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Full text of "Mémoires"

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LES 

GRANDS   ÉCRIYAINS 

DE   LA   FRANCE 

NOUVELLES    ÉDITIONS 

PIIBMItES    SOOS    t.A    DIRECTION 

DE  M.  AD.  REC.XIER 

Membre  de  l'Iiulitiit 


CHAHIRES     —   IMPRIMERIE    DURAND 
Rue  Fulbert,  9. 


MEMOIRES 


06 


SAINT-SIMON 


TOME    XXVII 


^NB^r^rv 


MEMOIRES 

DE 


SAINT  SI3I0N 


NOUVELLE   EDITION 

COLLATIONNÉE     SUR      LE     MANUSCRIT    AUTOGRAPHE 

AUGMGNTÉK 
DES     ADDITIONS    DE    SAINT-SIMON    AU    JOURNAL    DE     DANGEAU 

et    de    notes    et    appendices 

PAR   A.    DE   BOISLISLE 

Membre  de  l'Institut 

AVEC    LA    COLLABORATION    DE    L.    LECESTRE 
ET    DE    J.    DE    BOISLISLE 


TOME     VINGT-SEPTIEME  ^ 


^l/\'   P^ 


PARIS  ^ 


LIBRAIRIE    HACHETTE    ET    C* 

BOULEVARD    S  A  I  N  T  -  G  E  R  M  A  I  N,    7g 

I  pi5 

Tous  droits  réBervés. 


MÉMOIRES 


DE 


SAINT-SIMON 


Il  y  avoit  longtemps  que  je  pensois  à  l'avenir,  et  que  (Suite  de  17 13.) 
j'avois  fait  bien  des  réflexions  sur  un  temps  aussi  impor-      Réflexions 
tant  et  aussi  critique.  Plus  je  discutois  en  moi-même  tout  gouvernement 
ce  qu'il  y  avoit  à  faire,  plus  je  me  trouvois  saisi  d'amer-         présent 
tume  '  de  la  perte  d'un  prince  qui  étoit  né  pour  le  bonheur       ^  établir. 
de  la  France  et  de  toute  l'Europe,  et  avec  lequel  tout  ce 
qui  -  y  pouvoit  le  plus  contribuer  étoit  projeté,  et  pour  la 
plupart  résolu  et  arrangé  avec  un  ordre,  une  justesse,  une 
équité,  non-seulement  générale  et  en  gros,  mais  en  détail 
autant  qu'il  étoit  possible,  et  avec  la  plus  sage  prévoyance''. 
G'étoit  un  bien  dont   nous  n'étions  pas  dignes,   qui   ne* 
nous  avoit  été  montré  que  pour  nous  faire  voir  la  possibi- 
lité d'un  gouvernement  juste  et  judicieux,  et  que  le  bras 
de  Dieu  n'étoit  pas  raccourci  pour  rendre  ce    royaume 

1.  Les  mots  d'amertiinie  corrigent  de  l'amertume. 

2.  Les  quatre  derniers  mots,  lequel  tout  ce  qui  sont  en  interligne, 
au-dessus  d'un  qui,  biffé. 

3.  Voyez  ce  qu'il  a  dit  des  idées  du  duc  de  Bourgogne  sur  le  gou- 
vernement, dans  le  tome  XXII,  p.  13  et  suivantes,  et  319-329. 

4.  iVe,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne. 

UKUÛIHES    DE    SAINT-SIMON.    .XXVII  i 


f  MKMniHES  |l7ir>] 

heureux  et  florissant ',  (juaiid  nous  mériterions  de  sa 
bonté  un  roi  vérilaMenicnt  selon  son  cœur.  Il  s'en  t'alloit 
bien  (jue  \o  prince  à  qui  la  régence  alloit  échoir  fût*  dans 
ci't  état  si  heui-eux  pour  soi  et  pour  toute  hi  France  ;  il  s'en 
falloit  bien  aussi  (jue,  quelque  parfait  que  pût  être  un 
régent,  il  pût  exécuter  comme  un  roi.  Jesentois  l'un  et  l'au- 
tre dans  toute  son  étendue,  et  j'avois  bien  de  la  peine  à 
ne  me  pas  abandonner  au  ilécouragement. 

J'avois  alTaire  à  un  prince  fort  éclairé,  fort  instruit,  qui 
avoit  toute  l'expérience  que  peut  donner  une  vie  de  par- 
ticulier fort  éloigné  du  trône  et  du  cas  de  la  régence,  fort 
au  fait^  de  tant  de  grandes  fautes  qu'il  avoit  vues,  et 
(|uel(|ues-unes  senties  de  si  près,  et  des  malheurs  par  les- 
quels lui-même  avoit  tant  passé,  mais  prince  en  qui  la 
paresse,  la  foiblesse,  l'abandon  à  la  plus  dangereuse  com- 
pagnie, mettoient  des  défauts  et  des  obstacles  aussi  fâcheux 
que  dirticiles,  pour  ne  pas  dire  impossibles,  à  corriger, 
même  à  diminuer*.  Mille  fois  nous  avions  raisonné  ensem- 
ble des  défauts  du  gouvernement  et  des  malheurs  qui  en 
résultoient.  Chaque  événement,  jusqu'à  ceux  de  la  cour, 
nous  en  fournissoit^  sans  cesse  la  matière.  Lui  et  moi 
n'étions  pas  d'avis  différents  sur  leurs  causes  et  sur  les 
etTets.  Il  ne  s'agissoit  donc  que  d'en  faire  une  application 
juste  et  suivie  pour  gouverner  d'une  manière  qui  fût 
exempte  de  ces  défauts,  et  en  arranger  la  manière  selon 
la  possibilité  qu'en  peut  avoir  un  régent,  et  dans  la  vue 
aussi  d'élever  le  Uoi  dans  de  bonnes  et  raisonnables 
maximes,  de  les  lui  faire  goûter  quand  l'àge  lui  permet- 
troit,  et  de  lui  ouvrir  les  yeux  et  la  volonté  à  perfection- 

4.  C'est-à-dire  que  le  bras  de  Dieu  pouvait  encore,  avait  encore  le 
pouvoir  et  la  volonté  de  rendre  le  royaume  de  France  heureux  et  flo- 
rissant. 

'2.  Avant  fust,  il  y  a  un  ne,  biffé. 

3.  Fort  au  fait  est  en  interlif^ne. 

4.  Voyez  le  long  portrait  qu'il  a  l'ait  du  duc  d'Orléans  et  la  peinture 
de  son  caractère,  dans  le  précédent  volume,  p.  266  et  suivantes. 

5.  11  y  a  fourniisoient,  par  raégarde,  dans  le  manuscrit. 


[4715]  DE  SAINT-SIMON.  3 

ner  en  roi,  après  sa  majorité,  ce  que  la  régence  n'auroit  pu 
achever  ni  atteindre.  Ce  fut  là  mon  objet  et  toute  mon 
application,  pour  insinuer  à  M.  le  duc  d'Orléans  tout  ce 
que  je  crus  propre  à  l'y  conduire,  dès  la  vie  même  de 
M.  le  duc  de  Berrj,  dont  il  devoit  tendre  à  être  le  vrai 
conseil,  beaucoup  plus  encore  lorsqu'il  n'y  eut  plus  per- 
sonne entre  M.  le  duc  d'Orléans  et  la  régence.  A  mesure 
que,  par  l'âge  et  la  diminution  de  la  santé  du  Roi,  je  la 
voyoiss'approcher,  j'entroisplus  en  détail,  et  c'est  ce  qu'il 
faut  expliquer. 

Ce  que  j'estimai  le  plus  important  à  faire,  et  le  plus 
pressé  à  exécuter,  fut  l'entier  renversement  du  système 
de  gouvernement  intérieur  dont  le  cardinal  Mazarin  a 
empoisonné  le  '  Roi  et  le  royaume.  Un  étranger  de  la  lie 
du  peuple,  qui  ne  tient  à  rien  et  qui  n'a  d'autre  -  dieu  que 
sa  grandeur  et  sa  puissance,  ne  songe  à  l'Etat  qu'il  gou- 
verne que  par  rapport  à  soi.  11  en  méprise  les  lois,  le 
génie,  les  avantages  ;  il  en  ignore  les  règles  et  les  formes; 
il  ne  pense  qu'à  tout  subjuguer,  à  tout  confondre,  à  faire 
que  tout  soit  peuple,  et,  comme  cela  ne  se  peut  exécuter 
que  sous  le  nom  du  roi,  il  ne  craint  pas  de  rendre  le 
prince  odieux,  ni  de  faire  passer  dans  son  esprit  sa  per- 
nicieuse politique.  On  l'a  vu  insulter  au  plus  proche  sang 
royal,  se  faire  redouter  du  Roi,  maltraiter  la  Reine  mère 
en  la  dominant  toujours,  abattre  tous  les  ordres  du 
royaume,  en  hasarder  la  perte  à  deux  différentes  reprises 
par  ses  divisions  à  son  sujet  ^,  et  perpétuer  la  guerre  au 
dehors  *  pour  sa  sûreté  et  ses  avantages,  plutôt  que  de 
céder  le  timon  qu'il  avoit  usurpé.  Enfin  on  l'a  vu  régner 
en  plein  par  lui-même  par  son  extérieur  et  par  son  auto- 
rité, et  ne  laisser  au  Roi  que  la  figure  du  monarque.  C'est 
dans  ce  scandaleux  éclat  qu'il  est  mort  avec  les  établisse- 

i .  Ce  mot  Le,  ainsi  écrit,  corrige  une  autre  lettre  illisible. 

2.  D'autre  est  en  interligne,  au-dessus  de  de,  biffé. 

3.  Allusion  à  l'époque  des  deux  Frondes. 

4.  Les  mots  au  dehors  ont  été  ajoutés  en  interligne. 


4  MÉMOIRES  117151 

monts,  losalliancos,  ot  riinniciiso  succession  (ju'il  a  laissôo, 
monstrueuse  '  jus<ju'à  pouvoir  enrichir  seule  le  plus  puis- 
sant roi  de  TKurope.  Kien  n'est  bon  ni  utile  qu'il  ne  soit 
en  sa  place*.  Sans  remonter  inutilement  plus  haut,  la 
Ligue,  qui  n'en  vouloit  pas  moins  qu'à  la  couronne,  et  le 
parti  protestant  avoient  interverti  tout  ordre  sous  les 
enfants  d'Henri  II.  Tout  ce  que  put  Henri  IV  avec  le  se- 
cours de  la  noblesse  fitièle  fut,  après  mille  travaux,  de  se 
faire  reconnoitre  pour  ce  qu'il  étoit  de  plein  droit,  en 
achetant,  pour  ainsi  dire,  la  couronne  de  ses  sujets  par 
les  traités  et  les  millions  qu'il  lui  en  coûta  avec  eux,  les 
établissement^^  prodigieux  et  les  places  de  sûreté  aux  chefs 
catholiques  et  huguenots.  Des  seigneurs  ainsi  établis,  et 
qui  se  crovoient  pourtant  bien  déchus  après  les  chimères 
que  chacun  d'eux  s'étoit  faites  ',  n'étoient  pas  faciles  à 
mener.  L'union  subsistoit  entre  la  plupart  ;  la  plupart 
avoit  conservé  ses  intelligences  étrangères  ;  le  Roi  étoit 
obligé  de  les  ménager,  et  mèmede  compter  avec  eux.  Rien 
de  plus  destructif  du  bon  ordre,  du  droit  du  souverain,  de 
l'état  de  sujet,  (jueKjue  grand  qu'il  puisse  être,  de  la  sûreté, 
de  la  tran<|uillité  du  royaume.  La  régence  de  Marie  de 
Médicis  ne  lit  (ju'augmenter  ce  mal,  qui  s'étoit  affoibli 
depuis  la  mort  du  maréchal  de  Biron  *.  Le  pouvoir  et  la 
grandeur  du  maréchal  d'Ancre,  de  sa  femme  et  de  ce  tas 
de  misérables  employés  sous  leurs  ordres,  révoltèrent  les 
grands,  les  corps,  les  peuples.  La  mort  de  ce  maire  du 
palais  étranger,  l'anéantissement  de  ses  créatures,  l'éloi- 
gnement  d'une  mère  altière  qui  n'avoit  point  d'yeux  par 


1.  Avant  7nonsti"ucuse,  il  a  biffé  assés. 

i.  C'est  lo  proverbe  anglais  :  liigltt  înan  in  rigfit  place. 

3.  l'aima  Cayct,  dans  sa  Chronologie  novennaire,  édilion  Petitot, 
tome  III,  |>.  '209,  disait  en  1591  à  propos  de  la  puissance  des  grands 
seigneurs:  «  Les  gouverneurs  de  provinces  sont  tels  aujourd'hui  que 
le  meilleur  et  le  plus  sage  d'entre  eux  n'estime  rien  plus  à  lui  que  son 
gouvernement.  » 

A.  Cliarles  de  Gonlant  :  tome  II,  f).  \i. 


[1745]  DE  SAINT-SIMON.  5 

elle-même,  mais  une  ^  humeur,  un  caprice,  une  jalousie 
do  domination,  dont  des  confidents  infimes  profitoient 
pour  régner  sous  son  nom,  rendirent  le  calme  à  la  France 
pour  quelque  temps,  mais  en  ménageant  les  grands,  dont 
la  puissance  et  les  dangereux  établissements  rendoient 
l'obéissance  arbitraire.  Le  cardinal  de  Richelieu  sentit 
également  les  maux  du  dedans  et  du  dehors,  et  avec  les 
années  y  apporta  les  remèdes.  Il  abattit  peu  à  peu  cette 
puissance  et  cette  autorité  des  grands,  qui  balançoit  et  qui 
obscurcissoit  celle  du  Roi,  et  peu  à  peu  les  réduisit  à  leur 
juste  mesure  d'honneur,  de  distinction,  de  considération, 
et  d'une  autorité  qui  leur  étoit  due-,  mais  qui  ne  pouvoit 
plus  [se]  soutenir  à^  remuer,  ni  parler  haut  au  Roi,  qui 
n'en  avoit  plus  rien  à  craindre.  Ce  fut  la  suite  d'une  lon- 
gue conduite  sagement  et  sans  interruption  dirigée  vers 
ce  buts  et  de  l'abattement  entier  du  parti  protestant  par 

1.  Il  y  a  un  humeur  dans  le  manuscrit. 

2.  Il  y  a  dans  le  manuscrit  qui  leur  estaient  dues  ;  mais  nous  croyons 
que  c'est  un  lapsus  de  la  plume  de  Saint-Simon.  En  effet,  la  virgule 
placée  après  considération  et  au  contraire  l'absence  de  virgule  après 
autorité  indiquent  bien  que  l'incidente  se  rapporte  seulement  à  ce  der- 
nier mot,  ainsi  que  celle  qui  suit  (mais  qui  ne  pouvoit),  laquelle  est 
bien  au  singulier. 

3.  Les  mots  soiistenir  à  sont  en  interligne;  mais  Saint-Simon  a 
oublié  le  se  nécessaire. 

4.  Le  Testament  politique  du  cardinal  de  Richelieu  prouve  que  sa 
conduite  fut  le  résultat  d'un  plan  mûrement  réfléchi  et  suivi  avec  per- 
sévérance. Il  disait  en  effet  au  début  du  chapitre  i  de  cet  ouvrage: 
«  Lorsque  Votre  Majesté  se  résolut  de  me  donner  en  même  temps  et 
l'entrée  de  ses  conseils  et  grande  part  en  sa  confiance  pour  la  direction 
de  ses  affaires,  je  puis  dire  avec  vérité  que  les  huguenots  partageoient 
l'Etat  avec  elle,  que  les  grands  se  conduisoient  comme  s'ils  n'eussent 
pas  été  ses  sujets,  et  les  plus  puissants  gouverneurs  des  provinceb 
comme  s'ils  eussent  été  souverains  en  leurs  charges...  Les  meilleurs 
esprits  n'estimoient  pas  qu'on  pût  passer  sans  naufrage  tous  les  écueils 
qui  paroissoient  en  un  temps  si  peu  assuré;  ...  peu  de  gens  se  pro- 
mettoient  un  bon  événement  du  changement  qu'on  publioit  que  je 
voulois  faire.  ...  Le  succès  qui  a  suivi  les  bonnes  intentions  qu'il  a  plu 
à  Dieu  me  donner  pour  le  règlement  de  cet  État,  justifiera  aux  siècles 


6  MÉMOIRES  [1715] 

la  ruine  de  la  Rochelle  et  rie  ses  autres  places,  qui,  faisant 
auparavant  un  Htat  dans  l'I-^tat,  ('toit  d'une  sûre  et  récipro- 
que ressource  aux  ennemis  du  dehors  et  aux  séditieux  du 
dedans,  même  catholiques,  si  souvent  excités  par  Marie 
de  Médicis  et  par  Gaston  son  fils  hien-aimé,  réduit  enfin 
à  la  soumission  comme  les  autres.  Louis  XIII  ne  vécut 
pas  assez  pour  le  bonheur  de  la  France,  pour  la  félicité 
des  bons,  pour  l'exemple  des  meilleurs  et  des  plus  i;rands 
rois.  La  soumission  et  la  tranquillité  du  dedans,  la  mesure, 
la  règle,  le  bon  ordre,  la  justice,  qui  l'avoit singulièrement 
adopté',  ne  durèrent  que  huit  ou  neuf  ans. 

La  minorité,  qui  est  un  temps  de  foiblesse,  excita  les 
grands  et  les  corps  à  se  remettre  en  possession  des  usur- 
pations qui  leur  avoient  été  arrachées,  et  que  la  vile  et 
l'étrangère  extraction  du  maître  que  la  Régente  leur  avoit 
donné  et  à  elle-même,  et  les  fourbes*,  les  bassesses,  les 
pointes,  les  terreurs^  et  les  aproposiln  de  son  gouverne- 
ment, également  avare,  craintif  et  tyrannique,  sembloient* 
rendre,  sinon  nécessaires,  au  moins^  supportables.  Il  n'en 
fallut  pas  tant  que  ce  que  Mazarin  en  éprouva  pour  lui 
faire  jurer  la  perte  de  toute  grandeur  et  de  toute  autorité 
autre  que  la  sienne.  Tous  ses  soins,  toute  son  application 
se  tourna  à  l'anéantissement  des  dignités  et  de  la  naissance 
par  toutes  sortes  de  voies,  à  dépouiller  les  personnes  de 
qualité  de  toute  sorte  d'autorité,  et  pour  cela  de  les  éloi- 
gner, par  état,  des  affaires  ;  d'y  faire  entrer  des  gens 
aussi  vils  d'extraction  que  lui  ;  d'accroître    leurs  places 

à  venir  la  formetcf"  avec  laquelle  j'ai  constamment  poursuivi  ce  des- 
sein. » 

1.  Tel  esl  bien  le  texte  dii  manuscrit,  et  il  n'y  a  pas  lieu  de  con- 
server la  correction  faite  par  les  précédents  éditeurs.  La  phrase  veut 
dire  que  la  justice  avait  [larticulièrement  adopté  Louis  XIH. 

2.  Au  sens  lie  tromperies;  mot  déjà  relevé  dans  notre  tome  X, 
p.  367. 

.3.  Ces  deux  mots  ont  clé  ajoutés  en  interligne, 
i.  11  y  a  sembloit,  au  sini^ulier  dans  le  manuscrit. 
■».   Avant  nu  moins,  Sainl-Simitii  a  hillé  m'iis. 


[47451  DE  SAINT-SIMON.  7 

en  pouvoir,  en  distinctions,  on  crédit,  en  richesses  ;  de 
persuader  au  Roi  que  tout  seigneur  étoit  naturellement 
ennemi  de  son  autorité,  et  de  préférer,  pour  manier  ses 
affaires  en  tout  genre',  des  gens  de  rien,  qu'au  moindre 
mécontentement  on  réduisoit  au  néant,  en  leurôtant  leur 
emploi  avec  la  même  facilité  qu'on  les  en  avoit  tirés  [en 
lej  leur  donnant-;  au  lieu  que  des  seigneurs  déjà  grands 
par  leur  naissance,  leurs  alliances,  souvent  par  leurs  éta- 
blissements^, acquéroient  une  puissance  redoutable  par 
le  ministère  et  les  emplois  qui  y  avoient  rapport,  et  deve- 
noient  dangereux  à  cesser  de  s'en  servir,  par  les  mêmes 
raisons.  De  là  l'élévation  de  la  plume  et  de  la  robe,  et 
l'anéantissement  de  la  noblesse  par  les  degrés  qu'on 
pourra  voir  ailleurs,  jusqu'au  prodige  qu'on  voit  et  qu'on 
sent  aujourd'hui,  et  que  ces  gens  de  plume  et  de  robe  ont 
bien  su  soutenir,  et  chaque  jour  aggraver  leur  joug,  en 
sorte  que  les^  choses  sont  arrivées  au  point  que  le  plus 
grand  seigneur  ne  peut  être  bon  à  personne,  et  qu'en 
mille  façons  différentes  il  dépend  du  plus  vil  roturier. 
C'est  ainsi  que  les  choses  passent  d'un  comble  d'extrémité 
à  un  autre  tout  opposé. 

Je  gémissois,  depuis  que  j'avois  pu  penser,  de'  cet  abîme 
de  néant  par  état  de  toute  noblesse.  Je  me  souviens  que, 
dès  avant  que  d'être  parvenu  à  la  confiance  des  ducs  de 
Beauvillier  et  de  Chevreuse,  mais  déjà  fort  libre  avec  eux, 
je  ne  m'y  contraignis  pas  un  jour  sur  cette  plainte.  Ils  me 
laissèrent  dire  quelque  temps.  A  la  fin,  le  rouge   prit  au 

4.  Il  y  a  tout  au  singulier  et  genres  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 

2.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  avec  la  mesme  facilité  qu'on  le 
leur  avoit  donné  ;  il  a  corrigé  le  en  les,  ajouté  en  interligne  en  avoit 
tiré,  corrigé  donné  en  donnant,  mais  laissé  auparavant  leur  avoit 
sans  le  biffer  et  sans  achever  la  correction. 

3.  Ce  mot  commence  une  ligne  ;  à  la  tin  de  la  ligne  précédente,  Saint- 
Simon  a  biffé  le  même  mot,  qu'il  avait  ainsi  répété  deux  fois. 

4.  Les  surcharge  ils. 

5.  Ce  mot  de  surcharge  un  à,  et  l'auteur  a  ajouté  une  virgule  après 
penser,  pour  bien  préciser  ce  qu'il  voulait  dire. 


R  MÉMOIRES  [1715] 

duc  do  Beaiivillicr,  ijui  d  un  ton  sôvère  me  demanda  : 
«  Mais  que  voudriez-vous  donc  pour  être  content?  —  Je 
vais,  Monsieur,  vous  le  dire,  lui  répondis-je  vivement:  je 
voudroisètre  n»'  de  bonne  et  ancienne  maison  ;  je  voudrois 
aussi  avoir  quelques  belles  terres  et  en  beaux  droits,  sans 
me  soucier  d'être  fort  riche  ;  j'aurois  l'ambition  d'être 
élevé'  à  la  première  dignité  de  mon  pays,  et  je  souhaite- 
rois  aussi  un  gouvernement  de  place  ;  jouir  de  cela,  et  je 
serois  content-.  »  Les  deux  ducs  m'entendirent,  se  regar- 
dèrent, sourirent,  ne  répondirent  rien,  et  un  moment 
après  changèrent  de  propos.  Kux-mêmes,  comme  je  le  vis 
dans  les  suites,  pensoient  absolument  comme  moi,  et  je 
n'en  pus  douter  par  le  concert  entre  eux  et  moi  unique- 
ment et  ce  prince  dont  je  ne  puis  me  souvenir  sans  lar- 
mes. Quekjue  abattu  que  je  fusse  de  sa  perte,  mes  pensées 
et  mes  désirs  n'avoient  pu  changer,  et,  quelque  dispro- 
portion que  je  sentisse  de  ce  prince  unique  à  celui  qui 
alloit  gouverner,  et  des  moyens  d'un  roi  ou  d'un  régent, 
je  ne  pus  renoncer  à  une  partie  de  ce  tout  qui  m'étoit 
échappé.  Mon  dessein  fut  donc  de  commencer  à  mettre  la 
noblesse  dans  le  ministère  avec  la  dignité  et  l'autorité  (|ui 
lui  convenoit,  aux  dépens  de  la  robe  et  de  la  plume,  etde 
conduire  sagement  leschoses  par  degrés  et  selon  les  occur- 
rences, pour  que  peu  à  peu  '  celte  roture  perdît  toutes  les 
administrations  qui  ne  sont  pas  de  pure  judicature,  et  que 
seigneurs  et  toute  noblesse  fût  peu  à  pini  substituée* à  tous 
leurs  emplois,  et  toujours  supérieurement  à  ceux  que  leur 


1.  Après  élevé,  et  à  la  tin  d'imo  ligne,  Saint-Simon  avait  écrit  un 
de,  qu'il  n'a  pas  biffé. 

2.  Tout  ce  que  Saint-Simon  demande,  il  l'avait  <léjà,  et  sa  réponse 
est  tout  ironique.  On  peut  la  raprociier  de  la  (piesfion  que  le  prési- 
dent Rose  taisait  au  prince  «le  Condr,  liumblr  solliciteur  des  ministres  : 
«  Scroit-cc  point  que  vous  voudriez  vous  faire  premier  prince  du  sang?» 
(notre  tome  VIII,  p.  'M). 

3.  I.,c>  mots  a  prii,  oublirs,  ont  été  ajoutés  en  interligne'. 
A.  Elcrit  fubsituéc. 


[17151  DE  SAINT-SIMON.  9 

nature  feroit  exercer  par  d'autres  mains,  pour  soumettre 
tout  à  la  noblesse  en  toute  espèce  d'administration,  mais 
avec  les  précautions  nécessaires  contre  les  abus.  Son  abat- 
tement, sa  pauvreté,  ses  mésalliantes,  son  peu  d'union, 
plus' d'un  siècle  d'anéantissement,  de  cabales,  départis, 
d'intelligences  au  dehors,  d'associations  au  dedans,  ren- 
doient  ce  changement  sans  danger,  et  les  moyens  ne 
manquoient  pas  d'empêcher  sûrement  qu'il  n'en  vînt  dans 
la  suite.  L'embarras  fut  l'ignorance,  la  légèreté,  l'inap- 
plication de  cette  noblesse  accoutumée  à  n'être  bonne  à 
rien  qu'à  se  faire  tuer,  à  n'arriver  à  la  guerre  que  par 
ancienneté  -,  et  à  croupir  du  reste  dans  la  plus  mortelle 
inutilité,  qui  l'avoit  livrée  à  l'oisiveté  et  au  dégoût  de 
toute  instruction  hors  de  guerre,  par  l'incapacité  d'état  de 
s'en  pouvoir  servir  à  rien.  Il  étoit  impossible  de  faire  le 
premier  pas  vers  ce  but  sans  renverser  le  monstre  qui 
avoit  dévoré  la  noblesse,  c'est-à-dire  le  contrôleur  géné- 
ral et  les  secrétaires  d'Etat,  souvent  désunis,  mais  tou- 
jours parfaitement  réunis  contre  elle.  C'est  dans  ce  des- 
sein que  j'avois  imaginé  les  conseils  dont  j'ai  parlé,  et 
qui  longtemps  après,  au  commencement  de  1709,  surpri- 
rent si  fort  le  duc  de  Chevreuse,  qui,  m'entretenant  chez 
moi  pour  la  première  fois  de  ce  même  dessein,  qu'il  me 
confia  pour  en  avoir  mon  avis,  le  trouva  sur-le-champ 
écrit  de  ma  main  tel  qu'il  l'avoit  conçu,  ainsi  que  cela 
se  voit  plus  au  long  p.  793*.  Mgr  le  duc  de  Bourgogne 
l'avoit  adopté  dans  le  même  dessein,  et  ce  sont  ces  con- 
seils que  M.  le  duc  d'Orléans  en  appuya,  lorsqu'il  nous 
en  proposa  l'établissement  au  Parlement,  en  déclarant 
qu'ils  avoient  été  trouvés  dans  la  cassette  de  Mgr  le  duc  de 
Bourgogne*,   sur  quoi  je  remarquerai  que  ce  n'étoit  pas 

1 .  Plus  surcharge  un. 

2.  Ecrit  ancienne. 

3.  Pages  154  et  suivantes  de  notre  tome  XVII. 

i.  Ci-après,  p.  i09,  et  suite  des  Mémoires,  tome  XII  de  1873,  p.  "213 
et  -2'2i-2-2o. 


Ifi  ME>fniRES  [171S] 

cell»^  dont  j'ai  parlô,  ot  qui  mcdonna  (ant  (rinqniétudo '. 

Je  propose  h  La  lormatioii  do  ot's  conseils  fut  donc  une  des  premières 

dOrl.^ii-i'î.s    l'iioses  dont  je  parlai  à  M.  le  duc  d'Orléans*.  Il  n'étoitpas 

divers  ron>eil>   moins  blessé  quo  moi  de  la  tyrannie  que  ces  cinq  rois  de 

et  1  or  re   a     Prance'  exerçoient  à  lour  ijré  sous  le  nom  du  roi  vérita- 

V  tenir.  ^  '-'^  . 

ble,  et  presque  en  tout  à  son  insu,  et  l'insupportable 
hauteur  où  ils  étoient  montés.  Je  proposai  donc  d'étein- 
dre deux  charges  de  secrétaires  d'l']tatS  celui  de  la  guerre 
et  celui  desalYaires  étrangères,  qui  seroient  gérées  par 
les  conseils,  expédiées  par  les  secrétaires  de  ces  conseils  ; 
de  diminuer  autant  (ju'il  seroit  possible  la  multiplicité  des 
signatures  en  commandement  %  poussées  à  l'infini  par 
l'intérêt  des  secrétaires  d'Etat  de  faire  passer  tout  par 

i.  Tome  XXII,  p.  3o7  et  suivantes. 

-1.  Saint-Simon  va  résumer,  avec  quelques  modi6cations,  toute  la 
tliéorie  de  gouvernement  exposée  dans  ses  Projets  de  gouvernement 
du  duc  de  Bourgoijne,  publiés  en  1860  par  Paul  Mesnard  ;  on  peut  se 
reporter,  pour  ce  qui  va  suivre,  aux  paf;es  16  et  suivantes  de  cette 
publication  ;  mais,  les  Projeta  supposant  l'existence  d'un  roi  majeur 
et  exerçant  le  pouvoir,  ce  que  Saint-Simon  va  exposer  ci-après  com- 
porte les  modilicalions  nécessitées  par  l'existence  d'un  réj^ent  et  d'un 
conseil  de  régence. 

3.  Les  quatre  secrétaires  d'Étal  et  le  contrôleur  général  des  finances. 

4.  Dans  les  Projets  (p.  7-2-7.")),  il  proposait  au  contraire  d'en  porter 
le  nombre  à  cinq,  mais  en  les  réduisant  au  rôle  de  commis. 

5.  Dix-huit  lignes  plus  loin,  Saint-Simon  va  expliquer  ce  que  c'était 
que  les  signatures  en  commandement.  Comme  il  était  impossible  au 
Roi  de  signer  toutes  les  pièces  ([ni  devaient  être  revêtues  de  son  nom, 
il  donnait  aux  secrétaires  d'Elat  le  commandement  de  signer  son  nom 
de  leur  main  propre  sur  certaines  catégories  de  pièces  et  d'aullienti- 
quer  cette  fausse  signature  par  la  leur,  sous  la  formule:  P.\n  le  Ror, 
UN  TEL.  Ce  fut  sous  le  règne  de  Cliarles  IX  (jue  commença  cette  façon 
de  faire.  Par  la  suite,  les  secrétaires  d'Etat  trouvèrent  plus  simple  de 
faire  écrire  cette  fausse  signature  royale  par  le  commis  qui  avait  rédigé 
l'acte;  ils  n'avaient  plus  alors  qu'à  y  apposer  la  leur.  On  comprend  les 
abus  qui  pouvaient  naître  de  eeUe  pratique,  d'autant  plus  que  les  secré- 
taires d'État,  pour  ;iugmcntcr  leur  pouvoir,  grossirent  tant  (ju'ils  purent 
le  nombre  des  signatures  en  commandement. 

•  Le  manuscrit  porte  l'orde. 


[171.S]  DE  SAINT-SIMON.  41 

leurs  mains  ;  et  que  ce  qu'il  seroit  indispensable  d'être 
signé  en  commandement,  le  seroit  par  les  deux  secré- 
taires d'État  restants,  qui  en  auroient  tout  le  loisir  en  tou- 
tes matières,  parce  qu'il  ne  leur  en  resteroit  aucune  à 
expédier  ni  à  répondre,  sinon  les  ordres  secrets  du  Ré- 
gent, qui  n'appartiennent  en  particulier  à  nulle  matière. 
Ainsi  de  la  marine,  ainsi  de  toutes  les  provinces  du 
royaume  qui  font  la  matière  du  conseil  des  dépêches,  que 
j'appelois  conseil  des  affaires  du  dedans.  Ce*  n'étoit  pas 
que  j'eusse  dessein  de  conserver  un  second  secrétaire 
d'État  à  la  longue  ;  un  seul  sutïîsoità  l'expédition  des  cho- 
ses les  plus  secrètes,  que  je  voulois  rendre  aussi  les  plus 
rares,  et  aux  signatures  en  commandement  absolument 
nécessaires,  que  j'avois  dessein  aussi  d'éclaircir-  beaucoup 
en  substituant  celle  du  chef  du  conseil,  en  la  joignant 
pour  lors  à  celle  du  secrétaire  du  même  conseil.  On 
n'ignore  pas  que  la  prétendue  signature  du  Roi,  mise  au 
bas^  de  chaque  expédition  qui  sort  des  bureaux  par  le 
sous-commis  qui  écrit  l'expédition  même,  n'a  de  force  et 
d'autorité  que  celle  qu'elle  reçoit  de  la  signature  du  secré- 
taire d'État.  Il  n'étoit  donc  pas  difficile  de  supprimer  cette 
prétendue  signature  du  Roi,  dont  personne  n'étoit  la  dupe, 
et  qui  n'est*  qu'une  prostitution  très  indécente,  et  de 
transporter  aux  chefs  des  conseils,  pour  les  matières  de 
leurs  conseils,  le  poids  et  l'autorité  de  celles  des  secré- 
taires d'État.  Ce  sont  de  ces  choses  que  le  temps  amène 
comme  de  soi-même,  en  ne  perdant  pas  les  occasions  de 
les  établir  sans  entreprendre  tout  à  la  fois,  mais  se  con- 
tenter d'abord  du  renversement  de  l'arbre  pour  en  arra- 
cher après  les  racines  à  propos,  et  en  empêcher  radicale- 

1.  Avant  ce,   Saint-Simon   a  biffé  :  Je  proposay  en  mesme  temps 
d'estre. 

2.  Au  sens  de  diminuer. 

3.  Aux  a  été  corrigé  en  au,  et  le  b  de  bas  semble  surcharger  une  l; 
plus  loin,  sortent  a  été  corrigé  en  sort. 

4.  N'est  surcharge  un  autre  mot  illisible. 


a  MÉMOIRES  fl7in] 

ment  la  funeste  reproduction.  Je  proposai  en  môme  temps 
que  les  secrétaires  d'Ktat  n'entrassent  dans  aucun  descon- 
seils, où  l'ombre  de  ce  qu'ils  ne  feroient  que  cesser  d'être 
les  rendroit  dangereux,  mais  d'admettre  sans  voix  ni  déli- 
bérative  ni  consultative  même,  surtout  sans  faculté  de 
rapporter  quoi  que  ce  fut,  un  des  deux  secrétaires  d'Etat 
au  conseil  de  régence  pour  en  tenir  le  registre  exactement, 
qui  seroit  vérifié  exactement  tous  les  mois  par'  celui  des 
membres  de  ce  conseil  qui,  à  tour  de  rôle,  se  trouveroit 
en  mois  |)our  recevoir  les  placets,  que  le  seul  secrétaire 
d'État  de  la  guerre  étoit  en  usage  de  recevoir  sur  toutes 
matières,  lesquels  lui  seroient  rapportés  chez  lui  par  deux 
maîtres  des  requêtes  qui  l'auroient  accompagné  en  les 
recevant  derrière  la  table  dressée  pour  cela  dans  l'anti- 
chambre du  Roi,  comme  faisoit  seul  le  secrétaire  d'Etat 
de  la  guerre  ;  et  les  rapporter  ensuite  à  M.  le  duc  d'Or- 
léans, accompagné  de[s]  mêmes  deux  maîtres  des  requê- 
tes. C'étoit  rendre  à  ces  charges  leur  droit  primitif-,  et 
se  servir  de  leurs  lumières  pour  mille  choses  en  ce  genre 
qui  avoiont  souvent  trait  à  des  choses  que  des  gensd'épée 
ne  puuvoient  savoir,  surtout  en  ces  commencements.  On 
comprend  bien  que  je  proposai  en  même  temps  d'éteindre 
l'emploi  de  contrôleur  général  et  d'en  faire  passer  l'em- 
ploi et  l'autorité  au  conseil  des  finances,  et  substituer  la 
signature  du  chef  de  ce  conseil  à  celle  du  contrôleur 
général. 

A  ce  plan  général  il  en  falloit  ajouter  de  particuliers. 
Je  proposai  donc  celui  de  ces  conseils  que  j'avois  fait  au- 

1.  Après  par,  il  a  biffé  un. 

2.  D'où  leur  nom  de  maîtres  desroquètos.  Ils  étaient  en  offet  chargés 
primitivement  de  recevoir  les  plaintes  et  requêtes  que  l'on  présentait 
au  roi  et  de  lui  en  rendre  compte.  Puis  leurs  attributions  s'étendirent:  on 
les  chargea  d  inspections  dans  les  provinces;  ils  furent  rapporteurs  des 
procès  jugés  au  conseil  privé  ou  des  parties;  enlin  ils  formaient  eux- 
naêmes  un  tribunal,  appelé  rcqtuHcs  de  l'Iiôtcl,  où  étaient  portées  en 
première  instance  les  causes  des  officiers  de  la  couronne  et  de  la  maison 
du  Roi. 


inioj  DE  SALNT-SIMON.  13 

trefois,  et  qu'on  trouvera  parmi  les  Pièces,  tels  que  je  les 
fis  pour  lors'  ;  mais  j'en  supprimai  qui  ne  convenoient 
plus  ni  au  moment  présent  ni  au  temps  d'une  régence. 
Ils  furent,  pour'  leur  matière  et  pour  leur  nom,  tels  que 
M.  le  duc  d'Orléans  les  établit,  mais  avec  une  confusion, 
un  nombre  de  membres,  un  désordre  que  je  n'y  aurois 
pas  mis,  et  dont  la  cause  se  découvrira  en  son  temps\  Je 
ne  m'y  arrêterai  donc  pas  davantage  à  cette  heure.  Vint 
après  la  discussion  des  gens  à  admettre  ou  à  exclure,  puis 
celle  de  la  destination  de  chacun  de  ceux  qui  seroient 
employés.  Je  représentai  à  M.  le  duc  d'Orléans  que  cet 
établissement  fïatteroit  extrêmement  les  seigneurs  et  toute 
la  noblesse,  éloignée  des  affaires  depuis  près  d'un  siècle, 
et  qui  ne  voyoit  point  d'espérance  de  se  relever  de  l'abat- 
tement où  elle  se  trouvoit  plongée  ;  que  ce  retour  inespéré 
et  subit  du  néant  à  l'être  toucheroit  également  ceux  qui 
en  profiteroient  par  leurs  nouveaux  emplois,  et  ceux  en- 
core à  qui  il  n'en  seroit  point  donné,  parce  qu'ils  en 
espéreroient  dans  la  suite  par  l'ouverture  de  cette  porte, 
et  qu'en  attendant  ils  s'applaudiroient  d'un  bien  commun 
et  de  la  jouissance  de  leurs  pareils  ;  en  même  temps,  que 
c'étoit  à  lui  à  balancer  si  bien  l'inclusion,  l'exclusion,  la 
distribution  des  emplois,  que  son  autorité,  bien  loin  d'en 
souffrir,  n'en  fût  que  plus  confirmée,  et  d'éviter  aussi  des 
mécontentements  dangereux  ;  que,  par  cette  raison,  je  ne 
croyois  pas  qu'il  pût  sagement  exclure  certaines  gens  qui, 
bien  ou  mal  à  propos,  avoient  acquis  un  certain  poids 
dans  le  monde,  dont  l'estime  et  l'opinion  avantageuse 
prise  d'eux  s'étoit  tournée  en  mode,  dont  le  choix  le  feroit 
applaudir  et  donneroit  réputation  au  nouveau  genre  de 
gouvernement,  dont  l'exclusion  produiroit  un   sentiment 

1.  C'est  ceux  dont  il  a  été  parlé  dans  le  tome  XVII,  p.  134-457  ; 
voyez  les  Projets  de  gouvernement,  p.  18  et  suivantes. 

2.  Avant  p'',  il  y  a  tels,  biffé,  et  le  manuscrit  porte  leurs  au  pluriel 
et  matière  au  singulier. 

3.  Voyez  la  suite  des  Mémoires,  tome  XII  de  1873,  p.  îlio. 


14  MEMOIRES  [ilVy] 

contraire,  et  capable  d  enhardir  ces  gens-là,  pour  la  plu- 
part fort  établis,  à  cabaler  et  à  le  traverser,  au  contraire 
de  l'intérêt  qu'ils  prendroienl  en  lui,  et  au  succès  de  ce 
à  quoi  ils  se  Irouvei-oienl  emplo^^és  ;  et(|u'il  recevroit'  un 
double  gré  du  public  et  (reux-mèines  d  un  choix  aucjuel 
ils  ne  dévoient  pas  s'attendre  par  le  peu,  et  souvent  tout 
le  contraire,  de  ce  fju'ils  avoient  mérité  de  lui  ;  qu'aussi, 
tant  pour  le  bon  ordre  des  ailaires  que  pour  ne  pas  ten- 
ter par  la  facilité  des  gens  peu  sûrs  pour  lui  qui  en  pour- 
roient  abuser,  il  étoit  très  essentiel  d'établir-  et  de  main- 
tenir dans  chacun  des  conseils  une  égalité  parfaite  d'autorité 
et  de  fonctions  entre  tous  les  membres,  et  une  balance 
exacte  entre  eux  et  le  chef,  pour  que  le  chef  n'y  prenne 
pas  une  autorité  qui  non-seulement  absorbe  celle  du  con- 
seil, mais  même  qui  l'obscurcisse,  et  qu'il  jouisse  aussi 
de  sa  qualité  sans  une^  dépendance  qui  l'y  rende  un  fan- 
tôme. Pour  arriver  à  ce  tempérament,  mon  sentiment  fut 
que  le  chef  ne  pût  parler  que  le  dernier  ;  qu'il  partageât 
les  différentes  affaires  à  chacun,  toujours  en  plein  conseil  ; 
qu'il  n'y  en  pût  rapporter  aucune  ;  qu'il  n'eût  que  sa  voix 
en  quelque  cas  que  ce  pût  être  ;  qu'y  ayant  partage,  le* 
membre  de  la  régence  en  mois  y  fût  appelé  pour  dépar- 
tager, sans  pouvoir  y  entendre  parler  d'aucune  autre ^ 
affaire,  et  que  le  chef  de  chaque  conseil,  venant  rappor- 
ter à  la  régence  les  affaires  de  son  conseil,  qui  toutes, 
hors  les  bagatelles  du  courant,  y  dévoient  être  "^  exactement 
poi-tt'es  et  ditliniliveinent  réglées,  y  fût  accompagné  de 
l'un  des  conseillers  d'avis  contraire  au  chef  dans  les  choses 

i.  Avant  recevroit,  il  a  biffé  en. 

2.  Saint-Simon  avait  d'abord  commencé  à  écrire  de  m[iiintc7nr]  ;  il 
a  surchargé  m  par  les  premières  lettres  d'estublir  et  ajouté  une  apos- 
trophe ;  mais  il  a  oublié  de  biffer  l'c  de  de. 

3.  Une  en  interligne. 

4.  Ce  le  surcharjie  un. 

5.  Autre  ajouté  en  interligne. 

(i.  Avant  estre,  Saint-Simon  a  biffé  touttes,  et  cxactem'  est  en  inter- 
ligne. 


I 


[17^0]  DE  SAINT-SIMON.  15 

principales,  choisi  parla  pluralité  des  conseillers  du  même 
avis  que  lui;  enfin  que  toutes  les  délibérations  de  chaque 
conseil,  surtout  de  celui  de  régence,  fussent  écrites  à 
mesure  par  le  secrétaire  séant  au  bas  bout  de  la  table, 
lu'  par  lui  à  la  fin  du  conseil,  signé  de  lui  et  du  conseil- 
ler de  semaine,  qui  seroit  son  modèle  pour  son  registre 
plus  étendu,  qui,  à  la  fin  de  chaque  mois,  seroit  relu  au 
conseil  et  y  seroit  signé  du  chef  et  du  secrétaire.  Avec 
ces  précautions  je  crus  la  balance  bien  observée,  et  bien 
difficile  de  rien  expédier  à  l'insu  ou  contre  l'avis  du  con- 
seil, et  cela  dans  celui  des  affaires  étrangères  comme  les 
autres,  pour  les  instructions,  les  lettres,  les  réponses,  les 
ordres,  et  toute  autre  matière,  excepté  les  choses  égale- 
ment secrètes,  importantes  et  rares,  qui  demeureroient 
entre  le  Régent  et  le  chef  de  ce  conseil,  mais  qu'il  seroit 
pernicieux  et  destructif  d'étendre  au  delà  d'une  invincible 
nécessité. 

Je  voulois  aussi  des  jours  réglés  pour  tenir  les  diffé- 
rents conseils,  tous  dans  la  maison  du  Roi,  et  des  jours 
marqués  à  la  régence  pour  y  entendre  les  affaires  de  cha- 
que conseil  ;  et,  s'il  s'en  trouvoit  de  nature  à  ne  pouvoir  y 
être  vues  au  jour  ordinaire,  les  y  porter  seules  au  com- 
mencement ou  à  la  fin  du  conseil  de  régence,  sans  que  le 
chef  d'un  autre  conseil,  étant  en  son  jour  ordinaire  à  la 
régence,  pût  être  de  l'affaire  extraordinaire  qui  y  seroit 
portée,  non  plus  que  celui  qui  l'y  porteroit  en  entendre 
aucune- de  celles  qui  y  seroient  naturellement  traitées  ce 
jour-là.  J'insistai  encore  à  séparer  chaque  département  de 
conseil  d'une  manière  si  nette,  si  distincte  et  si  précise, 
et  à  décider  si  promptement  et  si  clairement  les  questions 
et  les  prétentions  réciproques  qui  pourroient  naître  là- 
dessus  dans  les  commencements,  que   chaque  conseil  ne 

4.  Il  y  a  bien  lu,  et  plus  loin  signé,  au  masculin  singulier,  dans  le 
manuscrit,  et  aussi  qui  seroit  à  la  ligne  suivante,  tout  cela  se  rappor- 
tant à  l'idée  de  procès-verbal,  sous-entendue. 

2.  Avant  awcMne,  Saint-Simon  a  biffé  auqu. 


16  MEMOIRES  (1715) 

put  ompiéter  ni  luttor  contre  un  autre,  et  (jue  dans  le 
public  on  n'eût  aucun  embarras  pour  savoir  à  qui  s'adres- 
ser sur  toute  sorte  datVaire  ;  pourvoir  avec  la  même  pré- 
cision à  séparer  bien  tlistinctoment  les  fonctions  particu- 
lières de  chaque  membre  de  chaque  conseil,  et  pourvoir 
ainsi  à  l'union  des  membres,  en  retranchant  toute  cause 
de  pivtention  et  île  jalousie,  ainsi  qu'aux  conseils,  même 
respectivement,  et  en  même  temps  au  mûr  examen  et  à  la 
prompte  expédition  des  alTaiies.  J'en  fis  sentir  l'utilité  et 
la  facilité  par  l'exemple  continuel  de  la  cour  de  Vienne, 
où  rien  ne  s'étrangle  ni  ne  languit  parmi  tant  de  différents 
conseils  qui  y  sont  établis',  et  que,  si  le  contraire  a  paru 
en  Espagne,  c'est  que  sous  les  derniers  rois  de  la  maison 
d'Autriche  on  n'y  opinoit  que  par  écrit,  et  ces  votes,  qui 
couroient  des  uns  aux  autres,  portés  au  roi,  renvoyés  par 
lui  à  d'autres  encore,  devenoient  des  plaidoyers  à  longue 
distance-  sur  les  moindres  affaires,  dontgrand  nombre  de 
pareilles  n'auroient  tenu  qu'une  matinée  en  opinant  de 
vive  voix  ensemble,  au  lieu  que,  une  seule  affaire  ne  finis- 
sant point,  il  se  faisoit  un  engorgement  qui  arrêtoit  et  per- 
doit  toutes  les  affaires  par  des  lenteurs  qui  n'avoient  point 
de  tin.  J'ajoutai  que,  à  l'égard  du  règne  de  Philippe  V,  M.  le 
duc  d'Orléans  savoit  mieux  que  personne  ce  qui  y  avoit 
rendu  les  conseils  inutiles  et  ridicules,  qui  n'avoient  pu 
se  soutenir  contre  l'adresse  et  le  crédit  de  Mme  des  Ur- 
sins  ayant  Mme  de  Maintenon  en  croupe,  qui  vouloit  tirer 

1.  Inihof  dans  sa  Noticia  Sancti  Romani  Gcnnaiiici  Imperii,  p.  479 
et  suivantes,  a  donné  une  nomenclature  de  ces  divers  organes  :  conseil 
intime,  conseil  aulique,  conseil  de  guerre,  conseil  des  tinances,  et  aussi 
de  ceux  qui  dirigeaient  les  affaires  do  certaines  provinces,  fjorsque,  dans 
les  premiers  mois  de  la  Rôgence,  les  conseils  furent  en  vigueur,  Villars, 
chef  du  conseil  de  la  guerre,  demanda  au  comte  du  Luc,  amliassadeur 
à  Vienne,  un  mémuire  sur  le  fonclionncment  du  conseil  autrichien  de 
guerre,  que  celui-ci  lui  envoya  le  43  novembre  (Affaires  étrangères, 
vol.  Autriche  108,  le  mémoire  est  à  la  suite  de  la  lettre  du  7  novembre 
4715). 

2.  Longues  distance  dans  le  manuscrit. 


fiTir.i 


DE   SAINT-SIMON. 


17 


ment 
des  conseils 

résolu. 

Discussion  de 

leurs  chefs. 

Marino. 


à  soi  seule  toute  l'autorité  du  gouvernemenl,  dont  les  deux 
monarchies  ne  s'étoient  pas  bien  trouvées. 

M.  le  duc  d'Orléans  goûta  extrêmement  ce  projet,  qui  L'établisse 
fut  maintes  fois  rebattu  et  discuté  entre  lui  et  moi.  Il  sen- 
tit l'importance  du  secret  et  le  garda,  et  sur  la  chose  et 
sur  toutes  ses  dépendances.  La  résolution  prise,  il  fallut 
débattre  les  sujets.  Je  lui  représentai  qu'il  n'avoit  pointa 
choisir  pour  les  chefs  des  conseils  des  atïaires  ecclésiasti- 
ques, de  la  guerre,  de  la  marine  et  des  finances;  qu'il 
n'y  avoit  aucune  apparence  de  faire  l'affront  à  M.  le  comte 
de  Toulouse,  amiral,  qui  avoit  commandé  des  flottes,  qui 
avoit  gagné  une  bataille  navale,  qui  tenoit  tous  les  jours 
le  conseil  des  prises,  qui'  les  alloit  juger  diffinitivemcnt 
au  Conseil  devant  le  Roi,  et  qui  étoit  admisà  l'examen  des 
promotions  qui  se  faisoient  dans  la  marine,  de  l'exclure 
de  la  place  de  chef  de  ce  conseil  ;  que  le  comte  de  Tou- 
louse étoit  à  son  égard  très  différent  du  duc  du  Maine,  et 
d'un  caractère  sage  et  modéré,  et  aussi  aimé  et  estimé  en 
général  que  celui  de  son  frère  étoit  méprisé  et  abhorré 
parmi  la  crainte  et  la  servitude  qui  réduisoient  là-dessus 
au  silence.  Je  conclus  donc  qu'il  étoit  juste,  sans  péril, 
et-  nécessaire  de  le  faire  chef  de  ce  conseil,  et  très  dom- 
mageable et  môme  dangereux  de  ne  le  pas  faire,  mais  que 
je  croyois  aussi  qu'il  n'étoit  pas  moins  à  propos  de  ne'  lui 
pas  tellement  abandonner  ce  conseil  qu'il  en  devînt  une 
chimère,  et  que  le  Comte  se  rendît  maître  de  la  marine, 
qu'il  n'y  avoit  pour  cela  qu'à  y  faire  entrer  le  maréchal 
d'Estrées,  homme  droit,  d'honneur,  sachant^  et  connois- 
sant  bien  la  marine,  qui  en  étoit  estimé  et  considéré  par 
sa  valeur,  ses  actions,  sa  probité,  ses  talents  d'homme  de 
mer,  qui,  par  son  expérience,  sa  charge  de  vice-amiral, 
son  office  de  maréchal  de  France,  se  rallieroit  et  étaye- 


1.  Avant  ce  qui,  il  y  a  un  et  biffé. 

2.  Gel  et  est  en  interligne. 

3.  Ne,  oublié,  ajouté  en  interligne. 

4.  Ecrit  saachant. 


MEMOIRES    DE   SAINT-SIMO.N".    X.VVU 


18  MEMOIHKS  IITI.H] 

roit  co  conseil  ;  cm'il  |>()iivoil  coinptor  sur  lui,  (|u'en  l'y 
mettant  il  ne  feroit  (jue  le  mettre  à  sa  place,  (ju'il  seroit 
extraordinaire  même  qu'il  ne  l'y  mît  pas;  qu'il  étoil  bien 
avec  le  comte  de  Toulouse,  et  de  longue  main  accoutu- 
més l'un  à  l'autre  pour  avoir  étésouventà  la  mer  ensem- 
ble et  dans  les  ports,  et  unistousdeux,  et  avec  d'0,dans 
la  même  <jueielle  et  dans  la  même  inimitié  contre  Pont- 
chartrain.  Tout  cela  tut  encore  approuvé,  et  M.  le  duc 
d'Orléans  remit  au  temps  où  il  pourroit  parler,  à  voir 
avec  le  maréchal  d  Estiées,  et  après  avec  le  comte  de 
Toulouse,  les  marins  les  plus  convenables  à  composer  ce 
conseil,  avec  quelque  intendant  de  marine  pour  ce  qui  y 
demandoit  nécessairement  de  la  plume. 
Finances  et  Venant  après  au  conseil  des  finances,  je  lui   dis  que  je 

guerre.  connoissois  très  bien  le  maréchal  de  Villeroy,  et  quel  il 
étoit  à  son  égard,  mais  qu'il  étoit  chef  de  ce  conseil  et 
ministre  d'État  ;  que  ne  lui  pas  laisser  cette  place,  quoi- 
que autrement  tournée,  c'étoit  le  plus  sanglant  alîront 
qu'il  se  pût  faire,  et  à  un  homme  tel  que  celui-là  ;  que  son 
incapacité  et  sa  futilité  le  rcndoit  un  personnage  fort 
indirtVrent  à  la  tète  d'attaires  qu'il  n'entendoit  ni  n'en- 
tendroit  jamais  ;  qu'il  ne  s'agissoit,  pour  parer  à  tout,  que 
d'y  joindre  un  président  comme  à  la  marine,  qui  imposât 
tacitement  à  ses  grands  airs  de  supériorité,  et  qui  en  otàt 
la  peur  à  des  gens  de  robe,  dont  d'ici  à  quelque  temps  on 
ne  pourroit'  s'y  passer  de  gens  de  robe,  comme  intendants 
des  finances,  qui  en  avoient  fait  un  grimoire-  pour  qu'il  ne 
pût  être  connu  que  d'eux,  jusqu'à  ce  que  1  autorité  et 
l'application  l'eût  fait  mettre  au  net,  et  mis  la  matière  à 
portée  de  gens  d'épée  ;  et,  passant  tout  de  suite  à  la  guerre, 
je  fis  comprendre  à  M.  le  duc  d'Orléans  que,  le  premier 

i.  Les  trois  mots  on  ne  pourroit  surchargent  d'autres  mots  illisibles. 

2.  n  Grimoire,  livre  dont  on  dit  que  les  nia^^icicns  se  servent  pour 
évoquer  les  démons.  On  appolle  linurémtnt  yrirrioiie  dos  discours 
obscurs  ou  des  écritures  difticiles  à  lire  »  {Académie,  i~iH).  Ce  mot 
va  revenir  ci-après,  p.  32. 


[1713]  DE  SAINT-SIMON.  i9 

maréchal  de  France  étant  placé  ailleurs,  la  place  de  ce 
conseil  ne  poiivoit  être  remplie  que  par  Villars,  second 
maréchal  de  France,  qui  avoit  commandé  les  armées  jus- 
qu'à la  paix  qu'il  avoit  faite  depuis  lui-même  à  Rastadt  et 
à  Baden,  et  qui  ne  lui  étoit  pas  suspect.  Villars  m'avoit 
prié,  il  y  avoit  déjà  quelque  temps,  d'assurer  M.  le  duc 
d'Orléans  de  son  attachement.  Je  l'avois  fait,  et  j'en  avois 
rapporté  un  remerciement  et  des  compliments,  dont  le 
maréchal  me  parut  fort  content. 

Ces  trois  points  arrêtés  de  la  sorte,  vint  celui  des  Affaires 
affaires  ecclésiastiques,  qui  fut  plus  longtemps  à  peser.  Je  ^"gt'feuiiî'c"''* 
dis  à  M.  le  duc  d'Orléans  qu'il  n'avoit  pas  plus  de  liberté  des  bénéfices. 
dans  ce  choix  que  pour  les  trois  •  autres  qu'il  avoit  faits,  Constitution. 
avec  cette  différence  que  le  cardinal  de  Noailles,  que  la 
place  de  chef  de  ce  conseil  regardoit  uniquement,  ne  lui 
pouvoit  être  suspect,  et  que  Villars,  le  moins -sans  pro- 
portion des  trois  autres,  avoit  des  coins  de  folie  auxquels 
il  falloit  prendre  garde;  que  l'âge,  les  mœurs,  la  suite 
d'une  vie  apostolique  et  sans  reproche  du  cardinal  de 
^oailles,  son  ancienneté,  qui  lemettoità  la  tête  du  clergé, 
indépendamment  des  autres  droits,  sa  qualité  d'arche- 
vêque de  la  capitale  et  de  diocésain  de  la  cour,  celle  du  plus 
ancien  de  nos  cardinaux,  les'  établissements  et  les  allian- 
ces de  sa  famille  la  plus  proche,  le  savoir  et  la  modération 
qu'il  avoit  montrés  en  tant  d'occasions  particulières  et 
publiques,  formoientun  groupe  de  raisons*  transcendantes 
qui  en  emportoient  la  démonstration  ;  qu'à  l'égard  de 
l'affaire  de  la  Constitution ,  c'étoit  à  lui-même  à  qui  ^  j'aurois 
voulu  demander  ce  qu'il  en  pensoit,  ou  plutôt  que  je  n'en 
avois  pas  besoin,  parce  qu'il  me  l'avoit  dit  bien  des  fois^ 

i.  Trois  corrige  a[utres]. 

2.  Le  moins  suspect. 

3.  Lrs  corrige  ses. 

4.  Formoient  surctiarge  un  mot  illisible,  et  de  raisons  corrige  rare. 
0.  Ce  qui  est  en  interligne. 

6.  Tome  XXVI,  p.  252-233. 


'10  MKMOIHES  |17IS| 

avec  rindignalion  (jupii  nirritoitMit  les  artifices,  les  fri- 
j^onnorios,  les  violences  dont  toute  cette  afVaire  n'étoit 
|([iriiin  tissu  ;  (jue  ce  n'étoit  pas  à  un  prince  éclairé 
comme  il  l'étoit  à  se  laisser  imposer  par  une  odieuse  cabale 
détestée  de  tous  les  honnêtes  gens,  même  de  ceux  que  la 
l'oiblesse  ou  rinlèrèt  y  avoif  engagés;  <jue  c'étoil  la  par- 
tie saine,  savante,  pieuse  du  royaume  avec  qui  il  avoit  à 
compter  sur  les  affaires  ecclésiastiques,  (]ui  demandoienl 
des  mains  pures  et  reconnues  universellement  pour  telles, 
au  jH'iil  de  perdre  toute  réputation  et  toute  confiance  dès 
ce  premier  faux  pas.  J'ajoutai  que  je  ne  voyois  point  de 
prélat  qui  fût  tout  ensendde  assez  marqué,  assez  distingué 
par  les  lumières,  assez  porté  par  la  vénération  ])ul)li(|ue, 
pour  entrer  en  aucune  comparaison  avec  le  cardinal  de 
Noailles,  et  qu'à  l'égard  des  cardinaux  de  Hohan  et  de 
Bissy,  c'étoit  à  lui-même  à  voir  si  les  affaires  ecclésiasti- 
ques seroient  sûrement  en  remettant  leur  dii-ection  prin 
cipaleetla  feuille  des  bénéfices  à  deux  ambitieux,  esclaves 
de  la  cour  de  Rome,  le  premier  qui  ne  respiroit  que  la 
grandeur  de  sa  maison  et  de  ses  chimères,  l'autre  d'en  faire 
une,  tous  deux  de  dominer  le  clergé  et  la  cour,  et  d'être 
chefs  de  parti,  tous  deux  liés  et  livrés  à  ce  qui  lui  étoit  le 
plus  contraire  autour  du  l\oi  et  dans  le  public'  ;  surquoi 
il  devoit  de  plus  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  les  Rohans. 
Passant  de  là  aux  partis  que  formoit  la  Constitution,  je  lui 
fis  sentir  toute  la  différence  de  la  réputation  de  tout  temps 
et  publique  des  prélats  unis  au  cardinal  de  Noailles  d'avec 
les  autres,  le  poids  de  la  Sorbonne,  des  autres  écoles, 
des  curés  de  Paris,  si  importants  et  si  fort  à  ménager  daii-^ 
des  temps  jaloux,  de  la  foule  du  second  ordre,  des  corp-- 
réguliers,  illustres  par  leur  science  et  leur  piété,  enfin 
celui  des  parlements,  surtout  de  celui  de  Paris,  ouverte 
ment  déclarés  pour  la  cause  et  pour  la  personne  du  cai- 
dinal  de  Noailles,  (jui  avoit  tous  les  cœurs,  et  vers  lequ(;l 

I .   Plublic  corrigé  en  public. 


fl7l.-;|  DE  SAINT-SIMON.  "2i 

tout  courroit  '  en  foule,  dès  que  la  terreur  présente  fini- 
roit  avec  la  vie  du  Roi  ;  enfin,  que  ce  seroit  faire  le  plus 
signalé  aflfront  au  premier  prélat  du  royaume,  au  plus 
établi,  au  plus  universellement  chéri,  et  en  vénération 
entière,  et  se  livrer  au  cri  et  au  ressentiment  universel,  et 
cela  pour  des  gens  qui,  méprisés  aujourd'hui  qu'ils  dispo- 
soient  de  toutes  les  foudres,  et  détestés  par  l'abus  de  leur 
pouvoir,  [seroient]  combien  plus  honnisquand  la  liberté  s'en 
trouveroit  rendue.  M.  le  duc  d'Oi'léans  n'eut  rien  à  répon- 
dre à  un  raisonnement  qui  ne  tiroit  sa  force  que  des  choses 
mêmes  par  leur  évidence  fondée  sur  la  vérité.  Il  m'avoua 
qu'il  n'y  avoit  que  le  cardinal  de  Noailles  à  qui  il  pût 
donner  cette  place  ;  mais  il  étoit  embarrassé  de  l'aiïaire 
de  la  Constitution,  et  pour  Rome,  et  pour  la  France  même. 
Le  raisonnement  là-dessus  se  reprit  à  plusieurs  fois.  Le 
mien  ne  varia  point.  Mon  sentiment  fut  qu'il  avoit  pour 
en  sortir,  et  bien,  et  promptement,  le  plus  beau  jeu  du 
monde,  s'il  vouloit  bien  ne  se  point  laisser  éblouir;  qu'il 
n'étoit  point  roi  se  piquant  d'une  autorité  sans  bornes, 
et  qu'il  n'avoit  pris  sur  cette  affaire  aucun  engagement 
avec  Rome,  avec  personne,  ni  avec  lui-même,  par"  l'en- 
gagement de  son  pouvoir  déjà  compromis  ;  que  le  Roi  se 
trouvoit  dans  tous  ces  termes,  dont  ceux  qui  l'y  avoient 
su  pousser  savoient  aussi  bien  profiter  pour  le  conduire 
où  jamais  il  n'avoit  pu  imaginer  d'être  mené  ;  que  lui,  ré- 
gent, devoit  aussi  en  profiter  en  sa  manière,  et  profiter  de 
sa  liberté  et  des  limites  de  son  autorité  pour  éviter  ce 
même  écueil,  et  ne  se  pas  livrer  à  des  gens  vendus  et 
engagés  en  toutes  les  façons  du  monde,  dont  les  artifices, 
l'ambition,  les  manèges,  les  fourberies,  les  violences 
n'étoient  ignorées  désormais  de  personne,  qui  ne  seroient 
jamais  contents,  voudroient  toujours  aller  en  avant,  im- 
moler tout  à  leurs  vues,  surtout  entretenir  cette  guerre 
pour  se  rendre    nécessaires  et  importants,  pour  se  faire 

1.  Saint-Simon  écrit  courreroit. 

2.  Par  surctiarge  en. 


«•  MKMOIRES  firiSl 

courtiser  ol  redouter,  et  pnrre  (|u"il  n'y  a  plus  tle  parti, 
et  dès  lors  plus  de  chefs,  ni  de  piincipaux  de  parti, 
quand  l'affaire  qui  l'avoit  fait  est  (inie  ;  qu'il  comprit  donc 
qu'en  leur  prêtant  l'oreille,  il  ne  la  termineroit  jamais, 
qu'il  en  seroit  |)lus  tourmenté  que  d'aucune  autre  du 
gouvernement,  et  qu'il  se  trouveroit  peu  à  peu  entraîné  à 
plus  de  violences,  et  tout  aussi  peu  utiles  à  la  protection 
même  qu'il  voudroit  donner,  qu'il  n'en  avoit  vu  commet- 
tre au  Uoi,  (pii  de  sa  part  seroient  bien  plus  odieuses; 
qu'à  mon  avis,  il  n'avoit  qu'un  parti  à  prendre,  mais  à 
s'y  tenir  bien  fermement:  déclarer  (pi'il  n'en  prendroit 
aucun  dans  cette  affaire,  mander  le  cardinal  de  Noailles 
dès  l'instant  t{ue  le  Roi  ne  seroit  plus,  le  présenter  au 
nouveau  Hoi  lui-même,  avec  quelque  propos  gracieux 
mais  sans  affectation,  lui  faiie  valoir  tète  à  tête  ce  premier 
pas  et  la  place  où  il  lalloit  mettre,  et  s'assurer  ainsi  de  lui  ; 
déclarer  aussitôt  après  le  conseil  entier  des  affaires  ecclé- 
siastiques, pour  éviter  d'être  obligé  de  refuser  le  Pape  si 
on  lui  donnoit  le  temps  de  faire  des  démarches  là-dessus  ; 
traiter  avec  distinction  Kohan  et  Bissy  ;  leur  faire  sentir 
que  vous  voulez  '  résolument  une-  fin  très  prompte  à  cette 
affaire;  que  vous  avez'  toujours  été  ennemi  de  toute  vio- 
lence, surtout  en  matière  qui  a  rapport  à  la  religion  ; 
qu'ils  se  doivent  attendre  qu'il  n'en  sera  plus  faitaucune; 
que  les  prisons  vont  même  être  ouvertes  à  ceux  que  cette 
affaire  y  a  conduits,  et  toutes  les  lettres  de  cachet  à  cette 
occasion  révoquées,  et  l'exécuter  en  même  temps  ;  les 
assurerque  vous  ne  prenez  aucun  parti,  et  que  c'est  même 
en  preuve  de  cette  neutralité  que  vous  rendez  la  liberté  à 
ceux  à*  qui  cette  affaire  l'a  fait  perdre  ;  que  vous  laissez 

1.  A  notfr  ce  clianfjcmi'nldu  stylo  iuclirocl  en  discours  direct.  Saint- 
Simon  a-l-il  sous  les  yeux  un  nr)émoire  adressé  au  duc  d'Orléans,  ou 
se  laisse-l-il  entraîner  par  le  feu  de  la  rédaction? 

2.  Il  y  a  un  fin  dans  le  manuscrit. 

3.  Avant  nvcz  Saint-Simon  a  hifTé  roulés. 

4.  Cet  à  est  en  interligne  avant  qui. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  23 

donc  une  égale  liberté  de  part  et  d'autre,  mais  que  vous 
ne  soulï'rirez  d'aucun  côté  la  licence,  ni  pas  plus  les  lon- 
gueurs à  terminer;  couper  court  ensuite,  et,  s'ils  abusent 
de  votre  politesse  pour  s'engager  en  longs  discours,  faire 
la  révérence  et  les  laisser,  en  les  assurant  que  vous  n'avez 
ni  n'aurez  jamais  assez  de  loisir  pour  vous  noyer  en  ces 
disputes  ;  s'ils  osoient  s'échapper  tant  soit  peu,  leur  dire 
poliment,  mais  avec  une  fermeté  sèche,  de  songer  à  qui 
ils  ont  l'honneur  de  parler  ;  et  sur-le-champ  la  pirouette, 
et  les  laisser  là.  Rien  n'est  pis  que  de  se  laisser  manquer 
ni  entamer  le  moins  du  monde,  et  le  moyen  de  l'éviter 
pour  toujours  est  dès  la  première  fois  une  pareille  leçon. 
Tout  de  suite  faire  enlever  les  jésuites  Lallemant,  Doucin        Jésuites. 
et  Tournemine*,  et  leurs  papiers;   mettre  le  dernier  au 
donjon  de  Vincennes,  sans  papier,  ni  encre,  ni  plume,  ni 
parler  à  personne,  du  reste  bien  logé  et  nourri  à  cause  de 
sa  condition  personnelle  ;  les  deux  autres  au  cachot,  en  des 
prisons  différentes,  avec  le  traitement  du  cachot;  qu'on ^ 
ne  sût  où  ils  sont,  et  les  y  laisser  mourir  ;   ce  sont  les 
boute-feux  de    toute  cette  aff"aire,  et  de  très  dangereux 
scélérats.  Mander  en  même  temps  le  provincial  et  les  trois 
supérieurs  des  maisons  de  Paris,  leur  témoigner  estime, 
amitié,  désir  de  les  marquera  leur  Compagnie,  de  l'obh'ger, 
de  la  distinguer,  de  la  servir  ;  que  ce  n'est  que  dans  ce 
dessein  que  vous  vous  êtes  cru  obligé  de  les  délivrer  de 
trois  brouillons  très  pernicieux,  dont  vous  êtes  bien  instruit 
qu'ils  ne  l'ont  pas  été  moins  chez  eux  en  choses  domesti- 
ques (ce  qui  est  très-vrai)  qu'ils  l'ont  été  très  criminelle- 
ment au  dehors  ;  que  vous  ne  voulez  ^  pas  pousser  à  leur 
égard  les  choses  plus  loin  ;   que,  sans  entrer  en  aucun 
détail  avec  ceux  à  qui  vous  parlez,  vous  vous  contentez  de 

1.  11  a  été  parlé  des  Pères  Doucin  et  Lallemant  dans  le  tome  XX, 
p.  333,  et  du  P.  de  Tournemine  dans  le  tome  XXII,  p.  145.  —  Le  D 
de  Doucin  corrige  une  autre  lettre. 

2.  L'éiision  qu'  surcharge  et. 

3.  Voulés  surcharge  l'abréviation  v^. 


î'i  M  KM  (H  R  ES  [ITl.H] 

leur  (lire  que  vous  ainioz  la  paix,  et,  poussant  un  peu  le 
ton,  que  vous  la  voulez,  (juc  vous  comptez  assez  sur  eux, 
par  la  manière  dont  vous  avez  parle'  d'eux,  et  usr  en 
toutes  les  occasions  (|ui  s'en  sont  présentées,  pour  leur 
demander  il'y  contribuer  elVectivement,  et  vous  donner 
moyen  par  cette  conduite  de  leur  vouloir  et  iairc  tout  le 
plaisir  et  le  bien  dont  les  occasions  se  pouii-ont  présen- 
ter, et  dont  le  désir  en  vous  se  nourrira  et  s'augmentera 
à  la  mesure  de  ce  que  vous  verrez  qu'ils  feront  efficace- 
ment pour  rem|)lir  en  cela  votre  désir.  Cela  dit,  inleri'om- 
pre  leurs  remontrances,  supplications  sur  les  prisonniers, 
protestations,  etc.,  par  des  compliments  et  des  persuasions 
(ju'ils  feront  merveilles,  pour  leur  couper  la  parole,  et 
tout  aussitôt  vous  retirer,  et  les  laisser,  et,  s'ils  hasardoient 
de  vous  suivre  ou  de  vous  faire  demander  à  vous  parler, 
leur  faire  dire  civilement  que  l'accablement  d'aiïairesne 
vous  le  permet  pas. 
P.  Tellier.  Mander  un  moment  après  le  P.  Tellier,  lui  dire  que  vous 

n'oubliez  point  les  services  qu'il  vous  a  rendus  ;  que  vous 
désireriez  avec  ardeur  que  le  bien  des  aiTaires  se  pût 
accorder  avec  tout  ce  que  vous  voudriez  faire  pour  lui, 
mais  que  la  place  que  vous  tenez  vous  impose  des  mesures 
auxquelles  vous  ne  pouvez  manquer;  qu'ainsi  vous  êtes 
forcé  à  lui  dire  que  le  Hoi  veut  qu'il  soit  conduit  sur-le- 
champ  à  la  Flèche',  où  il  lui  défend  très  expressément 
d'écrire  ou  de  recevoir  aucune  lettre  de  personne  que 
vues  par  celui  qui  en  sera  chargé,  et  qui  les  rendra  ou 
enverra,  ou  non,  comme  il  le  jugera  à  propos;  que  du 
reste  le  Hoi  lui  donne  six  mille  livres  de  pension,  et  que, 
s'il  en  désire  davantage,  il  n'a  qu'à  parler,  avec  certitude 
de  l'obtenir  sur-le-champ  ;  (juc  rien  ne  lui  manque  en 
bois,  en  meubles,  en  logement,  en  nourriture,  en  livres, 
en  tout  ce  qui  peut  servir  à  sa  santé,  à  sa  commodité,  à 

1.   Dans  cft  beau  collège  des  Jésuites   Hont  il  a  (^fé  parlé  dans  le 
tome  IV,  f).  328. 


I 


(-1745]  DE  SALXT-SIMON.  25 

son  amusement  ;  qu'il  ait  deux  valets  et  un  Frère,  que  le 
Roi  payera,  à  condition  qu'il  les  choisira  et  changera 
comme  il  lui  plaira,  sans  dépendance  que  de  l'intendant 
de  la  province,  qui  aura  ordre  de  tenir  la  main  à  ce  que 
rien  ne  lui  manque  ;  qu'il  soit  libre  et  indépendant  des 
jésuites  du  collège,  et  qu'ils  aient  pour  lui  tous  les  égards, 
les  attentions  et  les  déférences  possibles  ;  qu'il  se  puisse 
promener  et  dîner  dans  les  environs,  mais  sans  décou- 
cher; et  que  le  Roi  est  disposé  à  lui  accorder  d'ailleurs 
tout  ce  qui  pourra  lui  convenir,  et  même,  en  sa  considé- 
ration, des  grâcesquand  elles  ne  serontpointpréjudiciables. 
Cela  dit,  le  congédier  sans  écouter  trop  de  discours,  et 
avoir  pourvu  que,  en  l'absence  des  supérieurs  de  la  maison 
professe  étant  chez  vous,  et  du  P.  Tellier  y  venant,  on 
prenne  tout  ce  que  lui  et  son  secrétaire  auront  de  papiers 
chez  eux,  et  deux  hommes  sûrs,  mais  polis,  qui  paquette- 
ront*,  au  sortir  de  chez  vous,  le  P.  Tellier  et  son  compa- 
gnon dans  un  carrosse,  y  monteront  avec  eux  et  les  con- 
duiront tout  de  suite  -  à  la  Flèche,  où  ils  remettront  six 
mille  livres  au  P.  Tellier,  et  le  livreront  à  l'intendant  de 
la  province,  qu'on  aura  pourvu  d'y  faire  trouver  avec  les 
ordres  du  Roi  pour  lui  et  pour  les  jésuites  de  la  Flèche 
concernant  le  P.  Tellier.  C'est  ce  qui  se  doit  exécuter  à 
Versailles,  pour  que  l'aller  et  venir,  tant  des  supérieurs 
que  du  P.  Tellier,  donne  le  temps  nécessaire  de  saisir  les 
papiers  en  leur  absence,  et  faire  la  capture  des  trois  pri- 
sonniers'^ en  même  temps.  Je  crus  pouvoirs  ans  témérité 
assurer*  M.  le  duc  d'Orléans  d'une  joie  et  des  bénédictions 
publiques  de  cette  conduite,  et  que,  bien  loin  d'emporter 
aucun  danger,  elle  accélèreroit  la  paix.  Je  l'avertis  qu'il 
se  falloit  bien  garder  de  rien  dire  sur  tout  cela,  avant  ni  ^ 

1.  Verbe  déjà  annoté  dans  le  tome  XI,  p.  103. 

2.  Tout  de  suitte  est  en  interligne. 

3.  Les  Pères  Doucin,  Lallemant  et  fie  Tournemine:  ci-dessus. 
■4.  Avant  assurer,  il  y  a  un  second  pouvoir,  biffé. 

o.  Les  mots  avant  ny  sont  en  interligne. 


?6  MKM(MRES  [17151 

après  rexécution,  aux  carilinaux  de  part  ni  d'autre, 
ni  à  personne  des  leurs  :  à  l'un  ',  parce  que  cela  lui  feroit 
prendre  trop  de  force,  et  lui  paroitri)it  s'enrôler  aveclui  ; 
aux  autres-,  parce  que  cela  seiitiroit  l'excuse  et  la  crainte. 
Si  les  uns  ou  les  autres  vouloient  lui  en  parler  en  louange 
ou  en  plaintes,  leur  fermer  la  bouche  poliment,  mais  leur 
dire  tout  court,  d'un  Ion  à  se  faire  sentir,  que  vous  voulez 
la  paix,  et  que  vous  êtes  résolu  de  l'avoir  sans  prendre 
aucun  parti  que  celui  de  la  paix.  S'ils  passent  outre,  la 
révérence,  leur  dire  que  vous  êtes  fâché  de  n'avoir  pas 
le  loisir  d'être  plus  longtemps  avec  eux,  et  vous  retirer'. 
«  Assurez-vous,  dis-je  à  M.  le  duc  d'Orléans,  qu'avec  cette 
conduite,  l'étourdissement  de  la  mort  du  Roi,  et  les 
affaires  ecclésiastiques,  surtout  la  feuille  des  bénéfices, 
entre  les  mains  du  cardinal  de  Noailles,  fera  tomber  les 
armes  des  mains  à  Rohan  et  Bissy,  qui,  étant  ce  qu'ils 
sont,  n'ont  plus  de  fortune  personnelle  à  faire,  qui  hasar- 
deroient^  leur  crédit  pour  leur  famille  et  leur  considéra- 
tion en  se  roidissant,  et  qui  dès  lors  ne  songeront  qu'à 
vous  gagner  et  à  finir  pour  vous  plaire,  et  c'est  ce  qu'il 
faudra  saisir  brusquement,  et  finir  solidement  à  quelque 
prix  que  ce  soit,  ayant  toujours  les  écoles,  les  corps 
ecclésiastiques  et  les  parlements  en  croupe,  pour  finir 
convenablement.  » 
Rome  Tout  cela  longuement  discuté  et  à  bien   des  reprises, 

M.  le  duc  d'Urléans  me  parla  de  Rome  et  du  nonce  Ben- 
tivoglio\  qu'il  gardoit  pour  la  fin,  et  sur  quoi  il  m'expliqua 
ses  craintes.  Je  l'écoutai  longuement;  puis  je  lui  disque 
cet  objet,  si  principal  dans  la  matière  que  nous  traitions, 
ne  m'étoit  pas  échappé  ;  que  je  trouvois  fortaisé  de  couper 

i.  Le  cardinal  de  Noailles. 

2.  Les  cardinaux  de  Rohan  et  de  Bissy. 

3.  Ici  Saint-Simon  a  bilTt'  un  second  et  v'  retirer,  qu'il  avait  écrit 
une  scconile  lois  par  mégarde  en  inl«'rligne. 

4.  Hazarderoit  au  singulier,  corrigé  au  pluriel. 
.1.  Tome  XX VL  p.  -230-^23 1. 


et  le  nonce 


[)7I."|  DE  SATXT-SIMOX.  27 

court  avec  Koine,  sins  qu'elle  pût  s'en  offenser,  etd'écon- 
duire  son  ministre,  qui  étoit  un  fou  et  un  furieux  par 
ambition,  sms  religion  ni  honneur,  et  qui  entretenoit 
publiquement  une  fille  de  l'Opéra,  dont  il  avoit  déjà  un 
enfant  qui  n'étoit  pas  ignoré  '  ;  que,  jusqu'à  ce  que  les 
conseils  fussent  entièrement  formés  et  déclarés,  les  mi- 
nistres du  Roi  subsisteroient  ;  qu'ainsi  il  ne  devoit  jamais 
se  commettre  avec  le  nonce,  lui-  refuser  toute  audience 
sous  prétexte  de  la  multitude  d'affaires  et  d'ordres  à 
donner,  «  et^,  s'il  vous  attaque  lorsqu'il  vous  rencon- 
trera voyant  tout  le  monde,  l'interrompre,  lui  dire  poli- 
ment que  ce  n'est  pas  le  lieu  de  parler  d'affaires,  et  le  ren- 
voyer à  Torcy  ;  s'il  insiste,  lui  tourner  le  dos,  et  vous 
retirer;  charger  Torcy  de  se  rendre  peu  visible  au  nonce 
et  de  battre  la  campagne,  le  lasser  ainsi,  et  se  moquer  de 
lui.  A  l'égard  du  Pape,  se  bien  garder  que  rien  de  ^  sa  part, 
ni  verbal  et  bien  moins  par  écrit,  vienne  à  vous  sans  que 
Torcy  l'ait  ouï  ou  lu  auparavant,  pour  refuser  de  vous  en 
rendre  compte,  comme  il  est  souvent  arrivé  au  Roi  de  re- 
fuser de  recevoir  des  brefs,  etc.,  ou  pour  vous  en  rendre 
compte  si  la  chose  le  comporte  »  ;  ne  rien  répondre  que 
des  choses  générales  au  nonce  ;  au  Pape  force  respects, 
désirs,  soumissions,  puis  lui  écrire  ou  faire  dire  pathéti- 
quement que  ce  que  le  roi  le  plus  craint,  le  plus  absolu, 

1.  Saint-Simon  reviendra  avec  plus  de  détail  sur  la  conduite  privée 
du  nonce  Bentivoijlio  dans  la  suite  d"S  Mémoires,  tomes  XIII  de  1873, 
p.  -19-60,  et  XVI,  p.  339.  Il  est  élonnant  que  ni  Buvat,  ni  Mathieu 
Marais,  ni  les  chansons  [tubliées  par  M.  Raunié  dans  son  Chunsonnier 
historique  n'y  aient  t'ait  allusion.  Seul  le  Journal  de  Barbier,  édition 
de  la  Société  de  l'histoire  de  France,  tome  I,  p.  331,  raconte  que 
Mlle  Duval  du  Tillet  l'aînée,  actrice  de  l'Opéra,  n'était  connue  que 
sous  le  nom  de  la  Constitution,  parce  qu'on  la  prétendait  tille  du 
nonce  Bentivo^lio. 

2.  Luy  surcharge  l'abréviation  d'et. 

3.  A  remarquer  encore  cette  reprise  du  discours  direct. 

4.  De  corrige  ne  et,  au-dessus,  Saint-Simon  a  biffé  recevoir  ajouté 
en  interligne. 


28  MÉMOIRES  |I7IN| 

le  plus  obôi  {|ui  ail  jamais  rogné  (M1  Franco,  n'avanl  pu  ' 
opérer  ce  que  S.  S.  désire,  et  à  quoi  S.  M.  s'étoit  engagée 
à  elle,  et  y  ayant  vainement  employé  les  soins,  les  grâces, 
les  menaces- et  jusqu'à  la  violence,  pendant  cjuatre  ou 
cinq  ans  sans  relâche,  il  ne  faut  pas  espérer  d'un  temps 
de  minorité,  par  conséquent  de  foiblesse,  ni  de  l'autorité 
limitée  et  précaire  d'un  régent,  ce  que  n'a  pu  le  plus 
puissant  et  le  plus  redouté  des  rois  de  France  ;  qu'il  est 
également  de  la  sagesse  de  S.  S.  ^  de  n'y  pas  compter,  et 
de  sa  charité  paternelle  de  ne  pas  exiger  l'impossible  ; 
que  le  Régent  se  croit  de  plus  en  droit  d'espérer  d'un  si 
grand  et  si  saint  pape  qu'il  seroit  le  premier  à  chercher 
tous  les  moyens  possibles  d'arrêter  les  divisions  et  les 
troubles  dans  le  royaume  d'un  enfant,  fils  aîné  de  l'Eglise, 
aux  ancêtres  de  *  qui  l'Église  universelle,  celle  de  Rome 
en  particulier,  sont  si  particulièrement  redevables,  plutôt 
que  de  les  augmenter  en  exigeant  l'impossible  ;  étendre  et 
paraphraser  ce  thème  au  mieux  et  avec  les  expressions 
les  plus  touchantes  et  les  plus  soumises,  mais  en  mon- 
trant aussi  une  fermeté  à  s'y  tenir  qui  ôte  toute  espérance 
de  l'ébranler;  surtout  ne  se  point  lasser  des  recharges,  et 
d'y  répondre  toujours  sur  ce  même  ton.  En  même  temps, 
faire  revenir  au  nonce  que,  s'il  n'est  sage,  on  ne  sera  pas 
l'etenu  d'informer  le  Pape  de  sa  conduite  scandaleuse,  de 
la  répandre  à  Rome  et  de  lui  fermer  le  chemin  au  cardi- 
nalat par  cela  même  qu'il  emploie  à  le  hâter;  avertir  sous 
main  les  jésuites  qu'on  est  attentif  à  leur  conduite  dans 
toutes  les  provinces,  qu'on  n'est  pas  moins  instruit  de 
celle  de  leur  général  et  des  principaux  de  leur  Compagnie 
à  Rome,  qu'ils  s'apercevront  par  un  traitement  attentif, 
suivi,  proportionné,  du  mécontentement  ou  de  la  satisfac- 

i.  Il  faudrait  n'a  pu  pour  i\uv  la  phrase  soit  régulière. 

2.  Menaces  est  en  interlifrne,  au-dessus  de  grâces,  biffé. 

3.  Les  mots  de  S.  S.  semblent  surcharger  du  Palpe]. 

4.  Saint-Simon  a  ajouté  en  interligne  aux  ancestres  et  surchargé  à 
eu  de. 


flTIo)  DE   SAINT-SIMON.  29 

tion  qu'on  en  recevra.  Tout  d'une  main ',  séparer  et  tînir  Évoques;  leur 
l'assemblée  actuelle  des  évêques  qui  n'est  bonne  ni  occu-  assemblée, 
pée  qu'à  brouiller,  n'accorder  sur  cela  ni  délai,  ni  au- 
dience, dire  aux  cardinaux  de  Kohan  et  de  Bissy  qu'on 
n'a  affaire  qu'à  eux,  et  qu'on  n'écoutera  rien  qu'après  qu'on 
aura  su  par  les  intendants  des  provinces  que  tous  les  évo- 
ques sont  arrivés  chacun  dans  son  diocèse.  Empêcher 
après  qu'aucun  ne  revienne  à  Paris,  les  renvoyer  subite- 
ment, s'ils  l'osent,  par  le  ministère  naturel  du  procureur 
général,  et  tenir  la  main,  par  les  procureurs  généraux  des 
autres  parlements,  qu'ils  ne  se  courent  point  les  uns  les 
autres,  qu'ils  se  tiennent  chacun  chez  eux  ;  les  y  faire 
avertir  d'être  sages,  et,  si  quelqu'un  de  part  ou  d'autre 
ne  l'étoit  pas,  le  pincer  tout  aussitôt  ou  sourdement  ou 
avec  éclat,  suivant  sa  faute  en  dessous  ou  publique,  et  le 
châtier  aussi  dans  sa  parenté,  moyen  très  sensible  et  d'au- 
tant plus  efficace  que  des  parents  d'évêques,  et  surtout 
tels  qu'ils  sont  pour  la  plupart,  n'ont  pas  les  ressources 
des  évêques,  ni  dans  le  public  ni  dans  le  particulier,  et 
qui,  vexés  par  rapport  à  eux,  les  réduisent  bientôt  à  la 
raison  pour  leur  délivrance. 

Ce  qui  est    de  très  principal  et  que    j'appuyai  bien  à   Commerce  du 

M.  le  duc  d'Orléans,  c'est  la  nouvelle  licence  de  leur  cor-  „  clergé  de 

,  ,   ^  .11  I  •    •  I  France  à  Rome 

respondance  a  Home  et  de  leurs  liaisons  avec  le  nonce.       ^t  à  Paris 

Jamais  ni  l'un  ni  l'autre  ne  s'étoit  toléré  avant  l'affaire  de  avec 

la  Constitution,  témoin  celle    dont  j'eus  tant  de  peine  à 

tirer  Mailly,  archevêque  d'Arles,   dont  j'ai  parlé  en  son 

temps-,  où  il  ne  s'agissoit  uniquement  que  d'un  présent 

au  Pape  de  quelques  reliques  de  saint  Trophime,qui  lui 

en  avoit  attiré  un  bref  de  pur  remerciement,  sans  qu'il  y 

eût  pour  lors  l'ombre"   de   rien  autre  chose,  pas  même 

dans  aucun  lointain.  Il  n'étoit  permis  à  aucun  évêque  ni 

1.  Locution   qui  signifie  en  même  temps  et  que  ne  donnaient  pas 
les  lexiques  du  temps. 

•2.  Tome  XIII,  p.  112-114. 

3.  Après  l'ombre,  il  a  biffé  mesme. 


;i(»  M  KM 01 H  ES  \\l\r>] 

à  aucun  ecclésiastique  d'écrire  à  qui  que  ce  lut  de  la 
cour  de  Rome,  ni  d'en  recevoir  de  lettres,  sans  la  per- 
mission expresse  du  i^oi  sur  clia<jue  chose,  et  sans  que  le 
secrétaire  d  État  des  affaires  étrangères  ne'  les  vit  et  en 
pût  répondre.  Autrement  c'étoit  un  crime,  et  ces  lettres 
mêmes  étoient  infiniment  rares,  parce  qu'elles  se  permet- 
toient  fort  ditlicilement,  et  qu'elles  laissoient  toujours 
ombrage  et  démérite,  tellement  qu'elles  étoient  tombées 
tout  à  fait  hors  d'usage,  parce  que  le  commerce  néces- 
saire des  bulles,  des  dispenses,  etc.,  se  faisoit-  unique- 
ment parles  banquiers'.  A  l'égard  des  nonces,  ni  com- 
merce ni  visites  ;  un  évêque,  un  ecclésiastique  simple,  un 
moine  même  eût  été  sévèrement  tancé,  et  après  longue- 
ment éclairé,  qui  auroit  vu  le  nonce  sans  que  le  ministre 
des  affaires  étrangères  eût  su  pourquoi,  et  en  eût  parlé  au 
Roi,  et  même  avec  cela  jamais  au  delà  de  l'étroit  néces- 
saire. Le  P.  Tellier  avoit  le  premier  osé  rompre  cette 
barrière,  et  que  n'osa-t-il  pas  ?  Aussitôt  grand  nombre  et 
de  prélats  et  de  gens  du  second  ordre  s'empressèrent  à  se 
faire  de  fêteS  et  se  proposèrent  des  chimères.  Rome  et 
le  nonce  entretinrent  soigneusement  leur  vanité  et  leur 
espérance,  et  peu  à  peu  s'attachèrent  ainsi  une  grande 
partie  du  clergé,  pour  se  faire  valoir  des  deux  côtés,  ce'' 
qui,  depuis  la  vue  du  cardinalat,  qui  en  enivra  beaucoup, 
jusqu'aux  moindres  objets,  débaucha  un  clergé  vain, 
oisif,  avare,  ambitieux,  ignorant,  et  pour  la  plupart  pris 
de  la  lie  du  peuple  ou  de  la  plus  abjecte  bourgeoisie. 
On  sent  aisément  ce  que  deviennent  alors  ces  précieuses 
libertés  de  l'Église  gallicane,  les  droits  du  Roi,  le  lien 
à  la  patrie,  et  c'est  ce  qu'il  étoit  si  important  de  redres- 

4.  Avant  ce  ne,  il  y  a  un  le  bifTé. 

2.  Ecrit  faisaient  au  pluriel,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

3.  11  a  déjà  élé  parlé  des  banquiers  expéditionnaires  en  cour  de 
Rome  dans  le  tome  XHI,  p.  idil 

4.  Locution  déjà  relevée  dans  le  tome  XXII,  p.  4-20. 

3.  Saint-Simon  a  écrit  et  qui  jiour  ce  qui,  par  inadvertance. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  34 

ser,  en  privant  Rome  de  tant  et  de  si  dangereux  trans- 
fuges, en  remettant  les  anciennes  règles  en  vigueur, 
dont  Rome  même  n'eût  osé  se  plaindre  puisqu'elles  y 
étoient  encore,  et  sans  interruption,  lors  des  premiers 
progrès  de  l'affaire  qui  fit  naître  celle  de  la  Constitution, 
c'est-à-dire,  il  y  a  cinq  ou  six  ans,  et  de  plus  qui  n'étoient 
violées  que  par  simple  et  tacite  tolérance,  sans  aucune 
sorte  de  révocation,  ni  même  de  consentement  formel. 
C'étoit  donc  bien  assez  de  laisser  le  commerce  de  Rome 
libre  aux  cardinaux  de  Noailles,  Rohan  et  Bissy  unique- 
ment, et  celui  du  nonce  à  cinq  ou  six  prélats  ou  gens  du 
second  ordre,  bien  choisis  et  nommés  pour  cela  par 
M.  le  duc  d'Orléans,  et  châtier  sévèrement  et  irrémissi- 
blement  tous  prélats  et  gens  du  second  ordre  qui  oseroient 
transgresser  la  défense  le  moins  du  monde,  en  quelque 
manière,  et  sous  quelque  prétexte  et  protection  que  ce 
pût  être.  Nous  fûmes  souvent'  et  longuement  sur  cette 
matière,  M.  le  duc  d'Orléans  et  moi,  et  à  la  fin  je  le 
laissai  persuadé. 

Restoient  les  conseils  des  affaires  étrangères  et  des  dé-        Affaires 
pêches  ou  du  dedans  du   royaume.    Je  dis  à  M.  le  duc      étrangères. 

1)/-.   I'  5-1  •  -Il  ■    -1  Anaires  du 

d  Orléans  qu  il  restoit  aussi  deux  hommes  sur  qui  il  ne  dedans 
devoit  pas  compter,  mais  qui,  outre  leurs  établissements,  duroyaume. 
étoient  dans  le  public,  l'un  bien  moins  à  propos  que  l'au- 
tre, à  ne  pouvoir  laisser  :  Harcourt  et  Huxelles  ;  que  j'es- 
timois  qu'il  falloit  les  mettre  à  la  tête  de  ces  deux  con- 
seils, mais  que  je  ne  voyois  pas  qu'il  eût  à  contraindre 
son  goût  sur  leurs  places.  La  situation  où  M.  le  ducd'Or- 
léans  avoitété  si  longtemps  avec  l'Espagne,  et  les  liaisons 
étroites  d'Harcourt  en  ce  pays-là,  et  avec  Mmes  de  Main- 
tenon  et  des  Ursins,  le  déterminèrent  aux  affaires  étran- 
gères pour  Huxelles,  et  à  celles  du  dedans  du  royaume 
pour  Harcourt.  Cela  fut  bientôt  décidé-.  Mais  avant  que 

i.  Le  comm'^ncement  de  somment  surcharge  des  lettres  illisibles. 
2.  Décidé  est  en  interligne,  au-dessus  de  déterminé,  biffé. 


:>2  MEMOIRES  [l7lo| 

la  résolution  en  lui  jn-ise  :   «  Mais  vous,  nie  dit  M.   le  duc 

d'Orléans,  vous  nio  proposez  tout  le  monde,  et  ne  me  par- 

Jc  mcicusc     lez  point  de  vous;  à  (|uoi  donc  voulez-vous  être?  »  Je  lui 

de  me  r  1  •  »  '1    'i  '  •      •     I 

choisir  uno      répondis  (jue  ce  n  etoit  a  moi  ni  de  me  proposer  ni  moins 

place,  encore  de  choisir',   mais    à  lui-même  à   voir  s'il    vouloit 

et  je  refuse      m'eiuplover,  s'il   m'en  crovt)it  capable,    et  en   ce  cas  de 
obstinément  '   .  •  ,   ■  '  . 

l'admi-        déterminer  la    place   qu  il   me  voudroit    laire    occuper, 
nisirafion  des    Cétoit  à  Marlv,  dans  sa  chambre,   et  il  m'en  souviendra 
finances.  .  i  ,  .-x    l'i     .  '      *  'l 

toujours.    Apres  quelque  petit  débat,   qu  entre  pareils  on 

appelleroit  compliments,  il  me  proposa  la  présidence  du 
conseil  des  finances,  c'est-à-dire  de  les  diriger  avec  un 
imbécile  en  ce  genre  tel  que  le  maréchal  de  Villeroy,  et 
me  dit  que  c'étoit  ce  qui  convenoit  le  mieux  à  lui  et  à 
moi.  Je  le  remerciai  de  l'honneur  et  de  la  confiance,  et 
je  le  refusai  respectueusement  :  c'étoit  la  place  que  je 
destinois  au  duc  de  Noaiiles.  M.  le  duc  d'Orléans  fut  fort 
étonné,  et  se  mit  sur  son  bien-dire  pour  me  persuader.  Je 
lui  répondis  que  je  n'avois  nulle  aptitude  pour  les  finan- 
ces, que  c'étoit  un  détail  devenu  science  et  grimoire'  qui 
me  passoit  ;  que  le  commerce,  les  monnoies,  le  change,  la 
circulation,  toutes  choses  essentielles  à  la  gestion  des 
finances,  je  n'en  connoissois  que  les  noms  ;  que  je  ne 
savois  pas  les  premières  règles  de  l'arithmétique  ■  ;  que  je 
ne  m'étois  jamais  mêlé  de  l'administration  de  mon  bien, 
ni  de  ma  dépense  domestique,  parce  que  je  m'en  sentois 
incapable,  combien  plus  des  finances  de  tout  un  royaume, 
et  embarrassées  comme  elles  l'étoient.  Il  me  représenta 
l'instruction  et  le  soulagement  que  je  trouverois  dans  les 
divers  membres  du  conseil  des  finances,  et  dans  ceux  d'ail- 
leurs que  je  voudrois  consulter.  Il  ajouta  tout  ce  qui  pou- 
voit  me  flatter;  il  appuya  sur  ma  probité  et  sur  mon  dé- 
sintéressement, chose  si  capitale  au  maniement  des  finan- 

1.  C/tOisir  est  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier  choisir,  biffé, 
qui  corrigeait  un  autre  mot. 

2.  Ci-dessus,  p.   \%. 

3.  Il  «'■cril  arilméthique. 


11713]  DE  SAINT-SIMON.  33 

ces.  Sur  quoi  je  lui  répondis  que  peu  importeroit  à  la 
chose  publique  que  je  volasse  les  finances,  ou  que  mon 
incapacité  les  laissât  voler  ;  qu'à  la  vérité  je  croyois  bien 
me  pouvoir  répondre  à  lui  et  à  moi-même  de  ma  fidélité 
là-dessus,  mais  que,  avec  la  même  sincérité,  je  ne  sentois 
aucune  des  lumières  nécessaires  pour  m'apercevoir  même 
des  friponneries  grossières,  combien  moins  des  panneaux 
infinis  dont  cette  matière  est  si  susceptible.  La  fin  de  plus 
d'une  heure  de  ce  débat  fut  de  se  fâcher  contre  moi,  puis 
de  me  prier  de  faire  bien  mes  réflexions,  et  que  nous  en 
parlerions  le  lendemain. 

Il  y  avoit  longtemps  qu'elles  étoient  toutes  faites.  Je 
n'étois  pas,  depuis  la  mort  de  cet  admirable  Dauphin,  et 
{)lus  encore  depuis  celle  de  M.  le  duc  de  Berry_,  à  m'être 
occupé  des  diverses  places  du  gouvernement  à  venir, 
avec  ce  projet  des  conseils,  et  à  penser,  je  le  dirai  avec 
simplicité,  non  à  celles  qui  me  conviendroient,  mais  à 
celles  à  qui  je  conviendrois  moi-même,  qui  est  l'unique 
façon  de  bien  placer  les  hommes  \  et  pour  la  chose  publi- 
que et  pour  eux-mêmes.  Celle  des  finances  s'étoit  pré- 
sentée à  moi  comme  les  autres  ;  je  n'aurai  pas  la  grossiè- 
reté de  dire  que  je  ne  crusse  pas  bien  que  M.  le  duc 
d'Orléans  ne  me  laisseroit  pas  sans  me  donner  part  au 
gouvernement,  et  je  ne  pensai  pas  qu'il  y  eût  de  la  pré- 
somption à  m'en  persuader,  et  à  réfléchir  en  conséquence. 
La  matière  des  finances  me  répugnoit  par  les  raisons  que 
je  venois  d'alléguer  à  M.  le  duc  d'Orléans,  et  par  bien 
d'autres  encore,  dont  celle  du  travail  étoit  la  moindre. 
Mais  les  injustices  que  les  nécessités  y  attachent  me  fai- 
soient  peur  ;  je  ne  pouvois  m'accommoder  d'être  le  mar- 
teau du  peuple  -  et  du  public,  d'essuyer  les  cris  des 
malheureux,  les  discours  faux,  mais  quelquefois  vraisem- 
blables, surtout  en  ce  genre,  des  fripons,  des  malins,  des 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  4,  note  2. 

2.  Dans  le  tome  XXJI,  p.  47,  il  a  appelé  les  ministres  les  «  mar- 
teaux de  l'État  »  ;  voyez  ci-après,  p.  120. 

UÉUOIKES    UE    SAINT-SIMON.    XXVII  3 


34  MÉMOIRES  [1715] 

envieux,  et  ce  qui  me  détermina  plus  que  tout,  la  situa- 
tion forcée  où  les  guerres  et  les  autres  dépenses  prodi- 
gieuses avoient  réduit  l'État,  en  sorte  que  je  n'y  voyois 
que  le  choix  de  l'un  de  ces  doux  partis  :  de  continuer  et 
d'augmenter  même  autant  (ju'il  seroit  possible  toutes  les 
impositions  pour  pouvoir  acquitter  les  dettes  immenses,  et 
conséquemment  achever  de  tout  écraser,  ou  de  faire  ban- 
queroute publicjue  par  voie  d'autorité,  en  déclarant  le  Roi 
futur  quitte  de  toutes  dettes  et  non  obligé  à  celles  du  Roi 
son  aïeul  et  son  prédécesseur,  injustice  énorme  et  qui  rui- 
neroit  une  intinité  de  familles  et  directement  et  par  cas- 
cades. L'horreur  que  je  conçus  de  l'une  et  de  l'autre  de 
ces  iniquités  ne  me  permit  pas  de  m'en  charger,  et  quant 
à  un  milieu'  qui  ne  peut  être  qu'une  liquidation  des  dif- 
férentes sortes  de  dettes  pour  assurer  l'acquittement  des 
véritables,  et  rayer  les  fausses,  et  l'examen  des  preuves, 
et  celui  des  parties  payées,  et  jusqu'à  quel  point,  cela  me 
parut  une  mer  sans  fond  où  mes  sondes  ne  parviendroient- 
jamais.  Et  d'ailleurs  quel  vaste  champ  à  pièges  et  à  fri- 
ponneries !  Oserois-je  avouer  une  raison  encore  plus 
secrète?  Me  trouvant  chargé  des  finances,  j'aurois  été 
trop  fortement  tenté  de  la  banqueroute  totale,  et  c'étoit 
un  paquet  dont  je  ne  me  voulois  pas  charger  devant  Dieu 
Étal  forcé  des  ni  devant  les  hommes.  Entre  deux  effroyables  injustices, 
fanances;       tant  en  elles-mèmes  que  par  leurs  suites,  la  banqueroute 

banqueroute  ,        .  .'        ^  '  t 

préfcrable       me  paroissoit  la  moins  cruelle   des  deux,   parce  qu'aux 
à  tout  antre    (Jépens  de   la  ruine  de  cette  foule  de  créanciers,  dont  le 

parti. 

plus  grand  nombre  l'étoit  devenu  volontairement  par  l'ap- 
pât du  gain,  et  dont  beaucoup  en  avoient  fait  de  grands^, 
très  difficiles  à  mettre  au  jour,  encore  plus  en  preuves, 
tout  le  reste  du  public  étoit  au  moins  sauvé,  et  le  Roi  au 
courant',  par  conséquent  diminution  d'impôts  infinie,  et 

1.  Au  sens  de  moyen  terme. 

i.  Le  V  de  partiendroienl  surctiarge  une  f. 

3.  De  grands  gains. 

4.  Cette  expression,  au  sens  de  «  n'avoir  pas  d'arriéré,  soit  dans 


J 


[47i5]  DE  SAINT-SIMON.  35 

sur-le-champ.  C'étoit  un  avantage  extrême'  pour  le  peu- 
ple tant  des  villes  que  de  la  campagne,  qui  est,  sans  pro- 
portion, le  très  grand  nombre,  et  le  nourricier^  de  l'État. 
C'en  étoit  un  aussi  extrêmement  avantageux  pour  tout 
commerce  au  dehors  et  au  dedans,  totalement  intercepté 
et  tari  par  cette  immensité  de  divers  impôts.  Ces  raisons 
qui  se  peuvent  alléguer  m'entraînoient  ;  mais  j'étois  tou- 
ché plus  fortement  d'une  autre  que  je  n'explique  ici  qu'en 
tremblant.  Nul  frein  possible  pour  arrêter  le  gouverne- 
ment sur  le  pied  qu'il  est  enfin  parvenu.  Quelque  dispro- 
portion que  la  découverte  des  trésors  de  l'Amérique  ait 
mise^  à  la  quantité  de  l'or  et  de  l'argent  en  Europe  depuis 
que  la  mer  y  en*  apporte  incessamment,  elle  ne  répond 
en  nulle  sorte  à  la  prodigieuse  différence  des  revenus 
de  nos  derniers  rois,  ni  des  leurs  à  la  moitié  de  ceux 
de  Louis  XIV.  Nonobstant  l'augmentation  jusqu'à  l'in- 
croyable, j'avois  bien  présent  la  situation  déplorable  de  la 
fin  d'un  règne  si  long,  si  abondant,  si  glorieux,  si  naïve- 
ment représentée  par  ce  qui  causa  et  se  passa  au  voyage 
de  Torcy  à  la  Haye%  et  depuis  à  Gertruydenberg,  dont 
il  ne  fallut  pas  moins  que  le  coup  du  ciel  le  plus  inat- 
tendu pour  sauver  la  France  par  l'intrigue  domestique 
de  l'Angleterre  ;  ce  qui  se  voit  dans  les  Pièces  par  les 
dépêches  originales  et  les  récits  qui  les  lient,  que  j'ai  eus 
de  M.  de  Torcy.  Il  résulte  donc  par  cet  exposé  qu'il  n'y  a 
point  de  trésors  qui  suffisent  à  un  gouvernement  déréglé, 
que  le  salut  d'un  Etat  n'est  attaché  qu'à  la  sagesse  de  le 
conduire,  et  pareillement  sa  prospérité,  son  bonheur,    la 

son  travail,  soit  dans  le  payement  de  ses  dettes  »,  n'était  pas  donné 
par  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718. 

d.  Extresme  est  en  interligne,  au-dessus  d^infini,  bifîé. 

2.  Il  écrit  nournssier. 

3.  Il  y  a  mis,  sans  accord,  dans  le  manuscrit. 

4.  Le  pronom  en  a  été  ajouté  en  interligne. 

5.  Voyez  notre  tome  XVII,  p.  346,  et  note  4  ;  il  reviendra  sur  ce 
sujet  ci-après,  p.  44-45. 


36  MEMOIRES  [1745] 

durée  de  sa  gloire  et  de  sa  prépondérance  sur  les  autres. 
Louvois,  pour  régner  seul  et  culbuter  Colbert,  inspira  au 
Roi  l'esprit  de  conquête.  Il  forma  des  armées  immenses  ; 
il  envahit  les  Pays-Bas  jusqu'à  Amsterdam,  et  il  effraya 
tellement  toute  l'Europe  par  la  rapidité  des  succès,  qu'il 
la  ligua  toute  contre  la  France,  et  qu'il  mit  les  autrespuis- 
sances  dans  la  nécessité  d'avoir  des  armées  aussi  nom- 
breuses (}ue  celles  du  Roi.  De  là  toutes  les  guerres  qui 
n'ont  comme  point  cessé  depuis;  de  là  l'épuisement  d'un 
royaume,  quelque'  vaste  et  abondant  qu'il  soit,  quand  il 
est  seul  sans  cesse  contre  toute  l'Europe  ;  de  là  cette  situa- 
tion désespérante  où  le  Roi  se  vit  enfin  réduit-  de  ne  pou- 
voir ni  soutenir  la  guerre  ni  obtenir  la  paix  à  quelques 
cruelles  conditions  que  ce  put  être.  Que  ne  pourroit-on 
pas  ajouter  en  bâtiments  immenses  de  ce  règne  ^,  et  plus 
qu'inutiles,  de  places  ou  de  plaisir,  et  de  tant  d'autres 
sortes  de  dépenses  prodigieuses  et  frivoles,  toutes  voies 
dans  un  autre*  pour  se  retrouver  au  même  point,  ce  qui 
n'est  pas  difficile  après  y  avoir  été  une  fois?  On  dépend 
donc  pour  cela^,  non  seulement  d'un  roi,  de  ses  maî- 
tresses, de  ses  favoris,  de  ses  goûts,  mais  de  ses  propres 
ministres,  comme  on  le  doit  originairement  à  Louvois.  On 
conviendra,  je  m'assure,  qu'il  n'est  rien  qui  demande 
plus  pressamment  un  remède,  et  que  ce  remède  est  dis- 
sous il  y  a  longtemps.  Que  substituer*  donc,  pour  garantir 
les  rois  et  le  royaume  de  cet  abîme  ?  L'incomparable  Dau- 
phin l'a  bien  senti  et  l'avoit  bien  résolu.  Mais,  pour  l'exé- 
cuter, il  falloit  être  roi,  non  régent,  et  plus  que  roi  ;  car 
il  falloit  être  roi  de  soi-même  et  divinement  supérieur  à 

1.  Avant  quelque,  il  y  a  en  interligne  un  qui  inutile. 

2.  Le  participe  réduit  a  été  ajouté  en  interligne. 

3.  Ces  trois  derniers  mots  sont  en  interligne. 

4.  Dans  un  autre  ordre  d'idées.  —  Ces  cinq  mots  ont  été  ajoutés  en 
interligne  avec  un  signe  de  renvoi. 

5.  Les  mois  donc  p""  cela  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

6.  Ecrit  subsituer. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  37 

son  propre  trône.  Qui  peut  espérer  un  roi  de  cette  sorte, 
après  s'en  être  vu  enlever  le  modèle  formé  des  mains  de 
Dieu  même,  sur  le  point  de  parvenir  à  la  couronne  et 
d'exécuter  les  merveilles  qui  avoient  été  inspirées  à  son 
esprit,  et  que  le  doigt  de  Dieu  avoit  gravées  si  profondé- 
ment dans  son  cœur?  C'est  donc  la  forte  considération 
de  raisons  si  prégnantes'  et  si  fort  au-dessus  de  toutes 
autres  considérations  qui  me  persuada-  que  le  plus  grand 
service  qui  pût  être  rendu  à  l'Etat,  pour  lequel  les  rois 
sont  faits,  et  non  l'Etat  pour  les  rois,  comme  ce  Dauphin 
le  sentoit  si  bien,  et  ne  craignoit  pas  de  le  dire  tout  haut^, 
et  le  plus  grand  service  encore  qui^  pût  être  rendu  aux 
rois  mêmes  étoit^  de  les  mettre  hors  d'état  de  tomber 
dans  l'abîme  qui  s'ouvrit  de  si  près  sous  les  pieds  du  Roi, 
ce  qui  ne  se  peut  exécuter  qu'[en]  les  mettant  à  l'abri 
des  ambitieuses  suggestions  des  futurs  Louvois,  et  de  la 
propre  séduction  des  rois  mêmes  par  l'entraînement  de 
leurs  goûts,  de  leurs  passions,  l'ivresse  de  leur  puissance 
et  de  leur  gloire,  et  l'imbécillité^  des  vues  et  des  lumières 
dont  la  vaste  étendue  n'est  pas  toujours  attachée  à  leur 
sceptre.  C'est  ce  qui  se  trouvoitpar  la  banqueroute  et  par 
les  motifs  de  l'édit  qui  l'auroit  déclarée,  qui  se  réduisent 
à  ceux-ci  : 

La'  monarchie  n'est  point  élective  et  n'est  point  héré- 

i.  Ce  mot,  au  sens  de  violent,  pressant,  n'a  été  admis  par  l'Acadé- 
mie que  dans  la  première  édition  du  Dictionnaire,  mais  non  dans  les 
suivantes.  Le  Littré  en  cite  un  exemple  du  seizième  siècle,  et  on  le 
trouve  aussi  dans  Brantôme  (Œuvres,  édition  Lalanne,  tome  IV, 
p.  170).  Notre  auteur  va  l'employer  encore  ci-après,  p.  269,  et  nous  le 
retrouverons  dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XV  de  4873,  p.  381. 

2.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  que  je  me  persuaday  ;  il  a  biffé 
que  je,  écrit  qui  en  interligne,  et  corrigé  persuaday  en  persuada. 

3.  Tome  XXII,  p.  326  et  329. 

4.  Qui  est  en  interligne,  au-dessus  de  qu'il,  biffé. 

5.  Le  verbe  estoit  a  été  ajouté  en  interligne,  et  Saint-Simon  a  écrit 
au  rois  par  inadvertance. 

6.  Ce  mot  est  pris  ici  au  sens  absolu  de  faiblesse. 

7.  Nous  ne  cherchons   pas   à  justifier  la    théorie  singulière    que 


38  MÉMOIRES  [4745] 

(litaiie  ;  c'est  un  fidéicommis,  une  substitution  faite 
par  la  nation  à  une  maison  entière,  pour  en  jouir  et 
régner  sur  elle  de  màle  en  mâle,  né  et  à  naître  en  légi- 
time mariage,  graduellement,  perpétuellement,  et  à  tou- 
joui"s,  d'aîné  en  aîné,  tant  que  durera  cette  maison,  à 
l'exclusion  de  toute  femelle,  et  dans  quelque  ligne  et 
degré  que  ce  puisse  être.  Suivant  cette  vérité,  qui  ne  peut 
être  contestée,  uu  roi  de  France  ne  tient  '  rien  de  celui  à  qui 
il  succède,  même  son  père  ;  il  n'en  hérite  rien  ;  car  il  n'est  ici 
question  que  de  la  couronne,  et  de  ce  qui  y  est  inhérent,  non 
de  joyaux  et  de  mobilier.  Il  vient  à  son  tour  à  la  couronne, 
en  vertu  de  ce  fidéicommis,  et  du  droit  qu'il  lui  donne  par 
sa  naissance,  et  nullement  par  héritage  ni  représentation. 
Conséquemment  tout  engagement  pris  par  le  roi  prédé- 
cesseur périt  avec  lui  et  n'a  aucune  force  sur  le  succes- 
seur, et  nos  rois  payent  le  comble  du  pouvoir  qu'ils  exer- 
cent pendant  leur  vie  par  l'impuissance  entière  qui  les 
suit  dans  le  tombeau.  Mineurs,  à  quelque  âge  qu'ils  se 
trouvent,  pour  revenir  de  ce  qu'ils  font  eux-mêmes  contre 
leurs  intérêts,  ou  du  préjudice  qu'ils  y  reçoivent  par  le 
fait  d'autrui  qu'ils  auront  consenti  et  autorisé,  auront-ils 
moins  de  privilège  d'être  libres  et  quittes  de  ce  qui  leur 
nuit,  à  quoi  ils  n'ont  contribué  ni  par  leur  fait,  ni  par 
leur  engagement,  ni  par  leur  autorisation  ?  Et  de  condi- 
tion tellement  distinguée  en  mieux  que  leurs  sujets  par 
cette  minorité  qui  les  relève  de  tout  ce  qui  leur  préjudi- 
cie,  à  quelque  âge  qu'ils  l'aient  fait  ou  ratifié,  peuvent-ils 
devenir  de  pire  condition  que  tous  leurs  sujets,  dont 
aucun  n'est  tenu  que  de  son  propre  fait,  ou  du  fait  de  celui 

Saint-Simon  va  exposer,  pas  plus  qu'à  expliquer  les  déductions 
embrouillées  par  lesquelles  il  va  tâcher  d'rtablir  la  légitimité  de  la 
banqueroute  de  l'État.  Il  avait  déjà  montré  Sfs  préférences  pour  cette 
solution  dans  les  Projets  de  gouvernement  du  duc  de  Bourgogne, 
p.  13  et  44,  et  Fénelon  avait  proposé  la  même  chose  dans  ses  «  Plans 
de  gouvernement  »  (voyez  dans  les  Projets,  p.  479-483,  la  longue 
dissertation  de  M.  Paul  Mesnard  à  ce  sujet). 
1.  La  première  lettre  de  tient  corrige  un  d. 


[4715]  DE  SAINT-SIMOX.  39 

dont  il  hérite  ou  qu'il  représente,  et  qui  ne  le  peut  être 
du  fait  particulier'  de  celui  dont  le  bien  lui  échoit  à  titre 
de  substitution?  Ces  raisons  prouvent  donc  avec  évidence 
que  le  successeur  à  la  couronne  n'est  tenu  de  rien  de  tout 
ce  que  son  prédécesseur  l'étoit  ;  que  tous  les  engagements 
que  le  prédécesseur  a  pris  sont  éteints  avec  lui,  et  que  le 
successeur  reçoit,  non  de  lui,  mais  de  la  loi  primordiale 
qui  l'appelle  à  la  couronne,  le  -  fîdéicommis  et  la  substi- 
tution qu'elle  lui  a  réservée  à  son  tour,  pure,  nette,  fran- 
che, libre  et  quitte  de  tout  engagement  précédent. 

Un  édit  bien  libellé,  bien  serré,  bien  ferme  et  bien  établi 
sur  ces  maximes  et  sur  les  conséquences  qui  en  résultent 
si  naturellement,  et  dont  l'évidence  ne  peut  être  obscurcie, 
non  plus  que  la  vérité  et  la  solidité  des  principes  dont  elles 
se  tirent,  peut  exciter  des  murmures,  des  plaintes,  des 
cris,  mais  ne  peut  recevoir  de  réponse  solide  ni  d'obscur- 
cissement le  plus  léger.  Il  est  vrai  que  bien  des  gens  en 
soufïriroient  beaucoup  ;  mais  il  n'est  pas  moins  vrai,  dans 
la  plus  étroite  exactitude,  que,  si  un  tel  édit  manque  à  la 
miséricorde  en  une  partie  pour  la  faire  entière  au  véri- 
table public,  c'est  sans  commettre  d'injustice,  parce  qu'il 
n'y  en  eut  jamais  à  s'en  tenir  à  son  droit,  et  à  ne  se  pas 
charger  de  ce  dont  il  est  exactement  vrai  qu'on  n'est  pas 
tenu;  et  à  ce  raisonnement  je  ne  vois  aucune  réponse 
vraie,  solide,  exacte,  effective  ;  conséquemment  je  ne  vois 
que  justice  étroite  et  irrépréhensible  dans  cet  édit.  Or, 
l'équité  mise  à  couvert,  et  du  côté  du  roi  successeur,  un 
tel  édit  deviendra  le  supplément  des'  barrières  qui  ne  se 
peuvent  plus  invoquer  \  Plus  il  excitera  de  plaintes,  de  cris, 

i.  Avant  ce  mot,  Saint-Simon  a  bifîé  de  ccluy. 
1.  Avant  le,  Saint-Simon  a  ajouté  en  interligne  un  par  qui  rend  la 
phrase  incomplète  et  incompréhensible. 

3.  Il  avait  d'abord  écrit  de  ce  ;  il  a  corrigé  de  en  des,  et  surchargé 
ce  par  un  b,  qu'il  a  bifîé  ensuite. 

4.  Saint-Simon  va  expliquer  son  idée  dans  les  pages  qui  vont 
suivre. 


;0  MÉMOIHES  [1715] 

<lo  désespoirs  par  la  ruine  do  tant  do  gens  ot  de  tant  de 
laniilles,  tant  directement  que  par  cascade,  conséquem- 
ment  de  désordres  et  d'embarras  dans  les  alTaires  de  tant 
de  particuliers,  plus  il  rendra  sage  chaque  particulier 
pour  l'avenir.  On  a  beau  courir  aux  charges,  aux  rentes, 
aux  loteries,  aux  tontines'  de  nouvelle  création,  après  y 
avoir  été  trompé  tant  de  fois,  et  toujours  excité  par  des 
appâts  trompeurs,  mais  qui  n'ont  pu  l'être  pour  tous,  et 
qui  en  ont  enrichi  tant  aux  dépens  des  autres  que  chacun 
à  part  se  flatte  toujours  d'avoir  la  fortune  ou  l'industrie 
de  ces  heureux,  la  banqueroute  sans  exception  causée  et 
fondée  en  principes  et  en  droit  par  l'exposé  de  l'édit  des- 
sille tous  les  yeux  et  ne  laisse  à  personne  aucune  espé- 
rance d'échapper  à  sa  ruine,  si,  prenant  des  engagements 
avec  le  roi  de  quelque  nature  qu'ils  puissent  être,  ils 
viennent  à  perdre  ce  roi  avant  d'en  être  remplis.  Voilà 
donc  une  raison  précise,  juste,  efficace,  à  la  portée  de  tout 
le  monde,  des  plus  ignorants,  des  plus  grossiers,  qui  res- 
serre toutes  les  bourses,  qui  rend  tout  leurre,  tout  fan- 
tôme, toute  séduction  inutiles,  qui  guérit,  par  la  crainte 
d'une  perte  certaine  et  au-dessus  de  ses  forces,  l'orgueil 
de  s'élever  par  des  charges  de  nouvelle  érection  ou  de 
nouveau  rétablissement,  et  de  la  soif  du  gain  qu'on  trouve 
dans  les  traités  de  longue  durée,  par  l'avarice  même,  ou 
plutôt  par  la  juste  crainte  qu'on  vient  d'exposer. 

De  là  deux  eff"ets  d'un  merveilleux  avantage  :  impossi- 
bilité au  roi  de  tirer  ces  sommes  immenses  pour  exécuter 
tout  ce  qui  lui  plaît,  et  beaucoup  plus  souvent  ce  qui  plaît  à 
d'autres  de  lui  mettre  dans  la  tête  pour  leur  intérêt  par- 
ticulier ;  impossibilité,  qui  le  force  à  un  gouvernement  sage 
et  modéré,  (jui  ne  fait  pas  de  son  règne  un  règne  de  sang 
et  de  brigandage  et  de  guerres  perpétuelles  contre  toute 
l'Europe  bandée  sans  cesse  contre  lui,  armée  par  la  néces- 
sité de  se  défendre,  et  à  la  longue,  comme  il   est  arrivé 

1.  Il  a  été  parlé  des  tontines  dans  le  tome  XXII,  p.  168. 


[ITlri]  DE  SAINT-SIMON.  41 

à  Louis  XIV,  pour  l'humilier',  le  mettre  à  bout,  le  con- 
quérir, le  détruire,  car  ce  ne  fut  pas  à  moins  que  ses 
ennemis  visèrent  à  la  fin  ;  impossibilité  qui  l'empêche  de 
se  livrer  à  des  entreprises  romaines-  du  côté  des  bâtiments 
militaires  et  civils,  à  une  écurie  qui  auroit  composé  toute 
la  cavalerie  de  ses  prédécesseurs,  à  un  luxe  d'équipage 
de  chasses,  de  fêtes,  do  profusions,  de  luxe  de  toute  espèce, 
qui  se  voilent  du  nom  d'amusements,  dont  la  seule  dé- 
pense excède  de  beaucoup  les  revenus  d'Henri  IV  et  des 
commencements  de  Louis  XIII;  impossibilité  enfin  qui 
n'empêche  pas  un  roi  de  France  d'être  et  de  se  montrer 
le  plus  puissant  roi  de  l'Europe,  de  fournir  avec  abondance 
à  toutes  les  parties  du  gouvernement,  qui  le  rendent  non- 
seulement  considérable  mais  redoutable  à  tous  les  poten- 
tats de  l'Europe,  dont  aucun  n'approche  de  ses  revenus, 
ni  de  l'étendue  suivie^,  ni  de  l'abondance  des  terres  de 
sa  domination,  et  qui  ne  lui  ôte  pas  les  moyens  de  tenir 
une  cour  splendide,  digne  d'un  aussi  grand  monarque, 
et  de  prendre  des  divertissements  et  des  amusements  con- 
venables à  sa  grandeur,  enfin  de  pourvoir  sa  famille  avec 
une  abondance  raisonnable  et  digne  de  leur  commune 
majesté. 

L'autre  effet  de  cette  impossibilité  délivre  la  France 
d'un  peuple  ennemi,  sans  cesse  appliqué  à  la  dévorer  par 
toutes  les  inventions  que  l'avarice  peut  imaginer  et  tour- 
ner en  science  fatale  par  cette  foule  de  différents  impôts, 
dont  la  régie,  la  perception  et  la  diversité,  plus  funeste 
que  le  taux^  des   impôts  même,  forme  ce^  peuple  nom- 

1.  L'abréviation  l\  avant  humilier,  corrige  le. 

2.  C'est-à-dire  considérables  et  immenses  à  la  manière  des  Romains. 

3.  h^3ià']ecliï  suivie  a  été  ajouté  après  coup  sur  la  marge.  —  Saint- 
Simon  veut  dire  l'étendue  en  un  seul  groupe,  d'un  seul  tenant,  par 
opposition  sans  doute  aux  Etats  du  roi  d'Espagne  disséminés  dans 
diverses  parties  de  l'Europe. 

4.  Il  écrit  tant. 

5.  Ce  corrige  un. 


42  MÉMOIRES  [1715] 

breiix  dérobé  à  toutes  les  fonctions  utiles  à  la  société,  qui 
n'est  occupé  qu'à  la  détruire,  à  piller  fous  les  particuliei's, 
à  intervertir  commerce  de  toute  espèce,  régimes  intérieurs 
de  famille,  et  toute  justice,  par  les  entraves  que  le  con- 
trôle des  actes  et  tant  d'autres  cruelles  inventions  y  ont 
mises;  encourage  le  laboureur,  le  fermier,  le  marchand, 
l'artisan,  qui  désormais  travaillera  plus  pour  soi  et  pour 
sa  famille  que  pour  tant  d'animaux  voraces  qui  le  sucent 
avant  qu'il  ait  recueilli,  qui  le  consomment  en  frais  de 
propos  délibéré,  et  avec  cjui  il  est  toujours  en  reste; 
cause  une  circulation  aisée  qui  fait  la  richesse,  parce  qu'elle 
décuple  l'argent  effectif  qui  court  de  main  en  main  sans 
cesse,  inconnue  depuis  tant  d'années  ;  facilite  et  donne 
lieu  à  toute  espèce  de  marchés  entre  particuliers,  les  dé- 
livre du  poids  également  accablant  et  insultant  de  ce 
nombre  immense  d'otlices  et  d'ofliciers  nouveaux  et  inu- 
tiles, multiplie  infiniment  les  taillables  et  soulage  chaque 
taillable  du  même  coup,  fait  rentrer  ce  peuple  immense, 
oisif,  vorace,  ennemi,  dans  l'ordre  de  la  société,  dont  il 
multiplie  tous  les  difTérents états;  ressuscite  '  la  confiance, 
l'attachement  au  roi,  l'amour  de  la  patrie,  éteint  parce 
qu'on  ne  compte  plus  de  patrie  ;  rend  supportables  les 
situations  qui  étoient  forcées,  et  celles  qui  ne  l'étoient 
pas,  heureuses  ;  redonne  -  le  courage  et  l'émulation  dé- 
truits', parce  qu'on  ne  profite  de  rien,  et  que  plus  vous 
avez  et  plus  on  vous  prend  ;  enfin  rend  aux  pères  de 
famille  ce  soin  domestique  qui  contribue  si  principalement, 
quoique  si  imperceptiblement,  à  l'harmonie  générale  et  à 
l'ordre  public  presque  universellement  abandonné  par  le 
désespoir  de  rien  conserver,  et  de  pouvoir  élever,  moins 
encore  pourvoir,  chacun  sa  famille.  Tels  sont  les  effets  de 
la  banqueroute,  qui  ne  sauroient  être  contestés,  et  (jui  ne 
sont  préjudiciables  (je  ne  parle  pas  des  créanciers)  qu'à 

1.   Avant  ressuscite,  il  a  bitré  enfin. 

•2.  Hedonne  est  en  interligne,  au-dessus  de  rend,  bilTé. 

3.  Il  y  -d  détruites,  au  féminin  pluriel,  dans  le  manuscrit. 


[4713]  DE  SAINT-SIMON.  43 

un  très  petit  nombre  de  particuliers  de  bas  lieu  jusqu'à 
cette  heure',  qui  abusent  de  la  confiance  de  leur  maître 
pour  s'élever  à  tout  sur  les  ruines  de  tous  les  ordres  du 
royaume,  et  qui  pour  leur  grandeur  particulière  comptent  - 
pour  rien  d'exposer  ce  maître  à  qui  ils  doivent  tout,  au 
précipice  qu'on  vient  de  voir,  et  toute  la  France  aux  der- 
niers et  aux  plus  irrémédiables  malheurs.  Balancez,  après 
cet  exposé,  les  inconvénients  et  les  fruits  de  la  banque- 
route avec  ceux  de  continuer  et  de  multiplier  les  impôts 
pour  acquitter  les  dettes  du  Roi,  ou  ce  milieu'  de  liquida- 
tion si  ténébreux  et  si  peu  fructueux,  même  si  peu  pra- 
ticable, voyez  quelle  suite  d'années  il  faudra  nourrir  toute 
la  France  de  larmes  et  de  désespoir  pour  achever  le  rem- 
boursement de  ces  dettes,  et  j'ose  m'assurer  qu'il  n'est 
point  d'homme,  sans  intérêt  personnel  au  maintien  des 
impôts  jusqu'à  se  préférer  à  tout,  qui,  dans  la  malheureuse 
nécessité  d'une  injustice,  ne  préfère  de  bien  loin  celle  de 
la  banqueroute.  En  un  mot,  c'est  le  cas  d'un  homme  qui 
est  dans  le  malheur  d'avoir  à  choisir  de  passer  douze  ou 
quinze  années  dans  son  lit,  dans  les  douleurs  continuelles 
du  fer  et  du  caustique  ^  et  le  régime  qui  y  est  attaché,  ou 
de  se  faire  couper  la  jambe,  qu'il  sauveroit  par  cet  autre 
parti.  Qui  peut  douter  qu'il  ne  préférât  l'opération  plus 
douloureuse  et  la  privation  de  sa  jambe,  pour  se  trouver 
deux  mois  après  en  pleine  santé,  exempt  de  douleur,  et 
dans  la  jouissance  de  soi-même  et  des  autres  par  la 
société,  et  le  libre  exercice  de  ce  qui  l'occupoit  auparavant 
son  mal  ? 
Reste    à    finir    par  l'autorité  du    Roi.    Un    mot   seul 

1.  Il  veut  dire  que  les  traitants  et  financiers,  qui  seraient  les  plus 
atteints  par  la  banqueroute,  n'appartiennent,  jusqu'à  présent,  qu'à  la 
classe  inférieure. 

2.  Compte  corrigé  en  comptent. 

3.  Ce  moyen  terme,  comme  ci-dessus,  p.  34. 

4.  «  On  dit  les  caustiques  pour  dire  toutes  les  choses  qui  ont  une 
espèce  de  vertu  corrosive  et  consumante  »  (Académie,  1718). 


U  MÉMOIRES  [i7ir;i 

suppléera  à  tout  ce  qui  se  pourroit  dire,  et  à  ce  que  les 
flatteurs  et  les  empoisonneurs  des  rois  se  voudroiont  don- 
ner la  licence  de  criti(|uer.  Heportons-nous  à  ces  temps 
malheureux  où  le  plus  absolu  et  le  plus  puissant  de  tous 
nos  rois,  le  plus  maître  aussi  de  son  maintien  et  de  son 
visage,  et  dent  le  règne  a  été  tel  qu'on  Ta  vu,  ne  put 
retenir  ses  larmes  en  présence  de  ses  ministres  dans  l'af- 
freuse situation  '  où  il  se  voyoit  de  ne  pouvoir  plus  sou- 
tenir la  guerre,  ni  d'obtenir  la  paix'-.  Remettons-nous 
devant  les  yeux  l'éclat  où  il  avoit  porté  ses  ministres,  et 
l'humiliation  plus  que  servile  où  il  avoit  autrefois  réduit 
les  Hollandois.  Entrons  après  dans  l'esprit  et  dans  le 
cœur  de  ce^  monarque  de  bonheur,  de  gloire,  de  majesté  ; 
ne  craignons  pas  d'ajouter  d'apothéose  après  les  monu- 
ments que  nous  en  avons  vus,  et  voyons  ce  prince  ennemi 
implacable  du  prince  d'Orange,  pour  avoir  refusé  d'épou- 
ser sa  bâtarde  \  envoyer  son  principal  ministre  en  ce  genre 
courir  en  inconnu  en  Hollande  avec  pour  tout  passe-port 
celui  d'un  courrier^  descendre  chez  un  banquier  de  Rot- 
terdam et  se  faire  mener  par  lui  à  la  Haye  chez  le  pen- 
sionnaire Heinsius,  créature  et  confident  de  ce  même 
prince  d'Orange  et  héritier  de  sa  haine,  implorer  la  paix 

i.  Situation  est  en  interligne,  ainsi  que,  plus  loin,  ne  pouvoir  plus. 

2.  C'est  à  la  tin  d'avril  1709,  au  moment  où  des  revers  successifs 
abattaient  les  armées  françaises  et  où  la  disette,  à  la  suite  d'un  hiver 
terrible,  sévissait  dans  le  royaume,  que  se  passa  la  scène  à  laquelle 
Saint-Simon  fait  allusion  et  à  la  suite  de  laquelle  fut  décidé  le  voyaj^e 
de  Torcy  en  Hollande  pour  obtenir  la  paix  à  tout  prix.  Lorscpic  Saint- 
Simon  avait  parlé  de  ce  voyage  (notre  tome  XVII,  p.  3i()),  il  n'avait 
rien  dit  de  ces  larmes  de  Louis  XIV.  Mais  Torcy  en  confirme  la  réa- 
lité d'une  façon  voilée,  dans  ses  Mémoires  (édition  Micliaud  et  Pou- 
joulat,  p.  384),  lorsqu'il  termine  le  récit  de  ce  conseil  des  ministres 
par  cette  phrase  :  «  Une  scène  si  triste  seroit  difficile  à  décrire,  quand 
même  il  seroit  permis  de  révéler  le  secret  de  ce  qu'elle  eut  de  plus 
touchant.  » 

3.  De  corrige  du  et  ce  est  en  interligne. 

4.  Tome  IV,  p.  242-245. 

o.  Mémoires  de  Torcy,  édition  Michaud  et  l'oujoulat,  p.  585. 


« 


11715]  DE  SAINT-SIMON.  4S 

comme  à  ses  genoux'.  Suivons  par  les  Pièces-  tout  ce  que 
Torcy  y  essuya  ;  poursuivons  tous  les  sacrifices  offerts  et 
méprisés,  qui,  dans  cette  extrémité,  ne  rebutèrent  pas  le 
Roi  ^  d'envoyer  ses  plénipotentiaires  à  Gertruydenberg  ; 
continuons,  par  les  Pièces,  de  repasser  les  traitements 
indignes  et  les  propositions  énormes  dont  on  se  joua  d'eux 
et  du  Roi^,  et  l'état  de  ce  prince  à  la  rupture  d'une  négo- 
ciation où,  en  lui  prescrivant  jusqu'à  l'inhumanité  qu'il 
n'osa  refuser  en  partie,  on  exigea  encore  qu'il  se  soumît 
à  s'engager  à  ce  qu'ils  ne  déclareroient  que  quand  il  leur 
plairoit,  et  aux  augmentations  vagues  qu'ils  pourroient 
ajoutera  Réfléchissons  sur  une  situation  si  forcée  et  si 
cruelle,  fruit  déplorable  de  cette  ancienne  conquête  de 
la  Hollande,  et  de  tant  d'autres  exploits.  Qui  après  ne 
demeurera  pas,  je  ne  dis  pas  persuadé,  mais  convaincu 
que  le  Roi  n'eût  donné  tout  ce  qu'on  eût  voulu,  pour 
n'avoir  jamais  connu  Louvois  ni  les  flatteurs,  moins  encore 
les  moyens  de  franchir  ce  qu'il  avoit  encore  trouvé  de  bar- 
rières à  un  pouvoir  illimité,  dont  toutefois  il  s'étoit  montré 
si  jaloux,  et  ne  se  pas  trouver,  et  inutilement  encore, 
aux  genoux  et  à  la  merci  de  ceux  dont  il  avoit  triomphé, 

1.  Torcy  raconte  (Mémoires,  p.  589)  qu'arrivé  sans  encombre  et 
incognito  à  Rotterdam,  il  alla  descendre  chez  le  sieur  Sincert',  corres- 
pondant dans  cette  ville  du  banquier  Tourton,  qui  lui  avait  remis  des 
lettres  de  crédit  sur  cet  homme  ;  que  Sincerf  le  mena  dans  son  car- 
rosse à  la  Haye  et  l'introduisit  chez  Heinsius,  dont  la  surprise  fut  à 
son  comble.  Dans  les  pages  suivantes,  il  fait  le  détail  des  négociations 
humiliantes  auxquelles  il  dut  se  soumettre. 

'i.  C'est-à-dire  dans  la  copie  des  Mémoires  de  Torcy  que  possédait 
Saint-Simon,  écrite  de  sa  main  et  intitulée  «  Relation  des  causes  de 
la  guerre  commencée  en  l'année  1701  et  de  la  paix  signée  à  Utrecht 
en  l'année  1713  »  ;  aujourd'hui  au  Dépôt  des  affaires  étrangères,  vol. 
France  430. 

3.  Les  mots  le  Roy  sont  en  interligne,  et,  avant  rebutèrent,  Saint- 
Simon  a  biffé  le. 

't.  Mémoires  de  Torcy,  p.  590-627. 

5.  Voyez  les  articles  xxxi  et  xxxii  des  Articles  préliminaires 
proposés  par  Heinsius  (Mémoires  de  Torcy,  p.  626). 


46  MEMOIRES  \ilir,] 

et  qu'il  avoit  insultés  par  tant  de  monuments  et  de  raé- 
daillos'?  Tenons-nous-en  donc  à  cette  réllexion  transcen- 
dante pour  ne  pas  craindre  la  banqueroute  par  rapport  à 
l'autorité  des  rois. 

Tranchons  une  dernière  objection  possible.  Que  diront 
les  étrangers  sur  un  édit  qui,  sur  des  fondements  aussi 
bien  établis,  rend  le  successeur  à  la  couronne  pleinement 
libre  de  tout  engagement  de  son  prédécesseur,  et  que  de- 
viendront leurs  traités  et  les  engagements  réciproques? 
La  réponse  est  aisée.  Les  rois  ne  traitent  point  par  édits 
avec  les  puissances  étrangères.  Il  y  a  des  traités,  et  c'est 
le  plus  grand  nombre,  qui  ont  des  temps  limités,  ou  qui 
ne  sont  que  pour  le  règne  des  princes  qui  les  font*.  S'il 
s'en  trouve  qui  les  outrepassent  %  alors  ce  n'est  plus  le 
roi  seulement,  mais  sa  couronne  qui  est  engagée  avec  un 
autre  État,  ce  qui  n'a  point  d'application  aux  sujets  de  la 
couronne,  et  alors  les  traités  subsistent  dans  leur  vigueur. 
De  plus,  quand,  ce  qui  ne  peut  tomber  dans  ce  cas,  le 
successeur  ne  seroit  pas  obligé  de  tenir  les  traités  de  son 
prédécesseur,  le  bien  de  l'Etat  voudroit  qu'il  le  fît  peut- 
être  pour  le  fruit  du  traité  même,  certainement  pour  le 
maintien  de  la  confiance  et  de  la  sûreté  des  traités.  Ainsi 
nulle  comparaison  des  sujets  avec  les  puissances  étrangè- 
res, ni  d'un  traité  avec  elles  et  l'efiFet  d'un  édit  qui,  re- 
montant à  la  source  du  droit  de  la  maison  régnante,  le 
montre  tel  qu'il  est,  d'où  suit  ce  qui  vient  d'être  expliqué, 
qui  n'a  trait  ni  application  quelconque  aux  puissances 
étrangères,  ni  aux  traités  subsistants,  avec  lesquels  il  ne 
s'agit  ni  d'héritage,  ni  de  substitution,  ni  des  différents 
effets  de  ces  deux  manières  de  succéder.  Cette  réponse 

1.  Les  médailles  frappées  à  l'occasion  de  la  guerre  de  Hollande  ont 
été  reproduites  dans  VHistoire  métallique. 

2.  C'est  ainsi  que  le  traité  d'alliance  avec  les  cantons  suisses  devait 
expirer  huit  ans  après  la  mort  de  Louis  XIV  :  notre  tome  XXVI, 
p.  466,  note  2. 

i.  C'est-à-dire,  qui  dépassent  la  fin  du  règne. 


17151 


DE  SAINT-SIMON. 


47 


paroît  péremptoire,  sans  s'arrêter  plus  longtemps  à  cette 
spécieuse  mais  frivole  objection. 

M.  le  duc  d'Orléans  ne  me  trouva  donc  pas  plus  dis- 
posé à  me  charger  des  finances  après  le  loisir  qu'il  m'avoit 
donné  pour  y  penser.  Mêmes  empressements  \  mêmes 
prières,  mêmes  raisonnements  de  sa  part;  mêmes  répon- 
ses, même  fermeté  de  la  mienne.  Il  se  fâcha;  il  n'y  gagna 
rien.  La  fâcherie  se  tourna  en  mécontentement  si  marqué 
que  je  le  vis  moins  assidûment,  et  beaucoup  plus  courte- 
ment,  sans  qu'il  montrât  sentir  cette  réserve,  et  sans  que 
lui  et  moi  nous  parlassions  plus  que  des  choses  courantes, 
publiques,  indifférentes,  en  un  mot,  de  ce  qui  s'appelle 
la  pluie  et  le  beau  temps.  Cette  bouderie  froide  de  sa 
part,  tranquille  de  la  mienne,  dura  bien  trois  semaines. 
Il-  s'en  lassa  le  premier.  Au  bout  de  ce  temps,  au  milieu 
d'une  conversation  languissante,  mais  où  je  remarquai 
plus  d'embarras  de  sa  part  qu'à  l'ordinaire  :  «  Hé  bien  ! 
donc,  s'interrompit-il  lui-même,  voilà  qui  est  donc  fait  ? 
Vous  demeurez  déterminé  à  ne  point  vouloir  des  finan- 
ces? »  me  dit-il  en  me  regardant.  Je  baissai  respectueuse- 
ment les  yeux,  et  je  répondis  d'une  voix  assez  basse  que 
je  comptois  qu'il  n'étoit  plus  question  de  cela.  Il  ne  put 
retenir  quelques  plaintes,  mais  sans  aigreur  et  sans  se 
fâcher  ;  puis,  se  levant  et  se  mettant  à  faire  des  tours  de 
chambre,  sans  dire  mot  et  la  tête  basse,  comme  il  faisoit 
toujours  quand  il  étoit  embarrassé,  il  se  tourna  tout  à  coup 
brusquement  à  moi  en  s'écriant  :  «  Mais  qui  donc  y  met- 
trons-nous? »  Je  le  laissai  un  peu  se  débattre  ;  puis  je  lui 
dis  qu'il  en  avoit  un  tout  trouvé,  s'il  le  vouloit  tout  au 
meilleur,  et  qui  à  mon  avis  ne  refuseroit  pas.  Il  chercha 
sans  trouver  ;  je  nommai  le  duc  de  Noailles.  A  ce  nom  il 
se  fâcha  et  me  répondit  que  cela  seroit  bon  pour  remplir 

\.  Ces  deux  mots  ont  été  mis  au  pluriel  après  coup  par  l'adjonction 
d'une  s. 
2.  Avant  il,  il  a  biffé  au  bout  desquelles. 
*  Persiste  surcharge  résiste. 


Je  persiste*  au 

refus 

des  finances 

naalgré 

le  chagrin 

phis  que 

marqué    de 

M.  le  duc 

d'Orléans. 


Je  propose 

le  duc 

de  Noailles. 

Résistance  et 

débat 

là-dessus. 

M.    le    duc 

d'Orléans 

V  consent  à 

la  fin. 


48  M  ÉMOI  K  ES  1171")] 

lespochesde  la  niiiréchale  de  Noaillos,  de  la  duchesse  de 
Guiche,  qui,  do  profession  publique,  vivoient  des  affaires 
qu'elles  faisoieul  à  toutes  mains,  et  enrichir  une  famille 
la  plus  ardente  et  la  plus  nombreuse  de  la  cour,  et  qui  se 
pouvoit  appeler  une  tribu.  Je  le  laissai  s'exhaler,  après 
quoi  je  lui  représentai  (jue,  pour  le  personnel,  il  ne  me 
pouvoit  nier  que  le  duc  de  Noaillos  n'eût  plus  d'esprit 
qu'il  n'en  falloit  pour  se  bien  acquitter  de  cet  emploi,  ni 
toute  la  fortune  la  plus  complète  en  biens,  en  charges,  en 
gouvernements,  en  alliances,  pour  y  être  à  l'abri  de  toute 
tentation,  et  donner  à  son  administration  tout  le  crédit 
et  toute  l'autorité  nécessaire,  en  sorte  que,  dès  que  Son 
Altesse  Royale  convenoit  qu'il  y  falloit  mettre  un  seigneur, 
il  n'y  en  avoit  point  qui  y  fût  plus  convenable.  Quant  à  ses 
proches,  parmi  lesquels  ses  enfants  ne  se  pouvoient  comp- 
ter par  leur  enfance,  ni  sa  femme'  par  le  peu  qu'elle  avoit 
su  se  faire  considérer-  dans  la  famille,  et  par  sa  tante 
même,  qui  avoit  été  la  première  à  lui  ôter  toute  considé- 
ration, il  n'y  avoit  rien  à  craindre  de  ses  sœurs  ni  de  ses 
beaux-frères,  excepté  l'aînée^,  par  la  façon  d'être*  de 
presque  tous,  et  parla  manière  de  vivre  du  duc  de  Noailles 
avec  eux,  en  liaison  et  en  familiarité,  mais  hors  de  portée 
de  s'en  laisser  entamer.  Quant  à  sa  mère  et  à  la  duchesse 
de  Guiche,  il  étoit  vrai  ce  qu'il  m'en  disoit,  mais  qu'il  fal- 
loit aussi  lui  apprendre  à  quel  titre  :  que  la  maréchale 
chargée  de  ce  grand  nombre  de  filles^'  et  de  dots  pour  les 
marier  toutes,  et  le  duc  de  Guiche,  qui  n'avoit  rien  et  à 
qui  son  père  ne  donnoit  rien,  hors  d'état  de  soutenir  la 
dépense  des  campagnes,  avoient  l'un  et  l'autre  obtenu  un 
ordre  du  Roi  au  contrôleur  général,  dès  le  temps  que 

i.  Françoise  d'Aubigné,  nièce  de  Mme  de  Maintcnon. 

2.  Considérer  esi  en  interligne,  au-dessus  de  compter,  biffé. 

3.  La  duchesse  de  Guiche. 

4.  Il  a  écrit  de  à  la  lin  d'une  ligne,  et  estre  au  commencement  de 
la  suivante. 

5.  De  filles  corrige  d'e,  sans  doute  d'enfants. 


' 


[171o]  DE  SAINT-SIMON.  49 

Pontchartrain  l'étoit,  de  faire  pour  la  mère  et  pour  la  fille 
toutes  les  affaires  qu'elles  protégeroient,  et  de  chercher  à 
leur  donner  part  dans  le  plus  qu'il  pourroit  ;  que  Cha- 
millart  avoit  reçu  le  même  ordre  en  succédant  à  Pont- 
chartrain' ;  que  je  le  savois  de  l'un  et  de  l'autre,  parce 
que  tous  deux  me  l'avoient  dit,  et  qu'on  m'avoit  assuré 
que  le  même  ordre  avoit  été  renouvelé  lorsque  Desmaretz 
fut  fait  contrôleur  général  ;  que  de  cette  sorte  ce  n'étoit 
plus  avidité  ni  ténébreux  manège  à  redouter  d'elles  auprès 
du  duc  de  Noailles,  mais  des  grâces  pécuniaires  que  le  Roi 
vouloit  et  coraptoit  leur  faire  sans  bourse  délier,  et  qu'il - 
ne  dépendoit  plus  des^  contrôleurs  généraux  de  refuser; 
qu'au  reste,  il  ne  falloit  pas  croire  que  la  maréchale  de 
N'oailles  eût  grand  crédit  sur  son  fils,  ni  que  la  duchesse 
de  Guiche  fît  ce  qu'elle  vouloit  de  son  frère  ;  qu'il  ne  se 
trouvoit  personne  sans  quelque  inconvénient,  et  que 
celui-là  sembloit  trop  peu  fondé  pour  l'exclusion  d'un 
homme  qui,  étant  tout  ce  que  celui-là  étoit,  ne  pouvoit 
avoir  d'autre  ambition  que  de  se  faire  une  réputation  par 
son  administration^,  bien  supérieure  à  toute  foiblesse  pour 
sa  famille,  à  l'égard  de  laquelle  il  n'avoit  pas  témoigné 
jusqu'ici  y  avoir  de  disposition.  Cette  discussion  souffrit 
bien  des  répliques  en  plus  d'une  conversation  de  part  et 
d'autre,  et  finit  enfin  par  laisser  M.  le  duc  d'Orléans  dé- 
terminé à  faire  le  duc  de  Noailles  président  du  conseil  des 
finances.  J'étoisen  effet  persuadé  qu'[il]  yferoitfort  bien, 
surtout  étudiant  comme  il  faisoit  assidûment  sous  Desma- 
retz, ainsi  que  je  l'ai  dit  en  son  lieu%  et  j'étoisbien  aise 

1.  Il  a  déjà  dit  cela  dans  le  tome  IX,  p.  21-22. 

2.  Il  y  a  qui,  au  lieu  de  qu^il,  dans  le  manuscrit. 

3.  Du  corrigé  en  des. 

4.  Ecrit  par  inadvertance  admistraiion. 

5.  Lorsqu'il  a  parlé  en  1711  du  commencement  de  la  liaison  intime 
entre  Desmaretz  et  le  duc  de  Noailles  (notre  tome  XXII,  p.  191),  il 
n'avait  pas  dit  que  le  contrôleur  général  eût  été  le  maître  du  duc  en 
matière  de  finances  ;  mais,  dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XII  de 

MÉMOIRES    DE    SAINT-.SIMON.    XXVIl  4 


50  MÉMOIKEîS  (1715] 

aussi  d'appuyer  le  cardinal  do  Noaillcs  par  cette  place  de 
son  neveu,  si  propre  à  accroître  le  crédit  réel  et  la  con- 
sidération extérieure. 
Je  SUIS  destiné        Le  moment  d'après  que  cela  fut  résolu  entre  M.  le  duc 

SU     COIlSOll  . 

de  d'Orléans  et  moi:    «  Et  vous  enfin,  me  dit-il,  que  voulez 

régence.  [-vous]  donc  être  ?»  et  me  pressa  tant  de  m'expliquerqucje 
le  fisenlin,  et,  dans  l'esprit  que'  j'ai  exposé  plus  haut-,  je 
lui  disque,  s'il  vouloit  me  mettre  dans  le  conseil  des aiïaires 
du  dedans,  qui^  est  celui  des  dépêches,  je  croyois  y  pou- 
voir faire  mieux  qu'ailleurs.  «  Chef*  donc,  répondit-il 
avec  vivacité.  —  Mon  pas  cela,  répliquai-je,  mais  une  des 
places  de  ce  conseil.  »  Nous  insistâmes  tous  deux,  lui 
pour,  moi  contre.  Je  lui  témoignai  que  ce  travail  en  soi  et 
celui  de  rapporter  au  conseil  de  régence  toutes  les  affaires 
deceluidudedansm'effrayoit,etque,acceptantcetteplace% 
je  n'en  voyois  plus  pour  Harcourt.  «  Une  place  dans  le 
conseil  du  dedans,  me  dit-il,  c'est  se  moquer  et  ne  se 
peut  entendre.  Dès  que  vous  n'en  voulez  pas  absolument 
être  chef '^,  il  n'y  a  plus  qu'une  place  qui  vous  convienne 
et  qui  me  convient  fort  aussi  :  c'est  que  vous  soyez  du 
conseil  où  je  serai,  qui  sera  le  conseil  suprême  ou  de  ré- 
gence. »  Je  l'acceptai  et  le  remerciai.  Depuis'  ce  moment 
cette  destination  demeura  invariable,  et  il  se  détermina 
tout  à  fait  à  donner  la  place  de  chef'*  au  maréchal  d'Har- 
court  du  conseil  du  dedans.  11  n'y  fut  point  question  de 
président,   parce   que  les   affaires  n'y  étolent  pas   assez 

4873,  p.  254-252),  il  répétera  que  Noailles  avait  été  le  «  disciple  »  et 
l'  «  élève  »  de  Desmaretz,  et  ci-après,  p.  168,  il  le  dira  aussi  ;  comparoz 
encore,  plus  loin,  p.  321,  l'Addition  à  Dan^eau. 

4.  Que  est  répété  deux  fois.  —  2.  Ci-dessus,  p.  33  ci  suivantes. 

3.  Qui  surcharge  un  et. 

4.  Chef  est  en  interligne,  au-dessus  de  Président,  bilVé. 

5.  Place  est  en  interligne,  au-dessus  de  Présidence,  bill'é,  et,   plus 
loin,  n'en  voyois  surcharge  un  mot  effacé  du  doigt. 

6.  Chef  est  ici  encore  en  interligne,  au-dessus  de  Président,  biffé. 

7.  Avant  depuis,  il  y  a  un  et  biffé. 

8.  La  première  lettre  de  C/te/"  surcharge  un  P. 


[1713]  DE  SAINT-SIMON.  31 

jalouses  pour  donner  ce  contre-poids  au  chef.  Il  n'en  fut 
point  parlé  pour  celui  des  affaires  étrangères,  pour  n'y  pas 
multiplier  le  secret,  ni  dans  celui  de  la  guerre,  qui  en 
temps  de  paix  n'étoit  que  de  simple  courant  d'adminis- 
tration intérieure,  ni  dans  celui  des  affaires  ecclésiasti- 
ques, pour  y  relever  davantage  le  chef,  qui  étoit  le  cardinal 
de  Noailles.  Cette  invention  de  présidence  ne  dut  alors 
avoir  lieu  que  pour'  les  conseils  de  marine  et  de  finance, 
pour  contre-balancer  la  trop  grande  autorité  des  deux 
chefs,  et  suppléer  à  l'ineptie  en  finance  du  maréchal  de 
Villeroy. 

Les  conseils,  leurs  chefs,  leurs  présidents  réglés,  je  Précautions 
représentai  à  M.  le  duc  d'Orléans  qu'il  devoit  profiter  du  **^\r  f^^f'^'^'' 
reste  de  ce  règne  pour  bien  examiner  les  choix  qu'il  feroit  d'Orléans. 
pour  les  remplir.  Je  l'exhortai  à  se  tenir  au  plus  petit 
nombre  que  la  nature  de  chaque  conseil  pourroit  souf- 
frir, de  les  remplir  tous  dès  lors  comme  s'ils  existoient, 
par  une  liste  sous  sa  clef,  dont  les  noms  ne  seroient  con- 
nus que  de  lui.  Que  de  ceux  qu'il  y  auroit écrits,  il  rayât 
ceux  qui  mourroient  avant  le  Roi  et  ceux  qu'il  reconnoî- 
troit  avoir  mal  choisis,  par  l'examen  qu'il  feroit  secrète- 
ment de  leur  conduite,  et  qu'à  mesure  qu'il  en  rayeroit 
un,  il  en  mît  un  autre  en  sa  place,  comme  si  la  chose exis- 
toit  et  qu'il  remplît  une  vacance  ;  de  régler  ainsi  tout  ce 
qui  pouvoit  l'être  d'avance,  afin  de  n'avoir  que  les  décla- 
rations à  en  faire  à  la  mort  du  Roi,  parce  que,  lorsque 
cela  arriveroit-,  il  se  trouveroit  tout  à  coup  accablé  de 
tant  et  de  diverses  sortes  de  choses,  affaires,  ordres,  céré- 
monial, disputes,  demandes,  règlements,  décisions,  inon- 
dation de  monde,  qu'il  n'auroit  le  temps  de  rien,  à  peine 
même  de  penser,  et  qu'il  pouvoit  compter  encore  qu'il  se 
verroit  forcé  de  donner  son  temps  aux  bagatelles  préfé- 
rablementaux  affaires,  parce  qu'en  ces  occasions  lesbaga- 

d.  L'abréviation  p*"  surcharge  en. 

2.  Ce  verbe,  répété  deux  fois,  à  la  fin  d'une  ligne  et  au  commence- 
ment de  la  suivante,  a  été  biffé  la  première  fois. 


52  MÉMOIRES  [1745] 

telles  sont  les  affaires  du  lendemain,  souvent  du  jour 
même  et  de  l'instant,  qu'il  faut  régler  sur  l'heure,  et  qui 
se  succèdent  sans  cesse  les  unes  aux  autres,  tellement 
ciuil  pouvoit  s'assurer'  que,  s'il  n'avoit  alors  tous  ces 
arrangements  d'afVaires  et  ses  choix  tous  prêts  sur  son  pa- 
pier, sous  sa  clef,  ils  demeurcroient  noyés  dans  ce  chaos, 
et  en  arrière  à  n'avoir  plus  le  temps  ni  de  les  faire  ni  de 
les  ditïérer,  tellemont  que  ce  seroit  le  hasard  et  les  ins- 
tances des  demandeurs  (jui  en  disposeroient,  et  qui  les  lui 
arracheroient  sans  égard  au  mérite  ni  à  l'utilité,  beaucoup 
moins  à  lui  et  à  ses  intérêts;  qu'alors,  outre  l'embarras  et 
le  rompement  de  tète-,  l'afiHuence  de  tout  ce  qui  lui  tom- 
beroit  tout  à  la  fois,  il  ne  pourroit  ni  peser,  ni  comparer, 
ni  discuter,  ni  raisonner  sur  rien,  ni  faire  un  choix  par 
lui-même,  emporté  qu'il  seroit  parle  temps,  le  torrent,  la 
nécessité  ;  et  que,  de  choses  et  de  choix  réglés  dans  ce 
tumulte  de  gens  et  d'affaires  de  toutes  sortes,  il  éprouve- 
roit  un  long  et  cuisant  repentir,  s'il  n'éprouvoit  pis  encore. 
C'est  ce  que  je  lui  répétai  sans  cesse  tout  le  reste  du  temps 
que  le  Roi  vécut  ;  c'est  ce  qu'il  m'assura  toujours  qu'il 
feroit,  et  quelquefois  à  demi  qu'il  faisoit,  et  qu'il  ne  fit 
jamais,  par  paresse.  Je  ne  voulois  pas  lui  demander  ni 
ses  choix  ni  ses  règlements,  pour  ménager  sa  défiance.  Je 
m'étois  contenté  de  lui  indiquer  les  choses  en  gros,  et  les 
chefs  et  présidents  des  conseils  comme  le  plus  important. 
Pour  les  détails  et  les  places  des  conseils,  je  ne  crus  pas 
devoir  lui  faire  naître  le  soupçon  que  je  cherchasse  à  dis- 
poser de  tout  en  lui  proposant  choses  en  détail,  et  gens 
pour  remplir  ces  places.  C'étoit  lui-môme  qui  m'avoit  mis 
en  consultation  la  forme  du  futur  gouvernement,  et  àpor- 

1.  S'asseurcr  est  en  interligne,  au-dessus  de  compter,  biffé. 

2.  «  Rompement  n'est  en  usage  qu'en  cette  phrase:  rompement  de 
tête,  pour  exprimer  la  fatigue  que  cause  un  grand  bruit,  ou  un  dis- 
cours importun,  ou  une  forte  application  »  (Académie,  47IS).  La  der- 
nière édition  du  Dictionnaire  de  l'Académie  dit  que  cette  locution  est 
peu  usitée. 


[17i5] 


DE    SAINT-SIMON. 


53 


téede  lui  parlerde  tout'  ce  qui  vient  d'être  exposé;  j'at- 
tendis- sagement  qu'il  me  mît  dans  la  nécessité  de  lui  par- 
ler de  tout  le  reste,  comme  on  verra  qu'il  arriva  quel- 
quefois. 

Toutes  ces  choses  se  passoient  entre  lui  et  moi,  long-      Résolution 
temps  avant  qu'il  fût  question  du  testament  du  Roi.  Assez  <ï^^J5  P"""?"^^ 


près  de  ce  qui  vient  d'être  rapporté,  je  lui  parlai  de  l'édu- 


M.  le  duc 
d'Orléans* 

cation  du  Roi  futur.  Je  lui  dis  qu'il  me  paroissoit  difticile  du'^roi  futu *'* " 
que  le  Roi  n'y  pourvût  de  quelque  façon  que  ce  pût  être  ; 
que,  si  cela  arrivoit,  quelque  mal  qu'il  le  fît,  soit  pour 
léducation  même,  soit  par  rapport  à  Son  Altesse  Royale, 
ce  lui  devoit  être  une  chose  à  jamais  sacrée  par  toutes 
sortes  de  considérations,  mais  surtout  par  celles  des  hor- 
reurs dont  on  avoit  voulu  l'accabler,  et  dont  la  noirceur 
se  renouveloit  sans  cesse  ;  que,  par  cette  même  raison,  si 
le  Roi  venoit  à  mourir  sans  y  avoir  pourvu,  il  devoit  bien 
fermement  exclure  moi  tout  le  premier,  et  tout  homme 
qui  lui  étoit  particulièrement  attaché,  éviter  aussi  d'en 
choisir  de  contraires  et  de  dangereux,  et  que,  pour  peu 
qu'on  différât  à  rien  déclarer  là-dessus,  je  croyois  très 
important  qu'il  en  usât  là-dessus  comme  pour  les  con- 
seils, par  une  liste  à  lui  seul  connue  de  toute  cette 
éducation,  pour  avoir  le  loisir  de  la  bien  pourpenser^,  de 
rayer  et  de  remplacer,  enfin,  lorsqu'il  en  seroit  temps,  de 
n'avoir  qu'à  la  déclarer.  Nous  agitâmes  le  gouverneur, 
sur  quoi  il  me  dit  force  choses  sur  moi  que  je  ne  rappor- 
terai pas\  Cette  discussion  finit  par  lui  conseiller  le  duc  Je  lui  conseille 
de  Charost.   Ce  n'étoit  pas  que  lui  ni  moi  l'en  crussions 

i.  Tout  surcharge  ce. 

2.  A\3inl  j'attendis,  il  y  a  un  et,  biffé. 

3.  Ce  mot  a  déjà  passé  dans  le  tome  XXVI,  p.  59  et  357. 

4.  On  a  vu,  dans  nos  tome  XXII,  p.  120,  et  XXV,  p.  32-34,  que  le 
duc  de  Beauvillier  avait  songé  à  Saint-Simon  lui-même  pour  se  l'adjoin- 
dre d'abord  comme  gouverneur  du  duc  de  Bretagne,  mort  en  4711,  et 
plus  tard  de  son  frère  le  futur  Louis  XV. 

•Après  Orléans,  il  a  biflfé  différence. 

**Après  ce  dernier  mot,  il  a  biffé  et  sur  le  futur  gouvernement 


le  duc  de 


ni  MÉMOIRES  |171n) 

Cliaroi  pmir    capable.  Tel  est  le  malheur  des  princes  et  de  la  nécessité 
A        f,      „i   des  combinaisons  ;  mais  nous  n  en  trouvâmes  gueres  qui  le 

ciii  roi  iiiiiir,  ei  o  t 

Ncsmond,       fussent,  et  ce  très  et  très  peu'   d'ailleurs  dangereux.  Cha- 
nrcliovôqiio      j,^^,^  avoit  la  naissancc,  la  dignité,  le  service  militaire,  l'ha- 

a  Albv.  pour      ,.,,,  ,,^  ,  J  ,. 

préccpiour.  bitude  de  la  cour,  de  la  guerre,  du  grand  monde,  ou  par- 
tout il  étoit  bien  voulu  ^  11  étoit  plein  d'honneur,  avoit  de 
la  valeur,  delà  vertu,  une  piété  de  toute  sa  vie,  à  sa  mode 
à  la  vérité,  mais  vraie,  qui  n'avoit  rien  de  ridicule  ni  d'em- 
pesé, qui  n'avoit  pas  empêché  la  jeune  et  brillante  com- 
pagnie de  son  temps  de  vivre  avec  lui,  même  de  le  recher- 
cher ;  nulle  relation  particulière  avec  M.  le  duc  d'Orléans, 
ni  avec  rien  de  ce  qui  lui  étoit  contraire,  intimement  lié, 
aux  affaires  près,  avec  feu  MM.  de  Chevreuse  et  de  Beau- 
villier,  mon  ami  particulier  et  ancien  ^  enfin,  ce  qui  faisoit 
beaucoup,  capitaine  des  gardes  par  le  choix  et  le  désir 
du  Dauphin  père  du  Roi  futur.  Ces  raisons  déterminèrent 
M.  le  duc  dOrléans,  qui  se  résolut  à  chercher  soigneuse- 
ment deux  sous-gouverneurs  qui  pussent  suppléer  à  ce 
qui  manqueroit  au  gouverneur,  dont  la  douceur  et  la 
facilité  n'apporteroit  ni  obstacle  ni  ombrage  à  l'utilité  de 
leurs  fonctions.  Je  proposai  pour  précepteur  Nesmond, 
archevêque  d'AlbyS  avouant  très  franchement  que  je  ne  le 
connoissois  point  du  tout,  et  ce  qui  me  faisoit  penser  à  lui, 
c'étoit  la  harangue  qu'il  fit  au  Roi  pour  la  clôture  de 
l'assemblée  du  clergé,  et  en  même  temps  sur  la  mort  de 
Monseigneur.  Je  ne  répéterai  rien  de  ce  que  j'en  ai  dit  à 
son  temps  p.  [11 53]  ^  La  respectueuse  maisgénéreuse  liberté 

•1.  Il  y  a  bien  très  et  très  peu  dans  le  manuscrit,  par  une  répétition 
qui  renforce  l'expression. 

2.  Comparer  ce  portrait  avec  celui  qu'il  a  déjà  tracé  du  duc  de  Cha- 
rost  dans  le  tome  XXI,  p.  308-304. 

3.  Ces  cinq  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne.  —  Dans  le 
lome  XXII,  p.  104,  il  l'avait  appelé  «  un  de  ses  plus  intimes  amis  ». 

4.  Henri  de  Nesmond:  tome  XXI,  p.  339. 

5.  Le  numéro  de  la  page  est  resté  en  blanc  dans  le  manuscrit,  et  un 
correcteur  moderne  a  biffé  le  p.  Ce  numéro  correspond  aux  pages  339 
à  341  de  notre  tome  XXI. 


[171.S] 


DE  SAL\T-SIMO.\. 


55 


de  cette  harangue,  d'ailleurs  très  belle  et  très  touchante,  à 
un  roi  tel  que  le  nôtre,  à  qui  ce  langage  étoit  "nconnu  depuis 
tant  d'années,  me  donna  une  grande  idée  de  ce  prélat 
pour  une  éducation  dont  les  lettres  et  la  science  ne  pou- 
voit'  faire  une  grande  partie.  Il  étoit  en  réputation  d'hon- 
neur et  de  mœurs,  et  sa  capacité  en  ce  genre,  je  ne  sais 
quelle  elle  étoit,  se  pouvoit  aisément  suppléer  par  les  sous- 
précepteurs.  Ce  choix  n'étoitguères  plus  aisé  que  celui  du 
gouverneur,  tant  l'épiscopat  alloit  tombant  de  plus  en 
plus,  depuis  que  Monsieur  de  Chartres  Godet  l'avoit- rem- 
pli des  ordures  des  séminaires',  surtout  depuis  que  le 
P.  Tellier  l'avoit  si  effrontément  vendu  à  ses  desseins.  Il 
falloit  donc  un  prélat  de  bonne  réputation,  qui  ne  fût  ni 
de  la  lie  du  peuple  ni  de  celle  des  séminaires,  qui  n'eût 
point  d'attachement  particulier  à  M.  le  duc  d'Orléans,  ni 
de  liaison  avec  ce  qui  lui  étoit  contraire,  et  qui  n'eût 
levé  aucun  étendard  pour  ni  contre  la  Constitution.  Tout 
cela  se  trouvoit  en  celui-ci.  M.  le  duc  d'Orléans,  en  fut 
fort  ébranlé  ;  mais,  comme  je  ne  le  connoissois  point  ni  lui 
non  plus,  il  se  réserva  en  s'en  informer*  davantage. 

Il  passa  de  là  à  raisonner  avec  moi  sur  le  conseil  de 
régence.  Mon  avis  fut  différent  de  celui  que  je  viens  d'ex- 
pliquer sur  l'éducation,  au  cas  que  le  Roi  disposât  de  la 
formation  de  ce  conseil.  S'il  le  régloit,  il  n'y  avoit  point 
à  douter  que,  pour  les  choses  et  pour  le  choix  des  per- 
sonnes, ce  ne  fût  au  pis  pour  M.  le  duc  d'Orléans.  Ce 
prince  n'avoit  point  à  cet  égard  les  entraves  qu'il  avoit 
sur  l'éducation,  par  les  horreurs  qu'on  avoit  répandues 
contre  lui,  et  qu'on  ne  cessoit  de  renouveler.  Il  ne  falloit 


Discussion 
entre  M.  le 
duc  d'Orléans 

et  moi  sur 
le  choix  des 

membres 
du  conseil  de 

régence 
et  l'exclusion 

des  gens  à 
écarter. 


i.  Il  y  a  bien  pouvoit  au  singulier  dans  le  manuscrit,   s'accordant 
seulement  avec  le  dernier  mot. 

2.  Saint-Simon  a  biffé  une  y  à  la  fin  d'une  ligne,  et  ajouté  V  avant 
avoit  au  commencement  de  la  ligne  suivante. 

3.  Déjà  dit  dans  les  tomes  XVII,  p.  49,  et  XVIII,  p.  237. 

4.  Il  y  a  bien  en  s'en  informer  dans  le  manuscrit,  ce  qui  peut  très 
bien  s'admettre,  malgré  le  manque  d'euphonie  de  l'expression. 


r>6 


MEMOIRES 


[1745] 


ViUcroy 

à  conserver, 

Voysin  à 

chasser  et 

donner 

les  sceaux  au 

bonhomme 

Daguesseau . 


donc  pas  se  laisser  museler  par  les  dispositionsquc  le  Roi 
feroit  à  cetégard,  qui,  par  sa  personne  ni  par  leur  valeur, 
ne  pouvoient  être  plus  vénérables  que  celles  de  Charles  V, 
et  en  dernier  lieu  de  Louis  XIII,  où  la  prudence  et  la 
sagesse  avoienl  si  essentiellement  présidé,  et  dont  l'auto- 
rité mort-née  fut  abrogée  aussitôt  après  la  mort  de  ces 
deux  grands  et  admirables  rois',  quoiqu'ils  n'eussent- 
point  de  monstres  à  l'endre  formidables'^  Je  crus  donc 
possible  et  indispensable  d'aller  tête  levée  aussitôt  après  la 
mort  du  Roi  contre  les  dispositions  de  gouvernement 
qu'il  auroit  faites,  soit  secrètes  jusqu'après  ce  moment,  soit 
déclarées,  soit  même  exécutées  par  la  formation  de  ce 
conseil  et  de  cette  forme  de  gouvernement  de  son  vivant, 
pendant  lequel  il  ne  falloit  que  soumission  et  silence,  mais 
sans  cesser  de  se  préparer  à  le  renverser.  La  discussion 
du  choix  des  personnes  pour  composer  le  conseil  de  ré- 
gence fut  diflScile*.  Il  fallut  traiter  le  Conseil  présent  et  les 
exclusions  pour  balayer  la  place,  éclaireir,  et  rendre  après 
le  choix  plus  aisé'.  De  tous  les  ministres  actuels,  je  ne  vou- 
lus conserver  que  le  maréchal  de  Villeroy,  non  par  estime 
ni  aucune  amitié,  mais  par  la  considération  de  ses  éta- 
blissements, de  ses  emplois,  de  ses  alliances.  Le  Chance- 
lier étoit  un  homme  de  néant  en  tout  genre,  incapable, 
ignorant,  intéressé,  sans  amis  que  de  ceux  de  sa  faveur 
et  de  ses  places,  haï  à  la  cour  et  détesté  des  troupes  par 
sa  sécheresse,  son  orgueil,  sa  hauteur,  méprisé  parle  tuf^ 
qu'il  montroit  en  toute  affaire,  enfin  qu'il  n'avoit  de  mé- 
rite que  celui  d'esclave  de  Mme  de  Maintenon  et  de  M.  du 

I.  Déjà  dit  dans  le  tome  XXV,  p.  '2oo-'2o6. 

i2.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  et  qui  n'eurent;  il  a  biiïé  et, 
ajouté  quoy  en  interligne,  corrigé  qui  en  qu'ils,  et  n'eurent  en  n^eus- 
sent. 

3.  C'est-à-dire,  de  bâtards  à  établir. 

4.  Voyez  ci-après,  p.  61  et  suivantes. 

o.  Aisé  est  en  interligne  au-dessus  de  difficile,  biffé. 
6.  Ce  mot  a  été  employé  souvent  au  figuré  par  Saint-Simon,  notam- 
ment dans  le  tome  III,  p.  190. 


[171.HJ  DE  SAINT-SIMON.  57 

Maine,  et'  de  valet  du  cardinal  de  Bissy  et  de  Rome,  du 
nonce  etdes  furieux  de  la  Constitution,  pour  lesquels  tous 
sa  prostitution  ne  trouvoit  rien  de  difficile  ;  ennemi  de 
plus  de  M.  le  duc  d'Orléans,  à  proportion  qu'il  étoit  vendu 
au  duc  du  Maine  et  à  Mme  de  Maintenou.  Ainsi  je  pro- 
posai- à  M.  le  duc  d'Orléans  d'éteindre  sa  charge  de  secré- 
taire d'Etat,  de  le  reléguerquelque  part,  comme  à  Moulins 
ou  à*  Bourges,  et  de  donner  les  sceaux  au  bonhomme 
Daguesseau\  magistrat  de  l'ancienne  roche  %  qui  ne  tenoit 
à  rien  qu'à  l'honneur,  à  la  justice,  à  la  vraie  et  solide 
piété,  dont  la  réputation  avoit  toujours  été  sans  tache,  la 
capacité  reconnue  dans  les  premiers  emplois  de  sa  profes- 
sion qu'il  avoit  exercés,  qui  touchoit  au  décanat  du  Con- 
seil, qui  étoit  depuis  longtemps  l'ancien  des  deux  con- 
seillers au  conseil  royal  des  finances,  doux,  éclairé,  d'un 
facile  accès,  avec  de  l'esprit  et  une  grande  expérience  dans 
les  affaires  de  son  état,  universellement  aimé,  estimé,  con- 
sidéré, d'une  modestie  fort  approchante  de  l'humilité,  et 
père  du  procureur  général,  qui  avoit  aussi  une  grande  ré- 
putation et  une  grande  considération  dans  le  Parlement, 
où  il  avoit  longtemps  brillé  avocat  général.  M.  le  duc  d'Or- 
léans sentit  qu'il  n'y  avoit  rien  de  meilleur  à  faire  que  de 
se  délivrer  d'un  ennemi,  à  la  chute  duquel  tout  applaudi- 
roit,  et  qui  ne  seroit  regretté  que  de  la  cabale  du  duc  du 
Maine  et  de  celle  de  la  Constitution,  et  de  se  faire  en 
même  temps  tout  l'honneur  possible  d'un  choix  qui  d'ail- 
leurs lui  seroit  avantageux,  et  qui  enlèveroit  l'applaudis- 
sement général,  sans  qu'aucun  osât  se  montrer  mécontent 

1.  Avant  et,  il  y  ap'"  qui  biffé,  au  manuscrit. 

2.  Après  proposay,  il  y  a  d'esteindre,  biffé  pour  être  reporté  plus 
loin. 

3.  Les  mots  ou  à  sont  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier  ou  à 
surchari^eant  un  autre  mot  illisible. 

4.  Henri  Daguesseau  :   tome  VI,   p.  259.  C'est  son  tiis  et  non  lui- 
même  qui  arriva  à  succéder  à  Voysin. 

3.  Notre  tome  IV,  p.  1. 


ss  MKM(»iin:s  fni'i] 

ni  compctiteur.  Il  y  trouvoit  encore  l'avantage  d'un  âge 
qui  laissoit  l'espérance  ouverte  de  succéder  aux  sceaux', 
qui  tiendroit  les  principaux  jirétcMidants  dans  une  dépen- 
dance qui  lui  facilileroil  beaucoup  rinléricur  des  aiïaires 
qui  ont  à  passer  par  les  mains  des  magistrats. 
TorcT.  Torcy  étoit  ami  particulier  des  maréchaux  de  Villcroy, 

de  Tallard-  et  de  Tessé.  Sa  sœur',  qui  avoit  grand  crédit 
sur  lui,  étoit  de  tout  temps  à  Madame  la  Duchesse  ;  il 
n'avoit  point  de  liaison  avec  M.  du  Maine,  et  n'étoit  pas 
bien  avec  Mme  de  Maintenon.  Sa  société  étoit  contraire  à 
M.  le  duc  d'Orléans,  ainsi  que  ses  amis  particuliers.  J'en 
concluois  qu'il  lui  étoit  aussi  contraire  qu'eux.  Je  n'avois 
pas  oublié  ce  qu'il  avoit  dit  au  Roi  de  moi  sur  les  Renon- 
ciations, ([ue  j'ai  rapporté  p.  |1283]*.  Je  n'avois  jamais 
eu  avec  lui  ni  commerce,  ni  la  plus  légère  relation.  Les 
ducs  de  Chevreuse  et  de  Beauvillier  ne  l'aimoient  point 
du  tout,  quoique  amis  intimes  de  Pomponne,  son  beau- 
père,  parce  qu'ils  le  croyoient  janséniste  et  qu'ils 
n'avoient  jamais  fait  grand  cas  de  Croissy,  ni  de  sa  femme, 
pensant  à  leur  égard  comme  Seignelay,  leur  beau-frère, 
avec  qui  ils  avoient  été  intimement  liés  jusqu'à  sa  mort. 
Je  ne  connoissois  donc  Torcy  que  par  avoir  pensé  me 
perdre,  et  par  un  extérieur  emprunté,  embarrassé  et 
timide,  que  je  prenois  pour  gloire  ;  je  voulois  donc  l'écar- 
ter comme  les  autres  ministres,  en  supprimant  sa  charge 
de  secrétaire  d'Ktat.  Je  lui  donnai  force  attaques  auprès 
de  M.  le  duc  d'Orléans,  et  je  m'irritois  en  moi-même  du 
peu  de  progrès  que  j'y  faisois.  Voilà,  il  faut  l'avouer, 
comment  la  passion  et  l'ignorance  séduisent,  et  condui- 
sent en  aveugles;  il  n'est  pas  temps  encore  de  dire  com- 

i.  Daguosseau  avait  près  de  quatre-vingts  ans  et  mourut  en  1746. 

"2.  Avant  de  Tallart,  i]  y  -a  et  biiré,  et  les  mots  et  de  Tessé  ont  été 
ajoutés  en  interli;,'ne. 

3.  .Mme  «Je  Bouzols  :  tome  XXVI,  p.  iiol. 

i.  Ce  chiffre  est  resté  en  blanc  dans  lo  manuscrit  ;  il  correspond  aux 
pages  iol  et  liJH  de  notre  tome  XXIII. 


[1715]  DE  SAL\T-SIMON.  59 

bien  j'ai  été  aise  depuis  de  n'avoir  pas  réussi  à  l'exclure. 

Pour  Desraaretz,  j'avois  juré  sa  perte,  et  j'y  travaillois  Desmaretz 
il  Y  avoit  longtemps.  C'étoit  le  prix  de  son  Ingratitude  et  de  p„„ichartrain 
sa  brutalité  à  mon  égard,  dont  j'ai  parlé  p.  [1422-1423]  K  Sa  à  chasser. 
conservation  étoit  incompatible  avec  un  conseil  de  finance 
tel  que  je  l'avois  proposé  et  qu'il  avoit  été  -  résolu,  et 
c'étoit  une  délivrance  publique  que  celle  de  son  humeur, 
de  l'avarice  de  sa  femme  ^  de  la  hauteur  et  du  pillage  de 
Bercy,  leur  gendre*,  qui  avoit  pris  le  montant^  sur  eux 
et  sur  les  finances,  et  dont  l'esprit  et  la  capacité,  dont 
il  avoit  beaucoup,  étoient  fort  dangereux^.  J'en  vins  à 
bout,  et  son  exclusion  ne  varia  point.  A  ce  que  l'on  a  vu 
en  divers  endroits  de  Pontchartrain,  on  jugera  aisément 
qu'il  y  avoit  longtemps  que  j'employois  tout  ce  qui  étoit 
en  moi  pour  lui  tenir  la  parole  que  j'avois  donnée  de  le 
perdre  \  Son  caractère  et  sa  conduite  m'y  donnoient  beau 
jeu  ;  c'étoit  faire  une  vengeance  publique  du  plus  détes- 
table et  du  plus*  méprisable  sujet,  et  regardé  comme  tel, 
sans  exception,  par  toute  la  France,  et  par  tous  les  pays 
étrangers  avec^  qui  sa  place  l'avoit  mis  en  relation.  On 
a  vu  comment  et  pourquoi,  de  propos  délibéré,  il  avoit 
perdu  la  marine*",  et  on  verra  en  son  temps  combien  il 


i .  Chiffres  encore  laissés  en  blanc  par  Saint-Simon  :  voyez  tome  XXV, 
p.  77-79. 

2.  Les  mots  qiill  avoit  esté  sont  ajoutés  en  interligne. 

3.  Dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XII  de  1873,  p.  252-253),  il 
parlera  des  afîaires  de  finances  dont  s'occupait  Mme  Desmaretz,  et 
nous  étudierons  alors  cette  question. 

4.  Charles-Henri  de  Malon  de  Bercj' :  tome  XIII,  p.  124. 

5.  Locution  déjà  rencontrée  dans  nos  tomes  XI,  p.  54,  et  XVIII, 
p.  148. 

6.  Lors  du  renvoi  de  Desmaretz  à  la  fin  de  1715,  notre  auteur  revien- 
dra sur  le  rôle  de  M.  de  Bercy  dans  les  finances. 

7.  Voyez  en  dernier  lieu  dans  le  tome  XXIII,  p.  307. 

8.  Ce  plus  a  été  ajouté  en  interligne. 

9.  Avec  est  en  interligne,  au-dessus  (/a,  biffé. 

10.  Nos  tomes  XII,  p.  323-327,  et  XIII,  p.  301,  360  et  395. 


60  MKMOIHES  [1715] 

l'avoil  pillée  '.  Il  étoit  trop  misiTablc  pour  ne  pas  chercher 
à  se  distinguer,  auprès  de  Mme  de  Mainlenon,  de  M.  du 
Maine,  du  torrent  à  la  mode  et  du  bel  air,  contre  M.  le 
duc  d'Orléans  ;  en  un  mot,  c'étoit,  tout  vil  qu'il  fût,  un 
ennemi  puMic,  dont  le  sacrifice  étoit  dû  au  public,  et  fort 
agréable,  un  homme  sans  nul  ami,  et  sans  aucune  qualité 
regrettable  parmi  toutes  celles  qui  l'ont  abhorrer.  Sa  perte 
étoit  résolue  dès  longtemps,  et  je  m'applaudissois  secrè- 
tement de  l'avoir  faite. 

,^^,V.\°  La  Vrillière,  son  cousin,  qui  ne  l'en  aimoit  pas  mieux, 

vrilhcre  .  ,    .    ,     ,  .  .  ,, ,      . 

à  avoit  mente  des  sentnuonts    tous  conti'aires.    (j  etoit   un 

grand  peine  cl  homme  dont  la  taille  difiéroit  peu  d'un  nain-,  grosset% 
une  place       monté  sur  de  hauts  talons,  d'une  figure  assez,  ridicule.   Il 

principale  et  avoit  de  Tcsprit,  trop  de  vivacité,  des  expédients,  de  la 
"'q"c.  vanité  beaucoup  trop  poussée,  entendant  bien  sa  besogne, 
qui  n'étoit  pourtant  que  la  matière  du  conseil  des  dépèches 
sans  aucun  département,  mais  bon  ami,  très  obligeant,  et 
capable  de  rendre  des  services  avec  adresse,  même  avec 
hasard  \  mais  sans  préjudice  de  l'honneur  et  de  la  probité  ; 
à  l'égard  du  public,  obligeant,  honnête,  d'un  accès  aisé  et 
ouvert,  cherchant  à  plaire  et  à  se  faire  des  amis.  Son  grand- 
père  et  son  père"',  secrétaires  d'Iitat  comme  lui,  ayant  Blaye 
et  la  Guyenne  dans  leur  département,  avoient  été  amis  par- 
ticuliers de  mon  père*,  et  l'avoient  servi  en  tout  ce  qu'ils 
avoient  pu.  J'ai  rapporté  en  leur  lieu  des  services  essentiels 
que  j'ai  reçus  de  la  \  l'illière  '.  Je  m'étois  donc  fait  un  point 
capital  de  le  sauver  et  de  le  mettre,  de  plus,  seul  en  place 
et  en  fonction  de  secrétaire  d'État.  M.  le  duc  d'Orléans, 

4.  Dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XII  de  1873,  p.  43:2,  Saint- 
Simon  ne  fera  qu'une  allusion  aux  poursuites  projetées  contre  lui. 

2.  Saint-Simon  refera  le  portrait  de  la  Vrillière,  dans  la  suite  des 
Mémoires,  tome  XII,  p.  249. 

3.  Adjectif  déjà  rencontré  dans  le  tome  VI,  p.  (iO. 

4.  Même  quand  il  y  avait  des  risques  à  courir. 

o.  Louis  I"  Phéljpeaux,  seigneur  de  la  Vrillière  (tome  VI,  p.  269), 
et  Baltliazar  Phélypeaux,  marquis  de  Châteauneuf  (tome  I,  p.  f)2). 
6.  Déjà  dit  lome  XIII,  p.  -211.  —  7.  Tome  XIII,  p.  206-207. 


[1715] 


DE  SAINT-SIMON. 


61 


qui  se  prenoit  assez  aux  figures,  quoique  la  mienne  ne  fût 
pas  avantageuse,  mais  il  y  éloit  accoutumé  d'enfance,  me 
rcpondoit  sans  cesse  :  «  Mais  on  se  moquera  de  nous  avec 
ce  bilboquet'  »,  en  sorte  que  je  fus  plus  d'un  an  à  met- 
tre- tout  ce  que  j'eus  de  force  et  d'industrie  à  lepoulier^. 
J'en  vins  enfin  à  bout,  à  force  de  bras,  et  cette  destination 
ne  varia  plus. 

Il  fut  question  après  de  la  composition  du  conseil  de 
régence  et  de  sa  mécanique.  Cette  mécanique  étoit  bien 
plus  aisée  que  le  choix  de  ses  membres.  C'étoit  là  où 
toutes  les  affaires  de  toute  espèce  avoient  à  être  portées 
et  décidées  en  dernier  ressort  à  la  pluralité  des  voix,  et 
où  celle  du  Régent  ne  devoit  être  qu'une  comme  les  au- 
tres, excepté  au  cas  de  partage  égal,  où,  à  l'exemple  du 
chancelier  au  conseil  des  parties,  elle  seroit  prépondé- 
rante. Etablis  comme  l'étoient  les  bâtards,  comment  pou- 
voir les  en  exclure?  et  qu'étoit-ce  qu'y  avoir  le  duc  du 
Maine,  qui  même  y  tiendroit  le  comte  de  Toulouse  de  fort 
près  et  de  fort  court  ?  L'âge  d'aucun  prince  du  sang  ne 
leur  en  permettoit  l'entrée,  et,  quand  on  auroit  franchi 
toute  règle  en  faveur  de  Monsieur  le  Duc,  le  plus  âgé  de 
tous,  qu'attendre  d'un  prince  né  le  28  août  1692,  encore 
sous  l'aile  de  Madame  la  Duchesse  et  sous  la  tutelle  de 
d'Antin,  qui  n'avoit  ni  instruction  ni  lumière,  et  qui  ne 
montroit  que  de  l'opiniâtreté  et  de  la  brutalité,  sans  la 
moindre  étincelle  d'esprit?  Un  tour  de  force  étoit  un 
début  dangereux  parmi  tant  de  sortes  d'affaires,  et  qui 
n'étoit  pas  dans  le  caractère  de  foiblesse  de  M.  le  duc 
d'Orléans.   L'abus  énorme  de  leur  grandeur  par-dessus 

i.  Outre  le  jeu  bien  connu  qu'affectionnait  Henri  III,  le  Diction- 
naire de  l'Académie  de  1718  disait  qu'on  appelle  aussi  bilboquet  «  une 
petite  tigure  qui  a  deux  plombs  aux  deux  jambes  et  qui  est  posée  de 
manière  que,  de  quelque  faron  qu'on  la  tourne,  elle  se  trouve  toujours 
debout.  »  Dans  le  présent  passage,  le  duc  d'Orléans  ne  veut-il  pas 
plutôt  faire  allusion  à  la  grosseur  et  à  la  petitesse  de  M.  de  la  Vrillière  ? 

2.  Avant  mettre,  il  y  a  un  y  biffé. 

3.  Tome  XIV,  p.  168. 


Discussion 

de  la 

mécanique  et 

de  la 

composition 

du  conseil  de 

régence. 


62  .MKMOIHKS  [1715] 

toute  mesure,  et  au  mépris  de  toutes  les  lois  divines  et 
humaines,  étoit  bien  un  crime,  et  leur  attentat  au  rang, 
aux  droits,  à  l'état'  des  princes  du  sang,  et  à  la  succession 
à  la  couronne,  en  étoit  bien  un  de  lèse-majesté,  et  qui  en 
emportoit  toute  la  punition  sur  le  duc  du  Maine,  (jui  seul 
i'avoit  commis,  et  de  notoriété  publique,  à  l'insu  du  comte 
de  Toulouse,  qui  depuis-  ne  I'avoit  jamais  approuvé.  Mais 
quelle  corde  à  remuer  dans  ces  premiers  moments  de 
régence,  sans  l'appui  et  la  juridique  réquisition  des  prin- 
ces du  sang,  tous  enfants!  G'étoit  donc  une  chose  à 
laquelle  il  ne  falloit  pas  penser  pour  lors,  et  qu'il  falloit 
réserver  aux  temps  et  aux  occasions  qu'on  feroit  naître, 
selon  que  le  duc  du  Maine  se  conduiroit,  trop  grand  pour 
l'attaquer  sans  avoir  bien  pris  les  plus  justes  mesures, 
trop  établi  pour  l'attaquer  sans  être  en  certitude  et  en 
volonté  bien  déterminée  de  le  pousser  par  delà  les  der- 
nières extrémités,  et  ses  enfants  à  ne  pouvoir  se  relever, 
ni  avoir  jamais'  aucune  existence,  châtiment  trop  juste 
et  mille  fois  trop  mérité  de  ce  Titan  ^  de  nos  jours,  et  leçon 
si  nécessaire  à  la  foiblesse  et  à  la  séduction  des" rois,  et  à 
l'ambition  eiïrénée  de  leurs  bâtards  pour  toute  la  suite 
de  la  durée  de  la  monarchie.  Je  ne  pus  donc  conseiller 
l'exclusion  du  duc  du  Maine,  dont  M.  le  duc  d'Orléans 
sentit  bien  toute  la  dilliculté.  Lui  et  le  maréchal  de  Yille- 
roy  dans  le  conseil  de  régence,  c'étoit  y  mettre  deux 
ennemis  certains,  et  encore  deux  ennemis  d'un  parfait 
concert,  qui  mettoient  dans  la  nécessité  de  les  contre- 
balancer d'autant  plus  grande,  qu'il  étoit  presque  égale- 
ment ditticile  de  n'y  pas  mettre  le  comte  de  Toulouse  et 
depouvoircompter  sur  lui.  Un  le  pou  voit  sur  Daguesseau^'; 

1.  Les  mots  à  l'estal  ont  été  ajoutés  en  interli^^ne. 
"2.  Depuis  est  en  interligne. 

3.  Jamais  a  été  ajouté  en  interligne. 

4.  Comparaison  déjà  employée  pour  Vendôme  (tome  XVI II,  p.  \'l) 
et  pour  les  mêmes  bâtards  du  Roi  (tome  XXIV,  p.  339). 

5.  Celui  qu'il  voulait  nommer  garde  des  sceaux  :  ci-dessus,  p.  57. 


11743] 


DE  SAINT  SIMOX. 


63 


mais  son  naturel  étoitfoible  et  timide,  et  il  étoit  d'ailleurs 
tout  neuf  en  tout  ce  qui  n'étoit  pas  de  son  métier,  et  en 
la  plus  légère  connoissance  des  choses  de  la  cour  et  du 
monde.  Nous  parlâmes  de  l'archevêque  de  Cambray  \  et 
la  discussion  ne  fut  pas  longue.  Toute  l'inclination  de 
M.  le  duc  d'Orléans  l'y  portoit,  comme  je  l'ai  déjà  remar- 
qué ailleurs-,  et,  comme  je  l'ai  aussi  raconté  en  son 
temps^  j'avois  travaillé  à  entretenir  ce  goût  et  cette  estime. 
Nous  cherchâmes  après  à  bien  des  reprises.  L'un  n'étoit 
pas  sûr,  un  autre  pas  assez  distingué,  celui-ci  manquoit 
de  poids,  celui-là  ne  seroit  pas  approuvé  du  public,  sans 
compter  l'embarras  de  trouver  sûreté,  fermeté  et  capacité 
dans  un  même  sujet.  A  chaque  discussion,  cet  embarras 
nous  fit  quitter  prise  et  remettre  à  plus  de  réflexions  et 
d'examen,  et,  pour  le  dire  tout  de  suite,  ces  remises,  de- 
vant et  depuis  le  testament,  nous  conduisirent  jusqu'à*  la 
mort  du  Roi,  tant  sur  le  choix  que  sur  la  mécanique,  ce 
qui  me  fait  remettre  d'expliquer  l'un  et  l'autre  au  temps 
où  M.  le  duc  d'Orléans  les  décida,  ainsi  que  les  membres 
de  tous  les  conseils. 

Il  y  avoit  longtemps  que  je  pensois  à  une  assemblée 
d'États  généraux,  et  que  je  repassois  dans  mon  esprit  le 
pour  et  le  contre  d'une  aussi  importante  résolution  \  J'en 
repassai  dans  ma  mémoire  les  occasions,  les  inconvé- 
nients, les  fruits  de  leurs  diverses  tenues  ;  je  les  combinai  ; 
je  les  rapprochai  des  mœurs  et  de  la  situation  présente. 
Plus  j'y  sentis  de  différence,  plus  je  me  déterminai  à  leur 

4.  Cette  conversation  eut  donc  lieu  avant  la  mort  de  Fénelon,  que 
nous  avons  vu  arriver  au  commencement  de  1715  :  tome  XXVI,  p.  70 
et  suivantes. 

2.  Tome  XXII,  p.  378. 

3.  Tome  XXVI,  p.  81. 

4.  Jusqu'  a  été  ajouté  en  interligne. 

o.  Voyez  la  Notice  sur  la  maison  de  Saint-Simon  dans  le  tome  XXI 
et  supplémentaire  de  l'édition  des  Mémoires  de  1873,  p.  159. 

'Saint-Simon  avait  commencé  à  écrire  d'abord  sans  a[vantage];  puis 
il  a  écrit  danger  après  sans  et  surchargé  l'a  par  un  et. 


Je  propose  à 

M.  le 

duc  d'Orléans 

de 

convoquer 

aussitôt  après 

la  mort  du 

Roi 

les  Etats 

généraux,  qui 

sont  sans 

danger  et* 


(U  MÉMOIRES  fiTlo] 

utiles  sur       convocation.   Plus  de  partis  ilans  l'I^tat  ;  car  celui  du  duc 
inances.     ^^^^  Maine  n'étoit  qu'une  cabale  odieuse  qui  n'avoil  d'appui 

avantageui   a  l  t  i  r 

M.  le  que  l'ignorance,  la  faveur    présente  et  l'artifice,  dont  le 

duc  d'Orléans,  mj^ipi-jg^l^l^i  q[  timide  chef,  ni  les  bouillons'  insensés  d'une 
épouse  qui  n'avoit  de  respectable  que  sa  naissance-,  qu'elle- 
même  tournoit  contre  soi,  ne  pouvoient  efïrayer  qu'à  la 
faveur  des  ténèbres,  leurs  utiles  protectrices  ;  plus  de 
restes  de  ces  anciennes  factions  d'Orléans  et  de  Bourgo- 
gne ;  personne  dans  la  maison  de  Lorraine  dont  le  mérite, 
l'acquit  ^  les  talents,  le  crédit,  la  suite  ni  la  puissance  fît 
souvenir  de  la  Ligue;  plus  d'huguenots  ^  et  point  de  vrais 
personnages  en  aucun  genre  ni  état,  tant  ce  long  règne 
de  vile  bourgeoisie,  adroite  à  gouverner  pour  soi  et  à 
prendre  le  Roi  par  ses  foibles,  avoit  su  tout  anéantir, 
et  empêcher  tout  homme  d'être  des  hommes,  en  extermi- 
nant toute  émulation,  toute  capacité,  tout  fruit  d'instruc- 
tion, et  en  éloignant  et  perdant  avec  soin  tout  homme 
qui  montroit  quelque  application  et  quelque  sentiment. 
Cette  triste  vérité,  qui  avoit  arrêté  M.  le  duc  d'Orléans  et 
moi  sur  la  désignation  de  gens  propres  à  entrer  dans  le 
conseil  de  régence  %  tant  elle  avoit  anéanti  les  sujets,  de- 
venoit  une  sécurité  contre  le  danger  d'une  assemblée 
d'États  généraux.  Il  est  vrai  aussi  que  les  personnes  les 
plus  séduites  par  ce  grand  nom  auroient  peine  à  montrer 
aucun  fruit  de  leurs  diverses  tenues  ;  mais  il  n'est  pas 
moins  vrai  que  la  situation  présente  n'avoit  aucun  trait 
de  ressemblance  avec  toutes  celles  où  on"  les  avoit  convo- 
qués, et  qu'il    ne  s'étoit  encore  jamais  présenté  aucune 

1.  Tome  XIX,  p.  143. 

i.  La  duchesse  du  Maine,  petite-tîlle  du  grand  Condé. 

3.  On  avait  imprimé  jusqu'ici  Vacquét.  11  y  a  clairoment  acquit  dans 
le  manuscrit;  mais  le  point  sur  Vi  est  peu  visible,  d'où  l'erreur  des 
précédents  éditeurs;  d'ailleurs  Saint-Simon  aurait  écrit  acquest. 

4.  On  a  déjà  vu  dans  le  tome  XII,  p.  '2o(),  que  Saint-Simon  n'aspire 
pas  l'/i  de  ce  mot. 

o.  Ci-dessus,  p.  63. 
6.   On  est  en  interligne. 


[•ni5J  DE  SALXT-SIMON.  60 

conjoncture  où  ils  pussent  l'être  avec  plus  de  sûreté,  et 
où  le  fruit  qu'on  s'en  devoit  proposer  fût  plus  réel  et  plus 
solide.  C'est  ce  que  me  persuadèrent  les  '  longues  et  fré- 
quentes délibérations  que  j'avois  faites  là-dessus  en  moi- 
raôrae,  et  qui  me  déterminèrent  à  en  faire  la  proposition 
à  M.  le  duc  d'Orléans.  Je  le  priai  de  ne-  prendre  point 
d'alarme  avant  d'avoir  ouï  les  raisons  qui  m'avoient  con- 
vaincu, et,  après  lui  avoir  exposé  celles  qui  viennent  d'être 
expliquées,  je  lui  mis  au  meilleur  jour  que  je  pus  les 
avantages  qu'il  en  pourroit  tirer.  Je  lui  dis  que,  jetant' 
à  part  les  dangers  que  je  venois  de  lui  mettre  devant  les 
yeux,  mais  qui  n'ont  plus  d'existence,  le  seul  péril  d'une 
assemblée  d'Etats  généraux  ne  regardoit  que  ceux  qui 
avoient  eu  l'administration  des  affaires,  et,  si  l'on  veut, 
par  contre-coup,  ceux  qui  les  y  ont  employés  ;  que  ce 
péril  ne  regardoit  point  Son  Altesse  Royale,  puisqu'il 
étoit  de  notoriété  publique  qu'il  n'y  avoit  jamais  eu  la 
moindre  part,  et  qu'il  n'en  pouvoit  prendre  aucune  en 
pas  un  des  ministres  du  Roi,  ni  en  qui  que  ce  soit  qui  les 
ait  choisis  ni  placés  ;  que  cette  raison,  si  les  suivantes  le 
touchoient,  lui  devoit*  persuader  de  ne  pas  laisser  écouler 
une  heure  après  la  mort  du  Roi  sans  commander  aux 
secrétaires  d'Etat  les  expéditions  nécessaires  à  la  convo- 
cation, à  exiger  d'eux  qu'elles  fussent  toutes  faites  et 
parties  avant  vingt-quatre  heures,  à  les  tenir  de  près  là- 
dessus,  et,  du  moment  qu'elles  seroient  parties,  déclarer 
publiquement  la  convocation  ;  qu'elle  devoit  être  fixée  au 
terme  le  plus  court,  tant  pour  les  élections  des  députés  par 
bailliages  que  pour  l'assemblée  de  ces  députés  pour  former 

i.  Les  est  répété  deux  fois,  à  la  tin  de  la  page  1583  et  au  commen- 
cement de  la  page  1584  du  manuscrit. 

2.  Le  mot  ne  est  en  interligne,  et,  plus  loin,  le  d'  est  répété  deux  fois 
avant  alarme,  à  la  tin  d'une  ligne  et  au  commencement  de  la  suivante. 

3.  Le  ji'  dejettant  surcharge  une  m,  Saint-Simon  ayant  d'abord  écrit 
mettant. 

'*■  Il  y  a  dévoient  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 

MÉMOIRES    UE  SAINT-SIMON.    XXVII  O 


66  MÉMOIRES  \\l\n 

les  Etats  généraux',  pour  qu'on  vît  qu'il  n'y  avoit  point 
de  leurre,  et  que  c'est  tout  de  bon  et  tout  présentement 
que  vous  les  voulez-,  et  pour  n'avoir  à  toucher  à  rien  en 
attendant  leur  prompte  ouverture,  et  n'avoir,  par  consé- 
quent, à  répondre  de  rien  ;  que  le[s]  François,  léger[s], 
amoureux  du  changement,  abattu[sj-*  sous  un  joug  dont  la 

I.  Pour  expliquer  le  mode  d'élection  des  députés  aux  Etats  géné- 
raux, tel  qu'il  s'était  pratiqué  pour  ceux  de  IGli,  et  auijuel  Saint- 
Simon  fait  une  si  brève  allusion,  nous  ne  pouvons  mieux  laire  (jue  de 
reproduire  la  note  préparée  par  M.  Chéruel  pour  le  commentaire  du 
présent  passage.  «  Le  Roi  ou  le  Régent  adressait  des  lettres  patentes 
aux  gouverneurs  des  provinces,  ainsi  qu'aux  baillis  et  sénéchaux  qui, 
sous  leur  autorité,  étaient  chargés  de  l'administration  provinciale. 
Elles  indiquaient  l'époque  et  le  lieu  où  devaient  se  réunir  les  députés. 
En  vertu  des  ordres  du  roi,  les  ecclésiastiques  et  les  nobles  étaient 
nominativement  convoqués  pour  l'élection  de  leurs  dépulés.  Les  gou- 
verneurs et  baillis  envoyaient  copie  des  lettres  patentes  aux  maires  et 
échevins  des  villes  ainsi  qu'aux  juges  et  curés  de  villages.  Les  bour- 
geois et  vilains  étaient  avertis  au  prône,  à  son  de  trompe,  par  alliches 
apposées  au  pilori  et  à  la  porte  des  églises.  Les  nobles  et  les  ecclé- 
siastiques nommaient  directement  les  députés  qui  devaient  les  repré- 
senter aux  Etats  généraux.  Il  n'en  était  pas  de  même  pour  les  bour- 
geois et  les  paysans  :  réunis  dans  les  villes  et  dans  les  villages,  sous  la 
présidence  des  baillis,  sénéchaux,  vicomtes,  viguiers,  prévôts,  lieute- 
nants des  baillis,  etc.,  ils  nommaient  les  électeurs.  Ceux-ci  se  réunis- 
saient au  chef-lieu  du  bailliage,  et  procédaient  à  l'élection  des  députés 
aux  Etats  généraux.  Ils  rédigeaient  aussi  des  cahiers  de  doléances 
pour  exprimer  leurs  besoins  et  leurs  vœux.  Le  nombre  des  dépulés  qui 
devaient  être  élus  dans  chaque  bailliage  n'était  pas  déterminé;  cette 
question  avait  alors  très  peu  d'importance,  puisque,  dans  l'assemblée 
des  États  généraux,  on  votait  par  ordre  cl  non  par  tète.  Tout  en  cher- 
chant à  ramener  à  des  règles  uniformes  la  nomination  des  députés, 
l'administration  royale  avait  dû  tolérer  des  usages  qui  variaient  sou- 
vent de  province  à  province.  Les  paysans  ne  prenaient  pas  toujours 
part  aux  élections.  En  Auvergne,  par  exemple,  le  clergé,  la  noblesse 
et  la  bourgeoisie  nommaient  seuls  les  députés  aux  États  généraux. 
Dans  plusieurs  circonstances,  des  corps,  comme  la  commune  de  Paris 
en  1356,  l'Université  en  1413,  le  Parlement  en  1557,  obtinrent  une 
représentation  spéciale.  » 

'2.  A  remarquer  cette  reprise  involontaire  du  style  direct. 

3.  Saint-Simon  a  écrit  tous  ces  mots  au  singulier;  mais  nous  les 


[17151  DE  SAINT-SIMON.  67 

pesanteur  et  les  pointes  étoient  sans  cesse  montées  jus- 
qu'au comble  pendant  ce  règne,  après  la  fin  duquel  tout 
sonpiroit,  seroient  saisis  de  ravissement  à  ce  rayon  d'es- 
pérance et  de  liberté  proscrit  depuis  plus  d'un  siècle,  vers 
lequel  personne  n'osoit  plus  lever  les  yeux,  et  qui  les 
combleroit  d'autant  plus  de  joie,  de  reconnoissance,  d'a- 
mour, d'attachement  pour  celui  dont  ils  tiendroient  ce 
bienfait,  qu'il  partiroit  du  pur  mouvement  de  sa  bonté, 
du  premier  instant  de  l'exercice  de  son  autorité,  sans  que 
personne  eût  eu  le  moment  d'y  songer,  beaucoup  moins 
le  temps  ni  la  hardiesse  de  le*  lui  demander;  qu'un  tel 
début  de  régence,  qui  lui  dévouoit  tous  les  cœurs  sans 
aucun  risque,  ne  pouvoit  avoir  que  de  grandes  suites  pour 
lui,  et  désarçonner  entièrement  ses  ennemis,  matière  sur 
laquelle  je  reviendrai  tout  à  l'heure  ;  que  l'état  des  finances 
étant  tel  qu'il  étoit,  n'étant^  ignoré  en  gros  de  personne, 
et  les  remèdes  aussi  cruels  à  choisir,  parce  qu'il  n'y  en 
pouvoit  avoir  d'autres  que  l'un  des  trois  que  j'avois  expo- 
sés à  Son  Altesse  Royale  lorsqu'elle  me  pressa  d'accepter 
l'administration  des  finances^,  ce  lui  étoit  une  chose  capi- 
tale de  montrer  effectivement  et  nettement  à  quoi  elle* 
en  est  là-dessus,  avant  qu'elle-même^  y  eût  touché  le 
moins  du  monde,  et  qu'elle*^  en  tirât  d'elle''  un  aveu 
public  par  écrit,  qui  seroit  pour  Son  Altesse  Royale  *  une 
sûreté  pour  tous  les  temps  plus  que  juridique,  et  la  plus 
authentique  décharge,  sans  tenir  rien  du  bas^  desdéchar- 

rétablissons  au  pluriel,  les  verbes  dont  ils  sont  le  sujet  étant  au  pluriel. 
4    Le  est  en  interligne. 
•2.  Avant  n'estant,  il  y  a  un  et,  biffé. 

3.  Ci-dessus,  p.  34,  il  n'a  pas  dit  qu'il  en  eût  parlé  au  duc  d'Orléans. 

4.  Cet  elle  se  rapporte  sans  doute  à  l'administration  des  finances  ; 
toute  la  phrase  est  d'une  obscurité  très  dilïicile  à  éclaircir. 

5.  Elle  mesme  corrige  luy  mesme  par  surcharge. 

6.  Cet  elle  corrige  il,  et  se  rapporte  à  S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans. 

7.  Encore  sans  doute  l'administration  des  finances. 

8.  Les  lettres  S.  A.  R.  surchargent  hiy. 

9.  Il  veut  dire  de  la  bassesse. 


ex  M  KM  (tin  ES  [rtAr,] 

ges  ordinaires,  ni  rien  de  commun  avec  l'étal  des  ordon- 
nateurs '  ordinaires,  ni  avec  le  l)esoin  qu'ils  ont  d'en 
prendre,  et  le  titre  le  plus  sans  ré|)lique  et  le  plus  assuré 
pour  canoniser  -  à  jamais  les  améliorations  et  les  soulage- 
ments que  les  tinances  pourront  recevoir  pendant  la 
Régence,  peu  perceptibles  et  peu  crus  sans  cela,  ou  de 
pleine  justification  de  l'impossible  ',  si  elles  n'étoient  pas 
soulagées  dans  l'état  où  il  constoit*^  d'une  manière  si  solen- 
nelle que  le  Roi  les  avoit  mises,  et  laissées  en  mourant  ; 
avantage  essentiel  pour  Son  Altesse  Royale  dans  tous  les 
temps,  et  d'autant  plus  pur  qu'il  ne  s'agit  que  de  montrer 
ce  qui  est,  sans  charger  ni  accuser  personne,  et  avec  la 
grâce  encore  de  ne  souffrir  nulle  inquisition  là-dessus, 
mais  uniquement  de  chercher  ''  le  remède  à  un  si  grand 
mal  ;  déclarer  aux  Etats  que,  ce  mal  étant  extrême,  et  les 
remèdes  extrêmes  aussi,  Son  Altesse  Royale  croit  devoir 
à  la  nation  de  lui  remettre  le  soin  de  le  traiter  elle-même  ; 
se  contenter  de  lui  en  découvrir  toute  la  profondeur,  lui 
proposer  les  trois  uniques  moyens  qui  •^  ont  pu  être  aperçus 
d'opérer  dans  cette  maladie,  de  lui  en  laisser  faire  en 
toute  liberté  la  discussion  et  le  choix,  et  de  ne  se  réserver 
qu'à  lui  fournir  tous  les  éclaircissements  qui  seront  en 
son  pouvoir,  et  qu'elle  pourra  désirer  pour  se  guider  dans 
un  choix  si  difficile,  ou  à  trouver  quelque  autre  solution, 

1.  En  matière  de  tinances,  «  ordonnateur  signifie  celui  qui  ordonnr 
les  payements  »  (Académie,  1718). 

2.  Au  sens  d'établir  une  chose  délinitivoment,  comme  la  canoni- 
sation d'un  saint  l'inscrit  pour  toujours  dans  le  catalogue  des  saints; 
nous  avons  eu  canoniser  une  doctrine,  dans  un  sens  analogue,  au 
tome  XXIII,  p.  29i.  On  va  encore  trouver  ci-après,  p.  76,  «  canoniser 
une  volonté  ». 

3.  Il  veut  dire  que  cet  aveu  écrit  de  l'état  des  tinances  sera  le  titre 
le  plus  assuré  pour  justilier  l'impossibilité  où  le  Régent  se  sera  trouvé 
de  les  améliorer. 

4.  Tome  XX,  p.  18. 

5.  Les  mots  de  chercher  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

6.  Ce  qui  corrige  l'abréviation  de  que. 


(17151  DE   SAINT-SIMON.  69 

et,  après  qu'elle  aura  décidé  seule  et  en  pleine  et  franche 
liberté,  se  réserver  l'exécution  fidèle  et  littérale  de  ce 
(ju'elle  aura  statué  par  forme  d'avis  sur  cette  grande 
afïaire;  l'exhorter  à  n'y  pas  perdre  un  moment,  parce 
qu'elle  n'est  pas  de  nature  à  pouvoir  demeurer  en  suspens 
sans  que  toute  la  machine  du  gouvernement  soit  aussi 
arrêtée  ;  finir  par  dire  un  mot,  non  pour  rendre  un  compte 
qui  n'est  pas  dû  et  dont  il  se  faut  bien  garder  de  faire  le 
premier  exemple,  mais  légèrement,  avec  un  air  de  bonté 
et  de  confiance,  leur  parler,  dis-j'e,  en  deux  mots,  de  l'éta- 
blissement des  conseils,  déclarés  et  en  fonction  entre  la 
convocation  et  la  première  séance  des  Etats  généraux,  et 
sous  prétexte  de  les  avertir  que  le  conseil  établi  pour  les 
finances  n'a  fait  et  ne  fera  que  continuer  la  forme  du 
gouvernement  précédent,  sans  innover  ni  toucher  à  rien 
jusqu'à  la  décision  de  l'avis  des  États',  qui  est  remise  à 
leur  sagesse,  pour  se  conformer  après  à  celle  qu'on  en 
attend. 

«  Je  ne  crois  pas,  ajoutai-je,  qu'il  faille  recourir  à 
l'éloquence  pour  vous  persuader  du  prodigieux  effet  que 
ce  discours  produira  en  votre  faveur.  La  multitude  igno- 
rante, qui  croit  les  Etats  généraux  revêtus  d'un  grand 
pouvoir,  nagera  dans  la  joie,  et  vous  bénira  comme  le 
restaurateur  des  droits  anéantis  de  la  nation.  Le  moindre 
nombre,  qui  est  instruit  que  les  Etats  généraux  sont  sans 
aucun  pouvoir  par  leur  nature,  et  que  ce  n'est  que  les 
députés  de  leurs  commettants  pour  exposer  leurs  griefs, 
leurs  plaintes,  la  justice  et  les  grâces  qu'ils  demandent,  en 
un  mot,  de  simples  plaignants  et  suppliants,  verront  votre 
complaisance  comme  les  arrhes  du  gouvernement  le  plus 
juste  et  le  plus  doux,  et  ceux  qui  auront  l'œil  plus  per- 
çant que  les  autres  apercevront  bien  que  vous  ne  faites 
essentiellement  rien  de  plus  que  ce  qu'ont  pratiqué  tous 
nos  rois  en  toutes  les  assemblées  tant  d'États  généraux  que 

I.  Les  mois  de  l'avis  des  Estais  ont  été  ajoutés  en  interligne. 


70  MÉMOIRES  flTin] 

de  notables,  qu'ils  ont  toujours  consultés,  principalement 
sur  la  matière  des  finances,  et    que   vous  ne  faites  que 
vous  décharger  sur  eux  du  choix  de  remèdes  qui  ne  peu- 
vent être  que  cruels  et  odieux,  desquels,  après  leur  déci- 
sion, personne  n'aura  plus  à  se  plaindre,  tout  au  moins  à 
se  prendre  à  vous  de  sa  ruine  et  des  malheurs  publics'.  » 
Grand  parti  à       Je  vins  ensuite  à  ce  qui  touchoit  .M.  le  duc  d'Orléans 
d'Ii^Tcment     ^  u^G  -  façon  cncore  plus  particulière:  je  lui  parlai  des 
des  Renonciations.  Je  lui  remis  devant  les  yeux  combien  elles 

Etals  généraux  ^'.j^^jjgjjt  infomics  et  radicalement  destituées  de  tout  ce  qui 

sur  les  1       1      •       Il  1  I 

Renonciations,  pouvoit  opérer  la  force  et  le  droit  cl  un  tel  acte^  le  pre- 
mier qu'on  eût  vu  sous  les  trois  races  de  nos  rois  pour 
intervertir  l'ordre,  jusque-là  si  sacré  à  l'aînesse  masculine, 
légitime,  de  mâle  en  mâle,  à  la  succession  nécessaire  à  la 
couronne.  Cette  importante  matière  avoit  tant  été  discu- 
tée en  son  temps  entre  M.  le  duc  de  Berry,  lui  surtoutS  et 
moi^,  qu'il  l'avoit  encore  bien  présente.  Je  partis  donc  de 
là  pour  lui  faire  entendre  de  quelle  importance  il  lui  étoit 
de  profiter  de  la  tenue  des  Étals  génraux*^  pour  les  cap- 
ter, comme  il  étoit  sûr  qu'il  se  les  dévoueroit  par  tout  ce 
qui  vient  d'être  exposé,  et  d'en  saisir  les  premiers  élans 
d'amour  et  de  reconnois>ance  pour  se  faire  acclamer  en 
conséquence  des  Renonciations,  et  en  tirer  brusquement' 
un  acte  solennel  en  forme  de  certificat  du  vœu  unanime. 
Je  lui  fis  sentir  la  nécessité  de  suppléer  au  juridique 
par  un  populaire**  de  ce  poids,  et  de  profiter  de  l'erreur 

i.  Des  corrige  du,  ot  malheur  public  a  été  mis  au  pluriel. 

2.  Avant  d'une,  Saint-Simon  a  biiïé  de  ce  qui  le  touchoit,   répété 
par  méf^arde. 

3.  Tome  XXIII,  p.  lio  et  suivantes. 

4.  C'est-à-dire,  surtout  le  duc  d'Orléans. 

5.  Tome  XXIII,  p.  431-132. 

6.  Lfs  mots  profiter  de  la  tenue  sont  en  interligne,  au-dessus  de 
capter,  bifi'é,  et  des  corrige  les. 

7.  Brusquem'  a  été  écrit  ici  en  interligne,  après  avoir  été  biiïé  plus 
loin  après  soicmncl. 

8.  Suppléer  au  rondement  juridique  par  un  fondement  populaire. 


[171.S1  DE  SAINT-SIMON.  H 

si  répandue  du  prétendu  pouvoir  des  États  généraux,  qui 
après  ce  qu'ils  auroient  fait  en  sa  faveur,  la  nation  se  croi- 
roit  engagée  à  le  soutenir  à  jamais,  par  cette  chimère  même 
de  ce  droit  qui  lui  étoit  si  précieuse,  ce  qui  lui  donnoit 
toute  la  plus  grande  sûreté  et  la  plus  complète  de  succé- 
der, le  cas  arrivant,  en  quelque  temps  que  ce  pût  être,  à 
l'exclusion'  de  la  branche  d'Espagne,  par  l'intérêt  essen- 
tiel que  la  nation  commise- se  croiroit  dans  tous  les  temps 
y  avoir.  En  même  temps  je  lui  fis  remarquer  qu'en 
tirant  pour  soi  le  plus  grand  parti  qu'il  étoit  possible,  et 
l'assurance  la  plus  certaine  d'avoir  à  jamais  la  nation  pour 
soi  et  pour  sa  branche  contre  celle  d'Espagne,  ce  qui  fai- 
soit  également  pour  tous  les  princes  du  sang,  et  qui  en 
augmentoit  la  force  par  le  nombre  et  le  poids  des  inté- 
ressés, il  n'acquéroit  ce  suprême  avantage  que  par^  un 
simple  leurre  auquel  la  nation  se  prendroit,  et  qui  ne 
donnoit  rien  aux  États  généraux.  Alors  je  lui  fis  sentir 
l'adresse  et  la  délicatesse,  à  laquelle  sur  toutes  choses  il 
falloit  bien  prendre  garde  à  s'attacher  à  coup  sûr^  ;  que 
les  États  ne  prononceroient  rien,  ne  statueroient  rien,  ne 
confirmeroientrien;  que  leur  acclamation  ne^seroit  jamais 
que  ce  qu'on  appelle  verba  et  voces,  laquelle  pourtant 
engageroit  la  nation  à  toujours  par  des  liens  d'autant 
moins  dissolubles,  qu'elle  se  tiendroit  intéressée  pour  son 
droit  le  plus  cher  qu'elle  croiroit  avoir  exercé,  et  qu'elle 
soutiendroit,  le  cas  avenant,  en  quelque  temps  que  ce  pût 
être,  par  ce  motif  le  plus  puissant  sur  une  nation,  pour 
légère  qu'elle  puisse  être,  qui  est  de  se  croire  en  pouvoir 
de  se  donner  un  maître,  et  de  régler  la  succession  à  la 
couronne,  tandis  qu'elle  n'aura  fait  qu'une  acclamation. 
Je  fis  prendre  garde  aussi  à  M.  le  duc  d'Orléans  à  la  même 

1.  Les  mots  lexclusion  (sic)  surchargent  la  b[ranche]. 

2.  Au  sens  d'engagée  par  cet  acte. 

3.  Par  est  en  interligne  au-dessus  d'un  à  biffé. 

4.  Seur  surcharge  un  autre  mot  illisible. 

5.  Avant  ne,  Saint-Simon  a  biffé  n'esto[it]. 


7-2  MEMOIRES  [Hiri] 

adresse  et  tiéliralesse  pour  l'acte  par  écrit  en  forme  de 
simple  certificat  de  l'acclamation,  parce  que  le  certificat 
pur  (^t  simple  (|u'une  chose  a  été  faite  n'est  qu'une  preuve 
(|u'elle  a  été  faite,  n'en  peut  ciianj^MM-  l'être  et  la  nature, 
ni  avoir  j)lus  (le  force  et  d'autorité  que  la  chose  qu'il  ne 
fait  (|ue  certifier.  Or,  cette  chose  n'étant  ni  loi,  ni  ordon- 
nance, ni  simple  confirmation  même,  l'acte  qui  la  certifie 
avoir  été  faite  ne  lui  donne  rien  de  plus  qu'elle  n'a.  .\insi 
le  leurre  est  entier  ;  tout  y  est  vuide  ;  les  Etats  pjénéraux 
n'en  acquièrent  aucun  droit,  et  néanmoins  M.  le  duc  d'Or- 
léans en  a  tout  l'essentiel  par  cette  erreur  spécieuse  et  si  in- 
téressante toute  la  nation*,  qui,  pour  son  plus  cher  intérêt  à 
elle-même,  la  lie  à  lui  pour  jamais  et  à  tous  les  autres  prin- 
ces du  sang,  pour  l'exclusion  de  la  branche  d'Espagne  de 
succéder  à  la  couronne.  Le  moyen  après  de  contenir  les 
Etats,  après  les  avoir  si  puissamment  excités,  me  parut 
bien  aisé  :  protester  avec  confiance  et  modestie  qu'on  ne 
veut  que  leurs  cœurs,  qu'on  compte  leur  parole  donnée 
par  cette  acclamation  pour  si  sacrée  et  si  certaine,  qu'on 
ne  croiroit  pas  la  mériter  si  on  souffroit  qu'ils  donnassent 
plus  ;  qu'on  le  déchireroit  même,"  et  qu'on  regarderoit 
recevoir  plus  comme  un  ci-ime  ;  qu'on  acceptoit  cette  pa- 
role uniquement  pour  l'extrême  plaisir  de  recevoir  une 
telle  marque  de  l'aflection  publique,  et  pour  la  considé- 
ration éloignée  du  repos  de  la  France,  mais  dans  le  désir 
passionné  et  la  ferme  espérance  que  le  cas  prévu  n'arrivera 
jamais,  par  la  longue  vie  du  Roi  et  la  grande  bénédiction 
de  Dieu  sur  sa  postérité  ;  (pi'aller  plus  loin  que  cette  pa- 
role si  llatteuse,  et  le  très  simple  certificat  qui  en  fait  foi, 
ne  peut  convenii"  au  respect  des  circonstances,  qui  sont 
un  régent  qui,  pour  le  présent,  ne  peut  encore  rien  voir 
de  longtemps  entre;  le  Koi  et  lui  ;  se  tenir  à  ces  termes 
de  confiance,  de  reconnoissance,  de  modestie,  de  respect, 

•1.  Exemple  déjà  rencontré  d'un  adjectif  verbal  s'accordant  avec  le 
substantif  aiiqnol  il  se  rapporte,  et  ayant  cependant  un  roinplément 
direct. 


[171o]  DE  SAINT-SIMON.  73 

de  raisons,  inébranlabloment,  avec  la  plus  extrême  atten- 
tion à  n'en  pas  laisser  soupçonner  davantage  ;  paraphraser 
ces  choses  et  les  compliments  ;  surtout  brusquer  l'affaire, 
couper  court,  finir,  et  ne  manquer  pas  après  de  bien  im- 
poser silence  sur  l'acclamation  et  le  certificat  et  toute 
cette  matière,  et  y  bien  tenir  la  main,  sous  prétexte  que 
sous  un  roi  hors  d'état  de  régner  par  lui-même,  et  de  se 
marier  de  longtemps,  c'est  une  matière  qui,  passé  la  né- 
cessité remplie',  est  odieuse,  et  n'est  propre  qu'à  des 
soupçons,  à  donner  lieu  aux  méchants,  et  à  qui  aime  le 
désordre,  de  troubler  l'harmonie,  le  concert,  la  bonté  et 
la  confiance  du  Roi  pour  le  Régent;  mais  ne  dire  cela,  et 
avec  fermeté,  qu'après  la  chose  entièrement  faite,  de  peur 
d'y  jeter  des  réflexions  et  de  l'embarras.  Outre  le  fruit 
infini  de  rejeter  sur  les  États  les  suites  douloureuses  du 
remède  auquel  ils  auront  donné  la  préférence  pour  les 
finances,  d'avoir  acquis,  par  leur  tenue  et  cette  marque 
de  déférence,  l'amour  et  la  confiance  de  la  nation,  et  de 
l'avoir  liée  par  son  acclamation  à  l'exclusion  de  la  bran- 
che d'Espagne  de  la  succession  à  la  couronne,  par  les  liens 
les  plus  sûrs,  les^  plus  forts  et  les  plus  durables,  quelle 
force  d'autorité  et  de  puissance  cette  union  si  éclatante  et 
si  prompte  du  corps  de  la  nation  avec  M.  le  duc  d'Or- 
léans, à  l'entrée  de  sa  régence,  ne  lui  donne-t-ellepas  au 
dedans,  pour  contenir  princes  du  sang,  grands,  corps,  et 
quelle  utile  réputation  au  dehors  pour  arrêter  les  puis- 
sances qui  pourroient  être  tentées  de  profiter  delà  foiblesse 
d'une  longue  minorité,  et  quel  contre-coup  sur  ses  enne- 
mis domestiques,  et  sur  l'Espagne  même,  dont  l'appui  et 
les  liaisons  n'auroient  plus  d'objet  pour  elle,  ni  de  pré- 
texte et  d'assurance  pour  eux  ! 

Une  réflexion  naturelle   découvre  que  les  États  géné- 
raux sont  presque  tous  composés  de  gens  de  province  des 


1.  Avant  remplie,  Saint-Simon  a  biffé  est. 
'1.  Il  y  a  un  et  biffé  avant  les  plus  forts. 


7i  MEMOIRES  JITIS] 

trois  ordres,  surtout  du  premier  et  du  dernier  '  ;  que  pres- 
que tous  ceux,  corps  et  particuliers,  sur  qui  porte  cet  im- 
mense faix  de  dettes  du  Uoi  sont  tie  Paris  ;  que  la  noblesse 
des  provinces,  quoique  tombée  par  sa  pauvreté  dans  les 
mésalliances,  n'en  a-  point  ou  presque  point  faites^  hors  de 
son  pays,  et  ne  tient  point  aux  créanciers  du  Roi,  qui  sont 
tous  des  financiers  établis  à  Paris,  et  des  corps  de  rotu- 
riers richards  ^  de  la  même  ville,  comme  secrétaires  du 
Roi  %  trésoriers  deFranceS  et  toute  espèce  de  trésoriers, 
fermiers  généraux,  etc.,  gens  à  n'être  point  députés  pour 
le  tiers  état  ;  par  conséquent,  que  la  grande  pluralité  des 
députés  des  trois  ordres  aura  un  intérêt  personnel,  et 
pour  leurs  commettants,  à  préférer  la  banqueroute  à  la 
durée  et  à  toute  augmentation  possible  des  impositions,  et 
comptera  pour  peu  les  ruines  et  les  cris  que  causera  la 
banqueroute,  en  comparaison  de  la  délivrance  de  tant  de 
sortes  d'impôts  qui  révèlent  le  secret  des  familles,  en  trou- 
blent" l'économie  et  les  dispositions  domestiques,  livrent 
chacun  à  la  malice  et  à  l'avidité  des  financiers  de  toute 

4.  De  ceux  du  clergé  et  du  tiers  état. 

2.  A  est  en  inleriijjne  au-dessus  d'ont  bifïé,  et,  plus  loin,  son  est 
aussi  en  interligne  au-dessus  de  ie^ir,  et  tient  corrige  tiennent. 

3.  Il  y  a  bien  faites,  au  manuscrit,  se  rapportant  à  mésalliances. 
Saint-Simon,  qui  habituellement  ne  fait  pas  accorder  avec  son  complé- 
ment direct,  lorsque  celui-ci  le  précède,  le  participe  conjugué  avec 
l'auxiliaire  avoir,  est  ici  dans  une  nouvelle  contradiction  avec  la  règle 
ordinaire. 

4.  Ci-après,  p.  421. 

,H.  Les  secrétaires  du  Roi  étaient  des  officiers  de  la  grande  chancel- 
lerie qui  étaient  chargés  d'expédier  les  actes  que  le  chancelier  devait 
sceller  et  d'y  apposer  leur  signature.  Les  secrétaires  d'Etat  devaient 
toujours  posséder  une  charge  de  secrétaire  du  Roi.  Comme  ces 
charges  étaient  vénales,  la  raison  (inancière  les  avait  fait  multiplier,  et 
un  édit  de  1704  en  avait  porté  le  nombre  à  trois  cent  quarante.  Ils 
jouissaient  de  certains  privilèges,  par  exemple  de  la  noblesse  person- 
nelle au  bout  de  vingt  ans  d'exercice,  et  leurs  procès  étaient  ren- 
voyés aux  requêtes  de  l'hôtel. 

<i.  Il  a  été  parlé  des  trésoriers  de  France  dans  le  tome  VII,  p.  180. 

7.   Tioublent  corrige  trouble,  et,  plus  loin,  ostent  corrige  este. 


fildSl  DE  SAINT-SIMON.  75 

espèce,  ôtent  toute  liberté  au  commerce  intérieur  et  exté- 
rieur, et  le  ruinent  avec  tous  les  particuliers.  Cette  vue 
de  liberté,  d'impôts  médiocres,  et  encore  au  choix  des 
États,  en  connoissance  de  cause  par  l'expérience  de  leurs 
effets,  l'aise  de  se  voir  au  courant,  leur  feront^  voir  une 
nouvelle  terre  et  de  nouveaux  cieux,  et  ne  les  laisseront 
pas  balancer  entre  leur  propre  bonheur  et  le  malheur  des 
créanciers.  Les  rentes  sur  l'hôtel  de  ville-,  où  beaucoup 
de  députés  se  pourront  trouver  intéressés,  auront  peut- 
être  quelque  exception  par  cet  intérêt;  peut-être  encore, 
le  comparant  avec  celui  d'abroger  un  plus  grand  nombre 
d'impôts,  la  modification  seroit-elle  légère,  ou  même  n'y" 
en  auroit-il  point,  et  c'est  à  la  banqueroute,  si  flatteuse 
par  elle-même  pour  le  gros,  qu'il  faudroit  tourner  les 
États  avec  adresse.  J'ajoutai  que  ce  seroit  perdre  presque 
tout  le  fruit  que  M.  le  duc  d'Orléans  recueilleroit  de  tout 
ce  qui  vient  d'être  dit,  s'il  ne  se  faisoit  pas  une  loi,  qu'au- 
cune considération  ne  pût  entamer  dans  la  suite,  de  se 
conformer  inviolablement  au  choix  du  remède  porté  par 
l'avis  formé  par  les  Etats  Y  manquer',  ce  seroit  se  dés- 
honorer par  la  plus  publique  et  la  plus  solennelle  de* 
toutes  les  tromperies,  tourner  l'amour  et  la  confiance  de 
la  nation  en  haine  et  en  désir  de  vengeance,  je  ne  crai- 
gnis pas  d'ajouter,  s'exposer  à  une  révolution,  sans  être 
plaint  ni  secouru  de  personne,  et  donner  beau  jeu  aux 
étrangers  d'en  profiter,  et  à  l'Espagne  de  le  perdre. 

A  l'égard  du  jeune  Roi,  je  priai  M.  le  duc  d'Orléans  de        Rien  de 
considérer^  qu'il  n'y  avoit  rien  dans  toute  cette  conduite    '"par''rïp"port^ 
qui,  en   aucun  temps,  lui  put  être  rendu  suspect  avec  la         au  Roi 
plus  légère  apparence,    et   dont  il  ne  fût  en  état  de  lui  *^^"^ 

i.  Le  manuscrit  porte  ici  fera;  mais  il  y  a  bien  laisseront  à  la  ligne 
suivante. 

2.  Voyez  nos  tomes  V,  p.  126,  et  XVII,  p.  20o. 

3.  Ces  deux  mots  ont  été  ajoutés  sur  la  marge  à  la  fin  d'une  ligne. 

4.  Ce  de  surcharge  une  s  mise  par  mégarde  à  la  fin  de  solemnelle. 

5.  Les  mots  de  considérer  sont  en  interligne. 


TH  MÉMOIRES  fl7i:>l 

la  conduite      rendre  le  compte  le  [)lus  exact.  Son  Altesse  Hoy:ile  '  trouve, 

à  NL  le        '^^  arrivant  à  la  Régence,  les  finances  dans  un  désordre  et 

duc  d'Orléans    dans  uu  état  désespéré,  les  peuples  au  delà  des  derniers 

par  rapiiorl  i     •       i  •     >      l       ±  o  i  i 

à  la  abois,  le  commerce   ruine,  toute    confiance  perdue,  nul 

tenue  des       remède  que  les  plus  cruels.  Il  n'accuse   personne  ;  pei- 

,  f*  *  sonne  aussi   n'est  accusé  ;  mais  lui,  qui  n'a  jamais  eu  la 

généraux.  .  ,     '  .        ^  ■'  , 

moindre  part  aux  affaires,  a  raison  de  n'y  vouloir  pas 
toucher  du  bout  du  doigt  sans  avoir  exposé  leur  situation 
au  public,  et  ne  présume  pas  assez  de  soi  pour,  de  son 
chef,  y  apporter  des  remèdes.  Il  n'en  aperçoit  que  de  cruels, 
c'est  le  public  qui  en  portera  tout  le  poids  et  toute  la 
souffrance,  soit  d'une  manière  ou  de  l'autre  ;  n'est-il  pas 
de  la  sagesse  et  de  l'équité  de  lui  en  laisser  le  choix  ? 
C'est  aux  Etats  généraux  qu'il  le  défère.  Il  ne  fait  en -cela 
qu'imiter  les  rois  prédécesseurs,  et  Louis  XIIP  lui-même, 
qui  les  assembla  et  les  consulta  à  Paris,  en  1614.  Il  a  suivi 
l'avis  des  Etats  généraux.  On  ne  peut  donc  lui  imputer  de 
présomption  dans  une  affaire  si  générale  et  si  principale  ; 
on  ne  peut  aussi  l'accuser  de  foiblesse,  ni  d'avoir  fait  la 
plus  petite  brèche  à  l'autorité  royale,  puisqu'il  n'a  fait 
qu'imiter  à  la  lettre  ce  que  les  rois  prédécesseurs,  jus- 
qu'au pénultième  \  ont  tous  fait,  majeurs  et  mineurs,  et 
pour  des  cas  bien  moins  importants.  Si  les  Etats,  touchés 
de  cette  confiance,  lui  en  ont  marqué  leur  reconnoissance 
par  cette  acclamation  sur  les  Renonciations,  outre  qu'il  ne 
la  leur  a  jamais  demandée,  ils  n'ont  rien  fait  que  mon- 
trer des  vœux  et  une  disposition  de  leurs  cœurs  conformes 
à  celle  du  feu  Roi  et  de  toute  l'Europe,  et  pour  ainsi  dire, 
canoniser  ses  volontés^  les  fondements  de  la  paix,  et 
ceux*^  du  repos  de  la  France  en  quelque  cas  que  ce  puisse 

1.  i».  A.  H.  «.urchtirge  il. 

'i.  Avant  en,  il  a  biffé  l'abréviation  de  que. 

3.  Le  chiffre  XIII  corrige  XIV. 

•4.  Pennltiesme  est  en  interligne  au-dessus  de  d''  incluxivem'  bifTé. 

5.  Ci-dessus,  p.  68. 

0.  Ceux  est  en  interligne. 


[n<5J  DE  SAINT-SIMON.  77 

être,  dont  lui  et  eux  espèrent,  et  ont  en  même  temps  mon- 
tré leurs  plus  sincères  désirs  et  espérance  qu'il  puisse 
n'arriver  jamais,  en  quoi  il  n'a  paru  que  de  lu  bonne  et 
franche  volonté,  et  rien  qui  puisse  toucher,  le  plus  légè- 
rement même,  ni  aux  droits  sacrésde  l'autorité  royale,  ni 
à  ceux  d'aucun  ordre,  corps,  ni  particulier,  pas  même,  ce 
qui  est  tout  dire,  de  la  branche  d'Espagne,  puisqu'elle- 
même  a  solennellement  et  volontairement  fait,  en  pleins 
cortès  assemblés  à  Madrid,  ses  renonciations*,  avant  même 
que  M.  le  duc  de  Berry  et  Son  Altesse  Royale-  eussent 
fait  les  leurs  en  plein  Parlement,  dans  l'assemblée  et  en 
présence  des  pairs,  tous  mandés  par  le  Roi  pour  s'y  trou- 
ver^. Où  y  a-t-il*  dans  tout  cela  quoi  que  ce  soit  de  tant 
soit  peu  répréhensible,  en  quelque  sens  qu'il  puisse  être 
pris,  et  de  quelque  côté  qu'on  le  puisse  tourner  ? 

Outre  tant  de  grands  et  de  si  avantageux  partis  qu'on   Usage  possible 
vient  de  voir  que  M.  le  duc  d'Orléans  pouvoit  si  aisément       afaircdes 
tirer  de  la  tenue  des  Etats  généraux,  je  ne  crus  pas  dan-      généraux  à 
gereux  d'y  en  tenter  encore  un  autre,  ni  fort  difficile  d'y         l'égard 
réussir,  en  profitant  de  leur  premier  enthousiasme  de  se         Maine 
revoir  assemblés  et  déférer  l'important  choix  du  remède 
aux  finances,  et  de  leur  acclamation  sur  les  Renonciations. 
Il''  falloit  qu'elle  fût  faite  avant  de  remuer  ce  qui  va  être 
exposé,  mais  le  leur  présenter  aussitôt  après  avec  la  même 
délicatesse,  afin  de  profiter,  pour  les  y  engager,  des  idées 
flatteuses  dont  ces  actes  leur  auroient  rempli  la  tête,  et 
ne  pas  perdre  le  temps  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  réglé  leur 
avis  sur  les  finances,  ce  qui  auroit  trop  long  trait^,  etdon- 

1.  Tome  XXIII,  p.  180. 

•2.  Les  mots  et  S.  A.  R.  sont  en  interligne. 

3.  Tome  XXIII,  p.  322-342. 

•i.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  Ou  y  il  ;  il  a  ajouté  t  devant  il  et 
écrit  a  en  interligne. 

o.  Il  est  en  interligne,  à  la  suite  d'un  premier  il,  biffé,  et  au-dessus 
d'un  (jui  également  biffé  ;  plus  loin,  qu'elle  corrige  un   mot  illisible. 

6.  Ce  qui  aurait  trop  tiré  en  longueur  ;  trait  est  ici  le  participe  très 
peu  usité  du  verbe  archaïque  traire,  au  sens  de  tirer. 


-s  MÉMOIRES  flTIfi] 

neroit  le  temps  d'inli'iguer  et  de  les  mauiei-  a  celui  qu'il 
s'agiroit  d'attaquer.  Dans  quelque  servitude  que  tout  fût 
réduit  en  France,  il  restoit  des  points  sur  lesquels  la  ter- 
reur pouvoit  retenir  les  discours,  mais  n'avoit  pas  atteint 
à  corrompre  les  esprits.  Un  de  ces  points  étoit  celui  des 
bâtards,  do  leurs  t'tablissemenls,  suriout  de  leur  apothéose. 
Tout  frémissoit'  en  secret,  jusqu'au  milieu  de  la  cour,  de 
leur  existence,  de  leur  grandeur,  de  leur-  habileté  de 
succéder  à  la  couronne.  Klle  étoit  regardée  comme  le  ren- 
versement de  toutes  les  lois  divines  et  humaines,  comme 
le'  sceau  de  tout  joug,  comme  un  attentat  contre  Dieu 
même,  et  le  tout  ensemble  comme  le  danger  le  plus  im- 
minent de  l'Etat  et  de  tous  les  particuliers.  C'étoit  alors 
le  sentiment  intime  et  général  des  princes  du  sang  et  des 
grands,  par  indignation  et  par  intérêt,  je  dis  de  ceux 
même  qui  dévoient  le  plus  au  Roi,  à  la  faveur  de  Mme  de 
Maintenon,  et  qui  paroissoient  le  plus  en  mesures  étroites 
avec  le  duc  du  Maine.  Je*  le  sais  par  ce  que  m'en  ont  dit 
à  moi-même,  et  en  divers  temps  et  toujours,  les  maré- 
chaux d'ilarcourt,  de  Villars  et  de  Tessé,  et  cela  du  fond 
du  cœur,  de  dépit,  de  colère,  de  raisonnement,  point  pour 
me  sonder  et  me  faire  parler  ;  car  ils  savoient  de  reste  ce 
que  j'en  pensois  et  sentois  ;  et  je  cite  ceux-là  comme  étant 
avec^  eux  en  quelque  commerce,  beaucoup  moins  pour- 
tant avec  Tessé,  qui  ne  s'en  expliquoit  pas  moins  libre- 
ment devant  moi,  mais  lesquels*,  surtout  en  ce  temps-là, 
n'étoient  avec  moi  en  aucune  liaison  particulière.  Jusqu'au 
maréchal  de  Villeroy  ne  s'en  est  pas  tu  avec  moi  depuis 
la  mort  du  Roi,  et  fut^  un  des  plus  vifs  lorsqu'il  fut  ques- 

1.  Frémissoit  corrige  fremissoient. 

2.  Il  y  a  de  le  leur  dans  le  manuscrit. 

3.  Ce  le  surcharge  un. 
A.  Avant  je,  il  a  bifïé  et. 

5    Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  estant  bi^'n  avec  eux  en  com- 
merce; il  a  biffé  bien  et  ajouté  quelque  en  interligne. 

6.  Lesquels  est  en  interligne  au-dessus  de  qui,  bitré. 

7.  Fut  en  interligne,  remplaçant  a  esté,  biffé. 


[17151  DE  SAINT-SIMON.  79 

tion  d'agir  contre  leur  rang  en  toutes  les  occasions  qui  s'en 
sont  présentées,  ainsi  que  les  deux  autres  que  j'ai  cités; 
car  Tessé,  n'étant  pas  duc,  ne  put  qu'applaudir.  Les  gens 
de  qualité  n'étoient  pas  alors  moins  irrités,  et  j'en  étois 
informé  de  plusieurs  immédiatement,  et,  par  cette  bri- 
cole", de  bien  d'autres.  Le  Parlement,  si  attaché  aux  règles 
anciennes,  si  hardi  en  usurpations,  comme  on  l'a  vu  à  pro- 
pos du  bonnet',  jusque  sur  la  Reine  régente,  si  tenace  à 
les  sou';enir,  n'avoit  pas  caché  son  indignation  de  la  vio- 
lence faite  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort,  de  plus  fixe,  de 
plus  ancien,  de  plus  vénérable  parmi  les  lois,  en  faveur 
des  bâtards,  ni  le^  dépit  des  honneurs  qu'ils  avoient  forcé 
cette  Compagnie  de  leur  rendre*.  Le  gros  du  monde  de 
tous  états  étoit  irrité  d'une  grandeur  inouïe  en  tout  genre, 
et  jusqu'au  peuple  ne  s'en  cachoit  pas  en  les  voyant  pas- 
ser, ou  en  entendant  parler.  Cette  disposition  universelle 
n'avoit  point  cessé.  Les  artifices  et  la  cabale  ne  l'avoient^ 
point  attaquée,  et,  par  ce  qui  en  sera  expliqué  en  son 
temps,  on  verra  que  ces  ruses  n'auroientpu  avoir  le  moin- 
dre succès  s'il  y  avoit  eu  des  Etats  généraux.  Je  crus  donc 
que  l'objet  des  bâtards  leur  pouvoit  être  présenté  comme 
le  plus  dangereux  colosse,  et  le  plus  digne  de  toute  leur 
attention. 

Outre  ce  qui  vient  d'être  dit  de  l'impression  que  cette 
monstrueu-e  élévation  avoit  faite  sur  les  esprits,  leur  mon- 
trer le  groupe  de  leurs  richesses,  de  leurs  gouvernements, 
de  leurs  charges,  de  cette  multitude  de  gens  de  guerre  et 
de  soldats  sous  leurs  ordres  et  d'importantes  provinces 
sous  leur  commandement,  avec  cette  différence  que  tous 
autres  gouverneurs  et  chefs  de  troupes  ne  l'étoient  que 
de  nom,  impuissants  avec  des  titres  qui  n'étoient  que  de 

1.  Par  ce  détour,  ce  ricochet,  comme  dans  le  tome  V,  p.  296. 

2.  Dans  nos  tomes  XXV  et  XXVI. 

3.  Leur  corrio;é  en  le,  en  biffant  les  deux  dernières  lettres. 

4.  Tome  XXVI,  p   218-219. 

•T.  Il  y  a  l'avoit  au  singulier  dans  le  manuscrit. 


80  .MHMOIHES  |l71n] 

vains  noms,  eux-niènios  inconnus  aux  lieux  cL  aux  troupes 
que  leurs  patentes  scmbloient  leur  soumettre,  tandis  que 
la  marine,  l'artilleiie,  les  carabiniers,  tous  les  Suisses  et 
Grisons',  sept  ou  huit  régiments  sous  leur  nom-  outre 
toutes  ces  troupes,  étoient  dans  leur  très  effective  dépen- 
dancede  tout  temps,  parce  qucleUoi  l'avoitainsi  voulu,  et 
qu'encore  (|ue  leur  assiduité  près  de  lui  les  eut  empêchés 
d'aller  en  Guyenne,  en  Languedoc,  en  Bretagne^  ils  ne 
laissoient  pas  d'y  être  très  puissants,  par  l'autorité  et  les 
dispositions  des  grâces  que  le  Roi  leur  y  avoit  soigneuse- 
ment données.  Faire  sentir  aux  États  généraux  de  quel 
danger  étoit  une  si  formidable  puissance  entre  les  mains 
de  deux  frères,  surtout  quand  elle  étoit  jointe  au  nom, 
rang,  droits,  état  de  princes  du  sang  capables  de  succé- 
der à  la  couronne,  vis-à-vis  des  princes  du  sang  tous 
enfants,  et  sans  établissement  entre  eux  tous  que  le  gou- 
vernement de  Bourgogne*,  une  belle  charge  mais  unique- 
ment domestique'',  et  sept  ou  huit  régiments%  sur  lesquels 
ils  n'avoient  jamais  eu  l'autorité  que  les  bâtards  avoient 
sur  les  leurs,  et  sans  contre-poids  encore  d'aucun  seigneur, 
dont  les  gouvernements  et  les  charges  n'étoient  que  des 
nomsvuidesde  choses,  et  qui  n'opéroient  que  des  appoin- 

t.  Le  comte  de  Toulouse  était  amiral  de  France,  le  duc  du  Maine 
grand  maître  de  l'artillerie,  commandant  des  cinq  brigades  de  carabi- 
niers, colonel  général  des  Suisses  et  Grisons,  et  ses  Hls  avaient  les 
survivances  de  ces  charges. 

2.  Il  y  a  là  quelque  exagération  :  le  duc  du  Maine  avait  un  régi- 
ment d'infanterie  et  un  de  cavalerie  de  son  nom,  et  le  comte  de  Tou- 
louse un  régiment  d'infanterie  et  un  do  dragons. 

3.  Le  duc  du  Maine  était  gouverneur  de  Languedoc,  et  son  lils  le 
comte  d'Eu  gouverneur  de  Guyenne;  le  comte  de  Toulouse  avait  la 
Bretagne  comme  amiral. 

4.  Charge  héréditaire  dans  la  maison  de  Condé. 
o.  Celle  de  grand  maître  de  France. 

6.  Le  jeune  duc  de  Bourbon  avait  b's  deux  réj,'iments  d'infanterie 
et  les  deux  de  cavalerie  qui  portaient  les  noms  de  Condé  et  de  Bour- 
bon; son  cousin  le  prince  de  Conti  avait  un  régiment  d'infanterie  et  un 
de  cavalerie  de  son  nom. 


I1T15J  DE   SALXT-SIMOX.  81 

tements.  Faire  envisager  aux  Etats  la  facilité  qu'avoient 
les  bâtards  tle  tout  entreprendre,  et  les  horreurs  de  leur 
joug  et  des  guerres  civiles  pour  l'établir  et  pour  s'en 
défendre.  Enfin  leur  faire  toucher  l'évidence  du  crime  de 
lèse-majesté  dans  l'attentat  d'oser  prétendre  à  la  cou- 
ronne, et  d'avoir  abusé  de  la  foiblessed'un  père  qui  n'au- 
roit  jamais  dû  reconnoître  de  doubles  adultérins,  et  qui 
est  le  premier  qui  l'ait  osé  par  la  surprise  qu'on  a  vue  ail- 
leurs', pour  escalader  tous  les  degrés  par  lesquels  ils  sont 
parvenus  à  une  si  effrayante  grandeur,  et  ne  s'en  faire 
encore  qu'un  échelon  pour  s'assimiler  en  tout  aux  princes 
du  sang,  jusqu'au  monstre  incroyable  de  se  rendre  comme 
eux  habiles  à  succéder  à  la  couronne.  Exciter  les  uns  par 
le  renversement  des  familles  et  la  tentation  de  devenir 
mères  de  semblables  géants,  les  autres  par  les  motifs  de 
la  religion,  ceux-ci  par  le  mépris  et  l'anéantissement  de 
toutes  les  lois,  ceux-là  par  celui  de  tout  ordre,  tous  par 
l'exemple  qui  seroit  suivi  des  rois  successeurs,  dont  naî- 
troit  une  postérité  qui  envahiroit  tout,  et  ne  laisseroitrien 
aux  vrais  princes  du  sang,  dont  ils  craindroient  et  haï- 
roient  la  naissance,  et  au-dessous  d'eux  tout  ordre  légi- 
time et  légal.  Surtout  leur  exposer  bien  clairement  jus- 
(ju'où  entraîne  l'ambition  de  régner  avec  un  droit  tel  qu'il 
puisse  être;  que  tout  ce  que  ces  bâtards  ont  obtenu,  sur- 
tout les  rangs  et  droits  de  princes  du  sang  et  d'habileté  à 
la  couronne,  est  l'ouvrage  du  seul  duc  du  Maine;  les  pro- 
pos de  la  duchesse  du  Maine  aux  ducs  de  la  Force  et  d'Au- 
mont  à  Sceaux-  ;  la  facilité  à  tout  que  leur  donnent  leurs 
établissements  ;  enfin  combien  moins  de  distance  entre 
eux  et  la  couronne  aujourd'hui  qu'à  être  parvenus  à  y  être 
déclarés  habiles;  et  que  le  motif  exprimé  et  enregistré  de 
ces  derniers  degrés  de  rang,  d'état  de  princes  du  sang, 
d'habileté  à  succéder  à  la  couronne,   est   l'honneur  qu'ils 

l.  Tome  II,  p.  00-06. 
■2.  Tome  XXVI,  p.  50. 

MÉMOIRES    DE    SAI.NT-SIMoN.    XXVll  6 


observer. 


82  MKMOIRES  [1715] 

ont  d'être  lils  o*  potit-tils  du  Hoi.  Conduire  les  États  à  en 
conclure  que,  l'adultère  «'«fanl  par  là  tacileinent  mis  au 
niveau  du  mariage  par  cette  énorme  expression  de  l'iion- 
neui- qu'ils  ont  d'être  (ils  et  petits-fils  du  Koi,  il  n'y  a  plus 
qu'un  pas  à  faire,  et  dont  tout  le  chemin  se  trouve  frayé, 
pour  les  déclarer  fdsde  France,  ce  qu'on  auroit  peut-être 
vu  si  le  Hoi  eût  vécu  quelque  peu  davantage,  et  à  quoi 
même  il  y  a  toute  apparence,  au  degré  de  puissance  où  le 
Roi  s'étoit  mis,  à  l'état  de  disgrâce  où  l'art  préparatoire 
avoit  réduit  M.  le  duc  d'Orléans,  à  l'enfance  de  tous  les 
princes  du  sang,  à  l'anéantissement  et  à  l'impuissance  de 
tous  les  ordres  du  royaume,  à  l'ambition  démesurée  du 
duc  du  Maine,  et  à  son  pouvoir  sans  borne  sur  la  foiblesse 
du  Roi  à  son  égard. 
Mécanique  à  Tels  sont  les  motifs  à  remuer  les  Etats  généraux  sans 
que  M.  le  duc  d'Orléans  y  parût  en  aucune  sorte.  Exciter 
tristement,  timidement,  plaintivement  la  fermentation  des 
esprits,  s'assurer  de  leur  volonté,  exciter  leur  courage  en 
leur  montrant  péril,  justice,  religion,  patrie;  leur  faire 
sentir  que  ces  grandes  choses  se  trouvoient  naturellement 
en  leurs  mains,  les  piquer  d'honneur  d'immortaliser  leur 
tenue  et  leurs  personnes  par  se  rendre  les  libérateurs  de 
tout  ce  qui  est  le  plus  sacré  et  le  plus  cher  aux  hommes  ; 
conduire  de  l'œil  l'effet  résultant  de  ce  soufîle  ;  inculquer 
le  secret  sur  l'impression  et  la  résolution,  non  qu'il  se  pût 
espérer  tel  qu'il  seroit  nécessaire,  mais  pour  contenir  au 
moins  et  procéder  par  chefs  accrédités,  qui  mènent  le 
gros  sur  parole,  sans  trop  s'expliquer  avec  eux.  Si  la  mol- 
lesse, les  délais,  les  embarras  font  craindre  nul  succès,  ou 
un  succès  équivoque,  s'arrêter  doucement,  laisser  évapo- 
rer le  projet  en  fumée,  où  personne  n'auroit  paru  direc- 
tement. Discours,  propos,  réflexions  en  l'air,  rien  de  M.  le 
duc  d'Orléans  ni  d'aucun  personnage  ;  tous,  occupés  de 
l'accablement  d'affaires,  ont  ignoré  ces  raisonnements,  ou 
n'en  ont  ouï  parler  qu'à  bâtons  rompus  et  foiblement,  et 
n'ont  seulement  pas  pris  la  peine  de   les  ramasser.    Que 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  83 

fera  M.  du  Maine?  A  qui  s'en  prendra-t  il?  Que  peut-il  de 
pis  que  ce  qu'il  a  fait?  Au  contraire,  timide  comme  il  est, 
il  sera  souple,  tremblant,  et,  pourvu  qu'il  échappe,  pren- 
dra tout  pour  bon,  et  sera  le  premier  à  se  moquer  de  pro- 
pos chimériques,  à  les  dire  tels  dans  la  frayeur  qu'ils  ne 
se  réalisent,  et  que  le  cas  qu'il  en  feroit  par  ses  plaintes 
ne  l'engageât  plus  loin  qu'il  n'oseroit.  Si,  au  contraire, 
on  voyoit  bien  distinctement  les  Etats  prendre  résolument 
le  mors  aux  dents',  les  induire  à  ne  donner  pas  aux  bâ- 
tards cet  avantage,  par  l'entreprise  de  se  rendre  leurs 
juges,  de  revenir  dans  la  suite  en  inspirant  au  Roi  majeur 
de  défaire  un-  ouvrage  entrepris  sur  son  autorité,  et  dont 
l'exemple  toléré  et  laissé  en  son  entier  la  menace  des  plus 
dangereuses  entreprises,  mais  à  suivre  leur  objet  par  les 
moyens  les  plus  respectueux,  qui  ne  donnent  que  plus  de 
force  aux  plus  fermes,  et  se  garder  de  la  honte  de  donner 
dans  un  piège  tendu  pour  leur  faire  manquer  le  principal 
en  haine  de  l'accessoire.  Les  porter  à  s'adresser  au  Roi 
par  une  requête  en  leur  nom,  où  tout  ce  qui  vient  d'être 
exposé  soit  expliqué  d'une  manière  concise,  forte,  pres- 
sante, où  il  soit  bien  exprimé  que  le  Roi,  même  à  la  tête 
de  toute  la  nation,  n'a  pas  droit  de  donner  à  qui  que  ce 
soit,  ni  en  aucun  cas,  le  droit  de  succéder  à  la  couronne 
acquis  aux  mâles,  de  mâles  en  mâles,  d'aîné  en  aîné,  à  la 
maison  régnante,  à  laquelle  personne,  tant  qu'il  en  peut 
exister  un,  ne  peut  être  subrogé.  Montrerque  ce  pas  une 
fois  franchi  ne  reçoit  plus  de  bornes  ;  que  tous  les  bâtards 
futurs  remueront  tout  pour  atteindre  ceux  d'aujourd'hui  : 
qu'un  favori  peut  devenir  assez  puissant,  plus  aisément 
encore  un  premier  ministre,  pour  se  proposer  et  pour 
arriver  au  même  but,  et  qui  auront  encore  pour  eux  une 
naissance  illustre,   du   moins    honnête   et  légitime,   non 

1 .  «  On  dit  qu'un  cheval  prend  le  mors  aux  dents  pour  dire  qu'il  se 
rend  maître  du  mors  avec  ses  dents,  de  manière  qu'on  ne  peut  plus  le 
retenir  »  (^Académie,  1718).  —  Saint-Simon  écrit  mords. 

2.  Il  y  a  va  en  interligne,  au-dessus  d'une  /',  biffée. 


U  MKMOIRES  |l71o| 

adultérine,  rt-prouvi-e  de  Dieu  et  tics  homnit's,  et  cjui, 
jusqu'à  ces  doubles  adulU'-iIns  aj>pelés  à  la  couronne,  ne 
l'avoient  pas  seulement  pu  rire  aux  droits  les  plus  com- 
muns de  la  société,  et  n'avoient  jamais  été  tirés  du  néant 
et  des  ténèbres;  enfin  qu'il  n'y  a  pas  plus  loin,  et  peut- 
être  beaucoup  moins,  dès  que  tout  pouvoir  est  reconnu 
en  ce  genre  par  l'admission  de  son  exercice,  à  intervertir 
l'ordre  de  la  succession  entre  ceux  qui  sont  reconnus  ha- 
biles à  succédera  la  couronne,  qu'à  donner  cette  habilité' 
à  ceux  que  leur  naissance  n'y  appelle  pas,  encore  plus  à 
ceux  dont  le  vice  infamant  de  la  naissance  les  enterre 
nécessairement  dans  la  plus  épaisse  obscurité  du  non- 
être,  sans  état  et  sans  droit  à  nulle  succession,  ni  dona- 
tion même  la  plus  ordinaire,  pas  même  de  faire  passer  la 
leur  à  leurs  enfants  légitimes  s'ils  ont  acquis  quelque 
bien.  S'arrêter  à-  la  réflexion  de  ce  qui  seroit  arrivé  de 
la  France  et  de  toute  la  maison  l'égnante,  si  ce  droit  de 
disposer  de  la  couronne  avoit  été  par  l'usage  reconnu  dans 
les  rois,  si  les  fils  de  Philippe  le  Bel  avoienl  piéféré  leur 
sœur'  à  un  parent  aussi  éloigné  que  Philippe  de  Valois, 
et  si  les  fils  d'Henri  11%  gouvernés  par  Catherine  de  Mé- 
dicis,  par  sa  haine  pour  Henri  IV,  par  sa  prédilection 
pour  sa  fille  de  Lorraine  ■,  par  un*  prétexte  de  religion 
qui  avoit  les  plus  grands  appuis,  eussent  préféré  cette 
sœur  à  un  parent  aussi  éloigné  qu'Henri  IV,  qui  sans  cela 
eut  tant  de  peines  et  de  travaux  à  essuyer  pour  se  mettre 
à  coups  d'épée  en  possession  du  royaume  qui  lui  appar- 
tenoit,  et  qu'il  acheta  encore  par  tant  de  traités,  de  rail- 
lions et  d'établissements  de  la  Ligue,  qui    lui  avoit  pensé 

1.  Ici  il  y  a  bien  habilité,  i-t  plus  liaut  toujours  habileté. 

-2.  Avant  à,  il  y  a  enfin,  bifl'é. 

3.  Isabelle,   femme  d'Edouard  II,   roi  d'Angleterre:   tome   XXIII, 
p.  153,  note  o. 

•4.  H.  III  corrigé  en  H.  II. 

o.  Claude  de  France:  tome  XV,  p.  24. 

6.  Une  corrigé  en  un. 


[ni.-i]  DE   SAINT-SIMON.  85 

arracher  la  couronne  tant  de  fois  pour  la  poiter  dans  une 
maison  étrangère  ;  enfin  ce  qui  seroit  arrivé  de  l'État  et  de 
la  maison  de  France,  si  ce  droit  reconnu  de  disposer  de 
la  couronne  eût  eu  la  force  des  exemples,  du  temps'  de 
Charles  VI  et  d'Isabeau  de  Bavière,  qui  déshéritèrent  le 
Dauphin  et  toute  leur  maison-,  et  firent  couronner  dans 
Paris  le  roi  d'Angleterre  leur  gendre'*  et  reconnoître  roi 
régnant  de  France,  sans  droit  aucun,  ni  même  idée  de  ce 
droit.  On  sait  les  suites  d'une  telle  entreprise,  qui  fit  ver- 
ser tant  de  sang,  qui  épuisa  tant  de  trésors,  qui  mit  si 
longtemps  la  France  à  deux  doigts  de  sa  perte  et  de  son 
entier  renversement.  La  richesse,  l'importance,  la  réalité 
effective  d'une*  matière  qui,  pour  ainsi  dire,  comprend 
tout,  ne  doit  rien  perdre  par  le  lâche  et  le  diffus  d'une 
vaine  éloquence.  Tout  y  doit  faire  voûte ^  et  se  contre- 
tenir^  par  toute  la  force  dont  elle  est'  si  grandement  sus- 
ceptible; rien  d'inutile,  tout  concis,  tout  serré,  tout  en 
preuve  et  en  chaîne  sans  interruption. 

Il  est  donc  important  d'avoir  cette  requête  toute  prête 
pour  ne  la  pas  laisser  au  différent  génie  de  tant  de  gens 
qui  ne  s'accorderoient  qu'en  des  longueurs  très  périlleuses, 
mais  en  forme  de  canevas,  pour  ménager  leur  vanité,  et 
s'avantager  de  leur  paresse  et  des  jalousies  en  leur  pro- 
posant ce  canevas  à  mettre  en  forme  à  leur  gré,  ce  qu'ils 
retoucheront  sans  peine  et  en  peu  de  temps,  assez  pour 
compter  qu'entre  leurs  mains  il  est  devenu  leur  ouvrage, 

1.  Ce  qui  serait  arrivé....  à  l'époque  de  Cliarles  VI. 

2.  Par  le  traité  de  Troyes,  signé  le  "li  mai  iii\ . 

3.  Henri  V,  roi  d'Angleterre,  monté  sur  le  trône  en  14i3  et  mort 
en  ■i42'2,  avait  épousé  le  '2  juin  1420  Catherine  de  France,  tille  de 
Charles  VI  et  d'Isabeau  de  Bavière. 

4.  D'une  corrige  de. 

o.  C'est-à-dire,  se  soutenir  et  se  renforcer  comme  les  divers  vous- 
soirs  d'une  voûte. 

6.  Ce  verbe  n'était  pas  donné  par  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de 
1718. 

7.  Ce  mot,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne. 


80  MÉMOIRES  \\-\r.] 

ce  qu'il  est  très  iinporliiiil  cju  ils  se  ptrsiuulenl  bien.  Il  y 
a  toujours  dans  ces  nombreuses  assemblées  des  chefs  effec- 
tifs à  divers  étai,'es  (jui,  sans  en  avoir  le  nom  ni  le  carac- 
tère, en  ont  la  coiiliance  et  l'autorité  par  l'estime,  par 
l'adresse,  par  une  mode  (]ue  le  hasard  établit,  et  que  la 
conduite  soutient  jusqu'à  les  i-endre  presque  maîtres  de 
tourner  les  esprits  et  les  délibérations  où  ils  veulent.  C'est 
ceux-là  qu'il  faut  de  bonne  heure  reconnoître  et  persua- 
der, pour  avoir  pai'  eux  toute  l'assemblée,  et  certes  on 
n'eut  jamais  plus  beau  jeu  qu'à  mettre  de  telles  vérités  en 
évidence,  et  à  toucher  les  hommes  par  ce  qui  est  tout  à  la 
fois  le  plus  intéressant  par  toutes  les  parties  les  plus  sen- 
sibles, le  plus  important  et  le  plus  raisonnable  par  tout 
ce  qu'il  s'y  peut'  faire  de  sages  réflexions,  de  plus  odieux 
et  de  plus  périlleux  en  soi  et  par  ses  suites,  enfin  de  plus 
juste,  de  plus  nécessaire,  de  plus  instant,  de  plus  essen- 
tiel à  arrêter  pour  jamais  par  une  punition  qui,  propor- 
tionnée aux  attentats,  mette  pour  jamais  à  l'abri  de  Titans 
et  d'usurpateurs  possibles  la  nation,  la  couronne,  et  l'uni- 
que maison  qui,  tant  qu'elle  dure,  y  a  un  droit  unique  et 
exclusif  acquis,  qui  assure  à  jamais  le  repos  et  la  tran- 
quillité publique  à  cet  égard,  et  la  prééminence^  si  dis- 
tinctivc  de  cette  maison  sur  toutes  les  autres  maisons  du 
monde.  On  ne  peut  donc  donner  trop  d'adresse,  de  déli- 
catesse et  de  soins  pour  dignement  et  nerveusement  ' 
dresser  ce  canevas,  le  faire  promptement  tourner^  et  adop- 
ter parles  Etats  en  requête,  la  leur  rendre  leur  et  comme 
le  chef-d'œuvre  de  leur  sagesse  et  de  leur  poids,  surtout 
la  leur  montrer  sans  danger,  par  l'impuissance  de  ceux 
qu'elle  regarde  contre  une  multitude  qui  représente  le 
corps  de   la  nation.    Ne    point  laisser  d'intervalle   entre 

1.  Avant  peut,  il  a  bifTé  fa[i(]. 

2.  Avant  prééminence,  il  a  biffé  distinction. 

3.  D'un  style  nervi  ux,  ploin  de  force  et  de  solidité.  Le  Dictionnaire 
de  l'Académie  âo  1718  no  donnait  pas  cet  adverbe. 

4.  Le  t  de  tourner  surcharge  l'abréviation  d'  et. 


[4715]  DE  SAINT-SIMON.  87 

l'adoption  de  la  requête  et  sa  présentation,  pour  éviter  les 
mouvements  et  les  artifices  du  duc  du  Maine,  en  quoi  il 
s'est  montré  si  grand  maître,  et,  par  les  mêmes  moyens 
qu'on  sera  parvenu  à  l'adoption  de  la  requête,  et  à  la 
résolution  de  la  présenter,  n'y  pas  perdre  un  seul  instant, 
et,  s'il  est  possible,  sans  mettre  une  seule  nuit  entre- 
deux. Cette  présentation  est  l'engagement,  par  conséquent 
le  premier  coup  de  partie  et  celui  qui  entraîne  le  reste. 
Arrivés  à  ce  point,  la  mécanique  est  aisée.  Je  comptois 
que  Meudon  seroit  prêté  à  la  reine  d'Angleterre  pour  s'y 
tenir  avec  sa  cour  et  sa  suite,  et  laisser  Saint-Germain  libre 
aux  Etats  généraux,  où,  à  tous  égards,  ils  auroient  été 
fort  bien,  ni  trop  loin  ni  trop  près  de  Paris,  et  M.  le  duc 
d'Orléans  en  liberté  de  tenir  le  Roi  à  Paris,  à  Versailles, 
à  Marly,  comme  il  l'auroit  voulu,  pour  en  différents  temps 
s'approcher  ou  s'éloigner  davantage  de  Saint-Germain. 
C'est  dans  le  salon  de  Marly  où  il  auroit  fallu  destiner  les 
audiences  à  donner  par  le  Roi  aux  Etats,  comme  un  lieu 
vaste,  commode,  dégagé  de  quatre  côtés,  joignant  l'ap- 
partement du  Roi  et  celui  du  Régent,  un  corps  de  maison 
isolé,  et  toutefois  enfermé  et  gardé,  et  à  une  lieue  de 
Saint-Germain. 

Aussitôt  donc  que  la  requête  par  le  vœu  des  États  seroit 
prête  à  être  présentée,  partir  tous  en  corps,  et  ne  prendre 
que  le  temps,  toujours  assez  long,  d'un  pareil  embarque- 
ment dans  les  carrosses  qu'on  auroit  pris  partout  où  on 
auroit  pu,  mais  dont  sous  main  on  auroit  fait  rencontrer 
sous  divers  prétextes'  le  plus  qu'on  auroit  pu  sans  rien 
marquer  ;  prendre,  dis-je,  ce  temps  pour  envoyer  devant 
quelques  députés  au  Régent,  l'avertir  de  la  résolution 
prise  de  venir  en  corps  trouver  le  Roi,  desquels-  ils  sont 
chargés^  de  supplier  Son  Altesse  Royale  de  les  conduire  à 

4.  Il  y  a  prétexte,  au  singulier,  dans  le  manuscrit,  sans  doute  par 
inadvertance. 

2.  Desquels  corrige  auquel,  et,  avant  sont,  il  y  a  estaient,  biffé. 

3.  Par  lesquels  Etats  ils  sont  chargés. 


Ms  Mi:"\i()[i\ES  \ri\-\] 

Sa  Majoslé'  pour  lui  demander  audience,  et  lui  dire  «ju'ils 
sont  (Ml  elieiiiin  et  qu'ils  vont  arriver.  Il  ne  sera  pas  inu- 
tile (ju'il  V  ait  (|uel(|ue  ilispute  entre  le  Régent  et  eux  sur 
Tallaii-e  qui  les  amène,  dont  les  députés  éviteront  de  s'ex- 
pliquer clairement,  et  même  devant  le  Roi.  C'est  à  l'adresse 
du  Régent  à  s'y  conduire  avec  délicatesse,  entre  trop 
d'inquiétude  et  trop  de  froideur,  sur  une  explication  plus 
précise  qu'il  se  faut  bien  garder  de  causer  pour  éviter 
rembarras  qu'elle  feroit  naître,  et  qu'il  faudroit  pourtant 
surmonter,  et  pour  ne  pas  émousser  i'efîet  de  la  surprise 
et  de  tout  ce  qui  l'accompagne,  qui  ne  pourra  qu'être 
grand,  quelque  chose  qu'il  est  impossible  qu'il  n'en  ait 
transpiré  alors.  Les  Etats,  arrivant  vers  la  chapelle,  où  on 
met  pied  à  terre,  seront  conduits  au  Roi,  rencontrés  en 
chemin  dans  le  petit  salon  parle  Régent,  non  par  cérémo- 
nial, mais  voulant  savoir  plus  clairementce  qui  les  amène, 
ne  laissant  pas  de  s'avancer-  toujours,  et  d'arriver  avec 
eux  jusqu'au  Roi,  sans  avoir  été  plus  satisfait.  Une  très 
courte  et  très  respectueuse  harangue  annoncera  l'excès  de 
l'importance  de  ce  qui  les  amène  ainsi  aux  pieds  du  Roi, 
et  finira  par  lui  demander  la  permission  de  lui  présenter 
leur  très  humble  requête,  et  de  leur  permettre  d'attendre 
à  Marly  qu  il  lui  ail  plu  de  la  faire  examiner  par  son  Con- 
seil^, persuadés  quelle  y  sera  trouvée  si  simple,  si  impor- 
tante, si  juste,  cjue  l'examen  n'en  pourra  être  long  et  qu'il 
leur  sera  favorable.  La  recevoir  et  la  faire  examiner  n'est 
pas  chose  qui  se  puisse  refuser.  Le  Roi  se  retirera  dans 
son  appartement  et  le  Régent  dans  le  sien,  avec  les  dépu- 
tés à  la  suite  de  l'aifaireS  qui  aloi's  s'en  expliqueront  net- 
tement. Débat  entre  eux  et  le  Régent,  qui  ne  trouvera  pas 

1.  Les  mots  à  S.  M.  sont  en  intorligno. 

2.  L'clision  s'  surcliarge  une  m. 

3.  Le  conseil  de  régence,  et  non  le  conseil  d'Etat,  comme  on  va  le 
voir  clairement  plus  loin. 

4.  Les  députés  commis  à  la  suite  de  l'affaire,  coniinr'  il  v;i  rire  rlil 
plus  clairement  dans  les  lignes  suivantes. 


flTIal  DE  SAINT-SIMON.  f^O 

que  ce  soit  chose  à  répondre  ainsi  sur-le-champ,  et  eux 
qui  ne  se  laisseront  point  persuader  de  quitter  prise,  et 
qui  protesteront  que  les  Etats  sont  résolus  de  ne  pas  sortir 
du  salon,  aux  portos  duquel  il  sera  bon  qu'il  y  ait  plus 
que  les  Suisses  ordinaires,  pour  empêcher  l'entrée  aux 
gens  suspects.  Les  députés  ne  manqueront  pas  de  récuser 
ceux  du  Conseil  que  leur  requête  regarde;  et  finalement 
le  Conseil  sera  mandé  et  assemblé  sur-le-champ.  M.  le 
duc  d'Orléans  y  marquera  sa  surprise  sans  s'engager  en 
grand  discours,  et  plus  encore  son  étonnement  et  son  em- 
barras de  l'opiniâtre  résolution  des  Etats  à  demeurer  dans 
le  salon  jusqu'à  la  réponse  à  leur  requête,  pour  communi- 
quer au  Conseil  le  même  embarras  et  le  même  étonne- 
ment. Ce  sera  après  à  son  adresse,  à  sa  délicatesse,  à  son 
esprit,  à  son  poids,  à  ne  s'ouvrir  sur  rien  que  sur  l'impor- 
tance de  la  requête,  l'état  violent  et  plus  qu'embarrassant 
qui  naît  de  cette  attente  opiniâtre  des  Etats  généraux  dans 
le  salon,  la  nécessité  extrême  de  les  ménager,  profiter  de 
l'absence  de  ceux  que  la  requête  regarde,  nécessairement 
abstenus  du  Conseil,  et  de  l'intérêt  et  de  la  bonne  volonté 
qu'il  peut  trouver  dans  les  autres  membres,  et  faire  con- 
clure que  la  requête  sera  renvoyée  par  le  Roi  au  Parle- 
ment pour  y  être  jugée,  les  pairs  mandés  de  s'y  trouver 
par  le  Roi,  comme  étant  cause  très  majeure.  Laisser  les 
portes  fermées,  passer  par  le  petit  salon  avec  le  Conseil 
dans  le  cabinet  du  Roi,  lui  rendre  compte  de  la  résolu- 
tion, repasser  chez  lui'  avec  le  Conseil,  mander  dans  le 
salon  les  députés  commis  à  la  suite  de  l'affaire,  leur  remet- 
tre le  résultat-  du  Conseil  signé  de  lui,  de  tout  le  Con- 
seil et  du  secrétaire  d'État  qui  en  tient  le  registre,  et  en 
leur  présence  lui  ordonner  d'aller  expédier  sur-le-champ 

1.  Les  mots  chez  luy  sont  en  interligne  au-dessus  d'un  premier  c/(es 
luy,  biffé. 

2.  Avant  résultat,  il  u  biffé  résiliât,  mal  écrit.  —  On  a  vu  dans  nos 
tomes  IV,  p.  374,  note  2,  et  VII,  p.  287,  que  ce  nom  de  résultat 
s'appliquait  aux  décisions  du  conseil  d'Etat  prises  après  délibération. 


90  MÉMOIRES  [17151 

\o  renvoi  de  leur  reijurte  et  de  la  leur  envoyer  à  Saint- 
Germain.  Les  députés  demanderont  que  le  Roi  veuille 
bien  recevoir  le  très  humble  remerciement  des  Etats,  ajou- 
teront que  cependant'  le  renvoi  pourra  être  expédié,  et 
déclareront  que  les  États  ne  partiront  point  de  Marly  qu'ils 
n'aient  toutes  les  lettres  et  expéditions  nécessaires.  Alter- 
cation encore  là-dessus,  fermeté  d'une  part,  complaisance 
enfin  de  l'autre  sur  une  chose  qui  n'emporte  rien  de  plus 
que  ce  qui  est  accordé.  Les  députés  retourneront  dans  le 
salon  rendre  compte  du  succès  de  leur  requête,  tandis  que 
le  Régent,  suivi  du  Conseil,  passera  chez  le  Roi  pour  le 
suivre  à  l'audience  de  remerciement  qu'il  ira  donner  aux 
États.  Ce  remerciement  sera  pathétique  sur  l'importance 
de  l'aiïaire,  énergique  sur  la  fidélité  et  l'attachement.  Le 
Roi,  le  Régent  et  le  Conseil  à  sa  suite  retirés-,  les  États 
iront  par  leurs  députés  remercier  le  Régent  et  le  Conseil 
retournés  chez  lui,  attendront  leurs  expéditions,  les  exa- 
mineront bien  en  les  recevant  des  mains  du  secrétaire 
d'État,  et  s'en  retourneront  avec  à  Saint-Germain. 

Le  premierprésident,  le  doyen  du  Parlement  et  les  gens 
du  Roi  seront  mandés  le  lendemain  pour  recevoir  du  Roi, 
en  présence  et  par  la  bouche  du  Régent,  les  ordres  con- 
formes au  renvoi,  et  pour  leur  recommander  l'importance 
de  l'afTaire,  tant  en  elle-même  que  par  la  dignité  des  États 
et  la  considération  de  ceux  qu'elle  regarde.  C'est  après  à 
M.  le  duc  d'Orléans  à  se  savoir  lestement  tirer  d'intrigue 
dans  sa  famille:  surprise,  force,  embarras  de  pareille  dé- 
marche, et  si  opiniâtre,  et  de  savoir  adroitement  profiter 
de  la  gravité  des  raisons,  des  dispositions  des  juges,  du 
poids  de  ce  grand  nom  d'États  généraux,  et  de  la  nature 
d'une  affaire  qui  n'est  embarrassée  ni  de  lois  diverses',  ni 

4.  Pendant  ce  temps-là. 

2.  Le  mot  retirés  a  été  ajouté  en  interligne. 

3.  Diverses  est  en  interligne  au-dessus  de  p^  et  contre,  biffé,  et, 
par  une  première  correction,  Saint-Simon  avait  remplacé  et  par  un  ou 
en  interligne,  qu'il  a  aussi  biffé. 


[17in]  DE   SAINT-SIMON.  01 

d'ordonnances,  ni  de  coutumes,  ni  d'arrêts,  ni  de  procé- 
dures, et  qui  s'offre  toute  entière  de  première  vue,  pour 
accélérer  et  terminer  au  gré  de  pleine  et  entière  justice  et 
de  barrière  inaltérable  à  l'avenir  ;  enfin,  dans  le  jugement 
et  après  le  jugement,  de  distinguer  entre  les  deux  frères 
l'innocent  d'avec  le  coupable,  suivant  leur  mérite  à  cha- 
cun. La  suite  a  bien  fait  voir  combien  j'avoiseu  raison  de 
concevoir  ce  dessein,  et  combien  celui  à  qui  il  étoit  si  né- 
cessaire et  à  qui  il  devoit  être  si  doux,  en  étoit  peu  capa- 
ble en  effet,  quoique  il  eût  paru  le  goûter  et  le  sentir. 

Une  idée  sans  exécution  est  un  songe,  et  son  dévelop- 
pement dans  tout  ce  détail  un  roman.  Je  l'ai  compris 
avant  de  l'écrire;  mais  j'ai  cru  me  devoir  à  moi-même  de 
montrer  que  je  n'enfante  pas  des  chimères;  la  nécessité, 
l'importance,  l'équité  de  la  chose  par  la  foule  des  plus 
fortes  et  des  plus  évidentes*  raisons;  la  possibilité  et 
peut-être  la  facilité  en  présentant  la  disposition  des  esprits 
générale  alors,  et  une  suite  de  mécanique  qu'il  faut  en 
tous  projets  se  rendre  à  soi-même  claire  et  faisable  par  un 
mûr  examen  des  obstacles  et  des  difficultés  d'une  part, 
et  de  l'autre  des  moyens  de  réussir.  Un  roman  seroit  un 
nom  bien  impropre  à  donner  au  rétablissement  d'un  gou- 
vernement sage  et  mesuré,  au  relèvement  de  la  noblesse 
anéantie,  ruinée,  méprisée,  foulée  aux  pieds,  à  celui  du 
calme  dans  l'Eglise,  à  l'allégement  du  joug,  sans  attenter 
quoi  que  ce  soit  à  l'autorité  royale,  joug  qu'on  sent  assez 
sans  qu'il  soit  besoin  de  l'expliquer,  et  qui  a  conduit 
Louis  XIV  aux  derniers  bords  du  précipice;  à  laisser  au 
moins  à  la  nation  le  choix  du  genre  de  ses-  souffrances, 
puisqu'il  n'est  plus  possible  de  l'en  délivrer,  enfin  de  pré- 
server la  couronne  des  attentats  ambitieux,  de  conserver 
à  la  maison  régnante  l'éclat  de  sa  prérogative  si  unique- 
ment distinctive,  et  la  tranquillité  intérieure  de  l'État  du 

i.  Evidentes  corrige  evidendes,  et,  plus  loin,  possibilité  corrige 
possibilé. 

"1.  Ses  corrige  ces. 


02 


MKMOIHES 


Discussion 
entre  M.   le 
duc  d'Orléans 

et  moi 

>ur  la  manière 

d'établir 

et  de 

déclarer  sa 

récence. 


péril  du'  litaiiisnu'-.  rt  des  dangereuses  secousses  (ju'il  ne 
peut  uiauquci'  ti  en  it-ccvoii-,  puistjuc,  pour  des  choses  si 
monstrueusement  nouvelles,  on  est  contraint  de  l(>s  expri- 
mer par  des  mots  faits  pour  les  pouvoir  exprimer'.  Si 
des  projets  de  cette  qualité,  et  dont  l'exécution  est  rendue 
sensible,  n'ont  pas  réussi,  c'est  qu'ils  n'ont  pas  trouvé 
dans  le  temps  le  plus  favorable  un  régent  assez  ferme  et 
qui  eût  en  soi  assez  de  suite.  On  en  verra  d'autres,  dans 
le  cours  de  cette  année  et  des*  suivantes,  qui  ont  eu  le 
même  sort.  Dois-je  me  repentir  pour  cela  de  les  avoir 
pensés  et  proposés?  J'ai  toujours  cru  que  ce  n'étoit  pas  le 
succès  qui  décidoit  de  la  valeur  des  choses  qui  se  propo- 
sent, beaucoup  moins  quand  il  dépend  d'un  autre  qui 
néglige  de  les  suivre  ou  qui  ne  veut  pas  même  les  entre- 
prendre. Ce  qui  va  suivre  est  de  ce  dernier  genre. 

Après  de  longs  et  de  fréquents  tête-à-tête  sur  toutes  ces 
différentes  matières  entre  M.  le  duc  d'Orléans  et  moi, 
nous  vînmes  à  celle  de  la  régence.  Je  l'avois  fort  examinée, 
et  voici  comme  je  lui  en  parlai  et  ce  que  je  lui  proposai. 
Je  lui  dis  qu'il  ne  s'agissoit  point  ici  de  ces  régences  ré- 
glées par  les  rois  pendant  l'absence  qu'ils  vont  faire  hors"' 
de  leur  rovaume  et  qui  finissent  par  leur  retour,  mais  de 
celles  uniquement  que  la  mort  d'un  roi  et  la  minorité  de 
son  successeur  rendent  nécessaires.  Je  n'eus  pas  peine 
à  montrer  que  celles-là  tombent  de  droit  tellement  au  plus 
proche  du  Roi  mineur,  que  les  mères  et  les  sœurs  y  sont 
admises,  quoique  les  femelles  soient  exclues"  de  la  cou- 

1.  Les  mots  péril  du  ont  été  ajoutés  sur  la  marge. 

i.  Mot  forgé  par  Saint-Simon,  comme  il  va  le  dire  trois  lignes  plus 
loin.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  a  admis  seulement  de  nos  jours 
l'adjectif  titanique. 

H.  Ces  trois  mots  sont  on  interligne  au-dessus  déciles,  biffé. 

4.  Après  des  et  à  la  Kn  de  la  page  1590  du  manuscrit,  Saint-Simon 
a  biffé  sui,  le  mot  suivantes  étant  écrit  en  entier  au  commencement 
de  la  page  4591. 

5.  Hors  est  en  interligne,  et,  plus  loin,  finissent  corrige  finit. 
n.   Ainsi  dans  le  manu>crit  :  voyez  tome  XXVI,  p.  100.  note  i. 


[171n]  DE   SAINT-SIMON.  93 

ronne,  et  que  par  conséquent  ni  les  cabales  ni  quelque 
disposition  que  le  Roi  pût  taire,  il  n'étoit  pas  dans  le  pos- 
sible de  la  lui  ôter.  Qu'à  l'égard  de  la  brider,  ce  qui  ne 
se  pouvoit  tenter  que  par  des  dispositions  du  Roi  odieuses, 
il  savoit  ce  '  que  les  plus  sages  et  les  plus  solennelles 
étoient  devenues  aussitôt  après  la  mort  de  Charles  V  et  de 
Louis  XIII-,  qui  les  avoient  faites,  sur  lesquelles  il  n'y 
avoit  point  à  craindre  que  celles  du  Roi  eussent  de  l'avan- 
tage par  toutes  sortes  de  raisons  ;  que  néanmoins  il  falloit 
penser  à  s'en  garantir  en  ne  se  commettant  pas  avec 
imprudence  ;  que,  si  le  Roi  faisoit  des  dispositions 
là-dessus,  il  n'y  avoit  point  à  douter  qu'elles  ne  tendissent 
à  le  diminuer  pour  accroître  le  duc  du  Maine;  que,  sans 
me  départir  de  ce  que  je  lui  avois  dit  de  la  disposition  des 
esprits,  et  en  particulier  du  Parlement  sur  la^  grandeur 
des  bâtards,  surtout  sur  leur  apothéose,  il  falloit  songer 
que  le  premier  président  étoit  l'àme  damnée  de  M.  et  de 
Mme  du  Maine,  qui,  pour  leur  intérêt,  l'avoient  mis  à  la 
tête  du  Parlement,  dont  il  épouseroit  aveuglément  toutes 
les  volontés,  parce  que*,  brouillé  par  cet  attachement 
avec  Madame  la  Duchesse  et  les  princes  du  sang,  ne  pou- 
vant par  cela  même  s'assurer  de  Son  Altesse  Royale,  et 
mal  au  dernier  point  par  l'affaire  du  bonnet  avec  tant  de 
gens  considérables,  il  n'avoit  de  ressource  que  la  protec- 
tion du  duc  du  Maine,  et  par  conséquent  le  plus  vif  inté- 
rêt à  toute  sa  grandeur  et  son  pouvoir;  que,  tel  que  fût 
le  premier  président,  il  avoit  acquis  à  force  de  manèges 
du  crédit  dans  sa  Compagnie,  éblouie  de  son  jargon,  de  sa 
politesse,  de  l'attachement  qu'il  leur  avoit  persuadé  avoir 
pour  tous  les  avantages  de  la  Compagnie  et  de  ses  magis- 

1.  Ce  est  répété  deux  fois,  à  la  fin  d'une  ligne  et  au  commencement 
de  la  suivante. 

2.  Déjà  dit  dans  le  tome  XXV,  p.  2o6,  et  ci-dessus,  p.  56. 

3.  La  corrige  leur  et  des  bastards  a  été  ajouté  en  interligne. 

4.  L'abréviation   de  que  a  été   écrite    après  coup   entre  parce  et 
brouillé. 


94  MKMdlRKS  (4  71  S] 

trats,  enfin  par  ses  grands  airs,  sa  table,  sa  dépense,  et 
l'union  que  l'afTaire  du  bonnet  avoit  si  bien  rétablie 
entre  lui  et  les  présidents  à  mortier,  dont  quelques-uns 
auparavant  le  tenoient  en  brassière;  que  les  cabales  et  les 
bassesses  qui  ne  coùtoient  rien  à  M.  ni  à  Mme  du 
Maine,  qui  avoient  tant  fait  leurs  preuves  en  artifices 
et  en  noires  inventions,  étoient  indignes  de  tout  homme 
et  impraticables  pour'  Son  Altesse  Royale,  dans  le 
degré  surtout  où  elle  se  trouvoit  ;  qu'autre  chose  éloit  de 
présenter  un  colosse  dangereux  à  abattre  et  les  plus 
saintes  lois  à  préserver  d'une  ambition  démesurée  et 
toute-puissante,  autre  chose  d'entrer  en  concurrence  avec 
ce  colosse  sur  des  dispositions  du  Roi  en  sa  faveur  à  la 
diminution  de  l'autorité  d'un  régent;  qu'indépendamment 
d'équité,  le  Parlement  est  toujours  porté  à  se  croire  et  à 
faire,  autant  qu'il  en  trouve  les  occasions,  le  modérateur 
de  la  puissance,  puisqu'il  a  si  souvent  tenté  de  le  faire 
sentir  même  aux  rois,  à  plus  forte  raison  dans  une  entrée 
de  régence,  temps  de  foiblesse  dont-  ce  corps  a  toujours 
su  se  prévaloir;  que  le  même  amour-propre  qui  le  flatte- 
roit  d'avoir  à  prononcer  sur  le  renversement  du  colosse, 
si  la  cause  lui  en  étoit  déférée,  et  lui  feroit  goûter  la 
justice  et  les  raisons  d'user  du  pouvoir  de  le  renverser,  ce 
même  amour-propre  trouvera  sa  satisfaction  à  prononcer 
entre  le  régent  et  ce  colosse  ;  et,  comme  il  ne  s'agira  pas 
alors  de  le  détruire,  le  même  amour-propre  le  portera  à 
le  favoriser  sous  différents  prétextes  pour  faire  naître  une 
suite  de  divisions  dont  il  espérera  se  mêler  et  en  profiter, 
et  pour  avoir  un  puissant  soutien  de  sa  considération  et 
de  son  autorité,  qui  en  minorité  a  si  souvent  entrepris 
sur  l'autorité  royale,  qui  est  celle  dont  le  régent  est  re- 
vêtu et  qu'il  ne  doit  pas  laisser  entamer.  De  ce  raisonne- 
ment, qui  n'a  rien  de  contraire  à  la  disposition  du  Parle- 

1.  L'abréviation  p^  est  répétée  deux  fois,  par  méparde. 

2.  Dont  est  en  interligne,  au-dessus  d't/ù,  biffé,  et,  plus  loin,  les  mots 
iccu  se  prévaloir  sont  en  interligne,  au-dessus  de  de  profiter,  biffé. 


[i745j  DE  SAINT-SIMON.  9fi 

ment  contre  les  bâtards  et  leurs  grandeurs,  où  il  ne  s'agit 
pas  ici  de  remettre  dans  les  bornes,  il  sera  aisé  aux  ma- 
nèges du  duc  du  Maine  et  de  Mesmes  de  le  tourner  favo- 
rablement aux  prétentions  du  duc  du  Maine.  Ainsi  lutte 
indécente  et  inégale  et  publique,  et,  si  elle  bâte  mal  sui- 
vant ces  apparences,  quel  embarras  et  peut-être  quels  dés- 
ordres! certainement,  quel  lustre  et  quel  degré  de  con- 
tinuelles entreprises  du  Parlement,  qui  se  voudra  mêler 
de  tout  avec  autorité  I  quel  triomphe  et  quelle  dangereuse 
victoire  du  duc  du  Maine  !  quelle  honte  pour  le  Régent, 
et  quelle  situation  pendant  tout  le  cours  de  la  Régence  ! 
On  tremble  donc  avec  raison  en  pensant  jusqu'où  tout 
cela  peut  porter. 

Je  proposai  donc  à  M.  le  duc  d'Orléans  de  ne  s'y  pas    Aveu  célèbre 

,1  1  ,,  Ti-r-u  du  Parlement, 

commettre,  et  de  prendre  un  autre  tour.  Je  lui  tis  observer  ,^ 

qu'il  ne  s'étoit  fait  au  Parlement  que  les  deux  dernières  bouche 

régences.  On  n'y  avoit  jamais  songé  auparavant.  Le  duc  pré^[d^\^^ 

d'Orléans',  dépité  de  voir  la  régence  entre  les  mains  de  de  la 

Mme  de  Beauieu,  femme  du  frère  du  duc  de  Bourbon  Vacquene  y 

'      1     r^L      I       A  iri  séant,  de 

connétable  de  France-,  et  sœur  fort  aînée  de  Charles  V 111,        l'entière 
pendant  sa  minorité,  tenta  la  voie  de  se  plaindre,  et  de    incompétence 
demander  au  Parlement  justice  du  tort  qu'il  prétendoit      compagnie 
être  fait  à  son  droit  sur  la  régence.   La  réponse  célèbre  de 

que  le  premier  président  de  la  Vacquerie  lui  fit  en  plein       jÉtat  et 
Parlement  n'est  ignorée  de  personne,  et  se  trouve  la  même  de 

dans  toutes  les  Histoires  :  «  La  cour,  lui  dit  ce  magistrat,  gouvernement 
n'est  établie  que  pour  juger,  au  nom  et  à  la  décharge  du 
Roi,  les  procès  entre  ses  sujets,  et  nullement  pour  se  mêler 
d'aucune  affaire  d'État  ni  du  gouvernement,  où  elle  n'a 
pas  droit  d'entrer,  sinon  par  un  commandement  exprès 
de  Sa  Majesté.  »  Le  duc  d'Orléans,  lors  héritier  présomptif 

4.  Louis,  duc  d'Orléans,  plus  tard  Louis  XII.  Saint-Simon  a  déjà 
raconté  l'anecdole  qui  va  suivre,  «iaiis  le  tome  XXV,  p.  249-"2o0. 

2.  Anne  de  France,  tille  de  Louis  XI,  avait  épousé  Pierre  de  Bour- 
bon, seigneur  de  Beaujeu,  frère  du  connétable  Jean  II,  duc  de  Bour- 
bon :  tome  IV,  p.  42. 


MKMOIHES 


■i;.] 


Deux    uniques 

et  modernes 

exemples  de 

régences 

faites 

au  Parlement. 

Causes  de 

cette 
nouveauté. 


lie  la  cuuroiino,  et  (jui  y  succéda  à  Cliailts  \  1 1 1  sous  le  nom 
(le  Louis  XII,  no  put  tirer  autre  chose  du  Pai'lement.  Il 
prit  les  armes'  ;  il  n'y  fut  pas  heureux;  Mme  de  Beaujeu 
demeura  régente  sans  question  ni  difliculté,  et  son 
atlminislration  fut  bonne  et  heureuse  jusqu'à  la  majorité 
de  Charles  YIII.  Je  passe  Mme  d'Angoulème -,  qui  n'a  été 
régente  que  pendant  deux  absences  du  roi  François  1""% 
son  fds,  qui  l'établit  en  partant,  et  la  reine  Marie-Thérèse, 
que  le  Roi  établit  deux  fois  régente  en  partant  pour  ses 
conquêtes*.  Ainsi,  jusqu'à  la  mort  d'Henri  IV,  nulle  men- 
tion du  Parlement  à  cet  égard. 

Personne  n'ignore  de  quelle  manière  le  parricide*  fut 
commis,  ni  les  ténèbres  qui  ont  couvert  un  si  grand 
crime.  Il  est  dillicile  aussi  de  se  refuser  d'en  deviner  la 
cause  que  ces  ténèbres  même  indiquent,  et  que  les 
Histoires  et  les  Mémoires  de  ces  temps-là  font  sentir,  et' 
même  quelque  chose  de  plus.  Cette  remarque  étoit 
nécessaire;  on  s'en  contentera.  Le  cas  étoit  unique.  Le 
Roi  mort  à  l'instant,  au  milieu  des  seigneui's  qui  étoieni 
dans  son  carrosse,  qu'ils  firent  retourner  au  Louvre  avec 
le  corps  du  Roi,  peu  de  grands  à  Paris,  le  prince  de  Condé 
hors  du  royaume,  le  comtedeSoissons  chez  lui®,  mécontent 
de  ce  qui  s'étoit  passé  sur  la  duchesse  de  Vendôme'  au 
couronnement  de  la  Reine-,  l'intérieur  intime  du  Louvre 

1.  Le  mot  ormes,  sans  doute  oublié,  a  été  ajouté  sur  la  marge  à  la 
lin  d'une  ligne. 

2.  Louise  de  Savoie,  duchesse  d'Angoulème  :  tome  IV,  p.  -43. 

3.  En  d6t)8  et  467-2. 

4.  C'est-à-dire  l'assassinat  de  Henri  IV. 

o.  Les  mots  font  sentir  et  sont  en  interligne,  au-dessus  à'' indiquent, 
biffé. 

6.  Henri  H  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  et  Cliarles  de  Bourbon, 
comte  de  Soissons. 

7.  Françoise  de  Lorraine-Mercœur,  qui  avait  épousé  en  juillet  1609 
César,  duc  de  Vendôme,  bâtard  de  Henri  IV  ;  elle  mourut  le  8  sep- 
cembre  i669. 

8.  Le  dissentiment  venait  de  ce  que  le  comte  de  Soissons,  prince 
du  sang  de  la  branche  de  Condé,  s'était  oflusqué  de  ce  que  Henri  IV 


[I7ir>|  DE  SAINT-SIMON.  Q? 

peu  étonné  et  gardant'  moins  que  médiocrement  les 
bienséances,  tout  occupé  d'assurer  toute  l'autorité  à  la 
Reine  pour  établir  la  leur  et  leur  fortune,  cette  princesse 
élevée  au-dessus  de  toute  foiblesse,  et  sans  distraction  sur 
tout  ce  qui  pouvoit  établir"  sa  pleine  et  entière  régence, 
on  courut  au  Parlement  pour  avoir  un  lieu  public  et 
solennel  et  un  corps  intéressé  à  soutenir  ce  qui  se  feroit 
dans  son  sein,  un  corps  encore  qu'on  avoit  à  ménager 
par  d'autres  raisons  plus  ténébreuses  et  qui  n'étoient  pas 
moins  importantes.  Le  duc  d'Epernou'*  environna  de  son 
infanterie  le  dehors  et  le  dedans  des  Grands-Augustins, 
où  le  Parlement  tenoit  ses  séances  depuis  que  le  Palais 
étoit  occupé  des  préparatifs  qui  s'y  faisoient  pour  les  fêtes 
qui  dévoient  suivre  le  couronnement  de  la  Reine.  Tout 
cela  se  fit  sur-le-champ.  M.  de  Guise^  et  lui  entrèrent  en 
séance,  et  la  Reine  y  fut  aussitôt  déclarée  régente",  en 
présence  de  trois  ou  quatre  autres  pairs  ou  officiers  de  la 
couronne,  qui  y  arrivèrent  l'un  après  l'autre.  Le 
murmure  fut  grand  d'une  nouveauté  si  subite  et  si 
précipitée  ;  force  mouvements  ranimés  par  la  prompte 
arrivée  et  les  plaintes  de  M.  le  comte  de  Soissons,  et 
depuis  encore  par  le  retour  du  prince  de  Condé  et  ses 
prétentions.  Mais  la  chose  étoit  faite,  et  la  déprédation  des 
trésors  d'Henri  IV,  déposés  à  la  Bastille  pour  l'exécution 
de  ses  grands  desseins,  et  la  guerre  de  Clèves^,  achevèrent 

avait  décidé  que  la  duciiesse  de  Vendôme  porterait,  au  couronnement 
de  Marie  de  Médicis,  une  robe  semée  de  fleurs  de  lys  comme  les  prin- 
cesses du  sang  (Mémoires  du  cardinal  de  Richelieu,  édition  de  la 
Société  de  l'histoire  de  France,  tome  I,  p.  60). 
i.  Ce  mot  surcharge  un  autre  mot  illisible. 

2.  Avant  establir,  il  y  a  asseurer,  biffé. 

3.  Jean-Louis  de  Nogaret  de  la  Valette. 

4.  Henri  l'"'  de  Lorraine. 

5.  Mémoires  de  Richelieu,  tome  l,  p.  00-6O. 

6.  Saint-Simon  veut  parler  de  l'expédition  laite  en  Allemagne  en 
1610  par  l'armée  française  commandée  par  le  maréchal  de  la  Châtre, 
pour  régler  la  succession  du  duché  de  Clèves. 

MÉMOIRES   DE   SAINT-SIMON.   XXVil  7 


98 


MEMOIRES 


[iTir.] 


d'affermir  l'autorité  de  la  Hi'gente,  ou  plutôt  des  gens  qui 
la  gouveriioient.  C'est  le  premier  exemple  d'une  régence 
faite  au  Parlement.  On  laisse  à  juger  et  des  causes,  et 
de  la  manière,  et  du  droit  qu'il  peut  avoir  acquis  au 
Parlement. 

Le  second  exemple  est  tout  de  suite,  lorsque  la  mort  la 
plus  sainte  et  la  plus  héroïque  couronna  la  vie  la  plus 
illustre  et  la  plus  juste,  et  en  fit  à  tous  les  rois  la  plus 
sublime  leçon.  La  valeur  de  Louis  XIII,  si  utilement  bril- 
lante lors  du  malheur  de  Corbie,  aux  îles  de  la  Hochelle, 
au  siège  de  cette  ville  et  à  tant  d'autres  exploits,  au  célè- 
bre Pas-de-Suse,  en  Roussi  lion  et  partout',  où  sa  conduite 
ne  fut  pas  moins  admirable;  la  sagesse  de  son  gouverne- 
ment, le  discernement  de  ses  choix,  l'équité  de  son  règne, 
la  piété  de  sa  belle  vie-,  tant  de  vertus  enfin  si  relevées^ 
par  sa  rare  modestie,  et  le  peu  qu'il  comptoit  tout  ce  qui 
n'est  point  Dieu;  ses'  victoires,  ses  succès,  qui  arrêtèrent 
ceux  de  la  maison  d'Autriche,  et  qui  anéantirent  le  parti 
protestant,  qui  faisoit  un  Etat  dans  l'Etat,  au  point^  que 
le  Roi  son  fils  n'a  plus  eu  besoin  que  de  la  simple  révo- 
cation d'un  édit  pour  le  proscrire;  l'utile^  protection 
donnée  à  ses  alliés,  et  sa  fidélité  à  ses  traités,  tant  de 
grandes  choses  n'avoient  pu  le  préserver  des  malheurs 
domestiques,  augmentés  sans  cesse  par  vingt  ans  de  sté- 
rilité" de  la  Reine.  Arrivé  lentement  à  sa  fin,  pour  le 
malheur  de  la  France  et  de  l'Europe  entière,  à  un  âge 
qui  n'est  souvent  que  la  moitié  de  celui  des  hommes,  il 

1.  Les  mots  en  Roussillon  et  partout  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

2.  Belle  vie  est  en  interlif;ne,  à  la  suite  de  vie,  hiïîé,  et  au-dessus 
de  conduitte,  également  bitfé. 

3.  Relevés  coirigé  en  relevées. 

4.  Avant  ses  victoires,  il  y  a  enfin,  biflé. 

5.  Les  neuf  derniers  mots,  depuis  qui  faisoit,  ont  été  ajoutés  en 
interligne. 

6.  L'utile  surcharge  la,  et,  plus  loin,  donnée  à  est  en  interligne 
au-dessus  de  de,  bifTc. 

7.  Saint-Simon  a  biffé  une  s  mise  par  mégarde  à  la  fin  de  ce  mot. 


[d7i51  DE  SAINT-SIMON.  99 

ne  la  regarda  que  comme  sa  délivrance  pour  s'envoler  à 
son  Dieu,  et  il  profita  de  la  tranquillité,  de*  la  paix,  de 
la  liberté  de  l'esprit  que  lui  conserva  si  parfaitement  ce 
Dieu  de  justice  et  de  miséricorde,  pour  se  rendre  plus 
digne  d'aller  à  lui  par  les  ordres  si  judicieux^  que  la  sa- 
gesse, l'expérience^  et  la  connoissance  des  choses  et  des 
personnes  lui  firent  dicter  au  milieu  des  douleurs  de  la 
mort  sur  tout  ce  qu'il  crut  possible  et*  nécessaire  de  régler 
pour  l'administration  de  l'Etat  après  lui,  et  balancer  au 
moins  avec  prudence  et  harmonie  ce  qui  ne  pouvoit  être 
remis  en  d'autres  mains.  Tout  donné  ce  qui  étoit  vacant, 
tout  réglé  ce  qui  étoit  à  faire  après  lui,  il  le  voulut  rendre 
public,  et  le  consacrer,  pour  ainsi  dire,  par  le  consente- 
meui  des  personnes  les  plus  proches  comme  les  plus  inté- 
ressées, et  par  l'approbation^  de  tout  ce  qu'il  put  assem- 
bler de  grands  et  de  personnes  considérables  de  sa  cour, 
et  de  gens  graves  tels  que  son  Conseil  et  les  principaux 
magistrats.  Tous  admirèrent  tant  de  présence  d'esprit,  de 
sages  combinaisons,  de  sagacité  et  de  prudence  ;  tous  en 
furent  pénétrés.  La  Reine  promit  solennellement  de  s'y 
conformer,  Monsieur  ensuite  et  Monsieur  le  Prince,  et  tous 
ceux  qui  étoient  nommés  pour  former  le  Conseil.  La 
Reine  et  ceux  qui  la  gouvernoient  n'en  furent*^  pas  moins 
effrayés  des  contre-poids  établis  à  l'autorité  de  sa  régence. 
Monsieur,  foible,  facile",  de  tout  temps  lié  avec  la  Reine, 

1.  Avant  ce  de,  il  y  a  un  et  biffé. 

2.  Le  manuscrit  porte  les  odre  si  judicieux. 

3.  Il  y  a  un  et  biffé  encore  avant  ce  mot. 

4.  Cet  et  a  été  répété  en  interligne  par  Saint-Simon,  quoiqu'il  existât 
déjà  dans  la  ligne. 

5.  L'approbation  corrige  par  surcharge  le  consentem'-. 

6.  Il  y  a  fut  dans  le  manuscrit;  mais,  trois  mots  plus  loin,  Saint- 
Simon  a  corrigé  effrayée  en  effiayés. 

7.  Le  cardinal  de  Retz,  dans  ses  Mémoires  (édition  des  Grands  écri- 
vains, tome  11,  p.  -173),  a  caractérisé  avec  vigueur  cette  faiblesse  de 
Gaston  d'Orléans  :  «  Comme  elle  régnoil  dans  son  cœur  par  la  frayeur 
et  dans  son  esprit  par  l'irrésolution,  elle  salit  tout  le  cours  de  sa  vie. 


100  MK.MOlliKS  |l71;q 

jusque  dans  tous  ses  écarts,  pris  sur-le-cliainp  au  dépourvu 
sans  le  secours  de  ceux  qui  le  conduisoient,  se  laissa  en 
chanter  aux  flatteries  de  la  Reine,  et  crut  n'être  que  plus 
puissant  en  serrant  son  union  avec  elle  par  le  sacrifice  de 
sa  part  de  l'autorité  que  lui  avoit  donnée  la  disposition 
dont  on  vient  de  parler.  Lui  gagné.  Monsieur  le  Prince, 
attaqué  tout  de  suite  par  la  Reine  et  par  Monsieur,  n'osa 
résister  et  céda;  à  ces  si  principaux  exemples,  tout  le 
Conseil  renonça  tout  de  suite,  chacun  à  sa  voix  nécessaire, 
délibérativc,  inamissible',  et,  une  heure  après  la  mort  du 
Roi  tout  au  plus,  tout  ce  qu'il  avoit  si  sagement  prévu  et 
fait  se  trouva  renversé,  et  l'autorité  entière  et  absolue  dé- 
volue à  la  Reine  privativementà  tous-.  C'étoit  là  un  grand 
pas  de  fait;  mais  l'embarras  fut  que  la  disposition  avoit 
été  rendue  publique,  et  lue  tout  haut  en  présence  du 
Roi  et  de  tous  ceux  qui  ont  été  nommés,  et  approuvée  et 
ratifiée  de  tous.  Cette  publicité  ne  se  pouvoit  détruire  que 
par  une  autre.  Le  Parlement,  qui  y  avoit  été  mandé,  y 
avoit  eu  la  même  part  par  ses  principaux  magistrats. 
On  craignit  les  mouvements  de  cette  Compagnie,  el, 
à  son  appui,  le  repentir  de  Monsieur  et  de  Monsieur  le 
Prince.  On  voulut  donc  ménager  et  flatter  le  Parlement^ 
pour  lever  tout  obstacle.  Le  dernier  exemple  autorisoit 
l'imitation  et  frayoit  le  chemin.  Dès  l'après-dinée, 
car  le   Roi   mourut  dans   la    fin   de  la  matinée,  on  pra- 

II  entra  dans  toutes  les  afTaircs,  parce  (ju'il  n'avoil  pas  la  force  de 
résister  à  ceux  qui  l'y  entraînoient  pour  leurs  intérêts  ;  il  n'en  sortit 
jamais  qu'avec  honte,  parce  qu'il  n'avoit  pas  le  courage  de  les  soutenir.  » 

1.  Ce  mol  était  déjà  admis  par  le  Dictionnaire  de  V Académie  de 
1718,  qui  ajoute  cependant  qu'il  n'avait  d'usage  que  dans  la  locution 
grâce  inamissible. 

"1.  Il  est  certain  que,  dans  le  lit  de  justice  dont  Saint-Simon  va 
parler  ci-après,  le  duc  d'Orléans  et  le  prince  de  Condé  renoncèrent 
aux  droits  que  leur  conférait  le  testament  de  Louis  XIII  ;  mais  la  scène 
particulière  dans  laquelle  Anne  d'Autriche  aurait  décidé  ces  deux 
l)rinces  à  cette  renonciation,  n'a  été  racontée  par  aucun  contemporain. 

3.  L'abréviation  /-•/'  surcharge  par. 


!  4  7  loi 


DE  SAÎNT-SIMON. 


104 


tiqua  le  Parlement;  on  le  brigua  toute  la  nuit,  et,  le 
lendemain  matin,  la  Reine,  accompagnée  de  Monsieur  et 
de  Monsieur  le  Prince,  des  pairs  et  des  officiers  de  la  cou- 
ronne', vint  de  Saint-Germain  droit  au  Parlement.  Ils  y 
déclarèrent  la  cession  qu'ils  faisoient  à  la  Reine  de  l'auto- 
rité qu'ils  avoient  reçue  de  la  disposition  du  fou  Roi,  pour 
la  lui  laisser  à  elle  seule  toute  entière,  que  le  Conseil 
nommé  par  feu  le  Roi  en  faisoit  de  même,  et  la  régence 
fut  ainsi  faite  et  déclarée  au  Parlement-  à  ces  conditions, 
dont  la  France  ne  s'est  pas  mieux  trouvée,  et  qui  se  sen- 
tira peut-être  encore  longues  et  cruelles  années  des  pes- 
tiférés^ maximes  et  de  l'odieux  gouvernement  du  cardinal 
Mazarin. 

Deux  reines  étrangères  d'inclination,  et  de   principes    Raisons  de  se 
fort  éloignés  des  maximes'*  francoises  pour  le  gouverne-       passer  du 

'  .        ,  "  .  .  Parlement 

ment  de  l'Etat  et  des  vues  si  saines  des  rois  leurs  maris,  pour 

dont  elles  ne  regardèrent  la  perte  que  par  le  seul  objet  de  1^  régence, 

leur  grandeur  personnelle^,  dont  elles  étoient  de  longue  toujours  avant 

main  toutes  occupées,  que  la  dernière  à  la  vérité  n'a  dû  ces 

au  moins  qu'à  la  nature  ^  Marie  dominée  par  Conchine      ''"^    ermers 
T  '  _  _  i  _  exemples. 

et  sa  femme',  Anne  par  Mazarin,  Italiens  de  la  dernière 
bassesse,  et  qui  ignoroient  jusqu'à  notre  langue,  qui  ne 
soupiroient  qu'après  le  timon  de  l'Etat,  dont  ils  se  saisi- 

i.  Les  mots  des  Pairs  et  des  Off.  de  la  courone  ont  été  ajoutés  en 
interligne,  ainsi  que  de  S.  Germain  droit. 

2.  Mme  de  Motteville  {Mémoires,  tome  I,  p.  400-107)  a  raconté 
cette  scène  ;  voyez  aussi  l'ouvrage  de  Ctiéruel,  Histoire  de  France  pen- 
dant la  minorité  de  Louis  XIV,  tome  I,  p.  57-66,  où  est  donné  un 
récit  complet  d'après  tous  les  Mémoires  du  temps. 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  dit  que  cet  adjectif  était 
un  «  terme  dogmatique  »  et  n'en  indique  pas  l'emploi  au  figuré. 

i.  Maximes  corrige  pr[incipes]. 

5.  L'adjectif  persone//e  a  été  ajouté  en  interligne. 

6.  Saint-Simon  veut  dire  qu'Anne  d'Autriche  n'a  dû  sa  régence  qu'à 
la  mort  naturelle  de  Louis  XIII,  tandis  qu'un  crime  avait  procuré  celle 
de  Marie  de  Médicis. 

7.  Concino  Concini,  maréchal  d'Ancre,  et  sa  femme  Léonora  Galigaï 
(tomes  II,  p.  30,  et  XXIII,  p.  2!1,  et  ci-dessus,  p.  4). 


10-2  MÉMOIRES  [1715] 

rent  tout  aussitôt,  et  à  qui  il  n'importoit  comment  ni  à 
quel  titre,  il  n'est  pas  surprenant  que,  méprisant  ce  qu'ils 
ignoroient,  c'est-à-dire  toutes  les  formes,  les  usages,  les 
règles,  les  droits,  ils  se  soient  jetés  à  corps  perdu  avec 
leurs  reines  à  ce  qui  leur  sembla  assurer  davantage  l'auto- 
rité qui  alloit  faire  le'  fondement  certain  de  la  toute-puis- 
sance qu'ils-  s'étoient  bien  promis  de  saisir,  surtout  avec 
les  raisons  qu'on  a  vues  dans  la  première  de  s'assurer  du 
Parlement,  et  dans  l'autre  de  le  ménagera 

M.^  le  duc  d'Orléans  ne  se  trouvoit  pas  en  ces  termes. 
Rien  à  couvrir  par  les  ténèbres,  ni  fds  de  France  ni  prince 
du  sang  avec  qui  lutter,  point  d'indignes  et  de  vils  étran- 
gers à  faire  régner,  point  de  foiblesse  de  sexe  à  étayer,  nul 
usage  utile  à  faire  de  l'appui  du  Parlement,  et  tout  au  con- 
traire à  en  craindre  par  les  noirs  artifices  du  duc  du  Maine 
et  les  manèges  de  son  premier  président,  appuyés  des 
dispositions  du  Roi  et  de  l'intérêt  du  Parlement  à  s'arro- 
ger la  fonction  de  modérateur^  et  de  juge,  de  nourrir  la 
division,  de  semer  les  occasions  de  s'y  faire  valoir,  et 
d'usurper  cette  autoiité  de  tuteurs  des  rois  si  destituée  de 
tout  fondement,  et,  tant  qu'ils  ont  pu,  si  hardiment  ten- 
tée, sur  laquelle  on  verra  dans  la  suite  jusqu'à  quel  point 
ils  osèrent  la  porter,  faire  repentir  le  Régent  de  sa  mol- 
lesse, et  le  forcer  à  briser  périlleusement  sur  leur  tète  le 
joug  que  peu  à  peu  il  s'étoit  laissé  imposer.  Je  le  fis  sou- 
venir de  ce  que  tous  nos  Rois,  jusqu'à  Louis  XIV  inclu- 
sivement, avoient  montré  de  fermeté  toutes  les  fois  que  le 
Parlement  avoit  osé  vouloir  passer  ses  bornes  du  jugement 
des  procès  et  des  enregistrements  d'édits  et  d'ordonnan- 

A.  Avant  le,  il  a  bifTé  leur  puissance. 

2.  Il  y  a  qui,  et  non  qu'ils,  dans  le  manuscrit. 

3.  Phrase  embrouillée  et  incorrecte. 

4.  Ici  l'écriture  change,  indiquant  un  arrêt  dans  le  travail. 

5.  Dans  le  tome  XXV,  p.  Mi-ii'*,  il  avait  dit  que  le  Parlement 
s'attribuait  le  rôle  Hp  «  luffur  des  rois  mineurs  et  de  modérateur 
des  rois  majeurs  ». 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  403 

ces,  et  leur  avoient  déclaré  que  la  connoissance  de  rien 
de  ce  qui  étoit  au  delà  n'étoit  de  leur  compétence  Je  lui 
remis  cette  vérité,  dont  jusqu'à  présent  le  Parlement  n'a 
osé  disconvenir,  que,  s'il  est  arrivé  quelquefois  que  des 
matières  plus  hautes  que  les  procès  des  particuliers,  ou 
des  enregistrements  qui  avoient  quelque  chose  de  plus 
que  Vut  îiotum  sit  pour  y  conformer  les  jugements,  avoient 
été  traitées  au  Parlement  par  la  volonté  ou  la  permission 
du  Roi,  c'étoit  sa  présence  et  des  grands  qui  l'y  accompa- 
gnoient,  ou,  en  son  absence,  celle  des  pairs  qui  y  étoient 
mandés  par  le  Roi,  qui  donnoit  toute  la  force,  à  l'ombre 
desquels  les  magistrats  du  Parlement  y  opinoient;  chose 
tellement  certaine,  que  leur  présence  a  toujours  été^  né- 
cessairement énoncée  dans  l'arrêt  qui  s'y  rendoit,  par  ces 
termes  consacrés:  la  coxxv  suffisamment  garnie  de  pairs, 
si  essentielle  au  jugement  même  du  Parlement,  que  toutes 
les  fois  qu'il  y  a"  eu  des  troubles  où  le  Parlement  s'étoit 
laissé  entraîner,  comme  sous  la  dernière  régence,  il  ne 
s'étoit  point  fait  de  délibération  au  Parlement,  concer- 
nant ces  affaires,  que  le  Parlement  lui-même  n'envoyât 
prier  les  pairs,  et  quelquefois  même  les  officiers  de  la 
couronne  qui  se  trouvoient  à  Paris,  d'y  venir  assister.  Il 
résulte  de  cette  vérité  que  ceux  qui  ne  peuvent  connoître 
d'aucune  matière  d'État,  et^  de  leur  propre  aveu,  sans  la 
présence  des  pairs  qui  leur  en  communique  la  faculté  (on 
parle  ici  de  l'usage  reçu,  non  du  droit  que  les  magistrats 
auroient  peine  à  prouver),  ne  sont  pas  nécessaires  à  au- 
cune sorte  de  délibération  ni  de  sanction  d'Etat,  et  que 
ceux-là  seuls  de  la  présence  desquels  ils  tirent  cette 
faculté,  qu'ils  conviennent  n'avoir  point  en  leur  absence, 
peuvent  en  tout  droit  délibérer  sans  eux,  et  faire  toute 

i.  Les  mots  a  toujours  ont  été  ajoutés  à  la  fin  d'une  ligne,  et  esté 
est  en  interligne  au  commencement  de  la  suivante,  au-dessus  d'estoit, 
biffé. 

2.  Avait  corrigé  en  a. 

3.  L'abréviation  d'ef  surcharge  une  .s. 


lo;  Mi.MoinEs  (ni.s| 

sanction  dKtat.  L'unique  objection  qui  se  pourroit  taire 
pour  t'blouir,  mais  sans  aucune  solidité,  c'est  que,  les  ma- 
tières et  les  sanctions  d'État  s'étant  souvent  trouvées 
mêlées  de  jurisprudence  et  de  matières  légales,  comme  les 
confiscations  des  grands  fiefs,  leur  réunion  à  la  couronne 
par  forfaiture,  comme  il  est  arrivé  des  anciennes  pairies 
possédées  par  les  rois  d'Angleterre  et  par  l'empereur  Char- 
les V,  ces  matières  avoient  été  traitées  au  Parlement 
pour  en  éclairer  les  pairs,  le  Roi  même,  et  les  officiers  de 
la  couronne  qui  l'y  accompagnoient,  ce  qui  ayant  ouvert 
la  bouche  aux  magistrats  du  Pailement  pour  opiner  sur 
ces  matières,  leur  en  avoit  donné  l'usage  en  d'autres 
moins  mêlées  des  lois,  lorsque  le  Roi  y  avoit  fait  assem- 
bler les  pairs  pour  les  y  traiter  comme  en  lieu  naturelle- 
ment- public;  mais  cette  réponse,  telle  qu'elle  puisse 
être,  ne  répond  pas  au  principe  dont  le  Parlement  con- 
vient, et  ne  lui  donne  pas  un  caractère  qu'il  n'a  pas  pai- 
lui-même;  il  reste  toujours  vrai  (ju'il  n'est  admis  à  déli- 
bérer sur  ces  matières  que  par  la  présence  des  pairs,  que 
leur  absence  l'en  rend  incompétent.  Donc  il  en  est  pai-  soi- 
même  incapable,  et  les  pairs  seuls  et  les  officiers  de  la 
couronne  uniquement  caj)ables  et  compétents  par  eux- 
mêmes,  d'où  il  se  conclut  qu'il  n'est  nul  besoin  du  Par- 
lement pour  faire  ou  déclarer  une  régence,  comme  il  n'a 
pas  été  question  de  cette  Compagnie  pour  aucune  des 
régences  qui  depuis  tous  les  temps  ont  précédé  celle  de  la 
minorité  de  Louis  XIII,  et  qu'elles  ne  se  doivent  faire  et 
déclarer  que  par  les  pairs  nés,  [les]  autres    pairs  et    les 

1.  Les  duchés  de  Normandie  ol  do  Guycniio  avaient  été  possédés 
longtemps  par  les  rois  d'Angleterre;  la  iVormandie  leur  fut  enlevée 
par  Philippe  Auguste,  et  ils  ne  furent  chassés  détinilivemcnl  de 
Guyenne  qu'en  ii53.  Quant  à  Charles-Quint,  il  possédait  le  comté  de 
Flandre  et  une  partie  du  duché  de  Bourgogne  (la  Franche-Comté) 
comme  pelit-tils  de  Marie  de  Bourgogne,  fille  et  héritière  de  Charles- 
le-Téméraire. 

i.  Avant  cet  adverbe,  Saint-Simon  a  biiïé  un  premier  public. 


f17iS]  DE  SAINT-SIMON.  lOH 

officiers  de  la  couronne,  privativement  à  qui  que  ce  soit. 
Que,  si  les  rois  ont  été  au  Parlement  déclarer  leur  ma- 
jorité, ou,  étant  majeurs,  aussitôt  après  leur  avènement  à 
la  couronne,  cet  ancien  usage  n'a  rien  de  commun  avec  ce 
qui  vient  d'être  dit  sur  les  régences.  Une  longue  pres- 
cription, fondée  sur  la  sagesse  et  le  bien  de  l'État  à  préve- 
nir les  troubles  qui,  dans  l'étourdissement  que  cause  tou- 
jours la  mort  d'un  roi,  naîtroient'  aisément  des  prétentions 
à  la  régence,  en  a  établi  le  droit  au  plus  proche  du  sang 
du  Roi  mineur,  mâle  ou  femelle,  encore  que  celles-ci  soient 
exclues-  de  la  couronne;  mais  cela  même  rend  témoignage 
que  la  régence  n'est  pas  comme  la  couronne,  et  qu'elle 
étoit  déférée  par  l'avis  des  grands  qui  renfermeroit  un 
jugement;  au  lieu  que  la  séance  du  Roi  au  Parlement,  dès 
qu'il  est  parvenu  majeur  à  la  couronne,  ou  pour  y  décla- 
rer sa  majorité,  s'il  étoit  mineur,  n'a  pour  objet  aucun 
jugement  à  rendre  ni  réel,  ni  fictif,  comme  est  l'objet  de 
faire  et  de  déclarer  une  régence,  parce  que  la  faire  étoit 
un  jugement  réel  autrefois,  dont  on  retient  l'image,  et  la 
déclaration,  déclarer  le  jugement  rendu  de^  l'adjudication 
de  la  régence.  Cette  première  séance  du  Roi  au  Parle- 
ment, soit  majeur  en  succédant  à  la  couronne,  soit  mineur 
qui  y  vient  déclarer  sa  majorité,  n'est  donc  autre  chose 
que  de  venir  au  lieu  public,  et  le  plus  solennellement  des- 
tiné à  rendre  à  ses  sujets  la  justice  en  son  nom,  pour  y 
faire  publiquement  et  solennellement  sa  fonction  de  juge 
unique  et  suprême  de  tous  ses  sujets,  de  qui  émane  le  pou- 
voir de  juger  à  tous  les  divers  degrés  de  jurisdictions  et  de 
juges  de  son  suprême  fief,  qui  est  son  royaume,  à  cause 
de  sa  couronne  et  de  son  caractère  royal,  qui  est  unique 
en  sa  personne.  Cette  séance,  où  assistent  les  pairs,  et  où 
le  Roi  est  suivi  des  officiers  de  la  couronne,  n'est  donc  en 

1.  Naistroit  corrigé  en  naistroient. 

2.  Ici  le  manuscrit  porte  encore  excluoi,  comme  ci-dessus,  p.  2'1  : 
voyez  la  note  4  de  la  page  190  de  notre  tome  XXVI. 

3.  Le  mot  de  est  en  interligne  au-dessus  de  sur,  biffé. 


406  MÉMOIRES  [4715] 

soi  qu'une  pure  cc'n'mouio  sans  dôlibrration  sui-  rien   par 
elle-même,  ni  matière  aucune  de  jugement.     Le   Roi  y 
reçoit  les  hommages  de  la  personne  qui  a  exercé  la  ré- 
gence, et  qui   lui  remet  toute  l'autorité   que  sa  minorité 
l'empèchoit  d'exercer  par  lui-même,  offre   de   lui  rendre 
compte  de  l'administration  '  qu'elle  a  eue  entre  les  mains 
quand  il  lui  plaira  de  le  recevoir,  si  c'est  un  roi  mineur 
qui  déclare  sa  majorité,  puis  les  hommages  collectifs  de 
tous.  Que  si,  à  cette  occasion,  il  se  met  quelque  matière 
en  délibération  fictive  ou  effective,  cela  retombe  dans  les 
cas  qui  viennent  d'être  dissertes,  et  ne  tient  que  par  hasard 
à  la  cérémonie. 
Observation   à       Je  fis  observer  à  M.  le  duc  d'Orléans  la  jalousie,  l'atten- 
°do^i'°"       ^'®"  toujours  vigilante  du  Parlementa  prétendre,  à  entre- 
majoriic  de      prendre,  et  à  créer  à  son  avantage  quelque  chose  de  rien, 
Charles  1\  et  p^j,  ^g  ^^^j  appjya  à  la  majorité  de   Charles  IX*.  Il  ne  s'y 
rinipr|.rétation   agissoit  pas,  comme  dans  les  autres,  d'une  simple  céré- 
de  1  âge        monie  telle  qu'elle  vient^  d'être  expliquée.  La  loi  faite  par 
des  rois.'^'      Charles  V  pour  la  fixation  de  l'àge  de  la  majorité  des  rois, 
et  par  les  grands  qui   l'approuvèrent,  avoit  toujours  été 
entendue  et  pratiquée  suivant   son  sens  naturel  de  qua- 
torze ans  accomplis,  quoique  le  terme  accmi/jiis  n'y  fût 
pas  exprimé*.  Sans  allonger  ce  récit  de  ce  que^  personne 
n'ignore  de  l'histoire  de  ces  temps  difficiles,  Catherine  de 

1.  Saint-Simon  a  écrit  Vadmistration,  et,  plus  loin,  le  mot  a, 
oublié,  a  été  ajouté  en  interlifine. 

2.  Il  a  déjà  parlé,  avec  moins  de  détails,  de  la  proclamation  de  la 
majorité  de  Charles  IX  dans  le  tome  XXV,  p.  25t. 

3.  Le  V  de  vient  surcharge  un  d. 

4.  En  effel  les  termes  de  l'onionnance  fameuse  de  Charles  V,  ren- 
due au  Bois  de-Vincennes  en  août  \\M't,  étaient  un  peu  amhigus.  Le 
Roi  décidait  que  les  rois  mineurs,  nnnuin  quartum  drciminn  rrlutis 
sux  atting'^nt'-s,  devaient  avoir  le  gouvernement  et  l'administration  du 
royaume,  et.  plus  loin  il  disait  encore  :  m  dicto  anno  quarto  decimo, 
ce  qui  pouvait  plutôt  s'entendre  de  la  quatorzième  année,  entre  treize 
et  quatorze  ans. 

.3.  Ce  que  est  en  interligne. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  107 

Médicis,  bien  assurée  de  gouverner  toujours,  avoit  inté- 
rêt que  la  minorité  de  Charles  IX  finît,  et  il  étoit  encore 
éloigné  de  plusieurs  mois  des  quatorze  ans  accomplis.  Elle 
voulut  donc  faire  interpréter  la  loi  de  Charles  V  à  quatorze 
ans  commencés'.  La  cour  étoiten  Normandie,  et  les  affaires 
ne  lui  permettoient  pas  de  la  quitter.  Elle  mena  donc 
Charles  IX,  suivi  des  pairs  et  des  officiers  de  la  couronne 
qui  s'y  trouvèrent,  au  parlement  de  Rouen,  où  la  loi 
de  Charles  V  fut  interprétée  comme  elle  le  desiroit,  et 
Charles  IX  déclaré  majeur,  ce  qui  pour  l'âge-  a  été  suivi 
en  toutes  les  majorités  depuis.  Le  parlement  de  Paris  jeta 
les  hauts  cris,  députa  vers  le  Roi  et  la  Reine,  prétendit 
qu'un  tel  acte  ne  pouvoit  être  fait  dans  un  autre  parle- 
ment. On  se  moqua  d'eux.  La  Reine  leur  répondit  que  la 
cour  des  pairs  n'étoit  aucun  parlement,  mais  le  lieu,  tel 
qu'il  fût,  où  le  Roi  ^  se  trouvoit,  et  où  il  lui  plaisoit  d'assem- 
bler les*  pairs.  La  maxime  est  si  vraie  que,  sans  la  cir- 
constance de  ces  temps  si  difficiles,  où  la  Reine  avoit 
besoin  de  tout,  elle  n'avoit  que  faire  du  parlement  de 
Rouen  pour  une  interprétation  de  la  loi  de  Charles  V,  sur 
laquelle  ce  parlement  ne  put  opiner  que  par  la  présence 
des  pairs,  comme  il  a  été  expliqué,  lesquels  seuls  la  pou- 
voient  faire  avec  les  officiers  de  la  couronne  ;  mais,  comme 
il  falloit  en  même  temps  déclarer  le  Roi  majeur,  qui  est  la 
simple  cérémonie  qui  a  été  expliquée,  qui  ne  se  pouvoit 
faire  qu'au  parlement  de  Rouen,  puisque  le  Roi  étoit  en 
cette  ville,  ce  fut  un  véhicule  pour  y  faire  le  tout  ensem- 

1.  Elle  y  était  autorisée  d'ailleurs  par  le  seul  exemple  qui  se  fût 
présenté  depuis  l'ordonnance  de  Charles  V  :  Charles  VIII,  né  le 
30  juin  1470,  régnant  depuis  le  30  août  1483  sous  la  régence  de  sa 
sœur  Anne  de  Beaujeu,  tut  proclamé  m.ijeur  dans  l'asseml.lée  des 
Etals  généraux  qui  se  tinrent  à  Tours  du  13  janvier  au  14  mars  1484, 
alors  qu'il  ne  devait  atteindre  ses  quatorze  ans  accomplis  que  le 
30  juin  suivant. 

2.  Les  mots  p""  l'aage  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Le  Roy  est  en  interligne,  au-dessus  d'il,  biffé. 

4.  Les  corrige  ses. 


I0«  MKMOIRES  (171.^1 

ble.   Le  parloment   do  l'aris  se    plaii;iiil    longliinps,  sans 
pouvoir  alléguer  aucune  raison,  et  il  se  lut  enfin,  quand 
il  fui  las  de  se  plaindre,  sans  avoii-  reçu  le  moindre  com- 
plimenl. 
Mesures  et  Fondé  sur  (les  vérités  si  certaines  et  de  si  solides  rai- 

conduitc        sons,  je  proposai  à  M.   le  duc  d'Orléans  d'assembler  tous 

1  tenir  pour      ,  :       '        ^  ,    . 

prendre  la  los  pairs  et  '  les  otlîciers  de  la  couronne,  aussitôt  (|ue  le 
régence.  |^qj  se,.oit  mort,  dans  une  des  pièces  de  l'appartement  de 
Sa  Majesté,  en  rang  et  en  séance,  avec  Monsieur  le  Duc, 
le  seul  des  princes  du  sang  en  âge,  le  duc  du  Maine  et  le 
comte  de  Toulouse;  que  là,  tous  assis  et  couverts,  seuls 
dans  la  pièce,  avec  les  trois  secrétaires  d'Etat  au  bas  bout 
et  derrière  la  séance  vis-à-vis  de  lui-,  ayant  une  table 
garnie  devant  eux,  car  le  Chancelier  étoit  le  quatrième. 
Son  Altesse  Royale^  fît  un  court  discours  de  louange  et  de 
regrets  du  Roi,  de  la  nécessité  urgente  d'une  administra- 
tion, de  son  droit  à  la  régence,  qui  ne  pouvoit  être  con- 
testé, du  soin  qu'il  auroit  d'éclairer  ses  bonnes  intentions 
par  leurs  lumières,  et  subitement  les  regarder  tous  en 
leur  disant  avec  un  air  de  confiance,  mais  d'autorité  : 
«  Je  ne  soupçonne  pas  qu'aucun  de  vous  s'y  oppose  »  ;  se 
lever,  gracieuser  un  chacun,  les  convier  de  se  trouver 
Taprès-dînée  au  Parlement,  et,  si  le  Roi  mouroit  le  soir, 
ne  faire  cette  assemblée  que  le  lendemain  malin,  pour  ne 
laisser  pas  la  nuit  au  duc  du  Maine  à  cabaler  le  Parle- 

I.  Avant  et  Saint-Simon  a  biiïé  len  Ducf  Vérifiés. 

"2.  Pour  comprendre  ce  que  Saint-Simon  veut  dire,  il  faut  se  rappe- 
ler que  les  séances  des  conseils  formaient  toujours  un  carré  long;  au 
haut  bout  se  tenait  le  Roi  et  à  ses  côtés  en  retour  les  princes,  puis  les 
autres  membres  par  rang  de  dignité  ou  d'ancienneté,  les  derniers  venus 
occupant  le  bas  bout  du  carré.  Il  veut  donc  dire  que  les  trois  secrétaires 
seraient  placés  au  bas  bout,  mais  cependant  derrière  la  partie  de  la 
séance  qui  ferait  vis-à-vis  au  Régent. 

3.  Les  mots  car  le  chancelier  estait  le  4^  S.  A.  R.  sont  en  interligne 
au-dessus  d'j7  biffé.  En  effet  le  chancelier  Vojsin  possédait  la  charge 
de  secrétaire  d'État  de  la  guerre  ;  mais  sa  place,  dans  cette  séance, 
aurait  été  avec  les  officiers  de  la  couronne. 


flTIoJ  DE  SAINT-SIMON.  109 

ment,  et  au  premier  président  d'y  haranguer.  Arrivé  droit 
au  Parlement,  lui  dire  qu'il  vouloit,  par  l'estime  qu'il  avoit 
pour  la  Compagnie,  sans  rien  de  plus,  leur  venir  faire 
part  lui-même  et  secondouloir  '  avec  eux  de  la  perte  que 
la  France  venoit  de  faire,  et  de  la  régence  qui  lui  échéoit 
par  le  droit  de  sa  naissance,  et  les  assurer  du  soin  qu'il 
auroit  de  se  faire  éclairer  de  leurs  lumières  dans  les 
besoins  qu'il  en  auroit;  que,  pour  commencer  à  leur 
témoigner  le  désir  qu'il  en  avoit,  il  leur  communiquoit  le 
plan  qu'il  estimoit  le  meilleur  après  M.  le  duc  de  Bour- 
gogne, dans  la  cassette  duquel  il  avoit  été  trouvé-,  et  dé- 
clarer là  les  conseils  sans  nommer  personne  ;  abréger 
matière,  et  finir  la  séance.  Gomme  la  régence  étoit  faite 
et  déclarée  avant  que  d'y  entrer,  les  gens  du  Roi  n'au- 
roient  point  eu  à  parler,  ni  le  Parlement  à  opiner  ni  rendre 
d'arrêt.  Si  M.  du  Maine  s'étoit  mis  en  devoir  de  parier, 
l'interrompre  et  lui  dire  que  c'étoit  à  lui  moins  qu'à  per- 
sonne à  vouloir  contredire  ce  qui  s'étoit^  fait  comme  dans 
toutes  les  régences  précédentes  à  celle'*  des  deux  dernières 
reines,  dont  le  cas  particulier  de  chacune  d'elles  deman- 
doit  la  forme  qu'elles  avoient  prise,  qu'elle  étoit  trop 
nouvelle  et  trop  différente  de  celle  de  tous  les  temps  pour 
avoir  la  force  de  la  changer  par  ces  deux  seuls  exemples, 
et  qu'après  toutes  les  choses  inouïes  qu'il  avoit  obtenues, 
il  devoit  éviter  avec  soin  de  parler  de  ce  qui  étoit  de  règle, 
comme  de  ce  qui  n'y  étoit  pas,  et  sans  attendre  de  réponse, 
lever  la  séance.  Si  le  premier  président  avoit  voulu  parler 
sur  la  même  chose,  l'interrompre  pareillement,  lui  dire 
qu'il  marqueroit  toujours  au  Parlement  toute  l'estime  et 

1.  «  Se  condouloir,  participer  à  la  douleur  de  quelqu'un,  témoigiier 
qu'on  prend  part  à  son  déplaisir.  C'est  le  terme  dont  on  se  sert  dans 
les  visites  qui  se  rendent  pour  les  pertes  que  quelqu'un  a  faites.  Il 
ne  se  met  qu'à  l'iniinitit'  et  est  de  peu  d'usage  »  (Académie,  1718). 

2.  Tome  XVII,  p.  138,  et  ci-dessus,  p.  9. 

3.  Il  y  a  c'estoit,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit, 
i.  C'est-à-dire,  ayant  précédé  celle. 


ilO  MÉMOIRES  [i7451 

la  considération  (|iril  nuritoit,  mais  (juil  ne  croiroit 
jamais  (|uo  réquitr  ol  la  sagesse  de  la  Compagnie»  exigeât 
que  ce  lût  aux  dépens  des  droits'  de  sa  naissance  el  de 
ceux  à  (|ui  il  s'étoit  adressé*,  ni  qu'elle  pût  prétendre  que 
deux  exemples  uni(|iies  et  modernes  prescrivissent  une 
règle  ignorée  jusque-là  de  toute  l'antiquité;  et  pareille- 
ment lever  la  séance.  En  se  levant,  passer  les  yeux  sur 
tout  le  monde,  et  se  faire  suivre  par  tous  les  pairs,  inté- 
ressés ainsi  que  les  otticiers  de  la  couronne  à  soutenir  ce 
qui  s'étoit  passé  avec  eux.  Si  le  l\oi  avoit  fait'  des  dispo- 
sitions, ajouter  qu'il  auroit  toujours  tout  le  respect  pour 
la  mémoire  du  l\oi,  et  tous  les  égards  qu'il  lui  seroit  pos- 
sible pour  ses  volontés,  mais  que  tous  les  siècles  appre- 
noient  que  toute  l'autorité  personnelle  des  rois  finissoit 
avec  eux,  qu'ils  n'en  ont  aucune  sur  une  régence  dont 
personne  ne  peut  prendre  prétexte  par  sa  naissance  de 
partager  l'autorité  ;  que  ce  seroit  manquer  à  ce  qu'il  se  doit 
à  soi-même  de  souffrir  que  son  honneur,  sa  fidélité  pour 
la  personne  du  Koi,  son  attachement  au  bien  de  l'État 
demeurassent  soupçonnés,  et  par  son  propre  aveu,  en  se 
soumettant  à  des  dispositions  inspirées  par  l'ambition  de 
qui  avoit  voulu  profiter  de  la  foiblesse  de  l'âge  et  des  ap- 
proches de  la  mort;  que  les  dispositions  si  sages  et  si 
utiles  de  Charles  V  et  de  Louis  Xlll  n'avoienl  eu  aucun 
effet  ;  que  celles  de  Louis  XIV,  qui  étoit  bien  éloigné  des 
circonstances  qui  avoient  porté  ces  deux  grands  rois  à  les 
faire,  ne*  pouvoient  donc  être  plus  recommandables  que 
les  leurs,  ni  avoir  un  sort  plus  consistant;  qu'en  un  mot, 
celles  de  ces  deux  princes  n'alloient  qu'à  maintenir  le  bon 
ordre  et  le  repos  de  l'État  ;  que  celles  du  Roi  n'y  pour- 

4.  Des  droits  surcharge  de  sa. 

2.  El  des  droits  de  ceux  à  qui  il  s'étoit  adressé,  c'est-à-dire,  des 
pairs  el  des  olliciers  de  la  couronne. 

3.  Fait,  oublié,  a  élé  ajouté  en  interligne. 

4.  Avant  ne,   Saint-Simon  a  biiïé  qu'elles,  et,  au-dessus  d'elles,  il 
avait  d'abord  écrit  les  siennes,  qu'il  a  ensuite  biffé. 


[1743]  DE  SAINT-SIMON.  \H 

roient  mettre  que  du  trouble,  dont  il  n'est  pas  juste  que 
l'État  soit  menacé  ni  travaillé  pour  l'ambition  particulière 
de  quelques-uns,  et  pour  exécuter  aveuglément  les  der- 
nières volontés  du  Koi  en  matière  d'Etat,  quand  celles  de 
pas  un  de  ses  nombreux  prédécesseurs  qui  en  avoient' 
laissé  n'avoient  jamais  été  considérées  un  seul  moment,  et 
étoient  tombées  avec  eux.  Cela  dit,  lever  la  séance. 

Je  représentai ^  à  M.  le  duc  d'Orléans  que,  s'il  avoit 
affaire  à  un  duc  de  Guise  pour  l'ambition,  le  duc  du 
Maine  n'avoit  ni  le  parti  ni  les  souliens  étrangers,  ni  le 
personnel  des  Guises  ;  quec'étoit  un  homme  timide,  à  qui 
il  falloit  imposer,  et  à  son  premier  président  tout  d'abord  ; 
que  cela  seul  les  feroit  trembler,  et  que,  dans  le  très  peu 
de  gens  sur  lesquels  ce  fantôme  de  Guise  *  se  flattoit  de 
pouvoir  compter  dans  le  décri*  où  étoit  sa  personne,  et 
l'indignation  publique  de  tout  ce  à  quoi  il  étoit  parvenu, 
il  n'y  en  auroit  aucun  qui,  sur  un  appui  aussi  odieux  et 
aussi  frêle,  osât  lever  la  tète  contre  un  régent  unique  en 
sa  naissance,  dont  la  valeur  étoit  connue,  et  qui  savoit 
montrer  le  courage  d'esprit  que  je  lui  conseillois,  et  la 
fermeté  qui  serolt  son  salut,  et  qui  fonderoit  sa  gloire  et 
son  autorité  entière  et  paisible  pour  tout  le  cours  de  sa 
régence;  que  le  Parlement,  adroit  à  se  prévaloir  de  tout, 
mais  n'ayant  personne  pour  soi  par  l'intérêt  des  pairs  et 
des  otticiers  de  la  couronne,  qui  se  trouveroient  engagés 
d'honneur  par  ce  qui  se  seroit  passé  le  matin  avec  eux 
sur  la  régence  à  Versailles,  sentiroit  promptement  son  ira- 
puissance  et  l'embarras  du  fonds  et  de  la  forme:  du  fonds, 
d'ériger  en  loi,  lui  tout  seul,  deux  exemples  récents  con- 

4.  Ce.l  avoient  est  en  interli^e,  au-dessus  d'un  premier  avaient, hiffé. 

2.  Saint-Simon  avait  écrit  reprentay,  qu'il  a  mal  corrigé  en  ajou- 
tant sen  en  interligne. 

3.  Les  mois  ce  fantosme  de  Guise  sont  en  interligne,  au-dessus  d'e7, 
biffé. 

4.  «  Décii,  signifie  figurément  perte  de  réputation  et  de  crédit  » 
(^Académie,  1748). 


ll"2  MÉMOIRES  llTir.] 

Iraires  à  tous  n-ux  ijui  les  avoii-iil  |ji'écédés,  et  deux 
exemples  singuliers  par  leurs  circonstances  et  les  conjonc- 
tures, et  de  se  roidir  à  faire  passer  en  règle  les  disposi- 
tions de  Louis  XIV,  odieuses  par  elles-niênics,  contre 
l'exemple  constant  de  toutes  les  autres  dispositions  pa- 
reilles, dont  pas  une  n'avoit  eu  le  moindre  efVet,  quoi<]ue 
si  sages  et  si  nécessaires  ;  de  la  forme,  par  leur  incompé- 
tence, reconnue  par  eux-mêmes,  de  délibérer,  encore 
moins  de  statuer  rien  en  matière  d'Etat  qu'avec  les  pairs 
et  par'  leur  présence  et  concours,  et  mandés  pour  ce  par 
le  Hoi,  ou  en  minorité  par  le  Régent;  et  si,  dans  des  temps 
de  troubles,  le  Parlement,  entiaîné  contre  la  cour,  avoit 
quelquefois  voulu  entreprendre  de  se  mêler  d'affaires 
d'État  ou-  de  gouvernement,  ce  n'avoit  jamais  été  qu'au 
moyen  et  à  l'ombre  de  la  présence  des  pairs,  et  quelque- 
fois des  officiers  de  la  couronne,  qu'il  envoyoit  convier  d'y 
venir  prendre  leurs  places,  chose  qui  n'étoitpas  à  craindre 
en  cette  occasion,  par  l'intérêt  des  pairs  et  des  olTiciers 
de  la  couronne  de  ne  se  prêter  pas  au  dessein  de  détruire 
leur  droit  autant  qu'il  étoiten  eux,  et  leur  ouvrage,  pour 
soumettre  l'un  et  l'autre  aux  magistrats,  qui  n'en  avoient 
aucun;  que^,  pour  quelques-uns  d'eux  qui,  en  très-petit 
nombre,  se  trouveroient  nommés  dans  les  dispositions,  la 
jalousie  du  grand  nombre  qui  n'y  auroit  point  de  part 
l'empêcheroit  de  se  prêter  à  soutenir  cette  disposition  et 
les  entreprises  du  Parlement  contre  eux-mêmes,  encore 
moins  que  la  déclaration  des  conseils,  sans  nommer  per- 
sonne, leur  montreroit  un  bien  plus  grand  nombre  de 
places  considérables  à  remplir,  et  à  y  succéder  par  va- 
cance, que  les  dispositions  du  Roi  n'en  auroient  établi, 
dont  l'espérance   encore  les  refiendroit  tous,  et  le   choix 

1.  Par  est  en  inlerli^'iie,  au-dessus  (ïeit,   bille,  et,    plus  loin,  les 
mots  et  concours  ont  été  aussi  ajoutés  en  interligne. 

2.  Ou  en  interligne,  remplaçant  et  biiïé,  et,  plus  loin,  quelquef'on 
est  aussi  en  interligne. 

3.  Après  ce  que,  il  y  a  un  de,  biflé. 


[4745]  DE  SAINT-SIMON.  113 

achèvei'oit  de  les  attacher  à  lui  ;  enfin  que  je  m'attendois 
bien  aux  plaintes  du  Parlement,  mais  qu'elles  seroient  si 
semblables  à  celles  qu'il  fit  sur  la  majorité  de  Charles  IX 
et  l'interprétation  delà  loi  de  Charles  V  faite  au  parlement 
de  Rouen  ',  que  je  comptois  aussi  que  l'effet  et  la  fin  en 
seroit  toute  pareille-,  ce  qui  diminueroit  d'autant  le  nom, 
le  crédit,  l'autorité  du  Parlement,  à  l'augmentation  du 
pouvoir  du  Régent  et  rendroit  cette  ardente  Compagnie 
d'autant  plus  retenue  à  entreprendre. 

J'ajoutai  un  détail  des  pairs  et  des  officiers  de  la  cou-       Conduite 
ronne  qui  le  devoit  bien  rassurer,    outre  l'esprit  qui  ré-    f.  ''^"\'".*"'"  '^^ 

,  .  (.  1*1  /  dispositions  du 

gnoit  alors  si  peu  favorable  aux  bâtards,  par  conséquent  Roi 

aux  dispositions  que  le  Roi  ne  pourroit  avoir  faites  qu'en  indifférentes, et 
leur  faveur.  Je  fus  d'avis  que,  sur  tout  ce  qui  ne  touche-  traitement 
roit  ni  l'État  ni  le  gouvernement  en  aucune  sorte,  M.  le  à  faire  à  Mme 
duc  d'Orléans  se  fît  honneur  d'en  faire  un  entier^  à  ces 
mêmes  dispositions  du  Roi,  non  pas  comme  faisant  loi  et 
par  nécessité  de  les  suivre,  mais  par  un  respect  volontaire 
et  bienséant,  par  sa  propre  autorité  à  lui,  et  pour  s'éloi- 
gner de  la  bassesse  de  porter  des  coups  au  lion^  mort. 
Par  la  même  raison,  je  fus  d'avis  que  Mme  de  Maintenon 
jouît  pleinement,  et  son  Saint-Cyr,  de  tout  ce  que  ces 
dispositions  auroient  fait  en  leur  faveur,  et  que  s'il  n'y 
en  avoit  point,  que  toute  liberté  lui  fût  laissée  de  se  re- 
tirer où  elle  voudroit,  et  que  rien  de  pécuniaire  qu'elle 
desireroit  ne  lui  fût  refusé.  Il  n'y  avoit  plus  rien  à  craindre 
de  cette  fée  presque  octogénaire;  sa  puissante  et  perni- 
cieuse baguette  étoit  brisée  ;  elle  étoit  redevenue  la  vieille 
Scarron.  Mais  je  crus  aussi  qu'excepté  liberté  et  le  pécu- 
niaire personnel,  tout  crédit  et  toute  sorte  de  considéra- 

■1.  Ci-dessus,  p.  107. 

2.  Remarquer  l'accord  du  verbe  et  de  l'adjectif  complément  avec  le 
dernier  mot  du  sujet  seulement;  on  en  trouvera  un  autre  exemple  à  la 
fin  de  la  présente  page. 

3.  C'est-à-dire  de  faire  complètement  honneur  à  ces  dispositions,  de 
les  exécuter  entièrement. 

4.  Ecrit  ici  lyon,  comme  le  nom  de  ville. 

MÉMOIRES  DE   SAINT-SIMON.  XXVII  8 


5  avoir. 


11  i  MÉMOIRES  [1715] 

tion    lui    devoit    cire    soigneusement   ùlée    et    refusée'. 
Elle  avoit  mérité  bien  pis  de  l'Etat  et  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans. 
Prévoyances  Parmi  ces  mesures,  je  n'oubliai  pas  celles  que,  dispo- 

sitions du  Roi  faites  ou  non,  la  prudence  devoit  inspirer. 
C'étoit  de  s'assurer  du  régiment  des  gardes,  ce  (jui  étoit 
fort  aisé  avec  le  duc  de  Guiche  pour  de  l'argent-.  Contades, 
qui  le  gouvernoit  et  qui  de  plus  étoit  fort  accrédité  dans 
le  régiment,  étoit  honnête  homme  et  bien  intentionné,  et 
depuis  longtemps  je  m'étois  attaché  à  gagner  Villars  qui 
n'éloit  qu'un  avec  Contades,  et  qui  avoit  son  crédit  per- 
sonnel sur  le  duc  de  Guiche.  J'ai  déjà  parlé  de  ces  deux 
hommes''.  S'assurer  de  Reynold,  colonel  du  régiment  des 
gardes  suisses\  le  premier  et  le  plus  accrédité  de  ce  corps, 
et  qui  le  menoit,  fort  homme  d'honneur,  et  peu  content 
en  secret  du  joug  du  duc  du  Maine;  s'attacher  Saint- 
Hilaire"',  qui  pour  l'artillerie  étoit  au  même  point  que 
Reynold  dans  les  Suisses,  et  ne  pas  négliger  d'Argenson 
(tout  cela  fut  fait^),  etavec  cela  rien  à  craindre  dans  Paris, 

4.  Ces  deux  participes  sont  bien  au  féminin  dans  le  manuscrit. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  48. 

3.  Tome  XXVI,  p.  350  et  360. 

4.  François  de  Reynold,  d'une  famille  du  canton  de  Fribourg,  dont 
plusieurs  membres  avaient  été  au  service  de  l'rance,  avait  commencé 
par  servir  comme  lieutenant  dès  1653  dans  la  compagnie  des  gardes 
suisses  que  commandait  son  père  ;  il  eut  une  compagnie  en  1657, 
après  avoir  fait  campagne  en  Picardie.  En  janvier  1689,  le  Roi  le 
nomma  lieutenant-colonel  de  ce  régiment.  Devenu  brigadier  en  mars 
1690,  il  obtint  un  régiment  suisse  de  son  nom  le  30  septembre  de  la 
même  année.  11  passa  maréchal  de  camp  dans  la  promotion  du  3  jan- 
vier 1696.  et  lieutenant  général  en  décembre  170"i  ;  dans  le  courant  du 
mois  de  juin  de  la  môme  année  170^2,  le  Roi  l'avait  désigné  comme  colo- 
nel du  régiment  des  gardes  suisses.  Il  ne  lit  plus  campagne  après 
1703;  en  septembre  1715,  le  Régent  le  choisit  pour  siéger  au  conseil 
de  la  guerre  et  le  nomma  grand  croix  de  Saint-Louis  le  10  mai  4718. 
11  mourut  le  4  décembre  1722,  âgé  de  plus  de  quatre-vingts  ans. 

5.  Armand  de  Mormès  de  Saint-llilairc,  lieutenant  général  de  l'ar- 
tillerie :  tome  XVI,  p.  298  et  679. 

6.  Nous  plaçons  entre  parenthèses  celte  courte  phrase  qui  indique 


[1715]  DE  SAL\T-SIMON.  115 

ni  du  Parlement,  qui  se  trouveroit  environné  du  régiment 
des  gardes  quand  le  Régent  y'  iroit.  Rien  à  faire  dans  les 
provinces,  où  personne  n'avoit  d'autorité,  qui^  toutes 
étoient  indignées  de  la  grandeur  des  bâtards  et  qui  n'ose- 
roient  branler.  Pour  les  frontières,  du  Bourg,  qui  com- 
mandoit  en  Alsace,  étoit  honnête  homme,  sans  liaisons 
de  cour,  qui  vouloit  le  bâton  de  maréchal  de  France,  qu'il 
avoit  bien  mérité  et  qui  lui  viendroit  bien  plus  naturelle- 
ment par  le  Régent  que  par  des  troubles  ;  ainsi  des  vues 
et  de  la  situation  des  autres  principaux  des  frontières.  Il 
ne  restoit  donc  qu'à  avoir  du  courage,  de  la  suite,  du 
sens  froid,  un  air  de  sécurité,  de  bonté,  mais  de  fermeté, 
et  de  marcher  tranquille  et  tête  levée  aussitôt  que  la  mort 
du  Roi  ouvriroit  cette  grande  scène. 

Je  m'aperçus  aisément  que  M.  le  duc  d'Orléans  étoit      Foiblcssc 
peiné    de    trouver   tant    d'évidence    aux    raisons    dont       .iA/     "*^ 

r  .  .   .  ....  a  Orii-ans 

j'appuyois  la  proposition  que  je  lui  faisois  de  se  passer     à  l'égard  du 

du  Parlement  poursa^  régence.  Il  m'interrompit  souvent      Parlement. 

dans  les  diverses  conversations  qui  roulèrent  là-dessus  ; 

il  avouoit   que    j'avois   raison;    mais   il    ne    pouvoit   ni 

contester  mon  avis  ni  s'y  rendre,  quoiqu'il  ne  le  rejetât 

pas.  Il  falloit,  pour  l'embrasser  utilement,  plus  de  nerf, 

de  résolution  et  de  suite  que  la  nature  n'en  avoit  mis  en 

lui,  plus  savoir  payer  d'autorité,   de   droit,    d'assurance 

par  soi-même,  et  sur  le  pré^,  et  vis-à-vis  des  gens,  et  sans 

secours  d'autrui,  qu'il  n'étoit  en  lui  de  le  faire.  Je  me 

contentai  de  lui  inculquer  ce  que  je  pensois,  et  les  raisons 

de  se  conduire  comme  je  le  pensois,  à  diverses  reprises, 

sans  le  presser  au  delà  de  ce  qu'il  en  pouvoit  porter.  Sa 

que  Saint-Simon  écrit  après  les  événements,  quoiqu'elle  soit  seulement 
entre  virgules  dans  le  manuscrit. 

1.  Cet  y  a  été  ajouté  en  interligne. 

"1.  Avant  qui,  il  y  a  un  et,  biffé. 

3.  Les  mots  p'"  sa  surchargent  sur. 

4.  On  disait  «  se  trouver  sur  le  pré  pour  dire  se  trouver  au  lieu 
d'un  combat  singulier  »  (Académie,  1718).  Saint-Simon  compare  à  un 
duel  les  circonstances  dans  lesquelles  se  trouverait  le  Régent. 


110  MEMUIKES  [1715) 

cléliaiico,  ([111  II  a\oit  [)oiiiL  de  bor'iies,  m  arrùla  dans 
celles-ci.  Je  crus  voir  qu'elle  venoit  au  secours  de  sa 
foil)lesse,  et  que,  j)oui'  se  la  cacher  à  lui-niènie,  il  se  per- 
suada que  je  voulois  me  servir  de  lui  en  haine  du  l'arle- 
ment,  par  rapport  à  l'afïaire  du  bonnet,  et  revendiquer 
le  droit  des  pairs  par  rapport  à  la  régence  sur  l'usurpa- 
tion moderne  du  l'ai'lement.  L'expérience  de  ce  qui  s'y 
passa  sur  sa  régence  le  fit  repentir  de  ses  soupçons,  et  de 
s'être  laissé  entraîner  à  des  gens  peu  fidèles,  que  sa  foi- 
blesse  favorisa,  et  qui  le  jetèrent  dans  le  dernier  péril  de 
se  perdre  avant  de  commencer  d'être,  comme  on  le  verra 
en  son  lieu'.  Ces  gens  étoient  Maisons,  Efiîat,  deux  scélé- 
rats dévoués  au  duc  du  Maine  et  au  Parlement;  Canillac, 
gouverné  par  l'encens  de  Maisons,  devenu  par  là  son 
oracle-;  peut-être  Noeé^,  par  ignorance,  ébloui  du  nom 
du  Parlement. 
Étal  Noce*  étoitun  grand  homme,  qui  avoit  été  fort  bien  fait. 

Noce.  ^^^  avoit  assez  servi  pour  sa  réputation,  (jui  avoit  de 
l'esprit  et  quelque  ornement  dans"'  l'esprit,  et  de  la  grâce 
quand  il  vouloit  plaire".  Il  avoit  du  bien  assez  considéra- 
blement, et  n'étoit  point  marié',  parce  qu'il  estimoit  la 
liberté  par-dessus  toutes  choses.  11  étoit  fort  connu  de 
M.  le  duc  d'Orléans,  parce  qu'il  étoit  fils  de  Fontenay,  qui 

1.  Lorsqu'il  racontera  la  séance  du  Parlement  après  la  mort  de 
Louis  XIV. 

±  Tome  XXVL  p-  365-367. 

3.  Charles  de  Noce,  seigneur  de  Fontenay  :  tome  XIV,  p.  302. 

4.  La  lin  de  ce  mot  surcharge  un  /  (//),  qui  commen(;aif  le  paragraphe. 

5.  Dans  est  en  interligne,  au-dessus  de  de,  bitré. 

6.  Sur  Noce,  l'un  des  roués  du  Régent,  on  peut  voir  les  Porte- 
feuilles du  président  Bouhicr,  par  le  prince  Eiiim.  de  Broglie,  p.  410- 
114,  et  Lord  Walpole  à  la  cour  de  France,  par  le  comte  de  Bâillon, 
p.  37-43. 

7.  C'est  une  erreur  :  il  avait  épousé,  en  février  1690,  Marguerite 
de  Rambouillet,  fille  d'Antoine  de  Rambouillet  de  la  Sablière  et  de 
l'amie  dévouée  de  la  Fontaine;  elle  était  veuve  alors  de  Guillaume 
Scott  de  la  Mésangère,  conseiller  au  parlement  de  Rouen,  et  elle 
mourut  le  30  novembre  1714,  sans  enfants. 


[17151 


DE  SAINT-SIMON. 


417 


avoit  été  son  sous-gouverneur^  et  il  lui  avoit  plu  par  la 
haine  de  toute  contrainte,  par  sa  philosophie  toute  épicu- 
rienne, par  une  brusquerie  qui,  quand  elle  n'alloit  pas  à 
la  brutalité,  ce  qui  arrivoit  assez  souvent,  étoit  quelque- 
fois plaisante  sous  le  masque  de  franchise  et  de  liberté  ; 
d'ailleurs  un  assez  honnête  mondain,  pourtant  fort  parti- 
culier. Il  étoit  fort  éloigné  de  s'accommoder  de  tout  le 
monde,  fort  paresseux,  ne  se  gênoit  pour  rien,  ne  se 
refusoit  rien.  Le  climat,  les  saisons,  les  morceaux  rares 
qui  ne  se  trouvoient  qu'en  certains  temps  et  en  certaines 
provinces,  les  sociétés  qui  lui  plaisoient,  quelquefois  une 
maîtresse  ou  la  salubrité  de  l'air,  l'attiroient  ici  et  là,  et 
l'y  retenoient  des  années,  et  quelquefois  davantage;  d'ail- 
leurs poli,  vouloit  demeurer  à  sa  place,  ne  se  soucioit^  de 
rien  que  de  quelque  argent,  sans  être  trop  avide,  pour 
jeter  librement  à  toutes  ses  fantaisies,  dont  il  étoit  plein 
en  tout  genre,  et  à  pas  une  desquelles  il  ne  résista  jamais. 
Tout  cela  plaisoit  à  M.  le  duc  d'Orléans,  et  lui  en  avoit 
acquis  l'amitié  et  la  considération.  G'étoit  un  de  ceux 
qu'il  voyoit  toutes  les  fois  qu'il  alloit  à  Paris,  quand  Noce 
y  étoit  lui-même,  avec  lesquels  tous  je  n'avois  ni  liaison 
ni  connoissance,  parce  que  je  ne  voyois  jamais  M.  le  duc 
d'Orléans  à  Paris,  et  que  ces  personnes-là^  ne  venoient 
jamais  à  Versailles.  Depuis  la  Régence,  je  n'eus  guères 
plus  de  commerce  avec  eux.  Leur  partage  étoit  les  soupers 
et  les  amusements  du  Régent,  le  mien  les  affaires,  sans 
aucun  mélange  avec  ses  plaisirs. 

J'avois  depuis  fort  longtemps  une  idée  dans  la  tête  que 
je  voulus  examiner,  et  voir  si  elle  étoit  possible,  lorsque  je 
commençai  à  m'apercevoir  de  la  diminution  de  la  santé  du 
Roi.  Je  fis  sur  cela  un  travail  à  la  Ferté,  où  je  m'aidai  de 
gens  plus  propres  que  moi  au  calcul,  sans  leur  commu- 

1.  Tome  XXVI,  p.  277. 

2.  Les  mots  se  souciait  de  sont  en  interligne  au-dessus  de  vouloit, 
biffé,  et,  plus  loin,  de  a  été  ajouté  avant  quelque. 

3.  La  première  lettre  de  personnes  corrige  un  g  (gens). 


Survivances, 

brevets  de 

retenue 

et  charges  a 

rembourser, 

raisons  et 

moyen 


H8  MÉMOIRES  [1715] 

dr  le  faire,  et  niqiier  à  quoi  il  tendoit,  et  je  connus  qu'il  y  avoit  de 
dien'compi»nso8  '  ♦^tolTe'.  Voici  quelle  elle  éloit  :  jevoulois  reuflre  M.  le  duc 
à  procurer*.  d'Orléans  maître  de  toutes  les  principales  charges  de  la 
cour,  à  mesure  qu'elles  viendroient  à  vaquer,  et  d'autres 
dont  je  parlerai  après,  et  lui  donner  auprès  du  Hoi  l'hon- 
neur de  les  lui  faire  trouver  libres  à  sa  majorité.  Il  n'y  en 
avoit  presque  plus  qui  ne  fussent  en  survivance  ou  char- 
gées de  gros  brevets  de  retenue  qui  tendoient  au  môme 
effet.  Par  ce  moyen  elles  étoient  rendues  héréditaires. 
Qui  n'en  avoit  point  n'en  pouvoit  espérer  ;  le  Roi  n'avoit 
rien  à  disposer.  Les  fils  succédant  aux  pères  obtenoient' 
sûrement,  ou  sur-le-champ  ou  tôt  après,  le  même  brevet 
de  retenue,  et,  si,  par  un  hasard  d'une  fois  en  vingt  ans, 
il  s'en  trouvoit  une  à  disposer,  c'étoit  en  payant  le  brevet 
de  retenue  par  le  successeur,  qui  alors  en  obtenoit  sur- 
le-champ  un  pareil.  Cette  grâce  lui  taisoit  bien  trouver  la 
somme  entière  du  prix  de  la  charge  ;  mais  les  arrérages 
de  cet  emprunt  étoient  au  moins  égaux  aux  appointe- 
ments de  la  charge,  en  sorte  qu'il  la  faisoit  à  ses  dépens,  et 
s'y  ruinoit  souvent.  Je  voulois  donc  payer  tous  ces  brevets 
de  retenue.  C'eût  été  une  grâce  inespérée  pour  ceux  qui  en 
avoient,  que  cela  eût  libérés  du  fonds  hypothéqué  dessus,  et 
leur  eût  laissé  libre  et  en  gain  la  jouissance  de  leurs  appoin- 
tements. Tout  le  gré  de  tant  de  gens  considérables  en  eût 
été  à  M.  le  duc  d'Orléans,  qui,  dans  le  cours  de  sa  Régence, 
auroit  eu  le  choix  libre  pour  remplir  les  vacances,  et 
l'auroit  remis  au  Roi  à  sa  majorité.  Mais  aussi  la  con- 
dition essentielle  étoit  de  se  faire  une  loi  immuable  de 
ne  donner  jamais  ni  survivances  ni  brevets  de  retenue 
pour    quelque   raison   que    ce    pût   être.    Chacun   alors 

i.  ('  On  dit  d'un  jeune  homme  dont  les  dispositions  sont  heureuses 
et  n'ont  besoin  que  d'être  cultivées,  on  peut  faire  de  lui  quelque 
chose  de  bon,  il  y  a  de  l'étoffe  »  (Académie,  4748). 

2.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  Le  /ils  succédant  à  son  père 
obtenoit;  il  a  mis  ensuite  toute  la  phrase  au  pluriel. 

•  Avant  procurer,  il  a  biffé  faire. 


[nin]  DE  SAINT-SIMON.  H9 

auroit'  espéré  et  se  seroit  conduitde  façon  à  fortifier  son  es- 
pérance, et  on  auroit  banni  l'indécence  de  voir  des  enfants 
exercer  les  premières  charges,  et  de[s]  jeunes  gens  gorgés 
les  déshonorer  par  leur  conduite,  fondée  sur  une  situa- 
tion brillante  qui  ne  peut-  leur  manquer,  et  qui  ne  leur 
laisse  ni  crainte  de  perdre  ni  désir  d'obtenir.  Or  les 
hommes  se  mènent  presque  tous  beaucoup  mieux  par 
l'espérance  et  par  la  dépendance  que  par  la  reconnoissance 
et  par  d'autres  égards,  ce  qui  rendoit  ce  remboursement 
beaucoup  plus  utile  encore  à  un  régent,  qui  par  là  acqué- 
roit^  l'un  et  l'autre.  J'en  voulois  faire  autant  et  par  mêmes 
raisons,  pour  les  gouvernements  de  province  dont  l'objet 
n'étoit  pas  fort,  non  plus  que  leurs  lieutenances  générales  ' 
que  j'avois  encore  plus  à  cœur.  Voici  ma  raison  d'affection 
particulière.  Le  nombre  d'officiers  généraux  étoit  devenu 
excessif  dans  ces  guerres  continuelles,  par  cette  détestable 
méthode  de  faire  de  nombreuses  promotions  par  l'ordre  du 
tableau.  En  même  temps  presque  point  de  récompenses; 
en  sorte  qu'on  a  vu  des  maréchaux  de  camp  et  force  bri- 
gadiers demander,  accepter  avec  joie,  et  n'obtenir  pas  tou- 
jours des  emplois  dont,  avant  cette  foule,  les  commandants 
de  bataillon  des  vieux  corps  se  croyoient  mal  récompensés. 
Un  gouvernement  de  place  de  quinze  ou  seize  mille  livres 
de  rente  à  tout  tirer^,  ordinairement  à  résidence,  est  tout 
ce  qu'un  bon  et  ancien  lieutenant  général  peut  espérer. 
Les  gouvernements  bons  et  médiocres  ne  sont  pas  en 
très  grand  nombre,  de  sorte  que  beaucoup  de  lieutenants 
généraux  attendent  longtemps,  et  que  plusieurs  n'en  ont 
jamais,  et  c'est  pourtant  tout  ce  qu'ils  peuvent  espérer. 
Les  grandes  croix ^  de  Saint-Louis  sont  en  très  petit  nom- 

1.  Avant  auroit,  Saint-Simon  a  biffé  un  en,  qui  changeait  complè- 
tement le  sens  de  la  phrase. 

2.  Peut  est  en  interligne  au-dessus  de  pouvait,  biffé. 

3.  Saint-Simon  écrit  acquiéroit. 

4.  Il  a  été  parlé  de  ces  charges  dans  notre  tome  XII,  p.  452. 

5.  C'est-à-dire  y  compris  tous  les  profits  qu'on  en  peut  tirer. 

6.  Avant  croix,  il  y  a  un  de,  biffé. 


1-20  MÉMOIRES  [1715] 

hre,  Pt.  quelque  profititution  qu'il  se  soit  faite  des  colliers 
(le  l'ordre  du  Saint-Esprit,  ils  sont  rares  pour  ces  récom- 
penses, et  ne  donnent  pas  de  subsistance.  Je  voulois  donc 
affecter  toutes  les  lieutenances  générales  des  provinces  à 
la   récompense    des  lieutenants  généraux,  et  les  lieute- 
nances de  Roi  des  provinces  aux  maréchaux  de  camp,  ce 
qui,  avec  les  gouvernements  de  places  qui  leur  en  servent 
jusqu'à  cette  heure,  fourniroit  à  tous,  en  observant  que 
le  même  n'eût  jamais  l'un  et  l'autre.  Rien  de  plus  natu- 
rel, de  plus  convenable,  ni  de  plus  utile  au  vrai  service 
du  Roi  et  à  celui  des  provinces,  que  cette  sorte  de  récom- 
pense   qui   laisseroit  les  très  petits    gouvernements    de 
places  et  de  forts,  et  tous  les  états-majors  des  places,  aux 
brigadiers  et  à  ce  grand  nombre  d'otïiciers  si  dignes  de 
récompenses.  Je  voulois  que  ces  lieutenants  généraux  et 
ces  lieutenants  de  Roi  des  provinces  en  fissent  les  fonc- 
tions, et  remettre  ainsi  l'épée  en  lustre  et  en  autorité,  en 
bridant  et  humiliant  les  intendants  des  provinces  et  cette 
foule   de  trésoriers  de  France,    d'élus,  de   petits  juges, 
de  gens  de  rien,  enrichis  et  enorgueillis,   qui   sous   les 
intendants  sont   les   tyrans    des    provinces,    le    marteau 
continuel'  de  la  noblesse,  et  le  fléau  du  peuple,  qu'ils 
dévorent.  Rien  de  si  indécent  que  la  manière  dont  ces  lieute- 
nances générales  et  de  Roi  des  provinces  se  trouvoient 
remplies*.  Les  premières  étoient  devenues  le  patrimoine 
des  possesseurs;  c'étoient  souvent   des  enfants,   presque 
toujours  des  personnes  aussi  ineptes^.  Les  autres,  hérédi- 
taires par  l'édit  assez  nouveau  de  leur  création,  n'étoient 
presque  remplies  que  de  gens  qui  n'étoient  pas  ou  bien  à 
peine   gentilshommes,    et   qui  pour  leur  argent  avoient 
couru  après  ce  petit  titre  pour  se   recrépir.  Rembourser 
les  uns  et  les  autres,  c'étoit  ôter  des  images  la  plupart 

4.  Figure  déjà  employée  dans  le  tome  XXII,  p.  i7,  et  ci-dessus, 
p.  33. 

2.  Le  participe  remplies,  oublié,  a  été  ajouté  sur  la  marge. 

3.  Au  sens  d'inapte,  comme  dans  notre  tome  XVI,  p.  204. 


[ilio]  DE  SAINT-SIMON.  1-21 

ridicules,  pour  leur  substituer  mérite,  valeur,  âge,  main- 
tien, usage  de  commander,  en  même  temps  se  dévouer 
tout  le  militaire  par  une  telle  et  si  nombreuse  destination 
de  récompenses.  Le  moyen  étoit  par  une  taxe  sourde'  aux 
gens  d'affaires.  L'expérience  doit  avoir  dégoûté  des 
chambres  de  justice.  L'argent  et  la  protection  y  sauvent 
tous  les  gros  richards-  qui  ne  se  sont  pas  rendus  absolu- 
ment odieux,  et  de  ceux-là  encore  il  s'en  tire  beaucoup 
d'affaires^;  on  les  vexe  pour  enrichir  le  protecteur.  Les 
alliances  que  la  misère  des  gens  de  qualité  leur  a  fait 
faire  avec  eux  en  délivrent  encore  un  grand  nombre.  Les 
médiocres  financiers  ont  aussi  leurs  ressources  pour 
échapper  :  les  taxes,  faites  pour  la  forme,  obtiennent  des 
remises  et  des  modérations  ;  en  un  mot  beaucoup  de 
bruit,  qui  perd  le  crédit  dont  [on]  a  besoin  tant  que  la 
finance  demeure  sur  le  pied  où  elle  est;  grands  frais,  que 
le  Roi  paye  ;  force  grâces  à  droit  et  à  gauche  aux  dépens 
des  malheureux;  au  bout,  nul  profit  pour  le  Roi,  ou  si 
mince  qu'on  est  honteux  de  l'avouer.  Au  lieu  d'une  si 
ruineuse  méthode,  parler  à  l'oreille  à  ces  gens-là,  leur 
dire  qu'on  ne  veut  ni  les  décréditer,  ni  les  tourmenter, 
ni  mettre  leurs  affaires  au  jour,  mais  qu'on  n'est  pas 
aveugle  aussi  sur  leurs  gains  excessifs,  qu'il  est  rai- 
sonnable qu'ils  en  aident  le  Roi,  et  qu'ils  ne  se  commettent 
pas  à  un  traitement  rigoureux,  au  lieu  du  gré  qu'ils  ac- 
querront* à  faire  les  choses  de  bonne  gràce%  et  se  prépa- 
reront les  voies  à  remplir  une  partie  du  vuide  qu'ils  s'im- 
poseront ;     les    assurer    que    ce    qu'on    leur    demande 

i.  La  suite  va  expliquer  ce  que  Saint-Simon  veut  dire  par  cette 
expression  de  «t  taxe  sourde  ». 

"1.  «  Richard,  qui  a  beaucoup  de  bien  ;  il  ne  se  dit  ordinairement 
que  des  personnes  de  condition  médiocre,  et  en  style  familier  «  (Aca- 
démie, 1718)  ;  ci-dessus,  p.  74. 

3.  Il  veut  dire  que,  même  de  ceux  qui  se  sont  rendus  odieux, 
beaucoup  se  tirent  d'affaire. 

4.  Ecrit  acquerreront. 

o.  Il  y  a  bonne  au  sing:ulier  et  grâces  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 


49-2  MEMOIRES  [1715] 

demeurera  secret,  pour  ne  pas  intéresser  leur  crédit  et  leur 
réputation  ;  leur  faire  à  chacun  des  propositions  modérées 
et  proportionnées  à  ce  (jue  l'on  peut  raisonnal)lement 
savoir  do  leurs  prolits;  leur  répartir  les  brevets  de  retenue 
et  les  lieutenances  générales  des  provinces  par  lots,  sui- 
vant ce  qu'on  seroit  convenu  avec  eux,  et  le  temps  court 
pour  apporter  les  démissions  et  les  quittances  ;  et,  si 
quelques-uns  d'eux  faisoient  les  insolents,  les  traiter 
militairement,  de  Turc  à  More',  et  subitement  sans 
merci,  pour  donner  exemple  aux-  autres.  A  l'égard 
de  ceux  qui  sont  revêtus  de  ces  emplois,  dont  il  se 
Irouveroit  quelques-uns  à  conserver  jusqu'à  vacance, 
leur  parler  civilement,  mais  en  leur  montrant  qu'on  veut 
être  obéi.  Pour  les  lieutenances  de  Roi,  où  il  y  en  auroit 
peut-être  fort  peu  à  conserver,  mais  en  leur  déclarant 
qu'il  n'y  a  plus  d'hérédité,  la  plupart  se  trouveroient  de 
telle  espèce  qu'il  n'y  auroit  pas  grande  différence  entre 
eux  et  les  charges  municipales  créées  de  même,  et  qui 
ont  été  supprimées  aux  dernières  paix,  et  point  ou  très 
peu  remboursées.  Quelle  comparaison  entre  le  méconten- 
tement des  remboursés  et  des  supprimés  de  ces  charges, 
et  l'acclamation  de  toutes  les  troupes  que  M.  le  duc 
d'Orléans  se  dévoueroit  par  la  réalité  et  par  l'espérance 
de  cette  multiplication  de  belles  récompenses,  depuis  le 
premier  lieutenant  générai  jusqu'au  dernier  enseigne  et 
cornette,  parce  que'  ce  grand  nombre  de  différentes  ré- 
compenses déboucheroit  bien  plus  aisément  les  têtes  des 
corps,  et  donneroit  de  justes  espérances  à  la  queue  de 
monter  plus  tôt,  et  d'arriver;  et  quelle  sûreté  et  quelle 
facilité  dans  tout  le  cours  de  la  Régence,  et  quelle  consi- 
dération après,  recueilleroit  ce  prince  de  s'être  ainsi  atta- 

1.  «  On  flit  proverbialement  traiter  quelqu'un  de  Turc  à  More, 
pour  dire  le  traiter  avec  toute  sortf  rie  dureté  et  sans  aucun  égard  » 
(Académie,  4718). 

2.  Avant  aux  il  a  biffé  à  d'aut[rcs]. 

3.  Que,  oublié,  a  été  ajouté  après  coup. 


flT^S]  DE  SAINT-SIMON.  423 

ché  toute  la  cour  et  tout  le  militaire  de  tout  grade,  et  de 
les  avoir'  mis  de  plus  dans  sa  dépendance  par  ces  solides 
espérances!  Je  dis  jusqu'au  dernier  cornette  :  en  voici  la 
raison.  En  proposant  à  M.  le  duc  d'Orléans  tout  ce  qui  vient 
d'être  expliqué  dans  cet  article,  je  lui  fis  considérer  que 
toutes  les  récompenses  au-dessous  des  officiers  généraux 
n'étoient  que  pour  l'infanterie,  qui  est  le  nerf  de  l'État, 
et  ne  dévoient  aussi  aller  qu'à  elle,  parce  que  la  cavalerie 
n'entend  point  les  places-;  qu'en  même  temps  la  cavalerie 
étoit  aussi  trop  mal  traitée  depuis  que  les  extrêmes  be- 
soins avoient  engagé  à  retrancher  les  bons  quartiers 
d'hiver  et  mille  autres  revenants-bons  qui  n'étoient  pas 
de  règle,  mais  sur  lesquels  M.  de  Louvois,  et  son  fils 
après  lui,  fermoient  les  yeux  pour  un  bien-être  nécessaire 
à  entretenir  de  belle  cavalerie,  et  à  suppléer  aux  récom- 
penses dont  les  officiers  sont  privés  en  se  retirant  presque 
tous,  parce  qu'elles  ne  consistent^  qu'en  pensions  rares  et 
modiques,  et  que  ce  moyen  n'étoit  pas  onéreux,  comme 
eût  été  d'en  augmenter  le  pied*.  Ainsi  je  proposai  à  M.  le 
duc  d'Orléans  de  se  faire  une  règle  inaltérable  de  borner 
les  officiers  d'infanterie  aux  états-majors,  que  les  officiers 

t.  Les  avoir  corrige  Vavoir. 

2.  Il  veut  dire  que  les  officiers  de  cavalerie  ne  connaissent  rien  à 
l'administration,  et  peut-être  à  la  défense,  des  places  fortes. 

3.  Ecrit  consitent  dans  le  manuscrit. 

4.  C'est-à-dire  d'en  augmenter  la  solde.  C'est  ici  le  sens  de  cet 
exemple  donné  par  le  Dictionnaire  de  V Académie  de  1718  :  on  dit 
qu'un  régiment  de  cavalerie  est  entretenu  sur  le  pied  étranger  pour 
dire  qu'il  jouit  de  la  solde  qu'on  donne  aux  régiments  étrangers. 
L'explication  de  la  phrase  passablement  embrouillée  de  notre  auteur 
est  celle-ci  :  toutes  les  situations  dans  les  états-majors  des  places  doi- 
vent être  réservées  aux  officiers  d'infanterie,  parce  que  ceux  de  cava- 
lerie ne  sont  pas  capables  de  les  remplir  ;  d'autre  part,  la  cavalerie  est 
trop  mal  traitée  depuis  qu'on  lui  a  supprimé  des  revenants-bon  et 
autres  avantages  irréguliers  sur  lesquels  Louvois  et  son  fils  fermaient 
les  yeux,  parce  que  ces  avantages  étaient  nécessaires  pour  avoir  une 
belle  cavalerie  et  que  ce  moyen  était  moins  onéreux  que  d'en  augmenter 
la  solde  ;  en  conséquence  il  propose  au  Régent  l'organisation  suivante. 


4«4  MÉMOIRES  [171.S] 

supérieurs  ne  leur  onihloroient  '  plus -,  et  à  la  plus  modique 
portion  qu'il  se  pourroit  de  grâces  sur  l'ordre  de  Saint- 
Louis,  d'en  affecter  toutes  les  autres  à  la  cavalerie  et  aux 
dragons,  et  toutes  les  pensions  de  retraite  que  le  Roi  se 
trouveroit  (>n  état  de  donner,  sans  plus  aucune  à  l'infan- 
terie, au  moyen  de  quoi  il  empêcheroit  par  cette  étoffe 
et  par  cette  espérance  la  tète  de  ces  régiments  do  quitter 
par  ennui,  par  dégoût,  par  craindre  d'achever  de  se  ruiner, 
inconvénient  qui  renouvelle  sans  cesse  ces  corps,  et  qui 
les  dépouille  d'officiers  expérimentés  et  capables^ 

En  même  temps  je  le  pressai  de  songer,  autant  que  les 
finances  le  pourroient  porter,  au  rétablissement  de  la  ma- 
rine, d'où  dépend  en  un  royaume  flanqué  des  deux  mers 
toute  la  sûreté  et  la  prospérité  de  son  commerce  et  de  ses 
colonies,  qui  est  la  source  de  l'abondance*  ;  objet  dont 
la  nécessité  et  l'importance  augmente  à  mesure  que  la  lon- 
gue paix  intérieure  de  l'Angleterre,  paix  inouïe  jusqu'ici 

t.  Vprbe  déjà  rencontré  dans  les  tomes  I,  p.  dST,  et  VI,  p.  338. 

i.  Puisqu'ils  auraient  pour  eux  les  lieutenanccs  générales  et  les 
lieutenances  de  Roi  des  provinces. 

3.  Dans  les  Projets  de  gouvernement  (p.  97),  il  avait  exposé  des 
idées  analogues,  mais  sans  faire  de  distinction  entre  la  cavalerie  et 
l'infanterie:  <f  II  paroît  encore  plus  pressé,  disait-il,  de  travailler  au 
remboursement  des  charges  des  lieutenants  généraux  et  des  lieutenants 
de  Roi  des  provinces.  Ce  sont  des  charges  caponnes,  toujours  en  pré- 
tentions, jamais  en  fonctions.  On  manque  de  récompenses  militaires: 
les  prodigieuses  armées  dont  M.  de  Louvois  a  été  l'autour  ont  telle- 
ment multiplié  les  ofTiciers  de  tout  grade,  qu'il  n'a  pas  été  possible  de 
multiplier  les  récompenses  à  proportion,  surtout  pour  les  officiers 
généraux,  avec  les  promotions  immenses  qu'on  en  a  faites.  Il  n'y  en 
avoit  point  de  plus  convenables  pour  les  mieux-méritants  que  d'aiïecter 
les  lieutenances  générales  des  provinces  aux  lieutenants  généraux 
des  armées  qui  s'y  retireroient  et  y  auroient  subsistance,  fonctions  et 
considération,  et  les  lieutenances  de  Roi  des  provinces  aux  maréchaux 
de  camp  qui  s'y  retireroient  de  même.  Ce  secours  élargiroit  pour  les 
autres  ofliciers  généraux,  à  qui  on  auroit  des  gouvernements  de  places 
à  donner  en  plus  grand  nombre  ;  des  gouvernements  de  places  moin- 
dres et  tous  les  états-majors  des  places  aux  brigadiers,  etc.  » 

t.  Voyez  les  Projets  de  (jouverncment,  p.  98-99. 


[171  S] 


DE  SAINT-SIMON. 


m 


depuis  la  durée  de  cette  monarchie,  l'a  mise  en  état  de 
couvrir  toutes  les  mers  de  ses  vaisseaux,  et  d'y  donner 
la  loi  à  toutes  les  autres  puissances,  tandis  qu'il  a  été  un 
temps  où  le  Roi'  a  disputé  l'empire  de  la  mer  à  l'Angle- 
terre et  à  la  Hollande  unies  contre  lui,  et  y  a  eu  des  suc- 
cès et  des  victoires.  Par  cette  même  raison,  augmenter 
l'émulation,  en  ne  souffrant  plus  à  l'avenir  que  les  vice- 
amiraux  devenant  maréchaux  de  France  conservassent 
leur  vice-amirauté,  puisqu'ils  se  trouvoient  revêtus  du 
premier  grade  militaire  qui  commandoit  à  tous,  par  quoi 
ce  dédoublement  feroit  monter  tout  le  monde;  et  destiner 
aussi  des  récompenses,  dont  la  marine  est  presque  totale- 
ment privée,  en  lui  affectant  le  gouvernement  de  tous  les 
ports  et  tous  leurs  états-majors,  ce  qui  éviteroit  de  plus 
mille  inconvénients  pour  le  service  et  des  tracasseries 
sans  fin  entre  les  officiers  de  terre  et  de  mer. 

Revenant  après  sur  mes  pas  à  la  taxe,  je  dis  à  M.  le  duc 
d'Orléans  que  cette  entreprise  n'avoit  rien  de  contraire 
à  ma  proposition  d'assembler  les  Etats  généraux,  parce 
que  leur  convocation  n'étoit  faite  que  pour  rendre  publi- 
que la  situation  forcée  où  il  trouvoit  les  finances,  et  leur 
donner  le  choix  des  remèdes  et  de  l'ordre  qu'ils  seroient 
d'avis  d'y  apporter;  que,  quelque  taxe  qu'on  se  pût  pro- 
poser par  une  chambre  de  justice,  ou  par  toute  autre  voie, 
elle-  ne  pouvoit  remplir  aucun  de  ces  deux  objets;  et  que 
celle  qu'il  feroit  ne  touchoit  aussi  ni  à  l'un  ni  à  l'autre, 
par  quoi  il  seroit  toujours  vrai  de  dire  aux  Etats  qu'il 
n'avoit  fait,  en  ^  attendant  leur  assemblée  et  leur  délibé- 
ration, que  continuer  la  forme  de  l'administration  qu'il 
avoit  trouvée  dans  les  finances,  sans  innover  en  rien,  pour 
leur  laisser  toutes  choses  entières.  J'ajoutai  que  je  ne 
voyois  point  d'occasion  plus  favorable  de  faire  et  de  pres- 

1.  Roy  surcharge  feu. 

2.  Elle  a  été  ajouté  en  interligne. 

3.  Avant  ce  mot,  Saint-Simon  a  biffé  que  continuer,  qui  va  se  retrou- 
ver ci-après. 


Taxe  proposée 

n'a  rien 

de  contraire 

à 

la  convocation 

des 
États  généraux, 

qui  lui 
est  favorable. 
Autres  rem- 
boursements 

peu  à  peu 
dans  la  suite. 


i-2»i  MÉMOIRES  [1715] 

ser  la  taxe  telle  que  je  la  proposois,  qu'au  moment  de  la 
pi'eniière  publicité  de  la  convocation  des  l-^tats,  pour  faire 
peur  aux  tinanciers  d'être  abandonnés  à  leur  merci,  elles 
assurer  qu'en  pavant  avant  leui-  |)i'einière  assemblée,  ils 
seroient  garantis  de  leur  haine,  de  leur  vengeance  et  de 
tout  ce  qu'ils  avoient  tant  de  lieu  d'en  appréhender,  ce 
qui  seroit  le  plus  puissant  et  le  plus  pressant  véhicule  à 
céder  et  à  paver  promptement.  Mon  projet'  pour  les  suites, 
dont  je  lis  sentir  l'importance  et  la  convenance  à  M.  le 
duc  d'Orléans,  étoit  de  trouver  moyen  de  payer  peu  à  peu 
tous  les  régiments  de  cavalerie,  d'infanterie  et  de  dra- 
gons, pour  en  ôter  la  vénalité  à  jamais,  qui  ferme  la  porte 
à  tout  grade  militaire  à  qui  n'y  peut  atteindre,  et  en  lais- 
seroit  la  libre  disposition  au  l\oi.  La  France  est  le  seul 
pays  du  monde  où  les  ofifices  de  la  couronne,  les  charges 
de  la  cour  et  de  la  guerre,  et  les  gouvernements  soient 
vénaux;  les  inconvénients  de  cet  usage,  aussi  pernicieux 
quil  est  unique,  sont  infinis,  et  il  n'est  point  immense  de 
l'abolir.  A  l'égard  des  autres  sortes  de  charges,  il  seroit 
chimérique  de  penser  sérieusement  à  en  ôter  la  vénalité, 
tant  cette  mer  est  vaste,  mais  bien  important  de  ne  per- 
dre pas  les  occasions  de  rendre  libres  les  charges  des  pre- 
miers présidents  et  des  procureurs  généraux  des  parle- 
ments, chambres  des  comptes  et  cours  des  aides,  pour  que 
le  Roi  en  pût  disposer  librement. 
Nulle  grâce  Je  n'oubliai  pas  encore  de  remontrer  à  M.  le  duc  d'Or- 

e.vpeciaiivc  ;     j^^ns  avec  combien  de  raison  le  Moi  s'étoit  rendu  si  diHi- 

remplir  .  .  i)»»i/  jjll  ' 

^alitement  les  cile  sur  les  coadjutoreries  d  eveches  et  d  abbayes,  qu  on 
n'en  vovoitplusdepuis  longtemps,  l'inconvénient*  de  l'am- 
bition des  parents,  et  si  souvent  celui ^  de  la  mésintelli- 
gence qui  se  mettoit  entre  les  titulaires  et  les  coadjuteurs. 
Je  le  fis  souvenir  du  juste  repentir  qu'avoit  eu  le  Roi  de 

i.  Après  projet,   qui  linit   une  lif^ne,  Saint-Simon   a  ajouté  sur  la 
marge  un  estait  inutile,  (4ui  était  déjà  placé  plus  loin. 

2.  Je  n'oubliai  pas  de  remontrer  l'inconvénifnt. 

3.  Le  manuscrit  porte  celles,  par  inadvertance,  au  lieu  de  celui. 


^acances. 


[1745]  DE  SAINT-SIMON.  127 

la  complaisance  qu'il  avoit  eue  de  permettre  celle  de 
Gluny',  et  combien  il  se  devoit  garder,  et  le  Roi  lorsqu'il 
seroit  majeur,  de  prendre  jamais  d'engagement  avec  qui 
que  ce  fût  pour  rien  qui  ne  fût  pas  vacant,  et  combien  il 
étoit  utile,  tant  pour  les  places  de  l'Église  que  pour  toutes 
les  autres,  de  se  former  un  état  de  ceux  qu'on  croit  devoir 
placer,  par  étages  et  par  classes,  afin  de  pouvoir  choisir 
soi-même  le  successeur  d'une  place  dont  le  titulaire  me- 
nace une  ruine  prochaine,  ou  dont  on  apprend  la-  mort, 
pour  n'être  pas  en  proie  aux  demandeurs,  à  gens  quelque- 
fois qu'on  ne  veut  pas  refuser,  et  pouvoir  disposer  sur-le- 
champ  de  la  vacance  pour  donner  soi-même,  en  avoir  le 
gré,  et  ne  se  les  laisser  pas  arracher  avec  peu  ou  point  de 
reconnoissance,  et  encore  moins  de  choix.  Je  le^  fis  sou- 
venir du  très  juste  scrupule  qui  avoit  obligé  le  Roi  à  déli- 
vrer de  vénalité  les  charges  de  ses  aumôniers*,  parce 
qu'elles  étoient  le  chemin  ouvert  aux  bénéfices  et  aux 
prélatures,  et  le  soin  qu'il  devoit  se  prescrire  de  ne  l'y  pas 
laisser  rentrer;  chose,  s'il  n'y  étoit  exact,  qui  seroit  trou- 
vée bien  plus  mauvaise  de  lui,  par  la  licence  de  sa  vie 
jusqu'alors,  qui  lui  feroit  mépriser  les  faubourgs  de  la 
simonie,  que  le  Roi  avoit  si  saintement  anéantis. 

Je  lui  parlai  aussi  de  l'affreux  état  où  on  avoit  laissé  Réparations 
tomber  les  chemins  par  tout  le  royaume,  tandis  que  ^^^  chemins 
chaque   généralité  ^   payoit  de  si   grosses   sommes    pour     les  troupes. 

-l.  Pour  l'abbé  d'Auvergne,  neveu  du  cardinal  de  Bouillon  :  tomes 
IV,  p.  108,  VII,  p.  82,  et  XI,  p.  77-79. 

2.  La  corrige  sa. 

3.  Le  est  en  interligne,  au-dessus  de  liiy,  biffé. 

4.  Tome  XX,  p.  219. 

0.  On  appelait  généralité  une  circonscription  administrative  régie 
au  point  de  vue  financier  par  un  bureau  des  trésoriers  généraux  de 
France.  Comme  ces  trésoriers  prenaient  le  titre  de  généraux  des  finan- 
ces, on  appela  généralité  la  conscription  territoriale  sur  laquelle  s'éten- 
dait leur  autorité.  Lors  de  la  création  des  intendants,  qu'on  appela 
d'abord  «  commissaires  départis  dans  les  généralités  sur  le  fait  de  la 
justice,  police  et  tinances  »,  on  en  établit  en  principe  un  dans  chaque 


128  MÉMOIRES  [171."] 

leurs'  réparations  etenti-otien.  r[  i\m\  si  on  [on|  omployoit 
quelcjue  chose,  il  en  denieuroit  la  moitié  dans  la  poche 
des  entrepreneurs,  qui  faisoient  encore  de  très  mauvais  ou- 
vrages, et  qui  ne  duroient  rien;  (jue  cet  article  étoit  de 
la  dernière  importance  pour  le  commerce  intérieur  du 
royaume,  qu'il  interceptoit  totalement  en  beaucoup  d'en- 
droits, faute  de  ponts  et  de  chaussées  (jui  manquoient  sans 
nombre,  et  qui  obligeoient  à  faire  de  longs  détours,  ce 
qui,  joint  au-  nombre  doublé  et  triplé  de  chevaux  pour 
traîner  les  voitures  dans  les  chemins  rompus,  où  elles  s'em- 
bourboient  et  se  cassoient  continuellement,  causoit  une 
triple  dépense,  qui,  sans  compter  la  peine  et  le  travail, 
dégoùtoit^  les  moins  mal  aisés,  et  passoit  les  forces  de  tous 
les  autres*  ;  que  la  Flandre  espagnole  ou  conquise,  l'Alsace, 
la  Lorraine,  la  Franche-Comté,  le  Languedoc  lui  don- 
noient  un  exemple  qu'il  falloit  suivre,  et  qui  méritoit  qu'il 
entrât  dans  la  comparaison  de  l'aisance  et  du  protit  qu'y 
trouvoient  ces  provinces,  pour  leurs  commerces  de  toutes 
les  sortes,  avec  le  dommage  qu'éprouvoit  tout  le  reste  du 
royaume;  que,  pour  y  parvenir,  il  étoit  aisé  de  répandre 
en  pleine  paix  les  troupes  par  le  royaume,  et  de  se  servir 
d'elles  pour  la  réparation  des  chemins;  qu'elles  y  trou- 
veroient  un  bien-être  qui  ne  coùteroit  pas  '  le  demi-quart 
de  ce  qu'il  s'y  dépenseroit  par  tout  autre  moyen  ;  que 
les  officiers  y  veilleroient  à  un  travail  assidu,  continuel, 
et  toutefois  réparti  de  façon  à  ne  pas   trop  fatiguer  les 

généralité,  et  ce  mot  s'eiitomlit  alors  plus  fréquemment  du  territoire 
administré  par  un  intendant. 

i.  Il  y  a  leur  au  singulier  dans  le  manuscrit. 

2.  Au  corrige  à  l[a],  et,  plus  loin,  et  triplé  est  en  interligne. 

'6.  Degoustoicnt  corrigé  en  degoustoit. 

4.  Saint-Simon  a  déjà  parlé  du  mauvais  état  des  chemins  et  des 
ponts,  et  des  sommes  énormes  qui  y  étaient  cependant  aiïeclées,  dans 
le  tome  XVII,  p.  207-209,  et  on  a  donné  alors  le  comnienlaire  néces- 
saire. 

5.  Pas  est  répété  deux  Ibis  à  la  lin  d'une  li;;ne  et  au  coniiiiencetnrnt 
de  la  suivante. 


[47151  DE   SAINT-SIMON.  129 

troupes  ;  que  les  ingénieurs  qu'on  eraploieroit  à  visiter 
ces  travaux,  et  les  officiers  qui  en  seroient  les  témoins, 
tiendroient  de  court  les  entrepreneurs  sur  la  bonté  de 
l'ouvrage  et  la  solidité,  de  même  que  sur  les  gains  illicites 
des  gens  du  métier  qui  y  seroient  employés,  et  sur  les 
friponneries  des  secrétaires  et  des  domestiques  des  inten- 
dants, et  souvent  des  intendants  eux-mêmes,  leurs  négli- 
gences, leurs  préférences  ;  et  qu'en  quatre  ans,  et  pour 
fort  peu  de  chose,  qui  encore  tourneroit  au  profit 
des  troupes,  les  chemins  se  trouveroient  beaux,  bons  et 
durables. 

A  l'égard  des  ponts,  qu'il  n'étoitpas  difficile  d'avoir  un 
état  de  ceux  qui  étoient  à  refaire  ou  à  réparer,  destiner 
ce  qu'on  pourroit  pour  le  faire  peu  à  peu,  commençant 
par  les  plus  nécessaires,  et  choisir  les  ingénieurs  le  plus 
en  réputation  d'honneur  et  d'intelligence  en  ouvrages, 
pour  se  trouver  présents  avec  autorité  aux  adjudications 
qui  en  seroient  faites  par  les  intendants,  et  tenir  de  près 
les  entrepreneurs  sur  la  bonté,  la  solidité  et  la  diligence 
des  ouvrages  qu'ils  auroient  entrepris';  mais  qu'à  tout 
cela  il  falloit  suite  et  fermeté,  et  se  résoudre  à  des  châti- 
ments éclatants  à  quiconque  les  mériteroit,  sans  qu'aucune 
considération  les  en  pût  garantir;  que  c'est  à  l'impunité, 
qui  a  porté  l'audace  au  comble,  qu'il  se  faut  prendre  des 
voleries  immenses  qui  appauvrissent  le  Roi,  ruinent  le 
peuple,  causent  mille  sortes  de  désordres  partout,  et 
enrichissent  ceux  qui  les  font,  et  beaucoup  tête  levée, 
assurés  qu'ils  sont  qu'il  n'en  sera  autre  chose  par  la  pro- 
tection qu'ils  ont,  et  souvent  pécuniaire,  ou  même  par 
leur  propre  considération,  et  de  ce  qu'ils  sont  eux-mêmes; 
et,  si,  une  fois  en  vingt  ans,  il  arrive  quelque  excès  si 
poussé  qu'il  ne  soit  pas  possible  de  n'en  pas  faire  quelque 
sorte  de  justice,  jamais  elle  n'a  été  plus  loin  que  de  dépos- 
séder le  coupable  de  l'emploi  dont  il  a  abusé,  qui  peu 

1.  Les  premières  lettres  de  ce  mot  semblent  surcharger  com[mcnce\. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXVII  9 


430  MEMOIRES  [1745] 

après  se  raccroche  à  un  autre,  au  |)is  allfr  demeure  oisit, 
et  jouit  de  ses  larcins  sans  être  recherché  de  rien  de  tout 
ce  qu'il  a  commis. 

Cette  méthode  à  l'égard  des  chemins  ùteroit  do  soi- 
même  un  autre  abus,  qui  est  multiplié  à  l'intini,  qui  est 
que,  sur  une  somme  destinée  et  touchée  effectivement 
pour  tel  ou  tel  chemin,  l'homme  de  crédit  (]ui  s'en  trouve 
à  quelque  distance,  un  intendant  des  finances,  un  fermier 
général,  un  trésorier  de  toute  espèce,  suprêmement  les 
ministres,  détournent  ce  fonds  en  partie,  quelquefois  en 
total,  pour  leur  faire  des  chemins,  des  pavés',  des  chaus- 
sées, des  ponts,  qui  ne  conduisent  qu'à  leurs  maisons  de 
campagne  et  dans  leurs  terres,  moyennant  quoi  il  ne  se 
parle  plus  de  la  première  et  utile  destination  pour  le  pu- 
blic, et  l'intendant  qui  y  a  connivé-y  trouve  une  protec- 
tion sûre,  qui  le  fait  regarder  avec  distinction  par  les 
maîtres  de  son  avancement.  Je  contai  à  ce  propos  à  M.  le 
duc  d'Orléans  que  c'étoit  ainsi  que  les  puissants  de  ce 
temps-ci,  c'est-à-dire  de  la  plume  et  de  la  robe,  car  il  n'y 
en  [a]  plus  d'autres,  avoient  embelli  leurs  parcs  et  leurs 
jardins  de  pièces  d'eau  revêtues,  de  canaux,  de  conduites 
d'eaux,  de  terrasses,  qui  avoient  coûté  infiniment  et  dont 
ils  n'avoient  déboursé  que  quelques  pistoles,  et  que,  le 
Roi  parlant  à  iMme  de  la  \  rillière  dans  son  carrosse,  où 
étoit  Mme  la  duchesse  de  Berry  et  Mme  de  Saint-Simon, 
allant  à  la  chasse',  de  Chàteauneuf  ^  où  elle  avoit  été  de 
Fontainebleau,  elle  lui  en  avoit  vanté  la  terrasse,  qui  est 

1.  «  Pavé  se  prend  aussi  pour  le  ctiemin,  le  terrain,  le  lieu  qui  est 
pavé  »  (^Académie,  i~ii^).  On  disait  «  le  pavé  du  Roi  »  pour  désigner 
les  grands  chemins  dont  le  pavé  était  entretenu  par  le  Roi. 

1.  Verbe  déjà  rencontré  dans  le  tome  XXI,  p.  409. 

3.  Ces  quatre  mots  allant  à  la  chasse  ont  été  ajoutés  en  interligne, 
et  il  semble  que  Saint-Simon  s'est  trom|  é  de  li^ne  en  les  ajoutant,  et 
qu'il  aurait  dû  les  mettre  immédialomcnt  après  le  Hoy,  qui  se  trouve 
justement  au-dessus  à  la  ligne  pncédenle  dans  le  manuscrit. 

4.  Le  château  de  Châteauneut-sur-Loire  (lome  VII,  p.  143),  qui 
appartenait  aux  la  Vrillière. 


[i71o]  DE   SAINT-SIMON.  134 

en  effet  d'une  rare  beauté  sur  la  Loire':  «  Je  le  crois 
bien,  répondit  sèchement  le  Roi  ;  c'est  à  mes  dépens  qu'elle 
a  été  faite,  et  sur  les  fonds  des  ponts  et  chaussées  de  ces 
pays-là  pendant  bien  des  années.  «J'ajoutai  que,  si  l'image 
d'un  secrétaire  d'Etat,  car  cette  charge  n'est  pas  autre 
chose-,  avoit  osé  faire  ce  trait  sans  qu'il  en  ait  rien  été, 
que  n'auront  pas  fait  tous  les  autres  secrétaires  d'Etat,  et 
gens  en  place  considérables  dans  la  robe,  dans  la  plume, 
et,  en  sous-ordre,  les  financiers  et  les  petits  tyranneaux 
que  j'ai  nommés  dans  les  provinces?  Tout  cela  fut  fort 
goûté  et  approuvé,  et  il  me  parut  que  M.  le  duc  d'Orléans 
étoit  résolu  à  cette  exécution. 

Je  ne  manquai  pas  de  le  prier  de  se  souvenir  combien        Détails 
de  fois  lui  et  moi,  tête  à  tête,  nous  nous  étions  échappés    ^^«'^  mesure, 
à  l'envi  sur  les  détails  dont  le  Roi  se  piquoit,  qui  le  per-   tracasseries  *. 
suadoient,  aidé  de  l'adresse,  de  l'intérêt,  des  artifices  de 
ses  ministres,  qu'il  voyoit,  qu'il  faisoit,  qu'il  gouvernoit 
tout  par  lui-même  %  tandis  qu'amusé  par  des  bagatelles, 
il  laissoit  échapper  le  grand,  qui  devenoit  la  proie  de  ses 
ministres,  parce  que*  le  jour  n'a  que  vingt  quatre  heures, 
et  que  le  temps  qu'on  emploie  au  petit,  on  le  perd  pour 
le  grand,  sur  lequel  ils  le  faisoient  tomber  insensiblement 
du  côté  qu'ils  vouloient,  chacun  dans  son  tripota  Je  lui 
dis  que,  malgré  la  force  de  cet  exemple  et  de  son  propre 
sentiment,   il  devoit   être  en  garde  continuelle   avec  lui- 
même  sur  l'appât  des  détails,  qui  sont  la  curiosité,   les 
découvertes,  tenir  les  gens  en  bride,  briller  aisément  à 

1.  Sur  cette  terrasse,  voyez  notre  tome  XVI,  p.  130,  note  7. 

1.  Il  a  dit  à  plusieurs  reprises  que  la  charge  de  secrétaire  d'Etat  de 
M.  de  la  Vrillière  était  «  la  cinquième  roue  d'un  chaiiot  »  ;  voyez 
notamment  tome  XXVI,  p.  Sol. 

3.  Le  manuscrit  porte  par  luy,  mesmes  tandis,  Saint-Simon  ayant 
mal  placé  la  virgule. 

-4.  Le  que,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne. 

5.  Mot  déjà  rencontré  en  ce  sens,  dans  le  tome  XXI,  p.  318. 

•Contrairement  à  l'habitude  de  Saint-Simon,  cette  manchette  se  trouve 
sur  la  mar;;e  intérieure  du  manuscrit. 


435  MÉMO  m  ES  117451 

ses  propres  yeux  et  à  ceux  des  autres  par  une  inlelligence 
qui  perce  tant  de  diiî'érentes  parties,  le  plaisir  de  jiaroître 
avec  peu  df  peine,  de  sentir  qu'on  est  maître  et  (pion  n'a 
qu'à  coinniandcr,  au  lieu  (pu^  \v  gi-and  vous  conunande, 
oblige  aux  réilexions,  aux  combinaisons,  à  la  recherche  et 
à  la  conduite  des  moyens,  occupe  tout  l'esprit  sans  l'amu- 
ser, et  fait  sentir  l'impuissance  de  l'autorité  (pii  humilie 
au  lieu  de  flatter,  et  qui  bande'  l'application  à  la  re- 
cherche et  à  la  suite  de  ce  qui  peut  amener  le  succès 
auquel  on  tend,  et  fait  sentir  les  fautes  qu'on  y  a  faites 
et  l'inquiétude  de  les  réparer  ;  en  sorte  que  rien  de  plus 
satisfaisant  que  les  détails,  qui  sont  tous  sous  la  main  du 
prince,  mais  qui  ne  lui  rapportent  que  du  vent,  parce 
qu'ils  sont  le  partage  du  subalterne  sous  ses  ordres  géné- 
raux, qui  là-dessus  en  savent-  plus  que  lui,  et  que  rien 
n'est  plus  pénible  et  ne  flatte  moins  que  le  travail  en 
grand,  du  succès  duquel  dépend  la  prospérité  des  affaires, 
et  la  gloire  et  la  réputation  du  prince  qui  s'y  donne,  parce 
qu'il  ne  peut  être  le  partage  d'un  autre,  et  qui  y  réussit. 
Non  qu'il  faille  abandonner  tous  les  détails  aux  autres, 
mais  s'y  appliquer  et  s'en  faire  rendre  compte,  de  manière 
à  tenir  tout  en  ordre  et  en  haleine,  sans  pourtant  s'ima- 
giner que  ce  soit  si  parfaitement  que  rien  n'échappe,  parce 
qu  il  ne  faut  pas  se  proposer  l'impossible,  mais  y  entrer  de 
façon  qu'on  n'y  donne  que  très  peu  d'un  temps  court, 
précieux,  et  qui  s'enfuit  sans  cesse,  qui  doit  de  préférence 
être  employé  au  plus  important,  et  se  contenter  pour  le 
reste  d'une  direction  générale,  surtout  comprendre  que, 
ne  pouvant  suflire  à  tout,  force  est  de  se  fier  à  ceux 
qu'on  a  choisis  pour  le  coûtant,  et  souvent  bien  davantage, 
que  cette  confiance  excite  et  pique  d'honneur  et  d'atta- 
chement, au  contraire  de  la  défiance,  qui  ne  sert  qu'à 
être  trompé,  à  décourager,  à  dégoûter,   et  souvent  à  se 

1.  Au  sens  de  tendre,  de  diriger. 

2.  Ce  verbe  est  bien  au  pluriel  dans  le  manuscrit,  se  rapportant  à 
l'idée. 


[47151  DE  SAINT-SIMON.  433 

proposer  de  tromper,  puisque  le  prince  mérite  de  l'être 
par  son  injuste  défiance. 

Je  le  conjurai  aussi  de  se  défaire  absolument  de  cet 
esprit  de  tracasserie  puisé  d'enfance  dans  la  cour  de 
Monsieur,  entretenu  depuis  par  l'habitude  avec  les  fem- 
mes et  par  la  fausse  idée  de  découvrir  et  de  croire  être 
mieux  servi  en  brouillant  les  uns  avec  les  autres ^  parce 
que,  pour  une  fois  que  cela  réussit  avec  des  étourdis,  ou 
par  une  surprise  de  colère,  [cela]  trompe  sans  cesse  le 
prince  par  cela  même  dont  il  est  rendu  la  dupe,  dès  qu'il 
est  reconnu  pour  user  de  ce  bas  artifice,  qui  lui  éloigne 
et  ferme  la  bouche  à  ses  vrais  serviteurs,  et  lui  rend  les 
autres  ennemis.  Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  ait  mesure  à  tout, 
singulièrement  entre  l'abandon  aux  gens  et  la  vigilante 
défiance.  C'est  où  le  sens-,  la  connoissance  des  personnes, 
l'expérience,  la  suite  des  choses  et  des  affaires  conduisent 
l'esprit.  Se  fermer  aux  rapports,  surtout  aux  avis  anony- 
mes, c'est-à-dire  aux  fripons^,  tenir  les  yeux  ouverts  à 
tout,  mais  avec  tranquillité,  éplucher  à  part  soi  des  appa- 
rences qui  se  trouvent  si  souvent  trompeuses;  si  l'examen 
persuade  qu'il  y  ait  cause  d'approfondir,  le  faire  avec 
précaution  et  délicatesse  ;  être  en  garde  s'il  n'y  a  rien  au 
bout  contre  la  honte  et  quelquefois  le  dépit  de  s'être 
trompé;  si  au  contraire  il  se  rencontre  infidélité  réelle  ou 
incapacité  dangereuse,  se  défaire  sans  délai  irrémissible- 
ment  du  sujet,  plus  ou  moins  honnêtement,  suivant  le 
mérite  de  la  chose,  également  pour  se  délivrer  de  danger 
et  pour  servir  d'exemple  aux  autres  ;  car  j'y  reviens 
toujours,  nous  périssons  en  tout  genre  par  l'impunité. 
J'insistai  souvent  sur  tout*  ce  dernier  article,  par  la  con- 

4.  Dans  le  précédent  volume  (p.  285  et  290),  il  avait  déjà  parlé 
de  sa  détiance  générale  et  de  sa  maxime  odieuse  de  brouiller  tout  le 
monde  pour  gouverner  et  savoir. 

2.  Le  sens  est  en  interligne,  au-dessus  de  l'esprit,  biffé. 

3.  Les  mots  c'est  a  dire  aux  fripons  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

4.  Tout  surcharge  ce. 


IHi  MEMOIRES  flTiS] 

noissance  que  j'avois  du  caractère  de  M.  le  duc  d'Orléans. 

Extérieur  du         Je  lui  dis  aussi    qu'il    ne  falloit  pas  moins  se  souvenir 

01     imi  .T.     q^i'après  nous  être  souvent  licenciés  sur  les  détails  du  Roi 

et  fort  utilo,  et      1        I 

conduite  dans  nos  conversations,  nous  y  étions  convenus  aussi 
personnelle,  ^f  une  de  ses  plus  grandes  parties,  qu'il  falloit  bien  inspi- 
rer à  son  successeur  d'imiter,  et  à  laquelle  je  souliailois 
passionnément  que  son  image  qu'il  alloit  être  voulût  faire 
l'effort  de  se  conformer.  Celte  partie  si  utile  est  la  dignité 
constante,  et  la  règle  continuelle  de  son  extérieur.  L'une 
présentoit  en  tous  les  moments  qu'il  pouvoit  être  vu  une 
décence  majestueuse  qui  frappoit  de  respect  ;  l'autre  une 
suite  de  jours  et  d'heures,  où,  en  quelque  lieu  qu'il  fût, 
on  n'avoit  qu'à  savoir  quel  jour  et  quelle  heure  '  il  étoit, 
pour  savoir  aussi  ce  que  le  Koi  faisoit,  sans  jamais  d'alté- 
ration en  rien,  sinon  d'employer  les  heures  qu'il  passoit 
dehors,  ou  à  des  chasses,  ou  à  de  simples  promenades.  Il 
n'est  pas  croyable  combien  cette  exactitude  en  apportoit 
en  son  service,  à  l'éclat  de  sa  cour,  à  la  commodité  de  la 
lui  faire  et  de  lui  parler,  si  on  n'avoit  que  peu  à  l'ii  dire, 
combien  de  règle  à  chacun,  de  commodité  au  commerce 
des  uns  avec  les  autres,  d'agrément  en  ses  demeures,  de 
facilité  et  d'expédition  à  ses  affaires,  et  à  celles  de  tout  le 
monde,  ni  combien  son  habitation  constante  hors  de  Paris 
faisoit  d'une  part  un  triage  salutaire  et  commode-,  de  l'au- 
tre un  rassemblement  continuel  qui  faisoit  tout  trouver 
à  chacun  sous  sa  main,  et  qui  faisoit  plus  d'affaires,  et 
donnoit  plus  d'accès  à  tous  les  ministres  et  à  tous  leurs 
bureaux  en  un  jour,  qu'en  quinze  si  la  cour  étoit  à  Paris, 
par  la  dispersion  des  demeures  et  la  dissipation  du  lieu. 
Outre  ces  raisons  également  essentielles  et  vraies,  j'en 
avois^  d'autres  de  craindre  le  séjour  de  la  cour  prochaine 

i.  Ècrh  que f  heure  par  m«^^arde. 

2.  Le  tria;îe  des  gens  titrés  et  de  bonne  compagnie  d'avec  ceux  de 
bas  étage,  qui  auraient  frt'quenlé  la  cour  si  elle  avait  été  à  Paris,  et 
qu'écartait  le  vojaf^c  de  Versailles. 

3.  Avant  ce  mot,  il  a  biffé  un  premier  avois,  mal  écrit. 


[4H5)  DE  SAlx\T-SIMON.  135 

à  Paris,  par  le  caractère  de  M.  le  duc  d'Orléans,  sa  facilité 
d'écouter  et  de  se  laisser  en  prise  à  tout  le  monde,  et  à 
un  monde  éloigné  par  état  et  par  habitude  de  la  cour,  et 
qui  n'iroit  pas  l'y  chercher'  à  Versailles,  ou  bien  rarement 
et  bien  incommodément,  par  conséquent  hors  de  portée 
de  recharges  et  de  cabales  entre  eux  pour  l'attaquer  par 
plusieurs  et  par  divers  côtés,  gens  ineptes  en  affaires 
d'État  et  de  cour,  ignorants,  suffisants,  croyant  devoir 
tout  gouverner  ;  à  un  autre  monde  encore  aussi  ignorant*, 
non  moins  avide,  familiarisé  avec  lui  par  les  plaisirs  et 
les  étranges  parties,  d'autant  plus  dangereux  qu'ils^  le 
connoissoient  mieux,  et  dont  tout  le  soin  pour  le  posséder 
et  le  gouverner  seroit*  de  le  dissiper,  de  lui  faire  perdre 
tout  son  temps,  de  l'amuser  par  des  ridicules  toujours 
aisés  à  donner,  dont  le  périlleux  effet  pour  ceux  qu'ils 
attaqueroient  seroit  funeste  aux  affaires  et  au  prince  ; 
enfin  les  indécences,  les  maîtresses,  un  fréquent  opéra, 
où  il  alloit  de  plain  pied  de  son  appartement,  et  mille 
inconvénients  semblables,  des  soupers  scandaleux  et  des 
sorties  nocturnes  qui  les^  ramassoient  tous  ensemble.  Je 
lui  dis,  en  lui  représentant  tous  ces  détails  fort  au  long, 
qu'il  savoit  que  depuis  très  longtemps  je  ra'abstenois  de 
lui  parler  de  la  vie  qu'il  menoit,  parce  que  j'en  avois 
reconnu  l'inutilité,  mais  que  l'extrême  nécessité  où  son 
nouvel  état  l'alloit  mettre  de  la  quitter  m'ouvroit  la  bou- 
che pour  le  supplier  de  penser  sérieusement  et  de  bonne 
foi  en  lui-même  ce  qu'il  trouveroit  et  ce  qu'il  ne  pourroit 
s'empêcher  de  dire,  s'il  étoit  particulier,  d'un  régent  du 
royaume  qui,  à  plus  de  quarante  ans,  mèneroit  et  se  pique- 

4.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  qui  ne  l'iroit  pas  chercher;  il  a 
biffé  ne,  corrigé  l'  en  n',  et  ajouté  l'y  en  interli^e  avant  chercher. 

2.  Il  veut  parler  du  monde  des  roués  et  des  familiers  de  bas  étage 
du  duc  d'Orléans  dans  ses  séjours  à  Paris. 

3.  L'idée  lui  a  fait  employer  ici  le  pluriel,   quoique  la  phrase  ait 
commencé  au  singulier. 

•4.  Seroit  est  en  interligne  au-dessus  d'eust  esté,  biffé, 
o.  Les  inconvénients. 


i;-!fi  MKMOIHES  |17i:i| 

roit  do  plus  do  mener  la  vie  d'un  jeune  mousquetaire  de 
tiix-huif  ans,  avec  des  compagnies  souvent  obscures,  et 
telles  que  des  gens  de  caractère  '  n'oseroient  voir  ;  quel 
poids  une  telle  conduite  pouvoit  donner  à  son  autorité 
au  dedans,  à  sa  considération  dans  les  pays  étrangers,  à 
son  crédit  dès  que  le  Roi  commenceroit  à  voir  et  à  enten- 
dre, quels  contretemps  aux  affaires,  quelle  indécence  à 
tout,  quelle  prise  sur  sa  faveur  aux  petits  compagnons  de 
ses  plaisirs,  quelle  honte  et  quel  embarras  à  lui-même 
vis-à-vis  des  personnages  françois  et  étrangers,  quelle 
large  porte  aux  discours,  quel  péril  du  mépris  et  du  peu 
d'obéissance  qui  le  suit  toujours!  J'ajoutai  que  le  comble 
de  la  mesure  seroit  l'impiété,  et  tout  ce  qui  la  sentiroit, 
(jui  feroit  ses  ennemis  de  toute  la  nation  dévote,  cléri- 
cale, monacale-,  dont  le  danger  étoit  extrême,  et  qui  en 
même  temps  lui  éloigneroit^  les  honnêtes  gens,  et  ceux  qui 
auroient  des  mœurs,  de  la  gravité,  surtout  de  la  religion  ; 
que  parla  il  rétorqueroit  contre  lui  ce  raisonnement  des 
libertins,  qu'il  aimoit  à  répéter  et  à  applaudir,  que  la 
religion  est  une  chimère  que  les  habiles  gens  ont  inventée 
pour  contenir  les  hommes,  les  faire  vivre  sous  certaines 
lois  qui  maintiennent  la  société,  pour  s'en  faire  craindre, 
respecter,  obéir,  et  qui  étoit  nécessaire  aux  rois  et  aux 
républiques  pour  cet  usage,  à  tel  point  (ju'il  n'y  avoit 
point  eu  de  peuples  policés  qui  n'en  aient  eu  une  que 
leur  gouvernement  avoit  soigneusement  maintenue,  jus- 
qu'aux différents  peuples  sauvages,  à  quoi  leurs  anciens 
et  leur  conseil  étoient^  très  exacts  pour  eux-mêmes,  et 
pour  ceux  qui  leur  obéissoient  ;  qu'il  devoit  donc  com- 
prendre l'intérêt  qu'il  avoit  de  respecter  la  religion  par 

i.  11  veut  dire  :  des  gens  ayant  une  situation,  un  titre  ou  une  dignit»'-, 
qui  leur  imposerait  une  certaine  tenue. 

2.  11  ('■cril  monachale . 

3.  Il  avait  d'abord  écrit  ce  verbe  au  pluriel;  il  l'a  corrigé  au  sin- 
gulier. 

4.  Estait  corrigé  en  estaient. 


[l71oJ  DE  SAIXT-SIMON.  137 

ses  propres  principes,  et  de  ne  montrer  pas  un  exemple 
d'impiété  qui  le  rendroit  odieux.  J'appuyai  beaucoup  sur 
un  article  si  principal,  et  je  lui  dis  ensuite  qu'il  ne  s'agis- 
soit  point  d'hypocrisie,  qui  est  une  autre  extrémité  fort 
méprisable,  mais  de  s'interdire  tout  propos  libre  sur  la 
religion,  de  traiter  avec  sérieux  tout  ce  qui  y  a  rapport, 
et  d'en  observer  au  moins  les  dehors  par  une  pratique 
bien  facile,  dès  qu'on  s'en  tient  à  l'écorce,  et  au  pur  indis- 
pensable de  cette  écorce  ;  de  ne  souffrir  en  sa  présence  ni 
plaisanterie,  ni  discours  indiscret  là-dessus,  et  de  vivre 
au  moins  en  honnête  mondain  qui  respecte  la  religion  du 
pays  qu'il  habite,  et  qui  ne  montre  rien  du  peu  de  cas 
qu'il  en  fait.  Je  lui  fis  sentir  le  danger  d'une  maîtresse 
dans  la  place  qu'il  alloit  remplir,  et  je  le  conjurai  que, 
s'il  avoit  là-dessus  des  foiblesses,  il  eût  soin  de  changer 
continuellement  d'objet,  pour  ne  se  laisser  pas  prendre  et 
subjuguer  par  l'amour  qui  naîtroit  de  l'habitude,  et  de  se 
conduire  dans  cette  misère  avec  toutes  les  précautions 
qu'y  apportent  certains  prélats  qui  veulent  conserver  leur 
réputation  parle  secret  profond  de  leur  désordre.  Je  lui 
représentai  qu'il  auroit  désormais  tant  d'occupations,  et  si 
intéressantes,  qu'il  lui  seroit  aisé  de  ne  plus  dépendre  de 
son  corps,  si  son  esprit  n'étoit  plus  corrompu'  que  l'ani- 
mal de  son  âge,  et  qu'il  avoit  un  intérêt  si  pressant  de  se 
faire  aimer,  estimer,  respecter,  considérer  et  obéir,  que 
c'étoit  bien  de  quoi  contenir  et  occuper  son  esprit  ;  qu'en 
toutes  choses  la  mécanique  étoit  bien  plus  importante 
qu'elle  ne  sembloit  l'être;  que  celle  de  ses  journées  servi- 
roit-  entièrement  à  la  règle  des  affaires  et  à  sa  réputation,  à 
éviter  que  tout  ne  tombât  l'un  sur  l'autre,  et  que  lui- 
même  pensât  à  la  débauche,  non  pas  même  à  regretter 
ces  sortes  de  plaisirs  ;  que,  pour  cela,  il  se  falloit  tout 
d'abord  établir  un  arrangement  de  journée,  d'affaires,  de 

i.  11  veut  dire  :  à  moins  que  son  esprit  ne  fût  plus  corrompu  que,  etc. 
'2.  Il  y  a  serviraient  par  mégarde  dans  le  manuscrit. 


i38  MÉMOIRES  [1715] 

cour,  et  de  quelque  délassement,  qui  se  put  soutenir'  et 
qui  ne  lui  laissât  aucun  vuide,  auquel  il  falloit  être  fidèle, 
et  se  rej^arder  cotnmo  faisoient  les  ministres  du  Hoi  fort 
employés,  qui  disoient  qu'ils  n'avoient  pas  le  temps  de  se 
déranger  d'un  quart  d'heure,  et  qui  disoient  vrai  et  qui 
le  praliquoient  ;  ne  se  pas  excéder  d'une  lâche  trop  forte, 
dont  la  nouveauté  plaît  d'abord,  que  l'importance  des 
choses  fait  regarder  comme  nécessaire,  mais  dont  on  se 
lasse,  et  qui  se  change  imperceptiblement  à  bien  moins 
qu'il  ne  faut,  dont  on  profite  aux  dépens  du  prince,  et  qui 
met  bientôt  les  affaires  en  désordre  ;  se  garder  aussi  de 
perdre  beaucoup  de  temps  en  audiences,  surtout  de  fem- 
mes, qui  en  demandent  souvent  pour  fort  peu  de  chose, 
qui  dégénèrent  en  conversations  et  en  plaisanteries,  qui  ont 
souvent  un  but  dont  le  prince  ne  s'aperçoit  pas,  et  qui 
tirent  vanité  de  leur  longueur  et,  si  elles  le  peuvent,  de 
leur  fréquence  ;  les  accoutumer  à  attendre  chez  Madame 
et  chez  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  les  heures  où  il  va 
chez  elles,  et  dans  leur  antichambre  parler  debout  à  celles 
qui  sortiront  au-devant  de  lui  ;  écouter  bien  le  nécessaire, 
suivre  soigneusement  l'excellente  pratique  du  feu  Roi-, 
qui  presque  jamais  ne  répondoit  qu'un  «  je  verrai  »  ;  cou- 
per fort  poliment  très  court,  et,  hors  des  cas  fort  rares, 
n'en  voir  jamais  ailleurs  pour  affaires,  et  se  mettre  sur  le 
pied  qu'une  fois  entré  dans  la  pièce  où  est  Madame  ou  ^ 
Mme  la  duchesse  d'Orléans,  qu'aucune  femme  ne  le  tire  à 
part,  ou,  s'approchant  de  lui,  parle  d'aucune  atîaire.  Une 
éconduite^  polie,    mais    sèche,    aux    premières,    quelles 

1.  Un  arrangement  qui  se  put  continuer  sans  être  obligé  d'y  renon- 
cer. La  suite  va  préciser  le  sens. 

2.  Il  parle  comme  si  Louis  XIV  était  déjà  mort. 

3.  Cet  ou  surcharge  un  et. 

4.  Ce  mot  n'était  alors  et  n'est  encore  admis  par  aucun  lexique; 
nous  allons  le  retrouver  sous  la  plume  de  notre  auteur,  ci-après, 
p.  209,  et  dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XIX  de  1^73,  p.  203.  Nous 
avons  eu  éconduiseur  dans  le  tome  XVII,  p.  i59,  et  on  va  rencontrer 
éconduire  ci-après,  p.  140. 


[1745]  DE  SAINT-SIMON.  439 

qu'elles  puissent  être,  qui  voudroient  tenter  cette  fami- 
liarité, empêchera  sûrement  qu'aucune  s'y  hasarde.  A 
l'égard  des  hommes,  tout  l'ordinaire  du  monde  lui  parlera 
en  passant  comme  on  faisoit  au  Roi,  et  cela  en  débouche 
beaucoup'  chaque  jour.  Les  personnes  des  conseils,  ce 
qui  en  emporte  un  nombre  considérable  et  des  princi- 
paux, le  pourront  aisément  en  travaillant  avec  lui  et  en 
entrant  au  Conseil,  dans  la  pièce  précédente  duquel  les 
gens  d'une  considération  distinguée  lui  parleront,  avec 
lesquels  il  en  usera  comme  avec  les  dames.  Ce  doit  être 
là  aussi  où  le  gros  du  monde  n'entrera  point,  où  les  au- 
diences lui  seront  demandées  en  lui  disant  en  deux  mots  le 
pourquoi.  Ce  sera  à  lui  à  juger  si  la  chose  la  mérite  *,  ou  se 
peut  expliquer  là  en  peu  de  paroles.  En  général  il  doit 
être  très  sobre  à  accorder  des  audiences,  qui  font  perdre 
beaucoup  de  temps.  Avec  de  l'exactitude  à  éviter  tout 
détail  non  nécessaire,  à  ne  point  écrémer  les  conseils  %  et  à 
être  jaloux  de  les  maintenir  dans  leurs  fonctions,  il  se  trou- 
vera que  la  matière  des  audiences  sera  bien  rétrécie.  Je 
n'oubliai  pas  le  soin  de  voirie  [\oitous  les  jours,  souvent 
à  des  heures  différentes  et  rompues,  pour  se  tenir  dans 
l'usage  d'y  aller  à  toute  heure  sans  nouveauté  et  d'en  être 
reçu  sans  surprise,  avec  un  respect  qui  lui  plaise,  parce 
qu'il  n'y  a  rien  de  si  glorieux  que  les  enfants,  et  que  ceux 
qui  l'environneront  y  seront  bien  attentifs,  et  avec  la  fa- 
miliarité aussi  qui  convient  à  la  naissance  et  à  la  place, 
qui,  ménagée  avec  esprit,  accoutume  et  apprivoise  les 
enfants  ;  aller  quelquefois  aux  heures  de  lui  présenter  le 
service  %  y  être  ouvert  et  gracieux  à  ses  gens,  avoir  pour 

4.  Il  avait  d'abord  écrit  et  cela  débouche  bien  du  monde;  il  a  biffé 
les  trois  derniers  mots  et  ajouté  en  interligne  en  et  beaucoup.  — 
Déboucher  signitie  ici  faire  écouler,  évacuer. 

2.  Mérite  l'audience. 

3.  Il  veut  dire  :  à  ne  point  traiter  en  dehors  des  conseils  les  affaires 
qui  doivent  y  être  traitées. 

•4.  C'est-à-dire  lui  donner  la  chemise  ou  les  diverses  parties  de  son 
habillement:  voyez  nos  tomes  VIII,  p.  346-347,  et  XXI,  p.  408. 


440  M  K  MOIRE?  117151 

eux  l'accès  facile,  les  écouter  avec  palieiice  si  quelqu'un 
d'eux  veut  lui  parler  en  entrant  ou  en  sortant;  mais  pour 
les  réponses  en  user  comme  avec  les  autres,  et  toutefois 
être'  attentif  à  leur  faire  plaisir.  A  l'égard  des  princes  et 
princesses  du  sang  qui  arriveront  tout  droit  dans  son  cabi- 
net, sans  que  cela  se  puisse  empêcher,  les  recevoir  debout 
tant  qu'il  pourra,  pour  les  obliger  par  ce  mésaise  d'abré- 
ger, alléguer  les  afïaires  pressées  pour  couper  le  plus 
court,  et  leur  proposer  de  s'épargner  cette  peine  en  lui 
envoyant  -  quelqu'un  de  leur  confiance  sur  l'affaire  dont 
il  s'agit,  afin  de  s'en  mieux  éclaircir,  en  effet  pour  perdre 
moins  de  temps  et  être  plus  libre  d'abréger  ;  pour  les 
ministres  étrangers,  qui  ne  chercheront  toujours  qu'à  le 
pénétrer  et  l'engager,  force  honnêtetés,  force  clôture, 
force  fermeté  à  les  renvoyer  aux  affaires  étrangères.  Cela 
lui  ^  procurera  toujours  le  loisir  d'examiner,  de  délibérer, 
et  de  se  tenir  hors  de  toute  prise.  Le  Roi  n'a  jamais  traité 
avec  pas  un  ;  il  savoit  d'avance  quelle  seroit  la  matière 
de  l'audience  demandée,  répondoit  courtement  et  sans 
jamais  enfoncer,  ni  s'engager  encore  moins;  si  le  ministre 
insistoit,  ce  qu'il  n'osoit  guères,  il  luidisoit  honnêtement 
qu'il  ne  pouvoit  s'expliquer  davantage,  en  lui  montrant 
Torcy,  qui  étoit  toujours  présent,  comme  celui  cjui  savoit 
ses  intentions,  et  avec  qui  le  ministre  pouvoit  traiter.  Il 
l'éconduisoit*  ainsi,  et,  si  le  ministre  faisoit  la  sourde 
oreille,  il  le  quittoit  avec  une  légère  inclination  de  tête, 
et  se  retlroit  dans  un  autre  cabinet.  Il  falloit  bien  alors 
que  le  ministre  étranger  s'en  allât,  à  qui  Torcy  en  mon- 
troit  civilement  le  chemin.  C'est  l'imitation  (jue  je  pro- 
posai entière  et  ferme  à  M.  le  duc  d'Orléans,  avec  les 
suppléments  de  politesse  que  demande  la  différence  qui 

4.  Il  y  a  toutefois  à  estre  dans  le  manuscrit. 

2.  Les  mots  luy  envoyant  corrigent  leur  con[seillant]. 

3.  Il  y  a  ici  un  second  luy,  biffé. 

4.  Ce  verbe  n'était  pas  admis  par  le  Dictionnaire  de  l'Académie  de 

I7ts. 


la  cour. 


|171o]  DE  SAINT-SIMON.  141 

est  entre  un  régent  et  un  roi,  tel  surtout  que  Louis  XIV  . 
J'eus  toujours  attention  à  ne  lui  rien  dire  sur  Mme  la 
duchesse  de  Berry,  que  j'affectai  de  ne  nommer  jamais 
directement  ni  indirectement  :  l'aventure  de  Fontaine- 
bleau, que  j'ai  racontée  p.  [1181  '],  m'avoit  rendu  sage  ; 
mais  mon  silence  sur  un  point  qui  se  présentoit  si  natu 
rellement  en  traitant  tous  les  autres,  devoit  au  moins 
être  expressif,  même  -  éloquent.  Si  la  suite  fait  voir  com- 
bien je  perdis  mon  temps  et  mes  peines,  la  vérité  veut 
que  je  ne  retienne  rien  et  que  j'expose  tout  avec  sin- 
cérité. 

Plus  le  temps  paroissoit  s'avancer  par  la  décadence  Onde 
extérieure  du  Roi,  dont  pourtant  les  journées  éfoient 
toujours  les  mêmes,  plus  chacun  pensoit  à  soi,  quoique 
la  terreur  qu'on  avoit  de  ce  monarque  dépérissant  à  vue 
d'œil  fût  telle,  que  M.  le  duc  d'Orléans  n'en  étoit  pas  moins 
absolument  esseulé^ jusque  dans  le  salon  de  Marly.  Mais 
je  remarquois  bien  qu'on  cherchoit  à  s'approcher  de  moi, 
et  gros  du  monde,  et  gens  les  plus  considérables,  et  de  ces 
politiques  aussi  dont  le  manège  effronté  court  après  ceux 
à  qui  ils  n'ont  jamais  parlé,  dès*  qu'ils  se  les  croient  pou- 
voir rendre  utiles,  auprès  desquels  leur  souplesse  fait 
effort  de  les  approcher.  Je  m'étois  souvent  moqué  de  ces 
prompts  amis  du  crédit  et  des  places  ;  je  riois  en  moi- 
même  de  ce  vil  empressement  pour  un  homme  qui  n'en 
avoit  encore  que  l'espérance,  et  j'endivertissois  M.  le  duc 
d'Orléans  pour  le  prémunir  d'avance  là-dessus  lui-même. 

Le  duc  de  Noailles,  qui  ne  le  voyoit  qu'en  Nicodème%       Agitation 

1.  Saint-Simon  a  laissé  ce  chiffre  en  blanc;  il  correspond  aux  pages 
49  à  32  de  notre  tome  XXII. 

2.  Avant  mesme,  il  y  a  un  et,  biffé. 

3.  Avant  esseulé,  il  a  biffé  isolé  qu'il  avait  commencé  à  corriger  en 
es[seulé]. 

4.  Dès  surcharge  av[ec]. 

o.  C'est-à-dire,  en  secret,  comme  Nicodème  allait  visiter  Jésus  (Evan- 
gile selon  saint  Jean,  chap.  m). 


Uî  MEMOIRES  [4715] 

Hu  redoubloit  peu  à  pou  ses  visites.  Il  tàchoit  inutilement  de 

ducdeNoaiUos.  ^'g^jpgp  quelque  confidence  sur  les  projets  d'un  prochain 
avenir.  II  m'en  faisoit  des  plaintes  amères  ;  il  se  rabattoit 
sur  la  peine  où  le  melloit  de  ne  pouvoir  rien  tirer  sur  les 
places  que  je  lui  avois  dit  que  je  desirois  pour  lui  et  pour 
son  oncle.  Je  le  tenois  en  haleine;  je  lui  disois que  la  pro- 
position que  j'en  avois  faite  avoit  bien  pris,  mais  que  je 
n'en  pouvois  savoir  davantage.  Tantôt  il  meprioit  d'insis- 
ter'; tantôt  il  massuroit  que  je  savois  bien  à  quoi  m'en 
tenir,  et  me  conjuroil  de  rompre  mon  silence.  Je  voyois 
en  lui  une  passion  extrême  de  cette  place  des  finances, 
dont  il  m'entretenoit-  sans  cesse  ;  mais  le  Koi  ne  me  parois- 
soit  pas  assez  proche  de  sa  fin,  même  après  son  testament 
fait,  pour  qu'on  pût  s'expliquer  à  personne  de  ce  qui  le 
devoit  survivre,  de  sorte  que  je  m'en  tins  là  avec  le  duc 
de  Noailles,  et  M.  le  duc  d  Orléans  aussi.  Mais,  le  testa- 
ment fait,  j'eus  lieu  de  douter  qu'il  se  tînt  dans  la  même 
réserve  sur  ce  qui  regardoit  Maisons  avec  lui,  et  quoique 
ce  qui  se  verra  de  ce  magistrat  semble  fort  contrarier  ce 
soupçon,  tout  ce  que  je  remarquai,  depuis  le  testament 
surtout,  et  dans  l'un  et  dans  l'autre,  me  persuadèrent  ^  que 
Maisons  comptoit  fermement  sur  les  sceaux  et  sur  le  pre- 
mier crédit,  sans  toutefois  que  ni  l'un  ni  l'autre  m'en  aient 
rien  laissé  entendre. 
Curiosité  tr^s  Mme  la  duchesse  d'Orléans  n'étoitpasia  moins  inquiète 
embarrassante    j^^  limbes*  où  OU  la  laissoit  sur  l'avenir.  Elle  sentoit  toute 

de   -Mme  la  .  .  i      »,    •  n  •.  r     • 

duchosse  la  Situation  du  duc  du  Marne;  elle  ne  pouvoit  se  dissimu- 
d'Orléans.  1er  ce  qu'il  méritoit  de  M.  le  duc  d'Orléans.  Cet  intérêt 
à  part,  qui  lui  étoit  le  plus  sensible,  elle  étoit  touchée  de 
celui  de  M.  le  duc  d'Orléans,  et  de  ce  qu'il  pouvoit  former 
de  projets  et  prendre  de  mesures  pour  après  le  Roi.  Ses 
tête-à-tête  avec  moi,  surtout  depuis  le  testament  et  l'habi- 

1.  Après  d'insister,  il  a  biiïé  d'avantage  (sic). 

2.  Écrit  par  méfiarde  m'entrenoit. 

3.  11  y  a  bien  persuadèrent,  et  non  persuada,  dans  le  manuscrit. 
i.  Tome  XXI,  p.  W*. 


14715]  DE  SAINT-SIMON.  U3 

lité  des  bâtards  à  la  couronne,  rouloient  pour  la  plupart 
là-dessus,  rarement  la  duchesse  Sforze  en  tiers,  et  me 
mettoient  à  la  torture.  Elle  ne  doutoit  point  que  M.  le 
duc  d'Orléans  n'eût  en  moi  une  confiance  entière  ;  elle  ne 
voyoitque  moi  avec  qui  il  pût  s'ouvrir,  consulter,  projeter 
sur  l'avenir.  L'expérience  lui  avoit  appris  qu'il  se  repo- 
soit  beaucoup  trop  sur  moi  des  vues,  des  mesures,  des 
projets,  qu'il  n'étoit  pas  trop  bon  lui-même  pour  faire  et 
pour  imaginer,  et  que,  quand  cela  lui  arrivoit,  c'étoit  à 
moi  qu'il  les  confioit,  et  avec  qui'  il  en  délibéroit.  L'im- 
minence de  tout  le  grand  qui  alloit  tomber  sur  lui  ne  per- 
raettoit  pas  de  croire  que  ni  lui  ni  moi  n'eussions  rien 
là-dessus  dans  l'esprit,  et  la  même  expérience  que  Mme  la 
duchesse  d'Orléans  avoit  de  l'un  et  de  l'autre  la  persua- 
doit  bien  que,  s'il  étoit  possible  que  M.  le  duc  d'Orléans 
n'eût  encore  rien  de  débrouillé  dans  la  tête,  il  s'en  falloit 
tout  que  je  fusse  au  même  point.  Sa  curiosité  étoit  donc 
extrênje,  et  ses  questions  par  conséquent  ;  c'étoit  des  con- 
tours adroits  pour  me  surprendre,  des  gens  dont  elle  me 
demandoit  ce  que  je  pensois,  en  un  mot  tout  ce  que  l'art, 
le  manège,  la  supériorité,  le  raisonnement,  la  liberté, 
l'amitié,  la  confiance,  le  plus  proche  intérêt,  peuvent 
déplover  sous  toutes  sortes  de  faces,  avec  tout  l'esprit,  la 
justesse  et  l'insinuation  possible,  mis  sans  cesse  en  œuvre 
avec  une  infatigable  persévérance.  J'avois  affaire  à  une 
personne  fort  supérieure,  fort  clairvoyante,  fort  appliquée, 
fort  réfléchie,  fort  de  suite^,  et  qui,  par  tout  ce  que  j'avois 
manié  de  concert  avec  elle,  sous  ses  yeux,  me  connois- 
soit  trop  pour  que  je  pusse  me  cacher  de  penser  à  l'avenir. 
Le  plus  grand  intérêt,  et  le  même  intérêt  d'elle  comme 
épouse,  de  moi  à  tout  ce  que  je  leur  étois,  et,  depuis  le 
raccommodement  que  j'avois  fait  de  M.  le  duc  d'Orléans 
avec  elle  en  le  séparant  de  Mme  d'Argenton,   l'amitié  la 

4.  Avec  qui  est  en  interligne,  au-dessus  de  qu\  biffé. 
2.  Comparez  le  portrait  de   la  duchesse  qu'il  a   donné    précédem- 
ment :  notre  tome  XXVI,  p.  299  et  suivantes. 


\u  M  KM  (H  m: s  |niri| 

plus  mtiiiR'  el  la  coiilianoL'  la  [jIus  entière  établie  entre 
elle  et  moi,  et  par  le  clesir  commun  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans et  d'elle,  sans  la  plus  légère  altération  jusqu'alors, 
devenoient  en  ces  moments  des  liens  bien  embarrassants 
pour  moi.  Il  falloit  donc  ménager  et  maintenir  cette  ami- 
tié, cette  confiance,  ce  respect,  cet  air  de  comnumauté 
d'intérêts,  surtout  ne  lui  pas  paroître  rêver,  comme  l'on 
dit,  à  la  suisse',  dans  de  pareilles  conjonctures,  après  lui 
en  avoir  montré  tant  de  différence  dans  de  grandes  affai- 
res, telles  que  celle  d'Espagne-,  celle  du  mariage  de 
Mme  la  duchesse  de  Berry ',  celles  des  noires  et  affreuses 
imputations*,  et  de  tant  d'autres  importantes  ou  de  cour, 
ou  d'intérieur  de  la  famille  royale;  en  même  temps  me 
bien  garder  de  laisser  rien  entrevoir,  ni  même  soupçon- 
ner^ des  secrets  qui  n'étoient  pas  les  miens,  raisonner  tou- 
jours ef^  répondre  à  tout  comme  à  la  sœur  du  duc  du 
Maine,  pour  la  grandeur  duquel  elle  auroit  sacrifié  avec 
transport  de  joie  mari,  enfants  et  elle-même".  Je  ne  trou- 
vai donc  de  ressource  que  dans  la  longueur  des  verbiages 
pour  consumer  le  temps,  l'embarras  des  combinaisons, 
le  danger  de  penser  à  rien  pendant  la  vie  du  Roi,  l'inuti- 

1.  «  On  dit  proverbialemonl  rêvera  la  suisse,  c'est-à-dire  ne  penser, 
ne  rêver  à  rien  »  (Dictionnaire  de  Trévoux).  Cette  locution  a  peut- 
être  ici  ce  sens  plutôt  que  celui  que  donne  le  Littré,  au  mot 
Rêver  :  «  avoir  l'air  de  penser  à  quelque  chose  et  ne  penser  à  rien  ». 
Le  P.  Buffier  dans  ses  Principes  du  raisonnement,  cité  par  le  Littré 
au  mot  SUISSE,  donnait  un  autre  sens  :  «  Penser  à  la  suisse  s'est  dit 
pour  laisser  aller  son  esprit  à  de  simples  idées  ([ui  se  présentent  à 
l'imagination,  sans  prendre  la  peine  d'examiner  l'une  par  rapport  à 
l'autre.  » 

2.  Tome  XVIII,  p.  45  et  suivantes. 

3.  Tome  XIX,  p.  -189  et  suivantes. 

4.  Ibidem,  p.  271-274. 

5.  Mesme  est  en  interligne  et,  après  soupçonner,  il  a  bilTé  rien. 

6.  La  conjonction  et  est  répétée  deux  fois  à  la  fin  d'une  ligne  et  au 
commencement  de  la  suivante. 

7.  Elle  était  «  bien  moins  femme  que  sœur  »,  a-t-il  dit  dans  le 
tome  XXVI,  p.  209. 


[1713]  DE  SAINT-SIMON.  145 

lité  de  tous  projets,  si  le  Roi  faisoit  des  dispositions,  et, 
après  qu'il  les  eut  faites,  la  folie  d'imaginer  les  pouvoir 
attaquer,  qui  fut  mon  plus  sûr  retranchement  et  le  plus 
utile,  enfin  la  paresse  d'esprit,  la  légèreté,  le  peu  de  suite 
qu'elle  connoissoit  dans  M.  le  duc  d'Orléans;  paraphraser 
longuement  toutes  ces  difticultés,  les  tourner  de  tous  les 
sens,  surtout  me  tenir  de  fort  court  sur  les  personnes  sur 
lesquelles  elle  me  promenoit  et  me  demandoit  ce  que  j'en 
pensois,  plus  encore  en  garde  contre  mon  air  et  mon 
visage,  qu'elle  observoit  toujours,  pour  tâcher  attentive- 
ment à  y  découvrir  mieux  que  dans  mes  paroles.  Je  me 
rabattois  encore  pour  m'excuser  de  penser  là-dessus  par 
l'inutilité'  de  le  faire,  sur  la  sagesse  du  gouvernement  du 
Roi,  sur  la  longue  et  générale  habitude  qu'on  s'étoit  faite 
de  l'admiration,  de  la  soumission,  de  la  crainte,  sur  le 
danger  de  tout  changement  dans  ces  moments  critiques, 
sur  la  difficulté  de  trouver  mieux  ni  aussi  bien,  sur  la 
rareté  des  sujets,  sur  les  jalousies  et  le  péril  des  méprises 
en  matière  d'innovation  et  de  choix,  sur  le  fâcheux  état 
des  finances  et  de  l'intérieur  du  royaume,  enfin  sur  le 
testament  du  Roi,  après  qu'il  fut  su  qu'il  en  avoitfait  un, 
qui  me  donna  beau  champ  sur  le  respect  qu'un  tel  et  si 
long  règne  avoit  imprimé  dans  l'esprit  de  tout  le  monde 
pour  ses  volontés,  dont  l'exécution  seroit  le  seul  parti  sage 
et  le  meilleur  qu'on  pût  prendre  en  soi,  et  dans  un  pays 
où  la  longue  habitude  de  l'obéissance  aveugle  a  tellement 
passé  en  loi  qu'il  n'y  a  plus  personne  qui  imagine  qu'il 
soit  permis  ni  possible  de  s'y  soustraire. 

Tous  ces  propos,  enflés  et  allongés,  ne  satisfaisoient  point 
Mme  la  duchesse  d'Orléans.  Elle  avoit  eu  trop  d'occasions 
de  me  voir  des  sentiments  plus  libres,  et  de  regimber 
contre  l'éperon,  pour  se  payer  de  ce  que  je  lui  répondois. 
Elle  m'objecta  le  testament  de  Louis  XIII-,  et  en  raisonna 

1.  L'élision  l'  a  été  écrit  à  la  tin  d'une  ligne,  et  répété  par  mégarde 
au  commencement  de  la  ligne  suivante. 

2.  Ci-dessus,  p.  98-401. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON     XXVII  10 


, 


U6  MÉMOIRES  |l"l;ij 

au  mieux  sur  les  conséquences  à  vu  lircr  (>l  à  en  prrvoir 
pour  celui  de  Louis  \1\  .  Je  sentis  iiuoiitinent  toute  sa 
déliance  de  mes  réponses,  et  toute  celle  qu  elle  avoit  de 
la  solidité  de  ce  dernier  testament,  dont,  à  ce  qui  s'y  étoit 
passé,  et  qui  a  été  rapporté  p.  1408  et  9',  elle  ne  se  pou- 
voit  cacher  que  le  Uoi  ne  doutât  lui-niènie  autant  ou  plus 
que  personne.  Il  étoit  très  important  de  la  rassurer  sur 
l'une  et  l'autre  défiance.  Je  me  mis  donc  à  raisonner  sur 
la  comparaison  des  temps,  des  personnes,  des  conjonctu- 
res, sur  la  diiïérence  d'un  règne  plein  de  factions  et  de 
guerres  civiles,  d'avec  un  autre  du  double  de  durée,  d'une 
puissance  absolue  déployée  en  tout  genre,  sans  la  plus 
légère,  non  pas  contradiction,  mais  représentation,  qui 
non-seulement  avoit  anéanti  toute  autre  autorité  que  la 
sienne  immédiate,  mais  encore  tout  crédit,  toute  union, 
toute  autre  considération  que  la  sienne  et  de  ses  minis- 
tres, par  conséquent  tout  personnage  et  toute  autre  fonc- 
tion d'emploi  quelconque  et  de  charges  que  des  domesti- 
ques, ce  qui  ne  laissoit  personne  aujourd  hui  en  aucun 
moyen  de  s'opposer  ni  de  résister  à  quoi  que  ce  soit,  si 
tant  est  qu'il  y  eût  encore  quelqu'un  qui  s'avisât  de  se 
souvenir  qu'esclave  et  sujet  n'est  pas  la  même  chose  ;  qu'il 
y  avoit  loin  d'une  reine  de  quarante  et  un  ans,  fille  d'Es- 
pagne'", qui  avoit  elle-même  passé  déjà  par  plus  d'une 
étamine^  en  affaires  d'Etat,  en  tous  les  temps  jusqu'alors 
intimement  unie  à  la  reine  sa  belle-mère  et  à  Monsieur, 
qui  avoit  des  généraux  et  des  ministres  attachés  à  elle,  et 
dans  les  pays  étrangers  des  créatures  habiles,  comme  la 
duchesse  de  Chevreuse  dans  le  considérable,  et  dans  le 
bas,  mais  non  moins  utiles,  comme  Beringhen*  et  d'autres 
que  leurs  aventures  communes  avec  elle  y  avoient  fait  fuir 

i.  Ces  pages  du  manuscrit  correspondent  aux  pages  18  et  suivantes 
de  notre  tome  XXV. 

2.  Il  veut  parler  d'Anne  d'Autriche. 

3.  Locution  déjà  rencontrée  dans  le  tome  XV,  p.  34. 
■'t.  Henri  d(!  Beringben  :  tome  I,  p.  192. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  447 

pour  leur  sûreté,  à  M.  le  duc  d'Orléans,  qui  n'avoit  que 
sa  naissance,  mais  ni  gouvernement,  ni  charge,  ni  troupes 
sous  ses  ordres,  et  qu'elle  voyoit  elle-même  dans  un  aban- 
don si  universel,  quoique  si  proche  du  timon  du  royaume  ; 
qu'il  y  avoit  loin  encore  d'un  prince  foible  tel  que  Gas- 
ton, qui  ne  savoit  jamais  prendre  aucun  parti  par  lui- 
même,  ni  soutenir  aucun  de  ceux  qu'on  lui  avoit  fait 
prendre,  saisi  à  la  chaude',  au  dépourvu,  à  l'instant,  sans 
avoir  un  moment  pour  parler  à  quelqu'un,  par  une  reine 
avec  qui  tout  l'avoit  tenu  uni  jusqu'alors  dans  toutes  les 
différentes  situations  de  sa  vie,  par  conséquent  accoutumé 
à  se  croire  un  avec  elle,  d'ailleurs  sans  force  par  lui- 
même  pour  résister  aux  cajoleries  de  cette  reine  et  à  une 
parole  à  lui  donner  sur-le-champ,  dont  il  fut  assez  simple 
pour  se  promettre  plus  qu'il  ne  lui  quittoit,  et  de  Mon- 
sieur le  Prince  pris  avec  la  même  promptitude,  à  qui 
l'exemple  de  Monsieur  ferma  la  bouche,  qui  ne  le  pres- 
soit  pas  moins  de  le  suivre  que  faisoit  la  Reine-,  dont^ 
l'union  contre  lui,  s'il  leur  résistoit,  lui  fît  tout  appréhen- 
et  dont  le  consentement  entraîna  aussitôt  celui  de  tout 
le  conseil  de  régence  S  hors  d'état  de  leur  résister  seul  à 
tous  les  trois  ;  qu'il  y  avoit  bien  loin  de  la  situation  si 
brusque  de  ces  trois  mêmes  personnes  et  de  la  leur  d'ail- 
leurs en  elles-mêmes,  et  de^  celle  de  M.  le  duc  d'Orléans, 
d'avec  la  situation  des  personnes  en  faveur  de  qui  il  est 
croyable  que  le  Roi  a  fait  des  dispositions,  qui  sont  appa- 
remment en  volonté  et  en  moyens  de  les  défendre  ;  qui 
n'ont  ni  les  raisons  de  foiblesse  et  d'intimes  liaisons  qu'eut 


1.  Locution  déjà  annotée  dans  le  tome  IX,  p.  311. 
•2.  Ci-dessus,  p.  100. 

3.  Avant  dont,  il  y  a  un  et,  biffé. 

4.  Les  antres  membres  du  conseil  de  régence  institué  par  Louis  XIII 
étaient  le  cardinal  Mazarin,  le  chancelier  Séguier,  le  surintendant  des 
finances  Claude  Bouthillier,  et  son  tîls  Léon  Boulhillier  de  Chavigny, 
secrétaire  d'Etat. 

5.  Et  de  est  en  interligne,  au-dessus  de  d'avec,  hiiîé. 


^    ?''' 


iiS  MÉMOIRES  117I..I 

Gastoi),  ni  le  poiils.  ni  K-  pôril  d'un  tel  exemple,  en  refu- 
sant de  s'y  conformer  comme  Monsieur  le  l'rince  ne  l'osa, 
ni  la  disparité  et  la  nudité  de  ceux  du  conseil  de  régence 
pour  maintenir  la  part  qui  leur  éloit  donnée  au  gouver- 
nement, quand  Monsieur  et  Monsieur  le  Prince  s'en  dé- 
pouilloient  en  faveur  de  la  Heine  ;  que  de  plus  les  dispo- 
sitions lie  Louis  Xlll  avoient  été  rendues  publiques  par 
la  lecture  que  ce  monarque  en  avoit  fait  faire  dans  sa 
chambre,  en  présence  de  la  Heine,  de  Monsieur,  de  Mon- 
sieur le  Prince,  des  grands  et  des  plus  considérables  de  sa 
cour,  même  des  principaux  magistrats  qu'il  y  avoit  man- 
dés'; la  Heine  ainsi  que  tout  le  monde  savoient-  leur  con- 
tenu, au  lieu  qu'à  l'égard  de  celles  que  le  Koi  a  faites, 
M  le  duc  d'Orléans  est  avec  tout  le  monde  dans  les  plus 
profondes  ténèbres,  dont  le  voile  ne  sera  levé  qu'après  que 
le  Hoi  ne  sera  plus,  et  levé  pour  M.  le  duc  d'Orléans  et^ 
pour  tout  le  monde  à  la  fois,  en  plein  Parlement,  par 
l'ouverture  et  la  lecture  du  testament  qui  y  sera  faite; 
qu'ainsi  la  différence  est  entière  entre  la  facilité  de  la 
Heine,  qui  savoit  à  quoi  tendre  et  comment  y  tendre,  et 
l'épaisse  obscurité  de  M.  le  duc  d'Orléans,  qui  le  tient 
dans  la  plus  invincible  ignorance  de  ce  qu'il  a  à  faire,  à 
qui  il  a  à  faire,  et  même  s'il  a  quelque  chose  à  faire.  «  Il 
n'en  faut  pas  tant,  Madame,  ajoutai-je  avec  feu,  pour 
servir  de  raison  à  ne  rien  faire,  même  à  ne  pas  penser, 
à  un  homme  aussi  diflicile  à  mettre  en  mouvement  que 
vous  devez  connoître  M.  le  duc  d'Orléans,  même  dans  les 
choses  les  plus  aplanies  et  les  plus  importantes,  s'il  vous 
plaît  de  vous  souvenir  du  mariage  de  Mme  la  duchesse  de 
Berry  *  et  de  beaucoup  d'autres  que  vous  avez  vues  comme 
moi.  » 

C'est  ainsi   que   je    m'efiPorçois  d'échapper  aux   filets 
de  toutes  les  sortes  qui  m'étoient  continuellement  tendus. 

1.  Ci-dessus,  \>.  100.  —  2.  Ainsi  dans  le  manuscrit. 

3.  Les  sept  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

4.  Tome  XIX,  p.  231-23G. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  119 

Mais  cette  fausseté  indispensable  me  coûtoit  si  prodigieu- 
sement, que  j'étois  toujours  en  crainte  de  la  trahison  de 
mon  visage,  du  son  de  ma  voix,  de  toute  ma  contenance. 
Il  n'est  pas  possible  d'exprimer  le  combat  qui  se  passe  au 
fond  d'une  âme  franche,  droite,  naturelle,  vraie,  qui,  au 
milieu  des  périls  de  la  plus  dangereuse  cour  du  monde, 
n'a  jamais  pu  se  masquer  même  sur  rien,  et  à  qui  il  en  a 
bien  des  fois  coûté  cher,  sans  avoir  pu  se  résoudre  à  pren- 
dre leçon  de  ses  expériences,  dont  ces  Mémoires  sont 
pleins;  quel  tourment,  dis-je,  elle  souffre  lorsqu'elle  se 
trouve  en  ce  détroit  unique  :  ou  de  perdre  l'Etat,  que  je 
comptois  sauver  et  réparer,  perdre  M.  le  duc  d'Orléans, 
dont  j'avois  seul  le  secret,  et  me  perdre  moi-même,  ou 
de  tromper  avec  soin,  art  et  industrie,  une  princesse  avec 
qui  je  vivois  depuis  des  années  dans  la  plus  intime  et  la 
plus  réciproque  amitié  et  confiance,  qu'il  falloit  voir  sans 
cesse  sur  ce  même  pied,  en  être  attaqué  sans  mesure  aussi 
avec  toute  sorte  d'art  et  d'industrie,  et  la  tromper  conti- 
nuellement par  toutes  sortes  de  détours.  Je  revenois  quel- 
quefois de  chez  elle  chez  M.  le  duc  d'Orléans  l'avertir 
prompteraent,  pour  qu'il  se  trouvât  de  la  conformité  dans 
ce  qu'il  lui  répondroit  avec  les  discours  que  je  lui  avois 
tenus;  souvent  aux  larmes ^  et  si  plein  de  rage  et  de 
désespoir,  qu'il  augmentoit  encore  par  en  rire,  lui  à  qui 
ce  personnage  n'étoit  pas  si  nouveau,  que  je  me  licen- 
ciois  de  colère  à  lui  en  dire  plus  que  très  librement  mon 
avis;  et  c'est  de  la  sorte  que  s'écoula  toutle  temps  jusqu'à 
la  mort  du  Roi. 

On  a  vu-  que  l'édit  qui  appelle  les  bâtards  du  Roi  à  la        Maisons 
couronne,  etc.,  comme  ayant  l'honneur  d'être  ses  fils  et    '"ronosition^ 
petits-fils,  est  de  juillet  1714,  enregistré  le  2  août,  même   énormeetfollc, 
année  ;  que  ^  le  Roi  remit  son  testament  aux  premier  pré-      ,  *^*,  "°  ?^,  . 

•  j  '»iii-  .-  rebute  point  de 

sident  et  procureur  gênerai  le  dimanche  matm  2/  août,       la  vouloir 

i.  J'étais  souvent  aux  larmes. 

1.  Tome  XXIV,  p.  371. 

3.  Avant  que,  il  y  a  un  et,  biffé. 


\^0  MKMDIRKS  [1715] 

persuader  à     même  aiinôp'  ;  qu'il  n'y  eut  que  vingt-six  jours  entre  l'édit 

^'Jw         ^'t  le  testamenl.  et  que  le  duc  du  Maine,  Mme  de  Main- 
duc  d  Orléans  1     ^1  i'  ,  I  •  I  I     ,  . 
et  à  moi.       tenou  et  le  Chanoeher  surent  bien  employer  le  temps,  et 

n'en  point  perdre.  Il  n'y  en  eut  guères  non  plus  entre  le 
testament  fait  et  livré  et  le  dernier  voyage  (jue  le  Koi  ait 
fait  à  Fontainebleau,  pendant  lequel  le  duc  du  Maine 
commença  à  ourdir  la  noire  et  profonde  traîne  de  l'alVaire 
du  bonnet,  et  qu'il  sut  contluire  comme  on  l'a  vu'-.  Je  ne 
sais  si  Maisons  étoit  entré  avec  lui  dans  la  confidence  de 
ce  chef-d'œuvre  de  scélérate  politi(|ue,  et  qu'en  ce  cas  il 
eût  prévu  que  le  fracas  de  la  tin  de  cette  atîaire  me  ren- 
droit  peu  accessible  à  lui,  et  moins  capable  de  me  prêter 
à  ses  raisonnements.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  tarda  pas 
à  '  m'en  venir  faire  un  si  surprenant '*,  aussitôt  que  le  tes- 
tament fut  déposé  au  Parlement,  qu'il  est  nécessaire,  avant 
de  le  rapporter,  de  remettre  courtement^  ici  devant  les 
yeux  ce  qui  se  passa  à  cet  égard. 

Mesmes  et  Daguesseau,  premier  président  et  procureur 
général,  mandés  de  se  trouver  à  l'issue  du  lever  du  Roi  à 
Versailles  pour  le  dimanche  27  août"  1714,  y  arrivèrent 
droit  chez  le  Chancelier,  qui  leur  remit  un  édit  fort  court 
et  fort  sec,  signé  et  scellé,  pour  le  faire  enregistrer  le 
lendemain'.  Le  Roiy  déclaroit  que^  «  le  paquet  remis  par 
«  lui  aux  premier  président  et  procureur  général  du  Parle- 
«  ment  contenoit  son  testament,  par  lequel  il  avoit  pourvu 
«  à  la  garde  et  à  la  tutelle  du  Roi  mineur,  et  au  choix  d'un 
«  conseil  de  régence,  dont,  pour  de  justes  considérations, 

i.  Tome  XXV,  p.  IS-tiO.  Il  faut  lire  dimanche  "JO  août  (Dangcau, 
tome  XV,  p.  lir»),  et  de  ce  fait  le  calcul  des  jours  écoulés  entre  l'édit 
et  le  testament  devient  faux. 

1.  Tome  XXVI,  p.  1  et  suivantes. 

3.  Cet  à,  oublié,  a  été  remis  en  interligne. 

4.  Un  si  surprenant  raisonnement. 

5.  L'adverbe  courtcm^  est  en  interligne. 

6.  Il  faut  lire  encore  ici  dimanchr  ^0  aoilt. 

7.  Le  texte  en  a  été  donné  dans  notre  tome  XXV,  p.  Hfit-38.H. 

8.  Quoique  tout  ce  qui  va  suivre  ait  été  mis  entre  guillemets  par 
Saint-Simon,  ce  n'est  que  le  sens  et  non  [>as  le  texte  exact  de  l'édit. 


[17in]  DE  SAINT-SIMON.  {M 

((  iln'avoitpasvoulurendrelesdispositionspubliques;  qu'il 
«  vouloit  que  ce  dépôt  fût  conservé  au  greffe  du  Parlement 
«  pendant'  sa  vie,  et  qu'au  moment  qu'il  plairoit  à  Dieu 
«  le  retirer  de  ce  monde,  toutes  les  chambres  du  Parlement 
«  s'assemblassent  avec  tous  les  princes  de  la  maison 
«  royale,  et  tous  les  pairs  de  France  qui  s'y  pourroient 
<(  trouver,  pour,  en  leur  présence,  y  être  fait  ouverture 
«  du  testament,  et,  après  sa  lecture,  les  dispositions  qu'il 
«  contenoit  être  rendues  publiques  et  exécutées,  sans 
«  qu'il  fût  permis  à  personne  d'y  contrevenir,  et  le  dupli- 
«  cata  dudit  testament  être  envoyé  à  tous  les  parlements 
«  du  royaume,  par  les  ordres  du  conseil  de  régence, 
«  pour  y  être  enregistré.  » 

Pas  un  mot,  dans  cet  édit,  d'honnêteté  pour  le  Parle- 
ment, ni  terme  d'estime  ni  de  confiance;  nulle  nomina- 
tion, ni  indication  même  d'exécuteur  du  testament  ;  enfin, 
ce  n'est  point  au  Parlement  ni  à  personne  qu'il  est  confié. 
L'édit  ordonne  seulement  qu'il  sera  déposé  au  greffe,  sans 
parler  d'aucune  sorte  de  précaution  pour  l'y  garder,  et  le 
greffe  est  choisi  simplement  comme  un  lieu  public  et 
ordinaire  de  dépôt.  Ainsi  le  Parlement  n'y  est  chargé  de 
rien,  ni  pas  un  de  ses  magistrats,  et  le  greffe  ne  l'est  que 
comme  de  tous  autres  actes  qui  y  sont  déposés.  Les^ 
duplicata  envoyés  aux  parlements  du  royaume  par  les 
ordres  du  conseil  de  régence  font^  voir  une  attention 
marquée  pour  l'autorité  de  ce  conseil  et  pour  omettre  le 
nom  de  régent,  laquelle^  est  bien  significative,  et  qui 
relève  bien  aussi  toute  la  négligence  affectée  dans  l'édit 
pour  le  Parlement,  qui  étoit  l'occasion  et  le  lieu  de  dire 
des  choses  à  flatter  cette  Compagnie,  dont  il  résulte  deux 
choses  :  l'une,  que  le  Parlement  n'y"  fut  pour  rien,  ni  en 

4.  Pendant  est  en  interligne,  au-dessus  de  de,  biffé. 

2.  Avant  les,  il  y  a  un  et,  biffé. 

3.  Il  y  a  fait,  dans  le  manuscrit,  surchargeant  et. 

4.  Laquelle  est  en  interligne,  au-dessus  de  ce  qui,  biffé. 
^.  N'y  corrige  ne. 


i;v2  MEMOIRES  [iTi:;] 

corps,  ni  pai"  :uuun  de  ses  inomhi-os  ;  Tniitro,  <]iie  les  pn''- 
cautions  si  grandes  pour  la  conservation  du  dépôt  furent 
iiniipiomont  du  cru'  et  du  fait  du  premier  président,  pour 
rendre  odieux  le  seul  homme  en  haine  duquel  le  tesln- 
ment  parut  fait,  comme  étant  capable  de  s'en  saisir  p:u- 
violence,  et  mettre  ce  dépôt-  ainsi  que  le  duc  du  Maine, 
en  faveur  duquel  il  parut  visiblement  fait,  sous  la  pro- 
tection de  la  justice,  du  Parlement,  du  peuple,  de  la 
multitude.  Il  est  certain  que  le  duc  du  Maine  ne  pou- 
voit  rien  ajouter  à  de  telles  précautions,  ni  plus  com- 
plètement profiter  d'un  premier  président  qui  lui  avoit 
livré  son  âme. 

Le  premier  président  et  le  procureur  général  allèrent 
chez  le  Roi,  au  sortir  de  chez  le  Chancelier.  Ce  voyage  si 
concerté  n'avoit  point  de  moments  convenables  poui-  une 
visite  du  premier  président  à  M.  du  Maine,  dont  sûre- 
ment* il  avoit  bien  auparavant  reçu  les  ordres  et  les 
instructions,  et  tout  débattu  et  concerté  avec  lui.  Le  Koi, 
en  leur  disant  ce  qui  a  été  rapporté  p.  1408S  et  sans 
parler  d'aucune  précaution'',  leur  donna  le  paquet  cacheté 
qui  renfermoit  son  testament,  et  au  sortir  du  cabinet  du 
Roi  ils  s'en  retournèrent  à  Paris.  En  y  arrivant,  ils 
envoyèrent  chercher  des  ouvriers.  Ils  les  conduisirent 
dans  une  tour  du  Palais,  qui  est  derrière  la  buvette  de 
la  grand'chambre  et  le  cabinet  du  premier  président, 
laquelle  répond  au  greffe  et  le  joint.  Ils  firent  creuser  un 
grand  trou  dans  la  muraille  de  cette  tour,  qui  est  fort 
épaisse,  y  déposèrent  le  testament,  en  firent  fermer 
l'ouverture  d'une  porte  de  fer,  d'une  grille  aussi  de  fer 

1.  «On  dit  tifïurôment  cela  est  de  votre  cru,  pour  dire,  cela  vient  do 
vous,  vous  avez  inventé  cela  »  (Académie,  iliS). 

2.  Avant  mettre,  Saint-Simon  a  bifTé  le,  et  les  mots  ce  depost  ont 
été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Seurem'  ajouté  en  interlif^if  • 

4.  Tome  XXV,  p.  i9-20. 

5.  Les  six  derniers  mots  ont  été  ajoutes  en  interligne. 


[17^;.]  DE  SAINT-SIMON.  153 

on  seconde  porte,  et  miirailler  par-dessus.  La  porte  et  la 
grille  eurent  chacune  trois  différentes  serrures,  mais  les 
mêmes  à  la  porte  et  à  la  grille,  et  une  clef  pour  chacune 
des  trois,  qui  par  conséquent  ouvroit  chacune  deux 
serrures,  une  de  la  grille  et  une  de  la  porte".  Le  premier 
président  en  garda  une,  le  procureur  général  une  autre, 
et  la  troisième  fut  confiée  au  greffier  en  chef  du  Parlement, 
sous  prétexte  que  le  dépôt  étoit  tout  contre  la  chambre  du 
greffe,  en  effet  pour  éviter*  occasion  de  jalousie  entre 
l'ancien  des  présidents  à  mortier  et  le  doyen  du  Parle- 
ment, et  la  division  entre  les  présidents  et  les  conseillers 
qu'elle  auroit  pu  faire  naître. 

Le  lendemain  lundi  28  août',  le  premier  président 
assembla  les  chambres  dès  le  matin,  leur  rendit  compte 
du  sujet  de  son  voyage  de  la  veille,  fit  présenter  l'édit  par 
les  gens  du  Roi,  qui  fut  enregistré,  paraphrasa  les  sages 
et  justes  précautions  du  Roi  avec  force  louanges,  et 
n'oublia  pas  de  suppléer  au  silence  de  l'édit  par  tout  ce 
qu'il  put  de  superbes  flatteries,  et  de  ce  qu'il  crut  le  plus 
propre  à  intéresser  la  Compagnie  à  la  protection  des 
dispositions  du  Roi,  lorsqu'il  en  seroit  temps,  et  à 
la  piquer  d'honneur  pour  en  procurer  l'entière  exécu- 
tion. 

Revenons  présentement*  à  Maisons.  Ce  président,  comme  l^dd.  S'-s.  1235] 
je   l'ai   déjà  dit,   venoit  presque  tous  les  dimanches  au 
lever  du  Roi%  et  après  sa  messe  chez  moi,  où  la  porte 
étoit  fermée  à  tout  le  monde  de  règle  tant  qu'il  y  étoit, 

1 .  Voyez  dans  notre  tome  XXV,  p.  388-390,  la  description  du  caveau  ; 
les  détails  de  local  et  de  clefs  que  donne  Saint-Simon  ne  sont  pas  exacts. 

2.  Avant  ce  verbe,  il  y  a  un  mot  illisible  biffé,  qu'on  avait  commencé 
à  surcharger  en  éviter. 

3.  Non  pas  le  lundi  "28  août,  mais  le  mercredi  -29  :  tome  XXV, 
p.  381-384.  Le  lundi  tombait  le  '11  août,  et  c'est  la  veille  (jue  le  Roi 
avait  convoqué  les  magistrats  pour  leur  remettre  son  testament. 

4.  Il  a  écrit  revenenons,  et  l'adverbe  qui  suit  est  abrégé  en  p"'. 

o.  Dans  le  tome  XXIV,  p.  330,  il  a  été  dit  que  M.  de  Maisons 
allait  à  la  cour  une  fois  par  semaine. 


iS'.  MEMOIRES  fni:ii 

et  o'i'toit  toujours  toto  à  l»''t(\  Tl  vint  donc  lo  premier 
dimanche  d'après  celui  où  le  Roi  avoit  remis  son  testa- 
ment au  premier  pi'rsidenl  c\  au  pi'ocureui"  général, 
c'est-à-dire  le  septième  jour  après'.  Le  dépôt  éfoit  (Mifermé 
et  l'édit  (pii  l'annoncoit  enregistré,  il  y  en  avoit  cinq-.  Il 
me  fit  un  discours  pathétique  ovi  il  disserta  fortement 
l'éclat,  le  venin,  les  motifs  plus  que  très  a|)parents  du 
testament,  tout  ce  dont  M.  le  duc  d'Orléans  étoit  menacé. 
Il  n'oublia  pas  de  m'exciter  par  tout  ce  qu'il  en  put  croire' 
capable  sur  le  surcroît  de  grandeur,  et  tout  le  pouvoir  qui 
en  résulteroit  à  M.  du  Maine  et  à  la  bâtardise,  et  de  fois  à 
autre  s'interrompant  sur  la  séduction,  et  par  des  décla- 
mations vives  contre  les  auteurs  et  les  coopératcurs 
d'une  pièce  si  funeste  à  l'État  et  à  la  maison  royale. 
Quand  il  eut  bien  péroré,  je  lui  dis  qu'il  ne  me  persua- 
doit  rien  de  nouveau  ;  que  je  voyois  les  mêmes  vérités 
que  lui  avec  la  même  évidence  ;  que  le  pis  que  j'y  trou- 
vois,  c'est  qu'il  n'y  avoit  point  de  remède.  «  Point  de 
remède!  m'interrompit-il  avec  son  rire  en  dessous,  il 
y  en  a  toujours  aux  choses  les  plus  extrêmes  avec  du 
courage  et  de  l'esprit,  et  je  m'étonne  qu'avec  ce  que  vous 
avez  de  l'un  et  de  l'autre,  de  vous  trouver  court  sur  ce 
qui  va  tout  mettre  en  confusion  ;  »  et  de  là,  à  s'étendre 
sur  ce  qu'il  y  alloit  de  tout  pour  M.  le  duc  d'Orléans 
qu'une  pièce,  qui  ne  pouvoit  avoir  été  fabriquée  qu'entre 
M.  du  Maine,  Mme  de  Maintenon  et  le  Chancelier,  et  où 
sûrement  rien  n'avoit  été  oublié  en  faveur  du  duc  du 
Maine  et  contre  M.  le  duc  d'Orléans,  vît  jamais  le  jour. 
Je  convins  que  ce  seroit  bien  le  plus  court  ;   en  même 

1.  Par  conséquent  le  dimanche  2  septembre.  —  Le  cliiflVe  7'  cor- 
rige S'-. 

1.  Il  veut  fiire  qu'il  y  avait  ciiKi  jours  que  ce.s  formalités  étaient 
accomplies,  il  fait  erreur  ;  car  c'est  seulement  le  d2  septembre  que  le 
testament  fut  enfermé  dans  le  caveau  préparé  :  notre  tome  XXV, 
p.  388-390. 

3.  Croire  ajouté  en  interligne. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  455 

temps  je  lui  demandai  comment  supprimer  un  testament 
déclaré  par  un  édit  enregistré,  pièce  par  conséquent 
publique,  et  solennelle  encore  par  sa  nature,  déposée  de 
plus  avec  tant  d'éclat,  et  de  si  solides  précautions  connues 
de  tout  le  monde,  dans  l'intérieur  le  plus  enfoncé  du 
Palais,  et  le  plus  sûr  par  la  nature  et  par  l'art  qui  y  avoit 
été  ajouté.  «  Vous  voilà  donc  bien  embarrassé,  me  répliqua 
Maisons;  avoir,  à  l'instant  de  la  mort  du  Roi,  des  troupes 
sûres  et  des  officiers  sages,  avisés  et  affidés  tous  prêts,  avec 
eux  des  maçons  et  des  serruriers,  marcher  au  Palais,  enfon- 
cer les  portes  et  la  niche,  enlever  le  testament,  et  qu'on  [ne  | 
le  voie  jamais.  »  Dans  ma  surprise  extrême,  je  lui  demandai 
quel  fruit  d'une  si  prodigieuse  violence,  et  de  plus  quelle 
mécanique  pour  en  venir  à  bout.  J'ajoutai  que,  quoi  qu'il 
y  eût  dans  le  testament,  je  ne  voyois  point  de  comparaison 
entre  la  possible  espérance  qu'il  n'eût  pas  plus  d'exécution 
qu'en  avoit  eu  celui  de  Louis  XIII,  comme  le  Roi  lui-même 
ne  s'étoit  pas  caché  de  le  penser',  entre  essuyer  même  ses 
dispositions  quelles  qu'elles  fussent,  et  violer  à  main 
armée  un  dépôt  public  et  solennel,  de  cette  qualité  unique 
et  si  royale,  dans  le  sein  du  sanctuaire  de  la  justice,  au 
milieu  de  la  capitale,  soulever  le  peuple  et  les  provinces, 
la  raison,  la  nature,  ce  que  les  hommes  ont  de  plus  sacré 
entre  eux,  donner  aux  ennemis  de  M.  le  duc  d'Orléans 
les  armes  les  plus  spécieuses,  lui  débaucher  ce  qu'il  peut 
avoir  d'amis  sages  et  raisonnables  par  la  honte  et  le 
péril  de  lui  demeurer  attachés,  donner  aux  horreurs 
répandues  contre  lui  un  poids  que  tous  les  artifices  et 
toute  l'autorité  n'avoient  j)u  leur  acquérir,  autoriser  tout 
ce  qui  se  déclareroit  contre  lui  à  tirer  les  plus  grands 
usages  de  cette  folie,  et  armer-  la  juste  fureur  du  Parlement, 
si  grandement  outragé  par  un  attentat  de  cette  nature,  et 
dans  le  moment  critique  où  l'usage  abusif  presque  tourné 


1.  Tome  XXV,  p.  49  et -21. 

2.  Armer  a  été  ajouté  en  interligne. 


156  MKMiMRES  (174.S1 

en  loi  lui  donnoit  une  aiitorito  avec  laquelle  il  falloit 
eompter  dès  cet  instant  même,  et  souvent  encore  dans  le 
cours  de  la  régence.  Que  si,  dans  l'exécution  si  odieuse 
par  elle-même,  et  que  les  bâtards  et  le  Parlement,  qu'elle 
réuniroit  pour  toujours,  avoient  tant  d'intérêt  d'empê- 
cher, il  arrivoit  une  sédition,  peut-être  appuyée  des 
Suisses',  et  qu'il  y  eût  du  sang  répandu,  personne  ne 
pouvoit-  prévoir  jusqu'où  cette  action  étoii  capable  de 
conduire,  laquelle,  quoi  qu'il  en  succédât,  combleroit 
M.  le  duc  d'Orléans  d'opprobre,  de  la  plus  grande,  de  la 
plus  juste,  de  la  plus  universelle  haine,  et  d'un  mépris 
égal,  si  par  l'événement  le  testament  échappoit  à  l'attaque. 
Tout  cela  fut  commenté  bien  plus  au  long,  sans  que 
Maisons  pût  être  ébranlé  le  moins  du  monde,  et  toutefois 
sans  qu'il  eût  rien  à  répondre  que  l'importance  de  sous- 
traire un  testament  qu'il  étoit  clair  qu'on  n'avoit  fait  que 
contre  M.  le  duc  d'Orléans  et  en  faveur  des  bâtards. 
Maisons,  au  partir  de  chez  moi,  alla  faire  à  M.  le  duc 
d'Orléans  la  même  proposition  avec  les  mêmes  instances, 
et  me  gagna  de  la  main,  espérant  apparemment  de  le 
persuader'  s'il  lui  parloit  avant  moi.  Heureusement  il  n'en 
fut  pas  mieux  reçu.  Nous  lui  fîmes  à  peu  près  les  mêmes 
objections,  parce  qu'elles  se  présentoient  d'elles-mêmes, 
sans  lui  faire  changer  de  sentiment,  et*  nous  nous  le 
contâmes  l'un  à  l'autre,  M.  le  duc  d'Orléans  et  moi,  et 
tous  deux  dans  un  étonnement  extrême.  Ce  qui  nous  en 
donna  davantage,  c'est  qu'il  persista  jusqu'à  sa  mort,  qui 
précéda  de  très  peu  de  jours  celle  du  Roi",  à  presser  M.  le 
duc  d'Orléans  de  cette  extravagance,  et  moi  jusqu'à  la  per- 

I.  Le  duc  du  Maine  en  était  colonel  f,'énéral. 

•1.  Les  mots  ne  pouvoit  sont  on  interlif^ne,  au-dessus  de  n'estait 
capable  de,  biffé,  et  Saint-Simon  a  bitTé  un  socond  prévoir  ajouté  par 
mégarde  en  interligne  après  pouvoit. 

3.  Persuader  est  en  interligne  au-dessus  de  guaigner,  biffé. 

4.  Après  cpf  et  i\  y  a  un  ne  dans  le  manuscrit,  et,  plus  loin,  le  a  été 
ajouté  en  interligne. 

o.  Ci-après,  p.  1()4. 


[1715]  DE  SAINT-SIMO>.  157 

sécution.  II  ne  tint  pas  à  ses  instances  redoublées  que  je  ne 
fisse  la  sottise  d'aller  à  la  buvette  de  la  grand  chambre  recon- 
noître  les  lieux  sur  les  indications  qu'il  m'en  donnait, 
moi  qui  n'en  avois  aucun  prétexte,  et  qui  de  plus  n'allois 
jamais  au  Palais  que  pour  des  réceptions  de  pairs  ou 
des  occasions  où  le  Roi  les  y  mandoit,  et  qui  même  alors 
n'avoit  jamais  approché  seulement  de  la  buvette.  INe  pou- 
vant vaincre  là-dessus  ce  qu'il  appeloit  mon  opiniâtreté, 
il  me  demanda  au  moins  de  ra'arrèter  sur  le  quai  de  la 
Mégisserie,  où  on  vend  tant  de  ferrailles',  et  d'examiner 
de  là,  la  rivière  entre  deux,  la  tour  où  étoit  le  testament, 
qu'il  me  désigna  et  qui  donnoit  sur  le  quai  des  Morfondus-, 
mais  en  arrière  des  bâtiments  de  ce  quai  '.  On  peut  juger 
quelle  connoissance  on  pouvoit  en  tirer  de  ce  point  de 
vue.  Je  lui  promis,  non  de  m'arrèter  sur  ce  quai  pour  me 
faire  regarder  des  passants,  mais  d'y  passer,  et  de  voir 
ainsi  ce  que  je  pourrois  remarquer,  en  ajoutant  que 
c'étoit  par  complaisance,  et  pour  le  satisfaire  sur  une  chose 
en  soi  indifférente,  parce  que  rien  au  monde  ne  me  pour- 
roit  tenter,  encore  moins  me*  persuader,  sur  une  pareille 
entreprise.  L'incompréhensible  est  comment  elle  avoit  pu 
entrer  dans  une  tête  aussi  sensée,  et  que  jusqu'à  la  mort, 
quoiqu'il  nous  ait  trouvés  inébranlables,  M.  le  duc  d'Or- 
léans et  moi,  il  ne  se  soit  jamais  lassé  de  nous  presser 

1.  Le  quai  de  la  Mégisserie,  appelé  encore  ainsi  de  nos  jours,  est 
le  long  de  la  rive  droite  de  la  Seine  entre  le  Pont-neuf  et  le  Pont-au- 
Change.  La  partie  la  plus  rapprochée  du  Pont-neuf  était  nommée  vul- 
gairement le  quai  de  la  F'erraille,  non  seulement  à  cause  des  boutiques 
de  quincaillerie  qui  s'y  trouvaient,  mais  surtout  à  cause  des  nombreux 
petits  marchands  qui  étalaient  leur  ferraille  sur  le  pavé  même. 

2.  Morfondus  corrige  orflevres].  —  Le  peuple  appelait  ainsi  le  quai 
de  l'Horloge,  à  cause  de  son  exposition  au  nord,  et  spécialement  la 
partie  qui  longeait  les  maisons  de  la  place  Dauphine. 

3.  D'après  le  procès-verbal  (tome  XXV,  p.  387),  il  ne  semble 
pas  que  le  testament  ait  été  déposé  dans  une  tour,  mais  bien  dans 
«  un  lieu  »  situé  derrière  le  cabinet  des  greffiers  en  chef. 

i.  Me  est  ajouté  en  interligne,  ainsi  que  se  avant  soit,  quatre  lignes 
plus  loin. 


ir>S  MEMOIRES  11715] 

là-(lt'>sus,   ni  rebiilô  de   rcsprranco   de   nous   y   amener. 
Réflexions  Le  plus  moi'lol  ennemi  de  M.  le  duc  d'Orléans  n'auroit 

buidl'Mai-oiis  P"  imaginer  rien  de  plus  luiiesle  à  lui  persuader,  et  je  ne 
sais  si  on  auroit  trouvé  plusieurs  personnes  assez  dépour- 
vues de  sens  pour  y  donner  sérieusement.  Que  penser 
donc  d'un  président  à  mortier  de  la  considération  que 
-Maisons  s'étoit  acquise  au  Palais,  à  la  ville,  à  la  cour,  où 
il  avoit  toujours  passé  pour  un  homme  d'esprit,  sage, 
avisé,  intelligent,  capable  et  mesuré  ?  Étoit-il  assez  infa- 
tué de  la  nécessité  dont  il  étoit  pour  M.  le  duc  d'Orléans 
de  supprimer  le  testament,  assez  aveuglé  de  la  parole  des 
sceaux,  qu'il  avoit  enfin  arrachée  de  ce  prince,  à  ce  que 
j'en  pus  juger',  et  de  toute  l'autorité  qu'il  se  promettoitde 
tirer  de  cette  place,  qu'il  sentoit  bien  qui  seroit  conservée 
àVoysin  si  M.  du  Maine  étoit  maître,  après  tout  ce  que 
cette  âme  damnée  avoit  si  nouvellement  fait  pour  lui,  que 
la  passion  l'empèchàt  de  voir  les  suites  aiitreuses  et  indis- 
pensables de  l'entreprise  qu'il  proposoit,  que  je  lui  mettois 
sans  cesse  devant  les  yeux,  et  à  pas  une  desquelles  il 
n'avoit  d'autre  réponse  que  le  danger  évident  des  dispo- 
sitions du  testament,  pernicieuses  pour  M.  le  duc  d'Or- 
léans, toutes  pour  la  grandeur  du  duc  du  Maine,  qui  les 
sauroit  bien  faire  valoir,  établi  comme  il  l'étoit,  et  la 
nécessité  dès  là  indispensable  de  le  suppiimer  comme 
que  ce  pût  être  ?  Sa  persévérance  de  près  d'une  année, 
qui  ne  put  être,  non  pas  rebutée,  mais  même  le  moins  du 
monde  ralentie,  ni  par  des  raisons  si  palpables,  ni  parla 
résistance  toujours  égale  qu'il  trouva  en  M.  le  duc  d'Or- 
léans et  en  moi  ;  sa  réserve  là-dessus  pour  Canillac,  dont 
il  se^  servoit  auprès  de  M.  le  duc  d'Orléans  pour  soi- 
même,  pour  le  Parlement,  et  pour  tant  d'autres  choses, 
réserve  dont  il  n'excepta  personne,  sans  exception  là-dessus 
que  M.  le  duc  d'Orléans  et  moi,  donneroient-elles  d'autres 

4.  Ce    qui   précède,  depuis  ce  prince,   a  été  écrit  en  interligne, 
au-dessus  de  M.  le  duc  d'Orléans,  bilVé 

i.  Ce  pronom,  oublié,  a  été  remis  en  interligne. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  159 

pensées  ?  Auroit-il  été  assez  noir  pour,  de  concert  avec 
le  duc  du  Maine,  ouvrir  cet  abîme  sous  nos  pas,  et  ne  se 
lasser  point  de  nous  y  pousser  pour  nous  perdre,  et  par  la 
chute  de  M.  le  duc  d'Orléans,  unique  par  son  âge  entre 
tous  les  princes  du  sang  à  pouvoir  être  revêtu  de  la  ré- 
gence, y  porter  le  duc  du  Maine,  qui  de  là  à  la  couronne 
n'auroit  eu  qu'un  pas  à  faire,  et  qui  n'en  ignoroit  pas  les 
moyens?  Ln  si  puissant  objet  pour  une  âme  de  la  trempe 
de  celle  du  duc  du  Maine,  et  qui  avoit  su  se  le  préparer 
avec  tant  d'art  et  de  si  loin,  n'est  rien  moins  qu'incroyable, 
si  l'on  se  rapproche  •  par  quels  chemins  ce  fils  de  ténèbres 
étoit  parvenu  à  escalader  tous  les  degrés  du  trône 
dont  la  place  s'étoit  aplanie  et  nettoyée  devant  lui,  et  tout 
ce  qu'il  avoit  mis  en  œuvre  pour  noircir  avec  tant  de 
succès  le  seul  obstacle  qui  lui  restoit  à  vaincre,  d'un  crime 
si  fatal  et  si  étranger  à  ce  prince,  crime  qui,  pour  le 
moins,  n'étoit  pas  fatal  au  duc  du  Maine  pour  la  sûreté 
jusque-là  plus  que  douteuse,  jusqu'aux  yeux  du  Roi 
même,  de  tout  ce  qu'il  en  avoit  obtenu  jusqu'alors,  et  par 
les  pas  de  géant  qu'il  fit  après  vers  la  couronne.  Ce  ser- 
vice de  Maisons  valoit  bien  le  sacrifice  de  Voysin,  qui  ne 
pouvoit  plus  être  utile  au  duc  du  Maine,  et  d'éblouir  Mai- 
sons de  tout  ce  que  le  savant  art  de  ce  futur  maire  du 
palais  n'auroit  pas  manqué  de  présenter  à  son  ambition. 
Qu'on  se  rappelle  les  anciennes  liaisons  de  Maisons  avec 
le  duc  du  Maine,  assez  fortes  pour  en  avoir  espéré  la 
place  de  premier  président,  refroidies  par  la  préférence 
donnée  à  Mesmes;  le  renouement  de  ces  liaisons  ensuite, 
leur  secret  et  celui  dont  il  couvrit  toujours  celles  qu'il 
prit  tant  de  soin  de  faire  et  d'étreindre  avec  M.  le  duc 
d'Orléans  ;  combien  promptement  et  d'avance  il  fut  tou- 
jours instruit  avant  personne  des  pas  derniers  des  bâtards 

4.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  n'a  admis  le  verbe  rapprocher 
que  dans  son  édition  de  1740  ;  mais  l'emploi  de  se  rapprocher  au  sens 
de  se  rappeler  à  la  mémoire  n'est  donné  par  aucun  lexique  ;  le  Littré 
n'en  cite  aucun  exemple,  même  pas  celui-ci  par  notre  auteur. 


Kîo  MKMOiUES  |nir;| 

vers  le  trône  ;  la  scène  qu'à  ce  propos  il  me  donna  chez 
lui  pour  m'aveugler ',  et  par  moi  M.  le  duc  d'Orléans;  car 
la  course  qu'il  me  fit  faire  à  Paris  pour  m'y  apprendre  ce 
qui  tut  le  soir  même  public  à  Marly,  étoit,  sans  ce  rctPti- 
(utn-,  parfaitement  inutile;  le  contraste  de  cette  scène 
avec  ce  dîner  à  huis  clos  qu'il  donna  mystérieusement 
aux  deux  bâtards  le  jour  de  leurs  visites  au  Parlement 
pour  l'enregistrement  de  leur  habileté  à  la  couronne'; 
l'embarras  extrême  où  il  tomba  quand  il  m'en  vit  informé; 
son  manège  avec  M.  et  Mme  du  Maine  sur  l'affaire  du 
bonnet,  et  sous  ce  prétexte  ses  visites  si  fréquentes  à 
Sceaux,  où  11  ne  paroissoit  point,  mais  où  il  passoit  deux 
heureschaquefoisenfermé  seul  avec  M.  et  Mme  du  Maine  ; 
les  distinctions  que,  seul  de  sa  robe,  il  recevoit  du  Roi  sur 
ses  fins,  toutes  les  fois  qu'il  se  présentoit  devant  lui,  et 
celle  qu'il  eut  dans  les  derniers  mois,  encore  plus  unique, 
d'aller  de  Maisons  à  Marly  quand  il  vouloit,  comme  le  duc 
de  Berwick  de  Saint-Germain,  sous  prétexte  d'un  voisi- 
nage dont  on  ne  s'étoit  pas  avisé  jusque-là  ^,  et  qui  avec 
raison  avoit  été  de  tout  temps  pour  le  duc  de  Berwick; 
enfin  la  douleur  si  marquée  de  sa  mort,  arrivée  le  jeudi 
au  soir,  22  août  de  cette  année  ■',  dix  jours  avant  celle  du 
Koi,  que  témoigna  le  duc  du  Maine,  qui  n'en  étoit  pas 
prodigue,  et  l'ardeur  si  empressée  avec  laquelle  il  emporta 
dès  le  lendemain,  vendredi  matin,  la  charge  de  président 
à  mortier  pour  le  jeune  Maisons '%  qui  n'avoit  pas  dix- 
sept  ans,  et  qui  étoit  accouru  à  lui  de  Paris  dans  cette  con- 
fiance ;  qu'on  ramasse  tout  cela,  je  le  dis  avec  horreur, 
conclura-t-on  que  ce  soit  pousser  trop  loin  les  soupçons? 

\.  Tome  XXIV,  p.  334  et  suivantes. 

i.  Hetentum,  ctiose  retenue,  gardée  socrète  ;  on  appelait  rctentiim 
la  parties  d'un  arrêt  qui  n'était  pas  rendue  publique.  Ici  c'est  le  i^ons 
de  résene  mentale,  d'arrière-pensée,  de  réticence. 

3.  Tome  XXIV,  p.  370. 

t.  Ibidem,  p.  330.  —  5.  Ci-après,  p.  Kii. 

6.  Jean-René  de  Longueil  :  tome  X,  p.  '1\. 


|171nl  DE  SAINT-SIMON.  \fî\ 

A  mon  égard,  il  lui  falloit  un  homme  toujours  à  portée 
de  M.  le  duc  d'Orléans,  et  à  portée  de  tout  avec  lui,  et  qui 
fût  dans  le  secret  de  leur  liaison.  Canillac  ne  voyoit  ce 
prince  qu'à  Paris,  où  il  n'alloit  que  des  moments,  et  assez 
rarement  depuis  un  temps  ;  Maisons  n'en  pouvoit  donc 
espérer  le  même  usage,  et  il  se  flattoit  de  me  vaincre  par 
le  coin  de  la  bâtardise,  que  Canillac  avoit  bien  aussi,  mais 
peut-être  moins  que  moi,  parce  qu'il  perdoit  moins  avec 
eux.  Maisons,  de  longue  main  en  grande  société  avec  lui  \ 
eût  peut-être  été  fâché  de  le  perdre,  et  pour  moi  c'étoit 
double  gain  à  tous  égards,  pour  un  bâtard  et  pour  un 
président  à  mortier,  et  de  s'ouvrir  à  d'autres  n'alloit  pas 
à  leur  but,  et  y  étoit  même  directement  contraire.  Enfin 
Maisons  vouloit-il  voir  si  à  la  fin  M.  le  duc  d'Orléans  ou 
moi  serions  assez  dépourvus  de  sens  commun  pour  mor- 
dre à  un  si  pernicieux  hameçon,  nous  conduire  au  bord 
du  précipice,  nous  y  laisser  jeter  dans  l'espérance  que  le 
désordre  effroyable  qui  en  naîtroit  mettroit  la  dictature 
du  royaume  entre  les  mains  du  Parlement,  que  lui,  par 
son  crédit  dans  la  Compagnie  et  par  ses  accès,  il  se  ren- 
droit  l'entremetteur  entre  les  partis,  et  feroit  longuement 
ainsi  la  première  et  la  plus  utile  figure;  ou,  nous  voyant 
près  de  tenter  l'entreprise,  y  faire  naître  lui-même  des 
difficultés,  nous  affubler  après  de  l'ignominie  d'une  réso- 
lution si  folle  et  si  désespérée,  et  se  donner  auprès  du  duc 
du  Maine,  du  Parlement,  du  public,  l'honneur  de  l'avoir 
empêchée?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  incompréhensible 
qu'un  président  à  mortier,  sage,  sensé,  de  conduite  tou- 
jours approuvée,  avec  beaucoup  d'esprit,  de  réputation 
et  de  connoissance  du  monde,  fort  riche  et  fort  compté 
partout,  ait  pu  concevoir  un  projet  d'une  extravagance 
aussi  parfaite  et  aussi  désespérée,  le  proposer,  en  pres- 
ser, et  ne  se  point  lasser  de  faire  les  derniers  efforts  pour 
le  persuader,  et  continuellement,  et  sans  se  rebuter  de 

l.  Tome  XXVI,  p.  364. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXVII  11 


de  sa  famille. 


462  MÉMOIRES  [1715] 

rien  pendant  toute  une  annôe,  et  jusqu'à'  sa  mort.  !1  n'a 
pas  assez  vôcu  pour  cloniicr  le  temps  de  percer  ces 
étranges  ténèbres.  Ils  sullisent  du  moins  pour  consoler 
de  sa  mort  les  gens  sages,  les  gens  de  bien  et  d'honneur, 
et  ceux  qui  aiment  la  paix  et  qui  détestent  les  désordres. 
Achevons  tout  de  suite  ce  (jui  regarde  Maisons  et  les 
siens,  pour  n'en  pas  interrompre  les  derniers  jours  de 
Louis  XIV. 
Raro  impiété  IJ  n'est  malheureusement  que  trop  commun  de  trouver 
fui  de  Maisons  *^^  ^^^  prétendus  esprits  forts  qui  se  piquent  de  n'avoir 
et  point   de  religion,  et    qui,  séduits    par   leurs  mœurs  et 

par  ce  qu'ils  croient  le  bel  air  du  monde,  laissent  volon- 
tiers voir  ce  qu'ils  tâchent  de  se  persuader  là-dessus, 
sans  toutefois  en  pouvoir  venir  à  bout  avec  eux-mêmes. 
Mais  il  est  bien  rare  d'en  trouver  qui  n'aient  point  de 
religion,  sans  que,  parleur  état  dans  le  monde,  ils  osent 
s'en  parer.  Pour  le  prodige  que  je  vais  exposer,  je  doute 
qu'il  ait  jamais  eu  d'exemple,  en  même  tempsque  je  n'en 
puis  douter  par  ce  que  mes  enfants  et  ceux  qui  étoient 
auprès  d'eux  m'en  ont  appris,  qui,  dès  leur  première 
jeunesse,  comme  on  l'a  vu  ci-dessus-,  ont  vécu  avec  le  fils 
de  Maisons  dans  la  plus  grande  familiarité  et  dans 
l'amitié  la  plus  intime,  qui  n'a  fini  qu'avec  la  vie  de  ce 
jeune  magistrat.  Son  père  étoit  sans  aucune  religion. 
Veuf  sans  enfants  fort  jeune ',  il  épousa  la  sœur  ainée  de 
la  maréchale  de  Villars*,  qui  se  trouva  n'avoir  pas  plus 
de  religion  que  lui.  Ils  curent  ce  fils  unique,  pour  lequel 
ils  mirent  tous  leurs  soins  à  chercher  un  homme  d'esprit  et 

•1.  Avant  jusqu'à,  Saint-Simon  a  bille  tant  qu'il  a  vescu. 

2.  Tome  XXIV,  p.  331. 

3.  Claude  de  Longueil  avait  épousé  le  13  avril  1G!)3  Madeleine  de 
Lamoignon,  fille  du  président  Chrétien-François.  Cette  jeune  femme 
mourut  le  lo  septembre  1694  à  i'âj^e  de  vin}i;t-lrois  ans,  ayant  eu  le 
22  mai  précédent  un  lils,  Jean-Rem-Claude,  qui  mourut  à  inoins  de 
trois  mois  le  9  aoiit.  M.  de  Maisons  n'avait  alors  que  vinf;t-sept  ans. 

4.  Marie-Cliarlolle  Roque  de  Varengeville  (tome  X,  p.  21),  mariée 
le  27  lévrier  1698. 


[4715]  DE  SAINT-SIMON.  163 

de  mise',  qui  joignit  la  connoissance  du  monde  à  une 
belle  littérature,  union  bien  rare,  mais  ce  qui  l'estencore 
plus,  et  dont  le  père  et  la  mère  firent  également  leur 
capital,  un  précepteur  qui  n'eût  aucune  religion,  et  qui, 
par  principes,  élevât  avec  soin  leur  fds  à  n'en  point  avoir. 
Pour  leur  malheur,  ils  rencontrèrent  ce  phénix  accompli 
dans  ces  trois  parties,  d'agréable  compagnie,  qui  se  fai- 
soit  désirer  dans  la  bonne,  sage,  mesuré,  savant  de  beau- 
coup d'esprit,  très  corrompu  en  secret,  mais  d'un  extérieur 
sans  reproche,  et,  sans  pédanterie,  réservé  dans  ses  dis- 
cours -.  Pris  sur  le  pied  et  pour  le  dessein  d'ôter  toute  reli- 
gion à  son  pupille,  en  gardant  tous  les  dehors  indispensa- 
bles, il  s'en  acquitta  avec  tant  de  succès,  qu'il  le  rendit  sur 
la  religion  parfaitement  semblable  au  père  et  à  la  mère^, 
qui  ne  réussirent  pas  moins  bien  à  en  faire  un  homme 
du  grand  monde  comme  eux,  et  comme  eux  parfaitement 
décrassé  des  fatuités  de  la  présidence,  du  langage  de  la 
robe,  des  airs  aussi  de  petit-maître  qui  méprise  son  mé- 

1.  Locution  déjà  rencontrée  dans  le  tome  XXIII,  p.  216. 

2.  Sainl-Simon  ne  nomme  pas  ici  ce  précepteur,  pas  plus  que  dans 
la  digression  sur  M.  de  Maisons  et  son  tils  qu'il  a  intercalée  dans  la 
Notice  sur  la  maison  de  Saitit-Siino7i  (tome  XXI  et  supplémentaire  de 
l'édition  des  Mémoires  de  1873,  p.  186-488)  et  qu'il  faut  comparer  à  ce 
qu'il  dit  ici;  mais,  dans  l'Addition  à  Dangeau  indiquée  ci-dessus, 
D"  1235  (ci-après,  p.  300),  un  correcteur  a  écrit  son  nom  :  c'est  César 
Chesneau  du  Marsais,  avocat  au  Parlement,  mort  le  11  juin  1756,  à  près 
de  quatre-vini;ts  ans.  Il  commença,  à  la  prière  du  président  de  Maisons, 
une  Exposilion  de  la  doctrine  de  l'église  gallicane  par  rapport  aux 
prétentions  de  la  cour  de  Rome,  et  il  acheva  ce  travail  à  la  demande 
du  duc  de  la  Feuillade,  lorsque  celui-ci  fut  désigné  en  décembre  1715 
pour  l'ambassade  de  Rome  ;  mais  cet  ouvrage  ne  fut  publié  qu'après 
sa  mort,  en  1758,  en  un  volume  in-42.  M.  du  Marsais,  lié  avec  Vol- 
taire, fut  un  précurseur  des  encyclopédistes;  d'Alembert  a  inséré  son 
éloge  dans  ses  Mélanges,  édition  de  1759,  tome  II,  p.  167-226.  Voyez 
ci-après  aux  Additions  et  Corrections. 

3.  Voltaire,  dont  il  fut  l'hôte,  regardait  ce  pupille  comme  un  jeune 
homme  de  grande  espérance;  au  dire  du  président  Hénault  (Mémoires, 
édition  Rousseau,  p.  113),  c'était  un  grand  dispute ur,  que  l'âge  aurait 
peut-être  mûri. 


464  MEMOIRES  [1715] 

tier,  auquel,  avec  du  sens  et  beaucoup  d'esprit,  il  s'adonna 
de  façon  à  surpasser  son  père  en  tout,  s'il  eût  vécu.  Il 
étoit  unique,  et  le  père  et  la  mère  et  lui  s'aimoient  pas- 
sionnément. J'ai  sullisamment  parlé  de  M.  et  de  Mme  de 
Maisons  pour  n'avoir  plus  que  ce  mot  à  ajouter.  Au  mi- 
lieu des  richesses,  de  la  considération  publique,  d'amis 
distingués  en  tout  genre,  touchant  de  la  main  à  la  plus 
haute  fortune  de  son  état  et  la  plus  ardemment  désirée, 
il  est  surpris  d'un  léger  dévoiement  dans  ce  temps  de 
crise  où  iln'avoit  pas  le  temps  de  s'écouter.  Il  prend  mal 
à  propos  deux  ou  trois  fois  de  la  rhubarbe  '  ;  plus  mal  à 
propos  le  cardinal  de  Bissy  le  vient  entretenir  longtemps 
sur  la  Constitution,  et  contraint  l'effet  de  la  rhubarbe;  le 
feu  se  met  dans  ses  entrailles  sans  qu'il  veuille  consentir  à 
être  malade  ;  le  progrès  devient  extrême  en  peu  d'heures  ; 
les  médecins,  bientôt  à  bout,  n'osent  l'avouer  ;  le  mal 
augmente  à  vue  d'œil;  tout  devient  éperdu  chez  lui;  il  y 
meurt  à  quarante-huit  ans",  au  milieu  d'une  foule  d'amis, 
de  clients,  de  gens  qui  se  font  de  fête^,  sans  volonté  ou  sans 
loisir  de  penser  un  moment  à  ce  qui  alloit  arriver  à  son 
âme^.  Sa  femme,  après  les  premiers  transports  et  un  long 
désespoir  d'une  si  cruelle  trahison  de  la  fortune,  car  son 

1.  La  rhubarbe  est  une  plante  du  genre  des  polygonacées,  origi- 
naire de  la  Chine.  Sa  racine,  très  employée  en  médecine  sous  forme  de 
poudre,  de  vin  ou  d'extrait,  arrivait  en  Europe  par  la  Russie  et  par 
Venise.  Outre  ses  qualités  purgatives,  on  lui  attribuait  celles  de  forti- 
fier l'estomac  et  d'exciter  l'appétit. 

"2.  Les  mots  à  48  ans  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  On  a  vu  dans  le  tome  XXIL  p.  iiCi,  que  cette  locution  signihait 
s'entremettre  à  tort  et  à  travers. 

•4.  Les  Mémoires  de  Villars  (lome  IV,  p.  o7-o8)  donnent  quelques 
détails  sur  la  maladie  de  M.  de  Maisons.  Dangeau,  tout  occupé  de 
celle  du  Roi,  la  mentionne  brièvement  le  13  août  (tome  XVI,  p.  90). 
Le  22  août,  jour  de  la  mort,  il  a  seulement  noté  dans  son  Journal 
(p.  99)  :  «  M.  le  président  de  Maisons  mourut  le  soir  à  Paris  ;  une  heure 
avant  qu'il  mourut  les  médecins  le  croyoient  hors  de  danger  ;  il  est 
regretté  universellement  dans  la  cour  et  dans  Paris.  »  Voyez  ci-après, 
p.  304.  l'Addition  indiquée  ci-dessus,  n''  i23o. 


[17I.S|  DE  SAINT-SIMON.  165 

mari  n'avoit  point  de  secret  pour  elle,  paya  enfin  de 
courage  et  ramassa  ses  forces  pour  conserver  les  amis  et 
les  familiers  de  la  maison,  et  la  continuer  sur  le  pied  que 
son  mari  l'avoit  mise;  mais  l'âme  n'y  étoit  plus.  Restoient 
les  nouvelles,  les  petites  intrigues,  les  cabales  du  Parle- 
ment, les  discours  des  gens  oisifs  et  mécontents,  un  reste 
de  tribunal  en  peinture,  qui  ressembloit  mieux  à  un  café 
renforcé',  qu'elle  faisoit  valoir  tout  ce  qu'elle  pouvoit, 
dans  lequel  elle  éleva  son  fils  sur  les  traces  de  son  père. 
La  vie  de  Mme  de  Maisons  se  passa  dix  ou  douze  ans  de 
la  sorte,  en  projets  et  en  travaux  dont  la  chimère  et  les 
vaines  espérances  la  flattoient,  pleine  d'opulence,  de 
santé,  d'autorité  sur  son  fils,  et  de  celle  du  reste  de  ses 
charmes  sur  ses  amis  et  sur  tout  ce  qui  venoit  chez  elle, 
soutenue  de  la  considération  après  laquelle  elle  couroit, 
lorsque,  surprise  d'une  apoplexie  dans  son  jardin,  elle 
rassura  son  fils  et  ses  amis,  au  lieu  de  profiter  pour  penser 
à  elle  d'un  intervalle  de  peu  de  jours,  au  bout  desquels 
une  seconde  attaque  l'emporta,  sans  lui  laisser  un  moment 
de  libre,  le  o  mai- 1727,  dans  sa  quarante-sixième année^. 
Son  fils,  longtemps  fort  affligé,  chercha  à  se  continuer 
et  à  s'acquérir  des  amis,  surtout  à  se  distinguer  dans  son 
métier.  Il  s'y  attira  en  effet  de  l'estime  et  du  crédit,  et  de 
la  considération  dans  le  monde,  comme  un  jeune  homme 
tourné  à  devenir  un  grand  sujet.  Les  exemples  domesti- 
ques ne  lui  servirent  que  pour  ce  monde  à  courir  après 
la  fortune,  lorsque,  plein  de  vues  et  ne  se  refusant  rien 
de  ce  que  peut  donner'  l'abondance,  il  fut  surpris  à  Paris 


1.  C'est  une  allusion  aux  «  maisons  de  café  »  (on  dit  déjà  alors  les 
cafés)  où  se  réunissaient  les  nouvellistes  pour  apprendre  les  nouvelles, 
discuter  les  événements  et  juger  les  ouvrages  littéraires  :  voyez  notre 
tome  XVI,  p.  235. 

2.  Avant  5  may,  Saint-Simon  a  biffé  13  sept.  i7[31],  qui  est  la 
date  de  la  mort  du  tils  (ci-après),  et  1727  corrige  1627. 

3.  Gazette  de  1727,  p.  228. 

4.  Donner  surcharge  une  /'  à  la  fin  d'une  ligne,  et  cet  article  élidé 


1fi6  MEMOIRE  [171.^1 

de  la  petite  vérole.  La  prompte  déclarauon  de  ce  mal  lui 
tourna  la  tète.  Il  se  crut  mort  ;  il  pensa  à  ce  qu'il  avoit 
méconnu  toute  sa  vie;  mais  la  fra^-eur  qui  le  tourna 
subitement  à  la  mort  ne  lui  laissa  plus  de  liberté,  et  il 
mourut  de  la  sorte,  dans  sa  trente-troisième  année,  le  13 
septembre  1731  ',  laissant  un  fils  unique',  qui,  au  milieu 
d'une  troupe  de  femmes  qui  ne  le  perdoient  jamais  de 
vue,  tomba  d'entre  leurs  bras,  et  en  mourut  en  peu  de 
jours,  à  dix-huit  mois,  un  an  après  son  père^,  dont  les 
grands  biens  allèrentàdes  collatéraux*.  Je  n'ai  pu  refuser 
cette  courte  remarque  à  une  aussi  rare  impiété.  Ces 
Mémoires  ne  sont  pas  un  traité  de  morale  ;  aussi  me 
suis-je  contenté  d'un  récit  le  plus  simple  et  le  plus 
nu  ;  mais    qu'il  me  soit  permis  d'y  appliquer  ces  deux 

a  été  ajouté  avant  abondance  au  commencement  de  la  ligne  suivante 
du  manuscrit. 

i.  Gazette,  p.  444.  Mathieu  Marais,  annonçant  sa  mort  dans  une  de 
ses  lettres  (Mémoires,  tome  IV,  p.  296),  ajoute:  «  M.  de  Maisons 
laisse  des  dettes  immenses;  il  jouoit,  il  bàlissoit  ;  il  donnoit  dans 
toutes  les  curiosités.  «  Voyez  aussi  le  Journal  de  Barbier,  édition  de 
la  Société  de  l'histoire  de  France,  tome  I,  p.  366,  et  les  Mémoires  du 
président  Hénault,  édition  Rousseau,  p.  143-114.  Il  avait  été  nommé 
membre  honoraire  de  l'académie  des  Sciences  le  "23  aoiJt  17"26;  Fon- 
teneile  y  prononça  son  éloge  t'unèbre.  Dans  son  château  de  Maisons, 
il  avait  réuni  un  fort  beau  cabinet  de  médailles,  et  il  cultivait  dans  le 
parc  beaucoup  de  plantes  rares  et  singulières,  qui  y  constituaient  un 
véritable  jardin  botanique. 

2.  Jean-René  de  Longueil  avait  épousé  en  premières  noces,  en  août 
i7-20.  Marie-Charlotte  Charron  de  Menars,  morte  le  i<^''  décembre  '172'1, 
à  quatorze  ans;  il  se  remaria  le  il  août  1728  avec  Marie-Louise  Bauyn 
d'Angervilliers,  lille  du  secrétaire  d'Elat  à  la  guerre.  Il  eut  de  ce 
second  mariage  un  dis,  Nicolas-Prosper  de  Longueil,  né  le  27  mars 
4731,  mort  le  21  octobre  1732.  II  est  curieux  que  Saint-Simon  ne  dise 
pas  que  la  veuve  de  M.  de  Maisons  épousa,  le  21  janvier  1733,  le  mar- 
quis de  RulFec,  tils  cadet  de  notre  auteur;  ce  silence  est  sans  doute 
voulu.  Sur  ce  jeune  enfant,  voyez  ci-après  aux  Additions  et  Corrections. 

3.  Mémoires  de  Mathieu  Maiais,  tome  IV,  p.  436. 

4.  L'héritière  fut  Mme  de  Boisfranc,  Marie-Ronée  de  Belleforière 
de  Soyecourt  (notre  tome  XX,  p.  250).  tille  d'une  Longueil,  grand'tante 
du  dernier  président  de  Maisons. 


[47do]  DE  SAINT-SIMON.  467 

versets'  du  Psaume  xxxvi-,  qui  paroissent  si  faits  exprès: 

«  J'ai  vu  l'impie  exalté  comme  les  cèdres  du  Liban  ;  je  n'ai 

fait  que  passer  :  il  n'étoit  déjà  plus  ;  je  n'en  ai  pas  même 

trouvé  la  moindre  trace ^.  » 

Le  Roi  diminua  si  considérablement  dans   la  seconde  Le 

moitié  du  voyage  de  Marly  S  que  '  je  crus  qu'il  étoit  temps  tpprel^Tnfm 

de  mettre  fin  aux  angoisses  du  duc  de  Noailles,  pourêtre   sa  destination; 

en  état  de   lui  parler  ouvertement  sur  ce  qui  re^ardoit  ^   .^ 

.  ^  ,,  .  °  propositions 

1  avenir  par  rapport  aux  finances,  et  d  en  raisonner  avec    qu'il  me  fait. 

lui.  M.  le  duc  d'Orléans,  à  qui  je  le  représentai,  en  jugea 
de  même.  Il  me  permit  de  lui  dire  sa  destination  et  celle 
de  son  oncle  %  et  la  lui  confirma  lui-même  la  première 
fois  qu'il  le  vit  chez  lui.  Il  est  difficile  d'exprimer,  et  tout 
à  la  fois  de  contenir  plus  de  joie;  le  sentiment  fut  le  pre- 
mier ressort,  la  vanité  le  second.  L'adresse  se  plâtra^  de 

i.  Ce  verxet  est  corrigé  en  ces  versets,  et  2  a  été  ajouté  en  interli- 
gne ;  plus  loin,  paroist  a  été  corrigé  en  paroissent  et  fait  en  faits. 

"2.  Versets  33  et  36.  Saint-Simon  avait  fait  la  même  citation  dans 
l'Addilion  indiquée  ci-dessus,  n"l235. 

3.  Vidi  impium  superexaltatum,  et  elevatum  siciit  cedros  Lihani ; 
et  transivi,  et  ecce  non  erat,  et  quœsivi  eum,  et  non  inventus  est  locus 
ejus. 

4.  La  cour  arriva  à  Marly  le  12  juin  et  en  revint  le  iO  aoîit.  Dan- 
geau  ne  parle  pas  de  l'afTaiblissement  de  la  santé  de  Louis  XIV;  au 
contraire,  voici  ce  qu'il  indique  pour  l'emploi  des  journées  du  Roi 
depuis  le  24  juillet  :  le  24,  revue  détaillée  du  régiment  du  Roi  ;  le  23, 
promenade  et  tir  dans  le  parc;  le  26,  chasse  au  cerf;  le  27,  nouvelle 
revue  du  même  réjiiment  ;  le  28,  tir  dans  le  parc;  le  29,  chasse  au 
cerf;  le  30,  tir;  le  34,  revue;  le  !«■■  août,  promenade  et  tir;  le  2, 
chasse  au  cerf;  le  3,  promenade  et  revue  ;  le  5,  chasse  ;  le  6  et  le  7, 
promenade  dans  les  jardins  ;  le  9,  chasse  au  cerf,  et  à  ce  propos  le  Jour- 
nal dit  que  le  Roi  «  mena  toujours  sa  calèche  »,  mais  qu'il  en  fut  «  un 
peu  fatigué  ».  C'est  seulement  le  ii,  lendemain  du  retour  à  Versailles, 
que  Dangeau  écrit  cette  phrase  :  «  Le  Roi  paroît  ne  se  pas  si  bien  por- 
ter ;  il  prendra  demain  médecine  »  ;  et  le  42,  il  parle  de  douleurs  de 
sciatique  à  une  jambe  et  à  la  cuisse  (tome  XVI,  p.  14). 

3.  Avant  ce  que,  il  y  a  au  manuscrit  un  et,  inutile. 

6.  Ci-dessus,  p.  49-20  et  47-50. 

7.  «  Plâtrer  signifie  figurément  couvrir,  cacher  quelque  chose  de 
mauvais  sous  des  apparences  légères  »  (Académie,  4748). 


KÎS  MKMOinKS  fni.si 

rintôrôl  du  cardinal  de  Noaillos,  avouant  aussi  combien 
les  finances  éloient  de  son  goût,  parce  qu'il  s'y  étoit, 
disolt-il,  toujours  appliqué,  et  en  dernier  lieu  sous  Des- 
inaretz  depuis  son  retour',  et  qu'il  se  flalloit  d'y  réussir 
moins  mal  que  tout  autre  qu'on  y  pourroit  nietti-e.  H  ne 
m'épargna  pas  les  protestations  de  la  plus  parfaite  amitié, 
de  la  confiam-e  la  plus  entière,  du  concert  le  plus  parfait 
avec  moi  en  tout,  qu'il  me  demanda  avec  instance,  enfin 
de  la  reconnoissance  la  plus  vive  de  tout  ce  que  j'avois 
fait  pour  lui  auprès  des  ducs  de  Chevreusc  et  de  Beau- 
villier,  si  éloignés  de  lui  et  de  son  oncle,  et  dans  un  temps 
de  disgrâce  profonde  personnelle  à  tous  les  deux, d'aban- 
don et  du  dernier  embarras  à  son  rappel  d'Espagne,  et 
par  ces  ducs  auprès  du  Dauphin  et  de  la  Dauphine,  dans 
leur  plus  éclatant  apogée  ;  après,  de  l'avoir  raccommodé 
avec  M.  et  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  et  conduit  où  il  se 
voyoit  enfin  aussi  bien  que  son  oncle. 

La  porte  une  fois  ouverte  avec  lui  sur  le  futur,  nous 
raisonnâmes  sur  la  destination  des  autres  chefs  et  prési- 
dents des  conseils,  qu'il  approuva.  Il  me  parla  de  d'Antin, 
qui  depuis  son  duché  me  courtisoit  fort,  avec  louange  et 
surprise  de  ne  l'entendre  destiné  à  rien  ;  nous  nous 
parlâmes  là-dessus  avec  confiance;  il  ne  me  nia  point  ses 
défauts,  comme  je  lui  avouai  aussi  ce  que  j'en  pensois 
de  bon.  Tous  deux  convînmes  que  ceux  qui  étoient  des- 
tinés à  la  tète  des  conseils  lui  étoient  préférables  parleur 
situation  personnelle,  qu'il  n'y  avoit  même  que  le  conseil 
du  dedans  qui  lui  j)ùl  convenir  pour  y  entrer,  ou  pouren 
être  chef  si  la  place  en  devenoit  vacante.  Il  applaudit 
surtout  à  la  destruction  des  secrétaires  d'État  et  à  la  dis- 
grâce du  Chancelier,  sur  laquelle  nous  disputâmes  en 
amitié  pour  les  sceaux.  Il  les  desiroit  pour  le  procureui- 
général  -  ;  je  les  croyois  mieux  placés  entre  les  mains  du 

!.  Voynz  ci-rlessns,  p.  49. 

■î.   Henri-François  Daguesseau. 


inial  DE  SAINT-SIMON.  469 

père  ',  outre  que,  placés  là,  ils  influoient  sur  le  fils;  c'étoit 
un  échelon  de  convenance  au  mérite  de  l'un  et  de  l'autre 
que  la  perspective  d'y  pouvoir  succéder.  Il  disserta  force 
choses"  avec  moi,  et  j'y  donnois  volontiers  lieu,  parce 
qu'[il ']  y  en  avoit  d'autres  dont  je  ne  voulois  pas  l'ins- 
truire, dont  j'aimoisà  le  laisser  dépayser 'lui-même.  L'ou- 
verture qu'il  prenoit  de  plus  en  plus  avec  moi  sur  les 
choses  futures  le  jeta  ^  dans  des  propos  si  forts  à  l'égard 
des  bâtards  que  je  les  laisserai  dans  le  silence,  et  qui  de 
chose  en  autre  ^  le  conduisirent  à  me  proposer  comme 
une  chose  fort  raisonnable,  et  à  faire,  de  fortifier  Paris  ". 

i.   Henri  Daguesseau,  conseiller  d'Etat. 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  française  n'admit  le  verbe  dix- 
serter  que  dans  l'édition  de  il6"2.  Le  Dictionnaire  de  Trévoux  en 
attribua  la  paternité  à  Marivaux,  qui  s'en  servit  fréquemment  dans  son 
Spectateur  français.  Notre  auteur  est  le  seul  qui  en  fasse  un  verbe 
actif  avec  complément  direct;  on  dit  toujours  disserter  sur  ou  de  quel- 
que chose. 

3.  Saint-Simon  a  oublié  cet  il  en  passant  de  la  page  4610  à  la  page 
1611  du  manuscrit. 

4.  «  On  dit  aussi,  en  matière  de  négociation,  dépayser  un  homme, 
pour  dire,  lui  donner  de  fausses  idées  pour  lui  faire  perdre  la  connois- 
sance  qu'il  a  de  quelque  affaire  »  {Académie ,  1718). 

o.  Il  y  ajetterent,  par  inadvertance,  dans  le  manuscrit. 

6.  Les  quatre  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

7.  Paris  avait  eu,  dans  la  suite  des  âges,  de  nombreuses  enceintes 
fortifiées,  de  plus  en  plus  étendues  à  mesure  que  la  population  aug- 
mentait. La  dernière  en  date  était  celle  qui,  commencée  sous  Henri  IV, 
n'était  pas  achevée  à  l'époque  de  la  Fronde  :  sur  la  rive  droite,  elle  sui- 
vait à  peu  près,  de  la  Bastille  à  l'extrémité  du  jardin  des  Tuileries,  la  ligne 
actuelle  des  boulevards  ;  sur  la  rive  gauche,  elle  n'allait  que  du  pont 
de  la  Tournelle  à  la  tour  de  Nesle,  englobant  une  partie  de  la  monta- 
gne Sainte-Geneviève,  mais  laissant  en  dehors  le  palais  de  Luxembourg 
et  l'abbaye  de  Sainl-Germain-des-Prés.  Si,  sur  la  rive  droite,  dans  ses 
parties  achevées,  elle  présentait  un  front  bastionné  à  la  moderne  pou- 
vant être  une  assez  bonne  défense,  sur  la  rive  gauche  elle  ne  se  com- 
posait que  d'un  fossé  bordé  d'une  assez  mince  muraille,  avec  des 
demi-tours  de  place  en  place,  qui  n'était  certainement  pas  à  l'épreuve 
du  canon  :  voyez  A.  Bonnardot.  Les  anciennes  enceintes  de  Paris, 
1852.  En  1715,  ces  fortitications  avaient  disparu,  noyées  dans  l'accrois- 


470  MÉMOIRES  \\li^ 

Je  no  pus  lui  cachor  ma  sui'priso.  «  Paris  !  lui  dis-jo  ;  et 
où  les  matériaux?  où  les  millions?  où  les  années  d'en 
achever  les  travaux?  et,  quand  tout  se  feroit  d'un  coup 
de  baguette,  quelle  garnison  pour  le  défendre?  quel 
approvisionnement  de  munitions  de  guerre  et  de  bouche 
pour  les  troupes  et  pour  les  habitants?  quelle  artillerie? 
enfin  quel  fruit  s'en  pourroit-on  proposer  quand  la  possi- 
bilité en  soroit  aussi'  claire  que  l'étoit  la  démonstration  de 
l'impossibilité?  »  Il  battit  la  campagne  pendant  quelques 
jours  là-dessus,  et  je  le  laissai  dire,  parce  que  je  ne 
craignois  pas  l'exécution  de  ce  rare  projet.  Voyant  qu'il 
ne  me  persuadoit  pas,  il  m'en  proposa  un  autre.  Ce  fut 
de  transporter  à  Versailles  les  cours  supérieures,  les  écoles 
publiques  et  tout  ce  qui  est  affaires  et  public.  Je  le  re- 
gardai avec  la  même  surprise  ;  je  lui  demandai  où,  quand, 
et  avec  quels  frais  il  établiroit  tout  cela  à  Versailles,  lieu 
sans  rivière  ni  eau  bonne  à  boire,  qui  n'est  que  sable  ou 
boue,  à  qui  la  nature  refuse  tout,  jusqu'à  des  abreuvoirs 
commodes  pour  des  chevaux,  et  où  il  ne  croît  rien  loin  à 
la  ronde,  de  plus,  quelle  utilité  d'une  translation  qui, 
quand  elle  seroit  possible,  n'apporteroit  que  du  mésaise 
et  de  la  confusion  à  la  cour,  etlaisseroit  à  Paris  un  vuide 
irréparable,  ruineroit  plaideurs,  magistrats,  suppôts  de 
justice  et  d'universités  ;  en  un  mot,  rien  de  praticable, 
rien  qui  eût  un  objet.  C'étoit,  disoit-il,  pour  diminuer 
Paris,  dont  laconsommation  ruine  les  provinces,  etséparer 
les  cours  supérieures  de  l'appui  de  ce  peuple  nombreux, 
dont  en  plusieurs  occasions  l'union  est  dangereuse.  Peu 
à  peu  il  convint  de  l'ingratitude  de  la  situation  de  Ver- 
sailles, déclama  contre  l'immense  établissement  que  le 
Roi  y  avoit  fait,  vanta  celle  de  Saint-Germain,  et  finale- 
ment me  proposa  comme  une  chose  facile  de  démolir 
Versailles,  d'en  emporter  tout  à  Saint-Germain,  où,  avec 

sèment  considérable  des  faubourf^s,  ou  d(''moIips  pnnr  faire  place  h  de 
larges  boulevards  plantés  d'arbres. 
4.  Aussy  a  été  ajouté  en  interligne. 


[1745]  DE  SAINT-SIMON.  iH 

ces  matériaux  et  ces  richesses,  on  feroit  le  plus  sain  et  le 
plus  admirable  séjour  de  l'Europe. 

A  ce  troisième  sproposito^  la  parole  me  manqua.  «  Voici 
un  fou,  me  dis-je  à  moi-même,  qui  me  va  peut-être  sauter 
aux  yeux.  Eh  I  qu'ai-je  fait?  et  que  vont  devenir  les 
finances?  »  Tandis  que  je  me  parlois  ainsi  sans  remuer 
les  lèvres,  il  discouroit  toujours,  enchanté  du  plus  beau 
lieu  du  monde  qu'alloit  devenir  Saint-Germain  des  dé- 
pouilles entières  de  Versailles.  A  la  fin  mon  silence  l'ar- 
rêta ;  il  me  pria  de  le  rompre.  «  Monsieur,  lui  dis-je, 
quand  vous  aurez  les  fées  à  votre  disposition  avec  leurs 
baguettes,  je  serai  de  votre  avis  pour  ceci  ;  car,  en  effet, 
rien  ne  seroit  plus  admirable,  et  je  n'ai  jamais  compris 
qu'on  ait  pu  choisir  Versailles,  beaucoup  moins  préférer 
ce  cloaque-  à  ce  qu'est  Saint-Germain  ;  mais,  pour  ce  que^ 
vous  me  proposez,  il  nous  faut  les  fées.  Jusqu'à  ce  [que] 
vous  les  ayez  en  main,  il  n'y  a  pas  moyen  d'en  raisonner.  » 
11  se  mit  à  rire,  et  voulut  soutenir  que  sans  fées  la  chose 
étoit  possible,  et  n'étoit  pas  un  objet  tel  qu'il  voyoit  bien 
que  je  le  pensois.  Des  trois  propositions,  ce  fut  celle  qu'il 
appuya  le  moins  et  le  moins  longtemps;  mais  je  n'en  de- 
meurai pas  moins  effarouché. 

Il  y  avoit  déjà  du  temps  qu'il  m'en  avoit  fait  une  autre 
que  je  n'avois  pas  moins  rejetée,  et  qu'il  ne  cessoit  point 
de  remettre  toujours  sur  le  tapis.  Je  lui  faisois  des  objec- 
tionsauxquelles  il  ne  put  jamais  faire  la  moindre  réponse  ; 
il  n'avoit que  l'unique  ressource  de  Maisons  sur  la  sienne*, 
qui  étoit  le  danger  du  testament,  et  il  n'en  pouvoit  trouver 
à  exécuter  '  ce  qu'il  proposoit,  et  néanmoins,  comme  Mai- 

1.  Tome  XVI,  p.  219. 

2.  «  On  dit  d'une  maison  sale  et  infecte  que  c'est  un  cloaque  » 
(Académie,  1718). 

3.  Ce  que  est  en  interligne. 

4.  Il  veut  dire  qu'il  n'avait  d'autre  ressource  pour  appuyer  sa  pro- 
position que  celle  que  Maisons  avait  sur  la  sienne  (ci-dessus,  p.  136), 
c'est-à-dire  le  danger  du  testament. 

5.  Il  ne  pouvait  trouver  de  danger.  —  Saint-Simon  avait  d'abord 


172  MKMOinKS  (i71.-J| 

sons,  il  ne  cessa  point  de  me  presser  là-tlessus.  Nous 
verrons  bientôt,  non  pai'  conjectures,  comme  sur  la  pro- 
position d'enlever  le  testament  du  Roi,  mais  par  les  faits, 
quel  étoit  l'objet  de  Noailles  dans  une  proposition  si  ri- 
dicule, mais  si  opiniâtre,  et  c'est  alors  que  l'une  |et|  l'au- 
tre seront  expliquées'. 
M.  le  Je  m'aperçus,  sur   la  fin  de    Marly,    que   M.    le    duc 

duc  d'Orléans    j'Qrléans     avoit    traité    le     point    de    l'assemblée     des 

ne  peut  ,  ,     ^  i        i  i       >-       -n  ti  i» 

scrésoudreànc   Etats  généraux  avec   le  duc   de    Noailles.   11  me  1  avoua 
pas  passer  par    comme  cliose  trop  counexe  aux  finances  par  l'objet  qu'on 

le  Parlement       ,  ••  i      i    •  i  <     i    •  •      i-i» 

pour  S  en  proposoit,  pour  la  lui  cacher  après  lui  avoir  dit-  sa 

sa  régence,  et   destination.  Le  duc  de  Noailles  me  l'avoua  de  même  avec 

*^   proieT   "    quelque  embarras,  et  il  me  parut  bientôt  après  que  M.  le 

d'assembler  les  duc  d'Orléans  n'étoit  plus  si  déterminé  à  les  assembler.  Je 

,   ,  le  vis  aussi  mollir  tout  à  fait  à  l'étrard  du  Parlement  pour 

généraux.  •    i      i     •  •  •  i 

la  régence  ^  Cet  article  lui  avoit  toujours  paru  dur,  et  le 
dépôt  du  testament  lui  fut  un  prétexte  dont  il  se  servit 
pour  cacher  sa  foiblesse.  Je  la  connoissois  trop  pour  me 
tlatter  de  l'emporter  sur  elle  pour  deux  articles  aussi 
majeurs  que  l'étoient  celui-là  et  celui  des  États  généraux. 
Ce  dernier  me  sembla  toujours  si  extrêmement  important, 
et  à  tant  de  grands  égards,  que  je  ne  balançai  pas  à  lui 
sacrifier  l'autre.  J'espérai  d'autant  mieux  de  celte  con- 
duite, que  ma  complaisance  délivioit  M.  le  duc  d'Orléans 
de  la  dispute  et  de  la  présence  d'un  objet  où  il  falloit 
paver  de  sa  personne,  et  que  je  ramassois  toutes  mes 
forces  pour  maintenir   l'autre,    qu'il   avoit  constamment 

écrit  :  puisque  luy  l^oailles  n'en  pouvait  trouver  à  n'exécuter  pas.  Il 
a  biffé  puisque  luy  Noailles,  mis  et  en  interligne,  ajouté  de  après 
Noailles,  corrigé  pouvait  en  pouvoir,  écrit  à  en  interligne  au-dessus 
d'à  n'  biffé,  et  bille  pas  après  exécuter,  ce  qui  Taisait  et  de  n'en  pou- 
voir trouver  à  exécuter;  puis  il  a  biffé  le  de,  ajouté  il  avant  n'en  et 
corrigé  de  nouveau  pouvoir  en  pouvait,  ce  qui  a  produit  la  leçon  défi- 
nitive. 

4.  Ci-après,  p.  219. 

2.  Dit  a  été  ajouté  en  interligne. 

3.  Ci-dessus,  p.  lOi  et  suivantes. 


[1715]  DE   SAIM-SIMON.  173 

goûté  et  résolu  jusqu'alors,  où  il  n'avoit  nul  tour  de  force 
à  tirer  de  soi,  où  au  contraire  tout  étoit  riant  •  pour  lui, 
gracieux  pour  toute  la  France,  aplani  partout.  C'est  ce 
que  je  continuai  de  faire,  mais  avec  peu  de  progrès  jus- 
qu'à la  veille  de  la  mort  du  Roi,  qu'il  me  déclara  nette- 
ment qu'il  n'y  falloit  plus  penser.  Dès  lors  j'en  vis  assez 
pour  mal  augurer  des  affaires.  Je  sentis  l'intérêt  du  duc 
de  Noailles,  qui,  dans  le  plan  de  la  convocation  des  Etats 
généraux,  n'auroit  pas  été  maître  dans  les  finances,  et 
qu'il  avoit  fait  comprendre  au  Régent  que  lui-même  ne  le 
seroit  pas.  Je  ne  dissimulerai  pas  que  cela  ne  fût  vrai,  et 
même  l'un  des  biens  qui  m'en  paroissoit  résulter.  L'expé- 
rience de  ce  qui  s'est  passé  depuis  dans  les  finances  a  dû 
montrer  si  j'avois  eu  raison.  Avec  le  projet  d'assembler 
les  États  généraux  tomba  celui  de  la  banqueroute  :  il  ôtoit 
trop  les  moyens  de  pêcher  en  eau  trouble  -.  Les  liquida- 
tions et  la  continuation  des  impôts  et  des  traités  y  ouvroit 
une  large  porte  aux  ^  fortunes,  aux  grâces,  aux  défaveurs 
dont  M.  le  duc  d'Orléans,  et  mieux  encore  le  duc  de  Noailles, 
auroit  le  robinet  entre  les  mains.  Par  là  aussi  tomba  le 
projet  des  taxes,  et  du  même  coup  celui  des  rembourse- 
ments et  de  la  multiplication  des  récompenses  qui  ont  été 
expliquées*.  Il  n'est  pas  temps  encore  de  parler  des  tristes 
réflexions  dont  ce  début  m'accabla,  et  des  autres  choses 
qui  les  fortifièrent.  Les  matières  vont  tellement  se  mul- 
tiplier pendant  un  mois  ou  six  semaines,  que  ce  sera 
beaucoup  faire  de  n'en  rien  oublier,  et  de  les  démêler 
pour  les  présenter  avec  quelque  netteté  et  quelque 
ordre. 

Tout  à  la  fin  de  Marly,  le  Roi  parut  si  affoibli,  quoiqu'il     ,    j  °1*' 

1.  Avant  ce  mot  il  y  a  un  premier  riant,  biffé. 

"2.  «  On  dit  pécher  en  eau  trouble,  pour  dire  tourner  à  son  avantage, 
à  son  profit,  le  désordre  des  affaires  publiques  ou  particulières  ;  se 
prévaloir  du  désordre  des  affaires  publiques  ou  particulières  pour  faire 
les  siennes  propres  «  (Académie,  1718). 

3.  Avant  ce  mot,  il  y  a  un  et,  biffé. 

4.  Ci-dessus,  p.  117  et  suivantes. 


174  MP:M0IHES  [17151 

d'Orli'ans,       n'eût  encore  rien  changé  dans  ses  journées',  que  Mme  la 

en  cramlo  des      i       i  i',^    i  <  ,  r   <  i  '         < 

duchesse  d  (Jrleans  nio  louiiia  sur  ses  Ireres,  et  qu  après 

pairs  pour  '  1        l 

lapremiire     quelcjues  détours  assez  empêtrés,  car  l'orgueil  luciférien* 
séance         soullioit  bien  d'en  venir  là,  elle  me  témoiirna  son  inquic- 

au  Farlemont  .,  ,  ■      i      i      • 

apns  le  Hoi     tude  delà  première  séance  au  l^arlemenl  après  le  noi,   et 

sur  les  bâtards,   qu'elle  m'auroit  Une  graudeobligation  siie^  pouvoisdétouF- 

a  recours  à  ,  .         ,,         .    "    »   .  ,  .!»■<• 

jjioi  nerles  pairs  d  y  rien  taire  en  des  moments  deja  si  acca- 

Jclarassurc.ei  blants  pour  elle.  Je   n'avois  pas  à  être  embarrassé  de  la 

fuTdTcTarant  réponse  :  je  lui  dis  que  je  ne  croyois  pas  que  les    pairs 

que,  songeassent  qu'aux  alVaires^  indispensables  d'une  séance 

SI  les  princes  •  ^n  seroit  aussi  chargée,  et  qu'elle  pouvoit  se  rassurer 

du  sang  '  .  ".  .       ,  ,    . 

lesattaquent     là-dessus.   «  Mais,   Monsieur,  reprit-elle,    m'en  voudriez- 
^°  vous  bien  donner  votre  parole,    au  moins  me  promettre 

quelque  temps      ,      ,   •  m        •  i  •      - 

que  ce  soit*,  ^^  taire  ce  qui  sera  en  vous  pour  que  Messieurs  les  pairs - 
les  pairs  les  ne  fassent  rien  ce  jour-là  contre  le  rang  de  mes  frères?  » 
^  rnistan"  ^  —  "  ^'^''  ^^^^ame,  lui  dis-je,  du  dernier  s'entend  ;  car  je 
ne  suis  pas  le  maître  de  mes  égaux,  comme  vous  le  pouvez 
bien  penser,  mais  de  les  détourner  autant  qu'il  me  sera 
possible  à  cet  égard,  et  je  m'y  engage  d'autant  plus  libre- 
ment, que  je  ne  vois  pas  qu'ils  y  pensent.  »  Mais  tout  d'un 
temps:  «  Madame, puisque  Votre  Altesse  Royale  me  force  à 
lui  parler  sur  un  article  si  délicat,  qu'elle  prenne  garde 
aux  princes  du  sang;  c'est  leur  affaire  plus  que  la  nôtre, 
depuis  l'habilité  à  la  couronne,  le  nom  et  la  qualité  et 
totalité  en  tout  de  princes  du  sang  donnée  à  Messieurs 
vos  frères  et  à  leur  postérité,  et  tenez-vous  au  moins  pour 
avertie  que,  si  les  princes  du  sang  les  attaquent,  dans 

i.  C'est  en  effet  ce  que  permet  de  constater  le  Journal  de  Dan- 
geau  ;  voyez  ci-dessus  (p.  467,  note  -4),  et  aussi  le  Mémoire  spécial  des 
derniers  jours  du  Roi  (Journal  de  Dangeau,  tome  XVI,  p.  H8). 

2.  Adjectif  inventé  par  Saint-Simon  ;  voyez  en  dernier  lieu  le  tome 
XXVI,  p.  301,  où  il  a  rappelé  le  nom  de  Madame  Luciler  que  le  duc 
d'Orléans  donnait  à  sa  femme. 

3.  Avant ^e,  il  y  a  dans  des,  biffé. 

4.  A  autre  chose  qu'aux  allain'S. 

5.  Ecrit  M.  lea  Paim  au  manuscrit. 

'Les  six  derniers  mots  ont  été  ajoutés  eu  interligne. 


[171ol  DE  SAINT-SIMON.  475 

l'instant  même  nous  revendiquerons  notre  rang  à  ce  qu'il 
n'y  ait  personne  dans  l'intervalle  entre  les  princes  du  sang 
et  nous,  et  que  tous  soient  comme  nous  dans  leur  rang  de 
pairie.  »  Cette  déclaration,  si  amère  en  soi  pour  Mme  la 
duchesse  d'Orléans,  passa  le  plus  doucement  du  monde 
au  moyen  du  répit  que  je  lui  promettois,  et  du  mépris 
qu'il  lui  plaisoit  taire  de  jeunes  princes  du  sang  et  de  Mes- 
dames leurs  mères,  Elle  me  remercia  même  fort  honnête- 
ment, et  avec  des  marques  d'amitié  et  de  confiance.  Elle 
me  craignoit  étrangement  sur  ce  point  de  ses  frères,  qu'elle 
nomma  toujours  ainsi,  sans  oser  jamais  proférer  on  cette 
occasion  le  nom  de  duc  du  Maine,  qui  en  avoit  encore 
plus  de  peur,  et  qui  sûrement  n'avoit  pas  oublié  la  der- 
nière visite  qu'il  avoit  reçue  de  moi',  en  conséquence  de 
laquelle  je  m'étois  conduit  depuis  à  son  égard  sans  me- 
sure-. Ma  promptitude  à  répondre  à  Mme  la  duchesse 
d'Orléans  ne  me  coûta  guères.  Il  n'y  avoit  pas  moyen 
d'attaquer  les  bâtards  et  le  bonnet  tout  à  la  fois,  et  de  dé- 
tourner les  affaires  de  l'Etat  à  des  intérêts  personnels  à 
régler  dans  la  première  séance  au  Parlement  après  la 
mort  du  Roi.  L'occasion  du  bonnet,  qui  ne  s'y  pouvoit 
éviter,  ne  laissoit  pas  de  choix  entre  cette  affaire  et  celle 
des  bâtards  ;  ainsi  je  n'hasardois  rien  à  leur  égard  avec 
Mme  la  duchesse  d'Orléans  par  ma  réponse. 

Le  vendredi  9  août,  le  P.  Tellier  répéta  le  Roi^  long-    Prise  du  Roi 

temps  le  matin  sur  l'enregistrement  pur  et  simple  de  la     ,     ^'''^'^ 
-,        .•,    ,•  .  r-n      •.   i<     1  1  •  /  •  I  le  procureur 

(constitution,  et  [ilj  vit  la-dessus  le  premier  président  et        général 

le  procureur  général,  qu'il  avoit  mandés  la  veille  *.  Le  Roi 

i.  Tome  XXVI,  p.  56-39. 

2.  Ces  deux  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  C'est  le  sens  du  mot  répeter  qui  a  déjà  été  indiqué  dans  le  tome 
XX,  p.  81.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  4718  dit  qu'  «  en  ce 
sens  il  est  quelquefois  actif  pour  les  personnes  :  il  répète  ses  écoliers  ». 
Le  mot  est  dur  pour  Louis  XIV. 

4.  Ce  qui  précède,  depuis  et  vit  là-dessus,  a  été  ajouté  en  inter- 
ligne. Saint-Simon,  en  faisant  cette  addition,  ne  s'est  pas  aperçu  que 


sur 


ne  MÉMOIRES  |i7i:ij 

l'cnregisire-      oourul  Ic  corl  aiiivs   (.liniT  dans  sa    calèclu-,  iju  il    iiicna 
ment  pur  et      i    •        »  «    i>       i-       •  i       i         •<         r    •     j  •         a 

simple  do  la  •"•-même  a  1  ordinaire,  pour  la  dernière  fois  de  sa  vie,  et 
Consiiiuiion.  parut  très  abattu  au  retour  ' .  Il  eut  le  soir  gi-ande  niusi- 
Dernior  retour  (,„,.  ..jj^^^  Mme  de   Maintenou.  Le  samedi    10  août,  il  se 

de  .Marlv.  • 

Esp.'ce  do       promena  avant  dîner  dans  ses  jardins  à  Marly  ;  il  en  revint 
journal  du  Roi   ^  Vei^sailles  sur  les  six  heures  du  soir   pour  la'  dernière 

jusqu  a  sa         ,    .     j  .  ...  , 

fin.  tois  de  sa  vie,  et  ne  revoir  jamais  cet  étrange  ouvrage  de 

[AddS'-S.123G]  ses  mains.  II  travailla  le  soir  chez  Mme  de  Maintenonavec 
le  Chancelier',  et  parut  fort  mal  à  tout  le  monde.  Le 
dimanche  1 1  août,  il  tint  le  conseil  d'Etat,  s'alla  promener 
Taprès-dinée  à  Trianon,  pour  ne  plus  sortir  de  sa  vie.  Il 
avoit  mandé  le  procureur  général,  avec  lequel  il  eut  une 
forte  prisée  II  en  avoit  déjà  eu  une  avec  lui  en  présence 
du  premier  président  et  du  Chancelier,  le  '  jeudi  précédent 
à  Marly,  sur  l'enregistrement  pur  et  simple  de  la  Consti- 
tution"^.   Il  trouva  le   procureur  général  seul,  armé   des 

le  commencement  de  la  phrase  avait  pour  sujet  le  P.  Tellicr,  et  que 
c'est  au  contraire  le  Roi  qui  vit,  etc. 

i.  Dangeau  avait  dit  seulement  (tome  XVI,  p.  9):  «  mais  il  paroît 
qu'il  en  est  un  peu  fatigué.  » 

2.  La  surcharge  ne,  qui  va  se  retrouver  plus  loin. 

3.  Dangeau,  p.  10;  le  membre  de  phrase  qui  suit  n'est  pas  tiré  du 
Journal.  Mais,  dans  le  Mémoire  spécial  (tome  XVI,  p.  iiH),  Dangeau 
écrivait:  «  Dès  le  samedi  10,  qu'il  revint  de  Marly,  il  étoit  si  abattu 
et  si  foible,  qu'il  eut  peine  à  aller,  le  soir,  de  son  cabinet  à  son  prie- 
Dieu,  et,  le  lundi,  qu'il  prit  médecine  et  voulut  souper  à  son  grand 
couvert,  à  dix  heures,  suivant  sa  coutume,  et  ne  se  coucher  qu'à  minuit, 
il  me  parut,  en  se  déshabillant,  un  homme  mort.  Jamais  le  dépérisse- 
ment d'un  corps  vigoureux  n'est  venu  avec  une  précipitation  semblable 
à  la  maigreur  dont  il  étoit  devenu  en  peu  de  temps;  il  scmbloit,  à 
voir  son  corps  nu,  qu'on  en  avoit  fait  fondre  les  chairs.  » 

4.  «  Le  Roi  donna  audience  au  procureur  général,  et  il  parott  qu'il 
ne  fut  pas  fort  content  des  réponses  que  lui  lit  ce  magistrat  »  (Dan- 
geau, p.  iO). 

5.  Ce  le  a  été  écrit  en  surcharge  sur  les  dernières  Idlres  du  mot 
précédent. 

6.  Dangeau,  p.  9.  C'est  vers  cette  époque  qu'il  convient  de  placer 
ce  projet  d'enlèvement  du  cardinal  de  Xoailles,  pour  l'expédier  à 
Rome  et  le  faire  priver  de  son  siège  et  de  sa  pourpre,  que  Saint-Simon 


[1715]  DE   SAIXT-SIMOX.  177 

mêmes  raisons  et  de  la  môme  fermeté.  Il  ne  se  sentoit  pas 
en  état  d'aller  lui-même  au  Parlement,  comme  il  l'avoit 
annoncé*.  Quoiqu'il  n'en  eût  pas  perdu  l'espérance,  il 
n'en  fut  que  plus  outré  contre  le  procureur  général,  jus- 
qu'à sortir  de  son  naturel  et  en  venir  aux  menaces  de  lui 
ôter  sa  charge,  en  lui  tournant  le  dos.  Ce  fut  ainsi  que  finit 
cette  audience,  dont  ce  magistrat  ne  fut  pas  plus  ébranlé-. 
Le-*  lendemain  12  août  %  il  prit  médecine  à  son   ordi- 

racontera  en  1716  (suite  des  Mémoires,  tome  XIII,  p.  90-95).  Le  récit 
des  Mémoires  secrets  de  Duclos,  édition  Michaud  et  Poujoulat,  p.  478, 
permet  de  le  placer  avec  certitude  au  mois  d'août  1715,  puisque 
l'enlèvemeut  du  cardinal  de  Xoaiiles  ne  fut  empêché,  croit-il,  que  par 
la  maladie  et  la  mort  de  l'avocat  général  Ghauvelin  ("20  août). 

1.  Tome  XXVI,  p.  251. 

2.  Tout  ceci  ne  vient  pas  du  Journal  de  Dangeau.  La  relation  qu'on 
trouvera  ci-après,  appendice  I,  p.  3i3,  qui  a  une  source  anticonstitu- 
tionnaire,  donne  un  récit  encore  plus  dramatique  :  le  Roi,  en  colère, 
aurait  frappé  du  pied,  tapé  avec  sa  canne  sur  une  table,  et  même 
pris  Daguesseau  au  collet. 

3.  Au  commencement  de  ce  paragraphe,  Saint-Simon  avait  écrit  Ce 
dimanche  fut  le  d^  jour  que  le  Roy  marcha,  mots  qu'il  a  ensuite  bif- 
fés; nous  les  retrouverons  quelques  lignes  plus  bas.  Il  a  écrit  aussi 
il  aoust,  au  lieu  de  12,  par  mégarde. 

4.  Saint-Simon  va  tenir  maintenant,  comme  il  le  dit  dans  la  man- 
chette, un  «  Journal  »  des  derniers  jours  de  Louis  XIV,  et  nous  aurons 
à  contrôler  son  récit  par  ce  que  rapportent  les  Mémoires  du  temps, 
comme  ceux  de  Villars,  et  surtout  au  moyen  des  très  nombreuses 
relations  que  l'on  possède  de  ces  derniers  jours.  Nous  ferons  de  ces 
relations  et  de  leur  valeur  historique  une  brève  étude  critique  ci-après 
dans  l'appendice  I  ;  mais,  pour  pouvoir  abréger  par  la  suite  les  renvois 
que  nous  aurons  à  faire  à  chacune  d'entre  elles,  il  convient  d'en  donner 
l'énumération  sommaire  avec  les  indications  bibliographiques  indispen- 
sables: l°RécitdeMmedeMamtenon,  dans  Madame  de  Maintenonetla 
maison  ^o^/a/ef/eSam^C!//•,  par  Th.  Lavallée,  p.  271-275  ;  —  2°  Récit  de 
Mlle  d'Aumale,  publié  dans  les  Souvenirs  sur  Madame  de  Maintenon, 
par  le  comte  d'Haussonville  et  G.  Hanotaux,  tome  II,  p.  323-351  ;  — 
3°  Récit  de  Languet  de  Gergy,  dans  ses  Mémoires,  publiés  par  Th.  La- 
vallée,  La  famille  d'Aubigné  et  l'enfance  de  Mme  de  Maintenon, 
p.  455-464;  —  4°  Récit  du  Journal  de  Dangeau,  tome  XVI,  p.  9o- 
110,  du  14  au  25  août,  continué  p.  111-115  par  un  secrétaire  pour  les 

ournées  des  26,  27  et  28  août;  —  5°  Mémoire  spécial  de  Dangeau, 

MÉMOIRES  DE    SAINT-SIMON.    XXVII  12 


178  MÉMOIRES  [1715] 

naire,  et  vécut  à  son  orclinairi'  aussi  de  ces  jours-là'.  On 
sut  qu'il  se  plaignoil  il  une  scialicjue'  à  la  jambe  et  à  la 
cuisse,  il  n'avoit jamais  eu  de  sciatique  ni  de  rhumatisme; 
jamais  enrhumé  \  et  il  y  avoit  longtemps  qu'il   n'avoit  ou 

du  'io  août  au  l"""  septembre,  donné  dans  le  Journal,  on  appendice, 
tome  XVI,  p.  117  136;  — 0"  Journal  des  Anllioiiie,  publié  en  iHSOpar 
Éd.  Drumont  sous  le  litre  La  mort  de  Louis  XIV  :  Journal  des  An- 
thoiric;  —  ~'  Relation  du  marquis  de  Quincy,  dans  le  tome  Vil  de 
son  Histoire  militaire  du  règne  de  Louis-le- Grand,  p.  391-407  ;  — 
8°  Relation  du  Mercure,  suppl  ment  au  mois  d'octobre  1713;  répéti- 
tion du  Mémoire  spécial  de  Dangeau  ;  publiée  à  part,  sous  le  nom  de 
Lel'ebvre  de  Fontenay,  en  •17io,  1  vol.  in-42  ;  —  9^  Lettre  anonyme  des 
archives  de  Dampierre,  appendice  au  Journal  de  Dangeau,  tome  XVUI, 
p.  371-381  ;  —  1U°  Lettre  anonyme  des  archives  de  laCiolal:  ci-après, 
p.  341;  —  11°  Relation  des  papiers  Fevret  de  Fontelte  :  ci-après, 
p.  343;  —  12°  Lettres  inédites  île  l'abbé  Mascara:  ci-après,  p.  345; 
—  13'^  Nouvelles  de  la  Gazette  de  PVance  ;  —  14°  Nouvelles  de  la 
Gazette  d'Amsteidam.  Entin  Saint-Simon  a  parlé  encore  des  derniers 
jours  du  Roi  dans  la  grande  Addition  au  Journal  de  Dangeau,  tome 
XVI,  p.  12-93,  qui  contient  un  tableau  complet  du  règne,  et  il  est 
revenu  sur  ce  sujet  lorsqu'il  écrivit  le  Parallèle  des  trois  rois  Bour- 
bons (tome  l  de  ses  Écrits  inédits,  p.  337 -303  et  371-374).  Notre 
auteur,  pour  ces  récils  successifs,  d'ailleurs  conformes  entre  eux,  s'est 
servi  de  deux  sources  :  le  Journal  de  Dangeau  jusqu'au  23  août, 
continué  par  un  secrétaire  jusqu'au  28,  et  la  Relation  du  marquis  de 
Quincy;  nous  l'établirons  au  fur  et  à  mesure  des  occasions  Nous 
verrons  également  qu'il  n'a  pas  utilisé  le  Mémoire  spécial  de  Dangi-au, 
bien  qu'il  en  eût  une  copie  dans  ses  Papiers.  Quant  à  ses  souvenirs 
personnels,  ils  semblent  entrer  pour  bien  peu  dans  sa  narration,  dont 
la  première  rédaction  (celle  de  lAddilion  à  Dangeau)  est  d'ailleurs 
postérieure  de  vingt  ans  aux  événements. 

1.  On  verra  dans  le  prochain  volume  (édition  des  Mémoires  de  1873, 
tome  XII,  p.  183)  les  habitudesde  Louis  XlVquand  il  prenait  médecine. 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  délinissait  la  sciatique 
«  une  espèce  de  goutte  qui  s'attache  principalement  à  la  hanche,  à 
l'emboîlure  des  cuisses  ». 

3.  Saint-Simon  écrit  rheumatisme  et  enrhcumé.  Dangeau  (tome  XI, 
p.  2)  mentionne  cependant  en  17UG  que  le  Roi  eut  un  rhumatisme  au 
bras,  et  le  Journal  de  la  saute  du  lioi  parle  à  bien  des  reprises,  notam- 
ment p.  3U7,  3lti,  32o,  332,  3.:i5,  etc.,  de  douleurs  dans  les  bras,  le 
cou,  les  épaules,  les  côtes,  qui  semblent  bien  être  des  attaques  de 
rhumatisme.  Quant  aux  rhumes,  il  n'y  a  pas  d'années  oii\c  Journal  de  la 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  Il9 

de  ressentiment  de  goutte.  Il  y  eut  le  soir  petite  musique 
chez  Mme  de  Maintenon',  et  ce  fut  la  dernière  fois  de  sa 
vie  qu'il  marcha-. 

Le  mardi  13  août,  il  fit  son  dernier  effort  pour  donner,  Audience 
en^  revenant  de  la  messe,  où  il  [sej  fit  porter,  l'audience  l'ambasfa^deur 
de  congé,  debout  et  sans  appui,  à  ce  prétendu  ambas-  de  Perse, 
sadeurde  Perse^  Sa  santé  ne  lui  permit  pas  les  magni- 
ficences qu'il  s'étoit  proposées  comme  à  sa  première 
audience  ■'*;  il  se  contenta  de  le  recevoir  dans  la  pièce  du 
trôneS  et  il  n'y  eut  rien  de  remarquable.  Ce  fut  la  dernière 
action  publique  du  Roi,  où  Pontchartraintrompoitsi  gros- 
sièrement sa  vanité  pour  lui  faire  sa  cour.  11  n'eut  pas 
honte  de  terminer  cette  comédie  par  la  signature  d'un 
traité,  dont  les  suites  montrèrent  le  faux  de  cette  ambas- 
sade''. Cette  audience,  qui  fut  assez  longue,  fatigua  fort  le 
Roi.  Il  résista  en  rentrant  chez  lui  à  l'envie  de  se  coucher; 
il  tint  le  conseil  de  finance,  dîna  à  son  petit  couvert 
ordinaire,  se  fit  porter  chez  Mme  de  Maintenon,  où  il  y  eut 
petite  musique,  et,  en  sortant  de  son  cabinet,  s'arrêta 
pour  la  duchesse  de  la  Rochefoucauld,  qui  lui  présenta 
la  duchesse  de  la  Rocheguyon  %  sa  belle-fille,  qui  fut  la 

santé  n'en  fasse  mention  :  voyez  particulièrement  pour  les  dernières  an- 
nées, p.  !208/2-io,  •239,241,  245,247,  254,  258,271,  285,  300,  309,  etc. 
i.  Journal  de  Danycau,  tome  XVI,  p.  il. 

2.  Dan^eau  dit  en  effet,  les  jours  suivants,  qu'il  se  fit  porter  partout 
où  il  allait,  à  cause  de  ses  douleurs. 

3.  En  surcharge  au[dience]. 

4.  Dangeau,  p.  11  ;  Gazette  d'Amfiterdam,  n°s  lxvi  et  Lxvm,  où 
il  y  a  un  assez  long  récit  de  la  cérémonie. 

5.  Tome  XXVI,  p.  134. 

6.  C'est  la  pièce  numérotée  25  sur  le  plan  des  appartements  de 
Louis  XIV  qu'on  trouvera  ci-après,  p.  254. 

7.  Nous  avons  dit  dans  le  tome  XXVI,  p.  135,  note  1,  d'après  l'ou- 
vrage de  M.  Maurice  Herbelte,  que  le  traité  de  commerce  signé  ce 

our,  13  août  1715,  par  Torcy  et  l'ambassadeur,  eut  au  contraire  son 
plein  effet  par  la  suite. 

8.  Celte  Mlle  de  Toiras  que  nous  avons  vue  épouser  le  nouveau 
duc  de  la  Rocheguyon  dans  le  précédent  volume,  p.  241. 


IKO  MÉMOIRES  fi7l.-;] 

(Icrniôro  ilamo  (jui  lui  ait  rlô  pivsontéo.  Ello  pi-it  le  soir 
son  tabouret  au  souper  du  l\oi,  qui  fut  le  dernier  de  sa 
vie  au  grand  couvert'.  Il  avoit  travaillé  seul  chez  lui  après 
son  dîner  av(^c  le  Chancelier.  Il  envoya  le  lendemain  force 
présents  et  quelques  pierreries  à  ce  bel  ambassadeur-, 
qu'on  mena  deux  jours  après  chez  un  bourgeois  à  Chail- 
lot  \et,  à  peu  de  distance*,  au  Havre-de-Gràce,où  il  s'em- 
barqua. Ce  fut  ce  même  jour  que  la  princesse  des  Ursins, 
etïrayée,  comme  on  l'a  dit,  de  l'état  du  Roi,  partit  de  Paris 
pour  gagner  Lyon  en  diligence",  le  lendemain  mercredi, 
veille  de  l'Assomption. 

1.  Toute  cette  phrase,  depuis  Elle  prit,  a  été  ajoutée  après  coup  eu 
interligne.  Dangcau  en  elVet  (p.  11)  ne  parlait  pas  de  celte  prise  de 
tabouret,  et  ne  relevait  pas  que  ce  souper  fut  le  dernier  au  grand 
couvert  ;  cela  résulte  du  récit  des  jours  suivants. 

2.  (c  Le  Roi  a  fait  à  cet  ambassadeur  beaucoup  de  présents  :  une 
aigrette  de  diamants  et  d'émeraudes,  des  pendules,  des  montres,  des 
fusils,  des  pistolets,  un  tapis  de  lu  Savonnerie,  des  brocards  pour  des 
vestes  el  des  pièces  de  drap  de  diverses  couleurs  »  (Daiujcau, 
tome  XVI,  p.  il-i'2);  voyez  le  livre  de  M.  Herbette,  p.  '28ti-'287,  qui 
donne  l'énumération  des  présents  d'après  les  archives  des  Affaires 
étrangères. 

3.  M.  Maurice  Herbette,  Une  ambassade  persane  sous  Louis  XIV. 
a  raconté  (p.  287  et  suivantes)  que  ce  fut  dans  la  maison  toute  neuve 
que  venait  de  faire  bâtir  à  Chaillot  un  marchand  de  soieries  de  la  rue 
Saint-Denis,  appelé  Lhonime,  qu'on  logea  d'office  l'ambassadeur  per- 
san et  sa  suite.  Il  fallait  en  effet  nettoyer  et  désinfecter  l'hôtel  des 
ambassadeurs  extraordinaires,  rue  de  Tournon,  pour  y  loger  l'envoyé 
de  Portugal.  On  promit  à  Lhomme  de  le  rembourser  des  dégâts  qui 
pourraient  être  faits  ;  mais  la  promesse  ne  fut  pas  tenue.  L'ambassa- 
deur s'y  installa  le  i6  août  et  la  quitta  le  3U  pour  se  rendre  au  Havre; 
il  rentra  en  Perse  par  l'Allemagne  et  la  Russie.  —  Le  mot  Chaillot 
semble  corriger  Chaillou. 

4.  C'est-à-dire,  peu  de  jours  après. 

o.  Dangcau  (p.  95)  ne  mentionne  le  départ  de  la  princesse  que  le 
lendemain  li,  et  c'est  en  s'en  apercevant  que  Saint-Simon  a  ajouté  à  la 
tin  de  son  paragraphe  les  mots  le  lendemain  mercredi/  teille  de  l'As- 
somption, sans  se  souvenir  qu'il  avait  commencé  sa  phrase  par  ce  fut 
ce  mesme  jour.  Elle  était  accompagnée  de  sept  chaises  de  poste  et  de 
huit  cavaliers  (Gazette  d'Amsterdam,  n"  lxx). 


fl71.-;i  DE  SAINT-SIMON.  481 

II  y  avoit  plus  d'un  an  que  la  santé  du  Roi  tomboit.  Ses         Détail 
valets    intérieui's  s'en  aperçurent  d'abord,  et  en  remar-        j^  ^^j 
quèrent  tous  les  progrès,  sans  que  pas  un  osât  en  ouvrir    et  des  cause» 
la  bouche'.  Les  bâtards,  ou,  pour  mieux  dire,  M.  du  Maine  *^  '"*"''■ 

le  voyoit-  bien  aussi,  qui,  aidé  de  Mmede  Maintenon  etde 
leur  chancelier-secrétaire  d'Etat,  hâta  tout  ce  qui  le 
regardoit.  Fagon,  premier  médecin,  fort  tombé  de  corps 
et  d'esprit,  fut  de  tout  cet  intérieur  le  seul  qui  ne  s'aper- 
çut de  rien.  Mareschal,  premier  chirurgien,  lui  en  parla 
plusieurs  fois,  et  fut  toujours  durement  repoussé.  Pressé 
enfin  par  son  devoir  et  par  son  attachement,  il  se  hasarda 
un  malin ,  vers  la  Pentecôte,  d'aller  trouver  Mme  de  Mainte- 
non.  Il  lui  dit  ce  qu'il  voyoit,  et  combien  grossièrement 
Fagon  setrompoit.  Il  l'assura  que  le  Roi,  à  qui  il  avoit 
tâté  le  pouls  souvent,  avoit  depuis  longtemps  une  petite 
fièvre  lente  interne  ;  que  son  tempérament  étoit  si  bon, 
qu'avec  des  remèdes  et  de  l'attention  tout  étoit  encore 
plein  de  ressources,  mais  que,  si  on  laissoit  gagner  le 
mal,  il  n'y  en  auroit  plus.  Mme  de  Maintenon  se  fâcha,  et 
tout  ce  qu'il  remporta  de  son  zèle  fut  de  la  colère.  Elle  lui 
dit  qu'il  n'y  avoit  que  les  ennemis  personnels  de  Fagon 
qui  trouvassent  ce  qu'il  lui  disoit  là  de  la  santé  du  Roi, 
sur  laquelle  la  capacité,  l'application,  l'expérience  du 
premier  médecin  ne  se  pouvoit  tromper.  Le  rare  est  que 
Mareschal,  qui  avoit  autrefois  taillé  Fagon  de  la  pierre', 
avoit  été  mis  en  place  de  premier  chirurgien  par  lui  '*,  et 
qu'ils  avoient  toujours  vécu  depuis  jusqu'alors  dans  la 
plus  parfaite  intelligence.  Mareschal  outré,  qui  me  l'a 
conté,  n'eut  plus  de  mesures  à  pouvoir  prendre,  et  com- 

1.  Dès  octobre  1712,  Dangeau  (tome  XIV,  p.  248)  avait  relevé  quel- 
ques signes  de  décrépitude.  Cependant  le  Journal  des  Anthoine  ne  fait 
pas  remonter  si  haut  le  commencement  de  la  maladie. 

2.  Il  y  a  voyoit  au  singulier,  s'accordant  avec  M.  du  Maine,  quoique 
le  sujet  réel  soit  les  bâtards. 

3.  Notre  tome  IX,  p.  315-346. 

4.  En  1703  :  tome  XI,  p.  405. 


182  MÉMOIRES  [17151 

mença  dès  lors  à  déplorer  la  mort  de  son  maître  '.  Fagon 
en  effet  étoit  en  science  et  en  expérience  le  premier 
médecin  de  l'Europe  ;  mais  sa  santé  ne  lui  permettoit  plus 
depuis  lon^'l(Mn[)s  d'entretenir  son  expérience,  et  le  haut 
point  d'autorité  où  sa  capacité  et  sa  faveur  l'avoient  porté, 
l'avoit*  enfin  gâté.  Il  ne  vouloit  ni  raisons  ni  réplique,  et 
continuoit  do  conduire  la  santé  du  Roi  comme  il  avoitfait 
dans  un  àgc  moins  avancé,  et  le  tua  par  cette  opiniâtreté '. 
La  goutte,  dont  il  avoit  eu  de  longues  attaques^,  avoit 
engagé  Fagon  à  emmailloter  le  Roi,  pour  ainsi  dire,  tous 
les  soirs  dans  un  tas  d'oreillers  de  plume  '  qui  le  faisoient 
tellement  suer  toutes  les  nuits,  qu'il  le  falloit  frotter  et 
changer  tous  les    matins  avant  que  le  grand  chambellan 

■1.  Cela  est  confirmé  par  les  Mémoires  de  Villars,  tome  IV,  p.  K6  et 
39,  qui  parlent  d'une  grande  dispute  enlre  P'agon  et  Marpschal,  à  ce 
propos,  devant  Mme  de  Maintenon.  Les  Mémoires  de  Luynes  (tome  I, 
p.  14'2)  disent  aussi  que  Mareschal  ne  fut  pas  du  môme  avis  que  Fagon 
dans  les  soins  à  donner  au  Roi  dans  sa  dernière  maladie  ;  qu'il  lit  con- 
naître son  opinion  et  qu'il  en  pensa  perdre  sa  place;  mais  peut-être  la 
source  du  duc  de  Luynes  est-elle  la  même  que  celle  de  Saint-Simon. 

2.  Il  y  a  l'avoient,  par  mégarde,  dans  le  manuscrit. 

3.  M.  A.  Le  Roi  a  pnl)lié  en  iSCrl  le  Journal  de  la  santé  de 
Louis  XIV  rédigé  depuis  1647  par  ses  trois  premiers  médecins,  Vallot, 
d'Aqnin  et  Fagon  ;  mais  ce  Journal  s'arrête  à  l'année  1711  ;  il  ne  peut 
donc  donner  de  renseignements  sur  les  derniers  temps  du  Roi.  L'opi- 
niâtreté et  l'entêtement  de  Fagon  étaient  bien  connus  :  Mémoires  de 
Villars,  tome  IV.  p.  58. 

4.  Les  journaux  de  la  cour  mentionnent  une  première  attaque  de 
goutte  dès  1681  {Dangeau,  tome  I,  p.  2i0;  Sourchcs,  tome  I,  p.  "203), 
puis  d'autres  accès  assez  fréquents  notamment  en  168K,  1692,  1703, 
où  il  fallut  lui  faire  des  souliers  spéciaux  (Mémoires  de  Sonrches, 
tomes  II,  p.  178,  et  IX,  p.  200  et  23 't-233  ;  Lavallée,  Lettres  histo- 
riques et  édifiantes  de  Mme  de  Maintenon,  tome  I,  p.  216,  220  et  222  ; 
et  surtout  le  Journal  de  la  santé  du  Roi). 

5.  Il  avait  toujours  eu  l'Iiabitude  de  se  couvrir  beaucoup:  Pellisson 
raconte  que.  dans  sa  jeunesse,  il  lui  arrivait  de  dormir,  à  l'armée, 
avec  trois  casaques  sous  sa  couverture (L''i</vs  historiqws  de  Pellisson, 
tome  m,  p.  81).  La  nuit,  Fagon  lui  faisait  porter  un  manteau  d'ouate, 
l'hiver,  qu'il  remplaçait,  l'été,  d'abord  par  un  de  satin,  puis  par  un 
lie  toile  (Journal  de  la  santé,  p.  236,  281,  289). 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  i%S 

et  les  premiers  gentilshommes  de  la  chambre  entrassent*. 
Il  ne  buvoit  depuis  longues  années,  au  lieu  du  meilleur 
vin  de  Champagne  %  dont  il  avoit  uniquement  usé  toute 
sa  vie,  que  du  vin  de  Bourgogne  avec  la  moitié  d'eau, 
si  vieux  qu'il  en  étoit  usé^  Il  disoit  quelquefois,  en 
riant,  qu'il  y  avoit  souvent  des  seigneurs  étrangers 
bien  attrapés  à  vouloir  goûter  du  vin  de  sa  bouche. 
Jamais  il  n'en  avoit  bu  de  pur  en*  aucun  temps,  ni  usé 
de  nulle  sorte^  de   liqueurs*,    non    pas  même  de  thé^ 

4.  Les  contemporains  mentionnent  fréquemment  ces  abondantes 
sueurs  nocturnes  :  voyez  notamment  les  Mémoires  de  Sourches, 
tomes  IX,  p.  26-2,  XI,  p.  133,  XIII.  p.  520  et  522;  les  Mémoires  du 
maréchal  de  Villars,  tome  IV,  p.  56,  et  le  Journal  de  la  santé  du 
Roi,  spécialement  p.  253,  255,  301  et  326,  où  Fagon  dit  que  le  Roi 
a  sué  «  à  tout  percer  ». 

2.  Il  a  été  parlé  du  vin  de  Champagne  dans  notre  tome  VII,  p.  164. 

3.  C'est  en  octobre  1694  que  le  Roi  avait,  sur  le  conseil  de  Fagon, 
quitté  le  vin  de  Champagne  pour  se  mettre  au  vieux  vin  de  Bourgogne 
(Dangeau,  tome  V,  p.  294;  Lettres  de  Mme  Dunoyer,  édition  4720, 
tome  II,  p.  273;  Journal  de  la  santé  du  Roi,  p.  222  et  412-416). 
D'après  les  Mémoires  de  Sourches  (tome  IX,  p.  230),  il  buvait  de  pré- 
férence du  vin  de  Bourgogne  «  de  quatre  feuilles  »,  c'est-à-dire  de 
quatre  ans  ;  le  Dictionnaire  du  commerce  de  Savary,  tome  IV, 
col.  1213,  nous  apprend  en  effet  que  «  l'âge  des  vins  se  suppute  par 
feuilles  ;  on  dit  du  vin  de  deux,  de  quatre,  de  six  feuilles,  pour  signi- 
fier un  vin  de  deux,  quatre  ou  six  années  ». 

4.  En  est  répété  deux  fois,  à  la  tin  d'une  ligne  et  au  commencement 
de  la  suivante. 

5.  Il  y  a  nulle  au  singulier  et  sortes  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 

6.  Saint-Simon  répéta  encore  cette  remarque  dans  le  Parallèle  des 
trois  rois  Bourbon  (^Écrits  inédits,  tome  I,  p.  85  et  115)  ;  mais  nous 
ne  connaissonss  aucun  texte  qui  la  confirme.  Cependant  le  Journal 
de  la  santé  ne  parle  jamais  de  liqueurs,  sauf  une  fois  de  l'hypocras 
(p.  340). 

7.  C'est  vers  1636,  si  l'on  en  croit  le  commissaire  Delamarre  (Traité 
de  la  police,  tome  III,  p.  797)  que  le  thé,  récemment  importé  de  la 
Chine  en  Portugal,  en  Angleterre  et  en  Hollande,  commença  à  être 
connu  en  France.  Adoptée  par  les  uns,  la  nouvelle  plante  fut  dénigrée 
par  les  autres.  Guy  Patin  l'appelait  cette  «  impertinente  nouveauté  du 
siècle  »  (Lettres,  édition  1846,  tome  I,  p.  378,  383  et  387),  tandis  que 
Daniel  Huet,  l'évêque  d'Avranches,  en  usait  avec  délices  et  composait 


iH  MKMOIUES  (ni.SJ 

café',  ni  chocolat*.  A  son  lever  sculemenl,  au  liiai  d'un 

une  élégie  en  son  honneur  (ItiS").  Dès  l(i4K,  on  soutenait  en  Sor- 
bonne  une  llièse  sur  le  thé,  et  une  autre  voyait  le  jour  en  l(io7;  ein- 
quanta  ans  pins  tard  un  médecin  allemand  proclamait  ses  vertus 
comme  thérapeutique  (Mercure,  avril  1709,  p.  87-96)-  La  nouvelle 
boisson  se  répanilit  très  vite  :  en  4046,  le  sieur  Lanier,  en  en  faisant 
passer  au  chancelier  Séguier,  lui  indiquait  la  manière  de  le  préparer 
[Archives  des  Missions,  deuxième  série,  tome  IV,  p.  "2.^-26).  Au  rap- 
port de  Mme  de  Sévigné  (Lettres,  tomes  VI,  p.  "265,  et  VII,  p.  298), 
Mme  de  la  Sablière  y  mélangeait  volontiers  du  lait,  et  certaine  prin- 
cesse ne  craignait  pas  d'en  absori)er  par  jour  une  douzaine  de  lasses, 
d'une  infusion  très  diluée,  il  est  vrai.  Cela  n'était  rien  auprès  du  landgrave 
de  Hesse-Cassel,  qui  en  buvait  trente  ou  quarante  tasses  par  jour  et 
attribuait  à  ce  régime  le  rétablissement  de  sa  santé.  Mme  Dunoyer 
(Lettres,  édition  1720,  tome  II,  p.  6i)  signalait  le  thé  comme  la  bois- 
son préférée  des  Anglaises,  qui  le  fabriquaient  parfois  dans  une 
marmite  à  bouillon.  JVous  avons  vu  dans  le  tome  VI,  p.  34,  note  2, 
que  la  princesse  d'Auvergne,  née  Hohenzoliern,  morte  en  1698,  avait 
été  empoisonnée,  disait-on,  par  le  thé.  Cela  n'empêchait  pas  ([u'on  en 
servît  alors  partout,  conjointement  avec  le  café,  même  chez  Mme  de 
Maintenon,  quoique  le  Roi  n'en  prît  pas  (notre  tome  XV,  p.  242). 
M.  Franklin  a  consacré  un  des  volumes  de  sa  Vie  privée  d'autrefois 
aux  trois  «  drogues  de  nouvelle  invention  »  :  le  thé,  le  café  et  le  cho- 
colat. Au  dix-huitième  siècle,  Savary  inséra  dans  son  Dictionnaire  du 
commerce  (tome  IV,  colonnes  988-996)  un  long  article  sur  l'origine, 
la  culture,  le  commerce  et  la  préparation  du  thé. 

1.  Il  a  été  parlé  de  l'usage  du  café  dans  notre  tome  VI,  p.  41. 
Saint-Simon  se  trompe  en  disant  que  Louis  XIV  ne  prit  jamais  de 
café  :  Dangeau  note  dans  son  Journal  (lome  VI,  p.  7)  que,  en  octo- 
bre 1696,  il  remplaça  par  de  la  sauge  le  café  qu'il  prenait  le  matin  ; 
mais  le  Journal  de  la  santé  du  Roi,  p.  233,  montre  qu'il  ne  fut  que 
pendant  quatre  mois  à  ce  régime  du  café. 

2.  Saint-Simon  a  déjà  mentionné  l'emploi  du  chocolat  en  Espagne 
dans  notre  tome  VIII.  p.  .").">.  En  France,  l'usage  en  avait  été  introduit, 
dit-on,  par  le  cardinal  Alphonse  de  Hichelieu,  archevêque  de  Lyon  et 
frère  du  ministre  :  il  le  regardait  comme  très  utile  pour  «  modérer  les 
vapeurs  de  la  rate  ».  C'est  à  la  lin  de  1659  que  David  Chaliou  avait 
obtenu  le  premier  monopole  pour  la  fabrication  et  le  débit.  La  reine 
Marie-Thérèse,  qui  devait  en  avoir  apporté  le  goût  de  la  cour  de 
Madrid,  avait  un  chocolatier  breveté,  et  le  duc  d'Orléans  possédait 
aussi  en  1691  (ms.  Clairambault  747.  p.  .523)  son  fournisseur  attitré, 
originaire  du  lac  de  Côme  et  qui  obtint  alors  des  lettres  de  naturalité. 


[17loJ  DE  SAINT-SIMON.  185 

peu  de  pain,  de  vin  etd'eau',  il  prenoit  depuis  fort  long- 
temps deux  tasses  de  sauge  et  de  véronique-;  souvent  en- 
tre ses  repas  et  toujours  en  se  mettant  au  lit,  des  verres 
d'eau  avec  un  peu  d'eau  de  fleurs  d'orange^  qui  tenoient 
chopine\  et  toujours  à  la  glace  en  tout  temps;  même  les 
jours  de  médecine  il  y  buvoit,  et  toujours  aussi  à  ses  re- 
pas", entre  lesquels  il  ne  mangea  jamais  quoi  que  ce  fût, 

On  écrivait  généralement  Chocolaté,  comme  dans  la  Gazette  de  1690, 
p.  45  et  59.  Nous  savons  par  les  lettres  de  Mme  de  Sévigné  (tome  II, 
p.  16-i  et  398)  et  par  celles  de  Mme  de  Maintenon  (recueil  Bossange, 
tome  III,  p.  66-67)  que  le  chocolat,  comme  le  café,  le  thé  et  le  quin- 
quina, était  suspect  à  bien  des  gens  et  inspirait  des  défiances  aux 
uns,  tandis  que,  chez  d'autres,  il  suscitait  des  engouements  non  moins 
exagérés. 

-l.  Ce  fut  en  eflet  le  déjeuner  habituel  de  Louis  XIV  pendant  fort 
longtemps  ;  VÉtat  de  la  France  de  1712,  p.  263,  le  mentionne 
encore. 

2.  La  sauge  est  une  herbe  médicinale,  d'une  saveur  aromatique 
assez  agréable;  la  véronique  au  contraire  n'a  pas  d'odeur  spéciale.  On 
préparait  les  feuilles  de  l'une  et  de  l'autre  en  infusion  dans  de  l'eau 
chaude,  ou  même  dans  du  bouillon,  et  on  regardait  cette  tisane  comme 
excellente  pour  les  migraines,  les  douleurs  de  tète,  les  étourdissements 
et  les  assoupissements  (Savary,  Dictionnaire  du  commerce,  tome  IV, 
col.  649  et  1184.)  Louis  XIV  commença  à  prendre  de  la  sauge  et  de 
la  véronique,  d'abord  en  potion,  puis  en  infusion,  dès  4696  {Journal 
de  la  santé  du  Roi,  p.  233  et  314  ;  Journal  de  Dangeau,  tomes 
VI,  p.  7,  et  VIII,  p.  213);  il  sucrait  cette  infusion  avec  du  suc 
candi  (État  de  la  France,  1712,  p.  262).  Voyez  aussi  le  Journal  des 
Anthoine,  publié  par  Edouard  Drumont,  p.  12. 

3.  Selon  Savary,  l'eau  de  fleurs  d'orange  (appelée  aussi  eau  de 
naphe  et  fabriquée  principalement  en  Provence  et  à  Gènes)  devait  être 
amère  au  goût  et  d'une  odeur  douce  et  agréable  ;  elle  ne  se  gardait 
pas  plus  d'un  an.  On  l'employait  dans  de  l'eau  sucrée  ou  mêlée  à  des 
sirops  et  à  dos  potions,  et  elle  possédait,  croyait-on,  des  qualités  sto- 
machiques et  céphaliques  qui  en  rendaient  l'usage  favorable.  Saint- 
Simon  dira  dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XII  de  1873,  p.  178)  que 
Louis  XIV  aimait  beaucoup  l'odeur  de  la  fleur  d'oranger. 

4.  «  Ghopine,  petite  mesure  de  liqueurs  qui  contient  la  moitié 
d'une  pinte  «  (Dictionnaire  de  Trévoux),  environ  un  demi-litre. 

5.  Il  a  été  parlé  de  l'usage  de  la  glace  par  le  Roi,  et  par  tout  le 
monde  en  général,  dans  notre  tome  XVI,  p.  45.  D'après  les  Mémoires 


1«6  MÉMOIRES  [4715] 

que  quelque  pastille  de  cannelle',  qu'il  mettoit  dans  sa 
poche  à  son  fruit,  avec  force  biscolins-  pour  ses  chiennes 
couchantes  de  son  cabinet^  Comme  il  devint  la  dernière 
année  de  sa  vie  de  plus  en  plus  resserré  \  Fagon  lui  faisoit 
manger  à  l'entrée  de  son  repas  beaucoup  de  fruits  à  la 
glace,  c'est-à-dire  des  mûres  \  des  melons  et  des  figues, 
et  celles-ci  pourries  à  force  d'être  mûres^,  et  à  son  dessert 
beaucoup  d'autres  fruits,  qu'il  finissoit  par  une  quantité  de 

de  Primi  Visconti  (p.  113),  Louis  XIV,  quoiqu'il  mangeât  énormé- 
ment, comme  Saint-Simon  va  le  "lire  plus  loin,  buvait  peu  à  ses  repas, 
deux  ou  trois  fois  «seulement,  et  quelquefois  pas  du  tout  ;  cela  explique 
qu'il  eût  besoin  d'avaler  ces  grands  verres  d'eau  glacée  entre  ses  repas 
et  en  se  couchant.  Voyez  le  Journal  de  la  santé,  p.  309. 

i.  La  cannelle  était  une  partie  de  l'écorce  d'un  arbre  qui  croissait 
exclusivement  dans  l'île  de  Ceyian  ;  on  on  extrayait  une  huile  et  une 
poudre.  De  l'huile  de  cannelle,  on  lirait  une  sorte  de  matière  odorante 
qui  ressemblait  au  camphre  et  qu'on  em[)loyait  beaucoup  en  n)édecine 
comme  forlitianl  de  l'estomac  et  contre  les  rhumatismes  et  la  goutte 
(Savary,  D  ctionnaire  dît  commerce,  tome  I,  col.  771-779). 

2.  M  Biscotin,  sorte  de  petit  biscuit  ordinairement  rond  et  extrême- 
ment dur  »  (Académie,  171S). 

3.  Suivant  \'Etat  de  la  France,  les  levrettes,  lévriers,  chiens  cou- 
chants et  petits  chiens  de  la  chambre  de  S.  M.  étaient  sous  la  direction 
dun  capitaine  spécial  assisté  «le  quatre  valets  ou  gardes.  Chaque  jour, 
on  en  amenait  quelques-uns  dans  une  pièce  voisine  de  la  chambre  du 
Roi  pour  servir  à  son  amusement  quand  il  sortait  de  table  :  notre 
tome  XXII,  p.  289.  Nous  avons  vu  dans  le  précédent  volume,  p.  361 
et  372,  MM.  de  Contades  et  d'Elfiat  faire  cadeau  au  Roi  de  fort  bonnes 
«  chiennes  couchantes  ».  Sur  le  plan  qu'on  trouvera  ci-après,  p.  254, 
la  «  chambre  des  chiens  du  Roi  »  est  indiquée  sous  le  n"  17;  elle 
communique  directement  avec  le  grand  cabinet  ou  cabinet  du  Conseil, 
dans  lequel  Louis  XIV  se  tenait  après  son  souper. 

4.  Ausensd'avoirleventremoinslibre,  moins làche(.4ca(Zem?e,  1718). 

5.  Les  mots  dea  meures  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

6.  D'après  Villars(.Vémoî/'e«,  tome  IV,  p.  54-55),  ce  n'aurait  été  que 
dans  les  premiers  |Ours  du  voyage  à  Marly  que  Fa^on  aurait  mis  le 
Roi  aux  figues  ;  c'est  sans  doute  à  cela  que  fait  allusion  le  Jouinalde 
Dangeau  au  23  juin  (tome  XV,  p.  441).  Cependant,  d'après  \e  Journal 
de  la  aanté  (p.  28S),  Fagon  faisait  manger  au  Roi,  dès  1706,  pour  le 
«  relichrr  »,  des  «  prunes  de  Tours  très  douces,  trempées  et  rafraî- 
chies dans  l'eau.  » 


[17I5J  DE  SAINT-SIMON.  187 

sucreries  qui  surprenoit  toujours ^  Toute  l'année,  il  man- 
geoit  à  souper  une  quantité  prodigieuse  de  salade  ^  Ses 
potages*,  dont  il  mangeoit  soir  et  matin  de  plusieurs,  et 
en  quantité  de  chacun  sans  préjudice  du  reste,  étoient 
pleins  de  jus  et  d'une  extrême  force,  et  tout  ce  qu'on  lui 
servoit  plein  d'épices,  au  double  au  moins  de  ce  qu'on 
y  en  met  ordinairement*,  et  très  fort  d'ailleurs.  Gela 
et  les  sucreries  n'étoit^  pas  de  l'avis  de  Fagon,  qui,  en  le 
voyant  manger,  faisoit  quelquefois  des  mines  fort  plai- 
santes, sans  toutefois  oser  rien  dire,  que  par-ci  par  là, 
à  Livry  et  à  Benoist*,  qui  lui  répondoient  que  c'étoit 
à  eux  à  faire  manger  le  Roi,  et  à  lui  à  le  purger  '.  Il 
ne  mangeoit  d'aucune  sorte  de  venaison*  ni  d  oiseaux 

4.  En  4706,  le  premier  médecin  blâmait  le  Roi  de  manger  si  abon- 
damment «  de  ce  qu'on  appelle  des  vents,  faits  avec  du  blanc  d'œuf 
et  du  sucre  très  cuit  »  {Journal  de  la  santé,  p.  288). 

2.  Fagon,  dans  le  Journal  de  la  santé,  n'a  pas  manqué  de  relever 
comme  nuisible  la  quantité  de  salades  diverses  que  le  Roi  mangeait  à 
chaque  repas,  «  salades  de  concombres,  de  laitues  et  de  petites  herbes, 
lesquelles  toutes  ensemble  assaisonnées  de  poivre,  sel  et  très  fort  vinai- 
green  quantité  et  beaucoup  de  fromage  par  dessus  »  (p.  293,  321,  322). 

3.  On  a  vu  dans  le  tome  XV,  p.  431  et  604,  ce  que  c'était  que  les 
potages  à  cette  époque. 

4.  Journal  de  la  santé,  p.  241. 

5.  Il  y  a  bien  n'estoit  au  singulier,  dans  le  manuscrit,  s'accordant 
avec  cela. 

6.  Louis  Sanguin,  marquis  de  Livry  (tome  II,  p.  84),  premier 
maître  d'hôtel,  et  Georges  Benoist,  contrôleur  de  la  bouche  (tome  XX, 
p.  247). 

7.  C'est  à  cela  que  fait  allusion  ce  passage  du  Journal  de  la  santé 
(p.  278)  où  le  premier  médecin  se  plaint  des  ragoûts  que  le  Roi  mange 
et  «  qu'on  ne  sauroit  s'empêcher  de  lui  présenter  pour  faire  sa  cour 
mal  à  propos.  » 

8.  «  Venaison,  chair  de  bête  fauve  ou  rousse,  cerf,  sanglier,  etc.  » 
(Académie,  4718).  Ce  mot  ne  veut  donc  pas  dire  toute  espèce  de  gibier, 
et  en  effet,  dans  le  passage  d'une  lettre  de  Madame  citée  p.  488, 
note  6,  nous  verrons  qu'il  sera  dit  que  le  Roi  mangeait  du  faisan  et 
de  la  perdrix,  et  le  Journal  de  la  santé  (p.  325)  fait  ressortir  la  grande 
quantité  de  gibier  que  mange  le  Roi  «  depuis  les  premiers  perdreaux 
jusqu'au  carême  ». 


1S8  MKMOIHES  fl7I.S] 

d'eau',  mais  d'ailleurs  de  tout  sans  exception,  gras  et 
maigre,  iju'il  fit  toujours,  excepté  le  carême  que  quel- 
ques jours  seulement  depuis  une  vingtaine  d'années-.  11 
redoubla  ce  régime  de  fruits  et  de  boisson'  cet  été. 

A  la  fin,  ces  fruits  pris  après  son  potage  lui  noyèrent 
l'estomac,  en  émoussèrent  les  digestifs,  lui  otèrent  l'appé- 
tit S  qui  ne  lui  avoit  manqué  encore  de  sa  vie,  sans  avoir 
jamais  eu  ni  faim  ni  besoin  de  manger,  quelque  tard  que 
des  hasards  l'eussent  fait  dîner  quelquefois  ;  mais,  aux 
premières  cuillerées  de  potage,  l'appétit  s'ouvroit  toujours, 
à  ce  que  je  lui  ai  ouï  dire  plusieurs'  fois,  et  il  mangeoit  si 
prodigieusement  et  si  solidement  soir  et  matin,  et  si  éga- 
lement encore,  qu'on  ne  s'accoutumoit  point  à  le  voir^ 
Tant  d'eau  et  tant  de  fruits,  sans  être  corrigés  par  rien  de 
spiritueux,  tournèrent  son  sang  en  gangrène,  à  force  d'en 
diminuer   les  esprits",  et  de  l'appauvrir  par  ces    sueurs 

1.  Nous  ne  connaissons  pas  de  documents  qui  pcrniettont  de  con- 
trôler cette  dernière  assertion. 

2.  Saint-Simon  reviendra,  quand  il  fera  le  portrait  du  Roi  (dans  notre 
prochain  volume)  sur  sa  façon  d'observer  lemaigreet  le  jeûne  du  carême. 

3.  Il  a  efîacé  du  doigt  une  s  à  la  lin  de  boisson. 

A.  C'est  aussi  ce  que  dit  Villars  (Mémoires,  tome  IV,  p.  55). 

5.  Plusieures  (sic)  est  répété  deux  fois,  à  la  tin  d'une  ligne  et  au 
commencement  de  la  suivante. 

6.  Les  contemporains  sont  tous  d'accord  sur  l'énorme  appétit  du 
Roi  :  si  Dangeau,  Villars,  Mme  de  Mainlenon,  Mme  des  Ursins,  etc. 
le  notent  par  occasion,  et  Saint-Simon  encore  dans  le  Parallèle 
des  trois  rois  Bourbons  (p.  85  et  it4),  Madame  y  insiste  (Corrcs- 
pondance,  recueil  Brunet,  tome  II,  p.  3")  :  «  J'ai  vu  souvent  le  Roi 
manger  quatre  pleim-s  assiettes  de  soupes  diverses,  un  faisan  entier, 
une  perdrix,  une  grande  assiette  de  salade,  deux  grandes  tranches  de 
jambon,  du  mouton  au  jus  et  à  l'ail,  une  assiette  de  pâtisserie,  et  puis 
encore  du  fruit  et  des  œufs  durs.  Le  Roi  et  feu  Monsieur  aimaient 
beaucoup  les  œufs  durs.  »  On  trouvera  ci-après  aux  Additions  et 
Corrections  quelques  extraits  particulièrement  topiques  du  Journal  de 
ta  santé  du  Roi. 

7.  «  Les  esprits,  au  pluriel,  sont  de  petits  corps  légers,  subtils  et 
invisibles,  qui  portent  la  vie  et  le  sentiment  dans  les  parties  de  l'ani- 
mal »  (Académie,  1718). 


fi71o]  DE   SAINT-SIMON.  189 

forcées  des  nuits',  et  furent  cause  de  sa  mort,  comme  on 
le  reconnut  à  l'ouverture  de  son  corps.  Les  parties  s'en  trou- 
vèrent toutes  si  belles  et  si  saines,  qu'il  y  eut  lieu  déjuger 
qu'il  auroit  passé  le  siècle  de  sa  vie.  Son  estomac  surtout 
étonna,  et  ses  boyaux,  par  leur  volume  et  leur  étendue  au 
double  de  l'ordinaire-,  d'où  lui  vint  d'être  si  grand  man- 
geur et  si  égal.  On  ne  songea  aux  remèdes  que  quand  il 
n'en  fut  plus  temps,  parce  que  Fagon  ne  voulut  jamais  le 
croire  malade,  et  que  l'aveuglement  de  Mme  de  Main- 
tenon  fut  pareil  là-dessus,  quoiqu'elle  eût  bien  su  pren- 
dre toutes  les  précautions  possibles  pour  Saint-Cyr  et 
pour  M.  du  Maine.  Parmi  tout  cela,  le  Roi  sentit  son 
état  avant  eux,  et  le  disoit  quelquefois  à  ses  valets  in- 
térieurs^. Fagon  le  rassuroit  toujours  sans  lui  rien  faire. 
Le  Roi  se  contentoit  de  ce  qu'il  lui  disoit,  sans  en  être 
persuadé  ;  mais  son  amitié  pour  lui  le  retenoit,  et  Mme  de 
Maintenon  encore  plus. 

Le  mercredi  14  août,  il  se  fit  portera  la  messe  pour  la 
dernière  fois,  tint  conseil  d'Etat,  mangea  gras^  et  eut 
grande  musique  chez  Mme  de  Maintenon.  Il  soupa  au  petit 
couvert  dans  sa  chambre,  où  la  cour  le  vit  comme  à  son 
dîner.  Il  fut  peu  dans  son  cabinet  avec  sa  famille,  et  se 
coucha  peu  après  dix  heures*. 

1.  Ci-dessus,  p.  183.  —  Tout  ce  membre  de  phrase,  depuis  et  de 
l'appauvrir,  a  été  ajouté  en  interligne. 

2.  Saint-Simon  reviendra  ci-après,  p.  295,  sur  l'autopsie  du  corps  de 
Louis  XIV  ;  nous  donnerons  alors  le  commentaire  nécessaire  ;  mais  il 
faut  dire  dès  maintenant  que  cette  assertion  sur  les  dimensions  des 
intestins  du  Roi  est  erronée. 

3.  Le  Journal  des  Anthoine,  si  précis  pour  ces  derniers  jours, 
ne  relève  pas  cette  particularité. 

4.  C'était  en  effet  un  jour  maigre,  comme  vigile  de  l'Assomption. 

o.  Tout  ceci  est  pris  à  Dangeau  (p.  95),  sauf  ce  qui  a  rapport  à  la 
messe.  Les  Anthoine  disent  (p.  15)  que,  ce  jour-là,  il  y  eut  une 
grande  consultation  de  plusieurs  médecins  de  Paris,  notamment  Helvé- 
tius  et  Falconnet,  appelés  par  Fagon,  pour  examiner  la  cause  des 
violentes  douleurs  à  la  jambe  et  à  la  cuisse  ;  Dangeau  n'en  parle  pas. 


490  MÉMOIRES  [1715] 

Le  jeudi,  foie  de  rAssoinpliou,  il  entendit  la  messe  dans 
son  lit.  La  nuit  avoit  été  inquiète  et  altérée,  il  dîna  de- 
vant tout  le  monde  dans  son  lit,  se  leva  à  cinq  heures,  et 
se  fit  porter  chez  Mme  de  NLiintenon,  où  il  eut  petite  mu- 
sique. Entre  sa  messe  et  son  dîner  il  avoit  parlé  séparé- 
ment au  Chancelier,  à  Desmaretz,  à  Pontchartrain.  Il 
soupa  et  se  coucha  comme  la  veille'.  Ce  fut  toujours  de- 
puis de  même,  tant  qu'il  put  se  lever. 

Le  vendredi  16  août,  la  nuit  n'avoit  pas  été  meilleure  ; 
beaucoup  de  soif  et  de  boisson-.  Il  ne  fit  entrer  qu'à  dix 
heures,  la  messe  et  le  diner  dans  son  lit  comme  toujours 
depuis,  donna  audience  dans  son  cabinet  à  un  envoyé  de 
WolfenbiilteP,  se  fit  porter  chez  Mme  de  Maintenon;  il  y 
joua  avec  les  dames  familières,  et  y  eut  après  grande 
musique*. 

Le  samedi  17  août,  la  nuit  comme  la  précédente  ^  Il  tint 
dans  son  lit  le  conseil  de  finances,  vit  tout  le  monde  à  son 
dîner,  se  leva  aussitôt  après,  donna  audience  dans  son 
cabinet  au  général  de  l'ordre  de  Sainte-Croix  de  la  Bre- 
tonnerie®,  passa  chez  Mme  de  Maintenon,  où  il  travailla 

1.  Ce  paragraphe  entier  n'est  que  le  résumé  de  l'article  de  Dangeau 
du  io  août  (p.  93-96);  Saint-Simon  s'est  contenté  de  changer  un  peu 
l'ordre  du  récit. 

2.  Dangeau  remarque  que  «  cette  altération  fait  croire  à  beaucoup 
de  gens  qu'il  pourroil  bien  avoir  un  pou  de  lièvre  les  nuits.  » 

3.  Cet  envoyé  s'appelait  le  baron  d'ImliofT,  mais  n'avait  aucun  rap- 
port avec  le  célèbre  généalogiste  dont  il  a  été  parlé  dans  notre 
tome  IX,  p.  137  ;  il  était  déjà  venu  en  mission  en  F'rance  en  4682  et 
y  avait  séjourné  de  4700  à  4702;  voyez  la  Gazette  d'Amsterdam,  4745, 
n°  Lxx. 

4.  Danr/eau,  p.  96. 

5.  «  Le  Roi  passa  la  nuit  jusqu'à  quatre  heures  dans  une  assez 
grande  inquiétude,  tort  altéré  et  buvant  souvent  »  (Ibidem). 

6.  L'orilre  de  la  Sainle-Croix  avait  été  fondé  au  commencement  du 
treizième  siècle,  auprès  de  Huy,  par  Théodore  de  Celles,  chanoine  de 
Liè^;e.  En  4238,  saint  Louis  appela  à  Paris  quelques  religieux  et  les 
installa  dans  les  bâtiments  del'ancienne  monnaie  royale, rue  de  la  Bre- 
tonnerie,  auxquels  il  joignit  quelques  maisons  voisines.  En  4644,  à  la 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  494 

avec  le  Chancelier.  Le  soir,  Fagon  coucha  pour  la  pre- 
mière fois  dans  sa  chambre. 

Le  dimanche  18  août  se  passa  comme  les  jours  précé- 
dents. Fagon  prétendit  qu'il  n'avoit  point  eu  de  fièvre'.  Il 
tint  conseil  d'État  avant  et  après  son  dîner,  travailla  après 
sur  les  fortifications  avec  Peletier-à  l'ordinaire,  puis  passa 
chez  Mme  de  Maintenon,  où  il  y  eut  musique.  Ce  môme  „  /-^"l  Ti^^- 

'  «/  T  _         entrée  a   I  ans 

jour,  le  comte  de  Ribeyra\  ambassadeur  extraordinaire     du  comte  de 
de  Portugal,  dont  la  mère,  qui  éloit  morte,  étoit  sœur  du       Kibeyra, 

1  i-iiiVi         in<r.-  '         amba.ssadeur 

prince  et   du  cardinal  de  nohan*,  ht  a  Pans  son  entrée    de  Portugal*. 

suite  de  divers  désordres  qui  se  produisirent  dans  le  monastère,  le 
cardinal  de  la  Rochefoucauld  essaya  d'y  introduire  des  chanoines  régu- 
liers de  Sainte-Genfviève.  Ce  couvent  a  aujourd'hui  complètement 
disparu  ;  mais  Tordre  subsiste  encore  sous  le  nom  de  Pères  croisiers. 
En  i71.T,  le  général  s'appelait  Malhias  Goffin  et  était  liégeois  ;  il  était 
venu  à  Paris  pour  inspecter  le  couvent  de  cette  ville. 

4.  Dangeau,  p.  \il  ;  Journal  des  Anthoine,  p.  26-!27  •,'ViUars,  tome  III, 
p.  59. 

2.  Michel  le  Peletier  de  Souzy,  directeur  général  des  fortifications  : 
tome  111,  p.  ±m. 

3.  Louis  de  Caméra  ou  Camara,  troisième  comte  de  Ribeyra-Grande, 
baptisé  le  2  février  1683  (Gazef^e,  p.  137),  lieutenant-général,  grand 
maître  de  l'artillerie,  puis  meslre  de  camp  général  des  armées  portu- 
gaises, avait  été  nommé  ambassadeur  de  Portugal  en  P>ance  dès  le 
mois  de  lévrier  1714.  Il  avait  passé  par  Madrid,  oij  la  princesse  des 
Ursins  l'avait  présenté  à  Philippe  Vj  le  10  juillet  1711,  elle  écrivait  à 
Torcy  (vol.  Espagne  230,  fol.  139)  :  «  Il  n'a  point  oublié  le  françois 
ni  sa  politesse  ;  il  demeurera  une  quinzaine  de  jours  à  Madrid  à  se 
reposer....  Il  mènera  [en  France]  Madame  sa  femme,  qu'on  assure  être 
belle  et  aimable.  »  Il  arriva  à  Moret  dans  le  milieu  d'octobre  et  alla 
descend.-e  chez  son  grand  oncle  le  duc  de  Rohan-Chabot  ;  Louis  XIV 
lui  donna  une  audience  privée,  ainsi  qu'à  sa  femme,  très  jolie  per- 
sonne, tille  du  comte  d'Atonha  (ûangeaM,  tome  XV,  p.  264).  Pendant 
son  séour  à  Paris,  il  eut  un  tils,  qui  fut  tenu  sur  les  fonts  le  9  décem- 
bre 1716  par  Louis  XV  et  la  duchesst  de  Berry  (Gazette,  p.  600).  Il 
mourut  à  Lisbonne,  peu  après  être  revenu  de  son  ambassade  le 
3  octobre  1723,  dans  sa  trente-neuvième  année.  On  trouvera  ci-après, 
aux  Additions  et  Corrections,  une  lettre  de  la  duchesse  de  Rohan,  à 
propos  de  son  logement  à  Paris. 

4.  Constance-Emilie  de  Rohan-Soubise,  dite  Mlle  de  Frontenay,  née 


192 


MEMOIRES 


fm.s 


J'obtiens  de 

M.  le 

duc  d'Orléans 

qu'il 

continuera 

à  Chamillart  sa 

pension  de 

60  000 '*ella 

permission 

de  le 
lui  mander. 


avec  une  magniiioence  extraordinaire',  et  jeta  au  peuple 
beaucoup  de  médailles  d'argent  et  quelques-unes  d'or-. 
L'état  du  Roi,  qui  niontroit  manifestement  ne  pouvoir  plus 
durer  que  peu  de  jours,  et  dont  je  sa  vois  pai*  Marcsclial 
des  nouvelles  plus  sûres  que  celles  que  Fagon  se  vouloit 
persuader  à  soi  et  aux  autres,  me  fit  penser  à  Chamillart, 
qui  avoit  [eu],  en  sortant^  de  places,  une  pension  du  Roi 
de  soixante  mille  livres '.  J'en  demandai  la  conservation 
et  l'assurance  à  M.  le  duc  d'Orléans,  et  je  l'obtins  aussitôt, 
avec  la  permission  de  le  lui  mander  à  Paris.  Il  y  étoit,  fort 
touché  de  la  maladie  du  Roi  et  fort  peu  de  toute  autre 
chose.  Il  ne  laissa  pas  d'être  agréablement  surpris  de  ma 
lettre,  et  d'être  bien  sensible  à  un  soin  de  ma  part  qu'il 
n'avoit  pas  eu  pour  lui-même.  Il  m'envoya  une  lettre  de 
remerciement,  queje  rendis  à  M.  le  duc  d'Orléans.  Je  n'ai 
rien  fait  qui  m'ait  donné  plus  de  plaisir.  La  chose  demeura 
secrète  jusqu'à  la  mort  du  Roi  ;  je  ne  perdis  pas  de  temps 
à  la  faire  déclarer  incontinent  après  la  Régence^. 


en  iH6T,  avait  épousé  à  Versailles  par  procureur  en  mai  1683  Joseph- 
Rodrigue  de  Caméra,  comte  de  Ribeyra-Grande,  et  le  Roi  lui  lit  pré- 
sent à  cette  occasion  de  pendants  d'oreilles  valant  dix-sept  mille 
livres  ;  Saint-Simon  se  trompe  en  disant  qu'elle  était  morte  avant  iTln  ; 
elle  survécut  à  son  mari,  qui  mourut  en  mars  ili't  ;  mais  nous  igno- 
rons la  date  exacte  de  son  décès. 

4.  La  relation  de  cette  entrée  termine  les  Mémoires  manuscrits  du 
baron  de  Breteuil. 

2.  Gazette,  p.  407;  Mercure  d'août,  p.  !289-306;  Gazette  d'Amster- 
dam, Extraord.  lxx;  Journal  de  la  Régence  par  Buvat,  tome  I,  p.  37- 
38,  qui  décrit  ces  médailles;  elles  avaient  été  frappées  à  la  Moimaie.  Il 
se  logea  plus  tard  dans  un  hôtel  à  la  pointe  de  l'île  Saint-Louis,  où  il 
donna  des  fêtes  que  mentionne  le  Mercure,  janvier  1746,  p.  '•20:2-248, 
et  juin,  p.  465-482. 

3.  Sortant  corrige  entr[ant}. 

4.  Notre  tome  XVII,  p.  439,  et  note  4. 

5.  Cependant  cette  pension  n'est  pas  mentionnée  dans  le  registre  du 
secrétariat  de  la  maison  du  Roi  de  l'année  4715;  mais  il  est  certain 
que  Chamillart,  sa  femme  et  sa  (ille  en  jouirent  jusqu'à  leur  mort  selon 
le  partage  spécifié  en  4709. 


[i-ro] 


DE   SAINT-SIMON. 


19::! 


Ce  même  jour,  je  montai  chez  le  duc  de  Noailles  sur  les 
huit  heures  du  soir,  au  bas  du  degré  duquel  je  lo^eois'. 
Il  étoit  enfermé  dans  son  cabinet,  d'où  il  vint  me  trouver 
dans  sa  chambre.  Après  plusieurs  propos  sur  l'état  du 
Roi  et  sur  l'avenir,  il  se  mit  à  enfiler  un  assez  long  dis- 
cours sur  les  jésuites,  dont  la  conclusion  fut  de  me  pro- 
poser de  les  chasser  tous  de  France,  de  remettre  en  leur 
premier  état  les  bénéfices  qu  ils  avoient  fait  unir  à  leurs 
maisons,  et  d'appliquer  leurs  biens  aux  universités  où  ils 
se  trouveroient  situés.  Quoique  les  propositions  extrava- 
gantes du  duc  de  Noailles,  dont  j'ai  parlé-,  me  dussent 
avoir  appris  qu'il  en  pouvoit  faire  encore  d'aussi  folles, 
j'avoue  que  celle-là  me  surprit  autant  que  si  elle  eût  été 
la  première  de  ce  genre.  Il  s  en  aperçut  à  mon  air  etïravé; 
il  se  mit  en  raisonnements,  et  cependant  son  cabinet 
s'ouvrit,  d'où  je  vis  le  procureur  général  "  sortir  et  venir 
à  nous.  Plusieurs  du  Parlement  étoient  venus  le  matin 
savoir  des  nouvelles  du  Roi,  comme  en  tout  temps  ils  v 
venoient  souvent  les  dimanches  ;  mais  javois  cru  le  duc 
de  Noailles  seul  dans  son  cabinet,  et  le  procureur  général 
retourné  à  Paris  de  fort  bonne  heure,  comme  ces  magis- 
trats faisoient  toujours.  A  peine  se  fut-il  tiré  un  siège  au- 
près de  nous,  que  le  duc  de  Noailles  lui  dit  ce  qu'il  s'agi- 
toit  entre  lui  et  moi.  qui  pourtant  n'avois  pas  dit  un  mot 
encore,  mais  à  qui  un  geste  échappé  de  surprise  avoit  mis 
le  duc  de  Noailles  en  plaidoyer.  Il  remit  le  peu  qu'il  venoit 
dédire  au  procureur  général,  qui  l'interrompit  bientôt  pour 
me  regarder  froidement,  et  me  dire  de  même  que  c'étoit 
la  meilleure  et  la  plus  utile  chose  que  l'on  pût  faire  au  com- 
mencement de  la  Régence  que  l'expulsion  totale,  radicale' 


Le  duc 

de  Noailles. 
seul  d'abord, 

puis  aidé 
du  procureur 

général, 
me   propose 
l'eipulsion 
radicale  des 


jésuites 
hors 


du 


1.  L'appartement  du  duc  de  Noailles  était  au  second  étage  de  Taile 
du  Nord,  et  celui  des  Saint-Simon  au  premier  étage,  auprès  de  celui 
de  la  duchesse  de  Berry. 

2.  Ci-dessus,  p.  169-iT-2. 

3.  Henri-François  Daguesseau. 

4.  Les  lexiques  du  dix-huitième  siècle,  même  le  Dictionnaire  de 


MEMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXMI 


13 


19',  MEMOIRES  [1715] 

et  sans  retour  des  jésuites  hors  du  royaume,  et  de  dis- 
poser sur-le-cluunp  de  leurs  maisons  et  de  leurs  hiens 
en  faveur  des  universités.  Je  ne  puis  exprimer  ce  que  je 
devins  à  cette  sentence  du  procureur  général.  Cette  folie, 
assez  contagieuse  pour  olTusquer  '  un  homme  aussi  sage, 
et  dans  une  place  qui  ne  lui  permettoit  pas  d'en  ignorer 
la  mécanique  et  les  suites,  me  fit  peur  d'en  être  gagné 
aussi-.  L'étonnement  où  je  fus  me  mit  en  doute  aussi 
d'avoir  bien  entendu  ;  je  le  fis  répéter  et  je  demeurai  stu- 
péfait. Ils  s'aperçurent  bientôt  à  ma  contenance  que  j'étois 
plus  occupé  de  mes  pensées  que  de  leur  discours  ;  ils  me 
prièrent  de  leur  dire  ce  que  je  trouvois  de  leur  proposi- 
tion. Je  leur  avouai  que  je  la  trouvois  tellement  étrange, 
que  j'avois  peine  à  croire  à  mes  oreilles,  lisse  mirent  là- 
dessus,  l'un  avec  feu,  l'autre  avec  poids  et  gravité,  et  s'in- 
terrompant  l'un  l'autre,  à  me  dire  ce  que  chacun  sait  sur 
les  jésuites,  leur  domination,  leur  danger  pour  l'Eglise  et 
pour  l'État  et  pour  les  particuliers.  A  la  fin  l'impatience 
me  prit  ;  je  les  interrompis  à  mon  tour,  et  il  me  parut  que 
je  leur  faisois  plaisir,  dans  celle  ^  où  ils  étoient  d'entendre 
ce  que  j'avois  à  leur  dire.  Je  leur  déclarai  que,  pour 
abréger,  je  ne  leur  contesterois  rien  de  tout  ce  qu'ils 
voudroient  alléguer  contre  les  jésuites,  et  sur  les  avantages 

Trévoux,  ne  donnaient  pas  à  cet  adjectif  le  sens  d'entier,  connplet, 
jusqu'à  la  racine  ;  ils  n'en  faisaient  encore  qu'un  terme  dogmatique, 
peu  usité  et  qui  s'employait  seulement  «  en  parlant  de  ce  qui  est 
regardé  comme  ayant  en  soi-même  le  principe  de  quelque  faculté,  de 
quelque  vertu  physique  ;  ainsi  on  appelle  humide  radical  celte 
humeur  que  l'on  regarde  comme  le  principe  de  la  vie  dans  le  corps 
humain  »  (Académie,  4718).  Littré  en  cite  en  ce  sens  un  exemple  de 
Pascal.  Saint-Simon  l'a  déjà  employé  comme  ici  dans  les  tomes  IV, 
p.  429,  et  XXIII,  p.  307,  et  l'adverbe  radicalement  dans  ses  «  Consi- 
dérations préliminaires  »  (tome  I,  p.  43)  et  ci-dessus,  p.  44  et  70; 
nous  le  retrouverons  dans  la  suite  des  Aléiitoires,  tome  XIX  de  1873, 
p.  495. 

4.  Nous  avons  eu  offusquer,  au  sens  d'obscurcir,  dans  le  tome  XVII, 
p.  435;  ici  il  signifie  troubler  l'entendement. 

"2.  D'être  gagné  de  la  même  folie.  —  3.  Dans  l'impatience. 


[17151  I^E  SAINT-SIMON.  495 

i\u(i  trouveroit  la  France  d'en  être  délivrée,  encore  qu'il  y 
eût  beaucoup  à  dire  là-dessus;  que  je  me  retranchois  uni- 
quement sur  la  cause',  [sur]  le  comment  et  sur  les  suites; 
sur  le  comment,  que  nous  n'étions  pas  dans  une  île  dont 
l'intérieur  fût  désert,  comme  la  Sicile,  où  il  n'y  eût  qu'un 
certain  nombre  de  maisons  de  jésuites  dans  deux  villes 
principales,  comme  Palerme  et  Messine,  et  répandues  en 
d'autres  gros  lieux  sur  la  côte,  où  il  avoit  été  aisé  au 
vice-roi  Maffei  -  de  les  prendre  tous  au  même  instant  d'un 
coup  de  filet,  de  les  embarquer  sur-le-champ,  de  leur 
faire  prendre  le  large,  et  de  faire  tout  de  suite  de  leurs 
maisons  et  de  leurs  biens  ce  que  le  roi  de  Sicile  lui  avoit 
ordonné^;  que  ce  prince  de  plus  étoit  en  droit  et  en  rai- 
son d'en  user  de  la  sorte  avec  des  gens  qui  allumoient  à 
visage  découvert  le  feu  de  la  révolte  contre  lui,  sur  le  dif- 
férend qu'il  avoit  avec  la  cour  de  Rome,  qui,  sur  des 
prétextes  les^  plus  frivoles  d'immunité  ecclésiastique,  qui 
même  n'avoit  pas  été  violée,  entreprenoit  d'abolir^  le  tri- 
bunal de  la  monarchie  accordé  tel  qu'il  étoit  par  les  papes 
aux  premiers  princes  normands  qui  avoient  conquis  la 
Sicile,  et  l'avoient  bien  voulu  relever^  des  papes  sans  au- 
cune nécessité  ni  droit,  tribunal  sans  l'exercice  duquel 
les  rois  de  Sicile  se  trouveroient  privés  de  toute  autorité, 
pour  l'abolition  duquel  Rome  prodiguoit  ses  censures,  et, 

1.  Les  mots  la  cause  ont  été  ajoutés  en  interligne  ;  mais  il  a  oublié 
(l'ajouter  un  second  sui\ 
±  Tome  XXV,  p.  129. 

3.  Saint-Simon  ne  put  citer  alors,  —  en  août  1713,  —  l'exemple  de 
l'expulsion  des  jésuites  de  Sicile  par  le  vice-roi  Maffei,  puisque  cette 
expulsion  ne  se  produisit  qu'en  4716,  comme  il  le  racontera  dans  la 
suite  des  Mémoires,  tome  XII  de  1873,  p.  4n0-4ol.  Ecrivant  ce  récit 
longues  années  après,  il  n'a  pas  fait  attention  à  cette  anomalie. 

4.  Ce  les  a  été  répété  deux  fois,  Saint-Simon  l'ayant  écrit  à  nouveau 
à  la  fin  de  la  ligne,  parce  qu'il  a  pris  sans  doute  le  premier  les  dont  la 
première  lettre  est  mal  marquée,  pour  la  tin  du  mot  prétextes. 

.">.  Ecrit  ablir,  par  mégarde. 

t).  Faire  relever,  au  sens  d'être  vassale. 


\%  MÉMOIRES  [1715] 

secondée  do  plusieurs  évèques,  de  quelques-uns  du  clergé 
séculier,  de  presque  tout  le  régulier,  surtout  des  jésuites, 
portoit'  la  révolte  et  la  sédition  dans  tous  les  esprits,  et 
en  faisoitun  point  de  conscience-;  qu'en  France  il  ne 
s'étoit^  rien  passé,  depuis  la  mort  d'Henri  IV  jusqu'alors, 
sur  quoi  on  ait  pu,  je  ne  dis  pas  accuser,  mais  soupçonner 
les  jésuites  de  brasser  rien  contre  l'État,  ni  contre 
Louis  XIII  ni  Louis  XIV  ;  nul  délit,  par  conséquent,  sur 
lequel  on  pût  fonder  le  bannissement  du  plus  obscur 
particulier  ;  quelle  violence  donc  à  l'égard  de  toute  une 
Compagnie  que  ces  deux  Messieurs  représentoient  si 
appuyée,  si  puissante,  si  dangereuse  ;  la  faire  au  bout  de 
deux  règnes  qui  l'avoient^  si  constamment  favorisée;  la 
faire  à  l'entrée  d'une  régence,  qui  est  toujours  un  temps 
de  ménagement  et  de  foiblesse  ;  la  faire  enfin  par  un 
régent  accusé  de  n'avoir  point  de  religion,  sans  parler  du 
reste,  et  que  la  vie  publiquement  débauchée  et  les  propos 
peu  mesurés  sur  la  religion  rendoient^  intiniment  moins 
propre  à  cette  exécution,  quand  elle  seroit  juste  et  possi- 
ble. A  l'égard  de  la  manière  de  l'exécuter,  je  me  trouvois 
l'esprit  trop  borné  pour  en  imaginer  aucune  sur  le  nombre 
infini  de  maisons  de  jésuites  répandues  dans  toutes  les 
provinces  de  la  domination  du  Roi,  et  le  nombre  immense 
de  jésuites  qui  les  remplissoient  ;  que  le  tout  à  la  fois, 
comme  avoit  fait  le  Mafïei,  étoit  mathématiquement  im- 
possible ;  que  par  parties,  quels  cris  I  quels  troubles  I 
quels  mouvements  dès  les  premiers  pas  !  Cette  immensité 
de  jésuites,  leurs  familles,  leurs  écoliers,  et  les  familles 
de  ces  écoliers,  leurs  pénitents,  les  troupeaux  de  leurs 
retraites  et  de  leurs  congrégations,  les  sectateurs  de  leurs 

\.  Saint-Simon  a  écrit  ici  portaient,  et  plus  loin  f'm'soient,  au  plu- 
riel, dans  son  manuscrit. 

2.  Tout  cela  sera  raconté  en  1746. 

3.  S^estoicnt  corrifjé  en  s'estoit. 
i.  Ecrit  l'avoit,  par  inadvertance. 
5.   Rendaient  corrige  rendait. 


[1715]  DE  SAINT-SIMOx\.  197 

sermons,  leurs  amis  et  ceux  de  leur  doctrine,  quel  va- 
carme avant  qu'on  en  eût  nettoyé*  la  province  par  laquelle 
on  auroit  commencé,  et  quand  et  comment  achèveroit- 
on  dans  toutes  les  provinces?  où  conduire  ces  exilés? 
Hors  la  frontière  la  plus  prochaine,  répondra-t-on  ;  mais 
qui  les  empêchera  de  rentrer?  point  de  mer,  comme  pour 
retourner  en  Sicile,  ni  de  grande  muraille  comme  à  la 
Chine,  tout  ouvert  partout,  et  favorisés  de  ce  nombre 
immense  de  tous  états  et  de  tous  lieux  dont  je  viens  de 
parler.  C'est  donc  une  chimère  évidemment  impossible. 
Mais  supposons-la  pour  un  moment,  non  seulement  fai- 
sable, mais  exécutée.  Que  dira  la  cour  de  Rome,  dont  les 
jésuites  sont  en  France  les  plus  utiles  instruments  et  les 
plus  dévoués  à  ses  prétentions  et  à  ses  ordres  ?  Que  dira 
le  roi  d'Espagne,  si  dévot,  si  publiquement  jésuite,  et  qui 
est  avec  M.  le  duc  d'Orléans  comme  chacun  sait?  Que 
diront  toutes  les  puissances  catholiques,  chez  qui  toutes 
les  jésuites  ont  tant  de  crédit,  et  de  qui  presque  toutes 
ils  sont  les  confesseurs  ?  Et  les  peuples  catholiques  de 
toute  l'Europe,  où,  par  la  chaire,  le  confessionnal,  les 
classes,  les  jésuites  ont  autant  d'amis  et  de  partisans  que 
ces  mêmes  moyens  leur  en  donnent  en  France  ?  Que  di- 
ront tous  les  ordres  réguliers,  peut-être  jusqu'aux  béné- 
dictins, dominicains  et  chanoines  réguliers  divers,  les 
seuls  peut-être  d'entre  les  réguliers  qui  soient  ennemis 
des  jésuites?  Ne  doit-on  pas  juger  que  tous  frémiront 
d'un  coup  qui  peut  les  frapper  à  leur  tour,  si  la  fantaisie 
en  prend  ;  qu'ils  en  craindront  le  menaçant  exemple,  et 
qu'ils  se  réuniront  avec  tout  ce  qui  se  sentira  ou  se 
croira  intéressé  à  l'empêcher  ?  et  s'ils  en  viennent  à  bout, 
quelle  folie,  quelle  ignominie  se  sera-t-on  si  gratuitement 
préparée,  mais  quel  péril  encore,  et  péril  à  ne  plus  pou- 
voir espérer  sûreté  ni  tranquillité,  après  s'être  mis  le 
dedans  et  le  dehors  contre  soi  avec  ce  qu'on  appelle  la 

1.  ^Tcf foyer  corrigé  en  nettoyé. 


lOR  MKMiMRKS  |niS] 

religion  à  la  tête  ?  Je  conclus  enfin  que  cette'  tentative,  si 
bien  concertée  qu'elle  pût  être,  seroit  la  perte  de  M.  lo 
duc  d'Orléans,  et  un  tel  bouleversement  que  je  ne  voyois 
pas  comment  ni  quand  on  pourroit  le  calmer.  Mon  dis- 
cours fut  {)lus  étomiu  que  je  ne  le  rapporte,  et  je  ne  fus 
point  interrompu.  Quand  j'eus  fini,  je  vis  deux  hommes 
étonnés  et  fâchés,  qui  ne  purent  répondre  un  seul  mot  à 
pas  une  des  objections  que  je  venois  de  faire,  et  qui  en 
même  temps  me  déclarèrent  l'un  et  l'autre  que  je  ne  les 
avois  point  persuadés.  Tous  deux,  en  s'interrompant  l'un 
l'autre  ',  rt'vinrent  au  danger  des  jésuites  en  France  pour 
le  général  de  l'État  et  de  l'Église,  et  pour  le  particulier; 
moi  à  leur  répéter  que  ce  n'étoit  pas  la  question,  mais  la 
cause,  les  moyens  et  les  suites;  qu'ils  avoient  ces  trois 
choses  à  me  prouver  possibles  et  garanties.  J'avois  beau 
les  ramener;  ils  persistoient,  le  dirai-je?  à  aboyer  à  la 
lune\  Leur  peu  de  succès  avec  moi,  et  I  heure  indue  pour 
un  magistrat  de  regagner  Paris,  nous  sépara  sans  le  moin- 
dre progrès  fait  de  part  ni  d'autre.  Je  sortis  en  même  temps 
que  le  procureur  généi-al  pour  revenir  chez  moi,  noyé 
dans  l'étonnement  et  la  recherche  de  ce  que  le  procureur 
général  pouvoit  avoir  fait  de  son  sens,  de  ses  lumières,  de 
sa  sagesse,  et  persuadé  qu'ils  étoient  sur  cette  matière  à 
délibérer  ensemble  quand  j'arrivai,  à  la  manière  subite 
dont  le  duc  de  Noailles  m'en  ouvrit  le  propos,  et  dont  il 
le  remit  au  procureur  général  lorsqu'il  nous  vint  trouver 
en  tiers.  Je  demeurai  à  bout  sur  le  procureur  général  S 
qui  n'avoit  sûrement  point  de  vues  obliques,  mais  que  le 
pouvoir  du  duc  de  Noailles  sur  son  esprit  avoit  gagné, 
déjà  ennemi    personnel  et  parlementaire  "^  de  la  Société, 

1.  Cette  corrige  cet  et  le  commencement  d'un  autre  mot. 

2.  Comme  déjà  ci-dessus,  p.  194. 

3.  Locution  déjà  rencontrée  dans  le  tome  XV.  p.  467. 

4.  C'est-à-dire  :  je  ne  pus  trouver  d'explication  à  la  conduite  du 
procureur  général. 

.-).  Comme  appartenant  au  Parlement.  Le  Dictionnaire  de  l'Aca- 


(t7i;>|  DE  SAINT-SIMON.  iH9 

et  qui  se  laissa  aller  à  la  folie  de  son  ami,  sans  que  des 
raisons  aussi  nettement  décisives  l'en  pussent  faire  revenir, 
quoiqu'il  ne  leur  en  pût  opposer  aucune,  et  c'est  ce  qui 
porta  mon  étonnement  jusqu'à  en  demeurer  confondu. 

Le  lundi  19  août,  la  nuit  fut  également  agitée,  sans  que 
Fagon  voulût  trouver  que  le  Roi  eût  de  la  fièvre  \  Il  eut 
envie  de  lui  faire-  venir  des  eaux  de  Bourbonne^.  Le  Roi 
travailla  avec  Pontchartrain,  eut  petite  musique  chez 
Mme  de  Maintenon,  déclara  qu'il  n'iroit  point  à  Fontaine- 
bleau, et  dit  qu'il  verroit  la  gendarmerie  le  mercredi 
suivant  de  dessus  son  balcon.  Il  i'avoit  fait  venir  de  ses 
([uartiers^  pour  en  faire  la  revue  :  ce  ne  fut  que  ce  jour-là 
qu'il  vit  qu'il  ne  le  pourroit,  et  qu'il  se  borna  à  la  regar- 
der dans  la  grand  cour  de  Versailles  par  la  fenêtre^. 

Le  mardi  20  août,  la  nuit  fut  comme  les  précédentes. 
Il  travailla  le  matin  avec  le  Chancelier;  il  ne  voulut  voir 
que  peu  de  gens  distingués  et  les  ministres  étrangers  à  son 
dîner,  qui  avoient,  et  ont  encore,  le  mardi  fixé  pour  aller 
à  Versailles.  Il  tint  conseil*^  de  finances  ensuite  et  travailla 
après  avec  Desmaretz  seul.  Il  ne  put  aller  chez  Mme  de 
Maintenon,  qu'il  envoya  chercher.  Mme  de  Dangeau  et 
Mme  de  Caylus  y  furent  admises  quelque  temps  après 
pour  aider  à  la  conversation.  Il  soupa  en  robe  de  chambre 

demie  de  1718  disait  que  cet  adjectif  ne  s'applique  qu'aux  partisans 
du  Parlement  d'Angleterre.  —  Saint-Simon  écrit  ici  parlamentairc. 

1.  <(  M.  Fagon  est  persuadé  que  le  Roi  n'a  point  de  tièvre;  mais 
Mareschal  et  quelques  autres  croient  qu'il  en  a  un  peu  la  nuit  »  (Dan- 
geau, p.  97  ;  voyez  le  Journal  des  Anthoine,  p.  27-28). 

2.  Faire  surcharge  donn[er]. 

3.  D'après  Buvat  (Journal,  p.  40),  le  lieutenant  de  police  Ht  établir 
deux  cents  chevaux  de  relais  depuis  Versailles  jusqu'à  Bourbon- 
l'Archambault  pour  tirer  six  grandes  charettes  destinées  à  voiturer 
l'eau  nécessaire  aux  bains  du  Roi  ;  mais  on  y  renonça  deux  jours 
après. 

4.  Les  compagnies  des  gendarmes  et  des  chevau-légers  de  la  garde 
étaient  alors  cantonnées  en  Normandie  (Dangeau,  p.  101). 

5.  Pestre  mal  écrit,  corrigé  en  fenestrc. 

6.  Après  conseil,  il  a  biffé  le  mot  après. 


-200  MEMOIRES  IHIS] 

dans  son  fautouil  '.  Il   ne  sortit  plus  de  son  appartement, 
et  ne  s'habilla  plus.  La  soirée  courte  comme  les  précé- 
dentes. Fagon  enfin  lui  proposa  une  assemblée  des  prin- 
cipaux médecins  de  Paris  et  de  la  cour. 
Retour  ^^t"  même  jour,  Mme  de  Saint-Simon,  que  j'avois  pressée 

de  Mme  de     (\ç  revenir,  arriva  des  eaux  de  Forges-.  Le  Roi  entrant 

Saint-Simon  ,  i  i  •       i    r  i     ti    r*!  «» 

jgg  après  souper  dans  son  cabmet  1  aperçut.  Il  tit  arrêter  sa 

eaux  de  Forges  roulette^,  lui  témoigna  beaucoup  débouté  sur  son  voyage 

ersailles.     ç^  ^q^  retour,  nuis  continua  à  se  faire  pousser  par  Blouin 
Dames  '  .  .^    '  r 

familières.      dans  l'autrc  cabinet.  Ce  fut  la  dernière  femme  de  la  cour 

à  qui  il  ait  parlé,  parce  que  je  ne  compte  pas  Mmes  de 
Levis,  Dangeau,  Caylus  et  d'O,  qui  étoient  les  familières 
du  jeu  et  des  musiques  chez  Mme  de  Maintenon,  et  qui 
vinrent  chez  lui  quand  il  ne  put  plus  sortir.  Mme  de  Saint- 
Simon  me  dit  le  soir  qu'elle  n'auroit  pas  reconnu  le  Roi, 
si  elle  l'avoit  rencontré  ailleurs  que  chez  lui.  Elle  n'étoit 
partie  de  Marly  pour  Forges  que  le  G  juillet. 

Le  mercredi  21  août,  quatre  médecins  virent  le  Roi  S 
et  n'eurent  garde  de  rien  dire  que  les  louanges  de  Fagon, 
qui  lui  fit  prendre  de  la  cassée  II  remit  au  vendredi  sui- 

i.  Danrjeau,  p.  97-98.  Le  Journal  des  Anthoine  (p.  29)  raconte 
que  le  Roi  prit  co  jour-là  pour  sa  jambe  un  grand  bain  d'herbes  aro- 
matifiues  infusées  dans  du  gros  vin  de  Bourf];of,'ne,  et  qu'on  utilisa 
pour  cela  une  jurande  cuvette  d'argent  qui  servait  à  ses  bains  de  pieds  ; 
il  y  resta  une  heure.  Le  Journal  de  Buvat  (p.  39)  dit  que  sa  faiblesse 
était  très  grande  et  qu'on  prétendait  qu'il  «  gâtoit  son  linge  sans  s'en 
apercevoir  ». 

2.  On  l'v  a  vu  partir  peu  auparavant,  dans  le  tome  XXVI,  p.  2-43 
et  247. 

3.  «  Roulette  se  dit  aussi  d'une  sorte  de  petite  chaise  à  deux  roues, 
dans  laquelle  on  va  par  la  ville,  en  se  faisant  tirer  par  un  homme  » 
{Académie,  17i8).  On  va  voir  à  la  ligne  suivante  qui^  la  roulette  du 
Roi  se  poussait  et  ne  se  tirait  pas  ;  c'était  un  fauteuil  roulant. 

4.  Dangeau,  p.  98-99;  Journal  des  Anthoine,  p.  31. 

5.  Il  a  déjà  été  parlé  de  ce  purgatif  dans  le  tome  XXIII,  p.  340. 
«  On  attribuoit  sa  maladie,  dit  Jean  Buvat  (Journal,  tome  I,  p.  40)  à  ce 
qu'il  avoit  été  exposé  pendant  plus  de  trois  heures  à  l'ardeur  du  soleil, 
dix  jours  auparavant,  à  cheval,  en  faisant  la  revue  des  troupes  qui 


[ilio]  DE  SAIM-SIMON.  Wi 

vant  à  voir  la  gendarmerie  de  ses  fenêtres,  tint  le  conseil 
d'État  après  son  dîner,  travailla  ensuite*  avec  le  Chance- 
lier. Mme  de  Main  tenon  vint  après,  puis  les  dames  fami- 
lières, et  grande  musique.  Il  soupa  en  robe  de  chambre 
dans  son  fauteuil.  Depuis  quelques  jours-  on  commen- 
çoit  à  s'apercevoir  qu'il  avoit  peine  à  manger  de  la  viande, 
et  même  du  pain,  dont  toute  sa  vie  il  avoit  très  peu  mangé  ^ 
et  depuis  très  longtemps  rien  que  la  mie,  parce  qu'il 
n'avoit  plus  de  dents.  Le  potage  en  plus  grande  quantité, 
les  hachis  fort  clairs  et  les  œufs  suppléoient  ;  mais  il  man- 
geoit  fort  médiocrement. 

Le^  jeudi  22  août,  le  Roi  fut  encore  plus  mal.  Il  vit  les 
quatre  autres  médecins,  qui,  comme  les  quatre  premiers, 
ne  firent  qu'admirer  les  savantes  connoissances  et  l'admi- 
rable conduite  de  Fagon,  qui  lui  fit  prendre  sur  le  soir 
du  quinquina  à  l'eau,  et  lui  destina  pour  la  nuit  du  lait 
d'ânesse'.  Ne  comptant  plus  dès  la  veille  de  pouvoir  se 
mettre  sur  un  balcon  pour  voir  la  gendarmerie  dans  sa 
cour,  il  mit  à  profit  pour  le  duc  du  Maine  jusqu'à  sa  der- 
nière foiblesse.  II  le  chargea  d'aller  faire  la  revue  de  ce  Duc  du  Maine 
corps  d'élite  en  sa  place,  avec  toute  son  autorité,  pour  en  ^^^^ë^  ^^  ^oir 

étoient  campées  dans  la  plaine  de  Marly,  dont  il  se  trouva  fort  échauffé, 
et  de  ce  qu'à  son  retour  à  Marly  il  avoit  mangé  environ  quarante 
figues  et  bu  ensuite  trois  grands  verres  d'eau  à  la  glace.  » 

1.  Ensuitte  est  en  interligne  au-dessus  diaprés,  biffe. 

2.  Ces  derniers  détails,  jusqu'à  la  tin  du  paragraphe,  ne  sont  plus 
pris  à  Dangeau  ;  Saint-Simon  les  tire  de  ses  souvenirs  personnels. 

3.  Jusqu'en  1695,  il  avait  mangé  un  pain  salé  fait  avec  du  lait  et  de 
la  levure  de  bière  ;  Fagon  réussit  à  le  lui  faire  quitter  (Journal  de  la 
santé  du  Roi,  p.  2M  et  S'iS). 

4.  Ce  premier  mot  avait  d'abord  été  écrit  à  la  tin  d'une  ligne  ;  puis 
il  a  été  biffé  et  reporté  sur  la  marge  au  commencement  de  la  ligne 
suivante,  pour  bien  marquer  le  paragraphe. 

o.  Le  lait  d'ânesse  était  regardé  comme  plus  fortifiant  que  le  lait  de 
vache  ou  de  chèvre,  parce  que,  disaient  les  chimistes,  il  contenait 
autant  de  matière  «  bulyreuse  »  que  de  matière  «  caséeuse  ».  — 
Les  Anthoine  (Journal,  p.  33)  parlent,  pour  ce  jour-là,  d'un  nou- 
veau bain  de  jambe  dans  du  vin  parfumé  d'herbes  aromatiques. 


20-2 


MEMOIRES 


[17iri] 


la 

trrndarmerif, 

pour, 

ail  nom  et  avec 

l'aiiloritc  du 

Roi.  qui  l'avoil 

fait  venir  et 

n'en  put 

faire  la  revue. 

Mon  •  avis 

là-dessus  à 

M.  le 

duc  d'Orléans. 

llddS'-S  i:^:i7] 


montrer  en  lui  les  prémices  aux  troupes,  les  accoutumer 
de  son  vivant  à  le  considérer  comme  lui-même,  et  lui 
donner  envers  eux  les  grâces  d'un  compte  favorable  et 
flatteur.  C'est  ce  que  ce  foible  échappé  des  (luises  et  de 
Cromweli  '  sut  se  ménager;  mais,  «oiume  il  manquoit  abso- 
lument de  leur  courage,  la  peur  le  saisit  de  ce  qui  pour- 
roit  lui  arriver,  en  cette  extrémité  connue  du  Roi.  si  M.  le 
duc  d'Orléans  connoissoit  ses  forces  naturelles,  et  s'avisoit 
d'en  faire  usage.  II  chercha  donc  un  bouclier  qui  le  pût 
mettre  à  couvert,  et  il  ne  lui  fut  pas  difficile  par  Mme  de 
Maintenon  de  le  trouver.  Mme  de  Ventadour,  excitée  par 
son  ancien  amant  et  ami  intime  le  maréchal  de  Villeroy, 
qui  savoit  bien  ce  qu'il  faisoit,  donna  envie  à  Monseigneur 
le  Dauphin  d'aller  à  cette  revue.  Il  commencoit  à  monter 
un  petit  bidet-,  et  il  alla  demander  au  Roi  la  permis- 
sion d'y  aller.  Le  jeu  de  cette  comédie  fut  visible  en  ce 
que  l'habit  uniforme  de  capitaine  de  gendarmerie  se 
trouva  tout  fait  pour  Monsieur  le  Dauphin,  qui  avoit 
pris  les  chausses  depuis  fort  peu*.  Le  Roi  trouva  cette 
envie  d'un  enfant  fort  de  son  goût,  et  lui  permit  d'y 
aller. 

L'état  du  Roi,  qui  n'étoit  plus  ignoré  de  personne,  avoit 
déjà  changé  le  désert  de  l'appartement  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans en  foule.  Je  lui  proposai  d'aller  à  la  revue,  et,  sous 
prétexte  d'honorer  dans  M.   du  Maine  l'autorité  du  Roi 

1.  C'est  en  ce  sens  que  l'Académie  de  i7t8  donnait  cet  exemple  : 
«  On  appelle  tigurcmcnt  vn  homme  échappé  de  juif  un  homme  qu'on 
soupçonne  d'être  de  race  juive.  » 

2.  Tome  XV.  p.  -io!). 

3.  Il  semble  cepondant,  en  y  réfléchissant,  que  le  duc  du  Maine  ne 
pouvait  savoir  d'avance  que  le  Roi  serait  dans  l'impossibilité  de  passer 
en  revue  la  g;r'ndarmerie  ef  le  chargerait  de  le  faire  à  sa  place  ;  par 
conséquent  il  n'aurait  pu  faire  confectionner  à  temps  un  uniforme  au 
petit  Dauphin.  On  voit  que  la  passion  continue  à  égarer  notre  auteur. 
L'abbé  Mascara,  dans  une  lettre  du  27  août  (ci-après,  p.  347),  parle 
ae  cet  habit  du  jeune  Dauphin. 

*  Le  mot  Mon  a  été  ajouté  après  coup. 


[17151  T>E  SAINT-SIMON.  203 

même,  dont  il  étoit  revêtu  pour  cette  revue,  de  l'y  suivre 
en  courtisan,  comme  il  auroit  fait  le  Roi  même,  de  lui 
répondre  sur  ce  ton  s'il  avoit  voulu  s'en  défendre,  de 
s'attacher  à  lui  malgré  lui,  d'affecter  de  ne  lui  parler 
jamais  que  chapeau  bas,  comme  il  auroit  fait  au  Roi,  et 
de  le  devancer  de  cinquante  pas  en  approchant  de  ses  com- 
pagnies de  gendarmerie',  pour  l'y  saluer  à  leur  tête,  et 
de  le  joindre  après,  et  le  suivre  chapeau  bas  dans  leurs 
rangs,  en  même  temps  de  donner  fréquemment  le  coup 
d'œil  à  sa  suite  et  aux  troupes,  de  n'y  laisser  pas  ignorer 
le  sarcasme  par  ses  manières  respectueusement  insultan- 
tes, et  d'y  montrer  ce  roi  de  carton  pâmé  d'effroi  et  d'em- 
barras. Outre  le  plaisir  de  lui  marcher  ainsi  sur  le  ven- 
tre- au  milieu  de  son  triomphe,  il  y  avoit  tout  à  gagner 
par  l'impression  de  la  peur,  et  par  montrer  aux  troupes, 
aux  spectateurs,  et  par  eux  à  la  cour  et  à  la  ville,  quelle 
est  la  force  de  la  nature  sur  l'usurpation,  et  que,  s'il  ne 
s'opposoit  à  rien  pendant  la  vie  du  Roi,  qui  en  étoit  aux 
derniers  jours,  il  n'étoit  pas  pour  laisser  jouir  ce  bâtard 
des  avantages  qu'il  avoit  su  se  faire  donner  à  son  préju- 
dice, et  à  celui  du  droit  et  des  lois.  M.  d'Orléans  n'avoit 
rien  à  craindre  ;  le  Roi  avoit  fait  tout  ce  qu'il  avoit  pu  par 
ses  dispositions  contre  lui  et  pour  ses  bâtards  ;  personne 
n'en  doutoit,  ni  n'en  pouvoit  douter,  ni  M.  le  duc  d'Orléans 
non  plus.  Rien  donc  à  perdre  dans  cette  conduite,  dont 
même  l'extérieur,  quelque  ironique  qu'il  fût,  n'auroit  pu 
fournir  aucune  plainte;  et  encore  à  qui?  et  qu'eût  pu 
faire  ce  Jupiter  mourant?  et  au  contraire  tout  à  gagner 
en  intimidant  le  duc  du  Maine  et  les  siens,  et  se  mon- 
trant, lui,  tel  qu'il  devoitêtre  à  toute  la  France.  Je  voulois 
aussi  qu'il  s'y  montrât  nu  et  sans  suite  ^;  que  tout  ce  qui 

i.  Les  gendarmes  et  les  chevau-légers  d'Orléans. 

2.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  donnait  celte  locution 
analogue  au  figuré:  «  En  parlant  d'un  homme  qui  a  été  excessivement 
maltraité  on  dit  qu'on  lui  a  dansé  à  deux  pieds  sur  le  ventre.  » 

;>.  Tout  seul  et  sans  accompagnement. 


-204  M  KM  01  H  ES  [171. S] 

se  voudroil  ramasser'  autour  de  lui.  Il  le  renvoyât  avec 
un  respect  de  dérision  à  M.  du  Maine  ;  (juc,  sur  tout  ce 
qui  regarderoit  la  revue,  il  s'en  expliquât  comme  le  der- 
nier particulier  à  qui  on  feroittrop  d'honneur  d'en  parler, 
et  qui  ne  se  senti rttit  pas  en  caractère  d'y  répondre;  que, 
pour  ses  propres  compagnies,  il  fît  auprès  du  duc  du 
Maine  le  personnage  d'un  oflicier  captant  sa  protection 
auprès  du  Roi,  dans  le  compte  qu'il  lui  en  dcvoit  rendre, 
en  même  temps  que  lui-même  lui  rendoit  compte  de  ses 
compagnies,  et  lui  en  présenteroit  les  ofliciers  en  les  fai- 
sant valoir  comme  il  auroit  fait  au  Roi  même,  mais  avec 
un  respect  insultant  et  finement  menaçant.  J'avoue  que, 
s'il  eût  été  possible,  j'eusse  acheté  cher  de  pouvoir  être 
alors  M.  le  duc  d'Orléans  pour  vingt-quatre  heures.  Tel 
qu'étoit  M.  du  Maine,  je  ne  sais  s'il  n'en  seroit  pas  mort 
de  peur.  La  présence  d'un  Dauphin  de  cinq  ans  ne  devoit 
rien  déconcerter.  II  n'étoit  en  âge  que  de  recevoir  des 
respects;  tout  le  reste  demeuroit  au  duc  du  Maine,  et, 
hors  de  sa  présence,  même  tous  les  respects,  puisqu'il  y 
tenoit  la  place  du  Roi.  Mais  la  foiblesse  de  M.  le  duc 
d'Orléans  ne  fut  pas  capable  d'une  si  délicieuse  comédie. 
Il  alla  à  la  revue;  il  y  examina  ses  compagnies;  il  salua 
à  leur  tête  Monseigneur  le  Dauphin;  il  s'approcha  peu  de 
M.  du  Maine,  qui  pâlit  en  le  voyant,  et  dont  l'embarras  et 
l'angoisse  frappa  tout  le  monde,  qui  le  laissa  j)Our  accom- 
pagner toujours  M.  le  duc  d'Orléans,  sans  qu'il  y  mît 
rien  du  sien.  Tout  ce  qui  se  trouva  à  la  revue  se  montra 
indigné  de  la  voir  faire  au  duc  du  Maine,  M.  le  duc 
d'Orléans  présent  ;  qu'eût-ce  été  si  ce  prince  eût  eu  la 
force  de  s'y  conduire  comme  je  l'en  avois  pressé?  Il  le 
sentit  après,  et  il  en  fut  honteux;  je  m'en  servis  pour  lui 
donner  plus  de  courage.  La  gendarmerie  même  fut  indi- 
gnée, et  n<'  s'en  cacha  pas,  quelque  soin  que  le  Roi  prît 
de   publier  et  de  faire  valoir,  aux  heures   où   il  voyoit 

1.  Il  y  a  dans  le  manuscrit  un  second  se  avant  ramasser. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  'iOo 

encore  le  monde,  et  aux  officiers  de  la  gendarmerie,  les 
éloges  et  les  merveilles  du  compte  que  le  duc  du  Maine 
lui  avoit  rendu  de  ce  corps'.  Le  public  trouva  cette  com- 
mission fort  étrange,  et  le  duc  du  Maine  ne  gagna  rien  à 
se  l'être  fait  donner,  quelques  flatteries  qu'il  eûtemployées 
envers  ce  corps  pendant  et  après  cette  revue.  Il  voulut, 
dans  son  extrême  embarras,  et  qui  fut  visible  à  tout  ce 
qui  s'y  trouva,  en  faire  les  honneurs  à  M.  le  duc  d'Orléans, 
qui  se  contenta  de  lui  répondre  qu'il  n'étoit  venu  que 
comme  capitaine  de  gendarmerie,  qui  n'accepta  rien,  et 
qui  s'en  retourna  après  avoir  vu  ses  compagnies,  et  avoir 
salué  Monseigneur  le  Dauphin  à  leur  tête.  La  gendarme- 
rie fut  aussitôt  après  renvoyée  dans  ses  quartiers-.  Ce  fut 
là  où  M.  le  duc  d'Orléans  et  le  duc  du  Maine  sentirent 
les  prémices  de  ce  qui  les  attendoit.  Tout  y  courut  au 
premier,  et  laissa  l'autre,  qui  en  demeura  confondu;  les 
troupes  mêmes  furent  frappées  du  contraste.  Le  public 
s'en  expliqua  durement  et  librement,  et  trouva  que  cette 
fonction  étoit  due  à  M.  le  duc  d'Orléans,  si  par  un  prince  ', 
ou  par  un  maréchal  de  France  ou  un  officier  général  dis- 
tingué, pour  en  rendre  simplement  compte  au  Roi. 

Je  me  donnai  en  miniature '^  de  particulier  le  plaisir  que  Je  me  joue  de 
M.    le    duc   d'Orléans   n'avoit  osé  prendre  en   prochain     ^"^  *^  artrain. 
régent  du  royaume.  J'allai  voir  Pontchartrain,   chez  qui 
je  n'allois  presque   jamais,    et    j'y  tombai    comme  une 
bombe  %  chose  toujours  plus  triste  et  plus  fâcheuse  pour 

1.  D'après  Dangeau  (p.  99),  le  Roi  dit  le  soir  aux  courtisans  qui 
étaient  à  son  souper  :  «  Le  duc  du  Maine  m'a  rendu  un  compte  magni- 
fique de  la  gendarmerie  ».  La  lettre  de  l'abbé  Mascara  du  27  août 
(ci-après,  p.  347)  raconte  cette  revue  avec  des  détails  tout  à  fait  parti- 
culiers, qu'il  dit  tenir  de  bonne  source. 

2.  Dangeau  annonce  ce  renvoi  le  23  août  (p.  101). 

3.  Si  elle  était  faite  par  un  prince. 

4.  Saint-Simon  écrit  mignature,  et  le  Dictionnaire  de  V Académie 
de  1718  disait:  «  Miniature;  on  prononce  ordinairement  mignature, 
et  plusieurs  l'écrivent  ainsi.  «  Ici  c'est  le  sens  figuré  de  diminutif. 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  ne  donnait  pas  cette  locution  figurée. 


206  .MKMOinES  [171".) 

la  bomho  quo  pour  conx  <|iii  la  roçoivont  ',  mais  qui  pour 
cette  fois  ne  le  fut  que  pour  la  compagnie,  et  me  lit  un 
double  plaisir.  Les  ministres  étoient  fort  en  peine  de  leur 
sort.  La  terreur  du  Roi  les  retenoit  encore  :  aucun  d'eux 
n'avoit  osé  se  tourner  vers  M.  le  duc  d'Orléans;  la  vigi- 
lance du  duc  du  Maine  et  la  frayeur  de  Mme  de  Mainte- 
non  les  tenoit  de  court,  parce  qu'il  restoit  encore  assez 
de  vie  au  Roi  pour  les  chasser,  et  qu'ils  n'auroient  pu  en 
ce  cas  se  flatter  d'être  regardés  par  M.  le  duc  d'Orléans 
comme  ses  martyrs,  mais  seulement  comme  martyrs  de 
leur  tardive  politique.  Je  voulus  donc  jouir  de  l'embarras 
de  Pontchartrain,  et  me  donner  le  plaisir  de  me  jouera 
mon  tour  de  ce  détestable  cyclope.  Je  le  trouvai  enfermé 
avec  Bezons  et  d'Effîat;  mais  ses  gens,  après  un  instant 
d'incertitude,  n'osèrent  me  refuser  sa  porte.  J'entrai  donc 
dans  son  cabinet,  où  le  premier  coup  d'œil  m'offrit  trois 
hommes  assis  si  proches  les  uns  des  autres,  et  leurs  tètes 
ensemble,  qui  se  réveillèrent  comme  en  sursaut  à  mon 
arrivée,  avec  un  air  de  dépit  que  j'aperçus  d'abord,  et 
qui  se  changea  aussitôt-  en  compliments  qui  tenoient  du 
désordre  que  mon  importune  présence  leur  causoit.  Plus 
je  les  vis  empêtrés  et  interrompus  dans  le  petit  conseil 
qu'ils  tenoient,  plus  je  m'en  divertis,  et  moins  j'eus  envie 
de  me  retirer,  comme  j'aurois  fait  en  tout  autre  temps.  Ils 
l'espéroient  ;  mais,  comme  ils  virent  que  je  me  mis  à  par- 
ler de  choses  indifférentes,  en  homme  qui  ne  songeoit  pas 
qu'il  les  incommodoit,  Etiiat  fit  sèchement  la  révérence, 
Bezons  aussitôt  après,  et  s'en  allèrent.  Pontchartrain,  qui 
jusqu'alors  n'avoit  ni  recueilli  '  ni  fait  aucun  cas  de  Bezons, 
avoit   réclamé  leur  parenté'   quand    il    sentit  son  besoin 

I.  Il  vput  dire  qu'arriver  à  l'improviste  dans  une  compagnie  où  l'on 
n'est  ni  attendu  ni  désiré  est  toujours  plus  gùnant  pour  celui  qui  arrive 
que  pour  la  compagnie. 

•1.  Aussy  tost  est  en  interligne  au-dessus  de  d'abord,  bilTé. 

3.  Au  sens  d'accueillir  favorablement,  corn  me  dans  notre  tome  V,  p.  173. 

'f.  La  parenté  du  maréclial  de  Bezons  et  de  Jérôme  de  Pontchartrain 
venait  de  ce  que  le  grand-père  du  «f»rond   U-  «'rrrlaire  d'Ktat  Louis  I*"" 


flTlo]  DE   SAINT-SIMON.  207 

auprès  de  M.  le  duc  d'Orléans.  11  en  fit  son  patron,  et 
Bezons,  que  son  attachement  à  M.  le  duc  d'Orléans  avoit 
fourré  parmi  ses  officiers',  et  qui  s'étoit  fait  ami  d'Effiat, 
i'avoit  mis  dans  les  intérêts  de  Pontchartrain.  Dès  qu'ils 
furent  sortis,  j'eus  la  malice  de  lui  dire  que  je  crojois  les 
avoir  interrompus,  et  que  j'aurois  mieux  fait  de  les  laisser. 
Pontchartrain,  à  travers  les  compliments,  me  l'avoua  assez 
pour  me  donner  lieu  à  lui  dire  qu'il  étoit  là  avec  deux 
hommes  bien  en  état  de  le  servir.  L'agonie  où  il  sentoit 
sa  fortune  l'aveugla  au  point  de  ne  pas  voir  que  je  ne 
cherchois  qu'à  le  faire  parler  pour  me  moquer  de  lui,  et 
d'oublier  assez  ses  forfaits  et  tout  ce  qui  s'étoit  passé 
entre  lui  et  moi-,  pour  se  flatter  de  ma  visite,  et  me  par- 
ler avec  une  sorte  de  confiance  ornée  de  respects  à  lui 
jusqu'alors  inconnus.  Je  n'eus  pas"*  même  la  peine  de  me 
l'attirer  par  des  compliments  vagues  et  des  propos  de  cour; 
il  s'enfila*  de  lui-même,  me  conta  ses  peines,  ses  inquié- 
tudes, son  embarras,  son  apologie  enfin,  à  l'égard  de  M.  le 
duc  d'Orléans,  m'avoua  qu'il  avoit  eu  recours  à  Bezons, 
et  par  lui  à  d'Effiat,  vanta  l'amitié  et  les  bontés,  car  ce 
roi  des  autres^  se  ravala  jusqu'à  ce  mot,  qu'il  recevoit 

Phélypeaux  avait  épousé  Marie-Suzanne  Talon,  fille  de  Jacques  Talon, 
avocat  général  au  Parlement,  et  que,  d'autre  part,  le  grand-père  du 
maréchal,  Claude  Bazin,  trésorier  de  France,  avait  eu  pour  femme 
Suzanne  Talon,  sœur  de  Jacques,  tous  deux  enfants  d'Omer  I*^""  Talon, 
chancelier  de  la  reine  Marguerite  de  Navarre. 

1.  Gela  ne  veut  pas  dire  que,  par  attachement,  il  ait  pris  une  charge 
dans  la  maison  du  prince,  mais  seulement  que  cet  attachement  le 
faisait  se  mêler  à  ses  ofticiers. 

2.  Voyez  nos  tomes  XXI,  p.  347  et  suivantes,  et  XXIII,  p.  303  et 
suivantes. 

3.  Avant  pas,  Saint-Simon  a  biffé  point,  cl,  plus  loin,  les  mots  la 
peine  sont  en  interligne. 

4.  «  S'enfiler  se  dit  au  trictrac,  quand  on  a  mis  son  jeu  dans  un  tel 
désordre  qu'on  ne  peut  éviter  de  perdre  le  tour  ou  plusieurs  trous  » 
(Académie,  4718). 

5.  Comparer  sur  ce  point  le  portrait  qu'il  a  fait  do  .lérôme  de  Pont- 
chartrain en  ilW  :  tome  XXI,  p.  377. 


-iUS  MKMlHUKS  flTIa] 

d'eux,  et  revint  ton  jours  à  ses  inquiétudes,  lardant'  par-ci 
par-là  des  demi-mots  qui  marquoient  combien  il  desiroit 
ma  protection,  et  combien  il  étoit  embarrassé  de  n'oser 
tout  à  fait  me  la  demander.  Après  m'êlre  longtemps  réjoui 
à  l'entendre  ramper  de  la  sorte,  je  lui  dis  que  je  m'élon- 
nois  qu'un  homme  d'esprit  comme  lui,  qui  avoit  tant  d'usage 
de  la  cour  et  du  monde,  pût  s'inquiéter  de  ce  qu'il  *  devien- 
droit  après  le  Roi,  qui  en  etîet  (le  regardant  bien  fixe- 
ment) n'en  avoit  pas,  à  ce  qu'il  paroissoit,  pour  longtemps; 
qu'avec  sa  capacité  et  son  expérience  dans  la  marine,  dans 
laquelle  il  pouvoit  compter  qu'il  n'étoit  personne  qui 
approchât  de  lui,  M.  le  duc  d'Orléans  seroit  trop  heureux 
de  le  continuer  dans  une  charge  si  nécessaire  et  si  princi- 
pale, et  dans  laquelle  un  homme  comme  lui  ne  pouvoit 
être  succédé  par  personne  qui  en  eût  la  moindre  notion. 
II  me  parut  que  je  lui  rendoisia  vie  ;  mais,  comme  il  étoit 
fort  prolixe,  il  ne  laissoit  pas  de  revenir  à  ses  craintes, 
que  je  me  plus  diverses  fois  à  appuyer  à  demi,  à  voir 
pâlir  mon  homme,  puis  à  le  rassurer  par  ces  mêmes  dis- 
cours qu'il  étoit  un  homme  nécessaire  dans  sa  place, 
duquel  il  n'étoit  pas  possible  de  se  passer,  et  qui  par  là, 
sûr  de  son  fait,  pouvoit  vivre  en  paix  et  n'avoir  besoin 
de  personne.  Cette  savoureuse  comédie  que  je  me  donnai 
dura  bien  trois  bons  quarts  d'heure.  J'y  eus  grand  soin 
de  n'y  pas  dire  un  seul  mot  qui  sentît  l'offre  de  service, 
l'avis,  ni  l'amitié  passée  ;  je  n'eus  que  la  peine  de  lâcher 
de  fois  à  autre  quelques  mots  pour  entretenir  son  tlux  de 
bouche^,  et  j'y  appris  que  Bezons  et  d'EHiat  s'étoient  ren- 
dus ses  protecteurs.  J'étois  journellement  assuré  par  M.  le 
duc  d'Orléans  qu'il  ne  le  laisseroit  pas  en  place,  en  décla- 
rant le  choix  des  membres  du  conseil  de  marine,  et  je 
m'applaudissois  ainsi  de  ma  secrète  dérision  en  face,  et  de 

1.  Nous  avons   eu  lardé,   au  sens  d'entremèk-,  dans  le  tome  XV 
p.  97. 

•2.  Qui  corrigé  en  qu'il. 
'.').  Tome  IX.  {).  i^. 


fl74o]  DE  SAINT-SIMON.  209 

me  voir  si   sûr  et  si  près  de  lui  tenir  la  parole  dont  j'ai 
parlé  en  son  temps'. 

Desmaretz,  qui  ne  se-  sentoit  pas  mieux  assuré  que  Je  mepnse 
Pontchartrain,  se  souvint  alors  que  j'étois  au  monde. 
Louville,  gendre  du  frère  de  Mme  Desmaretz^  me  vint 
parler  pour  lui.  Il  étoit,  comme  on  l'a  vuS  de  tout  temps 
mon  ami  intime  ;  il  n'ignoroit  pas  la  conduite  que  j'avois 
eue  avec  Desmaretz,  ni  ses  procédés  avec  moi^.  Il  m'étala 
ses  respects,  ses  regrets,  ses  désirs,  et  les  appuya  de  son 
esprit  et  de  son  éloquence.  Je  ne  m'ouvris  point  avec  lui 
de  l'expulsion  de  Desmaretz  résolue  ;  mais  je  lui  dis  qu'il 
étoit  désormais  trop  tard  de  se  repentir  à  mon  égard,  et 
nettement  que  Desmaretz  étoit  un  homme  dont  je  m'étois 
bien  su  passer  jusqu'alors,  et  dont  je  ne  voulois  ouïr  par- 
ler de  ma  vie.  Cette  éconduite^  fut  suivie  d'une  lettre  de 
la  duchesse  de  Beauvillier,  pressante  au  dernier  point,  qui 
parloit  aussi  au  nom  de  la  duchesse  de  Chevreuse',  et 
qui,  pour  dernier  motif,  vouloit  me  toucher  en  faveur  de 
Desmaretz  par  sa  capacité  pour  les  finances,  et  par  les 
besoins  de  l'Etat  à  l'égard  d'une  partie  si  principale.  Je 
répondis  tout  ce  que  je  pus  de  plus  respectueux,  de  plus 
dévoué,  de  plus  soumis,  pour  faire  passer  le  refus  inébran- 
lable sur  Desmaretz,  sans  m'expliquer  d'ailleurs  sur  ce 
qu'il  avoit  à  craindre  ni  à  espérer,  tellement  que  la  fer- 
meté de  ces  deux  refus  me  délivrèrent^  de  sollicitations 


1.  Tome  XXIII,  p.  307. 

'2.  Se,  oublié,  ajouté  en  interligne. 

3.  Le  marquis  de  Louville  avait  épousé  Hyacinthe-Sophie  Béchameil 
de  Nointel  (tome  XI,  p.  98),  tille  de  Louis  Béchameil,  marquis  de 
Xointel,  frère  de  Madeleine  Béchameil,  mariée  au  contrôleur  général 
Desmaretz. 

4.  Notre  tome  II,  p.  4. 

5.  Il  en  a  rapporté  un  exemple  dans  le  tome  XXV,  p.  TT-79. 

6.  Ci-dessus,  p.  138. 

7.  Toutes  deux  tilles  de  Colbert  et  cousines  de  Desmaretz. 

8.  Il  y  a  bien  dans  le  manuscrit  délivrèrent,  et  purent  à  la  ligne 
suivante,  par  accord  avec  l'idée  des  deux  refus. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XX VU  14 


-ilO  MÉMOIRES  [1715] 

nouvelles,  et  purent  auginonter  les  frayeurs  de  |ce]  brutal 

et  insolent  ministre,  et  les  regrets  à  mon  égard  de  sa  folle 

ingratitude. 

Le  Roi,  Qq  même  iour,  jeudi  22  août,  que  le  duc  du   Maine  fit 

hors   detal  de  i       i,"    •  i  i     i  i  •       i     i>    •         i 

s'habiller,       '^u  lieu  du  Uoi  la  revue  de  la  gendarmerie,  le  noi  ordonna 

veut  choisir  le   à  SOU  couclier  au  duc   de   la  Hochefoucauld  de  lui   faire 

prcmirr  habit  ■      i       i        i  i-         i         i     i  -i  l    •   •  i     • 

qu'il  ^''^""  '^'  lendemain  matm    des  habits,    pour  choisir  celui 

prendra.  qui  lui  conviendra  en  quittant  le  deuil 'd'un  fils  de  .Mme  la 
rf^^.^  duchesse  de  Lorraine  qu'on  appeloit  le  prince  François-, 
qui  avoit  vingt-six  ans,  et  les  abbayes  de  Stavelol  et  de 
Malmédy  '.  On  voit  ici  combien  il  y  avoit  qu'il  ne  marchoit 
plus,  qu'il  ne  s'habilloit  plus  même  les  derniers  jours 
qu'il  se  fit  porter  chez  Mme  de  Maintenon,  qu'il  ne  sortoit 
de  son  lit  que  pour  souper  en  robe  de  chambre,  que  les 
médecins  couchoient  dans  sa  chambre  et  dans  les  pièces 
voisines,  enfin  qu'il  ne  pouvoit  plus  rien  avaler  de  solide, 
et  il  comptoit  encore*,  comme  on  le  voit  ici,  de  guérir, 
puisqu'il  comptoit  de  s'habiller  encore,  et  qu'il  voulut  se 
choisir  un  habit  pour  quand  il  le  pourroit  mettre.  Aussi 
voit-on  la  même  suite  de  conseils,  de  travail,  d'amu- 
sements ;  c'est  que  les  hommes  ne  veulent  point  mou- 
rir, et  se  le  dissimulent  tant  et  si  loin  qu'il  leur  est  pos- 
sible. 

Le  vendredi  23  août  se  passa  comme  les  précédents  \  Le 

1.  Dangeau  rapporte  bien  cela  le  2"2  août  (p.  100),  mais  en  disant 
que  le  Roi  avait  donné  cet  ordre  la  veille. 

2  Fran(,ois  de  Lorraine,  cinquième  lils  du  duc  Charles  V  et  de 
Mario-Eiéonore  d'Autriche;  il  riait  né  le  8  décembre  1081)  et  mourut 
de  la  petite  vérole  le  -H  juillet  4715;  la  cour  en  avait  pris  le  deuil  le 
41  août  pour  quinze  jours  {Dangeau,  tome  XV,  p.  464,  et  tome  XVI, 
p.  9).  Sa  mère  était  morte  en  4007,  et  Saint-Simon  en  le  qualiliant  de 
«  fils  de  Mme  la  duchesse  de  Lorraine  »  a  certainement  cru  qu'il  était 
fils  d'Élisabelh-Cliarlotle  d'Orléans,  so'ur  du  Ré^jent,  alors  duchesse 
régnante  de  Lorraine,  tandis  qu'il  était  son  beau-lrèrc. 

3.  Tome  VII,  p.  94,  et  note  4. 

4.  Encore  a  été  ajouté  sur  la  marge  à  la  (in  de  la  lij;ne. 

5.  Los  Anthoine  {Journal,  p.  37)  mentionnent  encore  un  grand  bain 
pour  sa  jambe  ce  jour-là. 


[4745]  DE    SAINT-SIMON.  241 

Roi  travailla  le  matin  avec  le  P.  Tellier'  ;  puis,  n'espérant 
plus  pouvoir  voir  la  gendarmerie,  il  la  renvoya  dans  ses 
quartiers  -.  La  singularité  de  ce  jour-là  fut  que  le  Roi  ne 
dîna  pas  dans  son  lit,  mais  debout,  en  robe  de  chambre. 
11  s'amusa  après  avec  Mme  de  Maintenon,  puis  avec  les 
dames  familières  ^  Pendant  tous  ces  temps-là,  il  faut  se 
souvenir  que  les  courtisans  un  peu  distingués  entrèrent 
à  ses  repas,  ceux  qui  avoient  les  grandes  ou  les  pre- 
mières entrées  à  sa  messe  et  à  la  fin  de  son  lever,  et  au 
commencement  de  son  coucher,  M.  le  duc  d'Orléans 
comme  les  autres,  et  que  le  reste  des  journées  que  les 
conseils  ou  les  ministres  laissoient  vuides,  étoient  remplies, 
comme  quand  il  étoit  debout,  par  ses  bâtards,  bien  plus 
M.  du  Maine  que  le  comte  de  Toulouse,  et  souvent  M.  du 
Maine  y  demeuroit  avec  Mme  de  Maintenon  seule,  et 
quelquefois  avec  les  dames  familières,  entrant  et  sortant 
toujours,  comme  à  son  ordinaire,  par  le  petit  degré  du 
derrière  des  cabinets \  en  sorte  qu'on  ne  le  voyoit  jamais 
entrer  ni  sortir,  ni  le  comte  de  Toulouse;  Mme  de  Main- 
tenon  et  les  dames  familières  toujours  par  les  anticham- 
bres. Les  valets  intérieurs  étoient  comme  à  l'ordinaire 
avec  le  Roi,  quand  il  n'y  avoit  que  ses  bâtards  ou  per- 
sonne, mais  peu  lorsque  M,  du  Maine  étoit  seul  avec  lui. 
Il  a  fallu  conduire  la  maladie  du  Roi,  jusqu'à  la  veille  de 
son  extrémité,  avec  ce  qui  s'est  passé  alors,  sans  en  faire 

1 .  Saint-Simon  répétera  ci-après  p.  253,  avec  plus  de  détails,  le  récit 
de  la  journée  du  "23  août.  Les  Anthoine  disent  que  ce  fut  ce  jour-là 
que  le  Roi  écrivit  son  second  codicille,  tandis  que  Saint-Simon  le  placera 
(ci-après,  p.  259)  au  24  ou  au  25.  Dans  l'appendice  au  Journal  de  Dan- 
geau  (tome  XVI,  p.  285),  ce  codicille  est  daté  du  23  aoiit,  comme 
dans  la  copie  tigurée  faite  par  le  gretlier  du  Parlement  Gilbert  de 
Voisins  (Archives  nationales,  carton  K  137,  n"  4^;  ci-après,  p.  36t). 

2.  Dançjeau,  p   404  ;  ci-dessus,  p.  205. 

3.  «  Il  fut  assez  gai  à  son  dîner,  dit  Dangeau,  et  badina  fort  avec 
moi  sur  des  plans  que  Mme  de  Dangeau  lui  a  fait  voir  de  ce  qu'elle 
veut  faire  faire  à  Dangeau.  » 

4.  Voyez  ci-après,  p.  254,  le  plan  des  appartements  du  Roi,  et  aussi 
p.  262. 


des   ducs. 


^li-l  MÉMOIRES  [nir.| 

perdre  de  vue  la  suite  par  un  trop  long  r«''cit  (jui  y  fût 
«'•tranger,  pour  y  conserver  Tordre  des  choses.  La  même 
raison  veut  surtout  que  tout  ce  qui  appartient  à  son 
extrémité  jusqu'à  sa  fin  soit  encore  moins  interrompu  : 
c'est  ce  qui  m  engage  à  placer  ici  tout  de  suite  ce  (jui 
n'auroit  pu  l'être  en  sa  place  précise  sans  déranger  cette 
suite  et  la  netteté  que  je  m'y  suis  proposée.  Pour  en  con- 
server l'ordre  sans  l'altérer,  il  faut  maintenant  retourner 
un  peu  sur  ses  pas,  et  aller  tout  de  suite  un  peu  au  delà 
du  jour  où  nous  en  sommes,  pour  reprendre  après  cet 
espèce  de  journal  où  nous  le  laissons  présentement,  pour 
ne  le  plus  interrompre  jusqu'à  la  mort  du  Roi. 
Misère  La  noire  politique  du  duc  et  de  la  duchesse  du  Maine 

ne  s'étoit  pas  bornée  à  se  rassurer  contre  les  ducs  par  les 
suites  de  la  cruelle  affaire  du  bonnet,  qu'ils  avoient  exprès' 
suscitée,  conduite  et  terminée  de  la  manière  qui  a  été 
expliquée-.  Elle  avoit  donné  lieu  à  plusieurs  ducs  de  se 
contenir  ensemble,  et  à  veiller  à  ce  qu'aucun  ne  vît  le 
premier  président.  M.  d'Aumont  et  fort  peu  d'autres  se 
démanchèrent  ^.  Le  procédé  de  celui-là  fâcha  sans  étonner  : 
toute  sa  conduite  n'avoit  été  équivoque  que  pour  qui 
n'avoit  pas  voulu  avoir  des  yeux,  et  ressembloit  trop  à 
celle  de  toute  sa  vie  pour  avoir  pu  s'y  méprendre  S  La  vé- 
rité est  que  les  ducs  ne  paroissoient  pas  propres  à  se  sou- 
tenir sur  rien  depuis  longtemps.  L'esprit  d'intérêt  parti- 
culier, de  mode,  de  servitude,  une  ignorance  profonde 
et  honteuse,  incapacité  de  tout  concert  entre  eux,  le  sot 
bel  air  de  faire  les  honneurs'^  de  ce  qui  n'appartient  à  nul 

4.  Le  mot  exprès  a  été  ajouté  en  interligne. 
±  Tome  XXVI,  p.  i-6o. 

3.  «  On  dit  ce  parti  commence  à  se  démancher  pour  dire  qu'il  com- 
mence à  se  ruiner,  à  se  désunir,  à  se  détruire  ;  il  est  du  style  fami- 
lier »  (^Académie,  1718). 

4.  Kotre  auteur  l'a  traité  de  «  pigeon  privé  »  du  duc  du  Maine 
(tome  XXVI,  p.  43)  et  a  montré  alors  le  «  personnage  étrange  »  qu'il 
avait  joué. 

o.  D'après  le  Dictionnaire  de  V Académie  de  1718,  «  on  dit  faire 


[17151  DE  SAINT-SIMON.  2i3 

particulier  d'entre  eux,  et  de  s'y  croire  montrer  supérieur 
en  en  faisant  sottement  litière  à  tout  ce  qui  en  profite  en 
se  moquant  d'eux,  l'habitude  de  leur  continuelle  déca- 
dence, étoientà  tout  des  obstacles  pour  eux,  et  des  raisons 
à  chacun  pour  leur  tirer  des  plumes*.  On  a  vu,  et  on 
l'exposera  encore  mieux  -,  quel  fut  toujours  le  Roi  à  cet 
égard,  en  général,  pour  tout  ce  qui  ne  fut  ni  bâtard  ni 
ministre  ;  ainsi  large  facilité  contre  les  ducs,  jusque  par 
eux-mêmes.  Le  nombre,  sans  cesse  augmenté  et  peu  choisi, 
et  la  malapprise  ^  jeunesse  de  plusieurs  ducs  par  démis- 
sion de  leurs  pères  augmentoit  l'inconsidération  et  la 
jalousie,  et  ces  ducs,  qui  ne  se  soutenoient  ni  ne  son- 
geoient  pas  seulement  à  être  soutenus,  ne  savoient  que 
s'avilir  tous  les  jours.  Quoique^  les  personnes  sans  titre, 
et  souvent  de  la  première  qualité,  fissent  sans  cesse  des 
alliances  fort  basses,  celles  de  cette  sorte  que  faisoient 
les  ducs  sembloient  les  mêler  davantage,  et  marquer  plus 
par  la  distinction  de  leur  rang,  qui  irritoit  dans  les  du- 
chesses de  cette  sorte  les  dames  de  qualité  :  celles  surtout 
qui  l'étoient  aussi  par  elles-mêmes^  s'en   rendoient  plus 

les  honneurs  de  la  maison,  pour  dire,  faire  à  ceux  qui  y  viennent  les 
cérémonies  convenables  »  ;  mais  ce  n'est  pas  ici  le  sens  de  cette  locu- 
tion, dont  le  Dictionnaire  de  Trévoux  donne  une  définition  plus 
exacte  :  «  On  dit  figurément  faire  les  honneurs  d'une  personne,  d'une 
chose,  pour  dire,  en  parler  modestement  comme  d'une  personne  ou 
d'une  chose  qui  nous  appartient.  » 

l.  «  On  dit  arracher  à  quelqu'un  une  plume  de  l'aile,  quand  on  lui 
ôte  quelque  chose  de  considérable  »  (Académie,  1718).  Tirer  des  plu- 
mes à  quelqu'un  veut  dire  le  dépouiller  de  quelque  avantage,  de  quel- 
que prérogative. 

•2.  Dans  le  tome  XXJ,  p.  185-186,  Saint-Simon  a  parlé  de  l'antipa- 
thie de  Louis  XIV  pour  la  dignité  ducale,  et  dans  la  suite  des  Mémoi- 
res (tome  XII  de  1873,  p.  14)  il  reviendra  sur  son  hostilité  pour  la 
naissance  et  les  dignités. 

3.  Saint-Simon  emploie  ici  ce  mot  au  sens  d'ignorant,  plutôt  que  de 
mal  élevé.  L'Académie  ne  l'admettait  pas  encore  en  1718. 

4.  L'abréviation  de  que  est  ajoutée  après  quoy,  pour  faire  quoyque. 

5.  Les  dames  qui  étaient  de  qualité  par  elles-mêmes. 


2!4  MÉMOIRES  [1715] 

libres  à  hasarder    avec    ces   duchesses',  à  ne   leur  ren- 
dre pas  ce  qui  leur  iHoit  dû,  et  réciproquement  celles-ci, 
embarrassées   et    plus  souples,    à   glisser    et   à  suppor- 
ter. 
D>ic  M.  et  Mme  tlu  Maine,  qui  n'ignoroient  pas  celte  situa- 

pt  duchesse  du     ,  •  •  1 1-  ■   i  . .  •  f  ^  .  •  f        i 

^j  ■  tion,  ni  (jue  I  ignorance  et  la  sottise  ne  lut  aussi  protonde 

oicitcnt  avec     et  aussi  vastemcnt  n'pandue  parmi  les  gens  sans  tilre  (jue 

plein  succès     pQp,|,i  \qs,  ducs,  s'appi itjuèrent   à   en  profiter,  et  à  saisir 

gens  de  qualité   l'occasion  de  l'éclal  de  la  fin  de  l'alTaire  du  bonnet  pour 

^*  encourager  les  gims  non  titrés  contre  les  ducs,  et  brouiller 

soi-disant  tels  .  °  "     ,  /    i    .         •  •.     •  i  •  '         •    <     p' 

contre lesducs  ceux-ci  avec  le  même  éclat  qui  avoit  si  bien  réussi  a  1  e- 
gard  du  Parlement.  Le  duc  du  Maine  suppléoit aux  vertus 
par  les  talents  les  plus  noirs  et  les  plus  ténébreux;  il  en 
avoit  fait  de  continuelles  épreuves.  On  a  vu  jusqu'à  quel 
point  il  s'y  étoit  surpassé  pendant  la  campagne  de  Lille-. 
Eh  !  plût  à  Dieu  qu'il  s'y  lût  borné  !  Après  ces  coups  de 
maître,  son  art  pouvoit-il  trouver  quelque  chose  de  dif- 
ficile? Il  le  mit  en  œuvre  par  le  même  soin  et  les  mêmes 
émissaires  qui  l'y  avoient  si  bien  servi,  et  qui  de  nou- 
veau se  surpassèrent,  ainsi  que  lui  même  et  la  duchesse  du 
Maine.  D'abord  on  se  contenta  de  sonder,  de  jeter  des 
propos,  de  cultiver,  après  de  rassembler,  mais  dans  les 
ténèbres.  Il  falloit  d'abord  infatuer  un  nombre  de  sots 
glorieux  et  ignorants,  pour  s'en  servir  à  en  recruter  d'au- 
tres, attirer  des  personnes  de  cette  espèce  de  naissance 
distinguée,  piquer  ceux  du  commun  de  la  vanité  de  penser 
comme  celles-là,  et  de  l'honneur  de  s'unir  à  elles  par  un 
intérêt  dont  la  communauté  leségaloit  à  eux,  faire  en  même 
temps  que  les  gens  de  qualité  souffrissent,  puis  se  prê- 
tassent à  ce  difforme  assemblage,  par  leur  faire  sentir  la 
nécessité  du  nombre  pour  réussir  par  le  fracas,  en  les 
flattant  après  le  succès  d'une   séparation  d'alliage  qui  ne 

1    Avpc  l'>s  duchesses  de  basse  extraction. 

2.  Dans  le  récit  des  inlrif^ues  contre  le  duc  de  Bourgogne  lors  de  la 
défaite  d'Audenarde  il  n'a  parlé  qu'incidemment  du  rôle  du  duc  du 
Maine  (tome  XVI,  p.  2i-2  et  246) 


[nio]  UE  SAINT-SIMON.  245 

se  pourroit,  disoit-on*,  refuser  après  le  besoin  passé,  et 
par  ces  ruses,  faire  un  groupe  où  toutes  sortes  de  gens 
pussent  entrer,  se  donner  le  beau  nom  collectif  de  no- 
blesse, et,  par  un  très  grand  nombre  si  bien  dupé  et 
masqué,  causer  un  si  grand  bruit,  que  les  ducs  ne  pussent 
penser  qu'à  la  défense,  bien  loin  de  pouvoir  attaquer  les 
bâtards  réunis  parla  première  et  la  seconde  adresse  à  la 
robe  et  à  la  soi-disante  noblesse  contre  eux*,  et  en  état 
avec  cette  double  multitude  de  faire  la  loi  au  Régent,  qui 
fut'  la  double  vue  du  duc  et  de  la  duchesse  du  Maine.  Ce 
crayon  sufîira  pour  le  présent;  il  y  aura  lieu  bientôt  de  le 
changer  en  tableau,  quand  l'usage  de  cette  folle  cohue 
sera  devenu  plus  dangereux^  pour  le  gouvernement^.  C'en 
est  assez  ici  pour  expliquer  ce  qu'en  sut  faire  le  duc  de 
Noailles,  non  moins  bon  ouvrier,  et  en  même  genre  et 
goût,  que  le  duc  du  Maine.  On  ne  peut  mieux  exalter  son 
infernal  talent,  ni  faire  en  même  temps  une  comparaison 
plus  exactement  juste. 

J'ai  dit  plus  haut^  que  le  duc  de  Noailles  m'avoit  fait    Abomination 
une  proposition  absurde,  que  j'avois  fort  rejetée,  et  qu'il     ^^  NoaiUes 
n'étoit  pas  temps  d'expliquer;   c'est  maintenant  ce  qu'il   11  me  propose 
s'agit  de  faire.  C'étoit  qu'à  la  mort  du  Roi  tout  ce  oui  se       ^ele  faire 

11  '1  11  *"""  premier 

trouveroit  de  ducs  a  la  cour  allassent  ensemble  saluer  le  ministre. 
nouveau  Roi  à  la  suite  de  M.  le  duc  d'Orléans  et  des  [Add.S-S.  1-^38] 
princes  du  sang.  Je  ne  sais  si  dès  lors  il  étoit  informé  du 
mouvement  qui  se  préparoit  parmi  la  noblesse  ;  je  ne 
l'étois  point  encore,  et  le  secret  en  étoit  alors  entier.  Il 
revint  souvent  à  la  charge  là-dessus  sans  avoir  pu  m'é- 
branler  ni  répondre  aux  raisons  que  je  lui  alléguai,  et  qui 

i.  Disoit  on  a  été  ajouté  en  interligne. 

2.  Eux  est  en  interligne,  au-dessus  de  les  Ducs,  biffé. 

3.  Ce  qui  fut. 

4.  Il  y  a  au  manuscrit  devenue  et  dangereuse  par  mégarde. 

5.  Dans  le  récit  des  années  1716  et  4717  (suite  des  Mémoires,  tomes 
XII  de  4873,  p.  323-328,  et  XIII,  p.  375-422). 

6.  Ci-dessus,  p.  471. 


^2\e  MÉMITIHES  [1715J 

seront  mieux  plus  bas  en  leur  place.  11  en  parla  à  d'autres 
ducs  pour  essayer  de  ni'ébranler,  et  se  servit  pour  cela 
des  diverses  petites  assemblées  qui,  à  mesure  que  le  Roi 
baissoit,  se  faisoient  chez  divers  ducs  sur  la  conduite  à 
tenir  au  Parlement  sur  le  bonnet,  et  qui  se  référoient  des 
unes  aux  autres  par  quelqu'un  de  ces  diverses  petites 
assemblées'.  Il  s'en  tenoit  aussi  chez  moi,  indépendam- 
ment desquelles  mon  appartement  étoit  toujours  assez 
rempli  d'amis  particuliers,  curieux  de  tout  ce  qui  se  pas- 
soit  d'un  moment  à  l'autre  en  des  temps  si  vifs  et  si  inté- 
ressants, et  bientôt  je  fus  averti  que  les  entours  de  mon 
appartement  étoient  assiégés-  nuit  et  jour  de  valets  de 
chambre  et  de  laquais  de  toutes  sortes  de  personnes  de  la 
cour,  pour  voir  qui  y  entroit  et  sorloit,  et  pénétrer  cequi 
s'y  passoit,  autant  que  ces  dehors  le  pouvoient  permettre. 
Un  soir  d'assez  bonne  heure  que  je  montai  chez  le  duc 
de  Noailles ',  que  je  trouvai  seul,  il  se  mit  à  raisonner  avec 
moi  pour  tâcher  de  me  déprendre  du  projet  de  la  convo- 
cation des  États  généraux,  et,  à  travers  mille  louanges 
d'un  si  beau  dessein,  dont  il  sentoit  pour  lui  les  entraves 
etcombienill'éloigneroit  du  but  qu'il  s'étoit  proposé  dans 
sa  passion  pour  l'administration  des  finances,  il  tâcha 
d'en  présenter  les  embarras  et  les  difllcultés.  11  s'échappa 
après  à  essayer  de  me  faire  sentir  le  danger  de  la  multi- 
tude avec  un  prince  tel  qu'étoit  M.  le  duc  d'Orléans,  puis 
l'avantage  de  la  solitude  avec  lui.  Il  bavarda  longtemps 
sans  dire  grand'chose  ;  peu  à  peu  s'échaufFant  comme 
exprès    dans    son    harnois*,   mais    possédant  toute    son 

1.  On  trouvera  ci-après,  aux  Additions  et  Corrections,  un  extrait  des 
Mémoires  du  duc  d'An  tin,  où  il  est  parlé  de  ces  assemblées  des  ducs. 

2.  Saint-Simon,  trompé  par  le  mot  appartement,  a  écrit  estait 
assiégé,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 

.3.  Il  a  dit  ci-dessus,  p.  493,  que  l'appartement  du  duc  de  Noailles 
était  au-dessus  du  sien. 

4.  M  On  dit  ligurément  s'échauffer  duns  son  harnois  pour  dire,  par- 
ler de  quelque  chose  avec  beaucoup  de  véhémence  et  d'émotion  » 
(Académie,  \'iS). 


[1713]  DE  SAINT-SIMON.  217 

âme',  ses  paroles  et  jusqu'à  ses  regards  :  «Vous  n'avez  pas- 
voulu,  me  dit-il,  des  finances  (M.  le  duc  d'Orléans  le  lui 
avoit  dit)  ;  vous  ne  voulez  vous  charger  directement  de 
rien;  vous  avez  raison.  Vous  vous  réservez  pour  être  de 
tout,  et  vous  attacher  uniquement  à  M.  le  duc  d'Orléans; 
au  point  où  vous  êtes  avec  lui,  vous  ne  sauriez  mieux 
faire.  En  nous  entendant  bien,  vous  et  moi,  nous  en 
ferons  tout  ce  que  nous  voudrons  ;  mais,  pour  cela, 
ajouta-t-il,  ce  n'est  pas  assez  des  finances  :  il  me  faut  les 
autres  parties  ;  il  ne  faut  point  que  nous  ayons  à  compter 
avec  personne.  » 

J'écoutois  avec  un  profond  étonnement  une  ouverture 
si  personnelle,  si  démasquée,  si  peu  mesurée  sur  M.  le 
duc  d'Orléans  et  sur  le  bien  de  l'État,  et  je  pointois^  mes 
oreilles  et  mon  entendement  à  pénétrer  où  il  vouloit  se 
conduire  par  de  si  étranges  propos,  lorsqu'il  me  mit  hors 
du  soin  de  la  recherche.  «  Des  Etats  généraux,  poursui- 
vit-il, c'est  un  embrouillement  dont  vous  ne  sortiriez  point! 
J'aime  le  travail  ;  je  vous  le  dirai  franchement  ;  c'est  une 
pensée  qui  m'est  venue  ;  je  la  crois  la  meilleure  :  encore 
une  fois,  agissons  de  concert,  entendons-nous  bien  ;  faites- 
moi  faire  premier  ministre,  et  nous  serons  les  maîtres.  — 
Premier  ministre  !  »  interrompis-je  avec  l'indignation  que 
son  discours  m'avoit  donnée,  que  j'avois  contenue,  et  que 
cette  fin  combla:  «  Premier  ministre,  Monsieur!  Je  veux 
bien  que  vous  sachiez  que,  s'il  y  avoit  un  premier  ministre 
à  faire,  et  que  j'en  eusse  envie,  ce  seroit  moi  qui  le  serois, 
et  que  je  pense  aussi  que  vous  ne  vous  persuadez  pas 
que  vous  l'emportassiez  sur  moi  ;  mais  je  vous  déclare 
que,  tant  que  M.  le  duc  d'Orléans  m'honorera  de  quelque 
part  en  sa  confiance,  ni  moi,  ni  vous,  ni  homme  qui  vive 
ne  sera  jamais  premier  ministre,  dont  je  regarde  la  place 

1.  In  patientia  vestra  possidebitis  animas  vestras  (Evangile  selon 
saint  Luc,  chapitre  xxi,  verset  19). 

2.  Pas  ajouté  en  interligne. 

3.  Pointer  est  ici  au  sens  de  diriger,  comme  on  dit  pointer  un  canon. 


548  MÉMOIRES  [47ir>l 

et  le  pouvoir  comme  le  fléau,  la  peste,  la  ruine  d'un  État, 
l'opprobre  et  le  geôlier  d'un  roi  ou  d'un  régent  qui  se 
donne  ou  se  soufi're  ce  maître,  duquel,  pour  tout  partage, 
il  n'est  plus  (|ue  l'instrument  et  le  bouclier'.  »  J'ajoutai 
encore  quelques  mots  à  cette  trop  véritable  et  naïve 
peinture,  les*  yeux  toujours  collés  sur  mon  homme,  sur 
le  visage  et  toute  la  contenance  duquel  l'excès  de  l'em- 
barras, du  dépit,  du  déconcerlement  étoit  peint,  et  néan- 
moins assez  maître  de  lui-même  pour  soutenir  une  appa- 
rente tranquillité,  juscju'à  me  répondre  qu'il  n'insistoit 
point,  d'un  air  le  plus  détaché,  le  plus  indifl'érent,  qu'il 
avouoit  que  cette  pensée  lui  étoit  venue  et  lui  avoit  paru 
bonne.  On  peut  juger  qu'après  cela  la  conversation  lan- 
guit, et  ne  dura  qu'autant  que  nous  pûmes  nous  séparer 
honnêtement  et  nous  délivrer  d'un  tête-à-tète  devenu  si 
pesant  à  tous  les  deux.  On  doit  penser  aussi  que  mes 
réflexions  furent  profondes.  Elles  étoient  pourtant  bien 
éloignées  encore  de  ce  que  l'on  va  voir  et  qu'il  n'est  pas 
temps  d'interrompre.  M.  de  \oailles  me  vit  dès  le  lende- 
main, et  toujours  comme  s'il  n'eût  pas  été  question  entre 
nous  du  premier  ministère.  Nous  vécûmes  quelques 
jours  de  la  sorte,  qui  gagnèrent  les  derniers  jours  du  Roi  ; 
car  il  en  vécut  encore  trois  depuis  ce  que  je  vais^  raconter. 

i.  Saint-Simon  roviendra  abondammont  sur  Ii's  dangers  et  les  incon- 
vénients d'un  premier  ministre  dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XV 
de  iK73.  p.  3-27-3-28,  et  XIX,  p.  lG-'20  et  33-40).  Louis  XIV,  en  pre- 
nant le  pouvoir  après  la  mort  de  Mazarin  s'était  bien  promis  de  ne 
jamais  reprendre  de  premier  ministre,  et  il  en  donne  les  raisons,  con- 
formes à  celles  de  Saint-Simon,  dans  ses  Mémoires  (édition  Dreyss, 
tome  II,  p.  3Ho-3H6  et  431)  Il  conseilla  aussi  cette  conduite  à  Phi- 
lippe V,  lorsque  celui-ci  partit  pour  l'Espagne  en  1700.  Bussy-Rabulin 
{Mi'moires,  tome  II,  p.  iOi-103)  les  appelait  les  «  seconds  maîtres  »  de 
l'Elat,  et  montrait  que  les  courtisans  avaient  bien  plus  de  disposition 
et  d'intérêt  à  l'aire  leur  cour  au  premier  ministre  qu'an  Hoi  lui  même. 

2.  Ce  les  surctiarge  une  r,  sans  doute  la  première  lettie  de  regar- 
dant. 

3.  Vais  est  en  interligne,  à  la  suite  de  viens,  de,  biiïé,  et  au-dessus 
d'un  premier  vais,  aussi  biffé. 


[4715]  DE  SAINT-SIMON.  219 

J'ai  déjà  dit'  que  l'état  désespéré  et  pressant  du  Roi      Proposition 
avoit  engagé  les  ducs  à  voir  entre  eux,  par  petites  assem-  ducdeNoaill 


es 


blées  particulières  sans  bruit,  quelle  seroit  leur  conduite  d'une 

sur  l'atTaire  du  bonnet,  qui  s'alloit  nécessairement^  pré-      "o^i^'cau^e 

senter  lorsqu'ils  iroient  au  Parlement  pour  la  régence,  et  soutient  contre 

qu'on  se  référoit  des  uns  aux  autres  ce  qui  se  passoit  en         toutes 

•  I  w         o        I         •     I  .1  1      ™^^  raisons. 

ces  petites  assemblées,  sur  les  six  heures  ou  sept  heures 

du  soir,  le  duc  de  Noailles  vint  dans  ma  chambre,  où 
Mailly,  archevêque  de  Reims,  les  ducs  de  Sully\  la  Force, 
Charost,  je  ne  sais  plus  qui  encore,  et  le  duc  d'Humières, 
quoiqu'il  ne  fût  pas  pair,  traitions  cette  matière,  depuis 
peu  de  moments  qu'ils  étoient  arrivés.  On  continua  avec 
le  duc  de  Noailles,  qui  ne  dit  pas  grand'chose,  et  qui 
presque  incontinent  interrompit  l'affaire  du  bonnet,  et 
proposa  la  salutation  du  Roi  futur  comme  il  me  l'avoit 
expliquée^  J'en  fus  d'autant  plus  surpris  qu'après  m'en 
avoir  importuné  sans  cesse,  il  y  avoit  plus  de  quinze 
jours  qu'il  ne  m'en  parloit  plus,  et  que  je  le  croyois  rendu 
à  mes  raisons,  puisqu'il  avoit  cessé  d'insister  et  de  m'en 
parler.  Je  lui  en  témoignai  mon  étonnement  et  combien 
j'étois  éloigné  de  goûter  une  nouveauté  de  cette  nature. 
Il  faut  remarquer  que  les  mouvements  de  la  noblesse 
dont  j'ai  parlé"  éclatoient  fortement  alors  depuis  quelques 
jours,  et  faisoient  la  nouvelle  et  un  sujet  principal  de 
toutes  les  conversations.  M.  de  Noailles  insista,  m'inter- 
rompit, prit  le  ton  d'orateur,  l'air  d'autorité,  se  dit 
appuyé  de  l'avis  des  ducs  qui  s'étoient  vus  chez  le  maré- 
chal d'iiarcourt ',  et,  à  force  de  poumons  beaucoup  plus 

1.  Ci-df^ssus,  p.  216.  —  Dit,  oublié,  a  été  rerais  en  interligne. 

2.  Avant  cet  adverbe,  Saint-Simon  a  biffé  necesser,  mal  écrit. 

3.  Les  mots  ou  7  h.  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

4.  Avant  Sully,  il  a  biffé  la  For[ce\,  sans  doute  pour  les  inscrire 
par  ordre  d'ancienneté  de  pairie,  mais  peut-être  aussi  en  vue  de  l'allu- 
sion qu'il  va  faire  ci-après,  p.  2-28,  à  la  présence  de  M.  de  Sully  chez  lui. 

5.  Ci-dessus,  p.  "iio. 

6.  Ci  dessus,  p.  214-213. 

7.  On  a  vu  dans  le  tome  XXVI,  p.  4,  10  et  o6,  que  c'était  déjà  chez 


a?0  MEMOIRES  \iur^] 

forts  que  los  niions',  mena  la  parole,  et  toujours  étoun"anl. 
la  mienne.  De  colère  et  cl  impatience  je  montai  sur  le 
gradin  de  mes  fenêtres  et  m'assis  sur  l'armoire-,  disant 
que  c'étoit  pour  être  mieux  entendu,  et  que  je  voulois 
aussi  parler  à  mon  tour.  Je  m'exprimai  avec  tant  de  feu, 
ijue  ces  Messieurs  tirent  taire  Noailles,  qui  toujours 
vouloit  continuer,  qui  m'interrompit  d'abord  une  fois 
ou  deux,  et  à  qui  j'imposai  à  la  lin,  en  lui  déclarant 
que  je  voulois  être  entendu,  et  que  nous  n'étions  pas  là 
pour  être  devant  lui  à  plaît-il-maître'*.  Ces  Messieurs 
voulurent  m'écouter,  et  l'obligèrent  à  me  laisser  parler. 
Je  leur  dis  que  ce  que  le  duc  de  Noailles  proposoit*  étoit 
une  nouveauté  dont  on  ne  trouvoit  pas  la  moindre  trace, 
ni  dans  rien  qui  fût  écrit  de  l'avènement  de  pas  un  roi  à 
la  couronne,  ni  dans  la  mémoire  d'aucun  homme,  dont 
pas  un  n'avoit  jamais  parlé  de  rien  de  semblable  à  l'avé- 
nement  de  Louis  XIV  à  la  couronne;  que  cette  première 
salutation  se  faisoit  toujours  sans  ordre,  à  mesure  que 
chacun  arrivoit,  plus  tôt  ou  plus  tard,  à  la  difTérence  de 
l'hommage,  qui  quelquefois  s'étoit  rendu  au  premier  lit 
de  justice;  mais  qu'en  cette  première  salutation  on  ne 
voyoit  pas  que  les  princes  du  sang  même  eussent  jamais 
afïecté  de  l'aller  faire  ensemble  ;  que  d'entreprendre  de  le 
faire  ne  pouvoit  rien  acquérir  aux  ducs  ;  (|u'au  mieux  il 
demeureroit  qu'ils  auroient  salué  le  Roi  de  la  sorte,  ce 
(jui,  ne  s'étant  jamais  fait  en  cérémonie  et  ne  s'y  faisant 

lui  que  s'étaient  tenues  diverses  réunions  des  ducs  pour  l'afTairc  du 
bonnet. 

d.  Dans  le  portrait  du  duc  de  Noailles  (tome  XXVI,  p.  '^^G),  il  l'a 
peint  d'une  «  corpulence  de  paysan  »  ;  on  sait  que  Saint-Simon  était 
petit  et  malinj^re. 

2.  L'armoire  basse,  qui  se  trouvait  alors  fréquemment  dans  le  bas 
des  fenêtres  et  qui,  quand  elle  était  un  pou  bauto,  était  précédée  d'une 
marche  ou  gradin  pour  permettre  de  s'approcher  do  la  fonétre. 

3.  Locution  déjà  relevée  dans  notre  tome  XVIII,  p.  "234. 

4.  Proposait,  oublié,  a  été  ajouté  sur  la  marge  à  la  lin  d'une 
ligue. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  221 

là  même  par  nuls'  autres,  ne  tiendroit  lieu  de  rien  aux 
ducs;  qu'ils  paroîtroient  seulement  les  plus  diligents,  dont 
ils  ne  tireroient  nul  avantage  sur  les  princes  étrangers, 
puisqu'il  n'y  avoit  jamais  eu,  en  cette  occasion,  de  cérémo- 
nie, ni  sur  les  gens  de  qualité,  tant  par  cette  raison  que 
par  celle  qu'ils  n'avoient  jamais  été  en  nulle  compétence- 
avec  eux  en  rien,  ni  prétendu  quoi  que  ce  soit  sur  eux  ; 
que,  n'y  ayant  point  de  cérémonie  en  cette  première  salu- 
tation, à  la  ditïerence  de  l'hommage  quelquefois  rendu 
au  premier  lit  de  justice,  il  n'y  en  auroit  aussi  rien 
d'écrit,  par  conséquent  rien  qui  pût  faire  passer  cette 
salutation  en  usage,  encore  moins  en  avantage,  et  qui  ne 
pourroit  en  mériter  le  nom;  par  conséquent,  que  rien  ne 
pouvoit  appuyer  cette  proposition  ;  qu'en  même  temps 
qu'on  n'y  trouvoit  que  du  vuide  à  acquérir,  elle  pouvoit 
devenir  fort  nuisible  dans  l'effervescence  qui  éclatoit 
parmi  les  gens  de  qualité,  et  non  même  de  qualité,  à  l'égard 
des  ducs,  semée  et  fomentée  par  le  duc  et  la  duchesse  du 
Maine,  qui  se  sauroient  bien  servir  d'une  nouveauté  qu'ils 
feroient  passer  pour  une  entreprise  ;  que  la  noblesse  pren- 
droit  aisément  à  ce  hameçon,  s'offenseroit  de  ce  que  les 
ducs,  étant  allés  ensemble  sans  que  cela  se  fût  jamais 
pratiqué,  auroient  voulu  non-seulement  faire  bande  à 
part,  mais  corps  à  part  de  la  noblesse  ;  que  ceux  à  qui  je 
parlois  n'ignoroient  pas  que  l'odieux  de  cette  idée  de 
corps  à  part  commençoit  à  y  être  semé,  à  être  imputé^ 
aux  ducs  avec  une  fausseté  même  sans  apparence,  mais 
avec  une  malignité  et  un  art  qui  y  suppléoit;  que  le  meil- 
leur moyen  de  la  confirmer  étoit  d'y  donner  cette  occa- 
sion, qui,  toute  éloignée  qu'elle  en  étoit,  seroit  montrée, 
donnée  et  reçue  de  ce  côté-là;  que  le  Parlement  ne  de- 

1.  Nuls  est  en  interligne,  au-dessus  d'un  premier  nuls,  bifle. 

2.  Au  sens  de  compétition,  comme  dans  les  tomes  III,  p.  242,  et 
IV,  p.  99. 

3.  Il  y  a  dans  le  manuscrit  semée  et  imputée,  se  rapportant  au  mot 

idée. 


222  MEMOIRES  flTin] 

manderoit  pas  mieux  que  de  iasciner  la  noblesse  avec  ces 
prestiges;  (jue  l'intrièt  du  Parlement,  le  même  en  cela 
que  celui  de  M.  et  de  Mme  du  Maine,  étoit  de  la  séparer 
et  de  la  brouiller  avec  les  ducs;  que  c'étoit  à  ceux-ci  à 
sentir  combien  il  étoit  du  leur  d'être  unis  à  la  noblesse, 
leur  corps  et  leur  ordre  commun  ;  qu'occupés  de  plus 
forcément  de  l'aflaire  du  bonnet,  ils  n'avoient  pas 
besoin  d'ennemis  nouveaux  et  en  si  prodigieux  nombre; 
qu'enfin,  à  comparer  le  néant  de  l'avantage  de  cette 
salutation  avec  les  inconvénients  infinis  et  durables 
qu'il  entraîneroit  et  qu'il  étoit  évident  par  les  dispo- 
sitions présentes  qu'il  ne  pouvoit  manquer  d'entraîner, 
je  ne  comprenois  pas  qu'on  pût  balancer  un  instant. 
Je  donnai  encore  plus  de  force  et  d'étendue  à  ce  que  je 
rapporte  ici  en  raccourci.  Noailles  répliqua,  cria,  se  dé- 
battit, soutint  qu'il  n'y  avoit  rien  que  de  sûr  dans  ce  qu'il 
proposoit,  rien  que  de  foible  dans  ce  qui  étoit  objecté, 
et,  sans  avoir  pu  articuler  une  seule  raison,  même  appa- 
rente, ce  fut  une  impétuosité  de  paroles  soutenue  d'une 
force  de  voix  qui  entraîna  les  autres  comme  d'efiroi  sans 
les  persuader.  Je  repris  la  parole  à  diverses  reprises,  et, 
voyant  enfin  que  cela  dégénéroit  en  dispute  personnelle, 
où  l'étourdissement  des  autres  les  empêchoit  de  montrer 
grande  part,  je  les  attestai  de  ma  résistance  et  du  refus 
net,  ferme,  précis  de  mon  consentement;  j'ajoutai  que  je 
ne  me  séparerois  point  de  mes  confrères,  mais  que  j'espé- 
rois  que  ceux  à  qui  on  en  parleroit  seroient  plus  heu- 
reux que  moi  à  leur  faire  faire  d'utiles  et  de  salutaires 
réflexions,  et  je  finis,  tout  à  fait  hors  de  voix,  par  protester 
de  tous  les  inconvénients  infinis  et  très  suivis  que  j'y 
voyois  et  que  je  déplorois  par  avance. 

J'avois  représenté  au  duc  de  Noailles,  dès  les  premières 
fois  qu'il  m'avoit  fait  cette  proposition  tête  à  tête,  outre 
les  raisons  qu'on  vient  de  voir,  qu'il  falloit  toujours 
considérer  un  but  principal  que  rien  ne  devoit  faire 
perdre  de  vue,  et  n'y  pas  mettre  des  obstacles  si  aisés  à 


[4715]  DE  SAINT-SIMON.  223 

éviter;  que  ce  but  étoit  de  tirer  la  noblesse  en  général  de 
l'abaissement  et  du  néant  où  la  robe  et  la  plume  l'avoient 
réduite,  et  pour  cela  la  mettre  dans  toutes  les  places  du 
gouvernement  qu'elle  pouvoit  occuper  par  son  état,  au 
lieu  des  gens  de  robe  et  de  plume  qui  les  tenoient,  et 
peu  à  peu  l'en  rendre  capable,  et  lui  donner  de  l'émula- 
tion; d'étendre  ses  emplois,  et  de  la  relever  de  la  sorte 
dans  son  être  naturel  ;  que,  pour  cela,  il  falloit  être  unis, 
s'entendre,  s'aider,  fraterniser,  et  ne  pas  jeter  de  l'huile 
sur  un  feu  que  M.  et  iMme  du  Maine  excitoient  sans  cesse, 
car  dès  lors  il  paroissoit*,  parce  qu'ils  comprenoient  que 
leur  salut  consistoit  à  brouiller  tous  les  ordres  entre  eux, 
surtout  celui  de  la  noblesse  avec  elle-même,  comme  le 
salut  de  la  noblesse  consistoit  en  son  union  entre  elle,  à 
lacjuelle  on  ne  devoit  cesser  de  travailler;  que  rien  n'étoit 
si  ignorant,  si  glorieux,  si  propre  à  tomber  dans  toutes 
sortes  de  panneaux  et  de  pièges  que  cette  noblesse;  que 
par  noblesse  j'entendois  ducs  et  non-ducs;  que  les  ducs 
ne  dévoient  songer  qu'à  découvrir  à  ceux  qui  n'étoient 
pas  ducs  ces  panneaux  et  ces  pièges;  que,  pour  le  faire 
utilement,  il  en  falloit  être  aimés,  et  que,  puisqu'en  eflet 
il  s'agissoit  d'un  intérêt  commun,  dans  un  moment  de 
crise  dont  on  pouvoit  profiter  pour  la  remettre  en  lustre, 
et  qui,  manqué  une  fois,  ne  reviendroit  plus,  il  ne  falloit 
pas  tenter  leur  ignorance,  leur  vanité,  leur  sottise  par 
une  nouveauté  qui,  à  la  vérité,  ne  leur  nuisoit  en  rien, 
puisqu'en  aucune  occasion  la  noblesse  non  titrée  ne  pou- 
voit être  et  n'avoit  jamais  été  en  égalité  avec  la  noblesse 
titrée,  moins  encore  la  précéder,  mais  qui,  étant  nou- 
veauté, et  dans  les  circonstances  présentes  de  l'égarement 
de  bouche  que  M.  et  Mme  du  Maine  souffloient  avec  tant 
d'art  et  si  peu  de  ménagement,  il  étoit  de  la  prudence 
d'éviter  toutes  sortes  de  prétextes  et  d'occasions  dont  la 
noblesse  non  titrée   se   pouvoit  blesser,  quelque    mal   à 

i.  Car  dès  lors  ce  feu  paraissait. 


^2-24  M  K MOIRES  flTiSl 

propos  cjue  ce  tùl,  cl  ne  songer  qu'à  relever  les  ducs  et 
elle  tout  ensemble,  travailler  à  un  rétablissement  com- 
mun, qui,  peu  à  peu,  rendant  à  chacun  sa  considération, 
remettroit  chacun  en  sa  jilace,  ouvriroit  les  yeux  à  tous, 
et  feroit  sentir  à  la  noblesse  non  titrée  la  malignité  dos 
pièges  et  des  panneaux  qu'on  lui  auroit'  tendus,  l'igno- 
rance de  son  propre  intérêt,  combien  il  en  étoit  d'être 
unie  aux  ducs;  que,  tous  ne  pouvant-  être  ducs,  mais  le 
pouvant  devenir,  chercher  à  abattre  les  distinctions  des 
ducs  étoit  vouloir  abattre  sa  propre  ambition,  puisque 
cette  dignité  en  étoit  nécessairement  le  tiernier  période\ 
et  qu'en  cette  différence  de  ceux  qui  avoient  ou  qui 
n'avoient  pas  de  dignité,  la  France  étoit  semblable  à  tous 
les  royaumes,  républiques  et  Etats  de  l'univers,  où  il  y 
avoit  toujours  eu  des  dignités  et  des  charges;  des  gens 
qui  n'en  avoient  pas,  quoique  quelquefois  d'aussi  bonne 
et  de  meilleure  maison  que  ceux  qui  avoient  des  charges 
ou  des  dignités,  avec  toutefois  grande  différence  de  rang  et 
de  distinction  entre  ceux  qui  en  ont  et  ceux  qui  n'en  ont 
pas,  et  qui  mettoit  les  uns  au-dessus  des  autres  sans  que 
personne  s'en  fût  jamais  blessé,  et  sans  quoi  le  Roi  et  ses 
sujets  seroient  sans  récompense  à  donner  ni  à  recevoir,  et 
toute  émulation  éteinte,  sinon  médiocre*  et  personnelle 
uniquement.  Tant  de  raisons,  et  qui^  à  chaque  fois  que  le 
duc  de  Noailles  me  parla,  ne  trouvèrent  en  lui  aucune  répli- 
que, mais  un  enthousiasme  de  sécurité  et  d'entêtement,  au- 
roient  persuadé  l'homme  le  moins  éclairé  et  le  moins  rai- 
sonnable, et  je  me  flattois  enfin  d'y  avoir  réussi,  parce 
qu'il  y  avoit  plus  do  quinze  jours  qu'il  avoit  tout  à  fait 

i.  Cet  auroit  est  en  interligne,  au-dessus  d'avoit,  biiïé. 

2.  Poiivoient  a  été  corrigé  en  pouvant,  on  biiïant  la  dernière  syllabe 
et  en  écrivant  ant  en  interligne. 

3.  Avant  période,  Saint-Simon  a  bifîé  un  second  d"". 

4.  Avant  médiocre,  il  y  a  personnelle,  biffé. 

5.  Ici  le   manuscrit  porte  dont  et  non   qui,  par  inadvertance  de 
l'auteur. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  2-io 

cessé  de  me  parler  de  cette  folie,  lorsqu'au  moment  que 
j'avois  lieu  de  m'y  attendre  le  moins,  il  vint  chez  moi,  en 
apparence  sur  le  bonnet,  en  effet  pour  cette  scène  qu'il 
avoit  préparée;  c'est  que  rien  ne  persuade  qui  met  son 
plus  cher  intérêt  à  ne  l'être  ou  à  ne  le  paroître  pas'.  On 
va  voir  qu'il  ne  pensa  jamais  sérieusement  à  cette  nou- 
veauté, qu'il  n'en  avoit  parlé  à  aucun  autre  duc  que  cette 
fois  dans  ma  chambre,  que  la  pièce  n'étoit  jouée  que 
pour  moi,  et  l'usage  pour  lequel  il  l'avoit  imaginée.  Le 
duc  de  Noailles  étant  sorti,  j'en  dis  encore  mon  avis  à 
ceux  qui  étoient  dans  ma  chambre,  qui  ne  purent  nier 
que  je  n'eusse  toute  la  raison  possible,  et  qui,  de  guerre 
lasse,  parce  que  la  conférence  avoit  été  longue  et  infini- 
ment vive,  s'en  allèrent.  Plein  de  la  chose,  je  passai  dans 
la  chambre  de  Mme  de  Saint-Simon,  à  qui  je  contai  ce  qui 
venoit  de  se  passer,  et  avec  qui  je  déplorai  une  démence 
si  parfaitement  inutile  à  réussir,  et  dont  les  suites  devien- 
droient  aussi  pernicieuses. 

Les  ducs  qui  s'étoient  trouvés  dans  ma  chambre,  et  qui    .     j  v     n 

i  _  '         n         duc  de  .Noailies 

ne  faisoient  que  d'en    sortir,  n'eurent  pas  le  temps  de       m'impute 
parler  à  aucun  autre  duc   de  ce  qui  avoit  fait  chez  moi    ^*  proposition 

.  ,  ,  '  1       1 1        •   w  ^^®  J  3V01S  SI 

cette  manière  de  scène.  Des  ce  moment,  cette  belle  idée     puissamment 
de  salutation  du  Roi  se  répandit  en  prétention,  vola  de      combattue, 
bouche  en  bouche.  Coëtquen,  beau-frère  de  Noailies,   et     contre  moi. 
fort  lié  avec  lui,  quoique  fort  peu  avec  sa  sœur-,  courut 
le  château,   ameutant  les  gens  de  qualité,  qui,  comme  je 
l'avois  prévu  et  prédit,  prirent  subitement  le  tour  et  le 
ton  que  j'avois  annoncé  ^  tellement  que,  le  soir  même,  ce 
fut  un  grand  bruit  qui  se  fomenta  toute  la  nuit  en  allées 
et  venues,  et  dont  Paris  fut  incontinent  informé.  Outre 
l'affluenceque  l'extrémité  du  Roi,  la  curiosité,  les  divers 

1.  A  n'être  pas  persuadé  ou  à  ne  pas  le  paraître. 

2.  On  a  vu  clans  le  tome  III,  p.  311-314,  Malo-Auguste,  marquis  de 
Coëtquen,  épouser  en  1696  Marie-Charlotte  de  Noailies;  il  a  aussi  été 
parlé  alors  de  la  mauvaise  entente  du  ménage  et  de  sa  cause. 

3.  Ci-dessus,  p.  US. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.   XX VII  13 


2i6  MÉMOIRES  [HiS] 

intérêts,  l'attcMile  de  ce  (|ui  alloit  suivre  ce  },m';iiuI  événe- 
ment, altiroient  '  à  Versailles,  ce  bruit  de  la  salutation  y 
amena  encore  une  infinité  de  monde,  et  les  plus  petits 
compagnons  s'empressèrent  et  s'honorèrent  d'augmenter 
le  vacarme  pour  s'agréger  aux  gens  de  qualité,  (jui  le 
souffroient  par  ne  s'en  pouvoir  défaire,  et  dans  la  fougue 
d'augmenter  le  tumulte  par  le  nombre.  Le  tout  ensend)le 
s'appela  la  noblesse,  et  cette  noblesse  pénétroit  partout 
par  ses  cris  contre  les  ducs.  Ceux-ci,  qui,  à  l'exception  de 
ceux  qui  s'étoient  trouvés  dans  ma  chambre,  n'avoient  pas 
ouï  dire  un  mot  de  cette  salutation  du  Koi,  n'entendirent 
que  lentement  et  à  peine  de  quoi  il  s'agissoit,  qui,  partie 
de  timidité  de  cet  ouragan  subit,  partie  de  pique  de 
n'avoir  point  été  consultés,  se  mirent  aussi  à  déclamer 
contre  leurs  confrères.  Mais  ces  confrères  qu'on  ne  nom- 
moit  point,  et  contre  qui  l'animosité  devenoit  si  furieuse 
et  si  générale,  ne  demeurèrent  pas  longtemps  en  nom 
collectif.  Saint-Hérem  le  premier-,  plusieurs  autres 
après,  vinrent  avertir  Mme  de  Saint-Simon  que  tout  tom- 
boit  uniquement  sur  moi,  comme  sur  le  seul  inventeur  et 
auteur  du  projet  de  cette  salutation,  dont  l'autorité  nais- 
sante avoit  entraîné  un  petit  nombre  de  ducs  malgré  eux, 
à  l'insu  des  autres.  Ces  Messieurs  ajoutèrent  à  Mme  de 
Saint-Simon  que  je  n'étois  pas  en  sûreté  dans  une  émo- 
tion si  générale  et  si  furieuse,  et  qu'elle  feroit  sagement 
d'y  prendre  garde.  Sa  surprise  fut  d'autant  plus  grande, 
qu'elle  n'ignoroit  rien  de  tout  ce  (jui  s'étoit  passé  là-des- 
sus entre  Noailles  et  moi  ;  mais  elle  monta  au  comble 
lorsqu'elle  apprit  du  même  Saint-Ilérem,  et  de  plus  de 
dix  autres  encore,  et  pour  l'avoir  ouï  dcleui'soieilles,  que 
c'étoit  Noailles  qui  soutlloit  ce  feu,  (jui  me  donnoitpour 
l'auteur  et  le  promoteur  unique  de  '  cette  salutation,  et 

•1.  Il  y  a  attiroit  au  singulier,  dans  lo  manuscrit. 
"2.  Charli;s-Louis  de  Monlmonn,  marquis  de  Saint-IIércm  (tome  III, 
p.  25),  avait  épousé  une  cousine  germaine  de  la  maiécliale  de  Lorge. 
3.  Il  y  a  ici  dans  le  manuscrit  que  au  lieu  de  de. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  227 

soi-même  pour  celui  qui  s'y  étoit  opposé  de  toutes  ses 

forces.  Ce  dernier  avis  fut  donné  et  confirmé  à  la  duchesse 

de  Saint-Simon  vers  le  soir  de  la  surveille  de  la  mort  du 

Roi,  laquelle  se  fit  bien  expliquer  et  répéter  qu'ils  l'avoient 

eux-mêmes  entendu  de  la  bouche  du  duc  de  Noailles,  qui 

allait  le  semant    partout  lui-même,  et  par  Coëtquen  et 

d'autres  émissaires. 

Le  hasard  lit  que,  le  lendemain  matin,  elle  rencontra  le        Étrange 

duc  de  Noailles  dans  la  galerie,  qui  étoit  lors  remplie  à     embarras  de 

.  .  Noailles 

toute  heure  de  toute  la  cour,  où  il  passoit  avec  le  cheva-  avec 

lier  depuis  duc  de  Sully  '.  Elle  l'arrêta  et  le  tira  dans  1»  duchesse  de 
l'embrasure  d'une  fenêtre.  Là,  elle  lui  demanda  d'abord 
ce  que  c'étoit  donc  que  tout  ce  bruit  contre  les  ducs. 
Noailles  voulut  glisser,  dit  que  ce  n'étoit  rien,  et  que  cela 
tomberoit  de  soi-même.  Elle  le  pressa,  et  lui  ne  cherchoit 
qu'à  se  dépêtrer;  mais,  à  la  fin,  après  lui  avoir  déduit  en 
peu  de  mots  l'excès  de  ces  cris  et  de  ces  mouvements  pu- 
blics, pour  lui  faire  sentir  qu'elle  en  étoit  bien  instruite, 
elle  lui  témoigna  sa  surprise  d'apprendre  qu'ils  tomboient 
tous  sur  moi.  Là-dessus  Noailles  s'embarrassa,  et  l'assura 
qu'il  ne  l'avoit  pas  ouï  dire  ;  mais,  Mme  de  Saint-Simon 
lui  répondant  qu'il  devoit  savoir  mieux  que  personne  qui 
étoit  l'auteur  et  le  promoteur  de  ce  projet  de  salutation  du 
Roi,  et  qui  le  contradicteur,  par  ce  qui  s'étoit  passé  en- 
core la  surveille  là-dessus  dans  ma  chambre,  Noailles 
l'avoua,  tout  comme  la  chose  a  été  ici  racontée,  et  qu'il 
étoit  vrai  que  c'étoit  lui  qui  l'avoit  proposé,  et  que  je 
m'y  étois  toujours  opposé,  et  lui  toujours  persévéré.  Alors 
Mme  de  Saint-Simon  lui  demanda  pourquoi  donc  il  s'en 
excusoit  et  me  donnoit  pour  l'auteur  et  le  promoteur  de 
cette  invention.  Noailles,  interdit  et  accablé,  balbutia  une 
foible  négative.  Il  essuya  tout  de  suite  de  courts,  mais  de 
cruels  reproches  de  tout  ce  qu'il  me  devoit,  et  de  la  noire 


i.  Saint-Simon  fait  ici    une  grosse  confusion;  voyez  ci-après  aux 
Additions  et  Corrections. 


■l'IX  MÉMOIRES  \\l\l\] 

et  perfide  calomnie  dont  il  ineii  payoit.  Ils  se  séparèrent 
de  la  sorte,  elle  dans  le  fi'oid  d'une  indignation  si  juste, 
lui  dans  le  désordre  d'une  foible  et  timide  négative,  et  le 
désespoir  de  la  découverte  de  son  crime,  des  aveux  arra- 
chés sur  tout  ce  qu'il  me  devoit,  et  de  ceux  encore  que  la 
force  de  la  vérité  avoit  malgré  lui  tiré  '  de  sa  bouche 
sur  les  véritables  auteurs  et  contradicteurs  de  ce  projet 
de  salutation.  Une  le(;on  si  forte  et  si  peu  attendue,  et  en 
présence  du  frère  d'un  des  ducs  qui  s'éioit  trouvé  dans 
ma  chambre  à  la  scène  du  duc  de  Noailles  et  de  moi  là- 
dessus,  n'étoit  pas  pour  changer  un  scélérat  consommé 
dans  un  crime  pourpensé  -  et  amené  de  si  loin,  dont  il 
commençoitsi  bien  à  goûter  ce  qu'il  s'en  proposoit,  et  que 
ce  succès  animoit  à  poursuivre  jusqu'au  but  qu'il  s'en 
étoit  promis.  Il  eut  beau  protester  à  Mme  de  Saint-Simon 
qu'il  diroit  partout  combien  je  m'étois  opposé  à  ce  projet, 
il  étoit  bien  éloigné  d'une  palinodie^  si  subite,  et  si  des- 
tructive de  ses  projets  particuliers.  Il  continua  donc,  par 
tout  ce  qu'il  avoit  mis  en  campagne  et  par  lui-même,  à 
répandre  les  mêmes  discours  qui  avoient  si  parfaitement 
réussi  à  son  gré  ;  mais  personnellement  il  prit  mieux  garde 
devant  qui  il  parloit,  et  il  fut  très  attentif  à  m'éviter  par- 
tout et  Mme  de  Saint-Simon  aussi,  même  en  lieux  publics, 
autant  qu'il  lui  fut  possible. 

Je  ne  fus  informé  que  tard  de  cette  exécrable  perfidie, 
J  apprends  «..ti  i  ii'-iii 

la  scélératesse    et  de  tout  SOU  etiet.  Alors  seulement  les  écailles  me  tom- 

dcNoailles*.     bèrent  des  yeux  ^  Je  commençai  à  comprendre  la   cause 

de  cette  étrange  idée  de  salutation  du   Roi,    et  de   cette 

4.  Tiré,  sans  accord,  a  été  ajouté  en  interligne. 

'2.  Tome  XXVI,  p.  59  et  357,  ci-dessus,  p.  53  et  ci-après,  p.  2-29. 

3.  «  Palinodie,  rétractation  de  ce  qu'on  a  dit.  Il  n'est  guère  d'usage 
que  dans  cette  phrase  :  Chanter  la  palinodie  »  (Académie,  1718). 

4.  Les  lexiques  du  temps  ne  mentionnaient  pas  cette  locution;  la 
dernière  édition  du  Dictionnaire  de  l'Académie  dit  qu'elle  signitie  que 
les  yeux  se  sont  dessillés. 

•A  la  fin  de  cette  manchette,  Saint-Simon  a  biiïi'  Son  projet,  qui  va  se 
retrouvera  la  manchette  suivante. 


(17151  DE  SAIXT-SIMOX.  119 

fermeté  encore  plus  surprenante  à  la  soutenir,  malgré 
mes  raisons  invincibles  au  contraire.  Je  revins  à  ce  qui 
s'étoit  nouvellement  passé  entre  Noailles  et  moi  sur  la 
place  de  premier  ministre  ;  je  me  rappelai  son  ardeur 
pour  les  finances,  sa  traîtreuse'  conduite  avec  Desmaretz, 
depuis  que  je  savois  qu'il  pensoit  à  lui  succéder,  et  sur- 
tout depuis  qu'il  en  avoit  l'assurance.  Je  me  rappelai 
aussi-  son  éloignement  doux,  mais  adroit  et  constant,  de 
la  convocation  des  Etats  généraux,  et  je  me  souvins  que, 
deux  jours  avant  ce  dernier  éclat,  j'avois  inutilement 
pressé  M.  le  duc  d'Orléans  de  songer  promptement,  et 
avant  tout,  à  donner  les  ordres  pour  la  faire,  lui  qui  jus- 
que là  n'avoit  respiré  autre  chose.  Enfin  je  vis  qu'un  guet-  Monstrueuse 
apens  ^  de  si  loin  et  si  profondément  pourpensé,  si  con-  ^"^j^^oâilles-  ^ 
tradictoire  à  toute  vérité,   si  subit,  si  à  bout  portant,  et      son  affreux 

dans  une  telle  crise  de  toute  espèce  de  choses  et  d'affaires,        .    ^}     .  ^ 
•    1      c      •     1      I  •    p  1  1  •  •  11)*  •      protond  projet, 

etoit  le  fruit  de  la  plus  infernale  ambition,  et  de  1  ingrati- 
tude la  plus  consommée.  Sans  ressource  auprès  du  Roi  et 
de  Mme  de  Maintenon,  aussi  mal  avec  Mgr  et  Mme  la 
duchesse  de  Bourgogne,  et,  par  même  forfaiture,  en  abo- 
mination à  la  cour  d'Espagne*,  guères  mieux  à  la  nôtre» 
qui  l'avoit  mieux  reconnu  que  moi,  brouillé  avec  M.  et 
Mme  la  duchesse  d'Orléans,  rebuté  de  tous  les  ministres 
excepté  de  Desmaretz  %  son  esprit  me  trompa.  Je  le  crus 

1.  Le  seul  adjectif  admis  par  les  lexiques  de  l'époque  était  traître 
et  traîtresse  ;  cependant  on  trouve  un  exemple  de  traîtreuse  dans  les 
Lettres  de  Mme  de  Sévigné,  recueil  Capmas,  tome  II,  p.  97,  et  nous 
conservons  encore  l'adverbe  traîtreusement.  Saint-Simon  dira  un  traî- 
treux  conseil  dans  la  suite  des  Mémoires,  tome  XII  de  4873,  p.  342; 
mais  il  a  parlé  de  nature  traîtresse  au  tome  XXI,  p.  9. 

2.  Aussy  en  interligne. 

3.  Saint-Simon  écrit  guet  à  pend,  comme  au  tome  XV,  p.  283. 

4.  Dans  le  tome  XXII,  p.  182  et  suivantes,  on  a  vu  les  causes  pré- 
tendues de  la  disgrâce  du  duc  de  Noailles  auprès  de  Philippe  V.  — 
Avant  d'Espagne,  Saint-Simon  a  biffé  un  premier  d'Espa  corrigeant 
de  Fran[ce]. 

5.  Tome  XXII,  p.  191. 


230  MÉMOIRES  [17151 

droit,  capable,  utile  ;  sa  faute  en  Espagne  ne  me  parut 
qu'un  égarement  d'emportement  de  jeunesse,  de  cour,  et 
daft'aires,  qu'il  étoit  vrai  que  Mme  des  Ursins  portioit';  je 
vainquis  la  répugnance  du  duc  de  Beauvillier  à  cetégard, 
et  pour  le  fils  et  le  neveu  du  maréchal  et  du  cardinal  de 
Noailles;  je  le  mis  bien  avec  lui  à  force  de  bras,  puis  par 
lui  avec  M.  le  duc  de  Bourgogne-,  qui  apaisa  Mme  la  du- 
chesse de  Bourgogne;  je  le  raccommodai  avec  M.  et 
Mme  laduchesse  d'Orléans';  je  l'y  maintins  à  force  mal- 
gré tous  ses  douteux  ménagements  ;  en  lin  je  forçai  ce 
prince  à  lui  destiner  les  finances  et  à  tii'er  son  oncle  du 
fond  de  l'abîme  pour  le  mettre  à  la  tète  des  affaires  ecclé- 
siastiques^, dernière  chose  qui  mettoit  le  comble  au  solide 
du  neveu,  quoique  ce  dernier  point  ne  fût  pas  directe- 
ment pour  lui.  Tant  de  puissants  coups  frappés  en  sa 
faveur  excitèrent  sa  jalousie  au  lieu  de  reconnoissance.  Il 
sentit  qu'il  faudroit  compter  avec  moi;  il  ne  vouloit 
compter  avec  personne,  mais^  être  le  maître,  dominer, 
gouverner,  en  un  mot  être  premier  ministre.  Je  n'en  puis 
douter,  puisqu'il  me  proposa  tie  lui  faire  donner  celte 
épouvantable  place.  Ce  n'étoit  pas  que  de  plus  loin  il  n'eût 
conçu  le  dessein  de  me  perdre,  dans  l'espérance  de  de- 
meurer après  le  maître  de  tout.  Ce  fut  pour  cela  qu'il 
conçut  cette  idée  de  salutation  du  Roi  pour  l'usage  qu'il 
m'en  préparoit,  et  qui  l'empêcha  si  constamment  de  se 
rendre  à  mes  raisons,  quoiqu'il  ne  leur  en  pût  opposer 
aucune.  Il  voulut  avant  tout  essayer  de  me  faire  donner 
dans  ce  piège,  pour  publier  avec  vérité  ce  qu'il  répandit 
avec  tant  de  calomnie,  et  ne  se*  rebuta  point  de  tâcher 
de  m'y  faire  tomber.  Mais,  auparavant,  il  voulut  faire  un 

4.  Il  veut  dire  que  Mme  des  Ursins  perdait  les  affaires  en  Espagne. 

2.  Tome  XXII,  p.  -203  et  suivantes. 

3.  Ibidem,  p.  201-202. 

4.  Ci-dessus,  p.  10  et  47. 

.^.  Le  mot  mais  a  ('■lé  ajouté  sur  la  margf. 
6.  Se  en  interligne. 


(1715]  DE  SAINT-SIMON.  231 

dernier  essai  de  mon  crédit,  dont  il  s'étoit  si  bien  trouvé 
et  si  fort  '  au-dessus  de  ses  espérances,  pour  se  faire  par 
moi  premier  ministre,  pour  s'en  assurer  davantage.  Déses- 
pérant de  m'y  faire  travailler,  il  se  garda  bien  d'en  mon- 
trer son  dépit  ;  il  n'avoit  garde  aussi  de  se  montrer  refroidi 
dans  in  dessein  qui,  jusqu'à  son  éclat,  vouloit  la  môme 
union  oour  le  rendre  plus  certain  ;  il  hâta  donc  son  der- 
nier etiort  dans  ma  chambre  pour  me  faire  tomber  dans 
ses  filels,  et,  n'y  pouvant  réussir,  il  ne  tarda  plus  un  ins- 
tant à  onsommer  sa  perfidie  par  la  plus  atroce  scélératesse, 
et  la  calomnie  la  plus  parfaite  que  le  démon,  possédant 
un  homme,  lui  puisse  faire  exécuter.  Les  espérances  les 
plus  flatteuses  s'en  présentoient  à  lui  avec  la  plus  parfaite 
confimce  que,  de  quelque  façon  que  ce  fût,  je  n'en  pour- 
rois  échapper.  Un  cri  public,  une  noblesse  ramassée,  igno- 
rante, furieuse,  répandue  partout,  me  devoit  être  une 
source  de  querelles  et  de  voies  de  fait  au  moins  fréquen- 
tes, et  dont  les  suites,  même  en  s'en  tirant  avec  succès,  ont 
des  recherches  -  légales,  longues  et  fort  embarrassantes. 
Cette  ressource  de  combats  particuliers  et  de  querelles 
avec  tout  le  monde  lui  parut  immanquable.  Si,  contre 
toute  attente,  je  sortois  heureusement  d'un  si  dangereux 
labyrinthe,  il  se  flattoit  que  M.  le  duc  d'Orléans  ne  pour- 
roit  jamais  conserver  dans  les  affaires,  dans  sa  confiance 
publique,  dans  les  places,  un  homme  en  but^  à  toute  la 
noblesse,  qui  se  portoit  publiquement  contre  lui.  Enfin,  si, 
contre  toute  apparence,  M.  le  duc  d'Orléans  ne  selaissoit 
ni  vaincre  ni  étourdir  par  ce  bruit,  le  dépit  d'essuyer  de 
la  part  du  public  une  injustice  si  criante,  si  universelle*, 
si  continuelle,  et  d'un  public  fou  en  ce  genre,  à  l'ivresse 
duquel  il  ne  me  seroit  pas  possible  de   faire    entendre 

i.  Les  mots  et  si  fort  ont  été  ajoutés  en  interligne,  comme  aussy, 
quatre  lignes  plus  bas. 

2.  Recherches  est  en  interligne  au-dessus  de  suittes,  biffé. 

3.  Il  y  a  bien  en  but,  et  non  en  butte,  dans  le  manuscrit. 

4.  L'adjectif  universelle  remplace  en  interligne  publique,  biffé. 


5H-2  MKMOIRKS  [ITloJ 

aucune  raison,   moins  encore   de  lui  persuader  la  vt'TÎté 
sur  ce  qui  le  meltoit  en  fureur,   me  feroil   d'indiynition 
quitter  la  partie,  et  le  délivreroit  au  moins  ainsi  de  moi. 
Couric  \  tout'  ce   qu'on  vient  de  voir  qui  a  |)n''cédé  cet  éclat 

et  qui  1  a  accompai,Mie,  on  ne  peut  soup(;onner  ce  r;ison- 
nement  {rimpiihition  la  plus  Iri^^'-i'e.  Il  est  vrai  que  c'est 
un  raisoniK'incnt  de  drnion,  ducpiel  il  a  toutes  les  juali- 
té?  :  pi'olDiuleur,  noirceur,  calonuiie,  attentat  à  tout,  assas- 
sinat-, aMd)ition  sans  bornes,  ingratitude  exquise,  eft'onte- 
rie  sans  mesure,  méchanceté  de  toute  espèce  la  plusiti-oce, 
scéléralesse  la  plus  rallinée,  la  plus  consommée;  nais  il 
est  vrai  aussi  que  ce  raisonnement  en  a  toute  l'étendue, 
la  réllexion,  l'esprit,  la  finesse,  la  justesse,  l'adresse;  que 
la  conjoncture  de  l'exécution  en  couronne  toute  la  Dru- 
dence  qui  s'y  pouvoit  mettre,  et  que  le  tout  ensemble  est 
sublimement'  marqué  au  coin  du  prince  des  démons,  qui 
seul  l'a  pu  inspirer  et  conduire.  Je  bornerai  là  le  pej  de 
réflexions  que  je  n'ai  pu  me  refuser  sur  une  conduitiî  de 
ténèbres  si  digne  du  vrai  *  fils  du  père  du  mensonge  et  du 
séducteur  du  genre  humain. 

J'éclate  sans         \\  n'étoit  pas  difficile  d'imaginer  à  quoi  m'alloit  porter 

Noailles*        ^^^  ^^"^  perfidie;    l'éclat  aussi   fut  tel  et  si  subit,  qu'il 

qui  ne  fut  pas  difiicile  d'y  mettre  tous  les  obstacles  qui  l'em- 

j.lie  lesjpaules   pochèrent,  d'autant  que   Noailles  évita  avec  un  soin  ex- 

snit  sa  pointe    trème  toute  l'encoutre,  dont  il  ne  se^  crut  pas  assez  en 

parmi         sûreté  dans  le  château  de  Versailles  pour  s'y  hasarder, 
la  noblesse,  ri  i        >        •  i-  i 

et  Ma  ressource  tut  donc  le  témoignage   que  rendirent  les 

■1.  Saint-Simon  avait  commencé  ce  paragraphe  par  ces  mots:  7/  est 
vray  qiie  ce  rainoiinem'  a  ;  il  a  corrigé  n  en  A  pour  commonccr  sa  nou- 
velle phrase  et  a  biflé  tout  ce  qui  précédait. 

"1.  «  Assassinat  se  dit  jtar  exaspération  d'un  outrage  fait  de  dessein 
formé,  d'une  trahison  noire  »  (Académie,  t7IH). 

3.  Cet  adverbe  est  ajouté  en  interligne. 

4.  L'adjectif  vray  a  été  encore  ajouté  en  interligne. 

5.  Ce  pronom  est  ajouté  aussi  en  interligne. 

'  Noaillcis  siircliart;e  lui/. 


[d7io]  DE  SAINT-SIMON.  28.S 

ducs  témoins  de  ce  qui  s'étoit  passé  dans  ma  chambre,   cabale  des  ducs 

)•]  !•         .  Il*  L        1  •  i'i'         contre  moi. 

qu  ils  rendirent  public,  et  ce^  que  mes  amis  non  titres 
prirent  soin  de  répandre.  J'en  parlai  aussi  à  tout  ce  que 
je  trouvai  sous  ma  main  avec  une  force  qui  n'épargna  ni 
choses  ni  termes  sur  le  duc  de  Noailles,  qui  nomma  tout 
par  son  nom,  les  choses  par  le  leur,  et  que  je  répandis  à 
tous  venants.  Je  m'expliquai  en  mêmes  termes  à  M.  le  duc 
d'Orléans  ;  mais  la  conjoncture  étoit  si  chargée  d'affaires 
les  plus  importantes,  et  de  ces  pressantes  bagatelles  qui 
prennent  nécessairement  alors  le  temps  même  des  affai- 
res, que  cet  accablement  des  derniers  moments,  pour  ainsi 
dire,  du  Roi,  ne  permirent^  guères  d'attention  suivie  à 
une  affaire  particulière.  Noailles,  qui  m'évita  jusque  chez 
M.  le  duc  d'Orléans,  où  il  craignit  mes  insultes,  même 
en  ^  sa  présence,  outré  de  tout  ce  qui  lui  revenoit  de  toutes 
parts  des  propos  sans  mesure  que  je  tenois  sur  lui,  s'arma 
de  toile  cirée^  et  de  silence  pour  les  laisser  glisser,  et 
poussa  sa  pointe  parmi  la  noblesse,  sur  le  gros  de  laquelle 
le  témoignage  des  ducs  qui  s'étoient  trouvés  chez  moi  avec 
le  duc  de  Noailles,  ni  ceux  de  mes  amis  de  leurs  confrères 
sur  mes  sentiments  à  l'égard  de  la  noblesse,  ne  les  put 
ramener^.  Noailles  avoit  bien  pris  ses  mesures  pour  les 
mettre  et  les  entretenir  dans  l'opinion  et  la  furie  qui  lui 
convenoit  sur  moi. 

Il  ne  faut  pas  demander  si  M.  et  Mme  du  Maine  surent 
profiter  d'une  si  favorable  occasion  à  leurs  intérêts  et  à 
leur  disposition  pour  moi  ;  plus  que  tout  quand  la  chose 
fut  une  fois  enfournée.  L'envie  et  la  jalousie  générale  de 
la  figure  que  personne  ne  douta  que  je  n'allasse  faire  par 
un  Régent  avec  qui  j'avois  les  plus  anciennes,  les  plus 

1.  Ce,  ajouté  en  interligne,  modifie  le  sens  de  la  phrase. 

2.  Il  y  a  bien  permirent,  au  pluriel,  dans  le  manuscrit,  quoique  le 
sujet  soit  au  singulier. 

3.  Mesme  en  en  interligne,  au-dessus  de  jusqu'en,  biffé. 

4.  Les  lexiques  du  temps  ne  donnaient  pas  cet  emploi  figuré. 

5.  Cette  dernière  partie  de  la  phrase  est  d'une  syntaxe  tout  à  fait 
incorrecte. 


Î34  MÉMOIRES  \\l\l\] 

importantes,  les  plus  uniques  liaisons,  qui  lui  avois  i-endu 
les  plus  signalés  services,  qui  étois  demeuré  le  seul  homme 
dont  rattachement  pour  lui  avoit  été  fidèle  et  public  sans 
craindre  les  menaces  ni  les  plus  grands  dangers,  et  qui 
étois  le  seul  dans  toute  sa  confiance  et  vu  publi(|uement 
tel,  cette  gangrène  du  monde',  a  voit  gagné  même  des- ducs; 
Noailles  en  sut  profiter.  Son  abattement  depuis  son  rappel 
d'Espagne   avoit  émoussé  l'envie  et   la  jalousie  sur  lui; 
celle  qu'on  prenoit  de  moi  avoit  toute  sa  force  dans  le 
moment  naissant  d'une  splendeur  prévue  toujours  bien 
au-dessus  de  ce   qui    arrive   en  cfTet.    Par  Canillac,  ami 
intime  de  la  Feuillade,  il  se  lia  à  lui:  on  a  pu  voir  par 
divers  traits  qu'ils  étoient  tous  deux  assez  homogènes; 
par  la  Feuillade,  avec  les  ducs  de  Villeroy  et  de  la  Hoche- 
foucauld,    lequel   rogue,  glorieux,  et  aussi  envieux  que 
son  père,  avec  aussi  peu  d'esprit,  n'avoitpu  me  pardonner 
la  préséance  sur  lui,  ni  son  beau-frère,  un  avec  lui.  Riche- 
lieu, jeune  étourdi  alors,  plein  d'esprit,  de  feu,  d'ambi- 
tion, de   légèreté,  de  galanterie,  apprenoit  à  voler  sous 
les  ailes  de  la  Feuillade,  que  le  bel  air  avoit  rendu  son 
oracle,    et*,  cousin  germain   de   Noailles  par  sa  femme*, 
et  uni  à  lui  par  la  protection  ouverte  de  Mme  de  Mainte- 
non,  se  promit  bien  de  figurer  par  ces  Messieurs,  qui, 
pour  s'autoriser  d  un   homme  de  poids,  firent  des  assem- 
bléeschezle  maréchal  d'Ilarcourt%  ami  de  la  Rochefoucauld 
et  de  Villeroy,  et  qui  par  Mme  de  Maintenon  éfoit  de  tout 
temps  en  mesure  avec  Noailles.  Ilarcourt  ne  me  vouloit 
point  de  mal  ;  on  a  vu  en  divers  endroits  qu'il  s'étoit  ouvert 

1.  L'onvie,....  celte  gangrène  du  monde. 

2.  Les  corrigé  en  des. 

3.  Apiès  cet  et,  il  y  a  dans  le  manuscrit  un  qui  inutile,  rendant  la 
phrase  incorrecte. 

4.  La  ductiesse  de  Richelieu,  Anne-Catherine  de  Noailles,  élait 
fille  du  marquis  de  Noailles,  frère  cadet  du  maréchal  père  du  duc  dont 
il  est  ici  question. 

5.  On  a  déjà  vu  (tome  XXVI,  p.  i,  dO  et  56,  et  ci-dessus,  p.  219) 
qu'il  s'était  tenu  chez  lui  auparavant  diverses  assemblées  de  ducs. 


[1745]  DE  SAINT-STMON.  235 

fort  librement  à  moi  sur  les  bâtards  et  sur  d'autres  choses; 
qu'il  avoit  tenté  plus  d'une  fois  liaison  et  union  avec  moi, 
à  laquelle  la  mienne  avec  M.  de  Beauvillier  n'avoit  pu  me 
permettre  de  me  laisser  entraîner'.  Comme  l'autre  n'avoit 
fait  que  tenter,  ma  retenue  n'avoit  pu  nous  brouiller; 
mais  elle  avoit  diminué  la  bienveillance,  et  d'ailleurs  il 
étoit  fort  opposé  en  dessous  à  M.  le  duc  d'Orléans,  ainsi 
que  la  Rochefoucauld,  Villeroy  et  la  Feuillade  ;  néanmoins 
il  ne  fut  que  leur  ombre.  Ses  diverses  attaques  d'apo- 
plexie l'avoient  extrêmement  abattu;  il  n'étoit  plus  que  la 
figure  extérieure  d'un  homme,  et  sa  tête  ne  pouvoit  s'ap- 
pliquer, ni  sa  langue,  embarrassée  déjà,  s'expliquer  bien 
aisément;  mais  ce  groupe  suppléoit,  et  se  couvroit  de  son 
nom  pour  séduire  autant  de  ducs  qu'ils  purent.  La  Feuil- 
lade me  haïssoit  de  tout  temps,  sans  que  j'en  aie  jamais 
pu  découvrir  la  cause,  plus  encore  comme  l'ami  de  M.  le 
duc  d'Orléans,  et  comme  l'envie  même,  qui  surnageoit  à 
tous  ses  autres  vices.  Depuis  la  disgrâce  de  Turin  %  dont 
il  n'avoit  pu  se  relever  du  tout,  il  avoit  fait  le  philosophe 
sans  quitter  le  bel  air.  Il  avoit  cherché  à  capter  les  gens 
importants  par  leur  état  ou  par  leur  réputation,  surtout 
parmi  ceux  qui  étoientou  faisoient  les  mécontents.  Il  avoit 
fait  extrêmement  sa  cour  au  marquis  de  Liancourt^,  qu'il 
trompa  par  ses  belles  maximes  et  qui  s'en  sépara  à  la  fin 
hautement,  et,  par  Liancourt,  qui  étoit  plein  d'esprit, 
d'honneur,  de  savoir  et  de  probité,  qui  n'étoit  qu'un  avec 
la  Rochefoucauld  son  frère  et  le  duc  de  Villeroy,  il  se 
lia  étroitement  avec  eux. 

M.   de   Luxembourg,   le  plus  intime  ami  de  ces  trois         je  me 
hommes,  par  leur  ancienne  union  avec  feu  M,  le  prince     raccommode 

4.  Tomes  XVIII,  p.  43,  XXI,  p.  4.i9-t6l,  et  ci-dessus,  p.  78. 

2.  En  i70fi:  tome  XIV,  p.  92  et  suivantes. 

3.  Il  a  dit  dans  le  tome  XXVI,  p.  3i8  (où  il  est  déjà  question  de 
toute  cette  cabale  à  demi  hostile  au  Régent)  que  le  marquis  de  Lian- 
court, frère  du  duc  de  la  Rochefoucauld,  «  avoit  de  l'esprit  et  du  sens 
pour  eux  tous  ». 


-236  MÉMOIRES  fi715| 

avec  le  duc  de   (Je    Conti'.  fut  do  oompas^tiie    envahi  par    la    Fouillade. 

Luxcmbourc;     ,  ,  ....  ,      ."^ ,  \n 

son   caraci.-re.    L'Uxenioourg  eloil  un  loit  liomme  d  honneur,  qui  avoit  a 

peine  le  sens  commun,  rectifié  par  le  grand  usage  du 
meilleur  et  du  plus  grand  monde  où  son  père  l'avoit  initié. 
Il  étoit  plein  de  petitesses  dans  le  commerce,  quoique  le 
meilleur  homme  du  monde-;  mais  il  vouloit  des  soins, 
des  prévenances,  qu'il  rendoif  bien  à  la  vérité,  mais  qui 
étoient  importunes  à  la  continue^.  La  bonté  de  son  carac- 
tère, les  anciennes  liaisons  du  temps  de  son  père,  la  ma- 
gnificence et  la  commodité  de  sa  maison,  y  avoit  accou- 
tumé le  monde.  J'étois*  le  seul  des  ducs  opposants  à  sa 
préséance  qui  étois  demeuré  brouillé  avec  lui.  Quelques 
jours  avant  l'éclat  dont  je  parle,  je  l'avois  rencontré  dans 
la  galerie  de  l'aile  neuve,  au  bout  de  laquelle  il  avoit  un 
beau  logement  en  haut.  Je  sentois  l'importance  de  la  réu- 
nion de  tous  les  ducs.  Je  l'abordai  et  je  lui  fis  civilité  sur 
les  petites  assemblées  qui  s'éioient  tenues  chez  moi,  dont 
je  lui  dis  que  je  voulois  lui  rendre  compte.  Il  y  fut  sen- 
sible au  point  qu'il  vint  chez  moi,  qu'il  ne  fut  plus  men- 
tion du  passé,  qu'il  fut,  sans  que  je  le  susse  qu'après, 
ferme  à  me  défendre  contre  toutes  les  attaques  de  ses 
amis  et  de  tout  le  monde,  qu'il  me  fit  mille  recherches, 
et  que  nous  sommes  demeurés  en  liaison  jusqu'à  sa  mort. 
Suites  Noailles  avoit  si  bien  profité  de  la  sottise  publique,  et 

de  1  éclat  .  .  .  .  .  . 

M.  du  Maine  aussi,  qu'il  me  fut  impossible  d'y  faire  en- 
tendre raison  et  vérité  ;  mais  la  Providence  arrêta  aussi 
leurs  cruelles  espérances.  Je  sortis,  allai  et  vins  tout  à  mon 
ordinaire;  je  ne  trouvai  jamais  personne  qui  me  dît  quoi 
que  ce' soit  qui   pût,  non  pas  me  fâcher,  mais  m'indispo- 

1.  Déjà  dit  dans  le  mémo  passage. 

'2.  Les  Caractères  de  1703  no  lui  reconnaissaient  qu'un  cénie  mé- 
diocre, sans  apparence  qu'il  fût  jamais  de  grande  utilité  à  l'Etat. 

3.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  171  fi  donnait  cette  locution 
adverbiale,  au  sens  de  «  à  la  longue,  à  force  de  continuer  »  ;  la  der- 
nière édition  l'indique  comme  familière  et  vieillie. 

4.  J'estais  conige  c'estoit. 


[1745] 


DE  SAINT-SIMON. 


131 


Bassesse 

et  désespoir  de 

Noailles. 


ser.  Les  plus  enivrés  passoient  leur  chemin  avec  une  salu- 
tation froide,  en  sorte  que  je  n'eus  ni  à  courir,  ni  à  me 
défendre,  ni  même  à  attaquer,  et  je  suis  encore  à  le  com- 
prendre, d'un  nombre  infini  de  têtes  aussi  échauffées,  aussi 
excitées,  et  de  ce  nombre  d'entours  du  duc  de  Noailles, 
qui,  quand'  cela  se  trouvoit  à  leur  portée,  m'entendoient 
parler  de  lui-  de  la  manière  la  plus  diffamante  et  la  plus 
démesurée.  Je  coulerai  ici  cette  affaire  à  fonds  pour  n'avoir 
plus  à  y  revenir,  et  pour  éclaircir  par  là  plusieurs  choses 
qui  se  sont  passées  depuis  tout  pendant  la  Régence,  et 
même  après. 

Noailles  souffrit  tout  en  coupable  écrasé  sous  le  poids 
de  son  crime.  Les  insultes  publiques  qu'il  essuya  de  moi 
sans  nombre  ne  le  rebutèrent  point.  Il  ne  se  lassa  jamais    Sa  conduite  à 
de  s'arrêter  devant  moi  chez  le  Récent,  ou  en  entrant  et      ^^^  ^g^'"^ 

,  M     1         »  /     '  ,    »        et  la  mienne 

sortant  du  conseil  de  régence,  avec  une  révérence  extre-  au  sien. 
mement  marquée,  ni  moi  de  passer  droit  sans  le  saluer 
jamais,  et  quelquefois  de  tourner  la  tête  avec  insulte,  et 
il  est  très  souvent  arrivé  que  je  lui  ai  fait  des  sorties  chez 
M.  le  duc  d'Orléans  et  au  conseil  de  régence,  dès  que  j'y 
trouvois  le  moindre  jour,  dont  le  ton,  les  termes,  les  ma- 
nières effrayoient  l'assistance,  sans  qu'il  répondît  jamais 
un  mot  ;  mais  il  rougissoit,  il  pâlissoit,  et  n'osoit  se  com- 
mettre à  une  nouvelle  reprise.  Si  rarement  il  répondoit 
un  mot,  je  le  dis  avec  vérité,  il  le  faisoitd'un  ton  et  avec 
des  paroles  aussi  respectueuses  que  s'il  eût  répondu  à 
M.  le  duc  d'Orléans.  Parmi  cela,  les  affaires  n'en  souffri- 
rent jamais.  Je  m'en  étois  fait  une  loi,  à  laquelle  je  n'ai 
point  eu  à  me  reprocher  d'avoir  jamais  manqué.  J'étois 
de  son  avis  quand  je  croyois  qu'il  étoit  bon  ;  il  m'est 
arrivé  quelquefois  de  l'avoir  appuyé  contre  d'autres  ;  du 
reste,  même  hauteur,  mêmes  propos,  même  conduite  à 
son  égard.    Il   est  quelquefois  sorti  si   outré  du  Palais- 

1.  Ce  quand  surcharge  m'en[tendoient],  plus  loin. 

2.  Saint-Simon  a  ajouté  de  luy  en  interligne,  en  oubliant  de  biffer 
en  avant  entendaient. 


■238  MÉMOIRES  [1715] 

Royal  ou  des  Tuileries,  tie  ce  i|ue  je  lui  avois  dit  et  fait  en 
face,  devant  le  Régent  et  tout  ce  qui  s'y  trouvoit,  qu'il 
est  allé  quelquefois  tout  droit  chez  lui  se  jeter  sur  son  lit 
comme  au  désespoir,  et  disant  qu'il  ne  pouvoit  plus  sou- 
tenir les  traitements  qu'il  essuyoit  de  moi  ;  jusque-là  qu'au 
sortir  d'un  conseil  où  je  le  forçai  de  rapporter  une  alTaire 
que  je  savois  qu  il  alTeclionnoit,  et  sur  laquelle  je  l'entre- 
pris sans  mesure  et  le  fis  tondre',  lui-  dictai  l'arrêt  tout 
de  suite  et  le  lus  après  qu'il  l'eut  écrit,  en  lui  montrant 
avec  hauteur  et  dérision  ma  défiance  et  à  tout  le  Conseil, 
il  se  leva,  jeta  son  tabouret  à  dix  pas,  et  lui  qui  en  place 
n'avoit  osé  répondre  un  seul  motque  de  l'afïaire  même  avec 
l'air  le  plus  embarrassé  et  le  plus  respectueux:  «  Mort...! 
dit-il  en  se  tournant  pour  s'en  aller,  il  n'y  a  plus  moyen 
d'y  durer,  »  s'en  alla  chez  lui,  d'où  ses  plaintes  me  revin- 
rent, et  la  fièvre  lui  en  prit.  Il  y  avoit  peu  de  semaines 
qu'il  n'en  essuyât  de  très  fortes,  moi  toujours  sans  le 
saluer,  ni  lui  parler  qu'en  opinant,  pour  le  bourrer^  dès 
que  j'y  trouvois  jour,  lui  sans  se  lasser  de  me  faire  les 
révérences  les  plus  marquées,  et  de  m'adresser  souvent  la 
parole  avec  un  air  de  respect  dans  les  rapports  qu'il  fai- 
soit,  n'osant  d'ailleurs  s'approcher  de  moi,  beaucoup  moins 
me  parler. 
Noaires  ^  "6  fut  pas  longtemps  sans  chercher  à  m'apaiser,  dans 

n'oublie  rien,  \q  désespoir  où  il  étoit  d'avoir  montré  tout  ce  dont  ilétoit 
inuiiTe^mpnt  capable,  sans  en  avoir  recueilli  ce  qu'il  s'en  étoit  proposé, 
pour  et  qu'il  avoit   compté  immanquable.  11  essuyoit    de  moi 

sans  cesse  des  sorties  publiques,  des  hauteurs  en  passant 
devant  lui  dont  le  mépris  attecté  faisoit  regarder  tout  le 
monde,  et  des  propos  sur  lui  où  rien  n'étoit  ménagé.  Un 

i.  Locution  déjà  rencontrée  dans  le  tome  XXI,  p.  113. 

2.  Avant  biy,  Saint-Sim^n  a  bille  et,  et  mis  tout  de  suitle  en  inter- 
ligne au-dessus  d'après,  biffé. 

3.  «  On  dit  ligurément  bourrer  quelqu'un  dans  une  dispute,  pour 
dire,  le  [iresser  vivement,  en  sorte  qu'il  ne  sache  que  répondre  »  (Aca- 
démie, 1718). 


me  fléchir. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  239 

ennemi  qui  se  piquoit  de  l'être  et  de  le  paroître  sans  au- 
cune mesure,  à  qui  les  plus  cruelles  expressions  étoient 
les  plus  familières,  les  insultes  et  les  sorties  en  toute  occa- 
sion en  plein  Conseil,  et  au  Palais-Royal  en  présence  du 
Régent,  avec  cette  hauteur  et  cet  air  de  mépris  que  la 
vertu  offensée  prend  sur  le  crime  infamant,  fut  si  pesant 
à  ce  coupable,  qu'il  n'omit  rien  au  moins  pour  m'émous- 
ser.  Il  se  mita  chanter  mes  louanges,  à  dire  qu'il  ignoroit 
quelle  grippe'  j'avois  prise  contre  lui,  que  ce  n'étoit  au 
plus  qu'un  malentendu,  qu'il  avoit  toujours  été-  mon  ser- 
viteur, et  le  vouloit  demeurer  même  malgré  moi,  et  qu'il  n'y 
avoit  rien  qu'il  ne  voulût  faire  pour  regagner  mes  bonnes 
grâces.  Sa  mère,  que  j'avois  toujours  eu  lieu  d'aimer, 
étoit  au  désespoir  contre  son  fils,  et  me  fit  parler.  D'une 
infinité  d'endroits  directs  et  indirects  je  fus  attaqué; 
Mme  de  Saint-Simon  fut  exhortée  sur  le  ton  de  piété; 
mes  amis  les  plus  particuliers  furent  priés  de  tâcher  à 
m'adoucir.  Je  répondis  toujours  que  c'étoit  assez  d'avoir 
été  dupe  une  fois  pour  ne  l'être  pas  une  seconde  du  même 
homme,  qu'il  n'y  en  avoit  point  qui  eût  pu  se  douter, 
ni  par  conséquent  échapper  à  un[e]  si  noire  scélératesse, 
si  pourpenste,  si  profonde,  si  achevée;  mais  qu'il  falloit 
croire  avoir  affaire  à  un  stupide  incapable  d'aucune  sorte 
de  sentiment  pour  imaginer  de  lui  faire  oublier  une  per- 
fidie et  une  calomnie  de  cette  espèce  et  de  cette  suite, 
dont  le  criminel  auteur  seroit  à  jamais  l'objet  de  ma  haine 
et  de  ma  vengeance  la  plus  publique  et  la  plus  implacable, 
dont  il  pouvoit  compter  que  la  mesure  seroit  de  n'en  gar- 
der aucune.  Ma  conduite  y  répondit  pleinement,  et  la 
sienne  à  mon  égard  fut  aussi  la  même  en  bassesse.  Ce  qui 
le  confondit  et  le  désola  le  plus,  au  milieu  de  sa  prospé- 
rité, de  ne  pouvoir  parvenir  à  une  réconciliation  avec  moi, 
c'étoit  le  contraste  de  son  oncle,  dont  la  liaison  avec  moi 

i.  Dans  le  tome  XXII,  p.  197,  il  avait  qualitié  lui-même  le  duc  de 
Noaille    d'  «  homme  de  tjrippe  ». 
2.  Esté  surcharge  un  premier  mon. 


240  M  K  M  01  n  FIS  \\lir>] 

ne  soullrit  pas  le  moins  du  iiioiiclc,  cl  qui  ctuit  publique. 
Je  n'en  fus  que  plus  ardent  pour  le  cardinal  de  .Noailles, 
qui  venoit  sans  cesse  chez  moi,  et  moi  chez  lui,  avec  la 
plus  grande  confiance,  et  que  je  servis  toujours  de  tout  ce 
ijue  [je]  pus,  et  ouvertement'.  Ce  contraste  tomhoit  à 
plomb  sur  le  duc  de  Noailles,  qui  à  la  fin  me  lit  demander 
ejràce,  en  propres  termes,  par  M.  le  duc  d'Orléans,  à  qui 
je  sus  répondre  de  hi^ou  qu'il  se  garda  depuis  d'y  revenir. 
Le  duc  de  Noailles  fut  accablé  de  ce  refus.  Il  me  fit  reve- 
nir des  choses  que  je  n'oserois  écrire,  parce  que,  quoique 
vraies,  elles  ne  seroient  pas  croyables:  par  exemple,  que 
j'aurois  enfin  pitié  de  lui,  si  je  connoissois  l'état  où  je  le 
mettois,  et  des  bassesses  de  toutes  sortes.  Le  cardinal  de 
Noailles  chercha  souvent  à  me  tourner,  et  enfin  me  parla 
de  cette  division  à  deux  reprises,  qui,  me  dit-il,  le  com- 
bloit  de  douleur,  et  chez  lequel  je  ne  rencontrai  jamais 
le  duc  de  Noailles,  qui  avoit  grand  soin  de  m'éviter.  Je 
répondis  la  même  chose  au  cardinal  toutes  les  deux  fois. 
Je  lui  dis  que,  quand  il  lui  plairoit,  je  lui  rendrois  un 
compte  exact  de  ce  qui  l'avoit  causée  ;  qu'il  falloit,  s'il  le 
vouloit  ainsi,  qu'il  se  préparât  à  entendre  d'étranges  cho- 
ses; qu'après  cela  je  nevoulois  point  d'autre  juge  que  lui. 
Toutes  les  deux  fois  la  proposition  lui  ferma  la  bouche, 
et  il  ne  m'en  parla  plus.  Je  demeurai  persuadé  qu'il  en 
savoit  assez  pour  craindre  de  l'entendre,  et  que  c'est  ce 
qui  l'arrêta  tout  court;  mais  il  en  gémissoit;  car  il  aimoit 
cet  indigne  neveu,  et  indigne  pour  lui-même  comme  on 
le  verra  en  son  temps-.  Je  passe  d'autres  tentatives  très 
fortes  du  duc  de  Noailles  pour  essayer  de  me  rapprocher, 
parce  qu'elles  se  retrouveront  pendant  la  Régence.  Tant 
qu'elle  dura,  j'en  usai  de  la  sorte  avec  lui,  sans  qu'il  se 
soit  jamais  lassé  de  ses  révérences  respectueuses,  sans  que 
je  l'aie  jamais  daigné  saluer  le  moins  du  monde,  ni  payé 

\.  Les  mots  et  ouvertem'  ont  été  ajoutés  en  interligne. 
2.  Suite  des  Mémoires,  tome  XIII  do  1873,  p.  1«;-I8ri,  .Si!  et  Tni 
el  suivantes. 


[1743]  DE  SAINT-SIMON.  241 

ses  façons  de  déférence  que  par  le  mépris'  le  plus  mar- 
qué, ou  la  hauteur  la  plus  insultante,  et  toujours  les  sor- 
ties sur  lui  en  face  en  toutes  les  occasions  que  j'en  pouvois 
faire  naître.  Douze  années  se  passèrent  de  la  sorte  sans  le 
moindre  adoucissement  de  ma  part,  et  sans  qu'en  aucun 
temps  les  devoirs  communs  aient  cessé  ni  foibli  entre 
toute  sa  famille  et  moi  et  la  mienne  ^  Cette  parenthèse  est 
longue  ;  mais  il  en  faut  voir  le  bout. 

1.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit:  ny  ses  façons  de  déférence  que 
je  ne  payais  que  par  le  mépris;  il  a  biffé  ^e  ne  payais,  ajouté  payé 
en  interligne  avant  ses  façans,  mais  laissé  les  deux  que. 

2.  Chéruel,  dans  Saint-Simon  considéré  comme  historien  de 
Louis  XIV,  p.  330  et  suivantes,  a  cru  pouvoir  établir,  par  deux  lettres 
de  Saint-Simon  adressées  en  171G  au  duc  de  Noailles,  que  les  rapports 
entre  eux  ne  furent  pas,  à  cette  époque,  ni  plus  tard,  aussi  ditiiciles 
que  notre  auteur  le  dit.  Les  deux  lettres  sont  certainement  courtoises, 
et  on  n'y  trouve  rien  qui  sente  l'antipathie;  on  y  peut  remarquer  seu- 
lement la  froideur  de  la  formule  finale  :  «  avec  les  sentiments  que  je 
dois  ».  A  l'argument  qu'elles  apportent,  on  peut  en  ajouter  un  autre, 
d'une  espèce  négative  évidemment,  mais  qui  prend  une  certaine  valeur 
par  son  universalité:  c'est  qu'aucun  des  contemporains,  ni  Dangeau, 
ni  Mathieu  Marais,  ni  l'avocat  Barbier,  ni  Jean  Buvat,  ni  le  marquis 
d'Argenson,  ni  le  duc  de  Luynes,  ni  les  Mémoires  de  Noailles  lui- 
même,  ni  la  correspondance  de  Madame  Palatine,  ne  font  aucune  allu- 
sion à  une  discussion  quelconque  entre  Saint-Simon  et  Noailles,  à  un 
témoignage  d'antipathie  de  l'un  à  l'autre,  bien  loin  de  parler  d'insultes 
publiques  comme  le  dit  notre  auteur.  Est-il  possible  de  croire,  si  cette 
situation  entre  eux  a  été  portée  au  point  que  Saint-Simon  le  dit,  que 
personne  ne  l'ait  indiquée,  quand  même  ce  n'aurait  été  que  pour  mon- 
trer combien  elle  était  nuisible  aux  affaires  entre  deux  membres  du 
conseil  de  régence  ?  La  vérité,  croyons-nous,  doit  être  plus  simple. 
Noailles,  à  bien  des  reprises  sans  doute,  ne  partagea  pas  toutes  les 
idées  de  Saint-Simon  ;  d'où  mécontentements  répétés  de  celui-ci,  qui, 
avec  son  caractère  prime-sautier,  dut  le  faire  sentir  chaque  fois  immé- 
diatement, sans  que  cette  pique  passagère  ait  eu  sur  leurs  rapports 
communs  des  conséquences  suivies  et  prolongées.  Quand,  bien  des 
années  plus  tard,  Saint-Simon  rédigea  ses  Additions  à  Dangeau,  puis 
ses  Mémoires,  se  rappelant  ces  petits  faits,  il  les  vit  bien  plus  impor- 
tants qu'ils  n'avaient  été  en  réalité,  grâce  à  ce  verre  grossissant  que 
son  caractère,  aigri  par  la  solitude  et  l'ambition  trompée,  portait  sur 
toutes  choses.  De  faits  isolés,  mais  répétés,  il  forma  un  ensemble,  et 

UÉMOIRES    UE    SAI.NT-SIHON.    XX VU  16 


542  MÉMOIRES  [ITir.] 

Noaillos,  On  vorra  dans  la  suite  tlo  la  Hégonco  combien  letluc<le 

depuis  la  mort   i^oaiHp^  f^t  infatigable,  avec  une  persévérance  sans  lin,  à 
de  M .  le  ^ .         \  '        .  . 

duc  d'Orloans,   essuyer  tout  (Je  moi,  et  à  ne  se  lasser  jamais  de  rechercher 
''!'■"^' ,  tous  les   moyens    imaginables   de    se   raccommoder  avec 

inutiïcmcnt     moi,  pour  le  uioins  de  m'adoucir.  Tout  fut  non-seulement 
à  m'adoucir.     inutile  tant  qu'elle  dura,  mais    encore   après  la  mort  de 
extri^mo  du     ^^-  ^^  <^uc  d'Orléans.  Les  occasions  de  nous'  rencontrer 
raccom-       devinrent  bien  plus  rares  ;  mais  le  maintien  -,  quand  cela 
"™°''*ennn*  '^"''  arrivoit,  fut  toujours  le  même  des  deux  parts,  et  les  pro- 
ie mariage  de    pos,  de  la  mienne  %  aussi  pesants,  aussi  fermes  et  aussi  sans 
mon  fils  auK-.   mesure,  tant  qu'il  s'en  présentoit  d'occasions.  C'est  une 
chose  terrible  que  la  poursuite  intérieure  du  crime. 

Il  y  avoit  longtemps  que  j'avois  quitté  le  Conseil  ;  mon 
crédit  s'étoit  éteint  avec  la  vie  de  M.  le  duc  d'Orléans;  je 
n'avois  plus  de  place,  et  je  vivois  fort  en  particulier. 
M.  de  Noailles,  au  contraire,  avec  ses  gouvernements  et 
sa  charge  de  premier  capitaine  des  gardes  du  corps,  se 
trouvoit  à  la  tête  de  la  famille  la  plus  puissante  en  tout 
genre  par  toutes  sortes  de  grands  établissements.  Malgré 
cette  différence  totale,  ni  lui  ni  les  siens  ne  purent  sup- 
porter cette  situation  avec  moi.  Le  duc  de  Guiche,  maré- 
chal de  France  en  1724,  où  il  prit  le  nom  de  maréchal  de 
Gramont*,  mort  à  Paris  en  septembre  172o%  à  cinquante- 
trois  ans,  avoit  deux  fils,  morts  l'un  après  l'autre,  colonels 

il  exagéra  jusqu'à  la  haine  des  méconlentemenls  et  des  froissements 
d'araour-propre,  qui,  dans  le  temps  même,  avaient  été  sans  conséiiuen- 
ces.  C'est  là,  croyons-nous,  que  doit  se  trouver  la  vérité. 

4.  Le  mot  nous,  qui  termine  la  page  i&l'J  du  manuscrit,  a  été  répété 
au  commencement  de  la  page  1630. 

2.  Avant  ce  mot,  Saint-Simon  a  biil'é  mesme. 

3.  Du  mien  corrigé  en  de  la  mienne. 

4.  Antoine  V  de  Gramont  :  tome  IV,  p.  232  ;  il  avait  pris  le  nom  de 
duc  de  Gramont  depuis  la  mort  de  son  père  en  1720}  on  se  rappelle 
qu'il  avait  épousé  la  so'ur  du  duc  de  Noailles. 

5.  Le  16  septembre. 

'  Aussy  est  en  interligne. 

"La  fin  de  la  maDchelte,  depuis  Leur,  a  été  ajoutée  après  coup. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  243 

du  régiment  des  gardes  après  lui',  et  deux  filles.  Il  avoit 
marié  l'aînée  au-  fils  aîné  de  Biron,  morts  tous  deux, 
connus  sous  le  nom  de  duc  et  de  duchesse  de  Gontaut%  et 
l'autre  au  prince  de  Bournonville '%  fils  du  cousin  germain 
de  la  maréchale  de  Noailles  et  d'une  sœur  du  duc  de 
Chevreuse,  tous  deux  morts  ^  Ce  mariage  s'étoit  fait  à  la 
fin  de  mars  1719,  quoique  le  marié,  qui  n'avoit  guères  que 
vingt-deux  ans,  eût  déjà  les  nerfs  affectés  à  ne  se  pouvoir 
presque  soutenir.  Il  devint  bientôt  après  impotent,  puis 
tout  à  fait  perclus,  et  menaça  longuement  d'une  fin  pro- 
chaine ^  La  mère  de  sa  femme  ^  étoit  l'aînée  des  sœurs  du 
duc  de  Noailles,  parmi  lesquels^  elle  avoit  toujours  été  la 

i.  L'aîné  était  Louis-Antoine- Armand  de  Gramont,  titré  duc  de 
Louvigny,  duc  de  Guiche  (i7-iO),  puis  duc  de  Gramont  en  1723,  mort 
en  1741  :  tome  XIX,  p.  33.  Le  second,  Louis,  comte  de  Lesparre, 
puis  de  Gramont,  entin  duc  de  Gramont  en  1741  (notre  tome 
XII,  p.  418),  avait  eu  alors  la  charge  do  colonel  des  gardes  fran- 
çaises à  la  mort  de  son  frère  aîné  ;  il  fut  tué  à  Fontenoy  le  11  mai 
1743,  et  cela  indique  que  le  présent  passage  fui  écrit  après  cette 
date. 

2.  Aux  corrigé  en  au. 

3.  Marie-Adélaïde  de  Gramont,  morte  le  23  mars  1740,  à  quarante 
ans,  dame  du  palais  de  la  Reine  en  1725,  avait  épousé  le  30  décem- 
bre 1713  (Saint-Simon  parlera  de  ce  mariage  à  sa  date,  suite  des  Mé- 
moires, tome  XII,  p.  392)  François-Armand  de  Gontaut,  dis  d'Armand- 
Charles,  duc  de  Biron,  né  en  1090,  et  titré  comte  de  Gontaut;  d'abord 
lieutenant  de  la  compagnie  des  cent  gentilshommes  au  bec  de  corbin, 
il  eut  un  régiment  de  cavalerie  de  son  nom  en  1703,  puis  un  autre  en 
1712,  entin  celui  d'Anjou-cavalerie  en  septembre  1719,  qu'il  quitta 
en  1732;  il  avait  été  nommé  brigadier  en  février  1719.  Son  père  se  démit 
de  son  duché  en  sa  faveur  en  1733,  et  il  prit  alors  le  nom  de  duc  de 
Gontaut;  il  mourut  le  28  janvier  1736. 

4.  Philippe-Alexandre,  prince  de  Bournonville  (tome  VIII,  p.  290), 
et  Catherine-Charlotte-Thérèse  de  Gramont  (tome  XIII,  p.  123). 

3.  Cela  a  déjà  été  dit,  à  propos  de  la  mort  de  Mme  de  Bournonville 
la  mère,  dans  le  tome  VIII,  p.  289. 

6.  Il  mourut  le  3  janvier  1727,  comme  on  va  le  voir  ci-après. 

7.  Les  mots  de  sa  femme  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

8.  Il  y  a  bien  lesquels,  au  masculin,  dans  le  manuscrit,  se  rappor- 
tant à  l'idée  des  Noailles. 


2U  MÉMOIRES  fl7i:i] 

plus  comptée.  Ils  songèrent  tous  à  mon  fils  aîné  '  pour 
elle,  dès  qu'elle  seroit  libre,  coinnie  un  moyen  de  raccom- 
modement. Ellet'toit  belle,  bien  faite,  n'étoil  jamais  sortie 
de  dessous  l'aile  de  sa  mère,  et,  pour  le  bien,  ('toit  le 
plus  grand  parti  de  France  alors  parmi  les  personnes  de 
qualité.  Us  n'osèrent  me  faire  rien  ji'ter  là-dessns;  mais  ils 
crurenttrouver  Mmede  Saint-Simon  plus  accessible.  Us  ne 
se  trompèrent  pas.  Elle  me  sonda  de  loin  avec  peu  de 
succès  ;  elle  ne  se  rebuta  point  ;  elle  me  parla  ouverte- 
ment, méprit  par  le  monde  sur  l'alliance  et  le  bien,  et 
par  la  religicm  comme  un  moyen  honnête  de  mettre  fin  à 
la  longueur  et  à  l'éclat  toujours  renaissant  d'une  rupture 
ouverte.  Je  fus  plus  d'un  an  à  me  laisser  vaincre  par 
l'horreur  du  raccommodement.  Enfin,  pour  abréger  ma- 
tière, dès  que  j'eus  consenti,  tout  fut  bientôt  fait.  Chau- 
velin,  président  à  mortier,  depuis  garde  des  sceaux  -,  etc., 
étoit  le  conducteur  des  affaires  de  la  maréchale  de  Gra- 
mont^  Il  me  courtisoit  depuis  plusieurs  années.  Dès 
qu'il  sut  que  je  m'étois  enfin  rendu,  car  jusque  là  il 
n'avoit  osé  m'en  parler  directement,  il  dit  que  la  maré- 
chale de  Gramont  ne  pouvoit  entrer  en  rien  pendant  la 
vie  de  son  gendre,  mais  qu'il  se  chargeoit  de  tout,  et  en 
eftet  tout  fut  réglé  entre  Mme  de  Saint-Simon  et  lui,  se 
faisant  forts  ^  l'un  et  l'autre  de  n'être  pas  dédits.  Dans  le 
peu  que  cela  dura  de  la  sorte,  le  caidinal  de  Noaillesm'en 
parloit  sans  cesse,  et  la  maréchale  de  Gramont  et  sa  fille 
ne  négligeoient  aucune  occasion  de  courtiser  tout  ce  qui 

1.  .lacques-Louis.  duc  de  Rutrec:  tome  V.  p.  3t7. 
•2.  Germain-Louis  Cliauvelin  :  tome  VI,  p.  8"2t.  Il  devint  garde  des 
sceaux  et  secrétaire  d'Etat  quelques  mois  seulement  après  ce  mariage. 

3.  Comme  Saint-Simon  parle  d'un  événement  de  il'îl,  il  donne  à 
la  duchesse  de  Guiche,  Marie-Cliristine  de  rsoailles,  le  titre  de  maré- 
chale de  Gramont  qu'elle  prit  en  ITii. 

4.  Saint-Simon  écrit  bien  se  faisant  forts  avec  accord  de  l'adjectif, 
bien  que,  déjà  en  17t8,  le  Dictionnaire  de  l'Académie  posât  la  règle, 
très  peu  logique  d'ailleurs,  que  dans  cette  locution  le  mot  fort  devait 
rester  invariable. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  Vr6 

tenoit  intimement  à  nous.  Le  premier  article  fut  un  rac- 
commodement entre  le  duc  de  Noailles  et  moi.  J'y  pres- 
crivis qu'il  ne  s'y  parleroit  de  rien,  ni  en  aucun  temps, 
et  qu'on  n'exigeroitde  moi  rien  de  plusqiie  la  bienséance 
commune  ;  on  ne  disputa  sur  rien.  Il  arriva  qu'une  aprcs- 
dînéc  j'allai  par  hasard  à  l'hôtel  de  Lauzun',  où  je  trou- 
vai Mme  de  Bournonville  qui  jouoit  à  l'hombre,  amenée 
et  gardée  par  Mme  de  Beaumanoir-,  qui  logeoit  avec  sa 
sœur  la  maréchale  de  Gramont.  Un  peu  après,  on  vint 
demander  Mme  de  Beaumanoir,  qui  sortit  et  rentra  aussi- 
tôt \  parla  bas  à  Mme  de  Lauzun,  et  me  regarda  en  riant. 
Elle  dit  après  à  sa  nièce  qu'il  falloit  demander  permission 
de  quitter  le  jeu,  et,  à  demi  bas,  aller  voir  M.  de  Bour- 
nonville, qui  logeoit  chez  la  duchesse  de  Duras,  sa  sœur^ 
depuis  longtemps,  et  qui  venoit  de  se  trouver  fort  mal. 
Cela  arrivoit  quelquefois,  et  ces  sortes  de  longues  maladies 
font  qu'on  ne  les  croit  jamais  à  leur  fin.  J'allai  le  soir  à 
l'archevêché  ;  j'y  trouvai  la  maréchale  de  Gramont  et 
Mme  de  Beaumanoir,  qui  avoit  ramené  et  laissé  sa  nièce, 

i.  Il  ne  s'agit  plus  ici  de  la  maison  que  le  duc  de  Lauzun  occupa 
près  de  l'Assomption  dans  la  rue  Sainl-Honoré  et  dont  il  a  été  parlé 
dans  notre  tome  III,  p.  116.  Depuis  1712,  il  s'était  installé  sur  le  quai 
Malaquais  dans  l'ancien  hôtel  de  Créquy-la-Trémoïlle,  qui  auparavant 
avait  appartenu  à  la  princesse  de  Conti  Martinozzi.  Après  la  mort  de 
Lauzun  en  1723.  la  duchesse  sa  veuve  l'habita  quelques  années,  puis  le 
vendit  à  Mlle  de  la  Roche-sur- Yon  (Pij^aniol  de  la  Force,  Description 
de  Paris,  tome  VII,  p.  273  ;  Écrits  inédits  de  Saint-Simon,  tome  VII, 
p.  oil).  Cette  maison  communiquait  avec  le  couvent  des  Petits-Augus- 
tins  (Addition  au  Journal  de  Dangeau,  tome  XVIII,  p.  225). 

2.  Marie-Françoise  de  Noailles  :  tome  XI,  p.  61  ;  elle  était  veuve 
depuis  1703. 

3.  La  syllabe  tost  surcharge  de  ou  du. 

•i.  Angélique- Victoire  de  Bournonville:  tome  VIII,  p.  290.  La 
duchesse  avait  acheté,  eu  septembre  1719,  avec  partie  du  gain  d'un 
million  qu'elle  avait  fait  dans  la  compagnie  d'Orient,  la  maison  que  pos- 
sédait Boisfranc  dans  le  faubourg  Saint-Honoré  et  l'avait  payé  cent 
vingt  mille  livres  (Dangeau,  tome  XVIII,  p.  123-124).  Cette  maison 
était  vis-à-vis  l'hôtel  d'Évreux,  aujourd'hui  palais  de  l'Elysée.  Voyez 
Germain  Brice,  Description  de  Paris,  éd.  1752,  tome  I,  p.  316. 


24fi  MÉMOIRES  [1715] 

qui  parla  de  M.  de  Bournonville  comme  d'un  homme  qui 
pouvoit  durer  longtemps.  Le  cardinal  et  elle,  après  une 
léj^ère  préface  clirrlienne,  laissèrent  échapper  leur  impa- 
tience en  me  regardant  ;  la  maréchale  me  regarda  aussi, 
sourit  avec  eux,  laissa  échapper  quelques  mines,  et,  se  le- 
vant tout  de  suite,  se  mit  à  rire  tout  à  fait,  et,  m'adres- 
sant  la  parole,  me  dit  qu'il  valoit  mieux  s'en  aller.  Le  bon 
cardinal  me  parla  après  avec  effusion  de  cœur.  Chauvclin 
nous  manda  fort  tard  que  le  mal  augmentoit,  et,  le  len- 
demain matin,  comme  j'étois  chez  moi  avec  du  monde, 
on  me  fit  sortir  pour  un  message  de  Chauvelin,  qui  me 
mandoit  que  M.  de  Bournonville  venoit  de  mourir.  J'en- 
voyai dire  aussitôt  à  Mme  de  Saint-Simon,  qui  éfoit  à  la 
messe  aux  Jacobins,  tout  proche  du  logis',  que  je  la  priois 
de  revenir;  elle  ne  tarda  pas,  et  me  trouva  avec  la  môme 
compagnie,  devant  qui  je  lui  dis  le  fait  tout  bas.  Il  étoit 
convenu  que,  dès  que  cela  arriveroit,  nous  ferions  sur-le- 
champ  la  demande  au  cardinal,  qui  se  chargeroitde  tout. 
Mme  de  Saint-Simon  y  alla.  C'étoit  la  veille  de  l'Annon- 
ciation-, qu'il  étoit  à  table  pour  aller  officier  aux  premières 
vêpres  à  Notre-Dame.  Il  sortit  de  table  et  vint  au-devant 
d'elle  les  bras  ouverts,  dans  une  joie  qu'il  ne  cacha 
point,  et,  sans  lui  donner  le  temps  de  parler,  devant  tous 
ses  gens:  «  Vite,  dit-il,  les  chevaux  à  mon  carrosse  !  »  puis 
à^  elle  :  «  Je  vois  bien  ce  qui  vous  amène  ;  Dieu  en  a 
disposé  ;  nous  sommes  libres  ;  je  m'en  vais  chez  la  maré- 
chale de  Gramont,  et  vous  aurez  bientôt  de  mes  nou- 
velles. ))  Il  la  mena  dans  sa  chambre  un  moment.  Comme 

1.  Saint-Simon,  on  I7"27,  n'iiaijitail  plus  depuis  1710  l'tiôtel  [)atri- 
monial  de  la  ruo  dos  Sainls-Pi-ros  ;  il  donieurait  alors  dans  uno  maison 
do  la  ruf  Saint-Dominique  qu'il  louait  aux  Jacobins  et  qui  donnait  sur 
le  jardin  du  couvont;  il  y  resta  jusqu'en  \1W. 

2.  Saint-Simon  l'ait  erreur.  Le  prince  de  Bournonville  étant  mort  le 
5  janvier,  il  veut  dire  veille  de  l'Epiphanie,  et  non  de  l'Annonciation. 
Nous  venons  de  voir  (p.  243,  note  1)  qu'il  (Vrivait  on  17i.H,  dix-huit  ans 
après  les  événements. 

3.  Cet  à,  oublié,  est  en  interligne. 


[4745]  DE  SAINT-SIMON.  247 

il  l'accompagnoit,  ses  gens  lui  parlèrent  de  vêpres.  «  Mon 
carrosse,  répondit-il  ;  vêpres  pour  aujourd'hui  attendront; 
dépêchons.  »  Mme  de  Saint-Simon  revint,  et  nous  nous 
mîmes  à  table.  Comme  à  peine  nous  en  sortions,  nous  en- 
tendîmes un  carrosse  dans  la  cour;  c'étoit  le  cardinal  de 
Noailles.  Je  descendis  au-devant  de  lui  ;  il  m'embrassa  à 
plusieurs  reprises,  et  tout  aussitôt  '  devant  tout  le  domes- 
tique se  prit  à  me  dire  :  «  Où  est  mon  neveu  ?  car  je  veux 
voir  mon  neveu  ;  envoyez-le  donc  chercher.  »  Je  répondis 
fort  étonné  qu'il  étoit  à  Marly.  «  Oh  bien  I  envoyez-y  donc 
tout  à  l'heure  le  chercher  ;  car  je  meurs  d'envie  de  l'em- 
brasser, et  il  faut  bien  qu'il  aille  voir  la  maréchale  de 
Gramont  et  sa  prétendue.  »  Je  ne  sortois  point  d'étonne- 
ment  d'une  telle  franchise,  qui  apprenoit  tout  à  son  do- 
mestique et  au  nôtre,  qui  étoient  là  en  foule.  Nous  mon- 
tions cependant  le  commencement  du  degré.  Mme  de 
Saint-Simon  descendoit  en  même  temps,  et  nous  fit 
redescendre  le  peu  que  nous  avions  monté,  pour  faire 
entrer  le  cardinal  dans  mon  appartement  et  ne  lui  pas 
donner  la  peine  de  monter  en  haut.  Jamais  je  ne  vis 
homme  si  aise.  Il  nous  dit  que  la  maréchale  de  Gramont 
et  sa  fille  étoient  ravies  ;  que  tout  étoit  accordé  ;  qu'il 
avoit  voulu  se  donner  la  satisfaction  de  nous  le  venir  dire 
et  de  le  déclarer  tout  haut,  comme  il  avoit  fait,  parce 
qu'au  nombre  de  grands  partis  en  hommes  qui  n'atten- 
doient  que  ce  moment,  de  leur  connoissance  à  tous,  pour 
faire  des  démarches  pour  ce  mariage,  il  n'y  avoit  de  bon 
qu'à  bâcler  et  déclarer  pour  leur  fermer  la  bouche  et 
arrêter  par  là-  tous  les  manèges  qui  se  font  pour  faire 
rompre  et  se  faire  préférer,  au  lieu  qu'il  n'y  a  plus  à  y 
penser  quand  les  choses  sont  faites,  déclarées  et  publiées 
par  les  parties  mêmes;  qu'il  aimoit  mieux  qu'on  le 
dît  un  radoteur^  d'avoir  déclaré   si  vite,  et  que  cela  fût 

4.  Tost,  oublié,  est  écrit  au-dessus  de  la  ligne. 

2.  Là  a  été  ajouté  entre  par  et  tous. 

3.  Radoter  ne  signifiait  pas  seulement  «  dire  des  extravagances  par 


248  MÉMOIRES  {\l\-\] 

fini'.  Après  raille  iimitiôs,  il  son  alla  à  sos  vôpros.  Il  fut 
convenu  que,  lo  jour  même,  Mme  île  Saint-Simon  iroit  au 
Bon-Pasteur-,  où  elle  trouveroit  la  maréchale  de  Gramont 
dans  sa  tribune.  Mon  fils  arriva  le  soir.  Le  lendemain, 
comme  nous  dînions  avec  assez  de  monde  au  logis,  arri- 
vèrent tous  les  Gramonts  et  plusieurs  Noailles,  mais  non 
la  future,  sa  mère  ni  sa  grand'mère ',  de  manière  qu'il  n'y 
eut  rien  de  plus  public,  et  la  maréchale  de  Gramont  vint 
au  logis  dès  l'après-dînée^  Mon  fils,  qui  les  alla  voir  et  la 
maréchale  de  Gramont,  et  que  je  menai  chez  le  car- 
dinal, retourna  le  soir  à  Marly  pour  demander  au  Roi 
l'agrément  du  mariage,  et  en  donner  part  après  à  ceux 
de  nos  plus  proches  ou  de  nos  plus  particuliers  amis  qui 
y  étoient^,  avant  de  la  donner  en  forme.  Tout  en  arrivant, 
il  trouva  le  duc  de  Chaulnes*^  dans  un  des  petits  salons,  à 
qui  il  le  dit  à  l'oreille.  «  Cela  ne  peut  pas  être,  »  lui 
répondit-il,  et  ne  voulut  jamais  le  croire,  quoique  mon 
fils  lui  expliquât  qu'il  avoit  vu  le  cardinal  de  Noailles,  la 
maréchale  de  Gramont,   etc.   C'est    qu'il    comptoit    son 

un  aiïaiblissement  d'esprit  que  le  grand  âf^e  a  causé  »,  mais  encore 
«  tigurément,  dire  des  choses  sans  raison,  sans  fondement  »,  inconsi- 
dérément (Académie,  4718). 

1.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  et  que  cela  le  fust  ;  il  a  ajouté 
fini  en  interligne  ;  mais  il  a  oublié  de  bifTer  le  avant  fust. 

2.  Communauté  établie  en  1686.  pour  recevoir  des  lilles  repenties, 
dans  la  rue  du  Clierche-Midi.  par  Mme  de  Combé,  protestante  hollan- 
daise convertie.  En  1688,  elle  l'ut  installée  par  les  soins  du  lieutenant 
de  police  La  Reynie  dans  une  apothicairerie  protestante  contisqtiée  et 
voisine  de  son  premier  local.  Des  lettres  patentes  de  juin  1698  (reg. 
0'  i2.  fol.  138)  la  reconnurent  officiellement,  et  elle  reçut  du  Roi  une 
subvention  annuelle  de  quinze  cents  livres.  Louis  XIV  alla  visiter  la 
maison  le  7  avril  1702.  lorsqu'il  vint  à  Paris  pour  les  stations  du 
jubilé  (Dangcau,  tome  VIII,  p.  381).  La  maréchale  était  une  bienfai- 
trice de  la  rommiinauté.  Voyez  ci-après  aux  Additions  et  Corrections. 

3.  La  maréchale  de  Noailles. 

4.  Ce  membre  de  phrase,  depuis  et  la  M°'',  a  été  ajouté  en  interligne 
et  sur  la  marge. 

5.  Les  mots  qui  y  cHoient  sont  en  interligne. 

fi.  Louis-Auguste  d'Albert  de  Chcvreusc  :  tome  XX,  p.  158. 


[ilin] 


DE  SALNT-SIMON 


249 


affaire  sûre  pour  son  fils'  par  Mme  de  Mortemart-,  amie 
intime  de  tout  temps  et  de  gnose  *  de  la  maréchale  de 
GramontS  qui  ''  lui  en  avoit  fort  parlé,  et  qui  l'avoit  laissée 
espérer  sans  s'ouvrir,  sur  la  raison  de  ne  le  pas  pouvoir 
pendant  la  vie  de  M.  de  Bournonville.  En  trois  ou  quatre 
jours  tout  fut  signé  et  passa  par  Chauvelin.  La  duchesse  de 
Duras  trouva  fort  bon  qu'on  n'eût  point  attendu,  et  qu'on 
fît  incessamment  le  mariage.  Mais,  comme  il  pouvoit  en 
arriver  une  grossesse  prompte,  tout  ce  qui  fut  consulté 
de  part  et  d'autre  fut  d'avis  de  différer  de  trois  ou  quatre 
mois^,  quoique  M.  de  Bournonville  n'eût  jamais  été  en 
état  d'être  avec  sa  femmes  et  qu'il  n'y  logeât  plus  même 
depuis  deux  ou  trois  ans. 

Tout  alloit  bien  jusque-là.  Jamais  tant  d'empressement 
ni  de  marques  de  joie,  et  c'en  fut  une  toute  particulière 
que  la  visite  dont  j'ai  parlée  parce  que  c'est  à  la  famille  et  moi,  et  ses 
du  mari  futur  à  aller  chez  l'autre  famille  la  première,  l^g^res suite». 
Tout  cela  fait,  il  fut  question  du  raccommodement.  Le 
président  Chauvelin  me  fit  pour  le  duc  de  Noailles  les 
plus  beaux  compliments  du  monde,  et  me  pressa  de  sa 
part  et  de  celle  du  cardinal,  de  la  maréchale  de  Noailles, 
de  lui  permettre  de  venir  chez  moi.  La  crainte  d'une  vi- 
site à  laquelle  je  ne  pourrois  mettre  une  fin  aussi  prompte 
que  je  le  voudrois  m'empêcha  d'y  consentir,  et  je  voulus 


Raccommo- 
dement entre 
Noailles 


1.  Charles-François  d'Albert,  comte  puis  duc  de  Picquigny  (tome 
XX,  p.  138),  qui  épousa  en  1729  Mlle  de  Courcillon. 

2.  Marie-Anne  Colbert. 

3.  Voyez  le  tome  XIX,  p.  36. 

4.  Tomes  XII,  p.  30-2,  et  XV,  p.  367. 

o.  Ce  premier  qui  se  rapporte  à  Mme  de  Mortemart,  tandis  que 
celui  qui  va  suivre  s'applique  à  la  maréchale  de  Gramont. 

6.  M.  de  Bournonville  étant  mort  le  o  janvier  1727,  sa  femme  se 
remaria  dès  le  26  mars.  On  est  stupéfait,  en  lisant  ce  récit,  du  cynisme 
de  tous  ces  gens  et  de  l'inconscience  incroyable  avec  laquelle  Saint- 
Simon  le  rapporte. 

7.  Les  mots  sa  femme  sont  en  interligne,  au-dessus  d^elle,  biffé. 

8.  Ci-dessus,  p.  248. 


250  MÉMOIRES  [171^1 

si  fermement  que  nous  nous  vissions  chez  le  cardinal  de 
Noailles,  qu'il  en  fallut  passer  par  là.  Ce  fut  où  je  m'en 
tins,  sans  dire  si  ni  qui  je  voulois  bi(Mi  qui  s'y  trouvât',  et 
sans  qu'on  m'en  parlât  non  plus.  Le  duc  de  Noailles,  qui 
sortoit  de  (juartier -,  vint  donc  à  Paris  pour  le  jour  marqué. 
Ce  môme  jour,  Mme  de  Saint-Simon  et  moi  dînions  '  vis-à- 
vis  du  logis,  chez  Asfeld,  depuis  maréchal  de  France*, 
avec  le  maréchal  et  la  maréchale  de  Berwick^  et  quelques 
autres  amis  particuliers.  J'étois  do  fort  mauvaise  humeur; 
je  prolongeois  la  table  tant  que  je  pouvois,  et,  après  qu'on 
en  fut  sorti,  je  me  fis  chasser  à  maintes  reprises.  Ils  sa- 
voient  le  rendez-vous,  qui  n'en  étoit  pas  un  d'amour,  et 
ils  m'exhortoient  d'y  bien  faire  et  de  bonne  grâce.  Je  re- 
tournai donc  chez  moi  prendre  haleine,  et,  comme  on  dit, 
son  escousse%  tandis  que  Mme  de  Saint-Simon  s'achemi- 
noit  et  qu'on  atteloit  mon  carrosse.  Je  partis  enfin,  et 
j'arrivai  à  l'archevêché  comme  un  homme  qui'  va  au  sup- 
plice. 

En  entrant  dans  la  chambre,  où  étoient  la  maréchale  de 
Cramont,  Mme  de  Beaumanoir,  Mme  de  Saint-Simon  et 
Mme  de  Lauzun,  le  cardinal  de  Noailles  vint  à  moi  dès 
qu'il  m'aperçut,  tenant  le  duc  de  Noailles  par  la  main,  et 
me  dit  :   «  Monsieur,  je  vous  présente  mon  neveu,  que  je 

1.  Tel  est  bien  le  texte  du  manuscrit,  dans  lequel  si  est  placé  entre 
deux  virgules.  Saint-Simon  veut  dire  sans  doute:  si  je  voulais  bien 
qu'il  s'y  trouvât  quelqu'un  ni  qui  je  consentais  que  ce  fût. 

2.  De  son  quartier  de  capitaine  des  gardes  du  corps. 

3.  Écrit  par  mégarde  disninons. 

i.  Sur  le  plan  de  l'abbé  Delagrive  (172S),  l'hôtel  <I'Asfeld  est  bien 
indiqué  comme  se  trouvant  rue  Saint-Dominique,  vis-à-vis  ces  maisons 
appartenant  aux  Jacobins,  dans  une  desquelles  nous  avons  vu  ci-dessus 
(p.  -2i6,  note  1)  que  Saint-Simon  habitait  depuis  1719. 

o.  La  maréchale  de  Berwick  était  Anne  Bulkcley,  seconde  femme 
du  maréchal  (tome  VII,  p.  115). 

6.  Son  élan.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  de  1718  dit  que  la 
locution  prendre  son  escousne  estdu  style  familier.  —  Saint-Simon  écrit 
ésecoussc. 

7.  Ce  qui  est  en  interligne  au-dessus  de  qu'on,  biffé. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  231 

vous  prie  de  vouloir  bien  embrasser.  »  Je  demeurai  froid 
tout  droit  ;  je  regardai  un  moment  le  duc  de  Noailles,  et 
je  lui  dis  sèchement:  «  Monsieur,  M.  le  Cardinal  le  veut,  » 
et  j'avançai  un  pas.  Dans  l'instant  le  duc  de  Noailles  se 
jeta  à  moi  si  bas  que  ce  fut  au-dessous  de  ma  poitrine,  et 
m'embrassa  de  la  sorte  des  deux  côtés.  Gela  fait,  je  saluai 
le  cardinal,  qui  m'embrassa  ainsi  que  ses  deux  nièces,  et 
je  m'assis  avec  eux  auprès  de  Mme  de  Saint-Simon.  Tout 
le  corps  me  trembloit,  et  le  peu  que  je  dis  dans  une  con- 
versation assez  empêtrée  fut  la  parole  d'un  homme  qui  a 
la  fièvre.  On  ne  parla  que  du  mariage,  de  la  joie,  et  de 
quelques  bagatelles  indifférentes,  le  duc  de  Noailles 
interdit  à  l'excès,  qui  m'adressa  deux  ou  trois  fois  la  parole 
avec  un  air  de  respect  et  d'embarras  ;  je  lui  répondis 
courtement,  mais  point  trop  malhonnêtement.  Au  bout 
d'un  quart  d'heure,  je  dis  qu'il  ne  falloit  pas  abuser  du 
temps  de  M.  le  Cardinal,  et  je  me  levai.  Leduc  de  Noailles 
voulut  me  conduire  ;  les  dames  dirent  qu'il  ne  falloit 
point  m'importuner,  ni  faire  de  façons  avec  moi,  et  je 
cours  encore.  Je  revins  chez  moi  comme  un  homme  ivre 
et  qui  se  trouve  mal.  En  effet,  peu  après  que  j'y  fus,  il  se 
fit  un  tel  mouvement  en  moi,  de  la  violence  que  je  m'é- 
tois  faite,  que  je  fus  au  moment  de  me  faire  saigner  ;  la 
vérité  est  qu'elle'  fut  extrême.  Je  crus  au  moins  en  être 
quitte  pour  longtemps. 

Dès  le  lendemain,  le  duc  de  Noailles  vint  chez  moi,  et 
me  trouva.  La  visite  se  passa  tête  à  tête  ;  c'étoit  à  la  fin 
de  la  matinée.  Il  n'y  fut  question  que  de  noces  et  de 
choses  indifférentes.  Il  tint  le  dé  tant  qu'il  voulut  ;  il  parut 
moins  embarrassé  et  plus  à  lui-même.  Pour  moi,  j'y  étois 
fort  peu,  et  souffrois  fort  à  soutenir  la  conversation,  qui 
fut  de  plus  de  demi-heure,  et  qui  me  parut  sans  fin.  La 
conduite  se  passa  comme  à  l'archevêché.  J'allai  le  lende- 
main voir  la  maréchale  de  Noailles,  que  je  trouvai  ravie. 

1.  La  violence. 


252  MÉMOIRES  [1715] 

Je  demandai  son  fils,  qui  logcoit  avec  elle,  et  qui  heureu- 
sement ne  s'y  trouva  pas.  Il  chercha  fort  depuis  à  me 
rapprocher,  et  moi  à  éviter.  Nous  nous  sommes  vus  depuis 
aux  occasions,  et  rarement  chez'  lui  autrement,  c'est-à- 
dire  comme  point,  lui  chez  moi  tant  qu'il  pouvoit,  ou, 
s'il  m'est-  permis  de  trancher  le  mot,  tant  qu'il  osoil.  Il 
vint  à  la  noce.  Ce  fut  la  dernière  cérémonie  du  cardinal 
de  Noailles,  qui  les  maria  dans  sa  grande  chapelle  %  et  (jui 
donna  un  festin  superbe  et  exquis.  J'en  donnai  un  autre 
le  lendemain,  où  le  duc  de  Noailles  fut  convié,  qui  y  vint. 
Quelques  années  après,  étant  à  la  Ferté,  la  duchesse  de 
Kutïec  me  dit  qu'il  mouroit  d'envie  d'y  venir,  et,  après 
force  tours  et  retours  là-dessus,  elle  m'assura  qu'il  vien- 
droit  incessamment.  Je  demeurai  fort  froid  et  presque 
muet.  Quand  nous  nous  fûmes  séparés,  j'appelai  mon  fils, 
qui  en  avoit  entendu  le  commencement;  je  lui  en  racontai 
la  fin.  Je  lui  dis  après  de  dire  à  sa  femme  que,  par 
honnêteté  pour  elle,  je  n'avois  pas  voulu  lui  parler  fran- 
chement, mais  qu'elle  fît  comme  elle  voudroit  avec  son 
oncle,  de  la  part  duquel  elle  m'avoit  parlé  à  la  fin  de  son 
propos,  mais  que  je  ne  voulois  point  du  duc  de  Noailles  à 
la  Ferté,  quand  même  elle  devroit  le  lui  mander.  Je  n'a- 
vois garde  de  souffrir  que,  par  ce  voyage,  il  se  parât  d'un 
renouvellement  de  liaison  avec  moi,  moins  encore  de 
m'exposer  à  des  tête-à-tête  avec  lui,  que  les  matinées  et 
les  promenades  fournissent  à  qui  a  résolu  d'en  profiter, 
et  qui  ne  se  peuvent  éviter,  dont  il  eût  pu  après  dire  et 
publier  tout  ce  qui  ne  seseroit  ni  dit  ni  traité  entre  nous, 
mais  qu'il  lui  eût  convenu  de  répandre,  ce  qui  m'avoit 
fait'*  avoir  grand  soin,  toutes  les  fois  qu'il  m'avoit  trouvé 
chez  moi,  de  prier,  dès  qu'on  l'annonçoit,  ce  qu'il  s'y  ren- 
controit  de  demeurer  et  de  ne  s'en  aller  qu'après  lui.  Il  a 

i.  Cette  préposition  chez  surcharge  une  m. 

2.  Les  mots  s'il  m'est  corrigent  si  j[c]. 

3.  Le  26  mars  1727  ;  voyez  le  Mercure  d'avril,  p.  i'tX  (pour  8i8). 
•i.  Fait,  oublié,  a  été  ajouté  en  interligne. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  233 

persévéré  longtemps  encore  à  tâcher  de  me  rapprivoiser. 
A  la  fin,  le  peu  de  succès  l'a  lassé,  et  ma  persévérance 
sèche,  froide,  et  précise  aux  simples  devoirs  d'indispen- 
sable bienséance,  m'ont  délivré,  et  l'ont  réduit'  au  même 
point  avec  moi.  Dieu  commande  de  pardonner,  mais  non 
de  s'abandonner  soi-même,  et  de  se  livrer  après  une 
expérience  aussi  cruelle.  Le  monde  a  vu  et  connu  depuis 
quel  homme  il  est,  et  ce  qu'il  a  été  dans  la  cour,  dans  le 
Conseil  et  à  la  tête  des  armées-. 

Retournons  maintenant  d'où  nous  sommes  partis,  qui 
est  du  jeudi  22  août,  remarquable  par  la  revue  de  la  gen- 
darmerie faite  au  nom  et  avec  toute  l'autorité  du  Roi  par 
le  duc  du  Maine,  pendant  laquelle  le  Roi  s'amusa  à  vou- 
loir choisir  l'habit  qu  il  prendroit  lorsqu'il  pourrolt  s'ha- 
biller ^ 

Le  vendredi  23  août,  la  nuit  fut  à  l'ordinaire,  et  la  ma-        Reprise 
tinée  aussi.  Il  travailla  avec  le  P.  Tellier,  qui  fit  inutile-  "^  J*^^™^    '^• 

'    T  derniers 

ment  des  efforts  pour  faire  nommer  aux  grands  et  nom-    jours  du  Roi; 
breux  bénéfices  qui  vaquoient,  c'est-à-dire  pour  en  disposer     ^^  refuse  de 

1    •        ->  +1  1    •  '    J  AT      1      J  nommer 

lui-même,  et  ne  les  pas  laissera  donner  par  M.    le  duc     aux  bénéfices 
d'Orléans \   Il  faut  dire  tout   de  suite  que  plus  le   Roi       vacants*. 

4.  Ces  deux  verbes  sont  bien  au  pluriel  dans  le  manuscrit,  quoique 
le  sujet  soit  au  singulier. 

2.  Il  a  déjà  parlé  du  peu  de  capacité  militaire  du  duc  de  Noailles 
dans  le  précédent  volume,  p.  338.  —  Cette  dernière  phrase,  depuis  Le 
monde,  a  été  ajoutée  en  interligne  et  sur  la  marge. 

3.  Ci-dessus,  p.  201-202,  204-203  et  210;  Saint-Simon  a  même 
parlé  par  avance  (p.  210-211)  de  la  journée  du  vendredi  23  août. 

4.  Dangeau  (p.  100)  avait  dit  seulement  que  le  Roi  travailla  avec  le 
P.  Tellier,  et,  comme  il  n'a  mentionné  aucune  attribution  de  bénéfi- 
ces, Saint-Simon  en  a  conclu  que  le  Roi  s'était  refusé  à  pourvoir  à  ceux 
qui  étaient  vacants.  Or  le  Roi  travaillait  tous  les  vendredis  avec  son 
confesseur,  sans  qu'il  y  eiît  nécessairement  attribution  de  bénéfices 
ecclésiastiques,  ainsi  qu'on  peut  le  constater  chaque  semaine  dans  le 
Journal  de  Dangeau.  L'accusation  de  Saint-Simon  contre  le  P.  le  Tel- 

'  Cette  manchette  a  été  écrite  par  Saint-Simon  sur  la  marge  intérieure 
du  manuscrit,  au  lieu  de  l'être,  selon  son  habitude,  sur  la  marge  exté- 
rieure. 


MEMOIRES 


M715] 


Mécanique 

de 

'appartement 

du   Roi 


empira,  plus  le  Tellier  le  pressa  là-dessus,  pour  ne  pas 
laisser'  échapper  une  si  l'iche  pi-oie,  ni  l'occasion  de  se 
munir  de  créatures  allidées  avec  lesquelles  ses  marchés 
étoient  faits,  non  en  argent,  mais  en  cabales.  Il  n'y  put 
jamais  réussir.  Le  lloi  lui  déclara  qu'il  avoit  assez  de 
comptes  à  rendre  à  Dieu  sans  se  charger  encore  de  ceux 
de  cette  nomination,  si  prêt  à  paroître  devant  lui,  et  lui 
défendit  de  lui  en  parler  davantage-.  Il  dîna  debout  dans 
sa  chambre  en  robe  de  chambre,  y  vit  les  courtisans, 
ainsi  qu'à  son  souper  de  même,  passa  chez  lui  l'après- 
dînée  avec  ses  deux  bâtards,  M.  du  Maine  surtout,  Mme  de 
Maintenon  et  les  dames  familières'  ;  la  soirée  à  l'ordinaire. 
Ce  fut  ce  même  jour  qu'il  apprit  la  mort  de  Maisons, 
et  qu'il  donna  sa  charge  à  son  fils,  à  la  prière  du  duc  du 
Maine*. 

Il  ne  faut  pas  aller  plus  loin  sans  expliquer  la  mécani- 
aue  de  l'appartementdu  Roi,  depuis  qu'il  n'en  sortoitplus. 
Toute  la  cour  se  tenoit  tout  le  jour  dans  la  galerie  '■'.  Per- 
pendant  sa      gonne  ne  s'arrêtoit  dans  l'antichambre  la  plus  proche  de 

dernière  i  i         -  i  i    -       r        -r  /  i 

maladie.        sa  chambre  %    que   les  valets   tamiliers  et  la  pharmacie, 
qui  y  faisoient  chaufï'er  ce  qui   étoit   nécessaire  ;  on   y 

lier  semble  donc  purement  gratuite.  Cependant  il  est  incontestable  qu'il 
y  avait  alors  un  certain  nombre  de  bénéfices  vacants  et  qu'on  hésita 
dans  le  public  pour  savoir  si  le  Roi  ne  les  avait  pas  distribués  (voyez 
ci-apprès,  Appendice,  p.  357,  la  lettre  de  l'abbé  Mascara  du  31  août). 

1.  Laisser  a  été  écrit  en  interligne. 

2.  Rien  ne  confirme  d'autre  |)art  cette  réponse  du  Roi. 

3.  Il  n'est  pas  parlé  des  bâtards,  mais  seulement  de  Mme  de  Main- 
tenon  et  des  autres  dames,  dans  le  Dangcau  (p.  lUi).  Le  Journal  des 
Anthoine  (p.  37-38)  note  un  nouveau  bain  de  la  jambe,  et  mentionne 
pour  ce  jour-là  la  rédaction  du  codicille,  dont  Saint-Simon  ne  va  |)arler 
que  plus  loin  (p.  '239)  et  que  le  Mémoire  de  Dantjeau  (Journal,  tome 
XVI,  p.  121)  place  au  25  août. 

•i.  Ci-dessus,  p.  100. 

5.  Ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  la  galerie  des  glaces,  qui  occupait 
tout  le  derrière  de  l'appartement  du  Roi  ;  ci-dessus,  p.  227. 

6.  Aujourd'hui  salon  de  l'UEil-de-Rœuf,  alors  grande  antichambre 
du  Roi.  qui   était  précédée  en  équerre  d'une  première  antichambre, 


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[1745]  DE  SAINT-SIMON.  255 

passoit  seulement,  et  vite,  d'une  porte  à  l'autre  '.  Les  en- 
trées- passoient  dans  les  cabinets^  par  la  porte  de  glace 
qui  y  donnoit  de  la  galerie,  qui  étoit  toujours  fermée  et 
qui  ne  s'ouvroit  que  lorsqu'on  y  grattoit,  et  se  refermoit 
à  l'instant.  Les  ministres  et  les  secrétaires  d'Etat  y  en- 
troient aussi,  et  tous  se  tenoient  dans  le  cabinet  qui 
joignoit  la  galerie*.  Les  princes  du  sang  ni  les  princesses 
filles  du  Roi  n'entroient  pas  plus  avant,  à  moins  que  le 
Roi  ne  les  demandât,  ce  qui  n'arrivoit  guères.  Le  maré- 
chal de  Villeroy,  le  Chancelier,  les  deux  bâtards.  M,  le 
duc  d'Orléans,  le  P,  ïellier,  le  curé  de  la  paroisse,  et, 
quand  Mareschal  ',  Fagon  et  les  premiers  valets  de  cham- 
bre n'étoient  pas  dans  la  chambre,  ils  se  tenoient  dans  le 
cabinet  du  Conseil,  qui  est  entre  la  chambre  du  Roi  et 
cet  autre  cabinet  où  étoient  les  princes  et  princesses  du 
sang,  les  entrées  et  les  ministres.  Le  duc  de  Tresmes, 
premier  gentilhomme  de  la  chambre  en  année,  se  tenoit 
sur  la  porte  entre  les  deux  cabinets,  qui  demeuroit  ou- 


donnant  de  l'autre  côté  dans  la  salle  des  gardes.  Saint-Simon  va  dis- 
tinguer très  nettement  le  côté  des  antichambres  et  le  côté  des  cabinets. 
i.  Pour  se  rendre  de  la  première  antichambre  dans  la  galerie  :  voyez 
le  plan  ci-contre,  qui  est  la  reproduction  du  plan  de  Demortin,  lequel 
fait  partie  des  Plans  et  prohls  de  Versailles,  gravés  en  1714  et  1713. 

2.  Ceux  qui  avaient  les  entrées. 

3.  La  chambre  du  Roi  avait  d'un  côté  les  deux  antichambres  dont 
il  vient  d'être  parlé,  de  l'autre,  le  cabinet  du  Conseil,  et  un  autre  cabi- 
net plus  petit  qu'on  appelait  le  cabinet  des  Termes  ou  des  Perruques. 

■4.  Le  «  cabinet  qui  joignoit  la  galerie  »  étaitlecabinetdes  Termes, qui 
communiquait  avec  elle  par  une  porte  recouverte  de  glaces;  le  cabinet 
du  Conseil  n'avait  alors  aucun  accès  sur  la  galerie. 

5.  Maréchal  a  été  ajouté  en  interligne  au-dessus  de  quand,  biffé; 
puis  Saint-Simon,  par  erreur,  a  écrit  quand  avant  Maréchal  et  ajouté 
ils  plus  loin  en  interligne  avant  se  tenoient,  tandis  que,  pour  rendre 
la  phrase  compréhensible,  il  aurait  dû  placer  quand  ils  avant  n'es- 
toient.  Il  veut  dire  que  le  maréchal  de  Villeroy,  etc.,  et  Mareschal, 
Fagon  et  les  premiers  valets  de  chambre,  tous  ces  derniers  quand  ils 
n'étaient  pas  dans  la  chambre  du  Roi,  se  tenaient  dans  le  cabinet  du 
Conseil. 


2ri()  MÉMOIRES  fi7i:;] 

verte,  et  n'eiiti'oit  dans  la  eliainhri^  du  Hoi  (jiie  pour  les 
moments  de  son  servici'  absolunienl  nécessaire.  Dans  tout 
le  jour,  personne  nenli'oit  dans  la  chainbri»  du  Hoi  que  par 
le  cabinet  du  Conseil,  excepté  ces  valets  intérieurs  ou  de 
la  pharmacie  qui  demeuroient  dans  la  première  anti- 
chambre, Mme  de  ÎNIaintenon  et  les  dames  familières,  et, 
pour  le  dhier  et  le  souper,  le  service  et  les  courtisans 
qu'on  y  laissoit  entrer.  M.  le  duc  d'Orléans  se  mesuroit 
fort  à  n'entrer  dans  la  chambre  qu'une  fois  ou  deux  le 
jour  au  plus,  un  instant,  lorsque  le  duc  de  Tresmes  y 
entroit,  et  se  présentoit  un  autre  instant  une  fois  le  jour 
sur  la  porte  du  cabinet  du  Conseil  dans  la  chambre',  d'où 
le  Roi  le  pouvoit  voir  de  son  lit.  Il  demandoit  quelque- 
fois le  Chancelier,  le  maréchal  de  Villeroy,  le  P.  Tellier, 
rarement  quelque  ministre,  M.  du  Maine  souvent,  peu  le 
comte  de  Toulouse,  point  d'autres,  ni  même  les  cardinaux 
de  Rohan  et  de  Bissy,  qui  étoient  souvent  dans  le  cabinet 
où  setenoient  les  entrées.  Quelquefois,  lorsqu'il  étoit  seul 
avec  Mme  de  Maintenon,  il  faisoit  appeler  le  maréchal 
de  Villeroy,  ou  le  Chancelier,  ou  tous  les  deux,  et  fort 
souvent  le  duc  du  Maine.  Madame  ni  Mme  la  duchesse  de 
Berry  n'alloient  point  dans  ces  cabinets,  et  ne  voyoient 
presque  jamais  le  Boi  dans  cette  maladie,  et,  si  elles  y 
alloient,  c'étoit  par  les  antichambres-,  et  ressortoient  à 
l'instant. 
Extrémité  Lc  samedi  24,  la  nuit  ne  fut  guères  plus  mauvaise  (|u'à 

du  Roi.  l'ordinaire';  car  elles  l'étoient  toujours;  mais  sa  jambe 
parut  considérablement  plus  mal,  et  lui  fit  plus  de  dou- 
leur. La  messe  à  l'ordinaire,  le  dîner  dans  son  lit,  où  les 
principaux  courtisans  sans  entrées  le  virent,  conseil  de 
finances  ensuite  ;  puis  il  travailla  avec  le  Chancelier  seul  ; 

1.  C'est-à-dire  sur  lu  porte  qui  donnait  du  caljiucl  du  Conseil  dans 
la  cliarnbre. 

2.  Par  le  côté  des  antichambres:  ci-dessus,  p.  254,  note  0. 

3.  Tout  ce  (jui  va  suivre  n"est  que  la  roproduction  prcsqui'  lexlucllo 
du  Journal  de  Dangeau,  p.  lOfi-liO. 


[171o]  DE  SAINT-SIMON.  lo7 

succédèrent  Mme  de  Maintenon  et  les  dames  familières.  Il 
soupa  debout  en  robe  de  chambre  en  présence  des  cour- 
tisans, pour  la  dernière  fois.  J'y  observai  qu'il  ne  put 
avaler  que  du  liquide,  et  qu'il  avoit  peine  à  être  regardé. 
Il  ne  put  achever,  et  dit  aux  courtisans  qu'il  les  prioit  de 
passer,  c'est-à-dire  de  sortir.  Il  se  fit  remettre  au  lit  ;  on 
visita  sa  jambe,  où  il  parut  des  marques  noires*.  Il  envoya 
chercher  le  P.  Tellier,  et  se  confessa.  La  confusion  se  mit 
parmi  la  médecine^.  On  avoit  tenté  le  lait  et  le  quinquina 
à  l'eau  ^  ;  on  les  supprima  l'un  et  l'autre  sans  savoir  que 
faire.  Ils  avouèrent  qu'ils  lui  croyoient  une  fièvre  lente 
depuis  la  Pentecôte,  et  s'excusoient  de  ne  lui  avoir  rien 
fait  sur  ce  qu'il  ne  vouloit  point  de  remèdes,  et  qu'ils  ne 
le  croyoient  pas  si  mal  eux-mêmes.  Par  ce  que  j'ai  rap- 
porté de  ce  qui  s'étoit  passé  dès  avant  ce  temps-là  entre 
Maréschal  et  Mme  de  Maintenon  là-dessus  S  on  voit  ce 
qu'on  en  doit  croire. 

Le  dimanche  25  août^  fête  de  Saint-Louis,  la  nuit  fut    Le  Roi  reçoit 

1.  Le  Journal  des  Anthoine  (p.  41-42)  parle  d'une  consultation  de 
médecins  et  dit  qu'on  lui  trouva  la  jambe  noire  jusqu'au  pied.  La 
Gazette  d'Amsterdam  (n°  lxxiii)  dit  pour  ce  samedi  24  :  «  S.  M.  se 
préparoit  à  dîner  en  public  ;  mais  il  lui  survint  des  douleurs  si  cuisan- 
tes, qu'elle  ordonna  de  faire  sortir  tout  le  monde  qui  étoit  dans  la 
chambre,  excepté  le  maréchal  de  Villeroy,  avec  lequel  elle  resta  seul 
plus  de  deux  heures  et  demie,  lui  donnant  toutes  les  marques  possi- 
bles de  son  amitié  et  de  sa  confiance,  lui  disant  qu'elle  voyoit  que  son 
heure  approchoit  et  qu'il  falloit  songer  sérieusement  à  mourir.  » 
Aucun  autre  récit  ne  parle  de  ce  long  tête-à-tête. 

2.  C'est  sans  doute  à  cette  journée  que  se  rapporte  ce  détail  donné 
par  Mlle  d'Aumale  {Souvenirs  sur  Madame  de  Maintenon,  tome  II, 
p.  325):  «  Il  ordonna,  dès  le  jour  même  que  les  médecins  eurent  jugé 
que  sa  maladie  étoit  dangereuse,  qu'on  accommodât  une  chambre  tout 
près  de  la  sienne,  pour  qu'elle  [Mme  de  Maintenon]  pût  plus  aisément 
passer  la  nuit  auprès  de  lui,  quand  elle  voudroit.  » 

3.  Ci-dessus  (p.  201),  il  a  parlé  de  lait  d'ànesse  et  de  quinquina. 
•4.  Ci-dessus,  p.  181. 

o.  Pour  cette  journée,  Saint-Simon  suit  d'abord  le  texte  du  Journal 
de  Dangeaii,  p.  110;  puis,  à  partir  de  la  cérémonie  du  viatique,  il  se 
sert  de  la  Relation  du  marquis  de  Quincy  ;  il  possédait  en  effet  dans  sa 

MEMOIRES   DE   SAINT-SIMON.  XXVIl  17 


258  MÉMOIRES  [4745J 

es  derniers     bien  pliis  mauvaise.  On  ne  fit  plus  mystère  du  danger,  et 


sacromenls 


tout  de  suite  grand  et  imminent.  Néanmoins,  il  voulut 
expressément  qu'il  ne  fût  rien  changé  à  l'ordre  accoutumé 
de  cette  journée,  c'est-à-dire  que  les  tambours  et  les 
hautbois,  qui  s'éloient  rendus  sous  ses  fenêtres,  lui  don- 
nassent, dès  qu'il  fut  éveillé,  leur  musique  ordinaire  ',  et 
que  les  vingt-quatre  violons  jouassent  de  même  dans  son 
antichambre  pendant  son  dîner-.  11  fut  ensuite  en  particu- 
lier avec  Mme  de  Maintenon,  le  Chancelier  et  un  peu  le  duc 

bibliothèque  (n°  791  du  Catalogue  de  vente)  un  exemplaire  de  VHis- 
toire  militaire  de  cet  auteur. 

i.  D'après  le  Journal  des  Anthoine  (p.  44-45),  les  tambours  et 
fifres  des  gardes  françaises  et  suisses  liront  demander  au  Roi  la  per- 
naission  de  lui  donner  l'aubade  habituelle  dans  la  cour  du  château  ;  de 
même  les  hautbois  de  la  musique  de  la  chambre  et  les  vingt  quatre 
violons  tirent  la  même  demande  pour  jouer  dans  l'antichambre.  Cela 
leur  fut  accordé,  et,  après,  le  Roi  lit  donner  à  chacun  un  louis  d'or, 
comme  d'habitude.  Le  Mémoire  de  Dangvau  ne  parle  que  des  tam- 
bours pour  l'aubade,  et  dit  que  les  hautbois  et  les  violons  jouèrent 
pendant  le  dîner  dans  l'antichambre. 

2.  La  letlre  anonyme  des  archives  de  la  Ciotat  (ci-après,  p.  344) 
rapporte  un  détail  curieux  pour  ce  dîner:  «  11  voulut  dîner  en  public, 
disant  à  ceux  qui  lui  représentaient  son  état  :  «  J'ai  vécu  parmi  les 
«  gens  de  ma  cour;  je  veux  mourir  parmi  eux.  Ils  ont  suivi  tout  le 
«  cours  de  ma  vie  ;  il  est  juste  qu'ils  me  voient  Unir.  »  Il  parut  en  robe 
de  chambre,  sa  jambe  sur  des  carreaux,  mangea  d'une  panade  et  d'un 
potage  et  parla  à  son  ordinaire.  Ensuite  il  lit  retirer  la  lable  de  devant 
lui  et  causa  un  quart  d'heure  avec  tout  le  mon,de  ;  après  quoi,  il  dit: 
«  Messieurs,  il  ne  seroit  pas  juste  que  le  plaisir  que  j'ai  de  prolonger 
o  les  derniers  moments  que  je  passerai  avec  vous  vous  empêche  de 
«  dîner;  je  vous  dis  adieu  et  vous  prie  d'aller  manger.  »  Nous  sortî- 
mes tous  avec  la  dernière  douleur,  fondant  en  larmes.  »  —  C'est  aussi 
dans  cette  après-midi  que  se  place  l'incident  rapporté  par  la  Gazette 
d'Amsterdam,  n"  lxxiii  :  «  Un  vieux  bonhomme  de  cent  quatorze  ans 
vint,  selon  sa  coutume,  apporter  un  bouquet  au  Roi  pour  le  jour  de  sa 
fête.  On  en  avertit  le  Roi,  qui  dit  de  le  faire  entrer.  On  l'amena  par 
la  main  auprès  du  lit  de  S.  M.,  qui  lui  demanda:  «  Hé  bien,  bon- 
«  homme,  comment  te  portes-tu?  »  —  «  Sire,  répondit  il,  fort  bien, 
«  et,  si  je  n'avois  que  votre  âge,  je  me  porlerois  encore  mieux.  »  Le 
Roi  répliqua  :  «  Je  voudrois  me  porter  aussi  bien  que  toi.  «  Cet  homme 
eut  dix  louis,  outre  sa  pension  ordinaire,  et  se  retira.  » 


flTlSJ  DE  SAINT-SIMON.  259 

du  Maine'.  Il  y  avoit  eu  la  veille  du  papier  et  de  l'encre 
pendant  son  travail  tète  à  tête  avec  le  Chancelier  ;  il  y  en 
eut  encore  ce  jour-ci,  Mme  de  Maintenon  présente,  et  c'est 
l'un  des  deux  que  le  Chancelier  écrivit  sous  lui  son  codi- 
cille-. Mme  de  Maintenon  et  M.  du  Maine,  qui  pensoit sans 
cesse  à  soi,  ne  trouvèrent  pas  que  le  Koi  eût  assez  fait 
pour  lui  par  son  testament  ;  ils  y  voulurent  remédier  par 
un  codicille,  qui  montra  également  l'énorme  abus  qu'ils 
firent  de  la  foiblesse  du  Roi  dans  cette  extrémité,  et  jus- 
qu'où l'excès  de  l'ambition  peut  porter  un  homme.  Par  ce 
codicille  le  Roi  soumettoit  toute  la^  maison  civile  et  mili- 
taire du  Roi  au  duc  du  Maine  immédiatement  et  sans 
réserve,  et  sous  ses  ordres  au  maréchal  de  Villeroy  S  qui 

i.  Ce  n'est  point  aux  récits  de  Dangeau  ou  de  Quincy  que  Saint- 
Simon  prend  ces  détails  j  de  qui  les  tient-il,  puisqu'aucune  autre 
relation  n'en  parle  ? 

2.  Louis  XIV  écrivit  deux  codicilles  au  testament  qu'il  avait  rédigé 
le  2  août  1714,  et  dont  nous  avons  vu  le  dépôt  au  Parlement  dans  notre 
tome  XXV,  p.  18  et  suivantes.  Le  premier  avait  été  rédigé  bien  avant 
l'époque  à  laquelle  nous  sommes  arrivés,  puisqu'il  est  daté  du  13  avril 
1715;  le  second,  en  quelques  lignes  seulement,  est  daté  du  23  août, 
quoiqu'il  ait  été  certainement  écrit  le  25  {Dangeau,  p.  121).  Ces  dates 
ont  été  contestées  ;  mais  elles  seront  établies  d'une  manière  précise 
ci-après  dans  l'appendice  II,  dans  lequel  nous  donnerons  le  texte  du 
testament  du  Roi  d'après  une  copie  figurée  que  le  greffier  du  Parle- 
ment Gilbert  de  Voisins  en  exécuta  aussitôt  après  l'ouverture. 

3.  La  est  en  interligne  au-dessus  de  sa,  biffé. 

4.  Saint-Simon  se  trompe  complètement.  Le  premier  codicille,  comme 
on  le  verra  ci-après  (Appendice,  p.  360),  qui  était  rédigé  depuis  le 
13  avril,  qu'on  ne  l'oublie  pas,  prescrivait  le  transfert  du  jeune  roi  à 
Vincennes,  confirmait  la  nomination  du  maréchal  de  Villeroy  pour  son 
gouverneur  et  donnait  à  ce  maréchal  toute  aulorité  sur  les  troupes  de 
la  maison  militaire  depuis  le  décès  de  Louis  XIV  jusqu'à  l'arrivée  du 
jeune  roi  à  Vincennes  ;  le  duc  du  Maine  n'y  est  même  pas  nommé. 
Dans  le  second  codicille,  très  court,  qui  ne  sera  écrit  qu'à  la  tin  de  la 
journée  du  25  (ci-après,  p.  3G0),  il  n'est  question  que  de  Fleury  comme 
précepteur  et  du  P.  le  Tellier  pour  confesseur.  C'est  dans  le  testament 
lui-même  que  les  pouvoirs  du  duc  du  Maine  avaient  été  spécifiés.  On 
se  rend  compte  combien  la  passion  emporte  Saint-Simon  pour  qu'il  ait 
pu  voir  dans  la  rédaction  du  deuxième  codicille  «  l'énorme  abus  »  que 


260  MEMOIRES  flTlal 

par  cette  disposition  ilovenoient  les  maîtres  uniques  de  la 
personne  et  du  lieu  de  la  demeure  du  Koi  ;  de  l^aris,  par 
les  deux  régiments  des  gardes  et  les  deux  compagnies  des 
mousquetaires'  ;  de  toute  la  garde  intrrieureetextérieure  ; 
de  tout  le  service,  chambre,  garde-rohe,  chapelle,  bouche, 
écuries;  tellement  que  le  Régent  n'y  avoit  plus  l'ombre 
même  de  la  plus  légère  autorité,  et  se  trouvoit  à  leur 
merci,  et  en  état  continuel  d'être  arrêté,  et  pis,  toutes  les 
fois  qu'il  auroit  plu  au  duc  du  Maine. 

Peu  après  que  le  Chancelier  fut  sorti  de  chez  le  Roi, 
Mme  de  Maintenon,  qui  y  éloit  restée,  y  manda  les  dames 
familières,  et  la  musique  y  arriva  à  sept  heures  du  soir. 
Cependant  le  Roi  s'étoit  endormi  pendant  la  conversation 
des  dames;  il  se  réveilla  la  tête  embarrassée,  ce  qui  les 
effraya  et  leur  fit  appeler  les  médecins.  Ils  trouvèrent  le 
pouls  si  mauvais,  qu'ils  ne  balancèrent  pas  à  proposer  au 
Roi,  qui  revenoit  cependant  de  son  absence,  de  ne  pas 
différera  recevoir  les  sacrements^.    On  envoya  quérir  le 

le  duc  du  Maine  et  Mme  de  Maintenon  «  firent  de  la  t'oiblesse  du 
Roi  ».  Il  répétera  la  même  accusation  lorsqu'il  écrira  en  I7'i6  le  Paral- 
lèle dea  trois  j'oîs  Bourbotn^  :  voyez  p.  359-361.  La  lettre  anonyme  des 
archives  de  la  Ciotat,  qu'on  trouvera  à  l'Appendice,  p.  S'A,  dit  aussi 
que  les  deux  codicilles  furent  écrits  le  25  août,  l'un  le  malin,  l'autre 
le  soir  ;  il  est  évident  que  ce  bruit  courut  parmi  les  courtisans.  Le  mar- 
quis de  Quincy  (Histoire  militaire,  tome  VII,  p.  396)  place  la  rédac- 
tion du  premier  au  23  août,  et  celle  du  second  au  25. 

i.  Ces  troupes  étaient  lof;ées  dans  la  capitale,  dont  elles  forniniont 
toute  la  garnison. 

2.  Dangeau  (p.  i  19)  n'avait  point  mis  cette  proposition  sur  le  compte 
des  médecins.  En  effet,  selon  Mlle  d'Aumale  (Souvenirs  sur  Madame 
de  Maintenon,  tome  II,  p.  3"i6),  ce  lut  Mme  do  Maintenon  qui  y  pensa: 
«  Quand  elle  lui  en  eut  parlé,  il  lui  dit  qu'il  lui  sembloit  qu'il  étoit 
encore  de  bonne  heure,  qu'il  ne  se  sentoil  point  absolument  mal,  mais 
qu'au  reste  c'étoit  une  chose  qui  étoit  toujours  très  bonne  à  faire.  » 
Mme  de  Maintenon  (lettre  publiée  par  Lavallée,  Madame  de  Mainte- 
non et  la  7nai!>on  de  Saint-Cyr,  p.  272)  s'attribue  aussi  cette  proposi- 
tion. Dangeau,  dans  la  suite  de  son  récit,  dit  que  le  Roi  demanda  lui- 
même  les  sacrements  et  donna  ordre  à  tout  avec  présence  d'esprit  et 
fermeté. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  264 

P.  Tellier,  et  avertir  le  cardinal  de  Rohan,  qui  étoit  chez 
lui  en  compagnie,  et  qui  ne  songeoit  à  rien  moins,  et 
cependant  on  renvoya  la  musique  qui  avoit  déjà  préparé 
ses  livres  et  ses  instruments,  et  les  dames  familières  sorti- 
rent. Le  hasard  fit  que  je  passai  dans  ce  moment-là  la  ga- 
lerie et  les  antichambres  pour  aller,  de  chez  moi  dans  l'aile 
neuve  ',  dans  l'autre  aile  chez  Mme  la  duchesse  d'Orléans, 
et  chez  M.  le  duc  d'Orléans  après.  Je  vis  même  des  restes 
de  musique  dont  je  crus  le  gros  entré.  Comme  j'approchois 
de  l'entrée  de  la  salle  des  gardes,  Pernost,  huissier  de 
l'antichambre-,  vint  à  moi,  qui  me  demanda  si  je  savois 
ce  qui  se  passoit,  et  qui  me  l'apprit  '.  Je  trouvai  Mme  la 
duchesse  d'Orléans  au  lit,  d'un  reste  de  migraine,  envi- 
ronnée de  dames  qui  faisoient  la  conversation,  ne  pen- 
sant à  rien  moins.  Je  m'approchai  du  lit  et  dis  le  fait  à 
Mme  la  duchesse  d'Orléans,  qui  n'en  voulut  rien  croire,  et 
qui  m'assura  qu'il  y  avoit  actuellement  musique,  et  que 
le  Roi  étoit  bien  ;  puis,  comme  je  lui  avois  parlé  bas,  elle 
demanda  tout  haut  aux  dames  si  elles  en  avoient  ouï  dire 
quelque  chose.  Pas  une  n'en  savoit  un  mot,  et  Mme  la 
duchesse  d'Orléans  demeuroit  rassurée.  Je  lui  dis  une 
seconde  fois  que  j'étois  sûr  de  la  chose,  et  qu'il  me  pa- 
roissoit  qu'elle  valoit  bien  la  peine  d'envoyer  au  moins  aux 
nouvelles,  et  en  attendant  de  se  lever.  Elle  me  crut,  et 


1.  On  a  vu,  tome  XXIV,  p.  411,  la  situation  et  la  composition  de 
l'appartement  de  Saint-Simon. 

2.  VÉtat  de  la  France  de  1742  mentionne  (p.  4o6)  le  sieur  Nicolas 
Pernost  comme  premier  huissier  de  l'antichambre  du  Roi,  avec  six 
cents  livres  de  gages,  trois  cents  livres  de  gratification  et  autant  de 
pension  ;  son  frère  Martin-Dominique  avait  alors  la  survivance  de  sa 
charge.  Saint-Simon  écrit  Pernault.  —  Les  huissiers  de  l'antichambre 
étaient  au  nombre  de  deux,  servant  par  semestre;  ils  avaient  le  droit 
de  se  qualifier  d'écuyer  et  portaient  en  service  Tépée  au  côté.  Leurs 
fonctions  consistaient  à  ouvrir  la  porte  à  un  seul  battant  ou  à  deux 
battants,  suivant  la  qualité  des  gens,  aux  princes  et  seigneurs  qui  se 
présentaient  ;  ils  avaient  la  police  de  l'antichambre. 

3.  Avant  ce  mot  il  y  a  un  premier  Vapprit  biffé. 


262  MEMOIRES  [171.H] 

je  passai  chez  M.  le  duc  d'Orléans,  que  j'avertis  aussi,  et 
qui  avec  raison  jugea  à  propos  de  demeurer  chez  lui, 
puisqu'il  n'étoit  point  mandé'. 

En  un  quart  d'heure,  depuis  le  renvoi  de  la  musique  et 
des  dames,  tout  fut  fait^  Le  P.  Tellier  confessa  le  Hoi ', 
tandis  que  le  cardinal  de  Rohan  fut  prendre  le  saint  sacre- 
ment à  la  chapelle,  et  qu'il  envoya  chercher  le  curé*  et 
les  saintes  huiles.  Deux  aumôniers  du  Hoi,  mandés  par 
le  cardinal,  accoururent,  et  sept  ou  huit  flambeaux  portés 
par  des  garçons  bleus  du  château,  deux  laquais  de  Fagon, 
et  un  de  Mme  de  Maintenon '.  Ce  très  petit  accompagne- 
ment monta  chez  le  Roi  par  le  petit  escalier  de  ses  cabi- 
nets'', à  travers  desquels  le  cardinal  arriva  dans  sa  cham- 
bre. Le  P.  Tellier,  Mme  de  Maintenon,  et  une  douzaine 


i.  Cependant  il  accompap;na  le  saint-sacrement  jusque  dans  la  cham- 
bre du  Roi  (ci-après,  p.  263,  note  2). 

2.  Cela  ne  fut  point  si  rapide.  La  Relation  du  marquis  de  Quincy, 
qui  fut  revue  par  le  P.  le  Tellier.  dit  au  contraire  que,  «  comme  per- 
sonne n'étoit  averti  pour  celte  cérémonie,  il  se  passa  un  temps  assez 
considérable  avant  que  le  cardinal  pût  venir  avec  le  saint  viatique  ». 
Cela  s'explique  très  bien  par  la  nécessité  d'aller  chercher  le  curé  et  les 
saintes  huiles  à  la  Paroisse  de  Versailles,  con)me  Saint-Simon  va  le 
dire  deux  lif^nes  plus  loin.  La  cérémonie  eut  lieu  entre  huit  heures  et  huit 
heures  et  demie  et  dura  environ  une  demi -heure  (Dangeau,  Quincy, 
Relation  de  Desgranges  publiée  par  le  marquis  de  Grouchy,  d'après 
un  registre  des  premiers  gentilshommes  de  la  chambre,  dans  le  Carnet 
historique,  tome  IV,  1899.  p.  dot). 

3.  La  Relation  de  Quincy  (p.  392-394)  s'étend  longuement  (on  en  a 
vu  ci-dessus  la  raison)  sur  le  rôle  du  confesseur  du  Roi  en  cette  cir- 
constance. Mlle  d'Aumale  dit  que  Mme  de  Maintenon  «  aida  elle- 
même  le  Roi  à  s'examiner,  en  le  faisant  ressouvenir  de  plusieurs  fautes 
qu'elle  lui  avoit  vu  faire,  alin  qu'il  s'en  humiliât  et  qu'il  en  demandât 
pardon  à  Dieu  ». 

4.  Claude  Huchon  ;  tome  XXU,  p.  346. 

5.  Danijean,  p.  120;  Quincy,  p.  394. 

6.  Sur  le  plan  ci-dessus,  p.  23 i,  on  voit  ce  petit  escalier  qui  abou- 
tissait au  «  salon  du  petit  escalier  du  Roi  «  (n"  19);  il  ne  faut  pas  le 
confondre  avec  l'échelle  semi-circulaire,  arrivant  près  du  cabinet  des 
Perruques  (n"  16),  qui  ne  pouvait  servir  qu'aux  valets. 


1745] 


DE   SAINT-SIMON. 


263 


d'entrées,  raiîtres  ou  valets,  y  reçurent  ou  y*  suivirent  le 
saint  sacrement-.  Le  cardinal  dit  deux  mots  au  Roi  sur 
cette  grande  et  dernière  action,  pendant  laquelle  le  Koi 
parut  très  ferme,  mais  très  pénétré  de  ce  qu'il  faisoit^ 
Dès  qu'il  eut  reçu  Notre-Seigneur  et  les  saintes  huiles, 
tout  ce  qui  étoit  dans  la  chambre  sortit  devant  et  après  le 
saint  sacrement;  il  n'y  demeura  que  Mme  de  Maintenon* 
et  le  Chancelier.  Tout  aussitôt,  et  cet  aussitôt  fut  un  peu 
étrange,  on  apporta  sur  le  lit  une  espèce  de  livre  ou  de 
petite  table;  le  Chancelier  lui  présenta  le  codicille,  à  la 
fin  duquel  il  écrivit  quatre  ou  cinq  lignes  de  sa  main,  et  le 
rendit  après  au  Chanceliers  Le  Roi  demanda  à  boire, 
puis  appela  le  maréchal  de  Villeroy,  qui,  avec  très  peu 
des  plus  marqués,  étoit  dans  la  porte  de  la  chambre  au 
cabinet  du  Conseils  et  lui  parla  seul  prèsd'unquartd'heure. 

i.  Les  mots  receurent  on  y  ont  été  ajoutés  en  interligne;  en  effet 
le  confesseur  et  Mme  de  Mainlenon  étaient  restés  dans  la  chambre. 

2.  On  ne  sait  pourquoi  Saint-Simon  passe  si  légèrement  sur  cette 
suite.  Dangeau.  Quincy,  le  Journal  des  Anthoine  (p.  47),  la  Relation 
de  Desgranges  disent  au  contraire  que  le  cortège  fut  nombreux,  que 
le  duc  d'Orléans  et  les  princes  du  sang  qu'on  avait  pu  avertir  accom- 
pagnèrent le  saint  sacrement,  que  les  princesses  et  leurs  dames  d'hon- 
neur, ainsi  que  les  principaux  otficiers  de  la  couronne,  se  joignirent 
au  cortège,  où  étaient  déjà  beaucoup  d'ecclésiastiques  et  les  prêtres  de 
la  Mission,  et  que  tous  restèrent  dans  le  cabinet  du  Conseil  pendant  la 
cérémonie. 

3.  Quincy  (p.  395)  donne  le  texte  de  rallocution  assez  longue,  puis- 
qu'elle occupe  trente  lignes  de  son  récit,  que  le  cardinal  adressa  au 
Roi  avant  de  lui  donner  le  viatique,  et  celle  plus  courte  qu'il  prononça 
avant  de  lui  administrer  l'extrème-onction.  Le  Journal  des  Anthoine, 
p.  45  et  suivantes,  contirme  les  détails  des  autres  récits. 

4.  Le  Mémoire  spécial  de  Damjeau  dit  au  contraire  (p.  421)  qu'après 
la  cérémonie,  Mme  de  Mainlenon  sortit,  conduite  par  le  duc  de  Noailles, 
son  neveu  ;  elle  rentra  pendant  que  le  Roi  écrivait  et  se  tint  à  l'écart. 
Saint-Simon  suit  ce  que  dit  le  marquis  de  Quincy,  p.  396. 

o.  Nous  avons  parlé  par  avance  de  ce  second  codicille  (ci  dessus, 
p.  259,  note  4);  on  en  trouvera  le  texte  à  l'Appendice,  ci-après, 
p.  372. 

6.  La  porte  qui  faisait  communiquer  la  chambre  du  Roi  avec  le 
cabinet  du  Conseil. 


Le  Roi 

achf^ve 

son  codicille, 

parle  à  M.  le 

duc  d'Orléans. 


■26;  MKMdlllKS  [ITlii] 

Il  envoya  chercher  M.  le  duc  d'Orléans,  à  qui  il  parla 
seul  aussi  un  peu  plus  qu'il  n'avoit  fait  au  maréchal  de 
Villeroy.  Il  lui  témoigna  beaucoup  d'estime,  d'amitié,  de 
confiance;  mais  ce  qui  est  terrible,  avec  Jésus-Christ  sur 
les  lèvres  encoie,  qu'il  venoitde  recevoir,  il  l'assura  qu'il 
ne  trouveroit  rien  dans  son  testament  dont  il  ne  dût  être 
content,  puis  lui  recommanda  l'Etat  et  la  personne  du  Roi 
futur'.  Entre  sa  communion  et  l'extrème-onction  et  cette 
conversation,  il  n'y  eut  pas  une  demi-heure;  il  ne  pou- 
voit  avoir  oublié  les  étranges  dispositions  qu'on  lui  avoit 
arrachées  avec  tant  de  peine,  et  il  venoit  de  retoucher  dans 
l'entre-deux  son  codicille  si  fraîchement  fait,  qui  raettoit 
le  couteau  dans  la  gorge  à  M.  le  duc  d'Orléans,  dont  il 
livroit  le  manche  en  plein  au  duc  du  Maine-.  Le  rare  est 
que  le  bruit  de  ce  particulier,  le  premier  que  le  Roi  eût 

1.  Mlle  d'Aumale  (p.  333-336)  donne  un  résumé  fort  court  des 
paroles  du  Roi,  d'après  ce  qu'elle  avait  entendu  de  la  bouche  du  duc 
d'Orléans  sortant  de  la  chambre  ;  le  marquis  de  Quincy  (p.  398)  fait  de 
même  en  deux  lignes.  Par  contre,  la  lettre  anonyme  des  archives  de 
Dampierre  {Journal  de  Dangeau,  tome  XVIII,  p.  374)  rapporte  un 
discours  assez  long  en  style  direct,  qui  se  termine  par  la  justitication 
d'avoir  contié  au  duc  du  Maine  la  surintendance  de  l'éducation  du 
jeune  roi.  Le  Journal  des  Anthoine  (p.  oO-ot)  nous  a  conservé  un 
texte,  qui  à  notre  avis  se  rapproche  plus  de  la  réalité;  le  Roi  aurait 
terminé  en  disant  :  «  J'ai  fait  les  dispositions  que  j'ai  cru  les  plus  sages 
et  les  plus  équitables  pour  le  bien  du  royaume;  mais,  comme  on  ne 
sauroit  tout  prévoir,  s'il  y  a  quelque  chose  à  changer  ou  à  réformer, 
l'on  fera  ce  que  l'on  trouvera  à  propos.  »  Nous  verrons  le  duc  d'Orléans 
s'autoriser  de  ces  paroles  lors  de  la  séance  du  "1  septembre  au  Parle- 
ment. De  ces  diverses  versions,  il  faut  retenir  qu'elles  s'accordent 
toutes  avec  Saint-Simon  sur  ce  point  que  le  Roi  protesta  auprès  de 
son  neveu  qu'il  ne  lui  faisait  pas  de  tort  par  son  testament.  L'abbé 
Mascara  (lettre  du  28  aoiit,  ci-après,  p.  330)  mentionne  la  «  réelle  et 
sincère  réconciliation  survenue  entre  S.  M.  et  le  duc  d'Orléans  ;  il 
prétend  que  le  testament  du  Roi  a  été  révoqué  et  annulé,  et  devra  être 
brûlé  après  avoir  été  ouvert. 

2.  Saint-Simon  persiste  dans  son  erreur  sur  la  teneur  des  codicilles, 
et  il  accentuera  encore  dans  le  Parallclc  des  trois  rois  Bourbons, 
p.  371-372. 


[1715]  DE   SALXT-SIMON.  265 

encore  eu  avec  M.  le  duc  d'Orléans,  fit  courir'  qu'il  venoit 
d'être  déclaré  régent-.  Dès  qu'il  se  fut  retiré,  le  duc  du 
Maine,  qui  étoit  dans  le  cabinet,  fut  appelé.  Le  Roi  lui 
parla  plus  d'un  quart  d'heure,  puis  fit  appeler  le  comte  de 
Toulouse,  qui  étoit  aussi  dans  le  cabinet,  lequel  fut  un 
autre  quart  d'heure  en  tiers  avec  le  Roi  et  le  duc  du 
Maine  ^.  Il  n'y  avoit  que  peu  de  valets  des  plus  nécessai- 
res dans  la  chambre  avec  Mme  de  Maintenon.  Elle  ne  s'ap- 
procha point  tant  que  le  Roi  parla  à  M.  le  duc  d'Orléans. 
Pendant  tout  ce  temps-là,  les  trois  bâtardes  du  Roi^,  les 
deux  fils  de  Madame  la  Duchesse^  et  le  prince  de  Conti 
avoient  eu  le  temps  d'arriver  dans  le  cabinet.  Après  que  le 
Roi  eut  fini  avec  le  duc  du  Maine  et  le  comte  de  Toulouse, 
il  fit  appeler  les  princes  du  sang,  qu'il  avoit  aperçus  sur 
la  porte  du  cabinet  dans  sa  chambre,  et  ne  leur  dit  que 
peu  de  chose  ensemble,  et  point  en  particulier  ni  bas*. 
Les  médecins  s'avancèrent  presque  en  même  temps  pour 
panser  sa  jambe;  les  princes  sortirent;  il  ne  demeura  que 
le  pur  nécessaire  et  Mme  de  Maintenon'.  Tandis  que  tout 
cela  se  passoit,  le  Chancelier  prit  à  part  M.  le  duc  d'Or- 
léans dans  le  cabinet  du  Conseil,  et  lui  montra  le  codicille^ 

1.  Après  ce  mot,  Saint-Simon  a  biffé  le  bruit  pour  éviter  une  répé- 
tition. 

2.  C'est  aussi  ce  que  dit  l'abbé  Mascara  (lettre  du  27  août,  ci-après, 
p.  348). 

3.  Mémoire  de  Dangeau,  p.  122;  illle  d'Aumale,  p.  337;  Quincy, 
p.  396  ;  Journal  des  Anthoine,  p.  o2-o3. 

4.  La  princesse  de  Conti  douairière,  Madame  la  Duchesse  et  la 
duchesse  d'Orléans. 

5.  Le  duc  de  Bourbon  et  le  comte  de  Charolais. 

6.  Mémoire  de  Dangeau,  p.  122;  Quincy,  p.  396. 

7.  Saint- Simon  suit  pas  à  pas  la  Relation  de  Quincy,  qui  s'accorde 
avec  le  Mémoire  de  Dangeau. 

8.  La  Relation  de  Quincy  n'est  pas  plus  prolixe  sur  cet  épisode; 
mais  le  Mémoire  de  Dangeau  entre  dans  plus  de  détails  :  «  M.  le  Chan- 
celier est  sorti  de  la  chambre  et  est  venu  parler  à  M.  le  duc  d'Orléans, 
qui  étoit  assis  dans  l'embrasure  de  la  fenêtre  du  cabinet  la  plus  pro- 
che de  la  chambre,  et  aussitôt  ils  se  sont  approchés  l'un  et  l'autre  de 


566  MÉMOIRES  [1715] 

Le  Roi  pansé  sut  que  les  princesses  étoiont  dans  le  cabi- 
net; il  les  fit  appeler,  leur  dit  deux  mots  tout  haut,  et, 
prenant  occasion  de  leurs  larmes,  les  pria  de  s'en  aller, 
parce  qu'il  vouloit  reposer'.  F-lles  sorties  avec  le  peu  qui 
étoit  entré,  le  rideau  du  lit  fut  un  peu  tiré,  et  Mme  de 
Maintenon  passa  dans  les  arrière-cabinets. 
Scélératesse  Le  lundi  2»;  août,  la  nuit  ne  fut  pas  meilleure.  Il  fut 

des  chefs  de  la  ,  .  .        .•*   i  ii  i  i 

Gonstiiiiiion.  panse,  puis  entendit  la  messe.  Il  y  avoit  le  pur  nécessaire 
dans  la  chambre,  qui  sortit  après  la  messe.  Le  Roi  fit  de- 
meurer les  cardinaux  de  Rohan  et  de  Bissy.  ^Ime  de  Main- 
tenon  resta  aussi  comme  elle  demeuroit  toujours,  et  avec 
elle  le  maréchal  de  Villeroy,  le  P.  Tellier-  et  le  Chance- 
lier^  Il  appela  les  deux  cardinaux,  protesta  qu'il  mouroit 

la  table  du  Conseil,  au  bout  où  le  Roi  a  accoutumé  de  s'asseoir.  Le 
Chancelier  a  tiré  d'une  enveloppe,  qui  n'étoit  point  cachetée,  le  papier 
que  S.  M.  venoit  d'écrire  et  l'a  donné  à  M.  le  duc  d'Orléans,  qui.  pour 
le  lire,  s'est  appuyé  sur  la  table,  sans  s'asseoir,  et  le  Chancelier  est 
resté  debout  auprès  de  lui.  Les  lignes  et  l'écriture  sont  fort  serrées. 
Après  que  le  duc  d'Orléans  a  achevé  de  lire,  le  Chancelier  a  remis  le 
papier  dans  l'enveloppe,  et,  après  en  avoir  fait  lire  le  dessus  au  duc 
d'Orléans,  il  l'a  mis  dans  sa  poche  sans  le  cacheter Après  la  lec- 
ture, le  duc  d'Orléans  et  le  Chancelier  ont  eu  une  conversation  d'envi- 
ron un  quart  d'heure.  »  Évidemment,  Saint-Simon,  qui  venait  de  dire 
que  par  ses  codicilles  le  Roi  avait  mis  «  le  couteau  dans  la  gorge  »  au 
duc  d'Orléans,  s'est  senti  gêné  parce  fait  que  le  Chancelier  lui  donnait 
aussitôt  communication  de  ce  même  codicille,  sans  que  le  duc  en  parût 
mécontent,  et  il  n'a  pas  insisté. 

4.  Ceci  est  conforme  à  la  Relation  de  Quincy,  p.  397,  mais  contraire 
au  Mémoire  de  Danijeau  ■.  «  S.  M.  n'a  appelé  aucune  des  princesses, 
qui  sont  demeurées  avec  les  courtisans  dans  les  cabinets,  sans  voir  le 
Roi  »  (p.  i"2"2),  et  p.  i'i.S  :  «  Comme  le  Roi  avoit  fait  tirer  son  rideau 
et  dit  qu'il  vouloit  reposer,  les  princesses  sont  toutes  sorties  pendant 
que  le  duc  d'Orléans  lisoit  le  papier.  «  Le  même  Mémoire  (p.  i'i^i'io) 
donne  la  liste  des  princesses,  des  princes,  des  grands  officiers  et  des 
courtisans  qui  se  trouvaient  alors  dans  les  cabinets. 

2.  Les  mots  le  P.  Tellier  ont  été  ajoutés  en  interligne. 

3.  Dans  la  grande  Addition  au  Journal  de  Dangnau  (tome  XVI, 
p.  90).  Saint-Simon  avait  dit  que  Fagon  et  Mareschal  se  trouvaient  là 
aussi,  et  Mlle  d'Aumale  relève  (p.  383)  que  ce  lut  «  en  présence  d'un 
grand  nombre  de  courtisans  ».  Mme  de  Maintenon  par  contre  (Lavallée, 


[4715]  DE  SAINT-SIMON.  267 

dans  la  foi  et  la  soumission  à  l'Eglise,  puis  ajouta  en  les 
regardant  qu'il  étoit  fâché  de  laisser  les  affaires  de  l'Église 
en  l'état  où  elles  étoient,  qu'il  y  étoit  parfaitement  igno- 
rant, qu'ils  savoient',  et  qu'il  les  en  attestoit,  qu'il  n'y 
avoit  rien  fait  que  ce  qu'ils  avoient  voulu,  qu'il  y  avoit 
fait  tout  ce  qu'ils  avoient  voulu,  que  c'étoit  donc  à  eux  à 
répondre  devant  Dieu  pour  lui  de  tout  ce  qui  s'y  étoit 
fait,  et  du  trop  ou  du  trop  peu,  qu'il  protestoit  de  nouveau 
qu'il  les  en  chargeoit  devant  Dieu,  et  qu'il  en  avoit  la 
conscience  nette,  comme  un  ignorant  qui  s'étoit  abandonné 
absolument  à  eux  dans  toute  la  suite  de  l'affaire -.  Quel 

Saint-Cyr,  p.  273)  raconte  qu'elle-même  n'était  pas  dans  la  cham- 
bre. 

4.  Saint-Simon  avait  d'abord  écrit  qu'il  n'y  avoit;  il  a  ajouté  une  s 
à  qu'il,  biffé  n'y  avoit  et  écrit  à  la  suite  sçavoient. 

2.  Il  y  a  deux  versions  assez  différentes  et  même  en  partie  contra- 
dictoires des  paroles  adressées  par  le  Roi  aux  deux  cardinaux  au  sujet 
de  l'affaire  de  la  Constitution.  La  première  est  celle  de  Saint-Simon, 
dans  laquelle  Louis  XIV  décharge  sur  eux  sa  responsabilité.  Saint- 
Simon  avait  reproduit  une  première  fois  les  paroles  du  Roi  en  style 
direct  dans  la  grande  Addition  sur  Louis  XIV  (tome  XVI,  p.  90)  ;  il  les 
répète  ici  en  style  indirect,  et  reprend  le  même  thème  dans  le  Parallèle 
des  trois  rois  Bourbons  (p.  337-358).  Le  Journal  des  Anthoine  (p.  S7) 
s'accorde  avec  la  version  de  Saint-Simon  ;  d'après  eux,  la  dernière 
parole  de  Louis  XIV  aurait  été:  «  Si  j'ai  pu  mal  faire,  c'est  sur  vos 
consciences,  et  vous  en  répondrez  devant  Dieu.  »  La  Relation  conservée 
dans  les  papiers  de  Fevret  de  Fontette  et  qu'on  trouvera  ci-après, 
p.  343,  est  dans  le  même  sens  et  l'auteur  ajoute:  «  Ce  sont  ici  ses 
propres  paroles  (du  Roi),  et  on  a  fait  tous  les  efforts  possibles  pour  les 
cacher.  »  Enlin,  témoignage  d'une  valeur  incontestable,  Mme  de  Main- 
tenon,  dans  la  lettre  publiée  par  Lavallée  (Saint-Cyr,  p.  273),  écrit 
qu'elle  n'assista  pas  à  l'entretien,  mais  que,  au  moment  où  elle  rentra 
dans  la  chambre,  elle  entendit  ces  mots  :  «  Vous  en  répondrez  devant 
Dieu.  »  —  La  seconde  version  est  beaucoup  plus  anodine:  le  Roi 
engage  les  cardinaux  à  continuer  à  défendre  la  bonne  doctrine,  sou- 
haite que  la  paix  se  fasse  bientôt  dans  l'Eglise,  et  proteste  de  sa  sou- 
mission à  son  enseignement.  C'est  la  version  de  Mlle  d'Aumale  (p.  333- 
334)  et  de  Languet  de  Gergy  (p.  437);  c'est  aussi  celle  que  donne, 
dans  une  conformité  de  texte  vraiment  surprenante  avec  Mlle  d'Aumale, 
la  partie  du  Journal  de  Dangeau  (tome  XVI,  p.  414-442)  rédigée  par 


268  MÉMOIRES  |1715| 

affreux  coup  do  tonnerre  !  Mais  les  deux  cardinaux 
n  étoient  pas  pour  s'en  épouvanter;  leur  cahis'  étoit  à 
toute  épreuve.  Leur  réponse  ne  fut  que  sécurité  et  louan- 
ges, et  le  Roi  à  répéter  que,  dans  son  ignorance,  il  avoit 
cru  ne  pouvoir  mieux  faire  pour  sa  conscience  que  de  se 
laisser  conduire  en  toute  confiance  par  eux,  par  quoi  il 
étoit  décliari,'é  devant  Dieu  sur  eux.  Il  ajouta  que,  pour 
le  cardinal  de  Noailles,  Dieu  lui  étoit  témoin  qu'il  ne  le 
haïssoit  point,  et  qu'il  avoit  toujours  été  fâché  de  ce  qu'il 
avoit  cru  devoir  faire  contre  lui.  A  ces  dernières  paroles, 
Blouin,  Fagon,  tout  baissé  et  tout  courtisan  qu'il  étoit,  et 
Mareschal,  qui  étoient  en  vue  et  assez  près  du  Roi,  se  re- 
gardèrent, et  se  demandèrent  entre  haut  et  bas  si  on  lais- 
seroit  mourir  le  Roi  sans  voir  son  archevêque,  sans  mar- 
quer par  là  réconciliation  et  pardon,  que  c'étoitun  scandale 
nécessaire  à  lever.  Le  Roi,  qui  les  entendit,  reprit  la  pa- 
role aussitôt,  et  déclara  que  non-seulement  il  ne  s'y  sen- 
toit  point  de  répugnance,  mais  qu'il  le  desiroit.  Ce  mot 
interdit  les  deux  cardinaux  bien  plus  [que]  la  citation - 
que  le  Roi  venoit  de  leur  faire  devant  Dieu  à  sa  décharge. 

un  secrétaire.  Le  Mémoire  spécial  de  Dangeau  ne  souffle  mot  de  l'inci- 
dent, et  ce  pourrait  bien  être  là  une  preuve  indirecte  que  ce  Mémoire 
(dont  l'attribution  a  été  contestée)  a  bien  pour  auteur  cet  avisé  courtisan. 
Enfin,  ne  négligeons  pas  de  remarquer  que  la  Relation  de  Quincy  (revue 
et  corrigée  par  le  P.  le  Tellier)  est  également  muette  sur  ce  sujet 
délicat.  Le  maréchal  de  Villars,  de  son  côté,  a  inséré  dans  ses  Mémoires 
(tome  IV,  p.  Gi)  celte  brève  mention  :  «  Il  recommanda  aux  cardinaux 
de  Rohan  et  de  Bissy  les  atraires  de  la  religion,  et  leur  dit  que  c'étoit 
une  véritable  douleur  pour  lui  de  n'avoir  pu  les  terminer,  mais  que, 
si  Dieu  lui  avoit  donné  quelques  jours  de  plus,  il  auroit  espéré  de  faire 
cesser  les  divisions.  » 

i.  Les  éditions  précédentes  avaient  imprimé  leur  calme  ;  on  lit  par- 
faitement dans  le  manuscrit  leur  calus,  mot  que  le  Dictionnaire  de 
l'Académie  de  1718  délinissait  ainsi  au  figuré:  «  Un  endurcissement 
d'esprit  et  de  cœur  qui  se  forme  par  la  longue  habiludo.  «  Le  même  mot 
est  employé  dans  la  version  du  Parallèle  des  trois  rois  bourhons,  p.  338. 

2.  L'auteur  avait  d'abord  écrit  bien  plus  que  ne  ve7ioit  de  faire  la 
citation  ;  il  a  biffé  que  ne  venoit  de  faire,  et  oublié  de  rétablir  le  que. 


[nin]  DE  SAINT-SIMON.  289 

Mme  de  Maintenon  en  fut  effrayée  ;  le  P.  Tellier  en  trem- 
bla. Un  retour  de  confiance  dans  le  Roi,  un  autre  de  gé- 
nérosité et  de  vérité  dans  le  pasteur,  les  intimidèrent.  Ils 
redoutèrent  les  moments  '  où  le  respect  et  la  crainte  fuient 
si  loin  devant  des  considérations  plus  prégnantes-.  Le 
silence  régnoit  dans  ce  terrible  embarras.  Le  Roi  le  rom- 
pit par  ordonner  au  Chancelier  d'envoyer  sur-le-champ 
chercher  le  cardinal  de  Noailles,  si  ces  Messieurs,  en  regar- 
dant les  cardinaux  de  Rohan  et  de  Bissy,  jugeoient  qu'il 
n'y  eût  point  d'inconvénient.  Tous  deux  se  regardèrent, 
puis  s'éloignèrent  jusque  vers  la  fenêtre,  avec  le  Tellier, 
le  Chancelier  et  Mme  de  Maintenon.  Tellier  cria  tout  bas, 
et  fut  appuyé  de  Bissy  ;  Mme  de  Maintenon  trouva  la  chose 
dangereuse;  Rohan,  plus  doux  ou  plus  politique  sur  le 
futur,  ne  dit  rien,  le  Chancelier  non  plus.  La  résolution 
enfin  fut  de  finir  la  scène  comme  ils  l'avoient  commencée 
et  conduite  jusqu'alors,  en  trompant  le  Roi  et  se  jouant 
de  lui.  Ils  s'en  rapprochèrent,  et  lui  firent  entendre  avec 
forces  louanges  qu'il  ne  falloit  pas  exposer  la  bonne  cause 
au  triomphe  de  ses  ennemis,  et  à  ce  qu'ils  sauroient  tirer 
d'une  démarche  qui  ne  partoit  que  de  la  bonne  volonté 
du  Roi  et  d'un  excès  de  délicatesse  de  conscience  ;  qu'ainsi 
ils  approuvoient  bien  que  le  cardinal  de  Noailles  eût 
l'honneur  de  le  voir,  mais  à  condition  qu'il  accepteroit 
la  Constitution,  et  qu'il  en  donneroit  sa  parole.  Le  Roi, 
encore  en  cela,  se  soumit  à  leur  avis,  mais  sans  raisonner, 
et  dans  le  moment  le  Chancelier  écrivit  conformément, 
et  dépêcha  au  cardinal  de  Noailles  ^  Dès  que  le  Roi  eut 

1.  Ces  quatre  mots,  qui  commencent  la  phrase,  oubliés  par  mégarde 
par  Saint-Simon  dans  sa  mise  au  net,  ont  été  rétablis  en  interligne  et 
sur  la  marge. 

2.  Mot  déjà  rencontré  ci-dessus,  p.  37. 

3.  Il  y  a  encore  plusieurs  versions  de  cet  incident.  Saint-Simon  pré- 
tend que  ce  furent  Blouin,  Fagon  et  Mareschal  qui  le  soulevèrent.  Au 
contraire  Languet  de  Gergy  (p.  461-462),  les  Anthoine  (p.  63-64),  le 
marquis  de  Quincy  (p.  401)  et  la  Relation  des  papiers  Fevret  de  Fon- 
tette  (ci-après,  p.  344),  racontent  que  le  cardinal  de  Noailles  écrivit 


^270  MEMOIRES  |47i.S 

consenti,  les  deux  cardinaux  le  llattèrenl  de  la  giande 
œuvre  qu'il  alloit  op»''rer  (tant  leur  frayeur  fui  grande 
qu'il  ne  revînt  à  le  vouloir  voir  sans  condition,  dont  le 
piège  éloitsi  misérable  et  si  aisé  à  découvrir),  ou  en  rame- 
nant le  cardinal  de  Noaillos,  ou  en  manifestant  par  son 
rçfus  et  son  opiniâtreté  invincible  à  troubler  l'Église,  et 
son  ingratitude  consommée  pour  un  roi  à  qui  il  devoit 
tout  et  qui  lui'  tenduit  ses  bras  mourants.  Le  dernier 
arriva.  Le  cardinal  de  Noailles  fut  pénétré  de  douleur  de 
ce  dernier  comble  de  l'artifice.  Il  avoit  tort  ou  raison  de- 
une  lettre  à  Mme  de  xMainlenon  pour  lui  faire  part  de  son  désir  de 
voir  le  Roi,  que  celle-ci  la  monlra  au  cardinal  de  Rohan  et  au  confes- 
seur, puis  à  Louis  XIV,  qui  manifesta  le  contentement  qu'il  aurait  de 
voir  son  archevêque,  mais  qui,  suivant  les  uns  de  son  propre  mouve- 
ment, suivant  les  autres  à  l'instigation  de  Rohan  et  du  P.  le  Tellier, 
mit  comme  condition  qu'il  accepterait  la  constitution  Unigenilus.  Il 
ordonna  sur  l'heure  au  Chancelier  d'écrire  une  lettre  en  ce  sens  au 
cardinal  de  Xoailles  ;  ce  qui  fut  fait  aussitôt,  et  le  Roi  la  signa.  Les 
Anthoine  ajoutent  que  la  condition  mise  par  le  Roi  était  contenue  dans 
une  courte  apostille  placée  après  la  signature  et  ainsi  conçue:  «  Je 
vous  attends  à  condition  que  vous  vous  rejoindrez  aux  autres  évèques 
vos  confrères.  »  Languet  de  Gergy  donne  un  texte  bien  plus  développé 
de  cette  lettre.  Entin  Mlle  d'Aumule  (p.  34'2)  en  a  fait  un  récit  telle- 
ment ditVéront  qu'il  n'est  point  inutile  de  le  reproduire  ici:  «  Comme 
j'étois,  dit-elle,  presque  toujours  dans  sa  chambre  avec  Mme  de  Main- 
tenon,  je  fus  chargée  par  le  maréchal  de  IN'oailles  de  lui  parler  un  peu 
du  cardinal  son  frère,  el  de  lâcher  qu'il  consentît  à  le  voir.  Je  lui  en 
parlai  effectivement;  je  lui  demandai  s'il  n'avoit  rien  contre  M.  le  car- 
dinal de  Noailles.  «  Non,  me  répondit-il,  je  n'ai  rien  de  personnel 
contre  lui,  et,  s'il  veut  venir  tout  à  l'heure,  je  l'embrasserai  de  tout 
mon  cœur,  s'il  veut  se  soumettre  au  Pape  ;  car  je  veux  mourir  comme 
j'ai  vécu,  catholique,  apostolique  et  romain.  »  J'allai  porter  cette  réponse 
à  M.  le  Cardinal  [sans  doute  pour  «  M.  le  Maréchal  «J,  qui  me  dit  :  «  En 
«  ce  cas-là,  j'ai  du  regret  à  celte  heure  que  vous  lui  en  ayez  parlé.  » 
Il  n'en  fut  plus  question  depuis,  et  le  Roi  ne  le  vit  point.  »  Peut-être 
faut-il  supposer  que  ce  récit  se  rapporte  à  une  seconde  tentative  faite 
à  l'instigation  du  maréchal  de  Noailles.  Voyez  ci-après,  p.  3.'>0  et  '.ioi- 
332,  la  lettre  du  28  août  de  l'abbé  Mascara.  De  nos  jours  le  P.  Bliard, 
dans  son  ouvrage  sur  le  P.  le  Tellier  (p.  379- 390),  a  cherché  à  expli- 
quer la  conduite  du  confesseur  et  des  deux  cardinaux. 

4.  Avant  qui  Saint-Simon  a  biHé  un  à,  et  luy  surcharge  l7. 


[17i5]  DE  SAINT-SIMON.  271 

vant  tout  parti  sur  l'affaire  de  la  Constitution  ;  mais,  quoi 
qu'il  en  fût,  l'événement  de  la  mort  instante  du  [\oi  n'opé- 
roit  rien  sur  la  vérité  de  cette  matière,  ni  ne  pouvoit'  opé- 
rer, par  conséquent,  aucun  changement  d'opinion.  Uien 
de  plus  touchant  que  la  conjoncture,  mais  rien  de  plus 
étranger  à  la  question,  rien  aussi  de  plus  odieux  que  ce 
piège,  par-  rapport  au  Roi,  de  l'état  duquel  ils  ache- 
vèrent d'abuser  si  indignement,  et  par  rapport  au  cardi- 
nal de  Noailles,  qu'ils  voulurent  brider  ou  noircir  si  gros- 
sièrement. Ce  trait  énorme  émut  tout  le  public  contre 
eux,  avec  d'autant  plus  de  violence  que  l'extrémité  du 
Roi  rendit  la  liberté,  que  sa  terreur  avoit  si  longtemps 
retenue  captive.  Mais,  quand  on  en  sut  le  détail,  et  l'apos- 
trophe du  Roi  aux  deux  cardinaux  sur  le  compte  qu'ils 
auroient  à  rendre  pour  lui  de  tout  ce  qu'il  avoit  fait  sur 
la  Constitution,  et  le  détail  de  ce  qui  là  même  s'étoit 
passé  tout  de  suite  sur  le  cardinal  de  Noailles,  l'indigna- 
tion générale  rompit  les  digues  et  ne  se  contraignit  plus; 
personne  au  contraire  qui  blâmât  le  cardinal  de  Noailles, 
dont  la  réponse  au  Chancelier  fut  en  peu  de  mots  un  chef- 
d'œuvre  de  religion,  de  douleur  et  de  sagesse ^ 

Ce  même  lundi  2l)  août,  après  que  les  deux  cardinaux  AdieuxduRoi. 
furent  sortis,  le*  Roi  dîna  dans  son  lit  en  présence  de  ce 
qui  avoit  les  entrées.  Il  les  fit  approcher  comme  on  des- 
servoit,  et  leur  dit  ces  paroles,  qui  furent  à  l'heure  même 
recueillies:  «  Messieurs,  je  vous  demande  pardon  du  mau- 
vais exemple  que  je  vous  ai  donné.  J'ai  bien  à  vous 
remercier  de  la  manière  dont  vous  m'avez  servi,  et  de 
l'attachement  et  de  la  fidélité  que  vous  m'avez  toujours 

1.  Les  mots  ne  pouvoit  ont  été  ajoutés  en  interligne. 
■2.  Avant  ce  mot  il  y  a  dans  le  manuscrit  un  çunnutile,  lequel  rend 
la  phrase  incorrecte  ou  inachevée. 

3.  La  correspondance  du  cardinal  de  Noailles  conservée  à  la  Biblio- 
thèque nationale  (ms.  Fr.  23-itO  à  23:229)  ne  contient  ni  la  lettre  du 
Chancelier,  ni  la  réponse  du  cardinal. 

4.  Ce  le  surcharge  il. 


-27-2  N!1;M(>IHKS  flTlS] 

niarquoo.  Je  suis  bien  làclu-  de  n'avoir  pas  fait  pour  vous 
ce  que  j'aurois  bien  voulu  faire.  Les  mauvais  temps  en 
sont  cause.  Je  vous  demande  pour  mon  petit-fds  la  même 
application  et  la  même  lidélité  que  vous  avez  eue  pour 
moi.  C'est  un  enfant  qui  pourra  essuyer  bien  des  traver- 
ses. Que  votre  exemple  en  soit  un  pour  tous  mes  autres 
sujets.  Suivez  les  ordres  que  mon  neveu  vous  donnera.  11 
va  gouverner  le  royaume;  j'espère  qu'il  le  fera  bien; 
j'espère  aussi  que  vous  contribuerez  tousà  l'union,  etque, 
si  quelqu'un  s'en  écartoit,  vous  aideriez  à  le  ramener.  Je 
sens  que  je  m'attendris',  et  que  je  vous  attendris  aussi  ;  je 
vous  en  demande  pardon.  Adieu,  Messieurs:  je  compte 
que  vous  vous  souviendrez  quelquefois  de  moi-.  » 

In  peu  après  que  tout  le  monde  fut  sorti,  le  Roi  de- 
manda le  maréchal  de  Villeroy,  et  lui  dit  ces  mêmes  paro- 
les, qu'il  retint  bien,  et  qu'il  a  depuis  rendues:  «  Mon- 
sieur le  maréchal,  je  vous  donne  une  nouvelle  marque  de 
mon  amitié  et  de  ma  confiance  en  mourant.  Je  vous  fais 
gouverneur  du  Dauphin,  qui  est  l'emploi  le  plus  impor- 
tant que  je  puisse  donner.  Vous  saurez  par  ce  qui  est 
dans  mon  testament  ce  que  vous  aurez  à  faire  à  l'égard 
du  duc  du  Maine.  Je  ne  doute  pas  que  vous  ne  me  ser- 
viez après  ma  mort  avec  la  même  fidélité  que  vous  l'avez 
fait  pendant  ma  vie.  J'espère  que  mon  neveu  vivra  avec 

1.  Le  Roi  pleurait  très  facilement,  et  Saint-Simon  a  déjà  fait  celle 
remarque  :  notre  tome  VIU,  p.  324. 

2.  Saint-Simon  copie  exactement  le  texte  qu'il  trouve  dans  le  Jour- 
nal de  Dangeau  à  la  journée  du  26  août  (p.  il2),  texte  que  le  secré- 
taire de  Dangeau  alTiriiie  être  «  mot  pour  mot  ce  que  le  Roi  a  dit  aux 
courtisans  ».  Mlle  d'Aumale  (p.  33 i)  et  Languet  de  Gergy  (p.  i37-'»5H) 
le  reproduisent  aussi  avec  des  différences  insignitiantes.  Mais  le  Mé- 
moire spécial  de  Dangeau  (p.  128)  semble  à  priori  présenter  une  ver- 
sion assez  différente.  C'est  qu'il  y  eut  en  réalité  deux  discours  du  Roi, 
l'un  adressé  aux  courtisans,  l'autre  aux  ofliciers  de  sa  maison  ;  Saint- 
Simon  n'a  mentionné  que  le  premier.  Mais  le  récit  du  marquis  de  Quincy 
les  spécifie  parfaitement  tous  deux  (p.  400  et  401).  Le  Mémoire  de 
Dangeau,  comme  le  Journal  des  Anthoine  (p.  58),  no  reproduit  que 
les  paroles  adressées  aux  officiers. 


|lTlo|  DE  SAINT-SIMON.  m 

vous  avec  la  considération  et  la  confiance  qu'il  doit  avoir 
pour  un  homme  que  j'ai  toujours  aimé.  Adieu,  Monsieur 
le  maréchal  ;  j'espère  que  vous  vous  souviendrez  de 
moi'.  » 

Le  Roi,  après  quelque  intervalle,  fit  appeler  Monsieur 
le  Duc  et  M.  le  prince  de  Conti,  qui  étoient  dans  les  cabi- 
nets, et,  sans  les  faire  trop  approcher,  il  leur  recommanda 
l'union  désirable  entre  les  princes,  et  de  ne  pas  suivre  les 
exemples  domestiques  sur  les  troubles  et  les  guerres-  ;  il 
ne  leur  en  dit  pas  davantage.  Puis,  entendant  des  femmes 
dans  le  cabinet,  il  comprit  bien  qui  elles  étoient,  et  tout 
de  suite  leur  manda  d'entrer.  C'étoit  Mme  la  duchesse  de 
Berry,  Madame,  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  et  les  prin- 
cesses du  sang,  qui  crioient,  et  à  qui  le  Roi  dit  qu'il  ne 
falloit  point  crier  ainsi'.  Il  leur  fit  des  amitiés  courtes, 
distingua  Madame,  et  finit  par  exhorter  Mme  la  duchesse 
d'Orléans  et  Madame  la  Duchesse  de  se  raccommoder*. 

1.  C'est  encore  dans  le  Journal  de  Dangeau  (p.  412-143;  que  Saint- 
Simon  prend  ces  paroles,  dont  il  n'est  pas  question  dans  le  Mémoire 
spécial.  Mlle  d'Aumale  (p.  334-333),  Languet  de  Gergy  (p.  438)  et  le 
marquis  de  Quincy  (p.  397-398)  donnent  la  même  leçon,  et  le  sens 
n'en  est  pas  différent  dans  le  Journal  des  Anthoine  (p.  49). 

2.  C'est-à-dire  l'exemple  de  leurs  ancêtres  pendant  la  Fronde  : 
Mlle  d'Aumale,  p.  336-337  ;  Quincy,  p.  398  ;  lettre  anonyme  des 
archives  de  Dampierre  (Dangeau,  tome  XVIII,  p.  373). 

3.  Mémoire  spécial  de  Dangeau,  p.  428-429  ;  Mlle  d'Aumale,  p.  333  ; 
Quincy,  p.  398-399. 

4.  Madame,  dans  sa  Correspondance  (recueil  Brunet,  tome  I,  p.  257) 
raconte  ainsi  la  scène  :  «  Je  n'ose  pas  penser  à  ce  que  le  Roi  m'a  dit 

à  son  lit  de  mort Il  a  recommandé  l'union  à  ses  tilles  légitimées. 

J'ai  été  la  cause  innocente  de  ce  que  le  Roi  leur  a  dit  de  désagréable  : 
en  l'entendant  dire  :  «  Je  vous  recommande  surtout  d'être  unies  »,  je 
crus  qu'il  disait  cela  pour  moi  et  pour  la  femme  de  mon  tils,  et  je 
répondis  :  «  Oui,  je  vous  obéirai,  Monsieur.  »  Le  Roi  se  retourna  alors 
vers  moi  et  dit  d'une  voix  rude  :  «  Vous  croyez  que  je  dis  cela  pour 
«  vous  ;  non,  non  !  Vous  êtes  raisonnable  et  je  vous  connais  ;  c'est  à 
«  ces  princesses  que  je  parle,  qui  ne  le  sont  pas  autant  que  vous.  » 
Dans  une  lettre  précédente  (ibidem,  p.  481),  elle  avait  raconté  la  scène 
tout  entière  :  «  Nous  avons  eu  hier  le  spectacle  le  plus  triste  et  le  plus 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SI.MON.   XXVII  18 


iU  MEMOIRES  117151 

Tout  cela  fut  court,  et  il  les  congtklia'.  Elles  se  retirèrent 
par  les  cabinets,  pleurant  et  criant  fort,  ce  qui  fit  croire 
au  dehors,  parce  que  les  fenêtres  des  cabinets  étoient  ou- 
vertes, que  le  Roi  étoit  mort,  dont  le  bruit  alla  à  Paris, 
et  jusque  dans  les  provinces. 

Quelque  temps  après,  il  manda  à  la  duchesse  de  Venta- 
dour  de  lui  amener-  le  Dauphin.  Il  le  fit  approcher^  et 
lui  dit  ces  paroles  devant  Mme  de  Maintenon  et  le  très  peu 
des  plus  intimement  privilégiés  ou  valets  nécessaires,  qui 
les  recueillirent^:  «  Mon  enfant,  vous  allez  être  un  grand 
roi.   Ne   m'imitez  pas  dans  le  goût  que  j'ai  eu  pour  les 

touchant  qu'on  puisse  imaginer.  Le  Roi,  après  s'être  préparé  à  la 
mort,  après  avoir  reçu  les  derniers  sacremeiits,  s'est  fait  apporter  le 
Dauphin,  lui  a  donné  sa  bénédiction  et  lui  a  parlé.  Il  m'a  fait  venir 
ensuite,  ainsi  que  la  duchesse  de  Berry  et  toutes  ses  autres  lilles  et 
petits-enfants.  Il  m'a  dit  adieu  avec  des  paroles  si  tendres  que  je 
m'étonne  de  n'être  pas  tombée  à  la  renverse  sans  connaissance....  Je 
me  suis  jetée  à  genoux,  et,  prenant  sa  main,  je  l'ai  baisée;  il  m'a 
embrassée  et  il  a  ensuite  parlé  aux  autres.  » 

1.  A  ce  propos,  le  Journal  des  Anthoine(p.  55)  relève  cette  particu- 
larité: «  Nous  n'avons  pu  suivre  le  til  de  son  discours;  car  lafoiblesse 
de  sa  voix  et  les  pleurs  et  soupirs  des  assistants  nous  le  déroboient.  » 

2.  Amener  corrige  amer,  mal  écrit. 

3.  D'après  les  Anthoine  (p.  60),  Mme  de  Ventadour  installa  le  jeune 
Dauphin  dans  un  fauteuil  qui  se  trouvait  au  chevet  du  lit. 

4.  Tous  les  textes  qu'on  connaît  de  ces  paroles  (Mémoire  de  Dan- 
geau,  p.  1 '•26- 1*27  ;  Mlle  d'Aumale,  p.  331-332;  Languet  de  Gergy, 
p.  456;  Relation  de  Quincy,  p.  399;  lettre  anonyme  de  Dampierre, 
p.  375  ;  Journal  des  Anthoine,  p.  61-63;  lettre  de  l'abbé  Mascara  du 
27  aoiit,  ci-après,  p.  348  ;  texte  du  manuscrit  Arsenal  2325,  fol.  88  ; 
etc.)  sont  plus  ou  moins  conformes  les  uns  aux  autres  comme  sens, 
mais  diffèrent  sensiblement  comme  forme  Voltaire,  dans  le  Siècle  de 
Louis  XIV,  a  prétendu  les  reproduire  d'après  le  tableau  qui  se  trouvait 
au  chevet  du  lit  de  Louis  XV  et  sur  lequel  le  maréchal  de  Vilieroy, 
son  gouverneur,  les  avait  fait  transcrire.  Or  M.  Le  Roi,  dans  un  mé- 
moire inséré  dans  ses  Curiosités  historiques  (1864),  semble  bien  en 
avoir  retrouvé  le  texte  exact  dans  les  papiers  du  maître  d'écriture 
Gilbert  chargé  d'en  faire  la  transcription  pour  placer  au-dessus  du  lit 
du  jeune  roi.  Voici  d'après  lui  quelles  furent  les  paroles  de  Louis  XIV  : 
«  Mon  cher  enfant,  vous  allez  être  le  plus  grand  roi  du  monde.  N'oubliez 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  275 

bâtiments',  ni  dans  celui  que  j'ai  eu  pour  la  guerre;  tâchez, 
au  contraire,  d'avoir  la  paix  avec  vos  voisins.  Rendez  à 
Dieu  ce  que  vous  lui  devez  ;  reconnoissez  les  obligations 
que  vous  lui  avez;  faites-le  honorer  par  vos  sujets.  Suivez 
toujours  les  bons  conseils;  tâchez  de  soulager  vos  peu- 
ples, ce  que  je  suis  assez  malheureux  pour  n'avoir  pu 
faire.  N'oubliez  point  la  reconnoissance  que  vous  devez  à 
Mme  de  Ventadour.  Madame  (s'adressant  à  elle),  que  je 
l'embrasse;  »  et  en  l'embrassant  lui  dit:  «  Mon  cher  en- 
fant, je  vous  donne  ma  bénédiction  de  tout  mon  cœur.  » 
Comme  on  eût-  ôté  le  petit  prince  de  dessus  le  lit  du  Roi, 
il  le  redemanda,  l'embrassa  de  nouveau,  et,  levant  les 
mains  et  les  yeux  au  ciel,  le  bénit  encore.  Ce  spectacle 
fut  extrêmement  touchant  ;  la  duchesse  de  Ventadour  se 

jamais  les  obligations  que  vous  avez  à  Dieu.  Ne  m'imitez  pas  dans  les 
guprres  ;  tâchez  de  maintenir  toujours  la  paix  avec  vos  voisins,  de  sou- 
lager votre  peuple  autant  que  vous  pourrez,  ce  que  j'ai  eu  le  malheur 
de  ne  pouvoir  faire  par  les  nécessités  de  l'Etat.  Suivez  toujours  les 
bons  conseils,  et  songez  bien  que  c'est  à  Dieu  à  qui  vous  devez  tout 
ce  que  vous  êtes.  Je  vous  donne  le  Père  le  Tellier  pour  confesseur  ; 
suivez  ses  avis  et  ressouvenez-vous  toujours  des  obligations  que  vous 
avez  à  Madame  de  Ventadour.  »  Le  P.  le  Tellier  ayant  été  exilé  par  le 
Régent,  la  phrase  qui  le  concernait  fut  supprimée  ;  c'est  pourquoi  Vol- 
taire l'a  omise  ;  mais  elle  se  trouve  dans  Dangeau  et  Mlle  d'Aumale. 
—  Quelques  années  plus  tard,  en  1718,  une  imprimerie  ayant  été  ins- 
tallée aux  Tuileries  auprès  du  cabinet  du  Roi  pour  servir  au  divertis- 
sement et  à  l'instruction  de  Louis  XV,  la  première  pièce  qui  y  fut 
composée  fut  ces  dernières  paroles  de  son  aïeul  ;  on  en  imprima  deux 
textes,  l'un  absolument  conforme  à  celui  que  nous  donnons  ci-dessus 
d'après  Gilbert,  moins  la  phrase  relative  au  P.  le  Tellier,  l'autre,  dont 
le  sens  est  le  même,  mais  développé,  amplitiéen  phrases  moins  courtes 
et  plus  arrondies,  et  qui  est  celui  que  Voltaire  a  donné  dans  le  chapi- 
tre XVIII  du  Siècle  de  Louis  XIV  (H.  Omont,  Vimprimerie  du  cabi- 
net du  Roi  au  château  des  Tuileries  sous  Louis  XV,  dans  le  Bulletin 
de  la  Société  de  l'histoire  de  Paris,  année  1891). 

1.  Saint-Simon,  qui  copie  presque  mot  pour  mot  le  texte  donné  par 
la  Relation  du  marquis  de  Quincy,  a  ajouté  de  son  cru  cette  recom- 
mandation sur  les  bâtiments,  qui  n'est  donnée  par  aucune  autre  version. 

2.  11  y  a  bien  eust  au  subjonctif  dans  le  manuscrit. 


276  MEMOIRES  (Hiri] 

hàla  d'emporter  le  Dauphin  et  de  le  ramener  dans  son 
appartement'. 

Après  une  courte  pause,  le  Roi  fit  appeler  le  duc  du 
Maine  et  le  comte  de  Toulouse,  fit  sortir  tout  ce  peu  qui 
étoit  dans  sa  chambre  et  fermer  les  portes  ;  ce  particulier 
dura  assez  longtemps-.  Les  choses  remises  dans  leur  ordre 
accoutumé,  quand  il  eut  fait  avec  eux,  il  envoya  chercher 
M.  le  duc  d'Orléans,  qui  étoit  chez  lui.  11  lui  parla  fort 
peu  de  temps,  et  le  rappela  comme  il  sortoit  pour  lui  dire 
Le  Roi        encore  quelque  chose,  qui  fut  fort  courte  Ce  fut  là  qu'il 

i.  Louis  XIV  avait  écrit,  quelques  jours  auparavant,  une  lettre  qu'il 
adressait  au  Dauphin,  pour  lui  servir  d'instruction  et  qu'il  conlia  au 
maréchal  de  Villeroy  pour  la  remettre  à  ce  prince  lorsqu'il  aurait  l'âge 
de  dix-sept  ans  (Souvenirs  de  Mlle  d'Aumale,  tome  II,  p.  33:2).  Cette 
lettre,  écrite  tout  entière  de  la  main  du  Roi,  ne  fut  sans  doute  jamais 
remise  à  sou  destinataire.  Mlle  d'Aumale  en  avait  pris  copie  sur  l'ori- 
ginal, et  les  éditeurs  de  ses  Souvenirs  l'ont  publiée  on  appendice  à 
leur  tome  II,  p.  3"'2-374;  nous  croyons  intéressant  d'en  reproduire  le 
texte  ci-après,  p.  373.  Le  marquis  d'Argenson,  dans  ses  Mémoires  (édi- 
tion delà  Société  de  l'histoire  de  France,  tome  IV,  p.  63-64),  raconte 
que  le  maréchal  de  Noailles,  peu  de  jours  après  la  mort  du  cardinal 
de  Fleury,  en  janvier  1743,  remit  à  Louis  XV  une  lettre  du  Roi  son 
grand-père  confiée  par  lui  à  Mme  de  Maintenon  pour  être  transmise  à 
son  successeur.  On  pourrait  croire  qu'il  s'agit  de  la  lettre  que  nous  a 
conservée  Mlle  d'Aumale,  si  le  résumé  qu'en  donne  le  marquis  d'Argen- 
son n'était  absolument  diiïérent.  Le  marquis  d'Argenson  s'est  trompé. 
Si  l'on  consulte  les  Mémoires  de  Noailles  (édition  Michaud  et  Poujou- 
lat,  p.  31'2-3i4),  on  voit  que  ce  que  le  maréchal  remit  à  Louis  XV, 
ce  fut,  avec  un  mémoire  politique  rédigé  par  lui-même,  la  copie  des 
instructions  que  Louis  XIV  avait  données  en  1700  à  son  petit-tils  Phi- 
lippe V  partant  pour  l'Espagne,  et  dont  on  trouve  le  texte  dans  les 
mêmes  Mémoires  (p.  71-72).  Cela  n'a  donc  aucun  rapport  avec  la  lettre 
conflée  à  Villeroy.  L'éditeur  des  Mémoires  d'Arfjeiison,  M.  Rathery, 
dit  que  cette  lettre  a  été  souvent  publiée,  notamment  dans  le  tome  VI 
des  Mémoires  de  Mme  de  Maintenon,  par  la  Reaumelle,  édition  de 
4756  ;  c'est  une  erreur  :  La  Beaumelle  no  semble  pas  avoir  connu  cette 
pièce,  dont  le  texte  était  ignoré  jusqu'à  la  publication  des  Souvenirs 
de  Mlle  d'Aumale. 

2.  C'est  sans  doute  l'entretien  dont  parlent  le  Mémoire  de  Dangeau, 
p.  127,  et  la  Relation  de  Quincy,  p.  399. 

3.  Ce  fut  pour  lui  recommander  Mme  de  Maintenon  ;  le  Mémoire  de 


[d-lo] 


DE   SAINT-SrMON. 


277 


lui  ordonna  de  faire  conduire,  dès  ce  qu'il  seroit  mort', 
le  Roi  futur  à  Vincennes,  dont  l'air  est  bon,  jusqu'à  ce 
que  toutes  les  cérémonies  fussent  finies  à  Versailles  et  le 
château  bien  nettoyé  après,  avant  de  le  ramener  à  Ver- 
sailles, où  il  destinoit  son  séjour.  Il  en  avoit  apparemment 
parle  auparavant  au  duc  du  Maine  et  au  maréchal  de  Vil- 
le roy  ;  car,  après  que  M.  le  duc  d'Orléans  fut  sorti,  il 
donna  ses  ordres  pour  aller  meubler  Vincennes,  et  mettre 
ce  lieu  en  état  de  recevoir  incessamment  son  successeur-. 
Mme  du  Maine,  qui  jusqu'alors  n'avoit  pas  pris  la  peine  de 
bouger  de  Sceaux,  avec  ses  compagnies  et  ses  passe-temps, 
étoit  arrivée  à  Versailles,  et  fit  demander  au  Roi  la  per- 
mission de  le  voir  un  moment  après  ces  ordres  donnés. 
Elle  étoit  déjà  dans  l'antichambre  ;  elle  entra,  et  sortit  un 
moment  après ^, 

Le  mardi  27  août,  personne  n'entra  dans  la  chambre  du 
Roi  que  le  P.  Tellier,  Mme  de  Maintenon,  et  pour  la  messe 

Dangeau  le  dit  formellement  (p.  128).  Mme  de  Maintenon  a  rapporté 
elle-même  les  paroles  employées  par  le  Roi  en  cette  circonstance 
(Lavallée,  Saint-Cyr,  p.  274-273),  et  elles  ont  été  reproduites  presque 
sans  modification  par  Mlle  d'Aumale  (p.  3û6)  et  par  Languet  de  Gergy 
(p.  460-i61).  Saint-Simon  ne  parle  pas  de  cette  recommandation,  parce 
qu'il  ne  la  trouve  pas  mentionnée  dans  la  Relation  de  Quincy,  et  c'est 
encore  là  une  preuve  bien  frappante  qu'il  utilise  exclusivement  cette 
source.  Les  lettres  de  l'abbé  Mascara  en  parlent  à  deux  reprises  (ci- 
après,  p.  330  et  333). 

i.  Tel  est  bien  le  texte  du  manuscrit. 

2.  La  lettre  anonyme  des  archives  de  la  Ciotat  (ci-après,  p.  342) 
donne,  à  cette  occasion,  des  détails  qu'on  ne  trouve  pas  ailleurs  :  «  Le 
Roi  a  déclaré  que  le  nouveau  roi  seroit  conduit  à  Vincennes  dès  qu'il 
seroit  mort  et  a  commandé  lui-même  nom  par  nom,  la  garde  qui  doit 
l'escorter  et  les  personnes  qui  le  conduiront,  voulant  que  les  chevaux 
soient  harnachés  et  les  gendarmes,  mousquetaires,  chevau-légers  et 
gardes  du  corps  bottés.  »  D'après  l'abbé  Mascara,  Mme  de  Ventadour 
redoutait  pour  l'enfant  le  séjour  de  Vincennes  j  mais  le  duc  d'Orléans 
tinta  se  conformer  aux  volontés  du  Roi  (ci-après,  p.  330,  333  et  336). 

3.  Cette  visite  de  la  duchesse  du  Maine  n'est  mentionnée  que  par 
la  Relation  de  Quincy  (p.  399)  ;  nouvelle  preuve  des  emprunts  de 
Saint-Simon  à  ce  récit. 


ordonne  que 

son  successeur 

aille  à 

Vincennes 

et  revienne 

demeurer    à 

Versailles. 


Le   Roi 

brûle 
des  papiers; 


278  MÉMOIRES  [17151 

ordonne       seulomcnl  Ic  cardinal  de  Rohan  et  les  deux  aumôniers  de 
que  son  cœur    q^,.^,.ti  .^  i    s^^,.  lesdoux  licures,  il  envova  chercher  le  Chan- 

soit  porte  1  _  •'  _ 

à  l'ar  s  aux     ceiier,  et,  seul  avec  lui  et  Mme  de  Maintenon,  lui  fit  ou- 
Jesuiies.        ^,j,j|,  j^^yx  cassettes  pleines  de  papiers,  dont  il  lui  fit  brûler 

ba  présence  •    •     i  j  >•■  i 

d'esprit  et  ses  beaucoup,  et  lui  donna  ses  ordres  pour  ce  qu  \\  voulut 
dispositions,  qu'il  fît  des  autres"'.  Sur  les  six  heures  du  soir,  il  manda 
encore  le  Chancelier^.  Mme  de  Maintenon  ne  sortit  point 
de  sa  chambre  de  la  journée  S  et  personne  n'y  entra  que  les 
valets,  et,  dans  des  moments,  l'apparition  du  service  le 
plus  indispensable.  Sur  le  soir,  il  fit  appeler  le  P.  Tellier, 
et,  presque  aussitôt  après  qu'il  lui  eut  parlé,  il  envoya 
chercher  Pontchartrain,  et  lui  ordonna  d'expédier  aussitôt 
qu'il  seroit  mort  un  ordre  pour  faire  porter  son  cœur 
dans  l'église  de  la  maison  professe  des  jésuites  à  Paris,  et 
l'y  faire  placer  vis-à-vis  celui  du  Roi  son  père,  et  de  la 
même  manière  ^    Peu  après,  il  se  souvint  que   Cavoye, 

1.  Le  Journal  des  Anthoine  (p.  GH)  insiste  sur  les  grandes  douleurs 
que  le  Roi  ressentit  par  tout  le  corps,  tandis  qu'il  était  insensible  aux 
scarilioations  que  les  médecins  faisaient  à  sa  jambe  malade.  Selon  le 
Mémoire  de  Dangeau  (p.  131),  on  constata  ce  jour-là  cependant  que 
la  gangrène  ne  montrait  pas  de  progrès  et  paraissait  s'arrêter  à  la  mar- 
que que  la  jarretière  avait  faite  à  la  jambe. 

2.  Les  relations  ne  sont  pas  d'accord  sur  le  jour  où  le  Roi  fil  brûler 
les  papiers  de  ses  cassettes.  Saint-Simon  suit  le  Journal  de  Dangeau 
(rédaction  du  secrétaire,  p.  113),  qui  place  cette  précaution  à  l'après- 
midi  du  27  août  ;  il  en  est  de  même  du  Journa/ des  Anthoine  (p.  (i^); 
au  contraire  le  Mémoire  spécial  de  Dangeau  (p.  130),  Mlle  d'Aumale 
(p.  329),  Languet  de  Gergy  (p.  -itiO)  et  Quincy  (p.  400)  disent  le 
26  août.  Mme  de  Maintenon  (p.  272)  et  Mlle  d'Aumale  rapportent 
plusieurs  des  paroles  dites  par  le  Roi  à  propos  des  papiers  qu'il  faisait 
brûler;  il  (it  fouiller  par  Mme  de  Maintenon  les  poches  de  ses  vêle- 
ments, et  lui  donna  son  chapelet  «  non  comme  une  relique,  dit-il,  mais 
pour  vous  souvenir  toujours  de  moi  »  ;  sa  boîte  à  bonbons  échut  à 
Mlle  d'Aumale,  dans  la  famille  de  laquelle  elle  existe  encore. 

3.  Ceci  n'est  dit  que  par  le  Journal  de  Dangeau,  p.  113. 

4.  L'abbé  Mascara  écrit  (ci-après,  p.  348,  27  août;  que  son  carrosse 
était  toujours  prêt  pour  pouvoir  s'en  aller  à  Sainl-Cyr  dès  que  le  Roi 
serait  mort. 

5.  Cet  ordre  n'a  pas  été  enregistré  dans  les  registres  du  secrétariat 


[1745]  DE  SAINT-SIMON.  279 

grand  maréchal  des  logis  de  sa  maison,  n'avoit  jamais  fait 
les  logements  de  la  cour  à  Vincennes,  parce  qu'il  y  avoit 
cinquante  ans  que  la  cour  n'y  avoit  été  ;  il  indiqua  une 
cassette  où  on  trouvcroit  le  plan  de  ce  château,  et  ordonna 
de  le  prendre  et  de  le  porter  à  Gavoye^  Quelque  temps 
après  ces  ordres  donnés,  il  dit  à  Mme  de  Maintenon 
qu'il  avoit  ouï  dire  qu'il  étoit  difficile  de  se  résoudre  à  la 
mort;  que,  pour  lui,  qui  se  trouvoit  sur  le  point  de  ce 
moment  si  redoutable  aux  hommes,  il  ne  trouvoit  pas  que 
cette  résolution  fût  si  pénible  à  prendre.  Elle  lui  répondit 
qu'elle  l'étoit  beaucoup  quand  on  avoit  de  l'attachement 
aux  créatures,  de  la  haine  dans  le  cœur,  des  restitutions 
à  faire.  «  Haï  reprit  le  Roi,  pour  des  restitutions  à  faire, 
je  n'en  dois  à  personne  comme  particulier  ;  mais,  pour 
celles  que  je  dois  au  royaume,  j'espère  en  la  miséricorde 
de  Dieu-.  »  La  nuit  qui  suivit  fut  fort  agitée.  On  lui  voyoit 
à  tous  moments  joindre  les  mains,  et  on  l'entendoit^  dire 
les  prières  qu'il  avoit  accoutumées  en  santé,  et  se  frapper 
la  poitrine  au  Confiteor'' . 

de  la  Maison  du  Roi  ;  toutes  les  relations  mentionnent  cette  précaution 
du  Roi  mourant  ;  la  lettre  de  l'abbé  Mascara  du  34  août  (ci -après,  p.  356) 
donne  des  détails  particuliers.  Voyez  aux  Additions  et  Corrections. 

4.  Journal  de  Dangeau,  p.  113-144  ;  Mémoire  de  Dangeau,  p.  434  ; 
Relation  de  Quincy,  p.  401-402;  Mlle  d'Aumale,  p.  33T.  L'abbé  Mas- 
cara raconte  que  Cavoye  avait  remis  sa  charge  au  marquis  de  Cany, 
fils  de  Chamillart,  qui  la  lui  avait  achetée,  ne  voulant  plus  servir 
après  le  Roi  (ci-après,  p.  330). 

2.  Saint-Simon  copie  le  Journal  de  Dangeau  (p.  444);  les  récits  de 
Quincy  (p.  402)  et  de  Mlle  d'Aumale(p.  339)  sont  presque  exactement 
les  mêmes;  le  Mémoire  de  Dangeau ( p.  \3i-lii'i)  supprime  le  dialogue. 

3.  Ce  mot,  mal  écrit  d'abord  (l'endoit)  à  la  (in  d'une  ligne  par  Saint- 
Simon,  et  biffé,  a  été  répété,  encore  écrit  de  même,  au  commence- 
ment de  la  ligne  suivante,  puis  corrigé  par  l'addition  de  la  syllabe  ten 
en  interligne,  enlin  bitTé  une  seconde  fois,  puis  remis  correctement 
sur  la  marge  à  la  fin  de  la  ligne  précédente. 

4.  Ceci  est  encore  la  copie  du  Journal  de  Dangeau  (p.  444). 
Mlled'Aumale  (p.  340-344):  «  La  nuit  du  27  au  28  août,  il  fut  fort 
agité,  et  à  tout  moment  on  l'entendoit  prier  Dieu  et  faire  toutes  les 
prières  qu'il  faisoit  ordinairement  dans  son  lit,   frappant  sa  poitrine 


«»80  MEMOIRES  |17lo] 

Le  mercredi  28  août,  il  fit  le  matin  une  amitié  à  Mme  de 
Maintenon  qui  ne  lui  plut  guères,et  à  laquelle  elle  ne  ré- 
pondit pas  un  mot.  Il  lui  dit  que  ce  qui  le  consoloit  de  la 
quitter  étoit  l'espérance,  à  1  âge  où  elle  étoit,  qu'ils  se  re- 
joindroient  bientôt'.  Sur  les  sept  heures  du  matin,  il  fit 
appeler  le  P.  Tellier,  et,  comme  il  lui  parloit  do  Dieu,  il 
vit  dans  le  miroir  de  sa  cheminée  deux  garçons  de  sa 
chambre  assis  au  pied  de  son  lit  qui  pleuroient.  Il  leur  dit: 
«  Pourquoi  pleuroz-vous?  Est-ce  que  vous  m'avez  cru 
immortel  ?  Pour  moi,  je  n'ai  point  cru  l'être,  et  vous  ave/, 
dû,  à  l'âge  où  je  suis,  vous  préparera  me  perdre  -.  » 

au  Confiteor,  et  nommant  entre  haut  et  bas  toutes  les  personnes  pour 
qui  il  prioit,  comme  :  «  le  Roi  mon  père,  la  Reine  ma  mère.  »  Voyez 
aussi  Quincy,  p.  402. 

i.  Mme  de  Maintenon  dans  sa  lettre  à  Mme  de  Villette  (Lavallée, 
Saint-Cyr,  p.  '274-ri7o)  raconte  que  le  Roi  lui  dit  trois  fois  adieu. 
«  La  première  fois,  il  m'assura  qu'il  n'avoit  de  regret  que  de  me  quit- 
ter ;  mais,  ajouta-t-il  en  soupirant,  nous  nous  reverrons  bientôt  Je  le 
priai  de  ne  plus  penser  qu'à  Dieu.  La  seconde  fois,  il  me  demanda 
pardon  de  n'avoir  pas  assez  bien  vécu  avec  moi  et  de  ne  m'avoir  pas 
rendue  heureuse,  mais  qu'il  m'avoit  toujours  aimée  et  estimée  ;  et,  se 
sentant  alors  prêt  à  pleurer,  il  me  recommanda  d'examiner  si  on  ne 
l'écoutoit  pas.  «  Cependant,  ajouta-t-il,  on  ne  sera  jamais  surpris  que 
«  je  m'attendrisse  avec  vous.  «  A  la  troisième  fois,  il  me  dit  :  «  Qu'allez- 
«  vous  devenir?  vous  n'avez  rien.  »  Je  l'exhortai  à  ne  s'occuper  que  de 
Dieu,  et,  faisant  ensuite  réflexion  que  j'ignorois  de  quelle  manière  les 
princes  me  traiteroient.  je  le  priai  de  me  recommander  à  M.  le  duc 
d'Orléans.  Il  l'appela  et  lui  dit,  etc.  »  Mlle  d'Aumale  (p.  330-331)  et 
Languet  de  Gergy  (p.  462-463)  donnent  des  textes  un  peu  plus  déve- 
loppés. A  propos  de  ce  rendez-vous  dans  l'autre  monde,  Duclos  pré- 
tend (yiémoircs  secrets,  édition  Michaud  et  Poujoulat,  p.  48i)  que 
l'apothicaire  Boulduc  lui  aurait  assuré  que  Mme  de  Maintenon  aurait 
dit  en  sortant:  «  Voyez  le  rendez-vous  qu'il  me  donne  !  Cet  homme-là 
n'a  jamais  aimé  que  lui.  »  De  telles  paroles  sont  si  peu  conformes  au 
caractère  et  aux  habitudes  de  Mme  de  Maintenon  qu'on  peut  sans 
crainte  en  certitier  la  fausseté.  .Mais  il  est  curieux  de  remarquer  que 
Saint-Simon  était  lié  avec  Boulduc  et  a  déjà  dit  à  trois  reprises 
(tomes  XXII,  p.  302  et  362-363,  et  XXIV,  p.  248)  que  celui-ci  lui 
avait  fourni  des  renseignements. 

2.  Toutes  les  relations  ont  relevé  ces  paroles,  mais  avec  des  desti- 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  281 

Une  espèce  de  manant  provençal    fort  grossier  apprit 
l'extrémité  du  Roi  en  chemin  de  Marseille  à  Paris,  et  vint 
ce  matin-ci  à  Versailles,   avec  un  remède,  qui,  disoit-il, 
guérissoit  la  gangrène  ^  Le  Roi  étoit  si  mal  et  les  méde- 
cins tellement  à  bout,  qu'ils  y  consentirent  sans  difficulté, 
en  présence  de  Mme  de  Maintenon  et  du  duc  du  Maine". 
Fagon  voulut  dire   quelque   chose  ;    ce  manant,    qui    se       Le  Brun, 
nommoit  le  Brun^,    le  malmena   fort  brutalement,  dont      ^aW^ic' 
Fagon,  qui  avoit  accoutumé  de   malmener  les  autres   et         Fagon 
d'en  être  respecté  jusqu'au  tremblement,   demeura  tout  et  donne  de  son 

,  r  j      T  '  elixiraunoi. 

abasourdie    On  donna  donc  au   Roi  dix  gouttes  de  cet  Duc  du  Maine. 

nataires  différents.  Tandis  que  le  Journal  (p.  114,  et  c'est  là  oîi 
Saint-Simon  a  pris  l'anecdote)  et  le  Mémoire  de  Dangeau  (p.  132) 
disent  aussi  à  deux  garçons  de  la  chambre,  Mlle  d'Aumale  (p.  341) 
dit  aux  médecins,  Languet  de  Gergy  (p.  4oo)  aux  princesses,  les 
Anthoine  (p.  53)  à  Mme  de  Maintenon.  La  relation  de  Quincy 
(p.  403)  prétend  qu'elles  furent  prononcées  deux  fois,  d'abord  pour 
deux  garçons  de  la  chambre,  puis  pour  les  médecins,  et  c'est  sans 
doute  là  qu'est  la  vérité. 

1.  Le  Mémoire  de  Dangeau  (p.  132)  parle  de  la  composition  de  cet 
élixir.  Il  faut  lire  ci-après,  p.  351  et  352,  le  récit  très  curieux  des 
deux  lettres  de  l'abbé  Mascara  du  29  août. 

2.  On  prit  cependant  l'avis  du  duc  d'Orléans,  du  moins  lorsqu'il  fut 
question  de  réitérer  le  remède,  et  il  amena  lui-même  l'empirique  dans 
la  chambre  du  Roi  et  lui  tit  tàter  son  pouls,  avant  d'autoriser  l'emploi 
de  sa  drogue  {Journal  des  Anthoine,  p.  69;  Mémoire  de  Dangeau, 
p.  132-133;  voyez  aussi  la  Relation  de  Quincy,  p  403,  et  celle  de 
Mlle  d'Aumale,  p.  340).  L'abbé  Mascara  dit  qu'on  prit  l'avis  de  MM.  du 
Maine  et  de  Toulouse  et  de  la  duchesse  d'Orléans. 

3.  On  ne  sait  rien  sur  ce  le  Brun,  si  ce  n'est  que,  d'après  la  relation 
du  maître  des  cérémonies  Desgranges  {Carnet  historique  et  littéraire, 
tome  IV,  1899,  p.  152),  il  avait  naguère  servi  dans  l'équipe  de  ma- 
telots employés  sur  le  canal  de  Versailles.  La  lettre  anonyme  des 
archives  de  la  Ciotat  (ci-après,  p.  343)  parle  d'un  médecin  d'Amiens  ; 
le  Journal  de  Buvat  (p.  44)  d'un  médecin  de  Beauvais;  enfin  il  est 
curieux  de  remarquer  que  Mlle  d'Aumale  (p.  349)  mentionne  un  second 
empirique.  L'abbé  Mascara  dans  sa  lettre  du  30  août  (ci-après,  p.  334), 
donne  sur  son  compte  d'autres  renseignements  peu  favorables,  qu'il 
tenait  d'un  chirurgien  de  l'hôpital  de  la  Charité,  neveu  de  Mareschal. 

4.  Voyez  ci-après,  Appendice,  p.  357,  la  curieuse  appréciation  de 
l'abbé  Mascara  sur  Fagon.  Aucune  des  relations  ne  parle  de  cette  aven- 


3«2  MÉMOIRES  [1715] 

élixir'  dans  du  vin  d'Alicante',  sur  les  onze  heures  du 
matin.  Quelque  temps  après,  il  se  trouva  plus  fort  ;  mais,  le 
pouls* étant  retombé  et  devenu  fort  mauvais, on  lui  en  pré- 
senta une  autre  prise  sur  les  quatre  heures,  en  lui  disant 
quec'étoit  pour  le  rappeler  à  la  vie*.  Il  répondilen  prenant 
le  verre  où  cela  étoit  :  «  A  la  vie  ou  à  la  mort,  tout  ce  qui 
plaira  à  Dieu.  »  Mme  de  Maintenon  venoit  de  sortir  de  chez 
le  Roi,  ses  coifTes  baissées,  menée  par  le  maréchal  de  Vil- 
leroy  par-devant  chez  elle,  sans  y  entrer,  jusqu'au  bas  du 
grand  degré,  où   elle  leva  ses  coifTes.  Elle  embrassa   le 

Mme  maréchal  d'un  œil  fort  sec,  en  lui  disant  :  «  Adieu,  Mon- 

de Maintenon       •iAf>Li  •!  ir»'- 

se  retire        sieur  le  .Maréchal  ;  »  monta  dans  un  carrosse  du  noi  qui 

à  Saint-Cvr.     la  servoit  toujours,  dans  lequel  Mme  de  Caylus  l'altendoit 

seule,  et  s'en  alla  à  Saint-Cyr,  suivie  de  son  carrosse  où 

étoient  ses  femmes  ^  Le  soir  le  duc  du  Maine  fit  chez  lui 

ture  de  Fagon  avec  le  provençal  ;  il  est  difficile  cependant  de  la  révoquer 
en  doute,  puisque  la  moquerie  du  duc  Hu  Maine  la  contirme. 

4.  Le  Brun  appelait  son  remède  Elixir  vitœ  (ci-après,  lettre  de 
Mascara,  p.  351). 

2.  Ce  vin  d'Espa;;ne,  «  très  couvert  »,  c'est-à-dire  d'une  couleur 
très  foncée,  était  volontiers  employé  comme  remède  dans  les  faiblesses 
d'estomac  et  les  indigestions  (Savary,  Dictionnaire  du  commerce, 
tome  IV,  colonne  1-228). 

3.  Saint-Simon  écrit  poux. 

4.  D'après  le  Mémoire  de  Dangeau,  con6rmé  par  le  Journal  des 
Anthoine  (p  68),  cette  journée  ne  fut  pas  bonne,  «  le  pouls  très  mau- 
vais, l'assoupissement  assez  continuel  et  la  tête  par  intervalles  embar- 
rassée ». 

5.  Saint-Simon  va  dire  ci-après,  p.  289,  que  Mme  de  Maintenon  était 
partie  pour  Saint-Cyr  comptant  bien  ne  plus  revenir,  et.  dans  la  suite 
des  Mémoires  (tome  XII  de  1873,  p.  166),  comme  dans  le  Parallèle 
(p.  374),  il  prétendra  qu'elle  l'avait  quitté  quatre  jours  avant  sa  mort. 
Il  convient  de  rétablir  les  faits.  Le  Mémoire  de  Dangeau  les  explique 
autrement  (p.  133)  :  «  Mme  de  Maintenon  n'est  venue  dans  sa  chambre 
que  l'après-dînée,  même  assez  tard,  et,  l'ayant  trouvé  fort  assoupi,  elle 
en  est  sortie  sans  lui  parler  et  est  allée  sur  les  sept  heures  du  soir 
coucher  à  Saint-Cyr  pour  y  faire  ses  dévotions  demain  matin,  et  reve- 
nir si  la  vie  du  Roi  se  soutient.  »  Quincy  (p.  404)  conlirme  les  dires 
de  Dangeau.  La  lettre  anonyme  reproduite  ci-après,  p.  3i2,  dit  que  ce 
fut  le  Roi  lui-même  qui  la  renvoya;  l'abbé  Mascara  (ci-après,  p.  352) 


[d7io]  DE  SAINT-SIMON.  283 

une  gorge  chaude  fort  plaisante  de  l'aventure  de  Fagon 
avec  le  Brun  ;  on  reviendra  ailleurs'  à  parler  de  sa  con- 
duite, et  de  celle  de  Mme  de  Maintenon  et  du  P.  Tellier 
en  ces  derniers  jours  de  la  vie  du  Roi.  Le  remède  de  le 
Brun  fut  continué  comme  il  voulut,  et  il  le  vit  toujours 
prendre  au  Roi-.  Sur  un  bouillon  qu'on  lui  proposa 
de  prendre,  il  répondit  qu'il  ne  falloit  pas  lui  parler 
comme  à  un  autre  homme,  que  ce  n'étoit  pas  un  bouillon 
qu'il  lui  falloit,  mais  son  confesseur^,  et  il  le  fit  appeler. 
Un  jour  qu'il  revenoit  d'une  perte  de  connoissance,  il 
demanda  l'absolution  générale  de  ses  péchés  au  P.  Tellier, 
qui  lui  demanda  s'il  souffroit  beaucoup.  «  Eh  !  non,  ré- 
pondit le  Roi,  c'est  ce  qui  me  fâche  ;  je  voudrois  souffrir 
davantage  pour  l'expiation  de  mes  péchés*.  » 

Le  jeudi   29  août,   dont  la  nuit  et  le   jour  précédent        Charost 

,,,,•  'PU  ix  L  •'         •       L    fait  réparer  la 

avoient  ete  si  mauvais,  1  absence  des  tenants,  qui  n  avoient      négligence 

plus  à  besogner  au   delà  de  ce  qu'ils  avoient  fait,  laissa     de  la  messe. 

l'entrée  de  la  chambre  plus  libre  aux  grands  ofïiciers,  qui 

en  avoient  toujours  été  exclus.  Il  n'y  avoit  point  eu  de 

messe  la  veille^,  et  on  ne  comptoit  plus  qu'il  y  en  eût. 

Le  duc  de  Charost,  capitaine  des  gardes,  qui  s'étoit  aussi 

glissé  dans  la  chambre,  le  trouva  mauvais  avec  raison,  et 

fit  demander  au  Roi  par  un  des  valets  familiers,  s'il  ne 

seroit  pas  bien  aise  de  l'entendre.  Le  Roi  dit  qu'il  le  desi- 

roit  ;  sur  quoi  on  alla  quérir  les  gens  et  les  choses  néces- 

rapporteque  le  Roi  lui  aurait  dit  qu'il  n'avait  plus  qu'un  quart  d'heure 
à  vivre  et  qu'elle  pouvait  s'en  aller.  Le  même  Mascara  ajoute  le  récit 
d'une  maladresse  grossière  commise  par  Albergotti  (ci-après,  p.  335- 
336),  dont  ce  départ  fut  la  cause. 

1.  Dans  la  suite  des  Mémoires  (tome  XII  de   1873,  p.  467-168), 
lorsqu'il  fera  le  tableau  du  règne  et  le  portrait  du  Roi. 

2.  On  le  continua  pendant  la  nuit  suivante  de  huit  heures  en  huit 
heures  (Mémoire  de  Dangeau,  p.  133). 

3.  Journal  de  Dangeau  (copié  par  Saint-Simon),  p.  114;  Mlle  d'Au- 
male,  p.  341  ;  Quincy,  p.  402. 

4.  Saint-Simon  copie  encore  ici  le  Journal,  p.  114. 
0.  Parce  que  le  Roi  n'était  pas  en  état  de  l'entendre. 


«84  MÉMOIRES  [ITUi] 

Ravon  de       sairos,  et  on  continua  les  jours  suivants.  Le  matin  de  ce 
mieux  du  Roi;     •i--i  .i  ir'i  i  i 

solitude        jeudi,  d  parut  plus  de  ioi'ce  et  quclcjue  rayon  de  mieux, 

entière  chez     qui  fut  incontinent  grossi  et  dont  le  bruit  courut  de  tous 

1      i-A  > .         côtés'.  Le  Roi  manirea  même  deux  petits  biscuits  dans  un 

duc  d  Urleans.  i        •        n     i-       '  n  .   •  i.    n    • 

peu  de  vin  d  Alicanle  avec  une  sorte  d  apj)etit'-.  J  allai  ce 

jour-là,  sur  l(»s  deux  heures  après  midi,  chez  M.  le  duc 
d'Orléans,  dans  les  appartements  (hupiel  la  foule  étoit  au 
point  depuis  huit  jours,  et  à  toute  heure,  qu'exactement 
parlant  une  épingle  n'y  seroit  pas  tombée  à  terrée  Je  n'y 
trouvai  qui  que  ce  soit\  Dès  qu'il  me  vit,  il  se  mit  à  rire, 
et  à  me  dire  que  j'étois  le  premier  homme  qu'il  eût  encore 
vu  chez  lui  de  la  journée,  qui  jusqu'au  soir  fut  entière- 
ment déserte  chez  lui.  Voilà  le  monde. 
Misère  de  Je  pris  ce  temps  de  loisir  pour  lui  parler  de  bien  des 

j     l'r\  f'         choses.  Ce  fut  où  ie  reconnus  qu'il  n'étoit  plus  le  même 

ducdUrkans;  .  J  ^  ' ,     ,  * 

il  pour  la  convocation  des  Etats  généraux,  et  qu'excepté  ce 

change  sur  les    «^g  nous  avions  arrêté  sur  les  Conseils,  qui  a  été  expliqué 

et  sur         ici  en  son  temps,  il  n'y  avoit  pas  pensé  depuis,  ni  à  bien 

l'expulsion  du    d'autres  choses,  dont  je   pris  la  liberté  de  lui  dire  forte- 

'Add  S'-S  1239]   lï^cnt   mon    avis.    Je  le  trouvai   toujours   dans  la  môme 

résolution  de  chasser  Desmaretz   et   Pontchartrain,   mais 

d'une  mollesse  sur  le  Chancelier  qui  m'engagea  à  le  presser 

et  à  le  forcer  de  s'expliquer.  Enfin   il   m'avoua   avec  une 

honte  extrême  que  Mme  la  duchesse  d'Orléans,  que  le  ma- 

1.  Ce  mieux,  qu'on  attribua  au  remède  de  le  Brun,  suscita  des  espé- 
rances exagérées  et,  surtout  cliez  les  dames,  une  sorte  d'engouement 
pour  l'empirique,  qu'elles  regardaient  comme  «  une  espèce  d'ange 
envoyé  du  ciel  pour  guérir  le  Roi  »  ;  elles  voulaient  mémo  «  qu'on  jetât 
tous  les  médecins  de  la  cour  et  de  la  ville  dans  la  rivière  »  {Mémoire 
de  Danrjcau,  p.  133-434  ;  ci-après,  p.  3oi,  lettre  de  Mascara). 

"2.  Relation  de  Quincy,  p.  405;  Mémoire  de  Dangeau,  p.  134. 

3.  Dans  l'Addition  au  Journal  de  Dançicau,  tome  XVI,  p.  88, 
Saint-Simon  avait  dit:  «  La  foule  y  lima  les  murailles;  on  s'y  portoit.  » 

4.  Cette  désertion  avait  commencé  dès  qu'il  s'était  produit  un  peu 
de  mieux,  et  Mlle  d'Aumale  rapporte  à  ce  propos  ce  mot  du  duc  d'Or- 
léans (p.  340)  :  «  Si  le  Roi  mange  encore  une  fois,  je  n'aurai  plus 
personne.  « 


flTlo]  DE  SAINT-SIMON.  283 

réchal  de  Yilleroy  étoit  allé  trouver  en  secret,  même  de 
lui,  i'avoit  pressé  de  le  voir  et  de  s'accommoder  avec  lui 
sur  des  choses  fort  principales  auxquelles  il  vouloit  bien 
se  prêter  sous  un  grand  secret,  et  qui  l'embarrasseroient 
périlleusement  s'il  refusoit  d'y  entrer,  s'excusant  de  s'en 
expliquer  davantage  sur  le  secret  qu'elle  avoit  promis  au 
maréchal  et  sans  lequel  il  ne  se  seroit  pas  ouvert  à  elle  ; 
qu'après  avoir  résisté  '  à  le  voir,  il  y  avoit  consenti  ;  que 
le  maréchal  étoit  venu  ^  chez  lui,  il  y  avoit  quatre  ou  cinq 
jours,  en  grand  mystère,  et,  pour  prix  de  ce  qu'il  vouloit 
bien  lui  apprendre  et  faire,  il  lui  avoit  demandé  sa  parole 
de  conserver  le  Chancelier  dans  toutes  ses  fonctions  de 
chancelier  et  de  garde  des  sceaux,  moyennant  la  parole 
qu'il  avoit  du  Chancelier,  dont  il  demeuroit  garant,  de 
donner  sa  démission  de  la  charge  de  secrétaire  d'État, 
dès  qu'il  l'en  feroit  rembourser  en  entier  ;  qu'après  une 
forte  dispute,  et  la  parole  donnée  pour  le  Chancelier,  le 
maréchal  lui  avoit  dit  que  M.  du  Maine  étoit  surintendant 
de  réducation,  et  lui  gouverneur,  avec  toute  autorité '^  ; 
qu'il  lui  avoit  appris  après  le  codicille  et  ce  qu'il  portoit, 
et  que  ce  que  le  maréchal  vouloit  bien  faire  étoit  de  n'en 
point  profiter  dans  toute  son  étendue  ;  que  cela  avoit  pro- 
duit une  dispute  fort  vive,  sans  être  convenus  de  rien 
quant  au  maréchal,  mais  bien  quant  au  Chancelier  ,  qui 
là-dessus  l'en  avoit  remercié  dans  le  cabinet  du  Roi, 
confirmé  la  parole  de  sa  démission  de  secrétaire  d'Etat 
aux  conditions  susdites,  et  pour  marque  de  reconnois- 
sance  lui  avoit  là  même  montré  le  codicille  ^  J'avoue  que 

1.  Il  a  écrit  par  mégarde  resité. 

2.  Avant  venu,  Saint-Simon  a  biffé  un  second  estait,  ajouté  par 
inadvertance  en  interligne. 

3.  C'est-à-dire  qu'il  lui  avait  révélé  le  contenu  du  testament  du  Roi, 
qui  n'était  connu  que  du  maréchal  et  du  Chancelier,  en  dehors  de 
Mme  de  Maintenon  et  du  duc  du  Maine,  comme  on  l'a  vu  d'après 
Saint-Simon  lui-même  (notre  tome  XXV,  p.  475). 

4.  Ci-dessus,  p.  265.  Il  y  a  quelque  invraisemblance  dans  ce  récit. 
On  a  vu  p.  259  que  Saint-Simon  pense  que  le  codicille  ne  tut  écrit  que 


286  MEMOIRES  [IT^ri] 

je  fus  outré  d'un  coniineiicfiiionl  si  foiblc  et  si  dupe  ',  et 
que  je  ne  le  cachai  |>as  à  M.  le  duc  d'Orléans,  dont  l'em- 
barras avec  moi  fut  (^xtrènie.  Je  lui  demandai  ce  qu'il 
avoit  fait  de  son  discerneniont,  lui  qui  n'avoit  jamais  mis 
de  ditïérence  entre  M.  du  Maine  et  Mme  la  duchesse 
d'Orléans,  dont  il  m'avoit  tant  de  fois  recommandé  de  me 
défier  et  de  me  cacher,  et  si  souvent  répété  par  rapport 
à  elle  que  nous  étions  dans  un  bois  -  ;  s'il  n'avoit  pas  vu  le 
jeu  joué  entre  M.  du  Maine  et  Mme  la  duchesse  d'Orléans 
pour  lui  faire  peur  par  le  maréchal  de  Villeroy,  décou- 
vrir ce  qu'ils  auroient  à  faire,  en  découvrant  comme  il 
prendroit  la  proposition  et  la  confidence  de  ce  qui  n'alloit 
à  rien  moins  qu'à  l'égorger,  et  n'hasardant  rien  à  tenter 
de  conserver  à  si  bon  marché  leur  créature  abandonnée, 
et  l'instrument  pernicieux  de  tout  ce  quis'étoit  fait  contre 
lui'',  et  dans  une  place  aussi  importante  dans  une  régence 
dont  ils  prétendoient  bien  ne  lui  laisser  que  l'ombre. 
Cette  manière  se  discuta  longuement  entre  nous  deux  ; 
mais  la  parole  étoit  donnée.  Il  n'avoit  pas  eu  la  force  de 
résister,  et,  avec  tant  d'esprit,  il  avoit  été  la  dupe  de 
croire  faire  un  bon  marché  par  une  démission  en  rem- 
boursant, que  le  Chancelier  faisoit  bien  meilleur  en  s'as- 
surant  du  remboursement  entier  d'une  charge  qu'il  seu- 
le 24  août  ou  le  25  au  matin,  et  Voysin  le  communiqua  au  duc  d'Or- 
léans dans  Taprès-midi  du  23  (ci-dessus,  p.  263).  Comment  croire 
que,  dans  un  si  court  intervalle,  il  y  aurait  eu  le  temps  nécessaire 
pour  que  le  maréchal  s'abouchât  avec  la  duchesse  d'Orléans,  que 
celle-ci  décidât  son  mari,  et  que  l'entrevue  eût  lieu?  Cela  est  impos- 
sible, et,  si  ce  que  raconte  Saint-Simon  est  exact,  ce  serait  une  preuve 
que  le  codicille  était  bien  antérieur,  comme  il  l'était  en  effet  d'après 
la  date  qu'il  porte.  L'abbé  Mascara,  dans  sa  lettre  du  27  août  (ci-après, 
p.  346),  mentionne  une  audience  d'une  heure  donnée  par  le  duc  d'Or- 
léans à  Villeroy.  sans  doute  le  26  ;  serait  ce  celle  dont  Saint-Simon 
parle  ?  mais  alors  elle  serait  postérieure  à  la  communication  du  codi- 
cille au  prince  par  le  Chancelier. 

i.  Aucun  lexique  n'autorise  l'emploi  de  ce  mot  comme  adjectif.  Ce- 
pendant le  Litlré  en  cite  des  exemples  de  Pascal  et  de  Molière 

2.  Tome  XXVi.  p.  330.  —  3.  C'est-à-dire,  le  chancelier  Voysin. 


[1715]  DE  SAINT-SIMON.  287 

toit  bien  qu'il  ne  se  pouvoit  jamais  conserver,  et  qui  lui 
valoit  la  sûreté  de  demeurer  dans  la  plus  importante 
place,  tandis  que  le  moindre  ordre  suffîsoit  pour  lui  faire 
rendre  les  sceaux,  l'exiler  où  on  auroit  voulu,  et  lui  sup- 
primer une  charge  qui,  comme  on  l'a  vu,  ne  lui  coûtoit 
plus  rien  depuis  que  le  Roi  lui  en  avoit  rendu  ce  qu'elle 
avoit  été  pa}'ée\  lui  qui  sentoit  tout  ce  qu'il  raéritoit  de 
M.  le  duc  d'Orléans,  et  qui,  avec  la  haine  et  le  mépris  de 
la  cour  et  du  militaire,  qu'il  s'étoit  si  bien  et  si  justement 
acquis-,  n'avoit  plus  de  bouclier  ni  de  protection  après 
le  Roi,  du  moment  que  son  testament  seroit  tacitement 
cassé,  comme  lui-même  n'en  doutoit  pas^.  Aux  choses 
faites,  il  n'y  a  plus  de  remède  ;  mais  je  conjurai  M.  le  duc 
d'Orléans  d'apprendre  de  cette  funeste  leçon  à  être  en 
garde  désormais  contre  les  ennemis  de  toute  espèce, 
contre  la  duperie,  la  facilité,  la  foiblesse,  surtout  de  sentir 
l'affront  et  le  péril  du  codicille,  s'il  en  soutîroit  l'exécu- 
tion en  quoi  que  ce  pût  être.  Jamais  il  ne  me  put  dire  à 
quoi  il  en  étoit  là-dessus  avec  le  maréchal  de  Villeroy. 
Seulement  étoit-il  constant  qu'il  n'avoit  été  question  de 
rien  par  rapport  au  duc  du  Maine,  qui  par  conséquent  se 
comptoit  demeurer  maître  absolu  et  indépendant  de  la 
maison  du  Roi  civile  et  militaire,  ce  qui  subsistant,  peu 
importoitde  la  cascade*  du  maréchal  de  Villeroy,  sinon  au 
maréchal,  mais  qui  faisoit  du  duc  du  Maine  un  maire  du 
palais,  et  de  M.  le  duc  d'Orléans  un  fantôme  de  régent 
impuissant  et  ridicule,  et  une  victime  sans  cesse  sous  le 
couteau  du  maire  du  palais.  Ce  prince,  avec  tout  son  génie, 
n'en  avoit  pas  tant  vu.  Je  le  laissai  fort  pensif  et  fort  re- 
pentant d'une  si  lourde  faute.  Il  reparla  si  ferme  à  Mme  la 
duchesse  d'Orléans,  qu'ils  eurent  peur  qu'il  ne  tînt  rien 

i.  En   lui   faisant  cadeau    du   revenant-bon    du    non-complet  des 
troupes  (tome  XXVI,  p.  193  el  249). 

2.  Il  y  a  acquise  dans  le  manuscrit,  comme  s'il  n'y  avoit  que  la  haine. 

3.  Ci-dessus,  p.  264  et  note  1. 

4.  Tome  I,  p.  6. 


288  MÉMOIRES  fnin] 

pour  avoir  Irop  pi'omis.  Le  niarrclial  inandr  par  elle  fila 
doux  ',  et  ne  songea  qu'à  bien  serrer  ce  qu'il  avoit  saisi, 
en  faisant  entendre  qu'à  son  égard  il  ne  disputeroit  rien 
qui  pût  porter  ombrage;  mais  la  mesure  de  la  vie  du  Roi 
se  serroit  de  si  près- qu'il  échappa  aisément  à  plus  d'éclair- 
cissements, et  que,  par  ce  qu'il  s'étoit  passé,  dans  le  cabinet 
du  Roi,  du  Chancelier  à  M.  le  duc  d'Orléans  immédiate- 
ment, la  bécasse  demeura  bridée^ à  son  égard,  si  j'ose  me 
servir  de  ce  misérable  mot\ 

Le  soir  fort  tard  ne  répondit  pas  à  l'applaudissement 
qu'on  avoit  voulu  donner  à  la  journée,  pendant  laquelle 
il  avoit  dit  au  curé  de  Versailles,  (jui  avoit  profilé  de  la 
liberté  d'entrer,  qu'il  n'étoit  pas  question  de  sa  vie,  sur 
[ce]  qu'il  lui  disoit  que  tout  étoit  en  prières  pour  la  de- 
mander %  mais  de  son  salut,  pour  lequel  il   falloit  bien 

■1.  Locution  déjà  rencontrée  dans  nos  tomes  II,  p.  248.  et  VI,  p.  9. 

"2.  Tome  V,  p.  doO. 

3.  «  On  dit  fignrcment  et  proverbiafement  la  bécasse  est  bridée, 
quand  quelqu'un  s'est  laissé  surprendre  à  une  tromperie  qu'on  lui  avoit 
préparée  »  {Académie,  ITIS).  Molière  a  employé  cette  locution  popu- 
laire dans  la  dernière  scène  de  l'Amour  médecin. 

i.  Mlle  d'Aumale  (Souf>cnirs,  tome  II,  p.  338)  a  recueilli  l'écho  de 
ces  négociations  :  «  Les  approches  de  la  mort  du  Roi  mettoient  toute 
la  cour  en  grand  mouvement,  dit-elle.  Le  contenu  de  son  testament, 
qu'il  avoit  ci-devant  déposé  entre  les  mains  du  Parlement,  avoit 
transpiré,  et  étoit  venu  à  la  connoissance  du  duc  d'Orléans,  qui,  ne 
trouvant  pas  dans  les  dispositions  du  Roi  qu'il  fût  traité  comme  il  le 
méritoit,  ni  comme  il  le  Jesiroit,  avoit  déjà  pris  des  mesures  pour 
s'assurer  la  part  qu'il  croyoit  lui  être  due  dans  le  gouvernement.  Dès 
que  la  maladie  du  Roi  avoit  été  déclarée  mortelle,  il  avoit  travaillé 
plus  sérieusement  à  venir  à  bout  de  son  dessein.  En  conséquence,  il 
avoit  traité  secrètement  avec  plusieurs  seigneurs  qu'il  s'étoit  attachés. 
Ses  menées  ne  transpirèrent  pas  d'abord  ;  mais,  les  derniers  jours  de 
la  vie  du  Roi,  on  s'aperçut  bien  que  le  duc  n'étoit  occupé  que  de  ses 
intérêts,  et  tout  le  monde  en  raisonnoit  tout  bas.  » 

5.  Le  cardinal  de  JN'oailles  avait  prescrit,  dès  le  26,  l'exposition  du 
Saint-Sacrement  dans  toutes  les  églises  de  Paris  et  les  prières  des 
Quarante  heures  pour  la  santé  du  Roi  {Journal  de  Buvat,  p.  -41 
et  44  ;  lettres  de  l'abbé  Mascara,  ci-après,  p.  34o  et  353). 


ni5] 


DE  SAli\T-SIMUi\. 


-289 


prier'.  Il  lui  échappa  ce  même  jour,  en  donnant  des 
ordres,  d'appeler  le  Dauphin  le  jeune  Roi.  Il  vit  un  mou- 
vement dans  ce  qui  étoit  autour  de  lui.  «  Hé  pourquoi? 
leur  dit-il  ;  cela  ne  me  fait  aucune  peine-.  »  Il  prit  sur  les 
huit  heures  du  soir  de  l'élixir^  de  cet  homme  de  Provence*. 
Sa  tête  parut  embarrassée;  il  dit  lui-même  qu'il  se  sen- 
toit  fort  mal  ~\  Vers''  onze  heures  du  soir,  sa  jambe  fut  visi- 
tée. La  gangrène  se  trouva  dans  tout  le  pied,  dans  le 
genou,  et  la  cuisse  fort  enflée.  Il  s'évanouit  pendant  cet 
examen  \  Il  s'étoit  aperçu  avec  peine  de  l'absence  de 
Mme  de  Maintenon,  qui  ne  comptoit  plus  revenir.  Il  la 
demanda  plusieurs  fois  dans  la  journée  ;  on  ne  lui  put 
cacher  son  départ.  II  l'envoya  chercher  à  Saint-Gyr  ;  elle 
revint  le  soir*. 

1.  Mlle  d'Aumale,  p.  343;  Languet  de  Gergy,  p.  457;  Quincy, 
p.  404;  Journal  des  Anthoine,  p.  56  (qui  placent  cette  réponse  au 
"26  août). 

2.  Quincy,  p.  405  ;  Mlle  d'Aumale,  p.  544  ;  Languet  de  Gergy, 
p.  458. 

3.  Ecrit  l'exir,  par  mégarde. 

4.  Selon  l'abbé  Mascara,  Le  Brun  aurait  déclaré  que  c'était  la  der- 
nière fois  qu'il  donnait  de  son  remède  au  Roi  ;  il  se  serait  ensuite 
sauvé,  et  on  ne  l'aurait  plus  revu  (ci-après,  p.  354). 

5.  Mémoire  de  Dangeau,  p.  434  ;  Quincy,  p.  405. 

6.  Avant  vers,  Saint-Simon  a  biffé  à  10  h. 

7.  Mémoire  de  Dangeau,  p.  134;  Quincy,  p.  405. 

8.  On  a  vu  ci-dessus,  p.  28:2,  pour  quelle  raison  Mme  de  Maintenon 
avait  quitté  le  Roi  le  soir  du  28  août  ;  elle  avait  l'intention  de  ne  reve- 
nir que  «  si  la  vie  du  Roi  se  soutenoit  ».  Avertie  de  bonne  heure  le  29 
par  un  courrier  du  maréchal  de  Villeroy  qu'un  mieux  s'était  produit 
et  que  la  connaissance  était  revenue,  elle  partit  à  l'instant  pour  reve- 
nir à  Versailles.  Mlle  d'Aumale  le  dit  formellement  (p.  349),  quoique 
son  récit  soit  assez  confus,  et  qu'elle  ait  embrouillé  le  départ  du  28  et 
celui  du  30.  Dangeau  {Mémoire,  p.  134)  contirme  que,  pendant  cette 
journée  du  29  août,  Mme  de  Maintenon  et  le  P.  le  Tellier  «  ont  été 
presque  tout  le  jour  dans  sa  chambre  ».  Les  Anthoine  (p.  72)  placent 
ce  retour  au  30  à  deux  heures  ;  mais  il  y  a  chez  eux  confusion  de  date 
pour  les  trois  derniers  jours  du  mois.  Le  marquis  de  Quincy,  qui  ne 
dit  rien  pour  le  29,  remarque  que,  le  30,  elle  fut  «presque  toujours» 
dans   la  chambre  (p.   405).  Saint-Simon  est  seul  à  dire  que  le  Roi 

MÉUOIRES    DE   SAINT-SIMON.    XXVII  19 


Le  Roi 

fort  mal  ; 

fait  revenir 

Mme  do 

Maintenon  de 

Saint-Gyr. 


tiyo  MK.MUIHES  [171")] 

Le  vendredi  30  août,  la  jounu-e  fui  aussi  lâcheuse  (ju'a- 
voit  été  la  nuit  :  un  grand  assoupissement,  et  dans  les 
intoi'valles  la  tête  embarrassée  '.  Il  prit  de  temps  en  temps 
un  peu  de  gelée  et  de  l'eau  pure,  ne  pouvant  plussouiïrir 
le  vin  -.  Il  n'y  eut  dans  sa  chambre  que  les  valets  les  plus 
indispensables  pour  le  service,  et  la  médecine,  Mme  de 
Maintenon  et  quelques  rares  apparitions  du  P.  Tellier, 
que  Blouin  ou  Mai'oschal  envoyoient chercher'.  Il  setenoit 
peu  même  dans  les  cabinets,  non  plus  que  M.  du  Maine. 
Le  Roi  revenoit  aisément  à  la  piété  quand  Mme  de  Main- 
tenon  ou  le  P.  Tellier  trouvoient  les  moments  où  sa  tète 
étoit  moins  embarrassée  ^  ;  mais  ils  étoient  rares  et  courts. 

réclama  Mme  de  Maintenon  et  l'envoya  chercher  à  Saint-Cyr.  Cepen- 
dant un  billet  du  maréchal  de  Villeroy  publié  par  La  Beaumelle, 
Lettres,  édition  1758,  tome  VIII,  p.  408,  et  envoyé  certainement  à 
Mme  de  Maintenon  le  :29  août  au  matin,  se  termine  par  cette 
phrase  :  «  Je  vous  ferai  savoir  s'il  a  nommé  votre  nom.  » 

i.  Dangeau,  Quincy,  Mlle  d'Aumale  disent  aussi  :  affaissement  pro- 
digieux, assoupissement  continuel,  seule  connaissance  machinale  ; 
Saint-Simon  se  sert  certainement  de  la  relation  de  Quincy,  dont  il 
reproduit  les  termes.  Voyez  les  lettres  de  l'abbé  Mascara  :  ci-après, 
p.  354  et  356. 

•2.  Mémoire  de  Dangeau,  p.  135;  Quincy,  p.  405;  Journal  des 
Anthoine,  p.  7i.  On  se  servait,  pour  le  taire  boire,  d'une  tasse  à  bec. 

3.  Saint-Simon  persiste  à  accuser  le  P.  le  Tellier  d'avoir  abandonné 
le  Roi  mourant,  ainsi  qu'il  l'avait  déjà  fait  dans  la  grande  Addition  au 
Journal  de  Dangeau,  tome  XVI,  p.  89,  et  qu'il  le  répétera  dans 
notre  prochain  volume.  Le  P.  Bliard,  dans  son  ouvrage  sur  le  P.  le 
Tellier,  a  fait  justice  de  cette  calomnie. 

4.  Ce  détail  n'est  que  dans  la  Relation  de  Quincy  (p.  405).  Mlle  d'Au- 
male raconte,  pour  cette  journée,  l'anecdote  suivante  (p.  34i-34o)  : 

«  Dans  le  commencement  de  cet  as>;oupissement j'étois,  ainsi  que 

j'ai  presque  toujours  été  pendant  toute  sa  maladie,  dans  la  ruelle  de 
son  lit,  du  côté  opposé  à  celui  oîi  étoit  Mme  de  Maintenon.  Je  cher- 
chois,  ainsi  qu'elle,  à  le  réveiller  un  peu,  en  tâchant  de  le  faire  parler. 
Il  avoit  une  chienne  qu'il  aimoit  beaucoup,  et  qui,  quoiqu'il  fût 
malade,  passoit  tous  les  jours  plusieurs  heures,  ou  sur  le  pied  de  son 
lit  ou  dans  la  ruelle,  et  il  lui  donnoit  de  temps  en  temps  quelques 
bonbons.  Dans  un  moment  où  je  vis  qu'il  sf  donnoit  un  peu  de  mou- 
vement, je  pris  une  dragée,  et,  pour  tûcher  de  le  ranimer,  je  lui  pré- 


[i71o]  DE  SALN'T-SI.MO.N.  291 

Sur  les  cinq  heures  du  soir,  Mme  de  Maintenon  passa  chez 
elle,  distribua  ce  qu'elle  avoit  de  meubles  dans  son  appar- 
tement à  son  domestique,  et  s'en  alla  à  Saint-Gyr  pour 
n'en  sortir  jamais'. 

Le  samedi  31  août,  la  nuit  et  la  journée  furent  détes- 
tables ;  il  n'y  eut  que  de  rares  et  de  courts  instants  de  con- 
noissance-.  La  gangrène  avoit  gagné  le  genou  et  toute  la 

sentai,  en  lui  disant  de  la  donner  à  sa  chienne  ;  mais  il  me  répondit  : 
«  Donnez-lui  vous-même  »,  et  je  ne  pus  rien  en  tirer  davantage.  » 

1.  Ceci  est  conforme  au  récit  de  Quincy,  p.  403,  au  Mémoire  de 
Dangeau,  p.  135,  et  aux  lettres  de  l'abbé  Mascara  (ci-après,  p.  336),  qui 
dit  :  à  trois  heures.  Le  Journal  de  Buvat  (p.  44)  prétend  que  le  Roi 
ordonna  à  Mme  de  Maintenon  de  partir  et  de  se  retirer  à  Saint-Cyr  ; 
mais  ceci  doit  se  rapporter  au  premier  départ  (ci-dessus  p.  282).  Le 
récit  de  Mlle  d'Aumale  est  bon  à  citer  (p.  346-348),  quoiqu'elle  fasse 
erreur  en  mettant  le  départ  au  3i  :  «  Mme  de  Maintenon  s'en  aperçut 
[qu'il  perdait  connaissance]  ;  alors,  voyant  qu'il  ne  la  demandoit  plus  et 
qu'on  n'avoitplus  rien  à  attendre  que  le  moment  de  sa  mort,  elle  sortit 
de  chez  lui  et  se  prépara  à  partir  pour  Saint-Cyr.  Cependant,  avant  de  par- 
tir, elle  voulut  que  M.  Briderey,  supérieur  des  Lazaristes  mission- 
naires, qui  étoit  alors  son  confesseur,  vît  le  Roi,  et  l'assurât  qu'elle 
n'avoit  plus  rien  à  faire  auprès  de  lui.  En  conséquence  elle  me  dit  de 
mener  M.  Briderey  dans  la  ruelle  du  Roi.  Je  l'y  menai  effectivement  ;  il  le 
vit  et  revint  dire  à  Mme  de  Maintenon  :  «  Vous  pouvez  partir;  vous  ne 
«  lui  êtes  plus  nécessaire.  «  Sur  cette  assurance,  elle  partit,  et  moi 
avec  elle.    Elle  quitta  Versailles  avant  que  le  Roi    fût  mort,  parce 

qu'elle  appréhendoit  extrêmement de  n'être  pas  maîtresse  d'elle 

dans  ce  triste  moment.  Elle  avoit  encore  une  autre  appréhension  : 
c'étoit  d'être  insultée  en  chemin....  C'est  ce  qui  lui  avoit  fait  prendre 
le  parti  de  me  dire  en  avance  d'avoir  soin  de  lui  faire  venir  un  autre 
carrosse  que  le  sien Effectivement,  je  lui  Us  venir  celui  du  maré- 
chal de  Villeroy,  dont  les  gens  l'escortèrent  aussi  ;  outre  cela  le  maré- 
chal de  Villeroy  avoit  fait  placer  des  gardes  de  distance  en  distance 
toul  le  long  du  chemin  de  Saint-Cyr.  »  C'est  sans  doute  à  cette  der- 
nière préoccupation  que  se  réfère  un  billet  du  maréchal  de  Villeroy  à 
Mlle  d'Aumale  publié  par  La  Beaumelle  (Lettres,  édition  1738, 
tome  VIII,  p.  103)  et  daté  de  «  vendredi  à  midi  ».  Madame  Palatine, 
si  hostile  à  Mme  de  Maintenon,  reconnaît  que  «  tout  le  monde 
croyoit  le  Roi  mort  lorsque  Mme  de  Maintenon  s'est  retirée  »  (Corres- 
pondance, recueil  Brunet,  tome  I,  p.  189). 

2.  On  lui  donna  encore  de  la  gelée  et  de  l'eau  avec  un  biberon  ; 


ïS92 


M  KM 01  K ES 


[Mio] 


Dernières 

paroles  du  Roi. 

Sa  mort. 


cuisse.  On  lui  donna  ilu  reniètU'  du  fou  :il)bé  .\ii,Mi;in', 
que  la  duchesse  du  Maine  avoit  envové  pio|>oser,  (jui  éloit 
un  excellent  remède  pour  la  petite  vérole-.  Les  médecins 
consentoient  à  tout,  parce  qu'il  n'y  avoit  plus  d'espérance. 
Vers  onze  heures  du  soir,  on  le  trouva  si  mal  qu'on  lui  dit 
les  prières  des  agonisants'.  L'appareil  le  rappela  m  lui. 
Il  récita  des  prières  d'une  voix  si  forte,  qu'elle  se  faisoit 
entendre  à  travers  celle  du  grand  nombre  d'ecclésias- 
tiques et  de  tout  ce  qui  étoit  entré.  A  la  fin  des  prières, 
il  reconnut  le  cardinal  de  Rohan,  et  lui  dit  :  «  Ce  sont  là 
les  dernières  grâces  de  l'Eglise  *.  »  Ce  fut  le  dernier  homme 

mais  il  fallut  lui  ouvrir  la  bouche  et  lui  tenir  les  mains,  parce  qu'il 
ôtoit  de  sa  bouche  tout  ce  qu'on  lui  donnait  (Mémoire  de  Dangeau, 
p.  i3o). 

1.  François  Aignan  avait  d'abord  appartenu  à  l'ordre  des  Capucins 
où  il  avait  porté  le  nom  de  Père  Tranquille.  A  la  suite  d'un  voyage 
dans  le  Levant,  il  répandit  le  bruit  qu'il  en  avait  rapporté  des  secrets 
thérapeutiques  précieux.  Il  s'adjoignit  un  de  ses  conirères,  le  P.  Rous- 
seau, et  ils  gagnèrent  la  confiance  du  grand  Condé.  qui  leur  lit  obtenir 
du  Roi  une  pension  de  quinze  cents  livres  et  un  laboratoire  au  Louvre, 
d'où  vint  qu'on  les  appela  les  capucins  du  Louvre.  Pendant  deux  ans, 
ils  y  fabriquèrent  une  quantité  de  remèdes,  comme  l'essence  d'éme- 
raudes,  l'essence  de  vipères,  l'eau  de  la  reine  de  Hongrie,  et  le  baume 
Tranquille,  qui  a  porté  jusqu'à  nos  jours  le  nom  de  son  inventeur. 
Aignan  quitta  ensuite  les  Capucins,  et  entra  dans  l'ordre  des  Bénédic- 
tins, si  l'on  en  croil\e^  Mémoires  de  Sourches,  tome  XI,  p.  266;  mais 
cela  ne  semble  pas  certain  ;  car  depuis  lors  on  le  connut  sous  le  nom 
d'abbé  Aignan.  Le  Roi  le  nomma  pour  un  de  ses  médecins,  et  le  car- 
dinal de  Fùrstenberg  l'attacha  à  sa  personne  ;  il  lui  donna  un  loge- 
ment dans  l'abbatial  de  Sainl-Germain-des-Prés  et  lui  tit  obtenir  en 
1700  le  prieuré  de  Rouvroy.  Ses  succès  lui  suscitèrent  des  ennemis 
dans  le  corps  médical,  et  il  crut,  en  1699,  avoir  été  victime  d'une 
tentative  d'empoisonnement  (Gazette  d'Amsterdam,  1699,  n"  xxxi,  et 
1700,  n°  xxxvii).  Il  mourut  en  février  1709,  d'une  colique  (Mémoire» 
de  Sourches,  tome  XI,  p.  266;  Mercure  de  mars,  p.  285).  Voyez  aussi 
Franklin,  la  Vie  privée  d'autrefois  :  les  Médecins,  p.  143-1 44,  et  les 
Médicaments,  p.  210,  et  ci-après  aux  Additions  et  Corrections. 

2.  Quincy,  p.  405-406;  Mémoire  de  Danrfcau,  p.  135. 

3.  Ou  «  Prières  de  la  recommandation  de  l'àme  »  ;  elles  se  composent 
de  litanies,  d'oraisons  et  d'invocations  adressées  à  Dieu  et  aux  saints. 

4.  Ce  détail  est  pris  dans  la  lielatiuu  de  Quincy,  p.  406,  qui  seule 


[i715]  DE   SAINT-SIMON.  293 

à  qui  il  parla.  Il  répéta  plusieurs  fois:  Nunc  et  in  hora 
mortis,  puis  dit  :  «  0  mon  Dieu,  venez  à  mon  aide  ;  hâtez- 
vous  de  me  secourir'.  »  Ce  furent  ses  dernières  paroles. 
Toute  la  nuit  fut  sans  connoissance,  et  une  longue  agonie, 
qui  finit  le  dimanche  1"  septembre  171o,  à-  huit  heures 
un  quart  du  matin  *,  trois  jours  avant  qu'il  eût  soixante- 
dix-sept  ans  accomplis,  dans  la  soixante-douzième  année 
de  son  règne  '*. 

mentionne  ces  paroles  au  cardinal  de  Rohan  ;  c'est  encore  une  preuve 
que  Saint-Simon  s'en  est  servi.  Le  Mémoire  de  Dangeau  est  beaucoup 
plus  bref,  et  Mlle  d'Aumale,  qui  était  retournée  à  Saint-Cyr  avec  Mme 
de  Maintenon,  ne  parle  pas  de  cette  dernière  journée  à  laquelle  elle 
n'assista  pas. 

4.  Ceci  vient  encore  de  Quincy  ;  la  relation  de  Languet  de  Gergy, 
que  Saint-Simon  ne  connut  pas,  rapporte  ces  dernières  paroles,  en 
remarquant  qu'elles  sont  la  traduction  d'un  verset  d'un  psaume  :  Deus, 
in  adjutoriiim  menm  intende;  Domine,  ad  adjuvandum  me  festina 
(psaume  lxix,  verset  2). 

2.  La  préposition  à  surcharge  tr[ois],  effacé  du  doigt,  qui  va  se 
retrouver  quelques  mots  plus  loin. 

3.  «  Le  Roi  est  mort  à  huit  heures  un  quart  et  demi,  et  il  a  rendu 
l'âme  sans  aucun  effort,  comme  une  chandelle  qui  s'éteint  »  (Mémoire 
de  Dangeau,  p.  136;  Quincy,  p.  406).  Dès  que  la  mort  fut  avérée, 
a  un  officier,  ayant  un  plumet  noir  sur  son  chapeau  »,  s'avança  sur  le 
balcon  de  la  chambre  du  Roi  et  dit  à  haute  voix  :  Le  Roi  est  mortl 
Puis,  «  s'étant  retiré  et  ayant  quitté  le  plumet  noir  pour  en  prendre 
un  blanc,  il  parut  une  seconde  fois  sur  le  même  balcon,  et  cria  à  haute 
voix  par  trois  fois  :  Vive  le  roi  Louis  XV  !  »  (Journal  de  Buvat, 
tome  I,  p.  47).  Peu  après,  Mareschal  et  les  garçons  de  la  chambre 
tirèrent  le  corps  du  lit  pour  le  changer  de  linge  et  le  disposer  pour 
qu'il  piàt  être  vu  par  tout  le  monde,  et,  comme  il  était  resté  la  bouche 
et  les  yeux  ouverts,  deux  garçons  de  la  chambre  les  lui  fermèrent 
(Journal  des  Anthoine,  p.  75).  On  trouvera  ci-après,  à  l'Appendice, 
n°  IV,  des  renseignements  sur  la  disposition  du  lit  funéraire  et  le 
cérémonial  qui  fut  accompli  à  cette  occasion.  Une  estampe  de  Cochin, 
représentant  sa  mort  et  destinée  à  l'Histoire  du  roi  Louis  XV  par 
médailles,  figura  au  salon  de  i7oo;  deux  autres,  où  on  le  voit  exposé 
sur  son  lit  entre  les  femmes  et  la  religion,  ont  été  reproduites  par 
M.  H.  Bourgeois  dans  le  Grand  siècle,  p.  169  et  170. 

4.  Saint-Simon  se  trompe  ici,  et  il  aurait  mieux  fait  de  copier 
Quincy  qui  donne  des  chiffres  exacts.  Louis  XIV  étant  né  le  o  sep- 


t!94  MEMOIRES  [ITiri) 

Il  se  maria  à  vinj^'t-dcux  ans,  en  signant  la  famonse  paix 
des  Pyrénées,  en  IfifiO.  Il  en  avoit  vingt-trois  quand  la 
mort  délivra  la  France  du  cardinal  Mazarin  ;  vingt-sept 
lorsqu'il  perdit  la  Reine  sa  mère,  en  lOfil)'.  11  devint  veuf  à 
quarante-quatre  ans  en  KiS.'i,  perdit  Monsieur  à  soixante- 
trois  ans  en  1701-,  et  survécut  tous  ses  fils  et  petits-fils, 
excepté  son  successeur,  le  roi  d'Espagne  et  les  enfants  de 
ce  prince.  L'Europe  ne  vit  jamais  un  si  long  règne,  ni  la 
France  un  roi  si  âgé. 

Par  l'ouverture  de  son  corps,  qui  fut  faite  par  Mareschal, 
son  premier  chirurgien,  avec  l'assistance  et  les  cérémo- 
nies accoutumées^,  on  lui  trouva  toutes  les  parties  si 
entières,  si  saines,  et  tout  si  parfaitement  conformé, 
qu'on  jugea  qu'il  auroit  vécu  plus  d'un  siècle  sans  les 
fautes  dont  il  a  été  parlé,  qui  lui  mirent  la  gangrène  dans 

tembre  1638,  il  s'en  fallait  de  quatre  jours,  et  non  de  trois,  qu'il  eut 
soixante-dix-sept  ans  accomplis.  Entin,  étant  monté  sur  le  trône  le 
14  mai  1643,  il  avait  accompli  la  soixante-douzième  année  de  son  règne 
le  14  mai  1715,  et  était  dans  la  soixante-treizième. 

1.  Cette  date  a  été  ajoutée  après  coup  sur  la  marge. 

2.  Saint-Simon,  qui  se  pique  d'exactitude,  aurait  pu  la  serrer  de 
plus  près  dans  cette  rapide  revue  de  la  vie  de  Louis  XIV.  Etant  né  le 
5  septembre  1638,  le  Roi  avait  vingt  et  un  ans  et  neuf  mois  lors  de 
son  mariage  (9  juin  1660)  et  vingt-deux  ans  et  six  mois  à  la  mort  de 
Mazarin  (9  mars  1661);  il  avait  vingt-sept  ans  et  quatre  mois  lors- 
qu'il perdit  Anne  d'Autriche,  sa  mère  ("20  janvier  1666),  et  presque 
quarante-cinq  ans  (exactement  quarante-quatre  ans  dix  mois  et  vingt- 
cinq  jours  à  la  mort  de  Marie-Thérèse  (30  juillet  168.3),  enfin  soixante- 
deux  ans  et  neuf  mois  à  celle  de  Monsieur  (9  juin  1701). 

3.  Le  procès-verbal  d'autopsie  a  été  publié  de  nos  jours  parChéreau 
dans  VUnion  méclicak,  1862,  p.  402;  le  docteur  Corlieu  l'a  reproduit  on 
1873,  dans  la  Mort  des  rois  de  France,  p.  117-118,  puis  Alfred  Fran- 
klin, en  1893,  dans  la  Vie  privée  d'autrefois  :  les  Chiruroienx.  p. 
290-291,  enfin  le  vicomte  de  Grouchy,  en  1899.  dans  le  tome  IV  du 
Carnet  historique  et  littéraire,  p  136-lo8;  un  texte  un  peu  diffé- 
rent, mais  conforme  pour  le  fond,  a  été  inséré  par  les  Anthoine  dans 
leur  Journal,  p.  77-78.  On  ne  sait  pas  si  l'original  existe  encore. 
Comme  nous  donnerons  ci-après,  appendice  IV,  lo  détail  des  céré- 
monies qui  se  firent  immédiatoment  après  la  mort  du  Roi,  le  procès- 
verbal  d'autopsie  s'y  trouvera  inséré. 


[17151  I^E  SAINT-SIMON.  295 

le  sang.  On  lui  trouva  aussi  la  capacité  de  l'estomac  et 
des  intestins  double  au  moins  des  hommes  de  sa  taille,  ce 
qui  est  fort  extraordinaire,  et  ce  qui  étoit  cause  qu'il  étoit 
si  grand  mangeur  et  si  égal*. 

1.  Il  n'est  point  parlé  de  cette  particularité  dans  lo  procès-verbal, 
et  il  semble  que,  si  elle  avait  été  réelle,  les  chirurgiens  n'auraient  pas 
manqué  de  le  remarquer.  Il  faut  donc  considérer  cela  comme  une 
légende,  que  Saint-Simon  est  seul  à  rapporter  et  qu'il  avait  déjà  men- 
tionnée ci-dessus,  p.  188.  A  cet  endroit,  il  avait  parlé  du  «  volume  »  et 
de  1'  «  étendue  »  ;  ici  il  dit  seulement  «  capacité  ».  Le  procès-verbal 
d'autopsie  mentionne  queles  intestins  étaient  «  extraordinairement  dila- 
tés »  ;  c'est  peut-être  ce  qui  a  donné  naissance  à  la  croyance  dont  notre 
auteur  s'est  fait  l'écho. 


APPENDICE 


PREMIÈRE     PARTIE 


ADDITIONS    DE    SAINT-SIMON 

AU  JOURNAL  DE  D  ANGE  AU 

l"i3o.  Le  président  de  Maisons  et  sa  famille. 
(Page  153.) 

22  août  1715*.  — ...  La  grâce^  fut  la  charge  de  président  à  mortier 
de  Maisons,  qui  venoitde  mourir,  donnée  à  son  fils,  âgé  à  peine  de  dix- 
sept  ans,  à  la  prière  du  duc  du  xMaine.  Ce  prince  avoit  un  grand  inté- 
rêt à  se  faire  des  créatures  dans  le  Parlement  et  à  flatter  toute  cette 
Compagnie.  Rien  ne  pouvoit  lui  être  plus  agréable  que  cet  extraordi- 
naire bienfait,  ni  plus  utile  à  M.  du  Maine  que  de  le  procurer;  c'est 
ce  qui  le  fit  accorder  au  moment  qu'il  le  demanda  ;  mais  il  est  à  pro- 
pos de  dire  un  mot  ici  de  ces  Maisons.  Le  véritable  et  court  historique 
a  plus  de  poids  que  le  plus  fort  sermon,  et  se  présente  bien  en  cadence 
ici  avec  l'anéantissement  des  grandeurs  les  plus  superbes  et  les  plus 
solidement  et  longuement  éclatantes. 

Le  président  de  Maisons  étoit  petit-fils  du  surintendant  des  finances 

1.  Par  suite  de  la  très  longue  Addition  que  Saint-Simon  a  faite  sur 
les  derniers  jours  de  Louis  XIV  et  sur  tout  son  règne, et  qu'il  a  placée  en 
regard  du  13  août,  sur  son  manuscrit  du  Journal  de  Dangeau,  les  Addi- 
tions qui  se  rapportent  aux  dates  postérieures  du  même  mois  ont  été 
placées,  dans  le  manuscrit,  à  la  suite  les  unes  des  autres  après  le  1" 
septembre.  —  La  présente  Addition,  que  nous  numérotons  1235,  n'est 
que  la  seconde  partie  de  celle  que  Saint-Simon  avait  faite  au  récit  de 
Dangeau  pour  la  journée  du  22  août  ;  elle  est  placée  dans  le  manuscrit 
(aujourd'hui  France  125)  à  la  page  o81  ancienne,  nouveau  folio  298  v» 
La  première  partie  se  trouvera  ci-après  sous  le  n»  1237. 

2.  Dangeau  disait  que  le  Roi  avait  volontiers  accordé  au  fils  de  M.  de 
Maisons  la  grâce  que  le  Chancelier  lui  demandait  pour  lui.  Voyez  aussi 
le  commencement  de  l'Addition  n»  1237,  ci-après. 


29S  ADniTinXS   OE   SMXT-SniON 

qui  bâtit  \c  suporlu'  chàtoau  do  Maisons,  ;\  la  porto  do  Saint-Gormain, 
avec  toutes  les  singuliôros  beautés  qui  l'accompaj^nent  et  qui  t'ont 
encore  l'admiration  dos  étrani^crs.  Il  no  doinoura  pas  ioui^tomps  aux 
finances,  et  il  dit  aussi  plaisaninioiit  (|u'insolomment,  en  parlant  de  la 
cour,  qu'ils  n'avoient  jamais  plus  mal  l'ait  (jue  do  le  chasser  lorsqu'il 
avoit  bien  l'ait  ses  afl'airos  ot  qu'il  s'alloit  mettre  à  bien  faire  les  leurs. 
Son  (ils  fut  président  à  mortier,  très  vénal  et  très  décrié  pour  ses 
injustices,  ses  débauches  et  une  Mme  Bailly  (ju'il  entrefenoit  chez  lui 
publiquement,  après  avoir  chassé  do  chez  lui  sa  femme,  qui  avoil  du 
mérite  et  de  l'esprit,  et  qui  étoit  Fioubet.  Les  plaideurs  alloiont  ;\  dé- 
couvert traiter  avec  la  Bailly.  qui  rendoit  d'autant  plus  dangereuse- 
ment la  justice,  que  Maisons,  comme  l'ancien  des  présidents  à  mortier, 
tint  loniîtemps  les  audiences  de  l'après-dînée.  Son  tils,  président  à 
mortier,  est  celui  dont  il  s'agit  ici.  Leur  nom  étoit  Longueil,  qui  étoit 
d'une  très  ancienne  noblesse  de  Normandie,  illustre  par  ses  emplois 
militaires  et  restée  seule  de  ces  familles  militairement  nobles  de  toute 
ancienneté,  qui  quittèrent  l'épée  pour  l'écritoire  lorsque  les  parle- 
ments devinrent  continuels,  et  qu'on  n'en  changea  plus  les  membres 
à  chaque  fois  qu'on  le  tenoit.  Cette  curiosité  historique  mèneroit  trop 
loin  à  retracer.  Cependant  il  se  trouvoit  bien  des  gens  qui  prétendoient 
que  c'étoient  des  paysans  du  lieu  de  Longueil,  qui  en  avoient  pris  le 
nom,  et  que,  n'y  ayant  plus  personne  de  cette  famille,  ceux-ci  s'en 
étoient  dits  depuis  leur  élévation  dans  la  robe  et  les  finances.  Ce  qui 
est  vrai,  c'est  que  la  terre  de  Longueil  n'étoit  point  à  eux,  et  que  ce 
n'est  que  le  tils  de  celui  dont  on  parle  qui  a  trouvé  le  moyen  de  l'ache- 
ter. Quoi  qu'il  en  soit  de  l'origine,  Maisons,  dont  il  s'agit  ici,  étoit 
un  homme  bien  fait,  de  beaucoup  d'esprit  et  d'une  ambition  sans 
bornes.  Sa  femme,  sœur  de  la  maréchale  de  Villars,  n'avoit  pas  moins 
d'ambition  que  son  mari.  C'étoit  une  beauté  épaisse,  qui,  avec  une 
parole  pesante,  se  piquoit  de  politique  et  ne  manquoit  ni  de  sens  ni 
d'esprit.  Elle  eut  des  adorateurs  et  quelque  chose  de  plus,  qui  tous 
furent  les  meilleurs  amis  du  mari,  avec  qui  cette  galanterie  ne  l'em- 
pêcha jamais  d'être  toujours  intimement,  et,  ce  qui  est  fort  extraordi- 
naire, le  mari  n'en  encourut  presque  point  de  ridicule.  On  voyoit  assez 
ce  qui  en  étoit  ;  mais  il  y  avoit  une  écorce  de  décence,  et,  si  une  femme 
do  la  ville,  et  dans  des  temps  tranquilles,  eût  pu  faire  l'amour  avec 
dignité  et  par  politique,  c'étoit  précisément  ce  que  celle-ci  eût  fait. 
Ils  étoient  de  part  et  d'autre  fort  riches;  ils  aimoient  à  vivre  magni- 
fiquement. Le  mari  aimoit  la  dépense;  la  femme,  naturellement  avare, 
ne  lo  montroit  que  dans  le  fond  du  domestique  ;  la  vanité  surmontoit  ; 
elle  aimoit  à  tenir  une  grande  maison.  La  leur  ;\  Paris,  qui  étoit  fort 
belle  et  magnifiquement  meublée,  fut  d'abord  ouverte  à  ce  qu'il  y  avoit 
de  meilleur  à  Paris  dans  la  robe,  où  Maisons  se  fit  un  capital  de  se 
faire  aimer,  considérer  et  compter.  Quoique  peu  formé  en  savoir,  il  y 
réussit  par  cette  conduite,  soutenue  d'une  grande  assiduité  au  Palais 
et  du  soin  de  se  rendre  superliciellement  habile  dans  son  métier.  De 


AU  JOURNAL  DE  DAXGEAU.         599 

là  s'élargissant  dans  un  meilleur  monde,  que  sa  femme  attiroit  plus 
que  lui,  il  sut  y  être  de  bonne  compagnie,  sans  être  déplacé  comme  le 
premier  président,  et  le  mérite  d'une  table  nombreuse  et  délicate  ras- 
sembla chez  lui  l'élite  de  Paris  en  tous  genres.  Le  voisinage  de  la  cour 
qu'il  avoit  à  Maisons,  où  il  menoit  toujours  beaucoup  do  monde  de 
Paris,  lui  donna  la  facilité  d'y  faire  tiler  la  cour,  et  de  là  de  voir  chez 
lui  à  Paris  les  mêmes  gens  de  la  cour  qu'il  avoit  vus  à  Maisons.  Il 
savoit  discerner  et  trier,  et  il  ne  vouloit  que  le  bon  ou  le  solide,  sans 
être  la  dupe  du  nombre  ni  des  oisifs;  d'autre  part,  les  courtisans  les 
plus  considérables  n'étoient  pas  indifférents  à  se  lier  avec  un  magis- 
trat supérieur,  qui  avoit  autant  de  talent  et  de  crédit  dans  le  Parle- 
ment que  celui-ci,  et  avec  qui  de  plus  ils  trouvoient  pour  les  lieux,  la 
chère,  la  conversation  et  l'amusement,  tout  ce  qu'ils  pouvoient  dési- 
rer, outre  ce  qu'ils  s'en  proposoient  de  solide.  La  morgue  présidentale 
y  cédoit  au  bel  air,  à  l'air  du  monde,  dans  le  mari  et  dans  la  femme, 
et,  comme  leur  but  étoit  l'ambition,  les  personnes  distinguées  par  leur 
qualité  ou  par  leur  poids  y  trouvoient  des  déférences  très  marquées  et 
presque  des  respects.  L'union  de  ce  ménage  [fut]  toujours  constante  ;  le 
maintien  de  la  femme  et  de  ceux  qui  étoient  le  mieux  avec  elle  étoit 
toujours  si  bon  en  public,  que  sa  galanterie  n'éloigna  aucune  femme 
de  chez  elle.  Sa  politesse  à  rechercher  celles  qui  lui  faisoient  honneur 
ou  qui  lui  pouvoient  être  utiles,  et  à  vivre  et  à  se  conduire  avec  elles, 
lui  étoit  un  autre  mérite,  qui  lui  réussit  toujours,  et  tout  étoit  com- 
passé en  telle  sorte  qu'il  ne  resta  chez  eux  nulle  trace  de  présidence 
ni  de  bourgeoisie,  et  qu'avec  l'air  de  la  maison  d'un  grand  seigneur, 
il  n'y  en  eut  aucun  d'insolence,  ni  do  cette  rebutante  fatuité  dont 
l'opulence  et  le  mélange  de  la  robe  avec  le  grand  monde  et  la  cour  se 
sait  si  difticilement  garantir.  Mme  de  Maisons  comprit  que  sa  maison 
[étoit]  sa  force,  son  asile,  son  chemin  ;  ce  fut  aussi  où  elle  se  concentra 
sans  courir  les  visites  et  encore  moins  les  parties  au  dehors,  sinon  par 
la  plus  nécessaire  bienséance  du  commerce.  M.  de  Maisons  sentit  que 
la  magistrature  étoit  son  essence,  et  son  premier  bien  d'y  être  estimé, 
aimé,  considéré;  que  le  reste,  quoique  très  utile,  n'étoit  qu'un  néces- 
saire éloigné,  qui  ne  pouvoit  devenir  décisif  qu'autant  qu'il  se  trou- 
veroit  porté  par  son  propre  métier  :  il  se  conduisit  en  conséquence.  Il 
alloit  tous  les  dimanches  et  quelques  fêtes  à  Versailles,  y  cultiver  sa 
considération  et  ses  amis,  les  étendre  peu  à  peu,  lier  des  parties  pour 
Maisons  ou  pour  leur  donner  à  souper  à  Paris;  mais  jamais  ne  cou- 
choit  à  Versailles  ni  ne  sortoit  des  bienséances  de  son  état.  Il  se  fît  de 
la  sorte  beaucoup  d'amis  considérables;  il  sut  se  lier  avec  les  princes 
du  sang  et  avec  les  bâtards,  sans  s'attacher  assez  aux  uns  ni  aux 
autres  pour  ne  se  pas  faire  un  démérite  des  uns  auprès  du  Roi,  ni 
des  autres  auprès  des  princes  du  sang,  vers  qui  toutefois  il  marchoit 
plus  à  découvert  qu'avec  les  autres,  parce  qu'il  sentoit  le  futur,  et 
qu'il  ne  prévoyoit  pas  que  leur  mort  et  l'âge  de  ce  qu'ils  laisseroient 
donneroit  champ  libre  aux  bâtards.   Les  parties  de  Maisons  et  les 


300  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

beautés  de  ce  lieu,  mais  bien  davanlaue  la  liaison  de  M.  du  Maine, 
qui  paroissoil  peu.  mais  dont  le  Roi  lui  savoit  gré,  lui  procuroient 
toujours  quelque  mot  toutes  les  fois  que  le  Roi  le  voyoit  ;  cette  distinc- 
tion le  relovoit  d'autant  plus  qu'il  se  mesuroit  fort  et  ne  couroit  point 
après.  Le  voisinage  de  Marly  lui  procura  la  permission  d'y  aller  de 
Maisons  faire  sa  cour  quelquefois,  sans  demander,  mais  sans  y  cou- 
cher, et  sa  sobriété  à  en  proliter  l'y  lit  toujours  bien  recevoir.  Il  avoil 
su  encore  s'initier  sourdement  chez  le  duc  de  Beauvillier,  et  par  là 
dans  l'estime  de  M.  le  duc  de  Bourgogne.  Il  avoit  également  ménagé 
les  jésuites  et  leurs  ennemis,  les  premiers  en  les  servant  en  choses 
indifférentes  aux  autres  et  en  leur  témoignant  de  l'ouverture,  et  les 
maximes  du  Parlement  lui  servirent  à  être  favorable  aux  autres  et  à 
se  bien  mettre  avec  eux,  en  faisant  bouclier  auprès  d'eux  de  la  néces- 
sité de  ne  pas  se  déclarer  contre  les  jésuites,  et  auprès  de  ceux-ci  de 
ses  liens  avec  le  Parlement.  Il  se  contraignoit  d'autant  moins  dans 
cette  politique,  que  la  religion  ne  l'arrêtoit  pas;  lui  et  sa  femme  n'en 
avoient  aucune.  Ils  gardèrent  pour  le  monde  les  foibles  dehors  que 
cette  même  politique  exige  de  ceux  qui  en  ont  le  moins,  et  leur  aveu- 
glement fut  tel,  que,  n'ayant  qu'un  fis  unique,  ils  lui  cherchèrent  avec 
soin  pour  précepteur  un  homme  d'esprit,  de  conduite  et  de  lettres, 
qui  n'eût  pas  plus  de  religion  qu'eux,  qui  fût  sur  cela  assez  sûr  pour 
qu'ils  s'en  pussent  ouvrir  à  lui,  et  pour  que,  suivant  leurs  vues  com- 
munes, il  élevât  leur  lils  à  n'en  avoir  pas  plus  qu'eux;  c'est  un  degré 
d'impiété  bien  rare,  et  dont  la  consonnance  ne  l'est  pas  moins  entre 
mari  et  femme.  Ils  furent  funestement  heureux  dans  leur  projet;  ils 
trouvèrent  l'homme  qu'ils  cherchoient ',  et  qui  rendit  leur  61s 
aussi  impie  qu'eux,  mais  sans  qu'il  y  parût  que  sur  les  tins, 
par  des  imprudences  de  ce  même  précepteur,  qui  à  la  fin  le  lirent  con- 
nottre  pour  ce  qu'il  étoit,  et  par  lui  MM  -.  et  Mme  de  Maisons  ;  mais 
alors,  quant  au  monde,  il  n'y  avoit  plus  de  conséquences:  le  Roi  étoit 
mourant  et  le  président  bien  près  de  la  fin  de  sa  vie. 

Les  princes  morts,  Maisons  tourna  court.  Il  avoit  négligé  M.  le  duc 
d'Orléans,  par  la  crainte  du  Roi  et  de  bien  d'autres;  il  vit  alors  que  ce 
seroit  avec  lui  qu'il  faudroit  compter.  Cette  nécessité  l'entraîna,  mais 
avec  un  ménagement  qui  le  couvrit  et  qui  l'avança.  Canillac,  qui  lit 
depuis  une  sorte  de  personnage  important  et  ridicule,  et  duquel  il  y 
aura  lieu  de  parler  expressément,  tenoit  le  dé  chez  Mme  de  Maisons, 
où  il  s'étoit  fourré  à  titre  d'esprit  et  de  bonne  compagnie.  Il  étoit 
extrêmement  bien  avec  M.  le  duc  d'Orléans.  Maisons,  qui  se  moquoil 
de  lui  fort  souvent,  le  ménagea  peu  à  peu  davantage,  puis  lui  parla 
avec  estime  dos  talents  de  M.  le  duc  d'Orléans,  ef  avec  déplaisir  de  sa 
situation.  Il  fit  naître  à  cet  esprit  orgueilleux  et  ambitieux  le  désir  de 
lier  à  M.  le  duc  d'Orléans  un  magistrat,  de  l'esprit,  des  connoissances 

1.  Ici  un  correcteur  a  écrit  en  marge  :  le  sieur  de  Marsais. 

2.  Il  y  a  bien  M"  dans  le  manuscrit. 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.  304 

et  du  crédit  duquel  il  put  tirer  des  lumières,  des  conseils  et  des  ser- 
vices; de  l'un  à  l'autre,  par  des  portes  de  derrière  du  Palais-Royal, 
puis  plus  publiquement  [sic].  Tous  deux  se  goûtèrent  par  besoin  réci- 
proque, et  encore  par  esprit  et  par  agréments  réciproques  ;  la  liaison 
se  forma  et  la  confiance  s'y  mit.  Les  choses  ne  furent  pas  longtemps 
en  cet  état,  que  Maisons  voulut  et  ranger  un  obstacle  et  se  procurer 
entre  lui  et  le  duc  d'Orléans  un  confident  d'une  autre  trempe,  et  plus 
à  portée  que  Canillac,  qui  ne  mcttoit  jamais  le  pied  à  la  cour;  ce  fut 
le  duc  de  Saint-Simon,  dont  on  sera  forcé,  quoique  vivant  encore,  de 
dire  un  mot  dans  la  suite  par  la  figure  qu'il  fit  dans  la  Régence,  et  qui 
étoit  l'ami  de  toutes  les  heures  et  de  tous  les  moments  de  M.  le  duc 
d'Orléans,  si  on  en  excepte  ceux  de  débauche.  La  qualité  de  président 
à  mortier  de  Maisons  lui  étoit  suspecte  auprès  de  Saint-Simon,  et  bien 
autant  encore  celle  de  fils  de  son  père,  contre  lequel  ce  duc  avoit  éclaté 
sans  ménagement,  lors  du  procès  de  M.  de  Luxembourg  avec  les  pairs 
ses  anciens.  Saint-Simon,  toujours  à  la  cour  de  toute  sa  vie,  et  d'ail- 
leurs peu  répandu  dans  ce  qui  n'étoit  pas  sien,  n'avoit  jamais  mis  le 
pied  chez  Maisons.  Le  président  fit  comprendre  à  M.  le  duc  d'Orléans 
que,  dans  la  mesure  où  il  devoit  se  tenir  extérieurement  à  son  égard, 
et  dans  la  séparation  ordinaire  et  presque  continuelle  de  lieux  de 
Canillac  et  de  ce  prince,  il  étoit  difficile  qu'il  pût  l'avertir  à  temps  de 
beaucoup  de  choses,  et  le  persuada  aisément  de  le  lier  à  Saint-Simon. 
En  même  temps  ce  rusé  politique  dressa  auprès  du  duc  une  autre  bat- 
terie. Il  étoit  fort  au  fait  de  la  cour,  et  il  ne  croyoit  pas  impossible  que 
le  duc  ne  résistât  là-dessus  à  M.  d'Orléans.  Il  savoit  qu'il  y  avoit  un 
autre  homme  qui  avoit  sur  lui  une  telle  puissance,  que  rien  ne  l'avoit 
pu  émousser,  non  pas  même  ce  qui  étoit  le  plus  opposé  au  sentiment 
de  Saint-Simon,  qui  se  contentoit  à  l'égard  de  cet  homme  de  chercher 
à  le  persuader,  et  qui,  s'il  n'y  réussissoit  pas  et  que  l'autre  insistât 
à  un  certain  point,  cédoit  sans  l'être  lui-même.  La  vérité  est  qu'il  n'en 
a  jamais  usé  ainsi  qu'une  seule  fois,  mais  en  chose  bien  considérable. 
Cet  homme,  cet  il  [sic]  étoit  le  duc  de  Beauvillier.  M.  de  Maisons 
apparemment  lui  parla  assez  fortement  pour  le  convaincre,  et  il  étoit 
déjà  en  possession  avec  lui  de  traiter  les  matières  futures,  malgré  toute 
la  timide  réserve  de  ce  seigneur.  Le  duc  de  Saint-Simon  se  trouva 
donc  attaqué  tout  à  la  fois  sur  Maisons  par  M.  de  Beauvillier,  qui  lui 
vanta  ses  intentions,  sa  sûreté,  ses  lumières,  et  par  M.  le  duc  d'Or- 
léans, qui  s'expliqua  ouvertement  avec  lui  du  besoin  qu'il  avoit  de  leur 
liaison.  Le  plaisant  fut  que  ce  prince  lui  rappela  celles  que  son  père 
avoit  eues  en  son  temps  avec  le  surintendant,  et  celles  de  leurs  enfants; 
en  effet.  Maisons,  qui  l'en  avoit  instruit,  avoit  eu  soin  de  longue  main 
que  son  fils  recherchât  fort  ceux  du  duc  de  Saint-Simon,  tellement 
qu'ils  se  voyoient  souvent  et  que  l'amitié  qui  en  naquit  entre  eux  de- 
vint véritable  et  n'a  fini  qu'avec  ce  jeune  président.  M.  de  Saint-Simon, 
qui  savoit  déjà  par  M.  d'Orléans  sa  liaison  avec  Maisons,  sentit  à  ces 
détails  le  désir  de  ce  dernier;  il  comprit  aussi  que  l'usage  que  M.  d'Or- 


30?  ADDITIONS  DE  SAIM-SIMON 

léans  vouloit  tirer  de  lui  étoit  effectif.  M.  de  Beauvillier  lui  avoil  fait 
son  impression  accoutumée;  il  céda  donc  de  bonne  grâce,  et  inconti- 
nent après  il  re(;ut  une  visite  de  .Maisons,  qui  pour  la  promièro  enfonça 
fort  matière.  Il  fut  depuis  assidu  à  le  voir  en  parlicnlier  toutes  les  fois 
qu'il  venoit  à  Versailles,  et  il  s'avança  tellement  dans  l'esprit  du  duc 
d'Orléans,  qu'il  usurpa  sa  principale  contiance. 

Son  objet  étoit  les  sceaux.  Cet  homme  habile  demeuroit  intimement 
lié  avec  le  duc  du  Maine  ;  il  s'en  cachoit  an  duc  d'Orléans,  duquel 
peut-être  il  se  cachoit  aussi  à  l'autre.  Il  ne  faut  point  avancer  ce  qu'on 
ne  sait  pas  certainement:  on  ne  dira  donc  pas  qu'il  les  trompoit  tous 
deux;  mais  il  est  diflicile  d'ajuster  avec  la  droiture  le  personnage  qu'il 
faisoit  auprès  du  duc  d'Orléans,  avec  la  douleur  que  M.  du  Maine  eut 
de  sa  mort,  et  l'ardeur  avec  laquelle  il  emporta  sa  charge  pour  son  lils. 
Il  étoit  même  toujours  le  premier  informé  de  ses  plus  importants  pro- 
grès. Il  annonça  d'avance  la  déclaration  qui  leur  accorda  le  nom  de 
princes  du  sang  et  la  succession  à  la  couronne;  mais,  s'il  la  sut  des 
premiers,  il  ne  voulut  pas  s'en  ouvrir  à  temps  de  laisser  prendre  des 
mesures,  si  toutefois  le  duc  d'Orléans  étoit  en  situation  avec  le  Roi 
d'en  pouvoir  prendre.  Maisons  envoya  le  matin  même  un  billet  au  duc 
de  Saint-Simon  pour  le  prier  de  le  venir  trouver  sur-le-champ  à  Paris 
pour  chose  également  pressante  et  importante,  et  de  faire  ce  voyage 
le  plus  promptement  et  le  plus  secrètement  qu'il  le  pourroit.  Le  valet 
s'amusa,  ne  sut  où  prendre  M.  de  Saint-Simon  dans  Marly,  enfin  il  lui 
remit  le  billet  comme  il  s'alloit  mettre  à  table  chez  le  duc  de  Lauzun, 
son  beau-frère,  qui  étoit  un  Argus  duquel  il  falloit  se  délier.  Saint- 
Simon  n'osa  donc  révoquer  ce  dîner  si  à  coup  près,  et  cela  lui  fit  per- 
dre du  temps.  Arrivé  chez  Maisons  à  Paris,  il  lui  apprit  la  déclaration 
avec  une  émotion  qui  tenoit  de  l'emportement;  mais  de  remède, 
comme  il  n'y  en  avoit  point  à  trouver,  il  n'en  proposa  aucun.  Peu  de 
moments  après  qu'ils  furent  ensemble,  arriva  le  duc  de  Noailles. 
Maisons  lui  répéta  la  nouvelle  ou  en  tit  le  semblant  ;  car  ces  deux 
hommes  étoient  fort  unis  et  fort  propres  aux  comédies.  Noailles  en 
donna  une  par  la  fureur  où  il  entra.  Saint-Simon,  vif  de  sa  nature  et 
impatient  né  des  bâtards,  les  regardoit  de  son  fauteuil  et  demeuroit 
d'autant  plus  froid  qu'il  les  voyoit  se  promener,  crier  et  se  débattre 
comme  des  forcenés.  Sa  tranquillité  impatienta  Noailles;  mais  l'autre 
lui  demanda  le  fruit  de  ces  fureurs  d'Oreste  qu'ils  jouoient  là  tous 
deux.  Il  ajouta  qu'il  ne  sentoit  pas  moins  qu'eux  une  énormité  si 
monstrueuse,  mais  (ju'aux  choses  où  il  n'y  avoit  point  de  remède,  il 
falloit  les  savoir  souffrir,  et  attendre  du  bénétice  du  temps;  ainsi  après 
les  avoir  vus  pester  et  se  démener  outre  mesure,  il  s'en  retourna  à 
Marly,  où  la  nouvelle  fut  déclarée  une  heure  au  plus  avant  le  souper 
du  Roi. 

Bientôt  après  Maisons  tit  une  proposition  au  duc  de  Saint-Simon 
tout  à  fait  étrange.  Le  testament  du  Koi  déposé  au  Parlement  y  avoit 
été  mis  par  le  premier  président,  assisté  d'autres  otliciers  du  Parlement 


AU  JOURNAL  DE  DAIS'GEAU.  303 

et  des  gens  du  Roi,  dans  une  niche  creusée  dans  la  muraille  d'une 
tour,  derrière  et  proche  la  buvette  de  la  grand  chambre,  la  niche 
grillée  et  murée  par-dessus,  et  trois  clefs  de  la  chambre  dans  laquelle 
étoit  cette  niche,  toutes  trois  différentes  et  nécessaires  pour  l'ouvrir, 
étoient  chacune,  une  entre  les  mains  du  premier  président,  du  doyen 
du  Parlement,  et  du  procureur  général.  Dans  cette  position  si  précau- 
tionnée, si  enfoncée  dans  l'intérieur  du  Palais  et  si  sûre.  Maisons  pro- 
posa au  duc  de  Saint-Simon  de  faire  enlever  le  testament  du  Roi  au 
moment  de  sa  mort,  et  pour  cela  d'avoir  des  maçons  et  des  serruriers 
avec  des  troupes  sous  des  officiers  choisis.  Saint-Simon,  surpris  au 
dernier  point,  lui  demanda  quel  fruit  il  se  proposoil  d'une  si  grande 
violence,  et  de  plus  la  mécanique  pour  y  parvenir.  Il  ajouta  que,  quoi 
qu'il  y  eût  dans  le  testament,  il  ne  voyoit  aucune  comparaison  entre 
l'espérance  qu'il  n'auroit  pas  plus  de  succès  que  celui  de  Louis  XIII, 
comme  le  Roi  ne  s'éloit  pas  caché  de  le  penser  lui-même,  entre  essuyer 
même  ses  dispositions,  quelles  qu'elles  fussent,  et  violer  à  main  armée 
un  dépôt  public  de  cette  royale  qualité,  dans  le  sein  du  sanctuaire  de 
la  justice,  au  milieu  de  la  capitale,  soulever  le  peuple  et  les  provinces, 
donner  aux  ennemis  de  M.  le  duc  d'Orléans  des  armes  aussi  spécieuses 
contre  lui,  qui  sauroient  bien  en  tirer  les  plus  grands  usages,  et  les 
autoriser  de  la  juste  fureur  du  Parlement,  outragé  par  cet  attentat,  et 
dans  le  moment  critique  où  l'usage  abusif  devenu  une  espèce  de  loi 
lui  donnoit  une  autorité  avec  laquelle  il  falloit  compter  dès  ce  mo- 
ment-là même,  et  souvent  encore  dans  le  cours  de  la  Régence.  Que,  si, 
dans  l'exécution,  si  odieuse  par  elle-même  et  que  les  bâtards  et  le 
Parlement,  qu'elle  réuniroit  pour  toujours,  avoient  tant  d'intérêt  d'em- 
pêcher, il  arrivoit  une  sédition,  peut-être  appuyée  par  les  suisses,  et 
qu'il  y  eût  du  sang  répandu,  personne  ne  pouvoit  prévoir  jusqu'où 
cette  action  étoit  capable  de  conduire,  laquelle,  quoi  qu'il  en  succédât, 
combleroit  M.  le  duc  d'Orléans  de  la  plus  juste  et  de  la  plus  grande 
haine,  et  d'un  mépris  égal  si,  par  l'événement,  le  testament  échappoit 
à  l'attaque.  Tout  cela  fut  commenté  bien  plus  au  long  sans  que  Mai- 
sons pût  être  ébranlé,  et  sans  toutefois  qu'il  eût  rien  à  répondre  que 
l'importance  de  soustraire  un  testament  qu'on  croyoit  bien  qui  n'étoit 
fait  que  contre  le  duc  d'Orléans  et  en  faveur  des  bâtards.  Maisons  en 
parla  au  duc  d'Orléans,  qu'il  ne  persuada  pas  non  plus  ;  mais  ce  qui 
est  surprenant,  il  ne  se  lassa  point  de  revenir  à  la  charge  auprès  de  ce 
prince  et  auprès  de  Saint-Simon,  et  jusqu'à  sa  mort,  qui  prévint  celle 
du  Roi  de  si  peu  de  jours,  il  ne  put  abandonner  ce  projet  ni  l'espérance 
de  le  leur  persuader.  Le  plus  mortel  ennemi  de  M.  le  duc  d'Orléans 
n'en  pouvoit  certes  imaginer  un  plus  funeste  ;  il  est  donc  bien  difficile 
d'imaginer  ce  que  Maisons  s'en  proposoit.  Etoit-il  assez  méchant  pour 
vouloir  embarquer  le  duc  d'Orléans  dans  un  attentat  qui  ne  pouvoit 
que  le  perdre  d'honneur  et  de  réputation,  et  lui  mettre  toute  la  France 
sur  les  bras  ?  iiitoit-il  assez  peu  sage  pour  n'en  pas  sentir  les  suites 
affreuses  et  indispensables,  qu'on  lui  faisoit  toucher  au  doigt  toutes  les 


304  AUDITIONS  DE  SAI.NT-SIMU.N 

fois  qu'il  on  pressoit  ?  Espéroil-il  par  iin  si  terrible  éclat  acquérir  au 
Parlement  la  dictature  du  royaume,  et  s'y  élever  lui-même  en  négo- 
ciant entre  le  Parlement  et  le  duc  d'Orléans,  et  se  rendre  nécessaire 
à  tous  les  partis?  Enlin,  vouloitil  tout  risquer,  dans  la  frayeur  que, 
Voysin  affermi  dans  ses  places  par  l'autorité  du  testament,  les  sceaux 
ne  lui  échappassent,  et  avec  cet  échelon  le  premier  crédit  dans  la 
Régence,  ce  qui  étoit  encore  une  folie  dans  un  homme  d'ailleurs  plein 
d'esprit  et  de  sens,  et  qui  devoit  sentir  où  le  duc  d'Orléans  en  seroit 
après  un  tel  éclat,  et  par  conséquent  ceux  à  qui  il  donneroit  sa  prin- 
cipale conliance  ?  Enfin,  vouloit-il  seulement  sonder  le  duc  d'Orléans, 
reconnoître  s'il  seroit  capable  de  mordre  à  un  si  étrange  hameçon, 
résolu  après  d'y  faire  naître  des  difficultés  qui  se  présentoient  évidem- 
ment d'elles-mêmes,  et  de  faire  avorter  son  projet  après  l'avoir  fait 
adopter?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'a  pas  assez  vécu  pour  donner  le  temps 
d'éclaircir  ces  ténèbres,  mais,  pour  cet  échantillon  joint  à  bien  d'autres 
choses,  assez  pour  consoler  de  sa  mort  les  gens  de  bien  et  les  gens 
sages,  et  ceux  qui  aimoient  l'État  et  la  paix  domestique.  Ce  trait  si 
curieux  méritoit  de  n'être  pas  omis,  quoique  cette  curiosité  même  ne 
puisse  être  satisfaite. 

Cependant  Maisons  se  comptoit  siàr  des  sceaux.  Voysin,  créature  de 
Mme  de  Maintenon.  àme  damnée  des  bâtards,  acteur  et  confident 
unique  de  la  dernière  déclaration  qui  les  portoit  au  trône  et  des  der- 
nières dispositions  du  Roi,  qu'on  ne  pouvoit  se  méprendre  à  croire 
toutes  en  leur  faveur  contre  le  duc  d'Orléans,  odieux  de  plus  par  sa 
hauteur,  par  sa  dureté,  par  son  intérêt,  qui  s'étoit  fait  donner  de 
grandes  sommes  comptant  du  non-complet  des  troupes,  dans  le  plus 
grand  épuisement  de  l'Etat;  Voysin,  enfin,  qui  s'étoit  piqué  de  garder 
si  peu  de  mesures  en  tout  avec  M.  le  duc  d'Orléans,  devoit  être  la 
première  victime  de  sa  puissance,  sans  rien  de  violent  qui  n'eût  été 
souvent  usité  ;  l'exil  et  la  privation  de  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat 
de  la  guerre  et  celle  des  sceaux  devoit  être  très  naturellement  son  sort. 
I!  n'y  avoit  aucun  magistrat  en  état  de  les  balancer  avec  Maisons  auprès 
du  duc  d'Orléans,  qui  même  en  avoit  donné  parole,  et  Maisons,  au 
comble  de  ses  vœux,  ne  doutoit  pas  d'arriver  incessamment  à  celui  de 
ses  désirs  par  un  comble  de  crédit  et  de  puissance.  C'étoit  là  où  Dieu 
l'attendoit  ;  peu  de  jours  l'expédièrent,  dans  la  force  de  l'âge  et  de  la 
santé,  et  dans  les  regrets,  l'amertume,  la  rage  d'un  ambitieux  déme- 
suré parvenu  à  toucher  de  la  main  la  plus  grande  fortune,  qui  lui 
échappa  avec  la  vie,  et  dans  la  terreur  que  ces  effroyables  moments 
jettent  dans  l'âme  des  impies  malgré  eux.  Sa  femme,  outrée  de  la  plus 
profonde  douleur,  vit  s'éclipser  en  un  instant  et  la  fortune  de  son  mari, 
qui  n'avoit  rien  de  caché  pour  elle,  et  la  figure  principale  qu'elle- 
même  comptoit  d'y  faire  ;  mais,  peu  déprise  de  ses  gluets  trompeurs, 
en  femme  qui  n'avoit  point  d'autre  objet,  elle  ramassa  toutes  ses  forces 
pour  conserver  les  amis  de  la  maison  et  la  continuer  sur  le  pied  où  elle 
i'avoit  mise;  mais  l'âme  n'y  étoit  plus.  Restoient  les  nouvelles,  les 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        303 

intrigues,  les  petites  cabales  avec  le  Parlement  et  certaines  gens  oisifs 
et  mécontents,  une  sorte  de  tribunal  en  peinture  dans  lequel  elle  éleva 
son  tils  sur  les  traces  du  père  autant  que  sa  jeunesse  s'y  put  dresser. 
Sa  vie  se  passoit  de  la  sorte,  en  projets,  en  travaux,  dont  la  chimère  cl 
les  espérances  la  flattoient,  soutenue  de  l'opulence  et  de  la  considéra- 
tion qu'elle  s'attiroit  tant  qu'il  lui  étoit  possible,  pleine  de  santé  et 
d'autorité  sur  son  tils  et  sur  ses  amis,  lorsque,  surprise  d'une  apoplexie, 
elle  eut  à  peine  le  temps  de  goûter  la  mort,  et  alla  paroître  devant 
Celui  qu'elle  avoit  voulu,  et  par  maxime,  méconnoître  toute  sa  vie.  Son 
tils,  outré  de  désespoir,  fut  longtemps  à  se  pouvoir  reconnoître  ;  il 
chercha  à  se  distinguer  dans  son  métier  et  à  acquérir  des  amis  comme 
son  père.  Il  en  conserva  de  la  considération,  ne  crut  pas  plus  en  Dieu 
que  lui,  que  sa  mère,  que  son  précepteur,  et  ne  sacritia  pas  moins  à 
l'ambition  et  à  la  fortune,  lorsque,  dans  la  première  fleur  de  sa  jeunesse 
et  de  ses  espérances,  la  petite  vérole  le  saisit  et  l'épouvanta  avec  tant 
d'horreur  qu'il  en  mourut  rapidement,  et  ne  laissa  qu'un  lils  unique, 
qui  promettoit  une  grande  santé  et  qui  fut  pourtant  ravi  dans  sa  pre- 
mière enfance.  Telle  fut  l'affreuse  catastrophe  de  cette  famille,  si  éta- 
blie, si  riche,  si  ambitieuse,  si  singulièrement  impie,  de  laquelle  il 
n'est  resté  quoi  que  ce  soit,  et  qui  véritia  si  fort  à  la  lettre  ce  passage 
du  psaume  :  J'ai  vu  l'impie  exalté  comme  les  cèdres  du  Liban;  je  n'ai 
fait  que  passer,  il  n' étoit  déjà  plus;  je  n'en  ai  pas  même  trouvé  la 
moindre  trace. 

1236.  Commencement  de  la  maladie  du  Roi. 
(Page  176.) 

13  août  4715.  —  Le  Roi  revint  pour  la  dernière  fois  de  Marly  le 
samedi  au  soir,  10  août,  et  ne  revit  jamais  cet  ouvrage  de  ses  mains. 
Il  étoit  déjà  fort  mal,  et  eut  le  lendemain  une  prise  d'autant  plus  forte 
avec  le  procureur  général  *,  et  d'autant  plus  dangereuse  pour  ce 
magistrat,  que  le  Roi,  outré  de  sa  résistance,  ne  se  sentoit  pas 
en  état  d'aller  tenir  le  lit  de  justice  qu'il  avoit  résolu,  mais  dont  il 
n'abandonna  pas  l'espérance.  Il  ne  laissa  pas  de  s'aller  promener  à 
Trianon  pour  se  dissiper  et  continuer  sa  vie  ordinaire  ;  ce  fut  sa  der- 
nière sortie  du  château  de  Versailles.  Il  fut  purgé  le  lendemain  et  vécut 
à  son  ordinaire  des  jours  de  médecine  ;  mais  ce  fut  la  dernière  fois  qu'il 
marcha.  Le  lendemain,  13  août,  il  lit  son  dernier  effort  pour  donner 
debout,  dans  la  chambre  du  trône,  audience  de  congé  à  ce  prétendu 
ambassadeur  de  Perse  ;  sa  santé  ne  lui  permit  pas  les  magnificences 
qu'il  s'étoit  proposées  comme  à  sa  première  audience,  et  il  parut 
remarquable  que  sa  dernière  action  publique  fut  celle-ci,  où  Ponchar- 
train  trompoit  sa  vanité  si  grossièrement  pour  lui  faire  sa  cour.  Il  n'eut 
pas  honte  de  terminer  cette  comédie  par  la  signature  d'un  traité,  dont 

I.  Ici  un  correcteur  a  ajouté  en  interligne  le  mot  Daguesseau. 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.   XXVII  20 


306  ADDITIONS  \)K  SAIXT-SIMON 

les  suites  moiilrèrenl  le  Taux  de  eelte  ambassade.  Les  Mémoires  parli- 
ciilariseiil  si  bien  les  derniers  jours  du  Hoi,  qu'il  seroil  inulile  d'y  rien 
ajouter  en  ce  genre,  que  des  onussions  de  courtisan  ;  ou  tAcliera  aussi 
de  suppléer  une  lacune  des  trois  derniers  jours  de  la  vie  du  Roi  qui 
mérite  inlinimont  d'être  regrettée',  que  le  mùme  esprit  de  politi(iue  a 
sans  doute  fait  laisser,  dont  on  ne  se  propose  que  d'expliquer  des 
choses  principales. 

Il  y  avoit  près  d'un  an  que  la  santé  du  Roi  lomboit  ;  ses  valets  inté- 
rieurs s'en  aper(;urent  d'abord  et  en  remar(]uèrent  tous  les  progrès, 
sans  que  pas  un  osât  en  ouvrir  la  bouclie.  Les  bâtards  le  voyoient  bien 
aussi,  ou  plutôt  M.  du  Maine,  qui  hâta  tout  ce  qui  les  regardoit,  aitlé 
et  porté  par  Mme  de  Mainlenon.  Fagon,  fort  tombé  de  corps  et  d'esprit, 
étoit  le  seul  qui  ne  s'aperrûl  de  rien.  Maresclial,  premier  chirurgien, 
lui  en  parla  plusieurs  fois  et  l'ut  toujours  durement  re|)0ussé  ;  pressé 
enlin  par  son  devoir  et  son  attachement,  il  se  hasarda  d'aller  un  matin 
trouver  Mme  de  Maintenon,  vers  la  Pentecôte,  et  de  lui  dire  ce  qu'il 
voyoit  et  combien  M.  Fagon  se  trompoit  grossièrement  ;  il  l'assura  que 
le  Roi,  à  qui  il  avoit  tûté  le  pouls  souvent,  avoit  depuis  assez  long- 
temps une  petite  tièvre,  lente  et  interne  ;  que  son  tempérament  étoit  si 
bon,  qu'avec  des  remèdes  et  de  l'attention  tout  étoit  encore  plein  de 
ressources,  mais  que,  si  on  laissoit  gagner  le  mal,  il  n'y  en  auroit  plus. 
Mme  de  Maintenon  se  fâcha,  et  tout  ce  qu'il  remporta  de  son  zèle,  fut 
de  la  colère,  et  qu'il  n'y  avoit  que  les  ennemis  personnels  de  P'agon 
qui  trouvassent  ce  qu'il  lui  disoit  là  de  la  santé  du  Roi,  sur  laquelle 
la  capacité,  l'application  et  l'expérience  ne  se  pouvoient  tromper.  Le 
rare  est  que  Mareschal  avoit  été  mis  en  place  par  Fagon,  et  qu'ils  avoient 
toujours  vécu  depuis  dans  la  plus  parfaite  intelligence.  Maresclial  outré 
n'eut  plus  de  mesures  à  prendre,  et  commen(;a  dès  lors  à  pleurer  la 
mort  de  son  maître.  F"agon  en  eflet  étoit  en  science  et  en  expérience  le 
plus  grand  et  le  meilleur  médecin  de  l'Europe;  mais  sa  santé  ne  lui 
permetloil  plus  depuis  longtemps  d'entretenir  son  expérience,  et  le 
haut  point  d'autorité  où  sa  laveur  et  sa  capacité  l'avoienl  porté  l'avoient 
entin  gâté  ;  il  ne  vouloit  ni  raison  ni  réplique,  et  continuoit  de  con- 
duire la  santé  du  Roi  comme  il  avoit  fait  dans  un  âge  moins  avancé,  et 
le  tua.  La  goutte,  dont  il  avoit  eu  de  longues  attaques,  avoit  engagé 
Fagon  à  emmaillolter  pour  ainsi  dire  le  Roi  tous  les  soirs  dans  un  tas 
d'oreillers  de  plume,  qui  le  faisoient  tellement  suer  toutes  les  nuits, 
qu'il  le  falloit  frotter  et  changer  les  matins  avant  que  le  grand  chani- 


1.  Cette  remarque  de  Saint-Simon  vient  de  ce  <[u'il  écrivait  ses  Addi- 
tions sur  la  C(j|)ip  qu'il  possédait  du  Journal  de  Dantjeau,  lequel  s'arrête 
en  effet  au  28  août,  et  aussi  de  re  qu'il  ne  connaissait  sans  doute  pas 
encore  à  celte  époque  le  Mémoire  spécial  que  bandeau  avait  rédigé 
depuis  le  2."i  août  ;  il  est  probable  que  la  copie  de  ce  Mémoire  que 
Samt-Simon  avoit  dans  ses  Papiers  ne  lui  parvint  que  plus  tard,  ou 
qu'il    en  avoit  oublié   l'existence.   Voyez   ci-après    l'Appendice,  p.  33o. 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        807 

bellan  entrât.  Il  ne  buvoit  depuis  longues  années  que  du  vin  de  Bour- 
ijogne,  si  vieux  qu'il  étoit  entièrement  usé,  avec  la  moitié  d'eau,  et 
jamais  d'autre  vin,  ni  d'aucune  sorte  de  liqueur  quelconque,  ni  thé, 
ni  café,  ni  chocolat  jamais.  En  se  levant  seulement  deux  tasst's  de  sauge 
et  de  véronique  ;  souvent  entre  ses  repas  des  verres  d'eau,  avec  un  peu 
d'eau  de  fleurs  d'orange,  qui  tenoient  plus  de  chopine,  et  toujours  à  la 
glace  ;  et,  comme  il  devenoit  de  plus  en  plus  resserré,  M.  Fagon  lui  faisoit 
manger  beaucoup  de  fruits  à  la  glace,  et  surtout  des  ligues  pourries 
d'être  mûres,  à  l'entrée  de  son  repas.  Toute  l'année,  il  mangeoil  à 
souper  une  quantité  prodigieuse  de  salade,  et  il  redoubla  ce  régime 
dans  cet  été  ;  à  la  tin,  ces  fruits,  pris  en  entrant  à  table,  lui  noyèrent 
l'estomac,  en  émoussèrent  les  digestifs,  lui  ôtèrent  l'appétit,  et  tour- 
nèrent son  sang  en  gangrène  à  force  d'en  diminuer  les  esprits,  ce  qui 
fut  la  cause  de  sa  mort,  comme  on  le  reconnut  à  l'ouverture  de  son 
corps,  dont  les  parties  se  trouvèrent  si  belles  toutes  et  si  saines,  qu'il  y 
a  lieu  de  juger  qu'il  auroit  passé  le  siècle.  Son  estomac  surprit  surtout 
et  ses  boyaux  par  leur  volume  au  double  d'un  autre  homme,  d'oîi  lui 
venoit  d'être  si  grand  mangeur  et  si  égal.  On  ne  songea  aux  remèdes 
que  quand  il  ne  fut  plus  temps,  parce  que  Fagon  ne  voulut  jamais  le 
croire  malade,  et  que  l'aveuglement  de  Mme  de  Maintenon  fut  pareil  à 
cet  égard,  quoiqu'elle  eût  bien  su  prendre  toutes  les  précautions  pos- 
sibles pour  Saint-Cyr  et  pour  M.  du  Maine.  Parmi  tout  cela,  le  Roi 
sentit  son  état  avant  eux,  et  le  disoit  quelquefois  à  ses  valets  inté- 
rieurs. Fagon  le  rassuroit  toujours,  sans  lui  rien  faire,  et  le  Roi  se 
contentoit  de  ce  qu'il  disoit,  sans  en  être  persuadé; mais  son  amitié  le 
retenoit,  et  Mme  de  Maintenon  encore  plus*... 


1237.  Le  duc  du  Maine  passe  en  revue  la  gendarmerie. 
(Page  201-202.) 

2*2  août  4713.  —  Les  deux  dernières  actions  du  Roi  furent  pour  ses 
bâtards,  ainsi  que  furent  ses  dispositions  dernières,  pour  qu'il  ne 
manquât  rien  à  sa  consommation  pour  eux.  La  première  fut  un  ordre, 
l'autre  une  grâce.  L'ordre  vint  à  l'occasion  de  la  gendarmerie,  que  le 
Roi  avoit  fait  venir  des  frontières  autour  de  Versailles  pour  la  voir. 
N'en  ayant  plus  la  force  et  méditant  tout  pour  M.  du  Maine,  il  le  traita 
comme  David  lit  Salomon  quand  il  le  voulut  faire  connoîtreson  succes- 
seur; il  lui  ordonna  d'aller  tenir  sa  place,  et  à  ce  corps  d'élite  de  le 
reconnoître  comme  lui-même.  M.  du  Maine  en  alla  donc  faire  la  revue, 
y  donner  tous  les  ordres,  se  faire  rendre  compte  de  tout,   et  en  rece- 

1.  Toute  la  suite  de  cette  très  longue  Addition  contient  le  résumé  du 
règne,  le  portrait  de  Louis  XIV  et  le  tableau  de  sa  vie,  et  a  été  ia  pre- 
mière rédaction  et  le  canevas  de  toute  la  partie  des  Mémoires  qui 
formera  notre  prochain  volume  :  nous  l'y  renvoyons  en  conséquence. 


308  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

voir  tous  los  honneurs.  Pour  que  rien  ne  manquât  à  son  triomphe,  le 
Roi  voulut  que  le  Dauphin  vît  en  celte  occasion  pour  la  première  fois 
des  troupes,  pour  l'accoutumer  à  les  voir  sous  M.  du  Maine.  M.  le  duc 
d'Orléans,  qui  y  avoit  des  compaj^nies,  avoit  par  cela  même  un  titre 
particulier  pour  cette  fonction,  sans  parler  de  celui  de  sa  naissance  et 
de  l'état  si  menaçant  du  Roi.  Il  alla  à  la  revue  ;  tout  y  courut  à  lui  ; 
il  renvoya  tout  à  M.  du  Maine,  et  déclara  qu'il  n'étoit  là  que  comme 
un  simple  capitaine  de  gendarmerie  pour  faire  sa  cour  à  M.  le  Dau- 
phin. M.  du  Maine  pâlit  en  voyant  le  duc  d'Orléans;  il  se  trouva  con- 
fondu. Tous  deux  y  sentirent  les  prémices  de  ce  qui  les  attendoit  ;  les 
troupes  furent  frappées  du  contraste,  et  le  public  s'en  expliqua  avec 
indignation  * 

i^aS.  Le  duc  de  Noailles  et  le  duc  de  Saint-Simon. 

(Page  215.) 

1'"'  septembre  1715-.  —  L'éclat  qui  arriva  sur  les  ducs^,  que  les 
Mémoires  ne  font  ici  que  pincer,  mérite  d'être  rapporté  pour  la  curio- 
sité des  causes  et  des  suites,  etd'en  reprendre  les  choses  de  plus  haut. 
Il  exige  encore  de  parler  de  deux  hommes  qui  sont  pleins  de  vie,  quoi- 
qu'on ait  eu  soin  de  l'éviter  dans  ces  Additions,  où  on  a  observé  de  ne 
bien  faire  connoître  que  les  morts  ;  aussi  glisserons-noussur  les  vivants 
dont  il  sera  impossible  de  se  taire,  et  on  tâchera  de  ne  les  toucher 
qu'en  ce  qui  sera  indispensablement  lié  avec  les  choses  qui  méritent 
d'être  rapportées,  et  qui,  sans  cette  légère  connoissance.demeureroieni 
estropiées  ou  ne  seroient  pas  entendues.  Avant  donc  de  rapporter  cet 
éclat  sur  les  ducs,  il  est  nécessaire  de  dire  un  mot  des  ducs  de  Saint- 
Simon  et  de  Noailles,  de  leur  liaison  et  de  leur  rupture.  Tous  deux 
de  plus  ont  figuré  pendant  la  Régence,  et  le  duc  de  Noailles,  fait 
maréchal  de  France  en  1734,  commande  l'armée  d  Italie  en  1733*. 

Il  faut  se  souvenir  de  ce  qui  se  trouve  dans  ces  Additions  sur  la  situa- 
tion personnelle  du  duc  de  Noailles  à  son  dernier  retour  d'Espagne  en 
1711,  perdu  avec  le  roi  et  la  reine  d'Espagne  et  Mme  des  Ursins,  et 
plus  perdu,  s'il  se  pouvoit  encore,  auprès  du  Roi,  de  Monsieur  le 
[Dauphin]  et  de  Madame  la  Dauphine,  et  de  Mme  de  Maintenon,  sa 
tante  et  sa  grande  protectrice,  pour  avoir  voulu  donner  une  maîtresse 
au  roi  d'Espagne,  et  perdre,  de  concert  avec  le  comte  d'Aguilar,  la 
reine  d'Espagne  et  Mme  des  Ursins  de  crédit  par  ce  moyen.  Il  faut  en 

1.  La  suite  de  cette  Addition  a  été  placée  ci-dessus  sous  Ipd»  12I55. 

2.  Pour  la  raison  indiquée  ci-dessus,  p.  297,  note  1,  la  présente  Addi- 
tion se  trouve  à  l'ancienne  page  o91  du  manuscrit,  folio  nouveau 
303  v,  et  non  point  en  re;:ard  de  la  date  à  laquelle  elle  se  rapporte. 

3.  A  propos  de  leur  prétendu  désir  d'être  présentés  au  jeune  Roi  à 
part  du  corps  de  la  noblesse. 

4.  C'est  donc  eu  17.'i5  que  Saint-Simon  a  rédigé  cette  Addition. 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        309 

même  temps  ne  pas  perdre  de  vue  ce  qu'on  a  vu  plus  d'une  fois  dans 
ces  Additions  de  l'adresse  de  la  princesse  des  Ursins  à  persuader 
Mme  de  Maintenon  que  son  pouvoir  n'étoit  que  le  sien,  et  que  celle-ci 
gouvernoit  l'Espagne  par  l'autre,  moyennant  quoi  Mme  de  Maintenon 
ne  se  tenoit  ni  moins  attaquée  ni  moins  ofTensée  que  Mme  des  Ursins 
même,  ce  qui  fit  ce  comble  de  puissance  de  la  dernière,  par  l'excès 
de  domination  et  d'aveuglement  de  la  première,  qui  la  soutint  avec 
fureur  en  tout  et  partout,  jusqu'aux  époques  qui  ont  été  rapportées 
de  sa  décadence.  Mme  des  Ursins  en  étoit  encore  éloignée  en  1711, 
et  Mme  de  Maintenon,  pleinement  persuadée  qu'elle  régnoit  en  Espa- 
gne par  Mme  des  Ursins,  étoit  intiniment  animée  contre  un  neveu 
qui  lui  devoit  tant,  d'avoir  osé  concevoir  le  dessein  de  renverser  cet 
empire,  et  attenté  à  travailler  à  s'en  emparer  lui-même.  Il  faut  de  plus 
ne  pas  oublier  que,  de  quelque  détachement  et  de  quelque  piété  que 
fût  le  duc  de  Beauvillier,  il  n'étoit  pas  possible  qu'il  eût  effacé  de  son 
esprit  le  péril  que  les  iVoailles  avoient  fait  courir  à  ses  places,  lors  de 
l'éclat  de  l'affaire  de  Monsieur  de  Cambray;  qu'il  vivoit  en  consé- 
quence avec  eux  autant  que  la  conscience  le  lui  pouvoit  permettre,  et 
eux  avec  lui  comme  avec  un  homme  qu'ils  n'avoient  pu  renverser,  et 
qui  n'ignoroit  pas  que  ses  places  étoient  destinées  au  maréchal  de 
Noailles,  lequel  n'avoit  pu  pardonner  à  son  frère  de  les  avoir  sauvées 
au  duc  de  Beauvillier,  et  que,  malgré  un  si  généreux  et  important 
service,  ce  qui  s'étoit  passé  dans  l'affaire  de  l'archevêque  de  Cambray, 
de  la  part  du  cardinal  de  Noailles,  étoit  demeuré  obstacle  invincible  à 
plus  qu'une  très  simple  bienséance  entre  le  duc  de  Beauvillier  et  ce 
cardinal,  dont  la  décadence  commençoit  à  pointer,  tandis  que  le  [duc 
de]  Beauvillier  et  son  pupille,  qui  n'étoient  qu'un,  reprenoient  un 
crédit  qui  fut  incontinent  porté  au  plus  haut  point  par  la  mort  de 
Monseigneur.  Telle  étoit  donc  la  très  triste  situation  du  duc  de  Noailles 
à  son  dernier  retour  d'Espagne. 

Dans  cet  état  il  ne  cessa  de  jeter  les  yeux  de  tous  côtés  pour  cher- 
cher à  se  raccrocher.  Voysin  et  Mme  de  Maintenon  n'étoient  qu'un, 
M.  du  Maine  encore  davantage;  nul  moyen  de  ces  côtés-là.  Pont- 
chartrain  le  connoissoit,  et  de  plus  n'étoit  à  aucune  portée,  et  son 
lils,  haï  de  tout  le  monde,  encore  moins.  Le  comte  de  Toulouse 
n'entroit  dans  rien,  et  Desmaretz  en  assez  peu  de  chose  ;  faute  de 
mieux,  il  s'attacha  à  lui,  pour  tenir  au  moins  à  quelque  ministre,  à 
qui  les  tinances  donnoient  un  grand  accès  auprès  du  Roi  et  de 
Mme  de  Maintenon,  mais  qui,  timide  et  d'ailleurs  plein  d'humeur%  ne 
pouvoit  bien  répondre  à  ses  désirs.  D'Antin  lui  fut  plus  d'usage  ;  mais 
il  ne  fut  jamais  que  souffert  par  Mme  de  Maintenon,  et  il  étoit 
courtisan  trop  avisé  pour  se  faire  un  démérite  auprès  d'elle  en  ha- 
sardant trop  auprès  du  Roi  pour  leducdeNoailles.  Dans  cet  embarras,  il 

i.  Le  copiste  avait  écrit  à  tort  d'honneur  ;  Saint-Simon  a  biffé,  et  écrit 
en  interligne  humeur. 


340  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

s'avisa  de  rechercher  le  duc  de  Saint-Simon,  quoique  jusqu'alors  sans 
aucun  commerce  avec  lui,  et  ce  fut  son  salut,  puis  sa  grandeur,  que 
cette  recherche. 

Le  duc  de  Saint-Simon  passoit  à  la  cour  une  vie  extérieurement 
oisive,  effeclivement  très  occupée.  Il  étoit,  dès  son  entrée  dans  le 
monde,  dans  la  liaison  la  plus  intime  avec  le  duc  de  Beauvillier,  dont 
il  avoit  passionnément  désiré  d'épouser  une  tille.  Il  la  lui  avoit  de- 
mandée lui-même,  sans  autre  dot  ni  condition  que  celle  qu'il  pres- 
criroit  lui-même.  L'aînée  voulut  être  religieuse  ;  la  seconde  étoit  dé- 
figurée ;  les  autres  étoient  trop  jeunes.  Il  voulut  attendre  l'âge;  enfin 
tout  se  traita  de  telle  sorte  entre  eux,  que  M.  de  Beauvilllier  ne  l'ou- 
blia jamais,  qu'il  le  regarda  et  le  traita  toujours  comme  son  gendre, 
et  que,  trouvant  en  lui  des  qualités  qui  réparoient  la  disproportion  en- 
tière des  âges  et  des  postes,  il  prit  peu  à  peu  contiance  en  lui,  et 
telle  entin  que,  jusqu'à  sa  mort,  ils  s'ouvroient  réciproquement,  sur 
tout,  leur  cœur  et  leur  âme,  et  le  duc  de  Chevreuse  par  une  consé- 
quence nécessaire.  Saint-Simon  s'étoit  fait  plusieurs  amis  véritables 
des  principaux  personnages  de  la  cour  en  hommes  et  en  femmes.  La 
sienne,  tille  du  maréchal  de  Lorge,  avec  laquelle  il  vivoit  dans  la 
plus  tendre  et  la  plus  entière  contiance,  éloit  celle  de  la  cour  qui  étoit 
la  plus  respectée  pour  sa  vertu,  la  plus  généralement  aimée  pour  sa 
douceur,  sa  droiture  et  la  singulière  bonté  de  son  esprit,  la  moins 
crainte  par  la  sagesse  de  son  caraclère,  et  par  un  esprit  moins  bril- 
lant que  juste  et  sensé,  et  par  sa  conduite  unie.  Elle  attira  de  son  côté 
beaucoup  d'amis  et  de  considération  à  son  mari,  et  lui  fut  inliniment 
utile  par  ses  conseils;  on  l'a  vue,  dans  ces  Mémoires  et  dans  ces  Ad- 
ditions, mise  malgré  elle  et  malgré  son  mari  auprès  de  Mme  la 
duchesse  de  Berry,  où  elle  acheva  de  se  faire  admirer,  et  d'où  Ma- 
dame la  Dauphine  la  deslinoit  à  la  mettre  auprès  d'elle,  dés  aupara- 
vant même,  quand  la  duchesse  du  Lude  viendroit  à  manquer. 

Le  duc  de  Noailles  comprit  qu'en  gagnant  le  duc  de  Saint  Simon, 
c'étoit  la  route  de  se  rapprocher  du  duc  de  Beauvillier,  et  par  lui  du 
Dauphin,  et  de  l'un  à  l'autre  de  se  remettre  en  selle  au  moins  pour 
le  règne  futur  ;  c'est  ce  qui,  à  faute  de  mieux,  le  détermina.  Il  y 
trouva  encore  un  autre  avantage,  et  cet  avantage  léger  alors  devint  le 
principal  à  force  de  malheurs.  Il  avoit  donné  à  M.  le  duc  d'Orléans 
ce  Regnault  qui  fut  arrêté  en  Espagne  avec  Flotte  ;  Regnaull  avoit 
commis  des  imprudences  étranges,  qui  toutes  avoient  porté  à  plomb 
sur  M.  le  duc  d'Orléans.  Il  en  avoit  été  outré,  e*  cela  avoit  brouillé  le 
duc  de  Noailles  avec  lui.  Quoique  ce  prince  fût  alors  dans  une  situa- 
tion fâcheuse,  celle  du  duc  de  Noailles  avec  lui  im|)orluiioit  fort  ce 
dernier,  qui  n'avoit  besoin  d'être  mal  avec  personne,  qui  craignoit  et 
qui  ménageoil  tout,  encore  plus  un  prince  de  ce  rang.  M.  de  Saint- 
Simon,  qui  étoit  de  même  âge  que  lui,  avoit  passé  son  enfance  à  aller 
jouer  avec  lui  ;  l'amitié  s'étoit  mise  entre  eux  avec  l'âge.  Le  tourhillon 
de  la  jeunesse  du   prince  ralentit  le   duc  de    lui    faire  sa  cour  ;  cette 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        311 

interruption  dura  plusieurs  années.  Vint  un  voyage  de  Saint-Cloud  où 
ils  voulurent  avoir  des  dames  un  peu  trayées,  quoiqu'avec  un  reste  de 
celles  de  la  cour  de  feu  Monsieur,  impossibles  à  éviter  ;  la  duchesse  de 
Saint-Simon  en  fut  conviée  et  pressée  ;  elle  y  alla  de  la  Ferté,  où  son 
mari  demeura  cependant.  On  se  plaignit  à  elle  de  son  absence.  Mme 
de  Fontaine-Martel,  belle-sœur  du  feu  marquis  d'Arcy,  qui  avoit  été 
gouverneur  du  duc  d'Orléans,  et  qui  étoit  des  amies  de  M.  de  Saint- 
Simon,  demanda  à  M.  le  duc  d'Orléans  pourquoi  il  ne  le  voyoit  plus; 
le  prince  répondit  avec  toutes  sortes  d'amitié.  Au  retour  à  Versailles, 
le  commerce  se  renoua  ;  l'ancienne  amitié  se  retrouva  tout  entière; 
elle  ne  tit  que  s'auj^menter  depuis  ;  la  confiance  fut  pareille.  Le  prince 
y  trouva  des  ressources  ;  il  s'accommoda  d'un  homme  qui  lui  par- 
loit  franchement  et  qui  n'enlroit  dans  aucune  de  ses  parties  ni  de  ses 
plaisirs.  Il  en  reçut  un  service  décisif  dans  son  affaire  d'Espagne,  qui 
tit  un  si  grand  bruit,  et  qui  éloigna  tout  le  monde  de  lui,  au  point 
que  M.  de  Saint-Simon  y  demeura  seul  de  toute  la  cour,  et  eut  le 
bonheur  de  n'y  laisser  rien  du  sien,  pas  même  le  plus  léger  soupçon. 
Ce  fut  lui  qui  le  sépara  de  Mme  d'Argenton,  sur  le  point  que  le  Roi 
alloit  éclater,  lui  encore  qui  les  raccommoda,  Mme  la  duchesse  d'Or- 
léans et  lui,  desquels  il  devint  le  lien,  quoique,  auparavant,  M.  de 
Saint-Simon  ne  la  vît  jamais.  Par  celte  conduite,  M.  le  duc  d'Orléans 
se  raccommoda  avec  le  Roi  et  se  remit  un  peu  avec  le  monde,  toute- 
fois fort  retenu  par  la  considération  de  Monseigneur  et  par  celle  de 
Mme  de  Maintenon,  qui  le  haïssoient  ouvertement.  L'étonnant 
mariage  de  Mme  la  duchesse  de  Berry  fut  encore  principalement 
l'ouvrage  de  M.  de  Saint-Simon,  par  tout  ce  qu'il  sut  mettre  en 
œuvre  et  ce  qu'il  y  fit  du  sien,  et  Monseigneur  ne  lui  pardonna 
jamais. 

Cette  liaison  si  intime  et  si  fortement  cimentée  fut  encore  un  grand 
appât  au  duc  de  Noailles  pour  rechercher  M.  de  Saint-Simon,  et  par 
lui  se  rapprocher  de  M.  le  duc  d'Orléans,  dans  la  situation  très  dé- 
plaisante où  il  se  trouvoit  avec  lui.  M.  de  Saint-Simon  en  fut  donc 
recherché  avec  tout  l'art  et  les  grâces  rehaussées  du  voile  d'une  appa- 
rente simplicité,  et  il  fut  la  dupe  de  tout  ce  qui  lui  fut  présenté 
d'esprit,  de  raisonnement,  de  droiture,  de  désir  du  bien,  de  confor- 
mité de  goût.  Noailles  rapprocha  deux  amis  intimes  de  celui  qu'il 
vouloit  gagner;  les  liaisons  crûrent,  se  serrèrent;  l'amitié,  puis  la 
contiance  en  naquirent  de  la  part  de  l'assiégé,  dont  le  prix  fut  celui 
que  Noailles  s'étoit  proposé  à  l'égard  du  duc  de  Beauvillier  et  du  duc 
de  Chevreuse,  et  avec  plus  de  peine  encore  à  l'égard  du  duc  d'Or- 
léans. La  mort  du  Dauphin,  puis  du  duc  de  Berry,  tit  redoubler  de 
jambes  à  Noailles  auprès  de  Saint-Simon.  Ces  malheurs  en  avoient 
creusé  de  nouveaux,  et  des  plus  cruels,  au  duc  d'Orléans,  déserté  par 
tout  le  monde  jusqu'à  la  dernière  indécence.  M.  de  Saint  Simon  fut 
le  seul  qui  ne  l'abandonna  point,  et  qui  y  courut  de  grands  risques, 
qui  ne  furent  pas  capables  de  le  ralentir  un  moment  de  voir  ce  prince 


342  ADDITIO.NS  DE   SAINT-SIMON 

publiquomoiit  presque  tous  les  jours,  et  de  se  promener  seul  avec  lui 
et  très  souvent  à  Marly,  sous  les  yeux  du  Roi  et  de  toute  la  cour.  Il 
en  fut  souvent  averti  par  le  duc  de  Heauvillier  et  par  d'autres.  On 
avoit  commencé  à  pénétrer  quelque  chose  de  la  conliance  intime  du 
Dauphin  pour  lui,  mais  conduite  avec  les  plus  grandes  précautions 
pour  la  dérober  au  Hoi  surtout  et  au  monde  ;  sa  douleur  d'une  si  sen- 
sible perte  avoit  éclaté.  Sa  franchise  étoit  bien  connue  ;  sa  persévé- 
rance unique  à  vivre  comme  il  faisoit  avec  le  duc  d'Orléans  ne  cadroit 
pas  avec  ce  que  ses  ennemis  vouloient  faire  croire  de  ce  prince. 
Ils  avoient  toujours  pu  beaucoup,  et  ils  commenroient  i  tout  pou- 
voir; ils  frémissoieiit  d'une  fermeté  qui  les  contredisoit  par  elle-même. 
L'intrigue  qui  avoit  fait  le  mariage  de  la  duchesse  de  Herry  ne  leur 
étoit  plus  inconnue,  sinon  en  tout,  du  moins  en  partie,  qui  avoit  percé 
avec  le  temps.  D'autres  raisons  leur  faisoicnl  passionnément  désirer 
de  séparer  le  duc  d'Orléans  du  seul  ami  qui  lui  restât  ;  sa  conduite  en 
cette  longue  et  périlleuse  détresse  de  M.  le  duc  d'Orléans  fut  le  der- 
nier sceau  de  son  amitié  et  de  sa  conliance  pour  lui,  et  la  matière 
des  réflexions  de  bien  des  gens  qui,  malgré  la  situation  du  duc  d'Or- 
léans, sentoient  le  poids  de  sa  naissance,  ce  qui  l'attendoit  après  le 
Roi  vieux  et  sur  le  déclin,  ce  que  le  prince  devoit  de  retour  à  M.  de 
Saint-Simon,  et  tout  l'usage  qu'il  pouvoit  tirer  et  faire  de  cet  ami,  sur 
qui  le  monde  dès  longtemps  attentif  l'étoit  devenu  beaucoup  davan- 
tage. M.  de  Noailles  n'oublia  donc  rien  pour  se  mettre  le  plus  avant 
qu'il  put  dans  son  intimité  et  dans  sa  confiance,  et  il  avoit  tout  ce  qu'il 
ialloit  pour  y  réussir.  Ses  premiers  succès  élevèrent  ses  espérances  ; 
M.  de  Saint-Simon  l'avoit  raccommodé  avec  les  ducs  de  Chevreuse  et 
de  Heauvillier,  et  par  eux  avec  le  Dauphin.  Il  l'avoit  encore  tout  à  fait 
remis  avec  M.  le  duc  et  Mme  la  duchesse  d'Orléans.  Ce  prince  n'avoit 
plus  rien  entre  lui  et  le  timon  nécessaire  de  l'État,  que  le  Roi,  qui 
menaçoit  de  ne  pas  durer  longtemps,  et  un  Dauphin  dans  la  première 
enfance.  Noailles  se  doutoit  bien  que  M.  le  duc  d'Orléans  n'étoit  pas 
sans  penser  au  futur,  M.  de  Saint-Simon  encore  moins;  qu'il  éloit  le 
seul  avec  qui  le  piince  pût  s'en  ouvrir  et  se  conseiller.  Il  auroit  bien 
désiré  d'y  être  admis  en  tiers  pour  quelque  chose,  quoique  très  mesuré 
à  voir  M.  le  duc  d'Orléans,  pour  ne  donner,  disoit-il,  aucun  ombrage, 
mais  en  effet  pour  éviter  tout  inconvénient,  et  ne  laisser  pas  d'aller  à 
son  but.  L'affaire  de  son  oncle',  qui  s'aigrissoit  tous  les  jours, 
lui  fut  utile  pour  l'unir  de  plus  en  plus  avec  M.  de  Saint-Simon  ; 
celui-ci  l'avoit  vue  naître  et  croître.  Le  P.  Tellier,  qui  sans  le  connoître 
lui  avoit  voulu  être  présenté  en  arrivant  à  la  cour,  et  qui  le  ménageoit 
fort  à  cause  des  ducs  de  Chevreuse  et  de  Heauvillier  et  surtout  du 
Dauphin,  lui  avoit  parlé  de  cette  affaire  dès  les  commencements;  il 
l'en  entretenoit  sans  cesse  depuis  la  mort  du  Dauphin,  par  rapport  à  la 
situation  où    il  le  sentoit.   Ils  en  avoient  eu  souvent  des  disputes  fort 

1.  Ici  un  correcteur  a  ajouté  en  interligne  te  CariV, 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        313 

vives  et  même  fort  dangereuses,  sans  que  ce  rusé  jésuite  se  déprît  de 
ces  continuels  entretiens,  quoiqu'il  n'y  pût  rien  gagner.  Plus  Saint- 
Simon  avoit  vu  de  près  le  fonds  et  la  conduite  de  cette  affaire,  plus  il 
le  détestoit.  Outre  la  facilité  que  cette  manière  de  penser  préseiitoit  à 
Noailles  de  s'unir  de  plus  en  plus  avec  lui,  il  comptoit  encore  s'en  faire 
un  moyen  pour  relever  son  oncle  et  pour  s'élever  et  s'accréditer  par 
lui.  Le  duc  de  Saint-Simon  n'avoit  été  en  aucune  mesure  avec  le 
cardinal  de  Noailles  jusqu'à  sa  disgrâce;  il  y  avoit  même  eu  des  choses 
qui  l'avoient  sourdement  aliéné  de  lui.  L'indignation  qu'il  conçut  de 
tout  ce  qu'il  voyoit  si  clairement  et  si  fort  de  la  première  main  l'en- 
gagea à  l'aller  voir  après  la  défense  signitiée  au  cardinal  de  se  présenter 
devant  le  Roi,  et  de  l'avertir  de  plusieurs  pièges.  Ce  fut  lui  encore  qui 
proposa  au  duc  de  Beauvillier  et  au  Dauphin,  quand  l'affaire  lui  eut 
été  envoyée  par  le  Roi,  d'y  mettre  Bezons,  archevêque  de  Bordeaux, 
pour  lui  en  rendre  compte,  et  l'archevêque  instruisoit  journellement 
Saint-Simon  de  tout.  Entin,  la  dernière  fois  que  ce  duc  travailla  avec 
le  Dauphin,  comme  cela  arrivoit  assez  souvent  et  toujours  longuement, 
mais  fort  secrètement  tête  à  tête,  il  lui  ordonna  de  s'instruire  à  fonds 
tant  de  cette  matière  que  de  celles  des  libertés  de  l'Eglise  gallicane, 
parce  qu'il  vouioit  les  examiner  avec  lui;  qu'il  lui  en  rendît  compte,  et 
finir  avec  lui  l'affaire  du  cardinal  de  Noailles,  dont  il  lui  fit  l'éloge, 
et  ajouta  qu'on  ne  lui  persuaderoit  jamais  qu'il  fût  janséniste,  ni  rien 
contre  sa  doctrine  et  la  droiture  de  ses  intentions;  mais  ce  prince, 
dont  la  France  n'étoit  pas  digne,  mourut  quinze  jours  au  plus  après. 
Depuis  ce  malheur,  le  duc  de  Saint-Simon  ne  laissa  pas  de  continuer 
à  être  toujours  fort  au  fait  de  cette  affaire,  et  demeura  en  liaison  avec 
le  cardinal  de  Noailles,  dont  son  habile  neveu  sut  tirer  pour  la  sienne 
tout  le  parti  qu'il  en  put. 

Un  autre  lien  les  unit  encore.  On  se  souvient  de  l'affaire  du  bonnet, 
mise  en  avant  par  M.  du  Maine  de  manière  à  ne  pouvoir  reculer.  Il 
est  temps  de  la  reprendre  assez  pour  expliquer  l'éclat  arrivé  sur  les 
ducs,  qui  a  donné  lieu,  pour  le  bien  entendre,  à  ce  qui  vient  d'être 
raconté  des  ducs  de  Saint-Simon  et  de  Noailles.  On  a  vu  le  commence- 
ment de  la  perfidie  qu'on  avoit  bien  soupçonnée,  mais  dont  il  n'y  avoit 
pas  eu  moyen  de  se  défendre,  et  les  plaintes  également  amères  et  sans 
fondement  que  le  premier  président  ht  du  mémoire  si  court,  si  sage 
et  si  simple,  et  à  lui  communiqué  six  jours  durant  et  par  lui  renvoyé  à 
d'Antin  sans  y  avoir  trouvé  rien  à  reprendre,  présenté  au  Roi  par  d'An- 
tin,  avec  l'approbation  de  M.  du  Maine,  loué  par  le  Roi  et  communiqué 
par  S.  M.  au  premier  président  ensuite,  pour  répondre  et  agir  après. 
Ce  magistrat  fit  des  assemblées  chez  lui  ;  le  Roi  voulut  que  des  ducs 
s'y  trouvassent,  et  la  dissimulation  fut  portée  jusqu'à  ce  point  que  le 
Roi,  si  jaloux  de  la  dignité  de  son  moindre  service,  voulut  que  les  ducs 
d'Aumont,  premier  gentilhomme  de  la  chambre  en  année,  et  de  la  Ro- 
chefoucauld, grand  maître  de  la  garde-robo,  s'y  trouvassent,  quoique  le 
hasard  ht  qu'il  n'y  eût  point  ce  jour-là  d'autres  premiers  gentilshommes 


M\  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

do  la  chambre  pour  servir  à  la  place  de  M.  d'Aiimonl  ;  que  M.  de  Bouil- 
lon, grand  chambellan,  ne  fût  point  non  plus  à  Marly.  et  que  M.  de  la 
Rochefoucauld,  absent  pour  mi^me  cause,  n'y  put  suppléer.  Ils  le  repré- 
sentèrent au  Roi  :  qu'il  seroit  réduit  à  ôtre  servi,  même  à  son  petit  cou- 
vert, par  Souvré,  maître  de  la  fjarde-robo  en  année,  que  personne  à  la 
cour  ne  se  souvenoit  que  cela  lût  jamais  arrivé  ;  le  Roi  tint  bon,  et  cela 
arriva  trois  fois  presque  de  suite.  Ces  conférences  n'aboutirent  à  rien; 
ce  n'étoit  pas  aussi  leur  destination.  Faute  de  raisons,  le  premier  prési- 
dent substitua  des  procédés,  M.  du  Maine  des  désespoirs  et  des  excuses. 
L'éclat  suivit  contre  le  premier  président;  les  ducs  convinrent  de  vivre 
désormais  avec  lui  en  ennemis  déclarés,  et  se  soutinrent  longtemps  de 
la  sorte.  Mesmes  fut  outré;  il  se  plaignit  au  Roi.  On  a  vu  dans  les  Mé- 
moires ce  que,  appuyé  secrètement  de  M.  du  Maine,  il  attira  au  duc  de 
Tresmes;  mais  d'ailleurs  le  Roi  ne  se  voulut  mêler  de  rien.  Enlin, 
poussé  à  bout,  il  s'en  prit  à  M.  du  Maine,  qui,  ayant  son  compte  d'avoir 
brouillé  hautement  les  pairs  avec  le  Parlement,  laissoit  le  premier  pré- 
sident seul  exposé  à  leur  ressentiment.  M.  du  Maine,  qui  n'avoit  garde 
de  se  broudier  avec  lui.  fut  bien  en  peine,  parce  qu'il  espéroit  toujours 
Se  présenter  aux  du(  s  et  se  cacher  derrière  lui  ;  [il]  chercha  donc  quel- 
que voie  de  sortir  de  l'embarras  où  il  commençoit  à  se  trouver  lui- 
même.  L'expédient  qu'il  prit  fit  voir,  avec  une  étrange  évidence,  et  le 
degré  de  sa  puissance  sur  le  Roi,  et  l'excès  de  ses  inquiétudes  sur  le 
succès  de  tout  ce  qu'il  en  avoit  obtenu.  II  proposa  aux  mêmes  ducs  à 
qui  il  s'étoit  adressé  d'abord  pour  le  bonnet,  une  conférence  i\  Sceaux 
avec  Mme  du  Maine,  dans  laquelle  il  espéroit  qu'on  poiirroit  trouver 
de  bons  expédients.  Ils  s'en  défendirent  tant  qu'ils  purent;  mais,  à 
force  d'empressement,  la  même  raison  (]ui  les  avoit  forcés  d'entrer 
avec  lui  dans  l'affaire  du  bonnet  les  força  enlin  d'accepter  un  rendez- 
vous  dont  ils  voyoient  assez  qu'il  n'y  avoit  rien  à  attendre,  qu'un  pré- 
texte à  faire  casser  la  corde  sur  eux;  ce  fut  donc  à  qui  n'iroit  point. 
Entin,  M.  de  la  Force,  à  qui  tout  étoit  bon  pourvu  qu'il  se  mêlât  de 
quelque  chose,  et  M  d'Aumont,  qui  tôt  après  ne  se  cacha  plus  guères 
d'avoir  été  un  pigeon  privé,  se  chargèrent  de  la  commission,  et  bien 
valut  aux  autres  de  ne  l'y  avoir  pas  laissé  aller  seul,  comme  il  le  vou- 
loit.  Mme  du  Maine  les  reçut  à  Sceaux  avec  des  politesses  et  des  em- 
pressements non  pareils,  et,  un  moment  après  leur  arrivée,  les  mena 
dans  son  cabinet,  où  elle  fut  en  tiers  avec  eux.  Là,  après  tous  les  jar- 
gons de  préface,  elle  leur  dit  nettement  que,  puisque  c'étoil  M.  du 
Maine  qui  les  avoit  engagés  dans  cette  affaire,  qu'il  s'étoit  fait  fort  d'y 
réussir,  qu'ils  la  regardoient  comme  si  principale,  surtout  depuis  qu'elle 
avoit  été  embarquée  et  qu'elle  sembloit  avoir  mal  basté,  il  étoit  rai- 
sonnable que  M.  du  Maine  mît  le  tout  pour  le  tout  pour  les  en  bien 
sortir;  mais  qu'aussi  éloit-il  juste  qu'il  fût  assuré  d'eux  qu'il  n'obli- 
geroit  pas  des  ingrats,  et  qu'ils  entrassent  avec  lui  dans  des  engage- 
ments sur  lesquels  il  put  compter.  A  ce  début,  ces  Messieurs  se  regar- 
dèrent et  parurent  fort  surpris  d'une  proposition  qu'ils  entendoient 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        345 

pour  la  promière  fois  de  leur  vie,  et,  si  elle  fut  moins  nouvelle  au  duc 
d'Aumont  qu'à  l'autre,  au  moins  joua-t-il  bien  d'abord.  Mme  du  Maine 
les  cajola  l'un  après  l'autre,  puis  les  ducs  en  général,  et  leur  dit  qu'ils 
ne  dévoient  point  s'étonner  de  ce  qu'elle  leur  proposoit;  qu'il  étoit  de 
leur  intérêt  d'emporter  ce  qui  étoit  entamé  ;  qu'il  étoit  de  celui  de 
M.  du  Maine  de  s'assurer  de  tant  de  grands  seigneurs,  qui  n'avoient 
pas  vu  sans  peine  ses  diverses  élévations;  qu'il  en  étoit  bien  informé, 
il  y  avoit  longtemps;  qu'il  ne  laissoit  pas  de  désirer  leur  amitié,  et 
qu'ils  le  voyoient  bien  par  les  démarches  qu'il  avoit  faites  sur  cette 
affaire,  mais  qu'il  entendoit  aussi  que  le  succès  les  lui  concilieroit  de 
manière  à  éteindre  en  eux  leurs  anciens  déplaisirs  à  son  égard  et  à 
former  un  attachement  dont  il  se  pût  assurer,  et  que  c'étoit  sur  quoi 
elle  les  prioit  de  lui  répondre.  Là-dessus,  force  compliments,  force  ver- 
biages, dont  elle  leur  déclara  qu'elle  ne  se  satisl'aisoit  point.  Eux,  de 
leur  part,  répondirent  qu'ils  ne  savoient  rien  dire  que  les  sentiments 
qu'ils  lui  exposoient,  puisque,  ne  s'agissant  derien  de  précis,  ils  n'avoient 
aussi  rien  à  refuser  ni  à  accepter.  Là-dessus,  Mme  du  Maine,  voyant 
qu'elle  ne  pouvoit  les  faire  avancer,  et  que  la  Force,  comme  l'ancien,  et 
dont  la  mission  étoit  de  se  défier  de  l'autre,  prenoit  toujours  la  parole 
et  ne  la  lui  laissoit  jamais,  prit  son  parti  de  parler  la  première.  Elle 
leur  dit  donc  qu'après  toutes  les  grâces  dont  le  Roi  venoit  de  combler 
M.  du  Maine,  et  en  particulier  celle  de  l'habilité  à  succéder  à  la  cou- 
ronne, il  n'avoit  plus  rien  à  en  désirer;  mais  qu'en  même  temps  il 
n'étoit  pas  assez  peu  considéré,  pour  ne  pas  voir  que  cette  disposition 
et  d'autres  qui  avoient  précédé  celle-là  pouvoient,  non  pas  être  dispu- 
tées après  le  Roi,  qui  les  avoit  bien  solidement  munies  de  tout  ce  qui 
les  pouvoit  bien  assurer,  mais  donner  occasion  d'aboyer  et  de  crier, 
d'exciter  des  princes  du  sang  jeunes  et  sans  expérience,  quoique  si  liés 
à  eux  par  des  alliances  si  proches  et  si  redoublées,  donner  envie  aux 
pairs  de  se  joindre  à  eux  contre  M.  du  Maine,  entin  de  les  tracasser; 
que  M.  du  Maine  vouloit  éviter  ces  inconvénients,  et  jouir  paisible- 
ment de  tout  ce  qui  lui  avoit  été  accordé,  et  que  c'étoit  à  eux  à  voir 
s'ils  vouloient  s'engager  avec  lui  sur  ce  pied-là  d'une  manière  non 
équivoque.  M.  d'Aumont  saisissant  la  parole,  M.  de  la  Force  la  lui 
prit,  en  l'interrompant  sur  ce  qu'il  enfiloit  plus  que  des  compliments, 
et,  après  en  avoir  fait  quelques-uns,  il  se  mit  à  vanter  la  solidité  de  ce 
que  M.  du  Maine  avoit  obtenu,  et  la  solennité  des  formes  qui  y  avoient 
été  gardées,  et  conclut  que  c'étoit  là  une  terreur  panique  sur  des  choses 
que  personne  n'avoit  aucun  moyen  d'attaquer.  Mme  du  Maine  répliqua 
que,  s'ils  n'en  avoient  point  de  moyens,  il  n'en  falloit  pas  conserver  la 
volonté;  que  cela  ne  se  prouvoit  point  par  des  propos,  mais  par  des 
choses,  et  que  c'étoit  à  eux  à  voir  quelles  étoient  ces  choses  dans  les- 
quelles ils  se  voudroient  engager.  M.  de  la  Force,  de  plus  en  plus  sur- 
pris de  tout  ce  qu'il  entendoit,  et  qui  voyoit  déjà  oii  elle  en  vouloit 
venir,  se  défendit  sur  ce  qu'il  n'imaginoit  rien  au  delà  de  ce  qu'il  lui 
venoit  de  dire;  qu'il  y  ajouteroit  de  plus  toutes  les  protestations  qu'elle 


3ir>  ADDITrONS   DK   SAINT-SIMON 

estimcroil  Tassuivr  de  Itnirs  intentions;  qu'elle  avoit  vu  que  pas  un 
d'eux  n'avoit  opposé  quoi  que  ce  lût  à  toutes  les  volontés  du  Roi  à 
l'égard  de  M.  du  Maine,  et  revint  encore  à  leur  solidité.  Mme  du  Maine, 
forcée  entin  d'articuler,  leur  déclara  que,  si  c'étoit  sincèrement  qu'ils 
parloient  tant  pour  eux  (jue  pour  les  autres,  il  ne  leur  coûteroil  rien 
de  lui  donner  une  assurance  par  écrit  de  soutenir,  après  le  Roi,  ce 
qu'il  avoit  réglé  de  son  vivant  en  faveur  de  ses  lils  naturels  et  de  leur 
postérité,  tant  pour  leurs  rangs,  honneurs,  etc.,  que  pour  leur  succes- 
sion à  la  couronne.  M.  de  la  Force,  qui  l'avoit  prévu  dès  le  commen- 
cement de  cette  forte  conversation,  la  supplia  de  considérer  ce  qu'elle 
leur  proposoit  ;  de  faire  réflexion  si  des  sujets,  quels  qu'ils  fussent, 
pouvoient  sans  crime  s'arroger  l'autorité  et  le  droit  de  conlirmer  les 
dispositions  du  Roi  vivant  et  régnant;  enfin,  de  jeter  les  yeux  sur  la 
juste  jalousie  du  Roi  sur  son  autorité,  et  sur  les  folles  calomnies  que 
le  premier  président  avoit  osé  leur  imputer  à  ce  môme  égard  d'auto- 
rité et  au  Roi  même,  et  qu'ils  ne  pouvoient  ignorer,  puisque  le  Roi  les 
avoit  rendues  au  duc  d'Antin,  lequel  lui  en  avoit  démontré  la  noirceur 
et  la  folie.  Mme  du  Maine  eut  à  peine  la  patience  d'entendre  cette 
courte  réponse.  La  Force  continuoit  pour  l'étendre;  elle  l'interrompit 
avec  un  feu  qu'elle  ne  put  plus  contenir,  et  lui  dit  qu'elle  s'en  étoit  tou- 
jours bien  doutée,  que  les  ducs  ne  cherchoienl  que  des  échappatoires, 
mais  que  pour  celle-là  elle  les  tenoit,  et  qu'elle  leur  répondoit  que  le 
Roi  non  seulement  ne  seroit  point  offensé  de  l'écrit  qu'elle  leur  deman- 
doit,  mais  qu'il  leur  en  sauroit  même  fort  bon  gré,  et  que  M.  du  Maine 
s'en  faisoit  fort.  Dans  l'étourdissement  où  la  réflexion  à  la  chose,  quoi- 
que prévue,  et  la  vivacité  de  la  réplique  mirent  la  Force,  Aumont  em- 
pauma  prestement  la  voie,  et,  se  tournant  à  la  Force  :  «  Monsieur,  lui 
dit-il,  comme  ne  trouvant  plus  de  diflîculté,  si  M.  du  Maine  se  fait  fort, 
comme  Madame  l'assure,  que  risquons-nous?  et  au  contraire  cette  assu- 
rance de  notre  part  n'est  qu'honorable.  »  La  Force  retint  l'indigna- 
tion dont  cette  apostrophe  le  saisit,  et,  avec  un  souris  modeste  :  «  Mais 
qui  nous  assurera,  Monsieur,  répondit-il  à  Aumont,  (jue  ce  que  le  Roi 
approuvera  aujourd'hui  par  considération  pour  M.  du  Maine,  ne  lui 
sera  pas  empoisonné  demain  contre  nous  sur  son  autorité,  où  nous 
aurons  attenté  par  la  concurrence  de  la  nôtre,  et  contre  M.  du  Maine, 
qui,  non  content  de  toute  celle  de  la  majesté  royale,  aura  en  sus  montré 
qu'il  comploit  ce  concours  de  notre  part  nécessaire,  et  qui  y  aura  eu 
recours?  Qui  nous  assurera  que  le  premier  président,  dans  la  rage  qu'il 
témoigne,  que  le  Parlement  dans  l'aliénation  où  il  l'a  mis  de  nous, 
n'aura  pas  encore  plus  de  jalousie  que  le  Roi  même  de  nous  voir  con 
Jirmer  ce  que  cette  Compagnie  a  solennellement  enregistré,  et  que, 
dans  le  temps  que  Messieurs  du  Parlement  n'épargnent  rien  pour 
nous  réduire  au  simple  état  de  membres  de  leur  corps,  comme  eux- 
mêmes  et  sans  rien  qui  nous  en  distingue,  ils  ne  feront  pas  tous  leurs 
efforts  pour  traiter  d'attentat  cette  autorité  arrogée  par-dessus  et  en 
confirmation   de  la  leur?  Madame,    ajouta-l-il  tout  de  suite,  cela  est 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        317 

trop  délicat,  et  il  n'est  aucun  de  nous  qui  en  osât  tenter  le  hasard.  » 
Mme  du  Maine  rageoit,  et  le  montroit  bien  à  son  visage;  mais  ce 
coup  étoit  tellement  de  partie,  soit  pour  s'assurer  une  bonne  fois  des 
ducs,  comme  elle  le  témoignoit,  soit  pour  les  perdre  sans  ressource 
avec  le  Roi,  avec  les  princes  du  sang,  sans  qui'  cela  se  passoit,  avec 
le  Parlement,  avec  le  public,  par  un  écrit  des  ducs  qui  auroit  disposé, 
autant  qu'il  étoit  en  eux,  du  droit  de  succéder  à  la  couronne,  de  leur 
seule  et  propre  autorité,  sans  raison,  sans  occasion,  sans  nécessité 
autre  que  ce  désir,  et  cette  convention  si  réelle  de  leur  part,  si  frivole, 
et  sur  chose  si  frivole  aussi  par  la  mauvaise  foi  de  M.  du  Maine  en 
compagnie  de  l'autre,  qu'elle  se  contint  avec  effort  pour  répliquer  et 
dupliquer,  et  l'emporter  à  force  d'esprit  et  d'autorité  sur  la  Force,  à 
qui  seule  elle  avoit  affaire,  le  pied  ayant  déjà  glissé  à  Aumont,  qui,  se 
voulant  mêler  une  fois  ou  deux  dans  la  dispute,  fut  toujours  repoussé 
par  l'autre,  qui,  lui  mettant  la  main  sur  le  bras,  ne  s'interrompoit  point 
et  lui  étouffa  toujours  la  parole. 

Finalement,  Mme  du  Maine,  se  voyant  à  bout,  céda  à  sa  colère  ;  elle 
dit  à  ces  Messieurs  qu'elle  voyoit  bien  qu'eux  et  leurs  confrères  ne  se 
pouvoient  regagner;  qu'ils  mettoient  un  vain  respect  pour  le  Roi, 
duquel  elle  leur  répondoit,  une  vaine  crainte  d'ailleurs,  une  vaine  mo- 
destie sur  eux-mêmes,  et  suitout  beaucoup  d'esprit  et  de  compliments 
à  la  place  des  réalités  nécessaires  ;  qu'ils  vouloient  avoir  leur  fait  et  se 
réserver  entiers  pour  ce  qui  leur  conviendroit  dans  l'avenir  ;  que  c'étoit 
à  M.  du  Maine  et  à  elle  à  savoir  s'en  garantir,  et  qu'elle  vouloit  bien 
leur  dire,  pour  qu'ils  n'en  pussent  douter,  que,  quand  on  avoit  une  fois 
acquis  l'habilité  à  succéder  à  la  couronne,  il  falloit,  plutôt  que  de  se 
la  laisser  arracher,  mettre  le  feu  au  milieu  et  aux  quatre  coins  du 
royaume.  Aussi  tint-elle  parole  en  tant  qu'elle  le  put.  Ce  furent  là  ses 
dernières  paroles,  après  lesquelles  elle  se  leva  brusquement,  sans  tou- 
tefois qu'il  lui  fût  rien  échappé  ni  contre  eux  ni  contre  les  ducs  en 
général.  Ils  se  séparèrent  avec  beaucoup  de  compliments  forcés  d'une 
part,  et  de  respects  qui  ne  le  parurent  guères  moins  de  l'autre,  la 
Force  ayant  toujours  l'œil  sur  son  compagnon,  qui  n'osa  rien  dire  en 
particulier,  ni  suivre  la  duchesse  du  Maine.  Ils  partirent  de  Sceaux, 
et  vinrent  rendre  compte  du  succès  de  leur  voyage.  Il  n'avoit  guères 
plu  à  M.  du  Maine  plus  qu'à  eux,  qui,  de  l'état  où  il  les  avoit  mis, 
s'étoit  flatté  de  tirer  ce  bel  écrit  d'assurance.  Cette  conclusion,  qui  de 
sa  part  achevoit  en  plein  de  montrer  la  corde,  sans  débarrasser  le  pre- 
mier président,  lui  fit  avoir  recours  à  une  autre  ruse,  qui,  en  cassant 
cette  corde  sur  les  ducs,  ne  fit  que  découvrir  avec  la  plus  entière  évi- 
dence ce  qu'ils  avoicnt  soupçonné  de  lui  dès  le  commencement. 

M.  du  Maine,  huit  ou  dix  jours  après,  amena  Madame  la  Princesse 
sur  la  scène,  qui  de  sa  vie  ne  s'étoit  mêlée  de  rien  et  qui  étoit  une  bonne 
happelourde,  et  parfaitement  connue  pour  ce  qu'elle  étoit.  Son  gendre 

1.  Un  correcteur  postérieur  a  biffé  qui  et  mis  lesquels  en  interligne. 


318  ADDITIONS  DE  SAIXT-SIMON 

feignit  que  jusque-là  elle  u'avoil  pas  ouï  |i;uler  île  celle  alVaire,  quoi- 
que dès  son  enlrée  il  eClt  répondu  d'elle  nommément  et  répondu  comme 
d'une  bonne  bêle,  à  qui  il  n'avoit  qu'à  dire  un  mot.  M.  le  duc  d'Or- 
léans. Madame  la  Duchesse,  tous  les  princes  du  sang,  avoienl  consenti 
depuis  plus  de  huit  mois;  cette  alVaire  faisoit  le  plus  f;rand  bruit; 
comment  donc  donner  dans  cette  bourde  de  Madame  la  Princesse? 
Quoi  qu'il  en  fût,  faute  d'autre  issue,  M.  du  Maine  dit  qu'elle  lui 
avoit  bien  lavé  la  tète  d'avoir  mis  le  bonnet  en  avant  ;  que  Monsieur  le 
Prince  lui  en  avoit  toujours  parlé  comme  de  la  plus  chère  distinction 
des  princes  du  sang  sur  les  pairs  ;  qu'elle  avoit  trop  de  respect  pour  sa 
mémoire,  pour  ses  sentiments,  pour  ses  volontés,  pour  l'intégrité  du 
rang  des  princes  du  sang,  pour  nt  se  pas  opposer  à  ce  que  les  pairs 
demandoient,  et  pour  ne  pas  su|iplier  le  Roi  de  toutes  ses  torces  de  n'y 
rien  innover.  Là-dessus,  le  Roi  dit  à  d'Antin  qu'il  étoit  fâché  de  cette 
fantaisie  qui  avoit  pris  à  Madame  la  Princesse,  mais  qu'il  ne  pouvoit 
passer  par-dessus,  ni  la  persuader,  et  qu'il  ne  vouloit  plus  ouïr  parler 
du  bonnet.  D'Antin.  qui  vit  bien  que  c'étoit  une  chose  préparée,  ne 
laissa  pas  de  répondre  de  son  mieux  ;  mais  le  Roi  étoit  convenu  avec 
M.  du  Maine  d'en  sortir  de  celte  façon,  et  rien  ne  le  put  ébranler. 
D'Antin  le  dit  à  ceux  des  ducs  par  qui  celte  aflaire  avoit  d'abord  passé. 
On  a  vu  que  MM.  de  Saint-Simon  et  de  IS'oailles  en  éloienl,  le  premier 
comme  ayant  été  mandé  avec  quelques  autres  chez  le  maréchal  d'Har- 
court,  dès  la  première  fois  qu'il  en  fut  question.  11  faut  achever  tout 
de  suite  un  épisode,  dont  il  y  aura  lieu  de  se  souvenir  dans  le  cours 
de  la  Régence.  Quoique  les  ducs  se  fussent  attendus  tout  d'abord  à 
tout,  et  que  les  suites  les  y  eussent  de  plus  en  plus  conlirmés,  il  ne 
doit  pas  paroître  étrange  qu'aigris  de  ces  mêmes  suites,  ils  le  fussent 
encore  plus  de  celle  tin  qui  les  rendoit  malgré  eux  le  jouet  des  arlilices 
de  M.  du  Maine,  qui  faisoit  triompher  le  Parlement  d'eux,  et  les 
brouilloit  à  l'excès,  ce  qui  étoit  son  but.  Il  ne  s'étoit  pas  tenu  de  dire 
avec  son  facétieux  ordinaire  que  tout  ce  qu'il  étoit  et  avoit  étoit  bel 
et  bon,  mais  qu'il  n'en  étoit  pas  moins  comme  un  pou  entre  deux 
ongles,  pressé  par  les  princes  du  sang  et  par  les  pairs  également,  et 
qu'il  ne  savoit  pas  comme  il  se  tircroit  d'affaire  ;  ce  fut  donc  ainsi 
qu'il  en  sortit  d'un  côté.  D'Antin  avoit  rendu  compte  aux  ducs,  comme 
on  vient  de  dire,  du  discours  détinitif  qui  s'étoit  tenu  entre  le  Roi  et 
lui  ;  c'étoit  à  Versailles,  un  samedi  au  soir.  Le  lendemain  matin,  le  duc 
de  Saint  Simon,  à  qui  sur  les  tins  M.  du  Maine  avoit  parié  de  cette 
affaire  avec  les  plus  fortes  démonstrations  de  son  désir  et  de  sa  bonne 
foi,  envoya  attendre  son  retour  de  la  grande  messe  ;  car  grandes  messes, 
vêpres,  compiles  et  salut,  jamais,  où  que  ce  fût,  il  n'y  manquoit  dès 
sa  jeunesse,  fêtes  et  dimanches,  et  sermon  quand  il  y  en  avoit  M.  de 
Saint-Simon  alla  chez  lui,  et  le  trouva  seul  dans  son  cabinet,  l'air  ou- 
vert, qui  le  reçut  de  la  manière  du  monde  la  plus  ai  ée  et  la  plus 
polie.  Saint-Simon  n'ouvrit  la  bouche  que  lorsqu'il  fut  dans  son  fau- 
teuil, et  M.  du  Maine  dans  le  sien.  Alors,  d'un  air  sérieux,  il  lui  dit  ce 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.  319 

qu'il  avoit  appris.  M.  du  Maine  blâma  Madame  la  Princesse,  tomba 
sur  elle,  s'excusa,  s'affligea.  M.  de  Saint-Simon  lui  dit  un  mot  du  pre- 
mier président,  que  M.  du  Maine  voulut  aussi  excuser,  et  dire  même 
qu'il  ne  lalloit  point  désespérer  de  l'afl'aire  ni  la  regarder  comme 
finie,  que  pour  lui  il  ne  cesseroit  d'y  travailler  et  ne  seroit  jamais  con- 
tent qu'il  n'en  fut  venu  à  bout.  Alors  M.  de  Saint-Simon  tomba  sur 
le  premier  président,  lui  dit  toutes  ses  calomnies  au  Roi  sur  les  ducs, 
qui  les  savoient  du  Roi  même  par  d'Antin,  qui  avoit  eu  la  permission 
de  les  leur  dire,  et  eux  de  ne  s'en  pas  taire.  M.  de  Saint-Simon  ne 
comptoit  pas  d'apprendre  rien  à  M.  du  Maine,  mais  bien  qu'il  n'igno- 
roit  rien  ;  puis,  le  regardant  entre  deux  yeux  :  «  C'est  vous,  Monsieur, 
lui  dit-il,  qui  nous  avez  engagé  malgré  nous  dans  cette  affaire  ;  c'est 
vous  qui  nous  avez  répondu  du  Roi  et  du  premier  président  et  par  lui 
du  Parlement;  c'est  vous  qui  nous  avez  répondu  de  Madame  la  Prin- 
cesse; c'est  vous  qui  la  faites  intervenir  maintenant  après  avoir  fait 
jouer  au  premier  président  un  si  indigne  personnage  ;  enfin,  Monsieur, 
c'est  vous  qui  nous  avez  manqué  de  parole,  qui  nous  rendez  le  jouet 
du  Parlement  et  la  risée  du  monde.  »  M.  du  Maine  devint  pâle  et  in- 
terdit, lui  toujours  si  vermeil  et  si  désinvolte,  et  voulut  s'excuser  en 
balbutiant  et  ténioigner  sa  considération  pour  les  pairs,  et  en  particu- 
lier pour  celui  qui  parloit  et  qui  l'écoutoit  toujours  en  le  regardant 
fixement.  Enfin  il  l'interrompit:  «  Monsieur,  lui  dit-il  fièrement,  vous 
pouvez  tout,  et  vous  nous  le  montrez  bien  et  à  toute  la  France.  Jouissez 
de  votre  pouvoir  et  de  tout  ce  que  vous  avez  obtenu  ;  mais,  en  haus- 
sant la  VOIX  et  le  regardant  jusque  dans  le  fonds  de  l'âme,  il  vient  quel- 
quefois des  temps,  ajouta-t-il,  où,  quelque  grand  qu'on  soit,  on  se 
repent  trop  tard  d'en  avoir  abusé  et  d'avoir  joué  et  trompé  de  sang- 
froid  tous  les  principaux  seigneurs  du  royaume  en  rang  et  en  établis- 
sements, qui  ne  l'oublieront  jamais.  »  Et  brusquement  se  lève  et  tourne 
pour  s'en  aller.  M.  du  Maine,  éperdu  de  surprise  et  peut-être  de 
dépit,  le  suit  et  l'accompagne,  balbutiant  encore  des  excuses  et  des 
compliments;  à  la  porte  M.  de  Saint-Simon  se  retourne,  et  d'un  air 
d'indignation  :  «  Oh  !  Monsieur,  me  conduire  après  ce  qui  s'est  passé, 
c'est  ajouter  la  dérision  à  l'insulte,  »  passe  la  porte  tout  de  suite  et 
s'en  va,  et  le  conte  l'après-dînée  aux  autres  ducs. 

Le  Roi  n'en  fit  pas  le  moindre  semblant  en  quoi  que  ce  piît  être,  à 
personne,  ni  au  duc  ni  à  la  duchesse  de  Saint-Simon,  soit  qu'il  ignorât 
cette  conversation,  soit  qu'il  la  voulijf  ignorer;  il  vécut  encore  plusieurs 
mois  sans  que  M.  de  Saint-Simon  vît  M.  du  Maine,  ni  qu'il  le  saluât 
jamais  qu'à  demi  lorsqu'il  le  rencontroit,  quoique  l'autre  affectât  en 
le  saluant  une  politesse  plus  que  marquée.  Il  ne  parla  jamais  de  cette 
conversation,  ni  ne  se  plaignit  du  duc  de  Saint-Simon.  Tel  fut  la  fin 
de  cette  affaire  du  bonnet,  dont  on  verra  pourtant  des  suites,  et  telle 
la  situation  particulière  du  duc  de  Saint-Simon  avec  M.  du  Maine, 
qu'il  falloit  expliquer  une  fois. 

Revenons  à  celle  du  même  avec  le  duc  de  Noailles.  Ce  dernier,  de 


3-20  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

plus  en  plus  lié  avec  Desmarelz,  et  avro  bt-rcy,  sou  f^en<lre,  (|ui  avoil 
toute  la  contiance  de  son  beau-père  pour  les  tinances,  tAchoit  de  s'en 
instruire  sous  eux.  Le  népotisme  avoit  apprivoisé  l'humeur  farouche 
de  ces  doux  hommes,  qui  oroyoient  se  faire  un  grand  appui  d'un  sei- 
gneur si  établi,  dont  ils  ignoroieiit  lo  fonds  du  sac,  avec  une  tante  qu'ils 
avoient  imparfaitement  su  seulement  un  peu  fâchée,  duquel  ils  goû- 
toient  l'esprit,  l'agrément,  la  souplesse,  la  tlexibilité,  les  louanges,  et 
peu  à  peu  s'ouvrirent  à  lui  de  tout.  Noailles  avoil  son  but;  il  vouloil 
les  tinances,  et  ne  tarda  pas  de  sonder  Saint-Simon  là-dessus.  Il  igno- 
roit  entièrement  ce  qui  se  passoit  entre  M.  le  duc  d'Orléans  et  lui, 
quelque  soin  qu'il  se  fût  donné  pour  être  admis  en  tiers  avec  eux  dans 
les  projets  du  futur  ;  mais  il  avoit  bien  aperçu  qu'il  étoit  résolu  de 
naettre  en  place  des  gens  de  qualité,  et  de  se  défaire  de  la  robe  et  de  la 
plume.  Saint-Simon  ne  vouloit  point  des  tinances,  et  avoit  déjà  pensé 
au  duc  de  Noailles  pour  cet  emploi  :  il  n'eut  donc  aucune  peine  à  voir 
qu'il  le  desiroit  lui-même,  et  il  lui  promit  de  l'y  servir.  En  effet,  rai- 
sonnant avec  M.  le  duc  d'Orléans,  le  choix  pour  les  tinances  fut  mis 
entre  eux  deux  sur  le  tapis,  et  le  prince  les  proposa  au  duc,  qui  les 
refusa  nettement.  M.  d'Orléans  insista,  et  entra  dans  les  raisons  qui  le 
déterminoient  à  ce  choix,  celui-ci  dans  celles  qui  le  tixoient  au  refus. 
L'opiniâtreté  fut  pareille  de  part  et  d'autre,  et  alla  jusqu'à  finir  par  la 
froideur.  Comme  elle  ne  venoit  que  d'amitié  et  de  contiance,  peu  de 
jours  la  réchauffèrent.  Quoique  ce  refus  tînt  fort  au  cœur  du  duc  d'Or- 
léans, qui  s'étoit  mis  ce  choix  dans  la  tête  et  qui  se  trouvoit  embar- 
rassé d'en  faire  un  autre,  ils  l'agitèrent  tous  deux.  Saint-Simon  pro- 
posa Noailles  ;  à  ce  nom  le  duc  d'Orléans  lit  quatre  pas  en  arrière  et 
s'écria  beaucoup.  Saint-Simon  lui  demanda  la  raison  de  tant  de  sur- 
prise et  d'éloignement.  Le  prince  à  son  tour  lui  demanda  s'il  préten- 
doit  donner  les  tinances  à  piller  aux  Noailles,  et  s'il  avoit  oublié  les 
affaires  immenses  que  la  maréchale  de  Noailles  et  toutes  ses  tilles 
avoient  continuellement  faites  du  temps  de  Pontchartrain,  de  Chamil- 
lart  et  de  Desmaretz,  tant  directement  par  eux  qu'en  sous-ordre. 
M.  de  Saint-Simon  convint  de  cette  vérité  ;  mais  il  se  souvint  aussi 
qu'il  y  en  avoit  eu  beaucoup  du  su  du  Roi,  qui  avoit  même  ordonné 
aux  contrôleurs  généraux  d'en  faire  faire  tant  qu'ils  pourroient  à  la 
duchesse  de  Guiche  ;  que  de  plus  la  maréchale  de  Noailles  avoit  un  léger 
crédit  sur  son  lils;  que  Noailles,  riche  et  établi  au  point  qu'il  l'étoit, 
ne  pouvoit  être  tenté  que  d'établir  sa  réputation,  et  que,  voulant  don- 
ner les  tinances  à  un  seigneur,  il  n'en  connoissoit  point  qui  eût  plus 
d'esprit,  de  volonté  et  d'application  pour  s'en  bien  acquitter. 

M.  d'Orléans,  ébranlé,  lut  plusieurs  jours  à  se  rendre,  et  enfin  se 
détermina  au  duc  de  Noailles  pour  les  finances,  non  sans  reprocher 
encore  vivement  au  duc  de  Saint-Simon  l'endjarras  où  il  le  metloit  par 
son  refus.  Ce  fut  encore  un  autre  intervalle  pour  obtenir  la  liberté  de 
le  dire  au  duc  de  Noailles.  Saint-Simon  représenta  que  cela  l'attache- 
roit  de  plus  en  plus  et  l'encourageroit  à  s'instruire  et  à  profiter  des 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        321 

lumières  qu'il  pourroit  tirer  de  Desmaretz.  Ce  n'étoit  pas  que  cette  con- 
duite avec  le  contrôleur  général  ne  parût  à  Saint-Simon  un  peu  louche; 
il  ne  savoit  pourtant  pas  encore  le  degré  de  confiance  et  d'amitié  qui 
s'étoit  établi  entre  eux.  Il  croyoit  seulement  que  Noailles,  maître  passé 
en  insinuation,  protitoit  par  ce  talent  de  celui  de  l'autre;  et,  comme  en 
elVet  il  ne  voyoit  rien  de  mieux  que  Noailles  pour  succéder  à  un 
homme  que  M.  le  duc  d'Orléans  avoit  résolu  d'ôter,  et  que  lui-même 
desiroit  de  voir  déplacé,  il  passa  par-dessus  cette  considération.  Vers 
ce  même  temps  il  proposa  au  prince  le  cardinal  de  Noailles  pour  être 
à  la  tête  du  conseil  de  conscience,  et,  comme  alors  M.  le  duc  d'Orléans 
étoit  resté  dans  le  sentiment  qu'on  a  vu  où  il  étoit  lorsqu'il  fut  question 
du  lit  de  justice,  cela  fut  aisément  arrêté. 

M.  de  Noailles,  content  au  possible  de  ce  qui  se  préparoit  pour  lui 
et  pour  son  oncle,  ne  laissoit  pas  d'être  peiné  de  ne  rien  savoir  sur  le 
reste  et  de  ne  pouvoir  entrer  en  tiers  sur  rien.  M.  de  Saint-Simon,  qui 
s'en  aperçut,  n'eut  garde  d'en  faire  aucun  semblant  ;  le  secret  du  prince 
n'étoit  pas  le  sien,  et  d'ailleurs  Noailles,  content  pour  soi,  étoit  inutile 
à  admettre.  Saint-Simon  vouloit  des  Etats  généraux  avant  que  Noailles 
entrât  en  véritable  exercice  ;  il  les  avoit  proposés  à  M.  le  duc  d'Or- 
léans, fondé  sur  les  raisons  suivantes.  Il  lui  avoit  représenté  que  les 
Etats  généraux  ne  sont  dangereux  que  pour  ceux  qui  ont  administré  ; 
qu'il  étoit  de  reste  de  notoriété  publique  qu'ils  n'avoient  pas  eu  en 
aucun  temps  la  moindre  part  aux  affaires,  non  pas  même  la  moindre 
notion  ;  que  celles  des  Hnances  étoient  dans  le  plus  violent  désordre, 
et  réduites  au  point  de  ruiner  sans  ressource  un  million  de  familles,  ou 
en  droiture  ou  en  cascade,  si  on  prenoit  le  parti  de  faire  la  banque- 
route des  dettes  immenses  que  le  Roi  avoit  contractées,  ou  d'achever 
d'accabler  l'Etat  par  la  continuation  des  impôts,  et  par  tout  ce  qu'on 
y  en  pourroit  encore  ajouter  de  nouveaux,  si  on  prenoit  celui  de  payer 
les  dettes  du  Roi  ;  que,  si  l'on  s'arrêtoit  à  un  parti  mitoyen  de  choisir 
ce  qu'on  estimeroit  mériter  d'en  être  payé,  et  ce  qu'on  jugeroit  devoir 
souffrir  la  banqueroute,  ce  seroit  une  source  de  longueurs,  de  déses- 
poirs, d'iniquités,  de  faveurs  et  d'injustice  sans  fond  et  sans  tin,  et  qui 
soulèveroit  plus  que  l'un  des  deux  autres  partis  ;  que  toutefois  il  n'y 
en  avoit  pas  un  quatrième  ;  qu'il  étoit  donc  de  la  prudence  du  prince 
de  ne  se  charger  pas  d'un  travail  ni  d'un  choix  qui,  quel  qu'il  fût,  seroit 
toujours  très  odieux  ;  que,  toutes  les  parties  de  l'Etat  ayant  toutes  à 
en  porter  le  poids  et  la  souffrance,  il  étoit  bien  plus  naturel  qu'elles- 
mêmes  eussent  le  choix  de  leurs  douleurs,  et  pour  qu'elles  les  por- 
tassent avec  moins  de  peine  et  pour  qu'elles  ne  se  pussent  prendre  de 
rien  qu'à  elles-mêmes  ;  qu'il  y  avoit  plus  d'un  siècle  qu'il  n'y  avoit  eu  de 
ces  assemblées;  qu'elles  étoient  également  et  généralement  désirées, 
en  même  temps  qu'amèrement  déplorées  à  revoir;  que  ce  seroit  donc 
se  mettre  au  comble  de  la  faveur  et  de  l'affection  publique  que  signaler 
l'entrée  de  son  autorité  par  donner  cette  joie  et  cette  marque  de  modé- 
ration, de  considération  et  de  confiance  à  tout  un  royaume  qu'il  alloit 

MÉMOIRES    DE   SAINT-SIMON.    XXVII  2i 


3^2^>  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

gouverner,  et  frapper  un  si  grand  coup  pour  soi  à  grand  marche^,  puis- 
qu'il n'en  avoit  rien  à  craindre  ef  tout  ;\  attendre,  et  pour  le  présent 
et  pour  l'avenir,  en  laissant  ce  terrible  choix  aux  trois  ordres,  et  n'é- 
tant pour  les  suites  que  l'oxécutour  de  ce  qu'ils  auroiont  réglé,  des- 
quels par  conséquent  il  n'auroit  point  ;\  répondre;  que  de  plus  il  (al- 
loit  donner  à  l'opinion  ;  qu'encore  qu'il  fût  vrai  que  les  il,tats  généraux 
ne  fussent  qu'une  assemblée  de  sujets  complaignants  et  sup|)liaiits 
destituée  de  toute  autorité,  sinon  de  présenter  les  griefs  de  leurs  pro- 
vinces et  de  dire  leurs  avis  sur  ces  matières,  et  encore  quand  le  Roi  le 
leur  demandoit,  il  n'étoit  pas  moins  vrai  que  les  formes  des  Renoncia- 
tions ne  senibloienl  suilisanles  à  personne  ;  que  chacun  en  faisoit  le 
parallèle  avec  les  Etats  généraux  ou  les  cortès  d'Espagne,  où  les  Renon- 
ciations avoient  passé,  et  concluoit  qu'elles  ne  vaudroient  jamais  en 
France,  par  ce  qui  s'étoit  passé  au  Parlement  et  sous  les  yeux  du  Roi 
vivant,  si  les  États  généraux  et  libres  n'y  passoient  eux-mêmes,  et 
qu'il  n'étoit  pas  douteux  que,  charmés  de  leur  inespérée  convocation, 
et  charmés  encore  de  l'exercice  tel  quel  d'un  pouvoir  qu'ils  n'avoient 
pas,  mais  que  l'ignorance  leur  attribuoit  aujourd'hui,  ils  ne  concou- 
russent unanimement  et  par  acclamation  à  approuver  et,  aux  yeux  du 
public,  à  rendre  irrévocables  ces  mêmes  Renonciations,  qui  seules  le 
pouvoient  porter  sur  le  trône,  si  la  mort  enlevoit  le  jeune  Roi  avant 
qu'il  eût  un  Dauphin. 

Ces  raisons  persuadèrent  le  duc  d'Orléans  si  fort,  qu'il  résolut  que, 
dans  le  premier  instant  qu'il  se  trouveroit  en  état  par  la  mort  du  Roi 
de  donner  des  ordres,  il  l'emploieroit  à  la  convocation  instante  des 
Etals  généraux,  et  qu'en  attendant  leur  assemblée,  il  ne  feroit  que  con- 
tinuer la  môme  gestion  des  finances  par  le  duc  de  Noailles,  comme  fai- 
soit Desmaretz,  sans  y  mettre,  ajouter  ou  diminuer  quoi  que  ce  fût, 
pour  qu'il  ne  parût  rien  du  sien  aux  yeux  de  cette  assemblée,  à  qui  on 
découvriroit  à  nu  tout  l'état  des  linances,  et  de  laquelle  on  altendroit 
le  remède  sans  s'intéresser  à  la  préférence  d'aucune.  Tant  que  le  Roi 
vécut,  M.  d'Orléans  goûta  tellement  cette  idée  qu'il  s'en  conjouissoit 
continuellement  avec  le  duc  de  Saint-Simon  ;  mais,  sur  la  tin  du  Roi, 
comme  cela  regardoit  les  hnances,  et  que  Noailles  tournoit  toujours 
autour  de  lui  avec  beaucoup  d'art,  le  prince  ne  put  se  tenir  de  lui  com- 
muniquer cette  résolution.  Aussitôt  Noailles  eut  l'air  de  se  voir  bridé 
par  les  Etats  généraux,  et,  n'osant  pas  en  combattre  le  projet,  en  parla 
au  duc  de  Saint-Simon,  au(|uel,  à  travers  mille  louanges  de  cette  salu- 
taire idée,  il  tâcha  de  présenter  des  diflicultés  et  des  embarras.  Il  sen- 
toit  combien  cela  le  mettoit  loin  du  but  qu'il  s'étoit  proposé  d'atteindre. 
Il  s'échappa  à  témoigner  à  Sainl-Simon  le  danger  de  la  multitude  avec 
un  prince  tel  ([ue  le  duc  d'Orléans  ;  l'avantage  d'un  seul  ;  puis,  s'échauf- 
fant  intérieurement  dans  son  harnois,  mais  possédant  son  âme,  ses 
paroles,  ses  regards:  «  Vous  n'avez  point  voulu,  lui  dit-il,  des  linances, 
et  je  vois  bien  que  vous  ne  voulez  vous  charger  de  rien  directement; 
vous  avez  raison.  Vous  vous  réservez  pour  être  de  tout  (!t  vous  attachez 


AU  JOURNAL  DE  DAiXGEAU.  323 

uniquement  à  être  avec  M.  le  duc  d'Orléans;  au  point  où  vous  êtes 
avec  lui,  vous  ne  sauriez  mieux  faire.  En  nous  entendant  bien,  vous  et 
moi,  nous  en  ferons  ce  que  nous  voudrons  ;  mais, pour  cela,  ce  n'est  pas 
assez  des  finances,  il  me  faut  les  autres  parties  ;  il  ne  faut  point  que 
nous  ayons  à  compter  avec  personne.  Des  Etats  généraux,  c'est  un 
embrouillement  dont  vous  ne  sortirez  point.  J'aime  le  travail  ;  je  vous 
le  dirai  franchement  ;  c'est  une  pensée  qui  m'est  venue  ;  je  la  crois  la 
meilleure.  Encore  une  fois,  agissons  de  concert  ;  entendons-nous  bien  ; 
faites-moi  faire  premier  ministre,  et  nous  serons  les  maîtres.  —  Pour 
premier  ministre  !  répondit  Saint-Simon  avec  une  indignation  que  son 
discours  avoit  excitée,  mais  qu'il  avoit  contenue  pour  le  bien  suivre 
jusqu'au  bout,  et  que  ce  bout  combla,  premier  ministre.  Monsieur  !  Je 
veux  bien  que  vous  sachiez  que,  s'il  y  en  avoit  un  à  faire  et  que  j'en 
eusse  envie,  ce  seroit  moi  qui  le  serois,  et  je  pense  aussi  que  vous  ne 
présumez  pas  que  vous  l'emportassiez  sur  moi  ;  mais  je  vous  déclare 
que,  tant  que  M.  le  duc  d'Orléans  m'honorera  de  quelque  sorte  de 
conliance,  ni  moi,  ni  vous,  ni  homme  vivant  ne  sera  jamais  premier 
ministre,  que  je  regarde  comme  le  fléau,  la  perte  et  la  ruine  de  l'Etat.  » 
Sur  quoi  il  s'étendit  en  peu  de  mots,  regardant  toujours  son  homme, 
sur  le  visage  duquel  l'excès  de  l'embarras,  du  dépit,  du  déconcerte- 
ment  étoit  peint,  et  qui  pourtant  se  soutint  jusqu'à  répondre  qu'il 
n'insistoit  point,  mais  qu'il  avouoit  que  cette  pensée  lui  avoit  paru 
bonne,  d'un  air  le  plus  détaché  et  le  plus  indifférent  qu'il  put.  Tous 
deux  après  ne  songèrent  qu'à  séparer  un  tête-à-tête  devenu  si  embar- 
rassant ;  c'étoit  dans  le  cabinet  du  duc  de  Noailles.  Ni  lors,  ni  depuis 
il  n'y  parut  point  entre  eux;  mais  Saint-Simon  eut  de  quoi  donner  car- 
rière à  ses  réflexions.  Toutefois,  il  ne  crut  pas  devoir  rien  dire  à  M.  le 
duc  d'Orléans;  il  persistoit  à  croire  le  duc  de  Noailles  bon  aux 
linances  ;  il  voyoit  ce  prince  engoué  et  afl'ermi  pour  les  États  généraux, 
et  il  ne  prit  aucune  peur  que  M.  de  Noailles  se  pût  faire  premier  mi- 
nistre. Tout  ceci  n'est  que  le  préparatif  à  l'éclat  sur  les  ducs,  mais  pré- 
paratif  très  nécessaire.  C'est  à  quoi  maintenant  il  en  faut  venir. 

L'afl'aire  du  bonnet  avoit  donné  lieu  à  plusieurs  ducs  de  se  voir  là- 
dessus,  et  l'éclat  dont  elle  fut  suivie  avec  le  premier  président,  de  se 
contenir  ensemble  pour  qu'aucun  ne  le  vît.  Quelques-uns  se  démanchè- 
rent, et  dans  la  vérité  ces  Messieurs  ne  paroissoient  pas  propres  de- 
puis bien  longtemps  à  se  soutenir  sur  quoi  que  ce  fût.  L'esprit  d'in- 
térêt et  de  servitude,  une  ignorance  profonde,  nul  concert  entre  eux, 
l'habitude  de  leur  continuelle  décadence,  étoient  des  obstacles  à  tout 
pour  eux.  Chacun  étoit  intéressé  à  leur  tirer  des  plumes,  et  on  a  vu 
ci-devant  quel  fut  toujours  le  Roi  à  cet  égard  en  général  pour  tout  ce 
qui  n'étoit  ni  bâtard  ni  ministre.  Ainsi  grande  facilité  contre  eux  jus- 
que par  eux-mêmes.  Le  nombre  sans  cesse  augmenté,  la  jeunesse  de 
plusieurs,  en  faveur  de  qui  les  pères  se  démettoient,  augmentoit  encore 
l'inconsidération  et  la  jalousie,  et  ces  Messieurs,  qui  ne  se  soutenoient 
pas  eux-mêmes  etquinefaisoient  rien  pour  être  soutenus,  s'avilissoient 


iU  ADDITIONS   DE  SAIM-SIMUN 

tous  les  jours.  Quoique  les  j^ens  saiislilio  et  île  la  prciniiTe  qiialiti' lis- 
sent sans  cesse  des  alliances  fort  basses,  celles  des  ducs  inarquoienl 
davantui^e  par  la  distinction  de  leurrang,  quiirriloit  dans  les  duchesses 
de  celte  sorte,  qui  rendoifnl  les  dames  dequalilé  par  elles-niùnies  plus 
libres  à  ne  leur  pas  tout  rendre  et  plus  impatientes  des  diflérences, 
et  ces  mêmes  duchesses  plus  embarrassées  et  plus  souples  à  suppor- 
ter. M.  et  Mme  du  Maine  soutlloient  sourdement  ce  feu  depuis  Ion- 
temps  ;  mais,  depuis  l'alVaire  du  bonnet,  ils  eurent  moins  de  ménage- 
ment, et  en  tirent  leur  principale  affaire.  Tout  à  la  tin  de  la  vie  du  feu 
Roi,  on  répandit  mille  faux  bruits  des  prétentions  dos  ducs  et  de  leurs 
manières  ;  il  n'y  en  avoit  pas  un  mot.  La  conduite  journalière  de  tous 
démentoit  ces  discours  ;  mais  ils  étoient  poursuivis  et  semés  avec  art 
et  méthode. 

M.  de  Noailles,  soit  que  dès  lors  il  eût  conçu  le  dessein  qu'il  exécuta 
depuis,  soit  qu'il  eût  seulement  voulu  sonder  pour  après  ce  qu'il  fe- 
roit,  et  que  l'idée  de  ce  qu'il  lit  ne  lui  fût  venue  que  depuis  avoir  senti 
si  nettement  qu'il  ne  conduiroit  pas  M.  de  Saint-Simon  à  le  faire  pre- 
mier ministre,  lui  avoit  proposé,  et  à  quelques  autres,  qu'il  faudroit 
qu'à  la  mort  du  Roi,  qu'on  vojoit  prochaine,  que  ce  qui  se  trouveroit 
alors  de  ducs  à  la  courallassentensemble  saluerlenouveauRoi  àlasuitÉe 
de  M.  le  duc  d'Orléans  et  des  princes  du  sang  et  avant  tous  autres. 
Dès  la  première  proposition,  M.  de  Saint-Simon  lui  témoigna  qu'il  ne 
la  goûloit  point,  et  en  parla  de  même  au  peu  de  ceux  à  qui  Noailles 
s'en  étoit  ouvert.  Quelque  temps  après,  celui-ci  lui  en  parla  encore  ; 
Saint-Simon  lui  représenta  qu'outre  les  raisons  (ju'il  luiavoil  déjà  allé- 
guées, et  qui  se  trouveront  mieux  en  place  plus  bas,  il  falloit  toujours 
considérer  un  but  principal,  que  rien  ne  devoit  faire  perdre  de  vue,  et 
n'y  pas  mettre  des  obstacles  si  aisés  à  éviter;  que  ce  but  étoit  de  tirer 
la  noblesse  en  général  de  l'abaissement  et  du  néant  où  la  robe  et  la 
plume  l'avoient  réduite  ;  de  la  mettre  pour  cela  dans  toutes  les  places 
du  gouvernement  qu'elle  pouvoitoccuperparson  état, au  lieu  des  gens 
de  robe  et  de  plume  qui  les  tenoient,  et  peu  à  peu  de  la  rendre  capable, 
de  lui  donner  de  l'émulation,  d'étendre  ses  emplois  et  de  la  relever  de 
la  sorte  dans  son  état  naturel  ;  que  pour  cela  il  falloit  être  unis,  s'en- 
tendre, s'aider,  fraterniser,  et  ne  pas  jeter  de  l'huile  sur  un  feu  que 
M.  et  Mme  du  Maine  excitoient  sans  cesse,  parce  qu'ils  comprenoient 
que  leur  salut  consistoit  à  brouiller  tous  les  ordres  entre  eux  et  surtout 
celui  de  la  noblesse  avec  elle-même,  comme  le  salut  de  la  noblesse  con- 
sistoit en  son  union  entre  elle,  à  laquelle  on  ne  devoit  cesser  de  travail- 
ler; que  rien  n'étoil  si  ignorant,  si  glorieux,  si  prompt  à  tomber  dans 
toutes  sortes  de  pièges  et  de  panneaux  que  celle  noblesse  ;  que  par 
noblesse  il  entendoit  et  ducs  et  gens  de  qualité  non  ducs;  que  les 
ducs  ne  dévoient  songer  qu'à  découvrir  aux  gens  de  qualité  ces  pièges 
et  ces  panneaux  ;  que,  pour  le  faire  utilement,  il  falloit  en  être  aimés, 
et  que,  puisqu'on  effet  il  s'agissoit  de  l'intérêt  commun  dans  un 
moment  de  crise,  dont  on  pourroil  profiter  pour  la  remettre  en  lustre, 


AU  JOURNAL  DE   DANGEAU.  325 

el  qui,  manque  une  lois,  ne  reviendioit  plus,  il  ne  falloil  pas  tenter 
leur  ignorance,  leur  vanité,  leur  sottise  par  une  nouveauté,  qui  à  la 
vérité  ne  leur  nuisoit  en  rien,  puisque  jamais  en  aucune  occasion  la 
noblesse  non  titrée  ne  pouvoit  être  comme  la  titrée,  encore  moins  la 
précéder,  mais  qui,  étant  nouveauté,  et  dans  les  circonstances  présen- 
tes de  l'égarement  de  bouche  que  M.  et  Mme  du  Maine  soufïloient  avec 
tant  d'art  et  si  peu  de  ménagement,  il  étoit  de  la  prudence  d'éviter 
toutes  sortes  de  prétextes  et  d'occasions  dont  la  noblesse  non  titrée  se 
pouvoit  blesser,  quelque  mal  à  propos  que  ce  fût,  et  ne  songer  qu'à  se 
relever  elle  et  les  ducs  tous  ensemble,  et  travaillera  un  rétablissement 
commun,  qui  peu  à  peu  rendant  à  chacun  sa  considération,  remettroit 
chacun  en  sa  place  et  ouvriroit  les  yeux  à  tous,  et  feroit  sentir  à  la 
noblesse  non  titrée  la  malignité  des  panneaux  qu'on  lui  auroit  tendus, 
l'ignorance  de  son  propre  intérêt,  et  combien  it  en  étoit  d'être  unis  aux 
ducs,  et  que,  tous  ne  pouvant  être  ducs,  mais  le  pouvant  devenir,  abattre 
leurs  distinctions  étoit  abattre  leur  ambition,  puisque  cette  dignité  en 
étoit  nécessairement  le  dernier  période,  et  qu'en  cette  difîérence  la 
France  étoit  semblable  à  tous  les  royaumes,  républiques  et  Etats  de 
l'univers,  où  il  y  avoit  toujours  eu  des  dignités  et  des  charges,  et  des 
gens  qui  n'en  avoicnt  pas,  quoique  d'aussi  bonne  et  meilleure  maison 
que  plusieurs  de  ceux  que  ces  dignités  élevoient  au-dessus  d'eux,  sans 
quoi  le  Roi  et  ses  sujets  seroient  sans  récompenses  plus  ou  moins 
grandes  à  donner  et  à  recevoir,  et  toute  émulation  éteinte,  sinon  petite, 
passagère  et  uniquement  personnelle.  Ces  raisons,  qui  furent  bien  plus 
étendues  entre  eux  deux,  firent  céder  en  apparence  le  ducde  Noailles. 
l\  parut  ne  plus  penser  qu'à  ses  finances  et  au  but  général,  lorsqu'il 
montra  eniin,  comme  on  l'a  dit,  son  ambition  au  duc  de  Saint-Simon 
pour  le  premier  ministère,  et  que,  n'y  voyant  pas  jour,  il  en  laissa  tom- 
ber avec  lui  les  vues  et  les  propos  sans  en  paroître  blessé  le  moins  du 
monde.  Mais,  désespérant  d'être  d'abord  premier  ministre,  il  songea 
à  le  devenir,  et  pour  en  ranger  le  premier  obstacle,  il  s'appliqua  à  com- 
battre en  particulier  les  Etats  généraux  auprès  de  M.  le  duc  d'Orléans 
dans  les  derniers  temps  de  la  vie  du  Roi.  Le  prince,  dans  le  repen- 
tir cuisant  de  ne  les  avoir  pas  assemblés,  l'avoua  depuis  à  Saint-Simon, 
qui  en  sentit  alors  la  date  ;  mais,  ni  cette  faute  ni  d'autres  du  même 
esprit  et  du  même  but  qui  se  retrouveront  en  leur  temps,  il  n'étoit 
plus  temps  de  les  réparer. 

Cependant  l'extrémité  du  Roi  fit  penser  aux  ducs  de  s'aviser  sur  la 
conduite  qu'ils  auroient  à  tenir  au  Parlement  sur  le  bonnet,  lorsque, 
après  la  mort  du  Roi,  il  seroit  question  d'y  aller  pour  la  Régence  ;  chose 
que  M.  le  duc  d'Orléans  devoit  et  pouvoit  éviter,  mais  qui,  ne  se  pré- 
sentant point  dans  nos  Mémoires  *,  passe  aussi  les  bornes  de  ces  Addi- 
tions. Le  bonnet  donc  donna  lieu  à  plusieurs  ducs  de  s'assembler  à 
Versailles  peu  ensemble  en  diverses  chambres,  pour  référer  par  qucl- 

1.  C'est-à-dire,  le  Journal  de  Dangeau. 


M6  ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON 

qiies-uns  d'une  assemblée  en  iino  aulre  les  avis  «lo  chacun,  <|iii  tut,  ne 
leur  en  iléplaise,  une  fort  sotte  conduite,  ainsi  que  |)res(iue  toute  celle 
(]u'ils  tinrent  depuis.  Trois  jours  avant  la  mort  du  Roi,  il  s'en  trouva 
cinq  ou  six  dans  la  chambre  du  duc  de  Saint-Simon  :  les  évt^ques  de 
Laon  (Clermont)  et  de  Noyon  (Rochebonne),  l'arciievôtiue  de  l^eims. 
les  ducs  de  Noailles,  de  la  Force,  di'  Sully,  deCharosI,  d'Humières,  etc, 
On  parla  du  bonnet  ;  puis  tout  à  coup,  et  fort  peu  après  qu'on  eût  com- 
mencé, le  duc  de  Noailles.  interrompant  cette  matière,  proposa  la  salu- 
tation du  Roi.  M.  de  Saint-Simon,  surpris  au  dernier  point,  parce 
qu'il  avoit  cru  cette  idée  tombée  et  avoir  persuadé  le  duc  de  Noailles, 
s'éleva  contre,  et  le  duc  de  Noailles  à  haranguer  et  à  l'emporter  de  force 
de  voix.  M.  de  Saint-Simon  lelaissadire,  bien  résolu  de  répondre;  mais, 
quand  il  le  voulut  faire,  Noailles  l'interrompoit  sans  cesse  et  crioit  tant 
qu'il  pouvoit.  A  la  tinSaint-Simon,impatientéà  l'excès  etn'ayantpasde 
poumons  bastants  à  ceux  de  l'autre,  monta  sur  un  gradin  qui  porloit 
des  armoires  dans  ses  fenêtres,  s'assit  sur  une  de  ces  armoires  pour  être 
plus  élevé  et  se  faire  mieux  entendre,  et  voulut  parler.  L'autre,  qui 
parloit  toujours,  et  qui,  de  force  de  voix,  d'autorité  et  de  spécieux, 
emportoit  déjà  des  signes  de  consentement  et  des  monosyllabes  d'appro- 
bation des  autres,  ne  vouloit  qu'user  le  temps  et  emporter  d'emblée, 
sans  laisser  le  loisir  de  répliquer;  mais  à  la  tin  Saint-Simon  demanda 
si  fermement  audience  qu'il  se  la  fit  donner.  Il  représenta  donc  à  ces 
Messieurs  qu'il  avoit  eu  lieu  de  croire  que  M.  de  Noailles  avoit  aban- 
donné cette  pensée,  dont  il  lui  avoit  parlé  plusieurs  fois,  sur  les  raisons 
qu'il  lui  avoit  alléguées  pour  l'en  détourner;  qu'il  voyoit  avec  surprise 
qu'il  y  persistoit,  et  qu'il  verroit  avec  grande  douleur  qu'il  la  leur  pût 
persuader  ;  que  ce  qu'il  proposoit  étoit  une  nouveauté  dont  on  ne 
voyoit  aucune  trace  en  pas  un  avènement  de  nos  rois  à  la  couronne  ; 
que  cette  première  salutation  se  faisoit  toujours  sans  ordre,  à  mesure 
que  chacun  étoit  plus  ou  moins  pressé,  plus  ou  moins  à  portée,  en 
cela  tout  à  fait  difTérente  de  l'hommage  qui  s'éloit  quelquefois  rendu 
au  lit  de  justice,  la  première  fois  que  les  rois  Tavoient  tenu  ; 
qu'on  ne  croyoil  pas  même  qu'à  cette  première  salutation  les  prin- 
ces du  sang  eussent  jamais  alTecté  d'y  aller  ensemble  ;  que  d'entre- 
prendre de  la  faire  comme  M.  de  Noailles  le  proposoit  ne  pouvoit 
rien  acquérir  aux  ducs  et  pouvoit  leur  être  fort  nuisible;  qu'au  mieux 
il  demeureroit  qu'ils  avoient  salué  le  Roi  de  la  sorte  ;  que,  cette  salu- 
tation ne  s'étant  jamais  faite  en  cérémonie,  cela  ne  leur  tiendroit 
lieu  de  rien  ;  qu'ils  paroîtroient  avoir  été  plus  diligents  ;  que  les  princes 
étrangers,  par  cette  raison,  ne  le  regarderoient  ni  comme  avantage 
acquis  aux  uns  ni  désavantage  souffert  par  les  autres  ;  que,  n'étant 
point  acte  de  cérémonie,  mais  de  zèle  et  d'empressement  à  saluer  le 
Roi,  puisque  successeur  de  droit  il  n'avoit  pas  besoin  de  celacle  pour 
être  reconnu,  à  la  différence  de  l'hommage,  cela  ne  seroit  ni  écrit,  ni 
enregistré  nulle  part,  ni  même  titre  d'usage  ;  que  ce  seroit  un  avantage 
donc  bien  léger,  si  tant  est  qu'on  pût  lui  donner  le  nom  d'avantage; 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        357 

qu'à  l'égard  des  gens  de  qualité,  on  n'avoitpas  encore  vu  qu'ils  eussent 
imaginé  de  précéder  nulle  part  les  ducs;  que  ce  ne  seroit  donc  pas  un 
avantage  de  les  avoir  gagnés  là  de  la  main,  mais  que,  dans  l'efîerves- 
cence  où  M.  -et  Mme  du  Maine  les  avoient  mis  sur  les  ducs,  ce  seroit 
leur  donner  occasion  de  l'augmenter,  de  se  blesser  d'une  nouveauté 
qu'on  appelleroit  bientôt  entreprise,  de  s'offenser  de  ce  que,  les  ducs 
ayant  été  ainsi  ensemble  et  à  part  dans  une  occasion  où  cela  no  s'étoit 
jamais  fait,  ils  auroient  voulu  faire  non-seulement  bande  à  part  d'eux, 
mais  corps  à  part  ;  que  ces  Messieurs  n'ignoroient  pas  que  l'odieux  de 
cette  idée  de  faire  corps  à  part  de  la  noblesse  commençoit  à  y  être 
semée,  imputée  aux  ducs  avec  une  fausseté  sans  apparence,  mais 
avec  une  malignité  et  un  art  qui  y  suppléoit  ;  que  le  meilleur  moyen 
de  la  confirmer  étoit  d'y  donner  cette  occasion,  qui,  tout  éloignée 
qu'elle  en  étoit,  seroit  montrée  et  reçue  de  ce  côté-là  ;  que  le  Parle- 
ment ne  demanderoit  pas  mieux  que  de  fasciner  la  noblesse  avec  ses 
prestiges  ;  que  son  intérêt  étoit  le  même  que  celui  de  M.  du  Maine  de 
la  séparer  et  de  la  brouiller  avec  les  ducs,  et  se  la  rallier  de  pique 
contre  eux  ;  que  c'étoit  à  ceux-ci  à  sentir  combien  il  étoit  du  leur 
d'être  unis  à  la  noblesse,  puisque  c'étoit  leur  ordre  commun  et  leur 
corps,  et  que,  assez  occupés  contre  le  Parlement  à  l'occasion  de  l'affaire 
du  bonnet,  il  étoit  de  leur  intérêt  et  de  leur  sagesse  d'éviter  avec  grand 
soin  de  se  faire  des  ennemis  nouveaux,  et  desennemis  en  si  prodigieux 
nombre  ;  enfin,  qu'à  comparer  le  prétendu  avantage  en  question  avec 
les  inconvénients  infinis  et  durables  qu'il  pouvoit  entraîner,  et  qu'il 
étoit  évident  qu'il  entraîneroit  par  des  dispositions  présentes,  il  ne 
comprenoit  pas  qu'on  pût  balancer  un  instant. 

M.  de  Noailles  eut  grand'peine  à  laisser  achever  M.  de  Saint-Simon, 
et  ce  ne  fut  pas  sans  quelques  interruptions,  que  les  autres  arrêtèrent  ; 
mais,  quand  il  eut  fini  avec  plus  d'étendue,  et  qu'on  ne  voit  ici  qu'en 
raccourci,  M.  de  Noailles  répliqua,  cria,  se  débattit,  soutint  qu'il  n'y 
avoit  rien  que  de  sûr  dans  ce  qu'il  proposoit,  rien  que  de  foible  dans 
ce  qui  étoit  objecté,  et,  sans  articuler  aucune  véritable  raison,  ce  fut 
une  impétuosité  de  paroles,  soutenue  d'une  force  de  voix  qui  entraîna 
les  autres  plutôt  qu'elle  ne  les  persuada.  Saint-Simon  se  récria  que  ce 
n'étoit  pas  le  temps  des  entreprises,  mais  d'une  sage  et  ferme  défense 
sur  l'affaire  du  bonnet,  qu'il  ne  falloit  mêler  ni  embarrasser  d'aucune 
autre,  puiqu'on  s'y  trouvoit  nécessairement  embarqué,  et  dans  l'u- 
sage imminent  des  séances  au  Parlement;  mais  les  autres  presque  tous 
cédèrent.  M.  de  Saint-Simon,  voyant  que  cela  dégénéroit  en  dispute 
personnelle,  où  les  autres  prenoient  peu  de  part,  leur  déclara  qu'il 
les  attestoit  de  sa  résistance,  du  refus  de  son  consentement  ;  qu'il 
ne  cédoit  qu'à  la  pluralité  ;  qu'il  vouloit  espérer  que  ceux  à  qui  l'on  en 
parleroit  seroient  peut-être  plus  heureux  que  lui  à  leur  faire  faire  des 
réflexions  utiles,  et  finit,  hors  de  voix  et  pouvant  à  peine  se  faire  en- 
tendre, par  protester  de  tous  les  inconvénients  infinis  et  très  suivis 
qu'il  y  voyoit  et  qu'il  déploroit  par  avance. 


?^'l^  ADDITIONS  DE  S  A  I  N  T-SI  M(1> 

Tout  aussitôt  on  so  sépara  do  guerre  lasse  :  c'étoil  sur  les  huit 
heures  du  soir.  Ces  Messieurs  n'eurent  pas  le  temps  d'en  parler  à  au- 
cun autre  ;  dès  le  soir  môme,  celte  idée  se  répandit  en  prétention,  vola 
de  bouche  en  bouche.  Coëtquen,  beau-l'rère  de  IS'oailles  et  fort  lié 
avec  lui,  quoique  lort  peu  avec  sa  sœur  (lu'il  avoit  épousée,  courut  le 
château,  ameutant  les  gens  de  (]ualité.  Le  lendemain  grand  bruit,  et 
grand  bruit  tlans  le  tour  que  M.  de  Saint-Simon  avoit  prévu  et  an- 
noncé ;  Paris  en  l'ut  bientôt  informé.  Outre  railhience  inlinie  (pie  l'ex- 
trémité du  Roi,  les  divers  intérêts  et  tout  ce  qui  alloit  suivre  le  grand 
événement,  attiroit  ;\  Versailles  par  la  curiosité,  ce  bruit  amena  encore 
bien  du  monde,  et  les  plus  petits  compagnons  s'honorèrent  d'aug- 
menter le  vacarme  pour  s'agréger  aux  gens  de  qualité.  Le  tout  en- 
semble s'appela  la  noblesse,  et  cette  noblesse  pénélroit  partout  par  ses 
cris  contre  les  ducs.  La  plupart  de  ceux-ci,  qui  n'avoienl  pas  ouï 
dire  un  mot  de  ce  dessein  de  salutation  du  Roi,  n'entendirent  qu'à 
peine  de  quoi  il  s'agissoit,  partie  timidité  de  cette  espèce  d'ouragan 
subit,  partie  piqués  de  n'avoir  point  été  consultés,  se  mirent  à  décla- 
mer contre  leurs  confrères;  mais  ces  confrères,  contre  qui  l'animosité 
devenoit  si  grande  et  si  générale,  ne  furent  pas  longtemps  en  nom 
collectif.  On  vint  de  tous  côtés  avertir  la  duchesse  de  Saint-Simon  que 
tout  tomboit  sur  son  mari  unique,  comme  sur  le  seul  auteur  de  ce 
projet  de  salutation,  dont  l'autorité  naissante  avoit  entraîné  un  petit 
norfribrc  de  ducs  malgré  eux  à  l'insu  des  autres;  on  ajouta  même  qu'il 
n'étoit  pas  en  sûreté  dans  une  émotion  si  furieuse  et  si  générale,  et 
on  l'exhorta  à  tâcher  d'y  prendre  garde.  Sa  surprise  en  fut  d'autant 
plus  grande  que  son  mari  lui  avoit  conté  tout  ce  qui  s'étoit  passé, 
outre  contre  cette  acharnée  folie  de  M.  de  Noailles  et  contre  la  mollesse 
de  ce  qui  s'étoit  trouvé  de  ducs  avec;  maisl'étonnement  de  la  duchesse 
monta  au  comble  quand  les  mêmes  personnes  qui  l'avertissoient  par 
amitié,  lui  tirent  entendre  le  leur',  et  à  la  lin  lui  apprirent  que  c'étoit 
le  duc  de  Noailles  lui-même  qui  débitoit  M.  de  Saint-Simon  pour  l'au- 
teur et  le  promoteur  de  ce  projet,  lui-même  pour  celui  qui  l'avoit 
combattu  de  toutes  ses  forces,  et  qu'eux  qui  lui  [)arIoient  à  elle  l'a- 
voient  ouï  de  leurs  oreilles  de  la  bouche  du  duc  de  Noailles. 

Ce  dernier  avis  fut  donné  à  la  duchesse  de  Saint-Simon  et  ensuite 
conlirmé  par  plusieurs  autres  pareils,  la  surveille  de  la  mort  du  Roi  sur 
le  soir,  vingt-quatre  heures  après  ce  débat  que  le  duc  de  Saint-Simon 
avoit  eu  si  fort  avec  le  duc  de  Noailles  dans  sa  chambre,  et  qui  vient 
d'être  rapporté.  Le  hasard  lit  que,  le  lendemain  matin,  elle  rencontra 
le  duc  de  Noailles  dans  la  galerie,  qui  la  passoit  avec  le  chevalier  de- 
puis duc  de  Sully.  Elle  l'arrêta,  et  le  tira  dans  une  fenêtre;  là,  elle  lui 
demanda  d'abord  ce  que  c'étoit  donc  que  tout  ce  bruit  contre  les  ducs. 
Noailles  voulut  glisser,  dit  que  ce  n'étoit  rien,  et  que  cela  tomberoil 
de  soi-même;  elle  le  pressa,  et  lui  vouloit  se  dépêtrer;  mais,  à  la  lin, 

1.  Leur  ëtonnement. 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        329 

après  lui  avoir  déduit  en  peu  de  mots  l'excès  de  ces  cris  et  de  ces 
mouvements  publics,  pour  lui  taire  sentir  qu'elle  en  étoit  bien  instruite, 
elle  lui  témoigna  sa  surprise  de  ce  qu'ils  tomboient  tous  sur  son  mari. 
Noaillcs  là-dessus  s'embarrassa,  et  l'assura  qu'il  ne  l'avoit  pas  oui  dire; 
mais,  la  duchesse  lui  répondant  qu'il  dcvoit  savoir  mieux  que  personne 
qui  étoit  l'auteur  et  le  promoteur,  et  qui  le  contradicteur  de  ce  projet 
de  salutation  du  Roi,  parce  qui  s'étoit  passé  encore  la  surveille,  là- 
dessus  le  duc  de  jN'oailles  l'avoua  comme  la  chose  a  été  racontée;  qu'il 
étoit  vrai  que  c'étoit  lui  qui  l'avoit  proposé,  que  M.  de  Saint-Simon 
s'y  étoit  toujours  opposé,  et  que  lui  avoit  persévéré.  Alors  la  duchesse 
lui  demanda  donc  pourquoi  lui-même  s'en  excusoit-il  et  donnoit-il 
M.  de  Saint-Simon  pour  Fauteur  et  le  promoteur  de  ce  conseil.  Le 
duc,  interdit  et  accablé,  balbutia  une  foible  négative,  et  il  essuya  tout 
de  suite  de  courts  mais  de  cruels  reproches  de  tout  ce  qu'il  devoit  au 
duc  de  Sainl-Simon,  et  de  la  noire  et  perfide  calomnie  dont  il  le  payoit. 
Ils  se  séparèrent  de  la  sorte,  elle  dans  le  froid  d'une  juste  indigna- 
tion, lui  dans  le  désordre  d'une  foible  négative  du  crime  qu'il  voyoit 
découvert,  dans  les  aveux  arrachés  malgré  lui  de  la  reconnoissance 
qu'il  devoit  à  M.  de  Saint-Simon,  et  dans  le  désespoir  qu'il  est  aisé 
d'imaginer  et  qu'il  ne  put  cacher,  quoique  si  grand  maître  en  l'art  de 
feindre. 

Une  leçon  si  peu  attendue,  mais  si  à  bout  portant,  ne  le  changea  pas. 
Il  eut  beau  assurer  à  la  duchesse  qu'il  diroit  partout  combien  le  duc 
de  Saint-Simon  s'y  étoit  opposé,  la  palinodie  étoit  trop  subite  pour 
l'oser  chanter,  et  trop  destructive  de  ses  projets  particuliers  pour  les 
abandonner.  Il  continua  par  les  siens  ce  qu'il  avoit  si  bien  commencé 
et  par  eux  et  par  lui-même,  que  la  persuasion  publique  avoit  suivi  ; 
mais  personnellement  il  regarda  mieux  devant  qui  il  parloit,  et  il  évita 
le  plus  longtemps  qu'il  put  le  duc  de  Saint-Simon,  même  en  public. 
Lui,  occupé  de  ce  qui  regardoit  les  affaires  générales,  et  tout  au  plus 
légèrement  partagé  par  celle  du  bonnet,  il  ne  fut  informé  que  tard 
de  la  rumeur  publique,  et  plus  tard  encore  que  le  duc  de  Noailles 
l'excitoit  contre  lui.  Alors  les  écailles  lui  tombèrent  des  yeux.  Il 
commença  à  comprendre  la  cause  de  l'idée  étrange  de  cette  salutation 
entrée  dans  cette  tête,  et  la  raison  qui  l'y  avoit  rendu  si  ferme  contre 
tout  ce  qui  lui  en  avoit  été  dit.  Il  se  souvint  de  ce  qui  s'étoit  passé  entre 
eux  sur  la  place  de  premier  ministre;  il  réfléchit  sur  ce  que,  depuis 
deux  jours,  il  avoit  inutilement  pressé  M.  le  duc  d'Orléans  de  songer 
promptement  et  avant  tout  à  la  convocation  des  Etats  généraux,  lui  qui 
jusqu'alors  ne  respiroit  autre  chose  ;  enlin,  il  vit  clairement  qu'un  guet- 
apens  si  profond,  si  pourpensé,  si  contradictoire  à  toute  vérité,  et  si 
subit  et  si  à  bout  portant,  étoit  le  fruit  de  mort  d'une  ambition  qui  ne 
voit  et  ne  sent  plus  qu'elle,  et  qui,  désespérant  de  la  première  place, 
tant  qu'il  seroit  à  portée  de  l'empêcher,  risquoit  tout  pour  le  perdre  et 
pour  s'en  débarrasser.  Il  fit  parler  les  ducs  témoins  de  ce  qui  s'étoit 
passé  chez  lui.  Il  parla  lui-même,  et  à  M.  le  duc  d'Orléans,  mais  peu 


330  ADDITIONS   DE  SAINT-SIMON 

par  raccablemcnt  de  ces  moments  si  importants  et  si  chargés  des  der- 
nières heures  de  la  vie  du  Roi.  Il  s'expliqua  aussi  à  ce  qu'il  rencontra; 
mais  il  eut  afl'aire  au  public  prévenu  avec  l'artitice  le  plus  préparé, 
et  soutenu  dans  cette  persuasion  par  les  mêmes  artitices.  Il  trouva  des 
envieux  sans  nombre  de  la  li};ure  que  personne  ne  douloit  qu'il  n'allât 
faire,  et  jusque  dans  les  ducs  mêmes  des  ennemis  d'une  faveur  et  d'une 
contiance  qu'ils  s'étoienl  eux-mêmes  fort  êloii;nés  de  rechercher,  dont 
moitié  avoient  mérité  tout  le  contraire,  et  qui  se  lièrent  au  duc  de 
Noailles  dans  cet  esprit,  aux  dépens  de  la  vérité  et  d'eux-mêmes,  pour 
leur  bonnet  et  leur  dignité,  et  si  gratuitement  (ju'ils  n'eurent  jamais 
nulle  cause  à  alléguer  de  leur  haine.  Tels  sont  les  hommes,  jaloux  et 
envieux  jusqu'à  ce  point.  L'éclat  que  lit  le  duc  de  Saint-Simon  fut 
porté  à  tout;  on  le  peut  aisément  comprendre,  et  de  l'énormité  de  la 
chose  et  de  la  situation  de  ces  deux  hommes  l'un  avec  l'autre  jusques 
alors,  et  du  naturel  particulier  de  Saint-Simon,  qui  cria  publiquement 
à  la  calomnie,  qui  donna  les  ducs  qui  s'éfoient  trouvés  dans  sa  chambre 
pour  témoins  et  qui  témoignèrent  hautement  pour  lui  contre  Noailles, 
mais  qui  avoit  tout  prévenu  et  emporté  avec  un  art  et  des  secours  qui 
lui  rendirent  cet  affreux  succès,  lequel  ne  put  être  détruit  qu'à  la 
longue  et  quand  avec  la  force  de  la  vérité  Noailles  se  fut  fait  mieux 
connoître,  même  depuis.  Noailles  souffrit  tout,  remboursa  tout,  en  cou- 
pable écrasé  sous  le  poids  de  ses  remords,  et  tenta  tout  pour  apaiser 
l'autre,  qui  ne  cessa  de  se  porter  à  toute  espèce  d'extrémité  contre 
lui,  et  très  souvent  en  public  et  en  face,  tant  que  la  Régence  dura, 
quelque  grâce  que  lui  en  eût  demandé  le  Régent  pour  Noailles,  lequel 
fut  souvent  témoin,  et  chez  S.  A.  R.,  et  en  plein  Conseil,  de  ces  alga- 
rades cruelles,  pour  peu  que  les  affaires  ou  que  la  conversation  y  pût 
donner  lieu. 

Aller  plus  loin  là-dessus  seroit  faire  non  plus  des  Additions,  mais 
des  Mémoires.  Il  suffit  d'avoir  éclairci  la  cause  de  cet  éclat  sur  les 
ducs  que  nos  Mémoires  ne  font  que  marquer,  et  l'origine  de  celui  de 
Saint-Simon  contre  Noailles.  On  ajoutera  seulement  pour  achever  que 
jamais  les  affaires  n'en  souffrirent,  quoique  les  choses  subsistèrent 
de  la  .sorte  entre  eux,  Noailles  ne  s'étant  jamais  lassé  de  tâcher  et  de 
faire  toutes  sortes  de  démarches  directes  et  indirectes  pour  se  raccom- 
moder, et  de  se  conduire  en  public  en  conséquence  par  ses  discours 
qui  pouvoient  [sic]  et  par  sa  plus  que  politesse  toutes  les  fois  qu'il  ren- 
controit  Saint-Simon,  ni  celui-ci  de  lui  refuser  le  salut,  même  devant  le 
Régent,  et  d'en  user  en  propos,  quand  l'occasion  s'y  ofProit,  et  en  con- 
duite publique  avec  toute  la  hauteur  d'un  homme  sans  ménagf-ment 
aucun,  et  toute  la  pesanteur  du  poids  d'une  perfidie  si  atroce  et  d'une 
si  noire  calomnie.  Noailles,  qui,  malgré  lui,  en  étoit  accablé,  et  dont 
'ambarras  très  marqué  se  renouveloit  à  chaque  rencontre,  qui  vivoit 
toujours  dans  la  crainte  des  sorties  publiques  et  souvent  dans  le  déses- 
poir qui  les  suivoit,  étoit  de  plus  outré  d'avoir  montré  ce  qu'il  savoit 
faire  et  de  n'y  avoir  pas  réussi.  Il  ne  respiroit  donc  que  d'étouffer  la 


AU  JOURNAL  DE  DANGEAU.        331 

vérité  d'une  part,  et  d'émousser  de  l'autre  celui  qu'il  n'avoit  pu 
perdre  ;  c'est  ce  qui  le  rendit  si  constant  ji  tout  tenter,  et  ce  qui  enlin 
le  rendit,  lui  et  tous  les  siens,  si  ardents  à  procurer  le  mariage  de  la 
seconde  lille  de  sa  sœur  et  du  dernier  maréchal  duc  de  Gramont  avec  le 
tilsaînédu  ducde  Saint-Simon,  dans  l'espérance  d'un  raccommodement. 

En  deux  mots,  M.  de  Noailles  avoit  compté  d'exciter  tant  d'éclat 
contre  M.  de  Saint-Simon  qu'il  en  seroit  défait  par  quelque  aventure 
si  naturelle  à  en  naître,  ou  par  la  foiblesse  de  M.  le  duc  d'Orléans, 
qui,  à  son  entrée  dans  le  gouvernement,  n'oseroit  préférer  un  seul 
homme  à  toute  la  noblesse,  qui  se  portoit  pour  offensée  et  qui  crioit  si 
haut,  ou  que,  ne  le  soutenant  pas  au  gré  de  Saint-Simon,  celui-ci  se 
dépiterolt  contre  tant  d'injustice  et  se  retireroit.  C'est  en  effet  le  der- 
nier qui  pensa  arriver,  et  que  M.  le  duc  d'Orléans  eut  toutes  les  peines 
du  monde  à  empêcher;  mais,  Noailles  déçu  de  cette  espérance  et  pressé 
de  son  crime,  que  la  conduite  continuelle  de  Saint-Simon  retraçoit  et 
à  lui  et  au  monde,  et  craignant  un  ennemi  qui  se  faisoit  un  capital  de 
l'être  et  de  le  paroître  sans  aucun  ménagement  jusqu'en  face,  il  n'est 
rien  qu'il  ne  mît  en  usage  pour  en  venir  à  une  réconciliation,  et  ce  qui 
la  lui  faisoit  souhaiter  encore  plus  ardemment  c'étoit  le  contraste  de 
la  liaison  du  cardinal,  son  oncle,  avec  Saint-Simon,  qui  n'en  fut  en 
rien  dérangée,  et  pour  lequel  ce  dernier  ne  fut  que  plus  constant  et 
plus  ardent,  laquelle  retomboit  si  à  plomb  sur  le  neveu. 

M.  de  Saint-Simon  eut  même  bien  de  la  peine  à  consentir  à  faire  le 
mariage  de  son  fils,  quelque  bon  qu'il  le  trouvât  d'ailleurs,  et  fut  très 
longtemps  à  s'y  résoudre  pendant  la  longue  fin  du  premier  mari  sans 
enfants,  parce  que  cette  alliance  entraînoit  nécessairement  à  rentrer 
en  bienséance  avec  le  duc  de  Noailles.  Mais,  encore  une  fois,  en  voilà 
assez  et  peut-être  trop  pour  ces  Additions,  dont  il  sera  utile  de  se  sou- 
venir pour  celles  qui  pourront  suivre.  Les  pas  sans  nombre  du  duc  de 
Noailles,  la  manière  dont  il  se  présenta  au  duc  de  Saint-Simon  chez  le 
cardinal  de  Noailles  lors  du  mariage,  celle  dont  Saint-Simon  l'y  reçut, 
et  malgré  tout  la  hauteur,  le  froid,  le  bref,  que  Saint-Simon  ne  fut 
pas  maître  de  se  refuser,  ce  qu'une  telle  violence  lui  coûta,  les  démar- 
ches infinies  de  Noailles,  infatigable  à  se  vouloir  rapprocher,  et  la  con- 
duite soutenue  de  l'autre  à  se  prêter  à  peine  aux  plus  indispensables 
bienséances,  qu'il  ne  fit  jamais  qu'effleurer  depuis,  tout  cela  seroit 
matière  à  Mémoires  et  non  à  ces  Additions.  Mais  cette  remarque  est 
nécessaire  pour  la  notion  de  la  manière  dont  ces  deux  hommes  ont 
vécu  toujours  depuis,  et  continuent  de  vivre,  sans  se  lasser  de  part  et 
d'autre  de  ce  très  différent  personnage. 

1239.   Voysin  se  fait  promettre  par  le  duc  d'Orléans  la  conservation 

de  sa  charge  de  chancelier. 

(Page  284.) 

14  septembre  1715.  —  Au  personnage  qu'avoit  fait  Voysin  pendant 


332  Al!l)ITI().\S   1H:   SAINT-SIMoX 

son  Irop  puissant  ministÎTe,  et  suiioul  dans  les  derniers  ItMnps  de  la 
vie  du  Roi.  personne  n'avoit  douté  qu'il  no  fût  chassé  avec  ij^nominie, 
et  à  ce  qu'il  avoit  acquis  du  public  |>ersonne  ne  l'auroit  plaint.  La  sur- 
prise lut  donc  extrême,  lorsqu'on  le  vit  subsister  en  son  entier,  et 
recueillir  encore  les  fruits  de  tout  le  mal  qu'on  avoit  voulu  faire  à 
M.  le  duc  d'Orléans,  dont  il  avoit  été  le  dépositaire,  l'unie  et  l'instru- 
ment, et  les  recueillir  par  les  mains  de  ce  même  prince.  Le  comment 
cela  se  lit  est  encore  |dus  étonnant.  Trois  jours  avant  la  mort  du  Hoi, 
le  maréchal  de  Villeroy  en  obtint  parole  de  M.  le  duc  d'Orléans,  et 
qu'il  seroit  payé  de  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat,  dont  il  se  démet- 
troit  en  conservant  tout  le  reste.  Le  néj:;ociateur  ne  pouvoit  être  plus 
mal  choisi,  puisqu'il  étoit  manifestement  do  tout  le  secret  contre  M.  le 
duc  d'Orléans,  et  que  lui-môme  en  prolitoit  si  grandement,  car  on 
savoit  déjà  qu'il  soroit  gouverneur  et  du  Conseil.  Il  sut  imposer  au 
prince  par  ses  grands  airs  et  ses  grands  mots,  lui  parler  de  son  atta- 
chement pour  feu  Monsieur,  en  un  mot  le  paquctcr  comme  un  enfant; 
et  ce  que  la  suite  a  montré  n'avoir  pas  été  moins  digne  d'admiration, 
c'est  qu'il  sut,  après  la  mort  du  Roi,  lui  faire  tenir  parole. 


APPENDICE 


SECONDE    PAUTIE 


I 

LA  MORT  DE  LOUIS  XIV  ' 

On  connaît  de  très  nombreuses  relations  de  la  dernière  maladie  et  de 
la  mort  de  Louis  XIV.  Nous  en  avons  donné  ci-dessus,  p.  177-i78,  une 
liste  sommaire,  qui  n'a  pas  la  prétention  d'être  complète  ;  car  il  a  pu 
en  échapper  à  nos  recherches,  et  d'autre  part  il  est  probable  qu'on  en 
découvrira  d'autres  dans  les  archives  locales  ou  dans  les  papiers  de 
famille  non  encore  inventoriés  2.  Nous  allons  reprendre  article  par  arti- 
cle cette  énumération,  en  complétant  les  renseignements  bibliographiques 
déjà  donnés,  et  en  examinant  brièvement  la  valeur  historique  de  cha- 
cun de  ces  récits.  Nous  commençons  par  ceux  émanés  de  témoins  ocu- 
laires ou  vivant  à  la  cour  et  pouvant  être  bien  informés. 

L  —  Récit  de  Mme  de  Maintenon.  —  La  compagne  du  grand  Roi  a  raconté 
elle-même  ses  derniers  moments,  dans  une  lettre  écrite  à  sa  parente 
Mme  de  Villette,  cinq  jours  après  la  mort  de  Louis  XIV.  Une  copie  de 
ce  document  fut  donnée  par  la  destinataire  aux  Dames  de  Saint-Gyr  et 
se  retrouve  dans  leurs  manuscrits  conservés  à  la  bibliothèque  munici- 
pale de  Versailles.  Théophile  Lavallée  l'a  publié  dans  Madame  de  Main- 
tenon  et  la  maison  royale  de  Sainl-Cyr  (Paris,  18(32),  p.  271-27o.  Ce  n'est 
point  un  journal  des  derniers  jours  de  la  vie  du  Roi,  mais  seulement  le 
récit  de  certains  épisodes,  qui  se  rapportaient  plus  particulièrement  à 
la  narratrice,   par  exemple,  les  paroles  que  lui  adressa  le  Roi,  celles 

1.  Ci-dessus,  p.  177. 

2.  M.  G.  Hanotaux,  de  l'Académie  Française,  possède  un  récit  manus- 
crit et  inédit  de  la  mort  de  Louis  XIV,  dont  il  avait  bien  voulu  nous 
promettre  la  communication.  iMalbeureusement  ce  manuscritdoit  se  trou- 
ver dans  la  bibliothèque  de  sa  propriété  du  Pressoir,  dans  le  canton  de 
Graonne.  Il  est  à  craindre  que,  pendant  la  longue  occupation  de  cette 
région  par  les  troupes  allemandes,  ce  manuscrit  n'ait  disparu.  S'il 
échappe  à  l'incendie  et  au  pillage,  nous  tâcherons  d'en  donner  le  texte 
aux  .\ppendices  de  notre  prochain  volume. 


334  APPENDICE  I. 

qu'il  dit  au  jeune  Daupliin,  la  recommandation  qu'il  fit  pour  elle  au 
futur  n'jtent,  etc.  La  valeur  de  ce  document  est  incontestable,  et  il 
semble  difficile  de  ne  pas  lui  attribuer  la  foi  la  plus  entière.  Dans  le 
manuscrit  n»  72  des  archives  du  château  de  Mouchy,  il  existe  une  autre 
copie  de  ce  récit  de  Mme  de  Maintenon. 

11.  —  Récit  de  Mlle  iVAumale.  —  La  secrétaire  confidente  de  Mme  de 
Maintenon  a  raconté  à  deux  reprises  la  maladie  et  la  mort  de  Louis  XIV, 
et  elle  était  bien  placée  pour  le  faire,  puisqu'elle  resta  continuellement 
avec  Mme  de  Maintenon  dans  la  chambre  du  Roi  pendant  les  derniers 
jours,  ne  la  quittant  qu'avec  sa  maîtresse  et  y  revenant  en  môme  temps 
qu'elle'.  Elle  raconte  ce  qu'elle  a  vu  et  entendu,  ou  su  de  première  main 
par  les  médecins,  le  confesseur,  les  valets  de  chambre,  par  sa  maîtresse 
elle-même.  Son  témoignage  a  donc  une  grande  importance. 

La  première  rédaction  se  trouve  à  la  fin  de  son  Mémoire  sur  Mme  de 
Maiulenou  et  occupe,  sous  un  titre  spécial,  les  pages  198  à  202  du 
tome  I"  des  Souvenirs  sur  Madame  de  Maintenon  publiés  par  MM.  llano- 
taux  et  d'Haussonville.  C'est  un  très  court  récit  ;  la  secrétaire  s'altaciie 
surtout  aux  paroles  dites  par  le  Roi  à  Mme  de  Maintenon  et  que  celle- 
ci  lui  rapporta  ou  qu'elle  entendit  elle-même. 

La  seconde  version  est  plus  développée.  Elle  appartient  à  ce  que  les 
éditeurs  ont  appelés  les  Cahiers  de  Mlle  d'Aumale,  et  elle  occupe  dans  le 
tome  II  de  la  publication  indiquée  ci-dessus  les  pages  323-351.  La  nar. 
ratrice  entre  dans  beaucoup  de  détails  sur  les  derniers  jours  de  la  mala- 
die, sur  la  réception  des  sacrements,  sur  les  paroles  que  le  Roi  adressa 
au  jeune  dauphin,  à  Mme  de  Maintenon,  aux  ecclésiastiques  présents 
dans  sa  chambre,  au  duc  d'Orléans,  aux  princes  et  princesses,  aux 
secrétaires  d'État,  etc.  C'est  certainement  avec  le  récit  de  Dangeau, 
dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure,  la  relation  la  plus  précise,  la  plus 
sûre  et  en  même  temps  la  plus  complète  que  nous  possédions. 

H  bis.  —  Récit  des  Dames  de  Sai)it-Cijr.  —  On  trouve  dans  les  Mémoi- 
res des  Dames  de  Saint-Cyr,  conservés  naguère  en  manuscrit  au  grand 
séminaire  de  Versailles  et  maintenant  transférés  à  la  bibliothèque 
municipale  de  cette  ville,  une  relation  qui  a  une  très  grande  analogie 
avec  la  seconde  rédaction  de  Mlle  d'Aumale.  Évidemment,  la  rédactrice 
de  ces  Mémoires,  Mme  du  Pérou,  s'est  inspirée  de  la  lettre  de  Mme  de 
Maintenon  dont  nous  parlons  sous  le  n"  I,  et  de  l'œuvre  de  Mlle  d'Au- 
male, dont  elle  eut  sans  doute  communication.  C'est  donc  un  document 
de  seconde  main,  mais  qui  se  rattache  à  ceux  qui  lui  ont  servi  de  source 
et  qui  peut  les  suppléer  au  besoin. 

1.  «  J'étois  toujours  avec  Mme  de  Maintenon  dans  sa  chambre,  soit 
dans  celle  du  Roi  ;  elle  passa  presque  toutes  les  nuits  auprès  de  lui  ; 
je  les  passois  avec  elle.  Elle  allnit  quelquefois  le  malin  se  coucher  deux 
ou  trois  heures,  ainsi  que  moi,  et  revenoit  passer  le  reste  de  la  journée 
auprès  de  lui  »  (Souvenirs  sur  Mme  de  Maintenon,  tome  II,  p.  .■{2.">-32t))  ; 
p.  342,  elle  répète  :  «  J'étois  presque  toujours  dans  la  chambre  avec 
Mme  de  Maintenon.  n 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  335 

III.  —  Récit  de  Languet  de  Gergy,  archevêque  de  Sens.  —  Il  est  inséré 
dans  les  Mémoires  de  ce  prélat  que  Théophile  Lavallée  a  publiés  en 
1863  à  la  suite  de  son  travail  sur  La  famille  d'Aubigné  et  l'enfance  de 
Mme  de  Maintenon  ;  il  occupe  les  pages  4oo  à  4G4  de  cet  ouvrage.  D'après 
l'éditeur,  ce  récit  paraît  emprunté  aux  propres  souvenirs  de  l'auteur, 
aux  manuscrits  des  Dames  de  Saint-Gyr,  aux  lettres  de  Mme  de  Mainte- 
non  et  au  récit  de  Mile  d'Aumale  ;  il  a  donc  une  étroite  parenté  avec 
les  relations  dont  nous  avons  parlé  précédemment. 

IV  et  V.  —  Récits  de  Dangeau.  —  Dangeau  a  continué  son  Journal 
habituel  de  la  cour  jusqu'au  23  août  ;  cette  dernière  journée,  dans  le 
manuscrit  original  de  Dampierre,  est  toute  entière  de  sa  main,  ainsi 
que  les  premières  lignes  de  la  journée  du  26  août.  Il  s'interrompit  alors 
au  milieu  d'une  phrase,  sans  doute  ayant  pris  la  résolution  de  faire  le 
récit  plus  détaillé  dont  nous  allons  parler  plus  loin.  Le  Journal  a  été 
continué,  pour  la  fin  de  la  journée  du  26  et  pour  celles  du  27  et  du  28, 
par  un  secrétaire,  qui  n'a  pas  achevé  sa  rédaction  pour  les  trois  der- 
niers jours  du  mois. 

Nous  venons  de  dire  que  Dangeau  avait  écrit  un  mémoire  spécial.  Ce 
document  est  intitulé  «  Mémoire  du  marquis  de  Dangeau  sur  ce  qui 
s'est  passé  dans  la  chambre  du  Roi  pendant  sa  maladie.  »  Les  éditeurs 
du  Journal  l'ont  publié  à  la  suite  de  la  journée  du  28  août,  tome  XVI, 
p.  117-136,  d'après  le  manuscrit  unique  qu'ils  connurent  et  qui,  prove- 
nant de  la  collection  du  baron  de  Hohendorf,  ambassadeur  en  France 
en  1716,  se  trouve  conservé  à  la  Bibliothèque  impériale  de  Vienne  sous 
le  n»  6861. 

L'attribution  à  Dangeau  en  fut  contestée,  dés  l'apparition  du  tome  XVI 
du  Journal,  par  M.  Lock,  qui  publiait  alors  des  extraits  des  Mémoires 
du  baron  de  Breteuil  dans  le  Magasin  de  librairie  et  qui,  trouvant,  à  la 
suite  de  ces  Mémoires,  un  texte  du  récit  attribué  à  Dangeau  sans  que 
le  nom  de  Dangeau  y  fût  mentionné,  pensa  que  ce  document  était  plu- 
tôt l'œuvre  du  baron  de  Breteuil.  Il  fit  paraître  dans  la  Correspondance 
littéraire,  tome  III,  1858,  p.  33  et  173,  deux  lettres  pour  soutenir  cette 
opinion.  Les  éditeurs  du  Journal  de  Dangeau  réfutèrent  ses  arguments 
dans  un  mémoire  qu'ils  insérèrent  dans  les  appendices  de  leur 
tome  XVIII,  p.  387-;]91.  Depuis  lors  d'autres  copies  du  Mémoire  de 
Dangeau  ont  été  découvertes  :  d'abord  dans  le  volume  68  des  Papiers 
de  Saint-Simon  (aujourd'hui  France  223),  fol.  61-70.  Le  titre  en  est  un 
peu  différent  de  celui  donné  par  les  éditeurs  du  Journal  •  ;  mais  il  lui 
attribue  aussi  Dangeau  pour  auteur.  Une  autre  copie  existe  dans  le 
manuscrit  Glairambault  483  à  la  Bibliothèque  nationale,  fol.  93-109  ;  le 
titre  est  exactement  le  même  que  celui  des  Papiers  Saint-Simon.  Quantau 
texte  de  ces  deux  copies,  il  est  de  tous  points  conforme  à  l'imprimé.  Enfin 
on  trouve  encore  le  même  texte  dans  le  volume  Autriche  108  du  Dépôt 

1.  «  Récit  fait  par  M.  le  marquis  de  Dangeau  de  ce  qui  s'est  passé 
dans  la  chambre  du  Roi  pendant  les  derniers  jours  de  sa  vie.  » 


330  APPKNPICR   I. 

des  Affaires  étrangères,  où  il  est  inséré  parmi  la  copie  de  la  correspon- 
dance du  comte  du  Luc,  alors  ambassadeur  à  Vienne,  entre  les  lettres 
des  7  et  9  novembre  ITl'i,  et  immédiatement  à  la  suite  d'un  mémoire 
sur  le  conseil  aulique  de  guerre  que  l'ambassadeur  envoyait  à  Villars 
avec  sa  lettre  du  13  novembre.  Rien  dans  les  lettres  du  comte  du  Luc 
n'indique  l'origine  de  ce  morceau,  qui  ne  porte  pas  de  titre  et  par 
conséquent  pas  de  désignation  d'auteur.  Le  texte  en  est  conforme  au 
texte  connu,  si  ce  n'est  que  la  phrase  de  début  :  Je  sors,  etc.,  est  reje- 
tée après  les  deux  premiers  paragraphes,  de  sorte  que  le  récit  com- 
mence par  II  y  a  plus  de  deux  mois,  etc.  On  observe  d'ailleurs  la 
même  particularité  dans  les  divers  manuscrits  des  Mémoires  du  baron 
de  Breteuil  '. 

On  pourra  se  demander  pourquoi,  si  ce  Mémoire  a  Dangeau  pour 
auteur,  deux  des  exemplaires  qu'on  en  connaît  •^  ne  portent  pas  son 
nom.  L'explication  de  ce  fait  peut  se  trouver  en  ce  que,  cette  relation 
ayant  été  utilisée  pour  le  Mercure,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin,  il  a 
dû  en  être  fait  au  moins  une  copie,  et  peut-être  plusieurs,  sans  nom 
d'auteur,  puisque  les  relations  insérées  dans  le  Mercure  n'en  portaient 
ordinairement  pas.  Cette  copie  a  pu  être  l'origine  des  versions  anony- 
mes qui  nous  sont  parvenues. 

Quant  à  la  valeur  historique  de  ce  document,  elle  est  exactement  la 
même  que  celle  du  reste  du  Journal,  si  ce  n'est  qu'on  peut  dire  que 
Dangeau,  toujours  si  exact  dans  ce  qu'il  rapporte,  a  dû  encore,  dans 

1.  Il  existe  trois  manuscrits  de  ces  derniers  mémoires:  un,  avec  des 
notes  et  additions  autographes,  appartient  par  héritage  à  M.  le  marquis 
de  Breteuil  :  un  autre,  qui  est  la  mise  au  net  du  précédent,  est  con- 
servé à  la  bibliothèque  de  Rouen  ;  enfin  le  troisième,  le  plus  connu 
et  le  plus  utilisé  jusqu'à  présent,  et  qui  est  une  copie,  peut-être  abré- 
gée, de  celui  de  Rouen,  appartient  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal.  Le 
manuscrit  de  Rouen,  le  plus  complet  des  trois,  se  termine  par  la  rela- 
tion de  l'entrée  du  comte  de  Ribeyra,  ambassadeur  de  Portugal  (ci- 
dessus,  p.  191),  qui  est  immédiatement  suivie  par  cette  citation  latine 
Hic  cœslus  artemque  repono,  indiquant  que  l'auteur  termine  là  son 
œuvre.  Or,  à  la  page  suivante  commence  le  récit  de  la  maladie  du  Roi, 
sous  le  titre  :  «  Mémoire  de  ce  qui  s'est  passé  depuis  le  moment  où  le 
roi  Louis  XIV  a  reçu  le  viatique  jusqu'à  sa  mort  arrivée  le  1"  septem- 
bre i/lo.  »  Il  semble  donc  bien  que  ce  récit  n'est  point  r(jnivre  du  baron 
de  Breteuil,  de  son  aveu  même.  —  Dans  ce  même  manuscrit  de  Rouen,  il 
y  a  en  tête  du  tome  I"  un  «  Sommaire  des  parties  les  plus  intéressan- 
tes »  rédigé  par  un  secrétaire  ;  on  lit  dans  le  sommaire  du  tome  VI  à 
propos  de  ce  «  Mémoire  »  la  note  suivante  :  «  Ce  mémoire  est  certai- 
nement l'original  sur  lequel  a  été  imprimée  la  Relation  de  la  mort  de 
Louis  XIV  dans  un  volume  séparé  du  Mercure,  qui  est  fort  rare  ;  il  y  a 
dans  le  manuscrit  des  détails  qui  ont  été  supprimés  ou  changés  à  l'im- 
pression. C'est  donc  cet  original  qu'il  faudroit  suivre  en  cas  de  doute.  » 
Rien  ne  permet  donc  de  l'attribuer  au  baron  de  Breteuil. 

2.  Ceux  des  Mémoires  de  Breteuil  et  de  la  correspondance  du  comte 
du  Luc. 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  33l 

ces  circoustances  exceptionnelles,  exagérer  ce  souci  d'exactitude  qui  est 
la  caractéristique  de  son  œuvre.  Tout  ce  qu'il  dit  s'accorde  avec  les 
relations  de  Mme  de  Maintenon,  de  Mlle  d'Aumale  et  des  Anthoine:  si 
l'on  y  trouve  quelques  détails  omis  par  les  autres,  du  moins  jamais 
n'est-il  en  contradiction  avec  eux.  Les  divergences  de  forme  qu'on  peut 
signaler  entre  lui  et  les  autres  relations  pour  le  texte  même  des  paroles 
prononcées  par  le  Roi  s'expliquent  naturellement  par  les  défaillances 
de  mémoire  de  témoins  auriculaires  qui  n'écrivent  pas  sur  l'heure  et 
qui,  tout  en  restant  complètement  d'accord  sur  le  fond  et  le  sens  des 
paroles,  peuvent  différer  sur  les  mots  employés. 

11  y  a  donc  pour  la  maladie  du  Roi  deux  récits  de  Dangeau  :  l'un, 
qui  n'est  que  la  suite  de  son  journal  quotidien  et  qui  a  été  rédigé  par 
lui-même  jusqu'au  25  août  inclus  et  continué  par  un  secrétaire  pour 
les  26,  27  et  28;  c'est  celui  que,  dans  notre  commentaire,  nous  avons 
appelé  le  Journal  de  Dangeau  ;  l'autre,  que  nous  avons  désigné  sous  le 
nom  de  Mémoire  spécial,  va  du  23  au  31  août. 

VI.  —  Journal  des  Anthoine.  —  Ce  récit,  intitulé  «  Journal  historique 
ou  récit  fidèle  de  ce  qui  s'est  passé  de  plus  considérable  pendant  la 
maladie  et  la  mort  de  Louis  XIV,  roi  de  France  et  de  iNavarre,  fait  et 
dressé  par  les  sieurs  Anthoine  »,  existe  en  original  à  la  bibliothèque 
de  la  ville  de  Gaen,  ms.  n»  350  du  Catalogue;  un  autre  exemplaire  s'en 
trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  ms.  Nouv.  acquis,  franc.  3012.  II  a 
été  publié  en  1880  par  Edouard  Drumont,  La  mort  de  Louis  XIV ;  Jour- 
nal des  Anthoine;  Paris,  un  vol.  in-12.  Les  auteurs  sont  les  deux  frères 
Anthoine,  Jean  et  François,  tous  deux  porte-arquebuse  du  Roi  ;  le  pre- 
mier joignait  à  ces  fonctions  celles  de  concierge  de  la  Chancellerie  et 
d'inspecteur  général  de  la  capitainerie  et  maîtrise  des  eaux  et  forêts  de 
Saint-Germain-en-Laye,  et  le  second  était  en  outre  garçon  ordinaire  de 
la  chambre  du  Roi  ;  c'est  dire  qu'ils  étaient  de  ces  «  valets  intérieurs  » 
dont  Saint-Simon  parle  si  souvent  comme  les  confidents  par  fonction 
de  toutes  les  actions  de  Louis  XIV.  Ils  affirment  qu'ils  racontent  ce 
qu'ils  ont  vu  et  entendu  ou  ce  qui  leur  a  été  rapporté  par  les  gens  de 
service  ou  autres  personnes  qui  en  avaient  été  témoins.  Leur  récit 
roule  principalement  sur  les  soins  matériels  et  les  menus  événements 
qui  se  passèrent  dans  la  chambre  ;  tout  ce  que  firent  ou  dirent  les 
médecins,  valets,  officiers,  est  minutieusement  rapporté  ;  ils  mention- 
nent les  soins  donnés,  les  médicaments  pris,  les  repas  du  Roi,  les  chan- 
gements de  lit  ou  de  linge,  les  pansements  de  la  jambe  malade,  et  à 
ce  point  de  vue  plus  spécial  leur  témoignage  est  particulièrement  inté- 
ressant. De  même,  ils  relatent  toutes  les  paroles  dites  par  le  Roi  aux 
médecins,  chirurgiens  et  valets,  toutes  celles  encore  qu'il  prononça 
lorsqu'il  y  avait  beaucoup  de  monde  dans  la  chambre,  ou  que  des 
domestiques  s'y  trouvaient  ;  mais,  par  contre,  ils  n'ont  pas  connais- 
sance des  paroles  intimes  adressées  par  le  Roi  à  Mme  de  Maintenon,  à 
son  confesseur,  au  futur  Régent,  etc.,  c'est-à-dire  de  celles  qui  n'avaient 
guère  d'autres  auditeurs  que  les  intéressés,  et  que  le  «  service  »  ne  pou- 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXVII  22 


338  APPENDICE  I. 

vait  pas  entendre.  Sous  cette  réserve,  leur  récit  est  certainement  le 
plus  complet  et  le  plus  ordonné  de  tous  ceux  que  nous  possédons,  et  il 
a  une  réelle  valeur  historique. 

VII.  —  Relation  du  marquis  de  Quincy.  —  Dans  le  tome  VII  et  dernier 
de  son  Histoire  militaire  du  rèyne  de  Louis  le  Grand,  paru  en  1726,  le 
marijuis  de  Quincy  a  inséré  (p.  391-407  de  la  première  partie)  une 
«  Helation  de  la  maladie  et  de  la  mort  de  Louis  XIV  »,  qui  est  très 
complète  et  qui  présente  à  certains  points  de  vue  de  réelles  garanties 
d'exactitude  Duclos  nous  apprend  en  effet,  dans  ses  Mémoires  secrets 
(édition  Michaud  et  Poujoulat,  p.  48i),  que  l'auteur  communiqua  son 
manuscrit  au  P.  le  Tellier,  que  celui-ci  y  fit  un  certain  nombre  d'ob- 
serv.itions,  et  que  le  marquis  de  Quincy  exécuta  sur  sa  rédaction  les 
changements  et  modifications  nécessaires,  avant  de  la  livrer  à  l'impres- 
sion. Le  P.  le  Tellier  étant  mort  en  1719,  le  travail  de  Quincy  e>t  anté- 
rieur à  cette  date.  On  peut  donc  dire  que  la  relation  de  l'Histoire  m.ili- 
taire  est  l'expression  de  ce  qu'aurait  écrit  le  confesseur  de  Louis  XIV. 
A  ce  point  de  vue,  c'est-à-dire  pour  tout  ce  qui  touche  à  la  religion,  elle 
a  un  véritable  intérêt.  Le  marquis  de  Quincy  la  soumit-il  à  d'autres 
témoins  des  derniers  moments  du  Roi,  c'est  ce  qu'on  ignore.  En  tout 
cas,  elle  fut  regardée  par  les  contemporains  comme  très  authentique, 
puisque  le  P.  Griffet  l'inséra  intégralement  dans  sa  réédition,  avec  con- 
tinuation jusqu'en  1713,  de  l'Histoire  de  France  dix  P.  Daniel  (l7o5-17o7). 
De  même,  l'abbé  Oroux  la  reproduisit  dans  le  tome  II,  p.  378-590,  de 
son  Histoire  ecclésiastique  de  la  cour  de  France  (1776).  Un  a  vu  ci-des- 
sus, à  maintes  reprises,  dans  le  commentaire  du  texte  de  nos  Mémoi- 
res que  Saint-Simon  l'a  utilisé  presque  comme  source  unique,  avec  le 
Journal  de  Dangeau. 

VIII.  —  Relation  du  Mercure.  —  Le  Mercure  galant  donna  en  supplé- 
ment à  sa  livraison  d'octobre  1715  un  récit  de  la  maladie  et  de  la  mort 
du  Roi,  de  ses  obsèques  à  Saini-Denis  et  de  ce  qui  se  passa  à  l'avène- 
ment du  jeune  roi.  Ce  morceau  est  anonyme  ;  mais  ou  sait  qu'il  a  pour 
auteur  Le  Febvre  de  Fontenay,  qui  le  réimprima  à  part  à  la  lin  de  1715 
en  un  petit  volume  in-lâ  intitulé  u  Journal  historique  de  tout  ce  qui 
s'est  passé  depuis  les  premiers  jours  de  la  maladie  de  Louis  XIV  jus- 
qu'au jour  de  son  service  à  Saint-Denis,  avec  une  relation  exacte  de 
l'avènement  de  Louis  XV  à  la  couronne  de  France.  »  Pour  ce  qui  regarde 
la  maladie  et  la  mort,  Lefebvre  de  Fontenay,  qui  avait  eu  communica- 
tion du  Mémoire  spécial  de  Dangeau,  s'est  contenté  de  l'utiliser  en  le 
démarquant,  c'est-à-dire  en  modifiant  un  peu  le  style  et  en  changeant 
quelques  tournures  ;  mais,  s'il  n'omet  aucun  des  détails  donnés 
par  Dangeau,  il  n'en  ajoute  non  plus  aucun.  Cette  relation  peut  donc 
être  considérée  comme  une  réplique  du  Mémoire  spécial  ;  elle  a  été 
reproduite  par  Marmontel  dans  son  Nouveau  choix  de  pièces  Urées  des 
anciens  Mercures  et  d'autres  journaux,  tome  XXXll,  et  Danjou  l'a 
réimprimée  encore  une  fois  en  1840  dans  le  tome  Xll  de  la  deuxième 
série  des  Archives  curieuses  de  l'Histoire  de  France,  p.  43.'}-451. 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  339 

IX.  —  Lettre  anonyme  des  archives  de  Dampterre.  —  Les  éditeurs  du 
Journal  de  Dangeau  ont  inséré  dans  les  Appendices  de  leur  tome  XVIII, 
p.  371-381,  une  lettre  sans  signature,  dont  ils  avaient  découvert  une 
copie  dans  les  archives  du  château  de  Dapiemrre.  L'auteur  n'y  décèle 
en  rien  sa  personnalité  ;  il  écrit  à  son  frère,  qui  était  alors  à  l'étranger, 
probablement  sept  ou  huit  jours  après  la  mort  du  Roi,  et  il  semble 
avoir  été  assez  bien  renseigné.  Rien  ne  prouve  qu'il  ait  été  témoin  ocu- 
laire de  ce  qu'il  raconte;  cependant  il  est  certain  qu'il  devait  vivre  à 
la  cour  et  savoir  de  bonne  source  les  particularités  des  événements. 
Il  est  à  remarquer  que  le  texte  des  paroles  qu'il  prête  au  Roi  est  par- 
fois sensiblement  différent  comme  forme  de  celui  des  autres  ver- 
sions. 

X.  —  Lettre  anonyme  des  archives  de  la  Ciotat.  —  Cette  lettre,  conser- 
vée en  copie  aux  archives  municipales  de  la  Ciotat,  a  été  insérée  dans 
le  Bulletin  du  comité  de  la  langue,  de  l'histoire  et  des  arts  de  la  France, 
tome  IV,  année  1837,  p.  913-916.  Elle  n'est  pas  signée  ;  mais  elle  émane 
d'un  jeune  seigneur  provençal,  qui,  arrivé  à  la  cour  dans  le  courant 
d'août  1713,  fut  témoin  oculaire  de  certaines  des  scènes  qu'il  décrit,  et 
entendit  raconter  les  autres  «  à  des  personnes,  qui,  par  le  privilège  de 
leurs  entrées,  en  ont  été  les  témoins.  »  Datée  du  28  août,  cette  lettre 
donne  le  récit  des  événements  seulement  jusqu'au  soir  du  27;  la  pré- 
cision et  l'exactitude  des  détails  font  regretter  qu'on  ne  possède  pas  la 
lettre  suivante,  qui  devait  raconter  la  mort  du  Roi.  A  cause  de  l'intérêt 
de  ce  texte,  un  peu  perdu  dans  le  Bulletin  du  Comité,  nous  le  réimpri- 
mons ci-après  sous  le  n"!. 

XI.  —  Belation  des  papiers  Fevret  de  Fontette.  —  Cette  relation, 
dont  on  ignore  l'auteur,  est  conservée  en  copie  dans  le  tome  II  du 
«  Recueil  de  pièces  concernant  l'histoire  de  France  »  réunies  par  le  prési- 
dent Fevret  de  Fontette,  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal, 
ms.  3724,  fol.  174  et  suivants.  Elle  commence  par  diverses  précisions 
au  sujet  de  l'intention  du  Roi  d'aller  faire  enregistrer  au  Parlement 
dans  un  lit  de  justice  la  constitution  Unigenilus,  et  il  est  très  facile  de 
constater  que  son  rédacteur  anonyme  est  un  anticonstitutionnaire  et  un 
partisan  zélé  du  cardinal  de  Noailles.  On  y  trouve,  à  ce  propos,  des 
renseignements  inconnus  sur  le  rôle  du  procureur  général  Daguesseau 
et  de  l'avocat  général  Chauvelin. 

Le  récit  des  derniers  temps  du  Roi  est  extrêmement  résumé  ;  il  n'y 
a  guère  de  détails  que  pour  l'incident  du  cardinal  de  Noailles  et  pour 
les  paroles  adressées  par  le  Roi  aux  cardinaux  de  Rohan  et  de  Bissy  à 
propos  de  la  Constitution.  L'auteur  affirme  que  ce  sont  les  propres 
paroles  du  Roi  et  qu'on  fit  tout  le  possible  pour  les  cacher;  le  sens  en 
est  assez  conforme  au  résumé  qu'en  donne  Saint-Simon. 

A  cause  de  ces  particularités,  cette  relation  a  semblé  assez  curieuse 
pour  qu'on  l'insérât  ci-après  sous  le  n    II. 

XII.  —  Lettres  inédites  de  l'abbé  Mascara.  —  Cette  correspondance, 
qui  a  été  signalée  pour  la  première  fois  par  Mgr  Baudrillart  dans  son 


340  APPENDICE  1. 

Rapport  sur  les  archives  d'Alcala^,  esl  adressée  au  marquis  de  Gri- 
maldo,  secrtHaire  d'État  du  roi  d'Espagne  Philippe  V  ;  elle  est  écrite  en 
italien.  Mgr  Baudrillurt  a  indi(]ur-  tout  ce  qu'on  peut  savoir  de  la  per- 
sonnalité de  l'auteur  de  ces  lettres,  et  il  a  aussi  expliqué  quelle  est  leur 
valeur  historique  et  quelle  confiance  on  peut  avoir  en  leurs  assertions. 
Nous  avons  fait  copier  les  lettres  des  derniers  jours  d'août,  et  nous  en 
avons  extrait  tout  ce  qui  a  trait  à  la  maladie  et  à  la  mort  du  Roi  ;  on 
en  trouvera  ci-après  une  traduction  française  sous  le  n»  111.  Il  convient 
de  dire  très  loyalement  que,  n'ayant  pu  trouver  à  Mailrid  de  coi»iste  qui 
connût  la  langue  italienne,  cette  ignorance,  jointe  aux  difficultés  que 
pouvait  présenter  l'écriture,  a  rendu  difficile  la  traduction  d'un  petit 
nombre  de  courts  passages,  pour  lesquels  on  a  dû  se  guider  sur  le  sens 
général  de  la  phrase. 

XIII.  —  Nouvelles  de  la  Gazette  de  France.  —  Contrairement  à  ce 
qu'on  pourrait  croire,  les  rédacteurs  de  la  Gazette  ne  donnèrent  pas  de 
relation  complète  de  la  maladie  du  Roi,  et  même  furent  à  cet  égard 
très  sobres  de  renseignements.  Une  courte  note  insérée  dans  le  numéro 
du  24  août  mit  le  public  au  courant  du  début  de  la  maladie.  Puis, 
dans  celui  du  31  août,  se  trouve  en  quelques  lignes  le  récit  des  jour- 
nées du  '2o  au  30;  enfin  le  numéro  du  7  septembre  annonça  les  der- 
niers moments  et  la  mort  du  souverain.  Ces  renseignements  très  som- 
maires n'ont  guère  de  valeur  et  n'apprennent  rien  qu'on  ne  sache  d'ail- 
leurs. 

XIV.  —  Nouvelles  de  la  Gazette  d'Amsterdam.  —  Cette  gazette  hollan- 
daise, généralement  bien  renseignée,  devait  l'être  également  sur  les 
circonstances  de  la  mort  du  Roi  ;  cependant  ce  n'est  que  dans  le  n»  lxvih 
(23  août,  correspondance  de  Paris  du  16)  qu'on  commence  à  parler 
d'une  attaque  de  goutte,  dont  il  n'est  même  plus  question  dans  le 
numéro  suivant.  Le  n"  lxx  (lettre  du  23  août)  contient  quelques 
nouvelles  sur  la  santé  de  Louis  XIV  ;  elles  sont  complétées  dans  la 
feuille  extraordinaire.  Il  n'y  a  qu'un  mot  dans  la  correspondance  de  Paris, 
datée  du  26  août,  qui  est  insérée  dans  le  numéro  suivant  (lxxi);  mais, 
dans  le  même  numéro,  la  lettre  datée  de  la  Haye  du  1"  septembre  est 
bien  plus  complète  et  donne  des  renseignements  jusqu'au  25  août. 
Le  n»  Lxxn  contient  des  nouvelles  plus  détaillées  jusqu'au  29  août,  et  la 
feuille  extraordinaire  les  complète  encore.  Puis  le  n°  lxxiii  renferme 
un  exposé  sommaire  de  toute  la  maladie,  daté  du  2  septembre,  et  l'an- 
nonce de  la  mort  du  Roi  ;  enfin  dans  l'Extraordinaire  lxxui,  il  y  a 
des  extraits  de  lettres  de  Paris  des  2Î)  août  et  1"  septembre,  qui  revien- 
nent sur  certaines  circonstances  particulières. 

En  somme,  les  renseignements  provenant  de  cette  source  d'informa- 
tion sont  conformes  dans  l'ensemble  à  ceux  des  autres  récits  ;  elle  n'est 
point  cependant  à  négliger;  car  il  y  a  quelques  particularités  qui  ne  se 
rencontrent  que  là  :   par  exemple   que  les  médecins   firent   mettre  la 

1.  Archives  des  Missions,  3*  série,  t.  XV,  p.  40-48. 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  341 

jambe  du  Roi  dans  un  bain  si  chaud  qu'on  n'y  pouvait  tenir  la  main, 
et  qu'il  ne  s'aperçut  de  cette  température  que  quand  la  chaleur  eût 
pénétré  jusqu'à  l'os  ;  et  puis  encore  la  visite  d'un  vieillard  centenaire 
qui  apporta  au  Roi  un  bouquet  le  jour  de  la  Saint-Louis. 

I 

Lettre  anonyme  sur  la  maladie  du  roi  Louis  XIV  ^. 

a  Paris,  ce  28  août  1715. 

«  Je  suis  arrivé  ici,  mon  très  cher  père,  dans  une  déplorable  con- 
joncture. Le  Roi,  qui  depuis  quelques  mois  s'affoiblissoit  considéra- 
blement, est  tombé  depuis  quinze  jours  dans  une  maigreurs!  excessive, 
qu'il  n'est  pas  reconnoissable.  Son  mal,  traité  d'érisypèle  sur  une 
jambe,  a  été  reconnu  depuis  deux  jours  une  véritable  gangrène,  qui 
étoit  montée  hier,  quand  je  sortis  de  Versailles,  au  plus  des  deux  tiers 
de  la  cuisse,  et,  si  S.  M.  respire  encore,  ce  ne  peut  être  que  pour 
quelques  moments.  Rien  n'est  plus  héroïque  et  plus  chrétien  en  même 
temps  que  la  fermeté  avec  laquelle  il  voit  venir  ce  dernier  instant.  Je 
vais  vous  en  faire  le  détail. 

«  Averti  par  ses  médecins  du  danger  sans  ressource  où  il  se  trouve^, 
il  passa  la  nuit  du  24  au  25  ^,  jour  de  la  fête  saint  Louis,  avec  son  con- 
fesseur, et,  sur  le  matin,  S.  M.  s'assoupit  pendant  quelques  heures.  Il 
entendit  la  messe  dans  sa  chambre,  et  voulut  dîner  en  public,  disant  à 
ceux  qui  lui  représentoient  son  état  :  «  J'ai  vécu  parmi  les  gens  de  ma 
«  cour;  je  veux  mourir  parmi  eux.  Ils  ont  suivi  tout  le  cours  de  ma 
«  vie;  il  est  juste  qu'ils  me  voient  tinir.  »  11  parut  en  robe  de  chambre, 
sa  jambe  sur  des  carreaux,  mangea  d'une  panade  et  d'un  potage  et 
parla  à  son  ordinaire.  Ensuite,  il  fit  retirer  la  table  de  devant  lui  et 
causa  un  quart  d'heure  avec  tout  le  monde  ;  après  quoi  il  dit  :  «  Mes- 
«  sieurs,  il  ne  seroit  pas  juste  que  le  plaisir  que  j'ai  de  prolonger  les 
«  derniers  moments  que  je  passerai  avec  vous,  vous  empêche  de  dîner  ; 
«  je  vous  dis  adieu  et  vous  prie  d'aller  manger.  »  Nous  sortîmes  tous 
avec  la  dernière  douleur,  fondant  en  larmes. 

«  Sur  les  sept  heures  du  soir,  S.  M.  ayant  eu  une  foiblesse,  on  lui 
donna  l'extrême  onction,  qu'il  reçut  avec  beaucoup  de  présence  d'es- 
prit, ouvrant  lui-même  son  estomac  et  répondant  à  tout.  Ensuite  il 
reçut  le  viatique,  et,  toute  cette  cérémonie  étant  finie,  il  fit  appeler 
M.  le  Chancelier,  écrivit  en  sa  présence  trois  pages  de  sa  main,  lui  en 
dicta  une  quatrième  et  quelques  lignes,  envoya  montrer  le  tout  à  M.  le 
duc  d'Orléans,  qui  étoit  dans  le  cabinet  près  de  la  chambre  avec  tous 
les   princes  et  princesses.  Ils  rentrèrent   ensemble,   et  ce  papier  fut 

1.  Archives  de  la  Ciotat;  voir  ci-dessus,  p.  339,  n°  X. 

2.  Le  texte  porte  du  25  au  26  ;  mais  c'est  une  erreur,  ainsi  que  l'in- 
diquent les  mots  jour  de  la  fête  saint  Louis,  qui  suivent. 


3i2  APPENDICE  I. 

cacheté  ;  on  prôtond  que  c'ost  un  codicille.  Le  reste  de  la  nuit  se  passa 
assez  tranquillement. 

«  Le  lendemain  au  matin,  le  Roi,  après  avoir  parlé  à  M.  le  duc  d'Or- 
léans pendant  fort  lonj^temps.  et  à  chacun  des  princes  et  princesses 
en  particulier,  il  les  lit  venir  tous  ensemble,  leur  représenta  paternel- 
lement l'union  qu'ils  dévoient  conserver  entre  eux,  et,  après  les  avoir 
embrassés  les  uns  après  les  autres,  il  reprit  son  ton  de  majeslé.  il  dit 
à  M.  le  duc  d'Orléans  :  «  Mon  neveu,  je  vous  fais  régent  du  royaume. 
«  Vous  allez  voir  un  roi  dans  le  tombeau  et  un  autre  dans  le  berceau  ; 
«  souvenez- vous  toujours  de  la  mémoire  de  l'un  et  des  intérêts  de 
«  l'autre.  «  Il  a  déclaré  que  le  nouveau  roi  seroit  conduit  à  Vincennes 
dès  qu'il  seroit  mort,  et  a  commandé  lui-même,  nom  par  nom,  la  garde 
qui  doit  l'escorter  et  les  personnes  qui  le  conduiront,  voulant  que  les 
chevaux  soient  harnachés  et  les  gendarmes,  mousquetaires,  chevau- 
légers  et  gardes  du  corps  bottés.  M.  le  duc  du  Maine  sera  gardien  du 
nouveau  roi,  el  M.  le  maréchal  de  Villeroy  son  gouverneur  ;  Mme  la 
princesse  de  Conti  et  Mme  la  duchesse  de  Ventadour  auront  soin  de 
son  éducation  jusques  à  sept  ans.  Le  Roi  le  fit  venir  dans  sa  chambre 
sur  le  midi  et  dit  à  tous  les  princes  et  princesses  présents  que  c'étoil  là 
leur  maître  et  leur  roi  ;  qu'ils  ne  manquassent  jamais  au  respect  qu'ils 
lui  dévoient  ;  qu'ils  se  souvinssent  que  ceux  qui  avoient  pris  un  parti 
opposé  à  ses  intérêts  s'en  étoient  repentis  toute  leur  vie,  et  que  lui- 
même,  comme  roi,  n'avoit  jamais  pu  satisfaire  l'inclination  qu'il  avoit 
eue  de  leur  faire  plaisir.  Ensuite,  il  donna  sa  bénédiction  au  jeune 
prince  et  le  baigna  de  ses  larmes,  lequel  en  s'en  retournant  lit  des  cris 
et  des  pleurs  dont  tout  le  monde  fut  témoin.  Le  Roi  renvoya  Mme  de 
Maintenon,  sur  les  deux  heures,  lui  disant:  «  Madame,  il  faut  nous 
«  séparer.  Je  vous  dis  adieu;  peut-être  vous  renvoierai-je  chercher; 
«  mais,  si  je  ne  le  fais  pas,  ne  croyez  pas  que  ce  soit  manque  d'amitié.  » 
Il  la  renvoya  chercher  quelques  heures  après,  et  la  pria  de  rapporter 
une  cassette  qu'il  lui  avoit  donnée  à  garder  depuis  quinze  ans.  Les 
papiers  qu'elle  renfermoit  furent  brijlés  en  présence  de  M.  d'Orléans 
ou  à  lui  remis.  Depuis  ce  temps,  il  s'est  fait  apporter  toutes  ses  cas- 
settes. 11  a  brûlé  ou  remis  à  qui  il  convenoit  tous  ses  papiers,  tenus 
dans  un  ordre  merveilleux  et  dont  toutes  les  étiquettes  sont  présentes 
à  sa  mémoire.  Il  voit  croître  sans  eiïroi  un  mal  qui  doit  lui  causer  la 
mort.  Il  demande  quelquefois  combien  d'heures  il  peut  encore  respirer. 
Les  médecins  lui  répondirent  le  lundi  qu'il  étoit  bien  diilicile  qu'il  vît 
lever  le  soleil  le  lendemain.  Ils  se  sont  heureusement  trompés;  car  il 
est  certain  qu'à  neuf  heures  du  soir  d'hier  "27  il  a  pris  encore  un 
bouillon. 

«  Il  est  à  présent  quatre  heures  du  matin  du  "28,  et,  comme  cette 
lettre  ne  doit  partir  qu'à  midi,  je  ne  la  fermerai  qu'en  ce  temps,  pour 
vous  mander  ce  qu'il  y  aura  de  nouveau.  Dieu  veuille  que  je  n'y  ajoute 
rien  ;  ce  sera  une  preuve  que  S.  M.  est  encore  vivante,  et  plût  au  ciel 
de  nous  accorder  le  miracle  dont  on  auroit  besoin  pour  le  tirer  de  l'état 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  343 

désespéré  où  il  est.  Un  médecin  d'Amiens,  possesseur  d'un  remède 
immanquable  pour  la  gangrène,  est  arrivé  hier  27  à  deux  heures  après- 
midi,  et  a  mis  de  son  eau,  que  l'on  assure  avoir  empêché  la  gangrène 
de  monter  plus  haut  qu'elle  n'étoit.  Si  elle  étoit  arrivée  à  S.  M.  par 
quelque  accident,  on  pourroit  espérer;  mais,  par  malheur,  elle  est 
dans  son  sang,  et  son  corps  est  si  décharné,  que  les  remèdes  extérieurs 
ne  peuvent  plus  agir. 

«  Voilà  vous  dire  (sfc),  mon  très  cher  père,  tout  ce  que  j'ai  vu  ou 
entendu  dire  à  des  personnes  qui,  par  le  privilège  de  leurs  entrées,  en 
ont  été  les  témoins.  J'ai  cru  que  ce  détail  douloureux,  qui  vous  aura  at- 
tendri, pouvoit,  dans  une  autre  face,  vous  donner  delà  consolation,  en 
réfléchissant  que  ces  dernières  prévoyances  de  S.  M.  pourront  être  utiles 
à  l'Etat,  et  qu'enfin,  puisqu'il  n'étoit  pas  immortel,  il  est  beau  de  le  voir 
finir  avec  toutes  les  vertus  d'un  chrétien  et  la  grandeur  d'âme  d'un 
héros.  » 

II 

Relation  de  ce  qui  s'est  passé  de  plus  considérable  pendant  la  maladie 
du  roi  Louis  XIV  et  depuis  sa  mortK 

«  Le  Roi,  irrité  de  ce  que  le  parlement  de  Paris  avoit  refusé  d'en- 
registrer sa  déclaration  par  laquelle  il  ordonnoit  à  tous  les  prélats  de 
signer  la  Constitution  sons  peine  de  désobéissance,  manda  M.  le  pro- 
cureur général  Daguesseau,  lequel,  résolu  de  tenir  ferme  au  péril  de 
sa  vie,  fit,  avant  que  d'aller  à  Versailles,  ses  derniers  adieux  à  sa  chère 
famille  comme  ne  devant  jamais  retourner  à  Paris.  Madame  son  épouse, 
qui  aimoit  tendrement  son  mari,  le  conjura  cependant  de  ne  se  point 
démentir  et  de  tenir  bon,  quoi  qu'il  en  pût  arriver;  elle  lui  dit  que  les 
affaires  de  leur  famille  étoient  en  bon  état,  qu'elle  les  y  maintiendroit 
si,  par  la  dernière  de  toutes  les  disgrâces,  elle  venoit  à  le  perdre.  M.  Da- 
guesseau se  présenta  au  Roi,  qui  lui  demanda  d'un  ton  sévère  pour- 
quoi le  Parlement  n'avoit  pas  exécuté  ses  ordres;  M.  le  procureur 
général  lui  en  dit  les  raisons.  «  Eh  bien  !  répliqua  le  Roi,  je  vous 
«  ordonne  de  requérir  alors  l'enregistrement  de  ma  déclaration.  » 
M.  Daguesseau  répondit  à  S.  M.  qu'il  le  supplioit  très  humblement  de 
lui  pardonner  la  liberté  qu'il  prenoit  de  lui  déclarer  qu'il  ne  feroit 
jamais  rien  qui  pût  donner  atteinte  à  son  honneur  et  à  sa  conscience. 
Le  Roi  se  mit  dans  une  colère  épouvantable;  il  frappa  du  pied  contre 
le  pavé,  et  plusieurs  coups  de  sa  canne  sur  une  table  de  marbre  qui 
étoit  dans  la  chambre,  et  prit  M.  Daguesseau  au  collet;  on  retint  le 
Roi,  et  M.  Daguesseau  s'en  retourna. 

«  Le  Roi  étoit  résolu  d'aller  au  Parlement,  et  on  prit  pour  cela  les 
mesures  qui  étoient  nécessaires.  On  avoit  expédié  plusieurs  lettres  de 

1.  Papiers  Fevret  de  Fontette;  voyez  ci-dessus,  p.  339,  n»  XI. 


3'.'.  APPENDICE  I. 

cachet  pour  écarter  ceux  qu'on  savoit  ôtre  contraires  à  la  volonté  du 
Roi,  et  entre  autres  M.  Dai;nesseau,  qu'on  devoit  exiler  pour  luiit  jours 
et  commettre  à  sa  place  M.  de  Cliauvelin,  à  qui  le  P.  le  Tellier  écrivit 
une  lettre  par  laquelle  il  l'avertissoil  de  toute  l'intrigue  et  lui  recom- 
niandoit  d'em|)loyer  toute  son  éloquence  pour  bien  faire  valoir  les 
intentions  du  Roi  ;  que.  pour  ce  qui  reganloit  la  reconnoissance  qu'on 
lui  feroit,  il  ne  devoit  pas  s'en  mettre  en  peine;  qu'il  en  faisoit  son 
affaire.  On  a  trouvé  cette  lettre  dans  le  cabinet  de  M.  de  Chauvelin, 
qui  mourut  de  mort  subite  quelque  temps  après. 

«  Le  jour  que  le  Roi  devoit  aller  au  Parlement,  M.  le  maréchal  de 
Villeroy  se  jeta  aux  pieds  de  S.  M.  et  lui  remontra  qu'il  alloit  allumer 
une  guerre  civile  dans  son  royaume.  Le  Roi  fut  frap|)é  d'étonnement, 
et  les  jambes  lui  manquèrent;  il  ne  put  plus  se  soutenir;  il  fallut  le 
coucher,  et  le  iO"-"  août  il  tomba  malade.  Sa  maladie  augmenta,  de 
manière  que,  le  2o,  il  demanda  de  recevoir  les  sacrements,  qui  lui 
furent  administrés  par  le  cardinal  de  Rohan,  grand  aumônier  de 
France.  Le  même  jour  et  les  trois  suivants,  il  donna  plusieurs  ordres, 
témoignant  une  fermeté  et  une  résignation  à  la  volonté  de  Dieu  au-delà 
de  toute  expression.  Il  donna  ses  dernières  instructions  au  Dauphin 
et  aux  princes  du  sang;  il  dit  à  M.  d'Orléans:  et  Mon  neveu,  vous 
«  voyez  ici  deux  Rois,  l'un  qui  s'en  va  mourir  et  l'autre  qui  ne  fait 
«  presque  [que]  de  naître  ;  je  vous  recommande  sa  personne  et  mon 
«  royaume  que  je  laisse  dans  un  pitoyable  état  ;  mais  je  prends  Dieu 
«  à  témoin  qu'il  n'y  a  que  vingt-quatre  heures  que  je  le  sais.  »  Le 
Roi  dit  à  M.  le  duc  de  Bourbon  et  à  M.  le  prince  de  Conti  :  «  Mes 
«  cousins,  je  me  souviens  de  vos  grands-pères;  ils  m'ont  bien  fait  de 
«  la  peine  pendant  ma  minorité;  vous  n'en  avez  pas  mieux  valu  depuis 
«  ce  temps-là;  soyez  plus  sages  qu'eux.  » 

«  M.  le  cardinal  de  JN'oailles,  ayant  appris  l'extrémité  du  Roi,  écrivit 
une  lettre  à  Mme  de  Maintenon.  Cette  lettre  fut  lue  au  Roi,  qui  en  fut 
vivement  touché;  il  témoigna  qu'il  verroit  volontiers  S.  K.  Ceux  qui 
étoient  auprès  de  S.  .M.  furent  saisis  de  crainte,  et  ils  lui  dirent  qu'il 
alloit  renverser  en  un  moment  ce  qu'on  travailloit  d'établir  depuis  deux 
ans.  Il  parut  alors  une  lettre  comme  écrite  de  la  part  du  Roi,  adressée 
à  M.  le  cardinal  de  Noailles,  signée  de  M.  le  Chancelier.  On  y  faisoit 
dire  au  Roi  qu'il  avoit  toujours  eu  de  l'amitié  pour  sa  personne,  qu'il 
le  verroit  avec  plaisir,  pourvu  qu'il  se  soumît  au  Pape  et  qu'il  se  réunît 
aux  évèques.  Cela  n'est  point  venu  du  Roi,  mais  de  la  part  de  ceux 
qui  l'obsédoient  ;  car,  au  contraire,  ce  que  le  Roi  dit  dans  ces  circons- 
tances après  la  lettre  lue  de  M.  de  Ps'oailles  doit  faire  trembler  les 
cardinaux  de  Rohan  et  de  Bissy,  étant  auprès  de  S.  M.  avec  le  P.  le 
Tellier.  Ce  sont  ici  ses  propres  paroles,  et  on  a  fait  tous  les  efforts 
possibles  pour  les  cacher  :  «  Je  meurs,  dit-il,  dans  la  foi  de  l'Église 
«  catholique,  apostolique  et  romaine.  Si  tout  ce  que  vous  m'avez  fait 
«  faire  y  est  contraire,  j'en  demande  pardon  à  Dieu  ;  je  vous  en  charge 
V  devant  lui;  je  ne  connois  rien  dans  toutes  les  disputes  que  par  vos 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  345 

«  lumières.  Je  vais  répondre  devant  Dieu  de  toute  ma  conduite  ;  vous 
«  m'y  serez  témoins  que  je  n'ai  rien  fait  que  par  vos  conseils.  »  Et, 
levant  les  yeux  au  ciel  et  tirant  la  main  de  son  lit,  il  dit  :  «  Messieurs, 
«  c'est  à  ce  tribunal  que  je  vous  cite.  »  Les  deux  cardinaux  et  le  con- 
fesseur assurèrent  et  jurèrent  sur  leur  conscience  qu'ils  n'avoient  rien 
fait  que  pour  la  vérité.  «  C'est  ce  que  Dieu  jugera,  répondit  le  Roi.  » 
Ce  qui  fait  espérer  que  Dieu,  qui  a  vu  les  intentions  du  monarque 
agonisant,  lui  fera  miséricorde,  et  que  la  punition  que  méritent  les 
auteurs  des  conseils  pernicieux  qu'ils  lui  ont  donnés,  tombera  sur  eux, 
non  sur  le  Roi.  M.  le  Régent  a  été  présent  à  ces  choses. 

«  Les  29,  30  et  31  se  sont  passés  dans  l'agonie,  ayant  cependant 
toujours  conservé  sa  connoissance  qu'il  ne  perdit  que  la  nuit  du  31  au 
l"""  septembre,  auquel  jour  il  mourut  à  huit  heures » 

La  suite  de  cette  relation  se  rapporte  aux  obsèques  du  Roi. 

III 

Lettres  de  l'abbé  Mascara  (extraits)^. 

Paris,  26  août  1715. 

«  L'ambassadeur  de  Sicile  est  parti  ce  matin  pour  Versailles,  après 
avoir  reçu  à  sept  heures  une  lettre  de  M.  le  Nonce.  Hier  soir,  on 
aurait  porté  le  viatique  au  Roi;  on  lui  aurait  donné  l'extrême-onction, 
et  à  onze  heures  il  aurait  été  en  agonie.  Je  pense  que  la  mauvaise 
nouvelle  sera  arrivée  vers  les  quatre  heures  ;  toutefois  je  veux  encore 
espérer,  parce  que,  ce  matin,  on  a  envoyé  l'ordre  à  Notre-Dame  de 

prier  pour  le  salut  du  Roi M.  Rémond,  chef  du  conseil  de  M.  le  duc 

d'Orléans,  m'a  dit  qu'on  lui  avait  rapporté  que  les  grilles  de  Versailles 
étaient  fermées  ;  il  suppose  que  le  duc  d'Orléans  sera  ici  ce  soir,  pour 
aller  demain  au  Parlement. 

«  M.  Ledran,  célèbre  chirurgien,  a  été  appelé  hier  à  la  cour;  il 
donna  deux  coups  de  lancette  dans  la  jambe  du  Roi,  qui  ne  sentit 
rien. 

«  Le  cardinal  de  Noailles  n'a  pu  dire  la  messe  ce  matin  à  l'inten- 
tion du  Roi,  parce  que,  quand  l'ordre  de  prier  est  arrivé,  il  l'avait 
déjà  célébrée.  On  a  exposé  le  Saint-Sacrement,  et  l'on  fait  les  prières. 

a  Je  ne  serai  pas  le  héraut  de  la  mauvaise  nouvelle,  parce  que,  si 
elle  est  vraie.  Votre  Excellence  aura  déjà  reçu  un  courrier  extra- 
ordinaire  

«  L'ambassadeur  de  Sicile  a  envoyé,  ce  matin,  un  exprès  à  son 
maître....  Il  n'est  pas  certain  que  S.  M.  soit  trépassée  ;  mais  il  est 
certain  que  la  gangrène  est  dans  sa  jambe.  Hier,  il  y  eut  musique  dans 

i.  Voyez  ci-dessus  la  notice,  p.  339-340. 


346  APPENDICE  I. 

son  antichambre  ;  on  la  renvoya,  parce  que  le  Roi  se  trouva  incom- 
modé et  fatigué.  Ensuite  il  eut  la  ti^te  libre,  et  écrivit  de  sa  main  pen- 
dant près  d'une  heure  ;  on  croit  qu'il  a  chanj^é  quelques  dispositions 
pour  atténuer  les  ditlicultés  qui  pourraient  se  produire,  et  calmer 
la  mauvaise  humeur  du  duc  d'Orléans  ;  c'est  du  moins  ce  qu'on 
pense.... 

27  août. 

a  Villeroy,  examinant  sa  conscience,  a  peut-être   trouvé   qu'il 

en  avait  trop  fait  à  l'égard  de  Mme  des  Ursins,  quand  elle  vint  ici, 
ayant  envoyé  à  sa  rencontre,  lui  ayant  adressé  de  l'argent  et  des 
lettres,  entin  s'étant  montré  ouvertement  comme  s'il  en  avait  été 
amoureux.  Cela  était  certainement  pour  faire  sa  cour  à  Mme  de  Main- 
tenon.  Maintenant,  il  se  repent  dans  son  cœur  de  son  antique  galante- 
rie. II  pourrait  venir  un  temps  et  des  conjonctures  où  on  lui  deman- 
derait compte  de  cette  grande  politesse  à  l'égard  de  la  dame.  Aussi 
a-t-il  étudié,  préparé,  sollicité  et  demandé  une  audience  du  duc  d'Or- 
léans, et  il  l'a  eue  d'une  heure.  Votre  Excellence  peut  croire  que  cet 
habile  courtisan  a  employé  toute  son  éloquence  à  faire  des  réparations 
et  des  excuses  ;  mais  cet  excès  de  politesse  lui  sera  retombé  sur  le  nez, 
comme  il  le  craignait  ;  car  le  duc  d'Orléans,  toujours  badinant,  folâ- 
trant et  riant,  sans  s'expliquer  ni  entrer  dans  le  détail,  a  loué  fort  la 
politesse  naturelle  de  Villeroy  et  l'a  laissé  dans  l'incertitude.  Villeroy 
est  retourné  à  la  charge  plusieurs  fois  dans  la  même  conférence,  sans 

en  pouvoir  tirer  autre  chose  que  des  paroles  générales Il  me  paraît 

qu'il  n'en  a  pas  été  trop  satisfait  en  soi-même  et  qu'il  prévoyait  ne  pas 
être  des  mieux  venus  ni  des  plus  considérés,  s'il  arrivait  un  change- 
ment, ce  qu'à  Dieu  ne  plaise! 

«  Les  ministres  étrangers  tiennent  des  discours  sur  les  événements 
présents  ;  mais  je  les  tiens  pour  oiseux,  parce  qu'ils  n'ont  d'autres 
fondements  que  leurs  imaginations.  Ils  parlent  du  testament  qui  est 
déposé  au  Parlement  ;  ils  parlent  d'un  autre  testament  qu'on  croit 
nouvellement  fait  ;  ils  disent  qu'en  droit  S.  M.  Catholique  devrait  être 
régent,  mais  qu'ayant  renoncé  à  la  couronne,  elle  a  aussi  renoncé  aux 
accessoires;...  ils  disent  que,  si  S.  M.  Catholique  avait  du  sens,  elle 
ne  renverrait  pas  les  trente  bataillons  français  qu'elle  a  à  son  service, 
mais  qu'elle  les  retiendrait  et  en  ferait  le  noyau  d'un  corps  de  troupes 
à  sa  dévotion  ;  ils  disent  que  S.  M.  Catholique  est  désignée  comme 
régent  dans  le  testament,  et  que  M.  du  Maine  gardera  la  personne  du 
Dauphin  et  agira  sous  les  ordres  de  S.  M.  Catholique,  et  puis  ils 
entrent  dans  les  difficultés  très  grandes  et  très  graves  que  ferait  naître 
une  telle  disposition,  étant  donné  qu'il  semble  que  fout  le  royaume 
est  favorable  au  duc  d'Orléans.  Je  vois  l'aiïaire  bien  embrouillée. 
Mme  de  Maintenon  sera  en  mauvais  point,  si  Dieu  nous  envoie  le 
malheur.  Les  animosités  sont  connues,  quoique  la  profonde  dissimu- 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  347 

lation  ne  les  laisse  pas  paraître.  On  sait  aussi  les  jalousies,  les  rivali- 
tés de  commandement,  les  antipathies  entre  qui  est  pauvre  et  qui  est 
riche  dans  la  famille  royale,  et  les  princes  légitimes,  qui  ont  été  abais- 
sés, voudront  se  relever.  Toutes  ces  choses  sont  sans  portée  ;  personne 
ne  sait  et  personne  ne  peut  savoir,  si  ce  n'est  Dieu  seul.  Malgré  cela, 
tous  veulent  politiquer  et  ces  discours  sans  rime,  ni  raison,  ni  fonde- 
ment, me  font  mal  à  l'estomac,  quand  je  les  entends. 


27  août  1715. 

«  ....  On  m'a  raconté  de  quelle  manière  s'est  faite  la  revue  de  la  gen- 
darmerie, d'après  dos  personnes  qui  y  étaient  présentes.  Le  matin, 
M.  le  duc  d'Orléans  alla  chez  le  Dauphin  et  lui  demanda  en  badinant 
s'il  avait  son  habit  d'uniforme  pareil  à  celui  de  ses  deux  compagnies. 
Mme  de  Ventadour  répondit  que  l'habit  était  fait  depuis  quelque 
temps.  Alors  le  duc  d'Orléans  se  mit  à  parler  tout  bas  à  Mme  de  Ven- 
tadour A  ce  moment  arriva  le  Chancelier  pour  demander  au  Dauphin 
quand  il  voudrait  voir  la  revue.  L'heure  hxée  étant  arrivée,  le  Dau- 
phin se  mit  en  chemin  et  fut  suivi  un  quart  d'heure  après  par  le  duc 
d'Orléans.  Quand  il  fut  arrivé  près  du  Dauphin,  il  descendit  de  cheval 
et  alla  se  placer  à  la  portière  de  son  carrosse.  Le  Dauphin  envoya 
demander  par  un  de  ses  officiers  si  la  revue  se  faisait,  et,  la  réponse 
étant  venue  qu'elle  allait  se  faire,  le  Dauphin  et  M.  d'Orléans  restèrent 
toujours  dans  la  même  position.  Puis,  quand  la  revue  fut  terminée,  les 
soldats  passèrent  par  troupes  devant  le  Dauphin,  et  M.  d'Orléans,  tou- 
jours à  la  portière,  faisait  l'apologie  de  ceux  qui  passaient  et  infor- 
mait le  Dauphin  de  la  patrie,  de  la  naissance,  de  la  qualité  et  du 
mérite  de  chacun.  Quand  apparurent  les  deux  compagnies  d'Orléans, 
M.  le  duc  d'Orléans  monta  à  cheval,  se  couvrit  et  passa  devant  le 
Dauphin,  qu'il  salua  dans  les  formes,  et  le  Dauphin  lui  rendit  gracieu- 
sement son  salut.  A  vingt  pas  de  là,  M.  d'Orléans  descendit  de  nou- 
veau et  revint  à  la  portière  du  Dauphin.  M.  le  duc  du  Maine,  qui 
avait  passé  en  détail  la  revue,  a  rendu  un  compte  très  élogieux  de  ce 
corps  à  S.  M.,  et,  comme  on  a  su  cette  magnifique  recommandation,  le 
corps  de  la  gendarmerie  a  député  au  duc  du  Maine  pour  lui  porter  ses 
remerciements  des  bons  olTices  qu'il  lui  a  rendus. 

«  On  me  contirme  toujours  que  le  duc  du  Maine  a  donné  l'ordre  à 
Maily,  un  jour  que  le  Roi  ne  pouvait  le  donner;  toutefois,  beaucoup 
de  gens  nient  que  ce  soit  vrai. 

a  Cette  revue  faite  par  le  duc  du  Maine  d'un  corps  où  il  n'a  ni 
part  m  intérêt  donne  des  idées  terribles,  fait  naître  des  jalousies  et 
des  soupqons  sans  tin,  soulève  la  colère,  et  dit  :  Prenez  garde  à  vous. 
Le  duc  du  Maine  a  le  commandement  des  vingt-cinq  régiments  suisses 
qui  sont  dans  le  royaume  ;  il  a  l'artillerie  et  d'autres  corps  de  troupes 
qui  dépendent  de  lui  ;  il  a  des  gouvernements  essentiels  :  la  Guyenne 


348  APPENDICE   I. 

et  \o  Languedoc,  ot  lo  comte  de  Toulouse  a  la  mer  comme  grand  ami- 
ral, et  la  Bretagne.  Tout  cela  a  tléjà  fait  faire  de  sérieuses  réilexions. 
Le  Roi  est  mal  disposé  pour  le  duc  (l'Orléans,  et  Mme  de  Maintenon 
a  toujours  fait  peu  de  grûces  ù  la  maison  d'Orléans.  Cette  maison  est 
mal  satisfaite  de  tout  le  ministère,  parce  que  les  ministres  ont  toujours 
fait  peu  de  cas  d'elle,  et  je  le  sais  avec  certitude.... 


27  aoftt  171f>. 

«  ....  Mon  théologien  m'a  dit  ce  matin  qu'il  avait  entendu  dire  que 
le  neveu  de  M.  Amelot,  arrivé  récemment  de  Rome,  a  apporté  au  Roi 
un  bref  de  remerciement  pour  avoir  fait  passer  au  Parlement  l'arrêt 
contre  les  évêques  et  avoir  fait  recevoir  la  Bulle  par  ce  tribunal  pure- 
ment et  simplement;....  mais  il  n'est  pas  vrai  qu'un  arrêt  pareil  soit 
passé  au  Parlement,  ni  que  le  Parlement  ait  accepté  la  Bulle.... 

«  J'ai  vu  hier  l'ambassadeur  de  Sicile  à  son  retour  de  Versailles,  et 
j'ai  su  que  le  Roi  était  encore  vivant,  mais  qu'il  avait  peu  de  jours  et 
même  peu  d'heures  à  vivre,  et  que,  si  sa  vie  avait  été  grande,  sa  mort 
était  encore  plus  grande,  plus  magnanime,  plus  constante,  intrépide 
et  courageuse  ;  il  affronte  la  mort  comme  un  héros,  sans  attendrisse- 
ment, sans  faiblesse,  sans  épouvante.  11  a  déclaré  régent  du  royaume 
le  duc  d'Orléans.  Il  l'a  fait  appeler  deux  fois  auprès  de  lui  ot  l'a  haran- 
gué. Il  lui  a  chaudement  recommandé  la  personne  sacrée  du  Dauphin 
et  les  intérêts  du  royaume.  Il  a  aussi  harangué  le  petit  Dauphin  ;  il 
lui  a  recommandé  surtout  la  religion,  l'amour  des  peuples,  de  ne  pas 
lui  ressembler  dans  la  guerre,  mais  de  laisser  vivre  en  paix  ses  sujets; 
de  se  souvenir  qu'on  pouvait  être  un  grand  roi,  mais  qu'il  valait  mieux 
être  bon  que  grand,  de  telle  manière  que  le  petit  prince  était  sorti  de  la 
chambre  en  pleurant.  S.  M.  a  parlé  ii  tous  les  princes  et  princesses  de 
la  maison  et  du  sang  royal  ;  il  a  parlé  aux  courtisans  après  la  messe 
et  il  leur  a  tiré  des  larmes  à  tous  en  général.  A  la  duchesse  de  Venta- 
dour  il  a  recommandé  avec  tendresse  le  petit  prince,  et  la  pauvre 
dame  se  fondait  en  pleurs.  Le  Dauphin  fut  aussi  recommandé  à  la 
princesse  de  Conti  veuve,  [tille  dej  La  Vallière,  laquelle  aura  la  surin- 
tendance, la  direction  et  la  surveillance  de  la  garde  de  celui-ci  ;  le 
maréchal  de  Villeroy  doit  être  gouverneur  du  Dauphin  ;  mais  tout 
cela  n'est  pas  encore  bien  détini  ni  expliqué  ;  car  le  duc  du  Maine 
sera  surintendant  principal  pour  la  garde  et  la  conservation  du  même 
Dauphin. 

«  Mme  de  Maintenon  ne  quitte  pas  le  lit  et  la  chambre  du  Roi  ;  mais 
son  carrosse  est  toujours  prêt,  pour,  dans  l'événement  qui  peut  arriver 
d'un  moment  à  l'autre,  s'en  aller  à  Saint-Cyr.  Il  semble  que  les  choses 
sont  bien  préparées  et  disposées  pour  la  concorde,  la  paix  et  la  tran- 
quillité, avec  la  bénédiction  de  Dieu. 

«  Je  ne  vous  répète  pas    les   discours    oiseux   que   l'on  fait  dans  la 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  349 

supposition  que  le  duc  d'Orléans  pourrait  être  écarté  de  la  régence. 
La  longue  écriture  de  sa  propre  main  que  S.  M.  a  faite  hier  et  qu'on 
m'a  dit  avoir  été  signée  de  toute  la  maison,  aurait  été  un  acte  posthume 
pour  apaiser  les  nouveautés  imminentes.... 

«  Enhn  il  meurt  ce  grand  monarque  qui  a  été  la  gloire  du  siècle 
passé  et  aussi  du  présent,  et  dont  la  mémoire  sera  précieuse  et  glo- 
rieuse aux  siècles  futurs.  Votre  Excellence  sait  que  je  ne  parle  pas 
par  tiction  ni  par  figure  de  rhétorique  ;  soyez  persuadé  que  c'est  la 
voix  commune  de  tous  les  honnêtes  gens,  sans  flatterie.  Que  Dieu 
donne  le  repos  à  cette  grande  àme,  à  laquelle  je  serais  ingrat  si,  dans 
mon  particulier,  je  ne  professais  pour  elle  une  entière  vénération  et 
une  obligation  infinie  ! 


27  août  1715. 

«  Votre  Excellence  a  dû  recevoir  trois  de  mes  lettres  l'ordinaire 
passé.  En  efl'et,  je  vous  écris,  à  mon  avis,  beaucoup  de  choses  super- 
flues ;  mais  il  me  semble  que,  dans  cette  grave  circonstance,   tous  les 

renseignements,  même  les  moindres,  peuvent  être  agréables Aux 

trois  lettres  susdites,  j'aurais  pu  en  ajouter  une  quatrième  avec  les 
nouvelles  que  m'apporta  de  Versailles  l'ambassadeur  de  Sicile  ;  mais 
je  n'avais  personne  pour  porter  ma  lettre  à  la  poste.  Comme  je  paie 
mal  les  deux  valets  que  j'ai,  je  n"ai  pas  à  me  plaindre  s'ils  ne  me  ser- 
vent pas  bien.... 

«Les  ministres  étrangers  allèrent  hierà  Versailles  pour  compliment; 
mais  ils  n'y  vont  pas  aujourd'hui  pour  affaire.  Hier  ils  demandèrent  à 
M.  de  Torcy  s'ils  devaient  revenir,  et  il  les  en  a  dispensés,  parce  que 
S.  M.  pouvait  mourir  d'un  moment  à  l'autre,  et  que,  dans  une  si  dou- 
loureuse conjoncture,  il  n'était  pas  convenable  de  s'occuper  d'autre 
chose  que  de  déplorer  cette  perte,  sans  compter  la  confusion  de  la 
cour,  qui  est  toute  en  mouvement.  Demain  devait  avoir  lieu  le  voyage 
de  Fontainebleau  ;  mais  l'homme  propose  et  Dieu  dispose.... 

«  J'opine  à  croire  (jue  maintenant  tout  ce  qui  se  fait  s'accomplit  du 
plein  consentement,  par  l'ordre  et  avec  la  participation  de  M.  le  duc 
d'Orléans  ;  cependant  je  pense  que  S.  M.  est  toujours  en  vie.  Aujour- 
d'hui il  pleut  à  seaux  renversés,  et,  si  l'ambassadeur  de  Sicile  n'était 
pas  venu  me  chercher  pour  dîner  chez  lui,  je  ne  serais  pas  sorti.... 


Paris,  28  août  1713. 

«  ....A  huit  heures  du  matin,  l'ambassadeur  de  Sicile  m'envoya  dire 
que  S.  M.  était  passée  de  cette  vie  à  l'autre,  et  il  m'envoya  son  car- 
rosse pour  que  j'allasse  à  sa  demeure.  A  deux  heures  après-midi  je 
revins  chez  moi,  et  l'on  me  dit  que  le  Roi  n'était  pas  encore  expiré. 
A  quatre  heures  du  matin,  il  a  pris  un  bouillon,  qu'il  n'a  pu  garder  ;  les 


350  APPENDICE  I. 

courtisans  s'étaionl  rolirOs  ;  on  le  crut  à  l'aj^onie,  ot  los  ministres  étran- 
gers avaient  préparé  des  estalettes  pour  les  expédier,  mais  aucune 
n'est  partie. 

«  MM.  li'Armagnac  et  do  Villoroy  sont  ceux  qui  se  désespèrent  le 
plus,  et  Armagnac,  sortant  dans  ranlicliaml)re,  se  serait  écrié  que  les 
médecins  n'avaient  rien  connu  à  la  maladie,  et  qu'eux  et  la  Constitu- 
tion avaient  tourmenté  le  Roi.  Un  m'a  dit  qu'on  avait  parlé  au  Uoi  du 
cardinal  de  Noailles,  qui  était  prêt  à  venir  aux  pieds  de  S.  M.  pour 
remplir  ses  obligations,  et  que  le  Roi  avait  répondu  :  «  Qu'il  accepte 
i<  la  bulle  purement  et  simplement  et  qu'il  vienne  ».... 

«  On  m'a  dit  ce  matin,  en  plusieurs  endroits  qu'il  était  arrivé  hier 
un  courrier  espap;nol  avec  l'avis  que  S.  M.  Catholique  était  gravement 
malade  et  aussi  le  prince  des  Asturies,  et,  parmi  ceux  qui  me  l'ont  dit, 
il  y  avait  un  évêque.... 

«  Le  Dauphin,  qu'on  peut  commencer  à  dire  roi,  doit  être  transféré 
à  Vincennes,  selon  l'ordre  du  Roi  ;  mais  on  fera  ce  que  Mme  de  Ven- 
tadour  jugera  à  propos,  parce  qu'il  semble  qu'étant  accoutume  à  l'air 
de  Versailles,  le  changement  pourrait  lui  être  nuisible.  Mme  de  Berry 
aura  un  appartement  au  Louvre. 

«  M.  de  Cavoye  a  remis  son  bâton  de  grand  maréchal  des  logis  de 
la  cour  à  M.  de  Cany,  lils  de  Chamillart,  à  qui  il  avait  vendu  sa  charge 
il  y  a  quelque  temps  déjà  ;  et,  comme  Cavoye,  à  cause  de  ses  intirmités, 
avait  déjà  voulu  en  cesser  l'exercice,  le  Roi  lui  a  dit  :  «  Cavoye,  mou- 
rons ensemble  »,  et  Cavoye  a  obéi  ;  mais,  dès  qu'il  a  vu  le  Roi  à  l'agonie, 
il  a  cédé  le  bâton  et  est  arrivé  ici  à  neuf  heures  ce  matin. 

«  On  m'a  amplement  parlé  de  la  réelle  et  sincère  réconciliation  sur- 
venue entre  S.  M.  et  M.  le  duc  d'Orléans.  Le  Roi  est  entièrement 
revenu  de  ses  mauvaises  préventions,  et  il  l'a  prié  d'oublier  le  passé. 
Il  lui  a  recommandé  Mme  de  Maintenon,  à  laquelle  il  avait  tant  d'obli- 
gations. Il  lui  a  recommandé  MM.  du  Maine  et  de  Toulouse  «  pour  les 
raisons  qu'il  pouvait  savoir  ».  Il  lui  a  recommandé  Desmaretz,  l'assu- 
rant que  ce  seul  ministre  avait  sauvé  l'Etat  ;  qu'il  avait  voulu  quitter 
sa  charge  et  s'était  toujours  opposé  à  toutes  les  mesures  prises  pour 
trouver  de  l'argent,  qu'il  n'avait  pu  le  récompenser  et  qu'il  le  priait  de 
le  faire.  Le  premier  testament  révoqué  et  annullé,  qu'il  n'en  soit  pas 
moins  ouvert,  mais  qu'il  soit  brûlé.  On  a  brûlé  aussi  plusieurs  papiers 
de  la  cassette  du  Roi,  sur  son  ordre;  d'autres  ont  été  contiés  au  Chan- 
celier. Dans  tous  ces  discours,  j'ai  entendu  parler  de  tout  le  monde, 
excepté  de  Vaudémont. 

«  Le  codicille  a  été  dicté  par  le  Roi  et  écrit  par  le  Chancelier,  et 
après  S.  M.  y  a  beaucoup  ajouté  de  sa  main  propre. 

«  On  m'a  dit  comme  une  chose  sûre  que  toutes  les  lettres  que  j'écris 
sont  ouvertes.... 

«  J'ai  toujours  eu  bonne  opinion  de  M.  le  duc  d'Orléans,  et  je  l'ai 
encore;  avec  ceux  qui  sauront  le  prendre,  ce  sera  un  prince  bienveil- 
lant, poli  et  généreux  ;  mais  on  voudra  agir  méchamment  avec  lui.  Il 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  3oi 

a  du  savoir  et  beaucoup  d'intelligence  ;  personne  dans  cette  cour  ne 
sait  le  tiers  de  ce  qu'il  sait.  Il  a  supporté  de  furieux  contretemps,  et 
il  a  eu  une  prudence  et  une  conduite  inimitables....  Depuis  que  je  suis 
à  Paris,  je  peux  dire  que  j'ai  été  tous  les  jours  chez  lui,  et  j'en  ai  été 
toujours  bien  reçu,  ainsi  que  de  sa  mère  et  de  sa  femme.  Je  l'ai  vu  de 
près. ...Ce  sera  un  très  bon  prince  avec  ceux  qui  sauront  le  prendre,  et 
il  se  piquera  d'exactitude,  et  je  serais  bien  étonné  s'il  se  ressouvenait 
de  ceux  qui  lui  ont  rendu  de  mauvais  olïices  j  il  est  assez  généreux 
pour  ne  pas  s'en  venger. 

«  Paris,  29  août  17IS. 

«  ....  Aujourd'hui,  tout  le  monde  crie  au  miracle;  tous  ceux  qui 
viennent  de  Versailles  et  toutes  les  lettres  qui  en  arrivent  crient  au 
miracle,  et  qu'un  ange  est  venu  du  ciel  et  qu'il  a  sauvé  le  Roi.... 
Madame  même  a  envoyé  tout  exprès  un  domestique  à  la  marquise 
d'Alluye  ;  les  amis  s'envoient  des  ambassades  et  se  félicitent  les  uns 
les  autres  ;  mais,  à  mon  avis,  ce  n'est  pas  encore  le  moment  de  chanter 
victoire  et  triomphe.  On  dit  donc  qu'un  homme  inconnu,  qu'un  homme 
qu'on  n'attendait  pas,  en  l'espèce  c'est  un  chimiste  de  Marseille,  pré- 
tend avoir  un  secret  infaillible  pour  guérir  la  gangrène  et  pour  arrêter 
aussitôt  ses  progrès.  Les  médecins  l'ont  questionné  pour  savoir  en  quoi 
consistait  son  secret,  de  quoi  il  é;ait  composé,  qui  l'avait  confectionné. 
Il  a  répondu  très  simplement  que  lui-même  l'avait  fabriqué  et  que 
dans  sa  composition  il  entrait  tels  et  tels  ingrédients.  Ils  ont  été  approu- 
vés, et  alors,  comme  le  salut  de  Sa  Majesté  était  désespéré,  on  lui  a 
parlé  de  ce  nouveau  remède.  Le  Roi,  déjà  préparé  à  la  mort  et  pensant 
toute  tentative  inutile,  ne  voulait  pas  le  croire  ni  en  faire  l'expérience. 
A  la  tin,  comme  il  n'y  avait  pas  grand  mal  à  le  faire  entrer,  et  avec  le 
consentement  du  Roi,  on  l'a  fait  approcher.  Il  a  offert  au  Roi  un  petit 
verre  à^Elixir  vitœ.  Le  Roi  l'a  approché  de  son  nez,  et  l'odeur  trop 
forte  l'a  d'abord  rebuté  ;  puis  il  l'a  bu.  C'est  une  chose  extraordinaire  ; 
mais  il  est  de  fait  que  le  Roi  s'est  ranimé,  qu'il  a  recouvré  l'esprit,  le 
sens,  et  toute  son  ancienne  vigueur  et  vivacité.  On  lui  a  donné  un 
bouillon,  qu'il  a  gardé,  et  il  a  pris  et  avalé  très  facilement  un  biscotin, 
qu'auparavant  il  ne  pouvait  avaler.  Le  Roi  est  retombé  ensuite  dans 
son  ancien  mauvais  état  ;  on  lui  a  redonné  de  VElixir  vitœ,  et  il  a  pro- 
duit de  nouveau  son  excellent  effet.  Le  Roi  a  dormi  tranquillement 
quatre  heures  la  nuit  dernière.  Le  mal  de  la  jambe  est  stationnaire,  et 
présentement  il  se  trouve  en  meilleur  état  que  précédemment.  Le 
grand  point,  c'est  que  cette  amélioration  continue.  Ce  qui  est  très  cer- 
tain, c'est  que  tous  les  médecins  de  la  cour  sont  honnis  ;  tout  le  monde 
en  parle  avec  indignation,  honte  et  mépris.  Telle  est  la  grande  nou- 
velle d'aujourd'hui.... 

«  Le  cardinal  de  IVoailles  a  certainement  cherché  à  voir  le  Roi  et  ne 
l'a  pas  vu.  Je  croirais  volontiers  que  personne  n'en  a  parlé  au  Roi  et 


35-2  APPENDICE  I. 

que  ceux  qui  approclient  Sa  Majesté  iioul  pas  cru  nécessaire  qu'il 
vienne,  atin  de  ne  pas  lui  troubler  l'esprit  dans  cette  dernière  occa- 
sion.... 

«  En  résumé,  nous  sommes  aujourd'hui  dans  une  belle  parenthèse 
d'alléfjresse,  et  il  est  imlubilablc  que.  si  elle  a  une  suite,  on  pourra 
dire  que  c'aura  été  un  miracle  Mais  ceux  qui  aiment  Sa  Majesté  du 
fond  du  cœur  n'ont  pas  le  couraj;e  de  s'abandonner  à  ce  rayon  de  belle 
espérance  et  d'endormir  la  douleur  de  sa  perte  prochaine. 


«  Paris,  2'.t  août  1715. 

u  J'arrive  de  la  maison  de  la  duchesse  du  Lude,  où  j'ai  vu  arriver  de 
Versailles  le  comte  et  le  marquis  de  Bélhune.  Il  y  avait  là  la  duchesse 
d'Estrées,  qui  avait  ses  nouvelles  ;  la  duchesse  du  Lude  avait  des  lettres 
de  la  maréchale  de  Rochefort,  de  la  duchesse  de  Roquelaure  et  du  ma- 
réchal de  Tessé,  et  M.  de  Cavoye  avait  aussi  ses  nouvelles  particu- 
lières. D'après  ces  auteurs  qui  concordent  entre  eux,  je  dirai  à  Votre 
Excellence  que  ces  nouvelles  sont  de  trois  heures  après-midi. 

«  L'habitant  de  Marseille  proteste  qu'il  n'est  pas  médecin,  ni  chi- 
rurgien, ni  apothicaire,  qu'il  n'a  pas  d'enfant,  mais  qu'il  possède  sept 
cents  écus  de  rente  et  qu'il  ne  demande  rien  ;  qu'ayant  appris  (jue  le 
Roi  était  malade  et  ayant  un  secret  dans  sa  famille,  il  l'avait  a|)porté. 
avec  les  attestations  d'un  grand  nombre  de  personnes  qui  étaient  plus 
malades  que  le  Roi  et  qu'il  avait  guéries.  Les  médecins  de  la  cour  ne 
voulaient  absolument  pas  que  le  Roi  prît  de  son  remède  ;  ils  disaient 
que  c'était  un  empoisonneur,  un  misérable  qui  aurait  avancé  de 
six  heures  la  mort  du  Roi*.  Là-dessus.  Mme  la  duchesse  d'Orléans, 
MM.  du  Maine  et  de  Toulouse  ont  pris  sur  eux  d'en  faire  l'expérience, 
et  hier  à  midi  le  Roi  l'a  pris.  Il  devait  être  pris  de  huit  en  huit  heures, 
et  un  bouillon  dans  l'intervalle.  Il  a  produit  l'effet  que  j'ai  dit  à  Votre 
Excellence;  mais,  sur  les  six  heures,  le  Roi  retomba  plus  mal,  et  il  dit 
alors  à  Mme  de  Maintenon  :  «  Vous  n'avez  qu'un  quart  d'heure  à 
«  ménager,  et  vous  pouvez  vous  en  aller,  »  et  sur  les  sept  heures 
elle  s'en  alla  à  Saint-Cyr.  Alors  les  médecins  se  déchaînèrent  contre  le 
donneur  de  remède  ;  le  pauvre  homme  s'excusait,  et  croyait  <iu'on 
allait  le  pendre.  Cependant,  sur  les  huit  heures,  on  redonna  au  Roi  le 
remède,  qui  opéra  comme  devant,  et  le  Roi  a  dormi  comme  je  vous  ai 
dit.  Ce  matin,  Mme  de  Maintenon,  rappelée  par  le  Roi,  est  revenue  à 
Versailles.  La  plaie  va  bien,  et  on  la  soigne.  Si  ce  bon  temps  se  con- 
tinue jusqu'à  demain  au  lever  du  soleil,  les  médecins  sont  d'avis  que 
le  Roi  pourra  guérir. 

«  On  dit  que  le  duc  d'Orléans  fait  wj<!n;eî7/cs.  Les  mousquetaires  étant 

1.  Les  mots  en  italiques  sont  en  français  dans  l'original,  comme  tous 
ceux  que  nous  mettons  en  italiques. 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  353 

allés  par  ordre  du  Roi  prendre  l'ordre  de  lui,  il  n'a  pas  voulu  le  donner, 
et  les  mousquetaires,  avec  son  consentement,  ont  conservé  celui  de  la 
veille.  Le  duc  de  Bourbon  était  piqué  de  ce  que  le  duc  du  Maine,  et 
non  lui  comme  grand  maître  de  F'rance,  avait  eu  la  garde  de  la  santé 
du  prince  ;  M.  le  duc  d'Orléans  l'a  raisonné  et  calmé. 

«  ....  Avec  ces  belles  espérances,  je  suis  allé  aux  Tuileries,  et  j'ai 
beaucoup  causé  avec  Mylord  Stair,  qui  convint  de  l'amélioration  du 
Roi,  mais  avec  un  air  qui  ne  mo  plaisait  pas.  En  revenant  chez  moi, 
je  suis  passé  au  Palais-Royal,  avant  de  venir  écrire  à  Votre  Excellence 
tous  ces  détails.  J'y  ai  vu  le  sergent  des  suisses  de  M.  le  duc  d'Orléans 
qui  m'a  dit  qu'il  venait  à  l'instant  d'envoyer  l'ordre  à  tous  les  suisses 
et  gardes  de  la  maison  d'Orléans  de  se  trouver  demain  matin  à  huit 
heures  au  Palais-Royal  ;  que  les  cent  suisses  du  Roi  avaient  eu  de  même 
l'ordre  de  se  trouver  demain  à  la  maison  de  M.  de  Courtenvaux,  leur 
capitaine,  pour  recevoir  ses  instructions  ;  qu'il  était  passé  trois  pages 
du  Roi  courant  à  toute  bride  à  la  foire  Saint-Laurent  pour  faire  fermer 
la  foire  et  les  théâtres.  Aujourd'hui  j'ai  appris  par  un  autre  que  les  gens 
du  Roi  sont  allés  à  Versailles  pour  recevoir  les  instructions  de  M.  le 
duc  d'Orléans.  Toutes  ces  choses  me  paraissent  trop  positives  pour  ne 
pas  craindre  le  grand  événement;  toutefois....  je  veux  espérer  avec 
ceux  qui  espèrent  encore,  et  pour  cacher  la  mort  du  Roi  je  ne  vois 
aucun  motif. 

«  Chez  la  duchesse  du  Lude,  on  donnait  pour  auteur  des  nouvelles 
d'Espagne  la  duchesse  de  Saint-Aignan,  et  la  duchesse  du  Lude  a  dit  ; 
«  En  vérité,  pour  être  Madame  l'Ambassadrice,  elle  est  bien  mal 
«  informée.  «  Mais  Dieu  sait  si  la  pauvre  dame  en  a  parlé  le  moins 
du  monde.... 


«  Paris,  30  août  171n. 

«  Ce  matin,  aussitôt  levé,  j'ai  envoyé  voir  si  le  Saint-Sacrement  était 
toujours  exposé  dans  les  églises,  et  c'est  là  une  raison  qui  devrait  en 
être  une  que  Sa  Majesté  vit  encore  ;  mais  je  ne  puis  comprendre  pour- 
quoi les  cent  suisses  de  la  garde  du  Roi  sont  à  Paris  et  ne  sont  pas  à 
Versailles,  où  ils  devraient  être. 

«  Hier  la  venue  de  Messieurs  du  Parlement  à  Versailles  a  été  au 
sujet  de  la  nouvelle  prétention  soulevée  par  les  ducs  et  pairs,  que  Sa 
Majesté  n'a  pas  voulu  encore  décider,  ce  qui  donne  une  plus  grande 
présomption  aux  ducs  et  pairs  pour  prétendre  avec  vigueur  ce  qu'ils  ont 
réclamé,  et  c'est  là  un  contretemps  très  malheureux....  M.  le  duc  d'Or- 
léans, comme  nouveau  dans  les  affaires,  a  voulu  savoir  en  quoi  con- 
sistait cette  contestation.  Le  premier  président  lui  a  dit  que,  quand 
les  présidents  à  mortier  entraient  dans  le  Parlement,  ils  faisaient  corps 
avec  lui  et  que  tous  faisaient  un  seul  corps  avec  le  Roi  ;  que  à  ceux-ci 
ils  levaient  le  bonnet,  comme  faisant  partie  d'un  corps  représentant  le 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SMON.   XXVIT  23 


354  APPENDICE  1. 

Roi.  cl  qu'entre  le  Roi  o[  les  ducs  ol  pairs  il  devait  y  avoir  quelque 
ditTérence  ;  d'où  la  coulume  invétérée  s'observait  toujours  de  ne  pas 
lever  le  bonnet  pour  ces  derniers  quand  ils  entraient  ;  qu'il  n'était  pas 
juste  que  trente-six  ducs  et  pairs,  comme  ils  sont  et  de  l'espèce  qu'ils 
sont,  allassent  recliercher  l'antique  époque  des  ducs  et  pairs,  quand  ils 
n'étaient  que  douze,  mais  tous  souverains  et  grands  potentats,  comme 
les  ducs  de  iS'ormaudie,  de  Bourgogne,  de  Bretagne,  etc.  ;  que,  pour 
lui,  il  aurait  plutôt  remis  sa  charge,  que  céder  sur  ce  privilège  du  Par- 
lement, ayant  juré  sur  les  évangiles  de  conserver  les  droits  de  la 
cour,  quand  il  est  entré  en  charge.  Le  Roi  aurait  peut-élre  bien  fait 
d'avoir  décidé  cet  article  pendant  sa  vie,  j)arce  qu'il  ne  laisse  pas 
d'avoir  des  conséquences  et  des  ditlicullés,  maintenant  que  les  ducs  et 
pairs  ont  dans  la  tète  depuis  quelque  temps  des  idées  assez  graves  à 
ce  sujet,  et  en  voudraient  aussi  introduire  sur  l'autre  noblesse,  qui  ne 
doit  rien  et  ne  cède  en  rien  à  Messieurs  les  ducs  et  pairs. 


Paris,  30  août  1715. 

«  Mon  ami  m'a  envoyé  un  carrosse  pour  sortir  et  aller  aux  nou- 
velles. J'ai  su  d'abord  que  le  duc  d'Ossone  était  arrivé  ce  matin  à  trois 
heures  de  Versailles  à  Paris,  et  qu'il  apportait  la  continuation  des 
bonnes  nouvelles  sur  le  salut  du  Roi,  et  avec  bonne  espérance,  et  que 
M.  Peralta,  son  médecin,  était  de  la  même  opinion.... 

«  J'ai  vu  une  lettre  de  Monasterol  qui  écrit  au  milieu  de  la  nuit 
dernière  qu'il  n'y  a  pas  de  fondement  à  une  espérance  positive,  mais 
qu'il  y  a  lieu  de  se  flatter  d'espérance.... 

«  Je  suis  allé  chez  M.  de  Cavoye,  que  j'ai  trouvé  avec  sa  femme 
plongés  dans  leur  douleur  et  leurs  larmes;  ils  ne  recevaient  personne; 
cependant  ils  m'ont  fait  la  grâce  de  me  recevoir  comme  leur  ami  par- 
ticulier et  leur  serviteur.  11  arrivait  à  ce  moment  de  Versailles  son 
valet  de  chambre  favori,  lequel,  avec  le  nom  de  M.  de  Cavoye,  est 
entré  dans  la  chambre  du  Roi.  Il  est  venu  en  compagnie  d'un  célèbre 
chirurgien  de  l'hôpital  de  la  Charité,  qui  est  neveu  de  Mareschal  et  qui 
l'aide  à  soigner  Sa  Majesté.  Toutes  les  bonnes  nouvelles  ne  pèsent  pas 
une  plume.  Hier  soir  à  huit  heures  le  Roi  a  pris  une  dose  du  remède 
de  l'inconnu.  Cet  inconnu  a  dit  que  c'était  la  dernière  fois  qu'il  en 
donnait;  puis  il  s'est  sauvé,  et  on  ne  l'a  plus  revu.  Cet  inconnu,  qui 
se  disait  de  Marseille,  est  un  homme  qui  est  à  Paris  depuis  trois  ans, 
logé  à  l'hôpital  des  Quinze- Vingts.  D'abord  on  l'appelait  M.  Lamour, 
et  maintenant  il  se  nomme  M.  le  Brun;  il  a  été  chassé  naguère  de  la 
faculté  de  médecine  comme  un  charlatan,  et  on  n'a  expérimenté  son 
secret  que  parce  que  tout  était  désespéré. 

«  A  quatre  heures  du  matin,  le  Roi  était  très  mal  :  il  avait  perdu 
connaissance  et  allait  à  grands  pas  au  dernier  moment.  Les  mousque- 
taires avaient  ordre  de  monter  à  cheval  au  premier  son  du  tambour. 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  355 

A  cinq  heures,  le  Roi  a  pris  un  peu  de  bouillon  qu'on  lui  a  donné.  A 
six  heures,  Mareschal  a  pansé  sa  jambe,  et  celui  qui  est  venu  avec  le 
valet  de  Cavoye  lui  tenait  la  cuisse.  La  jambe  est  toute  noire  comme 
un  charbon;  le  pied  et  la  jambe  jusqu'au  f^enou  est  en  partie  insen- 
sible et  perdue;  au-dessus  du  f^enou,  la  chair  est  plus  sensible;  mais 
le  mal  gagne  du  terrain.  La  tête  est  très  saine,  l'œil  bon,  la  poitrine 
et  le  ventre  en  très  bon  état,  comme  si  le  Roi  n'avait  que  trente  ans. 
Il  y  avait  dans  la  chambre  du  Roi  Mme  de  Maintenon  et  Mlle  d'Au- 
male,  sa  grande  favorite,  qui  a  gagné  beaucoup  d'argent  en  sollicitant 
pour  autrui  des  faveurs  qu'elle  vendait  pour  ainsi  dire.  Le  valet  de 
Cavoye  était  dans  l'antichambre  avec  la  princesse  de  Conti,  le  prince 
de  Rohan,  le  Chancelier  et  peu  d'autres.  Quand  est  sorti  le  médecin 
qui  venait  de  tàter  le  pouls  du  Roi,  il  a  t'ait  son  rapport,  disant  qu'il 
avait  trouvé  le  pouls  abominable,  un  peu  relevé,  mais  intermittent, 
inégal,  et  compliqué  de  tous  les  accidents  qui  pouvaient  concourir  à 
le  rendre  de  la  plus  mauvaise  nature.... 

«  Dans  le  temps  que  Mareschal  pansait  la  jambe  du  Roi,  Sa  Majesté 
a  demandé  si  ses  souffrances  seraient  encore  longues,  parce  qu'il  souf- 
frait beaucoup,  et,  comme  Mareschal  était  embarrassé  pour  répondre, 
le  Roi  a  ajouté  :  «  Je  demande  à  Dieu  de  vouloir  que  je  soufTre;  je 
«  souffrirai  et  je  veux  soufi'rir  tant  et  aussi  longtemps  qu'il  vou- 
«  dra » 

«  On  m'a  dit  que,  dans  le  temps  que  le  Roi  recommandait  Mme  de 
Maintenon  à  M.  le  duc  d'Orléans,  en  l'assurant  que  cette  dame  n'avait 
jamais  fait  de  tort  à  personne  et  qu'elle  ne  lui  avait  jamais  parlé  de 
lui  d'une  façon  qui  pût  lui  faire  de  la  peine,  celui-ci,  attendri  par  les 
expressions  affectueuses  de  Sa  Majesté,  avait  embrassé  Mme  de  Main- 
tenon devant  le  Roi,  et  lui  avait  promis  toute  son  amitié  et  son  assis- 
tance; mais  c'est  là  une  chose  que  je  ne  peux  affirmer,  parce  qu'elle 
m'a  été  dite  après  coup,  dans  les  Tuileries,  avant  de  dîner.... 

«  M.  de  Joffreville  et  M.  de  Saumery  sont  nommés  pour  sous- 
gouverneurs  du  petit  futur  roi.  Saumery  l'a  déjà  été  de  M.  le  duc  de 
Bourgogne;  c'est  un  homme  très  honnête  et  mon  grand  ami.  Il  me 
semble  que  Mme  de  Ventadour  aura  fait  changer  Vincennes  en  Marly 
pour  y  conduire  le  jeune  prince,  d'abord  parce  que  c'est  son  air  natal, 
ensuite  parce  que  Vincennes  n'a  pas  été  habité  depuis  très  longtemps, 
enfin  parce  que,  avec  l'eau  dormante  qui  est  dans  les  fossés  du  donjon, 
ce  ne  peut  être  un  bon  air. 

«  On  m'a  dit  une  chose  que  j'hésite  à  croire  de  M.  Albergotti, 
parce  que  je  le  connais  comme  très  sage  ;  mais  parfois  les  plus  sages 
sont  ceux  qui  tombent  dans  les  plus  grandes  niaiseries  pour  vouloir 
raffiner  dans  l'habileté.  Il  meurt  d'envie  d'être  maréchal  de  France; 
nous  le  savions  déjà.  Donc  Albergotti  était  dans  l'anlichambre  du  Roi 
l'autre  soir,  quand  il  vit  sortir  Mme  de  Maintenon  tout  en  larmes,  qui 
descendit  l'escalier,  monta  en  carrosse  et  s'en  alla  à  Saint-Cyr,  comme 
je  vous  l'ait  dit.  Sans  s'informer  autrement,  mais  enragé  pour  vouloir 


35r.  APPENUICK   I. 

prévenir,  il  passa  à  rapparlcment  du  Daupliin,  qui  c'-lait  à  dîner,  et 
dit  :  Voilà  notre  Roi.  A  celle  parole,  Mme  de  Ventadour  riposta  : 
Donc  le  Roi  est  mort,  et  se  mit  à  pleurer  très  dévotement.  Le  Dau- 
phin, qui  vit  sa  chère  maman  dans  cette  consternation,  se  mit  aussi  à 
pleurer.  Il  se  trouva  mal  et  vomit;  ce  qui  lit  un  grand  vacarme  jusqu'à 
ce  qu'on  sût  que  le  Roi  n'était  pas  mort.  De  sorte  qu'Albergotti  a  très 
mal  fait  sa  cour  on  celte  occasion  et  a  reculé  ses  atVaires  avec  l'inten- 
tion de  les  avancer,  comme  peut-être  il  l'espérait. 


Paris,  .31  août  1715. 

«  Les  nouvelles  d'hier  soir  jusqu'à  huit  heures  étaient,  aux  Tuile- 
ries, que  Mme  de  Mainlenon,  à  trois  heures  de  l'après-midi,  était  sortie 
de  la  chambre  du  Roi,  était  montée  en  carrosse  et  s'en  était  allée  à 
Saint-Cyr,  avec  l'intention  de  ne  plus  voir  personne  au  monde;  qu'elle 
avait  donné  et  distribué  son  argent,  ses  meubles  et  tout  ce  qu'elle 
avait,  à  la  réserve  de  deux  petits  paquets  qu'elle  avait  emportés  avec 
elle.  On  disait  en  outre  que  Sa  Majesté  était  morte  ;  mais,  MM.  de  Cel- 
laraare  et  d'Ossone,  qui  étaient  retournés  hier  à  la  cour,  n'en  étant  pas 
encore  revenus,  cela  seul  m'empêche  de  croire  à  une  mort,  qui,  si  elle 
n'est  pas  encore  arrivée,  ne  tardera  guère....  J'ai  remaniué  d'ailleurs 
que,  dans  cette  cour,  on  ne  fait  pas  de  mystère  pour  laisser  connaître 
la  vérité.... 

«  Je  suis  aussi  passé  par  le  Palais-Royal,  où  il  n'y  avait  rien  de 
nouveau.  Il  me  paraît  bien  que  M.  le  duc  d'Orléans  n'a  pas  consenti 
à  ce  que  le  Dauphin  aille  à  Marly,  mais  qu'il  prétend  suivre  les  inten- 
tions du  Roi,  et  (ju'il  ira  à  Vincennes,  et  que.  si  l'air  ne  lui  convient 
pas,  il  sera  toujours  temps  de  changer. 

«  Je  vous  dirai  encore  (|ue  le  Roi  a  laissé  son  cœur  aux  Jésuites  et 
qu'il  l'a  dit  au  P.  le  Tellier,  leipiei  a  prié  le  Roi  de  le  faire  savoir  lui- 
même  à  M.  de  Pontchartrain,  parce  qu'autrement  il  ne  voudrait  pas  le 
croire,  et  le  Roi  a  appelé  ce  minisire  et  lui  a  dit  ses  intentions.... 

«  ....On  m'a  dit  que  Mme  de  Mainlenon,  dans  la  distribution  qu'elle 
a  faite  de  ses  allaires,  a  donné  tous  ses  chevaux,  ses  carrosses  et  ses 
équipages  à  Mme  la  princesse  de  Conli. 

«  Ce  matin,  j'ai  dîné  avec  la  duchesse  du  Lude,  et,  à  l'heure  du 
repas,  est  arrivée  une  lettre  de  Versailles  écrite  à  dix  heures  du  matin. 
Le  Roi  était  toujours  en  vie,  mais  sans  connaissance,  et  même  sans 
sensibilité  ;  car  il  ne  se  plaignait  plus.  De  temps  en  temps  on  lui  don- 
nait quelques  cuillerées  de  gelée  et  un  peu  de  bouillon.  Les  médecins 
s'étaient  retirés,  comme  aussi  tous  les  courtisans;  le  seul  Père  le 
Tellier  restait  auprès  de  la  personne  de  Sa  Majesté;  il  y  avait  dans  la 
chambre  de  la  mauvaise  odeur.  La  princesse  de  Conti,  fille  du  Roi,  est 
inconsolable.  Il  no  reconnaît  personne,  et  c'est  un  moment  très  pénible 


LA  MORT  DE  LOUIS  XIV.  357 

qui  confine  à  la  mort  ;  mais  il  n'est  pas  vrai  qu'il  ait  expiré,  comme  à 
Paris  tout  le  monde  le  croit  comme  une  chose  certaine. 

«  Chez  la  duchesse  du  Lude,  j'ai  appris  qu'il  était  douteux  que  les 
bénétices  fussent  donnés  ;  toutefois  ils  devraient  l'être,  au  moins  pour 
Cambray,  parce  que  le  Régent  ne  pourrait  y  pourvoir,  voulant  avoir 
l'induit  de  Rome. 

«  J'ai  appris  qu'il  y  a  déjà  huit  jours  que  M.  de  Torcy  a  envoyé  à 
Rome  pour  faire  revenir  M.  Amclot,  et  le  courrier  envoyé  n'est  pas 
passé  par  Paris.  Je  crois  que  de  cet  homme  sage  on  veut  faire  quelque 
ministre. 

«  Votre  Excellence  doit  savoir  déjà  que  les  deux  sœurs,  la  duchesse 
d'Orléans  et  la  duchesse  de  Bourbon,  ne  sont  pas,  depuis  longtemps, 
bien  ensemble  et  qu'elle  sont  peu  amies;  je  puis  vous  assurer  qu'elles 
ont  fait  la  paix  et  se  sont  raccommodées. 

«  Le  médecin  Fagon,  estimé,  vénéré,  contemplé  et  redouté  jusqu'à 
|)résent  comme  une  indulgence  plénière,  est  tombé  dans  un  si  grand 
mépris  et  une  abomination  si  générale,  qu'il  a  pris  le  parti,  avec  sa 
vieille,  brutale  et  désagréable  figure,  de  se  retirer  au  Jardin  Royal  des 
simples.  Quelques-uns  pensent  que  Villeroy  pourrait  très  bien  faire 
placer  auprès  du  nouveau  roi  M.  Falconet  comme  premier  médecin  ; 
mais  ce  serait  tomber  de  la  tièvre  en  chaud  mal,  parce  que  le  monde 
n'a  pas  bonne  opinion  de  son  savoir-faire  en  médecine. 

«  Le  maréchal  de  Villeroy  a  eu  de  Lyon  avis  du  passage  et  du  meil- 
leur salut  de  Mme  des  Ursins,  de  qui  je  parle  par  occasion  et  de  qui 
je  ne  pense  plus  avoir  à  parler. 


Paris,  1"  septembre  1715. 

«  On  m'a  dit  hier  chez  la  duchesse  du  Lude  que  M.  Voysin  avait  la 
veille  donné  sa  démission  de  sa  charge  de  la  guerre,  et  bien  des  gens 
étaient  d'opinion  que  M.  de  la  Houssaye  en  serait  revêtu. 

«  On  m'a  dit  que  M.  le  Régent  avait  fait  trouver  deux  millions  et 
qu'il  les  avait  envoyés  aux  armées  et  aux  garnisons.  C'est  là  une  chose 
capitale  et  bien  essentielle  dans  la  conjoncture  présente  ;  s'il  l'a  fait, 
il  a  agi  excellemment,  il  a  fait  une  chose  digne  de  lui  et  de  sa  pré- 
voyance. 

«  Il  paraît  que  le  petit  prince  a  été  un  peu  incommodé  par  une 
dent  qui  perçait  ;  nous  avons  envoyé  savoir  de  ses  nouvelles  auprès  de 
la  duchesse  de  Ventadour,  et  elle  a  répondu  que,  grâces  à  Dieu,  il 
allait  très  bien.... 

«  Je  me  suis  laissé  dire  que  les  ducs  et  pairs  se  mettaient  en  pré- 
tention de  ne  pas  céder  le  pas  dans  le  Parlement  au  duc  du  Maine  et 
au  comte  de  Toulouse,  comme  naguère  ils  ont  fait  au  premier  duc  de 
Vendôme,  en  pareille  occasion.  J'ai  répondu  :   Hier,  c'était  un  cas  ; 


358  APPENDICE  I. 

aujourd'hui,  c'en  est  un  autre.   Mais  je  ne  sais  si  cela  est  vrai,  bien 
qu'on  le  donne  pour  tel. 

a  La  duchesse  de  Berry  ne  va  plus  au  Louvre,  comme  on  avait  dit, 
mais  au  palais  du  Luxembourg.... 

«  Je  crois  que  le  testament  de  Sa  Majesté  sera  lu,  et  certains  disent 
que  le  premier  a  été  chani';é.  Il  me  paraît  à  moi  qu'ils  disent  très  mal, 
et  je  le  conjecture  de  ce  que  la  princesse  de  Conti  ne  sait  pas  qu'elle 
est  nommée  à  la  garde  de  la  santé  du  petit  roi,  et  la  duchesse  du  Lude 
m'a  dit  que  cela  devait  être  spécifié  sur  le  testament.... 

0  Hier  à  sept  heures  du  soir,  il  est  arrivé  chez  la  duchesse  du  Lude 
un  exprès  de  la  maréchale  de  Rochefort  avec  les  mêmes  nouvelles  que 
ci-devant,  que  Sa  Majesté  vivait  encore,  mais  sans  connaissance,  et  ne 
se  nourrissant  que  de  petites  cuillerées  de  bouillon  et  de  gelée,  et  que 
cela  pouvait  durer  tant  que  Dieu  le  voudrait 

«  Ce  matin.  Sa  Majesté  n'a  pas  encore  rendu  l'âme  à  son  Créateur. 
Le  duc  du  Maine  fait  préparer  son  logement  à  l'Arsenal,  et  en  atten- 
dant il  ira  pour  quelques  jours  habiter  la  maison  du  duc  de  Beauvil- 
lier,  ou  celle  du  premier  président  du  Parlement,  M.  de  Mesmes.... 
Le  comte  de  Toulouse  vient  habiter  sa  maison  neuve  qu'il  a  fait  amé- 
nager richement  et  abondamment,  et  qu'il  a  achetée  récemment,  près 
la  place  des  Victoires,  de  M.  de  la  Vriilière,  secrétaire  d'Etat.... 

«  Ce  matin,  à  huit  heures  ou  huit  heures  et  demie  selon  les  hor- 
loges, le  très  auguste  Louis  XIV,  de  toujours  glorieuse  et  triomphante 
mémoire,  a  rendu  sa  grande  âme  à  son  Créateur.  Il  y  avait  déjà  quatre 
jours  que  le  monde  ingrat  l'avait  abandonné;  chacun  avait  pris  son 
parti  et  s'était  retiré  ci  et  là.  On  l'avait  laissé  seul  pour  lutter  contre 
les  attaques  de  la  mort;  c'est  là  un  sujet  à  grandement  moraliser.  Je 
dis  à  Votre  Excellence  laissé  seul  ;  car  la  galerie  et  l'appartement 
étaient  tout  pleins  d'un  peuple  amassé  par  la  curiosité  ;  mais  l'amour 
s'en  était  allé,  et  je  ne  sais  si  cette  observation  sera  faite  par  d'autres. 
Le  pauvre  monarque  avait  pris  congé  de  ses  domestiques  et  de  ses 
courtisans  flatteurs  avec  les  marques  les  plus  grandes  de  tendresse,  et 
aucun  ne  sequebatur  au  moins  a  longe  ut  respiceret  finem.... 


Paris,  2  septembre  171'i. 

«  ....Un  de  mes  amis  m'a  dit  avoir  vu  le  Roi  défunt  hier  soir  sur  son 
lit  avec  un  bonnet  de  nuit  et  un  linge  blanc  sous  le  menton  pour 
cacher  la  difformité,  parce  qu'il  avait  la  bouche  ouverte  et  la  langue 
pendante....  » 


LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV.  359 

II 

LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV 

Ainsi  qu'il  a  déjà  été  dit  dans  notre  tome  XXV,  p.  18,  note  5,  on 
ignore  absolument  ce  qu'est  devenu  l'original  du  testament  de  Louis  XIV, 
qui  aurait  dû  rester  dans  les  archives  du  Parlement,  avec  les  pièces 
relatives  à  la  séance  du  2  septembre  1713,  dans  laquelle  ce  testament 
fut  ouvert.  On  ne  peut  donc  se  servir  de  cet  original  pour  élucider  diver- 
ses questions  qui  se  posent  relativement  à  l'écriture  de  la  pièce,  et  aux 
dates  des  codicilles.  Cette  disparition  de  l'original  donne  une  grande 
valeur  à  la  copie  figurée  que  le  greflBer  du  Parlement  Gilbert  de  Voi- 
sins» en  exécuta  aussitôt  après  l'ouverture  et  qui  se  trouve  maintenant 
aux  Archives  nationales,  carton  K  137,  n°  1^.  C'est  ce  qui  nous  engage, 
quoique  le  texte  du  testament  ait  été  bien  des  fois  publié  2,  à  repro- 
duire très  fidèlement  cette  copie  de  Gilbert  de  Voisins  ;  on  va  la  trou- 
ver ci-après.  Auparavant  il  convient  d'éclaircir  les  questions  d'écriture 
et  de  date,  auxquelles  nous  venons  de  faire  allusion. 

On  a  dit  que  le  testament  avait  été  écrit  non  pas  de  la  main  de 
Louis  XIV,  mais  de  celle  du  chancelier  Voysin  sous  la  dictée  du  Roi, 
au  moins  en  partie,  ainsi  que  le  premier  codicille  (notre  tome  XXV, 
p.  473  ;  Parallèle  des  trois  rois  Bourbons,  p.  339)  ;  cela  n'est  pas  exact. 
On  verra  ci-dessous  que  le  testament  et  les  codicilles  furent  écrits  et 
signés  de  la  même  main  et  que  cette  main  paraît  être  celle  du  «  feu 
Roi  ».  Si  l'écriture  et  la  signature  sont  de  la  même  main,  il  faut  bien 
que  ce  soit  celle  de  Louis  XIV  ;  car  il  n'est  pas  admissible  qu'il  n'ait 
pas  signé  lui-même.  D'autre  part,  on  connaît  beaucoup  de  pièces  écrites 
par  Voysin  de  sa  propre  main  3;    l'écriture   n'a  pas  de  ressemblance 

1.  C'est  par  erreur  que,  dans  notre  tome  XXV,  p.  18,  note  o,  trompés 
par  une  note  trop  sommaire  prise  naguère  par  M.  de  Boislisle,  nous 
avons  attribué  cette  copie  au  greffier  en  chef  Dongois  ;  elle  est  de  la 
propre  main  de  Gilbert  de  Voisins,  et  marquée  à  toutes  les  pages  de 
son  paraphe. 

2.  Dés  1713,  la  Gazette  d'Amsterdam  en  donnait  le  texte  dans  son 
Extraordinaire  lxxviii,  portant  la  date  du  27  septembre.  Du  Mont 
l'inséra  dans  son  Corps  diplomatique,  tome  VIll,  première  partie, 
p.  434-448. 

3.  Voyez  notamment  dans  les  Papiers  du  contrôle  général  des  finances 
des  lettres  autographes  de  lui  tandis  qu'il  était  intendant  en  Hainaut 
(cartons  G'  286-287)  et  aussi  comme  secrétaire  d'État  de  la  guerre  (car- 
tons G''  336-337),  sans  compter  les  innombrables  pièces  du  Dépôt  de  la 
guerre. 


;{()0  Arri:.M)icE  ii. 

avec  celle  du  Roi  ;  donc  le  greffier  ne  s'y  serait  pas  trompé.  D'autre 
part,  l'orthographe  de  Voysin  est  très  correcte  ;  or  ce  n'est  pas  ce  qu'on 
peut  constater  dans  la  copie  figurée  ci-aprés.  Jamais  Voysin  n'aurait 
écrit  esvennemens,  partenieh,  lesritier  presomlif,  rejence  ou  recense,  atta- 
cbemant,  etc.  Il  faut  donc  en  conclure  que  le  testament  comme  les  codi- 
cilles étaient  de  la  main  do  Louis  XIV.  Dans  l'Addition  à  Dans;cau 
n"  1158  (notre  tome  XXV,  p.  -Vii),  Saint-Simon  avait  dit  pins  juste- 
ment :  «  Le  testament  fut  minute  par  le  Giiancelier  »,  c'est-à-dire  que 
ce  fut  celui-ci  qui  en  écrivit  le  brouillon  sous  la  dictée  du  Roi  ;  mais 
Louis  XIV  dut  le  transcrire   de  sa  main.  Voilà  certainement  la  vérité. 

Les  dates  des  codicilles  ont  été  aussi  contestées  ',  ou  plutôt  on  a 
donné  des  dates  différentes.  Pour  le  premier.-  la  Gazette  d'Amsterdam, 
Extraordinaire  lxxvui,  imprima  13  avril  ;  le  Journal  de  la  Régence  de 
Jean  Buvat  (p.  H'2)  le  data  du  1"  ;  le  j,'énéral  de  Grimoard,  dans  ses 
Œuvres  de  Louis  XIV,  tome  II,  p.  447  et  suiv.  adopta  la  date  du 
13  aotit,  et  fut  imité  en  cela  par  les  éditeurs  du  Journal  de  Dangeau, 
tome  XVI,  p.  284.  La  copie  figurée  ci-après  dit  formellement  iS*  avril, 
et  cette  date  est  confirmée  par  le  procès-verbal  de  la  séance  du  Parle- 
ment du  2  septembre,  où  le  testament  fut  ouvert,  et  qui  confirme 
treizième  arrt/ (Archives  nationales,  X^*  8431,  fol.  404  v",  publié  dans 
l'Appendice  du  tome  I  du  Journal  de  Jean  Buvat,  p.  483).  C'est  donc  cer- 
tainement cette  date  qui  est  la  bonne  ;  ce  premier  codicille  était  donc 
rédigé  depuis  quatre  mois  et  demi  lors  de  la  mort  du  Roi.  Il  ne  fut  pas 
Joint  au  testament  enfermé  depuis  le  mois  de  septembre  précédent  dans 
le  caveau  du  palais  de  justice  ;  mais  il  resta  probablement  entre  les 
mains  du  cliancelier  Voysin.  Le  duc  d'Orléans  l'apporta  au  Parlement 
le  2  septembre  171o  dans  un  enveloppe  non  cachetée. 

Le  second  codicille  fut  écrit  par  Louis  XIV  à  la  suite  du  premier  et 
sur  la  même  feuille  double  de  papier.  Il  porte  la  date  du  23  août  en 
chiffres  et  non  en  lettres,  et  cette  date  a  été  toujours  reproduite  exacte- 
ment. Nous  croyons  cependant  qu'il  faut  penser  qu'il  a  été  écrit  le  2o  ; 
en  voici  les  raisons.  D'abord  Dangeau  dit  formellement  que,  dans  la 
soirée  du  2o,  lorsque  le  Roi  eût  reçu  les  derniers  sacrements,  il  a  «  fait 
apporter  sur  son  lit  une  petite  table  et  a  écrit  de  sa  main  quatre  ou 
cinq  lignes  sur  la  quatrième  page  d'un  codicille  qu'il  avoit  fait  et  dont 

1.  Remarquons  en  passant  qu'il  est  singulier  que,  le  testament  lui- 
même  étant  daté  du  2  août  1714,  le  Roi  ait  attendu  jusqu'au  26  du 
même  mois  pour  en  faire  le  dépôt  entre  les  mains  du  premier  prési- 
dent du  Parlement;  nous  ne  pouvons  soupçonner  le  motif  de  ce  retard. 
Mais  la  date  du  testament  est  incontestable  ;  d'après  la  copie  figurée 
ci-après,  il  y  avait  sur  l'original  le  deuxiesme  d'oust,  et  comme  il  est 
daté  de  .Marly  et  que  la  cour  revint  à  Versailles  le  11,  on  ne  peut  pas 
faire  la  supposition  que  le  Roi  se  serait  trompé  et  aurait  mis 
deuxiesme  pour  douziesme  ou  pour  vingt-deuxiesme  II  y  eut  donc  prés 
de  quatre  semaines  entre  la  date  de  la  pièce  et  sa  remise  au  premier 
président  du  Parlement. 


LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV.  3fil 

les  trois  premières  étoient  remplies.  »  Cela  semble  tout  à  fait  précis  et 
exact.  D'autre  part,  le  greffier  remarque  ci-après  que  ce  codicille  «  est 
écrit  d'une  main  fort  tremblante,  qui  cependant  paroît  toujours  la 
même  »,  et  si  l'on  examine  le  texte  figuré  on  est  frapjié  de  l'incohérence 
de  la  rédaction.  Le  Roi  a  écrit  preseur  pour  précepteur,  puis  à  la  suite 
preoepter,  sans  biffer  le  mot  précédent  ;  avant  evesque,  il  avait  com- 
mencé devps  ;  enfin  au  lieu  des  mots  le  père  le  tellier,  il  avait  d'abord 
écrit  des  mots  illisibles  qu'il  a  biffés.  Tout  cela  dénote  un  grand  afl'ai- 
blissement  cérébral,  qui  n'existait  pas  le  2.3  août,  mais  qui  s'était  pro- 
duit le  2o,  puisqu'il  avait  divagué  après  un  peu  d'assoupissement,  ce 
qui  avait  tellement  effrayé  son  entourage  qu'on  avait  parlé  aussitôt  des 
derniers  sacrements.  11  est  possible  d'ailleurs  que  le  Roi  se  soit  trompé, 
soit  par  inadvertance,  soit  par  suite  de  l'état  cérébral  dans  lequel  il  se 
trouvait  ;  il  est  possible  aussi  que,  par  suite  de  l'écriture  «  fort  trem- 
blante »,  le  premier  président  et  le  greffier  aient  pris  un  5  pour  un  3. 
Toutes  ces  raisons  nous  font  croire  que  le  dernier  codicille,  quoique 
daté  du  23,  est  bien  du  23,  comme  le  dit  si  clairement  Dangeau. 

Testament  de  Louis  XIV. 

(Copie  figurée  faite  d'après  l'original  par  M.  Gilbert  de  Voisins, 
greffier  en  chef  du  Parlement.) 

Le  greffier  fait  précéder  sa  copie  des  quelques  remarques  suivantes 
sur  l'état  matériel  du  document  : 

«  Dans  le  portefeuille  se  trouve  un  acte  en  papier  commun  *,  com- 
pris en  quatre  feuilles  2,  dont  le  dernier  feuillet  n'est  point  écrit,  ledit 
acte  finissant  au  milieu  de  la  quatorzième  page,  recouvert  d'une  cin- 
quième feuille  de  papier  blanc,  lequel  paroît  avoir  été  enfermé  de 
toute  sa  grandeur,  sans  être  plié,  en  une  feuille  de  papier  cachetée  de 
sept  cachets  du  cachet  particulier  du  feu  Roi,  sur  laquelle  se  trouvent 
ces  mots  qui  paroissent  de  la  main  du  feu  Roi  :  «  Ceci  est  nostre  tes- 
«  tament.  »  Et  au-dessous  :  «  Louis.  »  Duquel  acte,  écrit  aussi  et 
signé  de  la  même  main,  s'ensuit  la  teneur  : 

Page  4. 

Cecy  est  nostre  disposition  et  ordon- 
-nance  de  dernière  volonté  pour  la 
tutelle  du  Dauphin  nostre  arrière 
petit  fils  et  pour  le  Conseil  de  régence 
que  nous  voulons  estre  estably  aprez 

1.  Gilbert  de  Voisins  veut  dire  en  papier  ordinaire,  non  timbré. 

2.  (ï'est-à-dire  quatre  feuilles  doubles,  formant  huit  feuillets  ou  seize 
pages. 


362  APPENDICE  II. 

Dostre  decez  pendant  la  minorité 
du  Roy. 

Comme  par  la  miséricorde  infinie 
de  dieu  la  guerre  qui  a  pendant 
plusieurs  années  agité  nostre 
royaume  avec  des  esvennemens 
diferents  et  qui  nous  ont  laissé 
de  justes  inquiestudes  est  heureu- 
sement terminée  nous  n'avons 
présentement  rien  plus  à  cœur 
que  de  procurer  à  nos  peuples  le 
soulagement  que  le  temps  de 
guerre  ne  nous  a  pas  permis  de  leur 
donner  les  mettre  en  estât  de  jouir 
longtemps  des  fruits  de  la  paix  et 
esloigner  tout  ce  qui  pourroit  trou- 
bler leur  tramiuillité  nous  croyons 
dans  cette  veue  devoir  estendre 
nos  soins  parternels  a  prévoir 
et  prévenir  autant  qu'il  despend 
de  nous  les  maux  dont  nostre 
royaume  pourroit  estre  troublé 


Page  2d«. 


si  par  l'ordre  de  la  divine  providence 
notre  decez  arrive  avant  que  le 
Dauphin  nostre  arrière  petit  tils 
qui  est  lesritier  presomtif  de 
nostre  couronne  ait  atteint  sa 
quatorziesme  année  qui  est 
laage  de  sa  majorité. 
Cest  ce  qui  nous  engage  a  pour- 
voir a  la  tutelle  a  leducation 
de  sa  personne  et  a  former  pendant 
sa  minorité  un  conseil  de  régence 
capable  par  sa  prudence  sa  pro- 
bité et  la  grande  expérience 
de  ceux  que  nous  choisisons 
pour  le  composer  de  conserver 
le  bon  ordre  dans  le  gouverne- 
ment de  lestât  et  maintenir 
nos  sujets  dans  l'obéissance  qu'ils 
doivent  au  roy  mineur. 
Ce  conseil  de  rejence  sera  composé 
du  duc  dorloans  chef  du  conseil  du 
duc  de  bouibon  quand  il  aura  vingt 
quatre  ans  accomplis  du  duc  du 


LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV.  363 

maine  du  comte  de  toulouse  du  chance- 
-lier  de  francs  du  chef  du  Conseil 
royal  '  des  mareschaux  de  Villeroy 
de  viilar  duxelles  de  tallart  et  dharcourt 
des  quatre  secrétaires  destat  et  du  contrô- 
leur gênerai  des  finances. 
Page  3«,  feuillet  marqué  "2. 

Nous  les  avons  choisis  par  la  connoi- 
ssance  que  nous  avons  de  leur 
capacité  de  leurs  talens  et  du 
fidelle  attachemant  quils  ont 
toujours  eu  pour  nostre  personne 
et  que  nous  sommes  persuadés 
qu'ils  auront  de  mesme  pour  le  roy 
mineur. 

Voulons  que  la  personne  du  Roy 
mineur  soit-  sous  la  tutelle  et  garde 
du  conseil  de  regense  mais  comme 
il  est  nécessaire  que  sous  l'autorité 
de  ce  conseil  quelque  personne  dun 
mérite  universellement  reconnu 
et  distinguée  par  son  rang  soit 
particulièrement  chargée  de 
veiller  à  la  sûreté  conservation 
et  éducation  du  roy  mineur  nous 
nommons  le  duc  du  maine  pour 
avoir  cette  autorité  et  remplir  cette 
importante  ionction  du  jour 
de  notre  decez  nous  nommons 
aussy  pour  gouverneur  du  roy 
mineur  sous  l'autorité  du  duc 
du  maine  le  mareschal  de  villeroy 
qui  par  sa  bonne  conduitte  sa 
probité  et  ses  tallens  nous  a  paru 
Page  4*. 

mériter  destre  honoré  de  cette 
marque  de  nostre  estime  et  de  nostre 
conuance.  nous  sommes  persuadés 
que  pour  tout  ce  qui  aura  rapport 

1  Le  «  chef  du  conseil  royal  »  ou  conseil  des  finances  était  le  duc 
de  Beauvilher;  mais  il  était  alors  fort  malade  et  mourut  le  31  août 
quatre  jours  après  le  dépôt  du  testament  au  Parlement  :  c'est  ce  oui' 
explique  qu'il  ne  soit  désigné  que  par  son  titre. 

2.  Ce  mot  soit,  oublié  par  le  Roi,  a  été  ajouté  par  lui  en  inter- 
ligne. ^ 


364  APPENDICE  II. 

a  la  personne  et  a  l(^ducation  du 
roy  mineur  le  duc  du  niaine  et  le 
inaresclial  de  Villeroy  f^ouverneur 
animés  tous  deux  pur  un  mesme 
esprit  agiront  avec  un  parfait 
concert  et  qu'ils  nobmetlront 
rien  pour  luy  inspirer  les 
sentimens  de  vertu  de  religion 
et  de  grandeur  dame  que  nous 
souhaitions  qu'il  conserve  toutte 
la  vie.  voulons  que  tous  otliciers 
de  la  garde  et  de  la  maison  du  roy 
soient  tenus  de  reconnoislre  le 
duc  du  maine  et  de  lui  obéir  en  tout 
ce  quil  leur  ordonnera  pour  le  fait 
de  leur  charge  qui  aura  raport 
à  la  personne  du  roy  mineur  a  sa 
garde  et  a  sa  sûreté, 
au  cas  que  le  duc  du  maine  vienne 
à  manquer  avant  nostre  decez 
ou  pendant  la  minorité  du  roy 
nous  nomons  à  la  place  le  comte 
de  toulouse  pour  avoir  la  mesme 
Page  0',  feuillet  marqué  3. 

auctorité  et  remplir  les  mesmes  fonc 
lions. 

pareillement  si  le  mareschal  de 
villeroy  decede  avant  nous  ou 
pendant  la  minorité  du  roy 
nous  nommons  pour  gouverneur 
à  sa  place  le  mareschal  dharcourt. 
Voulons  que  touttes  les  aiïaires  qui 
doivent  estre  desidées  par  lauctori- 
té  du  roy  sans  aucune  exception 
ni  reserve  soit  quelles  consernent 
la  guerre  ou  la  paix  la  disposition 
et  administration  des  finances 
ou  quil  sagisse  du  choix  des 
personnes  qui  doivent  remplir 
les  archeveschés  éveschés  abbaies 
et  autres  bénéfices  dont  la  nomi- 
nation doit  appartenir  au  roy 
mineur  la  nomination  aux 
charges  de  la  couronne  aux 
charges  de  .secrétaires  destat  à 
celle  de  contrôleur  gênerai  des 


Page  6=. 


LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV.  363 

finances  a  touttes  celles  des  officiers 
de  guerre  tant  des  troupes  de  terre 
que  officiers  de  marine  et  gaileres 
aux  offices  de  judicature  tant 


des  Cours  supérieures  qu'autres  a 
celles  de  finances  aux  charges  de  gou 
verneurs  et  lieutenants  généraux  pour 
le  roy  dans  les  provinces  et  celles  des 
estats  majors  des  places  fortes  tant 
des  frontières  que  des  provinces  du 
dedans  du  royaume  aux  charges 
de  la  maison  du  roy  sans  distinction 
des  grandes  et  petites  qui  sont  à 
la  nomination  du  roy  et  générale 
ment  pour  toutes  les  charges  com- 
missions et  emplois  auxquels  le 
roy  doit  nommer  soient  proposées 
et  délibérées  au  conseil  de  la  régence 
et  que  les  resolutions  y  soient 
prises  à  la  pluralité  des  sufrages 
sans  que  le  duc  dorleans  chef  du 
conseil  puisse  seul  et  par  son 
auctorité  particulière  rien  determi 
ner  statuer  et  ordonner  et  faire 
expédier  aucun  ordre  au  nom  du 
roy  mineur  autrement  que  sui 
vant  l'advis  du  conseil  de  la  régen- 
ce. 

s'il  arrive  qu'il  y  ait  sur  quelques 
affaires  diversité  de  sentimens 
Page  "e,  feuillet  marqué  4. 

dans  le  conseil  de  la  régence  ceux  qui 
y  assisteront  seront  obligés  de  se  reunir 
a  deux  advis  et  celuy  du  plus' grand 
nombre  prévaudra  toujours  mais 
sil  se  trouvoit  quil  y  eust  pour 
les  deux  advis  nombre  esgal  de 
sufrages  en  ce  cas  seulement  ladvis 
du  duc  dorleans  comme  chef  du 
conseil  prévaudra. 

Lorsquil  sagira  de  nommer  aux  bénéfices 
le  confesseur  du  roy  entrera  au  conseil 
de  régence  pour  y  présenter  le  mémoire 
des  bénéfices  vacans  et  proposer  les 
personnes  quil  verra  capables  de  les 


366  APPENDICE  II. 

remplir,  soroiil  aussi  admis  au  mesmo 

conseil  extraoniinairenil  lorsquil 

sagira  de  la  nomination  aux  bénéfices 

deux  arclievesques  ou  evesques  de  ceux 

qui  se  trouveront  à  la  cour  et  qui 

seront  adverlis  par  lordre  du  conseil 

de  régence  pour  sy  trouver  et 

donner  leur  advis  sur  le  choix  des 

sujets  qui  seront  proposés. 

le  conseil  de  régence  sassemblera 

quatre  ou  cinq  jours  de  la  semaine 

le  malin  dans  la  chambre  ou  cabinet 

de  lapartement  du  roy  mineur  et 

aussitost  que  le  roy  aura  dix  ans  accomplis 

Page  8". 

il  pourra  y  assister  quand  il  voudra 
non  pour  ordonner  et  décider  mais 
pour  entendre  et  pour  prendre  les  premi- 
ères connoissances  des  affaires, 
en  cas  dabsence  ou  empeschement  du 
duc  dorleans  celuy  qui  se  trouvera 
estre  le  premier  par  son  rang  tiendra 
le  conseil  afin  que  le  cours  des  alîaires 
ne  soit  pas  interrompu  et  sil  y  a  partage 
de  voix  la  sienne  prévaudra. 
Il  sera  tenu  registre  par  le  plus  ancien 
des  secrétaires  destat  qui  se  trouveront 
presens  au  conseil  de  tout  ce  qui  aura 
esté  délibéré  et  résolu  pour  estre 
ensuitte  les  expéditions  taittes  au 
nom  du  roy  mineur  par  ceux  qui 
en  sont  chargés. 

Si  avant  quil  plaise  à  dieu  nous  appeler 
à  luy  quelquun  de  ceux  que  nous  avons 
nommé  pour  remplir  le  conseil  de  la 
régence  decede  ou  se  trouve  hors  destat 
dy  entrer  nous  nous  reservons  de 
pouvoir  nommer  une  autre  personne 
pour  remplir  la  place  et  nous  le  ferons 
par  un  escrit  qui  sera  entièrement 
de  nosfre  main  et  qui  ne  paroistra 
pareillement  qu'après  nostre  deces 
et  si  nous  ne  nommons  personne 

Page  9",  feuillet  marqué  5. 

le  nombre  de  ceux  qui  devront  composer 
le  conseil  de  la  régence  demeurera  réduit 


Page  40^ 


LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV.  367 

à  ceux  qui  se  trouveront  vivans  au  jour 

de  nostre  mort. 

Il  ne  sera  fait  aucun  chanj^ement  au 

conseil  de  la  régence  tant  que  durera 

la  minorité  du  roy  et  si  pendant  le  temps 

de  cette  minorité  quelquun  de  ceux  que  nous 

y  avons  nommé  vient  à  manquer  la 

place  vacquante  pourra  estre  remplacée 

par  le  choix  et  délibération  du  conseil 

de  la  régence  sans  que  le  nombre  de 

ceux  qui  doivent  le  composer  tel 

quil  aurra  esté  au  jour  de  nostre  deces 

puisse  estre  augmenté  et  le  cas  arrivant 

que  plusieurs  de  ceux  qui  le  composent 

ne  puisse  •  pas  y  assister  par  maladie 
ou  autre  empeschement  il  faudra 
toujours  quil  sy  trouvent  2  au  moins 
le  nombre  de  sept  de  ceux  qui  sont 
nommés  pour  le  composer  atin  que 
les  délibérations  qui  y  auront  esté 
prises  ayent  leur  entière  force  et 
autorité  et  à  cet  efi'et  dans  tous  les 
edits  déclarations  lettres  patentes  pro- 
visions et  actes  qui  doivent  estre 
délibérés  au  conseil  de  régence  et 
qui  seront  expédiées  pendant  la 

minorité  il  sera  fait  mention  expresse 
du  nom  des  personnes  qui  auront 
assisté  au  conseil  dans  lequel  les 
edits  déclarations  lettres  patentes  et 
autres  expéditions  auront  esté  résolus, 
notre  principale  aplication  pendant 
la  durée  de  nostre  règne  a  toujours  esté 
de  conserver  dans  nostre  royaume  la 
pureté  de  la  religion  catolique 
romaine  en  esloigner  toute  sorte 
de  nouveauté  et  nous  avons  fait  tous 
nos  efforts  pour  reunir  a  l'église  ceux 
qui  en  estoient  séparés  nostre  intention 
est  que  le  conseil  de  la  régence  s'a 
tache  à  mintenir  les  lois  et  reele 


1.  Ainsi  dans  le  manuscrit. 

2.  Même  observation. 


368  APPKNDICK    II. 

mens  que  nous  avons  lait  à  ce 
sujet  et  nous  exhortons  le  dauphin 
nostre  arrière  petit  lils  lorsqu'il 
sera  en  aage  de  {gouverner  par  luy 
mesme  de  ne  jamais  soufrir 
qu'il  y  soit  donné  alleinle  comme 
aussy  de  maintenir  avec  la  mesme 
fermeté  les  edits  que  nous  avons 
fait  contre  les  duels  regardant 
ces  loix  sur  le  fait  de  la  religion 
et  sur  le  fait  des  duels  comme 
les  plus  nécessaires  et  les  plus 

Page  H'",  feuillet  marqué  6. 

utilles  pour  attirer  la  bénédiction  de 
dieu  sur  nostre  postérité  et  nostre 
royaume  et  pour  la  conservation 
de  la  noblesse  qui  en  fait  la  principa 
le  force. 

Notre  intention  est  que  les  dispo 
sitions  contenues  dans  nostre 
edict  du  mois  de  juillet  dernier  en 
faveur  du  duc  du  mainc  et  du  comte, 
de  Toulouse  et'  leurs  descendants  ait 
pour  toujours  leur  entière  exécution 
sans  qu'en  aucun  temps  il  puisse 
estre  donné  atteinte  à  ce  que  nous 
avons  déclaré  estre  en  cela  de  nostre 
volonté. 

Entre  les  différents  establissemens 
que  nous  avons  fait  dans  le 
cours  de  nostre  règne  il  n'y  en  a 
point  qui  soit  plus  ulille  a  l'état 
que  celuy  de  l'Hostel  royal  des 
invallides  il  est  bien  juste  que 
les  soldats  qui  par  les  blessures 
quils  ont  reçus  à  la  guerre  ou  par 
leurs  longs  services  et  leur  aàge 
sont  hors  destat  de  travailler  et 
gaigner  leur  vie  aient  une 
subsistance  assurée  pour  le  reste 

Page  ^2^ 

de  leurs  jours  plusieurs  officiers 
qui  sont  dénués  des  biens  de  la 
fortune  y  trouvent  aussy  une 

l.  De  effact'  ifi  (note  de  la  copie). 


LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV.  369 

retiaitle  honorable  touttes 
sortes  de  motifs  doivent  engager 
le  dauphin  et  tous  les  roys  nos 
successeurs  à  soutenir  cet  establis 
sèment  et  luy  accorder  une  protec 
tion  particulière  nous  les  y 
exhortons  autant  qu'il  est  en 
nostre  pouvoir. 

La  fondation  que  nous  avons 
faitte  dune  maison  a  S'  Cir  pour 
l'éducation  de  deux  cent  cinquante 
demoiselles  donnera  perpétuelle 
ment  a  ladvenir  aux  roys  nos 
successeurs  un  moyen  de  faire  des 
grâces  a  plusieurs  familles  de  la 
noblesse  du  royaume  qui  se  trouvant 
chargées  d'enfans  avec  peu  de  bien 
auroient  le  regret  de  ne  pouvoir 
pas  fournir  a  la  dépense  nécessaire 
pour  leur  donner  une  éducation 
convenable  a  leur  naissance  nous 
voulons  que  si  de  nostre  vivant 
les  cinquante  mil  livres  de 
Page  13*^,  feuillet  marqué  7. 

revenu  en  fons  de  terre  que  nous 
avons  donné  pour  la  fondation 
ne  sont  pas  entièrement  remplis 
il  soit  fait  des  acquisitions  le  plus 
promptement  quil  se  pourra  après 
nostre  deces  pour  fournir  a  ce  qu'il  en 
manquera  et  que  les  autres  sommes 
que  nous  avons  assignée  a  cette 
maison  sur  nos  domaines  et  receptes 
generalles  tant  pour  augmentation 
de  fondation  que  pour  doter  les 
demoiselles  qui  sortent  a  laage  de 
vingt  ans  soient  régulièrement 
payées  en  sorte  quen  nul  cas  ny 
sous  quelque  prétexte  que  ce  soit 
notre  fondation  ne  puisse  estre 
diminuée  et  qu'il  ne  soit  donné 
aucune  atteinte  a  lunion  qui  y  a 
esté  faille  de  la  manse  abbatiale 
de  labbaie  de  S'  dénis  comme  aussi 
quil  ne  soit  rien  changé  aux 
reglemens  que  nous  avons  jugé 

MÉMOIRES    DE  SAINT-SIMON.    XXVII  24 


370  APPENDICE  II. 

a  propos  do  faire  pour  lo  gouvor 

nemont  de  la  maison  et  pour 

la  qualité  des  preuves  qui 

doivent  estre  t'ailles  parles  demoiselles. 

qui  oLitiennoDl  des  places  dans  la 

niaison. 

ÎVous  navons  daulre  veue  dans 
louttes  les  dispositions  de  nostre 
présent  testament  que  le  bien  de 
nostre  estât  et  de  nos  sujets 
nous  prions  dieu  quil  bénisse  nos 
tre  postérité  et  quil  nous  fasse 
la  grâce  de  faire  un  assez  bon 
usage  du  reste  de  noslre  vie  pour 
effacer  nos  pescbés  et  obtenir 
sa  miséricorde. 

Fait  a  marly  le  deuxiesme  d'ousl 
dix  sept  cens  quatorze. 

Louis. 

«  Dans  le  même  portefeuille  se  trouve  aussi  un  autre  acte  contenu 
en  une  feuille  de  papier  de  même  grandeur,  écrite  jusques  à  la  tin  de 
la  troisième  page,  avec  une  addition  de  trois  lignes  et  demie  à  la  qua- 
trième, ladite  feuille  recouverte  d'une  autre  feuille  de  papier  blanc, 
lequel  acte  paroît  avoir  été  plié  en  quatre  et  enveloppé  d'une  enve- 
loppe non  cachetée  sur  laquelle  est  écrit,  ce  semble,  de  la  même  main 
que  le  testament  ci-dessus  transcrit  et  que  ledit  acte  :  «  Addition  à  mon 
testament».  Ensuit  la  teneur  duditacte,  portant  en  tête  le  mot  «Codi- 
cille »  : 

Codicille. 

Par  mon  testament  déposé  au 
parlement  j'ay  nommé  le 
raareschal  de  Villeroy  pour 
gouverneur  du  dauphin  et 
jay  marqué  quelle  devoit 
estre  son  autorité  et  ses 
fonctions. 

Mon  intention  est   que    du 
moment  de  mon  deces  jusques 
a  ce  que  louverlurc  de  mon 
testament  ail  esté  faille  il 
ail  toulte  lauctorité  sur  les 
officiers  de  la  maison  du 
jeune  roy  et  sur  les  troupes 


LE  TESTAMENT  DE  LOUIS  XIV.  371 

qui  la  composent  il  ordonne 

ra  aux  ditles  troupes  aussy 

tost  après  ma  mort  de  se  rendre  au 

lieu  ou  sera  le  jeune  roy 

pour  le  mener  a  vincennes 

lair  y  estant  très  bon 

le  jeune  roy  allant  a  vincennes 

passera  par  paris  et  ira  au 

parlement  pour  y  estre  fait 

ouverture  de  mon  testament 


Page  S*"' 


en  sa  présence  et  des  princes 
des  pairs  et  autres  qui  ont  droit 
et  qui  voudront  sy  trouver 
dans  la  marche  et  pour  la 
séance  du  jeune  roy  au  parle 
ment  le  mareschal  de  Villeroy 
donnera  tous  les  ordres  pour 
que  les  gardes  du  corps  les  gardes 
françoises  et  suisses  prennent 
les  postes  dans  les  rues  et  au 
palais  que  Ion  a  accoutumés 
de  prendre  lorsque  les  rois  vont 
au  parlement  en  sorte  que  tout 
se  face  avec  la  surété  et  la 
dignité  convenable. 
Après  que  mon  testament 
aura  esté  ouvert  et  leu  le 
mareschal  de  Villeroy  men 
nera  le  jeune  roy  avec  sa 
maison  à  vincennes  ou  il 
demeurera  tant  que  le 
conseil  de  régence  le  jugera 
a  propos. 
Page  3^,  second  feuillet  non  marqué. 

Le  mareschal  de  Villeroy  aura 
le  titre  de  gouverneur  suivant 
ce  qui  est  porté  par  mon  testa 
ment  aura  l'œil  ' 
sur  la  conduitte  du  jeune 
roy  quoyquil  neust  pas  encore 
sept  ans  jusques  auquel 

1.  D'après  une  note  de  la  copie,  avant  et  après  ce  mot,  il  y  a  un  autre 
mot  biffé  dans  l'original. 


374  APPENDICE    t. 

aaj;c  de  sepl  ans  accoiiii>li>  la 
duchesse  de  vanladour  deiueu 
lera  ainsi  quil  est  accouslumé 
toujours  j^ouvernantf  et  chargée 
des  mesmes  soins  quelle  a  prise 
jusques  a  présent. 
Je  nomme  pour  sous  f^ouver 
iieurs  Sommery  qui  la  déjà  esté 
du  dauphin  mon  petit  tils 
et  geofreville  lieutenant 
gênerai  de  mes  armées  au 
surplus  je  contirme  tout 
ce  qui  est  dans  mon  testament 
que  je  veux  eslre  exécuté  en 
tout  ce  qu'il  contient.  Fait  a 
Versailles  le  13""  avril  •1715. 

Locis. 

«  Et  au  revers  de  ce  second  feuillet,  page  (luatrième  du  codicille  est 
écrit  d'une  main  fort  tremblante,  qui  cependant  paroit  toujours  la 
même,  ce  qui  suit  : 

Je  nome  pour  preseur  preœpter  du  dauphin 
le  S""  de  tleurry  encien  evesque  '  de 
fregeous  et  pour  confesseur  le  père  le  lellier- 
Ge  23  dout  1715 

Louis  Louis  ^ 


1.  Avant  ce  mot  il  y  a  deves,  biffé. 

i.  Ces  quatre  mots  ont  été  écrits  en  dessous  de  la  ligne  et  sous  d'autres 
mots  biffés. 

3.  D'après  une  note  de  la  copie,  cette  seconde  si;;nature  est  placée 
dans  l'original  sous  les  mots  le  père  le  lelhcr  et  paraît  avoir  été  destinée 
à  en  faire  l'approbation. 


LETTRE  DE  LOUIS  XIV  MOURANT  373 


III 

LETTRE  DE  LOUIS  XIV  MOURANT 
A  LOUIS  XVI 

La  lettre  qui  va  suivre  n'est  connue  que  par  la  copie  prise  sur  l'ori- 
ginal même  par  Mlle  d'Aumale,  dernière  secrétaire  de  Mme  de  Mainte- 
non,  copie  qui  existe  encore  aujourd'hui  parmi  ses  papiers  conservés 
dans  sa  famille.  Elle  a  été  publiée  par  MM.  le  comte  d'Haussonville  et 
G.  Hanotaux  dans  leur  édition  de  ses  Souvenirs  sur  Madame  de  Mainte- 
non,  tome  II,  p.  372-37o. 

Dans  son  récit  (p.  332  du  même  volume),  Mlle  d'Aumale  explique 
que  cette  lettre  fut  écrite  par  Louis  XIV  dans  les  derniers  jours  de  sa 
vie,  qu'elle  fut  confiée  au  maréchal  de  Villeroy  pour  être  remise  à 
Louis  XV,  lorsqu'il  aurait  atteint  l'âge  de  dix-sept  ans,  et  que 
Mile  d'Aumale,  ayant  vu  l'original  entre  les  mains  du  maréchal,  s'était 
empressée  d'en  prendre  une  copie  fidèle.  Etant  donnée  la  rareté  de  ce 
texte,  dont  l'original  est  probablement  perdu  et  qui  ne  parvint  sans 
doute  jamais  aux  mains  de  Louis  XV,  nous  croyons  utile  de  le  publier 
à  nouveau. 

Les  expressions  employées  par  le  Roi  indiquent  bien  qu'elle  date  en 
effet  des  jours  où  Louis  XIV,  déjà  gravement  malade,  se  sentait  arrivé 
au  terme  de  sa  vie  :  il  fait  allusion  aux  «  horreurs  du  trépas  qu'il  va 
bientôt  subir.  »  Elle  doit  avoir  été  écrite,  très  probablement  en  présence 
de  Mme  de  xMaintenon  et  du  chancelier  Voysin,  sans  doute  entre  le  20 
et  le  24  août,  plutôt  le  24.  Dangeau  mentionne  les  20,  21,  23  et  24,  un 
travail  particulier  avec  le  Chancelier,  et  nous  avons  vu  (ci-dessus, 
p.  239)  que  Saint-Simon  dit,  le  2.^  août,  qu'  «  il  y  avait  eu  la  veille  du 
papier  et  de  l'encre  pendant  son  travail  tête  à  tête  avec  le  Chancelier». 
Saint-Simon  croit  que  ce  fut  pour  la  rédaction  du  premier  codicille  ; 
or  nous  savons  que  ce  codicille  était  rédigé  depuis  le  13  avril  ;  nous 
pensons  plutôt  que  ce  «  papier  »  et  cette  «  encre  »  servirent  pour  écrire 
cette  lettre.  Elle  fut  sans  doute  remise  à  Villeroy  dans  un  de  ces  deux 
entretiens  du  23  et  du  26  août,  que  mentionnent  Dangeau  (p.  112  et  121) 
et  Quincy  (p.  396  et  397). 

Il  convient  de  remarquer  l'éloge  que  le  Roi  fait  du  duc  du  Maine  et 
l'estime  dans  laquelle  il  semble  tenir  son  caractère  et  ses  capacités, 
sentiments  tout  à  fait  contraires  à  ceux  que  Saint-Simon  lui  prête   sur 

1.  Ci-dessus,  p.  276,  note  1. 


374  APPENDICE  111. 

son  fils  naturel  dans  notre  tome  XXVI,  p.  'M-'X>.  On  peut  penser  que 
Louis  XIV  exprime  là  sa  vt^ritable  ojiinion,  plutôt  que  dans  les  racon- 
tars recueillis  par  notre  auteur  et  que  son  animosité  lui  a  fait  pour  le 
moins  très  amplifur,  sinon  inventer. 

Lettre  de  Louis  XIV  écrite  peu  de  temps  avant  sa  mort  et  déposée 
entre  les  mains  du  maréchal  de  Villeroy  pour  être  remise  au  jeune 
roi  lorsqu'il  aurait  atteint  l'âge  de  dix-sept  ans. 

«  Mon  Fils,  si  la  divine  Providence,  en  qui  je  me  conlie,  daigne 
conserver  vos  jours  jusqu'au  temps  où  la  raison  puisse  vous  faire  ajçir 
par  vous-même,  recevez  avec  respect  celle  lettre  des  mains  de  ce  lidèle 
sujet  à  qui  je  tais  jurer  qu'il  vous  la  remettra  en  mains  propres  ;  dans 
laquelle  lettre  vous  trouverez  les  dernières  volontés  de  votre  père  et 
votre  roi,  qui,  au  moment  de  quitter  la  vie.  sent  redoubler  sa  ten- 
dresse pour  vous,  en  qui  il  voit  tous  ses  entants  revivre  et  dans  un 
un  âge  si  tendre  que  les  troubles  qu'il  prévoit  sous  votre  minorité  lui 
donnent  plus  d'inquiétude  que  les  horreurs  du  trépas  qu'il  va  bientôt 
subir  ne  lui  causent  d'eiïroi.  Si  quelque  chose  peut  adoucir  ma  peine 
dans  cet  état,  c'est,  mon  Fils,  la  promesse  des  bons  sujets,  qui  ont 
tous  fait  serment  dans  mon  sein  de  veiller  sur  vos  jours  et  verser  leur 
sang  pour  votre  conservation.  Récompensez  les,  mon  Fils,  lorsque 
vous  en  aurez  connoissance,  et  ne  les  oubliez  jamais,  ni  les  soins  que 
mon  lils  le  duc  du  Maine,  que  j'ai  jugé  digne  de  mettre  auprès  de  votre 
personne,  prendra  de  vous.  Cette  distinction,  que  j'ai  cru  nécessaire 
pour  l'amour  de  vous-même,  lui  suscitera  sans  doute  pour  ennemis 
ceux  qui  se  trouveront,  par  cette  sage  prévoyance,  éloignés  de  la  cupi- 
dité qu'ils  ont  de  régner,  et  si,  par  quelque  trouble  qui  pourroit  sur- 
venir dans  votre  royaume,  il  arrivoil  quelque  malheur  à  ce  prince,  ou 
quelque  changement  dans  ce  que  j'ai  établi  en  sa  faveur,  je  désire, 
mon  Fils,  si  Dieu  vous  conserve,  que  vous  rétablissiez  les  choses  dans 
-  le  même  état  où  elles  se  trouveront  à  ma  mort,  tant  pour  la  religion 
que  pour  ce  qui  touche  le  duc  du  Maine.  Ayez  de  la  confiance  en  lui; 
suivez  ses  conseils  ;  il  est  très  capable  de  vous  bien  conduire,  et,  si  la 
mort  vous  privoit  d'un  si  bon  sujet,  rendez  à  ses  enfants,  en  leur  con- 
servant le  rang  que  je  leur  ai  donné,  toute  l'amitié  que  vous  devez  :\ 
leur  père,  qui  m'a  promis,  juré,  de  ne  vous  abandonner  qu'à  la 
mort. 

«  Que  le  sang  et  l'amitié  vous  unisse  toujours  avec  le  roi  d'Espagne, 
sans  qu'aucune  raison  d'intérêt  ou  de  politique  mal  entendue  vous  en 
sépare  jamais  ;  c'est  là  le  seul  moyen  de  conserver  la  paix  et  la  balance 
de  l'Europe. 

«  Ayez  toujours  un  attachement  inviolable  au  Père  commun  des 
fidèles,  et  ne  vous  séparez  jamais,  pour  (juelque  motif  que  ce  puisse 
être,  du  sein  et  du  centre  do  l'Eglise.  Mettez  en  Dieu  toute  votre  con- 
fiance ;  vivez  en  chrétien  plus  qu'en  roi,  et   n'attirez  jamais  sa  main 


LETTRE  DE  LOUIS  XIV  MOURANT  375 

sur  vous  par  aucun  dérèglement  dans  vos  mœurs.  Remerciez  sa  divine 
Providence,  qui  protège  si  visiblement  ce  royaume.  Donnez  à  vos 
sujets  le  même  exemple  qu'un  père  chrétien  donne  à  sa  famille  ; 
regardez  les  comme  vos  enfants  ;  rendez  les  heureux,  si  vous  le  vou- 
lez être.  Soulagez  les  le  plus  tôt  que  vous  pouvez  de  tous  les  impôts 
violents  dont  la  nécessité  d'une  longue  guerre  les  a  surchargés  et  que 
leur  tidélité  leur  a  fait  supporter  avec  soumission.  Faites  les  jouir 
d'une  longue  paix,  qui  seule  peut  rétablir  les  affaires  de  votre 
royaume  ;  préférez  toujours  la  paix  aux  événements  douteux  de  la 
guerre,  et  souvenez-vous,  mon  Fils,  que  la  plus  éclatante  victoire 
coûte  toujours  trop  cher,  quand  il  faut  la  payer  du  sang  de  ses  sujets. 
Ne  le  versez  jamais,  s'il  est  possible,  que  pour  la  gloire  de  Dieu  ; 
cette  conduite  attirera  sur  vous  la  bénédiction  du  ciel  pendant  le 
cours  de  votre  règne  ;  recevez  la  mienne  dans  mes  derniers  embrasse- 
ments.  » 


37U  APPENDICE   IV. 


IV 


CEREMONIAL  Fl'NEBRE  ET  AUTOPSIE 
DE  l.onS  XIV'. 

Nous  donnons  .i-après  le  récit  fait  par  1p  maître  dos  cérémonies 
.Miclicl  Ancel-Desgranges  de  ce  qui  se  passa  immédiatement  après  la 
mort  de  Louis  XIV  par  rapport  à  sa  toilette  funèbre,  à  l'ouverture  de 
son  corps  et  au  cérémonial  observé  depuis  l'instant  du  décès  jusqu'aux 
obsèques.  Cette  relation  a  déjà  été  publiée  par  M.  le  vicomte  de  Grou- 
chy  en  1899  dans  le  Carnet  historique  et  littéraire,  tome  IV,  p.  153  et 
suivantes,  d'après  une  copie  qu'il  a  appelée  «  Registre  des  premiers  gen- 
tilshommes de  la  chambre  »,  et  qui  est  conservée  au.x  Archives  natio- 
nales sous  la  cote  0'  821  ;  mais,  cette  copie  étant  assez  mauvaise  et 
l'éditeur  n'en  ayant  point  corrigé  les  fautes  elles  omissions,  nous  avons 
cru  utile  de  reproduire  le  texte  même  de  Desgranges  d'après  son  registre 
original  conservé  à  la  Bibliothèque  Mazarine,  ms.  2346. 

«  Aussitôt  que  le  Roi  fut  expiré,  M.  de  Dreux,  grand  maître  des 
cérémonies,  et  moi,  fûmes  voir  Monsieur  le  Duc,  grand  maître  de 
France,  pour  recevoir  ses  ordres,  étant  en  droit,  à  cause  de  sa  charge 
de  grand  maître,  de  nous  les  donner  en  cette  occasion.  Il  nous  ordonna 
de  faire  comme  pour  Louis  XIII,  après  en  avoir  conféré  avec  M.  le 
duc  d'Orléans,  c'est-à-dire  sans  faire  les  grandes  cérémonies  qu'on  a 
accoutumé  de  faire  pour  nos  Rois,  quand  ils  meurent  à  Paris;  il  se 
remit  à  nous  de  faire  tout  ce  qui  conviendroit. 

«  Les  secrétaires  d'Etat  écrivirent  aux  évéques  pour  faire  des  ser- 
vices pour  le  repos  de  l'ûme  du  Roi,  aux  gouverneurs  des  provinces, 
aux  parlements  et  autres  cours,  aux  maires  et  échevins  des  villes, 
pour  leur  en  donner  avis. 

«  Je  me  rendis  dans  la  chambre  du  Roi,  et  j'avertis  M.  le  duc  de 
Tresmes,  premier  gentilhomme  de  la  chambre  de  le  faire  changer  de 
linge.  Les  officiers  de  la  chambre  et  de  la  garde-robe  l'accommodèrent 
proprement  et  le  mirent  dans  le  même  lit  où  il  était  mort,  en  obser- 
vant de  mettre  sous  le  drap  un  dessus  de  table  pour  empêcher  la  cor- 
ruption pendant  les  vingt-quatre  heures  qu'il  avoit  à  y  rester.  On  lui 
mit  un  petit  crucitix  dans  les  mains  jointes.  Le  corps  éloil  assez  élevé 
pour  être  vu.  Je  fis  mettre  aux  deux  côtés  du  lit  douze  chandeliers  de 

i.  Ci-dessus,  p.  293,  note  3. 


CEREMOi\[AL  FUNÈBRE.  377 

la  chapelle  du  château  avec  des  cierges,  et  aux  pieds  une  crédence 
sur  laquelle  je  fis  mettre  une  croix  et  deux  chandeliers  de  vermeil 
doré,  aussi  pris  dans  la  chapelle.  Cette  crédence  étoit  couverte  d'un 
riche  tapis  et  d'une  toilette*,  des  plus  propres  quele  Roi  ait. 

«  Au  côté  droit,  en  dedans  de  la  balustrade,  on  mit  un  ployant  au 
chevet,  adossé  contre  le  mur,  et  une  petite  forme ^  aussi  adossée  contre 
le  mur,  et  des  formes  très  riches  autant  qu'on  y  en  put  mettre.  Le 
cardinal  de  Rohan,  en  camail,  rochet  et  étole,  occupa  le  ployant;  il 
prétendoit  avoir  un  siège  à  dos;  mais,  les  évêques  s'y  étant  opposés, 
en  disant  qu'ils  n'y  viendroient  pas  s'il  avoit  un  siège  différent  du 
leur,  il  se  contenta  du  ployant  sans  conséquence,  marquant  qu'il 
avoit  trop  d'obligation  au  défunt  Roi  pour  vouloir  faire  aucun  incident 
sur  ce  sujet.  Les  aumôniers  du  Roi  et  le  P.  le  Tellier,  confesseur, 
occupèrent  la  lorme  à  la  suite  du  ployant  et  celle  qui  étoit  en  retour 
plus  proche  du  corps  ;  une  autre  derrière  fut  occupée  par  six  prêtres 
de  la  paroisse  et  de  la  chapelle. 

«  A  gauche  dans  la  balustrade,  je  lis  mettre  un  ployant  adossé  con- 
tre le  mur,  et  quatre  autres  ployants  en  retour,  puis  des  formes  comme 
de  l'autre  côté,  le  premier  siège  pour  le  duc  de  Tresmes,  les  quatre 
autres  pour  le  capitaine  des  gardes,  le  grand  maître  ou  le  maître  de 
la  garde-robe,  le  grand-maître  ou  le  maître  des  cérémonies  ;  les  formes 
de  derrière  furent  occupées  par  le  premier  valet  de  chambre,  le  pre- 
mier valet  de  la  garde-robe  et  autres  officiers  de  la  chambre  ;  six 
récollets  de  Versailles  se  placèrent  sur  la  dernière  forme. 

(c  A  dix  heures,  le  cardinal  de  Rohan  commença  le  De  profundis, 
et  les  religieux  psalmodièrent  le  reste  du  jour  jusques  à  huit  heures 
du  soir.  l\  fut  dit  des  messes,  depuis  dix  heures  jusques  à  midi,  sur 
deux  autels  que  je  fis  dresser  dans  la  chambre,  un  contre  la  cheminée, 
et  l'autre  à  l'opposite.  Les  gardes  et  leurs  officiers  qui  servoient  chez 
le  Roi  passèrent  chez  le  nouveau  Roi  ;  on  laissa  seulement  pour  la 
garde  du  Roi  défunt  six  gardes  de  la  manche  et  cinquante  gardes  de 
la  compagnie  écossoise,  commandés  par  MM.  d'Esseville,  lieutenant, 
et  La  Billarderie,  enseigne,  et  deux  exempts,  et  vingt  suisses  de  la 
garde  commandes  par  un  lieutenant,  un  exempt  et  un  fourrier 

«  Je  fis  ouvrir  les  portes  afin  que  chacun  pût  entrer.  Les  Suisses  sur 
l'escalier,  et  les  gardes  dans  leurs  salles  contenoient  le  monde  ;  les 
huissiers  de  l'antichambre  et  de  la  chambre  ne  tenoient  qu'un  battant 
ouvert,  afin  qu'il  entrât  moins  de  monde  à  la  fois,  pour  éviter  confu- 
sion, et  plusieurs  valets  de  chambre  faisoient  passer  les  gens  sans 
s'arrêter.  J'avois  observé  de  faire  une  barrière  de  formes  riches,  en 
sorte  qu'il  n'y  avoit  qu'une  largeur  convenable  pour  passer  les  curieux, 
qui  sortoient  par  le  petit  escalier,  de  manière  qu'il  n'y  eût  aucune 
confusion.  A  huit  heures  du  soir,  je  fis  fermer  les  portes. 

1.  «  D'une  toilette  à  dentelle  »  :  0*  821. 
â.  Banc  garni  d'étoffes  et  rembourré. 


378  APPENDICE  IV. 

«  Le  même  jour,  il  fui  envoyé  des  lettres  de  cachet  au  duc  d'Elbeuf 
et  au  maréchal  de  Montesijuiou  pour  être  présents  à  l'ouverture  du 
corps;  c'est  l'usage  d'y  appt-ler  un  prince  ou  autre  j^rand,  et  un 
officier  de  la  couronne.  Voici  la  teneur  des  lettres  : 

«  Mon  cousin,  étant  nécessaire  de  faire  trouver  des  personnes  de 
«  qualité  et  de  conliance  à  l'ouverture  et  embaumement  du  corps  du 
«fou  Roi,  mon  seigneur  et  bisaïeul,  ainsi  qu'il  a  été  observé  en  pareille 
«  occasion,  je  vous  ai  choisi  pour  y  assister,  le  grand  maître  ou  le 
«  maître  des  cérémonies  étant  chargé  de  vous  avertir  de  l'heure  et  du 
«jour.  J'aurai  bien  agréable  que,  sur  son  avis,  vous  vous  rendiez  en 
«  la  chambre  où  se  fera  cet  office  ;  ce  que  me  promettant  de  votre 
«  affection,  je  ne  vous  ferai  la  présente  plus  longue,  priant  Dieu  qu'il 
«  vous  ait,  mon  cousin,  en  sa  sainte  et  digne  garde.  Donné  à  Versailles 
«  le  1"  septembre  1715.  Signé  :  Louis,  et  plus  bas:  Phklypeaux.  » 

«  Et  au  dos  est  écrit  :  «  A  mon  cousin  le  duc  d'Elbeuf,  pair  de 
«  France,  gouverneur  et  mon  lieutenant  général  des  provinces  de 
«  Picardie  et  d'Artois.  » 

«  C'est  aussi  l'usage  de  faire  venir  à  cette  ouverture  deux  médecins 
de  la  faculté  de  Paris  et  deux  chirurgiens  de  la  communauté  de  Saint- 
Côme;  je  leur  écrivis  les  billets  ci-après  pour  leur  en  donner  avis, 
savoir  : 

a  A  Versailles*,  le  1"  septembre  1715. 
«  Messieurs 

«  Lorsque  le  Roi  meurt,  on  est  dans  l'usage  d'appeler  le  doyen  et  un 
«  ancien  de  la  Faculté  de  médecine  pour  être  présents  à  l'ouverture 
«  de  son  corps.  C'est  pour  cela  que  j'ai  l'honneur  de  vous  avertir,  Mes- 
«  sieurs,  de  vous  rendre  ici  de:r;ain  matin,  2»  de  ce  mois,  à  huit  heu- 
«  res  du  matin.  M.  le  marquis  de  Beringhen,  premier  écuyer  du  Roi, 
«  vous  fera  donner  un  carrosse,  qui  se  trouvera  demain  à  six  heures 
«  du  matin  à  la  porte  des  écoles  de  médecine,  où  deux  chirurgiens 
«  jurés  se  rendront  pour  venir  ici  avec  vous.  Je  suis.  Messieurs,  Votre 
«  très  humble  et  très  obéissant  serviteur.  Desgranges.  » 

«  A  Messieurs,    Messieurs   les   Doyen    et    docteurs  régents  de   la 

l.  Nous  donnons  le  texte  de  cette  lettre  d'après  les  Commentaria 
medicinœ  fncultatis  pnrisienxis,  tome  XVill,  fol.  86,  manuscrit  de  la  biblio- 
thèque de  VEr.ole  de  m'-decine,  reproduit  par  A.  Franklin,  La  vie  privée 
d'autrefois  :  les  Chirurgiens,  p.  204.  Le  texte  que  donne  Desgranges  est 
plutôt  celui  d'un  brouillon,  et  la  Faculté  dut  copier  dans  ses  registres 
la  lettre  originale  qu'elle  reçut.  Voici  le  texte  de  Desgranges  : 

a  L'usage  est,  .Messieurs,  qu'on  fait  venir  deux  médecins  de  la  Faculté 
a  pour  être  présents  à  l'ouverture  du  corps  de  nos  rois  et  donner  leur 
a  avis  C'est  demain  matin  que  l'on  doit  ouvrir  celui  du  feu  Roi.  Ainsi 
a  prenez  la  peine,  s'il  vous  plaît,  d'y  venir  deux.  11  y  aura  demain  à 
a  six  heures  du  matin,  un  carrosse  du  Roi  pour  vous  amener  avec  deux 
u  chirurgiens.  » 


CÉRÉMONIAL  FUNÈBRE.  379 

«  Faculté  de  médecine  de  Paris,  aux  écoles  de  médecine,  rue  de  la 
«  Bûcherie.  » 

«  Pareil  billet  à  la  communauté  des  chirurgiens  de  Saint-Côme. 

«  Ce  carrosse  fut  en  effet  envoyé  par  M.  le  Premier  écuyer  sur  avis 
que  je  lui  en  donnai  par  un  billet. 

Ouverture  du  corps. 

«  On  mit  dans  l'antichambre  du  Roi  une  grande  table,  longue  de 
trois  toises  ou  environ,  couverte  d'une  nappe.  Le  côté  de  la  table  du 
côté  de  la  cheminée  fut  occupé  par  le  duc  de  Tresmes,  premier  gen- 
tilhomme de  la  chambre,  le  duc  d'Elbeuf,  le  maréchal  de  Montesquiou, 
le  marquis  de  Maillebois,  maître  de  la  garde  robe,  le  marquis  de 
Dreux,  grand  maître  des  cérémonies,  moi,  maître  des  cérémonies, 
Champcenetz,  premier  valet  de  chambre,  et  quelques  autres  officiers. 
Le  premier  médecin  '  au  bout  de  la  table,  à  la  tète,  et  tous  les  autres 
médecins  et  chirurgiens  de  suite  jusques  à  l'autre  bout  en  retour. 

«  Le  cœur  fut  embaumé,  et  mis  dans  une  boîte  de  plomb  par  le 
premier  gentilhomme  de  la  chambre,  laquelle  boîte  fut  scellée  par  un 
plombier,  et  mise  à  la  garde  d'un  valet  de  chambre,  avec  cette  in- 
scription: «Ici  est  le  cœur  de  Louis  XIIII,  roi  de  France  et  de  Navarre, 
«  très  chrétien,  décédé  en  son  château  de  Versailles  le  !«■■  septembre 
«  1715.  »  Cette  boîte  de  plomb  fut  mise  dans  une  autre  boîte  d'or 
avec  même  inscription. 

«  Le  corps  fut  de  même  embaumé  et  mis  dans  le  cercueil,  le  premier 
gentilhomme  tenant  la  tète  et  le  maître  de  la  garde-robe  les  pieds  ; 
sur  lequel  cercueil  fut  posée  une  plaque  avec  cette  inscription  :  «  Ici 
(c  est  le  corps  de  Louis  XIIII,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et 
«  de  Navarre,  décédé  en  son  château  de  Versailles  le  i'^''  septembre 
«  1715.  »  Ce  même  cercueil  fut  mis  dans  un  autre  cercueil  de  bois 
couvert  de  velours  noir,  croisé  de  moire  d'argent  avec  pareille  in- 
scription. 

«  Les  entrailles  furent  embaumées  dans  un  baril  de  plomb  couvert 
d'une  boîte  de  bois  de  même  que  le  cercueil,  avec  pareille  inscrip- 
tion. 

«  Après  cet  embaumement,  on  signa  le  procès-verbal  de  l'ouver- 
ture du  corps,  dicté  par  Fagon,  premier  médecin,  et  écrit  par  Boudin, 
médecin  ordinaire  du  Roi,  dont  la  teneur  en  suit  : 

«  Aujourd'huy -,  deuxième  septembre  de  l'année  1715,  nous  nous 
«  sommes  assemblés  à  neuf  heures  du  malin  dans  le  château  de  Ver- 
ce  sailles,  pour  y  faire  l'ouverture  du  corps  du  Roi,  où  nous  avons 
«  trouvé  ce  qui  suit  : 

1.  Avant  le  commencement  de  l'opération,  il  tit  un  discours  de  cir- 
constance {Journal  des  Anthoine,  p.  77). 

2.  On  a  indiqué  ci-dessus,  p.  294,  note  3,  les  diverses  publications 
qui  ont  été  faites  de  ce  procès-verbal. 


380 


APPENDICE  IV. 


«  A  IVxtôriour,  toiil  le  côtt'-  gauche  nous  parut  gangrené,  depuis 
«  l'exlrémilé  du  pied  jusqu'au  sommet  de  la  tète,  l'épidernie  s'enlevant 
«  généralement  par  tout  le  corps  dos  deux  côtés.  Le  côté  droit  était 
«  gangrené  en  plusieurs  endroits,  mais  beaucoup  moins  que  le  gauche  , 
«  et  le  ventre  paroissoit  extrêmement  boufll. 

«  A  rouvorture  du  bas-ventre,  les  intestins  se  sont  trouvés  altérés 
«  avec  quelques  marques  d'inllammation,  principalement  ceux  qui 
<'  étoient  à  gauche,  et  les  gros  prodigieusemc.it  dilatés. 

«  Les  reins  étoient  assez  dans  l'état  naturel.  On  a  trouvé  seulement 
«  dans  le  gauche  une  petite  pierre  de  pareille  grosseur  à  celle  qu'il  a 
«  rendue  par  les  urines  plusieurs  fois  pendant  la  vie,  sans  aucun  sen- 
«  timent  de  douleur. 

«  La  foie,  la  rate,  l'estomac,  la  vessie  étoient  absolument  sains  et 
«  dans  un  état  naturel,  tant  en  dedans  qu'au  dehors. 

«  A  l'ouverture  de  la  poitrine,  nous  avons  trouvé  les  poumons  sains, 
«  aussi  bien  que  le  conir,  dont  les  extrémités  des  vaisseaux  et  quel- 
«  ques  valvules  devenoient  osseuses  ;  mais  tous  les  muscles  de  la 
«  gorge  étaient  gangrenés. 

(f  A  l'ouverture  de  la  tête,  toute  la  dure-mère  s'est  trouvée  adhé- 
«  rente  au  crâne,  et  la  pie-mère  avoit  deux  ou  trois  taches  purulentes 
«  le  long  de  la  faux.  Au  reste,  le  cerveau  étoit  dans  l'état  naturel, 
«  tant  en  dedans  qu'en  dehors. 

«  La  cuisse  gauche,  dans  l'intérieur,  s'est  trouvée  gangrenée,  aussi 
(c  bien  que  les  muscles  du  bas-ventre,  et  cette  gangrène  montoit  jus- 
«  qu'à  la  gorge. 

«  Le  sang  et  la  lymphe  dans  tous  les  vaisseaux  se  sont  trouvés  dans 
«  une  dissolution  totale.  » 


Fagon. 

GOUTTARD. 

Staxdis. 

Boudin. 

Marescual. 

Leguet. 

DODART. 

Gervais. 

Petit. 

DOLTTÉ. 

La FOSSE. 

Lerté. 

Terrav. 

Lahdv. 

COSTE. 

DovE,  doyen    de  la 

BuilClET. 

Fallet. 

faculté  de 

Paris. 

Canée. 

GuÉRIN. 

GuÉRIN. 

Du  Monblanc. 

Paillet. 

«  Nous  Henri  de  Lorraine,  duc  d'Elbeuf,  pair  de  France,  lieule- 
<'  nant  général  des  provinces  de  Picardie,  Artois,  Hainaut,  Boulon- 
"  nois.  Pays  conquis  et  reconquis;  Bernard  Potier,  duc  de  Tresmes, 
«  pair  de  France,  gouverneur  de  Paris,  premier  gentilhomme  de  la 
«  chambre  du  Boi  ;  Pierre  de  Montesquieu,  maréchal  de  France,  gou- 
«  verneur  d'Arras,  lieutenant  général  en  Artois;  Jean-Baptiste  Des- 
«  maretz,  marquis  de  Maillebois,  lieutenant  général  de  la  province  de 
«  Languedoc,  maître  de  la  garde-robe  du  Bol;  Thomas  Dreux,  lieute- 
«  nant  général  des  armées  du  Boi.  grand  maître  des  cérémonies  de 


CERÉMOiMAL  FUNÈBRE.  381 

«  France  ;  Michel  Aucel-Desgranges,  maître  des  cérémonies  de  France, 
«  grand  bailli  et  gouverneur  de  Sens,  avons  assisté  à  l'ouverture  du 
«  corps  du  Roi,  qui  a  été  faite  ainsi  qu'il  est  dit  ci-dessus,  lesdits 
«  jours  et  an. 

«  Signé  :  «  Henri  de  Lorraine,  duc  d'Elbedf, 

«  Bernard,  duc  de  Tresmes, 

«  Pierre,  maréchal  de  Montesquiou, 

«  Desmaretz  de  Maillebois, 

«  Dreux  et  Desgranges  K  » 

«  Le  même  jour,  le  corps  fut  porté  par  les  valets  de  chambre  et  autres 
officiers  de  la  chambre,  de  l'endroit  où  il  avoit  été  embaumé  à  la 
chambre  du  grand  appartement  du  Roi  qui  va  de  la  galerie  à  la  cha- 
pelle-, comme  le  plus  commode  pour  cette  cérémonie.  Le  cardinal  de 
Rohan,  deux  aumôniers  et  douze  ecclésiastiques  ou  religieux  le  pré- 
cédoient,  le  cierge  à  la  main.  Il  étoit  suivi  du  duc  de  Tresmes,  des  offi- 
ciers des  cérémonies  et  des  officiers  de  la  chambre  et  de  la  garde-robe. 

«  Cette  chambre  étoit  tendue  d'un  des  plus  riches  meubles  qui 
fussent  à  Versailles.  On  avoit  fait  le  fond  du  lit  avec  quatre  ou  cinq 
formes  couvertes  d'un  riche  drap  d'or  ;  le  cercueil  fut  posé  dessus  et  il 

1.  Les  Anthoine  dans  leur  Journal,  p.  77-78,  donnent  de  l'autopsie  un 
texte  assez  différent  que  nous  croyons  intéressant  de  reproduire  en  fai- 
sant ressortir  les  divergences  par  des  caractères  italiques  :  «  Le  2^  sep- 
tembre 1713,  le  corps  du  roi  Louis  XIV,  surnommé  le  Grand  pour  ses 
rares  vertus,  a  été  ouvert  par  M.  Mareschal,  premier  chirurgien  du  Roi^ 
en  présence  des  médecins  et  chirurgiens  du  Roi  et  autres  personnes  nom- 
mées par  M.  le  duc  d'Orléans  pour  y  être  présents.  On  a  trouvé  l'extérieur 
du  côté  gauche  gangrené  depuis  l'extrémité  du  pied  jusqu'au  haut  de  la 
tête,  l'épiderme  se  levant  de  tous  côtés,  moins  le  droit  que  le  gauche,  le 
ventre  extrêmement  tendu,  très  boufS,  les  intestins  bien  altérés  avec 
inflammation,  surtout  ceux  du  côté  gauche,  le  gros  intestin  d'une  dila- 
tation extraordinaire  :  les  reins  étant  assez  ordinaires  et  naturels,  mais 
dans  le  gauche  s'étoit  trouvé  une  petite  pierre  comme  le  Roi  eu  avoit 
jeté  plusieurs  fois  sans  douleur  étant  en  santé.  Le  foie,  la  rate  et  l'es- 
tomac étoient  dans  l'état  naturel,  tant  dans  les  extrémités  que  l'inté- 
rieur ;  les  poumons,  ainsi  que  la  poitrine,  dans  l'état  naturel  ;  le  cœur 
très  beau,  d'un  grosseur  ordinaire  ;  l'extrémité  des  vaisseaux  devenue 
osseuse  ;  tous  les  muscles  de  la  gorge  tous  gangrenés.  A  l'ouverture  de 
la  tête,  la  dure-mére  s'est  trouvée  adhérente  au  crâne,  et  la  pie-mère 
étoit  tachée  de  trois  taches  noires  le  long  de  la  faux  ;  le  cerveau  très 
bien,  dans  son  état  naturel,  tant  au  dedans  qu'au  dehors.  On  s'est 
aperçu  que  l'intérieur  de  la  cuisse  gauche,  où,  le  mal  du  Roi  a  com 
mencé,  étoit  tout  gangrené  dans  toutes  les  parties  ;  tout  le  sang,  dans 
tous  les  vaisseaux,  a  paru  d'une  dissolution  totale  et  en  très  petite  quan- 
tité. Fait  à  Versailles,  ce  2  septembre  1713,  et  tous  ont  signé.  » 

2.  Celle  qu'on  appelait  la  chambre  du  lit  et  qui  est  désignée  sous  le 
n»  26  dans  le  plan  joint  au  présent  volume,  p.  234. 


382  APPENDICE  IV. 

fui  coiivorl  de  la  couvorluro  do  ce  iiiènii'  lil.  Lo  cœur  lui  mis  sous 
cette  courtepointe  sur  le  même  cercueil.  De  celle  manière  le  Roi  éloit 
censé  être  dans  son  lit  de  tré[)as,  dans  lequel  on  l'auroil  elleclivement 
laissé  à  découvert  si  c'eût  été  chose  possible  de  le  garder  ;  car,  ù  l'imi- 
tation de  ce  qui  avoil  été  fait  pour  Louis  XIll,  il  avoil  été  réglé  (]u'on 
ne  feroil  pas  la  grande  cérémonie,  qui  clfcclivement  ne  convient  que 
quand  le  Roi  meurt  à  Paris. 

«  Dans  la  balustrade,  on  mit  à  droite  un  siège  ployant  adossé  contre 
le  mur  pour  le  grand  aumônier,  et  de  suite  une  forme  pour  les  aumô- 
niers et  le  contésseur  en  retour  du  siège  du  grand  aumônier,  quatre 
pareils  sièges  pour  les  évêciues,  une  forme  derrière  pour  les  ecclésias- 
tiques de  la  chapelle  et  l'agent  du  clergé,  et  deux  autres  formes  pour 
les  religieux  psalmodiant. 

«  Lorsque  les  évèques  vinrent  la  première  fois,  M.  de  Dreux,  qui 
en  avoit  reçu  l'ordre  de  M.  le  Grand  maître  de  France,  leur  déclara 
qu'ils  ne  dévoient  avoir  que  des  formes  et  point  de  carreaux,  et  que, 
s'il  leur  en  donnoit,  c'étoit  avec  protestation.  Us  répondirent  qu'ils 
feroient  leurs  remontrances.  L'abbé  de  Broglio,  agent  général,  pré- 
tendit même  qu'ils  dévoient  avoir  des  sièges  à  dos,  et  protesta  sur 
cela. 

«(  A  gauche,  dans  la  balustrade,  cinq  pareils  sièges  ployants  pour  le 
premier  gentilhomme  de  la  chambre,  le  capitaine  des  gardes,  le  grand 
maître  ou  le  maître  de  la  garde-robe,  le  grand  maître  et  le  maître  des 
cérémonies  ;  sur  les  deux  formes  derrière  ces  sièges,  un  oilicier  des 
gardes,  le  premier  valet  de  chambre,  le  premier  valet  de  garde-robe, 
et  les  autres  officiers  de  la  chambre  et  de  la  garde-robe.  Sur  les  deux 
formes  plus  reculées,  les  religieux  psalmodiant. 

«  Au  pied  du  lit,  une  crédence  couverte  d'un  tapis  riche  et  d'une 
toilette,  sur  laquelle  il  y  avoit  un  crucilix  et  quatre  chandeliers;  un 
tabouret  riche  couvert  d'une  toile  tine,  sur  lequel  étoit  le  bénitier; 
autour  du  lit  douze  chandeliers. 

«  Hors  de  la  balustrade,  deux  hérauts  d'armes  assis  chacun  sur  un 
siège  ;  deux  gardes  de  la  manche  placés  la  tête  contre  le  mur,  qui 
étoient  relevés  par  d'autres  pendant  tout  le  jour.  On  avoit  d'abord  mis  ces 
deux  gardes  de  la  manche  au  pied  du  lit  contre  la  balustrade,  parce  que 
cela  marquoit  mieux  ;  mais  le  duc  de  Noailles,  capitaine  des  gardes, 
qui  croyoit  qu'il  étoit  plus  honorable  qu'ils  fussent  au  chevet,  sou- 
haita qu'on  les  y  mît;  ce  qui  fut  fait,  et,  de  cette  manière,  ils  incom- 
modoient  un  peu  les  personnes  qui  étoient  en  place. 

«  Quatre  autels  richement  ornés,  savoir:  un  appliqué  à  la  che- 
minée, l'autre  àl'opposite,  et  les  deux  autres  dans  les  embrasures  des 
fenêtres. 

«  Pendant  les  huit  jours  que  le  Roi  fiit  ainsi  en  dépôt,  on  a  dit  tous 
les  jours  une  messe  basse  par  le  chapelain  de  l'oratoire,  pendant 
laquelle  la  musique  placée  à  l'antichambre  chantoit  le  De  profundis, 
un  Miserere  ou  un  autre  psaume.  A  la  lin  de  la   messe,  il  disoit  les 


CEREMONIAL  FUNEBRE.  383 

vêpres  des  morts  et  l'oraison  ;  ensuite  il  jetoit  l'eau  bénite  sur  le  corps, 
comme  au  commencement  de  la  messe. 

«  Après  cette  basse  messe,  les  officiers  de  la  grande  chapelle  com- 
mençoient  la  messe  de  Requiem.  Le  célébrant,  entrant  avec  ses  offi- 
ciers, faisoit  une  inclination  au  corps,  jetoit  l'eau  bénite,  faisoit  une 
inclination  ;  après  quoi,  il  saluoit  le  grand  aumônier,  le  clergé  à  droite, 
les  officiers  du  Roi  à  gauche.  Le  célébrant  alloit  à  l'autel  à  droite, 
commençoit  la  messe  en  faisant  les  cérémonies  ordinaires,  et,  à  la  tin, 
il  quittoit  la  chasuble  et  prenoit  la  chappe  pour  faire  l'absoute,  les 
chappiers  commençant  le  Libéra,  à  la  suite  duquel  l'officiant  disoit  le 
Pater  noster,  ayant  auparavant  béni  l'encens,  donnoit  trois  coups  de 
goupillon  d'eau  bénite  et  autant  de  coups  d'encensoir,  et  ensuite 
disoit  à  haute  voix  :  Et  ne  nos  inducas  in  tenlationem  et  les  versets, 
auxquels  le  chœur  répondoit.  Le  célébrant  disoit  l'oraison  Absoli^e  à 
la  tin  du  Requiem  œternam  et  faisoit  le  signe  de  la  croix  sur  le  corps 
en  jetant  de  l'eau  bénite.  Après  quoi,  le  célébrant  et  les  assistants 
saluoient  le  corps  ;  le  clergé  et  les  officiers  se  retiroient  dans  la  chambre 
prochaine  qui  servoit  de  sacristie. 

«  Tous  les  ecclésiastiques  et  les  religieux  amenés  par  le  grand 
aumônier,  au  nombre  de  soixante  et  douze,  disoient  des  messes  basses 

aux  quatre  autels  depuis  cinq  heures  du  matin  jusqu'à  midi Tous 

ces  religieux  étoient  logés  par  les  soins  de  M.  Blouin,  gouverneur  de 
Versailles,  dans  plusieurs  salles  ou  appartements  où  il  leur  avoit  fait 
dresser  des  lits.  Les  hérauts  d'armes,  au  nombre  de  sept,  y  étoient 
logés  de  même,  et  ils  étoient  nourris  à  des  tables  servies  à  heures 
différentes  par  les  soins  du  contrôleur  général  de  la  maison  du  Roi. 
Comme  il  y  avoit  une  table  de  quinze  couverts  servie  aux  dépens  du 
Roi  pour  les  officiers  des  cérémonies  et  les  évéques,  nous  avions  soin 
de  les  inviter,  de  même  que  les  députés  du  second  ordre....  » 


ADDITIONS  ET  GORREGTIONS 


Page  163,  note  2.  D'après  l'éloge  de  M.  du  Marsais  donné  en  tête 
du  tome  VII  de  la  première  édition  de  V Encyclopédie  méthodique  de 
Diderot  et  d'Alembert,  il  serait  né  à  Marseille  le  M  juillet  4676,  et 
entra  d'abord  dans  la  congrégation  de  l'Oratoire  ;  il  en  sortit  peu 
après,  vint  à  Paris,  s'y  maria  et  fut  reçu  avocat  en  1704.  Peu  heureux 
en  ménage,  il  se  sépara  de  sa  femme,  et  c'est  alors  qu'il  entra  chez  le 
président  de  Maisons  comme  précepteur  de  son  tils.  Il  tit  ensuite  l'édu- 
cation du  tils  de  Law,  puis  celle  des  deux  jeunes  princes  de  Bauffre- 
mont,  à  qui  il  dédia  en  4722  son  Exposition  d'une  méthode  raisonnée 
pour  apprendre  la  langue  latine.  Cette  éducation  finie,  du  Marsais 
ouvrit  une  pension  au  faubourg  Saint-Victor;  mais  il  dut  la  fermer 
peu  après,  sans  doute  à  cause  de  l'éducation  à  peu  près  athée  qu'il  y 
donnait.  Il  travailla  ensuite  à  V Encyclopédie  et  inséra  dans  les  six 
premiers  volumes  un  grand  nombre  d'articles,  notamment  sur  les 
(juestions  de  grammaire. 

Page  166,  note  2.  Les  généalogies  ne  sont  pas  d'accord  sur  les  pré- 
noms du  jeune  fils  du  dernier  marquis  de  Maisons  :  Le  Moréri  l'appelle 
«  Nicolas-Prosper  »,  le  Dictionnaire  de  la  Chenaye  des  Bois  «  René 
ou  Nicolas-Prosper  ».  C'est  ce  qui  explique  que,  dans  notre  tome  X, 
p.  21,  note  4,  lorsqu'il  en  a  été  parlé  pour  la  première  fois,  nous 
l'ayons  appelé  René,  et  Nicolas  dans  le  présent  volume.  Quoi  qu'il  en 
soit,  c'est  par  erreur  que,  dans  le  tome  X,  nous  en  avons  fait  le  fils  de 
Mlle  Charron  de  Menars,  tandis  qu'il  est  celui  du  second  mariage  de 
son  père  avec  Mlle  d'Angervilliers. 

Page  188,  note  1.  Le  Journal  de  la  Santé  du  hoi  parle  constam- 
ment du  prodigieux  appétit  de  Louis  XIV  et  de  l'obligation  qui  s'im- 
posait de  le  purger  et  de  le  saigner  souvent  pour  combattre  les  effets 
de  ces  excès  de  nourriture.  Le  premier  médecin  note  d'abord  (p.  210) 
que  l'appétit  du  Roi  est  très  grand  «  dans  toutes  les  saisons  et  à 
toutes  les  heures  du  jour  »,  ce  qui  est  bien  en  conformité  de  ce  que 
dit  Saint-Simon;  en  décembre  17Û8  (p.  308-309),  il  remarque  que  le 
Roi  mangea  beaucoup  à  son  dîner,  «  et,  entre  autres  choses,  outre 
les  croûtes  (c'est-à-dire  les  tourtes  et  pâtés  chauds),  le  pain  mitonné 
en  potages  et  les  viandes  fort  solides,  il  combla  la  mesure  à  son  dessert 

MÉMOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXVII  23 


;;8f>  ADDITIONS   KT   C  ()IUU-:CT1()\S. 

avec  dos  vents,  faits  avec  ilii  blanc  du'iil  et  du  sucre,  cuits  et  sécliés 
au  four,  force  conlilures  et  des  l)iscnils  bien  secs,  joint  à  quatre  prantls 
verres  en  dînant  et  i  trois  d'eau  sorlie  de  la  {;lace  après  dîner  ».  Tous 
les  printemps  (voyez  parliculièrement  p.  3'28  et  34.')),  il  se  plaint  de 
la  quantité  prodi};ieuse  de  petits  pois  que  le  Roi  niauf^e  ;  ;\  d'autres 
époques  c'est  le  j;ibier,  en  carême  le  poisson  (sardines,  huîtres,  soles, 
brochets,  estur};eon  même),  et  toute  l'année  les  ragoûts  très  forts  et 
très  épicés  qu'il  rej^ardc  comme  les  pires  ennemis  de  la  bonne  tenue 
des  intestins  royaux.  (Juand  l'excès  de  nourriture  a  amené  de  l'em- 
barras gastrique  qui  nécessite  une  diète  sévère,  le  malheureux  repré- 
sentant de  la  Faculté  n'arrive  qu'à  grand  peine  à  y  décider  son  client, 
et  cette  diète  n'est  jamais  que  très  relative.  En  4708,  par  exemple,  il 
remarque  que,  ayant  recommandé  au  Roi,  «  fatigué  et  abattu,  »  de 
manger  peu,  «  S.  M.  voulut  bien  qu'on  ne  lui  servît  ù  son  dîner  que 
des  croûtes,  un  potage  aux  pigeons,  et  trois  poulets  rôtis,  ...dont  il 
mangea  (seulement)  quatre  ailes,  les  blancs  et  une  cuisse  »  (p.   304). 

Page  191,  noie  3.  Le  comte  de  Ribeyra,  ambassadeur  de  Portugal, 
avait  chargé  ses  parents  Rohan  de  lui  trouver  une  maison  à  Paris. 
C'est  à  ce  sujet  que  la  duchesse  de  Rohan  écrivit  à  Torcy  la  lettre 
suivante  (Dépôt  des  affaires  étrangères,  vol.  Portugal  40,  fol.  415): 
«  A  Bercy,  ce  5'^  juillet  1714.  Monsieur,  monsieur  le  comte  de  riber 
mon  neveu  qui  vien  icy  embasadeur  de  portugal  ma  prie  de  luy  arester 
une  maison,  m''  de  lorge  ma  cédé  le  reste  de  son  bail  qui  est  encor  de 
2  ans  et  demie  d'unne  maison  qui  est  proche  de  Ihotel  de  soubizeet  de 
toutte  sa  famille  qui  est  le  cartiers  qui  ma  mandé  qui  luy  convenes  le 
mieu  m"  le  norman  a  qui  est  la  maison  vien  de  me  faire  signifier  le 
le  (sic)  congé  il  l'a  loué  a  un  autre,  vous  voies  monsieur  que  m''  de 
riber  demeurera  desus  le  pavé  ce  qui  n'est  pas  convenable  a  un  enba- 
sadeur,  le  gentilhomme  qui  vous  randera  ma  lettre  vous  dira  qui  li  a 
des  exemples  que  vous  vous  este  mêlé  de  pareille  afaire  pour  des 
étranger  et  particulièrement  pour  les  domestique  de  m'"  de  mantoue 
et  que  vous  donale  des  ordre  pour  que  la  maison  leurs  demeura, 
jespere  monsieur  que  vous  vouderes  bien  dans  cttle  occasion  laire  le 
mesme  plaisir  a  monsieur  de  riber  en  mon  particulier  je  vous  enseres 
très  obligée  et  vous  suplie  monsieur  destre  persuadé  que  personne 
nést  plus  cinserement  vostre  1res  humble  et  très  obéissante  servante 
que  LA  DUCHESSE  DE  ROHAN.  »  La  jeune  comtesse  de  Ribeyra,  à  son 
passage  à  Madrid,  avait  séduit  la  princesse  des  Ursins,  qui  écrivait  à 
son  ami  Torcy  (recueil  Bossange.  tome  IV,  p.  443):  «  Cette  Portugaise 
a  la  plus  jolie  taille  qu'il  soit  possible  de  voir  et  est  d'ailleurs  très 
aimable.  » 

Page  -227,  note  i.  En  171.-1,  le  clu^valier  de  Sully,  Maximilien-Henri 
de  Béthune  (tome  XVI,  p.  430)  ne  portait  plus  ce  titre;  il  avait  pris 
celui  de  duc  de  Sully  depuis  171'i,  lors  de  la  mort  de  son  frère  aîné. 
Par  conséquent,  en  17i.o,  le  duc  de  Sully  dont  il  a  été  parlé  à  la 
page  219,  et  le  chevalier  de  Sully  que  Saint-Simon  met  en  scène  ici 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  387 

sont  un  seul  et  même  personnage.  Il  est  curieux  de  voir  que,  écrivant 
pour  le  moins  vingt  ans  après  les  événements  (car  l'Addition  au  Journal 
de  Dangcau  placée  ci-dessus,  p.  326  et  328,  et  écrite  vers  1735,  com- 
porte déjà  cette  contusion),  notre  auteur  ne  se  soit  pas  aperçu  qu'il 
faisait  du  même  individu  deux  personnes  difîérentes.  L'erreur  est  sans 
grande  conséquence  en  elle-même;  cependant  on  ne  peut  nier  qu'elle 
ne  permette  de  faire  planer  certains  soupçons  sur  l'exactitude  de  tout 
le  récit,  et  ces  soupçons  sont  encore  fortitiés  par  ce  fait  que,  p.  219,  il 
avait  d'abord  omis  le  nom  du  duc  de  Sully,  ainsi  que  nous  l'avons 
indiqué  en  note. 

Page  2i8,  note  2.  Le  commissaire  Delamarre  dans  son  Traité  de  la 
Police  (tome  I,  p.  530-542)  a  donné  divers  renseignements  sur  cette 
maison,  auxquels  il  a  joint  le  texte  des  lettres  royales  de  4698  et  le 
Règlement  de  la  communauté  pour  la  réception  des  tilles,  l'ordre  de 
leur  journée,  le  travail,  l'habit  qu'elles  portent,  le  gouvernement  de 
la  maison,  etc.  On  trouvera  encore  des  documents  relatifs  au  Bon 
Pasteur,  aux  Archives  nationales,  cartons  S  4646  etG^651,  dans  la  série 
H^  et  dans  les  registres  0'44,  fol.  642,  et  0'362,  fol.  56  V,  et  à  la 
Bibliothèque  nationale,  mss.  Fr.  8122,  fol.  271  et  334,  et  21612, 
fol.  138  et  suivants. 

Page  278,  note  5.  Piganiol  de  la  Force  (Description  de  Paris,  édi- 
tion 1742,  tome  IV,  p.  378-380)  a  décrit  les  monuments  où  étaient 
conservés,  dans  l'église  des  Jésuites  de  la  rue  Saint-Antoine,  aujour- 
d'hui église  Saint-Paul-Saint-Louis,  les  cœurs  des  deux  souverains. 
Celui  de  Louis  XIII  était  placé  sous  un  des  arcs  de  la  chapelle  voi- 
sine du  maître-autel,  du  côté  de  l'Evangile;  la  boîte  en  vermeil  conte- 
nant le  cœur  était  soutenue  par  deux  anges  d'argent;  la  draperie  et  les 
attributs  étaient  de  vermeil;  en  dessous,  des  bas-reliefs  de  marbre  re- 
présentaient les  vertus  cardinales.  Ce  monument  était  l'œuvre  de  Jac- 
ques Sarrazin,  et  une  inscription  rappelait  la  participation  d'Anne  d'Au- 
triche. —  Le  cœur  de  Louis  XIV  fut  placé  de  même,  dans  la  chapelle 
correspondante,  du  côté  de  l'épître,  et  le  monument  était,  dans  ses 
grandes  lignes,  la  reproduction  de  celui  de  Louis  XIII;  on  y  retrou- 
vait les  anges  d'argent,  la  draperie  et  les  attributs  de  vermeil.  Ce  fut 
le  jeune  Couston  qui  en  fut  chargé,  et  il  ne  fut  achevé  qu'en  1730; 
il  coiita  plus  de  six  cent  mille  livres.  Ces  monuments  ont  été  détruits 
sous  la  Révolution  ;  il  ne  subsiste  aujourd'hui  que  les  inscriptions 
commémoratives. 

Page  292,  note  1.  D'après  une  lettre  de  Louville  à  Torcy  de  juin 
1702  (note  tome  X,  p.  439),  l'abbé  Aignan  avait  surtout  deux  spéci- 
fiques regardés  comme  presque  infaillibles,  l'un  contre  la  petite  vérole, 
l'autre  pour  les  vapeurs  ou  l'apoplexie.  Les  Mémoires  de  Sourches 
(tomes  VI,  p.  278,  et  VII,  p.  25  et  73)  lui  attribuent  la  guérison  de  la 
marquise  de  Pomponne  de  la  petite  vérole,  de  l'abbé  de  Pompadour 
d'une  attaque  d'apoplexie,  du  marquis  de  Thiange  de  la  dysenterie; 
il  avait  aussi  soigné  le  diplomate  Courtin  et  le  lieutenant  général  Maga- 


38S  ADDITIONS   ET  CORRECTIONS. 

lolti  (Uaugcdu,  tome  VIII,  p.  137.  el  notre  tome  XII,  p.  V.\-l,  noie  G). 
Cependant  ses  remèdes  n'étaient  pas  inl'ailliMes;  Mme  de  Sévigné 
{Lettres,  tome  X,  p.  .'101)  l'accuse  d'avoir  avancé  la  mort  du  duc  de 
Chaulnes,  et  en  i70"2  un  certain  De  la  Marre  publia  un  |)elit  volume 
intitulé  Observations  critiques  sur  un  lirre  du  sieur  Aiiinun  intitulé 
L'Ancienne  médecine  à  la  mode,  adressées  à  Mme  de  C[haulnes\.  De 
même,  en  170i,  le  prince  d'Es|)inoy  était  mort  niali;ré  ses  soins  (notre 
tome  XII,  p.  '2.')7,  note  ■'*).  En  1701,  le  lieutenant  de  police d'Arj^'cnson 
l'avait  t'ait  poursuivre  avec  d'autres  empiriques  pour  exercice  illégal 
de  la  médecine  (Archives  nationales,  reg.  0'362,  fol.  'il't  v",  280  el 
287  v")  ;  mais  il  semble  que  l'afTaire  n'eut  pas  de  suite.  Si  l'on  en  croit 
l'annotateur  des  Mémoires  de  Sourches,  tome  XI,  p.  2(i()-2G7,  «  il 
faisoit  un  excellent  usage  de  ses  remèdes;  car  il  en  distribuoit  une 
grande  quantité  aux  pauvres  charitablement  ».  Quand  il  mourut,  le 
Mercure,  qui  déjà  dans  la  livraison  d'août  d699,  p.  406-121.  avait 
longuement  parlé  de  sa  médication,  signala  le  titre  de  son  dernier 
ouvrage  :  la  Goutte  curable  (mars  1709,  p.  285).  La  Bibliolliè(iue 
nationale  ne  possède  que  deux  de  ses  œuvres:  l'Ancienne  médecine 
a  la  mode  ou  le  Sentiment  uniforme  d'Hippocrate  et  de  Galien  sur 
les  acides  et  les  alkalis  (1693),  et  le  Prêtre  médecin  ou  Discours  sur 
l'établissement  de  la  médecine,  avec  un  traité  du  café  et  du  thé  de 
France,  selon  le  système  d'Hippocrate  (1696).  Ajoutons  que,  selon 
le  Livre  commode  des  adresses  de  Paris  d'Abraham  du  Pradel,  l'abbé 
Aignan  avait  pris  «  ses  degrés  »  à  la  faculté  de  Padoue,  et  qu'on  lui 
reconnaissait  «  quelque  expérience  pour  les  maladies  chroniques  «  ; 
il  demeurait  «  rue  el  près  les  Incurables  »  en  1692. 


TABLES 


TABLE  DES  SOMMAIRES 

QUI    SONT    EN    MARGE    DU    MANUSCRIT    AUTOGRAPHE. 

Suite  de  1715. 

Paçes . 

Réflexions  sur  le  gouvernement  présent  et  sur  celui  à  établir.  1 

Je  propose  à  M.  le  duc  d'Orléans  les  divers  conseils  et  l'ordre 

à  y  tenir 10 

L'établissement  des  conseils  résolu.  Discussion  de  leurs  chefs. 

Marine. 17 

Finances  et  guerre 18 

Affaires  ecclésiastiques  et  feuille  des  bénéfices.  Constitution.  19 

Jésuites 23 

P.  Tellier 24 

Rome  et  le  nonce 26 

Evêques;  leur  assemblée 29 

Commerce  du  clergé  de  France  à  Rome,  et  à  Paris  avec  le 

nonce » 

Affaires  étrangères.  Affaires  du  dedans  du  royaume 31 

Je  m'excuse  de  me  choisir  une  place,  et  je  refuse  obstiné- 
ment l'administration  des  finances 32 

État  forcé  des  tlnances;  banqueroute  préférable  à  tout  autre 

parti 34 

Je  persiste  au  refus  des  finances  malgré  le  chagrin  plus  que 

marqué  de  M.  le  duc  d'Orléans 47 

Je  propose  le  duc  de  Xoailles.  Résistance  et  débat  là-dessus. 

M.  le  duc  d'Orléans  y  consent  à  la  tin » 

Je  suis  destiné  au  conseil  de  régence 50 

Précautions  que  je  suggère  à  M.  le  duc  d'Orléans 51 

Résolution  que  je  propose  à  M.  le  duc  d'Orléans  sur  l'éduca- 
tion du  roi  futur 53 

Je  lui  conseille  le  duc  de  Charost  pour  gouverneur  du   roi 

futur,  etXesmond,  archevêque  d'Alby,  pour  précepteur.   .       53-54 
Discussion  entre  M.  le  duc  d'Orléans  et  moi  sur  le  choix  des 
membres  du  conseil  de  régence  et  l'exclusion  des  gens  à 

écarter 55 

Villeroy  à  conserver,  Voysin  à  chasser,  et  donner  les  sceaux 

au  bonhomme  Daguesseau 56 


39-2  TABLE   DKS  SOMMAIRES. 

Torcy 58 

Desmaretz  et  Pontchartrain  à  chasser 59 

Je  sauve  la  Vrillière  à  grand  peine  et  lui  procure  une  place 

principale  et  unique 60 

Discussion  de  la  mécanique  et  de  la  composition  du  conseil 

de  régence (il 

Je  propose  à  M.  le  duc  d'Orléans  de  convoquer  aussitôt  après 
la  mort  du  Roi  les  Klals  généraux,  qui  sont  sans  danger  et 
utiles  sur  les  finances,  avantageux  à  M.  le  duc  d'Orléans.        63-6i 
Grand  parti  à  tirer  délicatement  des  Etats  généraux  sur  les 

Renonciations 70 

Rien  de  répréhensible  par  rapport  au  Roi  dans  la  conduite 
proposée  à  M.  le  duc  d'Orléans  par  rapport  à  la  tenue  des 

États  généraux 75-7(i 

Usage  possible  à  faire  des  Etats  généraux  à  l'égard  du  duc 

du  Maine 77 

Mécanique  à  observer 8*2 

Discussion  entre  M.  le  duc  d'Orléans  et  moi   sur  la  manière 

d'établir  et  de  déclarer  sa  régence 9'2 

Aveu  célèbre  du  Parlement,  par  la  bouche  du  premier  prési- 
dent de  la  Vacquerie  y  séant,  de  l'entière  incompétence  de 
cette  compagnie  de  toute  matière  d'Etat  et  de  gouver- 
nement   95 

Deux  uniques  et  modernes  exemples  de  régences  faites  au 

Parlement.  Causes  de  cette  nouveauté 96 

Raisons  de  se  passer  du  Parlement  pour  la  régence,  comme 

toujours  avant  ces  deux  derniers  exemples 101 

Observation  à  l'occasion  de  la  majorité  de  Charles  IX  et  de 

l'interprétation  de  l'âge  de  la  majorité  des  rois 106 

Mesures  et  conduite  à  tenir  pour  prendre  la  régence 108 

Conduite  à  tenir  sur  les  dispositions  du  Roi  indifférentes,  et 

sur  le  traitement  à  faire  à  Mme  de  Maintenon 113 

Prévoyances  à  avoir 114 

Foiblesse  de  M.  le  duc  d'Orléans  à  l'égard  du  Parlement.  .  .  115 

État  et  caractère  de  Noce 116 

Survivances,  brevets  de  retenue  et  charges  à  rembourser, 
raison  et  moyen  de  le  faire,  et  multiplication  de  récom- 
penses à  procurer 117-118 

Taxe  proposée  n'a  rien  de  contraire  à  la  convocation  des 
Etats  généraux,  qui  lui  est  favorable.  Autres  rembourse- 
ments peu  à  peu  dans  la  suite 125 

Nulle  grâce  expectative;  remplir  subitement  les  vacances..   .  126 

Réparations  des  chemins  par  les  troupes 127 

Détails  avec  mesure,  déliance,  tracasseries 131 

Extérieur  du  Roi  à  imiter,  et  fort  utile,  et  conduite  person- 
nelle   134 


TABLE  DES  SOMMAIRES.  393 

Ondes  de  la  cour 141 

Agitation  du  duc  de  Noailles 141-142 

Curiosité  très  embarrassante  de  Mme  la  duchesse  d'Orléans.  142 

Maisons  me  fait  une  proposition  énorme  et  folle,  et  ne  se 
rebute  point  de  la  vouloir  persuader  à  M.  le  duc  d'Orléans 

et  à  moi 149-150 

Réflexions  sur  le  but  de  Maisons 138 

Rare  impiété  et  fin  de  Maisons  et  de  sa  famille 162 

Le  duc  de  Noailles  apprend  enfin  sa  destination  ;  folles  pro- 
positions qu'il  me  fait 167 

M.  le  duc  d'Orléans  ne  peut  se  résoudre  à  ne  pas  passer  par 
le  Parlement  pour  sa  régence,   et  se  dégoûte  du  projet 

d'assembler  les  Etats  généraux 172 

Mme  la  duchesse  d'Orléans,  en  crainte  des  pairs  pour  la  pre- 
mière séance  au  Parlement  après  le  Roi  sur  les  bâtards,  a 
recours  à  moi.  Je  la  rassure,  et  pourquoi,  en  lui  déclarant 
que,  si  les  princes  du  sang  les  attaquent,  en  quelque  temps 

que  ce  soit,  les  pairs  les  attaqueront  à  l'instant 173-174 

Prise  du  Roi  avec  le  procureur  général  sur  l'enregistrement 
pur  et  simple  de  la  Constitution.  Dernier  retour  de  Marly. 

Espèce  de  journal  du  Roi  jusqu'à  sa  tin 175-176 

Audience  de  congé  de  l'ambassadeur  de  Perse 179 

Détail  de  la  santé  du  Roi  et  des  causes  de  sa  mort 181 

Magnifique  entrée  à  Paris  du  comte  de  Ribeyra,  ambassa- 
deur de  Portugal 191 

J'obtiens  de  M.  le  duc  d'Orléans  qu'il  continuera  à  Chamillart 

sa  pension  de  60000**,  et  la  permission  de  le  lui  mander.   .  192 

Le  duc  de  Noailles,  seul  d'abord,  puis  aidé  du  procureur 
général,  me  propose  l'expulsion  radicale  des  jésuites  hors 

du  royaume 193 

Retour  de  Mme  de  Saint-Simon  des  eaux  de  Forges  à  Ver- 
sailles. Dames  familières 200 

Duc  du  Maine  chargé  de  voir  la  gendarmerie,  pour,  au  nom 
et  avec  l'autorité  du  Roi,  qui  l'avoit  fait  venir  et  n'en  put 
faire  la  revue.  Mon  avis  là-dessus  à  M.  le  duc  d'Orléans.  .   201-202 

Je  me  joue  de  Pontchartrain 203 

Je  méprise  Desmaretz 209 

Le  Roi,  hors  d'état  de  s'habiller,  veut  choisir  le  premier  habit 

qu'il  prendra.  Courte  réflexion 210 

Misère  des  ducs 212 

Duc  et  duchesse  du  Maine  excitent  avec  plein  succès  les  gens 

de  qualité  et  soi-disant  tels  contre  les  ducs 214 

Abomination  du  duc  de  Noailles.  Il  me  propose  de  le  faire 

faire  premier  ministre 215 

Proposition  du  duc  de  Noailles  d'une  nouveauté  qu'il  sou- 
tient contre  toutes  mes  raisons 249 


394  TABLE  DES  SOMMAIRES. 

Lo  duc  de  Noailles  m'impiito  la  proposition  que  j'avois  si 

puissamment  combattue,  et  soulève  tout  contre  moi.   .   .   .  225 
Étrange  embarras  de  Noailles  avec  la  duchesse  de  Saint- 
Simon 227 

J'apprends  la  sct^lératesse  de  Noailles 228 

Monstrueuse  ingratitude  de  Noailles;  son  affreux  et  profond 

projet 229 

Courte  réflexion 232 

J'éclate  sans  mesure  contre  Noailles,  qui  plie  les  épaules  et 
suit  sa  pointe  parmi  la  noblesse,  et  cabale  des  ducs  contre 

moi 232-233 

Je  me  raccommode  avec  le  duc  de  Luxembourg;  son  carac- 
tère  235-236 

Suites  de  l'éclat 236 

Bassesse  et  désespoir  de  Noailles.  Sa  conduite  à  mon  égard 

et  la  mienne  au  sien 237 

Noailles  n'oublie  rien,  mais  inutilement,  pour  me  fléchir.  .  .  238 

Noailles,  depuis  la  mort  de  M.  le  duc  d'Orléans,  aussi  infati- 
gable et  inutilement  h  m'adoucir.  Leur  désir  extrême  du 
raccommodemi^nt  fait  enlin  le  mariage  de  mon  iils  aîné..   .  242 

Raccommodement  entre  Noailles  et  moi,  et  ses  légères  suites.  249 

Reprise  du  journal  des  derniers  jours  du  Roi;  il  refuse  de 

nommer  aux  bénétices  vacants 253 

Mécanique  de  l'appartement  du    Roi   pendant   sa   dernière 

maladie 254 

Extrémité  du  Roi 256 

Le  Roi  reçoit  les  derniers  sacrements 257-258 

Le  Roi  achève  son  codicille,  parle  à  M.  le  duc  d'Orléans.  .  .  263 

Scélératesse  des  chefs  de  la  Constitution 266 

Adieux  du  Roi 271 

Le  Roi   ordonne  que  son  successeur  aille  à  Vincennes  et 

revienne  demeurer  à  Versailles 276-277 

Le  Roi  briile  des  papiers;  ordonne  que  son  cœur  soit  porté  à 

Paris  aux  Jésuites.  Sa  présence  d'esprit  et  ses  dispositions.    277-278 
Le  Brun,  provençal,  malmène  Fagon  et  donne  de  son  élixir 

au  Roi.  Duc  du  Maine 281 

Mme  de  Mainlenon  se  retire  à  Saint-Cyr 282 

Charost  fait  réparer  la  négligence  de  la  messe 283 

Rayon  de  mieux  du   Roi;  solitude  entière  chez  M.  le  duc 

d'Orléans 284 

Misère  de  M.  le  duc  d'Orléans;  il  change  sur  les  Etats  géné- 
raux et  sur  l'expulsion  du  Chancelier » 

Le  Roi  fort  mal  ;  fait  revenir  Mme  de  Maintenon  de  Saint-Cyr.  289 

Dernières  paroles  du  Roi.  Sa  mort 292 


II 

TABLE  ALPHABÉTIQUE 

DES   NOMS    PROPRES 

ET   DES   MOTS   OU   LOCUTIONS   ANNOTÉS    DANS   LES   MÉMOIRES; 

N.  B.  Nous  donnons  en  italique  l'orthosnraphe  de  Saint-Simon,  lorsqu'elle 

diffère  de  celle  que  nous  avons  adoptée. 

Le  chiffre  de  la  page  où  se  trouve  la  note  principale  relative  à  chaque  mot 

est  marqué  d'un  astérisque. 

L'indication  (Add.)  renvoie  aux  Additions  et  Corrections. 


AiGNAN  (François,  abbé),  *  292 
(Add.). 

Alby  (l'archevêque  d').  Voyez 
JVesmond  (Henri  de). 

Alicante  (le  vin  d'),  *282,  284. 

Alsace  (1'),  ilo,  128. 

Ambassadeurs  étrangers  (les), 
199. 

Amérique  (1'),  35. 

Amsterdam  (la  ville  d'),  36. 

Ancre  (Concino  Concini,  maré- 
chal d').  4,  101. 

Ancre  (Léonora  Galigaï,  maré- 
chale d'),  4,  101. 

Angleterre  (F),  33,   124,  123. 

Angleterre  (les  rois  d'),  104. 
Voyez  Guillaume  III,  Henri  V. 

Angleterre  (les  reines  d').  Voyez 
Este  (M.-B.-Él.  d'),  France 
(Catherine  et  Isabelle  de). 

Angoulême  (Louise  de  Savoie, 
duchesse  d'),  96. 

Anne     d'Autriche,     reine     de 


France,  3,  6,  79,  98-101,  146- 

148,  294. 
Annonciation  (la  fête  de  1'),  246. 
Antichambre  du  Roi  (1'),  à  Ver- 
sailles, *234. 
ANTiN(le  ducd'),  61,  168. 
Archevêché  (le  palais   de    1'),   à 

Paris,  245,  250-252. 
Argenson  (Marc-René  de  Voyer, 

marquis  d'),  114. 
Argenton   (M.-L.   le  Bel  de   la 

Boissière  de  Séry,  comtesse  d'), 

143. 
Arles  (l'archevêque    d').   Voyez 

Mailly  (le  cardinal  de). 
AsFELD    (Claude-François   Bidal, 

maréchal  d'),  250. 
AsFELD  (l'hôtel  d'),  à  Paris,  *230. 
Assassinat,  outrage,  *232. 
Assomption  (la  fête  de  1'),  180, 

189. 
Aumôniers  du  Roi  (les),  127. 
Aumont  (Louis,  ducd'),  81,  212. 


396 


TAni.E   AI-PHABl- TIOl  E. 


AuTBiCHK  (la  maison  d').  16,  98. 


B 


Haden  (lo  liailé  do),  1!». 

Barbf.zieix  (lo  marquis  do),  l'-2H. 

Bastille  (la).  97. 

Bâtards  du  Roi  (les),  (il.  iii,  78- 
84,  93.  93,-113,  413,  113,  156. 
139-161,  169,  174,  173,  181, 
199.  m,  -213,  213.235. 

Beacjeu  (Pierre  de  Bourbon,  soi- 
gneur de),  93. 

Beaujeu  (Anne  de  France,  dame 
do),  93.  96. 

Beaumanoir  (Marie-Françoise  de 
Xoailles,  marquise  de).  243, 
246,  230,  231. 

Beauvillier  (le  duc  de),  7.  8,  3'j, 
38.  168,  230,  233. 

Beauvillier  (Henriette  Golbcrt, 
duchesse  de).  209. 

Bécasse  bridée  (une),  au  ligure, 
*288. 

Bénédictins  (les),  197. 

Bénéfices  ecclésiastiques  Qes), 
126,  127. 

Bentivoglio (Corneille,  cardinal), 
26-28. 

Bercy  (Charles-Henri  de  Malon 
do),  59. 

Beringhen  (Henri  I*^""  do),  146. 

Berry  (le  duc  do),  3,  33,  70, 
77. 

Berry  (la  duchesse  de),  130, 
141,144,148,236,273. 

Berwick  (le  maréchal-duc  de), 
160,  230. 

Berwick  (Anne  Bulkeley,  maré- 
chale de),  230. 

Bezons  (le  maréchal  de),  206- 
208. 

Benoist  (Georges),  187. 

Bilboquet  (un),  au  ligure.  *61. 

BiRON  (Charles  de  Gontaut,  ma- 
réchal de),  4. 


Biron  (Armand-Charles  do  Gon- 
taut, duc  do),  243. 

Bisoolins  (les),  '186. 

Bissy  (Henri  do  Thiard,  cardinal 
do),  évoque  do  Moau.\,  20,  22, 
23,  26,  29,  31,  57,  164,  256. 
266-271. 

Blaye  (la  ville  de),  60. 

Blouin  (Louis),  200,  268,  290. 

Bombe  chez  quelqu'un  (tomber 
comme  une),  *205. 

Bon-Pasteur  (lo  couvent  du),  à 
Paris.  *248(Add.). 

Bourbon  (Jean  II,  duc  de),  93. 

Bourbon  (la  maison  de),  84. 

BouRBONNE  (les   oaux  de),  199. 

Bourg  (Léonor-Mario  du  Maine, 
maréchal  du),  113. 

Bourges  (la  ville  do),  57. 

Bourgogne  (le  duc  de),  1,  8,  9, 
33,  36,  37,  54,  109,  168,  229, 
230. 

Bourgogne  (la  duchesse  de),  168, 
229,  230. 

Bourgogne  (la  faction  de),  64. 

Bourgogne  (le  gouvernement  de), 
80. 

Bourgogne  (lo  vin  de),  *183. 

BouRNON  VILLE  (Alexandre- Alberl- 
François-Barthélomy ,  prince 
de),  243. 

BouRNONViLLE  (Philippe-Alexan- 
dre, prince  de),  243,  245,  246, 
249. 

BouRNON VILLE  (Mario-Charlottc- 
Victoire  d'Albort  do  Luynes, 
princesse  de),  243. 

BouRNON  VILLE  (Calhorino-Char- 
lotte-Thérèse  de  Gramont,  prin- 
cesse de),  puis  duchesse  de 
Ruffec,  243,  244,  247,  248. 

Bourrer  quelqu'un,  *238. 

BouzoLS  (Marie-F'rançoise  Colbert 
de  Croissy,  marquise  do),  58. 

Bretagne  (la),  80. 

Brevets  de  retenue  (les),  118. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


391 


Brun  (le  sieur  le),  •281-283,  289. 


Cabinets  du  Roi  (les),  à  Versail- 


les,   'loo, 


236. 


Cabinet  du   Conseil  (le),   à  Ver- 
sailles, 263,  265. 
Caliis  (le),  au  tiguré,  *268. 
Cambray  (l'archevêque  do).  Voyez 

Féxelon  (Fr.  do). 
Canillac  (Philippe  de  Montbois- 

sier-Beaufort,  marquis  de),  116, 

138,  161,  23i. 
Cannelle  (la),  *186. 
Canoniser  quelque  chose,  *  68,76. 
Cardinaux  (les),  19. 
Catherine  de  Médicis,  reine  de 

France,  84,  106,  107. 
Caustique  (le),  *-43. 
Cavalerie  (les  régiments  de),  123, 

124. 
Cavoye   (Louis  d'Oger,   marquis 

de),  278,  279. 
Caylus    (Marthe-Marguerite     de 

Valois-Villette,   comtesse    de), 

199-201,  211,  234,  236.   257, 

260,  261,  282. 
Chaillot  (le  village  de),  180. 
Chamillart  (Michel),  49,  492. 
Champagne  (le  vin  de),  183. 
Chancelier  de  France  (la  charge 

de),  61. 
Charles-Quint,   empereur,   104. 
Charles  V,   roi  de  France.   36, 

93,  106,  107,  110,  113. 
Charles  VL  roi  de  France,  83. 
Charles  VII,  roi  de  France,  83. 
Charles  VIII,  roi  de  France,  93, 

96. 
Charles  IX,  roi  de  France,  106, 

107,  113. 
Charolais  (Charles  de  Bourbon- 

Condé,  comte  de),  263. 
Charost  (Armand  II  de  Béthune, 

duc  de),  33,  34,  219,  283. 


Chartres  (l'évèque  de).  Voyez 
Godet  des  Marais  (Paul). 

Chàteauneuk  (Ballhazar  Phély- 
peaux,  marquis  do),  60. 

Châteauneuf-sur-Loire  (le  châ- 
teau de),  130,  131. 

Chaulnes  (Louis-Auguste  d'Al- 
bert do  Chovreuse,  duc  de), 
248. 

Chauvelin  (Germain-Louis),  244, 
246,  249. 

Chevreuse  (Honoré  d'Albert,  duc 
de),  7-9,  34,  38,  168,  243. 

Chevreuse  (Marie  de  Rohan,  du- 
chesse de),  146. 

Chevreuse  (Jeanne-Marie  Col- 
bert,  duchesse  de),  209. 

Chiens  du  cabinet  (les),  *186. 

Chine  (la),  197. 

Chocolat  (le),  *184. 

Chopine  (une),  *183. 

Clément  XI,  pape,  22,  27,  28. 

Clergé  (le),  29-31. 

Clèves  (le  duché  de),  97. 

Cloaque  (un),  au  figuré,  *171. 

Cluny  (l'abbaye  de),  127. 

Coëtquen  (Malo-Auguste,  mar- 
quis de),  223,  227. 

Coëtquen  (Marie-Charlotte  de 
Noailles,  marquise  de),  223. 

Colbert(J.-B.),  36. 

Commis,  engagé,  *71. 

Conseil  d'État  (le),  17,  37,  176, 
189,  201. 

Conseil  des  dépèches  (le),  11,  60. 

Conseil  des  parties  (le),  61 . 

Conseil  des  prises  (le),  17. 

Conseil  de  Régence  (le),  12,  15, 
33,  36,  61-64,  88-90.139,151, 
237,  238,  242. 

Conseils  de  la  Régence  (l^s),  9- 
14,  31,  109,  284. 

Conseil  des  affaires  du  dedans 
(le),  11,  31,  30. 

Conseil  des  affaires  ecclésiastiques 
(le),  19,  22,  31. 


398 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Conseil  dos  afVaircs  élranf^tTos 
(le),  31,  51. 

Conseil  des  tinances  (le),  i"!,  18, 
3-2,  ol,  litO,  191), -ioO. 

Conseil  de  la  guerre  (le),  18,  11), 
54. 

Conseil  de  marine  (le),  17.  18, 
oi. 

Conseils  (les),  en  Espagne,  l(i. 

CoNT.\DES  (Georges-Gaspard  df'), 
lU. 

CoxTi  (Louis-Armand  de  Bour- 
bon, prince  de),  263,  273. 

CoNTi  (François-Louis  de  Bour- 
bon, prince  de),  23ô. 

CoNTi  (Marie-Anne,  légitimée  de 
France,  princesse  de),  44. 

Continue  (à  la),  *236. 

Contretenir  (se),  *85. 

Contrôleur  général  des  tinances 
(la  charge  de),  9,  -10,  12. 

CoRBiE  (la  ville  de),  98. 

Cour  des  pairs  (la),  107. 

Cours  supérieures  (les),  170. 

Courant  (être  au),  en  matière  de 
tinances,  *34. 

Croissy  (Charles  Colbert,  marquis 
de),  58. 

Croissy  (Françoise  Béraud,  mar- 
quise de),  58. 

Cromwell  (Olivier),  202. 

Cru  (de  son),  au  tiguré,  *lo2. 

D 

Dagdesseau  (Henri),  57,  58,  62, 

63,  169. 
Daguesseau     (Henri -François), 

149.   150,  132-154,   168,   1H9, 

175-177,   193,  194,  196,   198, 

499. 
Dangeau    (Sophie    de    Bavière - 

Levenstcin,  marquise  de),  199- 

201,  211,  254,  256,  257,  260, 

264. 
Déboucher,  faire  écouler,  '439. 


l)écri(le).  Ml 4. 

Démancher  (se),  au  ligure,  *242. 

Dépayser  quelqu'un,  *469. 

Des.marktz  (Nicolas),  49,  59, 
168,  189,  199,  209,  210,  229, 
284. 

Di;s.maretz  (Madeleine  Bécha- 
moil,  dame),  59,  209. 

Disserter  quelque  chose,  *469. 

Dominicains  (les),  197. 

DoNGOis  (Nicolas),  153. 

DoDCiN  (le  P.),  23. 

Doyen  du  Parlement  (le\  453. 

Duc  (Louis-Henri  de  Bourbon- 
Condé,  duc  de  Bourbon,  dit 
Monsieur  le),  61,  108,  265, 
273. 

Duchesse  (Louise-Françoise,  légi- 
timée de  France,  duchesse  de 
Bourbon,  dite  Madame  la),  58, 
61,  93,  94,  265,  273. 

Duchesses  (les),  213,  214. 

Ducs  et  pairs  (les),  77,  89,  101, 
103-113,  116,  157,  174,  175, 
212-216,  219-227,  233,  234, 
236. 

Dupe,  adjectif,  *286. 

Dl'Ras  (Angélique- Victoire  de 
Bournonvillc,  duchesse  de), 
243,  249. 

Duras  (l'hôtel  de),  à  Paris,  '245. 

E 

Eau  de  Heurs  d'orange  (1'),  *485. 
Eau  trouble  (pécher  en),  *173. 
Ecailles  tombant  des  yeux,  '228. 
Échappé  de  (un),  *202. 
Échaulfer  dans  son  harnois  (s'), 

*216. 
Éconduire,  *140. 
Éconduite  (1'),  '138,  209. 
Ekfiat  (Antoine  Coiliier,  marquis 

d).  116,  206-208. 
Église  gallica.ne  (!'),  30. 
Enliler  (s'),  au  hguré,  '207. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


399 


Épernon  (Jean-Louis  de  Nogaret 

de  la  Valette,  duc  d'),  01. 
Escalier  des  cabinets  (le  petit),  à 

Versailles,  'iG'i. 
Escousse  (prendre  son),  *2o0.  — 

Éseconsse. 
Espagne  (P),  16,  31,  73,  75,  144, 

146,  i(i8,  iid,  ^230. 
Espagne  (les  rois  d'),    16.  Voyez 

Philippe  V. 
Espagne    (la  branche   d')  de   la 

maison  de  Bourbon,  71-73,  77. 
Esprits  vitaux  (les),  *188. 
Este  (M-B.-Él.  d'),  reine  d'An- 
gleterre, 87. 
EsTBÉES  (Victor-Marie,  maréchal 

d'),  17,  18. 
Etats  généraux  (les),  63-91,  *l!2o, 

1-26,    17-2,  173,  216,  217,  229, 

284. 
Europe  (1'),  1,  4,  35,36,  40,  41, 

76,  98,  171,  182,  197,  294. 
Evêques  (les),  29,  30. 


Fagon  (Guy-Crescent),  181,  182, 

186-192,    199-201,    255,    262, 

268,  281,283. 
Fénelon  (François  de  Salignac  de 

la  Motte-),  archevêque  de  Cam- 

bray,  63. 
Ferraille  (le     quai    de    la),    à 

Paris,  *lo7. 
FERTÉ-ViDAME(le  chàteau  de  la), 

117,  252. 
Feuillade    (Louis    d'Aubusson, 

duc  de  la),  235,  236. 
Finances  de   l'Etat  (les),   33-35, 

67-70,  74-76. 
Flandre  (la),  128. 
Flèche  (le  collège  de  la),  24,  25. 
Fontainebleau  (le  chàteau  de), 

130,  141,  150,  199. 
Fontenay  (Claude  de  iN'océ,  sei- 
gneur de),  116. 


Force  (lïenri-Jacques  de  Cau- 
mont,  duc  de  la),  81,  219. 

Forges  (les  eaux  de),  200. 

Français  (les),  66,  67. 

France  (la),  1,  2,  6,  21,  35,  36, 
41,  43,  59,  72,  76,  78,  84,  85, 
98,  101,  109,  124,  126,  173, 
193,  195-198,  203,  224,  244, 
294. 

France  (les  rois  de),  11,  38-42, 
44,  70,  76,  81,  92,  94,  102, 
104-107.  Voyez  Charles  V, 
Charles  VI,  Charles  VII, 
Charles  VIII,  Charles  IX, 
François  I",  Henri  II,  Henri 
IV,  Louis  XII,  Louis  XIII, 
Louis  XIV,  Louis  XV,  Phi- 
lippe IV,  Philippe  VI. 

France  (les  reines  de).  Voyez 
Anne  d'Autriche,  Catherine 
DE  Médicis,  Isabeau  de  Ba- 
vière, Marie  de  Médicis, 
Marie-Thérèse  d'Autriche. 

France  (la  maison  de),  85,  86. 

France  (les  tils,  tilles,  petits-fils 
et  petites-tilles  de),  82,  102. 

France  (Catherine  de),  reine 
d'Angleterre,  *85. 

France  (Isabelle  de),  reine  d'An- 
gleterre, 84. 

François  I",  roi  de  France,  96. 

Franche-Comté  (la),  128. 

G 

Galerie  (la  grande),  à  Versailles, 
*254,  255. 

Garçons  bleus  (les),  262. 

Gardes  françaises  (les),  114, 115, 
243,  260. 

Gardes  suisses  (les),  89,  414, 260. 

Généralités  (les),  *127. 

Gens  d'atlaires  Mes),  121,  122. 

Gertruydenberg  (les  négocia- 
tions de),  35,  45. 

Godet  des  Marais  (Paul),  évèque 
de  Chartres,  55. 


iOO 


TAHLE   AlJMlAliÉTIQUE. 


GoNTAlîT  (l-"rani;ois-Ariiiaiiil  clf 
Gontaut-Biron,  comte  puis  duc 
de),  '"2 '.3. 

GoNTAUT  (Marie-Adélaïde  de  Gra- 
mont,  comtesse  puis  duchesse 
de),  *îLi3. 

Gouvernements  de  province  (les), 
119. 

Gramont  (Antoine-Charles,  duc 
de),  -48. 

Gramont  (Louis- An  toi  ne- Armand 
de  Gramont.  duc  do  Louvigny, 
puis  do  Guiche  et  do),  '25-2,  2i3. 

Gramoxt  (Louis  de  Gramont, 
comte  de  Lesparre,  puis  de  Gra- 
mont, et  duc  do),  :2i'2,  243. 

Gramont  (le  maréchal  de).  Voyez 
Guiche  (le  duc  de). 

Gramoxt  (la  maréchale  de).  Voyez 
Guiche  (la  duchesse  de). 

Grand  chambellan  (le),  183. 

Grand  maître  de  France  (la  charge 
do),  SO. 

Grands  Augustixs  (le  couvent 
des),  à  Paris,  97. 

Grimoire  (un),  *\S,  32. 

Guiche  (Antoine  de  Gramont,  duc 
de),  puis  maréchal  de  Gramont, 
48, il 4,  242. 

Guiche  (Marie-Christine  de  Noail- 
les,  duchesse  do),  puis  maré- 
chale de  Gramont,  48,  49,  243- 
254. 

Guillaume  III,  prince  d'Orange 
et  roi  d'Angleterre,  44. 

Guise  (Henri  I"'  de  Lorraine,  duc 
de),  97,  m. 

Guises  (les),  \\i,  202. 

Guyenne  (la).  00.  80. 

H 

Harcourt  (le  maréchal-duc  d'), 
31,  50,  78,  79,  219,  234,  233. 

Harnois  (s'échauffer  dans  son), 
•210. 


11avhe-iie-Gh.\ce  (Io;,  IHU. 

Haye  (la  ville  de  la),  35,  44. 

Heixsius  (le  pensionnaire),  44. 

IIkxri  V,  roi  d'Angleterre,  *85. 

Hexri  II,  roi  de  France,  4,  84. 

Hkxri  IV,  roi  de  France,  4,  41, 
84,  83,  9t),  97,  196. 

Hollandais  (les),  44. 

Hollande  (la),  44,  45,  125. 

Honneurs  de  quelque  chose  (faire 
lee),  au  tiguré,  *212. 

HucHON  (Claude),  curé  de  Ver- 
sailles, 255,  262,  288. 

Huissiers  de  l'anlichambrc  du 
Roi  (les),  *261. 

HuMiÈRES  (Louis-François  d'Au- 
niont,  duc  d'),  219. 

IIuxelles  (le  maréchal  d'),  31. 

I 

Inamissible,  *100. 

Infanterie  (les  régiments  d'),  123, 

124. 
Intendants  des  linances  (les),  18. 
Isabeau    de   Bavière,    reine  de 

France,  85. 


Jacobins  (le  couvent  des),  à  Paris, 
rue  Saint-Dominique,  246. 

Jésuites  (les),  23-25,  29,  193- 
199. 

Jésuites  (la  maison  professe  des), 
à  Paris,  278. 

Jupiter,  203. 


Lait  (l'ànesse  (le),  *201. 

LALLEMANT(le  P.),  23. 

LANfiuEDOc  (le),  80,  128. 
Lauzun     (Geneviève -Marie      de 

Lorge,  duchesse  de),  245.  250. 
Lauzun    (l'hôtel    do),    à    Paris, 

•245. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


401 


Levis  (Marie-Françoise  d'Albert 
de  Chevreuse,  marquise  de), 
200,  201,  211,  254,  256,  257, 
260,  261. 

LiANCODRT  (Henri-Roijer  de  la  Ro- 
chefoucauld, marquis  de),  235. 

Liban  (les  cèdres  du),  167. 

Lieutenances  générales  des  pro- 
vinces (les),  119,  120. 

Lieutenances  de  Roi  des  provin- 
ces (les),  120. 

Ligue  (la),  4,  64,  84. 

Lille  (la  ville  de),  214. 

LiVRY  (Louis  Sanguin,  marquis 
de),  187. 

Loire  (la),  131. 

Lorraine  (François,  prince  de), 
abbé  de  Stavelot,  *210. 

Lorraine  (Claude  de  France,  du- 
chesse de),  84. 

Lorraine  (Marie-Éléonore  d'Au- 
triche, duchesse  de),  210. 

Lorraine  (la  maison  de),  64. 

Lorraine  (la),  128. 

Louis  XII,  roi  de  France,  96. 

Louis  XIII,  roi  de  France,  5,  6, 
41,  56,  76,  93,  98-101,  104, 
110,  145,  146,  148,  155,  196, 
278. 

Louis  XIV,  roi  de  France,  3,  7, 
20-22,  26-28,  34-37,  41,  43-45, 
48,  49,  51-56,  58,  63-65,  68, 
74,  76-78,  80-82,  91,  93,94, 
96,98,  102,108-115,117,125, 
126,  130,  131,  134,  138-142, 
144-147,  149-160,  162,  167, 
170,  172-188  (Add.),  189-193, 
196,  199-204,  206,  208,  210- 
213,  215,  216,  218-220,  225, 
227,  229,  233,  253-295. 

Louis  XV,  roi  de  France,  22,  24, 
25,  34,  53,  54,  72,  75,  83,  87- 
90,  118,  124,  127,  136,  139, 
150,  202,  204,  205,  215,  219, 
220,  226-230,  248,  260,  264, 
274.  277,  289. 


UEUOIRES    DE    SAINT-SIMON.    XXVII 


LouviLLE  (Charles-Auguste  d'Al- 
lonville,  marquis  de),  209. 

Louvois  (le  marquis  de),  36,  37, 
45,  123. 

Louvre  (le),  96. 

Luciférien,  *174. 

Luxembourg  (le  maréchal  de 
Montmorency-),  236. 

Luxembourg  (le  duc  de  Montmo- 
rency-), 235, 236. 

Lyon  (la  ville  de),  180. 

M 

Madame  (Elisabeth-Charlotte  de 
Bavière,  duchesse  d'Orléans, 
dite),  138,  256,  273. 

Madrid  (la  ville  de),  77. 

Maffei  (Annibal,  comte),  195, 
196. 

Mailly  (François,  cardinal  de), 
archevêque  de  Reims,  29,  219. 

Maine  (Louis-Auguste  de  Bour- 
bon, duc  du),  17,  57,  58,  60- 
62,  64,  78,  80,  81,83,  87,  91, 
93-95,102,108,  109,111,114, 
116,  142,  144,  150,  152,  154, 
158-161,  174,  175,  181,  189, 
201-205,  210,  211,  214,  215, 
221-223,  233,  236,  2,">4-256, 
259,  260,  264,  265,  272,  276, 
277,  281-283,  285-287,  290. 

Maine  (Anne-Bénédicte  de  Bour- 
bon-Condé,  duchesse  du),  81, 
93,  160,  212,  214,  215,  221- 
223,  233,  277,  292. 

Maine  (les  régiments  du  duc  du), 
*80. 

Maintenon  (la  marquise  de),  16, 
17,  31,  48,  56-58,  60,  78,  113, 
114,  150,  154,  176,  179,  181, 
188-191,  193-202,  206,  210, 
211,  229,  234,  254,  256-260, 
262,  263,  265,  266,  269,  274, 
277-283,  289-291. 

Maisons  (Claude  de  Longueil, 
26 


\0'2 


TABLE   ALPnABETKjUE. 


marquis    do),    \\6,     1*3,    InO, 

i:i3-iG7,  ni,  iri,  -2.s;. 

Maisons  (Jean-René  do  Lonj^ueil. 

marquis  de).  KiO,  16-2-166, '25i. 
Maisons  (Nicolas-Prosper ou  René 

Prosper  de  Longueil  de),  *166 

(Add.). 
Maisons  (Madeleine    de    Lamoi- 

i;non,  marquise  de),  *1()"2. 
Maisons  (Marie-Charlotte  Roque 

de  Vareiigeviile.  marquise  de), 

16-2-165. 
Maisons  (le  château  de).  160. 
Maîtres  des  requêtes  (les),*  1-2. 
Malappris,  ignorant,  *-213. 
Malmkdy  (l'abbaye  de),  -210. 
Marcher    sur   le   ventre   à    quel- 
qu'un, *^03. 
Maréchaux  de  France  (les),    li), 

115,  1:25. 
Mareschal  (Georges),  181,    182, 

19-2,  255,  -257,  268,  290,  294. 
Marie    de     Médicis,    reine     de 

France,  4-6,  96-98,  101,  146. 
Marie-Thérèse  d'Autriche,  reine 

de  France,  96. 
Marine  (la),  124,  1-25. 
Marly   (le    château  de).  32,  87- 

90,    141,   160,  167,   172.   173. 

176,  -200,  247,  248. 
Marsais  (César   Chesneau    du), 

•163  (Add.). 
Marseille  (la  ville  de),  281. 
Mazarin  (le    cardinal),  3,    4,  6, 

101,  -294. 
Mégisserie    (le  quai    de    la),    à 

Paris,  *157. 
Méhé.met-Riza-Beg,  ambassadeur 

de  Perse,  179,  180. 
Mémoires  de  Saint-Simon  (le.s), 

149,  166. 
Mesmes  (Jean-Antoine    III    de), 

9:i-95,  102,  109,  149-154,  159, 

175, 176. 
Messine  (la  ville  de).  195. 
Meudon  (le  château  de).  87. 


.Miniature,    diminutif,    •205.    — 

Miijnature. 
Ministres    d'iitat    (les),    18,   56, 

213,255. 
.Monarchie  française  (la),  37-39. 
.Monseigneur  (Louis,    dauphin  de 

France,  dit),  54. 
Monsieur  (Gaston,  duc  d'Orléans, 

(lit),  6,  99-101,  146-148. 
.Monsieur    (Philippe,    duc    d'Or- 
léans, dit),  133,  294. 
Morfondus  (le  quai  des),  à  Paris, 

•157. 
Morte.mart  (Marie-Anne  Colbert, 

duciiesse  de),  249. 
Moulins  (la  ville  de),  57. 
Mousquetaires    (les    compagnies 

des),  260. 

N 

Nerveusement,  ^86. 

IVesmond  (Henri  de),  archevêque 

d'Alby,  54,  55. 
Nicodème  (en),  *141. 
Noailles    (Anne-Jules,    duc     et 

maréchal  de),  230. 
jN'oailles    (Adrien-Maurice,    duc 

de),  32.  47-49,  141,  142,   167- 

173,  193,  194,  196,  198,  199. 

215-253. 
Noailles  (le  cardinal  de),  19-22, 

-26,  31,  50,  51,  168,  230,  -239, 

210,  214.  216-250,268.-271. 
Noailles  (Françoise    d'Aubigné, 

duchesse  de),  48. 
Noailles    (Marie -Françoise    de 

Bournonville,  duchesse  et   ma- 

réciiale  de),  48,  49,  239,  243, 

248,  249,  251,  252. 
Noailles  (la  maison  de),  19,  48, 

49,  242. 
Noblesse  (la),  4,  5,   7-9,   13,  74, 

214,    215,  219,    221-2-26,  231, 

233. 
NocK  (Charles  de),    seigneur  de 

Fontenay.  1 16,  117. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


403 


NocÉ  (Marguerite  de  Rambouillet 
de  la  Sablière,  dame  de  la  Mé- 
sangère,  puis  de),  *-116. 

NoiNTEL  (Louis  Béchameil,  mar- 
quis de),  209. 

Nonce  du  Pape  (le),  '2G-30.  Voyez 
Bentivoglio. 

Normandie  (la),  107. 

Notre-Dame  (l'église),  à  Paris, 
240. 

o 

0  (le  marquis  de   Villers  d'),  48. 

0  (Marie-Anne  de  la  Vergne  de 
Guilleragues,  marquise  de  Vil- 
1ers  d'),  "200,  201,  211,  254, 
256,  257,  260,  261. 

Officiers  de  la  couronne  (les),  101 , 
103-105,  107,  108,  110-113. 

Opéra  (F),  27. 

Ordonnateur  (un),  en  matière  de 
tinances,  *68. 

Orléans  (Louis,  duc  d'),  95,  96. 

Orléans  (Gaston,  duc  d').  Voyez 
Monsieur. 

Orléans  (Philippe,  duc  d').  Voyez 
Monsieur. 

Orléans  (Philippe,  duc  d'),  2,  3, 
8-10,  13-28,  31-33,  47-78,  82, 
85,  87-95,  102,  106,  108-118, 
122-149,  152,  154-161,  167, 
168,  172,  173,  192,  196-198, 
202-208,  211,  215-217,  229- 
243,  253,  255,  256,  260-265, 
272,  276,  277,  284-288. 

Orléans  (Mlle  de  Blois,  légitimée 
de  France,  duchesse  d'),  138, 
142-149,  168,  174,  175,  229, 
230,  261,  273,  284-288. 

Orléans  (la  branche  d'),  71. 

Orléans  (la  faction  d'),  64. 


PALAis(le),  à  Paris,  97,152,  155- 
158. 


Palais-Royal  (le),  à  Paris,  237, 
238,  239. 

Palerme  (la  ville  de),  195. 

Palinodie  (une),  *228. 

Paris  (la  ville  de),  29,  74,  76,  85, 
87,  96,  114,  117,  134,  135, 
152,  158,  160,  161,  165,  169, 
170,  180,  192,  193,  198,  200, 
225,  242,  250,  260,  274,  281. 

Parlement  de  Paris  (le),  9,  20, 
57,  77,  79,  89,  90,  93-98, 100- 
116,  148,  150-153,  155,  156, 
158,  160,  161,  165,  172,  174, 
175,  177,  193,  214,  216,  219, 

Parlement  de  Rouen  (le),  107, 
113. 

Pas-de-Suse  (le),  98. 

Pavé  (un),  route  pavée,  *130. 

Pays-Bas  (les),  36. 

Pêcher  en  eau  trouble,  *173. 

Peletier  de  Souzy  (Michel  le), 
191. 

Pentecôte  (la  tète  de  la),  181 ,  257. 

Pernost  (Nicolas),  *261.  —  Per- 
nault. 

Perse  (l'ambassadeur  de).  Voyez 
Méhémet-Riza-Beg. 

Philippe  V,  roi  d'Espa<;ne,  16, 
197,  294. 

Philippe  IV  LE  Bel,  roi  de  France, 
84. 

Philippe  VI  de  Valois,  roi  de 
France,  84. 

PiCQUiGNY  (Charles-François  d'Al- 
bert, duc  de),  249. 

Pièces  justiticativesdes  Mémoires 
de  Saint-Simon  (les),  35,  45. 

Pied  de  (être  sur  le),  en  parlant 
des  régiments,  *123. 

Plâtrer  (se),  au  hguré,  *167. 

Plumes  (tirer  des)  à  quelqu'un, 
*213. 

Pointer,  diriger,  au  figuré,  *217. 

Pomponne  (Simon  Arnauld,  mar- 
quis de),  58. 


to; 


TABLE   ALPHABETIQUE. 


l'ONTCHAHTHAlN      (Louis       IMlélj- 

peaiix,  cliaiicolierdo),  49. 
PoNTCHARTHAix    (Jérôme    IMu'-ly- 

poaux,  comte  de),  nî).  UO,  i~\^, 

\Sd,  199,  ^iO.V2U9,  t>78,  2S4. 
Ponts  et  chaussées  (les),  l"i!l. 
Posséder  son  àrae,  *-2[~. 
Pré  (sur  le),  au   ligure,  *  I  ITi. 
Préf;nant,  '6~,''21l. 
Premier  ministre  (la  charge  de), 

217,  218. 
Premiers    gentilshommes   de    la 

chambre  (les),   183. 
Premiers    valets   de  chambre  du 

Roi  (les),  "253. 
Présidents  à  mortier  (les),  133, 

161. 
Prières  des  agonisants  (les),  *'292. 
Piinco  (Henri  II,  prince  de  Condé, 

dit  Monsieur  le),    96,   97,  99- 

lUl,  117,  148. 
Princes   et    princesses    du     sang 

(les),  61,  6-2,  71.  78,  80-82,93, 

102,  108,  140,  159,  174,  173, 

215,  220,  255,  265,  273,  274. 
Princes  étrangers  (les),  221. 
Princesses    (les),    lilles  du    Roi, 

255,  265,  266. 
Pkotestants  (les),  4-6,  64. 
Provence  (la),  289. 
PvRKXÉES  (la  paix  de.*;),  294. 

R 

Radical,  •193. 
Radoteur  (un),  *247. 
Rapprocher     (se),    se    rappeler, 

•159. 
RASTAUT(le  traité  de),  19. 
Régence  du   duc  d'Orléans  (la), 

92-105,  lOH-113. 
Régent  de  France  (le),  11. 
Reims   (l'archevêque   de).    Voyez 

Mailly  (François  de). 
Renonciations  (les),  3S,  70-73, 76, 

77. 


Rentes  sur  l'hôtel  de  ville  (les), 
75. 

Répéter  quelqu'un,  '175. 

!{>•( cjilum  (un),  M60. 

Rêver  à  la  suisse,  *144. 

Rey.nolu  (François  de),  *\A't. 

Rhubarl.e  (la),  •164. 

Riheyha-Graxde  (Louis  de  Ca- 
méra, comte  de),  *i91,  192. 

RiUKYHA- Grande  (Constance - 
Emilie  de  Rohan-Soubise, 
comtesse  de),  ^192. 

Richard  (un),  74,  •121. 

Richelieu  (le  cardinal  de),  5. 

Richelieu  (Louis-François-Ar- 
mand de  Vignerot  du  Plessis, 
duc  de),  234. 

Richelieu  (Anne-Catherine  de 
Noailles,  duchesse  de),  234. 

Rochefoucauld  (François  Vlli, 
duc  de  la),  210,  235,  235. 

Rochefoucauld  (Marie-Charlotte 
le  Tellier  de  Louvois,  duchesse 
de  la),  179. 

RocHEGUYON  (Elisabetli-Marle- 
Louise-Nicole  de  Bermond  du 
Caviar  de  Saint-Bonnet,  du- 
chesse de  la),  179,  180. 

Rochelle  (la  ville  de  la),  6,  98. 

Rohan  (Armand-Gaston,  cardinal 
de),  20.  22,  23,  26,  29,  31, 
192,  256,  261-263,  266-271, 
278,  292. 

Rohan  (Hercule-Mériadec  de  Ro- 
han-Soubise, prince  de),    192. 

Rohan  (la  maison  de),  20. 

Rome  (la  ville  et  la  cour  de),  21, 
26-31.  57,  195,  197. 

Rompement  de  tête  (le),  '52. 

Rotterdam  (la  ville  de),  44. 

Roulette  (une),  fauteuil  roulant, 
•200. 

RoussiLLON  (le),  98. 

Routes  et  chemins  (les),  127- 
131. 

RUFKEC  (Jac<nies-Louis  de    Rou- 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


405 


vroy  Saint-Simon,  duc  de),  •I6i2, 
244,  247,  248,  232. 

RuFFEC  (Armand-Jean  de  Rou- 
vroy-Saint-Simon,  marquis  de), 
162. 

RuFFEC  (la  duchesse  de),  252. 
Voyez  BouRNONviLLE  (la  prin- 
cesse de). 


Saint-Cyr  (la  maison  de),  113, 
■189,  282,  289,  291. 

Saint-Esprit  (l'ordre  du),  120. 

Saint-Germain-en-Laye  (le  châ- 
teau de),  87,  90, 101,  160,170, 
171. 

Saint-Hérem  (Charles-Louis  de 
Montmorin,  marquis  de),    226. 

Saint-Hilaire  (Armand  de  Mor- 
mès  de),  114. 

Saint-Louis  (l'ordre  de),  119, 120, 
124. 

Saint-Louis  (la  fête  de),  237. 

Saint-Simon  (Louis  de  Rouvroy, 
duc  de),  1-3.  7-26,  31-37.  47- 
79,  87,  91-95,  102,  103,  106, 
108,  iU.  113-130,  133-161, 
167-173,  192-200,  202,  20i- 
210,  213-233,  237,  261,  262, 
284-287. 

Saint-Simon  (Marie-Gabrielle  de 
Lorge,  duchesse  de),  130,  200, 
223-228,  239,  244,  246-248, 
230,  231. 

Saint-Simon  (l'hôtel  de),  rue 
Saint-Dominique,  *246. 

Sainte-Croix  de  la  Bretonnerfe 
(l'ordre  de),  *190. 

Salade  du  Roi  (la),  M87. 

Salon  (le),  à  Marly,  87. 

Sauge  (la),  tisane,  *183. 

Sceaux  (le  château  de),  81,  160. 

Sciatique  (la),  *178. 

Secrétaire  d'Etat  des  affaires 
étrangères  (le),  30. 


Secrétaire  d'État  de  la  guerre  (le), 
12. 

Secrétaires  d'État  (les),  9-12,  65, 

108,  131,  168,  233. 
Secrétaires  du  Roi  (les),  *74. 
Seignelay  (Jean-Baptiste  Colbert, 

marquis  de),  38. 
Sforza  (Louise-Adélaïde   Damas 

de  Thiange,  duchesse),  143. 
Sicile  (le  roi  de).  Voyez  Victor- 

Amédée. 
Sicile  (la),  193-197. 
Signatures     en     commandement 

(les),  *10,  11. 
SoissONS    (Charles    de   Bourbon, 

comte  de),  96,  97. 
Sorbonne  (la),  20. 
Stavelot  (l'abbaye  de),  210. 
Suisse  (rêver  à  la),  *144. 
Suisses  et  Grisons  (les),  80. 
Sully  (Maximilien-Henri  de    Bé- 

thune,  duc  de),  219, 227  (Add.), 

228. 
Survivances  (les),  118. 


Tallard  (le  maréchal  de),  58. 
Tellier  (le  P.  le),  24,  23,  30,  33, 

173,  211,   233-237,  261,    262, 

266,  269,  277,  278,  280,   283, 

290. 
Tessé  (le   maréchal  de),  38,  78, 

79. 
Thé  (le),  *103. 
Tirer  (à  tout),  *119. 
Titanisme  (le),  *92. 
Titans  (les),  62,  86. 
Toile  cirée  Cla),  au  figuré,  *233. 
ToRCY  (le  marquis  de),   27,   35, 

44,  45,  140. 
Toulouse    (Louis-Alexandre    de 

Bourbon,    comte   de),   17,   48, 

61,  62,  80,  91,  108,  211,  255, 

256,  265,  276. 
Tournemine  (le  P.  de),  23. 


'.06 


TABLE   ALPHAHKTIQUE. 


Trait,  tiré.  "77. 

Traîlnnise,  *2"2y. 

TuESMES  (Bcrnard-FraiHois  Po- 
tier, duc  de),  "Irtrt,  "256. 

Trianon  (lo  clulteau  de),  176. 

Trophime  (saint),  29. 

Tuileries  (les).  238. 

Turc  à  -More  (traiter  quoiqu'un 
de),  M  22. 

Turin  (la  ville  de),  23.H. 

u 

Unigenitiis  (la  Constitution),  49- 
23,  29-31,  55,  57,  464,  175, 
476,  267-274. 

Ursins  (la  princesse  des),  46,  31, 
480,  230. 


VACQUERiE(Jean  delà),  95,  96. 

Venaison  (la),  *487. 

Vendôme  (Françoise  de  Lorraine- 
Mercœur,  duchesse  de),  *96. 

Ventadour  (C.-É. -M.  de  la 
Motte-Houdancourt,  duchesse 
de),  202.  274,  275. 

Ventre  (marcher  sur  le)  à  quel- 
qu'un, •203. 

Véronique  (la),  tisane,  *485. 

Versailles  (le  château  de),  25, 
K7.  141.  147,  135,  450,  470, 
174,  476,  499,  226,  232,  277, 
284. 


Vice-amiraux  (les),  425. 

Victor-Amkdke,  <Iuc  de  Savoie 
et  roi  de  Sicile.  195. 

Vienne  (la  ville  et  la  cour  de),  46. 

ViLLARS  (Louis-iiertor.  iiiarrclial- 
duc  de),  49,  78,  79. 

ViLLARS  (la  maréchale  de),  462. 

ViLLARs  (le  sieur  de),  aide-major 
des  gardes  françaises,  44-4. 

ViLLEROY  (François  de  Neufvillc, 
maréchal-duc  de),  48,  32,  56, 
58,  62,  78,  79,  202,  255,  256, 
259,  260,  263,  264,  266.  272. 
273,  277,  282,  285-288. 

ViLLEROY  (Louis-Nicolas  de  Neuf- 
ville,  duc  de),  234,  235. 

ViNCENNES  (le  château  de),  23, 
277,  279. 

Voûte  (faire),  au  tiguré,  *85. 

VovsiN  (Daniel-François),  56,  57, 
108,  150,  452,  454,  459,  468, 
476,  480,  484,  489,  490,  499, 
204,  255,  256,  258-260,  263, 
265,  266,  269,  274,  278,  284- 
288. 

Vrillière  (Louis  I"  Phélypcaux, 
seigneur  de  la),  60. 

Vrillière  (Louis  II  Phélypeaux, 
marquis  de  la),  60. 

Vrillière  (Françoise  de  Mailly, 
marquise  de  la),  430. 

w 

Wolfenbuttel  (l'envoyé  de), 
*490. 


III 

TABLE  DE  L'APPENDICE 


PREMIERE      PARTIE 
ADDITIONS  DE  SAINT-SIMON  AU  JOURNAL  DE  DANGEAU. 

(Les  chiffres  placés  entre  parenthèses  renvoient  au  passa;;e 
des  Mémoires  qui  correspond  à  l'Addition.) 

Pages. 

1235.  Le  président  de  Maisons  et  sa  famille  (p.  453) "297 

1236.  Comn-encenient  de  la  maladie  du  Roi  (p.  176) 305 

1237.  Le  duc  du  Maine  passe  en  revue  la  gendarmerie  (p.  201- 

202) 307 

1238.  Le  duc  de  Noailles  et  le  duc  de  Saint-Simon  (p.  215).   .       308 

1239.  Voysin  se  fait  promettre  par  le  duc  d'Orléans  la  conser- 

vation de  sa  charge  de  chancelier  (p.  284) 331 


SECONDE    PARTIE 
I 

La  mort  de  Louis  XIV 333 

II       • 
Le  testament  de  Louis  XIV 359 

III 
Lettre  de  Louis  XIV  mourant  à  Louis  XV 373 

IV 
Cérémonial  funèbre  et  autopsie  de  Louis  XIV 376 


TABLE  DES  MATIÈRES 

CONTENLES    DANS     LE     VOGT-SEPTlÈME    VOLUME. 


MÉMOIRES  DE  SAINT-SIMON  (1715  suite) ''"'i 

APPENDICE. 

Première  partie.  —  Additions  de  Saint-Simon  au  Journal 
de  Dangeau  (n"*  l-23o-l'i3!J) -297 

Seconde  partie.  —  Notices  et  pièces  diverses 333 

ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 385 

TABLES. 

I.  Table  des  sommaires  qui  sont  en  marge  du  manuscrit.  391 

11.  Table  alphabétique  des  noms  propres  et  des  mots  ou 

locutions  annotés  dans  les  Mémoires 395 

111.  Table  de  l'Appendice 407 


FIN    DU   TOME   VINGT-SEPTIEME. 


CHARTRES.     IMPRIMERIE    DVRAND,     KL  h    fLLBIRT. 


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