LES
GRANDS ÉCRIYAINS
DE LA FRANCE
NOUVELLES ÉDITIONS
PIIBMItES SOOS t.A DIRECTION
DE M. AD. REC.XIER
Membre de l'Iiulitiit
CHAHIRES — IMPRIMERIE DURAND
Rue Fulbert, 9.
MEMOIRES
06
SAINT-SIMON
TOME XXVII
^NB^r^rv
MEMOIRES
DE
SAINT SI3I0N
NOUVELLE EDITION
COLLATIONNÉE SUR LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE
AUGMGNTÉK
DES ADDITIONS DE SAINT-SIMON AU JOURNAL DE DANGEAU
et de notes et appendices
PAR A. DE BOISLISLE
Membre de l'Institut
AVEC LA COLLABORATION DE L. LECESTRE
ET DE J. DE BOISLISLE
TOME VINGT-SEPTIEME ^
^l/\' P^
PARIS ^
LIBRAIRIE HACHETTE ET C*
BOULEVARD S A I N T - G E R M A I N, 7g
I pi5
Tous droits réBervés.
MÉMOIRES
DE
SAINT-SIMON
Il y avoit longtemps que je pensois à l'avenir, et que (Suite de 17 13.)
j'avois fait bien des réflexions sur un temps aussi impor- Réflexions
tant et aussi critique. Plus je discutois en moi-même tout gouvernement
ce qu'il y avoit à faire, plus je me trouvois saisi d'amer- présent
tume ' de la perte d'un prince qui étoit né pour le bonheur ^ établir.
de la France et de toute l'Europe, et avec lequel tout ce
qui - y pouvoit le plus contribuer étoit projeté, et pour la
plupart résolu et arrangé avec un ordre, une justesse, une
équité, non-seulement générale et en gros, mais en détail
autant qu'il étoit possible, et avec la plus sage prévoyance''.
G'étoit un bien dont nous n'étions pas dignes, qui ne*
nous avoit été montré que pour nous faire voir la possibi-
lité d'un gouvernement juste et judicieux, et que le bras
de Dieu n'étoit pas raccourci pour rendre ce royaume
1. Les mots d'amertiinie corrigent de l'amertume.
2. Les quatre derniers mots, lequel tout ce qui sont en interligne,
au-dessus d'un qui, biffé.
3. Voyez ce qu'il a dit des idées du duc de Bourgogne sur le gou-
vernement, dans le tome XXII, p. 13 et suivantes, et 319-329.
4. iVe, oublié, a été ajouté en interligne.
UKUÛIHES DE SAINT-SIMON. .XXVII i
f MKMniHES |l7ir>]
heureux et florissant ', (juaiid nous mériterions de sa
bonté un roi vérilaMenicnt selon son cœur. Il s'en t'alloit
bien (jue \o prince à qui la régence alloit échoir fût* dans
ci't état si heui-eux pour soi et pour toute hi France ; il s'en
falloit bien aussi (jue, quelque parfait que pût être un
régent, il pût exécuter comme un roi. Jesentois l'un et l'au-
tre dans toute son étendue, et j'avois bien de la peine à
ne me pas abandonner au ilécouragement.
J'avois alTaire à un prince fort éclairé, fort instruit, qui
avoit toute l'expérience que peut donner une vie de par-
ticulier fort éloigné du trône et du cas de la régence, fort
au fait^ de tant de grandes fautes qu'il avoit vues, et
(|uel(|ues-unes senties de si près, et des malheurs par les-
quels lui-même avoit tant passé, mais prince en qui la
paresse, la foiblesse, l'abandon à la plus dangereuse com-
pagnie, mettoient des défauts et des obstacles aussi fâcheux
que dirticiles, pour ne pas dire impossibles, à corriger,
même à diminuer*. Mille fois nous avions raisonné ensem-
ble des défauts du gouvernement et des malheurs qui en
résultoient. Chaque événement, jusqu'à ceux de la cour,
nous en fournissoit^ sans cesse la matière. Lui et moi
n'étions pas d'avis différents sur leurs causes et sur les
etTets. Il ne s'agissoit donc que d'en faire une application
juste et suivie pour gouverner d'une manière qui fût
exempte de ces défauts, et en arranger la manière selon
la possibilité qu'en peut avoir un régent, et dans la vue
aussi d'élever le Uoi dans de bonnes et raisonnables
maximes, de les lui faire goûter quand l'àge lui permet-
troit, et de lui ouvrir les yeux et la volonté à perfection-
4. C'est-à-dire que le bras de Dieu pouvait encore, avait encore le
pouvoir et la volonté de rendre le royaume de France heureux et flo-
rissant.
'2. Avant fust, il y a un ne, biffé.
3. Fort au fait est en interlif^ne.
4. Voyez le long portrait qu'il a l'ait du duc d'Orléans et la peinture
de son caractère, dans le précédent volume, p. 266 et suivantes.
5. 11 y a fourniisoient, par raégarde, dans le manuscrit.
[4715] DE SAINT-SIMON. 3
ner en roi, après sa majorité, ce que la régence n'auroit pu
achever ni atteindre. Ce fut là mon objet et toute mon
application, pour insinuer à M. le duc d'Orléans tout ce
que je crus propre à l'y conduire, dès la vie même de
M. le duc de Berrj, dont il devoit tendre à être le vrai
conseil, beaucoup plus encore lorsqu'il n'y eut plus per-
sonne entre M. le duc d'Orléans et la régence. A mesure
que, par l'âge et la diminution de la santé du Roi, je la
voyoiss'approcher, j'entroisplus en détail, et c'est ce qu'il
faut expliquer.
Ce que j'estimai le plus important à faire, et le plus
pressé à exécuter, fut l'entier renversement du système
de gouvernement intérieur dont le cardinal Mazarin a
empoisonné le ' Roi et le royaume. Un étranger de la lie
du peuple, qui ne tient à rien et qui n'a d'autre - dieu que
sa grandeur et sa puissance, ne songe à l'Etat qu'il gou-
verne que par rapport à soi. 11 en méprise les lois, le
génie, les avantages ; il en ignore les règles et les formes;
il ne pense qu'à tout subjuguer, à tout confondre, à faire
que tout soit peuple, et, comme cela ne se peut exécuter
que sous le nom du roi, il ne craint pas de rendre le
prince odieux, ni de faire passer dans son esprit sa per-
nicieuse politique. On l'a vu insulter au plus proche sang
royal, se faire redouter du Roi, maltraiter la Reine mère
en la dominant toujours, abattre tous les ordres du
royaume, en hasarder la perte à deux différentes reprises
par ses divisions à son sujet ^, et perpétuer la guerre au
dehors * pour sa sûreté et ses avantages, plutôt que de
céder le timon qu'il avoit usurpé. Enfin on l'a vu régner
en plein par lui-même par son extérieur et par son auto-
rité, et ne laisser au Roi que la figure du monarque. C'est
dans ce scandaleux éclat qu'il est mort avec les établisse-
i . Ce mot Le, ainsi écrit, corrige une autre lettre illisible.
2. D'autre est en interligne, au-dessus de de, biffé.
3. Allusion à l'époque des deux Frondes.
4. Les mots au dehors ont été ajoutés en interligne.
4 MÉMOIRES 117151
monts, losalliancos, ot riinniciiso succession (ju'il a laissôo,
monstrueuse ' jus<ju'à pouvoir enrichir seule le plus puis-
sant roi de TKurope. Kien n'est bon ni utile qu'il ne soit
en sa place*. Sans remonter inutilement plus haut, la
Ligue, qui n'en vouloit pas moins qu'à la couronne, et le
parti protestant avoient interverti tout ordre sous les
enfants d'Henri II. Tout ce que put Henri IV avec le se-
cours de la noblesse fitièle fut, après mille travaux, de se
faire reconnoitre pour ce qu'il étoit de plein droit, en
achetant, pour ainsi dire, la couronne de ses sujets par
les traités et les millions qu'il lui en coûta avec eux, les
établissement^^ prodigieux et les places de sûreté aux chefs
catholiques et huguenots. Des seigneurs ainsi établis, et
qui se crovoient pourtant bien déchus après les chimères
que chacun d'eux s'étoit faites ', n'étoient pas faciles à
mener. L'union subsistoit entre la plupart ; la plupart
avoit conservé ses intelligences étrangères ; le Roi étoit
obligé de les ménager, et mèmede compter avec eux. Rien
de plus destructif du bon ordre, du droit du souverain, de
l'état de sujet, (jueKjue grand qu'il puisse être, de la sûreté,
de la tran<|uillité du royaume. La régence de Marie de
Médicis ne lit (ju'augmenter ce mal, qui s'étoit affoibli
depuis la mort du maréchal de Biron *. Le pouvoir et la
grandeur du maréchal d'Ancre, de sa femme et de ce tas
de misérables employés sous leurs ordres, révoltèrent les
grands, les corps, les peuples. La mort de ce maire du
palais étranger, l'anéantissement de ses créatures, l'éloi-
gnement d'une mère altière qui n'avoit point d'yeux par
1. Avant 7nonsti"ucuse, il a biffé assés.
i. C'est lo proverbe anglais : liigltt înan in rigfit place.
3. l'aima Cayct, dans sa Chronologie novennaire, édilion Petitot,
tome III, |>. '209, disait en 1591 à propos de la puissance des grands
seigneurs: « Les gouverneurs de provinces sont tels aujourd'hui que
le meilleur et le plus sage d'entre eux n'estime rien plus à lui que son
gouvernement. »
A. Cliarles de Gonlant : tome II, f). \i.
[1745] DE SAINT-SIMON. 5
elle-même, mais une ^ humeur, un caprice, une jalousie
do domination, dont des confidents infimes profitoient
pour régner sous son nom, rendirent le calme à la France
pour quelque temps, mais en ménageant les grands, dont
la puissance et les dangereux établissements rendoient
l'obéissance arbitraire. Le cardinal de Richelieu sentit
également les maux du dedans et du dehors, et avec les
années y apporta les remèdes. Il abattit peu à peu cette
puissance et cette autorité des grands, qui balançoit et qui
obscurcissoit celle du Roi, et peu à peu les réduisit à leur
juste mesure d'honneur, de distinction, de considération,
et d'une autorité qui leur étoit due-, mais qui ne pouvoit
plus [se] soutenir à^ remuer, ni parler haut au Roi, qui
n'en avoit plus rien à craindre. Ce fut la suite d'une lon-
gue conduite sagement et sans interruption dirigée vers
ce buts et de l'abattement entier du parti protestant par
1. Il y a un humeur dans le manuscrit.
2. Il y a dans le manuscrit qui leur estaient dues ; mais nous croyons
que c'est un lapsus de la plume de Saint-Simon. En effet, la virgule
placée après considération et au contraire l'absence de virgule après
autorité indiquent bien que l'incidente se rapporte seulement à ce der-
nier mot, ainsi que celle qui suit (mais qui ne pouvoit), laquelle est
bien au singulier.
3. Les mots soiistenir à sont en interligne; mais Saint-Simon a
oublié le se nécessaire.
4. Le Testament politique du cardinal de Richelieu prouve que sa
conduite fut le résultat d'un plan mûrement réfléchi et suivi avec per-
sévérance. Il disait en effet au début du chapitre i de cet ouvrage:
« Lorsque Votre Majesté se résolut de me donner en même temps et
l'entrée de ses conseils et grande part en sa confiance pour la direction
de ses affaires, je puis dire avec vérité que les huguenots partageoient
l'Etat avec elle, que les grands se conduisoient comme s'ils n'eussent
pas été ses sujets, et les plus puissants gouverneurs des provinceb
comme s'ils eussent été souverains en leurs charges... Les meilleurs
esprits n'estimoient pas qu'on pût passer sans naufrage tous les écueils
qui paroissoient en un temps si peu assuré; ... peu de gens se pro-
mettoient un bon événement du changement qu'on publioit que je
voulois faire. ... Le succès qui a suivi les bonnes intentions qu'il a plu
à Dieu me donner pour le règlement de cet État, justifiera aux siècles
6 MÉMOIRES [1715]
la ruine de la Rochelle et rie ses autres places, qui, faisant
auparavant un Htat dans l'I-^tat, ('toit d'une sûre et récipro-
que ressource aux ennemis du dehors et aux séditieux du
dedans, même catholiques, si souvent excités par Marie
de Médicis et par Gaston son fils hien-aimé, réduit enfin
à la soumission comme les autres. Louis XIII ne vécut
pas assez pour le bonheur de la France, pour la félicité
des bons, pour l'exemple des meilleurs et des plus i;rands
rois. La soumission et la tranquillité du dedans, la mesure,
la règle, le bon ordre, la justice, qui l'avoit singulièrement
adopté', ne durèrent que huit ou neuf ans.
La minorité, qui est un temps de foiblesse, excita les
grands et les corps à se remettre en possession des usur-
pations qui leur avoient été arrachées, et que la vile et
l'étrangère extraction du maître que la Régente leur avoit
donné et à elle-même, et les fourbes*, les bassesses, les
pointes, les terreurs^ et les aproposiln de son gouverne-
ment, également avare, craintif et tyrannique, sembloient*
rendre, sinon nécessaires, au moins^ supportables. Il n'en
fallut pas tant que ce que Mazarin en éprouva pour lui
faire jurer la perte de toute grandeur et de toute autorité
autre que la sienne. Tous ses soins, toute son application
se tourna à l'anéantissement des dignités et de la naissance
par toutes sortes de voies, à dépouiller les personnes de
qualité de toute sorte d'autorité, et pour cela de les éloi-
gner, par état, des affaires ; d'y faire entrer des gens
aussi vils d'extraction que lui ; d'accroître leurs places
à venir la formetcf" avec laquelle j'ai constamment poursuivi ce des-
sein. »
1. Tel esl bien le texte dii manuscrit, et il n'y a pas lieu de con-
server la correction faite par les précédents éditeurs. La phrase veut
dire que la justice avait [larticulièrement adopté Louis XIH.
2. Au sens lie tromperies; mot déjà relevé dans notre tome X,
p. 367.
.3. Ces deux mots ont clé ajoutés en interligne,
i. 11 y a sembloit, au sini^ulier dans le manuscrit.
■». Avant nu moins, Sainl-Simitii a hillé m'iis.
[47451 DE SAINT-SIMON. 7
en pouvoir, en distinctions, on crédit, en richesses ; de
persuader au Roi que tout seigneur étoit naturellement
ennemi de son autorité, et de préférer, pour manier ses
affaires en tout genre', des gens de rien, qu'au moindre
mécontentement on réduisoit au néant, en leurôtant leur
emploi avec la même facilité qu'on les en avoit tirés [en
lej leur donnant-; au lieu que des seigneurs déjà grands
par leur naissance, leurs alliances, souvent par leurs éta-
blissements^, acquéroient une puissance redoutable par
le ministère et les emplois qui y avoient rapport, et deve-
noient dangereux à cesser de s'en servir, par les mêmes
raisons. De là l'élévation de la plume et de la robe, et
l'anéantissement de la noblesse par les degrés qu'on
pourra voir ailleurs, jusqu'au prodige qu'on voit et qu'on
sent aujourd'hui, et que ces gens de plume et de robe ont
bien su soutenir, et chaque jour aggraver leur joug, en
sorte que les^ choses sont arrivées au point que le plus
grand seigneur ne peut être bon à personne, et qu'en
mille façons différentes il dépend du plus vil roturier.
C'est ainsi que les choses passent d'un comble d'extrémité
à un autre tout opposé.
Je gémissois, depuis que j'avois pu penser, de' cet abîme
de néant par état de toute noblesse. Je me souviens que,
dès avant que d'être parvenu à la confiance des ducs de
Beauvillier et de Chevreuse, mais déjà fort libre avec eux,
je ne m'y contraignis pas un jour sur cette plainte. Ils me
laissèrent dire quelque temps. A la fin, le rouge prit au
4. Il y a tout au singulier et genres au pluriel dans le manuscrit.
2. Saint-Simon avait d'abord écrit avec la mesme facilité qu'on le
leur avoit donné ; il a corrigé le en les, ajouté en interligne en avoit
tiré, corrigé donné en donnant, mais laissé auparavant leur avoit
sans le biffer et sans achever la correction.
3. Ce mot commence une ligne ; à la tin de la ligne précédente, Saint-
Simon a biffé le même mot, qu'il avait ainsi répété deux fois.
4. Les surcharge ils.
5. Ce mot de surcharge un à, et l'auteur a ajouté une virgule après
penser, pour bien préciser ce qu'il voulait dire.
R MÉMOIRES [1715]
duc do Beaiivillicr, ijui d un ton sôvère me demanda :
« Mais que voudriez-vous donc pour être content? — Je
vais, Monsieur, vous le dire, lui répondis-je vivement: je
voudroisètre n»' de bonne et ancienne maison ; je voudrois
aussi avoir quelques belles terres et en beaux droits, sans
me soucier d'être fort riche ; j'aurois l'ambition d'être
élevé' à la première dignité de mon pays, et je souhaite-
rois aussi un gouvernement de place ; jouir de cela, et je
serois content-. » Les deux ducs m'entendirent, se regar-
dèrent, sourirent, ne répondirent rien, et un moment
après changèrent de propos. Kux-mêmes, comme je le vis
dans les suites, pensoient absolument comme moi, et je
n'en pus douter par le concert entre eux et moi unique-
ment et ce prince dont je ne puis me souvenir sans lar-
mes. Quekjue abattu que je fusse de sa perte, mes pensées
et mes désirs n'avoient pu changer, et, quelque dispro-
portion que je sentisse de ce prince unique à celui qui
alloit gouverner, et des moyens d'un roi ou d'un régent,
je ne pus renoncer à une partie de ce tout qui m'étoit
échappé. Mon dessein fut donc de commencer à mettre la
noblesse dans le ministère avec la dignité et l'autorité (|ui
lui convenoit, aux dépens de la robe et de la plume, etde
conduire sagement leschoses par degrés et selon les occur-
rences, pour que peu à peu ' celte roture perdît toutes les
administrations qui ne sont pas de pure judicature, et que
seigneurs et toute noblesse fût peu à pini substituée* à tous
leurs emplois, et toujours supérieurement à ceux que leur
1. Après élevé, et à la tin d'imo ligne, Saint-Simon avait écrit un
de, qu'il n'a pas biffé.
2. Tout ce que Saint-Simon demande, il l'avait <léjà, et sa réponse
est tout ironique. On peut la raprociier de la (piesfion que le prési-
dent Rose taisait au prince «le Condr, liumblr solliciteur des ministres :
« Scroit-cc point que vous voudriez vous faire premier prince du sang?»
(notre tome VIII, p. 'M).
3. I.,c> mots a prii, oublirs, ont été ajoutés en interligne'.
A. Elcrit fubsituéc.
[17151 DE SAINT-SIMON. 9
nature feroit exercer par d'autres mains, pour soumettre
tout à la noblesse en toute espèce d'administration, mais
avec les précautions nécessaires contre les abus. Son abat-
tement, sa pauvreté, ses mésalliantes, son peu d'union,
plus' d'un siècle d'anéantissement, de cabales, départis,
d'intelligences au dehors, d'associations au dedans, ren-
doient ce changement sans danger, et les moyens ne
manquoient pas d'empêcher sûrement qu'il n'en vînt dans
la suite. L'embarras fut l'ignorance, la légèreté, l'inap-
plication de cette noblesse accoutumée à n'être bonne à
rien qu'à se faire tuer, à n'arriver à la guerre que par
ancienneté -, et à croupir du reste dans la plus mortelle
inutilité, qui l'avoit livrée à l'oisiveté et au dégoût de
toute instruction hors de guerre, par l'incapacité d'état de
s'en pouvoir servir à rien. Il étoit impossible de faire le
premier pas vers ce but sans renverser le monstre qui
avoit dévoré la noblesse, c'est-à-dire le contrôleur géné-
ral et les secrétaires d'Etat, souvent désunis, mais tou-
jours parfaitement réunis contre elle. C'est dans ce des-
sein que j'avois imaginé les conseils dont j'ai parlé, et
qui longtemps après, au commencement de 1709, surpri-
rent si fort le duc de Chevreuse, qui, m'entretenant chez
moi pour la première fois de ce même dessein, qu'il me
confia pour en avoir mon avis, le trouva sur-le-champ
écrit de ma main tel qu'il l'avoit conçu, ainsi que cela
se voit plus au long p. 793*. Mgr le duc de Bourgogne
l'avoit adopté dans le même dessein, et ce sont ces con-
seils que M. le duc d'Orléans en appuya, lorsqu'il nous
en proposa l'établissement au Parlement, en déclarant
qu'ils avoient été trouvés dans la cassette de Mgr le duc de
Bourgogne*, sur quoi je remarquerai que ce n'étoit pas
1 . Plus surcharge un.
2. Ecrit ancienne.
3. Pages 154 et suivantes de notre tome XVII.
i. Ci-après, p. i09, et suite des Mémoires, tome XII de 1873, p. "213
et -2'2i-2-2o.
Ifi ME>fniRES [171S]
cell»^ dont j'ai parlô, ot qui mcdonna (ant (rinqniétudo '.
Je propose h La lormatioii do ot's conseils fut donc une des premières
dOrl.^ii-i'î.s l'iioses dont je parlai à M. le duc d'Orléans*. Il n'étoitpas
divers ron>eil> moins blessé quo moi de la tyrannie que ces cinq rois de
et 1 or re a Prance' exerçoient à lour ijré sous le nom du roi vérita-
V tenir. ^ '-'^ .
ble, et presque en tout à son insu, et l'insupportable
hauteur où ils étoient montés. Je proposai donc d'étein-
dre deux charges de secrétaires d'l']tatS celui de la guerre
et celui desalYaires étrangères, qui seroient gérées par
les conseils, expédiées par les secrétaires de ces conseils ;
de diminuer autant (ju'il seroit possible la multiplicité des
signatures en commandement % poussées à l'infini par
l'intérêt des secrétaires d'Etat de faire passer tout par
i. Tome XXII, p. 3o7 et suivantes.
-1. Saint-Simon va résumer, avec quelques modi6cations, toute la
tliéorie de gouvernement exposée dans ses Projets de gouvernement
du duc de Bourgoijne, publiés en 1860 par Paul Mesnard ; on peut se
reporter, pour ce qui va suivre, aux paf;es 16 et suivantes de cette
publication ; mais, les Projeta supposant l'existence d'un roi majeur
et exerçant le pouvoir, ce que Saint-Simon va exposer ci-après com-
porte les modilicalions nécessitées par l'existence d'un réj^ent et d'un
conseil de régence.
3. Les quatre secrétaires d'Étal et le contrôleur général des finances.
4. Dans les Projets (p. 7-2-7.")), il proposait au contraire d'en porter
le nombre à cinq, mais en les réduisant au rôle de commis.
5. Dix-huit lignes plus loin, Saint-Simon va expliquer ce que c'était
que les signatures en commandement. Comme il était impossible au
Roi de signer toutes les pièces ([ni devaient être revêtues de son nom,
il donnait aux secrétaires d'Elat le commandement de signer son nom
de leur main propre sur certaines catégories de pièces et d'aullienti-
quer cette fausse signature par la leur, sous la formule: P.\n le Ror,
UN TEL. Ce fut sous le règne de Cliarles IX (jue commença cette façon
de faire. Par la suite, les secrétaires d'Etat trouvèrent plus simple de
faire écrire cette fausse signature royale par le commis qui avait rédigé
l'acte; ils n'avaient plus alors qu'à y apposer la leur. On comprend les
abus qui pouvaient naître de eeUe pratique, d'autant plus que les secré-
taires d'État, pour ;iugmcntcr leur pouvoir, grossirent tant (ju'ils purent
le nombre des signatures en commandement.
• Le manuscrit porte l'orde.
[171.S] DE SAINT-SIMON. 41
leurs mains ; et que ce qu'il seroit indispensable d'être
signé en commandement, le seroit par les deux secré-
taires d'État restants, qui en auroient tout le loisir en tou-
tes matières, parce qu'il ne leur en resteroit aucune à
expédier ni à répondre, sinon les ordres secrets du Ré-
gent, qui n'appartiennent en particulier à nulle matière.
Ainsi de la marine, ainsi de toutes les provinces du
royaume qui font la matière du conseil des dépêches, que
j'appelois conseil des affaires du dedans. Ce* n'étoit pas
que j'eusse dessein de conserver un second secrétaire
d'État à la longue ; un seul sutïîsoità l'expédition des cho-
ses les plus secrètes, que je voulois rendre aussi les plus
rares, et aux signatures en commandement absolument
nécessaires, que j'avois dessein aussi d'éclaircir- beaucoup
en substituant celle du chef du conseil, en la joignant
pour lors à celle du secrétaire du même conseil. On
n'ignore pas que la prétendue signature du Roi, mise au
bas^ de chaque expédition qui sort des bureaux par le
sous-commis qui écrit l'expédition même, n'a de force et
d'autorité que celle qu'elle reçoit de la signature du secré-
taire d'État. Il n'étoit donc pas difficile de supprimer cette
prétendue signature du Roi, dont personne n'étoit la dupe,
et qui n'est* qu'une prostitution très indécente, et de
transporter aux chefs des conseils, pour les matières de
leurs conseils, le poids et l'autorité de celles des secré-
taires d'État. Ce sont de ces choses que le temps amène
comme de soi-même, en ne perdant pas les occasions de
les établir sans entreprendre tout à la fois, mais se con-
tenter d'abord du renversement de l'arbre pour en arra-
cher après les racines à propos, et en empêcher radicale-
1. Avant ce, Saint-Simon a biffé : Je proposay en mesme temps
d'estre.
2. Au sens de diminuer.
3. Aux a été corrigé en au, et le b de bas semble surcharger une l;
plus loin, sortent a été corrigé en sort.
4. N'est surcharge un autre mot illisible.
a MÉMOIRES fl7in]
ment la funeste reproduction. Je proposai en môme temps
que les secrétaires d'Ktat n'entrassent dans aucun descon-
seils, où l'ombre de ce qu'ils ne feroient que cesser d'être
les rendroit dangereux, mais d'admettre sans voix ni déli-
bérative ni consultative même, surtout sans faculté de
rapporter quoi que ce fut, un des deux secrétaires d'Etat
au conseil de régence pour en tenir le registre exactement,
qui seroit vérifié exactement tous les mois par' celui des
membres de ce conseil qui, à tour de rôle, se trouveroit
en mois |)our recevoir les placets, que le seul secrétaire
d'État de la guerre étoit en usage de recevoir sur toutes
matières, lesquels lui seroient rapportés chez lui par deux
maîtres des requêtes qui l'auroient accompagné en les
recevant derrière la table dressée pour cela dans l'anti-
chambre du Roi, comme faisoit seul le secrétaire d'Etat
de la guerre ; et les rapporter ensuite à M. le duc d'Or-
léans, accompagné de[s] mêmes deux maîtres des requê-
tes. C'étoit rendre à ces charges leur droit primitif-, et
se servir de leurs lumières pour mille choses en ce genre
qui avoiont souvent trait à des choses que des gensd'épée
ne puuvoient savoir, surtout en ces commencements. On
comprend bien que je proposai en même temps d'éteindre
l'emploi de contrôleur général et d'en faire passer l'em-
ploi et l'autorité au conseil des finances, et substituer la
signature du chef de ce conseil à celle du contrôleur
général.
A ce plan général il en falloit ajouter de particuliers.
Je proposai donc celui de ces conseils que j'avois fait au-
1. Après par, il a biffé un.
2. D'où leur nom de maîtres desroquètos. Ils étaient en offet chargés
primitivement de recevoir les plaintes et requêtes que l'on présentait
au roi et de lui en rendre compte. Puis leurs attributions s'étendirent: on
les chargea d inspections dans les provinces; ils furent rapporteurs des
procès jugés au conseil privé ou des parties; enlin ils formaient eux-
naêmes un tribunal, appelé rcqtuHcs de l'Iiôtcl, où étaient portées en
première instance les causes des officiers de la couronne et de la maison
du Roi.
inioj DE SALNT-SIMON. 13
trefois, et qu'on trouvera parmi les Pièces, tels que je les
fis pour lors' ; mais j'en supprimai qui ne convenoient
plus ni au moment présent ni au temps d'une régence.
Ils furent, pour' leur matière et pour leur nom, tels que
M. le duc d'Orléans les établit, mais avec une confusion,
un nombre de membres, un désordre que je n'y aurois
pas mis, et dont la cause se découvrira en son temps\ Je
ne m'y arrêterai donc pas davantage à cette heure. Vint
après la discussion des gens à admettre ou à exclure, puis
celle de la destination de chacun de ceux qui seroient
employés. Je représentai à M. le duc d'Orléans que cet
établissement fïatteroit extrêmement les seigneurs et toute
la noblesse, éloignée des affaires depuis près d'un siècle,
et qui ne voyoit point d'espérance de se relever de l'abat-
tement où elle se trouvoit plongée ; que ce retour inespéré
et subit du néant à l'être toucheroit également ceux qui
en profiteroient par leurs nouveaux emplois, et ceux en-
core à qui il n'en seroit point donné, parce qu'ils en
espéreroient dans la suite par l'ouverture de cette porte,
et qu'en attendant ils s'applaudiroient d'un bien commun
et de la jouissance de leurs pareils ; en même temps, que
c'étoit à lui à balancer si bien l'inclusion, l'exclusion, la
distribution des emplois, que son autorité, bien loin d'en
souffrir, n'en fût que plus confirmée, et d'éviter aussi des
mécontentements dangereux ; que, par cette raison, je ne
croyois pas qu'il pût sagement exclure certaines gens qui,
bien ou mal à propos, avoient acquis un certain poids
dans le monde, dont l'estime et l'opinion avantageuse
prise d'eux s'étoit tournée en mode, dont le choix le feroit
applaudir et donneroit réputation au nouveau genre de
gouvernement, dont l'exclusion produiroit un sentiment
1. C'est ceux dont il a été parlé dans le tome XVII, p. 134-457 ;
voyez les Projets de gouvernement, p. 18 et suivantes.
2. Avant p'', il y a tels, biffé, et le manuscrit porte leurs au pluriel
et matière au singulier.
3. Voyez la suite des Mémoires, tome XII de 1873, p. îlio.
14 MEMOIRES [ilVy]
contraire, et capable d enhardir ces gens-là, pour la plu-
part fort établis, à cabaler et à le traverser, au contraire
de l'intérêt qu'ils prendroienl en lui, et au succès de ce
à quoi ils se Irouvei-oienl emplo^^és ; et(|u'il recevroit' un
double gré du public et (reux-mèines d un choix aucjuel
ils ne dévoient pas s'attendre par le peu, et souvent tout
le contraire, de ce fju'ils avoient mérité de lui ; qu'aussi,
tant pour le bon ordre des ailaires que pour ne pas ten-
ter par la facilité des gens peu sûrs pour lui qui en pour-
roient abuser, il étoit très essentiel d'établir- et de main-
tenir dans chacun des conseils une égalité parfaite d'autorité
et de fonctions entre tous les membres, et une balance
exacte entre eux et le chef, pour que le chef n'y prenne
pas une autorité qui non-seulement absorbe celle du con-
seil, mais même qui l'obscurcisse, et qu'il jouisse aussi
de sa qualité sans une^ dépendance qui l'y rende un fan-
tôme. Pour arriver à ce tempérament, mon sentiment fut
que le chef ne pût parler que le dernier ; qu'il partageât
les différentes affaires à chacun, toujours en plein conseil ;
qu'il n'y en pût rapporter aucune ; qu'il n'eût que sa voix
en quelque cas que ce pût être ; qu'y ayant partage, le*
membre de la régence en mois y fût appelé pour dépar-
tager, sans pouvoir y entendre parler d'aucune autre ^
affaire, et que le chef de chaque conseil, venant rappor-
ter à la régence les affaires de son conseil, qui toutes,
hors les bagatelles du courant, y dévoient être "^ exactement
poi-tt'es et ditliniliveinent réglées, y fût accompagné de
l'un des conseillers d'avis contraire au chef dans les choses
i. Avant recevroit, il a biffé en.
2. Saint-Simon avait d'abord commencé à écrire de m[iiintc7nr] ; il
a surchargé m par les premières lettres d'estublir et ajouté une apos-
trophe ; mais il a oublié de biffer l'c de de.
3. Une en interligne.
4. Ce le surcharjie un.
5. Autre ajouté en interligne.
(i. Avant estre, Saint-Simon a biffé touttes, et cxactem' est en inter-
ligne.
I
[17^0] DE SAINT-SIMON. 15
principales, choisi parla pluralité des conseillers du même
avis que lui; enfin que toutes les délibérations de chaque
conseil, surtout de celui de régence, fussent écrites à
mesure par le secrétaire séant au bas bout de la table,
lu' par lui à la fin du conseil, signé de lui et du conseil-
ler de semaine, qui seroit son modèle pour son registre
plus étendu, qui, à la fin de chaque mois, seroit relu au
conseil et y seroit signé du chef et du secrétaire. Avec
ces précautions je crus la balance bien observée, et bien
difficile de rien expédier à l'insu ou contre l'avis du con-
seil, et cela dans celui des affaires étrangères comme les
autres, pour les instructions, les lettres, les réponses, les
ordres, et toute autre matière, excepté les choses égale-
ment secrètes, importantes et rares, qui demeureroient
entre le Régent et le chef de ce conseil, mais qu'il seroit
pernicieux et destructif d'étendre au delà d'une invincible
nécessité.
Je voulois aussi des jours réglés pour tenir les diffé-
rents conseils, tous dans la maison du Roi, et des jours
marqués à la régence pour y entendre les affaires de cha-
que conseil ; et, s'il s'en trouvoit de nature à ne pouvoir y
être vues au jour ordinaire, les y porter seules au com-
mencement ou à la fin du conseil de régence, sans que le
chef d'un autre conseil, étant en son jour ordinaire à la
régence, pût être de l'affaire extraordinaire qui y seroit
portée, non plus que celui qui l'y porteroit en entendre
aucune- de celles qui y seroient naturellement traitées ce
jour-là. J'insistai encore à séparer chaque département de
conseil d'une manière si nette, si distincte et si précise,
et à décider si promptement et si clairement les questions
et les prétentions réciproques qui pourroient naître là-
dessus dans les commencements, que chaque conseil ne
4. Il y a bien lu, et plus loin signé, au masculin singulier, dans le
manuscrit, et aussi qui seroit à la ligne suivante, tout cela se rappor-
tant à l'idée de procès-verbal, sous-entendue.
2. Avant awcMne, Saint-Simon a biffé auqu.
16 MEMOIRES (1715)
put ompiéter ni luttor contre un autre, et (jue dans le
public on n'eût aucun embarras pour savoir à qui s'adres-
ser sur toute sorte datVaire ; pourvoir avec la même pré-
cision à séparer bien tlistinctoment les fonctions particu-
lières de chaque membre de chaque conseil, et pourvoir
ainsi à l'union des membres, en retranchant toute cause
de pivtention et île jalousie, ainsi qu'aux conseils, même
respectivement, et en même temps au mûr examen et à la
prompte expédition des alTaiies. J'en fis sentir l'utilité et
la facilité par l'exemple continuel de la cour de Vienne,
où rien ne s'étrangle ni ne languit parmi tant de différents
conseils qui y sont établis', et que, si le contraire a paru
en Espagne, c'est que sous les derniers rois de la maison
d'Autriche on n'y opinoit que par écrit, et ces votes, qui
couroient des uns aux autres, portés au roi, renvoyés par
lui à d'autres encore, devenoient des plaidoyers à longue
distance- sur les moindres affaires, dontgrand nombre de
pareilles n'auroient tenu qu'une matinée en opinant de
vive voix ensemble, au lieu que, une seule affaire ne finis-
sant point, il se faisoit un engorgement qui arrêtoit et per-
doit toutes les affaires par des lenteurs qui n'avoient point
de tin. J'ajoutai que, à l'égard du règne de Philippe V, M. le
duc d'Orléans savoit mieux que personne ce qui y avoit
rendu les conseils inutiles et ridicules, qui n'avoient pu
se soutenir contre l'adresse et le crédit de Mme des Ur-
sins ayant Mme de Maintenon en croupe, qui vouloit tirer
1. Inihof dans sa Noticia Sancti Romani Gcnnaiiici Imperii, p. 479
et suivantes, a donné une nomenclature de ces divers organes : conseil
intime, conseil aulique, conseil de guerre, conseil des tinances, et aussi
de ceux qui dirigeaient les affaires do certaines provinces, fjorsque, dans
les premiers mois de la Rôgence, les conseils furent en vigueur, Villars,
chef du conseil de la guerre, demanda au comte du Luc, amliassadeur
à Vienne, un mémuire sur le fonclionncment du conseil autrichien de
guerre, que celui-ci lui envoya le 43 novembre (Affaires étrangères,
vol. Autriche 108, le mémoire est à la suite de la lettre du 7 novembre
4715).
2. Longues distance dans le manuscrit.
fiTir.i
DE SAINT-SIMON.
17
ment
des conseils
résolu.
Discussion de
leurs chefs.
Marino.
à soi seule toute l'autorité du gouvernemenl, dont les deux
monarchies ne s'étoient pas bien trouvées.
M. le duc d'Orléans goûta extrêmement ce projet, qui L'établisse
fut maintes fois rebattu et discuté entre lui et moi. Il sen-
tit l'importance du secret et le garda, et sur la chose et
sur toutes ses dépendances. La résolution prise, il fallut
débattre les sujets. Je lui représentai qu'il n'avoit pointa
choisir pour les chefs des conseils des atïaires ecclésiasti-
ques, de la guerre, de la marine et des finances; qu'il
n'y avoit aucune apparence de faire l'affront à M. le comte
de Toulouse, amiral, qui avoit commandé des flottes, qui
avoit gagné une bataille navale, qui tenoit tous les jours
le conseil des prises, qui' les alloit juger diffinitivemcnt
au Conseil devant le Roi, et qui étoit admisà l'examen des
promotions qui se faisoient dans la marine, de l'exclure
de la place de chef de ce conseil ; que le comte de Tou-
louse étoit à son égard très différent du duc du Maine, et
d'un caractère sage et modéré, et aussi aimé et estimé en
général que celui de son frère étoit méprisé et abhorré
parmi la crainte et la servitude qui réduisoient là-dessus
au silence. Je conclus donc qu'il étoit juste, sans péril,
et- nécessaire de le faire chef de ce conseil, et très dom-
mageable et môme dangereux de ne le pas faire, mais que
je croyois aussi qu'il n'étoit pas moins à propos de ne' lui
pas tellement abandonner ce conseil qu'il en devînt une
chimère, et que le Comte se rendît maître de la marine,
qu'il n'y avoit pour cela qu'à y faire entrer le maréchal
d'Estrées, homme droit, d'honneur, sachant^ et connois-
sant bien la marine, qui en étoit estimé et considéré par
sa valeur, ses actions, sa probité, ses talents d'homme de
mer, qui, par son expérience, sa charge de vice-amiral,
son office de maréchal de France, se rallieroit et étaye-
1. Avant ce qui, il y a un et biffé.
2. Gel et est en interligne.
3. Ne, oublié, ajouté en interligne.
4. Ecrit saachant.
MEMOIRES DE SAINT-SIMO.N". X.VVU
18 MEMOIHKS IITI.H]
roit co conseil ; cm'il |>()iivoil coinptor sur lui, (|u'en l'y
mettant il ne feroit (jue le mettre à sa place, (ju'il seroit
extraordinaire même qu'il ne l'y mît pas; qu'il étoil bien
avec le comte de Toulouse, et de longue main accoutu-
més l'un à l'autre pour avoir étésouventà la mer ensem-
ble et dans les ports, et unistousdeux, et avec d'0,dans
la même <jueielle et dans la même inimitié contre Pont-
chartrain. Tout cela tut encore approuvé, et M. le duc
d'Orléans remit au temps où il pourroit parler, à voir
avec le maréchal d Estiées, et après avec le comte de
Toulouse, les marins les plus convenables à composer ce
conseil, avec quelque intendant de marine pour ce qui y
demandoit nécessairement de la plume.
Finances et Venant après au conseil des finances, je lui dis que je
guerre. connoissois très bien le maréchal de Villeroy, et quel il
étoit à son égard, mais qu'il étoit chef de ce conseil et
ministre d'État ; que ne lui pas laisser cette place, quoi-
que autrement tournée, c'étoit le plus sanglant alîront
qu'il se pût faire, et à un homme tel que celui-là ; que son
incapacité et sa futilité le rcndoit un personnage fort
indirtVrent à la tète d'attaires qu'il n'entendoit ni n'en-
tendroit jamais ; qu'il ne s'agissoit, pour parer à tout, que
d'y joindre un président comme à la marine, qui imposât
tacitement à ses grands airs de supériorité, et qui en otàt
la peur à des gens de robe, dont d'ici à quelque temps on
ne pourroit' s'y passer de gens de robe, comme intendants
des finances, qui en avoient fait un grimoire- pour qu'il ne
pût être connu que d'eux, jusqu'à ce que 1 autorité et
l'application l'eût fait mettre au net, et mis la matière à
portée de gens d'épée ; et, passant tout de suite à la guerre,
je fis comprendre à M. le duc d'Orléans que, le premier
i. Les trois mots on ne pourroit surchargent d'autres mots illisibles.
2. n Grimoire, livre dont on dit que les nia^^icicns se servent pour
évoquer les démons. On appolle linurémtnt yrirrioiie dos discours
obscurs ou des écritures difticiles à lire » {Académie, i~iH). Ce mot
va revenir ci-après, p. 32.
[1713] DE SAINT-SIMON. i9
maréchal de France étant placé ailleurs, la place de ce
conseil ne poiivoit être remplie que par Villars, second
maréchal de France, qui avoit commandé les armées jus-
qu'à la paix qu'il avoit faite depuis lui-même à Rastadt et
à Baden, et qui ne lui étoit pas suspect. Villars m'avoit
prié, il y avoit déjà quelque temps, d'assurer M. le duc
d'Orléans de son attachement. Je l'avois fait, et j'en avois
rapporté un remerciement et des compliments, dont le
maréchal me parut fort content.
Ces trois points arrêtés de la sorte, vint celui des Affaires
affaires ecclésiastiques, qui fut plus longtemps à peser. Je ^"gt'feuiiî'c"''*
dis à M. le duc d'Orléans qu'il n'avoit pas plus de liberté des bénéfices.
dans ce choix que pour les trois • autres qu'il avoit faits, Constitution.
avec cette différence que le cardinal de Noailles, que la
place de chef de ce conseil regardoit uniquement, ne lui
pouvoit être suspect, et que Villars, le moins -sans pro-
portion des trois autres, avoit des coins de folie auxquels
il falloit prendre garde; que l'âge, les mœurs, la suite
d'une vie apostolique et sans reproche du cardinal de
^oailles, son ancienneté, qui lemettoità la tête du clergé,
indépendamment des autres droits, sa qualité d'arche-
vêque de la capitale et de diocésain de la cour, celle du plus
ancien de nos cardinaux, les' établissements et les allian-
ces de sa famille la plus proche, le savoir et la modération
qu'il avoit montrés en tant d'occasions particulières et
publiques, formoientun groupe de raisons* transcendantes
qui en emportoient la démonstration ; qu'à l'égard de
l'affaire de la Constitution , c'étoit à lui-même à qui ^ j'aurois
voulu demander ce qu'il en pensoit, ou plutôt que je n'en
avois pas besoin, parce qu'il me l'avoit dit bien des fois^
i. Trois corrige a[utres].
2. Le moins suspect.
3. Lrs corrige ses.
4. Formoient surctiarge un mot illisible, et de raisons corrige rare.
0. Ce qui est en interligne.
6. Tome XXVI, p. 252-233.
'10 MKMOIHES |17IS|
avec rindignalion (jupii nirritoitMit les artifices, les fri-
j^onnorios, les violences dont toute cette afVaire n'étoit
|([iriiin tissu ; (jue ce n'étoit pas à un prince éclairé
comme il l'étoit à se laisser imposer par une odieuse cabale
détestée de tous les honnêtes gens, même de ceux que la
l'oiblesse ou rinlèrèt y avoif engagés; <jue c'étoil la par-
tie saine, savante, pieuse du royaume avec qui il avoit à
compter sur les affaires ecclésiastiques, (]ui demandoienl
des mains pures et reconnues universellement pour telles,
au jH'iil de perdre toute réputation et toute confiance dès
ce premier faux pas. J'ajoutai que je ne voyois point de
prélat qui fût tout ensendde assez marqué, assez distingué
par les lumières, assez porté par la vénération ])ul)li(|ue,
pour entrer en aucune comparaison avec le cardinal de
Noailles, et qu'à l'égard des cardinaux de Hohan et de
Bissy, c'étoit à lui-même à voir si les affaires ecclésiasti-
ques seroient sûrement en remettant leur dii-ection prin
cipaleetla feuille des bénéfices à deux ambitieux, esclaves
de la cour de Rome, le premier qui ne respiroit que la
grandeur de sa maison et de ses chimères, l'autre d'en faire
une, tous deux de dominer le clergé et la cour, et d'être
chefs de parti, tous deux liés et livrés à ce qui lui étoit le
plus contraire autour du l\oi et dans le public' ; surquoi
il devoit de plus savoir à quoi s'en tenir sur les Rohans.
Passant de là aux partis que formoit la Constitution, je lui
fis sentir toute la différence de la réputation de tout temps
et publique des prélats unis au cardinal de Noailles d'avec
les autres, le poids de la Sorbonne, des autres écoles,
des curés de Paris, si importants et si fort à ménager daii-^
des temps jaloux, de la foule du second ordre, des corp--
réguliers, illustres par leur science et leur piété, enfin
celui des parlements, surtout de celui de Paris, ouverte
ment déclarés pour la cause et pour la personne du cai-
dinal de Noailles, (jui avoit tous les cœurs, et vers lequ(;l
I . Plublic corrigé en public.
fl7l.-;| DE SAINT-SIMON. "2i
tout courroit ' en foule, dès que la terreur présente fini-
roit avec la vie du Roi ; enfin, que ce seroit faire le plus
signalé aflfront au premier prélat du royaume, au plus
établi, au plus universellement chéri, et en vénération
entière, et se livrer au cri et au ressentiment universel, et
cela pour des gens qui, méprisés aujourd'hui qu'ils dispo-
soient de toutes les foudres, et détestés par l'abus de leur
pouvoir, [seroient] combien plus honnisquand la liberté s'en
trouveroit rendue. M. le duc d'Oi'léans n'eut rien à répon-
dre à un raisonnement qui ne tiroit sa force que des choses
mêmes par leur évidence fondée sur la vérité. Il m'avoua
qu'il n'y avoit que le cardinal de Noailles à qui il pût
donner cette place ; mais il étoit embarrassé de l'aiïaire
de la Constitution, et pour Rome, et pour la France même.
Le raisonnement là-dessus se reprit à plusieurs fois. Le
mien ne varia point. Mon sentiment fut qu'il avoit pour
en sortir, et bien, et promptement, le plus beau jeu du
monde, s'il vouloit bien ne se point laisser éblouir; qu'il
n'étoit point roi se piquant d'une autorité sans bornes,
et qu'il n'avoit pris sur cette affaire aucun engagement
avec Rome, avec personne, ni avec lui-même, par" l'en-
gagement de son pouvoir déjà compromis ; que le Roi se
trouvoit dans tous ces termes, dont ceux qui l'y avoient
su pousser savoient aussi bien profiter pour le conduire
où jamais il n'avoit pu imaginer d'être mené ; que lui, ré-
gent, devoit aussi en profiter en sa manière, et profiter de
sa liberté et des limites de son autorité pour éviter ce
même écueil, et ne se pas livrer à des gens vendus et
engagés en toutes les façons du monde, dont les artifices,
l'ambition, les manèges, les fourberies, les violences
n'étoient ignorées désormais de personne, qui ne seroient
jamais contents, voudroient toujours aller en avant, im-
moler tout à leurs vues, surtout entretenir cette guerre
pour se rendre nécessaires et importants, pour se faire
1. Saint-Simon écrit courreroit.
2. Par surctiarge en.
«• MKMOIRES firiSl
courtiser ol redouter, et pnrre (|u"il n'y a plus tle parti,
et dès lors plus de chefs, ni de piincipaux de parti,
quand l'affaire qui l'avoit fait est (inie ; qu'il comprit donc
qu'en leur prêtant l'oreille, il ne la termineroit jamais,
qu'il en seroit |)lus tourmenté que d'aucune autre du
gouvernement, et qu'il se trouveroit peu à peu entraîné à
plus de violences, et tout aussi peu utiles à la protection
même qu'il voudroit donner, qu'il n'en avoit vu commet-
tre au Uoi, (pii de sa part seroient bien plus odieuses;
qu'à mon avis, il n'avoit qu'un parti à prendre, mais à
s'y tenir bien fermement: déclarer (pi'il n'en prendroit
aucun dans cette affaire, mander le cardinal de Noailles
dès l'instant t{ue le Roi ne seroit plus, le présenter au
nouveau Hoi lui-même, avec quelque propos gracieux
mais sans affectation, lui faiie valoir tète à tête ce premier
pas et la place où il lalloit mettre, et s'assurer ainsi de lui ;
déclarer aussitôt après le conseil entier des affaires ecclé-
siastiques, pour éviter d'être obligé de refuser le Pape si
on lui donnoit le temps de faire des démarches là-dessus ;
traiter avec distinction Kohan et Bissy ; leur faire sentir
que vous voulez ' résolument une- fin très prompte à cette
affaire; que vous avez' toujours été ennemi de toute vio-
lence, surtout en matière qui a rapport à la religion ;
qu'ils se doivent attendre qu'il n'en sera plus faitaucune;
que les prisons vont même être ouvertes à ceux que cette
affaire y a conduits, et toutes les lettres de cachet à cette
occasion révoquées, et l'exécuter en même temps ; les
assurerque vous ne prenez aucun parti, et que c'est même
en preuve de cette neutralité que vous rendez la liberté à
ceux à* qui cette affaire l'a fait perdre ; que vous laissez
1. A notfr ce clianfjcmi'nldu stylo iuclirocl en discours direct. Saint-
Simon a-l-il sous les yeux un nr)émoire adressé au duc d'Orléans, ou
se laisse-l-il entraîner par le feu de la rédaction?
2. Il y a un fin dans le manuscrit.
3. Avant nvcz Saint-Simon a hifTé roulés.
4. Cet à est en interligne avant qui.
[1715] DE SAINT-SIMON. 23
donc une égale liberté de part et d'autre, mais que vous
ne soulï'rirez d'aucun côté la licence, ni pas plus les lon-
gueurs à terminer; couper court ensuite, et, s'ils abusent
de votre politesse pour s'engager en longs discours, faire
la révérence et les laisser, en les assurant que vous n'avez
ni n'aurez jamais assez de loisir pour vous noyer en ces
disputes ; s'ils osoient s'échapper tant soit peu, leur dire
poliment, mais avec une fermeté sèche, de songer à qui
ils ont l'honneur de parler ; et sur-le-champ la pirouette,
et les laisser là. Rien n'est pis que de se laisser manquer
ni entamer le moins du monde, et le moyen de l'éviter
pour toujours est dès la première fois une pareille leçon.
Tout de suite faire enlever les jésuites Lallemant, Doucin Jésuites.
et Tournemine*, et leurs papiers; mettre le dernier au
donjon de Vincennes, sans papier, ni encre, ni plume, ni
parler à personne, du reste bien logé et nourri à cause de
sa condition personnelle ; les deux autres au cachot, en des
prisons différentes, avec le traitement du cachot; qu'on ^
ne sût où ils sont, et les y laisser mourir ; ce sont les
boute-feux de toute cette aff"aire, et de très dangereux
scélérats. Mander en même temps le provincial et les trois
supérieurs des maisons de Paris, leur témoigner estime,
amitié, désir de les marquera leur Compagnie, de l'obh'ger,
de la distinguer, de la servir ; que ce n'est que dans ce
dessein que vous vous êtes cru obligé de les délivrer de
trois brouillons très pernicieux, dont vous êtes bien instruit
qu'ils ne l'ont pas été moins chez eux en choses domesti-
ques (ce qui est très-vrai) qu'ils l'ont été très criminelle-
ment au dehors ; que vous ne voulez ^ pas pousser à leur
égard les choses plus loin ; que, sans entrer en aucun
détail avec ceux à qui vous parlez, vous vous contentez de
1. 11 a été parlé des Pères Doucin et Lallemant dans le tome XX,
p. 333, et du P. de Tournemine dans le tome XXII, p. 145. — Le D
de Doucin corrige une autre lettre.
2. L'éiision qu' surcharge et.
3. Voulés surcharge l'abréviation v^.
î'i M KM (H R ES [ITl.H]
leur (lire que vous ainioz la paix, et, poussant un peu le
ton, que vous la voulez, (juc vous comptez assez sur eux,
par la manière dont vous avez parle' d'eux, et usr en
toutes les occasions (|ui s'en sont présentées, pour leur
demander il'y contribuer elVectivement, et vous donner
moyen par cette conduite de leur vouloir et iairc tout le
plaisir et le bien dont les occasions se pouii-ont présen-
ter, et dont le désir en vous se nourrira et s'augmentera
à la mesure de ce que vous verrez qu'ils feront efficace-
ment pour rem|)lir en cela votre désir. Cela dit, inleri'om-
pre leurs remontrances, supplications sur les prisonniers,
protestations, etc., par des compliments et des persuasions
(ju'ils feront merveilles, pour leur couper la parole, et
tout aussitôt vous retirer, et les laisser, et, s'ils hasardoient
de vous suivre ou de vous faire demander à vous parler,
leur faire dire civilement que l'accablement d'aiïairesne
vous le permet pas.
P. Tellier. Mander un moment après le P. Tellier, lui dire que vous
n'oubliez point les services qu'il vous a rendus ; que vous
désireriez avec ardeur que le bien des aiTaires se pût
accorder avec tout ce que vous voudriez faire pour lui,
mais que la place que vous tenez vous impose des mesures
auxquelles vous ne pouvez manquer; qu'ainsi vous êtes
forcé à lui dire que le Hoi veut qu'il soit conduit sur-le-
champ à la Flèche', où il lui défend très expressément
d'écrire ou de recevoir aucune lettre de personne que
vues par celui qui en sera chargé, et qui les rendra ou
enverra, ou non, comme il le jugera à propos; que du
reste le Hoi lui donne six mille livres de pension, et que,
s'il en désire davantage, il n'a qu'à parler, avec certitude
de l'obtenir sur-le-champ ; (juc rien ne lui manque en
bois, en meubles, en logement, en nourriture, en livres,
en tout ce qui peut servir à sa santé, à sa commodité, à
1. Dans cft beau collège des Jésuites Hont il a (^fé parlé dans le
tome IV, f). 328.
I
(-1745] DE SALXT-SIMON. 25
son amusement ; qu'il ait deux valets et un Frère, que le
Roi payera, à condition qu'il les choisira et changera
comme il lui plaira, sans dépendance que de l'intendant
de la province, qui aura ordre de tenir la main à ce que
rien ne lui manque ; qu'il soit libre et indépendant des
jésuites du collège, et qu'ils aient pour lui tous les égards,
les attentions et les déférences possibles ; qu'il se puisse
promener et dîner dans les environs, mais sans décou-
cher; et que le Roi est disposé à lui accorder d'ailleurs
tout ce qui pourra lui convenir, et même, en sa considé-
ration, des grâcesquand elles ne serontpointpréjudiciables.
Cela dit, le congédier sans écouter trop de discours, et
avoir pourvu que, en l'absence des supérieurs de la maison
professe étant chez vous, et du P. Tellier y venant, on
prenne tout ce que lui et son secrétaire auront de papiers
chez eux, et deux hommes sûrs, mais polis, qui paquette-
ront*, au sortir de chez vous, le P. Tellier et son compa-
gnon dans un carrosse, y monteront avec eux et les con-
duiront tout de suite - à la Flèche, où ils remettront six
mille livres au P. Tellier, et le livreront à l'intendant de
la province, qu'on aura pourvu d'y faire trouver avec les
ordres du Roi pour lui et pour les jésuites de la Flèche
concernant le P. Tellier. C'est ce qui se doit exécuter à
Versailles, pour que l'aller et venir, tant des supérieurs
que du P. Tellier, donne le temps nécessaire de saisir les
papiers en leur absence, et faire la capture des trois pri-
sonniers'^ en même temps. Je crus pouvoirs ans témérité
assurer* M. le duc d'Orléans d'une joie et des bénédictions
publiques de cette conduite, et que, bien loin d'emporter
aucun danger, elle accélèreroit la paix. Je l'avertis qu'il
se falloit bien garder de rien dire sur tout cela, avant ni ^
1. Verbe déjà annoté dans le tome XI, p. 103.
2. Tout de suitte est en interligne.
3. Les Pères Doucin, Lallemant et fie Tournemine: ci-dessus.
■4. Avant assurer, il y a un second pouvoir, biffé.
o. Les mots avant ny sont en interligne.
?6 MKM(MRES [17151
après rexécution, aux carilinaux de part ni d'autre,
ni à personne des leurs : à l'un ', parce que cela lui feroit
prendre trop de force, et lui paroitri)it s'enrôler aveclui ;
aux autres-, parce que cela seiitiroit l'excuse et la crainte.
Si les uns ou les autres vouloient lui en parler en louange
ou en plaintes, leur fermer la bouche poliment, mais leur
dire tout court, d'un Ion à se faire sentir, que vous voulez
la paix, et que vous êtes résolu de l'avoir sans prendre
aucun parti que celui de la paix. S'ils passent outre, la
révérence, leur dire que vous êtes fâché de n'avoir pas
le loisir d'être plus longtemps avec eux, et vous retirer'.
« Assurez-vous, dis-je à M. le duc d'Orléans, qu'avec cette
conduite, l'étourdissement de la mort du Roi, et les
affaires ecclésiastiques, surtout la feuille des bénéfices,
entre les mains du cardinal de Noailles, fera tomber les
armes des mains à Rohan et Bissy, qui, étant ce qu'ils
sont, n'ont plus de fortune personnelle à faire, qui hasar-
deroient^ leur crédit pour leur famille et leur considéra-
tion en se roidissant, et qui dès lors ne songeront qu'à
vous gagner et à finir pour vous plaire, et c'est ce qu'il
faudra saisir brusquement, et finir solidement à quelque
prix que ce soit, ayant toujours les écoles, les corps
ecclésiastiques et les parlements en croupe, pour finir
convenablement. »
Rome Tout cela longuement discuté et à bien des reprises,
M. le duc d'Urléans me parla de Rome et du nonce Ben-
tivoglio\ qu'il gardoit pour la fin, et sur quoi il m'expliqua
ses craintes. Je l'écoutai longuement; puis je lui disque
cet objet, si principal dans la matière que nous traitions,
ne m'étoit pas échappé ; que je trouvois fortaisé de couper
i. Le cardinal de Noailles.
2. Les cardinaux de Rohan et de Bissy.
3. Ici Saint-Simon a bilTt' un second et v' retirer, qu'il avait écrit
une scconile lois par mégarde en inl«'rligne.
4. Hazarderoit au singulier, corrigé au pluriel.
.1. Tome XX VL p. -230-^23 1.
et le nonce
[)7I."| DE SATXT-SIMOX. 27
court avec Koine, sins qu'elle pût s'en offenser, etd'écon-
duire son ministre, qui étoit un fou et un furieux par
ambition, sms religion ni honneur, et qui entretenoit
publiquement une fille de l'Opéra, dont il avoit déjà un
enfant qui n'étoit pas ignoré ' ; que, jusqu'à ce que les
conseils fussent entièrement formés et déclarés, les mi-
nistres du Roi subsisteroient ; qu'ainsi il ne devoit jamais
se commettre avec le nonce, lui- refuser toute audience
sous prétexte de la multitude d'affaires et d'ordres à
donner, « et^, s'il vous attaque lorsqu'il vous rencon-
trera voyant tout le monde, l'interrompre, lui dire poli-
ment que ce n'est pas le lieu de parler d'affaires, et le ren-
voyer à Torcy ; s'il insiste, lui tourner le dos, et vous
retirer; charger Torcy de se rendre peu visible au nonce
et de battre la campagne, le lasser ainsi, et se moquer de
lui. A l'égard du Pape, se bien garder que rien de ^ sa part,
ni verbal et bien moins par écrit, vienne à vous sans que
Torcy l'ait ouï ou lu auparavant, pour refuser de vous en
rendre compte, comme il est souvent arrivé au Roi de re-
fuser de recevoir des brefs, etc., ou pour vous en rendre
compte si la chose le comporte » ; ne rien répondre que
des choses générales au nonce ; au Pape force respects,
désirs, soumissions, puis lui écrire ou faire dire pathéti-
quement que ce que le roi le plus craint, le plus absolu,
1. Saint-Simon reviendra avec plus de détail sur la conduite privée
du nonce Bentivoijlio dans la suite d"S Mémoires, tomes XIII de 1873,
p. -19-60, et XVI, p. 339. Il est élonnant que ni Buvat, ni Mathieu
Marais, ni les chansons [tubliées par M. Raunié dans son Chunsonnier
historique n'y aient t'ait allusion. Seul le Journal de Barbier, édition
de la Société de l'histoire de France, tome I, p. 331, raconte que
Mlle Duval du Tillet l'aînée, actrice de l'Opéra, n'était connue que
sous le nom de la Constitution, parce qu'on la prétendait tille du
nonce Bentivo^lio.
2. Luy surcharge l'abréviation d'et.
3. A remarquer encore cette reprise du discours direct.
4. De corrige ne et, au-dessus, Saint-Simon a biffé recevoir ajouté
en interligne.
28 MÉMOIRES |I7IN|
le plus obôi {|ui ail jamais rogné (M1 Franco, n'avanl pu '
opérer ce que S. S. désire, et à quoi S. M. s'étoit engagée
à elle, et y ayant vainement employé les soins, les grâces,
les menaces- et jusqu'à la violence, pendant cjuatre ou
cinq ans sans relâche, il ne faut pas espérer d'un temps
de minorité, par conséquent de foiblesse, ni de l'autorité
limitée et précaire d'un régent, ce que n'a pu le plus
puissant et le plus redouté des rois de France ; qu'il est
également de la sagesse de S. S. ^ de n'y pas compter, et
de sa charité paternelle de ne pas exiger l'impossible ;
que le Régent se croit de plus en droit d'espérer d'un si
grand et si saint pape qu'il seroit le premier à chercher
tous les moyens possibles d'arrêter les divisions et les
troubles dans le royaume d'un enfant, fils aîné de l'Eglise,
aux ancêtres de * qui l'Église universelle, celle de Rome
en particulier, sont si particulièrement redevables, plutôt
que de les augmenter en exigeant l'impossible ; étendre et
paraphraser ce thème au mieux et avec les expressions
les plus touchantes et les plus soumises, mais en mon-
trant aussi une fermeté à s'y tenir qui ôte toute espérance
de l'ébranler; surtout ne se point lasser des recharges, et
d'y répondre toujours sur ce même ton. En même temps,
faire revenir au nonce que, s'il n'est sage, on ne sera pas
l'etenu d'informer le Pape de sa conduite scandaleuse, de
la répandre à Rome et de lui fermer le chemin au cardi-
nalat par cela même qu'il emploie à le hâter; avertir sous
main les jésuites qu'on est attentif à leur conduite dans
toutes les provinces, qu'on n'est pas moins instruit de
celle de leur général et des principaux de leur Compagnie
à Rome, qu'ils s'apercevront par un traitement attentif,
suivi, proportionné, du mécontentement ou de la satisfac-
i. Il faudrait n'a pu pour i\uv la phrase soit régulière.
2. Menaces est en interlifrne, au-dessus de grâces, biffé.
3. Les mots de S. S. semblent surcharger du Palpe].
4. Saint-Simon a ajouté en interligne aux ancestres et surchargé à
eu de.
flTIo) DE SAINT-SIMON. 29
tion qu'on en recevra. Tout d'une main ', séparer et tînir Évoques; leur
l'assemblée actuelle des évêques qui n'est bonne ni occu- assemblée,
pée qu'à brouiller, n'accorder sur cela ni délai, ni au-
dience, dire aux cardinaux de Kohan et de Bissy qu'on
n'a affaire qu'à eux, et qu'on n'écoutera rien qu'après qu'on
aura su par les intendants des provinces que tous les évo-
ques sont arrivés chacun dans son diocèse. Empêcher
après qu'aucun ne revienne à Paris, les renvoyer subite-
ment, s'ils l'osent, par le ministère naturel du procureur
général, et tenir la main, par les procureurs généraux des
autres parlements, qu'ils ne se courent point les uns les
autres, qu'ils se tiennent chacun chez eux ; les y faire
avertir d'être sages, et, si quelqu'un de part ou d'autre
ne l'étoit pas, le pincer tout aussitôt ou sourdement ou
avec éclat, suivant sa faute en dessous ou publique, et le
châtier aussi dans sa parenté, moyen très sensible et d'au-
tant plus efficace que des parents d'évêques, et surtout
tels qu'ils sont pour la plupart, n'ont pas les ressources
des évêques, ni dans le public ni dans le particulier, et
qui, vexés par rapport à eux, les réduisent bientôt à la
raison pour leur délivrance.
Ce qui est de très principal et que j'appuyai bien à Commerce du
M. le duc d'Orléans, c'est la nouvelle licence de leur cor- „ clergé de
, , ^ .11 I • • I France à Rome
respondance a Home et de leurs liaisons avec le nonce. ^t à Paris
Jamais ni l'un ni l'autre ne s'étoit toléré avant l'affaire de avec
la Constitution, témoin celle dont j'eus tant de peine à
tirer Mailly, archevêque d'Arles, dont j'ai parlé en son
temps-, où il ne s'agissoit uniquement que d'un présent
au Pape de quelques reliques de saint Trophime,qui lui
en avoit attiré un bref de pur remerciement, sans qu'il y
eût pour lors l'ombre" de rien autre chose, pas même
dans aucun lointain. Il n'étoit permis à aucun évêque ni
1. Locution qui signifie en même temps et que ne donnaient pas
les lexiques du temps.
•2. Tome XIII, p. 112-114.
3. Après l'ombre, il a biffé mesme.
;i(» M KM 01 H ES \\l\r>]
à aucun ecclésiastique d'écrire à qui que ce lut de la
cour de Rome, ni d'en recevoir de lettres, sans la per-
mission expresse du i^oi sur clia<jue chose, et sans que le
secrétaire d État des affaires étrangères ne' les vit et en
pût répondre. Autrement c'étoit un crime, et ces lettres
mêmes étoient infiniment rares, parce qu'elles se permet-
toient fort ditlicilement, et qu'elles laissoient toujours
ombrage et démérite, tellement qu'elles étoient tombées
tout à fait hors d'usage, parce que le commerce néces-
saire des bulles, des dispenses, etc., se faisoit- unique-
ment parles banquiers'. A l'égard des nonces, ni com-
merce ni visites ; un évêque, un ecclésiastique simple, un
moine même eût été sévèrement tancé, et après longue-
ment éclairé, qui auroit vu le nonce sans que le ministre
des affaires étrangères eût su pourquoi, et en eût parlé au
Roi, et même avec cela jamais au delà de l'étroit néces-
saire. Le P. Tellier avoit le premier osé rompre cette
barrière, et que n'osa-t-il pas ? Aussitôt grand nombre et
de prélats et de gens du second ordre s'empressèrent à se
faire de fêteS et se proposèrent des chimères. Rome et
le nonce entretinrent soigneusement leur vanité et leur
espérance, et peu à peu s'attachèrent ainsi une grande
partie du clergé, pour se faire valoir des deux côtés, ce''
qui, depuis la vue du cardinalat, qui en enivra beaucoup,
jusqu'aux moindres objets, débaucha un clergé vain,
oisif, avare, ambitieux, ignorant, et pour la plupart pris
de la lie du peuple ou de la plus abjecte bourgeoisie.
On sent aisément ce que deviennent alors ces précieuses
libertés de l'Église gallicane, les droits du Roi, le lien
à la patrie, et c'est ce qu'il étoit si important de redres-
4. Avant ce ne, il y a un le bifTé.
2. Ecrit faisaient au pluriel, par mégarde, dans le manuscrit.
3. 11 a déjà élé parlé des banquiers expéditionnaires en cour de
Rome dans le tome XHI, p. idil
4. Locution déjà relevée dans le tome XXII, p. 4-20.
3. Saint-Simon a écrit et qui jiour ce qui, par inadvertance.
[1715] DE SAINT-SIMON. 34
ser, en privant Rome de tant et de si dangereux trans-
fuges, en remettant les anciennes règles en vigueur,
dont Rome même n'eût osé se plaindre puisqu'elles y
étoient encore, et sans interruption, lors des premiers
progrès de l'affaire qui fit naître celle de la Constitution,
c'est-à-dire, il y a cinq ou six ans, et de plus qui n'étoient
violées que par simple et tacite tolérance, sans aucune
sorte de révocation, ni même de consentement formel.
C'étoit donc bien assez de laisser le commerce de Rome
libre aux cardinaux de Noailles, Rohan et Bissy unique-
ment, et celui du nonce à cinq ou six prélats ou gens du
second ordre, bien choisis et nommés pour cela par
M. le duc d'Orléans, et châtier sévèrement et irrémissi-
blement tous prélats et gens du second ordre qui oseroient
transgresser la défense le moins du monde, en quelque
manière, et sous quelque prétexte et protection que ce
pût être. Nous fûmes souvent' et longuement sur cette
matière, M. le duc d'Orléans et moi, et à la fin je le
laissai persuadé.
Restoient les conseils des affaires étrangères et des dé- Affaires
pêches ou du dedans du royaume. Je dis à M. le duc étrangères.
1)/-. I' 5-1 • -Il ■ -1 Anaires du
d Orléans qu il restoit aussi deux hommes sur qui il ne dedans
devoit pas compter, mais qui, outre leurs établissements, duroyaume.
étoient dans le public, l'un bien moins à propos que l'au-
tre, à ne pouvoir laisser : Harcourt et Huxelles ; que j'es-
timois qu'il falloit les mettre à la tête de ces deux con-
seils, mais que je ne voyois pas qu'il eût à contraindre
son goût sur leurs places. La situation où M. le ducd'Or-
léans avoitété si longtemps avec l'Espagne, et les liaisons
étroites d'Harcourt en ce pays-là, et avec Mmes de Main-
tenon et des Ursins, le déterminèrent aux affaires étran-
gères pour Huxelles, et à celles du dedans du royaume
pour Harcourt. Cela fut bientôt décidé-. Mais avant que
i. Le comm'^ncement de somment surcharge des lettres illisibles.
2. Décidé est en interligne, au-dessus de déterminé, biffé.
:>2 MEMOIRES [l7lo|
la résolution en lui jn-ise : « Mais vous, nie dit M. le duc
d'Orléans, vous nio proposez tout le monde, et ne me par-
Jc mcicusc lez point de vous; à (|uoi donc voulez-vous être? » Je lui
de me r 1 • » '1 'i ' • • I
choisir uno répondis (jue ce n etoit a moi ni de me proposer ni moins
place, encore de choisir', mais à lui-même à voir s'il vouloit
et je refuse m'eiuplover, s'il m'en crovt)it capable, et en ce cas de
obstinément ' . • , ■ ' .
l'admi- déterminer la place qu il me voudroit laire occuper,
nisirafion des Cétoit à Marlv, dans sa chambre, et il m'en souviendra
finances. . i , .-x l'i . ' * 'l
toujours. Apres quelque petit débat, qu entre pareils on
appelleroit compliments, il me proposa la présidence du
conseil des finances, c'est-à-dire de les diriger avec un
imbécile en ce genre tel que le maréchal de Villeroy, et
me dit que c'étoit ce qui convenoit le mieux à lui et à
moi. Je le remerciai de l'honneur et de la confiance, et
je le refusai respectueusement : c'étoit la place que je
destinois au duc de Noaiiles. M. le duc d'Orléans fut fort
étonné, et se mit sur son bien-dire pour me persuader. Je
lui répondis que je n'avois nulle aptitude pour les finan-
ces, que c'étoit un détail devenu science et grimoire' qui
me passoit ; que le commerce, les monnoies, le change, la
circulation, toutes choses essentielles à la gestion des
finances, je n'en connoissois que les noms ; que je ne
savois pas les premières règles de l'arithmétique ■ ; que je
ne m'étois jamais mêlé de l'administration de mon bien,
ni de ma dépense domestique, parce que je m'en sentois
incapable, combien plus des finances de tout un royaume,
et embarrassées comme elles l'étoient. Il me représenta
l'instruction et le soulagement que je trouverois dans les
divers membres du conseil des finances, et dans ceux d'ail-
leurs que je voudrois consulter. Il ajouta tout ce qui pou-
voit me flatter; il appuya sur ma probité et sur mon dé-
sintéressement, chose si capitale au maniement des finan-
1. C/tOisir est en interligne, au-dessus d'un premier choisir, biffé,
qui corrigeait un autre mot.
2. Ci-dessus, p. \%.
3. Il «'■cril arilméthique.
11713] DE SAINT-SIMON. 33
ces. Sur quoi je lui répondis que peu importeroit à la
chose publique que je volasse les finances, ou que mon
incapacité les laissât voler ; qu'à la vérité je croyois bien
me pouvoir répondre à lui et à moi-même de ma fidélité
là-dessus, mais que, avec la même sincérité, je ne sentois
aucune des lumières nécessaires pour m'apercevoir même
des friponneries grossières, combien moins des panneaux
infinis dont cette matière est si susceptible. La fin de plus
d'une heure de ce débat fut de se fâcher contre moi, puis
de me prier de faire bien mes réflexions, et que nous en
parlerions le lendemain.
Il y avoit longtemps qu'elles étoient toutes faites. Je
n'étois pas, depuis la mort de cet admirable Dauphin, et
{)lus encore depuis celle de M. le duc de Berry_, à m'être
occupé des diverses places du gouvernement à venir,
avec ce projet des conseils, et à penser, je le dirai avec
simplicité, non à celles qui me conviendroient, mais à
celles à qui je conviendrois moi-même, qui est l'unique
façon de bien placer les hommes \ et pour la chose publi-
que et pour eux-mêmes. Celle des finances s'étoit pré-
sentée à moi comme les autres ; je n'aurai pas la grossiè-
reté de dire que je ne crusse pas bien que M. le duc
d'Orléans ne me laisseroit pas sans me donner part au
gouvernement, et je ne pensai pas qu'il y eût de la pré-
somption à m'en persuader, et à réfléchir en conséquence.
La matière des finances me répugnoit par les raisons que
je venois d'alléguer à M. le duc d'Orléans, et par bien
d'autres encore, dont celle du travail étoit la moindre.
Mais les injustices que les nécessités y attachent me fai-
soient peur ; je ne pouvois m'accommoder d'être le mar-
teau du peuple - et du public, d'essuyer les cris des
malheureux, les discours faux, mais quelquefois vraisem-
blables, surtout en ce genre, des fripons, des malins, des
1. Voyez ci-dessus, p. 4, note 2.
2. Dans le tome XXJI, p. 47, il a appelé les ministres les « mar-
teaux de l'État » ; voyez ci-après, p. 120.
UÉUOIKES UE SAINT-SIMON. XXVII 3
34 MÉMOIRES [1715]
envieux, et ce qui me détermina plus que tout, la situa-
tion forcée où les guerres et les autres dépenses prodi-
gieuses avoient réduit l'État, en sorte que je n'y voyois
que le choix de l'un de ces doux partis : de continuer et
d'augmenter même autant (ju'il seroit possible toutes les
impositions pour pouvoir acquitter les dettes immenses, et
conséquemment achever de tout écraser, ou de faire ban-
queroute publicjue par voie d'autorité, en déclarant le Roi
futur quitte de toutes dettes et non obligé à celles du Roi
son aïeul et son prédécesseur, injustice énorme et qui rui-
neroit une intinité de familles et directement et par cas-
cades. L'horreur que je conçus de l'une et de l'autre de
ces iniquités ne me permit pas de m'en charger, et quant
à un milieu' qui ne peut être qu'une liquidation des dif-
férentes sortes de dettes pour assurer l'acquittement des
véritables, et rayer les fausses, et l'examen des preuves,
et celui des parties payées, et jusqu'à quel point, cela me
parut une mer sans fond où mes sondes ne parviendroient-
jamais. Et d'ailleurs quel vaste champ à pièges et à fri-
ponneries ! Oserois-je avouer une raison encore plus
secrète? Me trouvant chargé des finances, j'aurois été
trop fortement tenté de la banqueroute totale, et c'étoit
un paquet dont je ne me voulois pas charger devant Dieu
Étal forcé des ni devant les hommes. Entre deux effroyables injustices,
fanances; tant en elles-mèmes que par leurs suites, la banqueroute
banqueroute , . .' ^ ' t
préfcrable me paroissoit la moins cruelle des deux, parce qu'aux
à tout antre (Jépens de la ruine de cette foule de créanciers, dont le
parti.
plus grand nombre l'étoit devenu volontairement par l'ap-
pât du gain, et dont beaucoup en avoient fait de grands^,
très difficiles à mettre au jour, encore plus en preuves,
tout le reste du public étoit au moins sauvé, et le Roi au
courant', par conséquent diminution d'impôts infinie, et
1. Au sens de moyen terme.
i. Le V de partiendroienl surctiarge une f.
3. De grands gains.
4. Cette expression, au sens de « n'avoir pas d'arriéré, soit dans
J
[47i5] DE SAINT-SIMON. 35
sur-le-champ. C'étoit un avantage extrême' pour le peu-
ple tant des villes que de la campagne, qui est, sans pro-
portion, le très grand nombre, et le nourricier^ de l'État.
C'en étoit un aussi extrêmement avantageux pour tout
commerce au dehors et au dedans, totalement intercepté
et tari par cette immensité de divers impôts. Ces raisons
qui se peuvent alléguer m'entraînoient ; mais j'étois tou-
ché plus fortement d'une autre que je n'explique ici qu'en
tremblant. Nul frein possible pour arrêter le gouverne-
ment sur le pied qu'il est enfin parvenu. Quelque dispro-
portion que la découverte des trésors de l'Amérique ait
mise^ à la quantité de l'or et de l'argent en Europe depuis
que la mer y en* apporte incessamment, elle ne répond
en nulle sorte à la prodigieuse différence des revenus
de nos derniers rois, ni des leurs à la moitié de ceux
de Louis XIV. Nonobstant l'augmentation jusqu'à l'in-
croyable, j'avois bien présent la situation déplorable de la
fin d'un règne si long, si abondant, si glorieux, si naïve-
ment représentée par ce qui causa et se passa au voyage
de Torcy à la Haye% et depuis à Gertruydenberg, dont
il ne fallut pas moins que le coup du ciel le plus inat-
tendu pour sauver la France par l'intrigue domestique
de l'Angleterre ; ce qui se voit dans les Pièces par les
dépêches originales et les récits qui les lient, que j'ai eus
de M. de Torcy. Il résulte donc par cet exposé qu'il n'y a
point de trésors qui suffisent à un gouvernement déréglé,
que le salut d'un Etat n'est attaché qu'à la sagesse de le
conduire, et pareillement sa prospérité, son bonheur, la
son travail, soit dans le payement de ses dettes », n'était pas donné
par le Dictionnaire de l'Académie de 1718.
d. Extresme est en interligne, au-dessus d^infini, bifîé.
2. Il écrit nournssier.
3. Il y a mis, sans accord, dans le manuscrit.
4. Le pronom en a été ajouté en interligne.
5. Voyez notre tome XVII, p. 346, et note 4 ; il reviendra sur ce
sujet ci-après, p. 44-45.
36 MEMOIRES [1745]
durée de sa gloire et de sa prépondérance sur les autres.
Louvois, pour régner seul et culbuter Colbert, inspira au
Roi l'esprit de conquête. Il forma des armées immenses ;
il envahit les Pays-Bas jusqu'à Amsterdam, et il effraya
tellement toute l'Europe par la rapidité des succès, qu'il
la ligua toute contre la France, et qu'il mit les autrespuis-
sances dans la nécessité d'avoir des armées aussi nom-
breuses (}ue celles du Roi. De là toutes les guerres qui
n'ont comme point cessé depuis; de là l'épuisement d'un
royaume, quelque' vaste et abondant qu'il soit, quand il
est seul sans cesse contre toute l'Europe ; de là cette situa-
tion désespérante où le Roi se vit enfin réduit- de ne pou-
voir ni soutenir la guerre ni obtenir la paix à quelques
cruelles conditions que ce put être. Que ne pourroit-on
pas ajouter en bâtiments immenses de ce règne ^, et plus
qu'inutiles, de places ou de plaisir, et de tant d'autres
sortes de dépenses prodigieuses et frivoles, toutes voies
dans un autre* pour se retrouver au même point, ce qui
n'est pas difficile après y avoir été une fois? On dépend
donc pour cela^, non seulement d'un roi, de ses maî-
tresses, de ses favoris, de ses goûts, mais de ses propres
ministres, comme on le doit originairement à Louvois. On
conviendra, je m'assure, qu'il n'est rien qui demande
plus pressamment un remède, et que ce remède est dis-
sous il y a longtemps. Que substituer* donc, pour garantir
les rois et le royaume de cet abîme ? L'incomparable Dau-
phin l'a bien senti et l'avoit bien résolu. Mais, pour l'exé-
cuter, il falloit être roi, non régent, et plus que roi ; car
il falloit être roi de soi-même et divinement supérieur à
1. Avant quelque, il y a en interligne un qui inutile.
2. Le participe réduit a été ajouté en interligne.
3. Ces trois derniers mots sont en interligne.
4. Dans un autre ordre d'idées. — Ces cinq mots ont été ajoutés en
interligne avec un signe de renvoi.
5. Les mois donc p"" cela ont été ajoutés en interligne.
6. Ecrit subsituer.
[1715] DE SAINT-SIMON. 37
son propre trône. Qui peut espérer un roi de cette sorte,
après s'en être vu enlever le modèle formé des mains de
Dieu même, sur le point de parvenir à la couronne et
d'exécuter les merveilles qui avoient été inspirées à son
esprit, et que le doigt de Dieu avoit gravées si profondé-
ment dans son cœur? C'est donc la forte considération
de raisons si prégnantes' et si fort au-dessus de toutes
autres considérations qui me persuada- que le plus grand
service qui pût être rendu à l'Etat, pour lequel les rois
sont faits, et non l'Etat pour les rois, comme ce Dauphin
le sentoit si bien, et ne craignoit pas de le dire tout haut^,
et le plus grand service encore qui^ pût être rendu aux
rois mêmes étoit^ de les mettre hors d'état de tomber
dans l'abîme qui s'ouvrit de si près sous les pieds du Roi,
ce qui ne se peut exécuter qu'[en] les mettant à l'abri
des ambitieuses suggestions des futurs Louvois, et de la
propre séduction des rois mêmes par l'entraînement de
leurs goûts, de leurs passions, l'ivresse de leur puissance
et de leur gloire, et l'imbécillité^ des vues et des lumières
dont la vaste étendue n'est pas toujours attachée à leur
sceptre. C'est ce qui se trouvoitpar la banqueroute et par
les motifs de l'édit qui l'auroit déclarée, qui se réduisent
à ceux-ci :
La' monarchie n'est point élective et n'est point héré-
i. Ce mot, au sens de violent, pressant, n'a été admis par l'Acadé-
mie que dans la première édition du Dictionnaire, mais non dans les
suivantes. Le Littré en cite un exemple du seizième siècle, et on le
trouve aussi dans Brantôme (Œuvres, édition Lalanne, tome IV,
p. 170). Notre auteur va l'employer encore ci-après, p. 269, et nous le
retrouverons dans la suite des Mémoires, tome XV de 4873, p. 381.
2. Saint-Simon avait d'abord écrit que je me persuaday ; il a biffé
que je, écrit qui en interligne, et corrigé persuaday en persuada.
3. Tome XXII, p. 326 et 329.
4. Qui est en interligne, au-dessus de qu'il, biffé.
5. Le verbe estoit a été ajouté en interligne, et Saint-Simon a écrit
au rois par inadvertance.
6. Ce mot est pris ici au sens absolu de faiblesse.
7. Nous ne cherchons pas à justifier la théorie singulière que
38 MÉMOIRES [4745]
(litaiie ; c'est un fidéicommis, une substitution faite
par la nation à une maison entière, pour en jouir et
régner sur elle de màle en mâle, né et à naître en légi-
time mariage, graduellement, perpétuellement, et à tou-
joui"s, d'aîné en aîné, tant que durera cette maison, à
l'exclusion de toute femelle, et dans quelque ligne et
degré que ce puisse être. Suivant cette vérité, qui ne peut
être contestée, uu roi de France ne tient ' rien de celui à qui
il succède, même son père ; il n'en hérite rien ; car il n'est ici
question que de la couronne, et de ce qui y est inhérent, non
de joyaux et de mobilier. Il vient à son tour à la couronne,
en vertu de ce fidéicommis, et du droit qu'il lui donne par
sa naissance, et nullement par héritage ni représentation.
Conséquemment tout engagement pris par le roi prédé-
cesseur périt avec lui et n'a aucune force sur le succes-
seur, et nos rois payent le comble du pouvoir qu'ils exer-
cent pendant leur vie par l'impuissance entière qui les
suit dans le tombeau. Mineurs, à quelque âge qu'ils se
trouvent, pour revenir de ce qu'ils font eux-mêmes contre
leurs intérêts, ou du préjudice qu'ils y reçoivent par le
fait d'autrui qu'ils auront consenti et autorisé, auront-ils
moins de privilège d'être libres et quittes de ce qui leur
nuit, à quoi ils n'ont contribué ni par leur fait, ni par
leur engagement, ni par leur autorisation ? Et de condi-
tion tellement distinguée en mieux que leurs sujets par
cette minorité qui les relève de tout ce qui leur préjudi-
cie, à quelque âge qu'ils l'aient fait ou ratifié, peuvent-ils
devenir de pire condition que tous leurs sujets, dont
aucun n'est tenu que de son propre fait, ou du fait de celui
Saint-Simon va exposer, pas plus qu'à expliquer les déductions
embrouillées par lesquelles il va tâcher d'rtablir la légitimité de la
banqueroute de l'État. Il avait déjà montré Sfs préférences pour cette
solution dans les Projets de gouvernement du duc de Bourgogne,
p. 13 et 44, et Fénelon avait proposé la même chose dans ses « Plans
de gouvernement » (voyez dans les Projets, p. 479-483, la longue
dissertation de M. Paul Mesnard à ce sujet).
1. La première lettre de tient corrige un d.
[4715] DE SAINT-SIMOX. 39
dont il hérite ou qu'il représente, et qui ne le peut être
du fait particulier' de celui dont le bien lui échoit à titre
de substitution? Ces raisons prouvent donc avec évidence
que le successeur à la couronne n'est tenu de rien de tout
ce que son prédécesseur l'étoit ; que tous les engagements
que le prédécesseur a pris sont éteints avec lui, et que le
successeur reçoit, non de lui, mais de la loi primordiale
qui l'appelle à la couronne, le - fîdéicommis et la substi-
tution qu'elle lui a réservée à son tour, pure, nette, fran-
che, libre et quitte de tout engagement précédent.
Un édit bien libellé, bien serré, bien ferme et bien établi
sur ces maximes et sur les conséquences qui en résultent
si naturellement, et dont l'évidence ne peut être obscurcie,
non plus que la vérité et la solidité des principes dont elles
se tirent, peut exciter des murmures, des plaintes, des
cris, mais ne peut recevoir de réponse solide ni d'obscur-
cissement le plus léger. Il est vrai que bien des gens en
soufïriroient beaucoup ; mais il n'est pas moins vrai, dans
la plus étroite exactitude, que, si un tel édit manque à la
miséricorde en une partie pour la faire entière au véri-
table public, c'est sans commettre d'injustice, parce qu'il
n'y en eut jamais à s'en tenir à son droit, et à ne se pas
charger de ce dont il est exactement vrai qu'on n'est pas
tenu; et à ce raisonnement je ne vois aucune réponse
vraie, solide, exacte, effective ; conséquemment je ne vois
que justice étroite et irrépréhensible dans cet édit. Or,
l'équité mise à couvert, et du côté du roi successeur, un
tel édit deviendra le supplément des' barrières qui ne se
peuvent plus invoquer \ Plus il excitera de plaintes, de cris,
i. Avant ce mot, Saint-Simon a bifîé de ccluy.
1. Avant le, Saint-Simon a ajouté en interligne un par qui rend la
phrase incomplète et incompréhensible.
3. Il avait d'abord écrit de ce ; il a corrigé de en des, et surchargé
ce par un b, qu'il a bifîé ensuite.
4. Saint-Simon va expliquer son idée dans les pages qui vont
suivre.
;0 MÉMOIHES [1715]
<lo désespoirs par la ruine do tant do gens ot de tant de
laniilles, tant directement que par cascade, conséquem-
ment de désordres et d'embarras dans les alTaires de tant
de particuliers, plus il rendra sage chaque particulier
pour l'avenir. On a beau courir aux charges, aux rentes,
aux loteries, aux tontines' de nouvelle création, après y
avoir été trompé tant de fois, et toujours excité par des
appâts trompeurs, mais qui n'ont pu l'être pour tous, et
qui en ont enrichi tant aux dépens des autres que chacun
à part se flatte toujours d'avoir la fortune ou l'industrie
de ces heureux, la banqueroute sans exception causée et
fondée en principes et en droit par l'exposé de l'édit des-
sille tous les yeux et ne laisse à personne aucune espé-
rance d'échapper à sa ruine, si, prenant des engagements
avec le roi de quelque nature qu'ils puissent être, ils
viennent à perdre ce roi avant d'en être remplis. Voilà
donc une raison précise, juste, efficace, à la portée de tout
le monde, des plus ignorants, des plus grossiers, qui res-
serre toutes les bourses, qui rend tout leurre, tout fan-
tôme, toute séduction inutiles, qui guérit, par la crainte
d'une perte certaine et au-dessus de ses forces, l'orgueil
de s'élever par des charges de nouvelle érection ou de
nouveau rétablissement, et de la soif du gain qu'on trouve
dans les traités de longue durée, par l'avarice même, ou
plutôt par la juste crainte qu'on vient d'exposer.
De là deux eff"ets d'un merveilleux avantage : impossi-
bilité au roi de tirer ces sommes immenses pour exécuter
tout ce qui lui plaît, et beaucoup plus souvent ce qui plaît à
d'autres de lui mettre dans la tête pour leur intérêt par-
ticulier ; impossibilité, qui le force à un gouvernement sage
et modéré, (jui ne fait pas de son règne un règne de sang
et de brigandage et de guerres perpétuelles contre toute
l'Europe bandée sans cesse contre lui, armée par la néces-
sité de se défendre, et à la longue, comme il est arrivé
1. Il a été parlé des tontines dans le tome XXII, p. 168.
[ITlri] DE SAINT-SIMON. 41
à Louis XIV, pour l'humilier', le mettre à bout, le con-
quérir, le détruire, car ce ne fut pas à moins que ses
ennemis visèrent à la fin ; impossibilité qui l'empêche de
se livrer à des entreprises romaines- du côté des bâtiments
militaires et civils, à une écurie qui auroit composé toute
la cavalerie de ses prédécesseurs, à un luxe d'équipage
de chasses, de fêtes, do profusions, de luxe de toute espèce,
qui se voilent du nom d'amusements, dont la seule dé-
pense excède de beaucoup les revenus d'Henri IV et des
commencements de Louis XIII; impossibilité enfin qui
n'empêche pas un roi de France d'être et de se montrer
le plus puissant roi de l'Europe, de fournir avec abondance
à toutes les parties du gouvernement, qui le rendent non-
seulement considérable mais redoutable à tous les poten-
tats de l'Europe, dont aucun n'approche de ses revenus,
ni de l'étendue suivie^, ni de l'abondance des terres de
sa domination, et qui ne lui ôte pas les moyens de tenir
une cour splendide, digne d'un aussi grand monarque,
et de prendre des divertissements et des amusements con-
venables à sa grandeur, enfin de pourvoir sa famille avec
une abondance raisonnable et digne de leur commune
majesté.
L'autre effet de cette impossibilité délivre la France
d'un peuple ennemi, sans cesse appliqué à la dévorer par
toutes les inventions que l'avarice peut imaginer et tour-
ner en science fatale par cette foule de différents impôts,
dont la régie, la perception et la diversité, plus funeste
que le taux^ des impôts même, forme ce^ peuple nom-
1. L'abréviation l\ avant humilier, corrige le.
2. C'est-à-dire considérables et immenses à la manière des Romains.
3. h^3ià']ecliï suivie a été ajouté après coup sur la marge. — Saint-
Simon veut dire l'étendue en un seul groupe, d'un seul tenant, par
opposition sans doute aux Etats du roi d'Espagne disséminés dans
diverses parties de l'Europe.
4. Il écrit tant.
5. Ce corrige un.
42 MÉMOIRES [1715]
breiix dérobé à toutes les fonctions utiles à la société, qui
n'est occupé qu'à la détruire, à piller fous les particuliei's,
à intervertir commerce de toute espèce, régimes intérieurs
de famille, et toute justice, par les entraves que le con-
trôle des actes et tant d'autres cruelles inventions y ont
mises; encourage le laboureur, le fermier, le marchand,
l'artisan, qui désormais travaillera plus pour soi et pour
sa famille que pour tant d'animaux voraces qui le sucent
avant qu'il ait recueilli, qui le consomment en frais de
propos délibéré, et avec cjui il est toujours en reste;
cause une circulation aisée qui fait la richesse, parce qu'elle
décuple l'argent effectif qui court de main en main sans
cesse, inconnue depuis tant d'années ; facilite et donne
lieu à toute espèce de marchés entre particuliers, les dé-
livre du poids également accablant et insultant de ce
nombre immense d'otlices et d'ofliciers nouveaux et inu-
tiles, multiplie infiniment les taillables et soulage chaque
taillable du même coup, fait rentrer ce peuple immense,
oisif, vorace, ennemi, dans l'ordre de la société, dont il
multiplie tous les difTérents états; ressuscite ' la confiance,
l'attachement au roi, l'amour de la patrie, éteint parce
qu'on ne compte plus de patrie ; rend supportables les
situations qui étoient forcées, et celles qui ne l'étoient
pas, heureuses ; redonne - le courage et l'émulation dé-
truits', parce qu'on ne profite de rien, et que plus vous
avez et plus on vous prend ; enfin rend aux pères de
famille ce soin domestique qui contribue si principalement,
quoique si imperceptiblement, à l'harmonie générale et à
l'ordre public presque universellement abandonné par le
désespoir de rien conserver, et de pouvoir élever, moins
encore pourvoir, chacun sa famille. Tels sont les effets de
la banqueroute, qui ne sauroient être contestés, et (jui ne
sont préjudiciables (je ne parle pas des créanciers) qu'à
1. Avant ressuscite, il a bitré enfin.
•2. Hedonne est en interligne, au-dessus de rend, bilTé.
3. Il y -d détruites, au féminin pluriel, dans le manuscrit.
[4713] DE SAINT-SIMON. 43
un très petit nombre de particuliers de bas lieu jusqu'à
cette heure', qui abusent de la confiance de leur maître
pour s'élever à tout sur les ruines de tous les ordres du
royaume, et qui pour leur grandeur particulière comptent -
pour rien d'exposer ce maître à qui ils doivent tout, au
précipice qu'on vient de voir, et toute la France aux der-
niers et aux plus irrémédiables malheurs. Balancez, après
cet exposé, les inconvénients et les fruits de la banque-
route avec ceux de continuer et de multiplier les impôts
pour acquitter les dettes du Roi, ou ce milieu' de liquida-
tion si ténébreux et si peu fructueux, même si peu pra-
ticable, voyez quelle suite d'années il faudra nourrir toute
la France de larmes et de désespoir pour achever le rem-
boursement de ces dettes, et j'ose m'assurer qu'il n'est
point d'homme, sans intérêt personnel au maintien des
impôts jusqu'à se préférer à tout, qui, dans la malheureuse
nécessité d'une injustice, ne préfère de bien loin celle de
la banqueroute. En un mot, c'est le cas d'un homme qui
est dans le malheur d'avoir à choisir de passer douze ou
quinze années dans son lit, dans les douleurs continuelles
du fer et du caustique ^ et le régime qui y est attaché, ou
de se faire couper la jambe, qu'il sauveroit par cet autre
parti. Qui peut douter qu'il ne préférât l'opération plus
douloureuse et la privation de sa jambe, pour se trouver
deux mois après en pleine santé, exempt de douleur, et
dans la jouissance de soi-même et des autres par la
société, et le libre exercice de ce qui l'occupoit auparavant
son mal ?
Reste à finir par l'autorité du Roi. Un mot seul
1. Il veut dire que les traitants et financiers, qui seraient les plus
atteints par la banqueroute, n'appartiennent, jusqu'à présent, qu'à la
classe inférieure.
2. Compte corrigé en comptent.
3. Ce moyen terme, comme ci-dessus, p. 34.
4. « On dit les caustiques pour dire toutes les choses qui ont une
espèce de vertu corrosive et consumante » (Académie, 1718).
U MÉMOIRES [i7ir;i
suppléera à tout ce qui se pourroit dire, et à ce que les
flatteurs et les empoisonneurs des rois se voudroiont don-
ner la licence de criti(|uer. Heportons-nous à ces temps
malheureux où le plus absolu et le plus puissant de tous
nos rois, le plus maître aussi de son maintien et de son
visage, et dent le règne a été tel qu'on Ta vu, ne put
retenir ses larmes en présence de ses ministres dans l'af-
freuse situation ' où il se voyoit de ne pouvoir plus sou-
tenir la guerre, ni d'obtenir la paix'-. Remettons-nous
devant les yeux l'éclat où il avoit porté ses ministres, et
l'humiliation plus que servile où il avoit autrefois réduit
les Hollandois. Entrons après dans l'esprit et dans le
cœur de ce^ monarque de bonheur, de gloire, de majesté ;
ne craignons pas d'ajouter d'apothéose après les monu-
ments que nous en avons vus, et voyons ce prince ennemi
implacable du prince d'Orange, pour avoir refusé d'épou-
ser sa bâtarde \ envoyer son principal ministre en ce genre
courir en inconnu en Hollande avec pour tout passe-port
celui d'un courrier^ descendre chez un banquier de Rot-
terdam et se faire mener par lui à la Haye chez le pen-
sionnaire Heinsius, créature et confident de ce même
prince d'Orange et héritier de sa haine, implorer la paix
i. Situation est en interligne, ainsi que, plus loin, ne pouvoir plus.
2. C'est à la tin d'avril 1709, au moment où des revers successifs
abattaient les armées françaises et où la disette, à la suite d'un hiver
terrible, sévissait dans le royaume, que se passa la scène à laquelle
Saint-Simon fait allusion et à la suite de laquelle fut décidé le voyaj^e
de Torcy en Hollande pour obtenir la paix à tout prix. Lorscpic Saint-
Simon avait parlé de ce voyage (notre tome XVII, p. 3i()), il n'avait
rien dit de ces larmes de Louis XIV. Mais Torcy en confirme la réa-
lité d'une façon voilée, dans ses Mémoires (édition Micliaud et Pou-
joulat, p. 384), lorsqu'il termine le récit de ce conseil des ministres
par cette phrase : « Une scène si triste seroit difficile à décrire, quand
même il seroit permis de révéler le secret de ce qu'elle eut de plus
touchant. »
3. De corrige du et ce est en interligne.
4. Tome IV, p. 242-245.
o. Mémoires de Torcy, édition Michaud et l'oujoulat, p. 585.
«
11715] DE SAINT-SIMON. 4S
comme à ses genoux'. Suivons par les Pièces- tout ce que
Torcy y essuya ; poursuivons tous les sacrifices offerts et
méprisés, qui, dans cette extrémité, ne rebutèrent pas le
Roi ^ d'envoyer ses plénipotentiaires à Gertruydenberg ;
continuons, par les Pièces, de repasser les traitements
indignes et les propositions énormes dont on se joua d'eux
et du Roi^, et l'état de ce prince à la rupture d'une négo-
ciation où, en lui prescrivant jusqu'à l'inhumanité qu'il
n'osa refuser en partie, on exigea encore qu'il se soumît
à s'engager à ce qu'ils ne déclareroient que quand il leur
plairoit, et aux augmentations vagues qu'ils pourroient
ajoutera Réfléchissons sur une situation si forcée et si
cruelle, fruit déplorable de cette ancienne conquête de
la Hollande, et de tant d'autres exploits. Qui après ne
demeurera pas, je ne dis pas persuadé, mais convaincu
que le Roi n'eût donné tout ce qu'on eût voulu, pour
n'avoir jamais connu Louvois ni les flatteurs, moins encore
les moyens de franchir ce qu'il avoit encore trouvé de bar-
rières à un pouvoir illimité, dont toutefois il s'étoit montré
si jaloux, et ne se pas trouver, et inutilement encore,
aux genoux et à la merci de ceux dont il avoit triomphé,
1. Torcy raconte (Mémoires, p. 589) qu'arrivé sans encombre et
incognito à Rotterdam, il alla descendre chez le sieur Sincert', corres-
pondant dans cette ville du banquier Tourton, qui lui avait remis des
lettres de crédit sur cet homme ; que Sincerf le mena dans son car-
rosse à la Haye et l'introduisit chez Heinsius, dont la surprise fut à
son comble. Dans les pages suivantes, il fait le détail des négociations
humiliantes auxquelles il dut se soumettre.
'i. C'est-à-dire dans la copie des Mémoires de Torcy que possédait
Saint-Simon, écrite de sa main et intitulée « Relation des causes de
la guerre commencée en l'année 1701 et de la paix signée à Utrecht
en l'année 1713 » ; aujourd'hui au Dépôt des affaires étrangères, vol.
France 430.
3. Les mots le Roy sont en interligne, et, avant rebutèrent, Saint-
Simon a biffé le.
't. Mémoires de Torcy, p. 590-627.
5. Voyez les articles xxxi et xxxii des Articles préliminaires
proposés par Heinsius (Mémoires de Torcy, p. 626).
46 MEMOIRES \ilir,]
et qu'il avoit insultés par tant de monuments et de raé-
daillos'? Tenons-nous-en donc à cette réllexion transcen-
dante pour ne pas craindre la banqueroute par rapport à
l'autorité des rois.
Tranchons une dernière objection possible. Que diront
les étrangers sur un édit qui, sur des fondements aussi
bien établis, rend le successeur à la couronne pleinement
libre de tout engagement de son prédécesseur, et que de-
viendront leurs traités et les engagements réciproques?
La réponse est aisée. Les rois ne traitent point par édits
avec les puissances étrangères. Il y a des traités, et c'est
le plus grand nombre, qui ont des temps limités, ou qui
ne sont que pour le règne des princes qui les font*. S'il
s'en trouve qui les outrepassent % alors ce n'est plus le
roi seulement, mais sa couronne qui est engagée avec un
autre État, ce qui n'a point d'application aux sujets de la
couronne, et alors les traités subsistent dans leur vigueur.
De plus, quand, ce qui ne peut tomber dans ce cas, le
successeur ne seroit pas obligé de tenir les traités de son
prédécesseur, le bien de l'Etat voudroit qu'il le fît peut-
être pour le fruit du traité même, certainement pour le
maintien de la confiance et de la sûreté des traités. Ainsi
nulle comparaison des sujets avec les puissances étrangè-
res, ni d'un traité avec elles et l'efiFet d'un édit qui, re-
montant à la source du droit de la maison régnante, le
montre tel qu'il est, d'où suit ce qui vient d'être expliqué,
qui n'a trait ni application quelconque aux puissances
étrangères, ni aux traités subsistants, avec lesquels il ne
s'agit ni d'héritage, ni de substitution, ni des différents
effets de ces deux manières de succéder. Cette réponse
1. Les médailles frappées à l'occasion de la guerre de Hollande ont
été reproduites dans VHistoire métallique.
2. C'est ainsi que le traité d'alliance avec les cantons suisses devait
expirer huit ans après la mort de Louis XIV : notre tome XXVI,
p. 466, note 2.
i. C'est-à-dire, qui dépassent la fin du règne.
17151
DE SAINT-SIMON.
47
paroît péremptoire, sans s'arrêter plus longtemps à cette
spécieuse mais frivole objection.
M. le duc d'Orléans ne me trouva donc pas plus dis-
posé à me charger des finances après le loisir qu'il m'avoit
donné pour y penser. Mêmes empressements \ mêmes
prières, mêmes raisonnements de sa part; mêmes répon-
ses, même fermeté de la mienne. Il se fâcha; il n'y gagna
rien. La fâcherie se tourna en mécontentement si marqué
que je le vis moins assidûment, et beaucoup plus courte-
ment, sans qu'il montrât sentir cette réserve, et sans que
lui et moi nous parlassions plus que des choses courantes,
publiques, indifférentes, en un mot, de ce qui s'appelle
la pluie et le beau temps. Cette bouderie froide de sa
part, tranquille de la mienne, dura bien trois semaines.
Il- s'en lassa le premier. Au bout de ce temps, au milieu
d'une conversation languissante, mais où je remarquai
plus d'embarras de sa part qu'à l'ordinaire : « Hé bien !
donc, s'interrompit-il lui-même, voilà qui est donc fait ?
Vous demeurez déterminé à ne point vouloir des finan-
ces? » me dit-il en me regardant. Je baissai respectueuse-
ment les yeux, et je répondis d'une voix assez basse que
je comptois qu'il n'étoit plus question de cela. Il ne put
retenir quelques plaintes, mais sans aigreur et sans se
fâcher ; puis, se levant et se mettant à faire des tours de
chambre, sans dire mot et la tête basse, comme il faisoit
toujours quand il étoit embarrassé, il se tourna tout à coup
brusquement à moi en s'écriant : « Mais qui donc y met-
trons-nous? » Je le laissai un peu se débattre ; puis je lui
dis qu'il en avoit un tout trouvé, s'il le vouloit tout au
meilleur, et qui à mon avis ne refuseroit pas. Il chercha
sans trouver ; je nommai le duc de Noailles. A ce nom il
se fâcha et me répondit que cela seroit bon pour remplir
\. Ces deux mots ont été mis au pluriel après coup par l'adjonction
d'une s.
2. Avant il, il a biffé au bout desquelles.
* Persiste surcharge résiste.
Je persiste* au
refus
des finances
naalgré
le chagrin
phis que
marqué de
M. le duc
d'Orléans.
Je propose
le duc
de Noailles.
Résistance et
débat
là-dessus.
M. le duc
d'Orléans
V consent à
la fin.
48 M ÉMOI K ES 1171")]
lespochesde la niiiréchale de Noaillos, de la duchesse de
Guiche, qui, do profession publique, vivoient des affaires
qu'elles faisoieul à toutes mains, et enrichir une famille
la plus ardente et la plus nombreuse de la cour, et qui se
pouvoit appeler une tribu. Je le laissai s'exhaler, après
quoi je lui représentai (jue, pour le personnel, il ne me
pouvoit nier que le duc de Noaillos n'eût plus d'esprit
qu'il n'en falloit pour se bien acquitter de cet emploi, ni
toute la fortune la plus complète en biens, en charges, en
gouvernements, en alliances, pour y être à l'abri de toute
tentation, et donner à son administration tout le crédit
et toute l'autorité nécessaire, en sorte que, dès que Son
Altesse Royale convenoit qu'il y falloit mettre un seigneur,
il n'y en avoit point qui y fût plus convenable. Quant à ses
proches, parmi lesquels ses enfants ne se pouvoient comp-
ter par leur enfance, ni sa femme' par le peu qu'elle avoit
su se faire considérer- dans la famille, et par sa tante
même, qui avoit été la première à lui ôter toute considé-
ration, il n'y avoit rien à craindre de ses sœurs ni de ses
beaux-frères, excepté l'aînée^, par la façon d'être* de
presque tous, et parla manière de vivre du duc de Noailles
avec eux, en liaison et en familiarité, mais hors de portée
de s'en laisser entamer. Quant à sa mère et à la duchesse
de Guiche, il étoit vrai ce qu'il m'en disoit, mais qu'il fal-
loit aussi lui apprendre à quel titre : que la maréchale
chargée de ce grand nombre de filles^' et de dots pour les
marier toutes, et le duc de Guiche, qui n'avoit rien et à
qui son père ne donnoit rien, hors d'état de soutenir la
dépense des campagnes, avoient l'un et l'autre obtenu un
ordre du Roi au contrôleur général, dès le temps que
i. Françoise d'Aubigné, nièce de Mme de Maintcnon.
2. Considérer esi en interligne, au-dessus de compter, biffé.
3. La duchesse de Guiche.
4. Il a écrit de à la lin d'une ligne, et estre au commencement de
la suivante.
5. De filles corrige d'e, sans doute d'enfants.
'
[171o] DE SAINT-SIMON. 49
Pontchartrain l'étoit, de faire pour la mère et pour la fille
toutes les affaires qu'elles protégeroient, et de chercher à
leur donner part dans le plus qu'il pourroit ; que Cha-
millart avoit reçu le même ordre en succédant à Pont-
chartrain' ; que je le savois de l'un et de l'autre, parce
que tous deux me l'avoient dit, et qu'on m'avoit assuré
que le même ordre avoit été renouvelé lorsque Desmaretz
fut fait contrôleur général ; que de cette sorte ce n'étoit
plus avidité ni ténébreux manège à redouter d'elles auprès
du duc de Noailles, mais des grâces pécuniaires que le Roi
vouloit et coraptoit leur faire sans bourse délier, et qu'il -
ne dépendoit plus des^ contrôleurs généraux de refuser;
qu'au reste, il ne falloit pas croire que la maréchale de
N'oailles eût grand crédit sur son fils, ni que la duchesse
de Guiche fît ce qu'elle vouloit de son frère ; qu'il ne se
trouvoit personne sans quelque inconvénient, et que
celui-là sembloit trop peu fondé pour l'exclusion d'un
homme qui, étant tout ce que celui-là étoit, ne pouvoit
avoir d'autre ambition que de se faire une réputation par
son administration^, bien supérieure à toute foiblesse pour
sa famille, à l'égard de laquelle il n'avoit pas témoigné
jusqu'ici y avoir de disposition. Cette discussion souffrit
bien des répliques en plus d'une conversation de part et
d'autre, et finit enfin par laisser M. le duc d'Orléans dé-
terminé à faire le duc de Noailles président du conseil des
finances. J'étoisen effet persuadé qu'[il] yferoitfort bien,
surtout étudiant comme il faisoit assidûment sous Desma-
retz, ainsi que je l'ai dit en son lieu% et j'étoisbien aise
1. Il a déjà dit cela dans le tome IX, p. 21-22.
2. Il y a qui, au lieu de qu^il, dans le manuscrit.
3. Du corrigé en des.
4. Ecrit par inadvertance admistraiion.
5. Lorsqu'il a parlé en 1711 du commencement de la liaison intime
entre Desmaretz et le duc de Noailles (notre tome XXII, p. 191), il
n'avait pas dit que le contrôleur général eût été le maître du duc en
matière de finances ; mais, dans la suite des Mémoires (tome XII de
MÉMOIRES DE SAINT-.SIMON. XXVIl 4
50 MÉMOIKEîS (1715]
aussi d'appuyer le cardinal do Noaillcs par cette place de
son neveu, si propre à accroître le crédit réel et la con-
sidération extérieure.
Je SUIS destiné Le moment d'après que cela fut résolu entre M. le duc
SU COIlSOll .
de d'Orléans et moi: « Et vous enfin, me dit-il, que voulez
régence. [-vous] donc être ?» et me pressa tant de m'expliquerqucje
le fisenlin, et, dans l'esprit que' j'ai exposé plus haut-, je
lui disque, s'il vouloit me mettre dans le conseil des aiïaires
du dedans, qui^ est celui des dépêches, je croyois y pou-
voir faire mieux qu'ailleurs. « Chef* donc, répondit-il
avec vivacité. — Mon pas cela, répliquai-je, mais une des
places de ce conseil. » Nous insistâmes tous deux, lui
pour, moi contre. Je lui témoignai que ce travail en soi et
celui de rapporter au conseil de régence toutes les affaires
deceluidudedansm'effrayoit,etque,acceptantcetteplace%
je n'en voyois plus pour Harcourt. « Une place dans le
conseil du dedans, me dit-il, c'est se moquer et ne se
peut entendre. Dès que vous n'en voulez pas absolument
être chef '^, il n'y a plus qu'une place qui vous convienne
et qui me convient fort aussi : c'est que vous soyez du
conseil où je serai, qui sera le conseil suprême ou de ré-
gence. » Je l'acceptai et le remerciai. Depuis' ce moment
cette destination demeura invariable, et il se détermina
tout à fait à donner la place de chef'* au maréchal d'Har-
court du conseil du dedans. 11 n'y fut point question de
président, parce que les affaires n'y étolent pas assez
4873, p. 254-252), il répétera que Noailles avait été le « disciple » et
l' « élève » de Desmaretz, et ci-après, p. 168, il le dira aussi ; comparoz
encore, plus loin, p. 321, l'Addition à Dan^eau.
4. Que est répété deux fois. — 2. Ci-dessus, p. 33 ci suivantes.
3. Qui surcharge un et.
4. Chef est en interligne, au-dessus de Président, bilVé.
5. Place est en interligne, au-dessus de Présidence, bill'é, et, plus
loin, n'en voyois surcharge un mot effacé du doigt.
6. Chef est ici encore en interligne, au-dessus de Président, biffé.
7. Avant depuis, il y a un et biffé.
8. La première lettre de C/te/" surcharge un P.
[1713] DE SAINT-SIMON. 31
jalouses pour donner ce contre-poids au chef. Il n'en fut
point parlé pour celui des affaires étrangères, pour n'y pas
multiplier le secret, ni dans celui de la guerre, qui en
temps de paix n'étoit que de simple courant d'adminis-
tration intérieure, ni dans celui des affaires ecclésiasti-
ques, pour y relever davantage le chef, qui étoit le cardinal
de Noailles. Cette invention de présidence ne dut alors
avoir lieu que pour' les conseils de marine et de finance,
pour contre-balancer la trop grande autorité des deux
chefs, et suppléer à l'ineptie en finance du maréchal de
Villeroy.
Les conseils, leurs chefs, leurs présidents réglés, je Précautions
représentai à M. le duc d'Orléans qu'il devoit profiter du **^\r f^^f'^'^''
reste de ce règne pour bien examiner les choix qu'il feroit d'Orléans.
pour les remplir. Je l'exhortai à se tenir au plus petit
nombre que la nature de chaque conseil pourroit souf-
frir, de les remplir tous dès lors comme s'ils existoient,
par une liste sous sa clef, dont les noms ne seroient con-
nus que de lui. Que de ceux qu'il y auroit écrits, il rayât
ceux qui mourroient avant le Roi et ceux qu'il reconnoî-
troit avoir mal choisis, par l'examen qu'il feroit secrète-
ment de leur conduite, et qu'à mesure qu'il en rayeroit
un, il en mît un autre en sa place, comme si la chose exis-
toit et qu'il remplît une vacance ; de régler ainsi tout ce
qui pouvoit l'être d'avance, afin de n'avoir que les décla-
rations à en faire à la mort du Roi, parce que, lorsque
cela arriveroit-, il se trouveroit tout à coup accablé de
tant et de diverses sortes de choses, affaires, ordres, céré-
monial, disputes, demandes, règlements, décisions, inon-
dation de monde, qu'il n'auroit le temps de rien, à peine
même de penser, et qu'il pouvoit compter encore qu'il se
verroit forcé de donner son temps aux bagatelles préfé-
rablementaux affaires, parce qu'en ces occasions lesbaga-
d. L'abréviation p*" surcharge en.
2. Ce verbe, répété deux fois, à la fin d'une ligne et au commence-
ment de la suivante, a été biffé la première fois.
52 MÉMOIRES [1745]
telles sont les affaires du lendemain, souvent du jour
même et de l'instant, qu'il faut régler sur l'heure, et qui
se succèdent sans cesse les unes aux autres, tellement
ciuil pouvoit s'assurer' que, s'il n'avoit alors tous ces
arrangements d'afVaires et ses choix tous prêts sur son pa-
pier, sous sa clef, ils demeurcroient noyés dans ce chaos,
et en arrière à n'avoir plus le temps ni de les faire ni de
les ditïérer, tellemont que ce seroit le hasard et les ins-
tances des demandeurs (jui en disposeroient, et qui les lui
arracheroient sans égard au mérite ni à l'utilité, beaucoup
moins à lui et à ses intérêts; qu'alors, outre l'embarras et
le rompement de tète-, l'afiHuence de tout ce qui lui tom-
beroit tout à la fois, il ne pourroit ni peser, ni comparer,
ni discuter, ni raisonner sur rien, ni faire un choix par
lui-même, emporté qu'il seroit parle temps, le torrent, la
nécessité ; et que, de choses et de choix réglés dans ce
tumulte de gens et d'affaires de toutes sortes, il éprouve-
roit un long et cuisant repentir, s'il n'éprouvoit pis encore.
C'est ce que je lui répétai sans cesse tout le reste du temps
que le Roi vécut ; c'est ce qu'il m'assura toujours qu'il
feroit, et quelquefois à demi qu'il faisoit, et qu'il ne fit
jamais, par paresse. Je ne voulois pas lui demander ni
ses choix ni ses règlements, pour ménager sa défiance. Je
m'étois contenté de lui indiquer les choses en gros, et les
chefs et présidents des conseils comme le plus important.
Pour les détails et les places des conseils, je ne crus pas
devoir lui faire naître le soupçon que je cherchasse à dis-
poser de tout en lui proposant choses en détail, et gens
pour remplir ces places. C'étoit lui-môme qui m'avoit mis
en consultation la forme du futur gouvernement, et àpor-
1. S'asseurcr est en interligne, au-dessus de compter, biffé.
2. « Rompement n'est en usage qu'en cette phrase: rompement de
tête, pour exprimer la fatigue que cause un grand bruit, ou un dis-
cours importun, ou une forte application » (Académie, 47IS). La der-
nière édition du Dictionnaire de l'Académie dit que cette locution est
peu usitée.
[17i5]
DE SAINT-SIMON.
53
téede lui parlerde tout' ce qui vient d'être exposé; j'at-
tendis- sagement qu'il me mît dans la nécessité de lui par-
ler de tout le reste, comme on verra qu'il arriva quel-
quefois.
Toutes ces choses se passoient entre lui et moi, long- Résolution
temps avant qu'il fût question du testament du Roi. Assez <ï^^J5 P"""?"^^
près de ce qui vient d'être rapporté, je lui parlai de l'édu-
M. le duc
d'Orléans*
cation du Roi futur. Je lui dis qu'il me paroissoit difticile du'^roi futu *'* "
que le Roi n'y pourvût de quelque façon que ce pût être ;
que, si cela arrivoit, quelque mal qu'il le fît, soit pour
léducation même, soit par rapport à Son Altesse Royale,
ce lui devoit être une chose à jamais sacrée par toutes
sortes de considérations, mais surtout par celles des hor-
reurs dont on avoit voulu l'accabler, et dont la noirceur
se renouveloit sans cesse ; que, par cette même raison, si
le Roi venoit à mourir sans y avoir pourvu, il devoit bien
fermement exclure moi tout le premier, et tout homme
qui lui étoit particulièrement attaché, éviter aussi d'en
choisir de contraires et de dangereux, et que, pour peu
qu'on différât à rien déclarer là-dessus, je croyois très
important qu'il en usât là-dessus comme pour les con-
seils, par une liste à lui seul connue de toute cette
éducation, pour avoir le loisir de la bien pourpenser^, de
rayer et de remplacer, enfin, lorsqu'il en seroit temps, de
n'avoir qu'à la déclarer. Nous agitâmes le gouverneur,
sur quoi il me dit force choses sur moi que je ne rappor-
terai pas\ Cette discussion finit par lui conseiller le duc Je lui conseille
de Charost. Ce n'étoit pas que lui ni moi l'en crussions
i. Tout surcharge ce.
2. A\3inl j'attendis, il y a un et, biffé.
3. Ce mot a déjà passé dans le tome XXVI, p. 59 et 357.
4. On a vu, dans nos tome XXII, p. 120, et XXV, p. 32-34, que le
duc de Beauvillier avait songé à Saint-Simon lui-même pour se l'adjoin-
dre d'abord comme gouverneur du duc de Bretagne, mort en 4711, et
plus tard de son frère le futur Louis XV.
•Après Orléans, il a biflfé différence.
**Après ce dernier mot, il a biffé et sur le futur gouvernement
le duc de
ni MÉMOIRES |171n)
Cliaroi pmir capable. Tel est le malheur des princes et de la nécessité
A f, „i des combinaisons ; mais nous n en trouvâmes gueres qui le
ciii roi iiiiiir, ei o t
Ncsmond, fussent, et ce très et très peu' d'ailleurs dangereux. Cha-
nrcliovôqiio j,^^,^ avoit la naissancc, la dignité, le service militaire, l'ha-
a Albv. pour ,.,,, ,,^ , J ,.
préccpiour. bitude de la cour, de la guerre, du grand monde, ou par-
tout il étoit bien voulu ^ 11 étoit plein d'honneur, avoit de
la valeur, delà vertu, une piété de toute sa vie, à sa mode
à la vérité, mais vraie, qui n'avoit rien de ridicule ni d'em-
pesé, qui n'avoit pas empêché la jeune et brillante com-
pagnie de son temps de vivre avec lui, même de le recher-
cher ; nulle relation particulière avec M. le duc d'Orléans,
ni avec rien de ce qui lui étoit contraire, intimement lié,
aux affaires près, avec feu MM. de Chevreuse et de Beau-
villier, mon ami particulier et ancien ^ enfin, ce qui faisoit
beaucoup, capitaine des gardes par le choix et le désir
du Dauphin père du Roi futur. Ces raisons déterminèrent
M. le duc dOrléans, qui se résolut à chercher soigneuse-
ment deux sous-gouverneurs qui pussent suppléer à ce
qui manqueroit au gouverneur, dont la douceur et la
facilité n'apporteroit ni obstacle ni ombrage à l'utilité de
leurs fonctions. Je proposai pour précepteur Nesmond,
archevêque d'AlbyS avouant très franchement que je ne le
connoissois point du tout, et ce qui me faisoit penser à lui,
c'étoit la harangue qu'il fit au Roi pour la clôture de
l'assemblée du clergé, et en même temps sur la mort de
Monseigneur. Je ne répéterai rien de ce que j'en ai dit à
son temps p. [11 53] ^ La respectueuse maisgénéreuse liberté
•1. Il y a bien très et très peu dans le manuscrit, par une répétition
qui renforce l'expression.
2. Comparer ce portrait avec celui qu'il a déjà tracé du duc de Cha-
rost dans le tome XXI, p. 308-304.
3. Ces cinq derniers mots ont été ajoutés en interligne. — Dans le
lome XXII, p. 104, il l'avait appelé « un de ses plus intimes amis ».
4. Henri de Nesmond: tome XXI, p. 339.
5. Le numéro de la page est resté en blanc dans le manuscrit, et un
correcteur moderne a biffé le p. Ce numéro correspond aux pages 339
à 341 de notre tome XXI.
[171.S]
DE SAL\T-SIMO.\.
55
de cette harangue, d'ailleurs très belle et très touchante, à
un roi tel que le nôtre, à qui ce langage étoit "nconnu depuis
tant d'années, me donna une grande idée de ce prélat
pour une éducation dont les lettres et la science ne pou-
voit' faire une grande partie. Il étoit en réputation d'hon-
neur et de mœurs, et sa capacité en ce genre, je ne sais
quelle elle étoit, se pouvoit aisément suppléer par les sous-
précepteurs. Ce choix n'étoitguères plus aisé que celui du
gouverneur, tant l'épiscopat alloit tombant de plus en
plus, depuis que Monsieur de Chartres Godet l'avoit- rem-
pli des ordures des séminaires', surtout depuis que le
P. Tellier l'avoit si effrontément vendu à ses desseins. Il
falloit donc un prélat de bonne réputation, qui ne fût ni
de la lie du peuple ni de celle des séminaires, qui n'eût
point d'attachement particulier à M. le duc d'Orléans, ni
de liaison avec ce qui lui étoit contraire, et qui n'eût
levé aucun étendard pour ni contre la Constitution. Tout
cela se trouvoit en celui-ci. M. le duc d'Orléans, en fut
fort ébranlé ; mais, comme je ne le connoissois point ni lui
non plus, il se réserva en s'en informer* davantage.
Il passa de là à raisonner avec moi sur le conseil de
régence. Mon avis fut différent de celui que je viens d'ex-
pliquer sur l'éducation, au cas que le Roi disposât de la
formation de ce conseil. S'il le régloit, il n'y avoit point
à douter que, pour les choses et pour le choix des per-
sonnes, ce ne fût au pis pour M. le duc d'Orléans. Ce
prince n'avoit point à cet égard les entraves qu'il avoit
sur l'éducation, par les horreurs qu'on avoit répandues
contre lui, et qu'on ne cessoit de renouveler. Il ne falloit
Discussion
entre M. le
duc d'Orléans
et moi sur
le choix des
membres
du conseil de
régence
et l'exclusion
des gens à
écarter.
i. Il y a bien pouvoit au singulier dans le manuscrit, s'accordant
seulement avec le dernier mot.
2. Saint-Simon a biffé une y à la fin d'une ligne, et ajouté V avant
avoit au commencement de la ligne suivante.
3. Déjà dit dans les tomes XVII, p. 49, et XVIII, p. 237.
4. Il y a bien en s'en informer dans le manuscrit, ce qui peut très
bien s'admettre, malgré le manque d'euphonie de l'expression.
r>6
MEMOIRES
[1745]
ViUcroy
à conserver,
Voysin à
chasser et
donner
les sceaux au
bonhomme
Daguesseau .
donc pas se laisser museler par les dispositionsquc le Roi
feroit à cetégard, qui, par sa personne ni par leur valeur,
ne pouvoient être plus vénérables que celles de Charles V,
et en dernier lieu de Louis XIII, où la prudence et la
sagesse avoienl si essentiellement présidé, et dont l'auto-
rité mort-née fut abrogée aussitôt après la mort de ces
deux grands et admirables rois', quoiqu'ils n'eussent-
point de monstres à l'endre formidables'^ Je crus donc
possible et indispensable d'aller tête levée aussitôt après la
mort du Roi contre les dispositions de gouvernement
qu'il auroit faites, soit secrètes jusqu'après ce moment, soit
déclarées, soit même exécutées par la formation de ce
conseil et de cette forme de gouvernement de son vivant,
pendant lequel il ne falloit que soumission et silence, mais
sans cesser de se préparer à le renverser. La discussion
du choix des personnes pour composer le conseil de ré-
gence fut diflScile*. Il fallut traiter le Conseil présent et les
exclusions pour balayer la place, éclaireir, et rendre après
le choix plus aisé'. De tous les ministres actuels, je ne vou-
lus conserver que le maréchal de Villeroy, non par estime
ni aucune amitié, mais par la considération de ses éta-
blissements, de ses emplois, de ses alliances. Le Chance-
lier étoit un homme de néant en tout genre, incapable,
ignorant, intéressé, sans amis que de ceux de sa faveur
et de ses places, haï à la cour et détesté des troupes par
sa sécheresse, son orgueil, sa hauteur, méprisé parle tuf^
qu'il montroit en toute affaire, enfin qu'il n'avoit de mé-
rite que celui d'esclave de Mme de Maintenon et de M. du
I. Déjà dit dans le tome XXV, p. '2oo-'2o6.
i2. Saint-Simon avait d'abord écrit et qui n'eurent; il a biiïé et,
ajouté quoy en interligne, corrigé qui en qu'ils, et n'eurent en n^eus-
sent.
3. C'est-à-dire, de bâtards à établir.
4. Voyez ci-après, p. 61 et suivantes.
o. Aisé est en interligne au-dessus de difficile, biffé.
6. Ce mot a été employé souvent au figuré par Saint-Simon, notam-
ment dans le tome III, p. 190.
[171.HJ DE SAINT-SIMON. 57
Maine, et' de valet du cardinal de Bissy et de Rome, du
nonce etdes furieux de la Constitution, pour lesquels tous
sa prostitution ne trouvoit rien de difficile ; ennemi de
plus de M. le duc d'Orléans, à proportion qu'il étoit vendu
au duc du Maine et à Mme de Maintenou. Ainsi je pro-
posai- à M. le duc d'Orléans d'éteindre sa charge de secré-
taire d'Etat, de le reléguerquelque part, comme à Moulins
ou à* Bourges, et de donner les sceaux au bonhomme
Daguesseau\ magistrat de l'ancienne roche % qui ne tenoit
à rien qu'à l'honneur, à la justice, à la vraie et solide
piété, dont la réputation avoit toujours été sans tache, la
capacité reconnue dans les premiers emplois de sa profes-
sion qu'il avoit exercés, qui touchoit au décanat du Con-
seil, qui étoit depuis longtemps l'ancien des deux con-
seillers au conseil royal des finances, doux, éclairé, d'un
facile accès, avec de l'esprit et une grande expérience dans
les affaires de son état, universellement aimé, estimé, con-
sidéré, d'une modestie fort approchante de l'humilité, et
père du procureur général, qui avoit aussi une grande ré-
putation et une grande considération dans le Parlement,
où il avoit longtemps brillé avocat général. M. le duc d'Or-
léans sentit qu'il n'y avoit rien de meilleur à faire que de
se délivrer d'un ennemi, à la chute duquel tout applaudi-
roit, et qui ne seroit regretté que de la cabale du duc du
Maine et de celle de la Constitution, et de se faire en
même temps tout l'honneur possible d'un choix qui d'ail-
leurs lui seroit avantageux, et qui enlèveroit l'applaudis-
sement général, sans qu'aucun osât se montrer mécontent
1. Avant et, il y ap'" qui biffé, au manuscrit.
2. Après proposay, il y a d'esteindre, biffé pour être reporté plus
loin.
3. Les mots ou à sont en interligne, au-dessus d'un premier ou à
surchari^eant un autre mot illisible.
4. Henri Daguesseau : tome VI, p. 259. C'est son tiis et non lui-
même qui arriva à succéder à Voysin.
3. Notre tome IV, p. 1.
ss MKM(»iin:s fni'i]
ni compctiteur. Il y trouvoit encore l'avantage d'un âge
qui laissoit l'espérance ouverte de succéder aux sceaux',
qui tiendroit les principaux jirétcMidants dans une dépen-
dance qui lui facilileroil beaucoup rinléricur des aiïaires
qui ont à passer par les mains des magistrats.
TorcT. Torcy étoit ami particulier des maréchaux de Villcroy,
de Tallard- et de Tessé. Sa sœur', qui avoit grand crédit
sur lui, étoit de tout temps à Madame la Duchesse ; il
n'avoit point de liaison avec M. du Maine, et n'étoit pas
bien avec Mme de Maintenon. Sa société étoit contraire à
M. le duc d'Orléans, ainsi que ses amis particuliers. J'en
concluois qu'il lui étoit aussi contraire qu'eux. Je n'avois
pas oublié ce qu'il avoit dit au Roi de moi sur les Renon-
ciations, ([ue j'ai rapporté p. |1283]*. Je n'avois jamais
eu avec lui ni commerce, ni la plus légère relation. Les
ducs de Chevreuse et de Beauvillier ne l'aimoient point
du tout, quoique amis intimes de Pomponne, son beau-
père, parce qu'ils le croyoient janséniste et qu'ils
n'avoient jamais fait grand cas de Croissy, ni de sa femme,
pensant à leur égard comme Seignelay, leur beau-frère,
avec qui ils avoient été intimement liés jusqu'à sa mort.
Je ne connoissois donc Torcy que par avoir pensé me
perdre, et par un extérieur emprunté, embarrassé et
timide, que je prenois pour gloire ; je voulois donc l'écar-
ter comme les autres ministres, en supprimant sa charge
de secrétaire d'Ktat. Je lui donnai force attaques auprès
de M. le duc d'Orléans, et je m'irritois en moi-même du
peu de progrès que j'y faisois. Voilà, il faut l'avouer,
comment la passion et l'ignorance séduisent, et condui-
sent en aveugles; il n'est pas temps encore de dire com-
i. Daguosseau avait près de quatre-vingts ans et mourut en 1746.
"2. Avant de Tallart, i] y -a et biiré, et les mots et de Tessé ont été
ajoutés en interli;,'ne.
3. .Mme «Je Bouzols : tome XXVI, p. iiol.
i. Ce chiffre est resté en blanc dans lo manuscrit ; il correspond aux
pages iol et liJH de notre tome XXIII.
[1715] DE SAL\T-SIMON. 59
bien j'ai été aise depuis de n'avoir pas réussi à l'exclure.
Pour Desraaretz, j'avois juré sa perte, et j'y travaillois Desmaretz
il Y avoit longtemps. C'étoit le prix de son Ingratitude et de p„„ichartrain
sa brutalité à mon égard, dont j'ai parlé p. [1422-1423] K Sa à chasser.
conservation étoit incompatible avec un conseil de finance
tel que je l'avois proposé et qu'il avoit été - résolu, et
c'étoit une délivrance publique que celle de son humeur,
de l'avarice de sa femme ^ de la hauteur et du pillage de
Bercy, leur gendre*, qui avoit pris le montant^ sur eux
et sur les finances, et dont l'esprit et la capacité, dont
il avoit beaucoup, étoient fort dangereux^. J'en vins à
bout, et son exclusion ne varia point. A ce que l'on a vu
en divers endroits de Pontchartrain, on jugera aisément
qu'il y avoit longtemps que j'employois tout ce qui étoit
en moi pour lui tenir la parole que j'avois donnée de le
perdre \ Son caractère et sa conduite m'y donnoient beau
jeu ; c'étoit faire une vengeance publique du plus détes-
table et du plus* méprisable sujet, et regardé comme tel,
sans exception, par toute la France, et par tous les pays
étrangers avec^ qui sa place l'avoit mis en relation. On
a vu comment et pourquoi, de propos délibéré, il avoit
perdu la marine*", et on verra en son temps combien il
i . Chiffres encore laissés en blanc par Saint-Simon : voyez tome XXV,
p. 77-79.
2. Les mots qiill avoit esté sont ajoutés en interligne.
3. Dans la suite des Mémoires (tome XII de 1873, p. 252-253), il
parlera des afîaires de finances dont s'occupait Mme Desmaretz, et
nous étudierons alors cette question.
4. Charles-Henri de Malon de Bercj' : tome XIII, p. 124.
5. Locution déjà rencontrée dans nos tomes XI, p. 54, et XVIII,
p. 148.
6. Lors du renvoi de Desmaretz à la fin de 1715, notre auteur revien-
dra sur le rôle de M. de Bercy dans les finances.
7. Voyez en dernier lieu dans le tome XXIII, p. 307.
8. Ce plus a été ajouté en interligne.
9. Avec est en interligne, au-dessus (/a, biffé.
10. Nos tomes XII, p. 323-327, et XIII, p. 301, 360 et 395.
60 MKMOIHES [1715]
l'avoil pillée '. Il étoit trop misiTablc pour ne pas chercher
à se distinguer, auprès de Mme de Mainlenon, de M. du
Maine, du torrent à la mode et du bel air, contre M. le
duc d'Orléans ; en un mot, c'étoit, tout vil qu'il fût, un
ennemi puMic, dont le sacrifice étoit dû au public, et fort
agréable, un homme sans nul ami, et sans aucune qualité
regrettable parmi toutes celles qui l'ont abhorrer. Sa perte
étoit résolue dès longtemps, et je m'applaudissois secrè-
tement de l'avoir faite.
,^^,V.\° La Vrillière, son cousin, qui ne l'en aimoit pas mieux,
vrilhcre . , . , , . . ,, , .
à avoit mente des sentnuonts tous conti'aires. (j etoit un
grand peine cl homme dont la taille difiéroit peu d'un nain-, grosset%
une place monté sur de hauts talons, d'une figure assez, ridicule. Il
principale et avoit de Tcsprit, trop de vivacité, des expédients, de la
"'q"c. vanité beaucoup trop poussée, entendant bien sa besogne,
qui n'étoit pourtant que la matière du conseil des dépèches
sans aucun département, mais bon ami, très obligeant, et
capable de rendre des services avec adresse, même avec
hasard \ mais sans préjudice de l'honneur et de la probité ;
à l'égard du public, obligeant, honnête, d'un accès aisé et
ouvert, cherchant à plaire et à se faire des amis. Son grand-
père et son père"', secrétaires d'Iitat comme lui, ayant Blaye
et la Guyenne dans leur département, avoient été amis par-
ticuliers de mon père*, et l'avoient servi en tout ce qu'ils
avoient pu. J'ai rapporté en leur lieu des services essentiels
que j'ai reçus de la \ l'illière '. Je m'étois donc fait un point
capital de le sauver et de le mettre, de plus, seul en place
et en fonction de secrétaire d'État. M. le duc d'Orléans,
4. Dans la suite des Mémoires, tome XII de 1873, p. 43:2, Saint-
Simon ne fera qu'une allusion aux poursuites projetées contre lui.
2. Saint-Simon refera le portrait de la Vrillière, dans la suite des
Mémoires, tome XII, p. 249.
3. Adjectif déjà rencontré dans le tome VI, p. (iO.
4. Même quand il y avait des risques à courir.
o. Louis I" Phéljpeaux, seigneur de la Vrillière (tome VI, p. 269),
et Baltliazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf (tome I, p. f)2).
6. Déjà dit lome XIII, p. -211. — 7. Tome XIII, p. 206-207.
[1715]
DE SAINT-SIMON.
61
qui se prenoit assez aux figures, quoique la mienne ne fût
pas avantageuse, mais il y éloit accoutumé d'enfance, me
rcpondoit sans cesse : « Mais on se moquera de nous avec
ce bilboquet' », en sorte que je fus plus d'un an à met-
tre- tout ce que j'eus de force et d'industrie à lepoulier^.
J'en vins enfin à bout, à force de bras, et cette destination
ne varia plus.
Il fut question après de la composition du conseil de
régence et de sa mécanique. Cette mécanique étoit bien
plus aisée que le choix de ses membres. C'étoit là où
toutes les affaires de toute espèce avoient à être portées
et décidées en dernier ressort à la pluralité des voix, et
où celle du Régent ne devoit être qu'une comme les au-
tres, excepté au cas de partage égal, où, à l'exemple du
chancelier au conseil des parties, elle seroit prépondé-
rante. Etablis comme l'étoient les bâtards, comment pou-
voir les en exclure? et qu'étoit-ce qu'y avoir le duc du
Maine, qui même y tiendroit le comte de Toulouse de fort
près et de fort court ? L'âge d'aucun prince du sang ne
leur en permettoit l'entrée, et, quand on auroit franchi
toute règle en faveur de Monsieur le Duc, le plus âgé de
tous, qu'attendre d'un prince né le 28 août 1692, encore
sous l'aile de Madame la Duchesse et sous la tutelle de
d'Antin, qui n'avoit ni instruction ni lumière, et qui ne
montroit que de l'opiniâtreté et de la brutalité, sans la
moindre étincelle d'esprit? Un tour de force étoit un
début dangereux parmi tant de sortes d'affaires, et qui
n'étoit pas dans le caractère de foiblesse de M. le duc
d'Orléans. L'abus énorme de leur grandeur par-dessus
i. Outre le jeu bien connu qu'affectionnait Henri III, le Diction-
naire de l'Académie de 1718 disait qu'on appelle aussi bilboquet « une
petite tigure qui a deux plombs aux deux jambes et qui est posée de
manière que, de quelque faron qu'on la tourne, elle se trouve toujours
debout. » Dans le présent passage, le duc d'Orléans ne veut-il pas
plutôt faire allusion à la grosseur et à la petitesse de M. de la Vrillière ?
2. Avant mettre, il y a un y biffé.
3. Tome XIV, p. 168.
Discussion
de la
mécanique et
de la
composition
du conseil de
régence.
62 .MKMOIHKS [1715]
toute mesure, et au mépris de toutes les lois divines et
humaines, étoit bien un crime, et leur attentat au rang,
aux droits, à l'état' des princes du sang, et à la succession
à la couronne, en étoit bien un de lèse-majesté, et qui en
emportoit toute la punition sur le duc du Maine, (jui seul
i'avoit commis, et de notoriété publique, à l'insu du comte
de Toulouse, qui depuis- ne I'avoit jamais approuvé. Mais
quelle corde à remuer dans ces premiers moments de
régence, sans l'appui et la juridique réquisition des prin-
ces du sang, tous enfants! G'étoit donc une chose à
laquelle il ne falloit pas penser pour lors, et qu'il falloit
réserver aux temps et aux occasions qu'on feroit naître,
selon que le duc du Maine se conduiroit, trop grand pour
l'attaquer sans avoir bien pris les plus justes mesures,
trop établi pour l'attaquer sans être en certitude et en
volonté bien déterminée de le pousser par delà les der-
nières extrémités, et ses enfants à ne pouvoir se relever,
ni avoir jamais' aucune existence, châtiment trop juste
et mille fois trop mérité de ce Titan ^ de nos jours, et leçon
si nécessaire à la foiblesse et à la séduction des" rois, et à
l'ambition eiïrénée de leurs bâtards pour toute la suite
de la durée de la monarchie. Je ne pus donc conseiller
l'exclusion du duc du Maine, dont M. le duc d'Orléans
sentit bien toute la dilliculté. Lui et le maréchal de Yille-
roy dans le conseil de régence, c'étoit y mettre deux
ennemis certains, et encore deux ennemis d'un parfait
concert, qui mettoient dans la nécessité de les contre-
balancer d'autant plus grande, qu'il étoit presque égale-
ment ditticile de n'y pas mettre le comte de Toulouse et
depouvoircompter sur lui. Un le pou voit sur Daguesseau^';
1. Les mots à l'estal ont été ajoutés en interli^^ne.
"2. Depuis est en interligne.
3. Jamais a été ajouté en interligne.
4. Comparaison déjà employée pour Vendôme (tome XVI II, p. \'l)
et pour les mêmes bâtards du Roi (tome XXIV, p. 339).
5. Celui qu'il voulait nommer garde des sceaux : ci-dessus, p. 57.
11743]
DE SAINT SIMOX.
63
mais son naturel étoitfoible et timide, et il étoit d'ailleurs
tout neuf en tout ce qui n'étoit pas de son métier, et en
la plus légère connoissance des choses de la cour et du
monde. Nous parlâmes de l'archevêque de Cambray \ et
la discussion ne fut pas longue. Toute l'inclination de
M. le duc d'Orléans l'y portoit, comme je l'ai déjà remar-
qué ailleurs-, et, comme je l'ai aussi raconté en son
temps^ j'avois travaillé à entretenir ce goût et cette estime.
Nous cherchâmes après à bien des reprises. L'un n'étoit
pas sûr, un autre pas assez distingué, celui-ci manquoit
de poids, celui-là ne seroit pas approuvé du public, sans
compter l'embarras de trouver sûreté, fermeté et capacité
dans un même sujet. A chaque discussion, cet embarras
nous fit quitter prise et remettre à plus de réflexions et
d'examen, et, pour le dire tout de suite, ces remises, de-
vant et depuis le testament, nous conduisirent jusqu'à* la
mort du Roi, tant sur le choix que sur la mécanique, ce
qui me fait remettre d'expliquer l'un et l'autre au temps
où M. le duc d'Orléans les décida, ainsi que les membres
de tous les conseils.
Il y avoit longtemps que je pensois à une assemblée
d'États généraux, et que je repassois dans mon esprit le
pour et le contre d'une aussi importante résolution \ J'en
repassai dans ma mémoire les occasions, les inconvé-
nients, les fruits de leurs diverses tenues ; je les combinai ;
je les rapprochai des mœurs et de la situation présente.
Plus j'y sentis de différence, plus je me déterminai à leur
4. Cette conversation eut donc lieu avant la mort de Fénelon, que
nous avons vu arriver au commencement de 1715 : tome XXVI, p. 70
et suivantes.
2. Tome XXII, p. 378.
3. Tome XXVI, p. 81.
4. Jusqu' a été ajouté en interligne.
o. Voyez la Notice sur la maison de Saint-Simon dans le tome XXI
et supplémentaire de l'édition des Mémoires de 1873, p. 159.
'Saint-Simon avait commencé à écrire d'abord sans a[vantage]; puis
il a écrit danger après sans et surchargé l'a par un et.
Je propose à
M. le
duc d'Orléans
de
convoquer
aussitôt après
la mort du
Roi
les Etats
généraux, qui
sont sans
danger et*
(U MÉMOIRES fiTlo]
utiles sur convocation. Plus de partis ilans l'I^tat ; car celui du duc
inances. ^^^^ Maine n'étoit qu'une cabale odieuse qui n'avoil d'appui
avantageui a l t i r
M. le que l'ignorance, la faveur présente et l'artifice, dont le
duc d'Orléans, mj^ipi-jg^l^l^i q[ timide chef, ni les bouillons' insensés d'une
épouse qui n'avoit de respectable que sa naissance-, qu'elle-
même tournoit contre soi, ne pouvoient efïrayer qu'à la
faveur des ténèbres, leurs utiles protectrices ; plus de
restes de ces anciennes factions d'Orléans et de Bourgo-
gne ; personne dans la maison de Lorraine dont le mérite,
l'acquit ^ les talents, le crédit, la suite ni la puissance fît
souvenir de la Ligue; plus d'huguenots ^ et point de vrais
personnages en aucun genre ni état, tant ce long règne
de vile bourgeoisie, adroite à gouverner pour soi et à
prendre le Roi par ses foibles, avoit su tout anéantir,
et empêcher tout homme d'être des hommes, en extermi-
nant toute émulation, toute capacité, tout fruit d'instruc-
tion, et en éloignant et perdant avec soin tout homme
qui montroit quelque application et quelque sentiment.
Cette triste vérité, qui avoit arrêté M. le duc d'Orléans et
moi sur la désignation de gens propres à entrer dans le
conseil de régence % tant elle avoit anéanti les sujets, de-
venoit une sécurité contre le danger d'une assemblée
d'États généraux. Il est vrai aussi que les personnes les
plus séduites par ce grand nom auroient peine à montrer
aucun fruit de leurs diverses tenues ; mais il n'est pas
moins vrai que la situation présente n'avoit aucun trait
de ressemblance avec toutes celles où on" les avoit convo-
qués, et qu'il ne s'étoit encore jamais présenté aucune
1. Tome XIX, p. 143.
i. La duchesse du Maine, petite-tîlle du grand Condé.
3. On avait imprimé jusqu'ici Vacquét. 11 y a clairoment acquit dans
le manuscrit; mais le point sur Vi est peu visible, d'où l'erreur des
précédents éditeurs; d'ailleurs Saint-Simon aurait écrit acquest.
4. On a déjà vu dans le tome XII, p. '2o(), que Saint-Simon n'aspire
pas l'/i de ce mot.
o. Ci-dessus, p. 63.
6. On est en interligne.
[•ni5J DE SALXT-SIMON. 60
conjoncture où ils pussent l'être avec plus de sûreté, et
où le fruit qu'on s'en devoit proposer fût plus réel et plus
solide. C'est ce que me persuadèrent les ' longues et fré-
quentes délibérations que j'avois faites là-dessus en moi-
raôrae, et qui me déterminèrent à en faire la proposition
à M. le duc d'Orléans. Je le priai de ne- prendre point
d'alarme avant d'avoir ouï les raisons qui m'avoient con-
vaincu, et, après lui avoir exposé celles qui viennent d'être
expliquées, je lui mis au meilleur jour que je pus les
avantages qu'il en pourroit tirer. Je lui dis que, jetant'
à part les dangers que je venois de lui mettre devant les
yeux, mais qui n'ont plus d'existence, le seul péril d'une
assemblée d'Etats généraux ne regardoit que ceux qui
avoient eu l'administration des affaires, et, si l'on veut,
par contre-coup, ceux qui les y ont employés ; que ce
péril ne regardoit point Son Altesse Royale, puisqu'il
étoit de notoriété publique qu'il n'y avoit jamais eu la
moindre part, et qu'il n'en pouvoit prendre aucune en
pas un des ministres du Roi, ni en qui que ce soit qui les
ait choisis ni placés ; que cette raison, si les suivantes le
touchoient, lui devoit* persuader de ne pas laisser écouler
une heure après la mort du Roi sans commander aux
secrétaires d'Etat les expéditions nécessaires à la convo-
cation, à exiger d'eux qu'elles fussent toutes faites et
parties avant vingt-quatre heures, à les tenir de près là-
dessus, et, du moment qu'elles seroient parties, déclarer
publiquement la convocation ; qu'elle devoit être fixée au
terme le plus court, tant pour les élections des députés par
bailliages que pour l'assemblée de ces députés pour former
i. Les est répété deux fois, à la tin de la page 1583 et au commen-
cement de la page 1584 du manuscrit.
2. Le mot ne est en interligne, et, plus loin, le d' est répété deux fois
avant alarme, à la tin d'une ligne et au commencement de la suivante.
3. Le ji' dejettant surcharge une m, Saint-Simon ayant d'abord écrit
mettant.
'*■ Il y a dévoient au pluriel dans le manuscrit.
MÉMOIRES UE SAINT-SIMON. XXVII O
66 MÉMOIRES \\l\n
les Etats généraux', pour qu'on vît qu'il n'y avoit point
de leurre, et que c'est tout de bon et tout présentement
que vous les voulez-, et pour n'avoir à toucher à rien en
attendant leur prompte ouverture, et n'avoir, par consé-
quent, à répondre de rien ; que le[s] François, léger[s],
amoureux du changement, abattu[sj-* sous un joug dont la
I. Pour expliquer le mode d'élection des députés aux Etats géné-
raux, tel qu'il s'était pratiqué pour ceux de IGli, et auijuel Saint-
Simon fait une si brève allusion, nous ne pouvons mieux laire (jue de
reproduire la note préparée par M. Chéruel pour le commentaire du
présent passage. « Le Roi ou le Régent adressait des lettres patentes
aux gouverneurs des provinces, ainsi qu'aux baillis et sénéchaux qui,
sous leur autorité, étaient chargés de l'administration provinciale.
Elles indiquaient l'époque et le lieu où devaient se réunir les députés.
En vertu des ordres du roi, les ecclésiastiques et les nobles étaient
nominativement convoqués pour l'élection de leurs dépulés. Les gou-
verneurs et baillis envoyaient copie des lettres patentes aux maires et
échevins des villes ainsi qu'aux juges et curés de villages. Les bour-
geois et vilains étaient avertis au prône, à son de trompe, par alliches
apposées au pilori et à la porte des églises. Les nobles et les ecclé-
siastiques nommaient directement les députés qui devaient les repré-
senter aux Etats généraux. Il n'en était pas de même pour les bour-
geois et les paysans : réunis dans les villes et dans les villages, sous la
présidence des baillis, sénéchaux, vicomtes, viguiers, prévôts, lieute-
nants des baillis, etc., ils nommaient les électeurs. Ceux-ci se réunis-
saient au chef-lieu du bailliage, et procédaient à l'élection des députés
aux Etats généraux. Ils rédigeaient aussi des cahiers de doléances
pour exprimer leurs besoins et leurs vœux. Le nombre des dépulés qui
devaient être élus dans chaque bailliage n'était pas déterminé; cette
question avait alors très peu d'importance, puisque, dans l'assemblée
des États généraux, on votait par ordre cl non par tète. Tout en cher-
chant à ramener à des règles uniformes la nomination des députés,
l'administration royale avait dû tolérer des usages qui variaient sou-
vent de province à province. Les paysans ne prenaient pas toujours
part aux élections. En Auvergne, par exemple, le clergé, la noblesse
et la bourgeoisie nommaient seuls les députés aux États généraux.
Dans plusieurs circonstances, des corps, comme la commune de Paris
en 1356, l'Université en 1413, le Parlement en 1557, obtinrent une
représentation spéciale. »
'2. A remarquer cette reprise involontaire du style direct.
3. Saint-Simon a écrit tous ces mots au singulier; mais nous les
[17151 DE SAINT-SIMON. 67
pesanteur et les pointes étoient sans cesse montées jus-
qu'au comble pendant ce règne, après la fin duquel tout
sonpiroit, seroient saisis de ravissement à ce rayon d'es-
pérance et de liberté proscrit depuis plus d'un siècle, vers
lequel personne n'osoit plus lever les yeux, et qui les
combleroit d'autant plus de joie, de reconnoissance, d'a-
mour, d'attachement pour celui dont ils tiendroient ce
bienfait, qu'il partiroit du pur mouvement de sa bonté,
du premier instant de l'exercice de son autorité, sans que
personne eût eu le moment d'y songer, beaucoup moins
le temps ni la hardiesse de le* lui demander; qu'un tel
début de régence, qui lui dévouoit tous les cœurs sans
aucun risque, ne pouvoit avoir que de grandes suites pour
lui, et désarçonner entièrement ses ennemis, matière sur
laquelle je reviendrai tout à l'heure ; que l'état des finances
étant tel qu'il étoit, n'étant^ ignoré en gros de personne,
et les remèdes aussi cruels à choisir, parce qu'il n'y en
pouvoit avoir d'autres que l'un des trois que j'avois expo-
sés à Son Altesse Royale lorsqu'elle me pressa d'accepter
l'administration des finances^, ce lui étoit une chose capi-
tale de montrer effectivement et nettement à quoi elle*
en est là-dessus, avant qu'elle-même^ y eût touché le
moins du monde, et qu'elle*^ en tirât d'elle'' un aveu
public par écrit, qui seroit pour Son Altesse Royale * une
sûreté pour tous les temps plus que juridique, et la plus
authentique décharge, sans tenir rien du bas^ desdéchar-
rétablissons au pluriel, les verbes dont ils sont le sujet étant au pluriel.
4 Le est en interligne.
•2. Avant n'estant, il y a un et, biffé.
3. Ci-dessus, p. 34, il n'a pas dit qu'il en eût parlé au duc d'Orléans.
4. Cet elle se rapporte sans doute à l'administration des finances ;
toute la phrase est d'une obscurité très dilïicile à éclaircir.
5. Elle mesme corrige luy mesme par surcharge.
6. Cet elle corrige il, et se rapporte à S. A. R. le duc d'Orléans.
7. Encore sans doute l'administration des finances.
8. Les lettres S. A. R. surchargent hiy.
9. Il veut dire de la bassesse.
ex M KM (tin ES [rtAr,]
ges ordinaires, ni rien de commun avec l'étal des ordon-
nateurs ' ordinaires, ni avec le l)esoin qu'ils ont d'en
prendre, et le titre le plus sans ré|)lique et le plus assuré
pour canoniser - à jamais les améliorations et les soulage-
ments que les tinances pourront recevoir pendant la
Régence, peu perceptibles et peu crus sans cela, ou de
pleine justification de l'impossible ', si elles n'étoient pas
soulagées dans l'état où il constoit*^ d'une manière si solen-
nelle que le Roi les avoit mises, et laissées en mourant ;
avantage essentiel pour Son Altesse Royale dans tous les
temps, et d'autant plus pur qu'il ne s'agit que de montrer
ce qui est, sans charger ni accuser personne, et avec la
grâce encore de ne souffrir nulle inquisition là-dessus,
mais uniquement de chercher '' le remède à un si grand
mal ; déclarer aux Etats que, ce mal étant extrême, et les
remèdes extrêmes aussi, Son Altesse Royale croit devoir
à la nation de lui remettre le soin de le traiter elle-même ;
se contenter de lui en découvrir toute la profondeur, lui
proposer les trois uniques moyens qui •^ ont pu être aperçus
d'opérer dans cette maladie, de lui en laisser faire en
toute liberté la discussion et le choix, et de ne se réserver
qu'à lui fournir tous les éclaircissements qui seront en
son pouvoir, et qu'elle pourra désirer pour se guider dans
un choix si difficile, ou à trouver quelque autre solution,
1. En matière de tinances, « ordonnateur signifie celui qui ordonnr
les payements » (Académie, 1718).
2. Au sens d'établir une chose délinitivoment, comme la canoni-
sation d'un saint l'inscrit pour toujours dans le catalogue des saints;
nous avons eu canoniser une doctrine, dans un sens analogue, au
tome XXIII, p. 29i. On va encore trouver ci-après, p. 76, « canoniser
une volonté ».
3. Il veut dire que cet aveu écrit de l'état des tinances sera le titre
le plus assuré pour justilier l'impossibilité où le Régent se sera trouvé
de les améliorer.
4. Tome XX, p. 18.
5. Les mots de chercher ont été ajoutés en interligne.
6. Ce qui corrige l'abréviation de que.
(17151 DE SAINT-SIMON. 69
et, après qu'elle aura décidé seule et en pleine et franche
liberté, se réserver l'exécution fidèle et littérale de ce
(ju'elle aura statué par forme d'avis sur cette grande
afïaire; l'exhorter à n'y pas perdre un moment, parce
qu'elle n'est pas de nature à pouvoir demeurer en suspens
sans que toute la machine du gouvernement soit aussi
arrêtée ; finir par dire un mot, non pour rendre un compte
qui n'est pas dû et dont il se faut bien garder de faire le
premier exemple, mais légèrement, avec un air de bonté
et de confiance, leur parler, dis-j'e, en deux mots, de l'éta-
blissement des conseils, déclarés et en fonction entre la
convocation et la première séance des Etats généraux, et
sous prétexte de les avertir que le conseil établi pour les
finances n'a fait et ne fera que continuer la forme du
gouvernement précédent, sans innover ni toucher à rien
jusqu'à la décision de l'avis des États', qui est remise à
leur sagesse, pour se conformer après à celle qu'on en
attend.
« Je ne crois pas, ajoutai-je, qu'il faille recourir à
l'éloquence pour vous persuader du prodigieux effet que
ce discours produira en votre faveur. La multitude igno-
rante, qui croit les Etats généraux revêtus d'un grand
pouvoir, nagera dans la joie, et vous bénira comme le
restaurateur des droits anéantis de la nation. Le moindre
nombre, qui est instruit que les Etats généraux sont sans
aucun pouvoir par leur nature, et que ce n'est que les
députés de leurs commettants pour exposer leurs griefs,
leurs plaintes, la justice et les grâces qu'ils demandent, en
un mot, de simples plaignants et suppliants, verront votre
complaisance comme les arrhes du gouvernement le plus
juste et le plus doux, et ceux qui auront l'œil plus per-
çant que les autres apercevront bien que vous ne faites
essentiellement rien de plus que ce qu'ont pratiqué tous
nos rois en toutes les assemblées tant d'États généraux que
I. Les mois de l'avis des Estais ont été ajoutés en interligne.
70 MÉMOIRES flTin]
de notables, qu'ils ont toujours consultés, principalement
sur la matière des finances, et que vous ne faites que
vous décharger sur eux du choix de remèdes qui ne peu-
vent être que cruels et odieux, desquels, après leur déci-
sion, personne n'aura plus à se plaindre, tout au moins à
se prendre à vous de sa ruine et des malheurs publics'. »
Grand parti à Je vins ensuite à ce qui touchoit .M. le duc d'Orléans
d'Ii^Tcment ^ u^G - façon cncore plus particulière: je lui parlai des
des Renonciations. Je lui remis devant les yeux combien elles
Etals généraux ^'.j^^jjgjjt infomics et radicalement destituées de tout ce qui
sur les 1 1 • Il 1 I
Renonciations, pouvoit opérer la force et le droit cl un tel acte^ le pre-
mier qu'on eût vu sous les trois races de nos rois pour
intervertir l'ordre, jusque-là si sacré à l'aînesse masculine,
légitime, de mâle en mâle, à la succession nécessaire à la
couronne. Cette importante matière avoit tant été discu-
tée en son temps entre M. le duc de Berry, lui surtoutS et
moi^, qu'il l'avoit encore bien présente. Je partis donc de
là pour lui faire entendre de quelle importance il lui étoit
de profiter de la tenue des Étals génraux*^ pour les cap-
ter, comme il étoit sûr qu'il se les dévoueroit par tout ce
qui vient d'être exposé, et d'en saisir les premiers élans
d'amour et de reconnois>ance pour se faire acclamer en
conséquence des Renonciations, et en tirer brusquement'
un acte solennel en forme de certificat du vœu unanime.
Je lui fis sentir la nécessité de suppléer au juridique
par un populaire** de ce poids, et de profiter de l'erreur
i. Des corrige du, ot malheur public a été mis au pluriel.
2. Avant d'une, Saint-Simon a biiïé de ce qui le touchoit, répété
par méf^arde.
3. Tome XXIII, p. lio et suivantes.
4. C'est-à-dire, surtout le duc d'Orléans.
5. Tome XXIII, p. 431-132.
6. Lfs mots profiter de la tenue sont en interligne, au-dessus de
capter, bifi'é, et des corrige les.
7. Brusquem' a été écrit ici en interligne, après avoir été biiïé plus
loin après soicmncl.
8. Suppléer au rondement juridique par un fondement populaire.
[171.S1 DE SAINT-SIMON. H
si répandue du prétendu pouvoir des États généraux, qui
après ce qu'ils auroient fait en sa faveur, la nation se croi-
roit engagée à le soutenir à jamais, par cette chimère même
de ce droit qui lui étoit si précieuse, ce qui lui donnoit
toute la plus grande sûreté et la plus complète de succé-
der, le cas arrivant, en quelque temps que ce pût être, à
l'exclusion' de la branche d'Espagne, par l'intérêt essen-
tiel que la nation commise- se croiroit dans tous les temps
y avoir. En même temps je lui fis remarquer qu'en
tirant pour soi le plus grand parti qu'il étoit possible, et
l'assurance la plus certaine d'avoir à jamais la nation pour
soi et pour sa branche contre celle d'Espagne, ce qui fai-
soit également pour tous les princes du sang, et qui en
augmentoit la force par le nombre et le poids des inté-
ressés, il n'acquéroit ce suprême avantage que par^ un
simple leurre auquel la nation se prendroit, et qui ne
donnoit rien aux États généraux. Alors je lui fis sentir
l'adresse et la délicatesse, à laquelle sur toutes choses il
falloit bien prendre garde à s'attacher à coup sûr^ ; que
les États ne prononceroient rien, ne statueroient rien, ne
confirmeroientrien; que leur acclamation ne^seroit jamais
que ce qu'on appelle verba et voces, laquelle pourtant
engageroit la nation à toujours par des liens d'autant
moins dissolubles, qu'elle se tiendroit intéressée pour son
droit le plus cher qu'elle croiroit avoir exercé, et qu'elle
soutiendroit, le cas avenant, en quelque temps que ce pût
être, par ce motif le plus puissant sur une nation, pour
légère qu'elle puisse être, qui est de se croire en pouvoir
de se donner un maître, et de régler la succession à la
couronne, tandis qu'elle n'aura fait qu'une acclamation.
Je fis prendre garde aussi à M. le duc d'Orléans à la même
1. Les mots lexclusion (sic) surchargent la b[ranche].
2. Au sens d'engagée par cet acte.
3. Par est en interligne au-dessus d'un à biffé.
4. Seur surcharge un autre mot illisible.
5. Avant ne, Saint-Simon a biffé n'esto[it].
7-2 MEMOIRES [Hiri]
adresse et tiéliralesse pour l'acte par écrit en forme de
simple certificat de l'acclamation, parce que le certificat
pur (^t simple (|u'une chose a été faite n'est qu'une preuve
(|u'elle a été faite, n'en peut ciianj^MM- l'être et la nature,
ni avoir j)lus (le force et d'autorité que la chose qu'il ne
fait (|ue certifier. Or, cette chose n'étant ni loi, ni ordon-
nance, ni simple confirmation même, l'acte qui la certifie
avoir été faite ne lui donne rien de plus qu'elle n'a. .\insi
le leurre est entier ; tout y est vuide ; les Etats pjénéraux
n'en acquièrent aucun droit, et néanmoins M. le duc d'Or-
léans en a tout l'essentiel par cette erreur spécieuse et si in-
téressante toute la nation*, qui, pour son plus cher intérêt à
elle-même, la lie à lui pour jamais et à tous les autres prin-
ces du sang, pour l'exclusion de la branche d'Espagne de
succéder à la couronne. Le moyen après de contenir les
Etats, après les avoir si puissamment excités, me parut
bien aisé : protester avec confiance et modestie qu'on ne
veut que leurs cœurs, qu'on compte leur parole donnée
par cette acclamation pour si sacrée et si certaine, qu'on
ne croiroit pas la mériter si on souffroit qu'ils donnassent
plus ; qu'on le déchireroit même," et qu'on regarderoit
recevoir plus comme un ci-ime ; qu'on acceptoit cette pa-
role uniquement pour l'extrême plaisir de recevoir une
telle marque de l'aflection publique, et pour la considé-
ration éloignée du repos de la France, mais dans le désir
passionné et la ferme espérance que le cas prévu n'arrivera
jamais, par la longue vie du Roi et la grande bénédiction
de Dieu sur sa postérité ; (pi'aller plus loin que cette pa-
role si llatteuse, et le très simple certificat qui en fait foi,
ne peut convenii" au respect des circonstances, qui sont
un régent qui, pour le présent, ne peut encore rien voir
de longtemps entre; le Koi et lui ; se tenir à ces termes
de confiance, de reconnoissance, de modestie, de respect,
•1. Exemple déjà rencontré d'un adjectif verbal s'accordant avec le
substantif aiiqnol il se rapporte, et ayant cependant un roinplément
direct.
[171o] DE SAINT-SIMON. 73
de raisons, inébranlabloment, avec la plus extrême atten-
tion à n'en pas laisser soupçonner davantage ; paraphraser
ces choses et les compliments ; surtout brusquer l'affaire,
couper court, finir, et ne manquer pas après de bien im-
poser silence sur l'acclamation et le certificat et toute
cette matière, et y bien tenir la main, sous prétexte que
sous un roi hors d'état de régner par lui-même, et de se
marier de longtemps, c'est une matière qui, passé la né-
cessité remplie', est odieuse, et n'est propre qu'à des
soupçons, à donner lieu aux méchants, et à qui aime le
désordre, de troubler l'harmonie, le concert, la bonté et
la confiance du Roi pour le Régent; mais ne dire cela, et
avec fermeté, qu'après la chose entièrement faite, de peur
d'y jeter des réflexions et de l'embarras. Outre le fruit
infini de rejeter sur les États les suites douloureuses du
remède auquel ils auront donné la préférence pour les
finances, d'avoir acquis, par leur tenue et cette marque
de déférence, l'amour et la confiance de la nation, et de
l'avoir liée par son acclamation à l'exclusion de la bran-
che d'Espagne de la succession à la couronne, par les liens
les plus sûrs, les^ plus forts et les plus durables, quelle
force d'autorité et de puissance cette union si éclatante et
si prompte du corps de la nation avec M. le duc d'Or-
léans, à l'entrée de sa régence, ne lui donne-t-ellepas au
dedans, pour contenir princes du sang, grands, corps, et
quelle utile réputation au dehors pour arrêter les puis-
sances qui pourroient être tentées de profiter delà foiblesse
d'une longue minorité, et quel contre-coup sur ses enne-
mis domestiques, et sur l'Espagne même, dont l'appui et
les liaisons n'auroient plus d'objet pour elle, ni de pré-
texte et d'assurance pour eux !
Une réflexion naturelle découvre que les États géné-
raux sont presque tous composés de gens de province des
1. Avant remplie, Saint-Simon a biffé est.
'1. Il y a un et biffé avant les plus forts.
7i MEMOIRES JITIS]
trois ordres, surtout du premier et du dernier ' ; que pres-
que tous ceux, corps et particuliers, sur qui porte cet im-
mense faix de dettes du Uoi sont tie Paris ; que la noblesse
des provinces, quoique tombée par sa pauvreté dans les
mésalliances, n'en a- point ou presque point faites^ hors de
son pays, et ne tient point aux créanciers du Roi, qui sont
tous des financiers établis à Paris, et des corps de rotu-
riers richards ^ de la même ville, comme secrétaires du
Roi % trésoriers deFranceS et toute espèce de trésoriers,
fermiers généraux, etc., gens à n'être point députés pour
le tiers état ; par conséquent, que la grande pluralité des
députés des trois ordres aura un intérêt personnel, et
pour leurs commettants, à préférer la banqueroute à la
durée et à toute augmentation possible des impositions, et
comptera pour peu les ruines et les cris que causera la
banqueroute, en comparaison de la délivrance de tant de
sortes d'impôts qui révèlent le secret des familles, en trou-
blent" l'économie et les dispositions domestiques, livrent
chacun à la malice et à l'avidité des financiers de toute
4. De ceux du clergé et du tiers état.
2. A est en inleriijjne au-dessus d'ont bifïé, et, plus loin, son est
aussi en interligne au-dessus de ie^ir, et tient corrige tiennent.
3. Il y a bien faites, au manuscrit, se rapportant à mésalliances.
Saint-Simon, qui habituellement ne fait pas accorder avec son complé-
ment direct, lorsque celui-ci le précède, le participe conjugué avec
l'auxiliaire avoir, est ici dans une nouvelle contradiction avec la règle
ordinaire.
4. Ci-après, p. 421.
,H. Les secrétaires du Roi étaient des officiers de la grande chancel-
lerie qui étaient chargés d'expédier les actes que le chancelier devait
sceller et d'y apposer leur signature. Les secrétaires d'Etat devaient
toujours posséder une charge de secrétaire du Roi. Comme ces
charges étaient vénales, la raison (inancière les avait fait multiplier, et
un édit de 1704 en avait porté le nombre à trois cent quarante. Ils
jouissaient de certains privilèges, par exemple de la noblesse person-
nelle au bout de vingt ans d'exercice, et leurs procès étaient ren-
voyés aux requêtes de l'hôtel.
<i. Il a été parlé des trésoriers de France dans le tome VII, p. 180.
7. Tioublent corrige trouble, et, plus loin, ostent corrige este.
fildSl DE SAINT-SIMON. 75
espèce, ôtent toute liberté au commerce intérieur et exté-
rieur, et le ruinent avec tous les particuliers. Cette vue
de liberté, d'impôts médiocres, et encore au choix des
États, en connoissance de cause par l'expérience de leurs
effets, l'aise de se voir au courant, leur feront^ voir une
nouvelle terre et de nouveaux cieux, et ne les laisseront
pas balancer entre leur propre bonheur et le malheur des
créanciers. Les rentes sur l'hôtel de ville-, où beaucoup
de députés se pourront trouver intéressés, auront peut-
être quelque exception par cet intérêt; peut-être encore,
le comparant avec celui d'abroger un plus grand nombre
d'impôts, la modification seroit-elle légère, ou même n'y"
en auroit-il point, et c'est à la banqueroute, si flatteuse
par elle-même pour le gros, qu'il faudroit tourner les
États avec adresse. J'ajoutai que ce seroit perdre presque
tout le fruit que M. le duc d'Orléans recueilleroit de tout
ce qui vient d'être dit, s'il ne se faisoit pas une loi, qu'au-
cune considération ne pût entamer dans la suite, de se
conformer inviolablement au choix du remède porté par
l'avis formé par les Etats Y manquer', ce seroit se dés-
honorer par la plus publique et la plus solennelle de*
toutes les tromperies, tourner l'amour et la confiance de
la nation en haine et en désir de vengeance, je ne crai-
gnis pas d'ajouter, s'exposer à une révolution, sans être
plaint ni secouru de personne, et donner beau jeu aux
étrangers d'en profiter, et à l'Espagne de le perdre.
A l'égard du jeune Roi, je priai M. le duc d'Orléans de Rien de
considérer^ qu'il n'y avoit rien dans toute cette conduite '"par''rïp"port^
qui, en aucun temps, lui put être rendu suspect avec la au Roi
plus légère apparence, et dont il ne fût en état de lui *^^"^
i. Le manuscrit porte ici fera; mais il y a bien laisseront à la ligne
suivante.
2. Voyez nos tomes V, p. 126, et XVII, p. 20o.
3. Ces deux mots ont été ajoutés sur la marge à la fin d'une ligne.
4. Ce de surcharge une s mise par mégarde à la fin de solemnelle.
5. Les mots de considérer sont en interligne.
TH MÉMOIRES fl7i:>l
la conduite rendre le compte le [)lus exact. Son Altesse Hoy:ile ' trouve,
à NL le '^^ arrivant à la Régence, les finances dans un désordre et
duc d'Orléans dans uu état désespéré, les peuples au delà des derniers
par rapiiorl i • i • > l ± o i i
à la abois, le commerce ruine, toute confiance perdue, nul
tenue des remède que les plus cruels. Il n'accuse personne ; pei-
, f* * sonne aussi n'est accusé ; mais lui, qui n'a jamais eu la
généraux. . , ' . ^ ■' ,
moindre part aux affaires, a raison de n'y vouloir pas
toucher du bout du doigt sans avoir exposé leur situation
au public, et ne présume pas assez de soi pour, de son
chef, y apporter des remèdes. Il n'en aperçoit que de cruels,
c'est le public qui en portera tout le poids et toute la
souffrance, soit d'une manière ou de l'autre ; n'est-il pas
de la sagesse et de l'équité de lui en laisser le choix ?
C'est aux Etats généraux qu'il le défère. Il ne fait en -cela
qu'imiter les rois prédécesseurs, et Louis XIIP lui-même,
qui les assembla et les consulta à Paris, en 1614. Il a suivi
l'avis des Etats généraux. On ne peut donc lui imputer de
présomption dans une affaire si générale et si principale ;
on ne peut aussi l'accuser de foiblesse, ni d'avoir fait la
plus petite brèche à l'autorité royale, puisqu'il n'a fait
qu'imiter à la lettre ce que les rois prédécesseurs, jus-
qu'au pénultième \ ont tous fait, majeurs et mineurs, et
pour des cas bien moins importants. Si les Etats, touchés
de cette confiance, lui en ont marqué leur reconnoissance
par cette acclamation sur les Renonciations, outre qu'il ne
la leur a jamais demandée, ils n'ont rien fait que mon-
trer des vœux et une disposition de leurs cœurs conformes
à celle du feu Roi et de toute l'Europe, et pour ainsi dire,
canoniser ses volontés^ les fondements de la paix, et
ceux*^ du repos de la France en quelque cas que ce puisse
1. i». A. H. «.urchtirge il.
'i. Avant en, il a biffé l'abréviation de que.
3. Le chiffre XIII corrige XIV.
•4. Pennltiesme est en interligne au-dessus de d'' incluxivem' bifTé.
5. Ci-dessus, p. 68.
0. Ceux est en interligne.
[n<5J DE SAINT-SIMON. 77
être, dont lui et eux espèrent, et ont en même temps mon-
tré leurs plus sincères désirs et espérance qu'il puisse
n'arriver jamais, en quoi il n'a paru que de lu bonne et
franche volonté, et rien qui puisse toucher, le plus légè-
rement même, ni aux droits sacrésde l'autorité royale, ni
à ceux d'aucun ordre, corps, ni particulier, pas même, ce
qui est tout dire, de la branche d'Espagne, puisqu'elle-
même a solennellement et volontairement fait, en pleins
cortès assemblés à Madrid, ses renonciations*, avant même
que M. le duc de Berry et Son Altesse Royale- eussent
fait les leurs en plein Parlement, dans l'assemblée et en
présence des pairs, tous mandés par le Roi pour s'y trou-
ver^. Où y a-t-il* dans tout cela quoi que ce soit de tant
soit peu répréhensible, en quelque sens qu'il puisse être
pris, et de quelque côté qu'on le puisse tourner ?
Outre tant de grands et de si avantageux partis qu'on Usage possible
vient de voir que M. le duc d'Orléans pouvoit si aisément afaircdes
tirer de la tenue des Etats généraux, je ne crus pas dan- généraux à
gereux d'y en tenter encore un autre, ni fort difficile d'y l'égard
réussir, en profitant de leur premier enthousiasme de se Maine
revoir assemblés et déférer l'important choix du remède
aux finances, et de leur acclamation sur les Renonciations.
Il'' falloit qu'elle fût faite avant de remuer ce qui va être
exposé, mais le leur présenter aussitôt après avec la même
délicatesse, afin de profiter, pour les y engager, des idées
flatteuses dont ces actes leur auroient rempli la tête, et
ne pas perdre le temps jusqu'à ce qu'ils eussent réglé leur
avis sur les finances, ce qui auroit trop long trait^, etdon-
1. Tome XXIII, p. 180.
•2. Les mots et S. A. R. sont en interligne.
3. Tome XXIII, p. 322-342.
•i. Saint-Simon avait d'abord écrit Ou y il ; il a ajouté t devant il et
écrit a en interligne.
o. Il est en interligne, à la suite d'un premier il, biffé, et au-dessus
d'un (jui également biffé ; plus loin, qu'elle corrige un mot illisible.
6. Ce qui aurait trop tiré en longueur ; trait est ici le participe très
peu usité du verbe archaïque traire, au sens de tirer.
-s MÉMOIRES flTIfi]
neroit le temps d'inli'iguer et de les mauiei- a celui qu'il
s'agiroit d'attaquer. Dans quelque servitude que tout fût
réduit en France, il restoit des points sur lesquels la ter-
reur pouvoit retenir les discours, mais n'avoit pas atteint
à corrompre les esprits. Un de ces points étoit celui des
bâtards, do leurs t'tablissemenls, suriout de leur apothéose.
Tout frémissoit' en secret, jusqu'au milieu de la cour, de
leur existence, de leur grandeur, de leur- habileté de
succéder à la couronne. Klle étoit regardée comme le ren-
versement de toutes les lois divines et humaines, comme
le' sceau de tout joug, comme un attentat contre Dieu
même, et le tout ensemble comme le danger le plus im-
minent de l'Etat et de tous les particuliers. C'étoit alors
le sentiment intime et général des princes du sang et des
grands, par indignation et par intérêt, je dis de ceux
même qui dévoient le plus au Roi, à la faveur de Mme de
Maintenon, et qui paroissoient le plus en mesures étroites
avec le duc du Maine. Je* le sais par ce que m'en ont dit
à moi-même, et en divers temps et toujours, les maré-
chaux d'ilarcourt, de Villars et de Tessé, et cela du fond
du cœur, de dépit, de colère, de raisonnement, point pour
me sonder et me faire parler ; car ils savoient de reste ce
que j'en pensois et sentois ; et je cite ceux-là comme étant
avec^ eux en quelque commerce, beaucoup moins pour-
tant avec Tessé, qui ne s'en expliquoit pas moins libre-
ment devant moi, mais lesquels*, surtout en ce temps-là,
n'étoient avec moi en aucune liaison particulière. Jusqu'au
maréchal de Villeroy ne s'en est pas tu avec moi depuis
la mort du Roi, et fut^ un des plus vifs lorsqu'il fut ques-
1. Frémissoit corrige fremissoient.
2. Il y a de le leur dans le manuscrit.
3. Ce le surcharge un.
A. Avant je, il a bifïé et.
5 Saint-Simon avait d'abord écrit estant bi^'n avec eux en com-
merce; il a biffé bien et ajouté quelque en interligne.
6. Lesquels est en interligne au-dessus de qui, bitré.
7. Fut en interligne, remplaçant a esté, biffé.
[17151 DE SAINT-SIMON. 79
tion d'agir contre leur rang en toutes les occasions qui s'en
sont présentées, ainsi que les deux autres que j'ai cités;
car Tessé, n'étant pas duc, ne put qu'applaudir. Les gens
de qualité n'étoient pas alors moins irrités, et j'en étois
informé de plusieurs immédiatement, et, par cette bri-
cole", de bien d'autres. Le Parlement, si attaché aux règles
anciennes, si hardi en usurpations, comme on l'a vu à pro-
pos du bonnet', jusque sur la Reine régente, si tenace à
les sou';enir, n'avoit pas caché son indignation de la vio-
lence faite à tout ce qu'il y a de plus fort, de plus fixe, de
plus ancien, de plus vénérable parmi les lois, en faveur
des bâtards, ni le^ dépit des honneurs qu'ils avoient forcé
cette Compagnie de leur rendre*. Le gros du monde de
tous états étoit irrité d'une grandeur inouïe en tout genre,
et jusqu'au peuple ne s'en cachoit pas en les voyant pas-
ser, ou en entendant parler. Cette disposition universelle
n'avoit point cessé. Les artifices et la cabale ne l'avoient^
point attaquée, et, par ce qui en sera expliqué en son
temps, on verra que ces ruses n'auroientpu avoir le moin-
dre succès s'il y avoit eu des Etats généraux. Je crus donc
que l'objet des bâtards leur pouvoit être présenté comme
le plus dangereux colosse, et le plus digne de toute leur
attention.
Outre ce qui vient d'être dit de l'impression que cette
monstrueu-e élévation avoit faite sur les esprits, leur mon-
trer le groupe de leurs richesses, de leurs gouvernements,
de leurs charges, de cette multitude de gens de guerre et
de soldats sous leurs ordres et d'importantes provinces
sous leur commandement, avec cette différence que tous
autres gouverneurs et chefs de troupes ne l'étoient que
de nom, impuissants avec des titres qui n'étoient que de
1. Par ce détour, ce ricochet, comme dans le tome V, p. 296.
2. Dans nos tomes XXV et XXVI.
3. Leur corrio;é en le, en biffant les deux dernières lettres.
4. Tome XXVI, p 218-219.
•T. Il y a l'avoit au singulier dans le manuscrit.
80 .MHMOIHES |l71n]
vains noms, eux-niènios inconnus aux lieux cL aux troupes
que leurs patentes scmbloient leur soumettre, tandis que
la marine, l'artilleiie, les carabiniers, tous les Suisses et
Grisons', sept ou huit régiments sous leur nom- outre
toutes ces troupes, étoient dans leur très effective dépen-
dancede tout temps, parce qucleUoi l'avoitainsi voulu, et
qu'encore (|ue leur assiduité près de lui les eut empêchés
d'aller en Guyenne, en Languedoc, en Bretagne^ ils ne
laissoient pas d'y être très puissants, par l'autorité et les
dispositions des grâces que le Roi leur y avoit soigneuse-
ment données. Faire sentir aux États généraux de quel
danger étoit une si formidable puissance entre les mains
de deux frères, surtout quand elle étoit jointe au nom,
rang, droits, état de princes du sang capables de succé-
der à la couronne, vis-à-vis des princes du sang tous
enfants, et sans établissement entre eux tous que le gou-
vernement de Bourgogne*, une belle charge mais unique-
ment domestique'', et sept ou huit régiments% sur lesquels
ils n'avoient jamais eu l'autorité que les bâtards avoient
sur les leurs, et sans contre-poids encore d'aucun seigneur,
dont les gouvernements et les charges n'étoient que des
nomsvuidesde choses, et qui n'opéroient que des appoin-
t. Le comte de Toulouse était amiral de France, le duc du Maine
grand maître de l'artillerie, commandant des cinq brigades de carabi-
niers, colonel général des Suisses et Grisons, et ses Hls avaient les
survivances de ces charges.
2. Il y a là quelque exagération : le duc du Maine avait un régi-
ment d'infanterie et un de cavalerie de son nom, et le comte de Tou-
louse un régiment d'infanterie et un do dragons.
3. Le duc du Maine était gouverneur de Languedoc, et son lils le
comte d'Eu gouverneur de Guyenne; le comte de Toulouse avait la
Bretagne comme amiral.
4. Charge héréditaire dans la maison de Condé.
o. Celle de grand maître de France.
6. Le jeune duc de Bourbon avait b's deux réj,'iments d'infanterie
et les deux de cavalerie qui portaient les noms de Condé et de Bour-
bon; son cousin le prince de Conti avait un régiment d'infanterie et un
de cavalerie de son nom.
I1T15J DE SALXT-SIMOX. 81
tements. Faire envisager aux Etats la facilité qu'avoient
les bâtards tle tout entreprendre, et les horreurs de leur
joug et des guerres civiles pour l'établir et pour s'en
défendre. Enfin leur faire toucher l'évidence du crime de
lèse-majesté dans l'attentat d'oser prétendre à la cou-
ronne, et d'avoir abusé de la foiblessed'un père qui n'au-
roit jamais dû reconnoître de doubles adultérins, et qui
est le premier qui l'ait osé par la surprise qu'on a vue ail-
leurs', pour escalader tous les degrés par lesquels ils sont
parvenus à une si effrayante grandeur, et ne s'en faire
encore qu'un échelon pour s'assimiler en tout aux princes
du sang, jusqu'au monstre incroyable de se rendre comme
eux habiles à succéder à la couronne. Exciter les uns par
le renversement des familles et la tentation de devenir
mères de semblables géants, les autres par les motifs de
la religion, ceux-ci par le mépris et l'anéantissement de
toutes les lois, ceux-là par celui de tout ordre, tous par
l'exemple qui seroit suivi des rois successeurs, dont naî-
troit une postérité qui envahiroit tout, et ne laisseroitrien
aux vrais princes du sang, dont ils craindroient et haï-
roient la naissance, et au-dessous d'eux tout ordre légi-
time et légal. Surtout leur exposer bien clairement jus-
(ju'où entraîne l'ambition de régner avec un droit tel qu'il
puisse être; que tout ce que ces bâtards ont obtenu, sur-
tout les rangs et droits de princes du sang et d'habileté à
la couronne, est l'ouvrage du seul duc du Maine; les pro-
pos de la duchesse du Maine aux ducs de la Force et d'Au-
mont à Sceaux- ; la facilité à tout que leur donnent leurs
établissements ; enfin combien moins de distance entre
eux et la couronne aujourd'hui qu'à être parvenus à y être
déclarés habiles; et que le motif exprimé et enregistré de
ces derniers degrés de rang, d'état de princes du sang,
d'habileté à succéder à la couronne, est l'honneur qu'ils
l. Tome II, p. 00-06.
■2. Tome XXVI, p. 50.
MÉMOIRES DE SAI.NT-SIMoN. XXVll 6
observer.
82 MKMOIRES [1715]
ont d'être lils o* potit-tils du Hoi. Conduire les États à en
conclure que, l'adultère «'«fanl par là tacileinent mis au
niveau du mariage par cette énorme expression de l'iion-
neui- qu'ils ont d'être (ils et petits-fils du Koi, il n'y a plus
qu'un pas à faire, et dont tout le chemin se trouve frayé,
pour les déclarer fdsde France, ce qu'on auroit peut-être
vu si le Hoi eût vécu quelque peu davantage, et à quoi
même il y a toute apparence, au degré de puissance où le
Roi s'étoit mis, à l'état de disgrâce où l'art préparatoire
avoit réduit M. le duc d'Orléans, à l'enfance de tous les
princes du sang, à l'anéantissement et à l'impuissance de
tous les ordres du royaume, à l'ambition démesurée du
duc du Maine, et à son pouvoir sans borne sur la foiblesse
du Roi à son égard.
Mécanique à Tels sont les motifs à remuer les Etats généraux sans
que M. le duc d'Orléans y parût en aucune sorte. Exciter
tristement, timidement, plaintivement la fermentation des
esprits, s'assurer de leur volonté, exciter leur courage en
leur montrant péril, justice, religion, patrie; leur faire
sentir que ces grandes choses se trouvoient naturellement
en leurs mains, les piquer d'honneur d'immortaliser leur
tenue et leurs personnes par se rendre les libérateurs de
tout ce qui est le plus sacré et le plus cher aux hommes ;
conduire de l'œil l'effet résultant de ce soufîle ; inculquer
le secret sur l'impression et la résolution, non qu'il se pût
espérer tel qu'il seroit nécessaire, mais pour contenir au
moins et procéder par chefs accrédités, qui mènent le
gros sur parole, sans trop s'expliquer avec eux. Si la mol-
lesse, les délais, les embarras font craindre nul succès, ou
un succès équivoque, s'arrêter doucement, laisser évapo-
rer le projet en fumée, où personne n'auroit paru direc-
tement. Discours, propos, réflexions en l'air, rien de M. le
duc d'Orléans ni d'aucun personnage ; tous, occupés de
l'accablement d'affaires, ont ignoré ces raisonnements, ou
n'en ont ouï parler qu'à bâtons rompus et foiblement, et
n'ont seulement pas pris la peine de les ramasser. Que
[1715] DE SAINT-SIMON. 83
fera M. du Maine? A qui s'en prendra-t il? Que peut-il de
pis que ce qu'il a fait? Au contraire, timide comme il est,
il sera souple, tremblant, et, pourvu qu'il échappe, pren-
dra tout pour bon, et sera le premier à se moquer de pro-
pos chimériques, à les dire tels dans la frayeur qu'ils ne
se réalisent, et que le cas qu'il en feroit par ses plaintes
ne l'engageât plus loin qu'il n'oseroit. Si, au contraire,
on voyoit bien distinctement les Etats prendre résolument
le mors aux dents', les induire à ne donner pas aux bâ-
tards cet avantage, par l'entreprise de se rendre leurs
juges, de revenir dans la suite en inspirant au Roi majeur
de défaire un- ouvrage entrepris sur son autorité, et dont
l'exemple toléré et laissé en son entier la menace des plus
dangereuses entreprises, mais à suivre leur objet par les
moyens les plus respectueux, qui ne donnent que plus de
force aux plus fermes, et se garder de la honte de donner
dans un piège tendu pour leur faire manquer le principal
en haine de l'accessoire. Les porter à s'adresser au Roi
par une requête en leur nom, où tout ce qui vient d'être
exposé soit expliqué d'une manière concise, forte, pres-
sante, où il soit bien exprimé que le Roi, même à la tête
de toute la nation, n'a pas droit de donner à qui que ce
soit, ni en aucun cas, le droit de succéder à la couronne
acquis aux mâles, de mâles en mâles, d'aîné en aîné, à la
maison régnante, à laquelle personne, tant qu'il en peut
exister un, ne peut être subrogé. Montrerque ce pas une
fois franchi ne reçoit plus de bornes ; que tous les bâtards
futurs remueront tout pour atteindre ceux d'aujourd'hui :
qu'un favori peut devenir assez puissant, plus aisément
encore un premier ministre, pour se proposer et pour
arriver au même but, et qui auront encore pour eux une
naissance illustre, du moins honnête et légitime, non
1 . « On dit qu'un cheval prend le mors aux dents pour dire qu'il se
rend maître du mors avec ses dents, de manière qu'on ne peut plus le
retenir » (^Académie, 1718). — Saint-Simon écrit mords.
2. Il y a va en interligne, au-dessus d'une /', biffée.
U MKMOIRES |l71o|
adultérine, rt-prouvi-e de Dieu et tics homnit's, et cjui,
jusqu'à ces doubles adulU'-iIns aj>pelés à la couronne, ne
l'avoient pas seulement pu rire aux droits les plus com-
muns de la société, et n'avoient jamais été tirés du néant
et des ténèbres; enfin qu'il n'y a pas plus loin, et peut-
être beaucoup moins, dès que tout pouvoir est reconnu
en ce genre par l'admission de son exercice, à intervertir
l'ordre de la succession entre ceux qui sont reconnus ha-
biles à succédera la couronne, qu'à donner cette habilité'
à ceux que leur naissance n'y appelle pas, encore plus à
ceux dont le vice infamant de la naissance les enterre
nécessairement dans la plus épaisse obscurité du non-
être, sans état et sans droit à nulle succession, ni dona-
tion même la plus ordinaire, pas même de faire passer la
leur à leurs enfants légitimes s'ils ont acquis quelque
bien. S'arrêter à- la réflexion de ce qui seroit arrivé de
la France et de toute la maison l'égnante, si ce droit de
disposer de la couronne avoit été par l'usage reconnu dans
les rois, si les fils de Philippe le Bel avoienl piéféré leur
sœur' à un parent aussi éloigné que Philippe de Valois,
et si les fils d'Henri 11% gouvernés par Catherine de Mé-
dicis, par sa haine pour Henri IV, par sa prédilection
pour sa fille de Lorraine ■, par un* prétexte de religion
qui avoit les plus grands appuis, eussent préféré cette
sœur à un parent aussi éloigné qu'Henri IV, qui sans cela
eut tant de peines et de travaux à essuyer pour se mettre
à coups d'épée en possession du royaume qui lui appar-
tenoit, et qu'il acheta encore par tant de traités, de rail-
lions et d'établissements de la Ligue, qui lui avoit pensé
1. Ici il y a bien habilité, i-t plus liaut toujours habileté.
-2. Avant à, il y a enfin, bifl'é.
3. Isabelle, femme d'Edouard II, roi d'Angleterre: tome XXIII,
p. 153, note o.
•4. H. III corrigé en H. II.
o. Claude de France: tome XV, p. 24.
6. Une corrigé en un.
[ni.-i] DE SAINT-SIMON. 85
arracher la couronne tant de fois pour la poiter dans une
maison étrangère ; enfin ce qui seroit arrivé de l'État et de
la maison de France, si ce droit reconnu de disposer de
la couronne eût eu la force des exemples, du temps' de
Charles VI et d'Isabeau de Bavière, qui déshéritèrent le
Dauphin et toute leur maison-, et firent couronner dans
Paris le roi d'Angleterre leur gendre'* et reconnoître roi
régnant de France, sans droit aucun, ni même idée de ce
droit. On sait les suites d'une telle entreprise, qui fit ver-
ser tant de sang, qui épuisa tant de trésors, qui mit si
longtemps la France à deux doigts de sa perte et de son
entier renversement. La richesse, l'importance, la réalité
effective d'une* matière qui, pour ainsi dire, comprend
tout, ne doit rien perdre par le lâche et le diffus d'une
vaine éloquence. Tout y doit faire voûte ^ et se contre-
tenir^ par toute la force dont elle est' si grandement sus-
ceptible; rien d'inutile, tout concis, tout serré, tout en
preuve et en chaîne sans interruption.
Il est donc important d'avoir cette requête toute prête
pour ne la pas laisser au différent génie de tant de gens
qui ne s'accorderoient qu'en des longueurs très périlleuses,
mais en forme de canevas, pour ménager leur vanité, et
s'avantager de leur paresse et des jalousies en leur pro-
posant ce canevas à mettre en forme à leur gré, ce qu'ils
retoucheront sans peine et en peu de temps, assez pour
compter qu'entre leurs mains il est devenu leur ouvrage,
1. Ce qui serait arrivé.... à l'époque de Cliarles VI.
2. Par le traité de Troyes, signé le "li mai iii\ .
3. Henri V, roi d'Angleterre, monté sur le trône en 14i3 et mort
en ■i42'2, avait épousé le '2 juin 1420 Catherine de France, tille de
Charles VI et d'Isabeau de Bavière.
4. D'une corrige de.
o. C'est-à-dire, se soutenir et se renforcer comme les divers vous-
soirs d'une voûte.
6. Ce verbe n'était pas donné par le Dictionnaire de l'Académie de
1718.
7. Ce mot, oublié, a été ajouté en interligne.
80 MÉMOIRES \\-\r.]
ce qu'il est très iinporliiiil cju ils se ptrsiuulenl bien. Il y
a toujours dans ces nombreuses assemblées des chefs effec-
tifs à divers étai,'es (jui, sans en avoir le nom ni le carac-
tère, en ont la coiiliance et l'autorité par l'estime, par
l'adresse, par une mode (]ue le hasard établit, et que la
conduite soutient jusqu'à les i-endre presque maîtres de
tourner les esprits et les délibérations où ils veulent. C'est
ceux-là qu'il faut de bonne heure reconnoître et persua-
der, pour avoir pai' eux toute l'assemblée, et certes on
n'eut jamais plus beau jeu qu'à mettre de telles vérités en
évidence, et à toucher les hommes par ce qui est tout à la
fois le plus intéressant par toutes les parties les plus sen-
sibles, le plus important et le plus raisonnable par tout
ce qu'il s'y peut' faire de sages réflexions, de plus odieux
et de plus périlleux en soi et par ses suites, enfin de plus
juste, de plus nécessaire, de plus instant, de plus essen-
tiel à arrêter pour jamais par une punition qui, propor-
tionnée aux attentats, mette pour jamais à l'abri de Titans
et d'usurpateurs possibles la nation, la couronne, et l'uni-
que maison qui, tant qu'elle dure, y a un droit unique et
exclusif acquis, qui assure à jamais le repos et la tran-
quillité publique à cet égard, et la prééminence^ si dis-
tinctivc de cette maison sur toutes les autres maisons du
monde. On ne peut donc donner trop d'adresse, de déli-
catesse et de soins pour dignement et nerveusement '
dresser ce canevas, le faire promptement tourner^ et adop-
ter parles Etats en requête, la leur rendre leur et comme
le chef-d'œuvre de leur sagesse et de leur poids, surtout
la leur montrer sans danger, par l'impuissance de ceux
qu'elle regarde contre une multitude qui représente le
corps de la nation. Ne point laisser d'intervalle entre
1. Avant peut, il a bifTé fa[i(].
2. Avant prééminence, il a biffé distinction.
3. D'un style nervi ux, ploin de force et de solidité. Le Dictionnaire
de l'Académie âo 1718 no donnait pas cet adverbe.
4. Le t de tourner surcharge l'abréviation d' et.
[4715] DE SAINT-SIMON. 87
l'adoption de la requête et sa présentation, pour éviter les
mouvements et les artifices du duc du Maine, en quoi il
s'est montré si grand maître, et, par les mêmes moyens
qu'on sera parvenu à l'adoption de la requête, et à la
résolution de la présenter, n'y pas perdre un seul instant,
et, s'il est possible, sans mettre une seule nuit entre-
deux. Cette présentation est l'engagement, par conséquent
le premier coup de partie et celui qui entraîne le reste.
Arrivés à ce point, la mécanique est aisée. Je comptois
que Meudon seroit prêté à la reine d'Angleterre pour s'y
tenir avec sa cour et sa suite, et laisser Saint-Germain libre
aux Etats généraux, où, à tous égards, ils auroient été
fort bien, ni trop loin ni trop près de Paris, et M. le duc
d'Orléans en liberté de tenir le Roi à Paris, à Versailles,
à Marly, comme il l'auroit voulu, pour en différents temps
s'approcher ou s'éloigner davantage de Saint-Germain.
C'est dans le salon de Marly où il auroit fallu destiner les
audiences à donner par le Roi aux Etats, comme un lieu
vaste, commode, dégagé de quatre côtés, joignant l'ap-
partement du Roi et celui du Régent, un corps de maison
isolé, et toutefois enfermé et gardé, et à une lieue de
Saint-Germain.
Aussitôt donc que la requête par le vœu des États seroit
prête à être présentée, partir tous en corps, et ne prendre
que le temps, toujours assez long, d'un pareil embarque-
ment dans les carrosses qu'on auroit pris partout où on
auroit pu, mais dont sous main on auroit fait rencontrer
sous divers prétextes' le plus qu'on auroit pu sans rien
marquer ; prendre, dis-je, ce temps pour envoyer devant
quelques députés au Régent, l'avertir de la résolution
prise de venir en corps trouver le Roi, desquels- ils sont
chargés^ de supplier Son Altesse Royale de les conduire à
4. Il y a prétexte, au singulier, dans le manuscrit, sans doute par
inadvertance.
2. Desquels corrige auquel, et, avant sont, il y a estaient, biffé.
3. Par lesquels Etats ils sont chargés.
Ms Mi:"\i()[i\ES \ri\-\]
Sa Majoslé' pour lui demander audience, et lui dire «ju'ils
sont (Ml elieiiiin et qu'ils vont arriver. Il ne sera pas inu-
tile (ju'il V ait (|uel(|ue ilispute entre le Régent et eux sur
Tallaii-e qui les amène, dont les députés éviteront de s'ex-
pliquer clairement, et même devant le Roi. C'est à l'adresse
du Régent à s'y conduire avec délicatesse, entre trop
d'inquiétude et trop de froideur, sur une explication plus
précise qu'il se faut bien garder de causer pour éviter
rembarras qu'elle feroit naître, et qu'il faudroit pourtant
surmonter, et pour ne pas émousser i'efîet de la surprise
et de tout ce qui l'accompagne, qui ne pourra qu'être
grand, quelque chose qu'il est impossible qu'il n'en ait
transpiré alors. Les Etats, arrivant vers la chapelle, où on
met pied à terre, seront conduits au Roi, rencontrés en
chemin dans le petit salon parle Régent, non par cérémo-
nial, mais voulant savoir plus clairementce qui les amène,
ne laissant pas de s'avancer- toujours, et d'arriver avec
eux jusqu'au Roi, sans avoir été plus satisfait. Une très
courte et très respectueuse harangue annoncera l'excès de
l'importance de ce qui les amène ainsi aux pieds du Roi,
et finira par lui demander la permission de lui présenter
leur très humble requête, et de leur permettre d'attendre
à Marly qu il lui ail plu de la faire examiner par son Con-
seil^, persuadés quelle y sera trouvée si simple, si impor-
tante, si juste, cjue l'examen n'en pourra être long et qu'il
leur sera favorable. La recevoir et la faire examiner n'est
pas chose qui se puisse refuser. Le Roi se retirera dans
son appartement et le Régent dans le sien, avec les dépu-
tés à la suite de l'aifaireS qui aloi's s'en expliqueront net-
tement. Débat entre eux et le Régent, qui ne trouvera pas
1. Les mots à S. M. sont en intorligno.
2. L'clision s' surcliarge une m.
3. Le conseil de régence, et non le conseil d'Etat, comme on va le
voir clairement plus loin.
4. Les députés commis à la suite de l'affaire, coniinr' il v;i rire rlil
plus clairement dans les lignes suivantes.
flTIal DE SAINT-SIMON. f^O
que ce soit chose à répondre ainsi sur-le-champ, et eux
qui ne se laisseront point persuader de quitter prise, et
qui protesteront que les Etats sont résolus de ne pas sortir
du salon, aux portos duquel il sera bon qu'il y ait plus
que les Suisses ordinaires, pour empêcher l'entrée aux
gens suspects. Les députés ne manqueront pas de récuser
ceux du Conseil que leur requête regarde; et finalement
le Conseil sera mandé et assemblé sur-le-champ. M. le
duc d'Orléans y marquera sa surprise sans s'engager en
grand discours, et plus encore son étonnement et son em-
barras de l'opiniâtre résolution des Etats à demeurer dans
le salon jusqu'à la réponse à leur requête, pour communi-
quer au Conseil le même embarras et le même étonne-
ment. Ce sera après à son adresse, à sa délicatesse, à son
esprit, à son poids, à ne s'ouvrir sur rien que sur l'impor-
tance de la requête, l'état violent et plus qu'embarrassant
qui naît de cette attente opiniâtre des Etats généraux dans
le salon, la nécessité extrême de les ménager, profiter de
l'absence de ceux que la requête regarde, nécessairement
abstenus du Conseil, et de l'intérêt et de la bonne volonté
qu'il peut trouver dans les autres membres, et faire con-
clure que la requête sera renvoyée par le Roi au Parle-
ment pour y être jugée, les pairs mandés de s'y trouver
par le Roi, comme étant cause très majeure. Laisser les
portes fermées, passer par le petit salon avec le Conseil
dans le cabinet du Roi, lui rendre compte de la résolu-
tion, repasser chez lui' avec le Conseil, mander dans le
salon les députés commis à la suite de l'affaire, leur remet-
tre le résultat- du Conseil signé de lui, de tout le Con-
seil et du secrétaire d'État qui en tient le registre, et en
leur présence lui ordonner d'aller expédier sur-le-champ
1. Les mots chez luy sont en interligne au-dessus d'un premier c/(es
luy, biffé.
2. Avant résultat, il u biffé résiliât, mal écrit. — On a vu dans nos
tomes IV, p. 374, note 2, et VII, p. 287, que ce nom de résultat
s'appliquait aux décisions du conseil d'Etat prises après délibération.
90 MÉMOIRES [17151
\o renvoi de leur reijurte et de la leur envoyer à Saint-
Germain. Les députés demanderont que le Roi veuille
bien recevoir le très humble remerciement des Etats, ajou-
teront que cependant' le renvoi pourra être expédié, et
déclareront que les États ne partiront point de Marly qu'ils
n'aient toutes les lettres et expéditions nécessaires. Alter-
cation encore là-dessus, fermeté d'une part, complaisance
enfin de l'autre sur une chose qui n'emporte rien de plus
que ce qui est accordé. Les députés retourneront dans le
salon rendre compte du succès de leur requête, tandis que
le Régent, suivi du Conseil, passera chez le Roi pour le
suivre à l'audience de remerciement qu'il ira donner aux
États. Ce remerciement sera pathétique sur l'importance
de l'aiïaire, énergique sur la fidélité et l'attachement. Le
Roi, le Régent et le Conseil à sa suite retirés-, les États
iront par leurs députés remercier le Régent et le Conseil
retournés chez lui, attendront leurs expéditions, les exa-
mineront bien en les recevant des mains du secrétaire
d'État, et s'en retourneront avec à Saint-Germain.
Le premierprésident, le doyen du Parlement et les gens
du Roi seront mandés le lendemain pour recevoir du Roi,
en présence et par la bouche du Régent, les ordres con-
formes au renvoi, et pour leur recommander l'importance
de l'afTaire, tant en elle-même que par la dignité des États
et la considération de ceux qu'elle regarde. C'est après à
M. le duc d'Orléans à se savoir lestement tirer d'intrigue
dans sa famille: surprise, force, embarras de pareille dé-
marche, et si opiniâtre, et de savoir adroitement profiter
de la gravité des raisons, des dispositions des juges, du
poids de ce grand nom d'États généraux, et de la nature
d'une affaire qui n'est embarrassée ni de lois diverses', ni
4. Pendant ce temps-là.
2. Le mot retirés a été ajouté en interligne.
3. Diverses est en interligne au-dessus de p^ et contre, biffé, et,
par une première correction, Saint-Simon avait remplacé et par un ou
en interligne, qu'il a aussi biffé.
[17in] DE SAINT-SIMON. 01
d'ordonnances, ni de coutumes, ni d'arrêts, ni de procé-
dures, et qui s'offre toute entière de première vue, pour
accélérer et terminer au gré de pleine et entière justice et
de barrière inaltérable à l'avenir ; enfin, dans le jugement
et après le jugement, de distinguer entre les deux frères
l'innocent d'avec le coupable, suivant leur mérite à cha-
cun. La suite a bien fait voir combien j'avoiseu raison de
concevoir ce dessein, et combien celui à qui il étoit si né-
cessaire et à qui il devoit être si doux, en étoit peu capa-
ble en effet, quoique il eût paru le goûter et le sentir.
Une idée sans exécution est un songe, et son dévelop-
pement dans tout ce détail un roman. Je l'ai compris
avant de l'écrire; mais j'ai cru me devoir à moi-même de
montrer que je n'enfante pas des chimères; la nécessité,
l'importance, l'équité de la chose par la foule des plus
fortes et des plus évidentes* raisons; la possibilité et
peut-être la facilité en présentant la disposition des esprits
générale alors, et une suite de mécanique qu'il faut en
tous projets se rendre à soi-même claire et faisable par un
mûr examen des obstacles et des difficultés d'une part,
et de l'autre des moyens de réussir. Un roman seroit un
nom bien impropre à donner au rétablissement d'un gou-
vernement sage et mesuré, au relèvement de la noblesse
anéantie, ruinée, méprisée, foulée aux pieds, à celui du
calme dans l'Eglise, à l'allégement du joug, sans attenter
quoi que ce soit à l'autorité royale, joug qu'on sent assez
sans qu'il soit besoin de l'expliquer, et qui a conduit
Louis XIV aux derniers bords du précipice; à laisser au
moins à la nation le choix du genre de ses- souffrances,
puisqu'il n'est plus possible de l'en délivrer, enfin de pré-
server la couronne des attentats ambitieux, de conserver
à la maison régnante l'éclat de sa prérogative si unique-
ment distinctive, et la tranquillité intérieure de l'État du
i. Evidentes corrige evidendes, et, plus loin, possibilité corrige
possibilé.
"1. Ses corrige ces.
02
MKMOIHES
Discussion
entre M. le
duc d'Orléans
et moi
>ur la manière
d'établir
et de
déclarer sa
récence.
péril du' litaiiisnu'-. rt des dangereuses secousses (ju'il ne
peut uiauquci' ti en it-ccvoii-, puistjuc, pour des choses si
monstrueusement nouvelles, on est contraint de l(>s expri-
mer par des mots faits pour les pouvoir exprimer'. Si
des projets de cette qualité, et dont l'exécution est rendue
sensible, n'ont pas réussi, c'est qu'ils n'ont pas trouvé
dans le temps le plus favorable un régent assez ferme et
qui eût en soi assez de suite. On en verra d'autres, dans
le cours de cette année et des* suivantes, qui ont eu le
même sort. Dois-je me repentir pour cela de les avoir
pensés et proposés? J'ai toujours cru que ce n'étoit pas le
succès qui décidoit de la valeur des choses qui se propo-
sent, beaucoup moins quand il dépend d'un autre qui
néglige de les suivre ou qui ne veut pas même les entre-
prendre. Ce qui va suivre est de ce dernier genre.
Après de longs et de fréquents tête-à-tête sur toutes ces
différentes matières entre M. le duc d'Orléans et moi,
nous vînmes à celle de la régence. Je l'avois fort examinée,
et voici comme je lui en parlai et ce que je lui proposai.
Je lui dis qu'il ne s'agissoit point ici de ces régences ré-
glées par les rois pendant l'absence qu'ils vont faire hors"'
de leur rovaume et qui finissent par leur retour, mais de
celles uniquement que la mort d'un roi et la minorité de
son successeur rendent nécessaires. Je n'eus pas peine
à montrer que celles-là tombent de droit tellement au plus
proche du Roi mineur, que les mères et les sœurs y sont
admises, quoique les femelles soient exclues" de la cou-
1. Les mots péril du ont été ajoutés sur la marge.
i. Mot forgé par Saint-Simon, comme il va le dire trois lignes plus
loin. Le Dictionnaire de l'Académie a admis seulement de nos jours
l'adjectif titanique.
H. Ces trois mots sont on interligne au-dessus déciles, biffé.
4. Après des et à la Kn de la page 1590 du manuscrit, Saint-Simon
a biffé sui, le mot suivantes étant écrit en entier au commencement
de la page 4591.
5. Hors est en interligne, et, plus loin, finissent corrige finit.
n. Ainsi dans le manu>crit : voyez tome XXVI, p. 100. note i.
[171n] DE SAINT-SIMON. 93
ronne, et que par conséquent ni les cabales ni quelque
disposition que le Roi pût taire, il n'étoit pas dans le pos-
sible de la lui ôter. Qu'à l'égard de la brider, ce qui ne
se pouvoit tenter que par des dispositions du Roi odieuses,
il savoit ce ' que les plus sages et les plus solennelles
étoient devenues aussitôt après la mort de Charles V et de
Louis XIII-, qui les avoient faites, sur lesquelles il n'y
avoit point à craindre que celles du Roi eussent de l'avan-
tage par toutes sortes de raisons ; que néanmoins il falloit
penser à s'en garantir en ne se commettant pas avec
imprudence ; que, si le Roi faisoit des dispositions
là-dessus, il n'y avoit point à douter qu'elles ne tendissent
à le diminuer pour accroître le duc du Maine; que, sans
me départir de ce que je lui avois dit de la disposition des
esprits, et en particulier du Parlement sur la^ grandeur
des bâtards, surtout sur leur apothéose, il falloit songer
que le premier président étoit l'àme damnée de M. et de
Mme du Maine, qui, pour leur intérêt, l'avoient mis à la
tête du Parlement, dont il épouseroit aveuglément toutes
les volontés, parce que*, brouillé par cet attachement
avec Madame la Duchesse et les princes du sang, ne pou-
vant par cela même s'assurer de Son Altesse Royale, et
mal au dernier point par l'affaire du bonnet avec tant de
gens considérables, il n'avoit de ressource que la protec-
tion du duc du Maine, et par conséquent le plus vif inté-
rêt à toute sa grandeur et son pouvoir; que, tel que fût
le premier président, il avoit acquis à force de manèges
du crédit dans sa Compagnie, éblouie de son jargon, de sa
politesse, de l'attachement qu'il leur avoit persuadé avoir
pour tous les avantages de la Compagnie et de ses magis-
1. Ce est répété deux fois, à la fin d'une ligne et au commencement
de la suivante.
2. Déjà dit dans le tome XXV, p. 2o6, et ci-dessus, p. 56.
3. La corrige leur et des bastards a été ajouté en interligne.
4. L'abréviation de que a été écrite après coup entre parce et
brouillé.
94 MKMdlRKS (4 71 S]
trats, enfin par ses grands airs, sa table, sa dépense, et
l'union que l'afTaire du bonnet avoit si bien rétablie
entre lui et les présidents à mortier, dont quelques-uns
auparavant le tenoient en brassière; que les cabales et les
bassesses qui ne coùtoient rien à M. ni à Mme du
Maine, qui avoient tant fait leurs preuves en artifices
et en noires inventions, étoient indignes de tout homme
et impraticables pour' Son Altesse Royale, dans le
degré surtout où elle se trouvoit ; qu'autre chose éloit de
présenter un colosse dangereux à abattre et les plus
saintes lois à préserver d'une ambition démesurée et
toute-puissante, autre chose d'entrer en concurrence avec
ce colosse sur des dispositions du Roi en sa faveur à la
diminution de l'autorité d'un régent; qu'indépendamment
d'équité, le Parlement est toujours porté à se croire et à
faire, autant qu'il en trouve les occasions, le modérateur
de la puissance, puisqu'il a si souvent tenté de le faire
sentir même aux rois, à plus forte raison dans une entrée
de régence, temps de foiblesse dont- ce corps a toujours
su se prévaloir; que le même amour-propre qui le flatte-
roit d'avoir à prononcer sur le renversement du colosse,
si la cause lui en étoit déférée, et lui feroit goûter la
justice et les raisons d'user du pouvoir de le renverser, ce
même amour-propre trouvera sa satisfaction à prononcer
entre le régent et ce colosse ; et, comme il ne s'agira pas
alors de le détruire, le même amour-propre le portera à
le favoriser sous différents prétextes pour faire naître une
suite de divisions dont il espérera se mêler et en profiter,
et pour avoir un puissant soutien de sa considération et
de son autorité, qui en minorité a si souvent entrepris
sur l'autorité royale, qui est celle dont le régent est re-
vêtu et qu'il ne doit pas laisser entamer. De ce raisonne-
ment, qui n'a rien de contraire à la disposition du Parle-
1. L'abréviation p^ est répétée deux fois, par méparde.
2. Dont est en interligne, au-dessus d't/ù, biffé, et, plus loin, les mots
iccu se prévaloir sont en interligne, au-dessus de de profiter, biffé.
[i745j DE SAINT-SIMON. 9fi
ment contre les bâtards et leurs grandeurs, où il ne s'agit
pas ici de remettre dans les bornes, il sera aisé aux ma-
nèges du duc du Maine et de Mesmes de le tourner favo-
rablement aux prétentions du duc du Maine. Ainsi lutte
indécente et inégale et publique, et, si elle bâte mal sui-
vant ces apparences, quel embarras et peut-être quels dés-
ordres! certainement, quel lustre et quel degré de con-
tinuelles entreprises du Parlement, qui se voudra mêler
de tout avec autorité I quel triomphe et quelle dangereuse
victoire du duc du Maine ! quelle honte pour le Régent,
et quelle situation pendant tout le cours de la Régence !
On tremble donc avec raison en pensant jusqu'où tout
cela peut porter.
Je proposai donc à M. le duc d'Orléans de ne s'y pas Aveu célèbre
,1 1 ,, Ti-r-u du Parlement,
commettre, et de prendre un autre tour. Je lui tis observer ,^
qu'il ne s'étoit fait au Parlement que les deux dernières bouche
régences. On n'y avoit jamais songé auparavant. Le duc pré^[d^\^^
d'Orléans', dépité de voir la régence entre les mains de de la
Mme de Beauieu, femme du frère du duc de Bourbon Vacquene y
' 1 r^L I A iri séant, de
connétable de France-, et sœur fort aînée de Charles V 111, l'entière
pendant sa minorité, tenta la voie de se plaindre, et de incompétence
demander au Parlement justice du tort qu'il prétendoit compagnie
être fait à son droit sur la régence. La réponse célèbre de
que le premier président de la Vacquerie lui fit en plein jÉtat et
Parlement n'est ignorée de personne, et se trouve la même de
dans toutes les Histoires : « La cour, lui dit ce magistrat, gouvernement
n'est établie que pour juger, au nom et à la décharge du
Roi, les procès entre ses sujets, et nullement pour se mêler
d'aucune affaire d'État ni du gouvernement, où elle n'a
pas droit d'entrer, sinon par un commandement exprès
de Sa Majesté. » Le duc d'Orléans, lors héritier présomptif
4. Louis, duc d'Orléans, plus tard Louis XII. Saint-Simon a déjà
raconté l'anecdole qui va suivre, «iaiis le tome XXV, p. 249-"2o0.
2. Anne de France, tille de Louis XI, avait épousé Pierre de Bour-
bon, seigneur de Beaujeu, frère du connétable Jean II, duc de Bour-
bon : tome IV, p. 42.
MKMOIHES
■i;.]
Deux uniques
et modernes
exemples de
régences
faites
au Parlement.
Causes de
cette
nouveauté.
lie la cuuroiino, et (jui y succéda à Cliailts \ 1 1 1 sous le nom
(le Louis XII, no put tirer autre chose du Pai'lement. Il
prit les armes' ; il n'y fut pas heureux; Mme de Beaujeu
demeura régente sans question ni difliculté, et son
atlminislration fut bonne et heureuse jusqu'à la majorité
de Charles YIII. Je passe Mme d'Angoulème -, qui n'a été
régente que pendant deux absences du roi François 1""%
son fds, qui l'établit en partant, et la reine Marie-Thérèse,
que le Roi établit deux fois régente en partant pour ses
conquêtes*. Ainsi, jusqu'à la mort d'Henri IV, nulle men-
tion du Parlement à cet égard.
Personne n'ignore de quelle manière le parricide* fut
commis, ni les ténèbres qui ont couvert un si grand
crime. Il est dillicile aussi de se refuser d'en deviner la
cause que ces ténèbres même indiquent, et que les
Histoires et les Mémoires de ces temps-là font sentir, et'
même quelque chose de plus. Cette remarque étoit
nécessaire; on s'en contentera. Le cas étoit unique. Le
Roi mort à l'instant, au milieu des seigneui's qui étoieni
dans son carrosse, qu'ils firent retourner au Louvre avec
le corps du Roi, peu de grands à Paris, le prince de Condé
hors du royaume, le comtedeSoissons chez lui®, mécontent
de ce qui s'étoit passé sur la duchesse de Vendôme' au
couronnement de la Reine-, l'intérieur intime du Louvre
1. Le mot ormes, sans doute oublié, a été ajouté sur la marge à la
lin d'une ligne.
2. Louise de Savoie, duchesse d'Angoulème : tome IV, p. -43.
3. En d6t)8 et 467-2.
4. C'est-à-dire l'assassinat de Henri IV.
o. Les mots font sentir et sont en interligne, au-dessus à'' indiquent,
biffé.
6. Henri H de Bourbon, prince de Condé, et Cliarles de Bourbon,
comte de Soissons.
7. Françoise de Lorraine-Mercœur, qui avait épousé en juillet 1609
César, duc de Vendôme, bâtard de Henri IV ; elle mourut le 8 sep-
cembre i669.
8. Le dissentiment venait de ce que le comte de Soissons, prince
du sang de la branche de Condé, s'était oflusqué de ce que Henri IV
[I7ir>| DE SAINT-SIMON. Q?
peu étonné et gardant' moins que médiocrement les
bienséances, tout occupé d'assurer toute l'autorité à la
Reine pour établir la leur et leur fortune, cette princesse
élevée au-dessus de toute foiblesse, et sans distraction sur
tout ce qui pouvoit établir" sa pleine et entière régence,
on courut au Parlement pour avoir un lieu public et
solennel et un corps intéressé à soutenir ce qui se feroit
dans son sein, un corps encore qu'on avoit à ménager
par d'autres raisons plus ténébreuses et qui n'étoient pas
moins importantes. Le duc d'Epernou'* environna de son
infanterie le dehors et le dedans des Grands-Augustins,
où le Parlement tenoit ses séances depuis que le Palais
étoit occupé des préparatifs qui s'y faisoient pour les fêtes
qui dévoient suivre le couronnement de la Reine. Tout
cela se fit sur-le-champ. M. de Guise^ et lui entrèrent en
séance, et la Reine y fut aussitôt déclarée régente", en
présence de trois ou quatre autres pairs ou officiers de la
couronne, qui y arrivèrent l'un après l'autre. Le
murmure fut grand d'une nouveauté si subite et si
précipitée ; force mouvements ranimés par la prompte
arrivée et les plaintes de M. le comte de Soissons, et
depuis encore par le retour du prince de Condé et ses
prétentions. Mais la chose étoit faite, et la déprédation des
trésors d'Henri IV, déposés à la Bastille pour l'exécution
de ses grands desseins, et la guerre de Clèves^, achevèrent
avait décidé que la duciiesse de Vendôme porterait, au couronnement
de Marie de Médicis, une robe semée de fleurs de lys comme les prin-
cesses du sang (Mémoires du cardinal de Richelieu, édition de la
Société de l'histoire de France, tome I, p. 60).
i. Ce mot surcharge un autre mot illisible.
2. Avant establir, il y a asseurer, biffé.
3. Jean-Louis de Nogaret de la Valette.
4. Henri l'"' de Lorraine.
5. Mémoires de Richelieu, tome l, p. 00-6O.
6. Saint-Simon veut parler de l'expédition laite en Allemagne en
1610 par l'armée française commandée par le maréchal de la Châtre,
pour régler la succession du duché de Clèves.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVil 7
98
MEMOIRES
[iTir.]
d'affermir l'autorité de la Hi'gente, ou plutôt des gens qui
la gouveriioient. C'est le premier exemple d'une régence
faite au Parlement. On laisse à juger et des causes, et
de la manière, et du droit qu'il peut avoir acquis au
Parlement.
Le second exemple est tout de suite, lorsque la mort la
plus sainte et la plus héroïque couronna la vie la plus
illustre et la plus juste, et en fit à tous les rois la plus
sublime leçon. La valeur de Louis XIII, si utilement bril-
lante lors du malheur de Corbie, aux îles de la Hochelle,
au siège de cette ville et à tant d'autres exploits, au célè-
bre Pas-de-Suse, en Roussi lion et partout', où sa conduite
ne fut pas moins admirable; la sagesse de son gouverne-
ment, le discernement de ses choix, l'équité de son règne,
la piété de sa belle vie-, tant de vertus enfin si relevées^
par sa rare modestie, et le peu qu'il comptoit tout ce qui
n'est point Dieu; ses' victoires, ses succès, qui arrêtèrent
ceux de la maison d'Autriche, et qui anéantirent le parti
protestant, qui faisoit un Etat dans l'Etat, au point^ que
le Roi son fils n'a plus eu besoin que de la simple révo-
cation d'un édit pour le proscrire; l'utile^ protection
donnée à ses alliés, et sa fidélité à ses traités, tant de
grandes choses n'avoient pu le préserver des malheurs
domestiques, augmentés sans cesse par vingt ans de sté-
rilité" de la Reine. Arrivé lentement à sa fin, pour le
malheur de la France et de l'Europe entière, à un âge
qui n'est souvent que la moitié de celui des hommes, il
1. Les mots en Roussillon et partout ont été ajoutés en interligne.
2. Belle vie est en interlif;ne, à la suite de vie, hiïîé, et au-dessus
de conduitte, également bitfé.
3. Relevés coirigé en relevées.
4. Avant ses victoires, il y a enfin, biflé.
5. Les neuf derniers mots, depuis qui faisoit, ont été ajoutés en
interligne.
6. L'utile surcharge la, et, plus loin, donnée à est en interligne
au-dessus de de, bifTc.
7. Saint-Simon a biffé une s mise par mégarde à la fin de ce mot.
[d7i51 DE SAINT-SIMON. 99
ne la regarda que comme sa délivrance pour s'envoler à
son Dieu, et il profita de la tranquillité, de* la paix, de
la liberté de l'esprit que lui conserva si parfaitement ce
Dieu de justice et de miséricorde, pour se rendre plus
digne d'aller à lui par les ordres si judicieux^ que la sa-
gesse, l'expérience^ et la connoissance des choses et des
personnes lui firent dicter au milieu des douleurs de la
mort sur tout ce qu'il crut possible et* nécessaire de régler
pour l'administration de l'Etat après lui, et balancer au
moins avec prudence et harmonie ce qui ne pouvoit être
remis en d'autres mains. Tout donné ce qui étoit vacant,
tout réglé ce qui étoit à faire après lui, il le voulut rendre
public, et le consacrer, pour ainsi dire, par le consente-
meui des personnes les plus proches comme les plus inté-
ressées, et par l'approbation^ de tout ce qu'il put assem-
bler de grands et de personnes considérables de sa cour,
et de gens graves tels que son Conseil et les principaux
magistrats. Tous admirèrent tant de présence d'esprit, de
sages combinaisons, de sagacité et de prudence ; tous en
furent pénétrés. La Reine promit solennellement de s'y
conformer, Monsieur ensuite et Monsieur le Prince, et tous
ceux qui étoient nommés pour former le Conseil. La
Reine et ceux qui la gouvernoient n'en furent*^ pas moins
effrayés des contre-poids établis à l'autorité de sa régence.
Monsieur, foible, facile", de tout temps lié avec la Reine,
1. Avant ce de, il y a un et biffé.
2. Le manuscrit porte les odre si judicieux.
3. Il y a un et biffé encore avant ce mot.
4. Cet et a été répété en interligne par Saint-Simon, quoiqu'il existât
déjà dans la ligne.
5. L'approbation corrige par surcharge le consentem'-.
6. Il y a fut dans le manuscrit; mais, trois mots plus loin, Saint-
Simon a corrigé effrayée en effiayés.
7. Le cardinal de Retz, dans ses Mémoires (édition des Grands écri-
vains, tome 11, p. -173), a caractérisé avec vigueur cette faiblesse de
Gaston d'Orléans : « Comme elle régnoil dans son cœur par la frayeur
et dans son esprit par l'irrésolution, elle salit tout le cours de sa vie.
100 MK.MOlliKS |l71;q
jusque dans tous ses écarts, pris sur-le-cliainp au dépourvu
sans le secours de ceux qui le conduisoient, se laissa en
chanter aux flatteries de la Reine, et crut n'être que plus
puissant en serrant son union avec elle par le sacrifice de
sa part de l'autorité que lui avoit donnée la disposition
dont on vient de parler. Lui gagné. Monsieur le Prince,
attaqué tout de suite par la Reine et par Monsieur, n'osa
résister et céda; à ces si principaux exemples, tout le
Conseil renonça tout de suite, chacun à sa voix nécessaire,
délibérativc, inamissible', et, une heure après la mort du
Roi tout au plus, tout ce qu'il avoit si sagement prévu et
fait se trouva renversé, et l'autorité entière et absolue dé-
volue à la Reine privativementà tous-. C'étoit là un grand
pas de fait; mais l'embarras fut que la disposition avoit
été rendue publique, et lue tout haut en présence du
Roi et de tous ceux qui ont été nommés, et approuvée et
ratifiée de tous. Cette publicité ne se pouvoit détruire que
par une autre. Le Parlement, qui y avoit été mandé, y
avoit eu la même part par ses principaux magistrats.
On craignit les mouvements de cette Compagnie, el,
à son appui, le repentir de Monsieur et de Monsieur le
Prince. On voulut donc ménager et flatter le Parlement^
pour lever tout obstacle. Le dernier exemple autorisoit
l'imitation et frayoit le chemin. Dès l'après-dinée,
car le Roi mourut dans la fin de la matinée, on pra-
II entra dans toutes les afTaircs, parce (ju'il n'avoil pas la force de
résister à ceux qui l'y entraînoient pour leurs intérêts ; il n'en sortit
jamais qu'avec honte, parce qu'il n'avoit pas le courage de les soutenir. »
1. Ce mol était déjà admis par le Dictionnaire de V Académie de
1718, qui ajoute cependant qu'il n'avait d'usage que dans la locution
grâce inamissible.
"1. Il est certain que, dans le lit de justice dont Saint-Simon va
parler ci-après, le duc d'Orléans et le prince de Condé renoncèrent
aux droits que leur conférait le testament de Louis XIII ; mais la scène
particulière dans laquelle Anne d'Autriche aurait décidé ces deux
l)rinces à cette renonciation, n'a été racontée par aucun contemporain.
3. L'abréviation /-•/' surcharge par.
! 4 7 loi
DE SAÎNT-SIMON.
104
tiqua le Parlement; on le brigua toute la nuit, et, le
lendemain matin, la Reine, accompagnée de Monsieur et
de Monsieur le Prince, des pairs et des officiers de la cou-
ronne', vint de Saint-Germain droit au Parlement. Ils y
déclarèrent la cession qu'ils faisoient à la Reine de l'auto-
rité qu'ils avoient reçue de la disposition du fou Roi, pour
la lui laisser à elle seule toute entière, que le Conseil
nommé par feu le Roi en faisoit de même, et la régence
fut ainsi faite et déclarée au Parlement- à ces conditions,
dont la France ne s'est pas mieux trouvée, et qui se sen-
tira peut-être encore longues et cruelles années des pes-
tiférés^ maximes et de l'odieux gouvernement du cardinal
Mazarin.
Deux reines étrangères d'inclination, et de principes Raisons de se
fort éloignés des maximes'* francoises pour le gouverne- passer du
' . , " . . Parlement
ment de l'Etat et des vues si saines des rois leurs maris, pour
dont elles ne regardèrent la perte que par le seul objet de 1^ régence,
leur grandeur personnelle^, dont elles étoient de longue toujours avant
main toutes occupées, que la dernière à la vérité n'a dû ces
au moins qu'à la nature ^ Marie dominée par Conchine ''"^ ermers
T ' _ _ i _ exemples.
et sa femme', Anne par Mazarin, Italiens de la dernière
bassesse, et qui ignoroient jusqu'à notre langue, qui ne
soupiroient qu'après le timon de l'Etat, dont ils se saisi-
i. Les mots des Pairs et des Off. de la courone ont été ajoutés en
interligne, ainsi que de S. Germain droit.
2. Mme de Motteville {Mémoires, tome I, p. 400-107) a raconté
cette scène ; voyez aussi l'ouvrage de Ctiéruel, Histoire de France pen-
dant la minorité de Louis XIV, tome I, p. 57-66, où est donné un
récit complet d'après tous les Mémoires du temps.
3. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 dit que cet adjectif était
un « terme dogmatique » et n'en indique pas l'emploi au figuré.
i. Maximes corrige pr[incipes].
5. L'adjectif persone//e a été ajouté en interligne.
6. Saint-Simon veut dire qu'Anne d'Autriche n'a dû sa régence qu'à
la mort naturelle de Louis XIII, tandis qu'un crime avait procuré celle
de Marie de Médicis.
7. Concino Concini, maréchal d'Ancre, et sa femme Léonora Galigaï
(tomes II, p. 30, et XXIII, p. 2!1, et ci-dessus, p. 4).
10-2 MÉMOIRES [1715]
rent tout aussitôt, et à qui il n'importoit comment ni à
quel titre, il n'est pas surprenant que, méprisant ce qu'ils
ignoroient, c'est-à-dire toutes les formes, les usages, les
règles, les droits, ils se soient jetés à corps perdu avec
leurs reines à ce qui leur sembla assurer davantage l'auto-
rité qui alloit faire le' fondement certain de la toute-puis-
sance qu'ils- s'étoient bien promis de saisir, surtout avec
les raisons qu'on a vues dans la première de s'assurer du
Parlement, et dans l'autre de le ménagera
M.^ le duc d'Orléans ne se trouvoit pas en ces termes.
Rien à couvrir par les ténèbres, ni fds de France ni prince
du sang avec qui lutter, point d'indignes et de vils étran-
gers à faire régner, point de foiblesse de sexe à étayer, nul
usage utile à faire de l'appui du Parlement, et tout au con-
traire à en craindre par les noirs artifices du duc du Maine
et les manèges de son premier président, appuyés des
dispositions du Roi et de l'intérêt du Parlement à s'arro-
ger la fonction de modérateur^ et de juge, de nourrir la
division, de semer les occasions de s'y faire valoir, et
d'usurper cette autoiité de tuteurs des rois si destituée de
tout fondement, et, tant qu'ils ont pu, si hardiment ten-
tée, sur laquelle on verra dans la suite jusqu'à quel point
ils osèrent la porter, faire repentir le Régent de sa mol-
lesse, et le forcer à briser périlleusement sur leur tète le
joug que peu à peu il s'étoit laissé imposer. Je le fis sou-
venir de ce que tous nos Rois, jusqu'à Louis XIV inclu-
sivement, avoient montré de fermeté toutes les fois que le
Parlement avoit osé vouloir passer ses bornes du jugement
des procès et des enregistrements d'édits et d'ordonnan-
A. Avant le, il a bifTé leur puissance.
2. Il y a qui, et non qu'ils, dans le manuscrit.
3. Phrase embrouillée et incorrecte.
4. Ici l'écriture change, indiquant un arrêt dans le travail.
5. Dans le tome XXV, p. Mi-ii'*, il avait dit que le Parlement
s'attribuait le rôle Hp « luffur des rois mineurs et de modérateur
des rois majeurs ».
[1715] DE SAINT-SIMON. 403
ces, et leur avoient déclaré que la connoissance de rien
de ce qui étoit au delà n'étoit de leur compétence Je lui
remis cette vérité, dont jusqu'à présent le Parlement n'a
osé disconvenir, que, s'il est arrivé quelquefois que des
matières plus hautes que les procès des particuliers, ou
des enregistrements qui avoient quelque chose de plus
que Vut îiotum sit pour y conformer les jugements, avoient
été traitées au Parlement par la volonté ou la permission
du Roi, c'étoit sa présence et des grands qui l'y accompa-
gnoient, ou, en son absence, celle des pairs qui y étoient
mandés par le Roi, qui donnoit toute la force, à l'ombre
desquels les magistrats du Parlement y opinoient; chose
tellement certaine, que leur présence a toujours été^ né-
cessairement énoncée dans l'arrêt qui s'y rendoit, par ces
termes consacrés: la coxxv suffisamment garnie de pairs,
si essentielle au jugement même du Parlement, que toutes
les fois qu'il y a" eu des troubles où le Parlement s'étoit
laissé entraîner, comme sous la dernière régence, il ne
s'étoit point fait de délibération au Parlement, concer-
nant ces affaires, que le Parlement lui-même n'envoyât
prier les pairs, et quelquefois même les officiers de la
couronne qui se trouvoient à Paris, d'y venir assister. Il
résulte de cette vérité que ceux qui ne peuvent connoître
d'aucune matière d'État, et^ de leur propre aveu, sans la
présence des pairs qui leur en communique la faculté (on
parle ici de l'usage reçu, non du droit que les magistrats
auroient peine à prouver), ne sont pas nécessaires à au-
cune sorte de délibération ni de sanction d'Etat, et que
ceux-là seuls de la présence desquels ils tirent cette
faculté, qu'ils conviennent n'avoir point en leur absence,
peuvent en tout droit délibérer sans eux, et faire toute
i. Les mots a toujours ont été ajoutés à la fin d'une ligne, et esté
est en interligne au commencement de la suivante, au-dessus d'estoit,
biffé.
2. Avait corrigé en a.
3. L'abréviation d'ef surcharge une .s.
lo; Mi.MoinEs (ni.s|
sanction dKtat. L'unique objection qui se pourroit taire
pour t'blouir, mais sans aucune solidité, c'est que, les ma-
tières et les sanctions d'État s'étant souvent trouvées
mêlées de jurisprudence et de matières légales, comme les
confiscations des grands fiefs, leur réunion à la couronne
par forfaiture, comme il est arrivé des anciennes pairies
possédées par les rois d'Angleterre et par l'empereur Char-
les V, ces matières avoient été traitées au Parlement
pour en éclairer les pairs, le Roi même, et les officiers de
la couronne qui l'y accompagnoient, ce qui ayant ouvert
la bouche aux magistrats du Pailement pour opiner sur
ces matières, leur en avoit donné l'usage en d'autres
moins mêlées des lois, lorsque le Roi y avoit fait assem-
bler les pairs pour les y traiter comme en lieu naturelle-
ment- public; mais cette réponse, telle qu'elle puisse
être, ne répond pas au principe dont le Parlement con-
vient, et ne lui donne pas un caractère qu'il n'a pas pai-
lui-même; il reste toujours vrai (ju'il n'est admis à déli-
bérer sur ces matières que par la présence des pairs, que
leur absence l'en rend incompétent. Donc il en est pai- soi-
même incapable, et les pairs seuls et les officiers de la
couronne uniquement caj)ables et compétents par eux-
mêmes, d'où il se conclut qu'il n'est nul besoin du Par-
lement pour faire ou déclarer une régence, comme il n'a
pas été question de cette Compagnie pour aucune des
régences qui depuis tous les temps ont précédé celle de la
minorité de Louis XIII, et qu'elles ne se doivent faire et
déclarer que par les pairs nés, [les] autres pairs et les
1. Les duchés de Normandie ol do Guycniio avaient été possédés
longtemps par les rois d'Angleterre; la iVormandie leur fut enlevée
par Philippe Auguste, et ils ne furent chassés détinilivemcnl de
Guyenne qu'en ii53. Quant à Charles-Quint, il possédait le comté de
Flandre et une partie du duché de Bourgogne (la Franche-Comté)
comme pelit-tils de Marie de Bourgogne, fille et héritière de Charles-
le-Téméraire.
i. Avant cet adverbe, Saint-Simon a biiïé un premier public.
f17iS] DE SAINT-SIMON. lOH
officiers de la couronne, privativement à qui que ce soit.
Que, si les rois ont été au Parlement déclarer leur ma-
jorité, ou, étant majeurs, aussitôt après leur avènement à
la couronne, cet ancien usage n'a rien de commun avec ce
qui vient d'être dit sur les régences. Une longue pres-
cription, fondée sur la sagesse et le bien de l'État à préve-
nir les troubles qui, dans l'étourdissement que cause tou-
jours la mort d'un roi, naîtroient' aisément des prétentions
à la régence, en a établi le droit au plus proche du sang
du Roi mineur, mâle ou femelle, encore que celles-ci soient
exclues- de la couronne; mais cela même rend témoignage
que la régence n'est pas comme la couronne, et qu'elle
étoit déférée par l'avis des grands qui renfermeroit un
jugement; au lieu que la séance du Roi au Parlement, dès
qu'il est parvenu majeur à la couronne, ou pour y décla-
rer sa majorité, s'il étoit mineur, n'a pour objet aucun
jugement à rendre ni réel, ni fictif, comme est l'objet de
faire et de déclarer une régence, parce que la faire étoit
un jugement réel autrefois, dont on retient l'image, et la
déclaration, déclarer le jugement rendu de^ l'adjudication
de la régence. Cette première séance du Roi au Parle-
ment, soit majeur en succédant à la couronne, soit mineur
qui y vient déclarer sa majorité, n'est donc autre chose
que de venir au lieu public, et le plus solennellement des-
tiné à rendre à ses sujets la justice en son nom, pour y
faire publiquement et solennellement sa fonction de juge
unique et suprême de tous ses sujets, de qui émane le pou-
voir de juger à tous les divers degrés de jurisdictions et de
juges de son suprême fief, qui est son royaume, à cause
de sa couronne et de son caractère royal, qui est unique
en sa personne. Cette séance, où assistent les pairs, et où
le Roi est suivi des officiers de la couronne, n'est donc en
1. Naistroit corrigé en naistroient.
2. Ici le manuscrit porte encore excluoi, comme ci-dessus, p. 2'1 :
voyez la note 4 de la page 190 de notre tome XXVI.
3. Le mot de est en interligne au-dessus de sur, biffé.
406 MÉMOIRES [4715]
soi qu'une pure cc'n'mouio sans dôlibrration sui- rien par
elle-même, ni matière aucune de jugement. Le Roi y
reçoit les hommages de la personne qui a exercé la ré-
gence, et qui lui remet toute l'autorité que sa minorité
l'empèchoit d'exercer par lui-même, offre de lui rendre
compte de l'administration ' qu'elle a eue entre les mains
quand il lui plaira de le recevoir, si c'est un roi mineur
qui déclare sa majorité, puis les hommages collectifs de
tous. Que si, à cette occasion, il se met quelque matière
en délibération fictive ou effective, cela retombe dans les
cas qui viennent d'être dissertes, et ne tient que par hasard
à la cérémonie.
Observation à Je fis observer à M. le duc d'Orléans la jalousie, l'atten-
°do^i'°" ^'®" toujours vigilante du Parlementa prétendre, à entre-
majoriic de prendre, et à créer à son avantage quelque chose de rien,
Charles 1\ et p^j, ^g ^^^j appjya à la majorité de Charles IX*. Il ne s'y
rinipr|.rétation agissoit pas, comme dans les autres, d'une simple céré-
de 1 âge monie telle qu'elle vient^ d'être expliquée. La loi faite par
des rois.'^' Charles V pour la fixation de l'àge de la majorité des rois,
et par les grands qui l'approuvèrent, avoit toujours été
entendue et pratiquée suivant son sens naturel de qua-
torze ans accomplis, quoique le terme accmi/jiis n'y fût
pas exprimé*. Sans allonger ce récit de ce que^ personne
n'ignore de l'histoire de ces temps difficiles, Catherine de
1. Saint-Simon a écrit Vadmistration, et, plus loin, le mot a,
oublié, a été ajouté en interlifine.
2. Il a déjà parlé, avec moins de détails, de la proclamation de la
majorité de Charles IX dans le tome XXV, p. 25t.
3. Le V de vient surcharge un d.
4. En effel les termes de l'onionnance fameuse de Charles V, ren-
due au Bois de-Vincennes en août \\M't, étaient un peu amhigus. Le
Roi décidait que les rois mineurs, nnnuin quartum drciminn rrlutis
sux atting'^nt'-s, devaient avoir le gouvernement et l'administration du
royaume, et. plus loin il disait encore : m dicto anno quarto decimo,
ce qui pouvait plutôt s'entendre de la quatorzième année, entre treize
et quatorze ans.
.3. Ce que est en interligne.
[1715] DE SAINT-SIMON. 107
Médicis, bien assurée de gouverner toujours, avoit inté-
rêt que la minorité de Charles IX finît, et il étoit encore
éloigné de plusieurs mois des quatorze ans accomplis. Elle
voulut donc faire interpréter la loi de Charles V à quatorze
ans commencés'. La cour étoiten Normandie, et les affaires
ne lui permettoient pas de la quitter. Elle mena donc
Charles IX, suivi des pairs et des officiers de la couronne
qui s'y trouvèrent, au parlement de Rouen, où la loi
de Charles V fut interprétée comme elle le desiroit, et
Charles IX déclaré majeur, ce qui pour l'âge- a été suivi
en toutes les majorités depuis. Le parlement de Paris jeta
les hauts cris, députa vers le Roi et la Reine, prétendit
qu'un tel acte ne pouvoit être fait dans un autre parle-
ment. On se moqua d'eux. La Reine leur répondit que la
cour des pairs n'étoit aucun parlement, mais le lieu, tel
qu'il fût, où le Roi ^ se trouvoit, et où il lui plaisoit d'assem-
bler les* pairs. La maxime est si vraie que, sans la cir-
constance de ces temps si difficiles, où la Reine avoit
besoin de tout, elle n'avoit que faire du parlement de
Rouen pour une interprétation de la loi de Charles V, sur
laquelle ce parlement ne put opiner que par la présence
des pairs, comme il a été expliqué, lesquels seuls la pou-
voient faire avec les officiers de la couronne ; mais, comme
il falloit en même temps déclarer le Roi majeur, qui est la
simple cérémonie qui a été expliquée, qui ne se pouvoit
faire qu'au parlement de Rouen, puisque le Roi étoit en
cette ville, ce fut un véhicule pour y faire le tout ensem-
1. Elle y était autorisée d'ailleurs par le seul exemple qui se fût
présenté depuis l'ordonnance de Charles V : Charles VIII, né le
30 juin 1470, régnant depuis le 30 août 1483 sous la régence de sa
sœur Anne de Beaujeu, tut proclamé m.ijeur dans l'asseml.lée des
Etals généraux qui se tinrent à Tours du 13 janvier au 14 mars 1484,
alors qu'il ne devait atteindre ses quatorze ans accomplis que le
30 juin suivant.
2. Les mots p"" l'aage ont été ajoutés en interligne.
3. Le Roy est en interligne, au-dessus d'il, biffé.
4. Les corrige ses.
I0« MKMOIRES (171.^1
ble. Le parloment do l'aris se plaii;iiil longliinps, sans
pouvoir alléguer aucune raison, et il se lut enfin, quand
il fui las de se plaindre, sans avoii- reçu le moindre com-
plimenl.
Mesures et Fondé sur (les vérités si certaines et de si solides rai-
conduitc sons, je proposai à M. le duc d'Orléans d'assembler tous
1 tenir pour , : ' ^ , .
prendre la los pairs et ' les otlîciers de la couronne, aussitôt (|ue le
régence. |^qj se,.oit mort, dans une des pièces de l'appartement de
Sa Majesté, en rang et en séance, avec Monsieur le Duc,
le seul des princes du sang en âge, le duc du Maine et le
comte de Toulouse; que là, tous assis et couverts, seuls
dans la pièce, avec les trois secrétaires d'Etat au bas bout
et derrière la séance vis-à-vis de lui-, ayant une table
garnie devant eux, car le Chancelier étoit le quatrième.
Son Altesse Royale^ fît un court discours de louange et de
regrets du Roi, de la nécessité urgente d'une administra-
tion, de son droit à la régence, qui ne pouvoit être con-
testé, du soin qu'il auroit d'éclairer ses bonnes intentions
par leurs lumières, et subitement les regarder tous en
leur disant avec un air de confiance, mais d'autorité :
« Je ne soupçonne pas qu'aucun de vous s'y oppose » ; se
lever, gracieuser un chacun, les convier de se trouver
Taprès-dînée au Parlement, et, si le Roi mouroit le soir,
ne faire cette assemblée que le lendemain malin, pour ne
laisser pas la nuit au duc du Maine à cabaler le Parle-
I. Avant et Saint-Simon a biiïé len Ducf Vérifiés.
"2. Pour comprendre ce que Saint-Simon veut dire, il faut se rappe-
ler que les séances des conseils formaient toujours un carré long; au
haut bout se tenait le Roi et à ses côtés en retour les princes, puis les
autres membres par rang de dignité ou d'ancienneté, les derniers venus
occupant le bas bout du carré. Il veut donc dire que les trois secrétaires
seraient placés au bas bout, mais cependant derrière la partie de la
séance qui ferait vis-à-vis au Régent.
3. Les mots car le chancelier estait le 4^ S. A. R. sont en interligne
au-dessus d'j7 biffé. En effet le chancelier Vojsin possédait la charge
de secrétaire d'État de la guerre ; mais sa place, dans cette séance,
aurait été avec les officiers de la couronne.
flTIoJ DE SAINT-SIMON. 109
ment, et au premier président d'y haranguer. Arrivé droit
au Parlement, lui dire qu'il vouloit, par l'estime qu'il avoit
pour la Compagnie, sans rien de plus, leur venir faire
part lui-même et secondouloir ' avec eux de la perte que
la France venoit de faire, et de la régence qui lui échéoit
par le droit de sa naissance, et les assurer du soin qu'il
auroit de se faire éclairer de leurs lumières dans les
besoins qu'il en auroit; que, pour commencer à leur
témoigner le désir qu'il en avoit, il leur communiquoit le
plan qu'il estimoit le meilleur après M. le duc de Bour-
gogne, dans la cassette duquel il avoit été trouvé-, et dé-
clarer là les conseils sans nommer personne ; abréger
matière, et finir la séance. Gomme la régence étoit faite
et déclarée avant que d'y entrer, les gens du Roi n'au-
roient point eu à parler, ni le Parlement à opiner ni rendre
d'arrêt. Si M. du Maine s'étoit mis en devoir de parier,
l'interrompre et lui dire que c'étoit à lui moins qu'à per-
sonne à vouloir contredire ce qui s'étoit^ fait comme dans
toutes les régences précédentes à celle'* des deux dernières
reines, dont le cas particulier de chacune d'elles deman-
doit la forme qu'elles avoient prise, qu'elle étoit trop
nouvelle et trop différente de celle de tous les temps pour
avoir la force de la changer par ces deux seuls exemples,
et qu'après toutes les choses inouïes qu'il avoit obtenues,
il devoit éviter avec soin de parler de ce qui étoit de règle,
comme de ce qui n'y étoit pas, et sans attendre de réponse,
lever la séance. Si le premier président avoit voulu parler
sur la même chose, l'interrompre pareillement, lui dire
qu'il marqueroit toujours au Parlement toute l'estime et
1. « Se condouloir, participer à la douleur de quelqu'un, témoigiier
qu'on prend part à son déplaisir. C'est le terme dont on se sert dans
les visites qui se rendent pour les pertes que quelqu'un a faites. Il
ne se met qu'à l'iniinitit' et est de peu d'usage » (Académie, 1718).
2. Tome XVII, p. 138, et ci-dessus, p. 9.
3. Il y a c'estoit, par mégarde, dans le manuscrit,
i. C'est-à-dire, ayant précédé celle.
ilO MÉMOIRES [i7451
la considération (|iril nuritoit, mais (juil ne croiroit
jamais (|uo réquitr ol la sagesse de la Compagnie» exigeât
que ce lût aux dépens des droits' de sa naissance el de
ceux à (|ui il s'étoit adressé*, ni qu'elle pût prétendre que
deux exemples uni(|iies et modernes prescrivissent une
règle ignorée jusque-là de toute l'antiquité; et pareille-
ment lever la séance. En se levant, passer les yeux sur
tout le monde, et se faire suivre par tous les pairs, inté-
ressés ainsi que les otticiers de la couronne à soutenir ce
qui s'étoit passé avec eux. Si le l\oi avoit fait' des dispo-
sitions, ajouter qu'il auroit toujours tout le respect pour
la mémoire du l\oi, et tous les égards qu'il lui seroit pos-
sible pour ses volontés, mais que tous les siècles appre-
noient que toute l'autorité personnelle des rois finissoit
avec eux, qu'ils n'en ont aucune sur une régence dont
personne ne peut prendre prétexte par sa naissance de
partager l'autorité ; que ce seroit manquer à ce qu'il se doit
à soi-même de souffrir que son honneur, sa fidélité pour
la personne du Koi, son attachement au bien de l'État
demeurassent soupçonnés, et par son propre aveu, en se
soumettant à des dispositions inspirées par l'ambition de
qui avoit voulu profiter de la foiblesse de l'âge et des ap-
proches de la mort; que les dispositions si sages et si
utiles de Charles V et de Louis Xlll n'avoienl eu aucun
effet ; que celles de Louis XIV, qui étoit bien éloigné des
circonstances qui avoient porté ces deux grands rois à les
faire, ne* pouvoient donc être plus recommandables que
les leurs, ni avoir un sort plus consistant; qu'en un mot,
celles de ces deux princes n'alloient qu'à maintenir le bon
ordre et le repos de l'État ; que celles du Roi n'y pour-
4. Des droits surcharge de sa.
2. El des droits de ceux à qui il s'étoit adressé, c'est-à-dire, des
pairs el des olliciers de la couronne.
3. Fait, oublié, a élé ajouté en interligne.
4. Avant ne, Saint-Simon a biiïé qu'elles, et, au-dessus d'elles, il
avait d'abord écrit les siennes, qu'il a ensuite biffé.
[1743] DE SAINT-SIMON. \H
roient mettre que du trouble, dont il n'est pas juste que
l'État soit menacé ni travaillé pour l'ambition particulière
de quelques-uns, et pour exécuter aveuglément les der-
nières volontés du Koi en matière d'Etat, quand celles de
pas un de ses nombreux prédécesseurs qui en avoient'
laissé n'avoient jamais été considérées un seul moment, et
étoient tombées avec eux. Cela dit, lever la séance.
Je représentai ^ à M. le duc d'Orléans que, s'il avoit
affaire à un duc de Guise pour l'ambition, le duc du
Maine n'avoit ni le parti ni les souliens étrangers, ni le
personnel des Guises ; quec'étoit un homme timide, à qui
il falloit imposer, et à son premier président tout d'abord ;
que cela seul les feroit trembler, et que, dans le très peu
de gens sur lesquels ce fantôme de Guise * se flattoit de
pouvoir compter dans le décri* où étoit sa personne, et
l'indignation publique de tout ce à quoi il étoit parvenu,
il n'y en auroit aucun qui, sur un appui aussi odieux et
aussi frêle, osât lever la tète contre un régent unique en
sa naissance, dont la valeur étoit connue, et qui savoit
montrer le courage d'esprit que je lui conseillois, et la
fermeté qui serolt son salut, et qui fonderoit sa gloire et
son autorité entière et paisible pour tout le cours de sa
régence; que le Parlement, adroit à se prévaloir de tout,
mais n'ayant personne pour soi par l'intérêt des pairs et
des otticiers de la couronne, qui se trouveroient engagés
d'honneur par ce qui se seroit passé le matin avec eux
sur la régence à Versailles, sentiroit promptement son ira-
puissance et l'embarras du fonds et de la forme: du fonds,
d'ériger en loi, lui tout seul, deux exemples récents con-
4. Ce.l avoient est en interli^e, au-dessus d'un premier avaient, hiffé.
2. Saint-Simon avait écrit reprentay, qu'il a mal corrigé en ajou-
tant sen en interligne.
3. Les mois ce fantosme de Guise sont en interligne, au-dessus d'e7,
biffé.
4. « Décii, signifie figurément perte de réputation et de crédit »
(^Académie, 1748).
ll"2 MÉMOIRES llTir.]
Iraires à tous n-ux ijui les avoii-iil |ji'écédés, et deux
exemples singuliers par leurs circonstances et les conjonc-
tures, et de se roidir à faire passer en règle les disposi-
tions de Louis XIV, odieuses par elles-niênics, contre
l'exemple constant de toutes les autres dispositions pa-
reilles, dont pas une n'avoit eu le moindre efVet, quoi<]ue
si sages et si nécessaires ; de la forme, par leur incompé-
tence, reconnue par eux-mêmes, de délibérer, encore
moins de statuer rien en matière d'Etat qu'avec les pairs
et par' leur présence et concours, et mandés pour ce par
le Hoi, ou en minorité par le Régent; et si, dans des temps
de troubles, le Parlement, entiaîné contre la cour, avoit
quelquefois voulu entreprendre de se mêler d'affaires
d'État ou- de gouvernement, ce n'avoit jamais été qu'au
moyen et à l'ombre de la présence des pairs, et quelque-
fois des officiers de la couronne, qu'il envoyoit convier d'y
venir prendre leurs places, chose qui n'étoitpas à craindre
en cette occasion, par l'intérêt des pairs et des olTiciers
de la couronne de ne se prêter pas au dessein de détruire
leur droit autant qu'il étoiten eux, et leur ouvrage, pour
soumettre l'un et l'autre aux magistrats, qui n'en avoient
aucun; que^, pour quelques-uns d'eux qui, en très-petit
nombre, se trouveroient nommés dans les dispositions, la
jalousie du grand nombre qui n'y auroit point de part
l'empêcheroit de se prêter à soutenir cette disposition et
les entreprises du Parlement contre eux-mêmes, encore
moins que la déclaration des conseils, sans nommer per-
sonne, leur montreroit un bien plus grand nombre de
places considérables à remplir, et à y succéder par va-
cance, que les dispositions du Roi n'en auroient établi,
dont l'espérance encore les refiendroit tous, et le choix
1. Par est en inlerli^'iie, au-dessus (ïeit, bille, et, plus loin, les
mots et concours ont été aussi ajoutés en interligne.
2. Ou en interligne, remplaçant et biiïé, et, plus loin, quelquef'on
est aussi en interligne.
3. Après ce que, il y a un de, biflé.
[4745] DE SAINT-SIMON. 113
achèvei'oit de les attacher à lui ; enfin que je m'attendois
bien aux plaintes du Parlement, mais qu'elles seroient si
semblables à celles qu'il fit sur la majorité de Charles IX
et l'interprétation delà loi de Charles V faite au parlement
de Rouen ', que je comptois aussi que l'effet et la fin en
seroit toute pareille-, ce qui diminueroit d'autant le nom,
le crédit, l'autorité du Parlement, à l'augmentation du
pouvoir du Régent et rendroit cette ardente Compagnie
d'autant plus retenue à entreprendre.
J'ajoutai un détail des pairs et des officiers de la cou- Conduite
ronne qui le devoit bien rassurer, outre l'esprit qui ré- f. ''^"\'".*"'" '^^
, . (. 1*1 / dispositions du
gnoit alors si peu favorable aux bâtards, par conséquent Roi
aux dispositions que le Roi ne pourroit avoir faites qu'en indifférentes, et
leur faveur. Je fus d'avis que, sur tout ce qui ne touche- traitement
roit ni l'État ni le gouvernement en aucune sorte, M. le à faire à Mme
duc d'Orléans se fît honneur d'en faire un entier^ à ces
mêmes dispositions du Roi, non pas comme faisant loi et
par nécessité de les suivre, mais par un respect volontaire
et bienséant, par sa propre autorité à lui, et pour s'éloi-
gner de la bassesse de porter des coups au lion^ mort.
Par la même raison, je fus d'avis que Mme de Maintenon
jouît pleinement, et son Saint-Cyr, de tout ce que ces
dispositions auroient fait en leur faveur, et que s'il n'y
en avoit point, que toute liberté lui fût laissée de se re-
tirer où elle voudroit, et que rien de pécuniaire qu'elle
desireroit ne lui fût refusé. Il n'y avoit plus rien à craindre
de cette fée presque octogénaire; sa puissante et perni-
cieuse baguette étoit brisée ; elle étoit redevenue la vieille
Scarron. Mais je crus aussi qu'excepté liberté et le pécu-
niaire personnel, tout crédit et toute sorte de considéra-
■1. Ci-dessus, p. 107.
2. Remarquer l'accord du verbe et de l'adjectif complément avec le
dernier mot du sujet seulement; on en trouvera un autre exemple à la
fin de la présente page.
3. C'est-à-dire de faire complètement honneur à ces dispositions, de
les exécuter entièrement.
4. Ecrit ici lyon, comme le nom de ville.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 8
5 avoir.
11 i MÉMOIRES [1715]
tion lui devoit cire soigneusement ùlée et refusée'.
Elle avoit mérité bien pis de l'Etat et de M. le duc d'Or-
léans.
Prévoyances Parmi ces mesures, je n'oubliai pas celles que, dispo-
sitions du Roi faites ou non, la prudence devoit inspirer.
C'étoit de s'assurer du régiment des gardes, ce (jui étoit
fort aisé avec le duc de Guiche pour de l'argent-. Contades,
qui le gouvernoit et qui de plus étoit fort accrédité dans
le régiment, étoit honnête homme et bien intentionné, et
depuis longtemps je m'étois attaché à gagner Villars qui
n'éloit qu'un avec Contades, et qui avoit son crédit per-
sonnel sur le duc de Guiche. J'ai déjà parlé de ces deux
hommes''. S'assurer de Reynold, colonel du régiment des
gardes suisses\ le premier et le plus accrédité de ce corps,
et qui le menoit, fort homme d'honneur, et peu content
en secret du joug du duc du Maine; s'attacher Saint-
Hilaire"', qui pour l'artillerie étoit au même point que
Reynold dans les Suisses, et ne pas négliger d'Argenson
(tout cela fut fait^), etavec cela rien à craindre dans Paris,
4. Ces deux participes sont bien au féminin dans le manuscrit.
2. Voyez ci-dessus, p. 48.
3. Tome XXVI, p. 350 et 360.
4. François de Reynold, d'une famille du canton de Fribourg, dont
plusieurs membres avaient été au service de l'rance, avait commencé
par servir comme lieutenant dès 1653 dans la compagnie des gardes
suisses que commandait son père ; il eut une compagnie en 1657,
après avoir fait campagne en Picardie. En janvier 1689, le Roi le
nomma lieutenant-colonel de ce régiment. Devenu brigadier en mars
1690, il obtint un régiment suisse de son nom le 30 septembre de la
même année. 11 passa maréchal de camp dans la promotion du 3 jan-
vier 1696. et lieutenant général en décembre 170"i ; dans le courant du
mois de juin de la môme année 170^2, le Roi l'avait désigné comme colo-
nel du régiment des gardes suisses. Il ne lit plus campagne après
1703; en septembre 1715, le Régent le choisit pour siéger au conseil
de la guerre et le nomma grand croix de Saint-Louis le 10 mai 4718.
11 mourut le 4 décembre 1722, âgé de plus de quatre-vingts ans.
5. Armand de Mormès de Saint-llilairc, lieutenant général de l'ar-
tillerie : tome XVI, p. 298 et 679.
6. Nous plaçons entre parenthèses celte courte phrase qui indique
[1715] DE SAL\T-SIMON. 115
ni du Parlement, qui se trouveroit environné du régiment
des gardes quand le Régent y' iroit. Rien à faire dans les
provinces, où personne n'avoit d'autorité, qui^ toutes
étoient indignées de la grandeur des bâtards et qui n'ose-
roient branler. Pour les frontières, du Bourg, qui com-
mandoit en Alsace, étoit honnête homme, sans liaisons
de cour, qui vouloit le bâton de maréchal de France, qu'il
avoit bien mérité et qui lui viendroit bien plus naturelle-
ment par le Régent que par des troubles ; ainsi des vues
et de la situation des autres principaux des frontières. Il
ne restoit donc qu'à avoir du courage, de la suite, du
sens froid, un air de sécurité, de bonté, mais de fermeté,
et de marcher tranquille et tête levée aussitôt que la mort
du Roi ouvriroit cette grande scène.
Je m'aperçus aisément que M. le duc d'Orléans étoit Foiblcssc
peiné de trouver tant d'évidence aux raisons dont .iA/ "*^
r . . . .... a Orii-ans
j'appuyois la proposition que je lui faisois de se passer à l'égard du
du Parlement poursa^ régence. Il m'interrompit souvent Parlement.
dans les diverses conversations qui roulèrent là-dessus ;
il avouoit que j'avois raison; mais il ne pouvoit ni
contester mon avis ni s'y rendre, quoiqu'il ne le rejetât
pas. Il falloit, pour l'embrasser utilement, plus de nerf,
de résolution et de suite que la nature n'en avoit mis en
lui, plus savoir payer d'autorité, de droit, d'assurance
par soi-même, et sur le pré^, et vis-à-vis des gens, et sans
secours d'autrui, qu'il n'étoit en lui de le faire. Je me
contentai de lui inculquer ce que je pensois, et les raisons
de se conduire comme je le pensois, à diverses reprises,
sans le presser au delà de ce qu'il en pouvoit porter. Sa
que Saint-Simon écrit après les événements, quoiqu'elle soit seulement
entre virgules dans le manuscrit.
1. Cet y a été ajouté en interligne.
"1. Avant qui, il y a un et, biffé.
3. Les mots p'" sa surchargent sur.
4. On disait « se trouver sur le pré pour dire se trouver au lieu
d'un combat singulier » (Académie, 1718). Saint-Simon compare à un
duel les circonstances dans lesquelles se trouverait le Régent.
110 MEMUIKES [1715)
cléliaiico, ([111 II a\oit [)oiiiL de bor'iies, m arrùla dans
celles-ci. Je crus voir qu'elle venoit au secours de sa
foil)lesse, et que, j)oui' se la cacher à lui-niènie, il se per-
suada que je voulois me servir de lui en haine du l'arle-
ment, par rapport à l'afïaire du bonnet, et revendiquer
le droit des pairs par rapport à la régence sur l'usurpa-
tion moderne du l'ai'lement. L'expérience de ce qui s'y
passa sur sa régence le fit repentir de ses soupçons, et de
s'être laissé entraîner à des gens peu fidèles, que sa foi-
blesse favorisa, et qui le jetèrent dans le dernier péril de
se perdre avant de commencer d'être, comme on le verra
en son lieu'. Ces gens étoient Maisons, Efiîat, deux scélé-
rats dévoués au duc du Maine et au Parlement; Canillac,
gouverné par l'encens de Maisons, devenu par là son
oracle-; peut-être Noeé^, par ignorance, ébloui du nom
du Parlement.
Étal Noce* étoitun grand homme, qui avoit été fort bien fait.
Noce. ^^^ avoit assez servi pour sa réputation, (jui avoit de
l'esprit et quelque ornement dans"' l'esprit, et de la grâce
quand il vouloit plaire". Il avoit du bien assez considéra-
blement, et n'étoit point marié', parce qu'il estimoit la
liberté par-dessus toutes choses. 11 étoit fort connu de
M. le duc d'Orléans, parce qu'il étoit fils de Fontenay, qui
1. Lorsqu'il racontera la séance du Parlement après la mort de
Louis XIV.
± Tome XXVL p- 365-367.
3. Charles de Noce, seigneur de Fontenay : tome XIV, p. 302.
4. La lin de ce mot surcharge un / (//), qui commen(;aif le paragraphe.
5. Dans est en interligne, au-dessus de de, bitré.
6. Sur Noce, l'un des roués du Régent, on peut voir les Porte-
feuilles du président Bouhicr, par le prince Eiiim. de Broglie, p. 410-
114, et Lord Walpole à la cour de France, par le comte de Bâillon,
p. 37-43.
7. C'est une erreur : il avait épousé, en février 1690, Marguerite
de Rambouillet, fille d'Antoine de Rambouillet de la Sablière et de
l'amie dévouée de la Fontaine; elle était veuve alors de Guillaume
Scott de la Mésangère, conseiller au parlement de Rouen, et elle
mourut le 30 novembre 1714, sans enfants.
[17151
DE SAINT-SIMON.
417
avoit été son sous-gouverneur^ et il lui avoit plu par la
haine de toute contrainte, par sa philosophie toute épicu-
rienne, par une brusquerie qui, quand elle n'alloit pas à
la brutalité, ce qui arrivoit assez souvent, étoit quelque-
fois plaisante sous le masque de franchise et de liberté ;
d'ailleurs un assez honnête mondain, pourtant fort parti-
culier. Il étoit fort éloigné de s'accommoder de tout le
monde, fort paresseux, ne se gênoit pour rien, ne se
refusoit rien. Le climat, les saisons, les morceaux rares
qui ne se trouvoient qu'en certains temps et en certaines
provinces, les sociétés qui lui plaisoient, quelquefois une
maîtresse ou la salubrité de l'air, l'attiroient ici et là, et
l'y retenoient des années, et quelquefois davantage; d'ail-
leurs poli, vouloit demeurer à sa place, ne se soucioit^ de
rien que de quelque argent, sans être trop avide, pour
jeter librement à toutes ses fantaisies, dont il étoit plein
en tout genre, et à pas une desquelles il ne résista jamais.
Tout cela plaisoit à M. le duc d'Orléans, et lui en avoit
acquis l'amitié et la considération. G'étoit un de ceux
qu'il voyoit toutes les fois qu'il alloit à Paris, quand Noce
y étoit lui-même, avec lesquels tous je n'avois ni liaison
ni connoissance, parce que je ne voyois jamais M. le duc
d'Orléans à Paris, et que ces personnes-là^ ne venoient
jamais à Versailles. Depuis la Régence, je n'eus guères
plus de commerce avec eux. Leur partage étoit les soupers
et les amusements du Régent, le mien les affaires, sans
aucun mélange avec ses plaisirs.
J'avois depuis fort longtemps une idée dans la tête que
je voulus examiner, et voir si elle étoit possible, lorsque je
commençai à m'apercevoir de la diminution de la santé du
Roi. Je fis sur cela un travail à la Ferté, où je m'aidai de
gens plus propres que moi au calcul, sans leur commu-
1. Tome XXVI, p. 277.
2. Les mots se souciait de sont en interligne au-dessus de vouloit,
biffé, et, plus loin, de a été ajouté avant quelque.
3. La première lettre de personnes corrige un g (gens).
Survivances,
brevets de
retenue
et charges a
rembourser,
raisons et
moyen
H8 MÉMOIRES [1715]
dr le faire, et niqiier à quoi il tendoit, et je connus qu'il y avoit de
dien'compi»nso8 ' ♦^tolTe'. Voici quelle elle éloit : jevoulois reuflre M. le duc
à procurer*. d'Orléans maître de toutes les principales charges de la
cour, à mesure qu'elles viendroient à vaquer, et d'autres
dont je parlerai après, et lui donner auprès du Hoi l'hon-
neur de les lui faire trouver libres à sa majorité. Il n'y en
avoit presque plus qui ne fussent en survivance ou char-
gées de gros brevets de retenue qui tendoient au môme
effet. Par ce moyen elles étoient rendues héréditaires.
Qui n'en avoit point n'en pouvoit espérer ; le Roi n'avoit
rien à disposer. Les fils succédant aux pères obtenoient'
sûrement, ou sur-le-champ ou tôt après, le même brevet
de retenue, et, si, par un hasard d'une fois en vingt ans,
il s'en trouvoit une à disposer, c'étoit en payant le brevet
de retenue par le successeur, qui alors en obtenoit sur-
le-champ un pareil. Cette grâce lui taisoit bien trouver la
somme entière du prix de la charge ; mais les arrérages
de cet emprunt étoient au moins égaux aux appointe-
ments de la charge, en sorte qu'il la faisoit à ses dépens, et
s'y ruinoit souvent. Je voulois donc payer tous ces brevets
de retenue. C'eût été une grâce inespérée pour ceux qui en
avoient, que cela eût libérés du fonds hypothéqué dessus, et
leur eût laissé libre et en gain la jouissance de leurs appoin-
tements. Tout le gré de tant de gens considérables en eût
été à M. le duc d'Orléans, qui, dans le cours de sa Régence,
auroit eu le choix libre pour remplir les vacances, et
l'auroit remis au Roi à sa majorité. Mais aussi la con-
dition essentielle étoit de se faire une loi immuable de
ne donner jamais ni survivances ni brevets de retenue
pour quelque raison que ce pût être. Chacun alors
i. (' On dit d'un jeune homme dont les dispositions sont heureuses
et n'ont besoin que d'être cultivées, on peut faire de lui quelque
chose de bon, il y a de l'étoffe » (Académie, 4748).
2. Saint-Simon avait d'abord écrit Le /ils succédant à son père
obtenoit; il a mis ensuite toute la phrase au pluriel.
• Avant procurer, il a biffé faire.
[nin] DE SAINT-SIMON. H9
auroit' espéré et se seroit conduitde façon à fortifier son es-
pérance, et on auroit banni l'indécence de voir des enfants
exercer les premières charges, et de[s] jeunes gens gorgés
les déshonorer par leur conduite, fondée sur une situa-
tion brillante qui ne peut- leur manquer, et qui ne leur
laisse ni crainte de perdre ni désir d'obtenir. Or les
hommes se mènent presque tous beaucoup mieux par
l'espérance et par la dépendance que par la reconnoissance
et par d'autres égards, ce qui rendoit ce remboursement
beaucoup plus utile encore à un régent, qui par là acqué-
roit^ l'un et l'autre. J'en voulois faire autant et par mêmes
raisons, pour les gouvernements de province dont l'objet
n'étoit pas fort, non plus que leurs lieutenances générales '
que j'avois encore plus à cœur. Voici ma raison d'affection
particulière. Le nombre d'officiers généraux étoit devenu
excessif dans ces guerres continuelles, par cette détestable
méthode de faire de nombreuses promotions par l'ordre du
tableau. En même temps presque point de récompenses;
en sorte qu'on a vu des maréchaux de camp et force bri-
gadiers demander, accepter avec joie, et n'obtenir pas tou-
jours des emplois dont, avant cette foule, les commandants
de bataillon des vieux corps se croyoient mal récompensés.
Un gouvernement de place de quinze ou seize mille livres
de rente à tout tirer^, ordinairement à résidence, est tout
ce qu'un bon et ancien lieutenant général peut espérer.
Les gouvernements bons et médiocres ne sont pas en
très grand nombre, de sorte que beaucoup de lieutenants
généraux attendent longtemps, et que plusieurs n'en ont
jamais, et c'est pourtant tout ce qu'ils peuvent espérer.
Les grandes croix ^ de Saint-Louis sont en très petit nom-
1. Avant auroit, Saint-Simon a biffé un en, qui changeait complè-
tement le sens de la phrase.
2. Peut est en interligne au-dessus de pouvait, biffé.
3. Saint-Simon écrit acquiéroit.
4. Il a été parlé de ces charges dans notre tome XII, p. 452.
5. C'est-à-dire y compris tous les profits qu'on en peut tirer.
6. Avant croix, il y a un de, biffé.
1-20 MÉMOIRES [1715]
hre, Pt. quelque profititution qu'il se soit faite des colliers
(le l'ordre du Saint-Esprit, ils sont rares pour ces récom-
penses, et ne donnent pas de subsistance. Je voulois donc
affecter toutes les lieutenances générales des provinces à
la récompense des lieutenants généraux, et les lieute-
nances de Roi des provinces aux maréchaux de camp, ce
qui, avec les gouvernements de places qui leur en servent
jusqu'à cette heure, fourniroit à tous, en observant que
le même n'eût jamais l'un et l'autre. Rien de plus natu-
rel, de plus convenable, ni de plus utile au vrai service
du Roi et à celui des provinces, que cette sorte de récom-
pense qui laisseroit les très petits gouvernements de
places et de forts, et tous les états-majors des places, aux
brigadiers et à ce grand nombre d'otïiciers si dignes de
récompenses. Je voulois que ces lieutenants généraux et
ces lieutenants de Roi des provinces en fissent les fonc-
tions, et remettre ainsi l'épée en lustre et en autorité, en
bridant et humiliant les intendants des provinces et cette
foule de trésoriers de France, d'élus, de petits juges,
de gens de rien, enrichis et enorgueillis, qui sous les
intendants sont les tyrans des provinces, le marteau
continuel' de la noblesse, et le fléau du peuple, qu'ils
dévorent. Rien de si indécent que la manière dont ces lieute-
nances générales et de Roi des provinces se trouvoient
remplies*. Les premières étoient devenues le patrimoine
des possesseurs; c'étoient souvent des enfants, presque
toujours des personnes aussi ineptes^. Les autres, hérédi-
taires par l'édit assez nouveau de leur création, n'étoient
presque remplies que de gens qui n'étoient pas ou bien à
peine gentilshommes, et qui pour leur argent avoient
couru après ce petit titre pour se recrépir. Rembourser
les uns et les autres, c'étoit ôter des images la plupart
4. Figure déjà employée dans le tome XXII, p. i7, et ci-dessus,
p. 33.
2. Le participe remplies, oublié, a été ajouté sur la marge.
3. Au sens d'inapte, comme dans notre tome XVI, p. 204.
[ilio] DE SAINT-SIMON. 1-21
ridicules, pour leur substituer mérite, valeur, âge, main-
tien, usage de commander, en même temps se dévouer
tout le militaire par une telle et si nombreuse destination
de récompenses. Le moyen étoit par une taxe sourde' aux
gens d'affaires. L'expérience doit avoir dégoûté des
chambres de justice. L'argent et la protection y sauvent
tous les gros richards- qui ne se sont pas rendus absolu-
ment odieux, et de ceux-là encore il s'en tire beaucoup
d'affaires^; on les vexe pour enrichir le protecteur. Les
alliances que la misère des gens de qualité leur a fait
faire avec eux en délivrent encore un grand nombre. Les
médiocres financiers ont aussi leurs ressources pour
échapper : les taxes, faites pour la forme, obtiennent des
remises et des modérations ; en un mot beaucoup de
bruit, qui perd le crédit dont [on] a besoin tant que la
finance demeure sur le pied où elle est; grands frais, que
le Roi paye ; force grâces à droit et à gauche aux dépens
des malheureux; au bout, nul profit pour le Roi, ou si
mince qu'on est honteux de l'avouer. Au lieu d'une si
ruineuse méthode, parler à l'oreille à ces gens-là, leur
dire qu'on ne veut ni les décréditer, ni les tourmenter,
ni mettre leurs affaires au jour, mais qu'on n'est pas
aveugle aussi sur leurs gains excessifs, qu'il est rai-
sonnable qu'ils en aident le Roi, et qu'ils ne se commettent
pas à un traitement rigoureux, au lieu du gré qu'ils ac-
querront* à faire les choses de bonne gràce% et se prépa-
reront les voies à remplir une partie du vuide qu'ils s'im-
poseront ; les assurer que ce qu'on leur demande
i. La suite va expliquer ce que Saint-Simon veut dire par cette
expression de «t taxe sourde ».
"1. « Richard, qui a beaucoup de bien ; il ne se dit ordinairement
que des personnes de condition médiocre, et en style familier « (Aca-
démie, 1718) ; ci-dessus, p. 74.
3. Il veut dire que, même de ceux qui se sont rendus odieux,
beaucoup se tirent d'affaire.
4. Ecrit acquerreront.
o. Il y a bonne au sing:ulier et grâces au pluriel dans le manuscrit.
49-2 MEMOIRES [1715]
demeurera secret, pour ne pas intéresser leur crédit et leur
réputation ; leur faire à chacun des propositions modérées
et proportionnées à ce (jue l'on peut raisonnal)lement
savoir do leurs prolits; leur répartir les brevets de retenue
et les lieutenances générales des provinces par lots, sui-
vant ce qu'on seroit convenu avec eux, et le temps court
pour apporter les démissions et les quittances ; et, si
quelques-uns d'eux faisoient les insolents, les traiter
militairement, de Turc à More', et subitement sans
merci, pour donner exemple aux- autres. A l'égard
de ceux qui sont revêtus de ces emplois, dont il se
Irouveroit quelques-uns à conserver jusqu'à vacance,
leur parler civilement, mais en leur montrant qu'on veut
être obéi. Pour les lieutenances de Roi, où il y en auroit
peut-être fort peu à conserver, mais en leur déclarant
qu'il n'y a plus d'hérédité, la plupart se trouveroient de
telle espèce qu'il n'y auroit pas grande différence entre
eux et les charges municipales créées de même, et qui
ont été supprimées aux dernières paix, et point ou très
peu remboursées. Quelle comparaison entre le méconten-
tement des remboursés et des supprimés de ces charges,
et l'acclamation de toutes les troupes que M. le duc
d'Orléans se dévoueroit par la réalité et par l'espérance
de cette multiplication de belles récompenses, depuis le
premier lieutenant générai jusqu'au dernier enseigne et
cornette, parce que' ce grand nombre de différentes ré-
compenses déboucheroit bien plus aisément les têtes des
corps, et donneroit de justes espérances à la queue de
monter plus tôt, et d'arriver; et quelle sûreté et quelle
facilité dans tout le cours de la Régence, et quelle consi-
dération après, recueilleroit ce prince de s'être ainsi atta-
1. « On flit proverbialement traiter quelqu'un de Turc à More,
pour dire le traiter avec toute sortf rie dureté et sans aucun égard »
(Académie, 4718).
2. Avant aux il a biffé à d'aut[rcs].
3. Que, oublié, a été ajouté après coup.
flT^S] DE SAINT-SIMON. 423
ché toute la cour et tout le militaire de tout grade, et de
les avoir' mis de plus dans sa dépendance par ces solides
espérances! Je dis jusqu'au dernier cornette : en voici la
raison. En proposant à M. le duc d'Orléans tout ce qui vient
d'être expliqué dans cet article, je lui fis considérer que
toutes les récompenses au-dessous des officiers généraux
n'étoient que pour l'infanterie, qui est le nerf de l'État,
et ne dévoient aussi aller qu'à elle, parce que la cavalerie
n'entend point les places-; qu'en même temps la cavalerie
étoit aussi trop mal traitée depuis que les extrêmes be-
soins avoient engagé à retrancher les bons quartiers
d'hiver et mille autres revenants-bons qui n'étoient pas
de règle, mais sur lesquels M. de Louvois, et son fils
après lui, fermoient les yeux pour un bien-être nécessaire
à entretenir de belle cavalerie, et à suppléer aux récom-
penses dont les officiers sont privés en se retirant presque
tous, parce qu'elles ne consistent^ qu'en pensions rares et
modiques, et que ce moyen n'étoit pas onéreux, comme
eût été d'en augmenter le pied*. Ainsi je proposai à M. le
duc d'Orléans de se faire une règle inaltérable de borner
les officiers d'infanterie aux états-majors, que les officiers
t. Les avoir corrige Vavoir.
2. Il veut dire que les officiers de cavalerie ne connaissent rien à
l'administration, et peut-être à la défense, des places fortes.
3. Ecrit consitent dans le manuscrit.
4. C'est-à-dire d'en augmenter la solde. C'est ici le sens de cet
exemple donné par le Dictionnaire de V Académie de 1718 : on dit
qu'un régiment de cavalerie est entretenu sur le pied étranger pour
dire qu'il jouit de la solde qu'on donne aux régiments étrangers.
L'explication de la phrase passablement embrouillée de notre auteur
est celle-ci : toutes les situations dans les états-majors des places doi-
vent être réservées aux officiers d'infanterie, parce que ceux de cava-
lerie ne sont pas capables de les remplir ; d'autre part, la cavalerie est
trop mal traitée depuis qu'on lui a supprimé des revenants-bon et
autres avantages irréguliers sur lesquels Louvois et son fils fermaient
les yeux, parce que ces avantages étaient nécessaires pour avoir une
belle cavalerie et que ce moyen était moins onéreux que d'en augmenter
la solde ; en conséquence il propose au Régent l'organisation suivante.
4«4 MÉMOIRES [171.S]
supérieurs ne leur onihloroient ' plus -, et à la plus modique
portion qu'il se pourroit de grâces sur l'ordre de Saint-
Louis, d'en affecter toutes les autres à la cavalerie et aux
dragons, et toutes les pensions de retraite que le Roi se
trouveroit (>n état de donner, sans plus aucune à l'infan-
terie, au moyen de quoi il empêcheroit par cette étoffe
et par cette espérance la tète de ces régiments do quitter
par ennui, par dégoût, par craindre d'achever de se ruiner,
inconvénient qui renouvelle sans cesse ces corps, et qui
les dépouille d'officiers expérimentés et capables^
En même temps je le pressai de songer, autant que les
finances le pourroient porter, au rétablissement de la ma-
rine, d'où dépend en un royaume flanqué des deux mers
toute la sûreté et la prospérité de son commerce et de ses
colonies, qui est la source de l'abondance* ; objet dont
la nécessité et l'importance augmente à mesure que la lon-
gue paix intérieure de l'Angleterre, paix inouïe jusqu'ici
t. Vprbe déjà rencontré dans les tomes I, p. dST, et VI, p. 338.
i. Puisqu'ils auraient pour eux les lieutenanccs générales et les
lieutenances de Roi des provinces.
3. Dans les Projets de gouvernement (p. 97), il avait exposé des
idées analogues, mais sans faire de distinction entre la cavalerie et
l'infanterie: <f II paroît encore plus pressé, disait-il, de travailler au
remboursement des charges des lieutenants généraux et des lieutenants
de Roi des provinces. Ce sont des charges caponnes, toujours en pré-
tentions, jamais en fonctions. On manque de récompenses militaires:
les prodigieuses armées dont M. de Louvois a été l'autour ont telle-
ment multiplié les ofTiciers de tout grade, qu'il n'a pas été possible de
multiplier les récompenses à proportion, surtout pour les officiers
généraux, avec les promotions immenses qu'on en a faites. Il n'y en
avoit point de plus convenables pour les mieux-méritants que d'aiïecter
les lieutenances générales des provinces aux lieutenants généraux
des armées qui s'y retireroient et y auroient subsistance, fonctions et
considération, et les lieutenances de Roi des provinces aux maréchaux
de camp qui s'y retireroient de même. Ce secours élargiroit pour les
autres ofliciers généraux, à qui on auroit des gouvernements de places
à donner en plus grand nombre ; des gouvernements de places moin-
dres et tous les états-majors des places aux brigadiers, etc. »
t. Voyez les Projets de (jouverncment, p. 98-99.
[171 S]
DE SAINT-SIMON.
m
depuis la durée de cette monarchie, l'a mise en état de
couvrir toutes les mers de ses vaisseaux, et d'y donner
la loi à toutes les autres puissances, tandis qu'il a été un
temps où le Roi' a disputé l'empire de la mer à l'Angle-
terre et à la Hollande unies contre lui, et y a eu des suc-
cès et des victoires. Par cette même raison, augmenter
l'émulation, en ne souffrant plus à l'avenir que les vice-
amiraux devenant maréchaux de France conservassent
leur vice-amirauté, puisqu'ils se trouvoient revêtus du
premier grade militaire qui commandoit à tous, par quoi
ce dédoublement feroit monter tout le monde; et destiner
aussi des récompenses, dont la marine est presque totale-
ment privée, en lui affectant le gouvernement de tous les
ports et tous leurs états-majors, ce qui éviteroit de plus
mille inconvénients pour le service et des tracasseries
sans fin entre les officiers de terre et de mer.
Revenant après sur mes pas à la taxe, je dis à M. le duc
d'Orléans que cette entreprise n'avoit rien de contraire
à ma proposition d'assembler les Etats généraux, parce
que leur convocation n'étoit faite que pour rendre publi-
que la situation forcée où il trouvoit les finances, et leur
donner le choix des remèdes et de l'ordre qu'ils seroient
d'avis d'y apporter; que, quelque taxe qu'on se pût pro-
poser par une chambre de justice, ou par toute autre voie,
elle- ne pouvoit remplir aucun de ces deux objets; et que
celle qu'il feroit ne touchoit aussi ni à l'un ni à l'autre,
par quoi il seroit toujours vrai de dire aux Etats qu'il
n'avoit fait, en ^ attendant leur assemblée et leur délibé-
ration, que continuer la forme de l'administration qu'il
avoit trouvée dans les finances, sans innover en rien, pour
leur laisser toutes choses entières. J'ajoutai que je ne
voyois point d'occasion plus favorable de faire et de pres-
1. Roy surcharge feu.
2. Elle a été ajouté en interligne.
3. Avant ce mot, Saint-Simon a biffé que continuer, qui va se retrou-
ver ci-après.
Taxe proposée
n'a rien
de contraire
à
la convocation
des
États généraux,
qui lui
est favorable.
Autres rem-
boursements
peu à peu
dans la suite.
i-2»i MÉMOIRES [1715]
ser la taxe telle que je la proposois, qu'au moment de la
pi'eniière publicité de la convocation des l-^tats, pour faire
peur aux tinanciers d'être abandonnés à leur merci, elles
assurer qu'en pavant avant leui- |)i'einière assemblée, ils
seroient garantis de leur haine, de leur vengeance et de
tout ce qu'ils avoient tant de lieu d'en appréhender, ce
qui seroit le plus puissant et le plus pressant véhicule à
céder et à paver promptement. Mon projet' pour les suites,
dont je lis sentir l'importance et la convenance à M. le
duc d'Orléans, étoit de trouver moyen de payer peu à peu
tous les régiments de cavalerie, d'infanterie et de dra-
gons, pour en ôter la vénalité à jamais, qui ferme la porte
à tout grade militaire à qui n'y peut atteindre, et en lais-
seroit la libre disposition au l\oi. La France est le seul
pays du monde où les ofifices de la couronne, les charges
de la cour et de la guerre, et les gouvernements soient
vénaux; les inconvénients de cet usage, aussi pernicieux
quil est unique, sont infinis, et il n'est point immense de
l'abolir. A l'égard des autres sortes de charges, il seroit
chimérique de penser sérieusement à en ôter la vénalité,
tant cette mer est vaste, mais bien important de ne per-
dre pas les occasions de rendre libres les charges des pre-
miers présidents et des procureurs généraux des parle-
ments, chambres des comptes et cours des aides, pour que
le Roi en pût disposer librement.
Nulle grâce Je n'oubliai pas encore de remontrer à M. le duc d'Or-
e.vpeciaiivc ; j^^ns avec combien de raison le Moi s'étoit rendu si diHi-
remplir . . i)»»i/ jjll '
^alitement les cile sur les coadjutoreries d eveches et d abbayes, qu on
n'en vovoitplusdepuis longtemps, l'inconvénient* de l'am-
bition des parents, et si souvent celui ^ de la mésintelli-
gence qui se mettoit entre les titulaires et les coadjuteurs.
Je le fis souvenir du juste repentir qu'avoit eu le Roi de
i. Après projet, qui linit une lif^ne, Saint-Simon a ajouté sur la
marge un estait inutile, (4ui était déjà placé plus loin.
2. Je n'oubliai pas de remontrer l'inconvénifnt.
3. Le manuscrit porte celles, par inadvertance, au lieu de celui.
^acances.
[1745] DE SAINT-SIMON. 127
la complaisance qu'il avoit eue de permettre celle de
Gluny', et combien il se devoit garder, et le Roi lorsqu'il
seroit majeur, de prendre jamais d'engagement avec qui
que ce fût pour rien qui ne fût pas vacant, et combien il
étoit utile, tant pour les places de l'Église que pour toutes
les autres, de se former un état de ceux qu'on croit devoir
placer, par étages et par classes, afin de pouvoir choisir
soi-même le successeur d'une place dont le titulaire me-
nace une ruine prochaine, ou dont on apprend la- mort,
pour n'être pas en proie aux demandeurs, à gens quelque-
fois qu'on ne veut pas refuser, et pouvoir disposer sur-le-
champ de la vacance pour donner soi-même, en avoir le
gré, et ne se les laisser pas arracher avec peu ou point de
reconnoissance, et encore moins de choix. Je le^ fis sou-
venir du très juste scrupule qui avoit obligé le Roi à déli-
vrer de vénalité les charges de ses aumôniers*, parce
qu'elles étoient le chemin ouvert aux bénéfices et aux
prélatures, et le soin qu'il devoit se prescrire de ne l'y pas
laisser rentrer; chose, s'il n'y étoit exact, qui seroit trou-
vée bien plus mauvaise de lui, par la licence de sa vie
jusqu'alors, qui lui feroit mépriser les faubourgs de la
simonie, que le Roi avoit si saintement anéantis.
Je lui parlai aussi de l'affreux état où on avoit laissé Réparations
tomber les chemins par tout le royaume, tandis que ^^^ chemins
chaque généralité ^ payoit de si grosses sommes pour les troupes.
-l. Pour l'abbé d'Auvergne, neveu du cardinal de Bouillon : tomes
IV, p. 108, VII, p. 82, et XI, p. 77-79.
2. La corrige sa.
3. Le est en interligne, au-dessus de liiy, biffé.
4. Tome XX, p. 219.
0. On appelait généralité une circonscription administrative régie
au point de vue financier par un bureau des trésoriers généraux de
France. Comme ces trésoriers prenaient le titre de généraux des finan-
ces, on appela généralité la conscription territoriale sur laquelle s'éten-
dait leur autorité. Lors de la création des intendants, qu'on appela
d'abord « commissaires départis dans les généralités sur le fait de la
justice, police et tinances », on en établit en principe un dans chaque
128 MÉMOIRES [171."]
leurs' réparations etenti-otien. r[ i\m\ si on [on| omployoit
quelcjue chose, il en denieuroit la moitié dans la poche
des entrepreneurs, qui faisoient encore de très mauvais ou-
vrages, et qui ne duroient rien; (jue cet article étoit de
la dernière importance pour le commerce intérieur du
royaume, qu'il interceptoit totalement en beaucoup d'en-
droits, faute de ponts et de chaussées (jui manquoient sans
nombre, et qui obligeoient à faire de longs détours, ce
qui, joint au- nombre doublé et triplé de chevaux pour
traîner les voitures dans les chemins rompus, où elles s'em-
bourboient et se cassoient continuellement, causoit une
triple dépense, qui, sans compter la peine et le travail,
dégoùtoit^ les moins mal aisés, et passoit les forces de tous
les autres* ; que la Flandre espagnole ou conquise, l'Alsace,
la Lorraine, la Franche-Comté, le Languedoc lui don-
noient un exemple qu'il falloit suivre, et qui méritoit qu'il
entrât dans la comparaison de l'aisance et du protit qu'y
trouvoient ces provinces, pour leurs commerces de toutes
les sortes, avec le dommage qu'éprouvoit tout le reste du
royaume; que, pour y parvenir, il étoit aisé de répandre
en pleine paix les troupes par le royaume, et de se servir
d'elles pour la réparation des chemins; qu'elles y trou-
veroient un bien-être qui ne coùteroit pas ' le demi-quart
de ce qu'il s'y dépenseroit par tout autre moyen ; que
les officiers y veilleroient à un travail assidu, continuel,
et toutefois réparti de façon à ne pas trop fatiguer les
généralité, et ce mot s'eiitomlit alors plus fréquemment du territoire
administré par un intendant.
i. Il y a leur au singulier dans le manuscrit.
2. Au corrige à l[a], et, plus loin, et triplé est en interligne.
'6. Degoustoicnt corrigé en degoustoit.
4. Saint-Simon a déjà parlé du mauvais état des chemins et des
ponts, et des sommes énormes qui y étaient cependant aiïeclées, dans
le tome XVII, p. 207-209, et on a donné alors le comnienlaire néces-
saire.
5. Pas est répété deux Ibis à la lin d'une li;;ne et au coniiiiencetnrnt
de la suivante.
[47151 DE SAINT-SIMON. 129
troupes ; que les ingénieurs qu'on eraploieroit à visiter
ces travaux, et les officiers qui en seroient les témoins,
tiendroient de court les entrepreneurs sur la bonté de
l'ouvrage et la solidité, de même que sur les gains illicites
des gens du métier qui y seroient employés, et sur les
friponneries des secrétaires et des domestiques des inten-
dants, et souvent des intendants eux-mêmes, leurs négli-
gences, leurs préférences ; et qu'en quatre ans, et pour
fort peu de chose, qui encore tourneroit au profit
des troupes, les chemins se trouveroient beaux, bons et
durables.
A l'égard des ponts, qu'il n'étoitpas difficile d'avoir un
état de ceux qui étoient à refaire ou à réparer, destiner
ce qu'on pourroit pour le faire peu à peu, commençant
par les plus nécessaires, et choisir les ingénieurs le plus
en réputation d'honneur et d'intelligence en ouvrages,
pour se trouver présents avec autorité aux adjudications
qui en seroient faites par les intendants, et tenir de près
les entrepreneurs sur la bonté, la solidité et la diligence
des ouvrages qu'ils auroient entrepris'; mais qu'à tout
cela il falloit suite et fermeté, et se résoudre à des châti-
ments éclatants à quiconque les mériteroit, sans qu'aucune
considération les en pût garantir; que c'est à l'impunité,
qui a porté l'audace au comble, qu'il se faut prendre des
voleries immenses qui appauvrissent le Roi, ruinent le
peuple, causent mille sortes de désordres partout, et
enrichissent ceux qui les font, et beaucoup tête levée,
assurés qu'ils sont qu'il n'en sera autre chose par la pro-
tection qu'ils ont, et souvent pécuniaire, ou même par
leur propre considération, et de ce qu'ils sont eux-mêmes;
et, si, une fois en vingt ans, il arrive quelque excès si
poussé qu'il ne soit pas possible de n'en pas faire quelque
sorte de justice, jamais elle n'a été plus loin que de dépos-
séder le coupable de l'emploi dont il a abusé, qui peu
1. Les premières lettres de ce mot semblent surcharger com[mcnce\.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 9
430 MEMOIRES [1745]
après se raccroche à un autre, au |)is allfr demeure oisit,
et jouit de ses larcins sans être recherché de rien de tout
ce qu'il a commis.
Cette méthode à l'égard des chemins ùteroit do soi-
même un autre abus, qui est multiplié à l'intini, qui est
que, sur une somme destinée et touchée effectivement
pour tel ou tel chemin, l'homme de crédit (]ui s'en trouve
à quelque distance, un intendant des finances, un fermier
général, un trésorier de toute espèce, suprêmement les
ministres, détournent ce fonds en partie, quelquefois en
total, pour leur faire des chemins, des pavés', des chaus-
sées, des ponts, qui ne conduisent qu'à leurs maisons de
campagne et dans leurs terres, moyennant quoi il ne se
parle plus de la première et utile destination pour le pu-
blic, et l'intendant qui y a connivé-y trouve une protec-
tion sûre, qui le fait regarder avec distinction par les
maîtres de son avancement. Je contai à ce propos à M. le
duc d'Orléans que c'étoit ainsi que les puissants de ce
temps-ci, c'est-à-dire de la plume et de la robe, car il n'y
en [a] plus d'autres, avoient embelli leurs parcs et leurs
jardins de pièces d'eau revêtues, de canaux, de conduites
d'eaux, de terrasses, qui avoient coûté infiniment et dont
ils n'avoient déboursé que quelques pistoles, et que, le
Roi parlant à iMme de la \ rillière dans son carrosse, où
étoit Mme la duchesse de Berry et Mme de Saint-Simon,
allant à la chasse', de Chàteauneuf ^ où elle avoit été de
Fontainebleau, elle lui en avoit vanté la terrasse, qui est
1. « Pavé se prend aussi pour le ctiemin, le terrain, le lieu qui est
pavé » (^Académie, i~ii^). On disait « le pavé du Roi » pour désigner
les grands chemins dont le pavé était entretenu par le Roi.
1. Verbe déjà rencontré dans le tome XXI, p. 409.
3. Ces quatre mots allant à la chasse ont été ajoutés en interligne,
et il semble que Saint-Simon s'est trom| é de li^ne en les ajoutant, et
qu'il aurait dû les mettre immédialomcnt après le Hoy, qui se trouve
justement au-dessus à la ligne pncédenle dans le manuscrit.
4. Le château de Châteauneut-sur-Loire (lome VII, p. 143), qui
appartenait aux la Vrillière.
[i71o] DE SAINT-SIMON. 134
en effet d'une rare beauté sur la Loire': « Je le crois
bien, répondit sèchement le Roi ; c'est à mes dépens qu'elle
a été faite, et sur les fonds des ponts et chaussées de ces
pays-là pendant bien des années. «J'ajoutai que, si l'image
d'un secrétaire d'Etat, car cette charge n'est pas autre
chose-, avoit osé faire ce trait sans qu'il en ait rien été,
que n'auront pas fait tous les autres secrétaires d'Etat, et
gens en place considérables dans la robe, dans la plume,
et, en sous-ordre, les financiers et les petits tyranneaux
que j'ai nommés dans les provinces? Tout cela fut fort
goûté et approuvé, et il me parut que M. le duc d'Orléans
étoit résolu à cette exécution.
Je ne manquai pas de le prier de se souvenir combien Détails
de fois lui et moi, tête à tête, nous nous étions échappés ^^«'^ mesure,
à l'envi sur les détails dont le Roi se piquoit, qui le per- tracasseries *.
suadoient, aidé de l'adresse, de l'intérêt, des artifices de
ses ministres, qu'il voyoit, qu'il faisoit, qu'il gouvernoit
tout par lui-même % tandis qu'amusé par des bagatelles,
il laissoit échapper le grand, qui devenoit la proie de ses
ministres, parce que* le jour n'a que vingt quatre heures,
et que le temps qu'on emploie au petit, on le perd pour
le grand, sur lequel ils le faisoient tomber insensiblement
du côté qu'ils vouloient, chacun dans son tripota Je lui
dis que, malgré la force de cet exemple et de son propre
sentiment, il devoit être en garde continuelle avec lui-
même sur l'appât des détails, qui sont la curiosité, les
découvertes, tenir les gens en bride, briller aisément à
1. Sur cette terrasse, voyez notre tome XVI, p. 130, note 7.
1. Il a dit à plusieurs reprises que la charge de secrétaire d'Etat de
M. de la Vrillière était « la cinquième roue d'un chaiiot » ; voyez
notamment tome XXVI, p. Sol.
3. Le manuscrit porte par luy, mesmes tandis, Saint-Simon ayant
mal placé la virgule.
-4. Le que, oublié, a été ajouté en interligne.
5. Mot déjà rencontré en ce sens, dans le tome XXI, p. 318.
•Contrairement à l'habitude de Saint-Simon, cette manchette se trouve
sur la mar;;e intérieure du manuscrit.
435 MÉMO m ES 117451
ses propres yeux et à ceux des autres par une inlelligence
qui perce tant de diiî'érentes parties, le plaisir de jiaroître
avec peu df peine, de sentir qu'on est maître et (pion n'a
qu'à coinniandcr, au lieu (pu^ \v gi-and vous conunande,
oblige aux réilexions, aux combinaisons, à la recherche et
à la conduite des moyens, occupe tout l'esprit sans l'amu-
ser, et fait sentir l'impuissance de l'autorité (pii humilie
au lieu de flatter, et qui bande' l'application à la re-
cherche et à la suite de ce qui peut amener le succès
auquel on tend, et fait sentir les fautes qu'on y a faites
et l'inquiétude de les réparer ; en sorte que rien de plus
satisfaisant que les détails, qui sont tous sous la main du
prince, mais qui ne lui rapportent que du vent, parce
qu'ils sont le partage du subalterne sous ses ordres géné-
raux, qui là-dessus en savent- plus que lui, et que rien
n'est plus pénible et ne flatte moins que le travail en
grand, du succès duquel dépend la prospérité des affaires,
et la gloire et la réputation du prince qui s'y donne, parce
qu'il ne peut être le partage d'un autre, et qui y réussit.
Non qu'il faille abandonner tous les détails aux autres,
mais s'y appliquer et s'en faire rendre compte, de manière
à tenir tout en ordre et en haleine, sans pourtant s'ima-
giner que ce soit si parfaitement que rien n'échappe, parce
qu il ne faut pas se proposer l'impossible, mais y entrer de
façon qu'on n'y donne que très peu d'un temps court,
précieux, et qui s'enfuit sans cesse, qui doit de préférence
être employé au plus important, et se contenter pour le
reste d'une direction générale, surtout comprendre que,
ne pouvant suflire à tout, force est de se fier à ceux
qu'on a choisis pour le coûtant, et souvent bien davantage,
que cette confiance excite et pique d'honneur et d'atta-
chement, au contraire de la défiance, qui ne sert qu'à
être trompé, à décourager, à dégoûter, et souvent à se
1. Au sens de tendre, de diriger.
2. Ce verbe est bien au pluriel dans le manuscrit, se rapportant à
l'idée.
[47151 DE SAINT-SIMON. 433
proposer de tromper, puisque le prince mérite de l'être
par son injuste défiance.
Je le conjurai aussi de se défaire absolument de cet
esprit de tracasserie puisé d'enfance dans la cour de
Monsieur, entretenu depuis par l'habitude avec les fem-
mes et par la fausse idée de découvrir et de croire être
mieux servi en brouillant les uns avec les autres ^ parce
que, pour une fois que cela réussit avec des étourdis, ou
par une surprise de colère, [cela] trompe sans cesse le
prince par cela même dont il est rendu la dupe, dès qu'il
est reconnu pour user de ce bas artifice, qui lui éloigne
et ferme la bouche à ses vrais serviteurs, et lui rend les
autres ennemis. Ce n'est pas qu'il n'y ait mesure à tout,
singulièrement entre l'abandon aux gens et la vigilante
défiance. C'est où le sens-, la connoissance des personnes,
l'expérience, la suite des choses et des affaires conduisent
l'esprit. Se fermer aux rapports, surtout aux avis anony-
mes, c'est-à-dire aux fripons^, tenir les yeux ouverts à
tout, mais avec tranquillité, éplucher à part soi des appa-
rences qui se trouvent si souvent trompeuses; si l'examen
persuade qu'il y ait cause d'approfondir, le faire avec
précaution et délicatesse ; être en garde s'il n'y a rien au
bout contre la honte et quelquefois le dépit de s'être
trompé; si au contraire il se rencontre infidélité réelle ou
incapacité dangereuse, se défaire sans délai irrémissible-
ment du sujet, plus ou moins honnêtement, suivant le
mérite de la chose, également pour se délivrer de danger
et pour servir d'exemple aux autres ; car j'y reviens
toujours, nous périssons en tout genre par l'impunité.
J'insistai souvent sur tout* ce dernier article, par la con-
4. Dans le précédent volume (p. 285 et 290), il avait déjà parlé
de sa détiance générale et de sa maxime odieuse de brouiller tout le
monde pour gouverner et savoir.
2. Le sens est en interligne, au-dessus de l'esprit, biffé.
3. Les mots c'est a dire aux fripons ont été ajoutés en interligne.
4. Tout surcharge ce.
IHi MEMOIRES flTiS]
noissance que j'avois du caractère de M. le duc d'Orléans.
Extérieur du Je lui dis aussi qu'il ne falloit pas moins se souvenir
01 imi .T. q^i'après nous être souvent licenciés sur les détails du Roi
et fort utilo, et 1 I
conduite dans nos conversations, nous y étions convenus aussi
personnelle, ^f une de ses plus grandes parties, qu'il falloit bien inspi-
rer à son successeur d'imiter, et à laquelle je souliailois
passionnément que son image qu'il alloit être voulût faire
l'effort de se conformer. Celte partie si utile est la dignité
constante, et la règle continuelle de son extérieur. L'une
présentoit en tous les moments qu'il pouvoit être vu une
décence majestueuse qui frappoit de respect ; l'autre une
suite de jours et d'heures, où, en quelque lieu qu'il fût,
on n'avoit qu'à savoir quel jour et quelle heure ' il étoit,
pour savoir aussi ce que le Koi faisoit, sans jamais d'alté-
ration en rien, sinon d'employer les heures qu'il passoit
dehors, ou à des chasses, ou à de simples promenades. Il
n'est pas croyable combien cette exactitude en apportoit
en son service, à l'éclat de sa cour, à la commodité de la
lui faire et de lui parler, si on n'avoit que peu à l'ii dire,
combien de règle à chacun, de commodité au commerce
des uns avec les autres, d'agrément en ses demeures, de
facilité et d'expédition à ses affaires, et à celles de tout le
monde, ni combien son habitation constante hors de Paris
faisoit d'une part un triage salutaire et commode-, de l'au-
tre un rassemblement continuel qui faisoit tout trouver
à chacun sous sa main, et qui faisoit plus d'affaires, et
donnoit plus d'accès à tous les ministres et à tous leurs
bureaux en un jour, qu'en quinze si la cour étoit à Paris,
par la dispersion des demeures et la dissipation du lieu.
Outre ces raisons également essentielles et vraies, j'en
avois^ d'autres de craindre le séjour de la cour prochaine
i. Ècrh que f heure par m«^^arde.
2. Le tria;îe des gens titrés et de bonne compagnie d'avec ceux de
bas étage, qui auraient frt'quenlé la cour si elle avait été à Paris, et
qu'écartait le vojaf^c de Versailles.
3. Avant ce mot, il a biffé un premier avois, mal écrit.
[4H5) DE SAlx\T-SIMON. 135
à Paris, par le caractère de M. le duc d'Orléans, sa facilité
d'écouter et de se laisser en prise à tout le monde, et à
un monde éloigné par état et par habitude de la cour, et
qui n'iroit pas l'y chercher' à Versailles, ou bien rarement
et bien incommodément, par conséquent hors de portée
de recharges et de cabales entre eux pour l'attaquer par
plusieurs et par divers côtés, gens ineptes en affaires
d'État et de cour, ignorants, suffisants, croyant devoir
tout gouverner ; à un autre monde encore aussi ignorant*,
non moins avide, familiarisé avec lui par les plaisirs et
les étranges parties, d'autant plus dangereux qu'ils^ le
connoissoient mieux, et dont tout le soin pour le posséder
et le gouverner seroit* de le dissiper, de lui faire perdre
tout son temps, de l'amuser par des ridicules toujours
aisés à donner, dont le périlleux effet pour ceux qu'ils
attaqueroient seroit funeste aux affaires et au prince ;
enfin les indécences, les maîtresses, un fréquent opéra,
où il alloit de plain pied de son appartement, et mille
inconvénients semblables, des soupers scandaleux et des
sorties nocturnes qui les^ ramassoient tous ensemble. Je
lui dis, en lui représentant tous ces détails fort au long,
qu'il savoit que depuis très longtemps je ra'abstenois de
lui parler de la vie qu'il menoit, parce que j'en avois
reconnu l'inutilité, mais que l'extrême nécessité où son
nouvel état l'alloit mettre de la quitter m'ouvroit la bou-
che pour le supplier de penser sérieusement et de bonne
foi en lui-même ce qu'il trouveroit et ce qu'il ne pourroit
s'empêcher de dire, s'il étoit particulier, d'un régent du
royaume qui, à plus de quarante ans, mèneroit et se pique-
4. Saint-Simon avait d'abord écrit qui ne l'iroit pas chercher; il a
biffé ne, corrigé l' en n', et ajouté l'y en interli^e avant chercher.
2. Il veut parler du monde des roués et des familiers de bas étage
du duc d'Orléans dans ses séjours à Paris.
3. L'idée lui a fait employer ici le pluriel, quoique la phrase ait
commencé au singulier.
•4. Seroit est en interligne au-dessus d'eust esté, biffé,
o. Les inconvénients.
i;-!fi MKMOIHES |17i:i|
roit do plus do mener la vie d'un jeune mousquetaire de
tiix-huif ans, avec des compagnies souvent obscures, et
telles que des gens de caractère ' n'oseroient voir ; quel
poids une telle conduite pouvoit donner à son autorité
au dedans, à sa considération dans les pays étrangers, à
son crédit dès que le Roi commenceroit à voir et à enten-
dre, quels contretemps aux affaires, quelle indécence à
tout, quelle prise sur sa faveur aux petits compagnons de
ses plaisirs, quelle honte et quel embarras à lui-même
vis-à-vis des personnages françois et étrangers, quelle
large porte aux discours, quel péril du mépris et du peu
d'obéissance qui le suit toujours! J'ajoutai que le comble
de la mesure seroit l'impiété, et tout ce qui la sentiroit,
(jui feroit ses ennemis de toute la nation dévote, cléri-
cale, monacale-, dont le danger étoit extrême, et qui en
même temps lui éloigneroit^ les honnêtes gens, et ceux qui
auroient des mœurs, de la gravité, surtout de la religion ;
que parla il rétorqueroit contre lui ce raisonnement des
libertins, qu'il aimoit à répéter et à applaudir, que la
religion est une chimère que les habiles gens ont inventée
pour contenir les hommes, les faire vivre sous certaines
lois qui maintiennent la société, pour s'en faire craindre,
respecter, obéir, et qui étoit nécessaire aux rois et aux
républiques pour cet usage, à tel point (ju'il n'y avoit
point eu de peuples policés qui n'en aient eu une que
leur gouvernement avoit soigneusement maintenue, jus-
qu'aux différents peuples sauvages, à quoi leurs anciens
et leur conseil étoient^ très exacts pour eux-mêmes, et
pour ceux qui leur obéissoient ; qu'il devoit donc com-
prendre l'intérêt qu'il avoit de respecter la religion par
i. 11 veut dire : des gens ayant une situation, un titre ou une dignit»'-,
qui leur imposerait une certaine tenue.
2. 11 ('■cril monachale .
3. Il avait d'abord écrit ce verbe au pluriel; il l'a corrigé au sin-
gulier.
4. Estait corrigé en estaient.
[l71oJ DE SAIXT-SIMON. 137
ses propres principes, et de ne montrer pas un exemple
d'impiété qui le rendroit odieux. J'appuyai beaucoup sur
un article si principal, et je lui dis ensuite qu'il ne s'agis-
soit point d'hypocrisie, qui est une autre extrémité fort
méprisable, mais de s'interdire tout propos libre sur la
religion, de traiter avec sérieux tout ce qui y a rapport,
et d'en observer au moins les dehors par une pratique
bien facile, dès qu'on s'en tient à l'écorce, et au pur indis-
pensable de cette écorce ; de ne souffrir en sa présence ni
plaisanterie, ni discours indiscret là-dessus, et de vivre
au moins en honnête mondain qui respecte la religion du
pays qu'il habite, et qui ne montre rien du peu de cas
qu'il en fait. Je lui fis sentir le danger d'une maîtresse
dans la place qu'il alloit remplir, et je le conjurai que,
s'il avoit là-dessus des foiblesses, il eût soin de changer
continuellement d'objet, pour ne se laisser pas prendre et
subjuguer par l'amour qui naîtroit de l'habitude, et de se
conduire dans cette misère avec toutes les précautions
qu'y apportent certains prélats qui veulent conserver leur
réputation parle secret profond de leur désordre. Je lui
représentai qu'il auroit désormais tant d'occupations, et si
intéressantes, qu'il lui seroit aisé de ne plus dépendre de
son corps, si son esprit n'étoit plus corrompu' que l'ani-
mal de son âge, et qu'il avoit un intérêt si pressant de se
faire aimer, estimer, respecter, considérer et obéir, que
c'étoit bien de quoi contenir et occuper son esprit ; qu'en
toutes choses la mécanique étoit bien plus importante
qu'elle ne sembloit l'être; que celle de ses journées servi-
roit- entièrement à la règle des affaires et à sa réputation, à
éviter que tout ne tombât l'un sur l'autre, et que lui-
même pensât à la débauche, non pas même à regretter
ces sortes de plaisirs ; que, pour cela, il se falloit tout
d'abord établir un arrangement de journée, d'affaires, de
i. 11 veut dire : à moins que son esprit ne fût plus corrompu que, etc.
'2. Il y a serviraient par mégarde dans le manuscrit.
i38 MÉMOIRES [1715]
cour, et de quelque délassement, qui se put soutenir' et
qui ne lui laissât aucun vuide, auquel il falloit être fidèle,
et se rej^arder cotnmo faisoient les ministres du Hoi fort
employés, qui disoient qu'ils n'avoient pas le temps de se
déranger d'un quart d'heure, et qui disoient vrai et qui
le praliquoient ; ne se pas excéder d'une lâche trop forte,
dont la nouveauté plaît d'abord, que l'importance des
choses fait regarder comme nécessaire, mais dont on se
lasse, et qui se change imperceptiblement à bien moins
qu'il ne faut, dont on profite aux dépens du prince, et qui
met bientôt les affaires en désordre ; se garder aussi de
perdre beaucoup de temps en audiences, surtout de fem-
mes, qui en demandent souvent pour fort peu de chose,
qui dégénèrent en conversations et en plaisanteries, qui ont
souvent un but dont le prince ne s'aperçoit pas, et qui
tirent vanité de leur longueur et, si elles le peuvent, de
leur fréquence ; les accoutumer à attendre chez Madame
et chez Mme la duchesse d'Orléans, les heures où il va
chez elles, et dans leur antichambre parler debout à celles
qui sortiront au-devant de lui ; écouter bien le nécessaire,
suivre soigneusement l'excellente pratique du feu Roi-,
qui presque jamais ne répondoit qu'un « je verrai » ; cou-
per fort poliment très court, et, hors des cas fort rares,
n'en voir jamais ailleurs pour affaires, et se mettre sur le
pied qu'une fois entré dans la pièce où est Madame ou ^
Mme la duchesse d'Orléans, qu'aucune femme ne le tire à
part, ou, s'approchant de lui, parle d'aucune atîaire. Une
éconduite^ polie, mais sèche, aux premières, quelles
1. Un arrangement qui se put continuer sans être obligé d'y renon-
cer. La suite va préciser le sens.
2. Il parle comme si Louis XIV était déjà mort.
3. Cet ou surcharge un et.
4. Ce mot n'était alors et n'est encore admis par aucun lexique;
nous allons le retrouver sous la plume de notre auteur, ci-après,
p. 209, et dans la suite des Mémoires, tome XIX de 1^73, p. 203. Nous
avons eu éconduiseur dans le tome XVII, p. i59, et on va rencontrer
éconduire ci-après, p. 140.
[1745] DE SAINT-SIMON. 439
qu'elles puissent être, qui voudroient tenter cette fami-
liarité, empêchera sûrement qu'aucune s'y hasarde. A
l'égard des hommes, tout l'ordinaire du monde lui parlera
en passant comme on faisoit au Roi, et cela en débouche
beaucoup' chaque jour. Les personnes des conseils, ce
qui en emporte un nombre considérable et des princi-
paux, le pourront aisément en travaillant avec lui et en
entrant au Conseil, dans la pièce précédente duquel les
gens d'une considération distinguée lui parleront, avec
lesquels il en usera comme avec les dames. Ce doit être
là aussi où le gros du monde n'entrera point, où les au-
diences lui seront demandées en lui disant en deux mots le
pourquoi. Ce sera à lui à juger si la chose la mérite *, ou se
peut expliquer là en peu de paroles. En général il doit
être très sobre à accorder des audiences, qui font perdre
beaucoup de temps. Avec de l'exactitude à éviter tout
détail non nécessaire, à ne point écrémer les conseils % et à
être jaloux de les maintenir dans leurs fonctions, il se trou-
vera que la matière des audiences sera bien rétrécie. Je
n'oubliai pas le soin de voirie [\oitous les jours, souvent
à des heures différentes et rompues, pour se tenir dans
l'usage d'y aller à toute heure sans nouveauté et d'en être
reçu sans surprise, avec un respect qui lui plaise, parce
qu'il n'y a rien de si glorieux que les enfants, et que ceux
qui l'environneront y seront bien attentifs, et avec la fa-
miliarité aussi qui convient à la naissance et à la place,
qui, ménagée avec esprit, accoutume et apprivoise les
enfants ; aller quelquefois aux heures de lui présenter le
service % y être ouvert et gracieux à ses gens, avoir pour
4. Il avait d'abord écrit et cela débouche bien du monde; il a biffé
les trois derniers mots et ajouté en interligne en et beaucoup. —
Déboucher signitie ici faire écouler, évacuer.
2. Mérite l'audience.
3. Il veut dire : à ne point traiter en dehors des conseils les affaires
qui doivent y être traitées.
•4. C'est-à-dire lui donner la chemise ou les diverses parties de son
habillement: voyez nos tomes VIII, p. 346-347, et XXI, p. 408.
440 M K MOIRE? 117151
eux l'accès facile, les écouter avec palieiice si quelqu'un
d'eux veut lui parler en entrant ou en sortant; mais pour
les réponses en user comme avec les autres, et toutefois
être' attentif à leur faire plaisir. A l'égard des princes et
princesses du sang qui arriveront tout droit dans son cabi-
net, sans que cela se puisse empêcher, les recevoir debout
tant qu'il pourra, pour les obliger par ce mésaise d'abré-
ger, alléguer les afïaires pressées pour couper le plus
court, et leur proposer de s'épargner cette peine en lui
envoyant - quelqu'un de leur confiance sur l'affaire dont
il s'agit, afin de s'en mieux éclaircir, en effet pour perdre
moins de temps et être plus libre d'abréger ; pour les
ministres étrangers, qui ne chercheront toujours qu'à le
pénétrer et l'engager, force honnêtetés, force clôture,
force fermeté à les renvoyer aux affaires étrangères. Cela
lui ^ procurera toujours le loisir d'examiner, de délibérer,
et de se tenir hors de toute prise. Le Roi n'a jamais traité
avec pas un ; il savoit d'avance quelle seroit la matière
de l'audience demandée, répondoit courtement et sans
jamais enfoncer, ni s'engager encore moins; si le ministre
insistoit, ce qu'il n'osoit guères, il luidisoit honnêtement
qu'il ne pouvoit s'expliquer davantage, en lui montrant
Torcy, qui étoit toujours présent, comme celui cjui savoit
ses intentions, et avec qui le ministre pouvoit traiter. Il
l'éconduisoit* ainsi, et, si le ministre faisoit la sourde
oreille, il le quittoit avec une légère inclination de tête,
et se retlroit dans un autre cabinet. Il falloit bien alors
que le ministre étranger s'en allât, à qui Torcy en mon-
troit civilement le chemin. C'est l'imitation (jue je pro-
posai entière et ferme à M. le duc d'Orléans, avec les
suppléments de politesse que demande la différence qui
4. Il y a toutefois à estre dans le manuscrit.
2. Les mots luy envoyant corrigent leur con[seillant].
3. Il y a ici un second luy, biffé.
4. Ce verbe n'était pas admis par le Dictionnaire de l'Académie de
I7ts.
la cour.
|171o] DE SAINT-SIMON. 141
est entre un régent et un roi, tel surtout que Louis XIV .
J'eus toujours attention à ne lui rien dire sur Mme la
duchesse de Berry, que j'affectai de ne nommer jamais
directement ni indirectement : l'aventure de Fontaine-
bleau, que j'ai racontée p. [1181 '], m'avoit rendu sage ;
mais mon silence sur un point qui se présentoit si natu
rellement en traitant tous les autres, devoit au moins
être expressif, même - éloquent. Si la suite fait voir com-
bien je perdis mon temps et mes peines, la vérité veut
que je ne retienne rien et que j'expose tout avec sin-
cérité.
Plus le temps paroissoit s'avancer par la décadence Onde
extérieure du Roi, dont pourtant les journées éfoient
toujours les mêmes, plus chacun pensoit à soi, quoique
la terreur qu'on avoit de ce monarque dépérissant à vue
d'œil fût telle, que M. le duc d'Orléans n'en étoit pas moins
absolument esseulé^ jusque dans le salon de Marly. Mais
je remarquois bien qu'on cherchoit à s'approcher de moi,
et gros du monde, et gens les plus considérables, et de ces
politiques aussi dont le manège effronté court après ceux
à qui ils n'ont jamais parlé, dès* qu'ils se les croient pou-
voir rendre utiles, auprès desquels leur souplesse fait
effort de les approcher. Je m'étois souvent moqué de ces
prompts amis du crédit et des places ; je riois en moi-
même de ce vil empressement pour un homme qui n'en
avoit encore que l'espérance, et j'endivertissois M. le duc
d'Orléans pour le prémunir d'avance là-dessus lui-même.
Le duc de Noailles, qui ne le voyoit qu'en Nicodème% Agitation
1. Saint-Simon a laissé ce chiffre en blanc; il correspond aux pages
49 à 32 de notre tome XXII.
2. Avant mesme, il y a un et, biffé.
3. Avant esseulé, il a biffé isolé qu'il avait commencé à corriger en
es[seulé].
4. Dès surcharge av[ec].
o. C'est-à-dire, en secret, comme Nicodème allait visiter Jésus (Evan-
gile selon saint Jean, chap. m).
Uî MEMOIRES [4715]
Hu redoubloit peu à pou ses visites. Il tàchoit inutilement de
ducdeNoaiUos. ^'g^jpgp quelque confidence sur les projets d'un prochain
avenir. II m'en faisoit des plaintes amères ; il se rabattoit
sur la peine où le melloit de ne pouvoir rien tirer sur les
places que je lui avois dit que je desirois pour lui et pour
son oncle. Je le tenois en haleine; je lui disois que la pro-
position que j'en avois faite avoit bien pris, mais que je
n'en pouvois savoir davantage. Tantôt il meprioit d'insis-
ter'; tantôt il massuroit que je savois bien à quoi m'en
tenir, et me conjuroil de rompre mon silence. Je voyois
en lui une passion extrême de cette place des finances,
dont il m'entretenoit- sans cesse ; mais le Koi ne me parois-
soit pas assez proche de sa fin, même après son testament
fait, pour qu'on pût s'expliquer à personne de ce qui le
devoit survivre, de sorte que je m'en tins là avec le duc
de Noailles, et M. le duc d Orléans aussi. Mais, le testa-
ment fait, j'eus lieu de douter qu'il se tînt dans la même
réserve sur ce qui regardoit Maisons avec lui, et quoique
ce qui se verra de ce magistrat semble fort contrarier ce
soupçon, tout ce que je remarquai, depuis le testament
surtout, et dans l'un et dans l'autre, me persuadèrent ^ que
Maisons comptoit fermement sur les sceaux et sur le pre-
mier crédit, sans toutefois que ni l'un ni l'autre m'en aient
rien laissé entendre.
Curiosité tr^s Mme la duchesse d'Orléans n'étoitpasia moins inquiète
embarrassante j^^ limbes* où OU la laissoit sur l'avenir. Elle sentoit toute
de -Mme la . . i », • n •. r •
duchosse la Situation du duc du Marne; elle ne pouvoit se dissimu-
d'Orléans. 1er ce qu'il méritoit de M. le duc d'Orléans. Cet intérêt
à part, qui lui étoit le plus sensible, elle étoit touchée de
celui de M. le duc d'Orléans, et de ce qu'il pouvoit former
de projets et prendre de mesures pour après le Roi. Ses
tête-à-tête avec moi, surtout depuis le testament et l'habi-
1. Après d'insister, il a biiïé d'avantage (sic).
2. Écrit par méfiarde m'entrenoit.
3. 11 y a bien persuadèrent, et non persuada, dans le manuscrit.
i. Tome XXI, p. W*.
14715] DE SAINT-SIMON. U3
lité des bâtards à la couronne, rouloient pour la plupart
là-dessus, rarement la duchesse Sforze en tiers, et me
mettoient à la torture. Elle ne doutoit point que M. le
duc d'Orléans n'eût en moi une confiance entière ; elle ne
voyoitque moi avec qui il pût s'ouvrir, consulter, projeter
sur l'avenir. L'expérience lui avoit appris qu'il se repo-
soit beaucoup trop sur moi des vues, des mesures, des
projets, qu'il n'étoit pas trop bon lui-même pour faire et
pour imaginer, et que, quand cela lui arrivoit, c'étoit à
moi qu'il les confioit, et avec qui' il en délibéroit. L'im-
minence de tout le grand qui alloit tomber sur lui ne per-
raettoit pas de croire que ni lui ni moi n'eussions rien
là-dessus dans l'esprit, et la même expérience que Mme la
duchesse d'Orléans avoit de l'un et de l'autre la persua-
doit bien que, s'il étoit possible que M. le duc d'Orléans
n'eût encore rien de débrouillé dans la tête, il s'en falloit
tout que je fusse au même point. Sa curiosité étoit donc
extrênje, et ses questions par conséquent ; c'étoit des con-
tours adroits pour me surprendre, des gens dont elle me
demandoit ce que je pensois, en un mot tout ce que l'art,
le manège, la supériorité, le raisonnement, la liberté,
l'amitié, la confiance, le plus proche intérêt, peuvent
déplover sous toutes sortes de faces, avec tout l'esprit, la
justesse et l'insinuation possible, mis sans cesse en œuvre
avec une infatigable persévérance. J'avois affaire à une
personne fort supérieure, fort clairvoyante, fort appliquée,
fort réfléchie, fort de suite^, et qui, par tout ce que j'avois
manié de concert avec elle, sous ses yeux, me connois-
soit trop pour que je pusse me cacher de penser à l'avenir.
Le plus grand intérêt, et le même intérêt d'elle comme
épouse, de moi à tout ce que je leur étois, et, depuis le
raccommodement que j'avois fait de M. le duc d'Orléans
avec elle en le séparant de Mme d'Argenton, l'amitié la
4. Avec qui est en interligne, au-dessus de qu\ biffé.
2. Comparez le portrait de la duchesse qu'il a donné précédem-
ment : notre tome XXVI, p. 299 et suivantes.
\u M KM (H m: s |niri|
plus mtiiiR' el la coiilianoL' la [jIus entière établie entre
elle et moi, et par le clesir commun de M. le duc d'Or-
léans et d'elle, sans la plus légère altération jusqu'alors,
devenoient en ces moments des liens bien embarrassants
pour moi. Il falloit donc ménager et maintenir cette ami-
tié, cette confiance, ce respect, cet air de comnumauté
d'intérêts, surtout ne lui pas paroître rêver, comme l'on
dit, à la suisse', dans de pareilles conjonctures, après lui
en avoir montré tant de différence dans de grandes affai-
res, telles que celle d'Espagne-, celle du mariage de
Mme la duchesse de Berry ', celles des noires et affreuses
imputations*, et de tant d'autres importantes ou de cour,
ou d'intérieur de la famille royale; en même temps me
bien garder de laisser rien entrevoir, ni même soupçon-
ner^ des secrets qui n'étoient pas les miens, raisonner tou-
jours ef^ répondre à tout comme à la sœur du duc du
Maine, pour la grandeur duquel elle auroit sacrifié avec
transport de joie mari, enfants et elle-même". Je ne trou-
vai donc de ressource que dans la longueur des verbiages
pour consumer le temps, l'embarras des combinaisons,
le danger de penser à rien pendant la vie du Roi, l'inuti-
1. « On dit proverbialemonl rêvera la suisse, c'est-à-dire ne penser,
ne rêver à rien » (Dictionnaire de Trévoux). Cette locution a peut-
être ici ce sens plutôt que celui que donne le Littré, au mot
Rêver : « avoir l'air de penser à quelque chose et ne penser à rien ».
Le P. Buffier dans ses Principes du raisonnement, cité par le Littré
au mot SUISSE, donnait un autre sens : « Penser à la suisse s'est dit
pour laisser aller son esprit à de simples idées ([ui se présentent à
l'imagination, sans prendre la peine d'examiner l'une par rapport à
l'autre. »
2. Tome XVIII, p. 45 et suivantes.
3. Tome XIX, p. -189 et suivantes.
4. Ibidem, p. 271-274.
5. Mesme est en interligne et, après soupçonner, il a bilTé rien.
6. La conjonction et est répétée deux fois à la fin d'une ligne et au
commencement de la suivante.
7. Elle était « bien moins femme que sœur », a-t-il dit dans le
tome XXVI, p. 209.
[1713] DE SAINT-SIMON. 145
lité de tous projets, si le Roi faisoit des dispositions, et,
après qu'il les eut faites, la folie d'imaginer les pouvoir
attaquer, qui fut mon plus sûr retranchement et le plus
utile, enfin la paresse d'esprit, la légèreté, le peu de suite
qu'elle connoissoit dans M. le duc d'Orléans; paraphraser
longuement toutes ces difticultés, les tourner de tous les
sens, surtout me tenir de fort court sur les personnes sur
lesquelles elle me promenoit et me demandoit ce que j'en
pensois, plus encore en garde contre mon air et mon
visage, qu'elle observoit toujours, pour tâcher attentive-
ment à y découvrir mieux que dans mes paroles. Je me
rabattois encore pour m'excuser de penser là-dessus par
l'inutilité' de le faire, sur la sagesse du gouvernement du
Roi, sur la longue et générale habitude qu'on s'étoit faite
de l'admiration, de la soumission, de la crainte, sur le
danger de tout changement dans ces moments critiques,
sur la difficulté de trouver mieux ni aussi bien, sur la
rareté des sujets, sur les jalousies et le péril des méprises
en matière d'innovation et de choix, sur le fâcheux état
des finances et de l'intérieur du royaume, enfin sur le
testament du Roi, après qu'il fut su qu'il en avoitfait un,
qui me donna beau champ sur le respect qu'un tel et si
long règne avoit imprimé dans l'esprit de tout le monde
pour ses volontés, dont l'exécution seroit le seul parti sage
et le meilleur qu'on pût prendre en soi, et dans un pays
où la longue habitude de l'obéissance aveugle a tellement
passé en loi qu'il n'y a plus personne qui imagine qu'il
soit permis ni possible de s'y soustraire.
Tous ces propos, enflés et allongés, ne satisfaisoient point
Mme la duchesse d'Orléans. Elle avoit eu trop d'occasions
de me voir des sentiments plus libres, et de regimber
contre l'éperon, pour se payer de ce que je lui répondois.
Elle m'objecta le testament de Louis XIII-, et en raisonna
1. L'élision l' a été écrit à la tin d'une ligne, et répété par mégarde
au commencement de la ligne suivante.
2. Ci-dessus, p. 98-401.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON XXVII 10
,
U6 MÉMOIRES |l"l;ij
au mieux sur les conséquences à vu lircr (>l à en prrvoir
pour celui de Louis \1\ . Je sentis iiuoiitinent toute sa
déliance de mes réponses, et toute celle qu elle avoit de
la solidité de ce dernier testament, dont, à ce qui s'y étoit
passé, et qui a été rapporté p. 1408 et 9', elle ne se pou-
voit cacher que le Uoi ne doutât lui-niènie autant ou plus
que personne. Il étoit très important de la rassurer sur
l'une et l'autre défiance. Je me mis donc à raisonner sur
la comparaison des temps, des personnes, des conjonctu-
res, sur la diiïérence d'un règne plein de factions et de
guerres civiles, d'avec un autre du double de durée, d'une
puissance absolue déployée en tout genre, sans la plus
légère, non pas contradiction, mais représentation, qui
non-seulement avoit anéanti toute autre autorité que la
sienne immédiate, mais encore tout crédit, toute union,
toute autre considération que la sienne et de ses minis-
tres, par conséquent tout personnage et toute autre fonc-
tion d'emploi quelconque et de charges que des domesti-
ques, ce qui ne laissoit personne aujourd hui en aucun
moyen de s'opposer ni de résister à quoi que ce soit, si
tant est qu'il y eût encore quelqu'un qui s'avisât de se
souvenir qu'esclave et sujet n'est pas la même chose ; qu'il
y avoit loin d'une reine de quarante et un ans, fille d'Es-
pagne'", qui avoit elle-même passé déjà par plus d'une
étamine^ en affaires d'Etat, en tous les temps jusqu'alors
intimement unie à la reine sa belle-mère et à Monsieur,
qui avoit des généraux et des ministres attachés à elle, et
dans les pays étrangers des créatures habiles, comme la
duchesse de Chevreuse dans le considérable, et dans le
bas, mais non moins utiles, comme Beringhen* et d'autres
que leurs aventures communes avec elle y avoient fait fuir
i. Ces pages du manuscrit correspondent aux pages 18 et suivantes
de notre tome XXV.
2. Il veut parler d'Anne d'Autriche.
3. Locution déjà rencontrée dans le tome XV, p. 34.
■'t. Henri d(! Beringben : tome I, p. 192.
[1715] DE SAINT-SIMON. 447
pour leur sûreté, à M. le duc d'Orléans, qui n'avoit que
sa naissance, mais ni gouvernement, ni charge, ni troupes
sous ses ordres, et qu'elle voyoit elle-même dans un aban-
don si universel, quoique si proche du timon du royaume ;
qu'il y avoit loin encore d'un prince foible tel que Gas-
ton, qui ne savoit jamais prendre aucun parti par lui-
même, ni soutenir aucun de ceux qu'on lui avoit fait
prendre, saisi à la chaude', au dépourvu, à l'instant, sans
avoir un moment pour parler à quelqu'un, par une reine
avec qui tout l'avoit tenu uni jusqu'alors dans toutes les
différentes situations de sa vie, par conséquent accoutumé
à se croire un avec elle, d'ailleurs sans force par lui-
même pour résister aux cajoleries de cette reine et à une
parole à lui donner sur-le-champ, dont il fut assez simple
pour se promettre plus qu'il ne lui quittoit, et de Mon-
sieur le Prince pris avec la même promptitude, à qui
l'exemple de Monsieur ferma la bouche, qui ne le pres-
soit pas moins de le suivre que faisoit la Reine-, dont^
l'union contre lui, s'il leur résistoit, lui fît tout appréhen-
et dont le consentement entraîna aussitôt celui de tout
le conseil de régence S hors d'état de leur résister seul à
tous les trois ; qu'il y avoit bien loin de la situation si
brusque de ces trois mêmes personnes et de la leur d'ail-
leurs en elles-mêmes, et de^ celle de M. le duc d'Orléans,
d'avec la situation des personnes en faveur de qui il est
croyable que le Roi a fait des dispositions, qui sont appa-
remment en volonté et en moyens de les défendre ; qui
n'ont ni les raisons de foiblesse et d'intimes liaisons qu'eut
1. Locution déjà annotée dans le tome IX, p. 311.
•2. Ci-dessus, p. 100.
3. Avant dont, il y a un et, biffé.
4. Les antres membres du conseil de régence institué par Louis XIII
étaient le cardinal Mazarin, le chancelier Séguier, le surintendant des
finances Claude Bouthillier, et son tîls Léon Boulhillier de Chavigny,
secrétaire d'Etat.
5. Et de est en interligne, au-dessus de d'avec, hiiîé.
^ ?'''
iiS MÉMOIRES 117I..I
Gastoi), ni le poiils. ni K- pôril d'un tel exemple, en refu-
sant de s'y conformer comme Monsieur le l'rince ne l'osa,
ni la disparité et la nudité de ceux du conseil de régence
pour maintenir la part qui leur éloit donnée au gouver-
nement, quand Monsieur et Monsieur le Prince s'en dé-
pouilloient en faveur de la Heine ; que de plus les dispo-
sitions lie Louis Xlll avoient été rendues publiques par
la lecture que ce monarque en avoit fait faire dans sa
chambre, en présence de la Heine, de Monsieur, de Mon-
sieur le Prince, des grands et des plus considérables de sa
cour, même des principaux magistrats qu'il y avoit man-
dés'; la Heine ainsi que tout le monde savoient- leur con-
tenu, au lieu qu'à l'égard de celles que le Koi a faites,
M le duc d'Orléans est avec tout le monde dans les plus
profondes ténèbres, dont le voile ne sera levé qu'après que
le Hoi ne sera plus, et levé pour M. le duc d'Orléans et^
pour tout le monde à la fois, en plein Parlement, par
l'ouverture et la lecture du testament qui y sera faite;
qu'ainsi la différence est entière entre la facilité de la
Heine, qui savoit à quoi tendre et comment y tendre, et
l'épaisse obscurité de M. le duc d'Orléans, qui le tient
dans la plus invincible ignorance de ce qu'il a à faire, à
qui il a à faire, et même s'il a quelque chose à faire. « Il
n'en faut pas tant, Madame, ajoutai-je avec feu, pour
servir de raison à ne rien faire, même à ne pas penser,
à un homme aussi diflicile à mettre en mouvement que
vous devez connoître M. le duc d'Orléans, même dans les
choses les plus aplanies et les plus importantes, s'il vous
plaît de vous souvenir du mariage de Mme la duchesse de
Berry * et de beaucoup d'autres que vous avez vues comme
moi. »
C'est ainsi que je m'efiPorçois d'échapper aux filets
de toutes les sortes qui m'étoient continuellement tendus.
1. Ci-dessus, \>. 100. — 2. Ainsi dans le manuscrit.
3. Les sept derniers mots ont été ajoutés en interligne.
4. Tome XIX, p. 231-23G.
[1715] DE SAINT-SIMON. 119
Mais cette fausseté indispensable me coûtoit si prodigieu-
sement, que j'étois toujours en crainte de la trahison de
mon visage, du son de ma voix, de toute ma contenance.
Il n'est pas possible d'exprimer le combat qui se passe au
fond d'une âme franche, droite, naturelle, vraie, qui, au
milieu des périls de la plus dangereuse cour du monde,
n'a jamais pu se masquer même sur rien, et à qui il en a
bien des fois coûté cher, sans avoir pu se résoudre à pren-
dre leçon de ses expériences, dont ces Mémoires sont
pleins; quel tourment, dis-je, elle souffre lorsqu'elle se
trouve en ce détroit unique : ou de perdre l'Etat, que je
comptois sauver et réparer, perdre M. le duc d'Orléans,
dont j'avois seul le secret, et me perdre moi-même, ou
de tromper avec soin, art et industrie, une princesse avec
qui je vivois depuis des années dans la plus intime et la
plus réciproque amitié et confiance, qu'il falloit voir sans
cesse sur ce même pied, en être attaqué sans mesure aussi
avec toute sorte d'art et d'industrie, et la tromper conti-
nuellement par toutes sortes de détours. Je revenois quel-
quefois de chez elle chez M. le duc d'Orléans l'avertir
prompteraent, pour qu'il se trouvât de la conformité dans
ce qu'il lui répondroit avec les discours que je lui avois
tenus; souvent aux larmes ^ et si plein de rage et de
désespoir, qu'il augmentoit encore par en rire, lui à qui
ce personnage n'étoit pas si nouveau, que je me licen-
ciois de colère à lui en dire plus que très librement mon
avis; et c'est de la sorte que s'écoula toutle temps jusqu'à
la mort du Roi.
On a vu- que l'édit qui appelle les bâtards du Roi à la Maisons
couronne, etc., comme ayant l'honneur d'être ses fils et '"ronosition^
petits-fils, est de juillet 1714, enregistré le 2 août, même énormeetfollc,
année ; que ^ le Roi remit son testament aux premier pré- , *^*, "° ?^, .
• j '»iii- .- rebute point de
sident et procureur gênerai le dimanche matm 2/ août, la vouloir
i. J'étais souvent aux larmes.
1. Tome XXIV, p. 371.
3. Avant que, il y a un et, biffé.
\^0 MKMDIRKS [1715]
persuader à même aiinôp' ; qu'il n'y eut que vingt-six jours entre l'édit
^'Jw ^'t le testamenl. et que le duc du Maine, Mme de Main-
duc d Orléans 1 ^1 i' , I • I I , .
et à moi. tenou et le Chanoeher surent bien employer le temps, et
n'en point perdre. Il n'y en eut guères non plus entre le
testament fait et livré et le dernier voyage (jue le Koi ait
fait à Fontainebleau, pendant lequel le duc du Maine
commença à ourdir la noire et profonde traîne de l'alVaire
du bonnet, et qu'il sut contluire comme on l'a vu'-. Je ne
sais si Maisons étoit entré avec lui dans la confidence de
ce chef-d'œuvre de scélérate politi(|ue, et qu'en ce cas il
eût prévu que le fracas de la tin de cette atîaire me ren-
droit peu accessible à lui, et moins capable de me prêter
à ses raisonnements. Quoi qu'il en soit, il ne tarda pas
à ' m'en venir faire un si surprenant '*, aussitôt que le tes-
tament fut déposé au Parlement, qu'il est nécessaire, avant
de le rapporter, de remettre courtement^ ici devant les
yeux ce qui se passa à cet égard.
Mesmes et Daguesseau, premier président et procureur
général, mandés de se trouver à l'issue du lever du Roi à
Versailles pour le dimanche 27 août" 1714, y arrivèrent
droit chez le Chancelier, qui leur remit un édit fort court
et fort sec, signé et scellé, pour le faire enregistrer le
lendemain'. Le Roiy déclaroit que^ « le paquet remis par
« lui aux premier président et procureur général du Parle-
« ment contenoit son testament, par lequel il avoit pourvu
« à la garde et à la tutelle du Roi mineur, et au choix d'un
« conseil de régence, dont, pour de justes considérations,
i. Tome XXV, p. IS-tiO. Il faut lire dimanche "JO août (Dangcau,
tome XV, p. lir»), et de ce fait le calcul des jours écoulés entre l'édit
et le testament devient faux.
1. Tome XXVI, p. 1 et suivantes.
3. Cet à, oublié, a été remis en interligne.
4. Un si surprenant raisonnement.
5. L'adverbe courtcm^ est en interligne.
6. Il faut lire encore ici dimanchr ^0 aoilt.
7. Le texte en a été donné dans notre tome XXV, p. Hfit-38.H.
8. Quoique tout ce qui va suivre ait été mis entre guillemets par
Saint-Simon, ce n'est que le sens et non [>as le texte exact de l'édit.
[17in] DE SAINT-SIMON. {M
(( iln'avoitpasvoulurendrelesdispositionspubliques; qu'il
« vouloit que ce dépôt fût conservé au greffe du Parlement
« pendant' sa vie, et qu'au moment qu'il plairoit à Dieu
« le retirer de ce monde, toutes les chambres du Parlement
« s'assemblassent avec tous les princes de la maison
« royale, et tous les pairs de France qui s'y pourroient
<( trouver, pour, en leur présence, y être fait ouverture
« du testament, et, après sa lecture, les dispositions qu'il
« contenoit être rendues publiques et exécutées, sans
« qu'il fût permis à personne d'y contrevenir, et le dupli-
« cata dudit testament être envoyé à tous les parlements
« du royaume, par les ordres du conseil de régence,
« pour y être enregistré. »
Pas un mot, dans cet édit, d'honnêteté pour le Parle-
ment, ni terme d'estime ni de confiance; nulle nomina-
tion, ni indication même d'exécuteur du testament ; enfin,
ce n'est point au Parlement ni à personne qu'il est confié.
L'édit ordonne seulement qu'il sera déposé au greffe, sans
parler d'aucune sorte de précaution pour l'y garder, et le
greffe est choisi simplement comme un lieu public et
ordinaire de dépôt. Ainsi le Parlement n'y est chargé de
rien, ni pas un de ses magistrats, et le greffe ne l'est que
comme de tous autres actes qui y sont déposés. Les^
duplicata envoyés aux parlements du royaume par les
ordres du conseil de régence font^ voir une attention
marquée pour l'autorité de ce conseil et pour omettre le
nom de régent, laquelle^ est bien significative, et qui
relève bien aussi toute la négligence affectée dans l'édit
pour le Parlement, qui étoit l'occasion et le lieu de dire
des choses à flatter cette Compagnie, dont il résulte deux
choses : l'une, que le Parlement n'y" fut pour rien, ni en
4. Pendant est en interligne, au-dessus de de, biffé.
2. Avant les, il y a un et, biffé.
3. Il y a fait, dans le manuscrit, surchargeant et.
4. Laquelle est en interligne, au-dessus de ce qui, biffé.
^. N'y corrige ne.
i;v2 MEMOIRES [iTi:;]
corps, ni pai" :uuun de ses inomhi-os ; Tniitro, <]iie les pn''-
cautions si grandes pour la conservation du dépôt furent
iiniipiomont du cru' et du fait du premier président, pour
rendre odieux le seul homme en haine duquel le tesln-
ment parut fait, comme étant capable de s'en saisir p:u-
violence, et mettre ce dépôt- ainsi que le duc du Maine,
en faveur duquel il parut visiblement fait, sous la pro-
tection de la justice, du Parlement, du peuple, de la
multitude. Il est certain que le duc du Maine ne pou-
voit rien ajouter à de telles précautions, ni plus com-
plètement profiter d'un premier président qui lui avoit
livré son âme.
Le premier président et le procureur général allèrent
chez le Roi, au sortir de chez le Chancelier. Ce voyage si
concerté n'avoit point de moments convenables poui- une
visite du premier président à M. du Maine, dont sûre-
ment* il avoit bien auparavant reçu les ordres et les
instructions, et tout débattu et concerté avec lui. Le Koi,
en leur disant ce qui a été rapporté p. 1408S et sans
parler d'aucune précaution'', leur donna le paquet cacheté
qui renfermoit son testament, et au sortir du cabinet du
Roi ils s'en retournèrent à Paris. En y arrivant, ils
envoyèrent chercher des ouvriers. Ils les conduisirent
dans une tour du Palais, qui est derrière la buvette de
la grand'chambre et le cabinet du premier président,
laquelle répond au greffe et le joint. Ils firent creuser un
grand trou dans la muraille de cette tour, qui est fort
épaisse, y déposèrent le testament, en firent fermer
l'ouverture d'une porte de fer, d'une grille aussi de fer
1. «On dit tifïurôment cela est de votre cru, pour dire, cela vient do
vous, vous avez inventé cela » (Académie, iliS).
2. Avant mettre, Saint-Simon a bifTé le, et les mots ce depost ont
été ajoutés en interligne.
3. Seurem' ajouté en interlif^if •
4. Tome XXV, p. i9-20.
5. Les six derniers mots ont été ajoutes en interligne.
[17^;.] DE SAINT-SIMON. 153
on seconde porte, et miirailler par-dessus. La porte et la
grille eurent chacune trois différentes serrures, mais les
mêmes à la porte et à la grille, et une clef pour chacune
des trois, qui par conséquent ouvroit chacune deux
serrures, une de la grille et une de la porte". Le premier
président en garda une, le procureur général une autre,
et la troisième fut confiée au greffier en chef du Parlement,
sous prétexte que le dépôt étoit tout contre la chambre du
greffe, en effet pour éviter* occasion de jalousie entre
l'ancien des présidents à mortier et le doyen du Parle-
ment, et la division entre les présidents et les conseillers
qu'elle auroit pu faire naître.
Le lendemain lundi 28 août', le premier président
assembla les chambres dès le matin, leur rendit compte
du sujet de son voyage de la veille, fit présenter l'édit par
les gens du Roi, qui fut enregistré, paraphrasa les sages
et justes précautions du Roi avec force louanges, et
n'oublia pas de suppléer au silence de l'édit par tout ce
qu'il put de superbes flatteries, et de ce qu'il crut le plus
propre à intéresser la Compagnie à la protection des
dispositions du Roi, lorsqu'il en seroit temps, et à
la piquer d'honneur pour en procurer l'entière exécu-
tion.
Revenons présentement* à Maisons. Ce président, comme l^dd. S'-s. 1235]
je l'ai déjà dit, venoit presque tous les dimanches au
lever du Roi% et après sa messe chez moi, où la porte
étoit fermée à tout le monde de règle tant qu'il y étoit,
1 . Voyez dans notre tome XXV, p. 388-390, la description du caveau ;
les détails de local et de clefs que donne Saint-Simon ne sont pas exacts.
2. Avant ce verbe, il y a un mot illisible biffé, qu'on avait commencé
à surcharger en éviter.
3. Non pas le lundi "28 août, mais le mercredi -29 : tome XXV,
p. 381-384. Le lundi tombait le '11 août, et c'est la veille (jue le Roi
avait convoqué les magistrats pour leur remettre son testament.
4. Il a écrit revenenons, et l'adverbe qui suit est abrégé en p"'.
o. Dans le tome XXIV, p. 330, il a été dit que M. de Maisons
allait à la cour une fois par semaine.
iS'. MEMOIRES fni:ii
et o'i'toit toujours toto à l»''t(\ Tl vint donc lo premier
dimanche d'après celui où le Roi avoit remis son testa-
ment au premier pi'rsidenl c\ au pi'ocureui" général,
c'est-à-dire le septième jour après'. Le dépôt éfoit (Mifermé
et l'édit (pii l'annoncoit enregistré, il y en avoit cinq-. Il
me fit un discours pathétique ovi il disserta fortement
l'éclat, le venin, les motifs plus que très a|)parents du
testament, tout ce dont M. le duc d'Orléans étoit menacé.
Il n'oublia pas de m'exciter par tout ce qu'il en put croire'
capable sur le surcroît de grandeur, et tout le pouvoir qui
en résulteroit à M. du Maine et à la bâtardise, et de fois à
autre s'interrompant sur la séduction, et par des décla-
mations vives contre les auteurs et les coopératcurs
d'une pièce si funeste à l'État et à la maison royale.
Quand il eut bien péroré, je lui dis qu'il ne me persua-
doit rien de nouveau ; que je voyois les mêmes vérités
que lui avec la même évidence ; que le pis que j'y trou-
vois, c'est qu'il n'y avoit point de remède. « Point de
remède! m'interrompit-il avec son rire en dessous, il
y en a toujours aux choses les plus extrêmes avec du
courage et de l'esprit, et je m'étonne qu'avec ce que vous
avez de l'un et de l'autre, de vous trouver court sur ce
qui va tout mettre en confusion ; » et de là, à s'étendre
sur ce qu'il y alloit de tout pour M. le duc d'Orléans
qu'une pièce, qui ne pouvoit avoir été fabriquée qu'entre
M. du Maine, Mme de Maintenon et le Chancelier, et où
sûrement rien n'avoit été oublié en faveur du duc du
Maine et contre M. le duc d'Orléans, vît jamais le jour.
Je convins que ce seroit bien le plus court ; en même
1. Par conséquent le dimanche 2 septembre. — Le cliiflVe 7' cor-
rige S'-.
1. Il veut fiire qu'il y avait ciiKi jours que ce.s formalités étaient
accomplies, il fait erreur ; car c'est seulement le d2 septembre que le
testament fut enfermé dans le caveau préparé : notre tome XXV,
p. 388-390.
3. Croire ajouté en interligne.
[1715] DE SAINT-SIMON. 455
temps je lui demandai comment supprimer un testament
déclaré par un édit enregistré, pièce par conséquent
publique, et solennelle encore par sa nature, déposée de
plus avec tant d'éclat, et de si solides précautions connues
de tout le monde, dans l'intérieur le plus enfoncé du
Palais, et le plus sûr par la nature et par l'art qui y avoit
été ajouté. « Vous voilà donc bien embarrassé, me répliqua
Maisons; avoir, à l'instant de la mort du Roi, des troupes
sûres et des officiers sages, avisés et affidés tous prêts, avec
eux des maçons et des serruriers, marcher au Palais, enfon-
cer les portes et la niche, enlever le testament, et qu'on [ne |
le voie jamais. » Dans ma surprise extrême, je lui demandai
quel fruit d'une si prodigieuse violence, et de plus quelle
mécanique pour en venir à bout. J'ajoutai que, quoi qu'il
y eût dans le testament, je ne voyois point de comparaison
entre la possible espérance qu'il n'eût pas plus d'exécution
qu'en avoit eu celui de Louis XIII, comme le Roi lui-même
ne s'étoit pas caché de le penser', entre essuyer même ses
dispositions quelles qu'elles fussent, et violer à main
armée un dépôt public et solennel, de cette qualité unique
et si royale, dans le sein du sanctuaire de la justice, au
milieu de la capitale, soulever le peuple et les provinces,
la raison, la nature, ce que les hommes ont de plus sacré
entre eux, donner aux ennemis de M. le duc d'Orléans
les armes les plus spécieuses, lui débaucher ce qu'il peut
avoir d'amis sages et raisonnables par la honte et le
péril de lui demeurer attachés, donner aux horreurs
répandues contre lui un poids que tous les artifices et
toute l'autorité n'avoient j)u leur acquérir, autoriser tout
ce qui se déclareroit contre lui à tirer les plus grands
usages de cette folie, et armer- la juste fureur du Parlement,
si grandement outragé par un attentat de cette nature, et
dans le moment critique où l'usage abusif presque tourné
1. Tome XXV, p. 49 et -21.
2. Armer a été ajouté en interligne.
156 MKMiMRES (174.S1
en loi lui donnoit une aiitorito avec laquelle il falloit
eompter dès cet instant même, et souvent encore dans le
cours de la régence. Que si, dans l'exécution si odieuse
par elle-même, et que les bâtards et le Parlement, qu'elle
réuniroit pour toujours, avoient tant d'intérêt d'empê-
cher, il arrivoit une sédition, peut-être appuyée des
Suisses', et qu'il y eût du sang répandu, personne ne
pouvoit- prévoir jusqu'où cette action étoii capable de
conduire, laquelle, quoi qu'il en succédât, combleroit
M. le duc d'Orléans d'opprobre, de la plus grande, de la
plus juste, de la plus universelle haine, et d'un mépris
égal, si par l'événement le testament échappoit à l'attaque.
Tout cela fut commenté bien plus au long, sans que
Maisons pût être ébranlé le moins du monde, et toutefois
sans qu'il eût rien à répondre que l'importance de sous-
traire un testament qu'il étoit clair qu'on n'avoit fait que
contre M. le duc d'Orléans et en faveur des bâtards.
Maisons, au partir de chez moi, alla faire à M. le duc
d'Orléans la même proposition avec les mêmes instances,
et me gagna de la main, espérant apparemment de le
persuader' s'il lui parloit avant moi. Heureusement il n'en
fut pas mieux reçu. Nous lui fîmes à peu près les mêmes
objections, parce qu'elles se présentoient d'elles-mêmes,
sans lui faire changer de sentiment, et* nous nous le
contâmes l'un à l'autre, M. le duc d'Orléans et moi, et
tous deux dans un étonnement extrême. Ce qui nous en
donna davantage, c'est qu'il persista jusqu'à sa mort, qui
précéda de très peu de jours celle du Roi", à presser M. le
duc d'Orléans de cette extravagance, et moi jusqu'à la per-
I. Le duc du Maine en était colonel f,'énéral.
•1. Les mots ne pouvoit sont on interlif^ne, au-dessus de n'estait
capable de, biffé, et Saint-Simon a bitTé un socond prévoir ajouté par
mégarde en interligne après pouvoit.
3. Persuader est en interligne au-dessus de guaigner, biffé.
4. Après cpf et i\ y a un ne dans le manuscrit, et, plus loin, le a été
ajouté en interligne.
o. Ci-après, p. 1()4.
[1715] DE SAINT-SIMO>. 157
sécution. II ne tint pas à ses instances redoublées que je ne
fisse la sottise d'aller à la buvette de la grand chambre recon-
noître les lieux sur les indications qu'il m'en donnait,
moi qui n'en avois aucun prétexte, et qui de plus n'allois
jamais au Palais que pour des réceptions de pairs ou
des occasions où le Roi les y mandoit, et qui même alors
n'avoit jamais approché seulement de la buvette. INe pou-
vant vaincre là-dessus ce qu'il appeloit mon opiniâtreté,
il me demanda au moins de ra'arrèter sur le quai de la
Mégisserie, où on vend tant de ferrailles', et d'examiner
de là, la rivière entre deux, la tour où étoit le testament,
qu'il me désigna et qui donnoit sur le quai des Morfondus-,
mais en arrière des bâtiments de ce quai '. On peut juger
quelle connoissance on pouvoit en tirer de ce point de
vue. Je lui promis, non de m'arrèter sur ce quai pour me
faire regarder des passants, mais d'y passer, et de voir
ainsi ce que je pourrois remarquer, en ajoutant que
c'étoit par complaisance, et pour le satisfaire sur une chose
en soi indifférente, parce que rien au monde ne me pour-
roit tenter, encore moins me* persuader, sur une pareille
entreprise. L'incompréhensible est comment elle avoit pu
entrer dans une tête aussi sensée, et que jusqu'à la mort,
quoiqu'il nous ait trouvés inébranlables, M. le duc d'Or-
léans et moi, il ne se soit jamais lassé de nous presser
1. Le quai de la Mégisserie, appelé encore ainsi de nos jours, est
le long de la rive droite de la Seine entre le Pont-neuf et le Pont-au-
Change. La partie la plus rapprochée du Pont-neuf était nommée vul-
gairement le quai de la F'erraille, non seulement à cause des boutiques
de quincaillerie qui s'y trouvaient, mais surtout à cause des nombreux
petits marchands qui étalaient leur ferraille sur le pavé même.
2. Morfondus corrige orflevres]. — Le peuple appelait ainsi le quai
de l'Horloge, à cause de son exposition au nord, et spécialement la
partie qui longeait les maisons de la place Dauphine.
3. D'après le procès-verbal (tome XXV, p. 387), il ne semble
pas que le testament ait été déposé dans une tour, mais bien dans
« un lieu » situé derrière le cabinet des greffiers en chef.
i. Me est ajouté en interligne, ainsi que se avant soit, quatre lignes
plus loin.
ir>S MEMOIRES 11715]
là-(lt'>sus, ni rebiilô de rcsprranco de nous y amener.
Réflexions Le plus moi'lol ennemi de M. le duc d'Orléans n'auroit
buidl'Mai-oiis P" imaginer rien de plus luiiesle à lui persuader, et je ne
sais si on auroit trouvé plusieurs personnes assez dépour-
vues de sens pour y donner sérieusement. Que penser
donc d'un président à mortier de la considération que
-Maisons s'étoit acquise au Palais, à la ville, à la cour, où
il avoit toujours passé pour un homme d'esprit, sage,
avisé, intelligent, capable et mesuré ? Étoit-il assez infa-
tué de la nécessité dont il étoit pour M. le duc d'Orléans
de supprimer le testament, assez aveuglé de la parole des
sceaux, qu'il avoit enfin arrachée de ce prince, à ce que
j'en pus juger', et de toute l'autorité qu'il se promettoitde
tirer de cette place, qu'il sentoit bien qui seroit conservée
àVoysin si M. du Maine étoit maître, après tout ce que
cette âme damnée avoit si nouvellement fait pour lui, que
la passion l'empèchàt de voir les suites aiitreuses et indis-
pensables de l'entreprise qu'il proposoit, que je lui mettois
sans cesse devant les yeux, et à pas une desquelles il
n'avoit d'autre réponse que le danger évident des dispo-
sitions du testament, pernicieuses pour M. le duc d'Or-
léans, toutes pour la grandeur du duc du Maine, qui les
sauroit bien faire valoir, établi comme il l'étoit, et la
nécessité dès là indispensable de le suppiimer comme
que ce pût être ? Sa persévérance de près d'une année,
qui ne put être, non pas rebutée, mais même le moins du
monde ralentie, ni par des raisons si palpables, ni parla
résistance toujours égale qu'il trouva en M. le duc d'Or-
léans et en moi ; sa réserve là-dessus pour Canillac, dont
il se^ servoit auprès de M. le duc d'Orléans pour soi-
même, pour le Parlement, et pour tant d'autres choses,
réserve dont il n'excepta personne, sans exception là-dessus
que M. le duc d'Orléans et moi, donneroient-elles d'autres
4. Ce qui précède, depuis ce prince, a été écrit en interligne,
au-dessus de M. le duc d'Orléans, bilVé
i. Ce pronom, oublié, a été remis en interligne.
[1715] DE SAINT-SIMON. 159
pensées ? Auroit-il été assez noir pour, de concert avec
le duc du Maine, ouvrir cet abîme sous nos pas, et ne se
lasser point de nous y pousser pour nous perdre, et par la
chute de M. le duc d'Orléans, unique par son âge entre
tous les princes du sang à pouvoir être revêtu de la ré-
gence, y porter le duc du Maine, qui de là à la couronne
n'auroit eu qu'un pas à faire, et qui n'en ignoroit pas les
moyens? Ln si puissant objet pour une âme de la trempe
de celle du duc du Maine, et qui avoit su se le préparer
avec tant d'art et de si loin, n'est rien moins qu'incroyable,
si l'on se rapproche • par quels chemins ce fils de ténèbres
étoit parvenu à escalader tous les degrés du trône
dont la place s'étoit aplanie et nettoyée devant lui, et tout
ce qu'il avoit mis en œuvre pour noircir avec tant de
succès le seul obstacle qui lui restoit à vaincre, d'un crime
si fatal et si étranger à ce prince, crime qui, pour le
moins, n'étoit pas fatal au duc du Maine pour la sûreté
jusque-là plus que douteuse, jusqu'aux yeux du Roi
même, de tout ce qu'il en avoit obtenu jusqu'alors, et par
les pas de géant qu'il fit après vers la couronne. Ce ser-
vice de Maisons valoit bien le sacrifice de Voysin, qui ne
pouvoit plus être utile au duc du Maine, et d'éblouir Mai-
sons de tout ce que le savant art de ce futur maire du
palais n'auroit pas manqué de présenter à son ambition.
Qu'on se rappelle les anciennes liaisons de Maisons avec
le duc du Maine, assez fortes pour en avoir espéré la
place de premier président, refroidies par la préférence
donnée à Mesmes; le renouement de ces liaisons ensuite,
leur secret et celui dont il couvrit toujours celles qu'il
prit tant de soin de faire et d'étreindre avec M. le duc
d'Orléans ; combien promptement et d'avance il fut tou-
jours instruit avant personne des pas derniers des bâtards
4. Le Dictionnaire de l'Académie n'a admis le verbe rapprocher
que dans son édition de 1740 ; mais l'emploi de se rapprocher au sens
de se rappeler à la mémoire n'est donné par aucun lexique ; le Littré
n'en cite aucun exemple, même pas celui-ci par notre auteur.
Kîo MKMOiUES |nir;|
vers le trône ; la scène qu'à ce propos il me donna chez
lui pour m'aveugler ', et par moi M. le duc d'Orléans; car
la course qu'il me fit faire à Paris pour m'y apprendre ce
qui tut le soir même public à Marly, étoit, sans ce rctPti-
(utn-, parfaitement inutile; le contraste de cette scène
avec ce dîner à huis clos qu'il donna mystérieusement
aux deux bâtards le jour de leurs visites au Parlement
pour l'enregistrement de leur habileté à la couronne';
l'embarras extrême où il tomba quand il m'en vit informé;
son manège avec M. et Mme du Maine sur l'affaire du
bonnet, et sous ce prétexte ses visites si fréquentes à
Sceaux, où 11 ne paroissoit point, mais où il passoit deux
heureschaquefoisenfermé seul avec M. et Mme du Maine ;
les distinctions que, seul de sa robe, il recevoit du Roi sur
ses fins, toutes les fois qu'il se présentoit devant lui, et
celle qu'il eut dans les derniers mois, encore plus unique,
d'aller de Maisons à Marly quand il vouloit, comme le duc
de Berwick de Saint-Germain, sous prétexte d'un voisi-
nage dont on ne s'étoit pas avisé jusque-là ^, et qui avec
raison avoit été de tout temps pour le duc de Berwick;
enfin la douleur si marquée de sa mort, arrivée le jeudi
au soir, 22 août de cette année ■', dix jours avant celle du
Koi, que témoigna le duc du Maine, qui n'en étoit pas
prodigue, et l'ardeur si empressée avec laquelle il emporta
dès le lendemain, vendredi matin, la charge de président
à mortier pour le jeune Maisons '% qui n'avoit pas dix-
sept ans, et qui étoit accouru à lui de Paris dans cette con-
fiance ; qu'on ramasse tout cela, je le dis avec horreur,
conclura-t-on que ce soit pousser trop loin les soupçons?
\. Tome XXIV, p. 334 et suivantes.
i. Hetentum, ctiose retenue, gardée socrète ; on appelait rctentiim
la parties d'un arrêt qui n'était pas rendue publique. Ici c'est le i^ons
de résene mentale, d'arrière-pensée, de réticence.
3. Tome XXIV, p. 370.
t. Ibidem, p. 330. — 5. Ci-après, p. Kii.
6. Jean-René de Longueil : tome X, p. '1\.
|171nl DE SAINT-SIMON. \fî\
A mon égard, il lui falloit un homme toujours à portée
de M. le duc d'Orléans, et à portée de tout avec lui, et qui
fût dans le secret de leur liaison. Canillac ne voyoit ce
prince qu'à Paris, où il n'alloit que des moments, et assez
rarement depuis un temps ; Maisons n'en pouvoit donc
espérer le même usage, et il se flattoit de me vaincre par
le coin de la bâtardise, que Canillac avoit bien aussi, mais
peut-être moins que moi, parce qu'il perdoit moins avec
eux. Maisons, de longue main en grande société avec lui \
eût peut-être été fâché de le perdre, et pour moi c'étoit
double gain à tous égards, pour un bâtard et pour un
président à mortier, et de s'ouvrir à d'autres n'alloit pas
à leur but, et y étoit même directement contraire. Enfin
Maisons vouloit-il voir si à la fin M. le duc d'Orléans ou
moi serions assez dépourvus de sens commun pour mor-
dre à un si pernicieux hameçon, nous conduire au bord
du précipice, nous y laisser jeter dans l'espérance que le
désordre effroyable qui en naîtroit mettroit la dictature
du royaume entre les mains du Parlement, que lui, par
son crédit dans la Compagnie et par ses accès, il se ren-
droit l'entremetteur entre les partis, et feroit longuement
ainsi la première et la plus utile figure; ou, nous voyant
près de tenter l'entreprise, y faire naître lui-même des
difficultés, nous affubler après de l'ignominie d'une réso-
lution si folle et si désespérée, et se donner auprès du duc
du Maine, du Parlement, du public, l'honneur de l'avoir
empêchée? Quoi qu'il en soit, il est incompréhensible
qu'un président à mortier, sage, sensé, de conduite tou-
jours approuvée, avec beaucoup d'esprit, de réputation
et de connoissance du monde, fort riche et fort compté
partout, ait pu concevoir un projet d'une extravagance
aussi parfaite et aussi désespérée, le proposer, en pres-
ser, et ne se point lasser de faire les derniers efforts pour
le persuader, et continuellement, et sans se rebuter de
l. Tome XXVI, p. 364.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 11
de sa famille.
462 MÉMOIRES [1715]
rien pendant toute une annôe, et jusqu'à' sa mort. !1 n'a
pas assez vôcu pour cloniicr le temps de percer ces
étranges ténèbres. Ils sullisent du moins pour consoler
de sa mort les gens sages, les gens de bien et d'honneur,
et ceux qui aiment la paix et qui détestent les désordres.
Achevons tout de suite ce (jui regarde Maisons et les
siens, pour n'en pas interrompre les derniers jours de
Louis XIV.
Raro impiété IJ n'est malheureusement que trop commun de trouver
fui de Maisons *^^ ^^^ prétendus esprits forts qui se piquent de n'avoir
et point de religion, et qui, séduits par leurs mœurs et
par ce qu'ils croient le bel air du monde, laissent volon-
tiers voir ce qu'ils tâchent de se persuader là-dessus,
sans toutefois en pouvoir venir à bout avec eux-mêmes.
Mais il est bien rare d'en trouver qui n'aient point de
religion, sans que, parleur état dans le monde, ils osent
s'en parer. Pour le prodige que je vais exposer, je doute
qu'il ait jamais eu d'exemple, en même tempsque je n'en
puis douter par ce que mes enfants et ceux qui étoient
auprès d'eux m'en ont appris, qui, dès leur première
jeunesse, comme on l'a vu ci-dessus-, ont vécu avec le fils
de Maisons dans la plus grande familiarité et dans
l'amitié la plus intime, qui n'a fini qu'avec la vie de ce
jeune magistrat. Son père étoit sans aucune religion.
Veuf sans enfants fort jeune ', il épousa la sœur ainée de
la maréchale de Villars*, qui se trouva n'avoir pas plus
de religion que lui. Ils curent ce fils unique, pour lequel
ils mirent tous leurs soins à chercher un homme d'esprit et
•1. Avant jusqu'à, Saint-Simon a bille tant qu'il a vescu.
2. Tome XXIV, p. 331.
3. Claude de Longueil avait épousé le 13 avril 1G!)3 Madeleine de
Lamoignon, fille du président Chrétien-François. Cette jeune femme
mourut le lo septembre 1694 à i'âj^e de vin}i;t-lrois ans, ayant eu le
22 mai précédent un lils, Jean-Rem-Claude, qui mourut à inoins de
trois mois le 9 aoiit. M. de Maisons n'avait alors que vinf;t-sept ans.
4. Marie-Cliarlolle Roque de Varengeville (tome X, p. 21), mariée
le 27 lévrier 1698.
[4715] DE SAINT-SIMON. 163
de mise', qui joignit la connoissance du monde à une
belle littérature, union bien rare, mais ce qui l'estencore
plus, et dont le père et la mère firent également leur
capital, un précepteur qui n'eût aucune religion, et qui,
par principes, élevât avec soin leur fds à n'en point avoir.
Pour leur malheur, ils rencontrèrent ce phénix accompli
dans ces trois parties, d'agréable compagnie, qui se fai-
soit désirer dans la bonne, sage, mesuré, savant de beau-
coup d'esprit, très corrompu en secret, mais d'un extérieur
sans reproche, et, sans pédanterie, réservé dans ses dis-
cours -. Pris sur le pied et pour le dessein d'ôter toute reli-
gion à son pupille, en gardant tous les dehors indispensa-
bles, il s'en acquitta avec tant de succès, qu'il le rendit sur
la religion parfaitement semblable au père et à la mère^,
qui ne réussirent pas moins bien à en faire un homme
du grand monde comme eux, et comme eux parfaitement
décrassé des fatuités de la présidence, du langage de la
robe, des airs aussi de petit-maître qui méprise son mé-
1. Locution déjà rencontrée dans le tome XXIII, p. 216.
2. Sainl-Simon ne nomme pas ici ce précepteur, pas plus que dans
la digression sur M. de Maisons et son tils qu'il a intercalée dans la
Notice sur la maison de Saitit-Siino7i (tome XXI et supplémentaire de
l'édition des Mémoires de 1873, p. 186-488) et qu'il faut comparer à ce
qu'il dit ici; mais, dans l'Addition à Dangeau indiquée ci-dessus,
D" 1235 (ci-après, p. 300), un correcteur a écrit son nom : c'est César
Chesneau du Marsais, avocat au Parlement, mort le 11 juin 1756, à près
de quatre-vini;ts ans. Il commença, à la prière du président de Maisons,
une Exposilion de la doctrine de l'église gallicane par rapport aux
prétentions de la cour de Rome, et il acheva ce travail à la demande
du duc de la Feuillade, lorsque celui-ci fut désigné en décembre 1715
pour l'ambassade de Rome ; mais cet ouvrage ne fut publié qu'après
sa mort, en 1758, en un volume in-42. M. du Marsais, lié avec Vol-
taire, fut un précurseur des encyclopédistes; d'Alembert a inséré son
éloge dans ses Mélanges, édition de 1759, tome II, p. 167-226. Voyez
ci-après aux Additions et Corrections.
3. Voltaire, dont il fut l'hôte, regardait ce pupille comme un jeune
homme de grande espérance; au dire du président Hénault (Mémoires,
édition Rousseau, p. 113), c'était un grand dispute ur, que l'âge aurait
peut-être mûri.
464 MEMOIRES [1715]
tier, auquel, avec du sens et beaucoup d'esprit, il s'adonna
de façon à surpasser son père en tout, s'il eût vécu. Il
étoit unique, et le père et la mère et lui s'aimoient pas-
sionnément. J'ai sullisamment parlé de M. et de Mme de
Maisons pour n'avoir plus que ce mot à ajouter. Au mi-
lieu des richesses, de la considération publique, d'amis
distingués en tout genre, touchant de la main à la plus
haute fortune de son état et la plus ardemment désirée,
il est surpris d'un léger dévoiement dans ce temps de
crise où iln'avoit pas le temps de s'écouter. Il prend mal
à propos deux ou trois fois de la rhubarbe ' ; plus mal à
propos le cardinal de Bissy le vient entretenir longtemps
sur la Constitution, et contraint l'effet de la rhubarbe; le
feu se met dans ses entrailles sans qu'il veuille consentir à
être malade ; le progrès devient extrême en peu d'heures ;
les médecins, bientôt à bout, n'osent l'avouer ; le mal
augmente à vue d'œil; tout devient éperdu chez lui; il y
meurt à quarante-huit ans", au milieu d'une foule d'amis,
de clients, de gens qui se font de fête^, sans volonté ou sans
loisir de penser un moment à ce qui alloit arriver à son
âme^. Sa femme, après les premiers transports et un long
désespoir d'une si cruelle trahison de la fortune, car son
1. La rhubarbe est une plante du genre des polygonacées, origi-
naire de la Chine. Sa racine, très employée en médecine sous forme de
poudre, de vin ou d'extrait, arrivait en Europe par la Russie et par
Venise. Outre ses qualités purgatives, on lui attribuait celles de forti-
fier l'estomac et d'exciter l'appétit.
"2. Les mots à 48 ans ont été ajoutés en interligne.
3. On a vu dans le tome XXIL p. iiCi, que cette locution signihait
s'entremettre à tort et à travers.
•4. Les Mémoires de Villars (lome IV, p. o7-o8) donnent quelques
détails sur la maladie de M. de Maisons. Dangeau, tout occupé de
celle du Roi, la mentionne brièvement le 13 août (tome XVI, p. 90).
Le 22 août, jour de la mort, il a seulement noté dans son Journal
(p. 99) : « M. le président de Maisons mourut le soir à Paris ; une heure
avant qu'il mourut les médecins le croyoient hors de danger ; il est
regretté universellement dans la cour et dans Paris. » Voyez ci-après,
p. 304. l'Addition indiquée ci-dessus, n'' i23o.
[17I.S| DE SAINT-SIMON. 165
mari n'avoit point de secret pour elle, paya enfin de
courage et ramassa ses forces pour conserver les amis et
les familiers de la maison, et la continuer sur le pied que
son mari l'avoit mise; mais l'âme n'y étoit plus. Restoient
les nouvelles, les petites intrigues, les cabales du Parle-
ment, les discours des gens oisifs et mécontents, un reste
de tribunal en peinture, qui ressembloit mieux à un café
renforcé', qu'elle faisoit valoir tout ce qu'elle pouvoit,
dans lequel elle éleva son fils sur les traces de son père.
La vie de Mme de Maisons se passa dix ou douze ans de
la sorte, en projets et en travaux dont la chimère et les
vaines espérances la flattoient, pleine d'opulence, de
santé, d'autorité sur son fils, et de celle du reste de ses
charmes sur ses amis et sur tout ce qui venoit chez elle,
soutenue de la considération après laquelle elle couroit,
lorsque, surprise d'une apoplexie dans son jardin, elle
rassura son fils et ses amis, au lieu de profiter pour penser
à elle d'un intervalle de peu de jours, au bout desquels
une seconde attaque l'emporta, sans lui laisser un moment
de libre, le o mai- 1727, dans sa quarante-sixième année^.
Son fils, longtemps fort affligé, chercha à se continuer
et à s'acquérir des amis, surtout à se distinguer dans son
métier. Il s'y attira en effet de l'estime et du crédit, et de
la considération dans le monde, comme un jeune homme
tourné à devenir un grand sujet. Les exemples domesti-
ques ne lui servirent que pour ce monde à courir après
la fortune, lorsque, plein de vues et ne se refusant rien
de ce que peut donner' l'abondance, il fut surpris à Paris
1. C'est une allusion aux « maisons de café » (on dit déjà alors les
cafés) où se réunissaient les nouvellistes pour apprendre les nouvelles,
discuter les événements et juger les ouvrages littéraires : voyez notre
tome XVI, p. 235.
2. Avant 5 may, Saint-Simon a biffé 13 sept. i7[31], qui est la
date de la mort du tils (ci-après), et 1727 corrige 1627.
3. Gazette de 1727, p. 228.
4. Donner surcharge une /' à la fin d'une ligne, et cet article élidé
1fi6 MEMOIRE [171.^1
de la petite vérole. La prompte déclarauon de ce mal lui
tourna la tète. Il se crut mort ; il pensa à ce qu'il avoit
méconnu toute sa vie; mais la fra^-eur qui le tourna
subitement à la mort ne lui laissa plus de liberté, et il
mourut de la sorte, dans sa trente-troisième année, le 13
septembre 1731 ', laissant un fils unique', qui, au milieu
d'une troupe de femmes qui ne le perdoient jamais de
vue, tomba d'entre leurs bras, et en mourut en peu de
jours, à dix-huit mois, un an après son père^, dont les
grands biens allèrentàdes collatéraux*. Je n'ai pu refuser
cette courte remarque à une aussi rare impiété. Ces
Mémoires ne sont pas un traité de morale ; aussi me
suis-je contenté d'un récit le plus simple et le plus
nu ; mais qu'il me soit permis d'y appliquer ces deux
a été ajouté avant abondance au commencement de la ligne suivante
du manuscrit.
i. Gazette, p. 444. Mathieu Marais, annonçant sa mort dans une de
ses lettres (Mémoires, tome IV, p. 296), ajoute: « M. de Maisons
laisse des dettes immenses; il jouoit, il bàlissoit ; il donnoit dans
toutes les curiosités. « Voyez aussi le Journal de Barbier, édition de
la Société de l'histoire de France, tome I, p. 366, et les Mémoires du
président Hénault, édition Rousseau, p. 143-114. Il avait été nommé
membre honoraire de l'académie des Sciences le "23 aoiJt 17"26; Fon-
teneile y prononça son éloge t'unèbre. Dans son château de Maisons,
il avait réuni un fort beau cabinet de médailles, et il cultivait dans le
parc beaucoup de plantes rares et singulières, qui y constituaient un
véritable jardin botanique.
2. Jean-René de Longueil avait épousé en premières noces, en août
i7-20. Marie-Charlotte Charron de Menars, morte le i<^'' décembre '172'1,
à quatorze ans; il se remaria le il août 1728 avec Marie-Louise Bauyn
d'Angervilliers, lille du secrétaire d'Elat à la guerre. Il eut de ce
second mariage un dis, Nicolas-Prosper de Longueil, né le 27 mars
4731, mort le 21 octobre 1732. II est curieux que Saint-Simon ne dise
pas que la veuve de M. de Maisons épousa, le 21 janvier 1733, le mar-
quis de RulFec, tils cadet de notre auteur; ce silence est sans doute
voulu. Sur ce jeune enfant, voyez ci-après aux Additions et Corrections.
3. Mémoires de Mathieu Maiais, tome IV, p. 436.
4. L'héritière fut Mme de Boisfranc, Marie-Ronée de Belleforière
de Soyecourt (notre tome XX, p. 250). tille d'une Longueil, grand'tante
du dernier président de Maisons.
[47do] DE SAINT-SIMON. 467
versets' du Psaume xxxvi-, qui paroissent si faits exprès:
« J'ai vu l'impie exalté comme les cèdres du Liban ; je n'ai
fait que passer : il n'étoit déjà plus ; je n'en ai pas même
trouvé la moindre trace ^. »
Le Roi diminua si considérablement dans la seconde Le
moitié du voyage de Marly S que ' je crus qu'il étoit temps tpprel^Tnfm
de mettre fin aux angoisses du duc de Noailles, pourêtre sa destination;
en état de lui parler ouvertement sur ce qui re^ardoit ^ .^
. ^ ,, . ° propositions
1 avenir par rapport aux finances, et d en raisonner avec qu'il me fait.
lui. M. le duc d'Orléans, à qui je le représentai, en jugea
de même. Il me permit de lui dire sa destination et celle
de son oncle % et la lui confirma lui-même la première
fois qu'il le vit chez lui. Il est difficile d'exprimer, et tout
à la fois de contenir plus de joie; le sentiment fut le pre-
mier ressort, la vanité le second. L'adresse se plâtra^ de
i. Ce verxet est corrigé en ces versets, et 2 a été ajouté en interli-
gne ; plus loin, paroist a été corrigé en paroissent et fait en faits.
"2. Versets 33 et 36. Saint-Simon avait fait la même citation dans
l'Addilion indiquée ci-dessus, n"l235.
3. Vidi impium superexaltatum, et elevatum siciit cedros Lihani ;
et transivi, et ecce non erat, et quœsivi eum, et non inventus est locus
ejus.
4. La cour arriva à Marly le 12 juin et en revint le iO aoîit. Dan-
geau ne parle pas de l'afTaiblissement de la santé de Louis XIV; au
contraire, voici ce qu'il indique pour l'emploi des journées du Roi
depuis le 24 juillet : le 24, revue détaillée du régiment du Roi ; le 23,
promenade et tir dans le parc; le 26, chasse au cerf; le 27, nouvelle
revue du même réjiiment ; le 28, tir dans le parc; le 29, chasse au
cerf; le 30, tir; le 34, revue; le !«■■ août, promenade et tir; le 2,
chasse au cerf; le 3, promenade et revue ; le 5, chasse ; le 6 et le 7,
promenade dans les jardins ; le 9, chasse au cerf, et à ce propos le Jour-
nal dit que le Roi « mena toujours sa calèche », mais qu'il en fut « un
peu fatigué ». C'est seulement le ii, lendemain du retour à Versailles,
que Dangeau écrit cette phrase : « Le Roi paroît ne se pas si bien por-
ter ; il prendra demain médecine » ; et le 42, il parle de douleurs de
sciatique à une jambe et à la cuisse (tome XVI, p. 14).
3. Avant ce que, il y a au manuscrit un et, inutile.
6. Ci-dessus, p. 49-20 et 47-50.
7. « Plâtrer signifie figurément couvrir, cacher quelque chose de
mauvais sous des apparences légères » (Académie, 4748).
KÎS MKMOinKS fni.si
rintôrôl du cardinal de Noaillos, avouant aussi combien
les finances éloient de son goût, parce qu'il s'y étoit,
disolt-il, toujours appliqué, et en dernier lieu sous Des-
inaretz depuis son retour', et qu'il se flalloit d'y réussir
moins mal que tout autre qu'on y pourroit nietti-e. H ne
m'épargna pas les protestations de la plus parfaite amitié,
de la confiam-e la plus entière, du concert le plus parfait
avec moi en tout, qu'il me demanda avec instance, enfin
de la reconnoissance la plus vive de tout ce que j'avois
fait pour lui auprès des ducs de Chevreusc et de Beau-
villier, si éloignés de lui et de son oncle, et dans un temps
de disgrâce profonde personnelle à tous les deux, d'aban-
don et du dernier embarras à son rappel d'Espagne, et
par ces ducs auprès du Dauphin et de la Dauphine, dans
leur plus éclatant apogée ; après, de l'avoir raccommodé
avec M. et Mme la duchesse d'Orléans, et conduit où il se
voyoit enfin aussi bien que son oncle.
La porte une fois ouverte avec lui sur le futur, nous
raisonnâmes sur la destination des autres chefs et prési-
dents des conseils, qu'il approuva. Il me parla de d'Antin,
qui depuis son duché me courtisoit fort, avec louange et
surprise de ne l'entendre destiné à rien ; nous nous
parlâmes là-dessus avec confiance; il ne me nia point ses
défauts, comme je lui avouai aussi ce que j'en pensois
de bon. Tous deux convînmes que ceux qui étoient des-
tinés à la tète des conseils lui étoient préférables parleur
situation personnelle, qu'il n'y avoit même que le conseil
du dedans qui lui j)ùl convenir pour y entrer, ou pouren
être chef si la place en devenoit vacante. Il applaudit
surtout à la destruction des secrétaires d'État et à la dis-
grâce du Chancelier, sur laquelle nous disputâmes en
amitié pour les sceaux. Il les desiroit pour le procureui-
général - ; je les croyois mieux placés entre les mains du
!. Voynz ci-rlessns, p. 49.
■î. Henri-François Daguesseau.
inial DE SAINT-SIMON. 469
père ', outre que, placés là, ils influoient sur le fils; c'étoit
un échelon de convenance au mérite de l'un et de l'autre
que la perspective d'y pouvoir succéder. Il disserta force
choses" avec moi, et j'y donnois volontiers lieu, parce
qu'[il '] y en avoit d'autres dont je ne voulois pas l'ins-
truire, dont j'aimoisà le laisser dépayser 'lui-même. L'ou-
verture qu'il prenoit de plus en plus avec moi sur les
choses futures le jeta ^ dans des propos si forts à l'égard
des bâtards que je les laisserai dans le silence, et qui de
chose en autre ^ le conduisirent à me proposer comme
une chose fort raisonnable, et à faire, de fortifier Paris ".
i. Henri Daguesseau, conseiller d'Etat.
2. Le Dictionnaire de l'Académie française n'admit le verbe dix-
serter que dans l'édition de il6"2. Le Dictionnaire de Trévoux en
attribua la paternité à Marivaux, qui s'en servit fréquemment dans son
Spectateur français. Notre auteur est le seul qui en fasse un verbe
actif avec complément direct; on dit toujours disserter sur ou de quel-
que chose.
3. Saint-Simon a oublié cet il en passant de la page 4610 à la page
1611 du manuscrit.
4. « On dit aussi, en matière de négociation, dépayser un homme,
pour dire, lui donner de fausses idées pour lui faire perdre la connois-
sance qu'il a de quelque affaire » {Académie , 1718).
o. Il y ajetterent, par inadvertance, dans le manuscrit.
6. Les quatre derniers mots ont été ajoutés en interligne.
7. Paris avait eu, dans la suite des âges, de nombreuses enceintes
fortifiées, de plus en plus étendues à mesure que la population aug-
mentait. La dernière en date était celle qui, commencée sous Henri IV,
n'était pas achevée à l'époque de la Fronde : sur la rive droite, elle sui-
vait à peu près, de la Bastille à l'extrémité du jardin des Tuileries, la ligne
actuelle des boulevards ; sur la rive gauche, elle n'allait que du pont
de la Tournelle à la tour de Nesle, englobant une partie de la monta-
gne Sainte-Geneviève, mais laissant en dehors le palais de Luxembourg
et l'abbaye de Sainl-Germain-des-Prés. Si, sur la rive droite, dans ses
parties achevées, elle présentait un front bastionné à la moderne pou-
vant être une assez bonne défense, sur la rive gauche elle ne se com-
posait que d'un fossé bordé d'une assez mince muraille, avec des
demi-tours de place en place, qui n'était certainement pas à l'épreuve
du canon : voyez A. Bonnardot. Les anciennes enceintes de Paris,
1852. En 1715, ces fortitications avaient disparu, noyées dans l'accrois-
470 MÉMOIRES \\li^
Je no pus lui cachor ma sui'priso. « Paris ! lui dis-jo ; et
où les matériaux? où les millions? où les années d'en
achever les travaux? et, quand tout se feroit d'un coup
de baguette, quelle garnison pour le défendre? quel
approvisionnement de munitions de guerre et de bouche
pour les troupes et pour les habitants? quelle artillerie?
enfin quel fruit s'en pourroit-on proposer quand la possi-
bilité en soroit aussi' claire que l'étoit la démonstration de
l'impossibilité? » Il battit la campagne pendant quelques
jours là-dessus, et je le laissai dire, parce que je ne
craignois pas l'exécution de ce rare projet. Voyant qu'il
ne me persuadoit pas, il m'en proposa un autre. Ce fut
de transporter à Versailles les cours supérieures, les écoles
publiques et tout ce qui est affaires et public. Je le re-
gardai avec la même surprise ; je lui demandai où, quand,
et avec quels frais il établiroit tout cela à Versailles, lieu
sans rivière ni eau bonne à boire, qui n'est que sable ou
boue, à qui la nature refuse tout, jusqu'à des abreuvoirs
commodes pour des chevaux, et où il ne croît rien loin à
la ronde, de plus, quelle utilité d'une translation qui,
quand elle seroit possible, n'apporteroit que du mésaise
et de la confusion à la cour, etlaisseroit à Paris un vuide
irréparable, ruineroit plaideurs, magistrats, suppôts de
justice et d'universités ; en un mot, rien de praticable,
rien qui eût un objet. C'étoit, disoit-il, pour diminuer
Paris, dont laconsommation ruine les provinces, etséparer
les cours supérieures de l'appui de ce peuple nombreux,
dont en plusieurs occasions l'union est dangereuse. Peu
à peu il convint de l'ingratitude de la situation de Ver-
sailles, déclama contre l'immense établissement que le
Roi y avoit fait, vanta celle de Saint-Germain, et finale-
ment me proposa comme une chose facile de démolir
Versailles, d'en emporter tout à Saint-Germain, où, avec
sèment considérable des faubourf^s, ou d(''moIips pnnr faire place h de
larges boulevards plantés d'arbres.
4. Aussy a été ajouté en interligne.
[1745] DE SAINT-SIMON. iH
ces matériaux et ces richesses, on feroit le plus sain et le
plus admirable séjour de l'Europe.
A ce troisième sproposito^ la parole me manqua. « Voici
un fou, me dis-je à moi-même, qui me va peut-être sauter
aux yeux. Eh I qu'ai-je fait? et que vont devenir les
finances? » Tandis que je me parlois ainsi sans remuer
les lèvres, il discouroit toujours, enchanté du plus beau
lieu du monde qu'alloit devenir Saint-Germain des dé-
pouilles entières de Versailles. A la fin mon silence l'ar-
rêta ; il me pria de le rompre. « Monsieur, lui dis-je,
quand vous aurez les fées à votre disposition avec leurs
baguettes, je serai de votre avis pour ceci ; car, en effet,
rien ne seroit plus admirable, et je n'ai jamais compris
qu'on ait pu choisir Versailles, beaucoup moins préférer
ce cloaque- à ce qu'est Saint-Germain ; mais, pour ce que^
vous me proposez, il nous faut les fées. Jusqu'à ce [que]
vous les ayez en main, il n'y a pas moyen d'en raisonner. »
11 se mit à rire, et voulut soutenir que sans fées la chose
étoit possible, et n'étoit pas un objet tel qu'il voyoit bien
que je le pensois. Des trois propositions, ce fut celle qu'il
appuya le moins et le moins longtemps; mais je n'en de-
meurai pas moins effarouché.
Il y avoit déjà du temps qu'il m'en avoit fait une autre
que je n'avois pas moins rejetée, et qu'il ne cessoit point
de remettre toujours sur le tapis. Je lui faisois des objec-
tionsauxquelles il ne put jamais faire la moindre réponse ;
il n'avoit que l'unique ressource de Maisons sur la sienne*,
qui étoit le danger du testament, et il n'en pouvoit trouver
à exécuter ' ce qu'il proposoit, et néanmoins, comme Mai-
1. Tome XVI, p. 219.
2. « On dit d'une maison sale et infecte que c'est un cloaque »
(Académie, 1718).
3. Ce que est en interligne.
4. Il veut dire qu'il n'avait d'autre ressource pour appuyer sa pro-
position que celle que Maisons avait sur la sienne (ci-dessus, p. 136),
c'est-à-dire le danger du testament.
5. Il ne pouvait trouver de danger. — Saint-Simon avait d'abord
172 MKMOinKS (i71.-J|
sons, il ne cessa point de me presser là-tlessus. Nous
verrons bientôt, non pai' conjectures, comme sur la pro-
position d'enlever le testament du Roi, mais par les faits,
quel étoit l'objet de Noailles dans une proposition si ri-
dicule, mais si opiniâtre, et c'est alors que l'une |et| l'au-
tre seront expliquées'.
M. le Je m'aperçus, sur la fin de Marly, que M. le duc
duc d'Orléans j'Qrléans avoit traité le point de l'assemblée des
ne peut , , ^ i i i >- -n ti i»
scrésoudreànc Etats généraux avec le duc de Noailles. 11 me 1 avoua
pas passer par comme cliose trop counexe aux finances par l'objet qu'on
le Parlement , •• i i • i < i • • i-i»
pour S en proposoit, pour la lui cacher après lui avoir dit- sa
sa régence, et destination. Le duc de Noailles me l'avoua de même avec
*^ proieT " quelque embarras, et il me parut bientôt après que M. le
d'assembler les duc d'Orléans n'étoit plus si déterminé à les assembler. Je
, , le vis aussi mollir tout à fait à l'étrard du Parlement pour
généraux. • i i • • • i
la régence ^ Cet article lui avoit toujours paru dur, et le
dépôt du testament lui fut un prétexte dont il se servit
pour cacher sa foiblesse. Je la connoissois trop pour me
tlatter de l'emporter sur elle pour deux articles aussi
majeurs que l'étoient celui-là et celui des États généraux.
Ce dernier me sembla toujours si extrêmement important,
et à tant de grands égards, que je ne balançai pas à lui
sacrifier l'autre. J'espérai d'autant mieux de celte con-
duite, que ma complaisance délivioit M. le duc d'Orléans
de la dispute et de la présence d'un objet où il falloit
paver de sa personne, et que je ramassois toutes mes
forces pour maintenir l'autre, qu'il avoit constamment
écrit : puisque luy l^oailles n'en pouvait trouver à n'exécuter pas. Il
a biffé puisque luy Noailles, mis et en interligne, ajouté de après
Noailles, corrigé pouvait en pouvoir, écrit à en interligne au-dessus
d'à n' biffé, et bille pas après exécuter, ce qui Taisait et de n'en pou-
voir trouver à exécuter; puis il a biffé le de, ajouté il avant n'en et
corrigé de nouveau pouvoir en pouvait, ce qui a produit la leçon défi-
nitive.
4. Ci-après, p. 219.
2. Dit a été ajouté en interligne.
3. Ci-dessus, p. lOi et suivantes.
[1715] DE SAIM-SIMON. 173
goûté et résolu jusqu'alors, où il n'avoit nul tour de force
à tirer de soi, où au contraire tout étoit riant • pour lui,
gracieux pour toute la France, aplani partout. C'est ce
que je continuai de faire, mais avec peu de progrès jus-
qu'à la veille de la mort du Roi, qu'il me déclara nette-
ment qu'il n'y falloit plus penser. Dès lors j'en vis assez
pour mal augurer des affaires. Je sentis l'intérêt du duc
de Noailles, qui, dans le plan de la convocation des Etats
généraux, n'auroit pas été maître dans les finances, et
qu'il avoit fait comprendre au Régent que lui-même ne le
seroit pas. Je ne dissimulerai pas que cela ne fût vrai, et
même l'un des biens qui m'en paroissoit résulter. L'expé-
rience de ce qui s'est passé depuis dans les finances a dû
montrer si j'avois eu raison. Avec le projet d'assembler
les États généraux tomba celui de la banqueroute : il ôtoit
trop les moyens de pêcher en eau trouble -. Les liquida-
tions et la continuation des impôts et des traités y ouvroit
une large porte aux ^ fortunes, aux grâces, aux défaveurs
dont M. le duc d'Orléans, et mieux encore le duc de Noailles,
auroit le robinet entre les mains. Par là aussi tomba le
projet des taxes, et du même coup celui des rembourse-
ments et de la multiplication des récompenses qui ont été
expliquées*. Il n'est pas temps encore de parler des tristes
réflexions dont ce début m'accabla, et des autres choses
qui les fortifièrent. Les matières vont tellement se mul-
tiplier pendant un mois ou six semaines, que ce sera
beaucoup faire de n'en rien oublier, et de les démêler
pour les présenter avec quelque netteté et quelque
ordre.
Tout à la fin de Marly, le Roi parut si affoibli, quoiqu'il , j °1*'
1. Avant ce mot il y a un premier riant, biffé.
"2. « On dit pécher en eau trouble, pour dire tourner à son avantage,
à son profit, le désordre des affaires publiques ou particulières ; se
prévaloir du désordre des affaires publiques ou particulières pour faire
les siennes propres « (Académie, 1718).
3. Avant ce mot, il y a un et, biffé.
4. Ci-dessus, p. 117 et suivantes.
174 MP:M0IHES [17151
d'Orli'ans, n'eût encore rien changé dans ses journées', que Mme la
en cramlo des i i i',^ i < , r < i ' <
duchesse d (Jrleans nio louiiia sur ses Ireres, et qu après
pairs pour ' 1 l
lapremiire quelcjues détours assez empêtrés, car l'orgueil luciférien*
séance soullioit bien d'en venir là, elle me témoiirna son inquic-
au Farlemont ., , ■ i i •
apns le Hoi tude delà première séance au l^arlemenl après le noi, et
sur les bâtards, qu'elle m'auroit Une graudeobligation siie^ pouvoisdétouF-
a recours à , . ,, . " » . , .!»■<•
jjioi nerles pairs d y rien taire en des moments deja si acca-
Jclarassurc.ei blants pour elle. Je n'avois pas à être embarrassé de la
fuTdTcTarant réponse : je lui dis que je ne croyois pas que les pairs
que, songeassent qu'aux alVaires^ indispensables d'une séance
SI les princes • ^n seroit aussi chargée, et qu'elle pouvoit se rassurer
du sang ' . ". . , , .
lesattaquent là-dessus. « Mais, Monsieur, reprit-elle, m'en voudriez-
^° vous bien donner votre parole, au moins me promettre
quelque temps , , • m • i • -
que ce soit*, ^^ taire ce qui sera en vous pour que Messieurs les pairs -
les pairs les ne fassent rien ce jour-là contre le rang de mes frères? »
^ rnistan" ^ — " ^'^'' ^^^^ame, lui dis-je, du dernier s'entend ; car je
ne suis pas le maître de mes égaux, comme vous le pouvez
bien penser, mais de les détourner autant qu'il me sera
possible à cet égard, et je m'y engage d'autant plus libre-
ment, que je ne vois pas qu'ils y pensent. » Mais tout d'un
temps: « Madame, puisque Votre Altesse Royale me force à
lui parler sur un article si délicat, qu'elle prenne garde
aux princes du sang; c'est leur affaire plus que la nôtre,
depuis l'habilité à la couronne, le nom et la qualité et
totalité en tout de princes du sang donnée à Messieurs
vos frères et à leur postérité, et tenez-vous au moins pour
avertie que, si les princes du sang les attaquent, dans
i. C'est en effet ce que permet de constater le Journal de Dan-
geau ; voyez ci-dessus (p. 467, note -4), et aussi le Mémoire spécial des
derniers jours du Roi (Journal de Dangeau, tome XVI, p. H8).
2. Adjectif inventé par Saint-Simon ; voyez en dernier lieu le tome
XXVI, p. 301, où il a rappelé le nom de Madame Luciler que le duc
d'Orléans donnait à sa femme.
3. Avant ^e, il y a dans des, biffé.
4. A autre chose qu'aux allain'S.
5. Ecrit M. lea Paim au manuscrit.
'Les six derniers mots ont été ajoutés eu interligne.
[171ol DE SAINT-SIMON. 475
l'instant même nous revendiquerons notre rang à ce qu'il
n'y ait personne dans l'intervalle entre les princes du sang
et nous, et que tous soient comme nous dans leur rang de
pairie. » Cette déclaration, si amère en soi pour Mme la
duchesse d'Orléans, passa le plus doucement du monde
au moyen du répit que je lui promettois, et du mépris
qu'il lui plaisoit taire de jeunes princes du sang et de Mes-
dames leurs mères, Elle me remercia même fort honnête-
ment, et avec des marques d'amitié et de confiance. Elle
me craignoit étrangement sur ce point de ses frères, qu'elle
nomma toujours ainsi, sans oser jamais proférer on cette
occasion le nom de duc du Maine, qui en avoit encore
plus de peur, et qui sûrement n'avoit pas oublié la der-
nière visite qu'il avoit reçue de moi', en conséquence de
laquelle je m'étois conduit depuis à son égard sans me-
sure-. Ma promptitude à répondre à Mme la duchesse
d'Orléans ne me coûta guères. Il n'y avoit pas moyen
d'attaquer les bâtards et le bonnet tout à la fois, et de dé-
tourner les affaires de l'Etat à des intérêts personnels à
régler dans la première séance au Parlement après la
mort du Roi. L'occasion du bonnet, qui ne s'y pouvoit
éviter, ne laissoit pas de choix entre cette affaire et celle
des bâtards ; ainsi je n'hasardois rien à leur égard avec
Mme la duchesse d'Orléans par ma réponse.
Le vendredi 9 août, le P. Tellier répéta le Roi^ long- Prise du Roi
temps le matin sur l'enregistrement pur et simple de la , ^'''^'^
-, .•, ,• . r-n •. i< 1 1 • / • I le procureur
(constitution, et [ilj vit la-dessus le premier président et général
le procureur général, qu'il avoit mandés la veille *. Le Roi
i. Tome XXVI, p. 56-39.
2. Ces deux mots ont été ajoutés en interligne.
3. C'est le sens du mot répeter qui a déjà été indiqué dans le tome
XX, p. 81. Le Dictionnaire de l'Académie de 4718 dit qu' « en ce
sens il est quelquefois actif pour les personnes : il répète ses écoliers ».
Le mot est dur pour Louis XIV.
4. Ce qui précède, depuis et vit là-dessus, a été ajouté en inter-
ligne. Saint-Simon, en faisant cette addition, ne s'est pas aperçu que
sur
ne MÉMOIRES |i7i:ij
l'cnregisire- oourul Ic corl aiiivs (.liniT dans sa calèclu-, iju il iiicna
ment pur et i • » « i> i- • i i •< r • j • a
simple do la •"•-même a 1 ordinaire, pour la dernière fois de sa vie, et
Consiiiuiion. parut très abattu au retour ' . Il eut le soir gi-ande niusi-
Dernior retour (,„,. ..jj^^^ Mme de Maintenou. Le samedi 10 août, il se
de .Marlv. •
Esp.'ce do promena avant dîner dans ses jardins à Marly ; il en revint
journal du Roi ^ Vei^sailles sur les six heures du soir pour la' dernière
jusqu a sa , . j . ... ,
fin. tois de sa vie, et ne revoir jamais cet étrange ouvrage de
[AddS'-S.123G] ses mains. II travailla le soir chez Mme de Maintenonavec
le Chancelier', et parut fort mal à tout le monde. Le
dimanche 1 1 août, il tint le conseil d'Etat, s'alla promener
Taprès-dinée à Trianon, pour ne plus sortir de sa vie. Il
avoit mandé le procureur général, avec lequel il eut une
forte prisée II en avoit déjà eu une avec lui en présence
du premier président et du Chancelier, le ' jeudi précédent
à Marly, sur l'enregistrement pur et simple de la Consti-
tution"^. Il trouva le procureur général seul, armé des
le commencement de la phrase avait pour sujet le P. Tellicr, et que
c'est au contraire le Roi qui vit, etc.
i. Dangeau avait dit seulement (tome XVI, p. 9): « mais il paroît
qu'il en est un peu fatigué. »
2. La surcharge ne, qui va se retrouver plus loin.
3. Dangeau, p. 10; le membre de phrase qui suit n'est pas tiré du
Journal. Mais, dans le Mémoire spécial (tome XVI, p. iiH), Dangeau
écrivait: « Dès le samedi 10, qu'il revint de Marly, il étoit si abattu
et si foible, qu'il eut peine à aller, le soir, de son cabinet à son prie-
Dieu, et, le lundi, qu'il prit médecine et voulut souper à son grand
couvert, à dix heures, suivant sa coutume, et ne se coucher qu'à minuit,
il me parut, en se déshabillant, un homme mort. Jamais le dépérisse-
ment d'un corps vigoureux n'est venu avec une précipitation semblable
à la maigreur dont il étoit devenu en peu de temps; il scmbloit, à
voir son corps nu, qu'on en avoit fait fondre les chairs. »
4. « Le Roi donna audience au procureur général, et il parott qu'il
ne fut pas fort content des réponses que lui lit ce magistrat » (Dan-
geau, p. iO).
5. Ce le a été écrit en surcharge sur les dernières Idlres du mot
précédent.
6. Dangeau, p. 9. C'est vers cette époque qu'il convient de placer
ce projet d'enlèvement du cardinal de Xoailles, pour l'expédier à
Rome et le faire priver de son siège et de sa pourpre, que Saint-Simon
[1715] DE SAIXT-SIMOX. 177
mêmes raisons et de la môme fermeté. Il ne se sentoit pas
en état d'aller lui-même au Parlement, comme il l'avoit
annoncé*. Quoiqu'il n'en eût pas perdu l'espérance, il
n'en fut que plus outré contre le procureur général, jus-
qu'à sortir de son naturel et en venir aux menaces de lui
ôter sa charge, en lui tournant le dos. Ce fut ainsi que finit
cette audience, dont ce magistrat ne fut pas plus ébranlé-.
Le-* lendemain 12 août % il prit médecine à son ordi-
racontera en 1716 (suite des Mémoires, tome XIII, p. 90-95). Le récit
des Mémoires secrets de Duclos, édition Michaud et Poujoulat, p. 478,
permet de le placer avec certitude au mois d'août 1715, puisque
l'enlèvemeut du cardinal de Xoaiiles ne fut empêché, croit-il, que par
la maladie et la mort de l'avocat général Ghauvelin ("20 août).
1. Tome XXVI, p. 251.
2. Tout ceci ne vient pas du Journal de Dangeau. La relation qu'on
trouvera ci-après, appendice I, p. 3i3, qui a une source anticonstitu-
tionnaire, donne un récit encore plus dramatique : le Roi, en colère,
aurait frappé du pied, tapé avec sa canne sur une table, et même
pris Daguesseau au collet.
3. Au commencement de ce paragraphe, Saint-Simon avait écrit Ce
dimanche fut le d^ jour que le Roy marcha, mots qu'il a ensuite bif-
fés; nous les retrouverons quelques lignes plus bas. Il a écrit aussi
il aoust, au lieu de 12, par mégarde.
4. Saint-Simon va tenir maintenant, comme il le dit dans la man-
chette, un « Journal » des derniers jours de Louis XIV, et nous aurons
à contrôler son récit par ce que rapportent les Mémoires du temps,
comme ceux de Villars, et surtout au moyen des très nombreuses
relations que l'on possède de ces derniers jours. Nous ferons de ces
relations et de leur valeur historique une brève étude critique ci-après
dans l'appendice I ; mais, pour pouvoir abréger par la suite les renvois
que nous aurons à faire à chacune d'entre elles, il convient d'en donner
l'énumération sommaire avec les indications bibliographiques indispen-
sables: l°RécitdeMmedeMamtenon, dans Madame de Maintenonetla
maison ^o^/a/ef/eSam^C!//•, par Th. Lavallée, p. 271-275 ; — 2° Récit de
Mlle d'Aumale, publié dans les Souvenirs sur Madame de Maintenon,
par le comte d'Haussonville et G. Hanotaux, tome II, p. 323-351 ; —
3° Récit de Languet de Gergy, dans ses Mémoires, publiés par Th. La-
vallée, La famille d'Aubigné et l'enfance de Mme de Maintenon,
p. 455-464; — 4° Récit du Journal de Dangeau, tome XVI, p. 9o-
110, du 14 au 25 août, continué p. 111-115 par un secrétaire pour les
ournées des 26, 27 et 28 août; — 5° Mémoire spécial de Dangeau,
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 12
178 MÉMOIRES [1715]
naire, et vécut à son orclinairi' aussi de ces jours-là'. On
sut qu'il se plaignoil il une scialicjue' à la jambe et à la
cuisse, il n'avoit jamais eu de sciatique ni de rhumatisme;
jamais enrhumé \ et il y avoit longtemps qu'il n'avoit ou
du 'io août au l""" septembre, donné dans le Journal, on appendice,
tome XVI, p. 117 136; — 0" Journal des Anllioiiie, publié en iHSOpar
Éd. Drumont sous le litre La mort de Louis XIV : Journal des An-
thoiric; — ~' Relation du marquis de Quincy, dans le tome Vil de
son Histoire militaire du règne de Louis-le- Grand, p. 391-407 ; —
8° Relation du Mercure, suppl ment au mois d'octobre 1713; répéti-
tion du Mémoire spécial de Dangeau ; publiée à part, sous le nom de
Lel'ebvre de Fontenay, en •17io, 1 vol. in-42 ; — 9^ Lettre anonyme des
archives de Dampierre, appendice au Journal de Dangeau, tome XVUI,
p. 371-381 ; — 1U° Lettre anonyme des archives de laCiolal: ci-après,
p. 341; — 11° Relation des papiers Fevret de Fontelte : ci-après,
p. 343; — 12° Lettres inédites île l'abbé Mascara: ci-après, p. 345;
— 13'^ Nouvelles de la Gazette de PVance ; — 14° Nouvelles de la
Gazette d'Amsteidam. Entin Saint-Simon a parlé encore des derniers
jours du Roi dans la grande Addition au Journal de Dangeau, tome
XVI, p. 12-93, qui contient un tableau complet du règne, et il est
revenu sur ce sujet lorsqu'il écrivit le Parallèle des trois rois Bour-
bons (tome l de ses Écrits inédits, p. 337 -303 et 371-374). Notre
auteur, pour ces récils successifs, d'ailleurs conformes entre eux, s'est
servi de deux sources : le Journal de Dangeau jusqu'au 23 août,
continué par un secrétaire jusqu'au 28, et la Relation du marquis de
Quincy; nous l'établirons au fur et à mesure des occasions Nous
verrons également qu'il n'a pas utilisé le Mémoire spécial de Dangi-au,
bien qu'il en eût une copie dans ses Papiers. Quant à ses souvenirs
personnels, ils semblent entrer pour bien peu dans sa narration, dont
la première rédaction (celle de lAddilion à Dangeau) est d'ailleurs
postérieure de vingt ans aux événements.
1. On verra dans le prochain volume (édition des Mémoires de 1873,
tome XII, p. 183) les habitudesde Louis XlVquand il prenait médecine.
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 délinissait la sciatique
« une espèce de goutte qui s'attache principalement à la hanche, à
l'emboîlure des cuisses ».
3. Saint-Simon écrit rheumatisme et enrhcumé. Dangeau (tome XI,
p. 2) mentionne cependant en 17UG que le Roi eut un rhumatisme au
bras, et le Journal de la saute du lioi parle à bien des reprises, notam-
ment p. 3U7, 3lti, 32o, 332, 3.:i5, etc., de douleurs dans les bras, le
cou, les épaules, les côtes, qui semblent bien être des attaques de
rhumatisme. Quant aux rhumes, il n'y a pas d'années oii\c Journal de la
[1715] DE SAINT-SIMON. Il9
de ressentiment de goutte. Il y eut le soir petite musique
chez Mme de Maintenon', et ce fut la dernière fois de sa
vie qu'il marcha-.
Le mardi 13 août, il fit son dernier effort pour donner, Audience
en^ revenant de la messe, où il [sej fit porter, l'audience l'ambasfa^deur
de congé, debout et sans appui, à ce prétendu ambas- de Perse,
sadeurde Perse^ Sa santé ne lui permit pas les magni-
ficences qu'il s'étoit proposées comme à sa première
audience ■'*; il se contenta de le recevoir dans la pièce du
trôneS et il n'y eut rien de remarquable. Ce fut la dernière
action publique du Roi, où Pontchartraintrompoitsi gros-
sièrement sa vanité pour lui faire sa cour. 11 n'eut pas
honte de terminer cette comédie par la signature d'un
traité, dont les suites montrèrent le faux de cette ambas-
sade''. Cette audience, qui fut assez longue, fatigua fort le
Roi. Il résista en rentrant chez lui à l'envie de se coucher;
il tint le conseil de finance, dîna à son petit couvert
ordinaire, se fit porter chez Mme de Maintenon, où il y eut
petite musique, et, en sortant de son cabinet, s'arrêta
pour la duchesse de la Rochefoucauld, qui lui présenta
la duchesse de la Rocheguyon % sa belle-fille, qui fut la
santé n'en fasse mention : voyez particulièrement pour les dernières an-
nées, p. !208/2-io, •239,241, 245,247, 254, 258,271, 285, 300, 309, etc.
i. Journal de Danycau, tome XVI, p. il.
2. Dan^eau dit en effet, les jours suivants, qu'il se fit porter partout
où il allait, à cause de ses douleurs.
3. En surcharge au[dience].
4. Dangeau, p. 11 ; Gazette d'Amfiterdam, n°s lxvi et Lxvm, où
il y a un assez long récit de la cérémonie.
5. Tome XXVI, p. 134.
6. C'est la pièce numérotée 25 sur le plan des appartements de
Louis XIV qu'on trouvera ci-après, p. 254.
7. Nous avons dit dans le tome XXVI, p. 135, note 1, d'après l'ou-
vrage de M. Maurice Herbelte, que le traité de commerce signé ce
our, 13 août 1715, par Torcy et l'ambassadeur, eut au contraire son
plein effet par la suite.
8. Celte Mlle de Toiras que nous avons vue épouser le nouveau
duc de la Rocheguyon dans le précédent volume, p. 241.
IKO MÉMOIRES fi7l.-;]
(Icrniôro ilamo (jui lui ait rlô pivsontéo. Ello pi-it le soir
son tabouret au souper du l\oi, qui fut le dernier de sa
vie au grand couvert'. Il avoit travaillé seul chez lui après
son dîner av(^c le Chancelier. Il envoya le lendemain force
présents et quelques pierreries à ce bel ambassadeur-,
qu'on mena deux jours après chez un bourgeois à Chail-
lot \et, à peu de distance*, au Havre-de-Gràce,où il s'em-
barqua. Ce fut ce même jour que la princesse des Ursins,
etïrayée, comme on l'a dit, de l'état du Roi, partit de Paris
pour gagner Lyon en diligence", le lendemain mercredi,
veille de l'Assomption.
1. Toute cette phrase, depuis Elle prit, a été ajoutée après coup eu
interligne. Dangcau en elVet (p. 11) ne parlait pas de celte prise de
tabouret, et ne relevait pas que ce souper fut le dernier au grand
couvert ; cela résulte du récit des jours suivants.
2. (c Le Roi a fait à cet ambassadeur beaucoup de présents : une
aigrette de diamants et d'émeraudes, des pendules, des montres, des
fusils, des pistolets, un tapis de lu Savonnerie, des brocards pour des
vestes el des pièces de drap de diverses couleurs » (Daiujcau,
tome XVI, p. il-i'2); voyez le livre de M. Herbette, p. '28ti-'287, qui
donne l'énumération des présents d'après les archives des Affaires
étrangères.
3. M. Maurice Herbette, Une ambassade persane sous Louis XIV.
a raconté (p. 287 et suivantes) que ce fut dans la maison toute neuve
que venait de faire bâtir à Chaillot un marchand de soieries de la rue
Saint-Denis, appelé Lhonime, qu'on logea d'office l'ambassadeur per-
san et sa suite. Il fallait en effet nettoyer et désinfecter l'hôtel des
ambassadeurs extraordinaires, rue de Tournon, pour y loger l'envoyé
de Portugal. On promit à Lhomme de le rembourser des dégâts qui
pourraient être faits ; mais la promesse ne fut pas tenue. L'ambassa-
deur s'y installa le i6 août et la quitta le 3U pour se rendre au Havre;
il rentra en Perse par l'Allemagne et la Russie. — Le mot Chaillot
semble corriger Chaillou.
4. C'est-à-dire, peu de jours après.
o. Dangcau (p. 95) ne mentionne le départ de la princesse que le
lendemain li, et c'est en s'en apercevant que Saint-Simon a ajouté à la
tin de son paragraphe les mots le lendemain mercredi/ teille de l'As-
somption, sans se souvenir qu'il avait commencé sa phrase par ce fut
ce mesme jour. Elle était accompagnée de sept chaises de poste et de
huit cavaliers (Gazette d'Amsterdam, n" lxx).
fl71.-;i DE SAINT-SIMON. 481
II y avoit plus d'un an que la santé du Roi tomboit. Ses Détail
valets intérieui's s'en aperçurent d'abord, et en remar- j^ ^^j
quèrent tous les progrès, sans que pas un osât en ouvrir et des cause»
la bouche'. Les bâtards, ou, pour mieux dire, M. du Maine *^ '"*"''■
le voyoit- bien aussi, qui, aidé de Mmede Maintenon etde
leur chancelier-secrétaire d'Etat, hâta tout ce qui le
regardoit. Fagon, premier médecin, fort tombé de corps
et d'esprit, fut de tout cet intérieur le seul qui ne s'aper-
çut de rien. Mareschal, premier chirurgien, lui en parla
plusieurs fois, et fut toujours durement repoussé. Pressé
enfin par son devoir et par son attachement, il se hasarda
un malin , vers la Pentecôte, d'aller trouver Mme de Mainte-
non. Il lui dit ce qu'il voyoit, et combien grossièrement
Fagon setrompoit. Il l'assura que le Roi, à qui il avoit
tâté le pouls souvent, avoit depuis longtemps une petite
fièvre lente interne ; que son tempérament étoit si bon,
qu'avec des remèdes et de l'attention tout étoit encore
plein de ressources, mais que, si on laissoit gagner le
mal, il n'y en auroit plus. Mme de Maintenon se fâcha, et
tout ce qu'il remporta de son zèle fut de la colère. Elle lui
dit qu'il n'y avoit que les ennemis personnels de Fagon
qui trouvassent ce qu'il lui disoit là de la santé du Roi,
sur laquelle la capacité, l'application, l'expérience du
premier médecin ne se pouvoit tromper. Le rare est que
Mareschal, qui avoit autrefois taillé Fagon de la pierre',
avoit été mis en place de premier chirurgien par lui '*, et
qu'ils avoient toujours vécu depuis jusqu'alors dans la
plus parfaite intelligence. Mareschal outré, qui me l'a
conté, n'eut plus de mesures à pouvoir prendre, et com-
1. Dès octobre 1712, Dangeau (tome XIV, p. 248) avait relevé quel-
ques signes de décrépitude. Cependant le Journal des Anthoine ne fait
pas remonter si haut le commencement de la maladie.
2. Il y a voyoit au singulier, s'accordant avec M. du Maine, quoique
le sujet réel soit les bâtards.
3. Notre tome IX, p. 315-346.
4. En 1703 : tome XI, p. 405.
182 MÉMOIRES [17151
mença dès lors à déplorer la mort de son maître '. Fagon
en effet étoit en science et en expérience le premier
médecin de l'Europe ; mais sa santé ne lui permettoit plus
depuis lon^'l(Mn[)s d'entretenir son expérience, et le haut
point d'autorité où sa capacité et sa faveur l'avoient porté,
l'avoit* enfin gâté. Il ne vouloit ni raisons ni réplique, et
continuoit do conduire la santé du Roi comme il avoitfait
dans un àgc moins avancé, et le tua par cette opiniâtreté '.
La goutte, dont il avoit eu de longues attaques^, avoit
engagé Fagon à emmailloter le Roi, pour ainsi dire, tous
les soirs dans un tas d'oreillers de plume ' qui le faisoient
tellement suer toutes les nuits, qu'il le falloit frotter et
changer tous les matins avant que le grand chambellan
■1. Cela est confirmé par les Mémoires de Villars, tome IV, p. K6 et
39, qui parlent d'une grande dispute enlre P'agon et Marpschal, à ce
propos, devant Mme de Maintenon. Les Mémoires de Luynes (tome I,
p. 14'2) disent aussi que Mareschal ne fut pas du môme avis que Fagon
dans les soins à donner au Roi dans sa dernière maladie ; qu'il lit con-
naître son opinion et qu'il en pensa perdre sa place; mais peut-être la
source du duc de Luynes est-elle la même que celle de Saint-Simon.
2. Il y a l'avoient, par mégarde, dans le manuscrit.
3. M. A. Le Roi a pnl)lié en iSCrl le Journal de la santé de
Louis XIV rédigé depuis 1647 par ses trois premiers médecins, Vallot,
d'Aqnin et Fagon ; mais ce Journal s'arrête à l'année 1711 ; il ne peut
donc donner de renseignements sur les derniers temps du Roi. L'opi-
niâtreté et l'entêtement de Fagon étaient bien connus : Mémoires de
Villars, tome IV. p. 58.
4. Les journaux de la cour mentionnent une première attaque de
goutte dès 1681 {Dangeau, tome I, p. 2i0; Sourchcs, tome I, p. "203),
puis d'autres accès assez fréquents notamment en 168K, 1692, 1703,
où il fallut lui faire des souliers spéciaux (Mémoires de Sonrches,
tomes II, p. 178, et IX, p. 200 et 23 't-233 ; Lavallée, Lettres histo-
riques et édifiantes de Mme de Maintenon, tome I, p. 216, 220 et 222 ;
et surtout le Journal de la santé du Roi).
5. Il avait toujours eu l'Iiabitude de se couvrir beaucoup: Pellisson
raconte que. dans sa jeunesse, il lui arrivait de dormir, à l'armée,
avec trois casaques sous sa couverture (L''i</vs historiqws de Pellisson,
tome m, p. 81). La nuit, Fagon lui faisait porter un manteau d'ouate,
l'hiver, qu'il remplaçait, l'été, d'abord par un de satin, puis par un
lie toile (Journal de la santé, p. 236, 281, 289).
[1715] DE SAINT-SIMON. i%S
et les premiers gentilshommes de la chambre entrassent*.
Il ne buvoit depuis longues années, au lieu du meilleur
vin de Champagne % dont il avoit uniquement usé toute
sa vie, que du vin de Bourgogne avec la moitié d'eau,
si vieux qu'il en étoit usé^ Il disoit quelquefois, en
riant, qu'il y avoit souvent des seigneurs étrangers
bien attrapés à vouloir goûter du vin de sa bouche.
Jamais il n'en avoit bu de pur en* aucun temps, ni usé
de nulle sorte^ de liqueurs*, non pas même de thé^
4. Les contemporains mentionnent fréquemment ces abondantes
sueurs nocturnes : voyez notamment les Mémoires de Sourches,
tomes IX, p. 26-2, XI, p. 133, XIII. p. 520 et 522; les Mémoires du
maréchal de Villars, tome IV, p. 56, et le Journal de la santé du
Roi, spécialement p. 253, 255, 301 et 326, où Fagon dit que le Roi
a sué « à tout percer ».
2. Il a été parlé du vin de Champagne dans notre tome VII, p. 164.
3. C'est en octobre 1694 que le Roi avait, sur le conseil de Fagon,
quitté le vin de Champagne pour se mettre au vieux vin de Bourgogne
(Dangeau, tome V, p. 294; Lettres de Mme Dunoyer, édition 4720,
tome II, p. 273; Journal de la santé du Roi, p. 222 et 412-416).
D'après les Mémoires de Sourches (tome IX, p. 230), il buvait de pré-
férence du vin de Bourgogne « de quatre feuilles », c'est-à-dire de
quatre ans ; le Dictionnaire du commerce de Savary, tome IV,
col. 1213, nous apprend en effet que « l'âge des vins se suppute par
feuilles ; on dit du vin de deux, de quatre, de six feuilles, pour signi-
fier un vin de deux, quatre ou six années ».
4. En est répété deux fois, à la tin d'une ligne et au commencement
de la suivante.
5. Il y a nulle au singulier et sortes au pluriel dans le manuscrit.
6. Saint-Simon répéta encore cette remarque dans le Parallèle des
trois rois Bourbon (^Écrits inédits, tome I, p. 85 et 115) ; mais nous
ne connaissonss aucun texte qui la confirme. Cependant le Journal
de la santé ne parle jamais de liqueurs, sauf une fois de l'hypocras
(p. 340).
7. C'est vers 1636, si l'on en croit le commissaire Delamarre (Traité
de la police, tome III, p. 797) que le thé, récemment importé de la
Chine en Portugal, en Angleterre et en Hollande, commença à être
connu en France. Adoptée par les uns, la nouvelle plante fut dénigrée
par les autres. Guy Patin l'appelait cette « impertinente nouveauté du
siècle » (Lettres, édition 1846, tome I, p. 378, 383 et 387), tandis que
Daniel Huet, l'évêque d'Avranches, en usait avec délices et composait
iH MKMOIUES (ni.SJ
café', ni chocolat*. A son lever sculemenl, au liiai d'un
une élégie en son honneur (ItiS"). Dès l(i4K, on soutenait en Sor-
bonne une llièse sur le thé, et une autre voyait le jour en l(io7; ein-
quanta ans pins tard un médecin allemand proclamait ses vertus
comme thérapeutique (Mercure, avril 1709, p. 87-96)- La nouvelle
boisson se répanilit très vite : en 4046, le sieur Lanier, en en faisant
passer au chancelier Séguier, lui indiquait la manière de le préparer
[Archives des Missions, deuxième série, tome IV, p. "2.^-26). Au rap-
port de Mme de Sévigné (Lettres, tomes VI, p. "265, et VII, p. 298),
Mme de la Sablière y mélangeait volontiers du lait, et certaine prin-
cesse ne craignait pas d'en absori)er par jour une douzaine de lasses,
d'une infusion très diluée, il est vrai. Cela n'était rien auprès du landgrave
de Hesse-Cassel, qui en buvait trente ou quarante tasses par jour et
attribuait à ce régime le rétablissement de sa santé. Mme Dunoyer
(Lettres, édition 1720, tome II, p. 6i) signalait le thé comme la bois-
son préférée des Anglaises, qui le fabriquaient parfois dans une
marmite à bouillon. JVous avons vu dans le tome VI, p. 34, note 2,
que la princesse d'Auvergne, née Hohenzoliern, morte en 1698, avait
été empoisonnée, disait-on, par le thé. Cela n'empêchait pas ([u'on en
servît alors partout, conjointement avec le café, même chez Mme de
Maintenon, quoique le Roi n'en prît pas (notre tome XV, p. 242).
M. Franklin a consacré un des volumes de sa Vie privée d'autrefois
aux trois « drogues de nouvelle invention » : le thé, le café et le cho-
colat. Au dix-huitième siècle, Savary inséra dans son Dictionnaire du
commerce (tome IV, colonnes 988-996) un long article sur l'origine,
la culture, le commerce et la préparation du thé.
1. Il a été parlé de l'usage du café dans notre tome VI, p. 41.
Saint-Simon se trompe en disant que Louis XIV ne prit jamais de
café : Dangeau note dans son Journal (lome VI, p. 7) que, en octo-
bre 1696, il remplaça par de la sauge le café qu'il prenait le matin ;
mais le Journal de la santé du Roi, p. 233, montre qu'il ne fut que
pendant quatre mois à ce régime du café.
2. Saint-Simon a déjà mentionné l'emploi du chocolat en Espagne
dans notre tome VIII. p. .").">. En France, l'usage en avait été introduit,
dit-on, par le cardinal Alphonse de Hichelieu, archevêque de Lyon et
frère du ministre : il le regardait comme très utile pour « modérer les
vapeurs de la rate ». C'est à la lin de 1659 que David Chaliou avait
obtenu le premier monopole pour la fabrication et le débit. La reine
Marie-Thérèse, qui devait en avoir apporté le goût de la cour de
Madrid, avait un chocolatier breveté, et le duc d'Orléans possédait
aussi en 1691 (ms. Clairambault 747. p. .523) son fournisseur attitré,
originaire du lac de Côme et qui obtint alors des lettres de naturalité.
[17loJ DE SAINT-SIMON. 185
peu de pain, de vin etd'eau', il prenoit depuis fort long-
temps deux tasses de sauge et de véronique-; souvent en-
tre ses repas et toujours en se mettant au lit, des verres
d'eau avec un peu d'eau de fleurs d'orange^ qui tenoient
chopine\ et toujours à la glace en tout temps; même les
jours de médecine il y buvoit, et toujours aussi à ses re-
pas", entre lesquels il ne mangea jamais quoi que ce fût,
On écrivait généralement Chocolaté, comme dans la Gazette de 1690,
p. 45 et 59. Nous savons par les lettres de Mme de Sévigné (tome II,
p. 16-i et 398) et par celles de Mme de Maintenon (recueil Bossange,
tome III, p. 66-67) que le chocolat, comme le café, le thé et le quin-
quina, était suspect à bien des gens et inspirait des défiances aux
uns, tandis que, chez d'autres, il suscitait des engouements non moins
exagérés.
-l. Ce fut en eflet le déjeuner habituel de Louis XIV pendant fort
longtemps ; VÉtat de la France de 1712, p. 263, le mentionne
encore.
2. La sauge est une herbe médicinale, d'une saveur aromatique
assez agréable; la véronique au contraire n'a pas d'odeur spéciale. On
préparait les feuilles de l'une et de l'autre en infusion dans de l'eau
chaude, ou même dans du bouillon, et on regardait cette tisane comme
excellente pour les migraines, les douleurs de tète, les étourdissements
et les assoupissements (Savary, Dictionnaire du commerce, tome IV,
col. 649 et 1184.) Louis XIV commença à prendre de la sauge et de
la véronique, d'abord en potion, puis en infusion, dès 4696 {Journal
de la santé du Roi, p. 233 et 314 ; Journal de Dangeau, tomes
VI, p. 7, et VIII, p. 213); il sucrait cette infusion avec du suc
candi (État de la France, 1712, p. 262). Voyez aussi le Journal des
Anthoine, publié par Edouard Drumont, p. 12.
3. Selon Savary, l'eau de fleurs d'orange (appelée aussi eau de
naphe et fabriquée principalement en Provence et à Gènes) devait être
amère au goût et d'une odeur douce et agréable ; elle ne se gardait
pas plus d'un an. On l'employait dans de l'eau sucrée ou mêlée à des
sirops et à dos potions, et elle possédait, croyait-on, des qualités sto-
machiques et céphaliques qui en rendaient l'usage favorable. Saint-
Simon dira dans la suite des Mémoires (tome XII de 1873, p. 178) que
Louis XIV aimait beaucoup l'odeur de la fleur d'oranger.
4. « Ghopine, petite mesure de liqueurs qui contient la moitié
d'une pinte « (Dictionnaire de Trévoux), environ un demi-litre.
5. Il a été parlé de l'usage de la glace par le Roi, et par tout le
monde en général, dans notre tome XVI, p. 45. D'après les Mémoires
1«6 MÉMOIRES [4715]
que quelque pastille de cannelle', qu'il mettoit dans sa
poche à son fruit, avec force biscolins- pour ses chiennes
couchantes de son cabinet^ Comme il devint la dernière
année de sa vie de plus en plus resserré \ Fagon lui faisoit
manger à l'entrée de son repas beaucoup de fruits à la
glace, c'est-à-dire des mûres \ des melons et des figues,
et celles-ci pourries à force d'être mûres^, et à son dessert
beaucoup d'autres fruits, qu'il finissoit par une quantité de
de Primi Visconti (p. 113), Louis XIV, quoiqu'il mangeât énormé-
ment, comme Saint-Simon va le "lire plus loin, buvait peu à ses repas,
deux ou trois fois «seulement, et quelquefois pas du tout ; cela explique
qu'il eût besoin d'avaler ces grands verres d'eau glacée entre ses repas
et en se couchant. Voyez le Journal de la santé, p. 309.
i. La cannelle était une partie de l'écorce d'un arbre qui croissait
exclusivement dans l'île de Ceyian ; on on extrayait une huile et une
poudre. De l'huile de cannelle, on lirait une sorte de matière odorante
qui ressemblait au camphre et qu'on em[)loyait beaucoup en n)édecine
comme forlitianl de l'estomac et contre les rhumatismes et la goutte
(Savary, D ctionnaire dît commerce, tome I, col. 771-779).
2. M Biscotin, sorte de petit biscuit ordinairement rond et extrême-
ment dur » (Académie, 171S).
3. Suivant \'Etat de la France, les levrettes, lévriers, chiens cou-
chants et petits chiens de la chambre de S. M. étaient sous la direction
dun capitaine spécial assisté «le quatre valets ou gardes. Chaque jour,
on en amenait quelques-uns dans une pièce voisine de la chambre du
Roi pour servir à son amusement quand il sortait de table : notre
tome XXII, p. 289. Nous avons vu dans le précédent volume, p. 361
et 372, MM. de Contades et d'Elfiat faire cadeau au Roi de fort bonnes
« chiennes couchantes ». Sur le plan qu'on trouvera ci-après, p. 254,
la « chambre des chiens du Roi » est indiquée sous le n" 17; elle
communique directement avec le grand cabinet ou cabinet du Conseil,
dans lequel Louis XIV se tenait après son souper.
4. Ausensd'avoirleventremoinslibre, moins làche(.4ca(Zem?e, 1718).
5. Les mots dea meures ont été ajoutés en interligne.
6. D'après Villars(.Vémoî/'e«, tome IV, p. 54-55), ce n'aurait été que
dans les premiers |Ours du voyage à Marly que Fa^on aurait mis le
Roi aux figues ; c'est sans doute à cela que fait allusion le Jouinalde
Dangeau au 23 juin (tome XV, p. 441). Cependant, d'après \e Journal
de la aanté (p. 28S), Fagon faisait manger au Roi, dès 1706, pour le
« relichrr », des « prunes de Tours très douces, trempées et rafraî-
chies dans l'eau. »
[17I5J DE SAINT-SIMON. 187
sucreries qui surprenoit toujours ^ Toute l'année, il man-
geoit à souper une quantité prodigieuse de salade ^ Ses
potages*, dont il mangeoit soir et matin de plusieurs, et
en quantité de chacun sans préjudice du reste, étoient
pleins de jus et d'une extrême force, et tout ce qu'on lui
servoit plein d'épices, au double au moins de ce qu'on
y en met ordinairement*, et très fort d'ailleurs. Gela
et les sucreries n'étoit^ pas de l'avis de Fagon, qui, en le
voyant manger, faisoit quelquefois des mines fort plai-
santes, sans toutefois oser rien dire, que par-ci par là,
à Livry et à Benoist*, qui lui répondoient que c'étoit
à eux à faire manger le Roi, et à lui à le purger '. Il
ne mangeoit d'aucune sorte de venaison* ni d oiseaux
4. En 4706, le premier médecin blâmait le Roi de manger si abon-
damment « de ce qu'on appelle des vents, faits avec du blanc d'œuf
et du sucre très cuit » {Journal de la santé, p. 288).
2. Fagon, dans le Journal de la santé, n'a pas manqué de relever
comme nuisible la quantité de salades diverses que le Roi mangeait à
chaque repas, « salades de concombres, de laitues et de petites herbes,
lesquelles toutes ensemble assaisonnées de poivre, sel et très fort vinai-
green quantité et beaucoup de fromage par dessus » (p. 293, 321, 322).
3. On a vu dans le tome XV, p. 431 et 604, ce que c'était que les
potages à cette époque.
4. Journal de la santé, p. 241.
5. Il y a bien n'estoit au singulier, dans le manuscrit, s'accordant
avec cela.
6. Louis Sanguin, marquis de Livry (tome II, p. 84), premier
maître d'hôtel, et Georges Benoist, contrôleur de la bouche (tome XX,
p. 247).
7. C'est à cela que fait allusion ce passage du Journal de la santé
(p. 278) où le premier médecin se plaint des ragoûts que le Roi mange
et « qu'on ne sauroit s'empêcher de lui présenter pour faire sa cour
mal à propos. »
8. « Venaison, chair de bête fauve ou rousse, cerf, sanglier, etc. »
(Académie, 4718). Ce mot ne veut donc pas dire toute espèce de gibier,
et en effet, dans le passage d'une lettre de Madame citée p. 488,
note 6, nous verrons qu'il sera dit que le Roi mangeait du faisan et
de la perdrix, et le Journal de la santé (p. 325) fait ressortir la grande
quantité de gibier que mange le Roi « depuis les premiers perdreaux
jusqu'au carême ».
1S8 MKMOIHES fl7I.S]
d'eau', mais d'ailleurs de tout sans exception, gras et
maigre, iju'il fit toujours, excepté le carême que quel-
ques jours seulement depuis une vingtaine d'années-. 11
redoubla ce régime de fruits et de boisson' cet été.
A la fin, ces fruits pris après son potage lui noyèrent
l'estomac, en émoussèrent les digestifs, lui otèrent l'appé-
tit S qui ne lui avoit manqué encore de sa vie, sans avoir
jamais eu ni faim ni besoin de manger, quelque tard que
des hasards l'eussent fait dîner quelquefois ; mais, aux
premières cuillerées de potage, l'appétit s'ouvroit toujours,
à ce que je lui ai ouï dire plusieurs' fois, et il mangeoit si
prodigieusement et si solidement soir et matin, et si éga-
lement encore, qu'on ne s'accoutumoit point à le voir^
Tant d'eau et tant de fruits, sans être corrigés par rien de
spiritueux, tournèrent son sang en gangrène, à force d'en
diminuer les esprits", et de l'appauvrir par ces sueurs
1. Nous ne connaissons pas de documents qui pcrniettont de con-
trôler cette dernière assertion.
2. Saint-Simon reviendra, quand il fera le portrait du Roi (dans notre
prochain volume) sur sa façon d'observer lemaigreet le jeûne du carême.
3. Il a efîacé du doigt une s à la lin de boisson.
A. C'est aussi ce que dit Villars (Mémoires, tome IV, p. 55).
5. Plusieures (sic) est répété deux fois, à la tin d'une ligne et au
commencement de la suivante.
6. Les contemporains sont tous d'accord sur l'énorme appétit du
Roi : si Dangeau, Villars, Mme de Mainlenon, Mme des Ursins, etc.
le notent par occasion, et Saint-Simon encore dans le Parallèle
des trois rois Bourbons (p. 85 et it4), Madame y insiste (Corrcs-
pondance, recueil Brunet, tome II, p. 3") : « J'ai vu souvent le Roi
manger quatre pleim-s assiettes de soupes diverses, un faisan entier,
une perdrix, une grande assiette de salade, deux grandes tranches de
jambon, du mouton au jus et à l'ail, une assiette de pâtisserie, et puis
encore du fruit et des œufs durs. Le Roi et feu Monsieur aimaient
beaucoup les œufs durs. » On trouvera ci-après aux Additions et
Corrections quelques extraits particulièrement topiques du Journal de
ta santé du Roi.
7. « Les esprits, au pluriel, sont de petits corps légers, subtils et
invisibles, qui portent la vie et le sentiment dans les parties de l'ani-
mal » (Académie, 1718).
fi71o] DE SAINT-SIMON. 189
forcées des nuits', et furent cause de sa mort, comme on
le reconnut à l'ouverture de son corps. Les parties s'en trou-
vèrent toutes si belles et si saines, qu'il y eut lieu déjuger
qu'il auroit passé le siècle de sa vie. Son estomac surtout
étonna, et ses boyaux, par leur volume et leur étendue au
double de l'ordinaire-, d'où lui vint d'être si grand man-
geur et si égal. On ne songea aux remèdes que quand il
n'en fut plus temps, parce que Fagon ne voulut jamais le
croire malade, et que l'aveuglement de Mme de Main-
tenon fut pareil là-dessus, quoiqu'elle eût bien su pren-
dre toutes les précautions possibles pour Saint-Cyr et
pour M. du Maine. Parmi tout cela, le Roi sentit son
état avant eux, et le disoit quelquefois à ses valets in-
térieurs^. Fagon le rassuroit toujours sans lui rien faire.
Le Roi se contentoit de ce qu'il lui disoit, sans en être
persuadé ; mais son amitié pour lui le retenoit, et Mme de
Maintenon encore plus.
Le mercredi 14 août, il se fit portera la messe pour la
dernière fois, tint conseil d'Etat, mangea gras^ et eut
grande musique chez Mme de Maintenon. Il soupa au petit
couvert dans sa chambre, où la cour le vit comme à son
dîner. Il fut peu dans son cabinet avec sa famille, et se
coucha peu après dix heures*.
1. Ci-dessus, p. 183. — Tout ce membre de phrase, depuis et de
l'appauvrir, a été ajouté en interligne.
2. Saint-Simon reviendra ci-après, p. 295, sur l'autopsie du corps de
Louis XIV ; nous donnerons alors le commentaire nécessaire ; mais il
faut dire dès maintenant que cette assertion sur les dimensions des
intestins du Roi est erronée.
3. Le Journal des Anthoine, si précis pour ces derniers jours,
ne relève pas cette particularité.
4. C'était en effet un jour maigre, comme vigile de l'Assomption.
o. Tout ceci est pris à Dangeau (p. 95), sauf ce qui a rapport à la
messe. Les Anthoine disent (p. 15) que, ce jour-là, il y eut une
grande consultation de plusieurs médecins de Paris, notamment Helvé-
tius et Falconnet, appelés par Fagon, pour examiner la cause des
violentes douleurs à la jambe et à la cuisse ; Dangeau n'en parle pas.
490 MÉMOIRES [1715]
Le jeudi, foie de rAssoinpliou, il entendit la messe dans
son lit. La nuit avoit été inquiète et altérée, il dîna de-
vant tout le monde dans son lit, se leva à cinq heures, et
se fit porter chez Mme de NLiintenon, où il eut petite mu-
sique. Entre sa messe et son dîner il avoit parlé séparé-
ment au Chancelier, à Desmaretz, à Pontchartrain. Il
soupa et se coucha comme la veille'. Ce fut toujours de-
puis de même, tant qu'il put se lever.
Le vendredi 16 août, la nuit n'avoit pas été meilleure ;
beaucoup de soif et de boisson-. Il ne fit entrer qu'à dix
heures, la messe et le diner dans son lit comme toujours
depuis, donna audience dans son cabinet à un envoyé de
WolfenbiilteP, se fit porter chez Mme de Maintenon; il y
joua avec les dames familières, et y eut après grande
musique*.
Le samedi 17 août, la nuit comme la précédente ^ Il tint
dans son lit le conseil de finances, vit tout le monde à son
dîner, se leva aussitôt après, donna audience dans son
cabinet au général de l'ordre de Sainte-Croix de la Bre-
tonnerie®, passa chez Mme de Maintenon, où il travailla
1. Ce paragraphe entier n'est que le résumé de l'article de Dangeau
du io août (p. 93-96); Saint-Simon s'est contenté de changer un peu
l'ordre du récit.
2. Dangeau remarque que « cette altération fait croire à beaucoup
de gens qu'il pourroil bien avoir un pou de lièvre les nuits. »
3. Cet envoyé s'appelait le baron d'ImliofT, mais n'avait aucun rap-
port avec le célèbre généalogiste dont il a été parlé dans notre
tome IX, p. 137 ; il était déjà venu en mission en F'rance en 4682 et
y avait séjourné de 4700 à 4702; voyez la Gazette d'Amsterdam, 4745,
n° Lxx.
4. Danr/eau, p. 96.
5. « Le Roi passa la nuit jusqu'à quatre heures dans une assez
grande inquiétude, tort altéré et buvant souvent » (Ibidem).
6. L'orilre de la Sainle-Croix avait été fondé au commencement du
treizième siècle, auprès de Huy, par Théodore de Celles, chanoine de
Liè^;e. En 4238, saint Louis appela à Paris quelques religieux et les
installa dans les bâtiments del'ancienne monnaie royale, rue de la Bre-
tonnerie, auxquels il joignit quelques maisons voisines. En 4644, à la
[1715] DE SAINT-SIMON. 494
avec le Chancelier. Le soir, Fagon coucha pour la pre-
mière fois dans sa chambre.
Le dimanche 18 août se passa comme les jours précé-
dents. Fagon prétendit qu'il n'avoit point eu de fièvre'. Il
tint conseil d'État avant et après son dîner, travailla après
sur les fortifications avec Peletier-à l'ordinaire, puis passa
chez Mme de Maintenon, où il y eut musique. Ce môme „ /-^"l Ti^^-
' «/ T _ entrée a I ans
jour, le comte de Ribeyra\ ambassadeur extraordinaire du comte de
de Portugal, dont la mère, qui éloit morte, étoit sœur du Kibeyra,
1 i-iiiVi in<r.- ' amba.ssadeur
prince et du cardinal de nohan*, ht a Pans son entrée de Portugal*.
suite de divers désordres qui se produisirent dans le monastère, le
cardinal de la Rochefoucauld essaya d'y introduire des chanoines régu-
liers de Sainte-Genfviève. Ce couvent a aujourd'hui complètement
disparu ; mais Tordre subsiste encore sous le nom de Pères croisiers.
En i71.T, le général s'appelait Malhias Goffin et était liégeois ; il était
venu à Paris pour inspecter le couvent de cette ville.
4. Dangeau, p. \il ; Journal des Anthoine, p. 26-!27 •,'ViUars, tome III,
p. 59.
2. Michel le Peletier de Souzy, directeur général des fortifications :
tome 111, p. ±m.
3. Louis de Caméra ou Camara, troisième comte de Ribeyra-Grande,
baptisé le 2 février 1683 (Gazef^e, p. 137), lieutenant-général, grand
maître de l'artillerie, puis meslre de camp général des armées portu-
gaises, avait été nommé ambassadeur de Portugal en P>ance dès le
mois de lévrier 1714. Il avait passé par Madrid, oij la princesse des
Ursins l'avait présenté à Philippe Vj le 10 juillet 1711, elle écrivait à
Torcy (vol. Espagne 230, fol. 139) : « Il n'a point oublié le françois
ni sa politesse ; il demeurera une quinzaine de jours à Madrid à se
reposer.... Il mènera [en France] Madame sa femme, qu'on assure être
belle et aimable. » Il arriva à Moret dans le milieu d'octobre et alla
descend.-e chez son grand oncle le duc de Rohan-Chabot ; Louis XIV
lui donna une audience privée, ainsi qu'à sa femme, très jolie per-
sonne, tille du comte d'Atonha (ûangeaM, tome XV, p. 264). Pendant
son séour à Paris, il eut un tils, qui fut tenu sur les fonts le 9 décem-
bre 1716 par Louis XV et la duchesst de Berry (Gazette, p. 600). Il
mourut à Lisbonne, peu après être revenu de son ambassade le
3 octobre 1723, dans sa trente-neuvième année. On trouvera ci-après,
aux Additions et Corrections, une lettre de la duchesse de Rohan, à
propos de son logement à Paris.
4. Constance-Emilie de Rohan-Soubise, dite Mlle de Frontenay, née
192
MEMOIRES
fm.s
J'obtiens de
M. le
duc d'Orléans
qu'il
continuera
à Chamillart sa
pension de
60 000 '*ella
permission
de le
lui mander.
avec une magniiioence extraordinaire', et jeta au peuple
beaucoup de médailles d'argent et quelques-unes d'or-.
L'état du Roi, qui niontroit manifestement ne pouvoir plus
durer que peu de jours, et dont je sa vois pai* Marcsclial
des nouvelles plus sûres que celles que Fagon se vouloit
persuader à soi et aux autres, me fit penser à Chamillart,
qui avoit [eu], en sortant^ de places, une pension du Roi
de soixante mille livres '. J'en demandai la conservation
et l'assurance à M. le duc d'Orléans, et je l'obtins aussitôt,
avec la permission de le lui mander à Paris. Il y étoit, fort
touché de la maladie du Roi et fort peu de toute autre
chose. Il ne laissa pas d'être agréablement surpris de ma
lettre, et d'être bien sensible à un soin de ma part qu'il
n'avoit pas eu pour lui-même. Il m'envoya une lettre de
remerciement, queje rendis à M. le duc d'Orléans. Je n'ai
rien fait qui m'ait donné plus de plaisir. La chose demeura
secrète jusqu'à la mort du Roi ; je ne perdis pas de temps
à la faire déclarer incontinent après la Régence^.
en iH6T, avait épousé à Versailles par procureur en mai 1683 Joseph-
Rodrigue de Caméra, comte de Ribeyra-Grande, et le Roi lui lit pré-
sent à cette occasion de pendants d'oreilles valant dix-sept mille
livres ; Saint-Simon se trompe en disant qu'elle était morte avant iTln ;
elle survécut à son mari, qui mourut en mars ili't ; mais nous igno-
rons la date exacte de son décès.
4. La relation de cette entrée termine les Mémoires manuscrits du
baron de Breteuil.
2. Gazette, p. 407; Mercure d'août, p. !289-306; Gazette d'Amster-
dam, Extraord. lxx; Journal de la Régence par Buvat, tome I, p. 37-
38, qui décrit ces médailles; elles avaient été frappées à la Moimaie. Il
se logea plus tard dans un hôtel à la pointe de l'île Saint-Louis, où il
donna des fêtes que mentionne le Mercure, janvier 1746, p. '•20:2-248,
et juin, p. 465-482.
3. Sortant corrige entr[ant}.
4. Notre tome XVII, p. 439, et note 4.
5. Cependant cette pension n'est pas mentionnée dans le registre du
secrétariat de la maison du Roi de l'année 4715; mais il est certain
que Chamillart, sa femme et sa (ille en jouirent jusqu'à leur mort selon
le partage spécifié en 4709.
[i-ro]
DE SAINT-SIMON.
19::!
Ce même jour, je montai chez le duc de Noailles sur les
huit heures du soir, au bas du degré duquel je lo^eois'.
Il étoit enfermé dans son cabinet, d'où il vint me trouver
dans sa chambre. Après plusieurs propos sur l'état du
Roi et sur l'avenir, il se mit à enfiler un assez long dis-
cours sur les jésuites, dont la conclusion fut de me pro-
poser de les chasser tous de France, de remettre en leur
premier état les bénéfices qu ils avoient fait unir à leurs
maisons, et d'appliquer leurs biens aux universités où ils
se trouveroient situés. Quoique les propositions extrava-
gantes du duc de Noailles, dont j'ai parlé-, me dussent
avoir appris qu'il en pouvoit faire encore d'aussi folles,
j'avoue que celle-là me surprit autant que si elle eût été
la première de ce genre. Il s en aperçut à mon air etïravé;
il se mit en raisonnements, et cependant son cabinet
s'ouvrit, d'où je vis le procureur général " sortir et venir
à nous. Plusieurs du Parlement étoient venus le matin
savoir des nouvelles du Roi, comme en tout temps ils v
venoient souvent les dimanches ; mais javois cru le duc
de Noailles seul dans son cabinet, et le procureur général
retourné à Paris de fort bonne heure, comme ces magis-
trats faisoient toujours. A peine se fut-il tiré un siège au-
près de nous, que le duc de Noailles lui dit ce qu'il s'agi-
toit entre lui et moi. qui pourtant n'avois pas dit un mot
encore, mais à qui un geste échappé de surprise avoit mis
le duc de Noailles en plaidoyer. Il remit le peu qu'il venoit
dédire au procureur général, qui l'interrompit bientôt pour
me regarder froidement, et me dire de même que c'étoit
la meilleure et la plus utile chose que l'on pût faire au com-
mencement de la Régence que l'expulsion totale, radicale'
Le duc
de Noailles.
seul d'abord,
puis aidé
du procureur
général,
me propose
l'eipulsion
radicale des
jésuites
hors
du
1. L'appartement du duc de Noailles était au second étage de Taile
du Nord, et celui des Saint-Simon au premier étage, auprès de celui
de la duchesse de Berry.
2. Ci-dessus, p. 169-iT-2.
3. Henri-François Daguesseau.
4. Les lexiques du dix-huitième siècle, même le Dictionnaire de
MEMOIRES DE SAINT-SIMON. XXMI
13
19', MEMOIRES [1715]
et sans retour des jésuites hors du royaume, et de dis-
poser sur-le-cluunp de leurs maisons et de leurs hiens
en faveur des universités. Je ne puis exprimer ce que je
devins à cette sentence du procureur général. Cette folie,
assez contagieuse pour olTusquer ' un homme aussi sage,
et dans une place qui ne lui permettoit pas d'en ignorer
la mécanique et les suites, me fit peur d'en être gagné
aussi-. L'étonnement où je fus me mit en doute aussi
d'avoir bien entendu ; je le fis répéter et je demeurai stu-
péfait. Ils s'aperçurent bientôt à ma contenance que j'étois
plus occupé de mes pensées que de leur discours ; ils me
prièrent de leur dire ce que je trouvois de leur proposi-
tion. Je leur avouai que je la trouvois tellement étrange,
que j'avois peine à croire à mes oreilles, lisse mirent là-
dessus, l'un avec feu, l'autre avec poids et gravité, et s'in-
terrompant l'un l'autre, à me dire ce que chacun sait sur
les jésuites, leur domination, leur danger pour l'Eglise et
pour l'État et pour les particuliers. A la fin l'impatience
me prit ; je les interrompis à mon tour, et il me parut que
je leur faisois plaisir, dans celle ^ où ils étoient d'entendre
ce que j'avois à leur dire. Je leur déclarai que, pour
abréger, je ne leur contesterois rien de tout ce qu'ils
voudroient alléguer contre les jésuites, et sur les avantages
Trévoux, ne donnaient pas à cet adjectif le sens d'entier, connplet,
jusqu'à la racine ; ils n'en faisaient encore qu'un terme dogmatique,
peu usité et qui s'employait seulement « en parlant de ce qui est
regardé comme ayant en soi-même le principe de quelque faculté, de
quelque vertu physique ; ainsi on appelle humide radical celte
humeur que l'on regarde comme le principe de la vie dans le corps
humain » (Académie, 4718). Littré en cite en ce sens un exemple de
Pascal. Saint-Simon l'a déjà employé comme ici dans les tomes IV,
p. 429, et XXIII, p. 307, et l'adverbe radicalement dans ses « Consi-
dérations préliminaires » (tome I, p. 43) et ci-dessus, p. 44 et 70;
nous le retrouverons dans la suite des Aléiitoires, tome XIX de 1873,
p. 495.
4. Nous avons eu offusquer, au sens d'obscurcir, dans le tome XVII,
p. 435; ici il signifie troubler l'entendement.
"2. D'être gagné de la même folie. — 3. Dans l'impatience.
[17151 I^E SAINT-SIMON. 495
i\u(i trouveroit la France d'en être délivrée, encore qu'il y
eût beaucoup à dire là-dessus; que je me retranchois uni-
quement sur la cause', [sur] le comment et sur les suites;
sur le comment, que nous n'étions pas dans une île dont
l'intérieur fût désert, comme la Sicile, où il n'y eût qu'un
certain nombre de maisons de jésuites dans deux villes
principales, comme Palerme et Messine, et répandues en
d'autres gros lieux sur la côte, où il avoit été aisé au
vice-roi Maffei - de les prendre tous au même instant d'un
coup de filet, de les embarquer sur-le-champ, de leur
faire prendre le large, et de faire tout de suite de leurs
maisons et de leurs biens ce que le roi de Sicile lui avoit
ordonné^; que ce prince de plus étoit en droit et en rai-
son d'en user de la sorte avec des gens qui allumoient à
visage découvert le feu de la révolte contre lui, sur le dif-
férend qu'il avoit avec la cour de Rome, qui, sur des
prétextes les^ plus frivoles d'immunité ecclésiastique, qui
même n'avoit pas été violée, entreprenoit d'abolir^ le tri-
bunal de la monarchie accordé tel qu'il étoit par les papes
aux premiers princes normands qui avoient conquis la
Sicile, et l'avoient bien voulu relever^ des papes sans au-
cune nécessité ni droit, tribunal sans l'exercice duquel
les rois de Sicile se trouveroient privés de toute autorité,
pour l'abolition duquel Rome prodiguoit ses censures, et,
1. Les mots la cause ont été ajoutés en interligne ; mais il a oublié
(l'ajouter un second sui\
± Tome XXV, p. 129.
3. Saint-Simon ne put citer alors, — en août 1713, — l'exemple de
l'expulsion des jésuites de Sicile par le vice-roi Maffei, puisque cette
expulsion ne se produisit qu'en 4716, comme il le racontera dans la
suite des Mémoires, tome XII de 1873, p. 4n0-4ol. Ecrivant ce récit
longues années après, il n'a pas fait attention à cette anomalie.
4. Ce les a été répété deux fois, Saint-Simon l'ayant écrit à nouveau
à la fin de la ligne, parce qu'il a pris sans doute le premier les dont la
première lettre est mal marquée, pour la tin du mot prétextes.
.">. Ecrit ablir, par mégarde.
t). Faire relever, au sens d'être vassale.
\% MÉMOIRES [1715]
secondée do plusieurs évèques, de quelques-uns du clergé
séculier, de presque tout le régulier, surtout des jésuites,
portoit' la révolte et la sédition dans tous les esprits, et
en faisoitun point de conscience-; qu'en France il ne
s'étoit^ rien passé, depuis la mort d'Henri IV jusqu'alors,
sur quoi on ait pu, je ne dis pas accuser, mais soupçonner
les jésuites de brasser rien contre l'État, ni contre
Louis XIII ni Louis XIV ; nul délit, par conséquent, sur
lequel on pût fonder le bannissement du plus obscur
particulier ; quelle violence donc à l'égard de toute une
Compagnie que ces deux Messieurs représentoient si
appuyée, si puissante, si dangereuse ; la faire au bout de
deux règnes qui l'avoient^ si constamment favorisée; la
faire à l'entrée d'une régence, qui est toujours un temps
de ménagement et de foiblesse ; la faire enfin par un
régent accusé de n'avoir point de religion, sans parler du
reste, et que la vie publiquement débauchée et les propos
peu mesurés sur la religion rendoient^ intiniment moins
propre à cette exécution, quand elle seroit juste et possi-
ble. A l'égard de la manière de l'exécuter, je me trouvois
l'esprit trop borné pour en imaginer aucune sur le nombre
infini de maisons de jésuites répandues dans toutes les
provinces de la domination du Roi, et le nombre immense
de jésuites qui les remplissoient ; que le tout à la fois,
comme avoit fait le Mafïei, étoit mathématiquement im-
possible ; que par parties, quels cris I quels troubles I
quels mouvements dès les premiers pas ! Cette immensité
de jésuites, leurs familles, leurs écoliers, et les familles
de ces écoliers, leurs pénitents, les troupeaux de leurs
retraites et de leurs congrégations, les sectateurs de leurs
\. Saint-Simon a écrit ici portaient, et plus loin f'm'soient, au plu-
riel, dans son manuscrit.
2. Tout cela sera raconté en 1746.
3. S^estoicnt corrifjé en s'estoit.
i. Ecrit l'avoit, par inadvertance.
5. Rendaient corrige rendait.
[1715] DE SAINT-SIMOx\. 197
sermons, leurs amis et ceux de leur doctrine, quel va-
carme avant qu'on en eût nettoyé* la province par laquelle
on auroit commencé, et quand et comment achèveroit-
on dans toutes les provinces? où conduire ces exilés?
Hors la frontière la plus prochaine, répondra-t-on ; mais
qui les empêchera de rentrer? point de mer, comme pour
retourner en Sicile, ni de grande muraille comme à la
Chine, tout ouvert partout, et favorisés de ce nombre
immense de tous états et de tous lieux dont je viens de
parler. C'est donc une chimère évidemment impossible.
Mais supposons-la pour un moment, non seulement fai-
sable, mais exécutée. Que dira la cour de Rome, dont les
jésuites sont en France les plus utiles instruments et les
plus dévoués à ses prétentions et à ses ordres ? Que dira
le roi d'Espagne, si dévot, si publiquement jésuite, et qui
est avec M. le duc d'Orléans comme chacun sait? Que
diront toutes les puissances catholiques, chez qui toutes
les jésuites ont tant de crédit, et de qui presque toutes
ils sont les confesseurs ? Et les peuples catholiques de
toute l'Europe, où, par la chaire, le confessionnal, les
classes, les jésuites ont autant d'amis et de partisans que
ces mêmes moyens leur en donnent en France ? Que di-
ront tous les ordres réguliers, peut-être jusqu'aux béné-
dictins, dominicains et chanoines réguliers divers, les
seuls peut-être d'entre les réguliers qui soient ennemis
des jésuites? Ne doit-on pas juger que tous frémiront
d'un coup qui peut les frapper à leur tour, si la fantaisie
en prend ; qu'ils en craindront le menaçant exemple, et
qu'ils se réuniront avec tout ce qui se sentira ou se
croira intéressé à l'empêcher ? et s'ils en viennent à bout,
quelle folie, quelle ignominie se sera-t-on si gratuitement
préparée, mais quel péril encore, et péril à ne plus pou-
voir espérer sûreté ni tranquillité, après s'être mis le
dedans et le dehors contre soi avec ce qu'on appelle la
1. ^Tcf foyer corrigé en nettoyé.
lOR MKMiMRKS |niS]
religion à la tête ? Je conclus enfin que cette' tentative, si
bien concertée qu'elle pût être, seroit la perte de M. lo
duc d'Orléans, et un tel bouleversement que je ne voyois
pas comment ni quand on pourroit le calmer. Mon dis-
cours fut {)lus étomiu que je ne le rapporte, et je ne fus
point interrompu. Quand j'eus fini, je vis deux hommes
étonnés et fâchés, qui ne purent répondre un seul mot à
pas une des objections que je venois de faire, et qui en
même temps me déclarèrent l'un et l'autre que je ne les
avois point persuadés. Tous deux, en s'interrompant l'un
l'autre ', rt'vinrent au danger des jésuites en France pour
le général de l'État et de l'Église, et pour le particulier;
moi à leur répéter que ce n'étoit pas la question, mais la
cause, les moyens et les suites; qu'ils avoient ces trois
choses à me prouver possibles et garanties. J'avois beau
les ramener; ils persistoient, le dirai-je? à aboyer à la
lune\ Leur peu de succès avec moi, et I heure indue pour
un magistrat de regagner Paris, nous sépara sans le moin-
dre progrès fait de part ni d'autre. Je sortis en même temps
que le procureur généi-al pour revenir chez moi, noyé
dans l'étonnement et la recherche de ce que le procureur
général pouvoit avoir fait de son sens, de ses lumières, de
sa sagesse, et persuadé qu'ils étoient sur cette matière à
délibérer ensemble quand j'arrivai, à la manière subite
dont le duc de Noailles m'en ouvrit le propos, et dont il
le remit au procureur général lorsqu'il nous vint trouver
en tiers. Je demeurai à bout sur le procureur général S
qui n'avoit sûrement point de vues obliques, mais que le
pouvoir du duc de Noailles sur son esprit avoit gagné,
déjà ennemi personnel et parlementaire "^ de la Société,
1. Cette corrige cet et le commencement d'un autre mot.
2. Comme déjà ci-dessus, p. 194.
3. Locution déjà rencontrée dans le tome XV. p. 467.
4. C'est-à-dire : je ne pus trouver d'explication à la conduite du
procureur général.
.-). Comme appartenant au Parlement. Le Dictionnaire de l'Aca-
(t7i;>| DE SAINT-SIMON. iH9
et qui se laissa aller à la folie de son ami, sans que des
raisons aussi nettement décisives l'en pussent faire revenir,
quoiqu'il ne leur en pût opposer aucune, et c'est ce qui
porta mon étonnement jusqu'à en demeurer confondu.
Le lundi 19 août, la nuit fut également agitée, sans que
Fagon voulût trouver que le Roi eût de la fièvre \ Il eut
envie de lui faire- venir des eaux de Bourbonne^. Le Roi
travailla avec Pontchartrain, eut petite musique chez
Mme de Maintenon, déclara qu'il n'iroit point à Fontaine-
bleau, et dit qu'il verroit la gendarmerie le mercredi
suivant de dessus son balcon. Il i'avoit fait venir de ses
([uartiers^ pour en faire la revue : ce ne fut que ce jour-là
qu'il vit qu'il ne le pourroit, et qu'il se borna à la regar-
der dans la grand cour de Versailles par la fenêtre^.
Le mardi 20 août, la nuit fut comme les précédentes.
Il travailla le matin avec le Chancelier; il ne voulut voir
que peu de gens distingués et les ministres étrangers à son
dîner, qui avoient, et ont encore, le mardi fixé pour aller
à Versailles. Il tint conseil*^ de finances ensuite et travailla
après avec Desmaretz seul. Il ne put aller chez Mme de
Maintenon, qu'il envoya chercher. Mme de Dangeau et
Mme de Caylus y furent admises quelque temps après
pour aider à la conversation. Il soupa en robe de chambre
demie de 1718 disait que cet adjectif ne s'applique qu'aux partisans
du Parlement d'Angleterre. — Saint-Simon écrit ici parlamentairc.
1. <( M. Fagon est persuadé que le Roi n'a point de tièvre; mais
Mareschal et quelques autres croient qu'il en a un peu la nuit » (Dan-
geau, p. 97 ; voyez le Journal des Anthoine, p. 27-28).
2. Faire surcharge donn[er].
3. D'après Buvat (Journal, p. 40), le lieutenant de police Ht établir
deux cents chevaux de relais depuis Versailles jusqu'à Bourbon-
l'Archambault pour tirer six grandes charettes destinées à voiturer
l'eau nécessaire aux bains du Roi ; mais on y renonça deux jours
après.
4. Les compagnies des gendarmes et des chevau-légers de la garde
étaient alors cantonnées en Normandie (Dangeau, p. 101).
5. Pestre mal écrit, corrigé en fenestrc.
6. Après conseil, il a biffé le mot après.
-200 MEMOIRES IHIS]
dans son fautouil '. Il ne sortit plus de son appartement,
et ne s'habilla plus. La soirée courte comme les précé-
dentes. Fagon enfin lui proposa une assemblée des prin-
cipaux médecins de Paris et de la cour.
Retour ^^t" même jour, Mme de Saint-Simon, que j'avois pressée
de Mme de (\ç revenir, arriva des eaux de Forges-. Le Roi entrant
Saint-Simon , i i • i r i ti r*! «»
jgg après souper dans son cabmet 1 aperçut. Il tit arrêter sa
eaux de Forges roulette^, lui témoigna beaucoup débouté sur son voyage
ersailles. ç^ ^q^ retour, nuis continua à se faire pousser par Blouin
Dames ' . .^ ' r
familières. dans l'autrc cabinet. Ce fut la dernière femme de la cour
à qui il ait parlé, parce que je ne compte pas Mmes de
Levis, Dangeau, Caylus et d'O, qui étoient les familières
du jeu et des musiques chez Mme de Maintenon, et qui
vinrent chez lui quand il ne put plus sortir. Mme de Saint-
Simon me dit le soir qu'elle n'auroit pas reconnu le Roi,
si elle l'avoit rencontré ailleurs que chez lui. Elle n'étoit
partie de Marly pour Forges que le G juillet.
Le mercredi 21 août, quatre médecins virent le Roi S
et n'eurent garde de rien dire que les louanges de Fagon,
qui lui fit prendre de la cassée II remit au vendredi sui-
i. Danrjeau, p. 97-98. Le Journal des Anthoine (p. 29) raconte
que le Roi prit co jour-là pour sa jambe un grand bain d'herbes aro-
matifiues infusées dans du gros vin de Bourf];of,'ne, et qu'on utilisa
pour cela une jurande cuvette d'argent qui servait à ses bains de pieds ;
il y resta une heure. Le Journal de Buvat (p. 39) dit que sa faiblesse
était très grande et qu'on prétendait qu'il « gâtoit son linge sans s'en
apercevoir ».
2. On l'v a vu partir peu auparavant, dans le tome XXVI, p. 2-43
et 247.
3. « Roulette se dit aussi d'une sorte de petite chaise à deux roues,
dans laquelle on va par la ville, en se faisant tirer par un homme »
{Académie, 17i8). On va voir à la ligne suivante qui^ la roulette du
Roi se poussait et ne se tirait pas ; c'était un fauteuil roulant.
4. Dangeau, p. 98-99; Journal des Anthoine, p. 31.
5. Il a déjà été parlé de ce purgatif dans le tome XXIII, p. 340.
« On attribuoit sa maladie, dit Jean Buvat (Journal, tome I, p. 40) à ce
qu'il avoit été exposé pendant plus de trois heures à l'ardeur du soleil,
dix jours auparavant, à cheval, en faisant la revue des troupes qui
[ilio] DE SAIM-SIMON. Wi
vant à voir la gendarmerie de ses fenêtres, tint le conseil
d'État après son dîner, travailla ensuite* avec le Chance-
lier. Mme de Main tenon vint après, puis les dames fami-
lières, et grande musique. Il soupa en robe de chambre
dans son fauteuil. Depuis quelques jours- on commen-
çoit à s'apercevoir qu'il avoit peine à manger de la viande,
et même du pain, dont toute sa vie il avoit très peu mangé ^
et depuis très longtemps rien que la mie, parce qu'il
n'avoit plus de dents. Le potage en plus grande quantité,
les hachis fort clairs et les œufs suppléoient ; mais il man-
geoit fort médiocrement.
Le^ jeudi 22 août, le Roi fut encore plus mal. Il vit les
quatre autres médecins, qui, comme les quatre premiers,
ne firent qu'admirer les savantes connoissances et l'admi-
rable conduite de Fagon, qui lui fit prendre sur le soir
du quinquina à l'eau, et lui destina pour la nuit du lait
d'ânesse'. Ne comptant plus dès la veille de pouvoir se
mettre sur un balcon pour voir la gendarmerie dans sa
cour, il mit à profit pour le duc du Maine jusqu'à sa der-
nière foiblesse. II le chargea d'aller faire la revue de ce Duc du Maine
corps d'élite en sa place, avec toute son autorité, pour en ^^^^ë^ ^^ ^oir
étoient campées dans la plaine de Marly, dont il se trouva fort échauffé,
et de ce qu'à son retour à Marly il avoit mangé environ quarante
figues et bu ensuite trois grands verres d'eau à la glace. »
1. Ensuitte est en interligne au-dessus diaprés, biffe.
2. Ces derniers détails, jusqu'à la tin du paragraphe, ne sont plus
pris à Dangeau ; Saint-Simon les tire de ses souvenirs personnels.
3. Jusqu'en 1695, il avait mangé un pain salé fait avec du lait et de
la levure de bière ; Fagon réussit à le lui faire quitter (Journal de la
santé du Roi, p. 2M et S'iS).
4. Ce premier mot avait d'abord été écrit à la tin d'une ligne ; puis
il a été biffé et reporté sur la marge au commencement de la ligne
suivante, pour bien marquer le paragraphe.
o. Le lait d'ânesse était regardé comme plus fortifiant que le lait de
vache ou de chèvre, parce que, disaient les chimistes, il contenait
autant de matière « bulyreuse » que de matière « caséeuse ». —
Les Anthoine (Journal, p. 33) parlent, pour ce jour-là, d'un nou-
veau bain de jambe dans du vin parfumé d'herbes aromatiques.
20-2
MEMOIRES
[17iri]
la
trrndarmerif,
pour,
ail nom et avec
l'aiiloritc du
Roi. qui l'avoil
fait venir et
n'en put
faire la revue.
Mon • avis
là-dessus à
M. le
duc d'Orléans.
llddS'-S i:^:i7]
montrer en lui les prémices aux troupes, les accoutumer
de son vivant à le considérer comme lui-même, et lui
donner envers eux les grâces d'un compte favorable et
flatteur. C'est ce que ce foible échappé des (luises et de
Cromweli ' sut se ménager; mais, «oiume il manquoit abso-
lument de leur courage, la peur le saisit de ce qui pour-
roit lui arriver, en cette extrémité connue du Roi. si M. le
duc d'Orléans connoissoit ses forces naturelles, et s'avisoit
d'en faire usage. II chercha donc un bouclier qui le pût
mettre à couvert, et il ne lui fut pas difficile par Mme de
Maintenon de le trouver. Mme de Ventadour, excitée par
son ancien amant et ami intime le maréchal de Villeroy,
qui savoit bien ce qu'il faisoit, donna envie à Monseigneur
le Dauphin d'aller à cette revue. Il commencoit à monter
un petit bidet-, et il alla demander au Roi la permis-
sion d'y aller. Le jeu de cette comédie fut visible en ce
que l'habit uniforme de capitaine de gendarmerie se
trouva tout fait pour Monsieur le Dauphin, qui avoit
pris les chausses depuis fort peu*. Le Roi trouva cette
envie d'un enfant fort de son goût, et lui permit d'y
aller.
L'état du Roi, qui n'étoit plus ignoré de personne, avoit
déjà changé le désert de l'appartement de M. le duc d'Or-
léans en foule. Je lui proposai d'aller à la revue, et, sous
prétexte d'honorer dans M. du Maine l'autorité du Roi
1. C'est en ce sens que l'Académie de i7t8 donnait cet exemple :
« On appelle tigurcmcnt vn homme échappé de juif un homme qu'on
soupçonne d'être de race juive. »
2. Tome XV. p. -io!).
3. Il semble cepondant, en y réfléchissant, que le duc du Maine ne
pouvait savoir d'avance que le Roi serait dans l'impossibilité de passer
en revue la g;r'ndarmerie ef le chargerait de le faire à sa place ; par
conséquent il n'aurait pu faire confectionner à temps un uniforme au
petit Dauphin. On voit que la passion continue à égarer notre auteur.
L'abbé Mascara, dans une lettre du 27 août (ci-après, p. 347), parle
ae cet habit du jeune Dauphin.
* Le mot Mon a été ajouté après coup.
[17151 T>E SAINT-SIMON. 203
même, dont il étoit revêtu pour cette revue, de l'y suivre
en courtisan, comme il auroit fait le Roi même, de lui
répondre sur ce ton s'il avoit voulu s'en défendre, de
s'attacher à lui malgré lui, d'affecter de ne lui parler
jamais que chapeau bas, comme il auroit fait au Roi, et
de le devancer de cinquante pas en approchant de ses com-
pagnies de gendarmerie', pour l'y saluer à leur tête, et
de le joindre après, et le suivre chapeau bas dans leurs
rangs, en même temps de donner fréquemment le coup
d'œil à sa suite et aux troupes, de n'y laisser pas ignorer
le sarcasme par ses manières respectueusement insultan-
tes, et d'y montrer ce roi de carton pâmé d'effroi et d'em-
barras. Outre le plaisir de lui marcher ainsi sur le ven-
tre- au milieu de son triomphe, il y avoit tout à gagner
par l'impression de la peur, et par montrer aux troupes,
aux spectateurs, et par eux à la cour et à la ville, quelle
est la force de la nature sur l'usurpation, et que, s'il ne
s'opposoit à rien pendant la vie du Roi, qui en étoit aux
derniers jours, il n'étoit pas pour laisser jouir ce bâtard
des avantages qu'il avoit su se faire donner à son préju-
dice, et à celui du droit et des lois. M. d'Orléans n'avoit
rien à craindre ; le Roi avoit fait tout ce qu'il avoit pu par
ses dispositions contre lui et pour ses bâtards ; personne
n'en doutoit, ni n'en pouvoit douter, ni M. le duc d'Orléans
non plus. Rien donc à perdre dans cette conduite, dont
même l'extérieur, quelque ironique qu'il fût, n'auroit pu
fournir aucune plainte; et encore à qui? et qu'eût pu
faire ce Jupiter mourant? et au contraire tout à gagner
en intimidant le duc du Maine et les siens, et se mon-
trant, lui, tel qu'il devoitêtre à toute la France. Je voulois
aussi qu'il s'y montrât nu et sans suite ^; que tout ce qui
i. Les gendarmes et les chevau-légers d'Orléans.
2. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 donnait celte locution
analogue au figuré: « En parlant d'un homme qui a été excessivement
maltraité on dit qu'on lui a dansé à deux pieds sur le ventre. »
;>. Tout seul et sans accompagnement.
-204 M KM 01 H ES [171. S]
se voudroil ramasser' autour de lui. Il le renvoyât avec
un respect de dérision à M. du Maine ; (juc, sur tout ce
qui regarderoit la revue, il s'en expliquât comme le der-
nier particulier à qui on feroittrop d'honneur d'en parler,
et qui ne se senti rttit pas en caractère d'y répondre; que,
pour ses propres compagnies, il fît auprès du duc du
Maine le personnage d'un oflicier captant sa protection
auprès du Roi, dans le compte qu'il lui en dcvoit rendre,
en même temps que lui-même lui rendoit compte de ses
compagnies, et lui en présenteroit les ofliciers en les fai-
sant valoir comme il auroit fait au Roi même, mais avec
un respect insultant et finement menaçant. J'avoue que,
s'il eût été possible, j'eusse acheté cher de pouvoir être
alors M. le duc d'Orléans pour vingt-quatre heures. Tel
qu'étoit M. du Maine, je ne sais s'il n'en seroit pas mort
de peur. La présence d'un Dauphin de cinq ans ne devoit
rien déconcerter. II n'étoit en âge que de recevoir des
respects; tout le reste demeuroit au duc du Maine, et,
hors de sa présence, même tous les respects, puisqu'il y
tenoit la place du Roi. Mais la foiblesse de M. le duc
d'Orléans ne fut pas capable d'une si délicieuse comédie.
Il alla à la revue; il y examina ses compagnies; il salua
à leur tête Monseigneur le Dauphin; il s'approcha peu de
M. du Maine, qui pâlit en le voyant, et dont l'embarras et
l'angoisse frappa tout le monde, qui le laissa j)Our accom-
pagner toujours M. le duc d'Orléans, sans qu'il y mît
rien du sien. Tout ce qui se trouva à la revue se montra
indigné de la voir faire au duc du Maine, M. le duc
d'Orléans présent ; qu'eût-ce été si ce prince eût eu la
force de s'y conduire comme je l'en avois pressé? Il le
sentit après, et il en fut honteux; je m'en servis pour lui
donner plus de courage. La gendarmerie même fut indi-
gnée, et n<' s'en cacha pas, quelque soin que le Roi prît
de publier et de faire valoir, aux heures où il voyoit
1. Il y a dans le manuscrit un second se avant ramasser.
[1715] DE SAINT-SIMON. 'iOo
encore le monde, et aux officiers de la gendarmerie, les
éloges et les merveilles du compte que le duc du Maine
lui avoit rendu de ce corps'. Le public trouva cette com-
mission fort étrange, et le duc du Maine ne gagna rien à
se l'être fait donner, quelques flatteries qu'il eûtemployées
envers ce corps pendant et après cette revue. Il voulut,
dans son extrême embarras, et qui fut visible à tout ce
qui s'y trouva, en faire les honneurs à M. le duc d'Orléans,
qui se contenta de lui répondre qu'il n'étoit venu que
comme capitaine de gendarmerie, qui n'accepta rien, et
qui s'en retourna après avoir vu ses compagnies, et avoir
salué Monseigneur le Dauphin à leur tête. La gendarme-
rie fut aussitôt après renvoyée dans ses quartiers-. Ce fut
là où M. le duc d'Orléans et le duc du Maine sentirent
les prémices de ce qui les attendoit. Tout y courut au
premier, et laissa l'autre, qui en demeura confondu; les
troupes mêmes furent frappées du contraste. Le public
s'en expliqua durement et librement, et trouva que cette
fonction étoit due à M. le duc d'Orléans, si par un prince ',
ou par un maréchal de France ou un officier général dis-
tingué, pour en rendre simplement compte au Roi.
Je me donnai en miniature '^ de particulier le plaisir que Je me joue de
M. le duc d'Orléans n'avoit osé prendre en prochain ^"^ *^ artrain.
régent du royaume. J'allai voir Pontchartrain, chez qui
je n'allois presque jamais, et j'y tombai comme une
bombe % chose toujours plus triste et plus fâcheuse pour
1. D'après Dangeau (p. 99), le Roi dit le soir aux courtisans qui
étaient à son souper : « Le duc du Maine m'a rendu un compte magni-
fique de la gendarmerie ». La lettre de l'abbé Mascara du 27 août
(ci-après, p. 347) raconte cette revue avec des détails tout à fait parti-
culiers, qu'il dit tenir de bonne source.
2. Dangeau annonce ce renvoi le 23 août (p. 101).
3. Si elle était faite par un prince.
4. Saint-Simon écrit mignature, et le Dictionnaire de V Académie
de 1718 disait: « Miniature; on prononce ordinairement mignature,
et plusieurs l'écrivent ainsi. « Ici c'est le sens figuré de diminutif.
3. Le Dictionnaire de l'Académie ne donnait pas cette locution figurée.
206 .MKMOinES [171".)
la bomho quo pour conx <|iii la roçoivont ', mais qui pour
cette fois ne le fut que pour la compagnie, et me lit un
double plaisir. Les ministres étoient fort en peine de leur
sort. La terreur du Roi les retenoit encore : aucun d'eux
n'avoit osé se tourner vers M. le duc d'Orléans; la vigi-
lance du duc du Maine et la frayeur de Mme de Mainte-
non les tenoit de court, parce qu'il restoit encore assez
de vie au Roi pour les chasser, et qu'ils n'auroient pu en
ce cas se flatter d'être regardés par M. le duc d'Orléans
comme ses martyrs, mais seulement comme martyrs de
leur tardive politique. Je voulus donc jouir de l'embarras
de Pontchartrain, et me donner le plaisir de me jouera
mon tour de ce détestable cyclope. Je le trouvai enfermé
avec Bezons et d'Effîat; mais ses gens, après un instant
d'incertitude, n'osèrent me refuser sa porte. J'entrai donc
dans son cabinet, où le premier coup d'œil m'offrit trois
hommes assis si proches les uns des autres, et leurs tètes
ensemble, qui se réveillèrent comme en sursaut à mon
arrivée, avec un air de dépit que j'aperçus d'abord, et
qui se changea aussitôt- en compliments qui tenoient du
désordre que mon importune présence leur causoit. Plus
je les vis empêtrés et interrompus dans le petit conseil
qu'ils tenoient, plus je m'en divertis, et moins j'eus envie
de me retirer, comme j'aurois fait en tout autre temps. Ils
l'espéroient ; mais, comme ils virent que je me mis à par-
ler de choses indifférentes, en homme qui ne songeoit pas
qu'il les incommodoit, Etiiat fit sèchement la révérence,
Bezons aussitôt après, et s'en allèrent. Pontchartrain, qui
jusqu'alors n'avoit ni recueilli ' ni fait aucun cas de Bezons,
avoit réclamé leur parenté' quand il sentit son besoin
I. Il vput dire qu'arriver à l'improviste dans une compagnie où l'on
n'est ni attendu ni désiré est toujours plus gùnant pour celui qui arrive
que pour la compagnie.
•1. Aussy tost est en interligne au-dessus de d'abord, bilTé.
3. Au sens d'accueillir favorablement, corn me dans notre tome V, p. 173.
'f. La parenté du maréclial de Bezons et de Jérôme de Pontchartrain
venait de ce que le grand-père du «f»rond U- «'rrrlaire d'Ktat Louis I*""
flTlo] DE SAINT-SIMON. 207
auprès de M. le duc d'Orléans. 11 en fit son patron, et
Bezons, que son attachement à M. le duc d'Orléans avoit
fourré parmi ses officiers', et qui s'étoit fait ami d'Effiat,
i'avoit mis dans les intérêts de Pontchartrain. Dès qu'ils
furent sortis, j'eus la malice de lui dire que je crojois les
avoir interrompus, et que j'aurois mieux fait de les laisser.
Pontchartrain, à travers les compliments, me l'avoua assez
pour me donner lieu à lui dire qu'il étoit là avec deux
hommes bien en état de le servir. L'agonie où il sentoit
sa fortune l'aveugla au point de ne pas voir que je ne
cherchois qu'à le faire parler pour me moquer de lui, et
d'oublier assez ses forfaits et tout ce qui s'étoit passé
entre lui et moi-, pour se flatter de ma visite, et me par-
ler avec une sorte de confiance ornée de respects à lui
jusqu'alors inconnus. Je n'eus pas"* même la peine de me
l'attirer par des compliments vagues et des propos de cour;
il s'enfila* de lui-même, me conta ses peines, ses inquié-
tudes, son embarras, son apologie enfin, à l'égard de M. le
duc d'Orléans, m'avoua qu'il avoit eu recours à Bezons,
et par lui à d'Effiat, vanta l'amitié et les bontés, car ce
roi des autres^ se ravala jusqu'à ce mot, qu'il recevoit
Phélypeaux avait épousé Marie-Suzanne Talon, fille de Jacques Talon,
avocat général au Parlement, et que, d'autre part, le grand-père du
maréchal, Claude Bazin, trésorier de France, avait eu pour femme
Suzanne Talon, sœur de Jacques, tous deux enfants d'Omer I*^"" Talon,
chancelier de la reine Marguerite de Navarre.
1. Gela ne veut pas dire que, par attachement, il ait pris une charge
dans la maison du prince, mais seulement que cet attachement le
faisait se mêler à ses ofticiers.
2. Voyez nos tomes XXI, p. 347 et suivantes, et XXIII, p. 303 et
suivantes.
3. Avant pas, Saint-Simon a biffé point, cl, plus loin, les mots la
peine sont en interligne.
4. « S'enfiler se dit au trictrac, quand on a mis son jeu dans un tel
désordre qu'on ne peut éviter de perdre le tour ou plusieurs trous »
(Académie, 4718).
5. Comparer sur ce point le portrait qu'il a fait do .lérôme de Pont-
chartrain en ilW : tome XXI, p. 377.
-iUS MKMlHUKS flTIa]
d'eux, et revint ton jours à ses inquiétudes, lardant' par-ci
par-là des demi-mots qui marquoient combien il desiroit
ma protection, et combien il étoit embarrassé de n'oser
tout à fait me la demander. Après m'êlre longtemps réjoui
à l'entendre ramper de la sorte, je lui dis que je m'élon-
nois qu'un homme d'esprit comme lui, qui avoit tant d'usage
de la cour et du monde, pût s'inquiéter de ce qu'il * devien-
droit après le Roi, qui en etîet (le regardant bien fixe-
ment) n'en avoit pas, à ce qu'il paroissoit, pour longtemps;
qu'avec sa capacité et son expérience dans la marine, dans
laquelle il pouvoit compter qu'il n'étoit personne qui
approchât de lui, M. le duc d'Orléans seroit trop heureux
de le continuer dans une charge si nécessaire et si princi-
pale, et dans laquelle un homme comme lui ne pouvoit
être succédé par personne qui en eût la moindre notion.
II me parut que je lui rendoisia vie ; mais, comme il étoit
fort prolixe, il ne laissoit pas de revenir à ses craintes,
que je me plus diverses fois à appuyer à demi, à voir
pâlir mon homme, puis à le rassurer par ces mêmes dis-
cours qu'il étoit un homme nécessaire dans sa place,
duquel il n'étoit pas possible de se passer, et qui par là,
sûr de son fait, pouvoit vivre en paix et n'avoir besoin
de personne. Cette savoureuse comédie que je me donnai
dura bien trois bons quarts d'heure. J'y eus grand soin
de n'y pas dire un seul mot qui sentît l'offre de service,
l'avis, ni l'amitié passée ; je n'eus que la peine de lâcher
de fois à autre quelques mots pour entretenir son tlux de
bouche^, et j'y appris que Bezons et d'EHiat s'étoient ren-
dus ses protecteurs. J'étois journellement assuré par M. le
duc d'Orléans qu'il ne le laisseroit pas en place, en décla-
rant le choix des membres du conseil de marine, et je
m'applaudissois ainsi de ma secrète dérision en face, et de
1. Nous avons eu lardé, au sens d'entremèk-, dans le tome XV
p. 97.
•2. Qui corrigé en qu'il.
'.'). Tome IX. {). i^.
fl74o] DE SAINT-SIMON. 209
me voir si sûr et si près de lui tenir la parole dont j'ai
parlé en son temps'.
Desmaretz, qui ne se- sentoit pas mieux assuré que Je mepnse
Pontchartrain, se souvint alors que j'étois au monde.
Louville, gendre du frère de Mme Desmaretz^ me vint
parler pour lui. Il étoit, comme on l'a vuS de tout temps
mon ami intime ; il n'ignoroit pas la conduite que j'avois
eue avec Desmaretz, ni ses procédés avec moi^. Il m'étala
ses respects, ses regrets, ses désirs, et les appuya de son
esprit et de son éloquence. Je ne m'ouvris point avec lui
de l'expulsion de Desmaretz résolue ; mais je lui dis qu'il
étoit désormais trop tard de se repentir à mon égard, et
nettement que Desmaretz étoit un homme dont je m'étois
bien su passer jusqu'alors, et dont je ne voulois ouïr par-
ler de ma vie. Cette éconduite^ fut suivie d'une lettre de
la duchesse de Beauvillier, pressante au dernier point, qui
parloit aussi au nom de la duchesse de Chevreuse', et
qui, pour dernier motif, vouloit me toucher en faveur de
Desmaretz par sa capacité pour les finances, et par les
besoins de l'Etat à l'égard d'une partie si principale. Je
répondis tout ce que je pus de plus respectueux, de plus
dévoué, de plus soumis, pour faire passer le refus inébran-
lable sur Desmaretz, sans m'expliquer d'ailleurs sur ce
qu'il avoit à craindre ni à espérer, tellement que la fer-
meté de ces deux refus me délivrèrent^ de sollicitations
1. Tome XXIII, p. 307.
'2. Se, oublié, ajouté en interligne.
3. Le marquis de Louville avait épousé Hyacinthe-Sophie Béchameil
de Nointel (tome XI, p. 98), tille de Louis Béchameil, marquis de
Xointel, frère de Madeleine Béchameil, mariée au contrôleur général
Desmaretz.
4. Notre tome II, p. 4.
5. Il en a rapporté un exemple dans le tome XXV, p. TT-79.
6. Ci-dessus, p. 138.
7. Toutes deux tilles de Colbert et cousines de Desmaretz.
8. Il y a bien dans le manuscrit délivrèrent, et purent à la ligne
suivante, par accord avec l'idée des deux refus.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XX VU 14
-ilO MÉMOIRES [1715]
nouvelles, et purent auginonter les frayeurs de |ce] brutal
et insolent ministre, et les regrets à mon égard de sa folle
ingratitude.
Le Roi, Qq même iour, jeudi 22 août, que le duc du Maine fit
hors detal de i i," • i i i i • i i> • i
s'habiller, '^u lieu du Uoi la revue de la gendarmerie, le noi ordonna
veut choisir le à SOU couclier au duc de la Hochefoucauld de lui faire
prcmirr habit ■ i i i i- i i i -i l • • i •
qu'il ^''^"" '^' lendemain matm des habits, pour choisir celui
prendra. qui lui conviendra en quittant le deuil 'd'un fils de .Mme la
rf^^.^ duchesse de Lorraine qu'on appeloit le prince François-,
qui avoit vingt-six ans, et les abbayes de Stavelol et de
Malmédy '. On voit ici combien il y avoit qu'il ne marchoit
plus, qu'il ne s'habilloit plus même les derniers jours
qu'il se fit porter chez Mme de Maintenon, qu'il ne sortoit
de son lit que pour souper en robe de chambre, que les
médecins couchoient dans sa chambre et dans les pièces
voisines, enfin qu'il ne pouvoit plus rien avaler de solide,
et il comptoit encore*, comme on le voit ici, de guérir,
puisqu'il comptoit de s'habiller encore, et qu'il voulut se
choisir un habit pour quand il le pourroit mettre. Aussi
voit-on la même suite de conseils, de travail, d'amu-
sements ; c'est que les hommes ne veulent point mou-
rir, et se le dissimulent tant et si loin qu'il leur est pos-
sible.
Le vendredi 23 août se passa comme les précédents \ Le
1. Dangeau rapporte bien cela le 2"2 août (p. 100), mais en disant
que le Roi avait donné cet ordre la veille.
2 Fran(,ois de Lorraine, cinquième lils du duc Charles V et de
Mario-Eiéonore d'Autriche; il riait né le 8 décembre 1081) et mourut
de la petite vérole le -H juillet 4715; la cour en avait pris le deuil le
41 août pour quinze jours {Dangeau, tome XV, p. 464, et tome XVI,
p. 9). Sa mère était morte en 4007, et Saint-Simon en le qualiliant de
« fils de Mme la duchesse de Lorraine » a certainement cru qu'il était
fils d'Élisabelh-Cliarlotle d'Orléans, so'ur du Ré^jent, alors duchesse
régnante de Lorraine, tandis qu'il était son beau-lrèrc.
3. Tome VII, p. 94, et note 4.
4. Encore a été ajouté sur la marge à la (in de la lij;ne.
5. Los Anthoine {Journal, p. 37) mentionnent encore un grand bain
pour sa jambe ce jour-là.
[4745] DE SAINT-SIMON. 241
Roi travailla le matin avec le P. Tellier' ; puis, n'espérant
plus pouvoir voir la gendarmerie, il la renvoya dans ses
quartiers -. La singularité de ce jour-là fut que le Roi ne
dîna pas dans son lit, mais debout, en robe de chambre.
11 s'amusa après avec Mme de Maintenon, puis avec les
dames familières ^ Pendant tous ces temps-là, il faut se
souvenir que les courtisans un peu distingués entrèrent
à ses repas, ceux qui avoient les grandes ou les pre-
mières entrées à sa messe et à la fin de son lever, et au
commencement de son coucher, M. le duc d'Orléans
comme les autres, et que le reste des journées que les
conseils ou les ministres laissoient vuides, étoient remplies,
comme quand il étoit debout, par ses bâtards, bien plus
M. du Maine que le comte de Toulouse, et souvent M. du
Maine y demeuroit avec Mme de Maintenon seule, et
quelquefois avec les dames familières, entrant et sortant
toujours, comme à son ordinaire, par le petit degré du
derrière des cabinets \ en sorte qu'on ne le voyoit jamais
entrer ni sortir, ni le comte de Toulouse; Mme de Main-
tenon et les dames familières toujours par les anticham-
bres. Les valets intérieurs étoient comme à l'ordinaire
avec le Roi, quand il n'y avoit que ses bâtards ou per-
sonne, mais peu lorsque M, du Maine étoit seul avec lui.
Il a fallu conduire la maladie du Roi, jusqu'à la veille de
son extrémité, avec ce qui s'est passé alors, sans en faire
1 . Saint-Simon répétera ci-après p. 253, avec plus de détails, le récit
de la journée du "23 août. Les Anthoine disent que ce fut ce jour-là
que le Roi écrivit son second codicille, tandis que Saint-Simon le placera
(ci-après, p. 259) au 24 ou au 25. Dans l'appendice au Journal de Dan-
geau (tome XVI, p. 285), ce codicille est daté du 23 aoiit, comme
dans la copie tigurée faite par le gretlier du Parlement Gilbert de
Voisins (Archives nationales, carton K 137, n" 4^; ci-après, p. 36t).
2. Dançjeau, p 404 ; ci-dessus, p. 205.
3. « Il fut assez gai à son dîner, dit Dangeau, et badina fort avec
moi sur des plans que Mme de Dangeau lui a fait voir de ce qu'elle
veut faire faire à Dangeau. »
4. Voyez ci-après, p. 254, le plan des appartements du Roi, et aussi
p. 262.
des ducs.
^li-l MÉMOIRES [nir.|
perdre de vue la suite par un trop long r«''cit (jui y fût
«'•tranger, pour y conserver Tordre des choses. La même
raison veut surtout que tout ce qui appartient à son
extrémité jusqu'à sa fin soit encore moins interrompu :
c'est ce qui m engage à placer ici tout de suite ce (jui
n'auroit pu l'être en sa place précise sans déranger cette
suite et la netteté que je m'y suis proposée. Pour en con-
server l'ordre sans l'altérer, il faut maintenant retourner
un peu sur ses pas, et aller tout de suite un peu au delà
du jour où nous en sommes, pour reprendre après cet
espèce de journal où nous le laissons présentement, pour
ne le plus interrompre jusqu'à la mort du Roi.
Misère La noire politique du duc et de la duchesse du Maine
ne s'étoit pas bornée à se rassurer contre les ducs par les
suites de la cruelle affaire du bonnet, qu'ils avoient exprès'
suscitée, conduite et terminée de la manière qui a été
expliquée-. Elle avoit donné lieu à plusieurs ducs de se
contenir ensemble, et à veiller à ce qu'aucun ne vît le
premier président. M. d'Aumont et fort peu d'autres se
démanchèrent ^. Le procédé de celui-là fâcha sans étonner :
toute sa conduite n'avoit été équivoque que pour qui
n'avoit pas voulu avoir des yeux, et ressembloit trop à
celle de toute sa vie pour avoir pu s'y méprendre S La vé-
rité est que les ducs ne paroissoient pas propres à se sou-
tenir sur rien depuis longtemps. L'esprit d'intérêt parti-
culier, de mode, de servitude, une ignorance profonde
et honteuse, incapacité de tout concert entre eux, le sot
bel air de faire les honneurs'^ de ce qui n'appartient à nul
4. Le mot exprès a été ajouté en interligne.
± Tome XXVI, p. i-6o.
3. « On dit ce parti commence à se démancher pour dire qu'il com-
mence à se ruiner, à se désunir, à se détruire ; il est du style fami-
lier » (^Académie, 1718).
4. Kotre auteur l'a traité de « pigeon privé » du duc du Maine
(tome XXVI, p. 43) et a montré alors le « personnage étrange » qu'il
avait joué.
o. D'après le Dictionnaire de V Académie de 1718, « on dit faire
[17151 DE SAINT-SIMON. 2i3
particulier d'entre eux, et de s'y croire montrer supérieur
en en faisant sottement litière à tout ce qui en profite en
se moquant d'eux, l'habitude de leur continuelle déca-
dence, étoientà tout des obstacles pour eux, et des raisons
à chacun pour leur tirer des plumes*. On a vu, et on
l'exposera encore mieux -, quel fut toujours le Roi à cet
égard, en général, pour tout ce qui ne fut ni bâtard ni
ministre ; ainsi large facilité contre les ducs, jusque par
eux-mêmes. Le nombre, sans cesse augmenté et peu choisi,
et la malapprise ^ jeunesse de plusieurs ducs par démis-
sion de leurs pères augmentoit l'inconsidération et la
jalousie, et ces ducs, qui ne se soutenoient ni ne son-
geoient pas seulement à être soutenus, ne savoient que
s'avilir tous les jours. Quoique^ les personnes sans titre,
et souvent de la première qualité, fissent sans cesse des
alliances fort basses, celles de cette sorte que faisoient
les ducs sembloient les mêler davantage, et marquer plus
par la distinction de leur rang, qui irritoit dans les du-
chesses de cette sorte les dames de qualité : celles surtout
qui l'étoient aussi par elles-mêmes^ s'en rendoient plus
les honneurs de la maison, pour dire, faire à ceux qui y viennent les
cérémonies convenables » ; mais ce n'est pas ici le sens de cette locu-
tion, dont le Dictionnaire de Trévoux donne une définition plus
exacte : « On dit figurément faire les honneurs d'une personne, d'une
chose, pour dire, en parler modestement comme d'une personne ou
d'une chose qui nous appartient. »
l. « On dit arracher à quelqu'un une plume de l'aile, quand on lui
ôte quelque chose de considérable » (Académie, 1718). Tirer des plu-
mes à quelqu'un veut dire le dépouiller de quelque avantage, de quel-
que prérogative.
•2. Dans le tome XXJ, p. 185-186, Saint-Simon a parlé de l'antipa-
thie de Louis XIV pour la dignité ducale, et dans la suite des Mémoi-
res (tome XII de 1873, p. 14) il reviendra sur son hostilité pour la
naissance et les dignités.
3. Saint-Simon emploie ici ce mot au sens d'ignorant, plutôt que de
mal élevé. L'Académie ne l'admettait pas encore en 1718.
4. L'abréviation de que est ajoutée après quoy, pour faire quoyque.
5. Les dames qui étaient de qualité par elles-mêmes.
2!4 MÉMOIRES [1715]
libres à hasarder avec ces duchesses', à ne leur ren-
dre pas ce qui leur iHoit dû, et réciproquement celles-ci,
embarrassées et plus souples, à glisser et à suppor-
ter.
D>ic M. et Mme tlu Maine, qui n'ignoroient pas celte situa-
pt duchesse du , • • 1 1- ■ i . . • f ^ . • f i
^j ■ tion, ni (jue I ignorance et la sottise ne lut aussi protonde
oicitcnt avec et aussi vastemcnt n'pandue parmi les gens sans tilre (jue
plein succès pQp,|,i \qs, ducs, s'appi itjuèrent à en profiter, et à saisir
gens de qualité l'occasion de l'éclal de la fin de l'alTaire du bonnet pour
^* encourager les gims non titrés contre les ducs, et brouiller
soi-disant tels . ° " , / i . • •. • i • ' • < p'
contre lesducs ceux-ci avec le même éclat qui avoit si bien réussi a 1 e-
gard du Parlement. Le duc du Maine suppléoit aux vertus
par les talents les plus noirs et les plus ténébreux; il en
avoit fait de continuelles épreuves. On a vu jusqu'à quel
point il s'y étoit surpassé pendant la campagne de Lille-.
Eh ! plût à Dieu qu'il s'y lût borné ! Après ces coups de
maître, son art pouvoit-il trouver quelque chose de dif-
ficile? Il le mit en œuvre par le même soin et les mêmes
émissaires qui l'y avoient si bien servi, et qui de nou-
veau se surpassèrent, ainsi que lui même et la duchesse du
Maine. D'abord on se contenta de sonder, de jeter des
propos, de cultiver, après de rassembler, mais dans les
ténèbres. Il falloit d'abord infatuer un nombre de sots
glorieux et ignorants, pour s'en servir à en recruter d'au-
tres, attirer des personnes de cette espèce de naissance
distinguée, piquer ceux du commun de la vanité de penser
comme celles-là, et de l'honneur de s'unir à elles par un
intérêt dont la communauté leségaloit à eux, faire en même
temps que les gens de qualité souffrissent, puis se prê-
tassent à ce difforme assemblage, par leur faire sentir la
nécessité du nombre pour réussir par le fracas, en les
flattant après le succès d'une séparation d'alliage qui ne
1 Avpc l'>s duchesses de basse extraction.
2. Dans le récit des inlrif^ues contre le duc de Bourgogne lors de la
défaite d'Audenarde il n'a parlé qu'incidemment du rôle du duc du
Maine (tome XVI, p. 2i-2 et 246)
[nio] UE SAINT-SIMON. 245
se pourroit, disoit-on*, refuser après le besoin passé, et
par ces ruses, faire un groupe où toutes sortes de gens
pussent entrer, se donner le beau nom collectif de no-
blesse, et, par un très grand nombre si bien dupé et
masqué, causer un si grand bruit, que les ducs ne pussent
penser qu'à la défense, bien loin de pouvoir attaquer les
bâtards réunis parla première et la seconde adresse à la
robe et à la soi-disante noblesse contre eux*, et en état
avec cette double multitude de faire la loi au Régent, qui
fut' la double vue du duc et de la duchesse du Maine. Ce
crayon sufîira pour le présent; il y aura lieu bientôt de le
changer en tableau, quand l'usage de cette folle cohue
sera devenu plus dangereux^ pour le gouvernement^. C'en
est assez ici pour expliquer ce qu'en sut faire le duc de
Noailles, non moins bon ouvrier, et en même genre et
goût, que le duc du Maine. On ne peut mieux exalter son
infernal talent, ni faire en même temps une comparaison
plus exactement juste.
J'ai dit plus haut^ que le duc de Noailles m'avoit fait Abomination
une proposition absurde, que j'avois fort rejetée, et qu'il ^^ NoaiUes
n'étoit pas temps d'expliquer; c'est maintenant ce qu'il 11 me propose
s'agit de faire. C'étoit qu'à la mort du Roi tout ce oui se ^ele faire
11 '1 11 *""" premier
trouveroit de ducs a la cour allassent ensemble saluer le ministre.
nouveau Roi à la suite de M. le duc d'Orléans et des [Add.S-S. 1-^38]
princes du sang. Je ne sais si dès lors il étoit informé du
mouvement qui se préparoit parmi la noblesse ; je ne
l'étois point encore, et le secret en étoit alors entier. Il
revint souvent à la charge là-dessus sans avoir pu m'é-
branler ni répondre aux raisons que je lui alléguai, et qui
i. Disoit on a été ajouté en interligne.
2. Eux est en interligne, au-dessus de les Ducs, biffé.
3. Ce qui fut.
4. Il y a au manuscrit devenue et dangereuse par mégarde.
5. Dans le récit des années 1716 et 4717 (suite des Mémoires, tomes
XII de 4873, p. 323-328, et XIII, p. 375-422).
6. Ci-dessus, p. 471.
^2\e MÉMITIHES [1715J
seront mieux plus bas en leur place. 11 en parla à d'autres
ducs pour essayer de ni'ébranler, et se servit pour cela
des diverses petites assemblées qui, à mesure que le Roi
baissoit, se faisoient chez divers ducs sur la conduite à
tenir au Parlement sur le bonnet, et qui se référoient des
unes aux autres par quelqu'un de ces diverses petites
assemblées'. Il s'en tenoit aussi chez moi, indépendam-
ment desquelles mon appartement étoit toujours assez
rempli d'amis particuliers, curieux de tout ce qui se pas-
soit d'un moment à l'autre en des temps si vifs et si inté-
ressants, et bientôt je fus averti que les entours de mon
appartement étoient assiégés- nuit et jour de valets de
chambre et de laquais de toutes sortes de personnes de la
cour, pour voir qui y entroit et sorloit, et pénétrer cequi
s'y passoit, autant que ces dehors le pouvoient permettre.
Un soir d'assez bonne heure que je montai chez le duc
de Noailles ', que je trouvai seul, il se mit à raisonner avec
moi pour tâcher de me déprendre du projet de la convo-
cation des États généraux, et, à travers mille louanges
d'un si beau dessein, dont il sentoit pour lui les entraves
etcombienill'éloigneroit du but qu'il s'étoit proposé dans
sa passion pour l'administration des finances, il tâcha
d'en présenter les embarras et les difllcultés. 11 s'échappa
après à essayer de me faire sentir le danger de la multi-
tude avec un prince tel qu'étoit M. le duc d'Orléans, puis
l'avantage de la solitude avec lui. Il bavarda longtemps
sans dire grand'chose ; peu à peu s'échaufFant comme
exprès dans son harnois*, mais possédant toute son
1. On trouvera ci-après, aux Additions et Corrections, un extrait des
Mémoires du duc d'An tin, où il est parlé de ces assemblées des ducs.
2. Saint-Simon, trompé par le mot appartement, a écrit estait
assiégé, au singulier, dans le manuscrit.
.3. Il a dit ci-dessus, p. 493, que l'appartement du duc de Noailles
était au-dessus du sien.
4. M On dit ligurément s'échauffer duns son harnois pour dire, par-
ler de quelque chose avec beaucoup de véhémence et d'émotion »
(Académie, \'iS).
[1713] DE SAINT-SIMON. 217
âme', ses paroles et jusqu'à ses regards : «Vous n'avez pas-
voulu, me dit-il, des finances (M. le duc d'Orléans le lui
avoit dit) ; vous ne voulez vous charger directement de
rien; vous avez raison. Vous vous réservez pour être de
tout, et vous attacher uniquement à M. le duc d'Orléans;
au point où vous êtes avec lui, vous ne sauriez mieux
faire. En nous entendant bien, vous et moi, nous en
ferons tout ce que nous voudrons ; mais, pour cela,
ajouta-t-il, ce n'est pas assez des finances : il me faut les
autres parties ; il ne faut point que nous ayons à compter
avec personne. »
J'écoutois avec un profond étonnement une ouverture
si personnelle, si démasquée, si peu mesurée sur M. le
duc d'Orléans et sur le bien de l'État, et je pointois^ mes
oreilles et mon entendement à pénétrer où il vouloit se
conduire par de si étranges propos, lorsqu'il me mit hors
du soin de la recherche. « Des Etats généraux, poursui-
vit-il, c'est un embrouillement dont vous ne sortiriez point!
J'aime le travail ; je vous le dirai franchement ; c'est une
pensée qui m'est venue ; je la crois la meilleure : encore
une fois, agissons de concert, entendons-nous bien ; faites-
moi faire premier ministre, et nous serons les maîtres. —
Premier ministre ! » interrompis-je avec l'indignation que
son discours m'avoit donnée, que j'avois contenue, et que
cette fin combla: « Premier ministre, Monsieur! Je veux
bien que vous sachiez que, s'il y avoit un premier ministre
à faire, et que j'en eusse envie, ce seroit moi qui le serois,
et que je pense aussi que vous ne vous persuadez pas
que vous l'emportassiez sur moi ; mais je vous déclare
que, tant que M. le duc d'Orléans m'honorera de quelque
part en sa confiance, ni moi, ni vous, ni homme qui vive
ne sera jamais premier ministre, dont je regarde la place
1. In patientia vestra possidebitis animas vestras (Evangile selon
saint Luc, chapitre xxi, verset 19).
2. Pas ajouté en interligne.
3. Pointer est ici au sens de diriger, comme on dit pointer un canon.
548 MÉMOIRES [47ir>l
et le pouvoir comme le fléau, la peste, la ruine d'un État,
l'opprobre et le geôlier d'un roi ou d'un régent qui se
donne ou se soufi're ce maître, duquel, pour tout partage,
il n'est plus (|ue l'instrument et le bouclier'. » J'ajoutai
encore quelques mots à cette trop véritable et naïve
peinture, les* yeux toujours collés sur mon homme, sur
le visage et toute la contenance duquel l'excès de l'em-
barras, du dépit, du déconcerlement étoit peint, et néan-
moins assez maître de lui-même pour soutenir une appa-
rente tranquillité, juscju'à me répondre qu'il n'insistoit
point, d'un air le plus détaché, le plus indifl'érent, qu'il
avouoit que cette pensée lui étoit venue et lui avoit paru
bonne. On peut juger qu'après cela la conversation lan-
guit, et ne dura qu'autant que nous pûmes nous séparer
honnêtement et nous délivrer d'un tête-à-tète devenu si
pesant à tous les deux. On doit penser aussi que mes
réflexions furent profondes. Elles étoient pourtant bien
éloignées encore de ce que l'on va voir et qu'il n'est pas
temps d'interrompre. M. de \oailles me vit dès le lende-
main, et toujours comme s'il n'eût pas été question entre
nous du premier ministère. Nous vécûmes quelques
jours de la sorte, qui gagnèrent les derniers jours du Roi ;
car il en vécut encore trois depuis ce que je vais^ raconter.
i. Saint-Simon roviendra abondammont sur Ii's dangers et les incon-
vénients d'un premier ministre dans la suite des Mémoires (tome XV
de iK73. p. 3-27-3-28, et XIX, p. lG-'20 et 33-40). Louis XIV, en pre-
nant le pouvoir après la mort de Mazarin s'était bien promis de ne
jamais reprendre de premier ministre, et il en donne les raisons, con-
formes à celles de Saint-Simon, dans ses Mémoires (édition Dreyss,
tome II, p. 3Ho-3H6 et 431) Il conseilla aussi cette conduite à Phi-
lippe V, lorsque celui-ci partit pour l'Espagne en 1700. Bussy-Rabulin
{Mi'moires, tome II, p. iOi-103) les appelait les « seconds maîtres » de
l'Elat, et montrait que les courtisans avaient bien plus de disposition
et d'intérêt à l'aire leur cour au premier ministre qu'an Hoi lui même.
2. Ce les surctiarge une r, sans doute la première lettie de regar-
dant.
3. Vais est en interligne, à la suite de viens, de, biiïé, et au-dessus
d'un premier vais, aussi biffé.
[4715] DE SAINT-SIMON. 219
J'ai déjà dit' que l'état désespéré et pressant du Roi Proposition
avoit engagé les ducs à voir entre eux, par petites assem- ducdeNoaill
es
blées particulières sans bruit, quelle seroit leur conduite d'une
sur l'atTaire du bonnet, qui s'alloit nécessairement^ pré- "o^i^'cau^e
senter lorsqu'ils iroient au Parlement pour la régence, et soutient contre
qu'on se référoit des uns aux autres ce qui se passoit en toutes
• I w o I • I .1 1 ™^^ raisons.
ces petites assemblées, sur les six heures ou sept heures
du soir, le duc de Noailles vint dans ma chambre, où
Mailly, archevêque de Reims, les ducs de Sully\ la Force,
Charost, je ne sais plus qui encore, et le duc d'Humières,
quoiqu'il ne fût pas pair, traitions cette matière, depuis
peu de moments qu'ils étoient arrivés. On continua avec
le duc de Noailles, qui ne dit pas grand'chose, et qui
presque incontinent interrompit l'affaire du bonnet, et
proposa la salutation du Roi futur comme il me l'avoit
expliquée^ J'en fus d'autant plus surpris qu'après m'en
avoir importuné sans cesse, il y avoit plus de quinze
jours qu'il ne m'en parloit plus, et que je le croyois rendu
à mes raisons, puisqu'il avoit cessé d'insister et de m'en
parler. Je lui en témoignai mon étonnement et combien
j'étois éloigné de goûter une nouveauté de cette nature.
Il faut remarquer que les mouvements de la noblesse
dont j'ai parlé" éclatoient fortement alors depuis quelques
jours, et faisoient la nouvelle et un sujet principal de
toutes les conversations. M. de Noailles insista, m'inter-
rompit, prit le ton d'orateur, l'air d'autorité, se dit
appuyé de l'avis des ducs qui s'étoient vus chez le maré-
chal d'iiarcourt ', et, à force de poumons beaucoup plus
1. Ci-df^ssus, p. 216. — Dit, oublié, a été rerais en interligne.
2. Avant cet adverbe, Saint-Simon a biffé necesser, mal écrit.
3. Les mots ou 7 h. ont été ajoutés en interligne.
4. Avant Sully, il a biffé la For[ce\, sans doute pour les inscrire
par ordre d'ancienneté de pairie, mais peut-être aussi en vue de l'allu-
sion qu'il va faire ci-après, p. 2-28, à la présence de M. de Sully chez lui.
5. Ci-dessus, p. "iio.
6. Ci dessus, p. 214-213.
7. On a vu dans le tome XXVI, p. 4, 10 et o6, que c'était déjà chez
a?0 MEMOIRES \iur^]
forts que los niions', mena la parole, et toujours étoun"anl.
la mienne. De colère et cl impatience je montai sur le
gradin de mes fenêtres et m'assis sur l'armoire-, disant
que c'étoit pour être mieux entendu, et que je voulois
aussi parler à mon tour. Je m'exprimai avec tant de feu,
ijue ces Messieurs tirent taire Noailles, qui toujours
vouloit continuer, qui m'interrompit d'abord une fois
ou deux, et à qui j'imposai à la lin, en lui déclarant
que je voulois être entendu, et que nous n'étions pas là
pour être devant lui à plaît-il-maître'*. Ces Messieurs
voulurent m'écouter, et l'obligèrent à me laisser parler.
Je leur dis que ce que le duc de Noailles proposoit* étoit
une nouveauté dont on ne trouvoit pas la moindre trace,
ni dans rien qui fût écrit de l'avènement de pas un roi à
la couronne, ni dans la mémoire d'aucun homme, dont
pas un n'avoit jamais parlé de rien de semblable à l'avé-
nement de Louis XIV à la couronne; que cette première
salutation se faisoit toujours sans ordre, à mesure que
chacun arrivoit, plus tôt ou plus tard, à la difTérence de
l'hommage, qui quelquefois s'étoit rendu au premier lit
de justice; mais qu'en cette première salutation on ne
voyoit pas que les princes du sang même eussent jamais
afïecté de l'aller faire ensemble ; que d'entreprendre de le
faire ne pouvoit rien acquérir aux ducs ; (|u'au mieux il
demeureroit qu'ils auroient salué le Roi de la sorte, ce
(jui, ne s'étant jamais fait en cérémonie et ne s'y faisant
lui que s'étaient tenues diverses réunions des ducs pour l'afTairc du
bonnet.
d. Dans le portrait du duc de Noailles (tome XXVI, p. '^^G), il l'a
peint d'une « corpulence de paysan » ; on sait que Saint-Simon était
petit et malinj^re.
2. L'armoire basse, qui se trouvait alors fréquemment dans le bas
des fenêtres et qui, quand elle était un pou bauto, était précédée d'une
marche ou gradin pour permettre de s'approcher do la fonétre.
3. Locution déjà relevée dans notre tome XVIII, p. "234.
4. Proposait, oublié, a été ajouté sur la marge à la lin d'une
ligue.
[1715] DE SAINT-SIMON. 221
là même par nuls' autres, ne tiendroit lieu de rien aux
ducs; qu'ils paroîtroient seulement les plus diligents, dont
ils ne tireroient nul avantage sur les princes étrangers,
puisqu'il n'y avoit jamais eu, en cette occasion, de cérémo-
nie, ni sur les gens de qualité, tant par cette raison que
par celle qu'ils n'avoient jamais été en nulle compétence-
avec eux en rien, ni prétendu quoi que ce soit sur eux ;
que, n'y ayant point de cérémonie en cette première salu-
tation, à la ditïerence de l'hommage quelquefois rendu
au premier lit de justice, il n'y en auroit aussi rien
d'écrit, par conséquent rien qui pût faire passer cette
salutation en usage, encore moins en avantage, et qui ne
pourroit en mériter le nom; par conséquent, que rien ne
pouvoit appuyer cette proposition ; qu'en même temps
qu'on n'y trouvoit que du vuide à acquérir, elle pouvoit
devenir fort nuisible dans l'effervescence qui éclatoit
parmi les gens de qualité, et non même de qualité, à l'égard
des ducs, semée et fomentée par le duc et la duchesse du
Maine, qui se sauroient bien servir d'une nouveauté qu'ils
feroient passer pour une entreprise ; que la noblesse pren-
droit aisément à ce hameçon, s'offenseroit de ce que les
ducs, étant allés ensemble sans que cela se fût jamais
pratiqué, auroient voulu non-seulement faire bande à
part, mais corps à part de la noblesse ; que ceux à qui je
parlois n'ignoroient pas que l'odieux de cette idée de
corps à part commençoit à y être semé, à être imputé^
aux ducs avec une fausseté même sans apparence, mais
avec une malignité et un art qui y suppléoit; que le meil-
leur moyen de la confirmer étoit d'y donner cette occa-
sion, qui, toute éloignée qu'elle en étoit, seroit montrée,
donnée et reçue de ce côté-là; que le Parlement ne de-
1. Nuls est en interligne, au-dessus d'un premier nuls, bifle.
2. Au sens de compétition, comme dans les tomes III, p. 242, et
IV, p. 99.
3. Il y a dans le manuscrit semée et imputée, se rapportant au mot
idée.
222 MEMOIRES flTin]
manderoit pas mieux que de iasciner la noblesse avec ces
prestiges; (jue l'intrièt du Parlement, le même en cela
que celui de M. et de Mme du Maine, étoit de la séparer
et de la brouiller avec les ducs; que c'étoit à ceux-ci à
sentir combien il étoit du leur d'être unis à la noblesse,
leur corps et leur ordre commun ; qu'occupés de plus
forcément de l'aflaire du bonnet, ils n'avoient pas
besoin d'ennemis nouveaux et en si prodigieux nombre;
qu'enfin, à comparer le néant de l'avantage de cette
salutation avec les inconvénients infinis et durables
qu'il entraîneroit et qu'il étoit évident par les dispo-
sitions présentes qu'il ne pouvoit manquer d'entraîner,
je ne comprenois pas qu'on pût balancer un instant.
Je donnai encore plus de force et d'étendue à ce que je
rapporte ici en raccourci. Noailles répliqua, cria, se dé-
battit, soutint qu'il n'y avoit rien que de sûr dans ce qu'il
proposoit, rien que de foible dans ce qui étoit objecté,
et, sans avoir pu articuler une seule raison, même appa-
rente, ce fut une impétuosité de paroles soutenue d'une
force de voix qui entraîna les autres comme d'efiroi sans
les persuader. Je repris la parole à diverses reprises, et,
voyant enfin que cela dégénéroit en dispute personnelle,
où l'étourdissement des autres les empêchoit de montrer
grande part, je les attestai de ma résistance et du refus
net, ferme, précis de mon consentement; j'ajoutai que je
ne me séparerois point de mes confrères, mais que j'espé-
rois que ceux à qui on en parleroit seroient plus heu-
reux que moi à leur faire faire d'utiles et de salutaires
réflexions, et je finis, tout à fait hors de voix, par protester
de tous les inconvénients infinis et très suivis que j'y
voyois et que je déplorois par avance.
J'avois représenté au duc de Noailles, dès les premières
fois qu'il m'avoit fait cette proposition tête à tête, outre
les raisons qu'on vient de voir, qu'il falloit toujours
considérer un but principal que rien ne devoit faire
perdre de vue, et n'y pas mettre des obstacles si aisés à
[4715] DE SAINT-SIMON. 223
éviter; que ce but étoit de tirer la noblesse en général de
l'abaissement et du néant où la robe et la plume l'avoient
réduite, et pour cela la mettre dans toutes les places du
gouvernement qu'elle pouvoit occuper par son état, au
lieu des gens de robe et de plume qui les tenoient, et
peu à peu l'en rendre capable, et lui donner de l'émula-
tion; d'étendre ses emplois, et de la relever de la sorte
dans son être naturel ; que, pour cela, il falloit être unis,
s'entendre, s'aider, fraterniser, et ne pas jeter de l'huile
sur un feu que M. et iMme du Maine excitoient sans cesse,
car dès lors il paroissoit*, parce qu'ils comprenoient que
leur salut consistoit à brouiller tous les ordres entre eux,
surtout celui de la noblesse avec elle-même, comme le
salut de la noblesse consistoit en son union entre elle, à
lacjuelle on ne devoit cesser de travailler; que rien n'étoit
si ignorant, si glorieux, si propre à tomber dans toutes
sortes de panneaux et de pièges que cette noblesse; que
par noblesse j'entendois ducs et non-ducs; que les ducs
ne dévoient songer qu'à découvrir à ceux qui n'étoient
pas ducs ces panneaux et ces pièges; que, pour le faire
utilement, il en falloit être aimés, et que, puisqu'en eflet
il s'agissoit d'un intérêt commun, dans un moment de
crise dont on pouvoit profiter pour la remettre en lustre,
et qui, manqué une fois, ne reviendroit plus, il ne falloit
pas tenter leur ignorance, leur vanité, leur sottise par
une nouveauté qui, à la vérité, ne leur nuisoit en rien,
puisqu'en aucune occasion la noblesse non titrée ne pou-
voit être et n'avoit jamais été en égalité avec la noblesse
titrée, moins encore la précéder, mais qui, étant nou-
veauté, et dans les circonstances présentes de l'égarement
de bouche que M. et Mme du Maine souffloient avec tant
d'art et si peu de ménagement, il étoit de la prudence
d'éviter toutes sortes de prétextes et d'occasions dont la
noblesse non titrée se pouvoit blesser, quelque mal à
i. Car dès lors ce feu paraissait.
^2-24 M K MOIRES flTiSl
propos cjue ce tùl, cl ne songer qu'à relever les ducs et
elle tout ensemble, travailler à un rétablissement com-
mun, qui, peu à peu, rendant à chacun sa considération,
remettroit chacun en sa jilace, ouvriroit les yeux à tous,
et feroit sentir à la noblesse non titrée la malignité dos
pièges et des panneaux qu'on lui auroit' tendus, l'igno-
rance de son propre intérêt, combien il en étoit d'être
unie aux ducs; que, tous ne pouvant- être ducs, mais le
pouvant devenir, chercher à abattre les distinctions des
ducs étoit vouloir abattre sa propre ambition, puisque
cette dignité en étoit nécessairement le tiernier période\
et qu'en cette différence de ceux qui avoient ou qui
n'avoient pas de dignité, la France étoit semblable à tous
les royaumes, républiques et Etats de l'univers, où il y
avoit toujours eu des dignités et des charges; des gens
qui n'en avoient pas, quoique quelquefois d'aussi bonne
et de meilleure maison que ceux qui avoient des charges
ou des dignités, avec toutefois grande différence de rang et
de distinction entre ceux qui en ont et ceux qui n'en ont
pas, et qui mettoit les uns au-dessus des autres sans que
personne s'en fût jamais blessé, et sans quoi le Roi et ses
sujets seroient sans récompense à donner ni à recevoir, et
toute émulation éteinte, sinon médiocre* et personnelle
uniquement. Tant de raisons, et qui^ à chaque fois que le
duc de Noailles me parla, ne trouvèrent en lui aucune répli-
que, mais un enthousiasme de sécurité et d'entêtement, au-
roient persuadé l'homme le moins éclairé et le moins rai-
sonnable, et je me flattois enfin d'y avoir réussi, parce
qu'il y avoit plus do quinze jours qu'il avoit tout à fait
i. Cet auroit est en interligne, au-dessus d'avoit, biiïé.
2. Poiivoient a été corrigé en pouvant, on biiïant la dernière syllabe
et en écrivant ant en interligne.
3. Avant période, Saint-Simon a bifîé un second d"".
4. Avant médiocre, il y a personnelle, biffé.
5. Ici le manuscrit porte dont et non qui, par inadvertance de
l'auteur.
[1715] DE SAINT-SIMON. 2-io
cessé de me parler de cette folie, lorsqu'au moment que
j'avois lieu de m'y attendre le moins, il vint chez moi, en
apparence sur le bonnet, en effet pour cette scène qu'il
avoit préparée; c'est que rien ne persuade qui met son
plus cher intérêt à ne l'être ou à ne le paroître pas'. On
va voir qu'il ne pensa jamais sérieusement à cette nou-
veauté, qu'il n'en avoit parlé à aucun autre duc que cette
fois dans ma chambre, que la pièce n'étoit jouée que
pour moi, et l'usage pour lequel il l'avoit imaginée. Le
duc de Noailles étant sorti, j'en dis encore mon avis à
ceux qui étoient dans ma chambre, qui ne purent nier
que je n'eusse toute la raison possible, et qui, de guerre
lasse, parce que la conférence avoit été longue et infini-
ment vive, s'en allèrent. Plein de la chose, je passai dans
la chambre de Mme de Saint-Simon, à qui je contai ce qui
venoit de se passer, et avec qui je déplorai une démence
si parfaitement inutile à réussir, et dont les suites devien-
droient aussi pernicieuses.
Les ducs qui s'étoient trouvés dans ma chambre, et qui . j v n
i _ ' n duc de .Noailies
ne faisoient que d'en sortir, n'eurent pas le temps de m'impute
parler à aucun autre duc de ce qui avoit fait chez moi ^* proposition
. , , ' 1 1 1 • w ^^® J 3V01S SI
cette manière de scène. Des ce moment, cette belle idée puissamment
de salutation du Roi se répandit en prétention, vola de combattue,
bouche en bouche. Coëtquen, beau-frère de Noailies, et contre moi.
fort lié avec lui, quoique fort peu avec sa sœur-, courut
le château, ameutant les gens de qualité, qui, comme je
l'avois prévu et prédit, prirent subitement le tour et le
ton que j'avois annoncé ^ tellement que, le soir même, ce
fut un grand bruit qui se fomenta toute la nuit en allées
et venues, et dont Paris fut incontinent informé. Outre
l'affluenceque l'extrémité du Roi, la curiosité, les divers
1. A n'être pas persuadé ou à ne pas le paraître.
2. On a vu clans le tome III, p. 311-314, Malo-Auguste, marquis de
Coëtquen, épouser en 1696 Marie-Charlotte de Noailies; il a aussi été
parlé alors de la mauvaise entente du ménage et de sa cause.
3. Ci-dessus, p. US.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XX VII 13
2i6 MÉMOIRES [HiS]
intérêts, l'attcMile de ce (|ui alloit suivre ce },m';iiuI événe-
ment, altiroient ' à Versailles, ce bruit de la salutation y
amena encore une infinité de monde, et les plus petits
compagnons s'empressèrent et s'honorèrent d'augmenter
le vacarme pour s'agréger aux gens de qualité, (jui le
souffroient par ne s'en pouvoir défaire, et dans la fougue
d'augmenter le tumulte par le nombre. Le tout ensend)le
s'appela la noblesse, et cette noblesse pénétroit partout
par ses cris contre les ducs. Ceux-ci, qui, à l'exception de
ceux qui s'étoient trouvés dans ma chambre, n'avoient pas
ouï dire un mot de cette salutation du Koi, n'entendirent
que lentement et à peine de quoi il s'agissoit, qui, partie
de timidité de cet ouragan subit, partie de pique de
n'avoir point été consultés, se mirent aussi à déclamer
contre leurs confrères. Mais ces confrères qu'on ne nom-
moit point, et contre qui l'animosité devenoit si furieuse
et si générale, ne demeurèrent pas longtemps en nom
collectif. Saint-Hérem le premier-, plusieurs autres
après, vinrent avertir Mme de Saint-Simon que tout tom-
boit uniquement sur moi, comme sur le seul inventeur et
auteur du projet de cette salutation, dont l'autorité nais-
sante avoit entraîné un petit nombre de ducs malgré eux,
à l'insu des autres. Ces Messieurs ajoutèrent à Mme de
Saint-Simon que je n'étois pas en sûreté dans une émo-
tion si générale et si furieuse, et qu'elle feroit sagement
d'y prendre garde. Sa surprise fut d'autant plus grande,
qu'elle n'ignoroit rien de tout ce (jui s'étoit passé là-des-
sus entre Noailles et moi ; mais elle monta au comble
lorsqu'elle apprit du même Saint-Ilérem, et de plus de
dix autres encore, et pour l'avoir ouï dcleui'soieilles, que
c'étoit Noailles qui soutlloit ce feu, (jui me donnoitpour
l'auteur et le promoteur unique de ' cette salutation, et
•1. Il y a attiroit au singulier, dans lo manuscrit.
"2. Charli;s-Louis de Monlmonn, marquis de Saint-IIércm (tome III,
p. 25), avait épousé une cousine germaine de la maiécliale de Lorge.
3. Il y a ici dans le manuscrit que au lieu de de.
[1715] DE SAINT-SIMON. 227
soi-même pour celui qui s'y étoit opposé de toutes ses
forces. Ce dernier avis fut donné et confirmé à la duchesse
de Saint-Simon vers le soir de la surveille de la mort du
Roi, laquelle se fit bien expliquer et répéter qu'ils l'avoient
eux-mêmes entendu de la bouche du duc de Noailles, qui
allait le semant partout lui-même, et par Coëtquen et
d'autres émissaires.
Le hasard lit que, le lendemain matin, elle rencontra le Étrange
duc de Noailles dans la galerie, qui étoit lors remplie à embarras de
. . Noailles
toute heure de toute la cour, où il passoit avec le cheva- avec
lier depuis duc de Sully '. Elle l'arrêta et le tira dans 1» duchesse de
l'embrasure d'une fenêtre. Là, elle lui demanda d'abord
ce que c'étoit donc que tout ce bruit contre les ducs.
Noailles voulut glisser, dit que ce n'étoit rien, et que cela
tomberoit de soi-même. Elle le pressa, et lui ne cherchoit
qu'à se dépêtrer; mais, à la fin, après lui avoir déduit en
peu de mots l'excès de ces cris et de ces mouvements pu-
blics, pour lui faire sentir qu'elle en étoit bien instruite,
elle lui témoigna sa surprise d'apprendre qu'ils tomboient
tous sur moi. Là-dessus Noailles s'embarrassa, et l'assura
qu'il ne l'avoit pas ouï dire ; mais, Mme de Saint-Simon
lui répondant qu'il devoit savoir mieux que personne qui
étoit l'auteur et le promoteur de ce projet de salutation du
Roi, et qui le contradicteur, par ce qui s'étoit passé en-
core la surveille là-dessus dans ma chambre, Noailles
l'avoua, tout comme la chose a été ici racontée, et qu'il
étoit vrai que c'étoit lui qui l'avoit proposé, et que je
m'y étois toujours opposé, et lui toujours persévéré. Alors
Mme de Saint-Simon lui demanda pourquoi donc il s'en
excusoit et me donnoit pour l'auteur et le promoteur de
cette invention. Noailles, interdit et accablé, balbutia une
foible négative. Il essuya tout de suite de courts, mais de
cruels reproches de tout ce qu'il me devoit, et de la noire
i. Saint-Simon fait ici une grosse confusion; voyez ci-après aux
Additions et Corrections.
■l'IX MÉMOIRES \\l\l\]
et perfide calomnie dont il ineii payoit. Ils se séparèrent
de la sorte, elle dans le fi'oid d'une indignation si juste,
lui dans le désordre d'une foible et timide négative, et le
désespoir de la découverte de son crime, des aveux arra-
chés sur tout ce qu'il me devoit, et de ceux encore que la
force de la vérité avoit malgré lui tiré ' de sa bouche
sur les véritables auteurs et contradicteurs de ce projet
de salutation. Une le(;on si forte et si peu attendue, et en
présence du frère d'un des ducs qui s'éioit trouvé dans
ma chambre à la scène du duc de Noailles et de moi là-
dessus, n'étoit pas pour changer un scélérat consommé
dans un crime pourpensé - et amené de si loin, dont il
commençoitsi bien à goûter ce qu'il s'en proposoit, et que
ce succès animoit à poursuivre jusqu'au but qu'il s'en
étoit promis. Il eut beau protester à Mme de Saint-Simon
qu'il diroit partout combien je m'étois opposé à ce projet,
il étoit bien éloigné d'une palinodie^ si subite, et si des-
tructive de ses projets particuliers. Il continua donc, par
tout ce qu'il avoit mis en campagne et par lui-même, à
répandre les mêmes discours qui avoient si parfaitement
réussi à son gré ; mais personnellement il prit mieux garde
devant qui il parloit, et il fut très attentif à m'éviter par-
tout et Mme de Saint-Simon aussi, même en lieux publics,
autant qu'il lui fut possible.
Je ne fus informé que tard de cette exécrable perfidie,
J apprends «..ti i ii'-iii
la scélératesse et de tout SOU etiet. Alors seulement les écailles me tom-
dcNoailles*. bèrent des yeux ^ Je commençai à comprendre la cause
de cette étrange idée de salutation du Roi, et de cette
4. Tiré, sans accord, a été ajouté en interligne.
'2. Tome XXVI, p. 59 et 357, ci-dessus, p. 53 et ci-après, p. 2-29.
3. « Palinodie, rétractation de ce qu'on a dit. Il n'est guère d'usage
que dans cette phrase : Chanter la palinodie » (Académie, 1718).
4. Les lexiques du temps ne mentionnaient pas cette locution; la
dernière édition du Dictionnaire de l'Académie dit qu'elle signitie que
les yeux se sont dessillés.
•A la fin de cette manchette, Saint-Simon a biiïi' Son projet, qui va se
retrouvera la manchette suivante.
(17151 DE SAIXT-SIMOX. 119
fermeté encore plus surprenante à la soutenir, malgré
mes raisons invincibles au contraire. Je revins à ce qui
s'étoit nouvellement passé entre Noailles et moi sur la
place de premier ministre ; je me rappelai son ardeur
pour les finances, sa traîtreuse' conduite avec Desmaretz,
depuis que je savois qu'il pensoit à lui succéder, et sur-
tout depuis qu'il en avoit l'assurance. Je me rappelai
aussi- son éloignement doux, mais adroit et constant, de
la convocation des Etats généraux, et je me souvins que,
deux jours avant ce dernier éclat, j'avois inutilement
pressé M. le duc d'Orléans de songer promptement, et
avant tout, à donner les ordres pour la faire, lui qui jus-
que là n'avoit respiré autre chose. Enfin je vis qu'un guet- Monstrueuse
apens ^ de si loin et si profondément pourpensé, si con- ^"^j^^oâilles- ^
tradictoire à toute vérité, si subit, si à bout portant, et son affreux
dans une telle crise de toute espèce de choses et d'affaires, . ^} . ^
• 1 c • 1 I • p 1 1 • • 11)* • protond projet,
etoit le fruit de la plus infernale ambition, et de 1 ingrati-
tude la plus consommée. Sans ressource auprès du Roi et
de Mme de Maintenon, aussi mal avec Mgr et Mme la
duchesse de Bourgogne, et, par même forfaiture, en abo-
mination à la cour d'Espagne*, guères mieux à la nôtre»
qui l'avoit mieux reconnu que moi, brouillé avec M. et
Mme la duchesse d'Orléans, rebuté de tous les ministres
excepté de Desmaretz % son esprit me trompa. Je le crus
1. Le seul adjectif admis par les lexiques de l'époque était traître
et traîtresse ; cependant on trouve un exemple de traîtreuse dans les
Lettres de Mme de Sévigné, recueil Capmas, tome II, p. 97, et nous
conservons encore l'adverbe traîtreusement. Saint-Simon dira un traî-
treux conseil dans la suite des Mémoires, tome XII de 4873, p. 342;
mais il a parlé de nature traîtresse au tome XXI, p. 9.
2. Aussy en interligne.
3. Saint-Simon écrit guet à pend, comme au tome XV, p. 283.
4. Dans le tome XXII, p. 182 et suivantes, on a vu les causes pré-
tendues de la disgrâce du duc de Noailles auprès de Philippe V. —
Avant d'Espagne, Saint-Simon a biffé un premier d'Espa corrigeant
de Fran[ce].
5. Tome XXII, p. 191.
230 MÉMOIRES [17151
droit, capable, utile ; sa faute en Espagne ne me parut
qu'un égarement d'emportement de jeunesse, de cour, et
daft'aires, qu'il étoit vrai que Mme des Ursins portioit'; je
vainquis la répugnance du duc de Beauvillier à cetégard,
et pour le fils et le neveu du maréchal et du cardinal de
Noailles; je le mis bien avec lui à force de bras, puis par
lui avec M. le duc de Bourgogne-, qui apaisa Mme la du-
chesse de Bourgogne; je le raccommodai avec M. et
Mme laduchesse d'Orléans'; je l'y maintins à force mal-
gré tous ses douteux ménagements ; en lin je forçai ce
prince à lui destiner les finances et à tii'er son oncle du
fond de l'abîme pour le mettre à la tète des affaires ecclé-
siastiques^, dernière chose qui mettoit le comble au solide
du neveu, quoique ce dernier point ne fût pas directe-
ment pour lui. Tant de puissants coups frappés en sa
faveur excitèrent sa jalousie au lieu de reconnoissance. Il
sentit qu'il faudroit compter avec moi; il ne vouloit
compter avec personne, mais^ être le maître, dominer,
gouverner, en un mot être premier ministre. Je n'en puis
douter, puisqu'il me proposa tie lui faire donner celte
épouvantable place. Ce n'étoit pas que de plus loin il n'eût
conçu le dessein de me perdre, dans l'espérance de de-
meurer après le maître de tout. Ce fut pour cela qu'il
conçut cette idée de salutation du Roi pour l'usage qu'il
m'en préparoit, et qui l'empêcha si constamment de se
rendre à mes raisons, quoiqu'il ne leur en pût opposer
aucune. Il voulut avant tout essayer de me faire donner
dans ce piège, pour publier avec vérité ce qu'il répandit
avec tant de calomnie, et ne se* rebuta point de tâcher
de m'y faire tomber. Mais, auparavant, il voulut faire un
4. Il veut dire que Mme des Ursins perdait les affaires en Espagne.
2. Tome XXII, p. -203 et suivantes.
3. Ibidem, p. 201-202.
4. Ci-dessus, p. 10 et 47.
.^. Le mot mais a ('■lé ajouté sur la margf.
6. Se en interligne.
(1715] DE SAINT-SIMON. 231
dernier essai de mon crédit, dont il s'étoit si bien trouvé
et si fort ' au-dessus de ses espérances, pour se faire par
moi premier ministre, pour s'en assurer davantage. Déses-
pérant de m'y faire travailler, il se garda bien d'en mon-
trer son dépit ; il n'avoit garde aussi de se montrer refroidi
dans in dessein qui, jusqu'à son éclat, vouloit la môme
union oour le rendre plus certain ; il hâta donc son der-
nier etiort dans ma chambre pour me faire tomber dans
ses filels, et, n'y pouvant réussir, il ne tarda plus un ins-
tant à onsommer sa perfidie par la plus atroce scélératesse,
et la calomnie la plus parfaite que le démon, possédant
un homme, lui puisse faire exécuter. Les espérances les
plus flatteuses s'en présentoient à lui avec la plus parfaite
confimce que, de quelque façon que ce fût, je n'en pour-
rois échapper. Un cri public, une noblesse ramassée, igno-
rante, furieuse, répandue partout, me devoit être une
source de querelles et de voies de fait au moins fréquen-
tes, et dont les suites, même en s'en tirant avec succès, ont
des recherches - légales, longues et fort embarrassantes.
Cette ressource de combats particuliers et de querelles
avec tout le monde lui parut immanquable. Si, contre
toute attente, je sortois heureusement d'un si dangereux
labyrinthe, il se flattoit que M. le duc d'Orléans ne pour-
roit jamais conserver dans les affaires, dans sa confiance
publique, dans les places, un homme en but^ à toute la
noblesse, qui se portoit publiquement contre lui. Enfin, si,
contre toute apparence, M. le duc d'Orléans ne selaissoit
ni vaincre ni étourdir par ce bruit, le dépit d'essuyer de
la part du public une injustice si criante, si universelle*,
si continuelle, et d'un public fou en ce genre, à l'ivresse
duquel il ne me seroit pas possible de faire entendre
i. Les mots et si fort ont été ajoutés en interligne, comme aussy,
quatre lignes plus bas.
2. Recherches est en interligne au-dessus de suittes, biffé.
3. Il y a bien en but, et non en butte, dans le manuscrit.
4. L'adjectif universelle remplace en interligne publique, biffé.
5H-2 MKMOIRKS [ITloJ
aucune raison, moins encore de lui persuader la vt'TÎté
sur ce qui le meltoit en fureur, me feroil d'indiynition
quitter la partie, et le délivreroit au moins ainsi de moi.
Couric \ tout' ce qu'on vient de voir qui a |)n''cédé cet éclat
et qui 1 a accompai,Mie, on ne peut soup(;onner ce r;ison-
nement {rimpiihition la plus Iri^^'-i'e. Il est vrai que c'est
un raisoniK'incnt de drnion, ducpiel il a toutes les juali-
té? : pi'olDiuleur, noirceur, calonuiie, attentat à tout, assas-
sinat-, aMd)ition sans bornes, ingratitude exquise, eft'onte-
rie sans mesure, méchanceté de toute espèce la plusiti-oce,
scéléralesse la plus rallinée, la plus consommée; nais il
est vrai aussi que ce raisonnement en a toute l'étendue,
la réllexion, l'esprit, la finesse, la justesse, l'adresse; que
la conjoncture de l'exécution en couronne toute la Dru-
dence qui s'y pouvoit mettre, et que le tout ensemble est
sublimement' marqué au coin du prince des démons, qui
seul l'a pu inspirer et conduire. Je bornerai là le pej de
réflexions que je n'ai pu me refuser sur une conduitiî de
ténèbres si digne du vrai * fils du père du mensonge et du
séducteur du genre humain.
J'éclate sans \\ n'étoit pas difficile d'imaginer à quoi m'alloit porter
Noailles* ^^^ ^^"^ perfidie; l'éclat aussi fut tel et si subit, qu'il
qui ne fut pas difiicile d'y mettre tous les obstacles qui l'em-
j.lie lesjpaules pochèrent, d'autant que Noailles évita avec un soin ex-
snit sa pointe trème toute l'encoutre, dont il ne se^ crut pas assez en
parmi sûreté dans le château de Versailles pour s'y hasarder,
la noblesse, ri i > • i- i
et Ma ressource tut donc le témoignage que rendirent les
■1. Saint-Simon avait commencé ce paragraphe par ces mots: 7/ est
vray qiie ce rainoiinem' a ; il a corrigé n en A pour commonccr sa nou-
velle phrase et a biflé tout ce qui précédait.
"1. « Assassinat se dit jtar exaspération d'un outrage fait de dessein
formé, d'une trahison noire » (Académie, t7IH).
3. Cet adverbe est ajouté en interligne.
4. L'adjectif vray a été encore ajouté en interligne.
5. Ce pronom est ajouté aussi en interligne.
' Noaillcis siircliart;e lui/.
[d7io] DE SAINT-SIMON. 28.S
ducs témoins de ce qui s'étoit passé dans ma chambre, cabale des ducs
)•] !• . Il* L 1 • i'i' contre moi.
qu ils rendirent public, et ce^ que mes amis non titres
prirent soin de répandre. J'en parlai aussi à tout ce que
je trouvai sous ma main avec une force qui n'épargna ni
choses ni termes sur le duc de Noailles, qui nomma tout
par son nom, les choses par le leur, et que je répandis à
tous venants. Je m'expliquai en mêmes termes à M. le duc
d'Orléans ; mais la conjoncture étoit si chargée d'affaires
les plus importantes, et de ces pressantes bagatelles qui
prennent nécessairement alors le temps même des affai-
res, que cet accablement des derniers moments, pour ainsi
dire, du Roi, ne permirent^ guères d'attention suivie à
une affaire particulière. Noailles, qui m'évita jusque chez
M. le duc d'Orléans, où il craignit mes insultes, même
en ^ sa présence, outré de tout ce qui lui revenoit de toutes
parts des propos sans mesure que je tenois sur lui, s'arma
de toile cirée^ et de silence pour les laisser glisser, et
poussa sa pointe parmi la noblesse, sur le gros de laquelle
le témoignage des ducs qui s'étoient trouvés chez moi avec
le duc de Noailles, ni ceux de mes amis de leurs confrères
sur mes sentiments à l'égard de la noblesse, ne les put
ramener^. Noailles avoit bien pris ses mesures pour les
mettre et les entretenir dans l'opinion et la furie qui lui
convenoit sur moi.
Il ne faut pas demander si M. et Mme du Maine surent
profiter d'une si favorable occasion à leurs intérêts et à
leur disposition pour moi ; plus que tout quand la chose
fut une fois enfournée. L'envie et la jalousie générale de
la figure que personne ne douta que je n'allasse faire par
un Régent avec qui j'avois les plus anciennes, les plus
1. Ce, ajouté en interligne, modifie le sens de la phrase.
2. Il y a bien permirent, au pluriel, dans le manuscrit, quoique le
sujet soit au singulier.
3. Mesme en en interligne, au-dessus de jusqu'en, biffé.
4. Les lexiques du temps ne donnaient pas cet emploi figuré.
5. Cette dernière partie de la phrase est d'une syntaxe tout à fait
incorrecte.
Î34 MÉMOIRES \\l\l\]
importantes, les plus uniques liaisons, qui lui avois i-endu
les plus signalés services, qui étois demeuré le seul homme
dont rattachement pour lui avoit été fidèle et public sans
craindre les menaces ni les plus grands dangers, et qui
étois le seul dans toute sa confiance et vu publi(|uement
tel, cette gangrène du monde', a voit gagné même des- ducs;
Noailles en sut profiter. Son abattement depuis son rappel
d'Espagne avoit émoussé l'envie et la jalousie sur lui;
celle qu'on prenoit de moi avoit toute sa force dans le
moment naissant d'une splendeur prévue toujours bien
au-dessus de ce qui arrive en cfTet. Par Canillac, ami
intime de la Feuillade, il se lia à lui: on a pu voir par
divers traits qu'ils étoient tous deux assez homogènes;
par la Feuillade, avec les ducs de Villeroy et de la Hoche-
foucauld, lequel rogue, glorieux, et aussi envieux que
son père, avec aussi peu d'esprit, n'avoitpu me pardonner
la préséance sur lui, ni son beau-frère, un avec lui. Riche-
lieu, jeune étourdi alors, plein d'esprit, de feu, d'ambi-
tion, de légèreté, de galanterie, apprenoit à voler sous
les ailes de la Feuillade, que le bel air avoit rendu son
oracle, et*, cousin germain de Noailles par sa femme*,
et uni à lui par la protection ouverte de Mme de Mainte-
non, se promit bien de figurer par ces Messieurs, qui,
pour s'autoriser d un homme de poids, firent des assem-
bléeschezle maréchal d'Ilarcourt% ami de la Rochefoucauld
et de Villeroy, et qui par Mme de Maintenon éfoit de tout
temps en mesure avec Noailles. Ilarcourt ne me vouloit
point de mal ; on a vu en divers endroits qu'il s'étoit ouvert
1. L'onvie,.... celte gangrène du monde.
2. Les corrigé en des.
3. Apiès cet et, il y a dans le manuscrit un qui inutile, rendant la
phrase incorrecte.
4. La ductiesse de Richelieu, Anne-Catherine de Noailles, élait
fille du marquis de Noailles, frère cadet du maréchal père du duc dont
il est ici question.
5. On a déjà vu (tome XXVI, p. i, dO et 56, et ci-dessus, p. 219)
qu'il s'était tenu chez lui auparavant diverses assemblées de ducs.
[1745] DE SAINT-STMON. 235
fort librement à moi sur les bâtards et sur d'autres choses;
qu'il avoit tenté plus d'une fois liaison et union avec moi,
à laquelle la mienne avec M. de Beauvillier n'avoit pu me
permettre de me laisser entraîner'. Comme l'autre n'avoit
fait que tenter, ma retenue n'avoit pu nous brouiller;
mais elle avoit diminué la bienveillance, et d'ailleurs il
étoit fort opposé en dessous à M. le duc d'Orléans, ainsi
que la Rochefoucauld, Villeroy et la Feuillade ; néanmoins
il ne fut que leur ombre. Ses diverses attaques d'apo-
plexie l'avoient extrêmement abattu; il n'étoit plus que la
figure extérieure d'un homme, et sa tête ne pouvoit s'ap-
pliquer, ni sa langue, embarrassée déjà, s'expliquer bien
aisément; mais ce groupe suppléoit, et se couvroit de son
nom pour séduire autant de ducs qu'ils purent. La Feuil-
lade me haïssoit de tout temps, sans que j'en aie jamais
pu découvrir la cause, plus encore comme l'ami de M. le
duc d'Orléans, et comme l'envie même, qui surnageoit à
tous ses autres vices. Depuis la disgrâce de Turin % dont
il n'avoit pu se relever du tout, il avoit fait le philosophe
sans quitter le bel air. Il avoit cherché à capter les gens
importants par leur état ou par leur réputation, surtout
parmi ceux qui étoientou faisoient les mécontents. Il avoit
fait extrêmement sa cour au marquis de Liancourt^, qu'il
trompa par ses belles maximes et qui s'en sépara à la fin
hautement, et, par Liancourt, qui étoit plein d'esprit,
d'honneur, de savoir et de probité, qui n'étoit qu'un avec
la Rochefoucauld son frère et le duc de Villeroy, il se
lia étroitement avec eux.
M. de Luxembourg, le plus intime ami de ces trois je me
hommes, par leur ancienne union avec feu M, le prince raccommode
4. Tomes XVIII, p. 43, XXI, p. 4.i9-t6l, et ci-dessus, p. 78.
2. En i70fi: tome XIV, p. 92 et suivantes.
3. Il a dit dans le tome XXVI, p. 3i8 (où il est déjà question de
toute cette cabale à demi hostile au Régent) que le marquis de Lian-
court, frère du duc de la Rochefoucauld, « avoit de l'esprit et du sens
pour eux tous ».
-236 MÉMOIRES fi715|
avec le duc de (Je Conti'. fut do oompas^tiie envahi par la Fouillade.
Luxcmbourc; , , .... , ."^ , \n
son caraci.-re. L'Uxenioourg eloil un loit liomme d honneur, qui avoit a
peine le sens commun, rectifié par le grand usage du
meilleur et du plus grand monde où son père l'avoit initié.
Il étoit plein de petitesses dans le commerce, quoique le
meilleur homme du monde-; mais il vouloit des soins,
des prévenances, qu'il rendoif bien à la vérité, mais qui
étoient importunes à la continue^. La bonté de son carac-
tère, les anciennes liaisons du temps de son père, la ma-
gnificence et la commodité de sa maison, y avoit accou-
tumé le monde. J'étois* le seul des ducs opposants à sa
préséance qui étois demeuré brouillé avec lui. Quelques
jours avant l'éclat dont je parle, je l'avois rencontré dans
la galerie de l'aile neuve, au bout de laquelle il avoit un
beau logement en haut. Je sentois l'importance de la réu-
nion de tous les ducs. Je l'abordai et je lui fis civilité sur
les petites assemblées qui s'éioient tenues chez moi, dont
je lui dis que je voulois lui rendre compte. Il y fut sen-
sible au point qu'il vint chez moi, qu'il ne fut plus men-
tion du passé, qu'il fut, sans que je le susse qu'après,
ferme à me défendre contre toutes les attaques de ses
amis et de tout le monde, qu'il me fit mille recherches,
et que nous sommes demeurés en liaison jusqu'à sa mort.
Suites Noailles avoit si bien profité de la sottise publique, et
de 1 éclat . . . . . .
M. du Maine aussi, qu'il me fut impossible d'y faire en-
tendre raison et vérité ; mais la Providence arrêta aussi
leurs cruelles espérances. Je sortis, allai et vins tout à mon
ordinaire; je ne trouvai jamais personne qui me dît quoi
que ce' soit qui pût, non pas me fâcher, mais m'indispo-
1. Déjà dit dans le mémo passage.
'2. Les Caractères de 1703 no lui reconnaissaient qu'un cénie mé-
diocre, sans apparence qu'il fût jamais de grande utilité à l'Etat.
3. Le Dictionnaire de l'Académie de 171 fi donnait cette locution
adverbiale, au sens de « à la longue, à force de continuer » ; la der-
nière édition l'indique comme familière et vieillie.
4. J'estais conige c'estoit.
[1745]
DE SAINT-SIMON.
131
Bassesse
et désespoir de
Noailles.
ser. Les plus enivrés passoient leur chemin avec une salu-
tation froide, en sorte que je n'eus ni à courir, ni à me
défendre, ni même à attaquer, et je suis encore à le com-
prendre, d'un nombre infini de têtes aussi échauffées, aussi
excitées, et de ce nombre d'entours du duc de Noailles,
qui, quand' cela se trouvoit à leur portée, m'entendoient
parler de lui- de la manière la plus diffamante et la plus
démesurée. Je coulerai ici cette affaire à fonds pour n'avoir
plus à y revenir, et pour éclaircir par là plusieurs choses
qui se sont passées depuis tout pendant la Régence, et
même après.
Noailles souffrit tout en coupable écrasé sous le poids
de son crime. Les insultes publiques qu'il essuya de moi
sans nombre ne le rebutèrent point. Il ne se lassa jamais Sa conduite à
de s'arrêter devant moi chez le Récent, ou en entrant et ^^^ ^g^'"^
, M 1 » / ' , » et la mienne
sortant du conseil de régence, avec une révérence extre- au sien.
mement marquée, ni moi de passer droit sans le saluer
jamais, et quelquefois de tourner la tête avec insulte, et
il est très souvent arrivé que je lui ai fait des sorties chez
M. le duc d'Orléans et au conseil de régence, dès que j'y
trouvois le moindre jour, dont le ton, les termes, les ma-
nières effrayoient l'assistance, sans qu'il répondît jamais
un mot ; mais il rougissoit, il pâlissoit, et n'osoit se com-
mettre à une nouvelle reprise. Si rarement il répondoit
un mot, je le dis avec vérité, il le faisoitd'un ton et avec
des paroles aussi respectueuses que s'il eût répondu à
M. le duc d'Orléans. Parmi cela, les affaires n'en souffri-
rent jamais. Je m'en étois fait une loi, à laquelle je n'ai
point eu à me reprocher d'avoir jamais manqué. J'étois
de son avis quand je croyois qu'il étoit bon ; il m'est
arrivé quelquefois de l'avoir appuyé contre d'autres ; du
reste, même hauteur, mêmes propos, même conduite à
son égard. Il est quelquefois sorti si outré du Palais-
1. Ce quand surcharge m'en[tendoient], plus loin.
2. Saint-Simon a ajouté de luy en interligne, en oubliant de biffer
en avant entendaient.
■238 MÉMOIRES [1715]
Royal ou des Tuileries, tie ce i|ue je lui avois dit et fait en
face, devant le Régent et tout ce qui s'y trouvoit, qu'il
est allé quelquefois tout droit chez lui se jeter sur son lit
comme au désespoir, et disant qu'il ne pouvoit plus sou-
tenir les traitements qu'il essuyoit de moi ; jusque-là qu'au
sortir d'un conseil où je le forçai de rapporter une alTaire
que je savois qu il alTeclionnoit, et sur laquelle je l'entre-
pris sans mesure et le fis tondre', lui- dictai l'arrêt tout
de suite et le lus après qu'il l'eut écrit, en lui montrant
avec hauteur et dérision ma défiance et à tout le Conseil,
il se leva, jeta son tabouret à dix pas, et lui qui en place
n'avoit osé répondre un seul motque de l'afïaire même avec
l'air le plus embarrassé et le plus respectueux: « Mort...!
dit-il en se tournant pour s'en aller, il n'y a plus moyen
d'y durer, » s'en alla chez lui, d'où ses plaintes me revin-
rent, et la fièvre lui en prit. Il y avoit peu de semaines
qu'il n'en essuyât de très fortes, moi toujours sans le
saluer, ni lui parler qu'en opinant, pour le bourrer^ dès
que j'y trouvois jour, lui sans se lasser de me faire les
révérences les plus marquées, et de m'adresser souvent la
parole avec un air de respect dans les rapports qu'il fai-
soit, n'osant d'ailleurs s'approcher de moi, beaucoup moins
me parler.
Noaires ^ "6 fut pas longtemps sans chercher à m'apaiser, dans
n'oublie rien, \q désespoir où il étoit d'avoir montré tout ce dont ilétoit
inuiiTe^mpnt capable, sans en avoir recueilli ce qu'il s'en étoit proposé,
pour et qu'il avoit compté immanquable. 11 essuyoit de moi
sans cesse des sorties publiques, des hauteurs en passant
devant lui dont le mépris attecté faisoit regarder tout le
monde, et des propos sur lui où rien n'étoit ménagé. Un
i. Locution déjà rencontrée dans le tome XXI, p. 113.
2. Avant biy, Saint-Sim^n a bille et, et mis tout de suitle en inter-
ligne au-dessus d'après, biffé.
3. « On dit ligurément bourrer quelqu'un dans une dispute, pour
dire, le [iresser vivement, en sorte qu'il ne sache que répondre » (Aca-
démie, 1718).
me fléchir.
[1715] DE SAINT-SIMON. 239
ennemi qui se piquoit de l'être et de le paroître sans au-
cune mesure, à qui les plus cruelles expressions étoient
les plus familières, les insultes et les sorties en toute occa-
sion en plein Conseil, et au Palais-Royal en présence du
Régent, avec cette hauteur et cet air de mépris que la
vertu offensée prend sur le crime infamant, fut si pesant
à ce coupable, qu'il n'omit rien au moins pour m'émous-
ser. Il se mita chanter mes louanges, à dire qu'il ignoroit
quelle grippe' j'avois prise contre lui, que ce n'étoit au
plus qu'un malentendu, qu'il avoit toujours été- mon ser-
viteur, et le vouloit demeurer même malgré moi, et qu'il n'y
avoit rien qu'il ne voulût faire pour regagner mes bonnes
grâces. Sa mère, que j'avois toujours eu lieu d'aimer,
étoit au désespoir contre son fils, et me fit parler. D'une
infinité d'endroits directs et indirects je fus attaqué;
Mme de Saint-Simon fut exhortée sur le ton de piété;
mes amis les plus particuliers furent priés de tâcher à
m'adoucir. Je répondis toujours que c'étoit assez d'avoir
été dupe une fois pour ne l'être pas une seconde du même
homme, qu'il n'y en avoit point qui eût pu se douter,
ni par conséquent échapper à un[e] si noire scélératesse,
si pourpenste, si profonde, si achevée; mais qu'il falloit
croire avoir affaire à un stupide incapable d'aucune sorte
de sentiment pour imaginer de lui faire oublier une per-
fidie et une calomnie de cette espèce et de cette suite,
dont le criminel auteur seroit à jamais l'objet de ma haine
et de ma vengeance la plus publique et la plus implacable,
dont il pouvoit compter que la mesure seroit de n'en gar-
der aucune. Ma conduite y répondit pleinement, et la
sienne à mon égard fut aussi la même en bassesse. Ce qui
le confondit et le désola le plus, au milieu de sa prospé-
rité, de ne pouvoir parvenir à une réconciliation avec moi,
c'étoit le contraste de son oncle, dont la liaison avec moi
i. Dans le tome XXII, p. 197, il avait qualitié lui-même le duc de
Noaille d' « homme de tjrippe ».
2. Esté surcharge un premier mon.
240 M K M 01 n FIS \\lir>]
ne soullrit pas le moins du iiioiiclc, cl qui ctuit publique.
Je n'en fus que plus ardent pour le cardinal de .Noailles,
qui venoit sans cesse chez moi, et moi chez lui, avec la
plus grande confiance, et que je servis toujours de tout ce
ijue [je] pus, et ouvertement'. Ce contraste tomhoit à
plomb sur le duc de Noailles, qui à la fin me lit demander
ejràce, en propres termes, par M. le duc d'Orléans, à qui
je sus répondre de hi^ou qu'il se garda depuis d'y revenir.
Le duc de Noailles fut accablé de ce refus. Il me fit reve-
nir des choses que je n'oserois écrire, parce que, quoique
vraies, elles ne seroient pas croyables: par exemple, que
j'aurois enfin pitié de lui, si je connoissois l'état où je le
mettois, et des bassesses de toutes sortes. Le cardinal de
Noailles chercha souvent à me tourner, et enfin me parla
de cette division à deux reprises, qui, me dit-il, le com-
bloit de douleur, et chez lequel je ne rencontrai jamais
le duc de Noailles, qui avoit grand soin de m'éviter. Je
répondis la même chose au cardinal toutes les deux fois.
Je lui dis que, quand il lui plairoit, je lui rendrois un
compte exact de ce qui l'avoit causée ; qu'il falloit, s'il le
vouloit ainsi, qu'il se préparât à entendre d'étranges cho-
ses; qu'après cela je nevoulois point d'autre juge que lui.
Toutes les deux fois la proposition lui ferma la bouche,
et il ne m'en parla plus. Je demeurai persuadé qu'il en
savoit assez pour craindre de l'entendre, et que c'est ce
qui l'arrêta tout court; mais il en gémissoit; car il aimoit
cet indigne neveu, et indigne pour lui-même comme on
le verra en son temps-. Je passe d'autres tentatives très
fortes du duc de Noailles pour essayer de me rapprocher,
parce qu'elles se retrouveront pendant la Régence. Tant
qu'elle dura, j'en usai de la sorte avec lui, sans qu'il se
soit jamais lassé de ses révérences respectueuses, sans que
je l'aie jamais daigné saluer le moins du monde, ni payé
\. Les mots et ouvertem' ont été ajoutés en interligne.
2. Suite des Mémoires, tome XIII do 1873, p. 1«;-I8ri, .Si! et Tni
el suivantes.
[1743] DE SAINT-SIMON. 241
ses façons de déférence que par le mépris' le plus mar-
qué, ou la hauteur la plus insultante, et toujours les sor-
ties sur lui en face en toutes les occasions que j'en pouvois
faire naître. Douze années se passèrent de la sorte sans le
moindre adoucissement de ma part, et sans qu'en aucun
temps les devoirs communs aient cessé ni foibli entre
toute sa famille et moi et la mienne ^ Cette parenthèse est
longue ; mais il en faut voir le bout.
1. Saint-Simon avait d'abord écrit: ny ses façons de déférence que
je ne payais que par le mépris; il a biffé ^e ne payais, ajouté payé
en interligne avant ses façans, mais laissé les deux que.
2. Chéruel, dans Saint-Simon considéré comme historien de
Louis XIV, p. 330 et suivantes, a cru pouvoir établir, par deux lettres
de Saint-Simon adressées en 171G au duc de Noailles, que les rapports
entre eux ne furent pas, à cette époque, ni plus tard, aussi ditiiciles
que notre auteur le dit. Les deux lettres sont certainement courtoises,
et on n'y trouve rien qui sente l'antipathie; on y peut remarquer seu-
lement la froideur de la formule finale : « avec les sentiments que je
dois ». A l'argument qu'elles apportent, on peut en ajouter un autre,
d'une espèce négative évidemment, mais qui prend une certaine valeur
par son universalité: c'est qu'aucun des contemporains, ni Dangeau,
ni Mathieu Marais, ni l'avocat Barbier, ni Jean Buvat, ni le marquis
d'Argenson, ni le duc de Luynes, ni les Mémoires de Noailles lui-
même, ni la correspondance de Madame Palatine, ne font aucune allu-
sion à une discussion quelconque entre Saint-Simon et Noailles, à un
témoignage d'antipathie de l'un à l'autre, bien loin de parler d'insultes
publiques comme le dit notre auteur. Est-il possible de croire, si cette
situation entre eux a été portée au point que Saint-Simon le dit, que
personne ne l'ait indiquée, quand même ce n'aurait été que pour mon-
trer combien elle était nuisible aux affaires entre deux membres du
conseil de régence ? La vérité, croyons-nous, doit être plus simple.
Noailles, à bien des reprises sans doute, ne partagea pas toutes les
idées de Saint-Simon ; d'où mécontentements répétés de celui-ci, qui,
avec son caractère prime-sautier, dut le faire sentir chaque fois immé-
diatement, sans que cette pique passagère ait eu sur leurs rapports
communs des conséquences suivies et prolongées. Quand, bien des
années plus tard, Saint-Simon rédigea ses Additions à Dangeau, puis
ses Mémoires, se rappelant ces petits faits, il les vit bien plus impor-
tants qu'ils n'avaient été en réalité, grâce à ce verre grossissant que
son caractère, aigri par la solitude et l'ambition trompée, portait sur
toutes choses. De faits isolés, mais répétés, il forma un ensemble, et
UÉMOIRES UE SAI.NT-SIHON. XX VU 16
542 MÉMOIRES [ITir.]
Noaillos, On vorra dans la suite tlo la Hégonco combien letluc<le
depuis la mort i^oaiHp^ f^t infatigable, avec une persévérance sans lin, à
de M . le ^ . \ ' . .
duc d'Orloans, essuyer tout (Je moi, et à ne se lasser jamais de rechercher
''!'■"^' , tous les moyens imaginables de se raccommoder avec
inutiïcmcnt moi, pour le uioins de m'adoucir. Tout fut non-seulement
à m'adoucir. inutile tant qu'elle dura, mais encore après la mort de
extri^mo du ^^- ^^ <^uc d'Orléans. Les occasions de nous' rencontrer
raccom- devinrent bien plus rares ; mais le maintien -, quand cela
"™°''*ennn* '^"'' arrivoit, fut toujours le même des deux parts, et les pro-
ie mariage de pos, de la mienne % aussi pesants, aussi fermes et aussi sans
mon fils auK-. mesure, tant qu'il s'en présentoit d'occasions. C'est une
chose terrible que la poursuite intérieure du crime.
Il y avoit longtemps que j'avois quitté le Conseil ; mon
crédit s'étoit éteint avec la vie de M. le duc d'Orléans; je
n'avois plus de place, et je vivois fort en particulier.
M. de Noailles, au contraire, avec ses gouvernements et
sa charge de premier capitaine des gardes du corps, se
trouvoit à la tête de la famille la plus puissante en tout
genre par toutes sortes de grands établissements. Malgré
cette différence totale, ni lui ni les siens ne purent sup-
porter cette situation avec moi. Le duc de Guiche, maré-
chal de France en 1724, où il prit le nom de maréchal de
Gramont*, mort à Paris en septembre 172o% à cinquante-
trois ans, avoit deux fils, morts l'un après l'autre, colonels
il exagéra jusqu'à la haine des méconlentemenls et des froissements
d'araour-propre, qui, dans le temps même, avaient été sans conséiiuen-
ces. C'est là, croyons-nous, que doit se trouver la vérité.
4. Le mot nous, qui termine la page i&l'J du manuscrit, a été répété
au commencement de la page 1630.
2. Avant ce mot, Saint-Simon a biil'é mesme.
3. Du mien corrigé en de la mienne.
4. Antoine V de Gramont : tome IV, p. 232 ; il avait pris le nom de
duc de Gramont depuis la mort de son père en 1720} on se rappelle
qu'il avait épousé la so'ur du duc de Noailles.
5. Le 16 septembre.
' Aussy est en interligne.
"La fin de la maDchelte, depuis Leur, a été ajoutée après coup.
[1715] DE SAINT-SIMON. 243
du régiment des gardes après lui', et deux filles. Il avoit
marié l'aînée au- fils aîné de Biron, morts tous deux,
connus sous le nom de duc et de duchesse de Gontaut% et
l'autre au prince de Bournonville '% fils du cousin germain
de la maréchale de Noailles et d'une sœur du duc de
Chevreuse, tous deux morts ^ Ce mariage s'étoit fait à la
fin de mars 1719, quoique le marié, qui n'avoit guères que
vingt-deux ans, eût déjà les nerfs affectés à ne se pouvoir
presque soutenir. Il devint bientôt après impotent, puis
tout à fait perclus, et menaça longuement d'une fin pro-
chaine ^ La mère de sa femme ^ étoit l'aînée des sœurs du
duc de Noailles, parmi lesquels^ elle avoit toujours été la
i. L'aîné était Louis-Antoine- Armand de Gramont, titré duc de
Louvigny, duc de Guiche (i7-iO), puis duc de Gramont en 1723, mort
en 1741 : tome XIX, p. 33. Le second, Louis, comte de Lesparre,
puis de Gramont, entin duc de Gramont en 1741 (notre tome
XII, p. 418), avait eu alors la charge do colonel des gardes fran-
çaises à la mort de son frère aîné ; il fut tué à Fontenoy le 11 mai
1743, et cela indique que le présent passage fui écrit après cette
date.
2. Aux corrigé en au.
3. Marie-Adélaïde de Gramont, morte le 23 mars 1740, à quarante
ans, dame du palais de la Reine en 1725, avait épousé le 30 décem-
bre 1713 (Saint-Simon parlera de ce mariage à sa date, suite des Mé-
moires, tome XII, p. 392) François-Armand de Gontaut, dis d'Armand-
Charles, duc de Biron, né en 1090, et titré comte de Gontaut; d'abord
lieutenant de la compagnie des cent gentilshommes au bec de corbin,
il eut un régiment de cavalerie de son nom en 1703, puis un autre en
1712, entin celui d'Anjou-cavalerie en septembre 1719, qu'il quitta
en 1732; il avait été nommé brigadier en février 1719. Son père se démit
de son duché en sa faveur en 1733, et il prit alors le nom de duc de
Gontaut; il mourut le 28 janvier 1736.
4. Philippe-Alexandre, prince de Bournonville (tome VIII, p. 290),
et Catherine-Charlotte-Thérèse de Gramont (tome XIII, p. 123).
3. Cela a déjà été dit, à propos de la mort de Mme de Bournonville
la mère, dans le tome VIII, p. 289.
6. Il mourut le 3 janvier 1727, comme on va le voir ci-après.
7. Les mots de sa femme ont été ajoutés en interligne.
8. Il y a bien lesquels, au masculin, dans le manuscrit, se rappor-
tant à l'idée des Noailles.
2U MÉMOIRES fl7i:i]
plus comptée. Ils songèrent tous à mon fils aîné ' pour
elle, dès qu'elle seroit libre, coinnie un moyen de raccom-
modement. Ellet'toit belle, bien faite, n'étoil jamais sortie
de dessous l'aile de sa mère, et, pour le bien, ('toit le
plus grand parti de France alors parmi les personnes de
qualité. Us n'osèrent me faire rien ji'ter là-dessns; mais ils
crurenttrouver Mmede Saint-Simon plus accessible. Us ne
se trompèrent pas. Elle me sonda de loin avec peu de
succès ; elle ne se rebuta point ; elle me parla ouverte-
ment, méprit par le monde sur l'alliance et le bien, et
par la religicm comme un moyen honnête de mettre fin à
la longueur et à l'éclat toujours renaissant d'une rupture
ouverte. Je fus plus d'un an à me laisser vaincre par
l'horreur du raccommodement. Enfin, pour abréger ma-
tière, dès que j'eus consenti, tout fut bientôt fait. Chau-
velin, président à mortier, depuis garde des sceaux -, etc.,
étoit le conducteur des affaires de la maréchale de Gra-
mont^ Il me courtisoit depuis plusieurs années. Dès
qu'il sut que je m'étois enfin rendu, car jusque là il
n'avoit osé m'en parler directement, il dit que la maré-
chale de Gramont ne pouvoit entrer en rien pendant la
vie de son gendre, mais qu'il se chargeoit de tout, et en
eftet tout fut réglé entre Mme de Saint-Simon et lui, se
faisant forts ^ l'un et l'autre de n'être pas dédits. Dans le
peu que cela dura de la sorte, le caidinal de Noaillesm'en
parloit sans cesse, et la maréchale de Gramont et sa fille
ne négligeoient aucune occasion de courtiser tout ce qui
1. .lacques-Louis. duc de Rutrec: tome V. p. 3t7.
•2. Germain-Louis Cliauvelin : tome VI, p. 8"2t. Il devint garde des
sceaux et secrétaire d'Etat quelques mois seulement après ce mariage.
3. Comme Saint-Simon parle d'un événement de il'îl, il donne à
la duchesse de Guiche, Marie-Cliristine de rsoailles, le titre de maré-
chale de Gramont qu'elle prit en ITii.
4. Saint-Simon écrit bien se faisant forts avec accord de l'adjectif,
bien que, déjà en 17t8, le Dictionnaire de l'Académie posât la règle,
très peu logique d'ailleurs, que dans cette locution le mot fort devait
rester invariable.
[1715] DE SAINT-SIMON. Vr6
tenoit intimement à nous. Le premier article fut un rac-
commodement entre le duc de Noailles et moi. J'y pres-
crivis qu'il ne s'y parleroit de rien, ni en aucun temps,
et qu'on n'exigeroitde moi rien de plusqiie la bienséance
commune ; on ne disputa sur rien. Il arriva qu'une aprcs-
dînéc j'allai par hasard à l'hôtel de Lauzun', où je trou-
vai Mme de Bournonville qui jouoit à l'hombre, amenée
et gardée par Mme de Beaumanoir-, qui logeoit avec sa
sœur la maréchale de Gramont. Un peu après, on vint
demander Mme de Beaumanoir, qui sortit et rentra aussi-
tôt \ parla bas à Mme de Lauzun, et me regarda en riant.
Elle dit après à sa nièce qu'il falloit demander permission
de quitter le jeu, et, à demi bas, aller voir M. de Bour-
nonville, qui logeoit chez la duchesse de Duras, sa sœur^
depuis longtemps, et qui venoit de se trouver fort mal.
Cela arrivoit quelquefois, et ces sortes de longues maladies
font qu'on ne les croit jamais à leur fin. J'allai le soir à
l'archevêché ; j'y trouvai la maréchale de Gramont et
Mme de Beaumanoir, qui avoit ramené et laissé sa nièce,
i. Il ne s'agit plus ici de la maison que le duc de Lauzun occupa
près de l'Assomption dans la rue Sainl-Honoré et dont il a été parlé
dans notre tome III, p. 116. Depuis 1712, il s'était installé sur le quai
Malaquais dans l'ancien hôtel de Créquy-la-Trémoïlle, qui auparavant
avait appartenu à la princesse de Conti Martinozzi. Après la mort de
Lauzun en 1723. la duchesse sa veuve l'habita quelques années, puis le
vendit à Mlle de la Roche-sur- Yon (Pij^aniol de la Force, Description
de Paris, tome VII, p. 273 ; Écrits inédits de Saint-Simon, tome VII,
p. oil). Cette maison communiquait avec le couvent des Petits-Augus-
tins (Addition au Journal de Dangeau, tome XVIII, p. 225).
2. Marie-Françoise de Noailles : tome XI, p. 61 ; elle était veuve
depuis 1703.
3. La syllabe tost surcharge de ou du.
•i. Angélique- Victoire de Bournonville: tome VIII, p. 290. La
duchesse avait acheté, eu septembre 1719, avec partie du gain d'un
million qu'elle avait fait dans la compagnie d'Orient, la maison que pos-
sédait Boisfranc dans le faubourg Saint-Honoré et l'avait payé cent
vingt mille livres (Dangeau, tome XVIII, p. 123-124). Cette maison
était vis-à-vis l'hôtel d'Évreux, aujourd'hui palais de l'Elysée. Voyez
Germain Brice, Description de Paris, éd. 1752, tome I, p. 316.
24fi MÉMOIRES [1715]
qui parla de M. de Bournonville comme d'un homme qui
pouvoit durer longtemps. Le cardinal et elle, après une
léj^ère préface clirrlienne, laissèrent échapper leur impa-
tience en me regardant ; la maréchale me regarda aussi,
sourit avec eux, laissa échapper quelques mines, et, se le-
vant tout de suite, se mit à rire tout à fait, et, m'adres-
sant la parole, me dit qu'il valoit mieux s'en aller. Le bon
cardinal me parla après avec effusion de cœur. Chauvclin
nous manda fort tard que le mal augmentoit, et, le len-
demain matin, comme j'étois chez moi avec du monde,
on me fit sortir pour un message de Chauvelin, qui me
mandoit que M. de Bournonville venoit de mourir. J'en-
voyai dire aussitôt à Mme de Saint-Simon, qui éfoit à la
messe aux Jacobins, tout proche du logis', que je la priois
de revenir; elle ne tarda pas, et me trouva avec la môme
compagnie, devant qui je lui dis le fait tout bas. Il étoit
convenu que, dès que cela arriveroit, nous ferions sur-le-
champ la demande au cardinal, qui se chargeroitde tout.
Mme de Saint-Simon y alla. C'étoit la veille de l'Annon-
ciation-, qu'il étoit à table pour aller officier aux premières
vêpres à Notre-Dame. Il sortit de table et vint au-devant
d'elle les bras ouverts, dans une joie qu'il ne cacha
point, et, sans lui donner le temps de parler, devant tous
ses gens: « Vite, dit-il, les chevaux à mon carrosse ! » puis
à^ elle : « Je vois bien ce qui vous amène ; Dieu en a
disposé ; nous sommes libres ; je m'en vais chez la maré-
chale de Gramont, et vous aurez bientôt de mes nou-
velles. )) Il la mena dans sa chambre un moment. Comme
1. Saint-Simon, on I7"27, n'iiaijitail plus depuis 1710 l'tiôtel [)atri-
monial de la ruo dos Sainls-Pi-ros ; il donieurait alors dans uno maison
do la ruf Saint-Dominique qu'il louait aux Jacobins et qui donnait sur
le jardin du couvont; il y resta jusqu'en \1W.
2. Saint-Simon l'ait erreur. Le prince de Bournonville étant mort le
5 janvier, il veut dire veille de l'Epiphanie, et non de l'Annonciation.
Nous venons de voir (p. 243, note 1) qu'il (Vrivait on 17i.H, dix-huit ans
après les événements.
3. Cet à, oublié, est en interligne.
[4745] DE SAINT-SIMON. 247
il l'accompagnoit, ses gens lui parlèrent de vêpres. « Mon
carrosse, répondit-il ; vêpres pour aujourd'hui attendront;
dépêchons. » Mme de Saint-Simon revint, et nous nous
mîmes à table. Comme à peine nous en sortions, nous en-
tendîmes un carrosse dans la cour; c'étoit le cardinal de
Noailles. Je descendis au-devant de lui ; il m'embrassa à
plusieurs reprises, et tout aussitôt ' devant tout le domes-
tique se prit à me dire : « Où est mon neveu ? car je veux
voir mon neveu ; envoyez-le donc chercher. » Je répondis
fort étonné qu'il étoit à Marly. « Oh bien I envoyez-y donc
tout à l'heure le chercher ; car je meurs d'envie de l'em-
brasser, et il faut bien qu'il aille voir la maréchale de
Gramont et sa prétendue. » Je ne sortois point d'étonne-
ment d'une telle franchise, qui apprenoit tout à son do-
mestique et au nôtre, qui étoient là en foule. Nous mon-
tions cependant le commencement du degré. Mme de
Saint-Simon descendoit en même temps, et nous fit
redescendre le peu que nous avions monté, pour faire
entrer le cardinal dans mon appartement et ne lui pas
donner la peine de monter en haut. Jamais je ne vis
homme si aise. Il nous dit que la maréchale de Gramont
et sa fille étoient ravies ; que tout étoit accordé ; qu'il
avoit voulu se donner la satisfaction de nous le venir dire
et de le déclarer tout haut, comme il avoit fait, parce
qu'au nombre de grands partis en hommes qui n'atten-
doient que ce moment, de leur connoissance à tous, pour
faire des démarches pour ce mariage, il n'y avoit de bon
qu'à bâcler et déclarer pour leur fermer la bouche et
arrêter par là- tous les manèges qui se font pour faire
rompre et se faire préférer, au lieu qu'il n'y a plus à y
penser quand les choses sont faites, déclarées et publiées
par les parties mêmes; qu'il aimoit mieux qu'on le
dît un radoteur^ d'avoir déclaré si vite, et que cela fût
4. Tost, oublié, est écrit au-dessus de la ligne.
2. Là a été ajouté entre par et tous.
3. Radoter ne signifiait pas seulement « dire des extravagances par
248 MÉMOIRES {\l\-\]
fini'. Après raille iimitiôs, il son alla à sos vôpros. Il fut
convenu que, lo jour même, Mme île Saint-Simon iroit au
Bon-Pasteur-, où elle trouveroit la maréchale de Gramont
dans sa tribune. Mon fils arriva le soir. Le lendemain,
comme nous dînions avec assez de monde au logis, arri-
vèrent tous les Gramonts et plusieurs Noailles, mais non
la future, sa mère ni sa grand'mère ', de manière qu'il n'y
eut rien de plus public, et la maréchale de Gramont vint
au logis dès l'après-dînée^ Mon fils, qui les alla voir et la
maréchale de Gramont, et que je menai chez le car-
dinal, retourna le soir à Marly pour demander au Roi
l'agrément du mariage, et en donner part après à ceux
de nos plus proches ou de nos plus particuliers amis qui
y étoient^, avant de la donner en forme. Tout en arrivant,
il trouva le duc de Chaulnes*^ dans un des petits salons, à
qui il le dit à l'oreille. « Cela ne peut pas être, » lui
répondit-il, et ne voulut jamais le croire, quoique mon
fils lui expliquât qu'il avoit vu le cardinal de Noailles, la
maréchale de Gramont, etc. C'est qu'il comptoit son
un aiïaiblissement d'esprit que le grand âf^e a causé », mais encore
« tigurément, dire des choses sans raison, sans fondement », inconsi-
dérément (Académie, 4718).
1. Saint-Simon avait d'abord écrit et que cela le fust ; il a ajouté
fini en interligne ; mais il a oublié de bifTer le avant fust.
2. Communauté établie en 1686. pour recevoir des lilles repenties,
dans la rue du Clierche-Midi. par Mme de Combé, protestante hollan-
daise convertie. En 1688, elle l'ut installée par les soins du lieutenant
de police La Reynie dans une apothicairerie protestante contisqtiée et
voisine de son premier local. Des lettres patentes de juin 1698 (reg.
0' i2. fol. 138) la reconnurent officiellement, et elle reçut du Roi une
subvention annuelle de quinze cents livres. Louis XIV alla visiter la
maison le 7 avril 1702. lorsqu'il vint à Paris pour les stations du
jubilé (Dangcau, tome VIII, p. 381). La maréchale était une bienfai-
trice de la rommiinauté. Voyez ci-après aux Additions et Corrections.
3. La maréchale de Noailles.
4. Ce membre de phrase, depuis et la M°'', a été ajouté en interligne
et sur la marge.
5. Les mots qui y cHoient sont en interligne.
fi. Louis-Auguste d'Albert de Chcvreusc : tome XX, p. 158.
[ilin]
DE SALNT-SIMON
249
affaire sûre pour son fils' par Mme de Mortemart-, amie
intime de tout temps et de gnose * de la maréchale de
GramontS qui '' lui en avoit fort parlé, et qui l'avoit laissée
espérer sans s'ouvrir, sur la raison de ne le pas pouvoir
pendant la vie de M. de Bournonville. En trois ou quatre
jours tout fut signé et passa par Chauvelin. La duchesse de
Duras trouva fort bon qu'on n'eût point attendu, et qu'on
fît incessamment le mariage. Mais, comme il pouvoit en
arriver une grossesse prompte, tout ce qui fut consulté
de part et d'autre fut d'avis de différer de trois ou quatre
mois^, quoique M. de Bournonville n'eût jamais été en
état d'être avec sa femmes et qu'il n'y logeât plus même
depuis deux ou trois ans.
Tout alloit bien jusque-là. Jamais tant d'empressement
ni de marques de joie, et c'en fut une toute particulière
que la visite dont j'ai parlée parce que c'est à la famille et moi, et ses
du mari futur à aller chez l'autre famille la première, l^g^res suite».
Tout cela fait, il fut question du raccommodement. Le
président Chauvelin me fit pour le duc de Noailles les
plus beaux compliments du monde, et me pressa de sa
part et de celle du cardinal, de la maréchale de Noailles,
de lui permettre de venir chez moi. La crainte d'une vi-
site à laquelle je ne pourrois mettre une fin aussi prompte
que je le voudrois m'empêcha d'y consentir, et je voulus
Raccommo-
dement entre
Noailles
1. Charles-François d'Albert, comte puis duc de Picquigny (tome
XX, p. 138), qui épousa en 1729 Mlle de Courcillon.
2. Marie-Anne Colbert.
3. Voyez le tome XIX, p. 36.
4. Tomes XII, p. 30-2, et XV, p. 367.
o. Ce premier qui se rapporte à Mme de Mortemart, tandis que
celui qui va suivre s'applique à la maréchale de Gramont.
6. M. de Bournonville étant mort le o janvier 1727, sa femme se
remaria dès le 26 mars. On est stupéfait, en lisant ce récit, du cynisme
de tous ces gens et de l'inconscience incroyable avec laquelle Saint-
Simon le rapporte.
7. Les mots sa femme sont en interligne, au-dessus d^elle, biffé.
8. Ci-dessus, p. 248.
250 MÉMOIRES [171^1
si fermement que nous nous vissions chez le cardinal de
Noailles, qu'il en fallut passer par là. Ce fut où je m'en
tins, sans dire si ni qui je voulois bi(Mi qui s'y trouvât', et
sans qu'on m'en parlât non plus. Le duc de Noailles, qui
sortoit de (juartier -, vint donc à Paris pour le jour marqué.
Ce môme jour, Mme de Saint-Simon et moi dînions ' vis-à-
vis du logis, chez Asfeld, depuis maréchal de France*,
avec le maréchal et la maréchale de Berwick^ et quelques
autres amis particuliers. J'étois do fort mauvaise humeur;
je prolongeois la table tant que je pouvois, et, après qu'on
en fut sorti, je me fis chasser à maintes reprises. Ils sa-
voient le rendez-vous, qui n'en étoit pas un d'amour, et
ils m'exhortoient d'y bien faire et de bonne grâce. Je re-
tournai donc chez moi prendre haleine, et, comme on dit,
son escousse% tandis que Mme de Saint-Simon s'achemi-
noit et qu'on atteloit mon carrosse. Je partis enfin, et
j'arrivai à l'archevêché comme un homme qui' va au sup-
plice.
En entrant dans la chambre, où étoient la maréchale de
Cramont, Mme de Beaumanoir, Mme de Saint-Simon et
Mme de Lauzun, le cardinal de Noailles vint à moi dès
qu'il m'aperçut, tenant le duc de Noailles par la main, et
me dit : « Monsieur, je vous présente mon neveu, que je
1. Tel est bien le texte du manuscrit, dans lequel si est placé entre
deux virgules. Saint-Simon veut dire sans doute: si je voulais bien
qu'il s'y trouvât quelqu'un ni qui je consentais que ce fût.
2. De son quartier de capitaine des gardes du corps.
3. Écrit par mégarde disninons.
i. Sur le plan de l'abbé Delagrive (172S), l'hôtel <I'Asfeld est bien
indiqué comme se trouvant rue Saint-Dominique, vis-à-vis ces maisons
appartenant aux Jacobins, dans une desquelles nous avons vu ci-dessus
(p. -2i6, note 1) que Saint-Simon habitait depuis 1719.
o. La maréchale de Berwick était Anne Bulkcley, seconde femme
du maréchal (tome VII, p. 115).
6. Son élan. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 dit que la
locution prendre son escousne estdu style familier. — Saint-Simon écrit
ésecoussc.
7. Ce qui est en interligne au-dessus de qu'on, biffé.
[1715] DE SAINT-SIMON. 231
vous prie de vouloir bien embrasser. » Je demeurai froid
tout droit ; je regardai un moment le duc de Noailles, et
je lui dis sèchement: « Monsieur, M. le Cardinal le veut, »
et j'avançai un pas. Dans l'instant le duc de Noailles se
jeta à moi si bas que ce fut au-dessous de ma poitrine, et
m'embrassa de la sorte des deux côtés. Gela fait, je saluai
le cardinal, qui m'embrassa ainsi que ses deux nièces, et
je m'assis avec eux auprès de Mme de Saint-Simon. Tout
le corps me trembloit, et le peu que je dis dans une con-
versation assez empêtrée fut la parole d'un homme qui a
la fièvre. On ne parla que du mariage, de la joie, et de
quelques bagatelles indifférentes, le duc de Noailles
interdit à l'excès, qui m'adressa deux ou trois fois la parole
avec un air de respect et d'embarras ; je lui répondis
courtement, mais point trop malhonnêtement. Au bout
d'un quart d'heure, je dis qu'il ne falloit pas abuser du
temps de M. le Cardinal, et je me levai. Leduc de Noailles
voulut me conduire ; les dames dirent qu'il ne falloit
point m'importuner, ni faire de façons avec moi, et je
cours encore. Je revins chez moi comme un homme ivre
et qui se trouve mal. En effet, peu après que j'y fus, il se
fit un tel mouvement en moi, de la violence que je m'é-
tois faite, que je fus au moment de me faire saigner ; la
vérité est qu'elle' fut extrême. Je crus au moins en être
quitte pour longtemps.
Dès le lendemain, le duc de Noailles vint chez moi, et
me trouva. La visite se passa tête à tête ; c'étoit à la fin
de la matinée. Il n'y fut question que de noces et de
choses indifférentes. Il tint le dé tant qu'il voulut ; il parut
moins embarrassé et plus à lui-même. Pour moi, j'y étois
fort peu, et souffrois fort à soutenir la conversation, qui
fut de plus de demi-heure, et qui me parut sans fin. La
conduite se passa comme à l'archevêché. J'allai le lende-
main voir la maréchale de Noailles, que je trouvai ravie.
1. La violence.
252 MÉMOIRES [1715]
Je demandai son fils, qui logcoit avec elle, et qui heureu-
sement ne s'y trouva pas. Il chercha fort depuis à me
rapprocher, et moi à éviter. Nous nous sommes vus depuis
aux occasions, et rarement chez' lui autrement, c'est-à-
dire comme point, lui chez moi tant qu'il pouvoit, ou,
s'il m'est- permis de trancher le mot, tant qu'il osoil. Il
vint à la noce. Ce fut la dernière cérémonie du cardinal
de Noailles, qui les maria dans sa grande chapelle % et (jui
donna un festin superbe et exquis. J'en donnai un autre
le lendemain, où le duc de Noailles fut convié, qui y vint.
Quelques années après, étant à la Ferté, la duchesse de
Kutïec me dit qu'il mouroit d'envie d'y venir, et, après
force tours et retours là-dessus, elle m'assura qu'il vien-
droit incessamment. Je demeurai fort froid et presque
muet. Quand nous nous fûmes séparés, j'appelai mon fils,
qui en avoit entendu le commencement; je lui en racontai
la fin. Je lui dis après de dire à sa femme que, par
honnêteté pour elle, je n'avois pas voulu lui parler fran-
chement, mais qu'elle fît comme elle voudroit avec son
oncle, de la part duquel elle m'avoit parlé à la fin de son
propos, mais que je ne voulois point du duc de Noailles à
la Ferté, quand même elle devroit le lui mander. Je n'a-
vois garde de souffrir que, par ce voyage, il se parât d'un
renouvellement de liaison avec moi, moins encore de
m'exposer à des tête-à-tête avec lui, que les matinées et
les promenades fournissent à qui a résolu d'en profiter,
et qui ne se peuvent éviter, dont il eût pu après dire et
publier tout ce qui ne seseroit ni dit ni traité entre nous,
mais qu'il lui eût convenu de répandre, ce qui m'avoit
fait'* avoir grand soin, toutes les fois qu'il m'avoit trouvé
chez moi, de prier, dès qu'on l'annonçoit, ce qu'il s'y ren-
controit de demeurer et de ne s'en aller qu'après lui. Il a
i. Cette préposition chez surcharge une m.
2. Les mots s'il m'est corrigent si j[c].
3. Le 26 mars 1727 ; voyez le Mercure d'avril, p. i'tX (pour 8i8).
•i. Fait, oublié, a été ajouté en interligne.
[1715] DE SAINT-SIMON. 233
persévéré longtemps encore à tâcher de me rapprivoiser.
A la fin, le peu de succès l'a lassé, et ma persévérance
sèche, froide, et précise aux simples devoirs d'indispen-
sable bienséance, m'ont délivré, et l'ont réduit' au même
point avec moi. Dieu commande de pardonner, mais non
de s'abandonner soi-même, et de se livrer après une
expérience aussi cruelle. Le monde a vu et connu depuis
quel homme il est, et ce qu'il a été dans la cour, dans le
Conseil et à la tête des armées-.
Retournons maintenant d'où nous sommes partis, qui
est du jeudi 22 août, remarquable par la revue de la gen-
darmerie faite au nom et avec toute l'autorité du Roi par
le duc du Maine, pendant laquelle le Roi s'amusa à vou-
loir choisir l'habit qu il prendroit lorsqu'il pourrolt s'ha-
biller ^
Le vendredi 23 août, la nuit fut à l'ordinaire, et la ma- Reprise
tinée aussi. Il travailla avec le P. Tellier, qui fit inutile- "^ J*^^™^ '^•
' T derniers
ment des efforts pour faire nommer aux grands et nom- jours du Roi;
breux bénéfices qui vaquoient, c'est-à-dire pour en disposer ^^ refuse de
1 • -> +1 1 • ' J AT 1 J nommer
lui-même, et ne les pas laissera donner par M. le duc aux bénéfices
d'Orléans \ Il faut dire tout de suite que plus le Roi vacants*.
4. Ces deux verbes sont bien au pluriel dans le manuscrit, quoique
le sujet soit au singulier.
2. Il a déjà parlé du peu de capacité militaire du duc de Noailles
dans le précédent volume, p. 338. — Cette dernière phrase, depuis Le
monde, a été ajoutée en interligne et sur la marge.
3. Ci-dessus, p. 201-202, 204-203 et 210; Saint-Simon a même
parlé par avance (p. 210-211) de la journée du vendredi 23 août.
4. Dangeau (p. 100) avait dit seulement que le Roi travailla avec le
P. Tellier, et, comme il n'a mentionné aucune attribution de bénéfi-
ces, Saint-Simon en a conclu que le Roi s'était refusé à pourvoir à ceux
qui étaient vacants. Or le Roi travaillait tous les vendredis avec son
confesseur, sans qu'il y eiît nécessairement attribution de bénéfices
ecclésiastiques, ainsi qu'on peut le constater chaque semaine dans le
Journal de Dangeau. L'accusation de Saint-Simon contre le P. le Tel-
' Cette manchette a été écrite par Saint-Simon sur la marge intérieure
du manuscrit, au lieu de l'être, selon son habitude, sur la marge exté-
rieure.
MEMOIRES
M715]
Mécanique
de
'appartement
du Roi
empira, plus le Tellier le pressa là-dessus, pour ne pas
laisser' échapper une si l'iche pi-oie, ni l'occasion de se
munir de créatures allidées avec lesquelles ses marchés
étoient faits, non en argent, mais en cabales. Il n'y put
jamais réussir. Le lloi lui déclara qu'il avoit assez de
comptes à rendre à Dieu sans se charger encore de ceux
de cette nomination, si prêt à paroître devant lui, et lui
défendit de lui en parler davantage-. Il dîna debout dans
sa chambre en robe de chambre, y vit les courtisans,
ainsi qu'à son souper de même, passa chez lui l'après-
dînée avec ses deux bâtards, M. du Maine surtout, Mme de
Maintenon et les dames familières' ; la soirée à l'ordinaire.
Ce fut ce même jour qu'il apprit la mort de Maisons,
et qu'il donna sa charge à son fils, à la prière du duc du
Maine*.
Il ne faut pas aller plus loin sans expliquer la mécani-
aue de l'appartementdu Roi, depuis qu'il n'en sortoitplus.
Toute la cour se tenoit tout le jour dans la galerie '■'. Per-
pendant sa gonne ne s'arrêtoit dans l'antichambre la plus proche de
dernière i i - i i - r -r / i
maladie. sa chambre % que les valets tamiliers et la pharmacie,
qui y faisoient chaufï'er ce qui étoit nécessaire ; on y
lier semble donc purement gratuite. Cependant il est incontestable qu'il
y avait alors un certain nombre de bénéfices vacants et qu'on hésita
dans le public pour savoir si le Roi ne les avait pas distribués (voyez
ci-apprès, Appendice, p. 357, la lettre de l'abbé Mascara du 31 août).
1. Laisser a été écrit en interligne.
2. Rien ne confirme d'autre |)art cette réponse du Roi.
3. Il n'est pas parlé des bâtards, mais seulement de Mme de Main-
tenon et des autres dames, dans le Dangcau (p. lUi). Le Journal des
Anthoine (p. 37-38) note un nouveau bain de la jambe, et mentionne
pour ce jour-là la rédaction du codicille, dont Saint-Simon ne va |)arler
que plus loin (p. '239) et que le Mémoire de Dantjeau (Journal, tome
XVI, p. 121) place au 25 août.
•i. Ci-dessus, p. 100.
5. Ce qu'on appelle aujourd'hui la galerie des glaces, qui occupait
tout le derrière de l'appartement du Roi ; ci-dessus, p. 227.
6. Aujourd'hui salon de l'UEil-de-Rœuf, alors grande antichambre
du Roi. qui était précédée en équerre d'une première antichambre,
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[1745] DE SAINT-SIMON. 255
passoit seulement, et vite, d'une porte à l'autre '. Les en-
trées- passoient dans les cabinets^ par la porte de glace
qui y donnoit de la galerie, qui étoit toujours fermée et
qui ne s'ouvroit que lorsqu'on y grattoit, et se refermoit
à l'instant. Les ministres et les secrétaires d'Etat y en-
troient aussi, et tous se tenoient dans le cabinet qui
joignoit la galerie*. Les princes du sang ni les princesses
filles du Roi n'entroient pas plus avant, à moins que le
Roi ne les demandât, ce qui n'arrivoit guères. Le maré-
chal de Villeroy, le Chancelier, les deux bâtards. M, le
duc d'Orléans, le P, ïellier, le curé de la paroisse, et,
quand Mareschal ', Fagon et les premiers valets de cham-
bre n'étoient pas dans la chambre, ils se tenoient dans le
cabinet du Conseil, qui est entre la chambre du Roi et
cet autre cabinet où étoient les princes et princesses du
sang, les entrées et les ministres. Le duc de Tresmes,
premier gentilhomme de la chambre en année, se tenoit
sur la porte entre les deux cabinets, qui demeuroit ou-
donnant de l'autre côté dans la salle des gardes. Saint-Simon va dis-
tinguer très nettement le côté des antichambres et le côté des cabinets.
i. Pour se rendre de la première antichambre dans la galerie : voyez
le plan ci-contre, qui est la reproduction du plan de Demortin, lequel
fait partie des Plans et prohls de Versailles, gravés en 1714 et 1713.
2. Ceux qui avaient les entrées.
3. La chambre du Roi avait d'un côté les deux antichambres dont
il vient d'être parlé, de l'autre, le cabinet du Conseil, et un autre cabi-
net plus petit qu'on appelait le cabinet des Termes ou des Perruques.
■4. Le « cabinet qui joignoit la galerie » étaitlecabinetdes Termes, qui
communiquait avec elle par une porte recouverte de glaces; le cabinet
du Conseil n'avait alors aucun accès sur la galerie.
5. Maréchal a été ajouté en interligne au-dessus de quand, biffé;
puis Saint-Simon, par erreur, a écrit quand avant Maréchal et ajouté
ils plus loin en interligne avant se tenoient, tandis que, pour rendre
la phrase compréhensible, il aurait dû placer quand ils avant n'es-
toient. Il veut dire que le maréchal de Villeroy, etc., et Mareschal,
Fagon et les premiers valets de chambre, tous ces derniers quand ils
n'étaient pas dans la chambre du Roi, se tenaient dans le cabinet du
Conseil.
2ri() MÉMOIRES fi7i:;]
verte, et n'eiiti'oit dans la eliainhri^ du Hoi (jiie pour les
moments de son servici' absolunienl nécessaire. Dans tout
le jour, personne nenli'oit dans la chainbri» du Hoi que par
le cabinet du Conseil, excepté ces valets intérieurs ou de
la pharmacie qui demeuroient dans la première anti-
chambre, Mme de ÎNIaintenon et les dames familières, et,
pour le dhier et le souper, le service et les courtisans
qu'on y laissoit entrer. M. le duc d'Orléans se mesuroit
fort à n'entrer dans la chambre qu'une fois ou deux le
jour au plus, un instant, lorsque le duc de Tresmes y
entroit, et se présentoit un autre instant une fois le jour
sur la porte du cabinet du Conseil dans la chambre', d'où
le Roi le pouvoit voir de son lit. Il demandoit quelque-
fois le Chancelier, le maréchal de Villeroy, le P. Tellier,
rarement quelque ministre, M. du Maine souvent, peu le
comte de Toulouse, point d'autres, ni même les cardinaux
de Rohan et de Bissy, qui étoient souvent dans le cabinet
où setenoient les entrées. Quelquefois, lorsqu'il étoit seul
avec Mme de Maintenon, il faisoit appeler le maréchal
de Villeroy, ou le Chancelier, ou tous les deux, et fort
souvent le duc du Maine. Madame ni Mme la duchesse de
Berry n'alloient point dans ces cabinets, et ne voyoient
presque jamais le Boi dans cette maladie, et, si elles y
alloient, c'étoit par les antichambres-, et ressortoient à
l'instant.
Extrémité Lc samedi 24, la nuit ne fut guères plus mauvaise (|u'à
du Roi. l'ordinaire'; car elles l'étoient toujours; mais sa jambe
parut considérablement plus mal, et lui fit plus de dou-
leur. La messe à l'ordinaire, le dîner dans son lit, où les
principaux courtisans sans entrées le virent, conseil de
finances ensuite ; puis il travailla avec le Chancelier seul ;
1. C'est-à-dire sur lu porte qui donnait du caljiucl du Conseil dans
la cliarnbre.
2. Par le côté des antichambres: ci-dessus, p. 254, note 0.
3. Tout ce (jui va suivre n"est que la roproduction prcsqui' lexlucllo
du Journal de Dangeau, p. lOfi-liO.
[171o] DE SAINT-SIMON. lo7
succédèrent Mme de Maintenon et les dames familières. Il
soupa debout en robe de chambre en présence des cour-
tisans, pour la dernière fois. J'y observai qu'il ne put
avaler que du liquide, et qu'il avoit peine à être regardé.
Il ne put achever, et dit aux courtisans qu'il les prioit de
passer, c'est-à-dire de sortir. Il se fit remettre au lit ; on
visita sa jambe, où il parut des marques noires*. Il envoya
chercher le P. Tellier, et se confessa. La confusion se mit
parmi la médecine^. On avoit tenté le lait et le quinquina
à l'eau ^ ; on les supprima l'un et l'autre sans savoir que
faire. Ils avouèrent qu'ils lui croyoient une fièvre lente
depuis la Pentecôte, et s'excusoient de ne lui avoir rien
fait sur ce qu'il ne vouloit point de remèdes, et qu'ils ne
le croyoient pas si mal eux-mêmes. Par ce que j'ai rap-
porté de ce qui s'étoit passé dès avant ce temps-là entre
Maréschal et Mme de Maintenon là-dessus S on voit ce
qu'on en doit croire.
Le dimanche 25 août^ fête de Saint-Louis, la nuit fut Le Roi reçoit
1. Le Journal des Anthoine (p. 41-42) parle d'une consultation de
médecins et dit qu'on lui trouva la jambe noire jusqu'au pied. La
Gazette d'Amsterdam (n° lxxiii) dit pour ce samedi 24 : « S. M. se
préparoit à dîner en public ; mais il lui survint des douleurs si cuisan-
tes, qu'elle ordonna de faire sortir tout le monde qui étoit dans la
chambre, excepté le maréchal de Villeroy, avec lequel elle resta seul
plus de deux heures et demie, lui donnant toutes les marques possi-
bles de son amitié et de sa confiance, lui disant qu'elle voyoit que son
heure approchoit et qu'il falloit songer sérieusement à mourir. »
Aucun autre récit ne parle de ce long tête-à-tête.
2. C'est sans doute à cette journée que se rapporte ce détail donné
par Mlle d'Aumale {Souvenirs sur Madame de Maintenon, tome II,
p. 325): « Il ordonna, dès le jour même que les médecins eurent jugé
que sa maladie étoit dangereuse, qu'on accommodât une chambre tout
près de la sienne, pour qu'elle [Mme de Maintenon] pût plus aisément
passer la nuit auprès de lui, quand elle voudroit. »
3. Ci-dessus (p. 201), il a parlé de lait d'ànesse et de quinquina.
•4. Ci-dessus, p. 181.
o. Pour cette journée, Saint-Simon suit d'abord le texte du Journal
de Dangeaii, p. 110; puis, à partir de la cérémonie du viatique, il se
sert de la Relation du marquis de Quincy ; il possédait en effet dans sa
MEMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVIl 17
258 MÉMOIRES [4745J
es derniers bien pliis mauvaise. On ne fit plus mystère du danger, et
sacromenls
tout de suite grand et imminent. Néanmoins, il voulut
expressément qu'il ne fût rien changé à l'ordre accoutumé
de cette journée, c'est-à-dire que les tambours et les
hautbois, qui s'éloient rendus sous ses fenêtres, lui don-
nassent, dès qu'il fut éveillé, leur musique ordinaire ', et
que les vingt-quatre violons jouassent de même dans son
antichambre pendant son dîner-. 11 fut ensuite en particu-
lier avec Mme de Maintenon, le Chancelier et un peu le duc
bibliothèque (n° 791 du Catalogue de vente) un exemplaire de VHis-
toire militaire de cet auteur.
i. D'après le Journal des Anthoine (p. 44-45), les tambours et
fifres des gardes françaises et suisses liront demander au Roi la per-
naission de lui donner l'aubade habituelle dans la cour du château ; de
même les hautbois de la musique de la chambre et les vingt quatre
violons tirent la même demande pour jouer dans l'antichambre. Cela
leur fut accordé, et, après, le Roi lit donner à chacun un louis d'or,
comme d'habitude. Le Mémoire de Dangvau ne parle que des tam-
bours pour l'aubade, et dit que les hautbois et les violons jouèrent
pendant le dîner dans l'antichambre.
2. La letlre anonyme des archives de la Ciotat (ci-après, p. 344)
rapporte un détail curieux pour ce dîner: « 11 voulut dîner en public,
disant à ceux qui lui représentaient son état : « J'ai vécu parmi les
« gens de ma cour; je veux mourir parmi eux. Ils ont suivi tout le
« cours de ma vie ; il est juste qu'ils me voient Unir. » Il parut en robe
de chambre, sa jambe sur des carreaux, mangea d'une panade et d'un
potage et parla à son ordinaire. Ensuite il lit retirer la lable de devant
lui et causa un quart d'heure avec tout le mon,de ; après quoi, il dit:
« Messieurs, il ne seroit pas juste que le plaisir que j'ai de prolonger
o les derniers moments que je passerai avec vous vous empêche de
« dîner; je vous dis adieu et vous prie d'aller manger. » Nous sortî-
mes tous avec la dernière douleur, fondant en larmes. » — C'est aussi
dans cette après-midi que se place l'incident rapporté par la Gazette
d'Amsterdam, n" lxxiii : « Un vieux bonhomme de cent quatorze ans
vint, selon sa coutume, apporter un bouquet au Roi pour le jour de sa
fête. On en avertit le Roi, qui dit de le faire entrer. On l'amena par
la main auprès du lit de S. M., qui lui demanda: « Hé bien, bon-
« homme, comment te portes-tu? » — « Sire, répondit il, fort bien,
« et, si je n'avois que votre âge, je me porlerois encore mieux. » Le
Roi répliqua : « Je voudrois me porter aussi bien que toi. « Cet homme
eut dix louis, outre sa pension ordinaire, et se retira. »
flTlSJ DE SAINT-SIMON. 259
du Maine'. Il y avoit eu la veille du papier et de l'encre
pendant son travail tète à tête avec le Chancelier ; il y en
eut encore ce jour-ci, Mme de Maintenon présente, et c'est
l'un des deux que le Chancelier écrivit sous lui son codi-
cille-. Mme de Maintenon et M. du Maine, qui pensoit sans
cesse à soi, ne trouvèrent pas que le Koi eût assez fait
pour lui par son testament ; ils y voulurent remédier par
un codicille, qui montra également l'énorme abus qu'ils
firent de la foiblesse du Roi dans cette extrémité, et jus-
qu'où l'excès de l'ambition peut porter un homme. Par ce
codicille le Roi soumettoit toute la^ maison civile et mili-
taire du Roi au duc du Maine immédiatement et sans
réserve, et sous ses ordres au maréchal de Villeroy S qui
i. Ce n'est point aux récits de Dangeau ou de Quincy que Saint-
Simon prend ces détails j de qui les tient-il, puisqu'aucune autre
relation n'en parle ?
2. Louis XIV écrivit deux codicilles au testament qu'il avait rédigé
le 2 août 1714, et dont nous avons vu le dépôt au Parlement dans notre
tome XXV, p. 18 et suivantes. Le premier avait été rédigé bien avant
l'époque à laquelle nous sommes arrivés, puisqu'il est daté du 13 avril
1715; le second, en quelques lignes seulement, est daté du 23 août,
quoiqu'il ait été certainement écrit le 25 {Dangeau, p. 121). Ces dates
ont été contestées ; mais elles seront établies d'une manière précise
ci-après dans l'appendice II, dans lequel nous donnerons le texte du
testament du Roi d'après une copie figurée que le greffier du Parle-
ment Gilbert de Voisins en exécuta aussitôt après l'ouverture.
3. La est en interligne au-dessus de sa, biffé.
4. Saint-Simon se trompe complètement. Le premier codicille, comme
on le verra ci-après (Appendice, p. 360), qui était rédigé depuis le
13 avril, qu'on ne l'oublie pas, prescrivait le transfert du jeune roi à
Vincennes, confirmait la nomination du maréchal de Villeroy pour son
gouverneur et donnait à ce maréchal toute aulorité sur les troupes de
la maison militaire depuis le décès de Louis XIV jusqu'à l'arrivée du
jeune roi à Vincennes ; le duc du Maine n'y est même pas nommé.
Dans le second codicille, très court, qui ne sera écrit qu'à la tin de la
journée du 25 (ci-après, p. 3G0), il n'est question que de Fleury comme
précepteur et du P. le Tellier pour confesseur. C'est dans le testament
lui-même que les pouvoirs du duc du Maine avaient été spécifiés. On
se rend compte combien la passion emporte Saint-Simon pour qu'il ait
pu voir dans la rédaction du deuxième codicille « l'énorme abus » que
260 MEMOIRES flTlal
par cette disposition ilovenoient les maîtres uniques de la
personne et du lieu de la demeure du Koi ; de l^aris, par
les deux régiments des gardes et les deux compagnies des
mousquetaires' ; de toute la garde intrrieureetextérieure ;
de tout le service, chambre, garde-rohe, chapelle, bouche,
écuries; tellement que le Régent n'y avoit plus l'ombre
même de la plus légère autorité, et se trouvoit à leur
merci, et en état continuel d'être arrêté, et pis, toutes les
fois qu'il auroit plu au duc du Maine.
Peu après que le Chancelier fut sorti de chez le Roi,
Mme de Maintenon, qui y éloit restée, y manda les dames
familières, et la musique y arriva à sept heures du soir.
Cependant le Roi s'étoit endormi pendant la conversation
des dames; il se réveilla la tête embarrassée, ce qui les
effraya et leur fit appeler les médecins. Ils trouvèrent le
pouls si mauvais, qu'ils ne balancèrent pas à proposer au
Roi, qui revenoit cependant de son absence, de ne pas
différera recevoir les sacrements^. On envoya quérir le
le duc du Maine et Mme de Maintenon « firent de la t'oiblesse du
Roi ». Il répétera la même accusation lorsqu'il écrira en I7'i6 le Paral-
lèle dea trois j'oîs Bourbotn^ : voyez p. 359-361. La lettre anonyme des
archives de la Ciotat, qu'on trouvera à l'Appendice, p. S'A, dit aussi
que les deux codicilles furent écrits le 25 août, l'un le malin, l'autre
le soir ; il est évident que ce bruit courut parmi les courtisans. Le mar-
quis de Quincy (Histoire militaire, tome VII, p. 396) place la rédac-
tion du premier au 23 août, et celle du second au 25.
i. Ces troupes étaient lof;ées dans la capitale, dont elles forniniont
toute la garnison.
2. Dangeau (p. i 19) n'avait point mis cette proposition sur le compte
des médecins. En effet, selon Mlle d'Aumale (Souvenirs sur Madame
de Maintenon, tome II, p. 3"i6), ce lut Mme do Maintenon qui y pensa:
« Quand elle lui en eut parlé, il lui dit qu'il lui sembloit qu'il étoit
encore de bonne heure, qu'il ne se sentoil point absolument mal, mais
qu'au reste c'étoit une chose qui étoit toujours très bonne à faire. »
Mme de Maintenon (lettre publiée par Lavallée, Madame de Mainte-
non et la 7nai!>on de Saint-Cyr, p. 272) s'attribue aussi cette proposi-
tion. Dangeau, dans la suite de son récit, dit que le Roi demanda lui-
même les sacrements et donna ordre à tout avec présence d'esprit et
fermeté.
[1715] DE SAINT-SIMON. 264
P. Tellier, et avertir le cardinal de Rohan, qui étoit chez
lui en compagnie, et qui ne songeoit à rien moins, et
cependant on renvoya la musique qui avoit déjà préparé
ses livres et ses instruments, et les dames familières sorti-
rent. Le hasard fit que je passai dans ce moment-là la ga-
lerie et les antichambres pour aller, de chez moi dans l'aile
neuve ', dans l'autre aile chez Mme la duchesse d'Orléans,
et chez M. le duc d'Orléans après. Je vis même des restes
de musique dont je crus le gros entré. Comme j'approchois
de l'entrée de la salle des gardes, Pernost, huissier de
l'antichambre-, vint à moi, qui me demanda si je savois
ce qui se passoit, et qui me l'apprit '. Je trouvai Mme la
duchesse d'Orléans au lit, d'un reste de migraine, envi-
ronnée de dames qui faisoient la conversation, ne pen-
sant à rien moins. Je m'approchai du lit et dis le fait à
Mme la duchesse d'Orléans, qui n'en voulut rien croire, et
qui m'assura qu'il y avoit actuellement musique, et que
le Roi étoit bien ; puis, comme je lui avois parlé bas, elle
demanda tout haut aux dames si elles en avoient ouï dire
quelque chose. Pas une n'en savoit un mot, et Mme la
duchesse d'Orléans demeuroit rassurée. Je lui dis une
seconde fois que j'étois sûr de la chose, et qu'il me pa-
roissoit qu'elle valoit bien la peine d'envoyer au moins aux
nouvelles, et en attendant de se lever. Elle me crut, et
1. On a vu, tome XXIV, p. 411, la situation et la composition de
l'appartement de Saint-Simon.
2. VÉtat de la France de 1742 mentionne (p. 4o6) le sieur Nicolas
Pernost comme premier huissier de l'antichambre du Roi, avec six
cents livres de gages, trois cents livres de gratification et autant de
pension ; son frère Martin-Dominique avait alors la survivance de sa
charge. Saint-Simon écrit Pernault. — Les huissiers de l'antichambre
étaient au nombre de deux, servant par semestre; ils avaient le droit
de se qualifier d'écuyer et portaient en service Tépée au côté. Leurs
fonctions consistaient à ouvrir la porte à un seul battant ou à deux
battants, suivant la qualité des gens, aux princes et seigneurs qui se
présentaient ; ils avaient la police de l'antichambre.
3. Avant ce mot il y a un premier Vapprit biffé.
262 MEMOIRES [171.H]
je passai chez M. le duc d'Orléans, que j'avertis aussi, et
qui avec raison jugea à propos de demeurer chez lui,
puisqu'il n'étoit point mandé'.
En un quart d'heure, depuis le renvoi de la musique et
des dames, tout fut fait^ Le P. Tellier confessa le Hoi ',
tandis que le cardinal de Rohan fut prendre le saint sacre-
ment à la chapelle, et qu'il envoya chercher le curé* et
les saintes huiles. Deux aumôniers du Hoi, mandés par
le cardinal, accoururent, et sept ou huit flambeaux portés
par des garçons bleus du château, deux laquais de Fagon,
et un de Mme de Maintenon '. Ce très petit accompagne-
ment monta chez le Roi par le petit escalier de ses cabi-
nets'', à travers desquels le cardinal arriva dans sa cham-
bre. Le P. Tellier, Mme de Maintenon, et une douzaine
i. Cependant il accompap;na le saint-sacrement jusque dans la cham-
bre du Roi (ci-après, p. 263, note 2).
2. Cela ne fut point si rapide. La Relation du marquis de Quincy,
qui fut revue par le P. le Tellier. dit au contraire que, « comme per-
sonne n'étoit averti pour celte cérémonie, il se passa un temps assez
considérable avant que le cardinal pût venir avec le saint viatique ».
Cela s'explique très bien par la nécessité d'aller chercher le curé et les
saintes huiles à la Paroisse de Versailles, con)me Saint-Simon va le
dire deux lif^nes plus loin. La cérémonie eut lieu entre huit heures et huit
heures et demie et dura environ une demi -heure (Dangeau, Quincy,
Relation de Desgranges publiée par le marquis de Grouchy, d'après
un registre des premiers gentilshommes de la chambre, dans le Carnet
historique, tome IV, 1899. p. dot).
3. La Relation de Quincy (p. 392-394) s'étend longuement (on en a
vu ci-dessus la raison) sur le rôle du confesseur du Roi en cette cir-
constance. Mlle d'Aumale dit que Mme de Maintenon « aida elle-
même le Roi à s'examiner, en le faisant ressouvenir de plusieurs fautes
qu'elle lui avoit vu faire, alin qu'il s'en humiliât et qu'il en demandât
pardon à Dieu ».
4. Claude Huchon ; tome XXU, p. 346.
5. Danijean, p. 120; Quincy, p. 394.
6. Sur le plan ci-dessus, p. 23 i, on voit ce petit escalier qui abou-
tissait au « salon du petit escalier du Roi « (n" 19); il ne faut pas le
confondre avec l'échelle semi-circulaire, arrivant près du cabinet des
Perruques (n" 16), qui ne pouvait servir qu'aux valets.
1745]
DE SAINT-SIMON.
263
d'entrées, raiîtres ou valets, y reçurent ou y* suivirent le
saint sacrement-. Le cardinal dit deux mots au Roi sur
cette grande et dernière action, pendant laquelle le Koi
parut très ferme, mais très pénétré de ce qu'il faisoit^
Dès qu'il eut reçu Notre-Seigneur et les saintes huiles,
tout ce qui étoit dans la chambre sortit devant et après le
saint sacrement; il n'y demeura que Mme de Maintenon*
et le Chancelier. Tout aussitôt, et cet aussitôt fut un peu
étrange, on apporta sur le lit une espèce de livre ou de
petite table; le Chancelier lui présenta le codicille, à la
fin duquel il écrivit quatre ou cinq lignes de sa main, et le
rendit après au Chanceliers Le Roi demanda à boire,
puis appela le maréchal de Villeroy, qui, avec très peu
des plus marqués, étoit dans la porte de la chambre au
cabinet du Conseils et lui parla seul prèsd'unquartd'heure.
i. Les mots receurent on y ont été ajoutés en interligne; en effet
le confesseur et Mme de Mainlenon étaient restés dans la chambre.
2. On ne sait pourquoi Saint-Simon passe si légèrement sur cette
suite. Dangeau. Quincy, le Journal des Anthoine (p. 47), la Relation
de Desgranges disent au contraire que le cortège fut nombreux, que
le duc d'Orléans et les princes du sang qu'on avait pu avertir accom-
pagnèrent le saint sacrement, que les princesses et leurs dames d'hon-
neur, ainsi que les principaux otficiers de la couronne, se joignirent
au cortège, où étaient déjà beaucoup d'ecclésiastiques et les prêtres de
la Mission, et que tous restèrent dans le cabinet du Conseil pendant la
cérémonie.
3. Quincy (p. 395) donne le texte de rallocution assez longue, puis-
qu'elle occupe trente lignes de son récit, que le cardinal adressa au
Roi avant de lui donner le viatique, et celle plus courte qu'il prononça
avant de lui administrer l'extrème-onction. Le Journal des Anthoine,
p. 45 et suivantes, contirme les détails des autres récits.
4. Le Mémoire spécial de Damjeau dit au contraire (p. 421) qu'après
la cérémonie, Mme de Mainlenon sortit, conduite par le duc de Noailles,
son neveu ; elle rentra pendant que le Roi écrivait et se tint à l'écart.
Saint-Simon suit ce que dit le marquis de Quincy, p. 396.
o. Nous avons parlé par avance de ce second codicille (ci dessus,
p. 259, note 4); on en trouvera le texte à l'Appendice, ci-après,
p. 372.
6. La porte qui faisait communiquer la chambre du Roi avec le
cabinet du Conseil.
Le Roi
achf^ve
son codicille,
parle à M. le
duc d'Orléans.
■26; MKMdlllKS [ITlii]
Il envoya chercher M. le duc d'Orléans, à qui il parla
seul aussi un peu plus qu'il n'avoit fait au maréchal de
Villeroy. Il lui témoigna beaucoup d'estime, d'amitié, de
confiance; mais ce qui est terrible, avec Jésus-Christ sur
les lèvres encoie, qu'il venoitde recevoir, il l'assura qu'il
ne trouveroit rien dans son testament dont il ne dût être
content, puis lui recommanda l'Etat et la personne du Roi
futur'. Entre sa communion et l'extrème-onction et cette
conversation, il n'y eut pas une demi-heure; il ne pou-
voit avoir oublié les étranges dispositions qu'on lui avoit
arrachées avec tant de peine, et il venoit de retoucher dans
l'entre-deux son codicille si fraîchement fait, qui raettoit
le couteau dans la gorge à M. le duc d'Orléans, dont il
livroit le manche en plein au duc du Maine-. Le rare est
que le bruit de ce particulier, le premier que le Roi eût
1. Mlle d'Aumale (p. 333-336) donne un résumé fort court des
paroles du Roi, d'après ce qu'elle avait entendu de la bouche du duc
d'Orléans sortant de la chambre ; le marquis de Quincy (p. 398) fait de
même en deux lignes. Par contre, la lettre anonyme des archives de
Dampierre {Journal de Dangeau, tome XVIII, p. 374) rapporte un
discours assez long en style direct, qui se termine par la justitication
d'avoir contié au duc du Maine la surintendance de l'éducation du
jeune roi. Le Journal des Anthoine (p. oO-ot) nous a conservé un
texte, qui à notre avis se rapproche plus de la réalité; le Roi aurait
terminé en disant : « J'ai fait les dispositions que j'ai cru les plus sages
et les plus équitables pour le bien du royaume; mais, comme on ne
sauroit tout prévoir, s'il y a quelque chose à changer ou à réformer,
l'on fera ce que l'on trouvera à propos. » Nous verrons le duc d'Orléans
s'autoriser de ces paroles lors de la séance du "1 septembre au Parle-
ment. De ces diverses versions, il faut retenir qu'elles s'accordent
toutes avec Saint-Simon sur ce point que le Roi protesta auprès de
son neveu qu'il ne lui faisait pas de tort par son testament. L'abbé
Mascara (lettre du 28 aoiit, ci-après, p. 330) mentionne la « réelle et
sincère réconciliation survenue entre S. M. et le duc d'Orléans ; il
prétend que le testament du Roi a été révoqué et annulé, et devra être
brûlé après avoir été ouvert.
2. Saint-Simon persiste dans son erreur sur la teneur des codicilles,
et il accentuera encore dans le Parallclc des trois rois Bourbons,
p. 371-372.
[1715] DE SALXT-SIMON. 265
encore eu avec M. le duc d'Orléans, fit courir' qu'il venoit
d'être déclaré régent-. Dès qu'il se fut retiré, le duc du
Maine, qui étoit dans le cabinet, fut appelé. Le Roi lui
parla plus d'un quart d'heure, puis fit appeler le comte de
Toulouse, qui étoit aussi dans le cabinet, lequel fut un
autre quart d'heure en tiers avec le Roi et le duc du
Maine ^. Il n'y avoit que peu de valets des plus nécessai-
res dans la chambre avec Mme de Maintenon. Elle ne s'ap-
procha point tant que le Roi parla à M. le duc d'Orléans.
Pendant tout ce temps-là, les trois bâtardes du Roi^, les
deux fils de Madame la Duchesse^ et le prince de Conti
avoient eu le temps d'arriver dans le cabinet. Après que le
Roi eut fini avec le duc du Maine et le comte de Toulouse,
il fit appeler les princes du sang, qu'il avoit aperçus sur
la porte du cabinet dans sa chambre, et ne leur dit que
peu de chose ensemble, et point en particulier ni bas*.
Les médecins s'avancèrent presque en même temps pour
panser sa jambe; les princes sortirent; il ne demeura que
le pur nécessaire et Mme de Maintenon'. Tandis que tout
cela se passoit, le Chancelier prit à part M. le duc d'Or-
léans dans le cabinet du Conseil, et lui montra le codicille^
1. Après ce mot, Saint-Simon a biffé le bruit pour éviter une répé-
tition.
2. C'est aussi ce que dit l'abbé Mascara (lettre du 27 août, ci-après,
p. 348).
3. Mémoire de Dangeau, p. 122; illle d'Aumale, p. 337; Quincy,
p. 396 ; Journal des Anthoine, p. o2-o3.
4. La princesse de Conti douairière, Madame la Duchesse et la
duchesse d'Orléans.
5. Le duc de Bourbon et le comte de Charolais.
6. Mémoire de Dangeau, p. 122; Quincy, p. 396.
7. Saint- Simon suit pas à pas la Relation de Quincy, qui s'accorde
avec le Mémoire de Dangeau.
8. La Relation de Quincy n'est pas plus prolixe sur cet épisode;
mais le Mémoire de Dangeau entre dans plus de détails : « M. le Chan-
celier est sorti de la chambre et est venu parler à M. le duc d'Orléans,
qui étoit assis dans l'embrasure de la fenêtre du cabinet la plus pro-
che de la chambre, et aussitôt ils se sont approchés l'un et l'autre de
566 MÉMOIRES [1715]
Le Roi pansé sut que les princesses étoiont dans le cabi-
net; il les fit appeler, leur dit deux mots tout haut, et,
prenant occasion de leurs larmes, les pria de s'en aller,
parce qu'il vouloit reposer'. F-lles sorties avec le peu qui
étoit entré, le rideau du lit fut un peu tiré, et Mme de
Maintenon passa dans les arrière-cabinets.
Scélératesse Le lundi 2»; août, la nuit ne fut pas meilleure. Il fut
des chefs de la , . . .•* i ii i i
Gonstiiiiiion. panse, puis entendit la messe. Il y avoit le pur nécessaire
dans la chambre, qui sortit après la messe. Le Roi fit de-
meurer les cardinaux de Rohan et de Bissy. ^Ime de Main-
tenon resta aussi comme elle demeuroit toujours, et avec
elle le maréchal de Villeroy, le P. Tellier- et le Chance-
lier^ Il appela les deux cardinaux, protesta qu'il mouroit
la table du Conseil, au bout où le Roi a accoutumé de s'asseoir. Le
Chancelier a tiré d'une enveloppe, qui n'étoit point cachetée, le papier
que S. M. venoit d'écrire et l'a donné à M. le duc d'Orléans, qui. pour
le lire, s'est appuyé sur la table, sans s'asseoir, et le Chancelier est
resté debout auprès de lui. Les lignes et l'écriture sont fort serrées.
Après que le duc d'Orléans a achevé de lire, le Chancelier a remis le
papier dans l'enveloppe, et, après en avoir fait lire le dessus au duc
d'Orléans, il l'a mis dans sa poche sans le cacheter Après la lec-
ture, le duc d'Orléans et le Chancelier ont eu une conversation d'envi-
ron un quart d'heure. » Évidemment, Saint-Simon, qui venait de dire
que par ses codicilles le Roi avait mis « le couteau dans la gorge » au
duc d'Orléans, s'est senti gêné parce fait que le Chancelier lui donnait
aussitôt communication de ce même codicille, sans que le duc en parût
mécontent, et il n'a pas insisté.
4. Ceci est conforme à la Relation de Quincy, p. 397, mais contraire
au Mémoire de Danijeau ■. « S. M. n'a appelé aucune des princesses,
qui sont demeurées avec les courtisans dans les cabinets, sans voir le
Roi » (p. i"2"2), et p. i'i.S : « Comme le Roi avoit fait tirer son rideau
et dit qu'il vouloit reposer, les princesses sont toutes sorties pendant
que le duc d'Orléans lisoit le papier. « Le même Mémoire (p. i'i^i'io)
donne la liste des princesses, des princes, des grands officiers et des
courtisans qui se trouvaient alors dans les cabinets.
2. Les mots le P. Tellier ont été ajoutés en interligne.
3. Dans la grande Addition au Journal de Dangnau (tome XVI,
p. 90). Saint-Simon avait dit que Fagon et Mareschal se trouvaient là
aussi, et Mlle d'Aumale relève (p. 383) que ce lut « en présence d'un
grand nombre de courtisans ». Mme de Maintenon par contre (Lavallée,
[4715] DE SAINT-SIMON. 267
dans la foi et la soumission à l'Eglise, puis ajouta en les
regardant qu'il étoit fâché de laisser les affaires de l'Église
en l'état où elles étoient, qu'il y étoit parfaitement igno-
rant, qu'ils savoient', et qu'il les en attestoit, qu'il n'y
avoit rien fait que ce qu'ils avoient voulu, qu'il y avoit
fait tout ce qu'ils avoient voulu, que c'étoit donc à eux à
répondre devant Dieu pour lui de tout ce qui s'y étoit
fait, et du trop ou du trop peu, qu'il protestoit de nouveau
qu'il les en chargeoit devant Dieu, et qu'il en avoit la
conscience nette, comme un ignorant qui s'étoit abandonné
absolument à eux dans toute la suite de l'affaire -. Quel
Saint-Cyr, p. 273) raconte qu'elle-même n'était pas dans la cham-
bre.
4. Saint-Simon avait d'abord écrit qu'il n'y avoit; il a ajouté une s
à qu'il, biffé n'y avoit et écrit à la suite sçavoient.
2. Il y a deux versions assez différentes et même en partie contra-
dictoires des paroles adressées par le Roi aux deux cardinaux au sujet
de l'affaire de la Constitution. La première est celle de Saint-Simon,
dans laquelle Louis XIV décharge sur eux sa responsabilité. Saint-
Simon avait reproduit une première fois les paroles du Roi en style
direct dans la grande Addition sur Louis XIV (tome XVI, p. 90) ; il les
répète ici en style indirect, et reprend le même thème dans le Parallèle
des trois rois Bourbons (p. 337-358). Le Journal des Anthoine (p. S7)
s'accorde avec la version de Saint-Simon ; d'après eux, la dernière
parole de Louis XIV aurait été: « Si j'ai pu mal faire, c'est sur vos
consciences, et vous en répondrez devant Dieu. » La Relation conservée
dans les papiers de Fevret de Fontette et qu'on trouvera ci-après,
p. 343, est dans le même sens et l'auteur ajoute: « Ce sont ici ses
propres paroles (du Roi), et on a fait tous les efforts possibles pour les
cacher. » Enlin, témoignage d'une valeur incontestable, Mme de Main-
tenon, dans la lettre publiée par Lavallée (Saint-Cyr, p. 273), écrit
qu'elle n'assista pas à l'entretien, mais que, au moment où elle rentra
dans la chambre, elle entendit ces mots : « Vous en répondrez devant
Dieu. » — La seconde version est beaucoup plus anodine: le Roi
engage les cardinaux à continuer à défendre la bonne doctrine, sou-
haite que la paix se fasse bientôt dans l'Eglise, et proteste de sa sou-
mission à son enseignement. C'est la version de Mlle d'Aumale (p. 333-
334) et de Languet de Gergy (p. 437); c'est aussi celle que donne,
dans une conformité de texte vraiment surprenante avec Mlle d'Aumale,
la partie du Journal de Dangeau (tome XVI, p. 414-442) rédigée par
268 MÉMOIRES |1715|
affreux coup do tonnerre ! Mais les deux cardinaux
n étoient pas pour s'en épouvanter; leur cahis' étoit à
toute épreuve. Leur réponse ne fut que sécurité et louan-
ges, et le Roi à répéter que, dans son ignorance, il avoit
cru ne pouvoir mieux faire pour sa conscience que de se
laisser conduire en toute confiance par eux, par quoi il
étoit décliari,'é devant Dieu sur eux. Il ajouta que, pour
le cardinal de Noailles, Dieu lui étoit témoin qu'il ne le
haïssoit point, et qu'il avoit toujours été fâché de ce qu'il
avoit cru devoir faire contre lui. A ces dernières paroles,
Blouin, Fagon, tout baissé et tout courtisan qu'il étoit, et
Mareschal, qui étoient en vue et assez près du Roi, se re-
gardèrent, et se demandèrent entre haut et bas si on lais-
seroit mourir le Roi sans voir son archevêque, sans mar-
quer par là réconciliation et pardon, que c'étoitun scandale
nécessaire à lever. Le Roi, qui les entendit, reprit la pa-
role aussitôt, et déclara que non-seulement il ne s'y sen-
toit point de répugnance, mais qu'il le desiroit. Ce mot
interdit les deux cardinaux bien plus [que] la citation -
que le Roi venoit de leur faire devant Dieu à sa décharge.
un secrétaire. Le Mémoire spécial de Dangeau ne souffle mot de l'inci-
dent, et ce pourrait bien être là une preuve indirecte que ce Mémoire
(dont l'attribution a été contestée) a bien pour auteur cet avisé courtisan.
Enfin, ne négligeons pas de remarquer que la Relation de Quincy (revue
et corrigée par le P. le Tellier) est également muette sur ce sujet
délicat. Le maréchal de Villars, de son côté, a inséré dans ses Mémoires
(tome IV, p. Gi) celte brève mention : « Il recommanda aux cardinaux
de Rohan et de Bissy les atraires de la religion, et leur dit que c'étoit
une véritable douleur pour lui de n'avoir pu les terminer, mais que,
si Dieu lui avoit donné quelques jours de plus, il auroit espéré de faire
cesser les divisions. »
i. Les éditions précédentes avaient imprimé leur calme ; on lit par-
faitement dans le manuscrit leur calus, mot que le Dictionnaire de
l'Académie de 1718 délinissait ainsi au figuré: « Un endurcissement
d'esprit et de cœur qui se forme par la longue habiludo. « Le même mot
est employé dans la version du Parallèle des trois rois bourhons, p. 338.
2. L'auteur avait d'abord écrit bien plus que ne ve7ioit de faire la
citation ; il a biffé que ne venoit de faire, et oublié de rétablir le que.
[nin] DE SAINT-SIMON. 289
Mme de Maintenon en fut effrayée ; le P. Tellier en trem-
bla. Un retour de confiance dans le Roi, un autre de gé-
nérosité et de vérité dans le pasteur, les intimidèrent. Ils
redoutèrent les moments ' où le respect et la crainte fuient
si loin devant des considérations plus prégnantes-. Le
silence régnoit dans ce terrible embarras. Le Roi le rom-
pit par ordonner au Chancelier d'envoyer sur-le-champ
chercher le cardinal de Noailles, si ces Messieurs, en regar-
dant les cardinaux de Rohan et de Bissy, jugeoient qu'il
n'y eût point d'inconvénient. Tous deux se regardèrent,
puis s'éloignèrent jusque vers la fenêtre, avec le Tellier,
le Chancelier et Mme de Maintenon. Tellier cria tout bas,
et fut appuyé de Bissy ; Mme de Maintenon trouva la chose
dangereuse; Rohan, plus doux ou plus politique sur le
futur, ne dit rien, le Chancelier non plus. La résolution
enfin fut de finir la scène comme ils l'avoient commencée
et conduite jusqu'alors, en trompant le Roi et se jouant
de lui. Ils s'en rapprochèrent, et lui firent entendre avec
forces louanges qu'il ne falloit pas exposer la bonne cause
au triomphe de ses ennemis, et à ce qu'ils sauroient tirer
d'une démarche qui ne partoit que de la bonne volonté
du Roi et d'un excès de délicatesse de conscience ; qu'ainsi
ils approuvoient bien que le cardinal de Noailles eût
l'honneur de le voir, mais à condition qu'il accepteroit
la Constitution, et qu'il en donneroit sa parole. Le Roi,
encore en cela, se soumit à leur avis, mais sans raisonner,
et dans le moment le Chancelier écrivit conformément,
et dépêcha au cardinal de Noailles ^ Dès que le Roi eut
1. Ces quatre mots, qui commencent la phrase, oubliés par mégarde
par Saint-Simon dans sa mise au net, ont été rétablis en interligne et
sur la marge.
2. Mot déjà rencontré ci-dessus, p. 37.
3. Il y a encore plusieurs versions de cet incident. Saint-Simon pré-
tend que ce furent Blouin, Fagon et Mareschal qui le soulevèrent. Au
contraire Languet de Gergy (p. 461-462), les Anthoine (p. 63-64), le
marquis de Quincy (p. 401) et la Relation des papiers Fevret de Fon-
tette (ci-après, p. 344), racontent que le cardinal de Noailles écrivit
^270 MEMOIRES |47i.S
consenti, les deux cardinaux le llattèrenl de la giande
œuvre qu'il alloit op»''rer (tant leur frayeur fui grande
qu'il ne revînt à le vouloir voir sans condition, dont le
piège éloitsi misérable et si aisé à découvrir), ou en rame-
nant le cardinal de Noaillos, ou en manifestant par son
rçfus et son opiniâtreté invincible à troubler l'Église, et
son ingratitude consommée pour un roi à qui il devoit
tout et qui lui' tenduit ses bras mourants. Le dernier
arriva. Le cardinal de Noailles fut pénétré de douleur de
ce dernier comble de l'artifice. Il avoit tort ou raison de-
une lettre à Mme de xMainlenon pour lui faire part de son désir de
voir le Roi, que celle-ci la monlra au cardinal de Rohan et au confes-
seur, puis à Louis XIV, qui manifesta le contentement qu'il aurait de
voir son archevêque, mais qui, suivant les uns de son propre mouve-
ment, suivant les autres à l'instigation de Rohan et du P. le Tellier,
mit comme condition qu'il accepterait la constitution Unigenilus. Il
ordonna sur l'heure au Chancelier d'écrire une lettre en ce sens au
cardinal de Xoailles ; ce qui fut fait aussitôt, et le Roi la signa. Les
Anthoine ajoutent que la condition mise par le Roi était contenue dans
une courte apostille placée après la signature et ainsi conçue: « Je
vous attends à condition que vous vous rejoindrez aux autres évèques
vos confrères. » Languet de Gergy donne un texte bien plus développé
de cette lettre. Entin Mlle d'Aumule (p. 34'2) en a fait un récit telle-
ment ditVéront qu'il n'est point inutile de le reproduire ici: « Comme
j'étois, dit-elle, presque toujours dans sa chambre avec Mme de Main-
tenon, je fus chargée par le maréchal de IN'oailles de lui parler un peu
du cardinal son frère, el de lâcher qu'il consentît à le voir. Je lui en
parlai effectivement; je lui demandai s'il n'avoit rien contre M. le car-
dinal de Noailles. « Non, me répondit-il, je n'ai rien de personnel
contre lui, et, s'il veut venir tout à l'heure, je l'embrasserai de tout
mon cœur, s'il veut se soumettre au Pape ; car je veux mourir comme
j'ai vécu, catholique, apostolique et romain. » J'allai porter cette réponse
à M. le Cardinal [sans doute pour « M. le Maréchal «J, qui me dit : « En
« ce cas-là, j'ai du regret à celte heure que vous lui en ayez parlé. »
Il n'en fut plus question depuis, et le Roi ne le vit point. » Peut-être
faut-il supposer que ce récit se rapporte à une seconde tentative faite
à l'instigation du maréchal de Noailles. Voyez ci-après, p. 3.'>0 et '.ioi-
332, la lettre du 28 août de l'abbé Mascara. De nos jours le P. Bliard,
dans son ouvrage sur le P. le Tellier (p. 379- 390), a cherché à expli-
quer la conduite du confesseur et des deux cardinaux.
4. Avant qui Saint-Simon a biHé un à, et luy surcharge l7.
[17i5] DE SAINT-SIMON. 271
vant tout parti sur l'affaire de la Constitution ; mais, quoi
qu'il en fût, l'événement de la mort instante du [\oi n'opé-
roit rien sur la vérité de cette matière, ni ne pouvoit' opé-
rer, par conséquent, aucun changement d'opinion. Uien
de plus touchant que la conjoncture, mais rien de plus
étranger à la question, rien aussi de plus odieux que ce
piège, par- rapport au Roi, de l'état duquel ils ache-
vèrent d'abuser si indignement, et par rapport au cardi-
nal de Noailles, qu'ils voulurent brider ou noircir si gros-
sièrement. Ce trait énorme émut tout le public contre
eux, avec d'autant plus de violence que l'extrémité du
Roi rendit la liberté, que sa terreur avoit si longtemps
retenue captive. Mais, quand on en sut le détail, et l'apos-
trophe du Roi aux deux cardinaux sur le compte qu'ils
auroient à rendre pour lui de tout ce qu'il avoit fait sur
la Constitution, et le détail de ce qui là même s'étoit
passé tout de suite sur le cardinal de Noailles, l'indigna-
tion générale rompit les digues et ne se contraignit plus;
personne au contraire qui blâmât le cardinal de Noailles,
dont la réponse au Chancelier fut en peu de mots un chef-
d'œuvre de religion, de douleur et de sagesse ^
Ce même lundi 2l) août, après que les deux cardinaux AdieuxduRoi.
furent sortis, le* Roi dîna dans son lit en présence de ce
qui avoit les entrées. Il les fit approcher comme on des-
servoit, et leur dit ces paroles, qui furent à l'heure même
recueillies: « Messieurs, je vous demande pardon du mau-
vais exemple que je vous ai donné. J'ai bien à vous
remercier de la manière dont vous m'avez servi, et de
l'attachement et de la fidélité que vous m'avez toujours
1. Les mots ne pouvoit ont été ajoutés en interligne.
■2. Avant ce mot il y a dans le manuscrit un çunnutile, lequel rend
la phrase incorrecte ou inachevée.
3. La correspondance du cardinal de Noailles conservée à la Biblio-
thèque nationale (ms. Fr. 23-itO à 23:229) ne contient ni la lettre du
Chancelier, ni la réponse du cardinal.
4. Ce le surcharge il.
-27-2 N!1;M(>IHKS flTlS]
niarquoo. Je suis bien làclu- de n'avoir pas fait pour vous
ce que j'aurois bien voulu faire. Les mauvais temps en
sont cause. Je vous demande pour mon petit-fds la même
application et la même lidélité que vous avez eue pour
moi. C'est un enfant qui pourra essuyer bien des traver-
ses. Que votre exemple en soit un pour tous mes autres
sujets. Suivez les ordres que mon neveu vous donnera. 11
va gouverner le royaume; j'espère qu'il le fera bien;
j'espère aussi que vous contribuerez tousà l'union, etque,
si quelqu'un s'en écartoit, vous aideriez à le ramener. Je
sens que je m'attendris', et que je vous attendris aussi ; je
vous en demande pardon. Adieu, Messieurs: je compte
que vous vous souviendrez quelquefois de moi-. »
In peu après que tout le monde fut sorti, le Roi de-
manda le maréchal de Villeroy, et lui dit ces mêmes paro-
les, qu'il retint bien, et qu'il a depuis rendues: « Mon-
sieur le maréchal, je vous donne une nouvelle marque de
mon amitié et de ma confiance en mourant. Je vous fais
gouverneur du Dauphin, qui est l'emploi le plus impor-
tant que je puisse donner. Vous saurez par ce qui est
dans mon testament ce que vous aurez à faire à l'égard
du duc du Maine. Je ne doute pas que vous ne me ser-
viez après ma mort avec la même fidélité que vous l'avez
fait pendant ma vie. J'espère que mon neveu vivra avec
1. Le Roi pleurait très facilement, et Saint-Simon a déjà fait celle
remarque : notre tome VIU, p. 324.
2. Saint-Simon copie exactement le texte qu'il trouve dans le Jour-
nal de Dangeau à la journée du 26 août (p. il2), texte que le secré-
taire de Dangeau alTiriiie être « mot pour mot ce que le Roi a dit aux
courtisans ». Mlle d'Aumale (p. 33 i) et Languet de Gergy (p. i37-'»5H)
le reproduisent aussi avec des différences insignitiantes. Mais le Mé-
moire spécial de Dangeau (p. 128) semble à priori présenter une ver-
sion assez différente. C'est qu'il y eut en réalité deux discours du Roi,
l'un adressé aux courtisans, l'autre aux ofliciers de sa maison ; Saint-
Simon n'a mentionné que le premier. Mais le récit du marquis de Quincy
les spécifie parfaitement tous deux (p. 400 et 401). Le Mémoire de
Dangeau, comme le Journal des Anthoine (p. 58), no reproduit que
les paroles adressées aux officiers.
|lTlo| DE SAINT-SIMON. m
vous avec la considération et la confiance qu'il doit avoir
pour un homme que j'ai toujours aimé. Adieu, Monsieur
le maréchal ; j'espère que vous vous souviendrez de
moi'. »
Le Roi, après quelque intervalle, fit appeler Monsieur
le Duc et M. le prince de Conti, qui étoient dans les cabi-
nets, et, sans les faire trop approcher, il leur recommanda
l'union désirable entre les princes, et de ne pas suivre les
exemples domestiques sur les troubles et les guerres- ; il
ne leur en dit pas davantage. Puis, entendant des femmes
dans le cabinet, il comprit bien qui elles étoient, et tout
de suite leur manda d'entrer. C'étoit Mme la duchesse de
Berry, Madame, Mme la duchesse d'Orléans, et les prin-
cesses du sang, qui crioient, et à qui le Roi dit qu'il ne
falloit point crier ainsi'. Il leur fit des amitiés courtes,
distingua Madame, et finit par exhorter Mme la duchesse
d'Orléans et Madame la Duchesse de se raccommoder*.
1. C'est encore dans le Journal de Dangeau (p. 412-143; que Saint-
Simon prend ces paroles, dont il n'est pas question dans le Mémoire
spécial. Mlle d'Aumale (p. 334-333), Languet de Gergy (p. 438) et le
marquis de Quincy (p. 397-398) donnent la même leçon, et le sens
n'en est pas différent dans le Journal des Anthoine (p. 49).
2. C'est-à-dire l'exemple de leurs ancêtres pendant la Fronde :
Mlle d'Aumale, p. 336-337 ; Quincy, p. 398 ; lettre anonyme des
archives de Dampierre (Dangeau, tome XVIII, p. 373).
3. Mémoire spécial de Dangeau, p. 428-429 ; Mlle d'Aumale, p. 333 ;
Quincy, p. 398-399.
4. Madame, dans sa Correspondance (recueil Brunet, tome I, p. 257)
raconte ainsi la scène : « Je n'ose pas penser à ce que le Roi m'a dit
à son lit de mort Il a recommandé l'union à ses tilles légitimées.
J'ai été la cause innocente de ce que le Roi leur a dit de désagréable :
en l'entendant dire : « Je vous recommande surtout d'être unies », je
crus qu'il disait cela pour moi et pour la femme de mon tils, et je
répondis : « Oui, je vous obéirai, Monsieur. » Le Roi se retourna alors
vers moi et dit d'une voix rude : « Vous croyez que je dis cela pour
« vous ; non, non ! Vous êtes raisonnable et je vous connais ; c'est à
« ces princesses que je parle, qui ne le sont pas autant que vous. »
Dans une lettre précédente (ibidem, p. 481), elle avait raconté la scène
tout entière : « Nous avons eu hier le spectacle le plus triste et le plus
MÉMOIRES DE SAINT-SI.MON. XXVII 18
iU MEMOIRES 117151
Tout cela fut court, et il les congtklia'. Elles se retirèrent
par les cabinets, pleurant et criant fort, ce qui fit croire
au dehors, parce que les fenêtres des cabinets étoient ou-
vertes, que le Roi étoit mort, dont le bruit alla à Paris,
et jusque dans les provinces.
Quelque temps après, il manda à la duchesse de Venta-
dour de lui amener- le Dauphin. Il le fit approcher^ et
lui dit ces paroles devant Mme de Maintenon et le très peu
des plus intimement privilégiés ou valets nécessaires, qui
les recueillirent^: « Mon enfant, vous allez être un grand
roi. Ne m'imitez pas dans le goût que j'ai eu pour les
touchant qu'on puisse imaginer. Le Roi, après s'être préparé à la
mort, après avoir reçu les derniers sacremeiits, s'est fait apporter le
Dauphin, lui a donné sa bénédiction et lui a parlé. Il m'a fait venir
ensuite, ainsi que la duchesse de Berry et toutes ses autres lilles et
petits-enfants. Il m'a dit adieu avec des paroles si tendres que je
m'étonne de n'être pas tombée à la renverse sans connaissance.... Je
me suis jetée à genoux, et, prenant sa main, je l'ai baisée; il m'a
embrassée et il a ensuite parlé aux autres. »
1. A ce propos, le Journal des Anthoine(p. 55) relève cette particu-
larité: « Nous n'avons pu suivre le til de son discours; car lafoiblesse
de sa voix et les pleurs et soupirs des assistants nous le déroboient. »
2. Amener corrige amer, mal écrit.
3. D'après les Anthoine (p. 60), Mme de Ventadour installa le jeune
Dauphin dans un fauteuil qui se trouvait au chevet du lit.
4. Tous les textes qu'on connaît de ces paroles (Mémoire de Dan-
geau, p. 1 '•26- 1*27 ; Mlle d'Aumale, p. 331-332; Languet de Gergy,
p. 456; Relation de Quincy, p. 399; lettre anonyme de Dampierre,
p. 375 ; Journal des Anthoine, p. 61-63; lettre de l'abbé Mascara du
27 aoiit, ci-après, p. 348 ; texte du manuscrit Arsenal 2325, fol. 88 ;
etc.) sont plus ou moins conformes les uns aux autres comme sens,
mais diffèrent sensiblement comme forme Voltaire, dans le Siècle de
Louis XIV, a prétendu les reproduire d'après le tableau qui se trouvait
au chevet du lit de Louis XV et sur lequel le maréchal de Vilieroy,
son gouverneur, les avait fait transcrire. Or M. Le Roi, dans un mé-
moire inséré dans ses Curiosités historiques (1864), semble bien en
avoir retrouvé le texte exact dans les papiers du maître d'écriture
Gilbert chargé d'en faire la transcription pour placer au-dessus du lit
du jeune roi. Voici d'après lui quelles furent les paroles de Louis XIV :
« Mon cher enfant, vous allez être le plus grand roi du monde. N'oubliez
[1715] DE SAINT-SIMON. 275
bâtiments', ni dans celui que j'ai eu pour la guerre; tâchez,
au contraire, d'avoir la paix avec vos voisins. Rendez à
Dieu ce que vous lui devez ; reconnoissez les obligations
que vous lui avez; faites-le honorer par vos sujets. Suivez
toujours les bons conseils; tâchez de soulager vos peu-
ples, ce que je suis assez malheureux pour n'avoir pu
faire. N'oubliez point la reconnoissance que vous devez à
Mme de Ventadour. Madame (s'adressant à elle), que je
l'embrasse; » et en l'embrassant lui dit: « Mon cher en-
fant, je vous donne ma bénédiction de tout mon cœur. »
Comme on eût- ôté le petit prince de dessus le lit du Roi,
il le redemanda, l'embrassa de nouveau, et, levant les
mains et les yeux au ciel, le bénit encore. Ce spectacle
fut extrêmement touchant ; la duchesse de Ventadour se
jamais les obligations que vous avez à Dieu. Ne m'imitez pas dans les
guprres ; tâchez de maintenir toujours la paix avec vos voisins, de sou-
lager votre peuple autant que vous pourrez, ce que j'ai eu le malheur
de ne pouvoir faire par les nécessités de l'Etat. Suivez toujours les
bons conseils, et songez bien que c'est à Dieu à qui vous devez tout
ce que vous êtes. Je vous donne le Père le Tellier pour confesseur ;
suivez ses avis et ressouvenez-vous toujours des obligations que vous
avez à Madame de Ventadour. » Le P. le Tellier ayant été exilé par le
Régent, la phrase qui le concernait fut supprimée ; c'est pourquoi Vol-
taire l'a omise ; mais elle se trouve dans Dangeau et Mlle d'Aumale.
— Quelques années plus tard, en 1718, une imprimerie ayant été ins-
tallée aux Tuileries auprès du cabinet du Roi pour servir au divertis-
sement et à l'instruction de Louis XV, la première pièce qui y fut
composée fut ces dernières paroles de son aïeul ; on en imprima deux
textes, l'un absolument conforme à celui que nous donnons ci-dessus
d'après Gilbert, moins la phrase relative au P. le Tellier, l'autre, dont
le sens est le même, mais développé, amplitiéen phrases moins courtes
et plus arrondies, et qui est celui que Voltaire a donné dans le chapi-
tre XVIII du Siècle de Louis XIV (H. Omont, Vimprimerie du cabi-
net du Roi au château des Tuileries sous Louis XV, dans le Bulletin
de la Société de l'histoire de Paris, année 1891).
1. Saint-Simon, qui copie presque mot pour mot le texte donné par
la Relation du marquis de Quincy, a ajouté de son cru cette recom-
mandation sur les bâtiments, qui n'est donnée par aucune autre version.
2. 11 y a bien eust au subjonctif dans le manuscrit.
276 MEMOIRES (Hiri]
hàla d'emporter le Dauphin et de le ramener dans son
appartement'.
Après une courte pause, le Roi fit appeler le duc du
Maine et le comte de Toulouse, fit sortir tout ce peu qui
étoit dans sa chambre et fermer les portes ; ce particulier
dura assez longtemps-. Les choses remises dans leur ordre
accoutumé, quand il eut fait avec eux, il envoya chercher
M. le duc d'Orléans, qui étoit chez lui. 11 lui parla fort
peu de temps, et le rappela comme il sortoit pour lui dire
Le Roi encore quelque chose, qui fut fort courte Ce fut là qu'il
i. Louis XIV avait écrit, quelques jours auparavant, une lettre qu'il
adressait au Dauphin, pour lui servir d'instruction et qu'il conlia au
maréchal de Villeroy pour la remettre à ce prince lorsqu'il aurait l'âge
de dix-sept ans (Souvenirs de Mlle d'Aumale, tome II, p. 33:2). Cette
lettre, écrite tout entière de la main du Roi, ne fut sans doute jamais
remise à sou destinataire. Mlle d'Aumale en avait pris copie sur l'ori-
ginal, et les éditeurs de ses Souvenirs l'ont publiée on appendice à
leur tome II, p. 3"'2-374; nous croyons intéressant d'en reproduire le
texte ci-après, p. 373. Le marquis d'Argenson, dans ses Mémoires (édi-
tion delà Société de l'histoire de France, tome IV, p. 63-64), raconte
que le maréchal de Noailles, peu de jours après la mort du cardinal
de Fleury, en janvier 1743, remit à Louis XV une lettre du Roi son
grand-père confiée par lui à Mme de Maintenon pour être transmise à
son successeur. On pourrait croire qu'il s'agit de la lettre que nous a
conservée Mlle d'Aumale, si le résumé qu'en donne le marquis d'Argen-
son n'était absolument diiïérent. Le marquis d'Argenson s'est trompé.
Si l'on consulte les Mémoires de Noailles (édition Michaud et Poujou-
lat, p. 31'2-3i4), on voit que ce que le maréchal remit à Louis XV,
ce fut, avec un mémoire politique rédigé par lui-même, la copie des
instructions que Louis XIV avait données en 1700 à son petit-tils Phi-
lippe V partant pour l'Espagne, et dont on trouve le texte dans les
mêmes Mémoires (p. 71-72). Cela n'a donc aucun rapport avec la lettre
conflée à Villeroy. L'éditeur des Mémoires d'Arfjeiison, M. Rathery,
dit que cette lettre a été souvent publiée, notamment dans le tome VI
des Mémoires de Mme de Maintenon, par la Reaumelle, édition de
4756 ; c'est une erreur : La Beaumelle no semble pas avoir connu cette
pièce, dont le texte était ignoré jusqu'à la publication des Souvenirs
de Mlle d'Aumale.
2. C'est sans doute l'entretien dont parlent le Mémoire de Dangeau,
p. 127, et la Relation de Quincy, p. 399.
3. Ce fut pour lui recommander Mme de Maintenon ; le Mémoire de
[d-lo]
DE SAINT-SrMON.
277
lui ordonna de faire conduire, dès ce qu'il seroit mort',
le Roi futur à Vincennes, dont l'air est bon, jusqu'à ce
que toutes les cérémonies fussent finies à Versailles et le
château bien nettoyé après, avant de le ramener à Ver-
sailles, où il destinoit son séjour. Il en avoit apparemment
parle auparavant au duc du Maine et au maréchal de Vil-
le roy ; car, après que M. le duc d'Orléans fut sorti, il
donna ses ordres pour aller meubler Vincennes, et mettre
ce lieu en état de recevoir incessamment son successeur-.
Mme du Maine, qui jusqu'alors n'avoit pas pris la peine de
bouger de Sceaux, avec ses compagnies et ses passe-temps,
étoit arrivée à Versailles, et fit demander au Roi la per-
mission de le voir un moment après ces ordres donnés.
Elle étoit déjà dans l'antichambre ; elle entra, et sortit un
moment après ^,
Le mardi 27 août, personne n'entra dans la chambre du
Roi que le P. Tellier, Mme de Maintenon, et pour la messe
Dangeau le dit formellement (p. 128). Mme de Maintenon a rapporté
elle-même les paroles employées par le Roi en cette circonstance
(Lavallée, Saint-Cyr, p. 274-273), et elles ont été reproduites presque
sans modification par Mlle d'Aumale (p. 3û6) et par Languet de Gergy
(p. 460-i61). Saint-Simon ne parle pas de cette recommandation, parce
qu'il ne la trouve pas mentionnée dans la Relation de Quincy, et c'est
encore là une preuve bien frappante qu'il utilise exclusivement cette
source. Les lettres de l'abbé Mascara en parlent à deux reprises (ci-
après, p. 330 et 333).
i. Tel est bien le texte du manuscrit.
2. La lettre anonyme des archives de la Ciotat (ci-après, p. 342)
donne, à cette occasion, des détails qu'on ne trouve pas ailleurs : « Le
Roi a déclaré que le nouveau roi seroit conduit à Vincennes dès qu'il
seroit mort et a commandé lui-même nom par nom, la garde qui doit
l'escorter et les personnes qui le conduiront, voulant que les chevaux
soient harnachés et les gendarmes, mousquetaires, chevau-légers et
gardes du corps bottés. » D'après l'abbé Mascara, Mme de Ventadour
redoutait pour l'enfant le séjour de Vincennes j mais le duc d'Orléans
tinta se conformer aux volontés du Roi (ci-après, p. 330, 333 et 336).
3. Cette visite de la duchesse du Maine n'est mentionnée que par
la Relation de Quincy (p. 399) ; nouvelle preuve des emprunts de
Saint-Simon à ce récit.
ordonne que
son successeur
aille à
Vincennes
et revienne
demeurer à
Versailles.
Le Roi
brûle
des papiers;
278 MÉMOIRES [17151
ordonne seulomcnl Ic cardinal de Rohan et les deux aumôniers de
que son cœur q^,.^,.ti .^ i s^^,. lesdoux licures, il envova chercher le Chan-
soit porte 1 _ •' _
à l'ar s aux ceiier, et, seul avec lui et Mme de Maintenon, lui fit ou-
Jesuiies. ^,j,j|, j^^yx cassettes pleines de papiers, dont il lui fit brûler
ba présence • • i j >•■ i
d'esprit et ses beaucoup, et lui donna ses ordres pour ce qu \\ voulut
dispositions, qu'il fît des autres"'. Sur les six heures du soir, il manda
encore le Chancelier^. Mme de Maintenon ne sortit point
de sa chambre de la journée S et personne n'y entra que les
valets, et, dans des moments, l'apparition du service le
plus indispensable. Sur le soir, il fit appeler le P. Tellier,
et, presque aussitôt après qu'il lui eut parlé, il envoya
chercher Pontchartrain, et lui ordonna d'expédier aussitôt
qu'il seroit mort un ordre pour faire porter son cœur
dans l'église de la maison professe des jésuites à Paris, et
l'y faire placer vis-à-vis celui du Roi son père, et de la
même manière ^ Peu après, il se souvint que Cavoye,
1. Le Journal des Anthoine (p. GH) insiste sur les grandes douleurs
que le Roi ressentit par tout le corps, tandis qu'il était insensible aux
scarilioations que les médecins faisaient à sa jambe malade. Selon le
Mémoire de Dangeau (p. 131), on constata ce jour-là cependant que
la gangrène ne montrait pas de progrès et paraissait s'arrêter à la mar-
que que la jarretière avait faite à la jambe.
2. Les relations ne sont pas d'accord sur le jour où le Roi fil brûler
les papiers de ses cassettes. Saint-Simon suit le Journal de Dangeau
(rédaction du secrétaire, p. 113), qui place cette précaution à l'après-
midi du 27 août ; il en est de même du Journa/ des Anthoine (p. (i^);
au contraire le Mémoire spécial de Dangeau (p. 130), Mlle d'Aumale
(p. 329), Languet de Gergy (p. -itiO) et Quincy (p. 400) disent le
26 août. Mme de Maintenon (p. 272) et Mlle d'Aumale rapportent
plusieurs des paroles dites par le Roi à propos des papiers qu'il faisait
brûler; il (it fouiller par Mme de Maintenon les poches de ses vêle-
ments, et lui donna son chapelet « non comme une relique, dit-il, mais
pour vous souvenir toujours de moi » ; sa boîte à bonbons échut à
Mlle d'Aumale, dans la famille de laquelle elle existe encore.
3. Ceci n'est dit que par le Journal de Dangeau, p. 113.
4. L'abbé Mascara écrit (ci-après, p. 348, 27 août; que son carrosse
était toujours prêt pour pouvoir s'en aller à Sainl-Cyr dès que le Roi
serait mort.
5. Cet ordre n'a pas été enregistré dans les registres du secrétariat
[1745] DE SAINT-SIMON. 279
grand maréchal des logis de sa maison, n'avoit jamais fait
les logements de la cour à Vincennes, parce qu'il y avoit
cinquante ans que la cour n'y avoit été ; il indiqua une
cassette où on trouvcroit le plan de ce château, et ordonna
de le prendre et de le porter à Gavoye^ Quelque temps
après ces ordres donnés, il dit à Mme de Maintenon
qu'il avoit ouï dire qu'il étoit difficile de se résoudre à la
mort; que, pour lui, qui se trouvoit sur le point de ce
moment si redoutable aux hommes, il ne trouvoit pas que
cette résolution fût si pénible à prendre. Elle lui répondit
qu'elle l'étoit beaucoup quand on avoit de l'attachement
aux créatures, de la haine dans le cœur, des restitutions
à faire. « Haï reprit le Roi, pour des restitutions à faire,
je n'en dois à personne comme particulier ; mais, pour
celles que je dois au royaume, j'espère en la miséricorde
de Dieu-. » La nuit qui suivit fut fort agitée. On lui voyoit
à tous moments joindre les mains, et on l'entendoit^ dire
les prières qu'il avoit accoutumées en santé, et se frapper
la poitrine au Confiteor'' .
de la Maison du Roi ; toutes les relations mentionnent cette précaution
du Roi mourant ; la lettre de l'abbé Mascara du 34 août (ci -après, p. 356)
donne des détails particuliers. Voyez aux Additions et Corrections.
4. Journal de Dangeau, p. 113-144 ; Mémoire de Dangeau, p. 434 ;
Relation de Quincy, p. 401-402; Mlle d'Aumale, p. 33T. L'abbé Mas-
cara raconte que Cavoye avait remis sa charge au marquis de Cany,
fils de Chamillart, qui la lui avait achetée, ne voulant plus servir
après le Roi (ci-après, p. 330).
2. Saint-Simon copie le Journal de Dangeau (p. 444); les récits de
Quincy (p. 402) et de Mlle d'Aumale(p. 339) sont presque exactement
les mêmes; le Mémoire de Dangeau ( p. \3i-lii'i) supprime le dialogue.
3. Ce mot, mal écrit d'abord (l'endoit) à la (in d'une ligne par Saint-
Simon, et biffé, a été répété, encore écrit de même, au commence-
ment de la ligne suivante, puis corrigé par l'addition de la syllabe ten
en interligne, enlin bitTé une seconde fois, puis remis correctement
sur la marge à la fin de la ligne précédente.
4. Ceci est encore la copie du Journal de Dangeau (p. 444).
Mlled'Aumale (p. 340-344): « La nuit du 27 au 28 août, il fut fort
agité, et à tout moment on l'entendoit prier Dieu et faire toutes les
prières qu'il faisoit ordinairement dans son lit, frappant sa poitrine
«»80 MEMOIRES |17lo]
Le mercredi 28 août, il fit le matin une amitié à Mme de
Maintenon qui ne lui plut guères,et à laquelle elle ne ré-
pondit pas un mot. Il lui dit que ce qui le consoloit de la
quitter étoit l'espérance, à 1 âge où elle étoit, qu'ils se re-
joindroient bientôt'. Sur les sept heures du matin, il fit
appeler le P. Tellier, et, comme il lui parloit do Dieu, il
vit dans le miroir de sa cheminée deux garçons de sa
chambre assis au pied de son lit qui pleuroient. Il leur dit:
« Pourquoi pleuroz-vous? Est-ce que vous m'avez cru
immortel ? Pour moi, je n'ai point cru l'être, et vous ave/,
dû, à l'âge où je suis, vous préparera me perdre -. »
au Confiteor, et nommant entre haut et bas toutes les personnes pour
qui il prioit, comme : « le Roi mon père, la Reine ma mère. » Voyez
aussi Quincy, p. 402.
i. Mme de Maintenon dans sa lettre à Mme de Villette (Lavallée,
Saint-Cyr, p. '274-ri7o) raconte que le Roi lui dit trois fois adieu.
« La première fois, il m'assura qu'il n'avoit de regret que de me quit-
ter ; mais, ajouta-t-il en soupirant, nous nous reverrons bientôt Je le
priai de ne plus penser qu'à Dieu. La seconde fois, il me demanda
pardon de n'avoir pas assez bien vécu avec moi et de ne m'avoir pas
rendue heureuse, mais qu'il m'avoit toujours aimée et estimée ; et, se
sentant alors prêt à pleurer, il me recommanda d'examiner si on ne
l'écoutoit pas. « Cependant, ajouta-t-il, on ne sera jamais surpris que
« je m'attendrisse avec vous. « A la troisième fois, il me dit : « Qu'allez-
« vous devenir? vous n'avez rien. » Je l'exhortai à ne s'occuper que de
Dieu, et, faisant ensuite réflexion que j'ignorois de quelle manière les
princes me traiteroient. je le priai de me recommander à M. le duc
d'Orléans. Il l'appela et lui dit, etc. » Mlle d'Aumale (p. 330-331) et
Languet de Gergy (p. 462-463) donnent des textes un peu plus déve-
loppés. A propos de ce rendez-vous dans l'autre monde, Duclos pré-
tend (yiémoircs secrets, édition Michaud et Poujoulat, p. 48i) que
l'apothicaire Boulduc lui aurait assuré que Mme de Maintenon aurait
dit en sortant: « Voyez le rendez-vous qu'il me donne ! Cet homme-là
n'a jamais aimé que lui. » De telles paroles sont si peu conformes au
caractère et aux habitudes de Mme de Maintenon qu'on peut sans
crainte en certitier la fausseté. .Mais il est curieux de remarquer que
Saint-Simon était lié avec Boulduc et a déjà dit à trois reprises
(tomes XXII, p. 302 et 362-363, et XXIV, p. 248) que celui-ci lui
avait fourni des renseignements.
2. Toutes les relations ont relevé ces paroles, mais avec des desti-
[1715] DE SAINT-SIMON. 281
Une espèce de manant provençal fort grossier apprit
l'extrémité du Roi en chemin de Marseille à Paris, et vint
ce matin-ci à Versailles, avec un remède, qui, disoit-il,
guérissoit la gangrène ^ Le Roi étoit si mal et les méde-
cins tellement à bout, qu'ils y consentirent sans difficulté,
en présence de Mme de Maintenon et du duc du Maine".
Fagon voulut dire quelque chose ; ce manant, qui se Le Brun,
nommoit le Brun^, le malmena fort brutalement, dont ^aW^ic'
Fagon, qui avoit accoutumé de malmener les autres et Fagon
d'en être respecté jusqu'au tremblement, demeura tout et donne de son
, r j T ' elixiraunoi.
abasourdie On donna donc au Roi dix gouttes de cet Duc du Maine.
nataires différents. Tandis que le Journal (p. 114, et c'est là oîi
Saint-Simon a pris l'anecdote) et le Mémoire de Dangeau (p. 132)
disent aussi à deux garçons de la chambre, Mlle d'Aumale (p. 341)
dit aux médecins, Languet de Gergy (p. 4oo) aux princesses, les
Anthoine (p. 53) à Mme de Maintenon. La relation de Quincy
(p. 403) prétend qu'elles furent prononcées deux fois, d'abord pour
deux garçons de la chambre, puis pour les médecins, et c'est sans
doute là qu'est la vérité.
1. Le Mémoire de Dangeau (p. 132) parle de la composition de cet
élixir. Il faut lire ci-après, p. 351 et 352, le récit très curieux des
deux lettres de l'abbé Mascara du 29 août.
2. On prit cependant l'avis du duc d'Orléans, du moins lorsqu'il fut
question de réitérer le remède, et il amena lui-même l'empirique dans
la chambre du Roi et lui tit tàter son pouls, avant d'autoriser l'emploi
de sa drogue {Journal des Anthoine, p. 69; Mémoire de Dangeau,
p. 132-133; voyez aussi la Relation de Quincy, p 403, et celle de
Mlle d'Aumale, p. 340). L'abbé Mascara dit qu'on prit l'avis de MM. du
Maine et de Toulouse et de la duchesse d'Orléans.
3. On ne sait rien sur ce le Brun, si ce n'est que, d'après la relation
du maître des cérémonies Desgranges {Carnet historique et littéraire,
tome IV, 1899, p. 152), il avait naguère servi dans l'équipe de ma-
telots employés sur le canal de Versailles. La lettre anonyme des
archives de la Ciotat (ci-après, p. 343) parle d'un médecin d'Amiens ;
le Journal de Buvat (p. 44) d'un médecin de Beauvais; enfin il est
curieux de remarquer que Mlle d'Aumale (p. 349) mentionne un second
empirique. L'abbé Mascara dans sa lettre du 30 août (ci-après, p. 334),
donne sur son compte d'autres renseignements peu favorables, qu'il
tenait d'un chirurgien de l'hôpital de la Charité, neveu de Mareschal.
4. Voyez ci-après, Appendice, p. 357, la curieuse appréciation de
l'abbé Mascara sur Fagon. Aucune des relations ne parle de cette aven-
3«2 MÉMOIRES [1715]
élixir' dans du vin d'Alicante', sur les onze heures du
matin. Quelque temps après, il se trouva plus fort ; mais, le
pouls* étant retombé et devenu fort mauvais, on lui en pré-
senta une autre prise sur les quatre heures, en lui disant
quec'étoit pour le rappeler à la vie*. Il répondilen prenant
le verre où cela étoit : « A la vie ou à la mort, tout ce qui
plaira à Dieu. » Mme de Maintenon venoit de sortir de chez
le Roi, ses coifTes baissées, menée par le maréchal de Vil-
leroy par-devant chez elle, sans y entrer, jusqu'au bas du
grand degré, où elle leva ses coifTes. Elle embrassa le
Mme maréchal d'un œil fort sec, en lui disant : « Adieu, Mon-
de Maintenon •iAf>Li •! ir»'-
se retire sieur le .Maréchal ; » monta dans un carrosse du noi qui
à Saint-Cvr. la servoit toujours, dans lequel Mme de Caylus l'altendoit
seule, et s'en alla à Saint-Cyr, suivie de son carrosse où
étoient ses femmes ^ Le soir le duc du Maine fit chez lui
ture de Fagon avec le provençal ; il est difficile cependant de la révoquer
en doute, puisque la moquerie du duc Hu Maine la contirme.
4. Le Brun appelait son remède Elixir vitœ (ci-après, lettre de
Mascara, p. 351).
2. Ce vin d'Espa;;ne, « très couvert », c'est-à-dire d'une couleur
très foncée, était volontiers employé comme remède dans les faiblesses
d'estomac et les indigestions (Savary, Dictionnaire du commerce,
tome IV, colonne 1-228).
3. Saint-Simon écrit poux.
4. D'après le Mémoire de Dangeau, con6rmé par le Journal des
Anthoine (p 68), cette journée ne fut pas bonne, « le pouls très mau-
vais, l'assoupissement assez continuel et la tête par intervalles embar-
rassée ».
5. Saint-Simon va dire ci-après, p. 289, que Mme de Maintenon était
partie pour Saint-Cyr comptant bien ne plus revenir, et. dans la suite
des Mémoires (tome XII de 1873, p. 166), comme dans le Parallèle
(p. 374), il prétendra qu'elle l'avait quitté quatre jours avant sa mort.
Il convient de rétablir les faits. Le Mémoire de Dangeau les explique
autrement (p. 133) : « Mme de Maintenon n'est venue dans sa chambre
que l'après-dînée, même assez tard, et, l'ayant trouvé fort assoupi, elle
en est sortie sans lui parler et est allée sur les sept heures du soir
coucher à Saint-Cyr pour y faire ses dévotions demain matin, et reve-
nir si la vie du Roi se soutient. » Quincy (p. 404) conlirme les dires
de Dangeau. La lettre anonyme reproduite ci-après, p. 3i2, dit que ce
fut le Roi lui-même qui la renvoya; l'abbé Mascara (ci-après, p. 352)
[d7io] DE SAINT-SIMON. 283
une gorge chaude fort plaisante de l'aventure de Fagon
avec le Brun ; on reviendra ailleurs' à parler de sa con-
duite, et de celle de Mme de Maintenon et du P. Tellier
en ces derniers jours de la vie du Roi. Le remède de le
Brun fut continué comme il voulut, et il le vit toujours
prendre au Roi-. Sur un bouillon qu'on lui proposa
de prendre, il répondit qu'il ne falloit pas lui parler
comme à un autre homme, que ce n'étoit pas un bouillon
qu'il lui falloit, mais son confesseur^, et il le fit appeler.
Un jour qu'il revenoit d'une perte de connoissance, il
demanda l'absolution générale de ses péchés au P. Tellier,
qui lui demanda s'il souffroit beaucoup. « Eh ! non, ré-
pondit le Roi, c'est ce qui me fâche ; je voudrois souffrir
davantage pour l'expiation de mes péchés*. »
Le jeudi 29 août, dont la nuit et le jour précédent Charost
,,,,• 'PU ix L •' • L fait réparer la
avoient ete si mauvais, 1 absence des tenants, qui n avoient négligence
plus à besogner au delà de ce qu'ils avoient fait, laissa de la messe.
l'entrée de la chambre plus libre aux grands ofïiciers, qui
en avoient toujours été exclus. Il n'y avoit point eu de
messe la veille^, et on ne comptoit plus qu'il y en eût.
Le duc de Charost, capitaine des gardes, qui s'étoit aussi
glissé dans la chambre, le trouva mauvais avec raison, et
fit demander au Roi par un des valets familiers, s'il ne
seroit pas bien aise de l'entendre. Le Roi dit qu'il le desi-
roit ; sur quoi on alla quérir les gens et les choses néces-
rapporteque le Roi lui aurait dit qu'il n'avait plus qu'un quart d'heure
à vivre et qu'elle pouvait s'en aller. Le même Mascara ajoute le récit
d'une maladresse grossière commise par Albergotti (ci-après, p. 335-
336), dont ce départ fut la cause.
1. Dans la suite des Mémoires (tome XII de 1873, p. 467-168),
lorsqu'il fera le tableau du règne et le portrait du Roi.
2. On le continua pendant la nuit suivante de huit heures en huit
heures (Mémoire de Dangeau, p. 133).
3. Journal de Dangeau (copié par Saint-Simon), p. 114; Mlle d'Au-
male, p. 341 ; Quincy, p. 402.
4. Saint-Simon copie encore ici le Journal, p. 114.
0. Parce que le Roi n'était pas en état de l'entendre.
«84 MÉMOIRES [ITUi]
Ravon de sairos, et on continua les jours suivants. Le matin de ce
mieux du Roi; •i--i .i ir'i i i
solitude jeudi, d parut plus de ioi'ce et quclcjue rayon de mieux,
entière chez qui fut incontinent grossi et dont le bruit courut de tous
1 i-A > . côtés'. Le Roi manirea même deux petits biscuits dans un
duc d Urleans. i • n i- ' n . • i. n •
peu de vin d Alicanle avec une sorte d apj)etit'-. J allai ce
jour-là, sur l(»s deux heures après midi, chez M. le duc
d'Orléans, dans les appartements (hupiel la foule étoit au
point depuis huit jours, et à toute heure, qu'exactement
parlant une épingle n'y seroit pas tombée à terrée Je n'y
trouvai qui que ce soit\ Dès qu'il me vit, il se mit à rire,
et à me dire que j'étois le premier homme qu'il eût encore
vu chez lui de la journée, qui jusqu'au soir fut entière-
ment déserte chez lui. Voilà le monde.
Misère de Je pris ce temps de loisir pour lui parler de bien des
j l'r\ f' choses. Ce fut où ie reconnus qu'il n'étoit plus le même
ducdUrkans; . J ^ ' , , *
il pour la convocation des Etats généraux, et qu'excepté ce
change sur les «^g nous avions arrêté sur les Conseils, qui a été expliqué
et sur ici en son temps, il n'y avoit pas pensé depuis, ni à bien
l'expulsion du d'autres choses, dont je pris la liberté de lui dire forte-
'Add S'-S 1239] lï^cnt mon avis. Je le trouvai toujours dans la môme
résolution de chasser Desmaretz et Pontchartrain, mais
d'une mollesse sur le Chancelier qui m'engagea à le presser
et à le forcer de s'expliquer. Enfin il m'avoua avec une
honte extrême que Mme la duchesse d'Orléans, que le ma-
1. Ce mieux, qu'on attribua au remède de le Brun, suscita des espé-
rances exagérées et, surtout cliez les dames, une sorte d'engouement
pour l'empirique, qu'elles regardaient comme « une espèce d'ange
envoyé du ciel pour guérir le Roi » ; elles voulaient mémo « qu'on jetât
tous les médecins de la cour et de la ville dans la rivière » {Mémoire
de Danrjcau, p. 133-434 ; ci-après, p. 3oi, lettre de Mascara).
"2. Relation de Quincy, p. 405; Mémoire de Dangeau, p. 134.
3. Dans l'Addition au Journal de Dançicau, tome XVI, p. 88,
Saint-Simon avait dit: « La foule y lima les murailles; on s'y portoit. »
4. Cette désertion avait commencé dès qu'il s'était produit un peu
de mieux, et Mlle d'Aumale rapporte à ce propos ce mot du duc d'Or-
léans (p. 340) : « Si le Roi mange encore une fois, je n'aurai plus
personne. «
flTlo] DE SAINT-SIMON. 283
réchal de Yilleroy étoit allé trouver en secret, même de
lui, i'avoit pressé de le voir et de s'accommoder avec lui
sur des choses fort principales auxquelles il vouloit bien
se prêter sous un grand secret, et qui l'embarrasseroient
périlleusement s'il refusoit d'y entrer, s'excusant de s'en
expliquer davantage sur le secret qu'elle avoit promis au
maréchal et sans lequel il ne se seroit pas ouvert à elle ;
qu'après avoir résisté ' à le voir, il y avoit consenti ; que
le maréchal étoit venu ^ chez lui, il y avoit quatre ou cinq
jours, en grand mystère, et, pour prix de ce qu'il vouloit
bien lui apprendre et faire, il lui avoit demandé sa parole
de conserver le Chancelier dans toutes ses fonctions de
chancelier et de garde des sceaux, moyennant la parole
qu'il avoit du Chancelier, dont il demeuroit garant, de
donner sa démission de la charge de secrétaire d'État,
dès qu'il l'en feroit rembourser en entier ; qu'après une
forte dispute, et la parole donnée pour le Chancelier, le
maréchal lui avoit dit que M. du Maine étoit surintendant
de réducation, et lui gouverneur, avec toute autorité '^ ;
qu'il lui avoit appris après le codicille et ce qu'il portoit,
et que ce que le maréchal vouloit bien faire étoit de n'en
point profiter dans toute son étendue ; que cela avoit pro-
duit une dispute fort vive, sans être convenus de rien
quant au maréchal, mais bien quant au Chancelier , qui
là-dessus l'en avoit remercié dans le cabinet du Roi,
confirmé la parole de sa démission de secrétaire d'Etat
aux conditions susdites, et pour marque de reconnois-
sance lui avoit là même montré le codicille ^ J'avoue que
1. Il a écrit par mégarde resité.
2. Avant venu, Saint-Simon a biffé un second estait, ajouté par
inadvertance en interligne.
3. C'est-à-dire qu'il lui avait révélé le contenu du testament du Roi,
qui n'était connu que du maréchal et du Chancelier, en dehors de
Mme de Maintenon et du duc du Maine, comme on l'a vu d'après
Saint-Simon lui-même (notre tome XXV, p. 475).
4. Ci-dessus, p. 265. Il y a quelque invraisemblance dans ce récit.
On a vu p. 259 que Saint-Simon pense que le codicille ne tut écrit que
286 MEMOIRES [IT^ri]
je fus outré d'un coniineiicfiiionl si foiblc et si dupe ', et
que je ne le cachai |>as à M. le duc d'Orléans, dont l'em-
barras avec moi fut (^xtrènie. Je lui demandai ce qu'il
avoit fait de son discerneniont, lui qui n'avoit jamais mis
de ditïérence entre M. du Maine et Mme la duchesse
d'Orléans, dont il m'avoit tant de fois recommandé de me
défier et de me cacher, et si souvent répété par rapport
à elle que nous étions dans un bois - ; s'il n'avoit pas vu le
jeu joué entre M. du Maine et Mme la duchesse d'Orléans
pour lui faire peur par le maréchal de Villeroy, décou-
vrir ce qu'ils auroient à faire, en découvrant comme il
prendroit la proposition et la confidence de ce qui n'alloit
à rien moins qu'à l'égorger, et n'hasardant rien à tenter
de conserver à si bon marché leur créature abandonnée,
et l'instrument pernicieux de tout ce quis'étoit fait contre
lui'', et dans une place aussi importante dans une régence
dont ils prétendoient bien ne lui laisser que l'ombre.
Cette manière se discuta longuement entre nous deux ;
mais la parole étoit donnée. Il n'avoit pas eu la force de
résister, et, avec tant d'esprit, il avoit été la dupe de
croire faire un bon marché par une démission en rem-
boursant, que le Chancelier faisoit bien meilleur en s'as-
surant du remboursement entier d'une charge qu'il seu-
le 24 août ou le 25 au matin, et Voysin le communiqua au duc d'Or-
léans dans Taprès-midi du 23 (ci-dessus, p. 263). Comment croire
que, dans un si court intervalle, il y aurait eu le temps nécessaire
pour que le maréchal s'abouchât avec la duchesse d'Orléans, que
celle-ci décidât son mari, et que l'entrevue eût lieu? Cela est impos-
sible, et, si ce que raconte Saint-Simon est exact, ce serait une preuve
que le codicille était bien antérieur, comme il l'était en effet d'après
la date qu'il porte. L'abbé Mascara, dans sa lettre du 27 août (ci-après,
p. 346), mentionne une audience d'une heure donnée par le duc d'Or-
léans à Villeroy. sans doute le 26 ; serait ce celle dont Saint-Simon
parle ? mais alors elle serait postérieure à la communication du codi-
cille au prince par le Chancelier.
i. Aucun lexique n'autorise l'emploi de ce mot comme adjectif. Ce-
pendant le Litlré en cite des exemples de Pascal et de Molière
2. Tome XXVi. p. 330. — 3. C'est-à-dire, le chancelier Voysin.
[1715] DE SAINT-SIMON. 287
toit bien qu'il ne se pouvoit jamais conserver, et qui lui
valoit la sûreté de demeurer dans la plus importante
place, tandis que le moindre ordre suffîsoit pour lui faire
rendre les sceaux, l'exiler où on auroit voulu, et lui sup-
primer une charge qui, comme on l'a vu, ne lui coûtoit
plus rien depuis que le Roi lui en avoit rendu ce qu'elle
avoit été pa}'ée\ lui qui sentoit tout ce qu'il raéritoit de
M. le duc d'Orléans, et qui, avec la haine et le mépris de
la cour et du militaire, qu'il s'étoit si bien et si justement
acquis-, n'avoit plus de bouclier ni de protection après
le Roi, du moment que son testament seroit tacitement
cassé, comme lui-même n'en doutoit pas^. Aux choses
faites, il n'y a plus de remède ; mais je conjurai M. le duc
d'Orléans d'apprendre de cette funeste leçon à être en
garde désormais contre les ennemis de toute espèce,
contre la duperie, la facilité, la foiblesse, surtout de sentir
l'affront et le péril du codicille, s'il en soutîroit l'exécu-
tion en quoi que ce pût être. Jamais il ne me put dire à
quoi il en étoit là-dessus avec le maréchal de Villeroy.
Seulement étoit-il constant qu'il n'avoit été question de
rien par rapport au duc du Maine, qui par conséquent se
comptoit demeurer maître absolu et indépendant de la
maison du Roi civile et militaire, ce qui subsistant, peu
importoitde la cascade* du maréchal de Villeroy, sinon au
maréchal, mais qui faisoit du duc du Maine un maire du
palais, et de M. le duc d'Orléans un fantôme de régent
impuissant et ridicule, et une victime sans cesse sous le
couteau du maire du palais. Ce prince, avec tout son génie,
n'en avoit pas tant vu. Je le laissai fort pensif et fort re-
pentant d'une si lourde faute. Il reparla si ferme à Mme la
duchesse d'Orléans, qu'ils eurent peur qu'il ne tînt rien
i. En lui faisant cadeau du revenant-bon du non-complet des
troupes (tome XXVI, p. 193 el 249).
2. Il y a acquise dans le manuscrit, comme s'il n'y avoit que la haine.
3. Ci-dessus, p. 264 et note 1.
4. Tome I, p. 6.
288 MÉMOIRES fnin]
pour avoir Irop pi'omis. Le niarrclial inandr par elle fila
doux ', et ne songea qu'à bien serrer ce qu'il avoit saisi,
en faisant entendre qu'à son égard il ne disputeroit rien
qui pût porter ombrage; mais la mesure de la vie du Roi
se serroit de si près- qu'il échappa aisément à plus d'éclair-
cissements, et que, par ce qu'il s'étoit passé, dans le cabinet
du Roi, du Chancelier à M. le duc d'Orléans immédiate-
ment, la bécasse demeura bridée^ à son égard, si j'ose me
servir de ce misérable mot\
Le soir fort tard ne répondit pas à l'applaudissement
qu'on avoit voulu donner à la journée, pendant laquelle
il avoit dit au curé de Versailles, (jui avoit profilé de la
liberté d'entrer, qu'il n'étoit pas question de sa vie, sur
[ce] qu'il lui disoit que tout étoit en prières pour la de-
mander % mais de son salut, pour lequel il falloit bien
■1. Locution déjà rencontrée dans nos tomes II, p. 248. et VI, p. 9.
"2. Tome V, p. doO.
3. « On dit fignrcment et proverbiafement la bécasse est bridée,
quand quelqu'un s'est laissé surprendre à une tromperie qu'on lui avoit
préparée » {Académie, ITIS). Molière a employé cette locution popu-
laire dans la dernière scène de l'Amour médecin.
i. Mlle d'Aumale (Souf>cnirs, tome II, p. 338) a recueilli l'écho de
ces négociations : « Les approches de la mort du Roi mettoient toute
la cour en grand mouvement, dit-elle. Le contenu de son testament,
qu'il avoit ci-devant déposé entre les mains du Parlement, avoit
transpiré, et étoit venu à la connoissance du duc d'Orléans, qui, ne
trouvant pas dans les dispositions du Roi qu'il fût traité comme il le
méritoit, ni comme il le Jesiroit, avoit déjà pris des mesures pour
s'assurer la part qu'il croyoit lui être due dans le gouvernement. Dès
que la maladie du Roi avoit été déclarée mortelle, il avoit travaillé
plus sérieusement à venir à bout de son dessein. En conséquence, il
avoit traité secrètement avec plusieurs seigneurs qu'il s'étoit attachés.
Ses menées ne transpirèrent pas d'abord ; mais, les derniers jours de
la vie du Roi, on s'aperçut bien que le duc n'étoit occupé que de ses
intérêts, et tout le monde en raisonnoit tout bas. »
5. Le cardinal de JN'oailles avait prescrit, dès le 26, l'exposition du
Saint-Sacrement dans toutes les églises de Paris et les prières des
Quarante heures pour la santé du Roi {Journal de Buvat, p. -41
et 44 ; lettres de l'abbé Mascara, ci-après, p. 34o et 353).
ni5]
DE SAli\T-SIMUi\.
-289
prier'. Il lui échappa ce même jour, en donnant des
ordres, d'appeler le Dauphin le jeune Roi. Il vit un mou-
vement dans ce qui étoit autour de lui. « Hé pourquoi?
leur dit-il ; cela ne me fait aucune peine-. » Il prit sur les
huit heures du soir de l'élixir^ de cet homme de Provence*.
Sa tête parut embarrassée; il dit lui-même qu'il se sen-
toit fort mal ~\ Vers'' onze heures du soir, sa jambe fut visi-
tée. La gangrène se trouva dans tout le pied, dans le
genou, et la cuisse fort enflée. Il s'évanouit pendant cet
examen \ Il s'étoit aperçu avec peine de l'absence de
Mme de Maintenon, qui ne comptoit plus revenir. Il la
demanda plusieurs fois dans la journée ; on ne lui put
cacher son départ. II l'envoya chercher à Saint-Gyr ; elle
revint le soir*.
1. Mlle d'Aumale, p. 343; Languet de Gergy, p. 457; Quincy,
p. 404; Journal des Anthoine, p. 56 (qui placent cette réponse au
"26 août).
2. Quincy, p. 405 ; Mlle d'Aumale, p. 544 ; Languet de Gergy,
p. 458.
3. Ecrit l'exir, par mégarde.
4. Selon l'abbé Mascara, Le Brun aurait déclaré que c'était la der-
nière fois qu'il donnait de son remède au Roi ; il se serait ensuite
sauvé, et on ne l'aurait plus revu (ci-après, p. 354).
5. Mémoire de Dangeau, p. 434 ; Quincy, p. 405.
6. Avant vers, Saint-Simon a biffé à 10 h.
7. Mémoire de Dangeau, p. 134; Quincy, p. 405.
8. On a vu ci-dessus, p. 28:2, pour quelle raison Mme de Maintenon
avait quitté le Roi le soir du 28 août ; elle avait l'intention de ne reve-
nir que « si la vie du Roi se soutenoit ». Avertie de bonne heure le 29
par un courrier du maréchal de Villeroy qu'un mieux s'était produit
et que la connaissance était revenue, elle partit à l'instant pour reve-
nir à Versailles. Mlle d'Aumale le dit formellement (p. 349), quoique
son récit soit assez confus, et qu'elle ait embrouillé le départ du 28 et
celui du 30. Dangeau {Mémoire, p. 134) contirme que, pendant cette
journée du 29 août, Mme de Maintenon et le P. le Tellier « ont été
presque tout le jour dans sa chambre ». Les Anthoine (p. 72) placent
ce retour au 30 à deux heures ; mais il y a chez eux confusion de date
pour les trois derniers jours du mois. Le marquis de Quincy, qui ne
dit rien pour le 29, remarque que, le 30, elle fut «presque toujours»
dans la chambre (p. 405). Saint-Simon est seul à dire que le Roi
MÉUOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 19
Le Roi
fort mal ;
fait revenir
Mme do
Maintenon de
Saint-Gyr.
tiyo MK.MUIHES [171")]
Le vendredi 30 août, la jounu-e fui aussi lâcheuse (ju'a-
voit été la nuit : un grand assoupissement, et dans les
intoi'valles la tête embarrassée '. Il prit de temps en temps
un peu de gelée et de l'eau pure, ne pouvant plussouiïrir
le vin -. Il n'y eut dans sa chambre que les valets les plus
indispensables pour le service, et la médecine, Mme de
Maintenon et quelques rares apparitions du P. Tellier,
que Blouin ou Mai'oschal envoyoient chercher'. Il setenoit
peu même dans les cabinets, non plus que M. du Maine.
Le Roi revenoit aisément à la piété quand Mme de Main-
tenon ou le P. Tellier trouvoient les moments où sa tète
étoit moins embarrassée ^ ; mais ils étoient rares et courts.
réclama Mme de Maintenon et l'envoya chercher à Saint-Cyr. Cepen-
dant un billet du maréchal de Villeroy publié par La Beaumelle,
Lettres, édition 1758, tome VIII, p. 408, et envoyé certainement à
Mme de Maintenon le :29 août au matin, se termine par cette
phrase : « Je vous ferai savoir s'il a nommé votre nom. »
i. Dangeau, Quincy, Mlle d'Aumale disent aussi : affaissement pro-
digieux, assoupissement continuel, seule connaissance machinale ;
Saint-Simon se sert certainement de la relation de Quincy, dont il
reproduit les termes. Voyez les lettres de l'abbé Mascara : ci-après,
p. 354 et 356.
•2. Mémoire de Dangeau, p. 135; Quincy, p. 405; Journal des
Anthoine, p. 7i. On se servait, pour le taire boire, d'une tasse à bec.
3. Saint-Simon persiste à accuser le P. le Tellier d'avoir abandonné
le Roi mourant, ainsi qu'il l'avait déjà fait dans la grande Addition au
Journal de Dangeau, tome XVI, p. 89, et qu'il le répétera dans
notre prochain volume. Le P. Bliard, dans son ouvrage sur le P. le
Tellier, a fait justice de cette calomnie.
4. Ce détail n'est que dans la Relation de Quincy (p. 405). Mlle d'Au-
male raconte, pour cette journée, l'anecdote suivante (p. 34i-34o) :
« Dans le commencement de cet as>;oupissement j'étois, ainsi que
j'ai presque toujours été pendant toute sa maladie, dans la ruelle de
son lit, du côté opposé à celui oîi étoit Mme de Maintenon. Je cher-
chois, ainsi qu'elle, à le réveiller un peu, en tâchant de le faire parler.
Il avoit une chienne qu'il aimoit beaucoup, et qui, quoiqu'il fût
malade, passoit tous les jours plusieurs heures, ou sur le pied de son
lit ou dans la ruelle, et il lui donnoit de temps en temps quelques
bonbons. Dans un moment où je vis qu'il sf donnoit un peu de mou-
vement, je pris une dragée, et, pour tûcher de le ranimer, je lui pré-
[i71o] DE SALN'T-SI.MO.N. 291
Sur les cinq heures du soir, Mme de Maintenon passa chez
elle, distribua ce qu'elle avoit de meubles dans son appar-
tement à son domestique, et s'en alla à Saint-Gyr pour
n'en sortir jamais'.
Le samedi 31 août, la nuit et la journée furent détes-
tables ; il n'y eut que de rares et de courts instants de con-
noissance-. La gangrène avoit gagné le genou et toute la
sentai, en lui disant de la donner à sa chienne ; mais il me répondit :
« Donnez-lui vous-même », et je ne pus rien en tirer davantage. »
1. Ceci est conforme au récit de Quincy, p. 403, au Mémoire de
Dangeau, p. 135, et aux lettres de l'abbé Mascara (ci-après, p. 336), qui
dit : à trois heures. Le Journal de Buvat (p. 44) prétend que le Roi
ordonna à Mme de Maintenon de partir et de se retirer à Saint-Cyr ;
mais ceci doit se rapporter au premier départ (ci-dessus p. 282). Le
récit de Mlle d'Aumale est bon à citer (p. 346-348), quoiqu'elle fasse
erreur en mettant le départ au 3i : « Mme de Maintenon s'en aperçut
[qu'il perdait connaissance] ; alors, voyant qu'il ne la demandoit plus et
qu'on n'avoitplus rien à attendre que le moment de sa mort, elle sortit
de chez lui et se prépara à partir pour Saint-Cyr. Cependant, avant de par-
tir, elle voulut que M. Briderey, supérieur des Lazaristes mission-
naires, qui étoit alors son confesseur, vît le Roi, et l'assurât qu'elle
n'avoit plus rien à faire auprès de lui. En conséquence elle me dit de
mener M. Briderey dans la ruelle du Roi. Je l'y menai effectivement ; il le
vit et revint dire à Mme de Maintenon : « Vous pouvez partir; vous ne
« lui êtes plus nécessaire. « Sur cette assurance, elle partit, et moi
avec elle. Elle quitta Versailles avant que le Roi fût mort, parce
qu'elle appréhendoit extrêmement de n'être pas maîtresse d'elle
dans ce triste moment. Elle avoit encore une autre appréhension :
c'étoit d'être insultée en chemin.... C'est ce qui lui avoit fait prendre
le parti de me dire en avance d'avoir soin de lui faire venir un autre
carrosse que le sien Effectivement, je lui Us venir celui du maré-
chal de Villeroy, dont les gens l'escortèrent aussi ; outre cela le maré-
chal de Villeroy avoit fait placer des gardes de distance en distance
toul le long du chemin de Saint-Cyr. » C'est sans doute à cette der-
nière préoccupation que se réfère un billet du maréchal de Villeroy à
Mlle d'Aumale publié par La Beaumelle (Lettres, édition 1738,
tome VIII, p. 103) et daté de « vendredi à midi ». Madame Palatine,
si hostile à Mme de Maintenon, reconnaît que « tout le monde
croyoit le Roi mort lorsque Mme de Maintenon s'est retirée » (Corres-
pondance, recueil Brunet, tome I, p. 189).
2. On lui donna encore de la gelée et de l'eau avec un biberon ;
ïS92
M KM 01 K ES
[Mio]
Dernières
paroles du Roi.
Sa mort.
cuisse. On lui donna ilu reniètU' du fou :il)bé .\ii,Mi;in',
que la duchesse du Maine avoit envové pio|>oser, (jui éloit
un excellent remède pour la petite vérole-. Les médecins
consentoient à tout, parce qu'il n'y avoit plus d'espérance.
Vers onze heures du soir, on le trouva si mal qu'on lui dit
les prières des agonisants'. L'appareil le rappela m lui.
Il récita des prières d'une voix si forte, qu'elle se faisoit
entendre à travers celle du grand nombre d'ecclésias-
tiques et de tout ce qui étoit entré. A la fin des prières,
il reconnut le cardinal de Rohan, et lui dit : « Ce sont là
les dernières grâces de l'Eglise *. » Ce fut le dernier homme
mais il fallut lui ouvrir la bouche et lui tenir les mains, parce qu'il
ôtoit de sa bouche tout ce qu'on lui donnait (Mémoire de Dangeau,
p. i3o).
1. François Aignan avait d'abord appartenu à l'ordre des Capucins
où il avait porté le nom de Père Tranquille. A la suite d'un voyage
dans le Levant, il répandit le bruit qu'il en avait rapporté des secrets
thérapeutiques précieux. Il s'adjoignit un de ses conirères, le P. Rous-
seau, et ils gagnèrent la confiance du grand Condé. qui leur lit obtenir
du Roi une pension de quinze cents livres et un laboratoire au Louvre,
d'où vint qu'on les appela les capucins du Louvre. Pendant deux ans,
ils y fabriquèrent une quantité de remèdes, comme l'essence d'éme-
raudes, l'essence de vipères, l'eau de la reine de Hongrie, et le baume
Tranquille, qui a porté jusqu'à nos jours le nom de son inventeur.
Aignan quitta ensuite les Capucins, et entra dans l'ordre des Bénédic-
tins, si l'on en croil\e^ Mémoires de Sourches, tome XI, p. 266; mais
cela ne semble pas certain ; car depuis lors on le connut sous le nom
d'abbé Aignan. Le Roi le nomma pour un de ses médecins, et le car-
dinal de Fùrstenberg l'attacha à sa personne ; il lui donna un loge-
ment dans l'abbatial de Sainl-Germain-des-Prés et lui tit obtenir en
1700 le prieuré de Rouvroy. Ses succès lui suscitèrent des ennemis
dans le corps médical, et il crut, en 1699, avoir été victime d'une
tentative d'empoisonnement (Gazette d'Amsterdam, 1699, n" xxxi, et
1700, n° xxxvii). Il mourut en février 1709, d'une colique (Mémoire»
de Sourches, tome XI, p. 266; Mercure de mars, p. 285). Voyez aussi
Franklin, la Vie privée d'autrefois : les Médecins, p. 143-1 44, et les
Médicaments, p. 210, et ci-après aux Additions et Corrections.
2. Quincy, p. 405-406; Mémoire de Danrfcau, p. 135.
3. Ou « Prières de la recommandation de l'àme » ; elles se composent
de litanies, d'oraisons et d'invocations adressées à Dieu et aux saints.
4. Ce détail est pris dans la lielatiuu de Quincy, p. 406, qui seule
[i715] DE SAINT-SIMON. 293
à qui il parla. Il répéta plusieurs fois: Nunc et in hora
mortis, puis dit : « 0 mon Dieu, venez à mon aide ; hâtez-
vous de me secourir'. » Ce furent ses dernières paroles.
Toute la nuit fut sans connoissance, et une longue agonie,
qui finit le dimanche 1" septembre 171o, à- huit heures
un quart du matin *, trois jours avant qu'il eût soixante-
dix-sept ans accomplis, dans la soixante-douzième année
de son règne '*.
mentionne ces paroles au cardinal de Rohan ; c'est encore une preuve
que Saint-Simon s'en est servi. Le Mémoire de Dangeau est beaucoup
plus bref, et Mlle d'Aumale, qui était retournée à Saint-Cyr avec Mme
de Maintenon, ne parle pas de cette dernière journée à laquelle elle
n'assista pas.
4. Ceci vient encore de Quincy ; la relation de Languet de Gergy,
que Saint-Simon ne connut pas, rapporte ces dernières paroles, en
remarquant qu'elles sont la traduction d'un verset d'un psaume : Deus,
in adjutoriiim menm intende; Domine, ad adjuvandum me festina
(psaume lxix, verset 2).
2. La préposition à surcharge tr[ois], effacé du doigt, qui va se
retrouver quelques mots plus loin.
3. « Le Roi est mort à huit heures un quart et demi, et il a rendu
l'âme sans aucun effort, comme une chandelle qui s'éteint » (Mémoire
de Dangeau, p. 136; Quincy, p. 406). Dès que la mort fut avérée,
a un officier, ayant un plumet noir sur son chapeau », s'avança sur le
balcon de la chambre du Roi et dit à haute voix : Le Roi est mortl
Puis, « s'étant retiré et ayant quitté le plumet noir pour en prendre
un blanc, il parut une seconde fois sur le même balcon, et cria à haute
voix par trois fois : Vive le roi Louis XV ! » (Journal de Buvat,
tome I, p. 47). Peu après, Mareschal et les garçons de la chambre
tirèrent le corps du lit pour le changer de linge et le disposer pour
qu'il piàt être vu par tout le monde, et, comme il était resté la bouche
et les yeux ouverts, deux garçons de la chambre les lui fermèrent
(Journal des Anthoine, p. 75). On trouvera ci-après, à l'Appendice,
n° IV, des renseignements sur la disposition du lit funéraire et le
cérémonial qui fut accompli à cette occasion. Une estampe de Cochin,
représentant sa mort et destinée à l'Histoire du roi Louis XV par
médailles, figura au salon de i7oo; deux autres, où on le voit exposé
sur son lit entre les femmes et la religion, ont été reproduites par
M. H. Bourgeois dans le Grand siècle, p. 169 et 170.
4. Saint-Simon se trompe ici, et il aurait mieux fait de copier
Quincy qui donne des chiffres exacts. Louis XIV étant né le o sep-
t!94 MEMOIRES [ITiri)
Il se maria à vinj^'t-dcux ans, en signant la famonse paix
des Pyrénées, en IfifiO. Il en avoit vingt-trois quand la
mort délivra la France du cardinal Mazarin ; vingt-sept
lorsqu'il perdit la Reine sa mère, en lOfil)'. 11 devint veuf à
quarante-quatre ans en KiS.'i, perdit Monsieur à soixante-
trois ans en 1701-, et survécut tous ses fils et petits-fils,
excepté son successeur, le roi d'Espagne et les enfants de
ce prince. L'Europe ne vit jamais un si long règne, ni la
France un roi si âgé.
Par l'ouverture de son corps, qui fut faite par Mareschal,
son premier chirurgien, avec l'assistance et les cérémo-
nies accoutumées^, on lui trouva toutes les parties si
entières, si saines, et tout si parfaitement conformé,
qu'on jugea qu'il auroit vécu plus d'un siècle sans les
fautes dont il a été parlé, qui lui mirent la gangrène dans
tembre 1638, il s'en fallait de quatre jours, et non de trois, qu'il eut
soixante-dix-sept ans accomplis. Entin, étant monté sur le trône le
14 mai 1643, il avait accompli la soixante-douzième année de son règne
le 14 mai 1715, et était dans la soixante-treizième.
1. Cette date a été ajoutée après coup sur la marge.
2. Saint-Simon, qui se pique d'exactitude, aurait pu la serrer de
plus près dans cette rapide revue de la vie de Louis XIV. Etant né le
5 septembre 1638, le Roi avait vingt et un ans et neuf mois lors de
son mariage (9 juin 1660) et vingt-deux ans et six mois à la mort de
Mazarin (9 mars 1661); il avait vingt-sept ans et quatre mois lors-
qu'il perdit Anne d'Autriche, sa mère ("20 janvier 1666), et presque
quarante-cinq ans (exactement quarante-quatre ans dix mois et vingt-
cinq jours à la mort de Marie-Thérèse (30 juillet 168.3), enfin soixante-
deux ans et neuf mois à celle de Monsieur (9 juin 1701).
3. Le procès-verbal d'autopsie a été publié de nos jours parChéreau
dans VUnion méclicak, 1862, p. 402; le docteur Corlieu l'a reproduit on
1873, dans la Mort des rois de France, p. 117-118, puis Alfred Fran-
klin, en 1893, dans la Vie privée d'autrefois : les Chiruroienx. p.
290-291, enfin le vicomte de Grouchy, en 1899. dans le tome IV du
Carnet historique et littéraire, p 136-lo8; un texte un peu diffé-
rent, mais conforme pour le fond, a été inséré par les Anthoine dans
leur Journal, p. 77-78. On ne sait pas si l'original existe encore.
Comme nous donnerons ci-après, appendice IV, lo détail des céré-
monies qui se firent immédiatoment après la mort du Roi, le procès-
verbal d'autopsie s'y trouvera inséré.
[17151 I^E SAINT-SIMON. 295
le sang. On lui trouva aussi la capacité de l'estomac et
des intestins double au moins des hommes de sa taille, ce
qui est fort extraordinaire, et ce qui étoit cause qu'il étoit
si grand mangeur et si égal*.
1. Il n'est point parlé de cette particularité dans lo procès-verbal,
et il semble que, si elle avait été réelle, les chirurgiens n'auraient pas
manqué de le remarquer. Il faut donc considérer cela comme une
légende, que Saint-Simon est seul à rapporter et qu'il avait déjà men-
tionnée ci-dessus, p. 188. A cet endroit, il avait parlé du « volume » et
de 1' « étendue » ; ici il dit seulement « capacité ». Le procès-verbal
d'autopsie mentionne queles intestins étaient « extraordinairement dila-
tés » ; c'est peut-être ce qui a donné naissance à la croyance dont notre
auteur s'est fait l'écho.
APPENDICE
PREMIÈRE PARTIE
ADDITIONS DE SAINT-SIMON
AU JOURNAL DE D ANGE AU
l"i3o. Le président de Maisons et sa famille.
(Page 153.)
22 août 1715*. — ... La grâce^ fut la charge de président à mortier
de Maisons, qui venoitde mourir, donnée à son fils, âgé à peine de dix-
sept ans, à la prière du duc du xMaine. Ce prince avoit un grand inté-
rêt à se faire des créatures dans le Parlement et à flatter toute cette
Compagnie. Rien ne pouvoit lui être plus agréable que cet extraordi-
naire bienfait, ni plus utile à M. du Maine que de le procurer; c'est
ce qui le fit accorder au moment qu'il le demanda ; mais il est à pro-
pos de dire un mot ici de ces Maisons. Le véritable et court historique
a plus de poids que le plus fort sermon, et se présente bien en cadence
ici avec l'anéantissement des grandeurs les plus superbes et les plus
solidement et longuement éclatantes.
Le président de Maisons étoit petit-fils du surintendant des finances
1. Par suite de la très longue Addition que Saint-Simon a faite sur
les derniers jours de Louis XIV et sur tout son règne, et qu'il a placée en
regard du 13 août, sur son manuscrit du Journal de Dangeau, les Addi-
tions qui se rapportent aux dates postérieures du même mois ont été
placées, dans le manuscrit, à la suite les unes des autres après le 1"
septembre. — La présente Addition, que nous numérotons 1235, n'est
que la seconde partie de celle que Saint-Simon avait faite au récit de
Dangeau pour la journée du 22 août ; elle est placée dans le manuscrit
(aujourd'hui France 125) à la page o81 ancienne, nouveau folio 298 v»
La première partie se trouvera ci-après sous le n» 1237.
2. Dangeau disait que le Roi avait volontiers accordé au fils de M. de
Maisons la grâce que le Chancelier lui demandait pour lui. Voyez aussi
le commencement de l'Addition n» 1237, ci-après.
29S ADniTinXS OE SMXT-SniON
qui bâtit \c suporlu' chàtoau do Maisons, ;\ la porto do Saint-Gormain,
avec toutes les singuliôros beautés qui l'accompaj^nent et qui t'ont
encore l'admiration dos étrani^crs. Il no doinoura pas ioui^tomps aux
finances, et il dit aussi plaisaninioiit (|u'insolomment, en parlant de la
cour, qu'ils n'avoient jamais plus mal l'ait (jue do le chasser lorsqu'il
avoit bien l'ait ses afl'airos ot qu'il s'alloit mettre à bien faire les leurs.
Son (ils fut président à mortier, très vénal et très décrié pour ses
injustices, ses débauches et une Mme Bailly (ju'il entrefenoit chez lui
publiquement, après avoir chassé do chez lui sa femme, qui avoil du
mérite et de l'esprit, et qui étoit Fioubet. Les plaideurs alloiont ;\ dé-
couvert traiter avec la Bailly. qui rendoit d'autant plus dangereuse-
ment la justice, que Maisons, comme l'ancien des présidents à mortier,
tint loniîtemps les audiences de l'après-dînée. Son tils, président à
mortier, est celui dont il s'agit ici. Leur nom étoit Longueil, qui étoit
d'une très ancienne noblesse de Normandie, illustre par ses emplois
militaires et restée seule de ces familles militairement nobles de toute
ancienneté, qui quittèrent l'épée pour l'écritoire lorsque les parle-
ments devinrent continuels, et qu'on n'en changea plus les membres
à chaque fois qu'on le tenoit. Cette curiosité historique mèneroit trop
loin à retracer. Cependant il se trouvoit bien des gens qui prétendoient
que c'étoient des paysans du lieu de Longueil, qui en avoient pris le
nom, et que, n'y ayant plus personne de cette famille, ceux-ci s'en
étoient dits depuis leur élévation dans la robe et les finances. Ce qui
est vrai, c'est que la terre de Longueil n'étoit point à eux, et que ce
n'est que le tils de celui dont on parle qui a trouvé le moyen de l'ache-
ter. Quoi qu'il en soit de l'origine, Maisons, dont il s'agit ici, étoit
un homme bien fait, de beaucoup d'esprit et d'une ambition sans
bornes. Sa femme, sœur de la maréchale de Villars, n'avoit pas moins
d'ambition que son mari. C'étoit une beauté épaisse, qui, avec une
parole pesante, se piquoit de politique et ne manquoit ni de sens ni
d'esprit. Elle eut des adorateurs et quelque chose de plus, qui tous
furent les meilleurs amis du mari, avec qui cette galanterie ne l'em-
pêcha jamais d'être toujours intimement, et, ce qui est fort extraordi-
naire, le mari n'en encourut presque point de ridicule. On voyoit assez
ce qui en étoit ; mais il y avoit une écorce de décence, et, si une femme
do la ville, et dans des temps tranquilles, eût pu faire l'amour avec
dignité et par politique, c'étoit précisément ce que celle-ci eût fait.
Ils étoient de part et d'autre fort riches; ils aimoient à vivre magni-
fiquement. Le mari aimoit la dépense; la femme, naturellement avare,
ne lo montroit que dans le fond du domestique ; la vanité surmontoit ;
elle aimoit à tenir une grande maison. La leur ;\ Paris, qui étoit fort
belle et magnifiquement meublée, fut d'abord ouverte à ce qu'il y avoit
de meilleur à Paris dans la robe, où Maisons se fit un capital de se
faire aimer, considérer et compter. Quoique peu formé en savoir, il y
réussit par cette conduite, soutenue d'une grande assiduité au Palais
et du soin de se rendre superliciellement habile dans son métier. De
AU JOURNAL DE DAXGEAU. 599
là s'élargissant dans un meilleur monde, que sa femme attiroit plus
que lui, il sut y être de bonne compagnie, sans être déplacé comme le
premier président, et le mérite d'une table nombreuse et délicate ras-
sembla chez lui l'élite de Paris en tous genres. Le voisinage de la cour
qu'il avoit à Maisons, où il menoit toujours beaucoup do monde de
Paris, lui donna la facilité d'y faire tiler la cour, et de là de voir chez
lui à Paris les mêmes gens de la cour qu'il avoit vus à Maisons. Il
savoit discerner et trier, et il ne vouloit que le bon ou le solide, sans
être la dupe du nombre ni des oisifs; d'autre part, les courtisans les
plus considérables n'étoient pas indifférents à se lier avec un magis-
trat supérieur, qui avoit autant de talent et de crédit dans le Parle-
ment que celui-ci, et avec qui de plus ils trouvoient pour les lieux, la
chère, la conversation et l'amusement, tout ce qu'ils pouvoient dési-
rer, outre ce qu'ils s'en proposoient de solide. La morgue présidentale
y cédoit au bel air, à l'air du monde, dans le mari et dans la femme,
et, comme leur but étoit l'ambition, les personnes distinguées par leur
qualité ou par leur poids y trouvoient des déférences très marquées et
presque des respects. L'union de ce ménage [fut] toujours constante ; le
maintien de la femme et de ceux qui étoient le mieux avec elle étoit
toujours si bon en public, que sa galanterie n'éloigna aucune femme
de chez elle. Sa politesse à rechercher celles qui lui faisoient honneur
ou qui lui pouvoient être utiles, et à vivre et à se conduire avec elles,
lui étoit un autre mérite, qui lui réussit toujours, et tout étoit com-
passé en telle sorte qu'il ne resta chez eux nulle trace de présidence
ni de bourgeoisie, et qu'avec l'air de la maison d'un grand seigneur,
il n'y en eut aucun d'insolence, ni do cette rebutante fatuité dont
l'opulence et le mélange de la robe avec le grand monde et la cour se
sait si difticilement garantir. Mme de Maisons comprit que sa maison
[étoit] sa force, son asile, son chemin ; ce fut aussi où elle se concentra
sans courir les visites et encore moins les parties au dehors, sinon par
la plus nécessaire bienséance du commerce. M. de Maisons sentit que
la magistrature étoit son essence, et son premier bien d'y être estimé,
aimé, considéré; que le reste, quoique très utile, n'étoit qu'un néces-
saire éloigné, qui ne pouvoit devenir décisif qu'autant qu'il se trou-
veroit porté par son propre métier : il se conduisit en conséquence. Il
alloit tous les dimanches et quelques fêtes à Versailles, y cultiver sa
considération et ses amis, les étendre peu à peu, lier des parties pour
Maisons ou pour leur donner à souper à Paris; mais jamais ne cou-
choit à Versailles ni ne sortoit des bienséances de son état. Il se fît de
la sorte beaucoup d'amis considérables; il sut se lier avec les princes
du sang et avec les bâtards, sans s'attacher assez aux uns ni aux
autres pour ne se pas faire un démérite des uns auprès du Roi, ni
des autres auprès des princes du sang, vers qui toutefois il marchoit
plus à découvert qu'avec les autres, parce qu'il sentoit le futur, et
qu'il ne prévoyoit pas que leur mort et l'âge de ce qu'ils laisseroient
donneroit champ libre aux bâtards. Les parties de Maisons et les
300 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
beautés de ce lieu, mais bien davanlaue la liaison de M. du Maine,
qui paroissoil peu. mais dont le Roi lui savoit gré, lui procuroient
toujours quelque mot toutes les fois que le Roi le voyoit ; cette distinc-
tion le relovoit d'autant plus qu'il se mesuroit fort et ne couroit point
après. Le voisinage de Marly lui procura la permission d'y aller de
Maisons faire sa cour quelquefois, sans demander, mais sans y cou-
cher, et sa sobriété à en proliter l'y lit toujours bien recevoir. Il avoil
su encore s'initier sourdement chez le duc de Beauvillier, et par là
dans l'estime de M. le duc de Bourgogne. Il avoit également ménagé
les jésuites et leurs ennemis, les premiers en les servant en choses
indifférentes aux autres et en leur témoignant de l'ouverture, et les
maximes du Parlement lui servirent à être favorable aux autres et à
se bien mettre avec eux, en faisant bouclier auprès d'eux de la néces-
sité de ne pas se déclarer contre les jésuites, et auprès de ceux-ci de
ses liens avec le Parlement. Il se contraignoit d'autant moins dans
cette politique, que la religion ne l'arrêtoit pas; lui et sa femme n'en
avoient aucune. Ils gardèrent pour le monde les foibles dehors que
cette même politique exige de ceux qui en ont le moins, et leur aveu-
glement fut tel, que, n'ayant qu'un fis unique, ils lui cherchèrent avec
soin pour précepteur un homme d'esprit, de conduite et de lettres,
qui n'eût pas plus de religion qu'eux, qui fût sur cela assez sûr pour
qu'ils s'en pussent ouvrir à lui, et pour que, suivant leurs vues com-
munes, il élevât leur lils à n'en avoir pas plus qu'eux; c'est un degré
d'impiété bien rare, et dont la consonnance ne l'est pas moins entre
mari et femme. Ils furent funestement heureux dans leur projet; ils
trouvèrent l'homme qu'ils cherchoient ', et qui rendit leur 61s
aussi impie qu'eux, mais sans qu'il y parût que sur les tins,
par des imprudences de ce même précepteur, qui à la fin le lirent con-
nottre pour ce qu'il étoit, et par lui MM -. et Mme de Maisons ; mais
alors, quant au monde, il n'y avoit plus de conséquences: le Roi étoit
mourant et le président bien près de la fin de sa vie.
Les princes morts, Maisons tourna court. Il avoit négligé M. le duc
d'Orléans, par la crainte du Roi et de bien d'autres; il vit alors que ce
seroit avec lui qu'il faudroit compter. Cette nécessité l'entraîna, mais
avec un ménagement qui le couvrit et qui l'avança. Canillac, qui lit
depuis une sorte de personnage important et ridicule, et duquel il y
aura lieu de parler expressément, tenoit le dé chez Mme de Maisons,
où il s'étoit fourré à titre d'esprit et de bonne compagnie. Il étoit
extrêmement bien avec M. le duc d'Orléans. Maisons, qui se moquoil
de lui fort souvent, le ménagea peu à peu davantage, puis lui parla
avec estime dos talents de M. le duc d'Orléans, ef avec déplaisir de sa
situation. Il fit naître à cet esprit orgueilleux et ambitieux le désir de
lier à M. le duc d'Orléans un magistrat, de l'esprit, des connoissances
1. Ici un correcteur a écrit en marge : le sieur de Marsais.
2. Il y a bien M" dans le manuscrit.
AU JOURNAL DE DANGEAU. 304
et du crédit duquel il put tirer des lumières, des conseils et des ser-
vices; de l'un à l'autre, par des portes de derrière du Palais-Royal,
puis plus publiquement [sic]. Tous deux se goûtèrent par besoin réci-
proque, et encore par esprit et par agréments réciproques ; la liaison
se forma et la confiance s'y mit. Les choses ne furent pas longtemps
en cet état, que Maisons voulut et ranger un obstacle et se procurer
entre lui et le duc d'Orléans un confident d'une autre trempe, et plus
à portée que Canillac, qui ne mcttoit jamais le pied à la cour; ce fut
le duc de Saint-Simon, dont on sera forcé, quoique vivant encore, de
dire un mot dans la suite par la figure qu'il fit dans la Régence, et qui
étoit l'ami de toutes les heures et de tous les moments de M. le duc
d'Orléans, si on en excepte ceux de débauche. La qualité de président
à mortier de Maisons lui étoit suspecte auprès de Saint-Simon, et bien
autant encore celle de fils de son père, contre lequel ce duc avoit éclaté
sans ménagement, lors du procès de M. de Luxembourg avec les pairs
ses anciens. Saint-Simon, toujours à la cour de toute sa vie, et d'ail-
leurs peu répandu dans ce qui n'étoit pas sien, n'avoit jamais mis le
pied chez Maisons. Le président fit comprendre à M. le duc d'Orléans
que, dans la mesure où il devoit se tenir extérieurement à son égard,
et dans la séparation ordinaire et presque continuelle de lieux de
Canillac et de ce prince, il étoit difficile qu'il pût l'avertir à temps de
beaucoup de choses, et le persuada aisément de le lier à Saint-Simon.
En même temps ce rusé politique dressa auprès du duc une autre bat-
terie. Il étoit fort au fait de la cour, et il ne croyoit pas impossible que
le duc ne résistât là-dessus à M. d'Orléans. Il savoit qu'il y avoit un
autre homme qui avoit sur lui une telle puissance, que rien ne l'avoit
pu émousser, non pas même ce qui étoit le plus opposé au sentiment
de Saint-Simon, qui se contentoit à l'égard de cet homme de chercher
à le persuader, et qui, s'il n'y réussissoit pas et que l'autre insistât
à un certain point, cédoit sans l'être lui-même. La vérité est qu'il n'en
a jamais usé ainsi qu'une seule fois, mais en chose bien considérable.
Cet homme, cet il [sic] étoit le duc de Beauvillier. M. de Maisons
apparemment lui parla assez fortement pour le convaincre, et il étoit
déjà en possession avec lui de traiter les matières futures, malgré toute
la timide réserve de ce seigneur. Le duc de Saint-Simon se trouva
donc attaqué tout à la fois sur Maisons par M. de Beauvillier, qui lui
vanta ses intentions, sa sûreté, ses lumières, et par M. le duc d'Or-
léans, qui s'expliqua ouvertement avec lui du besoin qu'il avoit de leur
liaison. Le plaisant fut que ce prince lui rappela celles que son père
avoit eues en son temps avec le surintendant, et celles de leurs enfants;
en effet. Maisons, qui l'en avoit instruit, avoit eu soin de longue main
que son fils recherchât fort ceux du duc de Saint-Simon, tellement
qu'ils se voyoient souvent et que l'amitié qui en naquit entre eux de-
vint véritable et n'a fini qu'avec ce jeune président. M. de Saint-Simon,
qui savoit déjà par M. d'Orléans sa liaison avec Maisons, sentit à ces
détails le désir de ce dernier; il comprit aussi que l'usage que M. d'Or-
30? ADDITIONS DE SAIM-SIMON
léans vouloit tirer de lui étoit effectif. M. de Beauvillier lui avoil fait
son impression accoutumée; il céda donc de bonne grâce, et inconti-
nent après il re(;ut une visite de .Maisons, qui pour la promièro enfonça
fort matière. Il fut depuis assidu à le voir en parlicnlier toutes les fois
qu'il venoit à Versailles, et il s'avança tellement dans l'esprit du duc
d'Orléans, qu'il usurpa sa principale contiance.
Son objet étoit les sceaux. Cet homme habile demeuroit intimement
lié avec le duc du Maine ; il s'en cachoit an duc d'Orléans, duquel
peut-être il se cachoit aussi à l'autre. Il ne faut point avancer ce qu'on
ne sait pas certainement: on ne dira donc pas qu'il les trompoit tous
deux; mais il est diflicile d'ajuster avec la droiture le personnage qu'il
faisoit auprès du duc d'Orléans, avec la douleur que M. du Maine eut
de sa mort, et l'ardeur avec laquelle il emporta sa charge pour son lils.
Il étoit même toujours le premier informé de ses plus importants pro-
grès. Il annonça d'avance la déclaration qui leur accorda le nom de
princes du sang et la succession à la couronne; mais, s'il la sut des
premiers, il ne voulut pas s'en ouvrir à temps de laisser prendre des
mesures, si toutefois le duc d'Orléans étoit en situation avec le Roi
d'en pouvoir prendre. Maisons envoya le matin même un billet au duc
de Saint-Simon pour le prier de le venir trouver sur-le-champ à Paris
pour chose également pressante et importante, et de faire ce voyage
le plus promptement et le plus secrètement qu'il le pourroit. Le valet
s'amusa, ne sut où prendre M. de Saint-Simon dans Marly, enfin il lui
remit le billet comme il s'alloit mettre à table chez le duc de Lauzun,
son beau-frère, qui étoit un Argus duquel il falloit se délier. Saint-
Simon n'osa donc révoquer ce dîner si à coup près, et cela lui fit per-
dre du temps. Arrivé chez Maisons à Paris, il lui apprit la déclaration
avec une émotion qui tenoit de l'emportement; mais de remède,
comme il n'y en avoit point à trouver, il n'en proposa aucun. Peu de
moments après qu'ils furent ensemble, arriva le duc de Noailles.
Maisons lui répéta la nouvelle ou en tit le semblant ; car ces deux
hommes étoient fort unis et fort propres aux comédies. Noailles en
donna une par la fureur où il entra. Saint-Simon, vif de sa nature et
impatient né des bâtards, les regardoit de son fauteuil et demeuroit
d'autant plus froid qu'il les voyoit se promener, crier et se débattre
comme des forcenés. Sa tranquillité impatienta Noailles; mais l'autre
lui demanda le fruit de ces fureurs d'Oreste qu'ils jouoient là tous
deux. Il ajouta qu'il ne sentoit pas moins qu'eux une énormité si
monstrueuse, mais (ju'aux choses où il n'y avoit point de remède, il
falloit les savoir souffrir, et attendre du bénétice du temps; ainsi après
les avoir vus pester et se démener outre mesure, il s'en retourna à
Marly, où la nouvelle fut déclarée une heure au plus avant le souper
du Roi.
Bientôt après Maisons tit une proposition au duc de Saint-Simon
tout à fait étrange. Le testament du Koi déposé au Parlement y avoit
été mis par le premier président, assisté d'autres otliciers du Parlement
AU JOURNAL DE DAIS'GEAU. 303
et des gens du Roi, dans une niche creusée dans la muraille d'une
tour, derrière et proche la buvette de la grand chambre, la niche
grillée et murée par-dessus, et trois clefs de la chambre dans laquelle
étoit cette niche, toutes trois différentes et nécessaires pour l'ouvrir,
étoient chacune, une entre les mains du premier président, du doyen
du Parlement, et du procureur général. Dans cette position si précau-
tionnée, si enfoncée dans l'intérieur du Palais et si sûre. Maisons pro-
posa au duc de Saint-Simon de faire enlever le testament du Roi au
moment de sa mort, et pour cela d'avoir des maçons et des serruriers
avec des troupes sous des officiers choisis. Saint-Simon, surpris au
dernier point, lui demanda quel fruit il se proposoil d'une si grande
violence, et de plus la mécanique pour y parvenir. Il ajouta que, quoi
qu'il y eût dans le testament, il ne voyoit aucune comparaison entre
l'espérance qu'il n'auroit pas plus de succès que celui de Louis XIII,
comme le Roi ne s'éloit pas caché de le penser lui-même, entre essuyer
même ses dispositions, quelles qu'elles fussent, et violer à main armée
un dépôt public de cette royale qualité, dans le sein du sanctuaire de
la justice, au milieu de la capitale, soulever le peuple et les provinces,
donner aux ennemis de M. le duc d'Orléans des armes aussi spécieuses
contre lui, qui sauroient bien en tirer les plus grands usages, et les
autoriser de la juste fureur du Parlement, outragé par cet attentat, et
dans le moment critique où l'usage abusif devenu une espèce de loi
lui donnoit une autorité avec laquelle il falloit compter dès ce mo-
ment-là même, et souvent encore dans le cours de la Régence. Que, si,
dans l'exécution, si odieuse par elle-même et que les bâtards et le
Parlement, qu'elle réuniroit pour toujours, avoient tant d'intérêt d'em-
pêcher, il arrivoit une sédition, peut-être appuyée par les suisses, et
qu'il y eût du sang répandu, personne ne pouvoit prévoir jusqu'où
cette action étoit capable de conduire, laquelle, quoi qu'il en succédât,
combleroit M. le duc d'Orléans de la plus juste et de la plus grande
haine, et d'un mépris égal si, par l'événement, le testament échappoit
à l'attaque. Tout cela fut commenté bien plus au long sans que Mai-
sons pût être ébranlé, et sans toutefois qu'il eût rien à répondre que
l'importance de soustraire un testament qu'on croyoit bien qui n'étoit
fait que contre le duc d'Orléans et en faveur des bâtards. Maisons en
parla au duc d'Orléans, qu'il ne persuada pas non plus ; mais ce qui
est surprenant, il ne se lassa point de revenir à la charge auprès de ce
prince et auprès de Saint-Simon, et jusqu'à sa mort, qui prévint celle
du Roi de si peu de jours, il ne put abandonner ce projet ni l'espérance
de le leur persuader. Le plus mortel ennemi de M. le duc d'Orléans
n'en pouvoit certes imaginer un plus funeste ; il est donc bien difficile
d'imaginer ce que Maisons s'en proposoit. Etoit-il assez méchant pour
vouloir embarquer le duc d'Orléans dans un attentat qui ne pouvoit
que le perdre d'honneur et de réputation, et lui mettre toute la France
sur les bras ? iiitoit-il assez peu sage pour n'en pas sentir les suites
affreuses et indispensables, qu'on lui faisoit toucher au doigt toutes les
304 AUDITIONS DE SAI.NT-SIMU.N
fois qu'il on pressoit ? Espéroil-il par iin si terrible éclat acquérir au
Parlement la dictature du royaume, et s'y élever lui-même en négo-
ciant entre le Parlement et le duc d'Orléans, et se rendre nécessaire
à tous les partis? Enlin, vouloitil tout risquer, dans la frayeur que,
Voysin affermi dans ses places par l'autorité du testament, les sceaux
ne lui échappassent, et avec cet échelon le premier crédit dans la
Régence, ce qui étoit encore une folie dans un homme d'ailleurs plein
d'esprit et de sens, et qui devoit sentir où le duc d'Orléans en seroit
après un tel éclat, et par conséquent ceux à qui il donneroit sa prin-
cipale conliance ? Enfin, vouloit-il seulement sonder le duc d'Orléans,
reconnoître s'il seroit capable de mordre à un si étrange hameçon,
résolu après d'y faire naître des difficultés qui se présentoient évidem-
ment d'elles-mêmes, et de faire avorter son projet après l'avoir fait
adopter? Quoi qu'il en soit, il n'a pas assez vécu pour donner le temps
d'éclaircir ces ténèbres, mais, pour cet échantillon joint à bien d'autres
choses, assez pour consoler de sa mort les gens de bien et les gens
sages, et ceux qui aimoient l'État et la paix domestique. Ce trait si
curieux méritoit de n'être pas omis, quoique cette curiosité même ne
puisse être satisfaite.
Cependant Maisons se comptoit siàr des sceaux. Voysin, créature de
Mme de Maintenon. àme damnée des bâtards, acteur et confident
unique de la dernière déclaration qui les portoit au trône et des der-
nières dispositions du Roi, qu'on ne pouvoit se méprendre à croire
toutes en leur faveur contre le duc d'Orléans, odieux de plus par sa
hauteur, par sa dureté, par son intérêt, qui s'étoit fait donner de
grandes sommes comptant du non-complet des troupes, dans le plus
grand épuisement de l'Etat; Voysin, enfin, qui s'étoit piqué de garder
si peu de mesures en tout avec M. le duc d'Orléans, devoit être la
première victime de sa puissance, sans rien de violent qui n'eût été
souvent usité ; l'exil et la privation de sa charge de secrétaire d'Etat
de la guerre et celle des sceaux devoit être très naturellement son sort.
I! n'y avoit aucun magistrat en état de les balancer avec Maisons auprès
du duc d'Orléans, qui même en avoit donné parole, et Maisons, au
comble de ses vœux, ne doutoit pas d'arriver incessamment à celui de
ses désirs par un comble de crédit et de puissance. C'étoit là où Dieu
l'attendoit ; peu de jours l'expédièrent, dans la force de l'âge et de la
santé, et dans les regrets, l'amertume, la rage d'un ambitieux déme-
suré parvenu à toucher de la main la plus grande fortune, qui lui
échappa avec la vie, et dans la terreur que ces effroyables moments
jettent dans l'âme des impies malgré eux. Sa femme, outrée de la plus
profonde douleur, vit s'éclipser en un instant et la fortune de son mari,
qui n'avoit rien de caché pour elle, et la figure principale qu'elle-
même comptoit d'y faire ; mais, peu déprise de ses gluets trompeurs,
en femme qui n'avoit point d'autre objet, elle ramassa toutes ses forces
pour conserver les amis de la maison et la continuer sur le pied où elle
i'avoit mise; mais l'âme n'y étoit plus. Restoient les nouvelles, les
AU JOURNAL DE DANGEAU. 303
intrigues, les petites cabales avec le Parlement et certaines gens oisifs
et mécontents, une sorte de tribunal en peinture dans lequel elle éleva
son tils sur les traces du père autant que sa jeunesse s'y put dresser.
Sa vie se passoit de la sorte, en projets, en travaux, dont la chimère cl
les espérances la flattoient, soutenue de l'opulence et de la considéra-
tion qu'elle s'attiroit tant qu'il lui étoit possible, pleine de santé et
d'autorité sur son tils et sur ses amis, lorsque, surprise d'une apoplexie,
elle eut à peine le temps de goûter la mort, et alla paroître devant
Celui qu'elle avoit voulu, et par maxime, méconnoître toute sa vie. Son
tils, outré de désespoir, fut longtemps à se pouvoir reconnoître ; il
chercha à se distinguer dans son métier et à acquérir des amis comme
son père. Il en conserva de la considération, ne crut pas plus en Dieu
que lui, que sa mère, que son précepteur, et ne sacritia pas moins à
l'ambition et à la fortune, lorsque, dans la première fleur de sa jeunesse
et de ses espérances, la petite vérole le saisit et l'épouvanta avec tant
d'horreur qu'il en mourut rapidement, et ne laissa qu'un lils unique,
qui promettoit une grande santé et qui fut pourtant ravi dans sa pre-
mière enfance. Telle fut l'affreuse catastrophe de cette famille, si éta-
blie, si riche, si ambitieuse, si singulièrement impie, de laquelle il
n'est resté quoi que ce soit, et qui véritia si fort à la lettre ce passage
du psaume : J'ai vu l'impie exalté comme les cèdres du Liban; je n'ai
fait que passer, il n' étoit déjà plus; je n'en ai pas même trouvé la
moindre trace.
1236. Commencement de la maladie du Roi.
(Page 176.)
13 août 4715. — Le Roi revint pour la dernière fois de Marly le
samedi au soir, 10 août, et ne revit jamais cet ouvrage de ses mains.
Il étoit déjà fort mal, et eut le lendemain une prise d'autant plus forte
avec le procureur général *, et d'autant plus dangereuse pour ce
magistrat, que le Roi, outré de sa résistance, ne se sentoit pas
en état d'aller tenir le lit de justice qu'il avoit résolu, mais dont il
n'abandonna pas l'espérance. Il ne laissa pas de s'aller promener à
Trianon pour se dissiper et continuer sa vie ordinaire ; ce fut sa der-
nière sortie du château de Versailles. Il fut purgé le lendemain et vécut
à son ordinaire des jours de médecine ; mais ce fut la dernière fois qu'il
marcha. Le lendemain, 13 août, il lit son dernier effort pour donner
debout, dans la chambre du trône, audience de congé à ce prétendu
ambassadeur de Perse ; sa santé ne lui permit pas les magnificences
qu'il s'étoit proposées comme à sa première audience, et il parut
remarquable que sa dernière action publique fut celle-ci, où Ponchar-
train trompoit sa vanité si grossièrement pour lui faire sa cour. Il n'eut
pas honte de terminer cette comédie par la signature d'un traité, dont
I. Ici un correcteur a ajouté en interligne le mot Daguesseau.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 20
306 ADDITIONS \)K SAIXT-SIMON
les suites moiilrèrenl le Taux de eelte ambassade. Les Mémoires parli-
ciilariseiil si bien les derniers jours du Hoi, qu'il seroil inulile d'y rien
ajouter en ce genre, que des onussions de courtisan ; ou tAcliera aussi
de suppléer une lacune des trois derniers jours de la vie du Roi qui
mérite inlinimont d'être regrettée', que le mùme esprit de politi(iue a
sans doute fait laisser, dont on ne se propose que d'expliquer des
choses principales.
Il y avoit près d'un an que la santé du Roi lomboit ; ses valets inté-
rieurs s'en aper(;urent d'abord et en remar(]uèrent tous les progrès,
sans que pas un osât en ouvrir la bouclie. Les bâtards le voyoient bien
aussi, ou plutôt M. du Maine, qui hâta tout ce qui les regardoit, aitlé
et porté par Mme de Mainlenon. Fagon, fort tombé de corps et d'esprit,
étoit le seul qui ne s'aperrûl de rien. Maresclial, premier chirurgien,
lui en parla plusieurs fois et l'ut toujours durement re|)0ussé ; pressé
enlin par son devoir et son attachement, il se hasarda d'aller un matin
trouver Mme de Maintenon, vers la Pentecôte, et de lui dire ce qu'il
voyoit et combien M. Fagon se trompoit grossièrement ; il l'assura que
le Roi, à qui il avoit tûté le pouls souvent, avoit depuis assez long-
temps une petite tièvre, lente et interne ; que son tempérament étoit si
bon, qu'avec des remèdes et de l'attention tout étoit encore plein de
ressources, mais que, si on laissoit gagner le mal, il n'y en auroit plus.
Mme de Maintenon se fâcha, et tout ce qu'il remporta de son zèle, fut
de la colère, et qu'il n'y avoit que les ennemis personnels de P'agon
qui trouvassent ce qu'il lui disoit là de la santé du Roi, sur laquelle
la capacité, l'application et l'expérience ne se pouvoient tromper. Le
rare est que Mareschal avoit été mis en place par Fagon, et qu'ils avoient
toujours vécu depuis dans la plus parfaite intelligence. Maresclial outré
n'eut plus de mesures à prendre, et commen(;a dès lors à pleurer la
mort de son maître. F"agon en eflet étoit en science et en expérience le
plus grand et le meilleur médecin de l'Europe; mais sa santé ne lui
permetloil plus depuis longtemps d'entretenir son expérience, et le
haut point d'autorité où sa laveur et sa capacité l'avoienl porté l'avoient
entin gâté ; il ne vouloit ni raison ni réplique, et continuoit de con-
duire la santé du Roi comme il avoit fait dans un âge moins avancé, et
le tua. La goutte, dont il avoit eu de longues attaques, avoit engagé
Fagon à emmaillolter pour ainsi dire le Roi tous les soirs dans un tas
d'oreillers de plume, qui le faisoient tellement suer toutes les nuits,
qu'il le falloit frotter et changer les matins avant que le grand chani-
1. Cette remarque de Saint-Simon vient de ce <[u'il écrivait ses Addi-
tions sur la C(j|)ip qu'il possédait du Journal de Dantjeau, lequel s'arrête
en effet au 28 août, et aussi de re qu'il ne connaissait sans doute pas
encore à celte époque le Mémoire spécial que bandeau avait rédigé
depuis le 2."i août ; il est probable que la copie de ce Mémoire que
Samt-Simon avoit dans ses Papiers ne lui parvint que plus tard, ou
qu'il en avoit oublié l'existence. Voyez ci-après l'Appendice, p. 33o.
AU JOURNAL DE DANGEAU. 807
bellan entrât. Il ne buvoit depuis longues années que du vin de Bour-
ijogne, si vieux qu'il étoit entièrement usé, avec la moitié d'eau, et
jamais d'autre vin, ni d'aucune sorte de liqueur quelconque, ni thé,
ni café, ni chocolat jamais. En se levant seulement deux tasst's de sauge
et de véronique ; souvent entre ses repas des verres d'eau, avec un peu
d'eau de fleurs d'orange, qui tenoient plus de chopine, et toujours à la
glace ; et, comme il devenoit de plus en plus resserré, M. Fagon lui faisoit
manger beaucoup de fruits à la glace, et surtout des ligues pourries
d'être mûres, à l'entrée de son repas. Toute l'année, il mangeoil à
souper une quantité prodigieuse de salade, et il redoubla ce régime
dans cet été ; à la tin, ces fruits, pris en entrant à table, lui noyèrent
l'estomac, en émoussèrent les digestifs, lui ôtèrent l'appétit, et tour-
nèrent son sang en gangrène à force d'en diminuer les esprits, ce qui
fut la cause de sa mort, comme on le reconnut à l'ouverture de son
corps, dont les parties se trouvèrent si belles toutes et si saines, qu'il y
a lieu de juger qu'il auroit passé le siècle. Son estomac surprit surtout
et ses boyaux par leur volume au double d'un autre homme, d'oîi lui
venoit d'être si grand mangeur et si égal. On ne songea aux remèdes
que quand il ne fut plus temps, parce que Fagon ne voulut jamais le
croire malade, et que l'aveuglement de Mme de Maintenon fut pareil à
cet égard, quoiqu'elle eût bien su prendre toutes les précautions pos-
sibles pour Saint-Cyr et pour M. du Maine. Parmi tout cela, le Roi
sentit son état avant eux, et le disoit quelquefois à ses valets inté-
rieurs. Fagon le rassuroit toujours, sans lui rien faire, et le Roi se
contentoit de ce qu'il disoit, sans en être persuadé; mais son amitié le
retenoit, et Mme de Maintenon encore plus*...
1237. Le duc du Maine passe en revue la gendarmerie.
(Page 201-202.)
2*2 août 4713. — Les deux dernières actions du Roi furent pour ses
bâtards, ainsi que furent ses dispositions dernières, pour qu'il ne
manquât rien à sa consommation pour eux. La première fut un ordre,
l'autre une grâce. L'ordre vint à l'occasion de la gendarmerie, que le
Roi avoit fait venir des frontières autour de Versailles pour la voir.
N'en ayant plus la force et méditant tout pour M. du Maine, il le traita
comme David lit Salomon quand il le voulut faire connoîtreson succes-
seur; il lui ordonna d'aller tenir sa place, et à ce corps d'élite de le
reconnoître comme lui-même. M. du Maine en alla donc faire la revue,
y donner tous les ordres, se faire rendre compte de tout, et en rece-
1. Toute la suite de cette très longue Addition contient le résumé du
règne, le portrait de Louis XIV et le tableau de sa vie, et a été ia pre-
mière rédaction et le canevas de toute la partie des Mémoires qui
formera notre prochain volume : nous l'y renvoyons en conséquence.
308 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
voir tous los honneurs. Pour que rien ne manquât à son triomphe, le
Roi voulut que le Dauphin vît en celte occasion pour la première fois
des troupes, pour l'accoutumer à les voir sous M. du Maine. M. le duc
d'Orléans, qui y avoit des compaj^nies, avoit par cela même un titre
particulier pour cette fonction, sans parler de celui de sa naissance et
de l'état si menaçant du Roi. Il alla à la revue ; tout y courut à lui ;
il renvoya tout à M. du Maine, et déclara qu'il n'étoit là que comme
un simple capitaine de gendarmerie pour faire sa cour à M. le Dau-
phin. M. du Maine pâlit en voyant le duc d'Orléans; il se trouva con-
fondu. Tous deux y sentirent les prémices de ce qui les attendoit ; les
troupes furent frappées du contraste, et le public s'en expliqua avec
indignation *
i^aS. Le duc de Noailles et le duc de Saint-Simon.
(Page 215.)
1'"' septembre 1715-. — L'éclat qui arriva sur les ducs^, que les
Mémoires ne font ici que pincer, mérite d'être rapporté pour la curio-
sité des causes et des suites, etd'en reprendre les choses de plus haut.
Il exige encore de parler de deux hommes qui sont pleins de vie, quoi-
qu'on ait eu soin de l'éviter dans ces Additions, où on a observé de ne
bien faire connoître que les morts ; aussi glisserons-noussur les vivants
dont il sera impossible de se taire, et on tâchera de ne les toucher
qu'en ce qui sera indispensablement lié avec les choses qui méritent
d'être rapportées, et qui, sans cette légère connoissance.demeureroieni
estropiées ou ne seroient pas entendues. Avant donc de rapporter cet
éclat sur les ducs, il est nécessaire de dire un mot des ducs de Saint-
Simon et de Noailles, de leur liaison et de leur rupture. Tous deux
de plus ont figuré pendant la Régence, et le duc de Noailles, fait
maréchal de France en 1734, commande l'armée d Italie en 1733*.
Il faut se souvenir de ce qui se trouve dans ces Additions sur la situa-
tion personnelle du duc de Noailles à son dernier retour d'Espagne en
1711, perdu avec le roi et la reine d'Espagne et Mme des Ursins, et
plus perdu, s'il se pouvoit encore, auprès du Roi, de Monsieur le
[Dauphin] et de Madame la Dauphine, et de Mme de Maintenon, sa
tante et sa grande protectrice, pour avoir voulu donner une maîtresse
au roi d'Espagne, et perdre, de concert avec le comte d'Aguilar, la
reine d'Espagne et Mme des Ursins de crédit par ce moyen. Il faut en
1. La suite de cette Addition a été placée ci-dessus sous Ipd» 12I55.
2. Pour la raison indiquée ci-dessus, p. 297, note 1, la présente Addi-
tion se trouve à l'ancienne page o91 du manuscrit, folio nouveau
303 v, et non point en re;:ard de la date à laquelle elle se rapporte.
3. A propos de leur prétendu désir d'être présentés au jeune Roi à
part du corps de la noblesse.
4. C'est donc eu 17.'i5 que Saint-Simon a rédigé cette Addition.
AU JOURNAL DE DANGEAU. 309
même temps ne pas perdre de vue ce qu'on a vu plus d'une fois dans
ces Additions de l'adresse de la princesse des Ursins à persuader
Mme de Maintenon que son pouvoir n'étoit que le sien, et que celle-ci
gouvernoit l'Espagne par l'autre, moyennant quoi Mme de Maintenon
ne se tenoit ni moins attaquée ni moins ofTensée que Mme des Ursins
même, ce qui fit ce comble de puissance de la dernière, par l'excès
de domination et d'aveuglement de la première, qui la soutint avec
fureur en tout et partout, jusqu'aux époques qui ont été rapportées
de sa décadence. Mme des Ursins en étoit encore éloignée en 1711,
et Mme de Maintenon, pleinement persuadée qu'elle régnoit en Espa-
gne par Mme des Ursins, étoit intiniment animée contre un neveu
qui lui devoit tant, d'avoir osé concevoir le dessein de renverser cet
empire, et attenté à travailler à s'en emparer lui-même. Il faut de plus
ne pas oublier que, de quelque détachement et de quelque piété que
fût le duc de Beauvillier, il n'étoit pas possible qu'il eût effacé de son
esprit le péril que les iVoailles avoient fait courir à ses places, lors de
l'éclat de l'affaire de Monsieur de Cambray; qu'il vivoit en consé-
quence avec eux autant que la conscience le lui pouvoit permettre, et
eux avec lui comme avec un homme qu'ils n'avoient pu renverser, et
qui n'ignoroit pas que ses places étoient destinées au maréchal de
Noailles, lequel n'avoit pu pardonner à son frère de les avoir sauvées
au duc de Beauvillier, et que, malgré un si généreux et important
service, ce qui s'étoit passé dans l'affaire de l'archevêque de Cambray,
de la part du cardinal de Noailles, étoit demeuré obstacle invincible à
plus qu'une très simple bienséance entre le duc de Beauvillier et ce
cardinal, dont la décadence commençoit à pointer, tandis que le [duc
de] Beauvillier et son pupille, qui n'étoient qu'un, reprenoient un
crédit qui fut incontinent porté au plus haut point par la mort de
Monseigneur. Telle étoit donc la très triste situation du duc de Noailles
à son dernier retour d'Espagne.
Dans cet état il ne cessa de jeter les yeux de tous côtés pour cher-
cher à se raccrocher. Voysin et Mme de Maintenon n'étoient qu'un,
M. du Maine encore davantage; nul moyen de ces côtés-là. Pont-
chartrain le connoissoit, et de plus n'étoit à aucune portée, et son
lils, haï de tout le monde, encore moins. Le comte de Toulouse
n'entroit dans rien, et Desmaretz en assez peu de chose ; faute de
mieux, il s'attacha à lui, pour tenir au moins à quelque ministre, à
qui les tinances donnoient un grand accès auprès du Roi et de
Mme de Maintenon, mais qui, timide et d'ailleurs plein d'humeur% ne
pouvoit bien répondre à ses désirs. D'Antin lui fut plus d'usage ; mais
il ne fut jamais que souffert par Mme de Maintenon, et il étoit
courtisan trop avisé pour se faire un démérite auprès d'elle en ha-
sardant trop auprès du Roi pour leducdeNoailles. Dans cet embarras, il
i. Le copiste avait écrit à tort d'honneur ; Saint-Simon a biffé, et écrit
en interligne humeur.
340 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
s'avisa de rechercher le duc de Saint-Simon, quoique jusqu'alors sans
aucun commerce avec lui, et ce fut son salut, puis sa grandeur, que
cette recherche.
Le duc de Saint-Simon passoit à la cour une vie extérieurement
oisive, effeclivement très occupée. Il étoit, dès son entrée dans le
monde, dans la liaison la plus intime avec le duc de Beauvillier, dont
il avoit passionnément désiré d'épouser une tille. Il la lui avoit de-
mandée lui-même, sans autre dot ni condition que celle qu'il pres-
criroit lui-même. L'aînée voulut être religieuse ; la seconde étoit dé-
figurée ; les autres étoient trop jeunes. Il voulut attendre l'âge; enfin
tout se traita de telle sorte entre eux, que M. de Beauvilllier ne l'ou-
blia jamais, qu'il le regarda et le traita toujours comme son gendre,
et que, trouvant en lui des qualités qui réparoient la disproportion en-
tière des âges et des postes, il prit peu à peu contiance en lui, et
telle entin que, jusqu'à sa mort, ils s'ouvroient réciproquement, sur
tout, leur cœur et leur âme, et le duc de Chevreuse par une consé-
quence nécessaire. Saint-Simon s'étoit fait plusieurs amis véritables
des principaux personnages de la cour en hommes et en femmes. La
sienne, tille du maréchal de Lorge, avec laquelle il vivoit dans la
plus tendre et la plus entière contiance, éloit celle de la cour qui étoit
la plus respectée pour sa vertu, la plus généralement aimée pour sa
douceur, sa droiture et la singulière bonté de son esprit, la moins
crainte par la sagesse de son caraclère, et par un esprit moins bril-
lant que juste et sensé, et par sa conduite unie. Elle attira de son côté
beaucoup d'amis et de considération à son mari, et lui fut inliniment
utile par ses conseils; on l'a vue, dans ces Mémoires et dans ces Ad-
ditions, mise malgré elle et malgré son mari auprès de Mme la
duchesse de Berry, où elle acheva de se faire admirer, et d'où Ma-
dame la Dauphine la deslinoit à la mettre auprès d'elle, dés aupara-
vant même, quand la duchesse du Lude viendroit à manquer.
Le duc de Noailles comprit qu'en gagnant le duc de Saint Simon,
c'étoit la route de se rapprocher du duc de Beauvillier, et par lui du
Dauphin, et de l'un à l'autre de se remettre en selle au moins pour
le règne futur ; c'est ce qui, à faute de mieux, le détermina. Il y
trouva encore un autre avantage, et cet avantage léger alors devint le
principal à force de malheurs. Il avoit donné à M. le duc d'Orléans
ce Regnault qui fut arrêté en Espagne avec Flotte ; Regnaull avoit
commis des imprudences étranges, qui toutes avoient porté à plomb
sur M. le duc d'Orléans. Il en avoit été outré, e* cela avoit brouillé le
duc de Noailles avec lui. Quoique ce prince fût alors dans une situa-
tion fâcheuse, celle du duc de Noailles avec lui im|)orluiioit fort ce
dernier, qui n'avoit besoin d'être mal avec personne, qui craignoit et
qui ménageoil tout, encore plus un prince de ce rang. M. de Saint-
Simon, qui étoit de même âge que lui, avoit passé son enfance à aller
jouer avec lui ; l'amitié s'étoit mise entre eux avec l'âge. Le tourhillon
de la jeunesse du prince ralentit le duc de lui faire sa cour ; cette
AU JOURNAL DE DANGEAU. 311
interruption dura plusieurs années. Vint un voyage de Saint-Cloud où
ils voulurent avoir des dames un peu trayées, quoiqu'avec un reste de
celles de la cour de feu Monsieur, impossibles à éviter ; la duchesse de
Saint-Simon en fut conviée et pressée ; elle y alla de la Ferté, où son
mari demeura cependant. On se plaignit à elle de son absence. Mme
de Fontaine-Martel, belle-sœur du feu marquis d'Arcy, qui avoit été
gouverneur du duc d'Orléans, et qui étoit des amies de M. de Saint-
Simon, demanda à M. le duc d'Orléans pourquoi il ne le voyoit plus;
le prince répondit avec toutes sortes d'amitié. Au retour à Versailles,
le commerce se renoua ; l'ancienne amitié se retrouva tout entière;
elle ne tit que s'auj^menter depuis ; la confiance fut pareille. Le prince
y trouva des ressources ; il s'accommoda d'un homme qui lui par-
loit franchement et qui n'enlroit dans aucune de ses parties ni de ses
plaisirs. Il en reçut un service décisif dans son affaire d'Espagne, qui
tit un si grand bruit, et qui éloigna tout le monde de lui, au point
que M. de Saint-Simon y demeura seul de toute la cour, et eut le
bonheur de n'y laisser rien du sien, pas même le plus léger soupçon.
Ce fut lui qui le sépara de Mme d'Argenton, sur le point que le Roi
alloit éclater, lui encore qui les raccommoda, Mme la duchesse d'Or-
léans et lui, desquels il devint le lien, quoique, auparavant, M. de
Saint-Simon ne la vît jamais. Par celte conduite, M. le duc d'Orléans
se raccommoda avec le Roi et se remit un peu avec le monde, toute-
fois fort retenu par la considération de Monseigneur et par celle de
Mme de Maintenon, qui le haïssoient ouvertement. L'étonnant
mariage de Mme la duchesse de Berry fut encore principalement
l'ouvrage de M. de Saint-Simon, par tout ce qu'il sut mettre en
œuvre et ce qu'il y fit du sien, et Monseigneur ne lui pardonna
jamais.
Cette liaison si intime et si fortement cimentée fut encore un grand
appât au duc de Noailles pour rechercher M. de Saint-Simon, et par
lui se rapprocher de M. le duc d'Orléans, dans la situation très dé-
plaisante où il se trouvoit avec lui. M. de Saint-Simon en fut donc
recherché avec tout l'art et les grâces rehaussées du voile d'une appa-
rente simplicité, et il fut la dupe de tout ce qui lui fut présenté
d'esprit, de raisonnement, de droiture, de désir du bien, de confor-
mité de goût. Noailles rapprocha deux amis intimes de celui qu'il
vouloit gagner; les liaisons crûrent, se serrèrent; l'amitié, puis la
contiance en naquirent de la part de l'assiégé, dont le prix fut celui
que Noailles s'étoit proposé à l'égard du duc de Beauvillier et du duc
de Chevreuse, et avec plus de peine encore à l'égard du duc d'Or-
léans. La mort du Dauphin, puis du duc de Berry, tit redoubler de
jambes à Noailles auprès de Saint-Simon. Ces malheurs en avoient
creusé de nouveaux, et des plus cruels, au duc d'Orléans, déserté par
tout le monde jusqu'à la dernière indécence. M. de Saint Simon fut
le seul qui ne l'abandonna point, et qui y courut de grands risques,
qui ne furent pas capables de le ralentir un moment de voir ce prince
342 ADDITIO.NS DE SAINT-SIMON
publiquomoiit presque tous les jours, et de se promener seul avec lui
et très souvent à Marly, sous les yeux du Roi et de toute la cour. Il
en fut souvent averti par le duc de Heauvillier et par d'autres. On
avoit commencé à pénétrer quelque chose de la conliance intime du
Dauphin pour lui, mais conduite avec les plus grandes précautions
pour la dérober au Hoi surtout et au monde ; sa douleur d'une si sen-
sible perte avoit éclaté. Sa franchise étoit bien connue ; sa persévé-
rance unique à vivre comme il faisoit avec le duc d'Orléans ne cadroit
pas avec ce que ses ennemis vouloient faire croire de ce prince.
Ils avoient toujours pu beaucoup, et ils commenroient i tout pou-
voir; ils frémissoieiit d'une fermeté qui les contredisoit par elle-même.
L'intrigue qui avoit fait le mariage de la duchesse de Herry ne leur
étoit plus inconnue, sinon en tout, du moins en partie, qui avoit percé
avec le temps. D'autres raisons leur faisoicnl passionnément désirer
de séparer le duc d'Orléans du seul ami qui lui restât ; sa conduite en
cette longue et périlleuse détresse de M. le duc d'Orléans fut le der-
nier sceau de son amitié et de sa conliance pour lui, et la matière
des réflexions de bien des gens qui, malgré la situation du duc d'Or-
léans, sentoient le poids de sa naissance, ce qui l'attendoit après le
Roi vieux et sur le déclin, ce que le prince devoit de retour à M. de
Saint-Simon, et tout l'usage qu'il pouvoit tirer et faire de cet ami, sur
qui le monde dès longtemps attentif l'étoit devenu beaucoup davan-
tage. M. de Noailles n'oublia donc rien pour se mettre le plus avant
qu'il put dans son intimité et dans sa confiance, et il avoit tout ce qu'il
ialloit pour y réussir. Ses premiers succès élevèrent ses espérances ;
M. de Saint-Simon l'avoit raccommodé avec les ducs de Chevreuse et
de Heauvillier, et par eux avec le Dauphin. Il l'avoit encore tout à fait
remis avec M. le duc et Mme la duchesse d'Orléans. Ce prince n'avoit
plus rien entre lui et le timon nécessaire de l'État, que le Roi, qui
menaçoit de ne pas durer longtemps, et un Dauphin dans la première
enfance. Noailles se doutoit bien que M. le duc d'Orléans n'étoit pas
sans penser au futur, M. de Saint-Simon encore moins; qu'il éloit le
seul avec qui le piince pût s'en ouvrir et se conseiller. Il auroit bien
désiré d'y être admis en tiers pour quelque chose, quoique très mesuré
à voir M. le duc d'Orléans, pour ne donner, disoit-il, aucun ombrage,
mais en effet pour éviter tout inconvénient, et ne laisser pas d'aller à
son but. L'affaire de son oncle', qui s'aigrissoit tous les jours,
lui fut utile pour l'unir de plus en plus avec M. de Saint-Simon ;
celui-ci l'avoit vue naître et croître. Le P. Tellier, qui sans le connoître
lui avoit voulu être présenté en arrivant à la cour, et qui le ménageoit
fort à cause des ducs de Chevreuse et de Heauvillier et surtout du
Dauphin, lui avoit parlé de cette affaire dès les commencements; il
l'en entretenoit sans cesse depuis la mort du Dauphin, par rapport à la
situation où il le sentoit. Ils en avoient eu souvent des disputes fort
1. Ici un correcteur a ajouté en interligne te CariV,
AU JOURNAL DE DANGEAU. 313
vives et même fort dangereuses, sans que ce rusé jésuite se déprît de
ces continuels entretiens, quoiqu'il n'y pût rien gagner. Plus Saint-
Simon avoit vu de près le fonds et la conduite de cette affaire, plus il
le détestoit. Outre la facilité que cette manière de penser préseiitoit à
Noailles de s'unir de plus en plus avec lui, il comptoit encore s'en faire
un moyen pour relever son oncle et pour s'élever et s'accréditer par
lui. Le duc de Saint-Simon n'avoit été en aucune mesure avec le
cardinal de Noailles jusqu'à sa disgrâce; il y avoit même eu des choses
qui l'avoient sourdement aliéné de lui. L'indignation qu'il conçut de
tout ce qu'il voyoit si clairement et si fort de la première main l'en-
gagea à l'aller voir après la défense signitiée au cardinal de se présenter
devant le Roi, et de l'avertir de plusieurs pièges. Ce fut lui encore qui
proposa au duc de Beauvillier et au Dauphin, quand l'affaire lui eut
été envoyée par le Roi, d'y mettre Bezons, archevêque de Bordeaux,
pour lui en rendre compte, et l'archevêque instruisoit journellement
Saint-Simon de tout. Entin, la dernière fois que ce duc travailla avec
le Dauphin, comme cela arrivoit assez souvent et toujours longuement,
mais fort secrètement tête à tête, il lui ordonna de s'instruire à fonds
tant de cette matière que de celles des libertés de l'Eglise gallicane,
parce qu'il vouioit les examiner avec lui; qu'il lui en rendît compte, et
finir avec lui l'affaire du cardinal de Noailles, dont il lui fit l'éloge,
et ajouta qu'on ne lui persuaderoit jamais qu'il fût janséniste, ni rien
contre sa doctrine et la droiture de ses intentions; mais ce prince,
dont la France n'étoit pas digne, mourut quinze jours au plus après.
Depuis ce malheur, le duc de Saint-Simon ne laissa pas de continuer
à être toujours fort au fait de cette affaire, et demeura en liaison avec
le cardinal de Noailles, dont son habile neveu sut tirer pour la sienne
tout le parti qu'il en put.
Un autre lien les unit encore. On se souvient de l'affaire du bonnet,
mise en avant par M. du Maine de manière à ne pouvoir reculer. Il
est temps de la reprendre assez pour expliquer l'éclat arrivé sur les
ducs, qui a donné lieu, pour le bien entendre, à ce qui vient d'être
raconté des ducs de Saint-Simon et de Noailles. On a vu le commence-
ment de la perfidie qu'on avoit bien soupçonnée, mais dont il n'y avoit
pas eu moyen de se défendre, et les plaintes également amères et sans
fondement que le premier président ht du mémoire si court, si sage
et si simple, et à lui communiqué six jours durant et par lui renvoyé à
d'Antin sans y avoir trouvé rien à reprendre, présenté au Roi par d'An-
tin, avec l'approbation de M. du Maine, loué par le Roi et communiqué
par S. M. au premier président ensuite, pour répondre et agir après.
Ce magistrat fit des assemblées chez lui ; le Roi voulut que des ducs
s'y trouvassent, et la dissimulation fut portée jusqu'à ce point que le
Roi, si jaloux de la dignité de son moindre service, voulut que les ducs
d'Aumont, premier gentilhomme de la chambre en année, et de la Ro-
chefoucauld, grand maître de la garde-robo, s'y trouvassent, quoique le
hasard ht qu'il n'y eût point ce jour-là d'autres premiers gentilshommes
M\ ADDITIONS DE SAINT-SIMON
do la chambre pour servir à la place de M. d'Aiimonl ; que M. de Bouil-
lon, grand chambellan, ne fût point non plus à Marly. et que M. de la
Rochefoucauld, absent pour mi^me cause, n'y put suppléer. Ils le repré-
sentèrent au Roi : qu'il seroit réduit à ôtre servi, même à son petit cou-
vert, par Souvré, maître de la fjarde-robo en année, que personne à la
cour ne se souvenoit que cela lût jamais arrivé ; le Roi tint bon, et cela
arriva trois fois presque de suite. Ces conférences n'aboutirent à rien;
ce n'étoit pas aussi leur destination. Faute de raisons, le premier prési-
dent substitua des procédés, M. du Maine des désespoirs et des excuses.
L'éclat suivit contre le premier président; les ducs convinrent de vivre
désormais avec lui en ennemis déclarés, et se soutinrent longtemps de
la sorte. Mesmes fut outré; il se plaignit au Roi. On a vu dans les Mé-
moires ce que, appuyé secrètement de M. du Maine, il attira au duc de
Tresmes; mais d'ailleurs le Roi ne se voulut mêler de rien. Enlin,
poussé à bout, il s'en prit à M. du Maine, qui, ayant son compte d'avoir
brouillé hautement les pairs avec le Parlement, laissoit le premier pré-
sident seul exposé à leur ressentiment. M. du Maine, qui n'avoit garde
de se broudier avec lui. fut bien en peine, parce qu'il espéroit toujours
Se présenter aux du( s et se cacher derrière lui ; [il] chercha donc quel-
que voie de sortir de l'embarras où il commençoit à se trouver lui-
même. L'expédient qu'il prit fit voir, avec une étrange évidence, et le
degré de sa puissance sur le Roi, et l'excès de ses inquiétudes sur le
succès de tout ce qu'il en avoit obtenu. II proposa aux mêmes ducs à
qui il s'étoit adressé d'abord pour le bonnet, une conférence i\ Sceaux
avec Mme du Maine, dans laquelle il espéroit qu'on poiirroit trouver
de bons expédients. Ils s'en défendirent tant qu'ils purent; mais, à
force d'empressement, la même raison (]ui les avoit forcés d'entrer
avec lui dans l'affaire du bonnet les força enlin d'accepter un rendez-
vous dont ils voyoient assez qu'il n'y avoit rien à attendre, qu'un pré-
texte à faire casser la corde sur eux; ce fut donc à qui n'iroit point.
Entin, M. de la Force, à qui tout étoit bon pourvu qu'il se mêlât de
quelque chose, et M d'Aumont, qui tôt après ne se cacha plus guères
d'avoir été un pigeon privé, se chargèrent de la commission, et bien
valut aux autres de ne l'y avoir pas laissé aller seul, comme il le vou-
loit. Mme du Maine les reçut à Sceaux avec des politesses et des em-
pressements non pareils, et, un moment après leur arrivée, les mena
dans son cabinet, où elle fut en tiers avec eux. Là, après tous les jar-
gons de préface, elle leur dit nettement que, puisque c'étoil M. du
Maine qui les avoit engagés dans cette affaire, qu'il s'étoit fait fort d'y
réussir, qu'ils la regardoient comme si principale, surtout depuis qu'elle
avoit été embarquée et qu'elle sembloit avoir mal basté, il étoit rai-
sonnable que M. du Maine mît le tout pour le tout pour les en bien
sortir; mais qu'aussi éloit-il juste qu'il fût assuré d'eux qu'il n'obli-
geroit pas des ingrats, et qu'ils entrassent avec lui dans des engage-
ments sur lesquels il put compter. A ce début, ces Messieurs se regar-
dèrent et parurent fort surpris d'une proposition qu'ils entendoient
AU JOURNAL DE DANGEAU. 345
pour la promière fois de leur vie, et, si elle fut moins nouvelle au duc
d'Aumont qu'à l'autre, au moins joua-t-il bien d'abord. Mme du Maine
les cajola l'un après l'autre, puis les ducs en général, et leur dit qu'ils
ne dévoient point s'étonner de ce qu'elle leur proposoit; qu'il étoit de
leur intérêt d'emporter ce qui étoit entamé ; qu'il étoit de celui de
M. du Maine de s'assurer de tant de grands seigneurs, qui n'avoient
pas vu sans peine ses diverses élévations; qu'il en étoit bien informé,
il y avoit longtemps; qu'il ne laissoit pas de désirer leur amitié, et
qu'ils le voyoient bien par les démarches qu'il avoit faites sur cette
affaire, mais qu'il entendoit aussi que le succès les lui concilieroit de
manière à éteindre en eux leurs anciens déplaisirs à son égard et à
former un attachement dont il se pût assurer, et que c'étoit sur quoi
elle les prioit de lui répondre. Là-dessus, force compliments, force ver-
biages, dont elle leur déclara qu'elle ne se satisl'aisoit point. Eux, de
leur part, répondirent qu'ils ne savoient rien dire que les sentiments
qu'ils lui exposoient, puisque, ne s'agissant derien de précis, ils n'avoient
aussi rien à refuser ni à accepter. Là-dessus, Mme du Maine, voyant
qu'elle ne pouvoit les faire avancer, et que la Force, comme l'ancien, et
dont la mission étoit de se défier de l'autre, prenoit toujours la parole
et ne la lui laissoit jamais, prit son parti de parler la première. Elle
leur dit donc qu'après toutes les grâces dont le Roi venoit de combler
M. du Maine, et en particulier celle de l'habilité à succéder à la cou-
ronne, il n'avoit plus rien à en désirer; mais qu'en même temps il
n'étoit pas assez peu considéré, pour ne pas voir que cette disposition
et d'autres qui avoient précédé celle-là pouvoient, non pas être dispu-
tées après le Roi, qui les avoit bien solidement munies de tout ce qui
les pouvoit bien assurer, mais donner occasion d'aboyer et de crier,
d'exciter des princes du sang jeunes et sans expérience, quoique si liés
à eux par des alliances si proches et si redoublées, donner envie aux
pairs de se joindre à eux contre M. du Maine, entin de les tracasser;
que M. du Maine vouloit éviter ces inconvénients, et jouir paisible-
ment de tout ce qui lui avoit été accordé, et que c'étoit à eux à voir
s'ils vouloient s'engager avec lui sur ce pied-là d'une manière non
équivoque. M. d'Aumont saisissant la parole, M. de la Force la lui
prit, en l'interrompant sur ce qu'il enfiloit plus que des compliments,
et, après en avoir fait quelques-uns, il se mit à vanter la solidité de ce
que M. du Maine avoit obtenu, et la solennité des formes qui y avoient
été gardées, et conclut que c'étoit là une terreur panique sur des choses
que personne n'avoit aucun moyen d'attaquer. Mme du Maine répliqua
que, s'ils n'en avoient point de moyens, il n'en falloit pas conserver la
volonté; que cela ne se prouvoit point par des propos, mais par des
choses, et que c'étoit à eux à voir quelles étoient ces choses dans les-
quelles ils se voudroient engager. M. de la Force, de plus en plus sur-
pris de tout ce qu'il entendoit, et qui voyoit déjà oii elle en vouloit
venir, se défendit sur ce qu'il n'imaginoit rien au delà de ce qu'il lui
venoit de dire; qu'il y ajouteroit de plus toutes les protestations qu'elle
3ir> ADDITrONS DK SAINT-SIMON
estimcroil Tassuivr de Itnirs intentions; qu'elle avoit vu que pas un
d'eux n'avoit opposé quoi que ce lût à toutes les volontés du Roi à
l'égard de M. du Maine, et revint encore à leur solidité. Mme du Maine,
forcée entin d'articuler, leur déclara que, si c'étoit sincèrement qu'ils
parloient tant pour eux (jue pour les autres, il ne leur coûteroil rien
de lui donner une assurance par écrit de soutenir, après le Roi, ce
qu'il avoit réglé de son vivant en faveur de ses lils naturels et de leur
postérité, tant pour leurs rangs, honneurs, etc., que pour leur succes-
sion à la couronne. M. de la Force, qui l'avoit prévu dès le commen-
cement de cette forte conversation, la supplia de considérer ce qu'elle
leur proposoit ; de faire réflexion si des sujets, quels qu'ils fussent,
pouvoient sans crime s'arroger l'autorité et le droit de conlirmer les
dispositions du Roi vivant et régnant; enfin, de jeter les yeux sur la
juste jalousie du Roi sur son autorité, et sur les folles calomnies que
le premier président avoit osé leur imputer à ce môme égard d'auto-
rité et au Roi même, et qu'ils ne pouvoient ignorer, puisque le Roi les
avoit rendues au duc d'Antin, lequel lui en avoit démontré la noirceur
et la folie. Mme du Maine eut à peine la patience d'entendre cette
courte réponse. La Force continuoit pour l'étendre; elle l'interrompit
avec un feu qu'elle ne put plus contenir, et lui dit qu'elle s'en étoit tou-
jours bien doutée, que les ducs ne cherchoienl que des échappatoires,
mais que pour celle-là elle les tenoit, et qu'elle leur répondoit que le
Roi non seulement ne seroit point offensé de l'écrit qu'elle leur deman-
doit, mais qu'il leur en sauroit même fort bon gré, et que M. du Maine
s'en faisoit fort. Dans l'étourdissement où la réflexion à la chose, quoi-
que prévue, et la vivacité de la réplique mirent la Force, Aumont em-
pauma prestement la voie, et, se tournant à la Force : « Monsieur, lui
dit-il, comme ne trouvant plus de diflîculté, si M. du Maine se fait fort,
comme Madame l'assure, que risquons-nous? et au contraire cette assu-
rance de notre part n'est qu'honorable. » La Force retint l'indigna-
tion dont cette apostrophe le saisit, et, avec un souris modeste : « Mais
qui nous assurera, Monsieur, répondit-il à Aumont, (jue ce que le Roi
approuvera aujourd'hui par considération pour M. du Maine, ne lui
sera pas empoisonné demain contre nous sur son autorité, où nous
aurons attenté par la concurrence de la nôtre, et contre M. du Maine,
qui, non content de toute celle de la majesté royale, aura en sus montré
qu'il comploit ce concours de notre part nécessaire, et qui y aura eu
recours? Qui nous assurera que le premier président, dans la rage qu'il
témoigne, que le Parlement dans l'aliénation où il l'a mis de nous,
n'aura pas encore plus de jalousie que le Roi même de nous voir con
Jirmer ce que cette Compagnie a solennellement enregistré, et que,
dans le temps que Messieurs du Parlement n'épargnent rien pour
nous réduire au simple état de membres de leur corps, comme eux-
mêmes et sans rien qui nous en distingue, ils ne feront pas tous leurs
efforts pour traiter d'attentat cette autorité arrogée par-dessus et en
confirmation de la leur? Madame, ajouta-l-il tout de suite, cela est
AU JOURNAL DE DANGEAU. 317
trop délicat, et il n'est aucun de nous qui en osât tenter le hasard. »
Mme du Maine rageoit, et le montroit bien à son visage; mais ce
coup étoit tellement de partie, soit pour s'assurer une bonne fois des
ducs, comme elle le témoignoit, soit pour les perdre sans ressource
avec le Roi, avec les princes du sang, sans qui' cela se passoit, avec
le Parlement, avec le public, par un écrit des ducs qui auroit disposé,
autant qu'il étoit en eux, du droit de succéder à la couronne, de leur
seule et propre autorité, sans raison, sans occasion, sans nécessité
autre que ce désir, et cette convention si réelle de leur part, si frivole,
et sur chose si frivole aussi par la mauvaise foi de M. du Maine en
compagnie de l'autre, qu'elle se contint avec effort pour répliquer et
dupliquer, et l'emporter à force d'esprit et d'autorité sur la Force, à
qui seule elle avoit affaire, le pied ayant déjà glissé à Aumont, qui, se
voulant mêler une fois ou deux dans la dispute, fut toujours repoussé
par l'autre, qui, lui mettant la main sur le bras, ne s'interrompoit point
et lui étouffa toujours la parole.
Finalement, Mme du Maine, se voyant à bout, céda à sa colère ; elle
dit à ces Messieurs qu'elle voyoit bien qu'eux et leurs confrères ne se
pouvoient regagner; qu'ils mettoient un vain respect pour le Roi,
duquel elle leur répondoit, une vaine crainte d'ailleurs, une vaine mo-
destie sur eux-mêmes, et suitout beaucoup d'esprit et de compliments
à la place des réalités nécessaires ; qu'ils vouloient avoir leur fait et se
réserver entiers pour ce qui leur conviendroit dans l'avenir ; que c'étoit
à M. du Maine et à elle à savoir s'en garantir, et qu'elle vouloit bien
leur dire, pour qu'ils n'en pussent douter, que, quand on avoit une fois
acquis l'habilité à succéder à la couronne, il falloit, plutôt que de se
la laisser arracher, mettre le feu au milieu et aux quatre coins du
royaume. Aussi tint-elle parole en tant qu'elle le put. Ce furent là ses
dernières paroles, après lesquelles elle se leva brusquement, sans tou-
tefois qu'il lui fût rien échappé ni contre eux ni contre les ducs en
général. Ils se séparèrent avec beaucoup de compliments forcés d'une
part, et de respects qui ne le parurent guères moins de l'autre, la
Force ayant toujours l'œil sur son compagnon, qui n'osa rien dire en
particulier, ni suivre la duchesse du Maine. Ils partirent de Sceaux,
et vinrent rendre compte du succès de leur voyage. Il n'avoit guères
plu à M. du Maine plus qu'à eux, qui, de l'état où il les avoit mis,
s'étoit flatté de tirer ce bel écrit d'assurance. Cette conclusion, qui de
sa part achevoit en plein de montrer la corde, sans débarrasser le pre-
mier président, lui fit avoir recours à une autre ruse, qui, en cassant
cette corde sur les ducs, ne fit que découvrir avec la plus entière évi-
dence ce qu'ils avoicnt soupçonné de lui dès le commencement.
M. du Maine, huit ou dix jours après, amena Madame la Princesse
sur la scène, qui de sa vie ne s'étoit mêlée de rien et qui étoit une bonne
happelourde, et parfaitement connue pour ce qu'elle étoit. Son gendre
1. Un correcteur postérieur a biffé qui et mis lesquels en interligne.
318 ADDITIONS DE SAIXT-SIMON
feignit que jusque-là elle u'avoil pas ouï |i;uler île celle alVaire, quoi-
que dès son enlrée il eClt répondu d'elle nommément et répondu comme
d'une bonne bêle, à qui il n'avoit qu'à dire un mot. M. le duc d'Or-
léans. Madame la Duchesse, tous les princes du sang, avoienl consenti
depuis plus de huit mois; cette alVaire faisoit le plus f;rand bruit;
comment donc donner dans cette bourde de Madame la Princesse?
Quoi qu'il en fût, faute d'autre issue, M. du Maine dit qu'elle lui
avoit bien lavé la tète d'avoir mis le bonnet en avant ; que Monsieur le
Prince lui en avoit toujours parlé comme de la plus chère distinction
des princes du sang sur les pairs ; qu'elle avoit trop de respect pour sa
mémoire, pour ses sentiments, pour ses volontés, pour l'intégrité du
rang des princes du sang, pour nt se pas opposer à ce que les pairs
demandoient, et pour ne pas su|iplier le Roi de toutes ses torces de n'y
rien innover. Là-dessus, le Roi dit à d'Antin qu'il étoit fâché de cette
fantaisie qui avoit pris à Madame la Princesse, mais qu'il ne pouvoit
passer par-dessus, ni la persuader, et qu'il ne vouloit plus ouïr parler
du bonnet. D'Antin. qui vit bien que c'étoit une chose préparée, ne
laissa pas de répondre de son mieux ; mais le Roi étoit convenu avec
M. du Maine d'en sortir de celte façon, et rien ne le put ébranler.
D'Antin le dit à ceux des ducs par qui celte aflaire avoit d'abord passé.
On a vu que MM. de Saint-Simon et de IS'oailles en éloienl, le premier
comme ayant été mandé avec quelques autres chez le maréchal d'Har-
court, dès la première fois qu'il en fut question. 11 faut achever tout
de suite un épisode, dont il y aura lieu de se souvenir dans le cours
de la Régence. Quoique les ducs se fussent attendus tout d'abord à
tout, et que les suites les y eussent de plus en plus conlirmés, il ne
doit pas paroître étrange qu'aigris de ces mêmes suites, ils le fussent
encore plus de celle tin qui les rendoit malgré eux le jouet des arlilices
de M. du Maine, qui faisoit triompher le Parlement d'eux, et les
brouilloit à l'excès, ce qui étoit son but. Il ne s'étoit pas tenu de dire
avec son facétieux ordinaire que tout ce qu'il étoit et avoit étoit bel
et bon, mais qu'il n'en étoit pas moins comme un pou entre deux
ongles, pressé par les princes du sang et par les pairs également, et
qu'il ne savoit pas comme il se tircroit d'affaire ; ce fut donc ainsi
qu'il en sortit d'un côté. D'Antin avoit rendu compte aux ducs, comme
on vient de dire, du discours détinitif qui s'étoit tenu entre le Roi et
lui ; c'étoit à Versailles, un samedi au soir. Le lendemain matin, le duc
de Saint Simon, à qui sur les tins M. du Maine avoit parié de cette
affaire avec les plus fortes démonstrations de son désir et de sa bonne
foi, envoya attendre son retour de la grande messe ; car grandes messes,
vêpres, compiles et salut, jamais, où que ce fût, il n'y manquoit dès
sa jeunesse, fêtes et dimanches, et sermon quand il y en avoit M. de
Saint-Simon alla chez lui, et le trouva seul dans son cabinet, l'air ou-
vert, qui le reçut de la manière du monde la plus ai ée et la plus
polie. Saint-Simon n'ouvrit la bouche que lorsqu'il fut dans son fau-
teuil, et M. du Maine dans le sien. Alors, d'un air sérieux, il lui dit ce
AU JOURNAL DE DANGEAU. 319
qu'il avoit appris. M. du Maine blâma Madame la Princesse, tomba
sur elle, s'excusa, s'affligea. M. de Saint-Simon lui dit un mot du pre-
mier président, que M. du Maine voulut aussi excuser, et dire même
qu'il ne lalloit point désespérer de l'afl'aire ni la regarder comme
finie, que pour lui il ne cesseroit d'y travailler et ne seroit jamais con-
tent qu'il n'en fut venu à bout. Alors M. de Saint-Simon tomba sur
le premier président, lui dit toutes ses calomnies au Roi sur les ducs,
qui les savoient du Roi même par d'Antin, qui avoit eu la permission
de les leur dire, et eux de ne s'en pas taire. M. de Saint-Simon ne
comptoit pas d'apprendre rien à M. du Maine, mais bien qu'il n'igno-
roit rien ; puis, le regardant entre deux yeux : « C'est vous, Monsieur,
lui dit-il, qui nous avez engagé malgré nous dans cette affaire ; c'est
vous qui nous avez répondu du Roi et du premier président et par lui
du Parlement; c'est vous qui nous avez répondu de Madame la Prin-
cesse; c'est vous qui la faites intervenir maintenant après avoir fait
jouer au premier président un si indigne personnage ; enfin, Monsieur,
c'est vous qui nous avez manqué de parole, qui nous rendez le jouet
du Parlement et la risée du monde. » M. du Maine devint pâle et in-
terdit, lui toujours si vermeil et si désinvolte, et voulut s'excuser en
balbutiant et ténioigner sa considération pour les pairs, et en particu-
lier pour celui qui parloit et qui l'écoutoit toujours en le regardant
fixement. Enfin il l'interrompit: « Monsieur, lui dit-il fièrement, vous
pouvez tout, et vous nous le montrez bien et à toute la France. Jouissez
de votre pouvoir et de tout ce que vous avez obtenu ; mais, en haus-
sant la VOIX et le regardant jusque dans le fonds de l'âme, il vient quel-
quefois des temps, ajouta-t-il, où, quelque grand qu'on soit, on se
repent trop tard d'en avoir abusé et d'avoir joué et trompé de sang-
froid tous les principaux seigneurs du royaume en rang et en établis-
sements, qui ne l'oublieront jamais. » Et brusquement se lève et tourne
pour s'en aller. M. du Maine, éperdu de surprise et peut-être de
dépit, le suit et l'accompagne, balbutiant encore des excuses et des
compliments; à la porte M. de Saint-Simon se retourne, et d'un air
d'indignation : « Oh ! Monsieur, me conduire après ce qui s'est passé,
c'est ajouter la dérision à l'insulte, » passe la porte tout de suite et
s'en va, et le conte l'après-dînée aux autres ducs.
Le Roi n'en fit pas le moindre semblant en quoi que ce piît être, à
personne, ni au duc ni à la duchesse de Saint-Simon, soit qu'il ignorât
cette conversation, soit qu'il la voulijf ignorer; il vécut encore plusieurs
mois sans que M. de Saint-Simon vît M. du Maine, ni qu'il le saluât
jamais qu'à demi lorsqu'il le rencontroit, quoique l'autre affectât en
le saluant une politesse plus que marquée. Il ne parla jamais de cette
conversation, ni ne se plaignit du duc de Saint-Simon. Tel fut la fin
de cette affaire du bonnet, dont on verra pourtant des suites, et telle
la situation particulière du duc de Saint-Simon avec M. du Maine,
qu'il falloit expliquer une fois.
Revenons à celle du même avec le duc de Noailles. Ce dernier, de
3-20 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
plus en plus lié avec Desmarelz, et avro bt-rcy, sou f^en<lre, (|ui avoil
toute la contiance de son beau-père pour les tinances, tAchoit de s'en
instruire sous eux. Le népotisme avoit apprivoisé l'humeur farouche
de ces doux hommes, qui oroyoient se faire un grand appui d'un sei-
gneur si établi, dont ils ignoroieiit lo fonds du sac, avec une tante qu'ils
avoient imparfaitement su seulement un peu fâchée, duquel ils goû-
toient l'esprit, l'agrément, la souplesse, la tlexibilité, les louanges, et
peu à peu s'ouvrirent à lui de tout. Noailles avoil son but; il vouloil
les tinances, et ne tarda pas de sonder Saint-Simon là-dessus. Il igno-
roit entièrement ce qui se passoit entre M. le duc d'Orléans et lui,
quelque soin qu'il se fût donné pour être admis en tiers avec eux dans
les projets du futur ; mais il avoit bien aperçu qu'il étoit résolu de
naettre en place des gens de qualité, et de se défaire de la robe et de la
plume. Saint-Simon ne vouloit point des tinances, et avoit déjà pensé
au duc de Noailles pour cet emploi : il n'eut donc aucune peine à voir
qu'il le desiroit lui-même, et il lui promit de l'y servir. En effet, rai-
sonnant avec M. le duc d'Orléans, le choix pour les tinances fut mis
entre eux deux sur le tapis, et le prince les proposa au duc, qui les
refusa nettement. M. d'Orléans insista, et entra dans les raisons qui le
déterminoient à ce choix, celui-ci dans celles qui le tixoient au refus.
L'opiniâtreté fut pareille de part et d'autre, et alla jusqu'à finir par la
froideur. Comme elle ne venoit que d'amitié et de contiance, peu de
jours la réchauffèrent. Quoique ce refus tînt fort au cœur du duc d'Or-
léans, qui s'étoit mis ce choix dans la tête et qui se trouvoit embar-
rassé d'en faire un autre, ils l'agitèrent tous deux. Saint-Simon pro-
posa Noailles ; à ce nom le duc d'Orléans lit quatre pas en arrière et
s'écria beaucoup. Saint-Simon lui demanda la raison de tant de sur-
prise et d'éloignement. Le prince à son tour lui demanda s'il préten-
doit donner les tinances à piller aux Noailles, et s'il avoit oublié les
affaires immenses que la maréchale de Noailles et toutes ses tilles
avoient continuellement faites du temps de Pontchartrain, de Chamil-
lart et de Desmaretz, tant directement par eux qu'en sous-ordre.
M. de Saint-Simon convint de cette vérité ; mais il se souvint aussi
qu'il y en avoit eu beaucoup du su du Roi, qui avoit même ordonné
aux contrôleurs généraux d'en faire faire tant qu'ils pourroient à la
duchesse de Guiche ; que de plus la maréchale de Noailles avoit un léger
crédit sur son lils; que Noailles, riche et établi au point qu'il l'étoit,
ne pouvoit être tenté que d'établir sa réputation, et que, voulant don-
ner les tinances à un seigneur, il n'en connoissoit point qui eût plus
d'esprit, de volonté et d'application pour s'en bien acquitter.
M. d'Orléans, ébranlé, lut plusieurs jours à se rendre, et enfin se
détermina au duc de Noailles pour les finances, non sans reprocher
encore vivement au duc de Saint-Simon l'endjarras où il le metloit par
son refus. Ce fut encore un autre intervalle pour obtenir la liberté de
le dire au duc de Noailles. Saint-Simon représenta que cela l'attache-
roit de plus en plus et l'encourageroit à s'instruire et à profiter des
AU JOURNAL DE DANGEAU. 321
lumières qu'il pourroit tirer de Desmaretz. Ce n'étoit pas que cette con-
duite avec le contrôleur général ne parût à Saint-Simon un peu louche;
il ne savoit pourtant pas encore le degré de confiance et d'amitié qui
s'étoit établi entre eux. Il croyoit seulement que Noailles, maître passé
en insinuation, protitoit par ce talent de celui de l'autre; et, comme en
elVet il ne voyoit rien de mieux que Noailles pour succéder à un
homme que M. le duc d'Orléans avoit résolu d'ôter, et que lui-même
desiroit de voir déplacé, il passa par-dessus cette considération. Vers
ce même temps il proposa au prince le cardinal de Noailles pour être
à la tête du conseil de conscience, et, comme alors M. le duc d'Orléans
étoit resté dans le sentiment qu'on a vu où il étoit lorsqu'il fut question
du lit de justice, cela fut aisément arrêté.
M. de Noailles, content au possible de ce qui se préparoit pour lui
et pour son oncle, ne laissoit pas d'être peiné de ne rien savoir sur le
reste et de ne pouvoir entrer en tiers sur rien. M. de Saint-Simon, qui
s'en aperçut, n'eut garde d'en faire aucun semblant ; le secret du prince
n'étoit pas le sien, et d'ailleurs Noailles, content pour soi, étoit inutile
à admettre. Saint-Simon vouloit des Etats généraux avant que Noailles
entrât en véritable exercice ; il les avoit proposés à M. le duc d'Or-
léans, fondé sur les raisons suivantes. Il lui avoit représenté que les
Etats généraux ne sont dangereux que pour ceux qui ont administré ;
qu'il étoit de reste de notoriété publique qu'ils n'avoient pas eu en
aucun temps la moindre part aux affaires, non pas même la moindre
notion ; que celles des Hnances étoient dans le plus violent désordre,
et réduites au point de ruiner sans ressource un million de familles, ou
en droiture ou en cascade, si on prenoit le parti de faire la banque-
route des dettes immenses que le Roi avoit contractées, ou d'achever
d'accabler l'Etat par la continuation des impôts, et par tout ce qu'on
y en pourroit encore ajouter de nouveaux, si on prenoit celui de payer
les dettes du Roi ; que, si l'on s'arrêtoit à un parti mitoyen de choisir
ce qu'on estimeroit mériter d'en être payé, et ce qu'on jugeroit devoir
souffrir la banqueroute, ce seroit une source de longueurs, de déses-
poirs, d'iniquités, de faveurs et d'injustice sans fond et sans tin, et qui
soulèveroit plus que l'un des deux autres partis ; que toutefois il n'y
en avoit pas un quatrième ; qu'il étoit donc de la prudence du prince
de ne se charger pas d'un travail ni d'un choix qui, quel qu'il fût, seroit
toujours très odieux ; que, toutes les parties de l'Etat ayant toutes à
en porter le poids et la souffrance, il étoit bien plus naturel qu'elles-
mêmes eussent le choix de leurs douleurs, et pour qu'elles les por-
tassent avec moins de peine et pour qu'elles ne se pussent prendre de
rien qu'à elles-mêmes ; qu'il y avoit plus d'un siècle qu'il n'y avoit eu de
ces assemblées; qu'elles étoient également et généralement désirées,
en même temps qu'amèrement déplorées à revoir; que ce seroit donc
se mettre au comble de la faveur et de l'affection publique que signaler
l'entrée de son autorité par donner cette joie et cette marque de modé-
ration, de considération et de confiance à tout un royaume qu'il alloit
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 2i
3^2^> ADDITIONS DE SAINT-SIMON
gouverner, et frapper un si grand coup pour soi à grand marche^, puis-
qu'il n'en avoit rien à craindre ef tout ;\ attendre, et pour le présent
et pour l'avenir, en laissant ce terrible choix aux trois ordres, et n'é-
tant pour les suites que l'oxécutour de ce qu'ils auroiont réglé, des-
quels par conséquent il n'auroit point ;\ répondre; que de plus il (al-
loit donner à l'opinion ; qu'encore qu'il fût vrai que les il,tats généraux
ne fussent qu'une assemblée de sujets complaignants et sup|)liaiits
destituée de toute autorité, sinon de présenter les griefs de leurs pro-
vinces et de dire leurs avis sur ces matières, et encore quand le Roi le
leur demandoit, il n'étoit pas moins vrai que les formes des Renoncia-
tions ne senibloienl suilisanles à personne ; que chacun en faisoit le
parallèle avec les Etats généraux ou les cortès d'Espagne, où les Renon-
ciations avoient passé, et concluoit qu'elles ne vaudroient jamais en
France, par ce qui s'étoit passé au Parlement et sous les yeux du Roi
vivant, si les États généraux et libres n'y passoient eux-mêmes, et
qu'il n'étoit pas douteux que, charmés de leur inespérée convocation,
et charmés encore de l'exercice tel quel d'un pouvoir qu'ils n'avoient
pas, mais que l'ignorance leur attribuoit aujourd'hui, ils ne concou-
russent unanimement et par acclamation à approuver et, aux yeux du
public, à rendre irrévocables ces mêmes Renonciations, qui seules le
pouvoient porter sur le trône, si la mort enlevoit le jeune Roi avant
qu'il eût un Dauphin.
Ces raisons persuadèrent le duc d'Orléans si fort, qu'il résolut que,
dans le premier instant qu'il se trouveroit en état par la mort du Roi
de donner des ordres, il l'emploieroit à la convocation instante des
Etals généraux, et qu'en attendant leur assemblée, il ne feroit que con-
tinuer la môme gestion des finances par le duc de Noailles, comme fai-
soit Desmaretz, sans y mettre, ajouter ou diminuer quoi que ce fût,
pour qu'il ne parût rien du sien aux yeux de cette assemblée, à qui on
découvriroit à nu tout l'état des linances, et de laquelle on altendroit
le remède sans s'intéresser à la préférence d'aucune. Tant que le Roi
vécut, M. d'Orléans goûta tellement cette idée qu'il s'en conjouissoit
continuellement avec le duc de Saint-Simon ; mais, sur la tin du Roi,
comme cela regardoit les hnances, et que Noailles tournoit toujours
autour de lui avec beaucoup d'art, le prince ne put se tenir de lui com-
muniquer cette résolution. Aussitôt Noailles eut l'air de se voir bridé
par les Etats généraux, et, n'osant pas en combattre le projet, en parla
au duc de Saint-Simon, au(|uel, à travers mille louanges de cette salu-
taire idée, il tâcha de présenter des diflicultés et des embarras. Il sen-
toit combien cela le mettoit loin du but qu'il s'étoit proposé d'atteindre.
Il s'échappa à témoigner à Sainl-Simon le danger de la multitude avec
un prince tel ([ue le duc d'Orléans ; l'avantage d'un seul ; puis, s'échauf-
fant intérieurement dans son harnois, mais possédant son âme, ses
paroles, ses regards: « Vous n'avez point voulu, lui dit-il, des linances,
et je vois bien que vous ne voulez vous charger de rien directement;
vous avez raison. Vous vous réservez pour être de tout (!t vous attachez
AU JOURNAL DE DAiXGEAU. 323
uniquement à être avec M. le duc d'Orléans; au point où vous êtes
avec lui, vous ne sauriez mieux faire. En nous entendant bien, vous et
moi, nous en ferons ce que nous voudrons ; mais, pour cela, ce n'est pas
assez des finances, il me faut les autres parties ; il ne faut point que
nous ayons à compter avec personne. Des Etats généraux, c'est un
embrouillement dont vous ne sortirez point. J'aime le travail ; je vous
le dirai franchement ; c'est une pensée qui m'est venue ; je la crois la
meilleure. Encore une fois, agissons de concert ; entendons-nous bien ;
faites-moi faire premier ministre, et nous serons les maîtres. — Pour
premier ministre ! répondit Saint-Simon avec une indignation que son
discours avoit excitée, mais qu'il avoit contenue pour le bien suivre
jusqu'au bout, et que ce bout combla, premier ministre. Monsieur ! Je
veux bien que vous sachiez que, s'il y en avoit un à faire et que j'en
eusse envie, ce seroit moi qui le serois, et je pense aussi que vous ne
présumez pas que vous l'emportassiez sur moi ; mais je vous déclare
que, tant que M. le duc d'Orléans m'honorera de quelque sorte de
conliance, ni moi, ni vous, ni homme vivant ne sera jamais premier
ministre, que je regarde comme le fléau, la perte et la ruine de l'Etat. »
Sur quoi il s'étendit en peu de mots, regardant toujours son homme,
sur le visage duquel l'excès de l'embarras, du dépit, du déconcerte-
ment étoit peint, et qui pourtant se soutint jusqu'à répondre qu'il
n'insistoit point, mais qu'il avouoit que cette pensée lui avoit paru
bonne, d'un air le plus détaché et le plus indifférent qu'il put. Tous
deux après ne songèrent qu'à séparer un tête-à-tête devenu si embar-
rassant ; c'étoit dans le cabinet du duc de Noailles. Ni lors, ni depuis
il n'y parut point entre eux; mais Saint-Simon eut de quoi donner car-
rière à ses réflexions. Toutefois, il ne crut pas devoir rien dire à M. le
duc d'Orléans; il persistoit à croire le duc de Noailles bon aux
linances ; il voyoit ce prince engoué et afl'ermi pour les États généraux,
et il ne prit aucune peur que M. de Noailles se pût faire premier mi-
nistre. Tout ceci n'est que le préparatif à l'éclat sur les ducs, mais pré-
paratif très nécessaire. C'est à quoi maintenant il en faut venir.
L'afl'aire du bonnet avoit donné lieu à plusieurs ducs de se voir là-
dessus, et l'éclat dont elle fut suivie avec le premier président, de se
contenir ensemble pour qu'aucun ne le vît. Quelques-uns se démanchè-
rent, et dans la vérité ces Messieurs ne paroissoient pas propres de-
puis bien longtemps à se soutenir sur quoi que ce fût. L'esprit d'in-
térêt et de servitude, une ignorance profonde, nul concert entre eux,
l'habitude de leur continuelle décadence, étoient des obstacles à tout
pour eux. Chacun étoit intéressé à leur tirer des plumes, et on a vu
ci-devant quel fut toujours le Roi à cet égard en général pour tout ce
qui n'étoit ni bâtard ni ministre. Ainsi grande facilité contre eux jus-
que par eux-mêmes. Le nombre sans cesse augmenté, la jeunesse de
plusieurs, en faveur de qui les pères se démettoient, augmentoit encore
l'inconsidération et la jalousie, et ces Messieurs, qui ne se soutenoient
pas eux-mêmes etquinefaisoient rien pour être soutenus, s'avilissoient
iU ADDITIONS DE SAIM-SIMUN
tous les jours. Quoique les j^ens saiislilio et île la prciniiTe qiialiti' lis-
sent sans cesse des alliances fort basses, celles des ducs inarquoienl
davantui^e par la distinction de leurrang, quiirriloit dans les duchesses
de celte sorte, qui rendoifnl les dames dequalilé par elles-niùnies plus
libres à ne leur pas tout rendre et plus impatientes des diflérences,
et ces mêmes duchesses plus embarrassées et plus souples à suppor-
ter. M. et Mme du Maine soutlloient sourdement ce feu depuis Ion-
temps ; mais, depuis l'alVaire du bonnet, ils eurent moins de ménage-
ment, et en tirent leur principale affaire. Tout à la tin de la vie du feu
Roi, on répandit mille faux bruits des prétentions dos ducs et de leurs
manières ; il n'y en avoit pas un mot. La conduite journalière de tous
démentoit ces discours ; mais ils étoient poursuivis et semés avec art
et méthode.
M. de Noailles, soit que dès lors il eût conçu le dessein qu'il exécuta
depuis, soit qu'il eût seulement voulu sonder pour après ce qu'il fe-
roit, et que l'idée de ce qu'il lit ne lui fût venue que depuis avoir senti
si nettement qu'il ne conduiroit pas M. de Saint-Simon à le faire pre-
mier ministre, lui avoit proposé, et à quelques autres, qu'il faudroit
qu'à la mort du Roi, qu'on vojoit prochaine, que ce qui se trouveroit
alors de ducs à la courallassentensemble saluerlenouveauRoi àlasuitÉe
de M. le duc d'Orléans et des princes du sang et avant tous autres.
Dès la première proposition, M. de Saint-Simon lui témoigna qu'il ne
la goûloit point, et en parla de même au peu de ceux à qui Noailles
s'en étoit ouvert. Quelque temps après, celui-ci lui en parla encore ;
Saint-Simon lui représenta qu'outre les raisons (ju'il luiavoil déjà allé-
guées, et qui se trouveront mieux en place plus bas, il falloit toujours
considérer un but principal, que rien ne devoit faire perdre de vue, et
n'y pas mettre des obstacles si aisés à éviter; que ce but étoit de tirer
la noblesse en général de l'abaissement et du néant où la robe et la
plume l'avoient réduite ; de la mettre pour cela dans toutes les places
du gouvernement qu'elle pouvoitoccuperparson état, au lieu des gens
de robe et de plume qui les tenoient, et peu à peu de la rendre capable,
de lui donner de l'émulation, d'étendre ses emplois et de la relever de
la sorte dans son état naturel ; que pour cela il falloit être unis, s'en-
tendre, s'aider, fraterniser, et ne pas jeter de l'huile sur un feu que
M. et Mme du Maine excitoient sans cesse, parce qu'ils comprenoient
que leur salut consistoit à brouiller tous les ordres entre eux et surtout
celui de la noblesse avec elle-même, comme le salut de la noblesse con-
sistoit en son union entre elle, à laquelle on ne devoit cesser de travail-
ler; que rien n'étoil si ignorant, si glorieux, si prompt à tomber dans
toutes sortes de pièges et de panneaux que celle noblesse ; que par
noblesse il entendoit et ducs et gens de qualité non ducs; que les
ducs ne dévoient songer qu'à découvrir aux gens de qualité ces pièges
et ces panneaux ; que, pour le faire utilement, il falloit en être aimés,
et que, puisqu'on effet il s'agissoit de l'intérêt commun dans un
moment de crise, dont on pourroil profiter pour la remettre en lustre,
AU JOURNAL DE DANGEAU. 325
el qui, manque une lois, ne reviendioit plus, il ne falloil pas tenter
leur ignorance, leur vanité, leur sottise par une nouveauté, qui à la
vérité ne leur nuisoit en rien, puisque jamais en aucune occasion la
noblesse non titrée ne pouvoit être comme la titrée, encore moins la
précéder, mais qui, étant nouveauté, et dans les circonstances présen-
tes de l'égarement de bouche que M. et Mme du Maine soufïloient avec
tant d'art et si peu de ménagement, il étoit de la prudence d'éviter
toutes sortes de prétextes et d'occasions dont la noblesse non titrée se
pouvoit blesser, quelque mal à propos que ce fût, et ne songer qu'à se
relever elle et les ducs tous ensemble, et travaillera un rétablissement
commun, qui peu à peu rendant à chacun sa considération, remettroit
chacun en sa place et ouvriroit les yeux à tous, et feroit sentir à la
noblesse non titrée la malignité des panneaux qu'on lui auroit tendus,
l'ignorance de son propre intérêt, et combien it en étoit d'être unis aux
ducs, et que, tous ne pouvant être ducs, mais le pouvant devenir, abattre
leurs distinctions étoit abattre leur ambition, puisque cette dignité en
étoit nécessairement le dernier période, et qu'en cette difîérence la
France étoit semblable à tous les royaumes, républiques et Etats de
l'univers, où il y avoit toujours eu des dignités et des charges, et des
gens qui n'en avoicnt pas, quoique d'aussi bonne et meilleure maison
que plusieurs de ceux que ces dignités élevoient au-dessus d'eux, sans
quoi le Roi et ses sujets seroient sans récompenses plus ou moins
grandes à donner et à recevoir, et toute émulation éteinte, sinon petite,
passagère et uniquement personnelle. Ces raisons, qui furent bien plus
étendues entre eux deux, firent céder en apparence le ducde Noailles.
l\ parut ne plus penser qu'à ses finances et au but général, lorsqu'il
montra eniin, comme on l'a dit, son ambition au duc de Saint-Simon
pour le premier ministère, et que, n'y voyant pas jour, il en laissa tom-
ber avec lui les vues et les propos sans en paroître blessé le moins du
monde. Mais, désespérant d'être d'abord premier ministre, il songea
à le devenir, et pour en ranger le premier obstacle, il s'appliqua à com-
battre en particulier les Etats généraux auprès de M. le duc d'Orléans
dans les derniers temps de la vie du Roi. Le prince, dans le repen-
tir cuisant de ne les avoir pas assemblés, l'avoua depuis à Saint-Simon,
qui en sentit alors la date ; mais, ni cette faute ni d'autres du même
esprit et du même but qui se retrouveront en leur temps, il n'étoit
plus temps de les réparer.
Cependant l'extrémité du Roi fit penser aux ducs de s'aviser sur la
conduite qu'ils auroient à tenir au Parlement sur le bonnet, lorsque,
après la mort du Roi, il seroit question d'y aller pour la Régence ; chose
que M. le duc d'Orléans devoit et pouvoit éviter, mais qui, ne se pré-
sentant point dans nos Mémoires *, passe aussi les bornes de ces Addi-
tions. Le bonnet donc donna lieu à plusieurs ducs de s'assembler à
Versailles peu ensemble en diverses chambres, pour référer par qucl-
1. C'est-à-dire, le Journal de Dangeau.
M6 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
qiies-uns d'une assemblée en iino aulre les avis «lo chacun, <|iii tut, ne
leur en iléplaise, une fort sotte conduite, ainsi que |)res(iue toute celle
(]u'ils tinrent depuis. Trois jours avant la mort du Roi, il s'en trouva
cinq ou six dans la chambre du duc de Saint-Simon : les évt^ques de
Laon (Clermont) et de Noyon (Rochebonne), l'arciievôtiue de l^eims.
les ducs de Noailles, de la Force, di' Sully, deCharosI, d'Humières, etc,
On parla du bonnet ; puis tout à coup, et fort peu après qu'on eût com-
mencé, le duc de Noailles. interrompant cette matière, proposa la salu-
tation du Roi. M. de Saint-Simon, surpris au dernier point, parce
qu'il avoit cru cette idée tombée et avoir persuadé le duc de Noailles,
s'éleva contre, et le duc de Noailles à haranguer et à l'emporter de force
de voix. M. de Saint-Simon lelaissadire, bien résolu de répondre; mais,
quand il le voulut faire, Noailles l'interrompoit sans cesse et crioit tant
qu'il pouvoit. A la tinSaint-Simon,impatientéà l'excès etn'ayantpasde
poumons bastants à ceux de l'autre, monta sur un gradin qui porloit
des armoires dans ses fenêtres, s'assit sur une de ces armoires pour être
plus élevé et se faire mieux entendre, et voulut parler. L'autre, qui
parloit toujours, et qui, de force de voix, d'autorité et de spécieux,
emportoit déjà des signes de consentement et des monosyllabes d'appro-
bation des autres, ne vouloit qu'user le temps et emporter d'emblée,
sans laisser le loisir de répliquer; mais à la tin Saint-Simon demanda
si fermement audience qu'il se la fit donner. Il représenta donc à ces
Messieurs qu'il avoit eu lieu de croire que M. de Noailles avoit aban-
donné cette pensée, dont il lui avoit parlé plusieurs fois, sur les raisons
qu'il lui avoit alléguées pour l'en détourner; qu'il voyoit avec surprise
qu'il y persistoit, et qu'il verroit avec grande douleur qu'il la leur pût
persuader ; que ce qu'il proposoit étoit une nouveauté dont on ne
voyoit aucune trace en pas un avènement de nos rois à la couronne ;
que cette première salutation se faisoit toujours sans ordre, à mesure
que chacun étoit plus ou moins pressé, plus ou moins à portée, en
cela tout à fait difTérente de l'hommage qui s'éloit quelquefois rendu
au lit de justice, la première fois que les rois Tavoient tenu ;
qu'on ne croyoil pas même qu'à cette première salutation les prin-
ces du sang eussent jamais alTecté d'y aller ensemble ; que d'entre-
prendre de la faire comme M. de Noailles le proposoit ne pouvoit
rien acquérir aux ducs et pouvoit leur être fort nuisible; qu'au mieux
il demeureroit qu'ils avoient salué le Roi de la sorte ; que, cette salu-
tation ne s'étant jamais faite en cérémonie, cela ne leur tiendroit
lieu de rien ; qu'ils paroîtroient avoir été plus diligents ; que les princes
étrangers, par cette raison, ne le regarderoient ni comme avantage
acquis aux uns ni désavantage souffert par les autres ; que, n'étant
point acte de cérémonie, mais de zèle et d'empressement à saluer le
Roi, puisque successeur de droit il n'avoit pas besoin de celacle pour
être reconnu, à la différence de l'hommage, cela ne seroit ni écrit, ni
enregistré nulle part, ni même titre d'usage ; que ce seroit un avantage
donc bien léger, si tant est qu'on pût lui donner le nom d'avantage;
AU JOURNAL DE DANGEAU. 357
qu'à l'égard des gens de qualité, on n'avoitpas encore vu qu'ils eussent
imaginé de précéder nulle part les ducs; que ce ne seroit donc pas un
avantage de les avoir gagnés là de la main, mais que, dans l'efîerves-
cence où M. -et Mme du Maine les avoient mis sur les ducs, ce seroit
leur donner occasion de l'augmenter, de se blesser d'une nouveauté
qu'on appelleroit bientôt entreprise, de s'offenser de ce que, les ducs
ayant été ainsi ensemble et à part dans une occasion où cela no s'étoit
jamais fait, ils auroient voulu faire non-seulement bande à part d'eux,
mais corps à part ; que ces Messieurs n'ignoroient pas que l'odieux de
cette idée de faire corps à part de la noblesse commençoit à y être
semée, imputée aux ducs avec une fausseté sans apparence, mais
avec une malignité et un art qui y suppléoit ; que le meilleur moyen
de la confirmer étoit d'y donner cette occasion, qui, tout éloignée
qu'elle en étoit, seroit montrée et reçue de ce côté-là ; que le Parle-
ment ne demanderoit pas mieux que de fasciner la noblesse avec ses
prestiges ; que son intérêt étoit le même que celui de M. du Maine de
la séparer et de la brouiller avec les ducs, et se la rallier de pique
contre eux ; que c'étoit à ceux-ci à sentir combien il étoit du leur
d'être unis à la noblesse, puisque c'étoit leur ordre commun et leur
corps, et que, assez occupés contre le Parlement à l'occasion de l'affaire
du bonnet, il étoit de leur intérêt et de leur sagesse d'éviter avec grand
soin de se faire des ennemis nouveaux, et desennemis en si prodigieux
nombre ; enfin, qu'à comparer le prétendu avantage en question avec
les inconvénients infinis et durables qu'il pouvoit entraîner, et qu'il
étoit évident qu'il entraîneroit par des dispositions présentes, il ne
comprenoit pas qu'on pût balancer un instant.
M. de Noailles eut grand'peine à laisser achever M. de Saint-Simon,
et ce ne fut pas sans quelques interruptions, que les autres arrêtèrent ;
mais, quand il eut fini avec plus d'étendue, et qu'on ne voit ici qu'en
raccourci, M. de Noailles répliqua, cria, se débattit, soutint qu'il n'y
avoit rien que de sûr dans ce qu'il proposoit, rien que de foible dans
ce qui étoit objecté, et, sans articuler aucune véritable raison, ce fut
une impétuosité de paroles, soutenue d'une force de voix qui entraîna
les autres plutôt qu'elle ne les persuada. Saint-Simon se récria que ce
n'étoit pas le temps des entreprises, mais d'une sage et ferme défense
sur l'affaire du bonnet, qu'il ne falloit mêler ni embarrasser d'aucune
autre, puiqu'on s'y trouvoit nécessairement embarqué, et dans l'u-
sage imminent des séances au Parlement; mais les autres presque tous
cédèrent. M. de Saint-Simon, voyant que cela dégénéroit en dispute
personnelle, où les autres prenoient peu de part, leur déclara qu'il
les attestoit de sa résistance, du refus de son consentement ; qu'il
ne cédoit qu'à la pluralité ; qu'il vouloit espérer que ceux à qui l'on en
parleroit seroient peut-être plus heureux que lui à leur faire faire des
réflexions utiles, et finit, hors de voix et pouvant à peine se faire en-
tendre, par protester de tous les inconvénients infinis et très suivis
qu'il y voyoit et qu'il déploroit par avance.
?^'l^ ADDITIONS DE S A I N T-SI M(1>
Tout aussitôt on so sépara do guerre lasse : c'étoil sur les huit
heures du soir. Ces Messieurs n'eurent pas le temps d'en parler à au-
cun autre ; dès le soir môme, celte idée se répandit en prétention, vola
de bouche en bouche. Coëtquen, beau-l'rère de IS'oailles et fort lié
avec lui, quoique lort peu avec sa sœur (lu'il avoit épousée, courut le
château, ameutant les gens de (]ualité. Le lendemain grand bruit, et
grand bruit tlans le tour que M. de Saint-Simon avoit prévu et an-
noncé ; Paris en l'ut bientôt informé. Outre railhience inlinie (pie l'ex-
trémité du Roi, les divers intérêts et tout ce qui alloit suivre le grand
événement, attiroit ;\ Versailles par la curiosité, ce bruit amena encore
bien du monde, et les plus petits compagnons s'honorèrent d'aug-
menter le vacarme pour s'agréger aux gens de qualité. Le tout en-
semble s'appela la noblesse, et cette noblesse pénélroit partout par ses
cris contre les ducs. La plupart de ceux-ci, qui n'avoienl pas ouï
dire un mot de ce dessein de salutation du Roi, n'entendirent qu'à
peine de quoi il s'agissoit, partie timidité de cette espèce d'ouragan
subit, partie piqués de n'avoir point été consultés, se mirent à décla-
mer contre leurs confrères; mais ces confrères, contre qui l'animosité
devenoit si grande et si générale, ne furent pas longtemps en nom
collectif. On vint de tous côtés avertir la duchesse de Saint-Simon que
tout tomboit sur son mari unique, comme sur le seul auteur de ce
projet de salutation, dont l'autorité naissante avoit entraîné un petit
norfribrc de ducs malgré eux à l'insu des autres; on ajouta même qu'il
n'étoit pas en sûreté dans une émotion si furieuse et si générale, et
on l'exhorta à tâcher d'y prendre garde. Sa surprise en fut d'autant
plus grande que son mari lui avoit conté tout ce qui s'étoit passé,
outre contre cette acharnée folie de M. de Noailles et contre la mollesse
de ce qui s'étoit trouvé de ducs avec; maisl'étonnement de la duchesse
monta au comble quand les mêmes personnes qui l'avertissoient par
amitié, lui tirent entendre le leur', et à la lin lui apprirent que c'étoit
le duc de Noailles lui-même qui débitoit M. de Saint-Simon pour l'au-
teur et le promoteur de ce projet, lui-même pour celui qui l'avoit
combattu de toutes ses forces, et qu'eux qui lui [)arIoient à elle l'a-
voient ouï de leurs oreilles de la bouche du duc de Noailles.
Ce dernier avis fut donné à la duchesse de Saint-Simon et ensuite
conlirmé par plusieurs autres pareils, la surveille de la mort du Roi sur
le soir, vingt-quatre heures après ce débat que le duc de Saint-Simon
avoit eu si fort avec le duc de Noailles dans sa chambre, et qui vient
d'être rapporté. Le hasard lit que, le lendemain matin, elle rencontra
le duc de Noailles dans la galerie, qui la passoit avec le chevalier de-
puis duc de Sully. Elle l'arrêta, et le tira dans une fenêtre; là, elle lui
demanda d'abord ce que c'étoit donc que tout ce bruit contre les ducs.
Noailles voulut glisser, dit que ce n'étoit rien, et que cela tomberoil
de soi-même; elle le pressa, et lui vouloit se dépêtrer; mais, à la lin,
1. Leur ëtonnement.
AU JOURNAL DE DANGEAU. 329
après lui avoir déduit en peu de mots l'excès de ces cris et de ces
mouvements publics, pour lui taire sentir qu'elle en étoit bien instruite,
elle lui témoigna sa surprise de ce qu'ils tomboient tous sur son mari.
Noaillcs là-dessus s'embarrassa, et l'assura qu'il ne l'avoit pas oui dire;
mais, la duchesse lui répondant qu'il dcvoit savoir mieux que personne
qui étoit l'auteur et le promoteur, et qui le contradicteur de ce projet
de salutation du Roi, parce qui s'étoit passé encore la surveille, là-
dessus le duc de jN'oailles l'avoua comme la chose a été racontée; qu'il
étoit vrai que c'étoit lui qui l'avoit proposé, que M. de Saint-Simon
s'y étoit toujours opposé, et que lui avoit persévéré. Alors la duchesse
lui demanda donc pourquoi lui-même s'en excusoit-il et donnoit-il
M. de Saint-Simon pour Fauteur et le promoteur de ce conseil. Le
duc, interdit et accablé, balbutia une foible négative, et il essuya tout
de suite de courts mais de cruels reproches de tout ce qu'il devoit au
duc de Sainl-Simon, et de la noire et perfide calomnie dont il le payoit.
Ils se séparèrent de la sorte, elle dans le froid d'une juste indigna-
tion, lui dans le désordre d'une foible négative du crime qu'il voyoit
découvert, dans les aveux arrachés malgré lui de la reconnoissance
qu'il devoit à M. de Saint-Simon, et dans le désespoir qu'il est aisé
d'imaginer et qu'il ne put cacher, quoique si grand maître en l'art de
feindre.
Une leçon si peu attendue, mais si à bout portant, ne le changea pas.
Il eut beau assurer à la duchesse qu'il diroit partout combien le duc
de Saint-Simon s'y étoit opposé, la palinodie étoit trop subite pour
l'oser chanter, et trop destructive de ses projets particuliers pour les
abandonner. Il continua par les siens ce qu'il avoit si bien commencé
et par eux et par lui-même, que la persuasion publique avoit suivi ;
mais personnellement il regarda mieux devant qui il parloit, et il évita
le plus longtemps qu'il put le duc de Saint-Simon, même en public.
Lui, occupé de ce qui regardoit les affaires générales, et tout au plus
légèrement partagé par celle du bonnet, il ne fut informé que tard
de la rumeur publique, et plus tard encore que le duc de Noailles
l'excitoit contre lui. Alors les écailles lui tombèrent des yeux. Il
commença à comprendre la cause de l'idée étrange de cette salutation
entrée dans cette tête, et la raison qui l'y avoit rendu si ferme contre
tout ce qui lui en avoit été dit. Il se souvint de ce qui s'étoit passé entre
eux sur la place de premier ministre; il réfléchit sur ce que, depuis
deux jours, il avoit inutilement pressé M. le duc d'Orléans de songer
promptement et avant tout à la convocation des Etats généraux, lui qui
jusqu'alors ne respiroit autre chose ; enlin, il vit clairement qu'un guet-
apens si profond, si pourpensé, si contradictoire à toute vérité, et si
subit et si à bout portant, étoit le fruit de mort d'une ambition qui ne
voit et ne sent plus qu'elle, et qui, désespérant de la première place,
tant qu'il seroit à portée de l'empêcher, risquoit tout pour le perdre et
pour s'en débarrasser. Il fit parler les ducs témoins de ce qui s'étoit
passé chez lui. Il parla lui-même, et à M. le duc d'Orléans, mais peu
330 ADDITIONS DE SAINT-SIMON
par raccablemcnt de ces moments si importants et si chargés des der-
nières heures de la vie du Roi. Il s'expliqua aussi à ce qu'il rencontra;
mais il eut afl'aire au public prévenu avec l'artitice le plus préparé,
et soutenu dans cette persuasion par les mêmes artitices. Il trouva des
envieux sans nombre de la li};ure que personne ne douloit qu'il n'allât
faire, et jusque dans les ducs mêmes des ennemis d'une faveur et d'une
contiance qu'ils s'étoienl eux-mêmes fort êloii;nés de rechercher, dont
moitié avoient mérité tout le contraire, et qui se lièrent au duc de
Noailles dans cet esprit, aux dépens de la vérité et d'eux-mêmes, pour
leur bonnet et leur dignité, et si gratuitement (ju'ils n'eurent jamais
nulle cause à alléguer de leur haine. Tels sont les hommes, jaloux et
envieux jusqu'à ce point. L'éclat que lit le duc de Saint-Simon fut
porté à tout; on le peut aisément comprendre, et de l'énormité de la
chose et de la situation de ces deux hommes l'un avec l'autre jusques
alors, et du naturel particulier de Saint-Simon, qui cria publiquement
à la calomnie, qui donna les ducs qui s'éfoient trouvés dans sa chambre
pour témoins et qui témoignèrent hautement pour lui contre Noailles,
mais qui avoit tout prévenu et emporté avec un art et des secours qui
lui rendirent cet affreux succès, lequel ne put être détruit qu'à la
longue et quand avec la force de la vérité Noailles se fut fait mieux
connoître, même depuis. Noailles souffrit tout, remboursa tout, en cou-
pable écrasé sous le poids de ses remords, et tenta tout pour apaiser
l'autre, qui ne cessa de se porter à toute espèce d'extrémité contre
lui, et très souvent en public et en face, tant que la Régence dura,
quelque grâce que lui en eût demandé le Régent pour Noailles, lequel
fut souvent témoin, et chez S. A. R., et en plein Conseil, de ces alga-
rades cruelles, pour peu que les affaires ou que la conversation y pût
donner lieu.
Aller plus loin là-dessus seroit faire non plus des Additions, mais
des Mémoires. Il suffit d'avoir éclairci la cause de cet éclat sur les
ducs que nos Mémoires ne font que marquer, et l'origine de celui de
Saint-Simon contre Noailles. On ajoutera seulement pour achever que
jamais les affaires n'en souffrirent, quoique les choses subsistèrent
de la .sorte entre eux, Noailles ne s'étant jamais lassé de tâcher et de
faire toutes sortes de démarches directes et indirectes pour se raccom-
moder, et de se conduire en public en conséquence par ses discours
qui pouvoient [sic] et par sa plus que politesse toutes les fois qu'il ren-
controit Saint-Simon, ni celui-ci de lui refuser le salut, même devant le
Régent, et d'en user en propos, quand l'occasion s'y ofProit, et en con-
duite publique avec toute la hauteur d'un homme sans ménagf-ment
aucun, et toute la pesanteur du poids d'une perfidie si atroce et d'une
si noire calomnie. Noailles, qui, malgré lui, en étoit accablé, et dont
'ambarras très marqué se renouveloit à chaque rencontre, qui vivoit
toujours dans la crainte des sorties publiques et souvent dans le déses-
poir qui les suivoit, étoit de plus outré d'avoir montré ce qu'il savoit
faire et de n'y avoir pas réussi. Il ne respiroit donc que d'étouffer la
AU JOURNAL DE DANGEAU. 331
vérité d'une part, et d'émousser de l'autre celui qu'il n'avoit pu
perdre ; c'est ce qui le rendit si constant ji tout tenter, et ce qui enlin
le rendit, lui et tous les siens, si ardents à procurer le mariage de la
seconde lille de sa sœur et du dernier maréchal duc de Gramont avec le
tilsaînédu ducde Saint-Simon, dans l'espérance d'un raccommodement.
En deux mots, M. de Noailles avoit compté d'exciter tant d'éclat
contre M. de Saint-Simon qu'il en seroit défait par quelque aventure
si naturelle à en naître, ou par la foiblesse de M. le duc d'Orléans,
qui, à son entrée dans le gouvernement, n'oseroit préférer un seul
homme à toute la noblesse, qui se portoit pour offensée et qui crioit si
haut, ou que, ne le soutenant pas au gré de Saint-Simon, celui-ci se
dépiterolt contre tant d'injustice et se retireroit. C'est en effet le der-
nier qui pensa arriver, et que M. le duc d'Orléans eut toutes les peines
du monde à empêcher; mais, Noailles déçu de cette espérance et pressé
de son crime, que la conduite continuelle de Saint-Simon retraçoit et
à lui et au monde, et craignant un ennemi qui se faisoit un capital de
l'être et de le paroître sans aucun ménagement jusqu'en face, il n'est
rien qu'il ne mît en usage pour en venir à une réconciliation, et ce qui
la lui faisoit souhaiter encore plus ardemment c'étoit le contraste de
la liaison du cardinal, son oncle, avec Saint-Simon, qui n'en fut en
rien dérangée, et pour lequel ce dernier ne fut que plus constant et
plus ardent, laquelle retomboit si à plomb sur le neveu.
M. de Saint-Simon eut même bien de la peine à consentir à faire le
mariage de son fils, quelque bon qu'il le trouvât d'ailleurs, et fut très
longtemps à s'y résoudre pendant la longue fin du premier mari sans
enfants, parce que cette alliance entraînoit nécessairement à rentrer
en bienséance avec le duc de Noailles. Mais, encore une fois, en voilà
assez et peut-être trop pour ces Additions, dont il sera utile de se sou-
venir pour celles qui pourront suivre. Les pas sans nombre du duc de
Noailles, la manière dont il se présenta au duc de Saint-Simon chez le
cardinal de Noailles lors du mariage, celle dont Saint-Simon l'y reçut,
et malgré tout la hauteur, le froid, le bref, que Saint-Simon ne fut
pas maître de se refuser, ce qu'une telle violence lui coûta, les démar-
ches infinies de Noailles, infatigable à se vouloir rapprocher, et la con-
duite soutenue de l'autre à se prêter à peine aux plus indispensables
bienséances, qu'il ne fit jamais qu'effleurer depuis, tout cela seroit
matière à Mémoires et non à ces Additions. Mais cette remarque est
nécessaire pour la notion de la manière dont ces deux hommes ont
vécu toujours depuis, et continuent de vivre, sans se lasser de part et
d'autre de ce très différent personnage.
1239. Voysin se fait promettre par le duc d'Orléans la conservation
de sa charge de chancelier.
(Page 284.)
14 septembre 1715. — Au personnage qu'avoit fait Voysin pendant
332 Al!l)ITI().\S 1H: SAINT-SIMoX
son Irop puissant ministÎTe, et suiioul dans les derniers ItMnps de la
vie du Roi. personne n'avoit douté qu'il no fût chassé avec ij^nominie,
et à ce qu'il avoit acquis du public |>ersonne ne l'auroit plaint. La sur-
prise lut donc extrême, lorsqu'on le vit subsister en son entier, et
recueillir encore les fruits de tout le mal qu'on avoit voulu faire à
M. le duc d'Orléans, dont il avoit été le dépositaire, l'unie et l'instru-
ment, et les recueillir par les mains de ce même prince. Le comment
cela se lit est encore |dus étonnant. Trois jours avant la mort du Hoi,
le maréchal de Villeroy en obtint parole de M. le duc d'Orléans, et
qu'il seroit payé de sa charge de secrétaire d'Etat, dont il se démet-
troit en conservant tout le reste. Le néj:;ociateur ne pouvoit être plus
mal choisi, puisqu'il étoit manifestement do tout le secret contre M. le
duc d'Orléans, et que lui-môme en prolitoit si grandement, car on
savoit déjà qu'il soroit gouverneur et du Conseil. Il sut imposer au
prince par ses grands airs et ses grands mots, lui parler de son atta-
chement pour feu Monsieur, en un mot le paquctcr comme un enfant;
et ce que la suite a montré n'avoir pas été moins digne d'admiration,
c'est qu'il sut, après la mort du Roi, lui faire tenir parole.
APPENDICE
SECONDE PAUTIE
I
LA MORT DE LOUIS XIV '
On connaît de très nombreuses relations de la dernière maladie et de
la mort de Louis XIV. Nous en avons donné ci-dessus, p. 177-i78, une
liste sommaire, qui n'a pas la prétention d'être complète ; car il a pu
en échapper à nos recherches, et d'autre part il est probable qu'on en
découvrira d'autres dans les archives locales ou dans les papiers de
famille non encore inventoriés 2. Nous allons reprendre article par arti-
cle cette énumération, en complétant les renseignements bibliographiques
déjà donnés, et en examinant brièvement la valeur historique de cha-
cun de ces récits. Nous commençons par ceux émanés de témoins ocu-
laires ou vivant à la cour et pouvant être bien informés.
L — Récit de Mme de Maintenon. — La compagne du grand Roi a raconté
elle-même ses derniers moments, dans une lettre écrite à sa parente
Mme de Villette, cinq jours après la mort de Louis XIV. Une copie de
ce document fut donnée par la destinataire aux Dames de Saint-Gyr et
se retrouve dans leurs manuscrits conservés à la bibliothèque munici-
pale de Versailles. Théophile Lavallée l'a publié dans Madame de Main-
tenon et la maison royale de Sainl-Cyr (Paris, 18(32), p. 271-27o. Ce n'est
point un journal des derniers jours de la vie du Roi, mais seulement le
récit de certains épisodes, qui se rapportaient plus particulièrement à
la narratrice, par exemple, les paroles que lui adressa le Roi, celles
1. Ci-dessus, p. 177.
2. M. G. Hanotaux, de l'Académie Française, possède un récit manus-
crit et inédit de la mort de Louis XIV, dont il avait bien voulu nous
promettre la communication. iMalbeureusement ce manuscritdoit se trou-
ver dans la bibliothèque de sa propriété du Pressoir, dans le canton de
Graonne. Il est à craindre que, pendant la longue occupation de cette
région par les troupes allemandes, ce manuscrit n'ait disparu. S'il
échappe à l'incendie et au pillage, nous tâcherons d'en donner le texte
aux .\ppendices de notre prochain volume.
334 APPENDICE I.
qu'il dit au jeune Daupliin, la recommandation qu'il fit pour elle au
futur n'jtent, etc. La valeur de ce document est incontestable, et il
semble difficile de ne pas lui attribuer la foi la plus entière. Dans le
manuscrit n» 72 des archives du château de Mouchy, il existe une autre
copie de ce récit de Mme de Maintenon.
11. — Récit de Mlle iVAumale. — La secrétaire confidente de Mme de
Maintenon a raconté à deux reprises la maladie et la mort de Louis XIV,
et elle était bien placée pour le faire, puisqu'elle resta continuellement
avec Mme de Maintenon dans la chambre du Roi pendant les derniers
jours, ne la quittant qu'avec sa maîtresse et y revenant en môme temps
qu'elle'. Elle raconte ce qu'elle a vu et entendu, ou su de première main
par les médecins, le confesseur, les valets de chambre, par sa maîtresse
elle-même. Son témoignage a donc une grande importance.
La première rédaction se trouve à la fin de son Mémoire sur Mme de
Maiulenou et occupe, sous un titre spécial, les pages 198 à 202 du
tome I" des Souvenirs sur Madame de Maintenon publiés par MM. llano-
taux et d'Haussonville. C'est un très court récit ; la secrétaire s'altaciie
surtout aux paroles dites par le Roi à Mme de Maintenon et que celle-
ci lui rapporta ou qu'elle entendit elle-même.
La seconde version est plus développée. Elle appartient à ce que les
éditeurs ont appelés les Cahiers de Mlle d'Aumale, et elle occupe dans le
tome II de la publication indiquée ci-dessus les pages 323-351. La nar.
ratrice entre dans beaucoup de détails sur les derniers jours de la mala-
die, sur la réception des sacrements, sur les paroles que le Roi adressa
au jeune dauphin, à Mme de Maintenon, aux ecclésiastiques présents
dans sa chambre, au duc d'Orléans, aux princes et princesses, aux
secrétaires d'État, etc. C'est certainement avec le récit de Dangeau,
dont nous parlerons tout à l'heure, la relation la plus précise, la plus
sûre et en même temps la plus complète que nous possédions.
H bis. — Récit des Dames de Sai)it-Cijr. — On trouve dans les Mémoi-
res des Dames de Saint-Cyr, conservés naguère en manuscrit au grand
séminaire de Versailles et maintenant transférés à la bibliothèque
municipale de cette ville, une relation qui a une très grande analogie
avec la seconde rédaction de Mlle d'Aumale. Évidemment, la rédactrice
de ces Mémoires, Mme du Pérou, s'est inspirée de la lettre de Mme de
Maintenon dont nous parlons sous le n" I, et de l'œuvre de Mlle d'Au-
male, dont elle eut sans doute communication. C'est donc un document
de seconde main, mais qui se rattache à ceux qui lui ont servi de source
et qui peut les suppléer au besoin.
1. « J'étois toujours avec Mme de Maintenon dans sa chambre, soit
dans celle du Roi ; elle passa presque toutes les nuits auprès de lui ;
je les passois avec elle. Elle allnit quelquefois le malin se coucher deux
ou trois heures, ainsi que moi, et revenoit passer le reste de la journée
auprès de lui » (Souvenirs sur Mme de Maintenon, tome II, p. .■{2.">-32t)) ;
p. 342, elle répète : « J'étois presque toujours dans la chambre avec
Mme de Maintenon. n
LA MORT DE LOUIS XIV. 335
III. — Récit de Languet de Gergy, archevêque de Sens. — Il est inséré
dans les Mémoires de ce prélat que Théophile Lavallée a publiés en
1863 à la suite de son travail sur La famille d'Aubigné et l'enfance de
Mme de Maintenon ; il occupe les pages 4oo à 4G4 de cet ouvrage. D'après
l'éditeur, ce récit paraît emprunté aux propres souvenirs de l'auteur,
aux manuscrits des Dames de Saint-Gyr, aux lettres de Mme de Mainte-
non et au récit de Mile d'Aumale ; il a donc une étroite parenté avec
les relations dont nous avons parlé précédemment.
IV et V. — Récits de Dangeau. — Dangeau a continué son Journal
habituel de la cour jusqu'au 23 août ; cette dernière journée, dans le
manuscrit original de Dampierre, est toute entière de sa main, ainsi
que les premières lignes de la journée du 26 août. Il s'interrompit alors
au milieu d'une phrase, sans doute ayant pris la résolution de faire le
récit plus détaillé dont nous allons parler plus loin. Le Journal a été
continué, pour la fin de la journée du 26 et pour celles du 27 et du 28,
par un secrétaire, qui n'a pas achevé sa rédaction pour les trois der-
niers jours du mois.
Nous venons de dire que Dangeau avait écrit un mémoire spécial. Ce
document est intitulé « Mémoire du marquis de Dangeau sur ce qui
s'est passé dans la chambre du Roi pendant sa maladie. » Les éditeurs
du Journal l'ont publié à la suite de la journée du 28 août, tome XVI,
p. 117-136, d'après le manuscrit unique qu'ils connurent et qui, prove-
nant de la collection du baron de Hohendorf, ambassadeur en France
en 1716, se trouve conservé à la Bibliothèque impériale de Vienne sous
le n» 6861.
L'attribution à Dangeau en fut contestée, dés l'apparition du tome XVI
du Journal, par M. Lock, qui publiait alors des extraits des Mémoires
du baron de Breteuil dans le Magasin de librairie et qui, trouvant, à la
suite de ces Mémoires, un texte du récit attribué à Dangeau sans que
le nom de Dangeau y fût mentionné, pensa que ce document était plu-
tôt l'œuvre du baron de Breteuil. Il fit paraître dans la Correspondance
littéraire, tome III, 1858, p. 33 et 173, deux lettres pour soutenir cette
opinion. Les éditeurs du Journal de Dangeau réfutèrent ses arguments
dans un mémoire qu'ils insérèrent dans les appendices de leur
tome XVIII, p. 387-;]91. Depuis lors d'autres copies du Mémoire de
Dangeau ont été découvertes : d'abord dans le volume 68 des Papiers
de Saint-Simon (aujourd'hui France 223), fol. 61-70. Le titre en est un
peu différent de celui donné par les éditeurs du Journal • ; mais il lui
attribue aussi Dangeau pour auteur. Une autre copie existe dans le
manuscrit Glairambault 483 à la Bibliothèque nationale, fol. 93-109 ; le
titre est exactement le même que celui des Papiers Saint-Simon. Quantau
texte de ces deux copies, il est de tous points conforme à l'imprimé. Enfin
on trouve encore le même texte dans le volume Autriche 108 du Dépôt
1. « Récit fait par M. le marquis de Dangeau de ce qui s'est passé
dans la chambre du Roi pendant les derniers jours de sa vie. »
330 APPKNPICR I.
des Affaires étrangères, où il est inséré parmi la copie de la correspon-
dance du comte du Luc, alors ambassadeur à Vienne, entre les lettres
des 7 et 9 novembre ITl'i, et immédiatement à la suite d'un mémoire
sur le conseil aulique de guerre que l'ambassadeur envoyait à Villars
avec sa lettre du 13 novembre. Rien dans les lettres du comte du Luc
n'indique l'origine de ce morceau, qui ne porte pas de titre et par
conséquent pas de désignation d'auteur. Le texte en est conforme au
texte connu, si ce n'est que la phrase de début : Je sors, etc., est reje-
tée après les deux premiers paragraphes, de sorte que le récit com-
mence par II y a plus de deux mois, etc. On observe d'ailleurs la
même particularité dans les divers manuscrits des Mémoires du baron
de Breteuil '.
On pourra se demander pourquoi, si ce Mémoire a Dangeau pour
auteur, deux des exemplaires qu'on en connaît •^ ne portent pas son
nom. L'explication de ce fait peut se trouver en ce que, cette relation
ayant été utilisée pour le Mercure, ainsi qu'on le verra plus loin, il a
dû en être fait au moins une copie, et peut-être plusieurs, sans nom
d'auteur, puisque les relations insérées dans le Mercure n'en portaient
ordinairement pas. Cette copie a pu être l'origine des versions anony-
mes qui nous sont parvenues.
Quant à la valeur historique de ce document, elle est exactement la
même que celle du reste du Journal, si ce n'est qu'on peut dire que
Dangeau, toujours si exact dans ce qu'il rapporte, a dû encore, dans
1. Il existe trois manuscrits de ces derniers mémoires: un, avec des
notes et additions autographes, appartient par héritage à M. le marquis
de Breteuil : un autre, qui est la mise au net du précédent, est con-
servé à la bibliothèque de Rouen ; enfin le troisième, le plus connu
et le plus utilisé jusqu'à présent, et qui est une copie, peut-être abré-
gée, de celui de Rouen, appartient à la bibliothèque de l'Arsenal. Le
manuscrit de Rouen, le plus complet des trois, se termine par la rela-
tion de l'entrée du comte de Ribeyra, ambassadeur de Portugal (ci-
dessus, p. 191), qui est immédiatement suivie par cette citation latine
Hic cœslus artemque repono, indiquant que l'auteur termine là son
œuvre. Or, à la page suivante commence le récit de la maladie du Roi,
sous le titre : « Mémoire de ce qui s'est passé depuis le moment où le
roi Louis XIV a reçu le viatique jusqu'à sa mort arrivée le 1" septem-
bre i/lo. » Il semble donc bien que ce récit n'est point r(jnivre du baron
de Breteuil, de son aveu même. — Dans ce même manuscrit de Rouen, il
y a en tête du tome I" un « Sommaire des parties les plus intéressan-
tes » rédigé par un secrétaire ; on lit dans le sommaire du tome VI à
propos de ce « Mémoire » la note suivante : « Ce mémoire est certai-
nement l'original sur lequel a été imprimée la Relation de la mort de
Louis XIV dans un volume séparé du Mercure, qui est fort rare ; il y a
dans le manuscrit des détails qui ont été supprimés ou changés à l'im-
pression. C'est donc cet original qu'il faudroit suivre en cas de doute. »
Rien ne permet donc de l'attribuer au baron de Breteuil.
2. Ceux des Mémoires de Breteuil et de la correspondance du comte
du Luc.
LA MORT DE LOUIS XIV. 33l
ces circoustances exceptionnelles, exagérer ce souci d'exactitude qui est
la caractéristique de son œuvre. Tout ce qu'il dit s'accorde avec les
relations de Mme de Maintenon, de Mlle d'Aumale et des Anthoine: si
l'on y trouve quelques détails omis par les autres, du moins jamais
n'est-il en contradiction avec eux. Les divergences de forme qu'on peut
signaler entre lui et les autres relations pour le texte même des paroles
prononcées par le Roi s'expliquent naturellement par les défaillances
de mémoire de témoins auriculaires qui n'écrivent pas sur l'heure et
qui, tout en restant complètement d'accord sur le fond et le sens des
paroles, peuvent différer sur les mots employés.
11 y a donc pour la maladie du Roi deux récits de Dangeau : l'un,
qui n'est que la suite de son journal quotidien et qui a été rédigé par
lui-même jusqu'au 25 août inclus et continué par un secrétaire pour
les 26, 27 et 28; c'est celui que, dans notre commentaire, nous avons
appelé le Journal de Dangeau ; l'autre, que nous avons désigné sous le
nom de Mémoire spécial, va du 23 au 31 août.
VI. — Journal des Anthoine. — Ce récit, intitulé « Journal historique
ou récit fidèle de ce qui s'est passé de plus considérable pendant la
maladie et la mort de Louis XIV, roi de France et de iNavarre, fait et
dressé par les sieurs Anthoine », existe en original à la bibliothèque
de la ville de Gaen, ms. n» 350 du Catalogue; un autre exemplaire s'en
trouve à la Bibliothèque nationale, ms. Nouv. acquis, franc. 3012. II a
été publié en 1880 par Edouard Drumont, La mort de Louis XIV ; Jour-
nal des Anthoine; Paris, un vol. in-12. Les auteurs sont les deux frères
Anthoine, Jean et François, tous deux porte-arquebuse du Roi ; le pre-
mier joignait à ces fonctions celles de concierge de la Chancellerie et
d'inspecteur général de la capitainerie et maîtrise des eaux et forêts de
Saint-Germain-en-Laye, et le second était en outre garçon ordinaire de
la chambre du Roi ; c'est dire qu'ils étaient de ces « valets intérieurs »
dont Saint-Simon parle si souvent comme les confidents par fonction
de toutes les actions de Louis XIV. Ils affirment qu'ils racontent ce
qu'ils ont vu et entendu ou ce qui leur a été rapporté par les gens de
service ou autres personnes qui en avaient été témoins. Leur récit
roule principalement sur les soins matériels et les menus événements
qui se passèrent dans la chambre ; tout ce que firent ou dirent les
médecins, valets, officiers, est minutieusement rapporté ; ils mention-
nent les soins donnés, les médicaments pris, les repas du Roi, les chan-
gements de lit ou de linge, les pansements de la jambe malade, et à
ce point de vue plus spécial leur témoignage est particulièrement inté-
ressant. De même, ils relatent toutes les paroles dites par le Roi aux
médecins, chirurgiens et valets, toutes celles encore qu'il prononça
lorsqu'il y avait beaucoup de monde dans la chambre, ou que des
domestiques s'y trouvaient ; mais, par contre, ils n'ont pas connais-
sance des paroles intimes adressées par le Roi à Mme de Maintenon, à
son confesseur, au futur Régent, etc., c'est-à-dire de celles qui n'avaient
guère d'autres auditeurs que les intéressés, et que le « service » ne pou-
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 22
338 APPENDICE I.
vait pas entendre. Sous cette réserve, leur récit est certainement le
plus complet et le plus ordonné de tous ceux que nous possédons, et il
a une réelle valeur historique.
VII. — Relation du marquis de Quincy. — Dans le tome VII et dernier
de son Histoire militaire du rèyne de Louis le Grand, paru en 1726, le
marijuis de Quincy a inséré (p. 391-407 de la première partie) une
« Helation de la maladie et de la mort de Louis XIV », qui est très
complète et qui présente à certains points de vue de réelles garanties
d'exactitude Duclos nous apprend en effet, dans ses Mémoires secrets
(édition Michaud et Poujoulat, p. 48i), que l'auteur communiqua son
manuscrit au P. le Tellier, que celui-ci y fit un certain nombre d'ob-
serv.itions, et que le marquis de Quincy exécuta sur sa rédaction les
changements et modifications nécessaires, avant de la livrer à l'impres-
sion. Le P. le Tellier étant mort en 1719, le travail de Quincy e>t anté-
rieur à cette date. On peut donc dire que la relation de l'Histoire m.ili-
taire est l'expression de ce qu'aurait écrit le confesseur de Louis XIV.
A ce point de vue, c'est-à-dire pour tout ce qui touche à la religion, elle
a un véritable intérêt. Le marquis de Quincy la soumit-il à d'autres
témoins des derniers moments du Roi, c'est ce qu'on ignore. En tout
cas, elle fut regardée par les contemporains comme très authentique,
puisque le P. Griffet l'inséra intégralement dans sa réédition, avec con-
tinuation jusqu'en 1713, de l'Histoire de France dix P. Daniel (l7o5-17o7).
De même, l'abbé Oroux la reproduisit dans le tome II, p. 378-590, de
son Histoire ecclésiastique de la cour de France (1776). Un a vu ci-des-
sus, à maintes reprises, dans le commentaire du texte de nos Mémoi-
res que Saint-Simon l'a utilisé presque comme source unique, avec le
Journal de Dangeau.
VIII. — Relation du Mercure. — Le Mercure galant donna en supplé-
ment à sa livraison d'octobre 1715 un récit de la maladie et de la mort
du Roi, de ses obsèques à Saini-Denis et de ce qui se passa à l'avène-
ment du jeune roi. Ce morceau est anonyme ; mais ou sait qu'il a pour
auteur Le Febvre de Fontenay, qui le réimprima à part à la lin de 1715
en un petit volume in-lâ intitulé u Journal historique de tout ce qui
s'est passé depuis les premiers jours de la maladie de Louis XIV jus-
qu'au jour de son service à Saint-Denis, avec une relation exacte de
l'avènement de Louis XV à la couronne de France. » Pour ce qui regarde
la maladie et la mort, Lefebvre de Fontenay, qui avait eu communica-
tion du Mémoire spécial de Dangeau, s'est contenté de l'utiliser en le
démarquant, c'est-à-dire en modifiant un peu le style et en changeant
quelques tournures ; mais, s'il n'omet aucun des détails donnés
par Dangeau, il n'en ajoute non plus aucun. Cette relation peut donc
être considérée comme une réplique du Mémoire spécial ; elle a été
reproduite par Marmontel dans son Nouveau choix de pièces Urées des
anciens Mercures et d'autres journaux, tome XXXll, et Danjou l'a
réimprimée encore une fois en 1840 dans le tome Xll de la deuxième
série des Archives curieuses de l'Histoire de France, p. 43.'}-451.
LA MORT DE LOUIS XIV. 339
IX. — Lettre anonyme des archives de Dampterre. — Les éditeurs du
Journal de Dangeau ont inséré dans les Appendices de leur tome XVIII,
p. 371-381, une lettre sans signature, dont ils avaient découvert une
copie dans les archives du château de Dapiemrre. L'auteur n'y décèle
en rien sa personnalité ; il écrit à son frère, qui était alors à l'étranger,
probablement sept ou huit jours après la mort du Roi, et il semble
avoir été assez bien renseigné. Rien ne prouve qu'il ait été témoin ocu-
laire de ce qu'il raconte; cependant il est certain qu'il devait vivre à
la cour et savoir de bonne source les particularités des événements.
Il est à remarquer que le texte des paroles qu'il prête au Roi est par-
fois sensiblement différent comme forme de celui des autres ver-
sions.
X. — Lettre anonyme des archives de la Ciotat. — Cette lettre, conser-
vée en copie aux archives municipales de la Ciotat, a été insérée dans
le Bulletin du comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France,
tome IV, année 1837, p. 913-916. Elle n'est pas signée ; mais elle émane
d'un jeune seigneur provençal, qui, arrivé à la cour dans le courant
d'août 1713, fut témoin oculaire de certaines des scènes qu'il décrit, et
entendit raconter les autres « à des personnes, qui, par le privilège de
leurs entrées, en ont été les témoins. » Datée du 28 août, cette lettre
donne le récit des événements seulement jusqu'au soir du 27; la pré-
cision et l'exactitude des détails font regretter qu'on ne possède pas la
lettre suivante, qui devait raconter la mort du Roi. A cause de l'intérêt
de ce texte, un peu perdu dans le Bulletin du Comité, nous le réimpri-
mons ci-après sous le n"!.
XI. — Belation des papiers Fevret de Fontette. — Cette relation,
dont on ignore l'auteur, est conservée en copie dans le tome II du
« Recueil de pièces concernant l'histoire de France » réunies par le prési-
dent Fevret de Fontette, aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Arsenal,
ms. 3724, fol. 174 et suivants. Elle commence par diverses précisions
au sujet de l'intention du Roi d'aller faire enregistrer au Parlement
dans un lit de justice la constitution Unigenilus, et il est très facile de
constater que son rédacteur anonyme est un anticonstitutionnaire et un
partisan zélé du cardinal de Noailles. On y trouve, à ce propos, des
renseignements inconnus sur le rôle du procureur général Daguesseau
et de l'avocat général Chauvelin.
Le récit des derniers temps du Roi est extrêmement résumé ; il n'y
a guère de détails que pour l'incident du cardinal de Noailles et pour
les paroles adressées par le Roi aux cardinaux de Rohan et de Bissy à
propos de la Constitution. L'auteur affirme que ce sont les propres
paroles du Roi et qu'on fit tout le possible pour les cacher; le sens en
est assez conforme au résumé qu'en donne Saint-Simon.
A cause de ces particularités, cette relation a semblé assez curieuse
pour qu'on l'insérât ci-après sous le n II.
XII. — Lettres inédites de l'abbé Mascara. — Cette correspondance,
qui a été signalée pour la première fois par Mgr Baudrillart dans son
340 APPENDICE 1.
Rapport sur les archives d'Alcala^, esl adressée au marquis de Gri-
maldo, secrtHaire d'État du roi d'Espagne Philippe V ; elle est écrite en
italien. Mgr Baudrillurt a indi(]ur- tout ce qu'on peut savoir de la per-
sonnalité de l'auteur de ces lettres, et il a aussi expliqué quelle est leur
valeur historique et quelle confiance on peut avoir en leurs assertions.
Nous avons fait copier les lettres des derniers jours d'août, et nous en
avons extrait tout ce qui a trait à la maladie et à la mort du Roi ; on
en trouvera ci-après une traduction française sous le n» 111. Il convient
de dire très loyalement que, n'ayant pu trouver à Mailrid de coi»iste qui
connût la langue italienne, cette ignorance, jointe aux difficultés que
pouvait présenter l'écriture, a rendu difficile la traduction d'un petit
nombre de courts passages, pour lesquels on a dû se guider sur le sens
général de la phrase.
XIII. — Nouvelles de la Gazette de France. — Contrairement à ce
qu'on pourrait croire, les rédacteurs de la Gazette ne donnèrent pas de
relation complète de la maladie du Roi, et même furent à cet égard
très sobres de renseignements. Une courte note insérée dans le numéro
du 24 août mit le public au courant du début de la maladie. Puis,
dans celui du 31 août, se trouve en quelques lignes le récit des jour-
nées du '2o au 30; enfin le numéro du 7 septembre annonça les der-
niers moments et la mort du souverain. Ces renseignements très som-
maires n'ont guère de valeur et n'apprennent rien qu'on ne sache d'ail-
leurs.
XIV. — Nouvelles de la Gazette d'Amsterdam. — Cette gazette hollan-
daise, généralement bien renseignée, devait l'être également sur les
circonstances de la mort du Roi ; cependant ce n'est que dans le n» lxvih
(23 août, correspondance de Paris du 16) qu'on commence à parler
d'une attaque de goutte, dont il n'est même plus question dans le
numéro suivant. Le n" lxx (lettre du 23 août) contient quelques
nouvelles sur la santé de Louis XIV ; elles sont complétées dans la
feuille extraordinaire. Il n'y a qu'un mot dans la correspondance de Paris,
datée du 26 août, qui est insérée dans le numéro suivant (lxxi); mais,
dans le même numéro, la lettre datée de la Haye du 1" septembre est
bien plus complète et donne des renseignements jusqu'au 25 août.
Le n» Lxxn contient des nouvelles plus détaillées jusqu'au 29 août, et la
feuille extraordinaire les complète encore. Puis le n° lxxiii renferme
un exposé sommaire de toute la maladie, daté du 2 septembre, et l'an-
nonce de la mort du Roi ; enfin dans l'Extraordinaire lxxui, il y a
des extraits de lettres de Paris des 2Î) août et 1" septembre, qui revien-
nent sur certaines circonstances particulières.
En somme, les renseignements provenant de cette source d'informa-
tion sont conformes dans l'ensemble à ceux des autres récits ; elle n'est
point cependant à négliger; car il y a quelques particularités qui ne se
rencontrent que là : par exemple que les médecins firent mettre la
1. Archives des Missions, 3* série, t. XV, p. 40-48.
LA MORT DE LOUIS XIV. 341
jambe du Roi dans un bain si chaud qu'on n'y pouvait tenir la main,
et qu'il ne s'aperçut de cette température que quand la chaleur eût
pénétré jusqu'à l'os ; et puis encore la visite d'un vieillard centenaire
qui apporta au Roi un bouquet le jour de la Saint-Louis.
I
Lettre anonyme sur la maladie du roi Louis XIV ^.
a Paris, ce 28 août 1715.
« Je suis arrivé ici, mon très cher père, dans une déplorable con-
joncture. Le Roi, qui depuis quelques mois s'affoiblissoit considéra-
blement, est tombé depuis quinze jours dans une maigreurs! excessive,
qu'il n'est pas reconnoissable. Son mal, traité d'érisypèle sur une
jambe, a été reconnu depuis deux jours une véritable gangrène, qui
étoit montée hier, quand je sortis de Versailles, au plus des deux tiers
de la cuisse, et, si S. M. respire encore, ce ne peut être que pour
quelques moments. Rien n'est plus héroïque et plus chrétien en même
temps que la fermeté avec laquelle il voit venir ce dernier instant. Je
vais vous en faire le détail.
« Averti par ses médecins du danger sans ressource où il se trouve^,
il passa la nuit du 24 au 25 ^, jour de la fête saint Louis, avec son con-
fesseur, et, sur le matin, S. M. s'assoupit pendant quelques heures. Il
entendit la messe dans sa chambre, et voulut dîner en public, disant à
ceux qui lui représentoient son état : « J'ai vécu parmi les gens de ma
« cour; je veux mourir parmi eux. Ils ont suivi tout le cours de ma
« vie; il est juste qu'ils me voient tinir. » 11 parut en robe de chambre,
sa jambe sur des carreaux, mangea d'une panade et d'un potage et
parla à son ordinaire. Ensuite, il fit retirer la table de devant lui et
causa un quart d'heure avec tout le monde ; après quoi il dit : « Mes-
« sieurs, il ne seroit pas juste que le plaisir que j'ai de prolonger les
« derniers moments que je passerai avec vous, vous empêche de dîner ;
« je vous dis adieu et vous prie d'aller manger. » Nous sortîmes tous
avec la dernière douleur, fondant en larmes.
« Sur les sept heures du soir, S. M. ayant eu une foiblesse, on lui
donna l'extrême onction, qu'il reçut avec beaucoup de présence d'es-
prit, ouvrant lui-même son estomac et répondant à tout. Ensuite il
reçut le viatique, et, toute cette cérémonie étant finie, il fit appeler
M. le Chancelier, écrivit en sa présence trois pages de sa main, lui en
dicta une quatrième et quelques lignes, envoya montrer le tout à M. le
duc d'Orléans, qui étoit dans le cabinet près de la chambre avec tous
les princes et princesses. Ils rentrèrent ensemble, et ce papier fut
1. Archives de la Ciotat; voir ci-dessus, p. 339, n° X.
2. Le texte porte du 25 au 26 ; mais c'est une erreur, ainsi que l'in-
diquent les mots jour de la fête saint Louis, qui suivent.
3i2 APPENDICE I.
cacheté ; on prôtond que c'ost un codicille. Le reste de la nuit se passa
assez tranquillement.
« Le lendemain au matin, le Roi, après avoir parlé à M. le duc d'Or-
léans pendant fort lonj^temps. et à chacun des princes et princesses
en particulier, il les lit venir tous ensemble, leur représenta paternel-
lement l'union qu'ils dévoient conserver entre eux, et, après les avoir
embrassés les uns après les autres, il reprit son ton de majeslé. il dit
à M. le duc d'Orléans : « Mon neveu, je vous fais régent du royaume.
« Vous allez voir un roi dans le tombeau et un autre dans le berceau ;
« souvenez- vous toujours de la mémoire de l'un et des intérêts de
« l'autre. « Il a déclaré que le nouveau roi seroit conduit à Vincennes
dès qu'il seroit mort, et a commandé lui-même, nom par nom, la garde
qui doit l'escorter et les personnes qui le conduiront, voulant que les
chevaux soient harnachés et les gendarmes, mousquetaires, chevau-
légers et gardes du corps bottés. M. le duc du Maine sera gardien du
nouveau roi, el M. le maréchal de Villeroy son gouverneur ; Mme la
princesse de Conti et Mme la duchesse de Ventadour auront soin de
son éducation jusques à sept ans. Le Roi le fit venir dans sa chambre
sur le midi et dit à tous les princes et princesses présents que c'étoil là
leur maître et leur roi ; qu'ils ne manquassent jamais au respect qu'ils
lui dévoient ; qu'ils se souvinssent que ceux qui avoient pris un parti
opposé à ses intérêts s'en étoient repentis toute leur vie, et que lui-
même, comme roi, n'avoit jamais pu satisfaire l'inclination qu'il avoit
eue de leur faire plaisir. Ensuite, il donna sa bénédiction au jeune
prince et le baigna de ses larmes, lequel en s'en retournant lit des cris
et des pleurs dont tout le monde fut témoin. Le Roi renvoya Mme de
Maintenon, sur les deux heures, lui disant: « Madame, il faut nous
« séparer. Je vous dis adieu; peut-être vous renvoierai-je chercher;
« mais, si je ne le fais pas, ne croyez pas que ce soit manque d'amitié. »
Il la renvoya chercher quelques heures après, et la pria de rapporter
une cassette qu'il lui avoit donnée à garder depuis quinze ans. Les
papiers qu'elle renfermoit furent brijlés en présence de M. d'Orléans
ou à lui remis. Depuis ce temps, il s'est fait apporter toutes ses cas-
settes. 11 a brûlé ou remis à qui il convenoit tous ses papiers, tenus
dans un ordre merveilleux et dont toutes les étiquettes sont présentes
à sa mémoire. Il voit croître sans eiïroi un mal qui doit lui causer la
mort. Il demande quelquefois combien d'heures il peut encore respirer.
Les médecins lui répondirent le lundi qu'il étoit bien diilicile qu'il vît
lever le soleil le lendemain. Ils se sont heureusement trompés; car il
est certain qu'à neuf heures du soir d'hier "27 il a pris encore un
bouillon.
« Il est à présent quatre heures du matin du "28, et, comme cette
lettre ne doit partir qu'à midi, je ne la fermerai qu'en ce temps, pour
vous mander ce qu'il y aura de nouveau. Dieu veuille que je n'y ajoute
rien ; ce sera une preuve que S. M. est encore vivante, et plût au ciel
de nous accorder le miracle dont on auroit besoin pour le tirer de l'état
LA MORT DE LOUIS XIV. 343
désespéré où il est. Un médecin d'Amiens, possesseur d'un remède
immanquable pour la gangrène, est arrivé hier 27 à deux heures après-
midi, et a mis de son eau, que l'on assure avoir empêché la gangrène
de monter plus haut qu'elle n'étoit. Si elle étoit arrivée à S. M. par
quelque accident, on pourroit espérer; mais, par malheur, elle est
dans son sang, et son corps est si décharné, que les remèdes extérieurs
ne peuvent plus agir.
« Voilà vous dire (sfc), mon très cher père, tout ce que j'ai vu ou
entendu dire à des personnes qui, par le privilège de leurs entrées, en
ont été les témoins. J'ai cru que ce détail douloureux, qui vous aura at-
tendri, pouvoit, dans une autre face, vous donner delà consolation, en
réfléchissant que ces dernières prévoyances de S. M. pourront être utiles
à l'Etat, et qu'enfin, puisqu'il n'étoit pas immortel, il est beau de le voir
finir avec toutes les vertus d'un chrétien et la grandeur d'âme d'un
héros. »
II
Relation de ce qui s'est passé de plus considérable pendant la maladie
du roi Louis XIV et depuis sa mortK
« Le Roi, irrité de ce que le parlement de Paris avoit refusé d'en-
registrer sa déclaration par laquelle il ordonnoit à tous les prélats de
signer la Constitution sons peine de désobéissance, manda M. le pro-
cureur général Daguesseau, lequel, résolu de tenir ferme au péril de
sa vie, fit, avant que d'aller à Versailles, ses derniers adieux à sa chère
famille comme ne devant jamais retourner à Paris. Madame son épouse,
qui aimoit tendrement son mari, le conjura cependant de ne se point
démentir et de tenir bon, quoi qu'il en pût arriver; elle lui dit que les
affaires de leur famille étoient en bon état, qu'elle les y maintiendroit
si, par la dernière de toutes les disgrâces, elle venoit à le perdre. M. Da-
guesseau se présenta au Roi, qui lui demanda d'un ton sévère pour-
quoi le Parlement n'avoit pas exécuté ses ordres; M. le procureur
général lui en dit les raisons. « Eh bien ! répliqua le Roi, je vous
« ordonne de requérir alors l'enregistrement de ma déclaration. »
M. Daguesseau répondit à S. M. qu'il le supplioit très humblement de
lui pardonner la liberté qu'il prenoit de lui déclarer qu'il ne feroit
jamais rien qui pût donner atteinte à son honneur et à sa conscience.
Le Roi se mit dans une colère épouvantable; il frappa du pied contre
le pavé, et plusieurs coups de sa canne sur une table de marbre qui
étoit dans la chambre, et prit M. Daguesseau au collet; on retint le
Roi, et M. Daguesseau s'en retourna.
« Le Roi étoit résolu d'aller au Parlement, et on prit pour cela les
mesures qui étoient nécessaires. On avoit expédié plusieurs lettres de
1. Papiers Fevret de Fontette; voyez ci-dessus, p. 339, n» XI.
3'.'. APPENDICE I.
cachet pour écarter ceux qu'on savoit ôtre contraires à la volonté du
Roi, et entre autres M. Dai;nesseau, qu'on devoit exiler pour luiit jours
et commettre à sa place M. de Cliauvelin, à qui le P. le Tellier écrivit
une lettre par laquelle il l'avertissoil de toute l'intrigue et lui recom-
niandoit d'em|)loyer toute son éloquence pour bien faire valoir les
intentions du Roi ; que. pour ce qui reganloit la reconnoissance qu'on
lui feroit, il ne devoit pas s'en mettre en peine; qu'il en faisoit son
affaire. On a trouvé cette lettre dans le cabinet de M. de Chauvelin,
qui mourut de mort subite quelque temps après.
« Le jour que le Roi devoit aller au Parlement, M. le maréchal de
Villeroy se jeta aux pieds de S. M. et lui remontra qu'il alloit allumer
une guerre civile dans son royaume. Le Roi fut frap|)é d'étonnement,
et les jambes lui manquèrent; il ne put plus se soutenir; il fallut le
coucher, et le iO"-" août il tomba malade. Sa maladie augmenta, de
manière que, le 2o, il demanda de recevoir les sacrements, qui lui
furent administrés par le cardinal de Rohan, grand aumônier de
France. Le même jour et les trois suivants, il donna plusieurs ordres,
témoignant une fermeté et une résignation à la volonté de Dieu au-delà
de toute expression. Il donna ses dernières instructions au Dauphin
et aux princes du sang; il dit à M. d'Orléans: et Mon neveu, vous
« voyez ici deux Rois, l'un qui s'en va mourir et l'autre qui ne fait
« presque [que] de naître ; je vous recommande sa personne et mon
« royaume que je laisse dans un pitoyable état ; mais je prends Dieu
« à témoin qu'il n'y a que vingt-quatre heures que je le sais. » Le
Roi dit à M. le duc de Bourbon et à M. le prince de Conti : « Mes
« cousins, je me souviens de vos grands-pères; ils m'ont bien fait de
« la peine pendant ma minorité; vous n'en avez pas mieux valu depuis
« ce temps-là; soyez plus sages qu'eux. »
« M. le cardinal de JN'oailles, ayant appris l'extrémité du Roi, écrivit
une lettre à Mme de Maintenon. Cette lettre fut lue au Roi, qui en fut
vivement touché; il témoigna qu'il verroit volontiers S. K. Ceux qui
étoient auprès de S. .M. furent saisis de crainte, et ils lui dirent qu'il
alloit renverser en un moment ce qu'on travailloit d'établir depuis deux
ans. Il parut alors une lettre comme écrite de la part du Roi, adressée
à M. le cardinal de Noailles, signée de M. le Chancelier. On y faisoit
dire au Roi qu'il avoit toujours eu de l'amitié pour sa personne, qu'il
le verroit avec plaisir, pourvu qu'il se soumît au Pape et qu'il se réunît
aux évèques. Cela n'est point venu du Roi, mais de la part de ceux
qui l'obsédoient ; car, au contraire, ce que le Roi dit dans ces circons-
tances après la lettre lue de M. de Ps'oailles doit faire trembler les
cardinaux de Rohan et de Bissy, étant auprès de S. M. avec le P. le
Tellier. Ce sont ici ses propres paroles, et on a fait tous les efforts
possibles pour les cacher : « Je meurs, dit-il, dans la foi de l'Église
« catholique, apostolique et romaine. Si tout ce que vous m'avez fait
« faire y est contraire, j'en demande pardon à Dieu ; je vous en charge
V devant lui; je ne connois rien dans toutes les disputes que par vos
LA MORT DE LOUIS XIV. 345
« lumières. Je vais répondre devant Dieu de toute ma conduite ; vous
« m'y serez témoins que je n'ai rien fait que par vos conseils. » Et,
levant les yeux au ciel et tirant la main de son lit, il dit : « Messieurs,
« c'est à ce tribunal que je vous cite. » Les deux cardinaux et le con-
fesseur assurèrent et jurèrent sur leur conscience qu'ils n'avoient rien
fait que pour la vérité. « C'est ce que Dieu jugera, répondit le Roi. »
Ce qui fait espérer que Dieu, qui a vu les intentions du monarque
agonisant, lui fera miséricorde, et que la punition que méritent les
auteurs des conseils pernicieux qu'ils lui ont donnés, tombera sur eux,
non sur le Roi. M. le Régent a été présent à ces choses.
« Les 29, 30 et 31 se sont passés dans l'agonie, ayant cependant
toujours conservé sa connoissance qu'il ne perdit que la nuit du 31 au
l""" septembre, auquel jour il mourut à huit heures »
La suite de cette relation se rapporte aux obsèques du Roi.
III
Lettres de l'abbé Mascara (extraits)^.
Paris, 26 août 1715.
« L'ambassadeur de Sicile est parti ce matin pour Versailles, après
avoir reçu à sept heures une lettre de M. le Nonce. Hier soir, on
aurait porté le viatique au Roi; on lui aurait donné l'extrême-onction,
et à onze heures il aurait été en agonie. Je pense que la mauvaise
nouvelle sera arrivée vers les quatre heures ; toutefois je veux encore
espérer, parce que, ce matin, on a envoyé l'ordre à Notre-Dame de
prier pour le salut du Roi M. Rémond, chef du conseil de M. le duc
d'Orléans, m'a dit qu'on lui avait rapporté que les grilles de Versailles
étaient fermées ; il suppose que le duc d'Orléans sera ici ce soir, pour
aller demain au Parlement.
« M. Ledran, célèbre chirurgien, a été appelé hier à la cour; il
donna deux coups de lancette dans la jambe du Roi, qui ne sentit
rien.
« Le cardinal de Noailles n'a pu dire la messe ce matin à l'inten-
tion du Roi, parce que, quand l'ordre de prier est arrivé, il l'avait
déjà célébrée. On a exposé le Saint-Sacrement, et l'on fait les prières.
a Je ne serai pas le héraut de la mauvaise nouvelle, parce que, si
elle est vraie. Votre Excellence aura déjà reçu un courrier extra-
ordinaire
« L'ambassadeur de Sicile a envoyé, ce matin, un exprès à son
maître.... Il n'est pas certain que S. M. soit trépassée ; mais il est
certain que la gangrène est dans sa jambe. Hier, il y eut musique dans
i. Voyez ci-dessus la notice, p. 339-340.
346 APPENDICE I.
son antichambre ; on la renvoya, parce que le Roi se trouva incom-
modé et fatigué. Ensuite il eut la ti^te libre, et écrivit de sa main pen-
dant près d'une heure ; on croit qu'il a chanj^é quelques dispositions
pour atténuer les ditlicultés qui pourraient se produire, et calmer
la mauvaise humeur du duc d'Orléans ; c'est du moins ce qu'on
pense....
27 août.
a Villeroy, examinant sa conscience, a peut-être trouvé qu'il
en avait trop fait à l'égard de Mme des Ursins, quand elle vint ici,
ayant envoyé à sa rencontre, lui ayant adressé de l'argent et des
lettres, entin s'étant montré ouvertement comme s'il en avait été
amoureux. Cela était certainement pour faire sa cour à Mme de Main-
tenon. Maintenant, il se repent dans son cœur de son antique galante-
rie. II pourrait venir un temps et des conjonctures où on lui deman-
derait compte de cette grande politesse à l'égard de la dame. Aussi
a-t-il étudié, préparé, sollicité et demandé une audience du duc d'Or-
léans, et il l'a eue d'une heure. Votre Excellence peut croire que cet
habile courtisan a employé toute son éloquence à faire des réparations
et des excuses ; mais cet excès de politesse lui sera retombé sur le nez,
comme il le craignait ; car le duc d'Orléans, toujours badinant, folâ-
trant et riant, sans s'expliquer ni entrer dans le détail, a loué fort la
politesse naturelle de Villeroy et l'a laissé dans l'incertitude. Villeroy
est retourné à la charge plusieurs fois dans la même conférence, sans
en pouvoir tirer autre chose que des paroles générales Il me paraît
qu'il n'en a pas été trop satisfait en soi-même et qu'il prévoyait ne pas
être des mieux venus ni des plus considérés, s'il arrivait un change-
ment, ce qu'à Dieu ne plaise!
« Les ministres étrangers tiennent des discours sur les événements
présents ; mais je les tiens pour oiseux, parce qu'ils n'ont d'autres
fondements que leurs imaginations. Ils parlent du testament qui est
déposé au Parlement ; ils parlent d'un autre testament qu'on croit
nouvellement fait ; ils disent qu'en droit S. M. Catholique devrait être
régent, mais qu'ayant renoncé à la couronne, elle a aussi renoncé aux
accessoires;... ils disent que, si S. M. Catholique avait du sens, elle
ne renverrait pas les trente bataillons français qu'elle a à son service,
mais qu'elle les retiendrait et en ferait le noyau d'un corps de troupes
à sa dévotion ; ils disent que S. M. Catholique est désignée comme
régent dans le testament, et que M. du Maine gardera la personne du
Dauphin et agira sous les ordres de S. M. Catholique, et puis ils
entrent dans les difficultés très grandes et très graves que ferait naître
une telle disposition, étant donné qu'il semble que fout le royaume
est favorable au duc d'Orléans. Je vois l'aiïaire bien embrouillée.
Mme de Maintenon sera en mauvais point, si Dieu nous envoie le
malheur. Les animosités sont connues, quoique la profonde dissimu-
LA MORT DE LOUIS XIV. 347
lation ne les laisse pas paraître. On sait aussi les jalousies, les rivali-
tés de commandement, les antipathies entre qui est pauvre et qui est
riche dans la famille royale, et les princes légitimes, qui ont été abais-
sés, voudront se relever. Toutes ces choses sont sans portée ; personne
ne sait et personne ne peut savoir, si ce n'est Dieu seul. Malgré cela,
tous veulent politiquer et ces discours sans rime, ni raison, ni fonde-
ment, me font mal à l'estomac, quand je les entends.
27 août 1715.
« .... On m'a raconté de quelle manière s'est faite la revue de la gen-
darmerie, d'après dos personnes qui y étaient présentes. Le matin,
M. le duc d'Orléans alla chez le Dauphin et lui demanda en badinant
s'il avait son habit d'uniforme pareil à celui de ses deux compagnies.
Mme de Ventadour répondit que l'habit était fait depuis quelque
temps. Alors le duc d'Orléans se mit à parler tout bas à Mme de Ven-
tadour A ce moment arriva le Chancelier pour demander au Dauphin
quand il voudrait voir la revue. L'heure hxée étant arrivée, le Dau-
phin se mit en chemin et fut suivi un quart d'heure après par le duc
d'Orléans. Quand il fut arrivé près du Dauphin, il descendit de cheval
et alla se placer à la portière de son carrosse. Le Dauphin envoya
demander par un de ses officiers si la revue se faisait, et, la réponse
étant venue qu'elle allait se faire, le Dauphin et M. d'Orléans restèrent
toujours dans la même position. Puis, quand la revue fut terminée, les
soldats passèrent par troupes devant le Dauphin, et M. d'Orléans, tou-
jours à la portière, faisait l'apologie de ceux qui passaient et infor-
mait le Dauphin de la patrie, de la naissance, de la qualité et du
mérite de chacun. Quand apparurent les deux compagnies d'Orléans,
M. le duc d'Orléans monta à cheval, se couvrit et passa devant le
Dauphin, qu'il salua dans les formes, et le Dauphin lui rendit gracieu-
sement son salut. A vingt pas de là, M. d'Orléans descendit de nou-
veau et revint à la portière du Dauphin. M. le duc du Maine, qui
avait passé en détail la revue, a rendu un compte très élogieux de ce
corps à S. M., et, comme on a su cette magnifique recommandation, le
corps de la gendarmerie a député au duc du Maine pour lui porter ses
remerciements des bons olTices qu'il lui a rendus.
« On me contirme toujours que le duc du Maine a donné l'ordre à
Maily, un jour que le Roi ne pouvait le donner; toutefois, beaucoup
de gens nient que ce soit vrai.
a Cette revue faite par le duc du Maine d'un corps où il n'a ni
part m intérêt donne des idées terribles, fait naître des jalousies et
des soupqons sans tin, soulève la colère, et dit : Prenez garde à vous.
Le duc du Maine a le commandement des vingt-cinq régiments suisses
qui sont dans le royaume ; il a l'artillerie et d'autres corps de troupes
qui dépendent de lui ; il a des gouvernements essentiels : la Guyenne
348 APPENDICE I.
et \o Languedoc, ot lo comte de Toulouse a la mer comme grand ami-
ral, et la Bretagne. Tout cela a tléjà fait faire de sérieuses réilexions.
Le Roi est mal disposé pour le duc (l'Orléans, et Mme de Maintenon
a toujours fait peu de grûces ù la maison d'Orléans. Cette maison est
mal satisfaite de tout le ministère, parce que les ministres ont toujours
fait peu de cas d'elle, et je le sais avec certitude....
27 aoftt 171f>.
« .... Mon théologien m'a dit ce matin qu'il avait entendu dire que
le neveu de M. Amelot, arrivé récemment de Rome, a apporté au Roi
un bref de remerciement pour avoir fait passer au Parlement l'arrêt
contre les évêques et avoir fait recevoir la Bulle par ce tribunal pure-
ment et simplement;.... mais il n'est pas vrai qu'un arrêt pareil soit
passé au Parlement, ni que le Parlement ait accepté la Bulle....
« J'ai vu hier l'ambassadeur de Sicile à son retour de Versailles, et
j'ai su que le Roi était encore vivant, mais qu'il avait peu de jours et
même peu d'heures à vivre, et que, si sa vie avait été grande, sa mort
était encore plus grande, plus magnanime, plus constante, intrépide
et courageuse ; il affronte la mort comme un héros, sans attendrisse-
ment, sans faiblesse, sans épouvante. 11 a déclaré régent du royaume
le duc d'Orléans. Il l'a fait appeler deux fois auprès de lui ot l'a haran-
gué. Il lui a chaudement recommandé la personne sacrée du Dauphin
et les intérêts du royaume. Il a aussi harangué le petit Dauphin ; il
lui a recommandé surtout la religion, l'amour des peuples, de ne pas
lui ressembler dans la guerre, mais de laisser vivre en paix ses sujets;
de se souvenir qu'on pouvait être un grand roi, mais qu'il valait mieux
être bon que grand, de telle manière que le petit prince était sorti de la
chambre en pleurant. S. M. a parlé ii tous les princes et princesses de
la maison et du sang royal ; il a parlé aux courtisans après la messe
et il leur a tiré des larmes à tous en général. A la duchesse de Venta-
dour il a recommandé avec tendresse le petit prince, et la pauvre
dame se fondait en pleurs. Le Dauphin fut aussi recommandé à la
princesse de Conti veuve, [tille dej La Vallière, laquelle aura la surin-
tendance, la direction et la surveillance de la garde de celui-ci ; le
maréchal de Villeroy doit être gouverneur du Dauphin ; mais tout
cela n'est pas encore bien détini ni expliqué ; car le duc du Maine
sera surintendant principal pour la garde et la conservation du même
Dauphin.
« Mme de Maintenon ne quitte pas le lit et la chambre du Roi ; mais
son carrosse est toujours prêt, pour, dans l'événement qui peut arriver
d'un moment à l'autre, s'en aller à Saint-Cyr. Il semble que les choses
sont bien préparées et disposées pour la concorde, la paix et la tran-
quillité, avec la bénédiction de Dieu.
« Je ne vous répète pas les discours oiseux que l'on fait dans la
LA MORT DE LOUIS XIV. 349
supposition que le duc d'Orléans pourrait être écarté de la régence.
La longue écriture de sa propre main que S. M. a faite hier et qu'on
m'a dit avoir été signée de toute la maison, aurait été un acte posthume
pour apaiser les nouveautés imminentes....
« Enhn il meurt ce grand monarque qui a été la gloire du siècle
passé et aussi du présent, et dont la mémoire sera précieuse et glo-
rieuse aux siècles futurs. Votre Excellence sait que je ne parle pas
par tiction ni par figure de rhétorique ; soyez persuadé que c'est la
voix commune de tous les honnêtes gens, sans flatterie. Que Dieu
donne le repos à cette grande àme, à laquelle je serais ingrat si, dans
mon particulier, je ne professais pour elle une entière vénération et
une obligation infinie !
27 août 1715.
« Votre Excellence a dû recevoir trois de mes lettres l'ordinaire
passé. En efl'et, je vous écris, à mon avis, beaucoup de choses super-
flues ; mais il me semble que, dans cette grave circonstance, tous les
renseignements, même les moindres, peuvent être agréables Aux
trois lettres susdites, j'aurais pu en ajouter une quatrième avec les
nouvelles que m'apporta de Versailles l'ambassadeur de Sicile ; mais
je n'avais personne pour porter ma lettre à la poste. Comme je paie
mal les deux valets que j'ai, je n"ai pas à me plaindre s'ils ne me ser-
vent pas bien....
«Les ministres étrangers allèrent hierà Versailles pour compliment;
mais ils n'y vont pas aujourd'hui pour affaire. Hier ils demandèrent à
M. de Torcy s'ils devaient revenir, et il les en a dispensés, parce que
S. M. pouvait mourir d'un moment à l'autre, et que, dans une si dou-
loureuse conjoncture, il n'était pas convenable de s'occuper d'autre
chose que de déplorer cette perte, sans compter la confusion de la
cour, qui est toute en mouvement. Demain devait avoir lieu le voyage
de Fontainebleau ; mais l'homme propose et Dieu dispose....
« J'opine à croire (jue maintenant tout ce qui se fait s'accomplit du
plein consentement, par l'ordre et avec la participation de M. le duc
d'Orléans ; cependant je pense que S. M. est toujours en vie. Aujour-
d'hui il pleut à seaux renversés, et, si l'ambassadeur de Sicile n'était
pas venu me chercher pour dîner chez lui, je ne serais pas sorti....
Paris, 28 août 1713.
« ....A huit heures du matin, l'ambassadeur de Sicile m'envoya dire
que S. M. était passée de cette vie à l'autre, et il m'envoya son car-
rosse pour que j'allasse à sa demeure. A deux heures après-midi je
revins chez moi, et l'on me dit que le Roi n'était pas encore expiré.
A quatre heures du matin, il a pris un bouillon, qu'il n'a pu garder ; les
350 APPENDICE I.
courtisans s'étaionl rolirOs ; on le crut à l'aj^onie, ot los ministres étran-
gers avaient préparé des estalettes pour les expédier, mais aucune
n'est partie.
« MM. li'Armagnac et do Villoroy sont ceux qui se désespèrent le
plus, et Armagnac, sortant dans ranlicliaml)re, se serait écrié que les
médecins n'avaient rien connu à la maladie, et qu'eux et la Constitu-
tion avaient tourmenté le Roi. Un m'a dit qu'on avait parlé au Uoi du
cardinal de Noailles, qui était prêt à venir aux pieds de S. M. pour
remplir ses obligations, et que le Roi avait répondu : « Qu'il accepte
i< la bulle purement et simplement et qu'il vienne »....
« On m'a dit ce matin, en plusieurs endroits qu'il était arrivé hier
un courrier espap;nol avec l'avis que S. M. Catholique était gravement
malade et aussi le prince des Asturies, et, parmi ceux qui me l'ont dit,
il y avait un évêque....
« Le Dauphin, qu'on peut commencer à dire roi, doit être transféré
à Vincennes, selon l'ordre du Roi ; mais on fera ce que Mme de Ven-
tadour jugera à propos, parce qu'il semble qu'étant accoutume à l'air
de Versailles, le changement pourrait lui être nuisible. Mme de Berry
aura un appartement au Louvre.
« M. de Cavoye a remis son bâton de grand maréchal des logis de
la cour à M. de Cany, lils de Chamillart, à qui il avait vendu sa charge
il y a quelque temps déjà ; et, comme Cavoye, à cause de ses intirmités,
avait déjà voulu en cesser l'exercice, le Roi lui a dit : « Cavoye, mou-
rons ensemble », et Cavoye a obéi ; mais, dès qu'il a vu le Roi à l'agonie,
il a cédé le bâton et est arrivé ici à neuf heures ce matin.
« On m'a amplement parlé de la réelle et sincère réconciliation sur-
venue entre S. M. et M. le duc d'Orléans. Le Roi est entièrement
revenu de ses mauvaises préventions, et il l'a prié d'oublier le passé.
Il lui a recommandé Mme de Maintenon, à laquelle il avait tant d'obli-
gations. Il lui a recommandé MM. du Maine et de Toulouse « pour les
raisons qu'il pouvait savoir ». Il lui a recommandé Desmaretz, l'assu-
rant que ce seul ministre avait sauvé l'Etat ; qu'il avait voulu quitter
sa charge et s'était toujours opposé à toutes les mesures prises pour
trouver de l'argent, qu'il n'avait pu le récompenser et qu'il le priait de
le faire. Le premier testament révoqué et annullé, qu'il n'en soit pas
moins ouvert, mais qu'il soit brûlé. On a brûlé aussi plusieurs papiers
de la cassette du Roi, sur son ordre; d'autres ont été contiés au Chan-
celier. Dans tous ces discours, j'ai entendu parler de tout le monde,
excepté de Vaudémont.
« Le codicille a été dicté par le Roi et écrit par le Chancelier, et
après S. M. y a beaucoup ajouté de sa main propre.
« On m'a dit comme une chose sûre que toutes les lettres que j'écris
sont ouvertes....
« J'ai toujours eu bonne opinion de M. le duc d'Orléans, et je l'ai
encore; avec ceux qui sauront le prendre, ce sera un prince bienveil-
lant, poli et généreux ; mais on voudra agir méchamment avec lui. Il
LA MORT DE LOUIS XIV. 3oi
a du savoir et beaucoup d'intelligence ; personne dans cette cour ne
sait le tiers de ce qu'il sait. Il a supporté de furieux contretemps, et
il a eu une prudence et une conduite inimitables.... Depuis que je suis
à Paris, je peux dire que j'ai été tous les jours chez lui, et j'en ai été
toujours bien reçu, ainsi que de sa mère et de sa femme. Je l'ai vu de
près. ...Ce sera un très bon prince avec ceux qui sauront le prendre, et
il se piquera d'exactitude, et je serais bien étonné s'il se ressouvenait
de ceux qui lui ont rendu de mauvais olïices j il est assez généreux
pour ne pas s'en venger.
« Paris, 29 août 17IS.
« .... Aujourd'hui, tout le monde crie au miracle; tous ceux qui
viennent de Versailles et toutes les lettres qui en arrivent crient au
miracle, et qu'un ange est venu du ciel et qu'il a sauvé le Roi....
Madame même a envoyé tout exprès un domestique à la marquise
d'Alluye ; les amis s'envoient des ambassades et se félicitent les uns
les autres ; mais, à mon avis, ce n'est pas encore le moment de chanter
victoire et triomphe. On dit donc qu'un homme inconnu, qu'un homme
qu'on n'attendait pas, en l'espèce c'est un chimiste de Marseille, pré-
tend avoir un secret infaillible pour guérir la gangrène et pour arrêter
aussitôt ses progrès. Les médecins l'ont questionné pour savoir en quoi
consistait son secret, de quoi il é;ait composé, qui l'avait confectionné.
Il a répondu très simplement que lui-même l'avait fabriqué et que
dans sa composition il entrait tels et tels ingrédients. Ils ont été approu-
vés, et alors, comme le salut de Sa Majesté était désespéré, on lui a
parlé de ce nouveau remède. Le Roi, déjà préparé à la mort et pensant
toute tentative inutile, ne voulait pas le croire ni en faire l'expérience.
A la tin, comme il n'y avait pas grand mal à le faire entrer, et avec le
consentement du Roi, on l'a fait approcher. Il a offert au Roi un petit
verre à^Elixir vitœ. Le Roi l'a approché de son nez, et l'odeur trop
forte l'a d'abord rebuté ; puis il l'a bu. C'est une chose extraordinaire ;
mais il est de fait que le Roi s'est ranimé, qu'il a recouvré l'esprit, le
sens, et toute son ancienne vigueur et vivacité. On lui a donné un
bouillon, qu'il a gardé, et il a pris et avalé très facilement un biscotin,
qu'auparavant il ne pouvait avaler. Le Roi est retombé ensuite dans
son ancien mauvais état ; on lui a redonné de VElixir vitœ, et il a pro-
duit de nouveau son excellent effet. Le Roi a dormi tranquillement
quatre heures la nuit dernière. Le mal de la jambe est stationnaire, et
présentement il se trouve en meilleur état que précédemment. Le
grand point, c'est que cette amélioration continue. Ce qui est très cer-
tain, c'est que tous les médecins de la cour sont honnis ; tout le monde
en parle avec indignation, honte et mépris. Telle est la grande nou-
velle d'aujourd'hui....
« Le cardinal de IVoailles a certainement cherché à voir le Roi et ne
l'a pas vu. Je croirais volontiers que personne n'en a parlé au Roi et
35-2 APPENDICE I.
que ceux qui approclient Sa Majesté iioul pas cru nécessaire qu'il
vienne, atin de ne pas lui troubler l'esprit dans cette dernière occa-
sion....
« En résumé, nous sommes aujourd'hui dans une belle parenthèse
d'alléfjresse, et il est imlubilablc que. si elle a une suite, on pourra
dire que c'aura été un miracle Mais ceux qui aiment Sa Majesté du
fond du cœur n'ont pas le couraj;e de s'abandonner à ce rayon de belle
espérance et d'endormir la douleur de sa perte prochaine.
« Paris, 2'.t août 1715.
u J'arrive de la maison de la duchesse du Lude, où j'ai vu arriver de
Versailles le comte et le marquis de Bélhune. Il y avait là la duchesse
d'Estrées, qui avait ses nouvelles ; la duchesse du Lude avait des lettres
de la maréchale de Rochefort, de la duchesse de Roquelaure et du ma-
réchal de Tessé, et M. de Cavoye avait aussi ses nouvelles particu-
lières. D'après ces auteurs qui concordent entre eux, je dirai à Votre
Excellence que ces nouvelles sont de trois heures après-midi.
« L'habitant de Marseille proteste qu'il n'est pas médecin, ni chi-
rurgien, ni apothicaire, qu'il n'a pas d'enfant, mais qu'il possède sept
cents écus de rente et qu'il ne demande rien ; qu'ayant appris (jue le
Roi était malade et ayant un secret dans sa famille, il l'avait a|)porté.
avec les attestations d'un grand nombre de personnes qui étaient plus
malades que le Roi et qu'il avait guéries. Les médecins de la cour ne
voulaient absolument pas que le Roi prît de son remède ; ils disaient
que c'était un empoisonneur, un misérable qui aurait avancé de
six heures la mort du Roi*. Là-dessus. Mme la duchesse d'Orléans,
MM. du Maine et de Toulouse ont pris sur eux d'en faire l'expérience,
et hier à midi le Roi l'a pris. Il devait être pris de huit en huit heures,
et un bouillon dans l'intervalle. Il a produit l'effet que j'ai dit à Votre
Excellence; mais, sur les six heures, le Roi retomba plus mal, et il dit
alors à Mme de Maintenon : « Vous n'avez qu'un quart d'heure à
« ménager, et vous pouvez vous en aller, » et sur les sept heures
elle s'en alla à Saint-Cyr. Alors les médecins se déchaînèrent contre le
donneur de remède ; le pauvre homme s'excusait, et croyait <iu'on
allait le pendre. Cependant, sur les huit heures, on redonna au Roi le
remède, qui opéra comme devant, et le Roi a dormi comme je vous ai
dit. Ce matin, Mme de Maintenon, rappelée par le Roi, est revenue à
Versailles. La plaie va bien, et on la soigne. Si ce bon temps se con-
tinue jusqu'à demain au lever du soleil, les médecins sont d'avis que
le Roi pourra guérir.
« On dit que le duc d'Orléans fait wj<!n;eî7/cs. Les mousquetaires étant
1. Les mots en italiques sont en français dans l'original, comme tous
ceux que nous mettons en italiques.
LA MORT DE LOUIS XIV. 353
allés par ordre du Roi prendre l'ordre de lui, il n'a pas voulu le donner,
et les mousquetaires, avec son consentement, ont conservé celui de la
veille. Le duc de Bourbon était piqué de ce que le duc du Maine, et
non lui comme grand maître de F'rance, avait eu la garde de la santé
du prince ; M. le duc d'Orléans l'a raisonné et calmé.
« .... Avec ces belles espérances, je suis allé aux Tuileries, et j'ai
beaucoup causé avec Mylord Stair, qui convint de l'amélioration du
Roi, mais avec un air qui ne mo plaisait pas. En revenant chez moi,
je suis passé au Palais-Royal, avant de venir écrire à Votre Excellence
tous ces détails. J'y ai vu le sergent des suisses de M. le duc d'Orléans
qui m'a dit qu'il venait à l'instant d'envoyer l'ordre à tous les suisses
et gardes de la maison d'Orléans de se trouver demain matin à huit
heures au Palais-Royal ; que les cent suisses du Roi avaient eu de même
l'ordre de se trouver demain à la maison de M. de Courtenvaux, leur
capitaine, pour recevoir ses instructions ; qu'il était passé trois pages
du Roi courant à toute bride à la foire Saint-Laurent pour faire fermer
la foire et les théâtres. Aujourd'hui j'ai appris par un autre que les gens
du Roi sont allés à Versailles pour recevoir les instructions de M. le
duc d'Orléans. Toutes ces choses me paraissent trop positives pour ne
pas craindre le grand événement; toutefois.... je veux espérer avec
ceux qui espèrent encore, et pour cacher la mort du Roi je ne vois
aucun motif.
« Chez la duchesse du Lude, on donnait pour auteur des nouvelles
d'Espagne la duchesse de Saint-Aignan, et la duchesse du Lude a dit ;
« En vérité, pour être Madame l'Ambassadrice, elle est bien mal
« informée. « Mais Dieu sait si la pauvre dame en a parlé le moins
du monde....
« Paris, 30 août 171n.
« Ce matin, aussitôt levé, j'ai envoyé voir si le Saint-Sacrement était
toujours exposé dans les églises, et c'est là une raison qui devrait en
être une que Sa Majesté vit encore ; mais je ne puis comprendre pour-
quoi les cent suisses de la garde du Roi sont à Paris et ne sont pas à
Versailles, où ils devraient être.
« Hier la venue de Messieurs du Parlement à Versailles a été au
sujet de la nouvelle prétention soulevée par les ducs et pairs, que Sa
Majesté n'a pas voulu encore décider, ce qui donne une plus grande
présomption aux ducs et pairs pour prétendre avec vigueur ce qu'ils ont
réclamé, et c'est là un contretemps très malheureux.... M. le duc d'Or-
léans, comme nouveau dans les affaires, a voulu savoir en quoi con-
sistait cette contestation. Le premier président lui a dit que, quand
les présidents à mortier entraient dans le Parlement, ils faisaient corps
avec lui et que tous faisaient un seul corps avec le Roi ; que à ceux-ci
ils levaient le bonnet, comme faisant partie d'un corps représentant le
MÉMOIRES DE SAINT-SMON. XXVIT 23
354 APPENDICE 1.
Roi. cl qu'entre le Roi o[ les ducs ol pairs il devait y avoir quelque
ditTérence ; d'où la coulume invétérée s'observait toujours de ne pas
lever le bonnet pour ces derniers quand ils entraient ; qu'il n'était pas
juste que trente-six ducs et pairs, comme ils sont et de l'espèce qu'ils
sont, allassent recliercher l'antique époque des ducs et pairs, quand ils
n'étaient que douze, mais tous souverains et grands potentats, comme
les ducs de iS'ormaudie, de Bourgogne, de Bretagne, etc. ; que, pour
lui, il aurait plutôt remis sa charge, que céder sur ce privilège du Par-
lement, ayant juré sur les évangiles de conserver les droits de la
cour, quand il est entré en charge. Le Roi aurait peut-élre bien fait
d'avoir décidé cet article pendant sa vie, j)arce qu'il ne laisse pas
d'avoir des conséquences et des ditlicullés, maintenant que les ducs et
pairs ont dans la tète depuis quelque temps des idées assez graves à
ce sujet, et en voudraient aussi introduire sur l'autre noblesse, qui ne
doit rien et ne cède en rien à Messieurs les ducs et pairs.
Paris, 30 août 1715.
« Mon ami m'a envoyé un carrosse pour sortir et aller aux nou-
velles. J'ai su d'abord que le duc d'Ossone était arrivé ce matin à trois
heures de Versailles à Paris, et qu'il apportait la continuation des
bonnes nouvelles sur le salut du Roi, et avec bonne espérance, et que
M. Peralta, son médecin, était de la même opinion....
« J'ai vu une lettre de Monasterol qui écrit au milieu de la nuit
dernière qu'il n'y a pas de fondement à une espérance positive, mais
qu'il y a lieu de se flatter d'espérance....
« Je suis allé chez M. de Cavoye, que j'ai trouvé avec sa femme
plongés dans leur douleur et leurs larmes; ils ne recevaient personne;
cependant ils m'ont fait la grâce de me recevoir comme leur ami par-
ticulier et leur serviteur. 11 arrivait à ce moment de Versailles son
valet de chambre favori, lequel, avec le nom de M. de Cavoye, est
entré dans la chambre du Roi. Il est venu en compagnie d'un célèbre
chirurgien de l'hôpital de la Charité, qui est neveu de Mareschal et qui
l'aide à soigner Sa Majesté. Toutes les bonnes nouvelles ne pèsent pas
une plume. Hier soir à huit heures le Roi a pris une dose du remède
de l'inconnu. Cet inconnu a dit que c'était la dernière fois qu'il en
donnait; puis il s'est sauvé, et on ne l'a plus revu. Cet inconnu, qui
se disait de Marseille, est un homme qui est à Paris depuis trois ans,
logé à l'hôpital des Quinze- Vingts. D'abord on l'appelait M. Lamour,
et maintenant il se nomme M. le Brun; il a été chassé naguère de la
faculté de médecine comme un charlatan, et on n'a expérimenté son
secret que parce que tout était désespéré.
« A quatre heures du matin, le Roi était très mal : il avait perdu
connaissance et allait à grands pas au dernier moment. Les mousque-
taires avaient ordre de monter à cheval au premier son du tambour.
LA MORT DE LOUIS XIV. 355
A cinq heures, le Roi a pris un peu de bouillon qu'on lui a donné. A
six heures, Mareschal a pansé sa jambe, et celui qui est venu avec le
valet de Cavoye lui tenait la cuisse. La jambe est toute noire comme
un charbon; le pied et la jambe jusqu'au f^enou est en partie insen-
sible et perdue; au-dessus du f^enou, la chair est plus sensible; mais
le mal gagne du terrain. La tête est très saine, l'œil bon, la poitrine
et le ventre en très bon état, comme si le Roi n'avait que trente ans.
Il y avait dans la chambre du Roi Mme de Maintenon et Mlle d'Au-
male, sa grande favorite, qui a gagné beaucoup d'argent en sollicitant
pour autrui des faveurs qu'elle vendait pour ainsi dire. Le valet de
Cavoye était dans l'antichambre avec la princesse de Conti, le prince
de Rohan, le Chancelier et peu d'autres. Quand est sorti le médecin
qui venait de tàter le pouls du Roi, il a t'ait son rapport, disant qu'il
avait trouvé le pouls abominable, un peu relevé, mais intermittent,
inégal, et compliqué de tous les accidents qui pouvaient concourir à
le rendre de la plus mauvaise nature....
« Dans le temps que Mareschal pansait la jambe du Roi, Sa Majesté
a demandé si ses souffrances seraient encore longues, parce qu'il souf-
frait beaucoup, et, comme Mareschal était embarrassé pour répondre,
le Roi a ajouté : « Je demande à Dieu de vouloir que je soufTre; je
« souffrirai et je veux soufi'rir tant et aussi longtemps qu'il vou-
« dra »
« On m'a dit que, dans le temps que le Roi recommandait Mme de
Maintenon à M. le duc d'Orléans, en l'assurant que cette dame n'avait
jamais fait de tort à personne et qu'elle ne lui avait jamais parlé de
lui d'une façon qui pût lui faire de la peine, celui-ci, attendri par les
expressions affectueuses de Sa Majesté, avait embrassé Mme de Main-
tenon devant le Roi, et lui avait promis toute son amitié et son assis-
tance; mais c'est là une chose que je ne peux affirmer, parce qu'elle
m'a été dite après coup, dans les Tuileries, avant de dîner....
« M. de Joffreville et M. de Saumery sont nommés pour sous-
gouverneurs du petit futur roi. Saumery l'a déjà été de M. le duc de
Bourgogne; c'est un homme très honnête et mon grand ami. Il me
semble que Mme de Ventadour aura fait changer Vincennes en Marly
pour y conduire le jeune prince, d'abord parce que c'est son air natal,
ensuite parce que Vincennes n'a pas été habité depuis très longtemps,
enfin parce que, avec l'eau dormante qui est dans les fossés du donjon,
ce ne peut être un bon air.
« On m'a dit une chose que j'hésite à croire de M. Albergotti,
parce que je le connais comme très sage ; mais parfois les plus sages
sont ceux qui tombent dans les plus grandes niaiseries pour vouloir
raffiner dans l'habileté. Il meurt d'envie d'être maréchal de France;
nous le savions déjà. Donc Albergotti était dans l'anlichambre du Roi
l'autre soir, quand il vit sortir Mme de Maintenon tout en larmes, qui
descendit l'escalier, monta en carrosse et s'en alla à Saint-Cyr, comme
je vous l'ait dit. Sans s'informer autrement, mais enragé pour vouloir
35r. APPENUICK I.
prévenir, il passa à rapparlcment du Daupliin, qui c'-lait à dîner, et
dit : Voilà notre Roi. A celle parole, Mme de Ventadour riposta :
Donc le Roi est mort, et se mit à pleurer très dévotement. Le Dau-
phin, qui vit sa chère maman dans cette consternation, se mit aussi à
pleurer. Il se trouva mal et vomit; ce qui lit un grand vacarme jusqu'à
ce qu'on sût que le Roi n'était pas mort. De sorte qu'Albergotti a très
mal fait sa cour on celte occasion et a reculé ses atVaires avec l'inten-
tion de les avancer, comme peut-être il l'espérait.
Paris, .31 août 1715.
« Les nouvelles d'hier soir jusqu'à huit heures étaient, aux Tuile-
ries, que Mme de Mainlenon, à trois heures de l'après-midi, était sortie
de la chambre du Roi, était montée en carrosse et s'en était allée à
Saint-Cyr, avec l'intention de ne plus voir personne au monde; qu'elle
avait donné et distribué son argent, ses meubles et tout ce qu'elle
avait, à la réserve de deux petits paquets qu'elle avait emportés avec
elle. On disait en outre que Sa Majesté était morte ; mais, MM. de Cel-
laraare et d'Ossone, qui étaient retournés hier à la cour, n'en étant pas
encore revenus, cela seul m'empêche de croire à une mort, qui, si elle
n'est pas encore arrivée, ne tardera guère.... J'ai remaniué d'ailleurs
que, dans cette cour, on ne fait pas de mystère pour laisser connaître
la vérité....
« Je suis aussi passé par le Palais-Royal, où il n'y avait rien de
nouveau. Il me paraît bien que M. le duc d'Orléans n'a pas consenti
à ce que le Dauphin aille à Marly, mais qu'il prétend suivre les inten-
tions du Roi, et (ju'il ira à Vincennes, et que. si l'air ne lui convient
pas, il sera toujours temps de changer.
« Je vous dirai encore (|ue le Roi a laissé son cœur aux Jésuites et
qu'il l'a dit au P. le Tellier, leipiei a prié le Roi de le faire savoir lui-
même à M. de Pontchartrain, parce qu'autrement il ne voudrait pas le
croire, et le Roi a appelé ce minisire et lui a dit ses intentions....
« ....On m'a dit que Mme de Mainlenon, dans la distribution qu'elle
a faite de ses allaires, a donné tous ses chevaux, ses carrosses et ses
équipages à Mme la princesse de Conli.
« Ce matin, j'ai dîné avec la duchesse du Lude, et, à l'heure du
repas, est arrivée une lettre de Versailles écrite à dix heures du matin.
Le Roi était toujours en vie, mais sans connaissance, et même sans
sensibilité ; car il ne se plaignait plus. De temps en temps on lui don-
nait quelques cuillerées de gelée et un peu de bouillon. Les médecins
s'étaient retirés, comme aussi tous les courtisans; le seul Père le
Tellier restait auprès de la personne de Sa Majesté; il y avait dans la
chambre de la mauvaise odeur. La princesse de Conti, fille du Roi, est
inconsolable. Il no reconnaît personne, et c'est un moment très pénible
LA MORT DE LOUIS XIV. 357
qui confine à la mort ; mais il n'est pas vrai qu'il ait expiré, comme à
Paris tout le monde le croit comme une chose certaine.
« Chez la duchesse du Lude, j'ai appris qu'il était douteux que les
bénétices fussent donnés ; toutefois ils devraient l'être, au moins pour
Cambray, parce que le Régent ne pourrait y pourvoir, voulant avoir
l'induit de Rome.
« J'ai appris qu'il y a déjà huit jours que M. de Torcy a envoyé à
Rome pour faire revenir M. Amclot, et le courrier envoyé n'est pas
passé par Paris. Je crois que de cet homme sage on veut faire quelque
ministre.
« Votre Excellence doit savoir déjà que les deux sœurs, la duchesse
d'Orléans et la duchesse de Bourbon, ne sont pas, depuis longtemps,
bien ensemble et qu'elle sont peu amies; je puis vous assurer qu'elles
ont fait la paix et se sont raccommodées.
« Le médecin Fagon, estimé, vénéré, contemplé et redouté jusqu'à
|)résent comme une indulgence plénière, est tombé dans un si grand
mépris et une abomination si générale, qu'il a pris le parti, avec sa
vieille, brutale et désagréable figure, de se retirer au Jardin Royal des
simples. Quelques-uns pensent que Villeroy pourrait très bien faire
placer auprès du nouveau roi M. Falconet comme premier médecin ;
mais ce serait tomber de la tièvre en chaud mal, parce que le monde
n'a pas bonne opinion de son savoir-faire en médecine.
« Le maréchal de Villeroy a eu de Lyon avis du passage et du meil-
leur salut de Mme des Ursins, de qui je parle par occasion et de qui
je ne pense plus avoir à parler.
Paris, 1" septembre 1715.
« On m'a dit hier chez la duchesse du Lude que M. Voysin avait la
veille donné sa démission de sa charge de la guerre, et bien des gens
étaient d'opinion que M. de la Houssaye en serait revêtu.
« On m'a dit que M. le Régent avait fait trouver deux millions et
qu'il les avait envoyés aux armées et aux garnisons. C'est là une chose
capitale et bien essentielle dans la conjoncture présente ; s'il l'a fait,
il a agi excellemment, il a fait une chose digne de lui et de sa pré-
voyance.
« Il paraît que le petit prince a été un peu incommodé par une
dent qui perçait ; nous avons envoyé savoir de ses nouvelles auprès de
la duchesse de Ventadour, et elle a répondu que, grâces à Dieu, il
allait très bien....
« Je me suis laissé dire que les ducs et pairs se mettaient en pré-
tention de ne pas céder le pas dans le Parlement au duc du Maine et
au comte de Toulouse, comme naguère ils ont fait au premier duc de
Vendôme, en pareille occasion. J'ai répondu : Hier, c'était un cas ;
358 APPENDICE I.
aujourd'hui, c'en est un autre. Mais je ne sais si cela est vrai, bien
qu'on le donne pour tel.
a La duchesse de Berry ne va plus au Louvre, comme on avait dit,
mais au palais du Luxembourg....
« Je crois que le testament de Sa Majesté sera lu, et certains disent
que le premier a été chani';é. Il me paraît à moi qu'ils disent très mal,
et je le conjecture de ce que la princesse de Conti ne sait pas qu'elle
est nommée à la garde de la santé du petit roi, et la duchesse du Lude
m'a dit que cela devait être spécifié sur le testament....
0 Hier à sept heures du soir, il est arrivé chez la duchesse du Lude
un exprès de la maréchale de Rochefort avec les mêmes nouvelles que
ci-devant, que Sa Majesté vivait encore, mais sans connaissance, et ne
se nourrissant que de petites cuillerées de bouillon et de gelée, et que
cela pouvait durer tant que Dieu le voudrait
« Ce matin. Sa Majesté n'a pas encore rendu l'âme à son Créateur.
Le duc du Maine fait préparer son logement à l'Arsenal, et en atten-
dant il ira pour quelques jours habiter la maison du duc de Beauvil-
lier, ou celle du premier président du Parlement, M. de Mesmes....
Le comte de Toulouse vient habiter sa maison neuve qu'il a fait amé-
nager richement et abondamment, et qu'il a achetée récemment, près
la place des Victoires, de M. de la Vriilière, secrétaire d'Etat....
« Ce matin, à huit heures ou huit heures et demie selon les hor-
loges, le très auguste Louis XIV, de toujours glorieuse et triomphante
mémoire, a rendu sa grande âme à son Créateur. Il y avait déjà quatre
jours que le monde ingrat l'avait abandonné; chacun avait pris son
parti et s'était retiré ci et là. On l'avait laissé seul pour lutter contre
les attaques de la mort; c'est là un sujet à grandement moraliser. Je
dis à Votre Excellence laissé seul ; car la galerie et l'appartement
étaient tout pleins d'un peuple amassé par la curiosité ; mais l'amour
s'en était allé, et je ne sais si cette observation sera faite par d'autres.
Le pauvre monarque avait pris congé de ses domestiques et de ses
courtisans flatteurs avec les marques les plus grandes de tendresse, et
aucun ne sequebatur au moins a longe ut respiceret finem....
Paris, 2 septembre 171'i.
« ....Un de mes amis m'a dit avoir vu le Roi défunt hier soir sur son
lit avec un bonnet de nuit et un linge blanc sous le menton pour
cacher la difformité, parce qu'il avait la bouche ouverte et la langue
pendante.... »
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV. 359
II
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV
Ainsi qu'il a déjà été dit dans notre tome XXV, p. 18, note 5, on
ignore absolument ce qu'est devenu l'original du testament de Louis XIV,
qui aurait dû rester dans les archives du Parlement, avec les pièces
relatives à la séance du 2 septembre 1713, dans laquelle ce testament
fut ouvert. On ne peut donc se servir de cet original pour élucider diver-
ses questions qui se posent relativement à l'écriture de la pièce, et aux
dates des codicilles. Cette disparition de l'original donne une grande
valeur à la copie figurée que le greflBer du Parlement Gilbert de Voi-
sins» en exécuta aussitôt après l'ouverture et qui se trouve maintenant
aux Archives nationales, carton K 137, n° 1^. C'est ce qui nous engage,
quoique le texte du testament ait été bien des fois publié 2, à repro-
duire très fidèlement cette copie de Gilbert de Voisins ; on va la trou-
ver ci-après. Auparavant il convient d'éclaircir les questions d'écriture
et de date, auxquelles nous venons de faire allusion.
On a dit que le testament avait été écrit non pas de la main de
Louis XIV, mais de celle du chancelier Voysin sous la dictée du Roi,
au moins en partie, ainsi que le premier codicille (notre tome XXV,
p. 473 ; Parallèle des trois rois Bourbons, p. 339) ; cela n'est pas exact.
On verra ci-dessous que le testament et les codicilles furent écrits et
signés de la même main et que cette main paraît être celle du « feu
Roi ». Si l'écriture et la signature sont de la même main, il faut bien
que ce soit celle de Louis XIV ; car il n'est pas admissible qu'il n'ait
pas signé lui-même. D'autre part, on connaît beaucoup de pièces écrites
par Voysin de sa propre main 3; l'écriture n'a pas de ressemblance
1. C'est par erreur que, dans notre tome XXV, p. 18, note o, trompés
par une note trop sommaire prise naguère par M. de Boislisle, nous
avons attribué cette copie au greffier en chef Dongois ; elle est de la
propre main de Gilbert de Voisins, et marquée à toutes les pages de
son paraphe.
2. Dés 1713, la Gazette d'Amsterdam en donnait le texte dans son
Extraordinaire lxxviii, portant la date du 27 septembre. Du Mont
l'inséra dans son Corps diplomatique, tome VIll, première partie,
p. 434-448.
3. Voyez notamment dans les Papiers du contrôle général des finances
des lettres autographes de lui tandis qu'il était intendant en Hainaut
(cartons G' 286-287) et aussi comme secrétaire d'État de la guerre (car-
tons G'' 336-337), sans compter les innombrables pièces du Dépôt de la
guerre.
;{()0 Arri:.M)icE ii.
avec celle du Roi ; donc le greffier ne s'y serait pas trompé. D'autre
part, l'orthographe de Voysin est très correcte ; or ce n'est pas ce qu'on
peut constater dans la copie figurée ci-aprés. Jamais Voysin n'aurait
écrit esvennemens, partenieh, lesritier presomlif, rejence ou recense, atta-
cbemant, etc. Il faut donc en conclure que le testament comme les codi-
cilles étaient de la main do Louis XIV. Dans l'Addition à Dans;cau
n" 1158 (notre tome XXV, p. -Vii), Saint-Simon avait dit pins juste-
ment : « Le testament fut minute par le Giiancelier », c'est-à-dire que
ce fut celui-ci qui en écrivit le brouillon sous la dictée du Roi ; mais
Louis XIV dut le transcrire de sa main. Voilà certainement la vérité.
Les dates des codicilles ont été aussi contestées ', ou plutôt on a
donné des dates différentes. Pour le premier.- la Gazette d'Amsterdam,
Extraordinaire lxxvui, imprima 13 avril ; le Journal de la Régence de
Jean Buvat (p. H'2) le data du 1" ; le j,'énéral de Grimoard, dans ses
Œuvres de Louis XIV, tome II, p. 447 et suiv. adopta la date du
13 aotit, et fut imité en cela par les éditeurs du Journal de Dangeau,
tome XVI, p. 284. La copie figurée ci-après dit formellement iS* avril,
et cette date est confirmée par le procès-verbal de la séance du Parle-
ment du 2 septembre, où le testament fut ouvert, et qui confirme
treizième arrt/ (Archives nationales, X^* 8431, fol. 404 v", publié dans
l'Appendice du tome I du Journal de Jean Buvat, p. 483). C'est donc cer-
tainement cette date qui est la bonne ; ce premier codicille était donc
rédigé depuis quatre mois et demi lors de la mort du Roi. Il ne fut pas
Joint au testament enfermé depuis le mois de septembre précédent dans
le caveau du palais de justice ; mais il resta probablement entre les
mains du cliancelier Voysin. Le duc d'Orléans l'apporta au Parlement
le 2 septembre 171o dans un enveloppe non cachetée.
Le second codicille fut écrit par Louis XIV à la suite du premier et
sur la même feuille double de papier. Il porte la date du 23 août en
chiffres et non en lettres, et cette date a été toujours reproduite exacte-
ment. Nous croyons cependant qu'il faut penser qu'il a été écrit le 2o ;
en voici les raisons. D'abord Dangeau dit formellement que, dans la
soirée du 2o, lorsque le Roi eût reçu les derniers sacrements, il a « fait
apporter sur son lit une petite table et a écrit de sa main quatre ou
cinq lignes sur la quatrième page d'un codicille qu'il avoit fait et dont
1. Remarquons en passant qu'il est singulier que, le testament lui-
même étant daté du 2 août 1714, le Roi ait attendu jusqu'au 26 du
même mois pour en faire le dépôt entre les mains du premier prési-
dent du Parlement; nous ne pouvons soupçonner le motif de ce retard.
Mais la date du testament est incontestable ; d'après la copie figurée
ci-après, il y avait sur l'original le deuxiesme d'oust, et comme il est
daté de .Marly et que la cour revint à Versailles le 11, on ne peut pas
faire la supposition que le Roi se serait trompé et aurait mis
deuxiesme pour douziesme ou pour vingt-deuxiesme II y eut donc prés
de quatre semaines entre la date de la pièce et sa remise au premier
président du Parlement.
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV. 3fil
les trois premières étoient remplies. » Cela semble tout à fait précis et
exact. D'autre part, le greffier remarque ci-après que ce codicille « est
écrit d'une main fort tremblante, qui cependant paroît toujours la
même », et si l'on examine le texte figuré on est frapjié de l'incohérence
de la rédaction. Le Roi a écrit preseur pour précepteur, puis à la suite
preoepter, sans biffer le mot précédent ; avant evesque, il avait com-
mencé devps ; enfin au lieu des mots le père le tellier, il avait d'abord
écrit des mots illisibles qu'il a biffés. Tout cela dénote un grand afl'ai-
blissement cérébral, qui n'existait pas le 2.3 août, mais qui s'était pro-
duit le 2o, puisqu'il avait divagué après un peu d'assoupissement, ce
qui avait tellement effrayé son entourage qu'on avait parlé aussitôt des
derniers sacrements. 11 est possible d'ailleurs que le Roi se soit trompé,
soit par inadvertance, soit par suite de l'état cérébral dans lequel il se
trouvait ; il est possible aussi que, par suite de l'écriture « fort trem-
blante », le premier président et le greffier aient pris un 5 pour un 3.
Toutes ces raisons nous font croire que le dernier codicille, quoique
daté du 23, est bien du 23, comme le dit si clairement Dangeau.
Testament de Louis XIV.
(Copie figurée faite d'après l'original par M. Gilbert de Voisins,
greffier en chef du Parlement.)
Le greffier fait précéder sa copie des quelques remarques suivantes
sur l'état matériel du document :
« Dans le portefeuille se trouve un acte en papier commun *, com-
pris en quatre feuilles 2, dont le dernier feuillet n'est point écrit, ledit
acte finissant au milieu de la quatorzième page, recouvert d'une cin-
quième feuille de papier blanc, lequel paroît avoir été enfermé de
toute sa grandeur, sans être plié, en une feuille de papier cachetée de
sept cachets du cachet particulier du feu Roi, sur laquelle se trouvent
ces mots qui paroissent de la main du feu Roi : « Ceci est nostre tes-
« tament. » Et au-dessous : « Louis. » Duquel acte, écrit aussi et
signé de la même main, s'ensuit la teneur :
Page 4.
Cecy est nostre disposition et ordon-
-nance de dernière volonté pour la
tutelle du Dauphin nostre arrière
petit fils et pour le Conseil de régence
que nous voulons estre estably aprez
1. Gilbert de Voisins veut dire en papier ordinaire, non timbré.
2. (ï'est-à-dire quatre feuilles doubles, formant huit feuillets ou seize
pages.
362 APPENDICE II.
Dostre decez pendant la minorité
du Roy.
Comme par la miséricorde infinie
de dieu la guerre qui a pendant
plusieurs années agité nostre
royaume avec des esvennemens
diferents et qui nous ont laissé
de justes inquiestudes est heureu-
sement terminée nous n'avons
présentement rien plus à cœur
que de procurer à nos peuples le
soulagement que le temps de
guerre ne nous a pas permis de leur
donner les mettre en estât de jouir
longtemps des fruits de la paix et
esloigner tout ce qui pourroit trou-
bler leur tramiuillité nous croyons
dans cette veue devoir estendre
nos soins parternels a prévoir
et prévenir autant qu'il despend
de nous les maux dont nostre
royaume pourroit estre troublé
Page 2d«.
si par l'ordre de la divine providence
notre decez arrive avant que le
Dauphin nostre arrière petit tils
qui est lesritier presomtif de
nostre couronne ait atteint sa
quatorziesme année qui est
laage de sa majorité.
Cest ce qui nous engage a pour-
voir a la tutelle a leducation
de sa personne et a former pendant
sa minorité un conseil de régence
capable par sa prudence sa pro-
bité et la grande expérience
de ceux que nous choisisons
pour le composer de conserver
le bon ordre dans le gouverne-
ment de lestât et maintenir
nos sujets dans l'obéissance qu'ils
doivent au roy mineur.
Ce conseil de rejence sera composé
du duc dorloans chef du conseil du
duc de bouibon quand il aura vingt
quatre ans accomplis du duc du
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV. 363
maine du comte de toulouse du chance-
-lier de francs du chef du Conseil
royal ' des mareschaux de Villeroy
de viilar duxelles de tallart et dharcourt
des quatre secrétaires destat et du contrô-
leur gênerai des finances.
Page 3«, feuillet marqué "2.
Nous les avons choisis par la connoi-
ssance que nous avons de leur
capacité de leurs talens et du
fidelle attachemant quils ont
toujours eu pour nostre personne
et que nous sommes persuadés
qu'ils auront de mesme pour le roy
mineur.
Voulons que la personne du Roy
mineur soit- sous la tutelle et garde
du conseil de regense mais comme
il est nécessaire que sous l'autorité
de ce conseil quelque personne dun
mérite universellement reconnu
et distinguée par son rang soit
particulièrement chargée de
veiller à la sûreté conservation
et éducation du roy mineur nous
nommons le duc du maine pour
avoir cette autorité et remplir cette
importante ionction du jour
de notre decez nous nommons
aussy pour gouverneur du roy
mineur sous l'autorité du duc
du maine le mareschal de villeroy
qui par sa bonne conduitte sa
probité et ses tallens nous a paru
Page 4*.
mériter destre honoré de cette
marque de nostre estime et de nostre
conuance. nous sommes persuadés
que pour tout ce qui aura rapport
1 Le « chef du conseil royal » ou conseil des finances était le duc
de Beauvilher; mais il était alors fort malade et mourut le 31 août
quatre jours après le dépôt du testament au Parlement : c'est ce oui'
explique qu'il ne soit désigné que par son titre.
2. Ce mot soit, oublié par le Roi, a été ajouté par lui en inter-
ligne. ^
364 APPENDICE II.
a la personne et a l(^ducation du
roy mineur le duc du niaine et le
inaresclial de Villeroy f^ouverneur
animés tous deux pur un mesme
esprit agiront avec un parfait
concert et qu'ils nobmetlront
rien pour luy inspirer les
sentimens de vertu de religion
et de grandeur dame que nous
souhaitions qu'il conserve toutte
la vie. voulons que tous otliciers
de la garde et de la maison du roy
soient tenus de reconnoislre le
duc du maine et de lui obéir en tout
ce quil leur ordonnera pour le fait
de leur charge qui aura raport
à la personne du roy mineur a sa
garde et a sa sûreté,
au cas que le duc du maine vienne
à manquer avant nostre decez
ou pendant la minorité du roy
nous nomons à la place le comte
de toulouse pour avoir la mesme
Page 0', feuillet marqué 3.
auctorité et remplir les mesmes fonc
lions.
pareillement si le mareschal de
villeroy decede avant nous ou
pendant la minorité du roy
nous nommons pour gouverneur
à sa place le mareschal dharcourt.
Voulons que touttes les aiïaires qui
doivent estre desidées par lauctori-
té du roy sans aucune exception
ni reserve soit quelles consernent
la guerre ou la paix la disposition
et administration des finances
ou quil sagisse du choix des
personnes qui doivent remplir
les archeveschés éveschés abbaies
et autres bénéfices dont la nomi-
nation doit appartenir au roy
mineur la nomination aux
charges de la couronne aux
charges de .secrétaires destat à
celle de contrôleur gênerai des
Page 6=.
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV. 363
finances a touttes celles des officiers
de guerre tant des troupes de terre
que officiers de marine et gaileres
aux offices de judicature tant
des Cours supérieures qu'autres a
celles de finances aux charges de gou
verneurs et lieutenants généraux pour
le roy dans les provinces et celles des
estats majors des places fortes tant
des frontières que des provinces du
dedans du royaume aux charges
de la maison du roy sans distinction
des grandes et petites qui sont à
la nomination du roy et générale
ment pour toutes les charges com-
missions et emplois auxquels le
roy doit nommer soient proposées
et délibérées au conseil de la régence
et que les resolutions y soient
prises à la pluralité des sufrages
sans que le duc dorleans chef du
conseil puisse seul et par son
auctorité particulière rien determi
ner statuer et ordonner et faire
expédier aucun ordre au nom du
roy mineur autrement que sui
vant l'advis du conseil de la régen-
ce.
s'il arrive qu'il y ait sur quelques
affaires diversité de sentimens
Page "e, feuillet marqué 4.
dans le conseil de la régence ceux qui
y assisteront seront obligés de se reunir
a deux advis et celuy du plus' grand
nombre prévaudra toujours mais
sil se trouvoit quil y eust pour
les deux advis nombre esgal de
sufrages en ce cas seulement ladvis
du duc dorleans comme chef du
conseil prévaudra.
Lorsquil sagira de nommer aux bénéfices
le confesseur du roy entrera au conseil
de régence pour y présenter le mémoire
des bénéfices vacans et proposer les
personnes quil verra capables de les
366 APPENDICE II.
remplir, soroiil aussi admis au mesmo
conseil extraoniinairenil lorsquil
sagira de la nomination aux bénéfices
deux arclievesques ou evesques de ceux
qui se trouveront à la cour et qui
seront adverlis par lordre du conseil
de régence pour sy trouver et
donner leur advis sur le choix des
sujets qui seront proposés.
le conseil de régence sassemblera
quatre ou cinq jours de la semaine
le malin dans la chambre ou cabinet
de lapartement du roy mineur et
aussitost que le roy aura dix ans accomplis
Page 8".
il pourra y assister quand il voudra
non pour ordonner et décider mais
pour entendre et pour prendre les premi-
ères connoissances des affaires,
en cas dabsence ou empeschement du
duc dorleans celuy qui se trouvera
estre le premier par son rang tiendra
le conseil afin que le cours des alîaires
ne soit pas interrompu et sil y a partage
de voix la sienne prévaudra.
Il sera tenu registre par le plus ancien
des secrétaires destat qui se trouveront
presens au conseil de tout ce qui aura
esté délibéré et résolu pour estre
ensuitte les expéditions taittes au
nom du roy mineur par ceux qui
en sont chargés.
Si avant quil plaise à dieu nous appeler
à luy quelquun de ceux que nous avons
nommé pour remplir le conseil de la
régence decede ou se trouve hors destat
dy entrer nous nous reservons de
pouvoir nommer une autre personne
pour remplir la place et nous le ferons
par un escrit qui sera entièrement
de nosfre main et qui ne paroistra
pareillement qu'après nostre deces
et si nous ne nommons personne
Page 9", feuillet marqué 5.
le nombre de ceux qui devront composer
le conseil de la régence demeurera réduit
Page 40^
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV. 367
à ceux qui se trouveront vivans au jour
de nostre mort.
Il ne sera fait aucun chanj^ement au
conseil de la régence tant que durera
la minorité du roy et si pendant le temps
de cette minorité quelquun de ceux que nous
y avons nommé vient à manquer la
place vacquante pourra estre remplacée
par le choix et délibération du conseil
de la régence sans que le nombre de
ceux qui doivent le composer tel
quil aurra esté au jour de nostre deces
puisse estre augmenté et le cas arrivant
que plusieurs de ceux qui le composent
ne puisse • pas y assister par maladie
ou autre empeschement il faudra
toujours quil sy trouvent 2 au moins
le nombre de sept de ceux qui sont
nommés pour le composer atin que
les délibérations qui y auront esté
prises ayent leur entière force et
autorité et à cet efi'et dans tous les
edits déclarations lettres patentes pro-
visions et actes qui doivent estre
délibérés au conseil de régence et
qui seront expédiées pendant la
minorité il sera fait mention expresse
du nom des personnes qui auront
assisté au conseil dans lequel les
edits déclarations lettres patentes et
autres expéditions auront esté résolus,
notre principale aplication pendant
la durée de nostre règne a toujours esté
de conserver dans nostre royaume la
pureté de la religion catolique
romaine en esloigner toute sorte
de nouveauté et nous avons fait tous
nos efforts pour reunir a l'église ceux
qui en estoient séparés nostre intention
est que le conseil de la régence s'a
tache à mintenir les lois et reele
1. Ainsi dans le manuscrit.
2. Même observation.
368 APPKNDICK II.
mens que nous avons lait à ce
sujet et nous exhortons le dauphin
nostre arrière petit lils lorsqu'il
sera en aage de {gouverner par luy
mesme de ne jamais soufrir
qu'il y soit donné alleinle comme
aussy de maintenir avec la mesme
fermeté les edits que nous avons
fait contre les duels regardant
ces loix sur le fait de la religion
et sur le fait des duels comme
les plus nécessaires et les plus
Page H'", feuillet marqué 6.
utilles pour attirer la bénédiction de
dieu sur nostre postérité et nostre
royaume et pour la conservation
de la noblesse qui en fait la principa
le force.
Notre intention est que les dispo
sitions contenues dans nostre
edict du mois de juillet dernier en
faveur du duc du mainc et du comte,
de Toulouse et' leurs descendants ait
pour toujours leur entière exécution
sans qu'en aucun temps il puisse
estre donné atteinte à ce que nous
avons déclaré estre en cela de nostre
volonté.
Entre les différents establissemens
que nous avons fait dans le
cours de nostre règne il n'y en a
point qui soit plus ulille a l'état
que celuy de l'Hostel royal des
invallides il est bien juste que
les soldats qui par les blessures
quils ont reçus à la guerre ou par
leurs longs services et leur aàge
sont hors destat de travailler et
gaigner leur vie aient une
subsistance assurée pour le reste
Page ^2^
de leurs jours plusieurs officiers
qui sont dénués des biens de la
fortune y trouvent aussy une
l. De effact' ifi (note de la copie).
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV. 369
retiaitle honorable touttes
sortes de motifs doivent engager
le dauphin et tous les roys nos
successeurs à soutenir cet establis
sèment et luy accorder une protec
tion particulière nous les y
exhortons autant qu'il est en
nostre pouvoir.
La fondation que nous avons
faitte dune maison a S' Cir pour
l'éducation de deux cent cinquante
demoiselles donnera perpétuelle
ment a ladvenir aux roys nos
successeurs un moyen de faire des
grâces a plusieurs familles de la
noblesse du royaume qui se trouvant
chargées d'enfans avec peu de bien
auroient le regret de ne pouvoir
pas fournir a la dépense nécessaire
pour leur donner une éducation
convenable a leur naissance nous
voulons que si de nostre vivant
les cinquante mil livres de
Page 13*^, feuillet marqué 7.
revenu en fons de terre que nous
avons donné pour la fondation
ne sont pas entièrement remplis
il soit fait des acquisitions le plus
promptement quil se pourra après
nostre deces pour fournir a ce qu'il en
manquera et que les autres sommes
que nous avons assignée a cette
maison sur nos domaines et receptes
generalles tant pour augmentation
de fondation que pour doter les
demoiselles qui sortent a laage de
vingt ans soient régulièrement
payées en sorte quen nul cas ny
sous quelque prétexte que ce soit
notre fondation ne puisse estre
diminuée et qu'il ne soit donné
aucune atteinte a lunion qui y a
esté faille de la manse abbatiale
de labbaie de S' dénis comme aussi
quil ne soit rien changé aux
reglemens que nous avons jugé
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 24
370 APPENDICE II.
a propos do faire pour lo gouvor
nemont de la maison et pour
la qualité des preuves qui
doivent estre t'ailles parles demoiselles.
qui oLitiennoDl des places dans la
niaison.
ÎVous navons daulre veue dans
louttes les dispositions de nostre
présent testament que le bien de
nostre estât et de nos sujets
nous prions dieu quil bénisse nos
tre postérité et quil nous fasse
la grâce de faire un assez bon
usage du reste de noslre vie pour
effacer nos pescbés et obtenir
sa miséricorde.
Fait a marly le deuxiesme d'ousl
dix sept cens quatorze.
Louis.
« Dans le même portefeuille se trouve aussi un autre acte contenu
en une feuille de papier de même grandeur, écrite jusques à la tin de
la troisième page, avec une addition de trois lignes et demie à la qua-
trième, ladite feuille recouverte d'une autre feuille de papier blanc,
lequel acte paroît avoir été plié en quatre et enveloppé d'une enve-
loppe non cachetée sur laquelle est écrit, ce semble, de la même main
que le testament ci-dessus transcrit et que ledit acte : « Addition à mon
testament». Ensuit la teneur duditacte, portant en tête le mot «Codi-
cille » :
Codicille.
Par mon testament déposé au
parlement j'ay nommé le
raareschal de Villeroy pour
gouverneur du dauphin et
jay marqué quelle devoit
estre son autorité et ses
fonctions.
Mon intention est que du
moment de mon deces jusques
a ce que louverlurc de mon
testament ail esté faille il
ail toulte lauctorité sur les
officiers de la maison du
jeune roy et sur les troupes
LE TESTAMENT DE LOUIS XIV. 371
qui la composent il ordonne
ra aux ditles troupes aussy
tost après ma mort de se rendre au
lieu ou sera le jeune roy
pour le mener a vincennes
lair y estant très bon
le jeune roy allant a vincennes
passera par paris et ira au
parlement pour y estre fait
ouverture de mon testament
Page S*"'
en sa présence et des princes
des pairs et autres qui ont droit
et qui voudront sy trouver
dans la marche et pour la
séance du jeune roy au parle
ment le mareschal de Villeroy
donnera tous les ordres pour
que les gardes du corps les gardes
françoises et suisses prennent
les postes dans les rues et au
palais que Ion a accoutumés
de prendre lorsque les rois vont
au parlement en sorte que tout
se face avec la surété et la
dignité convenable.
Après que mon testament
aura esté ouvert et leu le
mareschal de Villeroy men
nera le jeune roy avec sa
maison à vincennes ou il
demeurera tant que le
conseil de régence le jugera
a propos.
Page 3^, second feuillet non marqué.
Le mareschal de Villeroy aura
le titre de gouverneur suivant
ce qui est porté par mon testa
ment aura l'œil '
sur la conduitte du jeune
roy quoyquil neust pas encore
sept ans jusques auquel
1. D'après une note de la copie, avant et après ce mot, il y a un autre
mot biffé dans l'original.
374 APPENDICE t.
aaj;c de sepl ans accoiiii>li> la
duchesse de vanladour deiueu
lera ainsi quil est accouslumé
toujours j^ouvernantf et chargée
des mesmes soins quelle a prise
jusques a présent.
Je nomme pour sous f^ouver
iieurs Sommery qui la déjà esté
du dauphin mon petit tils
et geofreville lieutenant
gênerai de mes armées au
surplus je contirme tout
ce qui est dans mon testament
que je veux eslre exécuté en
tout ce qu'il contient. Fait a
Versailles le 13"" avril •1715.
Locis.
« Et au revers de ce second feuillet, page (luatrième du codicille est
écrit d'une main fort tremblante, qui cependant paroit toujours la
même, ce qui suit :
Je nome pour preseur preœpter du dauphin
le S"" de tleurry encien evesque ' de
fregeous et pour confesseur le père le lellier-
Ge 23 dout 1715
Louis Louis ^
1. Avant ce mot il y a deves, biffé.
i. Ces quatre mots ont été écrits en dessous de la ligne et sous d'autres
mots biffés.
3. D'après une note de la copie, cette seconde si;;nature est placée
dans l'original sous les mots le père le lelhcr et paraît avoir été destinée
à en faire l'approbation.
LETTRE DE LOUIS XIV MOURANT 373
III
LETTRE DE LOUIS XIV MOURANT
A LOUIS XVI
La lettre qui va suivre n'est connue que par la copie prise sur l'ori-
ginal même par Mlle d'Aumale, dernière secrétaire de Mme de Mainte-
non, copie qui existe encore aujourd'hui parmi ses papiers conservés
dans sa famille. Elle a été publiée par MM. le comte d'Haussonville et
G. Hanotaux dans leur édition de ses Souvenirs sur Madame de Mainte-
non, tome II, p. 372-37o.
Dans son récit (p. 332 du même volume), Mlle d'Aumale explique
que cette lettre fut écrite par Louis XIV dans les derniers jours de sa
vie, qu'elle fut confiée au maréchal de Villeroy pour être remise à
Louis XV, lorsqu'il aurait atteint l'âge de dix-sept ans, et que
Mile d'Aumale, ayant vu l'original entre les mains du maréchal, s'était
empressée d'en prendre une copie fidèle. Etant donnée la rareté de ce
texte, dont l'original est probablement perdu et qui ne parvint sans
doute jamais aux mains de Louis XV, nous croyons utile de le publier
à nouveau.
Les expressions employées par le Roi indiquent bien qu'elle date en
effet des jours où Louis XIV, déjà gravement malade, se sentait arrivé
au terme de sa vie : il fait allusion aux « horreurs du trépas qu'il va
bientôt subir. » Elle doit avoir été écrite, très probablement en présence
de Mme de xMaintenon et du chancelier Voysin, sans doute entre le 20
et le 24 août, plutôt le 24. Dangeau mentionne les 20, 21, 23 et 24, un
travail particulier avec le Chancelier, et nous avons vu (ci-dessus,
p. 239) que Saint-Simon dit, le 2.^ août, qu' « il y avait eu la veille du
papier et de l'encre pendant son travail tête à tête avec le Chancelier».
Saint-Simon croit que ce fut pour la rédaction du premier codicille ;
or nous savons que ce codicille était rédigé depuis le 13 avril ; nous
pensons plutôt que ce « papier » et cette « encre » servirent pour écrire
cette lettre. Elle fut sans doute remise à Villeroy dans un de ces deux
entretiens du 23 et du 26 août, que mentionnent Dangeau (p. 112 et 121)
et Quincy (p. 396 et 397).
Il convient de remarquer l'éloge que le Roi fait du duc du Maine et
l'estime dans laquelle il semble tenir son caractère et ses capacités,
sentiments tout à fait contraires à ceux que Saint-Simon lui prête sur
1. Ci-dessus, p. 276, note 1.
374 APPENDICE 111.
son fils naturel dans notre tome XXVI, p. 'M-'X>. On peut penser que
Louis XIV exprime là sa vt^ritable ojiinion, plutôt que dans les racon-
tars recueillis par notre auteur et que son animosité lui a fait pour le
moins très amplifur, sinon inventer.
Lettre de Louis XIV écrite peu de temps avant sa mort et déposée
entre les mains du maréchal de Villeroy pour être remise au jeune
roi lorsqu'il aurait atteint l'âge de dix-sept ans.
« Mon Fils, si la divine Providence, en qui je me conlie, daigne
conserver vos jours jusqu'au temps où la raison puisse vous faire ajçir
par vous-même, recevez avec respect celle lettre des mains de ce lidèle
sujet à qui je tais jurer qu'il vous la remettra en mains propres ; dans
laquelle lettre vous trouverez les dernières volontés de votre père et
votre roi, qui, au moment de quitter la vie. sent redoubler sa ten-
dresse pour vous, en qui il voit tous ses entants revivre et dans un
un âge si tendre que les troubles qu'il prévoit sous votre minorité lui
donnent plus d'inquiétude que les horreurs du trépas qu'il va bientôt
subir ne lui causent d'eiïroi. Si quelque chose peut adoucir ma peine
dans cet état, c'est, mon Fils, la promesse des bons sujets, qui ont
tous fait serment dans mon sein de veiller sur vos jours et verser leur
sang pour votre conservation. Récompensez les, mon Fils, lorsque
vous en aurez connoissance, et ne les oubliez jamais, ni les soins que
mon lils le duc du Maine, que j'ai jugé digne de mettre auprès de votre
personne, prendra de vous. Cette distinction, que j'ai cru nécessaire
pour l'amour de vous-même, lui suscitera sans doute pour ennemis
ceux qui se trouveront, par cette sage prévoyance, éloignés de la cupi-
dité qu'ils ont de régner, et si, par quelque trouble qui pourroit sur-
venir dans votre royaume, il arrivoil quelque malheur à ce prince, ou
quelque changement dans ce que j'ai établi en sa faveur, je désire,
mon Fils, si Dieu vous conserve, que vous rétablissiez les choses dans
- le même état où elles se trouveront à ma mort, tant pour la religion
que pour ce qui touche le duc du Maine. Ayez de la confiance en lui;
suivez ses conseils ; il est très capable de vous bien conduire, et, si la
mort vous privoit d'un si bon sujet, rendez à ses enfants, en leur con-
servant le rang que je leur ai donné, toute l'amitié que vous devez :\
leur père, qui m'a promis, juré, de ne vous abandonner qu'à la
mort.
« Que le sang et l'amitié vous unisse toujours avec le roi d'Espagne,
sans qu'aucune raison d'intérêt ou de politique mal entendue vous en
sépare jamais ; c'est là le seul moyen de conserver la paix et la balance
de l'Europe.
« Ayez toujours un attachement inviolable au Père commun des
fidèles, et ne vous séparez jamais, pour (juelque motif que ce puisse
être, du sein et du centre do l'Eglise. Mettez en Dieu toute votre con-
fiance ; vivez en chrétien plus qu'en roi, et n'attirez jamais sa main
LETTRE DE LOUIS XIV MOURANT 375
sur vous par aucun dérèglement dans vos mœurs. Remerciez sa divine
Providence, qui protège si visiblement ce royaume. Donnez à vos
sujets le même exemple qu'un père chrétien donne à sa famille ;
regardez les comme vos enfants ; rendez les heureux, si vous le vou-
lez être. Soulagez les le plus tôt que vous pouvez de tous les impôts
violents dont la nécessité d'une longue guerre les a surchargés et que
leur tidélité leur a fait supporter avec soumission. Faites les jouir
d'une longue paix, qui seule peut rétablir les affaires de votre
royaume ; préférez toujours la paix aux événements douteux de la
guerre, et souvenez-vous, mon Fils, que la plus éclatante victoire
coûte toujours trop cher, quand il faut la payer du sang de ses sujets.
Ne le versez jamais, s'il est possible, que pour la gloire de Dieu ;
cette conduite attirera sur vous la bénédiction du ciel pendant le
cours de votre règne ; recevez la mienne dans mes derniers embrasse-
ments. »
37U APPENDICE IV.
IV
CEREMONIAL Fl'NEBRE ET AUTOPSIE
DE l.onS XIV'.
Nous donnons .i-après le récit fait par 1p maître dos cérémonies
.Miclicl Ancel-Desgranges de ce qui se passa immédiatement après la
mort de Louis XIV par rapport à sa toilette funèbre, à l'ouverture de
son corps et au cérémonial observé depuis l'instant du décès jusqu'aux
obsèques. Cette relation a déjà été publiée par M. le vicomte de Grou-
chy en 1899 dans le Carnet historique et littéraire, tome IV, p. 153 et
suivantes, d'après une copie qu'il a appelée « Registre des premiers gen-
tilshommes de la chambre », et qui est conservée au.x Archives natio-
nales sous la cote 0' 821 ; mais, cette copie étant assez mauvaise et
l'éditeur n'en ayant point corrigé les fautes elles omissions, nous avons
cru utile de reproduire le texte même de Desgranges d'après son registre
original conservé à la Bibliothèque Mazarine, ms. 2346.
« Aussitôt que le Roi fut expiré, M. de Dreux, grand maître des
cérémonies, et moi, fûmes voir Monsieur le Duc, grand maître de
France, pour recevoir ses ordres, étant en droit, à cause de sa charge
de grand maître, de nous les donner en cette occasion. Il nous ordonna
de faire comme pour Louis XIII, après en avoir conféré avec M. le
duc d'Orléans, c'est-à-dire sans faire les grandes cérémonies qu'on a
accoutumé de faire pour nos Rois, quand ils meurent à Paris; il se
remit à nous de faire tout ce qui conviendroit.
« Les secrétaires d'Etat écrivirent aux évéques pour faire des ser-
vices pour le repos de l'ûme du Roi, aux gouverneurs des provinces,
aux parlements et autres cours, aux maires et échevins des villes,
pour leur en donner avis.
« Je me rendis dans la chambre du Roi, et j'avertis M. le duc de
Tresmes, premier gentilhomme de la chambre de le faire changer de
linge. Les officiers de la chambre et de la garde-robe l'accommodèrent
proprement et le mirent dans le même lit où il était mort, en obser-
vant de mettre sous le drap un dessus de table pour empêcher la cor-
ruption pendant les vingt-quatre heures qu'il avoit à y rester. On lui
mit un petit crucitix dans les mains jointes. Le corps éloil assez élevé
pour être vu. Je fis mettre aux deux côtés du lit douze chandeliers de
i. Ci-dessus, p. 293, note 3.
CEREMOi\[AL FUNÈBRE. 377
la chapelle du château avec des cierges, et aux pieds une crédence
sur laquelle je fis mettre une croix et deux chandeliers de vermeil
doré, aussi pris dans la chapelle. Cette crédence étoit couverte d'un
riche tapis et d'une toilette*, des plus propres quele Roi ait.
« Au côté droit, en dedans de la balustrade, on mit un ployant au
chevet, adossé contre le mur, et une petite forme ^ aussi adossée contre
le mur, et des formes très riches autant qu'on y en put mettre. Le
cardinal de Rohan, en camail, rochet et étole, occupa le ployant; il
prétendoit avoir un siège à dos; mais, les évêques s'y étant opposés,
en disant qu'ils n'y viendroient pas s'il avoit un siège différent du
leur, il se contenta du ployant sans conséquence, marquant qu'il
avoit trop d'obligation au défunt Roi pour vouloir faire aucun incident
sur ce sujet. Les aumôniers du Roi et le P. le Tellier, confesseur,
occupèrent la lorme à la suite du ployant et celle qui étoit en retour
plus proche du corps ; une autre derrière fut occupée par six prêtres
de la paroisse et de la chapelle.
« A gauche dans la balustrade, je lis mettre un ployant adossé con-
tre le mur, et quatre autres ployants en retour, puis des formes comme
de l'autre côté, le premier siège pour le duc de Tresmes, les quatre
autres pour le capitaine des gardes, le grand maître ou le maître de
la garde-robe, le grand-maître ou le maître des cérémonies ; les formes
de derrière furent occupées par le premier valet de chambre, le pre-
mier valet de la garde-robe et autres officiers de la chambre ; six
récollets de Versailles se placèrent sur la dernière forme.
(c A dix heures, le cardinal de Rohan commença le De profundis,
et les religieux psalmodièrent le reste du jour jusques à huit heures
du soir. l\ fut dit des messes, depuis dix heures jusques à midi, sur
deux autels que je fis dresser dans la chambre, un contre la cheminée,
et l'autre à l'opposite. Les gardes et leurs officiers qui servoient chez
le Roi passèrent chez le nouveau Roi ; on laissa seulement pour la
garde du Roi défunt six gardes de la manche et cinquante gardes de
la compagnie écossoise, commandés par MM. d'Esseville, lieutenant,
et La Billarderie, enseigne, et deux exempts, et vingt suisses de la
garde commandes par un lieutenant, un exempt et un fourrier
« Je fis ouvrir les portes afin que chacun pût entrer. Les Suisses sur
l'escalier, et les gardes dans leurs salles contenoient le monde ; les
huissiers de l'antichambre et de la chambre ne tenoient qu'un battant
ouvert, afin qu'il entrât moins de monde à la fois, pour éviter confu-
sion, et plusieurs valets de chambre faisoient passer les gens sans
s'arrêter. J'avois observé de faire une barrière de formes riches, en
sorte qu'il n'y avoit qu'une largeur convenable pour passer les curieux,
qui sortoient par le petit escalier, de manière qu'il n'y eût aucune
confusion. A huit heures du soir, je fis fermer les portes.
1. « D'une toilette à dentelle » : 0* 821.
â. Banc garni d'étoffes et rembourré.
378 APPENDICE IV.
« Le même jour, il fui envoyé des lettres de cachet au duc d'Elbeuf
et au maréchal de Montesijuiou pour être présents à l'ouverture du
corps; c'est l'usage d'y appt-ler un prince ou autre j^rand, et un
officier de la couronne. Voici la teneur des lettres :
« Mon cousin, étant nécessaire de faire trouver des personnes de
« qualité et de conliance à l'ouverture et embaumement du corps du
«fou Roi, mon seigneur et bisaïeul, ainsi qu'il a été observé en pareille
« occasion, je vous ai choisi pour y assister, le grand maître ou le
« maître des cérémonies étant chargé de vous avertir de l'heure et du
«jour. J'aurai bien agréable que, sur son avis, vous vous rendiez en
« la chambre où se fera cet office ; ce que me promettant de votre
« affection, je ne vous ferai la présente plus longue, priant Dieu qu'il
« vous ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde. Donné à Versailles
« le 1" septembre 1715. Signé : Louis, et plus bas: Phklypeaux. »
« Et au dos est écrit : « A mon cousin le duc d'Elbeuf, pair de
« France, gouverneur et mon lieutenant général des provinces de
« Picardie et d'Artois. »
« C'est aussi l'usage de faire venir à cette ouverture deux médecins
de la faculté de Paris et deux chirurgiens de la communauté de Saint-
Côme; je leur écrivis les billets ci-après pour leur en donner avis,
savoir :
a A Versailles*, le 1" septembre 1715.
« Messieurs
« Lorsque le Roi meurt, on est dans l'usage d'appeler le doyen et un
« ancien de la Faculté de médecine pour être présents à l'ouverture
« de son corps. C'est pour cela que j'ai l'honneur de vous avertir, Mes-
« sieurs, de vous rendre ici de:r;ain matin, 2» de ce mois, à huit heu-
« res du matin. M. le marquis de Beringhen, premier écuyer du Roi,
« vous fera donner un carrosse, qui se trouvera demain à six heures
« du matin à la porte des écoles de médecine, où deux chirurgiens
« jurés se rendront pour venir ici avec vous. Je suis. Messieurs, Votre
« très humble et très obéissant serviteur. Desgranges. »
« A Messieurs, Messieurs les Doyen et docteurs régents de la
l. Nous donnons le texte de cette lettre d'après les Commentaria
medicinœ fncultatis pnrisienxis, tome XVill, fol. 86, manuscrit de la biblio-
thèque de VEr.ole de m'-decine, reproduit par A. Franklin, La vie privée
d'autrefois : les Chirurgiens, p. 204. Le texte que donne Desgranges est
plutôt celui d'un brouillon, et la Faculté dut copier dans ses registres
la lettre originale qu'elle reçut. Voici le texte de Desgranges :
a L'usage est, .Messieurs, qu'on fait venir deux médecins de la Faculté
a pour être présents à l'ouverture du corps de nos rois et donner leur
a avis C'est demain matin que l'on doit ouvrir celui du feu Roi. Ainsi
a prenez la peine, s'il vous plaît, d'y venir deux. 11 y aura demain à
a six heures du matin, un carrosse du Roi pour vous amener avec deux
u chirurgiens. »
CÉRÉMONIAL FUNÈBRE. 379
« Faculté de médecine de Paris, aux écoles de médecine, rue de la
« Bûcherie. »
« Pareil billet à la communauté des chirurgiens de Saint-Côme.
« Ce carrosse fut en effet envoyé par M. le Premier écuyer sur avis
que je lui en donnai par un billet.
Ouverture du corps.
« On mit dans l'antichambre du Roi une grande table, longue de
trois toises ou environ, couverte d'une nappe. Le côté de la table du
côté de la cheminée fut occupé par le duc de Tresmes, premier gen-
tilhomme de la chambre, le duc d'Elbeuf, le maréchal de Montesquiou,
le marquis de Maillebois, maître de la garde robe, le marquis de
Dreux, grand maître des cérémonies, moi, maître des cérémonies,
Champcenetz, premier valet de chambre, et quelques autres officiers.
Le premier médecin ' au bout de la table, à la tète, et tous les autres
médecins et chirurgiens de suite jusques à l'autre bout en retour.
« Le cœur fut embaumé, et mis dans une boîte de plomb par le
premier gentilhomme de la chambre, laquelle boîte fut scellée par un
plombier, et mise à la garde d'un valet de chambre, avec cette in-
scription: «Ici est le cœur de Louis XIIII, roi de France et de Navarre,
« très chrétien, décédé en son château de Versailles le !«■■ septembre
« 1715. » Cette boîte de plomb fut mise dans une autre boîte d'or
avec même inscription.
« Le corps fut de même embaumé et mis dans le cercueil, le premier
gentilhomme tenant la tète et le maître de la garde-robe les pieds ;
sur lequel cercueil fut posée une plaque avec cette inscription : « Ici
(c est le corps de Louis XIIII, par la grâce de Dieu roi de France et
« de Navarre, décédé en son château de Versailles le i'^'' septembre
« 1715. » Ce même cercueil fut mis dans un autre cercueil de bois
couvert de velours noir, croisé de moire d'argent avec pareille in-
scription.
« Les entrailles furent embaumées dans un baril de plomb couvert
d'une boîte de bois de même que le cercueil, avec pareille inscrip-
tion.
« Après cet embaumement, on signa le procès-verbal de l'ouver-
ture du corps, dicté par Fagon, premier médecin, et écrit par Boudin,
médecin ordinaire du Roi, dont la teneur en suit :
« Aujourd'huy -, deuxième septembre de l'année 1715, nous nous
« sommes assemblés à neuf heures du malin dans le château de Ver-
ce sailles, pour y faire l'ouverture du corps du Roi, où nous avons
« trouvé ce qui suit :
1. Avant le commencement de l'opération, il tit un discours de cir-
constance {Journal des Anthoine, p. 77).
2. On a indiqué ci-dessus, p. 294, note 3, les diverses publications
qui ont été faites de ce procès-verbal.
380
APPENDICE IV.
« A IVxtôriour, toiil le côtt'- gauche nous parut gangrené, depuis
« l'exlrémilé du pied jusqu'au sommet de la tète, l'épidernie s'enlevant
« généralement par tout le corps dos deux côtés. Le côté droit était
« gangrené en plusieurs endroits, mais beaucoup moins que le gauche ,
« et le ventre paroissoit extrêmement boufll.
« A rouvorture du bas-ventre, les intestins se sont trouvés altérés
« avec quelques marques d'inllammation, principalement ceux qui
<' étoient à gauche, et les gros prodigieusemc.it dilatés.
« Les reins étoient assez dans l'état naturel. On a trouvé seulement
« dans le gauche une petite pierre de pareille grosseur à celle qu'il a
« rendue par les urines plusieurs fois pendant la vie, sans aucun sen-
« timent de douleur.
« La foie, la rate, l'estomac, la vessie étoient absolument sains et
« dans un état naturel, tant en dedans qu'au dehors.
« A l'ouverture de la poitrine, nous avons trouvé les poumons sains,
« aussi bien que le conir, dont les extrémités des vaisseaux et quel-
« ques valvules devenoient osseuses ; mais tous les muscles de la
« gorge étaient gangrenés.
(f A l'ouverture de la tête, toute la dure-mère s'est trouvée adhé-
« rente au crâne, et la pie-mère avoit deux ou trois taches purulentes
« le long de la faux. Au reste, le cerveau étoit dans l'état naturel,
« tant en dedans qu'en dehors.
« La cuisse gauche, dans l'intérieur, s'est trouvée gangrenée, aussi
(c bien que les muscles du bas-ventre, et cette gangrène montoit jus-
« qu'à la gorge.
« Le sang et la lymphe dans tous les vaisseaux se sont trouvés dans
« une dissolution totale. »
Fagon.
GOUTTARD.
Staxdis.
Boudin.
Marescual.
Leguet.
DODART.
Gervais.
Petit.
DOLTTÉ.
La FOSSE.
Lerté.
Terrav.
Lahdv.
COSTE.
DovE, doyen de la
BuilClET.
Fallet.
faculté de
Paris.
Canée.
GuÉRIN.
GuÉRIN.
Du Monblanc.
Paillet.
« Nous Henri de Lorraine, duc d'Elbeuf, pair de France, lieule-
<' nant général des provinces de Picardie, Artois, Hainaut, Boulon-
" nois. Pays conquis et reconquis; Bernard Potier, duc de Tresmes,
« pair de France, gouverneur de Paris, premier gentilhomme de la
« chambre du Boi ; Pierre de Montesquieu, maréchal de France, gou-
« verneur d'Arras, lieutenant général en Artois; Jean-Baptiste Des-
« maretz, marquis de Maillebois, lieutenant général de la province de
« Languedoc, maître de la garde-robe du Bol; Thomas Dreux, lieute-
« nant général des armées du Boi. grand maître des cérémonies de
CERÉMOiMAL FUNÈBRE. 381
« France ; Michel Aucel-Desgranges, maître des cérémonies de France,
« grand bailli et gouverneur de Sens, avons assisté à l'ouverture du
« corps du Roi, qui a été faite ainsi qu'il est dit ci-dessus, lesdits
« jours et an.
« Signé : « Henri de Lorraine, duc d'Elbedf,
« Bernard, duc de Tresmes,
« Pierre, maréchal de Montesquiou,
« Desmaretz de Maillebois,
« Dreux et Desgranges K »
« Le même jour, le corps fut porté par les valets de chambre et autres
officiers de la chambre, de l'endroit où il avoit été embaumé à la
chambre du grand appartement du Roi qui va de la galerie à la cha-
pelle-, comme le plus commode pour cette cérémonie. Le cardinal de
Rohan, deux aumôniers et douze ecclésiastiques ou religieux le pré-
cédoient, le cierge à la main. Il étoit suivi du duc de Tresmes, des offi-
ciers des cérémonies et des officiers de la chambre et de la garde-robe.
« Cette chambre étoit tendue d'un des plus riches meubles qui
fussent à Versailles. On avoit fait le fond du lit avec quatre ou cinq
formes couvertes d'un riche drap d'or ; le cercueil fut posé dessus et il
1. Les Anthoine dans leur Journal, p. 77-78, donnent de l'autopsie un
texte assez différent que nous croyons intéressant de reproduire en fai-
sant ressortir les divergences par des caractères italiques : « Le 2^ sep-
tembre 1713, le corps du roi Louis XIV, surnommé le Grand pour ses
rares vertus, a été ouvert par M. Mareschal, premier chirurgien du Roi^
en présence des médecins et chirurgiens du Roi et autres personnes nom-
mées par M. le duc d'Orléans pour y être présents. On a trouvé l'extérieur
du côté gauche gangrené depuis l'extrémité du pied jusqu'au haut de la
tête, l'épiderme se levant de tous côtés, moins le droit que le gauche, le
ventre extrêmement tendu, très boufS, les intestins bien altérés avec
inflammation, surtout ceux du côté gauche, le gros intestin d'une dila-
tation extraordinaire : les reins étant assez ordinaires et naturels, mais
dans le gauche s'étoit trouvé une petite pierre comme le Roi eu avoit
jeté plusieurs fois sans douleur étant en santé. Le foie, la rate et l'es-
tomac étoient dans l'état naturel, tant dans les extrémités que l'inté-
rieur ; les poumons, ainsi que la poitrine, dans l'état naturel ; le cœur
très beau, d'un grosseur ordinaire ; l'extrémité des vaisseaux devenue
osseuse ; tous les muscles de la gorge tous gangrenés. A l'ouverture de
la tête, la dure-mére s'est trouvée adhérente au crâne, et la pie-mère
étoit tachée de trois taches noires le long de la faux ; le cerveau très
bien, dans son état naturel, tant au dedans qu'au dehors. On s'est
aperçu que l'intérieur de la cuisse gauche, où, le mal du Roi a com
mencé, étoit tout gangrené dans toutes les parties ; tout le sang, dans
tous les vaisseaux, a paru d'une dissolution totale et en très petite quan-
tité. Fait à Versailles, ce 2 septembre 1713, et tous ont signé. »
2. Celle qu'on appelait la chambre du lit et qui est désignée sous le
n» 26 dans le plan joint au présent volume, p. 234.
382 APPENDICE IV.
fui coiivorl de la couvorluro do ce iiiènii' lil. Lo cœur lui mis sous
cette courtepointe sur le même cercueil. De celle manière le Roi éloit
censé être dans son lit de tré[)as, dans lequel on l'auroil elleclivement
laissé à découvert si c'eût été chose possible de le garder ; car, ù l'imi-
tation de ce qui avoil été fait pour Louis XIll, il avoil été réglé (]u'on
ne feroil pas la grande cérémonie, qui clfcclivement ne convient que
quand le Roi meurt à Paris.
« Dans la balustrade, on mit à droite un siège ployant adossé contre
le mur pour le grand aumônier, et de suite une forme pour les aumô-
niers et le contésseur en retour du siège du grand aumônier, quatre
pareils sièges pour les évêciues, une forme derrière pour les ecclésias-
tiques de la chapelle et l'agent du clergé, et deux autres formes pour
les religieux psalmodiant.
« Lorsque les évèques vinrent la première fois, M. de Dreux, qui
en avoit reçu l'ordre de M. le Grand maître de France, leur déclara
qu'ils ne dévoient avoir que des formes et point de carreaux, et que,
s'il leur en donnoit, c'étoit avec protestation. Us répondirent qu'ils
feroient leurs remontrances. L'abbé de Broglio, agent général, pré-
tendit même qu'ils dévoient avoir des sièges à dos, et protesta sur
cela.
«( A gauche, dans la balustrade, cinq pareils sièges ployants pour le
premier gentilhomme de la chambre, le capitaine des gardes, le grand
maître ou le maître de la garde-robe, le grand maître et le maître des
cérémonies ; sur les deux formes derrière ces sièges, un oilicier des
gardes, le premier valet de chambre, le premier valet de garde-robe,
et les autres officiers de la chambre et de la garde-robe. Sur les deux
formes plus reculées, les religieux psalmodiant.
« Au pied du lit, une crédence couverte d'un tapis riche et d'une
toilette, sur laquelle il y avoit un crucilix et quatre chandeliers; un
tabouret riche couvert d'une toile tine, sur lequel étoit le bénitier;
autour du lit douze chandeliers.
« Hors de la balustrade, deux hérauts d'armes assis chacun sur un
siège ; deux gardes de la manche placés la tête contre le mur, qui
étoient relevés par d'autres pendant tout le jour. On avoit d'abord mis ces
deux gardes de la manche au pied du lit contre la balustrade, parce que
cela marquoit mieux ; mais le duc de Noailles, capitaine des gardes,
qui croyoit qu'il étoit plus honorable qu'ils fussent au chevet, sou-
haita qu'on les y mît; ce qui fut fait, et, de cette manière, ils incom-
modoient un peu les personnes qui étoient en place.
« Quatre autels richement ornés, savoir: un appliqué à la che-
minée, l'autre àl'opposite, et les deux autres dans les embrasures des
fenêtres.
« Pendant les huit jours que le Roi fiit ainsi en dépôt, on a dit tous
les jours une messe basse par le chapelain de l'oratoire, pendant
laquelle la musique placée à l'antichambre chantoit le De profundis,
un Miserere ou un autre psaume. A la lin de la messe, il disoit les
CEREMONIAL FUNEBRE. 383
vêpres des morts et l'oraison ; ensuite il jetoit l'eau bénite sur le corps,
comme au commencement de la messe.
« Après cette basse messe, les officiers de la grande chapelle com-
mençoient la messe de Requiem. Le célébrant, entrant avec ses offi-
ciers, faisoit une inclination au corps, jetoit l'eau bénite, faisoit une
inclination ; après quoi, il saluoit le grand aumônier, le clergé à droite,
les officiers du Roi à gauche. Le célébrant alloit à l'autel à droite,
commençoit la messe en faisant les cérémonies ordinaires, et, à la tin,
il quittoit la chasuble et prenoit la chappe pour faire l'absoute, les
chappiers commençant le Libéra, à la suite duquel l'officiant disoit le
Pater noster, ayant auparavant béni l'encens, donnoit trois coups de
goupillon d'eau bénite et autant de coups d'encensoir, et ensuite
disoit à haute voix : Et ne nos inducas in tenlationem et les versets,
auxquels le chœur répondoit. Le célébrant disoit l'oraison Absoli^e à
la tin du Requiem œternam et faisoit le signe de la croix sur le corps
en jetant de l'eau bénite. Après quoi, le célébrant et les assistants
saluoient le corps ; le clergé et les officiers se retiroient dans la chambre
prochaine qui servoit de sacristie.
« Tous les ecclésiastiques et les religieux amenés par le grand
aumônier, au nombre de soixante et douze, disoient des messes basses
aux quatre autels depuis cinq heures du matin jusqu'à midi Tous
ces religieux étoient logés par les soins de M. Blouin, gouverneur de
Versailles, dans plusieurs salles ou appartements où il leur avoit fait
dresser des lits. Les hérauts d'armes, au nombre de sept, y étoient
logés de même, et ils étoient nourris à des tables servies à heures
différentes par les soins du contrôleur général de la maison du Roi.
Comme il y avoit une table de quinze couverts servie aux dépens du
Roi pour les officiers des cérémonies et les évéques, nous avions soin
de les inviter, de même que les députés du second ordre.... »
ADDITIONS ET GORREGTIONS
Page 163, note 2. D'après l'éloge de M. du Marsais donné en tête
du tome VII de la première édition de V Encyclopédie méthodique de
Diderot et d'Alembert, il serait né à Marseille le M juillet 4676, et
entra d'abord dans la congrégation de l'Oratoire ; il en sortit peu
après, vint à Paris, s'y maria et fut reçu avocat en 1704. Peu heureux
en ménage, il se sépara de sa femme, et c'est alors qu'il entra chez le
président de Maisons comme précepteur de son tils. Il tit ensuite l'édu-
cation du tils de Law, puis celle des deux jeunes princes de Bauffre-
mont, à qui il dédia en 4722 son Exposition d'une méthode raisonnée
pour apprendre la langue latine. Cette éducation finie, du Marsais
ouvrit une pension au faubourg Saint-Victor; mais il dut la fermer
peu après, sans doute à cause de l'éducation à peu près athée qu'il y
donnait. Il travailla ensuite à V Encyclopédie et inséra dans les six
premiers volumes un grand nombre d'articles, notamment sur les
(juestions de grammaire.
Page 166, note 2. Les généalogies ne sont pas d'accord sur les pré-
noms du jeune fils du dernier marquis de Maisons : Le Moréri l'appelle
« Nicolas-Prosper », le Dictionnaire de la Chenaye des Bois « René
ou Nicolas-Prosper ». C'est ce qui explique que, dans notre tome X,
p. 21, note 4, lorsqu'il en a été parlé pour la première fois, nous
l'ayons appelé René, et Nicolas dans le présent volume. Quoi qu'il en
soit, c'est par erreur que, dans le tome X, nous en avons fait le fils de
Mlle Charron de Menars, tandis qu'il est celui du second mariage de
son père avec Mlle d'Angervilliers.
Page 188, note 1. Le Journal de la Santé du hoi parle constam-
ment du prodigieux appétit de Louis XIV et de l'obligation qui s'im-
posait de le purger et de le saigner souvent pour combattre les effets
de ces excès de nourriture. Le premier médecin note d'abord (p. 210)
que l'appétit du Roi est très grand « dans toutes les saisons et à
toutes les heures du jour », ce qui est bien en conformité de ce que
dit Saint-Simon; en décembre 17Û8 (p. 308-309), il remarque que le
Roi mangea beaucoup à son dîner, « et, entre autres choses, outre
les croûtes (c'est-à-dire les tourtes et pâtés chauds), le pain mitonné
en potages et les viandes fort solides, il combla la mesure à son dessert
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII 23
;;8f> ADDITIONS KT C ()IUU-:CT1()\S.
avec dos vents, faits avec ilii blanc du'iil et du sucre, cuits et sécliés
au four, force conlilures et des l)iscnils bien secs, joint à quatre prantls
verres en dînant et i trois d'eau sorlie de la {;lace après dîner ». Tous
les printemps (voyez parliculièrement p. 3'28 et 34.')), il se plaint de
la quantité prodi};ieuse de petits pois que le Roi niauf^e ; ;\ d'autres
époques c'est le j;ibier, en carême le poisson (sardines, huîtres, soles,
brochets, estur};eon même), et toute l'année les ragoûts très forts et
très épicés qu'il rej^ardc comme les pires ennemis de la bonne tenue
des intestins royaux. (Juand l'excès de nourriture a amené de l'em-
barras gastrique qui nécessite une diète sévère, le malheureux repré-
sentant de la Faculté n'arrive qu'à grand peine à y décider son client,
et cette diète n'est jamais que très relative. En 4708, par exemple, il
remarque que, ayant recommandé au Roi, « fatigué et abattu, » de
manger peu, « S. M. voulut bien qu'on ne lui servît ù son dîner que
des croûtes, un potage aux pigeons, et trois poulets rôtis, ...dont il
mangea (seulement) quatre ailes, les blancs et une cuisse » (p. 304).
Page 191, noie 3. Le comte de Ribeyra, ambassadeur de Portugal,
avait chargé ses parents Rohan de lui trouver une maison à Paris.
C'est à ce sujet que la duchesse de Rohan écrivit à Torcy la lettre
suivante (Dépôt des affaires étrangères, vol. Portugal 40, fol. 415):
« A Bercy, ce 5'^ juillet 1714. Monsieur, monsieur le comte de riber
mon neveu qui vien icy embasadeur de portugal ma prie de luy arester
une maison, m'' de lorge ma cédé le reste de son bail qui est encor de
2 ans et demie d'unne maison qui est proche de Ihotel de soubizeet de
toutte sa famille qui est le cartiers qui ma mandé qui luy convenes le
mieu m" le norman a qui est la maison vien de me faire signifier le
le (sic) congé il l'a loué a un autre, vous voies monsieur que m'' de
riber demeurera desus le pavé ce qui n'est pas convenable a un enba-
sadeur, le gentilhomme qui vous randera ma lettre vous dira qui li a
des exemples que vous vous este mêlé de pareille afaire pour des
étranger et particulièrement pour les domestique de m'" de mantoue
et que vous donale des ordre pour que la maison leurs demeura,
jespere monsieur que vous vouderes bien dans cttle occasion laire le
mesme plaisir a monsieur de riber en mon particulier je vous enseres
très obligée et vous suplie monsieur destre persuadé que personne
nést plus cinserement vostre 1res humble et très obéissante servante
que LA DUCHESSE DE ROHAN. » La jeune comtesse de Ribeyra, à son
passage à Madrid, avait séduit la princesse des Ursins, qui écrivait à
son ami Torcy (recueil Bossange. tome IV, p. 443): « Cette Portugaise
a la plus jolie taille qu'il soit possible de voir et est d'ailleurs très
aimable. »
Page -227, note i. En 171.-1, le clu^valier de Sully, Maximilien-Henri
de Béthune (tome XVI, p. 430) ne portait plus ce titre; il avait pris
celui de duc de Sully depuis 171'i, lors de la mort de son frère aîné.
Par conséquent, en 17i.o, le duc de Sully dont il a été parlé à la
page 219, et le chevalier de Sully que Saint-Simon met en scène ici
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 387
sont un seul et même personnage. Il est curieux de voir que, écrivant
pour le moins vingt ans après les événements (car l'Addition au Journal
de Dangcau placée ci-dessus, p. 326 et 328, et écrite vers 1735, com-
porte déjà cette contusion), notre auteur ne se soit pas aperçu qu'il
faisait du même individu deux personnes difîérentes. L'erreur est sans
grande conséquence en elle-même; cependant on ne peut nier qu'elle
ne permette de faire planer certains soupçons sur l'exactitude de tout
le récit, et ces soupçons sont encore fortitiés par ce fait que, p. 219, il
avait d'abord omis le nom du duc de Sully, ainsi que nous l'avons
indiqué en note.
Page 2i8, note 2. Le commissaire Delamarre dans son Traité de la
Police (tome I, p. 530-542) a donné divers renseignements sur cette
maison, auxquels il a joint le texte des lettres royales de 4698 et le
Règlement de la communauté pour la réception des tilles, l'ordre de
leur journée, le travail, l'habit qu'elles portent, le gouvernement de
la maison, etc. On trouvera encore des documents relatifs au Bon
Pasteur, aux Archives nationales, cartons S 4646 etG^651, dans la série
H^ et dans les registres 0'44, fol. 642, et 0'362, fol. 56 V, et à la
Bibliothèque nationale, mss. Fr. 8122, fol. 271 et 334, et 21612,
fol. 138 et suivants.
Page 278, note 5. Piganiol de la Force (Description de Paris, édi-
tion 1742, tome IV, p. 378-380) a décrit les monuments où étaient
conservés, dans l'église des Jésuites de la rue Saint-Antoine, aujour-
d'hui église Saint-Paul-Saint-Louis, les cœurs des deux souverains.
Celui de Louis XIII était placé sous un des arcs de la chapelle voi-
sine du maître-autel, du côté de l'Evangile; la boîte en vermeil conte-
nant le cœur était soutenue par deux anges d'argent; la draperie et les
attributs étaient de vermeil; en dessous, des bas-reliefs de marbre re-
présentaient les vertus cardinales. Ce monument était l'œuvre de Jac-
ques Sarrazin, et une inscription rappelait la participation d'Anne d'Au-
triche. — Le cœur de Louis XIV fut placé de même, dans la chapelle
correspondante, du côté de l'épître, et le monument était, dans ses
grandes lignes, la reproduction de celui de Louis XIII; on y retrou-
vait les anges d'argent, la draperie et les attributs de vermeil. Ce fut
le jeune Couston qui en fut chargé, et il ne fut achevé qu'en 1730;
il coiita plus de six cent mille livres. Ces monuments ont été détruits
sous la Révolution ; il ne subsiste aujourd'hui que les inscriptions
commémoratives.
Page 292, note 1. D'après une lettre de Louville à Torcy de juin
1702 (note tome X, p. 439), l'abbé Aignan avait surtout deux spéci-
fiques regardés comme presque infaillibles, l'un contre la petite vérole,
l'autre pour les vapeurs ou l'apoplexie. Les Mémoires de Sourches
(tomes VI, p. 278, et VII, p. 25 et 73) lui attribuent la guérison de la
marquise de Pomponne de la petite vérole, de l'abbé de Pompadour
d'une attaque d'apoplexie, du marquis de Thiange de la dysenterie;
il avait aussi soigné le diplomate Courtin et le lieutenant général Maga-
38S ADDITIONS ET CORRECTIONS.
lolti (Uaugcdu, tome VIII, p. 137. el notre tome XII, p. V.\-l, noie G).
Cependant ses remèdes n'étaient pas inl'ailliMes; Mme de Sévigné
{Lettres, tome X, p. .'101) l'accuse d'avoir avancé la mort du duc de
Chaulnes, et en i70"2 un certain De la Marre publia un |)elit volume
intitulé Observations critiques sur un lirre du sieur Aiiinun intitulé
L'Ancienne médecine à la mode, adressées à Mme de C[haulnes\. De
même, en 170i, le prince d'Es|)inoy était mort niali;ré ses soins (notre
tome XII, p. '2.')7, note ■'*). En 1701, le lieutenant de police d'Arj^'cnson
l'avait t'ait poursuivre avec d'autres empiriques pour exercice illégal
de la médecine (Archives nationales, reg. 0'362, fol. 'il't v", 280 el
287 v") ; mais il semble que l'afTaire n'eut pas de suite. Si l'on en croit
l'annotateur des Mémoires de Sourches, tome XI, p. 2(i()-2G7, « il
faisoit un excellent usage de ses remèdes; car il en distribuoit une
grande quantité aux pauvres charitablement ». Quand il mourut, le
Mercure, qui déjà dans la livraison d'août d699, p. 406-121. avait
longuement parlé de sa médication, signala le titre de son dernier
ouvrage : la Goutte curable (mars 1709, p. 285). La Bibliolliè(iue
nationale ne possède que deux de ses œuvres: l'Ancienne médecine
a la mode ou le Sentiment uniforme d'Hippocrate et de Galien sur
les acides et les alkalis (1693), et le Prêtre médecin ou Discours sur
l'établissement de la médecine, avec un traité du café et du thé de
France, selon le système d'Hippocrate (1696). Ajoutons que, selon
le Livre commode des adresses de Paris d'Abraham du Pradel, l'abbé
Aignan avait pris « ses degrés » à la faculté de Padoue, et qu'on lui
reconnaissait « quelque expérience pour les maladies chroniques « ;
il demeurait « rue el près les Incurables » en 1692.
TABLES
TABLE DES SOMMAIRES
QUI SONT EN MARGE DU MANUSCRIT AUTOGRAPHE.
Suite de 1715.
Paçes .
Réflexions sur le gouvernement présent et sur celui à établir. 1
Je propose à M. le duc d'Orléans les divers conseils et l'ordre
à y tenir 10
L'établissement des conseils résolu. Discussion de leurs chefs.
Marine. 17
Finances et guerre 18
Affaires ecclésiastiques et feuille des bénéfices. Constitution. 19
Jésuites 23
P. Tellier 24
Rome et le nonce 26
Evêques; leur assemblée 29
Commerce du clergé de France à Rome, et à Paris avec le
nonce »
Affaires étrangères. Affaires du dedans du royaume 31
Je m'excuse de me choisir une place, et je refuse obstiné-
ment l'administration des finances 32
État forcé des tlnances; banqueroute préférable à tout autre
parti 34
Je persiste au refus des finances malgré le chagrin plus que
marqué de M. le duc d'Orléans 47
Je propose le duc de Xoailles. Résistance et débat là-dessus.
M. le duc d'Orléans y consent à la tin »
Je suis destiné au conseil de régence 50
Précautions que je suggère à M. le duc d'Orléans 51
Résolution que je propose à M. le duc d'Orléans sur l'éduca-
tion du roi futur 53
Je lui conseille le duc de Charost pour gouverneur du roi
futur, etXesmond, archevêque d'Alby, pour précepteur. . 53-54
Discussion entre M. le duc d'Orléans et moi sur le choix des
membres du conseil de régence et l'exclusion des gens à
écarter 55
Villeroy à conserver, Voysin à chasser, et donner les sceaux
au bonhomme Daguesseau 56
39-2 TABLE DKS SOMMAIRES.
Torcy 58
Desmaretz et Pontchartrain à chasser 59
Je sauve la Vrillière à grand peine et lui procure une place
principale et unique 60
Discussion de la mécanique et de la composition du conseil
de régence (il
Je propose à M. le duc d'Orléans de convoquer aussitôt après
la mort du Roi les Klals généraux, qui sont sans danger et
utiles sur les finances, avantageux à M. le duc d'Orléans. 63-6i
Grand parti à tirer délicatement des Etats généraux sur les
Renonciations 70
Rien de répréhensible par rapport au Roi dans la conduite
proposée à M. le duc d'Orléans par rapport à la tenue des
États généraux 75-7(i
Usage possible à faire des Etats généraux à l'égard du duc
du Maine 77
Mécanique à observer 8*2
Discussion entre M. le duc d'Orléans et moi sur la manière
d'établir et de déclarer sa régence 9'2
Aveu célèbre du Parlement, par la bouche du premier prési-
dent de la Vacquerie y séant, de l'entière incompétence de
cette compagnie de toute matière d'Etat et de gouver-
nement 95
Deux uniques et modernes exemples de régences faites au
Parlement. Causes de cette nouveauté 96
Raisons de se passer du Parlement pour la régence, comme
toujours avant ces deux derniers exemples 101
Observation à l'occasion de la majorité de Charles IX et de
l'interprétation de l'âge de la majorité des rois 106
Mesures et conduite à tenir pour prendre la régence 108
Conduite à tenir sur les dispositions du Roi indifférentes, et
sur le traitement à faire à Mme de Maintenon 113
Prévoyances à avoir 114
Foiblesse de M. le duc d'Orléans à l'égard du Parlement. . . 115
État et caractère de Noce 116
Survivances, brevets de retenue et charges à rembourser,
raison et moyen de le faire, et multiplication de récom-
penses à procurer 117-118
Taxe proposée n'a rien de contraire à la convocation des
Etats généraux, qui lui est favorable. Autres rembourse-
ments peu à peu dans la suite 125
Nulle grâce expectative; remplir subitement les vacances.. . 126
Réparations des chemins par les troupes 127
Détails avec mesure, déliance, tracasseries 131
Extérieur du Roi à imiter, et fort utile, et conduite person-
nelle 134
TABLE DES SOMMAIRES. 393
Ondes de la cour 141
Agitation du duc de Noailles 141-142
Curiosité très embarrassante de Mme la duchesse d'Orléans. 142
Maisons me fait une proposition énorme et folle, et ne se
rebute point de la vouloir persuader à M. le duc d'Orléans
et à moi 149-150
Réflexions sur le but de Maisons 138
Rare impiété et fin de Maisons et de sa famille 162
Le duc de Noailles apprend enfin sa destination ; folles pro-
positions qu'il me fait 167
M. le duc d'Orléans ne peut se résoudre à ne pas passer par
le Parlement pour sa régence, et se dégoûte du projet
d'assembler les Etats généraux 172
Mme la duchesse d'Orléans, en crainte des pairs pour la pre-
mière séance au Parlement après le Roi sur les bâtards, a
recours à moi. Je la rassure, et pourquoi, en lui déclarant
que, si les princes du sang les attaquent, en quelque temps
que ce soit, les pairs les attaqueront à l'instant 173-174
Prise du Roi avec le procureur général sur l'enregistrement
pur et simple de la Constitution. Dernier retour de Marly.
Espèce de journal du Roi jusqu'à sa tin 175-176
Audience de congé de l'ambassadeur de Perse 179
Détail de la santé du Roi et des causes de sa mort 181
Magnifique entrée à Paris du comte de Ribeyra, ambassa-
deur de Portugal 191
J'obtiens de M. le duc d'Orléans qu'il continuera à Chamillart
sa pension de 60000**, et la permission de le lui mander. . 192
Le duc de Noailles, seul d'abord, puis aidé du procureur
général, me propose l'expulsion radicale des jésuites hors
du royaume 193
Retour de Mme de Saint-Simon des eaux de Forges à Ver-
sailles. Dames familières 200
Duc du Maine chargé de voir la gendarmerie, pour, au nom
et avec l'autorité du Roi, qui l'avoit fait venir et n'en put
faire la revue. Mon avis là-dessus à M. le duc d'Orléans. . 201-202
Je me joue de Pontchartrain 203
Je méprise Desmaretz 209
Le Roi, hors d'état de s'habiller, veut choisir le premier habit
qu'il prendra. Courte réflexion 210
Misère des ducs 212
Duc et duchesse du Maine excitent avec plein succès les gens
de qualité et soi-disant tels contre les ducs 214
Abomination du duc de Noailles. Il me propose de le faire
faire premier ministre 215
Proposition du duc de Noailles d'une nouveauté qu'il sou-
tient contre toutes mes raisons 249
394 TABLE DES SOMMAIRES.
Lo duc de Noailles m'impiito la proposition que j'avois si
puissamment combattue, et soulève tout contre moi. . . . 225
Étrange embarras de Noailles avec la duchesse de Saint-
Simon 227
J'apprends la sct^lératesse de Noailles 228
Monstrueuse ingratitude de Noailles; son affreux et profond
projet 229
Courte réflexion 232
J'éclate sans mesure contre Noailles, qui plie les épaules et
suit sa pointe parmi la noblesse, et cabale des ducs contre
moi 232-233
Je me raccommode avec le duc de Luxembourg; son carac-
tère 235-236
Suites de l'éclat 236
Bassesse et désespoir de Noailles. Sa conduite à mon égard
et la mienne au sien 237
Noailles n'oublie rien, mais inutilement, pour me fléchir. . . 238
Noailles, depuis la mort de M. le duc d'Orléans, aussi infati-
gable et inutilement h m'adoucir. Leur désir extrême du
raccommodemi^nt fait enlin le mariage de mon iils aîné.. . 242
Raccommodement entre Noailles et moi, et ses légères suites. 249
Reprise du journal des derniers jours du Roi; il refuse de
nommer aux bénétices vacants 253
Mécanique de l'appartement du Roi pendant sa dernière
maladie 254
Extrémité du Roi 256
Le Roi reçoit les derniers sacrements 257-258
Le Roi achève son codicille, parle à M. le duc d'Orléans. . . 263
Scélératesse des chefs de la Constitution 266
Adieux du Roi 271
Le Roi ordonne que son successeur aille à Vincennes et
revienne demeurer à Versailles 276-277
Le Roi briile des papiers; ordonne que son cœur soit porté à
Paris aux Jésuites. Sa présence d'esprit et ses dispositions. 277-278
Le Brun, provençal, malmène Fagon et donne de son élixir
au Roi. Duc du Maine 281
Mme de Mainlenon se retire à Saint-Cyr 282
Charost fait réparer la négligence de la messe 283
Rayon de mieux du Roi; solitude entière chez M. le duc
d'Orléans 284
Misère de M. le duc d'Orléans; il change sur les Etats géné-
raux et sur l'expulsion du Chancelier »
Le Roi fort mal ; fait revenir Mme de Maintenon de Saint-Cyr. 289
Dernières paroles du Roi. Sa mort 292
II
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS PROPRES
ET DES MOTS OU LOCUTIONS ANNOTÉS DANS LES MÉMOIRES;
N. B. Nous donnons en italique l'orthosnraphe de Saint-Simon, lorsqu'elle
diffère de celle que nous avons adoptée.
Le chiffre de la page où se trouve la note principale relative à chaque mot
est marqué d'un astérisque.
L'indication (Add.) renvoie aux Additions et Corrections.
AiGNAN (François, abbé), * 292
(Add.).
Alby (l'archevêque d'). Voyez
JVesmond (Henri de).
Alicante (le vin d'), *282, 284.
Alsace (1'), ilo, 128.
Ambassadeurs étrangers (les),
199.
Amérique (1'), 35.
Amsterdam (la ville d'), 36.
Ancre (Concino Concini, maré-
chal d'). 4, 101.
Ancre (Léonora Galigaï, maré-
chale d'), 4, 101.
Angleterre (F), 33, 124, 123.
Angleterre (les rois d'), 104.
Voyez Guillaume III, Henri V.
Angleterre (les reines d'). Voyez
Este (M.-B.-Él. d'), France
(Catherine et Isabelle de).
Angoulême (Louise de Savoie,
duchesse d'), 96.
Anne d'Autriche, reine de
France, 3, 6, 79, 98-101, 146-
148, 294.
Annonciation (la fête de 1'), 246.
Antichambre du Roi (1'), à Ver-
sailles, *234.
ANTiN(le ducd'), 61, 168.
Archevêché (le palais de 1'), à
Paris, 245, 250-252.
Argenson (Marc-René de Voyer,
marquis d'), 114.
Argenton (M.-L. le Bel de la
Boissière de Séry, comtesse d'),
143.
Arles (l'archevêque d'). Voyez
Mailly (le cardinal de).
AsFELD (Claude-François Bidal,
maréchal d'), 250.
AsFELD (l'hôtel d'), à Paris, *230.
Assassinat, outrage, *232.
Assomption (la fête de 1'), 180,
189.
Aumôniers du Roi (les), 127.
Aumont (Louis, ducd'), 81, 212.
396
TAni.E AI-PHABl- TIOl E.
AuTBiCHK (la maison d'). 16, 98.
B
Haden (lo liailé do), 1!».
Barbf.zieix (lo marquis do), l'-2H.
Bastille (la). 97.
Bâtards du Roi (les), (il. iii, 78-
84, 93. 93,-113, 413, 113, 156.
139-161, 169, 174, 173, 181,
199. m, -213, 213.235.
Beacjeu (Pierre de Bourbon, soi-
gneur de), 93.
Beaujeu (Anne de France, dame
do), 93. 96.
Beaumanoir (Marie-Françoise de
Xoailles, marquise de). 243,
246, 230, 231.
Beauvillier (le duc de), 7. 8, 3'j,
38. 168, 230, 233.
Beauvillier (Henriette Golbcrt,
duchesse de). 209.
Bécasse bridée (une), au ligure,
*288.
Bénédictins (les), 197.
Bénéfices ecclésiastiques Qes),
126, 127.
Bentivoglio (Corneille, cardinal),
26-28.
Bercy (Charles-Henri de Malon
do), 59.
Beringhen (Henri I*^"" do), 146.
Berry (le duc do), 3, 33, 70,
77.
Berry (la duchesse de), 130,
141,144,148,236,273.
Berwick (le maréchal-duc de),
160, 230.
Berwick (Anne Bulkeley, maré-
chale de), 230.
Bezons (le maréchal de), 206-
208.
Benoist (Georges), 187.
Bilboquet (un), au ligure. *61.
BiRON (Charles de Gontaut, ma-
réchal de), 4.
Biron (Armand-Charles do Gon-
taut, duc do), 243.
Bisoolins (les), '186.
Bissy (Henri do Thiard, cardinal
do), évoque do Moau.\, 20, 22,
23, 26, 29, 31, 57, 164, 256.
266-271.
Blaye (la ville de), 60.
Blouin (Louis), 200, 268, 290.
Bombe chez quelqu'un (tomber
comme une), *205.
Bon-Pasteur (lo couvent du), à
Paris. *248(Add.).
Bourbon (Jean II, duc de), 93.
Bourbon (la maison de), 84.
BouRBONNE (les oaux de), 199.
Bourg (Léonor-Mario du Maine,
maréchal du), 113.
Bourges (la ville do), 57.
Bourgogne (le duc de), 1, 8, 9,
33, 36, 37, 54, 109, 168, 229,
230.
Bourgogne (la duchesse de), 168,
229, 230.
Bourgogne (la faction de), 64.
Bourgogne (le gouvernement de),
80.
Bourgogne (lo vin de), *183.
BouRNON VILLE (Alexandre- Alberl-
François-Barthélomy , prince
de), 243.
BouRNONViLLE (Philippe-Alexan-
dre, prince de), 243, 245, 246,
249.
BouRNON VILLE (Mario-Charlottc-
Victoire d'Albort do Luynes,
princesse de), 243.
BouRNON VILLE (Calhorino-Char-
lotte-Thérèse de Gramont, prin-
cesse de), puis duchesse de
Ruffec, 243, 244, 247, 248.
Bourrer quelqu'un, *238.
BouzoLS (Marie-F'rançoise Colbert
de Croissy, marquise do), 58.
Bretagne (la), 80.
Brevets de retenue (les), 118.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
391
Brun (le sieur le), •281-283, 289.
Cabinets du Roi (les), à Versail-
les, 'loo,
236.
Cabinet du Conseil (le), à Ver-
sailles, 263, 265.
Caliis (le), au tiguré, *268.
Cambray (l'archevêque do). Voyez
Féxelon (Fr. do).
Canillac (Philippe de Montbois-
sier-Beaufort, marquis de), 116,
138, 161, 23i.
Cannelle (la), *186.
Canoniser quelque chose, * 68,76.
Cardinaux (les), 19.
Catherine de Médicis, reine de
France, 84, 106, 107.
Caustique (le), *-43.
Cavalerie (les régiments de), 123,
124.
Cavoye (Louis d'Oger, marquis
de), 278, 279.
Caylus (Marthe-Marguerite de
Valois-Villette, comtesse de),
199-201, 211, 234, 236. 257,
260, 261, 282.
Chaillot (le village de), 180.
Chamillart (Michel), 49, 492.
Champagne (le vin de), 183.
Chancelier de France (la charge
de), 61.
Charles-Quint, empereur, 104.
Charles V, roi de France. 36,
93, 106, 107, 110, 113.
Charles VL roi de France, 83.
Charles VII, roi de France, 83.
Charles VIII, roi de France, 93,
96.
Charles IX, roi de France, 106,
107, 113.
Charolais (Charles de Bourbon-
Condé, comte de), 263.
Charost (Armand II de Béthune,
duc de), 33, 34, 219, 283.
Chartres (l'évèque de). Voyez
Godet des Marais (Paul).
Chàteauneuk (Ballhazar Phély-
peaux, marquis do), 60.
Châteauneuf-sur-Loire (le châ-
teau de), 130, 131.
Chaulnes (Louis-Auguste d'Al-
bert do Chovreuse, duc de),
248.
Chauvelin (Germain-Louis), 244,
246, 249.
Chevreuse (Honoré d'Albert, duc
de), 7-9, 34, 38, 168, 243.
Chevreuse (Marie de Rohan, du-
chesse de), 146.
Chevreuse (Jeanne-Marie Col-
bert, duchesse de), 209.
Chiens du cabinet (les), *186.
Chine (la), 197.
Chocolat (le), *184.
Chopine (une), *183.
Clément XI, pape, 22, 27, 28.
Clergé (le), 29-31.
Clèves (le duché de), 97.
Cloaque (un), au figuré, *171.
Cluny (l'abbaye de), 127.
Coëtquen (Malo-Auguste, mar-
quis de), 223, 227.
Coëtquen (Marie-Charlotte de
Noailles, marquise de), 223.
Colbert(J.-B.), 36.
Commis, engagé, *71.
Conseil d'État (le), 17, 37, 176,
189, 201.
Conseil des dépèches (le), 11, 60.
Conseil des parties (le), 61 .
Conseil des prises (le), 17.
Conseil de Régence (le), 12, 15,
33, 36, 61-64, 88-90.139,151,
237, 238, 242.
Conseils de la Régence (l^s), 9-
14, 31, 109, 284.
Conseil des affaires du dedans
(le), 11, 31, 30.
Conseil des affaires ecclésiastiques
(le), 19, 22, 31.
398
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Conseil dos afVaircs élranf^tTos
(le), 31, 51.
Conseil des tinances (le), i"!, 18,
3-2, ol, litO, 191), -ioO.
Conseil de la guerre (le), 18, 11),
54.
Conseil de marine (le), 17. 18,
oi.
Conseils (les), en Espagne, l(i.
CoNT.\DES (Georges-Gaspard df'),
lU.
CoxTi (Louis-Armand de Bour-
bon, prince de), 263, 273.
CoNTi (François-Louis de Bour-
bon, prince de), 23ô.
CoNTi (Marie-Anne, légitimée de
France, princesse de), 44.
Continue (à la), *236.
Contretenir (se), *85.
Contrôleur général des tinances
(la charge de), 9, -10, 12.
CoRBiE (la ville de), 98.
Cour des pairs (la), 107.
Cours supérieures (les), 170.
Courant (être au), en matière de
tinances, *34.
Croissy (Charles Colbert, marquis
de), 58.
Croissy (Françoise Béraud, mar-
quise de), 58.
Cromwell (Olivier), 202.
Cru (de son), au tiguré, *lo2.
D
Dagdesseau (Henri), 57, 58, 62,
63, 169.
Daguesseau (Henri -François),
149. 150, 132-154, 168, 1H9,
175-177, 193, 194, 196, 198,
499.
Dangeau (Sophie de Bavière -
Levenstcin, marquise de), 199-
201, 211, 254, 256, 257, 260,
264.
Déboucher, faire écouler, '439.
l)écri(le). Ml 4.
Démancher (se), au ligure, *242.
Dépayser quelqu'un, *469.
Des.marktz (Nicolas), 49, 59,
168, 189, 199, 209, 210, 229,
284.
Di;s.maretz (Madeleine Bécha-
moil, dame), 59, 209.
Disserter quelque chose, *469.
Dominicains (les), 197.
DoNGOis (Nicolas), 153.
DoDCiN (le P.), 23.
Doyen du Parlement (le\ 453.
Duc (Louis-Henri de Bourbon-
Condé, duc de Bourbon, dit
Monsieur le), 61, 108, 265,
273.
Duchesse (Louise-Françoise, légi-
timée de France, duchesse de
Bourbon, dite Madame la), 58,
61, 93, 94, 265, 273.
Duchesses (les), 213, 214.
Ducs et pairs (les), 77, 89, 101,
103-113, 116, 157, 174, 175,
212-216, 219-227, 233, 234,
236.
Dupe, adjectif, *286.
Dl'Ras (Angélique- Victoire de
Bournonvillc, duchesse de),
243, 249.
Duras (l'hôtel de), à Paris, '245.
E
Eau de Heurs d'orange (1'), *485.
Eau trouble (pécher en), *173.
Ecailles tombant des yeux, '228.
Échappé de (un), *202.
Échaulfer dans son harnois (s'),
*216.
Éconduire, *140.
Éconduite (1'), '138, 209.
Ekfiat (Antoine Coiliier, marquis
d). 116, 206-208.
Église gallica.ne (!'), 30.
Enliler (s'), au hguré, '207.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
399
Épernon (Jean-Louis de Nogaret
de la Valette, duc d'), 01.
Escalier des cabinets (le petit), à
Versailles, 'iG'i.
Escousse (prendre son), *2o0. —
Éseconsse.
Espagne (P), 16, 31, 73, 75, 144,
146, i(i8, iid, ^230.
Espagne (les rois d'), 16. Voyez
Philippe V.
Espagne (la branche d') de la
maison de Bourbon, 71-73, 77.
Esprits vitaux (les), *188.
Este (M-B.-Él. d'), reine d'An-
gleterre, 87.
EsTBÉES (Victor-Marie, maréchal
d'), 17, 18.
Etats généraux (les), 63-91, *l!2o,
1-26, 17-2, 173, 216, 217, 229,
284.
Europe (1'), 1, 4, 35,36, 40, 41,
76, 98, 171, 182, 197, 294.
Evêques (les), 29, 30.
Fagon (Guy-Crescent), 181, 182,
186-192, 199-201, 255, 262,
268, 281,283.
Fénelon (François de Salignac de
la Motte-), archevêque de Cam-
bray, 63.
Ferraille (le quai de la), à
Paris, *lo7.
FERTÉ-ViDAME(le chàteau de la),
117, 252.
Feuillade (Louis d'Aubusson,
duc de la), 235, 236.
Finances de l'Etat (les), 33-35,
67-70, 74-76.
Flandre (la), 128.
Flèche (le collège de la), 24, 25.
Fontainebleau (le chàteau de),
130, 141, 150, 199.
Fontenay (Claude de iN'océ, sei-
gneur de), 116.
Force (lïenri-Jacques de Cau-
mont, duc de la), 81, 219.
Forges (les eaux de), 200.
Français (les), 66, 67.
France (la), 1, 2, 6, 21, 35, 36,
41, 43, 59, 72, 76, 78, 84, 85,
98, 101, 109, 124, 126, 173,
193, 195-198, 203, 224, 244,
294.
France (les rois de), 11, 38-42,
44, 70, 76, 81, 92, 94, 102,
104-107. Voyez Charles V,
Charles VI, Charles VII,
Charles VIII, Charles IX,
François I", Henri II, Henri
IV, Louis XII, Louis XIII,
Louis XIV, Louis XV, Phi-
lippe IV, Philippe VI.
France (les reines de). Voyez
Anne d'Autriche, Catherine
DE Médicis, Isabeau de Ba-
vière, Marie de Médicis,
Marie-Thérèse d'Autriche.
France (la maison de), 85, 86.
France (les tils, tilles, petits-fils
et petites-tilles de), 82, 102.
France (Catherine de), reine
d'Angleterre, *85.
France (Isabelle de), reine d'An-
gleterre, 84.
François I", roi de France, 96.
Franche-Comté (la), 128.
G
Galerie (la grande), à Versailles,
*254, 255.
Garçons bleus (les), 262.
Gardes françaises (les), 114, 115,
243, 260.
Gardes suisses (les), 89, 414, 260.
Généralités (les), *127.
Gens d'atlaires Mes), 121, 122.
Gertruydenberg (les négocia-
tions de), 35, 45.
Godet des Marais (Paul), évèque
de Chartres, 55.
iOO
TAHLE AlJMlAliÉTIQUE.
GoNTAlîT (l-"rani;ois-Ariiiaiiil clf
Gontaut-Biron, comte puis duc
de), '"2 '.3.
GoNTAUT (Marie-Adélaïde de Gra-
mont, comtesse puis duchesse
de), *îLi3.
Gouvernements de province (les),
119.
Gramont (Antoine-Charles, duc
de), -48.
Gramont (Louis- An toi ne- Armand
de Gramont. duc do Louvigny,
puis do Guiche et do), '25-2, 2i3.
Gramoxt (Louis de Gramont,
comte de Lesparre, puis de Gra-
mont, et duc do), :2i'2, 243.
Gramont (le maréchal de). Voyez
Guiche (le duc de).
Gramoxt (la maréchale de). Voyez
Guiche (la duchesse de).
Grand chambellan (le), 183.
Grand maître de France (la charge
do), SO.
Grands Augustixs (le couvent
des), à Paris, 97.
Grimoire (un), *\S, 32.
Guiche (Antoine de Gramont, duc
de), puis maréchal de Gramont,
48, il 4, 242.
Guiche (Marie-Christine de Noail-
les, duchesse do), puis maré-
chale de Gramont, 48, 49, 243-
254.
Guillaume III, prince d'Orange
et roi d'Angleterre, 44.
Guise (Henri I"' de Lorraine, duc
de), 97, m.
Guises (les), \\i, 202.
Guyenne (la). 00. 80.
H
Harcourt (le maréchal-duc d'),
31, 50, 78, 79, 219, 234, 233.
Harnois (s'échauffer dans son),
•210.
11avhe-iie-Gh.\ce (Io;, IHU.
Haye (la ville de la), 35, 44.
Heixsius (le pensionnaire), 44.
IIkxri V, roi d'Angleterre, *85.
Hexri II, roi de France, 4, 84.
Hkxri IV, roi de France, 4, 41,
84, 83, 9t), 97, 196.
Hollandais (les), 44.
Hollande (la), 44, 45, 125.
Honneurs de quelque chose (faire
lee), au tiguré, *212.
HucHON (Claude), curé de Ver-
sailles, 255, 262, 288.
Huissiers de l'anlichambrc du
Roi (les), *261.
HuMiÈRES (Louis-François d'Au-
niont, duc d'), 219.
IIuxelles (le maréchal d'), 31.
I
Inamissible, *100.
Infanterie (les régiments d'), 123,
124.
Intendants des linances (les), 18.
Isabeau de Bavière, reine de
France, 85.
Jacobins (le couvent des), à Paris,
rue Saint-Dominique, 246.
Jésuites (les), 23-25, 29, 193-
199.
Jésuites (la maison professe des),
à Paris, 278.
Jupiter, 203.
Lait (l'ànesse (le), *201.
LALLEMANT(le P.), 23.
LANfiuEDOc (le), 80, 128.
Lauzun (Geneviève -Marie de
Lorge, duchesse de), 245. 250.
Lauzun (l'hôtel do), à Paris,
•245.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
401
Levis (Marie-Françoise d'Albert
de Chevreuse, marquise de),
200, 201, 211, 254, 256, 257,
260, 261.
LiANCODRT (Henri-Roijer de la Ro-
chefoucauld, marquis de), 235.
Liban (les cèdres du), 167.
Lieutenances générales des pro-
vinces (les), 119, 120.
Lieutenances de Roi des provin-
ces (les), 120.
Ligue (la), 4, 64, 84.
Lille (la ville de), 214.
LiVRY (Louis Sanguin, marquis
de), 187.
Loire (la), 131.
Lorraine (François, prince de),
abbé de Stavelot, *210.
Lorraine (Claude de France, du-
chesse de), 84.
Lorraine (Marie-Éléonore d'Au-
triche, duchesse de), 210.
Lorraine (la maison de), 64.
Lorraine (la), 128.
Louis XII, roi de France, 96.
Louis XIII, roi de France, 5, 6,
41, 56, 76, 93, 98-101, 104,
110, 145, 146, 148, 155, 196,
278.
Louis XIV, roi de France, 3, 7,
20-22, 26-28, 34-37, 41, 43-45,
48, 49, 51-56, 58, 63-65, 68,
74, 76-78, 80-82, 91, 93,94,
96,98, 102,108-115,117,125,
126, 130, 131, 134, 138-142,
144-147, 149-160, 162, 167,
170, 172-188 (Add.), 189-193,
196, 199-204, 206, 208, 210-
213, 215, 216, 218-220, 225,
227, 229, 233, 253-295.
Louis XV, roi de France, 22, 24,
25, 34, 53, 54, 72, 75, 83, 87-
90, 118, 124, 127, 136, 139,
150, 202, 204, 205, 215, 219,
220, 226-230, 248, 260, 264,
274. 277, 289.
UEUOIRES DE SAINT-SIMON. XXVII
LouviLLE (Charles-Auguste d'Al-
lonville, marquis de), 209.
Louvois (le marquis de), 36, 37,
45, 123.
Louvre (le), 96.
Luciférien, *174.
Luxembourg (le maréchal de
Montmorency-), 236.
Luxembourg (le duc de Montmo-
rency-), 235, 236.
Lyon (la ville de), 180.
M
Madame (Elisabeth-Charlotte de
Bavière, duchesse d'Orléans,
dite), 138, 256, 273.
Madrid (la ville de), 77.
Maffei (Annibal, comte), 195,
196.
Mailly (François, cardinal de),
archevêque de Reims, 29, 219.
Maine (Louis-Auguste de Bour-
bon, duc du), 17, 57, 58, 60-
62, 64, 78, 80, 81,83, 87, 91,
93-95,102,108, 109,111,114,
116, 142, 144, 150, 152, 154,
158-161, 174, 175, 181, 189,
201-205, 210, 211, 214, 215,
221-223, 233, 236, 2,">4-256,
259, 260, 264, 265, 272, 276,
277, 281-283, 285-287, 290.
Maine (Anne-Bénédicte de Bour-
bon-Condé, duchesse du), 81,
93, 160, 212, 214, 215, 221-
223, 233, 277, 292.
Maine (les régiments du duc du),
*80.
Maintenon (la marquise de), 16,
17, 31, 48, 56-58, 60, 78, 113,
114, 150, 154, 176, 179, 181,
188-191, 193-202, 206, 210,
211, 229, 234, 254, 256-260,
262, 263, 265, 266, 269, 274,
277-283, 289-291.
Maisons (Claude de Longueil,
26
\0'2
TABLE ALPnABETKjUE.
marquis do), \\6, 1*3, InO,
i:i3-iG7, ni, iri, -2.s;.
Maisons (Jean-René do Lonj^ueil.
marquis de). KiO, 16-2-166, '25i.
Maisons (Nicolas-Prosper ou René
Prosper de Longueil de), *166
(Add.).
Maisons (Madeleine de Lamoi-
i;non, marquise de), *1()"2.
Maisons (Marie-Charlotte Roque
de Vareiigeviile. marquise de),
16-2-165.
Maisons (le château de). 160.
Maîtres des requêtes (les),* 1-2.
Malappris, ignorant, *-213.
Malmkdy (l'abbaye de), -210.
Marcher sur le ventre à quel-
qu'un, *^03.
Maréchaux de France (les), li),
115, 1:25.
Mareschal (Georges), 181, 182,
19-2, 255, -257, 268, 290, 294.
Marie de Médicis, reine de
France, 4-6, 96-98, 101, 146.
Marie-Thérèse d'Autriche, reine
de France, 96.
Marine (la), 124, 1-25.
Marly (le château de). 32, 87-
90, 141, 160, 167, 172. 173.
176, -200, 247, 248.
Marsais (César Chesneau du),
•163 (Add.).
Marseille (la ville de), 281.
Mazarin (le cardinal), 3, 4, 6,
101, -294.
Mégisserie (le quai de la), à
Paris, *157.
Méhé.met-Riza-Beg, ambassadeur
de Perse, 179, 180.
Mémoires de Saint-Simon (le.s),
149, 166.
Mesmes (Jean-Antoine III de),
9:i-95, 102, 109, 149-154, 159,
175, 176.
Messine (la ville de). 195.
Meudon (le château de). 87.
.Miniature, diminutif, •205. —
Miijnature.
Ministres d'iitat (les), 18, 56,
213,255.
.Monarchie française (la), 37-39.
.Monseigneur (Louis, dauphin de
France, dit), 54.
Monsieur (Gaston, duc d'Orléans,
(lit), 6, 99-101, 146-148.
.Monsieur (Philippe, duc d'Or-
léans, dit), 133, 294.
Morfondus (le quai des), à Paris,
•157.
Morte.mart (Marie-Anne Colbert,
duciiesse de), 249.
Moulins (la ville de), 57.
Mousquetaires (les compagnies
des), 260.
N
Nerveusement, ^86.
IVesmond (Henri de), archevêque
d'Alby, 54, 55.
Nicodème (en), *141.
Noailles (Anne-Jules, duc et
maréchal de), 230.
jN'oailles (Adrien-Maurice, duc
de), 32. 47-49, 141, 142, 167-
173, 193, 194, 196, 198, 199.
215-253.
Noailles (le cardinal de), 19-22,
-26, 31, 50, 51, 168, 230, -239,
210, 214. 216-250,268.-271.
Noailles (Françoise d'Aubigné,
duchesse de), 48.
Noailles (Marie -Françoise de
Bournonville, duchesse et ma-
réciiale de), 48, 49, 239, 243,
248, 249, 251, 252.
Noailles (la maison de), 19, 48,
49, 242.
Noblesse (la), 4, 5, 7-9, 13, 74,
214, 215, 219, 221-2-26, 231,
233.
NocK (Charles de), seigneur de
Fontenay. 1 16, 117.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
403
NocÉ (Marguerite de Rambouillet
de la Sablière, dame de la Mé-
sangère, puis de), *-116.
NoiNTEL (Louis Béchameil, mar-
quis de), 209.
Nonce du Pape (le), '2G-30. Voyez
Bentivoglio.
Normandie (la), 107.
Notre-Dame (l'église), à Paris,
240.
o
0 (le marquis de Villers d'), 48.
0 (Marie-Anne de la Vergne de
Guilleragues, marquise de Vil-
1ers d'), "200, 201, 211, 254,
256, 257, 260, 261.
Officiers de la couronne (les), 101 ,
103-105, 107, 108, 110-113.
Opéra (F), 27.
Ordonnateur (un), en matière de
tinances, *68.
Orléans (Louis, duc d'), 95, 96.
Orléans (Gaston, duc d'). Voyez
Monsieur.
Orléans (Philippe, duc d'). Voyez
Monsieur.
Orléans (Philippe, duc d'), 2, 3,
8-10, 13-28, 31-33, 47-78, 82,
85, 87-95, 102, 106, 108-118,
122-149, 152, 154-161, 167,
168, 172, 173, 192, 196-198,
202-208, 211, 215-217, 229-
243, 253, 255, 256, 260-265,
272, 276, 277, 284-288.
Orléans (Mlle de Blois, légitimée
de France, duchesse d'), 138,
142-149, 168, 174, 175, 229,
230, 261, 273, 284-288.
Orléans (la branche d'), 71.
Orléans (la faction d'), 64.
PALAis(le), à Paris, 97,152, 155-
158.
Palais-Royal (le), à Paris, 237,
238, 239.
Palerme (la ville de), 195.
Palinodie (une), *228.
Paris (la ville de), 29, 74, 76, 85,
87, 96, 114, 117, 134, 135,
152, 158, 160, 161, 165, 169,
170, 180, 192, 193, 198, 200,
225, 242, 250, 260, 274, 281.
Parlement de Paris (le), 9, 20,
57, 77, 79, 89, 90, 93-98, 100-
116, 148, 150-153, 155, 156,
158, 160, 161, 165, 172, 174,
175, 177, 193, 214, 216, 219,
Parlement de Rouen (le), 107,
113.
Pas-de-Suse (le), 98.
Pavé (un), route pavée, *130.
Pays-Bas (les), 36.
Pêcher en eau trouble, *173.
Peletier de Souzy (Michel le),
191.
Pentecôte (la tète de la), 181 , 257.
Pernost (Nicolas), *261. — Per-
nault.
Perse (l'ambassadeur de). Voyez
Méhémet-Riza-Beg.
Philippe V, roi d'Espa<;ne, 16,
197, 294.
Philippe IV LE Bel, roi de France,
84.
Philippe VI de Valois, roi de
France, 84.
PiCQUiGNY (Charles-François d'Al-
bert, duc de), 249.
Pièces justiticativesdes Mémoires
de Saint-Simon (les), 35, 45.
Pied de (être sur le), en parlant
des régiments, *123.
Plâtrer (se), au hguré, *167.
Plumes (tirer des) à quelqu'un,
*213.
Pointer, diriger, au figuré, *217.
Pomponne (Simon Arnauld, mar-
quis de), 58.
to;
TABLE ALPHABETIQUE.
l'ONTCHAHTHAlN (Louis IMlélj-
peaiix, cliaiicolierdo), 49.
PoNTCHARTHAix (Jérôme IMu'-ly-
poaux, comte de), nî). UO, i~\^,
\Sd, 199, ^iO.V2U9, t>78, 2S4.
Ponts et chaussées (les), l"i!l.
Posséder son àrae, *-2[~.
Pré (sur le), au ligure, * I ITi.
Préf;nant, '6~,''21l.
Premier ministre (la charge de),
217, 218.
Premiers gentilshommes de la
chambre (les), 183.
Premiers valets de chambre du
Roi (les), "253.
Présidents à mortier (les), 133,
161.
Prières des agonisants (les), *'292.
Piinco (Henri II, prince de Condé,
dit Monsieur le), 96, 97, 99-
lUl, 117, 148.
Princes et princesses du sang
(les), 61, 6-2, 71. 78, 80-82,93,
102, 108, 140, 159, 174, 173,
215, 220, 255, 265, 273, 274.
Princes étrangers (les), 221.
Princesses (les), lilles du Roi,
255, 265, 266.
Pkotestants (les), 4-6, 64.
Provence (la), 289.
PvRKXÉES (la paix de.*;), 294.
R
Radical, •193.
Radoteur (un), *247.
Rapprocher (se), se rappeler,
•159.
RASTAUT(le traité de), 19.
Régence du duc d'Orléans (la),
92-105, lOH-113.
Régent de France (le), 11.
Reims (l'archevêque de). Voyez
Mailly (François de).
Renonciations (les), 3S, 70-73, 76,
77.
Rentes sur l'hôtel de ville (les),
75.
Répéter quelqu'un, '175.
!{>•( cjilum (un), M60.
Rêver à la suisse, *144.
Rey.nolu (François de), *\A't.
Rhubarl.e (la), •164.
Riheyha-Graxde (Louis de Ca-
méra, comte de), *i91, 192.
RiUKYHA- Grande (Constance -
Emilie de Rohan-Soubise,
comtesse de), ^192.
Richard (un), 74, •121.
Richelieu (le cardinal de), 5.
Richelieu (Louis-François-Ar-
mand de Vignerot du Plessis,
duc de), 234.
Richelieu (Anne-Catherine de
Noailles, duchesse de), 234.
Rochefoucauld (François Vlli,
duc de la), 210, 235, 235.
Rochefoucauld (Marie-Charlotte
le Tellier de Louvois, duchesse
de la), 179.
RocHEGUYON (Elisabetli-Marle-
Louise-Nicole de Bermond du
Caviar de Saint-Bonnet, du-
chesse de la), 179, 180.
Rochelle (la ville de la), 6, 98.
Rohan (Armand-Gaston, cardinal
de), 20. 22, 23, 26, 29, 31,
192, 256, 261-263, 266-271,
278, 292.
Rohan (Hercule-Mériadec de Ro-
han-Soubise, prince de), 192.
Rohan (la maison de), 20.
Rome (la ville et la cour de), 21,
26-31. 57, 195, 197.
Rompement de tête (le), '52.
Rotterdam (la ville de), 44.
Roulette (une), fauteuil roulant,
•200.
RoussiLLON (le), 98.
Routes et chemins (les), 127-
131.
RUFKEC (Jac<nies-Louis de Rou-
TABLE ALPHABÉTIQUE.
405
vroy Saint-Simon, duc de), •I6i2,
244, 247, 248, 232.
RuFFEC (Armand-Jean de Rou-
vroy-Saint-Simon, marquis de),
162.
RuFFEC (la duchesse de), 252.
Voyez BouRNONviLLE (la prin-
cesse de).
Saint-Cyr (la maison de), 113,
■189, 282, 289, 291.
Saint-Esprit (l'ordre du), 120.
Saint-Germain-en-Laye (le châ-
teau de), 87, 90, 101, 160,170,
171.
Saint-Hérem (Charles-Louis de
Montmorin, marquis de), 226.
Saint-Hilaire (Armand de Mor-
mès de), 114.
Saint-Louis (l'ordre de), 119, 120,
124.
Saint-Louis (la fête de), 237.
Saint-Simon (Louis de Rouvroy,
duc de), 1-3. 7-26, 31-37. 47-
79, 87, 91-95, 102, 103, 106,
108, iU. 113-130, 133-161,
167-173, 192-200, 202, 20i-
210, 213-233, 237, 261, 262,
284-287.
Saint-Simon (Marie-Gabrielle de
Lorge, duchesse de), 130, 200,
223-228, 239, 244, 246-248,
230, 231.
Saint-Simon (l'hôtel de), rue
Saint-Dominique, *246.
Sainte-Croix de la Bretonnerfe
(l'ordre de), *190.
Salade du Roi (la), M87.
Salon (le), à Marly, 87.
Sauge (la), tisane, *183.
Sceaux (le château de), 81, 160.
Sciatique (la), *178.
Secrétaire d'Etat des affaires
étrangères (le), 30.
Secrétaire d'État de la guerre (le),
12.
Secrétaires d'État (les), 9-12, 65,
108, 131, 168, 233.
Secrétaires du Roi (les), *74.
Seignelay (Jean-Baptiste Colbert,
marquis de), 38.
Sforza (Louise-Adélaïde Damas
de Thiange, duchesse), 143.
Sicile (le roi de). Voyez Victor-
Amédée.
Sicile (la), 193-197.
Signatures en commandement
(les), *10, 11.
SoissONS (Charles de Bourbon,
comte de), 96, 97.
Sorbonne (la), 20.
Stavelot (l'abbaye de), 210.
Suisse (rêver à la), *144.
Suisses et Grisons (les), 80.
Sully (Maximilien-Henri de Bé-
thune, duc de), 219, 227 (Add.),
228.
Survivances (les), 118.
Tallard (le maréchal de), 58.
Tellier (le P. le), 24, 23, 30, 33,
173, 211, 233-237, 261, 262,
266, 269, 277, 278, 280, 283,
290.
Tessé (le maréchal de), 38, 78,
79.
Thé (le), *103.
Tirer (à tout), *119.
Titanisme (le), *92.
Titans (les), 62, 86.
Toile cirée Cla), au figuré, *233.
ToRCY (le marquis de), 27, 35,
44, 45, 140.
Toulouse (Louis-Alexandre de
Bourbon, comte de), 17, 48,
61, 62, 80, 91, 108, 211, 255,
256, 265, 276.
Tournemine (le P. de), 23.
'.06
TABLE ALPHAHKTIQUE.
Trait, tiré. "77.
Traîlnnise, *2"2y.
TuESMES (Bcrnard-FraiHois Po-
tier, duc de), "Irtrt, "256.
Trianon (lo clulteau de), 176.
Trophime (saint), 29.
Tuileries (les). 238.
Turc à -More (traiter quoiqu'un
de), M 22.
Turin (la ville de), 23.H.
u
Unigenitiis (la Constitution), 49-
23, 29-31, 55, 57, 464, 175,
476, 267-274.
Ursins (la princesse des), 46, 31,
480, 230.
VACQUERiE(Jean delà), 95, 96.
Venaison (la), *487.
Vendôme (Françoise de Lorraine-
Mercœur, duchesse de), *96.
Ventadour (C.-É. -M. de la
Motte-Houdancourt, duchesse
de), 202. 274, 275.
Ventre (marcher sur le) à quel-
qu'un, •203.
Véronique (la), tisane, *485.
Versailles (le château de), 25,
K7. 141. 147, 135, 450, 470,
174, 476, 499, 226, 232, 277,
284.
Vice-amiraux (les), 425.
Victor-Amkdke, <Iuc de Savoie
et roi de Sicile. 195.
Vienne (la ville et la cour de), 46.
ViLLARS (Louis-iiertor. iiiarrclial-
duc de), 49, 78, 79.
ViLLARS (la maréchale de), 462.
ViLLARs (le sieur de), aide-major
des gardes françaises, 44-4.
ViLLEROY (François de Neufvillc,
maréchal-duc de), 48, 32, 56,
58, 62, 78, 79, 202, 255, 256,
259, 260, 263, 264, 266. 272.
273, 277, 282, 285-288.
ViLLEROY (Louis-Nicolas de Neuf-
ville, duc de), 234, 235.
ViNCENNES (le château de), 23,
277, 279.
Voûte (faire), au tiguré, *85.
VovsiN (Daniel-François), 56, 57,
108, 150, 452, 454, 459, 468,
476, 480, 484, 489, 490, 499,
204, 255, 256, 258-260, 263,
265, 266, 269, 274, 278, 284-
288.
Vrillière (Louis I" Phélypcaux,
seigneur de la), 60.
Vrillière (Louis II Phélypeaux,
marquis de la), 60.
Vrillière (Françoise de Mailly,
marquise de la), 430.
w
Wolfenbuttel (l'envoyé de),
*490.
III
TABLE DE L'APPENDICE
PREMIERE PARTIE
ADDITIONS DE SAINT-SIMON AU JOURNAL DE DANGEAU.
(Les chiffres placés entre parenthèses renvoient au passa;;e
des Mémoires qui correspond à l'Addition.)
Pages.
1235. Le président de Maisons et sa famille (p. 453) "297
1236. Comn-encenient de la maladie du Roi (p. 176) 305
1237. Le duc du Maine passe en revue la gendarmerie (p. 201-
202) 307
1238. Le duc de Noailles et le duc de Saint-Simon (p. 215). . 308
1239. Voysin se fait promettre par le duc d'Orléans la conser-
vation de sa charge de chancelier (p. 284) 331
SECONDE PARTIE
I
La mort de Louis XIV 333
II •
Le testament de Louis XIV 359
III
Lettre de Louis XIV mourant à Louis XV 373
IV
Cérémonial funèbre et autopsie de Louis XIV 376
TABLE DES MATIÈRES
CONTENLES DANS LE VOGT-SEPTlÈME VOLUME.
MÉMOIRES DE SAINT-SIMON (1715 suite) ''"'i
APPENDICE.
Première partie. — Additions de Saint-Simon au Journal
de Dangeau (n"* l-23o-l'i3!J) -297
Seconde partie. — Notices et pièces diverses 333
ADDITIONS ET CORRECTIONS 385
TABLES.
I. Table des sommaires qui sont en marge du manuscrit. 391
11. Table alphabétique des noms propres et des mots ou
locutions annotés dans les Mémoires 395
111. Table de l'Appendice 407
FIN DU TOME VINGT-SEPTIEME.
CHARTRES. IMPRIMERIE DVRAND, KL h fLLBIRT.
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