  la  Rochefoucauld.  Rien  ne  peut 
couvrir  ce  défaut  que  la  bonté  du  Roi  en  lui  accordant 
un  rang  nouveau  en  faisant  présentement  son  hommage, 
et  c'est  à  cet  étrange  inconvénient  que  M.  de  Saint-Simon 

i.  On  en  a  vu  un  exemple  en  1699  pour  le  duc  de  Lorraine  :  tome 
VI.  p.  391-395. 

2.  Sa  corrigé  en  h. 

3.  Le  règlement  du  iH  juillet  I70"2  avait,  peu  d'années  auparavant, 
spécifié  à  nouveau  les  conditions  et  la  forme  des  hommages  rendus  en 
la  Chambre  des  comptes  par  les  vassaux  immédiats  du  Roi. 

■'t.  Les  registres  des  Archives  nationales  cotés  P  18  à  2i  renferment 
ce  qui  reste  des  hommages  rendus  au  Roi  en  personne,  au  chancelier 
nu  en  la  Chambre  des  comptes  sous  les  règnes  de  Louis  XIII  et  de 
Louis  XIV  ;  mais  cette  collection  est  certainement  très  incomplète.  Il 
semble  que  cet  usage  était  pt>u  à  peu   tombé  en  désuétude. 

n.  Copie  :  de  son  souverain. 

6.  Copie  :  pouvoil. 


198  MÉMOIRES  [Hil] 

a  cherché  par  tous  moyens  de  pallier  S  pour  n'émouvoir 
pas  une  question  si  fâcheuse  à  un  seigneur  qu'il  respecte, 
et  qu'il  a  toujours  constamment  honoré-.  Pour  en  venir  à 
bout,  M.  de  Saint-Simon  s'est  trouvé  réduit  à  dire  que, 
lorsque  feu  M.  de  la  Rochefoucauld  prêta  serment  en  la 
manière  accoutumée  lorsqu'il  fut  reçu  au  Parlement ^  ce 
serment  emporta  hommage,  qui  donc  au  moins  ne  fut 
rendu  qu'en  cet  instant,  et  pareillement  que  la  Chambre 
des  comptes,  établie  si  spécialement  sur  les  foi  et  hom- 
mages*, aveux  et  dénombrements^  de  la  couronne,  ne 
le  put  reconnoître,  à  faute  d'hommage,  qu'alors,  et  deux 
mois  après,  lorsque  son  érection  y  fut  vérifiée,  c'est-à- 
dire  en  1637 ^ 

«  Deux  ans  auparavant,  c'est-à-dire  en  1635,  le  2  fé- 
vrier", l'érection  de  Saint-Simon^  avoit  été  faite  et  fut  en- 


[.  Le  Dictionnaire  de  V Académie  de  4718  ne  donnait  pas  d'exem- 
ple de  pallier  à  quelque  chose,  non  plus  que  les  autres  lexiques,  et 
il  est  à  croire  que  cet  à  est  une  inadvertance  de  Saint-Simon,  car  il  ne 
se  trouve  pas  dans  la  copie. 

2.  Copie:  respecté. —  3.  Ci-après,  p.  227. 

4.  Il  y  a  bien  homages,  au  pluriel,  dans  le  manuscrit. 

5.  K  Aveu  signifie  une  reconnaissance  que  le  vassal  donne  à  son  sei- 
gneur de  fief  pour  raison  des  terres  qu'il  tient  de  lui.  —  Dénombrement 
se  dit  en  parlant  du  détail  qu'un  vassal  donne  à  son  seigneur  de  tout 
ce  qu'il  tient  de  lui  en  fief:  donner  un  aveu  et  dénombrement  »  (Aca- 
démie, 1718). 

6.  Le  26  août  1637  (Histoire  généalogique,  tome  IV,  p.  417). 

7.  Les  dates  de  mois  et  de  jour  ne  sont  pas  dans  la  copie,  non  plus 
que  le  fut  qui  se  trouve  quelques  mots  plus  loin. 

8.  Il  a  été  parlé  de  l'érection  du  duché  de  Saint-Simon  dans  l'ap- 
pendice II  de  notre  tome  I.  p.  437-441.  Voici  comment  le  généalo- 
giste Henri  de  Maubreuil,  cité  dans  le  tome  I,  p.  390  et  suivantes, 
décrivait  les  lieux  en  1663  :  «  Cette  terre  est  située  dans  leVermandois, 
le  long  de  la  Somme  entre  les  villes  de  Saint-Quentin,  la  Fère,  Chauny, 
Noyon  et  Ham  ;  le  château  est  placé  sur  une  petite  éminence,  ayant 
par  derrière  un  petit  bois  de  haute  futaie  et  un  autre  de  côté  vers  le 
couchant,  et  au  bas  à  l'orient  et  au  midi,  plusieurs  fontaines  qui  font 
un  petit  ruisseau,  des  étangs  et  plusieurs  belles  prairies,  et  au  septen- 
trion la  rivière  de  Somme  avec  un  grand  et  large  marais.  »  Lorsque,  en 


[MU] 


DE  SAINT-SIMON. 


i99 


registrée'.  Fou  M.  le  duc  de  Saint-Simon  avoit  rendu  sa 
foi  et  hommage-;  il  avoit  été  reçu  duc  et  pair^  au  Parle- 
ment, et  feu  M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld  n'y  avoit 
formé  nulle  opposition  pour  son  rang.  H  est  vrai  qu'étant 
reçu  deux  ans  après,  il  prétendit  la  préséance,  et  il  ne 
l'est  pas  moins  qu'il  ne  la  put  jamais  obtenir,  chose  qui 
s'accorde  *  si  aisément  par  provision  à  ceux  dont  le  droit 
est  jugé  le  meilleur  en  attendant  un  jugement  définitif, 
comme  il  est  arrivé  en  pairie  en  tant  d'occasions,  et 
comme  il  en  subsiste  encore  un  exemple  dans  l'affaire  de 
M.  de  Luxembourg".  M.  le  duc  de  l\etz**se  trouvoit  dans 
le  même  cas  à  l'égard  de  M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld', 
et  ils  s'accommodèrent  ensemble,  sans  qu'on  ait  pu  en 
démêler  la  raison,  à  se  précéder  alternativement**.  Ces  ac- 
cords se  peuvent  pour  les  cérémonies  de  la  cour  quand 
le  Roi  le  trouve  bon  ;  mais,  au  Parlement,  il  faut  un  titre. 
C'est  ce  qui  fut  cause  d'un  brevet  du  Roi  du  G  sep- 
tembre 1645',   qui,  en   attendant  le  jugement,  ordonna 

1736.  le  duché  lut  vendu  à  M.  de  Chezellcs  par  la  comtesse  de  Valen- 
linois.  le  comte  de  Saint-Simon-Sandricourt  adressa  un  placet  au  Roi 
pour  obtenir  le  droit  de  retrait  féodal  qui  lui  appartenait  (Papiers 
communiqués  en  1803  par  M.  Maxime  Duval,  postérieurement  à  l'ap- 
parition de  notre  tome  I). 

1.  Non  pastel,  mais  le  i'''"  février  (Histoire  généalogique,  tome 
IV,  p.  391,  arrêt  d'enregistrement  au  Parlement).  L'enregistrement  à 
la  Chambre  d?s  comptes  eut  lieu  le  30  mars  suivant  :  Arch.  nat. 
P  2363,  p.  199,  et  P  2679,  2«  partie,  fol.  S2  v. 

2.  Nous  n'avons  trouvé  d'hommage  rendu  par  Claude  de  Saint- 
Simon  qu'à  la  date  du  2  mai  I6IG  (Arch.  nat.,  P  18-,  n°  336).  VHis- 
toire  généalogique  n'a  publié  (p.  393)  que  l'acte  do  l'hommage  rendu 
par  notre  autour,  le  5  mars  lG9i,  lorsqu'il  succéda  à  son  père. 

3.  Copie  :  reçu  pair.  —  4.  Copie  :  se  donne. 

o.  Tome  III,  p.  104-Ht.  —  6.  Pierre  de  Gondy  :  tome  XV,  p.  129. 

7.  Le  duché  de  Retz  avait  été  érigé  à  nouveau  on  163 i.  en  faveur  de 
Pierre  de  Gondy  (Histoire  généalogique,  tome  III.  p.  888-889). 

8.  On  a  dans  les  collections  dofactumsune  pièce  de  I6i4  intitulée: 
Moyens  de  préséance  pour  M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld  contre 
MM.  les  ducs  de  Retz  et  de  Saint  Simon,  et  la  réponse  de  ceux-ci. 

9.  Un  texte  de  oc   brevet  se  trouve  dans  le  vol.  51  des  Papiers  de 


Alternative 
ordonnée  en 

attendant 

jugement,  et 

commencée 

par  la  tirer  ati 

sort. 


s 


imon. 


200  MEMOIRES  [471i] 

cette  alternative,  dont  le  commencement  solennel  fut  au 
lit  de  justice  du*  lendemain  %  et,  comme  il  importoit  aux 
parties  par  laquelle  la  préséance  commenceroit,  le  sort 
en  décida  contre  M.  de  la  Rochefoucauld^.  Il  ne  se  peut 
une  balance  plus  exacte.  Depuis,  l'alternative  a  toujours 
subsisté  ;  Retz  s'est  éteint^  ;  Saint-Simon  seul  est  resté  dans 
cet  intérêt,  qui,  quant  à  présent,  ne  regarde  aucun  autre 
duc  que  MM.  de  la  Rochefoucauld  et  Sainte-Simon. 
Préjugés  ((  Cette  question  a  toujours  paru  au  Roi,  sinon*  si  sûre 

célèbres  du  Roi   ^^^  faveur  de  M.  de  Saint-Simon,  c'est-à-dire  de  la  pre- 

en  laveur  de  .,  ,  .  ,.,  /  ,    i  i  i 

M  de  Saint-  mière  réception,  qu  il  en  est  émané  de  S.  M.  deux  grands 
préjugés'  célèbres  dans  une  de  ses  plus  augustes  fonctions. 
Le  Roi  ayant  élevé,  à  la  fin  de  1663,  quatorze  seigneurs 
à  la  dignité  de  pairs  de  France,  S.  M.  tint  son  lit  de 
justice,  et,  en  sa  présence,  fit  enregistrer  les  érections  et 
recevoir  les  nouveaux  pairs  l'un  après  l'autre  dans  le 
rang  qu'elle  avoit  déterminé  de  leur  donnera  M.  le  duc 

Saint-Simon  (France  206),  fol.  222,  et  il  a  été  imprimé  dans  V His- 
toire généalogique,  tome  IV,  p.  392-393,  et  dans  [''Histoire  de  la  mai- 
son de  Gondy,  p.  617-620.  Il  y  a  en  outre  divers  mémoires  et  pièces 
dans  le  volume  63  de  Saint-Simon  (France  220). 

1.  Le  d  de  du  surcharge  une  l. 

2.  Ce  lit  de  justice  fut  tenu  par  le  jeune  Louis  XIV  pour  l'enregis- 
trement de  dix-huit  édits  bursaux.  Le  procès-verbal  s'en  trouve  dans 
le  registre  du  Parlement  côté  X^^  8388  :  le  duc  de  Retz  y  est  en  effet 
assis  au-dessus  du  duc  de  la  Rochefoucauld  ;  quant  au  duc  de  Saint- 
Simon,  il  n'y  assista  pas. 

3.  Ceci  est  constaté  dans  le  brevet  royal. 

4.  En  1676,  parla  mort  de  Pierre  de  Gondy. 

5.  L'abréviation  S.  surcharge  de,  et  la  copie  porte  :  de  Saint-Simon. 

6.  Il  y  a  bien  dans  le  manuscrit  ce  sinon,  qui  rend  la  phrase  boi- 
teuse ;  mais  Saint-Simon  a  mal  transcrit  :  voici  en  effet  la  phrase  de  la 
copie  ;  elle  est  correcte  :  (e  Cette  question  a  toujours  paru  au  Roi,  sinon 
si  sûre  en  faveur  de  la  première  réception,  au  moins  si  fort  une  grande 
question,  qu'il  en  est  émané,  »  etc. 

7.  Ci-dessus,  p.  19o. 

8.  C'est  l'  «  étrange  fournée  »  dont  il  a  été  parlé  bien  des  fois, 
notamment  dans  le  tome  IV,  p.  109  et  note  5.  L'enregistrement  de 
ces  lettres  patentes  se  trouve  au  registre  du   Parlement  X^^  8663, 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  201 

de  Bouillon  avoit  été  fait  duc  et  pair  quelques  années 
auparavant',  avec  une  clause  d'ancienneté  première  de- 
Chàteau-Thierry  et  d'Albret^,  que  le  Parlement  modifia, 
on  enregistrant*  le  contrat  d'échange  de  Sedan,  au  jour  de 
la  date  de  ce  contrat  %  pour,  en  modérant  une  ancien- 
neté*^ qui  l'eût  mis  à  la  tête  de  tous  les  ducs  et  pairs,  lui 
on  donner  une  insolite  en  manière  de  dédommagement,  et 
la  fixer  avant  l'enregistrement  de  ses  lettres  et  avant  sa 
première  réception,  ce  que  le  Roi  trouva  si  juste,  attendu 
le  jeune  âge  de  M.  de  Bouillon  depuis"  grand  chambellan 
de  France,  et  sentit  en  même  temps  si  bien  qu'il  perdroit 
son  ancienneté  s'il  n'y  étoit  autrement  pourvu,  qu'il  fit 
prononcer  par  M.  le  Chancelier  un  arrêt  exprès  pour  la 
conservation  de  son  rang  du  ^  jour  de  la  date  susdite  en 
ce  même  lit  de  justice ^  Il  y  a  plus:  M.  le  maréchal  de 
la  Meilleraye,  l'un  des  quatorze  nouveaux  pairs,  étoit  lors 

fol.  461  et  suivants.  Comparez  les  Papiers  de  Saint-Simon,  volumes  27  et 
61  (France  18"2  et  216).  —  Dans  la  copie,  il  y  a:  de  leur  donner  en- 
semble. 

1.  Par  le  contrat  d'échange  de  Sedan  du  20  mars  1651. 

2.  Ici  la  copie  porte  :  des  duchés  pairies  de. 

3.  Albret  avait  été  érigé  en  duché-pairie  en  décembre  1536  pour  le 
roi  et  la  reine  de  Navarre  ;  quant  à  Château-Thierry,  son  érection  en 
faveur  de  Louis  d'Orléans,  frère  de  Charles  VI,  remontait  à  l'année  1400. 

4.  Copie  :  en  vérifiant. 

5.  L'arrêt  d'enregistrement  du  contrat  d'échange  (20  février  1632) 
disait  :  (f  Et  ne  pourront  lesdiles  pairies  d'AIbret  et  de  Château-Thierry 
avoir  leur  effet  et  rang  que  du  jour  du  présent  arrêt,  et  en  obtenant  par 
ledit  de  la  Tour  d'Auvergne  lettres  dudit  seigneur  Roi  »  (Histoire  généa- 
logique, tome  IV,  p.  319).  En  conséquence,  le  Roi  accorda  immédiate- 
ment de  nouvelles  lettres  d'érection  (ibidem,  p.  520-521). 

6.  Ancienneté  corrige  ancienne. 

7.  Copie  :  aujourd'hui,  et  il  n'y  a  pas  les  mots  de  France. 

8.  Du  corrige  au,  qui  est  dans  la  copie. 

9.  On  trouvera  aux  Additions  et  corrections  la  relation  de  co  qui  se 
passa  à  ce  sujet  dans  le  lit  de  justice  du  15  décembre  1663  ;  c'est  plus 
d'un  an  auparavant,  en  août  1662,  que  le  jeune  duc  de  Bouillon,  Go- 
defroy-Maurice  de  la  Tour,  avait  obtenu  des  lettres  de  confirmation 
du  rang  de  sa  dignité  (Histoire  généalogique,  tome  IV,    p.  321). 


202  MÉMOIRES  [ITl'l] 

absent,  et  en  Bretagne  pour  le  service  du  Roi  ;  il  ne  parut 
pas  juste  à  S.  jM.  que  son  absence  préjudiciàt  au  rang 
qu'elle  lui  avoit  destiné  le  quatrième  parmi  les  autres,  et 
il  fut  encore  rendu  un  autre  arrêt  pour  la  conservation  de 
son  rang^  Il  faut  convenir  que  rien  n'est  plus  formel  en 
faveur  de  M.  de  Saint-Simon  que  ces  deux  arrêts^  si  so- 
lennels sur  cette  même  et  précise  question,  émanés  du 
Roi  même  séant  en  son  lit  de  justice  ^  uniquement  tenu 
pour  les  pairs. 
Singulier  «  Lorsqu'en  1702  M.  le  duc  de   Saint-Simon  d'aujour- 

procede  entre    ^'j^^j  songea,  avec  la  permission  du  Roi,  à  se  faire  rece- 
SaintSimon     voir  au  Parlement*,  il  supplia  M.  le  duc  de  la  Rochefou- 
et  de  la        cauld  de  s'y  trouver  et  de  l'y  précéder  sans    rechercher 

Rochefoucauld  .  -ii         -v  i,--iii)* 

lors  et  à  la  suite  qui  avoit  OU  la  demiere  alternative',  dont  1  âge  avance 
de  la  réception  de  feu  M.  de  Saiut-Simou  et  la  jeunesse  de  celui-ci, 
du  premier,  avoient  ôté  les  occasions  depuis  longtemps.  M.  de  la  Ro- 
chefoucauld fut  sensible  à  l'honnêteté,  qui  certainement 
étoit  grande,  mais  embarrassé.  On  étoit  à  Marly.  M.  le 
duc  de  Saint-Simon  fut  à  Paris  voir  M.  le  premier  prési- 
dent d'Harlay,  qui  lui  demanda  comment  il  feroit  avec 
M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld*^.  M,  de  Saint-Simon 
lui  dit'  l'honnêteté  qu'il  lui  avoit  faite,  qui  levoit  tout  em- 
barras ;  mais  il  ne  fut  pas  peu  surpris  de  la  réponse  de  ce 
magistrat,  qui  se  piquoit  de  n'ignorer  rien.  Cette  réponse 
fut  que  les  rangs  des  pairs  entre  eux  ne  dépendoient  pas 

1 .  Il  n'y  eut  pas  d'arrêt  spécial  ;  mais  les  lettres  d'érection  furent 
enregistrées,  immédiatement  après  celles  des  duchés  d'Estrées  et  de 
Gramont,  nonobstant  l'absence  du  maréchal  (reg.  X^'^  8394,  15  dé- 
cembre IQQS)  ;  voyez  ci-après,  aux  Additions  et  corrections. 

2.  Copie  :  actes.  —  3.  Ici  la  copie  ajoute:  si  célèbre  et. 
A.  Voyez  notre  tome  X,  p.  47-o2. 

o.  En  1702,  Saint-Simon  n'a  point  parlé  de  ce  qu'il  fit  à  l'égard  de 
M.  de  la  Rochefoucauld,  et  a  remis  ce  récit  à  l'époque  présente  (ibi- 
dem, p.  50-31). 

6.  Comparez  la  Notice  du  duché  de  Saint-Simon  dans  le  tome  XXI 
de  l'édition  de  1873,  p.  214. 

7.  Copie  :  lui  rendit  compte  de. 


[ili\]  DE  SAINT-SIMON.  203 

d'eux  au  Parlement,  etque  cela  ne  levoit  aucune  difficulté. 
M  '.  de  Saint-Simon  étoit  jeune;  il  craignoit  les  exemples 
des  réponses  fâcheuses  de  ce  premier  président  -  ;  il  s'y 
vouloit  d'autant  moins  exposer  qu'il  savoit  par  l'ex- 
périence de  ses  aff'aires  que,  depuis  le  procès  de  M. 
de  Luxembourg,  il  étoit  fort  mal  avec  lui,  et  que 
d'ailleurs  il  avoit  cherché  à  se  racommoder  par  feu^ 
Mme  de  la  Trémoïlle*  avec  M.  de  la  Rochefoucauld,  que 
ce  même  procès  avoit  brouillé  avec  lui\  Ainsi  M.  de 
Saint-Simon  se  tut,  et  ne  jugea  pas  à  propos  de  l'irriter 
en  lui  parlant  du  brevet  de  1645  que  le  Parlement  avoit 
enregistré  ^  que  ce  magistrat  ignoroit  ou  vouloit  ignorer, 
et  se  retira  sans  lui  rien  répondre  là-dessus.  De  retour 
qu'il  fut  le  soir  même  à  Marly,  il  apprit  par  feu  M.  le 
duc  de  la  TrémoïUe  ^  que  M.  de  la  Rochefoucauld  desi- 
roit  que  le  procès  se  jugeât  entre  eux.  M.  de  Saint-Simon 
pria  -M.  de  la  Rochefoucauld  de  s'expliquer  franchement 
avec  lui,  lequel  lui  dit  que,  Retz  étant  éteint%  l'âge  et 
l'état  de  la  famille  de  feu  M.  de  Saint-Simon  avoit  tou- 
jours fait  juger  que  sa  dignité  s'éteindroit  de  mème^, 
que  cette  considération  avoit  toujours  arrêté  "  toute  pen- 

1 .  Dans  la  copie,  cette  phrase  est  ainsi  rédigée  :  (f  M.  de  Saint-Simon, 

qui  étoit  jeune,  qui  craignoit et  qui  s'y  vouloit fort  mal  avec 

M.  le  Premier  Président,  qui  d'ailleurs  avoit  cherché  à  se  raccommoder 
par  feu  Mme  la  duchesse  de  la  Trémoïlle  avec  M.  de  la  Rochefoucauld, 
M.  de  Saint-Simon,  dis-je,  se  tut,  et  ne  jugea  pas  à  propos  d'irriter  M.  le 
Premier  Président  en  lui  parlant  du  brevet  de  1613,  que  ce  magistrat 
apparemment  ignoroit,  »  etc. 

2.  Voyez  les  anecdotes  racontées  dans  le  tome  XIV^,  p.  37'2  et  sui- 
vantes. 

3.  Il  écrit  feue. 

■'t.  Madeleine  de  Créquy,  que  nous  avons  vue  mourir  en  1707  :  tome 

XV,  p.  t6i. 

o.  Ci-dessus,  p.  177.  —  6.  Ci-dessus,  p.  199. 

7.  Charlos-Belgique-Hollande,  mort  en  1709:  tome  XVII.  p.  373. 

8.  Depuis  167H  :  ci-dessus,  p.  "200. 

9.  Voyez  dans  le  tome  XX,  p.  581,  l'addition  à  la  note  6  de  la  page  291. 
10.  Copie  :  avoit  arrêté. 


204  MÉMOIRES  [1711] 

sée  de  jugement,  mais  que,  présentement,  l'état  des  cho- 
ses, qui  avoit  changé,  faisoit  aussi  changer  de  sentiment, 
et  qu'il  desiroit  que  l'affaire  fût  jugée.  Ils  parlèrent  en- 
suite de  la  manière  d'en  user  réciproquement,  et  M.  de 
la  Rochefoucauld  voulut  des  arbitres  pairs.  M.  de  Saint- 
Simon  lui  représenta  que  le  Roi  seul  ou  le  Parlement 
étoient  les  juges  uniquement  compétents,  et  que  ja- 
mais un  autre  jugement  ne  pourroit  être  solide  ;  mais 
il  n'y  eut  pas  moyen  de  le  persuader,  et  tous  deux 
convinrent  de  sept  juges,  qui  furent  Messieurs  de  Laon', 
Sully  ^,  Chevreuse,  Reauvillier,  Noailles,  Coislin^  et 
Charost^.  M.  de  Saint-Simon  insista  pour  qu'il  y  eût  au 
moins  un  magistrat  rapporteur.  Cela  fut  également^  rejeté 
par  M.  de  la  Rochefoucauld:  tellement  qu'il  fut^  convenu 
que  Monsieur  de  Laon  présideroitet  rapporteroit  en  même 
temps,  et  que,  pour  tenir  lieu  de  significations,  les  copies 
des  pièces  et  des  mémoires  dont  on  voudroit  se  servir'  se- 
roient  remises  à  Monsieur  de  Laon  par  les  parties,  signées 
d'eux, et  communiquées  de  l'une  à  l'autre  par  Monsieur 
de  Laon,  qui  auroit  pouvoir  de  limiter  les  temps  qu'on 
seroit  obligé  de  les  lui  rendre. 

«  Les  choses  en  cet  état,  agréées  par  le  Roi,  M.  de 
Saint-Simon  demanda  du  temps  pour  revoir  une  affaire 
si  vieillie,  et  qu'il  comptoit  laisser    en   alternative   tant 

1.  Louis-Armand  de  Clermont-Chaste,  évêque  duc  de  Laon. 

2.  Maximilien-Henri  de  Béthune,  qui  avait  succédé  à  son  père  en 
1694. 

3.  Anne-Jules,  maréchal-duc  de  Noailles,  et  Armand  du  Cambout, 
duc  de  Coislin,  morts,  le  premier  en  1708,  le  second  en  septembre 
4702. 

4.  Tous  ces  noms,  dans  la  copie,  sont  précédés  de  la  préposition  de. 
—  Dans  le  volume  France  220,  fol.  110,  il  y  a  la  copie  de  la  lettre 
du  17  juillet  1703  par  laquelle  Saint-Simon  annonça  au  duc  de  Che- 
vreuse que  lui  et  M.  de  la  Rochefoucauld  l'avoient  choisi  comme  juge, 
avec  les  ducs  de  Noailles  et  de  Coislin. 

5.  Copie  :  pareillement. 

6.  Copie  :  et  il  fut. 

7.  Copie  :  des  mémoires  et  des  pièces  dont  on  se  voudroit  servir. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  203 

qu'il  plairoit  à  M.  de  la  Rochefoucauld,  et  que  cela  lui 
j)lairoit  toujours.  Ce  fut  alors  que  M.  de  Saint-Simon  fut 
arrêté,  et  fort  embarrassé  de  l'omission  de  foi  et  hommage 
par  feu  M.  de  la  Rochefoucauld,  qu'il  suppléa,  comme  il 
a  été  dit  ci-dessus',  pour  ne  se  pas  donner  la  douleur  de 
faire  perdre  à  M.  de  la  Rochefoucauld  un  rang  si  ancien, 
et  le  réduire  à  prendre  la  queue  de  tous  les  ducs  en  lui 
contestant,  comme  il  seroit  trop  bien  fondé  à  le  faire,  la 
validité  de  sa  dignité. 

«  Lorsque  M.  de  Saint-Simon  fut  prêt,  il  le  déclara  à 
Monsieur  de  Laon  pour  le  dire  à  M.  de  la  Rochefoucauld, 
lequel  fut  longtemps  à  prétendre  que  M.  de  Saint-Simon 
communiquât  ses  papiers  le  premier.  M.  de  Saint-Simon 
répondit  que  c'étoit  à  M.  de  la  Rochefoucauld  à  commen- 
cer, puisque  c'étoit  lui  qui  ne  vouloit  plus  l'alternative, 
et  qui  desiroit- le  jugement;  que,  ne  donnàt-il  que  six 
lignes  contenant  sa  prétention  toute  nue,  avec  ses  lettres 
d'érection  et  ses  autres  pièces  conséquentes^,  M.  de  Saint- 
Simon  s'en  contenteroit  et  répondroit*.  Après  un  assez 
long  temps,  on  ne  sait  quel  en  fut  le  motif,  M.  de  la  Ro- 
chefoucauld déclara  à  Monsieur  de  Laon,  en  lui  donnant 
sa^  prétention  toute  sèche  en  douze  lignes ^  qu'il  n'avoit 
pièces  ni  raisons  quelconques  à  présenter,  et  qu'il  n'en 
vouloit  plus  ouïr  parler.  On  n'oseroit  dire'  qu'il  paya 
d'humeur  ;  mais  on  ne  peut  taire  qu'il  ne  paya  d'aucune 
raison.  Il  y  a  sept  ou  huit  ans  que  les  choses  en  sont  là, 
sans  que  M.  de  la  Rochefoucauld  se  soit  présenté  en  au- 
cune occasion  d'alternative,  ne  s'étant  pas  même  trouvé 
à  la  réception  de  M.  le  duc  de   Saint-Simon,  qui,   avant 

1.  Ci-dessus,  p.  197-198.  —  1.  Le  d  de  desiroit  surcharge  un  v. 

3.  Conséquent  semble  bien  être  pris  ici  au  sens  de  consécutif:  la 
suite  des  pièces  annexes. 

4.  Il  y  a  réponderoit  par  mégarde  dans  le  manuscrit. 
o.  Ses  corrigé  en  sa. 

6.  La  copie  de  ces  «  douze  lignes  »  se  trouve  dans  le  volume  France 
220,  fol.  109. 

7.  La  copie  ajoute  :  j^ai'  respect. 


206 


MEMOIRES 


[1744] 


Autre  préjuge 

du  Roi 
tout  récent  en 

faveur  de 
M.  de  Saint- 
Simon. 


L'autorité 

du  Roi 
favorable  à 


tout,  a  songé  à  se  conserver  l'honneur  de  l'amitié  de 
M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld,  et  n'a  pas  parlé  depuis 
de  leur  affaire,  qui  est  demeurée  là. 

«  Deux  courtes  observations  finiront  ce  mémoire. 

«  La  première  :  qu'on  ne  peut  pas  dire  qu'il  n'y  ait 
pas  un  procès  certainement  existant,  et  très  ancien,  entre 
MM.  de  Saint-Simon  et  de  la  Rochefoucauld,  repris  et 
laissé  en  divers  temps  entre  leurs  pères,  et  depuis  par* 
eux-mêmes  ; 

«  Que  le  Roi  en  a  eu  en  tous  les  temps  une  connois- 
sance  si  effective,  qu'il  est  émané  de  S.  M.  un  brevet 
pour  l'établissement  d'une  alternative  au  Parlement,  qui 
exclut  toute  provision  de  préséance,  et  deux  arrêts  en 
plein  lit  de  justice,  qui  sont  un  préjugé  formel,  et  le  plus 
précis  qui   puisse  être  en  faveur  de  M.  de  Saint-Simon  ; 

«  Que,  tout  nouvellement-,  le  Roi,  sur  la  représenta- 
tion de  M.  le  maréchal  de  Villars  de  lui  accorder  un  arrêt 
semblable  à  ceux  de  Bouillon  et  de  la  Meilleraye^,  ou 
d'empêcher  que  M.  le  maréchal  d'Harcourt  fût  reçu*  pair 
au  Parlement^  avant  que  sa  blessure  lui  eût  permis  de 
l'être  lui-même,  S.  M.  a  pris  ce  dernier  parti,  ce  qui  n'est 
pas  un  moindre  préjugé  en  faveur  de  M.  de  Saint-Simon 
que  les  deux  autres  ; 

«  Conséquemment,  que  le  Roi  a,  dans  tous  les  temps, 
regardé  cette  question  comme  une  vraie  et  très  impor- 
tante question,  et,  par  plusieurs  actes  solennels  émanés 
de  S.  M.  jusque  tout  récemment,  comme  une  question 
très  favorable  pour  M.  le  duc  de  Saint-Simon.  Voilà  pour 
ce  qui  est  de  la  chose  en  soi. 

«  L'autre  observation  regarde  l'autorité  du  Roi. 

«  Rien  ne  seroit  plus  contraire  au  devoir  de  vassal  à 
son  seigneur,  bien  pis  encore  d'un  sujet  à  son  souverain, 

1.  Copie:  entre.  —  2.  Tome  XIX,  p.  6-7. 

3.  Ici,  Mélleraye.  —  Voyez  ci-dessus,  p.  201-202. 

4.  Fust  receu  est  en  interligne. 

5.  Ces  trois  mots  manquent  dans  la  copie. 


[17141  DE  SAINT-SIMON.  207 

que  de  jouir  de  l'efifet  d'une  grâce,  qui  est  ce  que  le  M.  do  Saini- 
prince  donne,  sans  rendre  foi  et  hommage',  qui  est  un  ^'^on. 
lien  prescrit  par  sa  grâce  même,  et  un  échange  pour  la 
grâce  que  le  sujet,  en  la  recevant,  rend  au  prince  qui 
l'honore  d'un  nouveau  titre,  en  conséquence  duquel  il  lui 
est,  par  la  foi  et  hommage  pour  raison  de  ce,  plus  nou- 
vellement et  plus  étroitement  soumis,  attaché  et  fidèle. 
C'est  néanmoins  ce  qui  manque  à  M.  de  la  Rochefoucauld, 
et  ce  qui  n'a  pu  être  suppléé  que  par  son  serment  de 
pair,  prêté  en  lt)37,  deux  ans  après  Thommage  de  feu 
M.  le  duc  de  Saint-Simon,  et  sa  réception  au  Parlement 
postérieure  à  cet  hommage. 

«  Rien  ne  marqueroit  moins  l'autorité  du  Roi  que  la 
fixation  du  rang  des  pairs  à  la  date  de  l'enregistrement 
de  leurs    lettres,  et   rien,  en  particulier,  n'y  seroit  plus 
spécialement  opposé  que  la  fixation  du  rang  de  M.  de  la 
Rochefoucauld  à  la  date  de  l'enregistrement  des  siennes. 
Sur  le  premier  point,  il  est  constant  que  ce  seroit   pren-     Enregistre- 
dre    rang  par  l'autorité    du    Parlement,    qui  a  toujours    ™ent  sauvage 
prétendu  pouvoir  admettre,  retarder-,  avancer,  ou  rejeter    d'érection  de 
les  enregistrements  des    lettres,    et  qui  souvent    l'a    osé     '^  Rochefou- 

<•   •  I  1        •  )         I)        '  »  •  cauld. 

faire  ;  sur  le  second  point,  c  est  1  espèce'  présente,  puis- 
que les  lettres  de  la  Rochefoucauld  furent  enregistrées 
pendant  la  disgrâce  de  feu  M.  de  la  Rochefoucauld  %  et 
contre  la  volonté  du  Roi  connue,  et  lors  absent  de  Paris, 
Ce  fait  est  certain,  et  M.  de  la  Rochefoucauld,  qui  se 
souvient  bien  de  la  manière  dont  cela  se  passa  pour  l'avoir 
ouï  souvent  raconter  chez  lui,  n'en  disconviendra  pas. 

«  Reste  donc,  pour  faire  chose  séante  à  l'autorité  royale, 
de  fixer  le  rang  à  la  date  des  lettres  ou  à  la  réception  de 
l'impétrant   au  Parlement,    puisqu'on  vient  de  montrer 

I.  Ci-dessus,  p.  196. 

H.  Retarder  n'est  pas  dans  la  copie. 

3.  «  Espèce,  en  termes  de  jurisprudence,  signilie  un  cas  particulier 
sur  lequel  il  faut  opiner  »  (Académie,  1718). 

4.  Ci-après,  p.  '2-23  et  suivantes. 


208  MÉMOIRES  [1714] 

l'indécence  de  le*  fixer  à  la  date  de  l'enregistrement  des 
lettres.  De  le  faire  à  la  date  de  leur  expédition  ^  est  im- 
possible, puisque  des  lettres  non  enregistrées  n'opèrent 
qu'une  volonté  du  Roi  non  effective  ni  effectuée  %  qui  ne 
produit  que  ce  qu'on  appelle  improprement  duc  à  brevet, 
comme  l'est  encore  M.  de  Roquelaure,  c'est-à-dire  un 
homme  que  le  Parlement  ne  reconnoît  point  duc  et  pair, 
qui  n'a  nul  rang,  qui  ne  jouit  que  de  quelques  honneurs 
qui  ne  peuvent  passer  à  son  fils  sans  grâce  nouvelle,  et 
dont  les  lettres  sont  incapables  de  lui  fixer  un  rang  parmi 
ceux  du  nombre  desquels  il  ne  peut  être  tant  que  ses 
lettres  demeurent  sans  vérification. 

«  On  ne  peut  donc  fixer  le  rang  d'ancienneté  qu'à  la 
réception  de  l'impétrant  par  deux  grandes  raisons  :  la 
première,  parce  qu'alors  seulement  la  dignité  se  trouve 
complète  et  parachevée  sans  que  rien  de  ce  qui  est  d'elle 
y  puisse  plus  être  ajouté,  comme  on  le  montreroit  évidem- 
ment^, si  on  entroit  dans  le  fonds;  l'autre  c'est  qu'alors 
seulement  la  volonté  du  Roi,  non  suffisante  par  l'expédi- 
tion des  lettres  d'érection,  non  toujours  suivie  pour  leur 
enregistrement,  et  spécialement  en  celle  ^  de  la  Rochefou- 
cauld, est  la  règle  unique  de  cette  réception,  dont  on  ne 
trouvera  aucun  exemple  contre  la  volonté  des  Rois.  C'est 
donc  alors  seulement  qu'opère  ^  indépendamment  de  tout 
le  reste,  la  puissance  de  cette  volonté  souveraine,  qui 
vainement  a  érigé,  qui,  pour  l'enregistrement,  n'est  pas 
toujours  obéie,  et  qui,  quand  elle  la  seroit,  feroit  donner 
par  le  Parlement  ce  qu'elle-même  n'a  pu  donner  sans  son 
concours,  mais  qui,  seule,  suspend  ou  presse  à  son  gré  la 

1.  Il  y  a  /a  dans  le  manuscrit.  —  2.  Copie  :  à  leur  date. 

3.  Effective,  au  sens  de  qui  existe  réellement;  effectué,  à  celui  de 
mis  à  exécution. 

4.  Copie:  démontreroit  entièrement . 

5.  En  est  en  interligne,  et  celle  surcharge  un  à. 

6.  «  Opérer,  faire,  produire  quelque  effet;  on  s'en  sert  aussi  abso- 
lument et  sans  régime  »  {Académie,  4718). 


[17H]  DE  SAINT-SIMON.  209 

réception  au  Parlement  de  celui  qu'elle  a  fait  pair  de 
France;  et,  par  cet  acte,  elle  le  tient  suspendu  en  ses 
mains  tant  que  bon  lui  semble,  et  tient  ainsi  '  sa  fortune 
en  l'air,  quoique  achevée,  et,  ce  semble,  déterminée  par 
la  puissance  étrangère  de  l'enregistrement,  et  permet 
seulement  que  tout  acte  de  pairie  s'achève  en  eflfet-  et 
s'accomplisse  en  l'impétrant,  quand  elle  veut,  par  cette 
grâce  ^  dernière  de  sa  première  réception  au  Parlement, 
couronner  toutes  les  autres  qui  n'y  sont  qu'accessoires,  et 
manifeste*  seulement  alors  à  l'Etat  un  assesseur^  et  un 
conseiller  nouveau  qu'elle  s'est  choisi,  aux  grands  vas- 
saux de  la  couronne  un  compagnon  qu'ils  ont  reçu  de  sa 
main  toute-puissante,  et  à  tous  ses  sujets  un  juge*^  né 
qu'elle  a  élevé  sur  eux.  Alors,  la  dignité  complète  est  seu- 
lement proposée  telle,  et  le  rang  d'ancienneté  fixé  pour 
jamais  dans  cette  famille  par  un  dernier  coup  de  volonté 
pleine,  qui  ne  dépend  que  du  Roi  tout  seul,  sans  concours 
du  Parlement,  et  sans  qu'autre  que  la  majesté  royale  mette 
la  main  à  l'ouvrage,  alors  entier"  et  en  sa  perfection. 

«  C'est  ce  que  plus  de  loisir  et  de  licence  d'entrer  dans 
un  fond  plus  détaillé  de  la  matière  du  procès  pendant 
entre  MM.  de  Saint-Simon  et  de  la  Rochefoucauld,  et 
pour  le  droit  en  soi,  et  pour  le  fait  en  exemples,  démon- 
treroit  encore  plus  invinciblement.  En  voilà  assez  au 
moins,  sinon  pour  déterminer  le  Roi  en  faveur  de  son 
autorité  et  de  son  incommunicable  puissance  %  des  préjugés 

1.  Copie  :  aussi. 

2.  Au  sens  relevé  dans  notre  tome  XX.  p.  102;  ces  deux  mots 
n'existent  pas  dans  la  copie. 

3.  Avant  grâce,  il  a  biiïé  un  premier  d'"'^. 

i.  Sens  relevé  dans  notre  tome  XVIII,  p.  169. 

0.  «  Assesseur,  officier  de  robe  longue  qui  est  adjoint  à  un  juge 
principal  pour  juger  conjointement  avec  lui  dans  un  présidial,  dans  un 
bailliage,  et  qui  préside  en  son  absence  »  {Académie,  i71<<). 

6.  La  dernière  lettre  de  juge  surcharge  une  n. 

1.  Copie  :  alors  en  son  entier. 

8.  Copie:  et  de  respect  de  son  incommutable puissance. 

uiMOIBES    DE    SAI.NT-SniON,    XXI  W 


210  MÉMOIRES  [17H] 

émanés  de  S.  M.  même,  en  tous  les  temps  et  avec  grande 
solennité,  et  de  la  bonté  en  soi  de  la  cause  de  M.  de  Saint- 
Simon,  pour  détourner  au  moins  sa  bonté,  et  on  ose 
ajouter  son  équité,  de  décider  rien  là-dessus  sans  lui  avoir 
fait  la  grâce  de  l'entendre,  sinon  par  elle-même,  au 
moins  par  ceux  sur  qui  elle  s'en  voudra  décharger,  dont 
M.  de  Saint-Simon  n'aura  aucun  possible*  pour  suspect 
par  sa  confiance-  en  la  bonté  et  en  la  justice  de  son 
droite  » 


Chancelier. 


Deux  lettres  que  nous  nous  écrivîmes,  le  Chancelier  et 
moi,  donneront  maintenant  toute  la  lumière  dont  la  suite 
de  cette  affaire  a  besoin.  La  première  est  du  lendemain 
que  j'eus  appris  de  lui  à  Versailles  les  articles  du  sacre  et 
de  l'extension  des  bâtards  en  autant  de  pairs  qu'ils  au- 
roient  de  pairies^  ;  l'autre,  aussitôt  que  j'eus  achevé  le 
mémoire  ci-dessus.  Ce  ^  fut  le  3  mai,  à  Paris,  où  j'étois 
venu  coucher. 
Lettres  «  Je  VOUS  avoue.  Monsieur,  que  je  revins  hier  plus  affligé 

deSaiiitSim  ^^®  i^  ^^  P"'^  vousle  dire,  et  qu'après  avoir  pensé  à^  la 
à  M.  le  nouvelle  et  horrible  plaie  générale,  je  songeai  à  la  mienne 
particulière.  Ce  matin,  j'ai  fait  un  mémoire  sur  mon 
affaire,  le  plus  court  et  précis  que  j'ai  pu,  et  je  viens  de 
vous  écrire  une  lettre  ostensible,  compassée  au  mieux 
que  j'ai  pu,  pour  y  joindre.  D'Antin  a  dit  le  fait  à  M.  de 
Ghevreuse,  puisqu'il  '  l'a  su  sans  vous,  et  ce  dernier  me 
l'a  dit  à  moi*,  comme  je  vous  en  rendis  hier  compte.  J'es- 

1.  Aucun  de  ceux  que  le  Roi  pourra  désigner. 

2.  Copie  :  conscience.  —  3.  Le  tiret  qui  suit  est  bien  au  manuscrit. 

4.  Ci-dessus,  p.  188. 

5.  Cette  dernière  phrase  est  ajoutée  à  la  fin  du  paragraphe,  et  les 
mots  à  Paris  sont  en  interligne. 

6.  A  est  répété  deux  fois,  en  fin  de  ligne  et  au  commencement  de 
la  ligne  suivante. 

7.  Puisqu'  surcharge  et  ce  cl.  —  8.  A  moy  surcharge  hier. 


[ITIIJ  DE  SAINT-SIMON.  211 

pérois  que  mon  mémoire  seroit  assez  tôt  mis  au  net  pour 
pouvoir  vous  le  porter  ce  soir  ;  mais  mon  lambin  •  de 
secrétaire-  ne  finit  point.  Il  me  seroit  néanmoins  très 
important  d'avoir  l'honneur  de  vous  entretenir,  et  je  vois 
vos  journées  si  prises,  que  je  ne  sais  pas  quand.  D'aller 
à  Pontchartrain  ne  me  semble  pas  trop  à  propos  dans  cette 
conjoncture,  etje  ne  vois  que  samedi  prochain,  comme 
hier  à  Versailles,  ce  qui  est  long  et  étranglée  En  atten- 
dant, je  vous  enverrai  mon  mémoire,  que  j'aurai  grand 
regret  de  vous  laisser  lire  tout  seul.  Cependant  comman- 
dez à  votre  serviteur,  muet  comme  un  poisson  '%  et  qui  va 
être,  en  général  et  en  particulier,  brisé  comme  vile  argile^. 
Qu'il  y  auroitun  beau  gémissement**  à  faire  là-dessus, 
qui  me  feroit  encore  dérouiller  du  latin  ^   et  des  passa- 

1.  «  Lambin,  celui  qui  est  extrêmement  lent  à  tout  ce  qu'il  fait  ;  il 
est  bas  et  populaire  «  {Académie,  1T18). 

2.  On  connaît  plusieurs  secrétaires  de  Saint-Simon  :  le  premier  en 
date  est  Jean-Antoine  Fosse  de  Boismartin,  avocat  au  Parlement, 
qu'on  rencontre  en  1097  (Dictionnaire  critique  de  Jal,  p.  1137),  et 
aussi  dans  un  acte  de  1702  (reg.  Y  275,  fol.  406  \°)  en  même  temps 
que  Claude  de  Maubreuil.  Saint-Simon  parle  encore  de  ce  dernier 
dans  une  lettre  de  1717  (Mémoires,  éd.  1873,  tome  XIX,  p.  289).  En 
1718,  il  se  sert  d'André  Charpentier,  qui  est  en  même  temps  receveur 
général  de  la  comtau  de  Blaye.  Dans  son  ambassade  d'Espagne,  il  fut 
accompagné  par  Marc-Antoine  Dathosc  (Drumont,  p.  106,  a  estropié 
le  nom),  qu'on  retrouve  encore  en  1748.  Entin  l'on  sait  qu'il  employa 
un  nommé  Galland  pour  l'annotation  du  Journal  de  Dangeau. 

3.  Long  comme  délai  d'entrevue,  et  étranglé  comme  temps  libre. 

4.  «  On  dit  proverbialement,  d'un  homme  qui  demeure  interdit  et 
qui  ne  répond  rien  aux  questions  qu'on  lui  fait,  qu'«7  est  muet  comme 
un  poisson  »  (Académie,  1718). 

5.  Réminiscence  du  verset  6  du  chapitre  xviii  des  prophéties  de 
Jérémie  :  Ecce  sicut  lutum  in  manu  pguli. 

6.  Ce  peut  être  une  allusion  aux  Lamentations  de  Jérémie,  plutôt 
qu'aux  Gémissements  sur  la  destruction  de  Port-Royal  dont  il  a  été 
parlé  dans  le  tome  XVIII,  p.  284,  note  2. 

7.  Expression  qu'on  retrouvera  encore  dans  la  suite  des  Mémoires, 
tome  XVIII  de  1873,  p.  330.  —  «  En  parlant  d'un  jeune  homme  à  qui 
le  commerce  du  monde  a  façonné  et  poli  l'esprit,  en  lui  faisant  perdre 
l'air  gauche  et  les  manières  grossières  qu'il  avoit,  on  dit  que  les  bonnes 


"212  MÉMOIRES  [1711] 

ges  '  I  Mais  vous  diriez  que  ce  seroit  les  profaner.  Permettez- 
moi  du  moins  un  heu- 1  profondément  redoublé,  en  vous 
assurant  d'un  attachement  et  d'une  reconnoissance  par- 
faite. » 

Le  Chancelier,  qui,  en  magistrat  et  en  courtisan, 
comptoit  pour  rien  les  deux  nouveaux  articles  du  sacre 
et  des  bâtards,  qui  espéroit,  en  quelque  dédommagement 
du  second,  faire  passer  la  double  séance  des  pères  démis^, 
piqué  de  n'avoir  pu  emporter  ma  préséance  sur  M.  de  la 
Rochefoucauld,  de  la  justice  de  laquelle  il  étoit  con- 
vaincu, et  se  voulant  persuader,  et  plus  encore  à  nous, 
que  nous  devions  être  gorgés^  et  nous  tenir  comblés^  des 
autres  articles,  me  renvoya  sur-le-champ  ma  lettre,  dont 
il  déploya  l'autre  feuille,  sur  laquelle  il  m'écrivit  cette 
réponse  *  : 
De  M.  le  «  Permettez-moi,  Monsieur,  cette  manière  de  vous  ré- 

Chancelier      pondre  pour  une  fois  seulement  et  pour  abréger,  et  per- 

à  M.  le  duc  de    ^  '     .  .      ,  ,       '^  ,  ' 

Siint  Simon,  mettez-moi  aussi  de  vous  gronder  en  peu  de  mots  en 
attendant  plus.  N'avez-vous  point  de  honte  de  n'être 
jamais  content  de  ce  que  pensent  les  autres  ?  serez-vous 
toujours  partial  en  toute  affaire  ?  ramperez-vous  toujours 
dans  le  rang  des  parties  sans  entrer  jamais  dans  l'esprit 
de  législateur"?  La  besogne  est  bonne;   je  la   soutiens 

compagnies  Vont  dérouillé,  lui  ont  dérouillé  l'esprit  »  (Académie, 
1718).  Ici  Littré  a  interprété  par  «  faire  montre  de  quelque  connais- 
sance mise  depuis  longtemps  en  oubli  ».  Ne  serait-ce  pas  plutôt  le 
sens  de  débiter,  dégoiscr  ? 

1.  C'est-à-dire  des  citations,  sans  doute  des  livres  saints. 

2.  Exclamation  de  douleur  en  latin. 

3.  Ci-dessus,  p.  191  et  suivantes. 

4.  «  Gorger  signifie  figurément  combler,  remplir,  et  il  ne  se  dit 
qu'en  parlant  des  richesses  »  (Académie,  1718). 

5.  Le  b  de  comblés  corrige  un  p. 

6.  Est-il  besoin  de  dire  que  ces  lettres,  de  caractère  familier  et 
autographes,  ne  se  retrouvent  pas  an  copie  dans  les  registres  de  la 
correspondance  du  Chancelier  venus,  avec  le  fonds  Mortemart,  au 
Cabinet  des  manuscrits? 

7.  «  Législateur,  celui  qui  établit  des  lois  pour  tout  un  peuple  » 


[1711]  OE  SAI.NT-SF.MON.  213 

tollo,  et  si  bonne  que  c'est  pour  l'être  trop  qu'elle  ne 
passera  peut-être  pas  ;  et  cette  bonne  besogne,  c'est  pour 
vous  une  horrible  plaie  générale,  et  une  plaie  particulière 
qui  vousatîlige  au  delà  de  l'expression.  Qu'entendez-vous 
par  une  lettre  ostensible?  à  qui  la  voudrois-je  ou  pour- 
rois-je  montrer?  Non,  Monsieur,  il  n'y  a  que  samedi 
prochain  de  praticable'  ;  un  siècle  entier  de  conversation 
vous  paroîtroit  un  moment  étranglé-,  si  on  ne  finissoit 
par  être  de  votre  avis.  Envoyez-moi  toujours  votre  mé- 
moire, Monsieur  ;  cela  en  facilitera  une  seconde  lecture 
avec  vous  et  la  rendra  plus  intelligible.  Soyez  toujours 
très  muet  ;  mais  exaltez-vous  dans  l'esprit  de  vérité  ',  et 
ne  vous  abaissez  pas  au-dessous  de  l'argile  pour  perdre* 
un  cheveu  de  votre  perruque^'  quand  vous  en  gagnez  une 
entière.  Permettez-moi,  à  mon  tour,  un  hf^u  !  profondé- 
ment redoublé  sur  les  torts  d'un  ami  aussi  estimable  que 
vous  l'êtes  pour  moi,  et  aussi  aimable  en  toute  autre 
chose*.  » 

{Académie ,  1718).  On  en  trouvera  un  autre  exemple  ci-après,  p.  216. 
Ici,  le  sens  est  bien  déterminé  par  le  mot  parties  qui  lui  est  opposé. 

\.  Saint-Simon  écrit  pratiquable.  —  2.  Ci-dessus,  p.  211. 

3.  Cette  citation  ne  semble  pas  être  tirée  de  la  Bible,  mais  peut-être 
est-elle  d'un  Père  de  l'Egliso.  Il  en  est  de  même  de  celle  qui  va  suivre. 

•4.  Au  sens  de  :  lorsque  vous  perdez. 

').  Avant  perruque,  il  y  a  un  premier  perruque,  biti'é,  qui  surchar- 
geait teste. 

6.  Saint-Simon  envoya  son  mémoire  et  y  joignit  une  lettre  dont 
nous  n'avons  plus  le  texte,  mais  à  laquelle  il  ajouta  le  post-scriptum 
suivant  :  «  Depuis  mon  mémoire  fait  un  peu  à  la  hâte,  et  ma  lettre 
écrite,  je  me  suis  avisé  d'ajouter  un  extrait  très  court  de  mon  mémoire, 
que  je  vous  supplie.  Monsieur,  de  vouloir  bien  lire,  et  qui,  tout  extrait 
qu'il  est.  contient  quelques  choses  en  faits  et  en  raisonnements  qui 
ne  sont  pas  dans  le  mémoire.  Pardonnez-moi,  Monsieur,  cette  nouvelle 
importunité  et  que  l'extrait  soit  de  ma  main,  n'ayant  pas  eu  le  temps 
de  l'envoyer  copier  à  Paris,  comme  j'ai  fait  du  mémoire.  »  Cet  «  extrait  » 
(autographe  dans  France  206,  fol.  225;  copie  dans  France  220)  est 
intitulé  :  ÀJiali/sc  du  mémoire  très  sommaire  sur  la  préséance  prétendue 
par  M.  le  duc  de  Saint-Simon  sur  M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld.  A 
la  lin,  Saint-Simon  a  transcrit  le  |)osl-scriplum  donné  ci-dessus. 


214  MÉMOIRES  [1714] 

Ces  deux  lettres  caractérisent  merveilleusement  ceux 

qui  les  ont  écrites,  et,  pour  le  moins,  aussi  bien  celui  à 

qui  ils  avoient  affaire.  Les  deux  suivantes  le  feront  encore 

mieux.  Voici  celle  du  Chancelier,  du  5  mai  : 

De  M.  le  «  J'ai  lu.  Monsieur,  et  relu  avec  toute  l'attention  et  le 

Chancelier  à     pjg^jgjp  qu'une  telle  lecture  donne  à  un  homme  comme 

M.  le  duc  de      r  n  i  /«       •  ,-,    , 

Saint-Simon,    moi,  et  avec  toutes  les  pauses  et  les  réflexions  réitérées 
qu'une  pareille  matière  exige,  et  votre  lettre,  et  votre 
mémoire,  et  votre  abrégé  de  mémoire  K  Je  vous  renvoie  la 
lettre  :   les  raisons  de   ce  renvoi  sont  dans  ma  réponse 
d'hier.  Je  garde  le  reste  :  il  est  pour  moi,  s'il  vous  plaît-; 
vous  en  avez  la  source  dans  votre  esprit,  les  minutes  dans 
vos  papiers  ;   ce  que  je  garde  me  tiendra  lieu   de  tout 
cela  ;  c'est  beaucoup  pour  moi.  A  l'égard  de  la  question, 
je  suis  pour  vous,  Monsieur  ;  je  vous  l'ai  déjà  dit  ;  mon 
suffrage  sera  toujours  à  votre  avantage.  Ce  qui  vous  sur- 
prendra, c'est  que  ce  ne  seroit  pas  par  vos  raisons.  Votre 
première  et  grande  raison,  que  vous  tirez  des  foi  et  hom- 
mages^, n'est  pas  vraie  dans  le  principe  des  fiefs,  et  votre 
dernière  grande  raison,   que  vous  tirez  de  l'intérêt  des 
rois  mêmes,  n'est  en  bonne  vérité  qu'un  jeu  d'esprit,  et 
qu'un   sophisme  aussi   dangereux   qu'il   est  aussi  '*   bien 
tourné  qu'il  puisse  l'être,  et  aussi  noblement  et  artiste- 
ment  conçu  qu'on  puisse  l'imaginer  ;  mais,  après  mille  et 
mille  ans  de  discussion  ou  sans  en  rien  dire   davantage, 
trouvez-vous,  suivant  votre  terme  d'hier,  que  cette  dis- 
cussion soit  étranglée,  puisque  je  me  déclare  pour  vous, 
et  que  je  ne  me  départirai  jamais  de  cet  avis  tant  que  ce 
sera  mon  avis  qu'on  me  demandera?  Mais,  quand,  après 
avoir  tout  représenté,  je  n'ai  plus  qu'à  écrire  ce  que  l'on 
me  dicte,  et  qu'à  obéir,  puis-je  faire  autrement?  D'ail- 
leurs, en  bonne  foi,  quant  tout  l'ouvrage,  en  lui-même, 
est  si  bon  et  si  désirable,  que  vous  consentez  vous-même 

4.  C'est  1'  «  Analyse  »  indiquée  dans  la  note  ci-dessus. 

2.  Avant  plaist,  il  a  biffé  un  premier  plaist. 

3.  Ci-dessus,  p.  196.  —  4.  Aussy  a  été  ajouté  en  interligne. 


.mil  DE  SAINT-SIMON.  2i.'i 

q'jc  l'on  juge  deux  procès  existants  sans  entendre  les  par- 
ties, et  que  l'on  '  en  prévienne  douze  prêts-  à  éclore  sans 
y  appeler  aucune  des  parties,  pouvez-vous,  en  justice,  en 
honneur,  en  conscience,  désirer  que  l'on  fasse  renaître  le 
vôtre  oublié  du  Parlement  comme  du  Roi  même,  et  que 
l'on  renverse  un  projet  d'édit  de  cette  importance,  bon  de 
votre  propre  aveu  en  tout  ce  qui  est  de  votre  goût,  et  qui 
ne  regarde  point  votre  petit  intérêt,  à  qui  vous  voulez 
que  tout  cède?  J'en  appelle  à  la  noblesse  de  votre  cœur 
et  à  votpî  droite  raison,  Monsieur:  vous  êtes  citoyen^ 
avant  d'être  duc  ;  vous  êtes  sujet  avant  d'être  duc  ;  vous 
êtes  fait  pir  vous-même  pour  être  homme  d'Etat,  et  vous 
n'êtes  duc  eue  par  d'autres.  Pour  me  confirmer  davantage 
dans  mon  î.vis,  donnez-moi,  je  vous  conjure,  une  copie 
du  brevet  do  164o  ;  expliquez-moi  bien  1622,  1631,  et  la 
réception,  lo37^  Je  vois  que,  par  un  excès  de  charité, 
vous  en  faites  une  réticence  ^  éloquente  dans  votre  mé- 
moire ;  moi,  cui  ne  suis  ni  éloquent  ni  charitable,  que 
j'en  sache,  je  vous  prie,  l'anecdote  dans  tous  ses  points 
et  dans  tous  ses  détails.  Vous  savez  comme  moi  tout  ce 
que  je  vous  suis.  Monsieur.  » 

Voici  ma  répense  à  cette  lettre,  de  Marly,  6  mai  :  De  M.  le  duc 

«  J'ai  reçu  ce  matin.  Monsieur,  l'honneur  de  vos  deux  deSa.nt  Simon 
dernières  lettres,  l'une  revenue  de  Paris,  l'autre  droit  ici.      Chancelier. 
J'en  respecte  la  gronderie,  j'en  aime  l'esprit,  permettez- 
moi  la  liberté  du  terme  ;  je  reçois  avec  action  de  grâce ^ 

1 .  L'apostrophe  a  été  ajoutée  après  coup  entre  l  et  on. 

2.  Avant  prests,  Saint-Simon  a  bifi'é  prcsts  à  cclorre  pouvés  v"  en 
justice  en  honneur  en  conscience,  qui  était  déjà  précédé  du  mot  prests 
surcliar{,'caiit  à  éd. 

3.  TomosIX.p.32'2,  XV, p. GO,  etc.  — i.  Voyez  ci-dessus,  p.  195  eH98. 
5.  «   Réticence,   suppression  ou  omission  volontaire   d'une  chose 

(|u'on  devrait  dire.  C'est  aussi  une  figure  de  rhétorique  par  laquelle 
l'orateur  fait  entendre  une  chose  sans  l'exprimer  »  {Académie,  1718). 
Saint-Simon  écrit  :  rctiscencc. 

(i.  VAcatlémie,  en  1718,  donnait  indifféremment  action  de  grâce 
cl  de  grâces. 


^216  MÉMOIRES  [nii] 

le  rendez-vous  de  samedi  à  Versailles.  Je  suis  ravi  de  la 
peine  que  vous  avez  bien  voulu  prendre  de  tout  lire,  et 
je  ne  puis  différer  de  vous  remercier  très  humblement 
des  éclaircissements  que  vous  me  demandez'.  J'aurai  l'hon- 
neur de  vous  les  porter  samedi  avec  votre  lettre  même, 
pour  que,  sans  rappeler  votre  mémoire,  vous  voyiez  si  je 
satisfais  à  tout.  J'aurois  trop  à  m'ctendre  sur  ce  qu'il  vous 
plaît  de  me  dire  de  flatteur  :  en  m'y  arrêtant,  je  m'enfle- 
rois  trop  ;  j'aime  mieux  m'arrêter  au  blâme,  et  >ous  ren- 
dre courtement  et  sincèrement  compte  de  mes  sentiments 
comme  on  rend  raison  de  sa  foi. 

«  Pour  mes  sentiments,  pardonnez-moi  si,  avec  tout 
respect,  je  demeure  navré  de  -  ce  qui  regarde  te  sacre,  et, 
si  je  suis  trop  partie,  ne  soyez  vous-même  législateur 
qu'en  vous  mettant  en  la  place  de  sur  qui  portent  les 
lois.  C'est  notre  fonction  la  plus  propre,  la  plus  ancienne, 
la  plus  auguste,  dont  rien  ne  peut  consoler,  et  à  laquelle, 
d'ailleurs,  je  ne  me  flatterois  pas  personnellement  de  pou- 
voir prétendre.  Ainsi,  ce  n'est  pas  moi  que  je  pleure,  mais 
la  plaie  de  la  dignité.  Du  reste,  tout  est  si  excellemment 
bon,  que,  si  on  venoit  à  mon  avis  que  tout  le  reste  passât 
tel  qu'il  est  maintenant,  ou  que  tout  ce  reste  demeurât 
comme  non  avenu,  je  le  ferois  plutôt  signer,  sceller  et 
enregistrer  ce  soir  que  demain  matin,  encore  que  le 
second  article^  soit  fâcheux  en  général,  et  que,  par  un 
autre  article*,  je  perde  une  cause  personnelle  que  je  tiens 
sans  question  de  bonne  foi^,  et  que  vous-même  trouvez 
bonne  et  juste.  Voyez,  Monsieur,  si  c'est  là  être  attaché 
à  ses  intérêts  particuliers  ;  et  je  vous  parle  en  toute  vérité 

i.  Ces  «  éclaircissements  »  en  un  feuillet  autographe  sont  dans  le 
volume  France  206,  fol.  224;  c'est  un  résumé  des  éléments  de  l'affaire, 
par  ordre  chronologique.  Il  porte  la  mention  :  «  Fait  le  9  mai  4711  ; 
envoyé  copie  à  M.  le  Chancelier.  » 

2.  Avant  de,  il  a  biffe  du  sacre.  —  3.  Ci-dessus,  p.  147  et  176. 

4.  Le  troisième  :  p.  147  et  176-177. 

5.  Que  je  regarde,  de  bonne  foi,  comme  n'étant  pas  en  question. 


|17H|  DE  SAINT-SIMON  iH 

«  A  l'ôpiard  do  mon  mémoire,  osorois-jo  vous  dire  que 
je  ne  nie  crois  pas  tout  à  fait  battu  sur  le  défaut  et  la 
nécessité  de  l'honjuiage,  et  que,  s'il  en  étoit  question,  et 
que  vous  me  voulussiez  traiter  comme  Corneille  faisoit 
sa  grossière  servante',  je  crois  que  vous  ne  trouveriez  pas 
mon  opinion  si  déraisonnable.  Je  sais  que  la  grande  et 
l'indisputable*  raison  est  celle  des  oftices  et  des  otîîciers'  ; 
mais,  comme  elle  n'est  pas  entrée  lorsqu'elle  a  été  mieux 
représentée  que  je  ne  pourrois  faire  en  cent  ans,  je  l'ai 
omise.  Pour  ce  qui  est  ce  que  vous  appelez  sophisme  sur 
l'autorité  des  rois,  trouvez  bon  (jue  je  vous  suggère  un 
terme  plus  fort  et  plus  vrai  :  c'est  une  fausse  raison;  non 
que  le  raisonnement  n'en  soit  juste  et  certain,  mais  c'est 
que  ce  n'est  pas  par  là  (jue  la  question  se  doit  décider. 
Cependant  c'est  uni()uement  par  rapport  à  l'autorité 
qu'on  se  détermine  contre  moi.  Puisque  je  l'ai  pour  moi, 
n'ai-je  pas  raison  de  l'expliquer,  et,  puisque  ma  cause  est 
bonne  et  juste,  ne  dois-je  pas  lever  la  difficulté  qui  me 
la  fait  perdre,  et  prendre  mon  juge  par  l'endroit  dont  il 
est  unicjuement  susceptible,  et  appuyer  dessus  en  disant 
ce  (jui  est,  puisque  sur  cela  seul  je  serai  jugé,  sans  au- 
cune considération  pour  nulle  autre  raison? 

«  De  m'opposer  qu'il  est  injuste  à  moi  de  prétendre 
être  ouï,  tandis  cjue  j'approuve  que  tant  d'autres  soient 

\.  Saint-Simon  fait  confusion  ici  entre  Corneille  et  Molière.  C'est 
évidommonl  une  allusion  à  la  Iéf;ondc  qui  prétendait  que  ce  dernier 
prenait  l'avis  de  sa  servante  Lalorèt,  lorsqu'il  écrivait  ses  pièces,  et 
notamiiient  //,'  Misanthrope.  Bien  que  Hoileau  se  soit  fait  l'écho  de 
cette  tradition,  il  no  semble  pas  (ju'elle  ail  un  fondement  sérieux.  Jal 
a  parlé  lonfincmcnt  de  Laforéf  dans  son  Dictionnaire  critique,  p.  It2G 
Sauvai  (Antiiiiiitcn  de  Paris,  tome  I,  p.  3'25)  rapporte,  d'après  Pel- 
lisson,  que  Malherbe  n'avait  pas  plus  tôt  composé  quelque  chose  qu'il 
le  lisait  à  sa  servante.  Voyez  aux  Additions  et  corrections. 

■2.  Littré  ne  cite  pas  d'exemple  de  cet  adjectif  avant  Jean-Baptiste 
Housseau. 

'.\.   Il  veut  dire  que  les  ofïiciers  de  justice  ou  autres  n'étaient  investis 
de  tous  leurs  pouvoirs  qu'après  leur  réception. 


218  MÉMOIRES  [1711] 

jugés  sans  être  entendus,  un  mot  vous  fera  voir,    Mon- 
sieur que  cela  ne  doit  pas  m'ètre  objecté. 

«  De  tout  ce  nombre  de  prétendants  prêt  à  éclore  ', 
aucun  jamais  n'a  intenté  de  procès  ;  un  seul  en  a  eu  la 
permission-,  et  il  en  est  encore  à  en  faire  le  premier  usage, 
par  quoi  il  est  encore  dans  la  condition  des  autres  qui 
ont  des  prétentions,  mais  n'ont  jamais  eu  de  procès.  Ceux- 
là,  qu'on  les  juge  par  un  règlement  sans  les  entendre, 
que  peuvent-ils  opposer?  Leurs  prétentions  sont  dans 
leurs  têtes  ;  est-on  tenu  de  les  supposer,  et  de  discuter 
des  êtres  de  raison  ^  qui  n'ont  pas  la  première  existence, 
et  n'est-ce  pas,  au  contraire,  très  bien  fait  d'ôter  aux 
chimères,  aux  êtres  de  raison,  toute  possibilité  d'exis- 
ter*? Mais,  pour  ceux  dont^  les  prétentions  sont,  par  l'a- 
veu du  Roi,  juridiquement  au  jour  S  expliquées  à  des 
juges,  ou  naturels,  ou  pour  ce  permis,  qu'un  tribunal  est 
saisi,  que  les  parties  sont  en  pouvoir  de  faire  juger  entre 
elles',  il  ne  paroît  pas  juste  de  former  un  article  entre 
elles  sans  y  avoir  égard,  et  c'est  en  efïet  ce  qui  a  été 
trouvé  si  peu  juste  par  le  Roi  et  par  vous  même,  que  le 
consentement  de  feu  M.  de  Luxembourg  fut  demandé*  et 
intervint  sur  le  point  qui  le  regarde  dans  le  règlement 
projeté  de  son  temps  ^,  ce  qui  fait  que  le  consentement  de 
son  fils  n'est  plus  aujourd'hui  nécessaire,  puisqu'il  n'y  a 
rien  de  changé  là-dessus  d'alors.  M.  d'Antin  forme  un 
procès,  qui  même  est  encore  dans  tout  son  entier  ;  on  veut 
son  consentement  ;    on   le  satisfait  ;  il  acquiesce  ;    à    la 

1 .  Il  y  a  bien  prest,  au  singulier.  —  2.  Le  duc  d'Antin. 

3.  «  On  appelle,  en  termes  de  logique,  être  de  raison  ce  qui  n'est 
point  réel  et  qui  ne  subsiste  que  dans  l'imagination  «  (Académie,  iliS). 

4.  Saint-Simon  n'a  pas  mis  ici  de  point  d'interrogation. 

5.  Le  d  de  dont  surcharge  une  s. 

6.  «  On  dit  mettre  un  livre,  un  ouvrage  au  jour  pour  dire  le  faire 
imprimer,  le  rendre  public;  on  dit  aussi  mettre  au  jour  pour  divul- 
guer »  (Académie,  1718). 

7.  Ici  et  à  la  ligne  suivante,  il  écrit  entrelles. 

8.  Ci-dessus,  p.  147.  —  9.  Article  IX  :  ci-dessus,  p.  157. 


[17111  OE  SAINT-SIMOX,  210 

bonne  hoiiro.  No  serois-jo  pas  malheureux,  si,  n'y  ayant 
que  ces  deux  hommes  et  moi  en  procès,  je  me  trouvois 
seul  traité  comme  ceux  qui  n'en  ont  point,  eux  consultés 
et  contentés,  moi  condamné  et  pendu,  pour  ainsi  dire, 
avec  ma  grâce  au  cou',  moi  avec  un  procès  pendant  au 
Parlement,  avec  une  compétence  ordonnée  par  le  Roi, 
enregistrée  au  Parlement,  deux  préjugés  du  Roi  en  plein 
lit  de  justice,  renouvelés  tout  à  l'heure  à  l'occasion  de 
MM.  de  Villars  et  d'IIarcourt-,  tandis  que  M.  de  Luxem- 
bourg, avec  un  préjugé  contraire  à  lui  par  la  provision 
de  préséance  sur  lui,  M.  d'Ântin  pas  seulement  duc,  et 
des  plaidoyers  seulement  préparés  et  non  commencés, 
sont  ménagés  en  sorte  que  l'un  l'este  pair,  chose  autre- 
ment à  lui  très  mal  sûre,  et  pair  précédant  plus  de  la 
moitié  des  autres,  et  l'autre  le  devient,  l'autre,  dis-je,  qui, 
avec  toute  sa  faveur,  voit  son  procès  perdu,  s'il  se  juge? 
«  Encore  une  fois.  Monsieur,  au  point  du  sacre  près, 
j'aime  mieux  perdre  mon  affaire,  et  que  le  règlement 
passe  ;  mais  quelle  impossibilité  que  le  règlement  passe 
et  que  je  ne  la  perde  pas,  votre  cœur  et  votre  esprit 
m'honorant,  l'un  de  son  amitié,  l'autre  de  son  suffrage  et 
de  sa  persuasion  que  mon  droit  est  bon  ?  Que  si,  malgré 
raison,  on  veut  que  je  perde,  n'en  pourrois-je  point  être 
récompensé,  et,  pour  n'avoir  ni  charge,  ni  gouvernement 
de  province,  ni  barbe  grise  comme  M.  de  Chevreuse', 
mettez  la  main  à  la  conscience,  n'ai-je  pas  plus  de  droit 
que  lui,  par  voie  d'échange,  d'obtenir  une  grâce  pour 
l'un  de  mes  tils,  en  abandonnant  le  tiroil  de  mon  rang? 
Permettez-moi  de  vous  supplier  de  ne  pas  regarder 
comme  une  extravagance  cette  pensée,  qui  se  peut  tourner 
de  plus  d  une  manière,  et  de  considérer  que,  dans  toutes 

1.  Dans  bien  des  cas,  les  coiulamnés  étaient  exécutés  avec  l'inslru- 
mcnl  du  crime  ou  quelque  représentation  suspendus  à  leur  cou. 

2.  Ci-dessus,  p.  200  et  206. 

3.  Le  duc  de  Clievreuse,  qui  était  né  en  IGiO,  avait  alors  soixante- 
cinq  ans. 


220  MÉMOIRES  [1714] 

les  circonstances  présentes,  il  seroit  dur  d'être  regardé  à 
trente-six  ans'  comme  un  enfant. 

«  Outre  ce  que  m'a  dit  M.  de  Ghevreuse  instruit  par 
d'Antin  du  règlement-,  M.  le  duc  d'Orléans  m'a  dit  savoir 
de  d'-Vntin  même  qu'il  alloit  être  fait  duc  et  pair.  N'en 
est-ce  pas  assez  pour  qu'un  homme  qui  est  sur  les  lieux 
puisse  être  en  peine  de  son  autre  cause,  et  s'adresser 
pour  cela  à  vous,  qu'on  sait  avoir  travaillé  insolitement* 
avec  le  Roi,  en  le  faisant  avec  toutes  les  mesures  pos- 
sibles? 

«  Mais  en  voilà  trop  pour  une  lettre,  et  assez  pour  un 
supplément  de  mémoire.  Trouvez  bon  que  je  vous  sup- 
plie de  le  peser  avec  bonté  et  réflexion  réitérée.  Pour  le 
secret,  je  le  garde  tel,  qu'encore  que  vous  m'ayez  permis, 
dans  tout  le  cours  de  ceci,  de  tout  dire  à  M.  d'Harcourt, 
je  l'ai  néanmoins  traité  en  dernier  lieu  comme  les*^  autres, 
c'est-à-dire  comme  MM.  de  Ghevreuse  et  de  Charost,  à 
qui  j'ai  constamment  dit  que  je  n'ai  pu  rien  tirer  de  vous 
sur  votre  travail  avec  le  Roi,  et  que  S.  M.  vous  avoit  dé- 
fendu d'en  dire  une  parole.  Ge  qui  m'a  obligé  d'en  user 
ainsi  avec  M.  d'Harcourt  a  été  le  point  sensible  du  sacre, 
et  que  je  me  suis  cru  plus  sûr  d'arrêter  M.  d'Harcourt, 
tout  mesuré  qu'il  est,  en  le  lui  taisant,  et,  pour  le  lui 
tai/e,  en  lui  taisant  tout  détail,  qu'après  le  lui  avoir  dit. 
Comptez  donc.  Monsieur,  quoi  qu'il  arrive,  sur  ma  fidé- 
lité, sur  une  inexprimable  reconnoissance,  et  sur  un  atta- 
chement sans  mesure.  » 


Il  faut  maintenant  expliquer  deux  choses  :  ma  citation 

i.  Saint-Simon  était  entré  dans  sa  trente-septième  année  le  46  jan- 
vier 4744. 

2.  Les  mots  du  règlement  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Cet  adverbe  n'était  pas  donné  dans  le  Dictionnaire  de  l'Acadé- 
mie, et  Littré  n'en  a  pas  relevé  d'exemple.  Saint-Simon  écrit  :  insolit- 
tement.  —  Voyez  ci-dessus,  p.  485. 

4.  Les  surcharge  le  commencement  d'une  M. 


inil]  DE  SAI.NT-Sl.MO.N.  221 

de  M.  le  duc  d'Orléans  sur  d'Anlin,  et    ma    pensée    pour 
un  de  mes  fils. 

Le  Roi.  comme  on  l'a  vu,  avoil  rejeU'  toute   communi-      Éclaircissc- 
cation  du  proiet  de  rèi(lemenl    à   (luelques    ducs   (luc    le        '"'^^ 

r       J  D  11  1  ,  quelques 

Chancelier  lui  avoit  proposé,  moi  entre  autres,  et  comptoit  endroits  de 
que  nous  ignorions  ce  (|ui  se  passoit  là-dessus'.  Ainsi,  le  mes  lettres. 
Chancelier  m  avoit  renvoyé  cette  lettre  ostensible  au  Roi 
que  je  lui  avois  écrite-.  La  vivacité  de  son  style  montre 
combien  il  trouvoit  impralicable  de  la  lui  montrer,  parce 
que  c'étoit  lui  montrer  en  même  temps  que  j'étois  dans 
la  bouteille^.  Tant  qu'il  l'ignoroit,  je  ne  pouvois  me 
présenter,  et  il  m'importoit  extrêmement  de  le  faire  pour 
le  contenir  entre  son  penchant  pour  M.  de  la  Rochefou- 
cauld, et^  sur  la  prévention  de  son  autorité  contre  ma 
cause,  parce  que,  tel  qu'il  étoit,  il  ne  laissoit  pas  de  vou- 
loir garder  des  mesures,  et  d'en  être  contraint  :  ce  qui 
fut  sa  vraie  raison  de  rejeter  la  communication  à  quel- 
ques-uns de  nous.  Or,  dès  que  l'affaire  transpiroit  et  que 
je  pouvois  citer  ce  que  ^L  le  duc  d'Orléans  m'en  avoit 
dit,  je  pouvois  paroitre,  m'adresser  au  Chancelier,  et,  lui, 
en  rendre  compte  au  Roi,  sans  rien  craindre  de  personnel, 
puisque  c'étoit  d'Anlin  qui  avoit  parlé  à  M.  le  duc  d'Or- 
léans, et  ce  prince  qui  me  l'avoit  rendu.  Je  mettois  donc 
le  Chancelier  à  son  aise  là-dessus,  et  en  état  de  dire  au 
Roi  sans  embarras  ce  qu'il  auroit  jugé  à  |)ropos. 

A  l'égard  de  mes  enfants,  surpris  au  dernier  point  de  la 
manière  dont  le  Roi  avoit  répondu  au  Chancelier  sur  ma 
question  de  préséance,  je  craignis  que  cette  idée  de  son 
autorité  ne  se  pût  détruire  parce  qu'elle  lui  étoit  entrée 
si  avant  dans  la  tète.  Il  me  vint  donc  en  pensée,  lorsque 
le  Chancelier  me  le  conta,  d'essayer  à  faire  démordre'^  le 

i.  Ci-<Jessus.  p.  18;j. 

-2.  Ci-dessus,  p.  '210.  213  et  2li. 

3.  Expression  rencontrée  en  «lernier  lieu  dans  le  tome  XIX,  p.  3l!l. 

4.  Avant  et,  Saint-Simon  a  hilTé  etmoy. 

o.  «  D'.moidrc  signiac  ligurcment  se  départir  de  quelque  entre- 


^m  MÉMOIRES  [1711] 

Roi  par  un  équivalent  plus  difficile,  ou  d'obtenir  cet 
équivalent,  que  j'eusse  sans  comparaison  préféré  :  c'étoit 
de  faire  mon  second  fils  duc  et  pair,  puisque,  sans  raison, 
il  étoit  bien  question  de  faire  celui  de  M.  de  Chevreuse^ 
et  d'Antin,  et,  moyennant  cela,  ne  contester  plus  avec  le 
Roi,  et  lui  laisser  le  plaisir  et  le  repos  de  faire  gagner  le 
procès  à  son  ami  M.  de  la  Rochefoucauld,  et  à  ce  qu'il 
croyoit  être,  non  de  la  justice,  à  quoi  il  n'eut  jamais  que 
répondre,  ni  ne  s'en  mit  en  fait,  mais  de  son  autorité, 
qu'il  mit  toujours  en  avant.  Le  Chancelier  ne  répudia  pas 
cette  pensée,  et  je  la  croyois  d'autant  meilleure,  que  je 
voyois  le  Roi  en  une  veine  présente  de  telle  facilité  à  mul- 
tiplier ces  dignités,  qu'il  n'étoit  question  que  d'en  fabri- 
quer le  chausse-pied.  D'autre  part,  je  craignois  encore  le 
crédit  mourant  de  M.  de  la  Rochefoucauld-  :  ses  infirmi- 
tés l'avoient  dépris  ^  des  chasses  et  des  voyages  depuis 
quelque  temps,  mais  non  pas  de  faire  de  fois  à  autre  des 
incursions  dans  le  cabinet  du  Roi,  où  il  se  faisoit  mener 
pour  l'intérêt  de  quelque  valet  ou  de  quelque  autre  rap- 
sodie*,  où  très  souvent  il  arrachoit  à  force  d'impétuosité 
ce  qu'il  vouloit  du  Roi,  et  que  souvent  aussi  le  Roi  ne 
vouloit  pas,  qui  haussoit  les  épaules  à  l'abri  de  son  aveu- 
glement", et  qui  lâchoit  enfin,  partie  de  compassion  et  d'an- 
cienne amitié,  partie  pour  s'en  défaire  ^.  Je  redoutois 
donc  la  crainte  du  Roi  des  clabauderies  de  ce  vieil  aveu- 
gle, qui  ne  manqueroit  pas  de  lui  venir  faire  une  sortie 
dès  qu'il  se  sauroit  condamné,  et  qui,  à  force  de  gémir, 
de  gronder  et  de  crier,  me  donneroit  peut-être  encore  à 
courre  '.  Tout  cela  me  fit  donc  juger  que  ma  proposition 

prise,  de  quelque  dessein,  abandonner  une  opinion,  un  avis  qu'on 
soutenoit  avec  chaleur  »  (Académie,  1718). 

1.  Ci-dessus,  p.  166  et  183.  —  2.  Voyez  tome  XVII,  p.  343. 

3.  Au  sens  de  détaché,  seul  donné  par  l'Académie. 

4.  Tome  III,  p.  49.  —  5.  Au  sens  de  cécité. 

6.  Cela  a  déjà  été  dit  dans  le  tome  XVII,  p.  343  et  345-346. 

7.  «  On  dit  que  c'est  à  quelqu'un  à  courre,  qu'on  lui  a  donné  à 
courre,  quand  son  adversaire,  par  adresse  ou  autrement,  a  pris  quel- 


[ITIII 


DE  SAINT-SIMON 


293 


n'étoit  point  inepte  en  soutenant  d'ailleurs  mon  droit, 
mais  dans  le  génie'  du  Hoi,  c'est-à-dire  en  me  restreignant 
à  mettre  son  autorité  de  mon  côté.  Mais,  comme  cette 
façon  de  combattre  ne  pouvoit  être  de  mise  que  pour  lui 
seul,  ni  même  imaginée,  quoique  l'expérience  de  tous 
les  jours  apprît  l'inutilité  de  toute  autre  avec  lui,  en  quel- 
que occasion  que  ce  fût  où  il  se  figurât ^  que  son  autorité 
pouvoit  être  le  moins  du  monde  intéressée  ^  j'estime  qu'il 
est  à  propos  de  présenter  ici  l'état  de  la  question  qui 
étoit  entre  M.  de  la  Rochefoucauld  et  moi,  et  les  vérita- 
bles raisons  de  part  et  d'autre,  sur  lesquelles  tout  juge 
éclairé  et  équitable*  avoit  uniquement  son  jugement  à 
fonder.  Outre  que  l'attaire  est  déjà  ici  nécessairement 
entamée,  le  récit  n'en  sera  pas  assez  long  pour  le  séparer 
de  ce  (]ui  en  a  déjà  été  dit  en  le  renvoyant  aux  Pièces, 
d'autant  qu'il  est  dans  l'ordre  des  temps  de  le  commen- 
cer par  celui  de  l'anecdote  dont  le  Chancelier  me  de- 
manda, comme  on  a  vu,  l'éclaircissement  entier  %  qui 
doit,  par  cette  raison,  avoir  ici  sa  place. 

En  1622,  le  comté  de  la  Rochefoucauld  fut  érigé  en 
duché-pairie  par  Louis  XIII ^  Par  cette  grâce,  M.  de  la 
Rochefoucauld  devint  ce  qu'on  appelle  improprement  duc 
à  brevet.  Les  brouilleries  d'Ltat  où  les  seigneurs  de  la 
Rochefoucauld,  aînés  et  cadets,  se  sont  très  particulière- 
ment signalés  contre  les  rois  depuis  Henri  II  jusqu'à  ^ 
Louis  XIV,  et  jusqu'à  son  favori  M.  le  duc  de  la  Roche- 
foucauld inclusivement  ^  avec  qui  j'avois  ce  procès  à  faire 

que  avanlafçe  sur  lui  qui  le  met  en  peine  et  l'oblige  de  chercher  les 
moyens  d'en  tirer  raison  dans  quelque  querelle,  procès  ou  contesta- 
tion »  (Académie,  1718). 

1.  Au  sens  de  caractère,  comme  dans  le  tome  X,  p.  58. 

"2.  La  lettre  r,  dans  figurast,  surcharge  un  a. 

3.  Avant  ce  mot,  Saint-Simon  a  biiïé  estre. 

4.  Equitable  surcharge  jw[s(e]. 

o.  Ci-dessus,  p.  '215.  —  6.  Ci-dessus,  p.  i%. 

7.  Jusque  a  été  répété  deux  fois,  à  la  lin  de  la  page  1127  du  manu- 
scrit, et  au  commencement  de  la  page  11'28. 

8.  Voyez  notre  louie  XVII,  p.  3"2y. 


Anecdote 
curieuse  de 
l'enrogistrc- 

ment  de 
la  Rochefou- 
cauld. 


224  MÉMOIRES  [171^] 

décider,  les  brouilleries,  dis-je,  qui  survinrent  dans  l'Etat 
entraînèrent  celui  en  faveur  de  qui  l'érection  s'ctoit  faite 
contre  celui  qui  l'en  avoit  honoré,  et  le  mirent  hors  d'état 
de  la  faire  vérifier  au  Parlement.  Il  étoit  encore  dans  la 
même  situation,  c'est-à-dire  en  Poitou,  exilé  après  s'être^ 
engagé  contre  le  Roi,  lorsque  le  cardinal  de  Richelieu, 
premier  ministre  alors,  fut  -  fait  duc  et  pair  ^  :  il  voulut 
être  reçu  au  Parlement  en  cette  qualité  le  même  jour  et 
tout  de  suite  de  l'enregistrement  de  ses  lettres  ^  Tandis 
qu'on  y  procédoit,  le  Parlement  assemblé  et  les  pairs  en 
place,  le  cardinal  de  Richelieu  étoit  à  la  cheminée  de  la 
grand  chambre,  comme  on  s'y  tient  d'ordinaire  jusqu'à  ce 
que  le  premier  huissier  vienne  avertir  d'aller  prêter  le 
serment'.  On  peut  juger  qu'il  y  étoit  environné  d'une 
grande  suite  et  de  nombreuse  compagnie.  Monsieur  le 
Prince^,  cependant,  étoit  avec  les  autres  pairs  en  place 
avec  double  intention  ^  Son  dessein  étoit  de  payer  d'un 

4.  Les  mots  exilé  après  s'estre  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

2.  La  première  lettre  de  fut  surcharge  un  a. 

3.  Les  lettres  patentes  d'érection  sont  du  mois  d'août  i634  (Histoire 
généalogique,  tome  IV,  p.  3o4-3do).  Le  duché  se  composait  de  dix 
seigneuries  ne  donnant  pas  plus  de  seize  mille  livres  de  rente.  Voyez  sa 
notice  dans  les  Écrits  inédits  de  Saint-Simon,  tome  VIII,  p.  335-409. 

4.  En  réalité,  l'enregistrement  des  lettres  patentes  eut  lieu  dans 
l'audience  du  4  septembre  (registres  du  Parlement,  aux  Archives  na- 
tionales, X^'^  20io  et  8651);  mais  la  réception  n'eut  lieu  que  le  lende- 
main 5  septembre  (X^^^  2043  ;  Histoire  généalogique,  tome  IV,  p.  353 
et  338).  La  Gazette  donna  une  relation  complète  de  la  cérémonie. 
On  trouvera  aux  Additions  et  corrections  une  lettre  de  Bullion  à  ce 
sujet,  qui  montre  que  le  cardinal  se  préoccupait  de  l'enregistrement 
des  lettres  de  la  Rochefoucauld  et  avait  cru  y  parer. 

5.  Voyez  en  dernier  lieu  le  récit  de  la  réception  de  Boufïlers  :  tome 
XVII,  p.  223. 

6.  Henri  II,  qui  mourut  en  1646. 

7.  Le  récit  qui  va  suivre,  que  notre  auteur  tenait  sans  doute  de  son 
père,  n'est  pas  absolument  exact,  et  les  registres  du  Parlement  permet- 
tent de  le  rectiiier.  L'enregistrement  des  lettres  patentes  d'érection  des 
duchés  de  Richelieu  et  de  la  Rochefoucauld  eut  lieu  dans  la  séance 
du  Parlement  du  4  septembre,  où  se  trouvaient  le  premier  président 


[4714]  DE  SAINT-SIMON.  225 

trait  aussi  hardi  qu'important  les  services  que  lui  et  les 
siens  avoient  reçus  de  M.  de  la  Rochefoucauld'  et  de  ses 
pères,  et,  s'il  eut  ^  le  don  de  prophétie,  ceux  que  Mes- 
sieurs ses  enfants  dévoient  recevoir  du  fils  et  du  petit-fils 
de  M.  de  la  Rochefoucauld  ^  Il  y  avoit  non  seulement 
défaut  de  permission  d'enregistrer  ses  lettres,  mais  une 
défense  expresse  du  Roi,  et  réitérée,  au  Parlement,  de  le 
faire.  Monsieur  le  Prince,  de  concert  avec  le  premier 
président  le  Jay^  et  avec  Lamoignon,  conseiller  en  la 
grand  chambre",  père  du  premier  président  Lamoignon, 
complota  de  saisir  le  moment  le  plus  confus  et  le  plus 
inattendu,  avec  hardiesse,  pour  faire  passer  l'enregistre- 
ment des  lettresde  la  Rochefoucauld,  et  choisirent*^  comme 
véritablement  tel  l'instant  entre  l'enregistrement  de  celles 
de  Richelieu  et  le  rapport  de  la  vie  et  mœurs  du  cardi- 

le  Jay,  les  présidents  de  Bellièvre,  Potier,  Séguier  et  le  Bailleul,  et 
vingt  et  un  conseillers  seulement  ;  comme  pairs,  il  n'y  avait  que  le  prince 
de  Condé  et  l'archevêque  de  Reims.  C'est  ce  jour-là  que  se  passa  la 
scène  d'escamotage  qui  va  être  racontée.  Le  lendemain  o,  eut  lieu  la 
réception  du  cardinal,  en  présence  du  Parlement  au  grand  complet,  des 
ducs  de  Montmorency,  de  Retz,  de  Montbazon,  de  Lesdiguières  et  de 
Chevreuse,  comme  pairs,  et  des  maréchaux  de  Vitry  et  d'Etliat  ;  le  prince 
de  Condé  ne  s'y  trouvait  pas.  (Registres  du  conseil  du  Parlement, 
X^-^  2043,  aux  4  et  5  septembre  1631  ;  dans  les  minutes,  carton  X^^ 
4234,  l'arrêt  d  enregistrement  de  la  Rochefoucauld  est  le  dernier  de 
la  liasse  du  4  septembre,  il  est  signé  de  MM.  le  Jay  et  de  Lamoignon.) 
4.  François  V,  né  en  4388,  fut  gouverneur  de  Poitou,  chevalier  des 
ordres  du  Roi,  et  mourut  en  4630. 

2.  Il  y  a  bien  s'il  eut  au  manuscrit  :  n'eùt-il  pas  fallu  s'il  eût  eu  ? 

3.  Le  duc  François  VI,  l'auteur  des  Maximes,  mort  en  1680,  et  son 
fils  François  VII,  le  grand  veneur  actuel,  sous  le  nom  de  prince  de 
Marcillac,  prirent  parti  pour  le  Grand  Condé  pendant  la  Fronde,  se 
retirèrent  comme  lui  en  Flandre  et  suivirent  sa  fortune  jusqu'au  bout. 

4.  Nicolas  le  Jay  (notre  tome  XI,  p.  203-204)  avait  été  nommé  pre- 
mier président  en  4630;  voyez  aux  Additions  et  corrections. 

3.  Chrétien  de  Lamoignon,  seigneur  de  Bàville,  né  le  22  août  1367, 
devint  conseiller  au  Parlement  en  1393,  et  fut  pourvu  d'une  charge  de 
président  nouvellement  créée  en  avril  4633  ;  il  mourut  le  48  janvier 
1636. 

6.  Il  y  a  bien  choisirent,  au  pluriel,  dans  le  manuscrit. 

.MEMOIRES    OE    SAINT-SIMON.    XXI  15 


226  MÉMOIRES  [iUi] 

nal'  pour  sa  réception,  comptant  bien  que,  parmi  le  bruit 
et  la  foule  qui  accompagne  toujours  tels  actes,  on  ne  se 
douteroit  et  on  ne  s'apercevroit  même  pas  du  coup  qu'ils 
vouloient  faire  réussir.  Tout  convenu  avec  un  petit  nom- 
bre de  ce  qui  devoit  être  et  se  trouva  en  séance  pour  don- 
ner branle  au  reste  ^  Monsieur  le  Prince,  sans  attendre 
que  le  second  rapporteur  pour  l'information  de  vie  et 
mœurs  eût  la  bouche  ouverte  pour  parvenir  à  la  récep- 
tion du  cardinal  de  Richelieu,  et^  qu'on  montât  aux 
hauts  sièges  pour  ouïr  l'avocat  et  l'avocat  général  et  y 
recevoir  le  cardinal,  comme  on  faisoit  alors^.  Monsieur  le 
Prince,  dis-je,  regarda  le  premier  président,  qui,  sachant 
ce  qui  s'alloit  faire,  ne  se  hâtoit  pas  de  donner  la  parole 
à  ce  rapporteur,  et  demanda  s'il  n'y  avoit  pas  quelque 
autre  enregistrement  à  faire,  parce  qu'il  lui  sembloit  qu'il 
y  en  avoit.  Le  Jay,  effrayé  au  moment  de  l'exécution, 
répondit  fort  bas  qu'il  y  avoit  celui  des  lettres  de  la  Roche- 
foucauld, déjà  anciennes,  mais  qui  avoient  toujours  été 
arrêtées  par  le  Roi.  «  Bon  !  reprit  Monsieur  le  Prince, 
cela  est  vieux  et  usé  :  je  vous  réponds  que  le  Roi  n'y  pense 
plus  ;  »  et  ajouta  tout  de  suite,  en  se  tournant  vers  Lamoi- 
gnon  :  «  Quelqu'un  ne  les  a-t-il  point  là?  »  Lamoignon 
se  découvre,  et  les  montre.  A  l'instant,  Monsieur  le 
Prince,  fortifiant  le  Jay  de  ses  regards  :  «  Rapportez-les 
nous,  dit-il  à  Lamoignon  ;  Monsieur  le  premier  président 

1.  On  n"a  pu  retrouver  celte  information  de  vie  et  mœurs  du  cardi- 
nal dans  les  Papiers  de  la  pairie  aux  Archives  nationales,  K  6t 6-623, 
ni  dans  les  dossiers  du  Cabinet  des  litres,  et  Aubery  ne  l'a  point  insé- 
rée dans  son  ouvrage.  La  Gazette  du  12  septembre  dit  qu'elle  fut  faite 
par  M.  Bouchet,  doyen  du  Parlement,  et  que  les  témoins  furent  M.  de 
Gondy,  archevêque  de  Paris,  le  duc  de  Créquy,  le  maréchal  d'Effiat, 
MM.  de  BuUion  et  de  Chevry  et  le  sieur  Duval,  docteur  de  Sorbonne. 
Le  duc  de  la  Valette  fut  reçu  immédiatement  après. 

2.  Expression  déjà  relevée  dans  le  tome  XVIII,  p.  7. 

3.  Tout  ce  qui  suit,  jusqu'à  alors,  a  été  ajouté  en  interligne  et  sur 
la  marge,  avec  un  signe  de  renvoi. 

4.  Cela  sera  expliqué  en  son  temps. 


fnil]  DE  SAINT-SIMON.  227 

le  veut.  »  Lamoignon  ne  se  le  fit  pas  dire  deux  fois:  il 
enfile  la  lectui-o  des  lettres,  la  drpèche  le  plus  vite  qu'il 
peut,  et  opine  après  en  deux  mots  à  leur  enregistrement. 
Les  magistrats,  dont  les  trois  quarts  ignoroient  la  défense 
du  Roi  (le  les  (Miregistrer,  et  dont  presque  aucun,  parmi 
ce  brouhalia  de  la  l'oule  (jui  remplissoit  la  grand  chambre, 
n'avoit  pu  entendre  le  dialogue  si  court  de  Monsieur  le 
Prince  avec  le  premier  président,  opinèrent  du  bonnet  ' 
avec  le  reste  de  la  séance-,  comme  c'est  l'ordinaire  en  ces 
enregistrements,  et  attribuèrent  la  précipitation  dont  on 
usoit  à  l'égard  d'abréger  tant  qu'on  pouvoit  l'attente'  du 
premier  ministre  d'être  mandé  pour  être  reçu.  Ils  n'eurent 
ni  le  temps,  ni  l'avisement*  de  faire  réflexion  que,  s'il 
n'y  eût  pas  eu  là  quelque  chose  d'extraordinaire,  il  eût 
été  de  la  bienséance  de  procéder  à  la  réception  du  cardi- 
nal de  Richelieu  avant  de  faire  ce  second  enregistrement, 
pour  ne  le  pas  faire  attendre  si  longtemps,  et  pour  qu'étant 
reçu  et  en  place,  il  en  eût  aussi  été  juge.  L'arrêt  de  véri- 
fication des  lettres  de  la  Rochefoucauld  fut  prononcé 
d'abord  après  les  opinions  prises  ^  et  cette  grande  afïaire 
fut  ainsi  emportée,  pour  ne  pas  dire  dérobée,  à  la  barbe 
du  premier  ministre**  présent  dans  la  grand  chambre,  qui 
ne  pensoit  à  rien  moins,  et  qui,  parmi  tout  ce  monde  et 
ce  bruit  dont  il  étoit  environné"  à  cette  cheminée,  croyoit 

1.  «  On  d'\l  opiner  du  bonnet  pour  dire  se  drclarer  de  l'avis  d'un 
autre  sans  l'appuyer  d'aucune  raison  »  {Académie,  t718). 

2.  «  On  appelle  aussi  séance  l'assemblée  d'une  compagnie  célèbre  » 
(Académie,  1718).  Voyez  tome  XIV,  p.  io6.  Notre  auteur  a  employé 
de  même  audience. 

3.  Attende  corrigé  en  attente.  —  4.  Tome  XI,  p.  158. 

5.  Voyez  VHistoirc  généalogique,  tome  IV,  p.  416-417.  Aucun  des 
historiens  du  Cardinal,  non  plus  que  la  Gazette,  ne  parle  de  cet 
«  escamotage.  »,  qui  d'ailleurs  ne  se  passa  pas  comme  le  rapporte 
Saint-Simon,  ainsi  qu'on  Ta  vu  ci-dessus,  p.  'l'I't,  notes  4  et  7. 

6.  «  On  dit  faire  quelque  chose  à  la  barbe  de  quelqu'un,  à  la  barbe 
de  Pantalon,  pour  dire  faire  quelque  chose  en  sa  présence  et  comme 
en  dépit  de  lui  »  {Académie,  1718). 

7.  Le  manuscrit  porte  environnée,  au  féminin. 


228  MÉMOIRES  [ilH] 

toujours  que  c'étoit  son  affaire  qui  se  faisoit.  Aussitôt 
après  l'arrêt  d'enregistrement  de  la  Rochefoucauld  pro- 
noncé, on  procéda  à  ce  qui  regardoit  la  réception  du  car- 
dinal, qui  prêta  son  serment,  et  toute  sa  cérémonie 
s'acheva.  Au  sortir  du  Palais,  il  apprit  ce  qu'il  s'y  étoit 
passé,  et  ne  put  le  croire  :  il  manda  le  premier  président, 
qui  s'excusa  sur  Monsieur  le  Prince,  mais  qui  n'en  essuya 
pas  moins'  une  rude  réprimande.  Monsieur  le  Prince  en 
fut  brouillé  quelque  temps,  et  la  disgrâce  de  M.  de  la 
Rochefoucauld  approfondie  ;  mais  l'enregistrement  n'en 
demeura  pas  moins  fait  et  consommé-.  C'est  ce  qui  atta- 
cha de  plus  eu  plus  M.  de  la  Rochefoucauld  à  Monsieur  le 
Prince,  et  ses  enfants  aux  siens  ;  c'est  ce  qui  forma  l'inti- 
mité héréditaire  de  MM.  de  la  Rochefoucauld  avec  les 
Lamoignons';  c'est  ce  qui  fit  durer  l'exil  de  M.  de  la 
Rochefoucauld  bien  au  delà  de  la  fin  de  tous  les  troubles, 
et  de  la  réconciliation  de  tous  ceux  qui  y  avoient  eu  part. 
Cet  exil  duroit  encore  lorsqu'en  1634  il  y  eut  de  nou- 
velles lettres  d'érection  ^  de  Retz  %  en  faveur  du  gendre 

1.  Moins,  omis,  a  été  ajouté  en  interligne. 

2.  Néanmoins  les  lettres  patentes  d'érection  de  la  Rochefoucauld  ne 
furent  pas  transcrites  sur  les  registres  du  Parlement  à  la  suite  de  celles 
de  Richelieu  et  de  la  Valette  ;  on  attendit  pour  cela  jusqu'au  moment 
de  la  réception  de  M.  de  la  Rochefoucauld  au  Parlement,  24  juillet 
■1637,  tout  en  conservant  la  date  de  1631  à  l'arrêt  d'enregistrement.  Mais, 
comme  les  greifiers,  toujours  en  relard  pour  les  transcriptions  d'actes 
sur  les  registres,  n'étaient  alors  qu'aux  enregistrements  du  mois  de 
mars  1636,  on  ne  voulut  pas  faire  attendre  M.  de  la  Rochefoucauld,  et 
la  pièce  fut  transcrite  immédiatement  parmi  les  actes  de  mars  1636,  en 
dehors  de  son  rang  chronologique  :  voyez  le  registre  du  Parlement  coté 
XiA  8633,  fol.  i.  Le  13  juin  précédent,  1637,  M.  de  la  Rochefoucauld 
avait  écrit  au  cardinal  de  Richelieu  une  lettre,  dont  l'original  est  aux 
Archives  nationales  (KK  601,  p.  97-98),  pour  lui  demander  de  prêter 
serment  au  Parlement  avant  tout  autre. 

3.  Saint-Simon  reviendra  sur  cette  intimité  dans  la  suite  des  Mé- 
moires, tome  XI  de  1873,  p.  130. 

4.  D'érection  surcharge  d'enreg[istrem'],  effacé  du  doigt. 
3.  Ci-dessus,  p.  199. 


[ITM]  DE  SAINT-SIMO.N.  -2-29 

après  le  beau-père',  avec  rang  nouveau,  et  qu'au  com- 
mencement- de  163o  mon  père  fut  fait  duc  et  pair\  et 
tous  deux  vérifiés*  et  reçus  au  Parlement  sans  la  moindre 
opposition  lïo  la  part  de  M.  do  la  Rochefoucauld,  qui  appa- 
remment n'imnginoit  pas  encore  do  les  précéder,  et  se 
tenoit^  bien  heureux  d'avoir  sa  dignité  assurée.  Revenu 
après  en  grâce,  il  se  fit  recevoir  en  1637,  et  prétendit  la 
préséance  sur  M.  de  Retz  et  mon  père*.  C'est  ce  qui  forma 
la  question  entre  la  priorité  d'enregistrement,  d'une  part, 
et  la  priorité  de  première  réception  au  Parlement,  de 
l'autre.  Il  est  temps  de  l'expliquer  dans  tout  son  jour, 
après  avoir  raconté  les  faits,  tant  anciens  que  nouveaux, 
depuis  la  naissance  de  cette  dispute.  On  ne  s'arrêtera  point 
aux  écrits  trop  prolixes  de  part  et  d'autre;  on  se  renfer- 
mera dans  le  pur  nécessaire  à  l'éclaircissement  de  la 
question. 

On  ne  répétera    point  ce  qui  a  été  expliqué  dans  le        Courte 
précédent   mémoire  sur   la  foi  et  hommage",  qui,  n'en      et  foncière 

déplaise  à  la  première  vue  de  M.  le  Chancelier,  est  un  la^q.'iest'ion  de 

moven    sans    réplique  ;    on   ne   s'arrêtera   pas  non   plus  préséoncomtro 
aux  trois  préjuerés  du  Roi,  que  chaque  partie   peut  tirer     If  pr^murc 

i       ^    o  ,.'.  .'         '  '.  réception  du 

a  son  avantage,  encore  qu'd  soit  évident  que  celui  qu'en    pair  au  Parle- 

tiro  M.  do  Saint-Simon  ait  bien  plus  de  force  et  soit  bien   ment  et  la  date 
I  .18  '        -i  '  '    -i    I  I        de  1  enregistre- 

plus  naturel    ;  on  no  s  arrêtera  qu  aux  moyens  véritables      ment  de  la 

des  deux  côtés,  qui,  sans  sortir  du  fonds  do  la  question,         pairie, 
doivent  être  la  matière  uiii(|iii'  du  jugement  entre  la  prio- 
rité d'enrogistreinont  do-^  lettres  d'érection,  soutenue  par 
M.  do  la  Rochefoucauld  comme  règle  et  fixation  de  l'an- 

I.  Kn  faveur  de  Pierre  de  Gondy,  qui  avait  épousa  en  1633  Cathe- 
rine de  Gondy,  tille  de  Henri,  duc  do  Retz,  son  cousin  germain. 

•2.  Comencem'  a  été  ajo;ité  sur  la  marge,  à  la  lin  d'une  ligne,  et  coin 
biffé  en  tête  de  la  ligne  suivante. 

3.  Ci-dessus,  p.  lOH-lOO.  —  i.   Verifiéx  corrige  r\eceus]. 

S.  Tenait  est  en  interligne,  au-ilessus  de  trouvoit,  biffé. 

G.  Ci-dessus,  p.  t09.  —  7.  Ci-dessus,  p.  196. 

f<.  Los  cinq  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 


230  MÉMOIRES  [1711] 

cienneté,  et  la  priorité  de  la  première  réception  du  nou- 
veau pair  érigé  en  cette  '  qualité  de  pair  de  France  au 
Parlement,  que  M.  de  Saint-Simon  prétend-  fixer  le  rang 
d'ancienneté  parmi  les  pairs  de  France. 

M.  de  la  Rochefoucauld  pose  en  fait  que  l'enregistre- 
ment des  lettres  d'érection  forme,  constate,  opère  ^  la  di- 
gnité, qui  jusqu'alors  n'est  que  voulue  par  le  Roi,  et  si 
peu  exécutée,  que  celui  qui  a  des  lettres  d'érection  non 
enregistrées  n'a  que  des  honneurs  sans  être,  sans  rang, 
sans  succession  aux  siens,  toutes  choses  qui  ne  s'acquiè- 
rent que  par  l'enregistrement  des  lettres  d'érection,  qui, 
par  la  conséquence  qu'il  en  tire,  réalisant  la  dignité,  en 
fixe*  en  même  temps  le  rang  d'ancienneté. 

Il  ajoute,  pour  confirmer  cette  maxime,  que,  si  on 
admettoit  celle  de  la  fixation  du  rang  d'ancienneté  par  la 
première  prestation  de  serment  et  réception  au  Parlement 
du  pair  nouvellement  érigé,  les  rangs  des  pairs  entre  eux 
changeroient  à  chaque  réception  de  pair,  d'où  il  arriveroit 
que  le  fils  du  plus  ancien  se  trouveroit  le  dernier  de 
tous,  et  un  changement  continuel  de  rang  suivant  les 
dates  des  réceptions  dont  on  n'a  jamais  ouï  parler  parmi 
les  pairs,  et  qui,  en  cela,  les  égaleroit  avec  les  charges 
les  plus  communes  et  les  plus  petits  offices.  Toutes  ses 
preuves  ne  sont  que  des  raisonnements  diffus  et  peu  con- 
cluants, des  déclamations,  force  sophismes,  qui  n'ajou- 
tent rien  à  l'exposition  simple  de  ces  deux  propositions 
telles  qu'on  vient  de  les  présenter.  Le  spécieux  ^  en  est 
éblouissant  à  qui  n'approfondit  pas;  moi-même  j'en  ai  été 
un  temps  pris.  Je  dois  à  l'abbé  le  Vasseur,  qui  a  long- 
temps et  utilement  pris  soin  des  affaires  de  mon  père  et 

1.  Ce<(c  surcharge  une  s. 

2.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  prendre  ;  il  a  surchargé  les  trois 
dernières  lettres  par  tend,  ce  qui  fait  prcntend. 

3.  Ci-dessus,  p.  208. 

4.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  fixent  et  a  biffé  le  signe  du  pluriel. 

5.  Terme  déjà  relevé  comme  substantif  dans  le  tome  XVI,  p.  221  et 
234. 


flTlt]  DE  SAINT-SIMON  23< 

des  miennes  jusqu'à  sa  mort,  arrivée,  comme  je  l'ai  dit 
ailleurs',  en  1709,  de  m'en  avoir  fait  honte.  Je  ne  voulois 
point  disputer,  parce  que  je  ne  croyois  pas  avoir  raison, 
et,  après  avoir  étudié  la  matière,  je  fus  honteux  de  m'ètre 
si  lourdement  abusé. 

Pour  réfuter  les  deux  propositions  de  M.  de  la  Roche-  Nature 
foucauld-,  il  faut  remonter  à  la  nature  de  la  dignité  dont  *  igmte. 
il  s'agit  ce  fixer  l'ancienneté  pour  ceux  que  le  Roi  en 
honore,  ei  voir  ce  qui  la  fixoit  anciennement ^  Qu'on  ne 
s'étonne  point  d'un  principe  qui  doit  être  posé,  parce 
qu'il  est  de  la  première  certitude.  La  dignité  de  pair  est 
une,  et  la  même  qu'elle  a  été  dans  tous  les  temps  de  la 
monarchie  ;  les  possesseurs  ne  se  ressemblent  plus.  Sur 
cette  dissemblance,  on  consent  d'aller  aussi  loin  qu'on 
voudra  ;  sur  la  mutilation  des  droits  de  la  pairie,  encore. 
C'est  l'ouvrage  des  temps  et  des  rois;  mais  les  rois  ni 
les  temps  n'ont  pu  l'anéantir  :  ce  qui  en  reste  est  toujours 
la  dignité  ancienne,  la  même  qui  fut  toujours;  jusque 
dans  son  dépouillement,  cette  vérité  brille.  Il  faut  une 
injustice  connue*  par  une  loi  nouvelle  pour  préférer  les 
princes  du  sang  et  les  bâtards  aux  autres  pairs  dans  la 
fonction  du  sacre"',  sans  oser  les  en  exclure,  et  ces  princes 
du  sang  et  ces  bâtards  comme  pairs,  les  uns  à  titre  de 
naissance  par  l'édit  d'Henri  III,  les  autres  comme  ayant 

1.  Tome  XVIII,  p.  294  et  304. 

i.  Les  mois  de  M.  de  la  Rochef.  sont  en  iiilerligne,  au-dessus  de 
dont  il  s'agit,  biffé. 

H.  Saint-Simon  avait  dans  ses  papiers  un  f;rand  nombre  de  discours, 
mémoires  et  plaidoyers  sur  l'origine  des  pairs  de  France,  qui  sont 
actuellement  conservés  dans  les  volumes  France  14"28  à  4435  du  Dépôt 
des  affaires  étrangères  ;  mais  en  4704  (tome  IX,  p.  246),  après  s'être 
excusé  d'  «  entrer  dans  un  détail  qui  feroil  un  volume,  »  il  s'est  borné 
à  faire  un  parallèle  des  duchés-pairies  avec  les  grandesses  d'Espagne. 
Puisqu'il  revient  maintenant  sur  les  origines  et  le  caractère  de  la  pai- 
rie, il  ne  sera  pas  inutile  d'énuniérer  à  l'Aiipendice  ("ci-après,  p.  4(i4) 
les  titres  des  ouvrages  qu'il  |)Ouvoit  avoir  à  sa  disposition  en  47i"2. 

4.  Au  manuscrit,  connùec;  il  semble  qu'il  vaudrait  mieux  commise. 

o.  Ci-dessus,  p.  488. 


232  MÉMOIRES  [17ii] 

des  pairies  dont  ils  sont  titulaires  et  revêtus.  Jusque 
dans  sa  dernière  décadence,  sous  le  plus  jaloux  et  le  plus 
autorisé  des  rois,  il  a  fallu,  de  son  aveu  même,  l'inter- 
vention des  pairs  invités  de  sa  part  chacun  chez  lui  par 
le  grand  maître  des  cérémonies,  au  grand  regret  et  dépit 
de  ce  bourgeois,  qui  n'oublia  rien  pour  en  être  dispensé, 
invité,  dis-je,  à  se  trouver  au  Parlement  pour  les  renon- 
ciations respectives  aux  couronnes  de  France  et  d'Espagne 
des  princes  en  droit  de  les  recueillir*,  par  l'indispensable 
nécessité  de  la  pairie  aux  grandes  sanctions-  de  l'État.  On 
ne  parle,  pour  abréger,  que  de  ce  qui  est  si  moderne  et 
dans  la  plus  grande  décadence  de  cette  dignité  :  plus  on 
remonteroit,  plus  trouveroit-on  des  preuves  augustes  de 
la  vérité  que  j'avance.  Les  lettres  d'érection  y  sont  en 
tout  formelles,  jusque  par  leurs  exceptions,  et  les  évêques- 
pairs  sont  encore  aujourd'hui  exactement  et  précisément 
les  mêmes  qu'ils  ont  été  en  tout  temps  pour  les  posses- 
sions et  pour  la  naissance,  et  pour  le  fonds  et  l'essence 
de  la  dignité,  en  sorte  que  ce  ne  sont^  pas  des  images 
parlantes  de  ce  qu'ils  furent  autrefois,  mais  des  vérités, 
des  réalités,  et  la  propre  existence  même,  égaux  en  dignité 
aux  six  anciens  pairs  laïques,  quoique  si  disproportionnés 
d'ailleurs*.  Cette  vérité  admise  sur  la  question  présente, 
et  qui  se  trouvera  peut-être  ailleurs  démontrée  avec  plus 
d'étendue  %  il  faut  voir  comment  l'ancienneté  se  régloit 
parmi  ces  anciens  pairs.  Les  douze  premiers  n'ont  point 
d'érection  ;  elle  ne  fixoit  donc  pas  leur  rang.  Depuis  qu'il 
y®  a  eu  des  érections,  il  n'y  avoit  point  de  cour,  telle 
qu'est  aujourd'hui  celle  connue  sous  le  nom  de  Parle- 

1.  Voyez  la  suite  des  Mémoires,  tome  IX  de  1873,  p.  <4ol-465. 

2.  Le  Dictionnaire   de  l'Académie  de  1748  ne  donnait  sanction 
qu'au  sens  de  «  constitution,  ordonnance  ». 

3.  Les  mots  ce  ne  sont  sont  en   interligne,  au-dessus  de  c'en  sont 
non,  biffé,  et,  après  ce,  dans  l'interligne,  Saint-Simon  a  bifîé  n'en. 

4.  Tout  ce  qui   précède,  depuis  égaux,  a  été  ajouté  sur  la  marge 
avec  un  signe  de  renvoi. 

o.  Ce  sera  pour  l'année  1714.  —  6.  Y  est  en  interligne. 


[ilH] 


DE  SAINT-SIMON. 


233 


ment,  où  ces  érections  pussent  être  enregistrées;  ainsi, 
l'enregistrement,  qui  n'cxistoit  point,  ne  fixoit  point  le 
rang  des  pairs.  Il  résulte  donc  que  ce  rang  ne  se  régloit 
ni  par  la  date  de  l'érection,  ni  par  celle  de  l'enregistre- 
ment. Il  faut  donc  chercher  ailleurs  ce  qui  fixoit  leur  rang 
puisqu'il  l'a  toujours  été  entre  eux,  et,  de  ce  qui  vient  d'être 
exposé,  M.  de  la  Rochefoucauld  conclura  que  ce  n'est  pas 
la  première  réception  du  nouveau  pair  au  Parlement,  puis- 
que le  Parlement,  tel  (ju'il  '  est  maintenant,  et  qu'il  reçoit 
et  enregistre,  n'existoit  pas  dans  les  temps  dont  on  parle  ; 
et  cela  est  aussi  très^  certain.  Mais  il  est  également  cer- 
tain aussi  qu'il  y  a  eu  dans  tous  les  temps  une  formalité 
par  laquelle  tous  ont  passé  et  passent  encore,  dont  les 
accessoires  et  l'extérieur  a  changé  avec  les  temps,  mais 
dont  la  substance  et  la  réalité  est  toujours  demeurée  la 
même;  et  cette  formalité  est  la  manifestation ^  Avant 
qu'on  écrivît  des  patentes,  qui  est  l'érection,  avant  qu'on 
les  présentât  à  un  tribunal  certain  pour  y  être  admises, 
qui  est  l'enregistrement,  il  falloit  bien  qu'il  y  eût  une 
manière  ou  une  forme  de  faire  des  pairs  puisqu'il  y  a  eu 
dès  lors  des  pairs.  Il  falloit  encore  que  ces  pairs  eussent 
entre  eux  un  rang  fixé  puisqu'il  ^  l'a  été  dès  lors  parmi 
eux,  et  cette  manière  ou  cette  forme  n'a  pu  être  que 
l'action  de  manifester  un  seigneur  dans  l'assemblée  des 
autres  de  pareil  degré,  d'y'  déclarer  l'élévation  de  celui- 
ci  aux  mêmes  droits,  fonctions,  rangs,  honneurs,  distinc- 
tions, privilèges,  etc.,  que  ces  autres,  de  l'y  faire  seoir 
parmi  eux,  c'est-à-dire  au-dessous  du  dernier,  mais  en 
même  ligne  et  niveau,  de  l'y  associer  aux  mêmes  conseils 
et  aux  mêmes  jugements  qui  faisoient  la  matière  de  leur 

i.  //  est  en  interligne.  —  2.   Très  a  été  ajouté  en  interligne. 

3.  On  a  eu  ci-dessus  manifester  au  même  sens  de  publicité  ofiicielle, 
et  on  le  retrouvera  plusieurs  fois  ci-après. 

4.  Puisqu'  a  été  ajouté  en  lin  de  ligne,  et,  au  commencement  de  la 
ligne  suivante,  il  y  a  un  que  qui  n'a  pas  été  bifîé. 

o.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  de  l'y  ;  il  a  bille  l'y  et  corrigé  de 
en  d'y. 


Ce  qui  de  tout 

temps  fixoit 
l'ancienneté  du 
rang  des  pairs, 

l'a  fixé 

toujours,  et  le 

fixe  encore 

aujourd'hui. 


234  MÉMOIRES  [1711] 

assemblée.  Ce  ne  pouvoit  être  que  par  là,  avant  les 
usages  postérieurs  des  érections  et  des  enregistrements, 
que  les  rois  pouvoient  déclarer  l'élévation  d'un  de  leurs 
sujets  et  vassaux  à  la  première  dignité  de  leur  couronne, 
en  manifestant  de  fait  un  conseiller-né  et  un  assesseur 
à  la  couronne,  et  à  eux^  un  compagnon,  et,  comme  on 
parloit  alors,  un  compair-  aux  autres  pairs,  un  juge  aux 
grands  vassaux,  etc.,  pour  être  dès  lors  et  de  là  en  avant^ 
reconnu  pour  tel.  Que,  dans  la  suite,  il  y  ait  eu  ce  qu'on 
appelle  érection,  et,  postérieurement  encore,  ce  qu'on 
appelle  enregistrement,  cela  n'a  point  changé  l'ancien 
usage:  il  a  toujours  fallu  manifester  le  pair  nouvellement 
érigé,  et  l'installer  dans  son  office.  Qu'on  y  ait  joint  en- 
suite des  formalités  nouvelles,  un  serment,  puis  le  même 
serment  varié,  repris  après  son  premier  état,  après  cela 
une  information  de  vie  et  mœurs  préalable,  puis  un  chan- 
gement dans  cette  information  sur  la  religion  catho- 
lique, etc.,  tout  cela  sont  les  accessoires,  les  choses  ajou- 
tées, jointes,  concomitantes*,  mais  non  pas  la  chose 
même,  la  manifestation  %  l'installation,  qui  subsiste  tou- 
jours la  même,  et  qui  n'est  autre  que  ce  qu'on  connoît 
maintenant  sous  le  nom  de  première  réception  au  Parle- 
ment. C'est  donc  à  cette  première  réception  qu'il  faut 
recourir  comme  à  la  suite,  jusqu'ici  non  interrompue  et 
non  contestée,  de  l'antiquité  la  plus  reculée  jusqu'à  nous, 

1.  Il  y  avait  d'abord  dans  le  texte  et  à  ceux  de  rassemblée  ;  Saint- 
Simon  a  biffé  les  trois  derniers  mots  et  corrigé  ceux  en  eux. 

2.  Il  écrit  conpair.  Ce  mot  ne  figure  pas  dans  les  lexiques,  même 
dans  ceux  de  la  langue  du  moyen  âge,  et  Littré  n'en  a  relevé  que  deux 
exemples  de  notre  auteur. 

3.  Expression  du  langage  de  la  chancellerie,  déjà  surannée  à  l'époque 
de  Saint-Simon,  et  dont  on  retrouvera  un  autre  emploi  dans  la  suite 
des  Mémoires,  tome  XIX,  p.  152.  Comparez  avec  d'ores  en  avant,  que 
nous  avons  rencontré  dans  le  précédent  volume. 

4.  «  Concomitant,  qui  accompagne  ;  ne  se  dit  guère  que  dans  cette 
phrase:  la  grâce  concomitante  »  (Académie,  1718).  Voyez  ci-après, 
p.  238,  le  substantif  concomitance. 

5.  Ci-dessus,  p.  233. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  235 

de  ce  qui  a  perpétuellement  et  constamment  fixé  l'ancien- 
neté des  pairs  de  tous  les  âges,  et  non  pas  à  des  usages 
modernes  qu'une  sage  police  peut  avoir  introduits,  mais 
qu'elle  n'a  pu  substituer  à  ce  qui  est  de  toute  antiquité 
la  règle  connue,  et  l'unique  qui  la  pût  être  jusqu'à  ces 
établissements  nouveaux  qui  ont  ajouté  simplement  des 
choses  extérieures,  mais  sans  aucun  changement,  bien 
moins  de  destruction,  de  la  nature  essentielle  des  choses. 
En  voilà  assez  pour  faire  entendre  combien  la  prétention 
de  M.  de  la  Rochefoucauld  sur  la  priorité  de  vérification 
ou  d'enregistrement,  qui  est  la  même  chose,  est  destituée 
de  fondement.  Il  faut  montrer  ensuite  combien  l'est,  s'il 
se  peut,  moins  encore'  son  objection  du  changement  in- 
connu du  rang  des  pairs  par  date  de  chaque  réception  en 
même  pairie,  si  la  fixation  du  rang  d'ancienneté  avoit  lieu 
de  la  première  réception  au  Parlement  :  c'est  ce  que 
M.  de  la  Rochefoucauld  prévit  qui  lui  seroit  répondu  là- 
dessus,  qui  lui  donna  tant  d'éloignement  de  procéder  au 
Parlement,  et  qui,  par  autorité  d'âge  et  de  faveur,  lui  fit 
emporter  une  manière  de  juger  qui  auroit  pu  être  bonne 
en  soi,  mais  qui  n'avoit  point  d'exemple,  et  que  l'intérêt 
du  Parlement  de  juger  ces  causes  -  majeures  ^  auroit  cer- 
tainement rendue*  caduque. 

On    ne    peut   s'empêcher  de   remarquer  l'indécence.         Fausse 
dans^  la  bouche  d'un  pair  de  France,  de  cette  proposi-     «t  indécente 

...  Aiiinii-  Il  ,  difficulté 

tion  *  que  .M.  de  la  noctietoucauld  avance  en  conséquence  tombée  de  la 

du  faux   principe  qu'il  avoit  posé,  et  dont  on  vient  de  date  de  chaque 
démontrer  la  foiblesse,  que,  si  l'ancienneté  parmi  les  pairs      sucœsslvc. 
se  tiroit  de   la  première   réception    au   Parlement,   elle 

1.  Combien  est  encore  moins  fondée. 

2.  Le  commencement  de  causes  surcharge  un  g. 

3.  En  droit  canonique,  on  appelait  causes  majeures  «  les  affaires 
ecclésiastiques  dont  le  jugement  appartient  au  pape  »  (Académie, 
1718). 

4.  Par  mégarde,  il  a  écrit,  au  masculin,  rendu. 
•S.  Dans  surcharge  de  la. 

''.  Il  y  a  proposion,  par  mégardc,  dans  le  manuscrit. 


236 


MÉMOIRES 


[1711] 


changeroit  à  chaque  mutation  dans  la  même  pairie  par 
les  diverses  dates  des  diverses  réceptions.  Son  principe  de 
la    date  de  l'enregistrement  tombé  pour  la  fixation    de 
l'ancienneté,  la  conséquence^  tombe  aussi.  On  vient  de 
voir  que  c'est  la  manifestation  du  nouveau  pair  qui,  dès 
la  première  antiquité,  a  toujours  fixé  l'ancienneté  parmi 
eux.  Cette  manifestation  n'est  qu'une  pour  chaque  race 
et  filiation  de  pair,  puisque    la  dignité  est  héréditaire, 
conséquemment  les  réceptions  subséquentes  de  chaque 
filiation   n'est-  plus  la  manifestation,  mais  seulement  la 
succession  annoncée  et  manifestée  dans  le  premier  de  la 
race,   laquelle  ne  peut  intervertir  le  rang  établi  de  la 
même  pairie,  qui  demeure  dans  le  rang  qu'a  tenu  le  pre- 
mier de  cette  filiation.  Cela  est  évident  en  soi  ;  cela  l'est 
par  l'exécution  constante  depuis  la  première   antiquité 
jusqu'à  présent;   cela  l'est  encore  parce  [que],  dans  ce 
grand  nombre  de  chimères  et  de  prétentions  mises  en 
avant  de  temps  en  temps  sur  les  rangs  entre  eux  des  pairs 
et  la  succession  à  cette  dignité,  M.  de  la  Rochefoucauld  est 
le  premier  et  l'unique  qui  ait  imaginé  cette  interversion  de 
rangs  par  chaque  réception  dans  la  même  pairie,  consé- 
quence insoutenable  et  monstrueuse  d'un  principe  destitué 
de  tout  fondement,  de  laquelle  on  va  démontrer  l'ineptie 
encore  plus  singulièrement,  c'est-à-dire  par  les  principes 
et  par  la  nature  de  la  dignité  de  duc  et  pair  de  France. 
Dignité  de  duc        On  ne  peut  lui  contester  qu'elle  ne  soit,  par  sa  nature 
^*  ^dè'^g^f^*^    singulière  et  unique,  une  dignité  mixte  de  fief  et  d'office. 
et  d'office,  et    Le  duc  est  grand  vassal,  le  pair  est  grand  officier;  l'un  a 

unique         toute  la  réalité  de  mouvance  nue  de  la  couronne,  de  ius- 
dc  ce  genre.        .         i-        ,  ,  ,,      ,  ,       ,      i  i-,  .  i 

tice  directe,  etc.  ;  1  autre,  toute  la  personnalité,  ou  les 
fonctions  au  sacre,  au  Parlement,  etc.  Tous  deux  ont  un 
rang,    des  honneurs,  etc.  C'est  ce  mixte ^  qui  constitue 

1.  La  surcharge  son,  et  le  commencement  de  conseguence  surcharge 
des  lettres  illisibles  effacées  du  doigt. 

2.  Il  y  a  bien  au  manuscrit  n'est,  au  singulier. 

3.  «  Mixte  est  aussi  substantif,  et,  dans  cette  acception,  il  ne  se  dit 


[nil]  DE  SAINT-SIMON.  237 

une  dignité  unique,  qui,  sans  l'office,  ne  pourroit  être 
distincte  des  ducs  vérifiés,  sans  le  fief,  des  officiers  de  la 
couronne,  et  qui,  pour  le  fief  et  pour  l'office,  a  ses  lois 
communes  avec  les  autres  '  grands  fiefs  et  grands  offices, 
et  ses  lois  aussi  particulières  à  elle-même  ;  fief  et  office 
également  parties  intégrantes-  et  constituantes,  sans  les- 
quelles la  dignité  ne  pourroit  exister,  ni  même  être  con- 
çue, conséquemment  de  même  essence,  qui  opèrent  en 
l'un  plénitude  nécessaire  de  mouvance,  en  l'autre  pléni- 
tude nécessaire  de  fonctions;  à  tous  les  deux,  rangs  et^ 
honneurs  qui  en  sont*  parties  décentes  %  non  intégrantes, 
suites  et^  accompagnements  qui  ont  été  de  tout  temps 
attachés  à  la  dignité,  mais  qui  ne  la  constituent  pas,  si 
bien  que,  sans  cela,  elle  pourroit  exister,  et  être  conçue. 
Telles  sont  les  lois  de  la  dignité  en  elle-même,  avec  plu- 
sieurs autres  qui  ne  font  rien  à  la  question  dont  il  s'agit. 
Ses  lois,  communes  avec  les  autres  grands  fiefs,  sont 
l'enregistrement,  depuis  qu'il  est  établi  pour  constater 
la'  dignité,  et  en  assurer  la  possession  à  l'impétrant  et  à 
sa  postérité  au  désir  des  lettres  ^  avec  les  autres  grands 

que  d'un  corps  mixte  :  toutes  les  parties  d'un  mixte,  réduire  les  mixtes 
en  leurs  principes  «  (Académie,  1748). 
i.  Autres  a  été  ajouté  en  interligne. 

2.  «  Intégrant,  adjectif  verbal  du  verbe  intégrer,  qui  n'est  point  en 
usage.  Il  ne  se  dit  qu'en  celle  phrase  :  les  parties  intégrantes.  On 
appelle  ainsi  en  philosophie  les  parties  qui  composent  l'intégrité  d'un 
tout,  à  la  différence  des  parties  qui  sont  essentielles  et  sans  lesquelles 
une  chose  ne  sauroit  subsister  »  (Académie,  1718). 

3.  Et  est  en  interligne. 

4.  Le  manuscrit  porte  font  ;  c'est  sans  doute  une  erreur  de  Saint- 
Simon. 

o.  Au  sens  de  convenable,  comme  le  latin  decet. 

6.  Et  surcharge  un  rf. 

7.  La  est  répété  deux  fois,  en  fin  de  ligne  et  au  commencement  de 
la  suivante. 

8.  «  On  dit,  en  termes  de  pratique,  au  désir  de  l'ordonnance,  au  dé- 
sir de  la  coutume,  pour  dire,  suivant  l'ordonnance,  suivant  la  cou- 
tume »  (Académie,  1718). 


238  MÉMOIRES  [1711] 

offices,  d'être  reçu  publiquement  au  serment  de  l'office, 
et  d'en  prendre  une  actuelle  possession  avec  les  formali- 
tés établies.  La  dignité  de  duc  et  pair,  quelque  éminente 
qu'elle  soit  dans  l'Etat  par  sa  nature,  n'a  point  de  dis- 
pense là-dessus  pour  le  fief  ni  pour  l'office,  et  M.  de  la 
Rochefoucauld,  qui  le  prétendroit  en  vain,  ne  peut  dis- 
convenir, à  l'égard  de  l'office,  de  ce  qu'il  soutient  à  l'égard 
du  fief.  De  là  il  résulte  qu'ayant  accompli  la  loi  quant  au 
fief,  il  s'est  assuré,  et  à  sa  postérité,  la  dignité  du  fief  en 
entier,  et  la  faculté  de  l'office  ;  mais,  quant  à  celui-ci,  il 
est  demeuré  à  la  simple  faculté  jusqu'à  l'accomplissement 
par  lui  de  la  loi  imposée  de  tout  temps  à  tout  officier 
pour*  tout  office,  d'y  être  reçu  par  le  serment  et  la  prise 
de  possession  personnelle  essentiellement  requis,  qui  l'en 
investit,  qui  le  déclare,  et  le  manifeste  officier.  Les  for- 
malités plus  ou  moins  anciennes  ou  variées  qui  accom- 
pagnent la  réception  n'en  sont  que  les  concomitances^,  et 
n'en  changent  point  la  nature  ;  et  c'est  cette  réception 
qui,  dans  tous  les  âges,  a  fixé  le  rang  des  pairs  entre  eux, 
qui,  sans  interruption,  s'y  sont  accordés  depuis  les  pre- 
miers temps  jusqu'aux  nôtres.  De  cette  explication  il  ré- 
sulte qu'avoir  accompli  la  loi  des  fiefs  par  l'enregistre- 
ment, et  non  celle  des  offices  par  la  réception,  que  ce 
n'est  point  être  en  possession,  ni  avoir  rendu  en  soi  en- 
tière et  complète  une  dignité  mixte  de  fief  et  d'office  qui 
tient  de  l'un  et  de  l'autre  son  existence  en  toute  égalité, 
conséquemment  que  le  rang  de  cette  dignité  ^,  quoique 
assurée,  ne  peut  être  fixé  en^  cet  état,  et  ne  l'est  point: 
d'où  il  se  démontre  que  celui  qui,  postérieurement  à 
l'accomplissement  de  l'une  de  ces  lois,  et  antérieurement 
à  l'accomplissement  de  l'autre,  lésa,  lui,  accomplies  toutes 
les  deux,  que  celui-là,  dis-je,  a  rendu  sa  dignité  entière 

1.  L'abréviation  p' surcharge  de. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  "234,  un  emploi  de  V&djeciit  concomitant. 

3.  Dignités  corrigé  en  dignité. 
-4.  En  surcharge  et  n[e]. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  239 

et  complète  en  lui,  qu'il  est  grand  officier  avant  l'autre  ^ 
grand  vassal  même  avant  l'autre,  puisque,  tous  deux 
n'ayant  point  été  faits  séparément  ducs,  séparément  pairs, 
par  deux  érections  différentes  et  distinctes,  mais  ducs  et 
pairs  chacun  par  une  seule  et  même  érection,  cet  autre, 
tout  enregistré  qu'il  est,  ne  peut  être  valablement  et 
réellement  grand  vassal  qu'il  n'ait  fait  ce  qu'il  faut  pour 
être  aussi  grand  officier,  puisqu'il  est  fait  l'un  et  l'autre 
ensemble,  par  une  seule  et  même  dignité  mixte  de  grand - 
fief  et  de  grand  office,  dont  le  fief  et  l'office  ensemble 
et  par  indivis  forment  ensemblement^  l'existence,  en  sont 
également,  conjointement,  concurremment  parties  inté- 
grantes ;  tellement  que,  sans  ces  deux  choses  achevées 
également  et  accomplies  suivant  leurs  lois,  il  ne  se  peut 
dire  qu'aucune  d'elles  le  soit  véritablement  et  par  effet. 

Venons  maintenant  à  la  prétendue  difficulté,  proposée     L'impétrant 
par  M.   de  la  Rochefoucauld,   du   changement  de  rang    et  sa  posienié 

1)         •  .  '     1  •         1  »  •    •     ,  •         ,11  appelée  et 

d  ancienneté  des  pairs  de  même  pairie*,  suivant  la  date    installée  avec 
des  réceptions  successives  de  ces  pairs  au  Parlement,  et  lui  en  la  dignité 

,      -,  I  /  ,  •  •  1  '       .       .  -de  pair  à  la 

traitons-la  expressément,  quoique  idée  toute  neuve  qui  différence 
doit  tomber  de  soi-même  par  ce  qui  vient  d'être  expliqué,  de  tout  autre 
et  répudié  par  M.  de  la  Rochefoucauld  même  avant  de 
l'avoir  imaginée,  par  tout  ce  qu'il  a  énoncé  avec  nous, 
contre  les  duchés-pairies  femelles,  sur  la  manière  de  suc- 
céder à  la  dignité  de  duc  et  pair^  Un  seul  mot  tranche 
la  difficulté  .  c'est  qu'à  l'office  de  pair  est  appelé  non  seu- 
lement l'impétrant,  mais,  avec  lui,  par  une  seule  et  même 
vocation  ^  tous  ses  descendants  masculins  à  l'infini,  tant 
et  si  longtemps  que  la  race  en  subsiste,  au  lieu  qu'à  tous 

1.  L'autre  surcharge  luy. 
"1.  Les  lettres  grd  surcharge  une  F. 

3.  Vieux  mot  que  le  Dictionnaire  de  Trévoux  est  seul  à  relever, 
comme  n'étant  plus  usité.  Littré  n'en  cite  aucun  exemple, 
i.  L'initiale  de  Pairie  est  un  p  corrigé  en  majuscule. 

5.  Lors  du  procès  avec  M.  de  Luxembourg. 

6.  Nous  avons  déjà  eu  ce  mot,  au  sens  d'appel,  dans  le  tome  XIX, 
p.  181. 


oCEcier. 


240  MÉMOIRES  [ilU] 

autres  offices,  quels  qu'ils  soient,  une  seule  personne  est 
appelée,  et  nulle  autre  avec  elle  ;  et  c'est  la  distinction 
essentielle  et  par  nature  de  l'office  de  pair  de  tous  les 
autres  offices  de  la  couronne,  et  autres  tous  tels  qu'ils 
soient  en  France,  sans  aucune  exception.  De  là  suit  invin- 
ciblement, par  droit  tiré  de  la  nature  de  la  chose,  et  con- 
firmé par  l'usage  de  tous  les  temps  jusqu'à  aujourd'hui, 
que  c'est  cette  première  réception  qui  fixe  le  rang  d'an- 
cienneté pour  tous  ceux  qui,  par  la  vocation,  y  sont  suc- 
cessivement appelés,  auquel  la  réception  subséquente  de 
chacun  d'eux  ne  peut  apporter  d'interversion.  Pour  s'en 
convaincre,  il  n'est  besoin  que  de  se  souvenir  de  ce  qui 
a  été  expliqué.  La  manifestation  ou  installation  des  pairs 
dans  leur  office  est  ce  qui  a  fixé  leur  ancienneté  avant 
qu'il  y  eût  érection,  enregistrement,  tribunal  enregis- 
trant. C'est  donc,  comme  on  l'a  vu,  pour  ne  rien  répéter, 
ce  qui  l'a  dû  fixer  depuis,  et  ce  qui  l'a  aussi  toujours 
fixée',  sans  aucun  exemple  ni  prétention  contraire.  Le 
fixant  pour  l'impétrant,  il  le  fixe  dans  lui  et  par  lui  à 
toute  sa  postérité  appelée  avec  lui,  installée,  reconnue, 
manifestée  avec  lui  d'une  manière  également  invariable 
et  unique  à  cet  office,  à  la  différence  de  tous  autres,  en 
sorte  que  tout  est  consommé  pour  tous  les  héritiers  suc- 
cessifs de  la  même  pairie.  Cet  essentiel  accompli  %  il  reste 
des  formalités  à  faire  à  chaque  héritier  de  la  même  pairie, 
mais  formalités  simples,  qui  ne  sont  rien  moins  que 
l'essence  de  la  dignité,  mais  des  choses  uniquement  per- 
sonnelles, ajoutées,  changées,  variées  en  divers  temps 
pour  s'assurer  si  l'héritier,  pair  de  droit  et  de  fait  indé- 
pendamment^ de  tout  cela,  est  personnellement  capable 
d'en  exercer  les  fonctions.  Ainsi,  le  serment,  l'informa- 

i.  Fixé  est  au  masculin  dans  le  manuscrit,  s'accordant  avec  le  mot 
rang,  sous-entendu. 

2.  La  lettre  m  du  mol  accompli  surcharge  un  p. 

3.  Il  y  a  indepcnd'  dans  le  manuscrit,  ce  qu'on  pourrait  aussi  bien 
lire  indépendant. 


I 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  244 

tion  do  vie  et  mœurs,  et  les  autres  formalités  qui  lui  son! 
personnolloiuonl  imposées,  ne  peuvent  changer  son  rang 
d'ancienneté,  puistju  aucunes  ne  lui  confèrent  rien  de 
nouveau,  que  toutes  en  sont  incapables,  et  qu'elles  ne 
sont  ajoutées  que  pour  s'assurer  d'un  exercice  digne  en 
sa  personne  de  ce  qu'il  ne  reçoit  pas  de  nouveau,  rtiais  de 
ce  qu'il  a  en  lui  essentiellement  et  d'une  manière  inhé- 
rente. Telle  est  donc  la  nature  singulière  et  unique  de  la 
dignité  de  pair  de  France,  dont  l'office  est  un  et  le  même 
dans  toute  une  postérité  appelée,  et  qui,  par  conséquent, 
ne  peut  changer  de  rang  d'ancienneté  première  de  l'im- 
pétrant de  qui  elle  sort,  à  la  différence  de  tous  ceux  de 
la  couronne,  et  de  tous  autres  offices  et  officiers,  quels 
qu'ils  soient  en  France,  qui,  n'étant  appelés  qu'un  seul  à 
la  fois  à  un  office,  changent  de  rang  d'ancienneté  à  cha- 
que nmtation  de  personne  ',  par  une  conséquence  néces- 
saire. Je-  pense  avoir  expliqué  la  question  avec  une  évi- 
dence qui  dispense  de  s'y  arrêter  davantage.  Suivons-en 
maintenant  la  décision  en  reprenant  l'édit. 

Quelques  jours  d'un  temps  si  vif  se  passèrent  en  lan-  Reprise  de 
gueur  par  l'interruption  du  travail  du  Roi  avec  le  Chan- 
celier. Je  tâchai  de  profiter  de  ce  loisir  auprès  de  lui,  et, 
comme  la  séparation  de  lieu  et  ses  occupations,  que  j'ai 
remarquées  ailleurs  %  rendoientle  commerce  incommode, 
je  lui  écrivis  de  Mariy,  l'onze  mai%  la  lettre  suivante. 

i.  Les  mots  de  personne  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

2.  Avant  Je,  il  y  a  dans  le  manuscrit  un  peu  de  blanc,  ce  qui  est  con- 
traire aux  habitudes  de  Saint-Simon  quand  il  passe  à  une  autre  phrase. 

3.  Au  sens  d'important,  mouvementé,  rempli.  —  4.  Ci-dessus,  p.  i7'2. 
5.  A  propos  de  cet  adjectif  numéral,  le  Dictionnaire  de  l'Académie 

de  4718  disait  :  ^t  II  faut  remarquer  qu'encore  que  ce  mot  et  celui  d'on- 
zième commencent  par  une  voyelle,  cependant  il  arrive  quelquefois,  et 
surtout  quand  il  est  question  de  dates,  qu'on  prononce  et  qu'on  écrit 
sans  élision  l'article,  ou  la  préposition  ou  particule  qui  les  précède  : 
De  onze  enfants  qu'ils  étaient  il  en  est  mort  dix  ;  la  onzième  année. 
—  Onze  se  prend  quelquefois  pour  le  nombre  d'ordre  qu'il  forme,  et 
alors  on  dit  presque  indiiïéremment  :  le  onze  du  mois,  l'onze  du  mois  » 
{Académie,  4748). 

UbUOIKEb    DL    S.VI.NT -àlUU.N      XXI  IG 


l'édit. 


242 


MEMOIRES 


inii] 


Lettre  de 
M.  le  duc  de 
Saint-Simon 

à  M.  le 
Chancelier. 


Pour  l'entendre,  il  faut  dire  que  l'anniversaire  de 
Louis  XIII'  se  faisoit  tous  les  ans  à  Saint-Denis,  comme 
il  se  fait  encore,  et  qu'à  l'exemple  de  mon  père,  je  n'y 
ai  jamais  manqué-.  Il  fut  avance  au  13  mai,  cette 
année,  parce  que  l'Ascension  tomboit  au  14,  son  jour 
naturel^. 

«  Jamais,  Monsieur,  l'anniversaire  du  feu  Roi  ne  me 
vint  si  mal  à  propos,  encore  qu'il  m'ait  fait  forcer  une 
fois  la  fièvre  actuelle,  une^  autre  le  commencement  d'une 
rougeole,  et  une  troisième  un  bras  tout  ouverte  A  cette 
fois,  il  faut  encore  que  le  bienfaiteur  l'emporte  sur  le 
bienfait,  et  je  porterai  à  Saint-Denis  un  cœur  incisé*  et 
palpitant.  Cette  dernière  violence  ne  me  sera  pas  la 
moins  sensible  ;  mais  c'est  un  hommage  trop  justement 
dû.  Si  je  m'en  croyois,  je  partirois  tard  demain,  et  pas- 
serois  à  Versailles  ;  mais  je  me  défie  de  ces  hasards  qui 
découvrent  tout,  et,  en  attendant  jeudi,  j'ose  vous  de- 
mander" quatre  lignes  de  mort  ou  de  vie,  demain  au 
soir,  pour  remercier  Dieu,  ou  pour  demander  justice  à 
mon  maître  de  son  fils.  Sauvez-nous  le  sacre,  nos  plus 
sensibles  entrailles ^  de  préférence  à  tout;  puis,  souve- 
nez-vous de  faire  passer  le  projet  avec  le  plus  de  mes 
notes  qu'il  se  pourra  ;  deinde^,  du  point  de  la  séance  des 
pères  et  des  fils  conjointement,  et  en  l'absence  l'un  de 

i.  Avant  de  Louis  XIII,  il  a  biffé  se  faisoi[t]. 

2.  Déjà  dit  dans  le  tome  XVI,  p.  129. 

3.  En  \~\\,  ce  fut  l'évêque  de  Québec  qui  fut  désigné  par  le  grand 
aumônier  pour  célébrer  la  messe  d'anniversaire. 

4.  Il  y  a  un  autre  dans  le  manuscrit. 

5.  En  1704  (tome  XII,  p.  49-51),  à  la  suite  de  l'opération  que  Ma- 
reschal  lui  avait  faite  au  bras  dans  le  courant  d'avril. 

6.  Le  Dictionnaire  de  V Académie  de  1718  ne  donnait  ce  participe 
qu'au  sens  propre.  Littré  a  négligé  le  présent  emploi  au  figuré. 

7.  J'ose  vous  demander  corrige  je  vous  demande. 

8.  Tome  XVI,  p.  382.  Mme  de  Sévigné  appelait  sa  petite-fille  mes 
petites  entrailles. 

9.  Ce  mot,  écrit  à  la  française  deindé,  n'est  pas  souligné  dans  le 
manuscrit. 


[17U]  UE  SAINT-SIMON.  243 

l'autre;  enfin,  do  mon  fait  particulier,  pour  lequel  vous 
avez  une  lettre  ostensible,  une  analyse  de  ce  mémoire 
ostensible,  enfin  des  éclaircissements  de  l'un  et  de  l'autre 
encore  ostensibles,  car  le  mémoire  même  seroit  trop  long 
pour  être  montré,  et  une  seconde  lettre  en  supplément 
de  mémoire.  Souvenez-vous  encore  avec  bonté  que  ma 
cause  dépend  de  l'autorité  royale,  que  j'ai  mise  de  mon 
coté  par  un  raisonnement  en  soi  véritable,  et  que  le 
juge'  ne  considérera  pas  comme  étranger  au  fait,  bien 
qu'il  le  soit,  mais  comme  le  seul  motif  de  décision  ;  et 
n'oubliez  pas  que  vous  croyez  que,  si  on  s'obstine  contre 
moi,  un  dédommagement  pour  moi  dans  mon  second 
iils-  peut  ne  pas  être  regardé  comme  bien  solide  à  espé- 
rer, mais  ne  doit  pas  aussi  être  regardé  comme  une  chi- 
mère à  n'oser  proposer.  Après  tout  cela,  ne  seroit-ce 
point  outrecuidance  de  vous  remémorer  Chaulnes  en  nou- 
velle érection  par  amitié  vôtre,  non  par  votre  propre  per- 
suasion ?  Pardonnez-moi,  Monsieur,  toutes  ces  redites, 
vous  qui  savez  et  possédez  trop  mieux  ^  tous  les  points 
que  je  range  ici,  selon  mon  désir,  les  uns  de  préférence 
aux  autres,  suivant  que  je  les  ai  mis.  L'assignation  à  de- 
main (du  travail  décisif  avec  le  Roi)  '  me  donne  le  frisson 
et  la  sueur.  J'en  dis  pour  mon  âme,  avec  toute  la  résigna- 
tion que  je  puis,  mon  In  mamis^  à  Dieu,  et  je  vous  le  dis 
à  vous.  Monsieur,  pour  cette  dignité,  squelette  le  plus 
chéri  et  le  plus  précieux  de  tous  biens  que  je  tienne  des 
libéralités  royales.  Après  tout,  il  n'y  a  qu'à  s'abandonner 

4.  Et  est  en  interligne,  eiJvge  est  écril  pur  une  majuscule 

•2.  Ci-dessus,  p.  221-222.| 

3.  Trop  mieux  n'est  pas  dans  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ; 
mais  Lillré  l'a  relevé  dans  Gresset.en  notant  le  présent  passaf^e.  Nous 
avons  déjà  rencontré  trop  plus  que  dans  le  tome  XVII,  p.  3'24. 

\.  Ce  passage  est  ainsi  placé  entre  parenthèses  comme  ne  figurant  pas 
ilans  la  lettre  originale. 

o.  In  manus  tuas.  Domine,  commendo  spiritum  meum  (Évangile 
selon  saint  Luc.  cliap.  xxiii,  verset  46).  Cette  fois  encore,  les  deux 
mots  latins  ne  sont  pas  soulignés. 


«JU 


MEMOIRES 


[1714] 


Lettre  de  M.  le 
Chancelier  à 
M.  le  duc  de 
Saint-Simon. 


à  la  volonté  de  Dieu,  à  vos  nerveux  et  vifs  raisonne- 
ments, aux  effets  de  la  grâce  ou  de  la  nature,  et,  quoi 
qu'il  en  arrive,  à  une  reconnoissance  et  à  un  dévoue- 
ment pour  vous.  Monsieur,  que  ces  occasions  uniques  me 
font  sentir  qui  peuvent  s'enfoncer,  s'il  se  pouvoit,  plus 
avant  que  le  cœur.  Pour  le  secret,  il  est,  Monsieur,  et 
sera  entier.  » 

Au  sortir  d'avec  le  Roi,  le  lendemain  12,  le  Chancelier 
m'écrivit  ce  billet  : 

«  Je  ne  puis  encore  vous  tirer  des  limbes'  aujourd'hui. 
Monsieur.  Supportez  vos  ténèbres  encore  quelques  jours; 
mais  supportez-les  avec  espérance  d'en  sortir  bientôt  avec 
avantage  ;  et,  si  le  soleil  ne  vous  paroît  pas  aussi  favo- 
rable que  vous  le  voudriez,  vous  aurez  tort,  si  je  ne  me 
trompe,  et  très  grand  tort.  Je  suis  à  vous.  Monsieur,  mais 
à  condition  que  vous  n'aurez  aucun  tort.  » 

Deux  -  jours  après,  je  retournai  à  Marly  par  Versailles, 
c'est-à-dire  le  samedi,  où  je  vis  le  Chancelier  à  mon  aise, 
l't^dlt  résolus^  Là,  j'appris  que  mon  mémoire  sur  l'autorité  du  Roi  l'avoit 
ramené  à  mon  point,  et  que  la  fixation  du  rang  seroit 
réglée  à  la  réception  de  l'impétrant,  et  non  plus  à  l'enre- 
gistrement des  lettres.  Ainsi,  après  avoir  perdu  ma  cause 
sur  des  raisons  invincibles  pour  moi,  qui  ne  purent  ni 
faire  d'impression,  ni  trouver  de  réponse,  je  la  gagnai 
sur  d'autres  tout  à  fait  ineptes  ^  à  ce  dont  il  s'agissoit, 
mais  qui  remuèrent  le  premier  mobile  du  juge  ;  et  voilà 
que  sert  d'être  bien  averti  et  servi.  Je  rendis  mille  grâces 
au  Chancelier,  qui  ouvrit  la  conversation  par  là,  appa- 

i.  «  On  appelle  limbes  le  lieu  où,  selon  le  langage  de  quelques  théo- 
logiens, étoient  les  âmes  de  ceux  qui  étoient  morts  en  la  grâce  de  Dieu 
avant  la  venue  de  Notre-Seigneur  »  (Académie,  i7i8).  V Académie  en 
fait  un  substantif  masculin  ;  Saint-Simon  le  mettra  cependant  au  fémi- 
nin ci-après,  p.  248. 

2.  Ici,  la  plume  change. 

3.  Mot  déjà  rencontré  au  sens  d'inapte,  inapplicable,  dans  le  tome 
XVI,  p.  204;  on  le  trouve  au  sens  moderne,  ci-dessus,  p.  2  et  223, 
et  ci-après,  p.  2oy. 


J'apprends 
du  Chancelier 
les  articles  de 


[1711]  UE  SAI.NT-SIMO.X.  245 

remmen*  pour  mo  calmer  sur  le  reste,  et  ce  ne  fui  pas 
sans  réflexions  sur  les  motifs  des  jugements.  Il  me  dit 
ensuite  que  la  double  séance  du  père  et  du  fils,  môme 
ensemble,  avoit  enfin  passé  après  de  grands  débats,  en 
considération  de  la  nouvelle  faveur  à  la  postérité  légiti- 
mée. Ce  point  me  fit  encore  plaisir.  Le  venin  fut  à  la 
queue',  je  veux  dire  le  point  du  sacre-,  sur  lequel  le 
Chancelier  m'assura  avoir  insisté  de  toutes  ses  forces,  mais 
vainement,  la  considération  des  bâtards  seule  ayant  fait 
tenir  ferme  au  Roi.  Alors  je  sentis  bien  que  c'étoit  une 
affaire  conclue,  et  sans  nulle  espérance  de  retour,  et, 
après  les  premiers  élans,  que  je  ne  pus  arrêter,  je  con- 
traignis le  reste  pour  éviter  des  remontrances  là-dessus 
insupportables.  Les  articles  des  femelles,  des  ayant- 
cause,  etc.,  ceux  de  la  substitution,  et  du  rachat  par  les 
mâles,  tels  que  nous  les  avions  projetés^,  et  Chaulnes, 
favorablement  résolus,  je  m'informai  après  des  raisons 
pour  lesquelles  le  règlement  demeuroit  encore  secret.  Le 
Chancelier  m'avoua  qu'il  n'en  devinoit  aucune,  ayant  vu 
la  chose  dix  fois  prête  à  éclore,  sinon  que  le  Roi  avoit 
peut-être  dessein  de  faire  voir  ce  projet  au  duc  du  Maine 
avant  qu'il  fut  déclaré,  pour  être  en  état  d'y  changer,  si 
ce  cher  fils  y  trouvoit  quelque  chose  encore  à  désirer*. 
Cela^  même  me  fit  grand  peine,  pour  ce  peu  qui  s'y  trou- 
voit de  bon.  Je  pressai  le  Chancelier  de  finir  cette  affaire 
dès  ce  qu'ih  y  verroit   le  moindre  jour,   et  je  regagnai 

I.  Traduction  do  l'adago  latin  :  In  cauda  venenum.  o  On  dit  prover- 
bialement et  tigurémeni  à  la  queue  le  venin,  pour  dire  que  c'est  sou- 
vent à  la  lin  des  alTaires  que  l'on  trouve  le  plus  do  <lifliculté  »  (Acadé- 
mie, 171  S). 

■2.  Ci-dossus.  p.  188.  —  :H.  Ci-dessus,  p.  179-181. 

4.  Celle  crainte  n'était  pas  superflue  ;  on  trouvera  ci-après,  p.  ■iH'i, 
un  court  mémoire  du  duc  du  Maine  au  Chancelier  qui  semble  bien  mon- 
trer quoique  désir  do  faire  compléter  l'article  de  l'édit  qui  le  rofjardait. 

5.  Cela  surcharge  sa. 

6.  Xous  avons  déjà  rencontré,  tome  XIX,  p.  H)t,  celte  locution  dès 
ce  que,  qui  semble  particulière  à  Saint-Simon. 


2;6 


MEMOIRES 


[1741] 


Je*  confie 

au  duc 

de  Beauvillier 

et  au  duc  et  à 

la  duchesse 

de  Chevreuse 

que  Chaulnes 

va  être  réérigé 

pour  leur 

second  fils. 


L'édit  en  gros 

s'évente. 

Mouvements 

de  Matignon 

et  des  Rohans  ; 
leur  intérôt. 


Marly  pénétré   du   sacre,    et   en   grand  soupçon    de    la 
double  séance,  et  en  repos  sur  mon  affaire  particulière 
par  la  raison  qui  me  la  faisoit  gagner  après  l'avoir  perdue. 
Arrivé  à  Marly,  je  ne  pus  me  contenir  de  confier  au 
duc  de  Beauvillier,  dont  je  connoissois  le  profond  secret, 
celui  qui  lui  causeroit  tant  de  joie.  Il  étoit  déjà  couché  : 
j'ouvris  son  rideau,  et  lui  dis  sous  le  secret,  dont  j'étois 
si  sûr  avec  lui,  que  son  neveu  alloit  être  fait  duc  et  pair. 
Il  en  tressaillit  de  joie.  Il  me  parut  comblé  de  la  mienne, 
et  de  la  part  que  j'avois  eue  en  une  affaire  qu'il  desiroit 
si  fort,  mais  dont  aussi  il  ne  connoissoit  pas  moins  que 
moi  le  peu  de  fondement,  comme  il  me  l'a  souvent  avoué 
devant  et  après.  Je  ne  voulus  lui  confier  rien  ^  du  reste, 
qui  ne  le  touchoit  pas  si  précisément,  et  j'allai  écrire  à 
Mme  de  Saint-Simon,  qui  étoit  encore  à  Paris.  Dès  le  len- 
demain matin,   elle   envoya   prier  la  duchesse  de  Che- 
vreuse,  notre  très  proche  voisine-,  de  venir  chez  elle. 
Elle  la  transporta   de  la  plus  sensible  joie  et  de  la  plus 
vive  reconnoissance  pour  moi  en  lui  apprenant  le  comble 
de  ses  désirs  sous  un  secret  entier,  excepté  pour  le  duc  de 
Chevreuse,  qui  ne  tarda  pas  à  lui  en  venir  témoigner  au- 
tant. Cependant  la  mine  commença  à  s'éventer^  sur  le 
règlement.  J'en  fus  en  peine  pour  la  chose  en  elle-même, 
et  plus  encore  sur  mon  compte  particulier  avec  le  Chan- 
celier ;   mais'  le  Roi  avoit  parlé  à  d'Antin,    et  celui-ci  à 
d'autres,  comme  nous  le  vérifiâmes  presque  aussitôt.  Là- 
dessus,  grands  mouvements*  de  Matignon  et  de  toute  sa 
séquelle.  Le  mariage  de  son  fils  unique,  infiniment  riche, 


1.  Rien  est  en  interligne. 

2.  On  a  vu  dans  le  tome  II,  p.  342,  que  l'hôtel  de  Chevreuse  ou  de 
Luynes  était  situé  rue  Saint-Dominique,  en  face  l'église  Saint-Thomas- 
d'Aquin. 

3.  Locution  déjà  rencontrée  dans  le  tome  XIX,  p.  210. 

4.  Il  y  a  grds  au  pluriel,  et  mouvem'  au  singulier. 

"Je  surcharge  d'autres  lettres,  probablement  J'apfprejids],  qui  a  com- 
mencé la  manchette  précédente. 


[171 1|  DE  SAINT-SIMON  147 

ôtoit  arrêté  avec  une  fille  du  prince  de  Hohan  '  moyen- 
nant qu'il  fût  duc  d'Estouteville',  et  les  Rohans  ne  s'y 
épargnèrent  pas.  Je  craignis  d'autant  plus  ce  contre- 
temps (jue,  le  17  mai,  rien  ne  se  déclara,  quoique  le  Chan- 
celier eût  encore  travaillé  avec  le  Roi',  et,  à  ce  qu'il 
m'avoit  dit,  pour  la  dernière  fois.  L'inquiétude  me  fit  lui 
écrire  ce  mot  de  Marly  à  Versailles  : 

«  Vous  êtes  demeuré  seul.  Monsieur,  un  quart  d'heure         Lettre 
avec  le  Roi  après  le  Conseil,  et  vous  n'êtes  pas  demeuré    ,  ®c  •  .  c-  "*^ 

r  '  r  desaint-biruon 

pour  un  autre  cette  après-dînée,  qui  a  duré  une  heure  et  à  M.  le 
demie,  et  qui  a  rompu  chasse,  chiens  et  vêpres  ^  Les  Chancelier 
affaires  d'État,  je  les  respecte  et  m'en  distrais^;  les  autres 
qui  se  dévoient  déclarer  aujourd'hui  me  poignent^  par 
leur  silence.  Mme  de  Ventadour  auroit-elle  tout  troublé 
hier  avec  son  inepte  Estouteville ',  ou  le  Roi  veut-il  que 
l'enregistrement  soit  fait  pour  le  général  avant  de  rien 

I.  Nous  avons  vu  dans  le  tome  XVII.  |i.  77-78,  que  cette  Rohan 
n'épousa  pas  M.  de  Matignon,  mais  devint  duchesse  de  la  Meilleraye, 
tandis  que  Matignon  épousa  Mlle  de  Monaco. 

"2.  Tome  XX,  p.  285. 

3.  Dangeau  n'a  pas  mentionné  ce  travail  ;  mais,  ce  jour,  dimandie 
17  mai,  il  dit  :  «  Il  va  paroître  une  déclaration  du  Roi  sur  les  duchés; 
elle  doit  être  registrée  jeudi.  Les  duchés  femelles  ne  passeront  aux 
lilles  qu'une  fois,  et  ces  filles  ne  pourront  être  mariées  que  de  l'agré- 
ment du  Roi.  et  puis  la  duché  deviendra  masculine.  Les  enfants  des 
princes  légitimés  de  France  précéderont  les  autres  pairs,  pourvu  qu'ils 
aient  des  pairies,  quelque  nouvelles  qu'elles  soient,  et  représenteront 
même  au  sacre  les  anciens  pairs  du  royaume.  Ils  ne  seront  reçus  au 
Parlement  qu'à  vingt  ans;  les  princes  du  sang  y  sont  reçus  à  quinze, 
quand  même  ils  n'auroienl  pas  de  pairie.  Il  y  a  encore  d'autres  choses 
dans  cette  déclaration  que  nous  ne  savons  pas  encore.  »  Les  Mémoires 
de  Sourches  n'en  parlent  qu'au  24  mai,  en  donnant  le  texte  de  l'édil. 

i.  Voyez  ci-après,  p.  2i9,  l'explication  de  ce  passage. 

ri.  Saint-Simon  a  écrits  :  distraits. 

G.  Nous  avons  eu,  dans  le  tome  XIX,  p.  80,  un  premier  eni|)loi  de 
ce  verbe. 

7,  Mme  de  Ventadour  était  mère  de  la  princesse  de  Rohan  et  poussait 
beaucoup  au  mariage  de  sa  petite-fille  avec  le  fils  de  Matignon,  moyen- 
nant la  rééreclion  du  duché  d'Estouteville. 


2'f8 


MEMOIRES 


[17H] 


De  M.  le 

Chancelier  à 
M.  le  duc  de 
Saint  Simon. 


déclarer?  Enfin,  Monsieur,  a-t-on  changé  en  tout  ou  en 
partie,  et  ces  limbes'  perpétuelles  s'invoqueront-elles  tou- 
jours successivement?  Pardonnez-moi,  s'il  vous  plaît, 
toutes  ces  questions  ;  mais  sachez,  s'il  vous  plaît,  que 
M.  de  la  Rocheguyon  et  MM.  de  Cheverny  et  de  Gama- 
ches-  m'ont  parlé  aujourd'hui  d'un  règlement  prêt  à 
éclore  pour  couper  court  à  toute  prétention,  et  d'Antin  à 
la  queue  :  à  quoi  j'ai  répondu  avec  une  ignorance  natu- 
relle. Cependant  il  faut  bien  que  quelqu'un  ait  parlé,  et 
je  me  flatte  que  vous  croyez  bien  que  ce  n'est  pas  moi. 
Personne  ne  parle  du  détail,  mais  seulement  en  gros^.  Je 
vais  demain*,  après  dîner,  à  Paris,  et  je  serai  à  la  tor- 
ture, si  vous  n'avez  pitié  de  moi  par  quatre  lignes.  Je  me 
prépare  à  tout,  et  suis  à  vous,  Monsieur,  avec  tout  dévoue- 
ment possible  ^  » 

Ce  billet  me  fut  renvoyé  sur-le-champ,  avec  cette  ré- 
ponse sur  la  feuille  à  côté  : 

«  Demeurez  en  repos,  Monsieur,  tout  est  remis  à 
mardi  ^  Ce  qu'on  a  changé  aujourd'hui  est  peu  de  chose. 
Les  grands  principes  subsistent  toujours  ;  rien  de  tout  ce 
que  vous  faites  entrer  dans  le  délai  n'y  entre.  Il  faut  se 
déterminer  :  on  veut,  et  on  ne  veut  pas  ;  et  voilà  tout. 
J'ignore  le  sujet,  le  détail,  et  le  résultat  du  Conseil  dont 
vous  me  parlez.  Monsieur.  Je  ne  m'étonne  point  que  ces 
Messieurs  vous  aient  dit  ce  qu'ils  vous  ont  dit  ;  cela  n'est 
que  trop  public  ;  l'essentiel  est  que  le  détail  s'ignore;  car 
il  blesseroit  sans  doute  autant  que  le  gros  est  indifférent. 
Je  suis  tout  à  vous.  Monsieur.  » 

1.  Ci-dessus,  p.  244. 

2.  Claude-Jean-Baptiste-Hyacinthe  Rouault  (tome  I,  p.  104),  qui 
avait  quitté  depuis  1704  le  titre  de  comte  de  Cayeux  pour  celui  de 
marquis  de  Gamaches. 

3.  Voyez  l'article  de  Dangeau  reproduit  ci-dessus,  p.  247,  note  -3. 

4.  Le  lundi  18  mai.  —  Avant  demain  Saint-Simon  a  bifië  disner. 

5.  Ainsi,  dans  le  manuscrit. 

6.  Voyez  en  effet  l'article  du  19  mai  dans  le  Journal  de  Dangeau, 
p.  408. 


qu'ils  y  sont. 


f  171 11  DE  SAIXT-SIMON.  ^2iO 

Soil  (lil  ontro  pnrcnthi'sc  qu'im  courrior  d'Anglcforre 
arrivô  pendant  le  dîner  du  Hoi,  et  après  le  départ  du 
Chancelier,  fit  rassembler  le  Conseil  sans  lui',  auquel  le 
Hoi  fit  lire  au  Conseil  suivant  la-  dépêche  et  la  réponse. 
Telle  étoit  l'incomniodité  de  Marly. 

Ce  17  susdit  étoit  un  dimanche,  jour  de  conseil  d'États 
Le  lundi  se  passa  en  inquiétude  de  ma*  part  sur  ce  peu  de 
chose  que  le  Chancelier  m'avoit  mandé  avoir  été  changé. 
Son  langage  m'avoit  appris  que  peu  de  chose  en  cette  ma- 
tière étoit  beaucoup.  Le  mardi  19,  jour  de  conseil  de  fi-     Ledit  passe, 
nances^  et  le  premier  après  celui  du  dimanche,  un  quart  aontj  apprends 
d  heure  de  tète-a-tètc  du  Chancelier  avec  le  Roi  mit  la  dcr-     Her  tous  les 
nière  main  à  l'édit".  Le  Chancelier  le  fit  mettre  en  forme     articles  tels" 
aussitôt  après  à  Versailles,  l'y  scella,  et  l'envoya  au  Par- 
lement, où  il  fut  enregistré  le  surlendemain,  jeudi  21  mai'. 

1.  Dangeau  (p.  407)  ne  parle  pas  de  courrier  d'Angleterre  ;  il  dit 
seulement  :  «  Le  Roi  devoit  aller  tirer  l'après-dînée  ;  mais  il  changea 
de  dessein  et  renvoya  chercher  le  Dauphin  et  les  ministres  et  travailla 
encore  une  heure  avec  eux.  »  Il  n'en  est  pas  question  dans  les  Mémoires 
(le  Sourches,  et  le  Journal  de  Torcy  présente  une  lacune  à  cette  date. 

2.  Avant  la,  Saint-Simon  a  biffé  lire,  répété  par  mégarde. 

3.  Le  conseil  d'État  ou  conseil  d'En-haut  se  tenait  le  mercredi,  le 
jeudi  et  le  dimanche  (notre  tome  V,  appendice  I,  p.  441). 

4.  Ma  surcharge  un  premier  ma. 

6.  Notre  tome  VL  appendice  I,  p.  498.  Ce  même  jour,  il  y  avait 
conseil  de  dépêches  l'après-midi. 

(i.  Danç/eau,  p.  408  :  «  M.  le  Chancelier  demeura  quelque  temps 
bcul  avec  le  Roi  après  le  conseil  de  dépèches,  pour  recevoir  ses  der- 
niers ordres  sur  la  déclaration  qui  doit  être  registrée  au  Parlement 
jeudi.  » 

7.  Registres  du  Parlement,  X'A  8427,  fol.  i43,  et  8708,  fol.  243 
registres  du  Secrétariat  de  la  maison  du  Roi,  0'  .^.H,  fol.  0)8-72.  Le 
texte  en  est  donné  an  long  dans  les  Mémoires  de  Sourches,  lonie  XIH, 
|).  114-1  lil.  Outre  les  réflexions  de  notre  auteur  dans  ses  Ecrits  inc- 
dit/i,  ((ime  III,  p.  17-22,  on  tnuivera  des  «  Observations  «  anonymes 
dans  le  carton  K  620  des  Archives  nationales,  n°  7.  d'autres  dans  le 
Souieau  Mercure  historique  de  mai,  p.  115-123,  et  I'  «  Avis  «  de  Da- 
-iiesseau  au  tome  VII  de  ses  (Euvres,  p.  398-607.  Saint-Simon  avait  fait 

•  L'initiale  de  (vis  surchar^'e  une  /  effacée  du  doi^t. 


250 


MEMOIRES 


[-1741] 


Double  séance 

rejetée, 

et  Chaulnes 

différé,  après 
avoir  été 
accordés. 


J'allai  '  trouver  le  Chancelier  à  Versailles,  de  qui  j'ap- 
pris que  ce  peu  de  chose  qu'il  m'avoit  mandé  avoir  été 
retranché  étoit  la  double  séance  des  pères  démis,  et 
Chaulnes  ;  que  le  Roi,  après  avoir  accordé  l'un  [et 
rjautre,  n'avoit  pu  enfin  se  résoudre  à  la  double 
séance,  et  que,  prêt  à  lâcher  le  mot  sur  Chaulnes  comme 
il  l'avoit  résolu  avec  le  Chancelier,  il  avoit  payé  de  pro- 
pos d'espérance  certaine,  mais  sans  avoir  pu  être  per- 
suadé de  passer  outre  actuellement.  Le  dernier  billet  du 
Chancelier  m'avoit  fait  douter  de  la  double  séance  :  j'y 
étois  préparé;  je  ne  l'étois  point  au  délai  en  l'air-  de 
Chaulnes,  et  j'en  fus  d'autant  plus  fâché  que  j'y  avois 
plus  compté,  et  que  j'en  avois  donné  la  joie  à  M.  de 
Beauvillier,  et  fait  donner  par  Mme  de  Saint-Simon  à 
M.  et  à  Mme  de  Chevreuse^.  Les  arrangements  de  M.  de 
Chevreuse  lui  ont  coûté  cher  plus  d'une  fois  ^  S'il  avoit 
été  à  Marly,  son  affaire  s'y  seroit  sûrement  finie,  comme 
je  sus  bien  le  lui  reprocher  vivement^.  Je  ne  répondrois 
pas  que  la  pique ^  du  Roi  sur  ses  absences  ne  lui  ait'  valu 
ce  tire-laisse  ^  Il  est^  certain  que,  depuis  que  la  chose  fut 
accordée  en  travaillant  avec  le  Chancelier,  elle  ne  balança 
plus  ;  mais  le  Roi  se  plut  à  faire  durer  cette  inquiétude, 

un  premier  récit  de  la  part  qu'il  prit  à  la  rédaction  de  l'édit  dans  la 
Notice  sur  la  maison  de  Saint-Simon  :  tome  XXI  et  supplémentaire 
de  l'édition  des  Mémoires  de  1873,  p.  128-129. 

1.  Ici,  la  plume  et  l'écriture  changent,  indiquant  un  arrêt  dans  le 
travail. 

2.  Tome  XVI,  p.  299.  —  3.  Ci-dessus,  p.  246. 

4.  Voyez  le  tome  XIX,  p.  30,  et  ci-après,  p.  253. 

5.  Ce  qui  précède,  depuis  co'^,  a  été  ajouté  en  interligne. 

6.  On  a  eu  pique,  au  sens  de  dispute,  dans  le  tome  XIX,  p.  348 
ici  c'est  plutôt  celui  de  mécontentement. 

7.  Le  mot  ait  surcharge  peut-être  ay. 

8.  Mot  déjà  rencontré  dans  le  tome  I,  p.  50.  «  Tire-laisse,  terme  du 
discours  familier  et  bas,  qui  se  dit  lorsqu'un  homme  vient  à  être  frus- 
tré tout  d'un  coup  d'une  chose  qu'il  croyoit  ne  lui  pouvoir  manquer  » 
(Académie,  1718). 

^    Il  est  surcharge  les  lettres  ccrt. 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  2.H4 

et  à  la  pousser  quelques  mois'.  L'éclit  fit,  à  l'ordinaire,  le 
bruit  et  la  matière  des  conversations  que  font  les  choses 
nouvelles.  Nous  y  perdions  trop  pour  être  contents,  nous 
y  gagnions  trop  pour  montrer  du  chagrin,  et-  sur  chose 
qui  touchoit  si  personnellement  le  Roi,  et  qui  étoit  faite. 
Notre  parti  fut  une  sagesse  sobre,  modeste,  et  peu  répan- 
due en  propos,  ni  même  en  réponse.  Le  Chancelier,  con- 
tent au  dernier  point  de  son  édit,  trouvoit  que  je  le  devois 
être  parce  que  j'y  gagnois  deux  pi-ocès  en  commun,  et  un 
en  particulier  ^  ;  mais  aucun  gain  ne  pouvoit  me  compen- 
ser les  deux  premiers  articles.  L'édit  est  entre  les  mains 
de  tout  le  monde  ;  ainsi,  je  l'ai  omis  parmi  les  Pièces*. 

J'allai  faire  mon  complimenta  d'Antin^  :  je  ne  sais^  si       D'Antin, 
le  chaudement  de  la  face  de  la  cour  par  la  mort  de  Mon-  reçu  duc  et  pair 

"         .  .  .         J  ,  .      au  Parlement  ; 

seigneur  lui  fit  quelque  impression  à  mon  égard  ;  quoi-  In'in^ite  seul 

que,  dès  l'introduction  de  l'affaire,   il  m'eût  parlé  avec  d'étranger  au 

des  politesses  qui  allèrent  aux  respects^  il  me  les  prodi-  se  montre 

gua  en  cette  visite.  Il  ne  tarda  pas  à  profiter  de  la  grâce  content  que  j'y 
qu'il  avoit  su  si  habilement  se  procurer  :  il  fut  enregistré 
et  reçu  au  Parlement  le  même  jour,  5  juin  suivant*.  Il 

i.  Nous  verrons  dans  le  prochain  volume  que  le  duché  de  Chaulnes 
ne  fut  érigé  en  faveur  du  vidame  d'Amiens  qu'en  octobre  1711. 

2.  Et  est  en  interligne. 

3.  Ceux  contre  le  duc  de  Luxembourg  et  contre  d'Antin,   et  celui 
contre  M.  de  la  Rochefoucauld. 

4.  Nous  en    donnerons  cependant  le  texte  à  l'Appendice,  no  VII. 
Voyez  aussi  aux  Additions  et  corrections,  ci-après,  p.  506. 

5.  La  nouvelle  de  la    conclusion  de  son  affaire  courut  le  19   mai  : 
Sourches,  p.  iO"!  et  144. 

6.  Scay  surcharge  des  lettres  effacées  du  doigt. 

7.  Tome  XX,  p.  276. 

8.  Registres  du  Parlement,  X'A  8-427,  fol.  445  v»,  et  8708,  fol.  248 
Journal  de  Dangeau,  p.  449  ;  Mémoires  de  Sourches,   p.   427.   Les 
lettres  d'érection    ont  été  imprimées  dans  l'Histoire    généalogique, 
tome  V,  p.  467-170  ;  elles  furent  enregistrées  à  la  Chambre  des  comptes 
le  3  septembre,  et  au  parlement  de  Toulouse  le  48  novembre. 

*  Le  surcharge  se,  et,  après  monstre,  Saint-Simon  a  bifîo  conla[nt]  ;  de 
plus  aye  corrige  eu«[«cj. 


2N2 


MEMOIRES 


7111 


donna  ensuite  un 
qu'une   quinzaine   de 


grand  dîner  chez 


lui,  où  il   n'y  eut 
personnes  d'invités',   hommes  et 


Adresse 

et  impudence 

de  d'Antin. 

Sagesse  et 

dignité 

de  BoufQers. 


femmes  de  sa  famille  ou  de  ses  plus  particuliers  amis. 
Charost  et  moi  y  fûmes  les  deux  seuls  étrangers  ;  encore 
Charost  avoit-il  toujours  vécu  avec  lui  à  l'armée.  Il  s'en 
falloit  tout-,  comme  on  l'a  vu,  que  j'en  fusse  là  avec  lui, 
Non  content  de  m'envoyer  prier  chez  moi,  de  m'en  prier 
lui-même  dans  le  salon  à  Marly,  il  m'en  pressa  encore 
tellement  au  Parlement  pendant  la  buvette  ^  qu'il  n'y  eut 
pas  moyen  de  l'éviter.  Il  me  fit  les  honneurs  du  repas  et 
de  sa  maison  avec  une  attention  singulière*  et,  de  retour 
à  Marly,  je  m'aperçus  aisément,  aux  gracieusetés  que  le 
Roi  chercha  à  me  faire,  que  je  lui  avois  fait  ma  cour 
d'avoir  été  de  ce  dîner.  Le  favori  mit  son  duché-pairie  sur 
sa  terre  d'Antin  ^  en  courtisan  leste  et  délié  :  il  dit  que  ce 
nom  lui  étoit  trop  heureux  pour  le  changer;  il  pouvoit 
ajouter,  quoique  de  bien  autre  naissance  que  le  favori 
d'Henri  IIP,  que  ce  nom  d'Épernon,  qu'il  avoit  rendu  si 
grand  et  si  célèbre,  lui  seroit,  et  aux  siens,  trop  difficile 
à  soutenir.  Il  fit'  un  trait  d'impudence  au  delà  de  tous 
les  Gascons  *  :  il  osa  prier  le  maréchal  de  Boufïlers  d'être 
l'un  de  ses  témoins.  Le  maréchal  en  fut  piqué,  sans  oser 

1 .  Il  y  a  bien  invités,  au  masculin  dans  le  manuscrit. 

2.  «  Falloir  se  dit  aussi  dans  le  sens  de  manquer,  et  alors  il  ne 
s'emploie  qu'avec  la  particule  en  et  le  pronom  de  la  troisième  per- 
sonne :  il  s'en  est  peu  fallu,  il  ne  s'en  est  presque  rien  fallu  ^^  {Aca- 
démie, 1718). 

3.  Tome  XIX,  p.  109. 

4.  Singulières  corrigé  en  singulière. 

0.  La  terre  d'Antin,  située  en  Bigorre,  à  quatre  lieues  et  demie 
N.  E.  de  Tarbes,  avait  été  érigée  en  marquisat  en  1612,  en  faveur  du 
bisaïeul  du  nouveau  duc.  Quatre  seigneuries  voisines  furent  unies  à 
celle  d'Antin  pour  constituer  la  valeur  d'un  duché. 

6.  Jean-Louis  de  Nogaret,  premier  duc  d'Epernon  :  tome  II,  p.  22. 

7.  Il  semble  qu'il  y  a  fut,  dans  le  manuscrit,  corrigé  en  fit  par 
l'addition  d'un  point  sur  le  premier  jambage  de  Vu. 

8.  On  a  vu  dans  le  tome  XV,  p.  411-113,  combien  il  était  décrié  au 
point  de  vue  de  la  bravoure. 


(ITllI  l)K  SAINT-SIMON  l-oA 

refuser  une  chose  cjui  ne  se  refuse  |)oiiil  ;  mais  il  ne  vou- 
lut point  sigULM*  le  témoignage  banal  '.qu'on  lui  apporta, 
il  en  lit  un  qu'il  me  montra  pour  lui  en  dire  mon  avis. 
J'y  aclniiiai  connuenl  la  vertu  sup[)lée  à  tout:  sans  rien 
de  grossier,  il  ne  s'y  rendit  coupable  d'aucun  mensonge, 
et  j'ai  toujours  eu  envie  d'en  avoir  une  copie,  tant  il 
ni'avoit  plu  -. 

Matignon  lut   ;ui   dc-sespoir  :    il  s'étoit  mis   la   chimère     ,  Douleur 

,,„  111  I         .  )i  ,      •     ,.    •  ,         .de  Matignon, 

tl  hstouteville  dans    la   tête',    qu  d  esperoil  laii'e    r<'ussir    et  son  affair< 

par  le  mariage  île  son  (ils  avec  une  fille  du  prince  de  avec  le  duc 
Hohan '.  Il  ny  en  avoit  point  de  si  folle  ;  je  me  contente 
de  ce  mot  parce  qu'il  n'en  fut  tpiestion  que  dans  leur 
projet.  Cela  seul  lui  avoit  fait  entreprendre  un  grand  pro- 
cès contre  la  duchesse  de  Luynes^  :  il  le  perdit  sans  per- 
dre son  dessein  de  vue,  et  il  étoit  entré  en  accommode- 
ment pour  faire  en  sorte  que  la  terre  d'Estouteville  lui 
demeurât,  en  payant  cher  la  connivence  ^  C'étoit  cette 
affaire  prête  à  conclure  qui  avoit  empêché  M.  de  Che- 
vreuse  d'aller  à  Marly '.  Il  nous  donnoit  un  procès  par  cet 
accommodement,  auquel  l'édit  coupa  pied*  ;  mais  il  étoit 
ami  des  chimères  de  cette  sorte,  et  il  trouvoit  un  grand 
profit  dans  cet  accommodement.  Sa  lenteur  ordinaire,  et 
ses  demandes,    énormes  au    gré   de    Matignon,    avoient 

I.  Il  écrit  bannal. 

"2.  On  trouvera  le  texte  de  ce  «  témoignage  »  dans  l'appendice  VIII, 
ci-après,  p.  465,  avec  ceux  des  autres  témoins:  M.  de  la  Briic,  curé 
de  Sainl-Germain-l'Auxerrois,  le  duc  d'Aumont,  le  marquis  de  Biron 
et  le  comte  de  Sainte-Maure,  d'après  l'expédition  authentique,  signée 
du  greflier  Dongois,  qui  se  trouve  aux  Archives  nationales,  carton 
K617.  n-tl. 

3.  Tome  XX,  p.  -285  et  appendices  XII  et  .Mil. 

4.  Ci-dessus,  p.  '247.  —  3.  Tome  X.K.  p.  'J5  et  283. 

G.  «  Connivence,  tolérance,  dissimulation  dans  les  choses  qu'on  doit 
ou  qu'on  peut  empêcher  »  {Académie,  1718).  On  a  eu  ci-dessus,  p.  169, 
le  verbe  conniver. 

7.  Ci-dessus,   p.  2.30. 

8.  .<  On  dit  couper  la  racine  d'un  mal  pour  dire  en  ôler  la  cause, 
et  on  dit  en  ce  sens  couper  pied  a  quelque  abus  »  {Académie,  1718). 


^254  MÉMOIRES  [1711] 

traîné'  l'affaire,  qu'aucun  des-  deux  ne  vouloit  rompre, 
l'un  par  intérêt  pécuniaire,  l'autre  par  intérêt  d'ambition  : 
tous  deux  espéroient  de  se  faire  venir  l'un  l'autre  à  son 
point ^.  Avec  ces  pourparlers,  l'affaire  languit  jusqu'au 
temps  de  l'édit,  et  ne  fut  conclue  et  signée  que  la  sur- 
veille de  sa  déclaration.  M.  de  Chevreuse,  instruit  par 
d'AntinS  vit  bien  alors  qu'il  n'y  avoit  plus  de  temps  à 
perdre,  et  Matignon,  ravi  d'aise  d'avoir  enfin  Estouteville, 
et  à  meilleur  marché  qu'il  n'avoit  espéré,  se  hâta  de  finir. 
Trois  jours  après  la  signature,  il  apprit  l'édit  et  son  con- 
tenu, qui  lui  ôtoit  toute  espérance  du  seul  usage  d'Estou- 
teville  pour  lequel  il  s'en  étoit  si  chèrement  accommodé. 
Le  voilà  donc  aux  hauts  cris  :  il  prétendit  que  le  duc  de 
Chevreuse  ne  s'étoit  pressé  tout  à  coup  de  conclure  que 
de  peur  de  n'y  être  plus  à  temps  après  l'édit,  et  qu'il 
étoit  ^  cruellement  lésé  dans  une  affaire  qu'il  n'avoit  ter- 
minée que  pour  un  objet  connu  à  M.  de  Chevreuse,  et 
connu  lors  de  la  conclusion  pour  ne  pouvoir  plus  être 
rempli.  M.  de  Chevreuse,  à  son  ordinaire  tranquille,  sage 
et  froid,  laissa  crier,  et  prétendit  de  son  côté  que  Mati- 
gnon y  gagnoit  encore  pécuniairement  ce  qu'il  avoit  bien 
voulu  donner  à  la  paix  et  à  son  repos.  Les  Rohans,  déçus 
de  leurs  espérances,  retirèrent  leur  parole,  qui  n'étoit 
donnée  qu'au  cas  de  succès  de  la  chimère,  et,  honteux 
d'avoir  porté  si  publiquement  l'intérêt  de  Matignon  contre 
M.  de  Chevreuse,  dont  ils  étoient  si  proches®,  dans  le  pro- 
cès que  Matignon  avoit  perdu,  ne  se  voulurent  pas  mêler 

4.  Au  sens  de  faire  traîner.  —  2.  Des  surcharge  ne. 

3.  <c  On  dit  faire  venir  quelqu'un  à  son  point,  pour  dire  l'obliger, 
l'engager  adroitement  à  faire  ce  qu'on  veut,  le  faire  condescendre  à 
ce  qu'on  souhaite  »  (Académie,  ITdS). 

4.  On  a  vu  dans  le  tome  XX,  p.  282,  que  M.  de  Chevreuse  ne 
s'était  point  rangé  du  côté  des  ducs  contre  les  prétentions  de  M.  d'Antin. 

5.  Estait  surcharge  avoit,  effacé  du  doigt. 

6.  Le  connétable  de  Luynes,  grand-père  de  M.  de  Chevreuse,  avait 
épousé  Marie  de  Rohan-Montbazon,  et  il  y  avait  eu  depuis  plusieurs 
autres  alliances  entre  les  deux  familles. 


Duc  de  la 
Roclioguyon 


avec  moi. 


[1711]  DE  SALXT-SIMON.  ioo 

do  SOS  plaintos.  La  réputation  si  '  bien  ôtablie  de  M.  de 
Chevreuso  riicrva-  tout  ce  que  Matignon  voulut  dire,  et 
les  immenses  richesses  que  ce  ilernier  avoit  tirées  de 
l'abandon  d'amitié  de  Chamillart  pour  lui  '  rendirent  le 
monde  ioit  dur  sur  sa  mésaventui'o. 

Ln  mois  après  l'enregistrement  de  l'édit,  le  Chancelier 
me  manda  qu'il  seroit  bien  aise  de  m'entretenir  sur  une         fait  au 
visite   qu'il   avoit  reçue  du  duc  de  la   Rocheguyon*.   Il  Chancelier  des 

,,.    •.      I    •    ,  <   I     •  <  .  j      M       11'  Il      1  plaintes  de 

S  etoit  plaint  a  lui  amèrement,  au  nom  de  M.  de  la  Roche-    l'/dit,  prétend 
foucauld  et  au  sien,  de  la  décision  que  l'édit  faisoit  en      en  revenir 
ma  faveur  sur  notre  question  de  préséance,  et  lui  dit  leur  ^^^  3séancc 
dessein  d'en  parler  au  Roi.  Le  Chancelier  lui  objecta  les  qui  le  refroidit, 
arrêts  de  Bouillon  et  de  la  Meilleraye  en  lit  de  justice  ^       ,^^-}'^,^^^ 

,  i.         ,  11  •       j       T>     •    1)        I  '    •  1  '        de  >  illeroy, 

un  edit  récent,  et  le  dessein  du  Roi  dy  décider  ce  pro-  entièrement  et 

ces  avec  tous  les  autres.  La  Rocheguyon  insista.  Le  Chan-    P""""  toujours 

celierse  tint  couvert \  mais  sans  lui  dissimuler  qu'il  savoit 

l'état  de  la  question.  L'autre,  dans  le  dessein  d'en  tirer 

au  moins  quelque  parti,  glissa  quelque  chose  tendant  au 

même  règlement  qui  subsiste  entre  les  ducs  d'Lzès  et  de 

la  Trémoïlle",  chose  inepte^  parce  que  nos  pères  n'ont  pas 

\.  Si  corrige  d[e],  et,  après  bie7i,  la  plume  change. 

"l.  Verbe  déjà  rencontré  au  ligure  dans   nos  tomes  V,   p.   144,   et 

xviH.  p.  an. 

3.  Déjà  dit  tomes  L\,  p.  36-37,  XV,  p.  381,  et  XVI.  p.  398. 

4.  Voyez  à  l'Appendice,  n-^  VII,  une  lettre  du  Chancelier  que  Saint- 
Simon  avait  peut-être  sous  les  yeux  lorsqu'il  écrivait  le  présent  passage. 

o.  Ci-dessus,  p.  "lOO-'lOU. 

6.  Nous  avons  eu  se  tenir  clos  et  couvert  dans  le  tome  XIX,  p.  269. 

7.  Dangeau  dit  au  11  décembre  1688  (Journal,  tome  II,  p.  228- 
229):  «  M.  le  duc  d'Uzès,  qui  a  été  nommé  après  M.  de  la  Tré- 
moïlle pour  la  cérémonie  des  chevaliers  [de  l'ordre  du  Saint-Esprit], 
prélendoit  qu'il  dcvoil  être  nommé  le  premier,  comme  plus  ancien  pair  ; 
mais  S.  M.  a  jugé  en  laveur  de  M.  de  la  Trémoïlle,  parce  qu'il  est  plus 
ancien  duc,  et  que  c'est  ici  une  cérémonie  de  cour  où  l'on  marche  selon 
l'ancienneté  des  duchés  ;  mais,  au  sacre  des  Rois,  aux  parlements  et 
aux  Etats,  on  marche  selon  le  rang  des  pairies.  »  Le  duché  de  la  Tré- 
moïlIe-Thouars,  érigé  en  1533,  n'était  devenu  pairie  qu'en  1.393,  tandis 
que  celui  d'Uzès,  érigé  en  1303,  a%ait  étéélevé  au  rang  de  pairie  dès  1372 

8.  Ci-dessus,  p.  244.  Ici  ce  mot  est  pris  dans  le  sens  moderne. 


236 


MEMOIRES 


[1711 


été  séparément  faits  ducs,  et  après  pairs,  comme  ceux  de 
MM.  d'Uzès  et  de  la  TrémoïUe.  Il  finit  en  soutenant  sa 
pointe',  et  proposant  des  écrits  qu'il  alloit  faire  préparer. 
Le  Chancelier  lui  dit  qu'il  étoit  le  maître,  et  reconduisit 
honnêtement.  La  chose  en  demeura  là  pour  lors  ;  on  en 
verra  les  suites  en  leur  temps-,  qui  ne  réussirent  pas  à 
M.  de  la  Rochegujon  ;  mais  cette  affaire,  venue  à  la  suite 
de  la  mort  de  la  duchesse  de  Villeroy  %  refroidit  tout  à 
fait  l'amitié  et  le  commerce  étroit  qui  avoit  été  jusqu'alors 
entre  les  ducs  de  \  illeroy,  de  la  Uocheguyon  et  moi  :  il 
se  réduisit  peu  à  peu  aux  bienséances  communes,  et  en 
est  toujours  demeuré  là  depuis,  jusqu'à  leur  mort  longues 
années  après  ^. 
Fâcheux  M.  de  Luxembourg  fit,  à  l'occasion  de  l'édit,  un  per- 

^^"^^duc^de  "  sonnage  dont  un  peu  d'esprit  ou  de  mémoire  lui  auroit 
Luxembourg  épargné  la  façon.  On  a  vu  ^  que  le  projet  qui  servit  de 
base  à  l'édil  avoit  été  fait  par  le  premier  président  d'Har- 
lay  de  concert  avec  Daguesseau  depuis  chancelier,  et 
avec  le  Chancelier  lors  secrétaire  d'Etat  et  contrôleur  gé- 
néral ;  qu'Harlay  étoit  le  conseil,  l'ami,  pour  ne  pas  dire 
l'âme  damnée  du  maréchal  de  Luxembourg  jusqu'à  s'être 
déshonoré  par  la  partialité  criante  et  publique  dont  les 
injustices  les  plus  inconsidérées  nous  forcèrent  à  sa  récu- 
sation ;  enfin,  que,  ce  projet  communiqué,  par  la  permis- 
sion du  Roi,  au  maréchal  de  Luxembourg  pour  ce  qui  le 
regardoit,  et  à  M.  de  Ghevreuse,  il  y  avoit  pleinement 
consenti,  et  ne  l'avoit  pas  fait  sans  avoir  bien  sondé  sa 
cause,  et  sans  le  conseil  du  premier  président  d'Harlay^ 

d.  On  a  déjà  eu  suivre  sa  pointe  dans  le  tome  V,  p.  54. 

2.  Voyez  la  suite  des  Mémoires,  tome  X  de  1873,  p.  86-87  et  143- 
448. 

3.  Ci-dessus,  p.  429-434. 

4.  Le  duc  de  la  Rocheguyon,    devenu  duc  de   la  Rochefoucauld, 
mourut  en  4728,  et  le  duc  de  Viileroy  en  4734. 

o.  Ci-dessus,  p.  443,  444  et  447. —  6.  Ci-dessus,  p.  444. 

*  Avant  cette  manchette,  Saint-Simon  a  biffé  la  suivante,  qu'il  avait 
d'abord  écrite  sur  la  marge  :  a  Duc  de  Luxembourg  à  Rouen.  » 


sur  l'édit  ;  est 
à  Rouen,  et 
pourquoi*. 


[1711]  UE  SALNT-SIMON.  257 

Le  niarcclial  de  Luxembourg  vivoit  avec  son  fils  dans  une 
union  et  une  confiance  peu  communes',  à  laquelle  ce  fils 
répondoit  pleinement,  et  cette  intimité  n'éloit  ignorée  de 
personne.  Il  avoit  donc-  eu  connaissance  du  projet  en 
même  temps  que  son  père  et  que  le  duc  de  Chevreuse 
son  beau-père^,  dont  la  liaison  avec  eux  étoit  au  plus 
intime,  et  qui  étoit  leur  conseil.  Le  fils  avoit  le  même 
intérêt  que  le  père  en  ce  qui  les  regardoit  dans  le  projet, 
et  son  consentement  avoit  été  donné  avec  le  sien.  Il  étoit 
à  Rouen  lorsque  l'édit  fut  résolu.  Il  y  avoit  eu  du  désordre 
pour  les  blés*.  Courson',  intendant  de  Rouen,  iils  de 
Bàville,  en  avoit  toute  la  hauteur  et  toute  la  dureté,  mais 
il  n'en  avoit  pas  pris  davantage*'.  C'étoit  un  butor",  bru- 
tal, ignorant,  paresseux,  glorieux,  insolent  du  crédit  et 
de  l'appui  de  son  père,  et  surtout  étrangement  intéressé. 
Cesqualités^  dont  il  n'avoit  pas  le  sens  de  voiler  aucune, 

1.  Commune  corrigé  au  pluriel. 

2.  Donc  est  répété  deux  fois,  en  fin  de  ligne  et  au  commencement 
(le  lu  ligne  suivante. 

3.  Le  duc  de  Ijuxombourg  avait  épousé  en  premières  noces,  le  28 
aoiit  1(386.  Marie-Anne  d'Albert,  tille  du  duc  de  Chevreuse,  née  en 
i(371  et  qui  mourut  le  18  septembre  169i.  Il  s'était  remarié  en  1696 
avec  Mlle  Gillier  de  Clérembault,  que  nous  avons  vue  mourir  en  1709 
(tome  XVIII.  p.  230). 

4.  Il  a  déjà  été  parlé  de  celle  sédition,  arrivée  en  juillet  1709  à 
Rouen  et  à  Darnetal,  dans  le  tome  XVIIl,  p.  113,  cl  notes  4  et  6. 
Aux  références  indiquées  alors,  on  peut  ajouter  le  Journal  de  Dan- 
geau,  tomes  XII,  p.  A(i\,  et  XIII.  p.  3,  les  Mémoires  de  Sourches, 
tome  XII,  p.  0-7.  les  lettres  de  Mme  de  Muintenon,  recueil  Ijossange, 
tome  I,  p.  434  et  436,  et  un  récit  conservé  dans  le  ms.  Mazarine  2332, 
fol.  182  v.  Dangeau  n'en  avait  dit  que  quelques  mois  au  3  Juillet  1709, 
et  les  Mémoires  de  Sourches,  un  peu  plus.  Les  éditeurs  du  Journal 
ont  ajouté  en  note  un  fragment  de  lettre  de  la  marquise  d'Huxelles. 
M.  de  Luxembourg  était  resté  dt'|)uis  lors  en  Normandie. 

5.  riuiilaume-L'rbain  de  Lamoignon  :  tome  XIV,  p.  384  et  646. 

6.  Mi'nies  term(>s  (|ue  dans  le  tome  XVIII,  p.  1 13. 

7.  Saint-Simon  écrit  ici  :  butort;  le  mot  hn(((iln  été  ajouté  en  inter- 
ligne, et  Saint-Simon  a  écrit  parmégarde  ni(//iO;(/»^ 

8.  Qualité,  au  singulier  par  mégarde. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI  17 


258  MÉMOIRES  [1711] 

lui  avoient  révolté  *  la  province.  La  disette  de  blé,  qui  se 
trouva  factice  et  qui  fut  découverte,  révolta  la  ville,  qui 
se  persuada  que  Courson  faisoit  l'extrême  cherté  pour  en 
profiter,  et  qui,  poussée  à  bout  par  ses  manières  autant 
que  par  ses  faits,  et  ayant  manqué  tout  à  fait  de  pain  plus 
d'une  fois,  s'en  prit  enfin  à  lui  -,  et  l'eût  accablé  à  coups 
de  pierres,  s'il  ne  se  fût  sauvé  de  chez  lui,  et,  toujours 
poursuivi  dans  les  rues,  se  sauva  enfin  chez  le  premier 
présidents  Voysin  et  sa  femme,  amis  de  M.  de  Luxem- 
bourg dès  la  Flandre  %  saisirent  cette  occasion  de  lui  pro- 
curer l'agrément,  devenu  si  rare  à  un  gouverneur  de  pro- 
vince, d'y  aller  faire  sa  charge.  Voysin,  dans  la  première 
fleur  ^  de  sa  place  et  de  sa  faveur,  l'obtint  aisément.  M.  de 
Luxembourg,  apparemment,  s'y  trouva  bien,  ou  voulut 
accoutumer  le  Koi  à  le  voir  en  Normandie  sans  nécessité  : 
il  y  demeura  donc  après  que  tout  fut  apaisé,  ce  qui  ne  se 
put  qu'en  pourvoyant  effectivement  aux  blés,  et  en  ôtant 
à  Rouen  et  à  la  province  un  intendant  aussi  odieux.  Un* 
autre  auroit  été  chassé  du  moins,  depuis  que  la  robe  met 
à  couvert  de  toute  autre  punition  ;  mais  le  fils  de  Bâville 
eut  un  privilège  spécial  pour  désoler  et  piller  de  province 
en  province  :  on  l'envoya  à  Bordeaux'',  où  il  se  retrou- 
vera*. Il  faut  encore  se  souvenir  que,  lorsque  d'Antin 
commença  son  affaire,  M.  de  Luxembourg  se  joignit  à 

1.  Avaient  révolté  contre  lui. 

2.  L'épisode  est  raconté  dans  la  Correspondance  des  contrôleurs 
généraux,  tome  III,  n°  473. 

3.  Pierre-Nicolas  Camus  de  Pontcarré:  tome  X,  p.  200.  M.  de  Cour- 
son  était  cependant  en  conflit  permanent  avec  le  Parlement,  à  pro- 
pos du  commerce  des  blés  (Correspondance,  n°  392). 

4.  Tome  XVII,  p.  4o4-4o6. 

o.  «  Fleur  se  dit  figurément,  en  parlant  de  certaines  choses,  pour 
signifier  le  temps  où  elles  sont  dans  leur  plus  grande  beauté,  comme 
un  arbre  chargé  de  fleurs;  il  se  prend  aussi  figurément  pour  la  première 
vue,  le  premier  usage  d'une  chose  nouvelle  »  (Académie,  1718). 

6.  Une,  dans  le  manuscrit. 

7.  Déjà  dit  en  1709,  au  tome  XVIII,  p.  113. 

8.  Le  manuscrit  porte  :  se  tretrouverra. 


[mi]  DE  SAINT-SIMON.  259 

nous  contre  lui  ',  et  qu'en  même  temps  il  reprit  contre 
nous  la  sienne,  qu'il  avoit  laissé  dormir  depuis  long- 
temps, qui  fut  tout  à  la  fois  une  bigarrure  singulière. 
L'édit  résolu,  le  Chancelier,  qui,  amoureux  de  son 
ouvrage,  le  vouloit  rendre  autant  qu'il  étoit  possible 
agréable-  à  tout  le  monde,  fit  souvenir  le  Roi  du  consen- 
tement donné  par  feu  M.  de  Luxembourg  au  projet^qui, 
par  rapport  à  lui,  ne  contenoit  que  la  même  disposition 
de  l'édit,  et,  sur  ce  principe,  lui  proposa  de  lui  permettre 
d'en  écrire  à  celui-ci.  Il  ne  se  rebuta  point  du  refus  qu'il 
reçut,  et  revint  quelques  jours  après  à  la  charge,  et  l'em- 
porta. 11  écrivit  donc  à  M.  de  Luxembourg,  le  plus  poli- 
ment du  monde,  pour  lui  faire  bien  recevoir  la  décision 
que  son  père  et  lui  avoient  approuvé  autrefois  *.  Il  fut  huit 
ou  dix  jours  sans  réponse.  Le  Roi,  impatient  de  savoir 
comment  M.  de  Luxembourg  auroit  pris  la  chose,  et  qui 
n'avoit  permis  cette  communication  qu'à  regret,  se  piqua 
du  délai  de  réponse,  et  commanda  au  Chancelier  de 
récrire,  et  sèchement.  Celui-ci,  fâché  du  reproche  que 
cela  lui  attiroit  du  Roi,  obéit  fort  ponctuellement.  M.  de 
Luxembourg,  que  la  première  lettre  avoit  fort  surpris,  et 
embarrassé  sur  la  réponse  au  point  d'un  si  long  délai  sans 
la  faire,  le  fut  bien  plus  de  la  recharge,  et  du  st^le  dont 
il  la  trouva.  11  fallut  pourtant  répondre;  mais  il  fut  encore 
cinq  ou  six  jours  à  composer  une  lettre  pleine  de  propos 
confus  et  de  raisons  frivoles.  Le  Chancelier  en  fut  piqué 
au  vif.  Son  honnêteté  prodiguée,  un  succès  tout  contraire 
à  celui  dont  il  n'avoit  pas  douté,  le  reproche  du  Roi, 
qui  se  fâcha  à  lui  d'une  communication  inutile  et  qui 
tournoit  si  mal,  mirent  le  maître  et  le  ministre  de  mau- 
vaise humeur.  Le  Roi  voulut  que  le  Chancelier  répliquât 


1.  Tome  XX,  p.  278. 

•2.  Avant  agréable,  Saint-Simon  a  biffé  un  second  rendre. 

3.  Ci-dessus,  p.  i44. 

4.  Voyez  la  note  1  de  la  page  suivante. 


260  MÉMOIRES  [171i] 

durement,  qui  n'eut  aucune  peine  à  exécuter  cet  ordre'. 
M.  de  Luxembourg,  qui,  sans  aucun  esprit,  étoit  fort  glo- 
rieux, et  sensible  au  dernier  point-,  fut  outré.  Il  n'osa 
répondre  du  même  style.  Son  dépit  redoubla  à  la  vue  de 
l'édit  avec  son  nom  dedans,  et  sa  cause  à  son  gré  per- 
due. Le  monde  n'en  jugea  pas  de  même  :  le  consente- 
ment de  son  père,  avec  qui  sa  considération  étoit  tombée, 
excita  un  parallèle  peu  agréable,  et  on  le  trouva  heureux 
de  sortir  de  la  sorte  d'un  méchant  procès  qui  pouvoit  lui 
coûter  sa  dignité  de  duc  et  pair  de  Piney,  et  le  réduire  à 
la  sienne  de  duc  vérifié  '.  La  mort  de  Monseigneur  avoit 

l .  De  ces  trois  lettres  successives  adressées  par  Pontchartrain  nu  duc 
de  Luxembourjï,  au  dire  de  Saint-Simon,  une  seule  nous  a  été  con- 
servée, la  première,  datée  du  13  mai,  et  qui  se  retrouve  à  la  Biblio- 
thèque nationale,  dans  la  copie  de  la  correspondance  du  Chancelier, 
ms.  Fr.  21  433,  fol.  403  ;  on  en  donnera  le  texte  ci-après,  à  l'Ap- 
pendice, n°  IX.  Si  l'on  fait  attention  à  sa  date,  13  mai,  et  à  celle 
où  l'édit  fut  enregistré  au  Parlement,  21  mai,  on  constate  qu'il  n'y 
eut  qu'une  semaine  d'intervalle,  et  l'on  peut  se  demander  si  le  récit 
de  notre  auteur  est  exact.  Saint-Simon,  après  avoir  parlé  de  la  pre- 
mière lettre,  dit  qu'elle  fut  «  huit  ou  dix  jours  sans  réponse  »  ;  cela 
reporterait  au  21  mai  pour  le  moins  la  date  de  la  seconde  lettre,  qui 
fut  suivie,  «cinq  ou  six  jours  »  après,  de  la  réponse  «pleine  de  propos 
confus  »  du  duc,  et  de  la  réplique  «  dure  »  du  Chancelier,  et  néan- 
moins M.  de  Luxembourg  reçut  celle-ci  avant  d'avoir  connaissance  de 
l'édit  (ci-après).  De  ce  que  les  deux  dernières  lettres  dont  parle  notre 
auteur  ne  se  trouvent  point  dans  la  copie  de  la  correspondance  du 
chancelier,  et  aussi  de  ce  qu'elles  n'ont  pu  être  envoyées  dans  le 
court  délai  indiqué  par  Saint-Simon,  ne  serait-on  pas  en  droit  de  con- 
clure qu'elles  n'ont  point  existé,  et  que  notre  auteur  a  supposé  leur 
existence  d'après  les  propos  vagues  que  Pontchartrain,  mécontent  du 
retard  de  la  réponse,  a  pu  tenir  devant  lui  ?  Telles  que  devaient  être 
ces  lettres  écrites  par  ordre  du  Roi  même,  il  aurait  dû  en  être  gardé 
copie  par  les  bureaux  ou  par  le  secrétaire  particulier  du  Chancelier 
qui  exécuta  la  transcription  versée  plus  tard  à  la  Bibliothèque  du  Roi. 

2.  Point  corrige  p'. 

3.  M.  de  Luxembourg  n'était  duc  et  pair  de  Piney  que  par  sa  mère, 
héritière  de  la  maison  de  Luxembourg.  Ayant  acquis  la  seigneurie  de 
Beaufort,  en  Champagne,  l'ancien  duché  des  Vendôme,  il  avait  obtenu 
du  Roi,  en  mai  1688,  l'érection  de  cette  terre  en  duché  vérilié  sous  le 
nom  de  Beaufort-Montmorency,  ou  plus  simplement  Montmorency. 


[1711] 


DE  SAINT-SIMON. 


261 


achevé  de  lui  ôter  sa  considération.  On  a  vu  ailleurs',  à* 
l'occasion  de  l'éclat  avec  lequel  Mlle  Choin  fut  renvoyée 
par  Mme  la  princesse  de  Conti,  à  quel  point  <\r  liaison 
intime  de  cabale  le  père  et  le  fils  éloient  avec  elle,  et  avec 
Clermont,  son  amant,  qui  en  fut  perdu.  Cette  liaison, 
qui  avoil  toujours  subsisté,  avoit  initié  M.  de  Luxem- 
bourg dans  tout  auprès  de  Monseigneur,  sous  le  règne 
duquel  il  avoit  lieu  de  se  promettre  beaucoup,  et  il  étoit 
encore  dans  la  première  douleur  de  la  perte  de  toutes  ses 
espérances,  lorsque  cet  édit  acheva  de  l'affliger. 


Jamais  changement  ne  fut  plus  grand  ni  plus  marqué 
que  celui  que  fit  la  mort  de  ce  prince.  Eloigné  encore  du 
trône  par  la  ferme  santé  du  Roi,  sans  aucun  crédit,  et 
par  soi  de  nulle  espérance,  il  étoit  devenu  le  centre  de 
toutes  les  espéi'ances  et  de  la  crainte  de  tous  les  person- 
nages, par  le  loisir  qu'une  formidal)le  cabale  avoit  eu  de 
se  former,  de  s'affermir,  de  s'emparer  totalement  de  lui, 
sans  que  la  jalousie  du  Roi,  devant  qui  tout  trenibloit, 
s'en  mît  en  peine,  parce  que  son  souci  ne  daignoit  pas 
s'étendre  par  delà  sa  vie,  pendant  laquelle  il  ne'  crai- 
gnoit  lien  avec  raison.  On  a  déjà  vu  les  impressions  si 
(lifl'érentes  qu'elle  fit  dans  l'état  et  le  cœur  du  nouveau 
Dauphin  et*  de  son  épouse,  dans  le  cœur  de  M.  le  duc 
(le  Rcrry  et  dans  l'esprit  de  la  sienne",  dans  la  situation 
de  M.  et  de  Mme  la  duchesse  d'Orléans^,  et  dans  l'âme 
de  Mme  de  Maintenon  ",  délivrée  pour  le  présent  de  toute 
mesure,  et  de   toute  épine  pour  l'avenir.   M.   du   Maine 

i.  TomoII,  p.  187-188. 

2.  A  surcharge  une  /. 

3.  Ne  est  rrpété  deux  fois,  à  la  lin  de  la  pape  WM)  du  manuscrit,  el 
au  commencemonl  do  la  pap;e  H37. 

4.  Et  est  en  intcrlif^ne,  et,  après  espoune,  qui  suit,   un  autre  et  a 
•'■lé  biiï»'-. 

5.  Ces  six  derniers  mois  sont   on  inlerlifjne   au-dessus  de  de  son 
cxpoiisr.  et,  biffés.  —  Voyez  ci-<lessus.  p.  XV?,^,  8;^-S{  el  OS- 101. 

♦).  Ci-dessus,  p.  Iti-lS  ot  •2S--2r).  —  7.  Ci-dessus,  p.  S!j. 


Grand  change- 
ment à  la  cour 
par  la  mort  de 
Monseigneur, 
et  SCS 
impressions 
difTérentes. 


Duc 
du  Maine 


562  MÉMOIRES  [1711] 

partagea  de  bon  cœur  ces  mêmes  affections*  avec  son* 
ancienne  gouvernante,  devenue  sa  plus  tendre  et  sa  plus 
abandonnée  protectrice.  Foncièrement  mal  de  tout 
temps,  comme  on  l'a  dit*,  avec  Monseigneur,  il  avoit  vio- 
lemment tremblé  de  la  manière  dont  on  a  vu  que  ce 
prince  avoit  reçu  les*  divers  degrés  de  son  élévation,  et, 
en  dernier  lieu  surtout,  celui  de  ses  enfants  ^  Il  étoit  loin 
d'être  rassuré  là-dessus  du  côté  du  nouveau  Dauphin  et 
de  Madame  la  Dauphine  ;  mais  un  et  un  sont  ®  deux  ^  Déli- 
vré de  tous  les  princes  du  sang  en  âge  et  en  maintien, 
dont  il  avoit  su  si  tôt  et  si  grandement  profiter,  Monsei- 
gneur de  moins,  et  possédé  par  Madame  la  Duchesse,  lui 
fut  un  soulagement  dont  il  ne  prit  pas  même  la  peine  de 
cacher  l'extrême  contentement.  Il  avoit  de  trop  bons  yeux 
pour  ne  s'être  pas  aperçu  que  Madame  la  Dauphine  n'igno- 
roit  rien  de  la  protection  qu'il  avoit  prodiguée  au  duc  de 
Vendôme  sur  tout  ce  qui  s'étoit  passé  en  Flandres,  pour 
ne  pas  sentir  ce  que  les  maximes  du  nouveau  Dauphin 
lui  faisoient  penser  sur  la  grandeur  qu'il  s'étoit  formée, 
et  qu'il  ne  captiveroit  pas  aisément^  par  ses  souplesses 
ceux  qui  pouvoient,  et  qui,  selon  toute  apparence,  pour- 
roient  le  plus  sur  lui  ;  mais  la  santé  du  Roi  lui  faisoit 
espérer  encore  un  long  terme  de  son  aveuglement  pour 
lui,  pendant  lequel  il  pouvoit  arriver'  de  ces  heureux 

1.  Au  sens  de  sentiments,  «manière  d'être  de  l'âme  considérée 
comme  touchée  de  quelque  objet  »,  dit  le  Littré,  2°,  qui  cite  des 
exemples  de  Bourdaloue. 

2.  Sa  corrigé  en  son.  —  3.  Ci-dessus,  p.  73-74. 

4.  Ses  corrigé  en  les.  —  o.  Tome  XIX,  p.  96  et  101. 

6.  Il  y  a  son,  par  erreur,  dans  le  manuscrit. 

7.  Cette  locution  n'a  pas  ici  le  même  sens  que  deux  et  deux  font 
quatre  donné  par  le  Dictionnaire  de  VAcadémie  de  1718  ;  elle  signifie 
qu'un  et  un  sont  deux  choses  différentes,  comme  on  dit  proverbialement 
dire  et  faire  sont  deux.  Comparez  ci-après,  p.  315  :  «  vouloir  et  faire 
....fut  pour  elle  une  seule  et  même  chose.  » 

8.  La  fin  de  pas  et  le  commencement  d'atsém'  surchargent  d'autres 
lettres  illisibles. 

0.  Arriver  surcharge  esper[er]. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON  163 

hasards  qui  mettent  le  comble  à  la  fortune.  L'esprit  léger 
deM.  io  duc  d'OrK'ans  lui  parut  inoiii>^un  obstacle  qu'une 
faciiilt'  à  en  tirer  parti  d'une  façon  ou  d'une  autre.  Celui 
de  M.  Io  duc  de  Berry  n'étoit  pas  pour  l'inquirter  ;  mais 
il  résolut  d«'  n"oid)li('r  ri<'n  pour  ne  trouver  pas  une  enne- 
mie dans  Mme  la  duchesse  de  fierry,  et  il  la  cultiva  avec 
adresse'.  Il  commençoit  à  goûter  un  si  doux  repos  lors-  Duc 

que,  surpris  peu  de  jours  après-,  à  Marly,  d'un  mal  du  Maino 
étrange^  dans  la  nuit,  son  valet  de  chambre  l'entendit  Marlv. 
râler,  et  le  trouva  sans  connoissance.  Il  cria  au  secours  : 
Mme  la  duchesse  d'Orléans  accourut  en  larmes,  Madame 
la  Duchesse  et  Mesdemoiselles  ses  fdles  par  bienséance*,  et 
i)eaucoup  de  gens  pour  faire  leur  cour,  dans  l'espérance 
que  le  Roi  sauroit  leur  empressement.  M.  du  Maine  fut 
saigné  et  accablé  de  remèdes  parce  qu'aucun  ne  réussis- 
soit.  Fagon,  à  qui  deux  heures  à  peine  sullisoient  pour 
s'habiller  par  degrés*,  n'y  vint  qu'au  bout  de  quatre,  à 
cause  de  sa  sueur  de  toutes  les  nuits'.  Il  étoit  celui  de 
tous  le  plus  nécessaire  en  cette  occasion,  parce  qu'il  con- 
noissoit  ce  mal  par  sa  propre  expérience,  quoique  jamais 

1 .  Ici.  Saint-Simon  avait  terminé  le  paragraphe  et  commencé  à  écrire 
en  alinéa  M'  la  P-",  qui  est  le  commencement  du  paragraphe  qui  suit 
(p.  "264);  il  a  efîacé  ces  mots  du  doigt,  pour  écrire,  à  la  suite  d^adresse, 
et  sans  alinéa,  le  récit  de  la  maladie  de  M.  du  Maine. 

2.  Dans  la  nuit  du  6  au  7  juin  :  Dangeau,  p.  419-421  ;  Sourches, 
p.  128-130. 

3.  Indigpftion,  apoplexie,  ou  empoisonnement  par  des  champignons, 
dit-on  dans  le  public.  Notre  auteur  va  faire  allusion  plus  loin  à  une 
maladie  qu'il  aurait  eue  en  commun  avec  Fagon.  On  trouvera  ci-après, 
à  l'Appendice,  n"  X,  le  récit  de  Dangeau  (tome  XIII,  p.  420),  celui 
des  Memoiret  de  Sourches  (tome  XIII,  p.  128),  et  la  lettre  par 
laquelle  le  prince  lui-même  raconta  l'accident  à  son  ami  le  duc  de 
Guiche. 

4.  Elles  étaiont  à  «  faire  médianoche  «  dans  le  parc,  lorsqu'elles  appri- 
rent l'événemonl  (Dangeau,  p.  420). 

ri.  C'est-à-dire,  à  diverses  reprises,   par  suite  sans  doute  de  son 
tempérament  délicat. 
6.  Ce  détail  de  la  santé  de  Fagon  n'est  donné  que  par  notre  auteur. 


Conti. 


264  MÉMOIRES  [1711] 

si  rudement  attaqué*.  Il  gronda  fort  de  la  saignée  et  de 
la  plupart  des  remèdes.  On  tint  conseil  si  on  éveilleroit 
le  Roi,  et  il  passa  que  non  à  la  pluralité  des  voix.  Il 
apprit  à  son  petit  lever  toutes  les  alarmes  de  la  nuit,  qui 
étoient  déjà  bien  calmées  ;  il  alla  voir  ce  cher  fils  dès  qu'il 
fut  habillé,  et  y  fut  deux  fois  le  jour  pendant  les  deux  ou 
trois  premiers,  et  une  ensuite  tous  les  jours  jusqu'à  ce 
qu'il  fût  tout  à  fait  bien -.  Mme  du  Maine  étoit  cependant 
à  Sceaux  ^  au  milieu  des  fêtes  qu'elle  se  donnoit.  Elle 
s'écria  qu'elle  mourroit  si  elle  voyoit  M.  du  Maine  en  cet 
état,  et  ne  sortit  point  de  son  palais  enchanté.  M.  du 
Maine,  accoutumé  à  en  approuver  tout  servilement,  ap- 
prouva fort  cette  conduite,  et  l'alla  voir  à  Sceaux  dès 
qu'il  put  marchera 
Princesse  de  Mme  la  princesse  de  Conti  fut  celle  qui  regretta  le  plus 
Monseigneur,  et  qui  y  perdit  le  moins.  Elle  l'avoit  pos- 
sédé seule  et  avec  empire  fort  longtemps.  Mlles^  de  Lille- 
bonne,  qui  ne  bougeoient  de  chez  elle,  l'avoient  peu  à 
peu  partagé,  mais  avec  de  grandes  mesures  de  déférence. 
Le  règne  de  Mlle  Choin  avoit  tout  absorbé  ce  qui^  étoit 
resté  à  sa  maîtresse'',  pour  qui  Monseigneur  ne  conserva 

i.  Serait-ce  donc  le  haut-mal,  l'épilepsie?  Il  ne  semble  pas  cepen- 
dant que  le  duc  du  Maine,  boiteux  par  accident  et  d'une  santé  très 
délicate  dans  son  enfance,  en  ait  été  atteint,  non  plus  que  Fagon,  que 
les  contemporains  dépeignent  comme  cacochyme,  asthmatique  et  de 
très  faible  comploxion  {Mémoires  de  Sourchcs,  tome  X,  p.  296;  Mé- 
moires de  l'abbé  de  Choisy,  tome  II,  p.  47-48),  mais  non  point  comme 
sujet  au  «  haut  mal  ».  L'auteur  des  Mémoires  de  Sourches  donne 
des  détails  tout  à  fait  précis,  comme  il  en  a  l'habitude  quand  il  s'agit 
de  maladies  et  de  médecine  :  voyez  ci-après  p.  470-474. 

2.  D'après  les  Mémoires  de  Sourches,  le  Roi  fit  une  visite  le  7,  et 
une  autre  le  8.  Dès  le  9,  le  prince  était  à  peu  près  rétabli. 

3.  Ecrit  Seaux,  par  mégarde. 

4.  Dangeau  dit  le  28  juillet  (p.  432)  :  «  La  santé  de  M.  le  duc  du 
Maine  s'est  fort  rétablie  à  Sceaux,  où  il  a  passé  quelques  jours  depuis 
la  cruelle  attaque  qu'il  eut  ici.  » 

5.  Mlle  corrigé  en  Mlles. 

6.  Ce  qui  surcharge  la,  précédé  d'un  mot  illisible. 

7.  C'est-à-dire  à  Mme  de  Conti. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  -265 

que  de  la  hiens(^ance  accompagnée  d'ennui,  et  souvent 
tlo  dégoût,  que  l'amusement  qu'il  trouva  chez  Madame  la 
Duchesse  ne  lit  «ju'accroître.  Mme  la  princesse  de  Conti 
M  étoit  donc  fie  rien  tiepuis  bien  des  années,  avec  l'amer- 
tume (!(>  savoir  Mlle  de  Lillebonne,  sa  protégée  et  son 
amie,  en  possession  des  matinées  libres  de  Monseigneur 
chez  elle  ',  dans  un  sanctuaire  scellé  -  pour  tout  autre  que 
Mme  d'Espinoy,  où  se  traitoient  les  choses  de  confiance  ^ 
Mlle  Choin.  son  infidèle  domestique,  devenue  la  reine  du 
cœui"  et  de  l'àme  île  Monseigneur,  et  Madame  la  Duchesse 
intimement  liée  à  elles,  en  tiers  de  tout  avec  elles  et 
Mon-eigneui-,  qu'elle  possédoitchez  elle  encour  publi([ue. 
Il  falloit  lléchir  avec  toutes  ces  personnes,  ne  rien  voir, 
leur  plaire,  et,  malgré  ses  humeurs,  sa  hauteur,  son 
aigreur,  elle  s'y  étoit  ployée,  et  fut  assez  bonne  pour  être 
si  touchée,  qu'elle  pensa  suffoquer  deux  ou  trois  nuits 
après  la  mort  de  Monseigneur,  en  sorte  qu'elle  se  con- 
fessa au  curé  de  Marly*.  Elle  logeoit  en  haut  du  château ^ 
Le  Roi  l'alla  voir.  Le  degré  étoit  inconmiode  ;  il  le  fit 
rompre  pendant  I-'ontainebleau  ^,  et  en  fit  un  grand  et 
commode".    Il  y  avoit    plus   de  dix  ans  qu'il  n'avoit   eu 

i.  Ci-dessus,  p.  6.S. 

"2.  Est-ce  une  réminisconcp  de  la  fontaine  scellée,  fons  signatus,  de 
l'Ecriture  (Cantique  des  cantiques,  chap.  iv,  verset  1-2)? 

3.  Ci-dessus,  p.  63. 

4.  «  Le  20  avril  au  matin,  on  apprit  <]ue  la  princesse  de  Conti  avoit 
pensé  mourir  la  nuit  précédente  d'une  violente  oppression,  qu'elle 
avoit  envoyé  chercher  en  même  temps  le  médecin,  le  chirurgien  et  le 
confes.<our.  qu'elle  s'étoil  confessée  au  curé  de  Marly,  qu'on  l'avoit 
.saif^née  du  bras,  ce  qui  l'avoit  un  peu  soulagée,  et  qu'on  alloit  encore 
la  saigner  du  pied  »  (Mémoires  de  Sourches,  p.  î)o).  Dangeau  (p.  31)0) 
jiarlc  de  «  catarrhe  .sulVo(|uant  »  ;  voyez  aussi  la  lettre  lxxx  de 
Mme  Dunoyer,  tome  IV,  p.  \.  Le  curé  de  Marly  était  Antoine  Morand, 
locteur  de  Sorbonne,  qui  possédait  aussi  le  prieuré  du  bourg. 

a.  C'est-à-dire  au  premier  étage  :   notre  tome  XIX,  p.  2'23,  note  3. 

6.  I^  cour  resta  à  Fontainebleau  du  16  juillet  au  \'t  septembre. 

7.  Pour  l'établir,  on  supprima  une  des  chambres  d'un  des  quatre 
appartements  du  rcx-de-chausbéc.  Le  baron  de  Brolcuil,  dans  le  pas- 


266  MÉMOIRES  [1711] 

l'occasion  de  monter  à  Marly,  et  il  falloit  de  ces  occa- 
sions uniques  pour  lui  faire  faire  l'essai  de  ce  nouveau 
degrés  Mme  la  princesse  de  Conti  guérit  à  nos  dépens. 
Nous  avions  le  second  pavillon  du  côté  de  Marly  ^  fixe% 
le  bas  pour  nous,  le  haut  pour  M.  et  Mme  de  Lauzun*. 
Il  est  aussi  près  du  château  que  le  premier,  et  n'en  a  pas 
le  bruit.  On  nous  y  ^  mit  pour  donner  le  second  à  Mme  la 
princesse  de  Conti,  seule  avec  sa  dame  d'honneur.  Quoi- 
[que]  ennemie  de  l'air  et  de  l'humidité,  elle  le  préféra  à 
son  logement  du  château  pour  s'attirer  plus  de  monde  par 
la  commodité  de  l'abord,  et  y  tint  depuis  ses  grands^ 
jours",  avec  la  vieillesse  de  la  cour^  qu'elle  y  rassembla, 
et  qui,  faute  de  mieux,  et  par  la  commodité  d'un  réduit 
toujours  ouvert,  s'y  adonna  toutes 

sage  de  ses  Mémoires,  cité  ci-après,  p.  415,  dit  que  ce  fut  à  l'occasion 
des  visites  faites  aux  membres  de  la  famille  royale  lors  de  la  mort  de 
Monseigneur,  que  le  Roi  décida  de  démolir  l'ancien  escalier  pour  en 
rebâtir  un  plus  vaste. 

1.  Le  Roi  alla  le  montrer  au  Dauphin  et  à  la  Dauphine  le  24  sep- 
tembre (Dangeau,  p.  485). 

2.  Il  a  été  parlé  des  douze  pavillons  de  Marly  dans  le  tome  XVI,  p.  34. 

3.  C'est-à-dire  régulièrement  à  tous  les  voyages,  sans  changement. 

4.  Tome  V,  p.  175.  Le  ménage  Saint-Simon  fut  de  nouveau  logé 
dans  le  second  pavillon  en  1712  (suite  des  Mémoires,  tome  IX  de  1873, 
p.  208). 

5.  Dans  le  premier  pavillon. 

6.  Grcl,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 

7.  «  On  appelle  grands  jours  une  assemblée  ou  compagnie  extra- 
ordinaire de  juges,  tirés  ordinairement  des  cours  supérieures,  qui  ont 
commission  d'aller  dans  les  provinces  éloignées  pour  écouter  les  plaintes 
des  peuples  et  faire  justice.  On  dit  tigurément  et  proverbialement  qu'wn 
homme  tient  ses  grands  jours,  et  cela  se  dit  par  une  manière  de 
reproche  honnête  qu'on  fait  à  un  homme  avec  qui  on  avoit  accoutumé 
de  vivre  familièrement,  et  qui  fait  le  réservé,  ou  à  un  homme  qu'on 
avoit  accoutumé  de  voir  souvent,  et  qu'on  a  été  quelque  temps  sans 
voir  »  (Académie,  1718).  C'est  plutôt  ici  le  sens  donné  par  cette  défi- 
nition du  Dictionnaire  de  Trévoux:  «  On  dit  qu'une  personne  tient  ses 
grands  jours,  quand  elle  reçoit  chez  elle  beaucoup  de  monde.  « 

8.  Les  mots  de  la  cour  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

9.  La  princesse  avait  alors  près  de  quarante-cinq  ans  ;  sa  dame  d'hon- 


[1714]  DE  SAINT-SIMON.  267 

On  luffera  aisément  du  désespoir  et  de  la  consternation  Cabale, 
de  cette  puissante  cabale  si  bien  organisée,  que  1  audace  jeVcndômc. 
avoit  conduite  aux  attentats  qu'on  en  a  rapportés.  Quoique 
l'héritier  de  la  couronne,  qu'elle'  avoit  porté  par  terre-, 
se  fût  enfin  relevé,  et  que  son  épouse,  unie  à  Mme  de 
Maintenon,  se  tut  vengée  de  l'acteur  principal  d'une 
scène  si  incroyable  ^  la  cabale  se  tenoit  ferme,  gouvernoit 
Monseigneur,  ne  craignoit  point  qu'il  lui  échappât,  l'en- 
tretenoit  dans  le  plus  grand  éloignement  de  son  fils  et  de 
sa  belle-fille,  dans  le  dépit  secret^  de  la  disgrâce  de  Ven- 
dôme, se^  promettoit  bien  de  monter  sur  le  trône  avec 
lui,  et  d'en  anéantir  l'héritier  sous  ce  règne.  Dieu  souffle 
sur  leurs  desseins  *  :  en  un  instant  il  les  renverse  et  les 
asservit  sans  espérance  à  celui  pour  la  perte  duquel  ils 
n'avoient  rien  oublié,  ni  ménagé.  Quelle  rage,  mais 
quelle  dispersion  !  Vendôme  en  frémit  en  Espagne,  où  il 
ne  s'étoit  jeté  qu'en  passant.  De  ce  moment  il  résolut '' 
d'y  fixer  ses  tabernacles  %  et  de  renoncer  à  la  France  après 
ce  qu'il  avoit  attenté,  et  ce  qui  l'en  avoit  fait  sortir  ;  mais 
la  guerre,  par  où  il  comptoit  de  se  rendre  nécessaire, 
n'étoit  pas  pour  durer  toujours.  Le  Dauphin  et  le  roi 
d'Espagne  s'étoient  toujours  tendrement  aimés  ;  leur  sépa- 

neur,  la  marquise  d'Urfé,  ses  filles  d'honneur  et  ses  principales  amies, 
comme  les  Lillebonne,  étaient  ses  contemporaines  ou  ses  aînées;  cela 
n'attirait  point  les  jeunes  femmes  de  la  cour,  qui  préféraient  les  salons 
de  la  Dauphine  ou  de  la  duchesse  de  Berry. 

4.  Qu'elle  surcharge  qu'ils  av[oienf]. 

2.  «  On  dit  porter  quelqu'un  par  terre,  pour  dire  le  renverser  par 
terre  »  (Académie,  4748). 

3.  Le  duc  de  Vendôme.  —  4.  Secret  a  été  ajouté  en  interligne. 

5.  Avant  se,  Saint-Simon  a  biffé  et. 

6.  Réminiscence  de  ce  passage  d'Isaïe  (chap.  xl,  verset  21)  :  Flavit  in 
eos,  et  arruerunt.  Littrécite  des  emplois  par  Bossuet  et  par  Massillon. 

7.  La  première  lettre  de  résolut  surcharge  un  y. 

8.  <f  Tabernacles  n'a  d'usage  que  pour  dire  les  tentes  et  pavillons 
des  Israélites  »  (Académie,  4718).  Nous  avons  déjà  rencontré  la  même 
locution  sous  la  plume  de  notre  auteur,  dans  un  Appendice  du  tome 
Xlll,  p.  546,  et  les  «  tabernacles  éternels  »  dans  le  tome  VI,  p.  564. 


et  ses  nièces. 


268  MÉMOIRES  [1711] 

ration  n'y  avoit  rien  changé  ;  la  reine  d'Espagne,  qui  y 
pouvoit  tout,  étoit  sœur  de  son  ennemie,  et  intimement 
unie  avec  elle  ;  le  besoin  passé,  son  état  pouvoit  triste- 
ment changer.  Sa  ressource  fut  de  se  lier  le  plus  étroite- 
ment qu'il  put  à  la  princesse  desUrsins,  et  de  devenir  son 
courtisan  après  avoir  donné  la  loi  à  nos  ministres  et  à 
notre  cour'.  On  en  verra  bientôt  les  suites. 
Vaudémont  Le  Vaudémont  se  sentit  perdu.  Moins  bien  de  beaucoup 
auprès  du  Roi  depuis  la  chute  de  Chamillart^,  il  ne  lui 
restoit  plus  de  protecteur.  Torcy  ne  s'étoit  jamais  fié  à  lui, 
et  Voysin  n'avoit  jamais  répondu  que  par  des  politesses 
crues ^  à  toutes  les  avances  qu'il  lui  avoit  prodiguées.  Il 
étoit  sans  commerce  étroit  avec  les  autres  ministres,  et 
dans  la  plus  légère  bienséance  avec  les  ducs  de  Chevreuse 
et  de  Beauvillier,  si  même  il  y  en  avoit.  Tessé,  bien 
traité,  mais  connu  de  Madame  la  Dauphine,  la  maréchale 
d'Estrées,  qu'il  s'étoit  dévouée  par  d'autres  contours, 
avoient  les  reins  trop  foibles  *  pour  le  soutenir  auprès  de 
Madame  la  Dauphine  si  justement  irritée  contre  ses  nièces, 
et  contre  lui  si  uni  à  M.  de  Vendôme  et  à  Chamillart. 
Elle  s'étoit  à  la  fin  dégoûtée  de  la  maréchale  d'Estrées  ; 
Mme  de  la  Yallière,  la  plus  spirituelle  et  la  plus  dange- 
reuse des  Noailles^  lui  avoit  enlevé  la  faveur  et  la  con- 

i.  Par  les  deux  lettres  de  la  princesse,  des  7  novembre  et  42  dé- 
cembre 4741,  dont  la  copie  se  trouve  dans  le  ms.  Fr.  44  178,  fol.  475  v° 
et  485  v,  il  ne  semble  pas  que  sa  liaison  politique  avec  Vendôme  ait  été 
bien  intime  ;  mais  ces  copies  du  chevalier  de  Bellerive  sont-elles  fidèles  ? 

•2.  On  a  vu  dans  le  tome  IX,  p.  43-46,  quelle  était  sa  liaison  et  celle 
de  ses  nièces  avec  ce  ministre. 

3.  «  Crû  se  dit  figurément  d'un  discours  qu'on  tient  à  quelqu'un, 
et  oîi  il  y  a  quelque  chose  de  fâcheux  qu'on  ne  prend  pas  la  peine 
d'adoucir  «  (Académie,  4748).  Ici,  c'est  plutôt  ce  que  Fénelon  appe- 
lait le  langage  «  crû  et  informe  »  de  Ronsard  ;  des  politesses,  sans  plus. 

4.  (c  On  dit  tigurément  et  proverbialement  m'oir  les  reins  trop  foi- 
bles, en  parlant  de  ceux  qui  entreprennent  quelque  chose  qui  est  au- 
dessus  de  leurs  forces  »  (Académie,  4748)  ;  voyez  ci-après,  p.  284. 

5.  Déjà  dit,  en  d'autres  termes,  dans  le  tome  XIV,  p.  264.  C'était 
la  sœur  cadette  de  la  maréchale  d'Estrées. 


flTll]  DE  SAINT-SIMON.  269 

liance,  et  n'avolt  rien  de  commun  avec  une  cabale  qui 
marchoit  sous  l'étendard  '  de  la  Clioin,  toujours  en  garde 
contre  tout  ce  qui  tenoit  à  son  ancienne  maîtresse.  Vau- 
démont  n'avoit-  donc  plus  de  vie  effective  que  par  le 
tout-puissant  crédit  de  ses  nièces  sur  Monseigneur,  qui  lui 
en  donnoit  un  direct  avec  lui,  et  un  autre,  par  réflexion, 
de  l'attente  du  futur.  Cette  corde  rompue ^  il  ne  savoit 
plus  où  se  reprendre.  La  conduite  toute  autrichienne  du 
duc  de  Lorraine  portoit  un  peu  sur  lui  depuis  que  Cha- 
millart  n'étoit*  plus.  Bien  qu'à  l'extérieur  on  n'eût  pas 
donné  attention  aux  circonstances  si  marquées,  et  qui  ont 
été  rapportées  ^,  de  la  conspiration  tramée  en  Franche- 
Comté,  qui  fut  déconcertée  par  la  victoire  du  comte  du 
Bourg  et  par  la  capture  de  la  cassette  de  Mercy,  cela 
n'avoit  pas  laissé  d'écarter  encore  plus  ce  Protée®.  Mlle  de  [Add.S'-S.  Î006] 
Lillebonne",  pénétrée  d'une  si  profonde  chute  person- 
nelle et  commune,  trop  sûre  de  '^  sa  situation  avec  Ma- 
dame la  Dauphine,  et  avec  tout  ce  qui  approchoit  intime- 
ment le  Dauphin,  n'étoit  pas^  pour  se  pouvoir  résoudre"*, 
altière  comme  elle  étoit,  à  traîner  dans  une  cour  où  elle 
avoit  régné  toute  sa  vie.  Son  oncle  et  elle  prirent  donc  le 
parti  d'aller  passer  l'été  en  Lorraine  pour  se  dérober  à 
ces  premiers  temps  de  trouble,  et  se  donner  celui  de  se 
former  un  plan  de  vie  tout  nouveau.  La  fortune  secou- 

1.  «  On  dit  ligiirément  suivre  les  étendards  de   quelqu'un,  pour 
dire  embrasser  son  parti  »  {Académie,  4718). 

2.  Le  commencement  de  n'avoit  corrige  ne. 

3.  On  a  eu  ci-dessus,  p.  89,  corde  qui  casse. 

4.  N'y  estoit  corrigé  en  n'estoit. 

5.  En  1709  :  tome  XVIII,  p.  170-173. 

6.  Il  a  déjà  appliqué  ce  sobriquet  à  Vaudémont   dans  le  tome   XV, 

7.  Il  a  écrit  encore  ici  par  mégarde  :  Lisbonne,  au  lieu  de  Lislebonne . 

8.  Les  mots  seure  de,  oubliés  en  transcrivant,   ont  été  ajoutés  en 
interligne  lors  de  la  revision. 

9.  Les  mots  n'estoit  pas  sont  en  interligne. 

10.  Les  lexiques  du  temps  ne  donnaient  pas  cette  locution  de  n'être 
pas  pour  faire  quelque  chose,  au  sens  de  n'être  pas  disposé  à. 


570  MÉMOIRES  [ilM] 

rut  cette  fée^  La  petite  vérole  enleva  tout  de  suite  plu- 
sieurs enfants  à  M.  de  Lorraine",  entre  autres  une  fille ^ 
de  sept  ou  huit  ans*,  qu'il  avoit  fait  élire  abbesse  de 
Remiremont  %  il  y  avoit  deux  ans,  après  la  mort  de  Mme 
de  Salm^  Cet  établissement  parut  à  l'oncle  et  à  la  nièce 
une  planche  après  le  naufrage',  un  état  noble  et  honnête 
pour  une  vieille  fille  %  une  retraite  fort  digne  et  sans 
contrainte,  une  espèce  de  maison  de  campagne  pour 
quand  elle  y  voudroit  aller  sans  nécessité  de  résidence 
assidue,  ni  d'abdiquer  Paris  et  la  cour,  et  un  prétexte  de 

4.  Nom  qu'il  a  déjà  appliqué  à  plusieurs  reprises  à  Mme  de  Main- 
tenon,  et,  en  dernier  lieu,  à  Mlle  Choin  (ci-dessus,  p.  2). 

2.  Dangeau,  tome  XIII,  p.  403  et  406;  Sourches,  p.  106-107  et 
109.  Le  duc  de  Lorraine  perdit,  le  4  mai,  sa  tille  aînée  (ci-après),  le 
10  mai  son  tils  aîné,  Louis  de  Lorraine,  né  le  28  janvier  1704,  et,  le 
il  mai,  sa  seconde  tille,  Gabrielle,  née  le  10  décembre  1702.  Le  Jour- 
nal de  Verdun,  tome  XIV,  p.  430-432,  donne  des  détails  sur  leur 
maladie. 

3.  Fille  surcharge  enf[ant]  ;  mais  un  n'a  pas  été  corrigé  au  féminin. 

4.  Charlotte  de  Lorraine,  née  le  21  octobre  1700,  élue  abbesse  de 
Remiremont  en  1707,  morte  à  Lunéville  le  4  mai  1711,  dans  sa  onzième 
année;  elle  était  fort  belle  et  promettait  beaucoup,  au  dire  des  contem- 
porains. 

5.  Cette  abbaye  du  diocèse  de  Toul,  fondée  vers  620,  par  saint  Ro- 
meric  ou  Romaric,  pour  des  filles  nobles,  suivit  d'abord  la  règle  de 
saint  Renoît.  Au  onzième  siècle,  elle  fut  transformée  en  un  chapitre 
de  quatre-vingts  demoiselles,  faisant  preuves  de  quatre  degrés  de  no- 
blesse paternelle  et  maternelle.  L'abbesse,  qui  jouissait  de  trente-six 
mille  livres  de  rente  et  de  droits  seigneuriaux  considérables,  était 
élective;  chaque  prébende  valait  quatre  mille  livres.  Voyez  ci-après  aux 
Additions  et  corrections. 

6.  Dorothée  de  Salm,  de  la  famille  des  Rhingraves,  élue  en  1662, 
était  morte  en  1707. 

7.  «  On  dit  aussi,  quand  quelqu'un  a  pu  conserver  quelque  chose 
de  son  bien  qu'on  décrétoit,  que  c'est  une  planche  qu'il  a  sauvée  du 
naufrage,  et,  en  parlant  du  sacrement  de  pénitence,  on  dit  que  c'est 
une  seconde  planche  après  le  naufrage  »  (Dictionnaire  de  Trévoux). 
Nous  avons  eu  déjà  de  nombreux  emplois  de  planche  au  sens  de  transi- 
tion, de  passage  facile  d'un  fait  à  un  autre. 

8.  Née  en  1662,  elle  avait  quarante-neuf  ans. 


[ili\] 


DE  SAINT-SIMON. 


274 


l'en  tirer  à  sa  volonté,  avec  quarante  mille  livres  de  rente 
à  qui  en  avoit  peu,  et  se  trouvoit  privée  des  voitures  de 
Monseigneur  et  de  toutes  les  commodités  qu'elle  en  tiroit. 
Elle  n'eut  que  la  peine  de  désirer  cet  établissement  :  tout 
en  arrivant  en  Lorraine,  son  élection  se  fit  aussitôt^  Sa 
sœur,  mère  de  famille,  plus  douce  et  plus  flexible-,  ne 
se  croyoit  pas  les  mêmes  raisons  d'éloignement  ;  son 
métier  d'espionne  de  Mme  de  Maintenon,  dont  on  a  vu 
d'avance,  p.  [014]  \  un  étrange  trait,  lui  donnoit  de  la 
protection  et  de  la  considération,  dont  le  ressort  étoit 
inconnu,  mais  qui  étoit  marquée.  Elle  ne  songea  donc 
pas  à  quitter  la  cour,  ce  qui  entroit  aussi  dans  la  poli- 
tique de  sa  sœur  et  de  son  oncle.  Mme  d'Espinoy  donna 
plutôt  part  qu'elle  ne  demanda  permission  de  Remire- 
mont  pour  sa  sœur*,  laquelle  passa  avec  la  facilité  pour 
eux  ordinaire.  Mlle  de  Lillebonne  prit  le  nom  de  Madame 
de  Remiremont,  dont  je  l'appellerai  désormais  pour  le  peu 
de  mention^  que  j'aurai  à  faire  d'elle  dans  la  suite ^ 
L'affaire  de  Remiremont  se  fit  si  brusquement,  que  j'arri- 
vai le  soir  de  la  permission  donnée,  sans  en  rien  savoir, 
dans  le  salon,  après  le  souper  du  Roi'.  Je  fus  surpris  de 
voir  venir  à  moi,  au  sortir  du  cabinet  du  Roi,  Madame  la 
Dauphine,  avec  qui  je  n'avois  aucune  privance,  m'envi- 

1.  Dangeau  dit,  le  13  juin  (p.  4"23)  :  «  Mme  la  princesse  d'Espinoy 
vint,  hier  au  soir,  dire  au  Roi  que  les  chanoinesses  de  Remiremont 
avoient  élu  Mlle  de  Lillebonne,  sa  sœur,  pour  leur  abbesse,  et  qu'elle 
ne  vouloit  point  accepter  cette  place  sans  savoir  si  cela  agréeroit  à 
S.  M.  .. 

"2.  Déjà  dit  dans  le  portrait  qu'il  a  fait  de  la  princesse  d'Espinoy  en 
-1707  :  tome  XV,  p.  6. 

3.  Saint-Simon  a  laissé  en  blanc  le  numéro  de  cette  page  de  son 
manuscrit;  elle  correspond  aux  pages  8-10  de  notre  tome  XV. 

4.  Voyez  le  passage  de  Dangeau  reproduit  ci-dessus  (note  1). 

5.  Ce  mot  est  bien  au  singulier  dans  le  manuscrit. 

6.  Ci-après,  p.  "274.  Cependant  il  dira  encore  Mlle  de  Lillebonne,  ci- 
après,  p.  281.  Elle  ne  sera  plus  mentionnée  que  quatre  ou  cinq  fois  dans 
toute  la  suite  des  Mémoires. 

7.  Après  Roy,  il  a  biffé  sans  en  rien  scavoir,  répété  par  inégarde. 


Mlle 
de  Lillebonne 

abbesse  de 
Remiremont. 


272  MÉMOIRES  [1714] 

ronner  et  me  rencoigner  *  en  riant  avec  cinq  ou  six  dames 
de  sa  cour  plus  familières,  me  donner  à  deviner  qui  étoit 
abbesse  de  Remiremont.  Je  reculois  toujours,  et  le  rire 
augmentoit  de  ma  surprise  d'une  question  qui  me  parais- 
soit  si  hors  de  toute  portée,  et  de  ce  que  je  n'imaginois 
personne  à  nommer.  Enfin  elle  m'apprit  que  c'étoit  Mlle 
de  Lillebonne,  et  me  demanda  ce  que  j'en  disois.  a  Ce 
que  j'en  dis?  Madame,  lui répondis-je  aussi  en  riant,  j'en 
suis  ravi,  pourvu  que  cela  nous  en  délivre  ici,  et,  à  cette 
condition,  j'en  souhaiterois  autant  à  sa  sœur.  —  Je  m'en 
doutois  bien,  répliqua  la  princesse,  »  et  s'en  alla  en  riant 
de  tout  son  cœur.  Deux  mois  plus  tôt,  outre  que  l'occa- 
sion n'en  eût  pu  être,  une  telle  déclaration  n'eût  pas  été 
de  saison,  quoique  mes  sentiments  ne  fussent  pas  ignorés. 
Alors,  passé  les  premiers  moments,  où  cette  hardiesse  ne 
laissa  pas  de  retentir,  il  n'en  fut  pas  seulement  ques- 
tion. 

Madame  la  Duchesse  fut  d'abord  abîmée  dans  la  dou- 
leur. Tombée  de  ses  -  plus  vastes  espérances  et  d'une  vie 
brillante  et  toujours  agréablement  occupée  qui  lui  mettoit 
la  cour  à  ses  pieds,  mal  avec  Mme  de  Maintenon,  brouil- 
lée sans  retour  et  d'une  façon  déclarée  avec  Madame  la 
Dauphine,  en  haine  ouverte  avec  M.  du  Maine,  en  équi- 
valent avec  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  en  procès  avec 
ses  belles-sœurs^  sans  personne  de  qui  s'appuyer,  avec  un 
fils  de  dix-huit  ans,  deux  filles  qui  lui  échappoient  déjà 
par  le  vol  qu'elle  leur  avoit  laissé  prendre,  tout  le  reste 
enfant,  elle  se  trouva  réduite  à  regretter  Monsieur  le 
Prince  et  Monsieur  le  Duc,  dont  la  mort  l'avoit  tant  sou- 
lagée*. Ce  fut  alors  que  l'image  si  chérie  de  M.  le  prince 

1.  «  Recogner,  repousser;  n'a  d'usage  qu'en  langage  familier  » 
(Académie,  1718).  C'est  plutôt  ici  :  acculer  dans  un  coin.  On  en  a 
déjà  eu  des  exemples  dans  nos  tomes  X,  p.  299,  et  XIV,  p.  126,  et  on 
le  trouve  dans  les  Écrits  inédits,  tome  VI,  p.  290,  dans  les  Mémoires 
de  Sourches,  tomes  VII,  p.  376,  et  VIII,  p.  167,  dans  la  Gazette,  etc. 

2.  Le  manuscrit  porte  des  ses.  —  3.  Tome  XX,  p.  315  et  suivantes. 
4.  Tomes  XVII,  p.  232,  et  XIX,  p.  86. 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  273 

de  Gonti  se  présenta  sans  cesse  à  sa  pensée  et  à  son  cœur, 
qui  n'auroit  plus  trouvé  d'obstacle  à  son  penchant,  et  ce 
prince,  avec  tant  de  talents  que  l'envie  avoit  laissés^  inu- 
tiles, réconcilié  peu  avant  sa  mort  avec  Mme  de  Mainte- 
non  -,  intimement  lié  avec  le  Dauphin  par  les  choses  pas- 
sées^, et  de  toute  sa  vie  avec  les  ducs  de  Chevreuse  et  de 
Beauvillier"  et  l'archevêque  de  Cambray  %  uni  à  Madame 
la  Dauphine  par  la  haine  commune  de  Vendôme  et  par 
la  conduite  et  les  propos  qu'il   avoit  tenus  pendant  la 
campagne  de  Lille ^,  auroit  été  bientôt  le  modérateur'  de 
la  cour,  et  de  l'Etat  dans  la  suite.  G'étoit  le  seul  à  qui 
Madame  la  Duchesse  eût  été  fidèle  ;  elle  étoit  l'unique 
pour  qui  il  n'eût  pas  été  volage  ^  ;   il  lui  auroit  fait  hom- 
mage de  sa  grandeur,  et  elle  auroit  brillé  de  son  lustre. 
Quels  souvenirs  désespérants,  avec  Lassay  fds  pour  tout 
reconfort'  !  Faute  de  mieux,  elle  s'y  attacha  sans  mesure, 
et  l'attachement  dure  encore  après  plus  de  trente  ans. 
Une  désolation  si  bien  fondée  cessa  pourtant  bientôt  quant 
à  l'extérieur  :  elle  n'étoit  pas  faite  pour  les  larmes  ;  elle 
voulut  s'étourdir,  et,   pour  faire   diversion,  elle  se  jeta 
dans  les  amusements,  et  bientôt  dans  les  plaisirs  jusqu['à] 
la  dernière  indécence  pour  son  âge  et  son  état".  Elle  cher- 
cha à  y  noyer  ses  chagrins,  et  elle  y  réussit.  Le  prince  de         Prince 
Rohan",  qui  avoit  jeté  un  million  dans  l'hôtel  de  Guise      ^^  Rohan 
devenu  un  admirable  palais  entre  ses  mains*-,  lui  donna 

1.  Il  y  a  laissé,  sans  accord,  dans  le  manuscrit. 

2.  Tome  XVII,  p.  434.  —  3.  Ibidem,  p.   128. 

4.  Ici,  il  a  écrit  Beauviller.  —  5.  Tome  XVII,  p.  i23. 

6.  Tome  XVI,  p.  271. 

7.  Terme  déjà  rencontré  plusieurs  fois;  en  dernier  lieu,  tome  XVI, 
p.  106. 

8.  Tome  XVII,  p.  129.  —  9.  Tome  XX,  p.  357. 

40.  C'est  ainsi  qu'elle  faisoit  médianoche  avec  ses  filles,  dans  les  jar- 
dins de  Marly  lors  de  l'accident  du  duc  du  Maine  (ci-dessus,  p.  263)  ; 
elle  avait  alors  trente-huit  ans. 

44.  Ci-dessus,  p.  247. 

12.  Voyez  ce  qu'il  a  dit  de  cet  hôtel  à  propos  de  la  mort  de  Mme  de 
Soubise:  tome  XVII,  p.  75-76. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI  18 


274  MÉMOIRES  [47H] 

des  fêtes,  sous  prétexte  de  lui  faire  voir  sa  maison*.  On  a 
vu  ailleurs  combien  il  étoit  uni  à  Mesdames  de  Remire- 
mont  et  d'Espinoy  -  ;  cette  ^  union  l'avoit  lié  à  Madame  la 
Duchesse.  Sa  chute,  l'état  où  le  procès  de  la  succession 
de  Monsieur  le  Prince  mettoit^  ses  affaires,  le  nombre 
d'enfants  qu'elle  avoit,  lui  fit  espérer^  que  le  rang  et  les 
établissements  de  son  fîls%  de  son  frère'',  de  sa  maison, 
avec  ce  palais  et  des  biens  immenses,  pourroient  tenter 
Madame  la  Duchesse  de  se  défaire  pour  peu  d'une  de  ses 
filles  en  faveur  de  son  fils,  et  que  le  souvenir  de  sa  mère 
pourroit  encore  assez  sur  le  Roi,  avec  la  protection  de 
Mme  d'Espinoy  auprès  de  Mme  de  Maintenon,  pour** 
lever  la  moderne  difficulté  des  alliances  avec  le  sang 
royal '.  Il  redoubla  donc  de  jeu,  de  soins,  de  fêtes,  d'em- 
pressements pour  Madame  la  Duchesse.  Il  s' étoit  servi  de 
sa  situation  brillante  auprès  de  Monseigneur  et  de  ce  qui 
le  gouvernoit  pour  s'approcher  de  Madame  la  Dauphine 
par  un  jeu  prodigieux,  une  assiduité  et  des  complaisances 
sans  bornes,  qu'il  redoubla  en  cette  occasion  "  ;  et  la  grande 

4.  Les  journaux  de  la  cour  ne  parlent  pas  de  ces  fêtes.  Il  faut  remar- 
quer d'ailleurs  que  M.  de  Soubise,  père  du  prince  de  Rohan,  vivait 
encore  et  ne  mourut  qu'en  août  1712. 

2.  Tome  XV,  p.  16.  —  3.  Il  y  a  cet,  par  erreur,  dans  le  manuscrit. 

4.  Saint-Simon  a  écrit  par  raégarde  mettoient  au  pluriel. 

5.  Fit  espérer  au  prince  de  Rohan. 

6.  Jules-François-Louis  :  tome  XVII,  p.  il.  En  1711,  il  n'avait  que 
quatorze  ans  et  ne  possédait  aucun  «  établissement  ».  Saint-Simon  n'a- 
t-il  pas  voulu  dire  «  de  son  père  »  et  parler  du  vieux  prince  de  Soubise? 

7.  L'abbé  de  Soubise,  évêque  de  Strasbourg,  qui  allait  devenir  car- 
dinal en  1712  et  grand  aumônier  en  1713. 

8.  Saint-Simon  avait  écrit  pourroit,  il  a  biffé  ourroit,  pour  cor- 
riger en  p'". 

9.  Notre  auteur  dit  «  moderne  »,  parce  qu'il  savait  bien  qu'il  n'en  avait 
pas  toujours  été  ainsi  :  on  trouve  dans  le  volume  44  de  ses  Papiers  (au- 
jourd'hui France  199)  tout  un  travail  fort  long  et  précis  sur  les  «  allian- 
ces directes  de  seigneurs  françois  avec  des  filles  du  sang  de  nos  rois.  » 
Nous  en  avons  déjà  parlé  ci-dessus,  p.  117,  à  propos  des  Châtillon. 

10.  Le  prince  avait  un  esprit  fort  médiocre,  a-t-il  dit  dans  le  tome 
XIV,  p.  117  ;  mais  il  avait  été  bien  stylé  par  sa  mère. 


flTIl]  DE  SAINT-SIMON.  27.Ï 

opinion  qu'il  avoit  do  sa  figuro  '  lui  avoit  fait  hasarder  des 

galanteries  par  la  Montauban  sa  cousine-,  dont  Madame  la 

Dauphine  s'étoit  fort  moquée,  mais  fort  en  particulier,  et 

l'avoit   toujours  traité  avec  distinction   et  familiarité  à 

cause  de  .Monseigneur  et  de  ses  entours.  Il  songeoit  par 

là  à  donner  une  grande  et  durable  '  protection  à  son  rang 

de  prince  étranger.   La   consternation   étoit  tombée  sur        Princes 

toutes*  ces   usurpations  étrangères,  qui   espéroient  tout      étrangers. 

de  Monseigneur  par  ceux  des  leurs  ^  qui  l'obsédoient,  et 

qui  se  crurent  perdues  sans  ressource    par  le  nouveau 

Dauphin,  dont  ils  redoutoient  les  sentiments,  et  de''  ce 

qui  pouvoit  le  plus  sur  lui.  On  a  vu  "  qu'ils  auroient  pu 

se  trouver  déçus  dans  leurs  idées  sur  le  père  ;  mais  elles 

étoient  justes  sur  le  fils,  à  qui  la  lecture  avoit  appris  ce 

qu'ils  savoient  faire,  et  dont  l'équité,  le  jugement  solide 

et  le  discernement  ne  s'accommodoit*  pas  d'un  ordre  de 

gens  sortis,  formés  et  soutenus  par  le  désordre.  Le  prince 

de  Rohan  ne  put  réussir  dans  ses  vues  auprès  de* Madame 

la  Duchesse^":  il  enraya"  promptement.  Il  n'eut  garde  de 

1.  Les  Mémoires  de  Sourches  (tome  IV,  p.  274)  l'appellent  «  un  des 
|)lus  beaux  hommes  du  monde». 

2.  Charlotte  Bautiu  de  Nogent,  mariée  depuis  1682  à  Jean-Baptiste- 
Armand  de  Rohan-Guémené,  prince  de  Montauban  :  ci-dessus,  p.  16. 

3.  Le  commencement  de  durable  surcharge  une  /. 

4.  Tous  corrigé  en  touttes. 

5.  Il  y  a  leur,  au  singulier,  dans  le  manuscrit,  conformément  i\  un 
usage  que  nous  avons  déjà  signalé. 

6.  De  a  été  ajouté  en  interligne.  —  7.  Ci-dessus,  p.  65-66. 

8.  Ce  singulier  est  bien  au  manuscrit. 

9.  De  est  répété  deux  fois,  à  la  fin  de  la  page  1139  du  manuscrit  et 
au  commencement  de  la  page  1140. 

10.  Ses  visées  étaient  connues  de  toute  la  cour,  puisque  notre  auteur  ré- 
digea en  décembre  1711  des  «  Réflexions  sur  le  bruit  répandu  avec  beau- 
coup d'apparence  du  mariage  du  tils  de  M.  le  prince  de  Rohan  avec  une 
tille  de  Madame  la  Duchesse  »,  qu'on  trouvera  ci-après  à  l'Appendice,  n° 
XI,  p.  472-484.  La  «  moderne  difficulté  »  dont  il  a  parlé  ci-dessus  sub- 
sista; car  des  six  lilles  de  la  duchesse  de  Bourbon,  une  seule  se  maria,  qui 
épousa  son  cousin  le  prince  de  Conti.  On  peut  remarquer  que  l'arrière- 
petite-iille  du  prince  de  Rohan  devaitdcvenir  princesse  deCondé  en  1753. 

11.  Ci-dessus,  p.  18. 


276  MÉMOIRES  [17di] 

se  montrer  fâché  par  une  conduite  trop  marquée  qui 
auroit  mis  en  évidence  ce  qu'il  vouloit  si  soigneusement 
cacher  ;  mais,  n'ayant  plus  ni  vues,  ni  besoin  d'elle,  il 
se  retira  peu  à  peu,  sans  cesser  de  la  voir,  et  Madame  de 
Remiremont  et  Mme  d'Espinoy,  qui  n'avoient  plus  à 
compter  avec  elle,  s'en  retirèrent  aussi  beaucoup  peu  à 
peu.  On  a  vu  plus  haut  ce  que  devint  Mlle  Ghoin  ^ 
D'Antin.  D'Antin,  mieux  que  jamais  avec  le  Roi,  parvenu  si  tôt 

après  la  mort  de  Monseigneur  au  comble  de  ses  désirs  et 
de  la  fortune  -,  n'eut  pas  besoin  de  grande  réflexion  pour 
se  consoler.  On  a  vu,  lors  de  la  campagne  de  Lille  ^,  avec 
quelle  souple  adresse  il  avoit  su  s'initier  avec  Madame  la 
Dauphine,  qu'il  n'avoit  pas  négligée  depuis,  et  dont  il 
espéroit  un  puissant  contrepoids  aux  mœurs  du  nouveau 
Dauphin,  et  au  plus  qu'éloignement  qui  étoit  entre  lui  et 
ceux  qui  pouvoient  le  plus  sur  ce  prince.  Il  comptoit  que 
la  santé  du  Roi  lui  donneroit  le  temps  de  rapprocher*  le 
Dauphin,  et  de  ramener  peut-être  à  lui  ceux  qu'il  y  crai- 
gnoit  davantage.  La  mort  de  Monseigneur  l'afîranchissoit 
d'une  assiduité  auprès  de  lui  fort  pénible,  qui  lui  ôtoit 
un  temps  précieux  auprès  du  Roi,  et  il  n'en  pouvoit  rien 
retrancher  comme  valet  pris  à  condition  de  servir  deux 
maîtres^.  Il  se  trouvoit  délivré  de  la  domination  de  Ma- 
dame la  Duchesse,  par  cela  même  réduite  à  compter  avec 
lui,  et  débarrassé  de  plus  de  tous  les  manèges  indispen- 
sables, et  souvent  très  difficiles,  pour  demeurer  uni  avec 
tous  les  personnages  de  cette  cabale  qui  dominoit  Monsei- 
gneur, dont  les  subdivisions  donnoient  bien  de  l'exercice 
aux  initiés  qui,  comme  d'Antin,  vouloient  aussi  figurer 

4.  Ci-dessus,  p.  93-95. 

2.  Par  son  élévation  à  la  pairie:  ci-dessus,  p.  251. 

3.  Tome  XVI,  p.  255-257. 

4.  Avant  ce  verbe,  il  avait  déjà  écrit,  puis  biffé  le  pronom  le.  Nous 
avons  déjà  rencontré  plusieurs  fois  cet  emploi  de  «  rapprocher  »  avec 
un  complément  direct.  C'était  un  terme  de  vénerie. 

5.  Allusion  au  passage  de  l'Évangile  :  Nul  ne  peut  servir  deux 
maîtres. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  277 

avec  eux,  et  qui  avoil'  plus  d'une  fois  tâté  de  leur  jalousie 
et  de  leurs  hauteurs.  Enfin  il  espéra  augmenter  sa  faveur 
par  une  assiduité  sans  partage,  qui  le  rendroit  considé- 
rable à  la  nouvelle  cour,  et  lui  donneroit  les  moyens  de 
s'y  initier  à  la  longue.  Il  songeoit  toujours  à  entrer  dans 
le  Conseil  ;  car  a-t-on  jamais  vu  un  heureux  se  dire  :  C'est 
assez. 

Des  adhérents  de  la  cabale,  ou  des  gens  particulière-  Huxelles, 
ment  bien  avec  Monseigneur,  et  qui  se  croyoient  en  situa-  Harcourt" 
tion  de  figure  ou  de  fortune  sous  son  règne,  tous  eurent  Boufflers. 
leur  part  de  la  douleur  ou  de  la  chute.  Le  maréchal 
d'Huxelles  fut  au  désespoir,  et  n'osa  en  faire  semblant-, 
mais,  pour  tenir  ^,  manégea  sourdement  une  liaison  avec 
M.  du  Maine.  Le  premier  écuyer,  honteux  de  regarder 
d'où  son  père  étoit  sorti*,  paré  de  sa  mère^  et  de  sa 
femmes  avoit  osé  plus  d'une  fois  aspirer  à  être  duc",  et 
n'espéroit  rien  moins  de  Monseigneur  :  tellement  qu'il  fut 
affligé  comme  un  homme  qui  a  perdu  sa  fortune.  Har- 
court,  plus  avant  qu'eux  tous,  se  consola  plus  aisément 
que  pas  un  :  il  avoit  Mme  de  Maintenon  entièrement  à 
lui  *,  sa  fortune  complète,  et  il  avoit  su  se  mettre  secrè- 
tement bien  avec  la  Dauphine,  il  y  avoit  longtemps,  au 
lieu  que  les  deux  précédents  n'y  avoient  aucune  join- 
ture", ni  avec  le  Dauphin,  et  se  trouvoient  fort  éloignés 
de  ce  qui  l'approchoit  le  plus,  pareils  en  ce  dernier  article 
à  Harcourt.  Boufflers,  assez  avant  avec  Monseigneur  pour 

4.  Il  y  a  bien  avoit,  au  singulier,  se  rapportant  à  d'Antin. 

2.  On  a  vu  ci-dessus  (p.  75)  sa  conduite  indigne  envers  Mlle  de  Choin. 

3.  Au  sens  de  se  maintenir. 

4.  Henri  Beringhen  avait  commencé  par  être  premier  valet  de  cham- 
bre de  Louis  XIII  :  tome  I,  p.  193. 

5.  Anne  du  Blé  d'Huxelles  :  tome  XI,  p.  36. 

6.  Fille  du  duc  d'Auniont.  —  7.  Voyez  notre  tome  XVI,  p.  52. 

8.  Il  venait  en  outre  de  se  raccommoder  avec  Torcy  (Correspondance 
de  Mme  de  Maintenon,  recueil  Bossange,  tome  II,  p.  148). 

9.  Terme  déjà  rencontré,   en   dernier  lieu  dans   le  tome  XVIII, 
p.  400. 


278 


MEMOIRES 


[i714J 


Sainte-Maure, 

Biron, 

Roue  Y, 

la  Vallière. 


lui  avoir  fait  ses  plaintes  des  froideurs,  pour  ne  rien  dire 
de  plus,  qu'il  recevoit  du  Roi  sans  cesse  depuis  ses  désirs 
de  l'épée  de  connétable',  et  qui  en  étoit  favorablement 
écouté,  le  regretta  par  amitié,  en  galand  -  homme  [qu']il 
étoit,  encore  plus  à  portée  du  nouveau  Dauphin,  qui  sa- 
voit  mieux  connoître  et  goûter  la  vertu.  Je  l'avois  extrê- 
mement rapproché  des  ducs  de  Chevreuse  et  de  Beauvil- 
lier;  je  m'en  étois  fait  un  travail^,  et  j'y  avois  assez  réussi 
pour  m'en  promettre  des  fruits.  Ainsi  Boufïlers  n'avoit 
qu'à*  gagner,  considéré  d'ailleurs  de  Madame  la  Dau- 
phine,  et  toujours  très  bien  avec  Mme  de  Maintenon,  et 
dans  un  comble  de  fortune. 

De  classe  inférieure  %  Sainte-Maure,  qui  n'étoit  bon 
qu'à  jouer^,  perdit  véritablement  sa  fortune.  La  Vallière 
tenoit  trop  de  toutes  façons  à  Mme  la  princesse  de  Conti 
pour  attendre  beaucoup  d'un  prince  dans  la  main  de 
Mlle  Choin  ;  il  avoit  épousé  celle  des  Noailles  qui  avoit 
le  plus  d'esprit',  de  sens,  d'adresse,  de  vues,  de  ma- 
nèges* et  d'intrigue,  qui  gouvernoit  sa  tribu,  qui  étoit 
comptée  à  la  cour,  et  qui  étoit  dans  la  plus  grande  confi- 
dence de  la  nouvelle  Dauphine  ;  avec  cela,  hardie,  entre- 
prenante, mais  avec  des  boutades  et  beaucoup  d'humeur. 
Biron  et  Roucy,  qui,  sans  être  menins,  étoient  de  tout 
temps  très  attachés,  et  de  tous^  les  voyages  de  Monsei- 
gneur, crurent  leur  fortune  perdue.  Roucy  eut  raison* 
il  falloit  être  Monseigneur  pour  en  faire  une  espèce  de 
favori  '".  Biron,  prisonnier  d'Audenarde  ",  conservoit  le 

1.  Tome  XVIII,  p.  216-217.  —  2.  Le  d  de  galand  corrige  un  t. 

3.  Dans  le  sens  où  l'on  dirait  de  nos  jours  :  je  m'en  étais  donné  la 
tâche. 

4.  Le  au'  surcharge  un  g. 

5.  Comme  considération,  mais  non  comme  naissance. 

6.  Voyez  tomes  XIV,  p.  397,  et  XIX,  p  336.  —  7.  Ci-dessus,  p.  268 

8.  Le  signe  du  pluriel  a  été  ajouté  après  coup  à  manège. 

9.  Avant  toua,  il  a  biffé  toutt[cs],  qui  surchargeait  un  autre  mot 
illisible. 

10.  Voyez  notre  tome  III,  p.  193.  —  11.  Tome  XVI,  p.  193  et  198.  ' 


[1711]  I)K  SAINT-SIMON.  270 

chemin  de  la  j^'iicrre  ;  il  est  aujourd'hui  duc  et  pair', 
comme  ou  le  verra  en  son  temps',  et  doyen  des  maré- 
chaux de  1- r;ince  \  Il  étoit  frère  de  Mme  de  Nogaret  et  de 
Mme  d'Lrft',  amies  intimes  de  Mme  de  Saint-Simon  et  les 
miennes*,  et  neveu  de  M.  de  Lau/un  ',  de  chez  qui  il  ne 
bougeoit  ;  \o  l'avois  approché  de  M.  de  Heauvillier,  et 
j  avois  rt'ussi  à  le  hieii  mettre  avec  lui  ;  par  ce  côté  si 
important,  et  par  sa  sœur  auprès  de  Madame  la  Dauphine, 
il  eut  de  quoi  espérer  de  la  nouvelle  cour. 

Trois  hommes  à  j)art   peuvent  tenir  encore  place  ici  :        Ducs  dr 
les  ducs  de  la  Hoche^uyon,  de  Luxembourif  et  de  Ville-    Luxembourg. 

,        ,.  ,  ,  lanocheguyon, 

roy.  On  a  vu  les  liens  par*^  lesquels  M.  de  Luxembourg  Vilierov. 
tenoit  à  Monseigneur",  dont  il  avoit  lieu  de  se  promettre 
une  figure**  autant  qu'il  en  pouvoit  être  capable.  D'ail- 
leurs, il  ne  tenoit  à  rien  ;  car,  hors  quelques  agréments 
en  Normandie®,  Voysin  ne  pouvoit  le  mener  plus  loin.  Le 
Koi  ne  considéroit  en  lui  que  son  nom.  Il  avoit  conservé 
des  amis  de  son  père,  et  il  étoit  fort  du  grand  monde  ; 
mais  c'étoit  tout,  malgré  l'amitié  de  M.  de  Chevreuse,  qui 
senloit  bien  qu'il  n'y  avoit  point  de  parti  à  en  tirer.  Il  '" 
('toit  si  grand  seigneur,  qu'il  put  se  consoler  dans  soi- 
même.  Il  en  faut  dire  encore  plus  des  deux  autres,  qui, 
|iar  leurs  charges,  existoient  d'une  façon  plus  importante 
pour  eux  et  plus  soutenue.  Les  mêmes  lettres  dont  j'ai 
{)arle  (juelque  part  ici  ",  qui  causèrent  leur  disgrâce,  dont 

i.  Depuis  17'23. 

i.   A  la  lin  dos  Méii.oircK  :  lonio  XIX  de  l'idilion  de  1873,  p.  03. 

3.  Depuis  1738  ;  notre  autour  écrit  le  présent  passage  en  1742. 

i.  Voyez  lomo  XVIII.  p.  iHi. 

5.  Mnio  de  Biron  riait  lille  do  Diane-Charlolte  de  Caumont,  comtesse 
de  Xopent,  sœur  de  Lauzun. 

H.  /'ar  corrige  qwj.  — 7.  Ci-dessus,  p.  ^(il. 

H.  «  Fiijure  signilio  au>;si  l'étal  lion  ou  mauvais  où  une  personne 
est  dans  le  monde  à  l'égard  de  ses  aflaircs.  de  son  crédit  »  (Acndcmu'. 
1718). 

0.  Ci-dessus,  p.  258.  —  10.  Avant  j7,  il  y  a  un  mais,  biffé. 
11.  Tome  XVII.  p.  126-127,  et  Addition   h  Dangeau  n"  121.  d:ins 
notre  tome  II,  p.  «07. 


MEMOIRES 


[1714] 


La  Feuillade. 


Ministres 
et  financiers. 


ils  ne  sont  même  personnellement  jamais  bien  revenus 
avec  le  Roi,  les  avoient  bien  mis  avec  Monseigneur,  outre 
l'habitude,  et  à  peu  près  le  même  âge  ;  mais  ils  n'avoient 
pas  auprès  de  lui  les  mêmes  ailes'  que  M.  de  Luxem- 
bourg, et,  comme  lui,  avoient  perdu  M.  le  prince  de 
Conti,  leur  ami  intime',  qui  les  avoit  laissés  à  découvert 
à  M.  de  Vendôme  et  aux  siens ^  Celui-ci  n'y  étoit  plus; 
mais  il  y  existoit  par  d'autres,  et  seroit  sûrement  revenu 
après  le  Roi.  Ce  n'étoit  pas  qu'ils  fussent  personnellement 
mal  avec  lui  ;  mais  les  amis  intimes  de  feu  M.  le  prince 
de  Conti  ne  pouvoient  jamais  être  les  siens.  Ces  deux 
beaux-frères,  avec  de  si  grands  établissements,  ne  firent 
donc  pas  une  si  grande  perte. 

Un  quatrième  se  trouva  dans  un  nouveau  désarroi  : 
c'étoit  la  Feuillade.  Perdu  à  son  retour  de  Turin  ^,  il 
avoit  cherché  à  s'attacher  à  Monseigneur  et  à  profiter  du 
peu  de  temps  que  Chamillart  demeura  en  place  pour 
s'appuyer  de  Mlle  de  Lillebonne  et  de  M.  de  Vendôme  ^ 
On  a  vu  ailleurs^  qu'il  avoit  percé  jusqu'à  Mlle  Choin. 
Le  jeu  d'ailleurs  le  soutenoit  à  Meudon.  Il  étoit  de  tous 
les  voyages,  sans  pourtant  avoir  rien  gagné  sur  Monsei- 
gneur. Néanmoins,  avec  de  si  puissants  entours,  il  comp- 
toit,  sous  lui,  se  ramener  la  fortune.  Il  en  désespéroit  du 
reste  du  règne  du  Roi,  et,  pour  celui  qui  le  devoit  suivre, 
il  avoit  tout  ce  qu'il  falloit  pour  en  être  encore  plus  éloi- 
gné :  aussi  fut-il  fort  affligé. 

Deux  genres  d'hommes  fort  homogènes*,  quoique  fort 

1 .  «  On  dit  proverbialement  et  flgurément  vouloir  voler  sans  avoir 
des  ailes,  pour  dire,  entreprendre  une  chose  au-dessus  de  ses  forces  » 
(Académie,  1718). 

2.  Tome XVII,  p.  149.  — 13.  Ci-dessus,  p.  64.  —  4.  Tome XIV,  p.  9S-96. 
5.  Tome  XVII,  p.  174  et  418.  —  6.  Ibidem,  p.  418. 

7.  Pourtant  est  en  interligne,  au-dessus  de  neantmoins,  biffé. 

8.  «  Homogène,  terme  dogmatique  ;  qui  est  de  même  nature»  (Aca- 
démie, 1718).  Saint-Simon  emploiera  plusieurs  fois  cet  adjectif,  suivi 
de  la  préposition  à;  on  en  trouvera  un  exemple,  suivi  d'avec,  dans 
la  suite  des  Mémoires,  tome  XVI  de  1873,  p.  274. 


[I71t|  DE  SAINT-SIMOiN.  581 

disproportioniK's,  le  furent  jusqu'au  plus  profond  du 
cœur:  les  ministres  et  les  financiers.  On  a  vu,  à  l'occa- 
sion de  rétablissement  du  dixième',  ce  que  le  nouveau 
Dauphin  pensoit  de  ces  derniers,  et  avec  quelle  liberté  il 
s'en  expliquoit.  Mœurs,  conscience,  instruction,  tout  en 
lui  étoit  pour  eux  cause  très  certaine  des  plus  vives  ter- 
reurs. Celle  des  ministres  ne  fut  guères  moindre.  Monsei- 
gneur étoit  le  prince  qu'il  leur  falloit  pour  régner  en  son 
nom,  avec  plus,  s'il  se  peut,  de  pouvoir  qu'ils  n'en  avoient 
usurpé,  mais  avec  beaucoup  moins  de  ménagement  ;  en 
sa  place,  ils  voyoient  arriver  un  jeune  prince  instruit, 
appliqué,  accessible,  qui  voudroit  voir  et  savoir,  et  qui 
avoit,  avec  une  volonté  déjà  soupçonnée,  tout  ce  qu'il 
falloit  pour  les  tenir  bas,  et  vraiment  ministres,  c'est-à- 
dire  exécuteurs-,  et  plus  du  tout  ordonnateurs,  encore 
moins  dispensateurs.  Ils  le  sentirent,  et  déjà  ils  commen- 
cèrent un  peu  à  baisser  le  ton  ;  on  peut  juger  avec  quelle 
douleur. 

Le  Chancelier  perdoit  tout  le  fruit  d'un  attachement  Le  Chancelier 
qu'il  avoit  su  ménager  dès  son  entrée  aux  finances  \  et  et  son  fils. 
qu'il  avoit  eu  moyen  et  attention  de  cultiver  très  soigneu- 
sement par  Bignon  son  neveu,  par  du  Mont,  qu'il  avoit 
rendu  son  ami  par  mille  services,  par  Mlle  de  Lillebonne 
et  Mme  d'Espinoy,  qu'il  s'étoit  aussi  dévouées,  en  sorte 
qu'il  avoit  lieu  de  se  flatter  sous  Monseigneur,  qui  lui 
marquoit  amitié  et  distinction,  du  premier  personnage 
dans  les  affaires  et  d'une  influence  principale  à  la  cour, 
que  ses  talents  étoient  bastants  pour  soutenir  et  pour 
porter  fort  loin,  dans  la  primauté  ^  de  sa  charge.  L'échange 
de  ce  qui  succédoit  étoit  bien  différent  :  rien,  là,  ne  lui 

I.  Tomo  XX.  |).  ITiMSO. 

'2.  G'fst  le  promior  sens  du  mol  ministre  donné  par  les  diction- 
naires. 

3.  Tome  VI,  p.  193. 

•'*.  ((Primauté,  prééminence,  premier  rang»  (Académie,  1718). 
Ce  mol  a  déjà  passé  dans  nos  lomes  V,  p.  358,  cl  VIII,  p.  iil. 


282  MÉMOIRES  [1741] 

rioit.  Ennemi  réputé  des  jésuites,  et  fort  soupçonné  de 
jansénisme,  brouillé  dès  son  entrée  aux  finances  avec  le 
duc  de  Beauvillier,  et  hors  de  bienséance  ensemble  par 
les  prises  au  Conseil,  où  ils  étoient  rarement  d'accord,  et 
où,  sur  les  matières  de  Rome,  elles  se  poussoient  quel- 
quefois loin\  et  sans  ménagement  de  la  part  du  Chan- 
celier, déclaré  de  plus,  même  avec  feu,  contre  l'arche- 
vêque de  Cambray  dans  tout  le  cours  et  les  suites  de  son 
affaire  :  c'en  étoit  trop,  avec  un  caractère  droit,  sec, 
ferme,  pour  ne  se  pas  croire  perdu,  et  pour  que  l'amitié 
qui  s'étoit  maintenue  entre  le  duc  de  Chevreuse  et  lui  lui 
pût  être  une  ressource  ;  et  il  le  sentit  bien.  Son  fils,  aussi 
universellement  abhorré  qu'il  étoit  mathématiquement^ 
détestable,  avoit  encore  trouvé  le  moyen  de  se  faire  éga- 
lement craindre  et  mépriser^,  d'user  même  la  bassesse 
d'une  cour  la  plus  servile,  et  de  se  brouiller  avec  les 
jésuites,  tout  en  faisant  profession  d  intimité  avec  eux\ 
en  les  maltraitant  en  mille  choses,  jusque-là  qu'au  lieu  de 
lui  savoir  gré  de  l'inquisition  et  de  la  persécution  ouverte 
qu'il  faisoit  avec  une  singulière  application  à  tout  ce  qu'il 
croyoit  qui  pouvoit  sentir  le  jansénisme,  ils  l'imputoient^ 
à  son  goût  de  faire  du  mal.  C'étoit  la  bête  ^  de  la  nouvelle 
Dauphine,  qui  ne  s'épargnoit  pas  à  lui  nuire  auprès  du 
Roi.  J'en  dirai  un  trait  entre  plusieurs.  Un  soir  que  Pont- 
chartrain  sortoit  de  travailler  avec  le  Roi,  elle  entra  du 
grand  cabinet  dans  la  chambre  ;  Mme  de  Saint-Simon  la 
suivoit  avec  une  ou  deux  dames.  Elle  avisa  auprès  de  la 

1.  Voyez  notre  tome  VI,  p.  286-287,  et  ci-après,  p. 367  et  374. 

2.  «  Mathématiquement,  selon  les  règles  des  mathématiques  »  (Aca- 
démie, 1718).  Au  figuré,  dans  le  sens  de  rigoureusement  parlant  (Lit- 
tré). 

3.  Saint-Simon  a  déjà  peint  à  plusieurs  reprises  le  caractère  du 
comte  de  Pontchartrain  ;  voyez  notamment  nos  tomes  XII,  p.  323-324, 
et  XVI,  p.  139  et  suivantes. 

4.  Tome  XVI,  p.  141. 

5.  Les  mots  il  l'imputoit  ont  été  corrigés  au  pluriel  après  coup. 

6.  Terme  déjà  rencontré  dans  le  tome  XVII,  p.  342 


(ITllj  DE  SAIM-SIMON.  283 

place  où  Pontcliartrain'  avoit  rtt'',  de  gros  vilains  crachats* 
pleins  do  tabac  :  «  Ah  !  voilà  qui  est  ctï'royablc  !  dit-elle 
au  Roi  ;  c'est  votre  vilain  borgne  ;  il  n'y  a  que  lui  qui 
puisse  faire  de  ces  horreurs-là^;  »  et  de  là  à  lui  tomber 
dessus  de  toutes  les  façons.  Le  Roi  la  laissa  dire,  puis,  lui 
montrant  Mme  de  Saint-Simon,  l'avertit  que  sa  présence 
la  devoit  retenir.  «  Bon!  répondit  *-elIe,  elle  ne  le  dira 
pas  comme  moi  ;  mais  je  suis  sûre  qu'elle  en  pense  tout 
de  même.  Eh  !  qui  est  qui  ^  en  pense  autrement?  »  Là- 
dessus,  le  Roi  sourit,  et  se  leva  pour  passer  au  souper 
Le  nouveau  Dauphin  n'en  pensoit  guères  mieux,  ni  tout 
ce  qui  l'approchoit.  C'étoit  donc  une  meule  "^  de  plus  atta- 
chée au  cou  du  père,  qui  en  sentoit  tout  le  poids,  et 
Mme  de  Maintenon,  de  longue  main  brouillée  avec  le 
père  comme  on  l'a  vu  en  son  temps',  n'aimoit  pas  mieux 
le  fils  que  sa  princesse. 

La  Vrillière  étoit  aimé  parce  qu'il  faisoit  plaisir  de  bonne     La  Vrilllère. 
grâce  aux  rares  occasions  que  sa  charge  lui  en  pouvoit 
fournir,  mais  qui   n'avoit   que  des  provinces  sans  autre 
département  ^  Lui  et  sa  femme  ensemble,  et  chacun  à 
part,  étoient  très  bien  avec  Monseigneur,  amis  intimes  de 

1.  La  tin  de  l'abréviation  Pontch.  surcharge  un  d. 

2.  Nous  avons  vu  (tome  XV,  p.  131)  Mme  de  Nemours  cracher  par 
terre  en  parlant  au  Roi.  et  (tome  XVIL  p.  67  et  480)  Heudicourt,  au 
jeu,  cracher  derrière  lui  sans  s'inquiéter  des  voisins.  C'était  donc  une 
licence  permise  à  la  cour.  Les  manuels  de  civilité  disaient  cependant 
que,  chez  les  grands,  on  devait  cracher  dans  son  mouchoir,  mais  que, 
partout  ailleurs,  il  fallait  le  faire  à  trois  pas  devant  soi  et  mettre  le 
pied  sur  le  crachat.  Tallemant  des  Réaux  (Historiettes,  tome  V,  p.  145) 
parle  des  cinquante-deux  facjons  de  cracher  sur  le  tapis. 

3.  «  Horreur  se  prend  aussi  pour  objet  d'horreur  ;  dans  le  style 
familier,  on  dit  en  parlant  d'une  chose  extrêmement  laide  dans  son 
genre,  c'est  une  horreur  »  {Académie,  1718). 

4.  Les  premières  lettres  de  repondit  surchargent  dit. 

5.  Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  remarquer  que  Saint-Simon  ne 
se  servait  pas  de  la  forme  qui  est-ce  qui. 

6.  Tomes  XVIIL  p.  3o3,  et  XIX.  p.  194.  -  7.  Tome  X,  p.  27-28. 
8.  Déjà  dit  tome  XVI,  p.  32,  et  répété  ci-après,  p.  320. 


284  MÉMOIRES  |17H] 

du  Mont,  et  parvenus  auprès  de  Mlle  Choin  à  une  amitié 
de  confiance  ',  à  quoi  le  premier  écuyeret  Bignon  encore 
plus,  les  avoient  fort  servis.  La  perte  fut  donc  extrême. 
Il  ne  tenoit  d'ailleurs  qu'au  Chancelier,  avec  qui  il  vivoit 
comme  un  fils,  et  cette  liaison  si  naturelle-  m'avoit  été  un 
obstacle  à  l'approcher  du  duc  de  Beauvillier,  à  quoi 
j'avois  vainement  travaillé.  Mme'  de  Mailly,  sa  belle- 
mère,  n'avoit  pas  les  reins  assez  forts*  pour  le  soutenir. 
Il  avoit  un  malheur  domestique  ■',  qu'il  eut  la  sagesse 
d'ignorer  seul  à  la  cour,  et  ce  malheur  creusoit^  sa  ruine. 
Mme  de  la  Vrillière,  en  butte  à  Madame  la  Dauphine, 
triomphoit  d'elle  en  folle  depuis  bien  des  années  sans  mé- 
nagemenf.  Il  y  avoit  eu  jusqu'à  des  scènes,  et  Madame 
la  Dauphine  ne  haïssoit  rien  au  monde  tant  qu'elle.  Tout 
cela  présageoit  un  triste  avenir. 

Voysin.  Voysin,  sans  nulle  autre  protection  que  celle  de  Mme  de 

Maintenon,  sans  art,  sans  tour,  sans  ménagement  pour 
personne,  enfoncé  dans  ses  papiers,  enivré  de  sa  faveur, 
sec,  pour  ne  pas  dire  brutal,  en  ses  réponses,  et  insolent 
dans  ses  lettres^,  n'avoit  pour  lui  que  le  manège  de  sa 
femme  %  et  tous  deux  nulle  liaison  avec  la  nouvelle  cour, 
trop  nouveaux  pour  s'être  fait  des  amis,  et  le  mari  peu 
propre  à  s'en  faire,  peut-être  moins  à  en  conserver,  avec 
une  '"  place  la  plus  enviée  de  toutes,  et  la  moins  difficile 
à  y  trouver  un  successeur. 

Torcy.  Torcy,  doux  et  mesuré,  avoit  pour  soi  la  longue  expé- 

1.  Il  n'a  pourtant  point  parlé  de  ces  liaisons  lorsqu'il  a  énuméré 
les  gens  qui  faisaient  partie  de  la  cabale  de  Meudon:  tome  XVIII,  p.  10 
et  suivantes. 

2.  Ils  étaient  cousins,  issus  tous  deux  de  M.  d'Herbault,  secrétaire 
d'État  sous  Louis  XIII. 

3.  Avant  M',  il  a  biffé  et,  et  changé  la  virgule  en  point. 

4.  Ci-dessus,  p.  268.  —  S.  Tomes  VII,  p.  147,  et  XII,  p.  272. 

6.  Au  sens  d'approfondir.  —  7.  Tome  XII,  p.  272-274  et  276-278. 

8.  Voyez  le  portrait  déjà  fait  dans  le  tome  XVII,  p.  457-459. 

9.  Ibidem,  p.  453-456. 

10.   Un,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 


|I71  l|  DE  S.M.NT-Sl.MO.N.  285 

rienco  des  atl'aires'  et  le  secret  de  l'Ltat  et  des  postes, 
beaucoup  d'amis,  et  point  d'ennemis  alors.  Il  étoit  cou- 
sin germain  des  duchesses  de  Chevreuse  et  de  Beauvil- 
lier,  et  gendre  de  Pomponne,  pour  qui  MM.  de  Che- 
vreuse et  de  Beauviilier  avoient  une  confiance  entière, 
et  une  estime  qui  alloit  à  la  vénération  ;  d'ailleurs  sans 
liaison  avec  Monseigneur,  ni  avec  la  cabale  frappée-.  Une 
telle  position  sembloit  heureuse  à  l'égard  de  la  nouvelle 
cour;  mais  ce  n'étoit  qu'une  écorce^:  au  fonds,  Torcy 
n'étoit  qu'en  bienséance  avec  les  ducs  et  les  duchesses 
de  Chevreuse  et  de  Beauviilier:  ni  la  parenté,  ni  le  com- 
merce continuel  et  indispensable  d'affaires  n'avoient  pu 
fondre  les  glaces  qui  s'étoient  mises  entre  eux*.  Ils  ne  se 
voyoient  que  par  nécessité  d'affaires  ou  de  bienséance,  et 
cette  froide  bienséance  n'étoit  pas  même  poussée  bien 
loin.  Torcy  et  sa  femme  vivoient  dans  la  plus  parfaite 
union.  Mme  de  Torcy,  avec  de  l'humeur  et  de  la  hau- 
teur, ne  daignoit  pas  voiler  assez  ses  sentiments.  Son 
nom^  les  rendoit  encore  plus  suspects*,  et  quelque  chose 
de  plus  que  du  crédit  qu  elle  avoit  pris  sur  son  mari  le 
rendoit  coupable  d'après  elle,  et  conséquemment,  aux 
yeux  des  deux  ducs,  dangereux  dans  le  ministère".  Il  ne 

i.  Voici  comment  M.  de  Chevreuse  le  dépeignait  à  l'archevêque  de 
Cambray  en  ITUit  {Correspondance  de  Fenclon,  tome  I,  p.  i89)  : 
«  M.  de  Torcy  est  très  bon  secrétaire,  entend  même  assez  bien  les 
intérêts  des  princes  et  le  nôtre;  il  n'est  pas  incapable  de  fournir  des 
expédients,  et  il  sait  les  tours  des  négociations.  Il  a  de  la  droiture  et 
veut  bien  remplir  son  devoir.  Plus  de  t'eu  et  de  vivacité  pour  pour- 
suivre sans  relâche  ni  délai  ce  qui  est  entre  ses  mains,  plus  de  cou- 
rage et  de  fermeté  pour  l'inculquer,  sans  se  rebuter  de  choses  en  effet 
très  rebutantes,  le  rendroient  un  bon  sujet.   » 

•2.  Ci-dessus,  p.  3i. 

3.  «  Écorce,  signitie  tigurément  superûcie,  apparence  »  {Académie, 
4718).  Ce  mot  a  été  déjà  rencontré  plusieurs  fois. 

4.  Un  a  fumet  de  jansénisme  »  le  séparait  d'eux,  a-t-il  dit  dans  le 
tome  XVIII,  p.  18. 

5.  Elle  était  tille  d'Arnauld  de  Pomponne,  comme  il  vient  d'être  dit. 
G.  Voyez  l'Addition  au  Journal  de  Danyeau,  tome  XVI,  p.  68. 

7.  D'après  l'aveu  de  Torcy  lui-mèmo  (Journal,  p.  '234),  le  Roi  en 
1710  affectait  de  le  tenir  à  l'écart  et  même  de  le  mortitier. 


286  MÉMOIRES  [17H] 

fléchissoit  point  au  Conseil  sur  les  matières  de  Rome,  où, 
tout  en  douceur  \  il  soutenoit  avec  force  et  capacité  les 
avis  que  le  Chancelier  embrassoit  après,  et  qui  donnoient 
lieu  à  ses  prises  avec  le  duc  de  Beauvillier,  qui  y  souf- 
froit  beaucoup  des  raisons  détaillées  de  l'un,  soutenues 
de  la  force  et  de  l'autorité  de  l'autre-.  Mme  de  Torcy 
étoit  moins  aimée  que  Torcy,  et  plutôt  éloignée  qu'appro- 
chée de  la  nouvelle  Dauphine,  pour^  qui  elle  ne  s'étoit 
jamais  contrainte,  encore  moins  pour  qui  que  ce  fût*.  Elle 
ne  laissoit  pas  d'avoir  des  amis  ainsi  que  Torcy,  mais 
dont  pas  un  n'étoit  d'aucune  ressource  pour  le  futur  que  ^ 
sa  sœur^  par  Madame  la  Duchesse,  qui  put  leur  faire 
regretter  Monseigneur. 
Desmaretz.  Desmaretz  avoit  assez  longtemps  tâté  de  la  plus  pro- 

fonde disgrâce  pour  avoir  pu  faire  d'utiles  réflexions,  et 
il  avoit  été  ramené  sur  l'eau''  avec  tant  de  travail  et  de 
peine,  qu'il  devoit  avoir  appris  à  connoître  les  amis  de 
sa  personne,  et  à  discerner  ceux  que  les  places  donnent 
toujours,  mais  qui  ne  durent  qu'autant  qu'elles.  Il  avoit 
assez  d'esprit  et  de  sens  pour  que  rien  lui  *  manquât  de 
ce  côté-là  pour  la  conduite  ^  et  cependant  il  en  manqua 

1.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  pas  cette 
expression  en  douceur,  au  sens  de  sans  éclat,  avec  modération. 

2.  Voyez  notre  tome  XVIII,  p.  9,  et  ci-dessus,  p.  282. 

3.  L'abréviation  p»"  surcharge  un  à. 

4.  On  a  vu,  tome  XV,  p.  241-251,  son  aventure  à  un  souper  du  Roi. 

5.  Toute  cette  tin  de  la  phrase  a  été  ajoutée  dans  le  blanc  resté  à  la 
fin  du  paragraphe  et  en  interligne. 

6.  Non  pas  la  sœur  de  Mme  de  Torcy,  qui  n'en  avait  point,  mais 
celle  de  son  mari,  Mme  de  Bouzols,  dont  on  a  vu  à  diverses  reprises  la 
liaison  avec  Madame  la  Duchesse,  et  en  dernier  lieu  au  tome  XIX,  p.  18. 

7.  «  On  dit  hgurément  de  ceux  qui  ont  rétabli  leurs  affaires,  quHls 
sont  revenus  sur  l'eau  »  (Académie,  1718).  Saint-Simon  a  déjà  em- 
ployé une  expression  analogue,  à  propos  du  même  Desmaretz,  dans 
le  tome  XV,  p.  379. 

8.  Le  manuscrit  porte  bien  rien  lui  sans  la  négation  ne. 

9.  Voyez  le  portrait  qui  sera  donné  de  Desmaretz  lors  de  sa  mort, 
dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XVII  de  1873,  p.  236-237). 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  287 

tout  à  fait.  Le  ministère  l'enivra  ;  il  se  crut  l'Atlas  qui  sou- 
tenoit  le  monde',  et  dont  l'État  ne  pouvoit  se  passer;  il 
se  laissa  séduire*  j)ai'  les  nouveaux  amis  de  coui-,  et  il 
compta  pour  rien  ceux  de  sa  disgrâce.  On  a  vu  ailleurs^ 
que  mon  père,  et  moi  à  son  exemple,  avions  été  des 
principaux,  et  que  je  l'avois  fort  servi  auprès  de  Chamil- 
lart  et  pour  rentrer  dans  les  finances*,  et  pour  lui  succé- 
der dans  la  place  de  contrôleur  générale  On  a  vu  qu'il  ne 
l'ignoroit  pas,  et  tout  ce  qui  se  passa  là-dessus  entre  lui 
et  moi  "^.  .\vec  la  déclaration  que  je  lui  avois  faite,  et  que 
je  tins  exactement,  il  devoit  donc"  être  doublement  à  son 
aise  avec  moi.  Néanmoins,  je  m'aperçus  bientôt  qu'il  se 
refroidissoit.  Je  suivis  de  l'œil  sa  conduite  à  mon  égard 
pour  ne  me  pas  méprendre  entre  ce  qui  pouvoit  être  acci- 
dentel dans  un  homme  chargé  d'atï'aires  épineuses,  et  ce 
que  j'en  soupçonnois.  Mes  soupçons  devinrent  une  évi- 
dence, qui  me  firent  retirer  de  lui  tout  à  fait,  sans  toute- 
fois faire  semblant  de  rien.  Les  ducs  de  Chevreuse  et  de 
Beauvillier*  s'aperçurent  de  cette  retraite  ;  ils  m'en  par- 
lèrent; ils  me  pressèrent;  je  leur  avouai  le  fait  et  la  cause. 
Ils  essayèrent  de  me  persuader  que  Desmaretz  étoit  le 
même  pour  moi,  et  qu'il  ne  falloit  pas  prendre  garde  au 
froid  et  à  la  distraction  que  lui  donnoient  ses  tristes  occu- 
pations. Ils'  m'exhortèrent  souvent  d'aller  chez  lui;  je 
les  laissois  dire,  et  ne  changeois  rien  à  ce  que  je  ra'étois 
proposé.  A  la  fin,  lassés  de  mon  opiniâtreté  pendant  le 
dernier  voyage  de    Fontainebleau  '",  ils   me   prirent  un 

t.  Selon  la  mythologie  grecque,  Atlas  était  un  géant,  tils  de  Jupiter 
et  deClymène;  on  le  représentait  comme  soutenant  sur  ses  épaules 
la  voûte  du  ciel. 

"2.  Le  commencement  de  séduire  surcharge  une  /. 

3.  Tome  VII.  p.  t;^6-t37  et  o«9-o91.  —  4.  Tome  XI,  p.  2o2-2o6. 

o.  Tome  XV,  p.  371-373.  —  G.  Ibidem,  p.  375-382. 

7.  Donc  est  eu  interligne.  —  8.  Ici,  Beauvilliers. 

9.  Il  y  a  i7,  au  singulier,  par  mégardc,  dans  le  manuscrit. 
10.  On  a  vu  ci-dessus  (p.  265,  note  6)  que  ce  voyage  dura  de  la  mi 
juillet  à  la  mi-septembre. 


288  MÉMOIRES  [1711] 

matin,  et  me  menèrent  dîner  chez  Desmaretz.  Je  résistai  ; 
ils  le  voulurent  ;  j'obéis  et  leur  dis  qu'ils  auroient  donc 
le  plaisir  d'être  convaincus  par  eux-mêmes.  En  effet,  le 
froid  et  l'inapplication  ^  furent  si  marqués  pour  moi,  que 
les  deux  ducs,  piqués,  me  l'avouèrent,  et  convinrent  que 
j'avois  raison  de  cesser  de  le  voir^  Eux-mêmes  ne  tar- 
dèrent pas  d'éprouver  la  même  chose.  L'honneur  d'être 
leur  cousin  germain  étoit  le  plus  grand  relief  de  Desma- 
retz ^  et  leur  situation  un  appui  pour  lui  et  une  décora- 
tion infinie.  La  relation  nécessaire  d'affaires  avec  eux  étoit 
un  autre  lien.  Enfin  c'étoit  eux  qui,  à  force  de  bras  par 
Chamillart  et  par  eux-mêmes,  l'avoient  tiré  d'opprobre 
et  remis  en  honneur  et  dans  le  ministère  ^  Malgré  tant  de 
raisons  si  majeures  d'attachement  et  d'union,  il  les  mit  au 
même  point  où  j'étois  avec  lui.  Ils  ne  se  voyoient  que  de 
loin  à  loin  ^  par  une  rare  bienséance,  et  fort  peu  de 
communication  d'affaires,  qui  ne  se  pouvoit  éviter  entiè- 
rement avec  le  duc  de  Beauvillier,  de  qui  je  sus,  vers  ces 
temps-ci,  que  lui  ni  le  duc  de  Chevreuse  ne  lui  parloient 
plus  de  rien,  et  qu'ils  étoient  hors  de  toute  portée  avec 
lui.  Il  alla  jusqu'à  persécuter  ouvertement  le  vidame 
d'Amiens,  et  les  chevau-légers  à  cause  du  vidame®,  qui 
rompit  ouvertement  avec  lui.  Il  n'en  usa  pas  mieux  avec 

1.  «  Inattention,  défaut  d'application  »  {Académie,  1718).  En  citant 
le  présent  emploi,  Littré  a  fait  observer  que  c'était  une  locution  vieillie 
dans  le  sens  qu'on  a  ici. 

2.  Saint-Simon  reviendra  à  maintes  reprises,  dans  la  suite  des  Mé- 
moires, sur  l'ingratitude  de  Desmaretz  à  son  égard;  voyez  notamment 
les  tomes  IX  de  l'édition  de  1873,  p.  7,  X,  p.  303,  et  XI,  p.  402. 

3.  Ici,  Desmaretz,  et  non  plus  Desmarests,  comme  à  l'habitude. 

4.  Tomes  XI,  p.  252-256,  et  XV,  p.  360-375. 

5.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  que  cette 
locution  de  loin  à  loin,  encore  conservée  dans  la  dernière  édition 
(1878),  qui  cependant  donne  aussi  celle,  plus  habituelle  de  nos  jours, 
de  loin  en  loin. 

6.  Nous  avons  vu,  en  1704,  le  vidame  succéder  à  son  frère  le  duc 
de  Montfort,  comme  capitaine-lieutenant  des  chevau-légers  de  la  garde  ; 
tome  XII,  p.  210. 


flTlll  DE  SAINT-SIMON.  289 

Torcv,  sa  mère'  et  sa  sœur-,  dont  il  avoit  été  le  com- 
mensal depuis  ses  premiers  retours  de  Maillebois  jusqu'à 
son  entrée  dans  le  ministère,  et  il  les  poussa  tous  trois  à 
ne  le  plus  voir  du  tout.  Le  Chancelier,  qui,  à  la  vérité, 
n'avoit  pas  été  heureux  pour  lui,  mais  qui  avoit  rompu 
auprès  du  Roi  les  premières  glaces  pour  le  rappeler  aux 
finances  du  temps  qu'il  étoit  contrôleur  général ',  étoit  le 
seul  de  tous  les  ministres  qui  ne  fût  pas  payé  en  sorte 
qu'il  n'eût  rien  à  se  reprocher  du  côté  de  l'ingratitude, 
dans  une  place  et  avec  une  *  humeur  féroce  dont  il  n'étoit 
pas  maître,  qui  le  rendoit  redoutable  aux  femmes  mêmes% 
et  d'une  paresse  qui  ralentissoit  tout''.  Une  conduite  si 
dépravée  ne  lui  donnoit  pas  beau  jeu  pour  l'avenir,  et 
son  peu'  d'accès  auprès  de  Monseigneur  et  de  son  intime 
cour  ne  lui  faisoit  rien  perdre  à  ce  qui  venoit  de  dispa- 
roître.  Telle  étoit,  à  la  mort  de  Monseigneur,  la  situation 
des  ministres.  Il  faut  venir  maintenant  à  celle  du  duc  de 
Beauvillier,  et  de  ceux  qui  trouvèrent  leur  ressource 
dans  ce  grand  changement,  et  voir  après  les  effets  de  ces 
contrastes. 

Peu  de  gens  parurent  sur  la  scène  du   premier  coup  Duc 

d'œil.  Ceux-là  même  ne  purent  être  guères  aperçus,  hors  ^^  Beauvilher. 
les  principaux  ou  les  plus  marqués,  par  les  mesures  poli- 
tiques dont  ils  se  couvrirent^  ;  mais  on  peut  juger  qu'il  y 
eut  presse  d'avoir  part  avec  ces  principaux,  et  avec  ceux 

i.  Mme  de  Croissy  :  tome  XII,  p.  404.  —  '2.  Mme  de  Bouzols. 

3.  En  1700,  racontant  (tome  VII,  p.  137-138)  la  permission  donnée 
à  Chamillart  de  se  servir  des  lumières  de  Desmarelz,  l'auteur  n'a  pas 
parlé  de  l'intervention  antérieure  de  Pontchartrain. 

4.  Un,  dans  le  manuscrit. 

o.  Par  la  suite,  il  le  traitera  d'  «  ogre  »,  d'  «  animal  bourru  »,  de 
«  vizir  rogue  et  brutal  »,  etc. 

6.  Voyez  tome  VII,  p.  131. 

7.  Les  mots  et  son  peu  sont  en  interlij,'ne,  au-dessus  d'un  premier 
et  son  peu,  biiïé.  qui  surchargeait  telle  estait. 

8.  Saint-Simon  l'ait  allusion  à  sa  situation  personnelle;  ci-après, 
p.  304-300. 

MEMOlRKï    DL    SAINT-.SIMU.N .    XXI  19 


290  MÉMOIRES  fl71d] 

des  autres  qui  purent  être  reconnus.  On  peut  imaginer 
encore  quels  furent  les  sentiments  du  duc  de  Beauvillier, 
le  seul  homme  peut-être  pour  lequel  Monseigneur  avoit 
conçu  une  véritable  aversion,  jusqu'à  ne  l'avoir  pu  dissi- 
muler', laquelle  étoit  sans  cesse  bien  soigneusement 
fomentée.  En  échange,  Beauvillier  voyoit  l'élévation  ines- 
pérée d'un  pupille  qui  se  faisoit  un  plaisir  secret  de  l'être 
encore,  et  un  honneur  public  de  le  montrer,  sans  que 
rien  eût  pu  le  faire  changer  là-dessus.  L'honnête  homme 
dans  l'amour  de  l'État,  l'homme  de  bien  dans  le  désir  du 
progrès  de  la  vertu,  et,  sous  ce  puissant  auspice^,  un 
autre  Monsieur  de  Cambray  dans  Beauvillier,  se  voyoit  à 
portée  de  servir  utilement  l'État  et  la  vertu,  de  préparer 
le  retour  de  ce  cher  archevêque,  et  de  le  faire  un  jour 
son  coopérateur  en  tout.  A  travers  la  candeur  et  la  piété 
la  plus  pure,  un  reste  d'humanité  inséparable  de  l'homme 
faisoit  goûter  à  celui-ci  un  élargissement^  de  cœur  et 
d'esprit  imprévu,  un  aise*  pour  des  desseins  utiles  qui 
désormais  se  remplissoient  comme  d'eux-mêmes,  une 
sorte  de  dictature  enfin  d'autant  plus  savoureuse  qu'elle 
étoit  plus  rare  et  plus  pleine,  moins  attendue  et  moins 
contredite,  et  qui,  par  lui,  se  répandoit  sur  les  siens,  et 
sur  ceux  de  son  choix.  Persécuté  au  milieu  de  la  plus 
éclatante  fortune,  et,  comme  on  l'a  vu  ici  en  plus  d'un 
endroit  %  poussé   quelquefois  jusqu'au  dernier  bord  du 

1.  Il  a  dit  ci-dessus,  p.  73,  que  «  Monseigneur  n'eut  que  deux 
hommes  d'aversion  dans  toute  la  cour  :  ...  le  maréchal  de  Villeroy  et 
M.  de  Lauzun  »;  et  qu'il  en  avait  «  une  fort  marquée  pour  les  ducs  de 
Chevreuse  et  de  Beauvillier;  mais  c'étoit  l'effet  de  la  cabale  ». 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  auspice  au 
singulier  que  pour  désigner  les  présages  de  l'antiquité. 

3.  Terme  déjà  relevé  au  figuré  dans  le  tome  XVIII,  p.  391. 

4.  U Académie  n'indiquait  le  mot  aise  qu'au  féminin  ;  il  n'y  a  peut- 
être  ici,  de  la  part  de  notre  auteur,  qu'un  lapsus  de  plume  comme 
ceux  que  nous  avons  relevés  ci-dessus,  p.  138,  242,  284,  289,  et 
ci-après,  p.  300  et  383. 

0.  Tomes  V,  p.  144  et  suivantes,  et  XVII,  p.  138-167. 


i 


flTlll  DE  SAINT-SIMON.  -291 

précipice,  il  se  trouvoit  tout  d'un  coup  fondé  sur'  le  plus 
ferme  rocher-,  et  peut-être  ne  regarda-t-il  pas  sans  quel- 
que complaisance  ces  mêmes  vagues,  de  la  violence  des- 
(juelles  il  avoit  pensé  être  emporté  quelquefois,  ne 
pouvoir  plus  que  de  se  briser  à  ses  pieds  \  Son  âme,  toute- 
fois, parut  toujours  dans  la  môme  assiette  *  :  même  sa- 
gesse, même  modération,  même  attention,  même  douceur, 
même  accès,  même  politesse,  même  tranquillité  ^  sans  le 
moindre  relent*^  d'élévation,  de  distraction,  d'empresse- 
ment. Une  autre  cause  plus  digne  de  lui  le  combloit 
d'allégresse  :  sûr  du  fonds  du  nouveau  Dauphin,  il  prévit 
son  triomphe  sur  les  esprits  et  sur  les  cœurs  dès  qu'il  se- 
roit  affranchi  et  en  sa  place,  et  ce  fut  sur  quoi'  il  s'aban- 
donna secrètement  avec  nous  à  sa  sensibilité.  Chevreuse, 
un  avec  lui  dans  tous  les  temps  de  leur  vie,  s'éjouit*  avec 
lui  de  la  même  joie,  et  y  en  trouva  les  mêmes  motifs  ;  et 
leurs  familles  s'applaudirent  d'un  consolidement^  de  for- 
tune et  d'éclat  qui  ne  tarda  pas  à  paroître.  Mais  celui  de 
tous  à  qui  cet  événement  devint  •"  le  plus  sensible  fut 
Fénelon,  archevêque  de  Gambray.  Quelle  préparation, 

1.  Sur  surcharge  un. 

2.  Allusion  au  Domus  fundata  super  petram  de  l'Évangile  selon 
saint  Luc,  chap.  vi,  verset  48. 

3.  Est-ce  un  souvenir  du  Suave  mari  magno  de  Lucrèce  ? 

4.  «  Assiette  se  dit  tigurément  de  l'état  et  de  la  disposition  de  l'es- 
prit :  U  n'a  pas  l'esprit  dans  une  bonne  assiette,  dans  une  égale 
assiette  »  (Académie,  1718). 

5.  Ces  deux  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

6.  Nous  avons  vu,  tome  XII,  p.  45,  que  Saint-Simon  écrit  relan. 

7.  Quoy  est  en  interligne,  au-dessus  de  qui,  biffé. 

8.  Les  lexiques  de  l'époque  ne  donnaient  plus  le  verbe  s'éjouir, 
dont  le  Littré  cite  des  exemples  de  la  Fontaine  et  de  Pascal,  et  que 
nous  trouverons  encore  employé  dans  la  suite  des  Mémoires  (tome 
XVII  de  1873,  p.  -242). 

9.  On  ne  trouve  dans  les  dictionnaires  contemporains  que  le  mot 
consolidation.  Littré  n'a  relevé  pour  consolidement  que  deux  exemples 
de  Saint-Simon. 

10.  Devint  est  en  interligne,  au-dessus  de  fut,  biffé. 


292  MÉMOIRES  [171i] 

quelle  approche  d'un  triomphe  sûr  et  complet,  et  quel 
puissant  rayon  de  lumière  vint  à  '  percer  tout  à  coup  une 
demeure  de  ténèbres  ! 
Fcnelon  Continé  depuis  douze  ans-  dans  son  diocèse,  ce  prélat 

archevêque  de  y  yieillissoit  SOUS  le  poids  inutile  de  ses  espérances,  et 
vojoit  les  années  s'écouler  dans  une  égalité  qui  ne  pou- 
voit  que  le  désespérer.  Toujours  odieux  au  Roi,  à  qui 
personne  n'osoit  prononcer  son  nom,  même  en  choses  in- 
différentes, plus  odieux  à  Mme  de  Maintenon  parce  qu'elle 
l'avoit  perdu,  plus  en  butte  que  nul  auLre  à  la  terrible 
cabale  qui  disposoit  de  Monseigneur,  il  n'avoit  de  res- 
source qu'en  l'inaltérable  amitié  de  son  pupille  devenu 
lui-même  victime  de  cette  cabale,  et  qui,  selon  le  cours 
ordinaire  de  la  nature,  le  devoit  être  trop  longtemps  pour 
que  le  précepteur  pût  se  llatter  d'y  survivre,  ni  par  con- 
séquent de  sortir  de  son  état  de  mort  au  monde.  En  un 
clin  d'œil,  ce  pupille  devient  Dauphin  ;  en  un  autre, 
comme  on  le  va  voir  ^,  il  parvient  à  une  sorte  d'avant- 
règne.  Quelle  transition  pour  un  ambitieux  I  On  l'a  déjà 
fait  connoître  lors  de  sa  disgrâce*.  Son  fameux  Télé- 
maque  '%  qui  l'approfondit  plus  que  tout  et  la  rendit  incu- 

1.  Les  mots  vint  à  ont  été  ajoutés  en  tin  de  ligne,  après  lumière, 
et,  au  commencement  de  la  ligne  suivante,  perçant  a  été  corrigé  en 
percer,  mais  sans  biffer  la  cédille. 

2.  Depuis  4697  :  tome  IV,  p.  105.  —  3.  Ci-après,  p.  316. 

4.  Tome  IV,  p.  104-106. 

5.  Il  a  déjà  été  parlé  du  Télémaque  dans  notre  tome  VI,  p.  156, 
note  d.  C'est  en  avril  1699  que  parut  chez  la  veuve  Claude  Barbinj  en 
un  volume  in-12  et  sans  nom  d'auteur,  le  commencement  du  récit, 
sous  le  titre  de  Suite  du  quatrième  livre  de  l'Odyssée  d'Homère  ou 
les  Aventures  de  Télémaque,  fils  d'Ulysse.  Le  privilège  était  daté  du 
6  avril;  mais  le  volume  s'arrête  à  la  page  208,  Fénelon,  averti,  en 
ayant  racheté  tous  les  exemplaires  et  interdit  la  continuation  (Lettres 
de  Madame,  recueil  Jseglé,  t.  I,  p.  201).  Déjà,  l'année  précédente, 
des  copies  en  avaient  circulé  sous  le  manteau,  et  c'est  cette  circons- 
tance qui  permit  au  libraire  hollandais  Adrien  Moetjens,  de  la  Haye, 
de  publier  une  édition  complète  de  l'ouvrage  dès  1699.  Une  autre, 
tentée  à  Rouen,  en  février  1700,  fut  vite  découverte  et  saisie  par  la 


flTll]  DE  SAI.XT-SIMOX.  -20.3 

rable,  le  peint  d'après  nature.  C'étoient  les  thèmes  de  son 
pupille  qu'on  déroba,  qu'on  joignit,  qu'on  publia  à  son 
insu  dans  la  force  de  son  aflPaire',  M.  de  \oailles,  qui, 
comme  on  l'a  vu,  ne  vouloit  rien  moins  que  toutes  les 
places  du  duc  de  Beauvillier-,  disoit  au  Roi  alors,  et  à 
qui  voulut  l'entendre,  qu'il  falloit  être  ennemi  de  sa  per- 
sonne pour  l'avoir  composé^.  Quoique  si  avancés  ici  dans 

police  (reg.  0'  U,  fol.  30,  60  et  iOo,  et  0»  362,  fol.  339;  Gazette 
d'Amf<tcrdam,  Extraordinaire  xv).  Le  nom  de  l'auteur  ne  parut  que 
sur  l'édition  de  iTOl  du  même  Moetjens.  En  1717,  le  neveu  de  Féne- 
ion  en  donna  une  définitive,  qu'il  prétendit  revue  sur  les  manuscrits 
de  son  oncle.  Il  a  été  parlé  à  différentes  reprises  de  cet  ouvra£;e  dans 
la  Correspondance  de  Fénelon  (tomes  I.  p.  97,  II,  p.  439,  III,  p.  247- 
248,  et  X,  p.  4'tO),  qui  s'est  disculpé  d'avoir  voulu  écrire  un  pamphlet 
politique.  Dans  l'édition  do  ses  Œuvres  (tome  XX,  p.  i  et  suivantes), 
on  trouvera  une  notice  sur  les  manuscrits  et  les  éditions  du  Télémaque, 
et  l'abbé  Caron  a  publié  en  1840  des  Recherches  bibliographiques  sur 
le  Télémaque.  Saint-Simon  avait  dans  sa  bibliothèque  l'édition  de  1724 
(Catalogue,  n°38o). 

1.  Nous  venons  de  voir  qu'il  ne  fut  publié  qu'en  1699,  alors  que 
Fénelon  était  en  disgrâce  depuis  deux  ans.  Il  n'est  pas  douteux  que 
l'archevêque  n'ait  composé  son  récit  pour  l'instruction  de  son  élève  ; 
mais  il  est  difficile  de  croire,  comme  le  dit  Saint-Simon,  que  le  canevas 
en  ait  été  «  les  thèmes  de  son  pupille,  qu'on  déroba  et  qu'on  joignit.  » 
L'opinion  la  plus  communément  admise  est  que  le  Télémaque,  confié 
à  un  domestique  par  le  prélat,  pour  en  faire  une  copie,  fut  communi- 
qué par  le  copiste  à  diverses  personnes,  et  que  le  succès  obtenu  en- 
gagea l'infidèle  à  en  vendre  des  copies,  dont  une  ou  plusieurs  parvin- 
rent aux  mains  des  libraires.  Un  critique  moderne  disait  naguère  que 
l'ouvrage  fut  écrit  au  prieuré  de  Carennac. 

2.  Tome  V,  p.  145. 

3.  Toute  la  cour  voulut  voir  dans  le  Télémaque  des  allusions  politi- 
ques. «  On  avoit  persuadé  au  Roi.  a  dit  ailleurs  notre  auteur  (Ecrits 
inédits,  tome  IV,  p.  438),  qu'Astarbé  et  Pygmalion  dans  Tyr  étoit  sa 
peinture  et  celle  de  Mme  de  Maintenon  dans  Versailles  ;  celle-ci  n'y 
pouvoit  penser  sans  en  frémir  de  rage.  »  La  Beaumelle  (Mémoires  pour 
servir  d  l'hiitoire  de  Mme  de  Maintenon,  tome  IV,  p.  124-130)  a  écrit 
un  très  curieux  chapitre  sur  le  Télémaque,  la  manière  dont  il  fut  connu, 
et  l'opinion  qu'en  conçut  Louis  XIV.  Au  dire  de  Madame  (Lettres, 
recueil  J»glé,  I.  I,  p.  217),  le  Roi  en  permettait  encore  la  lecture  en 
manuscrit  au  duc  de  Bourgogne  dans  le  courant  de  l'année  1700.  L'ou- 


294  MÉMOIRES  [1711] 

la  connoissance  d'un  prélat  qui  a  fait,  jusque  du  fonds  de 
sa  disgrâce,  tant  de  peur',  et  une  figure  en  tout  état  si 
singulière,  il  ne  sera  pas  inutile  d'en  dire  encore  un  mot 
ici.  Plus^  coquet  que  toutes  les  femmes,  mais  en  solide, 
et  non  en  misères,  sa  passion  étoit  de  plaire,  et  il  avoit 
autant  de  soin  de  captiver  les  valets  que  les  maîtres,  et 
les  plus  petites  gens  que  les  personnages^.  Il*  avoit  pour 
cela  des  talents  faits  exprès  :  une  douceur,  une  insinua- 
tion, des  grâces  naturelles  et  qui  couloient  de  source,  un 
esprit  facile,  ingénieux,  fleuri,  agréable  ^  dont  il  tenoit, 

vrage  fut  très  diversement  apprécié.  Si  Madame  (ibidem,  p.  201)  en 
fait  l'éloge,  le  cardinal  de  Noailles  et  son  neveu  l'évèque  de  Châlons 
(Archives  de  la  Bastille,  tome  IX,  p.  91)  le  regardaient  comme  per- 
nicieux ;  c'était  aussi  l'opinion  de  Bossuet  (Journal  de  l'abbé  Ledieu, 
tome  II,  p.  12-14  et  22).  Voltaire  en  a  fait  la  critique  dans  le  chapitre 
XXXII  du  Siècle  de  Louis  XIV,  et  Boileau  communiqua  son  sentiment  à 
son  ami  Brossette  dans  une  lettre  du  10  novembre  1699  qui  a  passé  en 
vente  chez  Etienne  Charavay  le  17  novembre  1894.  L'ex-bénédictin 
Gueudeville,  converti  au  protestantisme  et  fondateur  de  l'Esprit  des 
cours  de  l'Europe,  publia  de  1700  à  1702,  sous  la  rubrique  de  Cologne, 
une  Critique  générale  (en  cinq  parties)  des  Aventures  de  Télé- 
maque. 

i.  Il  a  déjà  dit,  dans  le  tome  XV,  p.  366-367,  que  la  haine  et  la 
crainte  restaient  toujours  chez  ceux  qui  l'avaient  renversé. 

2.  On  peut  rapprocher  le  portrait  qui  va  suivre  de  celui  qui  a  été  pu- 
blié dans  les  Écrits  inédits  (tome  IV,  p.  448  et  suivantes),  de  celui 
qui  reviendra  dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XI,  p.  57  et  suivantes), 
et  les  comparer  avec  celui  qu'on  trouve  dans  le  tome  XIII  des  Œuvres 
de  Daguesseau  (p.  167-169).  Tous  les  contemporains  s'accordent  à  re- 
connaître l'amabilité  de  Fénelon,  sa  douceur,  sa  complaisance  et  la 
séduction  qu'il  exerçait  sur  tout  le  monde.  Mme  de  Maintenon  s'y  laissa 
prendre  une  des  premières,  et  le  regarda  comme  «  un  saint  »  (Lettres 
historiques  et  édifiantes,  tome  II,  p.  50).  Lorsqu'il  mourut,  le  P.  Sa- 
nadon,  l'ancien  directeur  de  conscience  de  Saint-Simon,  composa  un 
éloge  funèbre,  qui  est  conservé  dans  le  ms.  Arsenal  4258,  fol.  49-53, 
et  où  l'on  retrouve  la  plupart  des  traits  reproduits  ici.  Notre  auteur 
s'en  est-il  servi  ? 

3.  Déjà  dit  au  tome  II,  p.  340. 

4.  Avant  il,  Saint-Simon  a  biffé  et. 

5.  «  Le  plus  bel  esprit  et  le  plus  chimérique  du  royaume  »,  disait 
Louis  XIV,  selon  Daguesseau,  «  à  tout  prendre,  un  bel  esprit  et  un 


[I7H]  DE  SAI.XT-SIMO.X.  29o 

pour  ainsi  dire,  le  robinet'  pour  en  verser  la  qualité  et 
la  quantité  exactement  convenable  à  chaque  chose  et  à 
chaque  personne  ;  il  se  proportionnoit  et  se  faisoit  tout  à 
tous.  Une  figure  fort  singulière,  mais  noble,  frappante, 
perçante,  attirante  -  ;  un  abord  facile  à  tous  ;  une  conver- 
sation aisée,  légère,  et  toujours  décente  ;  un  commerce 
enchanteur  ;  une  piété  facile,  égale,  qui  n'eflfarouchoit 
point,  et  se  faisoit  respecter^  ;  une  libéralité  bien  enten- 
due ;  une  magnificence  qui  n'insultoit  point,  et  qui  se 
versoit  sur  les  otïiciers  et  les  soldats,  qui  embrassoit  une 
vaste  hospitalité  *,  et  qui,  pour  la  table,  les  meubles  et  les 
équipages,  demeuroit  dans  les  justes  bornes  de  sa  place  ; 
également  officieux  et  modeste,  secret  dans  les  assistances 
qui  se  pouvoient  cacher,  et  qui  étoient  sans  nombre,  leste 
et  délié  sur  les  autres  jusqu'à  devenir  l'obligé  de  ceux  à 
qui  il  les  donnoit,  et  à  le  persuader  ;  jamais  empressé, 
jamais  de  compliments,  mais  une  politesse  qui,  en  embras- 
sant tout,  étoit  toujours  mesurée  et  proportionnée,  en 
sorte  qu'il  sembloit  à  chacun  qu'elle  n'étoit  que  pour  lui, 
avec  ^  cette  précision  dans  laquelle  il  excelloit  singulière- 
grand  homme  »,  selon  notre  auteur  (Addition  au  Journal  de  Dan- 
geau,  tome  XV,  p.  333). 

1.  «  On  dit  d'un  grand  parleur  que,  quand  une  fois  le  robinet  est 
lâché,  il  a  de  la  peine  à  finir;  il  est  bas  »  (Académie,  4718). 

2.  On  connaît  plusieurs  portraits  du  prélat  ;  tous  ont  été  gravés  : 
l'un  d'eux,  par  Vivien,  appartient  au  musée  de  Verdun  ;  deux  autres, 
par  Rigaud  et  Largillière,  sont  conservés  dans  des  collections  particu- 
lières ;  tous  trois  ont  figuré  en  1900  à  l'exposition  du  palais  du  Troca- 
déro.  Dans  la  notice  que  Saint-Simon  lui  avait  consacrée  comme  pré- 
cepteur des  enfants  de  France  (Écrits  inédits,  tome  IV,  p.  449),  il 
disait  :  «  Il  étoit  paré  de  la  physionomie  la  plus  perçante  et  qui  pro- 
mettoit  le  plus  ;  une  figure  noble,  haute,  maigre,  un  nez  aquilin  émincé, 
un  visage  pûle  et  des  yeux  qui  tenoie*it  du  prophétique.  »  Voyez  aussi 
la  suite  des  Mémoires,  tome  XI  de  1873, *p.  38. 

3.  Voyez  Fénelon  directeur  de  conscience,  par  l'abbé  Moïse  Cagnac 
(1901). 

4.  Ci-après,  p.  297. 

5.  Avec  est  on  interligne  à  la  suite  à'adroit,  biffé,  et  au-dessus  d'un 
premier  adroit,  surchargé  en  avec  et  bifl'é. 


296  MÉMOIRES  [1711] 

ment.  Adroit  surtout  dans  l'art  '  de  porteries  souffrances-, 
il  en  usurpoit  un  mérite  qui  donnoit  tout  l'éclat  au  sien, 
et  qui  en  portoit  l'admiration  et  le  dévouement  pour  lui  ^ 
dans  le  cœur  de  tous  les  habitants  des  Pays-Bas  quels 
qu'ils  fussent,  et  de  toutes  les  dominations  qui  les  parta- 
geoient*,  dont  il  avoit  l'amour  et  la  vénération.  Il  jouis- 
soit,  en  attendant  un  autre  genre  de  vie  qu'il  ne  perdit 
jamais  de  vue%  de  toute  la  douceur  de  celle-ci,  qu'il  eût 
peut-être  regrettée  dans  l'éclat  après  lequel  il  soupira 
toujours,  et  il  en  jouissoit  avec  une  paix  si  apparente,  que 
qui  n'eût  su  ce  qu'il  avoit  été,  et  ce  qu'il  pouvoit  deve- 
nir encore,  aucun  même  de  ceux  qui  l'approchoient  le 
plus,  et  qui  le  voyoient  avec  le  plus  de  familiarité,  ne  s'en 
seroit  jamais  aperçu.  Parmi  tant  d'extérieur  pour  le 
monde,  il  n'en  étoit  pas  moins  appliqué  à  tous  les  devoirs 
d'un  évêque  qui  n'auroit  eu  que  son  diocèse  à  gouver- 
ner® et  qui  n'en  auroit  été  distrait  par  aucune  autre 
chose  :  visites  d'hôpitaux  \  dispensation  large,  mais  judi- 
cieuse, d'aumônes,  clergé,  communautés,  rien  ne  lui 
échappoit^  Il  disoit  tous  les  jours  la  messe  dans  sa  cha- 
pelle, officioit  souvent,  suffisoit  à  toutes  ses  fonctions  épis- 
copales  sans  se  faire  jamais  suppléer,  prêchoit  quelque- 
fois. Il  trouvoit  du  temps  pour  tout,  et  n'avoit  point  l'air 
occupé.  Sa  maison  ouverte,  et  sa  table  de  même,  avoient 

i.  Le  t  d'art  surcharge  un  d.  —  2.  De  compatir  aux  souffrances. 

3.  Les  mots  p*"  luy  surchargent  dans. 

4.  Une  partie  du  diocèse  de  Cambray  et  ses  deux  suffragants  de 
Tournay  et  de  Namur  appartenaient  aux  Pays-Bas  espagnols,  tandis 
que  l'autre  partie,  avec  les  évêchés  d'Arras  et  de  Saint-Omer,  se  trou- 
vait en  France. 

5.  Ci-après,  p.  298. 

6.  Dans  la  notice  publiée  au  tome  IV  des  Écrits  inédits,  p.  456-457 
et  461-462,  Saint-Simon  avait  énuméré  plus  longuement  ses  occupa- 
tions épiscopales  et  celles  de  sa  vie  journalière. 

7.  Le  commencement  d'hospitaux  surcharge  dans. 

8.  Un  mémoire  de  lui  sur  le  séminaire  de  Beuvrages  a  été  publié 
dans  le  Bulletin  du  Comité  des  travaux  historiques,  année  1900,  p. 
391-396. 


[1711]  DE  SATXT-SIMON.  297 

l'air  de  celle  d'un  gouverneur  de  Flandres',  et  tout  à  la 
fois  d'un  palais  vraiment  épiscopal  ;  et  toujours  beaucoup 
de  gens  de  guerre  distingués,  et  beaucoup  d'officiers  par- 
ticuliers, sains,  malades,  blessés,  logés  chez  lui,  défrayés 
et  servis  comme  s'il  n'y  en  eût  eu  qu'un  seul;  et  lui  ordinai- 
rement présent  aux  consultations  des  médecins  et  des  chi- 
rurgiens, faisant  d'ailleurs  auprès  des  malades  et  des  bles- 
sés les  fonctions  de  pasteur  le  plus  charitable,  et  souvent 
par  les  maisons  et  par  les  hôpitaux  ;  et  tout  cela  sans 
oubli,  sans  petitesse,  et  toujours  prévenant  avec  les  mains 
ouvertes.  Aussi  étoit-il  adoré  de  tous.  Ce  merveilleux 
dehors  n'étoit  pourtant  pas  tout  lui-même.  Sans  entre- 
prendre de  le  sonder,  on  peut  dire  hardiment  qu'il  n'étoit 
pas  sans  soins  et  sans  recherches  de  tout  ce  qui  pouvoit 
le  raccrocher-  et  le  conduire  aux  premières  places^.  Inti- 
mement uni  à  cette  partie  des  jésuites  à  la  tête  desquels 
étoit  le  P.  Tellier,  qui  ne  i'avoient  jamais  abandonné,  et 
qui  I'avoient  soutenu  jusque  par  delà  leurs  forces*,  il 
occupa  ses  dernières  années  à  faire  des  écrits^  qui,  vive- 
ment relevés^  par  le  P.  Quesnel  et  plusieurs  autres,  ne 
firent  que  serrer  les  nœuds  d'une  union  utile  par  où  il 

i.  Voyez  ce  que  notre  auteur  a  dit  dans  le  tome  X,  p.  185,  de  son 
accueil  aux  offîciers  qui  se  rendaient  en  Flandre  ou  qui  en  reve- 
naient. 

2.  «  Raccrocher  signifie  au  figuré  raccommoder  des  personnes  qui 
étoient  brouillées,  les  remettre  bien  ensemble  »  (Académie,  il \S).  Ici, 
ce  serait  plutôt  k  remettre  sur  pied  ». 

8.  Madame  {Correspondance,  recueil  Jreglé,  tome  I,  p.  l7o  et  179) 
disait  aussi  que,  parle  quiétisme,  il  n'avait  voulu  que  s'assurer  le  pou- 
voir. 

4.  Tomos  IV,  p.  n,  et  XIX,  p.  208-209. 

5.  Mandements  ou  Lettres  pastorales  sur  le  jansénisme  et  sur  la  doc- 
trine du  P.  Quesnel,  dont  les  principaux  sont  contenus  dans  les  tomes 
XlV-XVi  de  l'édition  de  ses  œuvres  complètes  donnée  par  le  libraire 
Leclère  de  1820  à  1824. 

H.  Les  trois  mots  qui  rivcm'  relevés  sont  en  interligne,  ce  qui  semble 
indiquer  encore  une  l'ois,  que  Saint-Simon  copiait  une  rédaction  primi- 
tive. 


298  MÉMOIRES  [1711] 

espéra  d'émousser  l'aigreur  du  Roi'.  Le  silence  dans 
l'Eglise  étoit  le  partage  naturel  d'un  évêque  dont  la  doc- 
trine avoit,  après  tant  de  bruit  et  de  disputes,  été  solen- 
nellement condamnée  :  il  avoit  trop  d'esprit  pour  ne  le 
pas  sentir  ;  mais  il  eut  trop  d'ambition  pour  ne  compter 
pas  pour  rien  tant  de  voix  élevées  contre  l'auteur  d'un 
dogme  proscrit  et  ses  écrits  dogmatiques,  et  beaucoup 
d'autres  qui  ne  l'épargnèrent  pas  sur  le  motif  que  le 
monde  éclairé  entrevoyoit  assez.  Il  marcha  vers  son  but 
sans  se  détourner  ni  à  droit  ni  à  gauche  ;  il  donna  lieu 
à  ses  amis  d'oser  nommer  son  nom  quelquefois  ;  il  flatta 
Rome,  pour  lui  si  ingrate  -  ;  il  se  fît  considérer  par  toute 
la  Société  des  jésuites  comme  un  prélat  d'un  grand  usage, 
en  faveur  duquel  rien  ne  devoit  être  épargné  ;  il  vint  à 
bout  de  se  concilier  la  Chétardye,  curé  de  Saint-Sulpice, 
directeur  imbécile  ^  et  même  gouverneur  de  Mme  de 
Maintenon.  Parmi  ces  combats  de  plume,  Fénelon,  uni- 
forme dans  la  douceur  de  sa  conduite,  et  dans  sa  passion 
de  se  faire  aimer,  se  garda  bien  de  s'engager  dans  une 
guerre  d'action.  Les  Pays-Bas  fourmilloient  de  jansénistes 
ou  de  gens  réputés  tels  ;  en  particulier,  son  diocèse  et 
Cambray  même  en  étoient  pleins^  ;  l'un  et  l'autre  leur  fu- 
rent des  lieux  de  constant  asile  et  de  paix.  Heureux  et 
contents  d'y  trouver  du  repos  sous  un  ennemi  de  plume, 
ils  ne  s'émurent  de  rien  à  l'égard  de  leur  archevêque,  qui, 
bien  que  si  contraire  à  leur  doctrine,  leur  laissoit  toute 
sorte  de  tranquillité.  Ils  se  reposèrent  sur  d'autres  de  leur 

1.  Selon  l'abbé  de  Longuerue,  Fénelon  aurait  été  un  très  faible  théo- 
logien, n'ayant  rien  lu  que  des  vies  de  saints  et  n'ayant  étudié  à  fond 
n  l'Écriture,  ni  les  Pères  (Longueruana,  p.  78  ;  marquis  d'Argenson, 
Essais  dans  le  goût  de  ceux  de  Montaigne,  p.  354-353). 

2.  On  crut,  lorsqu'il  mourut,  que  le  Pape  l'avait  nommé  cardinal 
in  petto,  se  réservant  de  le  déclarer  lorsqu'il  n'y  aurait  plus  crainte  de 
mécontenter  Louis  XIV  (Longueruana,  p.  78). 

3.  Déjà  dit  dans  le  tome  XVIII,  p.  240. 

4.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  :  estaient  pleins,  qu'il  a  ensuite 
corrigé  par  erreur  au  singulier. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  Î99 

défense  dogmatique,  et  ne  donnèrent  point  d'atteinte  à 
l'amour  général  que  tous  portoient  à  Fénelon.  Par  une 
conduite  si  déliée,  il  ne  perdit  rien  du  mérite  d'un  prélat 
doux  et  pacifique,  ni  des  espérances  d'un  évêque  dont 
l'Église  devoit  tout  se  promettre,  et  dont  l'intérêt  étoit  de 
tout  faire  pour  lui. 

Telle  étoit  la  position  de  l'archevêque  de  Cambray  lors-  Union 
qu'il  apprit  la  mort  de  Monseigneur,  l'essor  de  son  dis-  j'^^r-^^^ u^'^"'^  t 
ciple,  l'autorité  de  ses  amis.  Jamais  liaison  ne  fut  plus  de  tout  le  petit 
forte  ni  plus  inaltérable  que  celle  de  ce  petit  troupeau  *  troupeau. 
à  part.  Elle  étoit  fondée  sur  une  confiance  intime  et  fidèle, 
qui  elle-même  l'étoit,  à  leur  avis,  sur  l'amour  de  Dieu  et 
de  son  Église.  Ils-  étoient  presque  tous  gens  d'une  grande 
vertu,  grands  et  petits,  à  fort  peu  près  qui  en  avoient 
l'écorce,  qui  étoit  prise  par  les  autres  pour  la  vertu  même. 
Tous  n'avoient  qu'un  but,  qu'aucune  disgrâce  ne  put  dé- 
ranger, tous  qu'une  marche  compassée  ^  et  cadencée  vers 
ce  but,  qui  étoit  le  retour  de  Cambray  leur  maître,  et 
cependant  de  ne  vivre  et  ne  respirer  que  pour  lui,  de  ne 
penser  et  de  n'agir  que  sur  ses  principes,  et  de  recevoir 
ses  avis  en  tout  genre  comme  les  oracles  de  Dieu  même, 
dont  il  étoit  le  canal.  Que  ne  peut  point  un  enchantement 
de  cette  nature,  qui,  ayant  saisi  le  cœur  des  plus  hon- 
nêtes gens,  l'esprit  de  gens  qui  en  avoient  beaucoup,  le 
goût  et  la  plus  ardente  amitié  de  personnes  les  plus  fidèles, 
s'est  encore  divinisé  en  eux  par  l'opinion  ferme,  ancienne, 
constante,  qu'en  cela  consiste  piété,  vertu,  gloire  de  Dieu, 
soutien  de  l'Église,  et  le  salut  particulier  de  leurs  âmes, 
à  quoi  de  bonne  foi  tout  étoit  postposé*  chez  eux?  Par 
ce  développement  on  voit  sans  peine  quel  puissant  ressort 

1.  C'est  le  terme  dont  notre  auteur  se  sert  toujours;  on  l'appelait 
ainsi  par  allusion  au  pusillus  qrex  de  l'Évangile  selon  Saint  Luc, 
chap.  XII,  verset  32. 

2.  Il,  au  singulier,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

3.  Et  non  composée,  comme  on  l'avait  imprimé  dans  la  dernière 
édition. 

4.  Mot  déjà  rencontré  dans  le  tome  XV,  p.  21. 


300  MÉMOIRES  [1711] 

étoit  l'archevêque  de  Cambray  à  l'égard  des  ducs  de  Che- 
vreuse  et  de  Beauvillier  et  de  leurs  épouses,  qui  tous 
quatre  n'étoient  qu'un  cœur,  une  *  âme,  un  sentiment, 
une  pensée.  Ce  fut  peut-être  cette  considération  unique 
qui  empêcha  la  retraite  du  duc  de  Beauvillier  à  la  mort 
de  ses  enfants-,  et  lorsqu'il  eut  achevé  l'établissement 
intérieur  de  sa  famille^,  enfin  aux  diverses  occasions  où 
on  l'a  vu  ici  si  près^  d'être  perdu  ^.  Le  duc  de  Chevreuse 
et  lui  avoient  un  goût  et  un  penchant  entier  à  la  retraite  : 
il  y  étoit  si  entier,  que  leur  vie  en  tenoit^  une  proximité'' 
tout  à  fait  indécente  à  leurs  emplois  *  ;  mais  l'ardeur  de 
leurs  désirs  d'être  utiles  à  la  gloire  de  Dieu,  à  l'Église,  à 
leur  propre  salut,  le^  leur  fit  croire,  de  la  meilleure  foi 
du  monde,  attaché  à  demeurer  en  des  places  qui  pussent'" 
ne  rien  laisser  échapper  sur  le  retour  de  leur  père  spiri- 
tuel. Il  ne  leur  fallut  pas  une  raison  à  leur  avis  moins 
transcendante  pour  essuyer  "  tout,  glisser  sur  tout,  et  con- 
jurer les  orages,  pour  n'avoir  pas  à  se  reprocher  un  jour 
le  crime  de  s'être  rendus  inutiles  à  une  œuvre  à  leurs 
yeux  si  principale,  dont  les  occasions  leur  pouvoient  être 
présentées'^  par  les  ressorts  inconnus  de  la  Providence, 
encore  que,  depuis  si  longtemps,  ils  n'y  eussent  pu  entre- 

1.  Ici  encore  un  ame.  —  2.  Tome  XIII,  p.  178-179. 

3.  Lorsqu'il  céda  son  duché  à  son  frère  en  1706  (tome  XIV,  p.  423- 
127),  et,  en  1710,  sa  charge  de  premier  gentilhomme  de  la  chambre  au 
duc  de  Mortemart,  son  gendre  (tome  XIX,  p.  33-37). 

4.  Pîesf  corrigé  en  prés.  —  o.  Ci-dessus,  p.  290  et  note  5. 
6.  Le  commencement  de  tenait  corrige  un  a. 

1.  «  Proximité,  voisinage  d'une  chose  par  rapport  à  une  autre  » 
(Académie,  1718.)  Nous  avons  déjà  eu  proximité  de  lignage  dans  le 
tome  I,  p.  222. 

8.  Saint-Simon  veut  dire  que  leur  existence  journalière  était  si 
semblable  à  une  vie  de  retraite  que  cela  ne  convenait  pas  aux  emplois 
qu'ils  avaient  à  la  cour. 

9.  Leur  salut. 

10.  Puisent  est  en  interligne,  au-dessus  de  pusse,  biffé. 

11.  Dans  les  éditions  précédentes,  on  a  imprimé  essayer. 

12.  Présentés  corrigé  en  présentées. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  304 

voir  le  moindre  jour.  Le  changement  subit  arrivé  par  la 
mort  de  Monseigneur  leur  parut  cette  grande  opération  de 
la  Providence,  expresse'  pour  Monsieur  de  Cambray,  si 
persévéramment  attendue,  sans  savoir  d'où  ni  comment 
elle  s'accompliroit,  la  récompense  du  juste  qui  vit  de  la 
foi,  qui  espère  contre  toute  espérance-,  et  qui  est  délivré 
au  moment  le  plus  imprévu.  Ce  n'est  pas  que  je  leur  aie 
ouï^  rien  dire  de  tout  cela  ;  mais^  qui  les  voyoit  comme 
moi  dans  leur  intérieur  y  voyoit  une  telle  conformité  dans 
tout  le  tissu  de  leur  vie,  de  leur  conduite,  de  leurs  senti- 
ments, que  leur  attribuer  ceux-là,  c'est  moins  les  scruter^ 
que  les  avoir  bien  connus.  Serrés  sur  tout  ce  qui  pouvoit 
approcher  ces  matières,  renfermés  entre  eux  autres  an- 
ciens disciples  avec  une  discrétion  et  une  fidélité  merveil- 
leuse, sans  faire  ni  admettre  aucuns  prosélytes  dans  la 
crainte  de  s'en  repentir,  ils  ne  jouissoient  qu'ensemble 
d'une  vraie  liberté,  et  cette  liberté  leur  étoit  si  douce, 
qu'ils  la  préféroient "^  à  tout;  de  là,  plus  que  de  toute 
autre  chose,  cette  union  '  plus  que  fraternelle  des  ducs  et 
des  duchesses  de  Chevreuse  et  de  Beauvillier;  de  là  le 
mariage  du  duc  de  Mortemart,  fils  de  la  disciple  sans  peur, 
sans  mesure,  sans  contrainte**;  de  là  les  retraites  impé- 
nétrables de  la  fin  de  chaque  semaine  à  Vaucresson  avec 
un  très  petit  nombre  de  disciples  trayés,  obscurs,  et  qui 
s'y  succédoient  les  uns  aux  autres  ^  ;  de  là  cette  clôture  de 

1.  Au  sens  de  faite  expressément.  —  2.  Ci-dessus,  p.  4. 

3.  Il  y  a  oii,  dans  le  manuscrit. 

4.  Après  mais,  un  à  rend  la  phrase  boiteuse. 

5.  he.  Dictionnaire  de  V Académie  àe.  1718,  qui  donnait  les  mots 
scrutin  et  scrutateur,  ne  connaissait  pas  le  verbe  scruter,  ni  non  plus 
le  Dictionnaire  de  Trévoux.  Scruter  ne  tigura  dans  VAcadémie  qu'en 
1798,  avec  le  sens  d'examiner  en  cherchant  à  pénétrer  jusqu'au  fond 
des  choses.  Littré  en  cite  un  exemple  de  Vauvenargues  ;  nous  le  re- 
trouverons ci-après,  p.  377. 

G.  Il  y  a  prefereroient,  par  erreur,  dans  le  manuscrit. 

7.  Avant  union,  il  a  biffé  umno[n]. 

8.  Voyez  tome  XI,  p.  330-334.  —  9.  Tome  XIX,  p.  139. 


302  MÉMOIRES  [1711] 

monastère  qui  les  suivoit  au  milieu  de  la  cour  ;  de  là  cet 
attachement  au  delà  de  tout  au  nouveau  Dauphin,  soi- 
gneusement élevé  et  entretenu  dans  les  mêmes  senti- 
ments :  ils  le  regardoient  comme  un  autre  Esdras,  comme 
le  restaurateur  du  temple  et  du  peuple  de  Dieu  après  la 
captivités 

Dans  ce  petit  troupeau  étoit  une  disciple  des  premiers 
temps,  formée  par  M.  Bertau^  qui  tenoit  des  assemblées 
à  l'abbaye  de  Montmartre ^  où  elle  avoit  été  instruite* 
dès  sa  jeunesse,  où  elle  alloit  toutes  les  semaines  avec 
M.  de  Noailles,  qui  sut  bien  s'en  retirer  à  temps  ^:  c'étoit 
la  duchesse  de  Béthune  %  qui  avoit  toujours  augmenté  de- 
puis en  vertu,  et  qui  avoit  été  trouvée  digne  par  Mme 
Guyon'^  d'être  sa  favorite  ^  C'étoit  par  excellence  la 
grande  âme,  devant  qui  Monsieur  de  Cambray  même  étoit 

4.  Esdras,  fils  et  frère  de  deux  grands  prêtres,  fut  le  chef  des  Juifs 
qui  revinrent  de  Babylone  à  Jérusalem  vers  467  avant  J.-C.  ;  il  contri- 
bua avec  Zorobabel  à  la  reconstruction  du  Temple  et  à  la  réorganisa- 
tion du  peuple  juif.  Trois  livres  de  la  Bible  portent  son  nom  ;  mais  les 
deux  derniers  sont  considérés  comme  apocryphes. 

2.  Ce  Bertau,  ou  plutôt  Berthod,  devait  être  un  neveu  du  fameux 
chanteur  Berthod,  dit  le  Châtré,  dont  a  parlé  Tallemant,  et,  bon  chan- 
teur lui-même,  il  entra  à  l'Oratoire  en  \660  {Muse  historique,  tome  III, 
p.  192).  C'est  lui  qui  fut  donné  par  la  Mère  Granger  à  Mme  Guyon  et 
fut  son  premier  initiateur.  Saint-Simon  parlera  encore  de  lui,  toujours 
à  propos  de  Mme  de  Béthune,  en  1716. 

3.  Cette  abbaye,  située  sur  le  sommet  de  la  colline  qui  dominait  Pa- 
ris, avait  été  fondée  en  1134  par  le  roi  Louis  le  Gros,  pour  des  Béné- 
dictines, et  le  pape  Eugène  III  en  avait  consacré  lui-même  l'église  en 
1147.  Au  temps  des  «  assemblées  »  dont  parle  notre  auteur,  l'abbesse 
était  Françoise-Renée  de  Lorraine-Guise,  qui  mourut  en  1682  et  fut 
remplacée  par  Marie-Anne  de  Lorraine-Harcourt. 

4.  Instruilte  (sic')  est  en  interligne,  au-dessus  de  formée,  biffé. 

5.  Dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XIII  de  1873,  p.  39-40),  Saint- 
Simon  donnera  plus  de  détails  sur  les  relations  passagères  du  futur 
maréchal  de  Noailles  avec  ce  «  petit  troupeau  »,  prémices  du  quié- 
tisme.  Il  en  avait  déjà  parlé  dans  l'Addition  n°  127  (notre  tome  II, 
p.  413). 

6.  Marie  Foucquet  :  tome  II,  p.  34S. 

7.  Le  G  de  Guyon  surcharge  un  d.  —  8.  Tome  V,  p.  173. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  303 

en  respect,  et  qui  n'y  étoit  à  son  tour  que  par  humilité  et 
par  ditïérence  de  sexe.  Cette  confraternité  avoit  fait  de  la 
fille  du  surintendant  Foucquet  l'amie  la  plus  intime  des 
trois  filles  de  Colbert  et  de  ses  gendres,  qui  la  regar- 
doient  avec  la  plus  grande  vénération '.  Le  duc  de  Bé- 
thune,  son  mari  -,  n'étoit  qu'un  frère  coupe-choux  %  qu'on 
toléroit  à  cause  d'elle  ;  mais  le  duc  de  Charost  son  fils 
recueillit  tous  les  fruits  de  la  béatitude  de  sa  sainte  mère. 
Une  ^  probité  exacte,  beaucoup  d'honneur,  et  tout  ce  qu'il 
y  pouvoit  ajouter  de  vertu  à  force  de  bras  %  mais  rehaus- 
sée de  tout  l'abandon  à  Monsieur  de  Cambray  qui  se  pou- 
voit espérer  du  fils  de*'  la  disciple  mère",  faisoit  le  fonds 
du  caractère  de  ce  fils,  d'ailleurs*  incrusté^  d'une  ambi- 
tion extrême,  de  jalousie  à  proportion,  d'un  grand  amour 
du  monde,  dans  lequel  il  étoit  fort  répandu  et  auquel  il 
étoit  fort  propre  ;  l'esprit  du  grand  monde,  aucun  d'af- 
faires, nulle  instruction  de  quelque  genre  que  ce  fût,  pas 
même  de  dévotion  excepté  celle  qui  étoit  particulière  au 
petit  troupeau,  et  d'un  mouvement  de  corps'"  incroyable  ; 
fidèle  à  ses  amis  et  fort  capable  d'amitié,  et  secret  à  sur- 
prendre à  travers  cette  insupportable  afïluence  de  paroles 

1.  Ibidem.  —  2.  Tome  III,  p.  93. 

3.  «  Frère  coupe-choux,  religieux  qui  n'est  d'aucune  considération 
dans  son  couvent  ;  par  extension,  homme  sans  considération  ;  »  telle 
est  la  définition  donnée  par  le  Dictionnaire  de  Littré  pour  cette  locu- 
tion, qui  ne  tigure  dans  aucun  lexique  du  dix-huitième  siècle.  Littré, 
outre  le  présent  exemple,  n'en  a  relevé  d'autre  que  dans  les  Chansons 
de  Béranger.  Saint-Simon  écrit  coupe  chou. 

i.  En  1715,  Saint-Simon  reprendra,  en  les  abrégeant,  les  principaux 
traits  du  portrait  qui  va  suivre. 

5.  Expression  déjà  relevée  dans  le  tome  XIX,  p.  221,  et  que  nous 
allons  retrouver  encore. 

6.  Du  corrige  de,  et  les  mots  fils  de  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

7.  Voyez  ce  qu'il  a  déjà  dit,  dans  le  tome  V,  p.  174,  de  la  «  dévo- 
tion »  du  duc  de  Charost  à  Monsieur  de  Cambray. 

8.  D'ailleurs  est  en  interligne,  au-dessus  de  mats,  biffé. 

9.  Mot  déjà  relevé  dans  le  tome  XX,  p.  79. 
10.  Au  sens  moderne  d'  «  agitation  ». 


304  MÉMOIRES  [1714] 

héréditaire  chez  lui  de  père  en  fils'.  Il  a  peut-être  été  le 
seul  qui  ait  su  joindre  une  profession  publique  de  dévo- 
tion de  toute  sa  vie  avec  le  commerce  étroit  des  libertins^ 
de  son  temps,  et  l'amitié  de  la  plupart,  qui  tous  le  recher- 
choient,  et  l'avoient  tant  qu'ils  pouvoient  dans  leurs  par- 
ties où  il  n'y  avoit  pas  de  débauche,  et  non  seulement 
sans  se  moquer  de  ses  pratiques  si  contraires  aux  leurs,  je 
dis  la  meilleure  compagnie  et  la  plus  brillante  de  la  cour 
et  des  armées,  mais  avec  liberté  et  confiance,  retenus^ 
même  par  considération  pour  lui,  et  sans  que  leur  gaieté 
ni  leur  liberté  en  fût  altérée.  Il  étoit  de  fort  bonne  com- 
pagnie et  bon  convive,  avec  de  la  valeur,  de  la  gaieté,  et 
des  propos  et  des  expressions  souvent  fort  plaisantes.  La 
vivacité  de  son  tempérament  lui  donnoit  des  passions  aux- 
quelles sa  piété  donnoit  un  frein  pénible,  mais  qui  en  pre- 
noit  le  dessus  à  force  de  bras^,  ce  ^  qui  fournissoit  sou- 
Duc  vent  avec  lui  à  la  plaisanterie.  M.  de  Beauvillier  avoit  fort 
et  duchesse  de  souhaité  autrefois  que  Charost  et  moi  liassions  ensemble  % 
et  cette  liaison,  qui  s'étoit  faite",  avoit  réussi  jusqu'à  ^  la 
plus  grande  intimité,  qui  a  toujours  duré  depuis  entre 
nous.  Je  n'ai  jamais  connu  Monsieur  de  Cambray  que  de 
visage  ;  j'étois  à  peine  entré  dans  le  monde  lors  du^  déclin 
de  sa  faveur;  je  ne  me  suis  jamais  présenté  aux  mystères 
du  petit  troupeau  :  c'étoit  donc  être  bien  inférieur  au  duc 
de  Charost  à  l'égard  des  ducs  de  Ghevreuse  et  de  Beau- 
villier, dont  on  lui  verra  bientôt  recueillir  le  fruit  ;  et 

i.  Il  a  déjà  parlé  du  bavardage  du  «  bonhomme  Béthune  »  dans  le 
tome  V,  p.  174. 

2.  Tome  XIV,  p.  302. 

3.  Avant  retenus,  Saint-Simon  a  biffé  un  et. 

4.  Ci-dessus,  p.  303.  —  5.  Et  surchargé  en  ce. 

6.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  17'!  8  ne  donnait  pas  lier,  pris 
dans  le  sens  absolu  ;  Littré  semble  avoir  négligé  cette  acception,  qui 
a  déjà  été  relevée  dans  le  tome  IV,  p.  139. 

7.  Voyez  tome  V,  p.  175. 

8.  La  préposition  à  a  été  ajoutée  après  coup  entre  jusque  et  la. 

9.  Du  corrige  de. 


[1714]  DE  SAINT-SIMON.  305 

néanmoins  il  en  étoit  demeuré  avec  eux  à  la  confiance  de 
leur  gnose',  tandis  que  je  l'avois  entière  sur  tout  ce  qui 
regardoit  l'I^tat,  la  cour,  et  la  conduite  du  Dauphin.  Sur 
leur  gnose,  ils  ne  m'en  parloient  pas  ;  mais  ils  étoient  à 
cœur  ouvert  avec  moi  sur  leur  attachement  et  leur  admi- 
ration de  Monsieur  de  Cambray,  sur  les  désirs  et  les  me- 
sures de  son  retour.  Dampierre  et  Vaucresson  ^  m'étoient 
ouverts  en  tout  temps  ;  les  condisciples  obscurs  y  parois- 
soient  librement  devant  moi,  et  y  conversoient  de  même, 
et  j'étois  l'unique  non  initié  en  leur  gnose  dans  ce  genre 
de  confiance  et  de  liberté  avec  eux.  Il  y  avoit  déjà  bien 
des  années  que  je  m'étois  aperçu  qu'il  s'en  falloit  tout^ 
que  Charost  ne  fût  aussi  avant  que  moi  dans  leur  con- 
fiance par  bien  des  choses  dont  il  se  plaignoit  à  moi  de 
leur  réserve,  que  je  lui  laissois  ignorer  qu'ils  m'avoient 
confiées,  et  je  ne  vis  pas  depuis  qu'il  avançât  là-dessus 
avec  eux,  tandis  qu'ils  me  disoient  et  consultoient  avec 
moi  toutes  choses.  Dans  ma  surprise  de  cette  différence 
d'un  homme  si  fort  mon  ancien  d'âge,  et  de  cette  sorte 
d'amitié  si  puissante  avec  eux,  j'en  ai  souvent  cherché  les 
causes.  Son  activité  étoit  toute  de  corps^.  Il  étoit  bien  plus 
répandu  que  moi  dans  le  monde  ;  mais^  il  savoit  peu,  et 
ne  suivoit  guères  ce  qui  s'y  passoit  de  secret  et  d'impor- 
tant ;  il  ignoroit  donc  les  machines  de  la  cour,  que  me 
découvroit  ma  liaison  avec  les  acteurs  principaux  des  deux 
sexes \  et  mon  application  à  démêler,  à  savoir  et  à  suivre 
journellement  toutes  ces  sortes  de  choses  toujours  curieu- 
ses, ordinairement  utiles,  et  souvent  d'un  grand  usage. 
Mme  de  Saint-Simon  étoit  aussi  tout  à  fait  dans  la  con- 
fiance de  MM.  et  de  Mmes  de  Chevreuse  et  de  Beauvil- 

1.  Mot  déjà  employé  dans  le  tome  XIX,  p.  36,  pour  signifier  la  doc- 
trine des  partisans  de  Fénelon. 

2.  La  demeure  des  Chevreuse  et  celle  des  Beauvillier. 

3.  Expression  déjà  rencontrée  ci-dessus,  p.  252. 

4.  Ci-dessus,  p.  303.  —  5.  Mais  est  en  interligne. 

6.  Avant  ce  mot,  il  a  biffé  un  premier  sexs  mal  écrit,  et  corrigé  en 
sexes. 

MbMOIHES    DE    SAINT-SIMO.N .  XXI  20 


306  MEMOIRES  [1744] 

lier,  qui  avoient  une  grande  opinion  de  sa  vertu,  de  sa 
conduite,  du  caractère  de  son  esprit*.  J'avois  avec  eux  la 
liberté  de  leur  tout  dire,  qui  n'eût  pas  sié^  de  même  à 
la  dévotion  du  duc  de  Charost.  Enfin,  j'avois  eu  les^ 
occasions  qu'on  a  vues  ici  de  les  avertir  de  choses  fort 
peu  apparentes  et  de  la  plus  extrême  importance*,  qu'ils 
n'avoient  même  pu  croire  que  par  les  événements  ;  et  cela 
avoit  mis  le  dernier  degré  à  leur  ouverture  sur  tout  avec 
moi,  dont  ils  avoient  de  plus  éprouvé  en  tout  la  plus  cons- 
tante et  la  plus  fidèle  amitié  de  toute  préférence  ^  Ce  me 
fut  donc  une  joie  bien  douce  et  bien  pure  de  me  trouver 
le  seul  homme  de  la  cour  dans  l'amitié  la  plus  intime,  et 
dans  la  plus  entière  confiance  de  ce  qui,  privativement  à 
tout  autre,  et  sans  crainte  de  revers,  alloit  figurer  si 
grandement  à  la  cour,  et  si  puissamment  sur  le  nouveau 
Dauphin  qui  alloit  donner  le  ton  à  toutes  choses  ^  Plus 
ma  liaison  intime  étoit  connue  avec  les  deux  ducs,  et  plus 
je  me  tins  en  garde  contre  tout  extérieur  trop  satisfait,  et 
plus  encore  important,  et  plus  j'eus  soin  que  ma  conduite 
et  ma  vie  se  continssent  dans  tout  leur  ordinaire  à  tous 
égards. 
Conduite  Dans  ce  grand  changement  de  scène  il  ne  parut  donc 

des  ducs  de 

4.  Ce  passage  est  à  rapprocher  de  ce  qui  a  déjà  été  dit  de  l'opinion 
de  Beauvillier,  de  Chamillart  et  du  Chancelier,  sur  Mme  de  Saint- 
Simon,  dans  le  tome  XIII,  p.  239-240. 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4748,  non  plus  que  celui  de 
4878,  n'indiquait  pas  ce  participe  passé  du  verbe  seoir,  mais  seulement 
la  périphrase  être  séant.  Saint-Simon  a  employé  la  forme  siéoit  dans  le 
tome  XVIII,  p.  223. 

3.  Des  corrigé  en  les. 

4.  Nous  avons  eu  occasion  de  remarquer  combien  Saint-Simon  se 
faisait  d'illusions  sur  cette  importance,  et  aussi  peut-être  sur  l'opinion 
que  M.  de  Beauvillier  avait  de  lui. 

5.  Par  préférence  à  tous  autres. 

6.  «  On  dit  tigurément  qu'wn  homme  donne  le  ton  à  la  conversa-^ 
tien,  pour  dire  qu'il  s'en  rend  le  maître  et  que,  par  autorité  ou  par 
insinuation,  il  oblige  les  autres  à  penser  et  à  parler  comme  lui  »  (Aca- 
démie, 4748). 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  307 

d'abord  que  deux  personnages  en  posture  d'en  profiter  :  Chevreuse  et 
le  duc  de  Beauvillier,  et,  par  lui,  le  duc  de  Chevreuse,  ^^  Bea^villier. 
et  un  troisième  en  éloignement,  l'archevêque  de  Cambray. 
Tout  rit  aux  deux  premiers  tout  à  coup  ;  tout  s'empressa 
autour  d'eux,  et  chacun  avoit  été  de  leurs  amis  dans  tous 
les  temps  ;  mais,  en  eux,  les  courtisans  n'eurent  pas  affaire 
à  ces  champignons  '  de  nouveaux  ministres  tirés  en  un 
moment  de  la  poussière,  et  placés  au  timon  de  l'Etat, 
ignorants  également  d'affaires  et  de  cour,  également  enor- 
gueillis et  enivrés,  incapables  de  résister,  rarement  même 
de  se  défier  de  ces  sortes  de  souplesses,  et  qui  ont  la 
fatuité  d'attribuer  à  leur  mérite  ce  qui  n'est  prostitué  qu'à 
la  faveur.  Ceux-ci,  sans  rien  changer  à  la  modestie  de 
leur  extérieur,  ni  à  l'arrangement  de  leur  vie,  ne  pen- 
sèrent qu'à  se  dérober  le  plus  qu'il  leur  fut  possible  aux 
bassesses  entassées  à  leurs  pieds,  à  faire  usage  de  leurs 
amis  d'épreuve,  à  se  fortifier  près  du  Roi  par  une  assi- 
duité redoublée,  à  s'ancrer  de  plus  en  plus  près  de  leur 
Dauphin,  à  le  conduire  à  paroître  ce  qu'il  étoit,  sans 
avoir  surtout  l'air  de  le  conduire,  et  pour  faire  que^,  tant 
du  côté  de  l'estime  et  des  cœurs,  que  de  celui  de  l'auto- 
rité, il  différât  entièrement  de  son  père.  Ils  n'oublièrent 
pas  de  tâcher  à  s'approcher  de  la  Dauphine,  du  moins  à 
ne  la  pas  écarter  d'eux.  Elle  l'étoit  par  une  grande  oppo- 
sition d'inclinations  et  de  conduite  ;  elle  l'étoit  encore  par 
Mme  de  Maintenon.  Leur  vertu,  austère  à  son  gré  parce 
qu'elle  n'en  connoissoit  que  l'écorce,  lui  faisoit  peur  par 
leur  influence  sur  le  Dauphin  ;  elle  les  craignoit  encore 
plus  directement  par  un  endroit  plus  délicat^,  qui  étoit 
celui-là  même  qui  la  devoit  véritablement  attacher  à  eux, 

4.  Champignons  est  en  interligne,  au-dessus  de  potirons,  biffé.  — 
Nous  avons  déjà  rencontré  cette  locution  dans  le  tome  XVI,  p.  88. 

2.  Ces  quatre  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en   interligne. 

3.  Avant  plus,  Saint-Simon  a  biffé  encore,  et  délicat  corrige  di- 
rect, effacé  du  doigt.  —  C'est  une  allusion  aux  relations  galantes, 
avec  Nangis,  Maulévrier,  l'abbé  de  Polignac,  qu'il  a  prêtées  à  la  prin- 
cesse (notre  tome  XII,  p.  269  et  suivantes). 


308  MEMOIRES  [17d4] 

si,  avec  tout  son  esprit,  elle  eût  su  discerner  les  effets  de 
la  vraie  piété,  de  la  vraie  vertu,  de  la  vraie  sagesse,  qui 
est  ^  d'étouffer  et  de  cacher  avec  le  plus  grand  soin  et 
les  plus  extrêmes  précautions,  dont  j'ai  vu  souvent  ces 
deux  ducs  très  occupés,  ce  qui  peut  altérer  la  paix  et  la 
tranquillité  du  mariage.  Ainsi,  elle  trembloit  des  avis 
fâcheux  du  lieu  même  de  sa  plus  entière  sûreté.  Toutes 
ces  raisons  avoient  mis  un  froid  et  un  malaise,  que  tout 
l'esprit  et  la  faveur  de  Mme  de  Levis^  n'avoit  pu  vaincre, 
et  dont  ces  deux  seigneurs  et  leurs  épouses  s'étoient  aper- 
çus de  bonne  heure  à  travers  les  ménagements  et  la  con- 
sidération que  la  ^  princesse  ne  pouvoit  leur  refuser,  mais 
dont  les  sentiments  étoient  soigneusement  entretenus  par 
les  Noailles,  et  par  la  comtesse  de  Roucy,  autant  que 
celle-ci  le  pouvoit,  qui,  en  communiant  tous  les  huit 
jours,  ne  pardonna  jamais  au  duc  de  Beauvillier,  ni  aux 
siens,  d'avoir  opiné  contre  elle  dans  ce  grand  procès  qu'elle 
gagna  devant  le  Roi  contre  M.  d'Ambres,  dont  j'ai  parlé 
ailleurs*,  et  dans  lequel  Mme  de  Maintenon,  contre  sa 
coutume,  se  déclara  si  puissamment  pour  elle  et  pour  la 
duchesse  d'Arpajon,  sa  mère.  Le  printemps,  qui  est  la 
saison  de  l'assemblée  des  armées,  fit  apercevoir  bien  dis- 
tinctement à  Gambray  le  changement  qui  étoit  arrivé  à  la 
cour.  Gambray  devint  la  seule  route  de  toutes  les  diffé- 
rentes parties  de  la  Flandre.  Tout  ce  qui  y  servoit  de 
gens  de  la  cour,  d'officiers  généraux,  et  même  d'officiers 
moins  connus,  y  passèrent  tous,  et  s'y  arrêtèrent  le  plus 
qu'il  leur  fut  possible.  L'archevêque  y  eut  une^  telle 
cour,  et  si  empressée,  qu'à  travers  sa  joie  il  en  fut  peiné 
dans  la  crainte  du  retentissement  et  du  mauvais  effet  qu'il 
en  craignoit  du  côté  du  Roi.  On  peut  juger  avec  quelle 

i.  Il  y  a  bien  qui  est,  au  singulier  dans  le  manuscrit. 

2.  Fille  du  duc  de  Ghevreuse. 

3.  Les  mots  que  la  surchargent  ne  leur. 

4.  Dans  le  tome  V,  p.  146  et  474,  note  8. 

5.  Encore  un,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 


de  Chevreuse. 


[1741]  DE  SAINT-SIMON.  309 

affabilité,  quelle  modestie,  quel  discernement  il  reçut  tant 
d'hommages,  et  le  bon  gré  que  se  surent  les  raffinés'  qui 
de  longue  main  l'avoient  vu  et  ménagé  dans  leurs  voyages 
en  Flandres.  Cela  fit  grand  bruit  en  effet  ;  mais  le  prélat 
se  conduisit  si  dextrement-,  que  le  Roi  ni  Mme  de  Main- 
tenon  ne  témoignèrent  rien  de  ce  concours,  qu'ils  vou- 
lurent apparemment  ignorer.  A  l'égard  des  ducs  de  Che- 
vreuse  et  de  Beauvillier,  le  Roi,  accoutumé  à  les  aimer, 
à  les  estimer,  à  y  avoir  sa  confiance  jusque  dans  les  rudes 
traverses  qu'ils  avoient  quelquefois  essuyées,  ne  put  s'effa- 
roucher de  leur  éclat  nouveau,  soit  qu'il  ne  perçât  pas 
jusqu'à  lui,  chose  bien  difficile  à  croire,  soit  plutôt  qu'il 
ne  pût  être  détourné  de  ses  sentiments  pour  eux.  Mme  de 
Maintenon  aussi  ne  montra  rien  là-dessus. 

Il  y  avoit  déjà  des  années  que  le  duc  de  Beauvillier  Duc 

avoit  initié  ^  le  duc  de  Chevreuse  auprès  du  Dauphin,  et 
qu'il  l'avoit  accoutumé  à  le  considérer  comme  une  seule 
chose  avec  lui.  Le  liant  naturel  et  la  douceur  de  l'esprit 
de  Chevreuse,  son  savoir  et  sa  manière  de  savoir  et  de 
s'expliquer,  ses  vues  fleuries,  quoique  sujettes  à  se  per- 
dre, furent  des  qualités  faites  exprès  pour  plaire  à  ce 
jeune  prince  avec  lequel  il  avoit  souvent  de  longs  tête-à- 
tête,  et  qui  le  mirent  si  avant  dans  sa  confiance,  que 
M.  de  Beauvillier  s'en  servit  souvent  pour  des  choses 
qu'il  crut  plus  à  propos  de  faire  présenter  par  son  beau- 
frère  que  par  lui-même.  Comme  ils  n'étoient  qu'un,  tout 
entre  eux  marchoit  par  le  même  esprit,  couloit  des 
mêmes  principes,  tendoit  au  même  but,  et  se  référoit* 
entre  eux  deux,  en  sorte  que  le  prince  avoit  un  seul  con- 

d.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  il  \8  ne  connaissait  pointée 
substantif  verbal. 

2.  Cet  adverbe,  quoique  usité  alors  comme  aujourd'hui,  n'a  trouvé 
place  que  de  nos  jours  dans  VAcadémie;  voyez  ci  après,  p.  483. 

3.  Il  a  écrit  :  intié,  par  mégarde. 

4.  UAcadémie  ne  donnait  que  .se  référer  à  quelque  chose.  Ici  c'est 
plutôt  le  sens  juridique  d'être  l'objet  d'un  rapport,  d'un  examen,  dont 
Littré  cite  un  exemple  dans  les  plaidoyers  de  Palru. 


310  MEMOIRES  [1711] 

ducteur  en  deux  différentes  personnes,  et  qu'il  avoit  pris 
beaucoup  de  goût  et  de  confiance  au  duc  de  Ghevreuse, 
qui  depuis  longtemps  étoit  bien  reçu  à  lui  dire  tout  ce 
qu'il  pensoit  de  lui  et  ce  qu'il  desiroit  sur  sa  conduite, 
et  toujours  avec  des  intermèdes*  d'histoire,  de  science  et 
de  piété;  mais  la  supériorité  en  confiance,  en  amitié,  et 
toute  la  déférence,   étoit  demeurée  entière  au  duc  de 
Beauvillier.  On  peut  croire  que  ces  deux  hommes  ne  lais- 
soient  pas  refroidir  dans  le   prince  ses  vifs  sentiments 
pour  l'archevêque  de  Gambray.  Le  confesseur^  étoit  d'in- 
telligence avec  eux  sur  cet  article,  et  en  totale  déférence 
sur  tous  autres  ;  et  jusqu'alors  il  n'y  avoit  pas  eu  de  qua- 
Monseigneur    trième  admis  en  cet  intime  intérieur  du  prince.  Le  prè- 
le Dauphin,     j^ier  soin  ^  des  deux  ducs  fut  de  le  porter  à  des  mesures 
encor  plus  grandes,  à  un  air  de  respect  et  de  soumission 
encore  plus  marqué,  à  une  assiduité  de  courtisan  à  l'égard 
du  Roi,  si  naturellement  jaloux,  et  déjà  éprouvé  tel  en 
diverses  occasions  par  son  petit-fils.    Secondé  à  souhait 
par  son  adroite  épouse,  en  possession  elle-même  de  toute 
privance  avec  le  Roi  et  du  cœur  de  Mme  de  Maintenon, 
il  redoubla  ses  soins  auprès  d'elle,  qui,  dans  le  transport 
de  trouver  un  Dauphin  sur  qui  sûrement  compter,    au 
lieu  d'un  autre  qui  ne  l'aimoit  point,  se  livra  à  lui,  et  par 
cela  même  lui  livra  le  Roi.  Les  premiers  quinze  jours 
rendirent  sensible  à  tout  ce  qui  étoit  à  Marly  un  change- 
ment si  extraordinaire  dans  le  Roi,  si  réservé  pour  ses 
enfants  légitimes  et  si  fort  roi  avec  eux.  Plus  au  large  par 
un  si  grand  pas  fait,  le  Dauphin  s'enhardit  avec  le  monde, 
qu'il   redoutoit  du  vivant  de  Monseigneur,    parce  que, 

1.  \J Académie  de  1718  ne  connaissait  ce  mot  qu'au  sens  spécial  de 
«  divertissement  entre  les  actes  d'une  pièce-  de  théâtre.  »  Nous  le  re- 
trouverons tout  à  l'heure,  p.  312. 

2.  Le  P.  Martineau  (tome  VII,  p.  189). 

3.  Les  mots  p»"  soin  sont  en  interligne,  au-dessus  de  soin,  biffé, 
avant  lequel  Saint-Simon  avait  voulu  ajouter  p*",  qu'il  a  biffé  ensuite 
pour  écrire  les  deux  mots  en  interligne. 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  311 

quelque  grand  qu'il  fût,  il  en  essuyoit  les  brocards' 
applaudis.  C'est  ce  qui  lui  donnoit  cette  timidité  qui  le 
renfermoit  dans  son  cabinet,  parce  que  ce  n'étoit  que-  là 
qu'il  se  trouvoit  à  l'abri  et  à  son  aise  ;  c'est  ce  qui  le  fai- 
soit  paroître  sauvage  et  le  faisoit  craindre  pour  l'avenir, 
tandis  qu'en  butte  à  son  père,  peut-être  alors  au  Roi 
même,  contraint  d'ailleurs  par  sa  vertu,  en  butte  à  une 
cabale  audacieuse  ennemie,  intéressée  à  l'être,  et  à  ses 
dépendances  qui  formoient  le  gros  et  le  fort  de  la  cour, 
gens  avec  qui  il  avoit  continuellement  à  vivre,  enfin  en 
butte  au  monde  en  général  comme  monde,  il  menoit  une 
vie  d'autant  plus  obscure  qu'elle  étoit  plus  nécessairement 
éclairée,  et  d'autant  plus  cruelle  qu'il  n'en  envisageoit 
point  de  fin. 

Le  Roi  ^  revenu  pleinement  à  lui,  l'insolente  cabale  tout 
à  fait  dissipée  par  la  mort  d'un  père  presque  ennemi 
dont  il  prenoit  la  place,  le  monde  en  respect,  en  atten- 
tion, en  empressement,  les  personnages  les  plus  opposés 
en  air  de  servitude,  ce  même  gros  de  la  cour  en  soumis- 
sion et  en  crainte,  l'enjoué  et  le  frivole,  partie  non  mé- 
diocre d'une  grande  cour,  à  ses  pieds  par  son  épouse, 
certain  d'ailleurs  de  ses  démarches  par  Mme  de  Mainte- 
non,  on  vit  ce  prince  timide,  sauvage,  concentré,  cette 
vertu  précise,  ce  savoir  déplacé,  cet  homme  engoncé*, 
étranger  dans  sa  maison,  contraint  de  tout,  embarrassé 
partout,  on  le  vit,  dis-je,  se  montrer  par  degrés,  se  dé- 

1.  il  Brocard,  parole  de  moquerie,  raillerie  piquante»  (Académie, 
4718).  Ce  mot  a  déjà  été  employé  par  Saint-Simon  dans  le  tome  XX, 
p.  318. 

2.  L'abréviation  de  que  a  été  ajoutée  après  coup  entre  n'estoit 
et  là. 

3.  Il  avait  d'abord  écrit  Mgr  mort,  le  Roy  ;  il  a  biffé  les  deux  pre- 
mier mots,  et  corrigé  le  en  Le. 

4.  Mot  déjà  passé  au  propre  dans  le  tome  V,  p.  35.  Le  Dictionnaire 
de  l'Académie  n'en  indiquait  pas  d'emploi  au  figuré,  et  Littré,  ayant 
cité  le  premier  exemple,  n'a  pas  relevé  celui-ci,  au  sens  de  gêné, 
contraint. 


312  MÉMOIRES  [1711] 

ployer  peu  à  peu,  se  donner  au  monde  avec  mesure,  y 
être  libre,  majestueux,  gai,  agréable,  tenir  le  salon  de 
Marly  dans  des  temps  coupés',  présider  au  cercle  ras- 
semblé autour  de  lui  comme  la  divinité  du  temple,  qui 
sent,  et  qui  reçoit  avec  bonté  les  hommages  des  mortels 
auxquels  il  -  est  accoutumé,  et  les  récompense  de  ses 
douces  influences.  Peu  à  peu  la  chasse  ne  fut  plus  l'en- 
tretien que  du  laisser-courre^,  ou  du  moment  du  retour^ 
Une  conversation  aisée,  mais  instructive  et  adressée  avec 
choix  et  justesse,  charma  le  sage  courtisan  et  fit  admirer 
les  autres.  Des  morceaux  d'histoire  convenables,  amenés 
sans  art  des  occasions  naturelles,  des  applications  dési- 
rables, mais  toujours  discrètes  et  simplement  présentées 
sans  les  faire,  des  intermèdes^  aisés,  quelquefois  même 
plaisants,  tout  de  source  et  sans  recherche,  des  traits 
échappés  de  science,  mais  rarement,  et  comme  dardés* 
de  plénitude  "  involontaire,  firent  tout  à  la  fois  ouvrir 
les  yeux,  les  oreilles  et  les  cœurs.  Le  Dauphin  devint  un 
autre  prince  de  Conti.  La  soif  de  faire  sa  cour  eut  en 
plusieurs  moins  de  part  à  l'empressement  de  l'environner 
dès  qu'il  paroissoit,  que  celle  de  l'entendre  et  d'y  puiser 
une  instruction  délicieuse  par  l'agrément  et  la  douceur 
d'une  éloquence  naturelle  qui  n'avoit  rien  de  recherché, 

1.  Même  locution  qu'au  tome  XVII,  p.  342.  —  2.  Il,  la  Divinité. 

3.  «On  dit,  en  termes  de  chasse,  laisser  courre,  pour  dire  décou- 
pler les  chiens  après  la  bête  ;  on  fait  même  un  substantif  des  deux  in- 
finitifs, qui  signifie  le  lieu  oîi  l'on  découple  les  chiens  »  (Académie, 
1718).  Plutôt  que  le  lieu,  c'est  le  temps  où  les  piqueurs  lâchent  la 
meute  à  la  poursuite  de  l'animal,  et  l'action  en  elle-même.  Littré  a 
mal  interprété  cette  phrase  de  la  Bruyère  :  «  Il  est  au  laisser- 
courre  ». 

4.  C'est-à-dire  qu'on  cessa  de  parler  chasse  autre  part  que  pendant 
le  temps  du  laisser-courre  ou  pendant  celui  de  la  «  retraite.  » 

5.  Ci-dessus,  p.  310. 

6.  «  Darder,  lancer  une  arme,  ou  quelque  autre  chose  comme  on 
lancerait  un  dard  ;  quelquefois  il  se  prend  tigurément  :  le  soleil  dar- 
dant ses  rayons,  darder  un  regard)^  (Académie,  1718). 

7.  Nous  avons  déjà  eu  plénitude  au  tome  XIX,  p.  22o. 


1 


[17H]  DE  SAINT-SIMON.  313 

la  justesse  en  tout,  et,  plus  que  cela,  la  consolation,  si 
nécessaire  et  si  désirée,  de  se  voir  un  maître  futur  si 
capable  de  l'être  par  son  fonds,  et  par  l'usage  qu'il  mon- 
troit  qu'il  en  sauroit  faire.  Gracieux  partout,  plein 
d'attention  au  rang,  à  la  naissance,  à  l'âge,  à  l'acquis' 
de  chacun j  choses-  depuis  si  longtemps  honnies  et  con- 
fondues^ avec  le  plus  vil  peuple  de  la  cour  ;  régulier  à 
rendre  à  chacune  de  ces  choses  ce  qui  leur  étoit  dû  de 
politesse,  et  ce  qui  s'y  en  pouvoit  ajouter  avec  dignité  ; 
grave,  mais  sans  rides  %  et  en  même  temps  gai  et  aisé  : 
il  est  incroyable  ^  avec  quelle  étonnante  rapidité  l'admi- 
ration de  l'esprit,  l'estime  du  sens,  l'amour  du  cœur,  et 
toutes  les  espérances  furent  entraînées,  avec  ^  quelle  roi- 
.deur  les  fausses  idées  qu'on  s'en  étoit  faites  et  voulu 
faire  furent  précipitées,  et  quel  fut  l'impétueux  tourbil- 
lon du  changement  qui  se  fit  généralement  à  son  égard 
La  joie  publique  faisoit  qu'on  ne  s'en  pouvoit  taire,  et 
qu'on  se  demandoit  les  uns  aux  autres  si  c'étoit  bien  là 
le  même  homme,  et  si  ce  qu'on  voyoit  étoit  songe  ou 
réalité.  Cheverny,  qui  fut  un  de  ceux  à  qui  la  question 
s'adressa,  n'y  laissa  rien  à  repartir'  :  il  répondit  que  la 
cause  de  tant  de  surprise  étoit  de  ce  qu'on  ne  connoissoit 
pointée  prince,  qu'on  n'avoit  même  pas  voulu  connoître  ; 
que,    pour   lui,    il   le  trouvoit   tel  qu'il  l'avoit  toujours 

i.  «  Acquis  est  aussi  un  substantif,  et  dans  cette  acception,  on  dit 
qu'wn  homme  a  de  l'acquis,  beaucoup  d'acquis,  pour  dire  qu'il  est 
très  capable  dans  sa  profession,  et  cela  se  dit  ordinairement  en  parlant 
d'un  homme  de  lettres  »  (Académie,  4748).  —  Saint-Simon  écrit:  ac- 
quit, comme  s'il  s'agissait  du  substantif  correspondant  au  verbe  ac- 
quitter. 

2.  Chose  est  par  méf^arde,  au  singulier. 

3.  Confondus  corrigé  en  confondues. 

4.  C'est-à-dire  sans  l'air  rébarbatif  qui  accompagne  parfois  la  gravité 
de  la  vieillesse  ridée. 

5.  Incroyable  est  en  interligne,  au-dessus  d^étonnant,  biffé. 

6.  Avant  avec,  Saint-Simon  a  biffé  et. 

7.  «  Repartir,  répliquer,  répondre  sur-le-champ  et  vivement  »  (Aca- 
démie, 1718). 


314  MÉMOIRES  [1714] 

connu  et  vu  dans  son  particulier;  que,  maintenant  que 
la  liberté  lui  étoit  venue  de  se  montrer  dans*  tout  son 
naturel,  et  aux  autres  de  l'y  voir,  il  paroissoit  ce  qu'il 
avoit  toujours  été,  et  que  cette  justice  lui  seroit  rendue 
quand  l'expérience  de  la  continuité  apprendroit  cette 
vérité.  De  la  cour  à  Paris,  et  de  Paris  au  fond  de  toutes 
les  provinces,  cette  réputation  vola  avec  tant  de  prompti- 
tude, que  ce  peu  de  gens  anciennement  attachés  au  Dau- 
phin en  étoient  à  se  demander  les  uns  aux  autres  s'ils 
pouvoient  en  croire  ce  qui  leur  revenoit  de  toutes  parts. 
Quelque  fondé  que  fût  un  si  prodigieux  succès,  il  ne  faut 
pas  croire  qu'il  fût  dû  tout  entier  aux  merveilles  du  jeune 
prince.  Deux  choses  y  contribuèrent  beaucoup  :  les  me- 
sures immenses  et  si  étrangement  poussées  de  cette  cabale 
dont  j'ai  tant  parlé,  à  décrier  ce  prince  sur  toutes  sortes 
de  points,  et,  depuis  Lille,  toujours  soutenues  pour  for- 
mer contre  lui  une  voix  publique  dont  ils  pussent  s'ap- 
puyer auprès  de  Monseigneur,  et  en  cueillir  les  fruits 
qu'ils  s'en  étoient  proposés  dès  le  départ  pour  cette  cam- 
pagne, que  le  complot  de  l'y  perdre  avoit  été  fait  ;  et  le 
contraste  de  l'élastique  ^  à  la  chute  du  poids  qui  lui  écra- 
soit  les  épaules,  après  lequel  on  le  vit  redressé,  l'étonne- 
ment  extrême  que  produisit  ce  même  contraste  entre 
l'opinion  qu'on  en  avoit  conçue  et  ce  qu'on  ne  pouvoit 
s'empêcher  de  voir,  et  le  sentiment  de  joie  intime  de  cha- 
cun, par  son  plus  sensible  intérêt,  de  voir  poindre  une 
aurore^  qui  déjà  s'avançoit,  et  qui  promettoit  tant  d'ordre 
et  de  bonheur  après  une  si  longue  confusion  et  tant  de 
ténèbres. 
Mme  Mme  de  Maintenon,  ravie  de  ces  applaudissements  par 

de  Maintenon    amitié  pour  sa  Dauphine,  et  par  son  propre  intérêt  de 

point  aux  mi-  ^  r  '  r  i       i 

i.  Dans  surcharge  les  premières  lettres  d'at'[ec]. 

2.  «  Élastique,  adjectif,  n'a  d'usage  que  dans  cette  phrase  vertu 
élastique,  c'est-à-dire  la  qualité  par  laquelle  un  corps  fait  ressort  » 
(Académie,  1718). 

3.  On  a  eu  ci-dessus,  p.  13,  «  la  première  pointe  de  l'aurore  )/ 


[4711]  DE   SAINT-SIMON.  315 

pouvoir  compter  sur  un  Dauphin  qui  commençoit  à  faire    mstres,  toute 

r,         ,  ,   ,        iM-  Li-  )         r  '  au  Dauphin. 

l  espérance  et  les  délices  publiques,  s  appliqua  a  en  pres- 
ser tout  l'usage  qu'elle  put  auprès  du  Roi.  Quelque  admi- 
ration qu'elle  voulût  montrer  pour  tout  ce  qui  étoit  de 
son  goût  et  de  sa  volonté,  et  quelques  mesures  qu'elle 
gardât  avec  tous  ses  ministres,  leur  despotisme  et  leur 
manière  de  l'exercer  lui  déplaisoit*  beaucoup.  Ses  plus 
familiers  avoient  découvert  en  des  occasions  rares  ses 
plus  secrets  sentiments  là-dessus,  qu'Harcourt  avoit  beau- 
coup fortifiés  en  elle  -,  tantôt  par  des  demi-mots  de  ridi- 
cule bien  assenés,  où  elle  excelloit,  quelquefois  par  quel- 
ques paroles  plus  sérieuses,  bien  qu'également  étran- 
glées', sur  le  mauvais  de  ce  gouvernement.  Elle  crut 
donc  se  procurer  un  avantage,  à  l'État  un  bien,  au  Roi 
un  soulagement,  de  faire  en  sorte  qu'il  s'accoutumât  à 
faire  préparer  les  matières  par  le  Dauphin,  à  lui  en  lais- 
ser* expédier  quelques-unes,  et  peu  à  peu  ainsi  à  se  dé- 
charger sur  lui  du  gros  et  du  plus  pesant  des  affaires,  dont 
il  s'étoit  toujours  montré  ^  si  capable,  et  dans  lesquelles®  il 
étoit  initié  puisqu'il  étoit  de  tous  les  conseils,  où  il  par- 
loit  depuis  longtemps  avec  beaucoup  de  justesse  et  de  dis- 
cernement. Elle  compta  que  cette  nouveauté  rendroit  les 
ministres  plus  appliqués,  plus  laborieux,  surtout  plus  trai- 
tables  et  plus  circonspects.  Vouloir  et  faire,  sur  les  choses 
intérieures,  et  qui,  par  leur  nature,  pouvoient  s'amener 
de  loin  par  degrés  avec  adresse,  fut  toujours  pour  elle 
une  seule  et  même  chose.  Le  Roi,  déjà  plus  enclin  à  son 

i.  Il  y  a  bien  déplaisait,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 

2.  Voyez  tome  X,  p.  44-45,  ce  qu'il  disait  sur  les  ministres. 

3.  «  Étranglé  se  dit  aussi  de  quelques  endroits  d'un  discours  où 
l'on  ne  s'est  pas  assez  étendu  »  (Académie,  17i8).  —  Nous  avons  déjà 
eu  étrangler  une  affaire  dans  le  tome  II,  p.  50,  et  ci-dessus,  p.  211, 
une  acception  analogue. 

4.  Luy  en  laisser  est  en  interligne,  au-dessus  d'en,  biffé. 

5.  La  première  lettre  de  monstre  surcharge  une  s. 

6.  Lesquels,  au  masculin,  par  mégarde  ou  comme  s'accordant  avec 
les  substantifs  gros  et  pesant. 


316  MÉMOIRES  [1744] 

petit-fils,  étoit  moins  en  garde  des  applaudissements  qu'il 
recevoit  sous  ses  yeux,  qu'il  ne  l'avoit  paru  sur  ceux  de 
ses  premières  campagnes.  Biouin  et  les  autres  valets  inté- 
rieurs, dévoués  à  M.  de  Vendôme,  n'avoient  plus  cet 
objet,  ni  Monseigneur  en  croupe  ;  ils  étoient  en  crainte  et 
en  tremblements  etM.  du  Maine,  destitué  de  leur  appui, 
n'osoit  plus  ouvrir  la  bouche,  ni  hasarder  que  Mme  de 
Maintenon  le  découvrît  contraire.  Ainsi  le  Roi  étoit  sans 
ces  puissants  contrepoids  qui  avoient  tant  manégé  aupa- 
ravant dans  ses  heures  les  plus  secrètes  et  les  plus  libres. 
Ministres  La  sage  et  flexible  conduite  de  ce  respectueux  et  assidu 
ravaillent*  petit-fils  l'avoit  préparé  à  se  rendre  facile  aux  insinua- 
i  Dauphin,  tions  de  Mme  de  Maintenon  :  tellement  que,  quelque 
accoutumé  que  l'on  commençât  d'être  à  la  complaisance 
que  le  Roi  prenoit  dans  le  Dauphin,  toute  la  cour  fut 
étrangement  surprise  de  ce  que,  l'ayant  retenu  un  matin 
seul  dans  son  cabinet  assez  longtemps,  il  ordonna  le 
même  jour  à  ses  ministres  d'aller  travailler  chez  le  Dau- 
phin toutes  les  fois  qu'il  les  manderoit,  et,  sans  être  man- 
dés encore,  de  lui  aller  rendre  compte  de  toutes  les 
affaires  dont,  une  fois  pour  toutes,  il  leur  auroit  ordonné 
de  le  faire-.  Il  n'est  pas  aisé  de  rendre  le  mouvement 
prodigieux  que  fit  à  la  cour  un  ordre  si  directement 
opposé  au  goût,  à  l'esprit,  aux  maximes,  à  l'usage  du  Roi, 

4.  Réminiscence  des  livres  saints  :  Cum  timoré  et  tremore  confite- 
mini  (Tohïe,  chap.  XIII,  verset  6);  Timor  et  tremor  venerunt  super 
me  (Psaume  54,  verset  6). 

2.  Dangeau,  p.  398,  28  avril  :  «  Le  Roi  a  ordonné  à  M.  Desmaretz 
d'aller  assez  souvent  chez  le  Dauphin  pour  l'instruire  sur  les  tinances. 
Le  Roi  est  bien  aise  que  ce  prince  se  rende  capable  d'affaires  de  plus 
en  plus,  et  le  Dauphin  est  bien  aise  aussi  d'être  instruit,  et  s'applique 
fort.  »  Les  Mémoires  de  Sourches  n'en  parlent  qu'au  49  mai  (p.  442): 
«  On  voyoit  alors  avec  joie  que  M.  le  Dauphin,  pour  s'instruire  à  fond 
des  affaires,  travailloit  tous  les  jours  en  particulier  avec  le  contrôleur 
général  Desmaretz  et  le  secrétaire  d'État  Voysin.  » 

*  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  :  Ministres  ont  ordre  de  travailler; 
il  a  biffé  ont  ordre  de  et  corrigé  travailler  en  travaillent. 


[17H]  DE  SAINT-SIMON.  317 

si  constants  jusqu'alors,  qui,  par  cela  même,  marquoit 
une  confiance  pour  le  Dauphin  qui  n'alloit  à  rien  moins 
qu'à  lui  remettre  tacitement  une  grande  partie  de  la  dis- 
position des  affaires.  Ce  fut  un  coup  de  foudre  sur  les 
ministres,  dont  ils'  se  trouvèrent  tellement  étourdis, 
qu'ils  n'en  purent  cacher  l'étonnement^  ni  le  déconcerte- 
ment'*.  Ce  fut  un  ordre,  en  effet,  bien  amer  pour  des 
hommes  qui,  tirés  de  la  poussière  et  tout  à  coup  portés 
à  la  plus  sûre  et  la  plus  suprême  puissance,  étoient  si 
accoutumés  à  régner  en  plein  sous  le  nom  du  Roi,  auquel 
ils*  osoient  même  substituer  quelquefois  le  leur,  en 
usage  tranquille  et  sans  contredit  de  faire  et  de  défaire 
les  fortunes,  d'attaquer  avec  succès  les  plus  hautes,  d'être 
les  maîtres  des  plus  patrimoniales^  de  tout  le  monde,  de 
disposer  avec  toute  autorité  du  dedans  et  du  dehors  de 
l'Etat,  de  dispenser  à  leur  gré  toute  considération,  tout 
châtiment,  toute  récompense,  de  décider  de  tout  hardi- 
ment par  un  le  Roi  le  veut^,  de  sécurité  entière  même  à 
l'égard  de  leurs  confrères,  de  ce  que  qui  que  ce  fût^  n'osoit 
ouvrir  la  bouche  au  Roi  de  rien  qui  pût  regarder  leur 
personne,  leur  famille,  ni  leur  administration,  sous  peine 
d'en  devenir  aussitôt  la  victime  exemplaire  pour  qui- 
conque l'eût  hasardé,  par  conséquent  en  toute  liberté  de 
taire,  de  dire,  de  tourner  toutes  choses  au  Roi  comme  il 
leur  convenoit,  en  un  mot  rois  d'effet,  et  presque  de  re- 
présentation. Quelle  chute  pour  de  tels  hommes  que 
d'avoir  à  compter  sur  tout  avec  un  prince  qui  avoit 
Mme  de  Maintenon  à   lui^  et  qui,  auprès  du  Roi,  étoit 

i.  Cet  il  est  au  singulier,  par  mégarde. 

2.  La  première  lettre  f/'esfon/iem'  surcharge  un  a. 

3.  Tome  XVIII,  p.  349.  —  4.  Encore  il,  au  singulier. 

5.  Des  fortunes  les  plus  patrimoniales. 

6.  Ces  mots  ne  sont  pas  soulignés  dans  le  manuscrit.  —  Dans  le 
tome  XVII,  p.  459,  il  a  dit  que  c'était  la  réponse  ordinaire  de  Voy- 
sin. 

7.  Les  sept  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne,  et,  avant 
qui,  Saint-Simon  a  biffé  personne. 


348  MEMOIRES  [17H] 

devenu  plus  fort  qu'eux  dans*  leur  propre  tripot^,  un 
prince  qui  n'avoit  plus  rien  entre  lui  et  le  trône,  qui 
étoit  capable,  laborieux,  éclairé,  avec  un  esprit  juste  et 
supérieur,  qui  avoit  acquis  sur  un  grand  fonds  tout  fait 
depuis  qu'il  étoit  dans  le  Conseil',  à  qui  rien  ne  man- 
quoit  pour  les  éclairer,  qui,  avec  ces  qualités,  avoit  le 
cœur  bon,  étoit  juste,  aimoit  l'ordre,  qui  avoit  du  discer- 
nement, de  l'attention,  de  l'application  à  suivre  et  à 
démêler,  qui  savoit  tourner  et  approfondir,  qui  ne  se 
payoit  que  de  choses,  et  point  de  langage,  qui  vouloit 
déterminément  *  le  bien  pour  le  bien,  qui  pesoit  tout  au 
poids  de  sa  conscience,  qui,  par  un  accès  facile  et  une 
curiosité  de  dessein  et  de  maximes,  seroit  instruit  par 
force  canaux,  qui  sauroit  comparer  et  apprécier^  les 
choses,  se  défier  et  se  confier  à  propos  par  un  juste  dis- 
cernement et  une  application  sage,  et  en  garde  contre  les 
surprises  de  toutes  parts  ;  qui,  ayant  le  cœur  du  Roi, 
avoit  aussi  son  oreille  à  toute  heure,  et  qui,  outre  les 
impressions  qu'il  prendroit  d'eux  pour  quand  il  seroit 
leur  maître,  se  trouvoit  dès  lors  en  état  de  confondre  le 
faux  et  le  double  ^  et  de  porter  une  lumière  aussi  péné- 
trante qu'inconnue  dans  l'épaisseur  de  ces  ténèbres  qu'ils 

4.  Le  commencement  de  dans  surcharge  une  s. 

2.  Nous  avons  rencontré  tripot,  au  sens  de  maison  de  jeu,  dans  le  tome 
XX,  p.  283.  Ici  c'est  l'acception  à  laquelle  se  rapporte  cette  définition 
du  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4718  :  «  On  dit  figurément  et  fami- 
lièrement qu'un  homme  est  dans  son  tripot,  pour  dire  qu'il  est  dans 
un  lieu  où  il  a  de  l'avantage  pour  la  chose  dont  il  s'agit,  qu'il  excelle 
dans  les  matières  dont  il  est  question.  »  Mme  de  Sévigné  et  d'autres 
contemporains  ont  employé  tripot  dans  le  même  sens.  Nous  le  trou- 
verons encore  dans  la  suite  des  Mémoires,  tomes  XI,  p.  347,  et  XVI, 
p.  3-4,  et  dans  les  Écrits  inédits,  tome  III,  p.  337. 

3.  C'est-à-dire  :  qui,  possédant  déjà  un  grand  fonds,  l'avait  aug- 
menté depuis  qu'il  entrait  au  Conseil. 

4.  Tome  XV,  p.  422.  —  5.  Il  écrit  appretier. 

6.  «  Double  signifie  figurément  dissimulé,  traître  »,  dit  le  Diction- 
naire de  l'Académie  de  4748,  qui  ne  donne  pas  d'exemple  de  l'emploi 
de  ce  mot  comme  substantif  emportant  l'idée  de  duplicité. 


[1714]  DE  SAINT-SIMON.  349 

avoient  formées  et  épaissies  avec  tant  d'art,  et  qu'ils  en- 
tretenoient  de  même.  L'élévation  du  prince  et  l'état  de 
la  cour  ne  comportoit  plus  le  remède  des  cabales,  et  la 
joie  publique  d'un  ordre  qui  rendoit  ces  rois  à  la  condi- 
tion de  sujets,  qui  donnoit  un  frein  à  leur  pouvoir,  et  une 
ressource  à  l'abus  qu'ils  en  faisoient,  ne  leur  laissoient 
aucune  ressource.  Ils  n'eurent  donc  d'autre  parti  à  pren- 
dre que  de  ployer  les  épaules  *  à  leur  tour,  ces  épaules 
roidies  à  la  consistance  du  fer.  Ils^  allèrent  tous,  avec  un 
air  de  condamnés,  protester^  au  Dauphin  une  obéissance 
forcée,  et  une  joie  feinte  de  l'ordre  qu'ils  avoient  reçu. 
Le  prince  n'eut  pas  de  peine  à  démêler  ce  qu'eux-mêmes 
en*  avoient  à  cacher.  Il  les  reçut  avec  un  air  de  bonté  et 
de  considération  ;  il  entra  avec  eux  dans  le  détail  de  leurs 
journées  pour  leur  donner  les  heures  les  moins  incom- 
modes à  la  nécessité  du  travail  et  de  l'expédition,  et,  pour 
cette  première  soumission,  n'entra  pas  avec  eux  en 
affaires,  mais  ne  différa  pas  de  commencer  à  travailler 
chez  lui  avec  eux. 

Torcy ,  Voysin  et  Desmaretz  furent  ceux  sur  qui  le  poids 
en  tomba  par  l'importance  de  leurs  départements.  Le 
Chancelier,  qui  n'en  avoit  point,  n'y  eut  que  faire.  Son 
fils,  voyant  les  autres  y  travailler  assidûment,  auroit  bien 
voulu  y  être  mandé  aussi  ;  il  espéroit  s'approcher  par  là 
du  prince,  et  il  étoit  fort  touché  de  l'air  important;  mais 
sa  marine  étoit  à  bas,  et  les  délations  du  détail  de  Paris, 
dont  il  amusoit  le  Roi  tous  les  lundis  aux"  dépens  de  tout 

4.  «  On  dit  figurément  plier  les  épaules,  pour  dire  recevoir  une 
chose  fâcheuse,  désagréable,  avec  soumission  «  (Académie,  4748). 

2.  Encore  il,  dans  le  manuscrit. 

3.  Les  lexiques  du  dix-huitième  siècle  indiquaient  l'emploi  de  pro- 
tester avec  un  complément  direct,  emploi  qui  n'est  plus  guère  usité  de 
nos  jours. 

4.  En  a  été  ajouté  en  interligne,  et,  après  avoient,  Saint-Simon  a 
biffé  tant  de  peine.  C'est  l'explication  du  sens  de  ce  membre  de 
phrase. 

0.  Aux  surcharge  un  autre  mot  illisible. 


320 


MEMOIRES 


[1714] 


le  monde,  et  dont  Argenson  lui  avoit  adroitement  laissé 
usurper  tout  l'odieux  \  n'étoient  ni  du  goût  du  Dauphin, 
ni  chose  à  laquelle  il  voulût  perdre  son  temps.  D'ailleurs, 
la  personne  de  Pontchartrain  lui  étoit  désagréable,  comme 
on  le  verra  bientôt-,  et  il  ne  put  parvenir  à  être  mandé, 
ni  trouver  sans  cela  de  quoi  oser  aller  rendre  compte, 
dont  il  fut  fort  mortifié.  La  Vrillière  n'avoit  que  le  détail 
courant  de  ses  provinces,  par  conséquent  point  de  ma- 
tière pour  ce  travail  ;  le  département  de  sa  charge  étoit 
la  religion  prétendue  réformée  ^  et  tout  ce  qui  regardoit 
les  huguenots  ;  tout  cela  étoit  tombé  depuis  les  suites  de 
la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  tellement  qu'il  n'avoit 
point  de  département  *. 

Ce  seroit  ici  le  lieu  de  parler  de  la  situation  dans 
laquelle  je  me  trouvai  incontinent  avec  le  Dauphin,  et  la 
confiance  intime  sur  le  présent  et  l'avenir,  et  toutes  les 
mesures  qui  y  étoient  relatives  où  je  fus  admis  entre  le 
duc  de  Beauvillier  et  le  Dauphin,  et  le  duc  de  Chevreuse. 
La  matière  est  curieuse  et  intéressante  ;  mais  elle  mène- 
roit  trop  loin  à  la  suite  de  la  longue  parenthèse  que  la 
mort  de  Monseigneur  et  ses  suites,  et  que  ^  l'affaire  de 
d'Antin  et  de  l'édit  qu'elle  produisit,  a  mise  au  courante 
Il  le  faut  reprendre  jusqu'au  voyage  de  Fontainebleau.  Je 
reviendrai  après  à  ce  que,  pour  le  présent,  je  diffère. 


Voyages  Le  '^  maréchal  de  Villars  étoit  allé  de  bonne  heure  en 

des  généraux    Flandres  dans  le  dessein  d'y  faire  le  siège  de  Douay  *.  Le 
d'armées. 

1.  Déjà  dit  plusieurs  fois,  en  dernier  lieu  dans  le  tome  XVIII,  p.  84. 

2.  Dans  le  prochain  volume.  On  a  vu  ci-dessus  (p.  282-283)  com- 
bien la  Dauphine  le  détestait. 

3.  Ces  trois  mots  sont  écrit  R.  P.  reformée. 

4.  «  Une  charge  caponne  »,  a-t-il  dit  dans  le  tome  XVI,  p.  52; 
voyez  ci-dessus,  p.  283. 

5.  Que  a  été  ajouté  après  coup. 

6.  C'est-à-dire  :  a  intercalé  dans  le  récit  courant. 

7.  Ici,  l'écriture,  ou  plutôt  la  plume  a  changé. 

8.  Dangeau  (p.  330)  annonce  son  départ  le  28  janvier. 


[4714]  DE  SAINT-SIMON.  321 

maréchal  de  Montesquieu  avoit  fait  pour  cela  les  disposi- 
tions nécessaires;  mais  l'exécution  ne  put  avoir  lieu'. 
Villars  revint  à  la  cour  jusqu'au  temps  de  l'ouverture  de 
la  campagne-,  qu'il  s'en  retourna  prendre  le  comman- 
dement de  l'armée  ^  En  attendant,  Permanele^,  maréchal   Permangle  bat 

1  .  I    •       I  /--        w  •  )        -       et  brûle  un 

de  camp,  qui  commandoit  dans  Londe,  eut  avis  quun-*  grand  convoi, 
convoi  de  vivres  des  ennemis  étoit  sur  l'Escaut  prêt  à 
entrer  dans  la  Scarpe%  escorté  de  deux  bataillons  avec 
un  officier  général'.  Permangle*  y  marcha  avec  huit  cents** 
hommes,  défit  les  deux  bataillons,  en  prit  le  comman- 
dant, et,  de  trente-six  bélandres'"  portant  cent  milliers 
chacune",  en  brûla  vingt-cinq*^. 

M.  d'Harcourt  partit  les  premiers  jours  de  mai  pour 

1.  Le  siège  de  Douay  ne  se  fera  qu'en  1742. 

"2.  Villars  revint  à  la  cour  le  2  mars,  et  n'en  repartit  pour  la  Flandre 
que  le  22  avril  {Dangeau,  p.  356  et  392;  Sourches,  p.  98). 

^.  Ici,  il  y  a  dans  le  manuscrit  un  renvoi  en  forme  d'X,  qui  indique 
qu'il  faut  intercaler  en  cet  endroit  les  lignes  qui  vont  suivre  sur  Per- 
mangle, quoique,  dans  le  manuscrit,  elles  se  trouvent  placées  après  la 
phrase  relative  à  Bonnac  (ci-après,  p.  323). 

4.  Tome  XVI,  p.  -447.  —  3.  L'abréviation  de  qu  surcharge  un  d. 

6.  Cette  rivière,  affluent  de  gauche  de  l'Escaut,  prend  sa  source  un 
peu  au-dessus  d'Arras,  traverse  Arras,  Douay  et  Saint-Amand,  et  se 
jette  dans  l'Escaut  à  Mortagne. 

7.  C'était  le  brigadier  suisse  Chambrier,  qui  devait  faire  les  fonc- 
tions de  major  général  de  l'armée  du  prince  Eugène. 

8.  Ce  nom  a  été  ajouté  en  interligne.  —  9.  600  corrigé  en  800. 

10.  Bateaux  flamands,  dont  il  a  été  parlé  dans  le  tome  XIX,  p.  441. 

11.  Elles  étaient  chargées  de  farine,  foin,  avoine,  poudre,  etc.,  et 
destinées  au  ravitaillement  des  armées  ennemies. 

12.  Cette  petite  affaire  se  passa  le  9  mai  et  fit  grand  honneur  à  Per- 
mangle. Le  convoi  se  composait  en  réalité  de  quarante-cinq  bateaux, 
dont  douze  seulement  parvinrent  à  s'échapper.  Voyez  la  Gazette, 
p.  2o4-2o2  et  262-263,  le  Journal  de  Dangeau,  p.  404  et  442,  les 
Mémoires  de  Sourches,  p.  107-408,  ceux  de  Villars,  tome  III,  p.  406- 
407,  ceux  du  chevalier  de  Quincy,  tome  III,  p.  65-66,  l'Histoire  mi- 
litaire, tome  VI,  p.  503,  les  Mémoires  militaires,  tome  X,  p.  390,  la 
Gazette  d'Amsterdam,  n»  xli,  le  Nouveau  Mercure,  mai  4744,  p.  423- 
427,  etc.;  il  y  en  a  des  relations  dans  le  volume  2300  du  Dépôt  de  la 
Guerre,  n°  59,  et  dans  le  volume  2303. 

UÉMOIRES    DE    SAIiNT-SIMON.    XXI  21 


322 


MEMOIRES 


[1741] 


Duc 

de  Noailles 

près  du  roi 

d'Espagne, 

avec  ses 

troupes,  sous 

Vendôme. 

La  reine 

d'Espagne 

attaquée 

d'écrouelles. 

Bonnac  relève 

Blécourt 

à  la  cour 

d'Espagne. 


les  eaux  de  Bourbonne'.  Le  maréchal  de  Bezons  étoit 
déjà  à  Strasbourg  ;  il  commanda  l'armée  du  Rhin  en  ^ 
l'attendant  %  et  le  duc  de  Berwick  partit  bientôt  après 
pour  le  Dauphiné*. 

On  ne  laissa  que  quelques  régiments  d'infanterie  sur 
le  Ter^  Le  duc  de  Noailles  étoit  demeuré  auprès  du  roi 
d'Espagne  depuis  qu'il  y  étoit  passé  après  la  prise  de 
Girone^  et  l'armée  qui  lui  étoit  destinée  passa  en  Ara- 
gon, où  il  eut  ordre  de  la  commander  à  part,  ou  jointe 
à  celle  de  M.  de  Vendôme,  mais  à  ses  ordres  de  l'une  ou 
de  l'autre  manière,  suivant  ce  que  Vendôme'^  jugeroit  à 
propos  pour  le  service  du  roi  d'Espagne  ^  Il  y  avoit  déjà 
quelques  mois  que  la  santé  de  la  reine  d'Espagne  étoit 
altérée®  :  il  lui  étoit  venu  des  glandes  au  cou,  qui  peu  à 
peu  dégénérèrent  en  écrouelles*".  Elle  eut  des  rechutes 


1.  Dangeau,  p.  401  et  405;  Sourches,  p.  409. 

2.  11  y  a  et,  par  mégarde  dans  le  manuscrit  au  lieu  d'en. 

3.  Harcourt  ne  rejoignit  l'armée  que  vers  le  24  juin  {Dangeau, 
p.  428-429). 

4.  Le  26  mai  (ibidem,  p.  413). 

5.  Fleuve  de  Catalogne  oîi  nous  avons  vu  M.  de  Noailles  remporter 
une  victoire  le  28  mai  4694  :  tome  II,  p.  4o3. 

6.  Tome  XX,  p.  298. 

7.  Avant  Vendosme,  Saint-Simon  a  biffé  il  jugeroit. 

8.  Ce  détail  ne  vient  pas  de  Dangeau. 

9.  Il  a  déjà  été  parlé,  dans  le  tome  XX,  p.  148,  note  3,  et  p.  434, 
de  cette  maladie  constitutionnelle  de  la  reine.  Elle  avait  voulu,  sur 
l'avis  des  médecins,  aller  prendre  les  eaux  à  Bagnères-de-Bigorre,  et  il 
y  eut  à  ce  propos  diverses  lettres  échangées  entre  elle  et  Louis  XIV 
et  entre  les  secrétaires  d'État  Voysin  et  Torcy  et  les  autorités  de  la 
province  (Archives  des  affaires  étrangères,  \-o\.  Espagne  203,  fol.  449- 
433,  49d,  562  et  569;  vol.  Guerre  2253,  n°  256,  et  2256,  n^^  44  et  47; 
Œuvres  de  Louis  XIV,  tome  VI,  p.  240-214;  Journal  de  Torcy, 
p.  311).  Elle  renonça  à  ce  projet  pour  ne  point  s'éloigner  de  son 
époux  après  la  victoire  de  Villaviciosa.  Saint-Simon  reviendra  sur  cette 
maladie  dans  le  prochain  volume,  et  nous  donnons  à  l'appendice  XII 
deux  lettres  à  ce  sujet. 

10.  Il  a  été  parlé  de  ce  mal   et  du  prétendu  pouvoir  qu'avaient  les 
rois  de  France  de  le  guérir  dans  notre  tome  XVII,  p.  74. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  323 

de  fièvre  fréquentes'  ;  mais  elle  ne  s'appliqua  pas  moins 
au  rétablissement  des  affaires^.  Bonnac^,  neveu  de  Bon- 
repaus,  alla  relever  en  Espagne  Blécourt*,  dont  on  a  sou- 
vent parlé  ^ 

Le^  8  mai,  le  lansquenet  et  les  autres  jeux  recommen-    Marly  en  jeu 
cèrent  dans  le  salon  de  Marly',  qui,  faute  de  ces  amuse-  *^*  en  sa  forme 

,    ,     „  1,  1  •      I  11»  •  ordinaire; 

ments,   avoit  ete   tort  désert  depuis  la  mort  de  Monseï-         cause 
gneur.  Madame  la  Dauphine  s'étoit  mise  à  jouer  à  l'oie  ^,   de  sa  singulière 
ne  pouvant  mieux,  mais  en  particulier  chez  elle.  Elle  fut  ^d  S'-S.1007\ 
encore  huit  ou  dix  jours  sans  jouer  dans  le"  salon "^.  A  la 
fin  tout  prit  à  Marly  la  forme  ordinaire".  Les  petites  véroles 

1.  Dangeau,  p.  394,  400,  403  et  406;  Sourches,  p.  106  et  119. 

2.  La  phrase  qui  va  suivre  a  été  ajoutée  dans  le  blanc  resté  à  la  fin 
du  paragraphe. 

3.  Jean-Louis  Dusson  de  Bonnac  :  tome  IV,  p.  282,  que  nous 
avons  vu  successivement  envoyé  à  Cologne,  en  Suède,  en  Pologne. 
Nous  le  retrouverons  en  1713  à  l'ambassade  de  Constantinople. 

4.  Dangeau  annonce  cette  nomination  le  20  mai  (p.  410),  et  les 
Mémoires  de  Sourches,  le  27  (p.  122).  Voyez  l'ouvrage;  du  P.  Bau- 
drillart,  tome  I,  p.  443  et  suivantes,  et  683-686. 

o.  En  dernier  lieu  dans  le  tome  XVIII,  p.  19. 

6.  C'est  avant  ce  paragraphe  que  se  trouvait  d'abord  l'article  sur  lo 
succès  de  Permangle,  que  l'auteur  a  voulu  reporter  ci-dessus. 

7.  Notre  auteur  lit  mal  Dangeau  qui  dit  (p.  403)  :  «  Le  Roi  a  permis 
qu'on  rejouât  ici  dans  le  salon,  hormis  au  lansquenet  ;  les  jeux  ont 
recommencé;  mais  la  Dauphine  ne  joue  encore  qu'à  l'oie,  et  dans  son 
appartement.  »  De  même  les  Mémoires  de  Sourches,  p.  106. 

8.  «  On  appelle  j'ew  de  l'oie,  certain  jeu  où  il  y  a  des  oies  marquées, 
et  où  on  joue  avec  des  dés  »  {Académie,  1718).  Ce  jeu,  très  ancien 
sans  doute,  puisqu'on  le  prétendait  «  renouvelé  des  Grecs  »,  du  moins 
usité  dès  la  fin  du  moyen  âge,  fut  extrêmement  en  vogue  au  dix- 
huitième  siècle;  dans  un  des  massifs  du  parc  de  Chantilly,  le  prince 
de  Condé  avait  fait  tracer  un  jeu  d'oie  de  grandeur  naturelle,  dont  les 
principales  ruines  :  pont,  puits,  rivière,  etc.,  se  retrouvent  encore  de 
nos  jours  sous  la  végétation. 

9.  Il  y  a  la,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

10.  «  L'après  dînée  [du  27  maij,  on  recommença  dans  le  salon  de 
Marly  à  jouer  au  lansquenet,  au  grand  contentement  des  dames,  qui 
s'ennuyoient  beaucoup  »  (Sourches,  p.  122). 

11.  Sur  le  désir  formel  du  Roi,  qui  le  manifesta  aux  dames  dans  le 
jardin  de  Marly  (ci-après,  p.  479). 


mariage  de 
Belle-Isle. 


3-24  MÉMOIRES  [1711] 

qui  accabloient  Versailles  retinrent  le  Roi  à  Marly  pen- 
dant les  fêtes  de  la  Pentecôte  pour  la  première  fois  ^  ;  il 
n'y  eut  point  de  cérémonie  de  l'Ordre  ;  et  la  même  raison 
l'y  retint  aussi  à  la  Fête-Dieu-. 
Premier*  Belle-Isle%  qui,  à  travers  tant  de  diverses  fortunes,  en 

a  fait  une  si  prodigieuse  pour  le  petit-fils  du  surinten- 
dant Foucquet  ^,  épousa,  avant  partir  pour  l'armée  ^, 
Mlle  de  Civrac%   de  la  maison   de  Durfort'.   Elle  étoit 

1.  Le  Roi  avait  toujours  soin  de  se  trouver  à  Versailles  pour  la 
Pentecôte,  afin  de  célébrer  à  la  chapelle  la  tète  patronale  de  Tordre  du 
Saint-Esprit. 

2.  «Le  12  mai,  le  Roi,  après  avoir  fait  faire  bien  des  perquisitions 
à  Versailles  sur  l'état  des  maladies  qui  y  régnoient,  se  détermina  à 
n'y  point  aller  à  la  Pentecôte,  comme  on  l'avoit  cru,  et  par  consé- 
quent à  ne  point  toucher  les  malades  en  grand  nombre,  comme  il  l'au- 
roit  fait,  et  à  ne  pas  faire  la  marche  de  l'ordre  du  Saint-Esprit,  à  la- 
quelle il  n'avoit  presque  jamais  manqué  ;  et  il  décida  qu'il  resteroit  à 
Marly  jusqu'au  13  de  juin»  (Sourches,  p.  108;  voyez  Dangeau, 
p.  405).  Sur  les  nombreux  cas  de  petite  vérole  à  Versailles  et  à  Paris, 
on  peut  voir  le  Journal  de  Dangeau,  p  402,  et  surtout  les  Mémoires 
de  Sourches,  p.  106,  11''.  et  112. 

3.  Charles-Louis-Auguste  Foucquet  :  tome  XV,  p.  154. 

4.  Déjà  dit  dans  le  tome  XVII,  p.  364-368.  Depuis  lors,  il  a  été 
publié  en  1908  un  volume  posthume  que  feu  Pierre  d'Echerac  avait 
présenté  comme  thèse  à  l'Ecole  des  chartes  (1905),  sous  le  titre  de  :  la 
Jeunesse  du  maréchal  de  Belle-Isle,  et  qui  va  de  1684  à  1726. 

5.  En  août  1710,  on  avait  annoncé  son  mariage  avec  «  la  jeune  et 
belle  veuve  du  marquis  de  Locmaria  »,  qu'on  prétendait  être  enceinte 
de  ses  œuvres  (Sourches,  tome  XII,  p.  337). 

6.  Henriette-Françoise  de  Durfort  de  Civrac,  de  même  maison  que 
les  maréchaux  de  Duras  et  de  Lorge,  mourut  à  Bordeaux  en  janvier  1 723 
et  fut  enterrée  le  16  au  couvent  des  Grands  Carmes  de  cette  ville  : 
voyez  ci-après,  aux  Additions  et  corrections.  Saint-Simon  écrit  Sivrac. 

7.  Le  contrat  fut  signé  le  16  mai  par  devant  les  notaires  Lemoine 
et  Navarre,  et  le  mariage  fut  célébré  le  20  à  l'église  Saint-Jacques  ;  la 
noce  se  tit  chez  la  duchesse  de  Vendôme,  qui  logea  les  époux  au 
Temple.  Le  marié  eut  en  dot  les  deux  tiers  du  domaine  de  Belle- 
Isle  et  les  quatre  cent  mille  francs  restant  dus  pour  le  rachat  des  for- 
titications  de  cette  place  (Dangeau,  p.  410;  Sourches,  p.  110;  Mer- 

*P'  a  été  ajouté  après  coup  au  commencement  de  la  manchette. 


[4741]  DE  SAINT-SIMON.  3-2S 

riche,  extrêmement  laide,  encore  plus  folle*:  elle  s'en 
entêta,  et  ne  le  rendit  pas  heureux,  ni  père.  Son  bonheur 
l'en  délivra  quelques  années  après-,  et  le  malheur  de  la 
France  le  remaria  longtemps  après  ^ 

Montboissier*  épousa  en  même  temps  Mlle  deMaillé^      Mariage  de 
belle,  riche,  et  de  beaucoup  d'esprits  II  a  succédé  long-     ■^^^"c^MUe*' 
temps  depuis  à  Canillac,  son  cousin  %  chevalier  de  l'Ordre      de  Maillé. 
en  1728,  capitaine  de  la  seconde  compagnie  des  mous- 
quetaires*. 

cure  de  mai,  -2^  partie,  p.  95-96;  Cabinet  des  titres,  Pièces  originales, 
vol.  1218,  fol.  347;  la  Jeunesse  de  Belle-Isle,  p.  53-o5. 
t.  Voyez  la  suite  des  Mémoires,  tome  XII  de  4873,  p.  283. 

2.  En  1723,  comme  on  l'a  vu  dans  la  note  6  de  la  page  précédente. 

3.  Il  épousa  en  secondes  noces,  le  13  octobre  1729,  Marie-Casimire 
de  Béthune,  veuve  du  marquis  de  Grancey  :  tome  XV,  p.  154.  Lors- 
qu'elle mourut,  en  mars  4755,  le  duc  de  Luynes  lui  consacra  une  no- 
tice élogieuse  (Mémoires,  tome  XIV,  p.  74-76),  où  il  loue  surtout  son 
ardeur  pour  tout  ce  qui  pouvait  intéresser  la  gloire  et  l'avantage  de 
son  mari.  Est-ce  cela  que  Saint-Simon  veut  lui  reprocher? 

4.  Philippe-Claude  de  Montboissier-Beaufort,  marquis  de  Montbois- 
sier,  mousquetaire  en  1692  et  capitaine  de  cavalerie  en  1695,  eut  un 
régiment  d'infanterie  de  son  nom  en  4702,  et  passa  à  la  tête  du  régi- 
ment de  Condé  en  avril  1740  ;  il  le  vendit  en  mars  4742  pour  acheter 
une  cornette  à  la  seconde  compagnie  des  mousquetaires,  dont  il  devint 
enseigne  en  1716  et  sous-lieutenant  peu  de  mois  après;  nommé  bri- 
gadier de  cavalerie  en  1749,  il  succéda  à  son  cousin  Canillac  comme 
capitaine-lieutenant  des  mousquetaires  le  42  avril  1729,  fut  maréchal 
de  camp  en  1734,  lieutenant  général  en  1738,  et  mourut  le  30  sep- 
tembre 1765,   à  quatre-vingt  onze  ans. 

5.  Marie- Anne-Geneviève  de  Maillé-Bénehart,  de  même  famille  que 
la  femme  du  grand  Condé,  épousa  le  marquis  de  Montboissier  le  8 
juin  1711,  et  mourut  le  7  juin  1742,  à  l'âge  de  quarante-huit  ans. 
Notre  auteur  écrivait  donc  le  présent  passage  avant  le  mois  de  juin 
1742,  puisqu'il  parle  d'elle  comme  vivant  encore. 

6.  Le  contrat  de  mariage  fut  signé  le  6  juin  (Dangeau,  p.  417  et 
449  ;  Sourches,  p.  428).  La  fiancée  eut  deux  cent  mille  livres  de  dot 
et  devait  être  fort  riche  plus  tard.  Il  y  a  dans  le  Mercure  de  septembre 
4742,  p.  49-56,  des  vers  relatifs  à  ce  mariage. 

7.  Jean  de  Montboissier,  comte  de  Canillac,  dont  on  trouvera  la 
notice  ci-après  aux  Additions  et  corrections. 

8.  En  1729,  comme  on  l'a  vu  ci-dessus,  note  4. 


326 


MEMOIRES 


[1711] 


Mariage 
de  Parabère, 
avec  Mlle  de 
la  Vieu ville. 


Course 

à  Marly  de 

l'électeur 

de  Bavière. 


Parabère^  épousa  aussi  la  fille-  de  Mme  de  la  Vieuville, 
dame  d'atour  de  Mme  la  duchesse  de  Berry  %  qui,  peu 
après  son  mariage,  fit  parler  d'elle,  et  qui  enfin  a  si  pu- 
bliquement vécu  avec  M.  le  duc  d'Orléans,  et,  après  lui, 
avec  tant  d'autres. 

L'électeur  de  Bavière,  à  qui  Torcy  avoit  été  par  ordre 
du  Roi  porter  à  Compiègne  la  nouvelle  de  la  mort  de 
l'Empereur  aussitôt  qu'il  l'eut  reçue  '%  et  conférer  avec 
lui,  vint  quelque  temps  après  passer  quelques  jours  en 
une  maison  qu'il  emprunta  auprès  de  Paris  ^  Deux  jours 
après,  il  vint  à  Marly  sur  les  deux  heures  et  demie  ; 
c'étoit  le  26  mai^   Il  fut  descendre  dans  l'appartement 

1.  César-Alexandre  de  Baudéan,  comte  de  Parabère,  chanoine-né 
de  la  cathédrale  d'Auch,  mestre  de  camp  de  cavalerie  en  septembre 
1702,  brigadier  de  cavalerie  en  1710,  mourut  le  13  février  1716,  âgé 
de  quarante-cinq  ans.  Il  était  petit-tils  de  cette  Mme  de  Neuillan  chez 
laquelle  Mme  de  Maintenon  passa  une  partie  de  sa  jeunesse,  et  dont 
on  a  parlé  dans  le  tome  VII,  p.  21-22. 

2.  Marie-Madeleine  de  la  Vieuville,  fille  de  l'ancien  chevalier  d'hon- 
neur de  la  Reine,  mariée  le  8  juin  1711  au  comte  de  Parabère,  mou- 
rut le  13  août  1735,  à  soixante-deux  ans.  Sans  être  belle,  elle  avait 
une  figure  noble  et  agréable  au  dire  du  duc  de  Luynes,  qui  ne  la 
connut  que  sur  le  tard  {Mémoires,  tome  XIV,  p.  237).  Le  contrat,  du 
6  juin,  est  dans  le  registre  Y  287,  fol.  351,  aux  Archives  nationales;  le 
mariage  fut  célébré  le  8  (Dangeau,  p.  417  et  419  ;  Sourches,  p.  128  ; 
Mercure  de  juin,  4^  partie,  p.  61-70).  A  l'occasion  du  mariage,  Ri- 
gaud  fit  leur  portrait  à  tous  deux,  moyennant  cinq  cents  livres  chacun. 
La  musée  de  Caen  a  cru  longtemps  posséder  un  portrait  de  Mme  de 
Parabère  ;  mais  cette  attribution  a  été  reconnue  fausse  (Bulletin  de 
la  Société  des  antiquaires  de  Normandie,  tome  XVIII,  p.  69-88). 

3.  Tome  XIX,  p.  326-327. 

4.  D'après  Dangeau  (p.  395  et  397),  on  avait  envoyé,  le  25  avril, 
un  courrier  à  l'Electeur  pour  lui  apprendre  la  mort  de  l'Empereur,  et 
M.  de  Torcy  n'alla  que  le  27  «le  voir  de  la  part  du  Roi  »;  comparez 
les  Mémoires  de  Sourches,  p.  102. 

5.  L'Électeur  arriva  le  25  mai  et  alla  descendre  dans  la  maison  des 
Moreau  deSéchelles  à  Villiers-la-Garenne,  où  il  avait  déjà  logé  en  1709 
et  où  nous  le  verrons  descendre  de  nouveau  le  mois  suivant  (Dan- 
geau, p.  412  ;  Sourches,  p.  121,  et  ci-après,  p.  337). 

6.  Sur  cette  visite,  on  peut  voir  le  Journal  de  Dangeau,  p.  412- 


[i7ii]  DE  SAINT-SIMON.  327 

que  feu  Monseigneur  occupoit.  Au  bout  d'un  quart 
d'heure,  il  passa  dans  le  cabinet  du  Roi,  où  il  le  trouva 
avec  les  deux  fils  de  France,  Madame  la  Dauphine  et 
toutes  les  dames  de  cette  princesse.  La  conversation  s'y 
passa  debout  à  portes  ouvertes,  pendant  un  quart  d'heure, 
après  quoi  tout  sortit,  et  le  Roi  demeura  seul  assez  long- 
temps avec  l'Electeur,  les  portes  fermées.  11  vint  ensuite 
dans  le  salon,  où  Monsieur  et  Madame  la  Dauphine  l'atten- 
doient.  La  conversation  dura  debout  quelque  temps,  et 
il  s'en  retourna  à  sa  petite  maison  '.  Le  Roi  lui  avoit  pro- 
posé de  revenir  le  surlendemain  à  la  chasse  :  il  y  vint,  se 
déshabilla  après  dans  ce  même  appartement  de  descente-, 
et  suivit  après  le  Roi  dans  les  jardins,  qui  le  fit  monter 
seul  avec  lui  dans  son  chariot^;  ils  se  promenèrent  fort 
dans  les  hauts  ^  de  Marly.  Au  retour,  il  fut  assez  long- 
temps ^  seul  avec  le  Roi  dans  son  cabinet.  Il  vint  après 
dans  le  salon  ;  Madame  la  Dauphine  y  jouoit  au  lansque- 
net, qui  le  fit  asseoir  auprès  d'elle.  Sur  les  huit  heures,  il 
alla  souper  chez  d'Antin  avec  compagnie  d'élite  ;  le  repas 
fut  gai,  et  dura  trois  heures.  ^  Tl  parut  partir  fort  content 
pour  sa  petite  maison,  d'où  il  regagna  Compiègne  par 
Liancourt^ 

413,  les  Mémoires  de  Sourches,  p.  424  ;  le  Journal  de  Torcy,  p.  435- 
437,  et  une  lettre  de  Mme  de  Maintenon  à  la  princesse  des  Ursins, 
recueil  Bossange,  tome  II,  p.  485.  On  trouva  que  le  prince  avait 
beaucoup  vieilli  depuis  son  dernier  voyage,  et  Madame  (Correspon- 
dance, recueil  Jaeglé,  tome  II,  p.  450)  prétend  qu'il  était  changé  en 
casse-noisette. 

4.  Dangeau,  p.  443  ;  Sourches,  p.  421  ;  Journal  de  Torcy,  p.  444. 
Torcy  raconte  (p.  436  et  suivantes)  les  négociations  qui  se  trai- 
tèrent pendant  le  séjour  de  l'Electeur  ;  celui-ci  désirait  que  le  roi 
d'Espagne  lui  cédât  les  Pays-Bas  pour  compenser  la  perte  de  ses 
Etats.  Nous  verrons  son  désir  exaucé,  ci-après,  p.  337. 

2.  C'est-à-dire  celui  où  il  était  déjà  descendu  à  sa  première  visite. 

3.  Tome  XVIII,  p.  223.  —  4.  Les  jardins  hauts:  tome  XII,  p.  404. 

5.  L's  a  été  ajoutée  après  coup  à  longtemps. 

6.  Dangeau,  p.  444;  Sourches,  p.  422-424. 

7.  Il  a  été  parlé  de  cette  terre  dans  le  tome  XIX,  p.  125. 


328 


MEMOIRES 


[47ii] 


Mort 
de  Langeron, 
lieutenant  gé- 
néral des  ar- 
mées navales. 


Mort, 

caractère, 

descendance  et 

titres  du 


Ce  même  jour,  Langeron,  lieutenant  général  des  armées 
navales,  et  fort  bon  marin  ',  mourut  à  Sceaux  d'apoplexie, 
sans  être  gros  ni  vieux-.  Il  étoit  fort  attaché  à  M.  et  à 
Mme  du  Maine,  et  sa  famille  à  la  maison'  de  Condé, 
sa  sœur  en  particulier  à  Madame  la  Princesse  ^  Il  étoit 
frère  de  l'abbé  de  Langeron  mort  àCambray  depuis  peu  ^ 

Le  duc  d'Albe,  ambassadeur  d'Espagne®,  étoit  mort  la 
veille  après  une  assez  longue  maladie".  Il  l'étoit  depuis 
plusieurs  années  ^  et  y  avoit  acquis  une  grande  réputa- 

1.  Joseph  Andrault,  comte  de  Langeron  :  tomes  XV,  p.  224,  et  XX, 
p.  83. 

2.  Le  28  mai  :  Dangeau,  p.  413  et  444  ;  Sourches,  p.  422  et  424  ; 
Gazette,  p.  300;  Mercure  de  juin,  4^  partie,  p.  40-43.  Il  avait  eu  une 
pension  de  deux  mille  livres  en  février  4688,  et  avait  été  pourvu  le 
ler  juillet  4704  de  la  lieutenance  générale  des  quatre  évêchés  de 
Basse-Bretagne.  Lorsqu'il  fut  envoyé  à  Toulon  en  juin  4707  pour  y 
commander  la  marine,  on  ne  lui  donna  point  de  lettres  de  service 
comme  lieutenant  général,  parce  qu'il  se  serait  trouvé  l'ancien  de 
ceux  de  terre.  Il  n'était  pas  heureux  en  ménage  (Correspondance  de 
Fénelon,  tome  II,  p.  293),  et  Bussy  raconte  (Correspondance,  tome  III, 
p.  348)  une  aventure  galante  qui  lui  arriva  à  Messine,  lors  de  l'expé- 
dition de  4676. 

3.  La  première  lettre  de  maison  corrige  une  M. 

4.  Charlotte  Andrault  de  Langeron  (tome  XX,  p.  83).  dame  d'hon- 
neur de  la  princesse  de  Condé,  était  tante,  et  non  sœur  de  ce  marin. 

5.  Tome  XX,  p.  83. 

6.  Il  avait  le  titre  d'ambassadeur,  quoique,  à  Madrid,  Blécourt  n'eût 
que  celui  d'envoyé,  et  cette  différence  avait  failli  occasionner  son  rap- 
pel (Sourches,  tome  XII,  p.  9). 

7.  Les  journaux  de  la  cour  ne  mentionnent  sa  maladie  que  le  23 
mai,  et  il  mourut  dans  la  nuit  du  27  au  28,  n'ayant  que  trente-neuf 
ans  (Dang eau,  p.  414  et  443;  Sourches,  p.  443  et  422;  Gazette, 
p.  276  ;  Recueil  des  instructions  aux  ambassadeurs  en  Espagne,  tome 
III,  p.  440-442  ;  Mercure  de  juin,  3^  partie,  p.  39,  4^  partie, 
p.  47-48,  et  d'août,  4«  partie,  p.  37-43. 

8.  Depuis  novembre  4703  (tome  XI,  p.  324).  Sa  correspondance 
avec  la  cour  d'Espagne,  de  4704  à  4744,  est  conservée  aux  archives 
d'Alcala  de  Hénarès.  La  lettre  en  date  du  22  juillet  4702,  par  laquelle 
Louis  XIV  le  nomma  chevalier  de  l'Ordre,  figure  sous  le  n°  223  dans  le 
catalogue  des  documents  exposés  au  palais  de  Liria,  que  publia  en  1898 
la  feue  duchesse  d'Albe  et  de  Berwick  morte  à  Paris  le  27  mars  4904. 


[1711] 


DE  SAINT-SIMOxN. 


329 


tion  de  sagesse,  d'esprit,  de  prudence  et  de  capacité  ;  il 
avoit  aussi  beaucoup  de  probité  et  de  piété.  Il  s'étoit 
acquis  l'estime  et  la  confiance  du  Roi  et  des  ministres,  et 
une  considération  générale  '.  Il  vivoit  avec  la  meilleure 
compagnie,  et  avec  magnificence  et  beaucoup  de  politesse 
et  de  dignité-.  Le  roi  d'Espagne  fit  payer  toutes  ses 
dettes  ^  et  continua  quatre  mois  durant  les  appointements 

1.  Les  contemporains  s'accordent  avec  notre  auteur  pour  faire  l'éloge 
du  duc  d'Albe,  et  pour  reconnaître  son  dévouement  sans  bornes  à 
Philippe  V  ;  la  princesse  des  Ursins  l'estimait  et  lui  tit  obtenir,  en 
1706,  une  commanderie  que  la  mort  de  l' Amirauté  laissait  vacante  ;  en 
1709,  il  avait  été  désigné,  avec  Bergeyck,  comme  plénipotentiaire  aux 
conférences  qui  durent  s'ouvrir  en  Hollande  (Lettres  de  Mme  de  Main- 
tenon  et  de  la  princesse  des  Ursins,  recueil  Bossangc,  tomes  II,  p.  184, 
186-187,  190, 19-2  et  197,  et  III,  p.  343-344, 358-359  et  371  ;  Mémoires 
de  Sourches,  tome  X,  p.  116;  Mercure,  décembre  1704,  p.  314-315, 
et  décembre  1706.  p.  237-239;  Mémoires  de  Noailles,  p.  213;  nos 
tomes  XII,  p.  400,  et  XIV,  p.  116).  L'abbé  de  Vayrac,  dans  son  Ta- 
bleau de  l'Espagne,  éd.  1819,  tome  III,  p.  12,  lui  a  consacré  quelques 
phrases  élogieuses  qu'on  trouvera  aux  Additions  et  corrections. 

2.  Depuis  son  arrivée  à  Paris,  il  habitait  une  maison  de  la  rue  de 
Grenelle  appartenant  au  président  Talon,  voisine  de  l'hôtel  de  Ven- 
dôme, et  qui  devint  plus  tard  l'hôtel  de  Galliffet,  puis  le  ministère  des 
Relations  extérieures,  aujourd'hui  l'ambassade  d'Italie.  A  Versailles, 
il  logeait  rueDauphine,  près  la  Paroisse.  Les  fêtes  qu'il  donnait  chaque 
année,  et  surtout  celle  de  l'anniversaire  de  naissance  du  roi  d'Espagne, 
étaient  renommées  pour  leur  éclat;  il  ne  semble  pas  que  les  Saint-Simon 
y  eussent  jamais  été  invités  (nos  tomes  XII,  p.  400,  note  6,  et  XV, 
p.  229;  Mercure  de  décembre  1704,  p.  291-298,  et  de  janvier  1711, 
p.  250-259).  En  1707,  il  avait  obtenu  la  permission  de  se  faire  faire  un 
milieu  de  table  et  des  seaux  et  plats  d'argent  (registre  0'  51,  fol.  69  v° 
et  81).  Comme  chez  la  plupart  des  ambassadeurs,  on  jouait  chez  lui  à 
la  bassette  (rég.  0'  366,  fol.  12  v°). 

3.  La  marquise  d'Huxelles  écrivait  à  M.  de  la  Garde,  le  3  février 
1704  (lettre  inédite,  ms.  Avignon  1419)  :  «M.  le  duc  de  Beauvillier  a 
conseillé  à  M.  le  duc  d'Albe  de  se  retrancher  et  de  ne  se  pas  endetter 
ici  comme  a  fait  l'autre  (le  marquis  de  Castel  dos  Rios),  parce  que 
cela  ne  servoit  de  rien,  selon  nos  manières,  pour  sa  grandeur,  ni  pour 
celle  du  roi  son  maître.  »  Malgré  ces  conseils,  le  duc,  qui  ne  recevait  que 
des  appointements  très  irrégulièrement  payés,  sacrifia  toutes  ses  res- 
sources pour  soutenir  dignement  son  rang  :  si  bien  qu'il  se  trouva  rc- 


duc  d'Albe, 

ambassadeur 

d'Espagne 

en  France. 

Sa  Bucccssion. 

[Add.  S'-S.  1008] 


330  MÉMOIRES  |17i4] 

de  l'ambassade  à  la  duchesse  d'Albe,  qui  ne  partit  point 
que  tout  ne  fût  payé'.  Le  corps  fut  envoyé  en  Espagne'-. 
Son  nom  est  Tolède,  tiré  de  la  ville  de  Tolède,  mais  avec 
celui  d'Alvarez  pour  distinguer  cette  maison,  l'une  des 
premières  d'Espagne,  de  quelques  autres  différentes  qui 
le  portent  aussi  avec  d'autres  noms  ^  Jean  II,  roi  de  Cas- 

duit,  dans  certains  moments,  à  vendre  son  argenterie  et  à  ne  vivre 
que  de  chocolat  (notre  tome  XIII,  p.  56  et  445,  note  2  ;  lettres  de 
Mme  de  Maintenon,  recueil  Bossange,  tome  I.  p.  41-42  et  60-61,  et 
recueil  Geffroy,  tome  II,  p.  99-100;  lettre  du  duc  de  Gramont,  dans  le 
volume  Espagne  160,  fol.  21). 

1.  Dangeau,  p.  428:  Le  roi  d'Espagne  a  mandé  à  la  duchesse 
d'Albe....  qu'il  feroit  payer  toutes  les  dettes  que  son  mari  avoit  faites 
en  France  durant  son  ambassade,  qu'il  lui  continueroit,  à  elle,  du- 
rant quatre  mois,  les  mêmes  appointements  qu'il  donnoit  au  duc  son 
mari,  et  qu'il  lui  feroit  payer  ce  qui  pouvoit  leur  être  encore  dû  de 
leurs  appointements,  afin  qu'elle  eût  de  quoi  récompenser  les  domes- 
tiques qui  ne  voudroient  pas  la  suivre  en  Espagne,  et  qu'elle  eût  de 
quoi  sortir  de  France  honorablement.  Outre  cela,  le  roi  lui  donne  deux 
mille  pistoles  d'or  de  pension,  et  lui  a  écrit  la  lettre  du  monde  la  plus 
obligeante.  Elle  compte  pouvoir  partir  dans  deux  mois,  quand  elle 
aura  vu  ses  créanciers  payés  ;  ils  en  ont  tous  usé  à  merveille  avec 
elle...  »  Comparez  les  Mémoires  de  Sourches,  p.  138,  et  les  Lettres 
de  la  princesse  des  Ursins,  recueil  la  Trémoille,  tome  V,  p.  198  et 
204.  La  duchesse  ne  quitta  Paris  qu'en  septembre  1712,  accompagnée 
de  l'abbé  de  Castiglione,  qu'elle  ne  devait  pas  tarder  à  épouser,  et  le 
Roi  lui  fit  un  présent  de  dix  mille  écus  (Dangeaii,  tomes  XIII,  p.  438 
et  482,  et  XIV,  p.  226  et  228). 

2.  Ce  détail  n'est  pas  pris  à  Dangeau.  Jal  (Dictionnaire  critique, 
p.  20-21)  a  publié,  d'après  les  registres  de  Saint-Sulpice,  le  procès- 
verbal  des  obsèques;  elles  furent  célébrées  le  6  juin  dans  la  chapelle 
des  Carmélites  de  la  rue  de  Grenelle,  où  le  corps  avait  été  transporté 
le  3  par  le  curé  de  Saint-Sulpice  et  où  il  devait  rester  jusqu'à  ce  que 
la  famille  décidât  de  le  faire  ramener  en  Espagne.  D'après  le  duc  de 
Luynes  (Mémoires,  tome  IV,  p.  175),  le  duc  avait  voulu  être  enseveli 
avec  une  chemise  neuve  garnie  de  point,  un  habit  de  drap  de  la  ma- 
nufacture Van  Robais  brodé  d'argent,  une  perruque  neuve,  sa  canne 
et  son  épée. 

3.  Il  a  déjà  été  parlé  de  la  maison  de  Tolède  dans  nos  tomes  VII, 
p.  259,  VIII,  p.  544,  IX,  p.  159,  note  2,  et  XI,  p.  325-326.  L'abbé  de 
Y ayrac  (Tableau  de  l'Espagne,  tome  III,  p.  14)  s'exprime  comme  notre 
auteur  et  ajoute  que  cette  maison  a  donné  naissance  aux  Suarez  de 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  331 

tille',  mit  dans  cette  maison  la  ville  d'Alva  par  don-,  que 
nous  appelons  Albe,  et  qui  est  auprès  de  Salamanque, 
avec  d'autros  adjonctions  en  titre  de  comté,  en  1430.  Le 
troisième  comte  d'Albe  ^  fut  fait  duc  d'Albe  par  Henri  IV*, 
en  1469,  et  c'est  le  bisaïeul  de^  mâle  en  mâle  du  fameux 
duc  d'Albe^  gouverneur  des  Pays-Bas  sous  Philippe  II, 
qui"  mourut  en  1582  et  laissa  deux  fils.  L'aîné,  qui 
avoit  été  fait  duc  d'Huesca,  mourut  sans  enfants  après 
son  cadet,  dont  le  fils  lui  succédai  II  épousa  Antoinette^ 
Enriquez  de  Ribera'",  dont  le  frère  étant  mort  sans 
enfants",  elle  fit  entrer  dans  la  maison  de  son  mari  ses 
biens  et  son  nom'-.  Ainsi,  ce  sixième"  duc  d'Albe,  et* 
d'Huesca  par  soi,  fut,  par  sa  mère  héritière  de  la  maison 

Toledo,  aux  marquis  de  Villafranca  et  ducs  de  Fcrrandina,  aux  comtes 
d'Oropesa,  aux  marquis  de  Maiicera.  Ses  armoiries  étaient  :  échiqueté 
d'azur  et  d'argent,  avec  neuf  étendards  en  bordure. 

i.  Tome  VIII,  p.  198. 

H.  Déjà  dit  tome  XI,  p.  3"2o,  ainsi  que  ce  qui  va  suivre. 

3.  Garcia  Alvarez  de  Tolède  :  tome  XI,  p.  323. 

4.  Roi  de  Castille  :  tome  VIII,  p.  114-llS. 

o.  Le  d  de  de  surcharge  le  commencement  d'un  m,  et  la  lettre  s  du 
second  masle  a  été  ajoutée  après  coup. 

6.  Ferdinand  Alvarez  de  Tolède  :  tome  XI,  p.  326. 

7.  Ce  qui  est  en  interligne,  au-dessus  d'et  il,  bitfé. 

8.  Tout  cela  a  déjà  été  dit  dans  le  tome  XI,  p.  326,  d'après  VHistoive 
généalogique. 

9.  Ant.,  dans  le  manuscrit  surchargeant  la  ;  ensuite,  Enriques  est  en 
interligne,  au-dessus  de  Manriques,  biffé. 

10.  Elle  était  fille  du  marquis  de  Villanueva-del-Rio,  et  mourut  le  23 
novembre  1623.  Son  mari  se  remaria  avec  une  Pimentel  de  Bena- 
vente. 

■11.  Il  s'appelait  Antoine  IV,  marquis  de  Villanueva-del-Rio,  et  mou- 
rut par  accident  le  24  décembre  1619. 

12.  Outre  le  marquisat  de  Villanueva,  qui  venait  de  son  frère,  An- 
toinette de  Ribera  hérita  du  comté  d'Osorno  et  du  duché  de  Galisteo, 
par  suite  de  la  mort  d'Anne-Apollonie  Manrique  de  Luna,  marquise 
de  Malpica,  comtesse  d'Osorno  et  duchesse  de  Galisteo,  dont  elle  était 
cousine  germaine  par  sa  mère  Marie  Manrique  de  Luna  (Imhof,  Grands 
d'Espagne,  p.  6-7). 

13.  Ce  corrige  5<^.  —  14.  Et  surcharge  un  d  ciVacé  du  doigt. 


335  MÉMOIRES  [1711 

de  Beaumont  si  célèbre  en  Navarre  et  en'  Aragon-,  comte 
de  Lerin  et  connétable  et  chancelier  héréditaire  de  Na- 
varre, et,  par  sa  femme,  duc  de  Galisteo,  comte  d'O- 
sorno%  etc.  Il  fut  grand-père  du  duc  d'Albe  qui  mourut 
à  Madrid  d'une  façon  si  singulière  '*,  et  qui  ^  a  été  racon- 
tée %  peu  de  temps  [après]  l'arrivée  de  Philippe  V  à 
Madrid  ;  et  c'est  le  fils  de  celui-là,  ambassadeuren  France, 
de  la  mort  duquel  on  parle  ici.  On  a  vu  ailleurs''  qui  et 
quelle  étoit  la  duchesse  d'Albe,  et  qu'ils  avoient  perdu 
leur  fils  unique  à  Paris*.  Le  marquis  del  Carpio,  frère  du 
père  du  duc  d'Albe  ^,  lui  succéda  en  ses  grandesses  et  en 
ses  biens.  Il  étoit  grand  d'Espagne  par  sa  femme'",  fille  et 
héritière  de  don  Gaspard  de  Haro  ",  marquis  del  Carpio  '- 
et  d'Eliche",  comte-duc  d'Olivarès,  ambassadeur  à  Rome, 
mort  vice-roi  de  Naples'^  et  fils  du  célèbre  don  Louis 

1.  Au  lieu  à' et  en,  il  y  a  en  en,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 
:2.  Briande  de  Beaumont  :  tome  XI,  p.  326. 

3.  Galisteo  est  une  ville  d'Estrémadure,  dans  le  district  actuel  de 
Plasencia  ;  Osorno  est  dans  la  Vieille-Castille,  au  diocèse  de  Pa- 
lencia. 

4.  Antoine  Alvarez  de  Tolède  :  tome  XI,  p.  326. 

3.  Que  corrigé  en  qui.  —  6.  Au  tome  XI.  p.  327-328. 

7.  Ibidem,  p.  329.  —  8.  En  1709  :  tome  XVIII.  p.  109. 

9.  François  de  Tolède  et  Silva,  tils  du  second  mariage  du  duc  An- 
toine I*""  avec  une  Silva,  épousa,  le  28  février  4688,  Catherine  de  Haro 
et  Guzman,  devint  premier  écuyer  de  Charles  II  en  septembre  1693, 
et  mourut  le  22  mars  1739,  à  soixante-seize  ans. 

10.  Voyez  la  note  précédente,  et  notre  tome  IX,  p.  330  et  456. 

11.  Il  y  a  bien  ici  de  Haro,  et  trois  lignes  plus  loin,  d'Haro,  comme 
dans  notre  tome  VIII,  p.  210. 

12.  Cette  localité,  à  deux  lieues  de  la  ville  de  Ciudad-Rodrigo,  avait 
été  érigée  en  grandesse,  pour  don  Louis  de  Haro,  en  janvier  1660. 

13.  Heliche,  et  non  Eliche,  dans  la  province  de  Séville,  érigé  en  gran- 
desse en  1624,  appartient  encore  aux  descendants  du  duc  de  Berwick- 
Albe. 

11.  Gaspard  de  Haro  et  Guzman,  né  en  1629,  titré  d'abord  marquis 
d'Hcliche,  ou  plutôt  de  Liche,  comme  on  disait  en  France,  fut  arrêté 
et  emprisonné  en  1662  pour  un  complot  contre  le  duc  de  Medina-Ccli  ; 
remis  en  liberté  l'année  suivante,  il  entra  au  conseil  d'Etat  en  1663, 
et  se  distingua  en  1668  à  la  bataille  de  Badajoz  contre  les  Portugais, 


1171 1|  DE  SAINT-SIMON.  333 

d'Haro  '  qui  traita  la  paix  des  Pyrénées  avec  le  cardinal  Ma- 
zarin,  et  qui  avoit  hérité  des  biens,  dignités  et  premier 
ministère  du  comte-duc  d'Olivarès-,  son  oncle  maternel  \ 
Ce  marquis  del  Carpio,  dont  la  femme  étoit^  fille  de  la 
sœur  de  l'amirante  de  Castille  %  s'étoit  laissé  entraîner  par 
6116*=  dans  le  parti  de  l'Archiduc,  et  ils  étoient  à  Vienne', 
où  ils  marièrent  leur  fille  au  frère  du  duc  del  Infantado  % 

où  il  fut  fait  prisonnier,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'être  chargé  des  né- 
gociations de  la  paix;  il  fut  nommé  gouverneur  de  la  Zarzuela  en  1673, 
ambassadeur  à  Rome  en  1674.  gentilhomme  de  la  chambre  en  '1678, 
fut  envoyé  à  Naples  comme  vice-roi  en  août  1682.  et  y  mourut  le  13 
novembre  1687,  avec  les  titres  héréditaires  de  grand  chancelier  des 
Indes  et  de  grand  commandeur  de  l'ordre  d'Alcantara.  Il  est  question  de 
lui.  de  sa  bibliothèque  et  de  ses  manuscrits  dans  les  Mémoires  de  Gra- 
mont,  p.  3"2o-3"27,  dans  \e  Journal  du  voyage  d'Espagne  par  Bertaut, 
p.  322,  et  dans  la  Relation  de  Mme  d'Aulnoy,  tome  II.  p.  109.  Sa  iillo 
n'épousa  le  tils  du  duc  d'Albe  que  l'année  suivante,  et  on  pensait  alors 
qu'elle  pourrait  se  marier  avec  le  prince  Eugène  (Dangeau,  tome  II, 
p.  77  et  108). 

1.  Tome  VIII,  p.  210,  à  propos  de  son  second  fils  Monterey. 

2.  Tome  XI.  p.  249. 

3.  La  mère  de  don  Louis  de  Haro  était  Françoise  de  Guzman,  sœur 
d'Olivarès. 

4.  Après  estoit,  Saint-Simon  a  biffé  un  second  estait. 

5.  Thérèse  Enriquez  de  Cabrera,  mariée  en  février  1671  à  don  Gas- 
pard de  Haro,  épousa  en  secondes  noces,  le  20  mai  1688,  Joacliim 
Ponce  de  Léon,  duc  d'Arcos.  Elle  était  sœur  de  Jean-Thomas  Enriquez 
de  Cabrera,  duc  de  Médina  del  Rioseco  et  amirante  de  Castille,  mort 
en  1703  (tome  VII.  p.  123  et  250). 

6.  Dans  son  Portrait  de  la  cour  d'Espagne  en  1701  (tome  VIII,  ap- 
pendice XII.  p.  340),  Saint-Simon  a  déjà  parlé  des  intrigues  de  la  mar- 
quise del  Carpio.  Elle  et  son  mari,  exilés  de  ce  fait  vers  cette  époque 
{Mémoires  de  Louville,  tome  I,  p.  154),  furent  amnistiés  en  1707, 
lors  de  la  naissance  du  prince  des  Asturies  {Gazette,  p  438)  ;  mais  ils 
n'en  prolilèrent  pas  et  se  rallièrent  à  l'Archiduc,  que  la  marquise  et  sa 
hlle  ont  suivi  en  1711,  lorsqu'il  s'est  retiré  à  Barcelone  {Dangeau, 
tome  XIII.  p.  3i4  et  »13  ;  notre  tome  XX,  p.  129). 

7.  Le  V  de  Vienne  corrige  un  v  minuscule. 

8.  Dans  l'édition  de  1873.  on  avait  imprimé  leurs  filles,  au  pluriel; 
mais  le  manuscrit  porte  bien  le  singulier.  Le  marquis  del  Carpio  n'eut 
en  effet  qu'une  tille,  Marie-Thérèse  de  Tolède,  qui  épousa  en  1710, 


334 


MEMOIRES 


[4744] 


Le  fils 
d'Amelot  pré- 
sident à  mor- 
tier. Digne 
souvenir  du 
Roi  des  services 

de  Mole, 
premier  prési- 
dent et  garde 
des  sceaux. 


qui  avoit  suivi  le  '  même  parti-.  Ils  revinrent  long- 
temps après  à  Madrid,  où  ce  duc  d'Albe  aida  au  duc 
del  Arco^  parrain  de  mon  second  fils,  à  faire  les  hon- 
neurs le  jour  de  sa  couverture  ^  J'aurai  alors  occasion  de 
parler  de  plusieurs  autres  grands  de  cette  maison  de 
Tolède,  dont  ctoit  ce  digne  marquis  de  Mancera  dont  il 
a  été  mention  plusieurs  fois^ 

Amelot,  à  qui  ses  ambassades,  où  il  avoit  si  bien  servi, 
et  surtout  celle  d'Espagne,  qui  ne  lui  avoit  rien  valu 
après  l'avoir  mis  à  portée  de  tout^  eut  enfin  pour  son 
fils"  la  charge  de  président  à  mortier  de  Champlâtreux*, 
qui  mourut  d'apoplexie  en  s'habillant  pour  aller  à  la  ré- 
ception de  d'Antin  ®,  et  qui  ne  laissa  personne  en  état  ni 
en  âge  de  la  recueillir^"  ;  car  le  Roi  se  souvenoit  toujours 

Emmanuel-Marie-Joseph  de  Silva  Mendoza,  titré  comte  de  Galve,  né 
le  48  octobre  4677,  et  veuf  d'une  Villafranca,  qui  mourut  à  Madrid  le 
7  octobre  4728  ;  sa  femme  survécut  jusqu'en  octobre  4732  (voyez  notre 
tome  VIII,  p.  676). 

1.  La  corrigé  en  le. 

2.  Le  comte  de  Galve  s'était  rallié  à  l'Archiduc  en  4705,  et  ses  biens 
avaient  été  confisqués  par  Philippe  V  en  décembre  4706.  L'Archi- 
duc l'a  chargé  d'une  mission  à  Vienne  en  4707,  où  on  lui  donna 
un  régiment  de  cuirassiers;  il  ne  rentrera  en  Espagne  qu'en  1725. 
Nous  le  retrouverons  dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XVII,  p.  428. 

3.  Tome  VIII,  p.  467.—  4.  Déjà  dit  dans  le  tome  VIII,  p.  467-468. 

5.  En  dernier  lieu,  au  tome  XX,  p.  423-430. 

6.  Tome  XVIII,  p.  225.  —  La  phrase  est  incorrecte,  mais  n'a  pas 
besoin  d'explication. 

7.  Michel-Charles  Amelot:  tome  XV,  p.  1^^;  voyez  Dang eau,  p  424. 

8.  Jean-Baptiste-Mathieu  Mole,  arrière  petit-fils  du  célèbre  premier 
président  :  tome  XVII,  p.  40. 

9.  Dangeau  dit,  le  5  juin  (p.  449)  :  «  M.  d'Antin  fut  reçu  duc  et 
pair  au  Parlement.  Le  président  de  Champlâtreux,  qui  s'étoitlevé  pour 
aller  à  sa  réception,  tomba  en  apoplexie  en  s'habillant  et  mourut  deux 
heures  après.  Il  n'avoit  que  trentre-quatre  ans.  »  Tombé  à  neuf  heures 
du  matin,  il  mourut  à  midi  sans  avoir  pu  recevoir  les  sacrements, 
disent  les  Mémoires  de  Sourches,  p.  427.  Il  avait  en  réalité  trente-six 
ans  (Gazette,  p.  300),  étant  né  en  4675. 

40  II  ne  laissait  qu'un  fils  âgé  de  six  ans,  et  sa  femme  était  morte  le 
44  janvier  précédent. 


(171  II  DE  SAINT-SIMON.  33.'i 

du  premier   président  Mole,   garde  des  sceaux,  et  leur 

conserva  cette  charge  tant  qu'il  y  eut  dans  cette  famille 

à  qui  la  donner,  qui  y  est  revenue  depuis'.  Bergeyck  vil     Bergeyckà 

assez   longtemps  le   Roi  en   particulier,   et  les  ministres     en^ Espagne  " 

séparément,   passant  de  Flandres  en  Espagne,  où  le  roi 

d'Espagne  le  mandoit  avec  empressement-,  et  d'où  Mme 

des  Ursins  en  cut^  beaucoup  plus  à  le  renvoyer  prompte- 

ment.  Le  roi  d'Angleterre  partit  en  ce  même  temps  pour  Voyage  du  roi 

aller  voyager  par  le  rovaume  S  ennuyé  apparemment  de       AngftpiTc 

J    o       i  1/  J         ir  par  le  royaume. 

ses  tristes  campagnes  incognito  •',  et  plus  encore  de  de- 
meurer à  Saint-Germain  pendant  la  guerre.  On  soupçonna 
du  mystère  en  ce  voyage  sans  qu'il  y  en  eût  aucune  II 

1.  Saint-Simon  veut  parler  de  la  charge  de  président  à  mortier  que 
le  tils  de  Champlàtreux  obtint  en  -1731  ;  il  ne  put  voir  ce  fils  parvenir 
en  1757  à  la  première  présidence. 

2.  On  a  vu,  dans  le  tome  XX,  p.  302,  que  lors  de  son  voyage  à 
Paris  en  février,  il  était  déjà  question  qu'il  passât  de  Flandre  en 
Espagne  pour  prendre  la  direction  des  finances  ;  mais  il  était  alors 
rentré  à  Namur  pour  liquider  ses  affaires  privées  C'est  seulement  en 
juin  qu'on  sut  que,  délinilivement,  Philippe  V  l'appelait  pour  lui  con- 
fier «  les  affaires  les  plus  considérables  »,  et,  en  passant  par  Paris,  il 
eut,  le  6  juin,  une  très  longue  audience  du  Roi.  Aux  frontières  d'Es- 
pagne, une  escorte  de  mille  hommes  protégea  sa  traversée  des  monta- 
gnes, et  Philippe  V  lui  confia  les  finances  et  même  la  principale  direc- 
tion des  conseils  ;  mais  ce  fut  pour  deux  mois  à  peine,  au  bout  desquels, 
en  novembre,  il  fut  dépossédé,  sous  prétexte  de  lui  donner  une  des 
trois  places  de  plénipotentiaire  aux  conférences  qui  allaient  s'ouvrir  à 
Bruxelles.  C'est  en  cette  qualité  qu'il  reverra  encore  Louis  XIV  le  28 
mars  1712.  Ses  fonctions  à  Madrid  le  mirent  en  relation  avec  Vendôme, 
et  il  existe  aux  archives  de  Chantilly,  registre  S  xvii,  fol.  288  et  sui- 
vants, de  nombreuses  lettres  de  lui  à  ce  général,  dont  une  partie  se 
trouve  en  copie  dans  le  ms.  Fr.  44178,  fol.  339  à  471  passim.  Il  aurait 
voulu  réorganiser  à  la  française  les  finances  d'Espagne  (vol.  Guerre 
2329,  n-  143,  240,  234  et  270). 

3.  En  eut  est  en  interligne  au-dessus  de  le  renvoya  avec,  biffé. 

4.  Il  prit  congé  du  Roi  le  14  juin  et  partit  le  16  (Dangeau,  p.  424  ; 
Soitrches,  p.  132). 

o.  En  1710,  à  l'armée  de  Flandre  :  tome  XIX,  p.  373. 
6.  C'est  Dangeau  qui  dit  cela  (p.  42i),  et  la  Gazette  d'Amsterdam 
(Extr.  un  et  uv)  parle  aussi  de  ces  bruits. 


336  MÉMOIRES  [1711J 

alla,  avec  une  petite  suite,  d'abord  à  Dijon,  puis  en 
Franche-Comté,  en  Alsace,  et  voir  l'armée  d'Allemagne  ; 
de  là,  par  Lyon,  en  Dauphiné,  à  l'armée  du  duc  de  Ber- 
wick,  voir  les  ports  de  Provence,  et  revenir  par  le  Lan- 
guedoc et  la  Guyenne  ^ 

Grand  Prieur        Le  Grand  Prieur,  gobé"  comme  on  l'a  marqué  en  son 

à  Soleure.      temps^,  obtint  enfin  sa  liberté,  sur  sa  parole  de  ne  point 

sortir  de  Soleure  jusqu'à  ce  qu'il  eût  obtenu  la  liberté  de 

ce  brigand   de    fils    de  Massener,    prisonnier    à  Pierre- 

Encise*^,  que  le  Roi  ne  voulut  point  accorder  ^ 

Deuil  II   avoit  porté   quelques  jours  de   plus   le   deuil   des 

de  l'Empereur  enfants  de  Mme  de  Lorraine  %  par  paresse  de  changer 
et^sa^cau^è.  d'habit,  ce  qu'il  n'aimoit  point,  comptant  à  tous  moments 
de  le  prendre  de  l'Empereur'  ;  mais  l'Impératrice  mère, 
qui  gouvernoit  en  attendant  l'Archiduc,  s'avisa,  dans  la 
lettre  par  laquelle  elle  lui  en  donnoit  part,  de  parler  fort 
peu  à  propos  de  la  joie  qu'elle  auroit  de  revoir  son  autre 
fils  le  roi  d'Espagne,  etc.,  avec  tous  ses  titres.  Cela  sus- 
pendit le  deuil,  et  lui  fit  renvoyer  sa  lettre  ^ 

Saint-Frémond  mena  un  gros  détachement  de  l'armée 

i.  Les  journaux  de  la  cour  ne  font  que  quelques  brèves  mentions  de 
son  itinéraire  ;  il  rentra  le  4  novembre  à  Saint-Germain  (Dangeav, 
tomes  XIII,  p.  429-430,  436  et  444,  et  XIV,  p.  9  et  20  ;  Sourches,  p. 
p.  148,450,  451,  222  et  234). 

2.  Au  sens  de  saisi  brusquement;  nous  avons  eu  ce  verbe,  au  flguré, 
dans  le  tome  XX,  p.  487. 

3.  Tome  XX,  p.  203-206,  et  appendice  VI. 

4.  Les  Mémoires  de  Sourches  annoncent  cette  nouvelle  le  7  juillet 
(p.  449),  d'après  les  gazettes  de  Hollande  ;  voyez  la  Gazette  d'Amster- 
dam (Extr.  XLix,  et  n°  l).  Dangeau  en  parle  dès  le  46  juin  (p.  423). 

5.  Dans  le  prochain  volume,  nous  verrons  le  Grand  Prieur  remis 
définitivement  en  liberté,  et  il  y  aura  lieu  alors  de  terminer  le  récit  du 
procès  de  Masner,  commencé  dans  l'Appendice  de  notre  tome  XX. 

6.  Ci-dessus,  p.  270. 

7.  C'est  Dangeau  qui  dit  cela  (p.  424). 

8.  Dangeau,  p.  423  ;  Sourches,  p.  134  et  433.  Au  Dépôt  des  affaires 
étrangères,  vol.  Autriche  89,  fol.  244,  il  y  a  mention  que  la  lettre 
de  l'Impératrice  au  Roi  fut  renvoyée  à  Vienne,  parce  que  l'Archiduc  y 
était  appelé  roi  d'Espagne. 


[4714] 


DE  SAINT-SIMON. 


337 


de  Flandres  en  Allemagne'.  Les  ennemis  y  en  firent  un 
plus  gros,  et,  sur  le  bruit  que  le  prince  Eugène  l'y  devoit 
mener  lui-même,  on  en  fit  un  autre  pour  le  devancer-. 
On  sut  en  même  temps  que  le  roi  d'Espagne  donnoit  en 
toute  souveraineté  à  l'électeur  de  Bavière  tout  ce  qui 
lui  restoit  aux  Pays-Bas  :  de  places,  il  n'y  avoit  que 
Luxembourg,  Namur,  Charleroy  et  Nieuport  ;  il  y  avoit 
longtemps  que  cela  lui  étoit  promise  II  arriva  en  même 
temps  à  une  petite  maison  des  Moreau,  riches  marchands 
de  drap  S  au  village  de  Villiers,  près  Paris  %  d'où  il  vint 
à  Marly  descendre  à  l'appartement  de  feu  Monseigneur. 
Torcy  l'y  fut  trouver  et  y  conféra  longtemps  avec  lui  ^  Il 
le  mena  ensuite  dans  le  cabinet  du  Roi,  où  il  demeura 

1.  Ce  détachement,  fort  de  quinze  escadrons  et  de  quinze  bataillons, 
quitta  la  Flandre  le  il  juin  (Dangeau,  p.  421). 

2.  Dangeau,  p.  424-426  ;  Mémoires  militaires,  tome  X,  p.  398-408 
et  613-620. 

3.  Dangeau,  p.  427;  Sourches,  p.  139;  Gazette  d'Amsterdam,  n" 
LU.  L'acte  olliciel  de  donation  est  daté  du  2  janvier  1712  ;  il  est  im- 
primé dans  le  Corps  diplomatique  de  Du  Mont,  tome  VIII,  l-'e  partie, 
p.  288-290. 

4.  Pierre  Moreau  avait  acheté  une  charge  de  secrétaire  du  Roi, 
puis  celle  de  contrôleur  du  sceau  ;  il  devint  plus  tard  trésorier  généra 
des  Invalides,  et  mourut  dans  sa  maison  de  Villiers  le  o  mai  1723,  âgé 
de  soixante-deux  ans.  Ses  deux  lils  furent  MM.  Moreau  de  Beaumont, 
intendant  des  finances  et  économiste,  et  Moreau  de  Séchelles,  contrô- 
leur général  de  1734  à  1756. 

5.  La  paroisse  de  Villicrs-la-Garenne,  au  nord-ouest  de  Paris  et  au 
nord  du  bois  de  Boulogne,  avait  été  fondée  sur  le  territoire  de  l'ancien 
domaine  mérovingien  de  Clichy  ;  elle  a  été  divisée  entre  les  communes 
actuelles  de  Neuilly  et  de  Levallois-Perret.  En  1709,  elle  ne  comptait 
qu'une  vingtaine  de  feux.  Dans  l'église,  il  y  avait,  au-dessus  de  l'autel, 
un  tableau  représentant  les  disciples  d'Emmaùs,  qui  avait  été  donné 
par  l'électeur  de  Bavière  en  souvenir  de  ses  séjours.  La  maison  des 
Moreau  était  située  non  loin  de  l'église  et  près  de  la  croisée  des  che- 
mins qui  allaient  du  faubourg  du  Roule  à  la  Seine  et  de  Neuilly  à 
Clichy.  Nous  avons  vu  (ci-dessus,  p.  326)  l'Électeur  y  descendre  à  son 
précédent  voyage. 

6.  Dangeau,  p.  422,  427  et  430  ;  Sourches,  p.  140  ;  Gazette  d'Am- 
sterdam, n°  LUI. 


Le  roi 

d'Espagne 

donne  ce  qui 

lui  reste  aux 

Pays-Bas  à 

l'électeur 

de  Bavière, 

qui  passe  â 

Marly  allant  à 

Namur,  et 

envole  le 

comte  d'Albert 

en  Espagne. 

Comte 
de  la  Marck 


MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XII 


22 


338 


MEMOIRES 


[17441 


suit  l'Électeur 
de  la  part 

du  Roi,  sans 
caractère. 


Gassion  bat  en 
Flandres  douze 

bataillons  et 

dix  escadrons  ; 

son  mérite  et 

son  extraction. 


jusqu'à  cinq  heures,  et  en  sortit  avec  l'air  très  satisfait. 
On  fut  de  là  courre  le  cerf.  L'Electeur  joua  au  lansquenet 
dans  le  salon  avec  Madame  la  Dauphine  après  la  chasse, 
et,  à  dix  heures,  fut  souper  chez  d'Antin  K  II  retourna 
coucher  à  Yilliers,  et  partit  trois  ou  quatre  jours  après 
pour  Namur-.  Il  envoya  le  comte  d'Albert^  faire  ses 
remerciements  en  Espagne,  et  y  prendre*  soin  de  ses 
affaires.  En  même  temps,  le  comte  de  la  Marck  '  alla 
servir  de  maréchal  de  camp  et  de  ministre  sans  caractère 
public  auprès  de  l'électeur  de  Bavière  ^  Fort  peu  après, 
Gassion'  défit  douze  bataillons  et  dix  escadrons  des  enne- 
mis auprès  de  Douay%  sur  lesquels  il  tomba  à  deux 
heures  après  minuit.  Il  avoit  fort  bien  dérobé  sa  marche,  et 
ils  ne  l'attendoient  pas  ;  il  leur  tua  quatorze  ou  quinze  cents 
hommes,  et  ramena  douze  ou  treize  [cents]  chevaux  ^.  Ce 
Gassion  étoit  petit-neveu  du  maréchal  de  Gassion  ",  et  il 

4.  Comme  à  son  précédent  voyage  (ci-dessus,  p.  327). 

2.  Il  partit  le  4  juillet,  étant  revenu  voir  le  Roi  le  30  juin  et  ayant 
assisté  à  deux  représentations  de  l'Opéra  :  Dangeau,  p.  433  et  438  ; 
Sourches,  p.  444  ;  Gazette  d'Amsterdam,  n"^  liv  et  lv. 

3.  Le  frère  du  duc  de  Chevreuse,  confident  de  l'Électeur,  dont  il 
devait  plus  tard  épouser  la  maîtresse,  Mlle  de  Montigny  (tome  XX,  p. 
74-72). 

4.  Prendre  surcharge  avoir. 

5.  Louis-Pierre-Engilbert  :  tome  VII,  p. 93. 

6.  Dangeau,  p.  434  et  438  ;  Sourches,  p.  454.  Le  comte  avait  en 
réalité  pour  mission  de  nouer  des  négociations  secrètes  avec  l'électeur 
de  Brandebourg  et  avec  le  Palatin.  Ses  instructions  ont  été  publiées 
par  M.  André  Lebon  dans  le  Recueil  des  instructions  des  ambassadeurs 
en  Bavière,  p.  433  et  suivantes. 

7.  Jean,  chevalier  puis  comte  de  Gassion  :  tome  XIII,  p.  373. 

8.  Sur  cette  action  du  44  juillet,  voir  les  récits  de  la  Gazette,  p.  397- 
400  (pour  357-360),  des  Mémoires  de  Sourches,  p.  452-454,  du  Journal 
de  Dangeau,  p.  444,  de  VHistoire  militaire,  tome  VI,  p.  509-542,  des 
Mémoires  militaires,  tome  X,  p.  409-444  et  624-626,  et  les  correspon- 
dances du  Dépôt  de  la  guerre,  vol.  2304.  La  Gazette  d'Amsterdam 
essaya  d'en  dissimuler  la  réussite  (n°  lvii). 

9.  Ces  détails  sont  pris  de  Dangeau.  Saint-Simon  a  écrit,  par  mé- 
garde  12  ou  13  chevaux. 

40.  Tome  XV,  p.  439. 


[17141 


DE  SAINT-SIMON. 


8:59 


avoit  quitté  les  gardes  du  corps,  à  la  tête  desquels  il  étoit 
arrivé*,  pour  servir  en  liberté  et  en  plein  de  lieutenant 
général,  et  arriver  au  bâton  de  maréchal  de  France-. 
C'étoit  un  excellent  officier  général  et  un  très  galand 
homme  ^. 

L'assemblée  extraordinaire  du  clergé,  qui  finissoit,  vint 
haranguer  le  Roi  à  Marly^  Le  cardinal  de»  Noailles,  qui 
en  étoit  seul  président,  étoit  à  la  tête.  Nesmond%  arche- 
vêque d'Alby,  porta  la  parole,  dont  je  ne  perdis  pas  un 
mot.  Son  discours,  outre  l'écueil  inévitable  de  l'encens 
répété  et  prodigué,  roula  sur  la  condoléance  de  la  mort 
de  Monseigneur,  et  sur  la  matière  qui  avoit  occupé 
l'assemblée  \  Sur  le  premier  point,  il  dit  avec  assez  d'élo- 

1.  Il  était  lieutenant  de  la  compagnie  de  Villeroy  depuis  4687,  et 
quitta  en  4703  (Sourches,  tome  IX,  p.  494-495). 

2.  Il  n'y  parvint  pas,  étant  mort  de  maladie  en  novembre  4743. 

3.  Dans  le  manuscrit,  à  la  suite  de  ce  paragraphe,  et  jusque  sur  la 
marge,  Saint-Simon  a  tracé  divers  signes,  imitant  peut-être  des  larmes, 
au  milieu  desquelles  se  détache  une  croix.  Serait-ce  une  sorte  de  repère 
pour  indiquer  à  quel  endroit  il  se  trouvait  de  sa  rédaction  lorsqu'il 
perdit  sa  femme,  morte  à  la  Ferté-Vidame  le  24  janvier  4743  ?  On  a  vu 
dans  notre  tome  I,  p.  4,  que  Saint-Simon,  à  la  suite  de  cette  perte 
cruelle,  interrompit  pendant  six  mois  son  travail  de  rédaction  des  Mé- 
moires, et  ne  le  reprit  qu'après  avoir  placé  en  tête  de  son  manuscrit  les 
Considérations  préliminaires  que  nous  avons  reproduites  à  leur  place. 

4.  C'est  le  dimanche  42  juillet  que  l'assemblée  vint  prendre  congé 
du  Roi:  Dangcau,  p.  439-440;  Sourches,  p.  452;  Gazette,  p.  400  (pour 
300).  Après  avoir  pris  ce  t'ait  dans  le  Journal  de  Dangcau  et  y  avoir  joint 
ses  propres  souvenirs,  Saint-Simon  reviendra  sur  la  séance  d'ouverture, 
qui  n'avait  pas  été  moins  émouvante,  mais  la  résumera  beaucoup  plus 
sommairement,  tandis  que  Dangeau  y  avait  consacré  un  article  assez 
long,  que  nous  reproduirons  ci-après,  p.  342. 

5.  L'initiale  de  de  surcharge  un  q. 

6.  Henri  de  Nesmond,  abbé  de  Chézy  en  4682,  fut  nommé  à  l'évêché 
de  Montauban  en  4687  et  passa  à  l'archevêché  d'Alby  en  4703  ;  en 
4749,  le  Régent  le  nommera  à  l'archevêché  de  Toulouse,  où  il  mourra 
le  27  mai  4727.  En  4740,  il  avait  été  élu  à  l'Académie  française  à  la 
place  de  Fléchier.  On  publia  en  4754,  en  un  volume  in-42,  un  recueil 
de  ses  sermons  et  discours. 

7.  Le  texte  de  ce  discours  du  42  est  donné  dans  la  Collection  des 


Clôture 
de  rassemblée 
extraordinaire 

du  clergé. 
Admirable  et 
hardie  haran- 
gue au  Roi 
de  Nesmond, 
archevêque 

d'Alby. 
Le  Dauphin 


340  MÉMOIRES  [1741] 

montré  quence  ce  dont  il  étoit  susceptible,  sans  rien  outrer.  Sur 
ar  le^R^l  l'autre,  il  surprit,  il  étonna,  il  enleva  ;  on  ne  peut  rendre 
avec  quelle  finesse  il  toucha  la  violence  effective  avec  la- 
quelle étoit  extorqué  leur  don  prétendu  gratuit,  ni  avec 
combien  d'adresse  il  sut  mêler  les  louanges  du  Roi  avec 
la  rigueur,  déployée  à  plein,  des  impôts.  Venant^  après 
au  clergé  plus  expressément,  il  osa  parcourir  tous  les 
tristes  effets  d'une  si  grande  continuité  d'exactions  sur  la 
partie  sacrée  du  troupeau  de  Jésus-Christ  qui  sert  de  pas- 
teurs à  l'autre,  et  ne  feignit  point  [de]  dire  -  qu'il  se  croiroit 
coupable  de  la  prévarication  la  plus  criminelle,  si,  au 
lieu  d'imiter  la  force  des  évêques  qui  parloient  à  de  mau- 
vais princes  et  à  des  empereurs  païens,  lui  qui  se  trouvoit 
aux  pieds  du  meilleur  et  du  plus  pieux  de  tous  les  rois, 
il  lui  dissimuloit  que  le  pain  de  la  parole  manquoit  au 
peuple,  et  même  le  pain  de  vie,  le  pain  des  anges  *,  faute 
de  moyens  de  former  des  pasteurs,  dont  le  nombre  étoit 
tellement  diminué,  que  tous  les  diocèses  en  manquoient 
sans  savoir  où  en  faire.  Ce  trait  hardi  fut  paraphrasé  avec 
force  et  une  adresse  admirable  de  louanges  pour  le  faire 
passer.  Le  Roi  remercia  *^  d'une  manière  obligeante  pour 

procès-verbaux  des  assemblées  du  clergé  de  France,  tome  VI,  col. 
i23o-i240.  L'annotateur  des  Mémoires  de  Sourches  dit  que  le  prélat 
parla  «  un  peu  longuement  »  ;  mais  le  Roi,  de  son  côté,  fut  plus  laco- 
nique qu'à  l'ordinaire. 

1.  Si  l'on  compare  avec  le  résumé  qui  va  suivre  le  texte  officiel 
que  nous  venons  d'indiquer,  on  verra  que  Saint-Simon  a  beaucoup 
exagéré  la  vigueur  des  expressions  employées  par  M.  de  Nesmond,  et 
que  celles  même  qui  semblent  le  plus  provenir  de  la  harangue  ne  s'y 
rencontrent  pas. 

2.  Nous  avons  déjà  eu  l'expression  ne  feindre  point  de  dans  le  tome 
XIV,  p.  164  ;  Saint-Simon  a  oublié  ici  un  de  avant  dire. 

3.  Expression  employée  fréquemment  par  les  Pères  pour  désigner 
l'Eucharistie,  et  dont  les  exemples  les  plus  connus  sont  le  Panis  ange- 
licus  et  VEcce  panis  angelorum  employés  par  saint  Thomas  d'Aquin 
dans  ses  proses  pour  la  fête  du  Saint-Sacrement. 

4.  Il  y  a  remeria,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit.  —  Les  paroles 
du  Roi  sont  très  brièvement  résumées  dans  les  Procès-verbaux,  col. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON  SM 

celui  qui  avoit  si  bien  parlé.  Il  ne  dédaigna  pas  de  mêler 
dans  sa  réponse  des  espèces  d'excuses  et  d'honnêtetés 
pour  le  clergé.  Il  finit,  en  montrant  le  Dauphin,  qui  étoit 
près  de  lui,  aux  prélats,  par  dire  qu'il  espéroit  que  ce 
prince,  par  sa  justice  et  par  ses  talents,  feroit  tout  mieux 
que  lui,  mêlant  quelque  chose  de  touchant  sur  son  âge  et 
sa  mort  peu  éloignée  ;  il  ajouta  que  ce  prince  répareroit 
envers  le  clergé  les  choses  que  le  malheur  des  temps  l'avoit 
obligé  d'exiger  de  son  affection  et  de  sa  bonne  volonté.  Il 
en  tira  pour  cette  fois  huit  millions  d'extraordinaire'. 
Toute  l'assistance  fut  attendrie  de  la  réponse,  et  ne  put 
se^  taire  sur  les  louanges  de  la  liberté  si  nouvelle  de  la 
harangue  et  l'adresse  ^  de  l'encens  dont  il  sut  l'envelop- 
pera Le  Roi  n'en  parut  point  choqué,  et  la  loua  en  gros 
et  en  peu  de  mots,  mais  obligeants,  à  l'archevêque,  et  le 
Dauphin  parut  touché  et  peiné  de  ce  que  le  Roi  dit  de 
lui.  Le  Roi  fit  donner  un  grand  dîner  à  tous  les  prélats  et 
députés  du  second  ordre,  et  de  petits  chariots  ^  ensuite 
pour  aller  voir  les  jardins  et  les  eaux.  A  la  harangue  de 
l'ouverture,  que   prononça  le   cardinal   de  Noailles^  le 

1244,  et  il  est  bien  possible  que  notre  auteur  les  ait  «  embellies  » 
comme  la  harangue  de  l'archevêque  d'Alby.  Dans  ce  résumé,  il  n'est 
point  question  des  allusions  au  Dauphin  et  à  son  règne  futur. 

1.  Procès-verbaux,  col.  1184-i2i4. 

2.  Saint-Simon  a  biffé  se  avant  put,  pour  le  reporter  en  interligne 
après  ce  verbe. 

3.  Avant  l'adresse,  il  y  a  un  de  biffé. 

4.  La  réputation  d'orateur  de  M.  de  Nesmond  était  bien  établie. 
Lorsque,  en  4710,  il  fut  reçu  à  l'Académie  française,  la  marquise 
d'Huxelles  écrivait  à  M.  de  la  Garde  (lettre  inédite  du  48  juillet)  : 
«  Le  discours  de  M.  l'archevêque  d'Alby  à  l'Académie  se  débite  avec 
un  grand  applaudissement.  Il  fut  lu  et  relu  hier  deux  fois  de  suite 
dans  un  lieu  où  j'étois  et  où  il  y  avoit  de  bons  connoisseurs.  Feu 
M.  l'évêque  de  Nîmes  y  est  loué  selon  son  mérite,  et  il  passa  tout  d'une 
voix  qu'il  ne  se  peut  un  plus  grand  orateur  que  son  successeur.  » 

n.  Nous  avons  déjà  vu  mention  de  ces  chariots  à  diverses  reprises, 
en  dernier  lieu,  ci-dessus,  p.  327. 

6.  Le  47  juin  ;  le  texte  du  discours  du  cardinal  est  donné  dans  la 
Collection  des  Procès-verbaux,  col.  4176-4484,  mais  non  pas  celui  de 


342 


MEMOIRES 


[1711] 


Services  de 
Monseigneur 
à  Saint-Denis 

et  à 
Notre-Dame. 

Merveilles 


Roi,  en  montrant  le  Dauphin  au  clergé,  avoit  dit:  «  Voilà 
un  prince  qui,  par  sa  vertu  et  sa  piété,  rendra  l'Église 
encore  plus  florissante  et  le  royaume  plus  heureux  ^  » 
C'étoit  aussi  à  Marly.  Le  Dauphin  fut  fort  attendri,  et 
s'en  alla,  aussitôt  après  la  réponse  du  Roi,  recevoir  dans 
sa^  chambre  la  harangue  des  mêmes  députés  par  le  car- 
dinal de  Noailles,  qui  le  traita  de  Monseigneur,  et  sans 
ajouter,  comme  avoit  fait  le  premier  président  à  la  tête 
de  la  députation  du  'Parlement,  que  c'étoit  par  l'ordre 
exprès  du  Roi^.  La  harangue  fut  belle*,  et  la  réponse^ 
courte,  sage,  polie,  modeste,  précise  ^  Madame  la  Dau- 
phine  les  reçut  ensuite  chez  elle,  le  cardinal  de  Noailles 
portant  toujours  la  parole''.  Revenons  aux  obsèques  de 
Monseigneur. 

On  a  vu  p.  1098*  que  le  genre  de  la  maladie  dont  il 
étoit  mort  n'avoit  permis  aucunes  cérémonies,  et  avoit  fait 
tout  aussitôt  après  brusquer  son  enterrement.  Le  18  juin, 
qui  étoit  un  jeudi,  fut  pris  pour  le  service  de  Saint- 
la  réponse  du  Roi,  qui  est  seulement  résumée  (col.  1184),  ainsi  que 
dans  les  Mémoires  de  Sourches,  p.  134. 

1.  Voici  le  récit  de  Dangeau  (17  juin,  p.  425-426)  :  «  L'après  dînée, 
le  Roi  reçut  la  harangue  de  l'assemblée  du  clergé.  Le  cardinal  de 
Noailles,  qui  en  est  seul  président,  porta  la  parole  avec  beaucoup  de 
dignité  et  d'éloquence,  et  le  Roi  y  fit  une  réponse  si  noble,  si  sage  et 
si  touchante,  que  tous  les  évêques  et  les  courtisans  furent  attendris. 
Le  Dauphin,  que  le  Roi  présenta  au  clergé  en  leur  disant  :  «  Voilà  un 
prince  qui  me  succédera  bientôt,  et  qui,  par  sa  vertu  et  sa  piété,  rendra 
l'Eglise  encore  plus  florissante  et  le  royaume  plus  heureux,  »  le 
Dauphin  s'en  alla  dans  sa  chambre  fort  attendri  et  fondant  en  larmes.  » 

2.  Il  y  a  la,  au  manuscrit,  et  non  sa,  comme  dans  le  récit  de 
Dangeau. 

3.  Lors  des  compliments  de  condoléances  des  cours  souveraines  à 
l'occasion  de  la  mort  de  Monseigneur  :  ci-dessus,  p.  129. 

4.  Elle  est  insérée  dans  les  Procès-verbaux,  col.  1181-4182. 

5.  Repose  corrigé  en  réponse. 

6.  Dangeau  n'en  dit  rien,  non  plus  que  les  Procès-verbaux,  ni  les 
Mémoires  de  Sourches. 

7.  Procès-verbaux,  col.  1182-1183. 

8.  Ci-dessus,  p.  83. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  343 

Denis',  où  se  trouvèrent,  à  l'ordinaire,  le  clergé  et-  les     du  Dauphin 
cours  supérieures.  Le  Dauphin,  M.  le  duc  de  Berry  et  ^.^^j  j,jj"g  g- 
M.  le  duc  d'Orléans  firent  le  deuils  Le  duc  de  Beauvil-        trouve, 
lier,  premier  gentilhomme  de  la  chambre  unique  du  Dau-  ^H"j^s*5r?°^ 
phin,  assisté  de  Sainte-Maure,  un  des  menins  de  Monsei- 
gneur, et  d'O,  qui  l'étoit  du  Dauphin,   porta  sa  queue. 
Béthune-Orval,  depuis  devenu  duc  de  Sully  S  lors  pre- 
mier gentilhomme  de  la  chambre  de  M.  le  duc  de  Berry, 
et  Pons  %  maître  de  sa  garde-robe,  portèrent  la  sienne. 
Simiane*^  et  Armentières",   tous  deux  premiers  gentils- 
hommes de  la  chambre  de  M.  le  duc  d'Orléans,  portèrent 
la  sienne  :    ainsi,   il  en  eut  deux  comme  M.   le  duc  de 
Berry,  et  cette  égalité  parut  extraordinaire.  Comme   il 
n'y  avoit  point  d'enterrement,   il   n'y  eut  point  d'hon- 

t.  Dangeau,  p.  426;  Sourches,  p.  134-136;  Mercure  de  juillet, 
4"  partie,  p.  85-110;  registre  de  Desgranges,  ms.  Mazarine  2746, 
fol.  49-51.  On  trouvera  à  l'Appendice,  n»  XIII,  la  relation  de  cette 
cérémonie  par  le  baron  de  Breteuil. 

2.  Les  mots  le  clergé  et  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Les  Mémoires  de  Sourches  donnent  (p.  135)  de  curieux  détails 
sur  le  costume  porté  par  les  princes  du  deuil  :  «  M.  le  Dauphin  étoit 
vêtu  d'une  robe  faite  à  peu  près  comme  celle  des  présidents  [du  Par- 
lement], avec  un  domino  dont  le  capuchon  pcndoit  derrière  le  col,  et 
le  devant,  qui  étoit  plissé,  faisoit  paroître  le  rabat  par-dessous,  et  il 
avoit  sur  la  tête  un  bonnet  carré.  Les  ducs  de  Berry  et  d'Orléans 
étoient  vêtus  de  la  même  manière.  »  Sur  cet  accoutrement,  on  jetait 
le  grand  manteau  de  deuil,  dont  la  queue,  pour  le  Dauphin,  avait 
douze  aunes  de  long.  Voyez  ci-après  l'appendice  IV. 

4.  Tome  XX,  p.  213.  —  5.  Ibidem,  p.  216. 

6.  Louis  de  Simiane,  marquis  d'Esparron,  élait  entré  jeune  dans  la 
gendarmerie  et  avait  été  grièvement  blessé  à  la  Marsaille;  il  épousa 
Pauline  de  Grignan,  petile-iille  de  Mme  de  Sévigné,  par  contrat  du 
28  novembre  1695,  acheta  en  1701  une  sous-lieutenance  aux  gen- 
darmes écossais,  puis,  en  1710,  la  charge  de  premier  gentihomme  de 
la  chambre  du  duc  d'Orléans,  devint  en  1713  lieutenant  de  Roi  du 
comté  Nantais,  par  héritage  du  marquis  de  Sévigné,  oncle  de  sa  femme, 
et,  en  1715,  lieutenant  général  de  Provence  à  la  mort  du  comte  de 
Grignan  son  beau-père  ;  mais  il  mourut  le  23  février  1718,  à  l'âge  de 
quarante-sept  ans. 

7.  Tome  XX,  p.  156. 


344  MÉMOIRES  [1711] 

neurs^  ni  personne,  par  conséquent,  pour  les  porter. 
L'archevêque-duc  de  Reims,  depuis  cardinal  deMailly-, 
officia,  et  Poncet,  évêque  d'Angers  %  y  fit  une  très  mé- 
chante oraison  funèbre  *.  Le  Roi  eut  envie  que  les  ducs 
y  assistassent,  et  fut  sur  le  point  de  l'ordonner.  Après, 
l'embarras  des  séances  ^  le  retint  ;  mais,  désirant  toujours 
qu'ils  y  allassent,  il  s'en  laissa  entendre.  Je  contribuai  à 
les  en  empêcher,  de  sorte  qu'il  ne  s'y^  en  trouva  aucun 
autre  que  le  duc  de  Beauvillier,  par  la  nécessité  de  sa 

1.  Nous  avons  vu  ce  qu'étaient  les  «  honneurs  »  pour  le  baptême 
au  tome  XIV,  p.  211.  Lors  des  obsèques  du  duc  et  de  la  duchesse  de 
Bourgogne  en  ITl^,  les  «  honneurs  »  furent  le  manteau  et  la  cou- 
ronne. 

2.  Ci-dessus,  p.  124.  Il  était  assisté  des  évêques  d'Auxerre,  de  Qué- 
bec, d'Autun  et  de  Séez,  tous  anciens  aumôniers  du  Roi. 

3.  Michel  Poncet  de  la  Rivière,  docteur  de  Sorbonne,  abbé  de  Saint- 
Pierre  de  Vierzon  (1673),  prieur  et  doyen  de  JVavacelles  et  vicaire 
général  de  son  oncle  l'évêque  d'Uzès,  avait  été  nommé  évêque  d'An- 
gers en  1706  ;  il  eut  l'abbaye  de  Saint-Florent  de  Saumur  en  1730,  et 
mourut  le  2  août  de  la  même  année,  âgé  d'environ  cinquante-huit  ans. 
Il  entra  à  l'Académie  française  en  1706,  et  son  discours  de  réception 
du  24  novembre  se  trouve  aux  Affaires  étrangères,  vol.  France  1145, 
fol.  281.  En  1714,  il  fut  un  des  trois  prélats  parmi  lesquels  le  Roi 
choisit  le  précepteur  du  futur  Louis  XV. 

4.  Il  avait  été  désigné,  dès  le  24  avril,  par  le  Roi  pour  prononcer 
l'oraison  funèbre  à  Saint-Denis,  et  le  P.  de  la  Rue  à  Notre-Dame  (ci- 
après).  Dangeau  ne  dit  rien  du  discours,  et  les  Mémoires  de  Sourches 
reconnaissent  que  le  prélat  parla  «  avec  son  éloquence  ordinaire  ». 
Cependant  le  couplet  suivant  du  Chansonnier  (ms.  Fr.  12  695,  p.  9) 
confirme  les  dires  de  Saint-Simon  : 

Quatre  grands  hommes  ont  traité 
Différemment  la  vérité  : 
Poncet  en  orateur  comique, 
Massillon  en  parfait  chrétien, 
La  Rue  en  rusé  politique, 
Porée  en  bon  rhétoricien. 

5.  Non  pas  des  séances  entre  eux,  puisqu'elles  étaient  réglées  par 
l'édit  du  mois  de  mai  (ci-dessus,  p.  148),  mais  plutôt  entre  les  ducs  et 
les  princes  étrangers,  qui  se  contestaient  toujours  la  préséance. 

6.  Ne  s'y  corrige  n'en. 


[ITHJ  DE  SAINT-SIMON.  3i5 

charge.  Cela  fut  trouvé  mauvais,  et  le  Roi  se  montra  un 
peu  blessé  de  ce  qu'aucun  de  ceux  qui  étoient  à  Marly 
n'avoient'  disparu  ce  jour-là,  et  plus  encore  quand  il  sut 
qu'il  ne  s'en  étoit  trouvé  aucun  autre  à  Saint-Denis-.  Per- 
sonne ne  répondit;  on  ^  laissa  couler  la  chose,  et  on  tint 
la  même  conduite  pour  le  service  à  Notre-Dame,  où  pas 
un  duc  ne  se  trouva.  Ce  fut  le  vendredi  3  juillets  Les 
trois  mêmes  princes  y  firent  le  deuil.  M.  le  duc  de  Berry 
et  M.  le  duc  d'Orléans  eurent  les  mêmes  portequeues.  Le 
duc  de  Beauvillier  porta  celle  du  Dauphin,  et  y  fut  assisté 
par  d'Urfé^  menin  de  Monseigneur,  et  Gamaches,  qui  \Add.  S'-S.  1 009] 
l'étoit  du  Dauphin  ^  Le  clergé  et  les  cours  supérieures 
s'y  trouvèrent  à  l'ordinaire.  Les  trois  princes  s'habillèrent 
à  l'Archevêché,  et  vinrent  à  pied,  en  cérémonie,  de 
l'Archevêché  au  grand  portail  de  Notre-Dame,  par  où  ils 
entrèrent.  Le  cardinal  de  Noailles  officia,  et  le  P.  la  Rue", 
jésuite,  tira  d'un  si  maigre  sujet  une  oraison  funèbre  qui 
acheva  d'accabler  celle  de  l'évêque  d'Angers*.  Le  cardi- 
nal de  Noailles  traita  ensuite  les  trois  princes  à  un  dîner 
magnifique  ;  le  Dauphin  le  fit  mettre  à  table,  et  les  sei- 
gneurs qui  l'avoient  suivi.  Il  se  surpassa  en  attentions  et 
en  politesses,  mais  mesurées  avec  discernement.  Il  voulut 
que  toutes  les  portes  fussent  ouvertes,  et  que  la  foule 

1.  Il  y  a  bien  n'avoient,  au  pluriel,  dans  le  manuscrit. 

"2.  Les  journaux  de  la  cour  n'ont  pas  relevé  l'absence  des  ducs;  mais 
les  Mémoires  de  Sourches  (p.  136)  relatent  divers  démêlés  qu'il  y  eut 
à  la  cérémonie,  en  ajoutant  qu'elles  étaient  «  toujours  sujettes  à  de 
pareils  inconvénients  ». 

3.  Avant  on,  Saint-Simon  a  biffé  un  et. 

4.  Dangcau,  \).  434-430;  Sourches,  p.  145-146;  Gazette,  p.  336; 
Mercure  de  juillet,  quatrième  partie,  p.  83-110;  Gazette  d'Amsterdam, 
n°  Lv;  registre  de  Desgranges,  ms.  Mazarine,  2746,  fol.  31-53. 

3.  Joseph-Marie  de  Lascaris,  marquis  d'Urfé:  tome  III,  p.  203. 

6.  Ci-dessus,  p.  248. 

7.  Le  confesseur  de  la  duchesse  de  Bourgogne  :  tome  IV,  p.  85. 

8.  Cette  oraison  funèbre  fut  imprimée  sur  le  moment  même,  puis 
insérée  dans  le  recueil  des  Sermofis  et  discours  du  Père  publié 
en  1719. 


346  MÉMOIRES  [1711] 

même  le  pressât.  Il  parla  à  quelques-uns  de  ce  peuple 
avec  une  affabilité  qui  ne  lui  fit  rien  perdre  de  la  gravité 
qu'exigeoit  la  triste  écorce^  de  la  cérémonie,  et  il  acheva 
de  charmer  cette  multitude  par  le  soin  qu'il  fit  prendre 
d'une  femme  grosse  -  qui  s'y  étoit  indiscrètement  four- 
rée, et  à  qui  il  envoya  d'un  plat  dont  elle  n'avoit  pu  dis- 
simuler l'extrême  envie  qui  lui  avoit  pris  d'en  manger^. 
Ce  ne  furent  que  cris  d'acclamations  et  d'éloges  à  son 
passage  à  travers  Paris,  qui  du  centre  gagnèrent  bientôt 
le  sentiment  des  provinces  :  tant  il  est  vrai  qu'en  France 
il  en  coûte  peu  à  ses  princes  pour  s'y  faire  presque  ado- 
rer. Le  Roi  remarqua  bien  la  conduite  des  ducs  à  ce 
second  service  ;  mais  il  n'en  témoigna  rien  *.  La  fin  de 
cette  cérémonie  fut  l'époque  de  la  mitigation  ^  du  salon 

1.  Ci-dessus,  p.  285. 

2.  «  Grosse,  en  parlant  d'une  femme,  signifie  quelquefois  enceinte... 
La  distinction  que  l'usage  a  mise  dans  le  mot  de  grosse  en  parlant 
d'une  femme,  c'est  que,  toutes  les  fois  que  l'adjectif  grosse  suit  immé- 
diatement le  substantif  femme,  il  signifie  enceinte,  et  que,  hors  de  là, 
il  n'a  point  d'autre  signification  que  celle  du  masculin  gros  »  (^Aca- 
démie, 1718). 

3.  Dangeau  ne  parle  pas  de  cet  épisode;  mais  les  Mémoires  de 
Sourches  le  racontent  ainsi  :  «  Une  bourgeoise,  qui  étoit  grosse,  ayant 
témoigné  beaucoup  d'envie  d'une  tourte  dont  il  mangeoit,  sur  le  rap- 
port qu'on  lui  en  fit,  il  lui  en  envoya  un  morceau,  et,  comme  elle 
voulut  lui  en  venir  rendre  grâces,  il  le  trouva  bon  et  lui  répondit  qu'il 
étoit  plus  aise  de  le  lui  avoir  envoyé  qu'elle  ne  l'étoit  de  l'avoir  reçu.  » 

4.  Outre  ces  deux  oraisons  funèbres,  il  y  en  eut  beaucoup  d'autres 
prononcées  tant  à  Paris  qu'en  province,  et  même  à  l'étranger.  On  peut 
citer  celles  de  Massillon  à  la  Sainte-Chapelle,  du  P.  Porée  au  collège 
Louis-le-Grand,  du  P.  Poisson  aux  Cordeliers,  du  P.  du  Cerceau  à  la 
cathédrale  de  Bourges,  du  P.  Augustin  de  Picquigny  et  du  P.  Beaufils 
à  Arras,  des  PP.  Mathieu,  Fellon  et  Kuhn  à  Dijon,  Marseille  et  Stras- 
bourg, du  chanoine  Brayer  à  Metz,  du  P.  d'Aubenton  à  Rome,  en 
l'église  Saint-Louis-des-Français,  etc.  On  trouvera  des  listes  de  celles 
qui  furent  imprimées  dans  la  Bibliothèque  historique  du  P.  Lelong, 
tome  II,  p.  688. 

5.  (c  Mitigation,  adoucissement,  par  opposition  à  réforme  :  cet  ordre 
est  trop  austère,  il  auroit  besoin  de  mitigation  »  {Académie,  1718). 
Littré  eu  cite  un  exemple  de  Bossuet. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  347 

de  Marly,  qui  reprit  sa  forme  ordinaire  comme  on  l'a  dit 
d'avance  p.  1151  '. 

Il  -  est  temps  à  présent  d'en  venir  à  la  situation  où  je 
me  trouvai  avec  le  nouveau  Dauphin,  qui  développera 
bien  de  grandes  parties  de  ce  prince  et  de  choses  curieu- 
ses; mais  il  faut  auparavant  essuyer  une  bourre^  que  je 
voudrois  pouvoir  éviter,  mais  qu'on  ^  verra,  par  une 
prompte  suite,  inévitable  à  faire  précéder  un  récit  plus 
intéressant. 

Il  faut  se  souvenir  de  ce  qui  se  trouve  aux  pages  433,       Création 
861,        ^  des  usurpations  sur  les  droits  de  gouverneur  de       d  officiers 

1  o       _  _  garde-cote. 

Blaye   que  le  maréchal  de  Montrevel  ne  cessoit  de  faire    Pontchartrain 
comme  commandant  en  chef  en  Guyenne,  et  qui  m'empê-  ^"  abuse,  et  de 

I  '  ,1)         Il  1  >  ji-TAn    1  1'       Al  •)    •       mon  amitie, 

cherent  dy  aller,    lorsqu  en  170y   les  dégoûts  que   j  ai     me  trompe, 
détaillés  alors  me  résolurent  à  me  retirer  pour  toujours    m'usurpe,  et 
de  la  cour,  et  qui  finirent  en  m'y  ^  rattachant  plus  que  ^^  ^.gç  lyj 
jamais  à  la  fin  de  cette  année  et  au  commencement  de  la 
suivante,  comme  je  l'ai  raconté  sur  ces  temps-là  '.  Cha- 
millart,  avant  de  quitter  à  Desmaretz  le  contrôle  général 
des  finances,   avoit  fait  un  édit  de  création,  jusqu'alors 
inconnue,  d'offices  militaires,  mais  héréditaires,  pour  com- 
mander les  garde-côtes  ^,  c'est-à-dire  les  paysans  dont  les 

i.  Ci-dessus,  p.  323.  —  2.  Ici,  l'écriture  change. 

3.  Terme  déjà  relevé  dans  le  tome  XVIII,  p.  44. 

4.  Les  mots  mais  qu'  sont  en  interligne  au-dessus  de  mais,  effacé 
du  doigt,  et  que  Saint-Simon  avait  essayé  de  corriger  en  et  que. 

5.  Il  y  a  ici  un  blanc  dans  le  manuscrit.  Saint-Simon  aurait  dû  indi- 
quer les  pages  433,  842  et  861  de  son  manuscrit,  qui  correspondent 
aux  pages  47  de  notre  tome  XII,  3-4  et  89-90  du  tome  XVIII. 

().  En  m'y,  corrigeant  en  me,  a  été  écrit  en  interligne,  au-dessus 
de  à  m'y,  biffé  et  rattachant  corrige  rattacher. 

7.  Voyez  tome  XVIII,  p.  1-5,  89-94  et  291  et  suivantes. 

8.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  n'appliquait  pas  ce  nom 
aux  troupes  elles-mêmes,  mais  seulement  aux  «  officiers  préposés  pour 
garder  le  pays  qui  est  sur  la  côte  de  la  mer  ».  —  Les  garde-côtes 
n'étaient  pas  une  invention  nouvelle;  ils  existaient  dès  le  seizième 
siècle,  et  leur  organisation  avait  été  vivement  critiquée  par  Vauban 
en  1694  (Jal,  Dictionnaire  critique,  col.  123G).  Le  Grand  Diction- 


348  MÉMOIRES  [1711] 

paroisses  bordent  les  côtes  des  deux  mers  qui  baignent  la 
France,  et  qui,  sans  autre  enrôlement  que  le  devoir  et  la 
nécessité  de  leur  situation,  sont  obligés,  en  temps  de 
guerre,  de  garder  leurs  côtes,  et  de  se  porter  où  il  est 
besoin.  Cette  érection  fut  assaisonnée,  comme  toutes  les 
autres  de  ce  genre  de  finances,  de  tous  les  appâts  de 
droits  et  de  prérogatives  propres  à  en  tirer  bien  de  l'ar- 
gent^ des  légers  et  inconsidérés  François,  qui  n'ont  pu 
se  guérir  de  courre  après  ces  leurres-,  quoique  si  conti- 
nuellement avertis  de  leur  néant  par  la  dérision  que  les 
pourvus  essuient  sans  cesse  au  Conseil  dès  qu'ils  y  portent 
des  plaintes  du  trouble  qu'ils  reçoivent  ^  dans  leurs  privi- 
lèges, et  à  qui,  à  la  paix,  on  supprime  les  titres  mêmes 
qu'ils  ont  achetés.  Cette  drogue^  bursale  fut  aussitôt  don- 
née à  Pontchartrain  pour  en  tirer  ce  qu'il  pourroit  en 
déduction  de  ce  qui  étoit  dû  à  la  marine.  Celui-ci,  ardent 

naire  géographique  d'Expilly  a  donné  un  exposé  sommaire  du  fonc- 
tionnement de  cette  institution.  Chamillart,  par  nécessité  fiscale,  fit 
rendre,  en  février  1705^  un  édit  qui  abolissait  les  anciennes  charges 
de  capitaines  garde-côtes  et  créait  quatre-vingt-dix  capitaineries  géné- 
rales (portées  à  cent  dix  en  juillet  1707),  avec  des  places  de  lieutenants 
généraux,  majors,  aides-majors,  etc.  De  nouvelles  créations  furent 
encore  faites  en  4743  ;  mais  toutes  furent  supprimées  par  l'édit  de 
juillet  4746,  et  le  règlement  du  44  février  suivant  réorganisa  sur  de 
nouvelles  bases  l'institution  des  garde-côtes.  Au  milieu  du  règne  de 
Louis  XV,  l'effectif  total  des  compagnies  atteignait  vingt-quatre  mille 
hommes.  On  trouvera  des  documents  sur  les  créations  de  4705  et  4707 
aux  Archives  nationales  dans  les  cartons  G'  45o8  et  AD  vu  S,  et  dans 
le  tome  II  de  la  Correspondance  des  contrôleurs  généraux. 

4.  Le  règlement  dressé  par  le  Conseil  pour  la  vente  des  offices  est 
dans  le  registre  E  4949  des  Archives  nationales,  fol.  60. 

2.  Au  propre,  le  leurre  est  un  appât  pour  les  oiseaux  de  fauconnerie. 
«  Il  se  dit  figurément  d'une  chose  dont  on  se  sert  artificieusement 
pour  attirer  quelqu'un  afin  de  le  tromper  »  (Académie,  1748). 

3.  Avant  reçoivent,  Saint-Simon  a  biffé  recevoilenf]. 

4.  «  Drogue  se  dit  figurément  de  ce  qui  est  mauvais  dans  son  espèce. 
On  dit  Voilà  de  bonne  drogue,  pour  signifier  que  ce  qu'on  offre,  ce 
qu'on  veut  donner  pour  bon.  ne  vaut  rien  »  (Académie,  4748).  Drogue 
bursale  correspond  à  édits  bursaux. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  349 

à  usurper  et  à  étendre  sa  domination,  trouva  cette  affaire 
fort  propre  à  grossir'  ses  conquêtes.  Il  prit  thèse  de  ce 
qu'elle  lui  étoit  donnée  pour  remplacement  des  fonds 
très  arriérés  de  la  marine,  et,  pour  cela  même,  de  la  rai- 
son de  l'augmenter-  et  de  l'en  laisser  le  maître  ;  il  s'en  fit 
donner  le  projet  d'édit,  et  le  changea,  le  grossit  et  le 
dressa  comme  il  lui  plut^  Il  ne  négligea  pas  d'y  couler 
une  clause  par  laquelle  ces  nouveaux  officiers  garde-côtes 
n'obéiroient  qu'aux  seuls  gouverneurs,  commandants  en 
chef  et  lieutenants  généraux  des  provinces,  et  seroient 
sous  la  charge  de  l'Amiral,  et  du  département  de  la  ma- 
rine. Il  en  ôta  celle  qui  restreignoit  la  création  aux  lieux 
où  la  garde  des  côtes  étoit  seulement  en  usage  de  tout 
temps*  ;  et,  non  content  d'y  comprendre  toute  la  vaste 
étendue  des  côtes  des  deux  mers,  il  y  ajouta  les  deux 
bords  des  rivières  qui  s'y  embouchent  %  en  remontant  fort 
haut,  et  y  prit  la  précaution  de  dénommer  les  lieux  jus- 
qu'où cela  devoit  s'étendre  sur  chacune.  Il  forma  ainsi 
des  capitaines  garde-côtes,  non  seulement  le  long  des 
deux  mers,  mais  fort  avant  dans  les  terres  par  le  moyen 
des  bords  des  rivières,  et  mit  tous  ces  pays  en  proie  aux 
avanies  et  aux  vexations  de  ceux  qu'il  pourvut  de  ces 
charges.  Je  ne  sus  rien  de  tout  cela  que  lorsque  Pont- 
chartrain  eut  bien  consommé  son  ouvrage,  et  qu'il  me  dit 
alors,  sans  aucune  explication,  que  je  ferois  bien  de  cher- 

t.  Grossir  est  en  interligne,  au-dessus  d''estendre,  biffé. 

^2.  L'augmenter  est  en  interligne,  au-dessus  de  la  grossir,  biffé. 

3.  Ceci,  et  ce  qui  va  suivre,  est  encore  un  exemple  de  l'exagération 
habituelle  de  notre  auteur.  La  clause  relative  à  la  subordination  des 
garde-côtes  à  l'Amiral,  aux  gouverneurs,  commandants,  etc.  des  pro- 
vinces est  dans  l'édit,  ainsi  que  celle  qui  faisait  contresigner  leurs  pro- 
visions par  le  secrétaire  d'État  de  la  marine;  mais  pouvait-on  res- 
treindre l'institution  à  une  partie  seulement  des  côtes,  et  n'y  pas  com- 
prendre les  embouchures  des  fleuves,  Gironde,  Loire  et  Seine  ? 

4.  Ces  trois  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

5.  «  S'emboucher  ne  se  dit  que  d'une  rivière  qui  se  jette  dans  une 
autre,  ou  qui  se  décharge  dans  la  mer;  et  encore  n'est-il  pas  beaucoup 
en  usage  »  (Académie,  1718). 


350  MÉMOIRES  [17H] 

cher  quelqu'un  qui  me  convînt  pour  la  garde-côte  ^  de 
mon  gouvernement.  Je  pris  cet  avis  pour  un  désir  de 
trouver  à  débiter  sa  marchandise,  et  je  ne  m'en  inquiétai 
pas.  Assez  longtemps  après,  il  m'en  reparla,  et  me  pressa 
de  lui  trouver  quelqu'un  pour  éviter  qu'un  inconnu  venu 
au  hasard  ne  me  fît  de  la  peine.  Je  lui  répondis  que  qui 
que  ce  fût  qui  prît  cette  charge  de  garde-côte  ne  pouvoit 
s'empêcher  d'y  être  sous  mes  ordres,  et  qu'ainsi  peu 
m'importoit  qui  le  fût.  Il  ne  m'en  dit  pas  davantage,  et 
la  chose  en  demeura  là  pour  lors.  Dans  la  suite,  je  vou- 
lus faire  régler  mon  droit  et  les  prétentions  du  maréchal 
de  Montrevel  par  Chamillart,  pour  sortir  d'affaires  ;  Mon- 
trevel  ne  l'osa  refuser,  et  il  céda  d'abord  les  milices 
de  Blaye^  Elles  avoient,  dans  tous  les  temps,  été  sous  la 
seule  autorité  de  mon  père,  et  leurs  officiers  pourvus  par 
des  commissions  en  son  nom^.  M.  de  Louvois,  avec  qui  il 
n'avoitjamaisétébien,  etquin'ignoroit  pas  cet  usage,  n'avoit 
Usurpation  très  jamais  songé  à  le  contester.  Chamillart,  tout  mon  ami 
attentive  des     q^'\\  étoit,  fut  plus  secrétaire  d'État  que  Louvois  ;  il  me 

sGcrctîiirGs 

d'Etat,  fit  entendre  que  le  Roi  ne  s'accommoderoit  pas  de  cet 
usage,  dont  toutefois  il  s'étoit  toujours  accommodé,  mais 
dont,  en  style  de  secrétaire  d'Etat,  le  pauvre  Chamillart 
ne  s'accommodoit  pas  lui-même  ;  mais  il  me  dit  que  je 
n'avois  qu'à  nommer,  et  que,  sur  ma  nomination,  l'expé- 
dition se  feroit  en  ses  bureaux.  Alors  Pontchartrain,  qui 
suivoit  sournoisement  et  avec  grande  attention  les  suites 
de  mes  contestations  avec  le  maréchal  de  Montrevel,  et 
aux  questions  duquel  je  répondois  sans  défiance  parce 
que  je  ne  lui  voyois  point  d'intérêt  là-dedans,  me  dit*  que, 

4.  La  charge  de  capitaine  de  la  compagnie  ou  de  la  milice  des 
garde-côtes. 

2.  Tomes  XVII,  p.  445,  et  XVIII,  p.  3-4  et  89,  note  9. 

3.  On  peut  voir,  comme  type  de  ces  commissions,  dans  le  recueil 
Thoisy,  vol.  122,  fol.  S02,  un  brevet  de  capitaine  des  milices  garde- 
côtes  en  Normandie,  délivré  en  4689  par  M.  de  Beuvron,  lieutenant 
général  de  la  province. 

4.  Les  mots  me  dit  ont  été  ajoutés  en  interligne. 


[17 H]  DE  SAINT-SIMON.  H51 

puisqu'il  falloit  une  expédition  au  nom  du  Roi  sur  ma 
nomination,  comme  il  pensoit  de  même  que  Chamillart, 
et  par  le  même  intérêt,  c'étoit  aux  bureaux  de  la  marine, 
et  non  en  ceux  de  la  guerre  qu'elle  devoit  être  faite, 
fondé  sur  ce  '  que  ces  officiers  nommés  par  moi  serviroient 
sous-  la  Motte-Dey rand,  capitaine  de  vaisseau^,  qu'il  avoit 
destiné  *  garde-côte  pour  Blaye  et  tout  ce  pays-là,  et  qu'aux 
termes  de  l'édit,  ces  capitaines  garde-côtes  étoient  sous  la 
charge  de  l'Amiral  et  du  département  de  la  marine. 
Chamillart,  au  contraire,  regardoit  ces  milices  comme 
troupes  de  terre,  ainsi  qu'elles  avoient  toujours  été,  et  il 
s'appuyoit  sur  leur  comparaison  avec  les  milices  du  Bou- 
lonnois,  qui  borde  la  mer,  qui  avoit  '  un  capitaine  garde- 
côte  de  cette  nouvelle  création,  lesquelles  cependant 
étoient  demeurées  troupes  de  terre,  et  dont  les  officiers^ 
s'expédioient  aux  bureaux  de  la  guerre  sur  la  nomination 
de  M.  d'Aumont"  gouverneur  de  Boulogne ^  Ces  deux 
secrétaires  d'État,  de  longue  main  aigris  et  hors  de  mesure 

i.  Avant  ce,  Saint-Simon  a  biffé  les  termes  de  l'édit. 

■2.  Saint-Simon,  ayant  répété  deux  fois,  par  mégarde,  serviroient 
sous,  a  biffé  le  premier  sous  et  le  second  serviroient. 

3.  Jean-Paul,  d'abord  titré  chevalier  de  Boisjoly,  puis  marquis  de 
la  Motte-Deyrand,  g;arde-marine  en  1673,  enseigne  en  1680,  lieutenant 
de  vaisseau  en  1684,  avait  été  nommé  capitaine  de  vaisseau  en  1697, 
et  attaché  au  port  de  Rochefort;  c'est  à  cause  de  cette  circonstance 
qu'il  fut  choisi  en  1741  pour  commander  les  milices  garde-côtes  de  la 
région  de  Blaye;  il  se  retira  en  17:27  avec  une  pension  de  quatre  mille 
livres,  et  mourut  à  Libourne  le  10  novembre  1733.  Saint-Simon  écrit 
la  Moite  d'Ayran. 

•4.  Destiné  est  en  interligne,  au-dessus  de  fait,  biffé. 

3.  Avoit  est  bien  au  singulier,  se  rapportant  à  Boulonnais. 

6.  Il  faut  entendre  les  brevets  des  officiers. 

7.  Louis,  duc  d'Aumont,  qui  avait  succédé  à  son  père  en  1704. 

8.  S'il  en  était  ainsi,  ces  nominations  étaient  en  contradiction  for- 
melle avec  les  termes  de  l'édit  de  1703,  qui  réservait  l'expédition  des 
provisions  au  secrétaire  d'Etat  de  la  marine.  Les  capitaines  généraux 
avaient  la  nomination  des  capitaines  et  des  lieutenants  des  compa- 
gnies de  milices  garde-côtes,  sous  le  visa  du  gouverneur  de  la  pro- 
vince. 


352  MÉMOIRES  [1711] 

ensemble',  s'opiniâtrèrent  dans  leurs  prétentions,  et  à  en^ 
porter  le  jugement  au  Roi.  Le  plus  court  et  le  plus  simple 
étoit  de  me  laisser  suivre  l'ancien  usage,  qui  n'avoit  point 
été  contredit,  et  d'éviter  cette  nouvelle  querelle  entre 
eux  en  me  laissant  donner  les  commissions  en  mon  nom; 
mais  cette  sagesse  n'accommodoit  pas  l'usurpation  com- 
mune de  leurs  charges  aux  dépens  de  la  mienne,  quoi 
[que]  si  intimement  lié  avec  tous  les  deux.  Ils  l'eussent 
également  mis  à  couvert  en  acceptant  la  proposition  que 
je  leur  fis^  de  faire  expédier  aux  bureaux  de  la  Vrillière, 
secrétaire  d'État  ayant  la  Guyenne  dans  son  département  *. 
Aucun  des  deux  n'y  voulut  entendre,  ni  démordre  de  sa 
prétention.  Chamillart,  dans  la  faveur  où  il  étoit  alors 
et  appuyé  de  l'exemple  de  Boulogne,  l'auroit  emporté,  et 
Sottise  Pontchartrain  en  auroit  eu  tout  le  dégoût.  C'étoit  com- 
damitie.  mettre  mes  deux  amis,  si  ennemis,  ensemble  ;  je  crus 
donc  devoir  suspendre  ma  nomination.  Le  Chancelier  et 
son  fils  m'en  remercièrent,  et  parurent  sentir  l'amitié  de 
ce  sacrifice,  piqué  au  point  où  je  l'étois  contre  Montrevel, 
et  aussi  intéressé  à  me  remettre  en  possession  de  mes 
milices  et  dégrossir"'  d'autant  les  contestations  à  décider 
entre  nous.  Dans  cette  situation,  le  temps  s'écoula  jus- 
qu'à la  chute  de  Chamillart,  comme  je  crois  l'avoir 
raconté  en  son  lieu*^,  et  Montrevel  refusa  tout  net  le  ma- 
réchal de  Boufïlers  d'en  passer  par  son  avis''.  Pendant 
tout  cela,  je  voulus  profiter  de  la  nouveauté  de  Voysin 
dans  la  charge  de  Chamillart,  qui  n'auroit  pas  l'éveil  de 
cette  dispute,  et  faire  expédier  aux  bureaux  de  la  marine. 
La  vie  coupée  **  delà  cour,  le  mariage  de  Mme  la  duchesse 
de  Berry  avec  tout  ce  qui  précéda  et  suivit  cette  grande 

1.  Comme  nous  l'avons  vu  au  tome  XV,  p.  414. 

2.  En  est  en  interligne.  —  3.  Fils,  écrit  parmégarde,  corrigé  en  fis. 
4.  Déjà  dit  au  tome  XIII,  p.  211. 

o.  «  Dégrossir  se  dit  tigurément  des  affaires,  des  sciences,  pour 
dire  commencer  à  les  éclaircir,  à  les  débrouiller  »  (Académie,  1718). 

6.  Tome  XVIIL  p.  3-4. 

7.  Ibidem,  p.  89-90.  —  8.  Tome  XVII,  p.  342. 


(I71l|  DE  SAINT-SIMON.  353 

affaire,  et  mille  autres  enchaînements  traînèrent  ma  nomi- 
nation jusqu'à  l'hiver  qui  précéda  la  mort  de  Monseigneur. 
Je  voulus  donc  enfin  terminer  une  chose  dont  le  délai 
étoit  indécent,  et  nuisible  même  au  service  ;  mais  quelle 
fut  ma  surprise  lorsque,  sur  le  point  de  nommer,  Pont-  Trahison  noire 
chartrain  me  déclara   que  c'étoit  un  droit  du  capitaine   „      ,^®     . 

1        »,     .         •  I  --A,  1      n»    .,      T-.  1  Fontchartnun. 

garde-cote',  ajoutant  aussitôt  que  la  Motte-Dey rand  ne 
l'exerceroit  qu'avec  mon  agrément,  par  où  il  n'auroit 
que  l'apparence,  dont  je  conserverois  la  réalité  I  J'eus  la 
sagesse  de  me  contenir,  et  de  descendre  jusqu'à  plaider 
ma  cause  :  j'alléguai^  les  commissions  de  mon  père,  que 
j'étois  en  état  de  rapporter,  le  droit  immémorial,  et  la 
clarté  de  ce  droit  par  la  cession  de  Montrevel  même,  qui, 
si  actif  et  si  roide  en  prétentions,  s'étoit  vu  forcé  d'aban- 
donner celle-là  de  lui-même  après  l'avoir  si  vivement 
soutenue-^  ;  l'étrange  constraste  d'être  dépouillé  d'un  droit 
si  certain  par  un  homme  qui  m'étoit  nécessairement 
subordonné,  et  que  j'exerçois  indépendamment  du  gou- 
verneur de  la  province  représenté  en  tout  par  le  comman- 
dant en  chef.  Je  ne  dédaignai  pas  de  lui  dire  qu'il  étoit 
plus  honorable  pour  lui  d'expédier  sur  ma  nomination 
que  sur  celle  d'un  capitaine  garde-côte.  Enfin,  je  le  fis 
souvenir  du  sacrifice  que  je  lui  avois  fait,  trois  ans 
durant,  de  suspendre  ma  nomination,  que  ni  lui  ni  Gha- 
millart  ne  me  contestoient,  mais  qui  vouloient  chacun 
expédier  dessus  ;  les  remerciements  que  le  Chancelier  et 
lui  m'avoient  faits*  de  ne  les  pas  commettre  avec  ce  mi- 
nistre dans  sa  faveur  si  supérieure,  et  l'indigne  fruit  que 
j'en  retirois  par  la  perte  de  mon  droit,  qui  étoit  ce  que 
je  pouvois  attendre  de  pis  d'un  ennemi  en  sa  place,  lui  si 

\.  Voyez  ci-dessus,  p.  Soi,  note  8. 

"2.  Comparez  ce  qui  va  suivre  avec  le  mémoire  que  Saint-Simon  avait 
présenté  en  1704  contre  M.  de  Sourdis,  à  l'occasion  de  la  levée  d'un 
régiment  de  dragons  de  milice  dans  le  gouvernement  de  Blaye,  et  qui 
est  conservé  au  Dépôt  de  la  guerre,  vol.  1792. 

3.  Ci-dessus,  p.  350.  —  4.  Il  y  a  fait  sans  accord  dans  le  manuscrit. 

MEMOIRES    DE    S.\INT-SIMON .    .NXI  23 


354  MEMOIRES  [1714] 

personnellement  engagé  dans  ce  fait  même,  et  en  gé- 
néral par  l'alliance  si  proche  et  une  si  longue  et  si  intime 
amitié  et  si  éprouvée  de  sa  part,  à  chercher  à  augmenter 
mon  autorité  à  Blaye,  et  non  pas  à  me  dépouiller  de 
celle  que  j'y  avois  de  droit,  d'usage  et  de  tout  temps 
Rien  de  tout  cela  ne  fut  contesté  ;  j'eus  un  aveu  formel 
sur  chaque  article  ;  toutefois,  je  parlois  aux  rochers'. 
Pontchartrain  se  retrancha  sur  l'attribution  formelle  de 
l'édit,  et,  par  cela  même,  se  chargeoit  d'un  nouveau 
crime,  puisqu'il  l'avoit  changé  et  amplifié  à  dessein.  Je 
me  défendis  sur  la  notoriété  publique  que  ces  édits,  uni- 
quement faits  pour  tirer  de  l'argent,  n'avoient  point 
d'effet  contre  des  possessions  et  des  titres,  souvent  même 
contre  ce  qui  n'en  avoit  point.  J'en  donnai  l'exemple  de 
M.  d'Aumont  pour  Boulogne,  rivage  de  la  mer  vis-à-vis 
l'Angleterre,  moi  si  loin  d'elle  et  si  avancé  dans  les  terres, 
et  celui  des  divers  édits  de  création  de  charges  munici- 
pales, dont  les  traitants  avoient  voulu  jouir  à  Blaye,  où 
j'avois  toujours  maintenu  les  jurats  de  ma  nomination-. 
Pontchartrain  répliqua  que  les  édits  ne  pouvoient  nuire 
au  service;  qu'il  en  étoit  que  les  milices  de  Boulogne,  si 
voisines  de  la  frontière,  continuassent  d'y  servir',  ce  qui 
emportoit  exception  de  l'édit  à  leur  égard,  ce  qui  n'étoit 
point  à  l'égard  de  Blaye,  nommément  compris  dans  l'édit 
pour  une  capitainerie  garde-côte,  c'est-à-dire  dans  un 
supplément  postérieur  de  l'édit  qu'il  avoit  fait  ajouter  ; 
que  ce  qui  m'étoit  arrivé  pour  les  jurats  de  Blaye  mar- 
quoit  bien  que  j'aurois  pu  avoir  le  même  succès  sur  l'édit 
des  garde-côtes,  si  je  m'en  fusse  plaint  à  temps,  mais 
qu'il  étoit   maintenant  trop    tard.    Je  répondis    que  je 

1.  «  On  dit  figurément  parler  aux  rochers,   pour  dire  parler  à  des 
gens  qui  ne  sont  point  touchés  de  ce  qu'on  leur  dit  »  {Académie,  1718) 
Voyez  aux  Additions  et  corrections. 

2.  Voyez  la  lettre  du  7  février  1710,  relative  à  ce  sujet,  dans  l'Ap- 
pendice de  notre  tome  XX,  p.  S53-5S4. 

3.  De  servir  sur  la  frontière. 


flTIl]  DE  SAINT-SIMON.  355 

n'avois  parlé  sur  les  jurats  que  lorsque  les  traitants 
avoient  voulu  vendre  ces  charges  à  Blaye,  et  longtemps 
après  les  édits  rendus',  que  Chamillart,  puis  Desmaretz, 
m'avoient,  l'un  après  l'autre,  fait  justice  au  moment  que 
je  l'avois  demandée,  quoiqu'ils  n'y  fussent  pas  tenus, 
comme  lui  l'étoit  par  une  obligation  réelle  et  essentielle 
sur  ce  même  fait,  laquelle  il  me  donnoit  maintenant  pour 
un  obstacle  invincible.  Ces  derniers  mots,  prononcés  avec 
feu,  coupèrent  la  parole  à  Pontchartrain  :  il  se  jeta  dans 
les  protestations  que  ma  satisfaction  lui  étoit  si  chère, 
qu'il  feroit  jusqu'à  l'impossible  pour  me  la  procurer,  et 
que  nous  en  reparlerions  une  autre  fois.  L'embarras  du 
procédé  et  de  la  misère  des  raisons  le  réduisoit^  à 
chercher  à  finir  une  conversation  si  difficile  pour  lui  à 
soutenir;  le  dépit,  qui  de  moment  à  autre  s'augmentoit  en 
moi  d'une  tromperie  si  préparée  et  si  étrangement  conduite 
par  une  si  noire  ingratitude,  avoit  besoin  de  n'être  plus 
excité   :   je  ne   cherchai  donc  aussi  qu'à  la  finir. 

J'ai  annoncé  de  la  bourre*,  et  je  suis  obligé  d'avertir        Étrange 
que  ce  n'est  pas  fait,  mais  qu'elle   est  absolument  néces-     proc('<lé  de 

,     *  .  ,  .    ^       ,        ,         .  ,  ,  ,  Pontcluirtrain, 

saire  aux  choses  qui  la  suivront,  et  qui  en  dédommage-  qui  me  veut 
ront.  Pour  la  continuer,  Mme  de  Saint-Simon,  aussi  sur-  leurrer  par 
prise  que  moi  de  ce  que  je  lui  racontai,  mais  toujours  plus 
sage,  m'exhorta  à  ne  rien  marquer,  à  vivre  avec  Pontchar- 
train à  l'ordinaire,  à  laisser  reposer  cette  fantaisie,  à  la 
laisser  dissiper,  et  à  ne  pas  croire  qu'il  pût  s'aheurter*  à 
une  prétention  qui  le  devoit  toucher  si  peu,  et  sur  laquelle 
il^  me  voyoit  si  sensible.  J'en  usai  comme  elle  le  désira, 

4.  Voyez  la  lettre  indiquée  à  la  note  2  de  la  page  précédente. 

2.  Le  est  en  interligne,  et  réduisoient  est  au  pluriel  par  erreur  dans 
le  manuscrit. 

3.  Ci-dessus,  p.  347. 

4.  «  S'aheurter,  s'opiniâtrer,  s'obstiner»  (Académie,  4718).  Ce 
mot,  aujourd'hui  disparu,  se  retrouve  dans  Molière,  Spanhcim,  Dan- 
geau  et  dans  les  Mémoires  de  Sourchcs. 

5.  Les  mots  et  sur  laquelle  il  sont  en  interligne,  au-dessus  d'ef 
qu'il,  biffé. 


Aubenton. 


356  MEMOIRES  [1741] 

accoutumé  par  amitié  et  par  une  heureuse  expérience  à 
déférer  à  ses  avis.  Au  bout  de  quelque  temps,  elle  lui 
parla  ;  il  se  confondit  en  respect,  mais  sans  rien  de  plus 
solide.  Peu  après,  étant  à  Marly,  il  me  dit  qu'il  étoit  résolu 
à  tout  faire  pour  me  contenter;  qu'il  croyoit  néanmoins 
qu'il  valoit  mieux  ne  point  traiter  l'affaire  ensemble,  et 
qu'il  me  prioit  de  trouver  bon  d'entendre  là-dessus  d'Au- 
benton,  un  de  ses  premiers  commis*.  J'y  consentis,  sans 
entrer  plus  avant  en  matière.  Deux  jours  après,  Aubenton 
vint  un  matin  chez  moi.  J'écoutai  patiemment  une  flat- 
teuse rhétorique  pour  me  faire  goûter  ce  que  Pontchar- 
train  m'avoit  proposé.  Je  voulus  bien  expliquer  les 
mêmes  raisons  que  j'ai  abrégées  plus  haut.  Aubenton  n'eut 
rien  à  y  répondre,  sinon  d'essayer  de  me  persuader  que, 
par  la  nécessité  de  mon  agrément,  j'avois  le  fonds  de  la 
chose,  et  le  capitaine  garde-côte  l'écorce-  par  sa  nomina- 
tion. Je  voulus  bien  encore  parler  honnêtement  ;  je  répon- 
dis qu'il  étoit  du  bon  sens,  de  la  prudence  et  de  l'usage 
de  terminer  les  choses  durables  d'une  manière  qui  le  fut 
aussi  ;  que  je  voulois  bien  ne  pas  douter  qu'aucune  nomi- 
tion  du  capitaine  garde-côte  ne  seroit  expédiée  que  de 
mon  agrément  tant  que  Pontchartrain  et  moi  serions,  lui 
en  place  d'expédier,  moi  d'agréer  ou  non,  mais  que  cela 

1.  François-Ambroise  d'Aubenton,  sieur  de  Villebois,  frère  du 
confesseur  de  Philippe  V,  né  à  Provins  vers  4648,  fut  d'abord  em- 
ployé dans  les  vivres  des  armées  et  chargé,  avec  Orry,  de  leur  direc- 
tion pour  l'armée  d'Italie,  de  1690  à  4697  ;  en  1698  il  fut  envoyé  au 
Canada  comme  directeur  de  la  régie  des  fermes  pour  concilier  les  dif- 
férends entre  les  fermiers  généraux  et  les  Etats  de  Québec  ;  revenu  en 
4699,  il  dut  être  mêlé  à  des  affaires  peu  honorables  qui  le  tirent  en- 
voyer en  prison,  si  l'on  en  croit  une  lettre  de  Mme  des  Ursins  à  Torcy 
du  17  août  1703,  alors  qu'il  venait  d'être  nommé  directeur  de  la  ma- 
rine et  du  commerce  français  en  Espagne  ;  nommé  secrétaire  du  Roi 
en  4707,  chevalier  de  Saint-Michel  en  4708,  il  quitta  définitivement 
l'Espagne  en  4740,  en  même  temps  que  les  autres  Français.  Pont- 
chartrain le  prit  alors  pour  un  de  ses  premiers  commis  ;  il  mourut  à 
Versailles  en  4733. 

2.  Ci-dessus,  p.  285. 


[1711]  DE  SALXT-SIMON.  357 

pouvoit  changer  par  la  mutation  de  toutes  les  choses  de  ce 
monde  ;  qu'alors  je  serois  pris  pour  dupe  par  un  autre 
secrétaire  d'État  qui  ne  se  croiroit  pas  tenu  aux  mêmes 
égards;  qu'avec  Pontchartrain  même,  ces  égards  pouvoient 
devenir  susceptibles  de  mille  queues  fâcheuses  lorsque  le 
capitaine  garde-côte  et  moi  ne  serions  pas  d'accord  sur  les 
choix;  qu'il  étoit  donc  plus  court  et  plus  simple  de  me 
laisser  continuer  à  jouir  de  mon  droit,  et  qu'après  tout 
ce  qui  s'étoit  passé  là-dessus  de  si  personnel  à  Pontchar- 
train de  ma  part,  je  ne  pouvois  croire  qu'il  aimât  mieux 
un  capitaine  garde-côte  que  moi,  jusqu'à  l'enrichir  de  ma 
dépouille.  Honnêtetés  de  ma  part,  mais  avec  grande  fer- 
meté, respects  et  protestations  de  celle  d'Aubenton  termi- 
nèrent cette  inutile  visite.  Il  me  pressa  de  lui  accorder 
encore  une  audience,  et  de  penser  moi-même  à  quelque 
expédient  que  Pontchartrain  embrasseroit  sûrement  avec 
transport  de  joie.  Huit  jours  après,  Aubenton  revint  avec 
force  compliments  pour  toutes  choses.  J'avois  cependant 
rêvé  à  quelque  expédient  pour  me  tirer  d'embarras  sans 
tout  perdre,  et  sans  me  brouiller.  J'en  étois  retenu  parle 
respect  d'une  liaison  de  vingt  ans,  de  la  mémoire  de  celle 
dont  l'alliance  l'avoit  formée',  de  l'intimité  du  Chancelier 
et  de  la  Chancelière,  auxquels  je  n'avois  pas  dit  un  mot 
de  tout  cela  jusqu'alors,  pour  en  attendre  le  dénouement; 
et  ces  considérations  enchaînèrent  ma  colère  d'un  procédé 
si  double-  et  si  indigne.  Je  les  fis  donc  sentir  à  d'Auben- 
ton, et  lui  dis  qu'elles  m'avoient  amené  à  un  expédient 
où  je  mettois  tant  au  jeu^  que  j'étois  surpris  moi-même 
d'avoir  pu  m'y  résoudre,  mais  que  l'amitié  l'avoit  em- 
porté :  c'étoit  d'accepter  la  nomination  des  oiticiers  des 
milices  de  Blaye  par  le  capitaine  garde-côte,  qui  ne  seroit 

1.  Mme  de  Pontchartrain,   née  de  la  Rochefoucauld-Roye,  cousine 
germaine  de  Mme  de  Saint-Simon. 

2.  Ci-dessus,  p.  348. 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  pas  l'exprès 
sion  de  mettre  au  jeu,  ni  l'emploi  de  mise  dans  le  même  sens. 


358  MÉMOIRES  [4714] 

expédiée  que  de  mon  agrément,  comme  Pontchartrain  le 
proposoit,  mais  d'y  ajouter  au  moins,  pour  que  cet  agré- 
ment demeurât  solide  et  nécessaire,  la  nécessité  de  mon 
attache  sur  les  expéditions,  à  l'exemple  en  très  petit  de 
l'attache  du  colonel  général  de  la  cavalerie  sur  les  com- 
missions de  tous  les  officiers  de  la  cavalerie'.  Aubenton, 
avec  esprit,  me  laissât  voir  qu'il  goùtoit  fort  l'expédient, 
et  en  même  temps  qu'il  n'espéroit  pas  qu'il  fût  accepté. 
Il  me  quitta  en  prenant  jour  pour   la  réponse.  Elle  fut 
telle  qu'Aubenton  l'avoit  prévue  :  il  me  dit  que  Pontchar- 
train n'osoit  expédier  en  une   forme  insolite  sans  permis- 
sion du  Roi,  à  qui  il  ne   croyoit  pas  qu'il   fût  à  propos 
pour  moi  de  la  demander.  Je  répondis  à  d'Aubenton,  en 
remontant  mon  ton^,  sans  sortir  pourtant  d'un  air  de  poli- 
tesse pour  lui  et  de  modestie  pour  moi,   que  je  n'étois 
pas   surpris  qu'une  telle  affaire  eût  une  pareille  issue 
depuis  que  Pontchartrain  en  avoit  fait  la  sienne  propre  ; 
que  c'étoit  le  prix  de  vingt  ans  d'amitié,  et  de  ma  com- 
plaisance  du  temps  de   Chamillart,  pour  n'en  pas  dire 
davantage;  qu'après  ce  sacrifice,  si  bien  senti  alors  par  lui, 
et  dans  une    alliance  si  proche    qu'il    pouvoit   un    peu 
compter,  il  me  faisoit  un  tour  que  je  ne  pourrois  attendre 
d'un  autre  secrétaire  d'Etat,  en  sa  place,  avec  qui  je  serois 
dans  la  plus  parfaite  indifférence  ;  que  j'entendois  bien  le 
nœud  de  la  difficulté,  qui  étoit  qu'à  l'ombre  d'une  nomina- 
tion subalterne  et  obscure  d'un  capitaine^  garde-côte  si 
fort  sous  sa  main,  il  feroit  de  ces  emplois  les  récompenses 
de  ses  laquais;  qu'il  y  avoit  tant  de  distance  de  l'étendue 
du  pouvoir  de  sa  charge  aux  bornes  si  étroites  de  mon  gou- 

1.  C'était  un  des  privilèges  des  colonels  généraux  ;  il  n'existait  plus 
que  pour  la  cavalerie,  la  charge  de  colonel  général  de  l'infanterie 
ayant  été  supprimée  en  4664  à  la  mort  du  duc  d'Epernon.  Les  gou- 
verneurs de  province  mettaient  leur  attache  sur  les  provisions  des 
officiers  dépendant  de  leur  gouvernement  :  tome  XII,  p.  449. 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4748  ne  donnait  que  hausser 
le  ton. 

3.  Cap'^  corrigé  en  cap^  écrit  par  une  initiale  minuscule. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  3o9 

vernement,  que  je  ne  laissois  pas  d'être  surpris  qu'il  pût 
être  touche  de  l'accroître  de  ma  dépouille,  jusqu'à  l'avoir 
si  adroitement,  si  longuement  et  si  ténébreusement  ména- 
gée ;  que,  tant  que  j'avois  cru  n'avoir  affaire  qu'à  un 
édit  bursal  et  à  un  capitaine  garde-côte,  l'évidente  bonté 
de  mes  raisons  me  les  avoit  fait  soutenir;  que  voyant 
clair  enfin,  et  ne  pouvant  plus  méconnoître  ce  que  je 
m'étois  caché  à  moi-même  tant  que  j'avois  pu,  je  savois 
trop  la  disproportion  sans  bornes  du  crédit  de  la'  place 
de  Pontchartrain  à  celui  d'un  duc  et  pair,  et  d'un  homme 
de  ma  sorte,  pour  prendre  le  parti  de  lutter  avec  lui; 
que  je  sentois  dans  toute  son  étendue  la  facile  victoire 
qu'il  remportoit  sur  moi,  et  les  moyens  obscurs  qui  pied 
à  pied  la  lui  acquéroient  ;  que'  je  cédois  dans  la  pleine 
connoissance  de  mon  impuissance,  mais  qu'en  cédant  je 
cédois  tout,  et  n'entendrois  jamais  parler  sur  quoi  que  ce 
pût  être  des  milices  de  Blaye.  Aubenton,  effrayé  d'une 
déclaration  si  compassée,  car  je  me  possédai  tout  entier, 
mais  si  nette  et  si  expressive  dans  ses  termes,  dans  son 
ton,  dans  toute  ma  contenance,  et  peut-être  par  le  feu 
échappé  de  mes  regards,  déploya  pour  me  ramener  le  reste 
de  son  bien-dire-  :  il  m'étala  les  respects  et  les  désirs  de 
Pontchartrain,  il  me  représenta  adroitement  qu'en  aban- 
donnant jusqu'à  la  discipline  et  au  commandement  des 
milices  de  Blaye,  je  me  faisois  un  tort  à  quoi  rien  ne 
m'obligeoit,  et  qui,  dans  la  suite,  me  pourroit  sembler  trop 
précipité.  Je  sentis  à  son  discours  et  à  son  maintien 
l'extrême  honte  que  lui  donnoit  sa  misérable  ambas- 
sade, et  les  suites  que,  tout  premier  commis  qu'il  étoit 
d'un  cinquième  roi  de  France^,  il  n'étoit  pas  hors  d'état 
de  prévoir.  Toute  ma  réponse  fut  un  simple  sourire,  et  de 
me  lever.  Alors,  il  me  conjura  de  ne  pas  regarder  l'affaire 
comme  finie;  je  l'interrompis  par  des  honnêtetés  person- 
nelles, et  de  la  satisfaction  de  l'avoir  connu,  et  je  l'écon- 

i.  Sa  corrigé  en  la.  —  2.  Ci-dessus,  p.  83. 

3.  Le  Roi  et  les  quatre  secrétaires  d'État:  voyez  p.  349,  ligne  4. 


360 


MEMOIRES 


[1714] 


embarras  de 
Pontchartrain 


duisis' de  la  sorte.  Outré  de  colère  et  d'indignation,  je 
me  donnai  quelques  jours.  Mené  après  toujours  par  les 
mêmes  motifs,  je  voulus  abuser  de  ma  patience,  et  jouir 
Impudence  et  aussi  de  l'embarras  d'un  si  misérable  ravisseur.  Il  me  dit 
en  paroles  entrecoupées  qu'il  s'estimoit  bien  malheureux 
que  mon  amitié  fût  au  prix  de  l'impossible.  Je  répondis 
d'un  air  assez  ouvert  que  je  la  croyois  bien  au-dessous  ; 
qu'apparemment  il  avoit  vuAubenton;  que,  cela  étant, 
la  matière  étoit  fort  épuisée  et  inutile  à  traiter.  Il  répliqua 
d'un  air  confondu  quelques  demi-mots  sur  l'ancienneté 
de  l'amitié.  Je  lui  dis  d'un  air  simple  que  je  ne  demandois 
jamais  ce  qu'on  ne  pouvoit  pas,  que  je  cédois  tout,  et 
qu'après  cela  il  n'y  avoit  plus  à  en  parler.  Là-dessus,  il 
me  donna  carte  blanche-  pour  nous  en  rapporter  à  qui  je 
voudrois.  Je  n'ignorois  pas  quel  jugement  je  pouvois 
attendre  entre  lui  et  moi  dans  une  cour  aussi  servile  ; 
ainsi  je  répondis  qu'à  une  affaire  finie  il  ne  falloit  point 
de  juge.  Alors  il  me  proposa  son  père;  je  n'eus  pas  la 
force  de  le  refuser.  Jusqu'alors,  qui  que  ce  soit  n'avoit  su 
ce  qui  se  passoit  entre  nous.  J'ai  dit  ci-devant  ce  qui  me 
retenoit  d'éclater^  et  il  n'avoit  garde  aussi  de  montrer 
son  tissu  d'infamie. 

Revenus  à  Versailles,  car  le  Chancelier  ne  paroissoit  à 
Marly  qu'aux  conseils,  je  lui  contai  ce  qu'il  ignoroit 
depuis  la  chute  de  Chamillart.  Il  ne  balança  pas  à  me 
réitérer*^  ses  remerciements  de  la  suspension  de  ma  nomi- 
nation avant  cette  chute,  fit  après  une  longue  préface  sur 
son  peu  d'indulgence  pour  son  fils,  ses  défauts,  ses 
sottises,  la  parfaite  connoissance  et  la  parfaite  douleur 
qu'il  en  avoit,  et  de  là  me  répéta  toutes  ses  raisons  entor- 

1.  Saint-Simon  a  écrit  par  mégarde  :  écondusis. 

2.  «  On  dit  tigurément  donner  la  carte  blanche  à  quelqu'un,  pour 
dire  laisser  quelqu'un  maître  d'une  affaire,  offrir  d'en  passer  par  tout 
ce  qu'il  voudra  »  (Académie,  1718).  Nous  avons  déjà  eu  cette  locution 
dans  nos  tomes  XVI,  p.  329,  et  XVIII,  p.  89. 

3.  Ci-dessus,  p.  357. 

4.  Il  y  a  reiter,  par  mégarde  dans  le  manuscrit. 


Le  Chancelier 

soutient  le  vol 

de  son  fils 

contre  moi. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  364 

tillées'  de  sophismes,  qu'il  avoit  excellemment  à  la  main 
quand  il  en  avoit  besoin,  les  entremêla  d'autorité,  et  pré- 
tendit enfin  que  je  réduisois  son  fils  à  l'impossible.  Mon 
extrême  surprise  m'ôta  toute  repartie  ;  je  lui  dis  seule- 
ment que  je  ne  me  croyois  de  tort  que  de  n'avoir  pas 
nommé  sans  ménagement  du  temps  de  Chamillart;  mais 
la  parole  me  rentra  tout  à  fait  dans  la  poitrine  par  sa 
réplique  que  j'aurois  bien  fait  d'avoir  nommé  alors,  et  je 
ne  songeai  qu'à  gagner  la  porte.  On  a  vu  en  différents 
endroits  dans  quelle  amitié  et  dans  quelle  confiance  réci- 
proque je  vivois  avec  le  Chancelier,  et  avec  quelle  adresse, 
de  concert  avec  Mme  de  Saint-Simon,  il  m'empêcha  de 
quitter  la  cour  à  la  fin  de  1709-,  où  je  metrouvois  main- 
tenant dans  la  situation  la  plus  agréable,  et,  comme  on  le 
verra  incontinent^  dans  les  espérances  les  plus  flatteuses 
et  les  plus  solidement  fondées.  Ce  contraste  avec  l'état  où 
je  me  serois  trouvé  dans  la  retraite  que  je  voulois  faire, 
éteignit  à  son  égard  la  colère  de  le  voir  soutenir  la  perfi- 
die de  son  fils,  mais,  à  la  vérité,  pour  la  porter  sur  ce  fils 
toute  entière,  tellement  que  je  finis  une  seconde  conver- 
sation avec  le  Chancelier  par  lui  dire  que  la  matière  étoit 
épuisée,  que  nous  ne  nous  persuaderions  pas  l'un  l'autre, 
que  je  ne  répondrois  plus  un  seul  mot  à  tout  ce  qu'il 
pourroit  m'en  dire,  mais  qu'il  trouveroit  bon  aussi  que  je 
demeurasse  dans  ma  résolution  de  n'ouïr  jamais  parler  en 
rien  des  milices  de  Blaye,  et  d'en  laisser  faire  à  son  fils 
et  à  son  capitaine  garde-côte  tout  ce  que  bon  leur  semble- 
roit.  Le  Chancelier  entendit  ce  françois*;  il  me  répondit 
avec  embarras  et  quelque  honte  que  je  faisois  mal,  mais 
que  j'étois  le  maître.  Lui,  la  Chancelièreet  Pontchartrain 
pressèrent  extrêmement  Mme  de  Saint-Simon  de  m'enga- 
ger  à  acheter  la  capitainerie  garde-côte  de  Blaye,  et  il 
parut  bientôt  qu'ils  n'avoient  pas  prévu  l'embarras  où  les 

1.  Entortillés,  au  masculin,  dans  le  manuscrit. 

2.  Tome  XVIII,  p.  294-296.  —  3.  Dans  le  prochain  volume. 
4.  Locution  déjà  relevée  dans  le  tome  X,  p.  206. 


362 


MEMOIRES 


flTll 


Peine  et 

proposition 

des 

Pontchartrain  : 

ma  conduite 

avec  eux. 


jetoit  ma  fermeté,  à  laquelle  ils  ne  s'étoient  pas  attendus, 
et  qu'ils  auroient  bien  voulu  ne  s'être  pas    engagés  si 
avant,  c'est-à-dire  le  fils,  dans  une  si  vilaine  affaire,  pro- 
jetée et  conduite  à  son  ordinaire  sans  la   participation  de 
son  père,  et  celui-ci  à  ne  l'y  pas  soutenir  quand  il  l'eut 
apprise  pour  être  arbitre  entre  nous  deux.  Pour  se   tirer 
d'un  si  mauvais  pas,  ils  proposèrent  à  Mme  de  Saint-Simon 
d'emprunter  de  celui  qu'ils  lui  nommeroient  le  prix  de 
cette  capitainerie,  soit  que  ce  fût  un  prêteur  eiïectif,  soit 
qu'il  ne  donnât  que  son  nom  pour  couvrir  leur  bourse, 
avec  stipulation  expresse  qu'il  se  contenteroit  des  gages  de 
la  charge  pour  tout  intérêt  de  la  somme,  et  sans  être  tenus 
de  les  lui  faire  bons^  au  cas  qu'ils  ne  fussent  point  payés  ; 
de  n'avoir  que  la  charge  même  pour  toute  hypothèque, 
et,  à  sa  perte,  si  elle  se  supprimoit  et  étoit  mal  ou  point 
payée,  sans  pouvoir  nous  en  jamais  rien  demander;  et  de 
porter  seul  toutes  les  taxes,  augmentations  de  gages-  et 
toute  autre  espèce  de  choses  dont  on  accabloit  tous   les 
jours  ces  nouvelles  créations,  sans  que   nous  y  puissions 
entrer  pour  rien.  G'étoit,  en  un  mot,  que  je  voulusse  bien 
recevoir  la  charge  sans  bourse  délier,  et  sans  pouvoir  y 
courir  aucune  sorte  de  risque.  J'étois  si  aigri,  que  je^  fus 
longtemps  sans  en  vouloir  ouïr  parler.  Je  consentis  enfin, 
par  complaisance  pour  Mme  de  Saint-Simon,  mais  à  con- 
dition que,  devant  ni  après  la  chose  faite,  et  qui  ne  se  fit 
point,  ils  ne  m'en  parleroient  jamais.  Je  vis  rarement  et 
sérieusement  Pontchartrain  depuis  cette  rare  affaire,   et 
c'est  où  nous  en  étions  à  la  mort  de  Monseigneur.  Pour  le 

i.  «  Dans  les  jeux  où  on  joue  de  l'argent,  on  dit  faire  bon  pour 
dire  s'engager  à  payer  toute  la  somme  qu'on  pourra  perdre  »  {Acadé- 
mie, 4748). 

2.  Lorsque  le  Roi  voulait  mettre  de  nouvelles  taxes  sur  les  offices, 
il  augmentait  les  gages  ou  appointements  des  titulaires,  mais  en  tirant 
d'eux  une  somme  correspondante  au  capital  que  représentait  l'aug- 
mentation d'émoluments. 

3.  Je  répété  deux  fois,  à  la  tin  d'une  page  et  au  commencement  de 
la  suivante. 


[17111 


DE  SAINT-SIMON. 


363 


Chancelier,  je  vécus  avec  lui  tout  à  mon  ordinaire;  elle 
n'apporta  pas  le  moindre  refroidissement  entre  nous 
comme  on  le  peut  voir  par  ce  qui  a  été  rapporté  sur  la 
prétention  d'Épernon  et  de  Chaulnes  et  l'édit  de  1711', 
tant  la  reconnoissance  eut  de  pouvoir  sur  moi.  On  verra 
bientôt  qu'elle  ne  se  borna  pas  là. 

Le  duc  de  Beauvillier  jouissoit  avec  splendeur  de  l'état 
si  changé  de  son  pupille.  Il  étoit  affranchi  des  inquié- 
tudes de  la  cour  de  ^lonseigneur,  et  des  mesures  à  l'égard 
du  Roi,  par  la  confiance  que  ce  monarque  donnoit  à  son 
petit-fils,  et  la  solidité  qu'y  ajoutoit-  le  goût  et  l'intérêt 
de  Mme  de  Maintenon,  ravie  d'aise  pour  sa  Dauphine,  et 
d'avoir  un  Dauphin  sur  lequel  elle  pouvoit  sûrement 
compter  dans  tous  les  temps.  Beauvillier  commençoit 
donc  à  marcher  plus  tête  levée  ^,  à  cacher  moins  que  le 
temps  étoit  venu  de  commencer  à  compter  avec  lui  ;  il 
montroit  un  maintien  plus  dégagé  et  une  liberté  moins 
mesurée  ;  ses  propos  avec  moi  plus  fermes,  et  à  lui  tout 
à  fait  étrangers  ^  J'aperçus  un  changement  inespéré  dont 
je  ne  le  croyois  pas  susceptible  ;  je  vis  un  homme  consolidé, 
nerveux,  actif,  allant  droit  au  fait,  et  se  dépouillant  des 
entraves.  Il  repassa  toute  la  cour  avec  moi  sans  se  héris- 
ser de  ma  franchise  sur  les  portraits,  et  sans  disputer 
avec  moi  :  il  se  souvenoit  que  je  lui  avois  toujours  parlé 
juste  dans  tous  les  temps  ;  l'expérience  lui  avoit  appris 
que  j'en  savois  plus  que  lui  en  connoissances'^  de  gens 
que  sa  charité  et  son  enfermeriez  éloignoient  de  voir  et 

i.  Ci-dessus,  p.  145  et  483. 

'2.  Le  verbe  ajoustoit  est  bien  au  singulier. 

3.  «  On  dit  proverbialement  et  tigurément,  d'un  homme  à  qui  on 
ne  peut  faire  aucun  reproche  avec  justice,  qu'î7  peut  aller  partout 
la  tête  levée  »  (Académie,  -1718).  Ici,  c'est  plutôt  le  sens  de  marcher 
et  agir  avec  assurance. 

4.  A  bien  des  reprises,  il  a  dit  combien  Beauvillier  était  timoré  et 
craintif. 

o.  Il  y  a  bien  connoissances,  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 
6.  Ci-dessus,  p.  94. 


Splendeur  du 

duc  de 

Beauvillier  ; 

causes,  outre 

l'amitié,  de  sa 

confiance 

entière  en 

moi  ; 

discussion  de 

la  cour  entre 

lui  et  moi. 


364  MÉMOIRES  [17M] 

d'apprendre.  Mon  avis  sur  Harcourt,  p.  794  ^  ma  prédic- 
tion sur  l'abbé  de  Polignac  suivie  de  l'effet  si  peu 
croyable,  p.  683-,  et,  p.  687\  celle  de  la  campagne  de 
Lille  si  précisément  accomplie  en  effets  prodigieux,  ne 
lui  étoient  point  sortis  de  l'esprit  et  avoient^  plojé  le  sien 
à  tout  à  mon  égard.  Il  étoit  sûr  de  mon  secret ^  j'ose  dire 
de  ma  vérité  et  de  ma  probité  ;  il  ne  pou  voit  douter  de 
ma  confiance,  de  mon  dévouement,  de  mon  attachement 
pour  lui  sans  réserve  et  à  toute  épreuve,  et  d'une  amitié 
de  toute  préférence  depuis  plus  de  seize  ans  que  j'étois  à 
la  cour,  et  que  mon  désir  de  son  alliance^  nous  avoit 
étroitement  unis.  Il  me  parloit  donc  sans  réserve,  et  la 
disproportion  d'âge  et  de  fortune  n'en  mettoit  plus  dans 
l'épanchement  entier  sur  toutes  matières,  qui  étoit  plei- 
nement réciproque  et  continuel.  Cet  examen  entre  lui  et 
moi  de  toute  la  cour  alloit  à  discuter  qui  il  étoit  bon 
d'approcher  ou  d'éloigner  du  Dauphin'.  La  ville  eut  aussi 
son  tour,  c'est-à-dire  la  robe,  non  pas  pour  approcher  ou 
écarter  des  gens  que  leur  état  n'en  rendoit  pas  susceptibles, 
mais  pour  nous  concerter  tous  deux,  car  il  m'avoit  mis 
à  cette  portée,  et  placer  au  Dauphin  du  bien*  de  ceux 
que  nous  estimerions  propres  aux  emplois,  et  au  contraire 
sur  les  autres.  Quatre  ou  cinq  longues  conversations  près 
à  près  que  nous  eûmes  tète  à  tète,  ce  que  je  remarque 
parce  que  le  duc  de  Chevreuse  ne  s'y  trouva  pas,  achevè- 

4.  Page  du  manuscrit  correspondant  aux  pages   158-166  de  notre 
tome  XVII. 
2.  Tome  XV,  p.  474-477.  —  3.  Tome  XVI,  p.  6  et  suivantes. 

4.  Avoit,  au  singulier,  a  été  corrigé  en  avoient  au  pluriel. 

5.  Secret,  au  sens  de  discrétion,  qualité  d'une  personne  qui  sait  se 
taire,  n'était  pas  donné  par  les  lexiques  du  temps.  Littré  en  cite  des 
exemples  de  Bossuet,  Bourdaloue,  etc. 

6.  Tome  II,  p.  5-13. 

7.  Après  ce  mot,  Saint  Simon  avait  écrit  en  interligne  :  car  il  m'avoit 
mis  à  cette  portée  avec  ce  Prince,  puis  il  a  biffé  cette  phrase  incidente 
pour  la  reporter  quatre  lignes  plus  bas,  en  interligne,  après  tous  deux. 

8.  Pour  dire,  insinuer  du  bien. 


[17111  DE  SAINT-SIMON.  36S 

rent  à  peu  près  cette  importante  matière.  Suivit  un  autre 
tête-à-tète,  où  le  duc  se  déboutonna*  sur  tous  ceux  qui 
avoient  part  aux  affaires.  Je  l'avois  averti,  il  y  avoit  déjà 
longtemps,  de  l'intime  liaison  que  je  voyois  se  former 
entre  d'.\ntin  et  Torcy.  La  Bouzols,  sœur  du  dernier,  Torcv 
d'une  figure  hideuse,  mais  pleine  de  charmes  d'esprit  et 
forte  en  intrigue,  et  de  tout  temps  en^  toute  intimité  avec 
Madame  la  Duchesse  \  en  étoit  le  principal  instrument. 
Celle  qui  commençoit  à  se  montrer  entre  d'Antin  et 
Mlle  de  Tourbes  %  qui  ne  fît  que  croître,  et  qui  dura 
autant  que  leur  vie,  y  servit  encore  puissamment.  G'étoit 
un  autre  démon  d'esprit,  et  qui  aimoit  à  dominer,  amie 
intime  de  ïorcy,  de  sa  sœur,  peu  à  ses  frères  le  maréchal 
et  l'abbé  d'Estrées,  toute  à  Madame  la  Duchesse  de  toute 
leur  vie.  Rien  n'étoit  plus  opposé  au  duc  de  Beauvillier 
que  cette  cabale  de  Madame  la  Duchesse,  qui  palpitoit 
encore,  et  que  d'Antin  personnellement.  Le  duc  et  Torcy 
étoient  éloignés  l'un  de  l'autre,  mais  en  gens  sages 
et  mesurés  :  l'écorce^  entre  eux  étoit  conservée  ;  le 
duc  de  Chevreuse  la  ménageoit,  quoique  aussi  refroidi 
que  son  beau-frère  ;  l'idée  de  la  cour  ne  s'en  apercevoit 
pas  :  elle  étoit  accoutumée  à  l'union  singulière  de  toute 
la  famille  de  Colbert  ;  elle  avoit  été  témoin  de  celle  des 
deux  ducs  avec  Pomponne  depuis  son  retour  jusqu'à  sa 
mort^  qui  étoit  de  toute  confiance;  la  communication 
d'affaires  et  les  bienséances  voiloient  au  monde  prévenu, 
et  jusqu'aux  plus  éveillés,   le  fonds  de  leur  situation  en- 

i.  Verbe  déjà  relevé  dans  le  tome  XIX,  p.  12. 
'i.  En  est  en  interligne,  au-dessus  de  dans,  biffé. 

3.  Tout  cela  a  déjà  été  dit,  en  dernier  lieu,  dans  le  tome  XVIII, 
p.  48. 

4.  Elisabeth-Rosalie  d'Estrées,  demoiselle  de  Tourbes  ou  de 
Tourpes:  tome  IV,  p.  320.  Il  ne  semble  pas  que  les  mauvaises  langues 
de  la  cour  aient  rien  trouvé  à  redire  à  cette  «  intimité  ». 

ij.  Ci-dessus,  p   263. 
6.  Tome  VI,  p.  330. 

•Cette  manchette  est  placée  cinq  lignes  plus  bas  dans  le   manuscrit 


366  MEMOIRES  |17M1 

semble,  et  eux-mêmes  avoient  soin  d'entretenir  ce  voile* 
par  le  dehors  de  leur  conduite  ;  mais  le  fonds  le  voici. 
On  a  vu  quelle  étoit  l'extrême  piété  du  duc  de  Beauvil- 
lier,  et  quel  aussi  son  abandon  pour  Mme  Guy  on,  surtout 
pour  Monsieur  de  Cambray,  et  pour  tout  ce  petit  trou- 
peau -,  qui  l'avoit  pensé  perdre  plus  d'une  fois  sans  l'en 
avoir  pu  détacher  le  moins  du  monde,  conséquemment 
pour  les  jésuites  et  pour  la  partie  sulpicienne,  qui  n'a- 
voient  jamais  abandonné  Monsieur  de  Cambray  dans 
aucun  temps  ='.  De  là  un  aveuglement  sur  les  matières  de 
Rome  et  sur  le  jansénisme  qui  ne  lui  permettoit  pas  de 
rien  voir  ni  de  rien  entendre.  Plus  le  Roi  avançoiten  âge, 
plus  sa  foiblesse,  toujours  sans  contrepoids  sur  ces 
matières,  qu'il  ignoroit  profondément,  se  trouvoit  en 
proie  aux  jésuites  et  aux  directeurs  de  Mme  de  Mainte- 
non  par  elle  ;  plus  donc  Rome  d'une  part,  les  jésuites  de 
l'autre,  gagnoient  du  terrain,  et  plus  M.  de  Beauvillier  y 
donnoit  à  bride  abattue  S  et  c'étoit  principalement  depuis 
la  mort  de  Pomponne  que  le  grand  cours  de  ces  choses 
avoit  commencé,  et  sans  cesse  s'étoit  augmenté.  Torcy 
pensoit  là-dessus  tout  différemment.  Il  connoissoit  l'ines- 
timable prix  de  la  conservation  des  droits  de  la  couronne, 
de^  celle  des  libertés  de  l'École  %  et  de  celle  de  l'Église 
gallicane'  ;  il  ne  connoissoit  pas  moins  les  ruses  des 
jésuites  et  la  grossièreté  des  sulpiciens  ;  il  étoit  donc 
souvent  opposé  sur  ces  matières  au  duc  de  Beauvillier  au 

1.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  de  V entretenir  ;  il  a  corrigé  de 
V  en  d',  et  ajouté  ce  voile  en  interligne. 

2.  Ci-dessus,  p.  299.  —  3.  Ci-dessus,  p. 297. 

4.  «  On  dit  tiguréraent  courir  bride  abattue  après  les  plaisirs,  pour 
dire  s'y  porter  sans  aucune  retenue,  et  qu'«m  homme  court  à  bride 
abattue  à  sa  ruine,  à  sa  perte,  pour  dire  qu'il  se  porte  ardemment  et 
inconsidérément  à  quelque  chose,  sans  voir  que  ce  qu'il  recherche  est 
capable  de  le  perdre  »  {Académie,  1718). 

5.  Avant  de,  Saint-Simon  a  biffé  et. 

6.  Terme  déjà  relevé  au  tome  XX,  p.  84. 

7.  Gallicane  cornue  anglicane. 


(ITHl  DE  SAINT-SIMOx\.  [idl 

Conseil'.  Il  étoit  extrêmement  instruit,  avoit  beaucoup 
d'esprit,  d'honneur,  de  probité,  de  lumières  ;  mais  sage, 
retenu,  timide  même,  il  ne  disoit  que  ce  qu'il  falloit  dire 
avec  douceur  et  mesure,  respect  même  ;  mais  il  le  disoit 
bien  parce  qu'il  avoit  le  don  de  la  parole,  et  celui  encore 
de  l'écriture-.  Presque  toujours  encore  la  raison  étoit  de 
son  côté.  M.  de  Beauvillier,  dont  le  rang  d'opiner  étoit 
le  pénultième  des  ministres,  suoit  de  l'encre^  d'entendre 
Torcy,  et  plus  encore  à  réfuter  son  avis,  qui  entraînoit 
plus  que  très  souvent  les  autres  ministres.  Il  sentoit  qu'il 
alloit  essuyer  le  feu  du  Chancelier,  qui  opinoit  immé- 
diatement après  lui  et  qui  ne  le  ménageoit  pas,  quel- 
quefois môme  jusqu'à  l'indécence  :  tellement  qu'il 
regardoit  Torcy  comme  un  avec  le  Chancelier  sur  ces 
matières,  et  qui  lui  fournissoit  des  armesdont  le  Chancelier 
se  servoit  contre  lui  avec  impétuosité,  et  en  général  ajoutoit 
aux  raisons  de  Torcy  le  poids  de  son  esprit,  de  sa  liberté,  de 
son  autorité.  Cela  s'appeloit  chez  M.  de  Beauvillier  être 
janséniste,  et  être  janséniste  étoit  chez  lui  quelque  chose 
de  plus  odieux  et  de  plus  dangereux  qu'être  protestant. 
Torcy  avoit  encore  deux  crimes  envers  lui  :  l'un  de 
n'avoir  jamais  eu  de  liaison  avec  Monsieur  de  Cambray  ; 
l'autre,  d'être  mari  de  Mme  de  Torcy,  qui  avoit  en 
effet  un  véritable  pouvoir  sur  lui,  qui  du  cœur  passoit  à 
l'esprit'.  Elleen  avoit  beaucoup  elle-même^  et  sa  voit  beau- 

1.  Voyez  notre  tome  XVIII,  p.  9.  Le  Journal  de  Torcy  est  plein  de 
mentions  do  conflits  de  ce  genre. 

"2.  On  lui  reconnaissait  gcnéralomont  un  «  talent  singulier  et  ini- 
mitable d'écrire  »  (Depping,  Correspondance  administrative,  tome 
IV,  p.  248). 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  -1718  donnait  cette  définition  : 
«  On  dit  par  exagération  qu'un  homme  sue  de  l'encre,  de  l'huile,  pour 
dire  que  sa  sueur  a  quelque  chose  de  noir,  de  gluant,  d'huileux  »;  mais 
il  ne  donnait  pas  d'emploi  au  ligure.  Ici,  c'est  à  peu  près  l'équivalent 
de  suer  à  grosses  gouttes. 

i.  Ci-dessus,  p.  '285. 

o.  Les  mots  elle-7nesme  ont  été  ajoutés  en  interligne. 


368  MÉMOIRES  [17H] 

coup  aussi  ;  avec  cela,  libre  et*  peu  capable  de  cacher 
ses  sentiments,  qui  étoient  tout  à  fait  conformes  à  son 
nom-.  Ce  n'étoit  pas  pourtant  qu'elle  fût  imprudente, 
encore  moins  qu'elle  affichât  rien  ;  mais  on  la  démêloit. 
C'étoit  donc  aux  yeux  de  M.  de  Beauvillier  une  manière 
d'hérétique  qui  pervertissoit  son  mari,  et  qui  le  tenoit  de 
trop  près  et  de  trop  court  ^  pour  espérer  de  le  convertir, 
même  de  le  rendre  moins  opposé,  ou  plus  complaisant. 
M.  de  Chevreuse,  malgré  son  abjuration  de  Port-Royal, 
où  il  avoit  été  élevé,  n'étoit  pas  si  outré  que  son  beau- 
frère.  C'étoit  un  composé  fort  bizarre  à  cet  égard.  Non 
moins  abandonné  à  Mme  Guyon,  à  Monsieur  de  Cambray 
surtout,  et  à  toute  sa  gnose  S  il  avoit  retenu  de  son  édu- 
cation une  aversion  parfaite  des  jésuites,  qu'il  cachoit 
avec  soin,  où  je  le  surpris  plus  d'une  fois,  et  qu'il  ne  me 
désavoua  pas  avec  le  secret  et  la  confiance  qui  étoit 
établie  entre  nous  ;  par  conséquent,  toujours  en  garde 
contre  eux,  et,  comme  plus  foncier^  que  M.  de  Beau- 
villier, moins  livré  aux  entreprises  de  Rome  :  je  dis  moins 
parce  qu'il  l'étoit  encore  beaucoup.  Ces  gens  de  Port-Royal 
qu'il  avoit  abdiqués®,  l'estime  et  l'affection  pour  eux 
n'avoient  pu  s'effacer  en  lui  :  il  me  l'a  avoué  de  presque 
tous;  et  néanmoins,  en  spéculation"  à   eux,  il  leur  étoit 

i.  Et  a  été  ajouté  à  la  fin  d'une  ligne,  en  surcharge  d'une  virgule 
bifTée. 

2.  Le  nom  d'Arnauld. 

3.  (f  On  dit  tigurément  tenir  quelqu'un  de  court,  pour  dire  lui  donner 
peu  de  liberté  »  (Académie,  4718);  voyez  notre  tome  VII,  p.  479. 

4.  Ci-dessus,  p.  305. 

5.  «  On  dit  d'un  homme  qui  a  de  l'habileté,  de  la  science  dans  son 
métier,  quHl  est  foncier  »  (Académie,  4718).  Nous  trouverons  un 
exemple  analogue  dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XIV  de  4873, 
p.  204. 

6.  Cet  emploi  d'abdiquer  au  sens  d'abandonner  quelqu'un,  le  re- 
nier, n'était  pas  donné  par  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4718  et 
n'a  point  été  relevé  par  Littré. 

7.  L'm  de  spéculation  surcharge  une  /  effacée  du  doigt.  Terme 
déjà  rencontré,  au  sens  de  théorie,  dans  le  tome  XV,  p.  442, 


[17H1  DE  SAINT-SIMON.  369 

contraire  en  pratique.  Ce  composé  ne  peut  s'expliquer  ; 
mais  il  étoit  tel  que  je  le  représente.  Cette  façon  d'être, 
jointe  avec  sa  douceur  naturelle,  son  esprit  compassé  et 
si  naturellement  tourné  à  être  amiable  compositeurs  le 
défaut  d'occasion  d'opinions  contraires  au  Conseil,  où  il 
n'entroit  pas,  quoique  effectivement  et  véritablement 
ministre,  l'écartoient  moins  de  Torcy  que  le  duc  de 
Beauvillier,  et  l'appliquoient  à  conserver  tous  les  dehors 
entre  eux,  n'y  pouvant  davantage.  Torcy,  qui  sentoit 
parfaitement  tout  ce  que  le  monde  ne  voyoit  pas  dans 
cet  intérieur  de  famille,  n'avoit  pas  tort  de  vouloir  s'ap- 
puyer de  d'Antin,  et  celui-ci,  qui  frappoit  en  dessous  à 
la  porte  du  Conseil,  avoit  raison  de  se  lier  à  un  homme 
dont  la  place  lui  pouvoit  donner  des  moyens  de  se  la  faire 
ouvrir.  En  même  temps,  moi  qui  connaissois  cet  intérieur, 
je  ne  fus  pas  surpris  que  le  duc  de  Beauvillier,  discutant 
les  ministres  avec  moi,  mît  Torcy  le  premier  sur  le  tapis 
et  m'en  parlât  comme  d'un-  homme  qu'il  étoit  absolument 
nécessaire  de  remercier^.  Lié  où  il  i'étoit,  et  dans  une 
place  qui  ne  me  donnoit  ni  rapport  avec  lui  ni  aucun 
besoin  de  lui,  je  ne  le  connoissois  alors  que  comme  on 
connoît  tout  le  monde  :  je  n'allois  jamais  chez  lui  ;  lui 
aussi  ne  m'avoit  jamais  fait  aucune  avance,  quoique  nous 
eussions  des  amis  communs.  Je  n'étois  pas  content  de 
lui  sur  M.  le  duc  d'Orléans,  et,  s'il  faut  tout  dire,  son 
indifférence  pour  moi  m'avoit  déplu.  Je  n'entrepris  donc 
pas  sa  défense  avec  M.  de  Beauvillier,  qui  passa  outre, 
et  me  demanda  qui  je  pensois  qu'on  pût  mettre  en  sa 
place.  Amelot  étoit  bien  le  meilleur  ;  mais  il  étoit  trop 
lié   à  la  princesse  desUrsins%  trop  bien   par  conséquent 

1.  «  On  appelle  amiable  compositeur  celui  qui  accommode  un  diffé- 
rend par  les  voies  de  la  douceur  »  (Académie,  1718). 

2.  D'un  corrige  d'h[omme]. 

3.  «  On  dit  aussi  remercier  de  certains  officiers  que  l'on  destitue 
honnêtement,  sans  vouloir  leur  faire  injure  »  (Académie,  1718). 

4.  Elle  n'aspirait  qu'à  le  voir  revenir  à  Madrid. 

MEMOIRES    DE    S.ilNT-SIMON.    XXI  24 


MTO  MÉMOIRES  flTl-l] 

avec  Mme  de  Maintenon,  pour  que  ce  fût  l'homme  de 
M.  de  Beauvillier,  ni  le  mien  par  rapport  à  M.  le  duc 
d'Orléans,  que  je  voulois  unir  de  plus  en  plus  avec  le 
Dauphin.  Je  proposai  donc  Saint-Contest  '  qui  étoit 
fort  de  mes  amis,  et  d'amitié  de  père  ^  en  fils.  C'étoit  un 
homme  de  beaucoup  d'esprit,  et  du  plus  délié,  sous  un 
extérieur  épais,  appliqué  travailleur,  et  qui,  avec  les 
manières  les  plus  pleinement  bourgeoises,  connoissoit 
pourtant  le  monde,  la  cour  et  les  gens  extrêmement  bien, 
et  qui,  dans  son  intendance  de  Metz,  avoit  toujours 
réussi^  dans  les  affaires  ou  les  négociations  qu'il  avoit 
eues  fort  souvent  avec  l'électeur  palatin,  celui  de  Trêves, 
le  duc  de  Lorraine,  et  plusieurs  petits  princes  de  ses  en- 
virons ;  il  étoit  doux,  liant,  insinuant,  et  savoit  aller  à  ses 
fins  avec  adresse  et  en  contentant  ceux  avec  qui  il  avoit 
à  traitera  M.  de  Beauvillier  le  connoissoit  et  le  goùtoit 
assez,  et  il  approuva  beaucoup  ma  pensée,  en  sorte  que 
cela  demeura  comme  arrêté  entre  nous. 
Desmareîz.  Desmaretz   nous  fit  disputera  Le  duc  en  étoit,  comme 

1.  Dominique-Claude  Barberie  de  Saint-Contest,  né  le  2  novembre 
1668,  fut  conseiller  au  Châtelet  en  1G86,  puis  au  Parlement  en  4688, 
et  devint  maître  des  requêtes  avec  dispense  d'âge  en  janvier  1696.  En 
'1699,  Chamillart  avait  pensé  à  lui  pour  le  mettre  à  la  tète  de  ses  bu- 
reaux ;  mais  on  préféra  lui  confier  en  tTOO  l'intendance  de  Metz,  très 
importante  et  difïicile  à  cause  de  la  guerre  qui  allait  s'ouvrir.  Il  fut 
nommé  conseiller  d'Etat  semestre  en  1716,  passa  ordinaire  en  llii, 
après  avoir  été  désigné,  en  1720,  comme  commissaire  au  conseil  du 
commerce.  Entre  temps  il  avait  été  un  des  plénipotentiaires  de  France 
aux  congrès  de  Bade  et  de  Cambray.  Il  mourut  le  22  juin  1730.  dans  sa 
soixante-deuxième  année. 

2.  Le  père  de  cet  intendant  était  Michel  Barberie  de  Saint-Contest, 
conseiller  au  parlement  de  Rouen  (1637),  puis  à  celui  de  Paris  (1659), 
maître  des  requêtes  en  1663,  intendant  à  Limoges  en  1686,  mort  le 
23  avril  1692. 

3.  Réussy  est  ajouté  en  interligne. 

4.  Saint-Simon  refera  son  portrait  dans  la  suite  des  Mémoires, 
tomes  XII,  p.  237,  et  XIY,  p.  344.  Dangeau  (tome  X,  p.  233)  et 
Sourches  (tome  I,  p.  366)  contirment  les  éloges  de  notre  auteur. 

3.  Ce  fut  une  occasion  de  dispute  entre  nous. 


[1711]  DE  SAIXT-SIMOX.  :^71 

je  l'ai  remarqué  p.  [1143'],  à  n'oser  plus  lui  parler  de 
lien.  Il  ne  pouvoit  donc  se  dissimuler  son  humeur  intrai- 
table, ni  l'excès  de  son  ingratitude;  mais  ces  défauts  ne 
touchoient  point  à  la  religion.  11  ne  donnoit  nul  soupçon 
de  jansénisme,  et  il  étoit  bien  loin  encore  de  revenir  au 
monde  lors  de  la  disgrâce  de  l'archevêque  de  Cambray. 
Net  sur  des  points  à  l'égard  du  duc  si  capitaux,  d'autres 
le  sauvoient  :  il  étoit  neveu  de  Colbert;  élevé  dans  les 
finances  à  son  école,  il  en  avoit  pris,  à  ce  que  l'on  pen- 
soit,  les  principes  et  les  maximes;  il  passoit  pour  l'homme 
le  plus  capable  en  finances  ;  enfin  M.  deBeauvillier  l'avoit 
ramené  sur  l'eau ^  à  force  de  sueu^s^  de  temps  et  de 
ramesS  et,  quel  qu'il  l'éprouvât,  il  ne  put  se  résoudre  à 
détruire  son  ouvrage,  et  tout  ce  que  j'alléguai  ne  fit  que 
blanchira  II  ne  trouva  jamais  mieux  à  mettre  en  sa  place, 
et  il  se  ferma *^  à  l'y  laisser. 

1.  Ce  chiffre  est  en  blanc  dans  le  manuscrit,  il  correspond  aux 
pages  287-288,  ci-dessus. 

2.  Cette  locution,  déjà  employée  pour  le  même  personnage  dans  le 
tome  XV,  p.  379,  a  été  mentionnée  ci-dessus,  p.  286,  avec  la  défini- 
tion de  r Académie  de  4718. 

3.  Sueurs  a  été  annoté  ci-dessus,  p.  38,  et  nous  avons  aussi  relevé 
la  locution  à  force  de  bras  aux  pages  303  et  304. 

A.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  -1718  ne  donnait  pas  d'exemple 
de  rame  employé  au  figuré.  Nous  en  trouvons  un  autre  emploi  par 
notre  autour  dans  les  Écrits  inédits,  tome  VII,  p.  240,  et  celui-ci  a  été 
relevé  par  Liltré. 

5.  «  On  dit  figuréraent  qu'un  coup  de  mousquet  ou  de  pistolet  n'a 
fait  que  blanchir,  quand  il  a  porté  sur  les  armes  sans  les  fausser,  et 
que  fous  les  efforts  qu'on  a  faits  pour  faire  réussir  quelque  chose 
n'ont  fait  que  blanchir,  qu'un  homme  n'a  fait  que  blanchir  dans 
une  affaire,  pour  dire,  que  tous  les  efforts  qu'on  a  faits  ont  été  inu- 
tiles, que,  quelque  peine  qu'il  se  soit  donnée,  il  n'a  pu  réussir  » 
{Académie,  1718).  Furelière  disait  qu'on  employait  cette  expression 
par  analogie  aux  coups  de  canon,  qui,  arrivant  sans  la  force  suffisante 
contre  une  muraille,  n'y  laissent  qu'une  marque  blanche.  On  peut  en 
citer  des  exemples  de  Brantôme,  de  Pontis,  de  Dubuisson-Aubenay, 
de  Molière,  de  Mme  de  Sévigné,  de  la  Fontaine,  etc. 

6.  Au  sens  de  se  tint  fixé,  comme  dans  le  tome  XIX,  p.  222,  et  ci- 
dessus,  p.  193. 


375  MÉMOIRES  [iTil] 

La  Vrillicre.  Nous  fûmes  aisément  de  même  avis  sur  la  Vrillière. 

Il  convint  avec  moi  que,  pour  ce  que  ce  secrétaire  d'État 
faisoit,   et  quand   même   il  seroit  chargé  de  plus,  il   le 
faisoit  très  bien,  et   qu'il   n'y    avoit    point    à    chercher 
mieux. 
Voysin.  Voysin  nous  parut  également  à  tous  deux  nécessaire   à 

renvoyer  :  nulle  capacité,  probité  de  cour,  connoissance 
de  personne,  dureté  et  rusticité,  créature  de  Mme  de 
Maintenon  jusqu'au  dernier  abandon.  Je  voulus  sonder  le 
duc  sur  Charaillart,  et  je  fus  édifié,  touché  même  de  sa 
réponse  :  il  me  dit  qu'il  étoit  son  ami  depuis  quarante  ans, 
et  que,  cette  liaison,  il  l'avoit  resserrée  lui-même  par  le 
mariage  de  sa  nièce  avec  son  fils*;  qu'il  connoissoit  sa 
probité  à  toute  épreuve,  et  ses  lumières  fort  au-dessus 
de  l'idée  qu'on  en  avoit  prise,  mais  qu'il  croyoit  le  Dau- 
phin un  obstacle  invincible  à  son  retour-;  d'ailleurs  que 
Chamillart  avoit  deux  défauts  qu'il  croyoit  incompa- 
tibles avec  le  bien  de  l'Etat  et  dont  il  le  savoit  incorri- 
gible, avec  lesquels  il  se  feroit  un  grand  scrupule  de  le 
replacer  :  une  opiniâtreté  invincible,  dont  il  me  conta 
des  traits  qui  m'étonnèrent,  quelque  connoissance  que 
j'eusse  de  cette  opiniâtreté  dont  j'ai  rapporté  quelques- 
uns^,  et  des  amis  sur  lesquels  il  étoit  incapable  de 
revenir,  et  dont  l'entêtement  étoit  extrêmement  dan- 
gereux^. De  ce  dernier  j'en  avois  une  parfaite  expé- 
rience, qui  se  trouve  répandue  ici  en  plus  d'un  endroit. 
Je  fus  aftligé  avec  d'autant  plus  d'amertume  que  je  fus 
convaincu,   et  qu'il    me  fallut   me  détacher  du    plaisir 

1.  Nous  avons  vu  Mlle  de  Mortemart  épouser  le  marquis  de  Cany 
en  4708:  tome  XV,  p.  370-371. 

2.  A  cause  de  sa  conduite  dans  la  campagne  d'Audenarde  :  tome 
XVI,  p.  247-248. 

3    Notamment  au  tome  XVII,  p.  4i6-42i,  à  propos  de  Mlle  Choin. 

4.  Les  Matignon,  M.  de  Marsan,  Vaudémont  et  ses  nièces,  etc. 
(tome  IX,  p.  33  et  suivantes).  —  La  phrase  signifie  que  l'entêtement 
de  Chamillart  pour  ces  anciens  amis  était  extrêmement  dangereux 
pour  lui,  et  peut-être  pour  la  bonne  gestion  des  affaires. 


[ITil]  DE  SAINT-SIMON.  373 

extrême  de  contribuer  à  remettre  mon  ami  en  selle,  ce 
qui  en  eflfet  n'étoit  plus  possible  avec  ce  que  j'ai  expliqué 
des  choses  de  Flandres',  indépendamment  de  tout  le 
reste.  Je  proposai  donc  la  Houssaye',  que  je  neconnoissois 
point,  mais  par  ce  qu'il^  m'étoit  revenu  de  sa  conduite 
dans  l'intendance  d'Alsace,  où  il  étoitS  et  il  falloit  un 
intendant  de  frontières  et  de  troupes,  et  M.  de  Beauvillier 
l'approuva. 

Je  trouvai  sur  Pontchartrain  les  dispositions  les  plus  Pontcharfrain 
funestes,  et  qui  pouvoient  le  plus  flatter  celles  qu'il  avoit  P'^^*'  ^'  ^'^^' 
méritées  de  moi  %  mais  qui  m'épouvantèrent  parce  qu'il 
avoit  un  père  à  qui  j'étois  lié  d'amitié,  de  reconnoissance 
et  de  confiance  la  plus  intime,  une  mère  que  j'aimois  et 
respectois  véritablement,  et  que  sa  femme,  si  proche  de  "^ 
la  mienne^  et  si  parfaitement  unie  avec  elle,  lui  avoit 
laissé  des  enfants*.  Je  vis  leur  sort,  je  vis  le  Chancelier 
ou  éconduit,  ou  retiré  de  lui-même  avec  le  poignard  dans 
le  cœur',  et  survivre  à  sa  prodigieuse  fortune,  en  proie  à 

i.  Dans  le  tome  XVI. 

2.  Félix  le  Pelletier  de  la  Houssaye,  d'abord  conseiller  au  Chàtelet, 
puis  conseiller  au  Parlement  en  4686  avec  dispense  d'âge,  devint  maî- 
tre des  requêtes  en  1690,  fut  envoyé  comme  intendant  à  Soissons  en 
t694,  à  Montauban  en  4698,  et  en  Alsace  en  4700,  où  il  resta  jus- 
qu'en 4713,  fut  nommé  conseiller  d'Etat  semestre  en  4708,  passa  or- 
dinaire en  1749,  devint,  la  même  année,  chancelier  et  chef  du  conseil 
du  Régent,  contrôleur  général  des  finances  en  décembre  4720,  et 
mourut  le  20  septembre  1723.  Il  avait  eu  la  charge  de  prévôt  et  maî- 
tre des  cérémonies  de  l'Ordre  en  mai  4721.  Il  ne  faut  pas  confondre 
cette  famille  avec  celle  de  M.  le  Peletier,  le  ministre  d'État. 

3.  Qui  corrigé  en  qu'il. 

4.  Saint-Simon  fera  son  portrait  en  4720  dans  la  suite  des  Mémoi- 
res, tome  XVII  de  1873,  p.  452-453. 

5.  Ci-dessus,  p.  347  et  suivantes.  —  6.  De  surcharge  et  si. 

7.  Ci-dessus,  p.  357. 

8.  Il  lui  restait  trois  fils  de  ce  mariage  :  ci-après,  p.  382. 

9.  «  On  dit  qu'wn  homme  à  le  poignard  dans  le  cœur,  dans  le  sein, 
pour  dire  qu'il  a  une  douleur,  un  déplaisir  extrême  de  quelque 
chose,  de  quelque  méchante  affaire  qui  lui  est  arrivée  »  (Académie, 
1718). 


374  MÉMOIRES  [17HJ 

l'horreur  de  son  fils  et  au  néant  de  ses  petits-fils.  J'avois 
caché  mon  ressentiment  et  ses  causes,  et  plus  au  duc  de 
Beauvillier  qu'à  personne,  dans  la  situation  où  je  le  con- 
noissois  avec  le  Chancelier  ^  Il  s'ouvrit  à  moi  sur  le  père 
et  sur  le  fils  plus  qu'il  n'avoit  fait  encore,  car  il  s'ouvrit 
tout  à  fait.  Rome,  le  jansénisme,  et,  plus  que  tout,  la  diffé- 
rence extrême  de  sentiments  sur  la  personne  et  la  doctrine 
de  Monsieur  de  Cambray ,  avoit-  achevé  de  cimenter  le  mur 
qui  avoit  commencé  à  s'élever  entre  le  duc  et  lui  dès  son 
arrivée  à  la  tête  des  finances.  Les  escarmouches  au  Con- 
seil étoient  continuelles.  Outre  ce  que  j'en  ai  touché  ici 
il  n'y  a  pas  longtempsS  le  Chancelier  s'y  aidoit  souvent 
d'une  légèreté  qui  lui  étoit  naturelle,  et  qui  mettoit  les 
rieurs  de  son  côté.  Il  passoit  quelquefois  jusqu'à  porter 
des  bottes^  indécentes,  et  parfois  scandaleuses,  quidécon- 
certoient  une  gravité  qui,  sur  ces  matières,  avoit  rare- 
ment raison.  Ailleurs,  le  Chancelier  n'étoit  pas  plus 
mesuré  :  ils  avoient  même  été  plus  d'une  fois  jusqu'à  cesser 
de  se  rendre  les  devoirs  communs  de  civilité  réciproque, 
et,  quoiqu'ils  n'en  fussent  pas  là  alors,  ils  n'en  étoient 
pas  mieux  ensemble,  quoique  le  duc  de  Ghevreuse  et  le 
Chancelier  fussent  toujours  demeurés  amis.  L'éclat^  ancien, 
qui  n'avoit  fait  qu'augmenter  depuis,  avoit  engagé  dès 
lors  le  duc  de  Beauvillier  de  retirer  de  la  marine  ceux 
qu'il  y  protégeoit,  et  qu'il  y  avoit  mis  du  temps  de  Col- 
bert  et  de  Seignelay.  Les  blessures  étoient  devenues  si 
continuelles  et  si  profondes,  que  ces  deux  hommes  ne  se 
pouvoient  pardonner,  et  que  leur  haine  étoit  publique.  Le 
duc,  avec^  toute  sa  piété  et  ses  mesures,  se  permettoit  à  cet 

i.  Ci-dessus,  p.  367. 

2.  Avoit  est  bien  au  singulier.  —  3.  Ci-dessus,  p.  367. 

4.  (c  Botte,  coup  que  l'on  porte  avec  un  fleuret  ou  avec  une  épée  à 
celui  contre  qui  on  se  bat.  On  dit  figurément  d'un  homme  qui,  dans 
une  dispute  avec  un  autre,  lui  a  fait  quelque  objection  pressante,  qu'î7 
lui  a  porté  une  étrange  botte,  une  rude  botte  »  (Académie,  4718). 

o.  Au  sens  de  rupture  éclatante. 

6.  Avec  surcharge  se,  qui  se  trouvera  plus  loin. 


[JTllJ  DE  SAINT-SIMON.  375 

égard  plus  de  choses  qu'il  n'en  étoit  naturellement  capa- 
ble. Sûr  du  Roi  et  de  son  pupille  dans  les  matières  qui 
formoient  leurs  disputes,  il  se  défendoit  ordinairement 
avec  hauteur,  et  jetoit  quelquefois  au  Chancelier  des 
choses  et  des  faits  qui  l'embarrassoient,  et  le  poussoit  alors 
avec  hardiesse.  J'appris  alors  mille  détails  là-dessus  du 
duc  de  Beauvillier,  que  ses  mesures  si  resserrées  m'avoient 
cachés  jusque-là*,  et  que  le  Chancelier  n'avoit  eu  garde 
de  me  dire  par  considération  pour  moi  dans  la  plus  qu'in- 
time liaison  où  il  me  savoit  avec  le  duc,  non  par  manque 
de  confiance,  car  il  m'en  disoit  assez  tous  les  jours  pour  ne 
me  laisser  pas  ignorer  l'état  où  ils  étoient  ensemble.  Bien 
que  la  séparation  intérieure  de  Pontchartrain  d'avec  son 
père  passât  souvent  jusqu'à  l'extérieur,  et  que  les^  mesu- 
res qu'il  gardoit  avec  M.  deBeauvillierfussentlesplus  res- 
pectueuses, il  ne  l'en  aimoit  pas  mieux  au  fonds,  et  ce  fonds 
étoit  bien  aperçu.  L'entreprise  d'Ecosse,  que  j'ai  racontée 
en  son  lieu^  et  dont  la  triste  issue  lui  fut  justement  impu- 
tée, lui  étoit  devenue  un  péché  irrémissible  auprès  des 
ducs  de  Beauvillier  et  de  Chevreuse,  qui  en  avoit  été 
l'auteur  et  le  promoteur*.  D'ailleurs  son  pernicieux  carac- 
tère achevoit  de  le  leur  rendre  odieux.  On  en  a  vu  quelque 
chose  p.  1141%  combien  peu  la  Dauphine  le  ménageoit 
auprès  du  Roi,  et  que  le  Roi,  si  en  garde  en  faveur  de  ses 
ministres,  la  laissoit  dire  avec  complaisance  ;  mais  il  ne  sera 
pas  inutile  de  le  faire  connoître  davantage.  Gomme  il  est 
depuis  longtemps  tout  à  fait  mort  au  monde,  j'en  parlerai, 
quoique  vivant  encore,  comme  d'un  homme  qui  n'est  plus''. 

1.  Là  est  en  interligne,  au-dessus  d'alors,  biffé. 
!2.  Ses  corrigé  en  les. 

3.  Tome  XV,  p.  402-407  et  412-433. 

4.  Il  a  raconté  dans  le  tome  XV,  p.  403-107,  comment  le  duc  de 
Chevreuse  fit  admettre  le  projet  de  l'expédition  d'Ecosse  au  Chan- 
celier, puis,  par  lui,  à  son  tils. 

5.  Ci-dessus,  p.  282-283. 

6.  Il  ne  mourut  qu'en  février  1747,  et  Saint-Simon  écrivait  ceci  dans 
le  courant  de  l'année  1743. 


376  MÉMOIRES  [1711] 

Caractère  de  Sa  taille  étoit  ordinaire,  son  visage  long',  mafflé^  fort 
Pontcharirain.  jjppy^  dégoûtant^,  gâté  de  petite  vérole,  qui  lui  avoit  crevé 
un  œil.  Celui  de  verre  dont  il  l'avoit  remplacé  étoit  tou- 
jours pleurant,  et  lui  donnoit  une*^  physionomie  fausse, 
rude,  refrognée^,  qui  faisoit  peur  d'abord,  mais  pas  tant 
encore  qu'il  en  devoit  faire®.  Il  avoit  de  l'esprit,  mais 
parfaitement  de  travers,  et,  avec  quelques  lettres  et  quel- 
que teinture  d'histoire',  appliqué,  sachant  bien  sa  ma- 
rine ^  assez  travailleur,  et  le  vouloit  paroître  beaucoup 
plus  qu'il  ne  l'étoit.  Son  naturel  pervers,  que  rien  n'avoit 
pu  adoucir  ni  redresser  le  moins  du  monde,  perçoit 
partout  ;  il  aimoit  le  mal  pour  le  mal,  et  prenoit  un 
plaisir  singulier  à  en  faire^  Si  quelquefois  il  faisoit  du  bien, 
c'étoit  une  vanterie  qui  en  faisoit  perdre  tout  le  mérite, 
et  qui  devenoit  synonyme  au  reproche  ;  encore  l'avoit-il  '• 
fait  acheter  chèrement  par  les  refus,  les  diflfîcultés,  dont 
il  étoit  hérissé  pour  tout  jusque  pour  les  choses  les  plus 
communes,  et  parles  manières  de  le  faire",  qui  piquoient, 
qui  insultoient  même,  et  qui  lui  faisoient'-  des  ennemis 
de  presque  tous  ceux  qu'il  prétendoit  obliger  ;  avec  cela, 

1.  Il  y  a  au  Musée  de  Versailles,  n°  3667,  un  portrait  de  Jérôme  de 
Pontchartrain,  qui  vient  de  l'ancien  ministère  de  la  marine. 

2.  «  Maf/lé,  qui  a  de  grosses  joues  ;  il  est  populaire  »  (Académie, 
1718).  Littré  en  cite  un  exemple  de  Diderot  ;  on  disait  aussi  mafflu. 

3.  Avant  ce  mot,  Saint-Simon  a  biffé  un  et. 

4.  Un,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

5.  Il  écrit  refroigné.  Le  mot  et  l'orthographe  ont  déjà  été  relevés  dans 
le  tome  XVIII,  p.  312. 

6.  Dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  X  de  1873,  j).  66),  il  dira  que 
«  sa  figure,  hideuse  et  dégoûtante  à  l'excès,  étoit  agréable  et  même 
charmante  en  comparaison  de  tout  le  reste.  » 

7.  Sa  correspondance  et  ses  relations  familières  avec  les  gens  de 
lettres  feraient  croire  à  plus  que  ne  dit  notre  auteur. 

8.  Ces  quatre  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

9.  Cela  a  déjà  été  dit  à  mainte  reprise,  et  sera  répété  plusieurs  fois 
encore. 

10.  Il  est  en  interligne. 

11.  Le  a  été  ajouté  en  interligne,  et,  après  faire,  il  a  biffé  si  bien. 

12.  Faisoit  corrigé  en  faisoient. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  377 

noir,  traître,  et  s'en  applaudissoit  ;  fin  à  scriiter\  à  suivre, 
à  apprendre,  et  surtout  à  nuire  ;  pédant  en  régent  de 
collège-  avec  tous  les  défauts  et  tout  le  dégoût  d'un 
homme  né  dans  le  ministère  et  gâté  à  l'excès.  Son  com- 
merce étoit  insupportable  par  l'autorité  brutale  qu'il  y 
usurpoit,  et  par  ses  infatigables  questions.  Il  se  croyoit 
tout  dû,  et  il  exigeoit  tout  avec  toute  l'insolence  d'un 
maître  dur;  il  s'ctablissoit  le  gouverneur  de  la  conduite 
de  chacun,  et  il  en  exigeoit  compte.  Malheur  à  qui  l'y 
avoit  accoutumé  par  besoin,  par  lâcheté  ;  c'étoit  une 
chaîne  qui  ne  se  pouvoit  rompre  qu'en  rompant  avec  lui. 
Outre  qu'il  étoit  méchant,  il  étoit  malin'  encore,  et  per- 
sécuteur jusqu'aux  enfers'',  quand  il  en  vouloit  aux  gens. 
Ses  propos  ne  démentoient  point  les  désagréments^  dont 
il  étoit  chamarré^  :  ils  étoient  éternellement  divisés  en 
trois  points,  et  sans  cesse  demandoit,  en  s'applaudissant, 
s'il  se  faisoit  bien  entendre  ;  avec  qui  que  ce  fût,  maître 
de  la  conversation",  interrompant,  questionnant,  prenant 
la  parole  et  le  ton  ^  avec  des  ris  forcés  à  tous  moments  qui 
donnoient  envie  de   pleurer  ;    une    expression   pénible, 

1.  Même  verbe  que  ci-dessus,  p.  301. 

2.  Ces  quatre  mots  sont  en  interligne  au-dessus  d'à  l'excès,  biffé,  et 
de  est  écrit  d,  sans  e.  —  «  On  appelle  régent  celui  qui  enseigne  dans 
un  collège  »  (Académie,  1748).  Nous  avons  eu  régenter  dans  le  tome 
XX,  p.  81.  On  dirait  de  nos  jours:  en  maître  d'école,  et  il  va  employer 
cette  dernière  locution  quelques  lignes  plus  loin. 

3.  Le  sens  propre  de  malin  est  :  «  qui  prend  plaisir  à  faire  ou  à  dire 
du  mal  »,  tandis  que  celui  de  méchant  est  :  «  qui  l'ait  du  mal  ». 

4.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  ne  donnait  pas  cette  locu- 
tion, qui  peut  signifier  jusqu'aux  dernières  limites,  jusque  dans  le 
fond  des  abîmes. 

5.  Le  desagrem'  corrigé  eu  les  desagrem"'. 

6.  Même  emploi  de  ce  verbe  que  dans  le  tome  III,  p.  191. 

7.  Après  conversation,  il  y  a  une  s  effacée  du  doigt. 

8.  «  On  dit  ligurément  qu'un  homme  donne  le  ton  àla  conversation, 
pour  dire  qu'il  s'en  rend  le  maître  et  que,  par  autorité  ou  par  insinua- 
tion, il  oblige  les  autres  à  penser  et  à  parler  comme  lui  »  {Académie, 
1718). 


378  MÉMOIRES  [1711] 

maussade,  pleine  de  répétitions,  avec  un  air  de  supé- 
riorité d'état  et  d'esprit  qui  faisoit  vomir*  et  qui  révoltoit 
en  même  temps  ^  ;  curieux  de  savoir  le  dedans  et  le  dessous 
de  toutes  les  familles  et  des  intrigues''  ;  envieux  et  jaloux 
de  tout,  et  dans  sa  marine  comme  un  comité*  sur  ses 
galériens.  Aucun  officier,  même  généraux  ^  même  pour 
des  riens,  n'étoit  à  couvert  de  ses  sorties  en  pleine  audience 
publique,  et  nul  homme  ni  femme  de  la  cour  de  ses  airs 
d'autorité.  Il  disoit  aux  gens  les  choses  les  plus  désa- 
gréables avec  volupté,  et  réprimandoit  durement,  en 
maître  d'école,  sous  prétexte  d'amitié  et  en  forme  d'avis. 
Son  délice  étoit  de  tendre  des  panneaux,  et  la  joie  de  son 
cœur  de  rendre  de  mauvais  offices  ;  en  garde  surtout 
contre  son  père  et  sa  mère  et  leurs  amis,  et  contre  toutes 
les  grâces  et  tous  les  plaisirs  qu'ils  pouvoient  désirer  de 
lui;  il  s'en  piquoit  même,  pour  ne  pas  paroître  sous 
leur  férule*',  au  point  que  le  Chancelier  et  la  Chancelière 
s'étoient  fait  une  règle  de  ne  lui  rien  demander  ni  re- 
commander, et  ne  s'en  cachoient  point,  parce  que  la 
négative  étoit  certaine.  En  général,  il  triomphoit  de 
refuser  et  de  faire  mystère  des  choses  mêmes  les  plus 
futiles,  surtout  d'être  hérissé  de  difficultés  sur  les  choses 
qui  en  soufîroient  le  moins.  L'importance  lui  tournoit  la 
tête;  son  ver  rongeur''  étoit  de  n'être  point  ministre*. 
D'ailleurs  incapable  de  société,  d'amusement,  de  conver- 

4.  «  On  dit  figurément  cela  fait  vomir,  pour  dire  cela  est  fort  dé- 
goûtant ■>■>  {Académie,  1718). 

2.  Les  six  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Notre  auteur  lui  a  déjà  reproché  plus  d'une  fois  de  se  servir  de 
la  police  pour  son  plaisir  et  pour  l'amusement  du  Roi,  et  va  y  revenir 
encore. 

4.  Même  emploi  que  pour  Bâville  :  tome  XX,  p.  178. 

5.  Il  y  a  bien  généraux  dans  le  manuscrit. 

6.  «  On  dit  figurément  être  sous  la  férule  de  quelqu'un,  pour  dire 
être  sous  sa  correction  »  (Académie,  1718). 

7.  Locution  relevée  dans  le  tome  III,  p.  48. 

8.  C'est-à-dire,  ministre  d'État,  comme  son  père,  comme  Torcy, 
Desmaretz  et  les  ducs  de  Beauvillier  et  de  Ghevreuse. 


[1711]  DE  SALNT-SIMOX.  379 

sation  ordinaire  ;  toujours  plein  de  ses  fonctions,  de  ses 
occupations,  et,  avec  qui  que  ce  fût,  hommes  et  femmes, 
roi'  de  ses  moments  et  de  ses  heures,  et  le  tyran  de  sa 
famille  et  de  ses  familiers.  Sa  première  femme,  si  par- 
faite en  tout,  en  mourut  à  la  fin  à  force  de  vertu  ;  la 
seconde-  l'a  vengée'.  On  a  vu  sa  conduite  avec  le  comte 
de  Toulouse,  d'O  et  le  maréchal  d'Estrées*.  Les  femmes 
des  deux  derniers  l'avoient  perdu  auprès  de  Ma- 
dame la  Dauphine,  et,  auprès  du  Dauphin,  tout  ce  qui 
avoit  pu  l'approcher.  Mme  de  Maintenon,  qui  aimoit  fort 
sa  première  femme,  et  qui  a  toujours  conservé  du  goût  et 
et  de  la  considération  personnelle  pour  la  Chancelière, 
ne  le  pouvoit  supporter.  Il  ne  tenoit  auprès  du  Roi  que 
par  l'amusement  malicieux  des  délations  de  Paris,  qui 
étoit  de  son  département^  et  qui  lui  avoit  causé  force 
prises  avec  Argenson,  lieutenant  de  police,  qu'il  vouloit 
tenir  petit  garçon^  sous  lui.  Argenson  en  savoit  plus  que 
lui  ;  il  s'étoit  habilement  saisi  de  la  confiance  du  Roi,  et, 
par  elle,  du  secret  de  la  Bastille,  et  des  choses  importantes 
de  Paria  ;  il  les  avoit  enlevées  à  Pontchartrain,  à  qui  en 
habile  homme,  il  n'avoit  laissé  que  les  délations  des  sot- 
tises des  femmes  et  des  folies  des  jeunes  gens  ;  il  s'étoit 

1.  Au  sens  de  maître  absolu. 

2.  Hélène-Rosalie-Angélique  de  l'Aubespine,  demoiselle  de  Verdc- 
ronne,  que  nous  verrons  épouser  Jérôme  de  Pontchartrain  le  31  juillet 
1713  ;  elle  ne  mourut  que  le  10  octobre  4770,  dans  sa  quatre-vingtième 
année. 

3.  Cette  seconde  comtesse  de  Pontcliartraiii  vécut  très  retirée  depuis 
la  disgrâce  de  son  mari  en  1713,  et  les  contemporains  se  taisent  sur 
son  compte.  Saint-Simon  lui-même,  lorsqu'il  relatera  le  mariage  en 
1713.  ne  renouvellera  pas  la  présente  allusion,  qui  ne  se  rapporte  sans 
doute  qu'à  quelque  défaut  de  caractère. 

4.  Tome  XII,  p.  3-23-326. 

5.  Ci-dessus,  p.  378.  note  3. 

6.  «  Traiter  quelqu'un  en  petit  garçon,  c'est  le  traiter  comme  si  on 
avait  une  grande  supériorité  sur  lui,  »  dit  le  Dictionnaire  de  Littré 
Los  lexiques  du  di.\-huitième  siècle  ne  mentionnaient  pas  cette  locu- 
tion, qui  a  déjà  passé  dans  notre  tome  V,  p.  139. 


380  MÉMOIRES  [474i] 

ainsi  déchargé  sur  lui  de  l'odieux  de  sa  charge,  surtout 
des  lettres  courantes  de  cachet,  et  se  conservoitle  mérite, 
envers  beaucoup  de  gens  considérables  de  tous  états, 
d'avoir  sauvé  leurs  proches  de  ses  griffes,  soit  en  faisant 
en  sorte  de  lui  en  souffler  ^  les  aventures,  ou  en  diminuant 
et  raccommodant  auprès  du  Roi  ce  qu'il  y  avoit  gâté-.  Les 
jésuites,  sulpiciens,  etc.,  regardoient  Argenson^  comme 
leur  appui  fidèle  *  et  le  servoient  comme  tel  auprès  du  Roi  et 
de  MmedeMaintenon,  tandis  que,  comme  on  l'a  déjà  dit^, 
ilsn'avoientquede  l'aversion  pour  Pontchartrain,  tant  il  les 
servoit  de  mauvaise  grâce,  et  n'imputoient  la  chasse  qu'il 
ne  cessoit  de  faire  aux  moindres  soupçons  de  jansénisme, 
qu'au  plaisir  qu'il  prenoit  à  faire  du  mal.  La  singularité 
d'un  si  détestable  caractère  m'a  engagé  à  m'y  étendre  ; 
la  suite  en  fera  voir  encore  davantage  la  nécessité.  Avec 
tant  de  vices  et  d'insolence,  il  étoit  d'une  vérité  à  sur- 
prendre sur  sa  naissance  ;  il  n'en  disoit  pas  le  tout,  mais 
bien  qu'ils  étoient  de  petits  bourgeois  de  Montfort-l'A- 
maury®  et  assez  pour  désespérer  la  Yrillière,  qui  étoit 
glorieux  là-dessus  fort  mal  à  propos  :  j'en  ai  quelquefois 

1.  (f  On  dit  souffler  à  quelqu'un  un  emploi,  une  charge,  pour  dire, 
lui  enlever  un  emploi,  une  charge,  etc.,  à  quoi  il  s'attendoit  »  {Aca- 
démie, -1748).  Ce  verbe  a  déjà  passé  en  ce  sens,  sans  être  annoté,  dans 
nos  tomes  XII,  p.  6S,  et  XIV,  p.  447,  et,  pour  le  même  d'Argenson, 
dans  le  tome  XVIII,  p.  84. 

2.  Déjà  dit,  plus  brièvement,  dans  le  tome  XVIII,  p.  84. 

3.  Argenson  a  été  ajouté  en  interligne,  et,  avant  regardoient,  Saint- 
Simon  a  biffé  le. 

4.  Voyez  tome  XX,  p.  3-28.  —  5.  Tome  XVIII,  p.  84. 

6.  Peut-être  cela  veut-il  dire  qu'ils  n'étaient  que  de  petits  bourgeois 
devenus  seigneurs  de  belles  terres  au  comté  de  Montfort.  Ils  devaient 
être  originaires  du  Blaisois,  et  le  père  du  premier  Pontchartrain  secré- 
taire d'État,  auteur  des  Mémoires,  n'était  que  conseiller  au  présidial 
de  cette  ville.  Avant  lui  on  ne  voit  que  de  simples  bourgeois,  et  c'est 
sans  doute  pourquoi  les  continuateurs  du  P.  Anselme  ont  préféré  se 
dispenser  d'en  reconstituer  la  filiation  en  anoblissant  et  embellissant  les 
générations  antérieures  à  la  fin  du  seizième  siècle,  comme  le  faisaient 
les  commissaires  aux  preuves  de  l'ordre  de  Malte  ou  autres.  Voyez 
l'appendice  XIII  de  notre  tome  VI. 


perdu. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  381 

vu  des  scènes  très  plaisantes  entre   eux   deux.    Comme 
secrétaire  d'État,  l'orgueil  même'. 

Le  duc  de  Beauvillier  m'allégua  la  plupart  de  ces  choses,  Je  sauvo 
et  j'en  sentois  à  mesure  la  vérité.  11  m'en  fit  des  plaintes  Pontchariram 
amères,  et  les  parades-  que  j'y  donnai^  ne  furent  reçues 
que  très  foiblement.  Je  le  vis  si  arrêté  dans  sa  résolution, 
que  je  ne  jugeai  pas  à  propos  de  [le]  heurter*  par  une  ré- 
sistance opiniâtre;  je  glissai  donc,  et  ne^  butai"  qu'à  laisser 
une  queue"  pour  pouvoir  traiter  encore  un  chapitre  si 
délicat.  Gela  donnoit  lieu  à  reposer  ses  idées,  et  à  moi, 
qui  les  avois  aisément  prises,  du  temps  pour  le  tourner  et 
tâcher  de  les  changer.  Nous  parlâmes  donc  d'autre  chose, 
et  Pontchartrain  ne  revint  sur  le  tapis,  entre  nous  deux, 
de  trois  ou  quatre  jours.  Ce  fut  le  duc  qui  m'écarta  aune 
promenade  du  Roi  pour  en  faire  une  avec  lui  tête  à  tête, 
et  qui  reprit  aussitôt  ce  chapitre,  et  je  vis  bien  qu'il  lefai- 
soit  à  dessein.  Le  mien  étoit  tout  préparé;  le  sien  étoit 
de  m'emporter^  par  une  foule  de  raisons  qui  toutes  n'é- 
toient  que  trop  bonnes  :  je  lui  laissai  dire  tout  ce  qu'il 
voulut.  11  me  pressa  sur  beaucoup  de  choses  et  de  faits  de 
Pontchartrain  :  son  humeur  étrange,  sa  malice,  ses  mau- 
vais offices,  sa  satisfaction  à  faire  du  mal,  son  plaisir  à 
nuire,  sa  mauvaise  grâce  à  faire  du  bien  et  sa  peine  à  bien 
faire,  sa  passion  de  s'étendre  et  d'usurper,  son  attention 
à  tout  abaisser  devant  lui,  l'aversion  publique,  ses  procé- 

■1.  Celte  dernière  phrase  a  été  ajoutée  après  coup  à  la  (in  du  para- 
graphe. 

2.  «  Parade  est  aussi  un  terme  d'escrime,  et  signifie  l'action  par  la- 
quelle on  pare  un  coup  «  (Académie,  1718). 

3.  Donnay  est  en  interligne,  au-dessus  de  fis,  biffé. 

4.  AvAnl  heurter,  Saint-Simon  a  biffé  un  le,  par  mégarde. 

5.  Ne  est  en  interligne,  au-dessus  de  me,  biffé. 

6.  Au  sens  de  prendre  pour  but,  déjà  rencontré  plusieurs  fois. 

7.  Une  suite  à  prévoir. 

8.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  donnait  emporter  une 
place,  mais  non  pas  emporter  quelqu'un,  au  sens  d'avoir  raison  de 
ses  arguments. 


38-2  MÉMOIRES  [1741] 

dés  indignes  avec  un^  nombre  infini  de  gens  de  tous  états, 
et  des  plus  considérables.  Il  ne  m'apprenoit  rien  surtout 
cela,  et  de  ce  dernier  point  j'en  avois  l'expérience  la  plus 
étrange  et  la  plus  fraîche-.  Ce  ne  fut  pas  sans  combat  inté- 
rieur que  je  l'étouffai  dans  une  crise  si  décisive.  Quand 
il  en  eut  bien  dit,  je  lui  répondis  que,  n'ayant  ni  la  force 
de  crédit  ni  la  volonté,  quand  bien  même  j'aurois  la  puis- 
sance, de  m'opposer  jamais  en  quoi  que  ce  fût  à  lui,  je 
ne  pouvois  pourtant  me  résoudre  à  lui  abandonner  le  fils 
du  Chancelier,  tout  imparfait,  et  plus  encore,  que  je  le 
reconnoissois.  Je  lui  parlai  d'une  manière  touchante  de 
mon  attachement  plein  de  reconnoissance  pour  le  père  et 
de  ma  tendresse  pour  les  petits-fils^.  Cette  manière  de 
résister  à  un  homme  naturellement  bon  et  plein  de  senti- 
ments le  rendit  rêveur^.  Je  m'aperçus  qu'il  commençoit 
à  flotter^  entre  la  peine  de  me  voir  si  ferme,  et  une  sorte 
de  satisfaction  de  la  cause  que  je  lui  venois  d'avouer  et  de 
paraphraser.  Il  ne  laissa  pas  d'insister  encore,  et  moi  de 
répondre  sur  le  même  ton  sans  l'aigrir  par  des  négatives 
fausses  et  grossières,  mais  en  lui  demandant  s'il  croyoit 
Pontchartrain  entièrement  incorrigible.  Il  ne  répliqua 
point  ;  je  me  tus,  et  il  demeura  un   peu   de   temps  en 

i .   Un  est  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier  un,  mal  écrit  et  biffé. 

2.  A  propos  des  milices  de  Blaye  :  ci-dessus,  p.  347  et  suivantes. 

3.  Jérôme  de  Pontchartrain  avait  trois  tils  de  son  premier  mariage  : 
1°  Jean-Frédéric,  titré  comte  de  Maurepas  (tome  X,  p.  19)  ;  2°  Paul- 
Jérôme,  chevalier  puis  marquis  de  Pontcharlrain,  né  le  2o  avril  1703, 
sous-lieutenant  des  gendarmes  de  la  Reine  en  1719,  capitaine-lieute- 
nant des  gendarmes  anglais  en  1726,  brigadier  en  1734,  maréchal  de 
camp  en  1738,  lieutenant  général  en  1743  et  inspecteur  général  de 
la  cavalerie,  gouverneur  de  Ham  en  1754,  mort  le  12  avril  1775  ; 
3°  Charles-Henri,  abbé  de  Pontchartrain,  né  le  14  juin  1706,  abbé  de 
Royaumont  en  1728,  docteur  de  Sorbonne  en  1732,  nommé  à  l'évèché 
de  Blois  en  mai  1734,  mais  qui  mourut  le  24  juin  suivant,  avant  d'avoir 
reçu  ses  bulles. 

4.  Il  a  écrit  rêveur. 

5.  «  Flotter  signifie  figurément  chanceler,  être  irrésolu,  agité  » 
{Académie,  1718). 


[17H1  DE  SAINT-SIMON.  383 

silence  et  comme  en  méditation  à  part  soi.  Il  en  sortit  par 
me  dire  qu'avec  toutes  mes  défenses,  et  qui  n'étoient  d'aloi  ' 
que  pour  moi  seul,  il  vouloit  bien  me  dire  que  Pontchar- 
train  étoit  actuellement  en  un  péril  très  grand;  que,  pour 
l'amour  de  moi,  puisque  je  m'obstinois  si  fort  à  le  proté- 
ger, il  vouloit  encore  bien  me  dire  que  le  Dauphin  ne  le 
pouvoit  souffrir  ;  que  la  Dauphine  avoit  juré  sa  perte, 
poussée  par  tout  ce  qui  l'approchoit,  par  le  cri  public, 
par  son  propre  dégoût,  par  Mme  de  Maintenon  même, 
qui,  d'ancienneté  brouillée  avec  le  père,  ne  pouvoit  per- 
sonnellement supporter  le  fils,  par  une-  aversion  particu- 
lière que  ses  manières  et  tout  ce  qui  lui  en  revenoit  lui 
avoient  donnée  ;  que  le  Roi  seul  paroissoitplus  indifférent 
là-dessus,  mais  sentir  bien  tous  les  défauts  de  Pontchar- 
train,  et  ne  serabloit  pas  préparer  une  grande  résistance 
à  tant  et  de  telles  batteries'  prêtes  à  jouer.  Le  duc  ajouta 
que,  pour  lui,  s'il  étoit  sensible  à  la  vengeance,  je  pou- 
vois  bien  juger  de  ce  qu'il  penseroit  et  feroit,  mais  qu'au 
défaut  d'une  affection*  que  le  christianisme  lui  défendoit, 
il  étoit  poussé  par  tout  ce  qu'il  voyoit  et  par  tout  ce  qu'il 
lui  revenoit  chaque  jour  de  Pontchartrain;  que  sa  chute, 
pour  laquelle  il  n'avoit  seulement  qu'à  laisser  faire,  il  ne 
la  pouvoit  regarder  que  comme  un  bien  public  et  avanta- 
geux à  l'Etat  ;  que,  pensant  de  la  sorte,  c'étoit  à  Pont- 
chartrain, s'il  en  avoit  le  loisir,  à  changer  si  promptement 
de  conduite,  qu'il  le  convainquît  qu'il  étoit  corrigible  ; 
après  quoi  on  verroit  ce  qu'il  seroit  à  propos  de  faire  à 
son  égard.  Comme  nous  nous  parlions  toujours  sous  le 

1.  «  Aloi,  lo  titre  que  l'or  et  l'argent  doivent  avoir;...  on  appelle 
marchandises  de  mauvais  aloi  des  marchandises  qui  ne  sont  pas  de  la 
qualité  requise  par  les  règlements,  par  les  ordonnances  »  {Académie, 
4748).  —  Saint-Simon  écrit:  alloy. 

2.  Un  dans  le  manuscrit. 

3.  «  On  dit  qu'un  homme  dresse  de  bonnes  batteries,  pour  dire 
qu'il  emploie  de  puissants  moyens  pour  réussir  dans  une  affaire  » 
{Académie,  1748). 

4.  Au  sens  de  sentiment,  comme  ci-dessus,  p.  262. 


384  MÉMOIRES  [4714] 

plus  sûr  secret  et  sans  mesures,  je  lui  demandai  si  ce 
qu'il  me  disoit  là  étoit  une  menace  d'une  chose  possible 
par  celles  qui  existoient,  ou  un  orage  tout  formé,  et  des 
desseins  pris  et  prêts  à  éclore.  Il  me  répondit  nettement 
que  c'étoit  le  dernier.  J'en  frémis,  et,  n'osant  le  presser 
sur  le  détail  de  cette  affaire,  je  me  contentai  de  le  con- 
jurer d'accorder  un  court  loisir  avant  que  de  perdre  un 
homme  au  moins  si  instruit  de  sa  marine,  et  que  son  suc- 
cesseur encore  feroit  peut-être  regretter.  Je  n'ai  point  su 
quel  il  étoit;  mais  j'ai  cru  que  Desmare tz  pouvoit  être  le 
désigné.  11  avoit  très  bien  pris  avec  le  Roi,  mieux  encore 
avec  Mme  de  Mainlenon,  par  les  charmes  de  la  finance  et  le 
goût  qu'elle  commençoit  à  prendre  pour  sa  femme,  quoi- 
que revenu  en  place  malgré  la  fée*,  qui  vouloit  Voysin, 
mais  dont  la  place  de  secrétaire  d'Etat  de  Chamillart, 
qu'elle  lui  avoit  fait  donner,  l'avoit  dépiquée.  Desmaretz 
avoit  pour  soi  Madame  la  Dauphine,  parles  manèges  de  sa 
femme,  et  par  les  soins  qu'il  avoit  de  plaire  pécuniaire- 
ment^ à  tout  ce  qui  l'approchoit  véritablement.  On  a  vu 
plus  haut^  que  son  humeur  féroce  et  son  ingratitude 
n'avoit  pu  déprendre  de  lui  les  ducs  de  Chevreuse  et  de 
Beauvillier,  et  les  causes  de  leur  persévérance  ;  et  c'est 
ce  groupe  de  choses  qui  m'a  persuadé  que  c'étoit  Desma- 
retz qu'ils  vouloient  porter  à  la  plénitude^  des  charges  de 
son  oncle  Colbert. 

Sur  mes  instances,  que  je  rendis  les  plus  pressantes, 
M.  de  Beauvillier  me  permit  d'avertir  Pontchartrain  de 
dominer  son  humeur  dans  ses  audiences  et  avec  tout  le 
monde,  de  rapporter  devant  le  Roi  avec  moins  de  pen- 
chant au  mal,  de  rendre  compte  au^  conseil  des  dépêches 

4.  Les  mots  la  fée,  qui  désignent  Mme  de  Maintenon.  sont  en  inter- 
ligne, au-dessus  d'elle,  biffé  ;  voyez  ci-dessus,  p.  2  et  270. 

2.  Cet  adverbe  n'était  pas  donné    dans  le  Dictionnaire  de  l'Aca- 
démie de  4748. 

3.  Ci-dessus,  p.  374.  —  4.  A  recueillir  la  totalité. 

5.  Des  corrigé  en  au. 


[171 1|  DE  SAINT-SIMON.  385 

des  affaires  dont  il  étoit  chargé  avec  un  goût  moins  enclin 
à  la  sévérité,  de  lui  en  spécifier  quelques-unes  en  particu- 
lier que  le  duc  m'expliqua,  où  ses  manières  dures  et 
enclines  au  mal',  tant  en  ce  conseil  qu'en  ses  audiences, 
et  môme  dans  son  travail  tête  à  tête  avec  le  Roi,  où  ^  Mme  de 
Maintenon  étoit  toujours  présente,  avoient  fait  de  fâ- 
cheuses impresssions,  et  étoient  vivement  revenues  ;  mais 
il  me  défendit  d'aller  plus  loin,  et  de  lui  laisser  apercevoir 
d'où  je  pouvois  être  instruit.  Je  rendis  grâces  au  duc  de 
Beauvillier,  comme  d'une  obligation  du  premier  ordre, 
de  ce  qu'il  vouloit  bien  que  je  fisse,  et  je  le  conjurai  de 
nouveau  de  suspendre  l'orage  jusqu'à  ce  qu'il  eût  vu  le 
fruit  de  ces  avis.  Il  ne  voulut  s'engager  à  rien  ;  je  crus 
apercevoir  qu'il  craignoit  le  plaisir  de  la  vengeance,  que 
ce  principe  le  fit  rendre  un  peu  à  mes  instances,  et  qu'il 
résista  par  le  même,  et  par  modestie,  à  la  satisfaction  de 
me  laisser  voir  combien  il  influoit  sur  le  sort  de  Pont- 
chartrain.  De  cela  même,  je  m'ouvris  à  l'espérance.  Ainsi 
finit  cette  importante  conversation. 

Elle  me  donna  lieu  à  de  grandes  réflexions.  Outre  celles 
que  j'ai  déjà  expliquées  sur  l'état  du  Chancelier  et  de  ses 
petits-fils,  son  fils  chassé^,  je  sentis  encore  que,  ce  coup 
paré,  si  tant  étoit  que  j'en  pusse  venir  à  bout,  ils  ne 
seroient  encore  en  aucune  assurance.  Pontchartrain,  fait 
comme  il  étoit,  ne  pourroit  se  contenir  longtemps  ;  ses 
rechutes  deviendroient  mortelles,  avec  cette  horreur 
générale  qu'il  avoit  si  justement  encourue,  et  cet  éloi- 
gnement  extrême,  pour  ne  rien  dire  de  plus,  toujours 
subsistant  entre  son  père  et  le  duc  de  Beauvillier,  dans  la 
posture  nouvelle  et  stable  où  se  trouvoit  alors  ce  dernier. 
Toute  ma  vie  j'avois  désiré  avec  la  passion  la  plus  vive 
de  les  voir  solidement  réconciliés,  mais  comme  on  désire 
quelquefois  des  choses  imaginaires  et  impossibles.   Deux 

•1.  Les  quatre  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

2.  Où  surcharge  un  et  et  le  commencement  d'une  autre  lettre. 

3.  Tome  XVIII,  p.  84-89,  et  ci-dessus,  p.  373  et  suivantes. 

MÉMOIRES    DE   SAINT-SIMON.    XXI  2S 


386 


MEMOIRES 


[1714] 


hommes  en  tout  si  dissemblables,  excepté   en  probité  et 
en  amour  de  l'Etat,  n'avoient  rien  en   quoi  ils  pussent 
compatir^    ensemble.    Leurs    liaisons,   leurs  vues,   leurs 
sentiments,   leur  tempérament,  se    trouvoient  tellement 
contraires  qu'il  ne  s'y  pouvoit  rien  ajouter,  et  jusqu'à  la 
religion   dans  deux    très  hommes  de  bien,  de  la  façon 
dont  ils  la  prenoient  l'un  -  et  l'autre,  leur  étoit  devenue 
un  très  puissant  motif  d'aversion.  Cependant,   par  la  face 
nouvelle  que  la  cour  avoit  prise,  je  voyois  le   Chancelier 
et  son  fils  perdus  sans  cette  réconciliation  sincère,  et  sa 
nécessité  me  parut  si  démontrée,  que,  quelque  impossible 
et  chimérique  qu'elle  me    semblât^,  je  me   mis  dans  la 
Je  conçois       tête  d'y  oser  travailler.   Sans  ce   remède    unique,    je  ne 
le  dessein*      yoyois  aucun  moyen  de  subsister  pour  le  Chancelier,  dans 
réconciliation    la  nouvelle  et  durable  face  que  la  cour  avoit  prise,  et  je 
sincère  entre    ^6  trouvois  d'épines,  dans  le  riant*  de  ma  situation  parti- 
Beauvillier  et    culière,  que  la  peine  extrême,  et  qui  troubloit  toute  ma 
le  Chancelier,   joie,  de  voir  mes  deux  plus  intimes  amis  en  état  ensemble 
que  l'un  infailliblement  seroit  perdu  et  anéanti  par  l'au- 
tre. Il  ne  falloit  pas  un    motif  moins  puissant  pour  me 
faire  entreprendre  un  ouvrage  si  voisin  de   l'impossible, 
et  que  l'extrême  nécessité   cessa   lors,  pour  la  première 
fois,  de  me  laisser  envisager  comme  une  folie. 

Dès  le  soir  même,  après  que  les  soupeurs^  se  furent 
retirés  de  chez  Pontchar train,  j'entrai  chez  lui,  où  je 
n'allois  plus  familièrement,  et  même  très  rarement. 
L'heure  ajouta  à  sa  surprise.  Je  lui  dis  d'abordée,  et  d'un 

4.  Au  sens  général  de  s'accorder,  s'accommoder,  déjà  relevé  dans  le 
tome  XIX.  p.  ^oo. 

2.  L'une  corrigé  en  Vun. 

3.  Semblast  est  en  interligne,  au-dessus  de  parust,  biffé. 

4.  Encore  un  adjectif  pris  substantivement.  Littré  ne  le  signale  que 
chez  notre  auteur. 

5.  Ce  mot  n'était  pas  donné  par  VAcadémie,  ni  par  les  lexiques  du 
dix-huitième  siècle.  Littré  en  cite  des  exemples  de  Montaigne  et  de 
Voltaire. 

*  Le  dessein  surcharge  la  rec[onciliation]. 


[1711]  DE  SAINT-SIMON.  387 

air  grave  et  froid,  que,  quoique  ma  coutume  ne  fût  pas  de 
lui  faire  des  leçons,  et  que  j'eusse  lieu  d'en  être  encore 
plus  éloigné  que  jamais,  j'avois  pourtant  des  choses  à 
lui  dire  dont  je  ne  pouvois  me  dispenser  ;  qu'il  ne  me 
demandât  ni  mes  raisons,  ni  d'où  je  prenois  ce  que  j'avois 
à  lui  dire  ;  qu'il  se  contentât  d'apprendre  qu'il  ne  pouvoit 
m' écouter  avec  trop  d'attention,  ni  prendre  trop  de  soin 
d'en  profiter  sans  délai.  Après  une  préface  si  énergique,  je 
lui  dis,  comme  si  j'en  avois  été  l'auteur,  tout  ce  que  j'avois 
permission  de  lui  dire,  et  cela  tout  de  suite,  comme  une 
leçon  apprise  par  cœur.  Je  fus  écouté  avec  toute  l'atten- 
tion que  demandoit  ma  préface  et  la  matière  qui  la  suivit. 
Pontchartrain  sentit  aisément  que  les  faits  singuliers  que 
je  lui  spécifiai  ne  pouvoient  m'être  venus  que  d'endroits 
importants.  Il  voulut  s'excuser  sur  certaines  choses  ;  sur 
d'autres  il  avoua  et  accusa  son  humeur.  Je  répondis 
qu'avec  moi  tout  cela  étoit  inutile,  que  son  affaire  étoitde 
profiter  de  ce  qu'il  venoit  d'entendre,  la  mienne  de  m'aller 
coucher  ;  et  là-dessus  je  le  quittai  aussi  brusquement 
que  je  l'avois  abordé.  Je  rendis  compte  le  lendemain  de 
ce  que  j'avois  dit  à  Pontchartrain  au  duc  de  Beauvillier  ; 
il  augmenta  ma  frayeur  par  ce  qu'il  me  laissa  voir  de 
l'imminence  de  la  chute,  et  néanmoins  il  convint  d'at- 
tendre ce  que  produiroit  ma  remontrance  ^  A  quelques 
jours  de  là,  me  promenant  après  minuit  en  tiers  avec  le 
Dauphin  et  l'abbé  de  Polignac,  la  conversation  tomba  sur 
le  gouvernement  d'Hollande,  sur  sa  tolérance  de  toutes  les 
sectes,  et  bientôt  sur  le  jansénisme.  L'adroit  abbé  n'en 
perdit  pas  l'occasion,  et  dit  tout  ce  qu'il  falloit  pour 
plaire.  Le  Dauphin  me  donna  lieu  d'entrer  assez  dans  la  gj 
conversation  :  je  parlai  suivant  mes  sentiments  et  sans  hasard  sur  le 
affectation.  La  promenade  se  poussa  tard  par  le  plus  beau     J^^^s^^isme. 

1.  Saint-Simon  avait  ici  commencé  un  nouvel  alinéa  en  écrivant  A 
en  retrait;  il  a  effacé  du  doigt  cet  A,  pour  l'écrire  à  nouveau  dès  le 
commencement  de  la  ligne,  de  sorte  que  quelques  se  trouve  surcharger 
l'A  primitif. 


singulier 


388  MÉMOIRES  [1711] 

temps  du  monde,  et  je  quittai  le  Dauphin  comme  il  alloit 
rentrer  au  château.  J'expliquerai  ailleurs  ce  que  je  pense 
sur  cette  matière',  parce  qu'elle  entrera  dans  plus  d'une 
chose  dans  la  suite,  et  ma  façon  de  voir  et  d'être  avec  le 
Dauphin.  Dès  le  lendemain  matin,  M.  de  Beauvillier  me 
prit  dans  le  salon,  et  me  conta  que  le  Dauphin  venoit  de 
lui  dire  avec  beaucoup  de  joie  qu'à  des  discours  qu'il 
m'avoit  ouï  tenir  le  soir  précédent  à  sa  promenade, 
il  me  croyoit  éloigné  du  jansénisme,  et  tout  de  suite  me 
demanda  de  quoi  il  avoit  été  question,  que  le  Dauphin 
n'avoit  pas  eu  le  temps  de  lui  expliquer.  Il  me  dit,  après 
lui  en  avoir  rendu  compte,  qu'il  avoit  tout  à  fait  confirmé 
le  Dauphin  dans  cette  opinion  sur  moi,  et  cela  mit  en  effet 
sa  confiance  pour  moi  au  large  sur  toutes  sortes  de  cha- 
pitres ;  et  voilà  ce  que  font  les  hasards.  11^  fit  encore  qu'à 
ce  propos  le  duc  me  dit  tout  de  suite  que  le  Dauphin 
soupçonnoit  fort  Pontchartrain  de  jansénisme,  lui  qui  fai- 
soit  sa  cour  au  Roi  du  zèle  de  cette  persécution.  La  déli- 
catesse de  M.  de  Beauvillier  étoit  là-dessus  si  étrange, 
qu'après  ce  qu'il  m'avoit  dit  lui-même  que  les  jésuites  et 
les  sulpiciens  imputoient  au  goût  malfaisant  de  Pontchar- 
train la  persécution  qu'il  faisoit  aux  jansénistes^,  je  ne  le 
pus  faire  revenir  de  ses  soupçons  là-dessus  qu'en  lui  répon- 
dant de  Pontchartrain  sur  ce  chapitre,  et  que,  différent 
en  tout  d'avec  son  père,  ils  étoient  aussi  parfaitement 
divisés  sur  les  jésuites  et  l'Oratoire.  La  fréquentation  de 
Pontchartrain,  lors  de  la  mort  de  sa  femme,  avec  le  P.  de 
la  Tour,  général  de  l'Oratoire  \  et  encore  quelques  mois 
après,  avoit  répandu  des  soupçons;  mais  j'assurai  le  duc, 
comme  il  étoit  vrai,  que  Pontchartrain,  avec  la  dernière 
indécence,  avoit  quitté  le  commerce  du  P.  de  la  Tour 
comme    une   chemise  sale^,    et   n'en  avoit  pas  ouï  parler 

1.  Dans  le  prochain  volume.  —  2.  Le  hasard. 
3.  Ci-dessus,  p.  3H0.  —  4.  Tome  XVI,  p.  144  et  suivantes. 
5.  Le  Dictionnaire  de  Littré  ne  cite  de  cette  locution  familière  que 
le  présent  exemple. 


[1711]  DE  SAL\T-SlMOx\.  389 

depuis.  Nous  nous  revîmes  le  même  jour  sur  le  soir.  Dans 
l'entre-deux,  M.  de  Beauviilier,  sur  ma  parole,  avoit  ré- 
pondu de  Pontchartrain  au  Dauphin  sur  le  jansénisme. 
Il  me  le  confia;  et  ce  fut  le  premier  bon  ofKce  qu'il  lui 
rendit  auprès  de  ce  prince.  De  là,  le  duc  me  dit  qu'il  n'en- 
tendoit  pas  deux  choses,  Pontchartrain  étant  tel  là-dessus 
que  je  le  lui  avois  si  fort  assuré  :  l'une,  qu'il  étoit  très 
suspect  aux  jésuites,  l'autre,  comment  l'affaire  d'un  ecclé- 
siastique d'Orléans  étoit  si  mal  entre  ses  mains;  que  les 
jésuites  attribuoient  à  son  goût  de  faire  du  mal  sa  facilité 
à  maltraiter  les  jansénistes  que  l'on  exiloit  ou  qu'on  ôtoit 
de  places,  et  n'en  étoient  pas  moins  en  garde  contre  lui, 
parce  qu'il  leur  étoit  aussi  contraire  qu'il  lui  étoit  pos- 
sible; et  que  cet  ecclésiastique  si  opposé  aux  jansénistes, 
et  qui  tiroit  delà  tout  son  appui,  ne  pouvoit  être  plus 
mal  servi  qu'il  l'étoit  de  Pontchartrain  pour  l'union  d'un 
bénéfice,  qui  étoit  néanmoins  très  essentielle  au  bon 
parti'.  Il  s'échaufïa  assez  là-dessus,  et,  de  lui-même,  me 
permit  d'avertir  Pontchartrain,  mais  comme  de  moi- 
même,  de  la  disposition  des  jésuites  à  son  égard  ;  qu'il  lui 
importoit  fort  de  la  changer  par  une  conduite  opposée;  et, 
sur  cet  ecclésiastique,  de  lui  dire,  non  plus  comme  de  moi- 
même,  mais  de  sa  part  à  lui  comme  en  avis,  de  rapporter 
son  affaire  au  premier  conseil  de  dépêches,  d'y  donnerun 
tour  favorable,  et  d'ajouter  que  cela  lui  étoit  plus  impor- 
tant qu'il  ne  pensoit.  Je  fis  ce  même  soir,  vers  le  minuit, 
une  seconde  visite  à  Pontchartrain,  toute  semblable  à  la 
première,  dont  l'heure  et  le  ton  ne  le  surprit  pas  moins, 
et  bien  plus  encore  que  la  première  pour-  les  choses.  II 
s'étoit  peut  être  douté  à  la  première  d'où  lui  venoient  mes 
avis;  à  cette  seconde,  il  ne  put  plus   l'ignorera  C'étoit 

1.  Les  registres  du  conseil  des  dépêches  ne  contiennent  pas,  pour  l'épo- 
que à  laquelle  nous  sommes,  d'arrêt  relatif  à  une  union  de  bénétice  pour 
un  ecclésiastique  d'Orléans.  Notre  auteur  a  peut-être  fait  confusion. 

2.  L'abréviation  f  a  été  ajoutée  après  coup  entre  p'*  et  les. 

3.  L'ignorer  surcharge  en  do[uter]. 


390 


MEMOIRES 


[i74i] 


en  insolence  le  premier  homme  du  monde  lorsqu'il  ne 
craignoit  point  les  gens,  et  le  premier  aussi  en  bassesse, 
où  personne  ne  le  surpassoit,  à  proportion  de  son  besoin 
et  de  sa  frayeur.  Ainsi,  on  peut  juger  de  tout  ce  qu'il  me 
pria  de  direàM.  deBeauvillier,  de  quelle  façon  il  se  mit 
à  en  user  avec  les  jésuites,  et  comment  tourna  l'affaire  de 
l'ecclésiastique  d'Orléans.  M.  de  Beauvillier  en  fut  si  con- 
tent qu'il  voulut  bien  que  je  lui   disse,  mais  comme  de 
moi-même,  le  péril  en  gros  où  il  étoit  auprès  du  Dauphin, 
et  les  moyens  de  le  rapprocher  peu  à  peu,  tous  opposés 
à  son  génie  et  à  ses  manières  accoutumées.    Le   duc  alla 
jusqu'à  me   charger  de  lui  dire  qu'il   lui  ménageroit  des 
occasions  de  travailler  avec  le  Dauphin,  qu'il  l'en  averti- 
roit  d'avance,  et  de  la  faconde  s'y  conduire.  Je  revis  donc 
aussitôt    Pontchartrain  pour  la  troisième  fois.   Je  ne  vis 
jamais'  homme  si  transporté:  il  se  crut  noyé  et  sauvé  au 
même  instant,  et  les  protestations  qu'il   me  fit,  tant  pour 
M.  de  Beauvillier  que  pour  moi,  furent  infinies.  Sur  mon 
compte,  je  sus  bien  qu'en  penser,  puisque  c'étoit  trois 
Beauvillier.      semaines  après  qu'il  m'eut  envoyé  d'Aubenton-  ;  aussi  les 
reçus-je  pour  moi  avec  le  froid  le  plus  dédaigneux,   et 
je  lui  fis  sentir,  au   choix  de  mon   peu  de  paroles,  la 
nullité  de  part  que  sa  personne  devoit  prendre  au  salut 
inespéré^  que  je  lui  procurois.  Le  duc  tint  parole  :  Pont- 
chartrain fut  averti  et  instruit,  et,  comme  M.  de  Beau- 
villier ne  voulut    pas    s'y  montrer,   je    fus  toujours   le 
canal    entre    eux,  sous   le  plus  entier  secret.    Pontchar- 
train travailla  chez  le  Dauphin  ;  le  duc  avoit  préparé  les 
choses  ;    le    prince   fut   content.    Cela  dura  le    reste  du 
voyage  de  Marly,  qui,  d'une  tirade  S    nous  conduisit  à 


Pontchartrain 
sauvé  par 
le  duc  do 


i.  La  première  lettre  de  jamais  surcharge  une  h. 

2.  Ci-dessus,  p.  355  et  suivantes. 

3.  Inespéré  corrige  un  inespable,  incomplet. 

4.  «  On  dit  proverbialement  tout  d'une  tirade,  pour  dire  tout 
de  suite ,  sans  s'arrêter  ;  il  est  du  style  familier  »  (Académie, 
4748). 


[17111 


DE  SAINT-SIMON. 


391 


Fontainebleau,  sans   retourner   à  Versailles'  à  cause   du 
mauvais  air -. 

Dans  ces  entrefaites  et  sur  la  fin  de  Marly,  je  pris  en 
particulier  le  premier  écuyer,  non  pour  lui  confier  quoi 
que  ce  soit  de  ce  qui  vient  d'être  raconté,  mais  pour 
m'en  servir  à  ma  manière  au  dessein  de  réconciliation  que 
j'avois  conçu.  C'étoit^  un  grand  homme  froid,  de  peu 
d'esprit,  de  beaucoup  de  sens,  fort  sage,  fort  sûr,  fort 
mesuré,  qui,  à  force  d'être  né  et  d'avoir  passé  sa  vie  à  la 
cour,  fils  d'un  homme  qui  y  étoit  maître  passé  et  dans 
une  considération  singulière,  et  lui*  dans  les  cabinets  les 
plus  secrets  de  le  Tellier,  Louvois  et  Barbezieux,  dont  il 
étoit  si  proche  par  sa  femme',  et  qui  l'avoient  admis  à  tout 
avec  eux,  avoit  acquis  une  grande  connoissance  de  la 
cour  et  du  monde,  y  étoit  fort  compté,  s'y  étoit  mêlé  de 
beaucoup  de  choses,  et  y  étoit  enfin  devenu  une  espèce 
de  personnage.  Il  étoit  de  tout  temps  fort  bien  avec  le 
Roi  ;  il  *  avoit  des  particuliers  quelquefois  avec  lui  ;  et  il 
avoit  eu  l'art  d'être  fort  bien  avec  tous  les  ministres,  et 
intimement  avec  le  Chancelier,  qui  avoit  beaucoup  de 
créance  en  lui.  J'ai  parlé  de  lui  à  l'occasion  de  la  mort  de 
Monseigneur",  duquel  il  espéroit  beaucoup,  et  rien  de 
la  cour  nouvelle,  avec  qui  il  n'avoit  nulle  liaison,  même 
quelque  chose  de  moins  avec  les  ducs  de  Chevreuse  et 
de  Beauvillier,  par  l'ancien  chrême*  des  Louvois,  si  op- 
posés à  tout  ce  qui  étoit  Colbert,  et  tous  leurs  commerces 
et  leurs  allures  tout  à  fait  difîérentes^  Je  crus  donc  '°  que 

i.  Le  séjour  à  Marly  dura  du  15  avril  au  li  juillet;  le   15,  le  Roi 
partit  pour  Fontainebleau,  on  s'arrêtant  une  nuit  à  Petit-Bourg. 
"2.  Ci-dessus,  p.  3'-23-3"24. 

3.  Comparez  un  autre  portrait  placé  en  1715:  tome  XII,  p.  240. 
i.  Luy  est  en  interligne. 

5.  Fille  du  duc  d'Auraont  et  d'une  sœur  de  Louvois. 

6.  7/  surcharge  un  et.  —  7.  Ci-dessus,  p.  277.  —  8.  TomeXVII,  p.  256. 
9.  Différentes  est  en  interligne,  au-dessus  d^opposées,  biffé. 

10.  Cette  conjonction  donc  est  ajoutée  en  interligne. 

•  Bering.  surcLarge  le  P. 


Conversation 

sur  los 
Pontcharlrain 

avec 
Boringhen*, 

premier 

écuyer ;  son 

caractère. 


392  MÉMOIRES  [ITii] 

c'étoit  le  seul  homme  dont  je  pusse  m'aider  pour  attaquer 
le  Chancelier  sur  sa  conduite  avec  le  duc  de  Beauvillier. 
Je  lui  dis  qu'ami  au  point  où  je  l'étois  de  M.  de  Beau- 
villier et  du  Chancelier,  je  voyois  de  tout  temps  leur  éloi- 
gnement  avec  une  peine  extrême  ;  que  jusqu'alors  je 
m'étois  contenté  de  m'en  affliger  en  moi-même,  mais  que, 
dans  la  face  nouvelle  que  la  cour  venoit  de  prendre,  et 
qui  se  fortifioit  de  jour  en  jour,  je  ne  pouvois  dormir  en 
repos  comme  j'avois  fait  tant  que  leur  inimitié  n'avoit  pu 
être  fatale  à  aucun  des  deux  ;  que  le  Dauphin  devenoit 
rapidement  le  maître  des  affaires,  et,  par  lui,  son  gouver- 
neur, qui  le  seroit  sans  mesure  lorsque  son  pupille  auroit 
succédé  au  Roi  ;  que  le  danger  présent  étoit  grand  par  la 
haine  publique  que  Pontchartrain  avoit  encourue,  et,  s'il 
subsistoit  le  reste*  de  ce  règne,  ce  qui  meparoissoit  bien 
difficile,  il  me  sembloit  impossible  qu'il  pût  durer  au 
delà;  que,  tombant,  je  ne  voyois  pas  ce  que-  pourroit 
devenir  le  père  d'un  homme  chassé  dans  une  cour  où 
tout  le  crédit  seroit  contre  lui,  où  il  survivroit  à  sa  for- 
tune et  à  soi-même,  et  où  la  décence  ni  sa  propre 
humeur  ne  pourroit  lui  permettre  d'y  rester,  et  d'y  ha- 
sarder de  se  voir  chasser  lui-même  sur  quelque  aventure 
de  Rome  et  de  jansénisme,  et  se  voir  bombarder  un 
garde  des  sceaux;  qu'en  vain  s'appuyoit-il  sur  l'autorité  de 
sa  place,  sur  son  esprit,  sur  sa  capacité,  sur  sa  réputation, 
puisque  ce  ne  seroit  pas  lui  qu'on  attaqueroit,  mais^  son 
fils,  qui  n'avoit  aucun  de  ces  boucliers,  qui  s'étoit  rendu 
la  bête  de  tout  le  monde  *^,  et  dont  la  chute  auroit  les  ap- 
plaudissements publics.  Beringhen  connoissoit  parfaite- 
ment Pontchartrain  ;  il  m'avoua  la  vérité  de  ce  que  je 
lui  représentois,    sa  crainte   extrême  de  ce  que  je  pré- 

1.  Reste  a  été  écrit  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier  reste, 
biffé,  qui  surchargeait  règne. 

2.  Ce  que,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne. 

3.  Après  mais,  il  y  a  un  que,  biffé. 

4.  Locution  déjà  relevée  dans  letomeXVII,  p.342;  ci-dessus,  p.  282. 


[1741]  DE  SAIi\T-SIMO>".  393 

voyois,  et  me  pressa  de  travailler  à  une  réconciliation  si 
capitale  à  la  fortune  du  père  et  du  fils,  comme  le  seul 
homme  qui  la  put  entreprendre  par  l'amitié  et  la  confiance 
que  le  duc  et  le  Chancelier  avoient  également  et  entière- 
ment pour  moi.  Je  lui  répondis  que  c'étoit  toute  ma 
passion,  mais  que  je  travaillerois  en  vain  tant  que  le 
Chancelier  s'escarmoucheroit*  avec  le  duc  sans  cesse  au 
Conseil,  et  ne  se  mesureroit  pas  ailleurs  à  son  égard  ; 
qu'il  nourrissoit  ainsi  une  haine,  pour  parler  nettement,  de 
longue  main  enracinée  ;  qu'il  l'augmentoit  tous  les  jours, 
loin  de  songer  à  l'émousser,  en  quoi  pourtant^  consistoit 
son  salut  et  celui ^  de  sa  famille;  que  c'étoit  à  lui, 
Beringhen,  son  ami,  et  qui  ne  lui  seroit  point  suspect 
sur  M.  de  Beauvillier,  avec  qui  il  savoit  bien  qu'il  n'avoit 
point  de  liaison,  à  lui  ouvrir  les  yeux  sur  le  danger  de 
voir  périr  toute  la  fortune  prodigieuse  qu'il  avoit  faite,  et 
de  lui  faire  comprendre  qu'elle  valoit  bien  la  peine  de  se 
contraindre,  et  de  ployer  à  la  nécessité  des  temps;  qu'a- 
près qu'il  l'auroit  rendu  capable  d'un  vrai  changement  de 
conduite  à  cet  égard,  je  verrois  à  tâcher  de  le  mettre  à 
profit  auprès  de  M.  de  Beauvillier,  et  peu  à  peu  ainsi  les 
rapprocher,  et,  de  là,  les  réconcilier  enfin,  si  je  pouvois. 
Le  premier  écuyer,  ou  timide  comme  il  l'étoit  naturel- 
lement, ou  désespérant  de  faire  entendre  raison  au 
Chancelier,  vif  et  décidé  comme  il  le  connaissoit,  ou 
véritablement  court  de  temps,  me  dit  qu'il  en  auroit  peu 
pour  parler  suffisamment  au  Chancelier,  qui  n'étoit  point 
à  Marly,  qui  n'y  venoit  que  pour  les  conseils*,  et  qui, 
ces  jours-là,  s'en  retournoit  dîner  à  Versailles,  et  les 
autres  jours  se  tenoit  à  Ponchartrain  ;  qu'il  avoit  de- 
mandé congé  au  Roi  de  s'en   aller  dans  quelques  jours 

1.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  iT18  disait  qu'on  employait 
parfois  ce  verbe  avec  le  pronom  réfléchi.  Littré  en  cite  deux  exemples 
de  Montesquieu  à  côté  de  celui-ci. 

2.  Pourtant  a  été  ajouti  en  interligne. 

3.  Ccluy  semble  surcharger  sa.  —  i.  Déjà  dit  ci-dessus,  p.  17:2. 


394  DE  SAINT-SIMON  [4711] 

chez  lui  à  Armainvilliers',  et  qu'il  y  passeroit  presque 
tout  le  voyage  de  Fontainebleau,  où  la  cour  allait  inces- 
samment-. 11^  finit  par  me  presser  de  nouveau  de*  tra- 
vailler à  une  aussi  bonne  œuvre,  que  nul  autre  que  moi 
ne  pouvoit  exécuter,  et  moi  par  l'exhorter  de  parler  au 
moins  avant  de  partir,  et  de  parler  sans  ménagement.  La 
suite  de  ceci  se  verra  bientôt  à  Fontainebleau  ;  avant  d'y 
conduire  la  cour,  il  faut  reprendre  des  choses  qui  ont  pré- 
cédé ce  voyage. 

1.  Armainvilliers,  en  Brie,  dans  le  canton  actuel  de  Tournan,  avait 
été  érigé  en  comté  en  juin  1704  pour  M.  de  Beringhen.  Le  baron 
Olivier  de  Lavigerie  a  fait  paraître  en  1890  une  notice  sur  le  château. 
—  Saint-Simon  écrit  :  Arminvilliers. 

2.  Ci-dessus,  p.  391,  note  1. 

3.  Il  surcharge  un  et. 

4.  A  corrigé  en  de. 


APPENDICE 


PREMIÈRE     PARTIE 


ADDITIONS    DE    SAINT-SIMON 

AU  JOURNAL  DE  DANGEAU 

987.  Monseigneur  ;  son  caractère. 
(Page  45.) 

iS  avril  1711.  —  Jamais  douleur  ne  fut  plus  courte  que  celle  de  la 
mort  de  Monseigneur.  C'étoit  un  gros  homme  très  épais  de  corps  et 
d'esprit,  tenu  bas  à  l'excès,  et  tout  fait  pour  s'y  laisser  tenir,  et  qui 
n'avoit  de  considération  que  celle  que  lui  donnoit  une  succession  à  la 
couronne  que  l'âge  du  Roi  faisoit  tous  les  ans  juger  plus  prochaine  ; 
sans  goût,  sans  choix,  sans  discernement,  sans  connoissance  et  sans 
curiosité  sur  rien.  Extrêmement  glorieux,  entièrement  entassé  dans  la 
matière,  bon  et  familier  avec  les  bas  valets,  ce  qui  le  faisoit  aimer  du 
bas  peuple  ;  né  dur  et  le  montrant;  ennuyé  né,  et  très  difficile  à  amu- 
ser ;  livré  à  un  petit  nombre  de  gens  qui  lui  faisoient  accroire  les 
choses  les  plus  abstruses  et  qui  le  gouvernoient  avec  mépris,  mais  avec 
un  extérieur  de  respect  qu'il  lui  falloit,  et  avec  un  ennui  de  sa  compagnie 
que  l'espérance  seule  de  l'avenir  faisoit  supporter.  Jamais  tils  n'a  été  si 
constamment  tils,  ni  tenu  bas  si  constamment.  Il  n'avoit  pas  le  crédit 
de  la  moindre  bagatelle,  et  il  étoit  continuellement  aux  expédients  pour 
les  dépenses  de  son  plaisir,  c'est-à-dire  de  ses  bâtiments  de  Meudon  et  des 
tables  qu'il  y  tenoit.  Ce  qui  l'environnoit  étoit  parvenu  à  lui  faire  haïr 
Mgr  le  duc  de  Bourgogne,  craindre  et  n'aimer  point  Mme  la  duchesse 
de  Bourgogne,  et  détester  M.  le  duc  d'Orléans.  Jamais,  par  jalousie,i  1 
n'avoit  pu  souffrir  M.  du  Maine;  mais  il  aimoitassezlecomtedeToulouse. 
Son  éloignement  pour  Mme  de  Maintenon  étoit  fort  marqué,  quoique  fort 
ployant  sous  elle  ;  mais  il  ne  la  voyoit  guère,  et  le  surprenant  est  qu'avec 
cette  aversion  il  fut  pour  sa  Choin  comme  le  Roi  pour  sa  Maintenon  ; 
mais  on  est  comme  sûr  qu'il  ne  l'avoit  pas  épousée.  Cependant  elle  fut  à 
Meudon  jusqu'à  son  dernier  moment;  elle  y  vit  tous  les  jours  Mme  de 


396  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

Maintenon,  et  le  Roi  souvent,  outre  qu'elle  étoit  sans  cesse  dans  la 
chambre  de  Monseigneur,  même  Mme  la  princesse  de  Conti  présente, 
qui  en  fit  le  sacrifice  à  Monseigneur  de  bonne  grâce.  Il  vaqua  je  ne  sais 
quoi  à  la  convenance  de  Casaus,  qui  étoit  neveu  de  du  Mont,  qui  avoit 
été  élevé  page  de  Monseigneur,  et  qui,  devenu  son  écuyer  sous  son 
oncle,  couroit  toujours  à  la  chasse  devant  lui.  Monseigneur,  qui  de- 
mandoit  rarement,  hasarda  de  demander  pour  Casaus  et  fut  durement 
refusé  ;  il  revint  outré  de  Versailles,  et  dit  à  Casaus  d'avoir  patience, 
qu'il  n'y  perdroit  rien  quand  il  seroit  roi,  et  que  de  sa  vie  il  ne  s'ex- 
poseroit  à  aucune  demande  ;  il  fut  outré  de  déplaisir.  Il  y  avoit  fort  peu 
de  jours  qu'il  s'étoit  amusé  avec  la  Choin  en  grand  particulier  à  Meudon 
à  regarder  des  estampes  des  différentes  cérémonies  du  sacre.  On  étoit 
bercé  de  tout  temps  sur  lui  de  cette  prédiction  :  «  Fils  de  roi,  père  de 
roi  et  jamais  roi.  »  L'avènement  de  Philippe  V  à  la  couronne  d'Es- 
pagne la  vérifia  à  l'excès.  Hors  ses  valets  et  sept  ou  huit  courtisans, 
hommes  et  femmes,  qui  pour  leurs  intérêts  furent  très-afïligés,  qui  que 
ce  soit  ne  s'en  soucia,  et  la  plupart  du  monde  regarda  cet  événement 
comme  une  délivrance.  Mme  de  Maintenon  en  fut  fort  soulagée,  le  Roi 
aussi  dès  le  lendemain,  et  M.  et  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  y  ga- 
gnèrent toutes  choses,  mais,  le  sentant  bien,  se  comportèrent  très-digne- 
ment. M.  de  Berry,  le  fils  bien-aimé,  fut  d'autant  plus  touché,  que  sa 
femme,  pleine  de  projets  extravagants  et  d'une  noire  ingratitude,  fut 
outrée  de  voir  Mgr  et  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  faire  un  si  grand 
pas.  Ce  pauvre  Dauphin  de  Meudon  mangea  en  son  temps  bien  des 
perdrix,  des  poulardes  et  des  soles,  et  s'ennuya  bien  partout.  On  dit 
qu'il  avait  le  sens  droit  quand  on  parloit  d'affaires  ;  après  qu'il  fut  en- 
tré dans  le  conseil  d'Etat,  il  ne  paroissoit  pas  prendre  à  grand  chose, 
mais  bien  en  proie  aux  plus  grossières  impulsions  d'autrui.  Pour  de 
lectures,  il  n'en  avoit  de  sa  vie  fait  d'autres  que  de  l'article  de  Paris  de 
la  Gazette  de  France.  Jusqu'à  ses  galanteries,  il  y  a  des  contes  à  mourir 
de  sa  grossièreté  et  de  son  indifférence.  Il  avoit  peur  de  tout,  et  n'avoit 
pas  brillé  à  la  guerre  plus  que  dans  le  Conseil.  Les  médecins  le  lais- 
sèrent mourir  sans  sacrements,  et  personne  ne  s'avisa  d'y  penser  pour 
lui,  pas  même  le  P.  Tellier,  qui  étoit  son  confesseur,  ainsi  que  du 
Roi,  et  qui  étoit  dans  Meudon.  Le  curé  du  lieu  qui  accourut  lui  donna 
l'absolution  sans  connoissance  ;  le  bon  P.  Tellier  étoit  couché.  La  qua- 
lité de  la  maladie  empêcha  toutes  cérémonies  funèbres,  et  rendit  les 
premières  fort  indécentes. 

988.  Ridicule  aventure  de  Monseigneur. 
(Page  70.) 

21  septembre  1693.  —  La  femme  de  Raisin  étoit  parfaitement  belle 
et  excellente  actrice.  Monseigneur  en  fut  amoureux.  Du  Mont,  sou 
écuyer  principal  et  son  favori,  la  lui  mena  un  soir  avec  une  autre  qui 
l'accompagnoit.  Celle-ci  se  trouva  la  première  à  la  porte  que  Monseigneur 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        397 

ouvrit  et  la  tira  dedans,  et  ne  tardant  pas  à  se  satisfaire  sans  dire  un 
mot.  Du  Mont  frappa  à  la  porte  et  cria  qu'il  se  méprenoit.  Il  n'étoit 
plus  temps  :  Monseigneur  la  remit  dehors  et  dit  que  ce  seroit  pour  une 
autre  fois,  et  s'en  retourna  à  tâtons.  Plus  le  conte  est  étrange,  plus  il 
mérite  de  n'être  pas  oublié,  parce  qu'il  est  vrai.  La  revanche  fut  prise, 
et  cette  inclination  dura  assez  pour  qu'il  y  eût  des  enfants  et  mériter 
les  soins  des  courtisans  éveillés  et  même  ceux  du  maréchal  de  Noailles, 
qui,  avec  sa  grande  dévotion,  lui  en  rendoit  beaucoup. 

989.  Retraite  de  Mademoiselle  de  Choin. 

(Page  93.) 

16  avril  1711.  —  Mlle  Choin  ne  demanda  rien,  et  s'alla  enterrer 
chez  elle  à  Paris,  où  elle  vit  ses  amis.  Beaucoup  la  négligèrent  tout 
d'abord,  et  depuis  un  plus  grand  nombre  s'en  retirèrent  peu  à  peu. 
Elle  y  parut  peu  sensible,  comme  s'y  attendant  bien.  Il  lui  en  demeura 
plusieurs  avec  qui  elle  se  consola  des  autres,  et  mena  une  vie  retirée, 
honnête  et  modeste,  sans  presque  plus  sortir  de  chez  elle.  Elle  fut  tou- 
jours parfaitement  désintéressée  et  ne  regretta  que  Monseigneur 
Mme  d'Espinoy  et  sa  sœur  la  virent  toujours  fort  assidûment  et  en 
prirent  un  grand  soin  jusqu'à  sa  mort,  qui  arriva  en*  1732,  dans  une 
maison  près  le  Petit-Saint-Antoine,  où  elle  avoit  toujours  logé,  dans 
de  grandes  intirmités  sur  les  tins,  et  depuis  longtemps  dans  une  grande 
piété. 

990.  La  princesse  d'Angleterre  et  la  Dauphine. 
(Page  97.) 

16  avril  1711.  —  La  princesse  d'Angleterre,  n'étant  héritière  que 
possible  et  accidentelle,  ne  pouvoit  précéder  des  héritiers  directs,  né- 
cessaires et  présomptifs  ;  ainsi  elle  céda  toujours  à  Madame  la  Dau- 
phine. 

991.  Le  deuil  de  Monseigneur. 
(Pape  97.) 

18  avril  1711.  —  La  règle  est  que  les  ducs,  les  officiers  de  la  cou- 
ronne, les  princes  étrangers  et  les  grands  officiers  de  la  maison  du  Roi 
ne  drapent  que  lorsque  le  Roi  drape,  qui  est  le  modèle  de  la  cour,  et, 
le  Roi  ne  portant  point  le  deuil  de  ses  enfants,  personne  ne  dcvoit 
draper  que  les  princes  du  sang,  par  le  respect  et  l'honneur  de  la  pa- 
renté. Il  en  avoit  été  usé  ainsi  à  la  mort  de  Madame  la  Dauphine  femme 
de  Monseigneur;  le  Roi  le  voulut  autrement  pour  Monseigneur. 

1.  Les  mots  en  1732  ont  été  ajoutés  après  coup  en  interligne  au-des- 
sus de  vers  1730,  bitTé  ;  ce  qui  suit  jusqu'à  logé,  a  été  également  ajouté 
en  interligne.  Voyez  ci-dessus,  p.  93,  note  8. 


398  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

992.  Le  duc  et  la  duchesse  de  Berry 
présentent  le  service  au  Dauphin  et  à  la  Dauphine. 

(Page  108.) 

47  avril  ilii.  —  M.  le  duc  de  Berry  se  porta  avec  amitié  et  de  la 
meilleure  grâce  du  monde  à  présenter  le  service  à  Monsieur  le  Dauphin, 
qui  l'embrassa  et  le  reçut  de  lui  avec  peine  et  tendresse  ;  Mme  la  du- 
chesse de  Berry,  qui  devoit  son  mariage  à  Madame  la  Dauphine,  dif- 
féra tant  qu'elle  put  à  le  lui  présenter,  et  ne  le  tit  que  lorsqu'il  lui  fut 
impossible  de  reculer  davantage.  Madame  la  Dauphine  n'en  tit  jamais 
semblant,  et  le  reçut  avec  toutes  les  grâces  qui  étoient  en  elle.  Mme  la 
duchesse  de  Berry  trouvoit  pourtant  fort  mauvais  que  les  princesses 
du  sang  évitassent  de  le  lui  présenter,  et,  y  ayant  longtemps  remarqué 
de  l'affectation,  elle  attrapa  un  jour  Mme  la  princesse  de  Conti,  tille 
de  Madame  la  Duchesse,  qui  l'étoit  venue  voir  gardant  son  lit  :  elle 
demanda  un  moment  après  une  chemise,  et  il  fallut  bien  que  Mme  la 
princesse  de  Conti  la  lui  donnât. 

993.  Réprimande  du  Roi  à  la  duchesse  d'Uzès. 
(Page  112.) 

48  novembre  1687.  —  On  avoit  résolu  de  se  passer  des  draps  étrangers, 
et  les  manufactures  de  France  en  avoient  fabriqué  de  rayés.  Cela  étoit 
fort  vilain  et  aussi  ne  dura  pas.  Le  Roi  avoit  défendu  qu'on  en  portât 
d'autres,  et  y  étoit  fort  sévère  ;  d'où  vint  cette  réprimande  pour  l'habit 
de  Monseigneur,  qui  n'étoit  pas  de  nos  draps  ;  et  M.  de  Montausier, 
comme  ayant  été  gouverneur  de  Monseigneur,  étoit  demeuré  premier 
gentilhomme  de  sa  chambre  et  maître  de  sa  garde-robe,  de  laquelle  il 
laissoit  le  soin  à  sa  tille  la  duchesse  d'Uzès. 

994.  Le  duc  de  Beauvillier  obtient  la  garde-robe  du  Dauphin. 
(Page  113.) 

19  avril  1711.  —  Les  Mémoires  se  contredisent  ici.  On  y  a  vu  la 
duchesse  d'Uzès,  tille  de  M.  de  Montausier  vivant  alors,  avoir  une  af- 
faire avec  le  Roi  pour  un  habit  de  Monseigneur  ',  dans  le  temps  qu'il 
voulut  que  tout  le  monde  fût  vêtu  de  draps  rayés  des  manufactures  de 
France.  Il  se  trouva  que  les  raies  de  cet  habit  de  Monseigneur 
étoient  contrefaites,  et  le  drap  n'être  point  de  ces  manufactures.  C'étoit 
donc  M.  de  Montausier,  et  sa  tille  pour  le  soulager,  qui  avoit  le  soin 
de  la  garde-robe  de  Monseigneur  ;  mais,  après  la  mort  de  M.  de  Mon- 
tausier, personne  ne  pouvoit  plus  avoir  cette  garde-robe  que  M.  de  la 
Rochefoucauld,  et,  comme  il  étoit  fort  attaché  à  tout  avoir  et  à  tout 

1.  Voyez  l'Addition  précédente. 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        399 

conserver,  il  prôlondit  lu  gardo-robo  du  fils  parce  qu'il  avoit  celle  du 
père,  et  lut  tondu  par  M.  de  Beauvillier.  qui  avoit  pour  lui  le  droit  et 
l'exemple  de  M.  de  Moiitausier  tant  qu'il  avoit  vécu. 

99o.  Le  duc  de  Bourgogne 
veut  être  appelé  Monsieur  le  Dauphin. 

(Page  lli.) 

16  avril  1711.  —  Les  langues  allemande  et  espagnole  ne  comportent 
point  le  Monsieur,  car  elles  n'ont  point  de  Monseigneur,  en  parlant 
d'un  tiers.  Une  femme  et  un  tils,  en  parlant  de  son  père  ou  de  son 
mari,  ne  disent  jamais  que  le  duc  ou  le  comte  un  tel  ;  c'est  la  vraie 
raison  de  ce  que  rapportent  les  Mémoires  et  non  pas  un  air  ou  un  raf- 
finement de  grandeur  ;  aussi  cet  usage  ne  put  être  de  mise  ici,  oîi 
on  dit  constamment  Monsieur  et  Madame  la  Dauphineen  parlant  d'eux. 
Monsieur  le  Dauphin,  qui  étoit  instruit  et  qui  voyoit  avec  peine  le  Mon- 
seigneur prodigué  en  parlant  aux  princes  du  sang,  voulut  être  appelé 
Monsieur,  et  reprit  souvent  ceux  qui  lui  disoient  Monseigneur,  jus- 
qu'à ce  qu'on  se  fût  défait  de  cette  habitude. 

996.  Le  chevalier  de  Châtillon. 
(Page  116.) 

27  février  1685.  —  Le*  chevalier  de  Cliàtillon  étoit  fils  de  Bois-Ro- 
gue,  gentilhomme  servant  de  Monsieur  Gaston,  qui  étoit  dans  une 
grande  pauvreté,  et  qui,  depuis  des  siècles,  pouvoit  prouver  une  roture 
de  mère  en  mère  très  complète.  Il  eut  deux  lils  :  ce  cadet-ci  perça  avec 
peu  ou  point  d'esprit,  mais  avec  la  plus  noble  et  la  plus  aimable  ligure 
qu'on  pût  avoir,  qui  l'introduisit  chez  Monsieur  de  charge  en  charge 
jusqu'à  premier  gentilhomme  de  sa  chambre  très  favori,  qui  lui  donna 
intinimeut,  et  les  dames  aussi,  surtout  la  duchesse  de  Cleveland,  qu'il 
ruina.  Il  eut  la  nomination  de  Monsieur  à  la  promotion  de  l'Ordre  de 
1688,  dont  il  [fut]  reçu  le  dernier.  Lui  et  sa  femme  se  brouillèrent  au- 
tant qu'ils  s'étoient  aimés,  et  se  séparèrent.  Il  n'en  eut  que  deux  lilles, 
mariées,  l'une  à  Goësbriand,  l'autre  au  lils  d'un  richard  de  Rouen 
premier  président  de  la  Chambre  des  comptes,  fort  nouveau.  Sur  la  tin 
de  la  vie  de  Monsieur.  M.  de  Châtillon  s'accommoda  de  la  moitié  de 
sa  charge  avec  son  frère  aîné,  qui,  avec  aussi  peu  d'esprit  et  point  de 
tigure,  avoit  percé  à  force  de  temps  jusques  à  devenir  brigadier  de  ca- 
valerie, et  qui  se  maria  aussi  petitement  que  ses  pères.  Son  tils  unique 
épousa  une  lille  du  chancelier  Voysin,  dont  il  n'eut  qu'une  tille,  puis 
une  le  Veneur-Tillieres,  veuve  sans  enfants  d'un  Madaillan  qu'on  ap- 
peloit  Manicamp.  C'est  le  marquis  de  Châtillon  d'aujourd'hui,  mestre 

1.  Cette  Addition  eût  été  mieux  placée  en  regard  des  pages  206-207 
de  notre  tome  H. 


400  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

de  camp  général  de  la  cavalerie  et  chevalier  de  l'Ordre,  qui  promet 
plus  que  ses  pères.  Les  généalogistes  ne  conviennent  pas  tous  que 
cette  très  grande  et  très  illustre  maison  ne  soit  pas  éteinte  il  y  a  bien 
longtemps  ;  mais,  si  ceux-ci  en  sont,  c'en  est  le  reste. 

997.  Les  visites  de  deuil  pour  la  mort  de  Monseigneur. 
(Page  121.) 

20  avril  1711.  —  Rien  de  plus  indécent  que  cette  cérémonie,  oîi 
tout  fut  confondu.  Il  y  eut  des  gens  du  plus  bas  étage  qui  passèrent 
en  revue  en  manteau  ;  on  s'en  moqua,  et  ce  fut  tout.  Le  Roi  voulut 
égaler  ses  bâtards  à  ses  autres  enfants,  en  ordonnant  à  tout  le  monde 
sans  exception  d'aller  chez  eux  en  manteau  et  en  mante,  comme  chez 
M.  et  Mme  la  duchesse  de  Berry.  Cela  fît  du  bruit;  mais  on  obéit,  et 
nul  n'osa  y  manquer. 

998.  La  reine  d'Angleterre 
ne  met  point  de  mante  pour  le  deuil  du  Dauphin. 

(Page  127.) 

24  avril  1741.  —  Cette  excuse  de  la  reine  d'Angleterre  à  Madame  la 
Dauphine  de  n'être  pas  en  mante  étoit  une  grande  honnêteté.  Le  Roi, 
qui  avoit  grand  soin  de  ne  lui  faire  sentir  en  rien  sa  triste  situation, 
n'avoit  garde  de  la  laisser  mettre  en  mante  pour  un  prince  qui  n'étoit 
pas  roi,  c'est-à-dire  un  petit  voile  ;  car  les  veuves,  au  moins  en  France, 
ne  portent  plus  de  mantes  en  nulle  occasion,  mais  seulement  le  même 
petit  voile,  qui  se  met  toujours  quand  on  est  en  mante.  Dès  que  la  reine 
d'Angleterre  n'étoit  point  en  mante,  personne  de  sa  cour  ne  pouvoit 
être  en  mante  ni  en  manteau  que  le  seul  duc  de  Berwick,  comme  Fran- 
(;ois  par  ses  dignités  françoises. 

999.  Le  Dauphin  traité  de  Monseigneur  par  le  Parlement. 
(Page  128.) 

27  avril  474 1.  —  Le  Parlement  et  le  premier  président  furent  morti- 
fiés de  cet  ordre  d'aller  chez  Monsieur  et  Madame  la  Dauphine,  et  de 
traiter  Monsieur  le  Dauphin  de  Monseigneur.  Le  Roi  le  leur  avoit  fait 
dire  pour  que  la  harangue  fut  prête  et  qu'il  n'y  eût  point  de  représen- 
tations au  moment  d'y  aller.  La  vérité  est  que,  depuis  Henri  II,  il  n'y 
avoit  eu  que  le  dernier  Dauphin  en  état  d'être  harangué  par  le  Parle- 
ment, qui  l'avantagea  volontiers  de  toutes  occurrences  ^  On  a  vu,  à  la 
mort  de  Mme  la  dauphine  de  Bavière,  comme  cela  se  passa  à  cet  égard. 


1.  Les  sept  derniers  mots  ont  été  biffés  sur  le  manuscrit  par  un  cor- 
recteur postérieur. 


ALI  JOURNAL  DE  DANGEAU.        404 

1000.   On  ne  doit  point  interrompre  les  gens  du  Roi. 
(Page  128  note.) 

27  avril  1711.  —  II*  est  vrai  qu'on  n'interrompt  point  les  gens  du  Roi  ; 
mais  c'est  quand  ils  plaident,  par  respect  pour  celui  pour  qui  ils  par- 
lent, ou  pour  le  public  pour  lequel  ils  parlent,  dans  des  causes  de  mi- 
neurs ou  de  droit  public. 

1001.  Mort  et  portrait  de  la  duchesse  de  Villeroy. 

(Page  129.) 

23  avril  1711.  —  La  duchesse  de  Villeroy,  avec  un  visage  singulière- 
ment agréable,  une  grande  taille  mais  des  hanches  hautes,  paroit  ex- 
trêmement un  bal,  et  sans  esprit  étoit  parvenue  à  faire  une  tigure  à  la 
cour.  Elle  étoit  haute  naturellement,  et  quelquefois  tenoit  de  la  bru- 
talité des  le  Tellier,  et  comme  eux  se  faisoit  justice  entière  et  publique 
sur  sa  naissance,  même  sur  celle  de  son  mari,  qu'elle  avoit  subjugué, 
ainsi  que  son  beau-père.  Elle  étoit  dans  l'intimité  de  Mme  la  duchesse 
d'Orléans  et  dans  les  confidences  de  Madame  laDauphine;  toutes  deux 
'l'aimoient  fort,  mais  ne  la  craignoient  guère  moins.  Elle  étoit  bonne, 
vive  et  sûre  amie,  et  avoit  des  amis  et  des  amies.  Peu  avant  sa  mort, 
elle  dit  qu'elle  se  trouvoit  si  heureuse  que  cela  lui  faisoit  peur.  Elle 
craignoit  fort  la  petite  vérole,  et,  malgré  cette  frayeur,  elle  eut  la  pe- 
titesse de  courir  après  la  distinction  de  suivre  Madame  la  Dauphine  à 
Marly  le  lendemain  de  la  mort  de  Monseigneur,  sous  prétexte  d'aller  voir 
son  mari  en  quartier  de  capitaine  des  gardes,  et  en  effet  pour  cette 
petite  distinction.  Elle  étoit  saisie  de  peur.  On  tit  ce  qu'on  put  pour 
l'empêcher  d'y  aller  ;  mais  elle  le  voulut,  et  en  mourut.  Son  mari  y 
perdit  beaucoup,  s'enferma  avec  elle,  et  s'en  consola  très-promptement. 

4002.  Mort  de  l'empereur  Joseph. 
(Pages  132-133.) 

2o  avril  1711.  —  L'empereur  Joseph  fut  peu  regretté  des  siens. 
G'étoit  un  prince  emporté  et  violent,  et  d'esprit  et  de  talents  au-dessous 
du  médiocre,  et  qui  vivoit  avec  peu  d'égards  pour  l'Impératrice  sa 
mère,  et  peu  d'amitié  pour  l'Archiduc  son  frère,  qui  lui  succéda.  Le 
prince  Eugène  y  perdit. 

4003.  Le  comte  de  Caravas. 
(Page  13o.) 
30  avril  1741.  —  Ce  comte  de  Caravas  étoit  Gouffier,  qui  étoit  fort 

1.  Cette  Addition  a  trait  aune  anecdote  que  rapporte  Dangeau  à  pro- 
pos des  harangues  des  cours  pour  la  mort  de  Monseigneur,  mais  que 
Saint-Simon  n'a  pas  reproduite. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI  26 


402  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

pauvre  et  assez  dans  le  monde  ;  il  a  laissé  des  enfants  d'une  demoiselle 
hollandoise  qu'il  avoit  épousée  en  Hollande,  et  qui  étoit  tante  pater 
nelle  de  ce  duc  de  Ripperda,  premiei'  ministre  d'Espagne,  qui  a  fait 
tant  de  bruit  et  si  court  sous  Philippe  V*,  et  qui  s'est  sauvé  en  Afrique. 

1004.  Le  procès  du  marquis  d'Antin  et  Védit 
sur  les  duchés-pairies. 

(Page  138.) 

20  mai  17ii.  —  L'édit  de  1711  sur  les  duchés  étant  entre  les  mains 
de  tout  le  monde,  et  les  factums  pour  et  contre  la  prétention  de 
M.  d'Antin  à  la  dignité  d'Epernon,  on  s'abstiendra  d'en  charger  ces 
courtes  notes.  Ce  procès  fut  un  chausse-pied  à  cet  habile  courtisan 
pour  arriver  où  il  ne  pouvoit  parvenir,  et  il  ne  l'entreprit  que  dans 
cette  espérance.  Toutes  ces  étranges  prétentions,  et  celle  entre  autres 
de  M.  de  Luxembourg,  qui  n'étoit  point  définitivement  jugée,  celle  de 
MM.  de  Saint-Simon  et  de  la  Rochefoucauld  l'un  contre  l'autre,  celle 
du  marquis  de  Richelieu  pour  Aiguillon,  celle  que  M.  de  Chevreuse 
n'osa  tenter  pour  Chaulnes,  mais  qui  lui  servit  de  chausse-pied  aussi 
en  particulier  auprès  du  Roi,  celle  de  d'Antin  ^  furent  les  principales 
causes  d'un  éditqui,  en  donnant  des  choses  médiocres,  ou,  pour  mieux 
dire,  assurant  aux  ducs  des  choses  médiocres  qu'ils  avoient  toujours 
eues,  les  dépouillèrent  en  faveur  des  bâtards  de  leurs  droits  certains 
et  les  plus  fondamentaux  ;  et,  sans  cet  intérêt  des  bâtards,  le  Roi 
n'eût  jamais  pensé  à  cet  édit.  On  en  dit  autant  à  plus  forte  raison  sur 
l'affaire  de  la  Constitution  Unigenitus,  qui  a  enfanté  tant  de  volumes 
historiques  et  doctrinaux.  Le  P.  le  Tellier,  à  bout  sur  l'affaire  de  la 
Chine,  songea  à  se  venger  de  l'indépendance  du  cardinal  de  Noailles, 
et  à  donner  du  même  coup  tant  d'affaires  au  Pape  et  tant  de  besoin 
de  lui,  qu'il  lui  fît  quitter  prise  sur  la  Chine,  et  il  sut  pleinement 
réussir  à  l'un  et  à  l'autre. 

1005.  Dispute  de  préséance 
entre  les  ducs  de  Saint-Simon  et  de  la  Rochefoucauld. 

(Pages  194-195.) 

17  mars  1714.  —  On  s'est  déjà  expliqué  que  ces  Additions  ne  pou- 
voient  contenir  les  procès  de  préséance,  on  se  contentera  donc  ici  des 
faits  que  les  Mémoires  ignorent  ou  qu'ils  ont  cru  devoir  voiler.  La 
Rochefoucauld  fut  érigé  en  comté  par  François  I"""  en  1328,  et  la  juris- 
diction  de  ce  bailliage  ne  fut  réglée  qu'en  1566  sous  Charles  IX.  En 
1622,  Louis  XIII  érigea  ce  comté  en  duché-pairie,  qui  ne  fut  enregistré 
qu'en  septembre  1631,  parce  que,  dans  l'intervalle,  le  nouveau  duc 

i.  Ici  le  correcteur  a  ajouté  en  interligne  :  en  1726. 
2.  Ces  quatre  mots  ont  été  biffés  par  le  correcteur. 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        403 

entra  fort  avant  dans  toutes  les  factions  d'Etat,  qui  le  rendirent  crimi- 
nel. L'enregistrement  fait,  ce  duc  se  rengagea  de  nouveau  si  publique- 
ment avec  les  factieux  qu'il  essuya  les  mêmes  condamnations  et  les 
mêmes  peines  :  ses  bois  de  haute  futaie  furent  coupés  à  hauteur 
d'homme,  ses  châteaux  furent  rasés,  et  entre  autres  Verteuil,  sa  belle 
maison  et  sa  résidence  quand  il  étoit  en  province.  La  paix  ayant  été 
rendue  à  l'État  et  les  abolitions  accordées,  le  duc  de  la  Rochefoucauld 
songea  à  se  faire  recevoir  pair  au  Parlement  et  le  fut  en  effet  le  24 
juillet  1637.  Ce  ne  fut  donc  pas,  comme  disent  les  Mémoires,  parce  que 
M.  de  la  Rochefoucauld  fut  employé  pendant  tout  ce  temps-là  qu'il  ne 
put  être  ni  enregistre  ni  reçu,  mais  par  les  raisons  qu'on  vient  de 
dire,  et  que  les  histoires  et  les  mémoires,  les  pièces  des  procès  faits 
aux  rebelles  et  leurs  abolitions  prouvent  authcntiquement.  Cependant 
M.  de  Saint-Simon,  gouverneur  de  Blaye  alors,  premier  écuyer  du 
Roi,  premier  gentilhomme  de  sa  chambre,  chevalier  du  Saint-Esprit, 
etc.,  fut  fait  duc  et  pair  par  lettres  de  janvier  i63o,  enregistrées,  et  lui 
reçu  pair  au  Parlement,  le  4«'"  février  suivant.  M.  de  Retz,  gendre 
d'autre  duc  de  Retz  qui  n'avoit  point  de  flls,  et  son  cousin  germain, 
avoit  obtenu  en  faveur  de  ce  mariage  de  nouvelles  lettres  d'érection 
de  Retz  en  iG34,  et  avoit  été  reçu  en  conséquence  au  Parlement.  M. 
de  la  Rochefoucauld  y  étant  reçu,  pour  la  première  fois  depuis  son 
érection,  en  1637,  prétendit  avoir  rang  de  la  date  de  son  enregistre- 
ment ou  vérification  de  4631,  et  MM.  de  Retz  et  de  Saint-Simon  le  lui 
contestèrent,  si  bien  qu'il  fut  obligé  de  recourir  au  Roi,  qui  renvoya 
au  Parlement  le  jugement  de  cette  dispute,  et,  en  attendant,  ils  convin- 
rent de  se  trouver  et  de  s'absenter  alternativement  à  toutes  les  céré- 
monies. Cela  dura  de  la  sorte  jusqu'au  lit  de  justice  du  7  septembre 
1643.  Le  Roi  ayant  voulu  être  accompagné  de  tous  les  pairs  qui  s'en 
Irouvoient  à  portée,  M.  de  la  Rochefoucauld  voulut  s'en  excuser,  parce 
que  c'étoit  le  tour  de  M.  de  Retz,  (jui  étoit  à  Paris,  et  qui,  ayant  un 
intérêt  en  cela  commun  avec  M.  de  Saint-Simon  qui  étoit  à  Blaye, 
faisoit  également  pour  lui.  La  Reine  mère,  qui  étoit  régente  et  qui 
voulut  l'assistance  de  tous  les  pairs,  ht  expédier  la  veille  du  lit  do 
justice  un  brevet  par  Loménie,  secrétaire  d'Etat,  portant  l'alternative 
de  préséance  entre  eux  en  toutes  cérémonies,  même  au  Parlement,  et 
de  tirer  au  sort  la  préséance  du  lendemain,  ce  qui  fut  exécuté.  Elle 
échut  au  duc  de  Retz,  qui  y  précéda  le  duc  de  la  Rochefoucauld,  et 
ce  brevet,  quoique  brevet  et  non  lettres  patentes  enregistrées,  ne  laissa 
pas  d'être  mis  sur  les  registres  du  Parlement  et  d'avoir  lieu  pour  la 
brièveté  du  temps.  Les  choses  en  demeurèrent  en  ces  termes  jusqu'en 
•1702,  que  le  duc  de  Saint-Simon  d'aujourd'hui  fut  reçu  au  Parlement. 
Retz  étoit  éteint,  il  y  avoit  longtemps,  de  sorte  qu'il  étoit  resté  seul  en 
cause.  Le  procès  de  préséance  entre  M.  le  maréchal-duc  de  Luxem- 
bourg, et  son  tîls  après  lui,  avoit  formé  de  la  liaison  entre  M.  de  Saint- 
Simon  et  les  autres  ducs  intéressés  dans  la  même  cause,  quoique  fort 
disproportionnés  d'âge,  tellement  que,  voulant  être  reçu  au  Parlement, 


^04  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

il  alla  en  prier  M.  de  la  Rochefoucauld,  et  y  ajouta  que,  sans  s'infor- 
mer qui  étoit  en  tour,  il  le  prioit  de  le  précéder,  pourvu  qu'il  voulût 
bien  lui  promettre  de  se  trouver  aussi  à  la  première  réception  qui 
arriveroit  et  de  lui  laisser  prendre  son  tour.  Peu  de  jours  après,  le 
duc  de  la  Trémoïlle  lui  vint  proposer  de  la  part  de  M.  de  la  Roche- 
foucauld de  faire  juger  le  procès  et  de  trouver  bon  en  attendant  qu'ils 
ne  se  trouvassent  point  ensemble.  M.  de  Saint-Simon,  qui  vouloit 
éviter  un  procès,  fut  trouver  M.  de  la  Rochefoucauld.  Celui-ci  tint 
ferme,  et  proposa  que,  pour  éviter  le  procès  et  les  aigreurs  qui  trop 
naturellement  suivent  ceux  de  cette  espèce,  ils  prissent  des  pairs 
pour  juges  et  Daguesseau,  procureur  général,  pour  rapporteur.  M.  de 
Saint-Simon  eut  beau  lui  représenter  que  cette  forme  seroit  destituée 
d'un  pouvoir  qui  n'appartenoit  qu'au  Roi,  ou  qu'au  Parlement  par  le 
renvoi,  le  favori  vieillard  ne  voulut  pas  être  contredit,  et,  quoique  cela 
ne  pût  mener  à  rien  de  la  sorte,  il  en  fallut  passer  par  là.  Ils  convin- 
rent de  pairs  de  part  et  d'autre  qui  acceptèrent,  et  M.  de  Saint-Simon 
en  choisit  quelques-uns,  malgré  eux,  parce  qu'ils  s'étoient  ouverts 
contre  lui  dans  l'ignorance  du  fonds  de  la  question.  Quoique  convenus 
de  parler  au  Roi  ensemble,  M.  de  la  Rochefoucauld  le  prévint  seul,  et 
cependant  le  Roi  parut  content  de  ce  que  M.  de  Saint-Simon  lui  dit 
ensuite.  Il  avoit  été  convenu  aussi  que  les  titres  et  les  mémoires 
seroient  signés  par  chacun,  remis  à  l'évêque-duc  de  Laon,  l'ancien  des 
commissaires,  et  par  lui  communiqués  à  l'autre  partie,  et  ainsi  des 
l'éponses.  M.  de  la  Rochefoucauld  pressa  vivement.  Quand  M.  de  Saint- 
Simon  se  trouva  prêt,  il  en  avertit  Monsieur  de  Laon  pour  que  M.  de 
la  Rochefoucauld  formât  sa  demande.  Celui-ci  vouloit  que  l'autre  par- 
lât le  premier,  qui  se  retranchoit  à  dire  qu'il  ne  demandoit  rien  ;  qu'il 
se  trouvoit  content  de  l'alternative,  mais  que,  M.  de  la  Rochefoucauld 
ayant  absolument  voulu  être  jugé,  et  jugé  en  cette  forme,  il  se  con- 
tentoit  d'être  prêt  à  répondre  à  la  prétention  que  Monsieur  de  Laon 
lui  communiqueroit.  Ce  débat,  qui  dura  quelque  temps,  mit  M.  de  la 
Rochefoucauld  de  mauvaise  humeur,  qui,  désespérant  de  faire  parler 
un  homme  qui  avoit  résolu  de  se  taire,  délivra  entin  sa  demande  à 
Monsieur  de  Laon,  qui  ne  contenoit  que  le  fait  en  quatre  lignes,  tout 
nu  et  sans  aucun  raisonnement.  M.  de  Saint-Simon  y  répondit  par  un 
mémoire  de  ses  raisons  que  Monsieur  de  Laon  communiqua.  Alors 
M.  de  la  Rochefoucauld  changea  d'avis,  se  mit  en  colère,  dit  qu'il 
n'avoit  rien  à  dire  ni  à  répondre  de  plus  que  les  quatre  lignes  qu'il 
avoit  données  ;  que  ses  titres  et  papiers  avoient  été  brûlés  avec  une 
partie  de  son  hôtel  à  Paris,  il  y  avoit  quinze  ou  seize  ans,  et  que  ces 
Messieurs  jugeassent  et  tissent  tout  comme  il  leur  plairoit,  pourvu 
qu'il  n'en  entendît  plus  parler.  Ce  que  l'on  crut  humeur  étoit  réso- 
lution. M.  de  Saint-Simon,  ravi  de  n'avoir  point  à  être  jugé  si  peu 
juridiquement,  se  garda  bien  de  s'en  plaindre,  et  l'affaire,  entamée 
depuis  quatre  ou  cinq  mois  au  plus,  en  resta  là  tout  court.  En  4711, 
l'intérêt  des  bâtards,  sous  l'apparence  de  celui  des  pairs   et  d'ôter 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        405 

occasion  aux  procès  ineptes  et  chimériques  en  prétention  de  pairies  et 
d'ancienneté  de  pairies  dont  on  entendoit  parler  tous  les  jours,  et  que 
celui  de  M.  de  Luxembourg  avoit  fait  naître,  fit  prendre  la  voie  d'un 
édit'  pour  les  régler  et  diverses  autres  choses  qui  y  avoient  rapport.  La 
question  de  MM.  de  Saint-Simon  et  de  la  Rochefoucauld  se  trouva 
décidée  avec  plusieurs  autres.  M.  de  la  Rocheguyon,  qui  ne  le  vit 
qu'après  son  enregistrement,  se  plaignit  amèrement  d'avoir  été  con- 
damné sans  avoir  été  entendu,  et  amena  Monsieur  son  père  aveugle 
au  Roi,  qui  tit  des  cris  si  lamentables,  que,  malgré  un  édit  enregistré, 
il  obtint  que  son  affaire  seroit  examinée  et  jugée  tout  de  nouveau 
comme  si  elle  ne  l'avoit  jamais  été,  et  qu'il  n'y  eut  point  eu  d'édit  ; 
mais  le  Roi  ne  voulut  soumettre  cette  partie  de  son  édit  qu'à  lui- 
même,  ni  le  rapport  de  l'affaire  qu'à  celui  qui  avoit  dressé  l'édit,  et  il 
fut  décidé  que  les  parties  mettroient  leurs  titres,  pièces  et  raisons 
signées  d'eux  au  Chancelier,  alors  M.  de  Pontchartrain,  qui  les  com- 
muniqueroit  de  l'un  à  l'autre  sans  signification,  et  qui  rapporteroit 
seul  l'affaire  au  Roi,  lequel  tête  à  tête  avec  lui  la  jugeroit  définitive- 
ment. Ce  fut  encore  la  même  chose  qu'avec  les  arbitres  à  qui  parleroit 
le  premier.  Les  mois  s'écoulèrent  et  se  redoublèrent  ;  enfin,  comme 
l'autre  fois,  M.  de  la  Rochefoucauld  se  vit  forcé  par  le  silence  de 
l'autre  ;  mais  comme  il  avoit  porté  l'affaire  devant  le  Roi,  il  n'y  eut 
pas  moyen  de  ne  donner  que  quatre  lignes,  ni  encore  moins  pour 
réplique  d'envoyer  promener  le  jugement.  Il  forma  donc  une  demande 
raisonnée  ;  la  réponse  la  fut  pareillement.  On  avait  commencé  civile- 
ment de  part  et  d'autre  ;  mais  la  politesse  ne  dura  pas  longtemps.  La 
finesse  consistoit  d'un  côté  à  piquer  le  Roi  de  jalousie  et  à  lui  faire 
entendre  que  M.  de  la  Rochefoucauld  soutenoit  son  droit  de  pouvoir 
seul  faire  des  pairs,  tandis  que  M.  de  Saint-Simon  ne  pouvoit  soutenir 
sa  cause  qu'en  attribuant  indirectement  au  Parlement  le  pouvoir  d'y 
concourir  et  de  faire  par  ce  concours  nécessaire  un  pair  conjointement 
avec  le  Roi,  en  confirmant  son  autorité  par  la  sienne.  Cet  artifice,  qui 
toucha  le  Roi,  et  qui  pensa  sans  autre  examen  emporter  la  cause,  fut 
rendu  plus  sensible  à  M.  le  duc  de  Saint-Simon  par  quelques  traits 
semés  dans  l'écrit  avec  une  indiscrétion  hasardée,  tellement  qu'ayant 
évité  jusqu'alors  tout  ce  qui  pouvoit  déplaire,  jusqu'à  en  affoiblir  sa 
cause,  il  se  lâcha  dans  une  réplique  qu'il  fit  lui-même,  expressément 
avec  peu  de  mesure  sur  ce  qui  l'avoit  choqué,  et  il  s'étendit  sur  les 
rébellions  qui  avoient  arrêté  l'enregistrement  puis  la  réception  de  M. 
de  la  Rochefoucauld  depuis  tant  d'années,  dont  il  fit  le  parallèle  avec 
la  fidélité  et  les  services  de  son  père.  Des  amis  communs,  alarmés 
d'une  si  forte  repartie,  firent  entendre  à  M.  de  la  Rocheguyon  combien 
il  y  étoit  intéressé.  A  peine  fut-elle  donnée  au  Chancelier,  qu'ils  firent 
les  derniers  efforts  pour  qu'elle  n'allât  pas  plus  loin.  M.  de  la  Roche- 

1.  Le  texte  primitif  était  fit  prendre  un  édit  ;  Saint-Simon  a,  de  sa 
main,  corrigé  un  en  d'un,  et  ajouté  la  voye  en  interligne. 


406  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

guyon  fit  des  excuses  de  l'écrit  qui  avoit  blessé,  le  rejeta  sur  ses  gens 
d'affaires,  le  supprima  entièrement,  et  il  obtint  enfin  que  la  réplique, 
dont  quelques  copies  avoient  déjà  couru,  ne  seroit  point  imprimée. 
Dans  la  suite,  il  prit  fort  garde  qu'il  n'échappât  rien  de  sa  part  que  de 
correct,  et  l'honnêteté  de  part  et  d'autre  fut  rétablie,  à  quoi  le  duc  de 
Noailles  contribua  beaucoup.  Enfin  le  jugement  approchant,  M.  de  la 
Rocheguyon  fit  proposer,  puis  presser  M.  de  Saint-Simon,  et  à  plusieurs 
reprises,  de  consentir  à  un  accommodement  qui  donnât  à  l'un  la  pré- 
séance à  la  cour,  et  la  préséance  à  l'autre  au  Parlement  et  en  toutes 
les  cérémonies  d'État  et  de  la  couronne,  et  cette  dernière  à  M.  de 
Saint-Simon  ;  mais  celui-ci,  qui  croyoit  sa  cause  bien  fondée,  et  qui 
ne  se  trouvoit  point  en  pareils  termes  que  MM.  d'Uzès  et  de  la  Tré- 
moïlle,  qui  se  précèdent  ainsi,  refusa  toujours,  d'y  consentir,  et  finale- 
ment gagna  le  total,  comme  les  Mémoires  le  rapportent.  MM.  de  la 
Rochefoucauld  et  de  la  Rocheguyon  en  furent  outrés,  et  ne  purent 
s'en  cacher  ;  l'arrêt  fut  présenté  et  enregistré  au  Parlement,  et  l'affaire 
demeura  consommée.  Le  lendemain  de  la  mort  du  Roi,  M.  de  la 
Rocheguyon,  lors  duc  de  la  Rochefoucauld  par  la  mort  de  son  père, 
se  fit  recevoir  au  Parlement  un  quart  d'heure  avant  que  M.  le  duc 
d'Orléans  et  la  plupart  des  pairs  y  arrivassent  pour  l'ouverture  du  tes- 
tament du  Roi,  déposé  alors  au  Parlement.  De  Mesmes.  premier  pré- 
sident, ami  de  la  Rochefoucauld  et  fort  mal  avec  Saint-Simon,  proposa 
au  premier  de  protester,  de  demander  au  Parlement  la  revision  de  son 
procès  de  préséance  et  de  le  recommencer  de  nouveau  ;  mais  il  eut  le 
chagrin  que  M  de  la  Rochefoucauld  se  montra  plus  équitable  et  plus 
raisonnable  que  lui.  Il  insista  inutilement,  et  jamais  M.  de  la  Roche- 
foucauld n'y  voulut  entendre  et  déclara  qu'il  se  trouvoit  bien  condamné. 
Peu  après,  M.  de  Saint-Simon  arriva,  qui  se  mit  sans  difSculté  au- 
dessus  de  lui  ;  il  s'y  mit  de  même  à  la  séance  de  l'après-dînée,  au  lit 
de  justice  qui  suivit  peu  après  et  toujours  depuis,  sans  que  M.  de  la 
Rochefoucauld  ait  évité,  ni  témoigné  de  peine  ;  mais,  quand  M.  de 
Saint-Simon  fut  nommé  chevalier  du  Saint-Esprit  en  1728,  M.  de  la 
Rochefoucauld,  qui  l'étoit  dès  1724,  lui  envoya  Breteuil,  prévôt  et  grand 
maître  des  cérémonies  de  l'Ordre,  qui,  sous  prétexte  de  visite  de 
civilité,  lui  dit  comme  de  lui-même  qu'il  ne  savoit  pas  s'il  n'y  auroit 
pas  quelque  difficulté  entre  lui  et  M.  de  la  Rochefoucauld.  Ils  ne 
s'étoient  trouvés  ensemble  en  aucune  cérémonie  qu'au  Parlement,  et 
M.  de  Saint-Simon,  qui  avoit  prévu  quelque  tentative,  avoit  mis  à  part 
les  pièces  principales  de  cette  affaire,  l'arrêt  rendu  par  le  Roi  et  son 
enregistrement.  Il  demanda  à  Breteuil  d'oîi  lui  venoit  ce  soupçon,  et 
ajouta  qu'il  l'alloit  rendre  juge  s'il  pouvoit  être  fondé,  puis  lui  montra 
ce  qu'il  avoit  préparé.  Rreteuil,  qui,  sur  ce  qu'on  lui  avoit  dit,  croyoit 
au  moins  la  chose  douteuse,  demeura  fort  étonné,  et  dit  qu'il  diroit 
nettement  à  M.  de  la  Rochefoucauld  qu'il  n'y  avoit  pas  de  question, 
qui,  ayant  les  mêmes  pièces,  n'auroit  pas  dû  la  tâtonner.  Breteuil 
revint  quelques  jours  après;   il   assura  M.   de   Saint-Simon  qu'il   ne 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        407 

irouveroit  aucune  difficulté,  mais  que  M.  de  la  Rochefoucauld  l'avoit 
prié  de  le  faire  entendre  à  sa  femme.  Il  ne  fut  donc  plus  question  de 
rien  à  cet  égard.  Cependant,  M.  de  Saint-Simon  ayant  reçu  l'Ordre  à 
la  Chandeleur  17:28,  et  marchant  de  l'autel  à  sa  place  de  profès  au 
bas  de  la  chapelle,  près  du  prie-Dieu  du  Roi,  il  eut  quelque  inquié- 
tude, parce  que.  approchant  tout  contre,  M.  de  la  Rochefoucauld  ne 
hranloit  point  ;  il  attendit  en  effet  que  M.  de  Saint-Simon  fût  vis-à-vis 
de  lui,  et  alors  il  se  baissa  et  lui  tit  une  place  au-dessus  de  lui,  qu'il 
prit.  Il  se  trouva  ainsi  entre  deux  hommes  qui  moururent  bientôt 
après  :  M.  de  la  Rochefoucauld  avant  la  Pentecôte,  et  M.  de  Sully  à  la 
Chandeleur  un  an  après. 

1006.  Mademoiselle  de  Lillebonne  abbesse  de  Remiremont. 
(Page  269.) 

13  juin  1711.  —  Mlle  de  Lillebonne,  tombée  de  tout  par  la  mort  de 
Monseigneur,  trouva  un  établissement  et  une  retraite  honnête,  et  qui 
ne  la  contraignoit  en  rien.  Elle  se  mit  à  passer  une  partie  de  l'année  à 
Nancy  ou  à  Remiremont,  et  huit  ou  neuf  mois  à  Paris  et  à  la  cour. 
Peu  à  peu  elle  allongea  ses  absences,  et  sa  sœur,  qui  les  faisoit  bien 
plus  courtes,  lui  tenoit  souvent  compagnie. 

1007.  La  mort  du  Dauphin  fait  suspendre  le  jeu  à  Marly. 
(Page  323.) 

;>  mai  17M.  —  La  mort  de  Monseigneur  interrompoit  le  jeu  à  Marly, 
cl  introduisit  l'oie  en  particulier,  pour  amuser  Madame  la  Dauphino, 
qui  u'avoit  pas  lieu  d'être  affligée,  et  qui  ne  l'étoit  pas  aussi. 

1008.  Le  duc  d'Albe  et  sa  maison. 
(Pages  328-329.) 

•28  mai  1711.  —  Le  fameux  don  Ferdinand  de  Tolède,  duc  d'Albe, 
si  connu  sous  Charles  V  et  sous  Philippe  II  par  la  révolte  des  Pays- 
Bas  et  par  la  conquête  du  Portugal,  qui  fut  son  dernier  exploit,  eut 
(le  mâle  en  mâle  pour  bisaïeul  le  troisième  comte  d'Albe,  fait  duc 
en  1469  par  Henri  IV,  roi  de  Castille,  qui  le  tit  aussi  marquis  de 
Cauria.  Le  père  de  ce  premier  comte  d'Albe  étoit  neveu  de  Guttiere 
Gomez  de  Tolède,  mort  archevêque  de  Tolède,  qui  légua  le  comté 
d'Albe  à  ce  iils  de  son  frère,  et  duquel  Jean  II,  roi  de  Castille,  lui  avoit 
fait  don  avec  titre  de  comté  en  1430.  Le  tils  du  tils  de  ce  célèbre  duc 
d'Albe  épousa  l'héritière  de  la  maison  de  Beaumonl,  si  connue  en 
Navarre  et  dans  les  pays  voisins,  bâtarde  des  comtes  de  Lerin  de  la 
maison  de  France  ;  elle  étoit  héritière  du  comté  de  Lerin  et  des  titres 
de  connétable  et  de  chancelier  de  Navarre.  Leur  fils  fut  Ferdinand, 
duc  d'Albe,  père  du  père  du  duc  d'Albe  dont  il  s'agit,  mort  ambassa- 


408  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

deur  en  France.  Comme  il  avoit  perdu  son  6Is  unique,  et  qu'il  n'avoit 
point  de  fille,  ses  grandesses  et  tous  ses  biens  passèrent  à  son  oncle 
paternel,  qui  prit  le  nom  de  duc  d'Albe,  et  qui  jusqu'alors  avoit  porté 
le  nom  de  marquis  del  Carpio  par  sa  femme  héritière,  qui  l'a  fait 
grand  d'Espagne  et  qui  est  fille  du  fils  du  célèbre  don  Louis  d'Haro, 
des  conférences  de  l'île  des  Faisans  avec  le  cardinal  Mazarin,  où  ils 
firent  la  paix  des  Pyrénées  et  le  mariage  du  feu  roi. 

1009.  La  maison  d'Urfé. 
(Page  345.) 

2  novembre  1685.  —  Le  nom  de  M.  d'Urfé  est  Urfé,  tout  des  meil- 
leurs de  Bresse.  Lascaris  était  alliance  et  jonction  de  nom  d'une 
branche  des  Lascaris  venue  de  Constantinople  en  Italie  à  la  chute 
dernière  de  cet  empire,  oîi  il  y  a  eu  des  Lascaris  qui  ont  régné. 
Comme  la  maison  d'Urfé  est  éteinte,  il  est  inutile  de  s'étendre  là- 
dessus. 


APPENDICE 


SECONDE     PARTIE 


MORT,  DEUIL  ET  OBSÈQUES  DE  MONSEIGNEUR  ' 

Nous  réunissons  dans  cet  appendice  diverses  relations  de  la  mort 
de  Monseigneur  et  de  ses  obsèques,  ainsi  que  d'autres  pièces  qui  s'y 
rapportent.  En  premier  lieu,  nous  extrayons  de  la  copie  de  la  Correspon- 
dance du  duc  du  Maine,  dont  nous  devons  la  bienveillante  communica- 
tion à  feu  Monsieur  le  Comte  de  Paris,  et  à  laquelle  nous  avons  déjà 
fait  de  fréquents  emprunts,  une  lettre  écrite  dès  le  début  de  la  maladie. 

Le  duc  du  Maine  à  Mme  de  Maintenon  -. 

«  Versailles,  le  11  avril  1711. 

«Voilà  donc  la  petite  vérole  déclarée,  Madame.  Vous  savez  qu'elle  ne 
doit  pas  nous  avoir  surpris  ;  mais  permettez-moi  de  vous  redire  encore 
un  mot  sur  l'extrême  inquiétude  que  j'ai  pour  la  personne  du  Roi.  Ne 
voyons  point  trop  noir  ;  songez  seulement,  je  vous  en  conjure,  que 
dans  un  air  de  venin  la  petite  vérole  n'est  pas  le  seul  mal  que  l'on 
puisse  prendre,  et  où  nous  en  serions  si  S.  M.  alloit  être  incommo- 
dée. Au  nom  de  Dieu,  Madame,  que  le  peu  de  succès  que  vous  avez 
lieu  d'attendre  de  vos  représentations  ne  vous  empêche  point  de  les 
faire  bien  vivement,  et  de  vous  joindre  pour  cela  avec  M.  Fagon.  J'ai 
eu  le  cœur  vraiment  touché  ce  matin  des  dispositions  de  tendresse  que 
j'ai  vues  à  M.  le  duc  de  Bourgogne  ;  il  m'a  fait  l'honneur  de  me  mon- 
trer la  lettre  qu'il  écrit  au  Roi,  et  m'a  dit  qu'il  vous  en  écrivoit  une 
encore  plus  forte.  Le  Roi  ne  doit  point  se  regarder  comme  un  simple 
particulier:  qu'il  s'expose  pour  sauver  son  État  à  un  danger  indispen- 
sable, nous  tremblerons  ;  mais  nous  ne  l'en  détournerons  pas.  Mais 

1.  Ci-dessus,  p.  5,  8ij  et  suivantes. 

2.  Correspondance  du  duc  du  Maine,  2*  registre,  fol.  171. 


4i0  APPENDICE  I. 

ici  c'est  tout  lo  contraire,  et  le  salut  de  son  État  lui  demande  de  ne  se 
point  exposer.  Il  peut  en  se  ménageant  satisfaire  à  son  inquiétude  : 
étant  au  château  neuf,  ou  du  moins  n'entrant  point  dans  la  chambre 
de  Monseigneur,  il  peut  en  avoir  des  nouvelles  à  toute  heure.  Qu'il 
se  dise  à  lui-même  ce  qu'il  nous  a  dit  à  tous;  qu'il  songe  à  la  con- 
joncture où  nous  sommes,  et  que  tout  réside  en  lui  ;  que  le  péril  de 
Monseigneur  le  doit  presser  de  ménager  le  sien  davantage.  Enfin, 
Madame,  n'ayez  rien  à  vous  reprocher  pour  sa  précieuse  conservation  ; 
vous  ne  sauriez  vous  imaginer  en  quelle  agitation  je  suis,  et  ce  qui  se 
passe  en  moi  séparé  du  Roi  ;  le  style  de  cette  lettre,  que  je  vous  sup- 
plie d'excuser,  vous  donnera  quelque  idée  de  mon  trouble  ;  il  est  en 
vérité  bien  incommode  de  tant  aimer.  » 

Bien  que  la  lettre  qui  va  suivre  ait  déjà  été  imprimée  plusieurs  fois, 
elle  présente  des  détails  si  curieux,  si  précis  et  si  intimes  que  nous 
croyons  devoir  en  insérer  ici  le  texte,  d'après  la  copie  qui  s'en  trouve 
au  Musée  Britannique,  ms.  Addit.  20920,  et  que  A.  Geffroy  a  reproduite 
dans  son  recueil  (tome  II,  p.  276-280). 

Mme  de  Maintenon  à  la  princesse  des  Ursins. 

«  Marly,  le  16  avril  1711. 

<f...  Quel  sujet  de  lettre.  Madame,  ai-je  à  traiter  aujourd'hui  avec 
vous,  pour  vous  rendre  compte  de  l'état  de  notre  cour  et  de  tant  de 
personnes  auxquelles  vous  vous  intéressez  !  Vous  aurez  su,  Madame, 
qu'après  trois  jours  de  maladie,  oîi  les  médecins  jugèrent  qu'il  y  avoit 
de  la  malignité,  la  petite  vérole  se  déclara  samedi,  onzième  du  mois,  à 
six  heures  et  demie  du  matin.  Nous  entrâmes  dans  l'inquiétude  de  la 
manière  dont  elle  sortiroit,  à  cause  d'un  assez  grand  assoupissement  ; 
mais  elle  augmenta  dès  huit  heures,  la  fièvre  diminua,  il  vint  des 
sueurs  qui  parurent  très-favorables,  et  nous  demeurâmes  dans  cet  état 
d'espérance  et  de  joie  jusqu'à  mardi,  que  le  Roi,  entrant  dans  ma 
chambre,  suivi  de  M.  Fagon,  me  dit  :  «Je  viens  de  voir  mon  fils,  qui 
«  m'a  si  fort  attendri  que  j'ai  pensé  pleurer;  sa  tête  est  grossie  depuis 
«  trois  ou  quatre  heures  prodigieusement,  il  est  presque  méconnois- 
«  sable,  ses  yeux  commencent  à  se  fermer;  mais  on  m'assure  que  tout 
«  se  passe  ainsi  dans  la  petite  vérole,  et  Madame  la  Duchesse  et 
«  Mme  la  princesse  de  Conti  disent  qu'elles  ont  été  tout  de  même.  Sa 
«  tète  est  fort  libre,  et  il  me  dit  qu'il  espéroit  me  voir  demain  en 
«  meilleure  santé.  »  Et  sur  cela  le  Roi  se  mit  à  travailler  avec  M.  Voysin 
et  M.  Desmaretz. 

(c  Comme  vous  savez,  Madame,  que  je  n'ai  pas  de  disposition  à  me 
flatter,  je  crus  voir  de  l'inquiétude  sur  le  visage  de  M.  Fagon  ;  mais  je 
n'osai  le  questionner  à  cause  du  Roi.  J'envoyai  seulement  faire  part  de 
ma  peine  à  Mme  la  princesse  de  Conti,  et  Mme  d'Urfé  eut  la  bonté  de 
venir  me  dire  de  sa  part  qu'elle  connoissoit  parfaitement  bien  l'état  de 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  411 

Monseigneur  par  celui  où  elle  avoit  passé.  Elle  ne  l'a  pas  quitté  et  le 
servoit  avec  beaucoup  d'affection  et  de  courage. 

«  Le  Roi  alla  souper,  comme  à  son  ordinaire,  avec  ces  deux  prin- 
cesses et  les  dames  de  leur  suite;  car  nos  princes  et  ce  qui  s'appelle 
maintenant  Madame  la  Dauphine  étoient  demeurés  à  Versailles  par 
ordre  du  Roi.  Sur  les  onze  heures,  on  vint  le  chercher,  en  lui  disant 
que  Monseigneur  étoit  très  mal.  On  descendit;  on  le  trouva  avec  des 
convulsions  et  sans  aucune  connoissance.  Le  curé  de  Meudon  arriva 
avant  le  P.  le  Tellier,  que  le  Roi  avoit  pourtant  eu  la  précaution  de 
l'aire  tenir  à  Meudon,  et  cria  :  «  Monseigneur,  n'ètcs-vous  pas  bien 
«  fâché  d'avoir  offensé  Dieu?»  Mareschal,  qui  le  tenoit,  assure  qu'il 
répondit  :  «  Oui  ».  Le  curé  reprit  :  «  Si  vous  étiez  en  état  de  vous  con- 
«  fesser,  ne  le  feriez-vous  pas?»  Le  prince  répondit:  «Oui».  Le 
P.  le  Tellier  assure  qu'il  lui  serra  la  main,  après  quoi  il  lui  donna 
l'absolution. 

«  Quel  spectacle,  Madame,  quand  j'arrivai  dans  le  grand  cabinet  de 
Monseigneur  !  Le  Roi  assis  sur  un  lit  de  repos  sans  verser  une  larme, 
mais  avec  un  frisson  et  un  tremblement  depuis  les  pieds  jusqu'à  la 
tête.  Madame  la  Duchesse  se  désespérant,  Mme  la  princesse  de  Conti 
pénétrée,  tous  les  courtisans  en  silence,  interrompu  par  des  sanglots 
et  par  les  cris  qu'on  entcndoit  qui  se  faisoient  dans  la  chambre  à  cha- 
que moment  qu'on  croyoit  qu'il  expiroit. 

(c  Le  Roi  \  étoit  entré  trois  ou  quatre  fois  avant  que  j'arrivasse, 
pour  voir  s'il  n'y  auroit  pas  quelque  moment  pour  introduire  le  P.  le 
Tellier,  et  pour  envoyer  chercher  l'extrème-onction.  Les  carrosses  du 
Roi  vinrent.  J'avois  fait  avertir  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  de  se 
trouver  sur  le  chemin  du  Roi,  parce  qu'elle  vouloit  venir  avec  lui  à 
Marly.  Car  il  faut  vous  dire  en  passant  que  sa  conduite  est  merveil- 
leuse ;  elle  se  partage  continuellement  entre  le  Roi,  M.  le  duc  de  Bour- 
gogne et  M.  le  duc  du  Berry.  Le  Roi  prit  le  premier  de  ses  carrosses 
qui  se  présenta,  et  s'y  mit  avec  Madame  la  Duchesse  et  Mme  la  prin- 
cesse de  Conti  ;  il  voulut  que  j'eusse  l'honneur  de  les  accompagner. 

Ces  princesses  le  prioient  en  chemin  de  ne  plus  se  contraindre  et 
de  pleurer,  craignant  son  saisissement;  mais  il  ne  le  put  jamais.  Ma- 
dame la  Duchesse  faisoit  des  cris  à  percer  le  cœur,  et  retomboit  dans 
un  silence  affreux.  On  trouva  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  entre 
les  deux  écuries  :  elle  vint  bien  vite  au  carrosse  ;  le  Roi  la  conjura  de 
de  n'y  pas  monter,  étant  rempli  de  personnes  qui  sorloient  de  la 
chambre  de  Monseigneur,  et  son  premier  devoir  étant  d'aller  trouver 
M.  le  duc  de  Bourgogne  et  de  lui  apprendre  cette  mort.  Nous  arrivâmes 
à  Marly,  où  l'on  ne  nous  attendoit  pas  et  où  personne  n'avoit  ce  qui 
lui  étoit  nécessaire.  On  l'attendit  avec  le  Roi  jusqu'à  «lualie  heures  du 
matin,  qu'il  alla  se  coucher. 

«  Dans  le  moment  que  Monseigneur  rendit  l'esprit,  tout  son  corps 
fut  couvert  de  pourpre,  ce  qui  oblige  à  l'enterrer  sans  cérémonie.  Il 
ne  sera  point  ouvert  ;  on  le  portera  dans  son  carrosse  ;  un  premier  gen- 


412  APPENDICE  I. 

tilhomme  de  la  chambre,  un  aumônier,  douze  gardes  et  douze  flam- 
beaux l'accompagneront  ;  et,  en  arrivant  à  Saint  Denis,  on  le  mettra 
dans  la  cave  :  voilà  où  se  termine  toute  grandeur  ! 

(c  Notre  douleur  ne  nous  a  point  empêchés  de  songer  à  celle  qu'aura 
le  roi  d'Espagne.  Oserois-je  vous  supplier.  Madame,  de  lui  nommer 
mon  nom  dans  cette  triste  occasion  ?  J'ai  épuisé  toutes  mes  forces  à  vous 
faire  cette  relation,  croyant  qu'il  seroit  plus  consolé  de  savoir  ce  détail 
que  de  l'ignorer  ;  je  n'aurai  donc  point  l'honneur  d'écrire  à  LL.  MM. 
Cette  lettre-ci  me  coûte  trop  de  larmes  :  elles  en  seroient  accablées, 
et  leur  excessive  bonté  les  porteroit  peut-être  jusqu'à  me  faire  réponse. 

«  Madame  la  Dauphine  vient  ici  tous  les  jours  ;  Monsieur  le  Dau- 
phin, M.  le  duc  de  Berry  et  tout  ce  qui  est  à  Versailles  de  leur  suite 
y  viendront  dimanche  en  cérémonie,  et  le  Roi  verra  tout  le  monde  : 
ce  sont  des  suites  bien  cruelles,  et  qui  renouvellent  à  chaque  moment 
la  douleur.  Nous  attendons  ce  soir  la  reine  d'Angleterre  ;  je  ne  sais 
si  le  roi  viendra  ;  car  il  est  assez  mal  de  ses  vapeurs,  et  il  n'a  jamais 
eu  la  petite  vérole,  non  plus  que  la  princesse  sa  sœur. 

«  M.  le  duc  de  Bourgogne  est  transi,  pâle  comme  la  mort,  ne  disant 
pas  une  parole,  levant  les  yeux  au  ciel  :  il  a  écrit  au  Roi  une  lettre 
fort  touchante.  M.  le  duc  de  Berry  a  eu  une  autre  sorte  de  douleur  ; 
toujours  près  d'étouffer,  il  fallut  le  déshabiller  à  moitié  dans  la  cham- 
bre de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne. 

(c  Monseigneur  étoit  très  aimé  ;  tout  Paris  est  affligé.  Deux  haren- 
gères  de  la  halle  le  vinrent  voir  ;  il  les  tit  entrer  ;  elles  lui  promirent 
d'aller  faire  chanter  un  Te  Deurti  pour  le  bon  état  où  elles  le  trou- 
voient.  Il  leur  répondit  qu'il  n'en  étoit  pas  encore  temps.  Il  a  toujours 
été  frappé  de  son  âge,  disant  :  «  J'ai  la  petite  vérole  :  mais  j'ai  cin- 
«  quante  ans.  »  Il  marquoit  une  grande  peine  de  voir  que  le  Roi  s'ex- 
posait si  souvent  au  mauvais  air. 

«  Adieu,  Madame  ;  j'espère  que  le  Roi  se  portera  bien,  quelque 
pénétré  qu'il  paroisse,  malgré  les  soins  qu'il  prend  de  le  cacher.  Il 
étoit  changé  hier  matin  à  n'être  pas  reconnoissable  ;  mais  il  étoit  beau- 
coup mieux  le  soir  parce  qu'il  avoit  pris  l'air.  Il  déclara  dès  hier  à 
Madame  la  Dauphine  qu'il  ne  vouloit  plus  souffrir  de  séparation  entre 
eux,  ni  que  nos  princes  eussent  d'autres  maisons  de  plaisance  que  les 
siennes.  Cet  ordre -là  ne  lui  déplut  pas.  » 

Extraits  des  Mémoires  du  baron  de  Breteuil  * . 

«  Le  mardi  14  du  mois  d'avril,  jour  qui  doit  à  jamais  être  déplorable 
à  la  France,  Louis  Dauphin  de  France,  le  prince  le  plus  digne  d'être 
aimé  et  pleuré  des  François  qui  jamais  ait  dû  monter  sur  le  trône,  mou- 
rut de  la  petite  vérole  sur  les  onze  heures  du  soir  dans  son  château  de 

1.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  3864,  p.  13-24. 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  413 

Meiidon.  Agô  quaranle-nouf  ans  cinq  mois  et  quatorze  jours  '.  Le  ve- 
nin lo  suH'oqiia  si  brusquement  au  moment  qu'on  le  croyoit  sans  dan- 
ger, que  sa  mort  n'eût  pas  été  plus  imprévue  s'il  étoit  mort  d'apoplexie, 
et  le  Roi,  qui  aciievoit  de  souper  quand  il  tut  averti  que  ce  prince  tou- 
choit  à  son  dernier  moment,  le  trouva  déjà  sans  connoissance,  quelque 
diligence  qu'il  fît  pour  descendre  dans  sa  chambre.  Il  ne  put  être  con- 
fessé et  reçut  seulement  Textrème-onction  un  peu  avant  de  mourir. 

«  Dés  qu'il  eut  expiré,  le  Roi  partit  de  Meudon  et  alla  coucher  à  Marly, 
qui  en  est  à  près  de  quatre  lieues,  S.  M.  ne  voulant  pas  s'arrêter  à  Ver- 
sailles, parce  que  tous  les  jeunes  princes  et  princesses  ses  petits-enfants 
et  arrière  petits-enfants  y  étoicnt,  et  que  ceux  qui  environnoient  S.  M. 
avoicnl  été  dans  l'air  de  la  petite  vérole  et  auroient  pu  la  leur  porter. 

«  Marly  est  une  maison  de  plaisance  plutôt  qu'une  demeure  royale  ; 
le  Roi  n'y  donne  aucune  audience,  ni  aux  ministres  étrangers,  ni  à  ses 
sujets,  et  même  depuis  quelques  années  les  ofïiciers  de  sa  maison,  qui 
partout  ailleurs  où  S.  M.  est,  ont  les  plus  grandes  entrées,  n'ont  pas 
permission  de  s'y  montrer  devant  le  Roi,  à  moins  qu'ils  ne  soient  nom- 
més pour  y  demeurer  pendant  tout  le  séjour  qu'elle  y  fait.  Au  com- 
mencement que  S.  M.  a  fait  usage  de  cette  maison,  les  séjours  qu'elle 
y  faisoit  n'étoient  que  de  deux  ou  trois  jours,  et  tout  le  monde  pouvoit 
y  aller  faire  sa  cour.  Peu  à  peu,  les  séjours  se  sont  allongés,  la  retraite 
est  augmentée,  et  dans  le  plus  rude  hiver  S.  M.  va  faire  de  longs  sé- 
jours dans  le  magnilique  jardin  ;  car  il  ne  peut  pas  porter  le  nom  de 
château  :  la  maison,  qui  à  peine  seroit  assez  grande  pour  un  partisan 
riche,  est  plantée  au  milieu  des  jardins  sans  aucune  cour  qui  la  pré- 
cède, et  les  logements  des  courtisans  sont  dans  des  pavillons  séparés, 
qui  ne  se  communiquent  que  par  des  berceaux,  ou  dans  des  cours  de 
derrière  très  laides  :  ils  sont  depuis  quelqu'années  très  nombreux,  et 
on  y  en  fait  de  nouveaux. 

«  L'entrée  de  Marly  étant  interdite  à  tout  le  monde,  et  la  coutume 
étant  qu'aux  occasions  de  la  mort  des  parents  les  plus  proches  du  Roi, 
les  officiers  de  la  couronne,  les  grands  ofificiers  de  sa  maison,  et  les 
gens  d'une  qualité  distinguée  aillent  en  grand  manteau  de  deuil  traî- 
nant à  terre,  et  les  dames  en  mante,  faire  la  révérence  à  S.  M.,  et 
qu'il  est  aussi  d'usage  que  les  ambassadeurs  et  autres  ministres  étran- 
gers prennent  en  semblables  occasions  des  audiences  publiques  en  cé- 
rémonie pour  faire  des  compliments  de  condoléances  à  S.  M.  et  à  toute 
la  famille  royale,  comme  aussi  que  le  Parlement  et  les  autres  cours 
supérieures  de  Paris  viennent  faire  des  harangues  à  S.  M.,  elle  or- 
donna, le  jeudi  16,  que,  le  lundi  20,  toute  la  cour  viendroit  dans  ce 
grand  deuil  lui  faire  la  révérence  à  Marly.  Mais,  comme,  dans  cette 
maison,  il  n'y  a  point  de  salle  de  gardes  qui  précède  l'appartement  du 
Roi,  pour  recevoir  les  ambassadeurs  avec  les  cérémonies  accoutumées 

1.  En  note  dans  le  manuscrit  :  «  11  est  mort  dans  le  cinquième  jour 
de  sa  maladie.  » 


iU  APPENDICE  I. 

lo  jour  lies  audiences  publiques,  ni  de  grandes  salles  pour  y  faire  at- 
tendre le  Parlement  et  les  autres  cours  et  corps  de  ville  de  Paris  qui 
doivent  faire  des  harangues  au  Roi  en  pareille  occasion,  le  Roi  prit  le 
parti  d'aller  le  lundi  27  à  Versailles,  sans  y  coucher,  pour  y  recevoir 
le  matin  les  compliments  des  ministres  étrangers,  et  l'après-dînée  les 
harangues  des  cours  supérieures  et  autres  corps. 

«  Dès  que  S.  M.  eut  marqué  ce  jour,  j'allai  de  sa  part  donner  part 
au  Nonce,  le  seul  ambassadeur  qui  fût  pour  lors  à  notre  cour  en  état 
de  prendre  audience  publique  *,  de  la  mort  de  Monseigneur  le  Dauphin, 
suivant  la  coutume... 

«  Le  Roi  fut  deux  ou  trois  jours  sans  décider  de  quelle  manière  sa 
cour  porteroit  le  deuil,  et  combien  de  temps  on  le  porteroit.  Il  dit 
d'abord  qu'il  n'y  avoit  qu'à  se  régler  sur  ce  qui  avoit  été  fait  à  la 
mort  de  Madame  la  Dauphine,  pour  laquelle  les  officiers  de  la  couronne 
et  les  grands  officiers  de  la  maison  du  Roi  n'avoient  point  drapé  leurs 
carrosses,  et  dont  le  deuil  n'avoit  duré  que  six  mois  pour  la  cour  ;  mais 
on  se  souvint  qu'on  avoit,  lors  de  ce  deuil,  prétendu  que  les  officiers 
de  la  couronne  et  les  grands  officiers  de  la  maison  du  Roi  avoient  fait 
une  faute  de  ne  pas  draper.  La  raison  de  douter  étoit  qu'un  père  ne 
portant  point  le  deuil  de  ses  enfants,  les  officiers  de  la  couronne,  qui 
ne  drapent  leurs  carrosses  que  lorsque  le  Roi  drape  le  sien  de  violet, 
ne  dévoient  point  draper,  S.  M.  ne  drapant  point;  mais,  si  cette  raison 
avoit  lieu,  les  officiers  de  la  couronne,  et  ceux  de  la  maison,  ne  devroient 
point  porter  le  deuil  du  Dauphin,  ni  de  la  Dauphine,  parce  que  le  Roi 
leur  père  ne  le  porte  point  ;  ce  qui  seroit  une  chose  insoutenable.  Ainsi 
il  fut  réglé  que  le  deuil  dureroit  un  an  et  que  les  officiers  de  la  cou- 
ronne, et  les  grands  officiers  de  la  maison  du  Roi  draperoient. 

«  Le  lundi  20,  sur  les  trois  heures  après  dîner,  tous  les  courtisans 
et  les  dames  de  qualité  venus  de  Paris  ou  de  Versailles  entrèrent  dans 
le  salon  de  Marly,  l'unique  lieu  oCi  on  peut  s'assembler  dans  ce  château, 
et,  peu  de  temps  après,  le  Roi  étant  dans  son  appartement,  qui  est  de 
plein  pied  à  ce  salon,  et  dans  son  cabinet,  debout  et  découvert  auprès 
de  sa  table.  Madame  la  Dauphine  et  les  autres  princesses  vinrent  lui 
faire  la  révérence,  suivies  de  toutes  les  dames  en  mante,  et  de  tous  les 
courtisans  en  manteau  long.  Le  nombre  en  étoit  très  grand,  et,  comme 
l'appartement  du  Roi  perce  de  deux  côtés  dans  de  petits  salons  qui 
rentrent  dans  le  salon  du  milieu  qui  est  au  centre  de  la  maison,  tout  le 
monde  entra  par  une  des  portes  de  cet  appartement  et  sortit  par  l'autre, 
chacun  faisant  une  profonde  révérence  en  passant  devant  S.  M.  sans 
lui  parler.  Les  quatre  appartements  qui  environnent  le  salon  sont  égaux 
et  entrent  et  sortent  pareillement  dans  ces  petits  salons,  de  manière 

1.  En  note  dans  le  manuscrit  :  «  Le  duc  d'Albe,  ambassadeur  d'Es- 
pagne n'a  pas  fait  à  son  arrivée  les  cérémonies  nécessaires  pour  pren- 
dre des  audiences  publiques,  c'est-à-dire  qu'il  n'a  pas  fait  d'entrée,  ni 
eu  de  première  audience  publique.» 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  4lo 

qu'en  sortant  do  chez  le  Roi  toutes  les  dames  en  mante  et  les  hommes 
en  long  nianleau  liront  la  même  chose  chez  Monsieur  et  Madame  la 
Dauphine,  et  chez  Madame,  qui  occupoient  les  autres  appartements 
bas,  et  ensuite  on  monta  dans  les  attiques  qui  sont  au-dessus  de  ces 
quatre  petits  salons  et  des  quatre  appartements,  car  rien  n'est  au-des- 
sus du  salon  du  milieu,  pour  taire  la  révérence  à  Mgr  le  duc  de  Berry, 
Mme  la  duchesse  de  Berry  et  Madame  la  Duchesse,  et  à  Mme  la  prin- 
cesse de  Conti,  lille  du  Roi,  qui  y  étoient  logés.  Le  degré  qui  y  conduit 
étoit  si  peu  digne  d'une  si  grande  cour,  que  le  Roi  prit  ce  jour-là  la 
résolution  d'en  faire  faire  un  autre  en  perdant  une  des  chambres  qui 
composent  l'un  des  quatre  appartements  bas... 

«  Je  ne  puis  m'empêcher  de  dire,  quoique  au  grand  déshonneur  de 
notre  cour,  que  la  mémoire  de  Monseigneur  le  Dauphin,  qui  en  devoit 
faire  l'adoration,  par  la  bonté  infinie  avec  laquelle  il  en  avoit  usé  avec 
tous  les  courtisans,  a  été  effacée  presque  aussitôt  qu'il  a  été  sans  vie, 
hors  dans  le  cœur  d'un  très  petit  nombre  de  ceux  qui  l'approchoient 
le  plus  souvent. 

«  Mais  de  quoi  on  ne  sauroit  trop  s'indigner,  c'est  de  la  manière 
dont  ce  prince  fut  abandonné  incontinent  après  qu'il  eut  expiré.  La 
vive  douleur  dont  le  Roi  fut  pénétré  par  la  mort  d'un  tils  qui  n'avoit 
été  occupé  pendant  tout  le  cours  de  sa  vie  que  du  soin  de  lui  plaire  et 
de  lui  obéir,  ne  permit  pas  à  S.  M.  de  donner  une  attention  particulière 
aux  suites  lugubres  que  la  mort  traîne  après  elle,  pour  rendre  aux 
tristes  restes  de  ce  qu'on  a  aimé  ce  que  la  coutume  veut  qu'on  fasse 
de  pompe  et  de  magnificence  funèbres.  S.  M.,  après  avoir  donné  ordre 
en  général  qu'on  fît  tout  ce  qu'il  falloit  faire,  s'en  reposa  sur  les  offi- 
ciers des  cérémonies  ;  mais  ils  furent  apparemment  si  consternés  de  la 
mort  du  Dauphin,  qu'ils  oublièrent  ce  qui  devoit  se  faire  pour  garder 
et  enterrer  dignement  le  corps  d'un  si  grand  prince,  et  ses  domestiques 
furent  si  frappés  de  la  peur  de  prendre  un  mal  aussi  dangereux  et  aussi 
contagieux  que  celui  dont  il  mourut,  qu'ils  s'enfuirent  tous  de  Meudon. 
Aucun  aumônier  du  Roi,  aucun  prêtre  ne  demeura  auprès  de  son 
corps  ;  les  Feuillants  de  Paris  qui  y  accoururent  pour  le  garder,  sui- 
vant le  droit  qu'ils  ont  de  longue  main  de  prier  Dieu  auprès  des  corps 
de  nos  Rois  et  de  leurs  enfants,  tant  qu'on  les  garde  à  leur  palais,  en 
furent  chassés  par  le  maître  des  cérémonies,  sur  le  prétexte  qu'on  n'en 
feroit  aucune  pour  ce  prince,  en  sorte  que  du  Mont,  gouverneur  de 
Meudon,  fut  réduit  à  y  mettre  six  capucins  de  ceux  qui  habitent  le 
monastère  qui  est  dans  le  parc  de  ce  château.  On  n'ouvrit  ni  on  n'em- 
bauma le  corps  de  ce  prince  ;  on  mit  dans  son  cercueil  du  son,  comme 
au  dernier  des  pauvres,  et  l'ouvrier  qui  le  fit,  l'ayant  fait  trop  étroit, 
ne  lit  entrer  le  corps  dedans  qu'à  force  de  trépigner  de  ses  genoux  sur 
le  ventre  du  Dauphin.  Enfin  tout  ce  qui  se  passa  à  cette  occasion  est 
inouï.  Ceux  qui  dévoient  le  venir  prendre  de  la  part  du  Roi  pour  l'ac- 
compagner à  Saint-Denis  ayant  témoigné  de  la  frayeur  d'entrer  dans 
son  appartement,  à  cause  de  l'air  de  la  petite  vérole,  on  le  porta  dans 


416  APPENDICE  I. 

sa  chapelle,  où  il  fut  mis  sur  deux  tréteaux,  sans  qu'aucun  poêle  cou- 
vrît le  cercueil.  Le  maître  des  cérémonies,  loin  d'avoir  l'attention  d'en 
faire  venir  un  de  ceux  qu'on  conserve  pour  les  princes,  n'eut  pas  de 
honte  d'ordonner  qu'on  y  mît  celui  de  la  paroisse  de  Meudon  qui  sert 
à  tous  les  paysans  ;  mais  du  Mont  l'empêcha  et  aima  mieux  qu'il  de- 
meurât découvert.  Les  quatre  cierges  de  l'autel  de  cette  chapelle 
furent  le  seul  luminaire  qui  fut  autour  de  son  corps. 

«  La  manière  dont  il  fut  porté  de  Meudon  à  Saint-Denis  ne  fut  pas 
moins  indigne  :  on  ne  se  donna  pas  l'attention  d'avoir  un  carrosse  de 
deuil,  quoique  les  moindres  particuliers  ne  manquent  pas  d'en  avoir 
en  semblable  occasion,  et  que,  huit  jours  après,  on  vînt  avec  quatre 
carrosses  de  deuil  et  une  infinité  de  domestiques  en  deuil  enlever  à 
Versailles  le  corps  de  la  duchesse  de  Villeroy,  qui  y  mourut  du  même 
mal.  Au  lieu  de  cela,  on  mit  le  corps  du  Dauphin  dans  un  des  carrosses 
de  sa  suite,  de  velours  cramoisi,  qui  s'étant  trouvé  trop  court,  on  en 
ôta  la  glace  de  devant,  par  oià  une  partie  du  cercueil  sortoit  du  carrosse. 
Le  duc  de  la  Trémoïlle,  premier  gentilhomme  de  la  chambre  du  Pioi,  et 
l'évêque  de  Metz,  premier  aumônier  de  S.  M.,  furent  les  seuls  qui  ac- 
compagnèrent le  corps.  Le  carrosse  n'étoit  accompagné  que  d'un  seul 
autre,  douze  pages  du  Roi  avec  la  livrée  portèrent  les  seuls  douze 
flambeaux  de  cire  blanche  qui  éclairèrent  le  convoi,  et  les  dix-huit 
gardes  de  la  salle  du  feu  Dauphin  avec  les  deux  officiers  qui  les  com- 
mandoient  furent  toute  la  pompe  qui  conduisit  l'héritier  de  la  couronne, 
le  plus  aimable  des  princes,  jusqu'à  Saint-Denis.  Le  peuple  de  Paris, 
qui  l'aimoit,  en  fut  si  offensé,  que  les  harengères  de  la  Halle  disoient 
que,  si  on  avoit  voulu  leur  laisser  le  soin  de  faire  le  convoi  de  ce  prince 
à  leurs  dépens,  elles  auroient  trouvé  un  million,  s'il  avoit  fallu,  pour 
en  faire  la  dépense  avec  la  magnificence  qu'il  convenoit  de  le  faire.  » 

Eîi  marge  dans  le  manuscrit  : 

«  Il  traitoit  avec  tant  de  bonté,  et  de  familiarité  le  peuple  même  du 
plus  bas  étage,  que  le  propre  jour  de  sa  mort,  la  dame  Gelée,  fameuse 
harengère  de  la  Halle,  étant  venue  avec  deux  autres  à  Meudon  s'in- 
former des  nouvelles  de  sa  santé,  et  de  la  part  de  toute  la  Halle,  le 
Dauphin  à  qui  on  dit  qu'elles  étoient  dans  son  antichambre  et  deman- 
doient  à  parler  à  son  premier  médecin,  ordonna  qu'on  les  fît  entrer  à 
la  ruelle  de  son  lit,  les  remercia  lui-même  des  marques  de  leur  affec- 
tion, les  pria  d'en  remercier  le  peuple  de  sa  part,  et  de  lui  dire  de 
prier  Dieu  qu'il  lui  rendît  la  santé.  » 

EXTRAITS   DES   REGISTRES   DU   MAÎTRE   DES   CÉRÉMONIES   DESfiRANGES  * 

Pompe  funèbre  de  Monseigneur  le  Dauphin. 

«  Monseigneur  Louis  Dauphin,  étant  en  son  château  de  Meudon, 

1.  Arch.  nat.   04043,  rédaction  corrigée  de  la  main  de  Desgranges 
et  ms.  Mazarine  2746,  fol.  27  et  suivants. 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  417 

omba  malade  de  la  petite  vérole  le  jeudi  9«  avril  ilii,  et,  dans  le 
temps  qu'on  le  croyoit  en  sûreté  contre  cette  dangereuse  maladie,  il 
mourut  le  ii"  à  onze  heures  trois  quarts  du  soir. 

«  Il  avoit  dès  le  commencement  de  sa  maladie  recommandé  qu'on 
l'avertît  s'il  arrivoit  qu'il  tût  au  moindre  danger  ;  mais  les  médecins 
ne  le  connurent  que  sur  les  sept  à  huit  heures  du  soir  de  ce  jour-là, 
et  la  maladie  augmenta  si  fort,  qu'il  se  trouva  hors  d'état  de  se  con- 
fesser. Le  curé  de  Meudon  lui  donna  l'absolution,  après  que  ce  prince 
lui  eut  donné  quelques  marques  de  connoissance  et  quelques  signes 
qu'il  entendoil  les  exhortations  qu'il  lui  taisoit. 

«  Le  Koi  partit  aussitôt  qu'il  fut  expiré,  pour  aller  coucher  à  Marly. 
Sur  cette  triste  nouvelle,  que  j'appris  seulement  le  13  au  matin  à  Pa- 
ris, j'allai  à  Meudon  pour  dire  aux  oificiers  ce  qu'ils  avoicnt  à  faire, 
et  je  me  rendis  à  Marly,  où  M.  le  marquis  de  Dreux,  grand  maître  des 
cérémonies,  étoit  déjà  arrivé.  M.  le  duc  de  Bourgogne,  Mme  la  duchesse 
de  Bourgogne,  M.  le  duc  de  Berry  et  les  autres  princes  et  princesses, 
à  qui  le  Roi,  pendant  la  maladie,  avoit  ordonné  de  rester  à  Versailles, 
se  rendirent  aussi  à  Marly  ce  jour-là,  pour  voir  le  Roi  à  son  lever. 
S.  M.  tit  entrer  M.  le  Chancelier  et  ses  ministres,  qui  furent  un  instant 
dans  .son  cabinet,  et,  à  leur  sortie,  on  dit  que  M.  le  duc  de  Bourgogne 
prendroit  le  nom  de  Dauphin.  S.  M.  tit  ensuite  entrer  M.  de  Dreux  et 
moi,  et,  nous  ayant  demandé  ce  qu'il  convenoit  de  faire  en  pareil  cas, 
nous  lui  dîmes  qu'à  cause  du  genre  de  maladie  dont  Monseigneur  étoit 
mort,  il  seroit  inutile  de  lui  rendre  à  Meudon  les  honneurs  qui  lui 
étoient  dus,  parce  que  personne  n'y  viendroit.  Ainsi  il  fut  résolu  que, 
dès  le  lendemain,  son  corps  seroit  porté  à  Saint-Denis  sans  cérémonies, 
sauf  à  faire  dans  le  temps  les  services  solennels  accoutumés  en  pareil 
cas  pour  un  prince  de  ce  rang. 

«  Le  46"^,  il  fut  enseveli  et  mis  dans  un  cercueil  de  plomb  par  les 
officiers  de  sa  chambre,  avec  une  inscription  sur  ce  cercueil  gravée  sur 
une  lame  de  cuivre,  en  ces  termes  : 

Ici  est  le  corps  de  très  haut,  très  puissant  et  excellent  prince 
Louis  Dauphin,  décédé  en  son  château  de  Meudon  le  i4«  avril  mil 
sept  cent  onze. 

«  Ce  cercueil  fut  mis  dans  un  autre  cercueil  de  bois  couvert  de  ve- 
lours noir  croisé  de  moire  d'argent,  avec  pareille  inscription. 

«  Je  dis  qu'il  fut  enseveli  par  les  oificiers  de  sa  chambre,  parce  que 
cela  devoit  être  ainsi  et  que  le  chirurgien  et  l'apothicaire  qui  étoient 
de  service  près  de  lui  auroient  dû  l'embaumer,  pour  être  mis  dans  le 
cercueil  par  un  premier  gentilhomme  de  la  chambre,  s'il  y  en  avoit  eu 
un,  et  les  autres  officiers  de  sa  chambre  ;  mais,  au  moment  de  la  mort, 
le  chirurgien  et  l'apothicaire  sortirent  de  Meudon  et  s'en  allèrent  à 
Versailles.  J'écrivis  à  M.  Boudin,  premier  médecin  de  Monsieur  le 
Dauphin,  qui  étoit  à  Marly',   de    les  envoyer  pour  faire  leur  devoir. 

1.  Les  sept  derniers  mots  ont  été  ajoutés  par  Desgranges  en  interli- 
ligne,  au-dessus  de  Monseigneur,  biffé,  et  sur  la  marge. 

MÉMOIRES    OE   SAINT-SIMON.    XXI  27 


/*48  APPENDICE  I. 

Mais,  comme  Beaulieu,  autre  apothicaire,  de  quartier  auprès  du  Roi*, 
avoit  eu  l'indiscrétion  de  demander  au  Roi  s'il  vouloit  qu'on  l'ouvrît, 
à  quoi  S.  M.  dans  sa  douleur  répondit  que  non,  ils  furent  bien  aise  de 
prendre  cela  pour  un  ordre,  et  Beaulieu,  sans  autre  explication,  écri- 
vit à  Biet,  l'apothicaire  qui  avoit  servi  Monseigneur,  que  le  Roi  ne 
vouloit  pas  qu'on  l'ouvrît.  Biet,  sur  ce  bel  avis,  ne  vint  pas  même 
pour  faire  le  simple  embaumement  -,  en  sorte  que  M.  de  Nyert  fils, 
premier  valet  de  chambre  du  Roi  en  survivance,  qui  étoit  de  service 
près  de  ce  prince,  fut  obligé  de  faire  venir  les  sœurs  de  la  Charité 
établies  au  village  de  Meudon,  pour  ensevelir  le  corps,  et  cela  se  fit 
avec  si  peu  de  soin,  qu'il  fallût  que  ces  sœurs  envoyassent  au  village 
chercher  du  son  pour  mettre  dans  le  cercueil,  au  lieu  des  baumes, 
poudres  et  autres  choses  pareilles  que  cet  apothicaire  auroit  dû 
fournir. 

«  Le  cercueil  fut  porté  par  les  valets  de  chambre  jusques  à  la  salle 
des  gardes,  où  ceux-ci  le  prirent,  et  le  portèrent  jusques  à  la  chapelle 
du  château,  sans  aucune  cérémonie.  Il  y  fut  couvert  d'un  poêle 
noir,  et  le  curé  accompagné  de  quelques  capucins  firent  quelques 
prières. 

«  A^  cause  du  genre  de  la  maladie,  ni  M.  le  duc  de  Bourgogne,  ni 
aucuns  princes  et  princesses  ne  vinrent  point  lui  jeter  de  l'eau  bénite, 
comme  on  auroit  dû  le  faire  sans  cet  empêchement. 

«  Le  46e  du  mois,  à  six  heures  du  soir,  M.  l'évèque  de  Metz,  pre- 
mier aumônier  du  Roi,  en  camail  et  rochet,  vint  lever  le  corps,  qui 
fut  mis  dans  un  carrosse  du  Roi,  parce  que  c'étoit  sans  cérémonie.  On 
fut  obligé,  pour  l'y  faire  entrer,  d'enlever  la  glace  de  devant,  et  on 
assura  le  cercueil  sur  les  sièges  de  ce  carrosse,  de  manière  qu'on  ne 
fut  point  obligé  d'y  mettre  personne  pour  le  tenir  pendant  la  marche. 
Je  dis  carrosse  du  Roi,  quoique  ce  fût  un  carrosse  aux  armes  de  Mon- 
seigneur dont  il  avoit  accoutumé  de  se  servir,  parce  que,  le  Dauphin 
n'ayant  en  propre  ni  équipages  ni  officiers,  tout  ce  qu'il  en  a  est  censé 
être  au  Roi.  Ce  carrosse  fut  précédé  d'un  autre  carrosse  du  Roi,  où 
étoient  l'évèque  de  Metz,  le  duc  de  la  Trémoïlle,  premier  gentilhomme 
de  la  chambre,  que  le  Roi  avoit  nommé  pour  ce  convoi,  le  grand  maître 
des  cérémonies,  M.  l'abbé  deBrancas,  aumônier  du  Roi,  qui  étoit  de 
quartier  près  de  Monseigneur,  en  rochet,  et  le  curé  de  Meudon  en  étole 
et  surplis. 

«  On  alla  par  le  pont  de  Sèvres,  le  bois  de  Boulogne  et  la  croix  de 
Saint-Ouen.  La  marche  étoit  :  deux  gardes  du  Roi,  deux  pages  avec 
flambeaux  pour  éclairer  le  premier  carrosse,  vingt-deux  pages,  aussi 
avec  flambeaux,  devant  le  carrosse  où  étoit  le  corps,  M.  de  la  Billarde- 

1.  Ce  qui  précède,  depuis  Beaulieu  a  été  ajouté  par  Desgranges,  à  la 
place  d'un  d'eux,  biffé. 

2.  Tout  ce  qui  précède,  depuis  et  Beaulieu  a  été  ajouté  par  Desgranges 
en  interligne  et  sur  la  marge. 

3.  Ce  paragraphe  a  été  ajouté  par  Desgranges  sur  la  marge. 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  419 

rie,  enseigne  des  gardes,  M.  de  Mézières',  exempt,  et  vingt  gardes 
portant  des  flambeaux.  Les  pages  étoient  douze  de  la  grande  et  douze 
de  la  petite  écurie,  les  premiers  ayant  la  droite,  et  les  autres  la 
gauche. 

«  En  arrivant  à  Saint-Denis,  le  corps  fut  tiré  par  huit  gardes,  qui 
avoient  été  envoyés  exprès  pour  cette  fonction,  et  mis  sur  des  tréteaux 
à  l'entrée  de  l'église. 

«  Sur-  mon  certiticat,  ces  huit  gardes  et  un  brigadier  ont  été  payés 
par  le  trésorier  des  menus  vingt  livres  au  brigadier  et  dix  livres  à 
chaque  garde,  sur  le  pied  de  dix  livres  par  jour  au  brigadier  et  cinq 
livres  aux  gardes. 

«  Il  y  avoit  aussi  douze  suisses  de  la  garde  du  Roi  qui  gardoient  les 
portes,  et  une  compagnie  du  régiment  des  gardes  suisses,  qui  est  en 
quartier  à  Saint-Denis,  étoit  sous  les  armes.  Les  ^  suisses  ont  été 
aussi  payés  pour  deux  jours  à  trois  livres  par  jour  chacun. 

«  Le  prieur  et  les  religieux  de  Saint-Denis,  tous  en  chapes,  ayant  un 
cierge  à  la  main,  attendoient  à  l'entrée  de  l'église.  Là,  l'évêque  de 
Metz,  qui  s'étoit  revêtu  de  chape  et  mitre,  qui  lui  furent  fournis  par 
les  religieux,  Ht  un  discours  au  prieur,  qui  lui  répondit  par  un  autre 
discours  ;  ils  sont  tous  deux  transcrits  ci-après.  Ensuite  de  quoi,  on 
porta  le  corps  au  chœur  de  l'église,  sur  deux  tréteaux,  couvert  du  poêle 
de  la  couronne.  On  tit  les  prières  accoutumées,  et  le  cercueil  fut  aus 
sitôt  mis  à  la  cave  par  les  gardes  du  Roi. 

Compliment  fait  par  M.  l'évêque  de  Metz. 

«  Nous  apportons,  mon  Père,  dans  cet  auguste  temple,  déposi- 
«  taire  des  cendres  de  nos  rois,  le  corps  de  très  haut,  très  puissant 
«  et  excellent  prince  Louis  Dauphin,  décédé  dans  son  château  de  Meu- 
«  don,  dans  la  communion  de  l'Eglise  catholique,  apostolique  et  ro- 
«  maino.  Saisi  de  ma  propre  douleur,  pénétré  de  celle  que  j'ai  vu 
«  peinte  dans  la  Majesté  Royale,  encore  troublé  de  l'avoir  vu  s'exposer 
«  à  un  danger  que  l'amour  paternel  lui  a  fait  mépriser,  et  dont  l'inté- 
«  rèt  de  l'État  lié  à  sa  conservation  nous  a  fait  trembler,  tout  se  con- 
«  fond  dans  mes  pensées,  tout  s'éteint  dans  mon  esprit,  tout  usage  est 
«  presque  interdit  à  ma  langue,  plus  prêt  à  verser  des  larmes  qu'à  pro- 
«  noncer  des  paroles.  Nous  pleurons  la  perte  d'un  prince  qu'un  grand 
«  fond  de  religion,  qu'un  courage  magnanime,  qu'un  accès  doux  et 
«  facile  ont  rendu  longtemps  l'espérance  de  la  France  et  l'amour  des 
«  peuples,  un  tils  tendrement  aimé  du  meilleur  de  tous  les  pères,  à 
«  qui  il  fut  toujours  et  respectueusement  soumis  et  inviolablement  at- 

1.  Ces  trois  mots  ont  été  écrits  par  Desgranges  en  interligne,  au-dessus 
d'un,  bitTé. 

2.  Ce  paragraphe  a  été  ajouté  par  Desgranges  sur  la  marge. 

3.  Phrase  encore  ajoutée  sur  la  marge  par  Desgranges. 


AW  APPENDICE  I. 

«  taché.  Hélas  !  le  Seigneur  nous  l'avoit  montré,  et  il  nous  l'a  ravi. 
«  Bien  douloureusement  nous  fait-il  payer  le  bonheur  de  l'avoir  pos- 
«  sédé  par  de  plus  vifs  regrets  de  l'avoir  perdu. 

«  Nous  venons  joindre  nos  prières  à  celles  que  votre  piété,  votre 
«  zèle,  votre  ferveur  rendront  encore  plus  agréables  à  Dieu. 

a  Demandons  ardemment  et  tâchons  d'obtenir  du  Père  des  miséri- 
«  cordes  l'entière  expiation  et  le  parfait  repos  de  l'âme  dont  le  corps 
«  ici  déposé  attendra  le  jour  de  son  heureuse  résurrection.  » 

Discours  du  supérieur  de  l'abbaye  de  Saint-Denis. 

«  Monseigneur, 

«  Comme  l'art  de  bien  mourir  est  celui  de  bien  vivre,  nous  n'avons 
«  jamais  douté  que  très  haut,  très  puissant  et  sérénissime  prince  Mon- 
te seigneur  le  Dauphin,  Hls  unique  du  Roi,  ne  soit  mort  dans  les  senti- 
«  ments  d'une  piété  solide  et  véritable,  et  que  sa  mort  n'ait  été  aussi 
«  précieuse  devant  Dieu  que  sa  vie  étoit  chère  à  toute  la  France.  Nous 
«  ne  pouvons  cependant,  Monseigneur,  refuser  à  ce  bon  prince  le  juste 
«  tribut  de  nos  larmes,  et  nous  devons  dire  à  son  sujet  ce  que  saint  Am- 
«  broise  disoit  autrefois  au  sujet  de  l'empereur  Valentinien  le  jeune  : 
«  Solvamus  bono  principi  stipendiarias  lacrymas,  parce  qu'il  nous  a 
«  laissé  dans  une  seule  mort  un  sujet  commun  de  deuil  et  de  tristesse  : 
«  Privatum  funus,  sed  fletus  publicus. 

«  Dans  les  éloges  qu'on  entreprend  des  personnes  extraordinaires 
«  et  des  grands  princes,  on  est  obligé  de  tirer  souvent  le  rideau  sur 
«  les  premières  années  de  leur  vie  ;  on  laisse  dans  un  sage  oubli  un 
«  temps  oîi  ils  se  sont  oubliés  eux-mêmes  ;  on  ne  leur  donne  ni  enfance, 
«  ni  jeunesse,  et  on  ne  commence  leurs  histoires  que  par  où  on  peut 
(c  commencer  leurs  éloges.  Mais,  grâces  au  ciel  !  nous  ne  sommes  pas 
«  resserrés  dans  ces  bornes  étroites  à  l'égard  de  Monseigneur  le  Dau- 
«  phin,  toujours,  dès  sa  plus  tendre  jeunesse  et  dès  ses  premières  an- 
«  nées  jusqu'au  moment  fatal  qui  nous  l'enleva,  toujours  respectueux 
(c  et  soumis  au  Roi.  Son  obéissance  à  ce  sujet  n'a  jamais  souffert 
«  aucune  éclipse,  ni  senti  aucune  défaillance  ;  il  a  toujours  marché 
«  d'un  pas  égal  et  constant  dans  le  respect  et  la  soumission  qu'il  devoit 
«  à  son  père  et  à  son  souverain.  Sa  dignité  à  l'égard  des  grands,  son 
«  affabilité  envers  les  petits,  son  amour  et  sa  tendresse  pour  les  peuples 
«  et  pour  les  pauvres,  son  courage  et  sa  valeur  contre  les  ennemis  de 
«  l'État,  son  cœur  droit,  noble,  royal  et  bientaisant,  toujours  au-dessus 
«  de  sa  dignité  et  de  son  rang,  toujours  à  portée  de  la  misère  et  de 
«  l'infortune,  maître  généreux  et  libéral,  tils  soumis  et  obéissant,  père 
«  commun  des  peuples,  qualités  que  Dieu  a  récompensées  dès  ce  monde 
«  par  les  trois  princes  qu'il  nous  a  laissés,  dont  le  premier,  Mgr  le  duc 
«  de  Bourgogne,  fait  toute  l'espérance  de  la  France  par  les  talents 
«  supérieurs  de  religion,  de  piété  et  de  sagesse  qu'il  possède,  le  second 
«  toute  la  ressource  des  Espagnes,  et  le  troisième  l'appui  de  l'État, 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  421 

((  qualités,  et  une  infinité  d'autres  que  je  passe,  qui  font  couler  les 
«  larmes  de  nos  yeux  sur  la  mort  de  ce  bon  prince  :  Solvamus  bono 
K  principi  stipendiarias  laoymas. 

«  Mais,  Monseigneur,  que  nos  larmes  et  nos  yeux  ne  soient  pas  les 
«  seuls  qui  prennent  part  à  cette  perte  publique  ;  que  nos  lan;îues  et 
«  nos  bouches  s'emploient  à  crier  vers  le  ciel  pour  le  repos  de  son  âme, 
«  et,  prosternés  aux  pieds  de  nos  autels,  demandons  à  Dieu  qu'il  lui 
<c  donne  un  repos  qui  ne  finisse  jamais,  et  qu'après  que  son  corps,  que 
«  vous  nous  faites  l'honneur  de  nous  présenter,  Monseigneur,  aurare- 
«  posé  avec  ce  grand  nombre  de  rois  et  de  reines,  de  princes  et  de 
«  princesses  de  son  sang,  ses  pères  et  ses  illustres  ancêtres,  qui  sont 
(c  inhumés  dans  ce  royal  et  cet  auguste  temple,  il  le  rejoigne,  ce  corps, 
«  avec  son  âme,  pour  jouir  à  jamais  et  au  delà  de  tous  les  temps  dans  le 
«  ciel  d'une  éternité  certaine  et  bienheureuse.  » 

Deuil  et  visites  pour  la  mort  de  Monseigneur  ^ . 

«  Le  Roi,  après  avoir  agité  de  quelle  manière  on  prendroit  le  deuil, 
a  ordonné  qu'on  le  porteroit  le  plus  grand,  en  sorte  que  les  princes 
et  princesses  du  sang,  les  princes  étrangers,  les  ducs  et  pairs,  les 
officiers  de  la  couronne,  et  les  principaux  officiers  de  sa  maison  ont 
drapé  leurs  carrosses,  fait  habiller  leurs  gens  de  noir,  et  pris  eux-mêmes 
le  deuil  avec  toile  de  batiste  à  grand  ourlet  et  manchettes  plates, 
point  de  poignets  aux  chemises,  souliers  et  gants  bronzés,  et  crêpes  aux 
chapeaux  ;  les  femmes  de  même,  à  proportion. 

«  Beaucoup  de  gens  se  sont  intrigués  sur  la  manière  dont  ilslepor- 
teroient,  les  uns  craignant  de  trop  faire,  les  autres  trop  peu,  et,  comme 
il  n'a  été  fait  sur  cela  aucune  question  qui  ait  été  jusqu'au  Roi,  je 
n'en  dis  rien  ici,  M.  de  Dreux  ni  moi  n'ayant  point  eu  occasion  de  lui 
demander  ses  ordres. 

«  M.  de  Châtillon,  gendre  de  M.  Voysin,  a  fait  demander  permission 
(le  draper,  et  il  l'a  obtenue. 

«  L'appartement  de  Monsieur  le  Dauphin  à  Versailles  étoit  tendu 
de  deuil,  c'est-à-dire  la  salle  des  gardes  et  l'antichambre  de  feu  Mon- 
seigneur, que  Monsieur  le  Dauphin  occupe  à  présent. 

«  L'appartement  do  Madame  la  Dauphine  a  été  tendu  de  même, 
c'est-à-dire  la  grande  anticiiambre  et  la  pièce  qui  suit,  que  l'on  appelle 
le  grand  cabinet. 

«  M.  le  duc  de  Berry  étant  fort  étroitement  logé,  on  lui  a  donné, 
pour  recevoir  ses  visites,  le  petit  appartement  qu'avoit  Monsieur  le 
Dauphin  étant  duc  de  Bourgogne,  et  on  a  tendu  l'antichambre  et  la 
chambre. 

«  Chez  Madame,  il  a  été  tendu  seulement  son   antichambre,  avec 

1.  Extrait  du  même  registre  du  cérémonial  de  Desgranges,  ms.  Maza- 
rine  2746,  fol.  33  v"  et  suivants. 


422  APPENDICE  I. 

son  dais,  pour  recevoir  ses  visites,  et  cette  tenture  a  été  faite  à  ses  dé- 
pens. 

«  Chez  M.  le  duc  d'Orléans,  on  a  fait  la  même  chose. 

«  Chez  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  on  a  fait  la  même  chose. 

«  Pour  les  princes  et  princesses  du  sang,  ils  ne  tendent  point  de 
deuil  dans  la  maison  du  Roi.  On  avoit  agité  si,  le  Roi  ne  portant  point  le 
deuil,  tous  les  gens  de  livrée  qui  servent  Monsieur  le  Dauphin,  de  même 
que  les  carrosses,  qui  sont  censés  être  au  Roi,  resteroient  avec  la  livrée 
du  Roi  sans  les  habiller  de  noir,  ni  sans  draperies  carrosses.  Il  a  été 
décidé  que  les  carrosses  et  cochers  servant  Monsieur  le  Dauphin  et  ses 
valets  de  pied  seroient  en  deuil,  et  on  a  effectivement  habillé  vingt- 
deux  valets  de  pied,  huit  cochers  ou  postillons,  et  quatre  garçons 
d'attelages,  et  drapé  deux  carrosses  aux  armes  de  Monsieur  le  Dau- 
phin. 

«  Le  20,  le  Roi,  qui  étoit  à  Marly,  se  fit  voir  aux  courtisans  ;  il 
étoit  vêtu  de  gris,  debout  dans  son  cabinet,  accompagné  de  tous  les 
princes  et  princesses  du  sang  et  légitimés,  les  princes  en  manteaux 
longs,  savoir  Monsieur  le  Dauphin,  M.  le  duc  de  Berry,  M.  le  duc 
d'Orléans,  M.  le  duc  du  Maine  et  M.  le  comte  de  Toulouse,  légitimés. 
Les  princesses  étoient  en  mantes. 

«  A  trois  heures,  tout  le  monde  entra  chez  le  Roi,  les  dames  les 
premières,  toutes  en  mantes,  et  les  hommes  en  manteau  long,  ra- 
bat de  batiste,  manchettes  au  justaucorps  et  à  la  veste,  les  souliers 
bronzés,  et  le  crêpe  au  chapeau.  On  saluoit  le  Roi  en  passant,  et  on 
sortoit  par  une  autre  porte.  Il  y  avoit  un  monde  extraordinaire,  et 
bien  des  gens  qui  n'auroient  pas  dû  y  venir  ;  mais,  le  Roi  n'ayant 
prescrit  aucune  borne,  chacun  se  crut  en  droit  de  paroître. 

«  Après  avoir  salué  le  Roi,  on  vit  chez  eux  Monsieur  le  Dauphin, 
Madame  la  Dauphine,  M.  le  duc  de  Berry,  Mme  la  duchesse  de  Berry, 
Madame  douairière,  M.  le  duc  d'Orléans,  Mme  la  duchesse  d'Orléans, 
Madame  la  Duchesse,  veuve  de  feu  M.  le  duc  de  Bourbon,  Mme  la 
princesse  de  Conti  douairière,  M.  le  duc  du  Maine  et  M.  le  comte  de 
Toulouse,  légitimés.  Il  fut  principalement  question  si  on  verroit 
MM.  les  ducs  du  Maine  et  comte  de  Toulouse  légitimés,  parce  qu'ils 
sont  enfants  de  S.  M.  et  frères  de  feu  Monseigneur  ;  le  Roi  dit  qu'il 
ne  l'ordonnoit  point,  mais  que  ceux  qui  les  verroient  lui  feroient  plai- 
sir. Presque  tout  le  monde  les  vit. 

«  Le  matin  de  ce  même  jour,  tant  les  hommes  que  les  dames 
avoient  rendu  visite  à  MM.  les  ducs  de  Bretagne  et  d'Anjou,  enfants 
de  Monsieur  le  Dauphin,  qui  étoient  restés  à  Versailles. 

«  Le  22,  le  roi  d'Angleterre,  la  reine  d'Angleterre  et  la  princesse 
d'Angleterre  allèrent  à  Marly,  rendre  visite  au  Roi,  à  Monsieur  le 
Dauphin,  à  Madame  la  Dauphine,  à  M.  le  duc  de  Berry,  à  Mme  la 
duchesse  de  Berry,  à  Madame  douairière,  à  M.  le  duc  d'Orléans,  et  à 
Mme  la  duchesse  d'Orléans. 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  -453 

«  Le  roi  d'Angleterre  étoit  en  grand  deuil  violet,  la  reine  et  la 
princesse  aussi  en  grand  deuil,  de  même  que  toute  leur  suite,  qui 
toutefois  n'éfoicnt  ni  en  manteau  long,  ni  mante,  le  Roi  les  ayant 
tait  pn?r  de  n'en  point  prendre,  pour  leur  en  épargner  l'embarras. 

«  Le  23,  Monsieur  le  Dauphin,  Madame  la  Dauphine,  M.  le  duc  de 
Berry,  Mme  la  duchesse  de  Berry.  Madame  douairière,  M.  le  duc  d'Or- 
léans, Mme  la  duchesse  d'Orléans  et  M.  le  duc  du  Maine  allèrent  à 
Saint-Gtrmain,  tous  en  grand  manteau,  eux  et  leur  suite,  et  les 
dames  e:i  mante,  rendre  visite  au  roi,  à  la  reine  et  à  la  princesse 
d'Angleterre,  qui  les  reçurent  avec  leurs  habits  ordinaires  de  deuil, 
sans  manteau  ni  mante. 

«  Dans  les  occasions  comme  celle-ci,  les  cours  ont  coutume  d'en- 
voyer les  sens  du  Roi  pour  demander  à  S.  M.  la  permission  de  venir 
lui  faire  compliment  ;  cela  se  pratiquoit  ainsi  lorsqu'il  étoit  à  Paris, 
et,  quand  il  en  est  éloigné,  ces  mêmes  gens  du  Roi  s'adressent  au 
secrétaire  d'État,  qui  en  demande  la  permission  au  Roi.  M.  de  Pont- 
chartrain  les  a  prévenus  sur  cela,  et  a  pris  l'ordre  du  Roi  pour  leur 
écrire  de  lui  venir  faire  compliment,  ce  qui  n'est  pas  dans  la  règle,  ni 
dans  la  décence,  parce  que  ce  n'est  pas  au  Roi  à  ordonner  qu'on  lui 
vienne  faire  des  compliments,  mais  bien  le  permettre,  quand  on  prend 
la  liberté  de  le  lui  demander,  et  qu'il  l'a  agréable.  M.  de  Pontchar- 
train  leur  a  donc  écrit,  le  20,  de  se  rendre  à  Versailles  le  27,  où  le 
Roi  est  venu  de  Marly  le  matin.  Il  a,  ce  même  matin,  reçu  les  com- 
pliments du  nonce  du  Pape,  et  de  tous  les  autres  ministres  qui  sont  à 
la  cour,  savoir:  M.  Cronstrom,  envoyé  de  Suède  ;  M.  Barrois,  en- 
voyé de  Lorraine  ;  le  comte  de  Rivazzo,  envoyé  de  Parme  ;  le  baron 
Siméoni,  envoyé  de  l'électeur  de  Cologne,  et  le  comte  Bardi,  envoyé 
de  Toscane,  tous  en  grand  manteau  de  deuil. 

«  Tous  ces  ministres  ont  été  conduits  de  même  chez  Monsieur  le 
Dauphin,  chez  Madame  la  Dauphine,  chez  M.  le  duc  de  Berry,  chez 
Mme  la  duchesse  de  Berry,  Madame  douairière,  M.  le  duc  d'Orléans 
et  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  le  tout  par  M.  deBreteuil,  introducteur 
des  ambassadeurs,  qui  étoit  aussi  en  manteau  long. 

«  A  l'égard  des  cours,  elles  se  sont  rendues  l'après-dîner  aux  lieux 
que  je  leur  avois  marqués  pour  leur  descente,  à  l'effet  de  quoi  j'avois 
dit  à  le  Bel,  concierge,  de  mettre  un  homme  à  la  porte  du  château, 
qui  leur  montreroit  l'endroit  destiné,  savoir  :  le  Parlement,  dans  la 
chambre  du  Conseil  ;  la  Chambre  des  comptes,  dans  l'autre  salle  du 
même  Conseil  ;  la  Cour  des  aides,  dans  l'appartement  de  M.  le  duc 
de  la  Rocheguyon,  grand  maître  de  la  garde-robe,  qui  est  au  pied  de 
l'escalier  du  Roi  ;  la  Cour  des  monnoies,  dans  la  chambre  de  M.  d'Ar- 
magnac, grand  écuyer  ;  la  Ville,  dans  l'antichambre  de  M.  d'Arma- 
gnac ;  l'Université,  dans  une  chambre  de  Madame  la  Princesse  ;  l'Aca- 
démie françoise,  dans  son  antichambre,  et  le  Grand  Conseil,  dans  le 
grand  cabinet  de  son  appartement. 


424  APPENDICE  I. 

«  Le  Roi  ayant  dîné,  M.  de  Dreux  et  moi  avons  été  prendre  le  Par- 
lement dans  la  chambre  du  Conseil,  de  même  que  M.  de  Pontchartrain, 
qui  y  est  venu  aussi,  et  l'avons  conduit  chez  le  Roi  et  ramené  dsns  la 
même  chambre.  Nous  étions  en  manteau,  quoique  nous  ne  dussions 
pas  y  être,  et  encore  moins  les  courtisans,  puisque  le  Roi  n'étoit  pas 
en  deuil.  Pareille  chose  a  été  pratiquée  pour  la  Chambre  des  comptes 
et  la  Cour  des  aides,  lesquelles  cours  M.  de  Pontchartrain  est  venu 
prendre  avec  nous,  auquel  temps  il  s'est  assis  et  couvert,  et,  à  la  fin 
du  discours,  s'est  levé  et  découvert  pour  voir  partir  Messieurs  du  Par- 
lement, qui  l'ont  tous  salué  deux  à  deux,  autant  que  l'espace  a  pu  le 
permettre. 

«  Monsieur  le  Dauphin  a  observé  la  même  chose  pour  la  Chambre 
des  comptes  et  la  Cour  des  aides;  à  l'égard  de  la  Cour  des  monnoies, 
de  la  Ville,  de  l'Université  et  de  l'Académie,  il  ne  s'est  point  levé  ;  il 
s'est  seulement  découvert  lorsqu'ils  sont  entrés  et  lorsqu'ils  sont  sortis. 

«  Madame  la  Dauphine  a  ensuite  donné  audience  aux  mêmes  com- 
pagnies, et  a  observé  de  se  lever  pour  celles  pour  lesquelles  Monsieur 
le  Dauphin  s'étoitlevé. 

(f  Après  les  audiences  données  par  le  Roi  au  Grand  Conseil,  à 
l'Université  et  à  l'Académie,  nous  avons  observé  pour  le  Grand  Conseil 
tout  ce  que  nous  avons  observé  pour  le  Parlement,  et  l'avons  mené 
chez  Monsieur  le  Dauphin,  qui  l'a  reçu  comme  le  Parlement,  à  la  suite 
duquel  nous  lui  avons  présenté  comme  chez  le  Roi,  l'Université  et 
l'Académie.  Nous  avons  observé  la  même  chose  chez  Madame  la  Dau- 
phine pour  le  Grand  Conseil,  l'Université,  et  l'Académie.  » 

Après  ces  relations  d'un  caractère  ofiBciel,  il  semble  intéressant  de 
donner  un  récit  écrit  par  le  duc  du  Maine  dans  le  mois  qui  suivit  les 
événements  et  qui  nous  a  été  conservé  dans  le  2"  registre  de  sa  Corres- 
pondance, fol.  187  v»  et  suivants.  Ce  morceau  a  déjà  été  publié  dans 
V Annuaire-Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  de  France,  année  1893  ;  il  ne 
sera  pas  néanmoins  inutile  de  le  reproduire  ici  : 

Histoire  de  la  mort  de  Monsieur  le  Dauphin,  et  des  cérémonies  qui 
l'ont  suivie.  Fait  à  Marly,  ce  24  mai  1711. 

«  Le  44  avril  1714,  un  peu  avant  minuit,  Louis  Dauphin,  fils  de 
Louis  XIV,  mourut  de  la  petite  vérole  à  Meudon,  sa  maison  de  plai- 
sance. Il  y  étoit  allé  le  mercredi  précédent,  et  s'étoit  trouvé  indisposé 
ce  même  soir. 

«  Il  devoit  aller  courre  le  loup  (qui  étoit  sa  chasse  favorite)  le  len- 
demain. Le  jeudi,  n'ayant  pas  passé  une  trop  bonne  nuit,  il  se  leva  à 
son  heure  ordinaire,  et,  s'étant  mis  sur  sa  chaise  percée  comme  il  avoit 
coutume  de  le  faire,  il  y  eut  une  espèce  de  foiblesse,  qui,  jointe  à  quel- 
ques douleurs  et  des  lassitudes  qu'il  ressentoit  par  tout  le  corps,  l'obli- 
gèrent à  contremander  sa  chasse  et  à  la  remettre  au  samedi.  Cet  acci- 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  423 

dent  parut  si  foible,  quoiqu'on  remarquât  quelque  altération  à  son 
pouls,  que  le  marquis  d'Anlin,  un  de  ses  menins,  qu'il  honoroit  d'une 
bonté  et  d'une  conliance  particulières,  se  trouvant  obligé  (comme  di- 
recteur général  des  bâtiments)  de  suivre  le  Roi  à  Marly,  qui  devoit  y 
aller  ce  jour-là,  vint  à  Versailles  et  parla  à  S.  M.  de  cette  indisposition 
d'une  manière  peu  effrayante,  et  qui,  n'étant  point  aggravée  par  un 
écuyerquo  le  Roi  avoit  sur-le-champ  envoyé  aux  nouvelles,  n'empêcha 
pas  S.  M.  d'aller  taire  sa  promenade  à  Marly.  Mgr  le  duc  de  Bourgogne 
alla  ce  jour  même  dîner  à  Meudon  ;  il  trouva  Monsieur  le  Dauphin 
couché,  ayant  toujours  le  pouls  hors  du  naturel,  étant  assoupi,  assez 
abattu,  et  ressentant  quelque  mal  de  reins.  J'allai  à  Meudon,  et,  sur 
les  deux  heures  après  midi,  comme  j'élois  dans  la  ruelle  du  lit  de  Mon- 
seigneur, que  je  trouvai  rouge  avec  les  yeux  tort  chargés,  il  dit  qu'il 
commençoit  à  avoir  mal  à  la  tête.  Cependant  il  vit  un  moment  la  com- 
pagnie, quand  elle  sortit  de  table,  et,  ayant  marqué  que  le  monde  l'in- 
commodoit,  l'on  se  retira  dans  le  grand  cabinet,  où  étant  encore  resté 
trois  quarts  d'heure,  j'entendis  déjà  parler  de  cordiaux.  Presque  toute 
la  cour  alla  à  Meudon.  Mme  la  princesse  de  Conti,  ma  sœur,  y  fut  cou- 
cher, aussi  bien  que  Madame  la  Duchesse,  qui  pour  lors  étoit  à  Paris, 
ne  pouvant  mieux  faire  pour  répondre  aux  bontés  singulières  dont 
Monseigneur  les  honoroit.  M.  Fagon,  premier  médecin  du  Roi,  et  qui 
ne  se  transplante  pas  aisément,  y  alla  aussi,  et  ordonna  une  saignée, 
qui  fut  faite  aussitôt.  Le  vendredi,  le  Roi,  inquiet  de  voir  que,  quoique 
les  accidents  n'augmentassent  pas,  ils  ne  diminuoient  point,  résolut 
d'aller  coucher  à  Meudon,  pour  être  témoin  lui-même  de  ce  que  le 
mal  deviendroit,  et,  comme  l'assoupissement  continuel  et  le  pouls  em- 
barrassé de  Monseigneur  faisoient  soupçonner  un  mal  de  venin,  S.  M. 
défendit  à  Mgr  le  duc  de  Bourgogne,  à  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne, 
à  Mgr  le  duc  de  Berry,  à  Mme  la  duchesse  de  Berry  (qui,  pour  lors, 
étant  grosse,  se  trouvoit  dans  son  lit  pour  une  saignée)  et  à  moi,  d'avoir 
l'honneur  de  le  suivre,  parce  que  nous  n'avions  point  eu  la  plupart  la 
petite  vérole.  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  représenta  qu'elle  l'avoit 
eue  et  qu'elle  ne  la  craignoit  point  :  les  autres  dirent  qu'étant  logés  à 
Meudon  au  château  neuf,  ils  ne  seroient  point  dans  le  mauvais  air  ; 
cependant  tout  cela  ne  fléchit  point  le  Roi,  et  il  défendit  à  tous  les  ci- 
dessus  nommés  de  le  suivre.  Mon  frère,  comme  ayant  eu  la  petite  vé- 
role, l'y  accompagna.  Quoique  Mme  la  duchesse  d'Orléans  l'eût  eue,  il 
lui  fut  ordonné  de  ne  pas  découcher  de  Versailles,  et  le  Roi  défendit 
à  M.  le  duc  d'Orléans  de  retourner  à  Meudon.  S.  M.  partit  sur  les  onze 
heures  du  matin,  ne  sachant  pas  encore  positivement  s'il  ne  reviendroit 
point  le  lendemain  coucher  à  Versailles.  Nous  restâmes  à  Versailles 
tout  ce  jour-là,  Mme  la  duchesse  du  Maine  et  moi. 

<c  Le  samedi  matin,  nous  apprîmes  qu'entre  sept  et  huit  heures  du 
matin,  la  petite  vérole  de  Monseigneur  avoit  commencé  à  paroître. 
Aussitôt  j'allai  chez  Mgr  le  duc  de  Bourgogne.  l\  étoit  dans  son  cabi- 
net, et  il  vint  lui  même  m'en  ouvrir  la  porte.  Je  le  trouvai  fort  eflVayé, 


426  APPENDICE  I. 

tant  du  mal  de  Monseigneur  que  de  voir  le  Roi  exposé  à  un  si  mauvais 
air.  Il  écrivit  à  S.  M.  d'une  manière  fort  respectueuse,  fort  touchante 
et  fort  pressante,  pour  la  conjurer  de  ne  point  exposer  sa  santé  ;  il  me  fit 
l'honneur  de  me  montrer  sa  lettre  et  de  me  demander  si  je  la  trouvois 
bien  et  si  je  croyois  qu'il  la  put  envoyer  ;  je  lui  dis  qu'elle  me  parois- 
soit  à  merveille,  que  j'étois  persuadé  qu'elle  ne  produiroit  aucun  effet, 
mais  qu'il  étoit  toujours  très  bon  de  l'envoyer.  Il  écrivit  en  même  temps 
à  Mme  de  Maintenon  sur  le  même  ton.  Ensuite,  j'allai  chez  Mme  la  du- 
chesse de  Bourgogne.  Elle  étoit  seule  dans  son  cabinet,  fort  émue,  et 
y  écrivoit  ;  elle  m'y  fit  entrer  et  asseoir  ;  mais,  après  avoir  un  peu  parlé 
des  sujets  d'inquiétude  que  pouvoit  donner  la  nouvelle  qu'on  venoit 
de  recevoir,  je  me  retirai,  et,  l'après-dîner,  nous  allâmes  à  Sceaux, 
Mme  la  duchesse  du  Maine  et  moi. 

«  Avant  que  de  partir,  j'écrivis  à  Mme  de  Maintenon  pour  l'encou- 
rager à  faire  tout  son  possible  pour  empêcher  le  Roi  d'entrer  dans  la 
chambre  de  Monseigneur*.  Le  soir,  mon  frère  me  manda  que  la  tièvre 
de  Monseigneur  n'étoit  pas  violente,  que  la  petite  vérole  sortoit  bien, 
mais  que  l'assoupissement  continuoit. 

«  Le  dimanche  et  le  lundi,  j'en  eus  des  nouvelles  deux  fois  le  jour, 
à  peu  près  conformes  aux  précédentes,  excepté  qu'on  me  marquoit, 
dans  les  dernières,  que  l'assoupissement  diminuoit  et  que  la  maladie 
alloit  aussi  bien  qu'on  pouvoit  l'espérer.  Mes  nouvelles  du  mardi  ma- 
tin furent  aussi  très  bonnes  et  remplies  d'espérance.  Celles  que  je  re- 
çus à  neuf  heures  du  soir  (qui  étoient  datées  de  sept  heures  et  demie) 
portoient  que  Monseigneur  soufîroit  plus  qu'il  n'avoitfait,  parce  que  la 
petite  vérole  commençoit  à  suppurer,  que  la  tièvre  étoit  un  peu  plus 
forte,  mais  que  tout  cela  n'alarmoit  pas,  et,  à  deux  heures  après  minuit, 
je  fus  réveillé  par  un  courrier  qui  s'étoit  égaré  et  qui  m'apporta  une 
lettre  de  mon  frère,  datée  de  minuit,  par  laquelle  il  me  marquoit  que 
Monseigneur  étant  tombé  en  convulsions  et  ayant  perdu  connoissance 
à  dix  heures  et  demie,  avoit  été  vainement  saigné  du  pied  ;  que, 
l'émétique,  les  gouttes  d'Angleterre  et  le  lilium  qu'on  lui  avoit  donnés 
n'ayant  aussi  produit  aucun  effet,  il  venoit  de  mourir,  et  que  le  Roi 
étoit  déjà  parti  pour  Marly.  Aussitôt  je  me  jetai  à  bas  du  lit,  saisi  et 
pénétré,  tant  de  la  cruelle  nouvelle  que  de  la  surprise  ;  j'envoyai  cher- 
cher Malezieu,  et  nous  allâmes  dire  à  Mme  la  duchesse  du  Maine  le 
malheur  qui  étoit  arrivé.  Toute  la  maison  fut  sur  pied,  et  il  ne  fut  pas 
question  de  fermer  l'œil  de  toute  la  nuit. 

«  Le  mercredi  15,  à  six  heures  et  demie  du  matin,  je  partis  pour  Ver- 
sailles, où  j'arrivai  pour  le  lever  de  Mgr  le  duc  de  Bourgogne.  Je  le 
trouvai  étouffant  de  douleur,  parce  qu'il  ne  pouvoit  verser  une  larme. 
J'appris  que  Mgr  le  duc  de  Berry  étoit  tombé  en  foiblesse  la  veille  en 
apprenant  la  mort  de  Monseigneur  ;  que  le  Roi  avoit  passé  à  Versailles 
sur  le  minuit  et  demi  ;  qu'il  avoit  défendu  à  Mgr  le  duc  de  Bourgogne 

1.  C'est  la  lettre  donnée  ci-dessus,  p.  409. 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  427 

et  à  Mgr  le  duc  de  Berry  de  le  voir,  et  que  Mme  la  duchesse  de  Bour- 
gogne l'avoit  vu  en  passant. 

«  J'allai  rendre  mes  devoirs  à  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  et  à 
Mgr  le  duc  et  à  Mme  la  duchesse  du  Berry,  et  j'écrivis  à  Mme  de  Main- 
tenon  que  je  serois  bien  aise  qu'il  me  fût  permis  de  m'aller  établir  à 
Marly  pour  satisfaire  à  l'inquiétude  mortelle  que  j'avois  pour  la  santé 
du  Roi.  On  me  manda  que  le  Roi  étoit  dans  une  extrême  affliction,  et 
que  je  ne  devois  songer  à  aller  à  Marly  que  lorsque  Mgr  le  duc  de 
Bourgogne  iroit. 

«  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  alla,  ce  jour-là,  voir  le  Roi  à 
Marly.  Elle  revint  dîner  à  Versailles,  et  retourna  encore  à  Marly  après 
dîner.  Mme  la  duchesse  d'Orléans  et  M.  le  duc  d'Orléans  furent,  ce 
jour  même,  coucher  à  Marly.  Madame  la  Duchesse,  Mme  la  princesse  de 
Conti  et  mon  frère  y  étoient  allés  en  même  temps  que  le  Roi  ;  pour 
moi,  je  m'en  retournai  à  Sceaux,  d'oià  Mme  la  duchesse  du  Maine  par- 
tit sur  les  trois  heures  après  midi  pour  aller  faire  ses  compliments  à 
Versailles  ;  après  quoi,  elle  revint  à  Sceaux, 

«  La  nuit  du  mercredi  au  jeudi,  le  corps  de  Monseigneur,  sans  avoir 
été  ni  ouvert  ni  embaumé,  ayant  été  enseveli  par  des  sœurs  grises  (per- 
sonne autre  n'en  ayant  pu  soutenir  la  puanteur),  fut  emporté  sans  au- 
cune cérémonie  à  Saint-Denis,  dans  un  carrosse  escorté  seulement 
par  sa  maison  et  par  les  gardes  du  corps  qui  servoienl  pour  lors  auprès 
de  sa  personne.  Ce  furent  M.  l'évêque  de  Metz,  premier  aumônier,  et 
M.  de  laTrémoïlIe,  premier  gentilhomme  de  la  chambre,  qui  condui- 
sirent le  corps. 

«  Le  jeudi  16,  le  Roi  déclara  qu'à  l'avenir  Mgr  le  duc  de  Bourgogne 
se  nommeroit  Monsieur  le  Dauphin,  et  il  ordonna  qu'en  lui  parlant 
on  l'appelât  Monsieur,  et  non  Monseigneur,  S.  M.  se  ressouvenant 
que  ce  n'étoit  qae  par  une  habitude  qu'elle  avoit  prise  elle-même, 
pendant  l'enfance  de  feu  Monseigneur  le  Dauphin,  de  l'appeler  Monsei- 
gneur, qu'elle  avait  donné  lieu  à  cet  abus.  Il  fut  aussi  réglé  que  toute 
la  cour  prendroit  le  deuil  comme  on  le  prend  d'un  père,  c'est-à-dire 
avec  des  pleureuses  et  de  petites  manchettes. 

«  Le  dimanche  49  du  même  mois,  Monsieur  le  Dauphin,  Madame 
la  Dauphine,  Mgr  le  duc  de  Berry,  Mme  la  duchesse  de  Berry  et  moi, 
eûmes  la  permission  d'aller  le  soir  nous  établir  à  Marly.  Nous  y  arri- 
vâmes en  deuil  sur  les  sept  heures  du  soir.  Le  reste  de  la  cour  ne  le 
prit  que  le  lendemain. 

«  Quand  j'arrivai  à  Marly,  personne  n'avait  songé  à  demander  si 
nous  recevrions  des  visites  de  compliments,  et  de  quelle  manière  on  en 
useroit  :  ce  fut  moi  qui  mis  tout  cela  en  mouvement. 

«  Lundi  20,  le  Roi  reçut  les  compliments  de  tous  les  princes,  prin- 
cesses, seigneurs  et  dames  de  la  cour  et  de  la  ville,  les  hommes  en 
manteau,  et  les  dames  en  mante.  Le  Roi  trouva  bon  que  tous  ceux  qui 
avoient  quelque  frayeur  de  la  petite  vérole  s'exemptassent  de  cette  cé- 
rémonie ;  plusieurs  dames  profitèrent  de  cette  permission,  entre  autres 


448  APPENDICE  I. 

Mme  la  princesse  de  Conti,  ma  belle-sœur,  et  toute  sa  famille,  et 
Mme  la  duchesse  du  Maine  et  ses  enfants,  elle  et  le  prince  de  Bombes 
n'ayant  point  eu  la  petite  vérole.  Madame  la  Duchesse  fit  aussi  prier 
S.  M.  d'agréer  que  ses  enfants  n'y  vinssent  pas,  et  elle  déclara  qu'elle 
vouloit  être  quarante  jours  sans  les  voir,  qui  est  le  temps  ordinaire 
marqué  pour  être  entièrement  purifié  du  mauvais  air. 

«  Ce  même  lundi  matin,  les  ducs  tirent  demander  au  Roi  par  M.  le 
duc  de  Tresmes,  qui  pour  lors  étoit  en  service  de  sa  charge  de  premier 
gentilhomme  de  la  chambre,  s'ils  ne  viendroient  pas  complimenter  en 
manteau  Madame  la  Duchesse,  Mme  la  princesse  de  Conti  ma  sœur, 
mon  frère  et  moi,  et  ils  Hrent  entendre  que  ce  n'étoit  qu'à  cause  de  la 
consanguinité  qu'ils  s'y  présentoient,  ne  croyant  pas  être  tenus  en 
cette  occasion,  de  visiter  les  princes  et  les  princesses  du  sang.  S.  M. 
répondit  qu'elle  n'étoit  point  assez  instruite  sur  ce  point,  et  pour  dire 
par  quelle  raison  ils  dévoient  venir  chez  nous,  mais  qu'elle  croyoit 
qu'à  cause  de  ce  que  nous  lui  étions  tous  quatre,  ils  ne  feroient 
pas  de  difficulté  de  nous  voir. 

<f  Le  Roi  m'envoya  chercher  pour  me  dire  tout  cela,  et  je  fus  en 
donner  part  à  Madame  la  Duchesse  ;  ensuite,  je  montai  chez  Mme  la 
duchesse  d'Orléans,  et  je  lui  demandai  si  nous  ferions  le  compliment 
d'aller  chez  elle  en  cérémonie.  Elle  me  répondit  que  non,  parce  que, 
outre  que  les  parents  du  mort  au  même  degré  étoient  exempts  de  se 
visiter,  ce  seroit  un  grand  embarras  à  M.  le  duc  d'Orléans  et  à  elle  de 
revenir  chez  nous  comme  ils  y  seroient  obligés,  si  nous  avions  été  chez 
eux. 

«  L'heure  de  trois  heures  après  midi  étant  celle  que  le  Roi  avoit  dé- 
signée pour  recevoir  la  compagnie.  Monsieur  le  Dauphin  attendit 
chez  lui  tous  les  princes  pour  le  suivre  chez  le  Roi,  et  il  se  mit  en 
marche  quand  M.  le  duc  de  Berry,  M.  le  duc  d'Orléans,  mon  frère  et 
moi  fûmes  arrivés.  Notre  marche  fut  assez  régulière  jusqu'à  la  porte  de 
la  chambre  du  Roi  ;  mais,  les  princesses,  Madame  la  Dauphine  à  la 
tête,  nous  ayant  coupés,  il  y  eut  quelque  désordre,  et  nous  entrâmes 
pêle-mêle  dans  le  cabinet,  où  S.  M.  étoit  debout,  appuyée  sur  le  coin 
de  sa  table  qui  est  entre  les  deux  fenêtres  vis-à-vis  de  la  cheminée. 

«  Nous  nous  rangeâmes  tous  à  la  gauche  du  Roi,  princes  et  prin- 
cesses, suivant  notre  rang,  et  nous  restâmes  dans  le  cabinet  jusqu'à  ce 
que  toutes  les  révérences  fussent  faites.  Après  nous,  tous  les  seigneurs 
et  toutes  les  dames  passèrent  un  à  un,  sans  qu'il  y  eût  de  rangs  obser- 
vés, chacun  faisant  sa  révérence  et,  sans  s'arrêter,  ressortant  par  l'autre 
porte.  La  cérémonie  ne  dura  que  trois  quarts  d'heure,  quoique  l'af- 
fluence  fût  fort  grande.  Le  Roi  faisoit  une  inclinaison  de  tête  à 
chacun,  et,  quand  tout  le  monde  eut  défilé,  il  vint  faire  une  honnêteté 
aux  princesses,  et  il  nous  dit,  en  sortant,  à  moi  et  à  mon  frère,  que 
les  dames  avoient  demandé  si  elles  ne  viendroient  pas  chez  nous,  mais 
qu'ayant  appris  (par  M.  le  marquis  d'O)  que  j'avois  dit  qu'il  falloit 
éviter  cela,  et  que  nous  en  serions  embarrassés,  il  avoit  répondu  qu'il  ne 


MORT  DE  MONSEIGx\EUR.  429 

falloit  pas  qu'elles  prissent  cette  peine-là,  et  que  nous  serions  très  fâchés 
et  très  embarrassés,  si  elles  se  la  donnoient.  S.  M.  passa  ensuite  chez 
Mnae  de  Maintenon,  et  tout  le  monde  alla  taire  la  ronde  chez  Monsieur 
le  Dauphin,  Madame  la  Dauphine,  M.  le  duc  de  Berry,  Mme  la  du- 
chesse de  Berry,  Madame,  M.  le  duc  d'Orléans,  Mme  la  duchesse 
d'Orléans,  Madame  la  Duchesse.  On  ne  tut  point  chez  Mme  la  prin- 
cesse de  Conti,  parce  qu'elle  avoit  pensé  mourir  la  nuit  de  devant  d'une 
fluxion  de  poitrine,  et  l'on  vint  chez  moi,  où  mon  frère  recevoit 
aussi  les  compliments  pour  le  soulagement  du  public.  Madame  la  Prin- 
cesse, qui  auroit  dû  aller  chez  M.  le  duc  d'Orléans  et  chez  Mme  la  du- 
chesse d'Orléans,  prit  occasion  de  n'y  point  aller  sur  ce  que  Mme  la 
duchesse  d'Orléans  m'avoit  dit  que,  devant  nous  rendre  nos  visites, 
cela  seroit  embarrassant,  ou,  pour  mieux  dire,  fatigant.  Pourtant  le 
discours  de  Mme  la  duchesse  d'Orléans  n'étoit  pas  pour  lors  interprété 
avec  précision,  puisqu'elle  ne  me  l'avoit  tenu  que  pour  mes  autres 
sœurs  et  mon  frère,  qui  étions  parents  au  même  degré  et  qui  habi- 
tions à  Marly.  Madame  la  Princesse  crut  cependant  pouvoir  en  prendre 
pour  elle  cette  partie,  à  cause  de  l'obligation  de  la  reddition  de  la  vi- 
site, n'ayant  point  à  Marly  de  lieu  pour  la  recevoir,  et  ne  pouvant 
aussi,  sans  de  grandes  conséquences,  faire  civilité  sur  cette  cérémonie. 
Madame  la  Princesse  me  dit  qu'elle  se  souvenoit  positivement  d'avoir  été 
visitée  en  cérémonie  à  la  mort  de  la  Heine,  ce  qui  est  à  remarquer,  à 
cause  de  ce  que  les  dues  disoient  qu'ils  ne  croyoient  pas  être  obligés, 
dans  ces  sortes  d'occasion,  de  visiter  les  princes  et  princesses  du  sang. 
Je  fus  donc  chargé,  pour  éviter  toute  tracasserie,  de  faire  là-dessus 
un  assez  mauvais  compliment,  qui  ne  fut  bien  reçu  que  parce  que  j'en 
étois  chargé.  Mon  frère  vint  dans  ma  chambre  recevoir  avec  moi  ces 
compliments,  pour  abréger  la  cérémonie  et  pour  sauver  de  la  peine  à 
la  cour.  Tous  les  princes  étrangers  et  tous  les  ducs  nous  visitèrent. 

<f  On  entroit  dans  mu  chambre  par  la  fenêtre,  et  nous  étions  debout 
en  manteau.  Personne  ne  voulut  s'asseoir. 

«  Le  mardi  il,  Monsieur  le  Dauphin  alla  à  Saint-Germain,  visiter 
en  cérémonie  le  roi  et  la  reine  d'Angleterre,  et  non  seulement  il  trouva 
bon  que  j'eusse  l'honneur  de  le  suivre,  mais  il  m'otîrit,  dans  son  car- 
rosse, une  place,  que  je  refusai,  non  tant  parce  qu'il  éloit  déjà  fort 
plein,  que  parce  qu'après  la  visite,  je  voulois  aller  à  Versailles,  oix 
j'avois  à  laire. 

«  Monsieur  le  Dauphin,  peu  instruit  de  ces  sortes  de  cérémoniaux, 
avoit  oublié  qu'il  auroit  dû  me  faire  avertir  de  le  suivre  ;  mais,  dès  que 
M.  le  marquis  d'O  lui  eut  dit  que  je  demandois  s'il  ne  le  trouveroit 
pas  bon,  il  répondit  que  même  cela  se  devoit. 

«  Mon  frère  ne  fut  point  de  ce  voyage,  parce  que,  n'en  ayant  point 
été  averti,  il  avoit  été  dès  le  matin  à  Rambouillet.  Madame  la  Duchesse 
ne  fut  pas  non  plus  de  la  visite,  parce  que,  outre  que  sa  santé  n'étoit 
pas  trop  bonne,  elle  n'avoit  point  été  avertie  de  la  part  de  Madame  la 
Dauphine,  comme  elle  auroit  dû  l'être. 


430  APPENDICE  I. 

«  J'allai  à  Saint-Germain  dans  mon  carrosse,  et  j'attendis  chez  M.  le 
duc  de  Berwick  l'arrivée  de  Monsieur  le  Dauphin.  Dans  ces  sortes  de 
cérémonies,  les  hommes,  d'ordinaire,  vont  dans  un  carrosse,  et  les 
dames  dans  un  autre  ;  mais,  à  celle-là  (je  crois,  manque  d'attention), 
il  n'en  fut  pas  ainsi,  et  la  carrossée  étoit  composée  de  Monsieur  le 
Dauphin,  de  Madame  la  Dauphine,  de  M.  le  duc  de  Berry,  de  Mme  la 
duchesse  de  Berry,  de  Madame,  de  M.  le  duc  d'Orléans  et  de  Mme  la 
duchesse  d'Orléans.  Quand  on  me  dit  que  Monsieur  le  Dauphin  arrivoit, 
je  montai  dans  la  salle  des  gardes  du  roi  d'Angleterre,  pour  y  prendre 
mon  manteau  et  pour  me  mettre  du  cortège.  Dès  que  Monsieur  le  Dau- 
phin me  vit,  il  vint  à  moi;  il  me  dit  que  je  savois  bien  quej'avois  étéle 
maître  d'aller  dans  son  carrosse,  et  qu'il  me  presseroit  d'y  retourner, 
n'étoit  qu'on  lui  avoit  dit  que  je  voulois  aller  à  Versailles.  Je  répondis 
par  un  respectueux  remercîment  à  toutes  ses  honnêtetés. 

«  Nous  allâmes  ensuite,  princes  et  princesses,  l'un  après  l'autre  sui- 
vant notre  rang,  chez  le  roi  d'Angleterre,  qui  nous  reçut  debout,  et, 
après  y  avoir  resté  quelque  temps,  nous  allâmes  dans  le  même  ordre 
chez  la  reine,  où  nous  trouvâmes  des  fauteuils  et  des  sièges  pliants 
préparés.  La  reine  prit  le  fauteuil  du  milieu,  et  Monsieur  le  Dauphin, 
Madame  la  Dauphine,  Mgr  le  duc  de  Berry,  Mme  la  duchesse  de  Berry 
et  Madame  se  mirent  aussi  dans  des  fauteuils  à  droit  et  à  gauche  ;  et 
M.  le  duc  d'Orléans,  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  et  moi,  sur  des  sièges 
attenant  les  fauteuils.  On  apporta  aussi  des  sièges  aux  duchesses. 
Quand  on  eut  été  quelque  temps  assis,  on  se  leva,  et  la  conversation 
se  continua,  pendant  laquelle  la  princesse  d'Angleterre  vint  trouver  la 
compagnie. 

«  Après  avoir  été  ainsi  debout  encore  un  demi-quart  d'heure,  Mon- 
sieur le  Dauphin  sortit  et  retourna  à  Marly. 

«  Le  lundi  27,  le  Boi,  en  sortant  de  sa  messe,  alla  à  Versailles  pour 
y  recevoir  en  cérémonie  les  compliments  des  ambassadeurs  et  envoyés, 
et  des  principales  compagnies  de  Paris.  Il  donna  audience,  avant  dîner, 
à  M.  le  Nonce,  à  l'envoyé  de  Suède,  à  celui  de  Cologne,  à  celui  du 
Grand-Duc,  à  celui  de  Gènes,  à  celui  de  Parme,  et  à  celui  de  Lorraine. 
Toute  la  cour  étoit  en  manteau. 

ce  Le  Boi  reçut  ces  audiences  dans  la  ruelle  de  son  lit,  ayant  derrière 
lui  ses  grands  officiers,  et  M.  le  duc  d'Orléans  à  sa  droite,  moi  à  sa 
gauche,  et  mon  frère  auprès  de  M.  le  duc  d'Orléans. 

«  Le  Boi  reçut,  après  son  dîner,  les  compliments  des  compagnies.  Son 
fauteuil  avoit  le  dos  à  la  cheminée  de  sa  chambre.  J'étois  à  sa  droite, 
et  mon  frère  à  sa  gauche,  et  ses  grands  officiers  derrière  sa  chaise. 
M.  le  Chancelier  étoit  tout  contre  moi,  un  peu  reculé. 

«  Le  Parlement  parut  le  premier.  M.  le  Peletier,  premier  président, 
porta  la  parole.  Quand  il  eut  cessé  de  parler,  et  que  le  Boi  lui  eut  ré- 
pondu, S.  M.  lui  ordonna  d'aller  chez  Monsieur  le  Dauphin  et  chez 
Madame  la  Dauphine,  étant  besoin  d'un  ordre  pour  que  le  Parlement 
fasse  ces  visites.   Quand   le  Parlement  fut  retiré,    les   gens  du  Boi 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  434 

s'avancèrent  et  firent  un  compliment  très  court,  le  Roi  ne  leur  ayant 
permis  de  lui  parler  qu'à  cette  condition.  Après  le  Parlement,  vint  la 
Chambre  des  comptes.  Ce  que  dit  M.  Nicolay  ne  fut  pas  long;  mais  il 
fut  très  touchant.  L'ordre  dans  lequel  vinrent  les  autres  compagnies 
ne  me  paroît  pas  bien  important,  et  il  sutïit  de  nommer  celles  qui  eurent 
l'honneur  de  se  présenter  devant  le  Roi.  Il  y  en  eut  dix  en  tout.  J'ai 
nommé  les  deux  premières  ;  les  huit  autres  étoient  la  Cour  des  aides, 
la  Cour  des  monnoies,  les  Trésoriers  de  F'rance,  le  Grand  Conseil,  la 
Ville  de  Paris,  l'Université,  l'Académie  françoise,  à  la  tête  de  laquelle 
le  sieur  de  Saint-Aulaire  portoit  la  parole,  et  la  Chambre  aux  de- 
niers * . 

«  Le  Roi  se  reposa  une  heure  et  demie  dans  son  cabinet  entre  ces 
audiences,  et  travailla  avec  M.  le  Chancelier  à  l'examen  d'un  projet  de 
déclaration  touchant  les  pairies,  à  laquelle  le  procès  de  M.  le  marquis 
d'Antin  a  donné  lieu,  et  le  Roi  ordonna  que  ledit  procès  fût  sursis 
jusqu'après  la  Pentecôte.  Après  tout  cela  fait,  le  Roi  retourna  à  Marly. 

«  Monsieur  le  Dauphin  et  Madame  la  Dauphine  eurent  les  mêmes 
visites  que  le  Roi  ;  mais  M.  le  duc  de  Berry,  Mme  la  duchesse  de  Berry, 
Madame,  M.  le  duc  d'Orléans  et  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  qui  étoient 
aussi  allés  à  Versailles,  ne  furent  visités  que  par  les  ambassadeurs  et 
envoyés,  auxquels  S.  M.,  par  la  crainte  du  mauvais  air,  ne  voulut  pas 
permettre  d'aller  chez  Mgrs  les  ducs  de  Bretagne  et  d'Anjou.  Monsieur 
le  Dauphin  reçut  ses  visites  dans  l'appartement  de  feu  Monseigneur  le 
Dauphin,  qui  doit  devenir  présentement  le  sien.  Le  premier  président, 
en  le  haranguant  l'appela  Monseigneur.  Mgr  le  duc  de  Berry  reçut 
ses  visites  dans  l'ancien  appartement  de  Monseigneur  son  frère. 

«  Les  ambassadeurs  et  envoyés  s'assemblèrent  dans  la  salle  des 
Ambassadeurs,  et  le. Roi  avoit  aussi  lait  donner  à  chaque  compagnie 
une  chambre  pour  s'assembler  et  pour  se  reposer.  On  put  véritablement 
appeler  tout  ce  jour-là  une  journée  de  fatigues.  Le  Roi  parut  plus 
d'une  fois  attendri  pendant  les  harangues,  et  il  répondit  à  toutes  avec 
beaucoup  de  bonté  et  de  majesté.  Il  reçut  dans  son  petit  cabinet  en 
particulier,  et  sans  cérémonies,  une  députation  de  capucins,  qui  vinrent 
le  remercier  d'avoir  nommé  à  un  évèché  un  de  leurs  pères  qui  se  nomme 
le  P.  Mégrigny.  Les  Pères  avoient  promis  qu'ils  ne  diroient  qu'un 
mot  ;  cependant  le  discours  fut  assez  long. 

«  Monseigneur  le  Dauphin  a  été  universellement  regretté,  et  surtout  à 
Paris,  dont,  sans  qu'il  y  parût  trop,  il  avoit  trouvé  le  secret  de  gagner 
les  cœurs. 

«  Je  ne  puis  m'empêcher  de  dire,  en  finissant  ce  triste  ouvrage,  que, 
si  la  vie  des  grands  est  éblouissante,  l'aspect  de  leur  mort  est  plus 
humiliant  et  plus  affreux  que  celui  de  la  mort  des  particuliers.  » 

1.  Il  est  à  remarquer  que  la  relation  ofiScielle  du  maître  des  cérémo- 
nies donnée  ci-dessus  ne  parle  pas  des  Trésoriers  de  France  ni  de  la 
Chambre  aux  deniers;  c'est  sans  doute  une  erreur  du  duc. 


432  APPENDICE  I. 

On  a  dit  ci-dessus,  p.  88,  que  le  Roi  avait  adressé  aux  évêques  et 
aux  gouverneurs  de  provinces  des  lettres  missives  pour  demander  des 
prières  pour  le  repos  de  l'âme  de  Monseigneur.  Celle  qui  fut  adressée 
au  maréciialde  Villeroy,  comme  gouverneur  de  Lyonnais,  a  passé  dans 
le  catalogue  de  la  vente  Loménie,  le  14  décembre  1883,  n"  4  ;  nous  la 
reproduisons  ci-après.  La  minute  de  celles  qu'envoya  Pontchartrain  fils 
aux  gouverneurs  des  provinces  de  son  département  est  dans  le  registre 
0'  00,  fol.  32  v. 


Louis  XIV  au  maréchal  de  Villeroy. 

Mon  cousin,  la  tendresse  que  j'avois  pour  mon  fils,  lui  seroit  pré- 
sentement bien  inutile,  si  je  donnois  simplement  des  larmes  au 
souvenir  de  ses  vertus  et  de  l'attachement  qu'il  m'a  toujours  témoigné. 
La  douleur  que  je  ressens  de  sa  perte  doit  paroître  plus  chrétienne- 
ment, et,  comme  mes  sujets  la  partagent  avec  moi,  mon  intention  est 
aussi  qu'ils  joignent  leurs  prières  aux  miennes  pour  implorer  la  misé- 
ricorde de  Dieu  envers  un  lils  que  j'avois  tant  de  raison  d'aimer.  C'est 
pour  cet  effet  que  j'écris  aux  archevêques  et  évêques  de  faire  faire  des 
prières  publiques  dans  l'étendue  de  leurs  diocèses,  et  je  désire  que 
vous  y  assistiez  dans  le  lieu  où  vous  vous  rencontrerez  et  que  vous 
teniez  la  main  à  ce  que  les  officiers  de  justice  et  autres  corps  aient  à 
s'y  trouver.  Et  la  présente  n'étant  à  autre  tin,  je  prie  Dieu  qu'il  vous 
ait,  mon  cousin,  en  sa  sainte  et  digne  garde.  Ecrit  à  Marly,  le  25^ 
avril  4741. 

Louis,  et  plus  bas  -.  Colbert. 

Enfin,  voici  pour  terminer  un  fragment  d'une  lettre  inédite  de  la 
marquise  d'Huxelles  (ms.  Avignon  1420),  du  20  avril  1711,  classée  par 
erreur  au  20  avril  1710  : 

«  C'est  M.  de  la  Trémoïlle  qui  a  été  à  la  conduite  du  corps,  et  non 
M.  le  duc  d'Aumont,  comme  aucuns  l'avoient  dit.  Le  Dauphin  d'à 
présent  a  remercié  du  château  de  Meudon,  qu'il  avoit  par  préférence 
suivant  le  droit  d'aînesse,  disant  n'avoir  pas  besoin  de  maison  de  cam- 
pagne que  celles  du  Roi,  qu'il  ne  vouloit  jamais  quitter.  Feu  Monsei- 
gneur laisse  des  dettes,  et  beaucoup  de  diamants,  que  les  trois  princes 
ses  enfants  partageront  ;  on  en  a  déjà  écrit  au  roi  d'Espagne  ainsi. 
Monsieur  le  Dauphin  n'a  point  voulu  des  cinquante  mille  francs  par 
mois  qu'on  donnoit  à  Monseigneur,  et  a  dit  que  trente  mille  livres  lui 
suffisoient,  même  moins,  parce  qu'il  convenoit  mieux  d'en  donner 
l'argent  à  de  pauvres  officiers  qu'on  ne  payoit  point  que  de  l'employer 
en  bagatelles.  On  parle  encore  d'une  très  belle  lettre  qu'il  a  écrite  à 
S.  M.  pour  la  prier  de  conserver  sa  santé,  qu'elle  devoit  à  ses  peuples 
plutôt  qu'à  l'affliction.  Tous  les  menins  lui  sont  conservés.  M.  d'Antin 


MORT  DE  MONSEIGNEUR.  433 

a  mis  Monsieur  son  fils  en  sa  place.  J'ai  ouï  dire  que  le  Roi  en  payera 
les  pensions,  comme  celle  de  douze  mille  francs  à  Mlle  de  Choin,  la 
première  année  portée  en  espèces  par  M.  d'Antin.  La  douleur  est 
extrême  de  ce  côté-là,  particulièrement  aussi  à  Mgr  le  duc  de  Berry. 
Il  n'est  point  décidé  si  Meudon  lui  sera  donné  ou  non.  Le  deuil  se 
portera  un  an,  carrosses  drapés  et  livrées  noires,  mantes  et  longs  man- 
teaux pour  cette  première  audience  d'aujourd'hui.  On  dit  des  deux 
frères  que,  le  cadet  s'étant  présenté  pour  donner  la  chemise  à  Mon- 
sieur le  Dauphin,  il  répondit  :  «  Point  de  cérémonies  entre  nous,  mais 
«  de  l'amitié  !  »  Enlin  il  n'y  a  point  de  sagesse  qu'on  ne  rapporte  de  ce 
prince.  » 


MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI  28 


434  APPENDICE  II. 


II 

LE  CARACTÈRE  DE  MONSEIGNEUR  i 

Lettre  du  duc  d'Antin  au  P.  de  la  Rue, 
chargé  de  faire  l'oraison  funèbre  de  Monseigneur^. 

«  A  Marly,  le  26  de  mai  1711. 

«  Je  peux  bien  dire,  mon  Révérend  Père,  avec  bien  plus  de  raison 
que  feu  Monsieur  de  Meaux  dans  l'oraison  funèbre  de  Madame  : 
«  Étois-je  donc  destiné  à  une  aussi  triste  commission  que  d'avoir  à 
«  reparler  d'un  prince  dont  je  pleurerai  la  perte  toute  ma  vie  ?  »  Cepen- 
dant j'obéis  aux  ordres  du  Roi. 

«  Il  y  a  peu  de  faits  marqués  dans  la  vie  de  Monseigneur  dont  un 
orateur  puisse  faire  un  grand  usage.  Je  n'ai  point  eu  l'honneur  d'être 
témoin  de  son  enfance  ;  le  Roi  me  mit  auprès  de  lui  après  la  mort  de 
la  Reine. 

«  Voici,  à  peu  près  et  en  gros,  ce  que  j'ai  connu  en  lui,  dont  je 
puis  rendre  un  fidèle  et  sûr  témoignage,  l'ayant  peu  quitté  depuis 
vingt-huit  ans. 

«  Rien  ne  peut  approcher  du  respect,  de  l'amitié  et  de  la  soumission 
que  Monseigneur  avoit  pour  le  Roi  ,  il  l'aimoit  tendrement  et  le  crai- 
gnoit  de  cette  crainte  filiale  que  l'amitié  donne  ;  il  étoit  occupé  de  lui 
plaire  comme  son  premier  courtisan,  réglant  ses  actions  et  même  ses 
goûts  sur  ceux  de  S.  M.  Il  poussoit  son  attention  jusques  aux  moindres 
choses  ;  quand  le  Roi  devoit  venir  chez  lui,  il  étoit  dans  une  inquié- 
tude continuelle  pour  le  temps  et  pour  les  plus  petits  mouvements, 
occupé  de  tous  les  soins  qui  peuvent  plaire,  comme  j'aurois  pu  faire 
chez  moi,  quand  je  reçois  un  aussi  grand  honneur. 

«  Quoique  assez  ferme  dans  ce  qu'il  vouloit,  il  n'a  jamais  eu  d'au- 
tres volontés  que  celle  du  Roi  dans  les  grandes  comme  dans  les  petites 
choses. 

«  Ses  sentiments  étoient  si  sincères  et  si  tendres  que,  malgré  l'ordre 
de  la  nature,  il  n'a  jamais  envisagé  qu'il  pût  être  roi.  Tout  le  monde  a 
vu  sa  sensibilité  dans  la  grande  opération  que  le  Roi  essuya,  dans  son 
anthrax  et  dans  les  moindres  incommodités.  Pendant  sa  dernière  mala- 

1.  Ci-dessus,  p.  43  et  suivantes. 

2.  D'après  l'original,  qui  a  passé  en  vente  chez  Etienne  Charavay,  le 
21  janvier  1888.  Le  texte  s'en  trouve  en  copie  dans  le  ms.  Arsenal  6033, 
fol.  1-8. 


LE  CARACTERE  DE  MONSEIGNEUR.  435 

die,  touché  dans  le  fond  du  cœur  de  l'excès  de  l'amitié  que  le  Roi  lui 
témoignoit  en  se  livrant  tous  les  jours,  et  plusieurs  fois  par  jour,  à  ua 
air  aussi  empesté  qui  faisoit  trembler  tout  le  monde,  sa  plus  grande 
peine  étoit  de  voir  le  Roi  dans  sa  chambre  ;  il  chargeoit  à  tout 
moment  les  Princesses,  qui  ne  le  quittoient  point,  de  l'en  empêcher  ; 
il  me  tit  l'honneur  de  me  dire,  et  même  plusieurs  fois,  qu'il  mourroit 
de  douleur,  si  le  Roi  avoit  seulement  mal  à  la  tête. 

«  Sa  soumission  étoit  égale  à  son  respect  et  à  son  amitié.  Il  n'a 
jamais  rien  souhaité,  voulu  ni  demandé  qu'à  proportion  qu'il  croyoit 
que  cela  étoit  agréable  au  Roi.  Employé  à  plusieurs  reprises  à  com- 
mander les  armées,  remis  à  la  chasse  et  dans  la  plus  grande  oisiveté, 
il  suffisoit  que  le  Roi  le  voulût  pour  qu'il  tût  content,  sans  chercher 
même  à  s'en  faire  un  mérite  :  il  savoit  bien  qu'il  n'en  avoit  que  faire 
avec  le  Roi,  qui  avoit  pour  lui  en  abondance  tous  les  sentiments  qu'il 
méritoit. 

«  Quel  secret  dans  les  affaires  et  jusques  dans  les  moindres  choses  ! 
Ceux  qui  ont  eu  l'honneur  de  l'approcher  de  plus  près  peuvent  rendre 
témoignage  de  n'avoir  jamais  rien  pu  découvrir  des  moindres  affaires 
que  le  Roi  lui  avoit  contiées.  Aussi  S.  M.  n'avoit  rien  de  caché  pour 
lui.  Sa  discrétion  étoit  telle  qu'il  demandoit  rarement  des  grâces  au 
Roi,  sachant  bien  que  S.  M.  ne  lui  pouvoit  rien  refuser  et  qu'il  avoit 
peur  de  contraindre  son  goût  ou  ses  destinations.  Aussi  on  peut  dire 
avec  vérité  que  l'on  n'a  jamais  vu  un  si  bon  tils  ni  plus  regretté  d'un 
aussi  bon  père. 

«  Il  n'étoit  pas  moins  bon  père  que  bon  fils  :  il  avoit  pour  les  princes 
ses  enfants  une  véritable  tendresse  ;  il  ne  se  répandoit  point  en 
démonstrations  extérieures  qui  n'aboutissent  souvent  à  rien  ;  mais  il 
étoit  ravi  du  bien  que  l'on  disoit  d'eux  et  de  tout  ce  qui  étoit  à  leur 
avantage  ;  il  étoit  charmé  de  les  avoir  avec  lui  dans  toutes  les  parties  ; 
il  avoit  les  mêmes  sentiments  pour  Mme  la  duchesse  de  Rourgogne, 
qu'il  chérissoit  fort. 

«  Sa  première  campagne  fut  fort  belle  ;  il  prit  dans  une  arrière- 
saison  Philipsbourg,  Mannheim  et  Frankenthal,  et  se  rendit  maître  de 
tout  le  Palatinat,  et  s'y  exposa  comme  il  convient  à  une  personne 
comme  lui,  pour  faire  voir  dans  ces  premières  épreuves  le  courage 
qu'il  avoit,  ce  qui  n'est  quasi  point  une  louange  dans  cette  auguste 
maison. 

«  Le  compte  qu'il  rendoit  tout  seul  au  Roi  faisoit  bien  voir  de  quoi 
il  étoit  capable,  quoique  ce  fût  sa  première  campagne.  S.  M.,  qui 
en  étoit  charmée,  en  faisoit  souvent  part  à  ses  courtisans  en  les  rece- 
vant. 

«  On  ne  poussa  [jamais  à]  tel  point  la  compassion  et  la  libéralité, 
que  le  Roi   lui   avoit   tant  recommandée  en  lui  donnant  de   quoi  y 


/i36  APPEiNDICE  II. 

fournir  ;  la  bonne  action  attiroit  sur  l'heure  une  distinction  ;  les 
moindres  étoient  récompensées  ;  les  secours  et  l'argent  arrivoient  chez 
les  blessés  souvent  avant  eux-mêmes.  Le  besoin  étoit  une  raison  suffi- 
sante pour  aider  de  pauvres  officiers  ;  les  accidents  n'alarmoient  point 
les  malheureux  ;  les  secours  étoient  toujours  proportionnés  à  leurs 
pertes  ;  les  louanges,  les  paroles  de  consolation  étoient  employées  à 
leurs  places. 

«  Le  soldat  et  le  cavalier  le  bénissoient  ;  ils  reconnoissoient  le  Roi 
dans  tous  les  soins  qu'il  prenoit  d'eux,  dans  sa  libéralité  et  dans  son 
exactitude  pour  le  service  et  pour  la  discipline,  le  voyant  jour  et  nuit 
à  cheval  et  dans  les  endroits  les  plus  périlleux. 

«  Nous  qui  avions  l'honneur  d'être  ses  aides  de  camp,  avions  ordre 
sur  tout  de  lui  marquer  tous  les  matins  les  officiers  que  nous  connois- 
sions  avoir  besoin  de  ses  grâces  ;  il  est  étonnant  la  quantité  d'argent 
que  nous  avons  distribué  par  ses  ordres,  outre  celui  que  nous  répan- 
dions de  sa  part  dans  les  tranchées  et  aux  batteries. 

«  La  campagne  de  1690,  celle  qu'il  fit  sur  le  Necker,  et  la  dernière 
en  Flandres,  si  fameuse  par  la  marche  incompréhensible  de  son  armée 
de  Vignamont  sur  l'Escaut  pour  y  devancer  les  ennemis,  ont  été  sur 
le  même  patron,  et,  s'il  ne  les  a  pu  illustrer  par  quelque  action  d'éclat, 
ce  n'a  été  que  faute  d'occasions  favorables,  le  bien  de  l'Etat  étant 
toujours  son  premier  soin. 

«  Il  étoit  affable  et  honnête  pour  tous  les  officiers,  les  connoissant 
tous  et  leur  parlant  à  chacun  suivant  leurs  conditions  et  leurs  emplois. 
Aussi  avoit-il  le  cœur  et  l'estime  de  tous  ceux  qui  avoient  servi  sous 
lui  ou  qui  en  avoient  ouï  parler. 

«  Tout  le  monde  connoissoit  sa  probité.  On  peut  lui  donner  cette 
belle  louange  qu'il  étoit  un  des  plus  honnêtes  hommes  du  royaume 
Ceux  qui  avoient  l'honneur  de  l'approcher  admiroient  souvent  de  ne 
l'avoir  jamais  vu  se  démentir  sur  aucun  principe. 

(c  II  n'avoit  aucun  vice  et,  s'il  se  peut,  point  de  défaut.  Ce  secret 
qu'il  observoit  si  religieusement  pour  les  affaires  d'Etat,  il  avoit  le 
même  pour  celles  des  particuliers  qui  étoient  à  portée  de  lui  faire  des 
contidences  ;  jamais  on  ne  pouvoit  démêler  s'il  savoit  une  affaire, 
même  s'il  l'avoit  sue,  quand  elle  devenoit  publique. 

«  Il  ne  connoissoit  point  le  mensonge,  et,  quand  quelque  indiscret 
ui  faisoit  quelque  question  embarrassante,  il  se  taisoit  tout  à  fait 
plutôt  que  de  trahir  la  vérité,  pour  laquelle  il  a  toujours  eu  un  res- 
pect singulier. 

«  On  peut  dire  que  Monseigneur  excelloit  en  bonté.  Jamais  en  sa 
vie  il  ne  lui  est  échappé  une  parole  d'aigreur  contre  un  courtisan,  ni 
même  contre  un  domestique,  aimant  la  commodité  de  tout  le  monde, 
s'accommodant  de  tout,  avec  cependant  un  grand  discernement  de  ceux 
qui  étoient  véritablement  attachés  à  lui  et  qui  lui  faisoient  une  cour 
plus  assidue. 

«  Dans  sa  maison  de  campagne,  jamais  particulier  n'a  été  plus  aisé 


LE  CARACTÈRE  DE  MONSEIGNEUR.  «7 

à  vivre,  ni  plus  attentif  que  tout  le  monde  y  fiât  à  son  aise.  S'il  est 
permis  de  le  dire,  on  trouvoit  dans  le  maître  la  personne  d'un  ami.  Il 
faisoit  grand  cas  de  l'amitié  et  se  piquoit  d'en  avoir,  dont  il  a  donné 
assez  de  marques,  compatissant  au  mal,  prenant  part  au  bien,  enfin 
méritant  l'attachement  outre  le  respect. 

«  Jamais  les  rapports  ni  les  mauvais  offices  n'ont  eu  d'accès  auprès 
de  lui.  Son  sérieux  et  son  silence  glaçoient  le  cœur  de  l'audacieux 
calomniateur  et  même  de  ceux  qui  emploient  leur  esprit  à  faire  valoir 
les  défauts  des  autres.  Il  est  avéré  qu'il  n'a  jamais  pu  souffrir  ces 
âmes  basses  que  l'enfer  a  formées  pour  troubler  la  société  et  surtout 
les  cours. 

«  Sa  religion  étoit  très  véritable,  et  sa  foi  pure  et  simple.  S'il  a  eu 
quelque  égarement  dans  sa  jeunesse,  la  fragilité  et  l'occasion  y  ont  eu 
plus  de  part  que  le  libertinage,  et,  depuis  dix  ans,  sa  vie  étoit  exemple 
du  moindre  reproche.  Attaché  plus  que  personne  aux  devoirs  du 
christianisme,  il  n'a  jamais  manqué  à  ses  prières  du  soir  et  du  matin, 
à  la  messe,  aux  jeîines  de  l'Église  et  à  l'observation  du  carême,  tant 
que  les  médecins  lui  ont  permis. 

«  L'impie  n'approchoit  point  de  lui,  et  je  ne  l'ai  vu  sévère  que 
pour  ceux  qui  manquoiont  publiquement  au  culte  et  à  l'observation  de 
la  loi.  Il  n'est  pas  possible  qu'un  aussi  bon  prince  et  un  aussi  honnête 
homme  n'eût  une  conscience  timorée,  et  je  peux  avancer  que  rarement 
il  coramettoit  un  péché. 

«  Son  âme  généreuse  ne  connoissoit  le  prix  de  l'argent  que  pour 
.e  distribuer  avec  discernement.  Il  avoit  de  l'ordre  et  de  l'arrangement 
dans  ses  affaires.  Tout  ce  qu'il  recevoit  du  Roi,  il  le  donnoit  ou  l'em- 
ployoit  utilement  ;  il  s'éloit  même  ôté  le  jeu  pour  n'être  point  en 
occasion  de  déranger  la  destination  qu'il  avoit  faite  de  ses  menus 
plaisirs  ;  à  quoi  il  ne  manquoit  jamais  de  satisfaire  dès  les  premiers 
du  mois.  Enfin  toutes  les  vertus  qui  peuvent  faire  respecter,  aimer  et 
regretter  un  prince,  Monseigneur  les  avoit  toutes  ;  aussi  ai-je  souvent 
entendu  de  la  bouche  du  Roi,  dans  l'amertume  de  sa  douleur,  que 
c'étoit  un  fils  fait  exprès. 

«  Je  ne  connois  point  dans  sa  vie  de  ces  actions  d'éclat  ou  de  ces 
réponses  que  les  historiens  ont  transmis  à  la  postérité.  Toujours  simple, 
toujours  vrai,  sans  fard,  sans  ostentation,  attaché  par  préférence  à 
ses  devoirs,  amoureux  de  la  vertu  et  de  la  vérité  dans  le  repos  et  dans 
le  silence,  fils  tendre  et  respectueux,  bon  père,  bon  maître,  bon  prince, 
bon  chrétien,  voilà  comme  il  me  paroît  qu'il  faut  regarder  Monseigneur 
que  nous  regrettons.  » 

Le  Journal  de  Verdun  publia  dans  son  numéro  de  juin  (tome  XIV, 
p.  374-381)  une  lettre  écrite  le  18  avril,  sur  la  mort  de  Monseigneur,  par 
l'ancien  commissaire  des  guerres  AUiot  à  M.  d'Andrezel,  secrétaire  des 
commandements  du  feu  Dauphin.  Au  milieu  de  beaucoup  de  considéra- 
tions pieuses  et  de  lamentations  plus  ou  moins  déclamatoires,  on  y  ren- 


438  APPENDICE  II. 

contre  quelques  phrases  sur  le  caractère  du  prince.  M.  d'Andrezel  fut 
d'ailleurs  tellement  frappé  par  la  mort  subite  de  son  maître,  qu'il  quitta 
le  monde  et  termina  sa  vie  dans  la  retraite  et  la  dévotion  {Journal  de 
Dangeau,  tome  XIV,  p.  29-30).  Voici  un  passage  qui  pourra  faire  juger 
du  reste  de  la  lettre  : 

«  Ce  héros,  qui  avoit  envisagé  tant  de  fois  la  mort  dans  ses  campa- 
gnes glorieuses,  l'attendoit  avec  cette  intrépidité  courageuse  d'un 
prince  chrétien,  sentiments  que  la  vertu  avoit  produits  en  lui  et  qu'il 
avoit  apportés  en  naissant  de  tant  de  rois  glorieux,  qui  sans  interrup- 
tion commandent  depuis  douze  cents  ans  à  la  France. 

«  La  vertu,  la  sagesse,  la  piété,  la  vénération  du  Roi  pour  la  reli- 
gion, sa  magnanimité  et  sa  fermeté  inébranlable,  toutes  ces  sublimes 
qualités  se  rencontroient  dans  l'auguste  prince  que  je  regrette.  De 
pareils  avantages  le  disposoient  chaque  jour  à  ce  qu'il  savoit  pouvoir 
arriver  à  tout  moment.  Avec  un  assemblage  de  tant  de  vertus, 
l'homme  espère  et  ne  peut  être  surpris...  Pendant  que  vous  et  moi  le 
pleurons,  il  jouit  d'une  félicité  que  Dieu  lui  a  fait  goûter  prématuré- 
ment, par  l'activité  de  sa  miséricorde  à  récompenser  la  fidélité  du 
prince  le  plus  débonnaire  qui  fut  jamais.  Il  avoit  comme  David  cette 
éminente  qualité,  qualité  si  agréable  à  Dieu  que  l'Ecriture  ne  cesse 
de  la  rapporter,  étant  selon  son  cœur.  » 

On  a  vu  ci-dessus  (p.  71-72)  que  la  «ridicule  aventure»  de  Monsei- 
gneur avec  une  fille  de  l'Opéra  fut  aussitôt  connue  de  toute  la  cour. 
C'est  ce  qui  explique  que  le  pamphlétaire  Gatien  des  Gourtilz  de  San- 
dras  put  l'insérer  dans  ses  Annalen  de  la  cour  pour  1697-1698  (tome  II, 
p.  387-389),  qu'il  publiait  en  Hollande.  Son  récit  ne  diffère  guère,  quant 
au  fond,  de  celui  de  Saint-Simon  ;  mais  il  est  plus  développé,  et  il  con- 
tient des  détails  omis  par  notre  auteur,  et  peut-être  inventés  par  le 
libelliste  : 

«  Monseigneur  étoit  bon  naturellement  et  ennemi  de  toute  sorte  de 
contrainte  ;  aussi  n'étoit-il  pas  capable  d'aucune  attache  pour  les 
femmes,  et,  quoiqu'il  en  eût  aimé  une  ou  deux,  comme  il  savoit  que 
le  beau  sexe  demandoit  de  la  complaisance,  il  ne  se  soucioit  pas  tant 
que  celles  qu'il  voyoit  eussent  de  la  vertu  que  de  la  facilité.  Du  Mont, 
l'un  de  ses  écuyers,  qui  n'étoit  pas  mal  auprès  de  lui,  les  lui  amenoit 
par  un  degré  dérobé,  quand  il  en  avoit  affaire,  et  les  renvoyoit  tout 
aussitôt  qu'il  en  avoit  fait.  Ce  prince  les  choisissoit  d'ordinaire  entre 
les  opératrices  *  ou  les  comédiennes,  et  il  lui  arriva  une  plaisante  chose 
là-dessus  et  qui  mérite  d'être  lue.  Ayant  fait  parler  par  du  Mont  à 
une  de  ces  opératrices,  et  celui-ci  étant  convenu  avec  elle  qu'elle  le 
viendroit  trouver  à  Meudon,  afin  qu'il  l'introduisît  dans  le  cabinet  de 
Monseigneur  par  le  petit  escalier  dont  je  viens  de  parler,  il  lui  marqua 

1.  Au  sens  de  «  fille  d'opéra  ». 


LE  CARACTÈRE  DE  MONSEIGNEUR.  «9 

le  jour  et  l'heure  qu'elle  devoit  y  venir.   L'opératrice,   quoique  per- 
sonre  sans  façon,  croyant  de  la  bienséance  de  ne  pas  aller  là  toute 
seult,  y  mena  une  de  ses  sœurs  avec  elle.  Monseigneur  avoit  quelqu'un 
dans  «on  cabinet  quand  elles  arrivèrent,  ce  qui  fut  cause  que  du  Mont 
leur  dt  de  l'attendre  dans  un  endroit  oîi  il  les  posta  tout  auprès  de  ce 
cabine..  Il  fut  faire  signe  en   même  temps  à  Monseigneur  de  la  venue 
de  la  bi'Ile,  atin  qu'il  se  défît  de  sa  compagnie.  Monseigneur  lui  donna 
l'ordre  ^'aller  quelque  part,  et,  étant  sorti  par  le  grand  escalier,  ceux 
qui  étoient  avec   Monseigneur   sortirent  ensuite,  s'apercevant  qu'ils 
commençaient  à  l'incommoder.  Comme  du  Mont  avoit  laissé  entr'ou- 
vcrte  la  porte  par  laquelle  il  éloit  allé  trouver  Monseigneur,  la  sœur 
de  l'opéra rice,   n'entendant  plus  personne   causer  avec  lui,    eut  la 
curiosité  dî  vouloir  voir  ce  qu'il  faisoit.   Monseigneur,  qui  n'attendoit 
que  le  retoir  de  du  Mont  pour  faire  entrer  sa  sœur,  ayant  par  hasard 
les  yeux  tournés  du  côté  par  où  l'autre  regardoit,  ne  vit  pas  plus  tôt 
une   coiffe  oar  l'ouverture  de  la  porte,    que,  croyant  que  c'étoit  celle 
qu'il  vouloit   il  lui  dit  d'entrer.  Elle  crut  qu'il   falloit  obéir,  quoique 
ce  ne  fût  pas  elle  qu'il  attendît,   et  soit  qu'il  eût,  ce  jour-là,  les  yeux 
troubles,  ou  qu'il  fût  si  pressé  qu'il  n'eût  pas  le  temps  de  la  bien 
considérer,  il  la  traita  tout  de  même  qu'il   eût  pu  faire  celle  à  qui  il 
avoit  donné  lendez-vous.  Comme  il  n'aime  pas  les  longues  conversa- 
tions avec  les  dames,  il  la  renvoya  aussitôt.  Elle  ne  dit  rien  à  sa  sœur 
de  ce  qui  vencit  de  se  passer.  Celle-ci  attendoit  le  retour  de  du  Mont 
pour  l'annonce-,  et  il  lui  tardoit  fort  qu'il  ne  revînt.  Il   revint  enfin 
par  le  petit  escilier,   et  du   Mont  lui  dit  qu'il  alloit  parler  à  Monsei- 
gneur, afin  de  'introduire.  Monseigneur  lui  répondit,  quand  il  lui  en 
voulut  dire  un  uot,  qu'il  avoit  eu  avec  elle  toute  la  conversation  qu'il 
y  vouloit  avoir,  qu'il  lui  donnât  cinq  cents  louis  et  qu'elle  s'en  retour- 
nât chez  elle.  Di  Mont,  à  qui  elle  avoit  témoigné  l'impatience  qu'elle 
avoit  d'entrer,  m  sut  ce  que  cela  vouloit  dire,  et  tlt  expliquer  Monsei- 
gneur. Il  sut  ce  qui  venoit  de  se  passer  ;  mais,   ne   sachant  pas  avec 
qui  c'étoit,  il  fui  redire  à  l'opératrice  que,  si  elle  avoit  si  bon  appétit, 
il  n'en  étoit  pas  de  même  de  Monseigneur.  L'opératrice  fut  surprise  de 
son  compliment;  elle  reconnut  par  là  que  sa  sœur  l'avoit  trompée,  et 
elle  en  eut  tant  de  chagrin,  qu'elle  ne  se  seroit  jamais  raccommodée 
avec  elle,  si  elle  n'eût  consenti   à  lui  faire  part  des  cinq  cents  louis 
d'or  que  ce  prince  avoit  envoyés  à  celle-ci  pour  son  payement.  » 


MO  APPENDICE  III. 


III 


LES  MAISONS  DE  CHATILLON  ET  DE  BEAUVAU/ 

(Fragments  inédits  de  Saint-Simon*.) 

Maison  de  Chàtillon^.  / 

«  La  maison  de  Châtillon-sur-Marne,  ou  tout  court  de  Châtillon, 
n'a  pas  besoin  qu'on  la  fasse  connoître,  déjà  grande  et  illustre  dès  le 
ix'=  siècle. 

«  Ses  branches,  outre  le  tronc,  furent  celles  de  Blois,  de  Fenthièvre, 
de  Saint-Pol,  de  Leuze,  de  Porcien,  de  Dampierre,  de  h  Ferté,  qui 
est  l'unique  subsistante,  de  Marigny,  de  Dours,  de  Bonntuil,  de  Ro- 
soy,  vidâmes  de  Laon,  de  Fère-en-Tardenois  ;  treize  out'e  le  tronc. 
Du  Chesne  y  compte  une  première  branche,  antérieure  à  toutes,  qu'il 
appelle  de  Savigny. 

(c  On  se  gardera  bien  d'entreprendre  d'effleurer  ici  l'histoire,  les 
grandeurs,  le  lustre  en  tout  genre  de  cette  maison,  tels  qu'elle  ne  le 
peut  céder  à  pas  une  d'origine  non  souveraine,  et  qu'elle  peut  à  beau- 
coup de  titres  prétendre  une  grande  supériorité  sur  la  plupart.  Il  faut 
dire  néanmoins  que  le  lieu  d'oià  elle  tire  son  origine,  son  nom  et  sa 
première  seigneurie,  qui  est  celui  de  Châtillon-sur-Marne,  est  un  fief 
de  très  médiocre  étendue  et  qui  ne  promettoit  pas  un  si  grand  vol. 
Aussi  l'affection  pour  lui  a-t-elle  été  pareille.  Il  y  a  des  siècles  qu'il 
est  sorti  de  cette  maison,  sans  qu'aucun  d'elle  ait  jamais  songé  à  l'y 
faire  rentrer.  Il  est  actuellement  possédé  par  M.  Barrifon,  ancien  maî- 
tre des  requêtes,  fils  du  conseiller  d'État  qui  étoit  ambassadeur  en 
Angleterre  lors  de  l'invasion  du  prince  d'Orange,  et  lorsqu'en  1736 
M.  de  Châtillon,  gouverneur  de  Monseigneur  le  Dauphin,  a  été  fait  duc 
et  pair,  il  a  mieux  aimé  faire  donner  le  nom  de  Châtillon  à  la  terre 
qu'il  a  achetée  pour  la  faire  ériger  en  duché-pairie,  que  de  racheter 
l'ancienne  glèbe  de  son  nom  et  maison  et  mettre  sa  dignité  dessus. 

«  Les  plus  grandes  terres,  et  même  des  provinces,  les  plus  hauts 
emplois,  les  premiers  offices  de  la  couronne,  les  alliances  les  plus  con- 
tinuellement distinguées  et  relevées,  celles  avec  le  sang  royal  en  grand 
nombre,  et  les  directes  avec  nos  rois  et  avec  d'autres  couronnes,  sont 
familières  dans  cette  maison.  C'est  dommage  qu'une  si  longue  éclipse 

1.  Ci-dessus,  p.  116. 

2.  Extrait  du  mémoire  intitulé  :  Alliances  directes  des  seigneurs  fran- 
çais avec  des  filles  du  sang  de  nos  rois  ;  branche  de  Dreux-Bretagne  ;  au- 
tographe de  Saint-Simon,  vol.  44  de  ses  papiers,  aujourd'hui  France  199, 
fol.  61. 


MAISONS  DE  CHATILLO.X  ET  DE  BEAUVAU.     Ui 

en  tous  ses  genres  l'ait  plus  que  couverte  dans  ces  derniers  temps,  dont 
le  retour  de  la  fortune  lui  promet  maintenant  de  la  dédommager. 

«  Le  tronc,  ou  branche  directe  première  et  aînée,  a  duré  en  neuf  gé- 
nérations jusqu'au  "28  juin  1279,  que  mourut  Jean  de  Cliàtillon,  comte 
de  Blois,  de  Chartres,  de  Dunois,  seigneur  d'Avesnes.  nommé  par  le 
roi  Philippe  III  le  Hardi  tuteur,  défenseur  et  garde  du  royaume  et  de 
ses  enfants,  en  cas  que  le  comte  d'Alençon  vînt  à  mourir,  ce  qui  n'ar- 
riva pas.  C'est  ce  même  Jean  de  Chàtillon  qui  donne  lieu  à  cet  article 
par  son  mariage  avec  Alix  de  Bretagne.  Il  n'en  vint  qu'une  tille  unique 
que  nous  verrons  en  son  temps  épouser  un  tils  de  saint  Louis,  faire 
des  fondations  à  la  chartreuse  de  Paris  et  mourir  sans  postérité  en 
4298.  Les  héritières  de  Saint-Pol,  des  comtés  de  Nevers,  Auxerre  et 
Tonnerre,  du  comté  de  Blois,  et  d'Avesnes,  Guise,  Leuze  et  Landrecies, 
entrèrent  dans  cette  première  branche. 

«  La  branche  de  Blois  sortit  de  Guy,  frère  puîné  de  Jean  de  Chà- 
tillon qui  finit  la  branche  aînée  directe,  qui  épousa  Mahaut  de  Bra- 
bant,  veuve  de  Bobert,  frère  de  saint  Louis.  On  verra  en  son  temps 
leur  petit-fils  épouser  la  sœur  du  roi  Philippe  VI  de  Valois.  Elle  eut 
cinq  générations  et  finit  en  1397.  La  tille  unique  et  héritière  de  Jean 
d'Hainaut,  comte  de  Soissons,  seigneur  de  Beaumont,  Chimay,  Condé, 
Valenciennes,  entra  dans  cette  branche,  qui  finit  parce  que  le  dernier 
d'icelle  n'eut  point  d'enfant  de  la  tille  de  Jean,  duc  de  Berry,  fils  et 
frère  des  rois  Jean  et  Charles  V. 

«  La  branche  de  Penthièvre,  décorée  du  duché  de  Bretagne,  sortit 
de  Guy  de  Chàtillon,  comte  de  Blois,  et  de  Marguerite,  sœur  du  roi 
Philippe  VI  de  Valois,  par  leur  second  fils  Charles  de  Chàtillon,  dit 
le  Saint,  qui  épousa  Jeanne  de  Bretagne,  nièce  du  duc  Jean  III,  fille  de 
son  second  frère  Guy,  comte  de  Penthièvre  et  de  Goëllo,  et  nièce  de 
Jean,  comte  de  Montfort,  troisième  frère  du  même  duc,  qui,  n'ayant 
point  d'enfants,  maria  cette  nièce  comme  héritière  de  Bretagne  en 
présence  de  ce  troisième  frère,  qui  y  consentit,  et  qui,  après  la  mort 
du  duc,  contesta  avec  divers  succès  des  armes  la  Bretagne  à  Charles 
de  Chàtillon  qui  s'en  maintint  longtemps  en  possession,  et  qui  la  per- 
dit avec  la  vie  à  la  bataille  d'Auray,  29  septembre  4364,  contre  le  fils 
du  précédent  comte  de  Montfort,  qui  en  devint,  sous  le  nom  de  Jean  V, 
duc  effectif  et  paisible  de  Bretagne,  et  la  postérité  de  Chàtillon  réduite 
à  l'état  particulier  par  le  traité  de  Guérande  fait  avec  ce  duc,  la  veille 
de  Pâques,  12  avril  même  année,  qui  lors  en  étoit  le  dernier  jour. 

«  Cette  branche  qui  eut  beaucoup  de  tètes  en  trois  générations 
qu'elle  dura,  essuya  d'étranges  traverses,  finit  avant  1434  et  fondit 
par  l'unique  fille  héritière  dans  la  maison  de  Brosse  dont  l'héritière 
épousa  un  Luxembourg-Martigues,  desquels  le  fils,  ce  fameux  Sébas- 
tien, fut  fait  duc  de  Penthièvre  et  ne  laissa  qu'une  fille  qui  épousa  le 
trop  fameux  duc  de  Mercœur,  dont  la  fille  unique  héritière  fut  un  peu 
forcément  mariée,  au  débris  de  la  Ligue,  à  César,  duc  de  Vendôme, 
bâtard  d'Henri  IV.  N'oublions  pas  que  nous  verrons  en  son  temps  la 


442  APPENDICE   III. 

dernière  fille  de  Charles  de  Châtillon,  duc  de  Bretagne,  épouser  Louis, 
duc  d'Anjou,  roi  des  Deux-Siciies,  tils  et  frère  des  rois  Jean  et  Char- 
les V. 

«  La  branche  de  Saint-Pol  sortit  de  Guy  de  Châtillon,  chef  de  la 
branche  de  Blois,  et  de  Mahaut  de  Brabant,  veuve  de  Bobert,  frère  de 
saint  Louis,  par  leur  second  tils,  Guy  de  Châtillon,  comte  de  Saint- 
Pol,  grand  bouteiller  de  France,  qui  épousa  Marie,  fille  de  Jean  II, 
duc  de  Bretagne,  et  de  Béatrix  d'Angleterre,  et  leur  fille  aînée  fut  troi- 
sième femme  de  Charles,  comte  de  Valois,  fils  puîné  du  roi  Philippe 
le  Hardi.  Cette  branche,  qui  n'eut  que  trois  générations,  finit  en  4360 
et  fondit  par  le  mariage  de  la  fille  héritière  dans  la  maison  de  Luxem- 
bourg de  la  branche  de  Ligny,  qui  en  eut  le  comté  de  Saint-Pol  entre 
autres  biens. 

«  La  branche  de  Leuze  eut  la  même  origine  que  la  dernière  :  deux 
frères  en  furent  les  chefs.  Jacques  de  Châtillon  le  fut  de  celle-ci.  Nous 
verrons  en  son  lieu  qu'elle  donna  une  femme  à  Jacques  P""  de  Bourbon, 
comte  de  la  Marche,  connétable  de  France,  à  qui  elle  porta  les  sei- 
gneuries de  Leuze,  Condé,  Carency  et  Aubigny.  Cette  branche  n'eut 
que  quelques  générations  et  s'éteignit  peu  après  l'an  4400. 

«  La  branche  de  Porcien  sortit  d'Hugues  de  Châtillon,  comte  de 
Saint-Pol,  pénultième  du  tronc  ou  branche  aînée  et  directe,  et  de 
Marie  d'Avesnes,  comtesse  de  Blois,  sa  seconde  femme,  par  Gaucher 
de  Châtillon,  leur  troisième  fils  et  frère  cadet  du  chef  de  la  branche  de 
Saint-Pol.  Gaucher  II,  fils  de  Gaucher  P"",  chef  de  cette  branche  de 
Porcien,  fut  connétable  de  France,  et  Jean,  fils  de  ce  connétable,  fut 
souverain  maître  d'hôtel  du  Boi  :  l'un  par  Philippe  le  Bel,  après  le 
connétable  Baoul  II  de  Clermont-en-Beauvoisis,  seigneur  de  Nesle, 
depuis  environ  4286  jusqu'en  4343  qu'il  mourut  et  que  Baoul  I"  de 
Brienne,  comte  d'Eu  et  de  Guines,  lui  succéda  en  l'office  de  conné- 
table. L'autre  fut  souverain  maître  d'hôtel  du  roi  Jean  en  4331,  après 
Bobert  de  Dreux  III,  de  la  branche  de  Bû.  Mais  Jean  de  Châtillon  ne 
le  fut  pas  un  an,  quoiqu'il  ne  soit  mort  qu'en  4363,  et  Jean  III  de 
Melun,  comte  de  Tancarville,  lui  succéda  en  cet  office.  Cette  branche 
eut  six  générations  et  ne  dura  guères  au-delà  de  l'an  4400.  Le  comté 
de  Porcien  fut  vendu  en  4400  par  Jean  de  Châtillon.  dernier  de  cette 
branche,  à  Louis,  duc  d'Orléans,  frère  de  Charles  VI,  et  Charles,  duc 
d'Orléans,  son  fils,  le  revendit  en  4433  à  Antoine  de  Croy,  seigneur 
de  Benty.  On  explique  cette  bagatelle  à  cause  du  prince  de  Porcien, 
qui  étoit  Croy,  si  connu  dans  l'histoire  de  son  temps,  et  dont  la  veuve 
Nevers-la  Marck-Clèves  épousa  en  deuxième  noces  le  duc  de  Guise 
tué  aux  derniers  Etats  de  Blois,  qui  eut  d'elle  tous  ses  enfants.  La 
sœur  héritière  du  dernier  de  cette  branche  de  Châtillon  épousa  Guil- 
laume de  Fayel,  dit  le  Bègue,  vicomte  de  Breteuil,  dont  elle  eut  pos- 
térité. 

«  La  branche  de  Dampierre  sortit  de  Gaucher  III  de  Châtillon,  fils 
aîné  du  connétable  de  Châtillon,  fils  du  chef  de  la  branche  de  Porcien, 


MAISONS  DE  GHATILLON  ET  DE  BEAUVAU.     443 

et  de  Marguerite  de  Darapierre  par  leur  second  fils,  Jean  de  Châtillon. 
seigneur  de  Dampierre.  Le  dis  et  le  petit-Hlsde  celui-là  furent  Hugues 
et  Jacques  de  Châtillon,  le  premier,  grand-maître  des  arbalétriers  de 
France,  1364,  par  Charles  V,  après  Beaudoin  de  Lens,  sire  d'Anne- 
quin,  tué  la  même  année  à  la  bataille  de  Cocherel,  et  peut-être  après 
Nicolas  de  Ligne,  seigneur  d'Olignies,  qui  ne  se  trouve  que  dans  Frois- 
sart,  et,  s'il  le  fut,  il  ne  le  demeura  que  quelques  mois.  Hugues  de 
Châtillon  fut  ôté  de  sa  charge  en  faveur  de  Guichard  I*""  Dauphin  en 
1379  jusqu'en  •1382  que  Hugues  fut  rétabli.  En  1388,  Guichard  fut  en- 
core mis  en  sa  place,  et  Hugues  mourut  deux  ans  après.  Jacques  de 
Châtillon,  fils  de  cet  Hugues,  fut  fait  amiral  de  France  en  4408  par  la 
faction  de  Bourgogne,  qui  destitua  Pierre  de  Breban  dit  Clignet,  qui 
étoit  du  parti  d'Orléans  et  qui  en  conserva  toujours  la  prétention  et 
le  titre.  Il  vivoit  encore  en  4428.  Jacques  de  Châtillon  étoit  mort  en 
4443  à  la  bataille  d'Azincourt,  et  en  4447  Bobert  de  Braquemont,  dit 
Bobinet,  fut  amiral  de  Frauce. 

V  Autre  Jacques  de  Châtillon,  fils  de  notre  amiral,  fut  fait  par  Char- 
les VI  grand  pannetier  de  France  après  la  mort  de  Jean,  seigneur  de 
Naillac,  qui  lui  fut  adjugée  par  arrêt  du  Parlement,  4439,  contre  Bo- 
land  de  Donquerre,  qui  la  lui  disputoit.  Jacques  mourut  sans  posté- 
rité peu  après  4446,  et  Antoine  de  Chabannes  fut  grand  pannetier, 
le  même  qui  dans  la  suite  fut  grand  maître  de  France  et  qui  étoit 
comte  de  Dammartin.  Cette  branche  de  Châtillon-Dampierre  tinit  à  la 
quatrième  génération,  après  4471,  et  fondit  par  les  deux  filles  héri- 
tières dans  les  maisons  de  Lannoy  et  de  Soissons-Moreuil. 

a  La  branche  de  la  Ferté-en-Ponthieu  est  la  seule  qui  subsiste  en- 
core aujourd'hui  et  réduite  à  deux  têtes,  le  duc  de  Châtillon,  pair  de 
France,  gouverneur  de  Monseigneur  le  Dauphin,  et  le  marquis  de 
Châtillon,  doyen  de  l'ordre  du  Saint-Esprit,  frère  cadet  de  son  père, 
et  est  sortie  de  Jean,  second  fils  du  connétable  Gaucher  de  Châtillon 
et  de  sa  première  femme,  Isabelle  de  Dreux-Bù,  lequel  Jean  de 
Châtillon,  chef  de  cette  branche,  fut  grand  queux,  puis  grand  maître 
de  France  ou  souverain  maître  d'hôtel  du  Boi  comme  on  parloit 
alors.  Il  fut  grand  queux  de  France  après  Jean  Bonnet  et  assista  en  cette 
qualité,  en  4328,  au  sacre  de  Philippe  VI  de  Valois.  Bernard  VI, 
sire  de  Moreuil,  maréchal  de  France,  lui  succéda  en  cet  office,  lors- 
qu'il fut  pourvu  de  celui  de  souverain  maître  d'hôtel  du  roi  Jean, 
comme  on  l'a  vu  en  la  page  précédente  sous  la  branche  de  Porcien. 

«  Cette  branche  est  en  la  personne  du  duc  de  Châtillon  à  sa 
douzième  génération  depuis  le  connétable  Gaucher  de  Châtillon.  Elle 
a  eu  deux  grand  queux  et  deux  grands  maîtres  des  Eaux  et  forêts  de 
France  et  un  souverain  maître  d'hôtel  de  la  Beine,  savoir  : 

«  Deux  fils  du  chef  de  cette  branche.  Gaucher  et  Charles  :  Gaucher  de 
Châtillon,  souverain  maître  d'hôtel  de  la  reine  Jeanne  de  Bourbon, 
femme  de  Charles  V  et  mère  de  Charles  VI,  fut  institué  souverain  maître 
etréformateur  desEauxet  forêtsdeFranceen4364aprèsRobertII,  comte 


444  APPENDICE  III. 

deRoucy.  Après  lui,  Hugues  de  Prouverville,  écuyer,  et  Jacques  l'Em- 
pereur, général  des  aides,  eurent  l'un  après  l'autre  commission  de 
maître  enquêteur  des  Eaux  et  forêts,  et,  après  ceux-là,  Charles  de 
Châtillon,  frère  de  notre  Gaucher,  fut  institué  en  4384  par  Charles  VI 
souverain  et  général  réformateur  des  Eaux  et  forêts  de  France,  et  il 
le  fut  jusqu'en  1394,  que  Guillaume  IV,  vicomte  de  Melun,  comte  de 
Tancarville,  lui  succéda  en  cet  olTice.  Pour  Charles  de  Châtillon,  il  fut 
en  4390  grand  queux  de  France  par  la  mort  de  Guillaume,  châtelain 
de  Beauvais.  Il  mourut  lui-même  en  4404,  et  Philippe,  seigneur  de 
Linières,  lui  succéda  en  cet  office.  Pour  Gaucher,  son  frère  aîné 
ci-dessus,  qui  continua  la  postérité  et  qui  mourut  en  4377,  son  petit-fils 
Guillaume  de  Châtillon  fut  fait  en  4418  par  Charles  VI  grand  queux 
de  France,  après  Philippe  de  Linières,  dont  on  vient  de  parler.  An- 
toine de  Prie  lui  succéda  en  cet  office  en  4434  et  vivoit  encore  en 
1484,  et  il  a  été  le  dernier  grand  queux  de  France,  cet  office  ayant  été 
supprimé  en  4490  par  Charles  VIII  et  ses  fonctions  réunies  à  celles  de 
grand  maître  de  France.  François  de  Montfort-en-Bretagne,  dit 
Guy  XIV,  comte  de  Laval  et  de  Montfort,  étoit  lors  grand  maître  de 
France  et  servit  comme  tel  au  sacre  de  Charles  VIII,  puis  mourut  sans 
enfants  en  4500. 

«  La  branche  de  Marigny,  sortie  de  Charles  II  de  Châtillon,  sei- 
gneur de  Survilliers,  un  des  chambellans  de  Charles  VIII,  et  de  Ca- 
therine Chabot,  tille  de  Thibaut  IV  Chabot,  seigneur  de  la  Grève,  et 
de  Brunissénde,  dame  d'Argenton,  quatrième  génération  de  la  branche 
de  la  Ferté,  par  leur  second  fils  Jacques  de  Châtillon,  seigneur  de 
Marigny,  n'eut  aucune  illustration  et  seulement  deux  bonnes  alliances 
en  cinq  générations,  et  finit  vers  46S0  fondue  dans  la  maison  de  Con- 
flans  par  le  mariage  de  l'héritière,  morte  à  soixante-treize  ans  en 
4683. 

«  La  branche  de  Dours,  sortie  de  Jean  de  Châtillon,  chef  de  la 
branche  unique  subsistante  de  la  Ferté-en-Ponthieu,  et  d'Eléonor  de 
Roye,  sa  première  femme,  par  leur  troisième  fils  Gaucher  de  Châtil- 
lon, n'eut  aucune  illustration  en  trois  générations  qu'elle  dura  que 
quelques  alliances.  Charles,  dernier  de  cette  branche,  qui  mourut  sans 
enfants,  et  qui  étoit  un  des  chambellans  du  duc  de  Bourgogne,  vendit 
à  Pierre  de  la  Trémoïlle  sa  terre  de  Dours  en  4413,  qui  a  fait  une 
branche  de  Dours  dans  la  maison  de  la  Trémoïlle.  Les  biens  de  cette 
branche  de  Châtillon-Dours,  qui  étoient  fort  médiocres,  tombèrent  par 
ses  héritières  dans  les  maisons  de  Trelon  et  de  Roye. 

«  La  branche  des  vidâmes  de  Laon,  sortie  de  Gaucher  de  Châtillon, 
connétable  de  France,  comte  de  Porcien  et  d'Isabelle  de  Dreux-Bû, 
sa  première  femme,  par  Hugues,  seigneur  de  Rosoy,  n'eut  que  deux 
générations  et  aucune  illustration  que  par  quelques  alliances.  Elle  ne 
subsista  guères  après  l'an  4367,  et  les  biens  pour  la  plupart  par  les 
filles  héritières  tombèrent  dans  la  maison  de  Craon. 

«  La  branche  de  Fère-en-Tardenois,  sortie  du  connétable  Gaucher 


MAISONS  DE  CHATILLON  ET  DE  BEAUVAU      443 

de  Châtillon  et  de  sa  seconde  femme  Hélisende  de  Vergy  par  leur  fils 
unique  cadel  du  connétable,  qui  s'appcloit  Guy,  n'eut  que  deux  géné- 
rations, et  tinit  en  1404.  Guy  s'illustra  par  son  mariage  avec  Marie, 
tille  de  Thibaut,  duc  et  marchis  de  Lorraine.  Leur  fils  n'eut  que  des 
filles  d'une  Coucy,  qui  portèrent  les  biens  de  cette  branche  dans  les 
maisons  de  Montbéliard  et  de  Ghistelles. 

«  On  laisse  aux  critiques  les  raisonnements  sur  la  décadence  subite 
et  si  marquée  de  cette  grande  maison.  » 

Maison  de  Beauvau^ 

IsABEAU  DE  Beauvau  épousa  à  Angers,  9  novembre  1434,  Jean  II 
de  Bourbon,  comte  de  Vendôme. 

Il  se  trouva  à  toutes  les  expéditions  de  guerre  et  à  toutes  les  grandes 
fonctions  de  son  temps.  Il  mourut  en  son  château  de  Lavardin,  près 
Vendôme,  6  janvier  1477,  que  nous  dirions  78,  et  laissa  François,  son 
successeur,  Louis,  prince  delà  Roche-surYon,  tige  des  ducs  de  Mont- 
pensier,  quatre  filles  mariées  et  deux  abbesses. 

Isabeau  son  épouse  étoit  fille  unique  et  héritière  de  Louis  de  Beau- 
vau, seigneur  de  Champigny  et  de  la  Roche-sur- Yon  et  de  Marguerite 
de  Chambley.  Il  étoit  sénéchal  d'Anjou,  attaché  au  bon  roi  René  de 
Sicile,  duc  d'Anjou,  son  premier  chambellan,  etc.,  et  le  dernier  de  la 
branche  aînée  directe  de  Beauvau,  et  la  sixième  génération  depuis 
René,  seigneur  de  Beauvau,  auquel  MM.  de  Sainte-Marthe  commen- 
cent la  généalogie  de  celte  maison.  Il  falloit  qu'elle  fût  dès  lors  consi- 
dérable, puisque  ce  René  accompagna  en  l'263  Charles,  comte  d'Anjou, 
frère  de  saint  Louis,  en  son  expédition  de  Naples,  avec  distinction,  où 
il  mourut  l'année  suivante.  Mathieu,  son  fils,  fut  sénéchal  d'Anjou, 
qui  de  Jeanne  de  Rohan  eut  Jean  II,  qui  continua  la  lignée,  et  autre 
Mathieu,  qui  a  fait  la  branche  du  Rivau.  Jean  II  fut  grand  père  de 
Pierre  I,  gouverneur  et  sénéchal  d'Anjou,  exécuteur  du  testament  de 
Louis  II  d'Anjou,  roi  des  Deux-Siciles,  et  ambassadeur  du  roi 
Louis  III,  son  fils,  pour  son  mariage  avec  Marguerite,  fille  du  duc 
Amédée  de  Savoie.  De  Jeanne  de  Craon  il  eut  deux  fils  :  Louis,  père 
de  notre  comtesse  de  Vendôme,  et  Jean  IV,  seigneur  de  Beauvau, 
qui  continua  la  postérité.  Il  fut  sénéchal  d'Anjou,  chambellan  du  bon 
roi  René,  et  laissa  Pierre  II,  son  fils,  qui  fut  aussi  au  même  roi  René, 
et  sénéchal  de  Lorraine,  où  ses  enfants  s'établirent,  et  eurent  toujours 
de  père  en  fils  des  emplois  de  confiance  et  distingués  en  Lorraine. 
Son  sixième  petit-fils  en  ligne  directe  est  Marc  de  Beauvau,  qui  porte 
aujourd'hui  le  nom  de  prince  de  Craon. 

1.  Extrait  du  mémoire  intitulé:  Alliances  directes  de  filles  de  seigneurs 
particuliers  français  avec  des  seigneurs  ou  princes  du  sang  ;  autographe 
de  Saint-Simon,  vol.  14  de  ses  papiers,  aujourd'hui  France  199,  fol. 
118  v. 


446  APPENDICE  III. 

Il  a  épousé  en  décembre  4706  Marguerite  de  Ligneville,  pour  la- 
quelle le  duc  de  Lorraine  Léopold,  gendre  de  Monsieur  frère  de 
Louis  XIV,  a  eu  la  plus  singulière  amitié,  qui  leur  a  procuré  des  ri- 
chesses immenses  pour  un  pays,  encore  plus  pour  un  petit  Etat  comme 
la  Lorraine,  et,  à  la  paix  d'Utreclit,  le  duc  de  Lorraine  remit  au  roi 
d'Espagne  pour  trois  millions  de  prétentions  liquidées,  dont  il  donna 
quittance  moyennant  la  grandesse  d'Espagne  qui  fut  accordée  à  M.  de 
Craon,  pour  lequel  M.  de  Lorraine  obtint  encore  de  l'Empereur  de  le 
faire  prince  de  l'Empire.  Il  est  grand  écuyer  du  duc  de  Lorraine 
comme  il  l'avoit  été  de  son  père,  et  sa  femme  vient  de  remettre  sa 
place  de  dame  d'honneur  de  Mme  la  duchesse  de  Lorraine  petite-tille 
de  France.  M.  et  Mme  de  Craon  s'en  vont  à  Florence  avec  commission 
dé  M.  de  Lorraine  [de]  veiller  à  ses  intérêts  pendant  la  vie  du  grand- 
duc,  dont  les  Etats  lui  sont  assurés  par  la  paix  de  cette  année  1737  '  en 
échange  des  duchés  de  Lorraine  et  de  Bar  cédés  en  toute  propriété  au 
roi  Stanislas  de  Pologne,  et  après  lui  incommutablement  à  la  couronne 
de  France.  M.  de  Craon  a  beaucoup  d'enfants,  tils  et  Hlles  très  bien 
mariées,  dont  deux  déjà  veuves.  Telle  est  la  branche  directe  aînée  de 
Beauvau,  où  les  bonnes  alliances  sont  très  ordinaires,  mêlées  de  plus 
illustres  et  de  très  communes. 

Les  branches  de  Rorté  et  de  Pange  ont  été  attachées  aux  ducs  de 
Lorraine  et  y  ont  eu  des  emplois  considérables. 

Celle  de  Précigny  ou  de  Pimpéan  a  eu  des  emplois  considérables 
chez  les  ducs  d'Anjou,  rois  des  Deux-Siciles,  et  des  alliances  fort  bonnes 
en  petit  nombre.  Elle  a  tini  en  4397  en  la  personne  de  Jean-Baptiste  de 
Beauvau,  seigneur  de  Pimpéan  et  des  Roches,  sans  enfants  d'une  sœur 
du  cardinal-duc  de  Richelieu,  longtemps  avant  les  premiers  commence- 
ments de  la  fortune  de  ce  premier  ministre,  son  cadet  de  beaucoup 
d'années.  C'est  cette  sœur  qui  s'emmouracha  depuis  de  René  Vigne- 
rot,  bisaïeul  de  mâle  en  mâle  du  duc  de  Richelieu  d'aujourd'hui. 
René  Vignerot  et  sa  femme  furent  longtemps  sans  que  personne  de 
la  parenté  de  cette  femme  les  voulût  voir,  et  le  cardinal  de  Richelieu 
et  le  monde  auroient  vu  avec  plus  de  plaisir  la  maison  de  Reauvau,  s'il 
y  eût  eu  des  enfants  du  premier  mariage,  protiter  de  la  prodigieuse 
fortune  qu'à  leur  défaut  ont  fait  les  enfants  de  cet  étrange  second 
lit. 

La  branche  de  Passavant,  qui  avoit  eu  des  alliances  illustres  dans  ses 
premières  générations,  n'en  a  eu  depuis  que  de  fort  communes,  et 
même  de  moindres. 

La  branche  du  Rivau  n'a  eu  que  les  alliances  les  plus  communes, 

1.  C'est  donc  en  1737  que  Saint-Simon  rédigea  les  mémoires  sur  les 
alliances  de  la  maison  royale  d'où  est  extraite  la  présente  notice.  On  a 
vu  dans  l'Avertissement  de  notre  tome  1"  (p.  xxxi-xxxn)  que  c'est  en 
1738  ou  1739  qu'il  commença  la  rédaction  de  ses  Mémoires  proprement 
dits. 


MAISONS  DE  CHATILLON  ET  DE  BEAUVAU.     447 

avec  très  peu  de  bonnes  et  encore  moins  d'illustres.  Elle  vient  de  finir 
en  4734,  en  la  personne  de  Pierre-Madeleine,  marquis  de  Beauvau  du 
Rivau,  lieutenant  général  des  armées  du  Roi,  chevalier  de  ses  ordres 
en  i7'24,  et  gouverneur  de  Douay,  où  il  est  mort,  frère  de  l'archevê- 
que de  Narbonne,  encore  vivant,  et  commandeur  de  l'ordre  du  Saint- 
Esprit  en  même  promotion  que  lui.  Il  ne  reste  de  cette  branche  que  la 
tille  unique  de  ce  même  marquis  de  Beauvau,  veuve  sans  enfants  du 
duc  de  Rochechouart,  pair  de  France  et  premier  gentilhomme  de  la 
chambre  du  Roi  par  démission  du  duc  de  Mortemart  son  père. 

Entin  la  branche  de  Rivarennes  ou  de  Montgaugé  n'a  eu  aucune 
alliance.  Elle  va  finir  en  la  personne  de  Gabriel-Henri  de  Beauvau, 
qui  a  été  autrefois  capitaine  des  gardes  de  Monsieur  frère  de 
Louis  XIV,  vieux  et  in.irme,  qui  n'a  eu  que  des  filles,  mariées  au 
marquis  de  Beauvau,  chevalier  de  l'Ordre,  dont  on  vient  de  parler,  au 
comte  de  Choiseul,  au  marquis  de  Flamarens,  et  quelques-unes  res- 
tées filles.  Il  avoit  épousé  une  fille  d'afïaires,  dont  sont  les  deux  pre- 
mières ;  les  autres  sont  de  son  second  mariage  avec  une  sœur  du 
second  lit  du  duc  de  Brancas  et  de  même  lit  que  la  marquise  de  Bran- 
cas,  la  seule  alliance  de  cette  branche.  Il  a  eu  un  frère  mort  évêque 
de  Nantes  en  4747. 


448  APPENDICE  IV. 


IV 


LE  COSTUME  DE  DEUIL  A  LA  COUR  ' 

(Extrait  des  registres  du  maître  des  cérémonies  -.) 

«  A  la  mort  de  Madame  la  Dauphine  [Bavière],  le  Roi  ne  prit  point 
le  deuil  ;  la  cour  le  prit.  Les  princes  du  sang  drapèrent  leurs  carrosses 
et  habillèrent  leurs  livrées  de  deuil  pendant  un  an  et  quarante  jours. 
Les  princes  étrangers  et  les  ducs  ne  tirent  point  draper  leur  carrosses; 
leur  deuil  dura  six  mois. 

«  Les  princes  étrangers  et  les  ducs  ne  firent  point  draper  leurs  car- 
rosses ;  leur  deuil  dura  six  mois. 

«  Les  princes  étrangers  et  les  ducs  représentèrent  au  Roi.  depuis, 
qu'ils  n'avoient  pas  à  la  vérité  drapé  leurs  carrosses  au  deuil  de  Ma- 
dame la  Dauphine  par  ordre,  mais  que,  dans  toutes  les  occasions  de 
cérémonie  de  grand  deuil,  ils  avoient  été  en  possession  défaire  draper 
leurs  carrosses,  et  qu'ils  espéroient  que  S.  M.  trouveroit  bon  qu'ils  le 
fissent  à  l'avenir. 

(c  On  porta  des  pleureuses  ^  six  semaines  ;  épée  noire,  crêpe,  boucles 
noires  et  souliers  noirs,  cravates,  manchettes  du  plus  grand  deuil  six 
semaines. 

«  La  cour  a  porté  le  deuil  de  Monseigneur  six  semaines  avec  des  cra- 
vates de  toile  épaisse  de  batiste,  des  pleureuses  aux  manches  du 
justaucorps,  et  des  manches  plates  à  la  veste,  sans  aucune  manchette 
au  poignet,  un  crêpe  au  chapeau  et  les  boucles  des  souliers  noires. 

«  Au  bout  des  six  semaines,  on  a  quitté  les  pleureuses,  remis  les 
boutons  aux  manches  du  justaucorps  ;  mais  on  a  laissé  les  manches 
plates  à  la  veste,  sans  mettre  de  manchettes  au  poignet  ;  le  deuil  a  en- 
core duré  de  cette  façon  pendant  six  autres  semaines,  et,  au  bout  de 
trois  mois,  on  a  quitté  les  manchettes  plates,  et  on  a  pris  des  cravates 
plus  claires  avec  de  l'effilé  autour  et  des  manchettes  au  poignet  avec 
de  l'effilé  autour. 

«  Au  deuil  de  la  reine  Marie-Thérèse  d'Autriche  en  1683,  le  Roi 

1.  Ci-dessus,  p.  123. 

2.  Extraits  copiés  par  le  baron  de  Breteuil  sur  la  marge  du  manu- 
scrit de  ses  Mémoires,  ms.  Arsenal  3864,  fol.  17  et  suivants. 

3.  «  On  appeloit  ainsi  de  certains  morceaux  de  toile  qu'on  attachoit  au 
haut  des  manches  du  justaucorps,  et  d'autres  plus  petits  qu'on  attachoit 
au  bout  des  manches  des  vestes  »  {Mémoires  de  Sourches,  tome  XIII, 
p.  89,  note). 


LE  COSTUME  DE  DEUIL  A  LA  COUR  449 

prit  les  chausses,  le  pourpoint  et  le  manteau  long  de  drap  violet  :  les 
chausses  ouvertes  et  un  peu  larges,  le  pourpoint  boutonné  jusqu'au 
bas  sans  laisser  voir  la  chemise,  les  manches  fermées  jusqu'au  poing  et 
garnies  de  petites  manchettes  plates  cousues,  le  collet  garni  d'un  ra- 
bat de  toile  d'Hollande,  la  queue  du  manteau  de  cinq  pieds,  les  bas  de 
laine  violette,  les  souliers  de  drap  violet  avec  les  boucles  d'acier  tirant 
sur  le  violet,  l'épée  garnie  d'acier  de  même  couleur  avec  le  ceinturon 
de  drap  violet,  le  chapeau  noir  garni  d'un  grand  crêpe  violet  pendant 
jusqu'aux  jarrets,  les  gants  violets  avec  garnitures. 

«  Monseigneur  le  Dauphin,  Monsieur  et  les  princes  du  sang  prirent 
le  grand  deuil  de  drap  noir.  Le  manteau  de  Monseigneur  traînoit  de 
quatre  pieds,  celui  de  Monsieur  de  trois  pieds  et  demi,  et  ceux  des 
princes  du  sang  de  deux,  les  crêpes  des  chapeaux  pendoient  à  propor- 
tion de  la  longueur  des  manteaux.  Comme  les  distinctions  sont  inutiles  si 
elles  ne  sont  fort  sensibles,  la  queue  du  manteau  de  Monsieur  ne  devoit 
être  que  de  trois  pieds  la  distinction  d'un  demi-pied  n'étant  pas  consi- 
dérable. 

«  Les  princes  étrangers,  les  ducs,  les  maréchaux  de  France,  les  officiers 
de  la  couronne,  les  grands  officiers  de  la  maison  du  Roi,  prirent  aussi 
le  grand  deuil  avec  cette  différence  que  les  manteaux  ne  traînoient  que 
de  trois  ou  quatre  doigts. 

«  Le  Chancelier  ne  prit  point  le  deuil.  Tous  les  autres  officiers  de  la 
maison  du  Roi  prirent  le  deuil  en  justaucorps  et  cravates.  Tous  les  offi- 
ciers de  la  maison  de  la  Reine  prirent  le  grand  deuil  en  manteau  long. 
Les  gens  de  livrées  de  toutes  les  personnes  dont  je  viens  de  parler 
furent  habillés  de  noir.  » 


UÉHOIRES   DE   SAINT-SIMON.   XXI  39 


4S0  APPENDICE  V. 


MEMOIRE  DU  DUC  DU  MAINE  SUR  LA  MORT  DE 
L'EMPEREUR 

Présenté  au  Roi  le  7  mai  1711  K 

«  Les  secrets  replis  de  la  divine  Providence  commencent  pour  nous  à 
se  développer,  et  la  justice  toute  miséricordieuse  de  Dieu  se  manifeste 
à  nos  yeux  de  la  façon  la  plus  sensible.  C'est  ce  même  Dieu  qui,  par 
l'ordre  de  sa  sagesse,  prescrit  à  la  mer  de  certaines  bornes  qu'elle 
n'ose  passer,  qui  se  rend  aussi  protecteur  des  Etats  et  qui  les  soutient 
dans  la  juste  étendue  convenable  au  bien  de  la  société  civile  et  au 
partage  de  la  terre.  C'est  encore  ce  même  Dieu,  qui,  ayant  créé  toutes 
choses,  qui,  aimant  tous  ses  ouvrages,  et  qui,  voulant  qu'aucuns  ne  pé- 
rissent absolument,  a  permis  la  mort  de  l'Empereur  dans  la  conjoncture 
où  elle  est  survenue.  Cet  événement  est  si  considérable  pour  l'Europe, 
dont  il  peut  changer  la  face,  et  surtout  pour  le  royaume  de  France, 
que  tout  François  à  qui  il  est  permis  de  parler  sur  d'aussi  graves  ma- 
tières doit  le  faire  pour  sa  propre  satisfaction  et  pour  l'acquit  de  sa 
conscience,  avec  la  soumission  d'un  sujet  qui  recherche  plus  la  gloire 
de  son  prince  et  celle  de  sa  patrie  que  le  mérite  d'avoir  pensé  quelque 
chose  dont  personne  ne  se  soit  avisé.  Je  crois  qu'on  doit  aujourd'hui 
parler  d'autant  plus  hardiment,  qu'il  ne  s'agit  que  d'exposer  les  révo- 
lutions que  la  catastrophe  présente  offre  à  l'imagination,  sans  s'avancer 
avec  trop  de  confiance  à  proposer  les  moyens  d'en  profiter,  qui  ne  peu- 
vent être  connus  que  de  ceux  qui,  tenant  le  timon  des  affaires,  ont 
une  notion  parfaite  de  tous  les  secrets  d'Etat,  des  termes  où  l'on  est 
avec  chaque  potentat,  des  ressorts  capables  de  les  émouvoir,  et  de  la 
puissance  où  l'on  se  trouve  de  les  mettre  en  pratique. 

«  Il  est  certain  qu'en  quelque  temps  que  soit  arrivée  la  mort  de 
l'Empereur,  elle  auroit  infailliblement  changé  la  face  des  affaires,  et  il 
est  encore  plus  certain  que  cette  mort  ne  pouvoit  arriver  dans  une  con- 
joncture qui  nous  fût  plus  favorable. 

«  Les  spéculatifs,  donnant  dans  le  cabinet  carrière  à  leur  zèle  et  à  leur 
imagination,  ne  trouvoient  pour  sortir  de  la  violente  situation  où  nous 
sommes  que  l'armement  du  Tuix  ou  la  mort  de  l'Empereur,  et  les  voilà 
tous  deux  arrivés  en  même  temps.  Est-il  rien  de  plus  flatteur  pour 
nous  que  ce  premier  coup  d'œil  ? 

1.  Ci-dessus,  p.  134.  Extrait  de  la  Correspondance  du  duc  du  Maine, 
2«  registre,  fol.  176  v»  et  suivants. 


MÉMOIRE  DU  DUC  DU  MAINE.  451 

«  Le  choix  d'un  Empereur  intéresse  toute  l'Europe  ;  l'armement  du 
Turc  menace  l'Empire  ;  l'interrègne  afîoiblit  l'Empire  ;  entin  les  forces 
ottomanes  sont  excitées  et  conduites  par  le  roi  de  Suède,  dont  il  est 
à  présumer  que  le  loisir  de  réfléchir  sur  les  causes  de  sa  disgrâce  n'a 
servi  qu'à  fortitier,  s'il  se  peut,  l'ardeur  guerrière,  et  à  rendre  l'ambi- 
tion plus  redoutable. 

«  L'Empereur,  étant  mort  sans  enfant  mâle,  laisse  à  tous  les  princes 
de  l'Europe  une  libre  prétention  à  l'Empire,  et  tous  ceux  qui  s'en  sou- 
cient ont  des  forces  à  peu  près  égales,  soit  par  leurs  troupes,  par  leur 
argent  ou  par  leurs  amis.  Qui  plus  est,  la  différence  de  religion  entraîne 
nécessairement  deux  cabales  toujours  opposées  l'une  à  l'autre. 

K  Les  électeurs  ecclésiastiques  ne  peuvent  aspirer  à  l'Empire  ;  il  n'y 
a  donc  parmi  les  princes  catholiques  que  l'électeur  de  Bavière,  l'élec- 
teur palatin,  l'Archiduc  et  le  duc  de  Savoie  qui  puissent  y  penser. 

«  Aucun  prince  n'a  de  droit  à  l'Empire.  M.  de  Bavière,  qui  est  au 
ban  de  l'Empire,  doit  se  trouver  heureux  de  profiter  de  la  conjoncture 
pour  être  réhabilité  et  pour  rentrer  dans  ses  Etats  ;  le  duc  de  Savoie, 
accoutumé  à  l'air  d'Italie  et  à  y  jouer  le  principal  rôle  *,  préférera 
peut  être  à  tout  de  s'y  agrandir  et  d'y  augmenter  sa  puissance  ; 
l'électeur  palatin  ne  fera  point  une  cabale  différente  de  celle  de  son 
neveu,  et  l'Archiduc,  foible  par  lui-même  d'esprit,  de  corps  et  de 
moyens,  ne  sauroit  réussir  que  par  ses  amis.  Je  le  dis  foible  de  moyens, 
parce  que  ses  pays  héréditaires  sont  épuisés,  qu'il  n'est  pas  seulement 
reconnu  roi  de  Bohème  ni  de  Hongrie,  et  que  la  Hongrie  ne  manquera 
pas  vraisemblablement  cette  occasion  d'essayer  de  recouvrer  son  an- 
cienne liberté  en  secouant  le  joug  et  se  nommant  un  roi,  sentant  d'ail- 
leurs qu'elle  peut  être  appuyée  par  le  Grand  Seigneur,  ennemi  irré- 
conciliable de  l'Empire,  et  par  le  roi  de  Suède,  qui  est  peu  prévenu 
en  faveur  de  la  maison  d'Autriche,  et  qui  certainement  protégera  au- 
tant qu'il  le  pourra  la  religion  protestante. 

«  L'Archiduc,  à  moins  d'anciens  traités  secrets  entre  les  alliés,  ne 
peut  donc  se  faire  empereur  que  par  la  protection  des  princes  catho- 
liques qui  sont  en  état  de  lui  fournir  des  troupes.  Pour  cela  il  faut 
qu'il  songe  à  se  concilier  leur  amitié  et  qu'il  aille  se  mettre  à  la  tête 
de  son  parti  ;  il  faut  qu'il  abandonne  les  rebelles  d'Espagne,  qui  ne 
sont  retenus,  à  ce  qu'il  paroît,  que  par  sa  présence.  De  plus,  il  a  be- 
soin de  la  pluralité  des  voix,  et  il  ne  peut  compter  que  sur  celles  des 
catholiques,  les  électeurs  protestants  ayant  un  grand  intérêt  à  tâcher 
de  rendre  l'Empire  alternatif  entre  les  deux  religions.  Il  faut  donc 
qu'il  contribue  de  son  crédit  au  rétablissement  des  électeurs  de  Cologne 
et  de  Bavière,  ce  qui  nous  seroit  toujours  très  bon,  à  cause  de  la  peine 
que  nous  aurions  à  les  dédommager  de  ce  qu'ils  ont  perdu  pour  nous. 

«  L'Archiduc  ne  peut  se  mettre  à  la  tête  de  son  parti  sans  abandon- 

1.  [ci  en  note  :  a  Sans  compter  que,  pour  pouvoir  être  empereur,  il 
faut  être  allemand  de  naissance  ou  d'origine.  » 


4K2  APPENDICE  V. 

uer  la  Catalogne,  et  il  ne  sauroit,  à  ce  que  je  crois,  s'en  éloigner  sans 
avoir  avec  lui  M.  de  Stahrenberg,  qui  est  son  conseil  encore  plus  que 
son  bras,  et  qui,  par  son  goût  particulier,  désire  fort  de  quitter  l'Es- 
pagne, tant  parce  qu'il  s'y  voit  exposé  à  perdre  d'un  moment  à  l'autre 
une  réputation  qu'il  a  été  longtemps  à  acquérir,  que  parce  qu'il  a  un 
extrême  désir  de  se  retirer  de  l'embarras  des  affaires. 

«  Je  sais  des  gens  d'esprit  qui  disent  que,  si  l'Archiduc  devenoit  em- 
pereur, nous  resterions  comme  nous  sommes  et  que  nous  ne  nous  sen- 
tirions point  de  la  révolution.  Je  ne  puis  en  convenir  avec  eux.  En 
supposant  même  une  élection  brusque  et  unanime,  supposition  que  je 
crois  frivole,  du  moins  seroit-il  certain  que  l'élection  ne  se  peut  faire 
sans  que  l'Archiduc  quitte  la  Catalogne  et  que  sa  défection  ne  peut 
devenir  infructueuse  au  roi  d'Espagne,  quand  même  M.  le  duc  de 
Savoie  se  substitueroit  en  personne  pour  son  antagoniste,  puisqu'il  ne 
le  pourroit  faire  encore  sans  passer  en  Catalogne,  et  sans  laisser  ses 
États  exposés  à  l'invasion  de  l'armée  de  M.  le  duc  de  Berwick,  qui 
pourroit  choisir  en  ce  cas  d'entrer  en  Piémont  ou  de  tourner  vers  les 
Pyrénées.  Ainsi,  de  quelque  façon  que  l'on  regarde  les  choses,  on  ne 
sauroit  disputer  que  sur  le  plus  ou  le  moins  d'avantage  que  nous  en 
pouvons  retirer. 

«  On  pousse  plus  loin  la  noirceur  des  idées,  et  l'on  dit  que  les  alliés, 
ayant  prévu  il  y  a  longtemps  la  possibilité  de  l'événement  qui  vient  de 
s'accomplir,  ont  fait  un  traité  secret,  par  lequel  ils  s'engagent  à  déférer 
l'Empire  à  l'Archiduc,  en  remettant  ses  prétentions  sur  l'Espagne  à 
M.  de  Savoie  *.  Je  veux  bien  que  cela  soit  ;  mais  ce  projet  ne  peut  s'ef- 
fectuer que  comme  je  l'ai  dit  ci-dessus. 

a  Cependant  je  ne  pense  pas  que  ce  fût  un  mal  pour  nous  que  l'Ar- 
chiduc devînt  empereur.  Je  voudrois  seulement  qu'il  en  eût  l'obligation 
ou  qu'il  crût  l'avoir  à  la  France,  et  qu'on  lui  fît  entendre  qu'il  pour- 
roit aisément  se  faire  un  mérite  auprès  du  Roi  et  de  S.  M.  Catholique 
en  se  désistant  de  ses  chimères  sur  le  royaume  d'Espagne,  en  remet- 
tant de  bonne  grâce  à  son  légitime  souverain  la  ville  de  Barcelone, 
qu'il  sera  hors  d'état  de  soutenir  dans  sa  révolte,  et  en  contribuant  de 
son  mieux  à  engager  au  repos  M.  le  duc  de  Savoie,  en  le  rendant  sans 
coup  férir  un  prince  très  puissant,  et  lui  donnant  enfin  toutes  sortes 
de  satisfactions.  Il  seroit  bon,  à  ce  qu'il  me  semble,  de  faire  de  telles 
ouvertures  à  l'Archiduc  dans  ces  commencements,  de  l'assurer  que, 
s'il  y  adhéroit,  nous  le  protégerions  avec  joie,  et  que  les  troupes  que 
nous  avons  sur  le  Rhin  feroient  des  mouvements  relatifs  à  ses  intérêts. 
Je  crois  qu'après  cela,  si  l'Archiduc  manquoit  pour  nous  de  reconnois- 
sance  et  ne  devenoit  pas  notre  ami,  il  auroit  honte  du  moins  dans  la 
suite  d'être  notre  ennemi. 

«  Je  me  démontre  aussi  que  l'ambition  du  duc  de  Savoie  devroit  être 

1.  En  marge  on  lit  ces  mots:  «En  ce  cas,  c'est  avec  les  Électeurs  qu'il 
faudroit  que  fût  le  traité.  » 


MÉMOIRE  DU  DUC   DU  MAINE.  453 

satisfaite  du  don  qui  lui  seroit  fait  du  Milanois  par  S.  M.  Catholique 
et  par  le  consentement  de  l'Archiduc,  scellé  par  l'aj^rément  du  Roi,  à 
condition  d'être  amis  et  de  concourir  à  l'élection  de  l'Archiduc,  qui 
deviendroit  bien  sur  de  son  fait,  ayant  de  telles  puissances  dans  ses 
intérêts.  Il  me  semble  donc  que  les  deux  Couronnes  devroient,  sans 
perdre  de  temps,  commencer  à  négocier  avec  ces  deux  princes. 

L'Empire  doit  être,  par  une  espèce  de  loi,  entre  les  mains  d'un 
prince  catholique  ;  mais  croit-on  que  les  princes  protestants,  qui  sont 
les  plus  puissants  d'Allemagne,  ne  fassent  pas  tous  leurs  efforts  pour 
essayer  de  le  rendre  alternatif  entre  les  deux  religions,  et  que  le  roi 
de  Suède  n'y  concoure  pas  de  toutes  ses  forces,  pour  se  rendre  re- 
commandable  par  un  si  grand  et  si  brillant  service  rendu  à  la  sienne. 
Je  ne  connois  que  M.  de  Hanovre  dont  la  reconnoissance  pour  la  mai- 
son d'Autriche  puisse  combattre  l'intérêt  personnel. 

«  Dès  que  l'on  admettra  la  prétention  des  princes  protestants,  il  faut 
admettre  autant  d'émulés  qu'il  se  trouve  d'électeurs  dans  ce  déplorable 
schisme  ;  et,  comme  ils  ne  sont  puissants  et  accrédités  que  par  le 
nombre  de  leurs  troupes,  il  est  nécessaire  pour  travailler  à  leur  propre 
grandeur  qu'ils  les  retirent  auprès  d'eux,  ou  qu'ils  ordonnent  à  ceux 
qui  les  commandent  chez  les  princes  à  qui  ils  les  ont  vendues,  de  ne 
les  point  exposer,  pour  être  toujours  prêtes  d'un  moment  à  l'autre  de 
revenir  chez  eux.  Or,  après  de  tels  ordres,  que  deviendra  l'armée  des 
ennemis  en  Flandres,  dont  la  plus  grande  partie  est  composée  de 
troupes  allemandes  à  la  solde  de  Hollande?  Elle  s'anéantira,  ou,  si 
elle  reste  assemblée,  ce  sera  un  corps  inanimé,  toujours  prêt  à  se  dis- 
soudre et  attentif  uniquement  à  ce  qui  se  passera  loin  de  lui. 

«  Que  deviendront  les  troupes  de  l'Empereur  sans  chef  et  sans 
maître  ?  L'Archiduc  préférera-t-il  la  passion  de  sa  maison  contre  nous 
à  ses  intérêts  particuliers,  et,  dans  le  temps  qu'il  aura  besoin  de  ses 
forces  pour  le  point  le  plus  important  de  sa  vie,  les  laissera-t-il  pour 
servir  l'ambition  effrénée  des  Ilollandois,  ou  pour  être  sacrifiées  à  la 
gloire  du  duc  de  Marlborough  ?  J'y  vois  peu  d'apparence. 

«  Ainsi  rien  ne  me  paroît  plus  à  craindre  cette  année  en  Flandres 
qu'un  coup  de  désespoir  de  la  part  du  Mylord,  qui,  ne  se  souciant  que 
de  lui-même,  et  se  sentant  perdu  en  Angleterre,  s'il  cesse  d'occuper 
un  poste  aussi  considérable  que  celui  qu'il  occupe,  tentera  les  coups 
d'un  désespéré,  pour  chercher  dans  l'imprudence  ce  que  la  sagesse  ne 
peut  lui  faire  envisager,  et  il  me  paroît  que  le  meilleur  parti  que  nous 
ayons  à  prendre  est  celui  de  la  sagesse,  jusqu'à  ce  que  nous  voyions 
l'effet  que  la  mort  de  l'Empereur  produira  dans  l'Europe. 

«  La  haine  que  l'on  porte  à  la  France  seroit  capable,  si  nous  ten- 
tions présentement  des  entreprises  éclatantes,  de  réunir  contre  nous 
les  intérêts  les  plus  opposés,  comme  nous  l'éprouvons  depuis  long- 
emps,  et  de  cimenter  la  ligue  peut-être  à  la  veille  de  sa  ruine.  La 
'terre  tremble  ;  attendons  en  lieu  sûr  le  débris  des  grands  édifices  pour 
être  en  état  d'en  recueillir  ce  qu'il  nous  en  conviendra  ;  négocions 


454  APPENDICE  V. 

sous  main  auprès  de  tous  les  princes,  afin  de  parvenir  à  négocier  pu- 
bliquement ;  n'en  méprisons  aucun  ;  tâchons  de  nous  faire  des  amis  ; 
mais  tenons  la  foudre  suspendue,  et  que  tous  craignent  d'en  être  frap- 
pés ;  nos  armées  ne  seront  point  inutiles  étant  au  commencement  de 
cette  campagne  dans  l'inaction. 

«  Parla  sagesse  à  laquelle  je  viens  d'exhorter,  je  n'entends  point  la 
pusillanimité  ;  ce  n'est  que  la  témérité  que  je  conseille  d'éviter.  Je 
serois  au  désespoir  qu'on  crût  que  mon  sentiment  fût  de  tout  souffrir. 
Pour  les  batailles  à  la  vérité,  j'ose  avancer  qu'il  les  faut  éluder,  mais 
par  des  précautions  dans  les  postes,  et  non  par  des  retraites  honteuses 
auxquelles  il  est  facile  à  un  général  avisé  de  ne  se  point  exposer  ;  et 
je  ne  prétends  point  inférer  de  ma  maxime  générale  qu'il  faille  tout 
endurer  ni  ne  pas  faire  des  diversions  ou  des  entreprises  qui  ne  se- 
roient  audacieuses  qu'en  apparence,  ni  ne  pas  attaquer  Douay,  si  les 
ennemis  s'arrétoient  au  siège  de  Saint-Omer,  ou  de  quelque  autre 
place.  Je  pense  seulement  qu'il  faut  attendre  et  écouter  pour  être  en 
état  de  se  faire  craindre. 

«  Il  n'est  pas  possible  que  les  HoUandois  ne  fassent  des  retours  sur 
eux-mêmes,  qu'ils  ne  sentent  des  remords  continuels  de  ce  qu'ils  ont 
manqué  en  1740,  et  que  l'inquiétude  qu'ils  auront  de  voir  leur  sort 
dépendre  des  intrigues  des  princes  d'Allemagne,  ne  les  invite  au  plus 
tôt  à  songer  à  leurs  propres  intérêts.  J'irai  plus  loin  :  je  ne  doute  pas 
que  les  HoUandois,  voyant  que  nous  ne  leur  parlons  pas,  ne  s'empres- 
sent de  nous  parler  ;  mais  je  voudrois  qu'en  ce  cas,  oubliant  notre 
style  précédent,  nous  prissions  le  leur,  en  en  retranchant  simplement 
l'arrogance,  et  les  écoutant  sans  ardeur  ni  brutalité. 

«  La  mort  de  l'Empereur  a  déjà  produit  la  contre-marche  du  prince 
Eugène,  dont  la  présence  à  l'armée  de  Flandres  est  d'un  très-grand 
poids,  tant  par  sa  capacité  que  pour  son  audace,  et  par  l'ascendant 
qu'il  a  pris  sur  les  HoUandois,  qui,  par  le  génie  de  leur  nation,  répu- 
gnent à  toutes  les  entreprises  un  peu  hasardeuses. 

«  Ce  n'est  que  petit  à  petit  et  avec  de  la  patience  qu'on  peut  délier 
un  nœud  gordien,  quand  on  n'est  point  en  état  de  le  couper  comme 
fit  Alexandre.  Gardons-nous  de  l'impatience  françoise  ;  ce  n'est  point 
en  un  instant  qu'arrivent  les  grandes  révolutions.  Sentons  notre  bonheur 
que  celle-ci  vienne  dans  un  temps  où  nos  armées  et  les  affaires  du  roi 
d'Espagne  sont  en  meilleur  état  qu'elles  n'ont  été  depuis  trois  ans. 

«  Ce  n'est  qu'en  tant  que  l'Archiduc  nous  eût  l'obligation  d'être 
élevé  à  l'Empire,  et  qu'il  voulût  faire  tout  ce  que  j'ai  ci-devant  proposé, 
que  j'ai  avancé  que  la  France  ne  devroit  pas  être  fâchée  de  le  voir 
empereur  ;  car,  s'il  y  manquoit  quelqu'une  de  ces  conditions,  ce  ne 
seroit  plus  pour  nous  la  même  chose,  et  nous  n'aurions  à  fonder  nos 
espérances  que  sur  la  tranquillité  dont  nous  jouirons  vraisemblable 
blement  cette  campagne,  et  sur  la  facilité  que  trouvera  S.  M.  Gatho 
lique  à  reconquérir  la  Catalogne.  A  la  vérité,  ces  deux  choses  ne  lais- 
sent pas  que  d'être  pour  nous  un  avantage,  puisque  c'étoit  avant  ceci 


MEMOIRE  DU  DUC  DU  MAINE.  45S 

le  seul  objet  de  nos  désirs  ;  mais  il  faut,  à  mon  avis,  tâcher  de  gagner 
un  peu  plus  à  la  mort  de  l'Empereur,  et  songer  à  contrecarrer  la  mai- 
son d'Autriche,  si  elle  paroît  mépriser  notre  assistance. 

«  L'intérêt  véritable  de  la  France  seroit  que  l'Empire  devint  alter- 
natif entre  les  deux  religions,  et  j'avance  cette  proposition  hardiment 
sans  craindre  que  cela  fît  tort  à  la  religion  catholique,  non-seulement 
parce  que  l'Empire,  ne  pouvant  rester  dans  la  même  maison,  perdroit 
de  sa  considération,  mais  encore  parce  que  je  vois  que  Léopold  I»"", 
le  plus  catholique  et  le  plus  dévot  de  tous  les  empereurs,  n'a  protégé, 
favorisé  et  relevé  que  les  protestants. 

«  Tous  les  princes  d'Allemagne  doivent  être  jaloux  de  la  grandeur 
de  la  maison  d'Autriche,  qui  les  a  tenus  toujours  armés  pour  ses 
querelles  particulières,  et  dont  les  empereurs,  oubliant  qu'ils  n'étoient 
que  les  premiers  du  corps  germanique,  ont  fait  par  autorité  plusieurs 
innovations  et  se  sont  accoutumés  à  parler  en  maîtres  à  tous  les 
membres  de  l'Empire.  Les  Vénitiens,  d'un  autre  côté,  souffrent  impa- 
tiemment de  la  voir  si  puissante,  étant  entourés  de  ses  terres.  Ainsi, 
je  suis  très-persuadé  que,  si  la  France  ne  pouvoit  aisément  faire  em- 
pereur le  prince  qu'elle  voudroit,  du  moins  pourroit-elle  facilement 
exclure  de  l'Empire  l'Archiduc. 

«  Pour  rendre  tout  possible  à  la  France,  elle  n'a  besoin  que  d'avoir 
la  paix  avec  le  duc  de  Savoie.  C'est  un  prince  de  bon  sens,  mais  plus 
tidèle  à  son  intérêt  qu'à  sa  parole.  Il  ne  sera  point  flatté,  que  je  crois, 
de  l'idée  chimérique  de  se  faire  roi  d'Espagne  ;  il  a  trop  d'esprit  pour 
ne  pas  sentir  la  difficulté  de  cette  besogne,  et  il  peut  soupçonner  jus- 
tement que  les  Espagnols  seront  toujours  moins  portés  d'inclination 
pour  lui  que  pour  un  Autrichien.  Ainsi,  quand  on  lui  fera  une  bonne, 
grande  et  solide  condition  dans  son  pays,  il  ne  quittera  jamais  assuré- 
ment le  certain  pour  l'incertain. 

«  Il  me  semble  qu'un  homme  bien  instruit  des  affaires  et  capable 
de  les  manier  avec  esprit  seroit  à  cette  heure  très-nécessaire  en  Italie. 
Il  peut  toujours  être  reçu  à  Rome,  commencer  de  là  à  parler,  engager 
des  correspondances,  et  peut-être  ne  tarderoit-il  pas  à  pouvoir  se  por- 
ter lui-même  auprès  de  plusieurs  princes  de  ce  pays.  M.  d'Antin  ou 
M.  l'abbé  de  Polignac  me  paraîtroient  fort  propres  pour  une  telle  com- 
mission, et  pour  ramener  les  Vénitiens,  avec  qui  il  me  semble  qu'on 
devroit  présentement  avoir  quelque  regret  d'être  en  froideur.  Cepen- 
dant, pour  conclure  cet  article,  il  faut  convenir  que  M.  de  Savoie  sera 
certain  de  sa  grandeur,  quand  il  sera  réuni  avec  la  France,  et  qu'aussi 
la  France,  amie  de  M.  de  Savoie,  exclura  sans  peine  l'Archiduc  de  sa 
prétention  à  l'Empire. 

«  Il  n'est  pas  moins  certain  que  les  seules  troupes  de  l'armée  de 
Dauphiné,  portées  en  partie  sur  le  Rhin,  feroient  trembler  l'Empire 
et  donneroient  un  furieux  branle  à  l'élection,  les  princes  d'Italie  avan- 
çant aussi  des  troupes  vers  le  Trentin,  et  le  roi  de  Suède  s'approchant 
de  la  Hongrie. 


456  APPENDICE  V. 

«  Celui  qui  est  destiné  pour  commander  l'armée  d'Alsace  étant  éga- 
lement capable  des  fonctions  d'un  négociateur  et  de  celles  d'un  géné- 
ral, il  n'y  en  a  point  d'autres  à  proposer.  Si  l'on  joignoit  à  lui  M.  le 
maréchal  d'Huxelles,  qui  sait  parfaitement  les  affaires  d'Allemagne, 
cela  ne  pourroit,  à  ce  qu'il  paroît,  produire  qu'un  bon  effet,  ces  deux 
Messieurs  étant  fort  unis  et  ayant  une  grande  estime  l'un  pour  l'autre. 

«  Il  ne  me  reste  plus  qu'à  demander  de  l'indulgence  pour  cet  ou- 
vrage. Si  j'étois  plus  souvent  questionné  sur  de  telles  matières,  j'en 
parlerois  plus  pertinemment,  et  je  deviendrois  peut-être  capable  d'être 
utile  à  mon  prince  et  à  ma  patrie  ;  mais,  à  présent,  je  n'ai  que  mon 
zèle  qui  me  puisse  faire  excuser.  Qu'on  me  fasse  encore  grâce  sur 
mon  style  :  ce  sont  des  choses  et  non  des  paroles  que  j'ai  prétendu 
mettre  dans  ce  mémoire.  » 


ORIGINE  DE  LA  FAMILLE  DE  LUYNES.        457 


VI 

L'ORIGINE  DE  LA  FAMILLE  D'ALRERT  DE  LUYNES 

d 'ap rès  Cla irambau It^. 

«  Le  peu  de  bien  que  l'onavoit  vu  au  connétable  de  Luynes  et  à  ses 
frères  avant  la  prodigieuse  fortune  où  il  parvint,  après  avoir  été  gen- 
tilhomme ordinaire  de  la  maison  du  Roi,  et  l'extrême  faveur  dont 
l'honora  le  feu  Roi  après  la  mort  du  maréchal  d'Ancre  l'an  1617, 
ayant  soulevé  tout  le  monde  contre  lui,  parce  qu'il  ne  ménagea  per- 
sonne, jamais  favori  ne  fut  déchiré  par  autant  de  libelles  et  de  satires, 
par  lesquelles  on  l'attaqua  sur  sa  naissance.  Cependant,  quoique  sa 
noblesse  ne  fût  pas  des  plus  connues  ni  des  plus  titrées,  il  est  certain 
que  Thomas  Aubert,  dit  depuis  Albert,  son  quatrième  aïeul,  étoit 
seigneur  de  Boussargues  en  Languedoc  et  bailli  de  Vivarois,  et  qu'il 
est  qualifié  écuyer  et  damoiseau  par  un  titre  de  l'an  1419,  1421,  etc. 

«  Voilà  au  moins  une  possession  de  noblesse  établie  depuis  ce 
temps  là  ;  car  au-dessus  on  n'a  jamais  connu  ni  bien  ni  mal  de  ses 
ancêtres. 

«  C'est  de  là  que  descendoit  le  connétable  de  Luynes,  Charles  d'Al- 
bert, et  ses  deux  frères,  le  maréchal  de  Chaulnes  et  le  duc  de  Luxem- 
bourg, et  quoique  aussi  pauvre  qu'il  se  trouva  jusqu'à  l'âge  de  près 
de  quarante  ans,  il  ne  laissoit  pas  d'être  fils  d'un  homme  qui  possédoit 
les  terres  de  Luynes,  de  Cadenet  et  de  Brantes,  qui  avoit  été  chambel- 
lan de  François,  fils  de  France,  duc  d'Alençon,  frère  des  rois  Charles 
IX  et  Henri  III,  colonel  des  bandes  françoises  et  maître  de  l'artillerie 
en  Languedoc,  viguier  de  la  ville  de  Beaucaire  et  gouverneur  du  Châ- 
teau-Dauphin et  du  Pont-Saint-Esprit  sur  le  Rhône.  » 

1.  Ci-dessus,  p.  163-164.  —  Bibl.  nat.,  ms.  Glairambault  719,  p.  41. 


458  APPENDICE  VII. 


VII 

L'ÉDIT  SUR  LES  DUCHÉS-PAIR lES*. 

Bien  que  cet  édit  ait  été  imprimé  en  feuille  volante  dès  sa  promulga- 
tion, et  qu'il  se  trouve  dans  un  grand  nombre  d'ouvrages,  nous  croyons 
intéressant  d'en  reproduire  un  texte  collationné  sur  les  expéditions  ori- 
ginales, étant  donné  l'importance  que  Saint-Simon  a  attribué  à  ce  rè- 
glement et  le  long  passage  de  ses  Mémoires  qu'il  lui  a  consacré.  On 
pourra  ainsi  le  comparer  avec  le  texte  du  premier  président  de  Harlay 
(ci-dessus,  p.  146-158)  et  se  rendre  compte  de  la  mesure  dans  laquelle 
les  observations  de  Saint-Simon  au  Chancelier  ont  pu  faire  modifier  la 
rédaction  primitive. 

Édit  du  Roi 
portant  règlement  général  pour  les  duchés  et  pairies. 

Louis,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et  de  Navarre,  à  tous 
présents  et  à  venir,  salut.  Depuis  que  les  anciennes  pairies  laïques 
ont  été  réunies  à  la  couronne,  dont  elles  étoient  émanées,  et  que, 
pour  les  remplacer,  les  Rois  nos  prédécesseurs  en  ont  créé  de  nou- 
velles, d'abord  en  faveur  des  seuls  princes  de  leur  sang,  et  ensuite  en 
faveur  de  ceux  de  leurs  sujets  que  la  grandeur  de  leur  naissance  et 
l'importance  de  leurs  services  en  ont  rendus  dignes,  les  titres  de  pairs 
de  France,  aussi  distingués  autrefois  par  leur  rareté,  qu'ils  le  seront 
toujours  par  leur  élévation,  se  sont  multipliés  ;  toutes  les  grandes 
maisons  en  ont  désiré  l'éclat  ;  plusieurs  l'ont  obtenu,  et  par  une 
espèce  d'émulation  de  faveur  et  de  crédit,  elles  se  sont  efforcées  à 
l'envi  de  trouver,  dans  le  comble  même  des  honneurs,  de  nouvelles 
distinctions,  par  des  clauses  recherchées  avec  art,  soit  pour  perpétuer 
la  pairie  dans  leur  postérité  au  delà  de  ses  bornes  naturelles,  soit 
pour  faire  revivre  en  leur  faveur  des  rangs  qui  étoient  éteints  et  des 
titres  qui  ne  subsistoient  plus. 

Dans  cette  multitude  de  dispositions  nouvelles  et  singulières,  que 
l'ambition  des  derniers  siècles  a  ajoutées  à  la  simplicité  des  anciennes 
érections,  les  officiers  de  notre  parlement  de  Paris,  juges  naturels 
sous  notre  autorité  des  différends  illustres  qui  se  sont  élevés  au  sujet 
des  pairies,  entraînés  d'un  côté  par  le  poids  des  règles  générales  et 
retenus  de  l'autre  par  la  force  des  clauses  particulières  qu'on  opposoit 
à  ces  mêmes   règles,  ont  cru  devoir  suspendre  leur  jugement,  et  se 

1.  Ci-dessus,  p.  231. 


ÉDIT  SUR   LES  DUCHES-PAIRIES.  459 

contenter  de  rendre  des  arrêts  provisionnels,  comme  pour  nous  mar- 
quer par  là  que  leur  respect  attendoit  de  nous  une  décision  suprême, 
qui,  fixant  pour  toujours  le  droit  des  pairies,  pût  distinguer  les  diffé- 
rents degrés  d'honneur  qui  sont  dus  aux  princes  de  notre  sang,  à  nos 
enfants  légitimés  et  aux  autres  pairs  de  France  ;  afTermir  les  véritables 
principes  de  la  transmission  des  pairies,  ou  masculines  ou  féminines, 
et  déterminer  souverainement  le  sens  légitime  de  toutes  les  expres- 
sions équivoques,  à  l'ombre  desquelles  on  a  si  souvent  opposé  en  cette 
matière  la  lettre  de  la  grâce  à  l'esprit  du  prince  qui  l'avoit  accordée. 
C'est  cette  loi  désirée  depuis  si  longtemps  que  nous  avons  enfin  résolu 
d'accorder  aux  souhaits  des  premiers  magistrats,  à  l'avantage  des 
grandes  maisons  de  notre  royaume,  au  bien  même  de  notre  Etat,  tou- 
jours intéressé  dans  les  règlements  qui  regardent  une  dignité  si  émi- 
nente.  Xous  avons  cru  devoir  y  ajouter  des  dispositions  non  moins 
importantes,  soit  pour  conserver  l'éclat  et  la  splendeur  des  maisons 
honorées  de  cette  dignité,  soit  pour  prévenir  tous  les  différends  qui  se 
pourroient  former  à  l'avenir  à  l'occasion  de  l'érection  ou  de  l'extinc- 
tion des  pairies,  soit  enfin  pour  terminer  les  contestations  qui  sont 
pendantes  en  notre  cour  de  Parlement,  tant  entre  plusieurs  desdits 
ducs  et  pairs  et  notre  cousin  le  duc  de  Luxembourg,  qu'entre  le  sieur 
marquis  d'Antin  et  plusieurs  autres  desdits  ducs  et  pairs,  et  réunir 
par  l'autorité  souveraine  de  notre  jugement  les  esprits  et  les  intérêts 
des  personnes  qui  tiennent  un  rang  si  considérable  auprès  de  nous. 
A  ces  causes,  de  notre  propre  mouvement,  pleine  puissance  et  au- 
torité royale,  nous  avons  dit,  déclaré  et  ordonné,  disons,  déclarons  et 
ordonnons  par  le  présent  édit  : 

Article  premier. 

Que  les  princes  du  sang  royal  seront  honorés  et  distingués  en  tous 
lieux  suivant  la  dignité  de  leur  rang  et  l'élévation  de  leur  naissance. 
lis  représenteront  les  anciens  pairs  de  France  au  sacre  des  Rois,  et 
auront  droit  d'entrée,  séance  et  voix  délibérative  en  nos  cours  de 
Parlement  à  l'âge  de  quinze  ans,  tant  aux  audiences  qu'au  conseil, 
sans  aucune  formalité,  encore  qu'ils  ne  possèdent  aucunes  pairies. 

II 

Nos  enfants  légitimés  et  leurs  enfants  et  descendants  mâles  qui  pos- 
séderont des  pairies  représenteront  pareillement  les  anciens  pairs  aux 
sacres  des  Rois,  après  et  au  défaut  des  princes  du  sang,  et  auront 
droit  d'entrée  et  voix  délibérative  en  nos  cours  de  Parlement,  tant  aux 
audiences  qu'au  conseil,  à  l'âge  de  vingt  ans,  en  prêtant  le  serment 
ordinaire  des  pairs,  avec  séance  immédiatement  après  lesdits  princes 
du  sang,  conformément  à  notre  déclaration  du  o  mai  161)i,  et  ils  y 
précéderont  tous  les  ducs  et  pairs,  quand  même  leurs  duchés  et 
pairies  seroienl  moins  anciennes  que  celles  desdits  ducs  et  pairs  ;  et 


460  APPENDICE  VII. 

en  cas  qu'ils  aient  plusieurs  pairies  et  plusieurs  enfants  mâles,  leur 
permettons  (en  se  réservant  une  pairie  pour  eux)  d'en  donner  une  à 
chacun  de  leurs  dits  enfants,  si  bon  leur  semble,  pour  en  jouir  par 
eux  aux  mêmes  honneurs,  rang,  préséance,  et  dignités  que  ci-dessus, 
du  vivant  même  de  leur  père. 

III 

Les  ducs  et  pairs  représenteront  aux  sacres  les  anciens  pairs,  lors- 
qu'ils y  seront  appelés  au  défaut  des  princes  du  sang  et  des  princes 
légitimés  qui  auront  des  pairies  ;  ils  auront  rang  et  séance  entre  eux, 
avec  droit  d'entrée  et  voix  délibérative,  tant  aux  audiences  qu'au 
conseil  de  nos  cours  de  Parlement,  du  jour  de  la  première  réception 
et  prestation  de  serment  en  notre  cour  de  parlement  de  Paris  après 
l'enregistrement  des  lettres  d'érection,  et  seront  reçus  audit  Parlement 
à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  en  la  manière  accoutumée. 

IV 

Par  les  termes  d'hoirs  et  successeurs  et  par  les  termes  à'ayant 
cause,  tant  insérés  dans  les  lettres  d'érections  ci-devant  accordées, 
qu'à  insérer  dans  celles  qui  pourroient  être  accordées  à  l'avenir,  ne 
seront  et  ne  pourront  être  entendus  que  les  enfants  mâles  descendus 
de  celui  en  faveur  de  qui  l'érection  aura  été  faite  et  que  les  mâles 
qui  en  seront  descendus  de  mâles  en  mâles,  en  quelque  ligne  et  degré 
que  ce  soit. 


Les  clauses  générales  insérées  ci-devant  dans  quelques  lettres 
d'érection  de  duchés  et  pairies  en  faveur  des  femelles,  et  qui  pourroient 
l'être  en  d'autres  à  l'avenir,  n'auront  aucun  effet  qu'à  l'égard  de  celle 
qui  descendra  et  sera  de  la  maison  et  du  nom  de  celui  en  faveur 
duquel  les  lettres  auront  été  accordées,  et  à  la  charge  qu'elle  n'épou- 
sera qu'une  personne  que  nous  jugerons  digne  de  posséder  cet 
honneur,  et  dont  nous  aurons  agréé  le  mariage  par  des  lettres  patentes 
qui  seront  adressées  au  parlement  de  Paris,  et  qui  porteront  confir- 
mation du  duché  en  sa  personne  et  descendants  mâles,  et  n'aura  ce 
nouveau  duc  rang  et  séance  que  du  jour  de  sa  réception  audit  Parle- 
ment sur  nos  dites  lettres. 

VI 

Permettons  à  ceux  qui  ont  des  duchés  et  pairies,  d'en  substituer  à 
perpétuité  le  chef-lieu,  avec  une  certaine  partie  de  leur  revenu,  jus- 
qu'à quinze  mille  livres  de  rente,  auquel  le  titre  et  dignité  desdits 
duchés  et  pairies  demeurera  annexé,  sans  pouvoir  être  sujet  à  aucunes 
dettes  ni  détractions,  de  quelle  nature  qu'elles  puissent  être,  après  que 
l'on  aura  observé  les  formalités  prescrites  par  les  ordonnances  pour  la 
publication  des  substitutions,  à  l'effet  de  quoi  dérogeons  au  surplus  à 


ÉDIT  SUR  LES  DUCHÉS-PAIRIES.  464 

l'ordonnance  d'Orléans  et  à  celle  de  Moulins,  et  à  toutes  autres  ordon- 
nances, usages  et  coutumes  qui  pourroient  être  contraires  à  la  pré- 
sente disposition. 

VII 

Permettons  à  l'aîné  des  mâles  descendant  en  ligne  directe  de  celui 
en  faveur  duquel  l'érection  des  duchés  et  pairies  aura  été  faite,  ou  à 
son  défaut  ou  refus  à  celui  qui  le  suivra  immédiatement,  et  ensuite  à 
tout  autre  mâle  de  degré  en  degré,  de  les  retirer  des  tilles  qui  se 
trouveront  en  être  propriétaires,  en  leur  en  remboursant  le  prix 
dans  six  mois,  sur  le  pied  du  denier  vingt-cinq  du  revenu  aciuel, 
et  sans  qu'ils  puissent  être  reçus  en  ladite  dignité  qu'après  en 
avoir  fait  le  payement  réel  et  effectif,  et  en  avoir  rapporté  la 
quittance. 

VIII 

Ordonnons  que  ceux  qui  voudront  former  quelque  contestation  sur 
le  sujet  desdits  duchés  et  pairies,  et  des  rangs,  honneurs  et  préséance 
accordés  par  nous  auxdits  ducs  et  pairs,  princes  et  seigneurs  de  notre 
royaume,  seront  tenus  de  nous  représenter,  chacun  en  particulier, 
l'intérêt  qu'ils  prétendent  y  avoir,  atin  d'obtenir  de  nous  la  permission 
de  le  poursuivre,  et  de  procéder  en  notre  parlement  de  Paris,  pour  y 
être  jugés,  si  nous  ne  trouvons  pas  à  propos  de  les  décider  par  nous- 
mêmes  ;  et,  en  cas  qu'après  y  avoir  renvoyé  une  demande,  les  parties 
veuillent  en  formuler  d'autres  incidemment,  ou  qui  soient  différentes 
de  la  première,  elles  seront  tenues  pareillement  d'en  obtenir  de  nous 
de  nouvelles  permissions,  et  sans  qu'en  aucun  cas  ces  sortes  de  con- 
testations et  de  procès  puissent  en  être  tirées  par  la  voie  des  évoca- 
tions. 

IX 

Voulons  que  notre  cousin  le  duc  de  Luxembourg  et  de  Piney  ait 
rang,  tant  entre  notre  cour  de  parlement  de  Paris  qu'en  tous  autres 
lieux,  du  :22  mai  1662,  jour  de  la  réception  du  feu  duc  de  Luxem- 
bourg son  père,  en  conséquence  de  nos  lettres  du  mois  de  mars  de 
l'an  1661,  et  que  les  arrêts  rendus  le  20  de  mai  4 662  et  le  43  avril 
4696,  soient  exécutés  définitivement,  sans  que  notre  dit  cousin  puisse 
prétendre  d'autre  rang,  sous  quelque  titre  et  prétexte  que  ce  puisse 
être,  et,  à  l'égard  dudit  marquis  d'Antin,  voulons  pareillement  qu'il 
n'ait  rang  et  séance  que  du  jour  de  sa  réception,  sur  les  nouvelles 
lettres  que  nous  lui  accorderons. 


Voulons  et  ordonnons  que  ce  qui  est  porté  par  le  présent  édit  pour 
les  ducs  et  pairs  ait  lieu  pareillement  pour  les  ducs  non  pairs,  en  ce 
qui  peut  les  regarder. 


462  APPENDICE  VII. 

Si  donnons  en  mandement  à  nos  amés  et  féaux  conseillers  les  gens 
tenant  notre  cour  de  Parlement  à  Paris,  que  notre  présent  édit  ils 
aient  à  faire  lire,  publier  Qt  enregistrer,  et  le  contenu  en  iceluy  garder 
et  observer  selon  sa  forme  et  teneur  :  car  tel  est  notre  plaisir.  Et  afin 
que  ce  soit  chose  ferme  et  stable  à  toujours,  nous  y  avons  fait  apposer 
notre  scel. 

Donné  à  Marly,  au  mois  de  mai,  l'an  de  grâce  mil  sept  cent  onze, 
et  de  notre  règne  le  soixante-neuvième.  Signé  :  Louis,  et  plus  bas  : 
Par  le  Roi  :  Phélypeaux. 

Registre,  etc.,  à  Paris  en  Parlement,  le  vingt-unième  mai  mil  sept 
cent  onze. 

Signé  :  Dongois. 

Nous  joignons  au  texte  de  l'édit,  ainsi  qu'on  l'a  annoncé  ci-dessus, 
p.  245,  un  court  mémoire  du  duc  du  Maine,  qui  semble  bien,  par  sa 
date  et  son  sujet,  se  rapporter  à  la  partie  du  règlement  qui  avait  trait 
aux  rang  et  honneurs  des  princes  légitimés.  Il  esl  extrait  du  deuxième 
registre  de  sa  Correspondance,  fol.  172  v". 

Pour  servir  de  mémoire  à  M.  le  Chancelier 

touchant  le  brevet  pour  nos  honneurs  à  la  cour  ; 

à  Marly,  le  20  avril  1711. 

«  Le  Roi,  suivant  même  sa  façon  de  penser,  ne  doit  faire  aucune 
difficulté  touchant  le  brevet  : 

«  i"  Parce  qu'on  ne  doute  pas  que  nous  ne  l'ayons  déjà  ; 

«  2°  Parce  qu'il  n'apporte  aucune  augmentation  aux  honneurs  dont 
nous  jouissions  ; 

«  3°  Parce  que  nous  ne  le  produirons  qu'en  cas  d'un  besoin  comme 
impossible  à  prévoir  ;  et  que,  quand  le  Roi  accorde  une  grâce,  ne 
l'ayant  fait  qu'après  mûre  réflexion,  il  veut  qu'elle  soit  solide  ; 

«  4°  Parce  que,  quoiqu'il  soit  le  maître,  il  n'y  avoit  que  ce  qui  est 
d'éclatant,  et  ce  qu'il  a  déjà  fait,  qui  pût  lui  donner  quelque  espèce 
d'embarras  ; 

«  5°  Parce  que  lesdits  honneurs  de  sa  cour,  à  nous  et  à  mes  enfants, 
ont  été  accordés  avec  la  participation  et  l'agrément  de  feu  Monsei- 
gneur le  Dauphin  et  de  Monsieur  le  Dauphin  d'à  présent. 

La  note  que  le  Roi  a  ordonné  à  M.  de  Pontchartrain  de  mettre  sur 
ses  registres  de  la  grâce  accordée  à  mes  enfants,  marque  assez  que 
S.  M.  désire  que  quelque  chose  en  fasse  foi  à  l'avenir. 

Or  il  est  bon  que  S.  M.  sache  que  le  crédit  d'une  telle  note  n'est 
quasi  rien,  et  qu'elle  ne  fait  que  désigner  une  pièce  particulière  ;  ce 
qui  est  si  vrai,  qu'il  ne  faudra  point  la  changer  en  faisant  expédier  un 
brevet. 

Ce  qui  m'a  avisé  que,  pour  lesdits  honneurs  de  la  cour  pour  nous  et 
pour  mes  enfants,  un  brevet  ne  seroit  pas  inutile,  ce  n'est  pas  que  je 


EDIT  SUR  LES  DUCHES-PAIRIES.  463 

croie  qu'ils  nous  puissent  être  disputés  après  en  avoir  joui,  mais  c'est 
que  je  vois  des  curieux  demander  à  voir  notre  titre,  et  que  ce  titre, 
qui  peut-être,  quand  nous  l'aurons,  ne  sera  jamais  produit,  n'est  rien 
pour  le  Roi,  après  la  jouissance  publique  dont  il  nous  amis  en  posses- 
sion, et  contre  laquelle  personne  n'a  murmuré. 

A  la  vérité  les  princes  du  sang  jouissent  desdits  honneurs  sans  bre- 
vet, mais  il  n'est  pas  à  présumer  qu'on  puisse  jamais  les  leur 
disputer. 

D'ailleurs,  vu  le  rang  que  nous  avons  en  France  par  la  déclaration 
registrée  au  Parlement*,  les  honneurs  qui  nous  sont  accordés  à  la 
cour  et  le  brevet  dont  je  parle  sont  bien  moins  par  proportion  que 
les  grâces  honoraires  que  le  Roi  accorde  tous  les  jours  dans  la  noblesse 
de  son  royaume. 

«  Quoique  mon  frère  ait  paru  moins  vit"  que  moi  dans  cette  affaire, 
je  demande,  à  son  insu,  même  chose  pour  lui  que  pour  moi. 

«  Surtout  il  faut  bien  prendre  son  temps  pour  parler  de  ceci  :  car, 
pourvu  qu'on  écoute  un  demi  quart  d'heure,  la  chose  ne  peut  recevoir 
de  difficulté  ni  être  regardée  pour  une  grâce  que  parce  qu'elle  est 
demandée.  » 

Enfin,  nous  reproduisons,  d'après  l'original  vendu  par  M.  Eugène 
Charavay  le  24  février  1883  2,  une  lettre  du  Chancelier  à  Saint-Simon, 
par  laquelle  il  lui  faisait  part  des  réclamations  du  duc  de  la  Roche- 
guyon  à  propos  du  règlement  de  leur  contestation  de  préséance  (ci-des- 
sus, p.  2oo).  Cette  lettre  a  déjà  été  publiée  dans  le  tome  XXI  et  supplé- 
mentaire de  l'édition  de  nos  Mémoires  faite  en  1873,  p.  393. 

«  Versailles,  mardi  [fin  juin  1711]. 

«  J'aurois  bien  voulu  pouvoir  vous  entretenir,  Monsieur,  un 
moment  ce  matin  ;  mais  ni  le  temps  ni  le  lieu  ne  le  permettoient  pas. 
Je  vous  aurois  dit  fort  au  long  que  M.  de  la  Rocheguyon  m'est  venu 
trouver  ce  matin  chez  mon  tils  ;  qu'il  m'a  expliqué  amplement  ses 
griefs  contre  l'édit,  au  nom  de  M.  de  la  Rochefoucauld,  avec  son  chan- 
celier Prévost,  et  me  consultant  sur  ce  qu'il  avoit  à  faire,  résolu 
cependant  d'en  porter  ses  plaintes  au  Roi  et  de  lui  en  demander 
justice.  Je  lui  ai  dit  tout  ce  que  j'ai  cru  lui  pouvoir  dire  pour  l'apaiser 
et  pour  lui  faire  connoîtrc  la  justice  de  la  décision  du  Roi,  affirmant 
cependant  que  j'ignorois  le  procès  prétendu  pendant,  mais  avouant 
que  je  savois  la  question  en  général  ;  et  je  lui  ai  môme  cité  ce  qui 
s'est  passé,  par  le  Roi  même,  sur  M.  de  Rouillonet  sur  M.  de  la  Meil- 
leraye,  pour  lui  faire  voir  que  c'est  le  Roi  qui  a  voulu  juger  la  ques- 
tion cette  fois-ci  délinitivement.  Il  a  pris  le  tout  ad  référendum  à 
M.  de  la  Rochefoucauld,  dont  j'attends  aujourd'hui  une  rude  visite 

1.  Celle  du  5  mai  1694. 

2.  Cette  lettre  a  passé  de  nouveau  en  vente  le  3  avril  1890. 


464  APPENDICE  VII. 

avec  de  grands  mémoires.  M.  de  la  Rocheguyon,  pressé  ou  par  mes 
honnêtetés  ou  par  la  force  des  raisons,  m'a  rejeté  sur  une  question 
subordonnée,  ditTérenciant,  sur  mes  principes,  le  duché  d'avec  la 
pairie,  à  l'exemple  de  M.  de  la  Trémoïlle  et  de  M.  d'Uzès.  Je  ne  me 
suis  point  ouvert,  et  je  l'ai  remis  à  une  autre  fois,  comme  je  vous  y 
remets  aussi  :  car  en  voilà  assez  dit  pour  vous  occuper.  Brûlez  cette 
lettre,  avec  ce  qui  peut  vous  rester  des  autres  ;  mais  n'oubliez  jamais 
tout  ce  que  je  vous  suis,  Monsieur.  » 

PONTCHARTRAIN. 

Pour  la  rédaction  des  notes  sur  l'origine  de  la  pairie  qui  ont  trouvé 
place  dans  le  corps  des  Mémoires  (ci-dessus,  p.  231-241),  Saint-Simon 
pouvait  utiliser  un  certain  nombre  d'ouvrages  spéciaux  parus  sur  la 
matière  avant  1742,  époque  à  laquelle  il  écrivait  le  texte  de  l'année 
1711. 

En  premier  lieu  il  possédait  dans  sa  bibliothèque  :  les  Recherches  de 
la  France  d'Etienne  Pasquier,  édition  de  1713,  dont  les  chapitres  ix  et  x 
du  livre  11  traitent  des  douze  pairs  ;  —  les  Mémoires  concernant  les  pairs 
de  France,  par  l'avocat  Sacy,  parus  chez  Coustelier  en  1720,  en  un  vo- 
lume in-folio  ;  —  enfin  les  trois  volumes  de  l'Histoire  de  la  pairie  de 
France  et  du  parlement  de  Paris,  par  Boulainvilliers,  qui  venaient  de 
paraître  en  1740.  En  outre,  il  avait  dans  ses  papiers  (vol.  55,  aujour- 
d'hui France  214)  une  copie  de  l'Histoire  manuscrite  de  la  Pairie,  par 
J.  le  Laboureur. 

II  pouvait  consulter  : 

Claude  Fauchet,  Origines  des  Dignités,  paru  en  1584  ;  —  Jean  du  Til- 
let,  Mémoire  des  pairs  de  France,  inséré  dans  son  Recueil  des  rois  de 
France,  Paris,  1618,  in-4  ;  —  Guy  Coquille,  Traité  des  pairs  de  France, 
leur  origine,  fonctions,  rangs  et  dignités,  Paris,  1665,  in-folio  (tome  I"  de 
ses  Œuvres). 

Enfin  Clairambault  pouvait  mettre  à  sa  disposition  les  quelque  trente 
volumes  manuscrits  de  son  recueil  de  la  Pairie,  arsenal  immense  de  piè- 
ces, de  mémoires,  de  facturas,  de  lettres  patentes,  d'édits,  de  déclara- 
tions, etc.,  et,  en  outre,  la  Bibliothèque  du  Roi  ou  les  collections  parti- 
culières renfermaient  un  grand  nombre  de  mémoires  manuscrits  dont 
les  principaux  sont  énumérés  dans  la  Bibliothèque  historique  de  la  France 
par  le  P.  Lelong,  tome  111,  p.  130-131. 


RECEPTION  DU  DUC  D'AiNTIN.  465 


VIII 
LA  RÉCEPTION  DU  DUC  D'ANTIN  AU  PARLEMENT* 

Le  duc  d'Antin,  dans  ses  Mémoires  inédits  (ms.  Mazarine  2331),  n'a 
parlé  qu'en  deux  lignes  de  sa  réception  au  Parlement.  On  se  conten- 
tera de  donner  ci-après  l'Information  de  vie  et  mœurs,  à  propos  de 
laquelle  Saint-Simon  a  raconté  un  trait  d'habile  homme  du  maréchal 
de  Boufïlers  :  ci-dessus,  p.  232. 

Information  de  vie  et  mœurs  ^. 

«  Information  d'office  à  la  requête  du  procureur  général  du  Roi, 
faite  par  nous  Jean  Lenain,  doyen  des  conseillers  du  Parlement,  des 
vie,  mœurs,  conversation,  religion  catholique,  apostolique  et  ro- 
maine, fidélité  au  service  du  Roi,  valeur  et  expérience  au  fait  des  ar- 
mes de  Messire  Louis-Antoine  de  Pardaillan  de  Gondrin,  marquis 
d'Antin,  de  Montespan  et  de  Gondrin,  lieutenant  général  des  armées 
du  Roi  et  de  la  Haute  et  Basse-Alsace,  Haguenau  et  Brisgau,  gouver- 
neur et  lieutenant  général  pour  le  Roi  des  ville  et  duché  d'Orléans, 
Pays  orléanois,  chartrain,  Perche-Gouët,  Sologne,  Vendômois,  Blai- 
sois  et  dépendances  d'iceux,  et  de  la  ville  et  château  d'Amboise,  et 
directeur  général  des  bâtiments,  jardins,  arts  et  manufactures  du  Roi, 
poursuivant  sa  réception  en  la  qualité  et  dignité  de  duc  et  pair  de 
France. 

«  Du  cinquième  juin  mil  sept  cent  onze  3. 

«  Messire  Etienne  de  la  Briie,  prêtre,  curé  de  l'église  royale  et  pa- 
roissiale de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  âgé  de  quarante-huit  ans, 
après  avoir  mis  la  main  ad  pectus,  a  dit  que  M.  d'Antin,  paroissien  de 
ladite  église,  fait  profession  de  la  foi  catholique,  apostolique  et  ro- 
maine ;  qu'il  l'a  vu  assister  au  service  divin  ;  qu'il  sait  qu'il  fréquente 
les  sacrements,  et,  par  un  témoignage  très  digne  de  croyance,  qu'il  a 
satisfait  à  son  devoir  pascal,  à  la  fête  de  Pâques  dernière,  à  Versail- 
les, où  est  son  principal  domicile  et  où  ses  emplois  l'attachent  indis- 
pensablement  auprès  de  la  personne  du  Roi,  et  qu'au  reste  son  illustre 
naissance,  ses  alliances  avec  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  dans  l'État, 
ses  grands  et  importants  services,  sa  fidélité  et  son  application  à  exé- 

i.  Ci-dessus,  p.  233. 

2.  Arch.  nat.,  K  617,  n»  2. 

3.  On  remarquera  que  cette  information  est  datée  du  jour  même  de 
la  réception  du  duc  au  Parlement. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI  30 


i66  APPENDICE  VIII. 

cuter  les  ordres  de  S.  M.  sont  si  connus  que  personne  n'a  douté 
qu'il  ne  lui  plût  de  l'élever  à  la  première  et  plus  considérable  dignité 
du  royaume. 

«  Et  a  signé  :  La  Brue. 

«  Messire  Louis  d'Aumont  de  Rochebaron,  duc  d'Aumont,  pair  de 
France,  premier  gentilhomme  de  la  chambre  du  Roi,  gouverneur  du 
Boulonnois,  âgé  de  quarante-quatre  ans,  après  serment  de  dire  vérité, 

«  A  dit  qu'il  a  l'honneur  de  connoître  particulièrement  M.  le  duc 
d'Antin  ;  qu'il  a  toujours  remarqué  en  lui  des  qualités  dignes  de  sa 
haute  naissance  ;  que  son  zèle  pour  le  bien  et  la  gloire  de  l'Etat,  son 
parfait  attachement  pour  la  personne  du  Roi ,  son  dévouement  si  vif  et  si 
marqué  pour  celle  de  feu  Monseigneur  le  Dauphin,  sous  qui  il  a  servi 
avec  considération  en  Flandre  et  en  Allemagne,  son  exactitude  et  ses  res- 
sources dans  l'exécution  de  tous  les  ordres  dont  il  a  été  chargé,  son 
application  constante  à  remplir  avec  promptitude  toute  l'étendue  de 
ses  devoirs,  l'élévation  de  son  esprit,  la  noblesse  et  la  droiture  de  son 
cœur  ne  pouvoient  manquer  de  déterminer  les  grâces  de  S.  M.,  qui, 
après  l'avoir  fait  passer  par  les  dignités  militaires,  convenables  à  son 
rang  et  à  ses  services,  qu'il  a  toujours  soutenus  avec  magnificence,  a 
voulu  lui  donner  dans  sa  personne  et  dans  sa  postérité  les  marques 
les  plus  éclatantes  de  sa  confiance,  et  a  estimé  à  cet  effet  devoir 
l'élever  à  la  dignité  de  duc  et  pair,  la  plus  éminente  du  royaume  ;  que 
cette  promotion  dans  un  sujet  aussi  susceptible  que  lui  de  toutes  les 
distinctions  brillantes,  avoit  été  prévenue  par  les  désirs  de  tous  ceux 
qui  ont  l'avantage  d'être  en  possession  des  mêmes  titres;  et  qu'enfin 
tant  de  circonstances  concouroient  à  le  rendre  digne  de  l'honneur  que 
S.  M.  vient  de  lui  faire,  qu'il  est  même  flatteur  et  glorieux  d'être 
choisi  pour  lui  rendre  tous  les  témoignages  qu'il  mérite. 

«  Et  a  signé  :  Louis  d'Aumont  de  Rochebaron,  duc  d'Aumont. 

«  Messire  Louis-François,  duc  de  Boufflers,  pair  et  maréchal  de 
France,  chevalier  des  ordres  du  Roi  et  de  la  Toison  d'or,  capitaine 
des  gardes  du  corps  de  S.  M.,  gouverneur  et  lieutenant  général  pour 
le  Roi  des  provinces  de  Flandre  et  de  Hainaut,  gouverneur  particulier 
de  la  ville  et  citadelle  de  Lille,  souverain  bailli  de  ladite  ville  et  châ- 
tellenie  dudit  Lille,  grand  bailli  de  Beauvais  et  du  Beauvoisis,  capi- 
taine et  gouverneur  héréditaire  de  ladite  ville  de  Beauvais,  âgé  de 
soixante-sept  ans  et  demi,  après  serment  de  dire  vérité, 

«  A  dit  qu'il  a  l'honneur  de  connoître  M.  le  duc  d'Antin  pour  un 
des  seigneurs  du  royaume  des  plus  distingués  par  son  illustre  naissance 
et  par  ses  alliances  avec  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  en  France  ;  qu'ayant 
porté  les  armes  dès  sa  première  jeunesse,  il  a  passé  par  tous  les  grades 
militaires  de  colonel,  de  brigadier,  de  maréchal  de  camp  et  de  lieute- 
nant général  des  armées  du  Roi,  desquels  emplois  il  a  rempli  tous  les 
devoirs  et  les  fonctions  avec  tant  de  zèle,  d'application,  d'intelligence 


RÉCEPTION  DU  DUC  D'ANTIN.  467 

et  de  capacité,  qu'il  s'est  rendu  utile  et  nécessaire  à  tous  les  généraux 
sous  lesquels  il  a  servi  ;  qu'ayant  été  mis  auprès  de  feu  Monseigneur 
le  Dauphin  en  qualité  de  l'un  de  ses  menins,  il  l'a  servi  avec  tant 
d'attachement,  qu'il  s'éloit  acquis  près  de  ce  prince  une  privance  parti- 
culière ;  que,  son  génie,  capable  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand,  lui 
ayant  fourni  les  occasions  de  s'approcher  de  la  personne  du  Roi,  il  a 
su  mériter  l'honneur  de  sa  bienveillance  et  de  sa  contiance  par  le 
même  attachement  à  lui  plaire,  et  en  exécutant  ses  ordres  avec  un  ta- 
lent merveilleux,  qui  lui  rend  faciles  les  choses  qui  paroîtroient  impos- 
sibles à  tout  autre  qu'à  lui  ;  qu'ainsi,  par  son  attachement  personnel 
pour  le  Roi,  par  sa  naissance  distinguée,  par  ses  grandes  alliances,  par 
ses  rares  et  singuliers  talents,  et  entin  par  toutes  sortesde  raisons,  il  est 
très  digne  de  la  grâce  qu'il  a  plu  à  S.  M.  de  lui  faire  en  l'honorant  de 
la  dignité  de  duc  et  pair  de  France,  la  plus  éminente  de  l'État,  et  qu'il 
le  croit  un  des  sujets  du  royaume  des  plus  capables  d'en  remplir  parfai- 
tement les  devoirs  et  les  fonctions,  et  de  concourir  à  en  soutenir  l'éclat. 
«  Et  a  signé  :  Le  maréchal-duc  de  Boufflers. 

«  Messire  Charles-Armand  de  Gontaut  de  Biron,  lieutenant  général  des 
armées  du  Roi,  âgé  de  quarante-six  ans,  après  serment  de  dire  vérité, 

«  A  dit  qu'il  a  l'honneur  de  connoître  particulièrement  M.  le  duc 
d'Antin;  qu'il  l'a  vu  servir  depuis  1684  dans  les  armées  du  Roi  avec 
tout  le  zèle  et  toute  l'application  possible,  et  s'acquitter  de  tous  les  em- 
plois qui  lui  ont  été  conliés  avec  tant  de  valeur,  de  sagesse  et  de  conduite, 
qu'il  s'est  acquis  l'estime  et  l'admiration  universelle  ;  son  parfait  atta- 
chement pour  la  personne  et  le  service  du  Roi  ont  porté  S.  M.  à 
l'honorer  de  la  dignité  de  duc  et  pair  de  France,  la  plus  éminente 
du  royaume. 

«  Et  a  signé  :  Charles-Armand  de  Gontaut  de  Biron. 

«  Messire  Honoré,  comte  de  Saint-Maure,  menin  de  Monsieur  le 
Dauphin,  marquis  d'Archiac,  baron  de  la  Tour-Blanche,  de  la  Feuil- 
lade  et  autres  lieux,  âgé  de  cinquante-quatre  ans  ou  environ,  après 
serment  de  dire  vérité, 

«  A  dit  que  l'antiquité  et  la  noblesse  de  la  maison  de  Pardaillan  de 
Gondrin  et  les  services  importants  rendus  à  l'État  depuis  plusieurs 
siècles  par  ceux  qu'elle  a  produits  sont  connus  de  tout  le  monde  ;  que 
M.  le  duc  d'Antin,  qui  poursuit  sa  réception  à  la  dignité  de  pair  de 
France,  joint  à  son  illustre  naissance  beaucoup  d'honneur,  de  reli- 
gion et  de  sagesse,  et  a  mérité  par  ses  services  la  grâce  que  le  Roi 
vient  de  lui  faire  de  l'élever  à  la  plus  éminente  dignité  du  royaume. 

«  Et  a  signé  :  Sainte-Maure. 

«  Fait  par  nous,  conseiller  et  commissaire  susdit,  les  jour  et  ans  que 
dessus. 

«  Signé  :  Lenain. 

«  Signé  :   DONGOIS.   » 


468  APPENDICE  IX. 


IX 

LETTRE  DU  CHANCELIER  AU  DUC  DE  LUXEMBOURG. 


On  a  vu  ci-dessus,  p.  259-260,  Saint-Simon  raconter  que  le  chance- 
lier de  Pontchartrain  écrivit  au  duc  de  Luxembourg,  alors  à  Rouen, 
et  à  propos  de  l'édit  projeté  sur  les  duchés  pairies,  trois  lettres  succes- 
sives, dont  deux  «  sèches  »  et  «  dures».  Nous  avons  expliqué  les  raisons 
qui  peuvent  faire  penser  que  notre  auteur  s'est  abusé  au  sujet  des  deux 
dernières.  Les  registres  de  la  correspondance  du  Chancelier  ne  renferment 
que  la  première  des  trois,  probablement  la  seule  écrite  ;  en  voici  le 
texte,  d'après  le  manuscrit  Français  21 133  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale, fol.  40o. 

«  Versailles,  le  13  mai  1711. 

«  Monsieur, 
«  Le  Roi  s'est  fait  remettre  depuis  peu  devant  lui  des  mémoires 
qui  furent  faits  par  ses  ordres,  il  y  a  quinze  ou  seize  ans,  par  M.  le  premier 
président  de  Harlay,  sur  tout  ce  qui  peut  regarder  les  duchés-pairies 
et  les  contestations  qui  étoient  pendantes  au  Parlement,  afin  de  ter- 
miner dès  lors  ces  contestations  par  un  édit,  et  de  prévenir  même 
celles  qui  pourroient  naître  dans  la  suite.  Le  procès  de  M.  d'Antin 
pour  le  duché  d'Epernon  a  excité  de  nouveau  S.  M.  à  reprendre  ses 
premières  vues,  et  c'est  sur  ces  principes  qu'elle  a  fait  surseoir  le  juge- 
ment de  toutes  ces  contestations  au  Parlement,  et  qu'elle  s'est  fait  re- 
mettre les  mémoires  dont  je  viens  d'avoir  l'honneur  de  vous  parler, 
dans  la  résolution  d'en  faire  usage  et  d'exécuter  présentement  ce 
qu'elle  ne  fit  pour  lors  que  projeter;  mais,  comme  le  Roi  trouve,  dans 
ces  mémoires  et  dans  ces  projets  de  règlements,  un  article  qui  détruit 
absolument  vos  prétentions  de  préséance  et  qui  fixe  votre  rang  aux 
lettres  de  4661,  S.  M.  m'a  ordonné  de  vous  le  faire  savoir,  et  de  vous 
dire  en  même  temps  que  feu  M.  le  maréchal  de  Luxembourg,  qui  eut 
pour  lors  communication  de  ces  mémoires  et  de  ce  projet,  y  consentit 
avec  soumission,  et  j'ose  dire  même  avec  plaisir,  sachant  que  c'étoit 
une  espèce  d'accommodement  qui  le  tiroit  d'affaire  et  qui  lui  donnoit 
un  rang  assez  ancien  pour  se  consoler  de  ne  pas  courre  le  risque  de 
tout  perdre  en  voulant  avoir  davantage  ;  et,  quoique  le  Roi  ne  doute 
pas  que  vous  ne  suiviez  volontiers  les  sentiments  de  feu  M.  le  maréchal 
de  Luxembourg,  n'étant  pas  moins  bien  instruit  de  vos  véritables  in- 


LETTRE  DU  CHANCELIER.  469 

térêts  qu'il  l'étoit  des  siens,  qui  sont  les  mêmes,  cependant  S.  M.  dé- 
sire de  le  savoir  par  vous-même  et  m'ordonne  de  vous  les  demander. 
Ses  bontés,  et  sa  considération  pour  vous,  que  vous  méritez  par  vos 
services,  l'engagent  à  retarder  jusque  là  l'exécution  d'une  chose  dont 
elle  connoît  à  présent  la  nécessité  et  qu'elle  veut  absolument  tinir. 

«  Je  vous  prie  d'être  persuadé  que  personne  ne  vous  honore  plus 
que  je  fais,  et  n'est  plus  véritablement  que  je  suis,  etc. 

«   PONTCHARTRAIN.    » 


470  APPENDICE  X. 


LA  MALADIE  DU  DUC  DU  MAINE  * 

Saint-Simon  a  laissé  entendre  avec  tant  d'insistance  que  la  courte 
indisposition  du  duc  du  Maine,  dans  les  premiers  jours  de  juin  1711, 
était  due  à  un  mal  étrange  et  mystérieux,  dont  le  médecin  Fagon  n'au- 
rait pas  lui-même  été  exempt,  qu'il  n'est  pas  inutile  de  reproduire  le 
récit  des  deux  journaux  de  la  cour.  Le  second,  inconnu  jusqu'à  nos 
jours  et  rédigé  en  grand  secret  par  son  auteur,  n'a  point  le  caractère 
quasi  officiel  du  Journal  de  Dangeau  et  n'aurait  point  manqué  d'expri- 
mer au  moins  le  soupçon  d'épilepsie,  s'il  s'y  était  trouvé  quelque  appa- 
rence, étant  donné  surtout  la  prédilection  marquée  de  l'auteur  des 
Mémoires  de  Sourches  pour  les  détails  de  médecine.  Voici  d'abord  le  récit 
de  Dangeau  (tome  XIII,  p.  420)  : 

«  Le  mal  de  M.  du  Maine  a  été  si  grand,  qu'on  l'a  cru  mort  durant 
quelque  minutes.  Cette  nuit,  il  a  été  plus  de  trois  heures  sans  con- 
noissance,  et,  sans  un  valet  de  chambre  quicouchoit  dans  sa  chambre, 
il  seroit  mort  infailliblement.  Ce  valet  heureusement  ne  dormoit  point; 
il  appela  promptement  du  secours.  Mareschal  y  vint  en  pantoufles,  qui 
le  saigna  au  milieu  de  ses  convulsions.  On  lui  donna  tous  les  remèdes 
les  plus  violents.  La  parole  lui  revint,  et  il  parla  latin  assez  longtemps  ; 
mais  enfin  la  connoissance  lui  revint  tout  à  fait,  après  que  les  remèdes 
violents  qu'on  lui  avoit  donnés  l'eurent  beaucoup  fait  vomir.  Madame 
la  Duchesse  et  les  princesses  ses  filles,  qui  avoient  fait  médianoche, 
se  promenoient  dans  le  jardin  quand  le  mal  commença,  qui  fut  avant 
deux  heures  ;  elles  coururent  dans  sa  chambre,  et  y  passèrent  la  nuit. 
Sur  les  sept  heures,  il  se  confessa,  et  on  le  laissa  dormir  ensuite.  Il 
passa  le  reste  de  la  journée  assez  tranquillement.  Quand  on  lui  pro- 
posa, après  sa  confession,  de  dormir,  il  répondit:  «Je  crains  de  ne  pas 
«  me  réveiller.  )>  Mme  la  duchesse  d'Orléans  et  M.  le  comte  de  Toulouse 
passèrent  la  nuit  auprès  de  lui.  Madame  la  Princesse  et  Mme  de  Ven- 
dôme y  vinrent  de  Paris  le  matin  ;  mais  elles  ne  le  virent  point. 
...  Mme  la  duchesse  du  Maine  n'a  point  su  l'état  où  il  a  été  ;  on  lui  a 
caché  avec  grand  soin,  parce  qu'elle  est  malade  à  Sceaux.  » 

Les  Mémoires  de  Sourches,  de  leur  côté,  disent  (tome  XIII,  p.  128): 

«  Le  7,  à  la  pointe  du  jour,  on  apprit  que  le  duc  du  Maine,  lequel 
avoit  couru  le  cerf  le  jour  précédent,  qui  avoit  bien  soupe,  et  qui  avoit 

1.  Ci-dessus,  p.  263. 


LA  MALADIE  DU  DUC  DU  MAINE.  471 

paru  très  gai  dans  le  cabinet  du  Roi,  avoit  pensé  mourir  entre  deux  et 
trois  heures  après  minuit  ;  qu'on  avoit  en  même  temps  été  chercher 
le  confesseur,  le  chirurgien  et  les  médecins;  qu'il  avoit  été  trois  heures 
sans  connoissance.  quoiqu'il  eût  de  grandes  convulsions  au  visage  et 
aux  bras;  qu'on  l'avoit  saigné;  qu'on  lui  avoit  donné  toutes  les  drogues 
imaginables  pour  le  faire  revenir,  et  entre  autres  des  gouttes  d'Angle- 
terre, quinze  grains  d'émétique,  et  six  gros  de  vin  d'Espagne  émétique, 
sans  que  cela  le  fît  revenir,  et  qu'enhn  on  l'avoit  cru  mort  pendant 
quelques  moments;  mais  que,  tout  d'un  coup,  quand  on  s'y  attendoit 
le  moins,  il  s'étoit  réveillé  comme  d'un  profond  sommeil  et  avoit  parlé, 
quoique  les  remèdes  n'eussent  point  encore  paru  opérer  ;  qu'après  cela 
l'émétique  avoit  commencé  à  faire  son  effet,  qu'il  avoit  beaucoup  vomi  et 
s'étoit  beaucoup  vidé  par  en  bas,  et  qu'on  espéroit  qu'il  se  tireroit  de  cet 
accident,  sur  lequel  les  sentiments  étoient  différents,  les  uns  disant 
naïvement  que  c'étoit  une  apoplexie,  les  autres  soutenant  que  ce 
n'étoit  qu'une  forte  indigestion*,  et  les  autres  qu'il  avoit  assurément 
mangé  des  champignons,  qui  étoient  mortels  sur  le  terroir  de  Marly, 
comme  on  en  avoit  vu  plusieurs  exemples.  Le  Roi  alla  voir  ce  prince 
immédiatement  après  sa  messe,  et  le  trouva  en  assez  bon  état,  les  mé- 
decins disant  tous  qu'il  étoit  hors  de  danger  ;  sur  le  midi,  la  princesse 
de  Condé  et  la  duchesse  de  Vendôme  arrivèrent  à  Marly  ;  pour  la  du- 
chesse du  Maine,  comme  elle  avoit  depuis  quelques  jours  de  grandes 
vapeurs,  et  que,  depuis  qu'elle  avoit  vu  mourir  le  marquis  de  Lan- 
geron  en  sa  présence,  elle  appréhendoit  terriblement  l'apoplexie,  on 
ne  voulut  pas  lui  faire  savoir  les  choses  comme  elles  étoient,  et  on  lui 
manda  que  le  prince  son  époux  avoit  eu  une  grande  colique.  » 

Le  prince  lui-même  se  moqua  de  sa  «  bizarre  aventure  »  dans  une 
lettre  intime  à  son  ami  le  duc  de  Guiche  2  : 

Lettre  du  duc  du  Maine  au  duc  de  Guiche. 

«  A  Sceaux,  le  14  juin  1711. 

«  Je  vous  assure,  Monsieur,  que  je  ne  doute  en  façon  quelconque  de 
la  sincérité  de  toutes  les  honnêtetés  que  vous  voulez  bien  me  faire  sur 
ma  bizarre  aventure.  Jamais  apoplexie  n'a  été  traitée  si  cavalièrement: 
on  n'a  pas  seulement  daigné  en  dire  un  mot  dans  la  Gazette,  et  l'on  a 
la  dureté  de  me  répandre  la  fausse  et  ignominieuse  réputation  d'avoir 
pensé  crever  d'une  indigestion.  Prenez  mon  parti,  je  vous  en  conjure, 
et  comptez  que  Dieu,  en  me  conservant,  vous  a  conservé,  Monsieur,  un 
serviteur  très  digne  de  votre  amitié.  » 

1.  Note  de  l'annotateur  :  C'étoit  le  sentiment  de  Fa^on. 

2.  Correspondance  du  duc  du  Maine,  2«  registre,  fol.  208. 


472  APPENDICE   XI. 


XI 


PROJET  DE  MARIAGE  DU  JEUNE  PRINCE  DE  ROHAN 
AVEC  UNE  PRINCESSE  DU  SANG 

(Morceau  inédit  de  Saint-Simon'). 

Réflexions  sur  le  bruit  répandu  avec  beaucoup  d'apparence  du 
mariage  du  fils  de  M.  le  prince  de  Rohan  avec  une  fille  de  Madame 
la  Duchesse,  décembre  1711^. 

«  Pour  peu  qu'on  ait  quelque  idée  de  la  situation  de  la  cour  depuis 
quelques  années  et  qu'on  l'ait  suivie  parmi  tous  les  changements  qui 
y  sont  arrivés,  on  découvrira  sans  peine  le  danger  de  ce  mariage  pour 
son  repos,  comme  la  haute  noblesse  du  royaume  y  verra  aisément 
l'accomplissement  entier  de  sa  totale  décadence.  C'est  sur  ces  deux 
matières  que  j'ai  dessein  de  faire  rouler  mes  réflexions,  et  je  laisse  à 
de  plus  capables  l'examen  d'une  troisième  ;  c'est  la  prétention  aussi 
réelle  que  mal  fondée  que  conserve  chèrement  sur  la  Rretagne  la 
maison  de  Rohan,  et  que  tout  montre  constamment  en  elle  des  désirs 
et  des  desseins  très  suivis  de  la  faire  valoir  en  son  temps,  s'il  se  peut 
jamais  trouver  pour  elle. 

«  Je  voudrois  sincèrement  que  ce  qui  regarde  la  cour  se  pût  traiter 
comme  un  raisonnement  sur  de  simples  choses,  et  surtout  qu'il  ne 
fallût  pas  remuer  des  matières  très  désagréables  par  elles-mêmes  ; 
mais  il  se  faut  souvenir  que,  la  cour  étant  toute  occupée  et  animée 
de  divers  intérêts  et  de  vues  continuelles  dans  la  plupart  de  ceux  et  de 
celles  qui  la  composent,  ce  sont  ces  vues,  ces  intérêts  et  la  manière  de 
les  conduire  qui  forment  l'histoire  présente  de  chaque  jour  et  qui 
composent  celle  de  ces  temps,  comme  ce  que  nous  lisons  de  sem- 
blable dans  les  livres  nous  découvre  celle  des  cours  et  des  temps 
passés.  Sans  cette  connoissance,  il  n'est  pas  possible  d'apercevoir  rien 
des  dangers,  des  rapports,  des  convenances  des  choses  ;  c'est  cette 
connoissance  qui  instruit  et  qui  guide  chacun  ;  il  n'est  question  que  de 
l'avoir  exacte,  sans  préjugés  et  sans  scrupule,  puisqu'on  ne  doit  pas  se 
cacher  ce  qui  est  vrai  et  ce  qu'il  est  utile  de  connoître  et  que  la 
charité  n'a  jamais  prescrit  le  mensonge  ni  l'erreur.  C'est  une  légère 
préface,  mais  solide,  ce  me  semble,  que  j'ai  cru  devoir  mettre  au 
devant  de  ces  réflexions  pour  ma  propre  satisfaction,  et  je  puis  dire 
ce  que  je  pense  avec  toute  la  franchise  que  je   dois  et  toute  la  cir- 

1.  Gi-dessus,  p.  275. 

2.  Autographe;  vol.  4o  des  Papiers  de  Saint-Simon,  aujourd'hui 
France  200,  fol.  1-4. 


MARIAGE  DU  JEUNE  PRINCE  DE  ROHAN.      473 

conspection  possible  pour  ne  rien  dire  que  de  très  vrai  et  d'une  vérité 
aussi  exactement  prouvée  qu'il  est  possible,  hors  les  formes  judi- 
ciaires des  procès,  dont  ceci  n'est  pas  susceptible  par  sa  nature. 

«  Avant  les  derniers  changements  arrivés  à  la  cour,  sa  face  présen- 
toit  un  roi  âgé,  affermi  par  un  long  règne  dans  une  même  manière  de 
gouverner,  que  l'ambition  ni  la  faveur  d'aucun  courtisan  n'avoit  jamais 
pu  entamer  sur  rien;  un  ministère  établi  •,  nulle  porte  que  par  cette 
voie  et  nulle  entrée  dans  le  ministère  pour  les  courtisans  ;  un  dauphin 
âgé  pour  ce  titre,  peu  avant  dans  les  affaires,  plus  porté  à  s'en  déchar- 
ger, lorsqu'elles  lui  viendroient,  qu'à  y  travailler  beaucoup  lui-même  ; 
un  duc  de  Bourgogne  plein  d'esprit,  d'application,  de  génie,  de  con- 
noissances,  de  religion,  de  sagesse,  d'une  réputation  éclatante  ;  point 
de  cabale  autour  du  Roi,  dont  les  goûts  affermis  n'étoient  pas  suscep- 
tibles d'attaques  ;  point  de  cabale  autour  de  son  petit-fils,  éloigné  du 
trône  et  très  judicieux  à  peser,  à  mesurer  et  à  examiner,  par  consé- 
quent trop  de  peine  et  trop  peu  de  profit  en  des  cabales  auprès  de  lui  ; 
mais  sur  Monseigneur  fondoient  toutes  les  cabales,  comme  sur  l'héri- 
tier immédiat  et  prochain  et  sur  un  prince  qu'on  jugeoit  susceptible 
d'être  gouverné.  La  plus  ancienne  des  cabales  étoit  celle  de  Mlle  de 
Lillebonne  et  de  Mme  d'Espinoy,  sa  sœur,  l'une  pleine  de  hautes 
pensées  et  de  vastes  projets,  l'autre,  avec  beaucoup  moins  d'esprit, 
plus  propre  par  sa  souplesse  et  son  infatigable  application  à  les  faire 
réussir,  toutes  deux  une  en  tout,  et  mises  en  état  de  tout  par  une 
longue  habitude  avec  Monseigneur,  devenue  intimité  solide,  fruit  de 
celle  de  Mme  la  princesse  de  Conti.  L'aventure  de  Mlle  Choin  ayant 
peu  à  peu  éloigné  Monseigneur  de  cette  sœur,  Mlle  de  Lillebonne  et 
la  sienne  sentirent  tout  aussitôt  que  l'utile  étoit  de  rester  liées  à 
Mlle  Choin  et  ne  balancèrent  pas  à  se  jeter  tout  de  ce  côté,  dont  elles 
fomentèrent  et  facilitèrent  le  commerce  dans  les  premiers  temps  et 
les  plus  secrets,  et  n'eurent  aucun  embarras  de  la  découverte  qu'en  fit 
Mme  la  princesse  de  Conti,  ni  de  la  douleur  extrême  qu'elle  ressentit 
de  voir  une  personne  contre  laquelle  elle  avoit  des  sujets  de  mécon- 
tentement si  vifs  et  si  sensibles  lui  enlever  toute  la  confiance  de 
Monseigneur,  et  de  trouver  dans  Mlles  de  Lillebonne,  ses  plus  intimes 
amies  et  qu'elle-même  avoit  mises  à  ce  point  auprès  de  Monseigneur, 
les  instruments  de  Mlle  Choin  et  le  lien  de  Monseigneur  avec  elle. 
Mme  de  Soubise,  si  habile  dans  l'art  de  la  cour,  amie  de  tout  temps 
de  Mme  de  Lillebonne  et  de  ses  filles,  étoit  l'âme  de  leur  conseil,  et 
son  premier  soin,  dès  que  le  prince  de  Rohan  fut  dans  le  monde  par 
la  mort  de  son  aîné,  fut  de  l'initier  dans  leur  commerce  et  de  l'unir 
étroitement  avec  Mlles  de  Lillebonne,  à  quoi  servit  encore  le  mariage 
de  la  cadette  avec  le  prince  d'Espinoy,  ouvrage  de  Mme  de  Soubise, 
sa  tante.  Monseigneur  s'étant  tourné  du  côté  de  Madame  la  Duchesse, 
Mlles  de   Lillebonne,  je  continuerai    pour   abréger    de   les   nommer 

1.  Establi  est  en  interligne  au-dessus  d'affermi,  biffé. 


474  APPENDICE  XI. 

ainsi  ,  auxquelles  toute  la  confiance  que  Monseigneur  partageoit  entre 
Mme  la  princesse  de  Conti  et  elles  étoit  passée,  n'eurent  garde  de  l'en 
détourner.  Il  falloit  qu'il  s'amusât,  et  il  aimoit  que  ce  fût  hors  de  son 
appartement  à  Versailles  et  à  Marly.  Elles   n'étoient   plus  bien  avec 
Mme  la  princesse  de  Conti  qu'à  l'extérieur,  et  cette  princesse,  réduite 
à  les  ménager  pour  se  conserver  au  moins  les  dehors  de  Monseigneur, 
n'avoit  en  effet  conservé  que  cette  écorce  d'amitié  avec  elles.  Il  étoit 
donc  de  leur  intérêt  de  laisser  Monseigneur  suivre  son  nouveau  goût, 
et  d'y  donner  en  même  temps   assez,    pour  devenir  aussi  amies  de 
Madame  la  Duchesse,  avec  laquelle  il  n'y  avoit  pas  d'obstacle  par 
Mlle  Choin  comme  avec  Mme  la  princesse  de  Conti.  C'est  ce  qui  forma 
ce  triumvirat  puissant  de  Mlle  Choin,  Mlles  de  Lillebonne  et  Madame 
la  Duchesse,  si  uni  et  si  fortement  lié  qu'il  a  justement  fait  la  terreur 
de  la  cour,   et   qu'on  s'attendoit   bien,   comme  on  l'a  vu  par  expé- 
rience, que  rien  ne  seroit  capable  de  désunir  en  rien  durant  la  del- 
phinité  du  prince,   qu'elles  n'avoient  garde  de  dégoûter  par  aucune 
division,  ni  d'embarrasser  par  des  nécessités  de  choix   et  de    préfé- 
rence, réservant  tous  leurs  efforts  particuliers  les  unes  contre  les 
autres  pour  un  temps  futur  auquel    le  timon  des  choses  jetteroit  la 
jalousie  à  qui  s'en  pourroit  emparer  et  se  dépister  les  unes  les  autres. 
C'est  ce  qui  s'est  vu  bien  nettement  par  la  disposition    réciproque 
de  ce  sage  et  si  habile  triumvirat.   Les  plus  intimes  de  Mlle  Choin 
savoient  bien   qu'elle   avoit  plus  d'apparence  que  de  confiance   en 
Mlles  de  Lillebonne,  et  Madame  la  Duchesse  a  essayé  une  seule  fois 
par  voie  de  plaisanterie  un  peu  forte  avec  Monseigneur  de  porter  des 
coups  à  Mlle  Choin,  dont  la  réception  hérissée  lui  fit  comprendre  que 
les  temps  de  la  lutte  n'étoient  pas  encore  arrivés. 

Dans  cet  état  des  choses,  deux  hommes  qui  avoient  continuellement 
lutté  ensemble  pour  la  faveur  de  Monseigneur,  et  aussi  différents  en 
mérite  qu'en  naissance,  pensèrent  à  s'aider  chacun  de  ce  triumvirat 
qui  dominoit  couvertement  la  cour:  le  prince  de  Conti,  éloigné  douce- 
ment par  le  Roi,  mais  présenté  par  Madame  sa  belle-sœur  tant  qu'elle 
avoit  eu  du  crédit,  et  ensuite  par  Madame  la  Duchesse,  d'avec  qui 
une  couronne  ne  l'a  pu  séparer,  et  M.  de  Vendôme,  présenté  par  sa 
propre  audace  et  protégé  du  Roi.  Ces  deux  compétiteurs  s'étoient  plus 
d'une  fois  vaincus  l'un  l'autre  près  de  Monseigneur,  lorsque  M.  de 
Vendôme  sentit  qu'il  avoit  besoin  de  troupes  auxiliaires,  qu'il  avoit 
jusque-là  dédaignées.  A  ce  qui  s'étoit  passé  en  Italie  entre  lui  et 
M.  de  Vaudémont,  on  n'eut  jamais  pensé  qu'il  eût  choisi  ses  nièces  ; 
ce  furent  pourtant  elles  avec  qui  il  se  lia.  La  conduite  de  M.  de  Ven- 
dôme sur  leur  oncle  les  avoit  fait  souvent  trembler.  Toutes  les  avenues 
étoient  fermées  par  leur  adresse  ;  ministres,  officiers,  personne  n'osoit 
se  commettre  avec  elles,  et  Chamillart  trompé  se  persuadoit  tout  ce 
qu'il  leur  plaisoit  et  étoit  '  enfin  à  ce  point  de  ne  plus  rien  voir  que 

1.  Ce  mot,  très  mal  écrit,  est  douteux. 


MARIAGE  DU  JEUNE  PRINCE  DE  ROHAN.      475 

par  les  yeux  de  Vaudémont.  M.  de  Vendôme  restoit  seul,  dont  les 
privances  avec  le  Roi  et  avec  Monseigneur  même  étoient  redoutables, 
parce  qu'il  n'avoit  rien  à  craindre,  par  la  faveur  et  la  grandeur  à 
laquelle  il  avoit  été  successivement  porté.  Mais  il  fut  susceptible  des 
craintes  et  des  mesures  de  l'avenir,  et,  plus  que  tout,  de  cette  jalousie 
ancienne  du  prince  de  Conti  qu'il  voyoit  bien  avec  Mlle  Choin,  dont  il 
n'étoit  connu  que  de  nom  et  pour  l'avoir  vue  autrefois  à  la  cour  sans 
liaison  aucune,  et  de  manière  avec  Madame  la  Duchesse  qu'il  lui  seroit 
toujours  obstacle  et  barrière  à  tout.  C'en  fut  assez  pour  s'unir  étroite- 
ment avec  Mlles  de  Lillebonne  et  leur  oncle  au  retour  d'Italie.  Tous 
étoient  trop  ambitieux  et  y  trouvoient  trop  entièrement  leur  compte 
pour  manquer  cette  réunion.  Le  prince  de  Rohan,  si  un  avec  Mlles  de 
Lillebonne,  s'étoit  déjà  rendu  assidu  auprès  de  Madame  la  Duchesse 
et  y  fut  depuis  puissamment  présenté  par  Mlles  de  Lillebonne.  Initié 
dans  tout  avec  elles  et  indépendamment  d'elles  avec  Mlle  Choin  par  Mme 
de  Soubise,  amie  intime  et  le  conseil  de  cette  tille  jusqu'à  la  mort,  il 
devint  d'autant  plus  aisément  l'âme  du  triumvirat  qu'il  parut  dans  la 
dépendance  de  chacune  de  celles  qui  le  composoient,  que  ses  vues, 
ses  desseins,  une  continuité  infatigable  d'application  et  de  suite  est 
précisément  tout  son  esprit,  qui  ne  se  montre  guères  d'ailleurs  et  ne 
paroît  pas  à  craindre,  ni  presque  exister  au  dehors,  et  que,  tourné 
tout  à  ses  plans,  il  les  suit  sans  relâche  sous  toutes  sortes  de  formes, 
prodigue  soins,  argent  au  jeu  et  en  magnificence,  complaisance  et 
tout  ce  qui  peut  être  en  lui,  et  cependant  ne  prend  pas  moins  de  soin 
à  se  cacher  et  à  ne  paroître  penser  à  rien,  tandis  qu'il  ne  fait  jamais 
un  pas  qui  ne  le  porte  digne  fils  de  Mme  de  Soubise.  M.  de  Ven- 
dôme, réuni  avec  Mlles  de  Lillebonne  et  en  communauté  d'intérêts 
contre  le  prince  de  Conti,  devint  aisément  l'ami  du  prince  de  Rohan, 
comme  il  a  bien  paru  en  Flandres,  et  pensa  à  contrebalancer  le  goût 
de  Madame  la  Duchesse  qui  l'entraînoit  puissamment  contre  lui,  par 
un  mariage  dont  l'intérêt  solide  l'obligeât  au  moins  à  ne  lui  pas  nuire 
et  peu  à  peu  dans  la  suite  à  se  tourner  vers  lui.  Monsieur  le  Duc,  qui 
avoit  aussi  contre  le  prince  de  Conti  des  jalousies  cuisantes  de  plus 
d'une  espèce,  et  qui  pour  cela  même  s'étoit  toujours  conservé  en 
quelque  liaison  avec  M.  de  Vendôme,  fut  celui  par  qui  il  chemina 
pour  le  mariage  de  sa  sœur.  Madame  la  Duchesse  n'osa  rien  dire  ; 
mais  Monsieur  le  Prince  s'emporta  tellement  contre  son  fils  dès  la 
simple  ouverture  qu'il  lui  en  fit,  qu'ils  ne  pensèrent  plus  qu'à  y  faire 
venir  Monsieur  le  Prince  par  le  Roi,  et  que  Monsieur  le  Prince,  qui 
en  eut  lèvent,  fut  deux  ans  sans  venir  à  la  cour  sous  prétexte  de  mala- 
die, de  peur  que  le  Roi  ne  lui  parlât  et  qu'il  n'osât  résister.  Il  devint 
cependant  efTectivement  malade,  et  par  sa  mort  laissa  champ  libre  à 
sa  famille  pour  un  mariage  que  Monsieur  le  Duc  n'a  pas  vu  et  qui 
s'est  accompli  depuis  par  d'autres  raisons  qui  ont  succédé  aux  pre- 
mières, que  les  changements  des  choses  avoient  dissipées. 

«  Tandis  que  toutes  ces  cabales  se  remuoient  de  la  sorte  sous    une 


476  APPENDICE  XI. 

apparente  tranquillité,  la  réputation  de  l'héritier  de  la  couronne  prit 
un  essor  qui  les  troubla.  A  tout  ce  qui  en  a  été  dit  en  le  nommant  au 
commencement  de  ce  discours,  se  joignit  le  succès  de  ses  deux  pre- 
mières campagnes,  où  ses  grandes  qualités,  développées  en  un  champ 
plus  vaste  et  plus  libre  que  la  cour,  charmèrent  les  armées  et,  par  le 
retour  des  officiers  chez  eux,  les  provinces,  et  les  pays  étrangers 
ensuite  par  le  vol  de  la  renommée.  Les  marques  de  courage  solide  et 
vrai,  rehaussées  de  modestie  non  moins  véritable  et  de  ce  naturel  qui 
donne  toujours  le  plus  grand  prix  partout  où  il  se  rencontre,  augmen- 
tèrent iniiniment  les  espérances  des  bons  François  à  Nimègue  et  à 
Brisach,  et  rehaussèrent  l'éclat  des  autres  vertus.  Le  Roi  y  parut 
extrêmement  sensible  ;  Monseigneur  s'y  complut  autant  qu'il  étoit  en 
lui  ;  l'admiration  générale  retentit  de  tous  côtés  ;  la  foule  s'empressa 
autour  du  jeune  prince,  sans  autre  objet  que  le  plaisir  de  le  voir. 
C'en  fut  assez  pour  donner  à  la  puissante  et  paisible  cabale  de  nou- 
veaux soins  et  de  cuisants  soucis.  Je  dis  exprès  la  cabale  ;  car  il  n'y 
eut  qu'un  côté  du  triumvirat  qui  s'en  émut,  et  la  suite  des  choses  le 
montre  avec  évidence.  Ce  côté  fut  la  réunion  nouvelle  déjà  tellement 
cimentée  aux  dépens  des  vérités  d'Italie.  M.  de  Vendôme  et  Mlles  de 
Lillebonne,  fortifiées  de  la  présence  de  leur  oncle,  sentirent  combien 
il  étoit  naturel  que  Monseigneur,  devenu  roi  dans  la  suite  des  temps, 
s'abandonnât  à  la  conduite  d'un  tils  d'un  si  grand  mérite,  que  l'ordre 
de  la  nature  lui  destinoit  pour  successeur,  dont  la  piété  et  la  probité, 
les  principes,  la  conduite  écartoient  toute  crainte,  et  que  tout  appeloit 
d'ailleurs  à  la  connoissance,  et  dès  là  à  la  conduite  des  affaires.  Ils 
comprirent  dès  là  le  renversement  de  leurs  vues,  de  leurs  desseins, 
de  leurs  projets  de  gouvernement  et  du  prince  et  du  royaume,  chacun 
à  part  soi,  et  qu'il  ne  seroit  pas  temps  de  lutter  pour  de  si  grandes 
choses  contre  un  duc  de  Bourgogne  devenu  dauphin,  s'ils  n'y  mettoient 
ordre  de  bonne  heure.  Pour  cela  il  n'y  avoit  de  moyen  que  de  faire 
tomber  cette  réputation  si  bien  établie.  Ce  moyen  étoit  difficile  et  plein 
de  dangers  ;  mais  l'objet  en  étoit  trop  grand,  trop  prochain,  trop  sen- 
sible, après  s'être  tant  donné  de  peine  pour  se  mettre  en  état  d'y 
atteindre  et  s'être  vus  les  mains  dessus,  pour  ne  pas  risquer  pour  se 
le  conserver,  et  ne  pas  employer  le  reste  du  règne  présent  à  préparer 
et  assurer  le  leur  sous  le  règne  qui  naturellement  devoit  suivre.  C'est 
ce  qui  fut  prévu  par  un  courtisan  qui  le  dit  à  un  autre  à  Marly  un 
peu  avant  la  déclaration  de  l'envoi  de  Mgr  le  duc  de  Bourgogne  en 
Flandres  et  de  M.  de  Vendôme  sous  lui'.  Il  assura  qu'en  rien  ils  ne 
s'accorderoient,  et  que,  quelque  raison  qu'eût  l'héritier,  Vendôme 
l'emporteroit  sur  lui  jusque  dans  la  maison  paternelle  et  l'y  terrasse- 
roit.  Le  courtisan  à  qui  cela  fut  prédit  trouva  la  chose  si  étonnante, 
que  les  raisons  du  prophète  l'irritèrent  presque  et  ne  le  persuadèrent 

1.  Ce  courtisan  est  Saint-Simon  lui-même  :    voyez  notre  tome  XVI, 
p.  6  et  suivantes. 


MARIAGE  DU  JEUNE  PRIXCE  DE  ROHAN.      477 

pas.  Le  cours  de  cette  campagne  passé  au  delà  de  toute  idée  possible 
donna  souvent  lieu  au  prophète  de  mettre  le  doigt  sur  la  lettre  à  l'au- 
tre, et  alors  de  s'irriter  ensemble.  Et  voilà  à  quoi  sert  de  savoir  les 
intrigues  des  cours  :  on  infère  des  unes  les  autres,  et  on  découvre  de 
la  connoissance  des  gens  et  de  leurs  liaisons,  de  leurs  vues  et  de 
leurs  intérêts,  ce  qu'ils  seront  capables  premièrement  de  vouloir  et 
puis  de  faire,  et  par  là  on  prévoit  ce  qui  doit  arriver  et  conséquem- 
ment  ce  qu'il  faudroit  faire  ou  éviter.  Durant  cette  campagne,  dont  il 
seroit  trop  amer  et  trop  long  de  rapporter  les  succès  de  cour  et  de 
guerre,  M.  de  Vaudémont  et  ses  nièces,  effrayés  de  voir  la  conduite 
de  la  digne  épouse  du  jeune  prince  opprimé  et  de  Mme  de  Maintenon, 
se  contentèrent  du  silence  en  public,  tandis  qu'en  particulier  les 
nièces  aigrissoient  Monseigneur,  qui,  avec  toute  sa  réserve  accoutu- 
mée, ne  put  se  contenir  par  deux  fois  en  public,  l'une  à  son  grand 
coucher  à  Marly  et  une  autre  fois  à  Versailles,  et  l'oncle  fascinoit  les 
yeux  à  Chamillart,  qui,  persuadé  par  lui  et  impénétrable  à  tout  le 
reste  des  hommes,  plaida  au  Roi  la  cause  de  Vendôme,  affligé  jusqu'à 
l'extrême  de  le  faire,  mais  s'y  fortifiant  contre  tout  événement  par  les 
sentiments  d'honneur,  de  probité,  d'affection  au  Roi  et  à  la  France 
qui  l'ongageoient  à  dire  vérité,  tandis  que  ces  vérités  n'étoient  que 
le  fruit  des  persuasions  et  des  voilements  de  M.  de  Vaudémont,  que 
le  ministre  n'étoit  pas  en  état  de  développer  par  l'excès  de  ses  pré- 
ventions en  faveur  de  cet  homme  connu  publiquement  pour  le  seul 
qui  non  seulement  eiit  de  la  créance  sur  son  esprit,  mais  qui  le 
gouvernoit  par  une  autorité  de  persuasion  jusque  contre  ses  propres 
idées  qui  tenoit  pour  ainsi  dire  du  charme  et  du  surnaturel. 
Mlle  Choin  cependant,  peu  soucieuse  de  ces  choses,  laissoit  faire, 
s'intéressant  néanmoins  en  gros  au  fils  de  Monseigneur,  et  Madame 
la  Duchesse,  que  la  victoire  du  compétiteur  du  prince  de  Conti  n'ac- 
commodoit  pas,  étoit  fâchée  de  ce  qui  se  passoit,  mais  non  pas  jusqu'à 
s'en  faire  une  affaire  auprès  de  Monseigneur  par  rapport  aux  déplai- 
sirs mortels  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  qui  consoloient  la 
haine  que  Madame  la  Duchesse  avoit  amère  contre  elle,  et  qui,  jointe 
à  son  intimité  avec  Monseigneur,  l'avoit  aveuglée  jusqu'à  menacer 
qu'elle  la  perdroit,  jusqu'à  n'y  rien  négliger  et  jusqu'à  mille  autres 
excès  surprenants,  dans  la  confiance  de  sa  toute-puissance,  qui  feroient 
descendre  dans  trop  de  petits  détails  et  qui  sont  connus. 

«  Le  retour  de  la  campagne  produisit  un  changement  dans  la  situa- 
tion du  duc  de  Vendôme  uniquement  dû  à  Mme  la  duchesse  de  Bour- 
gogne, qui  lui  fit  un  honneur  qui  ne  mourra  jamais.  La  conduite  de 
ce  duc  fit  bien  voir  jusqu'à  quel  point  il  avoit  lieu  de  compter  sur 
Monseigneur,  puisqu'il  osa  se  retrancher  dans  Meudon  contre  Marly 
et  remplir  Anet  de  propos  qui  couroient  après  par  les  provinces  et 
par  les  cafés  et  les  marchés  de  Paris,  qu'il  suffit  de  citer  simplement 
ici.  Il  fallut  donc,  après  un  assez  long  temps,  un  nouvel  effort  de 
l'admirable  princesse  pour  arracher  Vendôme  de  l'asile  qu'il  s'étoit 


478  APPENDICE  XI. 

fait,  et  ce  fut  ce  nouveau  coup  et  le  soutien  de  cette  même  conduite 
dans  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  qui  troubla  la  douceur  du  repos 
que    goûtoit  la  cabale  d'avoir  opprimé   Mgr   le  duc  de   Bourgogne. 
Cependant  on  comptoit  les  jours  du  règne  présent  ;  on  les  employoit 
tous  à  semer  dans  l'esprit  de  Monseigneur  tout  ce  qui  le  pourroit  éloi- 
gner de  sa  belle-fille,  et  cet  éloignement,  à  diverses  fois  ménagé  pour 
réussir  sans  cependant  rien  risquer,  avoit  fait  de  tels  progrès,  que  les 
derniers   temps   de  la  vie  de  Monseigneur  ont  été  continuellement 
marqués  d'un  éloignement,  jusqu'à  quelque  chose  de   plus  fort,  de 
Monseigneur  pour  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne,  sans  que  ses  soins, 
ses  complaisances  jusqu'au   travail   sans  se  rebuter  de  rien,  aient  pu 
amortir  des  impressions  si  continuellement  et  si  solidement  gravées 
dans  l'esprit  de  Monseigneur.  C'étoit  précisément  le  but  de  la  cabale. 
La  piété,  la  charité,  la  bonté  de  Mgr  le  duc  de  Bourgogne,  peut-être 
poussées  au-delà  des  justes  bornes,  avoient  ôté  toute  crainte  de  lui  et 
mis  quelque  chose  en  sa  place  dont  nul  prince  ne  mérita  jamais  d'être 
plus  éloigné  que  lui.   On  ne  craignoit  donc  que  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  et  on  se  mettoit  de  plus  en  plus  en  état  de  la  faire  crain- 
dre elle-même.  Ainsi  on  demeuroit  tranquillement  attentifs  en  atten- 
dant un  changement  de  règne.  Cependant  la  mort  de  M.  le  prince  de 
Conti,  de  Monsieur  le  Prince  et  de  Monsieur  le  Duc  frayèrent,  quant 
aux  deux  premiers,  le  chemin  du  mariage  au  duc  de  Vendôme,  qui, 
dans  son  état  de  disgrâce,  songeoit  pour  lors  également  à  se  soutenir 
en  attendant  les  temps  et  à  appuyer  son  rang  par  cette   alliance.   Il 
espéroit  trouver  Madame  la  Duchesse  moins  contraire  depuis  la  mort 
du  prince  de  Conti,  et,  si  celle  de  Monsieur  le  Duc  lui  ôta  son  appui 
pour  le  mariage,  celle  de  Monsieur  le  Prince  mit  le  duc  du  Maine  au 
large  pour  le  conclure  à  l'insu  et  comme  malgré  toute  la  famille.  Ce 
duc  étoit  le   bras  droit  de  Vendôme,    son  appui  dans  tous  les  temps 
envers  et  contre  tous.  L'union  de  la  même  origine  et  des  mêmes  pré- 
tentions, que  depuis  M.  du  Maine  a  encore  plus  étendues,  les  avoient 
étroitement  liés,  et  jusqu'au  Grand  Prieur  avec  eux  tant  qu'il  est  resté 
en  France.  Rien  ne  se  faisoit  sans  le  conseil  et  la  participation  de 
M.    du    Maine  sur  tout  ce   qui    regardoit  M.  de  Vendôme  ;  par  lui 
passoient  les  choses  les  plus  secrètes,  et  le  souvenir  des  vérités  de 
Nimègue  le  laissoit  agir  encore  plus  au  large  dans  quelque  occasion 
que  ce  pût  être  et  contre  qui  que  ce  pût  être   en  faveur  du  duc  de 
Vendôme,  qu'il  regardoit  d'ailleurs  comme  très  propre  à  le  raccom- 
moder avec  Madame  la  Duchesse  dans  les  suites  après  la  tin  de  leurs 
procès,  lorsque  cependant  les  intérêts  de  cour  et  Mlles  de  Lillebonne 
auroient  bien  remis  M.  de  Vendôme  avec  elle.  En  même  temps  tomba 
sur  Madame  la  Duchesse  la  bombe  du  mariage  de  M.  le  duc  de  Berry 
que,    par  adresse  et  à  force  ouverte,   elle  prétendoit  pour  Mlle  de 
Bourbon,  à  quoi   Monseigneur  étoit   engagé   par  tout   le   triumvirat 
ensemble  et  qui  résista  au  Roi  sur  cette  affaire  plus  qu'il  n'avoit  fait 
en  toute  sa  vie  sur  aucune. 


MARIAGE  DL'  JEUNE  PRINCE  DE  ROHAN.      /.79 

«  C'est  proprement  là  l'époque  des  pensées  du  prince  de  Rohan 
pour  le  mariage  de  son  fils  avec  une  fille  de  Madame  la  Duchesse.  Dé- 
livré de  Monsieur  le  Duc,  à  qui  personne  n'en  eût  osé  hasarder  la 
proposition,  délivré  de  M.  le  duc  de  Berry.  dont  l'entrée  dans  cette 
famille  eût  pu  former  un  obstacle,  il  commença  à  croire  qu'un  fils 
unique  avec  rang  de  prince  et  plus  de  cent  mille  écus  de  rente  pouvoit 
aspirer  à  une  princesse  du  sang  que  les  procès  de  sa  famille  rédui- 
soient  à  deux  cent  mille  livres  de  bien,  dès  que  le  duc  de  Vendôme, 
avec  un  bien  fort  obéré,  une  santé  très  suspecte  et  une  situation  très  peu 
avantageuse,  en  venoit  d'épouser  la  tante  paternelle  avec  plusieurs 
millions.  Il  n'y  avoit  plus  de  princes  du  sang  qu'enfants,  et  leur  nom- 
bre ne  pouvoit  suffire  au  quart  de  l'établissement  de  dix  filles  prin- 
cesses du  sang  toutes  de  différents  âges.  Personnellement  et  de  longue 
main  intime  de  Madame  la  Duchesse  chargée  de  quatre  filles,  intime, 
comme  j'ai  dit,  de  Mlles  de  Lillebonne  et  un  autre  elles-mêmes,  bien 
avec  Mlle  Choin  au  dernier  point  par  feu  Mme  de  Soubise.  et  par  lui 
conséquemment  en  état  de  tout,  et  de  soi  et  par  ces  appuis,  auprès  de 
Monseigneur,  il  bannit  tout  autre  mariage  pour  son  fils  de  sa  pensée, 
sûr  de  M.  de  Vendôme  et  délivré  surtout  de  M.  le  prince  de  Conti. 

«  La  mort  de  Monseigneur,  qui  a  changé  toute  la  face  de  la  cour  et 
donné  au  triumvirat  la  plus  terrible  secousse  qu'il  pût  recevoir,  a  pour 
ainsi  dire  ôté  les  serrures  de  dessus  les  yeux  et  les  bouches  à  l'égard  du 
nouveau  dauphin,  et  le  scellé  rais  en  1708  s'est  de  soi-même  et  tout  à 
coup  levé  en  1744.  Dans  cette  nouvelle  situation  des  choses,  le  reste 
du  triumvirat,  revenu  du  premier  étourdissement,  s'est  réuni  de  plus 
en  plus  ;  il  a  tout  espéré  de  la  religion  de  Monsieur  le  Dauphin  et  de 
ses  pratiques  peut-être  excessives.  Miles  de  Lillebonne,  cédant  au 
temps,  prennent  dans  la  cadette  et  vont  prendre  dans  l'aînée  toutes 
sortes  de  formes  pour  plaire  au  soleil  levant  ;  leur  prince  de  Rohan, 
qui,  à  tout  hasard  et  pour  avoir  un  pied  partout,  a  toujours  cultivé 
Madame  la  Dauphine,  s'y  jette  de  plus  en  plus  en  assiduités,  en  com- 
plaisance, en  jeu,  et  M.  du  Maine,  qui  compte  sur  cette  même 
piété  de  Monsieur  le  Dauphin  et  peut-être  sur  quelque  légèreté  dans 
Madame  la  Dauphine,  maintenant  qu'elle  n'a  plus  rien  à  craindre,  fait 
toutes  sortes  de  batteries  et  ouvre  des  tranchées  de  toutes  parts  pour 
s'approcher  de  l'un  et  de  l'autre  sans  montrer  encore  son  duc  de  Ven- 
dôme en  croupe.  Madame  la  Duchesse  d'abord  affligée,  puis  gaie  de 
commande  sur  un  mot  du  Roi  à  Mlle  de  Tourbes  et  Mme  de  Bouzols 
dans  le  jardin  de  Marly,  se  donne  toute  aux  plaisirs  et  ne  s'approche 
point  de  Madame  la  Dauphine  avec  son  ordinaire  abri  de  frivole  pour 
cacher  ses  desseins,  tandis  que  d'Antin,  son  pilote  de  cour,  embar- 
rassé pour  lui-même  sur  l'avenir,  s'épuise  en  fêtes,  en  jeu,  en  com- 
plaisance, en  hasards  de  rebuts,  pour  circonvenir  Madame  la  Dauphine 
et  puis  Monsieur  le  Dauphin,  pense  à  s'ancrer  pour  soi,  en  est  peut-être 
très  proche,  sans  que  ceux  dont  il  s'agit  s'en  aperçoivent  ;  après  quoi 
Madame  la  Duchesse  paroîtra  en  son  temps.  Tels  sont  les  projets,  et 


480  APPENDICE  XI. 

les  démarches  qui  ont  vérifié  de  point  en  point  les  uns  et  qui  vérifient 
les  autres,  et  qui  montrent  à  la  cour,  au  lieu  du  triumvirat  passé 
avec  sa  cause,  une  autre  cabale  terrible  dont  les  principaux  acteurs 
sont  liés  de  tout  temps  et  dont  aucun  n'est  en  rien  médiocre,  et  qui 
tous  ont  été  dans  les  intérêts  et  dans  les  exécutions  continuelles  les 
plus  dommageables  à  la  cour  et  à  l'Etat  et  les  plus  opposés  à  Monsieur 
le  Dauphin  d'aujourd'hui  et  à  Madame  la  Dauphine,  qui,  chose  de  sa 
nature  incroyable  et  de  sa  nature  impossible,  mais  dans  son  effet  vi- 
sible et  palpable  très  vraie,  en  ont  été  profondément  perdus,  et,  avec 
le  Roi  pour  eux,  n'en  sont  sortis  que  par  une  disposition  singulière  de 
la  Providence  qui  n'étoit  pas  dans  l'ordre  de  la  nature.  C'est  donc 
avec  ces  considérations  qu'il  est  important  de  peser  si  le  mariage  dont 
il  est  question  est  bon  ou  dangereux  à  laisser  faire,  auxquelles  on 
peut  ajouter  celle  des  établissements  qui  sont  déjà  entre  les  mains  de 
cette  cabale,  outre  leurs  biens  immenses,  et  les  biens  et  les  établisse- 
sements  que  le  prince  de  Rohan  et  son  frère  y  apportent  de  nouveau 
en  scellant  la  cabale  par  ce  mariage,  qui  se  peut  sans  excéder  appeler 
redoutable.  Il  y  auroit  vaste  matière  à  grossir  infinement  ces  justes  ré- 
flexions ;  mais  celles-ci  suffisent  pour  présenter  succinctement  les 
choses  comme  elles  sont.  Passons  maintenant  aux  autres  qui  regardent 
la  haute  noblesse  du  royaume,  et  par  conséquent  la  France  et  ses  rois  ; 
comme  il  n'i^  a  que  des  choses  sans  récit  et  sans  détail,  elles  seront 
très  courtes 

«  Rien  n'est  naturellement  moins  extraordinaire  que  le  mariage  dont 
il  s'agit,  et  il  ne  faut  pas  être  fort  instruit  pour  savoir  que  les  alliances 
du  sang  des  rois  avec  la  haute  noblesse  du  royaume,  soit  par  mâles, 
soit  par  femelles,  ont  toujours  été  si  usitées  et  si  fréquentes,  que  tout 
est  encore  rempli  en  France  de  seigneurs  sortis  de  ces  princesses, 
et  que  toute  la  maison  régnante  sort  aussi  de  demoiselles,  pour  ne 
parler  plus  des  autres  branches  de  cette  même  maison  qui  se  sont 
éteintes,  les  unes  sur  le  trône,  les  autres  sans  y  être  arrivées.  La  conti- 
nuation de  cet  usage  seroit  un  si  grand  honneur,  qu'on  seroit  bien 
éloigné  de  le  combattre,  s'il  étoit  espérable  ;  mais  les  choses  ont  telle- 
ment changé  de  toutes  les  manières  depuis  son  interruption  première 
naturelle,  et  dans  la  suite  affectée,  que  la  haute  noblesse  ne  peut  plus 
se  flatter  d'y  atteindre  et  qu'elle  ne  peut  voir  sans  une  vive  douleur 
que,  si  quelques-uns  de  son  corps  y  parviennent,  ce  ne  soit  qu'à  titre 
de  n'en  être  plus.  Après  avoir  examiné  courtement  ces  deux  vérités 
affligeantes,  il  s'en  trouvera  résulter  une  troisième  par  rapport  à  l'in- 
térêt du  Roi  et  de  l'Etat. 

«  La  véritable  époque  de  la  cessation  des  alliances  mutuelles  du 
sang  royal  avec  la  haute  noblesse  ne  se  peut  établir  qu'au  temps  de  la 
réduction  de  la  maison  régnante  à  trois  têtes,  ce  qui  arriva  après  la  tin 
des  restes  de  la  Ligue.  Henri  IV,  le  prince  de  Condé  et  le  comte  de 
Soissons  demeurèrent  seuls,  et,  bien  que  les  deux  princes  du  sang 
épousassent  deux  demoiselles,  on  ne  vit  plus  de  filles  de  princes  du 


MARIAGE  DU  JEUNE  PRINCE  DE  ROHAN.      481 

sang  épouser  des  seigneurs,  parce  que  leur  rareté  les  rendoit  meil- 
leurs et  plus  désirables  partis.  On  a  seulement  vu  de  nos  jours  M.  de 
Longueville  épouser  deux  princesses  du  sang  l'une  après  l'autre  ;  mais 
on  en  a  su  les  causes,  outre  que  les  avantages  dont  il  jouissoit,  très 
distingués  alors,  très  médiocres  pour  le  temps  d'aujourd'hui,  le  ren- 
doient  plus  digne  de  ces  hautes  alliances.  Mme  de  Guise,  sortie  d'un 
mariage  très  longuement  contesté  et  jamais  goûté,  d'ailleurs  fort  défi- 
gurée, tille  d'une  Lorraine,  et  Mademoiselle,  sa  sœur  d'un  autre  lit, 
dont  on  sait  l'histoire,  sur  laquelle  le  Roi  daigna  honorer  toute  sa 
haute  noblesse  par  une  lettre  qu'il  écrivit  à  tous  ses  ambassadeurs 
pour  déclarer  que  la  rupture  du  mariage  de  M.  de  Lauzun  n'étoit 
fondée  que  sur  sa  personne  et  point  sur  sa  naissance,  on  n'a  point  vu 
depuis  d'autres  alliances  du  sang  royal  avec  les  seigneurs  du  royaume. 

«  Pour  peu  qu'on  fasse  d'attention  à  la  différence  des  temps,  on 
verra  sans  peine  toutes  les  causes  qui  ôtent  pour  jamais  à  la  haute  no- 
blesse l'espérance  de  i-evenir  à  l'alliance  du  sang  royal.  Du  temps 
qu'elles  étoient  communes,  les  princes  du  sang  n'avoient  de  rang  que 
celui  de  leurs  dignités  et  de  leurs  charges,  et  ensuite,  sous  les  der- 
niers Valois,  les  premiers  rangs  parmi  les  pairs,  dont  plusieurs 
étoient  des  seigneurs  comme  ceux  d'aujourd'hui.  Il  y  avoit  donc  une 
disproportion  bien  moins  sensible  entre  les  princes  du  sang  et  les 
grands  seigneurs,  même  sans  titre,  et  par  cela  même  une  bien  plus 
plus  grande  facilité  pour  s'allier. 

«  Chacun  vivoit  dans  ses  terres.  La  cour  n'étoit  habitée  que  par  les 
grands  ou  moindres  officiers,  et  de  temps  en  temps,  les  grands  seigneurs 
y  venoient  rendre  leurs  respects.  Du  reste,  ils  vivoient  chez  eux  avec 
abondance  des  fruits  de  leurs  biens  et  avec  splendeur  au  milieu  d'un 
grand  domestique  et  d'un  diminutif  de  cour  de  leurs  voisins  et  de  leurs 
vassaux.  Chacun  se  connoissoit  alors,  et  ce  n'est  point  exagérer  que 
dire  qu'il  y  avoit  plus  de  différence  entre  un  grand  seigneur  et  un 
autre  seigneur  moindre,  quoique  distingué  aussi  en  naissance  et  en 
biens,  qu'il  n'y  en  a  maintenant  entre  un  officier  de  la  couronne  et  un 
bourgeois  à  son  aise  sans  emploi.  Ainsi  donc  une  princesse  du  sang 
étoit  bien  mariée  à  un  grand  seigneur.  Les  rangs,  rares  et  d'ailleurs 
peu  sensibles  par  la  .séparation  de  chacun  chez  soi,  compensée  d'ail- 
leurs par  la  justice  exacte  que  chacun  se  faisoit  et  qu'il  n'étoit  alors  ni 
sûr,  ni  en  usage,  de  ne  se  point  faire,  n'étoient  pas  des  obstacles  à 
ces  alliances,  bien  moins  encore  la  considération  du  rang  des  enfants 
sortis  de  ces  mariages. 

«  Cette  justice  réciproque  et  cet  état  certain  de  chacun  fondé  sur  la 
réalité  effective  de  son  état  conservoit  alors  les  grandes  maisons  et  les 
maisons  considérables  et  anciennes,  mais  inférieures,  et  ainsi  toutes 
par  étages,  dans  leur  splendeur  entière  par  des  alliances  égales  à  peu 
près  et  par  une  suite  de  mères  qui  décoroient  beaucoup  la  généalogie 
paternelle.  Rien  donc  de  commun  dans  les  alliances  de  ces  maisons 
principales,  et  rien  dans  leur  parenté  qui  pût  déplaire  à  une  princesse 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMOX.    XXI  31 


482  APPENDICE  XI. 

du  sang  entrée  dans  leur  famille.  Tout  se  soutenoit,  rangs  entre  eux, 
considération,  biens,  noblesse,  alliances;  tout  se  répondoit;  tout  étoit 
digne  et  capable  d'être  mêlé  au  sang  royal. 

«  Peu  ou  point  de  luxe,  sinon  dans  des  occasions  si  rares  qu'elles 
ne  pouvoient  incommoder,  peu  d'impôts,  peu  de  gens  à  les  lever,  nuls 
à  s'en  engraisser.  De  là  tout  à  bon  marché  et  en  abondance  par  la  faci- 
lité du  commerce,  moins  de  besoins  réels  que  la  mollesse  et  l'habitude 
se  forment,  moins  de  ces  autres  besoins  de  bienséance  que  l'exemple 
fait  naître,  alors  entièrement  inconnus.  Subsistance  facile  du  produit 
en  espèces  des  terres  qu'on  habitoit,  conséquemment  abondance  en- 
tière, sortie  des  mêmes  sources  qui  ne  suffisent  plus  maintenant  aux 
moindres  entretiens,  tellement  que  le  même  homme  avec  les  mêmes 
fonds  ne  peut  plus  approcher  des  mêmes  entretiens  et  du  même  état  de 
son  bisaïeul,  qui  sutïisoit  de  reste  à  l'entretien  d'une  princesse  du  sang, 
et  qui  maintenant  ne  payeroit  pas  ses  seuls  habits. 

«  De  cette  diminution  de  biens  et  de  cette  augmentation  de  dé- 
pense, de  nécessité  et  de  luxe,  sont  sortis  ces  mariages  monstrueux 
qui  de  ce  règne  ont  infecté  les  plus  grandes  maisons  et  n'en  ont  laissé 
aucune  entière,  et,  s'il  est  permis  de  se  servir  de  ce  terme  consacré, 
comme  un  abîme  invoque  un  autre  abîme  \,  d'une  mésalliance  s'en 
forme  une  autre,  et  le  peuple  le  plus  abject  s'est  mêlé  avec  la  plus 
haute  noblesse,  tellement  qu'une  princesse  du  sang  qui  épouseroit 
maintenant  les  plus  grands  seigneurs  compteroit  souvent  parmi  ses 
parents,  et  les  plus  proches,  autant  de  lie  que  de  gens  de  qualité,  et 
d'ailleurs  ne  trouveroit  pas  un  entretien  dont  elle  se  pût  passer  qui  ne 
ruinât  son  mari  et  ne  mît  ses  enfants  dans  des  détresses  d'autant  plus 
fâcheuses,  que  les  nuances  d'une  princesse  du  sang  à  une  tille  de  basse 
robe  ou  de  finance  seroient  étranges,  et  les  autres  moins  honteuses, 
embarrassantes  et  d'un  médiocre  soulagement. 

«  En  voilà  donc  trop  pour  n'ôter  pas  toute  espérance  à  la  haute  no- 
blesse de  se  remêler  plus  avec  le  sang  des  Rois  :  4"  état  nouveau 
porté  dans  les  nues  pour  le  sang  royal  ;  2°  abaissement  et  confusion 
de  toute  la  haute  noblesse  ;  3°  rangs  recherchés,  marqués  sans  dé- 
dommagements anciens,  multipliés,  ditïéremment  dispensés  ;  4°  vie  à 
part  distinguée,  honorée,  abondante,  maintenant  confondue  sous  toute 
main,  souvent  tombée  en  indigence,  au  moins  presque  jamais  sans 
malaise;  5°  luxe,  diminution  de  biens,  vie  errante,  augmentation  de 
charges  ;  6'^  mésalliances  qui  ont  tout  empoisonné,  défiguré,  désho- 
noré. Nulle  espérance  d'aucun  rétablissement,  et,  quand,  par  impos- 
sible, il  y  en  auroit,  la  réédification  est  toujours  plus  longue  que  la 
destruction,  et  combien  faudroit-il  d'années  pour  réparer  tant  de  maux 
et  purifier  tant  de  sang  illustre  que  près  d'un  siècle  ont  comme  anéanti, 
et  pour  remettre  la  haute  noblesse  en  possibilité  et  en  mesure  de  re- 
tourner à  ses  premières  alliances  avec  les  princesses  du  sang  ? 

1.  Ahyssus  abyssum  invocat  (Psaume  XLI,  verset  8). 


MARIAGE  DU  JEUNE  PRINCE  DE  ROHAN,     483 

«  Que  si  c'est  une  des  plus  sensibles  douleurs  et  une  des  plus  fu- 
nestes chutes  qui  aient  pu  arriver  à  la  haute  noblesse,  que  de  se  voir 
privée  de  ces  alliances,  quel  surcroît  d'ignominie  ne  seroit-ce  point 
pour  elle  que  d'en  voir  revenir  l'usage  en  faveur  d'une  espèce  de  gens 
qui,  peu  à  peu  sortis  dextrement  de  son  sein,  se  sont  établi  de  ce 
règne  des  honneurs,  des  distinctions,  des  rangs  que  toute  politique 
redoute,  que  toute  justice  réprouve,  que  toute  vérité  anéantit,  que 
tout  exemple  confond,  que  les  lois  ignorent  jusqu'à  maintenant  avec 
constance,  dont  les  sources  et  les  appuis,  et  souvent  jusqu'à  l'usage 
même  ne  sont  que  félonie  suivant  les  moyens,  et  dont  l'existence  in- 
cite puissamment  ses  semblables,  c'est-à-dire  toute  la  haute  noblesse, 
par  une  tentation  continuelle  et  par  un  cri  puissant  à  une  imitation 
dangereuse  pour  arriver  aux  dépens  des  Rois  et  de  la  France  au  même 
état  que  ces  princes  factices  et  par  les  mêmes  chemins  qu'eux.  Il  ne 
s'agit  pas  maintenant  de  prouver  ces  tristes,  mais  importantes  vérités, 
qui  se  trouvent  brèvement  ramassées  dans  un  mémoire  exprès  ;  mais 
on  ne  peut  se  dispenser  de  mettre  ici  en  gros  cette  considération  de- 
vant les  yeux  pour  montrer  combien  il  seroit  douloureux  à  la  haute 
noblesse,  exclue  désormais  des  alliances  du  sang  royal,  de  les  voir  re- 
commencer et  à  ses  dépens  avec  une  autre  sorte  d'hommes  de  son  es- 
pèce radieux  de  l'avoir  abdiquée,  consolider  par  le  péril  même  des  routes 
qu'ils  ont  tenues  pour  arriver  à  ce  point,  élever  sur  elle  par  un  rang 
prodigieux,  et  former  entin  comme  un  plancher  solide  et  impénétrable 
par  ces  alliances  entre  la  maison  .régnante  et  elle,  à  la  suite  de  laquelle 
elle  avoit  jusqu'ici  coutume  de  venir  sans  intervalle.  Ainsi  la  haute 
noblesse,  dépouillée  par  degrés  et  en  bien  peu  d'années,  depuis  avoir 
porté  seule  Henri  IV  sur  le  trône  de  ses  ancêtres,  dépouillée,  dis-je, 
de  sa  considération  dans  ses  terres,  de  sa  demeure  dans  ses  terres,  de 
sa  distinction,  de  la  pureté  de  son  sang  par  les  mésalliances,  de  ses 
biens,  de  l'honneur  de  se  mêler  avec  le  sang  royal,  de  toute  raison- 
nable espérance  d'y  revenir,  entin  confondue  et  presque  anéantie  sous 
toutes  sortes  de  besoins  et  de  mains,  a  vu  former  par  les  voies  les 
plus  criminelles  des  rangs  inconnus,  se  consolider  sur  elle  en  faveur 
de  ceux  de  ses  membres  qui  maintenant  sont  honteux  de  l'avoir  été, 
et  verroit  encore  se  former  par  eux  à  l'abri  de  l'alliance  des  princesses 
du  sang  un  étage  entre  ce  sang  et  la  haute  noblesse  pour  l'en  séparer  à 
jamais. 

«  Ces  choses  sautent  tellement  aux  yeux  qu'elles  n'ont  pas  besoin 
d'être  plus  expliquées,  et  sont  de  nature  à  se  faire  si  bien  sentir  qu'il 
seroit  inutile  d'en  presser  davantage  le  trop  véritable  et  trop  solide 
raisonnement.  Ce  sont  de  ces  vérités  nues  que  leur  simplicité  fortitie, 
à  laquelle  il  les  faut  abandonner  et  qui  ne  peuvent  que  perdre  et  frap- 
per moins  par  l'ofTusquement  des  paroles.  Pour  peu  qu'elles  se  fassent 
sentir,  il  en  résulte  bien  naturellement  une  autre,  qui  est  que  ce  qui 
décourage,  ce  qui  achève  l'abattement,  l'avilissement,  la  destruction 
d'espérance  de  toute  la  haute  noblesse,  ce  qui  d'autre  part  en  même 


484  APPENDICE  XI. 

temps  la  pique  d'une  émulation  vive  et  puissante,  ce  qui  la  tente,  ce 
qui  ne  lui  présente  que  des  chemins  pertides,  mais  heureusement 
frayés  par  d'autres  pour  arriver  à  ce  but  qui  les  irrite  et  les  séduit 
par  l'exemple,  ne  peut  être  utile  au  Roi  ni  à  l'Etat,  quelque  avantage 
qui  puisse  être  proposé  en  compensation,  qui  même  sur  le  fait  pré- 
sent n'existe  pas,  et  ne  va*  qu'à  débarrasser  Madame  la  Duchesse 
d'une  de  ses  tilles  non  moins  dangereusement  pour  l'intérieur  de  la 
cour  que  dommageablement  pour  l'Etat  en  général  et  amèrement  pour 
tout  ce  qui  en  fait  les  vraies  et  saines  parties,  comme  il  vient  d'être 
représenté  succinctement  par  les  considérations  très  abrégées  de  ce 
mémoire.  » 

1.  11  y  a  dans  le  manuscrit  ne  vont  et  n'exislenl  pas,  comme  si  avan- 
tage était  au  pluriel. 


LA   MALADIE  DE  LA   REINE  D'ESPAGNE.       AHf 


XII 

LA  MALADIE  DE  LA  REINE  D'ESPAGNE» 

La  reine  d'Espagne  à  Louis  XI V'. 

«  A  Yitoriii,  ce  28'  novembre  1710. 

«  Ayant  éprouvé  toutes  sortes  de  remèdes  pour  guérir  des  glandes 
que  j'ai  depuis  quatre  ans  très  inutilement,  et  craignant  qu'elles  ne 
grossissent  assez  à  l'avenir  pour  me  déligurer,  j'ai  trop  d'intérêt  à  ne 
le  pas  être  par  rapport  au  roi  et  à  nos  sujets,  pour  manquer  à  cher- 
cher le  seul  remède  que  tous  les  médecins  m'ont  assuré  être  le  plus 
sur,  qui  sont  les  bains  et  les  eaux  chaudes.  C'est  par  cette  raison,  que, 
me  trouvant  à  cinquante  lieues  de  Ragnères,  j'ai  cru  devoir  profiter  de 
cette  occasion  pondant  que  je  ne  puis  être  auprès  du  roi  et  que  je  ne 
lui  suis  ici  d'aucune  utilité.  C'est  ce  qui  m'a  obligé  à  savoir  de  lui  et 
de  M.  de  Vendôme  ce  qui  leur  sembloit,  et  l'ayant  fort  approuvé,  il 
ne  me  reste  plus  qu'à  vous  supplier  de  me  donner  votre  approbation. 
On  trouvera  peut-être  que  la  saison  où  nous  sommes  n'est  pas  favora- 
ble comme  le  printemps  et  l'automne;  mais  la  nécessité,  comme  Votre 
Majesté  sait,  fait  prendre  des  partis  forcés.  Je  sais  néanmoins  que  les 
peuples  d'alentour  de  Ragnères  prennent  d'ordinaire  ces  bains,  qu'ils 
croient  tout  aussi  bons,  tout  l'hiver,  et  qu'ils  s'en  trouvent  bien.  Je 
serai  obligé  de  mener  mon  tils  avec  moi.  Comme  il  est  fort  et  robuste 
et  que  nous  le  mettrons  dans  une  bonne  litière,  où  il  n'aura  point  de 
froid  en  passant  les  montagnes,  j'espère  que  cela  ne  lui  fera  aucun 
mal  et  que  nous  reviendrons  tous  en  bonne  santé,  sans  que  cela  me 
retarde  le  plaisir  de  revoir  le  roi,  puisqu'il  veut  rester  à  son  armée 
jusqu'à  ce  qu'il  voie  que  les  ennemis  se  soient  entièrement  retirés  et 
peut-être  réduits  à  se  désister  de  leur  injuste  entreprise.  Comme  le 
duc  de  Vendôme  croit  que  nos  affaires  n'ont  point  été  en  meilleur 
état  qu'elles  sont,  je  m'en  irai  sans  inquiétude  ;  mais  les  Espagnols, 
qui  sont  naturellement  un  peu  soupçonneux  et  dont  le  zèle  est  extrême 
pour  nous,  aimeroient  peut-être  mieux  que  je  ne  misse  pas  le  pied  en 
France. 

«  Pour  moi,  je  me  lie  entièrement  à  vous,  et  je  serois  bien  fâché 
d'avoir  la  moindre  détiance,  persuadée  que  rien  au  monde  ne  seroit 
capable  de  vous  obliger  à  me  retenir  dans  votre  royaume.  Je  vous 
supplie  néanmoins  de  m'honorer  d'une  réponse  le  plus  promplement 

1.  Ci-dessus,  p.  322. 

2.  Affaires  étrangères,  vol.  Espayne  203,  fol   452,  copie 


48fi  APPENDICE  XII. 

qu'il  vous  sera  possible  de  votre  main,  que  je  puisse  montrer  aux 
seigneurs  qui  m'ont  suivie.  Encore  une  fois,  je  répète  à  Votre  Majesté 
que  je  ne  me  pardonnerois  pas  moi-même  s'il  m'avoit  passé  un 
moment  par  la  tête  la  moindre  pensée  qui  fût  contre  sa  gloire  et  la 
tendresse  que  le  roi  son  petit-tils  et  moi  nous  flattons  que  vous  avez  pour 
nous.  Plût  à  Dieu  que  nous  fussions  les  uns  et  les  autres  assez  tran- 
quilles pour  que  je  pusse  vous  aller  rendre  une  visite  à  Marly,  y 
embrasser  ma  sœur  de  tout  mon  cœur  et  y  jouir  en  si  bonne  compa- 
gnie des  plus  délicieux  lieux  du  monde  que  vous  y  avez  faits.  L'idée 
seule  m'en  ravit  ;  jugez  de  ce  que  ce  seroit  si  la  chose  étoit  réelle. 
Conservez-moi,  je  vous  supplie,  un  peu  de  part  dans  votre  amitié. 

«  Marie-Louise.  » 

La  princesse  des  Ursins  au  duc  de  Vendôme^. 

«  A  Vitoria,  le  18  novembre  1710  2. 

«  La  reine,  Monsieur,  écrit  ce  soir  au  roi  sur  une  affaire  qui 
regarde  sa  santé,  et  dont  elle  m'ordonne  de  vous  informer  aussi  afin 
que  vous  me  fassiez  l'honneur  de  m'en  mander  votre  sentiment  avec 
cette  sincérité  qui  vous  est  si  naturelle,  et  qui  est  si  estimable.  S.  M. 
Monsieur,  s'apercevant  que  les  glandes  qu'elle  a  depuis  longtemps, 
et  pour  lesquelles  elle  a  fait  plusieurs  remèdes  inutiles,  s'augmentent 
plutôt  que  de  diminuer,  croit,  sur  le  rapport  des  médecins,  que,  si 
elle  en  peut  guérir,  ce  sera  en  prenant  des  eaux  et  des  bains  chauds 
qui  fondent  et  dissipent  les  humeurs  qui  causent  ces  sortes  de  maux, 
et  qu'il  n'y  en  a  point  de  plus  propres  que  ceux  de  Bagnères,  dont  on 
entend  tous  les  jours  les  effets  admirables.  Elles  se  trouvent  à  moins 
de  cinquante  lieues  d'ici.  Ces  bains  sont  bons  en  toute  sorte  de 
saisons,  quoiqu'on  les  prenne  plus  ordinairement  au  printemps  et  en 
automne,  à  cause  de  la  commodité  de  ceux  qui  y  vont  ;  mais  les  gens 
du  pays  s'en  servent  l'hiver  et  s'en  trouvent  aussi  bien  :  ce  qui  oblige 
S.  M.,  Monsieur,  à  désirer  de  faire  ce  voyage  présentement,  pour  ne 
pas  perdre  de  temps  et  pouvoir  retourner  à  Madrid  ou  à  Valladolid 
quand  le  roi  jugera  y  pouvoir  faire  aller  la  reine.  D'ailleurs,  la  dépense 
seroit  beaucoup  moins  considérable  que  si  elle  étoit  obligée  de  faire 
ce  voyage  exprès  de  Madrid  à  Bagnères.  La  bienséance  voudroit  alors 
que  S.  M.  fût  avec  la  magnificence  qui  lui  conviendroit.  A  cette 
heure,  elle  ne  sauroit  qu'être  louée  de  se  retrancher  tout  ce  qui  ne 
lui  est  pas  absolument  nécessaire,  et  il  suffira  que  S.  M.  ne  mène  de 
sa  maison  que  les  gens  dont  elle  ne  pourra  se  passer.  Il  est  si  fâcheux 

1.  Archives  de  Chantilly,  S  XIV,  39. 

2.  On  remarquera  que  cette  lettre  est  antérieure  de  dix  jours  à  celle 
qu'on  vient  de  lire.  La  reine  avait  d'abord  écrit  à  son  mari  pour  avoir 
son  agrément,  et  elle  avait  en  même  temps  chargé  sa  «  camarera 
mayor  »  d'en  écrire  au  général  dont  elle  connaissait  l'influence  sur  le 
jeune  monarque;  elle  en  parle  dans  la  lettre  reproduite  ci-dessus. 


Il 


LA   MALADIE  DE  LA  REINE  D'ESPAGNE.       iST 

à  une  grande  princesse  comme  elle,  qui  est  exposée  aux  yeux  du 
public,  d'avoir  une  incommodité  qui  la  force  à  cacher  une  partie  de 
son  visage  et  de  sa  gorge,  et  qu'on  craindroit  qui  ne  devînt  pire,  si 
on  n'y  remédioit  pas,  que  S.  M.  ne  doit  rien  négliger  de  tout  ce  qu'on 
juge  qui  pourroit  la  déraciner.  De  plus,  l'expérience  lui  a  fait  con- 
noître  que  les  grossesses  y  sont  fort  contraires:  de  sorte.  Monsieur, 
que  tout  semble  concourir  pour  faire  prendre  la  résolution  de  profiter 
de  l'occasion  qui  s'offre  si  naturellement.  Tout  va  présentement  trop 
bien  en  Espagne  pour  que  les  Espagnols  puissent  craindre  que  ce  soit 
un  prétexte  pour  l'abandonner,  surtout  le  roi  demeurant  à  la  tête  de 
son  armée,  qui  est  un  assez  bon  gage.  Ce  voyage  ne  seroit  que  de  six 
semaines,  après  quoi  le  roi  et  la  reine  jouiroient  plus  du  plaisir  de  se 
revoir  en  bonne  santé.  Mgr  le  prince  des  Asturies  en  a,  grâces 
à  Dieu,  une  parfaite,  et,  le  mettant  dans  une  bonne  litière,  il  n'auroit 
rien  à  souftYir.  Il  seroit  impossible  de  laisser  un  prince  si  précieux  de 
toutes  manières  sans  le  roi  ou  sans  la  reine,  et  S.  M.  ne  pourroit 
s'empêcher  de  le  conduire  avec  elle.  Voilà,  Monsieur,  le  fait  fort 
nettement  ;  faites-moi  l'honneur  de  me  répondre  ce  qui  vous  en  paroît 
si  vous  le  trouvez  raisonnable.  Conseillez,  s'il  vous  plaît,  au  roi  qu'il 
permette  à  la  reine  d'exécuter  son  projet  ;  sinon,  ayez  la  bonté  de  me 
dire  les  obstacles  que  vous  y  trouverez.  Tout  sera  bien  reçu  de  vous. 
Je  suis  ravie  que  vous  trouviez  les  ennemis  dans  une  si  mauvaise 
situation.  La  reine  a  lu  votre  lettre  plusieurs  fois  avec  une  grande 
satisfaction.  J'espère  que  vous  serez  toujours  plus  confirmé  dans  votre 
opinion  que  l'Archiduc  sera  très  embarrassé.  Par  ce  que  l'on  me 
mande  de  la  cour  de  France,  par  le  courrier  extraordinaire  que  le  Roi 
a  dépêché  à  S.  M.  Cath.  le  10'=  de  ce  mois,  il  me  paroit.  Monsieur,  qu'il 
n'est  plus  question  de  paix  et  qu'on  est  fort  attentif  à  la  guerre.  Ici, 
c'est  tout  ce  que  nous  pouvions  espérer  de  mieux.  Je  vous  honore 
comme  je  le  dois. 

«  La  princesse  des  Ursins.  » 


488  APPENDICE  XII 


XIII 

LE  SERVICE  FUNÈBRE  DE  MONSEIGNEUR 
A  SAINT-DENIS  ET  A  NOTRE-DAME' 

«  La  maladie  contagieuse  dont  feu  Monseigneur  est  mort  n'ayant 
pas  permis  qu'on  le  gardât  dans  son  appartement  pendant  quarante 
jours,  ainsi  que  c'est  la  coutume  pour  les  princes,  ni  qu'on  lui  rendît, 
incontinent  après  sa  mort,  tous  les  honneurs  dus  à  sa  haute  naissance 
avec  les  cérémonies  accoutumées  dans  ces  tristes  occasions,  on  le  porta, 
le  surlendemain  de  sa  mort,  à  Saint-Denis  sans  aucune  pompe,  et  on 
le  mit  dès  le  même  jour  dans  la  cave  de  nos  rois,  sans  laisser  son 
corps  un  seul  jour  en  dépôt  dans  le  chœur  de  l'église.  Ainsi,  rien  ne 
pressant  pour  faire  son  service,  on  n'observa  point  de  le  faire  au 
bout  de  quarante  jours  suivant  la  coutume,  et  ce  ne  fut  que  le  17 
juin  qu'il  se  fit  à  Saint-Denis.  Monsieur  le  Dauphin  et  Mgr  le  duc  de 
Berry,  ses  enfants,  et  M.  le  duc  d'Orléans,  son  cousin  germain,  furent 
les  trois  princes  qui  assistèrent  à  cette  cérémonie  2.  L'église  de  Saint- 
Denis  étoit  ornée  d'un  appareil  funèbre  dont  la  décoration  étoit  assez 
simple,  mais  noble  et  bien  entendue,  quoiqu'elle  ne  répondît  point  à 
la  magnificence  que  les  funérailles  d'un  si  grand  prince  méritoient. 

«  La  messe  fut  célébrée  par  l'archevêque  de  Reims,  assisté  de  quatre 
évêques  qui  avoient  tous  été,  aussi  bien  que  lui,  aumôniers  du  Roi  ; 
l'oraison  funèbre  fut  faite  par  l'évêque  d'Angers.  Le  service  commença 
à  onze  heures  et  demie  et  dura  jusqu'à  quatre  heures  un  quart  après- 
midi.  La  musique  du  Roi,  très  nombreuse  par  elle-même,  et  fortifiée 
de  tous  les  musiciens  de  l'Opéra  de  Paris,  chanta  le  De  Profundis. 

«  Les  trois  princes  avoient  des  chapeaux  et  des  bonnets  carrés  sur 
leurs  têtes,  comme  c'est  l'usage  dans  les  occasions  lugubres.  La  queue 
du  Dauphin,  qui  avoit  onze  aunes,  étoit  portée  par  le  duc  de  Beau- 
villier,  son  premier  gentilhomme  de  la  chambre,  parce  qu'il  a  été  son 
gouverneur,  à  une  grande  distance  du  duc  de  Beauvillier,  c'est-à-dire 
au  milieu  de  la  longueur  de  la  queue,  par  le  comte  de  Sainte-Maure, 
le  plus  ancien  des  menins  de  feu  Monseigneur  et  qui  l'est  du  Dauphin 
d'aujourd'hui,  l'extrémité  par  le  marquis  d'O,  menin  du  Dauphin 
d'aujourd'hui  avant  la  mort  de  son  père.  Celle  de  Mgr  le  duc  de  Berry, 

i.  Ci-dessus,  p.  343.  —  Extrait  des  Mémoires  du  baron  de  Breteuil,  ms. 
Arsenal  3864,  p.  43  et  suivantes. 

2.  En  note  dans  le  manuscrit  :  «  Le  prince  de  Gonti,  déjà  âgé  de  quinze 
ans,  qui  étoit  pour  lors  à  Paris,  ni  le  duc  du  Maine  et  ses  enfants,  ni 
le  comte  de  Toulouse,  tous  deux  enfants  naturels  du  Roi,  ayant  rang  de 
princes  du  sang,  et  qui  étoient  à  la  cour,  n'y  assistèrent.  » 


SERVICE  FUNÈBRE  DE  MONSEIGNEUR.        489 

qui  étoit  de  neuf  aunes,  éloit  portée  par  le  marquis  de  Béthune,  l'un 
de  ses  deux  premiers  gentilshommes  de  la  chambre,  et  par  le  marquis 
de  Pons,  maître  de  sa  garde-robe,  à  cause  de  l'absence  du  duc  de 
Saint-Aignan,  son  autre  premier  gentilhomme  de  la  chambre,  et  celle 
du  duc  d'Orléans,  qui  étoit  de  sept  aunes,  étoit  portée  par  le  marquis 
de  Simiane  et  le  marquis  d'Armentières,  ses  deux  premiers  gentils- 
hommes de  la  chambre'.  Madame  la  Dauphine,  ni  aucune  autre  prin- 
cesse ne  vinrent  à  cette  pompe  funèbre.  Ce  n'est  pas  la  coutume 
qu'elles  y  aillent  ;  mais  ce  qui  est  très  surprenant,  pour  ne  pas  me 
servir  d'un  terme  plus  dur,  c'est  qu'aucun  officier  de  la  couronne  ni 
aucun  courtisan,  à  l'exception  de  ceux  qui  sont  domestiques  des  trois 
princes  que  j'ai  ci-dessus  nommés,  ou  qui  l'avoient  été  de  feu  Monsei- 
gneur, qui  n'en  avoit  qu'un  très  petit  nombre,  attendu  que  l'héritier 
de  la  couronne  n'en  doit  point  avoir,  aucun,  dis-je,  oificier  de  la  cou- 
ronne, ni  courtisan  de  quelque  espèce  que  ce  soit,  n'eut  la  reconnois- 
sance  ou  le  courage  d'assister  à  cette  pompe  funèbre,  à  l'exception  du 
duc  d'Aumont,  premier  gentilhomme  de  la  chambre  du  Roi,  et  de  moi, 
qui  n'y  avois  aucune  fonction  par  rapport  à  ma  charge,  parce  que  les 
ambassadeurs  ont  cessé  à  la  mort  de  la  reine  Marie-Thérèse,  femme 
du  Roi,  d'aller  aux  pompes  funèbres,  par  les  raisons  que  j'ai  ample- 
ment spécitîées  dans  mes  mémoires  de  l'année  1701,  à  l'occasion  de  la 
mort  de  feu  Monsieur,  frère  du  Roi. 

«  Le  2  juillet,  on  fit  un  pareil  service  à  Notre-Dame.  Le  cardinal  de 
Noailles,  archevêque  de  Paris,  célébra  la  messe,  et  le  P.  de  la  Rue, 
jésuite,  fit  l'oraison  funèbre.  Le  chœur  de  Notre-Dame  étoit  un  peu 
plus  orné  que  ne  l'avoit  été  celui  de  Saint-Denis  ;  mais  il  n'y  eut  point 
d'autre  musique  que  celle  de  cette  église.  Du  surplus,  la  cérémonie 
fut  toute  semblable.  La  queue  du  Dauphin  étoit  portée  par  le  duc  de 
Beauvillier,  par  le  marquis  d'Urfé.  menin  de  feu  Monseigneur,  qui  la 
porta  à  la  place  de  Sainte-Maure,  et  par  le  marquis  de  Gamaches,  menin 
du  Dauphin  d'aujourd'hui,  qui  la  porta  à  la  place  du  marquis  d'O  ; 
celles  des  autres  princes  furent  portées  par  ceux  de  leurs  oificiers  qui 
l'avoient  portée  à  Saint-Denis 2.  « 

1.  En  note  dans  le  manuscrit  :  «On  avoit  voulu  que  M.  le  duc  d'Or- 
léans n'eut  qu'un  porte-queue  ;  mais  le  Roi  décida  qu'il  en  auroit 
deux.  » 

2.  Il  y  a  une  relation  latine  de  la  cérémonie  de  Notre-Dame  dans  les 
Registres  capitulaires  :  Archives  nationales,  reg.  LL  232'',  et  une  autre 
en  français  des  deux  cérémonies  dans  le  carton  K  1003,  n»'  13-14. 


i90  APPENDICE  XIV. 


XIV 

LA  FILLE 
DE  MONSEIGNEUR  ET  DE  MADAME  DU  ROURE. 

Saint-Simon  a  parlé  ci-dessus  (p.  69)  de  la  fille  que  Monseigneur  eut 
de  la  Raisin  et  qui  fut  mariée  par  la  princesse  de  Conti  à  M.  du  Bois 
d'Avaugour.  Il  a  été  rappelé  à  ce  sujet  que  ce  ne  fut  pas  la  seule  liaison 
du  Grand  Dauphin,  et  notre  auteur  a  raconté  dans  le  tome  II  des  Mé- 
moires (p.  136-138)  qu'il  avait  eu,  au  su  de  toute  la  cour,  des  relations 
galantes  avec  une  fille  d'honneur  de  la  Dauphine,  Marie-Anne-Louise  de 
Gaumont-la-Force.  Pour  faire  cesser  ce  commerce,  le  Roi  avait  marié  la 
demoiselle  en  1688  au  jeune  marquis  du  Roure,  qu'on  avait  gratifié  pour 
la  circonstance  de  la  charge  de  lieutenant  général  de  Languedoc,  et 
qu'on  envoya  aussitôt  dans  cette  province  afin  d'éloigner  sa  femme  de 
la  cour.  Mais,  M.  du  Roure  ayant  été  tué  en  1690  à  la  bataille  de  Fleu- 
rus,  sa  jeune  veuve  ne  tarda  guère  à  reparaître  à  Versailles,  et,  dit 
Saint-Simon,  «  le  feu  mal  éteint  se  ralluma  »,  si  bien  que  le  Roi  dut 
exiler  «  la  dame  en  Normandie  dans  les  terres  de  son  père  »,  puis  à 
Montpellier,  où  elle  était  encore  quand  Monseigneur  mourut*. 

De  cette  liaison  était  issue  une  fille,  sur  l'existence  de  laquelle  nous 
avons  pu  réunir  quelques  renseignements  d'après  des  documents  conser- 
vés à  Nantes,  au  musée  Dobrée,  et  d'après  diverses  correspondances 
que  renferme  le  manuscrit  Glairambault  1184,  à  la  Bibliothèque  na- 
tionale. 

Cette  fille,  nommée  Louise-Emilie,  naquit  à  Courtomer,  près  Séez,  en 
Normandie,  le  14  octobre  1694,  et,  dès  le  lendemain,  fut  conduite  à 
Paris  et  baptisée  sous  un  nom  supposé  en  l'église  Saint-Eustache.  Deux 
ans  après,  sa  mère  la  fit  ramener  en  Normandie  pour  la  placer  dans  le 
couvent  des  Ursulines  d'Essai,  non  loin  d'Alençon,  où  elle  fut  élevée 
par  une  femme  de  confiance  appelée  Mlle  des  Ablais,  dont  la  sœur  avait 
épousé  un  bas  officier  de  la  maison  du  Roi,  et  qui  était  parente  du  curé 
deSaint-Germain-en-Laye.  Elle  resta  dans  ce  couvent  une  quinzaine  d'an- 
nées, etelle  dut  le  quitter  trois  mois  environ  avant  lamort  de  Monseigneur, 
parce  que  Mme  du  Roure  ne  payait  plus  sa  pension.  Elle  se  réfugia  d'abord 
chez  sa  nourrice,  près  du  château  de  Gourtomer,  habité  alors  par  une 
sœur  de  sa  mère  mariée  à  un  Saint-Simon  d'une  autre  maison  que  celle 
de  l'auteur  des  Mémoires.  Enfin,  en  décembre  1711,  ayant  obtenu  sur  les 
instances  de  Mme  du  Roure  une  pension  de  six  cents  livres,  à  laquelle  le 

1.  Mme  du  Roure  fut  internée  en  mai  1713  au  couvent  des  Ursulines 
de  Montauban,  et  il  est  probable  qu'elle  y  mourut,  à  une  date  qu'on 
ignore. 


LA  FILLE  DE  MONSEIGNEUR.  491 

duc  de  Bourgogne  ajouta  quelque  cliose,  elle  fut  ramenée  à  Paris,  sépa- 
rée de  sa  gouvernante,  et,  par  l'intermédiaire  deM.de  Benoist,  curé  de 
Saint-Germain-en-Laye,  mise  comme  pensionnaire  au  couvent  des  Ursu- 
lines  de  Poissy.  On  aurait  bien  voulu  en  haut  lieu  qu'elle  y  fît  profes- 
sion; sa  répugnance  pour  la  vie  religieuse  l'en  empêcha.  Elle  était  encore, 
à  Poissy  en  1717;  mais  il  ne  semble  pas  qu'elle  y  ait  passé  les  derniers 
temps  de  sa  courte  et  triste  vie  :  elle  dut  revenir  vers  cette  époque,  et 
peut-être  à  cause  de  sa  mauvaise  santé,  habiter  à  Paris,  sous  le  nom  de 
Mlle  de  Vaudetar,  chez  le  duc  de  la  Force,  frère  de  sa  mère,  dans  son 
hôtel  de  la  rue  Taranne.  C'est  là  qu'elle  mourut,  à  l'âge  de  vingt-quatre 
ans,  le  3  avril  1719  ;  ses  obsèques  eurent  lieu  le  lendemain  à  Saint-Sul- 
pice. 

Dans  son  manuscrit  1184,  dont  il  a  été  parlé  ci-dessus,  Clairambault 
nous  a  conservé  (notamment  aux  folios  21-38,  41-42  et  179-198)  un  cer- 
tain nombre  de  lettres  de  Mme  du  Roure,  de  cette  jeune  fille,  de  sa 
gouvernante  et  du  curé  de  Saint-Germain;  on  trouvera  ci-après  les  plus 
intéressantes. 

Mademoiselle  dea  Ablais  à  la  marquise  du  Roure  K 

«  Ce  2o«  juin  1711. 
«  Madame, 
«  Il  y  a  longtemps  que  je  résiste  contre  une  idée  qui  m'est  venue  au 
sujet  de  ma  chère  enfant  dans  la  crainte  que  Madame  n'approuve  pas  la 
liberté  que  je  j)rends  ;  mais  l'état  où  je  la  vois  réduite,  si  on  ne  pense 
incessamment  à  lui  taire  avoir  quelque  chose,  me  fait  passer  par-des- 
sus toutes  autres  considérations  et  vous  venir  demander,  Madame, 
votre  agrément  pour  la  mener  présenter  un  placet  au  Roi  que,  faite 
comme  elle  est  et  de  la  ressemblance  qu'elle  a  de  feu  Monseigneur» 
elle  obtiendroit  immanquablement  du  moins  une  pension  ;  et,  si  on 
attend  davantage,  il  ne  sera  plus  temps.  Que  deviendra[-t-]elle,  Ma- 
dame, puisque  vous  ne  lui  pouvez  pas  donner  son  plus  petit  entretien  ? 
Et  si  au  contraire,  en  faisant  une  prompte  diligence,  je  me  flatte 
qu'elle  obtiendra  de  quoi  se  tirer  de  la  misère  où  elle  est  réduite  à 
faire  pitié  à  tout  le  monde,  et  que,  quand  il  va  de  la  compagnie  au 
château,  les  jours  de  fête  ou  dimanche,  on  nous  dépêche  juste  un 
courrier  pour  nous  venir  dire  de  n'aller  pas  à  la  messe,  crainte  qu'on 
ne  nous  voie.  Nous  sommes  à  la  veille,  la  semaine  prochaine,  d'encou- 
rir ce  même  risque,  mais  pour  longtemps,  par  l'arrivée  de  Mme  la 
comtesse  de  Courtomer-,  qui  y  doit  séjourner,  et  Madame  la  marquise  ne 

1.  Sur  l'adresse  :  «  A  Madame  la  Marquise  du  Roure,  en  main  propre, 
à  Montpellier,  en  diligence.  » 

2.  Jeanne  de  Caumont-la  Force,  mariée  le  26  avril  1682  à  Claude- 
Antoine  de  Saint-Simon,  marquis  de  Courtomer,  était  veuve  depuis  le 
14  octobre  17Uo;  elle  mourut  de  la  petite  vérole  le  8  mai  1716. 


W2  APPENDICE  XIV. 

veut  pas  même  que  nous  soyons  dans  le  [même]  lieu  ;  je  ne  sais  où  nous 
pourrons  aller.  Elle  no  sait,  dit-elle,  personne  où  nous  mettre,  et  moi 
non  plus,  attendu  que  quelques-uns  de  la  famille  de  MM.  deCourtomer 
ont  dû  dire  que  la  pauvre  E[milie]  étoit  une  charge  pour  Madame  et 
Messieurs  ses  iils,  ayant  appris,  comme  on  le  sait  partout,  qu'on  nous 
a  mises  hors  le  couvent  et  que  c'est  elle  qui  nous  fournit  de  quoi  vivre, 
ce  qui  ne  nous  doit  guère  faire  de  profit,  puisque  de  tous  les  endroits  la 
vie  nous  est  bien  reprochée.  Quelle  joie,  Madame,  n'auriez-vous  pas 
de  voir  cette  pauvre  enfant  exempte  de  toutes  ces  peines  ?  Donnez  donc 
votre  consentement,  s'il  vous  plaît,  et  nous  ferons  ce  voyage,  pendant 
que  Madame  la  comtesse  sera  ici.  Je  vous  puis  assurer,  Madame,  que 
vous  pouvez  vous  fier  à  moi  et  que  je  conduirai  si  bien  toute  chose, 
que  vous  ne  serez  point  commise  en  rien.  Je  mènerai  E[milie]  chez  ma 
sœur  ;  on  ne  saura  pas  qui  elle  est,  et  mon  beau-frère,  qui  est  toujours 
chez  le  Roi,  nous  trouvera  un  endroit  où  nous  pourrons  donner  notre 
placet  sans  être  vues  de  beaucoup  de  monde.  J'attends  incessamment 
votre  réponse,  Madame. 

«  Je  vous  prie  de  trouver  bon  que,  si,  au  bout  de  dix-huit  jours 
qu'il  faut  [au]  plus  pour  la  recevoir,  [elle  n'est  pas  arrivée,]  je  fasse 
partir  mon  enfant,  et  je  vous  promets  par  avance,  Madame,  que  nous 
réussirons.  C'est  l'avis  de  plusieurs  de  mes  amis  qui  sont  gens  considé- 
rables et  presque  de  tous  les  autres,  et  je  ne  puis  me  persuader  que 
nous  ne  fassions  un  bon  voyage.  Je  suis  très  respectueusement  à 
Madame.  » 

(Sans  signature.) 

La  marquise  de  Roiire  au  comte  de  Pont  char  train,  secrétaire 
d'État  de  la  maison  du  RoiK 

«  Ce  14  août  1711. 

«  J'ai  reçu,  Monsieur,  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire,  avec  mon  ordonnance  du  mois  de  mars,  dont  je  vous  rends 
mille  grâces.  Je  l'ai  voulu  remettre  à  mes  créanciers  ;  mais  ils  n'en  ont 
point  voulu,  ce  qui  m'oblige  à  vous  prier  de  vouloir  supplier  le  Roi 
d'ordonner  que  je  sois  payée  régulièrement. 

«  J'attends  la  réponse  de  deux  lettres  que  j'ai  écrites  pour  vous  en- 
voyer le  mémoire  ou  l'histoire  de  cette  petite  tille.  Je  vous  aurai  beau- 
coup d'obligation  de  vouloir  parler  en  sa  faveur.  Vous  verrez  par  une 
lettre  que  je  vous  envoie  2,  Monsieur,  l'état  où  elle  est  réduite  et  ce 
que  sa  gouvernante  vouloit  faire  ;  à  quoi  vous  jugez  bien  que  je  me 
suis  opposée,  vous  assurant  que  jamais  cette  femme  ne  le  fera,  quoique 

1.  Apostille  au  crayon  :   «  Les  gens  qu'elle  cite  disent  qu'il  [n'y  a] 
point  de  preuve.  » 
-2.  Probablement  la  lettre  du  23  juin,  ci-dessus. 


F.A  FILLE  DE  MONSEIGNEUR.  493 

je  sois  rôsoluo  à  no  rioii  ouMior  pour  cllo.  EIlo  l'-toit  liors  du  couvent 
trois  mois  avant  la  mort  de  M[oiiseigneur],  à  qui  je  l'avois  fait  dire  et 
ù  qui  j'avois  fait  demander  pour  elle  deux  mille  francs,  pour  lui  être 
envoyés  à  Courtomer.  Celui  à  qui  je  m'élois  adressée  me  lit  mander 
par  une  de  mes  amies  que,  d'abord  qu'il  auroit  lini  l'affaire  dont  je  lui 
parlois  dans  ma  lettre,  il  y  feroit  réponse  et  qu'on  lui  avoit  fait  espé- 
rer que  ce  seroit  bientôt.  Malheureusement,  M[onseigneur]  mourut,  et 
elle  a  resté  où  elle  est  et  où  elle  sera  jusqu'à  ce  que  je  sois  payée  de 
ce  qui  me  reste  dû  de  mes  pensions,  qui  étoient  engagées  pour  onze 
mille  francs,  et  n'en  ayant  encore  touché  que  quinze  [cents]  et  fait  par- 
tir mon  lils  pour  l'armée,  m'ont  mise  hors  d'état  de  la  secourir,  ce  que 
je  ferai  bien  sûrement  du  premier  argent  que  j'aurai.  Au  nom  de 
Dieu,  Monsieur,  ne  montrez  mes  lettres  à  qui  que  ce  soit  qu'au  Roi 
seul,  si  vous  le  jugez  à  propos,  étant  persuadée  que  S.  M.  a  trop  de 
religion  pour  abandonner  cette  pauvre  malheureuse  lorsqu'il  accable 
de  bien  tant  de  sortes  de  gens  par  pure  bonté.  De  plus.  Monsieur,  je 
n'avancerai  rien  que  je  ne  puisse  prouver.  Qu'on  fasse  parler  M.  du 
-Mont  et  qu'on  le  force  à  dire  la  vérité  ;  il  ne  pourra  pas  dire  que  j'aie 
brigué  sa  bienveillance  ni  démentir  d'avoir  été  presque  tous  les  ans  la 
voir  dans  son  couvent  et  me  persécuter  plusieurs  années  pour  que  je 
la  lui  remisse.  C'est  ce  que  je  vous  redirai  encore  dans  mon  histoire. 
En  attendant  je  vous  supplie  d'être  persuadé,  etc. 

«  De  Cal'mont  du  Uoure.  « 

La  marquise  du  Roure  au  comte  de  Pontchar train. 

«  23  août  1711 

«  Je  viens  de  recevoir  une  lettre,  Monsieur,  de  la  gouvernante  de  cette 
j)auvre  malheureuse,  qui  m'apprend  qu'elles  n'ont  pu  rester  davantage 
dans  le  lieu  où  elles  étoient  par  le  désagrément  qu'elles  avoient  d'en- 
tendre parler  sur  leur  sujet.  Elles  sont  venues  à  Saint-Germain,  d'où 
est  la  personne  qui  l'a  élevée.  Elles  veulent  fort  me  venir  trouver  ;  mais 
je  m'y  oppose  fortement.  Cela  feroit  une  nouvelle  scène  cruelle  pour 
moi  dans  ce  pays-ici.  Dès  que  j'aurai  reçu  quelque  argent,  je  leur 
envolerai  de  quoi  se  mettre  dans  un  couvent.  Au  nom  de  Dieu,  Mon- 
sieur, s'il  est  possible,  faites  quelque  chose  pour  elle  ;  accordez-lui 
votre  protection.  C'est  une  action  digne  de  vous  que  de  travailler  à  la 
rendre  heureuse,  ou  du  moins  à  la  tirer  de  la  misère  où  ma  mauvaise 
fortune  ne  peut  l'empêcher  de  tomber,  si  on  ne  m'en  donne  les 
moyens.  C'est  avec  la  douleur  du  monde  la  plus  vive  que  je  me  vois 
forcée  à  agir  sur  un  pareil  sujet  ;  mais.  Monsieur,  c'est  aussi  avec  une 
entière  conhance,  convaincue  de  vos  bontés  pour  moi  ;  je  vous  en 
demande  la  continuation  avec  tous  les  sentiments  de  la  plus  parfaite 
reconnoissance  du  monde... 

«  De  Caumont  du  Roure.  » 


494  APPENDICE  XIV. 

La  marquise  du  Roure  au  comte  de  Pontchartrain^ . 

«  Ce  2o*  octobre  17H. 

«  J'ai  reçu,  Monsieur,  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire  du  ■14e  octobre.  Je  ne  suis  point  surprise  de  ce  que  vous 
m'aviez  déjà  mandé  de  la  résolution  que  le  Roi  a  prise  au  sujet  de  la 
demoiselle.  Tout  cela  ne  m'étonne  pas.  Si  elle  a  jamais  le  bonheur 
d'en  être  vue,  S.  M.  pourroit  changer  de  sentiment  pour  elle  ;  la  na- 
ture est  accoutumée  à  faire  de  plus  grands  efforts,  et  la  ressemblance 
qu'elle  aavecM[onseigneur]  peut  sans  miracle  changer  les  choses  en  sa 
faveur.  Puisque  vous  désirez,  Monsieur,  savoir  comme  elle  est  faite, 
je  vais  vous  faire  à  peu  près  son  portrait  sur  ce  qu'on  m'en  a  mandé 
plusieurs  fois,  y  ayant  près  de  douze  ans  que  je  ne  l'ai  vue.  Elle  a  eu 
dix-huit  ans  ce  mois-ici.  Elle  est  grande  et  la  taille  belle,  les  cheveux 
châtains,  les  yeux  comme  moi,  tirant  sur  le  noir,  le  teint  blanc,  beau 
et  uni,  le  nez  assez  bien  fait,  la  bouche,  le  bas  du  visage,  le  son  de  la 
voix  et  le  parler  gras  de  M[onseigneur],  à  qui  on  m'a  mandé  qu'elle 
ressemble  à  ne  pouvoir  pas  s'y  méprendre,  la  gorge  et  les  mains 
belles,  une  belle  voix,  un  air  de  douceur  et  de  modestie  qui  intéresse 
pour  elle,  beaucoup  d'esprit,  et  une  tristesse  dans  la  physionomie  qui 
fait  croire  qu'elle  sent  son  malheur.  Je  ne  sais  si  elle  sait  qui  elle  est  ; 
mais  on  m'a  mandé  qu'à  la  mort  de  M[onseigneur]  elle  fut  longtemps 
à  verser  des  larmes  sans  dire  la  moindre  chose,  et,  quand  on  lui  en  de- 
mandoit  la  raison,  ses  pleurs  et  ses  sanglots  redoubloient  sans  qu'on  pût 
tirer  d'elle  une  parole.  Elle  est  née  à  Courtomer,  chez  ma  sœur,  et, 
deux  jours  après  sa  naissance,  elle  fut  menée  à  Paris  dans  mon  car- 
rosse avec  sa  nourrice,  femme  de  mon  cocher,  une  femme  à  moi,  pour 
être  sa  gouvernante,  nommée  Mlle  des  Ablais,  fort  connue  de  M[on- 
seigneur],  qui  ne  l'a  jamais  quittée  et  qui  est  encore  auprès  d'elle.  Un 
vieux  gentilhomme  à  moi  les  conduisit,  nommé  M.  de  la  Croix,  qui  la 
fit  baptiser  sous  des  noms  empruntés  et  qui  fut  en  arrivant  rendre 
compte  à  M.  du  Mont  de  sa  commission,  de  qui  il  est  fort  connu.  Il  vit 
encore  et  est  présentement  auprès  de  mon  frère.  Je  lui  écris  par  ce 
courrier  pour  le  prier  de  se  rendre  incessamment  auprès  de  vous, 
pouvant  mieux  que  qui  que  ce  soit  vous  donner  tous  les  éclaircisse- 
ments que  vous  pouvez  désirer  et  vous  détailler  toutes  choses,  ayant 
eu  toute  la  conduite  de  cette  affaire.  Je  reviens  à  elle  pour  vous  dire, 
Monsieur,  qu'elle  a  resté  à  Paris  tant  qu'elle  a  été  à  la  mamelle.  Elle 

1.  En  apostille,  à  l'encre,  et  biffé  :  «  Passer  cette  lettre  par  le  feu  à 
cause  de  l'ord...  Me  parler  de  ces  deux  lettres  et  ne  rien  faire  que  je 
ne  vous  aie  vu  ;  me  faire  seulement  écrire  au  plus  tôt  au  curé  de  Saint- 
Germain,  homme  de  mérite,  de  prendre  la  peine  de  me  venir  parler  au 
plus  tôt.  » 


LA  FILLE  DE  MONSEIGNEUR.  495 

n'avoil  auprès  d'elle  que  sa  nourrice,  sa  gouvernante  et  une  servante 
pour  les  servir.  M.  de  la  Croix,  logé  dans  une  autre  maison,  avoit 
soin  de  fournir  à  mes  dépens  tout  ce  qui  leur  étoit  nécessaire.  M.  du 
Mont,  qui  a  été  les  voir  plusieurs  fois,  peut  en  rendre  témoignage.  Dès 
qu'elle  fut  sevrée,  je  les  lis  venir  en  Normandie  tout  droit  au  couvent 
d'Essai',  où  j'avois  arrêté  un  logement  comme  pour  une  de  mes  amies 
et  pour  sa  tille,  sous  le  nom  d'Emilie,  qu'elle  a  toujours  porté  et 
qu'elle  porte  encore  aujourd'hui,  passant,  comme  j'ai  l'honneur  do  vous 
le  dire,  pour  la  tille  de  sa  gouvernante.  Avant  que  M.  du  Mont  ait  lait 
plusieurs  voyages  à  ce  couvent,  elle  y  a  eu  toujours  deux  personnes 
auprès  d'elle  pour  la  servir.  Je  payois  cinquante  écus  pour  chacune  de 
pension  ;  je  n'assurerois  pas  pourtant  si  c'étoit  plus  ou  moins,  parce 
que  j'envoyois  de  l'argent  à  Mlle  des  Ablais,  et  c'étoit  elle  qui  payoit. 
De  plus,  on  taisoit  dans  leur  appartement  un  ordinaire  pour  Emilie, 
celui  du  couvent  étant  trop  mauvais  ;  on  ne  leurfournissoit  même  que 
le  logement.  Ainsi  je  donnois  de  l'argent  à  Mlle  des  Ablais,  et,  quand 
il  étoit  tini,  je  lui  en  renvoyois,  soit  pour  la  pension  ou  pour  l'entre- 
tien de  cette  pauvre  innocente,  et  cela  le  mieux  qu'il  m'a  été  possible; 
car  quand  je  n'ai  pas  eu  de  quoi  lui  acheter  des  habits,  je  lui  en  ai 
envoyé  des  miens.  Elle  a  resté  dans  ce  couvent  quatorze  ou  quinze 
ans  et  n'en  est  sortie  que  depuis  sept  ou  huit  mois,  que,  n'étant  pas 
en  état  de  payer,  la  gouvernante  se  brouilla  avec  l'abbesse  pour  le  re- 
tardement de  la  pension,  qui  la  voulut  faire  sortir  du  couvent.  Emilie 
ne  voulut  point  s'en  séparer  et  sortit  avec  elle  ;  elles  furent  à  Courto- 
mer-,  qui  n'est  qu'à  trois  lieues  de  là,  chez  la  nourrice  qui  y  est  éta- 
blie. Ma  sœur  avoit  soin  de  leur  envoyer  ce  qui  leur  étoit  nécessaire  ; 
elles  y  ont  resté  environ  six  mois.  Mais,  ma  sœur  ayant  été  obligée 
d'en  partir,  n'étant  pas  riche  d'ailleurs  pour  pouvoir  la  faire  subsister, 
en  son  absence  la  gouvernante  prit  sur  elle  de  la  mener  à  Saint-Ger- 
main chez  ses  parents  pour  y  attendre  mes  ordres.  Je  lui  mandai  de  s'y 
tenir  cachée.  Elle  y  est  ;  du  moins,  elle  y  doit  être  :  je  dis,  doit  être, 
parce  qu'il  y  a  trois  semaines  que  je  n'ai  pas  de  ses  nouvelles.  Le  curé 
de  Saint-Germain-en-Laye,  à  qui  j'adresse  mes  lettres  et  qui  est  des 
parents  de  Mlle  des  Ablais,  pourra,  Monsieur,  vous  en  donner  des 
nouvelles.  J'ai  déjà  mandé  à  cette  tille,  et  je  le  fais  encore  par  ce  cour- 
rier, de  se  mettre  en  chemin  pour  vous  aller  parler  et  de  mener  Emilie 
avec  elle,  sur  le  moindre  ordre  qui  lui  viendra  de  votre  part.  Je  serai 
bien  aise,  Monsieur,  que  vous  voyiez  cette  pauvre  créature,  persuadée 
que  vous  serez  touché  pour  elle  de  compassion.  Au  surplus,  je  vous 
ai  déjà  mandé  que,  lorsqu'elle  fut  hors  du  couvent,  je  le  tis  dire  à 
M[onseigneurj  et  le  tis  supplier  de  l'assister,  étant  dans  l'impossibilité 
de  le  faire.  On  m'avoit  mandé  que  je  serois  contente  ;   mais  malheu- 

1.  Département  de  l'Oine,  canton  du  Mesle-sur-Sartlie;  il  y  avait  dans 
ce  bourg  un  couvent  d'Augustines. 

2.  Orne,  arrondissement  d'Alcnçon, 


i9(i  APPENDICE  XiV. 

reiisement  il  est  mort.  Je  tire  le  rideau  sur  cette  funeste  image  ;  mais 
je  dois  vous  dire  que  jamais  on  n'a  rien  donné  pour  la  pension  ni 
l'entretien  de  cette  pauvre  innocente.  Quand  vous  me  dites,  Monsieur, 
que  le  Roi  n'admet  pas  à  beaucoup  près  tous  les  faits  que  ma  dernière 
lettre  contient,  S.  M.  est  la  maîtresse,  et  peut  dire  tout  ce  qui  lui 
plaît;  mais  j'aimerois  mieux  expirer  que  d'avancer  rien  qui  ne  fût  la 
vérité  pure.  Je  vous  ai  fait.  Monsieur,  un  récit  historique  avec  la  plus 
exacte  fidélité  du  monde,  je  vous  le  proteste  ;  je  n'ai  point  été  trou- 
blée dans  son  temps  de  ce  que  je  vous  ai  avancé,  il  me  conviendroit 
mal  à  présent  d'en  vouloir  tirer  vanité.  Je  puis  encore  vous  assurer, 
Monsieur,  que  je  n'en  ai  jamais  parlé  qu'à  ma  sœur.  Rien  ne  seroit  si 
mortifiant  pour  moi  que  si  le  Roi  pouvoit  penser  que  j'eusse  été  capable 
d'inventer  pareille  chose.  Et  pourquoi,  au  reste,  cette  audace  ?  Je  ne 
demande  rien  pour  moi,  et  je  suis  persuadée  que  S.  M.  trouvera  na- 
turel que  je  lui  demande  des  grâces  pour  cette  jeune  personne,  et 
pour  mon  fils,  qui  est  depuis  trois  ans  capitaine  de  cavalerie  et  que 
j'ai  toutes  les  peines  du  monde  à  faire  subsister.  Quoi  qu'il  arrive  et 
de  quelque  manière  que  les  choses  tournent,  j'aurai  toute  ma  vie  un 
respect  et  une  vénération  pour  S.  M.  à  toute  épreuve.  Si  je  ne  m'étois 
pas  fait  une  loi  par-dessus  toutes  les  autres  de  lui  obéir  avec  une  en- 
tière soumission,  Emilie  peut-être,  et  je  puis  l'assurer,  ne  seroit  pas  si 
malheureuse  ;  mais  j'ai  fait  mon  devoir,  j'ai  obéi  à  mon  roi  et  à  mon 
maître,  à  qui  je  dois  tout.  Je  vous  demande  toujours,  Monsieur,  de  con- 
tinuer vos  bontés  et  à  faire  de  votre  mieux  pour  cette  infortunée  et  pour 
mon  fils.  Je  vous  en  aurai  une  très  sensible  obligation  ;  je  vous  dirai 
cependant  que  je  crois  fortement  que  le  Roi  leur  sera  tôt  ou  tard  favo- 
rable. Cela  ne  peut  être  autrement,  le  sang  ne  pouvant  jamais  se  dé- 
mentir. Je  ne  doute  pas,  Monsieur,  que  vous  ne  soyez  surpris  de  ma 
confiance;  mais  je  vous  jure,  par  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré,  qu'elle 
vient  uniquement  de  la  bonne  opinion  que  j'ai  du  maître.  Au  nom  de 
Dieu,  Monsieur,que  qui  que  ce  soit  ne  voie  mes  lettres,  que  je  vous 
supplie  de  me  renvoyer,  et  de  me  croire,  etc. 

«  Trouvez  bon  que  je  ne  signe  pas. 

«  Pardonnez-moi,  Monsieur,  je  vous  supplie,  toutes  les  ratures  et  le 
défauts  de  ma  lettre.  Vous  pouvez  juger  que  ce  n'est  pas  sans  émotion 
qu'elle  est  écrite.  » 

M.  (le  Benoist,  curé  de  Saint-Germain-en-Laye,  au  comte  de 
Pontchar  train. 

«  Saint-Germain-en-Laye,  20  novembre  [1711). 

(f  Monseigneur, 
«  Par  la  lettre  que  j'eus  l'honneur  de  vous  écrire,...  j'eus  celui  de 
vous  marquer  que  Mlle  des  Ablais  avoit  été  obligée  de  différer  son 
départ  pour  aller  chercher  Mlle  Emilie,  parce  qu'il  ne  se  trouva  point  de 


LA   FILLE  DE  MONSEIGNEUR.  497 

placo  au  coclio,  ol  qu'elle  m'avoit  assuré  qu'elle  en  avoit  arrêté  une 
pour  demain.  Cependant  j'ai  envoyé  chez  elle  aujourd'hui  pour  savoir 
si  elle  étoit  partie.  L'on  m'a  répondu  qu'elle  étoità  Versailles  et  qu'on 
ne  savoit  pas  quand  elle  reviendroil.  Je  crains  qu'elle  ne  cherche  quel- 
que recommandation  auprès  de  vous,  Monseigneur,  ou  auprès  du  Roi  ; 
car,  n'ayant  point  voulu  selon  vos  ordres  lui  déclarer  positivement  ce 
que  l'on  feroit  pour  elle,  lui  marquant  même  que  S.  M.  ne  voudroit 
pas  probablement  entrer  dans  ses  idées,  et  que  j'avois  pris  d'autres 
mesures  que  la  Providence  m'avoit  ouvertes  par  le  moyen  de  M.  du 
Ghesne,  à  qui  elle  avoit  déjà  parlé,  ou  par  quelque  autre  voie  que  je  ne 
pouvois  pas  encore  lui  dire,  je  lui  ai  marqué  que  cela  étoit  dans  un 
mouvement  ù  en  attendre  un  heureux  succès,  qu'il  falloit  qu'elle  fût 
chercher  incessamment  la  demoiselle,  que  sa  présence  éloit  nécessaire, 
et  que,  on  la  taisant  venir,  elle  ne  feroit  point  une  fausse  démarche. 
Je  lui  ai  même  donné  vingt  écus  pour  payer  son  voyage  et  son  retour 
avec  Mlle  Emilie  et  sa  nourriture  en  chemin.  J'ai  tâché  de  lui  faire  une 
confusion  d'idées,  atin  de  mieux  cacher  vos  ordres  ;  mais  je  ne  sais  si 
son  inquiétude,  qu'elle  m'a  néanmoins  assez  dissimulée,  ne  lui  fera 
point  prendre  d'autres  voies.  Je  saurai  demain  si  elle  revient  à  Saint- 
Germain. 

«  J'ai  arrêté  une  chambre  aux  Ursulines  de  Poissy,  sans  dire  pour 
qui  je  la  demandois,  et  j'en  garderai  le  secret.  La  demoiselle  des  Ablais 
vouloit  descendre  à  Paris  chez  un  fameux  oculiste  de  sa  connoissance. 
Je  n'ai  pas  cru  convenable  de  l'exposer  dans  une  maison  où  le  public 
aborde.  Je  l'ai  adressée  au  couvent  de  Liesse,  ou  Mme  Hébert,  belle 
sœur  de  Monsieur  l'Intendant,  est  prieure  *  :  c'est  une  maison  derrière 
les  Invalides  et  par  conséquent  hors  de  Paris,  très  séparée  des  visites, 
et  personne  ne  saura  quelle  elle  est,  non  pas  même  Madame  la  prieure, 
à  qui  j'écrirai  de  donner  entrée  pour  un  jour  à  une  demoiselle  de  ma 
connoissance  que  j'irai  prendre  le  lendemain  chez  elle.  Le  coche  de 
demain  arrivera  dans  cinq  ou  six  jours  à  Séez  et  partira  le  dimanche 
suivant  ;  si  toutes  les  places  ne  sont  point  prises,  elle  compte  de  reve- 
nir avec  Mlle  Emilie  et  de  me  donner  avis  du  jour  de  leur  arrivée. 
J'irai  la  prendre  à  Liesse  dans  un  carrosse,  sans  lui  dire  dans  le  moment 
où  je  la  mène,  et  je  congédierai  en  même  temps  la  des  Ablais  en  lui 
remettant  pour  la  consoler  l'ordonnance  des  cent  écus  entre  ses  mains. 
J'avois  eu  l'honneur  do  vous  mander,  Monseigneur,  que  si  l'on  avoit 
|iu  lui  donner  pour  celle  année  les  cent  écus  comptant,  que  cela  au- 
roil  empêché  son  séjour  à  Paris  pour  solliciter  l'ordonnance,  et  les 
plaintes  qu'elle  auroit  pu  faire  ou  ses  discours  sur  la  séparation,  qui 
lui  sera  très  sensible  dans  les  premiers  moments    Elle  doit  m'écrire 

1.  Le  couvent  des  Bénédictines  de  Notre-Dame  de  Liesse,  situé  à 
l'extrémité  de  la  rue  de  Sèvres,  avait  pour  prieure  Marie-Anne-Margue- 
rite Hébert,  sœur  d'Agnés-Françoise,  qui  avait  épousé  en  1697  Armand 
Roland  Bignon  de  Blanzy,  intendant  de  la  généralité  de  Paris. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXI  32 


498  APPENDICE  XIV. 

dans  les  temps  qu'elle  partira,  pour  m'avertir  du  jour  de  son  arrivée, 
et  je  me  trouverai  à  Paris  pour  la  conduire  aussitôt  à  Poissy.  Je  ne 
perdrai  point  de  temps  pour  exécuter  les  ordres  de  S.  M.  Vous  en 
serez,  Monseigneur,  informé  aussitôt.  Je  ne  fais  que  recevoir  votre 
lettre;  Monseigneur,  en  date  du  47e  ;  je  n'eusse  pas  si  longtemps  dif- 
féré de  répondre  à  vos  ordres.  Je  suis  etc.. 

«  De  Benoist.  « 


M.  de  Benoist  au  comte  de  Pontchartrain. 

«  Saint-Germain-en-Laye,  12  décembre  [17Hi]. 

«  Monseigneur, 
«  Je  viens  de  recevoir  une  lettre  de  la  demoiselle  des  Ablais  qui  me 
marque  qu'elle  doit  partir  le  dO  de  ce  mois  avec  Mlle  Emilie  pour  arri- 
ver le  15  à  Paris,  pourvu  que  les  grandes  eaux  ne  retardent  point  les 
voitures.  J'irai  la  revoir  à  Paris  à  l'adresse  dont  nous  sommes  conve- 
nus. Je  me  donne  l'honneur  de  vous  en  informer,  Monseigneur,  atin 
que  si  vous  voulez  me  faire  l'honneur  de  m'adresser  l'ordonnance  pour  la 
demoiselle  des  Ablais,  je  puisse  la  lui  remettre  entre  les  mains  en  les 
séparant.  Vous  avez  eu  la  bonté  de  me  dire  que  cette  ordonnance  se- 
roit  telle  qu'elle  seroit  payable  promptement  pour  cette  première  fois, 
atin  d'éviter  les  discours  que  la  douleur  d'une  séparation  récente,  jointe 
au  délai  du  paiement,  pourroit  exciter.  Je  suis,  etc.. 

(c  De  Benoist. 

La  marquise  de  Roure  au  comte  de  Pontchartrain. 

«  3  janvier  1712  2.  » 

«  Je  sens.  Monsieur,  dans  toute  sa  force  le  coup  qui  vient  de  tomber 
sur  moi,  et  j'y  suis  sensible  comme  je  dois.  Mais  je  crois  que  je  dois 
renfermer  ma  douleur  en  moi-même,  la  cacher  au  public  et  me  taire. 
Je  voudrois  de  tout  mon  cœur  que  Mlle  des  Ablais  fut  brûlée  toute 
vive  pour  la  punir  de  la  conduite  qu'elle  a  tenue.  Pour  ce  qui  me  re- 
garde personnellement.  Monsieur,  tout  le  monde  sait  ici  que,  depuis 
la  mort  de  M[onseigneur],  je  ne  suis  occupée  qu'à  mettre  mes  affaires 
en  état  pour  aller  finir  mes  jours  à  Paris.  Vous  n'ignorez  pas  le  désor- 
dre où  elles  sont,  vous  ayant  supplié  plusieurs  fois  de  demander  au 
Roi  pour  moi  des  lettres  d'état  sans  que  j'aie  pu  les  obtenir.  Je  vous 
assure,  Monsieur,  que  j'ai  plus  d'ennui  de  quitter  ces  lieux  qu'on  n'en 
a  de  m'en  voir  sortir.  Mais  je  ne  puis  point  aller  comme  une  vagabonde, 

1.  Apostilles  à  l'encre:  «  M'en  parler  demain  sans  faute.  »  Au  crayon  : 
a  Le  gentilhomme  est  arrivé,  La  Croix.  » 

2.  En  apostille  :  «  Lu  au  Roi  ;  m'en  parler  au  plus  tôt.  M.  de  Mesmes 
premier,  M.  du  Maine,  M.  d'O.  » 


LA   FILLE  DE  MONSEIGNEUR.  /.99 

ni  mendier  mon  pain.  Voilà  des  persécutions  qui  sont  sans  exemple, 
que  je  supporte  pourtant  sans  en  être  abattue,  mon  courage  étant  au- 
dessus  de  tout.  Comme  je  n'ai  plus  de  grâce  à  demander  de  ma  vie, 
permettez-moi  de  vous  remercier  ici  de  toutes  les  bontés  que  vous  avez 
eues  pour  moi  et  que  je  vous  proteste  avec  vérité  que  je  verserois  une 
partie  de  mon  sang  pour  vous  en  marquer  ma  reconnoissance.  Faites- 
moi  la  justice  d'en  être  persuadée,  etc. 

«  De  Gaumont  du  Roure.  » 


M.  de  Benoist  au  comte  de  Ponte har train. 

[1712.] 

«  Monseigneur, 

«  Les  deux  malheurs  qui  sont  arrivés  à  la  France  dans  ce  carême 
par  la  mort  de  Monseigneur  et  de  Madame  laDauphine,  m'ont  fait  dif- 
férer de  vous  rendre  compte  des  affaires  de  Mlle  Emilie.  J'ai  cru  que 
de  prendre  alors  la  liberté  de  vous  informer  de  ses  besoins  étoit  un 
contre-temps.  La  maladie  du  roi  d'Angleterre,  qui  depuis  a  exigé  de 
moi  quelques  assiduités  auprès  de  lui,  m'a  empêché  encore  de  vous 
présenter  son  mémoire  comme  je  me  proposois  d'avoir  cet  honneur. 
Mais  rien  n'échappe,  Monseigneur,  à  votre  attention  au  milieu  des 
grandes  affaires  qui  vous  environnent,  et  toute  ma  peine  est  de  lui 
laisser  ignorer  si  longtemps  son  bienfaiteur  et  les  obligations  essentielles 
qu'elle  vous  a. 

«  Sa  conduite  est  très  régulière.  Je  n'aurois  rien  à  exiger  d'elle  que 
de  cacher  davantage  son  éloignement  pour  les  convents,  qui  est  insur- 
montable. La  mort  de  Monsieur  le  Dauphin  l'a  attristée  jusqu'à  la 
rendre  malade  ;  elle  ne  sait  point  encore  si  c'est  par  lui  qu'elle  a  reçu 
les  secours  qu'elle  a  eus  jusqu'à  cette  heure.  Cependant  la  cause  de 
de  sa  tristesse  a  toujours  été  inconnue,  et,  de  l'humeur  dont  elle  pa- 
roît,  jamais  elle  ne  révélera  rien  de  tout  ce  que  l'on  souhaite  tenir 
caché.  Les  dames  de  l'abbaye  de  Poissy  et  quelques-unes  des  Ursulines 
ont  parlé  diversement  de  son  sort,  et,  quelque  question  qu'on  lui  ait 
faite  sur  sa  naissance,  son  pays  et  le  lieu  de  sa  demeure  jusqu'à  cette 
heure,  personne  n'a  aucun  soupçon,  ni  n'approche  de  son  histoire. 
Elle  se  tient  renfermée  exactement  pour  ses  lettres  dans  les  bornes  que 
je  lui  ai  prescrites  selon  vos  intentions.  Monseigneur.  La  demoiselle 
des  Ablais  a  toujours  son  domicile  à  Saint-Germain,  où  elle  ne  séjourne 
pas  beaucoup.  Je  la  crois  religieuse  au  silence  qu'on  lui  a  imposée.  Si 
elle  en  fût  sortie,  je  n'eusse  pas  manqué  d'en  avoir  quelque  connois- 
sance.  Elle  ne  paroît  point  savoir  où  est  Mlle  Emilie. 

«  Je  prends  la  liberté  de  vous  envoyer  le  mémoire  des  hardes  les 
plus  indispensables  que  vous  demandez.  Cela  ne  laissera  pas  que  de 
monter  à  près  de  deux  cents  écus,  et,  si  il  n'y  a  dans  ce  mémoire  ni  de 
quoi  travailler  ni  de  quoi  lire,  selon  ce  que  S.  M.  accordera,  on  pourra 


500  APPENDICE  XIV. 

diminuer  ou  augmenter  ;  mais,  avec  les  cent  écus  que  vous  avez  obte- 
nus pour  elle,  Monseigneur,  elle  ne  peut  pas  commencer  à  acheter  ce 
nécessaire. 

«  Si  vous  voulez  bien,  Monseigneur,  me  faire  donner  les  124**  46» 
que  vous  avez  la  bonté  de  me  marquer  pour  le  remboursement  de  ce 
que  j'ai  avancé  par  un  article  séparé,  je  vous  en  serois  très  redevable. 

«  Je  suis  avec  un  très  profond  respect,  etc. 

«  De  Benoist*.  » 


Mémoire  des  hardes  absolument  nécessaires  à  Mlle  Emilie. 

«  Douze  chemises,  douze  mouchoirs,  deux  douzaines  de  serviettes, 
une  garniture  de  nuit  et  de  jour  pour  la  tète,  un  habit  et  un  jupon, 
une  commode  pour  meuble,  une  table,  une  cuiller,  une  fourchette,  un 
couteau,  une  écuelle  et  un  gobelet  d'argent  pour  boire,  tels  qu'en  ont 
toutes  les  pensionnaires,  et  un  petit  chandelier. 

«  Je  ne  parle  point  des  meubles  de  la  chambre,  ni  d'un  lit.  J'ai  fait 
en  sorte  que  les  religieuses  le  fournissent.  Cela  ne  peut  guère  aller  à 
moins  de  deux  cents  écus   ». 


M.  de  Benoist  au  comte  de  Pontchar train. 

«  Saint-Germain,  13  janvier  [1713]. 

«  ....Mlle  Emilie  a  été  assez  longtemps  malade;  sa  santé  est  meilleure 
à  présent  ;  elle  continue  toujours  de  se  contenter  dans  la  maison.  Vous 
lui  feriez.  Monseigneur,  un  grand  plaisir  si  vous  lui  permettiez  de  voir 
Mlle  des  Ablais  ;  elle  le  désire  avec  empressement.  Si  vous  voulez  me 
permettre,  Monseigneur,  de  vous  en  dire  ma  pensée,  je  crois  que  vous 
pourriez  lui  accorder  cette  grâce  sans  aucun  risque.  La  demoiselle  des 
Ablais  me  paroît  très  discrète,  et,  si  elle  ne  Fétoit  pas,  elle  auroil  pu, 
demeurant  ici,  parler  mal  à  propos.  Je  pourrois  même,  lui  permettant 
de  votre  part,  lui  prescrire  des  mesures  et  des  règles  qu'elle  ne  passe- 
roit  pas.  Mlle  Emilie,  qui  la  sait  à  sa  porte,  a  peine  de  ne  point  voir 
une  tille  à  qui  elle  est  redevable  de  son  éducation.  Je  ne  sais  si  la  de- 
moiselle des  Ablais  a  connoissance  du  lieu  de  retraite  où  est  Mlle 
Emilie.  J'aurai  l'honneur,  Monseigneur,  d'aller  recevoir  sur  cela  vos 
ordres... 

«  De  Benoist.  » 


1.  Minute  de  réponse  portée  en  marge  de  la  lettre  :  «  J'ai  reçu,  Mon- 
sieur, votre  lettre,  etc.  Le  Roi,  a  qui  j'en  ai  rendu  compte,  a  bien  voulu 
accorder  900**  pour  acheter  tout  ce  qui  sera  nécessaire  à  Mlle  Emilie,  et 
S.  M.  s'attend  que  vous  trouverez  sur  ce  fonds  à  lui  procurer  de  quoi 
lire  et  travailler.  Continuez  à  mander,  etc.  » 


LA  FILLE  DE  MONSEIGNEUR.  501 


.V.  de  Benoiat  au  comte  de  Pontchartrain. 

«  24  janvier  [1713]. 

<f  Mlle  Emilie  ne  se  dément  en  rien  ;  elle  est  toujours  sage, 
discrète  et  de  plus  en  plus  éloignée  de  se  faire  religieuse,  quoi- 
qu'elle connoisse  que  c'est  le  meilleur  parti  qu'elle  puisse  prendre. 
Elle  fut  malade  l'année  passée  et  sa  santé  n'est  pas  encore  parfaite. 
Cela  lui  a  coûté  de  l'argent,  en  sorte  qu'elle  ne  perdra  guère  sur  les 
décris  des  monnoies.  Elle  est  bien  sensible  à  l'honneur  que  vous  lui 
faites,  Monseigneur,  de  vous  souvenir  d'elle.  Dans  la  triste  situa- 
tion où  elle  est  et  qu'elle  ressent  très  vivement,  elle  a  grand  besoin  de 
celui  de  votre  protection.  Si  vous  avez  la  bonté  de  lui  en  donner  des 
marques  en  la  mariant,  c'est  tout  ce  qu'elle  pourroit  souhaiter:  une 
personne  de  votre  main  ne  peut  que  lui  être  un  parti  très  avantageux. 
Je  ne  puis  rien  proposer  dans  l'incertitude  de  ce  que  l'on  peut  faire 
pour  elle.  Si  l'on  connoissoit  son  mérite,  cela  lui  tiendroit  lieu  d'une 
grosse  dot  ;  mais  il  y  a  des  avantages  que  l'on  estime  plus  que  celui-là 
dans  le  monde.  Je  suis,  etc.. 

«  De  Benoist.  » 

Louise-Emilie  au  comte  de  Pontchartrain  '. 

a  Ce  U  avril  1713. 
«  Monseigneur, 
«  Je  n'ay  osé  jusqua  cette  heure  prendre  la  liberté  de  vous  assurer 
de  mes  très  humbles  respects  dans  la  crainte  dinterrompre  les  momens 
que  vous  donés  au  service  de  lestât.   Mais  jespere  que  vous  me  per- 
mettres  dans  ces  jours  consacrés  a  la  pieté  de  vous  assurer  que  ne  pou- 
vant reconnoistre  les  obligations  intinie  que  je  vous  ay  que  devant  le 
Seigneur  je  ne  cesse  de  luy  demander  quil  vous  rende  le  fruit  de  la 
charité  que  vous  exercez  a  mon  esgart.  Je  nay  dautres  recours  dans  mes 
malheurs  que  vostre  bonté  et  les  assurence  que  vous  avez  bien  voulu 
me  donner  de  men  continuer  les  marques.   Que  deviendrois  je  sans 
vostre  protection.  Monseigneur?  Je  feray  mon  posible  pour  men  rendre 
digne  en  réfléchissant  souvent  sur  les  advis  que  vous  mavcz  fait   Iho- 
neur  do  me  donner.  Je  me  flate  que  vous  croyez  que  mareconnoissance 
respond  au  profond  respect  avec  lequel  je  suis, 
«  Monseigneur, 
«  Vostre  très  humble  et  très  obéissante  servante 

M  Louise  Emilie  2.  » 

1.  Nous  conservons  l'orthographe  de  cette  lettre  et  de  la  dernière. 

2.  Une  antre  lettre,  du  2  janvier  1714  porte  en  apostille  :  «  Nous  en 
parlerons;  — Mariage;  —  Au  curé.  » 


502  APPENDICE  XIV. 


M.  de  Benoist  au  comte  de  Ponchartrain. 

«  Saint^Germain-en-Laye,  13  avril  [1713]. 

(f  Monseigneur,  je  n'ai  pu  refuser  à  Mlle  Emilie  de  prendre  la  liberté 
de  vous  envoyer  une  lettre  qu'elle  se  donne  l'honneur  de  vous  écrire. 
J'espère,  Monseigneur,  que  vous  ne  trouverez  point  mauvais  qu'elle 
vous  assure  de  ses  reconnoissances  très  respectueuses  ;  vous  êtes  son 
unique  appui,  et,  par  tous  les  biens  qui  me  reviennent  sans  cesse  d'elle, 
elle  mérite  bien  de  vous  demander  la  continuation  de  l'honneur  de 
votre  protection.  Je  suis,  etc. 

«  De  Benoist.  » 

Louise-Emilie  au  comte  de  Pontchartrain. 

«  Aux  Ursuline  de  Poicy  ce  7*  décembre  1714. 

«  Monseigneur, 
a  II  faut  autant  de  confiance  que  jen  ay  sur  les  bontez  dont  vous  mo- 
norez  pour  oser  prendre  sy  souvant  la  liberté  de  vous  assurer  de  mon 
très  profond  respect.  Cest  apuié  sur  elles.  Monseigneur,  que  je  vous 
suplie  très  humblement  de  me  continuer  Ihoneur  de  vostre  protection 
qui  est  mon  seul  apui  et  toute  ma  consolation  dans  labisme  infiny  de 
mes  malheurs.  Sy  vous  navez  pitié  de  moy  que  puis  je  devenir?  Vous 
avez  desjà  signalé  vostre  charité  a  mon  esgard  d'une  manière  digne  de 
vostre  pieté  ;  elle  est  lazille  de  tous  les  affligez.  Personne  ne  lest  plus 
que  moy.  Cest  ce  qui  me  fait  espérer,  Monseigneur,  que  vous  voudras 
bien  me  permettre  de  vous  représenter  lestât  ou  la  cherté  présente  me 
réduit.  On  sen  aperçoit  baucoup  dans  les  comunautés  ;  elle  a  mesme 
obligé  les  dames  religieuses  de  retrancher  bien  des  chose  dans  leur 
maison  qui  font  souffrir  les  personnes  qui  y  sont.  Sans  mesme  oser 
men  plaindre,  je  suis  très  souvent  malade  et  en  mesme  tems  hors  des- 
tat  de  prendre  les  soulagement  nécessaire  pour  me  rétablir  comme  il 
faut.  Pardonnez  moy  sil  vous  plaist,  Monseigneur,  ce  petit  destail,  je 
ne  puis  avoir  recours  qua  vous  ;  je  vous  suplie  de  me  faire  la  grâce  dy 
avoir  un  peu  d'attention  et  de  ne  point  abandonner  une  jeune  et  infor- 
tunée personne  qui  livre  pour  toujours  son  sort  entre  vos  charitables 
mains  et  qui  ne  cessera  jamais  doffrir  des  prières  au  Seigneur  pour 
vostre  conservation.  Cest  la  seule  marque  que  je  puis  vous  donner  de 
ma  vive  reconnoissance  ;  jy  joins  la  parfaite  soumission  avec  laquelle 
je  me  feray  toujours  gloire  dexecuter  vos  ordre  ayant  Ihoneur  destre, 
etc. 

«  Louise  Emilie.  « 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


Page  36,  note  2.  A  propos  de  Madame  se  remettant  en  grand  habit 
en  pleine  nuit  lors  de  la  mort  de  Monseigneur,  on  peut  citer  ce  pas 
sage  de  sa  correspondance  en  4695  (recueil  Brunet,  tome  I,  p.  13): 
«  Je  ne  vois  pas  pourquoi  il  faut  aux  gens  tant  de  costumes  divers. 
Mes  seuls  vêtements  à  moi  sont  le  grand  habit  et  un  costume  de  chasse 
quand  je  monte  à  cheval.  Je  n'en  ai  point  d'autre.  Je  n'ai  de  ma  vie 
porté  ni  robe  de  chambre  ni  manteau,  et  je  n'ai  dans  ma  garde-robe 
qu'une  seule  robe  de  nuit  pour  me  lever  et  pour  me  mettre  au  lit.  » 

Page  87,  note  7.  Desgranges,  dans  ses  registres  (ms.  Mazarine2746, 
fol.  30-34)  donne  l'énumération  des  cercueils  des  membres  de  la  fa- 
mille des  Bourbons  qui  se  trouvaient  à  Saint-Denis  lors  de  la  mort  de 
Monseigneur,  et  l'ordre  dans  lequel  il  les  fit  ranger  :  «  J'ai  marqué 
dans  le  volume  l*""  de  mes  relations  la  disposition  des  cercueils  qui  se 
(rouvoient  dans  le  caveau  en  4693.  Comme  il  manquoit  des  tréteaux 
de  fer,  j'en  ai  fait  faire  de  nouveaux,  et  j'ai  fait  ranger  les  cercueils 
ainsi  qu'il  est  tiguré  ci-après  :  4.  Henri  IV,  mort  le  4  mai  4640  ;  2.  La 
reine  MariedeMédicis,  3  juillet  4642;  3.  Louis  XIII,  44  mai  4643;  4.  La 
reine  Anne  d'Autriche,  20  janvier  4666;  5.  La  reine  Marie-Thérèse,  30 
juillet  4683  ;  6.  Madame  la  Dauphine.  20  avril  4690  ;  7.  Louis  Dauphin, 
44  avril  4744  ;  8.  Le  duc  d'Orléans,  47  novembre  1644  ;  9.  Marie  de 
Bourbon  de  Montpensier,  première  femme  de  Gaston  d'Orléans.  4  juin 
1627  ;  10.  Le  duc  de  Valois,  (ils  de  M.  le  duc  d'Orléans,  le  10  août 
1652;  44.  Anne-Marie  d'Orléans  de  Chartres,  lille  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans, le  47  août  4656;  42.  Monsieur  Gaston-Jean-Baptiste,  duc  d'Or- 
léans, 7  février  4660  ;  13.  Anne-Elisabeth  de  France,  30  décembre  4662  ; 
44.  Marie-Anne  de  France,  26  novembre  4664  ;  45.  Mademoiselle, 
lille  de  M.  le  duc  d'Orléans,  8  juillet  4665  ;  46.  Philippe-Charles  d'Or- 
léans, duc  de  Valois,  fils  de  Monsieur  Philippe  de  France,  duc  d'Or- 
léans, 8  décembre  4666  ;  47.  Henriette-Marie  de  France,  reine  d'An- 
gleterre, 40  septembre  4669  ;  48.  Henriette-Anne  d'Angleterre, 
première  femme  de  Philippe  de  France,  duc  d'Orléans,  30  juin  4670  ; 
49.  Philippe  de  France,  duc  d'Anjou,  40  juillet  4674  ;  20.  Marie-Thé- 
rèse de  France,  4«''  mars  4672  ;  24.  Marguerite  de  Lorraine,  seconde 
femme  de  Monsieur  Gaston-Jean-Baptiste,  duc  d'Orléans,  3  avril  4672; 
22.  François-Louis  de  France,  duc  d'Anjou,  4  novembre  4672  ;  23. 


504  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 

Alexandre-Louis,  duc  de  Valois,  fils  de  Monsieur  Philippe  de  France, 
duc  d'Orléans,  16  mars  1676;  24.  Anne-Marie-Louise  d'Orléans,  fille 
de  Monsieur  Gaston-Jean-Baptiste,  duc  d'Orléans,  3  avril  1693  ; 
25.  Philippe  de  France,  duc  d'Orléans,  frère  du  Roi,  9  juin  1701.  » 

Page  114,  note  6.  Les  Mémoires  de  Sourches  disent  le  15  avril  : 
«  En  entrant  à  table,  même  avant  que  de  s'asseoir,  le  Roi  dit  tout  haut 
qu'on  ne  traiteroit  plus  le  nouveau  Dauphin  de  Monseigneur,  qu'en 
lui  parlant  on  lui  diroit  Monsieur,  et  qu'en  parlant  de  lui  on  diroit 
Monsieur  le  Dauphin  ;  que  cela  étoit  mieux,  et  que  ç'avoit  été  un  abus 
de  traiter  défunt  Monsieur  le  Dauphin  de  Monseigneur,  et  qu'il  étoit 
tombé  lui-même  dans  cet  abus,  l'appelant  ainsi  dans  sa  jeunesse.  » 

Page  125,  note  7.  «  On  appelle  dégagement  dans  une  maison,  dans 
an  appartement,  une  issue  secrète  et  dérobée  qui  sert  pour  la  commo- 
dité du  logement  ».  Académie,  1718. 

Page  140,  note  4.  A  propos  de  l'érection  de  la  terre  de  Pont-de- 
Vaux  en  duché  en  faveur  de  Charles-Emmanuel  de  Gorrevod,  mar- 
quis de  Marnay,  M.  le  prince-duc  de  Bauffremont  a  bien  voulu  nous 
communiquer  un  extrait  d'un  manuscrit  de  sa  bibliothèque  intitulé  : 
Descentes  généalogiques  de  plusieurs  familles  illustres  de  la  comté 
de  Bourgogne  et  autres.  Au  folio  54  v°  on  lit  ce  qui  suit  :  «  Le  mar- 
quis de  Marnay,  ayant  reçu  l'honneur  du  collier  de  l'ordre  [de  la  Toi- 
son d'or],  persévéra  encore  huit  années  dans  les  bonnes  grâces  de 
S.  A.  l'Archiduc,  et  fut  gouverneur  des  pays  et  duché  de  Limbourg. 
Mais,  à  la  fin,  étant  devenu  amoureux  de  dame  Isabelle  de  Bour- 
gogne, fille  de  Bernard  [pour  Hermann]  de  Bourgogne,  comte  de  Fa- 
lais,  ...  dame  de  l'Infante,  laquelle  en  même  temps  étoit  recherchée  en 
mariage  parle  duc  d'Aumale,  de  la  maison  de  Lorraine,  retiré  aux 
Pays-Bas,  cette  jeune  demoiselle,  belle  en  ce  temps-là,  témoigna 
d'avoir  plus  d'inclination  à  ce  prince  Lorrain,  quoiqu'il  fût  âgé,  à 
cause  qu'il  étoit  duc  et  que,  devant  l'Infante,  sa  maîtresse,  elle  eût  eu 
le  carreau  pour  cette  raison,  ainsi  que  l'ont  les  grands  d'Espagne.  Le 
marquis  de  Marnay  envoya  à  Paris  Rosaret,  son  secrétaire  et  depuis 
greffier  de  la  cour  du  Parlement,  désirant  venir  à  bout  de  sa  recherche, 
et  afin  d'obtenir  l'érection  de  sa  comté  de  Pont-de-Vaux  en  duché,  ce 
qui  réussit.  Moyennant  cela,  il  épousa  Isabelle  de  Bourgogne  le  8  fé- 
vrier 1621.  Mais  l'Archiduc,  ayant  su  cette  érection  en  duché  que  le 
marquis  avait  envoyé  demander  et  solliciter  à  la  cour  de  France,  res- 
sentit cela  étrangement  et  dit  un  jour  au  marquis  en  espagnol  :  «  No 
puedo  yo  os  hazer  mercedes  »,  de  sorte  que  le  marquis,  étant  bien  en 
peine,  ne  leva  point  de  dépêche  de  son  nouveau  duché  qu'après  la 
mort  de  S.  A.  l'Archiduc,  ce  qui  fut  fait  sans  lui  avoir  donné  le  titre 
de  pair  de  France...  Sa  femme,  pendant  la  vie  de  son  mari,  ni  depuis, 
n'eut  jamais  de  carreau  devant  l'Infante  ;  mais,  quand  la  reine  Marie 
de  Médicis  se  retira  aux  Pays-Bas  et  que  cette  dame  y  vint  pour  affaire, 
cette  reine  lui  donna  le  tabouret  comme  à  une  duchesse  en 
France.  » 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  50.S 

Page  '201,  note  9.  Voici  l'extrait  du  procès-verbal  officiel  du  lit  de 
justice,  relatif  à  M.  de  Bouillon  (Archives  nationales,  X*»  8864)  : 
«  M.  le  Chancelier  a  dit  que,  le  défunt  Roi  ayant  accordé  l'érection 
des  terres  de  Château-Thierry  et  d'Albret  en  faveur  de  M.  le  duc  de 
Bouillon  par  le  contrat  d'échange  de  Sedan,  pour  tenir  rang  du  temps 
de  la  première  et  ancienne  érection  desdites  terres,  et  le  Parlement, 
par  arrêt  de  vérilication  dudit  contrat  du  20"^  février  16o'2,  ayant  arrêté 
que  ce  seroit  seulement  pour  tenir  rang  du  jour  dudit  arrêt,  et  ledit 
sieur  de  Bouillon  n'ayant  pu  depuis  ce  temps-là  se  faire  recevoir  en 
ladite  dignité,  attendu  qu'il  n'a  pas  encore  l'âge,  la  volonté  du  Roi  est 
que  l'on  procède  à  sa  réception  et  à  l'enregistrement  de  ses  lettres, 
aussitôt  qu'il  aura  atteint  l'âge,  et  que  son  rang  et  séance  lui  soient 
conservés  du  jour  dudit  arrêt  du  20  février  4652.  Séguier.  » 

Pai;e  202,  note  1.  A  propos  du  maréchal  de  la  Meilleraye,  le  pro- 
cès-verbal du  lit  de  justice  dont  il  vient  d'être  parlé,  contient  la  men- 
tion suivante  :  «  Lecture  a  été  faite  des  lettres  de  M.  le  maréchal  de 
la  Meilleraye,  par  Messire  Pierre  de  Brilhac,  le  soit  montré  rais  sur  sa 
requête,  son  information  faite,  et,  après  des  conclusions  du  procureur 
général,  a  été  jugé,  et,  son  arrêt  de  réception  ayant  été  prononcé  par 
M.  le  Chancelier,  il  a  dit  en  même  temps  que  la  volonté  du  Roi  est 
qu'encore  que  le  sieur  maréchal  de  la  Meilleraye  ne  piit  prêter  pré- 
sentement le  serment  à  cause  qu'il  est  absent  pour  le  service  dudit 
seigneur  Roi,  néanmoins  son  rang  lui  soit  conservé  comme  s'il  avoit 
été  présent  et  prêté  le  serment  présentement  et  avant  ceux  qui  le  prê- 
teront ensuite.  » 

Page  217,  note  1.  D'après  Pellisson,  Pierre  de  l'Estoile,  quand  il 
avait  composé  un  ouvrage,  le  lisait  à  sa  servante  (Historiettes  de  Tal- 
lemnnt  des  Réaux,  tome  V,  p.  93,  note  4).  —  Alfred  de  Musset  fait 
allusion  à  la  légende  de  la  servante  de  Molière  dans  deux  strophes 
du  second  chant  de  son  poème  de  Namoima. 

Page  224.  note  4.  A  propos  de  la  réception  du  cardinal  de  Riche- 
lieu, le  secrétaire  d'Etat  BuUion,  auquel  se  joignirent  MM.  de  Châ- 
toauneuf  etd'Effiat,  lui  écrivit  (Archives  nationales,  KK  600,  fol.  191): 
«  De  Paris,  ce  jeudi  malin  à  onze  heures  et  demie  [4  novembre  1631]. 
Monseigneur,  c'est  pour  vous  donner  avis  que  ce  matin  votre  informa- 
tion a  été  jugée  avec  tout  l'honneur  et  approbation  qu'on  se  puisse 
imaginer,  et  a  été  ordonné  que  serez  reçu  à  faire  le  serment  de 
duc  et  pair,  et  n'a  été  rien  résolu  sur  la  réception  de  MM.  de  la 
Valette  et  la  Rochefoucauld  ;  cela  est  remis  au  lendemain,  après  que 
vous  aurez  prêté  le  serment.  Le  Parlement  se  promet  que  vous  serez 
ici  ce  soir,  afin  de  prêter  le  serment  demain,  et  nous  estimons  qu'il 
est  très  à  propos  que  vous  veniez  coucher  en  cette  ville  ;  tous  vos  ser- 
viteurs vous  y  souhaitent,  alin  de  parachever  cette  affaire  heureuse- 
ment. Ne  soyez  en  peine  de  l'affaire  de  M.  de  la  Rochefoucauld,  M.  le 
garde  des  sceaux  y  a  pourvu  par  le  commandement  qu'il  a  fait  à  M.  le 
procureur  général,  attendant  que  les  lettres  du  Roi  soient  arrivées. 


506  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 

Nous  prions  Dieu  qu'il  vous  conserve  en  santé  longue  et  heureuse  vie, 
et  demeurons  etc.  Bullion,  Chàteauneuf,  d'Effiat.  » 

Page  235,  note  4.  Il  y  a  une  notice  détaillée  sur  le  premier  prési- 
dent le  Jay  et  sur  sa  famille  dans  VHistoire  seigneuriale,  civile  et 
paroissiale  de  Saintry  (arrondissement  deCorbeil,  Seine-et-Oise),  par 
Emile  Creuzet  (Paris.  1907,  in-S"),  p.  86-408. 

Page  251,  note  4.  Saint-Simon  a  omis  de  relever  une  des  consé- 
quences de  l'édit  sur  les  duchés-pairies  :  c'est  l'érection  du  marquisat 
de  Rambouillet  en  duché-pairie  en  faveur  du  comte  de  Toulouse,  faite 
en  ce  même  mois  de  mai  4711,  pour  lui  assurer  deux  duchés-pairies  (il 
avait  déjà  celui  de  Penthièvre),  comme  son  frère  possédait  les  duchés 
d'Eu  et  d'Aumale. 

Page  270,  note  5.  La  baronne  d'Oberkirch,  dans  ses  Mémoires 
(tomes  I,  p.  159-461,  et  II,  p.  38-40),  a  donné  des  détails  sur  le 
chapitre  de  Saint-Pierre  de  Remiremont,  sur  les  diverses  dignitaires, 
sur  les  deux  classes  de  chanoinesses  qu'on  appelait  les  tanics  et  les 
nièces,  etc.  La  Gazette  de  1631,  correspondance  de  Bruxelles  du  7  no- 
vembre, dit  que  le  chapitre  se  composait  alors  de  cinquante-deux  «  des 
plus  gentilles  damoiselles  de  Lorraine  »,  et  qu'elles  portaient  sur  la 
tête  une  sorte  de  petite  enseigne  qu'on  appelait  le  mari. 

Page  324,  note  6.  La  vie  de  la  première  femme  du  maréchal  de 
Belle-Isle,  Henriette-Françoise  de  Durfort-Civrac,  est  à  peu  près  in- 
connue. En  dehors  de  son  contrat  de  mariage,  dont  des  extraits  se 
trouvent  dans  les  dossiers  bleus  Foucquet  à  la  Bibliothèque  nationale, 
et  que  M.  d'Echérac  a  analysé  dans  la  Jeunesse  du  maréchal  de  Belle- 
Isle,  on  ignore  tout  d'elle,  même  la  date  de  sa  mort,  et  les  dossiers  généa- 
logiquesdu  Cabinetdes  titres  ne  contiennent  aucun  renseignement.  Nous 
avons  été  assez  heureux  pour  retrouver  dans  les  papiers  séquestrés  des 
Durfort-Civi'ac,  aux  Archives  nationales,  T  321,  7''  liasse,  la  pièce  sui- 
vante, qui  élucide  au  moins  ce  dernier  point  :  «  Aujourd'hui  a  été 
enterrée  dans  notre  église  Mme  la  comtesse  de  Belle-Isle,  fille  de  Mes- 
sire  Charles  de  Durfort,  marquis  de  Civrac,  et  de  Mme  Angélique  Zaca- 
riede  Bordet  (sic),  dans  la  sépulture  de  Messieurs  ses  ancêtres,  qui 
est  sous  la  lampe  du  grand  autel.  A  Bordeaux  ce  16  janvier  1723.  — 
Je  déclare  et  certifie  que  le  présent  extrait  a  été  tiré  mot  à  mot,  sans 
y  avoir  rien  ajouté  ni  diminué,  des  registres  mortuaires  des  Grands 
Carmes  de  Bordeaux.  En  foi  de  quoi,  j'ai  livré  le  présent  extrait.  A 
Bordeaux,  le  7  août  1782.  F.  Dumau,  sacristain  des  Grands  Carmes.  » 
Une  autre  pièce  du  même  dossier  dit  que  Mme  de  Belle-Isle  avait  été 
séparée  de  biens  de  son  mari  et  avait  fait  son  testament  en  faveur  de 
son  oncle  Emeric  de  Durfort. 

Page  325,  note  7.  Jean  de  Montboissier,  comte  de  Canillac,    né   le 

11  septembre  1661,  fut  d'abord  page  du  Roi,  entra  aux  mousquetaires 

en  1682,  devint  lieutenant  aux  gardes  en  1684,  et  capitaine  en  1687  ; 

il  acheta  en  1693  une  charge  d'enseigne  aux  mousquetaires  noirs, 

assa  sous-lieutenant  en  1699,  devint  brigadier  en  1702,  maréchal  de 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  507 

camp  en  1704,  lieutenant  général  en  17i0,  eut  le  gouvernement  d'Agde 
en  1707.  entra  au  conseil  de  Régence  en  17io,  fut  nommé  capitaine 
des  mousquetaires  noirs  en  1716,  conseiller  d'État  d'épée  en  1720,  eut 
le  gouvernement  d'Amiens  en  avril  4721,  l'ordre  du  Saint-Esprit  en 
4724  (et  non  en  1728,  comme  le  dit  notre  auteur),  et  mourut  à  Paris 
lo  40  avril  172fl.  Il  avait  épousé  en  février  1697  Elisabeth  Ferrand, 
veuve  de  l'ambassadeur  Girardin,  «  riche  de  dix-huit  mille  livres  de 
rente  et  encore  aimable  »,  dit  le  Chansonnier  (ms.  Fr.  12692,  p.  247), 
qui  ajoute  que  Canillac  était  poussé  par  Monsieur  dont  il  partageait 
les  goûts  contre  nature.  Ce  Canillac  a  une  notice  dans  le  volume  45 
des  Papiers  de  Saint-Simon,  aujourd'hui  France  200,  fol.  190. 

Page  329,  note  i.  A  propos  de  la  mort  du  duc  d'Albe,  l'abbé  de 
Vayrac  dit  dans  son  Tableau  de  l'Espagne,  édition  1719,  tome  III, 
p.  42-13:  «  Certainement  Philippe  V  ne  pouvait  faire  un  plus  digne 
choix;  car,  depuis  le  41  novembre  de  l'année  1703,  qu'il  arriva  à  Pa- 
ris, jusqu'en  l'année  1741  qu'il  mourut,  il  donna  dans  toutes  les  occa- 
sions des  marques  éclatantes  de  sa  magnificence,  et  la  prudence  avec 
laquelle  il  se  comporta  lui  attira  plusieurs  fois  des  éloges  très  avanta- 
geux de  la  part  de  Louis  le  Grand.  S.  M.  Catholique  étoit  si  satisfaite 
de  sa  conduite,  qu'elle  le  nomma  plénipotentiaire  de  la  paix  et  l'honora 
de  la  charge  de  grand  chambellan  ;  mais  la  douleur  que  lui  causa  la 
mort  du  fils  unique  qui  lui  restoit  avança  si  fort  la  sienne,  qu'il  ne  put 
remplir  les  devoirs  d'aucun  de  ces  emplois.  »  Et  plus  loin  :  «  Tous  les 
seigneurs  de  la  maison  de  Tolède  ont  servi  les  rois  catholiques  avec 
tant  de  désintéressement,  qu'au  lieu  de  s'enrichir  en  les  servant  par  les 
appointements  de  leurs  emplois,  comme  font  presque  tous  les  autres, 
ils  ont  toujours  consommé  au  delà  de  leurs  revenus,  et,  quoiqu'ils 
aient  possédé  des  biens  immenses,  ils  n'ont  jamais  été  opulents,  tant 
ils  ont  été  magnifiques  et  généreux.  » 

Page  3o4,  note  1.  Virgile  avait  dit  dans  VEnéide,  livre  vi,  vers  471- 
472  : 

Nec  magis  incepto...  sermone  movetur 
Quam  si  dura  silex  aut  stet  Marpesia  cautes. 


TABLES 


TABLE  DES  SOMMAIRES 

QUI    SONT    EN    MARGE    DU    MANUSCRIT    AUTOGRAPHE. 

Suite  de   1711. 

Pages 

Mon  embarras  à  l'égard  de  Monseigneur  et  de  sa  cour  inté- 
rieure   1 

Maladie  de  Monseigneur 5 

Le  Roi  à  Meudon 6 

Le  Roi  mal  à  son  aise  hors  de  ses  maisons,  Mme  de  Mainte- 
non  encore  plus 9 

Contrastes  dans  Meudon 12 

Versailles 13 

Harengères  à  Meudon;  bien  reçues 14 

Singulière  conversation  avec  Mme  la  duchesse  d'Orléans  chez 

moi 16 

Spectacle  de  Meudon 18 

Extrémité  de  Monseigneur 19 

Mort  de  Monseigneur.  Le  Roi  va  à  Marly 22 

Spectacle  de  Versailles 23 

Surprenantes  larmes  de  M.  le  duc  d'Orléans 28 

Continuation  du  spectacle  de  Versailles 30 

Plaisante  aventure  d'un  Suisse 36 

Horreur  de  Meudon 42 

Confusion  de  Marly 44 

Caractère  de  Monseigneur 45 

Problème  si  Monseignenr  avoit  épousé  Mlle  Choin 52 

Monseigneur  sans  agrément,  sans  liberté,  sans  crédit  avec  le 

Roi 57 

Monsieur  et  Monseigneur  morts  outrés  contre  le  Roi 59 

Monseigneur  peu  à  Versailles 60 

Complaisant  aux  choses  du  sacre 61 


512  TABLE  DES  SOMMAIRES. 

Monseigneur  et  Mme  de  Maintenon  fort  éloignés 62 

Cour  intime  de  Monseigneur 63 

Monseigneur  plus  que  sec  avec  Mgr  et  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  aime  M.  le  duc  de  Berry  et  traite  bien  Mme  la 

duchesse  de  Berry 64-65 

Monseigneur  favorable  aux  ducs  contre  les  princes 65 

Monseigneur  fort  vrai  ;  Mlle  Choin  aussi 66 

Opposition  de  Monseigneur  à  l'alliance  du  sang  bâtard  pré- 
tendue   » 

Désintéressement  de  Mlle  Choin 67 

Monseigneur  attaché  à  la  mémoire  et  à  la  famille  du  duc  de 

Montausier 68 

Amours  de  Monseigneur 69 

Ridicule  aventure 70 

Monseigneur  n'aime  point  M.  du  Maine  et  traite  bien  le  comte 

de  Toulouse 73-74 

Cour  plus  ou  moins  particulière  de  Monseigneur 74 

Infamies  du  maréchal  d'Huxelles 75 

Aversions  de  Monseigneur » 

Eloignement  de  Monseigneur  de  Mgr  et  de  Mme  la  duchesse 

de  Bourgogne 76 

M.  et  Mme  la  duchesse  de  Berry  bien  avec  Monseigneur.  .  .  79 

Crayon  et  projets  de  Mme  la  duchesse  de  Berry « 

Affection  de  Monseigneur  pour  le  roi  d'Espagne 84 

Portrait  raccourci  de  Monseigneur 83 

Ses  obsèques » 

Mme  de  Maintenon  à  l'égard  de  Monseigneur  et  de  Mgr  et  de 

Mme  la  duchesse  de  Bourgogne 89 

Genre  de  la  douleur  du  Roi  ;  ses  ordres  sur  les  suites  de  la 

mort  de  Monseigneur  ;  ses  occupations  des  premiers  jours.  90 
'12  000**^  de  pension  à  Mlle  Choin  ;  bien  traitée  du  nouveau 
Dauphin  et  de  la  Dauphine.  Gène  de  sa  vie.  Sagesse  de  sa 
conduite  après  la  mort  de  Monseigneur  ;  n'est  point  aban- 
donnée   93 

Princesse  de  Conti   veut   inutilement   se  raccommoder  avec 

Mlle  Choin 96 

Du  Mont  justement  bien  traité,  et  Casaus « 

Princesse  d'Angleterre  cède  à  Madame  la  Dauphine  en  lieu  tiers.  97 

Deuil  drapé  de  Monseigneur » 

Situation  de  M.  et  de  Mme  la  duchesse  de  Berry 98 

Les  deux  battants  des  portes  chez  les  fils  et  tilles  de  France 
ne  s'ouvrent  que  pour  les  tils  et  filles  de  France.  Colère  de 
Mme  la  duchesse  de  Berry 101-102 


TABLE  DES  SOMMAIRES.  543 

Orage  tombé  sur  Mme  la  duchesse  de  Berry 103 

Elle  avoue  à  Mme  de  Saint-Simon  ses  étranges  projets   avor- 
tés par  la  mort  de  Monseigneur,  laquelle  l'exhorte  à  n'ou- 
blier rien  pour  se  raccommoder  avec  Madame  la  Dauphine.   405-406 
Mme  la  duchesse  de  Berry  se  raccommode  avec  Madame  la 

Dauphine 107 

Service  de  M.  et  de  Mme  la  duchesse  de  Berry  à  Monseigneur 

et  à  Madame  la  Dauphine 108 

Singulier  avis  de  Mme  de  Maintenon  à  Madame  la  Dauphine.  111 

Duc  de  la  Rochefoucauld  prétend  la  garde-robe  du  nouveau 

Dauphin  et  la  perd  contre  le  duc  de  Beauvillier 112 

Soumission  et  modération  de  Monseigneur  le  Dauphin.   .   .  .  113 

Veut  être  nommé  et  appelé  .Uonszewr,  non  3/o?îse25ffteMr.   .   .  114 

Marly  repeuplé 115 

Châtillons  et  Beauvaus  obtiennent  de  draper.  Deuil  singulier 

pour  Monseigneur 116 

Bâtards  obtiennent  d'être  visités  en  fils  de  France  sur  la  mort 

de  Monseigneur 420-121 

Manteaux  et  mantes  à  Marly 422 

Indécences  et  confusion  parfaite 423 

Burlesque  ruse  de  Madame  la  Princesse 425 

Monseigneur  et  Madame  la  Dauphine,  etc.,  en  mantes  et  en 

manteaux,  à  Saint-Germain 127 

Ministres  étrangers  à  Versailles,  où  les  Compagnies  haran- 
guent. Monseigneur  le  Dauphin  traité  par  le  Parlement  de 

Monseigneur  par  ordre  du  Roi 128 

Mort  et  caractère  de  la  duchesse  de  Villeroy 129 

Mort  de  l'empereur  Joseph.  Prince  Eugène  mal  avec  son  suc- 
cesseur  432-133 

Mort  de  Mmes  de  Vaubourg  et  Turgot 134-135 

Mort  de  Caravas 135 

Mariage  des  deux  filles  de  Beauvau  avec  Beauvau  et  Choiseul.    436-137 
Reprise  de  l'affaire  d'Epernon.  Forces  prétentions  semblables 
prêtes  à  éclore,  leur  impression  sur  les  parties  du  procès 

d'Epernon 138 

Ancien  projet  de  règlement  sur  les  duchés-pairies  en  1694  ; 
son  sort  alors  ;  perversité  du  premier  président  d'Harlay, 

qui  le  dressa 143 

Duc  de  Chevreuse,  de  concert  avec  d'Antin,  gagne  le  Chan- 
celier pour  un  règlement  sur  ce  modèle.  Le  Chancelier 
m'en  contie  l'idée  et  l'ancien  projet  ;  raisons  qui  m'y  font 
entrer  sans  en  prévoir  le  funeste,  et  j'y  travaille  seul  avec  le 
Chancelier 144-145 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.   XXI  33 


oi4  TABLE  DES  SOMMAIRES. 

Ancien  projet  et  mes  notes  dessus 147 

Grâce  de  substitution  accordée  au  duc  d'Harcourt  enfourne 
ce  règlement.  Sagesse  et  franchise  d'Harcourt  avec  moi  sur 
les  bâtards iS8 

Je  joins  le  maréchal  de  Boufflers  au  secret,  qui  est  restreint 
d'une  part,  entre  nous  deux  et  Harcourt,  en  général  d'une 
part,  de  l'autre  entre  Chevreuse  et  d'Antin,  en  général,  et 
sans  nous  rien  communiquer 162 

Harcourt  parle  au  Roi,  et  la  chose  s'enfourne » 

Chimères  de  Chevreuse  et  de  Ghaulnes 163 

Duc  de  Beauvillier  n'approuve   pas  les  chimères  ;    ne  peut 

pourtant  être  admis  au  secret  du  règlement  par  moi.   .  .   .  171 

Secret  de  tout  ce  qui  se  tit  sur  le  règlement  uniquement  entre 

le  Chancelier  avec  moi 171-172 

Trait  hardi  et  raffiné  du  plus  délié  courtisan  de  d'Antin,  qui 

parle  au  Roi 173 

Le  Roi  suspend  la  plaidoirie  sur  le  point  de  commencer  sur 
la  prétention  d'Épernon 174-175 

Discussion  du  projet  de  règlement  entre  le  Chancelier  et  moi.  175 

Friponnerie    insigne   et    ambitieuse   du    premier    président 

d'Harlay 176 

Apophthegme  du  premier  maréchal  de  Villeroy 178 

Je  fais  comprendre  les  ducs  vérifiés  en  l'édit 182 

L'amitié  m'intéresse  aux  lettres  nouvelles  de  Chaulnes.  Le 
Chancelier  s'y  porte  de  bonne  grâce;  je  l'y  soutiens  avec 
peine,  dépité  qu'il  devient  des  sophismes  du  duc  de  Che- 
vreuse   183 

Le  Chancelier  travaille  seul  avec   le   Roi  sur  le   règlement  ; 

son  aversion  des  ducs,  et  sa  cause 185 

Scélératesse  du  premier  président  d'Harlay  sur  le  sacre  et  la 

propagation  des  bâtards 188 

Je  propose  le  très  faible  dédommagement  de  la  double  séance 

de  pairs  démis 191 

Le  Roi,  uniquement  pour  son  autorité,  favorable  à  M.  de  la 
Rochefoucauld  contre  moi 193 

Chaulnes  enfourné 194 

Mémoire  uniquement  portant  sur  l'autorité  du   Roi  qui  me 

vaut  la  préséance  sur  M.  de  la  Rochefoucauld 194-195 

Défaut  de  foi  et  hommage.  Explication  et  nécessité  de  cet 

acte 196 

Alternative  ordonnée  en  attendant  jugement,  et  commencée 

par  la  tirer  au  sort 199 

Préjugés  célèbres  du  Roi  en  faveur  de  M.  de  Saint-Simon.   .  200 


TABLE  DES  SOMMAIRES.  5-15 

Singulier  procédé  entre  les  ducs  de  Saint-Simon  et  de  la 
Rochefoucauld  lors  et  à  la  suite  de  la  réception  au  Parle- 
ment du  premier 202 

Autre  préjugé  du  Roi  tout  récent  en  faveur  de  M.  de  Saint- 
Simon 206 

L'autorité  du  Roi  favorable  à  M.  de  Saint-Simon 206-207 

Enregistrement  sauvage  des  lettres  d'érection  de  la  Roche- 
foucauld   207 

Lettres  de  M.  le  duc  de  Saint-Simon  à  M.  le  Chancelier.  .  .  210 

De  M.  le  Chancelier  à  M.  le  duc  de  Saint-Simon 242 

De  M.  le  Chancelier  à  M.  le  duc  de  Saint-Simon 214 

De  M.  le  duc  de  Saint-Simon  à  M.  le  Chancelier 215 

Éclaircissement  de  quelques  endroits  de  mes  lettres 221 

Anecdote  curieuse  de  l'enregistrement  de  la  Rochefoucauld.  223 

Courte  et  foncière  explication  de  la  question  de  préséance 
entre  la  première  réception  du  pair  au  Parlement  et  la 

date  de  l'enregistrement  de  la  pairie 229 

Nature  de  la  dignité 231 

Ce  qui  de  tout  temps  fixoit  l'ancienneté  du  rang  des  pairs, 

l'a  tixé  toujours,  et  le  fixe  encore  aujourd'hui 233 

Fausse  et  indécente  difficulté  tombée  de  la  date  de  chaque 

réception  successive 235 

Dignité  de  duc  et  pair  mixte  de  fief  et  d'office,  et  unique  de 

ce  genre 236 

L'impétrant  et  sa  postérité  appelée  et  installée  avec  lui  en  la 

dignité  de  pair  à  la  différence  de  tout  autre  officier 239 

Reprise  de  l'édit 241 

Lettre  de  M.  le  duc  de  Saint-Simon  à  M.  le  Chancelier.  .   .  .  242 

Lettre  de  M.  le  Chancelier  à  M.  le  duc  de  Saint-Simon.   .  .  .  244 

J'apprends  du  Chancelier  les  articles  de  l'édit  résolus » 

Je  confie  au  duc  de  Beauvillier  et  au  duc  et  à  la  duchesse  de 
Chevreuse  que  Chaulnes  va  être  réérigé  pour  leur  second 

fils 246 

L'édit  en  gros  s'évente.  Mouvements  de  Matignon  et  des  Ro- 

hans  ;  leur  intérêt » 

Lettre  de  M.  le  duc  de  Saint-Simon  à  M.  le  Chancelier.  .  .  .  247 

De  M.  le  Chancelier  à  M.  le  duc  de  Saint-Simon 248 

L'édit  passé,  dont  j'apprends  par  le  Chancelier  tous  les  arti- 
cles tels  qu'ils  y  sont 249 

Double  séance  rejetée,  et  Chaulnes  différé,  après  avoir  été 

accordés 250 

D'Antin  reçu  duc  et  pair  au  Parlement;  m'invite  seul  d'étran- 
ger au  repas.  Le  Roi  se  montre  content  que  j'y  aie  été.  .  .  251 


S16  TABLE  DES  SOMMAIRES. 

Adresse  et  impudence  de  d'Antin.  Sagesse  et  dignité  de  Bouf- 

flers 252 

Douleur  de  Matignon  et  son  affaire  avec  le  duc  de  Chevreuse.  253 
Duc  de  la  Rocheguyon  fait  au  Chancelier  des  plaintes  de  l'é- 
dit,  prétend  en  revenir  contre  ma  préséance,  qui  le  refroi- 
dit, et  le  duc  de  Villeroy,   entièrement  et  pour  toujours 

avec  moi 255 

Fâcheux  personnage  du  duc  de  Luxembourg  sur  l'édit  ;  est  à 

Rouen  et  pourquoi 256 

Grand  changement  à  la  cour  par  la  mort  de  Monseigneur  et 

ses  impressions  différentes 261 

Duc  du  Maine « 

Duc  du  Maine  fort  mal  à  Marly 263 

Princesse  de  Conti 264 

Cabale.   Duc  de  Vendôme 267 

Vaudémont  et  ses  nièces 268 

Mlle  de  Lillebonne  abbesse  de  Remiremont 271 

Madame  la  Duchesse 272 

Prince  de  Rohan 273 

Princes  étrangers 275 

D'Antin 276 

Huxelles,  Beringhen,  Harcourt,  Boufïlers 277 

Sainte-Maure,  Biron,  Roucy,  la  Vallière 278 

Ducs  de  Luxembourg,  la  Rocheguyon,  Villeroy 279 

LaFeuillade 280 

Ministres  et  financiers » 

Le  Chancelier  et  son  fils 281 

LaVrillière 283 

Voysin 284 

Torcy » 

Desmaretz 286 

Duc  de  Beauvillier 289 

Fénelon,  archevêque  de  Cambray. 292 

Union  de  Monsieur  de  Cambray  et  de  tout  le  petit  troupeau.  299 

Duc  de  Charost,  et  sa  mère 302 

Duc  et  duchesse  de  Saint-Simon 304 

Conduite  des  ducs  de  Chevreuse  et  de  Beauvillier 306-307 

Duc  de  Chevreuse 309 

Monseigneur  le  Dauphin 310 

Mme  de  Maintenon  point  aux  ministres,  toute  au  Dauphin.  .   314-315 

Ministres  travaillent  chez  le  Dauphin 316 

Voyages  des  généraux  d'armée 320 


TABLE  DES  SOMMAIRES.  o4T 

Permangle  bat  et  brûle  un  grand  convoi S'iil 

Duc  de  Noailles  près  du  roi  d'Espagne,  avec  ses  troupes,  sous 
Vendôme.  La  reine  d'Espagne  attaquée  d'écrouelles.  Bon- 

nac  relève  Blécourt  à  la  cour  d'Espagne 3'2"2 

Marly  en  jeu  et  en  sa  forme  ordinaire  ;  cause  de  sa  singulière 

prolongation 323 

Premier  mariage  de  Belle-Isle 324 

Mariage  de  Montboissier  avec  Mlle  de  Maillé 325 

Mariage  de  Parabère  avec  Mlle  de  la  Vieuville 326 

Course  à  Marly  de  l'électeur  de  Bavière » 

Mort  de  Langeron,  lieutenant  général  des  armées  navales..  .  328 
Mort,  caractère,  descendance  et  titres  du  duc  d'Albe,  ambassa- 
deur d'Espagne  en  France.  Sa  succession 328-329 

Le  fils  d'Amelot  président  à  mortier.  Digne  souvenir  du  Roi 
des  services  de  Mole,  premier  président  et  garde  des  sceaux.  334 

Bergeyck  à  Marly  ;  mandé  en  Espagne 335 

Voyage  du  roi  d'Angleterre  par  le  royaume » 

Grand  Prieur  à  Soleure 336 

Deuil  de  l'Empereur  suspendu,  et  sa  cause » 

Le  roi  d'Espagne  donne  ce  qui  lui  reste  aux  Pays-Bas  à  l'élec- 
teur de  Bavière,  qui  passe  à  Marly  allant  à  Namur,  et  en- 
voie le  comte  d'Albert  en  Espagne.  Comte  de  la  Marck  suit 

l'Électeur  de  la  part  du  Roi,  sans  caractère 337-338 

Gassion  bat  en  Flandres  douze  bataillons  et  dix  escadrons  ; 

son  mérite  et  son  extraction 338 

Clôture  de  l'assemblée  extraordinaire  du  clergé.  Admirable 
et  hardie  harangue  au  Roi  de  Nesmond,  archevêque  d'Al- 

by.  Le  Dauphin  montré  au  clergé  parle  Roi 339-340 

Services  de  Monseigneur  à  Saint-Denis  et  à  Notre-Dame.  Mer- 
veilles du  Dauphin  à  Paris.  Nul  duc  ne  s'y  trouve,  quoique 

le  Roi  l'eiàt  désiré 342 

Création  d'officiers  garde-côte.  Pontchartrain  en  abuse,  et  de 
mon  amitié,  me  trompe,   m'usurpe,  et  je  me  brouille  avec 

lui 347 

Usurpation  très  attentive  des  secrétaires  d'État 350 

Sottise  d'amitié 352 

Trahison  noire  de  Pontchartrain 353 

Étrange  procédé  de  Pontchartrain  qui  me  veut  leurrer  par 

Aubenton 355 

Impudence  et  embarras  de  Pontchartrain 360 

Le  Chancelier  soutient  le  vol  de  son  fils  contre  moi » 

Peine  et  proposition  des  Pontchartrain  ;  ma  conduite  avec  eux.  362 

Splendeur  du  duc  de  Beauvillier  ;  causes,  outre  l'amitié,  de 


518  TABLE  DES  SOMMAIRES. 

sa  confiance  entière  en  moi  ;  discussion  de  la  cour  entre 

lui  et  moi 363 

Torcy 365 

Desmaretz 370 

La  Vrillière 372 

Voysin » 

Pontchartrain  père  et  fils 373 

Caractère  de  Pontchartrain 376 

Je  sauve  Pontchartrain  perdu 381 

Je  conçois  le  dessein  d'une  réconcilation  sincère  entre  le  duc 

de  Beauvillier  et  le  Chancelier 386 

Singulier  hasard  sur  le  jansénisme 387 

Pontchartrain  sauvé  par  le  duc  de  Beauvillier 390 

Conversation  sur  les  Pontchartrain  avec  Beringhen,  premier 

écuyer  ;  son  caractère 391 


II 

TABLE  ALPHABÉTIQUE 

DES   NOMS    PROPRES 

ET   DES   MOTS   OU   LOCUTIONS   ANNOTÉS   DANS   LES   MÉMOIRES. 

N.  B.  Nous  donnons  en  italique  l'orthographe  de  Saint-Simon,  lorsqu'elle 
diffère  de  celle  que  nous  avons  adoptée. 

Le  chiffre  de  la  page  où  se  trouve  la  note  principale  relative  à  chaque  mot 
est  marqué  d'un  astérisque. 

L'indication  (Add.)  renvoie  aux  Additions  et  Corrections. 


Abbatial  (1'),  *^- 

Abdiquer  quelqu'un,  *368. 

Académie  française  (F),  129. 

Acquis  (1'),  *313.  —  Acquit. 

Affection,  sentiment,  *262. 

Age  (les  dispenses  d'),  *178. 

Aheurter  (s'),  *3o5. 

Aiguillon  (le  duché  d'),  139. 

Ailes  (avoir  des),  au  figuré,  *280. 

AiLLY  (la  maison  d'),  *164. 

Airer,  aérer,  *92. 

Aix  (le  parlement  d'),  *149. 

Ajuster  quelque  chose,  *170. 

Alambic  (tirer  à  1'),  *184. 

Albe  (les  ducs  d'),  331-332, 
334. 

Albe  (Garcia  Alvarez  de  Tolède, 
comte,  puis  duc  d'),  331 . 

Albe  (Antoine  I  Alvarez  de  To- 
lède, ducd'),  331. 

Albe  (Antoine  II  Alvarez  de  To- 
lède, duc  d'),  332. 

Albe  (Antoine-Martin  de  Tolède, 
duc  d'),  328,  329  (Add.),  330. 


Albe  (Diègue  Alvarez  de  Tolède, 
ducd'),  331. 

Albe  (Ferdinand  Alvarez  de  To- 
lède, ducd'),  *331. 

Albe  (Antoinette  Enriquez  de  Ri- 
bera,  duchesse  d'),  *331,  332. 

Albe  (Briandede  Beaumont,  du- 
chesse d'),  331,  332. 

Albe  (Isabelle-Zacharias  Ponce  de 
Léon,  duchesse  d'),  330,  332. 

Albe  (la  ville  d'),  331. 

Albe  (le  comté  puis  duché  d'), 
en  Espagne,  331. 

Albe  (la  maison  d'),  330-334. 

Albergotti  (François -Zénoble- 
Philippe,  comte),  74. 

Albert  (Louis-Joseph  d'Albert 
de  Luynes,  comte  d'),  338. 

Albert  de  Luynes  (la  maison 
d'),  M63-166. 

Albret  (le  duché  d'),  140,  192, 
193,  201. 

Alby  (l'archevêque  d').  Voyez 
Nesmond  (Henri  de). 


520 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


Allemagne  (F),  ISG,  336,  337. 

Allemagne  (les  empereurs  d'). 
Voyez  Charles  VI,  Joseph  h''. 

Allemagne  (les  impératrices  d'). 
Voyez  Bavière-Neubourg. (El. - 
Mad.-Thér.  de),  Hanovre  (W.- 
A.  de  Brunswick-). 

Aloi  (être  d'),  *383.  —  Alloy. 

Alsace  (1'),  336. 

Alsace  (l'intendance  d'),  373. 

Alva  (la  ville  d').  Voyez  Albe 
(la  ville  d'). 

Alvarez  (le  nom  d'),  330. 

Ambassadeurs  (les),  en  France, 
128. 

Ambres  (Fr.  de  Gelas,  marquis 
d'),  308. 

Amelot  (Michel-Jean),  marquis 
de  Gournay,  334,  369,  370. 

Amelot  de  Gournay  (Michel- 
Charles),  334. 

Amiable  compositeur  (un),  *369. 

Amiens  (Louis-Auguste  d'Albert 
de  Chevreuse,  vidame  d'),  plus 
tard  duc  de  Chaulnes,  143,  463, 
166,  169,  170,  183,  288. 

Amiral  de  France  (la  charge  d'), 
349,  351. 

Amirauté  de  Castille  (J.-Thomas 
Enriquez  de  Cabrera,  duc  de 
Médina  delRioseco,  dit  1'),  333. 

Amorce  (une),  au  figuré,  *175. 

Andrault  de  Langeron  (la  fa- 
mille), 328. 

Angers  (l'évèque  d').  Voyez  Pon- 
CET  DE  LA  Rivière  (Michel). 

Angleterre  (P),  134,  156,  249, 
354. 

Angleterre  (le  roi  d').  Voyez 
Jacques  111. 

Angleterre  (la  reine  d').  Voyez 
Este  (M.-B.-E.  d'). 

Angleterre  (la  princesse  d'). 
Voyez  Stuart  (Louise-Marie). 

Anjou  (Louis  de  France,  duc  d'), 
plus  tard  Louis  XV,  126. 


Anne  d'AuTRiCHE,  reine  de 
France,  186. 

Antin  (le  marquis,  puis  duc  d'), 
2,  3,  58,  67,  68,  74,  78,  93, 
138,  139,  141-145,  163,  171- 
175,  181,  185,  210,  218-222, 
246,  248,  251-254,  258,  259, 
276,  277,  320,  327,  334,  338, 
365,  369. 

Antin  (Julie-Françoise  de  Crus- 
sol,  marquise,  puis  duchesse 
d'),  *68. 

Antin  (la  terre  et  le  duché  d'), 
*2o2. 

Apertement,  *31. 

Appuyé,  soutenu,  *40. 

Aragon  (le  royaume  d'),  322,  332. 

Archevêché  (le  palais  de  1'),  à 
Paris,  345. 

Archiduc  (1').  Voyez  Charles  III 
(le  roi). 

Arco  (Alphonse  Manrique  de 
Lara,  duc  del),  334. 

Arcos  (Thérèse  Enriquez  de  Ca- 
brera, marquise  del  Carpio,  puis 
duchesse  d'),  *333. 

Argenson  (Marc-René  de  Voyer, 
marquis  d'),  320,  379,  380. 

Armainvilliers  (la  terre  d'), 
*394.  —  Arminvilliers. 

Armentiêres  (Michel  de  Con- 
flans,  marquis  d'),  343. 

Arnauld  (la  famille),  368. 

Arpajon  (Catherine  -  Henriette 
d'Harcourt-Beuvron,  duchesse 
d'),  308. 

Ascension  (la  fête  de  1'),  242. 

Assesseur  (un),  *209. 

Assommer,  au  figuré,  *143. 

Assiette  (F),  au  figuré,  *291. 

Atlas  (le  géant),  *287. 

Aubenton  (François  -  Ambroise 
d'),  *356-360,  390. 

Audenarde  (la  bataille  d'),  278. 

Augmentations  de  gages  (les), 
*362. 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


321 


AuGUSTiNES  (le  couvent  des),  à 
ChaiUot,  *73. 

AuMONT  (Louis,  ducd'),*351,354. 

Auspice  (un),  *290. 

AvAUGOUR  (Antoine-Erard  du 
Bois  d'Avaugour,  dit  le  mar- 
quis d'),  *T3. 

AvAUGOUR  (N.  de  Fleury,  mar- 
quise d'),  *"2,  73. 

Aveu  féodal  (1'),  *198. 

Ayant-cause  (les),  *15i. 


B 


Balayeur  (un),  au  figuré,  *34. 

Balle  au  bond  (prendre  la),  *141. 

Barbe  de  quelqu'un  (à  la),  *227. 

Barbezieux  (Louis-François-Ma- 
rie le  Tellier,  marquis  de), 
39i. 

Bastille  (la),  379. 

Bâtards  du  Roi  (les),  57,  66,  114, 
424,  122,  d2o,  143-448,  460, 
162,  476-178,  480,  488,  189, 
194,  240,  242,  231,  245. 

Batteries  (les),  au  figuré,  *383. 

Bavière  (Maxirailien-Emmanuel, 
électeur  de),  134,  326,  327, 
337,  338. 

Bavière-Xeubourg  (Éléonore  - 
Madeleine-Thérèse  de),  impé- 
ratrice d'Allemagne,  133,  336. 

Bàville  (Nicolas  de  Lamoignon, 
marquis  de),  257,  258. 

Beaumont  (la  maison  de),  en  Es- 
pagne, 332. 

Beauvau  (la  maison  de),  119, 
120. 

Beauvau  (Gabriel- Henri,  mar- 
quis de),  *  136-137. 

Beauvau  (  Pierre  -  Madeleine , 
comte  de),  437. 

Beauvau  (Marie  -Thérèse  de 
Beauvau,  comtesse  de),  *437. 

Beauvillier  (le  duc  de),  3,  41, 
30,  35,  40,  76,  90,  97,  113, 


171,  204,  246,  250,  268,  273, 
278,  279,  282.  284-293,  300- 
310,  320,  343-345,  363-375, 
381-393. 

Beauvillier  (Paul-Jean-Baptiste, 
dit  le  marquis  de).  -300,  303. 

Beauvillier  (Henriette  Colbert, 
duchesse  de),  285,  300,  301, 
303.  305,  306,  308. 

Belle-Isle  (Charles  -  Louis-Au  - 
guste  Foucquet,  comte  et  ma- 
réchal de),  324,  325. 

Belle-Isle  (Henriette-Françoise 
de  Durfort  de  Civrac,  comtesse 
de),  *324  (Add.),  325. 

Belle-Isle  (Marie-Casimirede  Bé- 
thune,  marquise  de  Grancey, 
puis  maréchale  de),  325. 

Bergeyck  (Jean  de  Brouchoven, 
comte  de),  335. 

Beringhen  (Henri  l^^  de),  277, 
391. 

Beringhen  (Jacques-Louis,  mar- 
quis de),  58,  74,  277,  284,  391- 
394. 

Beringhen  (Anne  du  Blé  d'Hu- 
xelles,  dame  de),  277. 

Beringhen  (Marie-Madeleine-Éli- 
sabeth-Fare  d'Aumont,  mar- 
quise de),  277,  391. 

Berline  (une),  *22.  — Breline. 

Berry  (le  duc  de),  3,  10-12,  44, 
\Q,  24,  30,  34,  33-36,  40-42, 
53,  63,  66,  77,  79.  84-84,  94, 
96-400,  403,107-110,445,421, 
123,  127,264,  263,  327,  343, 
345. 

Berry  (la  duchesse  de),  14,  14, 
46,  48,  23,  24,  30,  34,  33,  34, 
40-42,  53,  65,  79-84,  99-410, 
115,  123,  125,  127,  261,  263, 
326,  352. 

Berthod  (l'abbé),  *302.  —  Ber- 
tau. 

Berwick  (le  maréchal-duc  de), 
128,  142,  322,  336. 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


Béthune  (Armand   I^r    de    Bé- 
thune,   marquis   puis   duc    de 
Charost,  enfin  duc  de),  303, 304. 
Béthune  (Marie  Foucquet,    du- 
chesse de),  302,  303. 
Béthune-Orval    (Louis  -  Pierre - 
Maximilien,   marquis  de),  puis 
duc  de  Sully,  343. 
Bezons  (le  maréchal  de),  322. 
Bidet (pousser  son),  *124. 
Bien-dire  (le),  *  83,  359. 
BiGNON  DE  Blanzy  (Armand-Bo- 

land),  63-67,  284,  284. 
BiRON  (Charles-Armand  de  Gon- 
taut,  marquis  de),  61,  71,  278, 
279. 
BissY  (Henri  de  Thiard,   cardinal 
de),   évêque  de  Toul,  puis   de 
Meaux,  140. 
BissY  (la  maison  de),  140. 
Blanchir  (ne  faire  que),  *371. 
Blaye  (le  gouvernement  de),  347, 
350,  351,354,  355,  357,  359, 
361. 
Blécourt   (Jean-Denis,    marquis 

de),  323.  ^ 
Blois  (les  États    généraux  de), 

166. 
Blouin  (Louis),  45,  316. 
Bois-Bogue   (la  seigneurie  du), 

*118.  —  Boîsrogues. 
Boîte  (une),  présent,  *52. 
Bon  (faire),  *362. 
Bonhomme  (un),  *160. 
BoNNAC  (Jean-Louis  Dusson,  mar- 
quis de),  323. 
Bonnet  (opiner  du),  *  227. 
Bonrepaus  (François  Dusson  de), 

323. 
Bordeaux  (la  ville  de),  258. 
BossuET  (Jacques-Bénigne),  évê- 
que de  Condom,  puis  de  Meaux, 
54,  68. 
Botte  (porter  une),  *374. 
Boucherai  (Louis),  chancelier  de 
France,  143. 


Boudin  (Jean),  5,  18,  19. 
BouFFLERS  (le  maréchal  de),  74, 
131,  160,  162,  171,  172,  252, 
253,  277,  278,  352. 
BouFFLERS      (Antoine  -  Charles  - 

Louis,  comte  de),  131,  160. 
Bougies  (les),  *27. 
Bouillon  (Frédéric-Maurice  de  la 
Tour-d'Auvergne,  duc  de),  201, 
255. 
Bouillon   (Godefroy-Maurice  de 
la  Tour-d'Auvergne,  duc  de),  7, 
92,  140,  192,  201  (Add.),  206. 
Bouillon  (Marie-Elisabeth  de  la 
Tour- d'Auvergne,    demoiselle 
de),  *7. 
Boulogne  (le  bois  de),  87. 
Boulogne-sur-Mer  (la  ville  de), 

351,352,  354. 
Boulonnais  (le),  351. 
Bourbon  (le  duc  et  la  duchesse 
de).  Voyez  Duc  (Monsieur  le), 
Duchesse  (Madame  la). 
Bourbon   (Louise -Elisabeth    de 
Bourbon-Condé,  demoiselle  de), 
2,  66,  81,  123,  263,  272. 
Bourbonne  (les  eaux  de),  160, 

272,  322. 
Bourdonner,  *22. 
Bourg  (Éléonor  du  Maine,  comte 

du),  269. 
Bourgogne  (le  duc  de),  dauphin 
de  France,  dit  Monsieur  le 
Dauphin,  3,  5,  6,  10-14,  24, 
26,  30,  31,  33-36,  41,  42, 
64,  65,  76-85,  90,  91,  93, 
96-99,  101,  107-110,  112-115, 
121,  123,  127,  129,  261,  262, 
267,  269,  273,  275-278,  281, 
283,  290-293,  299,  302,  303- 
307,  309-320,  327,  341-343, 
345-347,  363-365,  370,  372, 
379,383,  384,  387-390,  392. 
Bourgogne  (la  duchesse  de), 
Dauphine  de  France,  dite  Ma- 
dame la  Dauphine,  1-3,  5-8, 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


523 


iO,  H,  13,  i-i,  24-27.  29-31, 
33-33,40-42,  53,  57,  61,  62, 
65,  76-79,  81-84,  90,  92-93, 
97-104,  106-111,114,115,123, 
125,  127,  129-131,  261,  262, 
267-269,  271-279,  282-284, 
286,  307,  308,  310-312,  314, 
320,  323,  327,  338,  342,  375, 
379,  383,  384. 

Boutique  (être  de  la),  *31. 

BouzoLS  (M.-Fr.  Colbertde  Crois- 
sy,  marquise  de),  286,  289, 
365. 

Braxcas  (Louis  de  Brancas-Cé- 
reste,  maréchal  he),  87. 

Brancas  (H. -Ignace  de  Brancas- 
Céreste,  abbé  de),  évèque  de 
Lisieux,  *87. 

Braxcas  (la  maison  de  Villars-), 
177. 

Brancas  (le  duché  de  Villars-), 
*148,  177. 

BRANTEs(Léon  d'Albert,  seigneur 
de),  164.  Voyez  Luxembourg 
(le  duc  de  Piney-). 

Bretagne  (Louis  de  France,  duc 
de),  126. 

Bretagne  (la),  163-202. 

Bretagne  (le  duché  de).  116. 

Bride  abattue  (à),  au  figuré,  *366. 

Brioxne  (Henri  de  Lorraine-Ar- 
magnac, comte  de),  43. 

Brissac  (Charles-Timoléon-Louis 
de  Cossé,  duc  de),  159. 

Brocard  (un),  *31l. 

Bû  (Robert  de  Dreux,  seigneur 
de),  *118.  —  Beu. 


Cacherie  (la),  *94. 

Cadenet  (Honoré  d'Albert,  sei- 
gneur de),  *164.  Voyez  Chaul- 
nes  (H.  d'Albert  de  Cadenet, 
duc  de). 

Caduc,  *149. 


Camard,  *52. 

Ombray  (l'archevêque  de).  Voyez 
Fénelox  (François  de  Salignac 
de  la  Mothe-). 

Cambray  (le  diocèse  de),  *296, 
298,  299. 

Cambray  (la  ville  de),  298,  308, 
328. 

Caxillac  (Jean  de  Montboissier, 
comte  de),  323  (*Add.). 

Caxy  (Michel  II  Chamillart,  mar- 
quis de),  372. 

Cany  (Marie-Françoise  de  Roche- 
chouart-Mortemart,  marquise 
de),  372. 

Capucins  (le  couvent  des),  àMeu- 
don,  *43,  44.  51,  86. 

Caravas  (Louis-Armand  Gouf- 
fier,  comte  de),  *  135-136. 

Caravas  (Elisabeth  de  Ripperda, 
comtesse  de),  *136. 

Carpio  (François  de  Tolède  et 
Silva,  marquis  del),  puis  duc 
d'Albe,*  332-334. 

Carpio  (Gaspard  de  Haro,  mar- 
quis del),  comte-duc  d'Olivarès, 
* 332-333. 

Carpio  (Catherine  de  Haro  et 
Guzman.  marquise  del),  332. 

Carpio  (Thérèse  Enriquez  de  Ca- 
brera, marquise  del),  plus  tard 
duchesse  d'Arcos,  *333. 

Carpio  (le  marquisat  del),  *332. 

Carte  blanche  à  quelqu'un  (don- 
ner la),  *360. 

Casaus  (Henri  de),  *44,  47,  59, 96. 

Castille  (les  rois  de).  Voyez 
Henri  IV,  Jean  II. 

Castries  (Marie-Elisabeth  de  Ro- 
chechouart-Vivonne,  marquise 
de),  36,  37. 

Catinat  (le  maréchal),  74. 

Causes  majeures  (les),  *235. 

Caylus  (Marthe -Marguerite  de 
Valois-Villette,  comtesse  de),  8, 
45. 


524 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


CHAiLLOT(lesAugustinesde),  *73. 

Chambre  des  comptes  (la),  128, 
197,  198. 

Chamillart  (Michel),  63,  75,  255, 
268,  269,  280,  287,  288,  347, 
350-353,  355,  358,  360,  361, 
372,  373,  384. 

Champlâtreux  (Jean -Baptiste- 
Mathieu  Mole,  marquis  de), 
*334. 

Chancelier  de  France  (la  charge 
de),  143,  197,  201. 

Chandelle  (la),  *  44. 

Charleroy  (la  ville  de),  337. 

Charles  VI,  empereur  d'Allema- 
gne, ci-devant  le  roi  Charles  III, 

133,  134,  336. 

Charles  II,  roi  d'Espagne,  48. 

Charles  III  (Charles,  archiduc 
d'Autriche,  dit  le  roi),  en  Es- 
pagne,   puis    empereur,    133, 

134,  336. 

Charles  IX,  roi  de  France,  189. 
Charolais  (Charles  de  Bourbon- 

Condé,  comte  de),  123. 
Charolais  (Louise-Anne  de  Bour- 

bon-Condé,  demoiselle  de),  2, 

123,  263,  272. 
Charost  (Armand  II  de  Béthune, 

duc  de),   142,  173,  175,   204, 

220,  252,  303-306. 
Chartres  (Louis  d'Orléans,  duc 

de),  121. 
Chasse  au  loup  (la),  *  50,  * 51,  92. 
Château-Thierry  (le  duché  de), 

140,  192,  201. 
Chàtillon  (Alexis-Madeleine-Ro- 
salie, comte  de),  116-120. 
Chàtillon  (Claude-Elzéar,  comte 

de),  118. 
Chàtillon  (François  de),  seigneur 

du  Bois-Rogue,  *118,  119. 
Chàtillon  (Alix  de  Dreux,  dame 

de),  *118. 
Chàtillon  (Anne-Thérèse  Moret, 

comtesse  de),  *117. 


Chàtillon  (Isabelle  de  Dreux, 
dame  de),  *118. 

Chàtillon  (Madeleine-Françoise 
Honoré,  comtesse  de),  *117. 

Chàtillon-sur-Marne  (la  maison 
de),  M16-120. 

Chaulnes  (Charles  d'Albert  d'Ail- 
ly,  duc  de),  164-166,  183. 

Chaulnes  (Henri-Louis  d'Albert, 
vidame  d'Amiens  puis  duc  de), 
164,  165.  Voyez  Amiens  (le  vi- 
dame d'). 

Chaulnes  (Honoré  d'Albert  de 
Cadenet,  duc  de),  *164,  166. 

Chaulnes  (Claire-Charlotte  d'Ail- 
ly,  duchesse  de),  *164. 

Chaulnes  (Françoise  de  Neufville- 
Villeroy,  duchés, e  de),  164. 

Chaulnes  (la  terre  et  le  duché 
de),  139,  143,  164-166,  *  170, 
183,  184,  194,  243,  245,  250, 
363-365. 

Cha VILLE  (le  village  et  le  château 
de),  5,  10. 

Chemin  à  quelqu'un  (faire  faire 
du),  au  tiguré,  *142. 

Chemise  sale  (une),  au  figuré, 
*388. 

Chétardye  (Joachim  Trotti  de  la), 
curé  de  Saint-Sulpice,  298. 

Cheverny  (Louis  de  Clermont- 
Monglat,  comte  de),  248,313. 

Chevreuse  (Charles-Honoré  d'Al- 
bert, duc  de),  3,  76,  139, 
142-144,  147,  162-172,  175, 
176,  182-187,  204,  210,  219, 
220,  222,  246,  250,  253- 
257,  268,  273,  278,  279,  282, 
285,  287,  288,  291,  300-310, 
320,  364-366,  368,  369,  374, 
375,  384,  391. 

Chevreuse  (Claude  de  Lorraine- 
Guise,  duc  de),  M66-168. 

Chevreuse  (Marie  de  Rohan- 
Montbazon,  connétable  de  Luy- 
nes,  puis  duchesse  de),  167. 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


525 


Chevreuse    (Jeanne-Marie    Col- 

bert,  duchesse  de),    163,  246, 

250,  283,  300,  301,  303,  303, 

306,  308. 
Chevreuse    (Charlotte-Marie    de 

Lorraine,  demoiselle  de),  *467. 
Chevreuse  (la  terre  et  le  duché 

de),  139,  143,  166,  *167,  168, 

178,  483. 
Choix  (Marie-Emilie  JoUy  de),  2, 

7,-12,43,43,49-34,61,63.65- 

68,   74,   73,    84,    93-96,   264, 

264,  265,  269,   276,  278,  280, 

284. 
Choiseul   (Claude   de    Choiseul- 

Francières,  maréchal  de),  74. 
Choiseul  (Hubert  de  Choiseul  de 

la  Rivière,  dit  le  marquis  de), 

*437. 
Choiseul    (Henriette- Louise    de 

Beauvau,   marquise  de),  *437. 
Choiseul  (la  maison  de),  437. 
CiVRAC    (Henriette-Françoise    de 

Durfort,  demoiselle  de),  *324. 

Voyez  Belle-Isle  (la  comtesse 

de). 
Clergé     (l'assemblée    du),    339- 

342. 
Clermont-Chaste  (François -Al- 
phonse, chevalier  de),  65,  74, 

371. 
Clermoxt-Chaste      (Louis-Anne 

de),   évèque-duc  de  Laon,  65, 

66,  74,  204,  203. 
Clôture  religieuse  (la),  *443. 
Coëtaxfao     (François -Toussaint 

de    Querhoent-Kergounadech, 

marquis  de),  46. 
CoLBERT  (J.-B.),    ministre,    463, 

468,  303,  374,  374. 
CoLBERT  (la  famille),  365,  394. 
CoiSLiN  (Henri-Charles  du    Cam- 

bout,  duc  de),  évêque  de  Metz, 

87. 
CoiSLiN    (Armand    du   Cambout, 

duc  de),  204. 


Colonel  général  de  la  cavalerie  (la 

charge  de),  '358. 
Comble  (mettre  le),  *83. 
Commissaires  (les  petits),  au  Par- 
lement, *455. 
Compair  (un),  *234.  —  Conpair. 
CoMPiÈGXE  (la  ville  et  le  château 

de),  434,  326,  327. 
Compte  (avoir  son),  *426. 
Compter,  rendre  compte,  *93. 
Concomitance  (la),  *238. 
Concomitant,  *234. 
CoNDÉ  (le  prince  et  la  princesse 

de).    Voyez  Prince   (Monsieur 

le),  Princesse  (Madame  la). 
CoxDÉ  (la  maison  de),  328. 
Coxdé-sur-Escaut  (la  ville  de), 

324. 
Connétable  de  France  (la  charge 

de),  278. 
Connétable  de  Navarre  (la  charge 

de),  332. 
Connivence  (la),  *253. 
Conniver,  *469. 
Conseil  d'État  (le),  4,  9,  23,  59, 

422,   437,  472,  184,   247-249, 

277,  282,  286,  318,  348,  367, 

369,  374,  393. 
Conseil  de  dépèches  (le),  14,  18, 

49,  30,  60,  384,  383. 
Conseil  des  finances  (le),  44,  60, 

97,  249. 
Conseil  des  parties  (le),  472,  179. 
Conseils  du  Roi  (les),  345,  360, 

393. 
Conséquent,  *205. 
Consolidement  (un),  *291. 
Constamment,  *496. 
CoxTi  (François-Louis  de  Bour- 

bon-Condé,  prince  de),  46,  64, 

74,  473,  273,  280,  342. 
CoxTi  (Louis-Armand  de  Bour- 

bon-Condé,  prince  de),  423. 
CoxTi  (Marie-Anne,  légitimée  de 

France,    princesse  de),  6,  42, 

43,  18-23,  45,  63,  63,  73,  96, 


526 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


149,  120,   123,  261,264-266, 

269,  278. 
CoxTi   (Marie-Thérèse  de   Bour- 

bon-Condé,  princesse  de),  123, 

272. 
CoxTi  (Marie-Anne  de  Bourbon- 

Conti,  demoiselle  de),  123. 
Contrariété,  contradiction,  *19. 
Corde  qui  casse  (une),  *89,  269. 
Corneille  (Pierre),   217  (Add.). 
Costume  d'enterrement  (le),  *123. 
Côté  (à),  de  côté,  *177. 
Coupe- choux  (un  frère),  *303. 
Coupée  (une  voix),  *28. 
Couper  court  à  quelqu'un,  *184. 
Couper  pied  à  quelque  chose, *2o3. 
Courage,  passion,  *99,  106. 
Cour  des  aides  (la),  128. 
Cour  des  monnaies  (la),  128. 
Cour   des   pairs  (la),   151,    157, 

177. 
Courre  à  quelqu'un  (donner  à), 

*222. 
Cours  supérieures  (les),  343,  345. 
CouRSON    (Guillaume-Urbain    de 

Lamoignon,    comte   de),    257, 

258. 
Court  à  quelqu'un  (couper),  *184. 
Court  (tenir  quelqu'un  de),  *368. 
Coutume  (une),  *170. 
Couvert  (le  petit),  122. 
Crachats  (les),  *283. 
Crève  (orage  qui),*  103. 
Crever  de  dépit,  *  104. 
Croissy  (Françoise   Béraud,  mar- 
quise de),  289. 
Croix  (Claude-François    de    la), 

95,  97. 
Crû,  adjectif,  *268. 


D 


D  AGUE  SSE  Au(H  en  ri-Fran  ço  i  s) ,  1 4  7 , 

186,  256. 
Dames  du  palais  (les),  42. 
Dampierre  (le  château  de),  305. 


Dangeau    (Philippe  de   Courcil- 

lon,  marquis  de),  58. 
Dangeau  (Sophie  de  Bavière-Le- 
venstein,  marquise  de),  8,  45, 
58. 
Darder,  au  figuré,  *312. 
Dauphin   de     France    (le),     49. 
Voyez  Bourgogne  (le  duc  de). 
Monseigneur   (Louis,   dauphin 
de  France,  dit). 

Dauphin  (le  titre  de  Monsieur  le), 
114  (Add.). 

Dauphine  (Marie-Anne-Christine- 
Victoire  de  Bavière,  dite  Ma- 
dame la),  9,  98. 

Dauphine  (Madame  la).  Voyez 
Bourgogne  (la  duchesse  de). 

Dauphine  (le),  322,  336. 

Dégagement,  issue,  125  (*Add.). 

Dégrossir  quelque  chose,  *352. 

Démonter,  déconcerter,  *124. 

Démordre,  *221. 

Dénombrement  féodal  (le),  *198. 

Dépecer  (se),  *126. 

Dépersuader,  *2. 

Déprendre,  *222. 

Dépuration  (la),  *17,  19. 

Dérouiller  du  latin,  *211. 

Dès,  préposition,  *103. 

Déshabillé  (un),  24,  *36. 

Désir  de  (au),  *237. 

Desmaretz  (Nicolas),  135,  286- 
289,  319,  347,  355,  370,  371, 
384. 

Desmaretz  (Madeleine  Bécha- 
meil,  dame),  384. 

Détraction  (une),  *154. 

Détroit  (un),  au  figuré,  *139. 

Deuil  de  cour  (le),  97-98,  115, 
116,  122-124. 

Deuil  des  veuves  (le),  127. 

Dextrement,  *309. 

Dijon  (la  ville  de),  336. 

Dirimant,  *141. 

DoMBES  (Louis-Auguste  de  Bour- 
bon, prince  de),  121,  262. 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


527 


DoNGOis  (Nicolas),  142. 

DouAY  (le  gouvornementde),  137. 

DouAY  (la  ville  de),  3-20,  338. 

Double  (le),  au  sens  de  duplicité, 
*318. 

Douceur  (en),  *286. 

Douloureux  (un  personnage),  *38. 

Draper  (le  privilège  de),  116-120. 

Draps  de  France  (les),  *  112,  113. 

Dreux  (la  maison  royale  de),  *118. 

Dreux-Brezé  (le  marquis  de),  87. 

Drogue  (une),  au  figuré,  *3i8. 

Duc  (Louis  III,  de  Bourbon- 
Condé,  duc  de  Bourbon,  dit 
Monsieur  le),  3,  272. 

Duc  (Louis-Henri  de  Bourbon- 
Condé,  duc  de  Bourbon,  dit 
Monsieur  le),  123,  272. 

Duchés  femelles  (les),  140,  143- 
145,  152,  153,  156,  179-181, 
190,  239,  2i5. 

Duchés  pairies  (les),  138-261. 

Duchesse  (Louise-Françoise,  lé- 
gitimée de  France,  duchesse  de 
Bourbon,  dit  Madame  la),  2,  3, 
6,  9,  12,  20,  22,  23,  45,  53, 
61,  64-67,  77,  78,  95,  123, 
125,  262-265,  272-276,  286, 
365. 

Duchesses  (les),  123. 

Ducs  à  brevet  (les),  166,  208, 
223. 

Ducs  et  pairs  (les),  61,  65,  66,  98, 
124,  138-261,  279,  344-346, 
359. 

Ducs  vérifiés  (les),  149, 157,  182, 
237,  260. 

Duras  (le  maréchal  de),  74. 

Duras  (Jean-Baptiste  de  Durfort, 
duc  de),  159,  182. 

Durfort  (la  maison  de),  182, 
324. 


E 


Eau  (ramener  sur  1'),  *286,  371. 


Écharpe  de  femme  (une),  *26. 

Echoir,  *1. 

Ecorce   (une),  au    figuré,   *28o, 
346,  356,  365. 

Ecosse  (F),  375. 

iiiCuries  (les),  à  Versailles,  25,  30. 

Église  gallicane  (1'),  366. 

Éjouir(s'),  *291. 

Élastique  (F),  *314. 

Électeur  palatin  (1').  Voyez  Pala- 
tin. 

Embarquer  quelqu'un,  39. 

Embarquer  une  affaire,  *173. 

Emboucher  (s'),  *349. 

Emporter  quelqu'un,  *381. 

Encre  (suer  de  F),  *367. 

Enfance  (une),  enfantillage,  *57. 

Enfermerie  (F),  *94,  363. 

Enfers  (jusqu'aux),  *377. 

Englober,  *76, 

Engoncé,  au  figuré,  *311. 

Enrayer,  M8,  275. 

Enrayure(F),  *18. 

Enriquez  de  Ribera  (Antoi- 
nette), *331.  Voyez  Albe  (la 
duchesse  d'). 

Enterrement  (le  costume  d'),  *123. 

Éparsement,  *89.  —  Esparse- 
ment. 

Épaules  (ployer  les),  *319. 

Épernon   (Jean-Louis    de  Noga- 
^  ret,  duc  d'),  *252. 

Épernon  (la  terre  et  le  duché- 
pairie  d'),  3,  142,  143,  160, 
170,  171,  173,  175,   252,  363. 

Épines  (roses  sans),  *94. 

Épisode  (un),  *183. 

Escalier  (le  grand),  à  Versailles, 
*27. 

Escarmoucher  (s'),  *393. 

Escaut  (F),  321. 

Escient  (à  son),  *174. 

Esdras  (le  grand  prêtre),  *302. 

Espagne  (F),  133,  134,  136, 154, 
232,  267,  323,  328,  330,  332, 
334,  335,  338. 


528 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Espagne  (les  rois  d').  Voyez 
Charles  II,  Philippe  II,  Phi- 
lippe V. 

Espèce  juridique  (F),  *207. 

Espérer  contre  toute  espérance, 
*4,304., 

EspiNOY  (Elisabeth  de  Lorraine- 
Lillebonne,  princesse  d'),  2,  3, 
6,  42,  13,  45,  53,  61,  63,  65- 
67,  78,  90,  95,  26i,  265,  268, 
269,  271,  272,  274,  2J6,  281. 

Este  (Marie -Béatrix-Éléonore 
d'),  reine  d'Angleterre,  92,  97, 
127,  128. 

Estouteville  (la  terre  et  le  du- 
ché d'),  139,  247,  253,  254. 

Estrées  (Victor-Marie,  comte  et 
maréchal  d'),  365,  379. 

Estrées  (Jean,  abbé  d'),  365. 

Estrées  (Lucie  -  Félicité  de 
Noailles,    maréchale    d'),  268, 

^  379. 

Etats    généraux   de   Blois    (les), 

,  166. 

Étendard  de  quelqu'un  (marcher 

^  sous  F),  *269. 

Étranglé,  au  tiguré,  *211,   *315. 

Être  de  raison  (un),  *218. 

Être  à  soi,  *21. 

Être  pas  pour  (n'),  *269. 

Eu  (Louis-Charles  de  Bourbon, 
comte  d'),  121,  262. 

Eugène  (Eugène-François  de  Sa- 
voie-Soissons,  dit  le  prince), 
133,  134,  337. 

Exténuer,  atténuer,  *176. 


Fagon  (Guy-Crescent),  5,  14,  17, 

20-22,  30,  263,  264. 
Falloir  tout  (s'en),  *252,  304. 
Fénelon  (François    de   Salignac 

de   la  Mothe-),  archevêque   de 

Gambray,  273,    282,  290-310, 

366-368,  371,  374. 


Ferté  (la  maréchale  de  la),  144. 

Ferté-Vidame  (la  terre  et  le  châ- 
teau de  la),  4,  7-9,  14,  103, 
158. 

Férule  de  quelqu'un  (être  sous 
la),  *  378. 

Fête-Dieu  (la),  324. 

Feuillade  (Louis  d'Aubusson, 
duc  de  la),  280. 

Figuratif,  *  189. 

Figure  (une),  au  figuré,  *279. 

Fil  de  l'eau  (le),  *77. 

Fin  de  non  recevoir  (une),  *141. 

Fleur  (la  première),  *258. 

Flandre  (la),  3,  67,  79,  258,  262, 
297,  308,  309,  320,  335,  337, 
373. 

Fleury  (N.,  dite  Mlle  de),  mar- 
quise d'Avaugour,  *72,  73. 

Flotter,  au  tiguré,  *382. 

Foix  (Madeleine-Charlotte  d'Al- 
bert, duchesse  de),  *165. 

Foncier  (être),  *368. 

Fontaine  (Gabriel  de  la),  *8,  9. 

Fontainebleau  (la  ville  et  le  châ- 
teau de),  10,  72,  265,  287,320, 
391,  394. 

Forger  quelque  chose,  au  figuré, 
*116. 

FoucQUET  (Nicolas),  surintendant, 
303,  324. 

Foucquet.  Voyez  Belle-Isle. 

Français  (les),  348. 

France  (la),  127,  232,  240,  241, 
325,  332,  346,  348. 

France  (les  rois  de),  208,  209, 
214,  217,  231-234,  359.  Voyez 
Charles  IX,  François  II, 
Henri  II,  Henri  HI,  Henri  IV, 
Louis  XIH,  Louis  XIV. 

France  (les  reines  de).  Voyez 
Anne  d'Autriche. 

France  (les  tils,  tilles,  petits-fiis 
et  petites-filles  de),  6,  82,  102, 
117, 122,  125,  127,  128. 

France  (la  maison  de),  116. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


j29 


Frangine  (Jean-Nicolas  Francini, 

dit),  *T0. 
Franche-Comté  (la),  269,  336. 
François  II,  roi  de  France,  189. 
Frère  coupe-choux  (un),  *303. 
Fronsac  (le  duché  de),  192,  193. 
Frotteurs  du  Roi  (les),  *37,  85. 


G 


Gaillon  (la  porte),  à  Paris,  *75. 
Galisteo  (le  duché  de),  *33i,  332. 
Galve    (Emmanuel-Marie-Joseph 

de   Silva-Mendoza,  comte   de), 

*333,  334. 
Galve  (Marie-Thérèse  de  Tolède, 

comtesse  de),  *333. 
Gamaches    (Claude-Jean-Baptiste 

Rouault,  comte  de),  248,   345. 
Garde-côtes  (les  milices),    *347- 

362. 
Gascons  (les),  252. 
Gassion  (Jean,  maréchal  de),  338. 
Gassion    (Jean,    chevalier,    puis 

comte  de),  338,  339. 
Gaston  (Monsieur).  Voyez  Mon- 
sieur. 
Gazette  de  France  (la),  56. 
Gentilshommes     servants    (les), 

*448. 
GiRONE  (la  ville  de),  322. 
Gîter,  *45. 
Glèbe  (la),  *  159,  180. 
Godant  (un),  *2. 
GoNDRiN   (Louis  de    Pardaillan, 

marquis  de),  93. 
Gorge  déployée  (mentir  à),   135, 

*436. 
Gorgé  (être),  *212. 
GouFFiER  (la  maison),  135. 
Gouverneurs  de  provinces  (les), 

258. 
Grand  chambellan  (la  charge  de), 

7. 
Grand'chambre  du  Parlement  (la), 

227. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.  XXI 


Grand  Conseil  (le),  128. 

Grande-Duchesse  (Madame  la). 
Voyez  Toscane  (M.-L.  d'Or- 
léans, grande-duchesse  de). 

Grand  maître  de  la  garde-robe  du 
Roi  (la  charge  de),  *412. 

Grand  Prieur  (le).  Voyez  Ven- 
dôme (Philippe  de),  grand 
prieur  de  France. 

Grands  d'Espagne  (les),  332. 

Grands  jours  (tenir  ses),  au  figu- 
ré, *266. 

Grands  officiers  de  la  couronne 
(les),  98,  236,  237. 

Grands  vassaux  (les),  236,  238, 
239. 

Griller  de  quelque  chose,  *27. 

Gros  de  faire  quelque  chose 
(être),  *16. 

Grosse  (une  femme),  *346. 

Guise  (Henri  I^''  de  Lorraine,  duc 
de),  466. 

Guise  (l'hôtel  de),  à  Paris,  273, 
274. 

Guyenne  (la),  165,  336,  347,  352. 

GuYON  (Mme),  302,  366,  368. 


H 


Halles  (les),  à  Paris,  89. 

Hanovre  (Wilhelmine-Amélie  de 
Brunswick-),  impératrice  d'Al- 
lemagne, *133. 

Harcourt  (le  maréchal-duc  d'), 
58,  74,  158-163,  171-173,  206, 
219,  220,  277,  315,  321,  322, 
364. 

Harcourt  (le  duché  d'),  *159, 
162. 

Harlay  (Achille  III  de),  140, 
143,  144,  146,  147,  172,  175- 
177,  182,  187,  188,  202,  203, 
256. 

Haro  (Louis  de),  comte-duc  d'O- 
livarès,  334. 

Heliche  (la  ville  d'),*332.-E/îc/te. 

34 


530 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


Henri  IV,  roi  deCastille,  331. 
Henri  II,  roi   de   France,   489, 

223. 
Henri  III,   roi   de  France,   160, 

189,  191,  231,  252. 
Henri  IV,  roi  de  France,  160. 
Heu  (un),  •212,  213. 
Hollande  (la),  136,  387. 
HoussAYE  (Félix  le  Pelletier  de 

la),  *373. 
Homogène,  '280. 
Horreur  (une),  au  figuré,  *283. 
Hors  de  page  (être),  *132. 
Hors  d'œuvre  (un),  *n5. 
HuESCA  (Frédéric- Alphonse  Alva- 
rez de  Tolède,  duc  d'),  331. 
Huissiers  de  la  chambre  du  Boi 

(les),  101,102. 
Humières  (Louis-François   d'Au- 

mont,  duc  d'),  173,  175. 
HuxELLES  (Nicolas  de   Laye   du 

Blé,  maréchal  d'),  58,  74,  75, 

277. 


I 


Impératrices  d'Allemagne  (les). 
Voyez  Bavière-Neubourg  (Élé- 
onore-Madeleine- Thérèse  de), 
Hanovre  (Wilhelmine-Amélie 
de  Brunswick-). 

Impétrant  (F),  *152,  153. 

Inapplication  (1')»  *288. 

Incisé,  au  figuré,  *242. 

Indisputable,  *217. 

Induction  (une),  *166. 

Infantado  (Jean-de-Dieu  de  Silva- 
Mendoza,  duc  del),  333. 

In  manus  (dire  son),  *243. 

Inhérent,  *190. 

Insolitement,  *220.  —  Insolitte- 
ment. 

Intégrantes  (les  parties),  *237. 

Intermède  (un),  *310,  312. 

Italie  (!'),  156. 


Jacques  III,  roi  d'Angleterre,  92, 
97, 127,  128,  335. 

Jansénistes  (les),  298,  299,  366, 
367,  371,  374,  380,  387-389, 
392. 

Jay  (Nicolas  le),  *225  (Add.), 
226-228. 

Jean  II,  roi  de  Castille,  330. 

Jésuites  (les),  297,  298,  366,  368, 
380,  388-390. 

Jeu  (mettre  au),  *357. 

Jonction  (en),  *169. 

Jour  (mettre  au),  *218. 

Joseph  I^"",  empereur  d'Allema- 
gne, 132-134,  326,  336. 

Joyeuse  (le  duché  de),  160. 

Juge  et  partie  (être),  *178. 


Lâcher  (se),  *17. 
Laisser  courre  (le),  *312. 
Lambin  (un),  *211. 
Lamoignon  (Chrétien  de),  *225- 

227. 
Lamoignon  (la  famille  de),  228. 
Langeron  (Joseph  Andrault,  com- 
te de),  328. 
Langeron    (François    Andrault, 

abbé  de),  328. 
Langeron   (Charlotte    Andrault, 

demoiselle  de),  328. 
Langoureusement,  *17. 
Languedoc  (le),  336. 
Laon  (l'évêque  de).  Voyez  Cler- 

mont-Chaste  (L.-A.  de). 
Lassay   (Léon  de    Madaillan  de 

Lesparre,  comte  puis  marquis 

de),  273. 
Lauzun  (le  duc  de),  75,  76,  182, 

266,  279. 
Lauzun  (Geneviève-Marie  de  Lor- 

ge,  duchesse  de),  266. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


531 


Législateur  (le),  *'ÎU. 

Lerin  (le  comté  de),  332. 

Leurre  (un),  au  figuré,  *348. 

Levis  (M.-Fr.  d'Albert  de  Che- 
vreuse,  marquise  de),  38,  41, 
308. 

LiANCODRT  (le  château  de),  327. 

Lice  (entrer  en),  *i38. 

Lie  du  peuple  (la),  *117. 

Lier,  pris  absolument,  *304. 

Lille  (la  ville  de),  64,  67,  77, 
273,  276,  364. 

Lillebonne  (Béatrix-Hiéronyme 
de  Lorraine,  demoiselle  de), 
abbesse  de  Remiremont,  2,  3, 
6,  12,  43,  53,  61,  63,  65-67, 
78,  95.  264.  265,  268-272,  274, 
276,  280,  281. 

Limbes  (les),  *244,  248. 

Lisière  (tenir  une),  *101. 

LisiEDX  (l'évêque  de.)Voyez  Bran- 
cas  (H.-J.,   abbé  de). 

LisiEux  (l'évêché  de),  *87. 

Lit  de  veille  (un),  *36. 

Loi  salique  (la),  *189. 

Loin  à  loin  (de),  *288. 

Longueville  (Charles-Louis  d'Or- 
léans, chevalier  de),  144. 

LoRGE  (le  maréchal  de),  74. 

LoRGE  (Guy-Nicolas  de  Durfort, 
duc  de),  182. 

Lorraine  (Léopold,  duc  de), 
269,  270,  370. 

Lorraine  (Louis,  prince  de), 
*270,  336. 

Lorraine  (Charles,  cardinal  de), 
168. 

Lorraine  (Elisabeth -Charlotte 
d'Orléans,  duchesse  de),  336. 

Lorraine  (Charlotte  de),  abbesse 
de  Remiremont,  *270,  336. 

Lorraine  (Gabrielle  de),  *270, 
336. 

Lorraine  (la  maison  de),  139. 

Lorraine  (la),  269,  271. 

Lorraine-Ghevreuse  (Anne-Ma- 


rie de),  *167.  Voyez  aussi 
Chevreuse. 

Lorraine-Chevreuse  (Henriette 
de),  *167. 

Louis  XIII,  roi  de  France,  148, 
223,  242. 

Louis  XIV.  roi  de  France,  1,  4-7, 
9-14,  16,  18, 20-24,  26,  30,  32, 
38,41,  42,44,  45,  48,  50,53, 
54,  56-63,  66,  69,  76,  78,  83, 
84,86-94  97,98,101-103,105, 
110-116,  119-129,  131,  138, 
142-147,  153,  157-160.  162, 
163,  167,  173-175,  177,  179, 
183-186, 188, 190, 191,193-197, 
199-202, 204, 206-210,  215,218- 
227, 229-231 ,  241 . 243-247, 249- 
252,  255,  256,  258,  259,  261- 
265,  268,  271,  274,  276,  278- 
280,  282,  283,  289,  292,  293, 
298,  307-311,  315-319,  324, 
326,  327,  334-337,  339-342, 
344-346,  350-352,  358,  363, 
366,  375,  379-381,  383-385, 
391-393. 

Louvois  (le  marquis  de),  350, 
391. 

Louvois  (Camille  le  Tellier,  abbé 
de),  132. 

Lucifer  (Madame),  79. 

LuDE  (la  duchesse  du),  40. 

Lully  (Jean-Baptiste),  *70. 

Luxembourg  (Léon  d'Albert  de 
Brantes,  duc  de  Piney-),  164. 

Luxembourg  (François-Henri  de 
Montmorency,  maréchal -duc 
de),  58,  74,  143,  144,  147, 
163,  164,  176,  177,  181,203, 
218,  219,  256,  257,  259,  261, 
279. 

Luxembourg  (Charles -François- 
Frédéric  de  Montmorency,  duc 
de),  74,  139,  144.  147,  157, 
158,  199,  203,  256-261,  279, 
280. 

Luxembourg  (la  ville  de),  337. 


532 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LuYNES  (Charles  d'Albert,  conné- 
table de),  164,  466,  467. 

LuYNES  (Louis-Charles  d'Albert, 
duc  de),  450,  464,  463,  467, 
468. 

LuYNES  (Louise-Léontine-Jacque- 
line  de  Bourbon-Soissons-Neu- 
chàtel,  duchesse  de),  253,  254. 

LuYNES(le  duché  de),  *483. 

LuYNES  (la  maison  d'Albert  de). 
Voyez  Albert  (la  maison  d'). 

Lyon  (la  ville  de),  336. 

M 

Madame  (Elisabeth-Charlotte  de 
Bavière,  duchesse  d'Orléans, 
dite),  44,  27,  35,  36  (Add.), 
400,  402,  405,  423,  425,  427. 

Mademoiselle.  Voyez  Berry  (la 
duchesse  de). 

Madrid  (la  ville  de),   332-334. 

Mafflé,  *376. 

Magistrats  (l'âge  des),  *150. 

Maillé  (M.-A.-G.  de  Maillé-Bé- 
nehart,  demoiselle  de),  *  325. 
Voyez  MoNTBOlssiER  (la  mar- 
quise de). 

Maillebois  (le  château  et  la  terre 
de),  289. 

Mailly  (Louis,  comte  de),  74. 

Mailly  (François  de),  archevêque- 
duc  de  Beims,  puis  cardinal, 
424,  344. 

Mailly  (M. -A. -F.  de  Saint-Her- 
mine, comtesse  de),  74,  444, 
284. 

Maine  (le  duc  du),  57,  74,  420- 
423,  426,  127,  460,  494,  245, 
264-264,  272,  277,  316,  328. 

Maine  (la  duchesse  du),  423, 
264,  272,  328. 

Maintenon  (la  marquise  de),  7, 
8.  40,  43,  20-23,  30,  45,  53, 
54,58,62,63,83,84,89,90,92, 


97,  400,  403-405,  444,  415, 
119,  121,  122,  160,  261,  262, 
267,  271-273,  277,  278,  283, 
284,  292,  298,  307-311,  314- 
317,  363,  366,  370,  372,  379, 
380,  383-385. 

Maison  du  Boi  (les  ofiBciers  de 
la),  98,  116. 

Maisons  (Jean  de  Longueil,  prési- 
dent de),  182. 

Maître  de  la  garde-robe  du  Dau- 
phin (la  charge  de),  113. 

Malin,  *377. 

Mangera  (Antoine-Sébastien  de 
Tolède,  marquis  de),  334. 

Mantes  et  manteaux  de  deuil 
(les),  124. 

Marck  (Louis-Pierre-Engilbert, 
comte  de  la),  338. 

Maréchaux  de  France  (les),  164, 
279,  339. 

Marly  (le  château  de),  1,5-7,10, 
23,24,  38,  41,  44,  45,  61,  77, 
88,  92,  93,  97,  98,  103,  144, 
443-115,  420,  423,  429,  434, 
472,  483,  484,  202,  203,  245, 
244,  244,  246,  247,  249,  250, 
252,  253,  263,  *265,  266,  340, 
342,  323,  324,  326,  327,  337, 
339,  342,  345,  347,  356,  360, 
390,  394,  393. 

Marly  (l'escalier  de),  *265,  266. 

Marly  (les  pavillons  de),  266. 

Marly  (le  curé  de).  Voyez  Mo- 
rand (Antoine). 

MARTiNEAu(le  P.  Isaac),  340. 

Masner  (Thomas),  336. 

Mathématiquement,  au  figuré, 
*282. 

Matignon  (Jacques  HI,  comte  de), 
246,  253-255. 

Maurepas  (Jean-Frédéric  Phély- 
peaux  de  Pontchartrain,  comte 
de),  373,  374,  382,  385. 

Mazarin  (le  cardinal),  486,  333. 

Mazarin  (Armand-Charles  de    la 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


533 


Porte  de  la  Meilleraye,  duc), 
492. 
Mazarin  (le  duché  de).  i92. 
Mazarin,  adjectif,  *18o. 
Meaux  (l'évêque  de).  Voyez  Bis- 
SY  (Henri  de  Thiard,    cardinal 
de),  BossuET  (J.-B.). 
Méconnaître,  ne  pas  reconnaître, 

*18. 
Meilleraye  (le  maréchal  de  la), 

201  (Add.),  202,  206,  235. 
Meilleraye    (Marie-Isabelle    de 
Rohan,  duchesse  de  la),   247, 
233. 
Meilleraye  (le   duché   de    la), 

192. 
Mercy  (Charles-Florimond,  comte 

de),  269. 
Melun    (Anne-Julie,    demoiselle 

de),  6,  43. 
Mémoires  de  Saint-Simon  (les), 

139. 
Ménagerie  (la),  à  Versailles,  78. 
Menins  du  Dauphin  (les),  58,  *93. 
Mentir   à   gorge    déployée,    135, 

*136. 
Metz  (l'évêque  de).    Voyez  Cois- 

Lix  (H.-Ch.  de). 
Metz  (l'intendance  de),  370. 
Mecdon  (le  château  et  le  village 
de),  1-6,  8,  10-14,  16-18,  23, 
24,  37,  38,  41-43,  50,  51,  53, 
54,  59-61,    77,   84-88,   93-96, 
101,  113,  114,  142,  280. 
Meldon  (le  curé  de).  Voyez  Rond 

(Louis  de). 
Meudon  (la  Capitainerie,  à),  44. 
Mecdon  (les  capucins  de),  *43,  31 . 
Milieu  (le  point),  *171. 
Militaire   (une  voie),    au    tiguré, 

*144. 
Ministres  (les),   9,    23,  58,   60, 

281,307,  316-319,  333,  391. 
Ministres  d'État  (les),  184,  378. 
Mitigation  (la),  *346. 
Mixte  (le),  *236. 


MoLÉ  (Mathieu),  335. 

MoLÉ  (la    famille),    335.   Voyez 

Champlàtreux  (M.  de). 
Monosyllabe,  adjectif,  *195. 
Monseigneur  (Louis,  dauphin  de 
France,  dit),    1-14,   17-24,  29- 
32,  42,  43,  45-72,  74-79,   81- 
91,  93-100,  103,105-108,  111- 
114,  121,122,  128,  138,  142, 
158,   163,   171,  251,  260-262, 
264,  265.  267,  269,  271,   274- 
286,  289,  290,  292,  299,   301, 
307,310,311,  314,  316,  320, 
323,  327,  337,  339,  342,  343, 
345,  333.  362,  363,391. 
Monseigneur    (l'appellation    de), 

114  (Add.),  113,  129,342. 
Monsieur  (Gaston,  duc  d'Orléans, 

dit),  118,  119. 
Monsieur    (Philippe,    duc   d'Or- 
léans, dit),   59,  89.  108,  125, 
136. 
Monsieur  (l'appellation  de),  114, 

115. 

Mont   (Hyacinthe    de   Gaureaul, 

sieur  du),  3,  6,  44,  70,  72,  91, 

96,  281,  284. 

MoNTACBAN  (Charlotte  Bautru  de 

Nogent,  princesse  de),  16,  275. 

Montausier  (le  duc  de),  50,  54, 

68,  69,  112,  113. 
Montboissier     (Philippe  -  Claude 
de  Montboissier-Beaufort,  mar- 
quis de),  *325. 
Montboissier   (Marie -Anne -Ge- 
neviève   de    Maillé  -  Bénehart, 
marquise  de),  *325. 
Montespan  (le  marquis  de),  144. 
MoNTESQuiou  (Pierre  de  Montes- 
quiou    d'Artagnan,      maréchal 
de),  321. 
Montfort-l'Amaury    (le    bourg 

de),  *380. 
Montmartre  (l'abbaye  de),  *302. 
MoNTREVEL  (le  maréchal  de),  347, 
350,  352,  353. 


534 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Morand  (Antoine),  curé  de  Mar- 
!y,  *265. 

MoREAU  (Pierre),  *337. 

MoREAu(la  famille),  *337. 

Morfondre  (se),  *183. 

MoRPHÉE  (le  dieu),  *42. 

MoRTEMART  (Louis  II  de  Roche- 
chouart,  duc  de),  301,  303. 

MoRTEMART  (M. -A.  Colbert,  du- 
chesse de),  301,  303. 

MoRTEMART  (la  maison  de),  17. 

Motte-Deyrand  (Jean-Paul,  che- 
valier de  Boisjoli,  puis  mar- 
quis de  la),  *  351,  355.  — La 
Motte  d'Ayran. 

Moucher  (le),  *35. 

Moulins  (l'ordonnance  de),*154. 

Muet  comme  un  poisson  (être), 
*211. 

Mugissement  (un),  *31. 


N 


Namur  (la  ville  de),  337,  338. 

Nantes  (l'édit  de),  320. 

Naples  (la  ville    et  le  royaume 

de),  332. 
Narratif,  *28. 

Navarre  (le  royaume  de),  332. 
Navarre  (Nicolas-Joseph  Alvarez 

de  Tolède,  connétable  de),  332. 
Nesmond  (Henri  de),  archevêque 

d'Alby,*  339-341. 
Neufville-Villeroy  (la   famille 

de),  130. 
Neuve  (l'aile),  à  Versailles,  16. 
NiEUPORT  (la  ville  de),  337. 
NÎMES  (l'évêque  de).  Voyez  Flé- 

CHiER  (Esprit). 
NoAiLLES  (Anne-Jules,  maréchal- 
duc  de),  72,  204,  293,  302. 
NoAiLLES  (Adrien-Maurice,    duc 

de),  322. 
NoAiLLES  (le  cardinal  de),   339, 

341,  342,  345. 


NoAiLLES  (la  maison  de),  95,  268, 

278,  308. 
NoGARET  (Marie-Madeleine-Agnès 

deGontaut-Biron,  marquise  de), 

61,  62,111,  279. 
Normandie  (la),  4,  258,  279. 
Normandie  (la  coutume  de),  *159. 
Notre-Dame  (l'église),  à  Paris, 

345. 


o 


0  (le  marquis  de  Villers  d'),  38, 
343,  379. 

0  (Marie-Anne  de  la  Vergne  de 
Guilleragues,  marquise  d'),  379. 

Oie  (le  jeu  de  1'),  *323. 

Oignon  (en  rang  d'),  *126. 

Olivarès  (Gaspard  de  Guzman, 
comte-duc  d'),  333. 

Olivarès  (Gaspard  de  Haro,  mar- 
quis del  Carpio  et  de  Heliche, 
comte-duc  d').  Voyez  Carpio 
(le  marquis  del). 

Onction  (1'),  *60. 

Onze  (1'),* 241. 

Opéra  (1'),  à  Paris,  *70. 

Opérer,  pris  absolument,  *208. 

Orage  qui  crève  (un),  *103. 

Oratoire  (la  congrégation  de  1'), 
388. 

Orléans  (Gaston,  duc  d').  Voyez 
Monsieur. 

Orléans  (Philippe,  ducd').  Voyez 
Monsieur. 

Orléans  (Philippe,  duc  d'),  3,  11, 
16,  26-29,  76,  79-83,  100,  104, 
105,  107,  109,  115,  119,  121, 
123,  125,  127,  220,  221,  261, 
263,  326,  343,  345,  369,  370. 

Orléans  (Mlle  de  Blois,  légitimée 
de  France,  duchesse  d'),  3,11, 
16-18,  26,  27.  29,  36,  37,  79, 
81-83,  100-105, 107,  123, 125, 
127,  130,  261,  263,  272. 

Orléans  (la  ville  d'),  389,  390. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


535 


OsoRNO  (le  comté  d'),  331,  ♦332. 

P 

Pairs  de  France  (les  anciens),*188- 
190,  23-2. 

Pairs  (les).  Voyez  Ducs  et  pairs 
(les). 

Pairs  (la  cour  des),  151, 157, 177. 

Palais  (le),  à  Paris,  142,  228. 

Palatin  (Jean-Guillaume-Joseph 
deBavière-Neubourg,  électeur), 
370. 

Pallier  à  quelque  chose,  *198. 

Papeger,  *143. 

Pâques  (la  fête  de),  1,  4,  5,  158, 
163. 

Parabère  (César-Alexandre  de 
Baudéan,  comte  de),  *326. 

Parabère  (Marie-Madeleine  de  la 
Vieuville,  comtesse  de),  *326. 

Parade  (une),  *  381. 

Paris  (la  ville  de),  9,  13,  15,19, 
43,89,  95,120,  123,128,  131, 
172-174,  177,  179,  184,  187, 
202,  210,  215,  246,  248,  270, 
314,  319,  326,  332,  337,  346, 
379,  380. 

Parlement  de  Paris  (le),  120,  129, 
142,  147-149,  151,  153,  155, 
157,  174,  177,  179,  181,  182, 
191-193,  198,  199,  201-204, 
206-209,  215,  219,  224,  225, 
229,  230,  232-236,  239,  249, 
251,252,  342. 

Parlements  (les),  151,  179. 

Parler  aux  rochers,  *3d4  (Add.). 

Parvulo(\es),  1,  53,  65,  79,  82. 

Pavillon  de  lit  (un),  *36. 

Pays-Bas-Espagnols  (les),  296, 
298,  331,337. 

Pécuniairement,  *384. 

Peletier  (Louis  le),  129,  163, 
175,  186. 

Peletier  de  Souzy  (Michel  le), 
135. 

Pentecôte  (la  fête  de  la),  324. 


Permangle  (Gabriel  de  Chouly, 

comte  de),  321. 
Petit  garçon   (tenir   quelqu'un), 

*379. 
Pied  (couper),  *253. 
Pied  à  rétrier  (le),  *93. 
Pied  de  la  lettre  (prendre  quelque 

chose  au),  *100. 
Phêlypeaux  (la  famille),  *380. 
Philippe  II,  roi  d'Espagne,  84,  91, 

267,  268,  322,  329,  331,  332, 

335-337. 
Pièces  justificatives  des  Mémoires 

de  Saint-Simon  (les),  134, 146, 

194,  223,  251. 
Pierre-Encise  (le   château  de), 

336. 
PiNEY  (le  duché  de),  181,  260. 
Piney-Luxembourg  (le   duc  de. 

Voyez    Luxembourg    (M.  -  L. 

d'Albert  de   Branles,    duc    de 

Piney-). 
Pitoyable,  *163. 
Pleureux,  *29. 
Ployer  les  épaules,  *319. 
Poêle  de  deuil  (le),  *86. 
Poignant,  *4. 
Poignard  dans  le  cœur  (avoir  le), 

*373. 
Point   (faire    venir   quelqu'un   à 

son),  *254. 
Point  milieu  (le),  *171. 
Pointe  de  l'aurore  (la),  *13. 
Poitou  (le),  224. 
Polignac   (Melchior,    abbé    de), 

364,  387. 
Pomponne  (Simon  Arnauld,  mar- 
quis de),  285,  365,  366. 
Poncet  de  la  rivière  (Michel), 

évéque  d'Angers,  *344,  345. 
Pons  (Renaud-Constant,  marquis 

de),  343. 
PoNTCARRÉ  (Pierre-Nicolas  Camus 

de),  258. 
PoNTCHARTRAiN    (le     chancelier 

de),   6,   14,    16,  17,    23,    58, 


o36 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


74,  90,  91,  114,  144-146,  158, 
159,  162.  163,  171-173,  175- 
193,  210-212,  214-223,  229, 
241-251,  255,  256,  259,  281- 
286,  289,  319,  352,  353,  357, 
360-363,  367,  373-375,  378, 
379,  382-386,  391-393. 

PoNTCHARTRAiN  (Jérôme,  comte 
de),  23,  43,  190,  191,  194, 
282,  283,  319,  320,  348-350, 
352-362,  373-390,  392,  393. 

PoNTCHARTRAiN  (Paul -Jérôme, 
chevalier  puis  marquis  de), 
374,  *382, 385. 

PONTCHARTRAIN  (Charles-Henri, 
abbé  de),  puis  évêque  de  Blois, 
373,  374,  *382,  385. 

PONTCHARTRAIN  (Marie  de  Mau- 
peou,  chancelière  de),  357, 
361,  362,  373,  378,  379. 

PoNTCHARTRAiN  (Eléoiiore-Chris- 
tine  de  la  Rochefoucauld-Roye, 
comtesse  de),  357, 373, 379, 388. 

PoNTCHARTRAiN  (Hélène-Rosalie 
de  l'Aubespine  de  Verderonne, 
comtesse  de),  *379. 

PoNTCHARTRAiN  (la  terre  et  le 
château  de),  172,  211,  393. 

Pont-de-Vaux  (le  duché  de), 
*140  (Add.). 

Porter  quelqu'un  parterre,  *267. 

Port-Royal  (l'abbaye  de),  368. 

Poupée  de  quelqu'un  (faire  sa), 
*100. 

Pour  au,  *60. 

Présupposition  (une),  *145. 

Prévôt  des  marchands  (la  charge 
de),  135. 

Primauté  (la),  *281. 

Prince  (Henri  H  de  Bourbon, 
prince  de  Condé,  dit  Monsieur 
le),  224-228. 

Prince  (Henri-Jules  de  Bourbon, 
prince  de  Condé,  dit  Monsieur 
le),  9,  272,  274. 

Princes  du  sang  (les),    64,   98, 


114,  115,  121,  126,  127,  147- 
149,  175,  176,  178,  180,  188- 
191,  231,  262,  346. 

Princes  étrangers  (les),  65,  98, 
124,  275. 

Princesse  (Anne,  palatine  de  Ba- 
vière, princesse  de  Condé,  dite 
Madame  la),  123, 125, 126,  328. 

Princesses  étrangères  (les),  124. 

Production,  au  tiguré,  *85. 

Protée  (le  dieu),  269. 

Protestants  Qes,),  367. 

Protester  quelque  chose  à  quel- 
qu'un, *319. 

Provence  (la),  336. 

Proximité,  voisinage,  *300. 

Pyrénées  (la  paix  des),  88,  333. 


QuASiM0D0(le  dimanche  de),  4,  8. 
QuESNEL  (Pasquier),  297,  298. 
Queue  (le  village  de  la),  8. 
Queue  (le  venin  à  la),  *245. 


R 


Raccrocher,  au  tiguré,  *297. 

RaflQné  (un),  *309. 

Raisin  (Françoise  Pitel  de  Long- 
champ,  dame),  72. 

Raison  (mettre  quelqu'un  à),  *161. 

Ramer  contre  le  fil  de  l'eau,  *77, 
134. 

Rames  (à  force  de),  *371. 

Rassemblé,  *31. 

Reclus  (un),  *12,  32,  43. 

Reclus,  renfermé,  *  139. 

Recogner  quelqu'un,  *272.  — 
Rencoigner. 

Réérection  (la),  *181. 

Référer  (se),  *309. 

Régent  de  collège  (un),  *377. 

Rehaussement  (le),  au  tiguré,  *90. 

Reims  (l'archevêque -duc  de). 
Voyez  Mailly  (Fr.  de). 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


537 


Reins    trop    faibles    (avoir  les), 

•268,  284. 
Remercier,  renvoyer,  *369. 
Remiremont  (l'abbaye  de),  *270 

(Add.),  274,  272. 
Remiremont  (l'abbesse  de). Voyez 

LiLLEBONNE  (Mlle    de).    Lor- 
raine   (Charlotte     de),    Salm 

(Dorothée  de). 
Renversement  (un),  *24. 
Repartir,  répliquer,  *313. 
Repos  (le),  à  Marly,  10. 
Replâtrer,  au  tiguré,  *i33. 
Reprises  dotales  (les),  *167. 
Respectif,  *496. 
Ressort  (un),  au  figuré,  *39. 
Retaper  quelque  chose,  *29. 
Réticence  (une),  *245.  —  Rétis- 

cence. 
Retz  (Henri  de  Gondy,  duc  de), 

229. 
Retz  (Pierre  de  Gondy,  duc  de), 

499,  228,  229. 
Retz  (le  duché  de),  *200,  203, 

228. 
Rhin  (le),  460,  472,  322. 
Riant  (le),  *386. 
Richelieu  (le  cardinal   de),  224 

(Add.),  225-228. 
Richelieu  (A.-J.  de  Vignerot  du 

Plessis,  duc  de),  192,  193. 
Richelieu  (le   duché  de),    192, 

224,  225. 
Rideau  (tirer  le),  *41. 
RiPPERDA    (Jean-Guillaume,    ba- 
ron puis  duc  de),  *136. 
RiVAu  (Jacques  III  de   Beauvau, 

marquis  du),  *118-449. 
RiVAu  (Diane-Marie  de  Campet, 

marquise  du),  *449. 
Robinet  (le),  au  tiguré,  *295. 
RocHEFORT  (Marie  de  Laval-Bois- 

dauphin,  maréchale  de),  27. 
Rochefoucauld  (François  V,  duc 

de  la),  *225,  228,  229. 
Rochefoucauld     (François    VIj 


duc  de  la),  497,  499,  200,205- 

207,  223-225,  228. 
Rochefoucauld    (François    VII, 

duc  de  la),  74,  442,  443,  439, 

177,   182,    193-200,    202-207, 

209,  212,   221-223,  225,  228- 

233,  235,  236,  238,  239,  255. 
Rochefoucauld  (la  maison  de  la), 

223. 
Rochefoucauld  (le  duché  de  la), 

195,  198,  203,  207,  208,  223; 

225-228. 
Rocheguyon  (François  VIII  de  la 

Rochefoucauld,  duc  de  la),  74, 

255,  256,  279,  280. 
Roche-sur-Yon  (Louise- Adélaïde 

de   Bourbon-Conti,    demoiselle 

de  la),  123. 
Rochers  (parler  aux),  *  354  (Add.). 
Rohan  (Henri,  duc  de),  140. 
RoHAN  (le  prince  de).  Voyez  Ro- 

han-Rohan  (le  duc  de). 
Rohan  (la  maison  de),  124,  247, 

254,  274. 
RoHAN  (le  duché  de),  140. 
Rohan-Chabot  (Louis,   duc   de), 

140. 
RoHAN-RoHAN  (Hercule-Mériadec 

de  Rohan-Soubise,    prince  de 

Rohan,  puis  duc  de),  247,253, 

273-276. 
Roi  de  quelque  chose  (être),*  379. 
Rome  (la  ville  et   la  cour  de),  3, 

282,  286,  298,  332,  366,  368, 

374,  392, 
Rond  (Louis  de),  curé  de  Meudon, 

20,  *51,  86,265. 
Roquelaure     (Gaston-Jean-Bap- 
tiste-Antoine, duc  de),  208. 
Roucy  (François  II  de  la  Roche- 

foucauld-Roye,  comte  de),   74, 

278. 
RoucY  (Catherine-Françoise  d'Ar- 

pajon,  comtesse  de),  38,  308. 
Rouen  (la  ville  de),  257,  258. 
Rue  (le  P.  de  la),  345. 


538 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


RuFFEC  (Armand-Jean  de  Saint- 
Simon,  marquis  de),  219,  224, 
22-2,  243,  334. 

RuFFEC  (Jacques-Louis  de  Saint- 
Simon,  duc  de),  219,  221. 


Sacre  des  rois  de  France  (le),  61 , 
188-190,  210,  212,  219,  231, 
242,  245,  246. 

Saint-Aignan  (Paul-Hippolyte  de 
Beauvillier,  duc  de),  171. 

Saint-Aignan  (Louis  de  Beauvil- 
lier, comte  de),  300,  303. 

Saint-Antoine  (le  Petit),  à  Paris, 
75,  95. 

Saint-Aulaire  (Fr.-J.  Beaupoil, 
marquis  de),  *129.  —  S.  Au- 
laire. 

Saint  -  Contest  (Dominique  - 
Claude  Barberie  de),  *370. 

Saint-Contest  (Michel  Barberie 
de),  *370. 

Saint-Cyr  (la  maison  de),  10. 

Saint-Denis  (l'abbaye  de),  87, 
107,  242,  343,  345. 

Saint-Esprit  (l'ordre  du),  137, 
324,  325. 

Saint-Frêmond  (J.-Fr.  Ravend, 
marquis  de),  336,  337. 

Saint-Germain-en-Laye  (le  châ- 
teau et  la  ville  de),  92,  97,127, 
128,  335. 

Saint-Louis  (L.  le  Loureux  de),  4. 

Saint-Ouen  (la  plaine  de),  87. 

Saint-Simon  (Claude,  duc  de), 
199,  202,  206,  207,  229,  230, 
242,  287,  333,  370. 

Saint-Simon  (Louis,  duc  de),  1-4, 
7-11,  14-18,  23-29,  38-42,  44, 
58,  59,  62,  66,  67,  71,  74,  76, 
80,  88,  90,  95,  98,  103-106, 
111,  112,  114,  116,  119,  129, 
430,  434,  439,  445,  446,  458- 
160,  162,  163,  469-173,   175- 


498,  200,  202-207,  209-224, 
229-234,  244-253,  255,  256, 
266,  274,  272,  278,  279,  287, 
288,  304,  304-308,  320,  334, 
339,  344,  347,  349-365,  368- 
375,  380-394. 

Saint-Simon  (Marie-Gabrielle  de 
Lorge,  duchesse  de),  4,  7,  9, 
44,  46-48,  23,  25,  36,  40-42, 
400,  102-108,  134,  182-184, 
246,  250,  266,  279.  282,  283, 
305,  355,  356,  364,  362,  373. 

Saint-Simon  (les  secrétaires  du 
duc  de),  *244. 

Saint-Simon  (le  duché  de),  495, 
*498,  200,  203. 

Saint-Simon  (le  régiment  de),  4. 

Saint-Sulpice  (la  congrégation 
de),  366,  380,  388. 

Saint-Sulpice  (le  curé  de). Voyez 
Chétardye  (Joachim  Trotti  de 
la). 

Sainte -Maure  (Honoré,  comte 
de),  68,  69,  74,  278,  343. 

Salamanque  (la  ville  de),  334. 

Sale  (la),  *440.  —  Salle. 

Salm  (Dorothée  de),  abbesse  de 
Remiremont,  *270. 

Sanction  (une),  *232. 

Saujon  (A. -M.  de  Campet,  de- 
moiselle de),  *449. 

Savoie  (Marie-Louise  de),  reine 
d'Espagne,  268,  322,  323. 

ScARPE(la),  *324. 

Sceau  (tenir  le),  *473. 

Sceaux  (le  château  de),  423,  264, 
328. 

Scruter  quelqu'un,  *304,  377. 

Séance  (la),  réunion,  *227. 

Secret  (le),  discrétion,  *364. 

Secret  de  la  comédie  (le),  *94. 

Secrétaires  d'État  (les),  350-352, 
357,  359. 

Sedan  (la  principauté  de),  204. 

Seignelay(J.-B.  Colbert,  marquis 
de),  374. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


539 


Semaine  sainte  (la),  *I9. 
Senon'Ches  (la  tPTP  dp),  *^- 
Sèvres  (le  pont  de),  87. 
Sforza  (Louise-Adélaïde  Damas 

de  Thiange,  duchesse),  36. 
Sié,  participe  de  seoir,  *306. 
SiMiANE  (Louis  de),  marquis  d'Es- 

parron,  *343. 
Singulier,  unique,  '196. 
Sobrement  (pour  parler),  *  106. 
Sœurs  grises  (les),  *8o. 
SoLEURE  (la  ville  de),  336. 
SouBiSE  (Armand-Gaston  de  Ro- 

han,  abbé  de),  274. 
SouBiSE  (Jules-François-Louis  de 

Rohan,  prince  de),  274. 
SoDBiSE  (Anne  de  Rohan-Chabot, 

princesse  de),  274. 
SouBiSE  (l'hôtel  de),  à  Paris,  273, 

274. 
Souffler   quelque  chose  à    quel- 
qu'un, *380. 
Soupeur  (un),  *386. 
Sourd  (parler  à  un),  *i79. 
Strasbourg  (la  ville  de),  322. 
Stuart  (Louise-Marie),  princesse 

d'Angleterre,  92,  97,  127,  128. 
Subtiliser,  *169. 
Suer  de  l'encre,  *367. 
Sueurs  (les),  au  tiguré,  *38,  81. 
Suisses  du  Roi  (les),  *37. 
ScLLY  (Max. -Henri  de   Béthune, 

duc  de),  204. 
Sdlly  (le  duc  de).  Voyez  Béthu- 

ne-Orval  (L.-P.-M.,   marquis 

de). 
Sultane  (une),  au  figuré,  *63. 
Sus  (remettre),  143,  162. 


Tabernacles  (les),  •267. 

Talons  (tirer  quelque  chose    de 

ses),  *32. 
Tapissiers  du  Roi  (les),  *10. 
Te  Dcum  (le),  15. 


Télémaque  (les  Aventures  de), 
•292,*293. 

TELLiER(leP.  le),  13,  21,  297. 

TELLiER(le  chancelier  le),  10,  391 . 

Tellier  de  Louvois  (la  famille 
le),  130,  391. 

Tenant  (un),  *2. 

Ter  (le),  *322. 

Terre  (porter  quelqu'un  par), 
*267. 

Tête  (une  bonne),  *174. 

Tète  dans  un  sac  (la),  *80. 

Tète  levée  (marcher),  *363. 

Tessé  (le  maréchal  de),  268. 

Tirade  (tout  d'une),  *390. 

Tire-laisse  (un),  *2o0. 

Tolède  (la  ville  de),  330. 

Tolède  (la  maison  de),  330,  331, 
334. 

Tome  (le  second),  au  figuré,  *lo. 

Ton  (prendre  le),  *377. 

Ton  (remonter  le),  *358. 

Tondu  (être),  au  tiguré,  *113. 

ToRCY  (le  marquis  de),  134,  268, 
284-286,  289,  319,  326,  337, 
365-369. 

ToRCY  (C.-F.  Arnauld  de  Pom- 
ponne, marquise  de),  285,  286, 
367,  368. 

Toscane  (Marguerite-Louise  d'Or- 
léans, grande  -  duchesse  de), 
dite  Madame  la  Grande-Du- 
chesse, 123. 

Toulouse  (Louis -Alexandre  de 
Bourbon,  comte  de),  74,  123, 
126,  379. 

Tour  (le  P.  de  la),  388. 

Tout  (du),  *182. 

Tourbes  (Elisabeth-Rosalie  d'Es- 
trées,  demoiselle  de),  *36o. 

Train  (remettre  en),  '139. 

Traître,  adjectif,  '9. 

Transisscmcnt  (le),  *31. 

Trappe  (l'abbaye  de  la),  4. 

Travail  (se  faire  un),  *278. 

TfiÊ.MOÏLLE(Charles-Belgique-Hol 


540 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


lande,   duc  de  la),  203,  255, 

256. 
Trémoïlle  (Charies-Louis-Breta- 

gne,  duc  de  la),  87. 
Trémoïlle  (Madeleine  de  Créquy, 

duchesse  de  la),  203. 
Trempe  (la),  au  figuré,  *76. 
Tresmes   (Bernard-François   Po- 
tier, duc  de),  124,  122. 
Trêves  (l'électeur  de),  370. 
Tripot  (un),  *318. 
Trompette    du    désespoir    (la) , 

*34. 
Trop  mieux,  *243. 
Troupes  (retirer  ses),  au   figuré, 

*82. 
Troupeau  (le  petit),  *299,  302- 

304,  366. 
Tuer  à  faire  quelque  chose  (se), 

M26. 
TuRENNE  (le  maréchal  de),  4. 
TuRGOT  (Michel-Etienne),  135. 
TuRGOT  DE   SousMONT  (Jacques- 

Etienne),  135. 
TuRGOT    DE    SousMONT    (Marie- 

Claude  le   Peletier  de  Souzy, 

dame),  *135. 
Turin  (la  ville  de),  280. 


u 


Un  et  un  sont  deux,  *262. 

Université  de  Paris  (1'),  128. 

Urfé  (Joseph-Marie  de  Lascaris, 
marquis  d'),  345. 

Urfé  (Louise  de  Gontaut-Biron, 
marquise  d'),  279. 

Ursins  (la  princesse  des),  84, 
268,  333,  369. 

Utrecht  (le  traité  d'),  134. 

UzÈs  (Jean-Charles  de  Crussol, 
duc  d'),  235,  256. 

UzÈs  (Julie-Françoise  de  Sainte- 
Maure,  duchesse  d'),  68,  112, 
113. 


VALENTiNOis(J.-Fr.  de  Matignon, 
comte   de    Torigny,    plus  tard 
duc  de),  246,  253. 
Valetage  (le),  *108. 
Vallière  (Charles-François  de  la 
Baume-le-Blanc,  marquis  puis 
duc  de  la),   43,   44,  86,   119, 
120,  278. 
Vallière    (Jean-François   de  la 
Baume-le-Blanc,  marquis  de  la), 
120. 
Vallière  (Françoise  de  Beauvau 
du  Rivau,   dame  de  la),   *119, 
120. 
Vallière  (Louise  de  la  Baume-le- 
Blanc,  duchesse  de  la),  119. 
Vallière  (Marie-Thérèse  de  No- 
ailles,  marquise,  puis  duchesse 
de  la),  268,  269,  278. 
Vasseur   (Guillaume,   abbé    le), 

230. 
Vaubourg  (J.-B.   Desraaretz  de), 

135. 
Vaubourg  (Marie-Madeleine  Voy- 

sin,  dame  de),  134. 
Vaucresson  (la  terre  de),   301, 

305. 
Vaudèmont  (le   prince    de),   3, 

268-271. 
Vendôme  (César,  duc  de),  160. 
Vendôme  (Louis,  duc  de),  64,  74, 
77,  126,  144,  262,  267,  268, 
273,  280,  316,  322. 
Vendôme   (Philippe   de),    grand 

prieur  de  France,  336. 
Vendôme   (Isabeau  de  Beauvau, 

comtesse  de),  *120. 
Vendôme  (Marie-Anne  de  Bour- 
bon-Condé,  duchesse  de),  126, 
272. 
Venin  à  la  queue  (le),  *24d. 
Ventadour  (C.-É.  m.  de  la  Motte- 
Houdancourt,     duchesse     de), 
247 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


541 


Versailles  (la  ville  et  le  château 
de),  8-41,  13,  14,  18,  23,  24, 
30,  35,  45,61,  71,  90,  97,  98, 
111,  115,  120,  128,  132,  172, 
173,  185, 194,  210,  211,  216, 
242,  244,  247,  249,  250,  324, 
360,  388,  391,393. 

Vesin  (Pierre),  *141. 

Vienne  (la  ville  et  la  cour  de),  en 
Autriche,  132.  133,  333. 

Vieuville  (Marie-Louise  de  la 
Chaussée  d'Eu  d'Arrest,  mar- 
quise de  la),  326. 

Villanueva-del-Rio  (Antoine  IV 
Enriquez  de  Ribera,  marquis 
de),  *331. 

ViLLANUEVA-DEL-Rio  (le  marqui- 
sat de),  *331. 

ViLLARS  (le  maréchal -duc  de), 
206,  219,  320,  321. 

Villars-Brancas  (la  terre  et  le 
duché  de),  *148. 

ViLLENEUVE-LE-Ror  (la  terre  de), 
*186. 

Villeroy  (François  de  Neufville, 
maréchal  de),  75,  76,  130,  132. 


Villeroy  (Louis-Nicolas  de  Neuf- 
ville,  duc  de),  74,  130,  131, 
132,  160,  256,  279,  280. 

Villeroy  (Nicolas  IV  de  Neufvil- 
le, maréchal  de),  165,  178. 

Villeroy  (Marguerite  leTellier  de 
Louvois,  duchesse  de),  27,  28, 
36,  38,  129-132,  256. 

Villiers-la-Garenne  (le  village 
de),  326,  *337,  338. 

Vomir  (faire),  au  figuré,  *378. 

VoYSiN  (Daniel-François),  43,  97, 
116-119,  134,  258,  268,  279, 
284,  319,  352,  372,  384. 

VoYSiN  (Charlotte  Trudaine,  da- 
me), 258,  284. 

Vrillière  (Louis  II  Phélypeaux, 
marquis  de  la),  283,  284,  320, 
352,  372,380,381. 

Vrillière  (Françoise  de  Mailly, 
marquise  de  la),  283,  284. 


Zamet  (la  famille),  141. 


III 


TABLE  DE  L'APPENDICE 

PREMIÈRE      PARTIE 
ADDITIONS  DE  SAJNT-SmON  AU  JOURNAL  DE  DANGEAU. 

(Les  chiffres  placés  entre  parenthèses  renvoient  au  passage 
des  Mémoires  qui  correspond  à  l'Addition.) 

Pige» 

987.  Monseigneur;  son  caractère  (p.  45) 395 

988.  Ridicule  aventure  de  Monseigneur  (p.  70) 396 

989.  Retraite  de  Mlle  Ghoin  (p.  95) 397 

990.  La  princesse  d'Angleterre  et  la  Dauphine  (p.  97) » 

991.  Le  deuil  de  Monseigneur  (p.  97) » 

992.  Le  duc  et  la  duchesse  de  Berry  présentent  le  service  au 

Dauphin  et  à  la  Dauphine  (p.  108) 398 

993.  Réprimande  du  Roi  à  la  duchesse  d'Uzès  (p.  ii2).  ...         » 

994.  Le  duc  de  Beauvillier  obtient  la  garde-robe  du  Dauphin 

(p.  113) 

993.  Le  duc  de  Bourgogne  veut  être  appelé  Monsieur  le  Dau- 
phin (p.  ii4) 399 

996.  Le  chevalier  de  Châtillon  (p.  116) 

997.  Les  visites  de  deuil  pour  la  mort  de  Monseigneur  (p.  121).      400 

998.  La  reine  d'Angleterre  ne  met  point  de  mante  pour  le 

deuil  du  Dauphin  (p.  127) » 

999.  Le  Dauphin   traité  de  Monseigneur  par   le    Parlement 

(p.  128) 

1000.  On  ne  doit  pas  interrompre  les  gens  du  Roi  (p.  128).  .   .  401 

1001.  Mort  et  portrait  de  la  duchesse  de  Villeroy  (p.  129).  .  .  j» 

1002.  Mort  de  l'empereur  Joseph  (p.  132-133) » 

1003.  Le  comte  de  Caravas  (p.  135) » 

1004.  Le  procès  du  marquis  d'Antin  et  l'édit  sur  les  duchés- 

pairies  (p.  138) 402 

1005.  Dispute  de  préséance  entre  les  ducs  de  Saint-Simon  et 

de  la  Rochefoucauld  (p.  194-195) » 


544  TABLE  DE  L'APPENDICE. 

4006.  Mademoiselle    de  Lillebonne    abbesse  de    Remiremont 

(p.  ^269) 407 

1007.  La  mort  du  Dauphin  fait  suspendre  le  jeu  à  Marly  (p.  323).  » 

4008.  Le  duc  d'Albe  et  sa  maison  (p.  328-329) » 

1009.  La  maison  d'Urfé  (p.  345) 408 


SECONDE     PARTIE 
I 

Mort,  deuil  et  obsèques  de  Monseigneur 409 

II 

Le  caractère  de  Monseigneur 434 

III 

Les  maisons  de  Ghâtillon  et  de  Beauvau  ;  fragments  inédits  de 

Saint-Simon 440 

IV 

Le  costume  de  deuil  à  la  cour  ;  extrait  des  registres  du  maître 

des  cérémonies 448 

V 

Mémoire  du  duc  du  Maine  sur  la  mort  de  l'Empereur 450 

VI 

L'origine  de  la  famille  d'Albert  de  Luynes,  d'après  Clairambault.       457 

VII 
L'édit  sur  les  duchés-pairies 458 

VIII 

La  réception  du  duc  d'Antin  au  Parlement 465 

IX 
Lettre  du  Chancelier  au  duc  de  Luxembourg 468 

X 

La  maladie  du  duc  du  Maine 470 


TABLE  DE  L'APPENDICE.  545 

XI 

Projet  de  mariage  du  jeune  prince  de  Rohan  avec  une  princesse 

du  sang  ;  fragment  inédit  de  Saint-Simon 472 

XII 

La  maladie  de  la  reine  d'Espagne 485 

XIII 

Le  service  funèbre  de  Monseigneur  à  Saint-Denis  et  à  Notre- 
Dame  ;  extrait  des  Mémoires  du  baron  de  Breteuil 488 

XIV 

La  tille  de  Monseigneur  et  de  Madame  du  Roure 490 


MEMOIUES   DE   SAINT-SIMON.   X.XI  ■  33 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CONTENUES    DANS    LE    VINGT-ET-UNIEME    VOLUME. 


Pages. 

MEMOIRES  DE  SAINT-SIMON  (1711) 4 

APPENDICE. 

Première  partie.  —  Additions  de  Saint-Simon  au  Journal 

de  Dangeau  (no^  981-iQ09) 395 

Seconde  partie.  —  Notices  et  pièces  diverses 409 

ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 503 

TABLES. 

I.  Table  des  sommaires  qui  sont  en  marge  du  manuscrit.  5il 
II.  Table  alphabétique  des  noms  propres  et  des  mots  ou 

locutions  annotés  dans  les  Mémoires 519 

III.  Table  de  l'Appendice 543 


FIN    DU   TOME   VINGT-ET-UNIEME. 


CHARTRES.    —   IMPRIMERIE    DURAND,    RUE    FULBERT. 


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